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Title: Voyage d'un jeune grec à Paris (Vol. 1 of 2)
Author: Heaume, Hippolyte Mazier du
Language: French
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produced from images generously made available by the
Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)



VOYAGE D'UN JEUNE GREC À PARIS.

Par M. Hippolyte MAZIER DU HEAUME,

Auteur des Observations d'un Français sur l'enlèvement des chefs-d'œuvre
du Muséum de Paris, en réponse à la lettre du duc de Wellington au lord
Castelreagh, en 1815.

TOME PREMIER.

À PARIS, CHEZ Fr. LOUIS, LIBRAIRE-ÉDITEUR.

1824.

[Illustration: Un matin, Lord Elgin interrompit ses méditations...]

     Les descendants d'Hercule, et la race d'Homère, Aux pieds d'un vil
     aga, tremblent dans la poussière.

     VOLTAIRE.



TABLE DES CHAPITRES.

TOME I.

CHAPITRE PREMIER.

Philoménor, né à Rhodes, fait ses études à Athènes.--M. Fauvel.--Le
jeune grec quitte l'Achaïe.--Il se retire à Parga.--Il abandonne la
Grèce.--Il fait voile pour l'Italie.--Il parcourt les états de cette
presqu'île; il se rend en Hollande et en Angleterre.--Il arrive en
France et s'y fixe.--Son enthousiasme pour ce beau royaume.--Abus
nombreux qui détruisent son enchantement.--Son indignation.--Ses
reproches très-fondés.

CHAPITRE II.

Philoménor assiste à une séance publique de l'Institut.--Ses idées sur
les salles intérieures de ce monument.--Ses questions.--Mes
conseils.--Pensée de Platon.--Piron.--Façades extérieures.--Réflexions
de Philoménor à ce sujet.--Société des Amis des arts.

CHAPITRE III.

Sur le bien que la Société des Amis des arts peut produire en étendant
les premières attributions de sa
destination.--Palais.--Hospices.--Mendicité.--Fondation d'un hôtel des
Invalides religieux et d'un hôtel des Invalides civils.--Vers de
Gilbert.

CHAPITRE IV.

Moyens faciles d'embellir Paris et d'en faire disparaître les plus
ignobles quartiers, tout en conservant les monumens les plus
remarquables.--Indication sommaire des principales antiquités de
Paris.--Plaintes fondées sur la destruction des plus beaux édifices de
France.--Château de Chambord.--Comment on peut préserver les édifices
célèbres des ravages du vandalisme.--Fontaines de Paris.--Purification
des eaux.--Projet du docteur Doé.--Nouvel édifice thermal.--Tableau de
Paris, en suivant les plans de l'auteur.

CHAPITRE V.

Il faut être constant dans l'exécution des plans mûrement réfléchis et
arrêtés.--Puérilité des décors employés dans les fêtes et cérémonies
d'apparat.--Moyen d'y remédier.--Rétablir quelques réglemens de
l'ancienne Académie.--Combien il est dangereux de laisser sortir de
France des chefs-d'œuvre introuvables.--Regrets de l'auteur sur leur
disparition et leur sortie de France.--Exemples frappans.--Collection
Fesch.--Magnifique Paul-Potter.--Armure du chevalier La
Hire.--Introduction en France d'une loi romaine
conservatrice.--Non-seulement il faut conserver, mais faire encore de
nouvelles acquisitions.--Anathême lancé sur certains artistes.--Moyens
de se procurer de nouvelles richesses en antiques.--Voyages en Grèce, en
Italie, d'un homme célèbre.--Espérances trompées des amateurs des
arts.--Facilité de découvrir de nouveaux monumens.--Pêche monumentale du
Tibre.

CHAPITRE VI.

Corps législatif.--Observations de Philoménor sur ce palais.--Fameuse
pétition relative aux émigrés.--Vues diverses de l'auteur à ce
sujet.--Légère rétribution.--Domaines en Corse.--Statues de la salle du
palais.--Anecdote inédite sur le buste de Louis XVII.--Vœux de l'auteur.

CHAPITRE VII.

Penchant des décorateurs pour les colifichets qui se renouvellent
souvent.--Bas-relief de Louis XIV à Versailles.--Bas-relief du même
monarque au Musée détruit des Petits-Augustins.--Morceaux intéressans
qui s'y détériorent d'un jour à l'autre.--Nécessité d'un nouveau
répertoire de ces objets précieux.--Musée d'architecture.--Critique du
projet d'un architecte.--Recréer l'ancien Musée français avec les débris
non replacés.--Nécessité d'un répertoire nouveau de ces objets
précieux.--Fondation d'un Musée de sculpture moderne.--Établissement
d'un Musée universel statuaire en modèles de plâtre.--Musée des copies
des plus excellens tableaux que nous avons perdus ou que nous n'avons
jamais possédés.--Réponses péremptoires aux objections que l'on ferait à
ce sujet.

CHAPITRE VIII.

De l'usage malheureusement trop commun des compositions
fragiles.--Fronton du Corps législatif et des Invalides.--Chapelle
expiatoire de la Conciergerie.--Église
Sainte-Élisabeth.--Val-de-Grâce.--Tombeau du cardinal Du
Belloy.--Carrières des marbres de France.--Caveaux des deux premières
races à Saint-Denis.

CHAPITRE IX.

Il ne faut se servir dans les monumens publics que de matières
solides.--Passage extrait du voyage de Kamgki, par M. le duc de
Lévis.--Faire moins et faire bien.--Imiter ses ancêtres.--Mosaïques des
Invalides et du Musée.--Nos modes contribuent à leur
destruction.--Peintures à fresque.--La Mosaïque doit être plus
particulièrement encouragée.--Musée royal.--Mouleurs en plâtres ou
réparateurs des statues.--Dissertation historique sur la Vénus de
Milo.--Rapprochemens singuliers entre cette Vénus du Musée français et
une autre Vénus du British Muséum.--Zodiaque de Denderah.--Anecdote sur
l'aiguille de Cléopâtre.--Lacune presque continuelle dans les tableaux
du grand Musée.--Moyens d'y suppléer.--Projet d'un complément
conservateur de ce monument.--Musée du Luxembourg.--Lacunes essentielles
à remplir.

CHAPITRE X.

Manufacture des Gobelins.--Critique des bâtimens de cet
établissement.--Plan et moyen de restauration.--Notice
historique.--Ouvriers, tentures, expositions.--Améliorations,
encouragemens.--Musée des arts et métiers.--Maison des
Jeunes-Aveugles.--Leur admirable industrie.

CHAPITRE XI.

Marchés publics.--Abus.--Réformes possibles.--Bazars, leur
agrément.--Bibliothèque royale, son histoire
abrégée.--Bibliothécaires.--Cabinet des médailles.--Anecdotes curieuses
et importantes sur l'enlèvement forcé de quelques objets de cette
collection.--Cabinet des gravures.--Galeries des manuscrits.--Histoire
du vol d'Aimon.--Hôtel de ville.--Sa bibliothèque.--Réparer ce monument
municipal; indication des moyens.

CHAPITRE XII.

Cathédrale.--Préparatifs pour la fête du baptême du duc de
Bordeaux.--Décors peu analogues avec la vieille métropole.--Ornemens
plus en rapport avec l'architecture gothique.--Avantages qui en eussent
résulté.--Note remarquable.--Philoménor assiste à la cérémonie du
baptême.--Pièce de vers.--Présages anecdotiques sur le duc de Bordeaux.

CHAPITRE XIII.

Suite du même sujet.--Description du chœur de Notre-Dame.--État
déplorable des autres parties de cette basilique.--Continuelles
mutilations qu'elle éprouve.--Ornemens mesquins.--Vœux de l'auteur pour
cet édifice et les autres églises qui sont à construire et à
réparer.--Obstacles qui doivent contrarier ses plans.--Il est nécessaire
d'agrandir la place de la cathédrale.--Éloigner l'Hôtel-Dieu de cette
enceinte.--Motifs de cette mesure.--Emplacement favorable pour cet
établissement.

CHAPITRE XIV.

Le pays latin.--Lecteurs ambulans.--Les arts ont singulièrement gagné
dans la classe des riches bourgeois de Paris, et même dans celle des
artisans.

CHAPITRE XV.

Montagne Sainte-Geneviève.--Bibliothèque.--Leçon d'un professeur du
collège de France.--Étonnement du jeune, Grec sur l'emploi du
local.--Anecdote prussienne.--La Sorbonne et sa restauration.

CHAPITRE XVI.

La Sainte-Chapelle.--Le Palais.--Incohérence de ses différentes
parties.--Cheminées, tuyaux.--Procédé anglais pour absorber et utiliser
la vapeur des poêles.--Embellissemens possibles pour le tribunal
suprême.--Terre-plein du Pont-Neuf.--Échafaudage monstrueux près d'un
des plus beaux monumens de Paris.--Chambre de cassation.--Statues de
d'Aguesseau et de l'Hôpital.--Monument Malesherbes.--Galeries du Palais
telles qu'elles sont et telles qu'elles devraient être.

CHAPITRE XVII.

Fête publique.

CHAPITRE XVIII.

Inauguration de la statue de Louis-le-Grand sur la place des
Victoires.--Description de la cérémonie.--Pièce de vers.

CHAPITRE XIX.

De l'ancienne salle de l'Opéra.--Translation des acteurs au théâtre
Favart.--Nécessité sentie d'une salle provisoire.--La salle de la rue
Richelieu ne doit pas être regrettée.--Quel emploi convenable on eût pu
faire de cet édifice.--Quelques mots sur Monseigneur le duc de
Berri.--Anecdotes et rapprochemens singuliers.--De la nouvelle
salle.--Censure piquante et naïve d'un homme du peuple.--Mot heureux
d'un littérateur très-connu.--Pourquoi l'on a choisi et préféré l'hôtel
Choiseul pour y mettre l'Opéra.--Facilité de mieux placer ce théâtre.--À
quel édifice de Paris ressemble la façade de la nouvelle Académie de
musique.--Façade latérale de la rue Pinon.--Quelques abus détruits,
d'autres conservés.--Intérieur de la salle.--Usage accidentel des
cinquièmes loges.--Grandes loges.--Parterre très-commode.--Lustre
magnifique.--Foyer.

CHAPITRE XX.

La salle d'Opéra provisoire rend indispensable un théâtre solide et
durable.--La France est lasse de colifichets.--Quelles sont les raisons
de ce dégoût?--Colysée antique.--Les obstacles à l'érection d'un opéra
permanent doivent être nuls.--Singularité.--Projets.--Panoramas de la
scène perfectionnés.--Vaucanson modernes.--Moyen d'assainir la
salle.--Illusions en tout genre.--Théâtre de Bologne, de Milan, de
Parme.--Il est à craindre que le provisoire ne soit
incommutable.--Concours, non des élèves architectes, mais des artistes
maîtres pour une salle définitive.

CHAPITRE XXI.

Emplacement d'un théâtre durable.--Projets du prince de Ligne,
magnifiques, mais impossibles.--Notice sur cet amateur des
arts.--Quartier superbe de Paris, si l'on eût suivi ses plans.--Arc de
triomphe de l'Étoile, l'achever et le consacrer à la
paix.--Champs-Élysées.--Comment les embellir.--Planter des jardins
d'hiver, qui manquent à Paris.--Jardins d'hiver de Vienne et de
Pétersbourg.--Description de ceux qui se trouvent dans cette dernière
ville.--Espérances de l'auteur.--Réfutation du plan d'un homme de grand
mérite.--Monument de la Bourse.

CHAPITRE XXII.

Philoménor au spectacle de l'Opéra.--Ses nombreuses questions.--Acteurs,
actrices.--MM. Dérivis, Bonnel, La Feuillade, Nourrit, Adolphe, Laïs,
Dabadie, Lecomte.--Anecdote sur Lavigne.--Mmes Branchu, Grassari,
Javareck.--Les doublures jouent plus souvent que les premières
cantatrices.--Admirable talent de Mme Albert, qui, depuis sa rentrée,
n'a pas eu de rôle dans les pièces nouvelles.--Résultat fâcheux du congé
sec donné à Mme Fay.--Traité aussi ridicule que désavantageux entre la
direction du théâtre de Londres et celle de l'Opéra de Paris.--Chef
d'orchestre.--Les instrumens couvrent beaucoup trop les
voix.--Récompense proposée pour une ingénieuse
découverte.--Pirouettes.--MM. Paul, Albert.--Danse grave.--Singuliers
contrastes.

CHAPITRE XXIII.

Art mimique.--Son origine.--Rhume d'Andronicus.--Système admirable des
immortels abbés de l'Épée et Sicard.--Réflexions d'un
encyclopédiste.--Mmes Heinel, Guimard, Gardel et Clotilde.--On doit la
perfection de la pantomime à Mlle Bigottini.--Portrait de cette actrice
dans le ballet de Clari.--Mmes Courtin, Fanny Bias, Anatole,
Marinette.--MM. Albert, Montjoie, Ferdinand.--Pantomimes de MM. Franconi
dans leurs tournois.

CHAPITRE XXIV.

Promenades nouvelles de Philoménor dans certains quartiers de
Paris.--Étrange malpropreté.--Chantiers de la capitale.--Ponts sans
cesse obstrués.--Abus toujours renaissans malgré les
ordonnances.--Reléguer strictement certaines professions dans des
marchés communs.--Raisons de cette mesure.--Fontaine de
Grenelle.--Colonnade du Louvre.--Intérieur et cour du même
palais.--Guinguettes et magasins de plâtres-modèles.--Carrousel.--Salle
de réunion des trois pouvoirs.--Plan de ce temple des lois.--Faire
disparaître les ménageries de ce quartier, et pourquoi.

CHAPITRE XXV.

Quelques réflexions sur les fondateurs de nos principaux
monumens.--École Militaire.--Quelle pourrait être sa destination.--Champ
de Mars.--Y élever des amphithéâtres.--En entretenir et en planter les
terrasses.--Utilité de ces réparations.--Mot très-vrai de M. de
Lacretelle sur nos fêtes publiques.--On doit conserver les édifices
élevés pendant la révolution.--Il faut leur imprimer des formes
royales.--Colonne de la Place Vendôme.--Arc de Triomphe du
Carrousel.--Tuileries.--Étonnement très-fondé de Philoménor.--Statues
des niches et portiques du Palais, des Jardins et Bosquets.--Réaliser un
projet de M. le duc de Lévis.--Surveillance trop peu sévère au
Carrousel, et en quoi.--Jours de
revue.--Saint-Cloud.--Versailles.--Dévastations non réprimées dans les
parcs et parterres de ces résidences.--Bains d'Apollon
violés.--Rocailles et ornemens des bosquets fermés et
publics.--Colonnades du Château.--Les vrais moyens de restauration n'ont
point été employés dans les bois détruits en 1815.--Accidens arrivés aux
monumens de Paris.

CHAPITRE XXVI.

Guichets des Tuileries.--Passages infectés par des
immondices.--L'invention de M. Dufour, perfectionnée par de nouveaux
essais, devrait être généralisée dans tout Paris.--Éclairage mesquin du
Palais, les jours de réception.--Projet plus digne de la majesté du
lieu.

CHAPITRE XXVII.

Philoménor se rend à Feydeau.--La scène de ce théâtre a trop peu de
profondeur.--Les pièces anciennes devraient être remontées à
neuf.--Découvertes de M. Paul.--Opéra d'_Aline_.--Projet de véritables
illusions.--Foyer.--Actrices.--Mmes Lemonnier, Boulanger, Paul, Leclerc,
Casimir, Pradher, Rigaut, Letellier, Desbrosses, Belmont.--Regrets sur
Mme Duret.--Mme Lemonnier et M. Martin, dans _les Voitures
versées_.--Mme Boulanger dans _Emma_, et Mme Pradher dans _le
Solitaire_.--Tableau très-édifiant de ce théâtre.--Note sur les mœurs de
l'époque.--En dépit de Huet, Visentini, Ponchard, Alexis et Darancourt,
on s'aperçoit qu'il y manque un Elleviou.--École mutuelle de chant.--Ses
avantages, ses inconvéniens.--De belles voix ne suffisent pas à ce
théâtre.--Acteurs propres à remplacer Elleviou.--Anecdote sur
Lecomte.--Notice sur Elleviou.--Goûts de nos grands acteurs pour la vie
champêtre.--Description de la maison de campagne de Larive.--Quelques
mots sur les jardins de Talma.--Anecdote singulière sur Larive.

CHAPITRE XXVIII.

Palais-Royal.--Passages vitrés.--Musée des rues.--Enseigne.

SUITE DU PALAIS-ROYAL.

Souterrains anciens et modernes.--Maisons de jeu.--Embellissemens,
jardins suspendus.

TOME II.

CHAPITRE XXX.

Premier Théâtre-Français.--Mot du prince de Ligne et de
Voltaire.--Ancienne salle.--Abus.--Salle nouvelle.--Anecdotes.--Examen
critique des décors.--Acteurs, actrices.--Moyen nouveau de recruter des
sujets.--Foyer.--Récompense à décerner.--Régulus.--Clytemnestre.--Sylla.

CHAPITRE XXXI.

Filles publiques du Palais-Royal, des boulevards de Gand et des
Variétés.

CHAPITRE XXXII.

Les Catacombes.--Grotte sacrée.--Cimetière du Père Lachaise.--Abus
révoltant.--Constructions nécessaires.--Plantations et réparations
convenables.--Fête funèbre.--Anecdote.--Pièce de vers.

CHAPITRE XXXIII.

Place Royale.--Fossés de la Bastille.--Greniers d'abondance.--Leur
incontestable utilité.

CHAPITRE XXXIV.

Jardin royal des plantes.--Lacune remarquable.--Projet utile à la
botanique.--Serpent à sonnettes.--Anecdote.

CHAPITRE XXXV.

Suite du même sujet.--Vallée suisse.--Réflexions
philosophiques.--Montagnes.--Belvéder.--Projet d'hommage aux amateurs de
la nature.--Améliorations possibles.--Un jardin de Kew en France.

CHAPITRE XXXVI.

Hôtel Bazancourt.--Marché aux vins.--Quelques réflexions sur les travaux
publics.

CHAPITRE XXXVII.

Marché aux fleurs.--Fabriques nécessaires.--Plantations
exotiques.--Avantages qui en résulteraient.

CHAPITRE XXXVIII.

Café Procope.--Odéon.--Boutiques.--Échoppes.--Anecdote
anglaise.--Artistes usurpateurs.--École de Médecine.--Étalages ambulans.

CHAPITRE XXXIX.

Affiches, placards.--Mot de Mercier.--Plaisans contrastes.--Création de
compagnies de police, et d'un nouvel inspecteur des monumens.--Fosses
inodores; gaz hydrogène.--Preuves de ses inconvéniens.--Avantages et
dangers des nouvelles découvertes.

CHAPITRE XL.

Salle de l'Odéon.--Mesquinerie des décors.--Acteurs tragiques.--_Vêpres
Siciliennes._--Mlle Georges.--Victor.--Mlle Anaïs.--Perrier.--Mlle
Millen.--Marivaudage.

CHAPITRE XLI.

Embarras de Philoménor au sortir du spectacle.--Quinquets
réflecteurs.--Nouveaux anathèmes contre certaines expériences.--Moyens
de faire disparaître les abus.--De la voierie de Paris.--Nouvelles
attributions de l'inspecteur des monumens et des compagnies à ses
ordres.--Leur formation, leur organisation, leur traitement, leur
occupation journalière.--Extinction de la mendicité en France.

CHAPITRE XLII.

Description d'un des cafés de Paris.--Limonadiers.--Garçons
servans.--Les cristaux, la brillante argenterie, les moellons de sucre
ne doivent pas séduire.--Cafés lyriques.--Ce genre a peu de succès à
Paris.--Café Italien.--Tortoni, sa prospérité.

CHAPITRE XLIII.

Obstacles qui s'opposent aux succès des cafés
chantans.--Sociétés.--Théâtre Italien.--Vaudeville. Salle, décorations,
actionnaires.--Acteurs.--Raison de la décadence de ce
théâtre.--Gonthier.--M. Désaugiers.--Gravelures.--Claqueurs soldés.

CHAPITRE XLIV.

Théâtre des Variétés.--Acteurs.--Potier, Vernet, Tiercelin,
Bosquier-Gavaudan, Le Peintre, Mmes Flore, Gonthier, Pauline,
Jenny-Vertpré.--Façade grecque.--Intérieur de la
salle.--Pièces.--Réforme.--Claqueurs.

CHAPITRE XLV.

Mélodrames de la Porte Saint-Martin, de la Gaîté et de
l'Ambigu-Comique.--Franconi.--Gymnase.--Panorama-Dramatique.

CHAPITRE XLVI.

Panorama.--Diorama.--Vie délicieuse d'un amateur des arts à
Paris.--Fêtes champêtres.--Maisons de campagne.--Maisons de
santé.--Jardins publics.--Anecdote.--Abus à réformer.

CHAPITRE XLVII.

Fête de la Rosière.

CHAPITRE XLVIII.

Domestiques.--Grands restaurans.--Les gastronomes.--Dîner de jeunes
gens.--Cuisines en plein air.--Restaurans de la moyenne
propriété.--Tailleurs à la mode.--Demoiselles de salle.--Leurs
caquets.--Leurs habitudes.

CHAPITRE XLIX.

Société de Paris.--Philoménor est introduit chez une Mme de
Valmont.--Son attachement pour cette dame.--Caractère du jeune
Grec.--Ses succès dans le monde.--Fête donnée chez Mme de
Valmont.--Présens et pièce de vers.--Description d'un hôtel.--Une séance
royale.--Espérances de Philoménor pour le bonheur de sa patrie.--Note
critique sur des usages de la cour en France.

CHAPITRE L.

Discussion sur la cause des Grecs et des Turcs.--Légitimité des
Ottomans.--MM. de Bonald, Condorcet.--Bacon.--Les Comnènes.--Droits des
Bourbons au trône de Constantinople.--L'intérêt politique et l'intérêt
mercantile reconnaissent seuls la légitimité turque.--Mesures du
gouvernement anglais relatives aux Sept îles.--Défense de
l'Angleterre.--Conquête de l'Inde, facile pour la Russie.--Motifs de
l'insurrection grecque.--Les Grecs ne sont point des
carbonari.--L'équilibre de l'Europe, détruit, peut être aisément
rétabli; moyens.--Selon certains Anglais, les Grecs ne sont propres qu'à
l'esclavage.--Réclamation de Mme de Valmont à ce sujet.--Peinture du
sérail actuel de Constantinople, d'après le fidèle récit d'un des
médecins de Sa Hautesse.

CHAPITRE LI.

Reproches peu fondés faits aux Grecs anciens, et réplique décisive à ce
sujet.--Comparaison entre les arts de l’Égypte et ceux de la Grèce.--Les
Grecs modernes ne sont point étrangers aux connaissances utiles, aux
sciences et aux lettres.--De leur littérature.--Cause de l'insurrection
de la Grèce.--Avantages dont ils jouissaient avant la
révolution.--Nouvelle accusation relative à leurs privilèges.--Leur
défense.--Ali.

CHAPITRE LII.

La politique échauffe de plus en plus les têtes.--Mme de Valmont
interrompt brusquement la conversation.--Abus dans les
spectacles.--Déclamation.--Costumes, décorations, jeux de scène.--Le
Kain.--Les réformes qu'il a introduites pour la tragédie doivent avoir
lieu pour la comédie.--Outrage sacrilège fait impunément par les acteurs
aux pièces de nos grands maîtres.--Coutre-sens complet dans certaines
représentations.--Concerts spirituels, devenus, avec les courses de
Longchamp, les jeux olympiques de la France.--Obligation à imposer à MM.
les comédiens du Roi.--Invraisemblances notables sur la scène.--Quelques
avis à MM. les acteurs et actrices.--Mlle Mars.--Joanny.--Mlle
Duchesnois.--Mlle Georges.--Absence de la musique aux représentations
extraordinaires.--Répertoire musical.--Abus difficiles à faire
disparaître, et pourquoi.--Moyens d'y remédier.--Organisation nouvelle
des théâtres royaux, favorable aux auteurs, aux acteurs, et au
public.--Mot de Francklin.

CHAPITRE LIII.

Bal.--La passion du jeu l'emporte sur celle de la danse.--Peinture
générale de la société des salons.--Certains usages ont disparu et fait
place à d'autres.--L'écarté fait fureur.--Les charades en action passées
de mode.--Les comédies et petits opéras très-en vogue sur les théâtres
de campagne.--Charme des sociétés de la capitale.--Des _Album_.

CHAPITRE LIV.

Au milieu de la fête, Philoménor reçoit des dépêches de la Grèce.--Il
veut quitter la France.--Son dévouement à son pays.--Affreux malheurs de
la Grèce.--Reproches que mérite l'Europe à ce sujet.--Philoménor réclame
pour sa patrie l'appui de la France.--Avantages qui en résulteraient
pour elle.--Vœux du jeune Grec.--Ses touchans adieux.



INTRODUCTION.


Encore un tableau de Paris! diront peut-être quelques censeurs.
S'agit-il des mœurs du temps, d'anecdotes, de monumens, de reformes
utiles, d'embellissemens nouveaux? L'auteur croit-il que nous avons
oublié le Siamois de Dufresny, l'Espion turc, les Caractères de La
Bruyère, les Lettres persannes de Montesquieu, les Essais de Duclos, les
deux Tableaux de Paris de Mercier, le petit Tableau de Mme de Sartory,
et l'Ermite de la chaussée d'Antin?

Nous apprendra-t-il quelque chose de plus que le père Félibien, André
de Valois, de Lamarre, Ramond du Pouget, l'abbé le Bœuf, le célèbre
Sainte-Foix, le prince de Ligne, les Mémoires historiques de Soulavie,
le Tableau historique et pittoresque de Paris, de M. de Saint-Victor, et
l'Histoire civile, physique et morale de Paris, de M. Dulaure?

À toutes ces questions, spécieuses en apparence, la réponse est facile.
Je demanderai, à mon tour, s'il ne reste rien à glaner après la riche
moisson faite par ces écrivains? Si quelques épis précieux ne sont point
demeurés inaperçus et cachés dans un champ aussi vaste; ou plutôt si de
nouvelles cultures n'exigent pas dans ce moment de nouvelles méditations
et un nouveau travail? Si Paris, enfin, n'offre pas, au moins tous les
dix ans, un aspect différent, des scènes continuellement variées? Et je
n'en veux pour preuve, que les deux tableaux de cette capitale composés
par le plus grand observateur du siècle dernier, que j'ai déjà cité,
tableaux dont les couleurs et les nuances sont si fortement opposées.
Malheureusement la postérité s'indignera en voyant que les deux écrits
de cet illustre penseur ont été tracés par une plume originale, il est
vrai, mais trop souvent trempée dans la fange, le fiel et le sang;
lorsque dans le dernier écrit surtout, une équitable justice et des
souvenirs récens devaient inspirer au peintre les sentimens d'une
généreuse pitié, et lui prescrire un saint respect pour d'épouvantables
catastrophes et les plus augustes malheurs.

Plus heureux dans cette esquisse, je vais retracer une époque où les
principes d'un gouvernement réparateur, jaloux de conserver et de
perfectionner ce qui existe, font espérer les réformes les plus
importantes de toutes les espèces d'abus. La France peut justement être
comparée à un arbre courbé par le plus terrible orage, et qui, en se
redressant, élève une tige plus superbe, et s'affermit de plus en plus
sur le sol natal, en jetant au loin de profondes racines; l'objet le
plus essentiel est maintenant d'en diriger sagement les formes, d'en
retrancher à propos les branches parasites qui en absorberaient
inutilement la sève, en compromettraient la vigueur, et finiraient par
en détruire la majestueuse beauté.

Mais de quoi cet auteur se mêle-t-il? vont s'écrier encore certains
êtres habitués à ne s'écarter jamais d'une routine vulgaire? Quelle
suffisance! Quelle présomption! Quelle prétention orgueilleuse! diront
ces contempteurs de toute salutaire réforme; égoïstes pour qui tous les
abus sont sacrés lorsqu'une main prudente veut y porter la cognée;
surtout si ces abus sont embellis par les illusions et les souvenirs de
leur jeunesse! Pourquoi tous ces changemens? ajouteront ces hommes qui
n'estiment le présent qu'autant qu'il ressemble au passé; ces hommes qui
plutôt que d'y rien innover, trouvent tout bien dans le meilleur des
mondes possibles; et qui croient avoir suffisamment répondu à une utile
censure par ce peu de mots: «De mon temps, cela était ainsi; jadis, cela
s'est toujours vu.» Quelle critique enfin ne feront-ils pas de cet
ouvrage où je heurte avec tant de hardiesse leurs opinions
stationnaires. Je crois les entendre me lancer de nouveaux sarcasmes
avec un chagrin mal dissimulé. Quel est donc, continueront-ils, ce
téméraire qui prend si hautement le ton de réformateur? A-t-il étudié à
fond le sujet qu'il traite? Connaît-il toutes les règles de l'art? Son
goût est-il assez sûr, assez exercé?...

Eh! messieurs, un peu d'indulgence, et daignez écouter un auteur
modeste, qui promet d'avance de souscrire à vos réclamations, pourvu que
le public, qu'il prend pour arbitre, les trouve solides et raisonnables.

Si je m'érige en Aristarque, si j'ai dénoncé de nombreux abus[1], je
n'en conserverai pas moins une sage défiance de mes forces, et cette
sévère impartialité dont un auteur qui se respecte ne doit jamais
s'écarter. La justice sera toujours mon guide; aucune passion vile
n'aura guidé ma plume, je pourrais dire mes pinceaux, si mon ouvrage est
moins l'itinéraire sec et aride d'un voyage, qu'une galerie de tableaux
où tout vit et respire.

L'amour du vrai beau, le sentiment des convenances, l'amélioration des
mœurs, le perfectionnement des arts, sont les motifs qui m'ont engagé
dans la carrière variée que je vais parcourir. Voir, observer,
réfléchir, comparer, raisonner, juger en dernier ressort, classer mille
objets divers, marier par des nuances imperceptibles tant de couleurs
opposées, peindre enfin avec une scrupuleuse fidélité; telle était la
tâche que je m'étais imposée: c'est au public à juger si je l'ai
remplie.



VOYAGE D'UN JEUNE GREC À PARIS.



CHAPITRE PREMIER.

Philoménor né à Rhodes, fait ses études à Athènes.--M. Fauvel.--Le jeune
grec quitte l'Achaïe.--Il se retire à Parga.--Il abandonne la Grèce.--Il
fait voile pour l'Italie.--Il parcourt les états de cette presqu'île; il
se rend en Hollande et en Angleterre.--Il arrive en France et s'y
fixe.--Son enthousiasme pour ce beau royaume.--Abus nombreux qui
détruisent son enchantement.--Son indignation.--Ses reproches
très-fondés.


En mil huit cent vingt un je fis à Paris la connaissance d'un jeune
Grec, dont la famille était originaire de l'île de Rhodes. Cette
liaison, fort agréable sous mille rapports, fut en quelque sorte la
cause accidentelle de ce petit Panorama de Paris. Né dans l'opulence,
Philoménor employa ses richesses à s'instruire; après avoir parcouru les
grands états du nord de l'Europe, une partie de l'Asie, de l'Égypte et
les îles de l'Archipel, il s'était fixé dans la ville d'Athènes, où le
célèbre M. Fauvel prit plaisir à faire naître dans cette âme neuve et
susceptible des plus vives impressions et des plus nobles sentimens, un
goût passionné pour les belles-lettres et les arts. Presque toujours le
studieux élève accompagnait l'illustre antiquaire dans ses recherches
savantes; et les momens qu'il ne donnait pas à la littérature grecque,
latine et française, étaient employés à contempler les monumens que le
temps et la barbarie avaient épargnés. Souvent, dès l'aurore, on le
surprenait seul, et comme en extase, devant le Parthénon, les Propylées
et le théâtre d'Athènes[2].

Un matin, lord Elgin interrompt ses méditations; tout d'un coup des
échafauds sont dressés, et notre jeune amateur voit briser, en peu de
temps, sous le marteau des Anglais, la corniche du temple de Minerve, et
tomber en mille morceaux les bas-reliefs magnifiques de Phidias, dont
les débris furent depuis transportés à Londres. Triste spectateur de
l'enlèvement de ces marbres, naguères si précieux, maintenant si
horriblement mutilés[3], et de ces pompeuses colonnes[4] remplacées par
des maçonneries grossières, son cœur est ulcéré, sa tête est exaltée; en
proie au chagrin le plus violent, il veut quitter ces lieux, qui pour
lui n'avaient plus les mêmes attraits, ces lieux où chaque jour
éclairait de nouvelles spoliations[5].

En fuyant cette scène de ruines, qu'un faux amour des arts avait
multipliées, Philoménor crut trouver un adoucissement à ses peines, en
se retirant à Parga qui, soustraite par le courage de ses guerriers aux
tyrans de la Grèce, avait su conserver, au sein du plus affreux
despotisme, son culte, ses lois et son indépendance. Les malheurs[6]
essuyés par cette ville héroïque l'obligèrent à s'éloigner entièrement
d'un pays dont le bonheur semblait s'être envolé pour jamais.

D'autres raisons l'y déterminèrent. Comme l'immortel Visconti émigrant
de sa patrie pour suivre, sous un ciel étranger, les chefs-d'œuvre des
arts, l'Apollon, le Gladiateur, le Laocoon; Philoménor, tourmenté par de
doux et touchans souvenirs, voulut revoir encore une fois, en
Angleterre, les objets de ses regrets et de ses admirations; il brûlait
aussi de connaître la France, dont son premier instituteur lui avait
fait une si riante peinture.

«Je traversai, me dit-il, cette Italie si renommée, où le dieu de
l'harmonie a plus qu'ailleurs ses ministres et ses autels; je fus frappé
de surprise à la vue de ses majestueuses antiquités et de ses élégans
monumens modernes. Je m'embarquai à Gènes, et je fis voile pour la
Hollande et l'Angleterre. J'eus à peine le temps de connaître les mœurs
de ces différens pays. Cependant je fus singulièrement étonné des
bizarres précautions inventées par la jalousie italienne, que dans vos
dernières guerres mit si souvent en défaut la galanterie française. Je
le fus davantage de la grave indifférence des Hollandais, dont plus
d'une fois j'aurais eu l'occasion de profiter. Je ris encore, lorsque
j'y songe, de la _susceptibilité grande_ et de l'honneur intéressé des
maris Anglais qui, jusques dans les hautes classes de la société, ont la
bonhommie de croire que quelques pièces d'or indemnisent et dédommagent
suffisamment d'un affront indélébile chez la plupart des nations
civilisées. Cela ne doit guère surprendre chez un peuple qui tolère
encore l'usage, plus que barbare, de faire des femmes, même légitimes,
argent et marchandise. Les exemples en sont rares, disent les défenseurs
de l'Angleterre; excuse frivole, puisqu'ils ont eu lieu dans le siècle
où nous vivons[7]: aussi ai-je été enchanté en apprenant que les auteurs
comiques de vos petits théâtres se sont montrés les vengeurs du beau
sexe de cette île. Ils ont fait justice de cette coutume turque ou
algérienne; en traduisant sur la scène ces époux maussades et parjures,
vos gais troubadours les ont livrés à la risée d'un public indigné[8].

«Dégoûté bientôt de l'Angleterre, je restai peu de temps à Londres. Le
_British Muséum_, objet de mon pélerinage, m'ayant causé plus de douleur
que de consolation, je hâtai mon départ. On sait dans cette île végéter
aussi bien qu'ailleurs; mais on ignore l'art délicat d'y jouir de la vie
comme à Paris. C'était donc avec raison que je désirais ardemment
visiter ce royaume et cette capitale, qui sont devenus pour moi une
nouvelle Grèce et une nouvelle Athènes. Avec quel inexprimable plaisir
je considérais autrefois les temples, la tribune, les palais, les
cirques, les théâtres de la patrie adoptive dont je me suis
volontairement exilé! mais ces lieux étaient muets! Où sont, m'écriai-je
alors, où sont les fêtes, les jeux, les danses, les courses, les luttes,
les combats et les prix donnés aux vainqueurs? Ô douleur! tout a
disparu! Que dis-je? un peu de cendre froide déposée dans quelques
urnes de porphyre, c'est, hélas! tout ce qui reste des nombreuses
générations de tout un peuple! Un éternel silence, interrompu seulement
par le chant du Turc, le souffle des vents, le mugissement des mers et
le balancement des forêts de lauriers, y remplace la voix éloquente des
Eschille et des Isocrate, les brillantes déclamations des Sophocle et
des Aristophane, et les applaudissemens de citoyens parvenus au plus
haut degré de la civilisation. En France, mes illusions et mes souvenirs
ont été réalisés. Dans la seule France, j'ai retrouvé la sagesse du
portique et du lycée, les mœurs, les goûts, les usages, les talens, les
chefs-d'œuvre de l'antiquité la plus vantée, et une variété de
jouissances que nos ancêtres n'avaient pas même osé soupçonner. Là, j'ai
conversé avec les plus grands hommes dans tous les genres; les Solon,
les Démosthène, les Périclès, les Miltiade, les Euripide, les Socrate,
les Alcibiade, les Zeuxis et les Phidias de votre siècle. Une noble
émulation me saisissait en les écoutant. J'aurais voulu m'approprier
leurs connaissances diverses, pour mieux sentir toutes les beautés de
ce pays, où le génie oriental semble avoir transporté tous ses trésors.»

Tel était l'enthousiasme de mon jeune Grec; au bout de quelques mois son
enchantement parut s'évanouir comme un songe; doué d'un esprit
extrêmement juste, ses voyages avaient formé son goût et lui avaient
donné sur toute chose un tact aussi sûr qu'il était exquis. Sans cesse,
je le voyais se recueillir, et pour ainsi dire s'enfoncer dans ses
réflexions; sans cesse, il raisonnait, il comparait et finissait souvent
par censurer ce qui d'abord l'avait ébloui. Fortement attaché aux
principes d'un beau réel et permanent, et d'un beau fictif et idéal,
qu'il avait puisés dans l'étude des merveilles antiques, ces principes
étaient devenus pour lui la base constante et invariable de tous ses
jugemens et de toutes ses observations; si quelquefois j'osais me moquer
de la futilité de certaines critiques, il fronçait le sourcil, et me
disait avec une espèce d'indignation: «Vous savez, créer, mais vous ne
savez pas conserver; et dans les monumens qui appartiennent à un peuple
moderne, je ne connais point de beau véritable sans la conservation.
Vous êtes des barbares, ajoutait-il, en riant; j'aurais pour vous plus
d'indulgence, si vous aviez moins de moyens pour devenir parfaits; et
voilà précisément ce qui vous rend inexcusables à mes yeux.»



CHAPITRE II.

Philoménor assiste à une séance publique de l'Institut.--Ses idées sur
les salles intérieures de ce monument.--Ses questions.--Mes
conseils.--Pensée de Platon.--Piron.--Façades extérieures.--Réflexions
de Philoménor à ce sujet.--Société des Amis des arts.


Cependant, à mesure que nous visitions les monumens publics, nos
remarques devinrent plus étendues et plus importantes, et je crus que le
voyage à Paris de ce nouvel Anacharsis pouvait être utile à mon pays.

Le lendemain de cet entretien, je le conduisis à une brillante séance de
l'Institut. «Où suis-je? s'écria-t-il, en voyant les Bossuet, les
Fénélon, les Sully, les Descartes et tant d'autres savans revivre en
marbre pentélique dans le sanctuaire des arts et dans ses parvis. Je me
félicite, ajouta-t-il, de retrouver ici les traits de Pascal, de La
Fontaine, de Corneille, de Racine, de Rollin, de Montesquieu; mais
pourquoi ce piédestal vacant n'est-il pas occupé par cet élégant
Barthelemy, qui peignit si doctement les républiques de la Grèce dans
les jours de leur splendeur? Pourquoi n'y puis-je considérer ce brillant
Choiseul-Gouffier, dont la plume légère retraça si fidèlement un peuple
esclave et dégénéré au milieu des plus beaux sites et des ruines les
plus historiques?» À peine pouvais-je suffire aux questions de mon
curieux étranger. Il voulait devenir un Lavater improvisateur; il
voulait reconnaître dans leur physionomie le genre de talent de chaque
académicien. Je lui désignai MM. Dacier, Quatremere de Quincy, Sicard,
Cuvier, Denon, Lacépède, Raynouard, Villemain, Laya, Ségur, Pastoret,
Boissy d'Anglas, Campenon, Lemontey, Châteaubriand, Picard, Duval,
Raoul-Rochette et Rémusat; je l'engageai à se procurer leurs œuvres pour
se compléter une bibliothèque qui réunît l'agréable à l'utile.
L'Académie et l'assemblée étaient ce jour-là au complet: le nombre des
jolies femmes était presque plus considérable que celui des hommes de
lettres. On n'avait lu que des morceaux de choix; et en les écoutant,
personne n'avait dormi. Philoménor était enchanté; seulement il
regrettait qu'il n'y eût point eu de musique. «Quelques mélodieuses
symphonies étaient, me disait-il, une galanterie indispensable pour les
dames. L'harmonie, selon le divin Platon, ajoutait-il, doit être par son
heureuse influence[9] la compagne inséparable de toutes les grandes
institutions, et, à plus forte raison, de toutes les réunions publiques
et solennelles[10]. Nous avons entendu les discours qui ont été
couronnés. Il serait bien qu'on nous fît toujours connaître les fragmens
les plus saillans des pièces qui, sans obtenir le prix, auraient mérité
une mention honorable. Les Muses sont indulgentes; elles se plaisent à
consoler leurs favoris au milieu de leurs disgraces.»

Lorsque je lui appris que sous le dôme de la grande salle de l'Institut
étaient autrefois placés les restes et la statue funèbre du cardinal
Mazarin, Philoménor ne put s'empêcher de s'écrier: «Qu'eût dit votre
Piron s'il vivait encore? Aurait-on voulu faire une mauvaise
plaisanterie, en mettant l'Académie dans un tombeau?»

Au sortir de la séance, Philoménor fut étonné de l'état pitoyable des
façades extérieures de l'édifice. «Si des raisons d'économie, me dit-il,
s'opposent, dans ce moment, à la création de nouveaux palais destinés
aux lettres, aux sciences et aux beaux-arts, rien au moins ne doit vous
faire négliger la restauration nécessaire de ceux qui existent.»

«Votre projet, lui répondis-je, ne peut être présenté dans un moment
plus opportun; une association dont le but est d'encourager les
artistes, s'est formée récemment dans Paris; composée des hommes les
plus illustres par leur naissance, leurs dignités et leurs talens, elle
vient d'obtenir l'insigne faveur d'avoir pour protectrice une auguste
princesse dont les arts font une des plus douces consolations[11].»



CHAPITRE III.

Sur le bien que la Société des Amis des arts peut produire en étendant
les premières attributions de sa
destination.--Palais.--Hospices.--Mendicité.--Fondation d'un hôtel des
Invalides religieux et d'un hôtel des Invalides civils.--Vers de
Gilbert.


«Jamais société ne deviendrait plus chère à la patrie, ajoutai-je, si ne
se bornant point à protéger par des encouragemens quelques petits
chefs-d'œuvre sur lesquels glisse légèrement l'œil du vulgaire, elle
daignait s'intéresser au rétablissement, à l'ornement, à la conservation
de ces grandes masses, de ces magnifiques édifices, de ces superbes
monumens qui frappent d'étonnement l'amateur le moins exercé, et qui
font véritablement la gloire des monarques et des nations; si, en fixant
son attention sur ces palais enchantés, sur ces somptueuses conceptions
du génie français, elle s'occupait encore de multiplier les simples et
modestes asiles déjà établis dans la capitale, où la pauvreté
laborieuse pût exercer tous les genres d'industrie, où l'indigence
infirme trouvât des secours assurés; et si, par ces institutions
véritablement libérales, elle réussissait à détruire le fléau de la
mendicité[12], ce fléau, la honte d'un peuple destiné par la nature à
jouer un des premiers rôles en Europe.

«L'établissement d'une autre maison de secours, absolument nécessaire en
France, d'une maison d'invalides religieux, destinée à recevoir cette
classe d'hommes indispensables dans toute société policée, devrait être
provoquée par les vrais philanthropes, ne fût-ce que par respect pour la
dignité nationale. Je veux parler de la fondation dans chaque
département, d'une maison d'asile ou de refuge pour les ministres du
culte de l'état, infirmes ou sans emploi, et dans laquelle ils
trouveraient une existence assurée et les premiers besoins de la vie
satisfaits. Une telle perspective pour leurs vieux jours les rendrait
moins rares; la morale y gagnerait, et ils en seraient plus respectés.
Je crois connaître assez les Français, pour être convaincu qu'il n'est
pas même un vrai philosophe qui ne me dît à ce sujet avec Térence: Vous
avez raison; _et nihil humanum a me alienum puto_. Mais où sont les
fonds? C'est la plus forte objection. Où sont-ils? Je répondrai: Tous
les Montyon[13] ne sont pas morts dans ce pays renommé par une
bienfaisance si journalière et si active.

«Une fois l'établissement ouvert et préparé par les soins du
gouvernement, la libéralité des cœurs généreux, et un franc seulement
pris chaque année sur le traitement des prêtres en activité[14],
auraient bientôt assuré les capitaux nécessaires pour l'entretien de ce
pieux hospice.

«Peut-être ne serait-il pas indigne de la patrie des lettres et des
arts, d'établir dans les cinq grandes villes du royaume, Paris compris,
Lyon, Strasbourg, Nantes et Bordeaux, des hôtels d'invalides pour les
artistes et les hommes de génie, rarement économes, et par suite de ce
défaut de prévoyance, malheureux dans leurs vieux jours. Il serait
honteux pour un siècle tel que le nôtre, de voir un Homère[15], un Le
Camoens[16], un Le Tasse[17], un Cervantes[18], un Malfilâtre[19], un
Dorvigny[20], un Dellamaria[21], un Gilbert[22], confondus dans un
hôpital avec les derniers des humains. Alors aucun homme de lettres ne
serait plus autorisé à répéter avec ce dernier poète, ces lamentables
vers:

     «Au banquet de la vie, infortuné convive,
     J'apparus un jour, et je meurs!
     Je meurs! et sur ma tombe où lentement j'arrive,
     Nul ne viendra verser des pleurs.



CHAPITRE IV.

Moyens faciles d'embellir Paris et d'en faire disparaître les plus
ignobles quartiers, tout en conservant les monumens les plus
remarquables.--Indication sommaire des principales antiquités de
Paris.--Plaintes fondées sur la destruction des plus beaux édifices de
France.--Château de Chambord.--Comment on peut préserver les édifices
célèbres des ravages du vandalisme.--Fontaines de Paris.--Purification
des eaux.--Projets du docteur Doé.--Nouvel édifice thermal.--Tableau de
Paris, en suivant les plans de l'auteur.


«De nouveaux tributs d'hommages seraient encore prodigués à la réunion
des Amis des arts, si, autorisée par des ordonnances royales, cette
société proposait successivement, chaque année, des transactions aussi
utiles, dans leur ensemble, pour le gouvernement, que lucratives, dans
leurs détails, pour les particuliers.

«Si cette société, dis-je, engageait de riches capitalistes à se rendre
adjudicataires des plus ignobles quartiers de Paris, et à les rebâtir à
neuf[23], sous la condition expresse de payer aux propriétaires actuels
les indemnités fixées par de justes estimations; si, dans les
constructions nouvelles, on suivait constamment un plan où des rues
symétriquement alignées[25], où des places spacieuses dégageraient avec
une sorte de respect les anciens édifices, même les ruines[26], et
leurs précieux débris, qui seraient conservés et restaurés, lorsque de
grands souvenirs historiques et littéraires se rattacheraient à leur
existence.

«Je puis vous citer entre autres les Thermes de Julien dont un excellent
peintre, M. Bouton, a très-bien esquissé dans un de ses tableaux le
genre de restauration convenable. On en pourrait faire une succursale du
Musée, et y placer les statues et les sculptures du Bas-Empire. Aucun
édifice, mon cher Grec, ne serait plus propre à les recevoir.

«Puisse-t-on ne jamais renverser ces tours antiques, restes du palais
des Clovis[27], et de Saint-Louis[28], la maison du chanoine
Fulbert[29], ces hôtels de la Trémouille[30], de Sens[31], de
Mesme[32], de Sully[33], de La Rochefoucault[34], de Beauvais[35],
Carnavalet[36], de Lamoignon[37], de Soubise[38] et de Lambert[39], où
dépérissent des plafonds décorés par les Lebrun et les Mignard, dont les
peintures, si elles étaient enlevées par les procédés connus, seraient
beaucoup mieux dans nos musées.

«Puisse-t-on conserver et restaurer les portraits en fresque des
Duguesclin et des Montluc, précieux par la ressemblance, et qui se
voyent dans l'enceinte extérieure de l'hôtel de la police! Puisse-t-on
arrêter enfin la destruction des chefs-d'œuvre[40] de nos plus
illustres architectes, des Bulland[41], des Mansard[42], des Le
Nôtre[43], que des visigots n'achètent que pour les dépecer et les
abattre!» «Cela est assez difficile, me dit Philoménor. Cependant,
lorsque la nécessité ou le caprice des propriétaires détruit ces
monumens, on recueillerait avec avantage quelques-uns des plus beaux
débris, pour les replacer dans les jardins paysagistes des châteaux de
la couronne. Ces ruines véritables vaudraient beaucoup mieux que ces
antiquités factices, nouvelles encore au bout d'un demi-siècle. Et cet
exemple, donné par le gouvernement, serait probablement suivi par les
Lucullus de votre patrie.»--«Ce serait précisément adopter, repris-je,
le précepte du célèbre abbé Delille:

     Mettez donc à profit ces restes révérés,
     Augustes ou touchans, profanes ou sacrés;
     Mais loin ces monumens dont la ruine feinte
     Imite mal du Temps l'inimitable empreinte!

     DELILLE.

Hélas! j'ai vu tomber les créneaux et les tourelles du manoir de
Bayard, et la galerie de Richelieu[44]; j'ai vu raser le château de
Montmorency[45], et disparaître celui de Saint-Ouen[46]. Dans ce moment
on abat les magnificences de Chanteloup[47].

«Ô Chambord! ô séjour du père des lettres! vos souvenirs antiques ne
s'évanouiront point pour les vrais Français. Le triste voyageur ne
demandera point où furent vos fondemens, comme autrefois, j'ai cherché
moi-même, au milieu des ronces et des épines, les vestiges des douze
palais du Soleil qui décoraient Marly; déjà cependant la hache des
vampires était levée sur vous; déjà la sordide avarice avait supputé
mathématiquement la valeur du fer, des plombs, des marbres, des
décombres de vos tours royales, de vos somptueuses galeries, de vos
magnifiques appartemens. Le patriotisme des villes de France l'emporte
enfin sur les calculs de la plus basse cupidité; et l'héritage de
François Ier deviendra le patrimoine du jeune prince, qui, avec plus de
bonheur que le prisonnier de Pavie, fera briller parmi nous son héroïsme
et sa grande âme.»--«J'en accepte l'heureux augure, me dit mon Grec, en
attendant cette époque fortunée, j'indiquerai un moyen pour conserver et
transmettre à la postérité la mémoire des lieux habités par vos glorieux
ancêtres. Ce moyen n'est pas nouveau, il a déjà été mis en usage dans
plusieurs villes de France[48].

«Je placerais le buste ou la statue d'un homme célèbre dans l'endroit le
plus apparent de l'hôtel qu'il occupait, et j'écrirais en lettres d'or:
Ici vécut Turenne; ici mourut Villars; là demeurait Mme de Sévigné; là
Mme de Maintenon; là Boileau écrivit l'Art poétique et ses belles
satires[49]; ici Racine composa Esther et Athalie[50], etc. Quel
Français pourrait, sans une espèce de sacrilége, effacer ces
inscriptions et déplacer ces vénérables images?»--«Votre projet,
repris-je, est excellent; il embellirait Paris, qui deviendrait encore
la plus saine ville de l'univers, si, pour compléter ce système de
salubrité, on exécutait les plans du docteur Doé, ce véritable ami des
hommes, titre si justement acquis par la plupart des médecins français,
dont l'héroïsme pendant la paix, est aussi grand que celui de nos
soldats pendant la guerre. «Il est fâcheux, dit-il, dans une lettre
récemment publiée, et il peut devenir funeste que les deux pompes à
vapeur de Chaillot et du Gros-Caillou ayent leur prise d'eau dans la
partie la plus malsaine du fleuve, au-dessous des ports, des égoûts, et
si près du foyer d'infection, qu'il est impossible que l'eau dans son
cours ait recouvré sa première pureté[51].

«Sans doute dans l'état actuel de la situation physique de Paris, le
service des fontaines (trop peu abondantes pour les besoins de ses
habitans), ne saurait se faire, ni plus sûrement, ni plus régulièrement
ou plus abondamment que par une machine à vapeur. Mais la question est
celle de l'emplacement de cette machine; et si, pour quelques bouts de
tuyaux de plus, on n'aurait pas dû placer plutôt la prise d'eau
au-dessus de Paris, à la hauteur de Bercy, et même de Conflans, avant la
jonction de la Marne à la Seine, en construisant un château d'eau
élégant qui servirait à la décoration de ces lieux, et qui par l'excès
de son niveau sur tous les édifices de Paris, exigerait moins de
dépense, en donnant des résultats plus avantageux.

«Alors, au moyen d'un aqueduc, qui ne serait pas la vingtième partie
d'un des moins considérables de Rome, on donnerait aux habitans de la
capitale le bienfait inappréciable d'une eau vive et limpide que rien
depuis sa source n'altère notablement.»

«Il me semble, reprit Philoménor, qu'un spéculateur aurait une idée fort
heureuse s'il établissait un édifice thermal près de Bercy, dont les
eaux n'auraient certainement pas cette odeur fade qui vous frappe et
vous saisit en prenant des bains, soit au Pont-Marie, au Pont-Neuf, ou
près le Pont-Royal.»

«Si les avantages d'un pareil établissement, lui dis-je, sentis à la
seule réflexion, étaient vantés et recommandés par nos premiers
docteurs, il serait bientôt très-fréquenté, surtout dans la belle
saison. Que de biens, mon cher Grec, résulteraient du déplacement des
pompes à vapeur et des autres mesures que je propose! Paris, cette
métropole des arts, déjà si favorisé par la douceur de son climat, par
son heureuse situation, par la variété des plaisirs et des jouissances,
acquièrerait en moins d'un demi-siècle l'antique splendeur de Babylone,
de Persépolis, d'Athènes, de Rome et de Palmyre; ou plutôt on croirait
retrouver ces villes dans son enceinte. Purifié par les eaux de
fontaines innombrables et salutaires, par la disparition totale de
maisons étroites et entassées, de rues petites et immondes, dont les
vapeurs infectaient l'atmosphère, Paris perdrait son nom; ce ne serait
plus la Lutèce de César[52].

«L'air de la capitale, désormais pur et salubre, ferait pour toujours de
cette admirable cité une nouvelle Épidaure, où tous les peuples de la
terre viendraient chercher le bonheur et la santé.»



CHAPITRE V.

Il faut être constant dans l'exécution des plans mûrement réfléchis et
arrêtés;--Puérilité des décors employés dans les fêtes et cérémonies
d'apparat.--Moyen d'y remédier.--Rétablir quelques réglemens de
l'ancienne Académie.--Combien il est dangereux de laisser sortir de
France des chefs-d'œuvre introuvables.--Regrets de l'auteur sur leur
disparition et leur sortie de France.--Exemples frappans.--Collection
Fesch.--Magnifique Paul-Potter.--Armure du chevalier La
Hire.--Introduction en France d'une loi romaine
conservatrice.--Non-seulement il faut conserver, mais faire encore de
nouvelles acquisitions.--Anathême lancé sur certains artistes.--Moyens
de se procurer de nouvelles richesses en antiques.--Voyages en Grèce, en
Italie, d'un homme célèbre.--Espérances trompées des amateurs des
arts.--Facilité de découvrir de nouveaux monumens.--Pêche monumentale du
Tibre.


«Jamais la Société des Amis des arts n'aurait, selon moi, plus de droits
à la reconnaissance générale, si elle faisait sentir que des plans une
fois arrêtés, d'après un mûr examen, ne doivent plus recevoir aucune
modification des architectes qui souvent se succèdent dans le même
emploi avec une si grande rapidité, et que tant de passions diverses
portent à critiquer les opérations de leurs confrères.

«Oui, j'oserai l'affirmer, sans cette constante persévérance à suivre
scrupuleusement des projets définitivement adoptés, lorsqu'ils ont été
tracés par un homme de génie, jamais nous n'aurons de beaux monumens,
parce qu'ils ne seront que le composé d'idées incohérentes[53], et non
le produit d'une idée simple et unique dans tous ses rapports. Cette
observation paraîtra d'autant plus importante, qu'on a proposé, dit-on,
de faire subir les plus grandes métamorphoses à certains embellissemens
de Paris déjà fort avancés, tels que la fontaine de l'Éléphant, dont les
frais énormes sont plus qu'à moitié faits; monument qui, malgré les
censures, n'en serait pas moins digne de la nation française. On blâme
les œuvres de ses prédécesseurs; et les dessins, les travaux éphémères
de certains artistes en place paraissent souvent être le fruit de
conceptions puériles, comme il est aisé de s'en convaincre en se
rappelant ces anges de planches découpées, ces fleurs en peinture que
l'on a vus si ridiculement figurer, depuis trois ans, aux reposoirs du
Louvre, lorsque la pompe des lieux exigerait exclusivement des statues
de bronze et des corbeilles remplies de tous les trésors de la
nature[54].

«Perdons un instant de vue ces riantes cérémonies. Dans ces
commémorations funèbres qui doivent durer autant que la monarchie, quel
effet produisent ces catafalques, ces urnes, ces patères en bois peint
et argenté? Je suis toujours plus surpris de ne pas voir à Saint-Denis
plus de vases d'argent ou d'albâtre; un mausolée, soit en stuc, soit en
tôle moirée, soit en pièces de marbre, qu'avec quelques soins on
pourrait chaque année ajuster ou désunir à volonté. Ces riches
accessoires s'accorderaient parfaitement avec les voiles de crêpe, le
manteau d'or, de velours et d'hermine qui cachent à demi le sceptre, la
couronne et l'urne sépulcrale.

«Jamais la Société des Amis des arts ne deviendrait plus précieuse à la
patrie, si, en se rapprochant du but principal de son institution
primitive, elle procurait chaque année de nouveaux modèles aux artistes,
en empêchant de sortir de France, par des achats bien entendus, tant de
chefs-d'œuvre antiques et contemporains, que les estimations trop basses
des appréciateurs de nos musées et le plus dangereux cosmopolisme
laissent souvent passer à l'étranger, qui très-sagement profite de nos
fautes. Rien ne prouve mieux combien il serait important de modifier la
composition de cette espèce d'aréopage réputé presqu'infaillible, que
les faits que je suis à même de vous conter, faits qui démontrent que
leurs jugemens ne devraient pas être sans appel. Un amateur, qui avait
besoin d'argent, mit en dépôt un Van Dyk chez un fonctionnaire public.
Ce portrait fut estimé valoir à peine huit cents francs par quelques
experts du Musée qui avaient été consultés. Nonobstant cette faible
appréciation, le dépositaire, plus vrai connaisseur, prêta six mille
francs, pour un temps indéfini, au propriétaire de ce tableau, qui,
quelques mois après, ayant probablement trouvé l'occasion de le vendre
plus cher, le retira des mains du prêteur, en lui remboursant
entièrement la somme de six mille francs qu'il en avait reçue. Voici
d'autres anecdotes que je puis garantir. Un magnifique Paul Potter était
à vendre; et, comme l'on sait, nous n'en avons que deux au Musée du
Louvre et deux autres à l'Élysée Bourbon. Au Louvre, un seul est achevé;
le plus grand n'est qu'une belle esquisse: l'autorité fut avertie à
temps, elle envoya ses experts. Le Paul Potter fut visité, lorgné,
examiné, battu à froid, la chose se devine; ce tableau ne sortait point
des magasins de ces messieurs, pas même de ceux de leurs confrères; et
pendant qu'ils mésoffraient, le possesseur de ce chef-d'œuvre,
impatienté de tant de pourparlers et de délais, le vendit ou le troqua.
Il est, dit-on, passé en Allemagne. Par suite encore des mêmes
temporisations, le Musée d'artillerie n'a pu recouvrer, malgré les
offres les plus séduisantes mais tardives, l'armure du chevalier La
Hire, frère d'armes de Jeanne d'Arc, armure dont l'authenticité
paraissait constatée par une tradition[55] respectable. C'est
l'Angleterre qui possède maintenant ce précieux trophée.

«On a laissé acheter par la Russie, pour la somme modique de douze à
quatorze cent mille francs, une grande partie de la précieuse collection
de la Malmaison, si riche en antiques, en tableaux de toutes les écoles,
notamment en Claude Lorrain, en Paul Potter, en Rembrandt, en statues de
Canova, en raretés de toute espèce. La Prusse a traité de la galerie
Justiniani, dont nous eussions pu nous réserver les morceaux les plus
remarquables.

«À la vente du mobilier du cardinal Fesch, pour quelques mille francs de
plus ou de moins, nous avons perdu des bas-reliefs admirables, des vases
d'albâtre fleuri[56], des statues, un buste de Cicéron en marbre,
original unique, que lord Wellington a transporté, dit-on, dans un de
ses palais en Angleterre. Cette année, le superbe cabinet de M. Crawfurt
a été dispersé peut-être aux quatre coins de l'Europe[57]. J'ai eu même
la douleur de voir les portraits des personnages les plus illustres,
peints par les plus grands maîtres des différens siècles et des
différentes écoles, passer entre les mains de simples particuliers,
lorsqu'ils auraient dû compléter les collections du Musée, ou du moins
rentrer dans les châteaux royaux, dont la plupart étaient sortis. Je
puis vous affirmer qu'un Amour bandant son arc, faisant partie de la
même galerie, est passé entre les mains de deux artistes, et qu'il fut
peu de temps après marchandé pour le roi de Prusse. Cet Amour se voyait
autrefois (en 1814) dans l'ancien Musée; la France laissera-t-elle
échapper ce chef-d'œuvre? Si l'administration ne juge pas à propos
d'augmenter dans sa collection les œuvres d'artistes dont elle possède
déjà beaucoup d'originaux, au moins devrait-elle saisir l'occasion,
lorsqu'elle se présente, de s'enrichir des productions des peintres ou
des statuaires dont elle n'a pas une seule composition, telles que
certains tableaux que j'ai vus dans les cabinets de M. de St.-Victor et
de M. Miron; je vous parlerai spécialement d'un tableau de genre qui m'a
paru très-intéressant[59]; il est vulgairement connu sous le nom des
Musiciens ambulans, par Diétrick; on croit y voir respirer les
personnages; le son de leurs instrumens semble sortir de la toile et
frapper votre oreille de la plus douce harmonie.

«Ignore-t-on que nos marchands d'antiques possèdent encore dans ce
moment beaucoup de meubles magnifiques, parfaitement conservés, et que
l'on voyait jadis au Louvre, sous les Valois, Henri IV et ses
successeurs, et qui seraient beaucoup mieux placés dans quelques
appartemens de Fontainebleau ou de Chambord, que ces meubles modernes
qui contrastent si mal avec l'architecture du siècle de François Ier,
tels entre autres, on nous a montré dans un seul magasin un magnifique
bureau renfermant une statue de jaspe et de pierres précieuses; deux
nègres appartenant au genre de sculpture polychrome[60], offerts à Louis
XIV; un buste de Turenne par Coustou; un Voltaire dans sa jeunesse,
sculpté en marbre par Lemoine; enfin, une superbe colonne de granit
oriental, sortie de la galerie de Florence. Oubliera-t-on de conserver à
la France un des plus rares chefs-d'œuvre de Van Dyk[61], celui du bazar
européen, et quelques-uns des plus marquans du Musée de la rue du
Temple[62]?»

«Pourquoi votre gouvernement n'introduirait-il pas en France, reprit
Philoménor, quelques dispositions d'un décret pontifical très-connu? Il
est rigoureux, j'en conviens, et même il m'a beaucoup contrarié dans mes
projets pendant le séjour que j'ai fait à Rome; en faisant subir à cette
loi conservatrice quelques modifications indispensables, elle devra vous
paraître infiniment sage. Qu'aucun objet d'art antérieur à ce siècle ne
puisse désormais franchir vos frontières, et conséquemment sortir de
France, sans une permission expresse d'une autorité compétente qui,
préalablement, exercerait une salutaire inquisition pour empêcher que la
loi ne fût éludée; que les directeurs de vos Musées de Paris et des
départemens obtiennent encore et conservent pendant un temps fixe, trois
mois, par exemple, après l'adjudication, non-seulement le droit de
préférence, mais le droit de réméré sur les tableaux, statues,
bas-reliefs et autres productions des génies antiques ou contemporains
et qui auront été légalement exposés et vendus. Alors vous n'aurez plus
lieu de vous plaindre de ces enlèvemens désastreux, de ces déplacemens
et de ces dislocations si préjudiciables à l'art et au bonheur de la
patrie.» «Cette idée est bonne, lui dis-je; peut-être se croira-t-on
autorisé à vous faire une objection spécieuse en apparence. Ne
faudrait-il point plutôt encourager les talens modernes; et surtout ces
jeunes talens dont l'aurore est si brillante, et dont la marche hardie
semble dépasser certains artistes qui les ont précédés? D'accord; mais
je ne vois pas de raison pour favoriser, au préjudice des grands maîtres
des siècles passés, le triomphe de ces hommes, qui, dans l'espoir de
vendre plus chèrement les produits de leurs ateliers, souriaient, en
1814, au récit de nos pertes et de nos désastres, et qui, bien éloignés
du patriotisme des Hippocrate et des Callot[63], n'ont pas rougi, (je
l'ai vu) d'avilir leurs palettes et de profaner leurs ciseaux... Oui,
vous-en conviendrez avec moi, quelque parfaites que soient leurs
compositions, jamais elles ne doivent faire négliger l'acquisition des
chefs-d'œuvre grecs, romains ou bataves, des Lysippe, des Raphaël, des
Paul Potter. Que de monumens nouveaux la France devrait encore à son
gouvernement, si quelques fonds étaient employés à explorer les environs
des villes où fleurirent jadis les colonies de la Phocée ou de l'Italie,
tels que les campagnes de Marseille, Nîmes, Aix, et surtout Autun et
Avalon[64], où des urnes, des médailles, des statues, des vases trouvés
chaque jour, font à juste titre soupçonner l'existence d'antiquités plus
précieuses. Vous ne l'avez pas ignoré, on a fait depuis la paix
quelques voyages lointains[65], on a publié une description brillante
des pays que l'on a parcourus, et comme moi, vous en avez senti tout le
mérite. Cependant, était-ce bien ce seul avantage que nous dussions
espérer d'une expédition aussi dangereuse et de recherches aussi
pénibles? Parlons vrai; c'était presque la Toison d'or que nous
attendions de ces nouveaux Argonautes.

«Ah! comme notre espérance fut trompée! Nous y avons perdu un de nos
meilleurs peintres[66]; on nous a livré, comme je vous l'ai dit, des
mémoires très-bien écrits, très-intéressans, des panoramas très-fidèles,
lorsque nous comptions sur des monumens nouveaux, sur des monumens réels
qui pussent nous consoler de ceux que nous avions perdus[67]. Oui, des
monumens aussi nécessaires pour les Français, que l'étaient pour Rome
les festins et les cirques populaires. Le célèbre voyageur dont je
parle, a répondu d'avance à nos regrets: «Le transport seul d'une tête
colossale de Thèbes à Alexandrie, coûte cinq cents guinées au consul
d'Angleterre. La position de la France ne permettait pas de pareilles
dépenses[68].» À ces raisons je n'ai point de réplique; mais dans le
dernier voyage fait en Sicile et exécuté sous des auspices protecteurs,
cette excuse ne paraîtra plus solide. N'aurait-il point été facile de
trouver dans les ruines de l'ancienne Syracuse[69] quelques
chefs-d'œuvre jusqu'alors ignorés? Je crois qu'il faudrait profiter
d'une circonstance favorable, pour continuer des explorations sur le
continent de la Grèce, de l'Asie mineure, et surtout dans les îles de
l'Archipel. Peut-être qu'en déblayant, qu'en dérangeant, en soulevant
ces masses énormes de débris amoncelés par les siècles, peut-être,
dis-je, qu'en creusant plus avant, on trouverait des morceaux capables
de dédommager des sommes consacrées à ces utiles travaux: une pareille
entreprise ne donnerait point aux Français la réputation d'un lord
Elgin; ils auraient marché sur les traces d'un Léon X, d'un Sixte-Quint
et d'un Clément XIV. Quel savant[70] serait plus en état de remplir
cette commission délicate que le jeune voyageur qui le premier découvrit
la Vénus de Milo? Son ardent amour pour la botanique et les arts, que
nous avons été à même d'apprécier; ses vastes lumières, son discernement
exquis, son zèle infatigable pour multiplier en France les produits de
la nature et des génies antiques; enfin son patriotique
désintéressement, serait le gage de succès très-assurés et très-peu
dispendieux.

«On serait, je le présume, plus heureux qu'à la pêche monumentale et
infructueuse faite dans les eaux du Tibre. Les actionnaires n'ont pas
réussi dans cette opération, et cela se devine facilement[71]: on n'a
point trouvé de bronze, parce que le bronze se fond, se convertit en
monnaie et ne se jette point ordinairement dans un fleuve, à moins que
vous n'accusiez de cette sottise les factieux du Bas-Empire, chez qui la
passion ne laissait pas même raisonner l'intérêt, ou ces hordes de
barbares stupides qui plusieurs fois ont saccagé la ville éternelle. Les
eaux rousses du Tibre, imprégnées de matières corrosives, ont
probablement détruit, après des siècles, les marbres et les porphyres
que cent révolutions ont pu y précipiter.»

«Cette explication me semble assez juste,» reprit Philoménor, qui, en
disant ces mots, s'aperçut que je l'avais insensiblement conduit au
Corps législatif.



CHAPITRE VI.

Corps législatif.--Observations de Philoménor sur ce palais.--Fameuse
pétition relative aux émigrés.--Vues diverses de l'auteur à ce
sujet.--Légère rétribution.--Domaines en Corse.--Statues de la salle du
palais.--Anecdote inédite sur le buste de Louis XVII.--Vœux de l'auteur.


Après avoir considéré l'ensemble du temple des lois: «Entrons, dis-je à
mon compagnon de voyage; cela n'est pas ordinairement très-facile. Sous
le frivole prétexte d'une augmentation de députés[72], on a jugé à
propos, depuis peu et sans aucune nécessité, de faire disparaître des
tribunes très-commodes et qui ne devaient nuire à personne; on en a
conservé d'autres très-élevées d'où l'on voit mal, d'où l'on entend
difficilement nos meilleurs orateurs; il faut croire que l'on
reviendra[73] sur une mesure inutile et désagréable pour les amateurs
de l'éloquence parlementaire.» Grâce au costume étranger de mon Grec et
à une carte dont je m'étais muni, nous fûmes introduits. Ce jour-là on y
lut une importante pétition adressée à l'assemblée, et dont le but était
d'adoucir le sort des victimes de la fidélité, je veux dire des martyrs
de la monarchie. «Quelle proposition plus juste devrait être accueillie?
me dit Philoménor; ce serait le vrai, le seul moyen de réparer toutes
les injustices, de cicatriser toutes les blessures, d'apaiser toutes les
haines et de ménager une réconciliation générale, en dissipant une bonne
fois toutes les inquiétudes des nouveaux acquéreurs, en calmant pour
jamais, par une transaction nationale, des remords que les lois n'ont
pas fait taire dans le secret des cœurs, au moment où la politique et la
nécessité consacraient l'incommutable jouissance des biens confisqués
et vendus.»

«Une réconciliation générale! m'écriai-je; ô mon cher Philoménor! quel
beau moment! quel heureux jour que celui où descendant de leurs bancs,
ne connaissant plus ni la gauche, ni la droite, ni le centre, oubliant
les rivalités d'opinion, les rixes scandaleuses, les antipathies
insensées, tous les Français se tendraient des bras amis, des bras
fraternels, et s'embrasseraient, à l'ombre du trône conciliateur qui
aurait comblé pour jamais l'abîme des révolutions! Mais quel moyen
serait ouvert pour indemniser convenablement tant d'infortunés, sans
froisser les intérêts nouveaux? Ne serait-il point possible de prendre,
pendant une année ou deux, quelques centimes sur l'impôt foncier et
indirect, et de faire une retenue progressive sur les salariés de
l'État? Une indemnité raisonnable aurait bientôt des bases solides et
presqu'imperceptibles. Par là, les classes les plus riches de la
société, les classes les plus intéressées à conserver le bon ordre,
auraient contribué à ce grand acte d'équité, sans que la propriété
territoriale, déjà si grevée, l'eût été beaucoup plus; et ceux qui
reçoivent des honoraires du gouvernement, n'auraient pas lieu de se
plaindre, si, par un sacrifice momentané, ils avaient rendu
véritablement leurs places inamovibles, en se mettant pour jamais à
l'abri des commotions politiques qui en ébranlent souvent la solidité et
la permanence. Enfin l'honnête homme, l'ami sincère de son pays,
éprouverait-il quelques regrets? Non, il ne croirait pas payer trop cher
la réunion de tous les Français.

«Enfin, si mon plan n'était pas entièrement adopté, la concession des
immenses propriétés[74] que possède le gouvernement dans quelques-unes
de nos îles telles que la Corse, et qui, faute d'une culture soignée,
sont plus onéreuses que lucratives, offrent encore d'autres moyens
d'indemnité. On sent qu'un pareil projet entraîne nécessairement de la
part du concessionnaire l'obligation de fournir aux nouveaux colons des
avances pour les défrichemens, et des encouragemens pour les
agriculteurs que les nouveaux propriétaires seraient autorisés à y
conduire. Mais aussi, quels prodigieux avantages pour la France, une
bonne fois affranchie d'une dette sacrée! La population de cette île,
augmentée par ce surcroît de colonisation, la soustrairait à l'impôt
volontaire de cinq à six cents mille francs, qu'elle paye chaque année
aux Lucquois et autres peuples d'Italie, qui se rendent en Corse pour
aider aux travaux de l'agriculture, somme assez considérable qui en sort
pour n'y rentrer jamais.

«Les produits agricoles et industriels de la Corse devenus plus
nombreux, dispenseraient ses habitans d'exporter de l'étranger une
partie des objets de première nécessité. Et, peut-être, un jour, dans
des années où le continent serait frappé de stérilité, cette colonie
serait à même de faire refluer au sein de la mère patrie des
subsistances que la France ne payerait plus si chèrement (comme par le
passé) à la Crimée, à l'Italie et à l'Afrique. Cette île enfin, enrichie
même par cette concession nationale faite au malheur, serait attachée
par de nouveaux nœuds à la métropole, et rendrait au centuple un
bienfait accordé par la justice, la politique et la sagesse.»

Après la séance nous visitâmes les différentes salles qui environnent le
sanctuaire législatif.

De bonnes copies du Laocoon et de la mort de Lucrèce, en bronze, et
quelques excellens tableaux, tels que le Socrate buvant la ciguë, le
Philoctète blessé, le Bélisaire mendiant, les notables de Calais se
dévouant pour leur patrie, fixèrent notre admiration. Cependant
Philoménor me témoigna sa surprise, lorsqu'il s'aperçut que les bustes
de nos augustes princes, et les statues des sages de Rome et d'Athènes
étaient uniquement modelés en plâtre[75]. Son indignation fut extrême
lorsque je lui appris que la statue en pied du prisonnier de
Sainte-Hélène y était en marbre.

«Vous y remarquez, lui dis-je, le buste de l'infortuné Louis XVII[76];
ceux qui l'ont connu assurent qu'il est parfaitement ressemblant.
L'original exécuté en marbre par M. Deseine, statuaire, d'après les
ordres de Marie-Antoinette, eut une bien étrange destinée.

«Au dix août 1792, le jeune dauphin avait quitté pour toujours avec sa
famille, le palais de ses pères, lorsqu'une troupe de forcenés, répandue
dans les appartemens du château, pénétra jusque dans le boudoir de la
reine, où ce buste était placé.

«Reconnue par quelques-uns de ces brigands, l'image du prince reçut
quelques coups de sabre; arrachée de son piédestal, jetée ensuite par
une des croisées du château[77] sur les cadavres des défenseurs du trône
qu'on venait d'égorger, elle fut pour ainsi dire toute couverte et tout
imprégnée de leur sang.

«C'est dans cet état déplorable que l'aperçut un pauvre savetier qui
traversait alors la cour des Tuileries. Cet artisan s'étant imaginé que
cette tête mutilée et presque informe, dont il ne connaissait ni le
prototype ni la valeur, pourrait lui être de quelque usage dans sa
profession, la prit et la cacha dans sa loge, qui se trouvait peu
éloignée du palais.

«Bien long-temps après le règne de la terreur, un général vendéen fit un
voyage à Paris; par le hasard le plus singulier, il se logea dans un
hôtel dont notre savetier était devenu le concierge. Un jour, l'officier
supérieur dont je viens de parler, grand partisan d'antiquités et de
raretés en tout genre, chargea son portier de remettre à la diligence
quelques vases étrusques qu'il avait achetés à Paris, et dont il voulait
orner la galerie du château qu'il habitait.

«Ces vases étrusques firent souvenir le commissionnaire de ce petit
buste dont il s'était emparé au milieu du pillage et du sac des
Tuileries. Il alla le chercher et l'offrit en présent à l'amateur
royaliste. Quelle fut la surprise, l'indignation, la joie,
l'enthousiasme de celui-ci, lorsque, malgré les dégradations, il
reconnut les traits du jeune roi et le nom du sculpteur! Il accepte le
don, dissimule son bonheur et tous les sentimens divers qu'il avait
éprouvés; mais forcé de quitter la capitale le lendemain même, et
désirant faire restaurer le monument avant de l'emporter dans son pays,
il donne quelques pièces d'argent au portier, lui confie, en partant, un
trésor que sa fidélité lui rend inappréciable, et lui enjoint surtout de
le serrer avec soin.

«Deux ans s'écoulent; cet officier revient à Paris, et s'empresse de se
faire conduire à son ancien hôtel qui était devenu pour lui comme une
espèce de temple sacré.

«À cette époque, Bonaparte gouvernait la France; il avait voulu dégager
les Tuileries. Des rues entières achetées et abattues avaient disparu.
L'hôtel où demeurait le dépositaire du buste, ayant, comme beaucoup
d'autres, subi le sort commun, avait été rasé jusqu'aux fondemens. On
concevra facilement le désespoir de notre royaliste; il multiplie
toutefois les informations, les recherches, et il parvient à découvrir
que le portier, forcé de changer de domicile, s'était retiré, disait-on,
du côté du Temple. Dans cet endroit la population est immense; et
l'indication était bien vague; cependant au moment où le fidèle vendéen
faisait de nouvelles enquêtes, une vieille femme, logée près des
démolitions, en fut instruite, et le tira subitement d'embarras, en
remettant entre ses mains le précieux dépôt; elle lui apprit de plus,
qu'en s'éloignant du quartier, l'honnête portier l'avait priée de le
rendre au propriétaire, si elle le rencontrait jamais, et d'acquitter
ainsi, ajoutait-il, un devoir de conscience.

«Par une suite de petits événemens bizarres que, pour différentes
raisons, je m'abstiendrai de rapporter, cette effigie de Louis XVII est
maintenant dans les magasins du grand Musée, et malheureusement dans le
plus mauvais état possible. L'habile sculpteur qui fit ce monument
d'après nature, vit encore; il est dans la force de son talent[78]; il
possède dans son atelier un plâtre original, modèle extrêmement
ressemblant de ce malheureux prince; on ne devrait donc pas, ce me
semble, négliger de faire sculpter un nouveau buste par le ciseau aussi
fidèle que savant de cet excellent artiste.

«Ah! puissent, ajoutai-je encore, puissent les images de nos monarques
et de nos princes légitimes, retracées en marbre ou en albâtre, n'avoir
plus l'air d'être provisoires, et devenir immortelles comme notre amour
et leurs vertus!»



CHAPITRE VII.


Penchant des décorateurs pour les colifichets qui se renouvellent
souvent.--Bas-relief de Louis XIV à Versailles.--Bas-relief du même
monarque au Musée détruit des Petits-Augustins.--Morceaux intéressans
qui s'y détériorent d'un jour à l'autre.--Nécessité d'un nouveau
répertoire de ces objets précieux.--Musée d'architecture.--Critique du
projet d'un architecte.--Recréer l'ancien Musée français avec les débris
non replacés.--Nécessité d'un répertoire nouveau de ces objets
précieux.--Fondation d'un Musée de sculpture moderne.--Établissement
d'un Musée universel statuaire en modèles de plâtre.--Musée des copies
des plus excellens tableaux que nous avons perdus ou que nous n'avons
jamais possédés[79].--Réponses péremptoires aux objections que l'on
ferait à ce sujet.


«Mais doit-on espérer cette épuration du goût? Je l'ignore, mon cher
Grec; nos décorateurs ont une tendance si naturelle pour les
colifichets qui se renouvellent souvent, que dans un des salons du
palais de Versailles on a refait soigneusement en plâtre un bas-relief
détruit, représentant Louis XIV victorieux; et, je le dis avec douleur,
on laisse exposé à tous les genres de mutilations[80] et dépérir en
plein air, dans la cour de l'ancien Musée français, un grand et
magnifique médaillon en marbre blanc, à peu près de même grandeur, où
Coustou a sculpté le grand roi passant le Rhin, à la tête de son armée.

«L'ancien jardin des Augustins où une partie des tombeaux, des urnes,
des bas-reliefs et des pyramides sépulcrales étaient dispersés sous les
saules et les cyprès que l'on y avait plantés, n'existe plus; la
fontaine dont l'eau limpide serpentait à travers les fleurs et les
débris, m'a semblé tarie; les blocs de pierres destinés à élever sur ce
sol funèbre le temple des arts, couvrent cet espace où l'on aperçoit à
peine les vestiges de la plus faible végétation. Tel est le sort des
choses de ce monde; les ruines chassent les ruines qui en avaient
remplacé d'autres, pour faire place à des monumens nouveaux. On démolira
même la façade du château de Gaillon, dont l'architecture est si
gracieuse et si légère; où l'acanthe[81] semble sortir de la pierre, et
y développer en rosaces ses feuilles si élégamment échancrées; où des
génies aériens paraissent s'élancer de la base des pilastres pour en
soutenir la pesanteur. Si l'on suit le plan d'un des architectes, on
transportera cette façade sur la même ligne que celle du château d'Anet.
Une pareille transmutation ne paraîtra-t-elle pas complètement absurde?
Ne blesse-t-elle pas toutes les lois de pondération et d'ensemble si
indispensables dans les monumens réguliers, et conséquemment du bon
goût, puisque d'un côté vous auriez d'admirables édifices, et de l'autre
l'aspect hideux de gros murs insignifians qu'il faut absolument
renverser, pour ne pas mettre la perfection en regard de la rusticité?
Ne vaudrait-il pas mieux replacer les débris du palais du cardinal
d'Amboise en face de celui de Diane de Poitiers, qui, tous deux
parallèles, accompagneraient la grande entrée de l'école des beaux-arts?
On pourrait relever, à la suite, sur les deux côtés, d'autres débris de
chapelles, de tours, de portiques, de colonnades, entre lesquels on
arriverait au nouveau monument, que l'on apercevrait au fond, et qui
aura, dit-on, tout le mérite d'une belle simplicité.»

«L'architecture aurait pour lors un petit Musée, me dit mon Grec; où
serait-il plus convenablement placé que dans le lieu même où se donnent
les leçons, où la démonstration pratique serait ainsi jointe aux
théories?» «Mais, hélas, repris-je, quand reverrons-nous dans un local
convenable les trésors en tout genre qui nous ont été légués par l'école
française?

«Le gouvernement, par des motifs que nous respectons, ayant supprimé le
Musée des monumens français, pour rendre un grand nombre des objets
qu'il renfermait à leur primitive destination, des regrets fondés
s'élèveraient à ce sujet, si, dans leur dispersion, ces augustes
chefs-d'œuvre étaient trop éloignés des artistes auxquels ils doivent
servir de modèles. Il serait donc utile de rétablir en petit, avec les
monumens qui ne peuvent être réclamés, un Musée qui, par la force
d'événemens déplorables, était devenu si grand et si complet. Pour
remplir ce but, il faudrait alors classer les morceaux précieux dont il
serait composé, d'après le plan tracé jadis par M. Lenoir, ce savant à
qui la France a tant d'obligations; plan où l'on suivrait l'échelle des
siècles, depuis les temps de barbarie jusqu'aux jours plus heureux qui
leur ont succédé. La restauration de ce Musée détruit doit paraître plus
urgente, s'il est vrai, comme on l'assure, que tous les objets d'art
disséminés dans les galeries, salles, cloîtres, jardins et souterrains
de l'ancien établissement, n'aient pas été exactement inventoriés,
comptés et numérotés lors de sa suppression. Ce serait le moyen le plus
efficace d'arrêter les mutilations du temps et des vandales, et
peut-être aussi d'empêcher que de curieux débris ne soient égarés ou
perdus. On compléterait cette vénérable collection, en réunissant
ailleurs les productions les plus marquantes du ciseau moderne.
L'émulation des artistes en ce genre serait plus excitée, si les
chefs-d'œuvre des Canova français étaient acquis et rassemblés chaque
année dans une des salles du Louvre par le gouvernement, et y
partageaient les suffrages que les vrais connaisseurs ne cessent de
prodiguer aux peintures des Lethiers, des David, des Gérard et de nos
autres Apelle, qui semblent se disputer la palme dans les galeries du
Luxembourg.

«L'art statuaire gagnerait beaucoup, selon moi, si l'on mettait à part,
dans un vaste local, les copies en plâtre ou en stuc, fidèlement
modelées, des statues, bustes, bas-reliefs, vases et candélabres les
plus parfaits, que nous avons perdus en 1815, ou que même nous n'avons
jamais possédés, et qui se trouvent en Italie, en Espagne, en Hollande,
en Angleterre, en Allemagne et en Russie[82].

«Un pareil dédommagement dont Rome nous a donné l'exemple après le
traité de Tolentino[83], et dont l'utilité et l'agrément seront sentis,
est d'autant plus facile à obtenir, que nous sommes en paix avec les
puissances qui possèdent les originaux, et que cette conquête innocente
ne peut nullement en détériorer les prototypes. Nous avons acquis déjà
des sujets bien importans pour commencer un semblable Musée, depuis que
l'on a reçu en France les statues-modèles du groupe de Niobé et de ses
enfans, dont le grand Duc de Toscane vient de faire présent à Sa
Majesté.

«On ne veut dans les Musées français que des tableaux originaux, et
j'applaudis le premier à ce système; cependant lorsque certains
chefs-d'œuvre nous sont ravis pour toujours, lorsque le temps les mine,
les ternit et les encroûte, le seul moyen, humainement parlant, de
conserver la pensée du génie, (indépendamment de la gravure) est un
calque parfait, tel que la Cène, par Léonard de Vinci, qui se voit à
Paris dans la galerie d'Apollon du Louvre. Le grand principe qui
excluait toute copie de l'enceinte du grand Musée, une fois violé, je
ne vois pas de raison qui empêche de le transgresser encore, en prenant
seulement la sage précaution de reléguer dans les autres appartemens du
même palais les excellentes imitations faites par nos jeunes peintres de
tous les tableaux capitaux qui nous sont échappés, ou qu'une prudente
défiance avait soustraits aux droits de la victoire, tels que ceux de la
belle galerie de Dusseldorf. Une semblable collection me semblerait
avoir un très-grand intérêt.»



CHAPITRE VIII.

De l'usage malheureusement trop commun des compositions
fragiles.--Fronton du Corps législatif et des Invalides.--Chapelle
expiatoire de la Conciergerie.--Église
Sainte-Élisabeth.--Val-de-Grâce.--Tombeau du cardinal Du
Belloy.--Carrières des marbres de France.--Caveaux des deux premières
races à Saint-Denis.


«Cette mesure ne doit exciter aucunes réclamations des possesseurs de
ces trésors, reprit le jeune Athénien; mais, pourquoi, s'écria-t-il en
sortant des salles du Corps législatif, pourquoi ces compositions
fragiles et ternes sur les frontons de ce palais et de celui des
Invalides? Si j'avais ici quelque autorité, jamais une matière vile ne
serait le dépositaire infidèle de vos sculptures modernes.» «Vos
plaintes seront tout aussi justes, mon cher Grec, lorsque nous irons
visiter ensemble quelques temples de Paris. Vous me demanderez, je le
prévois, pourquoi l'on a placé des peintures si peu durables sur les
murs humides de la chapelle expiatoire dédiée à la feue reine dans un
des cachots de la conciergerie? Pourquoi la plus étrange parcimonie
a-t-elle présidé à la restauration de l'église Sainte-Élisabeth,
faubourg du Temple? Colonnes, chapiteaux, statues, draperies de l'autel,
tout est l'illusion du pinceau. Que direz-vous en voyant cette couche de
peinture sur les parois de la chapelle du cardinal Du Belloy, lorsque le
granit est prodigué à Paris dans tous les lieux publics, et se vend au
plus bas prix; lorsqu'indépendamment de nos anciennes carrières de l'est
et du midi, un naturaliste a découvert près Beauvais[84] une carrière de
marbre de plus de six lieues de longueur; lorsque dans le nord,
l'exploitation d'autres carrières produit[85] les plus heureux
résultats?

«Comment encore justifier le sculpteur qui, au pied du groupe admirable
du même monument où le prélat est si parfaitement caractérisé, accolle
au marbre le plus solide de misérables ornemens en plâtre[86]? C'est
entendre bien peu les intérêts de son immortalité.

«À Saint-Denis vous verrez le caveau consacré à recueillir les cendres
de nos premiers rois, pauvrement barbouillé de cent couleurs[87],
lorsque les plus augustes et les plus précieux débris des siècles
passés, parfaitement imités, devraient du moins en faire le principal
ornement, si les matériaux manquaient. La critique même la plus
indulgente y censure le style lapidaire, qui ne s'y trouve pas en
rapport avec les époques et le caractère du temps. J'y vois le mot
_dynastie_; et le mot _race_, le seul propre, le seul jadis employé dans
nos archives, nos vieilles chroniques et les histoires plus récentes, ne
s'y lit plus.

«Que direz-vous encore en apprenant que le Val-de-Grâce, si renommé par
ses tableaux, son autel et ses ornemens magnifiques, est transformé dans
ce moment même en un magasin militaire?»



CHAPITRE IX.

Il ne faut se servir dans les monumens publics que de matières
solides.--Passage extrait du voyage de Kamgki, par M. le duc de
Lévis.--Faire moins et faire bien.--Imiter ses ancêtres.--Mosaïques des
Invalides et du Musée.--Nos modes contribuent à leur
destruction.--Peintures à fresque.--La Mosaïque doit être plus
particulièrement encouragée.--Musée royal.--Mouleurs en plâtres ou
réparateurs des statues.--Dissertation historique sur la Vénus de
Milo.--Rapprochemens singuliers entre cette Vénus du Musée français et
une autre Vénus du british Muséum.--Zodiaque de Denderah.--Anecdote sur
l'aiguille de Cléopâtre.--Lacune presque continuelle dans les tableaux
du grand Musée.--Moyens d'y suppléer.--Projet d'un complément
conservateur de ce monument.--Musée du Luxembourg.--Lacunes essentielles
à remplir.


Le lendemain, en nous rendant au Musée des Antiques, dont Philoménor
n'avait vu que très-rapidement les plus belles statues, le jeune Grec
me dit: «Plus je réfléchis au sujet de notre conversation d'hier, et
plus je me suis convaincu de la solidité de vos censures. Je deviendrai
même plus exigeant; si l'on m'en croyait, jamais dans les grands
monumens on ne mettrait en usage ces pierres fragiles[88], dont un hiver
un peu rigoureux peut altérer la frêle beauté, accident arrivé à
plusieurs jolies fontaines de Paris. L'ouvrage du sculpteur est mutilé,
et la main d'œuvre a été payée aussi chèrement que si l'artiste eût
travaillé sur le marbre des Apennins et des Pyrénées. N'employez donc à
l'avenir que le bronze le plus solide, que le marbre le plus ferme, que
le granit le plus dur, et surtout des cimens d'une composition presque
indestructible; certes, vos mines et vos carrières ne sont pas épuisées;
faites moins, s'il le faut, mais faites bien. Travaillez pour vous, rien
de plus juste; mais n'oubliez ni vos enfans ni la postérité. Eh! que
seriez-vous, si avec le souvenir de leurs vertus, vos pères ne vous
eussent pas légué les monumens de leur génie?

«Pour vos réunions sociales, et religieuses ils avaient élevé de
magnifiques édifices; pour protéger vos héritages, ils avaient couvert
vos montagnes d'immenses forêts. Peu reconnaissans de tant de bienfaits
multipliés, vous avez laissé dépérir ou peu conservé les uns, et
détérioré ou abattu les autres; et ces édifices vous avaient transmis
les élémens de leur civilisation et de leurs arts; ces bois étaient
comme les paratonnerres naturels de vos champs et de vos vignobles; vous
avez dédaigné l'expérience de vos ancêtres; aussi, chaque année, vos
annales l'attesteront, des accidens inattendus, et les fléaux
continuels du ciel semblent les venger de votre ingratitude.» «J'en
gémis comme vous, mon cher Grec, lui répliquai-je; hélas! nos modes même
semblent conspirer avec les saisons pour mutiler des ouvrages
admirables. Que deviendront les belles mosaïques[89] de certains
édifices publics, et principalement celles qui se trouvent sous le grand
dôme des Invalides?» «Que deviendront, ajouta Philoménor, les
magnifiques compartimens des anciennes salles du Musée royal, qui,
dégradées par suite des enlèvemens de 1815, n'ont pas été rétablies?
Que deviendront, enfin, les parquets si agréablement variés, si
artistement combinés, des nouvelles galeries du même établissement que
nous parcourons, si l'on souffre plus long-temps que ces chefs-d'œuvre
soient continuellement broyés par le fer destructeur de vos chaussures
modernes?» «Mil huit cent quinze! m'écriai-je aussitôt, vous me rappelez
des souvenirs bien douloureux; ce fut dans cette année de fatale
mémoire, que l'Apollon, la Vénus, le Méléagre, le Gladiateur, le Torse
et le Laocoon ont été perdus pour la France; mais oublions des malheurs
irréparables.

«Comme vous le voyez, on a disposé avec beaucoup de goût les morceaux
précieux qui nous sont restés; ils ont été placés dans une espèce de
temple où le luxe des marbres les plus rares fait ressortir davantage la
merveilleuse beauté de ces antiques. Les premières salles, disposées
pour les recevoir et qui renferment les plus célèbres monumens, semblent
réclamer aussi cette parure indispensable. Le pinceau ne peut rendre
assez fidèlement la brèche et le granit sur les murs et les piédestaux,
pour dédommager de la réalité. L'imitation de ces substances si polies
et si brillantes n'est tout au plus tolérable qu'à des distances
très-éloignées, d'où l'œil le plus perçant est lui-même induit en
erreur. J'admire l'agencement et la pondération de nos vases, de nos
colonnes, de nos candélabres, de nos urnes, de nos statues et cette
profusion de bas-reliefs sauvés des insultes du temps. Mais je voudrais
qu'à l'avenir nos artistes ne se reposassent plus sur le mouleur en
plâtre[90], lorsqu'il s'agit de les réparer; et que nos plus habiles
sculpteurs eussent le noble orgueil d'oser se montrer les émules des
Phidias ou des Athénodore, et de marcher en cela sur les traces des
Angelo[91] de Montorsole.

«Il me paraît que l'on commence à prendre ce système, puisque les
directeurs du Musée viennent, dit-on, de proposer un prix de quinze
cents francs à celui qui donnerait aux deux bras tronqués de la belle
Vénus de l'île de Milo, la position la plus gracieuse et surtout la
plus analogue à l'intention première du sculpteur qui créa ce
chef-d'œuvre. Était-ce une Vénus genitrix, ou victorieuse, ou pudique?
M. Durville, à qui nous devons sa découverte, et qui l'a vue presque
sans mutilation, a fixé irrévocablement toute incertitude à cet égard,
dans son intéressante relation hydrographique de la gabare du roi, _la
Chevrette_.

«Trois semaines, dit-il, environ, avant notre arrivée à Milo, un paysan
grec, bêchant dans son champ renfermé dans l'enceinte probablement de
l'antique Melos, rencontra quelques pierres de taille; comme ces
pierres, employées par les habitans dans la construction de leurs
maisons, ont une certaine valeur, cette considération l'engagea à
creuser plus avant, et il parvint ainsi à déblayer une espèce de niche
dans laquelle il trouva une statue en marbre, deux Hermès, et quelques
autres morceaux de la même matière[92].

«Lors de notre passage à Constantinople, M. de Rivière m'ayant beaucoup
questionné sur cette statue, je lui dis ce que j'en pensais; et je
remisa M. de Marcellus, secrétaire d'ambassade, la copie de cette
notice.

«À mon retour, M. de Rivière m'apprit qu'il en avait fait
l'acquisition, et qu'elle était embarquée sur un des bâtimens de la
station.»

«J'ajouterai d'autres faits qui m'ont paru très-authentiques.

«M. l'ambassadeur la fit acheter de moines grecs, qui en avaient compté
trois cents francs au propriétaire. Mais au moment où M. de Marcellus
arrivait pour se la faire livrer, les Anglais[94] l'avaient déjà fait
transporter sur un de leurs vaisseaux, sans doute avec le projet de
l'expédier à Londres. Afin de mieux cacher ce dessein, et de faire plus
sûrement et sous un prétexte plausible, rompre le marché contracté au
nom de l'envoyé de France, il est à présumer qu'on mît en avant les
Papas, qui, disaient-ils, ne pouvaient tenir à leur engagement, ni se
dispenser d'envoyer ce beau morceau d'antiquité à un prince de leur
nation, grand amateur des arts, et dont ils craignaient de perdre la
protection à Constantinople, s'ils oubliaient de lui en faire hommage.

«Les réclamations de justice étant employées sans succès, on fut obligé,
pour la faire restituer, d'employer la force... On se battit; la Vénus
de Milo fut le prix de la victoire; et c'est uniquement au zèle, à
l'intrépidité et au courage du jeune secrétaire que nous devons la
propriété de cet inestimable chef-d'œuvre, ainsi que de plusieurs lampes
et candélabres, qui ne sont pas encore exposés à la curiosité du public.
On assure que le nouvel ambassadeur près la Porte, M. de La
Tour-Maubourg, a reçu des ordres du gouvernement pour faire de nouvelles
fouilles à Milo.»

«Ces détails sont très-intéressans, me dit Philoménor; mais je vous en
donnerai d'autres qui vous étonneront sans doute.

«Les Anglais ne doivent pas regretter la perte de ce monument,
puisqu'ils ont à Londres, dans leur British Muséum, une statue
absolument pareille, également composée de deux morceaux de marbre ayant
à peu près, je crois, la même hauteur, la même pose, la même attitude,
les mêmes ornemens, et qui a presque éprouvé les mêmes dégradations.

«Pour moi, je puis vous assurer que pendant mon séjour à Londres, j'ai
vu de mes propres yeux cette statue, en tout semblable à celle dont M.
Durville communiqua à M. de Rivière la description écrite et si
parfaitement détaillée, lorsqu'il l'eut aperçue pour la première fois en
herborisant à Milo.

     «A statue of Venus, naked to the waist, and covered with drapery
     from thence downwards. The drapery, though bold, is light and
     finished, and is supported, being thrown over the right arm. The
     attitude of the statue is easy and graceful, and the inclination of
     the head perfectly corresponds with the character and expression of
     the whole figure. The sculpture is of the highest order; and the
     original polish of the marble is admirably preserved; but the left
     arm, the right hand, and the tip of the nose have been restored.
     Upon the whole this figure may rang as one of the finest female
     statues which have been yet discovered.

     «It consists of two pieces of marble imperceptibly joined at the
     lower part of the body within the drapery. The marble of which the
     body is composed is of a lighter colour than that of which the
     drapery is formed; and the beautiful effect produced by this
     contrast, proves that it was not an accidental circumstance, but
     was the result of previous knowledge and skill in the artist. It
     was in consequence of the two parts being detached, that they were
     allowed to be exported from Italy as fragments of two different
     statues.

     «This exquisite pièce of sculpture was found in the ruins of the
     maritime baths of the emperor Claudius[96], at Ostia, by M. Gavin
     Hamilton, in the year 1776. A figure of Venus very nearly
     resembling the present, but with the position of the arm reversed,
     occurs on a medallion in bronze of Lucilla[97], where the goddess
     is represented standing at the edge of the sea or at the head of a
     bath, surrounded by Cupids, one of which is leaping into the
     water[98]; and it is not improbable that the present statue might
     have been placed, as an appropriate ornament, in the baths which
     were constructed on the spot where the statue was discovered. It is
     6 feet 11 inches 1/2 high; the latter measures 4 5/9 inches.»

     TRADUCTION.

     «Cette statue, à demi-nue, est couverte d'une draperie qui
     l'enveloppe depuis la ceinture jusqu'à terre. Cette draperie
     légère, d'un fini exquis, est relevée et jetée au-dessus du bras
     droit. L'attitude de la statue est naturelle et pleine de grâce; et
     la tête, un peu penchée, correspond parfaitement avec le caractère
     et l'expression des autres parties du corps. C'est un morceau de
     sculpture du premier ordre. Ce marbre admirablement conservé n'a
     presque rien perdu du poli que le ciseau de l'artiste lui avait
     donné; mais le bras gauche, la main droite et le bout du nez ont
     été restaurés. En tout, cette figure peut être mise au nombre des
     plus belles statues de femmes qui aient encore été découvertes.

     «Cette statue est faite _de deux pièces de marbre_ dont la jointure
     imperceptible est à la partie la plus basse du corps, dans la
     draperie. Le marbre dont le sculpteur a composé le corps de la
     statue est d'une couleur plus claire que celui employé à le draper;
     et le bel effet que produit ce contraste prouve que cette
     disposition est due au talent et à l'habileté de l'artiste, et non
     au hasard. La séparation de la statue en deux parties fut le motif
     qui fit obtenir la permission d'emporter ce chef-d'œuvre d'Italie,
     parce qu'on regarda ces deux morceaux comme les fragmens de deux
     statues différentes.

     «Cet excellent morceau de sculpture a été trouvé dans les ruines
     des bains maritimes de l'empereur Claudius à Ostia, par M. Gavin
     Hamilton, dans l'année 1776. Une figure de Vénus ressemblant
     beaucoup à celle-ci, mais ayant le bras renversé, est gravée sur
     une médaille de bronze de Lucilla, où la déesse est représentée
     debout sur le bord de la mer ou près d'un bain, entourée d'Amours,
     dont l'un s'élance dans l'eau. Il est probable que dans le principe
     la Vénus d'Ostia fut faite exprès pour orner les bains de Claudius,
     qui étaient construits dans le lieu où elle a été découverte. La
     première statue a 6 pieds 11 pouces 1/2 anglais de hauteur; la
     seconde 4 pouces 5/9»

«Je finirai par vous faire observer que l'Iconographie, dont j'ai pris
cet extrait, où se voit gravée et si clairement dépeinte la sœur de la
Vénus de Milo, fut publiée en 1812, et achetée la même année par la
Bibliothèque royale; c'est-à-dire, huit ans avant la découverte de la
statue que vous avez acquise en 1820. On doit donc nécessairement
ajouter foi aux détails donnés par le livret anglais. Reste à savoir
laquelle des deux Vénus est l'original? ne sont-elles point l'une et
l'autre sorties du même ciseau? C'est un problème que je laisse à
résoudre aux savans plus versés que moi dans la connaissance des
antiques. Au surplus, pour la restauration de la divinité que la France
possède, il ne serait pas sans doute indifférent de faire consulter à
l'artiste réparateur la _Vénus victrix_ de Londres. Cette mesure est
indispensable.

«Si la Vénus de Milo, ajouta le jeune Grec, trouve à Londres une rivale
mieux conservée, que de morceaux d'un style sévère ou gracieux doivent
vous consoler à Paris de quelques faibles mutilations! Le local de votre
Musée est unique au monde; il est vraiment disposé pour être le Panthéon
des dieux de Memphis, de Rome et d'Athènes. Vous me permettrez
cependant une critique très-fondée; presque toujours vos galeries de
peinture offrent des lacunes que nécessitent quelques restaurations ou
l'intérêt de vos manufactures. Ne serait-il pas aisé de remplir ces
vides par des tableaux tirés de vos riches magasins où, soit à Paris,
soit à Versailles, sont entassés, en prodigieuse quantité, tant
d'objets, dit-on, très-précieux: je puis désigner surtout ceux qui
sortent de l'école flamande. Ce serait accorder un tour de faveur à des
peintres négligés, et ménager de nouvelles jouissances pour le public.

«D'ailleurs, ces tableaux ne se conserveraient-ils pas beaucoup mieux,
si, au lieu de rester en pile, tous étaient restaurés et placés dans les
autres salles du Louvre et des palais de la couronne?»

Nous avions examiné ce bel établissement dans toutes ses parties. Les
galeries d'Italie, d'Allemagne, de Flandre, d'Hollande et de France,
nous avaient ravis d'admiration; et nous nous étions convaincus que
malgré des pertes immenses, le Musée royal possédait encore des morceaux
inappréciables que pouvait multiplier d'un jour à l'autre le zèle
éclairé des administrateurs. Notre attention s'était fixée sur quelques
dispositions récemment faites dans le grand salon, où l'on a placé
plusieurs tableaux[99] magnifiques dans les genres les plus variés.

En considérant le chef-d'œuvre du seul peintre vivant[100] admis dans la
collection du Louvre, nous félicitâmes notre siècle; il n'avait pas
dégénéré de ceux qui l'avaient si glorieusement précédé. Loin de pâlir
devant les immortelles compositions des Lebrun et des Paul Veronèse, le
tableau du célèbre Gérard, l'entrée de Henri IV dans Paris, semblait
rivaliser d'éclat et de perfection avec les batailles d'Alexandre et les
Noces de Cana.

Aucun sujet remarquable ne s'était soustrait aux plus scrupuleuses
investigations. Ni les dessins, ni les gouaches, ni les pastels, ni les
émaux, ni les mosaïques de la galerie d'Apollon, ne nous avaient échappé
dans leurs moindres détails. Nous croyions avoir tout vu, lorsque nous
aperçûmes une grille du meilleur goût, aussi belle que la porte en
bronze de la salle des Cariatides. De là nous étions passé dans une
salle ornée de vases, de compartimens en marbre, de peintures modernes
et de statues antiques. Quelle fut notre surprise! En pénétrant dans une
dernière pièce nous fûmes enchantés d'une innovation qui nous rappela
les Musées de Parme et de Florence. Dans plusieurs armoires d'acajou, on
admire d'abord à travers des glaces un nombre très-considérable de vases
antiques dits étrusques et d'autres provenant des ruines de Pompeïa et
d'Herculanum. Il est impossible de voir des formes plus singulières,
plus variées et plus originales; d'autres cases renferment des
armures[101], des bijoux, des meubles rares, des curiosités de toute
espèce; en un mot, tout ce que l'art et le génie des artistes a composé
de plus fini en employant les précieux trésors de la nature.

Peu de jours après nous nous rendîmes au Musée du Luxembourg, où nous
regrettâmes que le petit nombre d'antiques placés dans les salles ou
dans les jardins, fussent en partie brisés; et nous vîmes avec chagrin
qu'on songe à peine à les réparer[102]. Saisis d'admiration à la vue
des sublimes productions de l'école française, nous eussions désiré que
les tableaux fussent disposés comme ceux du Musée du Louvre, où de
petits sujets de genre sont au-dessous des grandes compositions, quand
l'espace le permet, et remplissent de temps à autre les vides formés par
l'inégalité des grandeurs.

Quelques sculptures modernes des Delaître, des Pajou, et surtout la
Baigneuse de Julien, enlevèrent notre suffrage. Nous eussions désiré que
toutes les salles, et notamment celles embellies par les Marines du
célèbre Vernet, dont les talens passent du père aux enfans comme un
patrimoine héréditaire, fussent toutes entièrement regarnies. Nous
voulions surtout qu'on se montrât plus sévère dans le choix des
tableaux, et qu'on mît plus de goût dans leur placement et leur
distribution.

«Si dans un Musée, me dit Philoménor, on doit trouver tous les genres
réunis, je m'aperçois d'un oubli très-important, et précisément dans la
partie où vos artistes ont acquis incontestablement une supériorité
marquée. En vain, nous chercherions ici quelques ouvrages des Petitot de
ce siècle.» «Cela est infiniment regrettable, lui répondis-je; tout le
monde en convient; la miniature a atteint de nos jours l'apogée de la
perfection; et c'est au pinceau délicat des Saint, des Augustin, des
Jacquotot et des Lyzinka que nous devons cet avantage. Je n'ai pas dit
trop; la vraie route est tracée; et si l'on s'en écarte, cet art ne peut
que décliner. On y voit encore peu de portraits; je n'y en connais que
deux[103]; ce genre intéressant ne devrait pas être plus négligé que les
autres, surtout, lorsque les David, les Gérard, les Prudon, les Robert
Lefebvre et les Kinson y ont presque égalé les plus parfaits modèles. Ce
dernier possède dans son atelier plusieurs tableaux-portraits dont il
peut disposer, et qui sont aussi remarquables par le charme et
l'expression de la figure, que par le naturel des attitudes, le piquant
du costume, la vérité des draperies et l'élégance des accessoires.»



CHAPITRE X.

Manufacture des Gobelins.--Critique des bâtimens de cet
établissement.--Plan et moyen de restauration.--Notice
historique.--Ouvriers, tentures, expositions.--Améliorations,
encouragemens.--Musée des arts et métiers.--Maison des
Jeunes-Aveugles.--Leur admirable industrie.


Nous n'étions pas loin des Gobelins; Philoménor nous y fit conduire. Il
fut étonné de l'insignifiante entrée de cette royale manufacture, de ses
constructions presque conventuelles, de ses étroites galeries et de ses
ignobles ateliers. Il comptait y acheter des tapis; mais on lui assura
qu'on n'y en vendait point, et que le Roi se les réservait tous, soit
pour meubler ses châteaux ou pour en faire des présens. «Si votre
gouvernement, me dit mon Grec, ne voulait rien débourser pour donner à
cette manufacture des bâtimens tels que son titre et l'importance de ses
travaux l'exigent, ne serait-il pas facile de vendre chaque année pour
quelques centaines de mille francs des tissus que l'on reproduit
toujours au double? Ce qui se fait à Sèvres peut se faire aux Gobelins;
et les sommes réunies qui proviendraient de ces ventes auraient bientôt
donné un capital assez fort pour bâtir un monument digne de cette
manufacture, et qui répondît à la magnificence des ouvrages que l'on y
fabrique. À cet effet, on devrait augmenter encore le nombre des
ouvriers[104], qui me paraît dans ce moment beaucoup trop faible; et si
je fonde une opinion sur les immenses collections exécutées sous Louis
XIV, j'ai lieu de conjecturer qu'il était beaucoup plus considérable
sous le règne de ce grand roi qu'il ne l'est aujourd'hui. D'après un
témoignage irrécusable, les chefs de l'établissement seraient fort
embarrassés s'ils avaient le malheur de perdre quelques habiles
sous-directeurs qui me semblent fort âgés. Enfin, si j'en excepte les
deux grandes expositions d'hiver et d'été, où les salons du Louvre, les
cours, les galeries des Gobelins, et quelques rues de Paris, sont
garnies des nouvelles et des anciennes tapisseries de cet établissement,
qu'y voient les étrangers le reste de l'année? Un très-petit nombre de
morceaux, quelques statues de plâtre et quelques tableaux-modèles.
Enfin, les conducteurs vous apprennent que dans de longues armoires sont
entassés et serrés avec soin les ouvrages confectionnés dans cette
manufacture.

«Je pense, moi, que pour la gloire de l'industrie française, pour faire
mieux apprécier les progrès successifs que cet art a faits et le haut
degré de perfection où il est porté, je pense qu'on devrait ouvrir dans
cet établissement deux longues salles, uniquement consacrées à
satisfaire pleinement la curiosité des étrangers. Dans l'une seraient
suspendues quelques tapisseries exécutées sous les différens règnes qui
ont précédé ou suivi sa fondation jusqu'à nos jours; dans l'autre, les
plus beaux tissus de notre époque. Au moins, une fois par mois, on
verrait graduellement quel était le talent des ouvriers sous les
Valois[105], Henri IV[106], Louis XIII, la Régence, Louis XV, Louis XVI,
la République, l'Empire, et ce qu'il est devenu depuis notre heureuse
restauration.

«Qu'on ne m'objecte point un obstacle que j'ai prévu! Mon projet, me
direz-vous, serait contraire à la conservation de ces chefs-d'œuvre. On
sera désabusé de cette chimère, en réfléchissant qu'il serait aisé de
rouler sur elles-mêmes ces tentures, sans les dépendre pendant les
intervalles des diverses expositions; et, par un moyen aussi
vulgairement connu, on serait certain de soustraire leurs brillantes
couleurs à l'altération qu'elles éprouvent par l'action très-réelle,
quoiqu'imperceptible, de l'air et du soleil.

«Enfin, chaque année, pour exciter davantage l'émulation des ouvriers,
peut-être serait-il convenable de fonder des prix, qui seraient accordés
à ceux dont le talent aurait le plus éclaté dans tous les genres.»

Quelques jours après, nous nous rendîmes au Musée des Arts et Métiers.
Philoménor, qui aimait autant les inventions utiles à l'humanité que
celles qui ne contribuent qu'à l'agrément de la vie, était à chaque pas
dans une perpétuelle surprise. Il ne savait ce qu'il devait le plus
admirer des machines innombrables qui avaient enfanté de si beaux
ouvrages, ou du génie créateur qui avait si prodigieusement simplifié
les moyens en multipliant les combinaisons et les résultats.

«Nous verrons quelque chose de plus surprenant, lui dis-je: par un
système aussi nouveau qu'admirable, une classe, heureusement peu
nombreuse, d'infortunés aveugles de naissance, ont été rendus capables
de se servir de ces machines, de ces mécaniques merveilleuses, et de
connaître tous les secrets de notre industrie. Il y a plus;
non-seulement ils ont été initiés à nos lettres, à nos sciences et à nos
arts, mais encore à nos délassemens les plus compliqués et les plus
susceptibles des calculs d'un esprit fin et délié. Aujourd'hui, par le
seul secours du tact, de l'ouie et de l'odorat, les aveugles lisent,
écrivent, calculent, composent de la musique, jouent des instruments, et
font leur partie de dames, d'échecs ou de trictrac.

«Leurs mains sont devenues assez savantes pour donner aux objets de
leurs travaux les ornemens les plus convenables et les formes les plus
heureuses; pour distinguer les couleurs sans le secours de l'œil; pour
les mêler, les nuancer avec goût dans les ouvrages de toutes les
professions qu'ils exercent; et quelquefois ces ouvrages sont
presqu'aussi beaux et aussi parfaits que ceux des artistes pour qui la
nature s'est montrée prodigue de ses dons.»



CHAPITRE XI.

Marchés publics.--Abus.--Réformes possibles.--Bazars, leur
agrément.--Bibliothèque royale, son histoire
abrégée.--Bibliothécaires.--Cabinet des médailles.--Anecdotes curieuses
et importantes sur l'enlèvement forcé de quelques objets de cette
collection.--Cabinet des gravures.--Galeries des manuscrits.--Histoire
du vol d'Aimon.--Hôtel de ville.--Sa bibliothèque.--Réparer ce monument
municipal; indication des moyens.


En quittant le Musée des arts et métiers, nous avions traversé différens
marchés de Paris, notamment celui Saint-Martin et ceux du faubourg
Saint-Germain. Mon jeune étranger avait été très-satisfait de la belle
distribution des différentes parties qui les composent. Nous fûmes
surtout frappés de l'excellente police observée pour la vente et le
débit des denrées. «Tout irait encore mieux pourtant, lui dis-je, si des
réglemens qui existent, comme je le crois, pour la tenue intérieure et
extérieure de ces édifices publics étaient plus strictement suivis.»
«Sans doute, reprit Philoménor, que des mesures de propreté y soient
plus soigneusement respectées, et ces vastes bâtimens auront acquis un
degré de perfection exigible et convenable. En vain d'industrieux
architectes ont sagement prévu ce qui devait être nécessaire pour
accorder ensemble le goût avec la commodité, cela ne suffit pas à
certaines gens.

«Dans le vaste bazar du Temple et ailleurs, j'ai remarqué que la plupart
des entrées sont offusquées par des constructions baroques et bizarres
que se permettraient seuls des visigots ou des vandales.

«Cependant puisque j'ai prononcé le nom de bazar, il faut avouer, mon
cher ami, que votre siècle a prodigieusement gagné en agrémens de tout
genre; et, sans contredit, vous les devez en partie, à l'ouverture
publique de ces établissemens qui, par la perfection de vos arts, ne
ressemblent guères à ceux de l'Orient. Ce sont, en tout temps, pour
l'amateur, de véritables succursales de vos Musées, et des expositions
perpétuelles de tous les produits de votre industrie nationale.»

Avant de nous rendre à la cathédrale et à l'hôtel-de-ville, Philoménor,
le jour suivant, désira visiter la bibliothèque royale[107], celles de
la préfecture et de Sainte-Geneviève. Il fut enchanté de la complaisance
et surtout de la vaste érudition des hommes de lettres qui les dirigent,
et dont la mémoire est elle-même une encyclopédie vivante. Cependant
une réforme y est indispensable. Le moment où finissent les classes de
l'Université semble exiger impérieusement que les anciens usages soient
maintenus pour l'ouverture des bibliothèques situées près du pays
latin; toutefois les changemens opérés insensiblement dans les mœurs et
les habitudes de la société doivent nécessairement introduire une
innovation dans les heures de lecture, au moins à la bibliothèque
royale; et je crois qu'à ce sujet on ne peut mieux faire que de suivre
l'exemple donné par le sage directeur de la bibliothèque de la ville, où
les portes s'ouvrent à midi et se ferment à quatre heures. On avait eu
l'attention de communiquer au jeune Grec les livres les plus rares et
les plus curieux; il avait examiné de près le Parnasse en bronze de du
Tillet, le plan des déserts de l'Égypte, et les globes de Marly. «Le
vaisseau de la bibliothèque est très-beau, me dit Philoménor; je
voudrais cependant que sur ses longues voûtes on peignît à fresque les
hommes de génie de tous les âges et de toutes les nations.»

Le cabinet des médailles et pierres gravées fixa surtout notre
attention. «Ce cabinet était beaucoup plus riche autrefois, dis-je à mon
ami. Le 16 février 1804, les conservateurs de la bibliothèque furent
avertis qu'on avait formé le projet de voler les raretés qu'il
renfermait. Ce fut en vain qu'ils sollicitèrent du commandant de la
place le rétablissement d'un poste ou corps-de-garde près l'arcade
Colbert. Ils éprouvèrent un refus dans une lettre qui leur fut écrite;
et ce refus était motivé sur le peu de troupes disponibles que l'on
avait alors à Paris. Malgré les mesures d'une exacte surveillance, des
hommes profondément pervers réussirent quelque temps après à placer un
petit baril de poudre dans l'intérieur même, et sous une des tablettes
du cabinet. Un de ces malfaiteurs, feignant de s'être donné la mort pour
se soustraire plus facilement aux poursuites de la justice, dévoila dans
une espèce de testament cet affreux stratagème. La machine infernale fut
trouvée à l'endroit indiqué, et, très-heureusement, ne produisit aucun
effet. Si l'explosion espérée par ces scélérats eût eu lieu, le vol des
précieux antiques se serait fait infailliblement au milieu de la
confusion qu'eût causé un pareil événement. N'ayant pu consommer leur
crime, comme je vous l'ai dit, par suite des remords d'un des complices,
qui étaient au nombre de huit, ces bandits n'abandonnèrent pas leur
projet; ils profitèrent d'une circonstance qui ne les servit que trop
bien. À cette époque, on faisait des arrestations dans différens
quartiers de Paris. Ils crurent l'occasion favorable et ne la laissèrent
pas échapper. Afin de réussir plus sûrement encore, ils employèrent une
prudence raffinée. Ils commencèrent d'abord par disposer quelques-uns de
leurs camarades en sentinelles autour du bâtiment de la bibliothèque.
Ils louèrent un fiacre, et donnèrent l'ordre au cocher de faire rouler
continuellement sa voiture dans la rue de l'Arcade, pour qu'on
n'entendît pas les coups redoublés qu'ils portaient à une des croisées
du cabinet, avec un long morceau de bois ou petit mât, qu'ils avaient
dérobé à un navire en station sur la Seine. Ayant pénétré par ces moyens
dignes de Mandrin et de Cartouche, dans le précieux dépôt, ces brigands
volèrent tout ce qui se trouva dans une des armoires, entre autres les
couronnes des rois lombards, le poignard de François Ier, l'agathe de la
Sainte-Chapelle, donnée par Charles V en 1573, dite à cette époque le
Triomphe de Joseph en Égypte, et reconnue depuis par les savans pour
être l'apothéose d'Auguste; ils s'emparèrent encore de la coupe de
Ptolémée, qui appartenait à Suger, et qu'un des voleurs cacha près
Laon, dans le jardin de sa mère; là elle fut retrouvée lorsque le
commissaire du gouvernement, Gohier, eut fait arrêter les voleurs en
Hollande, au moment où ils étaient prêts de vendre l'agathe de la
Sainte-Chapelle, qu'on fut obligé de faire remonter à neuf, ainsi que la
coupe de Suger, attendu que les spoliateurs en avaient fondu les
encadremens, et généralement tout l'entourage.

«Ces deux bijoux furent à peu près les seuls que le cabinet des antiques
put recouvrer. Une grande partie des autres objets enlevés avait été
déjà vendue et livrée à lord Townley, dont le gouvernement anglais a
depuis acheté la riche collection.» «Mais, reprit Philoménor, étant en
paix avec l'Angleterre, ces objets ne pourraient-ils point être
réclamés?» «On réussirait probablement dans cette négociation, lui
répondis-je; je crois les Anglais trop délicats pour vouloir conserver
des trésors volés, quand ils en connaissent le légitime propriétaire.
Cette perte n'est pas la seule qui ait été faite par cet établissement.

«Sous le gouvernement impérial, des morceaux très-précieux ont été
soustraits à ce cabinet par l'autorité qui existait alors; et voilà
comment ils en étaient sortis.

«Un jour, Joséphine désirant avoir trois parures nouvelles, envoya
demander au conservateur des médailles quatre-vingts pierres gravées en
creux et en relief. Cette demande fut d'abord poliment éludée par les
directeurs de l'administration, qui firent observer qu'ils ne pouvaient
se désaisir du moindre antique, sans une permission écrite et
très-précise du ministre de l'intérieur.

«Quelques mois après, le général Duroc et le joaillier de la couronne,
munis d'un ordre légal[109], se rendirent à la bibliothèque, et
enlevèrent tous les objets précédemment refusés, qui, après avoir été à
l'usage de Joséphine, passèrent depuis entre les mains de Marie-Louise.

«En 1814, après la prise de Paris, l'empereur d'Autriche eut la
curiosité de visiter le cabinet des médailles; un des directeurs lui
ayant conté tous les détails relatifs à la disparition de ces bijoux,
non-seulement Sa Majesté promit de les faire restituer, mais elle
ajouta que la princesse sa fille les déposerait dans un lieu sûr, où
l'on serait à même de les retrouver. Pendant long-temps on ignora ce
qu'ils étaient devenus; mais les recherches des administrateurs,
secondées par le zèle du ministre de la maison du roi, eurent enfin un
plein succès. Tous ces antiques sont retrouvés; et je vous apprendrai
qu'ils ont été très-certainement remis à M. Thiéry de Ville-d'Avray,
premier valet-de-chambre de Sa Majesté. Il serait bien à désirer que ces
raretés, disposées maintenant en pendants d'oreilles, en colliers, en
bracelets, en diadèmes et autres ornemens de femme, fussent réintégrés
dans l'ancien local, d'où ils n'auraient jamais dû être distraits.».

Nous étions montés au cabinet des gravures, où les plus belles épreuves
dans tous les genres couvraient les lambris et recevaient un nouveau
relief de la transparence des glaces et de l'élégance de l'encadrement.
En passant dans la pièce destinée aux bureaux des directeurs, nous vîmes
des chassis que remplissaient du haut en bas de nombreux portefeuilles
renfermant les œuvres des graveurs français et étrangers de tous les
siècles, depuis l'origine de l'art jusqu'à nos jours. Tout à côté,
quelques panneaux de cet appartement étaient encore garnis d'estampes
rares, qu'on retrouvait jusque sur les portes, et même jusqu'au plafond.
«Ce local est beaucoup trop resserré, me dit Philoménor, pour renfermer
les curieux et les travailleurs qui viennent y étudier les grands
maîtres.» En effet, nous eûmes peine à trouver place pour parcourir à
notre aise les chefs-d'œuvre d'Audran et de Bervick qui nous avaient été
confiés. «Votre observation me paraît infiniment juste, mon cher Grec,
lui répondis-je; permettez-moi d'en ajouter une autre à mon tour. Cet
établissement est fort riche, et cependant il peut devenir plus complet
si l'on n'oublie pas d'acheter, lorsque l'occasion s'en présentera, des
objets presque uniques, épuisés, dont les planches sont brisées; objets
qui, m'a-t-on assuré, ne se trouvent point ici, et que se vantent de
posséder en France un petit nombre d'amateurs très-connus.»

De là nous passâmes à la galerie des manuscrits, où nous fûmes à même
d'examiner avec un grand intérêt tant de précieux originaux, sacrés ou
profanes; la belle netteté des écritures, la finesse des vélins, la
magnificence des reliures souvent éblouissantes d'or, de perles et de
pierreries[110], la délicatesse des vignettes, la ressemblance des
portraits, l'imitation parfaite des sites et des monumens, et surtout
l'éclat varié des couleurs, nous firent avouer que nos pères, souvent
ravalés par certains auteurs modernes, avaient bien leur mérite, pour
suppléer ainsi avec la plume et le pinceau aux découvertes de
l'imprimerie et de la gravure qui leur manquaient. On nous montra des
ouvrages tracés sur palmier, et mille autres raretés dans toutes les
langues. Mais ces curiosités nous firent moins de plaisir que la vue des
manuscrits authentiques des Fénélon et des Bossuet, des Racine et des
Sévigné, et de tant d'autres illustres Français, dont plusieurs artistes
ont trouvé le secret de multiplier à l'infini d'exactes copies, ou, pour
mieux dire, des _fac simile_.

Au moment où nous cherchions à lithographier en quelque sorte dans
notre mémoire l'image distincte de tant d'écritures différentes, les
lettres de Catherine de Médicis, que je remarquai dans une des
montres[111], me firent souvenir d'une anecdote très-piquante et
très-singulière, dont les preuves m'avaient été communiquées par un
effet de l'extrême obligeance de M. Van Praet, un des directeurs de la
bibliothèque. «Ces lettres, mon cher Philoménor, dis-je à mon Grec,
furent volées ici avec beaucoup d'autres pièces très-importantes, au
commencement du dernier siècle par une espèce de Tartuffe sur lequel
mille antécédens auraient bien dû éveiller l'attention et une prudente
surveillance, surtout à l'époque où La Fontaine écrivait:

     «....... La méfiance
     Est mère de la sûreté.»[112]

«Cet hypocrite s'appelait Aimon; né en Dauphiné, il étudia
successivement à Grenoble, à Turin et à Rome, où il reçut les ordres
sacrés. Revenu en France, il fut sept ans curé dans un village, se
dégoûta de cette pénible fonction, et fit un second voyage à Rome; ce
fut là qu'il conçut le projet de changer de religion, projet qu'il
exécuta à Berne, où il devint ministre.

«De là il se retira à la Haye, s'y maria, fut pensionné par les
États-généraux, et pendant cinq ans exerça le ministère dans cette
résidence. Lassé de la Hollande, Aimon eut envie de revoir sa patrie, et
trouva les moyens, par les correspondances qu'il y entretenait, d'en
obtenir la permission du roi, auprès de qui on le fit passer pour un
homme qui pourrait rendre de grands services, s'il était ramené au sein
de l'église catholique. Il eut donc un passeport de M. le comte de
Pontchartrain, et arriva de Bruxelles à Paris (en 1706), y fit
abjuration du calvinisme, et rentra dans son ancien état. Il lui fut
même expédié un brevet du roi pour une pension de six cents francs; et
il fut reçu dans le séminaire des Missions étrangères par MM. Thiberge
et Brisacier qui en étaient les supérieurs. Ce fut à la recommandation
de ces messieurs, aussi bien que de l'abbé Renaudot, que ce nouveau
converti trouva un accès libre dans la bibliothèque du Roi pendant son
séjour en cette capitale. M. Clément, alors garde de la bibliothèque du
roi sous M. l'abbé de Louvois, l'y admit comme un homme de lettres et un
ecclésiastique dont il n'y avait point à se défier. Aimon feignait de
chercher des matériaux pour des mémoires qu'il disait avoir ordre de
faire sur des affaires de religion et d'état. Non-seulement on eut la
malheureuse facilité de ne lui rien refuser, soit par rapport aux livres
imprimés, soit par rapport aux manuscrits[113], mais même de l'y laisser
travailler à toute heure et sans témoins. Il abusa étrangement de la
confiance qu'on avait en lui. Non content de voler plusieurs manuscrits
entiers, il poussa la méchanceté jusqu'à détacher, couper et arracher
une grande quantité de feuillets dans quelques autres volumes qu'il ne
put pas apparemment emporter, entre autres _les Entretiens de
Confucius, l'Arithmétique chinoise, un cahier de Géographie chinois, un
Alcoran en grec et en latin, une trentaine de feuillets des Épîtres de
saint Paul_, (l'un des plus anciens manuscrits de la bibliothèque),
_quatorze de la Bible de Charles-le-Chauve, un manuscrit du même Roi, et
les Lettres de Catherine de Médicis, de Charles IX et d'Henri III à
leurs ambassadeurs à Rome»_[114]. Après une action aussi noire, cet
infâme sortit de Paris au mois de mai 1707, muni d'un passeport de M. de
Chamillard, pour se retirer à la Haye, où il alla de nouveau changer de
religion; et ce ne fut qu'après l'évasion de ce double renégat qu'on
s'aperçut à la bibliothèque des vols qu'il y avait faits.

Une enquête eut lieu, on fit des réclamations relatives à ce délit; et
les objets, que cet escroc avait déjà vendus, furent restitués à la
France par milord Oxfort de Mortimer, qui en avait fait l'acquisition.»

Nous étions sortis de la bibliothèque, en faisant de tristes réflexions
sur la perversité et l'étrange bizarrerie de l'esprit humain. Arrivés
près la place de Grève, Philoménor ne se lassait point d'admirer les
points de vue pittoresques qu'offrent les quais des différens bras de la
Seine et les environs de l'île Saint-Louis, surtout lorsqu'on les
contemple sous un ciel vaporeux. Mais, avant de nous rendre à la
cathédrale, dont les tours se présentaient devant nous, nous entrâmes à
l'Hôtel-de-Ville, pour y voir les images du bon Henri et du grand roi.

Philoménor fut surpris de la simplicité d'un des premiers monumens de la
capitale, et de l'indigence de son musée littéraire, où se trouvent des
classiques nombreux, mais où l'on peut signaler des lacunes
considérables dans les autres parties de la littérature. «Les fonds
manquent, dis-je; et cependant, mon cher ami, personne n'ignore que la
commune de Paris est prodigieusement riche.

«Par suite d'un déplorable système, on sacrifie des sommes énormes à des
colifichets qui ne durent qu'un jour, ou qui sont détruits au bout de
quelques années.

«Convenez-en avec moi, si depuis cinquante ans on eût destiné à bâtir
un nouvel Hôtel-de-Ville et à se procurer pour les fêtes un mobilier
solide; si, dis-je, on eût destiné la moitié des sommes qui pendant ce
court espace ont été prodiguées en pesans échafaudages, en façades, en
temples, en galeries, en rochers, en statues postiches de bois, de toile
ou de carton, en taffetas, en gazes d'or et d'argent, en guirlandes
artificielles et en tant d'autres objets futiles, promptement anéantis
et pourtant bien chèrement payés[115], quel monument admirable on aurait
à Paris! Cette commune, qui souvent a fait des acquisitions, soit pour
assainir certains quartiers, construire des marchés, ou percer des rues
adjacentes, a jusqu'ici toujours négligé d'embellir son Hôtel-de-Ville.
Possédant des revenus plus considérables qu'aucune cité de France[116],
il lui serait aisé d'acheter ce petit nombre de maisons recrépies qui,
adossées à l'arcade St.-Jean, aboutissent sur le quai de la Grève,
maisons dont la destruction isolerait entièrement ce simple et noble
édifice, et rendrait la façade extérieure parfaitement uniforme et
régulière. J'exigerais encore que des statues prises dans les débris de
nos anciens monumens détruits, y remplaçassent dans les niches, celles
que les Iconoclastes révolutionnaires en ont fait descendre; et qu'enfin
l'art du célèbre Dyle rajeunît, comme à la porte Saint-Martin, sa
gothique architecture.»



CHAPITRE XII.

Cathédrale.--Préparatifs pour la fête du baptême du duc de
Bordeaux.--Décors peu analogues avec la vieille métropole.--Ornemens
plus en rapport avec l'architecture gothique.--Avantages qui en eussent
résulté.--Note remarquable.--Philoménor assiste à la cérémonie du
baptême.--Pièce de vers.--Présages anecdotiques sur le duc de Bordeaux.


Séduits par les brillantes descriptions que les journalistes avaient
données des préparatifs immenses faits pour le baptême de S.A.R. Mgr. le
duc de Bordeaux, nous nous rendîmes avec empressement à la cathédrale,
le jour même de la cérémonie. Là, dès l'entrée, nous croyions être
éblouis par une pompe vraiment imposante et religieuse; quel fut notre
étonnement en voyant un échafaudage de pièces de charpente cacher la
vénérable façade! Il nous sembla que de longues tentes de forme antique,
en étoffes éclatantes, semées de fleurs de lys et bordées de franges
d'or, eussent été moins dispendieuses en main-d'œuvre, plus riches, et
plus analogues au monument, que ce portique de bois doré et de toiles
fraîchement peintes, qui, malgré les ogives, les petites tours, les
crénelures et les enjolivemens de toute espèce, n'en paraissait pas
moins bizarre, près de ces murs tout noircis par les siècles. Introduits
dans l'intérieur, les décorations produisaient au premier coup-d'œil le
plus grand effet; ces lustres de cristal, ces candélabres où brûlaient
des milliers de bougies, ce dais superbe du velours le plus fin, ces
riches tapis, cet autel en arc de triomphe, ces génies portant les
insignes du prince, cette chapelle de vermeil, ces draperies amarante et
fleurdelysées, ces étoffes d'or et d'argent qui couvraient les murs et
les tribunes de la nef, ces guirlandes de fleurs qui s'enlaçaient autour
des colonnes et retombaient en longs festons; tout cet ensemble, j'en
fais l'aveu, éblouissait d'abord le spectateur. Remis de notre première
surprise, nous nous demandâmes si tous les détails étaient bien d'accord
avec une cérémonie aussi grave et aussi importante, une cérémonie qui
allait pour ainsi dire consacrer à jamais les destinées de la
monarchie? «Sans mériter le nom de frondeur partial et caustique, une
partie de ces ornemens, me dit Philoménor, ne seraient-ils point plutôt
convenables à une salle de bal élevée à la hâte, telle que celle de
l'Hôtel-de-Ville, qu'à l'antique métropole de Paris? A-t-on cru faire
quelque chose de merveilleux, en peignant provisoirement en couleurs
bariolées les croisées des travées qui se trouvent au-dessus du
sanctuaire? Pourquoi du provisoire, lorsque la magnificence royale se
déployait dans toute sa plénitude? et puisque l'argent ne manquait pas,
n'eût-il pas mieux valu employer des verres de couleur, solidement
assurés, et qui eussent mis ces croisées parfaitement en harmonie avec
les rosaces admirables et autres vitraux de la cathédrale? Au moins,
long-temps après la fête, le souvenir de l'événement le plus heureux eût
été marqué par une restauration aussi utile qu'indispensable. D'après un
principe incontestable, la solidité des choses que l'on paie
très-chèrement, peut seule concilier la magnificence avec l'économie.
Tous les hommes d'un goût éclairé en diront autant; mais, soit par
insouciance, soit par un intérêt sottement calculé[117], cette sage
maxime est sans cesse oubliée. Je suis bien éloigné de proscrire de nos
temples les fleurs et les feuillages artificiels dans nos cérémonies
religieuses; l'imitation la plus parfaite des trésors de la nature est
le plus légitime hommage que l'homme reconnaissant puisse offrir à son
éternel bienfaiteur; aussi n'est-ce pas l'usage, mais l'agencement, que
j'oserai blâmer ici; à ces petites guirlandes beaucoup trop recherchées,
à ces petites roses clairsemées sur satin blanc, on reconnaît trop la
main de mesdames Mûre et Germont[118].»

«Plaisanterie à part, lui répondis-je, j'eusse préféré faire régner
uniquement dans les hautes tribunes de l'édifice des cordons immenses de
verdure; et plus bas j'aurais placé des vases de porcelaine et d'albâtre
antique, remplis des plus belles fleurs de la France. Que signifient ces
trophées de drapeaux représentés sur des planches échancrées, lorsque la
réalité eût dû remplacer ces plates images? Bon Dieu! qu'eussent fait de
moins les maires et adjoints d'une petite ville ou les marguilliers
d'une succursale champêtre? Que signifient encore ces armoiries et ces
anges en peinture qui les soutiennent, lorsque les manufactures de notre
bonne ville de Lyon eussent pu fabriquer de riches tentures, et faire
broder en or et en argent sur la moire et le velours ces cartouches et
autres accessoires? À quoi donc nous servirait notre prodigieuse
industrie, si son luxe n'était pas étalé dans nos fêtes? Ces décorations
qui, pendant un certain temps, auraient vivifié les ateliers de nos
grandes cités, n'eussent point été éphémères, et auraient pu être
conservées pour d'autres cérémonies aussi désirées que solennelles,
tandis que de toutes ces dépenses très-considérables en main-d'œuvre, il
n'en restera rien, presqu'exactement rien, que les dessins[119]. On ne
me contestera pas d'ailleurs qu'il est toujours dangereux de mettre le
genre gothique en contact avec le style moderne, et qu'il faut éviter
toute macédoine architecturale. L'ordre gothique ne supporte que des
ornemens graves, nobles et majestueux, que des ornemens relatifs aux
époques héroïques de notre histoire; et l'artiste obligé de travailler
en quelque sorte avec le génie maure ou arabe, doit nécessairement
marcher avec lui, sans s'écarter de la route tracée; il doit se
soumettre aveuglément à ses inspirations. Les marbres vrais et non
imités, les bronzes, les tapisseries, les étoffes en laine, en soie, les
crépines d'or, les couleurs les plus tranchantes, telles que
l'écarlate, le pourpre, le bleu d'azur, sont les seuls décors qui
puissent s'allier avec ce genre grandiose, aussi pompeux que sévère.»
D'après un contraste aussi frappant entre ce qui existait autour de nous
et ce que très-certainement le bon goût aurait proscrit, nous cherchâmes
d'où pouvait naître l'enthousiasme subit qu'avait produit le premier
coup-d'œil; nous trouvâmes que le temple tirait infailliblement sa
magnificence de la présence du monarque législateur, des princes, des
princesses, de la réunion des grands de la cour, des premières autorités
de l'état, et en un mot, de tout ce que la France offre de plus
distingué dans les rangs divers de la société. Quelle voix humaine
exprimera cette sensation qu'éprouvèrent tous les cœurs vraiment
français, en voyant s'avancer dans le temple de Dieu les deux orphelins,
et surtout ce nouveau Joas[120], ce précieux rejeton de tant de rois
qui, par le mouvement très-marqué de ses petits bras, témoignait la
satisfaction qu'il éprouvait à la vue de cette brillante assemblée. Non,
aucune expression ne peut rendre la respectueuse admiration dont on fut
généralement saisi en croyant deviner les inclinations précoces du royal
enfant, lorsque, pendant la cérémonie, nous vîmes le jeune Henri se
montrer presqu'insensible aux objets éblouissans dont il était entouré,
et jouer continuellement avec les décorations du mérite et de l'honneur
que ses mains faibles et hardies saisissaient sur la poitrine de son
aïeul. «L'heureux présage, mon cher Philoménor, dis-je aussitôt!
n'est-ce point Achille dédaignant les vaines parures, les colliers, les
bracelets offerts par Ulysse à sa curiosité, et décelant subitement son
sexe et son mâle courage par le choix d'une épée?»



CHAPITRE XIII.

Suite du même sujet.--Description du chœur de Notre-Dame.--État
déplorable des autres parties de cette basilique.--Continuelles
mutilations qu'elle éprouve.--Ornemens mesquins.--Vœux de l'auteur pour
cet édifice et les autres églises qui sont à construire et à
réparer.--Obstacles qui doivent contrarier ses plans.--Il est nécessaire
d'agrandir la place de la cathédrale.--Éloigner l'Hôtel-Dieu de cette
enceinte.--Motifs de cette mesure.--Emplacement favorable pour cet
établissement.


Nous avions vu la cathédrale avec des embellissemens de circonstance;
quelques jours après, nous voulûmes la revoir, lorsqu'elle fut dégagée
de ce clinquant passager, et qu'elle eut repris sa forme naturelle.
Arrivés à Notre-Dame, le chœur et le sanctuaire nous parurent des
morceaux achevés; seulement je remarquai que les sculptures des stalles,
des chaires épiscopales et les marqueteries du pavé sacré étaient
brisées[121] ou écaillées en quelques endroits, et réclamaient une
dépense nécessaire. «Quelle magnificence dans les grilles, où l'or moulu
se marie avec l'acier le plus poli! s'écria mon Grec. Que le groupe de
Couston est imposant et parfait! Quelle majestueuse dignité dans ces
monarques prosternés! Comme les tableaux sont analogues au lieu et
correspondent bien avec le tout! Quelle distribution sublime dans
l'édifice! Quelle hardiesse dans l'élévation des voûtes! Quel fini
minutieux jusque dans les plus petits détails de ce genre gothique! Mais
la nef, les ailes, les chapelles exigent une réparation réfléchie et
méditée.» «Oui, repris-je en soupirant, tout se ressent ici des ravages
de l'athéisme; sa main de fer, sa main dévastatrice y est encore
empreinte, et son passage n'y est effacé qu'avec la plus mesquine
parcimonie[122]. Malgré le grand nom de certains peintres, vous
conviendrez avec moi que des tableaux périssant de vétusté, ne sont
plus à leur véritable place dans cette majestueuse métropole. Ils vous
paraîtront uniquement propres à servir de modèle dans une école de
peinture. Je crois encore que l'on doit sans délai, et surtout sans
aucun scrupule, envoyer dans quelque succursale de village ces petits
saints de plâtre[123] de dix-huit pouces de hauteur, si ridiculement
guindés sur les piédestaux des autels des bas-côtés.

«Était-ce ainsi que nos pères décoraient leurs temples, où l'or,
l'argent, l'ivoire, l'ébène et les pierreries étaient employés. On va,
dit-on, faire des travaux considérables à ce monument. Formons un vœu,
et je désire qu'il soit entendu de tous les vrais Français du royaume.
Ah! que pour un objet aussi auguste on néglige les froids calculs d'une
sordide économie. Que sous les voûtes sombres de cette antique
cathédrale on reconnaisse la première basilique des Gaules! Que la
mélancolie s'y nourrisse de souvenirs touchans et de douces espérances!
Que les vitraux, dépositaires du courage des martyrs, s'y reflètent en
mille couleurs sur le porphyre et l'albâtre des tombeaux héroïques
rendus par un ordre royal à leurs premiers asiles. Que les plus riches
marquetteries soient prodiguées dans son enceinte. Que nos marbres les
plus variés recouvrent les marbres factices de ses colonnes. Que des
mosaïques immortelles décorent ses murs si nus et si tristement
dépouillés. Que les statues et les tableaux de nos plus grands maîtres,
sagement distribués, soient toujours d'accord avec le style solennel de
cette vénérable métropole. Que, trompé par ce pompeux spectacle, le
voyageur surpris se croie transporté sous les dômes de Saint-Pierre de
Rome.»

«Quel enthousiasme! s'écria mon Grec; toutefois je l'excuse, et même je
le partage. L'amour dont vous êtes animé pour la gloire de votre pays le
rend bien légitime; cependant je crains que l'indifférence apathique et
routinière, la plus mortelle ennemie des arts, ne soit long-temps un
obstacle insurmontable à l'exécution de plans qu'il faudrait également
suivre pour l'embellissement de Sainte-Geneviève, de la Madeleine et de
Notre-Dame de Lorette. Qu'y gagnerez-vous? Vos projets feront sourire de
pitié nombre de gens importans qui, pourvu qu'ils aient toutes les
jouissances nécessaires à leur bonheur, s'embarrassent fort peu de
réformes, d'améliorations et d'embellissemens dans les lieux publics.
Ont-ils le temps d'y songer? Bien rentés, bien payés, occupés de fêtes
et de plaisirs, tous leurs momens sont pris. Et s'ils nous entendaient,
peut-être vos patriotiques observations passeraient à leurs yeux pour
des crimes, ou tout au moins pour une espèce d'usurpation sur les
devoirs de leurs charges.»

On nous avait conduits au trésor, très-curieux[124] en 1814, et qui
l'est beaucoup moins aujourd'hui. Après avoir contemplé les portraits
des Juigné et des Dubelloy, nous étions sortis de cette auguste
enceinte; nos yeux ne se lassaient point d'admirer encore la façade de
cette première basilique de France que nous venions de visiter avec un
si grand intérêt. «Le parvis de cette cathédrale, dis-je à mon ami, est
beaucoup trop petit. Ce temple étant spécialement choisi pour y célébrer
toutes les cérémonies religieuses de la cour, il est essentiel pour la
sûreté publique et la dignité nationale, que le local soit propre au
développement d'un grand appareil civil et militaire. On sentira, un
jour, je l'espère, la nécessité d'élargir cette place sur tous les sens,
en transportant ailleurs l'hôpital dit l'Hôtel-Dieu, et en faisant
tomber des groupes de maisons jusqu'à la rue du Marché Palu; alors ce
monument aurait des accès et des dégagemens convenables. Si je vous ai
parlé d'éloigner l'Hôtel-Dieu, les raisons les plus puissantes m'y ont
déterminé; par des lois très-sages on a défendu la sépulture dans
l'intérieur des villes. Croit-on avoir paré à tous les inconvéniens qui
résultent d'exhalaisons corrompues, lorsque près de la cathédrale, au
centre d'une population nombreuse, on conserve un hôpital qui serait
beaucoup mieux placé, sans doute, pour les malades mêmes, s'il était
transféré dans une atmosphère plus facilement renouvelée, dans un
endroit isolé et surtout très-éloigné de la cité, quartier où l'on ne
respire point cet air pur, cet air vital, si nécessaire pourtant aux
malades et aux convalescens?» «Aussi votre Dupaty, me dit Philoménor,
a-t-il écrit avec beaucoup de justesse: «L'air est pour la santé le
premier des alimens, et le premier des remèdes pour la maladie[125].» Je
proposerais donc de transporter l'Hôtel-Dieu, soit au-dessous de la
pompe à vapeur du Gros-Caillou, soit en face du pont de l'École
militaire, sur ce côteau qui domine les fondemens d'un palais
presqu'aussitôt détruit que commencé. Bâti sur un plan conforme à sa
destination, cet hôpital, favorablement situé au dessous du cours de la
Seine, relativement à Paris, jouirait abondamment des eaux du fleuve,
sans que les habitans de la capitale eussent lieu de se ressentir, et
conséquemment de se plaindre, de l'infection pour ainsi dire
stationnaire dans les environs de pareils établissemens.



CHAPITRE XIV.

Le pays latin.--Lecteurs ambulans.--Les arts ont singulièrement gagné
dans la classe des riches bourgeois de Paris, et même dans celle des
artisans.


Nous étions entrés dans le pays latin. Un usage adopté depuis peu par
quelques hommes de lettres, usage très-remarquable d'ailleurs dans
d'autres quartiers de Paris, frappait Philoménor; je veux parler de la
nouvelle manie de ceux que l'on appelle lecteurs ambulans. «Une des
singularités de l'époque, me disait-il, et que j'observe à chaque pas,
c'est de voir avec quel soin extrême certaines gens y économisent le
temps, tandis qu'un petit nombre d'aimables étourdis le perdent chaque
jour sans regret, et sont même fort embarrassés de son emploi. L'amour
de l'étude est le vrai cachet du siècle; c'est une passion dominante qui
a gagné tous les états, toutes les classes, toutes les conditions. On
prendrait vos rues et vos boulevards pour les portiques
d'Académus[126].» «Il n'y a point là d'exagération lui dis-je, mon cher
grec: souvent on est heurté par un jeune érudit qui, les lunettes sur le
nez, tient, d'un air important, un _Touquet_ d'édition compacte.
Quelques savantes même contribuent à propager cette mode un peu
pédantesque. À peine sont-elles dans une promenade publique, que les
Méditations de M. de Lamartine, le Solitaire ou l'Ipsiboë sortent du
ridicule. Ces ouvrages romantiques remplacent l'éventail. Jusqu'ici le
nombre de ces lectrices en plein vent était petit, il augmente chaque
jour, surtout dans les allées sombres du Luxembourg et des Tuileries. À
chaque coin de rue, la marchande de fleurs et de fruits l'écaillère et
le portefaix ont une brochure à la main, tandis que le jockei, prenant
l'impériale d'une berline pour un pupître, y dévore le livre jaune ou le
livre bleu: enfin depuis l'humble sellette où repose sous la brosse tel
journal que l'artiste offre si attentivement à la pratique, jusqu'à
l'élégante calèche où le législateur se rendant à son poste, examine les
bulletins distribués la veille, tout lit dans Paris.

«Non seulement la lecture, mon cher Philoménor, est devenue un plaisir
indispensable pour le peuple français, j'ajouterai que le goût des
beaux-arts fait le charme du plus modeste réduit. Il n'est pas rare de
voir dans les ateliers telle apprentie assez versée dans la musique pour
déchiffrer l'ariette nouvelle, et tel jeune artisan franchir lestement
sur le violon la difficulté pour laquelle jadis on avertissait nos
pères. Chose remarquable, on voit plus d'une jeune femme travailler le
jour dans un magasin ou même dans un restaurant, et débiter le soir un
rôle au Mont-Parnasse, à Charenton, ou figurer dans les chœurs des
petits spectacles.

J'ajouterai que l'éducation des filles de nos riches artisans est
souvent aussi soignée que celle des classes les plus élevées; les arts
d'agrément sont si communs dans la bourgeoisie de Paris, qu'on
compterait plus facilement ceux qui les négligent que ceux qui les
possèdent; la raison en est simple; quoique l'or s'apprécie beaucoup
dans ce siècle, une heureuse expérience a souvent appris que les talens,
ressource puissante dans l'adversité, ont fait contracter d'excellens
mariages et sont quelquefois la seule dot de la beauté.»



CHAPITRE XV.

Montagne Sainte-Geneviève.--Bibliothèque.--Leçon d'un professeur du
collége de France.--Étonnement du jeune Grec sur l'emploi du
local.--Anecdote prussienne.--La Sorbonne et sa restauration.


Nous avions dirigé notre course vers la Montagne-Sainte-Geneviève, pour
visiter la bibliothèque très-intéressante par la collection de livres
rares, de bustes, de tableaux[127] des hommes illustres dont les
souvenirs semblent encourager la jeunesse à suivre la carrière qu'ils
ont si glorieusement parcourue; la disposition du vaisseau nous parut
très-commode pour les lecteurs en toute saison. Au sortir de la
bibliothèque, je proposai au curieux Philoménor de le conduire à une
leçon du collége de France pour y entendre un professeur aussi connu par
la délicatesse de son goût, la finesse de ses aperçus et par ses
ouvrages justement estimés, que par une littérature immense sans morgue
et sans pédantisme. Le jeune Grec fut satisfait de la leçon du
professeur; il eût bien voulu lui faire quelques observations sur
certains principes qui n'étaient pas tout-à-fait d'accord avec les
siens; sa modestie l'en empêcha; il se contenta, en sortant, de
critiquer à juste titre la petitesse de l'établissement. «Quoi!
disait-il, voilà donc le sanctuaire où se développent les derniers
préceptes de perfection que les Muses donnent à leurs nourrissons!

«Vous aviez une salle décorée de colonnes et de festons; quelle
bizarrerie! comment l'a-t-on défigurée par des échafaudages et des
amphithéâtres du plus mauvais genre? n'est-il pas singulier que pour y
parvenir, on soit obligé de traverser des vestibules qui, sous le bon
plaisir de je ne sais quelle autorité, sont devenus des remises? Si le
péristyle d'un des principaux temples des lettres et des sciences sert
maintenant à cet usage, comme tout vient avec le temps, il ne faut pas
désespérer de voir bientôt s'y établir une écurie, et alors on serait
tenté d'inscrire comme en Prusse sur le fronton, lorsque le même abus
se fut introduit près de son musée: «_Musis, Mulisque templum._»
«Contenez votre indignation, lui dis-je; indiquer de pareilles
inconvenances, c'est les faire disparaître. La Sorbonne, ajoutai-je,
dont cent auteurs vous ont parlé, va bientôt sortir de ses ruines
déplorables et devenir le premier foyer de l'instruction publique.

«Déjà plusieurs salles sont préparées pour différens exercices, et
principalement celle que l'on destine à la distribution des prix
accordés aux jeunes élèves de l'université; de nombreux amphithéâtres,
commodes et bien drapés, la rendent très-propre à cet usage. On a tout
fait pour piquer l'émulation, et pour inspirer l'amour et le désir de
cette gloire solide et raisonnable que donne la culture et l'étude
approfondie des connaissances humaines. Des peintres habiles ont payé un
juste tribut aux protecteurs des arts, des sciences et des lettres; en
traçant sur les panneaux de la voûte quelques traits les plus saillans
de leur histoire, ils ont acquitté la dette de la patrie reconnaissante,
et généralement du monde savant. Ces mêmes artistes nous ont offert sur
les lambris les portraits fort ressemblans de ces hommes immortels, qui,
dans tous les siècles et dans tous les pays policés, ont fait naître ou
répandu les lumières de la civilisation par leurs découvertes et leurs
écrits. Dans cette enceinte se trouve la meilleure compagnie; on s'y
rencontre tour à tour avec Homère et Platon, Démosthènes et Archimède,
Molière et Buffon, Racine et Descartes, Mallebranche et Bossuet, Fénélon
et Leibnitz, Delille et Lavoisier, et beaucoup d'autres de cette trempe;
mais y conservera-t-on ces statues si mal faites, d'une substance si
frêle et si peu digne de figurer dans le muséum central de toutes les
académies du royaume? Je ne le crois pas: le caractère du Grand-Maître,
et son goût exquis m'en sont garans; qui connaît mieux que sa Grandeur
la nature du vrai beau et la mesure des convenances? Malgré quelques
traces de mauvais goût, l'architecte, comme vous le voyez, a suspendu
sur les façades extérieures de l'édifice quelques guirlandes d'une grâce
exquise, et lui a imprimé des formes graves qui, dans ses cours
silencieuses, inspirent le recueillement et un respect involontaire.»



CHAPITRE XVI.

La Sainte-Chapelle.--Le Palais.--Incohérence de ses différentes
parties.--Cheminées, tuyaux.--Procédé anglais pour absorber et utiliser
la vapeur des poêles.--Embellissemens possibles pour le tribunal
suprême.--Terre-plein du Pont-Neuf.--Échafaudage monstrueux près d'un
des plus beaux monumens de Paris.--Chambre de cassation.--Statue de
d'Aguesseau de l'Hôpital.--Monument Malesherbes.--Galeries du Palais
telles qu'elles sont et telles qu'elles devraient être.


En quittant le faubourg Saint-Jacques nous aperçûmes le sommet des
aiguilles de la Sainte-Chapelle, si célèbre dans l'histoire de nos rois,
pour son architecture pittoresque, et depuis par le chef-d'œuvre de
Boileau. Pendant un temps, on avait eu le projet de la rétablir et de
l'ouvrir au public. Nous osons croire que la restauration[128] d'un
monument si important ne sera point toujours indéfinitivement ajournée.
Cependant après une marche rapide, nous étions entrés dans l'île de la
Cité.

«À travers cette grille magnifique et quelques chétives baraques souvent
couvertes de lambeaux, vous entrevoyez, mon cher Philoménor, dis-je à
mon Grec, l'antique palais de la première magistrature française,
gothique séjour de nos rois, où, soit au dehors, soit au dedans, tout
est aussi incohérent, aussi baroque, aussi étrangement contradictoire
que les codes divers qui jadis régissaient nos provinces. Mais comment
se fait-il que le plus bel ouvrage de serrurerie française n'ait pas été
remis à neuf depuis la restauration? Probablement les armes de France,
sculptées sur un globe d'azur, et les fleurs de lys qui décoraient cette
superbe grille[129], n'ont point été détruites; pourquoi ne pas les y
replacer?» «Par contre-coup, reprit Philoménor, que ne fait-on
disparaître ces cheminées inégales[130] et surtout ces tuyaux qui,
élancés, pliés, recourbés en cent façons, couvrent les toits de ce
palais et de mille autres édifices? Inexplicable absurdité! on regratte,
on reblanchit certains monumens, et la vapeur des poêles noircit dans un
hiver les travaux de la campagne précédente. Il serait plus sage de
profiter du moyen connu par lequel on dirige et conduit cette même
vapeur dans les souterrains; on ferait mieux encore, en adoptant un
procédé avantageusement connu et pratiqué en Angleterre dans plusieurs
établissemens, où la fumée refoulée sur elle-même est contrainte de se
consumer dans le foyer dont elle est sortie: là tout est profit et sans
aucun inconvénient. Du coté de la place de la Cité, la façade du temple
de la justice nous parut trop simple dans ses ornemens, et contraster
désagréablement avec son perron majestueux.

«Point de bas-reliefs[131], point d'inscription[132]: il faut deviner
quel est ce monument. Le premier sanctuaire des lois doit avoir des
emblêmes dignes de lui. On pourrait rendre supportable, que dis-je?
admirable, l'entrée qui fait face au Pont-Neuf; le moyen le plus simple
serait d'agrandir la cour du côté de la Seine, et de rendre cette
enceinte plus régulière en achetant quelques vieilles maisons pour les
démolir. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il serait indispensable de
transporter ailleurs ce corps-de-garde en planche construit presque au
pied de la fontaine de Desaix, et qui défigure si horriblement la place
Dauphine; alors, les plaideurs, lassés de tant de courses souvent
infructueuses dans la salle des Pas-Perdus, se consoleraient sans doute,
en contemplant dans un paysage aérien l'image de ce bon roi, pour qui
la droiture et l'inflexible équité étaient des vertus aussi chères à son
cœur que l'amour de ses peuples.

«On devait exécuter en pierre de liais un arc de triomphe construit en
bois à l'époque de l'inauguration de la statue; par bonheur, cette
conception bizarre qui eût gâté un des plus beaux sites de l'univers,
n'a point été réalisée. Mais puisqu'alors on avait des fonds de reste en
caisse pour une construction aussi dispendieuse, n'est-il pas étonnant
qu'on n'ait pas eu depuis de plus heureuses inspirations? Pourquoi
n'a-t-on pas érigé aux quatre coins du monument, des faisceaux d'armes,
sur ces pierres destinées à recevoir dans les réjouissances publiques
des ifs de lumière, pierres qui, par leur saillie permanente, risquent
chaque jour d'occasioner la chute des curieux, tout occupés d'examiner,
dans les moindres détails, un des morceaux les plus remarquables de la
sculpture moderne[133].»

«Mais quoi! reprit le jeune Grec, on a tout fait d'abord pour dégager la
place où les Français ont élevé la statue d'Henri IV. Un poste militaire
a même été détruit; quel mauvais génie a pu donner l'idée d'y placer, en
entaillant le parapet, l'immense échafaudage d'un escalier en bois
conduisant à des bains? Quelles raisons a-t-on présentées pour ne pas
isoler entièrement cette presqu'île? Comment parmi les membres du corps
municipal, où l'on remarque tant d'hommes de mérite et de bon goût, ne
s'est-il pas élevé une seule voix pour réclamer contre cette
construction barbare? On devrait bien revenir sur une pareille
concession, et déplacer cette masse informe qui cache une partie de la
frise.» «Je voudrais, répliquai-je, que votre observation fût connue.
Sa justesse serait appréciée. Mais rentrons dans l'intérieur du palais;
que de nombreuses censures j'aurais à faire! Il faudrait ici réparer des
plafonds; là prolonger certaines salles; ailleurs ménager d'autres
entrées; plus loin élaguer de mesquins embellissemens et en créer de
plus adaptés au local; partout ne serait-il pas nécessaire de déployer
dans ce palais la magnificence nationale, et d'inspirer par la grandeur
des décors une vénération religieuse pour l'autorité suprême qui y rend
ses oracles; telles sont mes vues, je les crois saines. Pour me borner,
je ne vous parlerai que du tribunal de la cour de cassation dont le
mobilier est d'ailleurs très-convenable.

«Il est triste de ne pénétrer que par des pièces irrégulières dans une
salle beaucoup trop basse; en vain on y chercherait ces voûtes
retentissantes si favorables à la voix de l'orateur; à peine,
quelquefois, voyez-vous les juges; le siége même du président est si peu
élevé, qu'il est presque de niveau avec le parquet.

«Je vais répéter ici les critiques faîtes déjà au Corps législatif et à
la Sorbonne. On n'y voit que des d'Aguesseau et des l'Hôpital de
plâtre. Les images de ces grands hommes devraient bien y être faites
d'une matière aussi précieuse et aussi durable que leurs actions et
leurs écrits. D'ailleurs, le gouvernement en a donné l'exemple dans le
monument[134] érigé au plus vertueux des Français, et au sujet le plus
dévoué, l'immortel Malesherbes.» «Je suis bien de votre avis, reprit
Philoménor; mais vous me permettrez de froisser quelques intérêts
particuliers; je les respecterais, si dans mon opinion ils ne devaient
pas céder à un intérêt plus majeur, celui de la chose publique. En
traversant ces longues galeries, je vous demanderai quels rapports
existent entre ces nombreux artisans et les ministres de la justice?

«Quoi! dans ce lieu même, où d'après Molière et Boileau, je ne croyais
sentir que le doux parfum des épices, l'air est infecté par les odeurs
les plus désagréables. Croyez-moi; il n'est plus permis de transiger
avec de pareils abus; hésiterait-on à expulser ces ateliers et ces
magasins si dégoûtans, si ridicules et si déplacés? Assez d'autres
asiles leur sont ouverts soit dans les environs où dans les autres
quartiers de Paris; il n'existe aucune raison solide pour les y
conserver. Détruisez donc des usages introduits par la barbarie, tolérés
par le mauvais goût et consacrés par la cupidité. Réparez les fautes des
siècles passés, et les ravages d'une révolution dont l'audacieuse folie
osa, m'a-t-on assuré, briser ici ou livrer aux flammes les images de vos
plus illustres ancêtres. Que ces nombreux artisans, que ces marchands de
colifichets et de jouets d'enfans disparaissent ensemble, et que je
puisse revoir à leur place les statues et les portraits de ces sages
législateurs, de ces magistrats intègres, de ces orateurs éloquens dont
la gloire immortalisa votre patrie, et dont les doctes ouvrages
contribuent si puissamment à mon bonheur.»



CHAPITRE XVII.

Fête publique.


C'était la veille d'une des fêtes les plus solennelles de France: nous
avions parcouru les différens quartiers de la capitale, et pris part à
la joie universelle. Les spectacles gratis du matin, les jeux de toute
espèce de la journée, les chanteurs des ponts, les baladins des
carrefours, les mâts de cocagne, les orchestres et les danses en plein
air, enfin l'immense population qui se pressait, s'étouffait dans les
carrés et les avenues des Champs-Élysées avaient successivement fixé
l'attention de mon curieux observateur. Arrivés à temps pour la
distribution des comestibles, Philoménor s'était singulièrement diverti
en voyant cette pluie de cervelas, de poulets rôtis, de pâtisseries, de
sucreries de toute espèce, volant au-dessus de nos têtes, tombant pour
ainsi dire des nues presqu'à nos pieds, au milieu d'une jeunesse
bruyante et tumultueuse qui ramassait et se disputait, avec la plus
franche gaîté, tous ces dons de la munificence nationale. Après avoir
assez long-temps considéré la patience et l'opiniâtreté de ces hommes
robustes qui, grouppés et montés les uns sur les autres, s'efforcent
d'approcher leurs camarades les plus entreprenans des fontaines
d'abondance, pour y remplir quelques cruches de ce vin empourpré, qu'ils
se partagent et boivent ordinairement ensemble, Philoménor me dit: «Il
est des instans où les visages barbouillés de lie de ces nombreux
rivaux, leurs gestes, leurs attitudes, leurs propos, leurs apostrophes,
leurs défis, leurs exclamations et leur rire immodéré me causent la plus
singulière des illusions: je me figure voir Thespis et sa troupe
joyeuse; oui, mon ami, je crois assister à la naissance de la comédie
grecque sur quelque place d'Athènes. Toutefois, j'aurais désiré qu'en
faisant leurs libations, ces braves gens se fussent contenté de
s'inonder réciproquement d'une liqueur si chèrement conquise, comme cela
arrive souvent à ma très-grande satisfaction. Cette espiéglerie est sans
aucuns résultats fâcheux; mais ne pourrait-on point les faire consentir
à se ménager davantage dans les assauts qu'ils livrent à leurs
adversaires. Pour moi, j'exigerais qu'on leur défendît expressément de
lutter à coups de poings et à coups de brocs. Que la police prenne une
mesure aussi sage, et ces malheureux ne sortiront plus de cette espèce
de combats, quelquefois très-gravement blessés et presque toujours
meurtris et sanglans. Autrement, je vous l'avoue, ces bacchanales
populaires doivent inspirer aux cœurs humains et sensibles plus de
dégoût que de plaisir.

«Je remarque encore, ajoutait-il, un très-grand inconvénient dans le
partage des prodigalités de votre gouvernement, où tous ceux qui sont
privés d'une honnête aisance me semblent devoir participer; et
malheureusement, je m'en suis aperçu, le maladroit et le faible sont
écartés par la foule et n'obtiennent rien: tout est saisi, tout est
enlevé par le plus actif et le plus fort.» «Rassurez-vous, mon cher ami,
repris-je aussitôt: cette inégalité du sort est en partie compensée; ces
dons d'apparat ne sont que le luxe d'une libéralité toute française.
Ailleurs des secours publics ou secrets ont été abondamment accordés à
tous les misérables dans les différens arrondissemens de cette grande
cité. On peut le dire hardiment, car le fait est parfaitement exact. Il
n'y a pas un indigent dans Paris, pourvu qu'il soit connu des autorités,
qui, à pareil jour n'ait véritablement cessé de l'être.

«Cependant il se fait tard; pressons-nous de dîner dans les environs des
Tuileries, ensuite nous verrons ce soir un superbe feu d'artifice,
précédé d'un concert où doivent figurer les plus célèbres artistes de
l'Europe. Vous sentirez, j'en suis sûr, votre noble cœur s'élever, se
transporter aux refrains héroïques de notre Chant français. Vous serez
encore charmé d'entendre des fanfares, des symphonies militaires
exécutées sous les croisées du château par les légions parisiennes, et
les troupes de la garnison, dont les différentes musiques se succéderont
pendant une partie de la nuit.»

Jamais soirée n'avait été plus belle; jamais un ciel étoilé n'avait été
plus pur et plus calme. La douceur de la température nous invitait à
jouir de tant de plaisirs réunis, et nous descendîmes dans ce jardin où
l'odeur suave des orangers, et de mille autres fleurs parfumait l'air,
tandis que les oreilles étaient enchantées par les plus ravissants
accords, et les yeux éblouis par la plus brillante illumination.

Une autre cérémonie devait avoir lieu le jour suivant, et nous promîmes
de nous y trouver ensemble.



CHAPITRE VIII.

Inauguration de la statue de Louis-le-Grand[135] sur la place des
Victoires.--Description de la cérémonie.--Pièce de vers.


Un vieillard centenaire, contemporain de Louis XIV, assistant à
l'inauguration de sa statue, et versant des larmes de joie et de bonheur
en revoyant les augustes traits d'un monarque auquel il avait eu le
privilége de survivre, ce vieillard, ce débris vivant du grand siècle,
nous parut un des plus beaux ornemens de la fête. Le discours de M. le
préfet, où respirait l'éloquence du cœur, celle d'un vrai Français, y
avait ajouté un nouveau lustre. «Je regrette cependant, dis-je à
Philoménor, qu'on n'ait pas suivi le même programme qu'à la consécration
du monument élevé au bon Henri. On y mit beaucoup plus de pompe, on y
déploya plus de magnificence; le roi y présida; les princes, les
princesses, toute la cour, les grands dignitaires et les autorités de
Paris assistèrent à cette cérémonie. La garnison de la banlieue défila
devant celui

     Qui fut de ses sujets le vainqueur et le père,

au bruit de salves continuelles, et d'une musique non interrompue qui
électrisait toutes les âmes. Je sais que de pareils honneurs ont été
rendus à l'image de Louis, sur la place des Victoires. Mais on y a vu
trop peu de troupes; le cortége n'était pas assez nombreux, et par là
même assez imposant.» «On simplifie trop, répliqua Philoménor, la
grandeur nationale, à des époques où il faut frapper la multitude et
l'éblouir d'un grand éclat. On ne se souvient pas assez qu'il faut
non-seulement parler à l'âme, mais encore plus aux sens. Quel effet
produisaient ces planches échancrées, et ressemblant aux enseignes de
l'Auvergnat et des Indiens des boulevards?» «Votre comparaison est
parfaitement juste, repris-je. Pourquoi ne s'est-on pas souvenu que nous
avons au musée d'artillerie des trophées d'armes exécutés sous le règne
du grand roi, et qu'il était si facile de transporter momentanément
autour du piédestal le jour de la cérémonie? je dis momentanément, car,
selon moi, quatre phares de bronze allumés chaque soir, et supportés par
les emblêmes de la guerre et des arts, devraient remplacer les nations
enchaînées que l'on y voyait autrefois, et qui ornent aujourd'hui la
façade des Invalides.» «Elles étaient encore bien ridicules, ajouta mon
Grec en m'interrompant, ces toiles bleuâtres dont on cherchait à couvrir
la statue, et que tant de mains impuissantes tâchaient de soutenir avec
de faibles gaules si subitement brisées quelques instans avant
l'ouverture de la fête. M. l'ordonnateur a-t-il oublié, dans ce siècle
de lumières, les plus simples lois de la mécanique? Qui empêchait de
placer aux quatre coins de la place, dans les croisées les plus élevées,
des poulies, et d'y faire glisser des fils de fer solides, qui se
seraient rattachés à une magnifique couverture jetée sur le monument.
Sans l'appareil dégoûtant des échelles et d'ouvriers à demi vêtus, avec
ce moyen peu dispendieux, on eût, au premier signal, soulevé le voile,
qui, en se repliant majestueusement dans les airs, aurait formé un dais
en draperie sur la tête de l'homme immortel.»

Nous restâmes quelque temps devant ce héros, qui, sur son cheval
belliqueux, semblait s'élancer dans la carrière de la gloire.

Saisi comme malgré moi d'une inspiration subite, je paraphrasai ainsi un
quatrain composé sur l'érection de cette statue par le célèbre Bilecocq,
bâtonnier des avocats de Paris.

     Sta, Lodoix, nec enira nova te certamina poscunt;
     Sanguine sat crevit Gallorum laurus; olivæ
     Prætendit ramum populis felicior hæres;
     Sta, Lodoix, cessare potes: Mars ipse quiescit.

     Arrête! ô grand Louis, ton superbe coursier;
     Nul rival ne t'appelle aux champs de la victoire;
     Tu l'as dit, trop de sang fit croître ton laurier[136].
     Oh! plus heureux ton fils! cet auguste héritier
     Des bons rois qu'a chantés la muse de l'histoire,
     Offre au peuple qu'il aime un rameau d'olivier.
     Repose, tu le peux, au temple de mémoire:
     Quand Mars éteint sa foudre, il repose avec gloire.



CHAPITRE XIX.


De l'ancienne salle de l'Opéra.--Translation des acteurs au théâtre
Favart.--Nécessité sentie d'une salle provisoire.--La salle de la rue
Richelieu ne doit pas être regrettée.--Quel emploi convenable on eût pu
faire de cet édifice.--Quelques mots sur Monseigneur le duc de
Berri.--Anecdotes et rapprochemens singuliers.--De la nouvelle
salle.--Censure piquante et naïve d'un homme du peuple.--Mot heureux
d'un littérateur très-connu.--Pourquoi l'on a choisi et préféré l'hôtel
Choiseul pour y mettre l'Opéra.--Facilité de mieux placer ce théâtre.--À
quel édifice de Paris ressemble la façade de la nouvelle Académie de
musique.--Façade latérale de la rue Pinon.--Quelques abus détruits,
d'autres conservés.--Intérieur de la salle.--Usage accidentel des
cinquièmes loges.--Grandes loges.--Parterre très-commode.--Lustre
magnifique.--Foyer.


Pour faire diversion aux mercuriales continuelles de Philoménor, je lui
proposai d'aller à l'Opéra. «On y joue, lui dis-je, une pièce
très-intéressante, qui, sans avoir le merveilleux d'_Aladin_, aura pour
vous un mérite plus direct. La scène est dans votre ancienne patrie;
vous verrez Périclès et Aspasie et le ballet de _Clary_. Il n'est pas
tard; nous aurons le temps de jeter un coup-d'œil sur l'ancienne salle
de la rue Richelieu, maintenant abandonnée. Depuis la fermeture de ce
théâtre et la translation des acteurs à Favart, nous n'avons eu pendant
quelque temps un Opéra qu'en miniature; les chanteurs et les cantatrices
accoutumés à développer leur voix dans un local plus vaste, étaient
entièrement désorientés; les danseurs surtout s'y trouvaient beaucoup
trop à l'étroit pour y exécuter, dans les ballets, les figures variées
de la choréographie. Dans la crainte assez fondée de laisser perdre
d'heureuses traditions, on se décida à bâtir une salle provisoire dont
on dut hâter l'exécution. Sans cette impérieuse nécessité, il eût mieux
valu sans doute sacrifier de suite quelques centaines de mille francs de
plus, et reculer de quelques années ses jouissances, pour en avoir de
plus réelles.» «La façade de l'ancien opéra, me dit le jeune Grec,
n'avait rien qui annonçât le pays des prestiges, et sous aucun rapport
cette masse ou carrière de pierres ne peut être regrettée. Que
fera-t-on des bâtimens de l'ancien Opéra, ajouta-t-il? Définitivement,
détruira-t-on cet édifice? comme l'avait jadis conseillé un brave
militaire, inspiré par le désespoir et l'indignation. Suivra-t-on
l'exemple de Charles IX, qui, conseillé par Catherine de Médicis, fit
abattre le château des Tournelles, parce qu'Henri II, son père, avait
perdu la vie dans un tournois sous les murs de ce palais?» «Je ne
l'ignore point, lui répondis-je, une loi récente a décidé positivement
que ce spectacle serait rasé et deviendrait une place publique; ne
puis-je cependant, avec le respect dû aux ordonnances émanées de
l'autorité royale, ne puis-je représenter que cette disposition
législative est trop peu d'accord avec cet esprit conservateur qui fut
le caractère distinctif de l'auguste victime?

«Léguons plutôt à la postérité la plus reculée le souvenir du prince que
la nation pleure et regrette, par un établissement qui rappelle ses
goûts les plus chéris; la France applaudirait sans doute à la création
d'un monument nouveau pour elle, qui compléterait dans l'ancienne
Académie des arts une collection très-imparfaite dans la plupart des
lieux publics. Que le temple des muses devienne en quelque sorte un
Panthéon où seront uniquement rassemblés les portraits et les statues
des hommes et des femmes les plus célèbres dans les lettres, la peinture
et la musique; qu'au milieu de cette biographie animée, la sculpture
consacre les traits de cet excellent prince, de cet infortuné duc de
Berry, qui, même après son funeste trépas[137], semblerait encourager
encore les arts qu'il aima, qu'il se plut à cultiver et qu'il honorait
d'une protection spéciale et signalée.»

«Je le sais, reprit Philoménor, ce prince écrivait avec une grâce
admirable, était adroit dans beaucoup d'exercices, jouait de plusieurs
instruments et peignait la miniature.»

Le temps s'était écoulé rapidement; le sujet de notre conversation en
avait abrégé les instants. «L'emplacement de votre opéra provisoire,
est-il mieux choisi, me demanda le jeune Grec? L'architecte aurait-il
corrigé les défauts si généralement critiqués, m'a-t-on dit, dans
l'ancienne salle?» «Non, lui dis-je, pas entièrement: le local est tout
aussi mal choisi; et pour ne rien vous déguiser, on avait toutes les
facilités de faire beaucoup mieux; d'abord un édifice semblable, bâti
exprès, doit être reconnu au premier coup d'œil, à la seule disposition
convenable des différentes parties qui le composent; la façade de ce
théâtre a beaucoup de rapports avec celle d'un restaurateur de la place
du Chatelet, dont l'enseigne est _au Veau qui tette_. Toutefois, il faut
rendre justice à qui de droit, l'entrepreneur a fait placer huit muses
au-dessus de la corniche; mais, hélas! comme l'a dit un homme de
beaucoup d'esprit: «_Sur neuf, il n'en manque qu'une, celle qui préside
à l'architecture_. Malheureusement encore, l'étranger qui veut se
rendre à pied à l'Opéra, doit long-temps chercher ce monument, prendre
des informations pour le découvrir, même dans les deux rues où se
trouvent les entrées, qui de loin se confondent avec celles des hôtels
voisins[138]. Il faut être tout près pour s'apercevoir de l'existence de
ce spectacle.

«Un grand appentis, néanmoins très-utile, défigure beaucoup la façade
principale, qui donne sur la rue Pelletier, lorsque dédaignant les
répugnances, les préventions et les sots préjugés de certains artistes,
on était à même de la tourner sur une place ménagée du côté des
boulevards; d'ailleurs si l'achat de quelques maisons eût été trop
dispendieux, qui empêchait d'élever l'Opéra sur le terrain de l'hôtel
_Grange-Batelière_, dont le péristyle dégagé par une esplanade, eût
formé le plus beau point de vue pour la rue Richelieu? et si j'en crois
un architecte, l'acquisition du sol n'eût rien coûté, puisqu'il
appartient au gouvernement.

«Des jardins, qui se prolongent jusqu'à la rue de Provence, eussent
facilité presque sans frais, dans certaines occasions, des illusions
naturelles qui ne sont que factices et souvent impuissantes sur la
nouvelle scène. On répond à cela par de plus solides raisons.
Qu'importe? l'administration n'a-t-elle pas un hôtel magnifique?
Eût-elle été aussi bien logée que dans les splendides appartemens de son
excellence monseigneur le duc de Choiseul? Certainement cette
considération doit paraître très-importante pour le public. Mais
revenons, mon cher ami, à la salle de la rue Pelletier; en tournant par
la rue Pinon, sa façade latérale aurait bien dû être traitée avec un peu
plus de soin par l'entrepreneur; les croisées ouvertes de ce coté,
petites et grandes, saillantes et bouchées, hautes et basses, arrondies
et carrées, avec ou sans balcons, ne feraient-elles pas croire que
l'architecte, pour parler en style de maçon, a voulu faire de la
musique[139], et écrire à sa manière une partition d'opéra?»

«Ô Perrault! ô Mansard! vous n'étiez pas si savans, s'écriait Philoménor
en riant aux éclats.» «Quant à l'intérieur du théâtre, repris-je, on a
supprimé quelques abus. Ainsi les spectateurs ne courent plus aucun
danger, pour obtenir des billets d'entrée les jours de représentations
extraordinaires; on n'y est plus culbuté, comme dans la vieille salle;
on n'y est plus exposé à être blessé par les gendarmes, volé par les
filous[140], ou écrasé dans la presse, en voulant franchir et emporter
comme d'assaut ces barrières en zig-zag, si dérisoirement opposées
encore à la curiosité du public. Mais malheureusement, lorsqu'on a passé
le premier étage, les escaliers sont étroits et obscurs. On ne peut
expliquer pourquoi celui de l'Odéon n'a pas servi de modèle. Est-on
entré dans la salle proprement dite, la forme en est élégante et
gracieuse; les peintures de la voûte sont bien exécutées: car il faut
rendre justice à qui le mérite; et le plus beau lustre qui ait jamais
éclairé une salle de spectacle, y produit un effet surprenant; des
colonnes cannelées y soutiennent l'édifice; mais on a proscrit ces
colonnes creuses que tout homme de bon goût critiquait si justement au
théâtre de la rue Richelieu; et qui, percées comme les cases d'un
colombier, étaient devenues l'asile de tant de sensibles tourterelles.

«On n'a pas cette fois écouté les conseils d'un sordide intérêt, mais
ceux d'un goût pur et éclairé. Cependant, faut-il le dire? n'est-il pas
scandaleux que ces cases étroites aient été remplacées l'hiver dernier à
l'Opéra provisoire par les cinquièmes loges, où, le bouton mis une fois
dans la serrure, personne ne pouvait plus entrer. Ignore-t-on que les
jours de bal ces loges ont eu le même emploi que les boudoirs du numéro
113, au Palais-Royal.

«Dans les autres loges du pourtour de la salle, ceux qui sont placés
aux derniers rangs, se plaignent de voir et d'entendre mal. Il n'en est
pas de même du parterre où les banquettes sont mieux étagées que dans
les autres spectacles de la capitale: le foyer, très-vaste, mais trop
étroit, où se remarquent sur glace des pendules d'un nouveau genre[141],
serait très-beau si des peintures étaient exécutées sur les lambris ou
du moins au plafond, si des bustes et des vases étaient placés sur les
piédestaux qui les attendent et les attendront peut-être encore
long-temps.»



CHAPITRE XX.

La salle d'Opéra provisoire rend indispensable un théâtre solide et
durable.--La France est lasse de colifichets.--Quelles sont les raisons
de ce dégoût?--Colysée antique.--Les obstacles à l'érection d'un opéra
permanent doivent être nuls.--Singularité.--Projets.--Panoramas de la
scène perfectionnés.--Vaucansons modernes.--Moyen d'assainir la
salle.--Illusions en tout genre.--Théâtre de Bologne, de Milan, de
Parme.--Il est à craindre que le provisoire ne soit
incommutable.--Concours, non des élèves architectes, mais des artistes
maîtres pour une salle définitive.


«La description assez détaillée que je vous fais de cette salle, mon
cher ami, et la juste critique que je me permets d'exercer sur le fond
et les accessoires ont bien dû vous faire pressentir que ce ne sont plus
des salles de spectacles élevées en six semaines, et même dans une
année, qu'il faut à la France; encore moins des théâtres composés de
quelques planches peintes, vernies et dorées, et uniquement embellies
par des colonnes de bois et des statues de plâtre à peine supportables
dans un théâtre provisoire. Nous sommes blasés sur tous ces fragiles
colifichets. Après avoir contemplé les Colysées[142], les Arènes
antiques et les théâtres plus modernes de l'Italie, nous soupirons après
des monumens qui leur ressemblent, et qui même fassent oublier leur
richesse et leur célébrité. Quel vrai français refuserait dans un budget
les sommes nécessaires? Voudrait-on, comme je l'ai entendu, opposer
l'intérêt de quelques villes départementales? Paris n'est-il pas la
véritable patrie de tous les amis des arts? Cette métropole de la France
n'est-elle pas le centre commun où doit briller plus qu'ailleurs la
puissance du monarque et de la grande nation qu'il représente?

«Singularité frappante! nous possédons des chefs-d'œuvre dramatiques
supérieurs en tout genre aux productions immortelles de l'antiquité et
même des temps modernes, et nous n'avons pas un seul théâtre, qui, pour
sa solidité, son étendue, sa magnificence réelle, souffre la
comparaison avec ceux de Rome, de Corinthe et d'Athènes[143]. On reste
confondu d'étonnement, quand on réfléchit aux faibles moyens de ces deux
dernières villes, comparées à la puissance colossale de notre belle
France.»

«Je conviens avec vous, reprit Philoménor, qu'un théâtre durable devient
absolument nécessaire à Paris; il faudra donc l'élever sur une grande
place susceptible de tous les dégagemens possibles. D'élégans portiques,
ornés de colonnes, devront en entourer les vastes perrons. Ces portiques
seront disposés de manière que les voitures puissent, sans embarras,
entrer sous leurs voûtes spacieuses; circuler et sortir, après avoir
déposé à l'abri de toutes les injures du temps les personnes qu'elles
auront conduites à ce spectacle.

«Au dedans, la profondeur de la scène facilitera les moyens d'y
appliquer les nouvelles découvertes de l'optique, et d'y créer au besoin
des panoramas plus parfaits, d'où seraient éloignés ces cygnes, ces
chameaux, ces bergeries de carton, grossières impostures de l'art,
véritables jouets de grands enfans, et qui sont cependant les créations
merveilleuses de certains Vaucanson[144] du siècle. On sait assez que
dans l'état actuel des choses à l'Opéra, la plus mauvaise lorgnette
détruit cet enchantement puéril. Il sera facile de suppléer à la
faiblesse de pareils moyens. Il suffit de faire travailler à l'Opéra les
mécaniciens de quelques théâtres mélodramatiques; la Pie voleuse, le
Songe, seraient les garans de leurs succès.

«Alors, comme à Bologne[145], le fond du théâtre pourrait s'ouvrir et
présenter de véritables paysages en perspective; avec une semblable
disposition, indépendamment des moyens connus et indiqués par la
physique, il serait facile de renouveler et d'assainir l'air impur et
méphitique de la salle. Alors, comme à Milan, on serait à même, lorsque
la pièce l'exigerait, de faire manœuvrer un escadron de cavalerie dans
une plaine riante[146] et sur des montagnes couvertes d'ermitages, de
bois, de torrens, de cascades.

«Alors, comme à Parme[147], on ferait voguer des vaisseaux sur un lac
dont les ondes ne seraient plus uniquement des toiles mobiles et de
froides peintures. La plupart de ces innovations indispensables pour un
théâtre solide et permanent eussent paru bien dispendieuses pour un
théâtre provisoire; aussi me serais-je bien gardé d'en avoir proposé
quelques-unes pour la salle nouvellement bâtie, si nous n'avions pas
sujet de craindre que le provisoire ne devienne permanent.

«Ah! sans doute, il serait urgent de mettre au concours, non pas de
quelques élèves[148], mais des maîtres, le plan d'une salle d'Opéra qui
pût rivaliser de beauté avec celles de tous les pays civilisés. Il
serait même essentiel de décerner un prix à l'architecte qui, en
élaguant de sa composition les ornemens frivoles, y réunirait la
grandeur, la solidité, la richesse et tous les accessoires capables de
rendre ce monument national, le plus beau, le plus commode, et le plus
somptueux de l'univers. Avec quel plaisir l'œil y contemplerait les
granits, les bronzes, les cristaux et les marbres variés de nos
départemens!

«Comme tous les ordres d'une architecture aérienne s'y réuniraient sans
confusion et se prêteraient un mutuel éclat! Sans aucune inscription,
que je regarde pourtant comme nécessaire, l'étranger, saisi, transporté,
reconnaîtrait aussitôt presque involontairement le temple des arts.



CHAPITRE XXI.

Emplacement d'un théâtre durable.--Projets du prince du Ligne,
magnifiques, mais impossibles--Notice sur cet amateur des
arts.--Quartier superbe de Paris, si l'on eût suivi ses plans.--Arc de
triomphe de l'Étoile, l'achever et le consacrer à la
paix.--Champs-Élysées.--Comment les embellir.--Planter des jardins
d'hiver, qui manquent à Paris.--Jardins d'hiver de Vienne et de
Pétersbourg.--Description de ceux qui se trouvent dans cette dernière
ville.--Espérances de l'auteur.--Réfutation du plan d'un homme de grand
mérite.--Monument de la Bourse.


«On paraît embarrassé sur le choix de l'emplacement d'un théâtre
durable, et tel que nous en avons donné une légère esquisse. Des
considérations d'un grand poids, développées par un publiciste célèbre,
ont dû faire abandonner le projet autrefois proposé par le prince de
Ligne[150], de bâtir une salle d'Opéra à l'entrée des Champs-Élysées,
où nul obstacle à cette époque n'eût empêché d'y placer parallèlement le
Théâtre-Français, et ces deux édifices eussent complété les
embellissemens de la place Louis XV.

«Avant les malheurs de la révolution, ce projet pouvait être regardé
comme heureux. Ces deux salles, placées près de la Seine, eussent été à
portée de tous les secours en cas d'incendie. L'architecte aurait eu
tout l'espace nécessaire pour reproduire sur le terrain de grandes
conceptions. Ces deux édifices, bien percés à l'orient, auraient été
très-favorables pour y établir au rez-chaussée des jardins d'hiver qui
manquent à la France.» «En effet, reprit Philoménor, jardins
pittoresques, montagnes de tous pays, jeux de tous les climats,
spectacles dans tous les genres, tous les plaisirs, en un mot, se
trouvent à Paris; et cependant n'est-il pas étrange qu'aucun riche
capitaliste ne se soit pas avisé jusqu'ici de planter dans un local peu
éloigné du centre de la ville, un jardin où la nature, les arts et
l'industrie sembleraient réunir leurs efforts pour faire naître et
conserver au milieu des frimas, la douce température et les fleurs du
printemps[152]?

«La situation de ces théâtres à l'une des extrémités de Paris eût
peut-être excité de violentes réclamations. Je présume que l'ingénieux
auteur de ce projet avait fait entrer dans ses calculs la proximité des
deux quartiers les plus opulens de Paris, le faubourg Saint-Germain et
la Chaussée-d'Antin, les nombreux débouchés, le charme et le mérite de
la situation. Que de beautés eussent été apperçues en sortant du jardin
des Tuileries! le pont Louis XVI, le corps Législatif, le Garde-Meuble
et le temple de la Madeleine, les deux monumens scéniques dont je vous
ai parlé, et dans la perspective l'arc de triomphe de l'Étoile, dont
l'achèvement si désiré éternisera le génie fiançais, ce génie fécond et
inépuisable, aussi habile à buriner sur ces nouveaux portiques les
triomphes de nos guerriers et les trophées de nos victoires, que les
jouissances de la paix.»

«Cet arc de triomphe, reprit mon ami, est le plus grand qui existe au
monde, et il est plus qu'à moitié construit; il serait bien digne par
ses majestueuses proportions de transmettre à nos neveux le souvenir de
la concorde universelle, et de l'union de tous les Français.»

«Supposez, mon cher Philoménor, les galeries du Louvre terminées, une
vaste place ornée de portiques immenses devant la colonnade de
Perrault[153]. Supposez que la rue projetée par Louis XIV est enfin
alignée jusqu'à la barrière du Trône... et vous conviendrez avec moi
que Paris, sur la rive droite de la Seine, effacerait les plus belles
villes du monde. «Dans les Champs-Élysées, ajoutait le prince de Ligne
que je vous ai déjà cité, qui sans cela ne méritent pas ce nom, je veux
voir le buste ou la statue équestre des héros à qui la France doit ses
victoires, Condé, Turenne, MM. de Vendôme, Luxembourg, quelques Rohan,
quelques Montmorency, un Duguesclin, un Du-Guay-Trouin, Bayard, le
charmant Gaston, le modeste Catinat, l'avantageux Villars, le malheureux
Créqui, l'heureux Saxon»[153].

«Et moi, s'écria Philoménor, j'y désirerais, contempler les ducs de
Reggio, de Feltre, de Tarente, de Bellune, à côté des Lescure, des
Laroche-Jacquelin, des Sombreuil et de tant d'autres braves qui ont
illustré nos armes. En se rendant à ce monument, il n'est pas un
guerrier qui ne reçût la touchante impression des vertus les plus
héroïques; la gloire ancienne et la gloire moderne sembleraient
l'environner de tous ses rayons.»

«Vos projets sont charmans, mon cher Grec, lui dis-je; ils feront
fortune un jour peut-être plus que ceux du prince de Ligne. De tristes
souvenirs, comme je vous l'ai dit, ont en quelque sorte proscrit les
théâtres sur la place Louis XV; et quelque grands que soient les plans
de ce général, ils ne pourront jamais être exécutés. Au surplus,
d'autres endroits dans Paris offrent des emplacemens favorables qui
permettront à l'architecte de se livrer aux plus sublimes inspirations,
et d'y faire naître les merveilles de l'imagination la plus féconde.

«Concevons-en donc la flatteuse espérance; on profitera d'une longue
paix[154] pour élever des édifices dignes enfin de la nation française.

«Au surplus ces derniers plans doivent sembler préférables à celui des
architectes, et même des hommes de lettres[155] qui voudraient mettre
l'Opéra dans la nouvelle Bourse, et qui, malgré la loi rendue et les
raisons invincibles qu'on leur oppose, n'ont pas abandonné l'espoir de
l'y placer.

«Quelque prépondérante que soit leur opinion, je ferai d'abord observer
que ce bâtiment, très-bien situé pour son usage, s'achève maintenant à
l'abri d'une loi proposée par Sa Majesté, et accueillie par les
Chambres, et qu'il est construit en partie aux frais du commerce de
Paris, qu'on ne pourrait déposséder sans l'indemniser en toute justice
de ses avances. De plus, on conviendra sans peine que Paris, dont
l'influence est si importante sur les autres places de l'Europe, doit
avoir pour ses opérations de finances, un édifice qui ne le cède en rien
aux bourses de Londres, d'Amsterdam, et de Pétersbourg.

«En second lieu, ce bâtiment, très-beau sans doute, a bien ce ton grave,
mâle et sévère, parfaitement propre à son objet; mais il n'aura jamais,
quoi qu'on fasse, ce genre de magnificence pompeuse que nous avons
exigée pour un premier théâtre, destiné à reproduire au-dehors et
au-dedans tous les prestiges de la féerie[156]; cette magnificence que
réclame le perfectionnement de nos arts, que nos voyages et nos
conquêtes nous ont fait connaître et désirer en France dans les édifices
uniquement consacrés au luxe.

«Enfin, une dernière réflexion sur la conservation du bâtiment de la
Bourse à sa première destination, est, je crois, sans réplique; il n'y a
pas lieu d'en douter; le palais du commerce français perdrait de sa
solidité, si, d'après l'avis de prétendus économistes, on se décidait à
y placer le grand théâtre lyrique; on serait forcé d'y creuser de
profonds souterrains qui n'existent pas et qui mettraient à découvert,
et pour ainsi dire à nu les fondemens des colonnes qui environnent le
monument; et vous n'ignorez pas que des souterrains profonds sont
indispensables pour recevoir les énormes et nombreuses machines qui,
dans leurs jeux multipliés et journaliers, occasioneraient peut-être en
peu de temps l'ébranlement ou la chute d'un édifice qui ne fut jamais
disposé pour devenir une salle d'Opéra.»



CHAPITRE XXII.

Philoménor au spectacle de l'Opéra.--Ses nombreuses questions.--Acteurs,
actrices,--MM. Dérivis, Bonnel, La Feuillade, Nourrit, Adolphe, Laïs,
Dabadie, Lecomte.--Anecdote sur Lavigne.--Mmes Branchu, Grassari,
Javareck.--Les doublures jouent plus souvent que les premières
cantatrices.--Admirable talent de Mme Albert qui depuis sa rentrée n'a
pas eu de rôle dans les pièces nouvelles.--Résultat fâcheux du congé sec
donné à Mme Fay.--Traité aussi ridicule que désavantageux entre la
direction du théâtre de Londres et celle de l'Opéra de Paris.--Chef
d'orchestre.--Les instrumens couvrent beaucoup trop les
voix.--Récompense proposée pour une ingénieuse
découverte.--Pirouettes.--MM. Paul, Albert.--Danse grave.--Singuliers
contrastes.


Cependant l'heure du spectacle s'avançait: nous pressâmes notre marche,
et nous eûmes l'avantage d'être parfaitement placés au théâtre
provisoire. Philoménor, dont jusqu'ici le silence n'avait été interrompu
que par les explosions de la surprise et de l'admiration, profita des
entr'actes pour m'accabler de questions sur les acteurs et les actrices
qui venaient de conquérir son bruyant suffrage.

«Je vous dirai peu de chose des acteurs et des actrices du grand Opéra,
mon cher Philoménor; presque tous sont si parfaits dans leur genre,
qu'on pourrait même, sans craindre d'affaiblir la troupe, en détacher un
ou deux jeunes artistes pour renforcer la société de Faydeau, qui
souvent fait de grandes pertes. L'opinion publique les a déjà signalés,
et je ne suis ici que son interprète.

«Où trouver un timbre de voix plus grave, plus plein, plus sonore, plus
majestueux que celui de Dérivis? La haute-contre de Nourrit, toujours
pure, toujours juste, douce et flexible, prend tous les tons pour vous
séduire; Adolphe, son fils et La Feuillade enchantent votre oreille par
des sons où respire tout l'éclat et la fraîcheur de la jeunesse. Sans en
avoir la comique gaîté, Dabadie remplace, aussi bien qu'il est possible,
ce Laïs inimitable dont le talent fit si long-temps les délices de la
France. Mais qu'est devenu Lecomte, dont le genre était si gracieux?
Faut-il que des intrigues de coulisses aient éloigné Lavigne, ce
chanteur que l'on n'a point remplacé, et dont le port et les mâles
accens rendaient avec tant de dignité les rôles de Trajan et de Fernand
Cortès? Evénement assez bizarre! on dit qu'une cantate exécutée
ordinairement par Lavigne, et que Dérivis avait toujours chantée depuis
son absence, fut en partie la cause de sa démission. Cet acteur avait
beaucoup perdu, ajoutait-on, de ses moyens en province. Le séjour de
Paris, de bons modèles, de nouvelles études les lui auraient rendus.
Depuis peu, d'ailleurs, il a jeté le gant à ses adversaires; comme le
berger de Virgile, il a proposé le combat du chant; hésitera-t-on
toujours à l'accepter?

«On a renvoyé Mme Allan Ponchard, qui valait beaucoup mieux que d'autres
qui ont été conservées. On a donné un congé sec à Mme Fay; combien
d'opéras du plus grand mérite, tels qu'Armide, Alceste, sont mis à
l'écart parce qu'il n'existe pas d'actrices qui puissent les chanter. De
nouvelles pertes font naître de nouveaux regrets. Comment par le refus
d'une légère augmentation de traitement[157] que l'administration
accorde à un danseur[158], a-t-on forcé pendant quelque temps à s'exiler
de Paris cet incomparable Dérivis, dont les meilleures doublures ne
peuvent remplir le vide? Je vous ferai remarquer un autre abus.

«Si j'en excepte Mme Grassary, on ne fait guère jouer au grand Opéra que
des doublures surannées, ou des débutantes sorties du conservatoire,
parmi lesquelles se distinguent Mme Dabadie et Mlle Javareck[159]; mais
chaque jour on regrette de n'y voir paraître, qu'à de très-longs
intervalles, Mme Branchu; et il est bon de vous faire observer que
l'Opéra, tout riche qu'il est, n'a pas dans ce moment-ci un seul sujet
qui puisse chanter et exécuter aussi bien qu'elle le rôle
d'Hypermnestre[160] et de la Vestale, parce que ces rôles exigent,
non-seulement une grande cantatrice, mais de plus une excellente
tragédienne; vous ne serez donc pas surpris d'apprendre, mon cher
Philoménor, que toutes celles qui ont osé aborder ce double emploi y ont
jusqu'ici complètement échoué. D'ailleurs, je puis vous l'affirmer, Mme
Branchu n'a point désiré ni conséquemment sollicité sa retraite[161];
elle connaît trop bien toute la puissance de ses moyens, qui, loin
d'avoir baissé, ont acquis une perfection que savent apprécier les vrais
amateurs de la bonne musique. Je puis ajouter que les légers
défauts[162] qu'une sévère critique lui reprochait, ont entièrement
disparu. Jamais peut-être sa voix n'eut plus de charme, de vigueur, de
force, de douceur et d'expression que dans sa dernière apparition sur la
scène. Espérons que l'autorité surprise par les secrètes insinuations de
quelques ennemis jaloux, nous mettra plus souvent à même d'admirer un
sujet aussi précieux. Lorsqu'on réunit, comme Mme Branchu, les plus
rares talens aux qualités les plus estimables de son sexe, on mérite
d'être long-temps conservée à ce spectacle, ne fût-ce que pour servir de
modèle aux jeunes femmes qui se destinent à parcourir la même carrière.

«Rarement encore on entend Mme Albert, qui jusqu'ici n'a point obtenu
d'emploi dans les opéras nouveaux, où elle serait si bien placée. Cette
cantatrice possède incontestablement une des plus belles voix de
l'Europe. Lorsqu'elle chante, on croit entendre tour à tour, les
inflexions légères, les intonations et les cadences perlées du
rossignol. Comme Mlle Georges, elle a mis à profit les momens de
l'absence; et comme la belle reine de l'Odéon, cette charmante actrice
doit, en reparaissant plus souvent, obtenir les applaudissemens les plus
mérités. Vous devez regretter, mon cher Philoménor, de n'avoir pas
encore apprécié son merveilleux talent.» «Je saisirai avec empressement
l'occasion de l'entendre, me dit le jeune Grec; peut-être d'ailleurs
cette occasion sera-t-elle moins rare un jour. Il est à présumer que
l'autorité supérieure finira par connaître ces misérables coteries qui
malheureusement ont assez d'influence pour retenir dans l'ombre des
cantatrices d'un mérite transcendant, mais qui _n'ont pour protecteurs
que leurs talens et une conduite modeste et réservée_[163]; elle finira
sans doute par déjouer ces sourdes cabales qui semblent travailler au
renvoi de vos premiers artistes.» «Lorsque par des raisons généralement
connues, ajoutai-je, on produit sans cesse des médiocrités naissantes ou
sur le retour, dont la voix est faible ou voilée, et dont les moyens
dramatiques sont d'une nullité parfaite; lorsqu'on ne cherche pas même à
recruter des actrices supérieures, telles que Mme Montano, qu'on
abandonne aux _dilettanti_ des départemens, ou telles, que Mlle Demeri,
dernièrement enrôlée dans les bouffes, pour de là passer plus
facilement, comme Mme Fodor sur les théâtres des pays voisins; en
faisant subir au public des privations aussi vivement senties, on a cru
prévenir les désertions à l'étranger par une transaction passée entre
l'Académie royale de Paris et le théâtre de Hay-Market de Londres, pour
ne pas s'enlever, dit-on, réciproquement les premiers sujets de la
danse. Ne trouvez-vous pas, mon cher Grec, le mot _réciproquement_ d'une
justesse remarquable? Comme s'il existait en Angleterre un danseur qui
osât faire assaut de grâce et de légèreté avec Paul, Albert, Ferdinand
et Coulon; et puis, le bel arrangement qui livre en hiver Mme Anatole
aux Anglais, et dans les beaux jours du printemps Paul et Mlle Noblet!
N'existait-il point d'autres moyens de les retenir, qu'en s'imposant
d'aussi pénibles sacrifices? Où sont les compensations pour la France?
et la sagesse de l'administration se bornerait-elle uniquement à des
concessions pusillanimes? Au surplus, mon cher ami, quel que soit
aujourd'hui votre enthousiasme pour l'Opéra, et le ballet que vous avez
vu représenter, trouvez bon, je vous prie, que j'engage le chef
d'orchestre à ne pas couvrir autant par les trombonnes, les tambours et
les trompettes, la voix des chanteurs et surtout des cantatrices. Il est
fâcheux d'entendre quelquefois des sons qu'on pourrait appeler des cris
et des hurlemens. Des talens aussi réels que ceux de Dérivis, de Bonnel,
de Nourrit, de Mmes Albert, Branchu, Grassary, le Roux, Quiney, n'ont
pas besoin, pour enlever les suffrages, de monter sur un diapason aussi
ridicule que désagréable pour les spectateurs. Oh! combien cependant
mériterait une récompense honnête l'artiste ingénieux qui aurait
découvert le secret infaillible d'empêcher certaines actrices de chanter
faux!» «Vous pouvez avoir raison, me dit mon Grec; j'inviterais à mon
tour très-sérieusement MM. les choréographes à diminuer le nombre des
pirouettes. Quand on danse comme Albert, quand on voltige comme Paul,
ces tours de force, qui ont tant de rapports avec les singeries des
baladins de vos boulevards, sont inutiles pour mériter de justes
applaudissemens, et sont tout au plus des signaux de ralliement pour MM.
les claqueurs soldés.»

«À merveille, mon cher Grec: très-certainement, pour les véritables
amateurs, la danse grave n'a pas perdu ses attraits; peut-être se
montre-t-elle trop rarement à l'Opéra; et cependant l'on aimera toujours
à contempler le développement majestueux des forces d'un nerveux
Hercule, opposées à la molle souplesse de nymphes et d'Amours que les
Grâces devraient accompagner sans cesse. Trop souvent ici ces Amours ont
outrepassé l'âge de l'enfance; trop souvent ils ont perdu ces traits
pleins de malice et de finesse que leur prête la riante imagination des
poètes; quelquefois même des figures qui semblent empruntées au burin de
Calot, se rencontrent à peu de distance d'une tête que l'on croit avoir
admirée dans les productions immortelles du pinceau de l'Albane.



CHAPITRE XXIII.

Art mimique.--Son origine.--Rhume d'Andronicus.--Système admirable des
immortels abbés de l'Épée et Sicard.--Réflexions d'un
encyclopédiste.--Mmes Heinel, Guimard, Gardel et Clotilde.--On doit la
perfection de la pantomime à Mlle Bigottini.--Portrait de cette actrice
dans le ballet de Clari.--Mmes Courtin, Fanny Bias, Anatole,
Marinette.--MM. Albert, Montjoie, Ferdinand.--Pantomimes de MM. Franconi
dans leurs tournois.


«Tout en blâmant avec vous, mon cher Philoménor, des taches aussi
légères dans un aussi riant tableau, je ne puis m'empêcher de rendre
hommage à l'art mimique qui semble avoir eu la destinée et l'emploi de
la peinture sur verre, long-temps perdue et dernièrement retrouvée. Je
parle uniquement de la pantomime asservie aux règles dramatiques,
autrement on me chicanerait à bon droit sur une pareille assertion; la
pantomime étant, comme vous le savez, la première langue de l'enfant de
la nature. En tout temps et sans interruption les signes[164] furent
l'idiome du sauvage. La pantomime scénique, si parfaite chez les
Romains, négligée depuis et perfectionnée en France, semble mettre à
jour toutes les affections de l'âme et leur donner les plus vives
couleurs. Je me rappelle qu'une très-petite cause, le rhume d'un
comédien, mit à Rome la pantomime en faveur. Andronicus, poète et
acteur, qui publia sa première pièce deux cent quarante ans avant l'ère
vulgaire, fut l'inventeur de l'art mimique. Ayant éprouvé un enrouement,
il imagina de faire réciter son rôle par un esclave, tandis qu'il
faisait les gestes; telle fut l'origine de la pantomime.» «Quelque éloge
que l'on puisse faire de cet art, me dit Philoménor, les auteurs de
votre Encyclopédie en ont fait, ce me semble, une très-juste critique
que je puis vous citer: «De la pantomime rien ne reste, disent ces
savans, rien ne reste que des impressions quelquefois dangereuses; on
sait qu'elle acheva de corrompre les Romains; au lieu que de la bonne
tragédie et de la saine comédie il reste au moins d'utiles leçons.

«Un gouvernement sage aura donc soin de préserver les peuples de ce goût
dominant des Romains pour la pantomime, et de favoriser les spectacles,
où la raison s'éclaire, où le sentiment s'épure et s'anoblit.»

«On doit, repris-je, on doit surtout une nouvelle création du genre à
Mlle Bigottini; avant elle, Mlles Guimard, Heinel, et de nos jours, Mmes
Gardel et Clotilde, avaient bien, si l'on veut, copié le caractère
idéal et poétique des divinités de la fable; mais d'après le témoignage
de ceux qui, depuis longues années, ont suivi l'Opéra, aucune actrice
n'avait porté la pantomime au degré de perfection où cet art est parvenu
depuis que Mlle Bigottini s'est emparée des premiers rôles. Jamais
personne ne sut unir plus de grâces à une sensibilité plus touchante.
Jamais, comme vous l'avez vu, l'action du geste et le simple jeu de la
physionomie n'ont été plus expressifs, n'ont rendu avec plus de vérité
toutes les nuances du sentiment, les remords de l'erreur, l'amertume des
regrets, la terreur du châtiment, et l'ivresse d'un bonheur inespéré; en
un mot, cette expansive énergie de toutes les passions qui agitent,
bouleversent ou transportent le cœur humain; et ce qui est bien plus
remarquable, dans aucun siècle, avant cette incomparable mime, le
spectateur n'avait pu suivre avec autant d'intérêt le fil et le
développement d'une intrigue, ni mieux deviné les incidens, les épisodes
et le dénouement. Mademoiselle Bigottini est, il est vrai, parfaitement
secondée par Mmes Courtin, Fanny, Anatole et Marinette; par MM. Albert,
Montjoie, Ferdinand et par cet essaim léger de danseurs et de danseuses
dont les talens n'ont point de rivaux en Europe.

«La pantomime doit encore beaucoup à MM. et à Mme Franconi qui, dans
leurs tournois, nous ont offert des tableaux d'histoire d'une
ressemblance d'autant plus vraie et d'autant plus énergique, que
l'instinct cultivé d'animaux peu dociles et jusqu'alors peu susceptibles
d'une éducation aussi savante, semble se réunir au génie de leurs
maîtres pour mieux tromper le spectateur qui se croit réellement
transporté au milieu même où l'action s'est passée et que la scène
reproduit à ses yeux.



CHAPITRE XXIV.

Promenades nouvelles de Philoménor dans certains quartiers de
Paris.--Étrange malpropreté.--Chantiers de la capitale.--Ponts sans
cesse obstrués.--Abus toujours renaissans malgré les
ordonnances.--Reléguer strictement certaines professions dans des
marchés communs.--Raisons de cette mesure.--Fontaine de
Grenelle.--Colonnade du Louvre.--Intérieur et cour du même
palais.--Guinguettes et magasins de plâtres-modèles.--Carrousel.--Salle
de réunion des trois pouvoirs.--Plan de ce temple des lois.--Faire
disparaître les ménageries de ce quartier, et pourquoi.


Un matin, j'avais été prendre Philoménor à son hôtel, et plusieurs fois
dans nos courses nous avions traversé la Seine. «Pourquoi, me dit-il,
cette éternelle et révoltante malpropreté dans le centre ou dans les
faubourgs de Paris? pourquoi dans certains endroits de la Cité et du
Marais ne fait-on pas nettoyer certaines petites rues dont l'odeur peut
corrompre davantage l'air impur que l'on y respire? pourquoi
laisse-t-on si long-temps encore ces monceaux de terre et de plâtras
nécessaires peut-être dans un temps d'hiver[166], inutiles dans les
autres saisons, et dont le moindre inconvénient est de mettre de niveau
la chaussée et le trottoir, et de faire verser, dans un moment de
presse, les voitures les plus solides. Incontestablement si l'intérêt et
la sûreté générale de tous les citoyens doivent l'emporter, dans un état
bien organisé, sur la commodité individuelle, mes observations
s'étendront également sur ces chantiers sans nombre qui, dans presque
toutes vos rues, rétrécissent la voie publique. Quel est celui qui en
passant près des ouvriers n'a pas craint d'être aveuglé, ou même
gravement blessé par les éclats de pierre qui jaillissent sous les coups
de marteaux? Ne serait-il point utile, pour prévenir tous les accidens,
de fixer dans plusieurs endroits vagues des chantiers communs, d'où les
pierres équarries et prêtes à être placées, seraient transportées aux
lieux où l'on bâtirait?

«Je suis étonné, ajoutait-il, que l'on permette, sans nécessité,
l'établissement de ces piles de bois, de ces sables, de ces ustensiles,
de ces niches, de ces siéges[167], sur un des plus jolis ponts de Paris,
celui qui de l'Institut conduit au Louvre. Je n'y passe point sans qu'il
n'en soit encombré. Il me semble, mon cher ami, que les quais, les
boulevards, les Champs-Élysées doivent suffire à ces marchands ambulans,
à ces artistes précieux, à ces mendians de profession qu'on voit chaque
jour, au mépris des réglemens, couvrir la plupart des ponts, qui
devraient être tenus libres. Je réclamerais au moins ces lois de police
pour le pont Royal, celui des Arts, du Jardin du Roi, de
l'École-Militaire, et de Louis XVI. Ce dernier, qui, comme l'on sait,
doit être remis à neuf et orné de belles statues de nos guerriers,
devrait bien être gardé perpétuellement par des sentinelles, et dégagé
des ignobles baraques qu'on voit aux extrémités.»

En traversant différentes rues, le jeune étranger fut singulièrement
choqué d'un autre abus introduit à Paris pendant la révolution. Une
tolérance qui a sans doute les plus graves inconvéniens, tant au
physique qu'au moral, a souffert que certains _artistes_ très-habiles
dans la dissection, sortissent des lieux où la sagesse de nos pères les
avait si prudemment consignés, et vinssent se placer dans nos plus
belles rues; il n'est pas rare de voir d'innocens animaux égorgés,
suspendus près de la boutique du parfumeur, de la marchande de modes et
de nouveautés.

«Pour des raisons que je ne fais qu'indiquer à votre sagacité, mon cher
Philoménor, il me semble qu'après avoir éloigné du centre de Paris les
théâtres du carnage, et les avoir relégués aux extrémités, même hors des
barrières, il me semble, dis-je, qu'il serait très-conséquent d'en
confiner exclusivement les victimes dans les nombreux marchés de la
capitale, et de n'en point tolérer la vente ailleurs.» «Tous les amis
des convenances, seront de votre avis, mon cher Philoménor.
Qu'eussiez-vous dit, si naguère, vous eussiez vu comme moi l'échoppe la
plus vile placée comme exprès au pied de la belle fontaine de la rue
Grenelle? En voyant les restes sanglans que l'on vendait tout près de
l'immortel chef-d'œuvre de Bouchardon, je me croyais revenu au temps du
paganisme. Et cependant, repris-je, vous n'ignorez pas que le sang ne
coulait guère sur les autels des bienfaisantes naïades, et que des
fruits, des gâteaux et des libations de vin étaient presque les seuls
dons que la piété offrait ordinairement à ces divinités champêtres.»

Tout en continuant notre promenade, nous arrivâmes au près du Louvre.

«Quand disparaîtront entièrement[168], me dit mon Grec, ces planches
vermoulues qui masquent, mais défendent toutefois si utilement, la belle
colonnade de Perrault? Jusqu'à quelle époque nous obligera-t-on à monter
presque sous les toits pour l'admirer dans son ensemble? En attendant le
moment où l'on fera les déblaiemens indispensables pour mettre les
alentours du palais en rapport avec la majesté de cet édifice, n'a-t-on
pas les moyens de le laisser apercevoir tout à fait et sans aucun
obstacle à travers une ceinture de grilles[169] aussi simples
qu'élégantes?» «Ne détruira-t-on point aussi, repris-je, des maisons que
l'on dit achetées depuis long-temps par le gouvernement, pour donner à
la façade du nord de ce palais une entrée plus spacieuse? Cette
démolition est urgente et doit même paraître absolument nécessaire pour
la sûreté publique[170]. Quand cette vaste cour sera-t-elle embellie par
des gazons d'une fraîche verdure? Quand substituera-t-on des fontaines,
dignes du lieu, à cette pompe misérable qui sans doute y est nécessaire?

«Je demanderai encore si la loge d'un suisse, ayant l'apparence d'un
cabaret et un petit écriteau servant d'enseigne[171], est absolument
utile et décente dans le palais splendide des Henri IV et des Louis XIV?
Ce serait bien le cas de répéter ces vers de Voltaire, écrivant en 1749
sur le même sujet:

     «Quel barbare a mêlé sa bassesse gothique
     À toute la grandeur des Grecs et des Romains?
     .............................................
     Faut-il que l'on s'indigne alors que l'on admire![172]

Vous avez vu il y a quelques mois la salle que l'on a disposée pour
l'ouverture de la session législative, et je me rappelle encore vos
réflexions à ce sujet. Quoique la chambre des pairs et celle des députés
aient chacune un palais à part pour leurs assemblées, je fus forcé de
convenir avec vous que nous n'avions pas un seul monument convenable
pour y recevoir ces deux premiers corps de la nation, lorsque le
souverain juge à propos de les réunir, et de se rendre au milieu d'eux,
avec sa cour et les grands dignitaires de la France. La salle des
députés qui, faute de mieux, servait les années précédentes à cette
destination, et celle nouvellement construite au Louvre, sont trop
petites et trop resserrées pour un concours aussi nombreux et aussi
solennel; ce qui oblige à réduire extrêmement le nombre des spectateurs.
Ces salles d'ailleurs n'ont pas suffisamment ce ton de grandeur, et ces
ornemens que semble demander impérieusement la réunion des trois
pouvoirs d'une nation de trente millions d'hommes. Où ce monument,
devenu nécessaire d'après nos constitutions, serait-il mieux placé qu'au
centre de la place du Carrousel, lorsque tous les bâtimens qui sont
encore debout auront disparu? Ne trouverait-on pas dans ce projet le
triple avantage d'intercepter la vue des deux pavillons du Louvre et des
Tuileries, qui ne sont point parallèles; celui d'une facile circulation,
de débouchés nombreux; et enfin celui d'offrir encore aux races futures
un édifice où le mérite de l'emplacement égalerait la majesté du plan,
la magnificence de l'architecture et la beauté des fontaines
jaillissantes dont on serait à même de l'environner. Puisse cet édifice
s'élever sous notre auguste monarque! Il est digne du roi législateur de
signaler son règne par un monument qui soit pour ainsi dire le
tabernacle sacré des institutions qu'il a daigné octroyer à ses peuples.

«Alors nécessairement nous verrons s'éloigner du Carrousel ces
ménageries qui, malgré l'indignation générale, s'étaient même établies
jusques sous les balcons des Charles IX, et des Henri III[173]. N'y
a-t-il donc plus de place ailleurs pour les jongleurs de toute espèce,
pour les perroquets et perruches, les singes mâles et femelles[174] qui,
comme l'on sait, copient d'une manière si indiscrète ou si bouffonne
tant d'importans personnages; et ces caméléons des Indes ne trouvent-ils
plus d'asiles à Paris que près le palais des rois?»



CHAPITRE XXV.

Quelques réflexions sur les fondateurs de nos principaux
monumens.--École Militaire.--Quelle pourrait être sa destination.--Champ
de Mars.--Y élever des amphithéâtres.--En entretenir et en planter les
terrasses.--Utilité de ces réparations.--Mot très-vrai de M. de
Lacretelle sur nos fêtes publiques.--On doit conserver les édifices
élevés pendant la révolution.--Il faut leur imprimer des formes
royales.--Colonne de la Place Vendôme.--Arc de Triomphe du
Carrousel.--Tuileries.--Étonnement très-fondé de Philoménor.--Statues
des niches et portiques du Palais, des Jardins et Bosquets.--Réaliser un
projet de M. le duc de Lévis.--Surveillance trop peu sévère au
Carrousel, et en quoi.--Jours de
revue.--Saint-Cloud.--Versailles.--Dévastations non réprimées dans les
parcs et parterres de ces résidences.--Bains d'Apollon
violés.--Rocailles et ornemens des bosquets fermés et
publics.--Colonnades du Château.--Les vrais moyens de restauration n'ont
point été employés dans les bois détruis en 1815.--Accidens arrivés aux
monumens de Paris.


«Beaucoup de monumens ont été construits par les derniers souverains de
la dynastie régnante; les chiffres des princes qui les ont fait bâtir en
sont garans; on doit une reconnaissance éternelle à François Ier, à
Louis XIV, à Louis XV et à Louis XVI; on en devra plus au roi philosophe
qui, dans les temps les plus difficiles, a suivi les plans tracés par
ses aïeux, avec le projet de les achever et de les embellir. Cependant,
comme il est plus important de maintenir ce qui existe que de créer, je
voudrais que l'édifice le plus marquant du règne de Louis XV,
l'École-Militaire, édifice dont la splendeur fixait l'admiration de tous
les étrangers, pour l'élégante distribution de ses portiques et surtout
pour ses grilles d'un travail et d'un fini unique, cessât de rester une
caserne, où les dégradations se multiplient d'un jour à l'autre et
ajoutent encore à celle du temps et d'une révolution dévastatrice. Eh
quoi! la chancellerie de la Légion-d'Honneur a son palais; pourquoi
l'ordre royal et militaire de Saint-Louis n'aurait-il point le sien dans
cet hôtel bien digne d'y recevoir un chancelier et ses archives? C'est
selon moi le seul moyen de tirer cet ancien établissement de l'état de
délabrement où il est réduit, si Sa Majesté ne le rend pas à sa
primitive destination.»

«Les vrais partisans de la monarchie seront d'accord avec vous sur ce
point, me dit Philoménor en m'interrompant. Tout près, comme le peuple
roi, vous avez, je me le rappelle, un vaste Champ-de-Mars; souvent les
Parisiens y sont attirés par des évolutions militaires, de grandes
revues, une distribution de drapeaux, quelquefois par des banquets
populaires ou des courses publiques. Malgré un emploi si fréquent, à
peine a-t-on songé à prévenir les désagrémens qui résultent de son grand
éloignement de toute habitation; grave inconvénient, dont vos
compatriotes m'ont appris qu'on s'était complètement aperçu le jour de
son inauguration. On y est brûlé par un soleil ardent, et souvent inondé
par des averses inattendues, avant d'avoir pu regagner la ville. Au lieu
de ces pavillons provisoires, petits, écrasés, insignifians, que
n'a-t-on construit en regard deux édifices en forme de citadelle, qui
dans les cérémonies serviraient à recevoir les autorités et à recueillir
le reste de l'année tout le mobilier, que l'on sentira, un jour, je
l'espère, être indispensable pour les fêtes que l'on y donne, telles
que des tentes nombreuses que l'on dresserait, et que l'on ôterait à
volonté, des draperies, des jalons, des filets, etc., en un mot tout ce
qui serait reconnu utile pour l'agrément, la sûreté et la commodité
publique[175].

«On a bien exhaussé le terrain dans le pourtour de son enceinte. Ces
travaux immenses produisent maintenant peu d'effet; des éboulemens ont
eu lieu, le terrain s'est affaissé, par suite de la négligence que l'on
a mise à réparer les terrasses. Les derniers rangs des curieux voient
peu et sont souvent privés de cette espèce de spectacle. Votre
gouvernement employerait dont très-à-propos, dans la morte saison,
quelques ateliers pour soutenir, relever, distribuer en gradins ces
amphithéâtres de verdure, et surtout pour abriter par de nouvelles
plantations les nombreux spectateurs qui assistent chaque année à ces
réunions nationales.»

«Ami de la vénérable antiquité, je n'en suis pas moins, mon cher Grec,
le conservateur zélé de tout ce qui a été fait de bon, même pendant le
trop long interrègne de nos rois. Tous les vrais Français sont loin
d'être des Vandales. Jamais ils n'imiteront les apôtres de l'anarchie.
Laissons donc subsister ce qui dans tous les temps sera toujours beau,
lorsqu'il ne conserve plus d'emblèmes incompatibles avec notre
gouvernement: ne peut-on pas imprimer des formes royales à certains
monumens, élevés aux dépens de la France, qui ont été dégradés par suite
de l'invasion de 1815, et principalement ceux qui se trouvent placés
près de la résidence du souverain?

«Quand le génie de la victoire, un pied en l'air, les ailes déployées,
tenant dans sa main la trompette héroïque, semblera-t-il s'envoler du
sommet de la colonne de la place Vendôme, et répandre en tous lieux
l'éclatante renommée de nos armes?

«À l'arc de triomphe du Carrousel les bas-reliefs ont été arrachés.
C'était le droit du plus fort; il n'y reste plus rien qui retrace celui
qui le fit élever: le moment est sans doute arrivé de remplacer ces
bas-reliefs par des marbres, où nos sculpteurs pourraient représenter
les faits mémorables des Victor, des Moncey, des Macdonald et des
Lauriston.

«Les alliés ont enlevé les chevaux de Corinthe, qui faisaient un si bel
effet dans l'endroit où ils étaient placés. Un nouveau quadrige qui, je
l'avoue, n'aurait pas le mérite de l'antiquité, mais qui serait plus
parfait peut-être, s'il était travaillé par la main de nos artistes,
serait bien capable de nous consoler de cette perte. En descendant les
Renommées on a brisé la corniche du monument[176]; n'est-il pas urgent
de réparer ces accidens de la maladresse et de l'imprudence?»

Nous avions pénétré dans la cour. Philoménor remarqua, avec douleur, sur
les murs et les colonnes du palais l'empreinte des boulets et des balles
dirigés contre cette auguste demeure de nos rois, dans des journées
d'exécrable mémoire. Il eût voulu que des réparations peu coûteuses
effaçassent des souvenirs aussi déchirans. Il eût voulu encore que tous
ces Romains, si noircis par le temps et si horriblement mutilés, placés
sous les galeries avec la Vénus et le Faune qui accompagnent le
vestibule (côté du jardin), fussent absolument remis à neuf, comme une
décoration essentielle du palais.

«Ne serait-il point utile de réaliser une idée très-heureuse de M. le
duc de Lévis? Il faudrait que la terrasse du côté de la rivière, où se
remarquent de bonnes copies d'antiques, fût encore ornée de fleurs et
d'arbustes, et servît de promenade particulière au château.

«Au-dessous, et dans toute la longueur de cette longue terrasse,
exhaussée de quelques pieds, dit cet honorable pair, on serait à même de
pratiquer un immense manége destiné aux princes, qui pourraient ainsi
prendre commodément en hiver l'exercice du cheval, dont ceux qui
commandent aux peuples ne doivent jamais perdre l'habitude[177].»

«Les jardins des Tuileries, reprit Philoménor, sont généralement bien
tenus[178]. Aucuns marbres cependant ne devraient y être brisés ou
renversés[180]. Quelquefois les statues des bosquets et des terrasses
ont perdu des doigts, une main, un pied; il serait bon de leur rendre
sans délai des parties qui leur furent enlevées par la malveillance la
plus barbare, et qui sont le complément de leur beauté.» «Hélas!
repris-je, comment d'autres malheurs n'arriveraient-ils pas? ils sont
souvent la suite d'une tolérance indiscrète ou d'une surveillance peu
rigoureuse.

En voulez-vous des exemples dont tout Paris est témoin. Fait-on une
revue au Carrousel, aussitôt des hommes à souliers ferrés se portent et
montent sur les piédestaux de l'arc de triomphe, en écornent les
pierres, sans que personne les en empêche; il est facile à ce sujet de
convaincre les plus incrédules. Donne-t-on des fêtes à Saint-Cloud, à
Versailles ou dans quelques autres maisons royales, les pièces de
verdure extérieures, et même celles des parterres fermés qui décoraient
au printemps les bords des eaux ou des bois enchantés qui les
environnent, disparaissent en partie sous les pas des promeneurs, et ne
présentent plus à l'œil affligé que des tapis arides, desséchés et à
moitié détruits. Des gardes plus nombreux, s'il le fallait, seraient
bien utiles pour leur conservation; et je crois que personne n'aurait
lieu de se plaindre si ces surveillans forçaient le public à suivre les
chemins tracés et à respecter les ornemens de ces beaux lieux.

«J'ai été témoin d'un abus heureusement réformé à Saint-Cloud. Souvent
le dieu du fleuve, la nymphe de la cascade, son urne mystérieuse,
étaient couverts de curieux qui, en montant et en descendant, brisaient
ou risquaient d'endommager ces divinités fragiles, outrages, qui faute
de gardiens plus multipliés, arrivent souvent dans nos Musées[181].

«On a fait plus; qui le croirait! des profanateurs ont gravi jusque sur
le sommet du rocher de Versailles; ils ont violé la grotte sacrée, dite
des bains d'Apollon, et ravi la main du dieu qui y préside avec tant de
grâce et de majesté; le même délit a été commis sur les statues des
différens frontons de la même résidence royale, où les colonnes des
pavillons[182], endommagées dans leur longueur, doivent éveiller
l'attention spéciale de l'architecte et exiger le travail des plus
habiles ouvriers.

«Je le répète, ne serait-il pas préférable de se mettre à l'abri de
pareils accidens plutôt que d'être condamnés à les réparer? Ailleurs,
souvent, faute de sentinelles, les bas-reliefs de nos fontaines servent
de jouets à l'enfance inconsidérée, et sont exposés aux plus désolantes
mutilations[183].



CHAPITRE XXVI.

Guichets des Tuileries.--Passages infectés par des
immondices.--L'invention de M. Dufour, perfectionnée par de nouveaux
essais, devrait être généralisée dans tout Paris.--Éclairage mesquin du
Palais, les jours de réception.--Projet plus digne de la majesté du
lieu.


Nous sortions des Tuileries, et nous étions près de traverser un des
guichets, je vis Philoménor respirer un flacon d'essence de Chypre. «Je
ne puis m'empêcher de m'en plaindre tout haut, murmurait-il avec
chagrin; est-il concevable que dans tous les quartiers de cette
métropole des arts, et principalement si près du palais du roi, les
guichets et les passages soient salis, dégradés et même empestés[184]
par des immondices qui excitent des cris et des réclamations presque
universels, sans qu'aucune autorité songe à s'opposer à cette espèce de
profanation. Que dites-vous encore, ajouta-t-il de ces petits lampions
qui, le soir, éclairent l'entrée des Tuileries, aux jours de grande
réception. Deux génies de bronze, soutenant deux phares magnifiques,
annonceraient, ce me semble, un peu mieux, la majesté royale.



CHAPITRE XXVII.

Philoménor se rend à Faydeau.--La scène de ce théâtre a trop peu de
profondeur.--Les pièces anciennes devraient être remontées à
neuf.--Découvertes de M. Paul.--Opéra d'_Aline_.--Projet de véritables
illusions.--Foyer.--Actrices.--Mmes Lemonnier, Boulanger, Paul, Leclerc,
Casimir, Pradher, Rigault, Letellier, Desbrosses, Belmont.--Regrets sur
Mme Duret.--Mme Lemonnier et M. Martin, dans les _Voitures
versées_.--Mme Boulanger dans _Emma_, et Mme Pradher dans le
_Solitaire_.--Tableau très-édifiant de ce théâtre.--Note sur les mœurs
de l'époque.--En dépit de Huet, Visentini, Ponchard, Alexis et
Darancourt, on s'aperçoit qu'il y manque un Elleviou.--École mutuelle de
chant.--Ses avantages, ses inconvénient.--De belles voix ne suffisent
pas à ce théâtre.--Acteurs propres à remplacer Elleviou.--Anecdote sur
Lecomte.--Notice sur Elleviou.--Goûts de nos grands acteurs pour la vie
champêtre.--Description de la maison de campagne de Larive.--Quelques
mots sur les jardins de Talma.--Anecdote singulière sur Larive.


Insensiblement nous dirigions notre marche vers Faydeau, où l'on devait
donner _Aline_ et _les Voitures versées_. Pendant le dîner, que nous
prîmes chez Champeaux: «Quelques-unes des remarques que nous avons
faites sur le grand Opéra, dis-je à mon Grec, sont applicables au
théâtre Faydeau, où l'exiguïté et le peu de profondeur de la scène
rendent plus sensible le charlatanisme de certaines décorations. Je
n'ignore pas que, par un procédé nouveau, l'ingénieux Paul nous a donné,
dans _Joconde_ et autres pièces, des effets de lumière vraiment
surprenans. Lors du grand concours des produits de l'industrie
française, nous avons vu cet artiste, qui fut un des meilleurs comédiens
de ce spectacle, exposer deux essais en petit de sa découverte dans les
galeries du musée du Louvre. Ces moyens de succès, tout favorables
qu'ils sont, ne suffisent pas, lorsque d'autres parties d'imitation
grossièrement contrefaites, font absolument manquer le grand ensemble.
Presque tous les opéras anciens de Grétry semblent exiger des
décorations neuves qui donneraient un charme de plus à ces productions
immortelles.

«Pour prouver ce que j'avance, prenons pour exemple, le paysage du
second acte d'_Aline, reine de Golconde_, que vous verrez représenter
ce soir.

«En vain, dirai-je au directeur, vous m'avez fait entendre les pipeaux,
la musette ou le galoubet; en vain la douce voix des bergères du midi de
la France se mêle aux sons rustiques de ces instrumens; en vain je
partage les jeux variés et les danses légères d'une jeunesse folâtre, je
vois des arbres à trente pas; et ces arbres sont des découpures
enfantines. Apprenez donc l'art de mieux tromper mes yeux; prolongez ces
lointains; à ces arbres en peinture plate, substituez des arbres en
relief, des bouquets de fleurs artificielles qui disputent de fraîcheur
à la plus belle nature. Que ces cascades ne soient plus sans
mouvement[185]; et si le local ne vous permet pas d'introduire une
rivière sur la scène, suppléez à la nature par les secrets de
l'industrie; avec des gazes d'argent, avec des cristaux transparens et
mobiles, faites couler sous ce pont hardi, ou jaillir de ces roches
escarpées, des eaux écumeuses ou limpides; osez plus; que par intervalle
j'entende le bruit d'un torrent qui se précipite, ou le doux ni murmure
de cent paisibles ruisseaux; que sur leurs bords heureux j'aperçoive
encore l'écarlate de la grenade, et le vert sombre de l'olive
s'entremêler avec les pommes d'or de l'oranger. Alors, c'en est fait, je
ne suis plus à Paris; théâtre, orchestre, spectateurs, tout à disparu
pour moi, en un instant; et, à peu de frais, vous m'avez transporté sous
le beau ciel de la Provence[186].»

Entre les deux pièces nous montâmes au foyer, qui nous parut mesquin.
Nous étions sortis du spectacle, où les acteurs avaient mérité plus
d'éloges que de censures. Philoménor, à qui j'avais fait connaître les
noms des principaux sujets de ce spectacle, me dit: «Jamais on n'a vu
briller, je le présume, à la même époque, un aussi grand nombre
d'excellentes actrices à Faydeau. Mmes Régnault, Lemonnier, Boulanger,
Paul, Rigault, Pradher; MM. Ponchard, Leclerc, Casimir, Le Tellier;
quelle réunion de talens divers!» «Ajoutez, répliquai-je, Mme Duret, que
probablement nous n'entendrons plus, et dont l'organe enchanteur était
si suave, si flexible et si délicieux. Des passe-droits sans nombre, des
dégoûts bien peu mérités, l'ont éloignée de la scène de ses triomphes.
Si la voix de Mmes Desbrosses et Belmont commence à s'affaiblir, ces
actrices n'en sont pas moins par leur jeu parfait absolument nécessaires
dans cet ensemble presque unique.

«Parmi les nouveautés jouées à ce théâtre, il serait difficile
d'entendre un morceau mieux rendu et qui donne la preuve d'une
cantatrice plus consommée dans son art, que le duo des _Voitures
versées_, exécuté en solo, si j'ose m'exprimer ainsi, par Mme Lemonnier;
duo charmant où cette cantatrice, tout en se préparant aux ruses de la
coquetterie, imite tour à tour le brillant tenor d'un élégant séducteur
et la douce voix d'une virtuose dont la culture a perfectionné les
modulations et les accens.» «Effectivement, répliqua vivement
Philoménor, j'ai remarqué ce morceau, il est vraiment ravissant.» «Vous
serez pour le moins aussi satisfait, repris-je, lorsque vous entendrez
quelques jolis airs du _Solitaire_ et d'_Emma_, où Mmes Pradher et
Boulanger rivalisent de grâce et de talent. Avant de vous conduire à
Faydeau, j'avais oublié de vous avertir, mon cher ami, que ce théâtre
est, pour ainsi dire, le temple de l'amour conjugal, ce qui est
infiniment édifiant. Après une longue continence et un noviciat
très-orageux, la plupart des actrices ont voulu tâter du mariage; aussi
ont-elles le train le plus modeste, presque toutes vont à pied; et la
méchanceté ne peut interpréter ici défavorablement le luxe des
équipages; ces dames n'ont point comme certaines danseuses du grand
Opéra, le privilège de rouler avec fracas dans un landeau magnifique...
«Et de se voir pompeusement inscrites, ajouta Philoménor, jusque dans
les journaux étrangers, comme les bienfaitrices de l'humanité
souffrante.» «Remarquez, mon cher ami, repris-je aussitôt, que les mœurs
de ce siècle se sont singulièrement améliorées en apparence, Dans
presque toutes les classes de la société on ne rougit plus de s'appeler
du doux nom d'époux; un mari n'a plus l'air embarrassé, comme
autrefois, en se trouvant à la promenade ou au spectacle, avec sa femme
et ses enfans; il n'est plus du bon ton d'être irréligieux ou libertin;
et dans les liaisons que blâme une morale sévère, on met dans ce moment
plus de secret et de décence; par contre-coup, les femmes entretenues,
même de haut parage, sans être moins avides, sont devenues plus
économes. Il serait peut-être difficile de signaler à Paris parmi elles
une Duthé ou une Dufresne moderne; sans dédaigner l'argent comptant qui
s'écoule si rapidement, elles préfèrent des rentes solides, de bons
contrats; leur fait-on des avances, elles consultent des praticiens
éclairés; averties par l'exemple de leurs devancières[187] et les
conseils de matrones expérimentées, elles s'assurent de bonne heure un
sort heureux pour ces tristes jours où leur beauté flétrie n'existera
plus qu'en peinture et en souvenirs. Mais je m'aperçois, mon cher Grec,
que ce petit épisode me fait oublier de vous parler des acteurs de ce
théâtre.

«Après avoir perdu pour jamais Moreau et Chenard, nous avons vu
s'éloigner Martin, ce chanteur unique, qui savait, avec tant d'aisance,
varier les airs les plus vulgaires et leur donner la vogue de la
nouveauté; heureusement, D'Arboville nous console, s'il est possible, de
sa retraite prématurée; Huet, Visentini, Féréol, sont certainement de
très-bons comédiens.

«Mais pourquoi, malgré la voix mélodieuse de Leclerc, l'inimitable
méthode de Ponchard, et les espérances que donne le jeune Alexis,
s'aperçoit-on qu'il manque un acteur essentiel à l'Opéra-Comique? je
veux dire un Elleviou. Preuve démonstrative qu'à ce théâtre, de belles
voix, quoiqu'essentiellement de rigueur, ne sont pas la seule chose
importante; que de plus il faut de beaux dehors et de grands moyens.
Pour moi, je crois que l'on n'a pas assez exploré les théâtres de Paris
et des départemens.

«L'espérance doit nous consoler, mon cher ami; si un Elleviou parfait
manque dans ce moment-ci à Faydeau, l'école mutuelle[188] de chant, et
le méloplaste[189], feront sans doute un jour disparaître cette pénurie
de chanteurs qui réunissent une belle voix et des grâces extérieures aux
autres agrémens de la taille et de la figure.

«L'active surveillance que les directeurs de ces deux méthodes
appliquées à la musique, exercent chaque jour sur les organes d'un
très-grand nombre d'individus, doit nécessairement donner l'éveil sur
des talens qui, sans ces procédés nouveaux, seraient restés
très-vraisemblablement inconnus et dans l'oubli.

«Me serais-je trompé? Lecomte, que nous avons vu au grand Opéra, ne
serait-il pas éminemment propre à remplir ce vide? D'ailleurs cet acteur
avait été élevé pour. Faydeau: ce serait donc le remettre à sa
véritable place, qu'il abandonna à son retour de Londres où il avait
fait une excursion lucrative. Des bords de la Tamise, il ne fit qu'un
saut sur les planches de l'Académie de Musique. Que je vous plains, mon
cher Philoménor, de n'avoir jamais vu jouer Elleviou! Fils d'un médecin
de Bretagne, cet acteur ayant vu représenter une pièce de théâtre à
Favart, se décida sur-le-champ pour l'état de comédien. Personne plus
que lui ne réunissait tous les dons nécessaires pour y devenir parfait.
Des traits réguliers, une figure éblouissante de jeunesse et de
fraîcheur, des cheveux blonds naturellement bouclés, une taille haute,
des formes qui paraissaient être celles d'Apollon, tel est le
signalement qu'on eût pu donner d'Elleviou[190]. Ajoutez à ces avantages
une voix légère, agréable, flexible, conduite avec un goût qui lui était
propre; le ton de la meilleure société, les airs d'un élégant de la
première classe; la suffisance du plus pétulant étourdi; enfin
par-dessus tout une grâce, un naturel qui ne se trouvait qu'en lui; et
vous aurez une idée complète de cet incomparable acteur. Dix ans après
avoir contracté un mariage avantageux avec une dame de la plus douce
physionomie et de la plus charmante tournure, Elleviou abandonna le
théâtre. Des motifs d'intérêt personnel, le désir de se rendre près de
son père, peut-être aussi celui de quitter la scène au milieu de ses
triomphes, et d'emporter les regrets universels d'un public idolâtre de
ses talens, engagèrent Elleviou à une retraite prématurée. Vivement
épris des charmes de la vie champêtre, il s'arracha au tourbillon de
Paris et se fixa dans une terre sur les bords du Rhône; là, il ne
s'occupe plus que des soins d'une vaste culture, et d'embellir le plus
délicieux séjour.

«Je dois remarquer à ce sujet que la plupart de nos grands acteurs ont
presque tous eu les mêmes inclinations pour la vie des champs. MM.
Larive, Talma, Lafont, Dérivis et beaucoup d'autres ont prouvé la
justesse de cette observation.

«Je vous ai cité Larive; cet acteur que nous ne reverrons plus, a su
conserver jusque dans un âge avancé ces moyens brillans qui lui avaient
fait une renommée si éclatante dans les beaux jours de sa jeunesse; et
il nous l'a prouvé lorsqu'en 1814 il reparut sur la scène de Favart dans
le rôle de Tancrède. Ce fut pour y faire une bonne action, pour jouer au
bénéfice des malheureux, qu'on le vit quitter sa riante solitude de
Montmorency, maison de plaisance dont les embellissemens lui ont coûté
des sommes énormes, et qui ressemble assez à un de ces palais que l'on
dit avoir été jadis bâtis par les fées. Placée sur le penchant d'une
montagne qui doit toutes ses beautés à la nature, et d'où l'on aperçoit
les points de vue les plus variés et les plus magnifiques, sa maison est
entièrement revêtue de coquillages et de rocailles arrangées avec un art
admirable. L'intérieur de l'édifice, où nos meilleurs architectes et nos
peintres les plus fameux ont déployé les trésors de leur génie, est
meublé avec le goût le plus exquis; on y remarque surtout les portraits
des plus célèbres acteurs et actrices de son temps. Sa bibliothèque y
fixe l'attention de l'ami des lettres. Presqu'entièrement composée de
pièces dramatiques, elle renferme encore beaucoup d'autres ouvrages
aussi précieux que bien choisis. Entre-t-on dans le parc, au sommet même
de la colline, couronnée de hautes futaies, une rivière arrose des
jardins dont le Virgile français[191] semble avoir planté les masses et
dessiné les contours: tantôt le fleuve paisible coule doucement à
travers les fleurs des prairies ou s'égare sous de frais ombrages;
tantôt il gronde en bouillonnant sur des lits de rochers, y roule en
nappes d'argent, et plus loin se précipite en cataractes impétueuses;
descendu dans un lac, il s'élance enfin en mille jets d'eau, et retombe
en pluie bienfaisante autour d'un pavillon délicieux qui décore le plus
riant paysage. Tel est ce lieu charmant bien digne d'être décrit par la
plume de Pline, et dont je ne fais que vous donner une légère esquisse.

«Le caractère des jardins de Talma est, dit-on, plus sombre et plus
propre à nourrir ses tragiques inspirations. Quoique Larive ait
absolument cessé de chausser le cothurne tragique, il se plaît à donner
des leçons[192] et des conseils aux jeunes artistes; sa mémoire est
encore extrêmement fidèle et riche de faits et d'anecdotes; souvent il
se plaît à les raconter, et peu de personnes ont dans leur manière de
narrer un tour plus piquant et plus original. «Je fus visité, disait-il
un jour à un jeune Américain dont le souvenir m'est bien cher, je fus
visité par un de ces hommes qui se sont miraculeusement sauvés au milieu
du torrent révolutionnaire, quoiqu'ils aient constamment occupé des
places lucratives.» «Qu'avez-vous fait, mon cher Larive, lui disait le
savant M. de ***, depuis votre retraite de la scène?» Larive qui,
pendant les jours de la terreur, avait été tourmenté, persécuté, plongé
dans les cachots, reprit subitement l'attitude majestueuse d'un héros de
théâtre, et lui répondit par ce vers foudroyant:

     J'ai vécu dans les fers, et vous avez régné[193].

Voici un fait plus singulier, contait encore Larive à cet ami dont je
vous ai parlé: je sortais du théâtre; j'avais joué Ladislas dans le
Venceslas de Rotrou; encore tout ému, tout agité, tout pénétré de
l'énergie, de l'exaltation que m'avaient inspirée les vers de mon rôle,
je rentrai chez moi; j'avais besoin de repos; je me couchai; je crus
voir dans ma femme la belle Cassandre, je vous laisse à deviner le
reste; mais au bout de neuf mois, jour pour jour, Mme Larive accoucha
d'un fils. Si l'expérience ne me le prouvait à chaque instant, le
croiriez-vous, Monsieur? ce fils est le vivant portrait du prince que
j'avais représenté, du prince avec lequel je m'étais pour ainsi dire
tellement identifié, que lui et moi ne faisions qu'un. Aussi, Monsieur,
ne vous étonnez pas si je lui ai transmis avec la vie, non-seulement le
port, les traits, la physionomie historique de ce jeune Polonais; chose
bien plus étonnante! il a reçu l'âme de ce héros, il a ses goûts, ses
passions impétueuses, ses indomptables penchants; en un mot, mon fils
est Ladislas; oui, Monsieur, c'est lui-même. Tel est le prédécesseur du
premier tragédien de notre siècle.»



CHAPITRE XIV.

Palais-Royal.--Passages vitrés.--Musée des rues.--Enseigne.


«Demain, mon cher Philoménor, dis-je à mon Grec en le quittant, on
représente _Hamlet_ et _l'École des Femmes_ au grand théâtre national;
si vous voulez, nous entendrons les premiers talens de la scène
française et peut-être du monde entier, je veux parler de Talma, de
Mlles Mars et Duchesnois. Lorsque vous aurez essuyé les pleurs que le
sombre désespoir du prince de Danemarck et les remords touchans de sa
mère vous auront fait répandre, vous verrez avec quel art l'Agnès la
plus parfaite sait exprimer toutes les nuances du sentiment et de
l'ingénuité.»

Philoménor accepta la partie, nous nous donnâmes rendez-vous au
Palais-Royal; et à l'heure marquée, le jeune Grec m'y attendait. «Les
formes de ce palais, lui fis-je observer, ont bien changé avec le temps
et avec les habitudes des Parisiens. Le Palais-Royal était
exclusivement, il y a peu d'années, le centre des affaires et des
plaisirs. À toute minute, l'affluence du public était telle que l'on
avait peine à circuler dans ces longues galeries qui, actuellement sont
souvent presque désertes. Et par suite de la mobilité des révolutions,
nous avons vu supprimer ou transporter, dans les rayons de la
circonférence de ce palais, des établissemens[194] que la mode et des
circonstances impérieuses y avaient fixés.

L'élégante commodité des passages vitrés de l'Orme, de Feydeau, du
Panorama et même du Caire, où la lumière si douce et si favorable
pendant le jour, est le soir si éblouissante, a beaucoup nui aux
galeries de ce palais. Ces passages sont des foires perpétuelles qui,
par leurs utiles dispositions, contribuent à nous consoler de la
destruction des grands monumens, sur les débris desquels plusieurs se
sont élevés. En toute saison, on y trouve un sûr abri contre
l'inclémence de l'air, et tout en s'y promenant, on y jouit du spectacle
des produits variés d'une industrie perfectionnée. Ces agrémens réunis
devraient bien engager l'administration municipale à multiplier ces
portiques et ces dômes transparens dans les quartiers de Paris où les
cours publiques de traverse sont si sombres et si sales.» «Vous allez
être convaincu, reprit Philoménor, que j'ai bien plus de plaisir à louer
qu'à censurer sans cesse. Vous avez ici, et dans mille autres endroits
de cette capitale, un très-grand avantage qui manque à beaucoup de
grandes villes en Europe, et ce titre de supériorité est votre musée des
rues. Un bon tableau, une figure de bronze, un bas-relief, des vases de
porcelaine, pour enseigne, valent bien, ce me semble, le compas ou la
boule d'or, le croissant ou la clef d'argent. Cependant je croirais
qu'une scène du Solliciteur ou de Jeanne d'Arc, serait préférable au
_Gagne-Petit_ ou au _Pauvre Diable_, et qu'il faudrait toujours choisir
des sujets qui élèvent ou charment l'imagination. Malheureusement,
jusqu'ici, la ganterie, la bonneterie et la chapellerie ne se sont point
soumis à cette révolution générale. Et lorsque les autres négocians ont
presque tous subi la loi du nouvel usage, l'œil est offusqué par ces
gants énormes, ces jambes de géant, ces chapeaux de Gargantua tous
peints en couleur éclatante. Et pourtant la suppression de ces gothiques
enseignes ne nuirait en rien au trafic de ces objets. Je suis
quelquefois étonné, ajoutait Philoménor, de rencontrer dans vos rues et
sur vos places publiques des compositions qui ne dépareraient pas les
galeries du Luxembourg.» «Cela s'explique, lui dis-je, nos meilleurs
artistes, dans leur jeunesse, n'ont pas dédaigné d'exposer d'immortelles
productions en plein air; par modestie ils ont gardé l'anonyme.» «Parlez
plus vrai, répliqua malicieusement mon Grec; en travaillant secrètement
et comme à la dérobée pour la lingère, le marchand de nouveautés, le
tailleur, et même pour de simples artisans aussi nécessaires, certains
peintres ont cru qu'à tout âge, il était très-bon et très-sage de
meubler à peu de frais leur garde-robe ou leur appartement. En faisant
l'enseigne de tel restaurateur, en peignant M. et Mme Fricotin[195], ils
se sont trouvés quelquefois très-heureux de s'assurer pendant l'année
d'excellens dîners pour quelques coups de pinceau. De bons dîners ont
leur prix; et il est plus d'un auteur connu, qui, malgré tout le mérite
de ses petits madrigaux, de son roman sentimental ou de ses belles
pensées philosophiques, n'a pas obtenu le même avantage. Les arts, mon
cher ami, les arts conduisent moins à l'hôpital que les lettres.»



SUITE DU PALAIS-ROYAL.

Souterrains anciens et modernes.--Maisons de jeu.--Embellissemens,
jardins suspendus.


Philoménor finissait à peine ses épigrammes, qu'une musique souterraine
se fit entendre. «Qu'est-ce donc? me dit-il; si nous descendions?» «Il
est inutile, repris-je, de connaître par vous-même ces caveaux, où l'air
est malsain. Ce concert continuel qui vous séduit, n'est guère
interrompu que par des farces dignes de la foire, la danse d'un Turc,
les grimaces d'un sauvage, et quelques scènes de vaudeville. Je me
trompe, vous y entendriez encore le caquet de vingt femmes du palais,
qui semblent y tenir salon au milieu de la fumée des cigares, de la
vapeur du punch et des liqueurs de toute espèce. D'après cette fidèle
esquisse, mon cher ami, votre curiosité doit, je crois, être bien
affaiblie et détrompée. Autrefois, d'autres souterrains étaient
très-fréquentés, m'a-t-on assuré, et même par la bonne société. Le
caprice vous en prenait-il, on passait plusieurs jours dans un antre
que remplace aujourd'hui ce bassin; et l'on y trouvait un cirque, des
restaurateurs, des cafés, des marchands de toute espèce; en un mot, tout
ce qui peut rendre la vie agréable et délicieuse, si toutefois elle peut
l'être, lorsqu'en plein midi on est privé d'une atmosphère pure, de la
douce lumière du jour, et qu'on n'est éclairé qu'à la lueur des lampes.
Un horrible incendie, dont même on rendit complice l'autorité d'alors,
détruisit de fond en comble cette grotte enchantée, qui depuis n'a pas
été rétablie à la même place, nous avons vu planter un bosquet, ensuite
on l'arracha. On y fit jaillir cette fontaine, peut-être trop simple.»
«Je me plairais, me dit Philoménor, à voir autour de ce bassin et de ces
gerbes d'une eau limpide, se balancer le majestueux peuplier d'Italie.
Je voudrais y sentir la douce odeur des myrtes et des rosiers qui, sans
intercepter la vue, seraient sans cesse humectés et rafraîchis par une
pluie continuelle et bienfaisante.»

«Votre projet, repris-je, mon cher Grec, serait peu coûteux: vivent les
embellissemens dont la nature seule fait les frais! au-dessus de ces
portiques qui entourent le jardin, le soir, des salles resplendissantes
de lumière sont occupées par des jeux publics. Avant la révolution,
elles l'étaient par les plus célèbres courtisanes. Là, au son d'une
musique enivrante que l'on entend des appartemens voisins, là, mon ami,
vont s'engloutir trop souvent, hélas! les fortunes qui paraissaient les
plus solides, et que l'on voit s'écouler rapidement, si je puis
m'exprimer ainsi, au milieu des réceptacles les plus impurs de la
capitale. Vous voudrez bien me permettre de ne pas m'appesantir sur la
cupidité et l'adresse des filous qui s'y rencontrent. Souffrez que je me
taise encore sur la stupidité et le désespoir de leurs dupes, ou, pour
mieux dire, de leurs victimes. Des malheurs sans nombre dont ces
établissemens sont la seule cause, font désirer aux partisans des bonnes
mœurs que le gouvernement soit promptement à même de fermer pour jamais
ces repaires de tous les vices et de tous les crimes.» «Éloignons ce
hideux tableau, répliqua Philoménor en m'interrompant. La sagesse
comblera le gouffre qu'a creusé jadis le plus vil égoïsme. Reportons nos
regards sur les élégantes sculptures de ce palais, et sur les
embellissemens nouveaux dont il est susceptible. Quel aspect enchanteur
offrirait ce monument immense, si l'on faisait des changemens dans
quelques entrées et dans quelques pavillons? Qu'annoncent ces couloirs
étroits où l'on se presse, où l'on se heurte, où l'on s'engouffre? Je
crois qu'il serait absolument utile de dégager entièrement les passages,
de percer à jour le café de la rotonde et de donner aux perrons une
largeur plus convenable. Alors, des allées du parterre, vous auriez en
perspective la scène toujours variée, toujours mouvante de la rue
Neuve-des-Petits-Champs et de la rue Vivienne. Proscrivez encore, ajouta
mon Grec, dans l'intérieur, de prétendus ornemens, tels que ces
berceaux, ces treillages[196], ces enseignes et tout regrattage qui ne
serait point général et uniforme: alors vous aurez assuré à ce grand
édifice une beauté nouvelle et durable. Pour donner à la partie du
palais occupée par le prince, cette harmonie dans l'ensemble qui est
tout en architecture, il serait, ce me semble, indispensable
d'exhausser le toit de l'ancien Tribunal, et de le mettre en équilibre
avec la coupole du Théâtre-Français, dont nécessairement on ne peut
diminuer la hauteur.

«Dans la seconde cour qui se trouve entre le palais et les galeries de
bois, il faudrait aussi rendre parallèles les deux pavillons du centre,
faits pour être égaux en tout; et dont les frontons semblent néanmoins
avoir été bâtis sur deux plans différens. Cette entreprise est d'autant
plus facile à exécuter que des échafaudages sont dans ce moment dressés
pour y faire des réparations, et que l'architecture du pavillon où l'on
travaille n'est même qu'ébauchée. Ainsi, point de main d'œuvre perdue à
regretter, et un degré de perfection à obtenir.

«Enfin, que ces galeries de bois si dangereuses pour le reste de
l'édifice, surtout en hiver, s'écroulent subitement pour faire place à
des arcades transparentes, couronnées par des vases, des balcons, des
trophées, des arcades dont les voûtes solides soutiendraient une longue
terrasse découverte en été, abritée dans la saison froide par des
châssis mobiles, et où, par ce moyen très-simple, les arbustes et les
fleurs de tous les climats, retraceraient en France ces jardins
suspendus de Babylone, la merveille et l'admiration des siècles.»

J'approuve cette idée repris-je: elle tient de la féerie: un génie de
l'Orient a pu seul la concevoir. Mais vous, mon cher ami, qui êtes si
justement persuadé que le beau idéal en architecture résulte
essentiellement de l'équilibre dans les différentes masses, vous
conviendrez avec moi qu'il ne faudrait pas oublier de lier et de réunir
ces jardins en terrasses aux bâtimens qui séparent les deux cours, par
une galerie, adossée au théâtre Français, et correspondant à celle qui
sert au prince, de salle de réception: l'usage auquel on pourrait
destiner cette galerie rappellerait celles qui ont été détruites à
différentes époques. On pourrait placer avantageusement au
rez-de-chaussée, des antiques actuellement si rares dans ce palais, un
cabinet d'histoire naturelle, et un autre des arts et métiers, que l'on
y voyait avant la révolution: au-dessus, dans les travées de la galerie
proprement dite, les grandes compositions historiques, commandées par
S. A. S. à nos peintres les plus célèbres, y feraient beaucoup plus
d'effet que dans les appartemens où ces peintures se trouvent maintenant
disséminées.

Quoique la collection actuelle de ce palais ne soit pas formée de
chefs-d'œuvre aussi nombreux et aussi rares qu'elle l'était autrefois,
on y admire encore beaucoup de tableaux d'un grand mérite dans tous les
genres et surtout les portraits des princes et princesses de la maison
d'Orléans que l'on chercherait vainement ailleurs, entre autres ceux
d'Henri IV dans son enfance, des filles du Régent et de l'infortunée
princesse de Lamballe.

En suivant nos projets, répliqua Philoménor, on compléterait ce qui
existe, on rassemblerait ainsi au centre de cette capitale et dans une
même enceinte, les prodiges que la nature a fait éclore avec tant de
profusion en cent pays divers, et tout ce que les arts et l'industrie
d'hommes supérieurs à leur siècle, ont inventé de plus parfait et de
plus divin pour le bonheur de leurs semblables.

FIN DU PREMIER VOLUME.



NOTES

[1: Dans le cas où quelques abus dont il est parlé dans cet ouvrage,
auraient été réformés depuis son impression, l'auteur prévient qu'il
n'en est pas moins très-vrai qu'ils existaient au moment où il les a
signalés.]

[2: Que de charmes encor dans leurs restes flétris!

DELILLE. ]

[3: «Il reste encore vingt-huit métopes aux deux façades du temple de
Minerve; une seule est passablement conservée, celle de l'angle
sud-ouest.» _Voyage dans le Levant_, par M. le comte de Forbin,
directeur du Musée royal de Paris.]

[4: «Au temple d'Erectée, on a pris la colonne angulaire, de sorte qu'il
faut soutenir aujourd'hui avec une pile de pierre, l'entablement entier
qui menace ruine.» _Itinéraire de Paris à Jérusalem_, par M. de
Châteaubriand, 1er volume.]

[5: «Les Anglais ont encore emporté la statue de Cérès Éleusine. Les
destructions se multiplient avec une telle rapidité dans la Grèce, que
souvent un voyageur n'aperçoit pas les moindres vestiges des monumens
qu'un autre voyageur a admirés quelques mois avant lui.» _Itinéraire de
Paris à Jérusalem_, tome 1er.]

[6:

     «Parga s'applaudissait de sa félicité,

     . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

     ... Moment terrible où Parga consternée
     Apprit que d'Albion les décrets inhumains
     Au joug des musulmans l'avaient abandonnée;

     . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

     . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

     Quels sanglots! quels adieux! quels cris se font entendre!
     Vers leurs tristes vaisseaux qu'ils ont peine à marcher!
     À la terre natale on les voit s'attacher,
     La presser dans leurs bras, l'arroser de leurs larmes;
     La voix des nautonniers ne les peut arracher
     À ce sol qui pour eux n'eut jamais tant de charmes.
     Adieu! s'écriaient-ils, adieu! rive fleurie!
     Adieu! terre antique et chérie,
     Où nos cœurs ont battu pour la première fois!
     Adieu! malheureuse patrie...

Ces vers si touchans sont extraits du poème de M. J. P. G. VIENNET,
capitaine au corps royal d'État-major, chevalier de Saint-Louis et de la
Légion-d'Honneur.]

[7: Voyez Londres et ses habitans en 1816, et journaux plus récens.]

[8: Dans le vaudeville _Femme à vendre_.]

[9: Tels sont les heureux résultats de la musique: la cadence et
l'harmonie subjuguent profondément l'âme, et l'ébranlent avec une force
inexprimable; en lui transmettant des impressions pleines de charmes,
elles communiquent les graces les plus séduisantes à ceux qui cultivent
cet art presque céleste. _République de Platon_, livre III.]

[10: Nous allons traiter des rapsodes; c'est-à-dire, de ceux qui
chantent les hymnes et les morceaux choisis des poëtes; nous parlerons
ensuite de ceux qui les accompagnent, des combats du chant entre les
différens chœurs, et de leur introduction nécessaire dans les _fêtes
solennelles_. _Platon_, _Traité des lois_, livre VIII.]

[11: Madame la duchesse de Berri s'est formé à Paris un charmant Musée
dans le goût de ceux d'Italie, où des tableaux anciens et modernes se
trouvent mêlés avec des vases, des bustes, des raretés de toute espèce.]

[12: Le roi des Pays-Bas en a senti le besoin, en arrêtant que les
mendians valides seront transportés aux colonies par la société de
bienfaisance.]

[13: Cet homme aussi bienfaisant que modeste qui, sous le voile de
l'anonyme, employait son immense fortune à soulager tous les genres de
malheurs, à récompenser les vertus les plus ignorées et à protéger par
des prix d'encouragement les arts, les sciences et les lettres.]

[14: Auquel on joindrait les sommes que le gouvernement affecte
annuellement à cet usage.]

[15: Huit cents ans avant l'ère chrétienne, Homère fut réduit à mendier
pour vivre.]

[16: Le Camoëns, né en 1517, périt à l'hôpital en 1579.]

[17: Le Tasse, né en 1544; l'indigence et les privations en tout genre
avancèrent sa fin en 1595.]

[18: Cervantes, né en 1547, fut accablé de besoins et d'infirmités, et
mourut dans un abandon presqu'absolu en 1616.]

[19: Malfilâtre, connu par l'_Ode au Soleil_ et le poème de _Narcisse_,
né à Caen, en Normandie, fut obligé de changer de nom, pour se
soustraire aux poursuites de ses créanciers; mort à Paris, près le
cloître Saint-Germain-l'Auxerrois, chez la femme d'un tapissier qui
l'avait recueilli par charité.]

[20: Dorvigny, né vers 1734, acteur comique, et auteur de _Jeannot ou
les battus payent l'amende_, de _l'Oncle Valet_, _du Vieux Château_, du
_Désespoir de Jocrisse_, des _Fausses Consultations_, et autres pièces;
mort dans un grenier en 1812.]

[21: Dellamaria, né à Marseille en 1778, composa la musique du
_Prisonnier_, de _l'Opéra comique_, et expira de faim sur une borne de
la rue Richelieu.]

[22: Gilbert, né en 1751, en Lorraine, victime de trop beaux vers
dirigés contre des hommes puissans, mourut à l'Hôtel-Dieu, en 1780.]

[23: Ce que je propose est exécuté chaque jour à Londres par des
compagnies qui achètent les vieilles maisons d'un quartier, et les font
rebâtir à leurs frais. Dans ces nouvelles constructions, chaque nouvelle
habitation a souvent un petit jardin attenant. Au centre des places ou
_squares_ est une enceinte entourée de grilles, et ornée intérieurement
de gazons, de fleurs, d'arbres et d'arbrisseaux, pour y entretenir la
fraîcheur et y renouveler l'air, si favorable à la conservation de la
santé. Les charmantes plantations dont je viens de parler, environnent
dans certains squares des statues quelquefois équestres[24], mais
presque toujours en marbre ou en bronze. Ces promenades fermées aux
étrangers, sont ouvertes aux personnes qui ont acquis le droit d'y
entrer. Dans quelques soirées du dimanche, au mois de juin 1815, on
exécuta des symphonies à _Portman Square_, malgré l'usage qui proscrit
ce jour-là tout divertissement public à Londres; mais quelques pieux
personnages ayant trouvé ces plaisirs trop mondains, ce genre
d'amusement fut défendu. De riches propriétaires encouragent
singulièrement les entreprises des compagnies que j'ai citées. Le duc de
Bedfort céda il y a quelques années un terrain immense placé devant son
hôtel à des particuliers qui y firent bâtir un grand nombre de maisons
et des squares. Ces édifices composent maintenant une nouvelle ville qui
joint pour ainsi dire Londres à Sommerstown. J'ajouterai que par suite
du marché conclu avec les acquéreurs de ce vaste domaine, la fortune du
noble lord, déjà très-considérable (sept millions de francs de rente),
doit sous peu devenir immense. Enfin, Georges IV, n'étant que prince
régent, fit ouvrir une rue devant son palais; c'est la plus belle de la
capitale. Tels sont les effets d'un vrai patriotisme.]

[24: Guillaume III dans Leicester Square; Georges Ier dans Hanover
Square; Georges III dans Saint James Square.]

[25: On contraint le propriétaire qui bâtit sur la voie publique à
recevoir et à suivre l'alignement qui lui est tracé par l'autorité
compétente; la même puissance n'aurait-elle point droit de le forcer à
mettre la corniche de l'édifice qu'il construit de niveau avec celle de
son voisin, et d'empêcher par là cette inégalité de toitures, toujours
désagréable pour des yeux amis d'une belle uniformité? Si cette mesure
n'est point, comme je le crois, contraire aux lois et dépend absolument
de la volonté municipale, au moins pour les terrains vendus par le
gouvernement et la cité, pourquoi ne la met-on pas à exécution dans les
nouvelles constructions des rues Godot et de la Paix? J'ai entendu dire
à des hommes d'un grand mérite que cette uniformité perpétuelle des
bâtimens était fatigante à la longue (ils citaient Londres comme
exemple); mais jamais l'alignement de l'édifice, des fenêtres et du
toit, ne produira ce désagréable effet, en supposant surtout que cette
triple exigeance n'exclurait point la diversité des ornemens tels que
péristyles, colonnades, bas-reliefs pour les grands hôtels et les
palais. La monotonie des autres maisons rendrait ces décors plus
saillans; mais enfin, et c'est l'objection la plus forte, vous empiétez,
ajoute-t-on, sur la liberté qu'a tout individu de bâtir à sa fantaisie;
et je réponds que cette liberté reçoit un bien plus grand échec et se
trouve blessée bien davantage lorsque, pour élargir la voie publique, on
fait perdre au propriétaire de telle maison plusieurs toises carrées du
sol qu'il habitait. Ce sacrifice, que lui impose la loi maintenant en
rigueur, est très-réel; celui que je propose est bien moindre; il est
presque imaginaire et fictif.]

[26: On se montre aujourd'hui bien éloigné de ces idées conservatrices.
Pour prolonger la rue d'Artois jusque dans la rue Saint-Lazare, on vient
de démolir l'hôtel Thélusson, un des plus pittoresques de Paris, et même
l'arcade d'entrée, monument qui ne nuisant point au passage, eût pu
subsister comme souvenir et décoration pour ce quartier. On ne sait
encore par quel esprit de vertige on détruisit; quelques années avant la
révolution, la porte Saint-Antoine, restaurée sous Louis XIV, et
couverte de bas-reliefs sculptés par Jean Goujon.]

[27: Tour de Saint-Jean-de-Latran, montagne Sainte-Geneviève.]

[28: Tour dite de l'Horloge et autres contiguës, qui, vues des quais et
des points les plus éloignés, font un charmant effet dans la
perspective.]

[29: Cloître Notre-Dame, rue des Chantres.]

[30: Rue des Bourdonnais, enseigne de la Couronne d'or, hôtel
précédemment occupé par Philippe-le-Bel; par Philippe, duc d'Orléans,
frère du roi Jean; par Gui de la Trémouille; par le chancelier Dubourg,
ensuite par le président de Bellièvre, et maintenant par un teinturier
et un marchand de soieries. Une tourelle, soutenue par deux colonnes,
quelques sculptures élégantes, s'y détachent à travers de nouvelles
constructions.]

[31: Hôtel du cardinal Duprat, rue des Barres.]

[32: Rue Saint-Avoye, où mourut Anne de Montmorency, le siége de la
banque de Law.]

[33: Rue Saint-Antoine, n° 143, bâti, dit-on, par Henri IV; il fut
également habité par M. Turgot, dont on y voit le portrait, et par le
marquis de Boisgelin. En 1818 on y trouvait un café, des billards. Cet
hôtel, orné de statues en pierre et de peintures, a été parfaitement
restauré par le propriétaire actuel. C'est là qu'est placée l'École
spéciale du commerce.]

[34: Rue de Seine, où demeurait Turenne, habitation d'un libraire.]

[35: Rue Saint-Antoine.]

[36: Occupé maintenant par l'École spéciale des ponts-et-chaussées.
L'hôtel de Carnavalet, rue Culture Sainte-Catherine, n° 27, est célèbre
par Mme de Sévigné, qui l'habita quelque temps avec Mme de Grignan, sa
fille, et par les sculptures de Jean Goujon, défigurées dans l'intérieur
de la cour, comme celles du Palais de Justice, rue de la Barillerie, par
d'énormes tuyaux de poêles qui noircissent l'édifice et interceptent la
vue d'une partie des bas-reliefs. Conçoit-on bien en 1823 une pareille
barbarie?]

[37: Président à qui Boileau adressa une épître. Cet hôtel est
malheureusement masqué par quelques bâtimens modernes peu assortis avec
son antique architecture, rue Pavée, n° 24.]

[38: Dépôt des archives des divers ministères, et imprimerie royale;
d'une architecture remarquable.]

[39: Île Saint-Louis, hôtel où fut établie une pension, et métamorphosé
depuis en magasin.]

[40: L'intérêt de l'art semblerait exiger que l'on prît définitivement
de sages mesures pour conserver tant de belles antiquités éparses dans
les campagnes de France: entre autres je citerai les forteresses de
Coucy dans le Laonnais; la maison de la reine Blanche si pittoresquement
placée dans les bois et sur les bords des lacs de Chantilly. Ne
devrait-on pas imiter la conduite de cet estimable Français dont je
regrette de ne pas savoir le nom, qui a dernièrement acheté les restes
magnifiques du château de Pierre-Fonds, situé sur la lisière de la forêt
de Compiègne, dans le seul but de les entretenir et d'en empêcher la
ruine totale? Ce château, bâti par le duc d'Orléans, frère de Charles
VI, en 1390, possédé par Henri V, roi d'Angleterre, en 1421, fut
démantelé sous Louis XIII.]

[41: Florissait en 1540; il bâtit Écouen.]

[42: On doit à Jules-Hardouin Mansard le dôme des Invalides, la galerie
du Palais-Royal, la place de Louis-le-Grand, celle des Victoires, la
cascade de Saint-Cloud, le château et la chapelle de Versailles.

François Mansard inventa cette sorte de couverture nommée mansarde. Il
donna les plans du portail des Minimes, de la place Royale, de l'hôtel
des Comptes, de celui de Bouillon, de celui de Toulouse, de l'hôtel de
Jares, de l'église du Val-de-Grâce, etc.]

[43: Le Nôtre, aussi célèbre par l'à-propos de ses réponses que par ses
talens, fit à Saint-Germain la fameuse terrasse, dessina les jardins de
Versailles, de Clagny, de Chantilly, de Saint-Cloud, de Meudon, et les
décora de grottes, de colonnades et de portiques.]

[44: Que sont devenues les peintures de cette galerie que les étrangers
allaient admirer avec autant de curiosité que celle de Versailles?]

[45: Vendu à très-vil prix; la bande noire a fait un bénéfice énorme;
les amateurs déplorent la perte des peintures évaluées à près d'un
million.]

[46: Relevé par la munificence royale.]

[47: Chanté dans ces vers de Delille:

     Admirez. . . . . . .
     Chanteloup fier encor de l'exil de son maître.

     _Poème des Jardins_, chant premier.
]

[48: En Normandie, patrie de Malherbe.]

[49: Boileau habitait la cour de la Sainte-Chapelle.]

[50: Racine, rue des Maçons.]

[51: «En épargnant de tristes détails sur l'infection de la Seine par
les matières hétérogènes de la Bièvre, des éviers de l'Hôtel-Dieu, des
bains, et des autres immondices sans cesse remuées, agitées dans le
canal de la Seine par les rames, les avirons des bateaux, les filets des
pêcheurs, les opérations de l'extraction du sable, le brisement des
flots aux piles des ponts et le mouvement de la buanderie, qui emploie
un si grand nombre de bateaux emplacés dans le propre thalweg du fleuve,
je passerai sous silence les résultats affligeans des autopsies
cadavériques, les épidémies nombreuses arrivées à Paris par
l'insalubrité de l'eau, suffisamment attestées par des savans du mérite
de M. de Jussieu; je veux même faire grâce du témoignage des propres
employés des pompes, qui avouent la mauvaise qualité de l'eau qu'ils
fournissent.» _Lettre de M. Doé. Miroir._]

[52: Ville de boue, du mot _lutum_.]

[53: Le Vatican à Rome en est la preuve.]

[54: Ce défaut de goût, cette absence des convenances, disparaîtraient
si les vrais artistes étaient mieux connus et surtout employés; si l'on
faisait revivre dans la quatrième classe de l'Institut les anciens
réglemens de l'Académie, dont avant la révolution le nombre des
sociétaires était illimité, et où l'on n'obtenait ce titre qu'après
avoir disputé l'_honneur d'y être admis en faisant un chef-d'œuvre_. Un
des grands ridicules de la nouvelle organisation, est, selon nous, que,
passé trente ans, on ne puisse plus concourir pour les grands prix de
peinture, sculpture, architecture, comme s'il n'existait pas des talens
qui n'acquièrent leur véritable développement que dans l'âge mûr. Un
autre article, infiniment préjudiciable à l'art, doit être remarqué. On
n'obtient plus le droit de professer à soixante ans, âge où l'expérience
a réuni le plus de préceptes et où la mémoire est si riche
d'observations. Il semble, comme l'a dit M. Deseine, qu'on ait oublié
que ce fut à cet âge que Lebrun peignit ses batailles d'Alexandre, et
que Julien avait plus de soixante-dix ans lorsqu'il mit la dernière main
à sa statue du Poussin; et qu'enfin Bouchardon, arrivé fort tard à la
réputation d'un homme de mérite, fit la statue de Louis XV. (_Notice
historique sur les anciennes académies de peinture, sculpture de Paris,
et celle d'architecture._)]

[55: Cette armure avait appartenu à M. l'abbé de Tressan, décédé à
l'Abbaye-au-Bois, ensuite à M. le duc de Saulx-Tavannes, pair de France,
mort en son Hôtel, rue de Fleurus.]

[56: Dénomination que les Italiens ont donnée aux jaspes et à certains
albâtres qui se distinguent par une multitude de nuances vives analogues
à celles des fleurs; c'est l'onix des anciens. La _Minéralogie_
appliquée aux arts par M. Brard, ancien directeur des mines en Savoie,
tome 2, page 402.]

[57: Nous n'avons vu jusqu'ici au Musée qu'un seul portrait de la
collection de M. Crawfurt, celui de Bossuet, par Rigault; on a depuis
acheté, pour le Luxembourg, la Psyché de Gérard; mais nous avons vu
livrer à l'étranger, pour seize ou dix-huit mille francs, la vie de
l'Amour[58], en six tableaux, qui auraient si bien décoré notre Musée
moderne. Ces Amours, dont les figures et les attitudes étaient si
variées, si délicieuses, sont actuellement en Russie.]

[58: Vente du général Rapp.]

[59: C'est, m'a-t-on assuré, un amateur français qui en a fait
l'acquisition.]

[60: On peut les voir chez un marchand, quai Malaquai.]

[61: Le Christ au tombeau.]

[62: À l'hôtel de l'Hôpital, rue du Temple, n° 108.]

[63: Callot ne voulut peindre ni les vainqueurs de sa patrie, ni les
batailles remportées sur son souverain.]

[64: Un fait nouveau vient appuyer mes conjectures:

«Le hasard vient de faire découvrir dans un champ près d'Avalon (ville
très-ancienne de Bourgogne, dont il est fait mention dans l'Itinéraire
d'Antonin) l'enceinte d'un temple antique, parfaitement dessiné par des
murs qui ont deux ou trois pieds de haut, une grande quantité de statues
mutilées de marbre blanc de la plus rare beauté, et beaucoup de pièces
de cuivre et d'argent, toutes marquées au coin des empereurs romains.

«M. Caristie, architecte du gouvernement, fera bientôt sur ces
précieuses découvertes un rapport à l'Institut.»

Espérons aussi que le cabinet des médailles s'enrichira de quelques
pièces, peut-être rares dans sa collection, et que le Musée de Paris
fera restaurer les statues, dans le cas où elles aient réellement cette
_beauté rare_ qu'on a cru y apercevoir.]

[65: Voyage de M. de Forbin dans le Levant.]

[66: Cocherau, auteur d'un tableau représentant un _atelier de
Peinture_, mort le 16 août 1817, sur la côte d'Afrique.]

[67: M. de Forbin a rapporté pour le Musée royal deux fragmens assez
beaux de statues de femmes, un casque de bronze de la plus belle
conservation, une urne, deux petites chaînes d'or (page 13) et un vase
dit étrusque; en tout, frais de transport compris, pour 28 mille francs,
(p. 24.) Voyage dans le Levant.]

[68: Voyage dans le Levant, page 316.]

[69: M. de Forbin l'avoue lui-même, la Sicile est pour ainsi dire une
mine d'objets d'arts. La lampe de bronze, d'une forme élégante, qui
s'éteignit dans un sépulcre, éclaire aujourd'hui, dit-il, la chaumière
du pâtre d'Enna. _Souvenirs de la Sicile_, page 182. Le roi de Naples,
ajoute-t-il, a presqu'autant de statues que de sujets, _idem_ page 25.
Voyez encore les pages 109, 113 et 114.

M. de Forbin a rapporté de Sicile des dessins, plusieurs vases
d'Agrigente, deux belles médailles d'Agyrium et un torse en plâtre,
qu'il doit à la politesse soigneuse de monsignor Ciantri Panitieri.
_Souvenirs de la Sicile_, pages 94, 99 et 181.]

[70: M. Durville.]

[71: Une souscription fut ouverte à Rome comme l'on sait, pour les frais
que nécessitaient les travaux; beaucoup d'étrangers se firent inscrire.]

[72: Ces tribunes existaient sous Bonaparte; la Chambre alors se
composait de cinq cents membres, qui s'y trouvaient fort à l'aise.]

[73: Deux tribunes seulement ont été rétablies; l'une pour la chambre
des pairs, l'autre pour les ambassadeurs. Il eût été facile d'en
replacer d'autres, également réservées, et à la disposition de MM. les
députés.]

[74: Sous la réserve de conserver à l'état les bois nécessaires à la
marine, et la jouissance des mines et carrières, qui ne peuvent être
exploitées que par des dépenses toutes royales.]

[75: Tels que le Henri IV et le duc de Berri de la salle des
Conférences, dont l'inauguration fut pourtant annoncée avec tant
d'emphase par certaines feuilles publiques.]

[76: Enlevé d'abord, réinstallé ensuite, ainsi que celui de Louis XVI,
depuis qu'on y a fait l'inauguration du buste du roi régnant, sculpté
par le célèbre Bosïo.]

[77: La reine Marie-Antoinette habitait à Paris les appartemens
maintenant occupés par Sa Majesté Louis XVIII.]

[78: Il vivait alors ce vertueux Français, à l'époque où ceci fut écrit.
En preuve de ce que j'avance, on peut voir à Vincennes le mausolée du
duc d'Enghien, et à Saint-Roch l'histoire de la passion, qui, par
parenthèse, aurait besoin d'une réparation complète.]

[79: Tels que ceux de la galerie de Dusseldorf.]

[80: Les doigts des deux pieds du fleuve du Rhin personnifié, ont été
nouvellement brisés; on ne sait par quel accident.]

[81: Une partie de ces ornemens sont brisés depuis les nouveaux
travaux.]

[82: Ce plan a déjà été exécuté en partie en Toscane. M. Dupaty écrivait
en 1785: «À Florence la salle des plâtres est immense. Sur deux lignes
parallèles sont rangés tous les plâtres des plus belles statues que
possède aujourd'hui l'Italie.» (_Lettres sur l'Italie_, tome 1er, pag.
168)]

[83: On remplaça l'Apollon du Belvéder, le Gladiateur, le Laocoon et
autres, par des copies en plâtre.]

[84: «Il est même probable qu'elle se continue dans le département de la
Seine-Inférieure, vers Forges et Neufchâtel. La couleur générale est
plus ou moins grise, quelquefois jaunâtre, variée de traits plus foncés
et quelquefois de points rougeâtres, dont l'ensemble offre un mélange
agréable, et présente des accidens multipliés; ce marbre est très-dur.
Les acides n'ont sur lui qu'une action très-lente; il est susceptible du
plus beau poli; vu son abondance, on pourra même l'employer à bâtir.»
(_Gazette de France_, du 25 octobre 1821.)]

[85: «Ces bans appartiennent à M. le baron Morel. Il paraît qu'on
s'occupe d'employer ce marbre indigène dans les constructions publiques.
La réussite de ce projet sera une noble conquête faite au profit de
l'industrie nationale sur le monopole étranger.» (_Le Constitutionnel_,
30 novembre 1821.)]

[86: Mieux informés que nous n'étions lorsque cette remarque fut écrite,
nous dirons que ces ornemens ridicules, déjà brisés, et en partie
détruits, n'étaient que provisoires et seulement en attendant qu'ils
soient exécutés en bronze doré. Enfin, si les accessoires de ce monument
n'ont pas été faits en matière plus solide, si les marbres qui doivent
revêtir les murailles n'ont pas été placés de suite, il est juste de
n'en point jeter le blâme sur M. Deseine; cet habile sculpteur m'a dit
avoir perdu plus de quinze mille francs sur la façon de ce groupe. L'on
doit bien plutôt en accuser une autorité que je ne nommerai pas, et qui
seule a mis des entraves à la confection de ces décors complémentaires.
(_Note de l'auteur._)]

[87: À la cathédrale, on en peut dire autant de la niche où l'on a placé
la belle Vierge des Carmes; l'intérieur de cette niche est peint,
lorsque l'importance du monument exigerait du marbre, du porphyre, de
l'albâtre, ou tout au moins du stuc.]

[88: «Il paraît que ce fut vers le règne de François Ier que l'on
commença à négliger en France le choix des matériaux, la bonté des
cimens, la force des constructions, pour ne s'occuper que de la forme et
de la décoration. En rapportant d'Italie la belle architecture des Grecs
et des Romains, on aurait dû les imiter également dans les précautions
qu'ils prenaient pour assurer la durée de leurs ouvrages sous un climat
bien moins délétère. L'égoïsme fut réduit en système. On jouissait des
ouvrages des morts, mais on ne voulait rien faire pour les races
futures; aussi la porte Saint-Denis, en 1800, était plus dégradée que
l'arc de Constantin, Versailles inhabitable, et l'aqueduc de Maintenon,
monument gigantesque, tombait en ruines.» (_Voyage de Kamgki_, tome 1er,
pag. 28 et 29, par M. le duc de Lévis.)]

[89: Art parfait en Italie, trop peu cultivé en France; je n'en connais
à Paris qu'un dépôt et un atelier. On a fait sonner bien haut la facture
de quelques fresques, c'est-à-dire des peintures faites sur un enduit de
chaux ou de sable, appliqué sur les murs d'un édifice, et l'on néglige
de remettre à neuf les belles peintures presqu'effacées des voûtes de
Saint-Sulpice et de Saint-Roch. Sans vouloir déprécier le genre de la
peinture à fresque, très-intéressant en soi pour certains lieux, il est
toutefois trop peu durable pour être admis exclusivement à l'ornement
des plus belles basiliques et des palais de la capitale. La mosaïque est
la seule composition vraiment solide; c'est donc cet art que l'on ne
peut trop encourager ni trop prodiguer dans nos grands monumens.]

[90: Vénus Borghèse, Trajan, Esculape, etc.]

[91: Élève de Michel-Ange, et réparateur des plus belles statues de
l'antiquité.]

[92: «La statue était de deux pièces, jointes au moyen de deux forts
tenons en fer. Le Grec, craignant de perdre le fruit de ses travaux,
ajoute M. Durville, en avait fait porter et déposer dans une étable la
partie supérieure avec les deux Hermès; l'autre était encore dans la
niche. Je visitai le tout attentivement, et ces divers morceaux me
parurent de bon goût, autant cependant que mes faibles connaissances
dans les arts me permirent d'en juger.

«La statue, dont je mesurai les deux parties séparément, avait, à
très-peu de chose près, six pieds de haut. Elle représentait une femme
nue, _dont la main gauche_ relevée _tenait une pomme_, et la droite
soutenait _une ceinture habilement drapée_, et qui tombait négligemment
des reins jusqu'aux pieds; du reste, elles ont été l'une et l'autre
mutilées, et sont actuellement détachées du corps; les cheveux sont
retroussés par derrière et retenus par un bandeau; la figure est
très-belle, et serait bien conservée, si le bout du nez n'était pas
entamé (on l'a restauré en plâtre); le seul pied qui reste est nu; les
oreilles ont été percées et ont dû recevoir des pendans. Tous ces
attributs sembleraient assez convenir à la Vénus du jugement de Pâris;
mais où seraient alors Junon, Minerve et le beau berger?»

Où? Tout à côté, peut être; il serait donc utile de faire en cet endroit
de nouvelles fouilles. M. Durville fortifie mon opinion en rapportant:

«Qu'on a trouvé en même temps un pied chaussé d'un cothurne et une
troisième main. D'un autre côté, le nom de _melos_ a le plus grand
rapport avec le mot qui signifie _pomme_. Ce rapprochement ne serait-il
pas indiqué par l'attribut principal de la statue?

«Les deux Hermès l'accompagnaient dans sa niche; du reste, ils n'ont
rien de remarquable. Leur hauteur est de trois pieds et demi; l'un est
surmonté d'une tête de femme ou d'enfant, et l'autre porte une figure de
vieillard avec une longue barbe; l'entrée de la niche était surmontée
d'un marbre de quatre pieds et demi environ de longueur sur six à huit
pouces de largeur; il portait une inscription, dont la première moitié
seule a été respectée par le temps; l'autre est entièrement effacée;
cette perte est inappréciable; peut-être eussions-nous acquis par là
quelques lumières sur l'histoire de cette île, que tout prouve avoir été
jadis très-florissante et dont le sort nous est inconnu depuis
l'invasion des Athéniens, c'est-à-dire depuis vingt-deux siècles.

«Au moins eussions-nous appris à quelle occasion et par qui ces statues
avaient été consacrées. Néanmoins j'ai copié avec soin les caractères
qui restaient de cette inscription, et je puis les garantir tous,
excepté le premier, dont je ne suis pas sûr.»

     ?????°S???°???°G?........?S...
     ????????????????°.............
     ????????????.
]

(_Extrait des annales maritimes et coloniales_, mars 1821, pag. 152.)

Peut-être Tisandre[93], sculpteur, qui fit diverses statues des plus
grands capitaines de la guerre du Péloponèse, et que Pausanias cite
comme un habile artiste, est-il l'auteur de cette statue; au moins on a
des raisons pour le conjecturer, d'après l'inscription tronquée qu'on
voit sur un morceau de marbre séparé et formant sa base. On y lisait
_andros_, la première syllabe a disparu.]

[94: Voyage en Phocide, liv. X. page 180.

     _Note de l'Auteur._
]

[95: Nous retrouvons perpétuellement cette nation pour contrecarrer nos
moindres entreprises. Des altercations se sont élevées entre nos
voyageurs et les consuls anglais, relativement à la possession du
Zodiaque du temple de Tyntira, ou Denderah, dont les soins, les travaux
et la persévérance de M. Lorrain ont enrichi sa patrie. La cause fut
portée au conseil du pacha d'Égypte, qui trancha la difficulté en faveur
de la France. J'aime à le croire, l'influence du jeune Osman, favori de
Méhémed, dont nous avons été personnellement à même d'apprécier à Paris
l'attachement, et je dirais presque le dévouement pour notre pays, aura
sans doute bien contribué à une décision aussi favorable que juste. J'ai
entendu conter à cet Osman un fait peu connu: «Si certains agens de
votre gouvernement s'y fussent bien pris, me dit-il un jour, l'aiguille
de Cléôpatre ne serait pas à Londres, mais à Paris.» Malgré certains
bruits que je crois absurdes, espérons que les Anglais n'obtiendront
pas, par de nouvelles ruses et par des transactions désavantageuses,
cette grande page de l'Histoire ancienne, je veux dire le Zodiaque de
Tyntira, qu'ils convoitent depuis si long-temps, et qu'ils n'ont pu
conquérir par un droit légal; autrement la paix avec ce peuple serait
pour nos arts cent fois plus préjudiciable que la guerre.

_Note de l'Auteur._]

[96: _It is known that maritime baths were built at Ostia by the emperor
Claudius, from the fragment of an inscription which was found there with
this statue. From other inscriptions, discovered at the same time, we
learn that these baths were repaired by different emperors down to the
time of Constantine._

Un fragment d'inscription trouvé avec cette statue fit connaître que des
bains maritimes avaient été bâtis par l'empereur Claudius à Ostia.
D'autres inscriptions, qu'on recueillit en même temps, ont également
appris que ce monument thermal avait été réparé depuis par plusieurs
empereurs successeurs de Constantin.]

[97: _Numismata ærea selectiora maximi moduli è Museo Pisano. Tab. XXV.
f. 3._

Choix des plus grandes médailles de bronze du Musée de Pise. Table XXV.
f. 3.]

[98: _Ancient painting representing a similar subject was found in the
excavations of the villa Negroni Winckelmann,_ Histoire de l'art chez
les anciens, _tome II, page 336._

Une ancienne peinture représentant un sujet semblable, a été tirée des
fouilles faites à la Villa Negroni. _Voyez_ Winckelmann, _Histoire de
l'art chez les anciens_, tome II, page 336.]

[99: Beaucoup sont extraits du Luxembourg.]

[100: Madame Le Brun jouit aussi de la même faveur.]

[101: Notamment celle de Charles IX.]

[102: Comme on a déjà fait à la plupart des statues des Tuileries.]

[103: Celui de Pie VII, et celui d'une négresse.]

[104: «Un édit déférait le droit de maîtrise aux orfèvres, ébénistes,
horlogers, menuisiers réunis à cette manufacture où l'on avait
l'intention d'entretenir soixante jeunes gens exercés dans ces différens
arts y compris celui de la tapisserie.» _Encyclopédie._

Cette note explique très-clairement le sujet d'une tenture qui sans elle
serait inintelligible. Louis XIV y est représenté visitant les Gobelins
avec Colbert, et examinant tour à tour non-seulement des tapisseries,
mais des vases d'or et d'argent magnifiquement ciselés, des pendules,
des étoffes et des meubles de la plus grande richesse.]

[105: Dès le treizième siècle, le Châtelet de Paris rendit une sentence
en faveur des tapissiers de haute lisse contre les tapissiers
sarrasinais qui travaillaient les tapis à la façon du Levant.

Cet art, comme l'on voit, n'est pas récemment introduit en France.]

[106: «Henri IV avait déjà établi une manufacture de tapisseries, à
l'instar de celle de Flandre, sous la direction des sieurs Comans et de
la Planche.» _Encyclopédie._]

[107: Avant St. Louis et depuis, les clercs et les moines étaient
presque les seuls qui sussent lire; et personne ne leur enviait le petit
nombre d'ouvrages dont ils étaient possesseurs et dont ils faisaient de
continuelles copies. La bible, quelques traits des pères de l'église,
des canons, des missels, des livres historiques et de plain-chant
formaient dans ce temps toute la bibliothèque de nos rois. Saint-Louis,
qui semble avoir eu pendant quelque temps le projet de créer un dépôt
public de livres, n'y donna point de suite, puisqu'il légua sa
bibliothèque aux Jacobins. Le roi Jean n'avait que six volumes de
science et d'histoire et trois ou quatre de dévotion. La bibliothèque
royale fut véritablement fondée par Charles V, qui plaça une collection
de neuf cents dix volumes, collection immense pour le temps, dans une
tour du Louvre, à la voûte de laquelle il ordonna qu'on appendît trente
petites lampes d'argent, afin qu'on y pût travailler à toute heure.

Sous le règne désastreux de Charles VI, elle fut dispersée par le duc de
Bedfort qui, pour mieux voiler ses déprédations, acheta pour une somme
modique tous les livres qui la composaient (et que personne n'avait le
droit de lui vendre pendant l'absence et la proscription de l'infortuné
et glorieux Charles VII). Par ordre du duc de Bedfort, de ce prétendu
régent de France, tous ces livres furent envoyés en Angleterre avec les
archives du royaume déposées également dans la tour du Louvre. Cette
bibliothèque fut rétablie par Charles VIII, et augmentée de manuscrits
apportés de Naples, de la bibliothèque de Pétrarque, de celle du duc de
Milan, du cardinal Strozzi, et surtout de beaucoup de livres imprimés.
Elle s'accrut sous Louis XII des livres que le duc d'Orléans avait dans
son château de Blois. François Ier incorpora cette collection à celle
qu'il avait commencé de former à Fontainebleau; elle devint ensuite
très-considérable par l'achat qu'il fit faire d'auteurs grecs et latins.
Henri II contribua encore plus à son augmentation par l'ordonnance qui
enjoignait aux libraires de fournir un exemplaire en vélin et relié de
chaque livre dont on leur accorderait le privilège. Henri IV fit revenir
cette bibliothèque à Paris, et y ajouta celle de Catherine de Médicis.
Elle fut d'abord déposée dans une salle du collége de Clermont; ensuite
dans une grande salle des Cordeliers; sous Louis XIII elle fut
transportée dans une maison de la rue de la Harpe où elle fut
singulièrement enrichie de manuscrits syriaques, turcs, arabes, et
persans. Colbert la plaça dans la rue Vivienne et fit réunir dans le
même local les autres curiosités[108] qu'elle contient. M. de Louvois
lui destinait les bâtimens de la place Vendôme; ce projet s'évanouit
avec lui. De la rue Vivienne elle fut définitivement transférée dans un
démembrement du palais du cardinal Mazarin où elle se trouve
aujourd'hui. _Extraits de M. de St. Victor et de M. de Jouy._

M. Van Praet a bien voulu m'apprendre que la Bibliothèque royale
contient actuellement quatre cent cinquante mille volumes imprimés et
pareil nombre de pièces fugitives placées dans des cartons, et plus de
cent mille manuscrits. L'intérieur de l'établissement ne peut être mieux
tenu; et le jardin, où l'on admire une Diane de Houdon, vient d'obtenir
depuis peu des ornemens très-soignés. _Note de l'Auteur._]

[108: Par les ordres de Louis XIV, M. Vaillant parcourut plusieurs fois
l'Italie et la Grèce, il en rapporta une infinité de médailles
singulières. Cette collection augmentera chaque jour. M. de
Saint-Sauveur rapporte en France neuf cents médailles grecques, parmi
lesquelles il y en a plusieurs en or, en argent, inédites, et qui sont
dignes de fixer l'attention des antiquaires et des connaisseurs.]

[109: Un décret impérial fut rendu tout exprès à ce sujet.]

[110: D'autres manuscrits sont couverts de velours et de bas-reliefs en
vermeil, en cuivre doré et en ivoire, ciselés d'une manière admirable
pour le temps.]

[111: Espèce d'armoires couvertes de verres où sont exposés les
manuscrits les plus curieux dans toutes les langues connues.]

[112: _Le chat et un vieux rat_, Fable VIII, livre 3.]

[113: À quelques expressions près, tout ceci est tiré d'un manuscrit de
la bibliothèque.]

[114: En sus les _Registres des taxes de la chancellerie romaine;
trente-cinq feuillets d'un autre manuscrit des Épîtres de St.-Paul_.]

[115: Fêtes républicaines et impériales.]

[116: Soixante-quatre ou soixante-cinq millions de revenus, assure-t-on;
on en avoue près de cinquante.]

[117: Ne corrigera-t-on jamais nos architectes de cette frivolité de
plans qui, malgré nos révolutions successives, semble être un mal
héréditaire et incurable? La fête nautique de la Villette en est une
preuve toute récente; on croirait que nos décorateurs n'ont pas la
moindre idée de l'élégance des yachts hollandais. Cependant, personne
n'ignorait que la cour devait assister à l'ouverture du canal, et se
promener sur le bassin. Les Français qui ont un peu voyagé et fait par
eau un trajet plus long que celui de Paris à Saint-Cloud, se
contenteront-ils de ces draperies à demi usées, de ces guirlandes
flétries et de ces frêles colonnes de papier granit? Deux simples
pyramides en marbre, dépositaires d'une inscription, n'eussent-elles pas
mieux conservé l'époque de cette imposante inauguration. Au surplus
l'amour-propre des directeurs de la fête devrait être un peu
décontenancé, puisque, même pendant la cérémonie, les vents se sont
insolemment joué de cette architecture mesquine et ridicule.]

[118: Fameuses marchandes de modes de Paris.]

[119: Vus à la dernière exposition.]

[120:
     Telle au milieu des nuits la féconde rosée
     Fait renaître les fleurs d'une plante épuisée;
     Telle, en nos cœurs flétris l'aurore du bonheur
     Fait briller un sourire au sein de la douleur,
     Change les jours de deuil en des jours d'allégresse,
     Les pleurs du désespoir en des transports d'ivresse;
     Il est né, ce Joas que demandaient aux cieux
     Des Français réunis les soupirs et les vœux;
     Il est né; vous, soldats, que chérissait son père,
     Veillez sur ses destins pour consoler sa mère;
     Et que sous vos lauriers, qui couvrent son berceau,
     S'élève en paix ce lys échappé du tombeau;
     Ce lys qui va fleurir à côté de la rose
     Dont ma voix a chanté la grâce à peine éclose;
     Ce lys qu'Amour prédit, espoir consolateur
     Que semblait menacer le plus affreux malheur.
     Qu'à jamais le bouton de cette fleur chérie
     S'entr'ouvre en parfumant notre belle patrie,
     Et que le peuple, heureux sous le sceptre des rois,
     Bénisse les Bourbons, leurs vertus et leurs lois!
]

[121: Ces accidens arrivent souvent au milieu des préparatifs que l'on
fait pour les cérémonies publiques et pendant le déménagement que ces
fêtes occasionent. Dans ces momens ceux que ces soins regardent s'en
rapportent peut-être trop à des subalternes, et la surveillance relative
à la conservation des ornemens inhérens à l'édifice devient presque
nulle; pourvu que les lustres et les candélabres soient solidement
fixés, pourvu que la tenture tienne et qu'elle soit drapée avec grâce,
peu importe au décorateur ou au tapissier que le marteau qui assure le
clou fasse sauter en l'air un fleuron, une rosace, dont la fracture rend
si malheureusement incomplète la sculpture la plus belle et la plus
riche.]

[122: On a reblanchi cette église, lorsque le mastic de Dill était le
seul enduit qui lui convînt; près de neuf ans se sont écoulés depuis la
restauration, et ceux qui ont vu la cathédrale sous M. de Juigné, ont
peine à la reconnaître, tant sa tenue est négligée. En vain, on y
cherche les effets du bon goût, d'une propreté sévère, et ce bel ordre
qui embellit les plus petits objets. Eh! que ne dirais-je pas si,
bravant la crainte d'être taxé de censeur minutieux, j'entrais dans une
foule de détails; ici, la plupart des tableaux sont sans encadrement,
mais en revanche de petites images ou gravures en ont de bois doré. Là,
telle chapelle a continuellement l'air d'un garde meuble: plus loin,
tout est poudreux et flétri, et après avoir fait l'an dernier, avec le
plus grand soin, jusqu'aux moindres ogives des toîtures, on ne
s'aperçoit pas que le placement et le déplacement brusque de siéges
entassés en pyramide contre les bas-reliefs du quatorzième siècle qui
sont adossés au chœur, risquent chaque jour d'ajouter de nouvelles
mutilations à celles déjà trop nombreuses du temps et de l'impiété. La
loueuse de chaises, je le sais, n'est pas obligée d'être amateur des
arts; mais les conservateurs de cette basilique ne devraient-ils pas
l'être pour elle? et s'ils ferment les yeux, rien, à mon avis, ne peut
excuser leur insouciance.]

[123: Et même d'autres plus grands de la même matière, dont on décore
avec tant de magnificence, St.-Sulpice, St.-Louis en l'île; cette manie
gagne partout.]

[124: On y voyait alors la chapelle en nacre, du roi de Sardaigne, qui
lui a été rendue; et les insignes de Charlemagne, reportés depuis au
Garde-Meuble de la couronne. On ne montre plus au trésor de Notre-Dame
que les vases sacrés et les ornemens d'église.]

[125: _Lettres sur l'Italie_, tome 1er, page 103. Description de
l'hôpital de Pise.]

[126: Académus, citoyen d'Athènes, dont la maison servit à enseigner la
philosophie; il donna son nom aux trois sectes de Platon, d'Arcésilas et
de Carnéade.]

[127: Entre autres un portrait charmant de Marie Stuart.]

[128: On y fait dans ce moment quelques réparations.]

[129: Cette grille n'a pas même l'entretien le plus ordinaire, et
ressemblera bientôt aux clôtures en fer du Jardin des plantes et de
quelques autres endroits publics, que la rouille mine et dévore faute
d'une couche de peinture que l'on prodigue ailleurs avec si peu de
convenance.]

[130: Marmontel a fait cette censure avant moi dans la description d'un
palais, où, dit-il, «l'irrégularité choquante des cheminées gothiques se
perd dans le couronnement.» (_L'heureux divorce_, Contes moraux.)]

[131: Car je ne puis faire entrer en ligne de compte deux génies qui
soutiennent les armes de France.]

[132: À ce sujet, on peut faire une observation très-vraie, et qui
devrait être l'objet d'une utile réforme; un coup de pinceau
presqu'inaperçu indique le palais de l'Institut et de la Chambre des
Pairs; tandis que l'enseigne du moindre marchand est en lettres de
cuivre doré; et cependant, où serait-il raisonnable de placer le luxe et
la magnificence?]

[133: On s'étonne encore à juste titre, que le sol du terre-plein ne
soit pas plus solidement uni et qu'il n'ait pas été métamorphosé en un
jardin fermé. Combien n'est pas encore insignifiante cette seconde
balustrade à hauteur d'appui si pauvrement dessinée, et qui d'abord
était si peu propre à garantir des enfans vifs et pétulans, qu'on s'est
vu forcé aussitôt de garnir cet espèce de balcon d'un treillis en fil de
fer parfaitement semblable à ceux que les plus modestes propriétaires
font mettre aux croisées basses des rez-de-chaussée! Enfin, comment
n'a-t-on pas substitué deux pavillons égaux et plus décens à cette
petite guérite et à cette loge pitoyable, puisqu'on les croit
nécessaires?]

[134: Salle des Pas-Perdus ou grande salle du palais.]

[135: Ce roi le fut en tout. Cependant les historiens, les biographes,
les auteurs de mémoires ont laissé dans les esprits beaucoup
d'incertitude sur la taille de ce monarque; des discussions assez vives
s'élèvent même quelquefois dans la société à ce sujet, parmi des
personnes que leur naissance et leur âge auraient dû mettre à portée de
conserver sur ce point des traditions précises. Les uns le font petit,
d'autre grand, ceux-ci d'une taille moyenne; M. l'abbé Lafont d'Aussonne
a fait un ouvrage intéressant par ses recherches sur ce fait si
contesté; mais, le docteur Guy-Patin, auteur très-véridique, a fixé tous
les doutes; appelé auprès de Louis XIV pour donner une consultation,
lorsqu'en 1558 sa majesté tomba malade à Calais, il écrivit:

«Le roi est un prince bien fait, _grand_ et fort, qui n'a pas encore
vingt ans.» _Lettres choisies de Guy-Patin_, page 229, lettre 71;
édition de 1685.]

[136:

     «J'ai trop aimé la guerre.»

Paroles mémorables de Louis XIV mourant.]

[137: On a fait une remarque singulière: le jour où l'on descendait ce
prince protecteur des arts dans les caveaux de Saint-Denis, un des vases
de porphyre placé sur un des pilastres du grand escalier des Tuileries,
se détacha subitement, tomba avec un fracas épouvantable, et, en
roulant, brisa les degrés qu'il couvrit de débris et de ruines. Ce vase
n'a point été remplacé; et le jour de la naissance de S. A. R.
Monseigneur le duc de Bordeaux, on a découvert des eaux thermales à
Château-Chinon, les commencemens d'un établissement romain, une
très-belle salle revêtue de marbre et trois réservoirs d'où l'eau
jaillit en abondance.]

[138: Ce qui rend très-vraisemblable ce mot si naïf: un commissionnaire
des boulevards, interrogé par un Anglais qui demandait où était le
nouvel Opéra, lui répondit: «Tout droit, monsieur, la troisième porte
cochère à droite» Aussi M. Alexandre de la Borde s'est-il judicieusement
plaint qu'on ait dépensé près de quatre millions pour un édifice de pans
de bois et de moellons rencoigné dans une rue étroite, et sans saillie.]

[139: Voyez l'explication de ce mot; _Maison rustique_, ancienne
édition.]

[140: Ceci n'est pas sans exception; à la seule représentation au
bénéfice de Lays, soixante-treize vols ont été commis. Un dentiste, M.
*** à qui l'on avait escamoté une montre du fameux Breguet, estimée 2000
francs, étant venu faire sa déclaration, le papier timbré manquait ce
soir-là au bureau de la police.]

[141: Le secret en appartient à son auteur M. Pegaud.]

[142: Le Colysée était un théâtre de Rome, bâti sous Vespasien.]

[143: Voyez Bollin, et le _Voyage du jeune Anacharsis_ de l'immortel
Bartelemy.]

[144: Vaucanson, né en 1709, mort en 1782, fit un joueur de flûte, un
canard qui prend le grain, le digère et le rend; un joueur de tambourin
qui joue une vingtaine d'airs. «Je me souviens, dit M. Colnet, que
lorsque cet habile mécanicien se présenta à l'Académie des sciences, les
mathématiciens l'accueillirent assez froidement, car ils n'avaient pas
une très-haute idée de son talent. «Voulez-vous, Messieurs, leur dit-il,
que je vous fasse un géomètre?» D'Alembert pâlit, et se garda bien de
l'en défier.» _Gazette du 23 septembre_ 1821.]

[145: «À Bologne, au fond de la scène, est un grand terrain vide, au
moyen duquel on peut étendre le point de vue, et faire entrer des
animaux, des chars, dans de certaines évolutions.» _Voyage philosophique
et pittoresque_, de M. Petit Radel, _en Italie_, tome Ier, page 239.]

[146: Ceci m'a été conté par des généraux qui ont commandé à Milan
pendant nos guerres d'Italie. (_Note de l'Auteur._)]

[147: «Bâti par le prince Alexandre Farnèse, qui le fit construire il y
a environ trois siècles. Ce théâtre est immense. Selon le Voyageur
français, il peut contenir 12,000 personnes; selon M. Pelil Radel 4 à 5
mille. On y a ménagé des conduits d'eau vers le _proscenium_, au moyen
desquels l'eau de la Parme, qui est dans le voisinage, pourrait inonder
tout l'intervalle entre le bas du théâtre et le spectateur. Alors ce
grand espace devenait une naumachie que l'on couvrait de gondoles
dorées. La réflexion des sons est si exacte sur les contours, que d'un
bout à l'autre on entend distinctement toute personne qui parle à
demi-voix sur le théâtre, sans que la succession des sons produise la
moindre confusion. Les deux entrées de la salle sont formées par deux
arcs de triomphe sur lesquels il y a deux statues équestres. Elles
représentent Alexandre et Ranuce Farnèse. Il y a douze rangs de gradins
dans son pourtour; au-devant est une balustrade dont les acrotères ou
piédestaux supportent des génies qui ont des torches en main.» Ces
détails sont tirés d'un _Voyage ancien en Italie_, du _Voyageur
français_, et du _Voyage historique et pittoresque_, par M. Petit
Radel.]

[149: Sans les exclure toutefois:

     Le talent n'attend pas le nombre des années.
]

[150: Le prince de Ligne, né dans le dix-huitième siècle, fut un général
aussi distingué par sa bravoure et ses exploits militaires que par ses
talens en littérature et les écrits qui en ont été le fruit. Ayant fait
un voyage en France, il y perfectionna ses études et eut le plus grand
succès à la cour de Versailles[151]. On a de lui un mémoire
très-curieux, plein de vues profondes et de vastes plans destinés à
embellir Paris. «La magnificence seule, écrivait-il, soutient une
monarchie: allez en Russie; voyez l'église d'Isaac, les temples, les
hôtels, les ponts de marbre et les quais de granit, le rocher de la
statue de Pierre-le-Grand; calculez les richesses, la population,
l'industrie des deux pays et le reflux de la circulation, et rien ne
vous arrêtera.» (Mémoire, tome II.) Obligé de retourner sur les bords du
Borystène, le prince de Ligne regrettait vivement de vivre loin des
Français, et s'affligea sincèrement de nos désordres politiques. Il
avait perdu dans ses dernières années une fortune considérable; près de
mourir (1814), et désirant laisser à ses frères d'armes un témoignage de
son attachement, il légua ses manuscrits au corps qu'il commandait.]

[151: Biographie universelle.]

[152: «À Saint-Pétersbourg, le jardin d'hiver du palais de l'Ermitage,
entièrement couvert et environné de vitrages, est une haute et spacieuse
serre chaude où il y a des allées sablées; elle est ornée de parterres
de fleurs, d'orangers, d'arbustes, et peuplée d'une infinité d'espèces
d'oiseaux de différens climats, qui volent en liberté d'arbre en arbre.
Tout cela produit un effet d'autant plus agréable, qu'il contraste
singulièrement avec la plus triste saison de l'année.» _Voyage
philosophique, pittoresque et littéraire, fait en Russie_, tome Ier,
traduit du hollandais par ***.]

[152: «Si jamais, dit Piganiol, le grand projet qu'on avait fait pour le
Louvre, pendant que M. Colbert était sur-intendant des bâtimens, était
exécuté, on démolirait l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, la maison
du cloître et celles de quelques rues voisines, pour faire sur
l'emplacement une grande et magnifique place à laquelle le Pont-Neuf
aboutirait, et qui, dégageant l'avenue du Louvre, mettrait dans un beau
point de vue cette superbe façade, dont Claude Perrault a donné le
dessin, et qui est le plus beau morceau d'architecture moderne.»
_Description de Paris_, tome 2, page 128. Ce projet a été présenté à
plusieurs reprises; d'abord, par de Sainte-Foix, sous le ministère de
Marigny; ensuite, avec de nouveaux développemens, par le prince de
Ligne, et enfin depuis par Napoléon.]

[153: _Œuvres choisies, littéraires, historiques et militaires_, par le
maréchal prince de Ligne. Tome III, page 270.]

[154: Et des indemnités qui seront sans doute le fruit de nos dernières
victoires.]

[155: M. Qua... de Q... homme de lettres, aussi recommandable par son
urbanité que par son érudition.]

[156: Voyez le chapitre XIX de cet ouvrage.]

[157: Le public a jugé que cette demande était juste, ne fut-elle
regardée que comme une récompense. Toute la question se réduisait à
savoir si le plus habile danseur, dont tout le monde admire la grâce, la
vigueur et l'aplomb, devait être mieux payé qu'un artiste qui réunit à
la taille, à la figure la plus imposante, le double talent de chanteur
parfait et de tragédien sublime.]

[158: Albert.]

[159: Cette jeune actrice, qui chante si admirablement dans Aladin:

     «Venez, charmantes baïadères.»
]

[160: Dans les Danaïdes.]

[161: Des chagrins domestiques ont été la cause, bien excusable, de son
absence de la scène. Il y a près d'un an, Mme Branchu perdit son fils
unique qu'elle aimait tendrement.]

[162: On l'accusait de crier; dans certaines situations, l'orchestre,
souvent trop élevé, l'y forçait; des avis salutaires, le travail et
l'étude l'ont prodigieusement corrigée de cette vicieuse théorie.]

[163: Mlle Quincy. _Miroir_.]

[164: Quel art plus merveilleux et plus utile que celui qui fut inventé,
dans le dernier siècle, par l'abbé de l'Épée, et perfectionné depuis par
l'abbé Sicard. Admirable méthode qui remplace, par des signes aussi
rapides que pittoresques, deux sens, l'ouie et la parole, dans
l'individu qui en était privé, et lui communique le don inappréciable de
connaître nos langues mortes et vivantes, et celui, plus précieux
encore, du développement de toutes ses facultés intellectuelles. La
France doit-être véritablement glorieuse d'avoir été le berceau[165]
d'une science que l'antiquité n'avait pas connue et que tous les
souverains s'empressent d'adopter et de répandre aux quatre coins du
monde.]

[165: Car l'idée de ce système, dit M. de Jouy, n'avait été qu'entrevue
par un moine espagnol nommé Ponce, par le mathématicien anglais Wallis,
et par Amman, médecin d'Harlem.]

[166: Pour faciliter, pendant les frimas, la montée des ponts aux
charrettes et tombereaux pesamment chargés; aussi la critique de
l'auteur ne s'exerce-t-elle que sur leur trop longue permanence.]

[167: Jusque, souvent même, sur le terre-plein du Pont-Neuf.]

[168: Beaucoup de ces cloisons subsistent encore.]

[169: On a bien fermé une portion de l'esplanade qui se trouve entre le
Louvre et la place, avec des grilles en fer; d'autres l'ont été par de
misérables barrières, à peu près semblables à celles des parcs anglais.
Ces clôtures en bois sont, je le présume, provisoires, c'est le mot;
mais ce provisoire sera-t-il perpétuel? manquerait-on de fer et de
serruriers actifs dans la bonne ville de Paris?]

[170: À l'angle de la rue du Coq-St.-Honoré.]

[171: On y lit à travers la vitre: _eau-de-vie_; nous croirons encore
que l'enseigne du magasin des plâtres-statues pourrait, sans nul
inconvénient, être enlevée pour ne pas interrompre l'uniformité des
ceintres. Ce magasin ne serait-il point mieux ailleurs?]

[172: Lettres de Voltaire.]

[173: Quai du Louvre.]

[174: Nous sommes bien fâchés de n'avoir point cédé aux réclamations qui
nous ont été faites à ce sujet par des hommes que nous respectons, et
qui se sont hautement plaint qu'en cherchant à éloigner les singes, nous
allions empiéter sur leurs plaisirs.]

[175: En appliquant au présent ce qu'un auteur célèbre a dit du passé,
cette observation doit paraître bien juste; «Malheureusement, a remarqué
M. de Lacretelle, on ne sait employer que du bois pour toutes ces
constructions. Cet expédient qui eût révolté le siècle majestueux de
Louis XIV, devient une loi pour toutes les fêtes, même celles dont le
retour est périodique, en sorte que bien qu'elles soient pour la plupart
extrêmement dispendieuses, elles n'ajoutent pas un seul monument à la
magnificence de la capitale.» _Histoire de France, Assemblée
constituante_, tom. 1er, pag. 360.]

[176: Côté du Carrousel. Même accident est dernièrement arrivé à la
belle corniche qui couronne le terre-plein du Pont-Neuf, on ne sait
comment, côté de l'ouest, au-dessous de la balustrade.]

[177: Projet exécuté dans le _voyage de_ Kang-hi, tome 1er, page 34, par
M. le duc de Lévis.]

[178: Nous en excepterons pourtant l'extrémité des terrasses, côté de la
place Louis XV; les gazons en talus devraient y être cultivés ou tout à
fait détruits. Ailleurs, dans les carrés du jardin, les grandes pièces
de verdure, couvertes de mousse et d'herbes parasites, sont dans un tel
état de vétusté, qu'il est indispensable de les renouveler entièrement.
Du reste, on voit peut-être trop peu de plantes exotiques dans les
plate-bandes. Excepté la tulipe, les autres fleurs à ognon ou bulbeuses
du printemps n'y brillent jamais. Mme de Sévigné y chercherait en vain
les jonquilles qui l'embaumaient à Chantilly[179]. Il serait bon encore
qu'un marbre pur remplaçât la pierre qui couvre le pourtour des
bassins.]

[179: Lettres 91 et 95 de Mme de Sévigné, t. 2, éd. de 1806.]

[180: Tels que les vases placés sur la terrasse du bord de l'eau, et le
tribunal des juges d'Hippomène et d'Atalante.]

[181: On n'a peut-être pas assez multiplié les grilles qui devraient
entourer les monumens les plus capitaux de nos musées des sculptures
antiques, entr'autres le Gladiateur, le Germanicus, etc.; souvent ces
objets sont placés trop près de la main téméraire ou coupable de la
sottise ou de la malveillance. Ils sont exposés, je le sais, pour être
vus et contemplés; mais dans l'intérêt de leur conservation, il devrait
être expressément défendu de les toucher.]

[182: Une partie de ces accidens ont eu lieu à Versailles; en 1815, des
rocailles même ont été ruinées ou enlevées pendant que les alliés
étaient campés dans le parc et dans les bosquets, dont quelques-uns ont
été en partie dévastés; depuis, on a recépé et replanté. L'ombrage des
grands arbres que l'on a cru devoir laisser subsister, rendra ces soins
inutiles, et sera toujours mortel aux jeunes sujets que chaque année on
place en vain pour regarnir ces murailles de verdure jadis si belles et
si compactes. Jamais on n'aura de massifs sans lacune, qu'en coupant
certains carrés par le pied et en replantant à neuf.]

[183: Telles entr'autres, celle de Saint-Sulpice et celle de la
Pointe-Saint-Eustache. On en a bien réparé quelques-unes, mais d'autres
ne le sont pas; on a négligé les fontaines des places Saint-Michel, de
Gaillon, de la rue Censier et de l'esplanade des Invalides, dont la
position semble exiger le château-d'eau le plus somptueux.]

[184: Puisque nous empruntons tant de choses aux anglais, on doit sentir
combien il est indispensable de naturaliser en France les _Water Closet_
de Londres, ou d'adopter les appareils antiméphitiques de M. Dufour,
qui, après avoir jadis parfumé nos têtes, s'est occupé avec un succès
non contesté, de désinfecter l'intérieur et l'extérieur de nos maisons,
et de tous les lieux publics.]

[185: Comme au ballet de _Télémaque_ au grand Opéra.]

[186: Cet enchantement a été depuis réalisé à moitié au grand Opéra dans
un ballet. Déjà on a transporté de Faydeau à l'Académie de musique,
_Stratonice_; pourquoi n'en a-t-on pas fait autant pour _Aline_? les
plaisirs des spectateurs eussent été complets, si la délicieuse musique
de l'Opéra-Comique eût été accompagnée des décorations de M. Cicéri et
de quelques parties du ballet.]

[187: On a vu quelques courtisanes, après avoir dissipé des millions,
solliciter en vain la pitié de leurs anciens adorateurs, et mourir,
accablées d'infirmités, dans la plus affreuse misère.]

[188: Sans traiter ici des avantages et des inconvéniens de l'École
Lancaster, assez débattus dans plusieurs ouvrages, n'est-il point à
craindre seulement que cet art, déjà trop séducteur, la musique, ne
détourne la classe pauvre et laborieuse des enfans du peuple, d'études
bien plus sérieuses et bien plus importantes.]

[189: Art par lequel, avec le secours de tableaux divers, on démontre et
l'on fait apprendre les principes de la musique.]

[190: On a dans ce moment à Paris, un jeune homme qui se destine au même
emploi, et qui sous quelques rapports ressemble à ce portrait.]

[191: Delille.]

[192: On sait que Mme Pasta en a reçu de ce grand tragédien pour le rôle
de _Tancrède_, qu'elle rend avec tant de perfection.]

[193: _Œdipe_, trag. de Voltaire, acte IV, scène II.]

[194: Tels que le Tribunal et la Bourse.]

[195: Anecdote très-vraie, nom en l'air.]

[196: Qui donnent un air de cabaret à l'entrée des deux plus beaux
hôtels de la place Vendôme.]





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