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Title: L'Illustration, No. 3270, 28 Octobre 1905
Author: Various
Language: French
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L'Illustration, No. 3270, 28 Octobre 1905

Avec ce Numéro: L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE CONTENANT DON QUICHOTTE Suite
et fin.

LA REVUE COMIQUE, par Henriot.

[Illustration: Suppléments de ce numéro:
1° L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE, contenant DON QUICHOTTE (suite et fin).
2° Une double page hors texte: _La «corrida de toros» en l'honneur de M.
Loubet, à Madrid._

L'ILLUSTRATION _Prix de ce Numéro: Un Franc._ SAMEDI 28 OCTOBRE 1905
_63e Année--N° 3270_]

[Illustration: LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN ESPAGNE Dans
les rues de Madrid: vendeuse de journaux et d'images populaires. _Phot.
Léon Bouet._]



NOS SUPPLÉMENTS

ROMAN.--Nous commencerons dans le numéro du 18 novembre la publication
d'un nouveau roman de J.-H. ROSNY: LA TOISON D'OR, illustré par SIMONT.
Ce roman sera imprimé sur papier vergé mat et chaque fascicule
contiendra une gravure hors texte tirée en deux tons sur papier couché.
Les courtes nouvelles accompagnant nos numéros des 21 et 28 octobre, 4
et 11 novembre, ont été imprimées sur papier glacé, avec illustrations
dans le texte, afin de permettre à nos abonnés de les faire relier à la
suite du roman de Claude Lemaître: _Cadet Oui-Oui_, que nous avons
publié cet été sous la même forme.

THÉÂTRE.--Nous donnons avec ce numéro la deuxième partie de DON
QUICHOTTE, le beau drame héroïque en vers de JEAN RICHEPIN: l'importance
exceptionnelle de cette oeuvre nous a obligés à lui consacrer deux
fascicules complets de _L'Illustration théâtrale_, comme nous l'avions
déjà fait pour _Varennes_, la pièce de Henri Lavedan et G. Lenotre.

Nous publierons la semaine prochaine: LE MASQUE D'AMOUR, de DANIEL
LESUEUR; puis: LA RAFALE, de HENRY BERNSTEIN, l'éclatant succès du
Gymnase; LA MARCHE NUPTIALE, de HENRY BATAILLE, que va jouer le
Vaudeville; BERTRADE, de JULES LEMAÎTRE, actuellement en répétitions au
théâtre de la Renaissance; LE RÉVEIL, de PAUL HERVIEU, en préparation à
la Comédie-Française, et toutes les autres oeuvres importantes qui
seront jouées cet hiver.

ART.--Tous les numéros qui ne contiendront pas une pièce de théâtre
seront accompagnés d'une de nos belles gravures en couleurs,
reproduisant en fac-similé les oeuvres des plus grands peintres.

MUSIQUE.--Notre prochain supplément musical sera consacré à MIARKA de
JEAN RICHEPIN, musique d'ALEXANDRE GEORGES, dont la première
représentation va avoir lieu à l'Opéra-Comique.



COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

J'ai beaucoup plaint, cei te semaine, M. Loubet. Car ce chef d'État
passe pour avoir l'esprit curieux et fin; il aime les arts; il jouit
d'une santé qui lui permet de supporter allègrement la fatigue des longs
voyages: il eût pu passer en Espagne une semaine délicieuse... Octobre
est un des instants de l'année où le ciel d'Espagne est le plus joli.
Mais M. Loubet est le premier magistrat d'une république que nos voisins
entendent glorifier en sa personne, et de façon très cordiale et très
pompeuse,--à l'espagnole! Ils y ont réussi. «La fête fut charmante et
fort bien ordonnée»; mais, parmi la somptuosité de ces décors de gala,
dans le tumulte des réceptions, des fastueuses agapes, des prodigieux
cortèges où défilèrent, pour l'acclamer, l'Espagne officielle, l'Espagne
populaire, l'Espagne militaire,--toutes les Espagnes, M. Loubet peut-il
se flatter d'avoir connu les délices d'une vraie promenade au pays
d'Alphonse XIII? Et n'a-t-il pas, _in petto_, souffert un peu de sentir
se dissimuler derrière tant de fleurs, de tentures, d'illuminations et
d'uniformes, une autre Espagne--la véritable--qu'il eût bien voulu
connaître un peu, et qu'il n'aura pas vue?

Souvent, en regardant du fond de leur «daumont» de gala les rois sourire
à nos acclamations parisiennes, j'ai pensé: «La triste chose que d'être
un «grand de la terre» et de ne pouvoir jouir d'une ville comme celle-ci
qu'aux sons du canon et de _la Marseillaise_, et sous les yeux de cinq
cent mille personnes!»

Je considérais nos belles rues, obstruées d'arcs triomphaux,
d'architectures de toile peinte et de carton doré; nos arbres, si
cruellement enlaidis sous l'enguirlandement des fleurs lumineuses et des
lampions; et je pensais que cela n'est pas Paris le moins du monde. Je
pensais que pendant plusieurs jours l'hôte que nous fêtions allait
mener, parmi nous, une vie terriblement dure, et que ce sont, au total,
de rudes corvées que les amusements royaux: dîners sans fin, où
l'estomac peine sous la charge des mets et des vins inutiles; spectacles
de gala où il est également inconvenant de laisser voir qu'on s'amuse
(si l'on s'amuse), et de bâiller si l'on s'ennuie; visites trop hâtives
d'édifices et de musées où l'on eût rêvé de flâner un peu et que le
protocole ordonne qu'on traverse en courant; réceptions exténuantes dont
il est nécessaire d'endurer jusqu'au bout le martyre, avec des gestes de
cordialité, des sourires, des mots aimables qu'il faut trouver... C'est
ainsi que M. Loubet aura vu l'Espagne. Il est vrai qu'une consolation
lui reste: celle de penser que, dans quelques mois, il lui sera permis
d'y retourner _incognito_; d'y goûter à loisir la joie d'observer à sa
guise et de près les choses et les gens; d'être n'importe qui au sein
d'une foule qui l'ignorera!

C'est cette joie-là qu'est venu s'offrir au milieu de nous, cette
semaine, notre hôte d'hier, le prince de Bulgarie. Il nous avait quittés
il y a huit jours, pompeusement, dans le fracas des musiques militaires
et des galops d'escortes... Il est revenu discrètement, en rasant les
murs, heureux d'être ignoré, cette fois, par tout le monde; et,
seulement alors, il lui a semblé que son voyage à Paris commençait.

Il a vu nos gares sans drapeaux; il s'est installé en un hôtel que ne
gardait aucun factionnaire et que M. Lépine ne surveillait que de loin.
Librement, chaque soir, il choisit le cabaret où il dînera, le petit
théâtre ou le music-hall où il passera sa soirée et compose, comme il
lui plaît, la petite escorte d'amis qui l'y accompagneront. Il avait
dit, la semaine dernière, à M. Georges Cain, directeur du musée
Carnavalet: «Je reviendrai vous voir, mais tout seul, un jour que ce
sera fermé... Vous voulez bien?» Et il y est retourné en effet. Il a
revu le vieil hôtel de la marquise de Sévigné sans tentures ni plantes
vertes; aucune _Marseillaise_ n'a détourné sa rêverie des spectacles et
des souvenirs où il lui plaisait de s'attarder. Le petit-fils de
Louis-Philippe a pu, durant une heure ou deux, revivre son passé, à
l'abri des curiosités de la rue et des politesses municipales.

                                   *
                                  * *

Ce sont là des voluptés que les rois seuls peuvent savourer. Ne les leur
envions point. Tant d'autres leur sont interdites, qu'ils nous envient!

J'ai rencontré tout à l'heure un directeur de théâtre qui n'est pas
content de moi:

--Vous avez, l'autre jour, me dit-il, parlé de nous en termes
injustement sévères. Vous vous êtes plainte que la littérature ne tînt
pas assez de place dans les préoccupations de vos contemporains et que
le théâtre en tînt trop. Vous vous étonnez de l'intérêt très vif que
porte la foule à nos moindres entreprises, et il vous paraît un peu
ridicule que la presse, si peu attentive, en général, à l'effort de ceux
qui font des livres, prodigue si généreusement sa «copie» à la gloire de
ceux qui font des pièces--même mauvaises...

--En effet, dis-je; il y a là une inégalité de traitement qui me choque.

--Vous seriez moins choquée, fit mon interlocuteur, si vous considériez
qu'il y a là deux situations très différentes et qui justifient, dans
une certaine mesure, cette inégalité de traitement.

» Le lancement d'un livre n'expose jamais celui qui l'imprime qu'à
d'insignifiants risques commerciaux; et, s'il est sans exemple que
l'insuccès d'un volume nouveau ait pu ruiner l'éditeur qui le lançait,
il est presque aussi rare que le succès de ce volume ait suffi à
enrichir le brave homme qui l'avait écrit...

» Une pièce de théâtre, au contraire, est presque toujours, par les
frais considérables qu'elle entraîne, une grosse affaire;--une affaire
de laquelle peut dépendre, en de certains cas, le salut ou
l'effondrement du directeur qui la produit. » Mais ce n'est pas tout.
Faites le compte, madame, de tous ceux dont l'intérêt _personnel_ est
attaché au succès d'une pièce qu'on inaugure: cela est prodigieux! Un
drame, une opérette, un vaudeville qui réussit, c'est du bonheur pour
tout le monde: pour le directeur et pour l'auteur; pour tel interprète,
dont ce succès va mettre le nom en lumière; pour les
fournisseurs--couturiers, décorateurs, ébénistes, marchands
d'accessoires--désormais rassurés sur le sort de leurs factures; pour
les restaurants et les cafés du quartier qui ne désempliront plus
pendant trois mois; pour le bureau de tabac du coin; pour la station
d'omnibus où l'on s'écrasera tous les soirs, tant que durera la pièce en
vogue... Et vous vous étonnez qu'il y ait un peu de fièvre dans nos
maisons chaque fois qu'une de ces parties-là s'y joue? Vous trouvez
étonnant que les journaux en entretiennent leurs lecteurs un peu plus
copieusement que du dernier roman paru ou de la réimpression d'un traité
de morale? Une «première», madame... mais c'est mieux qu'un événement
littéraire; je veux dire que c'est autre choie: c'est un tirage de
loterie; c'est le jeu de hasard autour duquel chacun se demande si son
numéro sortira. Et il y a en ce moment, à Paris, quelques milliers de
personnes qui se posent, chaque semaine, cette question-là...»

                                   *
                                  * *

Promenade au Palais de glace. Les amateurs de patinage, découragés par
la douceur des hivers parisiens, ont eu l'idée spirituelle d'aménager
pour leur plaisir une piste de glace à huis clos. Il n'est plus de
caprices à la satisfaction desquels la science moderne ne se prête; et
l'on fabrique aujourd'hui de l'hiver ou du printemps comme de la
cotonnade ou des chandelles. C'est une des coquetteries de ce temps-ci:
manger des fraises et des asperges aux époques de l'année où elles sont
censées ne pousser nulle part, et commencer de patiner quinze jours
avant que les fiacres fermés aient fait leur réapparition dans nos rues.
Nous aimons les primeurs...

C'est d'ailleurs un joli sport que ce patinage en chambre et où triomphe
la Parisienne. Sur la piste circulaire, où les lustres électriques
versent leurs clartés de fête, elle file, court, valse, virevolte dans
le bercement des valses lentes que l'orchestre lui joue. Autour de la
piste, un promenoir joliment fleuri s'emplit d'une cohue de flâneurs
satisfaits et de femmes très «habillées». En plein air, il eût fallu se
vêtir chaudement, renoncer aux grâces du costume--être laides! Ici, la
douceur de l'atmosphère incite aux plus précieuses élégances; et l'on
court sur la glace--vision paradoxale et charmante--en robe de
printemps! Un Scandinave de mes amis considérait ce spectacle avec des
yeux ravis: «J'admire, me disait-il, la générosité de vos Parisiennes. A
Christiania, une jeune femme qui patine n'a que la préoccupation égoïste
de son amusement. Observez celles-ci: leur souci principal est d'être
regardées et de plaire. Elles ne négligent pas, sans doute, leur propre
plaisir; mais ne dirait-on pas qu'elles pensent surtout au nôtre?»

SONIA.



[Illustration: M. Jules Cambon dans son cabinet de travail.]

[Illustration: Mme Jules Cambon et sa fille.]

A L'AMBASSADE DE FRANCE A MADRID

M. JULES CAMBON ET M. CH. ROUVIER

A Hendaye, au moment où il allait franchir la frontière espagnole, le
Président de la République trouvait, pour le recevoir--à côté de
l'envoyé du roi d'Espagne--l'ambassadeur de France à Madrid, M. Jules
Cambon. Esprit délicat et pénétrant, causeur enjoué et aimable, si ses
merveilleuses qualités de diplomate ont fait beaucoup pour amener les
relations entre l'Espagne et la France au degré de cordialité où nous
les voyons aujourd'hui, ceux qui le connaissent imagineront volontiers
que ses dons personnels de séduction ont dû peser aussi dans la balance.

Tour à tour sous-chef, puis chef de bureau à la direction des affaires
civiles et financières de l'Algérie, préfet de Constantine, secrétaire
général de la préfecture de police, préfet du Nord, préfet du Rhône,
gouverneur général de l'Algérie, ambassadeur enfin, il aura rempli avec
une égale distinction, même de la façon la plus brillante, les fonctions
les plus différentes.

Il représentait la France à Washington pendant la guerre entre l'Espagne
et les États-Unis. Il est à peine besoin de rappeler avec quel tact,
hautement apprécié des deux nations belligérantes, il remplit entre
elles le rôle de médiateur.



[Illustration: A LA LÉGATION DE FRANCE À LISBONNE.--M. Charles Rouvier,
entouré du personnel de la légation]

M. Charles Rouvier, ministre plénipotentiaire de France à Lisbonne,
originaire de l'Ardèche, est âgé d'une cinquantaine d'années. Après
avoir été rédacteur à _l'Agence Havas_ et secrétaire de M. Waddington à
la conférence de Berlin, il entra au ministère des Affaires étrangères
qui l'envoya bientôt représenter la France à Rio-Janeiro, puis à
Buenos-Ayres, Tunis, Stocknolm et, enfin, Lisbonne. D'une extrême
amabilité, pleine de finesse enveloppante, possédant au plus haut point
l'intelligence diplomatique, M. Rouvier a donné une preuve de sa valeur
en aplanissant les graves difficultés financières qu'ont suscitées à un
moment les emprunts portugais. Il y a quelques années, à l'église
grecque de Paris où on put le voir, conformément au rite, faisant le
tour de l'église la tête ceinte d'une couronne de roses blanches, il a
épousé Mlle Achillopulo, fille d'un riche banquier du Caire, dont notre
gravure nous dispense de faire l'éloge esthétique. Ajoutons que cette
jolie femme, également séduisante par son esprit bienveillant et sa
simplicité, parle couramment sept langues.

[Illustration: Mme Charles Rouvier.]

Aucun lien de parenté n'existe entre le président du Conseil et notre
ministre à Lisbonne, dont le frère est percepteur à Saint-Cloud.

[Illustration: Aspect de la Puerta del Sol, à 3 heures du matin, la
veille de l'arrivée à Madrid du président Loubet.]

[Illustration: Arrivée du train présidentiel à la gare del Mediodia (23
octobre, 3 heures).]

[Illustration: Le cortège se rendant de la gare au Palais Royal.]

[Illustration: Dans la cour centrale du Palais: le roi et le président
passent en revue une compagnie de hallebardiers. LE PRÉSIDENT DE LA
RÉPUBLIQUE A MADRID _Dessin d'après nature de Georges Scott et phot. de
nos correspondants._]

[Illustration: A l'hôtel de ville (casa de Ayuntamiento): arrivée du
cortège présidentiel pour le déjeuner du 24 octobre.]

[Illustration: A Carabancel: le roi et le prince Ferdinand de Bavière,
son futur beau-frère, au pied de la tribune officielle.]

[Illustration: A Carabancel: M. Jules Cambon, ambassadeur de France,
salue la reine mère.]



[Illustration: La soirée de gala du 26 octobre au Palais: le cortège
traverse la salle du Trône.]

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE A MADRID _Phot. de nos correspondants et
dessin d'après nature de Georges Scott._

LA RUE ESPAGNOLE, UN JOUR DE FÊTE

_Toute la joule espagnole, variée, remuante, bruyante, colorée, endiguée
et maintenue sans peine par les carabiniers haut juchés sur leurs
chevaux, s'écoule dans cette rue étroite à l'ombre de la vieille église
vénérable: hommes du peuple, artisans, paysans en bérets, la capa de
drap ou la couverture de laine jetée négligemment sur l'épaule; même,
tel extraordinaire chapeau tromblon, dans le coin de gauche, nous
rejette en arrière au temps de Goya. C'est toute la joule
espagnole,--sauf toutefois l'élément féminin, dont la grâce lui donne le
meilleur de son charme et que nous présentons d'ailleurs d'autre part à
nos lecteurs._



[Illustration: Mlle de Iturbe. Comtesse de Icaza. Mlle Bertran de Lis.]

BEAUTÉS D'ESPAGNE

Le caractère même du voyage qu'effectue en ce moment à la cour de
Madrid, puis à celle de Lisbonne, M. Émile Loubet, l'apparat dont il est
entouré, la précision avec laquelle le protocole en a réglé les détails,
son peu de durée enfin, ne permettaient guère au Président de la
République l'espoir dégoûter quelques-unes des joies que l'Espagne
réserve en abondance aux touristes à qui leurs loisirs permettent les
excursions en zigzags.

Il est à présumer que les quelques coins de pittoresque que M. Loubet a
pu entrevoir, au milieu des cortèges officiels qui l'emportent, des
cérémonies auxquelles il est convié, des fêtes données en son honneur,
lui font parfois envier le sort de ces promeneurs moins pressés et point
surveillés.

[Illustration: Mlles de Gonzalez Lopez.]

[Illustration: Jeunes femmes madrilènes se rendant aux courses de
taureaux.]

Il va voir Madrid parée et pavoisée. Mais Grenade et son Alhambra,
Burgos et sa cathédrale, Séville et l'Alcazar, dont il a lu des
descriptions enthousiastes, n'auront point sa visite. Il n'aura connu
qu'un petit coin, et non le plus attrayant, de la belle et séduisante
Espagne.

Peu de pays ont gardé autant de caractère que la Péninsule. Cette foule
grouillante, bariolée, haute en couleurs, qui se presse dans la rue de
Ségovie, que nous montrons ci-contre, on peut la retrouver aussi animée,
aussi amusante dans n'importe quelle ville espagnole.

Le costume, évidemment, tend ici, connue partout ailleurs, à
s'uniformiser, à se banaliser. Le magasin de confections fait tout
doucement son oeuvre,--un peu moins avancée, toutefois, que chez nous.
Les modes de Paris ont envahi Cadix-la-Coquette, comme Barcelone et
Madrid, comme toutes les Espagnes, au moins toutes leurs grandes villes.
Le boléro, les jupes courtes à painpilles, ne sont plus de mise que sur
les planches de l'Opéra-Comique, et la surprise des Français voyageant
_tra los montes_ est grande de voir jouer _Carmen_ en toilettes de
ville,--comme chez nous la _Louise_ de M. Charpentier ou _le Rêve_ de M.
Bruneau. Mais les jolies Espagnoles ont eu du moins le bon esprit, la
sagesse, de conserver, même avec les robes à falbalas au dernier goût du
jour, leur coiffure nationale, la mantille de dentelle ou de guipure, si
seyante et qui, enveloppant leurs visages de transparentes et légères
ombres, donne tant de piquant à leur beauté brune, à leur teint mat ou
doré, à leurs yeux sombres.

_Photographies Kaulak et Irigoyen._

[Illustration: Le roi et le prince de Bavière, Tribune de la reine et du
président. La revue de Carabancel (24 octobre): la cavalerie défilant au
galop.]



[Illustration: Retraite aux flambeaux devant le Palais Royal (soirée du
23 octobre).]

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE A MADRID _Dessins d'après nature de notre
envoyé spécial, M. Georges Scott._



M. Herselin, 1er adjoint. M. Berthereau, maire. M. Clémentel. Mme
Clémentel. Mme Duval, mère de la mariée. L'amiral Fournier.

LE MARIAGE DE M. CLÉMENTEL, MINISTRE DES COLONIES, A LA MAIRIE DE
NEUILLY-SUR-SEINE

_Dessin d'après nature de Simont._

_Le mariage du ministre des Colonies, que_ L'Illustration _du 16
septembre mentionnait comme un événement 'prochain, en publiant un
portrait de Mme Knowles, la future «ministresse», a été célébré, samedi
dernier, à la mairie de Neuilly. Dans la salle, décorée de fleurs, se
pressait une brillante assistance où l'on distinguait les plus notoires
représentants du gouvernement, du Parlement, du monde diplomatique.
Témoins de M. Clémentel:_

_MM. Bouvier, président du Conseil, et Sarrien, ancien ministre, député
de Saône-et-Loire; de Mme Knowles: le vice-amiral Fournier et le
lieutenant de vaisseau Abadie. La mariée portait une robe de soie crème
garnie, de dentelles et bordée de fourrure; une cravate de zibeline, une
toque mauve, un bouquet d'orchidées, complétaient cette toilette d'une
élégance de haut goût. Le ministre était simplement en redingote noire,
avec gilet et cravate bleus._



[Illustration: A LISBONNE.--Le palais de Belem, résidence du Président
de la République pendant son séjour en Portugal.]

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN PORTUGAL

Le président Loubet a pris congé du roi d'Espagne, jeudi soir, pour
aller rendre visite au roi et à la reine de Portugal. Pendant son séjour
à Lisbonne, de vendredi à dimanche, il est l'hôte des souverains au
palais royal de Belem, où ont été mis à sa disposition des appartements
dont nous faisons voir la chambre à coucher principale.

Construit vers 1700, dans un faubourg de Lisbonne où se trouve également
le palais d'Ajuda, résidence habituelle de la reine douairière
Maria-Pia, ce palais est, comme le montre notre gravure, d'une
architecture fort simple. Il n'a rien de commun avec le fameux _couvent
de Belem_, dont le cloître est une des merveilles du Portugal.

[Illustration: Chambre à coucher de M. Loubet au palais de Belem.]

Une partie de la journée de samedi doit être consacrée à une excursion à
Cintra, petite ville située à 28 kilomètres de Lisbonne. Ce lieu
singulièrement favorisé, que Byron, en une description enthousiaste, a
qualifié de «nouvel Eden», possède deux résidences royales d'été,
remarquables par leur caractère architectural: le château mauresque et
le _castello da Pena_. M. Loubet déjeunera dans l'un et visitera
l'autre.

Le château da Pena, construit vers 1850 dans le style des châteaux forts
du moyen âge, s'élève au sommet d'un rocher que couronnait autrefois un
couvent fondé au seizième siècle et servant de lieu de pénitence pour
les moines de Belem. De la grande coupole, on a une vue admirable sur
l'Océan, la province d'Estramadure et la plaine du Tage. Tout le versant
de la montagne a été transformé en un parc luxuriant où abondent les
camélias et les rhododendrons.

[Illustration: Le château royal da Pena, à Cintra, visité par M. Loubet
le 28 octobre. LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE: EN PORTUGAL]



[Illustration: LE PRINCE DE BULGARIE AU CREUSOT Le prince Ferdinand
assiste à la coulée de l'acier d'un canon de marine dans la grande fosse
des fours Martin. _Dessin d'après nature de notre envoyé spécial._]

Le prince Ferdinand de Bulgarie a profité de son voyage en France pour
aller visiter les usines du Creusot, auxquelles il a confié d'importantes
commandes d'artillerie. Parti de Paris le jeudi 19 octobre, par un train
spécial qu'avait commandé M. Schneider, le prince a été pendant quatre
jours, avec sa suite, l'hôte du directeur du Creusot. M. Schneider s'est
empressé, avec une bonne grâce que son hôte a paru hautement apprécier,
pour lui rendre ce séjour aussi agréable que possible, et, notamment,
assisté de quelques-uns de ses chefs de service, l'a initié à tous les
travaux qui s'exécutent dans la formidable cité industrielle, le guidant
à travers les ateliers, les halls, au polygone, etc.

Laminage, puddlage, forgeage, ajustage, tirs, le prince a tout vu et
s'est intéressé à tout. Mais un spectacle paraît l'avoir vivement
impressionné, c'est celui qui lui fut offert, le vendredi soir, au
service des aciéries, où, en sa présence, on coula, à la grande fosse
des fours Martin, un lingot cylindrique d'acier de 720 millimètres de
diamètre, d'un poids approximatif de 18.750 kilogrammes, destiné à la
fabrication d'éléments de canons de 164mm,7 pour la marine française.
Penché vers la fosse d'où rayonnait une rougeoyante lueur, le prince
Ferdinand suivit avec la plus vive attention toutes les péripéties de
l'opération, et s'émerveilla de sa précision comme de sa beauté.



[Illustration: Le _Lebaudy_, ayant à bord la commission militaire des
essais, évolue au-dessus de Toul, le 24 octobre.]

Nous signalions récemment l'installation du dirigeable _Lebaudy_ à Toul.
On l'y a logé dans un des manèges du 39e d'artillerie, dont on a dû
abattre le mur de fond et surtout creuser profondément le sol, afin de
remédier à l'insuffisance de hauteur.

Le _Lebaudy_ a effectué depuis, tout autour de la place forte de Toul,
et sous le contrôle de l'autorité militaire, des expériences qui ont
admirablement réussi. Mardi dernier, M. Berteaux, ministre de la
Guerre--qui avait déjà été témoin d'une des ascensions du dirigeable--a
tenu à se rendre compte par lui-même des conditions dans lesquelles il
fonctionnait. Et, en compagnie du commandant Gossart, son officier
d'ordonnance, il a pris place dans la nacelle pour effectuer, sous la
direction de M. Juchmès, le pilote habituel du _Lebaudy_, une
reconnaissance circulaire de la place.

[Illustration: Le _Lebaudy_, vu de l'arrière, dans le manège militaire
de Toul, transformé en aérodrome.]

[Illustration: M. Berteaux, ministre de la Guerre, montant à bord du
dirigeable.]

LES EXPÉRIENCES DU DIRIGEABLE MILITAIRE «LEBAUDY», A TOUL

[Illustration: LES CONSEILLERS MUNICIPAUX PARISIENS A LONDRES

Le banquet de Mansion house: M. Brousse, président du Conseil municipal
de Paris, debout à la gauche du lord-maire, prononce son toast.]

Répondant à une invitation du _County Council_ (Conseil de comté) de
Londres, soixante des quatre-vingts membres du Conseil municipal de
Paris, ayant à leur tête M. Paul Brousse, président de cette assemblée,
sont allés passer une semaine dans la capitale anglaise, où ils ont
rencontré le plus sympathique accueil. Pendant ce séjour, les
réceptions, inaugurées le 17 octobre par leur présentation au roi, à
Buckingham Palace, les fêtes, les promenades organisées en l'honneur des
visiteurs, se succédèrent sans interruption. Une des solennités
officielles les plus importantes du programme fut le banquet offert à la
délégation par le lord-maire, sir John Pound, assisté des shérifs de la
Cité, et qui, à une heure de l'après-midi, ne réunissait pas moins de
trois cents invités dans la grande salle de Mansion house. Sir John
Pound avait à sa droite M. Paul Cambon, ambassadeur de France; à sa
gauche, M. Brousse; on remarquait en outre, parmi les convives de
marque: M. Cornwall, président du _County Council_, dont les membres
étaient également présents; l'évêque de Londres; lord Cheylesmore, maire
de la cité de Westminster, etc. Au dessert, des toasts chaleureux
confirmèrent 1'«entente cordiale».



LIVRES NOUVEAUX

«JULES MICHELET»

Il y a quelques mois paraissait un livre: _le Moine Guibert_, signé
Bernard Monod. Celui-là, hélas! qui l'avait écrit, venait de disparaître
en pleine jeunesse, laissant à tous ses amis le souvenir d'une
conscience ferme, d'un esprit admirablement doué pour les études
historiques. A la suite de cette catastrophe, M. Gabriel Monod s'est de
plus en plus réfugié dans l'étude et dans la communion avec les deux
morts illustres, Michelet et Mme Michelet, dont il possède les papiers.

Son oeuvre, qui a pour titre: _Jules Michelet_ (Hachette, 3 fr. 50),
pourrait fort bien s'appeler: _les Amours de Michelet_. La vie de
l'historien, en effet, fut tout passion. Qu'adora-t-il d'abord? L'Italie
qui, avec Virgile et Vico, avait le plus contribué à sa formation
intellectuelle. Si familier lui était l'harmonieux et sensible poète
latin que, si tous les exemplaires de Virgile avaient disparu de la
planète, il eût pu aisément en reconstituer le texte. Ce n'était pas
seulement son âme qui devait beaucoup à l'Italie; à plusieurs reprises
il était allé dans la terre classique et lumineuse pour y refaire sa
santé. Chaque fois il en était revenu plus fort. S'il aima tendrement la
brune et saine Italie et s'il désira son unité, peut-être ne lui
rendit-on pas toujours là-bas toute sa flamme et répondit-on parfois
d'une façon un peu évasive à quelques-unes de ses demandes. Le ministre
Amari lui refusa, avec toutes sortes de protestations admiratives
toutefois, un poste pour Challemel-Lacour.

[Illustration: Jules Michelet. _D'après une eau-forte de Boilvin._]

Avec l'Italie, Michelet chérit l'histoire comme une maîtresse,
avoue-t-il. O puissance de l'imagination! Les abstractions même
prenaient un corps, s'animaient, s'emparaient de son esprit et presque
de ses sens.

Mais, à côté des nations et de l'histoire, il y eut des êtres en chair
et en os dans sa vie. En 1824, il épousa Mlle Pauline Rousseau, qui
s'éteignit en 1839, lui laissant deux enfants, Charles et Adèle. Qui a
lu Michelet a senti, partout répandu dans son oeuvre, quelque chose
d'infiniment ardent. C'était un tempérament de feu que tourmentait ce
qu'il nommait l'ange noir. On a prétendu qu'il avait été assez détaché
de sa première femme. S'il n'y eut pas entre eux une communion d'idées
fort étroite, si elle échappa fatalement à son influence intellectuelle,
du moins elle le tint par les sens. Quel remords il éprouve, après sa
mort, des chagrins qu'il lui a causés: «Qu'est-elle devenue, écrit-il,
cette malheureuse partie de moi-même, tandis que l'autre errait dans la
science et la passion!... Je rentre au foyer que j'ai délaissé, je le
trouve brisé pour toujours.» Sa douleur fut extrême et lente à se
guérir.

Au mois de mai 1840, une femme encore jeune se présenta devant lui,
accompagnée d'un jeune homme qui devait, trois ans plus tard, épouser
Mlle Adèle Michelet. Avant d'être le gendre de Michelet, Alfred
Dumesnil, mort il y a une dizaine d'années, fut son fils et en même
temps l'enfant de Quinet, qu'il suppléa au Collège de France. Attiré
toujours par le charme qui émanait de la femme, Michelet rapidement mit
son âme dans celle de Mme Dumesnil, souffrant de ses souffrances, triste
de ses mélancolies. Elle avait un mari; mais, pendant des mois, Michelet
lui donna l'hospitalité dans sa maison de la rue des Postes, recueillant
le fils en même temps que la mère, mêlant Alfred Dumesnil à ses propres
enfants. C'était un foyer qu'il reconstituait dans la pureté. Mais un
mal inexorable et profond minait Mme Dumesnil. Avec quelle angoisse
Michelet suit les progrès de la décomposition et sent les approches de
plus en plus certaines de la mort! Elle _passa_ au commencement de juin
1842. «Cette situation de rêveur, de garde-malade, dans ce beau et froid
mois de mai, parmi les lilas fermés, l'année qui s'avance n'était pas
sans poésie... Dure poésie en face de la mort!»

Pour endormir son mal, Michelet prit avec lui Alfred Dumesnil et, du 14
juin au 31 juillet 1842, parcourut l'Allemagne, s'y enivrant de savoir,
de belles imaginations, visitant les musées, conversant avec les
penseurs, buvant la poésie à ces deux vastes coupes: le Rhin et le
Danube.

Que se passa-t-il à son retour? Quel mystérieux visage remplaça les
chères images disparues? En 1849 seulement, il épousa Mlle Mialaret. De
Vienne en Autriche qu'elle habitait, dans la maison des Cantacuzène,
elle lui avait envoyé, dès octobre 1847, des lettres admiratives et
inquiètes. A distance, Michelet s'éprit de cette jeune fille de
vingt-deux ans, qui poussait l'idéalisme jusqu'au mysticisme; il avait
lui-même cinquante et un ans au moment du mariage. Jamais union ne fut
plus étroite. Mme Michelet s'identifia tellement à son mari que l'on a
peine à les distinguer l'un de l'autre dans certains livres. Combien de
fois, dans le petit appartement de la rue d'Assas ou dans nos promenades
à travers les houblonnières de Velizy, m'a-t-elle raconté son effective
et large collaboration à _l'Oiseau_, à _l'Insecte_, à _la Mer_, à _la
Montagne_! Elle termina _le Banquet_, écrivit en grande partie _Ma
Jeunesse_ et, d'un bout à l'autre, _Rome_, publié sous le nom de
Michelet. Elle a l'image, le jet spontané, les éclairs rapides de son
prophète, et cela jusqu'à la fin, dans les pages suprêmes de mars 1899.
Aussi put-elle se dire «non pas la veuve, mais l'âme attardée» de
Michelet.

[Illustration: Mme Jules Michelet.--_Phot. Ordinaire._]

Dans ses lettres même on retrouve toute la poésie singulière de son mari
et toute son âme. J'ai sous les yeux de nombreuses épîtres qu'elle m'a
adressées. «Le printemps, m'écrivait-elle le 19 avril 1896, cette année
est austère. Je ne sais trop ce qu'en pensent rossignols et fauvettes,
arrivés à leur date habituelle. Le rossignol a chanté ce matin, dans les
fourrés du bois, à l'aube bien froide. Pauvre petit!... Lorsque vous
viendrez, nous pousserons jusqu'à nos houblonnières.»

Maintenant, c'est la question délicate. Éprouva-t-elle autre chose
qu'une admiration tendre pour Michelet, qu'un désir craintif et
continuel de ne pas le blesser? C'est un ami sûr et fort, sur lequel
elle appuie sa faiblesse physique et morale, c'est un maître qu'elle
imite. Mais y eut-il amour de sa part, comme de la part de Michelet qui
n'était qu'une flamme toujours en éveil? Le sentiment passionné
existait-il dans le cour de la jeune créole? Peut-être l'auteur de
_Jules Michelet_ pourrait-il répondre à cette interrogation; peut-être y
pourrais-je répondre moi-même. Dans tous les cas, les deux ne firent
qu'un même esprit.

M. Monod ne se montre pas seulement, dans _Jules Michelet_, ce que nous
savons qu'il est par-dessus tout: un maître dans les études historiques;
il nous apparaît encore comme un psychologue très avisé et comme un
artiste. Il a parfaitement saisi et rendu les deux personnages si
poétiques, et, disons-le, si tourmentés, qu'il a connus et aimés.

E. LEDRAIN.



DIVERS

A la lecture du volume sain, vivant, courageux, que vient de publier M.
Georges Lecomte: _les Hannetons de Paris_ (Fasquelle, 3 fr. 50),
s'impose impérieusement à la mémoire le ressouvenir du satirique au
style nerveux, au verbe éloquent, à la rude franchise, que fut Barbey
d'Aurevilly. Les seize chapitres des _Hannetons de Paris_ apparaissent
comme une suite logique, une continuation des _Ridicules du temps_,
comme une mise au point, une mise à l'heure, une adaptation de ce beau
livre vengeur à des mauvaises moeurs non nouvelles, certes, mais
devenues plus pernicieuses, peut-être, du fait de la complaisance
générale, de l'universel consentement,--de la complicité du monde, pour
tout dire. Et M. Georges Lecomte sent si bien la profondeur et l'étendue
des maux qu'il signale que le coeur lui manque pour s'en indigner. Dès
la première ligne, il prévient que ses satires seront «plus narquoises
que sévères». A quoi bon, en effet, s'exténuer en de vaines colères
contre l'incurable? Un haussement d'épaules, un sourire d'ironique pitié
sont désormais pour le sage des gestes suffisants à exprimer son
sentiment sur les spectacles moroses que lui offre à chaque pas la vie
quotidienne. J'imagine très volontiers que M. Georges Lecomte n'a pas
ambitionné pour son élégante crânerie d'autre récompense que
l'approbation discrète des honnêtes gens, et que le mot de Musset doit
lui sembler le plus enviable des éloges: Ton livre est ferme et franc,
brave homme...

Quand un lettré, soucieux d'actualité et qui partage les préoccupations
politiques et philosophiques de son temps, entreprend d'exprimer avec un
peu d'abondance ses opinions ou ses vues, il adopte volontiers la forme
du roman utopique. C'est ainsi que M. André Beaunier, journaliste de
talent, vient d'écrire _le Roi Tobol_ (Fasquelle, 3 fr. 50). Le roi
Tobol est le souverain hypothétique d'un royaume imaginaire. Ses
mésaventures conjugales et royales, ses efforts infructueux pour faire
le bien de son peuple en improvisant premier ministre le tribun
socialiste Fougasse, pour assurer le bonheur de son pseudo-fils Eudémôn
en l'emprisonnant dans un château fermé à toutes les tristesses,--tout
cela est plaisamment et ingénieusement conté. Un peu d'obscurité çà et
là. L'auteur n'impose pas des solutions: il suggère des problèmes. Son
livre est de ceux qui donnent à rêver.

La collection, bien connue, des _Annales du théâtre et de la musique_ en
est à sa trentième année. M. Edmond Stoullig poursuit sa tâche avec trop
de sérieux pour qu'on ne loue pas son patient et précieux labeur. Dans
le dernier volume (Ollendorff, 3 fr. 50), l'année 1904 est résumée
d'excellente manière par un critique avisé, très épris de l'art
dramatique.

Notre distingué confrère a enrichi son livre d'une préface qu'a signée
M. Camille Saint-Saëns et que l'illustre compositeur a intitulée:
_Causerie sur l'art théâtral_, causerie remplie d'idées neuves et
d'aperçus ingénieux.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

UN AGAVE D'AMÉRIQUE EN FLEUR EN HONGRIE.

L'agave d'Amérique, assez bien acclimaté sur les côtes de la
Méditerranée, fleurit rarement dans les régions plus septentrionales. Il
lui faut, d'ailleurs, pour cela, près d'un siècle. La plante qui a
fleuri à Pécs (Hongrie), chez M. Nowolarski, présente donc un cas de
végétation exceptionnel.

[Illustration: Agave d'Amérique ayant fleuri en Hongrie]

Cet agave est âgé d'environ quatre-vingts ans. Les feuilles, auparavant
grasses et érigées, commencèrent à se flétrir dès l'apparition de la
hampe florale; elles pendent aujourd'hui presque verticalement autour du
tronc. En quarante jours, cette hampe atteignait 4 mètres, soit une
croissance de 10 centimètres par jour; la circonférence, à la base,
mesurait 37 centimètres. L'épanouissement complet dura cinq semaines et
le nombre des fleurs dépassa cinq cents.

Ces fleurs, jaune verdâtre, sont d'un effet médiocre, et la plante ne
vaut, au point de vue décoratif, que par son port ornemental. Dans le
pays d'origine, elle est utilisée comme plante textile; on en fait des
filets, des nattes, des toiles d'emballage, etc. La sève fermentée
fournit une boisson alcoolique nommée _pulqué_.

L'ESPAGNE «ÎLE DES LAPINS».

S'il faut en croire un orientaliste distingué, M. le comte de Charencey,
le pays de don Quichotte et du Cid devrait son nom d'Espagne ou
_Hispania_ à l'abondance des lapins qui s'y promenaient autrefois.

La plupart des hypothèses formulées à cet égard sont, d'ailleurs, fort
pittoresques. Les Basques rattachent le nom à un mot de leur langue,
_ezpain_, lèvre, le littoral de la Péninsule étant comparé à la lèvre
qui constitue... relativement le bord du visage. Quelques savants
croient devoir remonter au mot persan _ispah_, cheval, l'Espagne ayant
toujours été, comme le pays d'Ispahan, renommée pour ses chevaux.
Beaucoup d'autres croient à une étymologie hébraïque signifiant «pays
des trésors cachés» et justifiée soit par les richesses minières de
l'Espagne, soit par la légende de Calypso. D'après M. Bérard, en effet,
le nom _Hispania_ aurait d'abord été donné à l'île de Calypso qu'il
identifie à l'île Perejil des géographes modernes, située aux environs
du détroit de Gibraltar, et où se trouve une caverne qui pouvait servir
à cacher les trésors. Rien, d'ailleurs, ne prouve l'exactitude de cette
identification.

M. de Charencey préfère s'en rapporter au vieux terme phénicien
_shaphan_, lapin. Il fait remarquer qu'au dire de Pline une ville
espagnole fut minée par les lapins, et que les habitants des îles
Baléares sollicitèrent d'Auguste l'envoi d'un corps de troupes pour les
débarrasser des lapins. Il ne va pas jusqu'à conclure, avec l'auteur
latin, que ces animaux sont originaires d'Espagne d'où ils se
répandirent sur l'Europe, mais il s'arrête à l'étymologie phénicienne
_ai schapanîm_, qui signifie «île des lapins».

FRUITS FRANÇAIS EN ANGLETERRE.

Une intéressante expérience a été récemment faite en Angleterre par
quelques Français et Anglais intéressés au commerce des fruits. Ils
étaient réunis dans la gare de Deptford, en Angleterre, et y procédaient
à l'ouverture d'un wagon qui arrivait directement de Perpignan où il
avait été plombé. Ce wagon renfermait des milliers de kilos de pêches et
de raisins de la région de Perpignan. Il est pourvu d'un appareil
spécial permettant d'y maintenir une température assez haute, ou assez
basse, à volonté. Les résultats ont été très satisfaisants. Les fruits,
cueillis peu de temps avant maturité, étaient à point: ils furent vendus
aux enchères à Covent Garden et, grâce à l'excellent état de la
marchandise, les importateurs ont obtenu un prix d'un tiers plus élevé
que celui qu'ils obtenaient avec l'ancien mode d'expédition. Nos
producteurs du Midi et de l'Algérie doivent tenir pour certain qu'il
leur serait facile de prendre une place considérable sur le marché
anglais s'ils se donnaient la peine de recourir aux modes de transport
perfectionnés et de n'envoyer que des produits de bonne qualité, sans
essayer de tromperies vulgaires qui ne peuvent que leur nuire.

LA STATUE DE LA SOURCE DE LA SEINE.

A l'époque où M. Haussmann était préfet de la Seine, la ville de Paris fit
élever un monument à l'endroit où la Seine sort de terre. Le filet d'eau
qui constitue la source du fleuve coule d'une urne placée sous le bras de
la statue, oeuvre remarquable du sculpteur dijonnais François Jouffroy et
que des vandales ont couverte d'encre ces jours derniers.

[Illustration: La «Naïade» de la source de la Seine.]

Ce monument, situé à 7 kilomètres de Saint-Seine et à 3 kilomètres de
Chanceaux, dans un endroit solitaire, est placé sous la protection d'un
garde pour lequel la ville de Paris a fait construire, à 100 mètres de
là, un pavillon spécial. Mais il paraît que ce garde est aveugle.

LA SOIE ARTIFICIELLE.

Une explosion violente, faisant de nombreuses victimes, vient de se
produire dans une fabrique de soie artificielle installée à Sarvar
(Hongrie) et qui occupe 500 ouvriers. Nombre de personnes ignoraient
sans doute que l'industrie de la soie artificielle fût aussi prospère et
aussi dangereuse.

Cette soie, dite soie Chardonnet, du nom de l'inventeur, n'est autre
chose que du collodion solidifié. En plongeant du coton dans un bain
d'acide sulfurique et d'acide nitrique, on obtient de la nitrocellulose
ou fulmicoton qu'on dissout dans un mélange d'alcool et d'éther. Ce
sirop est lancé, sous une pression de 40 atmosphères, dans des filières
en verre nommées vers à soie, à la sortie desquelles il se solidifie.
L'évaporation imprègne donc l'air de vapeurs d'éther et d'alcool et
ajoute un nouveau danger à celui que présente déjà la manipulation
préalable des deux liquides.

Le procédé Chardonnet date de 1884; on l'a imité depuis. Mais les divers
systèmes imaginés consistent toujours à filer un sirop de
nitrocellulose, parfois de cellulose, et aucun d'eux n'a pris
industriellement l'importance du procédé Chardonnet.

Cette soie, qui possède un réel brillant, est moins souple et environ
moitié moins résistante que la soie naturelle. Ses filaments, très
divisés, ne permettent pas de l'employer pour la chaîne des tissus, elle
ne peut entrer que dans la composition de tissus mélangés. Son aptitude
particulière à fixer les terres rares la fait préférer aux autres
textiles pour les manchons à incandescence; elle est fort utilisée en
passementerie, et elle a presque entièrement remplacé la soie naturelle
pour tout ce qui regarde l'électricité.

LA FONTAINE DE SAINT-ÉTIENNE À CARLSRUHE.

La ville de Carlsruhe, capitale du grand-duché de Bade, dont les rues
larges et silencieuses renferment tant de monuments variés, vient de
s'offrir une fontaine d'une certaine originalité. La nymphe des eaux est
entourée d'une colonnade où les vulgaires cariatides ont été remplacées
par le portrait, légèrement chargé, des conseillers municipaux de la
cité. On s'étonnera peut-être que cette formule d'art nouveau, bien
faite pour satisfaire la vanité de beaucoup d'édiles modernes, n'ait pas
été appliquée plus tôt.

LES MARIAGES ANGLO-AMÉRICAINS.

Un écrivain anglais vient d'exécuter une charge à fond de train contre
l'aristocratie anglaise, à cause de la facilité avec laquelle les
porteurs de grands noms se marient avec des Américaines, quand celles-ci
ont une grande fortune. Beaucoup d'Américaines riches, les filles des
grands industriels ou des organisateurs de _trusts_, n'ont qu'une
ambition, qui est d'épouser un lord anglais, un prince italien, ou le
descendant de quelque grande famille française. Cela ne leur réussit pas
toujours, d'ailleurs: le marché, puisque ce n'est pas autre chose, ne
tourne pas toujours à leur avantage. Mais l'écrivain anglais ajoute que
ce n'est pas à l'avantage non plus des pays où se font ces mariages
internationaux. Les femmes américaines introduites par le mariage dans
la société anglaise, par exemple, n'y apportent rien d'élevé ou de
noble, aucune force politique ou morale. Autrefois, en Angleterre, il
est entré bon nombre de huguenots, puis de royalistes, que la France
avait chassés; mais ces éléments étaient excellents. Les femmes que
l'Angleterre s'annexa par le mariage avaient un haut idéal et des
convictions élevées: rien en elles ne pouvait contribuer à abaisser le
ton de la société où elles pénétraient. Ce fut une bonne acquisition
pour l'Angleterre. On n'en peut dire autant des Américaines qui, contre
espèces, se procurent un mari, un titre et un château historique. Elles
ne vivent que pour la vanité et l'argent et apportent avec elles une
forme de civilisation très inférieure et dégradante. Ce n'est pas tout.
On a souvent dit que les croisements sont favorables à la multiplication
de la race et beaucoup pensaient que le jeune sang de l'Amérique serait
profitable au vieux sang de l'Angleterre. Mais il n'en est pas du tout
ainsi. Depuis 1840, trente pairs ou fils de pairs anglais ont épousé des
Américaines. Or, sur ce total, treize sont sans enfants; cinq n'ont que
des filles et cinq n'ont qu'un seul fils. C'est dire que les noms vont
s'éteindre en majorité. Les Américaines sont souvent stériles, pour tout
dire en un mot. C'est pourquoi l'aristocratie a deux raisons plutôt
qu'une de ne pas se les annexer.

[Illustration: La fontaine de Saint-Étienne, à Carlsruhe.]

LA FABRICATION DU DIAMANT.

M. C.-V. Burton, de Cambridge, vient de tenter la fabrication du diamant
par un procédé rappelant celui qu'imagina, il y a une dizaine d'années,
M. Henri Moissan. Ce dernier plaçait dans le four électrique du fer et
un morceau de sucre, lequel représente, comme la houille, une des formes
du carbone. Sous une température de 3.000 degrés, ce carbone se
liquéfiait au sein de la masse métallique en fusion que l'on jetait
alors dans l'eau froide. Le refroidissement brusque produisait une
contraction et une pression formidables déterminant la cristallisation
du carbone en parcelles microscopiques de diamant.

M. Burton opère avec un alliage de plomb et de calcium qui doit contenir
du carbone sous forme de carbure, et les cristaux de diamant (?) qu'il
affirme avoir obtenus sont aussi d'une taille infime.

Rappelons, à ce propos, que le rubis artificiel ou _rubis reconstitué_,
«aussi beau que le vrai», si abondant aujourd'hui chez les joailliers
parisiens, est obtenu simplement en fondant de la poussière de rubis
naturel. Il n'y a donc aucune comparaison à établir entre cette
industrie et le problème de la transformation d'un pain de sucre en
rivière de diamants.

LES CORRUGATIONS DES DENTS ET DES ONGLES.

Ce sont des altérations qui consistent en taches opaques ou en sillons
qui rappellent vaguement les rides sillonnant les cornes des vaches.

Depuis longtemps, les médecins étaient d'accord pour les considérer
comme des témoins d'états pathologiques; les dents et les ongles ayant
poussé pendant l'état de maladie présentent, en effet, un développement
anormal; mais ces rapports étaient en somme assez vagues.

D'après un médecin anglais, M. Curtis, les sillons transversaux des
dents et des ongles seraient en rapport avec l'autointoxication et les
affections rhumatismales auxquelles celle-ci aboutit souvent, tandis que
les lignes longitudinales seraient sous la dépendance de troubles de la
nutrition liés à des affections intestinales.

Les lésions unguéales, suivant qu'elles sont plus ou moins fines et
grossières, permettraient même de juger du degré de gravité de la
maladie subie par le patient; et leur position, qui varie avec la
croissance de l'ongle, permettrait aussi de fixer la date de cette
maladie.

Dans les cas où la lésion occupe à peu près le milieu de l'ongle, on
petit évaluer à deux mois le laps de temps qui s'est écoulé depuis la
maladie.

Ces observations de M. Curtis sont fort intéressantes et le sens que
leur donne l'auteur est très vraisemblable, car, après l'appendicite,
par exemple, on constate presque toujours que les ongles sont couverts
de taches blanches plus ou moins étendues.

L'ACTEUR IRVING À WESTMINSTER.

Les cendres du grand acteur tragique anglais Henry Irving, dont nous
avons annoncé la mort et publié le portrait dans notre dernier numéro,
ont été déposées dans les caveaux de l'abbaye de Westminster. Elles sont
ensevelies (à l'endroit marqué d'une croix sur notre gravure) dans le
_Coin des poètes_, à côté des restes des deux autres grands acteurs
tragiques Garrick et Kean, au pied du monument de Shakespeare. A droite
de ce dernier on voit le tombeau de Thomson, le poète des _Saisons_, et,
à gauche, celui du poète Thomas Campbell.

[Illustration: Place de la sépulture d'Irving (+) à Westminster, dans le
«Coin des poètes»]



[Illustration: La boulangerie Philipof.]

[Illustration: Ouvriers boulangers blessés par les cosaques.]

LES GRÈVES DE MOSCOU ET L'INCIDENT DE LA BOULANGERIE PHILIPOF

LES GRÈVES DE MOSCOU

La majorité des ouvriers de Moscou n'est ni révolutionnaire, ni même
socialiste. C'est pourtant à Moscou que vient de prendre naissance un
formidable mouvement gréviste, qui s'est étendu très vite à d'autres
grandes cités et même à Saint-Pétersbourg, et qui, englobant le
personnel des chemins de fer, a isolé les villes russes les unes des
autres et les a presque séparées du reste du monde. Les ouvriers de
Moscou ne demandaient d'abord que l'amélioration de leur sort. Après
avertissements et réclamations rarement professionnelles, adressés aux
patrons et aux administrations compétentes, ils cessèrent le travail,
mais paisiblement. Et la grève n'aurait eu peut-être qu'une portée
ordinaire et des conséquences peu graves, sans la maladresse et la
brutalité de quelques fonctionnaires.

Le 8 octobre, les deux cents ouvriers de la boulangerie Philipof avaient
décidé de chômer, uniquement par solidarité, et _d'accord avec
l'administration de l'usine_. Le préfet de la ville et le préfet de
police n'en donnèrent pas moins l'ordre d'arrêter ces deux cents
ouvriers--adultes et gamins--qui passaient paisiblement leur matinée du
dimanche dans le bâtiment même de la boulangerie. Ils furent conduits
dans la cour de la préfecture de Moscou, et là, les cosaques et les
gendarmes les reçurent à coups de fouet, de baïonnette et de crosse de
fusil, pendant que le bâtiment de l'usine et la maison de rapport de M.
Philipof, habitée par des particuliers, étaient criblés de balles sous
prétexte de se convaincre _qu'il n'y avait plus d'ouvriers cachés_. Ces
procédés arrachèrent un cri d'indignation à la société moscovite. Et ce
fut la Société impériale technique de Moscou qui prit en mains l'affaire
et saisit la justice. Le parquet impérial, lui aussi, s'en émut. Et le
procureur a ouvert une information pour établir les responsabilités.

Mais la situation créée par la grève générale est telle aujourd'hui que
l'affaire de la boulangerie-Philipof n'est plus qu'un incident de cette
immense lutte sociale qui se livre dans tout l'empire russe.



LES OBSÈQUES DU PRINCE SERGE TROUBETZKOI

Nous avons dit, la semaine dernière, dans l'article nécrologique
consacré au prince Serge Troubetzkoï, quelles funérailles magnifiques et
émues avaient été faites au grand libéral. L'empereur lui-même, rendant
hommage à ses éminentes qualités, avait fait déposer sur son cercueil
une couronne d'orchidées admirable. Mais une manifestation surtout a
montré de quel respect, de quelle affection était entouré le prince
Troubetzkoï: sur tout le parcours suivi par le cortège, une foule
immense, où aux étudiants se mêlaient des hommes du peuple, des
commerçants, des bourgeois, se donnant la main comme pour une farandole,
formait une double chaîne de chaque côté du char funèbre et se déplaçait
avec lui, pour le protéger contre la poussée de la multitude massée le
long des rues.



MONSEIGNEUR LANUSSE

Mgr Lanusse, aumônier de l'École de Saint-Cyr, vient de s'éteindre à
l'âge de quatre-vingt-sept ans. Né à Tonneins, il avait reçu les ordres
au sortir du séminaire d'Agen; l'an dernier, il célébrait le soixantième
anniversaire de son sacerdoce. C'est en qualité d'aumônier militaire
qu'il remplit la majeure partie de sa longue carrière, conciliant ainsi
avec la vocation ecclésiastique le culte des traditions d'une famille où
l'on comptait nombre de vaillants officiers, entre autres un général,
compagnon de Bonaparte en Égypte.

[Illustration: Les funérailles du prince Serge Troubetzkoï à
Moscou.--_Phot. Smirnof._]

[Illustration: Mgr Lanusse.]

C'était une figure éminemment sympathique et quasi populaire que ce
vénérable prêtre dont on remarquait, dans les cérémonies patriotiques,
la physionomie empreinte d'une bonté agissante, l'allure martiale, la
poitrine constellée de décorations, parmi lesquelles la croix d'officier
de la Légion d'honneur. Le pape, enfin, avait comblé ses voeux en lui
conférant la dignité de prélat romain, qui lui donnait droit au titre de
«monseigneur».



LES THÉÂTRES

Le Gymnase nous a donné cette semaine la nouvelle oeuvre attendue de M.
Henry Bernstein: _la Rafale_. C'est un drame bref et violent, en trois
actes, presque une tragédie, très moderne, bien entendu. L'amour et le
jeu en constituent les ressorts. La force et l'âpreté du dialogue, la
logique des situations, ont fait acclamer cette pièce, et aussi le
mouvement et la vie que tous les interprètes ont donnés à leurs
personnages: Mme Le Bargy, extraordinaire de passion, et MM. Dumény,
Gémier et Burguet. Au total, un grand succès. Le texte complet de _la
Rafale_ formera l'un de nos prochains suppléments de théâtre.

Le nouveau spectacle des Nouveautés: _Florette et Patapon_, trois actes
de MM. Maurice Hennequin et Pierre Weber, est un des plus réjouissants
qui se puissent voir. C'est un imbroglio, d'une analyse presque
impossible, de scènes conjugales burlesques qui tendent à démontrer la
fragilité des liens du mariage: le sujet manque peut-être de nouveauté,
mais les auteurs, aidés d'une interprétation excellente, le rajeunissent
par l'abondance de détails comiques qui sont bien de leur invention.

Signalons la réouverture du Grand-Guignol et celle de l'ex-Bodinière
sous le titre de Nouvelle-Comédie. Ces deux théâtricules offrent des
spectacles coupés, composés de pièces d'un dramatique poussé parfois
jusqu'à l'horrible, ou d'un comique qui va jusqu'à la farce. Et cela ne
semble pas déplaire aux amateurs d'émotions vives et contradictoires.



LE CONCOURS LÉPINE, par Henriot.



_NOUVELLES INVENTIONS (Tous les articles compris sous cette rubrique
sont entièrement gratuits.)_

LA BIBLOTIRETTE

Nous savons tous combien il est incommode de tirer d'une bibliothèque ou
d'un casier un volume d'un certain poids ou d'un format un peu grand.

Il faut d'abord le faire basculer en s'accrochant à la reliure puis
l'amener à soi en le faisant glisser sur la tranche, ce qui en détermine
l'usure rapide.

[Illustration: La Biblotirette.]

L'ingénieux appareil que représente notre gravure et qui consiste en une
simple planchette formant tiroir, supprime tous ces inconvénients; un
anneau dont elle est munie permet de sortir le livre à moitié sans qu'on
ait eu à y toucher et on l'enlève alors, si gros et si lourd soit-il,
sans le moindre effort et sans aucun risque de le détériorer.

La Biblotirette peut servir d'assise aussi bien à plusieurs volumes
formant un ouvrage complet de moyenne importance qu'à un seul in-folio,
mais elle est particulièrement avantageuse pour l'usage commode,
fréquent et rapide des dictionnaires ou encyclopédies comme, par
exemple, le Nouveau Larousse illustré, que représente notre figure dans
son casier spécial auquel elle s'adapte parfaitement.

Il en est de même des livres de commerce, si peu maniables à cause de
leur poids et de leurs dimensions.

Cet appareil convient également bien à toutes les installations et se
place partout avec la plus grande facilité; il permet, en outre, de
réaliser une sensible économie de place en réduisant au minimum la
hauteur des rayons, l'espace nécessaire au passage des doigts et au
mouvement du volume devenant inutile.

La Biblotirette se fait généralement en noyer avec anneau nickelé, mais
elle peut être livrée en tout bois approprié au meuble auquel elle est
destinée; il suffit d'indiquer au constructeur la largeur et l'épaisseur
du volume pour recevoir le numéro qui convient. Le jeu complet convenant
au Nouveau Larousse illustré est envoyé franco contre mandat de 10
francs et se pose instantanément.

Pour tous renseignements, s'adresser à _M. F. Marchand, 19, boulevard
Montmartre, Paris._


POTERIE EN «GRANIT SAINT-DIZIER»

Les ustensiles de cuisine émaillés ont joui longtemps d'une vogue
méritée, tant au point de vue propreté et commodité qu'à celui de
l'hygiène et du bon marché.

La crainte, d'ailleurs peu justifiée, de l'appendicite, soi-disant due à
de minuscules éclats d'émail détachés par la chaleur ou les chocs, a
failli, il y a quelques années, ruiner cette florissante industrie.

Sans prendre parti, au sujet de l'appendicite, pour ou contre les
ustensiles émaillés, on peut reconnaître la fragilité de leur émail et
en redouter les ennuis.

La batterie de cuisine dont nous entretenons nos lecteurs, dénommée
«Poterie en granit Saint-Dizier», a l'aspect et tous les avantages de la
fonte émaillée. Elle est brillante et se nettoie aussi facilement; elle
fait de très bonne cuisine, ainsi du reste que toute la batterie de
cuisine en fonte dont la supériorité à ce sujet n'est pas à démontrer.
Par contre, elle ne s'écaille pas sous l'action d'un choc ou d'un feu
violent. Elle conserve parfaitement les aliments et résiste aux acides.
Elle est légère, tout en ayant les épaisseurs voulues pour conserver la
chaleur pendant longtemps aux aliments.

Les inventeurs ont bien voulu nous décrire la principale partie de leur
méthode d'action en ne conservant secrète que la composition des oxydes
employés.

Les casseroles sont coulées dans des moules en sable avec des fontes
choisies spécialement. Aussitôt la coulée, elles sont convenablement
nettoyées et grattées extérieurement. Elles sont ensuite plongées dans
un acide énergique qui attaque les molécules tendres du métal et y
creuse une infinité de pores imperceptibles. Il se forme en plus sur le
métal un dépôt de matière décarburante. Ainsi préparées, les casseroles
sont introduites dans un four à haute température où se produit la
décarburation dont le but est de rendre la fonte beaucoup plus
résistante aux chocs. Les casseroles sont ensuite, deux fois de suite,
soumises encore à l'action du feu après avoir été chaque fois
recouvertes d'une poudre facilement fusible à ces hautes températures.
Cette poudre se vitrifie et pénètre dans les porosités creusées par
l'acide, elle s'allie au métal jusqu'à former avec lui un tout
parfaitement homogène, à tel point qu'on peut impunément ensuite mettre
une casserole vide sur un feu ardent et laisser rougir le fond: aucune
parcelle d'émail ne s'en détachera. Grâce à ce procédé si simple de
fabrication, les produits obtenus sont vendus fort bas, à des prix égaux
et même inférieurs à ceux de la poterie en fonte émaillée ordinaire.

On peut se procurer ces batteries de cuisine dans les bonnes
quincailleries, en ayant soin de désigner l'article que l'on demande
sous le nom: «Poterie en granit Saint-Dizier».

Pour tous renseignements, s'adresser à _MM. Hénon et Cie, 19, rue des
Forges-Saint-Charles, à Charleville (Ardennes)._

Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés en titre ne nous ont
pas été fournis.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3270, 28 Octobre 1905" ***

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