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Title: Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face - Histoire d'une âme écrite par elle-même
Author: Thérèse, de Lisieux, Saint, 1873-1897
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face - Histoire d'une âme écrite par elle-même" ***


_Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus_

ET DE LA SAINTE FACE

       *       *       *       *       *

HISTOIRE D'UNE AME

ÉCRITE PAR ELLE-MÊME



DÉCLARATION


Conformément au décret du Pape Urbain VIII, nous déclarons que les
titres de _Saint_ ou de _Vénérable_ qui, dans le cours de cet ouvrage,
s'appliqueraient à des personnes sur lesquelles la sainte Eglise ne
s'est pas prononcée, n'ont qu'une valeur purement _humaine_ et _privée_.

De même, dans les différents portraits de la servante de Dieu que nous
avons publiés, comme dans l'exposé des événements et des grâces
extraordinaires qui sont rapportés, nous n'entendons pas prévenir le
jugement du Souverain Pontife, auquel nous nous soumettons sans
réserve.

[Illustration: LA SERVANTE DE DIEU

SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT JÉSUS

RELIGIEUSE CARMÉLITE DU MONASTÈRE DE LISIEUX

1873-1897]

_O Mon Dieu, Votre amour m'a prévenue dés mon enfance, il a grandi avec
moi et maintenant c'est un abîme dont je ne puis sonder la
profondeur._


IMPRIMATUR:

A. QUIRIÉ, _vic. gen._

Bajocis, 18ª Februarii 1911.

       *       *       *       *       *

TOUS DROITS RÉSERVÉS

       *       *       *       *       *

EN VENTE AUX ADRESSES SUIVANTES

_Carmel de LISIEUX (Calvados)._

_Librairie Saint-Paul, PARIS_
6, rue Cassette.

_Imprim. St-Paul, BAR-LE-DUC_
36, Boulevard de la Banque.

LETTRE
DE
Sa Grandeur Monseigneur Lemonnier,
ÉVÊQUE DE BAYEUX ET LISIEUX

Bayeux, le 2 février 1909.

_MA RÉVÉRENDE MÈRE,_

_J'approuve votre dessein de faire une nouvelle édition de la =Vie de
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face=. Vous savez comme
moi combien de faits merveilleux semblent montrer que le bon Dieu veut
mettre en lumière cette petite fleur du Carmel qui s'est épanouie dans
votre cloître, puis a été cueillie vite pour être transplantée au Ciel._

_Elle a été, suivant l'expression de l'Apôtre, la bonne odeur de
Jésus-Christ. Que son parfum mystique embaume beaucoup d'âmes!_

_Je vous bénis, ma Révérende Mère, et je vous prie d'agréer l'expression
de mes sentiments paternellement dévoués en Notre-Seigneur._

† _THOMAS,_

_Ev. de Bayeux et Lisieux._



LETTRES D'APPROBATION

Reçues après la première édition de l'HISTOIRE D'UNE AME


LETTRES DE SON ÉMINENCE LE CARDINAL GOTTI

Préfet de la Sacrée Congrégation de la Propagande.

J. † M.      Rome, le 5 janvier 1900.

_MA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE_,

_Le magnifique exemplaire de l'HISTOIRE D'UNE AME qui m'avait été
adressé pour être offert à Notre Saint-Père le Pape Lui a été remis
samedi, 30 décembre dernier._

_=Sa Sainteté, qui a voulu en prendre connaissance sur-le-champ, a
prolongé sa lecture pendant un temps notable avec une satisfaction
marquée=, et m'a chargé de vous écrire en son nom, pour vous dire qu'Elle
agrée cet hommage de votre piété filiale, et vous donne, ainsi qu'à
votre Communauté, la Bénédiction apostolique._

_En m'acquittant aujourd'hui de l'agréable mission qui m'est confiée par
Sa Sainteté, je suis heureux de pouvoir vous exprimer en même temps, ma
très Révérende Mère, ma vive gratitude pour le riche exemplaire du même
ouvrage que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Ce que j'en ai pu voir
m'a paru si attachant, que j'attends les premières heures de loisir pour
en achever la lecture._

_Veuillez agréer l'expression du religieux respect avec lequel j'ai la
satisfaction de me dire, Très Révérende Mère,_

_De votre Révérence_

_le tout dévoué en Notre-Seigneur._

_Fr. JÉROME-MARIE, Card. GOTTI._

       *       *       *       *       *

Rome, le 19 mars 1900.

_MA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE_,

_J'ai reçu, avec un sentiment de vive gratitude, le riche coffret et son
précieux contenu[1], que vous avez eu la bonté de m'adresser. Cette
attention délicate m'a d'autant plus touché que votre Révérence et sa
communauté ont dû faire un grand sacrifice en se dépossédant en ma
faveur de ces souvenirs de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la
Sainte Face, qui leur sont si justement chers._

_Je les ai montrés au Très Révérend Père Général des Carmes déchaussés,
et nous avons pensé qu'il convenait de les garder dans la caisse de la
Postulation des Causes de nos Vénérables. C'est là qu'ils seront mieux
sauvegardés, et l'on sera heureux de les y trouver, s'il plaît à Dieu de
glorifier un jour sa fidèle servante, en lui faisant décerner les
honneurs d'un culte public dans son Eglise._

_Veuillez agréer, ma Révérende Mère, avec l'hommage de mon religieux
dévouement, l'expression de ma vive gratitude._

_Votre tout dévoué en Notre-Seigneur._

_Fr. JÉROME-MARIE, Card. GOTTI._


LETTRE DE Son Eminence le Cardinal Amette,

ARCHEVÊQUE DE PARIS Alors Evêque de Bayeux et Lisieux.


ÉVÊCHÉ
DE      24 mai 1899.
BAYEUX

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

L'esprit-Saint a dit que «_s'il est bon de cacher le secret du roi,
c'est rendre honneur à Dieu que de révéler et de publier ses
œuvres_».

Vous vous êtes sans doute souvenue de cette parole lorsque vous avez
résolu de donner au public l'HISTOIRE D'UNE AME. Dépositaire des secrets
intimes de votre fille bien-aimée, _Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus_,
vous n'avez pas cru devoir garder pour vous seule et pour vos Sœurs
ce qu'elle n'avait écrit que pour vous. Vous avez pensé, et de bons
juges avec vous, qu'il serait glorieux à Notre-Seigneur de faire
connaître les opérations merveilleuses de sa grâce dans cette âme si
pure et si généreuse.

Vos espérances n'ont pas été trompées, la rapidité avec laquelle s'est
épuisée la première édition de votre livre le montre assez.

Les parfums tout célestes qu'exhalent les pages écrites par votre
angélique enfant ont ravi les âmes admises à les respirer, et en ont
sans nul doute attiré plus d'une à la suite de l'Epoux divin.

Je demande à Notre-Seigneur de donner une bénédiction semblable et plus
abondante encore à la nouvelle édition que vous préparez, et je vous
prie d'agréer, ma Révérende Mère, l'expression de mon religieux et
paternel dévouement.

† LÉON-ADOLPHE,

_Evêque de Bayeux et Lisieux_.


LETTRE DE Monseigneur Jourdan de la Passardière, ÉVÊQUE DE ROSÉA


Paris, 12 mars 1899.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Vous avez bien voulu m'envoyer l'HISTOIRE D'UNE AME ÉCRITE PAR
ELLE-MÊME, et voici ma pensée sur ses pages si attachantes dans leur
surnaturelle et lumineuse simplicité:

Il est impossible de lire ces pages sans y toucher du doigt, en quelque
sorte, la palpable réalité de la vie surnaturelle, et rien ne vaut,
aujourd'hui surtout, une telle prédication.

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans une des pages les plus
éloquentes sorties de sa plume, se représentait son Epoux divin comme un
aigle qui venait fondre sur elle des hauteurs du Ciel et l'emportait
dans la lumière et dans la flamme, vers la patrie des clartés sans
ombres et sans déclin.--Or, il me semble que déjà deux grands aigles de
la sainteté, en l'abritant sous leurs puissantes ailes, l'avaient
préparée à monter vers ces hauteurs: ce sont sainte Thérèse et saint
François d'Assise; et il est difficile de n'être pas frappé des
similitudes qui rapprochent cette enfant de ces deux âmes vraiment
_séraphiques_, ainsi que l'Eglise se plaît à les appeler l'une et
l'autre dans son incomparable langage.

Sainte Thérèse, «_la fleur et la gloire du Carmel: flos et decor
Carmeli_», ne revit-elle pas dans votre «petite fleur»? C'est la même
atmosphère de forte et rayonnante piété dans sa vie de famille, quand sa
mère s'endort en bénissant ses enfants, comme le fit celle de sainte
Thérèse, les confiant, à l'heure de sa mort, à la Reine du Ciel, et que
son père, avec une énergie de foi qui rappelle celle des Saints des
jours antiques, donne quatre filles au Carmel, avec une joie qui le
transfigure au travers de ses larmes.--C'est dans l'âme elle-même de
l'enfant privilégiée de la grâce une ardeur incroyable pour tout ce qui
est grand, noble et pur. La flamme de l'apostolat s'est allumée dans ce
cœur de quinze ans, et le consume; elle ne veut respirer, vivre et
souffrir que pour l'Eglise, et en particulier (signe caractéristique de
sainte Thérèse et de ses filles) pour la sanctification des prêtres.
Sans cesse, la pensée de cette œuvre par excellence est vivante et
ardente dans ses paroles toutes brûlantes de charité, dans son attrait
pour les missions lointaines, dans sa dévorante passion pour la conquête
des âmes et pour le martyre de l'amour divin, à défaut de celui où elle
pourrait verser son sang.

Et le séraphique saint François d'Assise, qui apparut plus d'une fois à
sainte Thérèse pour l'encourager dans sa réforme du Carmel, ne revit-il
pas, lui aussi, dans cette nature si délicate et si pure, éprise
d'admiration et de tendresse pour toute la création qui lui parle de
l'éternelle beauté, aimant le soleil et la neige, les oiseaux et les
fleurs; souriant encore, sur son lit de mort, à un petit oiseau qui
vient chanter dans sa cellule un dernier cantique, et mêlant aux plus
ardentes paroles de l'amour divin un souvenir attendri pour sa famille
de la terre, et la maison où s'écoulèrent les années de son enfance?

N'eussiez-vous pas pu chanter sur sa tombe virginale cette strophe de
l'une des hymnes de la liturgie franciscaine du 4 octobre, jour de son
inhumation: «_Dans le jardin de roses des saints, une nouvelle fleur
s'est épanouie_»?

Suivons donc par la pensée et les saints désirs, l'âme de notre chère
enfant, là où les grands aigles qui l'ont prise sur leurs ailes l'ont
emportée dans les éternelles splendeurs: «_Sicut aquila provocant ad
volandum pullos suos, extendit alas suas et assumpsit eos._»--Ne
pouvons-nous pas lui redire: «_Vous êtes bienheureuse, vous que le
Seigneur a choisie et élevée jusqu'à lui; vous habitez dans ses
tabernacles_»?--Maintenant: «_Attirez-nous vers vous_», afin que nous ne
vivions aussi nous-mêmes que pour Jésus, l'Eglise et les âmes, les
membres attachés à la croix que le Seigneur nous a choisie, mais le
cœur en haut et les yeux au ciel pour y chercher la radieuse vision
de la Face de Dieu.

Agréez, je vous prie, ma Révérende Mère, tous mes respectueux et dévoués
sentiments en Notre-Seigneur.

† F.-J. XAVIER,

_Evêque de Roséa_.


LETTRE DU T. Rme Père Bernardin de Sainte-Thérèse,

Général des Carmes Déchaussés.


J. † M.

P. C.

Rome, Corso d'Italia, 39,
31 août 1899.

MA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE,

Que je suis reconnaissant envers votre Révérence de ce qu'elle a eu la
bonté de me faire envoyer cette ravissante «HISTOIRE D'UNE AME»! L'on ne
saurait parcourir ces pages sans se sentir remué jusqu'au fond de l'âme
par le spectacle d'une vertu si simple, si gracieuse et en même temps si
élevée et si héroïque.

Il faut que Notre-Seigneur chérisse singulièrement votre Carmel pour lui
avoir fait don d'un tel trésor. Il est vrai que cet ange terrestre n'a
fait, pour ainsi dire, que s'y montrer un instant, tant il avait hâte
d'aller rejoindre ses frères du Ciel et de se reposer sur le Cœur de
son unique Amour; mais le cloître qui a eu le bonheur de l'abriter reste
embaumé du parfum et éclairé de la trace lumineuse qu'il laisse après
lui.

Vous avez cru, ma Très Révérende Mère, que votre Carmel ne devait pas
être seul à respirer ce parfum; que cette lumière si brillante et si
pure ne pouvait rester cachée dans l'étroite enceinte d'un monastère,
mais qu'elle devait étendre au loin son rayonnement bienfaisant: six
mille exemplaires enlevés en l'espace d'un petit nombre de mois disent
assez que vous ne vous êtes point trompée. Je me suis réjoui en
apprenant qu'une nouvelle édition se préparait: elle aura, sans nul
doute, le même succès que les précédentes. S'il m'était permis
d'exprimer ici un vœu, ma Très Révérende Mère, je demanderais que des
plumes exercées s'essayassent bientôt à rendre, en plusieurs langues, la
grâce presque inimitable de celle qui a écrit l'_Histoire d'une âme_:
l'Ordre du Carmel tout entier serait ainsi mis en possession de ce que
je regarde comme un précieux joyau de famille.

Veuillez agréer, ma Très Révérende Mère, avec la nouvelle expression de
ma vive gratitude, l'hommage du religieux respect avec lequel j'ai
l'honneur de me dire

De votre Révérence

l'humble serviteur en Notre-Seigneur.

Fr. BERNARDIN DE SAINTE-THÉRÈSE,

_Préposé général des Carmes Déchaussés_.


LETTRE DU Révérendissime Père Godefroy Madelaine,

Abbé des Prémontrés de Saint-Michel de Frigolet (Bouches-du-Rhône)[2].


Abbaye de Mondaye (Calvados), Vendredi Saint, 8 avril 1898.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Vous avez à plusieurs reprises sollicité de moi un mot qui pût être
comme le passeport de cette biographie d'une de vos filles, auprès de
ceux qui la liront. A vrai dire, je n'ai ni titre ni qualité pour vous
le donner; mais comment pourrais-je refuser de vous dire tout haut que
la première lecture du précieux manuscrit me charma, et que la seconde
me laisse dans un ravissement inexprimable? Cette double impression,
j'ose le prédire, sera éprouvée par tous ceux qui feront connaissance
avec l'HISTOIRE D'UNE AME.

Ce livre, en effet, est de ceux qui se recommandent par eux-mêmes. De la
première ligne à la dernière, on y respire une atmosphère qui n'est plus
celle de notre milieu terrestre. La chère petite sœur Thérèse aime
tout ce qui lui offre un reflet de l'immatérielle Beauté de Dieu. Elle
aime sa famille d'abord; elle aime la belle nature, les fleurs, les
oiseaux, la goutte de rosée, la neige, le soleil, le ciel étoilé, «les
espaces infinis»; elle aime les pécheurs, véritables enfants prodigues
du Père céleste; elle aime Jeanne d'Arc, la libératrice de la patrie;
elle aime la Vierge Immaculée; surtout elle aime d'amour pur, Jésus, son
immortel Epoux.

Il y a là des pages si vivantes, si chaudes, si suggestives qu'il est
presque impossible de n'en être pas saisi. On y trouve une théologie que
les plus beaux livres spirituels n'atteignent que rarement à un degré
aussi élevé. En les parcourant, nous ne pouvions nous défendre de penser
à la _Vie de sainte Thérèse écrite par elle-même_. Même ton, même accent
de simplicité, et parfois même profondeur. Si l'envolée de notre petite
Sœur est moins puissante, si son coup d'aile est moins vigoureux que
celui de la grande sainte d'Avila, on admire dans le récit de Sœur
Thérèse une candeur d'enfant, une exquise naïveté jointe à une rare
maturité de jugement, un fini de pensée et souvent de style qui charment
l'esprit et qui vont droit au cœur.

N'est-ce pas merveille de voir comment une jeune fille de vingt et
quelques années se promène avec aisance dans le vaste champ des
Ecritures inspirées, pour y cueillir, d'une main sûre, les textes les
plus divers et les mieux appropriés à son sujet? Parfois elle s'élève à
des hauteurs mystiques surprenantes; mais toujours son mysticisme est
aimable, gracieux et tout évangélique.

Il y a telle page sur l'Evangile, sur la Vierge Marie, sur la charité
que pourrait signer un écrivain de race. Qu'elle raconte en prose
l'histoire de son enfance et de sa vocation, ou qu'elle chante en vers
ravissants l'amour de Dieu, le ciel, l'Eucharistie, elle est constamment
poète, et poète du meilleur aloi. Il se peut que les règles de la
prosodie ne soient pas toujours fidèlement gardées dans ces poésies
improvisées; en revanche, on y sent passer un souffle d'une élévation
extraordinaire.

Soulevée par l'ange qui passe près d'elle, l'âme secoue sa poussière, et
s'élève doucement vers l'idéal, je veux dire vers le Dieu qui est
l'éternel Amour. A lire cette suave histoire ou ces poésies si pures,
vous vous croiriez volontiers devant une fresque de Fra Angelico; pour
me servir d'une gracieuse expression de notre Sœur elle-même, vous
croiriez entendre «une mélodie du ciel». Bref, je défie un esprit droit
et pur de parcourir ces pages intimes sans se sentir pressé de devenir
meilleur. N'est-ce pas le plus bel éloge que l'on puisse tracer d'un
écrit de cette nature?

Laissez-moi donc vous remercier, ma Révérende Mère, d'avoir permis aux
profanes de respirer le parfum de cette fleur bénie de votre Carmel. Les
lecteurs de l'HISTOIRE D'UNE AME--et je me persuade qu'ils seront fort
nombreux--vous sauront gré de leur avoir ouvert pour un instant les
grilles de votre monastère habituellement fermées au monde.

Que dis-je? Si par hasard ces délicieuses pages viennent à tomber entre
les mains de quelque incroyant, j'aime à penser qu'après un premier
mouvement de surprise, il voudra les lire jusqu'au bout, et qu'elles
seront pour lui comme la découverte d'un monde nouveau. Qui sait si la
chère petite sœur, continuant dans ce cœur son apostolat préféré
d'autrefois, ne l'amènera pas doucement à Dieu et à l'Evangile?

Que si, de son mystérieux séjour, la chère sainte peut encore discerner
ce qui se passe sur notre petite planète, elle sera sans doute surprise
tout d'abord de voir son manuscrit ouvert au grand jour de la publicité;
car vous le savez, ma Révérende Mère, c'est «_pour vous seule_» qu'elle
y avait consigné, au courant de sa pensée et de sa plume, ou, comme elle
disait, «_au courant de son cœur_», ces mille détails intimes de la
vie de la famille ou de la vie du cloître, devant lesquels elle eût
peut-être reculé, si elle eût pu deviner que le public les lirait un
jour.

Mais, à n'en pas douter, son grand amour de Jésus et des âmes lui ferait
accepter ce sacrifice de bon cœur; et pour la conversion de quelques
pécheurs obstinés, volontiers elle ratifierait ce que vous faites, ma
Révérende Mère. Vous-même, d'ailleurs, n'avez pas eu d'autre but.

Qu'il aille donc, ce cher volume, emporté sur les ailes de la divine
charité. Qu'il fasse sourire, qu'il fasse pleurer, qu'il apprenne à
souffrir et à aimer, à aimer Dieu, la religion et les âmes! Et qu'à tous
ceux qui l'ouvriront, il répète son doux refrain: _Sursum corda!_ En
haut les cœurs!

Agréez, ma Révérende Mère, l'hommage de mon religieux dévouement en
Notre-Seigneur.

FR. G. MADELAINE,

Prieur.


LETTRE DU Révérendissime Père dom Etienne,

Abbé de la Grande-Trappe de Mortagne (Orne).


21 janvier 1899.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je me ferais volontiers le propagateur et l'apologiste des écrits et des
vertus admirables de votre sainte enfant; mais, il faut l'avouer, cette
petite gâtée de Notre-Seigneur n'a besoin de l'éloge de personne; son
mérite lui suffit devant Dieu et devant les hommes.

Cependant d'autres ascètes, vous pouvez vous y attendre, ne manqueront
pas, en lisant de si belles pages, de vous apporter le tribut de leurs
félicitations et de leur approbation; pour moi, ma Révérende Mère, je
reste sous le charme de cet écho du Ciel, de cet ange terrestre qui a
passé ici-bas d'un vol rapide, sans ternir ses ailes, et qui nous a
enseigné, autant par son langage que par ses actes, le chemin qu'il faut
suivre pour aller à Dieu.

Je ne suis pas surpris de la rapidité de l'écoulement de la première
édition. Quand on a lu le précieux volume de l'HISTOIRE D'UNE AME, on
voudrait que tout le monde le lût, tant il renferme de charmes, de
piété, de doctrine, de naturel et de surnaturel, d'humain et de divin.
C'est Notre-Seigneur humanisé, rendu palpable, sensible, cultivant avec
un amour incessant cette fleurette du Carmel qu'il fait germer, grandir,
et qu'il embaume des plus suaves parfums, pour les délices de son
Cœur et le ravissement du nôtre.

Il y a là une spiritualité douce, vivante, pratique, entraînante,
enviable, qui fait comprendre et aimer la parole de Jésus: «_Mon joug
est doux, et mon fardeau léger._» Il n'est personne qui ne se délecte
dans cette lecture et qui n'y trouve une lumière et un encouragement.

Je vous remercie pour mes religieux et pour moi. Elle nous a fait le
plus grand bien.

Veuillez agréer, ma Révérende Mère, l'hommage de mon religieux respect.

F.-M. ETIENNE,

_Abbé de la Grande-Trappe_.


LETTRE DU Très Révérend Père Le Doré,

Supérieur Général des Eudistes.


Paris, 14 février 1899.

_Nos cum Prole pia benedicat Virgo Maria!_

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Vous voulez rééditer, me dites-vous, ce délicieux volume qu'on a si bien
nommé l'_Histoire d'une âme_. C'est là, ma Révérende Mère, une pensée
excellente que seul le bon Dieu a pu vous inspirer.

Pendant la vie de votre jeune sœur Thérèse, la Providence a jugé bon
de la réserver tout entière à ses sœurs en religion. Il était bien
juste que le Carmel de Lisieux fût le premier à jouir, dans l'intimité
de la famille, de ses qualités aimables et à s'édifier de ses vertus.
Mais désormais les limites d'un monastère sont trop étroites pour
renfermer un si précieux trésor. Bien des âmes dans les Congrégations
religieuses, dans les rangs du Clergé, et même dans le monde, seront
ravies, comme vous, de pouvoir goûter les charmes de cette petite fleur
qui s'est épanouie si délicieusement dans votre Carmel.

Elle offre à la fois la blancheur du lis, le suave parfum de la violette
et l'éclat embaumé de la rose. Elles sont rares les natures aussi riches
et aussi complètes; et même dans la série de nos saintes catholiques, on
en rencontre peu qui soient un modèle aussi accompli de toutes les
vertus. Par certains côtés, elle se rapproche de votre Fondatrice,
Thérèse de Jésus; par d'autres, elle rappelle Agnès, la jeune martyre de
Rome. Elle est de l'école de sainte Gertrude et de sainte Hildegarde.

Son caractère conserve jusqu'à la fin les grâces naïves et la franche
droiture du jeune âge. Elle est l'idéal de cette petitesse, de cette
enfance si recommandée par Notre-Seigneur. Son imagination est d'une
fraîcheur exquise. Quelle largeur dans son intelligence; quelle finesse
dans son coup d'œil; quelle sûreté dans son jugement! Rien de
poétique comme ses aspirations et son langage; rien de noble, de
généreux, de délicat et d'aimant comme son cœur; et cependant, dans
une enveloppe fragile, elle sait montrer la force d'âme d'un héros.
C'est dans le Cœur de Jésus qu'elle a puisé son humilité et sa
douceur; c'est le Cœur de Marie qui lui a appris à être si pleine
d'abandon et de confiance dans la bonté de Dieu. Avec quelle candeur
vraie, avec quelle loyauté faite de détachement et de sincérité, elle
nous retrace dans un style limpide l'histoire de sa vie, et, ce qui est
encore plus attrayant, l'histoire de son âme!

Même au point de vue littéraire, pour le style et pour la composition,
ses mémoires forment un véritable petit chef-d'œuvre.

Quiconque aura ouvert ce livre le lira jusqu'au bout; il fera comme moi,
il le relira, il le goûtera, je puis même ajouter, il le consultera. Les
heures coulent rapides à parcourir des pages où la vertu se montre sans
fard ni recherche, et pourtant avec des formes pleines de charmes. On
suit sœur Thérèse, sans s'en douter, dans son vol vers l'idéal, on
plane avec elle aux sommets de la perfection; dans sa compagnie on aime
plus ardemment le bon Dieu; on est plus disposé à servir et à supporter
son prochain; les souffrances deviennent presque aimables, et dans
l'épreuve, on se sent plus fort. L'Histoire et l'Héroïne plaisent et
rendent meilleur.

J'ai déjà fait lire à des prêtres, à des dames du monde, ici aux novices
de notre Congrégation, l'exemplaire que vous avez eu la bonté de
m'envoyer. Tous en ont été enchantés, et tous en ont tiré profit.

Veuillez agréer, ma Révérende Mère, l'expression de mon plus religieux
et profond respect.

Ange LE DORÉ,

_Supérieur des Eudistes_.


LETTRE DU T. R. P. Louis Th. de Jésus agonisant,

De l'Ordre des Passionnistes.

     Ce vénérable religieux, remarquable par ses écrits et plus encore
     par la sainteté de sa vie, souvent prouvée par des faits
     surnaturels, mourut en 1907 à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, après
     avoir exercé, à plusieurs reprises, les premières charges de son
     Ordre.


J. P.      Mérignac, 30 novembre 1898.
 †

MA RÉVÉRENDE ET CHÈRE MÈRE,

Merci!... Ah! c'est un grand _merci_ que je vous dois... Pendant trois
jours, grâce à vous, j'ai vécu avec un Ange!

Que Dieu est admirable! quelle nouvelle _invention_ de sainteté, j'ose
dire, inconnue jusqu'à ce jour! Quelle révélation est faite au monde!
C'est bien un _genre_ de sainteté suscité par l'Esprit-Saint pour
l'heure présente où tant d'âmes, même chrétiennes, ne voient dans les
sacrifices du cloître que les horreurs de la Croix.

Quelle gloire pour le Carmel et quelle espérance pour tous!

Cette petite étoile, sous le souffle d'en haut, est sortie de sa petite
nuée; et déjà elle brille comme un _arc-en-ciel_, annonçant la fin des
orages... _fleur des roses_... _lis de la vallée_; _encens du Carmel_:
ARCUS REFULGENS INTER NEBULAS... FLOS ROSARUM, LILIUM... THUS... Ce
parfum virginal embaume le Calvaire de toutes les fleurs du Carmel.

De plus, cette HISTOIRE D'UNE AME, en offrant un modèle accompli de la
paternité chrétienne, fera autant de bien à la société qu'au cloître.
C'est la famille surtout qui a besoin d'être sanctifiée, et elle le
sera: Joachim et Anne ont donné avec joie leur _Marie_ au Seigneur.

Le Carmel, lui, a ses anges; et combien de jeunes âmes accourront sur la
montagne sainte, aux rayonnements de ce nouvel astre qui monte au
firmament!

J'en ai l'intime conviction, cette petite étoile deviendra de plus en
plus radieuse dans l'Eglise de Dieu... Ce n'est encore que l'_étoile du
matin au milieu d'une petite nuée_: STELLA MATUTINA IN MEDIO NEBULÆ.
Mais un jour, elle remplira la Maison du Seigneur: IMPLEBIT DOMUM
DOMINI. Si Dieu l'a envoyée en nos jours de _ténèbres_, en nos _jours de
nuages et de tourbillons_, croyons bien que c'est pour nous apporter la
lumière, la paix, l'espérance, le ciel!

Non, au ciel, aucune des aspirations de cette vierge apostolique n'est
oubliée; et le divin Epoux, en faisant de sa _petite reine_ une grande
Reine, a déjà remis en sa main le sceptre de sa toute-puissance.

C'est maintenant que, dans les bras de son Amour, elle lui répète avec
un charme qui le ravit: «_Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la
terre._»--Quelles grâces pourrait-il lui refuser?

Aussi l'ai-je invoquée avec je ne sais quel irrésistible attrait. Mes
forces, je veux les ranimer aux énergies de sa vertu, et réchauffer mon
cœur aux flammes de ce Séraphin. Je l'ai priée, cette privilégiée de
Marie, de venir à mon aide quand j'adresse à la Vierge Immaculée la
prière qui fut la sienne:

    «Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
    Viens me sourire encor, Mère, voici le soir...»

Je m'arrête... mais, que ne faudrait-il pas dire de ses poésies, si
gracieuses, si fraîches, si limpides; j'ajoute, si _célestes_! on
croirait une lyre touchée par la main d'un ange.

Il a été dit en cette fin de siècle: «_La poésie est morte._» Non, elle
n'est pas morte, elle est immortelle; fille du ciel, avec sa sœur la
prière, elle s'élèvera toujours du cloître vers Dieu en aspirations
brûlantes, en harmonieux élans!...

Et vous, ma Révérende et chère Mère, priez pour moi cette triomphante
fille de Thérèse, priez-la de m'obtenir du divin Epoux le bonheur et la
grâce d'aller célébrer avec elle la gloire de la Trinité Sainte.

_In Christo Jesu._

P. LOUIS TH., _Passionniste_.


Extraits de plusieurs autres Lettres de personnages éminents.


J'espère fermement qu'un jour (et plût à Dieu que ce fût bientôt), cette
enfant sera vénérée sur nos autels.

Comme dans les écrits de l'insigne Réformatrice du Carmel, on respire
dans ceux de sa fille le plus délicieux mysticisme,--non un mysticisme
vague, aérien et sentimental--mais un mysticisme solide, légitime,
«_avec sa croix et ses épines_», comme disait Bossuet au sujet de saint
François de Sales. L'âme de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, comme
celle de sainte Thérèse de Jésus, ne vivait que du pur amour, de
l'ardente charité, et voilà pourquoi elle se nourrissait de souffrance
et n'aspirait qu'au martyre, qui est l'expression suprême de l'amour et
de la souffrance.

On peut dire de l'une et de l'autre, avec autant de vérité, qu'elles
furent martyres mystiques, qu'elles moururent de leur pur amour.

Béni soit le Seigneur, dont la main toujours ouverte et bienfaisante
fait resplendir encore de nos jours, dans le jardin de son Eglise, ces
extraordinaires et merveilleuses fleurs!

MGR L'ARCHEVÊQUE D'EVORA.

(_Edition portugaise de l'_«Histoire d'une Ame».)

       *       *       *       *       *

Séraphin, elle l'était de visage et d'âme, et l'on peut dire d'elle ce
que saint Bonaventure dit de saint François: qu'elle était tout entière
un charbon embrasé. «_L'amour divin est feu et flamme_», nous dit le
Cantique des cantiques, et Jésus, l'amour substantiel, déclare qu'il est
«_venu jeter ce feu sur la terre et qu'il veut qu'il s'allume_». Le
cœur de sœur Thérèse en est un brandon très ardent, une pure
flamme du Paradis dont jamais l'ardeur ne s'est ralentie, et qui a
embrasé et embrasera bien d'autres cœurs. Et cela avec quelle force
et en même temps quelle douceur! On peut dire d'elle en vérité, avec un
petit changement du texte sacré: «_Elle nous entraîne et nous courons à
l'odeur de ses parfums._»

Heureuse victime qui, non seulement a été consumée par le feu et les
flammes de l'amour divin, mais a encore reçu le don si beau de les
communiquer puissamment aux âmes! Les vies de Saints nous racontent les
feux de l'amour divin: la vie de sœur Thérèse nous les fait voir et
sentir; les autres nous donnent envie d'aimer Dieu, mais celle-là met le
feu dans l'âme.

       *       *       *       *       *

En lisant cette vie, ne croirait-on pas lire les paroles de feu et de
science divine d'un des docteurs les plus élevés, les plus profonds et
les plus suaves de l'Eglise?

Et il n'y a pas que les personnes consacrées à Dieu qu'elle ranime et
entraîne; les personnes du monde elles-mêmes ne peuvent se dérober à son
influence apostolique. Oh! que Jésus soit mille et mille fois béni de
nous l'avoir donnée!

       *       *       *       *       *

Si j'en juge par le spectacle des étonnantes transformations opérées par
cette petite sainte, il me semble qu'elle sera à son siècle ce que les
Gertrude, les Thérèse, les Marguerite-Marie ont été au leur, avec cette
différence que, plus encore que ces hérauts de Dieu, Thérèse de
l'Enfant-Jésus a montré la voie qui conduit à l'amour, voie petite et
sublime à la fois qui, loin d'effrayer, encourage et attire.

       *       *       *       *       *

Je ne puis assez vous dire avec quelles délices j'ai lu l'«_Histoire
d'une âme_»; je préférerais la disparition des chefs-d'œuvre
d'Homère, Virgile ou Raphaël à celle de ce livre où l'amour divin
resplendit si vivement.

       *       *       *       *       *

Aux yeux du monde, je suis un homme de science qui a épuisé sa vie dans
l'étude des lettres ecclésiastiques et profanes; mais dans la vie
intime, aux yeux de Dieu, je veux imiter Thérèse et me faire un tout
_petit enfant_. Voilà ce qui, dans la chère «_petite reine_», m'a ravi
d'une manière irrésistible.

Heureuse enfant qui a compris pleinement l'amour! Tant d'âmes, même bien
saintes, le comprennent si mal! Sous ce rapport le cœur de Thérèse
est un des plus beaux de l'Eglise.


PRIÈRE

_pour obtenir la béatification_

_de la Servante de Dieu THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS_

_et de la SAINTE FACE_


O Jésus, qui avez voulu vous faire petit enfant, pour confondre notre
orgueil, et qui, plus tard, prononciez cet oracle sublime: «_Si vous ne
devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume
des cieux_», daignez écouter notre humble prière, en faveur de celle qui
a vécu, avec tant de perfection, la _vie d'enfance spirituelle_ et nous
en a si bien rappelé la voie.

O petit Enfant de la Crèche! par les charmes ravissants de votre divine
enfance; ô Face adorable de Jésus! par les abaissements de votre
Passion, nous vous en supplions, si c'est pour la gloire de Dieu et la
sanctification des âmes, faites que bientôt l'auréole des Bienheureuses
rayonne au front si pur de votre petite épouse THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS
ET DE LA SAINTE FACE. Ainsi soit-il.

       *       *       *       *       *

_Imprimatur_:

_21 novembre 1907._ † THOMAS, _év. de Bayeux et Lisieux_.

       *       *       *       *       *

O Dieu, qui avez embrasé de votre Esprit d'amour l'âme de votre
servante, THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS, accordez-nous de vous aimer, nous
aussi, et de vous faire beaucoup aimer.

       *       *       *       *       *

_50 jours d'indulgence._

_17 juillet 1909._ † THOMAS, _év. de Bayeux et Lisieux_.



_Au Lecteur._


    _Voulez-vous un moment vivre entre ciel et terre,
    Respirer, à plein cœur, un air délicieux,
    Voir le monde à vos pieds, planer dans la lumière,
    Et croire près de vous quelqu'un venu des cieux?_

    _Lisez ce chant d'amour... Le regard du vulgaire
    N'en pénétrerait pas le sens mystérieux;
    Vous verrez, vous, comment on aime au monastère,
    Et, dans ces murs sacrés, combien l'on est heureux._

    _A quinze ans! Tendre fleur, petite âme idéale,
    Thérèse offre à Jésus sa candeur virginale;
    Le Saint-Père a béni ce beau lis pour l'autel:_

    _La douceur de l'agneau, le céleste sourire,
    Les lyriques accents, tout en elle a fait dire:
    C'est un ange qu'on vit passer par le Carmel._

P. N.

Abbaye de Mondaye, 8 avril 1898.



PRÉFACE


Si l'on nous demande pourquoi nous avons levé le voile mystérieux qui
doit recouvrir ici-bas l'existence ignorée d'une humble carmélite, nous
le dirons simplement:

Connaissant depuis son enfance cette âme privilégiée, et l'ayant vue
grandir chaque jour en sagesse et en grâce, nous lui demandâmes de
mettre par écrit les miséricordes du Seigneur à son égard. Nous n'avions
point d'arrière-pensée; nous ne songions qu'à notre édification
personnelle. Mais en parcourant ce pieux manuscrit, miroir si fidèle
d'une âme séraphique, le doute ne fut pas possible; il ne nous fallait
plus réserver pour nous seule ce trésor. Une source nouvelle était
ouverte aux pauvres altérés de ce monde: c'était notre devoir d'en
répandre les eaux vives. Nous l'avons fait. En buvant la première à
cette source pure, nous ne pensions pas, hélas! que l'heure fût déjà
venue d'en partager les délices... Mais le blanc lis de cette âme
virginale s'était épanoui dès les premiers jours d'un printemps radieux;
la grappe était mûre avant le temps ordinaire des vendanges. Et le
Seigneur se pencha, il cueillit doucement la fleur embaumée, il détacha
sans effort sa grappe chérie du cep amer de l'exil, la trouvant
totalement dorée des feux de l'Amour divin.

     Quelles actions héroïques ou éclatantes avait donc pu accomplir, à
     l'âge de 24 ans, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte
     Face? écrit François Veuillot. La jeune carmélite avait simplement
     servi Dieu avec une fidélité constante et assidue dans les plus
     petites choses.

     Tout enfant, née dans une famille admirablement chrétienne, elle
     s'était sentie attirée vers le cloître. Dès l'âge de quinze ans, à
     force de démarches et de supplications, elle avait obtenu la
     permission d'entrer au Carmel.

     A vingt-quatre ans, minée par une maladie de poitrine, elle s'y
     éteignait dans la paix du Seigneur.

     Voilà toute sa carrière. A la conter par les événements extérieurs,
     on en remplirait tout au plus une dizaine de pages. Mais, si l'on
     veut pénétrer dans la vie intime de cette âme, un volume entier
     paraît encore trop court.

     Or, cette vie intime a été écrite par la main la plus propre à
     composer une telle œuvre: la main de Sœur Thérèse elle-même.

     On devine que ce n'est point d'après son inspiration personnelle
     que l'humble carmélite entreprit cet ouvrage. Ce fut sa supérieure
     qui, admirant cette vertu modeste et appréhendant la fin prématurée
     de cette existence angélique, donna l'ordre à la sainte enfant de
     se raconter elle-même. Obéissante avant tout et sincère par-dessus
     tout, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus écrivit tout. Une vertu
     médiocre aurait été troublée; une humilité de mauvais aloi eût
     voulu diminuer ses mérites aux dépens du vrai. Mais l'humilité
     réelle ne se propose point de cacher ses mérites; elle ignore si
     elle en possède. Les vertus qu'on admire en sa conduite, elle les
     expose avec simplicité, comme des bienfaits du Ciel. Les grâces
     extraordinaires où chacun reconnaît la prédilection de Dieu pour
     une âme d'élite, elle les révèle avec une candeur presque naïve
     comme des miséricordes imméritées. Mais, ni ces vertus, ni ces
     grâces, elle ne songe à les dissimuler. Voilà dans quel esprit
     Sœur Thérèse écrivit l'histoire de son âme.

     Aux hommes de goût, fatigués des complications et des raffinements
     de la littérature contemporaine, nous indiquerions volontiers ces
     mémoires d'une carmélite: ils y trouveraient, au seul point de vue
     de la jouissance artistique et intellectuelle, un rafraîchissement
     délicieux, un bain d'innocence, de fraîcheur et de pureté.

     Quant aux âmes chrétiennes, est-il besoin de dire que nous leur
     conseillons vivement cette lecture angélique? Elles y trouveront un
     essor, à la fois puissant et doux, vers le Ciel.

     Ce qui caractérise la sainteté de Sœur Thérèse de
     l'Enfant-Jésus, c'est une simplicité d'enfant dans son commerce
     avec Dieu. La jeune religieuse a retenu le conseil de
     Notre-Seigneur: «_Si vous ne devenez semblable à ces petits, vous
     n'entrerez pas dans le royaume des Cieux._» Elle se fait toute
     petite auprès du divin Maître. Elle lui parle, elle l'écoute, elle
     le sert avec la familiarité, l'obéissance et l'empressement d'une
     enfant docile et aimante. Elle ne le quitte pas de la main, elle
     s'abandonne à lui tout entière, elle professe envers lui cette
     confiance aveugle et illimitée des tout petits pour les très
     grands. Quelque souhait qu'elle forme, elle le confie sans crainte
     à Jésus; quelque désir que Jésus lui exprime, elle l'accomplit avec
     joie. Et c'est ainsi que, sans effort apparent, comme en se
     laissant conduire, elle atteint le sublime.

     Sans effort apparent, mais non sans peine et sans labeur réels.
     Cette innocence eut à soutenir des luttes quotidiennes; elle eut à
     subir plusieurs fois dans le secret de son âme des épreuves
     terribles. Epreuves et luttes, elle les a consignées dans son
     «histoire», avec la même franchise et la même sérénité que les
     grâces et les miséricordes.

     Et qu'on ne croie pas que cette constance à vouloir être enfant
     devant Dieu imprimât à la vertu de Sœur Thérèse un caractère
     puéril! Cette religieuse adolescente, qui s'appliquait à se faire
     toute petite, avait acquis au contraire, en peu de temps, par
     l'oraison et par l'étude, une telle maturité d'intelligence et une
     telle vigueur de jugement, que sa supérieure n'hésitait pas à lui
     confier la direction des novices, à un âge où elle aurait pu être
     encore leur compagne[3].

            *       *       *       *       *

     Chère Elue, qui êtes devenue si bienfaisante, écrit un autre
     auteur, qui _redescendez_ du sein de la gloire comme vous l'avez
     promis, pour faire du bien, vous avez crû en ce monde dans le
     parterre choisi de l'Epoux, et là vous fûtes vraiment le _lys de la
     vallée_, singulièrement protégé contre les orages du monde et les
     vents mauvais qui, hélas! trop souvent effeuillent et brisent les
     plus beaux chefs-d'œuvre de Dieu. Mais, pour le réconfort de
     beaucoup, vous êtes devenue la _fleur des champs_, que les pauvres
     passants, tout couverts de la poussière du chemin, peuvent admirer
     et dont la suave odeur les vivifie et les réjouit. C'est une grâce
     que nous ne laisserons pas passer sans nous l'approprier; nous
     admirerons en vous l'œuvre du divin Jardinier, lui demandant de
     la continuer, de la renouveler dans beaucoup d'autres âmes.

     La physionomie de la jeune carmélite a été admirablement dépeinte
     par Mgr Gay, et on dirait vraiment qu'elle posait devant lui quand
     il écrivit ces pages lumineuses sur l'_Abandon_:

     «L'âme abandonnée vit de foi, elle espère comme elle respire, elle
     aime sans interruption. Chaque volonté divine, quelle qu'elle soit,
     la trouve libre. Tout lui semble également bon. N'être rien, être
     beaucoup, être peu: commander, obéir; être humiliée, être oubliée;
     manquer ou être pourvue, vivre longtemps, mourir bientôt, mourir
     sur l'heure, tout lui plaît. Elle veut tout, parce qu'elle ne veut
     rien, et elle ne veut rien, parce qu'elle veut tout. Sa docilité
     est active, et son indifférence amoureuse. Elle n'est à Dieu qu'un
     _oui_ vivant.

     «Dirai-je le dernier mot de ce bienheureux et sublime état? C'est
     la vie des enfants de Dieu, c'est la sainte enfance spirituelle.
     Oh! que cela est parfait! plus parfait que l'amour des souffrances,
     car rien n'immole tant l'homme que d'être sincèrement et
     paisiblement petit. L'esprit d'enfance tue l'orgueil bien plus
     sûrement que l'esprit de pénitence.

     «... L'âpre rocher du Calvaire offre encore quelque pâture à
     l'amour-propre; à la crèche, tout le vieil homme meurt forcément
     d'inanition. Or, pressez ce béni mystère de la crèche, pressez ce
     fruit de la sainte enfance, vous n'en ferez jamais sortir que
     l'abandon. Un enfant se livre sans défense et s'abandonne sans
     résistance! Que sait-il? Que peut-il? Que prétend-il savoir et
     pouvoir? C'est un être dont on est absolument maître. Aussi avec
     quelles précautions on le traite et quelles caresses on lui
     fait...»

     C'est jusque-là que Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'était
     donnée; aussi connut-elle la suavité des caresses divines, et sur
     le Cœur du Maître, dans ses doux battements, elle comprit le
     secret du Roi, qui est l'amour. L'esprit d'enfance lui communiqua
     aussi cette liberté que le P. Gratry a si bien définie, l'état
     d'une âme «qui est sortie des bornes rétrécies de son horizon
     personnel, qui a quitté l'étroite prison de l'habitude, pour
     prendre une vie large et puissante, toujours renouvelée en Dieu.»
     Cette épouse fidèle avait si bien su réduire sa nature fière et
     ardente et l'extrême sensibilité de son cœur que, peu de temps
     avant de mourir, elle pouvait se rendre ce témoignage: «Depuis
     l'âge de trois ans, je n'ai jamais rien refusé au bon Dieu.»
     Certes, elle avait beaucoup reçu, mais elle donna beaucoup aussi,
     _et le mérite sortit d'elle comme le ruisseau sort de sa source_.

Il était impossible de mieux analyser et de mieux comprendre cette âme
choisie, à la fois enfantine et héroïque.

       *       *       *       *       *

Avant d'introduire le lecteur dans ce sanctuaire intime, nous devons le
prévenir, comme aux éditions précédentes, des modifications que nous
avons cru devoir apporter au Manuscrit original, le divisant en
plusieurs chapitres pour la clarté du récit.

Suivront: _Conseils et Souvenirs_, quelques _Lettres_, puis un recueil
de ses _Poésies_, dernière révélation d'une âme tout embrasée du céleste
amour.

       *       *       *       *       *

Et, dès maintenant, qu'il nous soit permis de faire connaître en
quelques mots les aspirations de cette «_vierge apostolique_», et
comment Notre-Seigneur se plaît à les combler.

«_Je ne compte pas rester inactive au Ciel_, disait-elle; _mon désir est
d'y travailler encore pour l'Eglise et les âmes...

Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses. Je veux passer mon
Ciel à faire du bien sur la terre._»

Ces espérances et ces promesses se réalisent en effet d'une manière
touchante et souvent prodigieuse. Depuis l'apparition de l'«_Histoire de
son Ame_», actuellement tirée en France à 125.000 exemplaires, sans
compter les 350.000 de l'édition abrégée (_Appel aux Petites âmes_),
nous ne cessons d'en recevoir de toutes parts les témoignages les plus
précieux.

Cette «_Histoire d'une Ame_», sous différents titres, est traduite en
neuf langues étrangères; et les traductions portugaise et
anglaise--privilège singulier--sont enrichies d'indulgences par le
cardinal-patriarche de Lisbonne, huit prélats de la même nation et par
Mgr Bourne, archevêque de Westminster.

Depuis quatorze ans, les pèlerinages à la tombe de Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus deviennent de plus en en plus nombreux. On baise
respectueusement cette terre sainte, on en garde des fleurs comme de
véritables reliques; et, ce qui vaut mieux que des fleurs éphémères, on
emporte de ce lieu béni des consolations durables, des grâces de toutes
sortes. Un évêque missionnaire, revenant de ce tombeau, «qui bientôt,
dit-il, sera glorieux», nous confiait qu'il avait vu par trois fois la
«_petite Thérèse_» lui sourire.

Mais cette «_petite Thérèse_» ne fait point acception de personnes: si
elle sourit à un prince de l'Eglise, elle essuie aussi volontiers les
larmes des pauvres. Tant de fois elle nous l'a fait savoir! Citons
simplement l'exemple de cette femme en haillons, surprise là, tout en
pleurs, dans l'attitude et l'expression du plus affreux désespoir, et
tout à coup changée, souriante, comme irradiée par une vision céleste.
Etonné d'un tel contraste, le témoin caché de cette scène, qui ne
connaissait ni Sœur Thérèse, ni sa tombe, osa s'approcher pour
interroger la mendiante et connaître la cause d'une si subite
transformation: «J'ai prié la petite sainte du Carmel, répondit la
pauvre femme émue et confuse... Oh! comme elle m'a bien consolée!...»

Les grands et les petits sont donc les clients de cet ange.

Nous suffisons à peine à contenter les pieux désirs de tous ceux qui
demandent une parcelle de ses vêtements, une «_relique_» quelconque, si
minime soit-elle, de «_la petite reine_», de la «_petite sainte
Thérèse_», de «_la petite grande sainte_», comme chacun l'appelle tour à
tour. Nous ne comptons plus les souvenirs distribués.

Et c'est ainsi que, par son intercession, on obtient les faveurs les
plus signalées.

Nous en donnerons d'autres exemples à la fin de ce volume, mais nous
savons bien que le livre d'or du Ciel pourra seul nous révéler
l'abondance et le parfum de cette _pluie de roses_ qui tombe aujourd'hui
silencieuse...

C'est encore dans ce livre du Ciel que nous apprendrons chacun des noms
bénis de cette «_légion de petites âmes_» demandées par Thérèse,
victimes comme elle de l'«AMOUR MISÉRICORDIEUX», entraînées à sa suite
dans sa «_petite voie d'enfance spirituelle_», voie de simplicité, de
confiance et de paix dont l'Esprit-Saint a dit par la bouche du
Prophète: «_Il y a une route, une voie qu'on appelle la voie sainte,
les simples même la suivront et ne s'égareront pas._» (Is., XXXV.)

       *       *       *       *       *

O Thérèse, vous qui avez reçu de Dieu le don de comprendre si
parfaitement cette «_voie sainte_», d'y marcher si fidèlement et d'y
appeler si suavement les âmes; vous qui nous disiez sur votre lit de
mort: «_Je n'ai jamais donné au Bon Dieu que de l'amour, il me rendra de
l'amour..._», votre parole était une prophétie. Oui, nous en sommes les
heureux témoins, le Seigneur vous rend de l'amour! Combien d'autels vous
sont élevés dans les cœurs! et de quels ardents désirs ces cœurs
qui vous aiment appellent le jour où se termineront heureusement les
démarches qui doivent amener votre glorification sur la terre.

       *       *       *       *       *

En effet, la cause de béatification de Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, soumise à la Sainte Eglise en 1909, a déjà vu
s'instruire, dans les premiers mois de 1910, le Procès diocésain des
Ecrits. Le Procès dit _de Réputation de Sainteté_, commencé en août
1910, ayant été rapidement conduit, fut déposé à Rome en février 1912 et
subit actuellement un examen préparatoire devant la Sacrée Congrégation
des Rites.

Nous demandons humblement aux nombreux amis de Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus de bien vouloir unir leurs prières aux nôtres, pour
assurer le succès de cette œuvre entreprise uniquement pour la plus
grande gloire de Dieu.

LA MÈRE PRIEURE DES CARMÉLITES.

_Monastère du Carmel de Lisieux,
dédié au Sacré-Cœur de Jésus et à l'Immaculée Conception._



INTRODUCTION


Au mois de septembre 1843, un jeune homme de vingt ans gravissait,
pensif et rêveur, la cime élevée du Grand Saint-Bernard: son regard
profond et mélancolique brillait d'un pieux enthousiasme. Les beautés
majestueuses de cette nature grandiose des Alpes faisaient naître en son
âme mille pensées généreuses; et son cœur, ardent et pur comme la
neige éternelle des montagnes, ne pouvant plus contenir le flot toujours
croissant de son amoureuse louange, il s'arrêta longtemps et versa des
larmes... Puis, reprenant sa marche interrompue, il arriva bientôt au
but de son voyage, au monastère béni qui, du haut de ce sommet
dangereux, rayonne au loin comme un phare d'espérance et d'exquise
charité.

Le vénérable Prieur, tout d'abord frappé de la beauté remarquable de son
hôte, de l'expression loyale de ses traits, le reçut avec une
particulière bienveillance. Il s'informa de sa famille, du lieu de sa
naissance, et connut ainsi ses noms: Louis-Joseph-Stanislas Martin, né
à Bordeaux le 22 août 1823[4], alors que son père, brave capitaine[5],
type de foi, de vaillance et d'honneur, y était en garnison. Il sut que,
depuis quelque temps, ses parents habitaient Alençon, dans la
Basse-Normandie, et que là, présentement, Louis était chéri comme le
benjamin de ses frères et sœurs, le préféré entre tous.

Avait-il donc entrepris un si long voyage pour le seul motif de visiter
en passant les beautés pittoresques de ce pays enchanteur? Il y a si
loin de la Normandie à la Suisse, surtout par les diligences, et plus
souvent le bâton à la main!--Non, ce n'était pas un asile pour une nuit,
pour quelques heures seulement qu'il venait solliciter en ces lieux:
c'était un abri pour la nuit un peu plus longue de la vie...

«Mon bon jeune homme, lui dit alors le respectable religieux, vos études
de latin sont-elles terminées?» Et sur la réponse négative de Louis:

«Je le regrette, mon enfant, car c'est une condition essentielle pour
être admis parmi nos frères; mais ne vous découragez pas, retournez dans
votre pays, travaillez avec ardeur, et nous vous recevrons ensuite à
bras ouverts.»

Notre voyageur reprit donc, un peu désenchanté, le chemin de sa patrie:
ce jour-là, ne l'eût-il pas nommé plutôt le chemin de l'exil? Cependant,
il ne tarda pas à sentir que le monastère antique du Grand Saint-Bernard
devait être seulement pour sa vie entière, un doux et lointain souvenir;
que, sur lui, le Seigneur avait d'autres desseins, également
miséricordieux, également ineffables.

       *       *       *       *       *

D'un autre côté, dans la même ville d'Alençon,--quelques années plus
tard--une pieuse jeune fille, au visage agréablement empreint d'une rare
énergie de caractère, Mlle Zélie Guérin, se présentait, accompagnée
de sa mère, à l'Hôtel-Dieu des Sœurs de Saint-Vincent de Paul. Elle
voulait, depuis longtemps déjà, solliciter son admission dans cet asile
de charité; mais dès la première entrevue, la Mère Supérieure, guidée
par l'Esprit-Saint, lui répondit sans hésiter que telle n'était pas la
volonté de Dieu. Zélie rentra donc sous le toit paternel, dans la douce
compagnie de ses chers parents, de sa sœur aînée[6] et de son jeune
frère, dont il sera plus d'une fois question dans le cours de ce récit.

Or, depuis sa démarche infructueuse, la jeune fille faisait bien souvent
dans son cœur cette naïve prière: «Mon Dieu, puisque je ne suis pas
digne d'être votre épouse comme ma sœur chérie, j'entrerai dans
l'état du mariage pour accomplir votre volonté sainte. Alors, je vous en
prie, _donnez-moi beaucoup d'enfants, et qu'ils vous soient tous
consacrés_.»

       *       *       *       *       *

Dans sa miséricordieuse bonté, le Seigneur réservait à cette âme d'élite
le vertueux jeune homme dont nous avons parlé; et, par un concours de
circonstances vraiment providentielles, le 12 juillet 1858, se
célébraient, dans l'église Notre-Dame d'Alençon, leurs noces bénies.

Le soir même de cet heureux jour,--une lettre intime nous l'a
révélé--Louis confia à sa jeune compagne son désir de la regarder
toujours comme une sœur bien-aimée. Mais, après de longs mois,
partageant le rêve de son épouse, il désira comme elle voir leur union
porter des fruits nombreux, afin de les offrir au Seigneur. Il put
redire alors l'admirable prière du chaste Tobie: «_Vous le savez, mon
Dieu, si je prends une épouse sur la terre, c'est par le seul désir
d'une postérité dans laquelle soit béni votre nom dans les siècles des
siècles._»

Sa condescendance plut au Seigneur. De ce parterre choisi germèrent
neuf blanches fleurs, dont quatre, dès le bas âge, allèrent s'ouvrir
dans les jardins célestes, tandis que les cinq autres s'épanouirent plus
tard, soit dans l'Ordre du Carmel, soit dans celui de la Visitation.
Ainsi se réalisa le vœu de leur pieuse mère.

Toutes furent, dès le berceau, consacrées à la Reine des lis, la Vierge
Immaculée. Nous donnons ici leurs noms, faisant remarquer le neuvième et
dernier comme privilégié entre tous, ainsi que, dans les chœurs des
Anges, on distingue au neuvième celui des séraphins.

Marie-Louise, Marie-Pauline, Marie-Léonie, Marie-Hélène, morte à quatre
ans et demi, Marie-Joseph-Louis, Marie-Joseph-Jean-Baptiste,
Marie-Céline, Marie-Mélanie-Thérèse, morte à trois mois,
_Marie-Françoise-Thérèse_.

Les deux enfants du nom de Joseph furent obtenus par la prière et les
larmes. Après la naissance des quatre filles aînées, il fut demandé à
Dieu, par l'intercession de saint Joseph, _un petit missionnaire_; et
bientôt parut ici-bas, plein de sourires et de charmes, le premier
Marie-Joseph. Hélas! il ne fit que se montrer à sa mère... Après cinq
mois d'exil, il s'envolait au sanctuaire des cieux! Suivirent alors
d'autres neuvaines, plus pressantes. A tout prix, il fallait obtenir à
la famille un prêtre, un missionnaire. Mais «_les pensées du Seigneur ne
sont pas nos pensées, ses voies ne sont pas nos voies_». Un nouveau
petit Joseph arriva plein d'espérances; et neuf mois s'étaient à peine
écoulés qu'il s'enfuyait de ce monde, et rejoignait son frère aux
Tabernacles éternels.

Alors ce fut fini. On ne demanda plus de missionnaire. Ah! si, dès ce
temps-là, le voile de l'avenir s'était soulevé un instant, quels élans
de reconnaissance et de joie! Oui, malgré les apparences, le désir de
ces chrétiens d'un autre âge était entièrement comblé; il l'était
surtout dans leur dernière enfant, âme bénie, reine entre ses sœurs,
choisie et privilégiée par excellence. N'a-t-on pas écrit d'elle avec
vérité: «_Thérèse est maintenant un remarquable missionnaire à la parole
puissante et irrésistible, sa vie a un charme qui ne se perdra jamais;
et toute âme qui se laissera prendre à cet hameçon ne restera ni dans
les eaux de la tiédeur, ni dans celles du péché._».......

       *       *       *       *       *

Ses parents eux-mêmes ne sont-ils pas aussi devenus missionnaires?...
Nous lisons aux premières pages de la traduction portugaise de
l'«Histoire d'une Ame» cette touchante dédicace d'un pieux et savant
religieux de la Compagnie de Jésus[7]:

A LA SAINTE ET ÉTERNELLE MÉMOIRE DE LOUIS-JOSEPH-STANISLAS MARTIN ET DE
ZÉLIE GUÉRIN, BIENHEUREUX PARENTS DE SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS,
POUR SERVIR D'EXEMPLE A TOUS LES PARENTS CHRÉTIENS.

Bien loin de soupçonner cet apostolat futur, ils le préparaient
cependant à leur insu par une vie toujours plus parfaite.

L'épreuve les visita bien des fois, mais une résignation pleine d'amour
était leur seule réponse au Dieu, toujours Père, qui n'abandonne jamais
ses enfants.

Chaque aurore les voyait au pied des saints autels. Ils s'agenouillaient
ensemble au banquet sacré, observaient rigoureusement les abstinences et
jeûnes de l'Eglise, gardaient avec une fidélité absolue le repos du
dimanche et faisaient des lectures saintes leurs délassements préférés.
Ils priaient en commun, à la façon touchante du vénérable aïeul, le
capitaine Martin, qu'on ne pouvait, sans pleurer, entendre réciter le
Pater.

Les grandes vertus chrétiennes brillaient à ce foyer. L'aisance n'y
introduisait pas le luxe, on ne s'y départait jamais d'une simplicité
toute patriarcale.

«_Dans quelle illusion vivent la plupart des hommes!_ répétait souvent
Madame Martin, _possèdent-ils des richesses? ils veulent aussitôt des
honneurs; et s'ils les obtiennent, ils sont encore malheureux; car
jamais le cœur qui cherche autre chose que Dieu n'est satisfait._»

Toutes ses ambitions maternelles regardaient les Cieux. «_Quatre de mes
enfants sont déjà bien placés_, écrivait-elle, _et les autres, oui, les
autres iront aussi dans ce royaume céleste, chargés de plus de mérites
puisqu'ils auront plus longtemps combattu..._»

La charité, sous toutes ses formes, devenait l'écoulement de cette
pureté de vie et de ces sentiments généreux. Les deux époux prélevaient
chaque année, sur le fruit de leurs travaux, une forte somme pour
l'œuvre de la Propagation de la Foi. Ils soulageaient les pauvres
dans leur détresse et les servaient de leurs propres mains. On a vu le
père de famille, à l'exemple du bon Samaritain, relever sans honte un
ouvrier, gisant ivre-mort dans une rue fréquentée, prendre sa boîte
d'outils, lui offrir l'appui de son bras et, tout en lui faisant une
douce remontrance, le conduire à sa demeure.

Il en imposait aux blasphémateurs qui, sur une simple observation, se
taisaient en sa présence.

Jamais les petitesses du respect humain ne diminuèrent les grandeurs de
son âme. En quelque compagnie qu'il fût, il saluait toujours le Saint
Sacrement en passant devant une église. Il saluait de même, par respect
pour le caractère sacerdotal, tout prêtre qu'il rencontrait sur son
chemin.

Citons enfin un dernier exemple de la bonté de son cœur:

Ayant vu dans une gare un malheureux épileptique, mourant de faim, sans
argent pour regagner son pays, Monsieur Martin fut ému de compassion,
prit son chapeau, y déposa une première aumône, et s'en alla quêter à
tous les voyageurs. Les pièces pleuvaient dans la bourse improvisée, et
le malade, touché de tant de bonté, pleurait de reconnaissance.

En récompense de si rares vertus, toutes les bénédictions de Dieu
s'attachaient aux pas de son fidèle serviteur. Dès l'année 1871, il put
quitter sa maison de bijouterie et se retirer dans sa nouvelle
habitation, rue Saint-Blaise. La fabrication de dentelles, dites «point
d'Alençon», commencée par Madame Martin, fut alors uniquement continuée.

C'est dans cette maison de la rue Saint-Blaise que devait éclore notre
céleste fleur; nous l'appelons ainsi, parce qu'elle-même donna pour
titre au manuscrit de sa Vie: «HISTOIRE PRINTANIÈRE D'UNE PETITE FLEUR
BLANCHE.» Elle ne devait pas, en effet, connaître d'automne, encore
moins d'hiver avec ses nuits glacées...

Pourtant ce fut en plein hiver, le 2 janvier 1873, qu'elle prit
naissance au sein de la famille bénie dont nous avons parlé. Par une
délicatesse toute providentielle pour ses deux sœurs aînées,--alors
pensionnaires à la Visitation du Mans--cette date tombait pendant les
vacances; aussi, quel ne fut pas leur bonheur lorsque, vers minuit, le
bon père, montant d'un pas léger jusqu'à leur chambre, s'écria d'un ton
joyeux: «Enfants, vous avez une petite sœur!» Cependant, cette fois
encore, il espérait, sans trop se l'avouer, un petit missionnaire! Mais
la déception ne fut pas grande, et l'on reçut cette dernière enfant
comme un présent du Ciel. «C'était le _bouquet_», disait plus tard son
bien-aimé père. Il l'appelait encore et surtout «_sa petite reine_»,
quand il n'ajoutait pas ces titres pompeux: «de France et de Navarre».

La petite reine, on le voit, fut bien accueillie; et, comme elle venait
au monde dans le temps de Noël, les anges chantèrent aussi sur son
berceau; ils empruntèrent pour cet office la voix d'un enfant pauvre qui
vint, ce jour-là même, sonner timidement à la porte de l'heureuse
demeure, remettant un papier sur lequel étaient écrits ces vers:

   _Souris et grandis vite,
    Au bonheur tout t'invite:
    Tendres soins, tendre amour...
    Oui, souris à l'aurore,
    Bouton qui viens d'éclore:_
    TU SERAS ROSE UN JOUR!...

C'était un doux présage, une prophétie gracieuse; en effet, le bouton
devint une rose d'amour, mais pour de courts instants, «_l'espace d'un
matin!_»

En attendant, il souriait à la vie, et tout le monde lui rendait ses
sourires. Le 4 janvier, on le porta solennellement à l'église Notre-Dame
pour recevoir la divine rosée du baptême, lui donnant pour marraine sa
sœur aînée Marie, avec les noms déjà désignés de
MARIE-FRANÇOISE-THÉRÈSE. Jusque-là, tout était joie et bonheur; mais
bientôt, sur sa tige délicate, le tendre bouton se pencha. Plus
d'espoir! on devait s'attendre à le voir tomber et mourir... «Il faut
s'adresser à saint François de Sales, écrivait la tante Visitandine, et
promettre, si l'enfant guérit, de l'appeler de son second nom:
«_Françoise_». Ce fut un glaive pour le cœur de sa mère. Penchée sur
le berceau de sa _Thérèse_ chérie, elle attendait, pour ainsi dire, le
dernier moment, se disant en elle-même: «Lorsque tout espoir va me
sembler perdu, alors seulement je vais faire cette promesse de l'appeler
Françoise.»

Le doux François de Sales déclina l'honneur à la sainte Réformatrice du
Carmel: l'enfant revint à la vie et s'appela définitivement THÉRÈSE. Il
fallut néanmoins assurer sa guérison par un grand sacrifice: l'envoyer à
la campagne et lui trouver une nourrice. Alors le «_petit bouton de
rose_» se redressa sur sa tige, il devint fort et vigoureux, les mois de
l'exil passèrent vite; puis on le remit frais et charmant dans les bras
de sa vraie mère.



Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ET DE LA SAINTE FACE

HISTOIRE D'UNE AME ÉCRITE PAR ELLE-MÊME

1873-1897


    «_Je suis venu apporter le feu sur la terre, et quel est mon désir,
    sinon qu'on l'allume?_» Lucæ, XII, 49.

      Rappelle-toi cette très douce flamme
      Que tu voulais allumer da les cœurs;
      Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
      Je veux aussi répandre ses ardeurs.
    Une faible étincelle, ô mystère de vie!
    Suffit pour allumer un immense incendie.
        Que je veux, ô mon Dieu,
        Porter au loin ton feu,
          Rappelle-toi!

       SR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS.

[Illustration: LA COUPE DE MON CŒUR DÉBORDE. LE BONHEUR ET LA GRÂCE
M'ACCOMPAGNERONT TOUS LES JOURS DE MA VIE. Ps. XXIII]



CHAPITRE IER

Les premières notes d'un cantique d'amour. Le cœur d'une mère.
Souvenirs de deux à quatre ans.


C'est à vous, ma Mère vénérée, que je viens confier l'_histoire de mon
âme_. Le jour où vous me l'avez demandée, il me semblait que cela
dissiperait mon cœur; mais depuis, Jésus m'a fait sentir qu'en
obéissant simplement je lui serais agréable. Je vais donc commencer à
chanter ce que je dois redire éternellement: _les miséricordes du
Seigneur!..._

Avant de prendre la plume, je me suis agenouillée devant la statue de
Marie[8]: celle qui a donné à ma famille tant de preuves des maternelles
préférences de la Reine du ciel; je l'ai suppliée de guider ma main,
afin de ne pas tracer une seule ligne qui ne lui soit agréable. Ensuite,
ouvrant le saint Evangile, mes yeux sont tombés sur ces mots: «_Jésus,
étant monté sur une montagne, appela à lui ceux qu'il lui plut._»[9]
Voilà bien le mystère de ma vocation, de ma vie tout entière; et surtout
le mystère des privilèges de Jésus sur mon âme. Il n'appelle pas ceux
qui en sont dignes, mais ceux qu'il lui plaît. Comme le dit saint Paul:
«_Dieu a pitié de qui il veut, et il fait miséricorde à qui il veut
faire miséricorde[10]. Ce n'est donc pas l'ouvrage de celui qui veut, ni
de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde._»[11]

Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences,
pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas une égale mesure de grâces.
Je m'étonnais de le voir prodiguer des faveurs extraordinaires à de
grands pécheurs comme saint Paul, saint Augustin, sainte Madeleine et
tant d'autres qu'il forçait, pour ainsi dire, à recevoir ses grâces. Je
m'étonnais encore, en lisant la vie des saints, de voir Notre-Seigneur
caresser du berceau à la tombe certaines âmes privilégiées, sans laisser
sur leur passage aucun obstacle qui les empêchât de s'élever vers lui,
ne permettant jamais au péché de ternir l'éclat immaculé de leur robe
baptismale. Je me demandais pourquoi les pauvres sauvages, par exemple,
mouraient en grand nombre sans même avoir entendu prononcer le nom de
Dieu.

Jésus a daigné m'instruire de ce mystère. Il a mis devant mes yeux le
livre de la nature, et j'ai compris que toutes les fleurs créées par lui
sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du lis n'enlèvent
pas le parfum de la petite violette, n'ôtent rien à la simplicité
ravissante de la pâquerette. J'ai compris que, si toutes les petites
fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure
printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes.

Ainsi en est-il dans le monde des âmes, ce jardin vivant du Seigneur. Il
a trouvé bon de créer les grands saints qui peuvent se comparer aux lis
et aux roses; mais il en a créé aussi de plus petits, lesquels doivent
se contenter d'être des pâquerettes ou de simples violettes destinées à
réjouir ses regards divins lorsqu'il les abaisse à ses pieds. Plus les
fleurs sont heureuses de faire sa volonté, plus elles sont parfaites.

J'ai compris autre chose encore... J'ai compris que l'amour de
Notre-Seigneur se révèle aussi bien dans l'âme la plus simple, qui ne
résiste en rien à ses grâces, que dans l'âme la plus sublime. En effet,
le propre de l'amour étant de s'abaisser, si toutes les âmes
ressemblaient à celles des saints Docteurs qui ont illuminé l'Eglise, il
semble que le bon Dieu ne descendrait point assez bas en venant jusqu'à
elles. Mais il a créé l'enfant qui ne sait rien et ne fait entendre que
de faibles cris; il a créé le pauvre sauvage n'ayant pour se conduire
que la loi naturelle; et c'est jusqu'à leurs cœurs qu'il daigne
s'abaisser!

Ce sont là _les fleurs des champs_ dont la simplicité le ravit; et, par
cette action de descendre aussi bas, le Seigneur montre sa grandeur
infinie. De même que le soleil éclaire à la fois le cèdre et la petite
fleur; de même l'Astre divin illumine particulièrement chacune des
âmes, grande ou petite, et tout correspond à son bien: comme dans la
nature, les saisons sont disposées de manière à faire éclore, au jour
marqué, la plus humble pâquerette.

       *       *       *       *       *

Sans doute, ma Mère, vous vous demandez avec étonnement où je veux en
venir; car, jusqu'ici, je n'ai rien dit encore qui ressemble à
l'histoire de ma vie; mais ne m'avez-vous pas ordonné d'écrire sans
contrainte ce qui me viendrait naturellement à la pensée? Ce n'est donc
pas _ma vie_ proprement dite que vous trouverez dans ces pages; ce sont
_mes pennées_ sur les grâces que Notre-Seigneur a daigné m'accorder.

Je me trouve à une époque de mon existence où je puis jeter un regard
sur le passé; mon âme s'est mûrie dans le creuset des épreuves
intérieures et extérieures. Maintenant, comme la fleur après l'orage, je
relève la tête, et je vois que se réalisent pour moi les paroles du
psaume:

«_Le Seigneur est mon Pasteur, je ne manquerai de rien. Il me lait
reposer dans des pâturages agréables et fertiles; Il me conduit
doucement le long des eaux. Il conduit mon âme sans la fatiguer... Mais,
lors même que je descendrais dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne
craindrais aucun mal, parce que vous serez avec moi, Seigneur[12]!_»

Oui, toujours le Seigneur a été pour moi _compatissant et rempli de
douceur, lent à punir, et abondant en miséricordes_[13]! Aussi,
j'éprouve un réel bonheur à venir chanter près de vous, ma Mère, ses
ineffables bienfaits. C'est pour _vous seule_ que je vais écrire
l'histoire de _la petite fleur_ cueillie par Jésus; cette pensée
m'aidera à parler avec abandon, sans m'inquiéter ni du style, ni des
nombreuses digressions que je vais faire; un cœur de mère comprend
toujours son enfant, alors même qu'il ne sait que bégayer. Je suis donc
sûre d'être comprise et devinée.

Si une petite fleur pouvait parler, il me semble qu'elle dirait
simplement ce que le bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher
ses dons. Sous prétexte d'humilité, elle ne dirait pas qu'elle est
disgracieuse et sans parfum, que le soleil a terni son éclat, que les
orages ont brisé sa tige, alors qu'elle reconnaîtrait en elle-même tout
le contraire.

La fleur qui va raconter son histoire se réjouit d'avoir à publier les
prévenances tout à fait gratuites de Jésus. Elle reconnaît que rien
n'était capable en elle d'attirer ses divins regards; que sa miséricorde
seule l'a comblée de biens. C'est lui qui l'a fait naître en une terre
sainte et comme tout imprégnée d'un parfum virginal; c'est lui qui l'a
fait précéder de _huit lis_ éclatants de blancheur. Dans son amour, il a
voulu la préserver du souffle empoisonné du monde: à peine sa corolle
commençait-elle à s'entr'ouvrir, que ce bon Maître la transplanta sur la
montagne du Carmel, dans le jardin choisi de la Vierge Marie.

Je viens, ma Mère, de résumer en peu de mots ce que le bon Dieu a fait
pour moi; maintenant je vais entrer dans le détail de ma vie d'enfant:
je sais que, là où tout autre ne verrait qu'un récit ennuyeux, votre
cœur maternel trouvera des charmes.

       *       *       *       *       *

Dans l'_histoire de mon âme_ jusqu'à mon entrée au Carmel, je distingue
trois périodes bien marquées: la première, malgré sa courte durée, n'est
pas la moins féconde en souvenirs; elle s'étend depuis l'éveil de ma
raison jusqu'au départ de ma mère chérie pour la patrie des cieux;
autrement dit: jusqu'à mon âge de quatre ans et huit mois.

Le bon Dieu m'a fait la grâce d'ouvrir mon intelligence de très bonne
heure, et de graver si profondément dans ma mémoire les souvenirs de
mon enfance que ces événements passés me semblent d'hier. Sans doute,
Jésus voulait me faire connaître et apprécier la mère incomparable qu'il
m'avait donnée. Hélas! sa main divine me l'enleva bientôt pour la
couronner dans le ciel.

Toute ma vie, le Seigneur s'est plu à m'entourer d'amour; mes premiers
souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres.
Mais s'il avait placé près de moi tant d'amour, il en avait mis aussi
dans mon petit cœur, le créant affectueux et sensible. On ne peut se
figurer combien je chérissais mon père et ma mère; je leur témoignais ma
tendresse de mille manières, car j'étais très expansive; toutefois, les
moyens que j'employais alors me font rire aujourd'hui quand j'y pense.

Vous avez voulu, ma Mère, me mettre entre les mains les lettres de
maman, adressées en ce temps-là à ma sœur Pauline, pensionnaire à la
Visitation du Mans; je me souviens parfaitement des traits qu'elles
contiennent; mais il me sera plus facile de citer simplement certains
passages de ces lettres charmantes, souvent trop élogieuses à mon égard,
étant dictées par l'amour maternel.

A l'appui de ce que je disais sur la manière de témoigner mon affection
à mes parents, voici un mot de ma mère:

     Le bébé est un lutin sans pareil, qui vient me caresser en me
     souhaitant la mort! «_Oh! que je voudrais bien que tu mourrais, ma
     pauvre petite mère!_» On la gronde, mais elle s'excuse d'un air
     tout étonné en disant: «_C'est pourtant pour que tu ailles au ciel,
     puisque tu dis qu'il faut mourir pour y aller!_» Elle souhaite de
     même la mort à son père quand elle est dans _ses excès d'amour_.

     Cette pauvre mignonne ne veut point me quitter; elle est
     continuellement près de moi et me suit avec bonheur, surtout au
     jardin. Quand je n'y suis pas, elle refuse d'y rester et pleure
     tant qu'on est obligé de me la ramener. De même, elle ne monterait
     pas l'escalier toute seule, à moins de m'appeler à chaque marche:
     _Maman! maman!_ Autant de marches, autant de _maman!_ et si par
     malheur j'oublie de répondre une seule fois: «Oui, ma petite
     fille!» elle en reste là, sans avancer ni reculer.

J'allais atteindre ma troisième année, quand ma mère écrivait:

... La petite Thérèse me demandait l'autre jour si elle irait au
     ciel: «Oui, si tu es bien sage», lui ai-je répondu.--«_Ah! maman_,
     reprit-elle alors, _si je n'étais pas mignonne, j'irais donc en
     enfer? mais moi je sais bien ce que je ferais: je m'envolerais avec
     toi qui serais au ciel; puis tu me tiendrais bien fort dans tes
     bras. Comment le bon Dieu ferait-il pour me prendre?_» J'ai vu dans
     son regard qu'elle était persuadée que le bon Dieu ne lui pouvait
     rien, si elle se cachait dans les bras de sa mère.

     Marie aime beaucoup sa petite sœur. C'est une enfant qui nous
     donne à tous bien des joies; elle est d'une franchise
     extraordinaire: c'est charmant de la voir courir après moi pour me
     faire sa confession. «_Maman, j'ai poussé Céline une fois, je l'ai
     battue une fois; mais je ne recommencerai plus._»

     Aussitôt qu'elle a fait le moindre malheur, il faut que tout le
     monde le sache: hier, ayant déchiré sans le vouloir un petit coin
     de tapisserie, elle s'est mise dans un état à faire pitié; puis il
     fallait bien vite le dire à son père. Lorsqu'il est rentré quatre
     heures après, personne n'y pensait plus; mais elle est accourue
     vers Marie, lui disant: «_Raconte vite à papa que j'ai déchiré le
     papier._» Elle se tenait là, comme une criminelle qui attend sa
     condamnation; mais elle a dans sa petite idée qu'on va lui
     pardonner plus facilement si elle s'accuse.

En trouvant ici le nom de mon cher petit père, je suis amenée
naturellement à certains souvenirs bien joyeux. Quand il rentrait, je
courais invariablement au-devant de lui et m'asseyais sur une de ses
bottes; alors il me promenait ainsi, tant que je le voulais, dans les
appartements et dans le jardin. Maman disait en riant qu'il faisait
toutes mes volontés: «Que veux-tu, répondait-il, c'est _la reine_!» Puis
il me prenait dans ses bras, m'élevait bien haut, m'asseyait sur son
épaule, m'embrassait et me caressait de toutes manières.

Cependant je ne puis dire qu'il me gâtait. Je me rappelle très bien
qu'un jour où je me balançais en folâtrant, mon père vint à passer et
m'appela, disant: «Viens m'embrasser, ma petite reine!» Contre mon
habitude, je ne voulus point bouger et répondis d'un air mutin:
«Dérange-toi, papa!» Il ne m'écouta pas et fit bien. Marie était là.
«Petite mal élevée, me dit-elle, que c'est vilain de répondre ainsi à
son père!» Aussitôt je sortis de ma fatale balançoire; la leçon n'avait
que trop bien porté! Toute la maison retentit de mes cris de contrition;
je montai vite l'escalier, et cette fois je n'appelai point _maman_ à
chaque marche; je ne pensais qu'à trouver papa, à me réconcilier avec
lui, ce qui fut bien vite fait.

Je ne pouvais supporter la pensée d'avoir affligé mes bien-aimés
parents; reconnaître mes torts était l'affaire d'un instant, comme le
prouve encore ce trait d'enfance raconté si naturellement par ma mère
elle-même:

     Un matin, je voulus embrasser la petite Thérèse avant de descendre;
     elle paraissait profondément endormie; je n'osais donc la
     réveiller, quand Marie me dit: «Maman, elle fait semblant de
     dormir, j'en suis sûre.» Alors je me penchai sur son front pour
     l'embrasser; mais elle se cacha aussitôt sous sa couverture en me
     disant d'un air d'enfant gâté: «_Je ne veux pas qu'on me
     voie._»--Je n'étais rien moins que contente, et le lui fis sentir.
     Deux minutes après je l'entendais pleurer, et voilà que bientôt, à
     ma grande surprise, je l'aperçois à mes côtés! Elle était sortie
     toute seule de son petit lit, avait descendu l'escalier pieds nus,
     embarrassée dans sa chemise de nuit plus longue qu'elle. Son petit
     visage était couvert de larmes.--«_Maman_, me dit-elle en se jetant
     à mes genoux, _maman, j'ai été méchante, pardonne-moi!_» Le pardon
     fut vite accordé. Je pris mon chérubin dans mes bras, le pressant
     sur mon cœur et le couvrant de baisers.

[Illustration: THÉRÈSE ENFANT ET SA MÈRE]

    De Maman j'aimais le sourire;
    Son regard profond semblait dire:
    "L'Eternité me ravit et m'attire...
    Je vais aller dans le Ciel bleu
    Voir Dieu!"

Je me souviens aussi de l'affection bien grande que j'avais dès ce
temps-là pour ma sœur aînée, Marie, qui venait de terminer ses études
à la Visitation. Sans en avoir l'air, je faisais attention à tout ce qui
se passait et se disait autour de moi; il me semble que je jugeais les
choses comme maintenant. J'écoutais attentivement ce qu'elle apprenait à
Céline; pour obtenir la faveur d'être admise dans sa chambre pendant des
leçons, j'étais bien sage et je lui obéissais en tout; aussi me
comblait-elle de cadeaux qui, malgré leur peu de valeur, me faisaient un
extrême plaisir.

Je puis dire que mes deux grandes sœurs me rendaient bien fière!
Mais, comme Pauline me paraissait si loin, je ne rêvais qu'elle du matin
au soir. Lorsque je commençais seulement à parler, et que maman me
demandait: «A quoi penses-tu?» la réponse était invariable: «A Pauline!»
Quelquefois j'entendais dire que Pauline serait religieuse; alors, sans
trop savoir ce que c'était, je pensais: «_Moi aussi, je serai
religieuse!_» C'est là un de mes premiers souvenirs; et depuis je n'ai
jamais changé de résolution. Ce fut donc l'exemple de cette sœur
chérie qui, dès l'âge de deux ans, m'entraîna vers l'Epoux des vierges.

O ma Mère, que de douces réflexions je voudrais vous confier ici, sur
mes rapports avec Pauline! mais ce serait trop long.

Ma chère petite Léonie tenait aussi une bien grande place dans mon
cœur; elle m'aimait beaucoup. Le soir, en revenant de ses leçons,
elle voulait me garder quand toute la famille était en promenade; il me
semble entendre encore les gentils refrains qu'elle chantait de sa douce
voix pour m'endormir. Je me souviens parfaitement de sa première
communion. Je me rappelle aussi la petite fille pauvre, sa compagne, que
ma mère avait habillée, suivant l'usage touchant des familles aisées
d'Alençon. Cette enfant ne quitta pas Léonie un seul instant de ce beau
jour; et, le soir au grand dîner, on la mit à la place d'honneur. Hélas!
j'étais trop petite pour rester à ce pieux festin; mais j'y participai
un peu, grâce à la bonté de papa qui vint lui-même, au dessert, apporter
à sa petite reine un morceau de la pièce montée.

Maintenant il me reste à parler de Céline, la petite compagne de mon
enfance. Pour elle, les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais
lesquels choisir. Nous nous entendions parfaitement toutes les deux;
mais j'étais bien plus vive et bien moins naïve qu'elle. Voici une
lettre qui vous montrera, ma Mère, combien Céline était douce, et moi
méchante. J'avais alors près de trois ans et Céline six ans et demi.

     Ma petite Céline est tout à fait portée à la vertu; pour le _petit
     furet_, on ne sait pas trop comment ça fera; c'est si petit, si
     étourdi! C'est une enfant très intelligente; mais elle est bien
     moins douce que sa sœur, et surtout d'un entêtement presque
     invincible. Quand elle dit _non_, rien ne peut la faire céder; on
     la mettrait une journée dans la cave sans obtenir un _oui_ de sa
     part; elle y coucherait plutôt!

J'avais encore un défaut dont ma mère ne parle pas dans ses lettres:
c'était un grand amour-propre. En voici seulement deux exemples:

Un jour, voulant connaître sans doute jusqu'où irait mon orgueil, elle
me dit en souriant: «Ma petite Thérèse, si tu veux baiser la terre je
vais te donner un sou.» Un sou, cela valait pour moi toute une fortune.
Pour le gagner dans la circonstance, je n'avais guère besoin d'abaisser
ma grandeur, car ma petite taille ne mettait pas une distance
considérable entre moi et la terre; cependant ma fierté se révolta, et,
me tenant bien droite, je répondis à maman: «Oh! non, ma petite mère,
j'aime mieux ne pas avoir de sou.»

Une autre fois, nous devions aller à la campagne chez des amis. Maman
dit à Marie de me mettre ma plus jolie toilette, mais de ne pas me
laisser les bras nus. Je ne soufflai mot, et montrai même l'indifférence
que doivent avoir les enfants de cet âge; mais intérieurement je me
disais: «Pourtant, comme j'aurais été bien plus gentille avec mes petits
bras nus!»

Avec une semblable nature, je me rends parfaitement compte que, si
j'avais été élevée par des parents sans vertu, je serais devenue très
méchante, et peut-être même aurais-je couru à ma perte éternelle. Mais
Jésus veillait sur sa petite fiancée; il fit tourner à son avantage tous
ses défauts, qui, réprimés de bonne heure, lui servirent à grandir dans
la perfection. En effet, comme j'avais de l'amour-propre et aussi
l'amour du bien, il suffisait que l'on me dît une seule fois: «Il ne
faut pas faire telle chose», pour que je n'eusse plus envie de
recommencer. Je vois avec plaisir dans les lettres de ma chère maman,
qu'en avançant en âge je lui donnais plus de consolation; n'ayant sous
les yeux que de bons exemples, je voulais naturellement les suivre.
Voici ce qu'elle écrivait en 1876:

     Jusqu'à Thérèse qui veut se mêler de faire des sacrifices. Marie a
     donné à ses petites sœurs un chapelet fait exprès pour compter
     leurs pratiques de vertu; elles font ensemble de véritables
     conférences spirituelles très amusantes. Céline disait l'autre
     jour: «Comment cela se fait-il que le bon Dieu soit dans une si
     petite hostie?» Thérèse lui a répondu: «_Ce n'est pas si étonnant,
     puisque le bon Dieu est tout-puissant!_»--«Et qu'est-ce que ça veut
     dire tout-puissant?»--«_Ça veut dire qu'il fait tout ce qu'il
     veut!_»

     Mais le plus curieux encore, c'est de voir Thérèse mettre la main
     cent fois par jour dans sa petite poche pour tirer une perle à son
     chapelet toutes les fois qu'elle fait un sacrifice.

     Ces deux enfants sont inséparables et se suffisent pour se récréer.
     La nourrice a donné à Thérèse un coq et une poule de la petite
     espèce; vite le bébé a donné le coq à sa sœur. Tous les jours,
     après le dîner, celle-ci va prendre son coq, elle l'attrape tout
     d'un coup ainsi que la poule; puis les voilà qui viennent s'asseoir
     au coin du feu; elles s'amusent ainsi fort longtemps.

     Un matin, Thérèse s'est avisée de sortir de son petit lit pour
     aller coucher avec Céline; la bonne la cherchait pour l'habiller;
     elle l'aperçoit enfin, et la petite lui dit, en embrassant sa
     sœur et la serrant bien fort dans ses bras: «_Laissez-moi, ma
     pauvre Louise, vous voyez bien que toutes les deux, on est comme
     les petites poules blanches, on ne peut pas se séparer!_»

Il est bien vrai que je ne pouvais rester sans Céline; j'aimais mieux
sortir de table avant d'avoir fini mon dessert que de ne pas la suivre
aussitôt qu'elle se levait. Me tournant alors dans ma grande chaise
d'enfant, je voulais descendre bien vite et puis nous allions jouer
ensemble.

Le dimanche, comme j'étais trop petite pour aller aux offices, maman
restait à me garder. En cette circonstance, je montrais une grande
sagesse, ne marchant que sur le bout des pieds; mais aussitôt que
j'entendais la porte s'ouvrir, c'était une explosion de joie sans
pareille; je me précipitais au-devant de ma jolie petite sœur, et je
lui disais: «O Céline! donne-moi bien vite du pain bénit!» Un jour, elle
n'en avait pas!... comment faire? Je ne pouvais m'en passer; j'appelais
ce festin, _ma messe_. Une idée lumineuse me traversa l'esprit: «Tu n'as
pas de pain bénit, eh bien, _fais-en!_» Elle ouvrit alors le placard,
prit le pain, en coupa une bouchée, et, récitant dessus un _Ave Maria_
d'un ton solennel, me le présenta triomphante. Et moi, faisant le signe
de la croix, je le mangeai avec une grande dévotion, lui trouvant tout à
fait le goût du pain bénit.

Un jour, Léonie, se trouvant sans doute trop grande pour jouer à la
poupée, vint nous trouver toutes les deux avec une corbeille remplie de
robes, de jolis morceaux d'étoffe et autres garnitures, sur lesquels
ayant couché sa poupée, elle nous dit: «Tenez, mes petites sœurs,
choisissez!» Céline regarda et prit un peloton de ganse. Après un moment
de réflexion, j'avançai la main à mon tour en disant: «_Je choisis
tout!_» et j'emportai corbeille et poupée sans autre cérémonie.

Ce trait de mon enfance est comme le résumé de ma vie entière. Plus
tard, lorsque la perfection m'est apparue, j'ai compris que pour devenir
une sainte il fallait beaucoup souffrir, rechercher toujours ce qu'il y
a de plus parfait et s'oublier soi-même. J'ai compris que, dans la
sainteté, les degrés sont nombreux, que chaque âme est libre de répondre
aux avances de Notre-Seigneur, de faire peu ou beaucoup pour son amour;
en un mot, de _choisir_ entre les sacrifices qu'il demande. Alors, comme
aux jours de mon enfance, je me suis écriée: «Mon Dieu, je choisis tout!
je ne veux pas être sainte à moitié; cela ne me fait pas peur de
souffrir pour vous, je ne crains qu'une chose, c'est de garder ma
volonté; prenez-la, car _je choisis tout_ ce que vous voulez!»

Mais je m'oublie, ma Mère bien-aimée; je ne dois pas encore vous parler
de ma jeunesse, j'en suis au petit bébé de trois et quatre ans.

Je me souviens d'un songe que j'ai fait à cet âge et qui s'est gravé
profondément dans ma mémoire:

J'allais me promener seule au jardin, quand j'aperçus tout à coup,
auprès de la tonnelle, deux affreux petits diables qui dansaient sur un
baril de chaux avec une agilité surprenante, malgré des fers pesants
qu'ils avaient aux pieds. Ils jetèrent d'abord sur moi des yeux
flamboyants; puis, comme saisis de crainte, je les vis se précipiter en
un clin d'œil au fond du baril, sortir ensuite par je ne sais quelle
issue, courir et se cacher finalement dans la lingerie qui donnait de
plain-pied sur le jardin. Les trouvant si peu braves, je voulus savoir
ce qu'ils allaient faire; et, dominant ma première frayeur, je
m'approchai de la fenêtre... Les pauvres diablotins étaient là, courant
sur les tables et ne sachant comment fuir mon regard. De temps en temps
ils s'approchaient, guettaient par les carreaux d'un air inquiet; puis,
voyant que j'étais toujours là, ils recommençaient à courir comme des
désespérés.

Sans doute, ce rêve n'a rien d'extraordinaire; je crois, cependant, que
le bon Dieu s'en est servi, afin de me prouver qu'une âme en état de
grâce n'a rien à craindre des démons qui sont des lâches, capables de
fuir devant le regard d'un enfant.

O ma Mère, que j'étais heureuse à cet âge! Non seulement je commençais à
jouir de la vie; mais la vertu avait pour moi des charmes. Je me
trouvais, il me semble, dans les mêmes dispositions qu'aujourd'hui,
ayant déjà un très grand empire sur toutes mes actions. Ainsi, j'avais
pris l'habitude de ne jamais me plaindre quand on m'enlevait ce qui
était à moi; ou bien, lorsque j'étais accusée injustement, je préférais
me taire que de m'excuser. Il n'y avait en cela aucun mérite de ma part;
je le faisais naturellement.

Ah! comme elles ont passé rapidement ces années ensoleillées de ma
petite enfance, et quelle douce et suave empreinte elles ont laissée
dans mon âme! Je me rappelle avec bonheur les promenades du dimanche où
toujours ma bonne mère nous accompagnait. Je sens encore les impressions
profondes et poétiques qui naissaient dans mon cœur à la vue des
champs de blé émaillés de coquelicots, de bleuets et de pâquerettes.
Déjà, j'aimais les lointains, l'espace, les grands arbres; en un mot,
toute la belle nature me ravissait et transportait mon âme dans les
cieux.

Souvent, pendant ces longues promenades, nous rencontrions des pauvres,
et la petite Thérèse était toujours chargée de leur porter l'aumône; ce
qui la rendait bien heureuse. Souvent aussi, mon bon père, trouvant la
route un peu longue pour sa petite reine, la ramenait au logis, à son
grand déplaisir! Alors, pour la consoler, Céline remplissait de
pâquerettes son joli petit panier et les lui donnait au retour.

Oh! véritablement, tout me souriait sur la terre. Je trouvais des fleurs
sous chacun de mes pas, et mon heureux caractère contribuait aussi à
rendre ma vie agréable; mais une nouvelle période allait s'ouvrir.
Devant être si tôt la fiancée de Jésus, il m'était nécessaire de
souffrir dès mon enfance. De même que les fleurs du printemps commencent
à germer sous la neige et s'épanouissent aux premiers rayons du soleil,
de même la petite fleur dont j'écris les souvenirs a-t-elle dû passer
par l'hiver de l'épreuve, et laisser remplir son tendre calice de la
rosée des pleurs...

[Illustration]

[Illustration: LAISSEZ VENIR A MOI LES PETITS ENFANTS. LE ROYAUME DES
CIEUX EST A CEUX QUI LEUR RESSEMBLENT Marc X]



CHAPITRE II

Mort de sa mère.--Les Buissonnets.--Amour paternel. Première confession.
Les veillées d'hiver.--Vision prophétique.


Tous les détails de la maladie de ma mère sont encore présents à mon
cœur. Je me souviens surtout des dernières semaines qu'elle a passées
sur la terre. Nous étions, Céline et moi, comme de pauvres petites
exilées! Tous les matins Madame X*** venait nous chercher, et nous
passions la journée chez elle. Une fois, nous n'avions pas eu le temps
de faire notre prière avant de partir, et ma petite sœur me dit tout
bas pendant le trajet: «Faut-il avouer que nous n'avons pas fait notre
prière?--Oh! oui», lui ai-je répondu. Alors, bien timidement, elle
confia son secret à cette dame qui nous dit aussitôt: «Eh bien, mes
petites filles, vous allez la faire»; puis, nous laissant dans une
grande chambre, elle partit. Céline me regarda stupéfaite; je ne l'étais
pas moins et m'écriai: «Ah! ce n'est pas comme maman! toujours elle nous
faisait faire notre prière.»

Dans la journée, malgré les distractions qu'on essayait de nous donner,
la pensée de notre mère chérie nous revenait sans cesse. Je me rappelle
que ma sœur ayant reçu un bel abricot, se pencha vers moi et me dit:
«Nous n'allons pas le manger, je vais le donner à maman.» Hélas! notre
mère bien-aimée était déjà trop malade pour manger les fruits de la
terre; elle ne devait plus se rassasier qu'au ciel de la gloire de Dieu
et boire avec Jésus le vin mystérieux dont il parla dans sa dernière
Cène, promettant de le partager avec nous dans le royaume de son Père.

La cérémonie touchante de l'Extrême-Onction s'est imprimée dans mon âme.
Je vois encore l'endroit où l'on me fit agenouiller, j'entends encore
les sanglots de mon pauvre père.

Ma mère quitta ce monde le 28 août 1877, dans sa quarante-sixième année.
Le lendemain de sa mort, mon bon père me prit dans ses bras: «Viens, me
dit-il, embrasser une dernière fois ta chère petite mère.» Et moi, sans
prononcer un seul mot, j'approchai mes lèvres du front glacé de ma mère
chérie.

Je ne me souviens pas d'avoir beaucoup pleuré. Je ne parlais à personne
des sentiments profonds qui remplissaient mon cœur; je regardais et
j'écoutais en silence. Je voyais aussi bien des choses qu'on aurait
voulu me cacher: un moment, je me trouvai seule en face du cercueil,
placé debout dans le corridor; je m'arrêtai longtemps à le considérer;
jamais je n'en avais vu, cependant je comprenais! J'étais si petite
alors qu'il me fallait lever la tête pour le voir tout entier, et il me
paraissait bien grand, bien triste...

Quinze ans plus tard, je me trouvai devant un autre cercueil, celui de
notre sainte Mère Geneviève[14]; et je me crus encore aux jours de mon
enfance! Tous mes souvenirs se pressèrent en foule dans ma mémoire.
C'était bien la même petite Thérèse qui regardait, mais elle avait
grandi, et le cercueil lui paraissait petit; elle ne levait pas la tête
pour le regarder, elle ne la levait plus que pour contempler le ciel qui
lui paraissait bien joyeux, car l'épreuve avait mûri et fortifié son âme
de telle sorte que rien ici-bas ne pouvait plus l'attrister.

Le jour où la sainte Eglise bénit la dépouille mortelle de ma mère, le
bon Dieu ne me laissa pas tout à fait orpheline; il me donna une autre
mère et me la fit choisir librement. Nous étions réunies toutes les
cinq, nous regardant avec tristesse. En nous voyant ainsi, notre bonne
fut émue de compassion et se tournant vers Céline et vers moi: «Pauvres
petites, nous dit-elle, vous n'avez plus de mère!» Alors Céline se jeta
dans les bras de Marie en s'écriant: «Eh bien, c'est toi qui seras
maman!» Moi, toujours habituée à suivre Céline, j'aurais bien dû
l'imiter dans une action si juste; mais je pensai que Pauline allait
peut-être avoir du chagrin et se sentir délaissée, n'ayant pas de petite
fille; alors je la regardai avec tendresse, et cachant ma petite tête
sur son cœur, je dis à mon tour: «Pour moi, c'est Pauline qui sera
maman!»

Comme je l'ai écrit plus haut, c'est à partir de cette époque qu'il me
fallut entrer dans la seconde période de mon existence, la plus
douloureuse, surtout depuis l'entrée au Carmel de celle que j'avais
choisie pour ma seconde mère. Cette période s'étend à partir de l'âge de
quatre ans et demi jusqu'à ma quatorzième année, où je retrouvai mon
caractère d'enfant, tout en comprenant de plus en plus le sérieux de la
vie.

Il faut vous dire, ma Mère vénérée, qu'aussitôt la mort de maman, mon
heureux caractère changea complètement. Moi, si vive, si expansive, je
devins timide et douce, sensible à l'excès; un regard suffisait souvent
pour me faire fondre en larmes; il fallait que personne ne s'occupât de
moi; je ne pouvais souffrir la compagnie des étrangers et ne retrouvais
ma gaieté que dans l'intimité de la famille. Là, je continuais à être
entourée des délicatesses les plus grandes. Le cœur déjà si
affectueux de mon père semblait enrichi d'un amour vraiment maternel, et
je sentais mes sœurs devenues pour moi les mères les plus tendres,
les plus désintéressées. Ah! si le bon Dieu n'avait pas prodigué ses
bienfaisants rayons à sa petite fleur, jamais elle n'aurait pu
s'acclimater sur la terre. Encore trop faible pour supporter les pluies
et les orages, il lui fallait de la chaleur, une douce rosée et des
brises printanières; ces bienfaits ne lui manquèrent pas, même sous la
neige de l'épreuve.

       *       *       *       *       *


[Illustration: Maison où naquit Thérèse. _Alençon (Orne)._]

[Illustration: Eglise Notre-Dame d'Alençon _où Thérèse fut baptisée_.]

[Illustration: LES BUISSONNETS (Lisieux).

La fenêtre marquée d'une + est celle de la chambre de Thérèse.]

Bientôt, mon père résolut de quitter Alençon pour venir habiter Lisieux
et nous rapprocher ainsi de mon oncle, frère de ma mère. Il fit ce
sacrifice dans le but de confier mes sœurs, encore jeunes, à la
direction de ma chère tante, afin qu'elle les guidât dans leur nouvelle
mission et nous servît en quelque sorte de mère. Je ne ressentis
aucun chagrin en abandonnant ma ville natale; les enfants aiment le
changement et ce qui sort de l'ordinaire; ce fut donc avec plaisir que
je vins à Lisieux. Je me souviens du voyage, de l'arrivée le soir chez
mon oncle; je vois encore mes petites cousines, Jeanne et Marie, nous
attendant sur le seuil de la maison avec ma tante. Oh! que je fus
touchée de l'affection que nos chers parents nous témoignèrent!

Le lendemain, on nous conduisit dans notre nouvelle demeure, je veux
dire aux Buisson nets, quartier solitaire situé tout près de la belle
promenade nommée «Jardin de l'étoile». La maison louée par mon père me
parut charmante: un belvédère d'où la vue s'étendait au loin, le jardin
anglais devant la façade, et derrière la maison un autre grand jardin
potager; tout cela pour ma jeune imagination fut du nouveau heureux. En
effet, cette riante habitation devint le théâtre de bien douces joies,
de scènes de famille inoubliables. Ailleurs, comme je l'ai dit plus
haut, j'étais exilée, je pleurais, je sentais que je n'avais plus de
mère! Là, mon petit cœur s'épanouissait et je souriais encore à la
vie.

Dès le réveil, je trouvais les caresses de mes sœurs et puis à leurs
côtés je faisais ma prière. Je prenais ensuite avec Pauline ma leçon de
lecture; je me rappelle que le mot _cieux_ fut le premier que je pus
lire seule. Aussitôt ma classe finie, je montais au belvédère, résidence
habituelle de mon père; ah! combien j'étais heureuse lorsque j'avais de
bonnes notes à lui annoncer!

Tous les après-midi j'allais faire avec lui une petite promenade,
visiter le Saint Sacrement, un jour dans une église, le lendemain dans
une autre. C'est ainsi que j'entrai pour la première fois dans la
chapelle du Carmel. «Vois-tu, ma petite reine, me dit papa, derrière
cette grande grille, il y a de saintes religieuses qui prient toujours
le bon Dieu.» J'étais bien loin de penser que, neuf ans plus tard, je
serais parmi elles; que là, dans ce Carmel béni, je recevrais de si
grandes grâces!

Après la promenade, je rentrais à la maison où je faisais mes devoirs;
puis, tout le reste du temps, je sautillais dans le jardin autour de mon
bon père. Je ne savais pas jouer à la poupée; mon plus grand plaisir
était de préparer des tisanes avec des graines et des écorces d'arbres.
Quand mes infusions prenaient une belle teinte, je les offrais vite à
papa, dans une jolie petite tasse qui donnait vraiment envie d'en
savourer le contenu. Ce tendre père quittait aussitôt son travail et
puis, en souriant, faisait semblant de boire.

J'aimais aussi à cultiver des fleurs; je m'amusais à dresser de petits
autels dans un enfoncement qui se trouvait, par bonheur, au milieu du
mur de mon jardin. Quand tout était prêt, je courais vers papa qui
s'extasiait, pour me faire plaisir, devant mes autels merveilleux,
admirant ce que j'estimais un chef-d'œuvre! Je ne finirais pas, si je
voulais raconter mille traits de ce genre dont j'ai gardé le souvenir.
Ah! comment dirais-je toutes les tendresses que mon incomparable père
prodiguait à sa petite reine?

Ils étaient pour moi de beaux jours ceux où mon _roi chéri_--comme
j'aimais à l'appeler--m'emmenait avec lui à la pêche. Quelquefois
j'essayais moi-même de pêcher avec ma petite ligne; plus souvent je
préférais m'asseoir à l'écart sur l'herbe fleurie. Alors mes pensées
devenaient bien profondes; et, sans savoir ce que c'était que méditer,
mon âme se plongeait dans une réelle oraison. J'écoutais les bruits
lointains, le murmure du vent. Parfois la musique militaire m'envoyait
de la ville quelques notes indécises, et «mélancolisait» doucement mon
cœur. La terre me semblait un lieu d'exil et je rêvais le ciel!

L'après-midi passait vite; bientôt il fallait revenir aux Buissonnets;
mais, avant de plier bagage, je prenais la collation apportée dans mon
petit panier. Hélas! la belle tartine de confiture préparée par mes
sœurs avait changé d'aspect. Au lieu de sa vive couleur, je ne voyais
plus qu'une légère teinte rose toute _vieillie et rentrée_. Alors la
terre me semblait plus triste encore, et je comprenais qu'au ciel
seulement la joie serait sans nuages.

A propos de nuages, je me souviens qu'un jour le beau ciel bleu de la
campagne s'en couvrit; bientôt l'orage se mit à gronder avec force,
accompagné d'éclairs étincelants. Je me tournais à droite et à gauche
pour ne rien perdre de ce majestueux spectacle; enfin je vis la foudre
tomber dans un pré voisin, et, loin d'en éprouver la moindre frayeur, je
fus ravie; il me sembla que le bon Dieu était tout près de moi! Mon père
chéri, moins content que sa reine, vint la tirer de son ravissement;
déjà l'herbe et les grandes pâquerettes, plus hautes que moi,
étincelaient de pierres précieuses, et nous avions à traverser plusieurs
prairies avant de gagner la route. Il me prit donc dans ses bras, malgré
son attirail de lignes, et de là, je regardais en bas les beaux
diamants, regrettant presque de n'en être pas couverte et inondée.

       *       *       *       *       *

Il me semble ne pas avoir dit que, pendant mes promenades journalières,
à Lisieux comme à Alençon, je portais souvent l'aumône aux malheureux.
Un jour, nous vîmes un pauvre vieillard qui se traînait péniblement sur
des béquilles. Je m'approchai pour lui donner ma petite pièce; il fixa
sur moi un long et triste regard, puis, secouant la tête avec un
douloureux sourire, il refusa mon aumône. Je ne puis dire ce qui se
passa dans mon cœur. J'aurais voulu le consoler, le soulager; au lieu
de cela, je venais peut-être de l'humilier, de lui faire de la peine!

Sans doute il devina ma pensée, car je le vis bientôt se détourner et
me sourire de loin. A ce moment, mon bon père venait de m'acheter un
gâteau, j'avais grande envie de courir pour le donner au vieillard; je
me disais: «Il n'a pas voulu d'argent, mais bien sûr, un gâteau lui
ferait plaisir.» Puis je ne sais quelle crainte me retint; j'avais le
cœur si gros que je pouvais à peine cacher mes larmes; enfin je me
rappelai avoir entendu dire que le jour de la première communion on
obtenait toutes les grâces demandées: cette pensée me consola aussitôt.
Bien que je n'eusse alors que six ans, je me dis: «Je prierai pour mon
pauvre, le jour de ma première communion;» et, cinq ans plus tard, je
tins fidèlement ma résolution. J'ai toujours pensé que ma prière
enfantine pour ce membre souffrant de Notre-Seigneur avait été bénie et
récompensée.

En grandissant, j'aimais le bon Dieu de plus en plus, et je lui donnais
bien souvent mon cœur, me servant de la formule que ma mère m'avait
apprise; je m'efforçais de plaire à Jésus en toutes mes actions et je
faisais grande attention à ne l'offenser jamais. Cependant, un jour, je
commis une faute qui vaut bien la peine d'être rapportée ici; elle me
donne un grand sujet de m'humilier, et je crois en avoir eu la
contrition parfaite.

C'était au mois de mai 1878. Mes sœurs me trouvant trop petite pour
aller aux exercices du mois de Marie tous les soirs, je restais avec la
bonne, et faisais avec elle mes dévotions devant mon autel à moi, que
j'arrangeais à ma façon. Tout était si petit, chandeliers, pots de
fleurs, etc., que deux allumettes-bougies suffisaient pour l'éclairer
parfaitement. Quelquefois Victoire, pour économiser ma provision
d'allumettes, me faisait la surprise de deux véritables bouts de bougie;
mais c'était rare.

Un soir, nous allions nous mettre en prière, je lui dis: «Voulez-vous
commencer le _Souvenez-vous_, je vais allumer.» Elle fit semblant de
commencer, puis me regarda en riant très fort. Moi, qui voyais mes
précieuses allumettes se consumer rapidement, je la suppliai encore une
fois de dire bien vite le _Souvenez-vous_. Même silence! mêmes éclats de
rire! Alors, au comble de l'indignation, je me levai, et, sortant de ma
douceur habituelle, je frappai du pied avec force en criant bien haut:
«Victoire, vous êtes une méchante!» La pauvre fille n'avait plus envie
de rire; elle me regardait, muette d'étonnement, et me montrait, mais
trop tard, la surprise de ses deux bouts de bougie cachés sous son
tablier. Après avoir pleuré de colère, hélas! je versai des larmes de
contrition; j'étais toute honteuse et désolée et je pris la ferme
résolution de ne plus jamais recommencer.

Peu de temps après, j'allai me confesser. Bien doux souvenir pour moi!
Pauline me disait: «Ma petite Thérèse, ce n'est pas à un homme, mais au
bon Dieu lui-même que tu vas avouer tes péchés.» J'en devins si
persuadée que je lui demandai sérieusement s'il ne fallait pas dire à M.
l'abbé D*** _que je l'aimais de tout mon cœur_, puisque c'était au
bon Dieu que j'allais parler en sa personne.

Bien instruite de tout ce que je devais faire, j'entrai au
confessionnal, et, me tournant juste en face du prêtre pour mieux le
voir, je me confessai et reçus sa bénédiction avec un grand esprit de
foi;--ma sœur m'ayant assuré qu'à ce moment solennel les larmes du
petit Jésus allaient purifier mon âme.--Je me souviens de l'exhortation
qui me fut adressée: elle m'invitait surtout à la dévotion envers la
sainte Vierge; et je me promis de redoubler de tendresse pour celle qui
tenait déjà une bien grande place dans mon cœur.

Enfin, je passai mon petit chapelet pour le faire bénir, et je sortis du
confessionnal si contente et si légère que jamais je n'avais senti
autant de joie. C'était le soir. Arrivée sous un réverbère je m'arrêtai,
et tirant de ma poche le chapelet nouvellement bénit, je le tournai et
retournai dans tous les sens. «Que regardes-tu, ma petite Thérèse?» me
dit Pauline. «Mais, je regarde _comment c'est fait, un chapelet bénit_!»
Cette naïve réponse amusa beaucoup mes sœurs. Pour moi, je restai
bien longtemps pénétrée de la grâce que j'avais reçue; depuis, je
voulais me confesser aux grandes fêtes, et cette confession, je puis le
dire, remplissait d'allégresse tout mon petit intérieur.

_Les fêtes!_... Ah! que de souvenirs embaumés ce simple mot me
rappelle!... _Les fêtes!_... je les aimais tant! Mes sœurs savaient
si bien m'expliquer les mystères cachés en chacune d'elles! Oui, ces
jours de la terre devenaient pour moi des jours du ciel. J'aimais
surtout les processions du Saint Sacrement. Quelle joie de semer des
fleurs sous les pas du bon Dieu! Mais, avant de les y laisser tomber, je
les lançais bien haut et je n'étais jamais aussi heureuse qu'en voyant
mes roses effeuillées toucher l'ostensoir sacré.

_Les fêtes!_ Ah! si les grandes étaient rares, chaque semaine en
ramenait une bien chère à mon cœur: _le dimanche_. Quelle journée
radieuse! C'était la fête du bon Dieu, la fête du _repos_. D'abord,
toute la famille partait à la grand'messe; et je me rappelle qu'au
moment du sermon,--notre chapelle étant éloignée de la chaire--il
fallait descendre et trouver des places dans la nef, ce qui n'était pas
très facile. Mais, pour la petite Thérèse et son père, tout le monde
s'empressait de leur offrir des chaises. Mon oncle se réjouissait en
nous voyant arriver tous les deux; il m'appelait _son petit rayon de
soleil_, et disait que, de voir ce vénérable patriarche conduisant par
la main sa petite fille, c'était un tableau qui le ravissait.

Moi, je ne m'inquiétais guère d'être regardée, je ne m'occupais que
d'écouter attentivement le prêtre. Un sermon sur la Passion de
Notre-Seigneur fut le premier que je compris et qui me toucha
profondément; j'avais alors cinq ans et demi, et depuis je pus saisir
et goûter le sens de toutes les instructions.

Quand il était question de sainte Thérèse, mon père se penchait et me
disait tout bas: «Ecoute bien, ma petite reine, on parle de ta sainte
patronne.» J'écoutais bien, en effet, mais je l'avoue, je regardais plus
souvent papa que le prédicateur. Sa belle figure me disait tant de
choses! Parfois ses yeux se remplissaient de larmes qu'il s'efforçait
vainement de retenir. En écoutant les vérités éternelles, il semblait
déjà ne plus habiter la terre; son âme me paraissait plongée dans un
autre monde. Hélas! sa course était loin, bien loin d'être à son terme:
de longues et douloureuses années devaient s'écouler encore avant que le
beau ciel s'ouvrît à ses yeux et que le Seigneur, de sa main divine,
essuyât les larmes amères de son fidèle serviteur.

Je reviens à ma journée du dimanche. Cette joyeuse fête qui passait si
rapidement avait bien aussi sa teinte de mélancolie: mon bonheur était
sans mélange jusqu'à complies; mais, à partir de cet office du soir, un
sentiment de tristesse envahissait mon âme: je pensais que le lendemain
il faudrait recommencer la vie, travailler, apprendre des leçons, et mon
cœur sentait l'exil de la terre, je soupirais après le repos du ciel,
le dimanche sans couchant de la vraie patrie!

Avant de rentrer aux Buissonnets, ma tante nous invitait, les unes après
les autres, à passer la soirée chez elle: j'étais bien heureuse quand
venait mon tour. J'écoutais avec un plaisir extrême tout ce que mon
oncle disait; ses conversations sérieuses m'intéressaient beaucoup; il
ne se doutait pas certainement de l'attention que j'y prenais.
Toutefois, ma joie était mêlée de frayeur quand il m'asseyait sur un
seul de ses genoux, en chantant _Barbe-bleue_ d'une voix formidable!

Vers huit heures, mon père venait me chercher. Alors je me souviens que
je regardais les étoiles avec un ravissement inexprimable... Il y avait
surtout au firmament profond un groupe de perles d'or (le baudrier
d'Orion) que je remarquais avec délices, lui trouvant la forme d'un T--

    *****
      *
      *
      *

--et je disais en chemin à mon père chéri: «Regarde, papa, _mon nom est
écrit dans le ciel!_» Puis, ne voulant plus rien voir de la vilaine
terre, je lui demandais de me conduire; et, sans regarder où je posais
les pieds, je mettais ma petite tête bien en l'air, ne me lassant pas de
contempler l'azur étoilé.

       *       *       *       *       *

Que pourrais-je dire des veillées d'hiver aux Buissonnets? Après la
partie de damier, mes sœurs lisaient l'_Année liturgique_: puis
quelques pages d'un livre intéressant et instructif à la fois. Pendant
ce temps, je prenais place sur les genoux de mon père; et, la lecture
terminée, il chantait, de sa belle voix, des refrains mélodieux comme
pour m'endormir. Alors j'appuyais ma tête sur son cœur, et lui me
berçait doucement...

Enfin nous montions pour faire la prière; et, là encore, j'avais ma
place auprès de mon bon père, n'ayant qu'à le regarder pour savoir
comment prient les saints. Ensuite, Pauline me couchait; après quoi je
lui disais invariablement: «Est-ce que j'ai été mignonne
aujourd'hui?--Est-ce que le bon Dieu est content de moi?--Est-ce que les
petits anges vont voler autour de moi?...» Toujours la réponse était
_oui_: autrement, j'aurais passé la nuit tout entière à pleurer. Après
cet interrogatoire, mes sœurs m'embrassaient, et la petite Thérèse
restait seule dans l'obscurité.

Je regarde comme une vraie grâce d'avoir été habituée dès l'enfance à
surmonter mes frayeurs. Parfois, Pauline m'envoyait seule le soir
chercher quelque chose dans une chambre éloignée; elle ne souffrait
point de refus, et cela m'était nécessaire, car je serais devenue très
peureuse; tandis qu'à présent, il est bien difficile de m'effrayer. Je
me demande comment ma petite mère a pu m'élever avec tant d'amour, sans
me gâter, car elle ne me passait aucune imperfection: jamais elle ne me
faisait de reproches sans sujet, mais jamais non plus,--je le savais
bien--elle ne revenait sur une chose décidée.

Cette sœur chérie recevait mes confidences les plus intimes; elle
éclairait tous mes doutes. Un jour, je lui témoignais ma surprise de ce
que le bon Dieu ne donne pas une gloire égale dans le ciel à tous les
élus; j'avais peur que tous ne fussent pas heureux. Alors elle m'envoya
chercher le grand verre de papa et le mit à coté de mon petit dé; puis,
les remplissant d'eau tous deux, elle me demanda lequel paraissait le
plus rempli. Je lui dis que je les voyais aussi pleins l'un que l'autre,
et qu'il était impossible de leur verser plus d'eau qu'ils n'en
pouvaient contenir. Pauline me fit alors comprendre qu'au ciel le
dernier des élus n'envierait pas le bonheur du premier. C'est ainsi que,
mettant à ma portée les plus sublimes secrets, elle donnait à mon âme la
nourriture qui lui était nécessaire.

       *       *       *       *       *

Avec quelle joie je voyais arriver chaque année la distribution des
prix! Bien que toute seule à concourir, la justice, comme toujours, n'en
était pas moins gardée; je n'avais que les récompenses absolument
méritées. Le cœur me battait bien fort en écoutant ma sentence, en
recevant des mains de mon père, devant toute la famille réunie, les prix
et les couronnes. C'était pour moi comme une image du jugement!

Hélas! en voyant papa si radieux, je ne prévoyais pas les grandes
épreuves qui l'attendaient. Un jour cependant, le bon Dieu me montra
dans une vision extraordinaire l'image vivante de cette douleur à venir.

Mon père était en voyage et ne devait pas revenir de si tôt; il pouvait
être deux ou trois heures de l'après-midi: le soleil brillait d'un vif
éclat et toute la nature semblait en fête. Je me trouvais seule à une
fenêtre donnant sur le jardin potager, l'esprit tout occupé de pensées
riantes; quand je vis devant la buanderie, en face de moi, un homme vêtu
absolument comme papa, ayant la même taille élevée et la même démarche,
mais de plus très courbé et vieilli. Je dis _vieilli_, pour dépeindre
l'ensemble général de sa personne; car je ne voyais point son visage, sa
tête étant couverte d'un voile épais. Il s'avançait lentement, d'un pas
régulier, longeant mon petit jardin. Aussitôt, un sentiment de frayeur
surnaturelle me saisit et j'appelai bien haut d'une voix tremblante:
«Papa! Papa!...» Mais le mystérieux personnage ne semblait pas
m'entendre; il continua sa marche sans même se détourner, et se dirigea
ainsi vers un bouquet de sapins qui partageait l'allée principale du
jardin. Je m'attendais à le voir reparaître de l'autre côté des grands
arbres; mais _la vision prophétique_ s'était évanouie!

Tout cela n'avait duré qu'un instant: un instant qui se grava si
profondément dans ma mémoire, qu'aujourd'hui encore, après tant
d'années, le souvenir m'en est aussi présent que la vision elle-même.

Mes sœurs étaient ensemble dans une chambre voisine. M'entendant
appeler papa, elles ressentirent elles-mêmes une impression de frayeur.
Dissimulant son émotion, Marie accourut vers moi: «Pourquoi donc, me
dit-elle, appelles-tu ainsi papa qui est à Alençon?» Je racontai ce que
je venais de voir, et, pour me rassurer, on me dit que la bonne, voulant
sans doute me faire peur, s'était caché la tête avec son tablier.

Mais Victoire interrogée assura n'avoir pas quitté sa cuisine;
d'ailleurs, la vérité ne pouvait s'obscurcir dans mon esprit: _j'avais
vu un homme, et cet homme ressemblait absolument à papa._ Alors nous
allâmes toutes derrière le massif d'arbres, et, n'ayant rien trouvé, mes
sœurs me dirent de ne plus penser à cela. Ne plus y penser! Ah! ce
n'était pas en mon pouvoir. Bien souvent mon imagination me représentait
cette vision mystérieuse. Bien souvent je cherchais à soulever le voile
qui m'en dérobait le sens, et je gardais au fond du cœur la
conviction intime qu'il me serait un jour entièrement révélé.

Et vous connaissez tout, ma Mère bien-aimée! Vous le savez maintenant:
c'était bien mon père que le bon Dieu m'avait fait voir, s'avançant
courbé par l'âge, et portant sur son visage vénérable, sur sa tête
blanchie, le signe de sa grande épreuve. Comme la Face adorable de Jésus
fut voilée pendant sa Passion, ainsi la face de son fidèle serviteur
devait être voilée aux jours de son humiliation, afin de pouvoir
rayonner avec plus d'éclat dans les cieux. Ah! combien j'admire la
conduite de Dieu nous montrant d'avance cette croix précieuse, comme un
père fait entrevoir à ses enfants l'avenir glorieux qu'il leur prépare,
et se complaît, dans son amour, à considérer lui-même les richesses sans
prix qui doivent être leur héritage!

Mais une réflexion me vient à l'esprit: «Pourquoi le bon Dieu a-t-il
donné cette lumière à une enfant qui, si elle l'avait comprise, serait
morte de douleur?» Pourquoi?... Voilà un de ces mystères impénétrables
que nous comprendrons seulement au ciel pour en faire le sujet de notre
éternelle admiration! Mon Dieu, que vous êtes bon! Comme vous
proportionnez les épreuves à nos forces! Je n'avais pas même le courage
en ce temps-là de penser, sans effroi, que papa pouvait mourir. Il était
un jour monté sur le haut d'une échelle et, comme je restais là tout
près, il me dit: «Eloigne-toi, ma petite reine, car, si je tombe, je
vais t'écraser.» Aussitôt je ressentis une révolte intérieure et,
m'approchant plus près encore de l'échelle, je pensai:»Au moins, si
papa tombe, je ne vais pas avoir la douleur de le voir mourir, je vais
mourir avec lui.»

Non, je ne puis dire combien j'aimais mon père! Tout en lui me causait
de l'admiration. Quand il m'expliquait ses pensées sur des choses très
sérieuses,--comme si j'avais été une grande fille--je lui disais
naïvement: «Bien sûr, papa, que si tu parlais ainsi aux grands hommes du
gouvernement, ils te prendraient pour te faire roi, alors la France
serait heureuse comme jamais elle ne l'a été; mais toi, tu serais
malheureux, puisque c'est le sort de tous les rois; et puis tu ne serais
plus mon roi à moi toute seule, aussi j'aime mieux qu'ils ne te
connaissent pas.»

       *       *       *       *       *

Vers l'âge de six ou sept ans, je vis la mer pour la première fois. Ce
spectacle me causa une impression profonde, je ne pouvais en détacher
mes yeux. Sa majesté, le mugissement de ses flots, tout parlait à mon
âme de la grandeur et de la puissance du bon Dieu. Je me rappelle que,
sur la plage, un monsieur et une dame me regardèrent longtemps, et,
demandant à papa si je lui appartenais, ils dirent que j'étais une bien
jolie petite fille. Aussitôt mon père leur fit signe de ne pas
m'adresser de compliment. J'éprouvai du plaisir en entendant cela, car
je ne me trouvais pas gentille; mes sœurs faisaient une si grande
attention à ne tenir jamais aucun langage capable de me faire perdre ma
simplicité et ma candeur enfantines! Aussi, comme je les croyais
uniquement, je n'attachai pas grande importance aux paroles et aux
regards admiratifs de ces personnes, et je n'y pensai plus.

Le soir de ce jour, à l'heure où le soleil semble se baigner dans
l'immensité des flots, laissant devant lui un sillon lumineux, j'allai
m'asseoir avec Pauline sur un rocher désert; je contemplai longtemps ce
sillon d'or qu'elle me disait être l'image de la grâce illuminant
ici-bas le chemin des âmes fidèles. Alors je me représentai mon cœur
au milieu du sillon, comme une petite barque légère à la gracieuse voile
blanche, et je pris la résolution de ne jamais l'éloigner du regard de
Jésus, afin qu'il pût voguer en paix et rapidement vers le rivage des
cieux.

[Illustration]

[Illustration: LE SEIGNEUR A ÉTENDU SA MAIN. IL M'A DÉLIVRÉ DE MON
TERRIBLE ADVERSAIRE. IL M'A SAUVÉE PARCE QU'IL S'EST COMPLU EN MOI. Ps.
XVIII]



CHAPITRE III

Le pensionnat.--Douloureuse séparation. Maladie étrange. Un visible
sourire de la Reine du Ciel.


J'avais huit ans et demi lorsque Léonie sortit de pension et je la
remplaçai à l'Abbaye des Bénédictines de Lisieux. Je fus placée dans une
classe d'élèves toutes plus grandes que moi: l'une d'elles, âgée de
quatorze ans, était peu intelligente, mais savait cependant en imposer
aux pensionnaires. Me voyant si jeune, presque toujours la première aux
compositions, et chérie de toutes les religieuses, elle en éprouva de la
jalousie et me fit payer de mille manières mes petits succès. Avec ma
nature timide et délicate, je ne savais pas me défendre et me contentais
de pleurer sans rien dire. Céline, aussi bien que mes sœurs aînées,
ignorait mon chagrin; mais je n'avais pas assez de vertu pour m'élever
au-dessus de ces misères et mon pauvre petit cœur souffrait beaucoup.

Chaque soir, heureusement, je retrouvais le foyer paternel; alors mon
âme s'épanouissait, je sautais sur les genoux de mon père, lui disant
les notes qui m'avaient été données, et son baiser me faisait oublier
toutes mes peines. Avec quelle joie j'annonçai le résultat de ma
première composition! J'avais le maximum, et pour ma récompense je reçus
une jolie petite pièce blanche que je plaçai dans ma tirelire pour les
pauvres, et qui fut destinée à recevoir presque chaque jeudi une
nouvelle compagne. Ah! j'avais un réel besoin de ces gâteries; il était
bien utile à la petite fleur de plonger souvent ses tendres racines dans
la terre aimée et choisie de la famille, puisqu'elle ne trouvait nulle
part ailleurs le suc nécessaire à sa subsistance.

Tous les jeudis nous avions congé; mais je ne reconnaissais plus les
congés donnés par Pauline, que je passais en grande partie au belvédère
avec papa. Ne sachant pas jouer comme les autres enfants, je ne me
sentais pas une compagne agréable; cependant je faisais de mon mieux
pour imiter les autres, sans jamais y réussir.

       *       *       *       *       *

Après Céline, qui m'était pour ainsi dire indispensable, je recherchais
surtout ma petite cousine Marie, parce qu'elle me laissait libre de
choisir des jeux à mon goût. Nous étions déjà très unies de cœur et
de volonté, comme si le bon Dieu nous eût fait pressentir qu'un jour,
au Carmel, nous embrasserions la même vie religieuse[15].

Bien souvent,--la scène se passait chez mon oncle--Marie et Thérèse
devenaient deux anachorètes très pénitents, ne possédant qu'une pauvre
cabane, un petit champ de blé, et un jardin pour y cultiver quelques
légumes. Leur vie s'écoulait dans une contemplation continuelle;
c'est-à-dire que l'un remplaçait l'autre à l'oraison, quand il fallait
s'occuper de la vie active. Tout se faisait avec une entente, un silence
et des manières parfaitement religieuses. Si nous allions en promenade,
notre jeu continuait même dans la rue: les deux ermites récitaient le
chapelet, se servant de leurs doigts, afin de ne pas montrer leur
dévotion à l'indiscret public. Cependant, un jour, _le solitaire
Thérèse_ s'oublia: ayant reçu un gâteau pour sa collation, il fit, avant
de le manger, un grand signe de croix; et plusieurs profanes du siècle
ne se privèrent pas de sourire.

Notre union de volonté passait quelquefois les bornes. Un soir, en
revenant de l'Abbaye, nous voulûmes imiter la modestie des solitaires.
Je dis à Marie: «Conduis-moi, je vais fermer les yeux.--Je veux les
fermer aussi», me répondit-elle; et chacune fit sa volonté.

Nous marchions sur un trottoir, nous n'avions donc pas à craindre les
voitures. Mais, après une agréable promenade de quelques minutes, où les
deux étourdies savouraient les délices de marcher sans y voir, elles
tombèrent ensemble sur des caisses placées à la porte d'un magasin et
les renversèrent du même coup. Aussitôt, le marchand sortit tout en
colère pour relever sa marchandise; mais les aveugles volontaires
s'étaient bien relevées toutes seules et marchaient à pas précipités,
les yeux grands ouverts et les oreilles aussi, pour entendre les justes
reproches de Jeanne qui paraissait aussi fâchée que le marchand.

       *       *       *       *       *

Je n'ai rien dit encore de mes nouveaux rapports avec Céline. A Lisieux,
les rôles avaient changé: elle était devenue le petit lutin rempli de
malice, et Thérèse une petite fille bien douce, mais pleureuse à
l'excès! Aussi avait-elle besoin d'un défenseur, et qui pourra dire avec
quelle intrépidité ma chère petite sœur se chargeait de cet office?
Nous nous faisions souvent de petits cadeaux, qui, de part et d'autre,
causaient un bonheur sans pareil. Ah! c'est qu'à cet âge nous n'étions
pas blasées; notre âme, dans toute sa fraîcheur, s'épanouissait comme
une fleur printanière, heureuse de recevoir la rosée du matin; la même
brise légère faisait balancer nos corolles. Oui, nos joies étaient
communes: je l'ai bien senti au jour si beau de la première communion de
ma Céline chérie!

J'avais sept ans alors, et n'allais pas encore à l'Abbaye. Qu'il m'est
doux le souvenir de sa préparation! Chaque soir, pendant les dernières
semaines, mes sœurs lui parlaient de la grande action qu'elle allait
faire; moi j'écoutais, avide de me préparer aussi, et lorsqu'on me
disait de me retirer, parce que j'étais trop petite encore, j'avais le
cœur bien gros; je pensais que ce n'était pas trop de quatre ans pour
se préparer à recevoir le bon Dieu.

Un soir, j'entendis ces paroles adressées à mon heureuse petite sœur:
«A partir de ta première communion, il faudra commencer une vie toute
nouvelle.» Aussitôt je pris la résolution de ne pas attendre ce temps-là
pour moi, mais de commencer une vie nouvelle avec Céline.

Pendant sa retraite préparatoire, elle resta tout à fait pensionnaire à
l'Abbaye et son absence me parut bien longue. Enfin son beau jour
arriva. Quelle impression délicieuse il laissa dans mon cœur! C'était
comme le prélude de ma première communion à moi! Ah! que de grâces j'ai
reçues ce jour-là! je le considère comme un des plus beaux de ma vie.

       *       *       *       *       *

Je suis retournée un peu en arrière pour rappeler cet ineffable
souvenir. Maintenant je dois parler de la douloureuse séparation qui
vint briser mon cœur, lorsque Jésus me ravit ma _petite mère_ si
tendrement aimée. Je lui avais dit un jour que je voulais m'en aller
avec elle dans un désert lointain; elle me répondit alors que mon désir
était le sien, mais qu'elle attendrait que je fusse assez grande pour
partir. Cette promesse irréalisable, la petite Thérèse l'avait prise au
sérieux, et quelle ne fut pas sa peine d'entendre sa chère Pauline
parler avec Marie de son entrée prochaine au Carmel! Je ne connaissais
pas le Carmel; mais je comprenais qu'elle me quitterait pour entrer dans
un couvent, je comprenais qu'elle ne m'attendrait pas!

Comment pourrais-je dire l'angoisse de mon cœur? En un instant, la
vie m'apparut dans toute sa réalité: remplie de souffrances et de
séparations continuelles, et je versai des larmes bien amères.
J'ignorais alors la joie du sacrifice; j'étais faible, si faible, que je
regarde comme une grande grâce d'avoir pu supporter sans mourir une
épreuve en apparence bien au-dessus de mes forces.

Je me souviendrai toujours avec quelle tendresse ma petite mère me
consola. Elle m'expliqua la vie du cloître; et voilà qu'un soir, en
repassant toute seule dans mon cœur le tableau qu'elle m'en avait
tracé, je sentis que le Carmel était le désert où le bon Dieu voulait
aussi me cacher. Je le sentis avec tant de force qu'il n'y eut pas le
moindre doute dans mon esprit; ce ne fut pas un rêve d'enfant qui se
laisse entraîner, mais la certitude d'un appel divin. Cette impression
que je ne puis rendre me laissa dans une grande paix.

Le lendemain, je confiai mes désirs à Pauline qui, les regardant comme
la volonté du ciel, me promit de m'emmener bientôt au Carmel pour voir
la Mère Prieure, à qui je pourrais dire mon secret.

Un dimanche fut choisi pour cette solennelle visite. Mon embarras fut
grand quand j'appris que ma cousine Marie, encore assez jeune pour voir
les Carmélites, devait m'accompagner. Il me fallait cependant trouver le
moyen de rester seule; et voici ce qui me vint à la pensée: Je dis à
Marie qu'ayant le privilège de voir la Révérende Mère, nous devions être
bien gentilles, très polies, et pour cela lui confier nos secrets; donc,
l'une après l'autre, il faudrait sortir un moment. Malgré sa répugnance
à confier des secrets qu'elle n'avait pas, Marie me crut sur parole; et
ainsi je pus rester seule avec vous, ma Mère chérie. Ayant entendu mes
grandes confidences et croyant à ma vocation, vous me dîtes néanmoins
qu'on ne recevait pas de postulantes de neuf ans, et qu'il faudrait
attendre mes seize ans. Je dus me résigner, malgré mon vif désir
d'entrer avec Pauline et de faire ma première communion le jour de sa
prise d'Habit.

       *       *       *       *       *

Enfin le 2 octobre arriva! Jour de larmes et de bénédictions où Jésus
cueillit la première de ses fleurs, la fleur choisie qui devait être,
peu d'années après, la Mère de ses sœurs. Pendant que mon père
bien-aimé, accompagné de mon oncle et de Marie, gravissait la montagne
du Carmel pour offrir son premier sacrifice, ma tante me conduisit à la
messe avec mes sœurs et mes cousines. Nous fondions en larmes, si
bien qu'en nous voyant entrer dans l'église, les personnes nous
regardaient avec étonnement; mais cela ne m'empêchait pas de pleurer. Je
me demandais comment le soleil pouvait luire encore sur la terre!

Peut-être trouverez-vous, ma Mère vénérée, que j'exagère un peu ma
peine. Je me rends bien compte, en effet, que ce départ n'aurait pas dû
m'affliger à ce point; mais, je dois l'avouer, mon âme était loin d'être
mûrie; et je devais passer par bien des creusets avant d'atteindre le
rivage de la paix, avant de goûter les fruits délicieux de l'abandon
total et du parfait amour.

L'après-midi de ce 2 octobre 1882, je vis ma Pauline chérie, devenue
sœur Agnès de Jésus, derrière les grilles du Carmel. Oh! que j'ai
souffert à ce parloir! Puisque j'écris l'histoire de mon âme, je dois
tout dire, il me semble! eh bien, j'avoue que je comptai pour rien les
premières souffrances de la séparation, en comparaison de celles qui
suivirent. Moi, qui étais habituée à m'entretenir cœur à cœur avec
ma petite mère, j'obtenais à grand'peine deux ou trois minutes à la fin
des parloirs de famille; bien entendu, je les passais à verser des
larmes et m'en allais le cœur déchiré.

Je ne comprenais pas qu'il eût été impossible de nous donner souvent à
chacune une demi-heure, et qu'il fallait réserver les plus longs moments
à mon petit père et à Marie; je ne comprenais pas, et je disais au fond
de mon cœur: Pauline est perdue pour moi! Mon esprit se développa
d'une façon si étonnante au sein de la souffrance, que je ne tardai pas
à tomber gravement malade.

       *       *       *       *       *

La maladie dont je fus atteinte venait certainement de la jalousie du
démon, qui, furieux de cette première entrée au Carmel, voulait se
venger sur moi du tort bien grand que ma famille devait lui faire dans
l'avenir. Mais il ne savait pas que la Reine du Ciel veillait fidèlement
sur sa petite fleur, qu'elle lui souriait d'en haut et s'apprêtait à
faire cesser la tempête, au moment même où sa tige délicate et fragile
devait se briser sans retour.

A la fin de cette année 1882, je fus prise d'un mal de tête continuel,
mais supportable, qui ne m'empêcha pas de poursuivre mes études; ceci
dura jusqu'à la fête de Pâques 1883. A cette époque, mon père étant allé
à Paris avec mes sœurs aînées, il nous confia, Céline et moi, à mon
oncle et à ma tante.

Un soir que je me trouvais seule avec mon oncle, il me parla de ma mère,
des souvenirs passés, avec une tendresse qui me toucha profondément et
me fit pleurer. Ma sensibilité l'émut lui-même; il fut surpris de me
voir à cet âge les sentiments que j'exprimais, et résolut de me procurer
toutes sortes de distractions pendant les vacances.

Le bon Dieu en avait décidé autrement. Ce soir-là même, mon mal de tête
devint d'une violence extrême, et je fus prise d'un tremblement étrange
qui dura toute la nuit. Ma tante, comme une vraie mère, ne me quitta
pas un instant; elle m'entoura pendant cette maladie de la plus tendre
sollicitude, me prodigua les soins les plus dévoués, les plus délicats.

On devine la douleur de mon pauvre père, lorsqu'à son retour de Paris il
me vit tombée dans cet état désespérant. Il crut bientôt que j'allais
mourir; mais Notre-Seigneur aurait pu lui répondre: «_Cette maladie ne
va pas à la mort, elle est envoyée afin que Dieu soit glorifié._»[16]
Oui, le bon Dieu fut glorifié dans cette épreuve! Il le fut par la
résignation admirable de mon père, il le fut par celle de mes sœurs,
de Marie surtout. Qu'elle a souffert à cause de moi! Combien ma
reconnaissance est grande envers cette sœur chérie! Son cœur lui
dictait ce qui m'était nécessaire, et vraiment un cœur de mère est
bien plus puissant que la science des plus habiles docteurs.

       *       *       *       *       *

Cependant la prise d'habit de sœur Agnès de Jésus approchait, et l'on
évitait d'en parler devant moi de peur de me faire de la peine; pensant
bien que je n'y pourrais pas aller. Au fond du cœur, je croyais
fermement que le bon Dieu m'accorderait la consolation de revoir, ce
jour-là, ma chère Pauline. Oui, je savais bien que cette fête serait
sans nuages, je savais que Jésus n'éprouverait pas sa fiancée par mon
absence; elle qui déjà avait tant souffert de la maladie de sa petite
fille. En effet, je pus embrasser ma _mère chérie_, m'asseoir sur ses
genoux, me cacher sous son voile et recevoir ses douces caresses; je pus
la contempler, si ravissante sous sa blanche parure! Vraiment ce fut un
beau jour au milieu de ma sombre épreuve; mais ce jour, ou plutôt cette
heure, passa vite, et bientôt il me fallut monter dans la voiture qui
m'emporta loin du Carmel!

En arrivant aux Buissonnets, on me fit coucher, bien que je ne
ressentisse aucune fatigue; mais le lendemain je fus reprise violemment
et la maladie devint si grave que, suivant les calculs humains, je ne
devais jamais guérir.

Je ne sais comment décrire un mal aussi étrange: je disais des choses
que je ne pensais pas, j'en faisais d'autres comme y étant forcée malgré
moi; presque toujours je paraissais en délire, et cependant je suis sûre
de n'avoir pas été privée un seul instant de l'usage de ma raison.
Souvent, je restais évanouie pendant des heures, et d'un évanouissement
tel qu'il m'eût été impossible de faire le plus léger mouvement.
Toutefois, au milieu de cette torpeur extraordinaire, j'entendais
distinctement ce qui se disait autour de moi, même à voix basse, je me
le rappelle encore.

Et quelles frayeurs le démon m'inspirait! J'avais peur absolument de
tout: mon lit me semblait entouré de précipices affreux; certains clous,
fixés au mur de la chambre, prenaient à mes yeux l'image terrifiante de
gros doigts noirs carbonisés, et me faisaient jeter des cris
d'épouvante. Un jour, tandis que papa me regardait en silence, son
chapeau qu'il tenait à la main se transforma tout à coup en je ne sais
quelle forme horrible, et je manifestai une si grande frayeur que ce
pauvre père partit en sanglotant.

Mais, si le bon Dieu permettait au démon de s'approcher extérieurement
de moi, il m'envoyait aussi des anges visibles pour me consoler et me
fortifier. Marie ne me quittait pas, jamais elle ne témoignait d'ennui,
malgré toute la peine que je lui donnais; car je ne pouvais souffrir
qu'elle s'éloignât de moi. Pendant les repas, où Victoire me gardait, je
ne cessais d'appeler avec larmes: «Marie! Marie!» Lorsqu'elle voulait
sortir, il fallait que ce fût pour aller à la messe ou pour voir
Pauline; alors seulement, je ne disais rien.

Et Léonie! et ma petite Céline! Que n'ont-elles pas fait pour moi! Le
dimanche, elles venaient s'enfermer des heures entières avec une pauvre
enfant qui ressemblait à une idiote. Ah! mes chères petites sœurs,
que je vous ai fait souffrir!

Mon oncle et ma tante étaient aussi pleins d'affection pour moi. Ma
tante venait tous les jours me voir et m'apportait mille gâteries[17].
Je ne saurais dire combien ma tendresse pour ces chers parents augmenta
pendant cette maladie. Je compris mieux que jamais ce que nous disait
souvent mon père: «Rappelez-vous toujours, mes enfants, que votre oncle
et votre tante ont à votre égard un dévouement peu ordinaire.» Aux jours
de sa vieillesse, il l'expérimenta lui-même; et maintenant, comme il
doit protéger et bénir ceux qui lui prodiguèrent des soins si dévoués!

Dans les moments où la souffrance était moins vive, je mettais ma joie à
tresser des couronnes de pâquerettes et de myosotis pour la Vierge
Marie. Nous étions alors au beau mois de mai, toute la nature se paraît
de fleurs printanières; seule, _la petite fleur_ languissait et semblait
à jamais flétrie! Cependant elle avait un soleil auprès d'elle, et ce
soleil était la statue miraculeuse de la Reine des Cieux. Souvent, bien
souvent, la petite fleur tournait sa corolle vers cet Astre béni.

Un jour, je vis mon père entrer dans ma chambre; il paraissait très
ému, et, s'avançant vers Marie, il lui donna plusieurs pièces d'or avec
une expression de grande tristesse, la priant d'écrire à Paris pour
demander une neuvaine de messes au sanctuaire de Notre-Dame des
Victoires, afin d'obtenir la guérison de sa pauvre petite reine. Ah! que
je fus touchée en voyant sa foi et son amour! Que j'aurais voulu me
lever et lui dire que j'étais guérie! Hélas! mes désirs ne pouvaient
faire un miracle, et il en fallait un bien grand pour me rendre à la
vie! Oui, il fallait un grand miracle, et, ce miracle, Notre-Dame des
Victoires le fit entièrement.

Un dimanche, pendant la neuvaine, Marie sortit dans le jardin, me
laissant avec Léonie qui lisait près de la fenêtre. Au bout de quelques
minutes, je me mis à appeler presque tout bas: «Marie! Marie!» Léonie
étant habituée à m'entendre toujours gémir ainsi n'y fit pas attention;
alors je criai bien haut et Marie revint à moi. Je la vis parfaitement
entrer; mais hélas! pour la première fois, je ne la reconnus pas. Je
cherchais tout autour de moi, je plongeais dans le jardin un regard
anxieux, et je recommençais à appeler: «Marie! Marie!»

C'était une souffrance indicible que cette lutte forcée, inexplicable,
et Marie souffrait peut-être plus encore que sa pauvre Thérèse! Enfin,
après de vains efforts pour se faire reconnaître, elle se tourna vers
Léonie, lui dit un mot tout bas, et disparut pâle et tremblante.

Ma petite Léonie me porta bientôt près de la fenêtre; alors je vis dans
le jardin, sans la reconnaître encore, Marie, qui marchait doucement, me
tendant les bras, me souriant, et m'appelant de sa voix la plus tendre:
«Thérèse, ma petite Thérèse!» Cette dernière tentative n'ayant pas
réussi davantage, ma sœur chérie s'agenouilla en pleurant au pied de
mon lit, et, se tournant vers la Vierge bénie, elle l'implora avec la
ferveur d'une mère qui demande, qui _veut_ la vie de son enfant.
Léonie et Céline l'imitèrent, et ce fut un cri de foi qui força la porte
du ciel.

[Illustration: LA VIERGE DE LA CHAMBRE DE THÉRÈSE

O Marie, si j'étais la Reine du Ciel et si vous étiez Thérèse, je
voudrais être Thérèse pour vous voir la Reine du Ciel! 8 Septembre 1897

_Dernières lignes écrites par St Thérèse de l'Enfant-Jésus._]

Ne trouvant aucun secours sur la terre et près de mourir de douleur, je
m'étais aussi tournée vers ma Mère du ciel, la priant de tout mon
cœur d'avoir enfin pitié de moi.

Tout à coup la statue s'anima! la Vierge Marie devint belle, si belle,
que jamais je ne trouverai d'expression pour rendre cette beauté divine.
Son visage respirait une douceur, une bonté, une tendresse ineffable;
mais, ce qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme, ce fut _son ravissant
sourire_! Alors toutes mes peines s'évanouirent, deux grosses larmes
jaillirent de mes paupières et coulèrent silencieusement...

Ah! c'étaient des larmes d'une joie céleste et sans mélange! _La sainte
Vierge s'est avancée vers moi! elle m'a souri... que je suis heureuse!_
pensai-je; _mais je ne le dirai à personne, car mon bonheur
disparaîtrait_. Puis, sans aucun effort, je baissai les yeux, et je
reconnus ma chère Marie! elle me regardait avec amour, semblait très
émue, et paraissait se douter de la grande faveur que je venais de
recevoir.

Ah! c'était bien à elle, à sa prière touchante, que je devais cette
grâce inexprimable _du sourire de la sainte Vierge_! En voyant mon
regard fixé sur la statue, elle s'était dit: «Thérèse est guérie!» Oui,
la _petite fleur_ allait renaître à la vie, un rayon lumineux de son
_doux soleil_ l'avait réchauffée et délivrée pour toujours de son cruel
ennemi! «_Le sombre hiver venait de finir, les pluies avaient
cessé_[18]», et la fleur de la Vierge Marie se fortifia de telle sorte
que, cinq ans après, elle s'épanouissait sur la montagne fertile du
Carmel.

Comme je l'ai dit, Marie était persuadée que la sainte Vierge en me
rendant la santé m'avait accordé quelque grâce cachée; aussi, lorsque
je fus seule avec elle, je ne pus résister à ses questions si tendres,
si pressantes. Etonnée de voir mon secret découvert sans que j'eusse dit
un seul mot, je le lui confiai tout entier. Hélas! je ne m'étais pas
trompée, mon bonheur allait disparaître et se changer en amertume.
Pendant quatre ans, le souvenir de cette grâce ineffable devint pour moi
une vraie peine d'âme; et je ne devais retrouver mon bonheur qu'aux
pieds de Notre-Dame des Victoires, dans son sanctuaire béni. Là, il me
fut rendu dans toute sa plénitude; je parlerai plus tard de cette
seconde grâce.

       *       *       *       *       *

Voici comment ma joie se changea en tristesse:

Marie, après avoir entendu le récit naïf et sincère de _ma grâce_, me
demanda la permission de tout dire au Carmel; je ne pouvais refuser. A
ma première visite à ce Carmel béni, je fus remplie de joie en voyant ma
petite Pauline avec l'habit de la sainte Vierge. Quels doux instants
pour nous deux! Il y avait tant de choses à se dire! Nous avions tant
souffert! Pour moi, je pouvais à peine parler, mon cœur était trop
plein...

Vous étiez là, ma Mère bien-aimée, et de combien de marques d'affection
ne m'avez-vous pas comblée? Je vis encore d'autres religieuses, et vous
devez vous souvenir qu'elles me questionnèrent sur le miracle de ma
guérison: les unes me demandèrent si la sainte Vierge portait l'Enfant
Jésus; d'autres, si les anges l'accompagnaient, etc. Toutes ces
questions me troublèrent et me firent de la peine; je ne pouvais
répondre qu'une chose: «_La sainte Vierge m'a semblé très belle, je l'ai
vue s'avancer vers moi et me sourire._»

M'apercevant que les carmélites s'imaginaient tout autre chose, je me
figurai avoir menti. Ah! si j'avais gardé mon secret, j'aurais aussi
gardé mon bonheur. Mais la Vierge Marie a permis ce tourment pour le
bien de mon âme; sans cela, peut-être, la vanité se serait glissée dans
mon cœur; au lieu que, l'humiliation devenant mon partage, je ne
pouvais me regarder sans un sentiment de profonde horreur. Mon Dieu,
vous seul savez ce que j'ai souffert!

[Illustration]

[Illustration: O DIEU TU ES UN AUTRE MOI-MÊME, MON CONFIDENT ET MON AMI,
NOUS VIVONS ENSEMBLE DANS UNE DOUCE INTIMITÉ. Ps. LV.]



CHAPITRE IV

Première Communion.--Confirmation.--Lumières et ténèbres.--Nouvelle
séparation. Gracieuse délivrance de ses peines intérieures.


En racontant cette visite au Carmel, je me souviens de la première qui
eut lieu après l'entrée de Pauline. Le matin de ce jour heureux, je me
demandais quel nom me serait donné plus tard. Je savais qu'il y avait
une sœur Thérèse de Jésus; cependant mon beau nom de Thérèse ne
pouvait m'être enlevé. Tout à coup, je pensai au petit Jésus que
j'aimais tant, et je me dis: «Oh! que je serais heureuse de m'appeler
_Thérèse de l'Enfant-Jésus_!» Je me gardai bien toutefois, ma Mère
vénérée, de vous exprimer ce désir; et voilà que vous me dîtes au milieu
de la conversation: «Quand vous viendrez parmi nous, ma chère petite
fille, vous vous appellerez _Thérèse de l'Enfant-Jésus_!» Ma joie fut
grande; et cette heureuse rencontre de pensées me sembla une délicatesse
de mon bien-aimé petit Jésus.

       *       *       *       *       *

Je n'ai pas encore parlé de mon amour pour les images et la lecture; et
pourtant, je dois aux belles images que Pauline me montrait, une des
plus douces joies et des plus fortes impressions qui m'aient excitée à
la pratique de la vertu. J'oubliais les heures en les regardant. Par
exemple, «la petite fleur du divin Prisonnier» me disait tant de choses,
que j'en restais plongée dans une sorte d'extase; je m'offrais à Jésus
pour être sa petite fleur, je voulais le consoler, m'approcher moi aussi
tout près du tabernacle, être regardée, cultivée et cueillie par lui.

Comme je ne savais pas jouer, j'aurais passé ma vie à lire. Heureusement
j'avais pour me guider des anges visibles qui me choisissaient des
livres à la portée de mon âge, capables de me récréer, tout en
nourrissant mon esprit et mon cœur. Je ne devais prendre pour cette
distraction choisie qu'un temps très limité, et c'était là souvent le
sujet de grands sacrifices; parce qu'aussitôt l'heure passée, je me
faisais un devoir d'interrompre immédiatement, au milieu même du passage
le plus intéressant.

Quant à l'impression produite par ces lectures, je dois avouer qu'en
lisant certains récits chevaleresques, je ne comprenais pas toujours le
positif de la vie. C'est ainsi qu'en admirant les actions patriotiques
des héroïnes françaises, particulièrement de la Vénérable Jeanne d'Arc,
je sentais un grand désir de les imiter. Je reçus alors une grâce que
j'ai toujours considérée comme l'une des plus grandes de ma vie; car, à
cet âge, je n'étais pas favorisée des lumières d'en haut comme je le
suis aujourd'hui.

Jésus me fit comprendre que la vraie, l'unique gloire est celle qui
durera toujours; que, pour y parvenir, il n'est pas nécessaire
d'accomplir des œuvres éclatantes, mais plutôt de se cacher aux yeux
des autres et à soi-même, en sorte que la main gauche ignore ce que fait
la droite. Pensant alors que j'étais née pour la gloire, et cherchant le
moyen d'y parvenir, il me fut révélé intérieurement que ma gloire à moi
ne paraîtrait jamais aux regards des mortels, mais qu'elle consisterait
à devenir une sainte.

Ce désir pourrait sembler téméraire, si l'on considère combien j'étais
imparfaite, et combien je le suis encore après tant d'années passées en
religion; cependant je sens toujours la même confiance audacieuse de
devenir une _grande sainte_. Je ne compte pas sur mes mérites, n'en
ayant aucun; mais j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même.
C'est lui seul qui se contentant de mes faibles efforts m'élèvera
jusqu'à lui, me couvrira de ses mérites et me fera sainte. Je ne pensais
pas alors qu'il fallait beaucoup souffrir pour arriver à la sainteté; le
bon Dieu ne tarda pas à me dévoiler ce secret par les épreuves racontées
plus haut.

       *       *       *       *       *

Maintenant je reprends mon récit au point où je l'avais laissé.

Trois mois après ma guérison, mon père me fit faire un agréable voyage;
là, je commençai à connaître le monde. Tout était joie, bonheur autour
de moi; j'étais fêtée, choyée, admirée; en un mot, ma vie pendant quinze
jours ne fut semée que de fleurs. La Sagesse a bien raison de dire que
«_l'ensorcellement des bagatelles séduit l'esprit même éloigné du
mal_[19].» A dix ans, le cœur se laisse facilement éblouir; et
j'avoue que cette existence eut des charmes pour moi. Hélas! comme le
monde s'entend bien à allier les joies de la terre avec le service de
Dieu! Comme il ne pense guère à la mort!

Et cependant, la mort est venue visiter un grand nombre des personnes
que j'ai connues alors, jeunes, riches et heureuses! J'aime à retourner
par la pensée aux lieux enchanteurs où elles ont vécu, à me demander où
elles sont, ce qui leur revient aujourd'hui des châteaux et des parcs où
je les ai vues jouir des commodités de la vie. Et je pense que «_tout
est vanité sur la terre_[20], _hors aimer Dieu et le servir lui
seul_[21].»

Peut-être, Jésus voulait-il me faire connaître le monde avant sa
première visite à mon âme, afin de me laisser choisir plus sûrement la
voie que je devais lui promettre de suivre.

       *       *       *       *       *

Ma première communion me restera toujours comme un souvenir sans nuages.
Il me semble que je ne pouvais être mieux disposée. Vous vous rappelez,
ma Mère, le ravissant petit livre que vous m'aviez donné, trois mois
avant le grand jour? Ce moyen gracieux me prépara d'une façon suivie et
rapide. Si, depuis longtemps, je pensais à ma première communion, il
fallait néanmoins donner à mon cœur un nouvel élan et le remplir de
fleurs nouvelles, comme il était marqué dans le précieux manuscrit.
Chaque jour, je faisais donc un grand nombre de sacrifices et d'actes
d'amour qui se transformaient en autant de fleurs; tantôt c'étaient des
violettes, une autre fois des roses; puis des bluets, des pâquerettes,
des myosotis; en un mot, toutes les fleurs de la nature devaient former
en moi le berceau de Jésus.

Enfin, j'avais Marie qui remplaçait Pauline pour moi.

Chaque soir, je restais bien longtemps près d'elle, avide d'écouter ses
paroles; que de belles choses elle me disait! Il me semble que tout son
cœur si grand, si généreux, passait en moi. Comme les guerriers
antiques apprenaient à leurs enfants le métier des armes, ainsi
m'apprenait-elle le combat de la vie, excitant mon ardeur et me montrant
la palme glorieuse. Elle me parlait encore des richesses immortelles
qu'il est si facile d'amasser chaque jour, du malheur de les fouler aux
pieds quand il n'y a, pour ainsi dire, qu'à se baisser pour les
recueillir.

Qu'elle était éloquente cette sœur chérie! J'aurais voulu n'être pas
seule à entendre ses profonds enseignements; je croyais dans ma naïveté
que les plus grands pécheurs se seraient convertis en l'écoutant, et
que, laissant là leurs richesses périssables, ils n'eussent plus
recherché que celles du ciel.

A cette époque, il m'eût été bien doux de faire oraison; mais Marie, me
trouvant assez pieuse, ne me permettait que mes seules prières vocales.
Un jour, à l'Abbaye, une de mes maîtresses me demanda quelles étaient
mes occupations les jours de congé, quand je restais aux Buissonnets. Je
répondis timidement: «Madame, je vais bien souvent me cacher dans un
petit espace vide de ma chambre, qu'il m'est facile de fermer avec les
rideaux de mon lit, et là, _je pense_...--Mais à quoi pensez-vous? me
dit en riant la bonne religieuse.--Je pense au bon Dieu, à la rapidité
de la vie, à l'éternité; enfin, _je pense_!» Cette réflexion ne fut pas
perdue, et plus tard ma maîtresse aimait à me rappeler le temps où _je
pensais_, me demandant _si je pensais encore_... Je comprends
aujourd'hui que je faisais alors une véritable oraison, dans laquelle le
divin Maître instruisait doucement mon cœur.

       *       *       *       *       *

Les trois mois de préparation à ma première communion passèrent vite;
bientôt je dus entrer en retraite et pendant ce temps devenir grande
pensionnaire. Ah! quelle retraite bénie! Je ne crois pas que l'on puisse
goûter une semblable joie ailleurs que dans les communautés religieuses:
le nombre des enfants étant petit, il est d'autant plus facile de
s'occuper de chacune. Oui, je l'écris avec une reconnaissance filiale:
nos maîtresses de l'Abbaye nous prodiguaient alors des soins vraiment
maternels. Je ne sais pour quel motif, mais je m'apercevais bien
qu'elles veillaient plus encore sur moi que sur mes compagnes.

Chaque soir, la première maîtresse venait avec sa petite lanterne ouvrir
doucement les rideaux de mon lit, et déposait sur mon front un tendre
baiser. Elle me témoignait tant d'affection, que, touchée de sa bonté,
je lui dis un soir: «O Madame, je vous aime bien, aussi je vais vous
confier un grand secret.» Tirant alors mystérieusement le précieux petit
livre du Carmel, caché sous mon oreiller, je le lui montrai avec des
yeux brillants de joie. Elle l'ouvrit bien délicatement, le feuilleta
avec attention et me fit remarquer combien j'étais privilégiée.
Plusieurs fois, en effet, pendant ma retraite, je fis l'expérience que
bien peu d'enfants, comme moi privées de leur mère, sont aussi choyées
que je l'étais à cet âge.

J'écoutais avec beaucoup d'attention les instructions données par M.
l'abbé Domin, et j'en faisais soigneusement le résumé. Pour mes pensées,
je ne voulus en écrire aucune, disant que je me les rappellerais bien;
ce qui fut vrai.

Avec quel bonheur je me rendais à tous les offices comme les
religieuses! Je me faisais remarquer au milieu de mes petites compagnes
par un grand crucifix donné par ma chère Léonie; je le passais dans ma
ceinture à la façon des missionnaires, et l'on crut que je voulais
imiter ainsi ma sœur carmélite. C'était bien vers elle, en effet, que
s'envolaient souvent mes pensées et mon cœur! Je la savais en
retraite aussi; non pas, il est vrai, pour que Jésus se donnât à elle,
mais pour se donner elle-même tout entière à Jésus, et cela le jour même
de ma première communion. Cette solitude passée dans l'attente me fut
donc doublement chère.

Enfin le beau jour entre tous les jours de la vie se leva pour moi!
Quels ineffables souvenirs laissèrent dans mon âme les moindres détails
de ces heures du ciel! Le joyeux réveil de l'aurore, les baisers
respectueux et tendres des maîtresses et des grandes compagnes, la
chambre de toilette remplie de _flocons neigeux_, dont chaque enfant se
voyait revêtue à son tour; surtout l'entrée à la chapelle et le chant du
cantique matinal:

    O saint autel qu'environnent les anges!

Mais je ne veux pas et ne pourrais pas tout dire... Il est de ces choses
qui perdent leur parfum dès qu'elles sont exposées à l'air; il est des
pensées intimes qui ne peuvent se traduire dans le langage de la terre,
sans perdre aussitôt leur sens profond et céleste!

Ah! qu'il fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme! Oui, ce fut un
baiser d'amour! Je me sentais aimée, et je disais aussi: «Je vous aime,
je me donne à vous pour toujours!» Jésus ne me fit aucune demande, il ne
réclama aucun sacrifice. Depuis longtemps déjà, lui et la petite Thérèse
s'étaient regardés et compris... Ce jour-là, notre rencontre ne pouvait
plus s'appeler un simple regard, mais une _fusion_. Nous n'étions plus
deux: Thérèse avait disparu comme la goutte d'eau qui se perd au sein de
l'océan, Jésus restait seul; il était le Maître, le Roi! Thérèse ne lui
avait-elle pas demandé de lui ôter sa liberté? Cette liberté lui faisait
peur; elle se sentait si faible, si fragile, que pour jamais elle
voulait s'unir à la Force divine.

Et voici que sa joie devint si grande, si profonde, qu'elle ne put la
contenir. Bientôt des larmes délicieuses l'inondèrent, au grand
étonnement de ses compagnes qui, plus tard, se disaient l'une à l'autre:
«Pourquoi donc a-t-elle pleuré? N'avait-elle pas une inquiétude de
conscience?--Non, c'était plutôt de ne pas avoir près d'elle sa mère ou
sa sœur carmélite qu'elle aime tant!» Et personne ne comprenait que
toute la joie du ciel venant dans un cœur, ce cœur exilé, faible
et mortel, ne peut la supporter sans répandre des larmes...

Comment l'absence de ma mère m'aurait-elle fait de la peine le jour de
ma première communion? Puisque le ciel habitait dans mon âme: en
recevant la visite de Jésus, je recevais aussi celle de ma mère
chérie... Je ne pleurais pas davantage l'absence de Pauline; nous étions
plus unies que jamais! Non, je le répète, la joie seule, ineffable,
profonde, remplissait mon cœur.

L'après-midi, je prononçai au nom de mes compagnes, l'acte de
Consécration à la Sainte Vierge. Mes maîtresses me choisirent sans
doute, parce que j'avais été privée bien jeune de ma mère de la terre.
Ah! je mis tout mon cœur à me consacrer à la Vierge Marie, à lui
demander de veiller sur moi! Il me semble qu'elle regarda sa _petite
fleur_ avec amour et lui sourit encore. Je me souvenais de son _visible_
sourire qui m'avait autrefois guérie et délivrée; je savais bien ce que
je lui devais! Elle-même, le matin de ce 8 mai, n'était-elle pas venue
déposer dans le calice de mon âme, son Jésus, _la Fleur des champs et le
Lis des vallées_[22]?

Au soir de ce beau jour, papa, prenant la main de sa petite reine, se
dirigea vers le Carmel; et je vis ma Pauline devenue l'épouse de Jésus:
je la vis avec son voile blanc comme le mien et sa couronne de roses. Ma
joie fut sans amertume; j'espérais la rejoindre bientôt, et attendre à
ses côtés le ciel...

Je ne fus pas insensible à la fête de famille préparée aux Buissonnets.
La jolie montre que me donna mon père me fit un grand plaisir; et
cependant mon bonheur était tranquille, rien ne pouvait troubler ma paix
intime. Enfin, la nuit termina ce beau soir; car les jours les plus
radieux sont suivis de ténèbres: seul, le jour de la première, de
l'éternelle communion de la patrie sera sans couchant!

       *       *       *       *       *

Le lendemain fut couvert à mes yeux d'un certain voile de mélancolie.
Les belles toilettes, les cadeaux que j'avais reçus ne remplissaient pas
mon cœur! Jésus seul désormais pouvait me contenter, et je ne
soupirais qu'après le moment bienheureux où je le recevrais une seconde
fois. Je fis cette seconde communion le jour de l'Ascension, et j'eus le
bonheur de m'agenouiller à la Table sainte entre mon père et ma
bien-aimée Marie. Mes larmes coulèrent encore avec une ineffable
douceur; je me rappelais et me répétais sans cesse les paroles de saint
Paul: «_Ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi[23]!_»
Depuis cette seconde visite de Notre-Seigneur, je n'aspirais plus qu'à
le recevoir. Hélas! les fêtes alors me paraissaient bien éloignées!...

La veille de ces heureux jours, Marie me préparait comme elle l'avait
fait pour ma première communion. Une fois, je m'en souviens, elle me
parla de la souffrance, me disant qu'au lieu de me faire marcher par
cette voie, le bon Dieu, sans doute, me porterait toujours comme un
petit enfant. Ces paroles me revinrent à l'esprit après ma communion du
jour suivant, et mon cœur s'enflamma d'un vif désir de la souffrance,
avec la certitude intime qu'il m'était réservé un grand nombre de croix.
Alors mon âme fut inondée de telles consolations que je n'en ai point eu
de pareilles en toute ma vie. La souffrance devint mon attrait, je lui
trouvai des charmes qui me ravirent, sans toutefois les bien connaître
encore.

Je sentis un autre grand désir: celui de n'aimer que le bon Dieu, de ne
trouver de joie qu'en lui seul. Souvent, pendant mes actions de grâces,
je répétais ce passage de l'Imitation: «_O Jésus! douceur ineffable,
changez pour moi en amertume toutes les consolations de la terre._»[24]
Ces paroles sortaient de mes lèvres sans effort; je les prononçais comme
une enfant qui répète, sans trop comprendre, ce qu'une personne amie lui
inspire. Plus tard je vous dirai, ma Mère, comment Notre-Seigneur s'est
plu à réaliser mon désir; comment il fut toujours, lui seul, ma douceur
ineffable. Si je vous en parlais maintenant, il faudrait anticiper sur
ma vie de jeune fille; et j'ai beaucoup de détails à vous donner encore
sur ma vie d'enfant.

       *       *       *       *       *

Peu de temps après ma première communion, j'entrai de nouveau en
retraite pour ma confirmation. Je m'étais préparée avec beaucoup de soin
à la visite de l'Esprit-Saint; je ne pouvais comprendre qu'on ne fît pas
une grande attention à la réception de ce sacrement d'amour. La
cérémonie n'ayant pas eu lieu au jour marqué, j'eus la consolation de
voir ma solitude un peu prolongée. Ah! que mon âme était joyeuse! Comme
les Apôtres, j'attendais avec bonheur le Consolateur promis, je me
réjouissais d'être bientôt parfaite chrétienne, et d'avoir sur le front,
éternellement gravée, la croix mystérieuse de ce sacrement ineffable.

Je ne sentis pas le vent impétueux de la première Pentecôte; mais plutôt
cette _brise légère_ dont le prophète Elie entendit le murmure sur la
montagne d'Horeb. En ce jour, je reçus _la force_ de souffrir, force qui
m'était bien nécessaire, car le martyre de mon âme devait commencer peu
après.

[Illustration: PENSIONNAT DES BÉNÉDICTINES DE LISIEUX]

[Illustration: THÉRÈSE LE JOUR DE SA PREMIÈRE COMMUNION]

[Illustration: CHŒUR DES RELIGIEUSES _où Thérèse fit sa Première
Communion_.]

Ces délicieuses et inoubliables fêtes passées, je dus reprendre ma vie
de pensionnaire. Je réussissais bien dans mes études et retenais
facilement le sens des choses; j'avais seulement une peine extrême à
apprendre mot à mot. Cependant, pour le catéchisme, mes efforts furent
couronnés de succès. Monsieur l'Aumônier m'appelait son _petit docteur_,
sans doute à cause de mon nom de Thérèse.

Pendant les récréations, je m'amusais bien souvent à contempler de loin
les joyeux ébats de mes compagnes, me livrant à de sérieuses réflexions.
C'était là ma distraction favorite. J'avais aussi inventé un jeu qui me
plaisait beaucoup: je recherchais avec soin les pauvres petits oiseaux
tombés morts sous les grands arbres, et je les ensevelissais
_honorablement_, tous dans le même cimetière, à l'ombre du même gazon.
D'autres fois je racontais des histoires, et souvent de grandes élèves
se mêlaient à mes auditeurs; mais bientôt notre sage maîtresse me
défendit de continuer mon métier d'orateur, voulant nous voir _courir_
et non pas _discourir_.

Je choisis pour amies, en ce temps-là, deux petites filles de mon âge;
mais qu'il est étroit le cœur des créatures! L'une d'elles fut
obligée de rentrer dans sa famille pour quelques mois; pendant son
absence je me gardai bien de l'oublier, et je manifestai une grande joie
de la revoir. Hélas! je n'obtins qu'un regard indifférent! Mon amitié
était incomprise; je le sentis vivement, et ne mendiai plus désormais
une affection si inconstante. Cependant le bon Dieu m'a donné un cœur
si fidèle, que, lorsqu'il a aimé, il aime toujours; aussi je continue de
prier pour cette compagne et je l'aime encore.

En voyant plusieurs élèves s'attacher particulièrement à l'une des
maîtresses, je voulus les imiter, mais ne pus y réussir. O heureuse
impuissance! qu'elle m'a évité de grands maux! Combien je remercie le
Seigneur de ne m'avoir fait trouver qu'amertume dans les amitiés de la
terre! Avec un cœur comme le mien, je me serais laissé prendre et
couper les ailes; alors comment aurais-je pu «_voler et me
reposer_[25]»? Comment un cœur livré à l'affection humaine peut-il
s'unir intimement à Dieu? Je sens que cela n'est pas possible. J'ai vu
tant d'âmes, séduites par cette fausse lumière, s'y précipiter comme de
pauvres papillons et se brûler les ailes, puis revenir blessées vers
Jésus, le feu divin qui brûle sans consumer!

Ah! je le sais, Nôtre-Seigneur me connaissait trop faible pour m'exposer
à la tentation; sans doute, je me serais entièrement brûlée à la
trompeuse lumière des créatures: mais elle n'a pas brillé à mes yeux.
Là, où des âmes fortes rencontrent la joie et s'en détachent par
fidélité, je n'ai rencontré qu'affliction. Où est donc mon mérite de ne
m'être pas livrée à ces attaches fragiles, puisque je n'en fus préservée
que par un doux effet de la miséricorde de Dieu? Sans lui, je le
reconnais, j'aurais pu tomber aussi bas que sainte Madeleine; et la
profonde parole du divin Maître à Simon le pharisien retentit dans mon
âme avec une grande douceur. Oui, je le sais, «_celui à qui on remet
moins, aime moins_[26]». Mais je sais aussi que Jésus m'a plus remis
qu'à sainte Madeleine. Ah! que je voudrais pouvoir exprimer ce que je
sens! Voici du moins un exemple qui traduira un peu ma pensée:

Je suppose que le fils d'un habile docteur rencontre sur son chemin une
pierre qui le fasse tomber et lui casse un membre. Son père vient
promptement, le relève avec amour, soigne ses blessures, employant à cet
effet toutes les ressources de l'art; et bientôt son fils, complètement
guéri, lui témoigne sa reconnaissance. Sans doute, cet enfant a bien
raison d'aimer un si bon père; mais voici une autre supposition:

Le père, ayant appris qu'il se trouve sur le chemin de son fils une
pierre dangereuse, prend les devants et la retire sans être vu de
personne. Certainement ce fils, objet de sa prévoyante tendresse, ne
sachant pas le malheur dont il est préservé par la main paternelle, ne
lui témoignera aucune reconnaissance, et l'aimera moins que s'il l'eût
guéri d'une blessure mortelle. Mais, s'il vient à tout connaître, ne
l'aimera-t-il pas davantage? Eh bien, c'est moi qui suis cet enfant,
objet de l'amour prévoyant d'un Père «_qui n'a pas envoyé son Verbe pour
racheter les justes, mais les pécheurs_[27]». Il veut que je l'aime,
parce qu'il m'a remis, non pas _beaucoup_, mais _tout_. Sans attendre
que je l'aime beaucoup, comme sainte Madeleine, il m'a fait savoir
comment il m'avait aimée d'un amour d'ineffable prévoyance, afin que
maintenant _je l'aime à la folie_!

J'ai entendu dire bien des fois, pendant les retraites et ailleurs,
qu'il ne s'était pas rencontré une âme pure aimant plus qu'une âme
repentante. Ah! que je voudrais faire mentir cette parole!

       *       *       *       *       *

Mais je suis bien loin de mon sujet, je ne sais plus trop où le
reprendre...

Ce fut pendant ma retraite de seconde communion que je me vis assaillie
par la terrible maladie des scrupules. Il faut avoir passé par ce
martyre pour le bien comprendre. Dire ce que j'ai souffert pendant près
de deux ans me serait impossible! Toutes mes pensées et mes actions les
plus simples me devenaient un sujet de trouble et d'angoisse. Je n'avais
de repos qu'après avoir tout confié à Marie, ce qui me coûtait beaucoup;
car je me croyais obligée de lui dire absolument toutes mes pensées les
plus extravagantes. Aussitôt mon fardeau déposé, je goûtais un instant
de paix; mais cette paix passait comme un éclair, et mon martyre
recommençait! Mon Dieu, quels actes de patience n'ai-je pas fait faire à
ma sœur chérie!

       *       *       *       *       *

Cette année-là, pendant les vacances, nous allâmes passer quinze jours
au bord de la mer. Ma tante, toujours si bonne, si maternelle pour ses
petites filles des Buissonnets, leur procura tous les plaisirs
imaginables: promenades à âne, pêche à l'équille, etc. Elle nous gâtait
même pour notre toilette. Je me souviens qu'un jour elle me donna des
rubans bleu ciel. J'étais encore si enfant, malgré mes douze ans et
demi, que j'éprouvai de la joie en nouant mes cheveux avec ces jolis
rubans. J'en eus tant de scrupule ensuite que je me confessai, à
Trouville même, de ce plaisir enfantin qui me semblait être un péché.

Là, je fis une expérience très profitable:

Ma cousine Marie avait bien souvent la migraine; et ma tante en ces
occasions la câlinait, lui prodiguait les noms les plus tendres, sans
obtenir jamais autre chose que des larmes, avec l'invariable plainte:
«J'ai mal à la tête!» Moi, qui presque chaque jour avais aussi mal à la
tête et ne m'en plaignais pas, je voulus un beau soir imiter Marie. Je
me mis donc en devoir de larmoyer sur un fauteuil, dans un coin du
salon. Bientôt ma grande cousine Jeanne que j'aimais beaucoup s'empressa
autour de moi; ma tante vint aussi et me demanda quelle était la cause
de mes larmes. Je répondis comme Marie: «J'ai mal à la tête!»

Il paraît que cela ne m'allait pas de me plaindre: jamais je ne pus
faire croire que ce mal de tête me fît pleurer. Au lieu de me caresser,
ainsi qu'elle le faisait d'habitude, ma tante me parla comme à une
grande personne. Jeanne me reprocha même, bien doucement, mais avec un
accent de peine, de manquer de confiance et de simplicité envers ma
tante, ne lui disant pas la vraie cause de mes larmes, qu'elle pensait
être un gros scrupule.

Finalement, j'en fus quitte pour mes frais, bien résolue à ne plus
imiter les autres, et je compris la fable _de l'âne et du petit chien_.
J'étais l'âne qui, témoin des caresses prodiguées au petit chien, avait
mis son lourd sabot sur la table pour recevoir aussi sa part de baisers.
Si je ne fus pas renvoyée à coups de bâton, comme le pauvre animal, je
n'en reçus pas moins pourtant la monnaie de ma pièce, et cette monnaie
me guérit pour toujours du désir d'attirer l'attention.

       *       *       *       *       *

Je reviens à ma grande épreuve des scrupules. Elle finit par me rendre
malade, et l'on fut obligé de me faire sortir de pension dès l'âge de
treize ans. Pour terminer mon éducation, mon père me conduisait,
plusieurs fois la semaine, chez une respectable dame de laquelle je
recevais d'excellentes leçons. Ces leçons avaient le double avantage de
m'instruire et de m'approcher du monde.

Dans cette chambre meublée à l'antique, entourée de livres et de
cahiers, j'assistais souvent à de nombreuses visites. La mère de mon
institutrice faisait, autant que possible, les frais de la conversation;
cependant, ces jours-là, je n'apprenais pas grand'chose. Le nez dans mon
livre, j'entendais tout, même ce qu'il eût mieux valu pour moi ne pas
entendre. Une dame disait que j'avais de beaux cheveux, une autre en
sortant demandait quelle était cette jeune fille si jolie. Et ces
paroles, d'autant plus flatteuses qu'on ne les prononçait pas devant
moi, me laissaient une impression de plaisir qui me montrait clairement
combien j'étais remplie d'amour-propre.

Que j'ai compassion des âmes qui se perdent! Il est si facile de
s'égarer dans les sentiers fleuris du monde! Sans doute, pour une âme un
peu élevée, la douceur qu'il offre est mélangée d'amertume, et le vide
immense des désirs ne saurait être rempli par des louanges d'un instant;
mais, je le répète, si mon cœur n'avait pas été élevé vers Dieu dès
son premier éveil, si le monde m'avait souri dès mon entrée dans la vie,
que serais-je devenue? O ma Mère vénérée, avec quelle reconnaissance je
chante les miséricordes du Seigneur! Suivant une parole de la Sagesse,
ne m'a-t-il pas «_retirée du monde avant que mon esprit ne fût corrompu
par sa malice, et que les apparences trompeuses n'eussent séduit mon
âme_[28]»?

En attendant, je résolus de me consacrer tout particulièrement à la très
sainte Vierge, en sollicitant mon admission parmi les Enfants de Marie;
pour cela, je dus rentrer deux fois par semaine au couvent, ce qui me
coûta un peu, je l'avoue, à cause de ma grande timidité. J'aimais
beaucoup, sans doute, mes bonnes maîtresses, et je leur garderai
toujours une vive reconnaissance; mais, je l'ai déjà dit, je n'avais
pas, comme les autres anciennes élèves, une maîtresse particulièrement
amie, avec laquelle il m'eût été possible de passer plusieurs heures.
Alors je travaillais en silence jusqu'à la fin de la leçon d'ouvrage;
et, personne ne faisant attention à moi, je montais ensuite à la tribune
de la chapelle jusqu'à l'heure où mon père venait me chercher.

Je trouvais à cette visite silencieuse ma seule consolation. Jésus
n'était-il pas mon unique Ami? Je ne savais parler qu'à lui seul; les
conversations avec les créatures, même les conversations pieuses, me
fatiguaient l'âme. Il est vrai, dans ces délaissements, j'avais bien
quelques moments de tristesse et je me rappelle que, souvent alors, je
répétais avec consolation cette ligne d'une belle poésie que nous
récitait mon père:

    Le temps est ton navire et non pas ta demeure.

Toute petite, ces paroles me rendaient le courage. Maintenant encore,
malgré les années qui font disparaître tant d'impressions de piété
enfantine, l'image du navire charme toujours mon âme et lui aide à
supporter l'exil. La Sagesse aussi ne dit-elle pas que «_la vie est
comme le vaisseau qui fend les flots agités et ne laisse après lui
aucune trace de son passage rapide_[29]?»

Quand je pense à ces choses, mon regard se plonge dans l'infini; il me
semble toucher déjà le rivage éternel! Il me semble recevoir le
embrassements de Jésus... Je crois voir la Vierge Marie venant à ma
rencontre avec mon père, ma mère, les petits anges mes frères et
sœurs! Je crois jouir enfin, pour toujours, de la vraie, de
l'éternelle vie de famille!

       *       *       *       *       *

Mais avant de me voir assise au foyer paternel des cieux, je devais
souffrir encore bien des séparations sur la terre. L'année où je fus
reçue enfant de la sainte Vierge, elle me ravit ma chère Marie[30],
l'unique soutien de mon âme. Depuis le départ de Pauline, elle restait
mon seul oracle, et je l'aimais tant que je ne pouvais vivre sans sa
douce compagnie.

Aussitôt que j'appris sa détermination, je résolus de ne plus prendre
aucun plaisir ici-bas; je ne puis dire combien de larmes je versai!
D'ailleurs, c'était mon habitude en ce temps-là: je pleurais non
seulement dans les grandes occasions, mais dans les moindres. En voici
quelques exemples:

J'avais un grand désir de pratiquer la vertu, toutefois je m'y prenais
d'une singulière façon: je n'étais pas habituée à me servir; Céline
faisait notre chambre, et moi je ne m'occupais d'aucun travail de
ménage. Il m'arrivait quelquefois, _pour faire plaisir au bon Dieu_, de
couvrir le lit, ou bien le soir d'aller, en l'absence de ma sœur,
rentrer ses boutures et ses pots de fleurs. Comme je l'ai dit, c'était
_pour le bon Dieu tout seul_ que je faisais ces choses; ainsi, je
n'aurais pas dû attendre le merci des créatures. Hélas! il en était tout
autrement; si Céline avait le malheur de ne pas paraître heureuse et
surprise de mes petits services, je n'étais pas contente et le lui
prouvais par mes larmes.

S'il m'arrivait de causer involontairement de la peine à quelqu'un, au
lieu d'en prendre le dessus, je me désolais à m'en rendre malade, ce qui
augmentait ma faute plutôt que de la réparer; et, lorsque je commençais
à me consoler de la faute elle-même, je pleurais d'avoir pleuré.

Je me faisais vraiment des peines de tout! C'est le contraire
maintenant; le bon Dieu me fait la grâce de n'être abattue par aucune
chose passagère. Quand je me souviens d'autrefois, mon âme déborde de
reconnaissance; par suite des faveurs que j'ai reçues du ciel, il s'est
fait en moi un tel changement que je ne suis pas reconnaissable.

       *       *       *       *       *

Lorsque Marie entra au Carmel, ne pouvant plus lui confier mes
tourments, je me tournai du côté des cieux. Je m'adressai aux quatre
petits anges qui m'avaient précédée là-haut, pensant que ces âmes
innocentes, n'ayant jamais connu le trouble et la crainte, devaient
avoir pitié de leur pauvre petite sœur qui souffrait sur la terre. Je
leur parlai avec une simplicité d'enfant, leur faisant remarquer
qu'étant la dernière de la famille, j'avais toujours été la plus aimée,
la plus comblée de tendresses, de la part de mes parents et de mes
sœurs; que, s'ils étaient restés sur la terre, ils m'eussent donné
sans doute les mêmes preuves d'affection. Leur entrée au ciel ne me
paraissait pas être pour eux une raison de m'oublier; au contraire, se
trouvant à même de puiser dans les trésors divins, ils devaient y
prendre pour moi _la paix_, et me montrer ainsi que là-haut on sait
encore aimer.

La réponse ne se fit pas attendre; bientôt la paix vint inonder mon âme
de ses flots délicieux. J'étais donc aimée, non seulement sur la terre,
mais aussi dans le ciel! Depuis ce moment, ma dévotion grandit pour mes
petits frères et sœurs du paradis; j'aimais à m'entretenir avec eux,
à leur parler des tristesses de l'exil et de mon désir d'aller bientôt
les rejoindre dans l'éternelle patrie.

[Illustration: LA PAIX SOIT AVEC TOI]

[Illustration: TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM A MON PÈRE IL VOUS
LE DONNERA. JOAN. XVI. 23]



CHAPITRE V

     La grâce de Noël.--Zèle des âmes.--Première conquête.--Douce
     intimité avec sa sœur Céline.--Elle obtient de son père la
     permission d'entrer au Carmel à quinze ans.--Refus du
     Supérieur.--Elle en réfère à S. G. Mgr Hugonin, évêque de Bayeux.


Si le ciel me comblait de grâces, j'étais loin de les mériter. J'avais
constamment un vif désir de pratiquer la vertu; mais quelles
imperfections se mêlaient à mes actes! Mon extrême sensibilité me
rendait vraiment insupportable; tous les raisonnements étaient
inutiles, je ne pouvais me corriger de ce vilain défaut.

Comment donc osais-je espérer mon entrée prochaine au Carmel? Un petit
miracle était nécessaire pour me faire grandir en un moment; et, ce
miracle tant désiré, le bon Dieu le fit au jour inoubliable du 25
décembre 1886. En cette fête de Noël, en cette nuit bénie, Jésus, le
doux Enfant d'une heure, changea la nuit de mon âme en torrents de
lumière. En se rendant faible et petit pour mon amour, il me rendit
forte et courageuse; il me revêtit de ses armes, et depuis je marchai de
victoire en victoire, commençant pour ainsi dire _une course de géant_.
La source de mes larmes fut tarie et ne s'ouvrit plus que rarement et
difficilement.

Je vous dirai maintenant, ma Mère, en quelle circonstance je reçus cette
grâce inestimable de ma complète conversion:

En arrivant aux Buissonnets, après la Messe de minuit, je savais trouver
dans la cheminée, comme aux jours de ma petite enfance, mes souliers
remplis de gâteries.--Ce qui prouve que, jusque-là, mes sœurs me
traitaient comme un petit bébé.--Mon père lui-même aimait à voir mon
bonheur, à entendre mes cris de joie lorsque je tirais chaque nouvelle
surprise des souliers enchantés, et sa gaieté augmentait encore mon
plaisir. Mais l'heure était venue où Jésus voulait me délivrer des
défauts de l'enfance et m'en retirer les innocentes joies. Il permit que
mon père, contre son habitude de me gâter en toutes circonstances,
éprouvât cette fois de l'ennui. En montant dans ma chambre, je
l'entendis prononcer ces paroles qui me percèrent le cœur: «Pour une
grande fille comme Thérèse, c'est là une surprise trop enfantine; je
l'espère, ce sera la dernière année.»

Céline, connaissant ma sensibilité extrême, me dit tout bas: «Ne
descends pas tout de suite, attends un peu; tu pleurerais trop en
regardant les surprises devant papa.» Mais Thérèse n'était plus la
même... Jésus avait changé son cœur!

Refoulant mes larmes, je descendis rapidement dans la salle à manger;
et, comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers, les
posai devant mon père, et tirai _joyeusement_ tous les objets, ayant
l'air heureux comme une reine. Papa riait, il ne paraissait plus sur son
visage aucune marque de contrariété, et Céline se croyait au milieu d'un
songe! Heureusement c'était une douce réalité: la petite Thérèse venait
de retrouver pour toujours sa force d'âme, autrefois perdue à l'âge de
quatre ans et demi.

En cette nuit lumineuse commença donc la troisième période de ma vie, la
plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du ciel. En un instant,
l'ouvrage que je n'avais pu faire pendant plusieurs années, Jésus
l'accomplit, se contentant de ma bonne volonté. Comme les Apôtres, je
pouvais dire: «_Seigneur, j'ai péché toute la nuit sans rien
prendre_[31].» Plus miséricordieux encore pour moi qu'il ne le fut pour
ses disciples, _Jésus prit lui-même le filet_, le jeta et le retira
plein de poissons; il fit de moi _un pêcheur d'âmes_... La charité entra
dans mon cœur avec le besoin de m'oublier toujours, et depuis lors je
fus heureuse.

       *       *       *       *       *

Un dimanche, en fermant mon livre à la fin de la Messe, une photographie
représentant Notre-Seigneur en croix glissa un peu en dehors des pages,
ne me laissant voir qu'une de ses mains divines percée et sanglante.
J'éprouvai alors un sentiment nouveau, ineffable. Mon cœur se fendit
de douleur à la vue de ce sang précieux qui tombait à terre sans que
personne s'empressât de le recueillir; et je résolus de me tenir
continuellement en esprit au pied de la croix, pour recevoir la divine
rosée du salut et la répandre ensuite sur les âmes.

Depuis ce jour, le cri de Jésus mourant: «_J'ai soif!_» retentissait à
chaque instant dans mon cœur, pour y allumer une ardeur inconnue et
très vive. Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé; je me sentais
dévorée moi-même de la soif des âmes, et je voulais à tout prix arracher
les pécheurs aux flammes éternelles.

Afin d'exciter mon zèle, le bon Maître me montra bientôt que mes désirs
lui étaient agréables. J'entendis parler d'un grand criminel,--du nom de
Pranzini--condamné à mort pour des meurtres épouvantables, et dont
l'impénitence faisait craindre une éternelle damnation. Je voulus
empêcher ce dernier et irrémédiable malheur. Afin d'y parvenir,
j'employai tous les moyens spirituels imaginables; et, sachant que de
moi-même je ne pouvais rien, j'offris pour sa rançon les mérites infinis
de Notre-Seigneur et les trésors de la sainte Eglise.

Faut-il le dire? je sentais au fond de mon cœur la certitude d'être
exaucée. Mais afin de me donner du courage pour continuer de courir à la
conquête des âmes, je fis cette naïve prière: «Mon Dieu, je suis bien
sûre que vous pardonnerez au malheureux Pranzini; je le croirais même
s'il ne se confessait pas et ne donnait aucune marque de contrition,
tant j'ai confiance en votre infinie miséricorde. Mais c'est mon premier
pécheur; à cause de cela, je vous demande seulement _un signe_ de
repentir pour ma simple consolation.»

Ma prière fut exaucée à la lettre!--Jamais mon père ne nous laissait
lire les journaux; cependant je ne crus pas désobéir en regardant les
passages qui concernaient Pranzini. Le lendemain de son exécution,
j'ouvre avec empressement le journal «_la Croix_» et que vois-je?... Ah!
mes larmes trahirent mon émotion et je fus obligée de m'enfuir.
Pranzini, sans confession, sans absolution, était monté sur l'échafaud;
déjà les bourreaux l'entraînaient vers la fatale bascule, quand, remué
tout à coup par une inspiration subite, il se retourne, saisit un
Crucifix que lui présentait le prêtre _et baise par trois fois ses
plaies sacrées_!...

J'avais donc obtenu le signe demandé; et ce signe était bien doux pour
moi! N'était-ce pas devant les plaies de Jésus, en voyant couler son
sang divin, que la soif des âmes avait pénétré dans mon cœur? Je
voulais leur donner à boire ce sang immaculé, afin de les purifier de
leurs souillures; et les lèvres «de mon premier enfant» allèrent se
coller sur les plaies divines! Quelle réponse ineffable! Ah! depuis
cette grâce unique, mon désir de sauver les âmes grandit chaque jour; il
me semblait entendre Jésus me dire tout bas comme à la Samaritaine:
«_Donne-moi à boire!_»[32] C'était un véritable échange d'amour: aux
âmes je versais le sang de Jésus, à Jésus j'offrais ces mêmes âmes
rafraîchies par la rosée du Calvaire; ainsi je pensais le désaltérer;
mais plus je lui donnais à boire, plus la soif de ma pauvre petite âme
augmentait, et je recevais cette soif ardente comme la plus délicieuse
récompense.

       *       *       *       *       *

En peu de temps, le bon Dieu m'avait conduite au delà du cercle étroit
où je vivais. Le grand pas était donc fait; mais hélas! il me restait
encore un long chemin à parcourir.

Dégagé de ses scrupules, de sa sensibilité excessive, mon esprit se
développa. J'avais toujours aimé le grand, le beau; à cette époque, je
fus prise d'un désir extrême de savoir. Ne me contentant pas des leçons
de ma maîtresse, je m'appliquais seule à des sciences spéciales; et, par
ce moyen, j'acquis plus de connaissances en quelques mois seulement que
pendant toutes mes années d'études. Ah! ce zèle n'était-il pas _vanité
et affliction d'esprit_?

Avec ma nature ardente, je me trouvais au moment de la vie le plus
dangereux. Mais le Seigneur fit à mon égard ce que rapporte Ezéchiel
dans ses prophéties:

«_Il a vu que le temps était venu pour moi d'être aimée; il a fait
alliance avec moi, et je suis devenue sienne; il a étendu sur moi son
manteau; il m'a lavée dans les parfums précieux; il m'a revêtue de robes
étincelantes, me donnant des colliers et des parfums sans prix. Il m'a
nourrie de la plus pure farine, de miel et d'huile en abondance. Alors
je suis devenue belle à ses yeux, et il a fait de moi une puissante
reine._»[33]

Oui, Jésus a fait tout cela pour moi! Je pourrais reprendre chaque mot
de cet ineffable passage et montrer qu'il s'est réalisé en ma faveur;
mais les grâces rapportées plus haut en sont déjà une preuve suffisante.
Je vais donc seulement parler de la nourriture que le divin Maître m'a
prodiguée «en abondance».

Depuis longtemps je soutenais ma vie spirituelle avec «la plus pure
farine» contenue dans l'_Imitation_. C'était le seul livre qui me fît du
bien; car je n'avais pas découvert les trésors cachés dans le saint
Evangile. Ce petit livre ne me quittait jamais. Dans la famille on s'en
amusait beaucoup; et souvent, ma tante, l'ouvrant au hasard, me faisait
réciter le chapitre tombé sous ses yeux.

A quatorze ans, avec mon désir de science, le bon Dieu trouva nécessaire
de joindre à «la plus pure farine, du miel et de l'huile en abondance».
Ce miel et cette huile, il me les fit goûter dans les conférences de M.
l'abbé Arminjon sur _la fin du monde présent et les mystères de la vie
future_. La lecture de cet ouvrage plongea mon âme dans un bonheur qui
n'est pas de la terre; je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux
qui l'aiment; et, voyant ces récompenses éternelles si disproportionnées
avec les légers sacrifices de cette vie, je voulais aimer, aimer Jésus
avec passion, lui donner mille marques de tendresse pendant que je le
pouvais encore.

       *       *       *       *       *

Céline était devenue, depuis Noël surtout, la confidente intime de mes
pensées. Jésus, qui voulait nous faire avancer ensemble, forma dans nos
cœurs des liens plus forts que ceux du sang. Il nous fit devenir
_sœurs d'âmes_.

En nous se réalisèrent les paroles de notre Père saint Jean de la Croix,
dans son Cantique spirituel:

        En suivant vos traces, ô mon Bien-Aimé,
    Les jeunes filles parcourent légèrement le chemin.
        L'attouchement de l'étincelle,
        Le vin épicé,
    Leur font produire des aspirations divinement embaumées.

Oui, c'était bien légèrement que nous suivions les traces de Jésus! Les
étincelles brûlantes semées par lui dans nos âmes, le vin délicieux et
fort qu'il nous donnait à boire faisaient disparaître à nos yeux les
choses passagères d'ici-bas; et de nos lèvres sortaient des aspirations
toutes d'amour.

Avec quelle douceur je me rappelle nos conversations d'alors! Chaque
soir, au belvédère, nous plongions ensemble nos regards dans l'azur
profond semé d'étoiles d'or. Il me semble que nous recevions de bien
grandes grâces. Comme le dit l'Imitation: «_Dieu se communique parfois
au milieu d'une vive splendeur, ou bien, doucement voilé sous des ombres
ou des figures._»[34] Ainsi daignait-il se manifester à nos cœurs;
mais que ce voile était transparent et léger! Le doute n'eût pas été
possible; déjà la foi et l'espérance quittaient nos âmes: l'amour nous
faisant trouver sur la terre Celui que nous cherchions. _L'ayant trouvé
seul, il nous avait donné son baiser, afin qu'à l'avenu-personne ne pût
nous mépriser[35]._

Ces divines impressions ne devaient pas rester sans fruit; la pratique
de la vertu me devint douce et naturelle. Au début, mon visage
trahissait le combat; mais, peu à peu, le renoncement me sembla facile,
même au premier instant. Jésus l'a dit: «_A celui qui possède on donnera
encore, et il sera dans l'abondance._»[36] Pour une grâce fidèlement
reçue, il m'en accordait une multitude d'autres. Il se donnait lui-même
à moi dans la sainte communion, plus souvent que je n'aurais osé
l'espérer. J'avais pris pour règle de conduite de faire, bien
fidèlement, toutes les communions permises par mon confesseur, sans lui
demander jamais d'en augmenter le nombre. Aujourd'hui, je m'y prendrais
d'une autre façon; car je suis bien sûre qu'une âme doit dire à son
directeur l'attrait qu'elle sent à recevoir son Dieu. Ce n'est pas pour
rester dans le ciboire d'or qu'il descend _chaque jour_ du ciel, mais
afin de trouver un autre ciel: le ciel de notre âme où il prend ses
délices.

Jésus, qui voyait mon désir, inspirait donc mon confesseur de me
permettre plusieurs communions par semaine; et ces permissions, venant
directement de lui, me comblaient de joie. En ce temps-là, je n'osais
rien dire de mes sentiments intérieurs; la voie par laquelle je marchais
était si droite, si lumineuse, que je ne sentais pas le besoin d'un
autre guide que Jésus. Je comparais les directeurs à des miroirs fidèles
qui reflétaient Nôtre-Seigneur dans les âmes; et je pensais que, pour
moi, le bon Dieu ne se servait pas d'intermédiaire, mais agissait
directement.

       *       *       *       *       *

Lorsqu'un jardinier entoure de soins un fruit qu'il veut faire mûrir
avant la saison, ce n'est jamais pour le laisser suspendu à l'arbre;
c'est afin de le présenter sur une table richement servie. Dans une
intention semblable, Jésus prodiguait ses grâces à sa petite fleurette.
Il voulait faire éclater en moi sa miséricorde; lui qui s'écriait dans
un transport de joie, aux jours de sa vie mortelle: «_Mon Père, je vous
bénis de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents,
pour les révéler aux plus petits._»[37] Parce que j'étais petite et
faible, il s'abaissait vers moi et m'instruisait doucement des secrets
de son amour. Comme le dit saint Jean de la Croix dans son Cantique de
l'âme:

    Je n'avais ni guide, ni lumière,
    Excepté celle qui brillait dans mon cœur.
    Cette lumière me guidait,
    Plus sûrement que celle du midi,
    Au lieu où m'attendait
    Celui qui me connaît parfaitement.

Ce lieu, c'était le Carmel; mais avant _de me reposer à l'ombre de Celui
que je désirais_[38], je devais passer par bien des épreuves. Et
toutefois l'appel divin devenait si pressant que, m'eût-il fallu
traverser les flammes, je m'y serais élancée pour répondre à
Notre-Seigneur.

Seule, ma sœur Agnès de Jésus m'encourageait dans ma vocation; Marie
me trouvait trop jeune, et vous, ma Mère bien-aimée, essayiez aussi,
pour m'éprouver sans doute, de ralentir mon ardeur. Dès le début, je ne
rencontrai qu'obstacles. D'un autre côté, je n'osais rien dire à Céline,
et ce silence me faisait beaucoup souffrir; il m'était si difficile de
lui cacher quelque chose! Bientôt cependant, cette sœur chérie apprit
ma détermination, et, loin d'essayer de m'en détourner, elle accepta le
sacrifice avec un courage admirable. Puisqu'elle voulait être
religieuse, elle aurait dû partir la première; mais, comme autrefois les
martyrs donnaient joyeusement le baiser d'adieu à leurs frères, choisis
les premiers, pour combattre dans l'arène: ainsi me laissa-t-elle
m'éloigner, prenant la même part à mes épreuves que s'il se fût agi de
sa propre vocation.

Du côté de Céline je n'avais donc rien à craindre; mais je ne savais
quel moyen prendre pour annoncer mes projets à mon père. Comment lui
parler de quitter sa reine, lorsqu'il venait de sacrifier ses deux
aînées? De plus, cette année-là, nous l'avions vu malade d'une attaque
de paralysie assez sérieuse dont il se remit promptement, il est vrai,
mais qui ne laissait pas de nous donner pour l'avenir bien des
inquiétudes.

Ah! que de luttes intimes n'ai-je pas souffertes avant de parler!
Cependant il fallait me décider: j'allais avoir quatorze ans et demi,
six mois seulement nous séparaient encore de la belle nuit de Noël, et
j'étais résolue d'entrer au Carmel à l'heure même où, l'année
précédente, j'avais reçu ma grâce de conversion.

Pour faire ma grande confidence je choisis la fête de la Pentecôte.
Toute la journée, je demandai les lumières de l'Esprit-Saint, suppliant
les Apôtres de prier pour moi, de m'inspirer les paroles que j'allais
avoir à dire. N'étaient-ce pas eux, en effet, qui devaient aider
l'enfant timide que Dieu destinait à devenir l'apôtre des apôtres par la
prière et le sacrifice?

L'après-midi, en revenant des Vêpres, je trouvai l'occasion désirée. Mon
père était allé s'asseoir dans le jardin; et là, les mains jointes, il
contemplait les merveilles de la nature. Le soleil couchant dorait de
ses derniers feux le sommet des grands arbres, et les petits oiseaux
gazouillaient leur prière du soir.

Son beau visage avait une expression toute céleste, je sentais que la
paix inondait son cœur. Sans dire un seul mot, j'allai m'asseoir à
ses côtés, les yeux déjà mouillés de larmes. Il me regarda avec une
tendresse indéfinissable, appuya ma tête sur son cœur et me dit:
«Qu'as-tu, ma petite reine? Confie-moi cela...» Puis, se levant comme
pour dissimuler sa propre émotion, il marcha lentement, me pressant
toujours sur son cœur.

[Illustration: _D'après un dessin de «Céline»._

THÉRÈSE A 15 ANS ET SON PÈRE]

    «Qu as tu ma petite reine?... confie-moi cela...»
    A travers mes larmes je parlai du Carmel...

A travers mes larmes je parlai du Carmel, de mes désirs d'entrer
bientôt; alors il pleura lui-même! Toutefois, il ne me dit rien qui pût
me détourner de ma vocation; il me fit simplement remarquer que j'étais
encore bien jeune pour prendre une détermination aussi grave; et, comme
j'insistais, défendant bien ma cause, mon incomparable père avec sa
droite et généreuse nature fut bientôt convaincu. Nous continuâmes
longtemps notre promenade; mon cœur était soulagé, papa ne versait
plus de larmes. Il me parla comme un saint. S'approchant d'un mur peu
élevé, il me montra de petites fleurs blanches, semblables à des lis en
miniature; et, prenant une de ces fleurs, il me la donna, m'expliquant
avec quel soin le Seigneur l'avait fait éclore et conservée jusqu'à ce
jour.

Je croyais écouter mon histoire tant la ressemblance était frappante
entre la petite fleur et la petite Thérèse. Je reçus cette fleurette
comme une relique; et je vis qu'en voulant la cueillir, mon père avait
enlevé toutes ses racines sans les briser: elle paraissait destinée à
vivre encore dans une autre terre plus fertile. Cette même action, papa
venait de la faire pour moi, en me permettant de quitter, pour la
montagne du Carmel, la douce vallée témoin de mes premiers pas dans la
vie.

Je collai ma petite fleur blanche sur une image de Notre-Dame des
Victoires: la sainte Vierge lui sourit, et le petit Jésus semble la
tenir dans sa main. C'est là qu'elle est encore, seulement la tige s'est
brisée tout près de la racine. Le bon Dieu, sans doute, veut me dire par
là qu'il brisera bientôt les liens de sa petite fleur et ne la laissera
pas se faner sur la terre...

Après avoir obtenu le consentement de mon père, je croyais pouvoir
m'envoler sans crainte au Carmel. Hélas! mon oncle, après avoir entendu
à son tour mes confidences, déclara que cette entrée à quinze ans, dans
un ordre austère, lui paraissait contre la prudence humaine; que ce
serait faire tort à la religion de laisser une enfant embrasser une
pareille vie. Il ajouta qu'il allait y mettre de son côté toute
l'opposition possible, et qu'à moins d'un miracle, il ne changerait pas
d'avis.

Je m'aperçus que tous les raisonnements étaient inutiles, et je me
retirai, le cœur plongé dans la plus profonde amertume. Ma seule
consolation était la prière; je suppliais Jésus de faire le miracle
demandé, puisqu'à ce prix seulement je pouvais répondre à son appel. Un
temps assez long s'écoula; mon oncle ne semblait plus se souvenir de
notre entretien; mais j'ai su plus tard que, tout au contraire, je le
préoccupais beaucoup.

Avant de faire luire sur mon âme un rayon d'espérance, le Seigneur
voulut m'envoyer un autre martyre bien douloureux qui dura trois jours.
Oh! jamais je n'ai si bien compris la peine amère de la sainte Vierge et
de saint Joseph, cherchant à travers les rues de Jérusalem le divin
Enfant Jésus. Je me trouvais dans un désert affreux; ou plutôt mon âme
ressemblait au fragile esquif livré sans pilote à la merci des flots
orageux. Je le sais, Jésus était là, dormant sur ma nacelle, mais
comment le voir au milieu d'une si sombre nuit? Si l'orage avait éclaté
ouvertement, un éclair eût peut-être sillonné mes nuages. Sans doute,
c'est une bien triste lueur que celle des éclairs; cependant, à leur
clarté, j'aurais aperçu un instant le Bien-Aimé de mon cœur.

Mais non... c'était la nuit! la nuit profonde, le délaissement complet,
une véritable mort! Comme le divin Maître, au Jardin de l'Agonie, je me
sentais seule, ne trouvant de consolation ni du côté de la terre, ni du
côté des cieux. La nature semblait prendre part à ma tristesse amère:
pendant ces trois jours, le soleil ne montra pas un seul de ses rayons
et la pluie tomba par torrents. J'en fis toujours la remarque: dans
toutes les circonstances de ma vie la nature était l'image de mon âme.
Quand je pleurais, le ciel pleurait avec moi; quand je jouissais, l'azur
du firmament ne se trouvait obscurci d'aucun nuage.

Le quatrième jour qui se trouvait un samedi, j'allai voir mon oncle.
Quelle ne fut pas ma surprise en le trouvant tout changé à mon égard!
D'abord, sans que je lui en eusse témoigné le désir, il me fit entrer
dans son cabinet; puis, commençant par m'adresser de doux reproches sur
ma manière d'être, un peu gênée avec lui, il me dit que le miracle exigé
n'était plus nécessaire; qu'ayant prié le bon Dieu de lui donner une
simple inclination de cœur, il venait de l'obtenir. Je ne le
reconnaissais plus. Il m'embrassa avec la tendresse d'un père, ajoutant
d'un ton bien ému: «Va en paix, ma chère enfant, tu es une petite fleur
privilégiée que le Seigneur veut cueillir, je ne m'y opposerai pas.»

Avec quelle allégresse je repris le chemin des Buissonnets _sous le beau
ciel dont les nuages s'étaient complètement dissipés_! Dans mon âme
aussi la nuit avait cessé. Jésus se réveillant m'avait rendu la joie, je
n'entendais plus le bruit des vagues: au lieu du vent de l'épreuve, une
brise légère enflait ma voile et je me croyais au port! Hélas! plus d'un
orage devait encore s'élever, me faisant craindre à certaines heures, de
m'être éloignée sans retour du rivage si ardemment désiré.

Après avoir obtenu le consentement de mon oncle, j'appris par vous, ma
Mère vénérée, que M. le Supérieur du Carmel ne me permettait pas
d'entrer avant l'âge de vingt et un ans. Personne n'avait pensé à cette
opposition, la plus grave, la plus invincible de toutes. Cependant, sans
perdre courage, j'allai moi-même avec mon père lui exposer mes désirs.
Il me reçut très froidement, et rien ne put changer ses dispositions.
Nous le quittâmes enfin sur un _non_ bien arrêté: «Toutefois,
ajouta-t-il, je ne suis que le délégué de Monseigneur; s'il permet cette
entrée, je n'aurai plus rien à dire.» En sortant du presbytère, nous
nous trouvâmes _sous une pluie torrentielle_; hélas! de gros nuages
aussi chargeaient le firmament de mon âme. Papa ne savait comment me
consoler. Il me promit de me conduire à Bayeux si je le désirais;
j'acceptai avec reconnaissance.

Bien des événements se passèrent avant qu'il nous fût possible
d'accomplir ce voyage. A l'extérieur, ma vie paraissait la même:
j'étudiais, et surtout je grandissais dans l'amour du bon Dieu. J'avais
parfois des élans, de véritables transports...

Un soir, ne sachant comment dire à Jésus que je l'aimais et combien je
désirais qu'il fût partout servi et glorifié, je pensai avec douleur
qu'il ne monterait jamais des abîmes de l'enfer un seul acte d'amour.
Alors je m'écriai que, de bon cœur, je consentirais à me voir plongée
dans ce lieu de tourments et de blasphèmes, pour qu'il y fût aimé
éternellement. Cela ne pourrait le glorifier, puisqu'il ne désire que
notre bonheur; mais, quand on aime, on éprouve le besoin de dire mille
folies. Si je parlais ainsi, ce n'était pas que le ciel n'excitât mon
envie; mais alors, mon ciel à moi n'était autre que _l'amour_, et je
sentais, dans mon ardeur, que rien ne pourrait me détacher de l'objet
divin qui m'avait ravie...

       *       *       *       *       *

Vers cette époque, Nôtre-Seigneur me donna la consolation de voir de
près des âmes d'enfants. Voici en quelle circonstance: pendant la
maladie d'une pauvre mère de famille, je m'occupai beaucoup de ses deux
petites filles dont l'aînée n'avait pas six ans. C'était un vrai plaisir
pour moi de voir avec quelle candeur elles ajoutaient foi à tout ce que
je leur disais. Il faut que le saint baptême dépose dans les âmes un
germe bien profond des vertus théologales puisque, dès l'enfance,
l'espoir des biens futurs suffit pour faire accepter des sacrifices.
Lorsque je voulais voir mes deux petites filles bien conciliantes entre
elles, au lieu de leur promettre des jouets et des bonbons, je leur
parlais des récompenses éternelles que le petit Jésus donnera aux
enfants sages. L'aînée, dont la raison commençait à se développer, me
regardait avec une expression de vive joie et me faisait mille questions
charmantes sur le petit Jésus et son beau ciel. Elle me promettait
ensuite avec enthousiasme de toujours céder à sa sœur, ajoutant que,
jamais de sa vie, elle n'oublierait les leçons de «la grande
demoiselle»--c'est ainsi qu'elle m'appelait.

Considérant ces âmes innocentes, je les comparais à une cire molle sur
laquelle on peut graver toute empreinte; celle du mal, hélas! comme
celle du bien; et je compris la parole de Jésus: _Qu'il vaudrait mieux
être jeté à la mer que de scandaliser un seul de ces petits
enfants_[39]. Ah! que d'âmes arriveraient à une haute sainteté si, dès
le principe, elles étaient bien dirigées!

Je le sais, Dieu n'a besoin de personne pour accomplir son œuvre de
sanctification; mais, comme il permet à un habile jardinier d'élever des
plantes rares et délicates, lui donnant à cet effet la science
nécessaire, tout en se réservant le soin de féconder; ainsi veut-il être
aidé dans sa divine culture des âmes. Qu'arriverait-il si un
horticulteur maladroit ne greffait pas bien ses arbres? s'il ne savait
pas reconnaître la nature de chacun et voulait faire éclore, par
exemple, des roses sur un pêcher?

Cela me fait souvenir qu'autrefois, parmi mes oiseaux, j'avais un serin
qui chantait à ravir; j'avais aussi un petit linot auquel je prodiguais
des soins particuliers, l'ayant adopté à sa sortie du nid. Ce pauvre
petit prisonnier, privé des leçons de musique de ses parents et
n'entendant du matin au soir que les joyeuses roulades du serin, voulut
l'imiter un beau jour.--Difficile entreprise pour un linot!--C'était
charmant de voir les efforts de ce pauvre petit, dont la douce voix eut
bien du mal à s'accorder avec les notes vibrantes de son maître. Il y
arriva cependant, à ma grande surprise, et son chant devint absolument
le même que celui du serin.

O ma Mère, vous savez qui m'a appris à chanter dès l'enfance! Vous savez
quelles voix m'ont charmée! Et maintenant j'espère un jour, malgré ma
faiblesse, redire éternellement le cantique d'amour dont j'ai entendu
bien des fois moduler ici-bas les notes harmonieuses.

       *       *       *       *       *

Mais où en suis-je? Ces réflexions m'ont entraînée trop loin... Je
reprends vite le récit de ma vocation.

Le 31 octobre 1887, je partis pour Bayeux, seule avec mon père, le
cœur rempli d'espérance, mais aussi bien émue à la pensée de me
présenter à l'évêché. Pour la première fois de ma vie, je devais aller
faire une visite sans être accompagnée de mes sœurs; et cette visite
était à un Evêque! Moi qui n'avais jamais besoin de parler que pour
répondre aux questions qui m'étaient adressées, je devais expliquer et
développer les raisons qui me faisaient solliciter mon entrée au Carmel,
afin de donner des preuves de la solidité de ma vocation.

Qu'il m'en a coûté pour surmonter à ce point ma timidité! Oh! c'est bien
vrai que _jamais l'amour ne trouve d'impossibilité, parce qu'il se croit
tout possible et tout permis_[40]. C'était bien, en effet, le seul
amour de Jésus qui pouvait me faire braver ces difficultés et celles qui
suivirent; car je devais acheter mon bonheur par de grandes épreuves.
Aujourd'hui, sans doute, je trouve l'avoir payé bien peu cher, et je
serais prête à supporter des peines mille fois plus amères pour
l'acquérir, si je ne l'avais pas encore.

_Les cataractes du ciel semblaient ouvertes_ quand nous arrivâmes à
l'évêché. M. l'abbé Révérony, Vicaire général, qui lui-même avait fixé
la date du voyage, se montra très aimable, bien qu'un peu étonné.
Apercevant des larmes dans mes yeux, il me dit: «Ah! je vois des
diamants, il ne faut pas les montrer à Monseigneur!»

Nous traversâmes alors de grands salons où je me faisais l'effet d'une
petite fourmi et me demandais ce que j'allais oser dire! Monseigneur se
promenait en ce moment dans une galerie, avec deux prêtres; je vis M. le
Grand Vicaire échanger avec lui quelques mots, et revenir en sa
compagnie dans l'appartement où nous attendions. Là, trois énormes
fauteuils étaient placés devant la cheminée où pétillait un feu ardent.

En voyant entrer Monseigneur, mon père se mit à genoux près de moi pour
recevoir sa bénédiction, puis Sa Grandeur nous fit asseoir. M. Révérony
me présenta le fauteuil du milieu: je m'excusai poliment; il insista, me
disant de montrer si j'étais capable d'obéir. Aussitôt je m'exécutai
sans la moindre réflexion, et j'eus la confusion de lui voir prendre une
chaise, tandis que je me trouvais enfoncée dans un siège monumental où
quatre comme moi auraient été à l'aise--plus à l'aise que moi, car
j'étais loin d'y être!--J'espérais que mon père allait parler; mais il
me dit d'expliquer le but de notre visite. Je le fis le plus éloquemment
possible, tout en comprenant très bien qu'un simple mot du Supérieur
m'eût plus servi que mes raisons. Hélas! son opposition ne plaidait
guère en ma faveur.

Monseigneur me demanda s'il y avait longtemps que je désirais le Carmel.

«Oh! oui, Monseigneur, bien longtemps.

--Voyons, reprit en riant M. Révérony, il ne peut toujours pas y avoir
quinze ans de cela!

--C'est vrai, répondis-je, mais il n'y a pas beaucoup d'années à
retrancher; car j'ai désiré me donner au bon Dieu dès l'âge de trois
ans.»

Monseigneur, croyant être agréable à mon père, essaya de me faire
comprendre que je devais rester quelque temps encore près de lui.
Quelles ne furent pas la surprise et l'édification de Sa Grandeur de
voir alors papa prendre mon parti! ajoutant, d'un air plein de bonté,
que nous devions aller à Rome avec le pèlerinage diocésain et que je
n'hésiterais pas à parler au Saint-Père, si je n'obtenais auparavant la
permission sollicitée.

Cependant, un entretien avec le Supérieur fut exigé comme indispensable,
avant de nous donner aucune décision. Je ne pouvais rien entendre qui me
fît plus de peine; car je connaissais son opposition formelle et bien
arrêtée. Aussi, sans tenir compte de la recommandation de M. l'abbé
Révérony, je fis plus que _montrer des diamants_ à Monseigneur, _je lui
en donnai_. Je vis bien qu'il était touché; il me fit des caresses comme
jamais, paraît-il, aucune enfant n'en avait reçu de lui.

«Tout n'est pas perdu, ma chère petite, me dit-il; mais je suis bien
content que vous fassiez avec votre bon père le voyage de Rome: vous
affermirez ainsi votre vocation. Au lieu de pleurer, vous devriez vous
réjouir! D'ailleurs, la semaine prochaine je vais aller à Lisieux; je
parlerai de vous à M. le Supérieur, et, certainement, vous recevrez ma
réponse en Italie.»

Sa Grandeur nous conduisit ensuite jusqu'au jardin; mon père l'intéressa
beaucoup en lui racontant que, ce matin même, afin de paraître plus
âgée, je m'étais relevé les cheveux. Ceci ne fut pas perdu! Aujourd'hui,
je le sais, Monseigneur ne parle à personne de _sa petite fille_, sans
raconter l'histoire des cheveux.--J'aurais préféré, je l'avoue, que
cette révélation ne se fît point. M. le Grand Vicaire nous accompagna
jusqu'à la porte, disant que jamais chose pareille ne s'était vue: un
père aussi empressé de donner son enfant à Dieu, que cette enfant de
s'offrir elle-même.

Il fallut donc reprendre le chemin de Lisieux sans aucune réponse
favorable. Il me semblait que mon avenir était brisé pour toujours; plus
j'approchais du terme, plus je voyais mes affaires s'embrouiller.
Cependant je ne cessai point d'avoir au fond de l'âme une grande paix,
parce que je ne cherchais que la volonté du Seigneur.

[Illustration]

[Illustration: LEVEZ LES YEUX AU CIEL ME VOICI ET AVEC MOI TOUS MES
SAINTS ILS ONT SOUTENU ICI-BAS UN GRAND COMBAT ET MAINTENANT ILS SE
REPOSENT IMIT. 4. III. Ch. XLVII]



CHAPITRE VI

     Voyage de Rome.--Audience de S. S. Léon XIII. Réponse de
     Monseigneur l'Evêque de Bayeux. Trois mois d'attente.


Trois jours après le voyage de Bayeux, je devais en faire un beaucoup
plus long: celui de la Ville éternelle. Ce dernier voyage m'a montré le
néant de tout ce qui passe. Cependant j'ai vu de splendides monuments,
j'ai contemplé toutes les merveilles de l'art et de la religion;
surtout, j'ai foulé la même terre que les saints Apôtres, la terre
arrosée du sang des Martyrs, et mon âme s'est agrandie au contact des
choses saintes.

Je suis bien heureuse d'être allée à Rome; mais je comprends les
personnes qui supposaient ce voyage entrepris par mon père dans le but
de changer mes idées de vie religieuse. Il y avait certainement de quoi
ébranler une vocation mal affermie.

Nous nous trouvâmes d'abord, ma sœur et moi, au milieu du grand monde
qui composait presque exclusivement le pèlerinage. Ah! bien loin de nous
éblouir, tous ces titres de noblesse ne nous parurent qu'une vaine
fumée. J'ai compris cette parole de l'Imitation: «_Ne poursuivez pas
cette ombre que l'on appelle un grand nom_[41].» J'ai compris que la
vraie grandeur ne se trouve point dans le nom, mais dans l'âme.

Le Prophète nous dit que _le Seigneur donnera_ UN AUTRE NOM _à ses
élus_[42]; et nous lisons dans saint Jean: «_Le vainqueur recevra une
pierre blanche, sur laquelle est écrit un_ NOM NOUVEAU _que nul ne
connaît, hors celui qui le reçoit_»[43]. C'est donc au ciel que nous
saurons nos titres de noblesse. Alors _chacun recevra de Dieu la louange
qu'il mérite_[44], et celui qui, sur la terre, aura choisi d'être le
plus pauvre, le plus inconnu pour l'amour de Notre-Seigneur, celui-là
sera le premier, le plus noble et le plus riche.

La seconde expérience que j'ai faite regarde les prêtres. Jusque-là, je
ne pouvais comprendre le but principal de la réforme du Carmel; prier
pour les pécheurs me ravissait, mais prier pour les prêtres dont les
âmes me semblaient plus pures que le cristal, cela me paraissait
étonnant! Ah! j'ai compris ma vocation en Italie. Ce n'était pas aller
chercher trop loin une aussi utile connaissance.

Pendant un mois, j'ai rencontré beaucoup de saints prêtres; et j'ai vu
que, si leur sublime dignité les élève au-dessus des Anges, ils n'en
sont pas moins des hommes faibles et fragiles. Donc, si de saints
prêtres, que Jésus appelle dans l'Evangile: _le sel de la terre_,
montrent qu'ils ont besoin de prières, que faut-il penser de ceux qui
sont tièdes? Jésus n'a-t-il pas dit encore: «_Si le sel vient à
s'affadir, avec quoi l'assaisonnera-t-on?_»[45]

O ma Mère, qu'elle est belle notre vocation! C'est à nous, c'est au
Carmel de conserver le sel de la terre! Nous offrons nos prières et nos
sacrifices pour les apôtres du Seigneur; nous devons être nous-mêmes
leurs apôtres, tandis que, par leurs paroles et leurs exemples, ils
évangélisent les âmes de nos frères. Quelle noble mission est la nôtre!
Mais je dois en rester là, je sens que, sur ce sujet, ma plume ne
s'arrêterait jamais...

       *       *       *       *       *

Je vais, ma Mère chérie, vous raconter mon voyage avec quelques détails:

Le 4 novembre, à trois heures du matin, nous traversions la ville de
Lisieux encore ensevelie dans les ombres de la nuit. Bien des
impressions passèrent en mon âme: je me sentais aller vers l'inconnu, je
savais que de grandes choses m'attendaient là-bas!

Arrivés à Paris, mon père nous en fit visiter toutes les merveilles;
pour moi, je n'en trouvai qu'une seule: _Notre-Dame des Victoires_. Ce
que j'éprouvai dans son sanctuaire, je ne pourrais le dire. Les grâces
qu'elle m'accorda ressemblaient à celles de ma première Communion:
j'étais remplie de paix et de bonheur... C'est là que ma Mère, la Vierge
Marie, _me dit clairement que c'était bien elle qui m'avait souri et
m'avait guérie_. Avec quelle ferveur je la suppliai de me garder
toujours et de réaliser mon rêve, en me cachant à l'ombre de son manteau
virginal! Je lui demandai encore d'éloigner de moi toutes les occasions
de péché.

Je n'ignorais pas que, pendant mon voyage, il se rencontrerait bien des
choses capables de me troubler; n'ayant aucune connaissance du mal, je
craignais de le découvrir. Je n'avais pas expérimenté que _tout est pur
pour les purs_[46], que l'âme simple et droite ne voit de mal à rien,
puisque le mal n'existe que dans les cœurs impurs, et non dans les
objets insensibles. Je priai aussi saint Joseph de veiller sur moi;
depuis mon enfance, ma dévotion pour lui se confondait avec mon amour
pour la très sainte Vierge. Chaque jour, je récitais la prière: «_O
saint Joseph, père et protecteur des vierges..._» Il me semblait donc
être bien protégée et tout à fait à l'abri du danger.

Après notre consécration au Sacré-Cœur, dans la basilique de
Montmartre, nous partîmes de Paris, le 7 novembre. Comme il s'agissait
de mettre chaque compartiment de wagon sous le vocable d'un saint, il
était convenu de décerner cet honneur à l'un des prêtres qui habitaient
ce compartiment: soit en adoptant son patron ou celui de sa paroisse.

Et voici qu'en présence de tous les pèlerins, nous entendîmes appeler le
nôtre: _Saint Martin_. Mon père, très sensible à cette délicatesse, alla
remercier immédiatement Mgr Legoux, grand Vicaire de Coutances et
directeur du pèlerinage. Depuis, plusieurs personnes ne l'appelaient pas
autrement que _monsieur Saint Martin_.

M. l'abbé Révérony examinait soigneusement toutes mes actions; je
l'apercevais de loin qui m'observait. A table, lorsque je n'étais pas en
face de lui, il trouvait moyen de se pencher pour me voir et
m'entendre. Je pense qu'il dut être satisfait de son examen; car, à la
fin du voyage, il parut bien disposé en ma faveur. Je dis, _à la fin_,
parce qu'à Rome il fut loin de me servir d'avocat, comme je le dirai
bientôt.--Néanmoins, je ne voudrais pas faire croire qu'il voulût me
tromper, en n'agissant plus d'après les bonnes intentions manifestées à
Bayeux. Je suis persuadée, au contraire, qu'il resta toujours pour moi
rempli de bienveillance; s'il contraria mes désirs, ce fut uniquement
pour m'éprouver.

       *       *       *       *       *

Avant d'atteindre le but de notre pèlerinage, nous traversâmes la Suisse
avec ses hautes montagnes dont le sommet neigeux se perd dans les
nuages, ses cascades, ses vallées profondes remplies de fougères
gigantesques et de bruyères roses.

Ma Mère bien-aimée, que ces beautés de la nature, répandues ainsi à
profusion, ont fait de bien à mon âme! Comme elles l'ont élevée vers
Celui qui s'est plu à jeter de pareils chefs-d'œuvre sur une terre
d'exil qui ne doit durer qu'un jour!

Parfois nous étions emportés jusqu'au sommet des montagnes: à nos pieds,
des précipices dont le regard ne pouvait sonder la profondeur,
semblaient vouloir nous engloutir. Plus loin, nous traversions un
village charmant avec ses chalets et son gracieux clocher, au-dessus
duquel se balançaient mollement de légers nuages. Ici, c'était un vaste
lac aux flots calmes et purs, dont la teinte azurée se mêlait aux feux
du couchant.

Comment dire mes impressions devant ce spectacle si poétique et si
grandiose? Je pressentais les merveilles du ciel... La vie religieuse
m'apparaissait telle qu'elle est, avec ses assujettissements, ses petits
sacrifices quotidiens accomplis dans l'ombre. Je comprenais combien
alors il devient facile de se replier sur soi-même, d'oublier le but
sublime de sa vocation; et je me disais: «Plus tard, à l'heure de
l'épreuve, lorsque, prisonnière au Carmel, je ne pourrai voir qu'un
petit coin du ciel, je me souviendrai d'aujourd'hui; ce tableau me
donnera du courage. Je ne ferai plus cas de mes petits intérêts en
pensant à la grandeur, à la puissance de Dieu; je l'aimerai uniquement
et n'aurai pas le malheur de m'attacher à des pailles, maintenant que
mon cœur entrevoit ce qu'il réserve à ceux qui l'aiment.»

       *       *       *       *       *

Après avoir contemplé les œuvres de Dieu, je pus admirer aussi celles
de ses créatures. La première ville d'Italie que nous visitâmes fut
Milan. Sa cathédrale en marbre blanc, avec ses statues assez nombreuses
pour former un peuple, devint pour nous l'objet d'une étude
particulière.

Laissant les dames timides se cacher le visage dans leurs mains, après
avoir gravi les premiers degrés de l'édifice, nous suivîmes, Céline et
moi, les pèlerins les plus hardis, et atteignîmes le dernier clocheton,
ayant ensuite le plaisir de voir à nos pieds la ville de Milan tout
entière, dont les habitants ressemblaient à de petites fourmis.
Descendues de notre piédestal, nous commençâmes nos promenades en
voiture qui devaient durer un mois, et me rassasier pour toujours du
désir de rouler sans fatigue.

Le Campo Santo nous ravit. Ses statues de marbre blanc, qu'un ciseau de
génie semble avoir animées, sont semées sur le vaste champ des morts,
avec une sorte de négligence qui ne manque point de charme. On serait
presque tenté de consoler les personnages allégoriques qui vous
entourent. Leur expression est si vraie de douleur calme et chrétienne!
Et quels chefs-d'œuvre! Ici, c'est un enfant qui jette des fleurs sur
la tombe de son père; on oublie la pesanteur du marbre: les pétales
délicats semblent glisser entre ses doigts. Ailleurs, le voile léger
des veuves et les rubans dont sont ornés les cheveux des jeunes filles
paraissent flotter au gré du vent.

Nous ne trouvions pas de paroles pour exprimer notre admiration;
lorsqu'un vieux monsieur _français_, qui nous suivait partout,
regrettant sans doute de ne pouvoir partager nos sentiments, dit avec
mauvaise humeur: «Ah! que les Français sont donc enthousiastes!» Je
crois que ce pauvre monsieur aurait mieux fait de rester chez lui. Loin
d'être heureux de son voyage, toujours des plaintes sortaient de sa
bouche: il était mécontent des villes, des hôtels, des personnes, de
tout.

Souvent, mon père, qui se trouvait bien n'importe où,--étant d'un
caractère diamétralement opposé à celui de son désobligeant
voisin--essayait de le réjouir, lui offrait sa place en voiture et
ailleurs, lui montrait, avec sa grandeur d'âme habituelle, le bon côté
des choses; rien ne le déridait! Que nous avons vu de personnages
différents! Quelle intéressante étude que celle du monde, quand on est à
la veille de le quitter!

       *       *       *       *       *

A Venise, la scène changea complètement. Au lieu du tumulte des grandes
cités, on n'entend, au milieu du silence, que les cris des gondoliers et
le murmure de l'onde agitée par les rames. Cette ville a bien ses
charmes, mais elle est triste. Le palais des doges avec toutes ses
splendeurs est triste lui-même. Depuis longtemps, l'écho de ses voûtes
sonores ne répète plus la voix des gouverneurs, prononçant des arrêts de
vie ou de mort dans les salles que nous avons traversées. Ils ont cessé
de souffrir, les malheureux condamnés, enterrés vivants dans les
oubliettes obscures.

En visitant ces affreuses prisons, je me croyais au temps des martyrs.
Cet asile ténébreux, je l'aurais avec joie choisi pour demeure, s'il se
fût agi de confesser ma foi; mais bientôt la voix du guide me tira de
ma rêverie, et je passai sur _le pont des soupirs_, ainsi appelé à cause
des soupirs de soulagement des pauvres prisonniers, en se voyant
délivrés de l'horreur des souterrains auxquels ils préféraient la mort.

Après avoir dit adieu à Venise, nous vénérâmes à Padoue la langue de
saint Antoine; puis, à Bologne, le corps de sainte Catherine, dont le
visage conserve l'empreinte du baiser de l'Enfant Jésus.

       *       *       *       *       *

Je me vis avec bonheur sur la route de Lorette. Que la sainte Vierge a
bien choisi cet endroit pour y déposer sa Maison bénie! Là, tout est
pauvre, simple et primitif: les femmes ont conservé le gracieux costume
italien, et n'ont pas, comme celles des autres villes, adopté la mode de
Paris. Enfin, Lorette m'a charmée.

Que dirai-je de la sainte Maison? Mon émotion fut bien profonde en me
trouvant sous le même toit que la sainte Famille, en contemplant les
murs sur lesquels Notre-Seigneur avait fixé ses yeux divins, en foulant
la terre que saint Joseph avait arrosée de ses sueurs, où Marie avait
porté Jésus dans ses bras, après l'avoir porté dans son sein virginal.
J'ai vu la petite chambre de l'Annonciation. J'ai déposé mon chapelet
dans l'écuelle de l'Enfant Jésus. Que ces souvenirs sont ravissants!

Mais notre plus grande consolation fut de recevoir Jésus _dans sa
maison_ et de devenir ainsi son temple vivant, au lieu même qu'il avait
honoré de sa divine présence. Suivant l'usage romain, la sainte
Eucharistie ne se conserve dans chaque église que sur un autel; et, là
seulement, les prêtres la distribuent aux fidèles. A Lorette, cet autel
se trouve dans la basilique où la sainte Maison est renfermée, comme un
diamant précieux, en un écrin de marbre blanc. Cela ne fit pas notre
affaire. C'était dans le _diamant_, et non dans l'écrin, que nous
voulions recevoir le Pain des Anges. Mon père, avec sa douceur
ordinaire, suivit les pèlerins, tandis que ses filles moins soumises se
dirigeaient vers la _santa Casa_.

Par un privilège spécial, un prêtre se disposait à y célébrer sa messe;
nous lui confiâmes notre désir. Immédiatement, ce prêtre dévoué demanda
deux petites hosties qu'il plaça sur sa patène, et vous devinez, ma
Mère, le bonheur ineffable de cette communion! Les paroles sont
impuissantes à le traduire. Que sera-ce donc quand nous communierons
éternellement dans la demeure du Roi des cieux? Alors nous ne verrons
plus finir notre joie, il n'y aura plus pour l'assombrir la tristesse du
départ, il ne sera pas nécessaire de gratter furtivement, comme nous
l'avons fait, les murs sanctifiés par la présence divine; puisque sa
maison sera la nôtre pendant tous les siècles.

Il ne veut pas nous donner celle de la terre, il se contente de nous la
montrer, pour nous faire aimer la pauvreté et la vie cachée; celle qu'il
nous réserve est son palais de gloire, où nous ne le verrons plus voilé
sous l'apparence d'un enfant ou d'un peu de pain, mais tel qu'il est
dans l'éclat de sa splendeur infinie!

       *       *       *       *       *

Maintenant, c'est de Rome que je vais parler: de Rome, où je croyais
rencontrer la consolation; où, hélas! je trouvai la croix! A notre
arrivée, il faisait nuit; et, m'étant endormie dans le wagon, je fus
réveillée au cri des employés de la gare, répété avec enthousiasme par
les pèlerins: _Roma! Roma!_ Ce n'était pas un rêve, j'étais à Rome!

Notre première journée, peut-être la plus délicieuse, se passa hors les
murs. Là, tous les monuments ont conservé leur antique cachet; tandis
qu'au centre de Rome, devant les hôtels et les magasins, on pourrait se
croire à Paris.

Cette promenade dans les campagnes romaines m'a laissé un souvenir
particulièrement embaumé. Comment pourrais-je traduire l'impression qui
me fit tressaillir devant le Colysée? Je la voyais donc enfin cette
arène, où tant de martyrs avaient versé leur sang pour Jésus! Déjà je
m'apprêtais à baiser la terre sanctifiée par leurs combats glorieux.
Mais quelle déception! Le sol ayant été exhaussé, la véritable arène est
ensevelie à huit mètres environ de profondeur. Par suite des fouilles,
le centre n'est qu'un amas de décombres; une barrière infranchissable en
défend l'entrée. D'ailleurs, personne n'ose pénétrer au sein de ces
ruines dangereuses.

Fallait-il être venue à Rome sans descendre au Colysée?--Non, c'était
impossible! Je n'écoutais plus déjà les explications du guide; une seule
pensée m'occupait: descendre dans l'arène!

Il est dit dans le saint Evangile, que Madeleine restant toujours auprès
du Tombeau, et se baissant à plusieurs reprises pour regarder à
l'intérieur, finit par voir deux anges. Comme elle, continuant de me
baisser, je vis, non pas deux anges, mais ce que je cherchais; et,
poussant un cri de joie, je dis à ma sœur: «Viens! suis-moi, nous
allons pouvoir passer!» Aussitôt nous nous élançons, escaladant les
ruines qui croulaient sous nos pas; tandis que mon père, étonné de notre
audace, nous appelait de loin. Mais nous n'entendions plus rien.

De même que les guerriers sentent leur courage augmenter au milieu du
péril, ainsi notre joie grandissait en proportion de notre fatigue et du
danger que nous affrontions pour atteindre le but de nos désirs.

Céline, plus prévoyante que moi, avait écouté le guide. Se rappelant
qu'il venait de signaler un certain petit pavé croisé, comme étant
l'endroit où combattaient les martyrs, elle se mit à le chercher.
L'ayant trouvé bientôt, et nous étant agenouillées sur cette terre
bénie, nos âmes se confondirent en une même prière..... Mon cœur
battait bien fort lorsque j'approchai mes lèvres de la poussière
empourprée du sang des premiers chrétiens. Je demandai la grâce d'être
aussi martyre pour Jésus, et je sentis au fond de mon âme que j'étais
exaucée.

Tout ceci dura très peu de temps. Après avoir ramassé quelques pierres,
nous nous dirigeâmes vers les murs pour recommencer notre périlleuse
entreprise. Mon père nous voyant si heureuses ne put nous gronder; je
m'aperçus même qu'il était fier de notre courage.

       *       *       *       *       *

Après le Colysée, nous visitâmes les Catacombes. Là, Céline et Thérèse
trouvèrent le moyen de se coucher ensemble jusqu'au fond de l'ancien
tombeau de sainte Cécile, et prirent de la terre sanctifiée par ses
reliques bénies.

Avant ce voyage, je n'avais pour cette sainte aucune dévotion
particulière; mais en visitant sa maison, le lieu de son martyre, en
l'entendant proclamer «reine de l'harmonie», à cause du chant virginal
qu'elle fit entendre au fond de son cœur à son Epoux céleste, je
sentis pour elle plus que de la dévotion: une véritable tendresse
d'amie. Elle devint ma sainte de prédilection, ma confidente intime. Ce
qui surtout me ravissait en elle, c'étaient son abandon, sa confiance
illimitée, qui l'ont rendue capable de _virginiser_ des âmes n'ayant
jamais désiré que les joies de la vie présente. Sainte Cécile est
semblable à l'épouse des Cantiques. En elle, je vois _un chœur dans
un camp d'armée_[47]. Sa vie n'a été qu'un chant mélodieux au milieu
même des plus grandes épreuves; et cela ne m'étonne pas, puisque
_l'Evangile sacré reposait sur son cœur_[48], et que dans son cœur
reposait l'Epoux des vierges.

La visite à l'église de Sainte-Agnès me fut aussi bien douce. Là, je
retrouvais une amie d'enfance. J'essayai, mais sans succès, d'obtenir
une de ses reliques afin de la rapporter à ma petite mère Agnès de
Jésus. Les hommes me refusant, le bon Dieu se mit de la partie: une
petite pierre de marbre rouge, se détachant d'une riche mosaïque dont
l'origine remonte au temps de la douce martyre, vint tomber à mes pieds.
N'était-ce pas charmant? Sainte Agnès me donnait elle-même un souvenir
de sa maison!

       *       *       *       *       *

Six jours se passèrent à contempler les principales merveilles de Rome;
et le septième, je vis la plus grande de toutes: LÉON XIII. Ce jour, je
le désirais et le redoutais à la fois, de lui dépendait ma vocation; car
je n'avais reçu aucune réponse de Monseigneur, et la permission du
Saint-Père devenait mon unique planche de salut. Mais, pour obtenir
cette permission, il fallait la demander! Il fallait devant plusieurs
cardinaux, archevêques et évêques, _oser parler au Pape_! Cette seule
pensée me faisait trembler.

Ce fut le dimanche matin, 20 novembre, que nous entrâmes au Vatican dans
la chapelle du Souverain Pontife. A huit heures nous assistions à sa
messe; et, pendant le saint Sacrifice, il nous montra par son ardente
piété, digne du Vicaire de Jésus-Christ, qu'il était véritablement le
_saint Père_.

L'Evangile de ce jour contenait ces ravissantes paroles: «_Ne craignez
rien, petit troupeau; car il a plu à mon Père de vous donner son
royaume._»[49] Et mon cœur s'abandonnait à la confiance la plus vive.
Non, je ne craignais pas, j'espérais que le royaume du Carmel
m'appartiendrait bientôt. Je ne pensais pas alors à ces autres paroles
de Jésus: «_Je vous prépare mon royaume comme mon Père me l'a
préparé._»[50]--C'est-à-dire, je vous réserve des croix et des
épreuves; ainsi vous deviendrez digne de posséder mon royaume.--«_Il a
été nécessaire que le Christ souffrît avant d'entrer dans sa gloire[51].
Si vous désirez prendre place à ses côtés, buvez le calice qu'il a bu
lui-même._»[52]

Après la messe d'action de grâces qui suivit celle de Sa Sainteté,
l'audience commença.

Léon XIII était assis sur un fauteuil élevé, vêtu simplement d'une
soutane blanche et d'un camail de même couleur. Près de lui se tenaient
des prélats et autres grands dignitaires ecclésiastiques. Suivant le
cérémonial, chaque pèlerin s'agenouillait à son tour, baisait d'abord le
pied, puis la main de l'auguste Pontife, et recevait sa bénédiction;
ensuite deux gardes-nobles le touchant du doigt, lui indiquaient par là
de se lever pour passer dans une autre salle et donner sa place au
suivant.

Personne ne disait mot; mais j'étais bien résolue à parler quand, tout à
coup, M. l'abbé Révérony qui se tenait à la droite de Sa Sainteté, nous
fit avertir bien haut _qu'il défendait absolument de parler au
Saint-Père_. Je me tournai vers Céline, l'interrogeant du regard; mon
cœur battait à se rompre...--«_Parle!_» me dit-elle.

Un instant après, j'étais aux genoux du Pape. Ayant baisé sa mule, il me
présenta la main. Alors, levant vers lui mes yeux baignés de larmes, je
le suppliai en ces termes:

«Très Saint Père, j'ai une grande grâce à vous demander!»

Aussitôt, baissant la tête jusqu'à moi, son visage toucha presque le
mien; on eût dit que ses yeux noirs et profonds voulaient me pénétrer
jusqu'à l'intime de l'âme.

«Très Saint Père, répétai-je, en l'honneur de votre Jubilé,
_permettez-moi d'entrer au Carmel à quinze ans_!»

M. le grand Vicaire de Bayeux, étonné et mécontent, reprit bientôt:

«Très Saint Père, c'est une enfant qui désire la vie du Carmel; mais les
supérieurs examinent la question en ce moment.

--_Eh bien, mon enfant,_ me dit Sa Sainteté, _faites ce que les
supérieurs décideront._»

Joignant alors les mains et les appuyant sur ses genoux, je tentai un
dernier effort:

--«O Très Saint Père, si vous disiez _oui_, tout le monde voudrait
bien!»

Il me regarda fixement, et prononça ces mots en appuyant sur chaque
syllabe d'un ton pénétrant:

--«_Allons... Allons... vous entrerez si le bon Dieu le veut._»

J'allais parler encore, quand deux gardes-nobles m'invitèrent à me
lever. Voyant que cela ne suffisait pas, ils me prirent par les bras et
M. Révérony leur aida à me soulever, car je restais encore les mains
jointes appuyées sur les genoux du Pape. Au moment où j'étais ainsi
enlevée, le bon Saint-Père posa doucement sa main sur mes lèvres, puis,
la levant pour me bénir, il me suivit longtemps des yeux.

Mon père eut bien de la peine en me trouvant tout en pleurs au sortir de
l'audience: ayant passé avant moi, il ne savait rien de ma démarche.
Pour lui, M. le grand Vicaire s'était montré on ne peut plus aimable, le
présentant à Léon XIII comme le père de deux carmélites. Le Souverain
Pontife, en signe de particulière bienveillance, avait posé sa main sur
sa tête vénérable, semblant ainsi le marquer d'un sceau mystérieux au
nom du Christ lui-même.

Ah! maintenant qu'il est au ciel, ce père de _quatre_ carmélites, ce
n'est plus la main du représentant de Jésus qui repose sur son front,
lui prophétisant le martyre, c'est la main de l'Epoux des vierges, du
Roi des cieux; et plus jamais cette main divine ne se retirera du front
qu'elle a glorifié.

[Illustration: _Reproduction d'un tableau de «Céline»._

Très Saint Père, en l'honneur de Votre Jubili,
permettez-moi d'entrer au Carmel à 15 ans.]

Mon épreuve était grande; mais, ayant fait absolument tout ce qui
dépendait de moi pour répondre à l'appel du bon Dieu, je dois avouer
que, malgré mes larmes, je ressentais au fond du cœur une grande
paix. Toutefois cette paix résidait dans l'intime, et l'amertume
remplissait mon âme jusqu'aux bords... Et Jésus se taisait... Il
semblait absent, rien ne me révélait sa présence.

Ce jour-là encore, _le soleil n'osa pas briller_; et le beau ciel bleu
d'Italie, chargé de nuages sombres, ne cessa de pleurer avec moi. Ah!
c'était fini! Mon voyage n'avait plus aucun charme à mes yeux, puisque
le but venait d'en être manqué. Cependant les dernières paroles du
Saint-Père auraient dû me consoler comme une véritable prophétie. En
effet, malgré tous les obstacles, _ce que le bon Dieu a voulu s'est
accompli_: il n'a pas permis aux créatures de faire ce qu'elles
voulaient, mais sa volonté à lui.

Depuis quelque temps, je m'étais offerte à l'Enfant-Jésus pour être _son
petit jouet_. Je lui avais dit de ne pas se servir de moi comme d'un
jouet de prix que les enfants se contentent de regarder sans oser y
toucher; mais comme d'une petite balle de nulle valeur, qu'il pouvait
jeter à terre, pousser du pied, _percer_, laisser dans un coin, ou bien
presser sur son cœur si cela lui faisait plaisir. En un mot, _je
voulais amuser le petit Jésus et me livrer à ses caprices enfantins_.

Il venait d'exaucer ma prière! A Rome, Jésus _perça_ son petit jouet...
_il voulait voir sans doute ce qu'il y avait dedans..._ et puis, content
de sa découverte, il laissa tomber sa petite balle et s'endormit. Que
fit-il pendant son doux sommeil, et que devint la balle
abandonnée?--Jésus rêva qu'il s'amusait encore; qu'il la prenait, la
laissait tour à tour; qu'il l'envoyait bien loin rouler et finalement la
pressait sur son Cœur, sans plus jamais permettre qu'elle s'éloignât
de sa petite main.

Vous comprenez, ma Mère, la tristesse de la petite balle en se voyant
par terre! Cependant elle ne cessait d'espérer contre toute espérance.

       *       *       *       *       *

Quelques jours après le 20 novembre, mon père étant allé rendre visite
au vénéré Frère Siméon,--directeur et fondateur du Collège
Saint-Joseph--rencontra dans l'établissement M. l'abbé Révérony, et lui
reprocha aimablement de ne m'avoir pas aidée dans ma difficile
entreprise; puis il raconta l'histoire au Cher Frère Siméon. Le bon
vieillard écouta ce récit avec beaucoup d'intérêt, en prit même des
notes et dit avec émotion: «On ne voit pas cela en Italie!»

Au lendemain de la mémorable journée de l'audience, il nous fallut
partir pour Naples et Pompéi. Le Vésuve, en notre honneur, fit entendre
de nombreux coups de canon, laissant échapper de son cratère une épaisse
colonne de fumée. Ses traces sur Pompéi sont effrayantes! Elles montrent
la puissance de Dieu _qui regarde la terre et la fait trembler, qui
touche les montagnes et les réduit en cendres_[53]. J'aurais désiré me
promener seule au milieu des ruines, méditant sur la fragilité des
choses humaines; mais il ne fallut pas songer à cette solitude.

A Naples, nous fîmes une magnifique promenade au monastère de San
Martino, situé sur une haute colline dominant la ville entière. Mais, au
retour, nos chevaux prirent le mors aux dents, et je n'attribue qu'à la
protection de nos anges gardiens d'être arrivés sains et saufs à notre
splendide hôtel. Ce mot _splendide_ n'est pas de trop; pendant tout le
cours de notre voyage, nous sommes descendus dans des hôtels princiers.
Jamais je n'avais été entourée de tant de luxe. C'est bien le cas de le
dire: la richesse ne fait pas le bonheur. Je me serais trouvée plus
heureuse mille fois sous un toit de chaume, avec l'espérance du Carmel,
qu'auprès des lambris dorés, des escaliers de marbre, des tapis de soie,
avec l'amertume dans le cœur.

Ah! je l'ai bien senti, la joie ne se trouve pas dans les objets qui
nous entourent, elle réside au plus intime de l'âme. On peut aussi bien
la posséder au fond d'une obscure prison que dans un palais royal. Ainsi
je suis plus heureuse au Carmel, même au milieu des épreuves intérieures
et extérieures, que dans le monde où rien ne me manquait, surtout les
douceurs du foyer paternel.

Bien que mon âme fût plongée dans la tristesse, au dehors j'étais la
même; car je croyais cachée ma demande au Saint-Père. Bientôt je pus me
convaincre du contraire. Restée seule un jour dans le wagon avec ma
sœur, tandis que les pèlerins descendaient au buffet, je vis Mgr
Legoux se présenter à la portière. Après m'avoir bien regardée, il me
dit en souriant: «Eh bien, comment va notre petite carmélite?» Je
compris alors que tout le pèlerinage connaissait mon secret; d'ailleurs
je m'en aperçus à certains regards sympathiques, mais heureusement
personne ne m'en parla.

A Assise il m'arriva une petite aventure. Après avoir visité les lieux
embaumés par les vertus de saint François et de sainte Claire, j'égarai
dans le monastère la boucle de ma ceinture. Le temps de la chercher et
de l'ajuster au ruban me fit perdre l'heure du départ. Lorsque je me
présentai à la porte, toutes les voitures avaient disparu, à l'exception
d'une seule: celle de M. le grand Vicaire de Bayeux! Fallait-il courir
après les voitures que je ne voyais plus, m'exposer à manquer le train,
ou demander une place dans la calèche de M. Révérony? Je me décidai à ce
parti le plus sage.

Essayant de paraître très peu embarrassée, malgré mon extrême embarras,
je lui exposai ma situation critique et le mis dans l'embarras
lui-même; car sa voiture était absolument au complet. Mais un de ces
messieurs se hâta de descendre et, me faisant monter à sa place, alla
s'asseoir modestement près du cocher. Je ressemblais à un écureuil pris
dans un piège! J'étais loin de me sentir à l'aise, entourée de tous ces
grands personnages, juste vis-à-vis _du plus redoutable_! Il fut
cependant très aimable pour moi, interrompant de temps à autre la
conversation pour me parler du Carmel, et me promettant de faire tout ce
qui dépendrait de lui pour réaliser mon désir d'entrer à quinze ans.

Cette rencontre mit du baume sur ma plaie, sans toutefois m'empêcher de
souffrir. J'avais perdu confiance en la créature, et ne pouvais plus
m'appuyer que sur Dieu seul.

Cependant ma tristesse ne m'empêcha pas de prendre un vif intérêt aux
saints lieux que nous visitions. A Florence, je fus heureuse de
contempler sainte Madeleine de Pazzi au milieu du chœur des
Carmélites. Tous les pèlerins voulaient faire toucher leurs chapelets au
tombeau de la sainte; mais ma main se trouva seule assez petite pour
passer dans les trous de la grille. Ainsi je me vis chargée de ce noble
office qui dura longtemps et me rendit bien fière.

Ce n'était pas la première fois que j'obtenais des privilèges. A Rome,
dans l'église Sainte-Croix de Jérusalem, nous vénérâmes plusieurs
fragments de la vraie Croix, deux épines et l'un des clous sacrés. Afin
de les considérer à mon aise, je fis en sorte de rester la dernière; et
comme le religieux chargé de ces précieux trésors s'apprêtait à les
remettre sur l'autel, je lui demandai si je pouvais y toucher. Il me
répondit affirmativement, paraissant douter que j'y réussisse; je passai
alors mon petit doigt dans une ouverture du reliquaire, et pus toucher
ainsi au clou précieux qui fut baigné du sang de Jésus. On le voit,
j'agissais avec lui comme une enfant qui se croit tout permis et regarde
les trésors de son père comme les siens.

Après avoir passé par Pise et Gênes, nous revînmes en France sur un
parcours des plus splendides. Tantôt nous longions la mer; et, par suite
d'une tempête, le chemin de fer, un jour, s'en trouva si près, que les
vagues semblaient arriver jusqu'à nous. Plus loin, nous traversions des
plaines couvertes d'orangers, d'oliviers, de palmiers gracieux. Le soir,
les nombreux ports de mer s'éclairaient de lumières éclatantes, tandis
qu'au firmament d'azur scintillaient les premières étoiles. Ce féerique
tableau, c'était sans regret que je le voyais s'évanouir; mon cœur
aspirait à d'autres merveilles!

Cependant, mon père me proposait encore un voyage à Jérusalem; mais,
malgré l'attrait naturel qui me portait à visiter les lieux sanctifiés
par le passage de Notre-Seigneur, j'étais lasse des pèlerinages de la
terre, je ne désirais plus que les beautés du ciel; et, pour les donner
aux âmes, je voulais au plus tôt devenir prisonnière.

Hélas! avant de voir s'ouvrir les portes de ma prison bénie, je le
sentais, il me fallait encore lutter et souffrir; toutefois ma confiance
ne diminuait pas, et j'espérais entrer le 25 décembre, jour de Noël.

       *       *       *       *       *

A peine de retour à Lisieux, notre première visite fut pour le Carmel.
Quelle entrevue! Vous vous en souvenez, ma Mère! Je m'abandonnai
complètement à vous, ayant de mon côté épuisé toutes les ressources.
Vous me dîtes d'écrire à Monseigneur et de lui rappeler sa promesse:
j'obéis aussitôt. La lettre jetée à la poste, je croyais recevoir sans
aucun retard la permission de m'envoler. Chaque jour, hélas! nouvelle
déception! La belle fête de Noël arriva, et Jésus dormait encore. Il
laissa par terre sa petite balle sans même jeter sur elle un regard!

Cette épreuve fut bien grande; mais Celui dont le Cœur veille
toujours m'enseigna que, pour une âme dont la foi égale seulement un
petit grain de sénevé, il accorde des miracles, dans le but d'affermir
cette foi si petite; mais que, pour ses intimes, pour sa Mère, il ne fit
pas de miracles avant d'avoir éprouvé leur foi. Ne laissa-t-il pas
mourir Lazare, bien que Marthe et Marie lui eussent envoyé dire qu'il
était malade? Aux noces de Cana, la sainte Vierge ayant demandé à Jésus
de secourir le maître de la maison, ne lui répondit-il pas que son heure
n'était point venue? Mais après l'épreuve, quelle récompense! L'eau se
change en vin, Lazare ressuscite... Ainsi le Bien-Aimé agit-il avec sa
petite Thérèse: après l'avoir longtemps éprouvée, il combla tous ses
désirs.

       *       *       *       *       *

Pour mes étrennes du 1er janvier 1888, Jésus me fit encore présent de
sa croix. Vous me dîtes, ma Mère vénérée, que vous aviez en main la
réponse de Monseigneur depuis le 28 décembre, _fête des saints
Innocents_; que cette réponse autorisait mon entrée immédiate, cependant
que vous étiez décidée à ne m'ouvrir qu'après le carême! Je ne pus
retenir mes larmes à la pensée d'un si long délai. Cette épreuve eut
pour moi un caractère tout spécial: je voyais mes liens rompus du côté
du monde, et maintenant l'Arche sainte à son tour refusait de recueillir
la pauvre petite colombe!

Comment se passèrent ces trois mois, si riches pour mon âme en
souffrances, mais plus encore en grâces de toutes sortes? D'abord il me
vint à l'esprit de ne pas me gêner, de mener une vie moins réglée que
d'habitude; puis le bon Dieu me fit comprendre le bienfait du temps qui
m'était offert, et je résolus de me livrer plus que jamais à une vie
sérieuse et mortifiée.

Lorsque je dis mortifiée, je n'entends pas les pénitences des saints.
Loin de ressembler aux belles âmes qui, dès leur enfance, pratiquent
toute espèce de macérations, je faisais uniquement consister les miennes
à briser ma volonté, à retenir une parole de réplique, à rendre de
petits services autour de moi sans les faire valoir, et mille autres
choses de ce genre. Par la pratique de ces riens, je me préparais à
devenir la fiancée de Jésus, et je ne puis dire combien cette attente me
fit grandir dans l'abandon, l'humilité et les autres vertus.

[Illustration]

[Illustration: NUL NE QUITTERA POUR MOI SON PÈRE SA MAISON ET SES BIENS
QU'IL NE REÇOIVE LE CENTUPLE EN CE TEMPS PRÉSENT ET DANS LE SIÈCLE A
VENIR LA VIE ÉTERNELLE. MARC X. XXX]



CHAPITRE VII

     Entrée de Thérèse dans l'Arche bénie.--Premières épreuves.--Les
     fiançailles divines.--De la neige. Une grande douleur.


Le lundi, 9 avril 1888, fut choisi pour mon entrée.--C'était le jour où
l'on célébrait au Carmel la fête de l'Annonciation, remise à cause du
Carême.--La veille, nous nous trouvions tous réunis autour de cette
table de famille où je devais m'asseoir une dernière fois. Que ces
adieux sont déchirants! Alors que l'on voudrait se voir oublié, les
paroles les plus tendres s'échappent de toutes les lèvres, comme pour
faire sentir davantage le sacrifice de la séparation.

Le matin, après avoir jeté un dernier regard sur les Buissonnets, ce nid
gracieux de mon enfance, je partis pour le Carmel. J'assistai à la
sainte Messe, entourée comme la veille de mes parents chéris. Au moment
de la communion, quand Jésus fut descendu dans leur cœur, je
n'entendis que des sanglots. Pour moi, je ne versai pas de larmes; mais
en marchant la première pour me rendre à la porte de clôture, mon
cœur battait si violemment que je me demandais si je n'allais pas
mourir. Ah! quel instant! quelle agonie! Il faut l'avoir éprouvée pour
la comprendre.

J'embrassai tous les miens et je me mis à genoux devant mon père pour
recevoir sa bénédiction. Il s'agenouilla lui-même et me bénit en
pleurant. C'était un spectacle qui dut faire sourire les anges que celui
de ce vieillard présentant au Seigneur son enfant, encore au printemps
de la vie. Enfin, les portes du Carmel se fermèrent sur moi... je tombai
dans vos bras, ma Mère bien-aimée; et là, je reçus les embrassements
d'une nouvelle famille dont on ne soupçonne pas dans le monde le
dévouement et la tendresse.

Mes désirs étaient donc enfin réalisés; mon âme ressentait une paix si
douce et si profonde qu'il me serait impossible de l'exprimer. Et,
depuis 8 ans et demi, cette paix intime est restée mon partage; elle ne
m'a pas abandonnée, même au milieu des plus grandes épreuves.

Tout dans le monastère me parut ravissant; je me croyais transportée
dans un désert; notre petite cellule surtout me charmait. Cependant, je
le répète, mon bonheur était calme, le plus léger zéphyr ne faisait pas
onduler les eaux tranquilles sur lesquelles voguait ma petite nacelle.
Aucun nuage n'obscurcissait mon ciel d'azur. Ah! je me trouvais
pleinement récompensée de toutes mes épreuves! Avec quelle joie profonde
je répétais: «Maintenant je suis ici pour toujours!»

Ce bonheur n'était pas éphémère, il ne devait pas s'envoler avec les
illusions des premiers jours. Les illusions! le bon Dieu m'en a
préservée dans sa miséricorde. J'ai trouvé la vie religieuse telle que
je me l'étais figurée, aucun sacrifice ne m'étonna; et pourtant, vous le
savez, ma Mère, mes premiers pas ont rencontré plus d'épines que de
roses.

D'abord je n'avais pour mon âme que le pain quotidien d'une sécheresse
amère. Puis le Seigneur permit, ma Mère vénérée, que, même à votre insu,
je fusse traitée par vous très sévèrement. Je ne pouvais vous rencontrer
sans recevoir quelque reproche. Une fois, je me rappelle qu'ayant laissé
dans le cloître une toile d'araignée, vous m'avez dit devant toute la
communauté: «On voit bien que nos cloîtres sont balayés par une enfant
de quinze ans! c'est une pitié! Allez donc ôter cette toile d'araignée,
et devenez plus soigneuse à l'avenir.»

Dans les rares directions où je restais près de vous pendant une heure,
j'étais encore grondée presque tout le temps; et ce qui me faisait le
plus de peine, c'était de ne pas comprendre la manière de me corriger de
mes défauts: par exemple, de ma lenteur, de mon peu de dévouement dans
les offices; défauts que vous me signaliez, ma Mère, dans votre
sollicitude et votre bonté pour moi.

Un jour, je me dis que, sans doute, vous désiriez me voir employer au
travail les heures de temps libre, ordinairement consacrées à la prière,
et je fis marcher ma petite aiguille sans lever les yeux; mais, comme je
voulais être fidèle et n'agir que sous le regard de Jésus, personne n'en
eut jamais connaissance.

Pendant ce temps de mon postulat, notre Maîtresse m'envoyait le soir, à
quatre heures et demie, arracher de l'herbe dans le jardin: cela me
coûtait beaucoup; d'autant plus, ma Mère, que j'étais presque sûre de
vous rencontrer en chemin. Vous dîtes en l'une de ces circonstances:
«Mais enfin, cette enfant ne fait absolument rien! Qu'est-ce donc qu'une
novice qu'il faut envoyer tous les jours à la promenade?» Et, pour
toutes choses, vous agissiez ainsi à mon égard.

O ma Mère bien-aimée, que je vous remercie de m'avoir donné une
éducation si forte et si précieuse! Quelle grâce inappréciable! Que
serais-je devenue si, comme le croyaient les personnes du monde, j'avais
été _le joujou_ de la communauté? Peut-être au lieu de voir
Notre-Seigneur en mes supérieures, n'aurais-je considéré que la
créature, et mon cœur si bien gardé dans le monde se serait attaché
humainement dans le cloître. Heureusement, par votre sagesse maternelle,
je fus préservée de ce véritable malheur.

Oui, je puis le dire, non seulement pour ce que je viens d'écrire, mais
pour d'autres épreuves plus sensibles encore, la souffrance m'a tendu
les bras dès mon entrée et je l'ai embrassée avec amour. Ce que je
venais faire au Carmel, je l'ai déclaré dans l'examen solennel qui
précéda ma profession: _Je suis venue pour sauver les âmes, et surtout
afin de prier pour les prêtres._ Lorsqu'on veut atteindre un but, il
faut en prendre les moyens; et Jésus m'ayant fait comprendre qu'il me
donnerait des âmes par la croix, plus je rencontrais de croix, plus mon
attrait pour la souffrance augmentait. Pendant cinq années, cette voie
fut la mienne; mais j'étais seule à la connaître. Voilà justement la
fleur ignorée que je voulais offrir à Jésus, cette fleur dont le parfum
ne s'exhale que du côté des cieux.

Le Révérend Père Pichon[54], deux mois après mon entrée, fut surpris
lui-même de l'action de Dieu sur mon âme; il croyait ma ferveur tout
enfantine et ma voie bien douce. Mon entretien avec ce bon Père m'eût
apporté de grandes consolations, sans la difficulté extrême que
j'éprouvais à m'épancher. Je lui fis cependant une confession générale,
après laquelle il prononça ces paroles: «En présence de Dieu, de la
sainte Vierge, des Anges et de tous les Saints, je déclare que jamais
vous n'avez commis un seul péché mortel; remerciez le Seigneur de ce
qu'il a fait pour vous gratuitement, sans aucun mérite de votre part.»

Sans aucun mérite de ma part! Ah! je n'avais pas de peine à le croire!
Je sentais combien j'étais faible, imparfaite: seule, la reconnaissance
remplissait mon cœur. La crainte d'avoir terni la robe blanche de mon
baptême me faisait beaucoup souffrir, et cette assurance, sortie de la
bouche d'un directeur comme le désirait notre Mère sainte Thérèse,
c'est-à-dire «unissant la science à la vertu», me paraissait venir de
Dieu lui-même. Le bon Père me dit encore: «Mon enfant, que
Notre-Seigneur soit toujours votre Supérieur et votre Maître des
novices.» Il le fut en effet, et aussi mon _Directeur_. Par là, je ne
veux pas dire que mon âme ait été fermée à mes supérieurs; bien loin de
leur cacher mes dispositions, j'ai toujours essayé d'être pour eux un
livre ouvert.

Notre Maîtresse était une vraie sainte, le type achevé des premières
carmélites; je ne la quittais pas un instant, car elle m'apprenait à
travailler. Sa bonté pour moi ne se peut dire, je l'aimais beaucoup, je
l'appréciais; et cependant mon âme ne se dilatait pas. Je ne savais
comment exprimer ce qui se passait en moi, les termes me manquaient, mes
directions devenaient un supplice, un vrai martyre.

Une de nos anciennes Mères sembla comprendre un jour ce que je
ressentais. Elle me dit à la récréation: «Ma petite fille, il me semble
que vous ne devez pas avoir grand chose à dire à vos supérieurs.

--Pourquoi pensez-vous cela, ma Mère?

--Parce que votre âme est extrêmement simple; mais, quand vous serez
parfaite, vous deviendrez plus simple encore; plus on s'approche de
Dieu, plus on se simplifie.»

La bonne Mère avait raison. Cependant la difficulté extrême que
j'éprouvais à m'ouvrir, tout en venant de ma simplicité, était une
véritable épreuve. Aujourd'hui, sans cesser d'être simple, j'exprime mes
pensées avec une très grande facilité.

J'ai dit que Jésus m'avait servi de directeur. A peine le Révérend Père
Pichon se chargeait-il de mon âme, que ses supérieurs l'envoyèrent au
Canada. Réduite à ne recevoir qu'une lettre par an, la petite fleur
transplantée sur la montagne du Carmel se tourna bien vite vers le
Directeur des directeurs et s'épanouit à l'ombre de sa croix, ayant pour
rosée bienfaisante ses larmes, son sang divin, et pour soleil radieux sa
Face adorable.

Jusqu'alors je n'avais pas sondé la profondeur des trésors renfermés
dans la sainte Face; ce fut ma petite Mère Agnès de Jésus qui m'apprit à
les connaître. De même qu'autrefois elle avait précédé ses trois
sœurs au Carmel; de même elle avait pénétré la première les mystères
d'amour cachés dans le Visage de notre Epoux; alors, elle me les a
découverts, et j'ai compris... J'ai compris mieux que jamais ce qu'est
la véritable gloire. Celui dont _le royaume n'est pas de ce monde_[55],
me montra que la royauté seule enviable consiste _à vouloir être ignorée
et comptée pour rien_[56], à mettre sa joie dans le mépris de soi-même.
Ah! comme celui de Jésus, je voulais que _mon visage fût caché à tous
les yeux, que sur la terre personne ne me reconnût_[57]: j'avais soif de
souffrir et d'être oubliée.

Qu'elle est miséricordieuse la voie par laquelle le divin Maître m'a
toujours conduite! Jamais il ne m'a fait désirer quelque chose sans me
le donner; c'est pourquoi son calice amer me parut délicieux.

       *       *       *       *       *

A la fin de mai 1888, après la belle fête de la Profession de Marie,
notre _aînée_, que Thérèse, _le Benjamin_, eut la faveur de couronner de
roses au jour de ses noces mystiques, l'épreuve vint de nouveau visiter
ma famille. Depuis sa première attaque de paralysie, nous constations
que notre bon père se fatiguait très facilement. Pendant notre voyage de
Rome, je remarquais souvent que son visage trahissait l'épuisement et la
souffrance. Mais surtout ce qui me frappait, c'étaient ses progrès
admirables dans la voie de la sainteté; il était parvenu à se rendre
maître de sa vivacité naturelle et les choses de la terre semblaient à
peine l'effleurer.

Permettez-moi, ma Mère, de vous citer à ce propos un petit exemple de sa
vertu:

Pendant le pèlerinage, les jours et les nuits en wagon paraissaient
longs aux voyageurs, et nous les voyions entreprendre des parties de
cartes qui parfois devenaient orageuses. Un jour, les joueurs nous
demandèrent notre concours: nous refusâmes, alléguant notre peu de
science en cette matière; nous ne trouvions pas comme eux le temps long,
mais trop court pour contempler à loisir les magnifiques panoramas qui
s'offraient à nos yeux. Le mécontentement perça bientôt; notre cher
petit père prenant la parole avec calme nous défendit, laissant à
entendre qu'étant en pèlerinage la prière ne tenait pas une assez large
place.

Un des joueurs, oubliant alors le respect dû aux cheveux blancs, s'écria
sans réflexion: «Heureusement, les pharisiens sont rares!» Mon père ne
répondit pas un mot, il parut même saintement joyeux et trouva le moyen
un peu plus tard de serrer la main de ce monsieur, accompagnant cette
belle action d'une parole aimable qui pouvait faire croire que
l'invective n'avait pas été entendue, ou du moins qu'elle était oubliée.

D'ailleurs, cette habitude de pardonner ne datait pas de ce jour. Au
témoignage de ma mère et de tous ceux qui l'ont connu, jamais il ne
prononça une parole contre la charité.

Sa foi et sa générosité étaient également à toute épreuve. Voici en
quels termes il annonça mon départ à l'un de ses amis: «Thérèse, ma
petite reine, est entrée hier au Carmel. Dieu seul peut exiger un tel
sacrifice; mais il m'aide si puissamment qu'au milieu de mes larmes mon
cœur surabonde de joie.»

A ce fidèle serviteur, il fallait une récompense digne de ses vertus, et
cette récompense il la demanda lui-même à Dieu. O ma Mère, vous
souvient-il de ce jour, de ce parloir, où mon père nous dit: «Mes
enfants, je reviens d'Alençon, où j'ai reçu dans l'église Notre-Dame de
si grandes grâces, de telles consolations, que j'ai fait cette prière:
«Mon Dieu, c'en est trop! oui, je suis trop heureux, il n'est pas
possible d'aller au ciel comme cela, je veux souffrir quelque chose pour
vous! Et je me suis offert...» Le mot _victime_ expira sur ses lèvres,
il n'osa pas le prononcer devant nous, mais nous avions compris!

Vous connaissez, ma Mère, toutes nos amertumes! Ces souvenirs
déchirants, je n'ai pas besoin d'en écrire les détails...

       *       *       *       *       *

Cependant l'époque de ma prise d'habit arriva. Contre toute espérance,
mon père s'étant remis d'une seconde attaque, Monseigneur fixa la
cérémonie au 10 janvier. L'attente avait été longue; mais aussi, quelle
belle fête! Rien n'y manquait, pas même _la neige_.

Vous ai-je parlé, ma Mère, de ma prédilection pour la neige? Toute
petite, sa blancheur me ravissait. D'où me venait ce goût pour la neige?
Peut-être de ce qu'étant une petite fleur d'hiver, la première parure
dont mes yeux d'enfant virent la terre embellie fut son blanc manteau.
Je voulais donc voir, le jour de ma prise d'habit, la nature comme moi
parée de blanc. Mais la veille, la température était si douce qu'on
aurait pu se croire au printemps et je n'espérais plus la neige. Le 10,
au matin, pas de changement! Je laissai donc là mon désir d'enfant,
irréalisable, et je sortis du monastère.

Mon père m'attendait à la porte de clôture. S'avançant vers moi, les
yeux pleins de larmes, et me pressant sur son cœur: «_Ah!_
s'écria-t-il, _la voilà donc ma petite reine[58]!_» Puis, m'offrant son
bras, nous fîmes solennellement notre entrée à la chapelle. Ce jour fut
son triomphe, sa dernière fête ici-bas! Toutes ses offrandes étaient
faites[59], sa famille appartenait à Dieu. Céline lui ayant confié que
plus tard elle abandonnerait aussi le monde pour le Carmel, ce père
incomparable avait répondu dans un transport de joie: «Viens, allons
ensemble devant le Saint Sacrement remercier le Seigneur des grâces
qu'il accorde à notre famille, et de l'honneur qu'il me fait de se
choisir des épouses dans ma maison. Oui, le bon Dieu me fait un grand
honneur en me demandant mes enfants. Si je possédais quelque chose de
mieux, je m'empresserais de le lui offrir.» _Ce mieux_, c'était
lui-même! _Et le Seigneur le reçut comme une hostie d'holocauste, il
l'éprouva comme l'or dans la fournaise et le trouva, digne de lui[60]._

       *       *       *       *       *

Après la cérémonie extérieure, quand je rentrai au monastère,
Monseigneur entonna le _Te Deum_. Un prêtre lui fit remarquer que ce
cantique ne se chantait qu'aux professions, mais l'élan était donné et
l'hymne d'action de grâces se continua jusqu'à la fin. Ne fallait-il pas
que cette fête fût complète, puisqu'en elle se réunissaient toutes les
autres?

Au moment où je mettais le pied dans la clôture, mon regard se porta
d'abord sur mon joli petit Jésus[61] qui me souriait au milieu des
fleurs et des lumières; puis me tournant vers le préau, _je le vis tout
couvert de neige_! Quelle délicatesse de Jésus! Comblant les désirs de
sa petite fiancée, il lui donnait de la neige! Quel est donc le mortel,
si puissant soit-il, qui puisse en faire tomber du ciel un seul flocon
pour charmer sa bien-aimée?

Tout le monde s'étonna de cette neige comme d'un véritable événement, à
cause de la température contraire; et depuis, bien des personnes
instruites de mon désir parlèrent souvent, je le sais, «du petit
miracle» de ma prise d'habit, trouvant que j'avais un singulier goût
d'aimer la neige... Tant mieux! cela faisait ressortir davantage encore
l'incompréhensible condescendance de l'Epoux des vierges, de Celui qui
chérit les lis blancs comme la neige.

Monseigneur entra après la cérémonie et me combla de toutes sortes de
bontés paternelles: il me rappela, devant tous les prêtres qui
l'entouraient, ma visite à Bayeux, mon voyage à Rome, sans oublier _les
cheveux relevés_; puis, me prenant la tête dans ses mains, Sa Grandeur
me caressa longtemps. Notre-Seigneur me fit alors penser avec une
ineffable douceur aux caresses qu'il me prodiguera bientôt devant
l'assemblée des Saints, et cette consolation me devint comme un
avant-goût de la gloire céleste.

[Illustration: D'après une photographie de Janvier 1888

    _Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre_
    _Fixer sa tente au sommet du Thabor_
    _Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire_
    _C'est regarder la Croix comme un trésor!..._
]

       *       *       *       *       *

Je viens de le dire, la journée du 10 janvier fut le triomphe de mon bon
père; je compare cette fête à l'entrée de Jésus à Jérusalem, le dimanche
des Rameaux. Comme celle de notre divin Maître, sa gloire d'un jour fut
suivie d'une passion douloureuse; et de même que les souffrances de
Jésus percèrent le cœur de sa divine Mère, de même nos cœurs
ressentirent bien profondément les blessures et les humiliations de
celui que nous chérissions le plus sur la terre...

Je me rappelle qu'au mois de juin 1888,--au moment où nous craignions
pour lui une paralysie cérébrale--je surpris notre Maîtresse en lui
disant: «Je souffre beaucoup, ma Mère, mais je le sens, je puis souffrir
davantage encore.» Je ne pensais pas alors à l'épreuve qui nous
attendait. Je ne savais pas que, le 12 février, un mois après ma prise
d'habit, notre père vénéré s'abreuverait à un calice aussi amer!... Ah!
je n'ai pas dit alors pouvoir souffrir davantage! Les paroles ne peuvent
exprimer mes angoisses et celles de mes sœurs; je n'essaierai pas de
les écrire...

Plus tard, dans les cieux, nous aimerons à nous entretenir de ces jours
sombres de l'exil. Oui, les trois années du martyre de mon père me
paraissent les plus aimables, les plus fructueuses de notre vie, je ne
les échangerais pas pour les plus sublimes extases; et mon cœur, en
présence de ce trésor inestimable, s'écrie dans sa reconnaissance:
«_Soyez béni, mon Dieu, pour ces années de grâces que nous avons passées
dans les maux._»[62]

O ma Mère bien-aimée, qu'elle fut précieuse et _douce_ notre croix si
_amère_, puisque de tous nos cœurs ne se sont échappés que des
soupirs d'amour et de reconnaissance! Nous ne marchions plus, nous
courions, nous volions dans les sentiers de la perfection.

Léonie et Céline n'étaient plus du monde, tout en vivant au milieu du
monde. Les lettres qu'elles nous écrivaient à cette époque sont
empreintes d'une résignation admirable. Et quels parloirs je passais
avec ma Céline! Ah! loin de nous séparer, les grilles du Carmel nous
unissaient plus fortement: les mêmes pensées, les mêmes désirs, le même
amour de Jésus et des âmes nous faisaient vivre. Jamais un mot des
choses de la terre ne se mêlait à nos conversations. Comme autrefois aux
Buissonnets, nous plongions, non plus nos regards, mais nos cœurs,
jusque par delà les espaces et le temps; et, pour jouir bientôt d'un
bonheur éternel, nous choisissions ici-bas la souffrance et le mépris.

Mon désir de souffrances était comblé. Toutefois mon attrait pour elles
ne diminuait pas, aussi mon âme partagea-t-elle bientôt l'épreuve du
cœur. La sécheresse augmenta; je ne trouvais de consolation ni du
côté du ciel, ni du côté de la terre; et cependant, au milieu de ces
eaux de la tribulation que j'avais appelées de tous mes vœux, j'étais
la plus heureuse des créatures.

Ainsi s'écoula le temps de mes fiançailles, hélas! trop long pour mes
désirs. A la fin de mon année, vous me dîtes, ma Mère, de ne pas songer
à faire profession, que M. le Supérieur s'y opposait formellement; et je
dus attendre encore huit mois! Au premier moment, il me fut difficile
d'accepter un pareil sacrifice; mais bientôt la lumière divine pénétra
dans mon âme.

Je méditais alors les _Fondements de la Vie spirituelle_ par le P.
Surin. Un jour, pendant l'oraison, je compris que mon si vif désir de
prononcer mes vœux était mélangé d'un grand amour-propre; puisque
j'appartenais à Jésus comme _son petit jouet_, pour le consoler et le
réjouir, je ne devais pas l'obliger à faire ma volonté au lieu de la
sienne. Je compris de plus que, le jour de ses noces, une fiancée ne
serait pas agréable à son époux si elle n'était parée de magnifiques
ornements, et moi, je n'avais pas encore travaillé dans ce but. Alors je
dis à Notre-Seigneur: «Je ne vous demande plus de faire profession,
j'attendrai autant que vous le voudrez; seulement je ne pourrai souffrir
que, par ma faute, mon union avec vous soit différée; je vais donc
mettre tous mes soins à me faire une robe enrichie de diamants et de
pierreries de toutes sortes: quand vous la trouverez assez riche, je
suis sûre que rien ne vous empêchera de me prendre pour épouse.»

Je me mis à l'œuvre avec un courage nouveau. Depuis ma prise d'habit,
j'avais reçu déjà des lumières abondantes sur la perfection religieuse,
principalement au sujet du vœu de pauvreté. Pendant mon postulat,
j'étais contente d'avoir à mon usage des choses soignées et de trouver
sous ma main ce qui m'était nécessaire. Jésus souffrait cela patiemment;
car il n'aime pas à tout montrer aux âmes en même temps, il ne donne
ordinairement sa lumière que petit à petit.

Au commencement de ma vie spirituelle, vers l'âge de treize à quatorze
ans, je me demandais ce que je gagnerais plus tard, je croyais alors
impossible de mieux comprendre la perfection; mais j'ai reconnu bien
vite que plus on avance dans ce chemin, plus on se croit éloigné du
terme. Maintenant je me résigne à me voir toujours imparfaite, et même
j'y trouve ma joie.

Je reviens aux leçons que me donna Notre-Seigneur. Un soir, après
complies, je cherchai vainement notre lampe sur les planches destinées à
cet usage; c'était grand silence, impossible de la réclamer. Je me dis
avec raison qu'une sœur croyant prendre sa lanterne avait emporté la
nôtre. Mais fallait-il passer une heure entière dans les ténèbres, à
cause de cette méprise? Justement ce soir-là je comptais beaucoup
travailler. Sans la lumière intérieure de la grâce, je me serais plainte
assurément; avec elle, au lieu de ressentir du chagrin, je fus heureuse,
pensant que la pauvreté consiste à se voir privée, non seulement des
choses agréables, mais indispensables. Et dans les ténèbres extérieures,
je trouvai mon âme illuminée d'une clarté divine.

Je fus prise à cette époque d'un véritable amour pour les objets les
plus laids et les moins commodes: ainsi j'éprouvai de la joie lorsque je
me vis enlever la jolie petite cruche de notre cellule, pour recevoir à
sa place une grosse cruche tout ébréchée. Je faisais aussi bien des
efforts pour ne pas m'excuser, ce qui m'était très difficile surtout
avec notre Maîtresse à laquelle je n'aurais rien voulu cacher.

Ma première victoire n'est pas grande, mais elle m'a bien coûté. Un
petit vase, laissé par je ne sais qui derrière une fenêtre, se trouva
brisé. Notre Maîtresse me croyant coupable de l'avoir laissé traîner, me
dit de faire plus attention une autre fois, que je manquais totalement
d'ordre; enfin elle parut mécontente. Sans rien dire, je baisai la
terre, ensuite je promis d'avoir plus d'ordre à l'avenir. A cause de mon
peu de vertu, ces petites pratiques, je l'ai dit, me coûtaient beaucoup,
et j'avais besoin de penser qu'au jour du Jugement tout serait révélé.

Je m'appliquais surtout aux petits actes de vertu bien cachés; ainsi
j'aimais à plier les manteaux oubliés par les sœurs, et je cherchais
mille occasions de leur rendre service. L'attrait pour la pénitence me
fut aussi donné; mais rien ne m'était permis pour le satisfaire. Les
seules mortifications que l'on m'accordait consistaient à mortifier mon
amour-propre; ce qui me faisait plus de bien que les pénitences
corporelles.

Cependant la sainte Vierge m'aidait à préparer la robe de mon âme;
aussitôt qu'elle fut achevée, les obstacles s'évanouirent, et ma
profession se trouva fixée au 8 septembre 1890. Tout ce que je viens de
dire en si peu de mots demanderait bien des pages; mais ces pages ne se
liront jamais sur la terre...

[Illustration]

[Illustration: VOIE D'ENFANCE SPIRITUELLE

TU MARCHES À LA SPLENDEUR QUI JAILLIT DE SON VISAGE HEUREUSE ES-TU PARCE
QUE CE QUI PLAÎT À DIEU T'A ÉTÉ RÉVÉLÉ. Bar. III

... «Avant de partir, mon Jésus m'a demandé dans quel pays je
     voulais voyager, quelle route je désirais suivre. Je lui ai répondu
     que je n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre au sommet de la
     montagne de l'AMOUR.

     Et Notre-Seigneur me prit par la main...»
]



CHAPITRE VIII

     Les Noces divines.--Une retraite de grâces.--La dernière larme
     d'une sainte.--Mort de son père.--Comment Notre-Seigneur comble
     tous ses désirs.--Une victime d'Amour.


Faut-il vous parler, ma Mère, de ma retraite de profession? Bien loin
d'être consolée, l'aridité la plus absolue, presque l'abandon, furent
mon partage. Jésus dormait comme toujours dans ma petite nacelle. Ah! je
vois que bien rarement les âmes le laissent dormir tranquillement en
elles. Ce bon Maître est si fatigué de faire continuellement des frais
et des avances, qu'il s'empresse de profiter du repos que je lui offre.
Il ne se réveillera pas sans doute avant ma grande retraite de
l'éternité; mais au lieu d'en avoir de la peine, cela me fait un extrême
plaisir.

Vraiment, je suis loin d'être sainte; rien que cette disposition en est
une preuve. Je devrais, non pas me réjouir de ma sécheresse, mais
l'attribuer à mon peu de ferveur et de fidélité, je devrais me désoler
de dormir bien souvent pendant mes oraisons et mes actions de grâces. Eh
bien, je ne me désole pas! Je pense que les petits enfants plaisent
autant à leurs parents lorsqu'ils dorment que lorsqu'ils sont éveillés;
je pense que, pour faire des opérations, les médecins endorment leurs
malades; enfin je pense que _le Seigneur voit notre fragilité, qu'il se
souvient que nous ne sommes que poussière_[63].

       *       *       *       *       *

Ma retraite de profession fut donc, comme celles qui suivirent, une
retraite de grande aridité. Cependant, sans même que je m'en aperçusse,
les moyens de plaire à Dieu et de pratiquer la vertu m'étaient alors
clairement dévoilés. J'ai remarqué bien des fois que Jésus ne veut pas
me donner de provisions. Il me nourrit à chaque instant d'une nourriture
toute nouvelle; je la trouve en moi, sans savoir comment elle y est. Je
crois tout simplement que c'est Jésus lui-même, caché au fond de mon
pauvre petit cœur, qui agit en moi d'une façon mystérieuse et
m'inspire tout ce qu'il veut que je fasse au moment présent.

Quelques heures avant ma profession, je reçus de Rome, par le vénéré
Frère Siméon, la bénédiction du Saint-Père, bénédiction bien précieuse
qui m'aida certainement à traverser la plus furieuse tempête de toute ma
vie.

Pendant la pieuse veille, ordinairement si douce, qui précède l'aurore
du grand jour, ma vocation m'apparut tout à coup comme un rêve, une
chimère; le démon--car c'était lui--m'inspirait l'assurance que la vie
du Carmel ne me convenait aucunement, que je trompais les supérieurs en
avançant dans une voie où je n'étais pas appelée. Mes ténèbres devinrent
si épaisses que je ne compris plus qu'une seule chose: n'ayant pas la
vocation religieuse, je devais retourner dans le monde.

Ah! comment dépeindre mes angoisses! Que faire dans une semblable
perplexité? Je me décidai au meilleur parti: découvrir sans retard cette
tentation à notre Maîtresse. Je la fis donc sortir du chœur; et,
remplie de confusion, je lui avouai l'état de mon âme. Heureusement elle
vit plus clair que moi, se contenta de rire de ma confidence et me
rassura complètement. D'ailleurs, l'acte d'humilité que je venais de
faire avait mis en fuite le démon comme par enchantement. Ce qu'il
voulait, c'était m'empêcher de confesser mon trouble et, par là,
m'entraîner dans ses pièges. Mais je l'attrapai à mon tour: pour rendre
mon humiliation plus complète, je voulus aussi tout vous dire, ma Mère
bien-aimée, et votre réponse consolante acheva de dissiper mes doutes.

       *       *       *       *       *

Dès le matin du 8 septembre, je fus inondée d'un fleuve de paix et, dans
cette paix _qui surpasse tout sentiment_[64], je prononçai mes saints
vœux. Que de grâces n'ai-je pas demandées! Je me sentais vraiment la
«reine», et je profitai de mon titre pour obtenir toutes les faveurs du
Roi envers ses sujets ingrats. Je n'oubliai personne: je voulais que ce
jour-là tous les pécheurs de la terre se convertissent, que le
purgatoire ne renfermât plus un seul captif. Je portais aussi sur mon
cœur ce petit billet contenant ce que je désirais pour moi:

     «_O Jésus, mon divin Epoux, faites que la robe de mon baptême ne
     soit jamais ternie! Prenez-moi, plutôt gué de me laisser ici-bas
     souiller mon âme en commettant la plus petite faute volontaire. Que
     je ne cherche et ne trouve jamais que vous seul! Que les créatures
     ne soient rien pour moi, et moi, rien pour elles! Qu'aucune des
     choses de la terre ne trouble ma paix._

     «_O Jésus, je ne vous demande que la paix!... La paix, et surtout
     l'_AMOUR _sans bornes, sans limites! Jésus! que pour vous je meure
     martyre; donnez-moi le martyre du cœur ou celui du corps. Ah!
     plutôt donnez-les-moi tous deux!_

     «_Faites que je remplisse mes engagements dans toute leur
     perfection, que personne ne s'occupe de moi, que je sois foulée aux
     pieds, oubliée comme un petit grain de sable. Je m'offre à vous,
     mon Bien-Aimé, afin que vous accomplissiez parfaitement en moi
     votre volonté sainte, sans que jamais les créatures y puissent
     mettre obstacle._»

A la fin de ce beau jour, ce fut sans tristesse que je déposai, selon
l'usage, ma couronne de roses aux pieds de la sainte Vierge; je sentais
que le temps n'emporterait pas mon bonheur...

La Nativité de Marie! quelle belle fête pour devenir l'épouse de Jésus!
C'était la _petite_ sainte Vierge d'un jour qui présentait sa _petite_
fleur au _petit_ Jésus. Ce jour-là, tout était _petit_; excepté les
grâces que j'ai reçues, excepté ma paix et ma joie en contemplant le
soir les belles étoiles du firmament, en pensant que _bientôt_ je
m'envolerais au ciel pour m'unir à mon divin Epoux, au sein d'une
allégresse éternelle.

       *       *       *       *       *

Le 24 eut lieu la cérémonie de ma Prise de Voile. Cette fête fut tout
entière _voilée_ de larmes. Papa était trop malade pour venir bénir sa
reine; au dernier moment, Mgr Hugonin qui devait présider en fut empêché
lui-même; enfin, à cause de plusieurs autres circonstances encore, tout
fut tristesse et amertume... Cependant la paix, toujours la paix se
trouvait pour moi au fond du calice. Ce jour-là, Jésus permit que je ne
pusse retenir mes larmes... et mes larmes ne furent pas comprises... En
effet, j'avais supporté sans pleurer des épreuves beaucoup plus grandes;
mais alors, j'étais aidée d'une grâce puissante; tandis que, le 24,
Jésus me laissa à mes propres forces, et je montrai combien elles
étaient petites.

Huit jours après ma Prise de Voile, ma cousine, Jeanne Guérin, épousa le
Dr La Néele. Au parloir suivant, l'entendant parler des prévenances
dont elle entourait son mari, je sentis mon cœur tressaillir: «Il ne
sera pas dit, pensai-je, qu'une femme du monde fera plus pour son époux,
simple mortel, que moi pour mon Jésus bien-aimé.» Et, remplie d'une
ardeur nouvelle, je m'efforçai plus que jamais de plaire en toutes mes
actions à l'Epoux céleste, au Roi des rois qui avait bien voulu m'élever
jusqu'à son alliance divine.

Ayant vu la lettre de faire-part du mariage, je m'amusai à composer
l'invitation suivante que je lus aux novices, pour leur faire remarquer
ce qui m'avait tant frappée moi-même: combien la gloire des unions de la
terre est peu de chose, comparée aux titres d'une épouse de Jésus:

     LE DIEU TOUT-PUISSANT, Créateur du ciel et de la terre, souverain
     Dominateur du monde, et la TRÈS GLORIEUSE VIERGE MARIE, Reine de la
     cour céleste, veulent bien vous faire part du mariage spirituel de
     leur auguste Fils, JÉSUS, Roi des rois et Seigneur des seigneurs,
     avec la petite THÉRÈSE Martin, maintenant Dame et Princesse des
     royaumes apportés en dot par son divin Epoux: l'Enfance de Jésus et
     sa Passion, d'où lui viennent ses titres de noblesse: DE
     L'ENFANT-JÉSUS ET DE LA SAINTE FACE.

     N'ayant pu vous inviter à la fête des Noces qui a été célébrée sur
     la Montagne du Carmel, le 8 septembre 1890,--la cour céleste y
     étant seule admise--vous êtes néanmoins priés de vous rendre au
     Retour de Noces qui aura lieu Demain, jour de l'Eternité, auquel
     jour Jésus, Fils de Dieu, viendra sur les nuées du ciel, dans
     l'éclat de sa majesté, pour juger les vivants et les morts.

     L'heure étant encore incertaine, vous êtes invités à vous tenir
     prêts et à veiller.

Et maintenant, ma Mère, que vous dirai-je? C'est entre vos mains que je
me suis donnée à Jésus, vous me connaissez depuis mon enfance, ai-je
besoin de vous écrire mes secrets? Ah! je vous en prie, pardonnez-moi si
j'abrège beaucoup l'histoire de ma vie religieuse.

L'année qui suivit ma profession, je reçus de grandes grâces pendant la
retraite générale. Ordinairement les retraites prêchées me sont très
pénibles; mais cette fois il en fut autrement. Je m'y étais préparée par
une neuvaine fervente, il me semblait que j'allais tant souffrir! Le
Révérend Père, disait-on, s'entendait plutôt à convertir les pécheurs
qu'à faire avancer les âmes religieuses. Eh bien, je suis donc une
grande pécheresse, car le bon Dieu se servit de ce saint religieux pour
me consoler.

J'avais alors des peines intérieures de toutes sortes que je me sentais
incapable de dire; et voilà que mon âme se dilata parfaitement, je fus
comprise d'une façon merveilleuse et même devinée. Le Père me lança à
pleines voiles sur les flots de la confiance et de l'amour qui
m'attiraient si fort, mais sur lesquels je n'osais avancer. Il me dit
que mes fautes ne faisaient pas de peine au bon Dieu: «En ce moment,
ajouta-t-il, je tiens sa place auprès de vous; eh bien, je vous affirme
de sa part qu'il est très content de votre âme.»

Oh! que je fus heureuse en écoutant ces consolantes paroles! Jamais je
n'avais entendu dire que les fautes pouvaient ne pas faire de peine au
bon Dieu. Cette assurance me combla de joie; elle me fit supporter
patiemment l'exil de la vie. C'était bien là, d'ailleurs, l'écho de mes
pensées intimes. Oui, je croyais depuis longtemps que le Seigneur est
plus tendre qu'une mère, et je connais à fond plus d'un cœur de mère!
Je sais qu'une mère est toujours prête à pardonner les petites
indélicatesses involontaires de son enfant. Que de fois n'en ai-je pas
fait la douce expérience? Nul reproche ne m'aurait autant touchée qu'une
seule des caresses maternelles; je suis d'une nature telle que la
crainte me fait reculer; avec l'amour, non seulement j'avance, mais je
vole!

       *       *       *       *       *

Deux mois après cette retraite bénie, notre vénérée Fondatrice, Mère
Geneviève de Sainte-Thérèse, quitta notre petit Carmel pour entrer au
Carmel des Cieux.

Mais, avant de vous parler de mes impressions au moment de sa mort, je
veux, ma Mère, vous dire mon bonheur d'avoir vécu plusieurs années avec
une sainte non point inimitable, mais sanctifiée par des vertus cachées
et ordinaires. Plus d'une fois j'ai reçu d'elle de grandes consolations.

Un dimanche, en entrant à l'infirmerie pour lui faire ma petite visite,
je trouvai près d'elle deux sœurs anciennes; je me retirais
discrètement, lorsqu'elle m'appela et me dit d'un air inspiré:
«Attendez, ma petite fille, j'ai seulement un mot à vous dire: vous me
demandez toujours un bouquet spirituel, eh bien, aujourd'hui, je vous
donne celui-ci: «_Servez Dieu avec paix et avec joie; rappelez-vous, mon
enfant, que notre Dieu est le Dieu de la paix._»

Après l'avoir simplement remerciée, je sortis, émue jusqu'aux larmes et
convaincue que le bon Dieu lui avait révélé l'état de mon âme. Ce
jour-là, j'étais extrêmement éprouvée, presque triste, dans une nuit
telle que je ne savais plus si j'étais aimée de Dieu. Mais la joie et
la consolation qui remplacèrent ces ténèbres, vous les devinez, ma Mère
chérie...

Le dimanche suivant, je voulus savoir quelle révélation Mère Geneviève
avait eue; elle m'assura n'en avoir reçu aucune. Alors mon admiration
fut plus grande encore, voyant à quel degré éminent Jésus vivait en son
âme et la faisait agir et parler. Ah! cette sainteté-là me paraît la
plus vraie, la plus _sainte_; c'est elle que je désire, car il ne s'y
rencontre aucune illusion.

Le jour où cette vénérée Mère quitta l'exil pour la patrie, je reçus une
grâce toute particulière. C'était la première fois que j'assistais à une
mort; vraiment ce spectacle était ravissant! Mais pendant les deux
heures que je passai au pied du lit de la sainte mourante, une espèce
d'insensibilité s'était emparée de moi; j'en éprouvais de la peine,
lorsqu'au moment même de la naissance au ciel de notre Mère, ma
disposition intérieure changea complètement. En un clin d'œil, je me
sentis remplie d'une joie et d'une ferveur indicibles, comme si l'âme
bienheureuse de notre sainte Mère m'eût donné, à cet instant, une partie
de la félicité dont elle jouissait déjà; car je suis bien persuadée
qu'elle est allée droit au ciel.

Pendant sa vie, je lui dis un jour: «O ma Mère, vous n'irez pas en
purgatoire.»--«Je l'espère!» me répondit-elle avec douceur. Certainement
le bon Dieu n'a pu tromper une espérance si remplie d'humilité; toutes
les faveurs que nous avons reçues en sont la preuve.

Chaque sœur s'empressa de réclamer quelque relique de notre Mère
vénérée; et vous savez, ma Mère, celle que je conserve précieusement.
Pendant son agonie, je remarquai une larme qui scintillait à sa paupière
comme un beau diamant. Cette larme, la dernière de toutes celles qu'elle
répandit sur la terre, ne tomba pas; je la vis encore briller lorsque la
dépouille mortelle de notre Mère fut exposée au chœur. Alors,
prenant un petit linge fin, j'osai m'approcher le soir, sans être vue de
personne, et j'ai maintenant le bonheur de posséder la dernière larme
d'une sainte.

Je n'attache pas d'importance à mes rêves, d'ailleurs j'en ai rarement
de symboliques, et je me demande même comment il se fait que, pensant
toute la journée au bon Dieu, je ne m'en occupe pas davantage pendant
mon sommeil. Ordinairement je rêve les bois, les fleurs, les ruisseaux
et la mer. Presque toujours je vois de jolis petits enfants, j'attrape
des papillons et des oiseaux comme jamais je n'en ai vu. Si mes rêves
ont une apparence poétique, vous voyez, ma Mère, qu'ils sont loin d'être
mystiques.

Une nuit, après la mort de Mère Geneviève, j'en fis un plus consolant.
Cette sainte Mère donnait à chacune de nous quelque chose qui lui avait
appartenu. Quand vint mon tour, je croyais ne rien recevoir, car ses
mains étaient vides. Me regardant alors avec tendresse, elle me dit par
trois fois: «_A vous, je laisse mon cœur._»

       *       *       *       *       *

Un mois après cette mort si précieuse devant Dieu, c'est-à-dire dans les
derniers jours de l'année 1891, l'épidémie de l'influenza sévit dans la
communauté; je ne fus que légèrement atteinte et restai debout avec deux
autres sœurs. Il est impossible de se figurer l'état navrant de notre
Carmel en ces jours de deuil. Les plus malades étaient soignées par
celles qui se traînaient à peine; la mort régnait partout; et lorsqu'une
de nos sœurs avait rendu le dernier soupir, il fallait, hélas!
l'abandonner aussitôt.

Le jour de mes 19 ans fut attristé par la mort de notre vénérée Mère
Sous-Prieure; je l'assistai avec l'infirmière pendant son agonie. Cette
mort fut bientôt suivie de deux autres. Je me trouvais seule alors à la
sacristie et je me demande comment j'ai pu suffire à tout.

Un matin, au signal du réveil, j'eus le pressentiment que sœur
Madeleine n'était plus. Le dortoir[65] se trouvait dans une obscurité
complète; personne ne sortait des cellules. Je me décidai pourtant à
pénétrer dans celle de sœur Madeleine que je vis, en effet, habillée
et couchée sur sa paillasse dans l'immobilité de la mort. Je n'eus pas
la moindre frayeur; et, courant à la sacristie, j'apportai bien vite un
cierge, et lui mis sur la tête une couronne de roses. Au milieu de cet
abandon, je sentais la main du bon Dieu, son Cœur qui veillait sur
nous! C'était sans effort que nos chères sœurs passaient à une vie
meilleure; une expression de joie céleste se répandait sur leur visage,
elles semblaient reposer dans un doux sommeil.

Pendant ces longues semaines d'épreuves, je pus avoir l'ineffable
consolation de faire tous les jours la sainte communion. Ah! que c'était
doux! Jésus me gâta longtemps, plus longtemps que ses fidèles épouses.
Après l'influenza, il voulut venir à moi quelques mois encore, sans que
la communauté partageât mon bonheur. Je n'avais pas demandé cette
exception, mais j'étais bien heureuse de m'unir chaque jour à mon
Bien-Aimé.

Je l'étais aussi de pouvoir toucher aux vases sacrés, de préparer les
petits langes destinés à recevoir Jésus. Je sentais qu'il me fallait
être bien fervente, et je me rappelais souvent cette parole adressée à
un saint diacre: «_Soyez saint, vous qui touchez les vases du
Seigneur._»[66]

Que vous dirai-je, ma Mère, de mes actions de grâces en ce temps-là et
toujours? Il n'y a pas d'instants où je sois moins consolée! Et n'est-ce
pas bien naturel, puisque je ne désire pas recevoir la visite de
Notre-Seigneur pour ma satisfaction, mais uniquement pour son plaisir à
lui?

[Illustration: SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS

_préparant les vases sacrés lorsqu'elle était sacristine_.

(D'après une photographie de juin 1890.)]

Je me représente mon âme comme un terrain libre, et je demande à la
sainte Vierge d'en ôter les décombres, qui sont les imperfections;
ensuite je la supplie de dresser elle-même une vaste tente digne du
ciel, et de l'orner de ses propres parures. Puis j'invite tous les Anges
et les Saints à venir chanter des cantiques d'amour. Il me semble alors
que Jésus est content de se voir si magnifiquement reçu; et moi, je
partage sa joie. Tout cela n'empêche pas les distractions et le sommeil
de venir m'importuner; aussi n'est-il pas rare que je prenne la
résolution de continuer mon action de grâces la journée entière, puisque
je l'ai si mal faite au chœur.

Vous voyez, ma Mère vénérée, que je suis loin de marcher par la voie de
la crainte; je sais toujours trouver le moyen d'être heureuse et de
profiter de mes misères. Notre-Seigneur lui-même m'encourage dans ce
chemin. Une fois, contrairement à mon habitude, je me sentais troublée
en me rendant à la sainte Table. Depuis plusieurs jours le nombre des
hosties n'étant pas suffisant, je n'en recevais qu'une parcelle; et, ce
matin-là, je fis cette réflexion bien peu fondée: «Si je ne reçois
aujourd'hui que la moitié d'une hostie, je vais croire que Jésus vient
comme à regret dans mon cœur!» Je m'approche... O bonheur! le prêtre,
s'arrêtant, me donna _deux hosties bien séparées_! N'était-ce pas une
douce réponse?

O ma Mère, que j'ai de sujets d'être reconnaissante envers Dieu! Je vais
vous faire encore une naïve confidence: Le Seigneur m'a montré la même
miséricorde qu'au roi Salomon. Tous mes désirs ont été satisfaits; non
seulement mes désirs de perfection, mais encore ceux dont je comprenais
la vanité sans l'avoir expérimentée. Ayant toujours regardé Mère Agnès
de Jésus comme mon idéal, je voulais lui ressembler en tout. La voyant
peindre de charmantes miniatures et composer de belles poésies, je
pensais que je serais heureuse de savoir peindre aussi[67], de pouvoir
exprimer mes pensées en vers et de faire du bien autour de moi.
Cependant je n'aurais pas voulu demander ces dons naturels, et mes
désirs restaient cachés au fond de mon cœur.

Jésus, caché lui aussi dans ce pauvre petit cœur, se plut à lui
montrer une fois de plus le néant de ce qui passe. Au grand étonnement
de la communauté, je réussis plusieurs travaux de peinture, je composai
des poésies, il me fut donné de faire du bien à quelques âmes. Et de
même que _Salomon se tournant vers les ouvrages de ses mains, où il
avait pris une peine si inutile, vit que tout est vanité et affliction
d'esprit sous le soleil_[68], je reconnus, par expérience, que le seul
bonheur de la terre consiste à se cacher, à rester dans une totale
ignorance des choses créées. Je compris que, sans l'amour, toutes les
œuvres ne sont que néant, même les plus éclatantes. Au lieu de me
faire du mal, de blesser mon âme, les dons que le Seigneur m'a prodigués
me portent vers lui, je vois qu'il est seul immuable, seul capable de
combler mes immenses désirs.

Mais, puisque je suis sur le chapitre de mes désirs, il en est d'un
autre genre que le divin Maître s'est plu à combler encore: désirs
enfantins, semblables à celui _de la neige_ de ma prise d'habit. Vous
savez, ma Mère, combien j'aime les fleurs. En me faisant prisonnière à
quinze ans, je renonçai pour toujours au bonheur de courir dans les
campagnes émaillées des trésors du printemps. Eh bien, jamais je n'ai
possédé plus de fleurs que depuis mon entrée au Carmel!

Il est d'usage dans le monde que les fiancés offrent de jolis bouquets à
leurs fiancées; Jésus ne l'oublia pas... Je reçus à foison pour son
autel des bluets, des coquelicots, de grandes pâquerettes, toutes les
fleurs qui me ravissent le plus. Une petite fleurette de mes amies, la
nielle des blés, avait seule manqué au rendez-vous; je souhaitais
beaucoup la revoir, et voilà que dernièrement elle vint me sourire et me
montrer que, dans les moindres choses comme dans les grandes, le bon
Dieu donne le centuple dès cette vie aux âmes qui pour son amour ont
tout quitté.

Un seul désir, le plus intime de tous et le plus irréalisable pour bien
des motifs, me restait encore. Ce désir était l'entrée de Céline au
Carmel de Lisieux. Cependant j'en avais fait l'entier sacrifice,
confiant à Dieu seul l'avenir de ma sœur chérie. J'acceptais qu'elle
partît au bout du monde, s'il le fallait, mais je voulais la voir comme
moi l'épouse de Jésus. Ah! que j'ai souffert en la sachant exposée dans
le monde à des dangers qui m'avaient été inconnus! Je puis dire que mon
affection fraternelle ressemblait plutôt à un amour de mère, j'étais
remplie de dévouement et de sollicitude pour son âme. Un certain jour,
elle dut aller avec ma tante et mes cousines à une réunion mondaine. Je
ne sais pourquoi j'en éprouvai plus de peine que jamais, et je versai un
torrent de larmes, suppliant Notre-Seigneur _de l'empêcher de danser_...
Ce qui arriva justement! Il ne permit pas que sa petite fiancée pût
danser ce soir-là--bien que d'habitude elle ne fût pas embarrassée pour
le faire gracieusement.--Son cavalier s'en trouva lui-même incapable, il
ne put faire autre chose que _marcher très religieusement avec
mademoiselle_, au grand étonnement de toute l'assistance. Après quoi, ce
pauvre monsieur s'esquiva tout honteux sans oser reparaître un seul
instant de la soirée. Cette aventure, unique en son genre, me fit
grandir en confiance et me montra clairement que le signe de Jésus était
aussi posé sur le front de ma sœur bien-aimée.

Le 29 juillet 1894, le Seigneur rappela à lui mon bon père si éprouvé et
si saint! Pendant les deux ans qui précédèrent sa mort, la paralysie
étant devenue générale, mon oncle le gardait près de lui, comblant sa
douloureuse vieillesse de toutes sortes d'égards. Mais à cause de son
état d'infirmité et d'impuissance, nous ne le vîmes qu'une seule fois au
parloir pendant tout le cours de sa maladie. Ah! quelle entrevue! Au
moment de nous séparer, comme nous lui disions au revoir, il leva les
yeux et, nous montrant du doigt le ciel, il resta ainsi bien longtemps,
n'ayant pour traduire sa pensée que cette seule parole prononcée d'une
voix pleine de larmes: «_Au ciel!!!_»

Ce beau ciel étant devenu son partage, les liens qui retenaient dans le
monde _son ange consolateur_ se trouvaient rompus. Mais les anges ne
restent pas sur la terre: lorsqu'ils ont accompli leur mission ils
retournent aussitôt vers Dieu, c'est pour cela qu'ils ont des ailes!
Céline essaya donc de voler au Carmel. Hélas! les difficultés semblaient
insurmontables. Un jour, ses affaires s'embrouillant de plus en plus, je
dis à Notre-Seigneur après la sainte communion: «Vous savez, mon Jésus,
combien j'ai désiré que l'épreuve de mon père lui servît de purgatoire.
Oh! que je voudrais savoir si mes vœux sont exaucés. Je ne vous
demande pas de me parler, je vous demande seulement un signe: Vous
connaissez l'opposition de Sœur*** à l'entrée de Céline; eh bien,
si désormais elle n'y met plus d'obstacles, ce sera votre réponse, vous
me direz par là que mon père est allé droit au ciel.»

O miséricorde infinie! condescendance ineffable! Le bon Dieu, qui tient
en sa main le cœur des créatures et l'incline comme il veut, changea
les dispositions de cette sœur. La première personne que je
rencontrai aussitôt après l'action de grâces, ce fut elle-même qui,
m'appelant, les larmes aux yeux, me parla de l'entrée de Céline, ne me
témoignant plus qu'un vif désir de la voir parmi nous! Et bientôt
Monseigneur, tranchant les dernières difficultés, vous permettait, ma
Mère, sans la moindre hésitation, d'ouvrir nos portes à la petite
colombe exilée[69].

Maintenant je n'ai plus aucun désir, si ce n'est d'aimer Jésus à la
folie! Oui, c'est l'AMOUR seul qui m'attire. Je ne désire plus ni la
souffrance, ni la mort, et cependant je les chéris toutes deux!
Longtemps je les ai appelées comme des messagères de joie... J'ai
possédé la souffrance et j'ai cru toucher le rivage du ciel! J'ai cru,
dès ma plus tendre jeunesse, que _la petite fleur_ serait cueillie en
son printemps; aujourd'hui, c'est l'abandon seul qui me guide, je n'ai
point d'autre boussole. Je ne sais plus rien demander avec ardeur,
excepté l'accomplissement parfait de la volonté de Dieu sur mon âme. Je
puis dire ces paroles du cantique de notre Père saint Jean de la Croix:

        Dans le cellier intérieur
    De mon Bien-Aimé, j'ai bu... et quand je suis sortie,
        Dans toute cette plaine
        Je ne connaissais plus rien,
    Et je perdis le troupeau que je suivais auparavant.

        Mon âme s'est employée
        Avec toutes ses ressources à son service;
        Je ne garde plus de troupeau,
        Je n'ai plus d'autre office,
    Car maintenant _tout mon exercice est d'_AIMER.

Ou bien encore:

    Depuis que j'en ai l'expérience,
    L'_amour_ est si puissant en œuvres
    Qu'il sait tirer profit de tout,
    Du bien et du mal qu'il trouve en moi,
    Et transformer mon âme en soi.

O ma Mère, qu'elle est douce la voie de _l'amour_! Sans doute on peut
tomber, on peut commettre des infidélités; mais l'amour, sachant _tirer
profit de tout_, a bien vite consumé _tout_ ce qui peut déplaire à
Jésus, ne laissant plus au fond du cœur qu'une humble et profonde
paix.

Ah! que de lumières n'ai-je pas puisées dans les œuvres de saint Jean
de la Croix! A l'âge de dix-sept et dix-huit ans je n'avais pas d'autre
nourriture. Mais plus tard, les auteurs spirituels me laissèrent tous
dans l'aridité; et je suis encore dans cette disposition. Si j'ouvre un
livre, même le plus beau, le plus touchant, mon cœur se serre
aussitôt et je lis sans pouvoir comprendre; ou, si je comprends, mon
esprit s'arrête sans pouvoir méditer.

Dans cette impuissance, l'Ecriture sainte et l'Imitation viennent à mon
secours; en elles je trouve une manne cachée, solide et pure. Mais c'est
par-dessus tout l'Evangile qui m'entretient pendant mes oraisons; là je
puise tout ce qui est nécessaire à ma pauvre petite âme. J'y découvre
toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux. Je
comprends et je sais par expérience que _le royaume de Dieu est au
dedans de nous_[70]. Jésus n'a pas besoin de livres ni de docteurs pour
instruire les âmes; lui, le Docteur des docteurs, enseigne sans bruit de
paroles. Jamais je ne l'ai entendu parler; mais je sais qu'il est en
moi. A chaque instant, il me guide et m'inspire; j'aperçois, juste au
moment où j'en ai besoin, des clartés inconnues jusque-là. Ce n'est pas
le plus souvent aux heures de prière qu'elles brillent à mes yeux, mais
au milieu des occupations de la journée.

Parfois cependant, une parole comme celle-ci--que j'ai tirée ce soir, à
la fin d'une oraison passée dans la sécheresse--vient me consoler:
«Voici le Maître que je te donne, il t'apprendra tout ce que tu dois
faire. Je veux te faire lire dans le Livre de vie où est contenue _la
science d'amour_[71].» La science d'amour! Ah! cette parole résonne
doucement à l'oreille de mon âme. Je ne désire que cette science-là!
Pour elle, _ayant donné toutes mes richesses_, comme l'épouse des
cantiques, _j'estime n'avoir rien donné_[72].

O ma Mère, après tant de grâces, ne puis-je pas chanter avec le
Psalmiste, _que le Seigneur est bon, que sa miséricorde est
éternelle_[73]! Il me semble que si toutes les créatures recevaient les
mêmes faveurs, Dieu ne serait craint de personne, mais _aimé_ jusqu'à
l'excès; par amour, et non pas en tremblant, jamais aucune âme ne
commettrait la moindre faute volontaire.

Mais enfin, je comprends que toutes les âmes ne peuvent pas se
ressembler; il faut qu'il y en ait de différentes familles, afin
d'honorer spécialement chacune des perfections divines. A moi, il a
donné sa MISÉRICORDE INFINIE, et c'est à travers ce miroir ineffable que
je contemple ses autres attributs. Alors tous m'apparaissent rayonnants
d'AMOUR: _la justice_ même, plus que les autres peut-être, me semble
revêtue _d'amour_. Quelle douce joie de penser que le Seigneur est
juste, c'est-à-dire qu'il tient compte de nos faiblesses, qu'il connaît
parfaitement la fragilité de notre nature! De quoi donc aurais-je peur?
Le bon Dieu infiniment juste qui daigne pardonner avec tant de
miséricorde les fautes de l'enfant prodigue, ne doit-il pas être _juste_
aussi envers moi _qui suis toujours avec lui_[74]?

En l'année 1895, j'ai reçu la grâce de comprendre plus que jamais
combien Jésus désire être aimé. Pensant un jour aux âmes qui s'offrent
comme victimes à la justice de Dieu, afin de détourner, en les attirant
sur elles, les châtiments réservés aux pécheurs, je trouvai cette
offrande grande et généreuse, mais j'étais bien loin de me sentir portée
à la faire.

«O mon divin Maître! m'écriai-je au fond de mon cœur, n'y aura-t-il
que votre justice à recevoir des hosties d'holocauste? _Votre amour
miséricordieux_ n'en a-t-il pas besoin lui aussi? De toutes parts il est
méconnu, rejeté... les cœurs auxquels vous désirez le prodiguer se
tournent vers les créatures, leur demandant le bonheur avec une
misérable affection d'un instant, au lieu de se jeter dans vos bras et
d'accepter la délicieuse fournaise de votre amour infini.

«O mon Dieu, votre amour méprisé va-t-il rester en votre Cœur? Il me
semble que si vous trouviez des âmes s'offrant comme VICTIMES
D'HOLOCAUSTE A VOTRE AMOUR, vous les consumeriez rapidement, que vous
seriez heureux de ne point comprimer les flammes de tendresse infinie
qui sont renfermées en vous.

«Si votre justice aime à se décharger, elle qui ne s'étend que sur la
terre, combien plus votre amour miséricordieux désire-t-il embraser les
âmes, puisque _votre miséricorde s'élève jusqu'aux cieux_[75]! O Jésus,
que ce soit moi cette heureuse victime, consumez votre petite hostie par
le feu du divin amour.»

Ma Mère, vous savez les flammes, ou plutôt les océans de grâces qui
vinrent inonder mon âme, aussitôt après ma donation du 9 juin 1895. Ah!
depuis ce jour, l'amour me pénètre et m'environne; à chaque instant,
cet _amour miséricordieux_ me renouvelle, me purifie et ne laisse en mon
cœur aucune trace de péché. Non, je ne puis craindre le purgatoire;
je sais que je ne mériterais même pas d'entrer avec les âmes saintes
dans ce lieu d'expiation; mais je sais aussi que le feu de l'amour est
plus sanctifiant que celui du purgatoire, je sais que Jésus ne peut
vouloir pour nous de souffrances inutiles, et qu'il ne m'inspirerait pas
les désirs que je ressens s'il ne voulait les combler.

[Illustration]

[Illustration: VOIE D'ENFANCE SPIRITUELLE JE SERAI TON GUIDE CONTINUEL
JE TE TRANSPORTERAI COMME EN TRIOMPHE DANS LES HAUTEURS DU CIEL Is.
LVIII.

CONFIANCE

     «Je suis trop petite pour gravir le rude escalier de la
     perfection... L'ascenseur qui doit m'élever jusqu'au ciel, ce sont
     vos bras, ô Jésus!»
]



CHAPITRE IX

     L'Ascenseur divin.--Premières invitations aux joies éternelles.--La
     nuit obscure.--La Table des pécheurs.--Comment cet ange de la terre
     comprend la charité fraternelle.--Une grande victoire.--Un soldat
     déserteur.


Mère bien-aimée, je croyais avoir fini, et vous me demandez plus de
détails sur ma vie religieuse. Je ne veux pas raisonner, mais je ne puis
m'empêcher de rire en prenant de nouveau la plume pour vous raconter des
choses que vous savez aussi bien que moi; enfin j'obéis. Je ne veux pas
chercher quelle utilité peut avoir ce manuscrit; je vous l'avoue, ma
Mère, si vous le brûliez sous mes yeux avant même de l'avoir lu, je n'en
éprouverais aucune peine.

       *       *       *       *       *

Dans la communauté, on croit généralement que vous m'avez gâtée de toute
façon depuis mon entrée au Carmel; mais _l'homme ne voit que
l'apparence, c'est Dieu qui lit au fond des cœurs_[76]. O ma Mère, je
vous remercie une fois encore de ne m'avoir pas ménagée; Jésus savait
bien qu'il fallait à sa petite fleur l'eau vivifiante de l'humiliation,
elle était trop faible pour prendre racine sans ce moyen, et c'est à
vous qu'elle doit cet inestimable bienfait.

Depuis quelques mois, le divin Maître a changé complètement sa manière
de faire pousser sa petite fleur: la trouvant sans doute assez arrosée,
il la laisse maintenant grandir sous les rayons bien chauds d'un soleil
éclatant. Il ne veut plus pour elle que son sourire, qu'il lui donne
encore par vous, ma Mère vénérée. Ce doux soleil, loin de flétrir la
petite fleur, la fait croître merveilleusement. Au fond de son calice,
elle conserve les précieuses gouttes de rosée qu'elle a reçues
autrefois; et ces gouttes lui rappelleront toujours qu'elle est petite
et faible. Toutes les créatures pourraient se pencher vers elle,
l'admirer, l'accabler de leurs louanges; cela n'ajouterait jamais une
ombre de vaine satisfaction à la véritable joie qu'elle savoure en son
cœur, se voyant aux yeux de Dieu un pauvre petit néant, rien de plus.

En disant que tous les compliments me laisseraient insensible, je ne
veux pas parler, ma Mère, de l'amour et de la confiance que vous me
témoignez; j'en suis au contraire bien touchée, mais je sens que je n'ai
rien à craindre, je puis en jouir maintenant à mon aise, rapportant au
Seigneur ce qu'il a bien voulu mettre de bon en moi. S'il lui plaît de
me faire paraître meilleure que je ne le suis, cela ne me regarde pas,
il est libre d'agir comme il veut.

Mon Dieu, que les voies par lesquelles vous conduisez les âmes sont
différentes! Dans la vie des Saints, nous en voyons un grand nombre qui
n'ont rien laissé d'eux après leur mort: pas le moindre souvenir, pas le
moindre écrit. Il en est d'autres, au contraire, comme notre Mère sainte
Thérèse, qui ont enrichi l'Eglise de leur doctrine sublime, ne craignant
pas _de révéler les secrets du Roi_[77], afin qu'il soit plus connu,
plus aimé des âmes. Laquelle de ces deux manières plaît le mieux à
Notre-Seigneur? Il me semble qu'elles lui sont également agréables.

Tous les bien-aimés de Dieu ont suivi le mouvement de l'Esprit-Saint qui
a fait écrire au prophète: «_Dites au juste que tout est bien._»[78]
Oui, tout est bien lorsqu'on ne recherche que la volonté divine; c'est
pour cela que moi, pauvre petite fleur, j'obéis à Jésus en essayant de
faire plaisir à celle qui me le représente ici-bas.

       *       *       *       *       *

Vous le savez, ma Mère, mon désir a toujours été de devenir sainte; mais
hélas! j'ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints,
qu'il existe entre eux et moi la même différence que nous voyons dans la
nature entre une montagne dont le sommet se perd dans les nuages, et le
grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants.

Au lieu de me décourager, je me suis dit: «Le bon Dieu ne saurait
inspirer des désirs irréalisables; je puis donc, malgré ma petitesse,
aspirer à la sainteté. Me grandir, c'est impossible! Je dois me
supporter telle que je suis, avec mes imperfections sans nombre; mais
je veux chercher le moyen d'aller au ciel par une petite voie bien
droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. Nous sommes dans un
siècle d'inventions: maintenant ce n'est plus la peine de gravir les
marches d'un escalier; chez les riches, un ascenseur le remplace
avantageusement. Moi, je voudrais aussi trouver _un ascenseur_ pour
m'élever jusqu'à Jésus; car je suis trop petite pour gravir le rude
escalier de la perfection.»

Alors j'ai demandé aux Livres saints l'indication de _l'ascenseur_,
objet de mon désir; et j'ai lu ces mots sortis de la bouche même de la
Sagesse éternelle: «_Si quelqu'un est_ TOUT PETIT, _qu'il vienne à
moi._»[79] Je me suis donc approchée de Dieu, devinant bien que j'avais
découvert ce que je cherchais; voulant savoir encore ce qu'il ferait au
_tout petit_, j'ai continué mes recherches et voici ce que j'ai trouvé:
«_Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous
porterai sur mon sein, et je vous balancerai sur mes genoux._»[80]

Ah! jamais paroles plus tendres, plus mélodieuses ne sont venues réjouir
mon âme. _L'ascenseur_ qui doit m'élever jusqu'au ciel, _ce sont vos
bras, ô Jésus!_ Pour cela je n'ai pas besoin de grandir, il faut au
contraire que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. O mon
Dieu, vous avez dépassé mon attente, et moi je veux chanter vos
miséricordes! _Vous m'avez instruite dès ma jeunesse, et jusqu'à présent
j'ai annoncé vos merveilles: je continuerai de les publier dans l'âge le
plus avancé[81]._

       *       *       *       *       *

Quel sera-t-il pour moi cet âge avancé? Il me semble que ce pourrait
être aussi bien maintenant que plus tard: deux mille ans ne sont pas
plus aux yeux du Seigneur que vingt ans... qu'un seul jour!

Mais ne croyez pas, ma Mère, que votre enfant désire vous quitter,
estimant comme une plus grande grâce de mourir à l'aurore plutôt qu'au
déclin du jour; ce qu'elle estime, ce qu'elle désire uniquement, c'est
de faire plaisir à Jésus. Maintenant qu'il semble s'approcher d'elle
pour l'attirer au séjour de la gloire, son cœur se réjouit; elle le
sait, elle l'a compris, le bon Dieu n'a besoin de personne, encore moins
d'elle que des autres, pour faire du bien sur la terre.

En attendant, ma Mère vénérée, je connais votre volonté: vous désirez
que j'accomplisse près de vous une mission bien douce, bien facile[82];
et cette mission je l'achèverai du haut des cieux. Vous m'avez dit,
comme Jésus à saint Pierre: «_Pais mes agneaux_»; et moi, je me suis
étonnée, je me suis trouvée trop petite, je vous ai suppliée de faire
paître vous-même vos petits agneaux et de me garder par grâce avec eux.
Répondant un peu à mon juste désir, vous m'avez plutôt nommée leur
première compagne que leur maîtresse, me commandant toutefois de les
conduire dans les pâturages fertiles et ombragés, de leur indiquer les
herbes les meilleures et les plus fortifiantes, de leur désigner avec
soin les fleurs brillantes, mais empoisonnées, auxquelles ils ne doivent
jamais toucher sinon pour les écraser sous leurs pas.

Ma Mère, comment se fait-il que ma jeunesse, mon inexpérience ne vous
aient point effrayée? Comment ne craignez-vous pas que je laisse égarer
vos agneaux? En agissant ainsi, peut-être vous êtes-vous rappelé que
souvent le Seigneur se plaît à donner la sagesse aux plus petits.

Sur la terre, elles sont bien rares les âmes qui ne mesurent pas la
puissance divine à leurs courtes pensées! Le monde veut bien que,
partout ici-bas, il y ait des exceptions; seul, le bon Dieu n'a pas le
droit d'en faire. Depuis longtemps, je le sais, cette manière de mesurer
l'expérience aux années se pratique parmi les humains; car, en son
adolescence, le saint roi David chantait au Seigneur: «_Je suis jeune et
méprisé._» Dans le même psaume cependant il ne craint pas de dire: «_Je
suis devenu plus prudent que les vieillards, parce que j'ai recherché
votre volonté. Votre parole est la lampe qui éclaire mes pas; je suis
prêt à accomplir vos ordonnances, et je ne suis troublé de rien._»[83]

Vous n'avez pas même jugé imprudent, ma Mère, de me dire un jour que le
divin Maître illuminait mon âme et me donnait l'expérience des années.
Je suis trop petite maintenant pour avoir de la vanité, je suis trop
petite encore pour savoir tourner de belles phrases afin de laisser
croire que j'ai beaucoup d'humilité; j'aime mieux convenir simplement
_que le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses_[84]; et la plus
grande, c'est de m'avoir montré ma petitesse, mon impuissance à tout
bien.

       *       *       *       *       *

Mon âme a connu bien des genres d'épreuves, j'ai beaucoup souffert
ici-bas! Dans mon enfance, je souffrais avec tristesse; aujourd'hui,
c'est dans la paix et la joie que je savoure tous les fruits amers. Pour
ne pas sourire en lisant ces pages, il faut, je l'avoue, que vous me
connaissiez à fond, ma Mère chérie; car est-il une âme apparemment moins
éprouvée que la mienne? Ah! si le martyre que je souffre depuis un an
apparaissait aux regards, quel étonnement! Puisque vous le voulez, je
vais essayer de l'écrire; mais il n'y a pas de termes pour expliquer ces
choses, et je serai toujours au-dessous de la réalité.

Au carême de l'année dernière, je me trouvai plus forte que jamais, et
cette force, malgré le jeûne que j'observais dans toute sa rigueur, se
maintint parfaitement jusqu'à Pâques; lorsque le jour du Vendredi Saint,
à la première heure, Jésus me donna l'espoir d'aller bientôt le
rejoindre dans son beau ciel. Oh! qu'il m'est doux ce souvenir!

Le jeudi soir, n'ayant pas obtenu la permission de rester au Tombeau la
nuit entière, je rentrai à minuit dans notre cellule. A peine ma tête se
posait-elle sur l'oreiller, que je sentis un flot monter en bouillonnant
jusqu'à mes lèvres; je crus que j'allais mourir et mon cœur se fendit
de joie. Cependant, comme je venais d'éteindre notre petite lampe, je
mortifiai ma curiosité jusqu'au matin et m'endormis paisiblement.

A cinq heures, le signal du réveil étant donné, je pensai tout de suite
que j'avais quelque chose d'heureux à apprendre; et, m'approchant de la
fenêtre, je le constatai bientôt en trouvant notre mouchoir rempli de
sang. O ma Mère, quelle espérance! J'étais intimement persuadée que mon
Bien-Aimé, en ce jour anniversaire de sa mort, me faisait entendre un
premier appel, comme un doux et lointain murmure qui m'annonçait son
heureuse arrivée.

Ce fut avec une grande ferveur que j'assistai à Prime, puis au Chapitre.
J'avais hâte d'être aux genoux de ma Mère pour lui confier mon bonheur.
Je ne ressentais pas la moindre fatigue, la moindre souffrance, aussi
j'obtins facilement la permission de finir mon carême comme je l'avais
commencé; et, ce jour du Vendredi Saint, je partageai toutes les
austérités du Carmel, sans aucun soulagement. Ah! jamais ces austérités
ne m'avaient semblé aussi délicieuses... l'espoir d'aller au ciel me
transportait d'allégresse.

Le soir de cet heureux jour je rentrai pleine de joie dans notre
cellule, et j'allais encore m'endormir doucement, lorsque mon bon Jésus
me donna, comme la nuit précédente, le même signe de mon entrée
prochaine dans l'éternelle vie. Je jouissais alors d'une foi si vive,
si claire, que la pensée du ciel faisait tout mon bonheur; je ne pouvais
croire qu'il y eût des impies n'ayant pas la foi, et me persuadais que,
certainement, ils parlaient contre leur pensée en niant l'existence d'un
autre monde.

Aux jours si lumineux du temps pascal, Jésus me fit comprendre qu'il y a
réellement des âmes sans foi et sans espérance qui, par l'abus des
grâces, perdent ces précieux trésors, source des seules joies pures et
véritables. Il permit que mon âme fût envahie par les plus épaisses
ténèbres et que la pensée du ciel, si douce pour moi depuis ma petite
enfance, me devînt un sujet de combat et de tourment. La durée de cette
épreuve n'était pas limitée à quelques jours, à quelques semaines; voilà
des mois que je la souffre, et j'attends encore l'heure de ma
délivrance. Je voudrais pouvoir exprimer ce que je sens; mais c'est
impossible! Il faut avoir voyagé sous ce sombre tunnel pour en
comprendre l'obscurité. Cependant je vais essayer de l'expliquer par une
comparaison.

Je suppose que je suis née dans un pays environné d'épais brouillards;
jamais je n'ai contemplé le riant aspect de la nature, jamais je n'ai vu
un seul rayon de soleil. Dès mon enfance, il est vrai, j'entends parler
de ces merveilles, je sais que le pays où j'habite n'est pas ma patrie,
qu'il en est un autre vers lequel je dois sans cesse aspirer. Ce n'est
pas une histoire inventée par un habitant des brouillards, c'est une
vérité indiscutable; car le Roi de la patrie au brillant soleil est venu
trente-trois ans dans le pays des ténèbres... Hélas! _et les ténèbres
n'ont point compris qu'il était la lumière du monde_[85].

Mais, Seigneur, votre enfant l'a comprise votre divine lumière! elle
vous demande pardon pour ses frères incrédules, elle accepte de manger
aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur, elle
s'assied pour votre amour à cette table remplie d'amertume, où les
pauvres pécheurs prennent leur nourriture et dont elle ne veut point se
lever avant le signe de votre main. Mais ne peut-elle pas dire en son
nom, au nom de ses frères coupables: «_Ayez pitié de nous, Seigneur, car
nous sommes de pauvres pécheurs_[86]?» Renvoyez-nous justifiés! Que tous
ceux qui ne sont point éclairés du flambeau de la foi le voient luire
enfin! O mon Dieu, s'il faut que la table souillée par eux soit purifiée
par une âme qui vous aime, je veux bien y manger seule le pain des
larmes, jusqu'à ce qu'il vous plaise de m'introduire dans votre lumineux
royaume; la seule grâce que je vous demande, c'est de ne jamais vous
offenser!

       *       *       *       *       *

Je vous disais, ma Mère, que la certitude d'aller un jour loin de mon
pays ténébreux m'avait été donnée dès mon enfance; non seulement je
croyais d'après ce que j'entendais dire, mais encore je sentais dans mon
cœur, par des aspirations intimes et profondes, qu'une autre terre,
une région plus belle, me servirait un jour de demeure stable, de même
que le génie de Christophe Colomb lui faisait pressentir un nouveau
monde. Quand, tout à coup, les brouillards qui m'environnent pénètrent
dans mon âme et m'enveloppent de telle sorte, qu'il ne m'est plus
possible même de retrouver en moi l'image si douce de ma patrie... Tout
a disparu!...

Lorsque je veux reposer mon cœur, fatigué des ténèbres qui
l'entourent, par le souvenir fortifiant d'une vie future et éternelle,
mon tourment redouble. Il me semble que les ténèbres, empruntant la voix
des impies, me disent en se moquant de moi: «Tu rêves la lumière, une
patrie embaumée, tu rêves la possession éternelle du Créateur de ces
merveilles, tu crois sortir un jour des brouillards où tu languis;
avance!... avance!... réjouis-toi de la mort qui te donnera, non ce que
tu espères, mais une nuit plus profonde encore, la nuit du néant!...»

       *       *       *       *       *

Mère bien-aimée, cette image de mon épreuve est aussi imparfaite que
l'ébauche comparée au modèle; cependant je ne veux pas en écrire plus
long, je craindrais de blasphémer... j'ai peur même d'en avoir trop dit.
Ah! que Dieu me pardonne! Il sait bien que, tout en n'ayant pas la
jouissance de la foi, je m'efforce d'en faire les œuvres. J'ai
prononcé plus d'actes de foi depuis un an que pendant toute ma vie.

A chaque nouvelle occasion de combat, lorsque mon ennemi veut me
provoquer, je me conduis en brave: sachant que c'est une lâcheté de se
battre en duel, je tourne le dos à mon adversaire sans jamais le
regarder en face; puis je cours vers mon Jésus, je lui dis être prête à
verser tout mon sang pour confesser qu'il y a un ciel, je lui dis être
heureuse de ne pouvoir contempler sur la terre, avec les yeux de l'âme,
ce beau ciel qui m'attend, afin qu'il daigne l'ouvrir pour l'éternité
aux pauvres incrédules.

Aussi, malgré cette épreuve qui m'enlève tout sentiment de jouissance,
je puis m'écrier encore: «_Seigneur, vous me comblez de joie par tout ce
que vous faites._»[87] Car est-il une joie plus grande que celle de
souffrir pour votre amour? Plus la souffrance est intense, moins elle
paraît aux yeux des créatures, plus elle vous fait sourire, ô mon Dieu!
Et si, par impossible, vous deviez l'ignorer vous-même, je serais encore
heureuse de souffrir, dans l'espérance que, par mes larmes, je pourrais
empêcher ou réparer peut-être une seule faute commise contre la foi.

Vous allez croire sans doute, ma Mère vénérée, que j'exagère un peu la
nuit de mon âme. Si vous en jugez par les poésies que j'ai composées
cette année, je dois vous paraître inondée de consolations, une enfant
pour laquelle le voile de la foi s'est presque déchiré! Et cependant...
ce n'est plus un voile, c'est un mur qui s'élève jusqu'aux cieux et
couvre le firmament étoilé!

Lorsque je chante le bonheur du ciel, l'éternelle possession de Dieu, je
n'en ressens aucune joie; car je chante simplement _ce que je veux
croire_. Parfois, je l'avoue, un tout petit rayon de soleil éclaire ma
sombre nuit, alors l'épreuve cesse un instant; mais ensuite, le souvenir
de ce rayon, au lieu de me consoler, rend mes ténèbres plus épaisses
encore.

Ah! jamais je n'ai si bien senti que le Seigneur est doux et
miséricordieux; il ne m'a envoyé cette lourde croix qu'au moment où je
pouvais la porter; autrefois je crois bien qu'elle m'aurait jetée dans
le découragement. Maintenant elle ne produit qu'une chose: enlever tout
sentiment de satisfaction naturelle dans mon aspiration vers la patrie
céleste.

       *       *       *       *       *

Ma Mère, il me semble qu'à présent rien ne m'empêche de m'envoler: car
je n'ai plus de grands désirs, si ce n'est celui d'aimer jusqu'à mourir
d'amour... Je suis libre, je n'ai aucune crainte, même celle que je
redoutais le plus, je veux dire la crainte de rester longtemps malade et
par suite d'être à charge à la communauté. Si cela fait plaisir au bon
Dieu, je consens volontiers à voir ma vie de souffrances, du corps et de
l'âme, se prolonger des années. Oh! non, je ne crains pas une longue
vie, je ne refuse pas le combat: «_Le Seigneur est la roche où je suis
élevée, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre; il est
mon bouclier, j'espère en lui._»[88] Jamais je n'ai demandé à Dieu de
mourir jeune; il est vrai, je n'ai pas cessé de croire qu'il en serait
ainsi, mais sans rien faire pour l'obtenir.

Souvent le Seigneur se contente du désir de travailler pour sa gloire;
et mes désirs, vous le savez, ma Mère, ont été bien grands! Vous savez
aussi que Jésus m'a présenté plus d'un calice amer par rapport à mes
sœurs chéries! Ah! le saint roi David avait raison lorsqu'il
chantait: «_Qu'il est bon, qu'il est doux à des frères d'habiter
ensemble dans une parfaite union[89]!_» Mais c'est au sein des
sacrifices que cette union doit s'accomplir sur la terre. Non, ce n'est
pas pour vivre avec mes sœurs que je suis venue dans ce Carmel béni;
je pressentais bien, au contraire, que ce devait être un sujet de
grandes souffrances lorsqu'on ne veut rien accorder à la nature.

Comment peut-on dire qu'il est plus parfait de s'éloigner des siens?
A-t-on jamais reproché à des frères de combattre sur le même champ de
bataille, de voler ensemble pour cueillir la palme du martyre? Sans
doute on a jugé avec raison qu'ils s'encouragent mutuellement; mais
aussi que le martyre de chacun devient celui de tous.

Ainsi en est-il dans la vie religieuse que les théologiens appellent un
martyre. En se donnant à Dieu, le cœur ne perd pas sa tendresse
naturelle: cette tendresse, au contraire, grandit en devenant plus pure
et plus divine. C'est de cette tendresse que je vous aime, ma Mère, et
que j'aime mes sœurs. Oui, je suis heureuse de combattre en famille
pour la gloire du Roi des cieux; mais je serais prête aussi à voler sur
un autre champ de bataille, si le divin Général m'en exprimait le désir:
un commandement ne serait pas nécessaire, mais un simple regard, un
signe suffirait!

Depuis mon entrée au Carmel, j'ai toujours pensé que, si Jésus ne
m'emportait bien vite au ciel, le sort de la petite colombe de Noé
serait le mien: qu'un jour le Seigneur, ouvrant la fenêtre de l'arche,
me dirait de voler bien loin vers des rivages infidèles, portant avec
moi la branche d'olivier. Cette pensée m'a fait planer plus haut que
tout le créé.

Comprenant que, même au Carmel, il pouvait y avoir des séparations, j'ai
voulu par avance habiter dans les cieux; j'ai accepté, non seulement de
m'exiler au milieu d'un peuple inconnu, mais, ce qui m'était bien plus
amer, j'ai accepté l'exil pour mes sœurs. Deux d'entre elles, en
effet, furent demandées par le Carmel de Saïgon, que notre monastère
avait fondé. Pendant quelque temps, il fut sérieusement question de les
y envoyer. Ah! je n'aurais pas voulu dire une parole pour les retenir,
bien que mon cœur fût brisé à la pensée des épreuves qui les
attendaient...

Maintenant tout est passé, les supérieurs ont mis des obstacles
insurmontables à leur départ; à ce calice, je n'ai fait que tremper mes
lèvres, juste le temps d'en goûter l'amertume.

Laissez-moi vous dire, ma Mère, pourquoi, si la sainte Vierge me guérit,
je désire répondre à l'appel de nos Mères d'Hanoï. Il paraît que pour
vivre dans les Carmels étrangers, il faut une vocation toute spéciale;
beaucoup d'âmes s'y croient appelées sans l'être en effet. Vous m'avez
dit, ma Mère, que j'avais cette vocation, et que ma santé seule mettait
obstacle à son accomplissement.

Ah! s'il me fallait un jour quitter mon berceau religieux, ce ne serait
pas sans blessure. Je n'ai pas un cœur insensible; et c'est justement
parce qu'il est capable de souffrir beaucoup, que je désire donner à
Jésus tous les genres de souffrances qu'il pourrait supporter. Ici, je
suis aimée de vous, ma Mère, de toutes mes sœurs, et cette affection
m'est bien douce: voilà pourquoi je rêve un monastère où je serais
inconnue, où j'aurais à souffrir l'exil du cœur. Non, ce n'est pas
dans l'intention de rendre service au Carmel d'Hanoï que je quitterais
tout ce qui m'est cher, je connais trop mon incapacité; mon seul but
serait d'accomplir la volonté du bon Dieu et de me sacrifier pour lui au
gré de ses désirs. Je sens bien que je n'aurais aucune déception; car,
lorsqu'on s'attend à une souffrance pure, on est plutôt surpris de la
moindre joie; et puis, la souffrance elle-même devient la plus grande
des joies, quand on la recherche comme un précieux trésor.

Mais je suis malade maintenant, et je ne guérirai pas. Toutefois je
reste dans la paix; depuis longtemps je ne m'appartiens plus, je suis
livrée totalement à Jésus... Il est donc libre de faire de moi tout ce
qui lui plaira. Il m'a donné l'attrait d'un exil complet, il m'a demandé
si je consentais à boire ce calice: aussitôt je l'ai voulu saisir, mais
lui, retirant sa main, me montra que l'acceptation seule le contentait.

Mon Dieu, de quelles inquiétudes on se délivre en faisant le vœu
d'obéissance! Que les simples religieuses sont heureuses! Leur unique
boussole étant la volonté des supérieurs, elles sont toujours assurées
d'être dans le droit chemin, n'ayant pas à craindre de se tromper, même
s'il leur paraît certain que les supérieurs se trompent. Mais, lorsqu'on
cesse de consulter la boussole infaillible, aussitôt l'âme s'égare dans
des chemins arides où l'eau de la grâce lui manque bientôt.

Ma Mère, vous êtes la boussole que Jésus m'a donnée pour me conduire
sûrement au rivage éternel. Qu'il m'est doux de fixer sur vous mon
regard et d'accomplir ensuite la volonté du Seigneur! En permettant que
je souffre des tentations contre la foi, le divin Maître a beaucoup
augmenté dans mon cœur _l'esprit de foi_ qui me le fait voir vivant
en votre âme et me communiquant par vous ses ordres bénis. Je sais
bien, ma Mère, que vous me rendez doux et léger le fardeau de
l'obéissance; mais il me semble, d'après mes sentiments intimes, que je
ne changerais pas de conduite et que ma tendresse filiale ne souffrirait
aucune diminution, s'il vous plaisait de me traiter sévèrement, parce
que je verrais encore la volonté de mon Dieu se manifestant d'une autre
façon pour le plus grand bien de mon âme.

[Illustration: CELLULE DE Sr THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS]

[Illustration: LE PREAU DU CARMEL DE LISIEUX

Un côté du Monastère.

_La fenêtre marquée d'une croix est celle de la cellule que St
Thérèse de l'Enfant-Jésus habita pendant les dernières années de sa
vie.--A gauche la salle du Chapitre où elle fit Profession._]

       *       *       *       *       *

Parmi les grâces sans nombre que j'ai reçues cette année, je n'estime
pas la moindre celle qui m'a donné de comprendre dans toute son étendue
le précepte de la charité. Je n'avais jamais approfondi cette parole de
Notre-Seigneur: «_Le second commandement est semblable au premier: Tu
aimeras ton prochain comme toi-même._»[90] Je m'appliquais surtout à
aimer Dieu, et c'est en l'aimant que j'ai découvert le secret de ces
autres paroles: «_Ce ne sont pas ceux qui disent: Seigneur! Seigneur!
qui entreront dans le royaume des deux: mais celui qui fait la volonté
de mon Père._»[91]

Cette volonté, Jésus me l'a fait connaître, lorsqu'à la dernière Cène il
donna son _commandement nouveau_, quand il dit à ses Apôtres _de
s'entr'aimer comme il les a aimés lui-même_[92]... Et je me suis mise à
rechercher comment Jésus avait aimé ses disciples; j'ai vu que ce
n'était pas pour leurs qualités naturelles, j'ai constaté qu'ils étaient
ignorants et remplis de pensées terrestres. Cependant il les appelle ses
amis, ses frères, il désire les voir près de lui dans le royaume de son
Père et, pour leur ouvrir ce royaume, il veut mourir sur la croix,
disant _qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour
ceux qu'on aime_[93].

En méditant ces paroles divines, j'ai vu combien mon amour pour mes
sœurs était imparfait, j'ai compris que je ne les aimais pas comme
Jésus les aime. Ah! je devine maintenant que la vraie charité consiste à
supporter tous les défauts du prochain, à ne pas s'étonner de ses
faiblesses, à s'édifier de ses moindres vertus; mais surtout, j'ai
appris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du
cœur, car _personne n'allume un flambeau pour le mettre sous le
boisseau, mais on le met sur le chandelier, afin qu'il éclaire tous ceux
qui sont dans la maison_[94]. Il me semble, ma Mère, que ce flambeau
représente la charité qui doit éclairer, réjouir, non seulement ceux qui
me sont le plus chers, mais _tous ceux qui sont dans la maison_.

Lorsque le Seigneur, dans l'ancienne loi, ordonnait à son peuple d'aimer
son prochain comme soi-même, il n'était pas encore descendu sur la
terre; et, sachant bien à quel degré l'on aime sa propre personne, il ne
pouvait demander davantage. Mais lorsque Jésus fait à ses Apôtres un
commandement nouveau, _son commandement à lui_[95], il n'exige plus
seulement d'aimer son prochain comme soi-même, mais comme il l'aime
lui-même, comme il l'aimera jusqu'à la consommation des siècles.

O mon Jésus! je sais que vous ne commandez rien d'impossible; vous
connaissez mieux que moi ma faiblesse et mon imperfection, vous savez
bien que jamais je n'arriverai à aimer mes sœurs comme vous les
aimez, si vous-même, ô mon divin Sauveur, ne les aimez encore _en moi_.
C'est parce que vous voulez m'accorder cette grâce que vous avez fait un
commandement _nouveau_. Oh! que je l'aime! puisqu'il me donne
l'assurance que votre volonté est _d'aimer en moi_ tous ceux que vous me
commandez d'aimer.

Oui, je le sens, lorsque je suis charitable c'est Jésus seul qui agit en
moi; plus je suis unie à lui, plus aussi j'aime toutes mes sœurs. Si
je veux augmenter en mon cœur cet amour et que le démon essaie de me
mettre devant les yeux les défauts de telle ou telle sœur, je
m'empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs; je me dis que, si
je l'ai vue tomber une fois, elle peut bien avoir remporté un grand
nombre de victoires qu'elle cache par humilité; et que, même ce qui me
paraît une faute peut très bien être, à cause de l'intention, un acte de
vertu. J'ai d'autant moins de peine à me le persuader que j'en fis
l'expérience par moi-même.

Un jour, pendant la récréation, la portière vint demander une sœur
pour une besogne qu'elle désigna. J'avais un désir d'enfant de
m'employer à ce travail, et justement le choix tomba sur moi. Aussitôt
je commence à plier notre ouvrage, mais assez doucement pour que ma
voisine ait plié le sien avant moi, car je savais la réjouir en lui
laissant prendre ma place. La sœur qui demandait de l'aide, me voyant
si peu pressée, dit en riant: «Ah! je pensais bien que vous ne mettriez
pas cette perle à votre couronne, vous alliez trop lentement!» Et toute
la communauté crut que j'avais agi par nature.

Je ne saurais dire combien ce petit événement me fut profitable et me
rendit indulgente. Il m'empêche encore d'avoir de la vanité quand je
suis jugée favorablement, car je me dis: Puisque mes petits actes de
vertu peuvent être pris pour des imperfections, on peut tout aussi bien
se tromper en appelant vertu ce qui n'est qu'imperfection; et je répète
alors avec saint Paul: «_Je me mets fort peu en peine d'être jugée par
aucun tribunal humain. Je ne me juge pas moi-même. Celui qui me juge,
c'est le Seigneur._»[96]

Oui, c'est le Seigneur, c'est Jésus qui me juge! Et pour me rendre son
jugement favorable, ou plutôt pour ne pas être jugée du tout, puisqu'il
a dit: «_Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés_[97]», je veux toujours
avoir des pensées charitables.

       *       *       *       *       *

Je reviens au saint Evangile où le Seigneur m'explique bien clairement
en quoi consiste son _commandement nouveau_.

Je lis en saint Matthieu: «_Vous avez appris qu'il a été dit: Vous
aimerez votre ami, et vous haïrez votre ennemi. Pour moi, Je vous dis:
Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent._»[98]

Sans doute, au Carmel, on ne rencontre pas d'ennemis, mais enfin, il y a
des sympathies; on se sent attiré vers telle sœur, au lieu que telle
autre vous ferait faire un long détour pour éviter sa rencontre. Eh
bien, Jésus me dit que cette sœur il faut l'aimer, qu'il faut prier
pour elle, quand même sa conduite me porterait à croire qu'elle ne
m'aime pas: «_Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en
saura-t-on? car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment._»[99] Et
ce n'est pas assez d'aimer, il faut le prouver. On est naturellement
heureux de faire plaisir à un ami; mais cela n'est point de la charité,
car les pécheurs le font aussi.

Voici ce que Jésus m'enseigne encore: «_Donnez à quiconque vous demande;
et si l'on prend ce qui vous appartient, ne le redemandez pas._»[100]
Donner à toutes celles qui demandent, c'est moins doux que d'offrir
soi-même par le mouvement de son cœur; encore, lorsqu'on vous demande
avec affabilité, cela ne coûte pas de donner; mais si par malheur on use
de paroles peu délicates, aussitôt l'âme se révolte quand elle n'est
pas affermie dans la charité parfaite; elle trouve alors mille raisons
pour refuser ce qui lui est ainsi demandé, et ce n'est qu'après avoir
convaincu la solliciteuse de son indélicatesse qu'elle lui donne _par
grâce_ ce qu'elle réclame, ou qu'elle lui rend un léger service qui lui
prend vingt fois moins de temps qu'il n'en a fallu pour faire valoir des
obstacles et des droits imaginaires.

S'il est difficile de donner à quiconque demande, il l'est encore bien
plus de _laisser prendre ce qui appartient sans le redemander_. O ma
Mère, je dis que c'est difficile, je devrais plutôt dire que cela
_semble_ difficile; car _le joug du Seigneur est suave et léger_[101]:
lorsqu'on l'accepte, on sent aussitôt sa douceur.

Je disais: Jésus ne veut pas que je réclame ce qui m'appartient; cela
devrait me paraître tout naturel, puisque réellement rien ne
m'appartient en propre: je dois donc me réjouir lorsqu'il m'arrive de
sentir la pauvreté dont j'ai fait le vœu solennel. Autrefois je
croyais ne tenir à quoi que ce soit; mais, depuis que les paroles de
Jésus me sont lumineuses, je me vois bien imparfaite. Par exemple si, me
mettant à l'ouvrage pour la peinture, je trouve les pinceaux en
désordre, si une règle ou un canif a disparu, la patience est bien près
de m'abandonner et je dois la prendre à deux mains pour ne pas réclamer
avec amertume les objets qui me manquent.

Ces choses indispensables je puis sans doute les demander, mais en le
faisant avec humilité je ne manque pas au commandement de Jésus; au
contraire, j'agis comme les pauvres qui tendent la main pour recevoir le
nécessaire; s'ils sont rebutés, ils ne s'en étonnent pas, personne ne
leur doit rien. Ah! quelle paix inonde l'âme lorsqu'elle s'élève
au--dessus des sentiments de la nature! Non, il n'est pas de joie
comparable à celle que goûte le véritable pauvre d'esprit! S'il demande
avec détachement une chose nécessaire, et que non seulement cette chose
lui soit refusée, mais encore que l'on essaie de prendre ce qu'il a, il
suit le conseil de Nôtre-Seigneur: «_Abandonnez même votre manteau à
celui qui veut plaider pour avoir votre robe._»[102]

Abandonner son manteau, c'est, il me semble, renoncer à ses derniers
droits, se considérer comme la servante, l'esclave des autres. Lorsqu'on
a quitté son manteau, c'est plus facile de marcher, de courir, aussi
Jésus ajoute-t-il: «_Et qui que ce soit qui vous force défaire mille
pas, faites-en deux mille de plus avec lui._»[103] Non, ce n'est pas
assez pour moi de donner à quiconque me demande, je dois aller au-devant
des désirs, me montrer très obligée, très honorée de rendre service; et,
si l'on prend une chose à mon usage, paraître heureuse d'en être
_débarrassée_.

Toutefois je ne puis pas toujours pratiquer à la lettre les paroles de
l'Evangile; il se rencontre des occasions où je me vois contrainte de
refuser quelque chose à mes sœurs. Mais lorsque la charité a jeté de
profondes racines dans l'âme, elle se montre à l'extérieur: il y a une
façon si gracieuse de refuser ce qu'on ne peut donner, que le refus fait
autant de plaisir que le don. Il est vrai qu'on se gêne moins de mettre
à contribution celles qui se montrent toujours disposées à obliger;
cependant, sous prétexte que je serais forcée de refuser, je ne dois pas
m'éloigner des sœurs qui demandent facilement des services, puisque
le divin Maître a dit: «_N'évitez point celui qui veut emprunter de
vous._»[104]

Je ne dois pas non plus être obligeante afin de le paraître ou dans
l'espoir qu'une autre fois la sœur que j'oblige me rendra service à
son tour; car Nôtre-Seigneur a dit encore: «_Si vous prêtez à ceux de
qui vous espérez recevoir quelque chose, quel gré vous en saura-t-on?
les pécheurs même prêtent aux pécheurs afin d'en recevoir autant. Mais
pour vous, faites du bien, prêtez sans en rien espérer, et votre
récompense sera grande._»[105]

Oh! oui, la récompense est grande, même sur la terre. Dans cette voie,
il n'y a que le premier pas qui coûte. _Prêter sans en rien espérer_,
cela paraît dur; on aimerait mieux _donner_, car une chose donnée
n'appartient plus. Lorsqu'on vient vous dire d'un air tout à fait
convaincu: «Ma sœur, j'ai besoin de votre aide pendant quelques
heures; mais soyez tranquille, j'ai permission de notre Mère, et je vous
rendrai le temps que vous me donnez.» Vraiment, lorsqu'on sait très bien
que jamais le temps prêté ne sera rendu, on aimerait mieux dire: «Je
vous le donne!» Cela contenterait l'amour-propre; Car c'est un acte plus
généreux de donner que de prêter, et puis on fait sentir à la sœur
que l'on ne compte pas sur ses services.

Ah! que les enseignements divins sont contraires aux sentiments de la
nature! Sans le secours de la grâce, il serait impossible, non seulement
de les mettre en pratique, mais encore de les comprendre.

       *       *       *       *       *

Ma Mère chérie, je sens que, plus que jamais, je me suis très mal
expliquée. Je ne sais quel intérêt vous pourrez trouver à lire toutes
ces pensées confuses. Enfin je n'écris pas pour faire une œuvre
littéraire; si je vous ennuie par cette sorte de discours sur la
charité, du moins vous verrez que votre enfant a fait preuve de bonne
volonté.

Hélas! je suis loin, je l'avoue, de pratiquer ce que je comprends; et
cependant le seul désir que j'en ai me donne la paix. S'il m'arrive de
tomber en quelque faute contraire, je me relève aussitôt; depuis
quelques mois, je n'ai plus même à combattre, je puis dire avec notre
Père saint Jean de la Croix: «_Ma demeure est entièrement pacifiée_», et
j'attribue cette paix intime à un certain combat dans lequel j'ai été
victorieuse. A partir de ce triomphe, la milice céleste vient à mon
secours, ne pouvant souffrir de me voir blessée après avoir lutté
vaillamment dans l'occasion que je vais décrire.

Une sainte religieuse de la communauté avait autrefois le talent de me
déplaire en tout; le démon s'en mêlait, car c'était lui certainement qui
me faisait voir en elle tant de côtés désagréables; aussi, ne voulant
pas céder à l'antipathie naturelle que j'éprouvais, je me dis que la
charité ne devait pas seulement consister dans les sentiments, mais se
laisser voir dans les œuvres. Alors je m'appliquai à faire pour cette
sœur ce que j'aurais fait pour la personne que j'aime le plus. A
chaque fois que je la rencontrais, je priais le bon Dieu pour elle, lui
offrant toutes ses vertus et ses mérites. Je sentais bien que cela
réjouissait grandement mon Jésus; car il n'est pas d'artiste qui n'aime
à recevoir des louanges de ses œuvres, et le divin Artiste des âmes
est heureux lorsqu'on ne s'arrête pas à l'extérieur, mais que, pénétrant
jusqu'au sanctuaire intime qu'il s'est choisi pour demeure, on en admire
la beauté.

Je ne me contentais pas de prier beaucoup pour celle qui me donnait tant
de combats, je tâchais de lui rendre tous les services possibles; et
quand j'avais la tentation de lui répondre d'une façon désagréable, je
m'empressais de lui faire un aimable sourire, essayant de détourner la
conversation; car il est dit dans l'Imitation _qu'il vaut mieux laisser
chacun dans son sentiment que de s'arrêter à contester_[106].

Souvent aussi, quand le démon me tentait violemment et que je pouvais
m'esquiver sans qu'elle s'aperçût de ma lutte intime, je m'enfuyais
_comme un soldat déserteur_.... Et sur ces entrefaites, elle me dit un
jour d'un air radieux: «Ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus,
voudriez-vous me confier ce qui vous attire tant vers moi? Je ne vous
rencontre pas que vous ne me fassiez le plus gracieux sourire.» Ah! ce
qui m'attirait, c'était Jésus caché au fond de son âme, Jésus qui rend
doux ce qu'il y a de plus amer!

       *       *       *       *       *

Je vous parlais à l'instant, ma Mère, de mon dernier moyen pour éviter
une défaite dans les combats de la vie, je veux dire _la désertion_. Ce
moyen peu honorable, je l'employais pendant mon noviciat, il m'a
toujours parfaitement réussi. Je vais vous en citer un éclatant exemple
qui, je crois, vous fera sourire:

Vous étiez malade depuis plusieurs jours d'une bronchite qui nous donna
bien des inquiétudes. Un matin, je vins tout doucement remettre à votre
infirmerie les clefs de la grille de communion, car j'étais sacristine.
Au fond, je me réjouissais d'avoir cette occasion de vous voir, mais je
me gardais bien de le faire paraître. Or, l'une de vos filles, animée
d'un saint zèle, crut que j'allais vous éveiller et voulut discrètement
me prendre les clefs. Je lui répondis, le plus poliment possible, que je
désirais autant qu'elle ne point faire de bruit, et j'ajoutai que
c'était _mon droit_ de rendre les clefs. Je comprends aujourd'hui qu'il
eût été plus parfait de céder tout simplement, mais je ne le comprenais
pas alors et voulus entrer à sa suite, malgré elle.

Bientôt le malheur redouté arriva, le bruit que nous faisions vous fit
ouvrir les yeux, et tout retomba sur moi! La sœur à laquelle j'avais
résisté se hâta de prononcer tout un discours, dont le fond était ceci:
«C'est ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus qui a fait le bruit.» Je
brûlais du désir de me défendre; mais heureusement il me vint une idée
lumineuse; je me dis que, certainement, si je commençais à me justifier
j'allais perdre la paix de mon âme; de plus, que ma vertu étant trop
faible pour me laisser accuser sans rien répliquer, je devais choisir la
fuite pour dernière planche de salut. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Je
partis... mais mon cœur battait si fort qu'il me fut impossible
d'aller loin, et je m'assis dans l'escalier pour jouir en paix des
fruits de ma victoire. Sans doute, c'était là une singulière bravoure;
cependant il vaut mieux, je crois, ne pas s'exposer au combat lorsque la
défaite est certaine.

Hélas! quand je pense au temps de mon noviciat, comme je constate mon
imperfection! Je ris maintenant de certaines choses. Ah! que le Seigneur
est bon d'avoir élevé mon âme, de lui avoir donné des ailes! Tous les
filets des chasseurs ne sauraient plus m'effrayer; car _c'est en vain
que l'on jette le filet devant les yeux de ceux qui ont des ailes_[107].

Plus tard, il se pourra que le temps où je suis me paraisse rempli de
bien des misères encore, mais je ne m'étonne plus de rien, je ne
m'afflige pas en me voyant la faiblesse même; au contraire, c'est en
elle que je me glorifie et je m'attends chaque jour à découvrir en moi
de nouvelles imperfections. Je l'avoue, ces lumières sur mon néant me
font plus de bien que des lumières sur la foi.

Me souvenant que _la charité couvre la multitude des péchés_[108], je
puise à cette mine féconde ouverte par le Seigneur dans son Evangile
sacré. Je fouille dans les profondeurs de ses paroles adorables, et je
m'écrie avec David: «_J'ai couru dans la voie de vos commandements,
depuis que vous avez dilaté mon cœur._»[109] Et la charité seule peut
dilater mon cœur... O Jésus! depuis que cette douce flamme le
consume, je cours avec délices dans la voie de _votre commandement
nouveau_, et je veux y courir jusqu'au jour bienheureux où, m'unissant
au cortège virginal, je vous suivrai dans les espaces infinis, chantant
votre _Cantique nouveau_ qui doit être celui de l'AMOUR.

[Illustration]

[Illustration: VOIE D'ENFANCE SPIRITUELLE PAIX · SIMPLICITÉ ·

TA FORCE EST DANS LE REPOS ET LA CONFIANCE Is. XXX. LE PLUS PETIT
DEVIENDRA LE CHEF D'UN PEUPLE NOMBREUX Is. LX.

     «Seigneur, vous le voyez, je suis trop petite pour nourrir vos
     enfants; si vous voulez leur donner par moi ce qui convient à
     chacune, remplissez ma petite main, et sans quitter vos bras, sans
     même détourner la tête, je distribuerai vos trésors à l'âme qui
     viendra me demander sa nourriture.»
]



CHAPITRE X

     Nouvelles lumières sur la charité.--Le petit pinceau: sa manière de
     peindre dans les âmes.--Une prière exaucée.--Les miettes qui
     tombent de la table des enfants.--Le bon Samaritain.--Dix minutes
     plus précieuses que mille ans des joies de la terre.


Ma Mère bien-aimée, le bon Dieu m'a fait cette grâce de pénétrer les
mystérieuses profondeurs de la charité. Si je pouvais exprimer ce que je
comprends, vous entendriez une mélodie du ciel. Mais hélas! je n'ai que
des bégaiements enfantins, et, si les paroles de Jésus ne me servaient
d'appui, je serais tentée de vous demander la permission de me taire.

Quand le divin Maître me dit _de donner à quiconque me demande et de
laisser prendre ce qui m'appartient sans le redemander_, je pense qu'il
ne parle pas seulement des biens de la terre, mais qu'il entend aussi
les biens du ciel. D'ailleurs, les uns et les autres ne sont pas à moi:
j'ai renoncé aux premiers par le vœu de pauvreté, et les seconds me
sont également prêtés par Dieu qui peut me les retirer sans qu'il me
soit permis de me plaindre.

Mais les pensées profondes et personnelles, les flammes de
l'intelligence et du cœur forment une richesse à laquelle on
s'attache comme à un bien propre, auquel personne n'a le droit de
toucher. Par exemple: si je communique à l'une de mes sœurs quelque
lumière de mon oraison et qu'elle la révèle ensuite comme venant
d'elle-même, il semble qu'elle s'approprie mon bien; ou si l'on dit tout
bas à sa voisine, pendant la récréation, une parole d'esprit et
d'à-propos et que celle-ci, sans en faire connaître la source, répète
tout haut cette parole, cela paraît comme un vol à la propriétaire qui
ne réclame pas, mais en aurait bien envie et saisira la première
occasion pour faire savoir finement qu'on s'est emparé de ses pensées.

Ma Mère, je ne pourrais vous expliquer aussi bien ces tristes sentiments
de la nature, si je ne les avais éprouvés moi-même; et j'aimerais à me
bercer de la douce illusion qu'ils n'ont visité que moi, si vous ne
m'aviez ordonné d'entendre les tentations des novices. J'ai beaucoup
appris en remplissant la mission que vous m'avez confiée; surtout je me
suis vue forcée de pratiquer ce que j'enseignais.

Oui, maintenant je puis le dire, j'ai reçu la grâce de n'être pas plus
attachée aux biens de l'esprit et du cœur qu'à ceux de la terre. S'il
m'arrive de penser et de dire une chose qui plaise à mes sœurs, je
trouve tout naturel qu'elles s'en emparent comme d'un bien à elles:
cette pensée appartient à l'Esprit-Saint et non pas à moi, puisque saint
Paul assure _que nous ne pouvons, sans cet Esprit d'amour, donner à Dieu
le nom de Père_[110]. Il est donc bien libre de se servir de moi pour
donner une bonne pensée à une âme et je ne puis croire que cette pensée
soit ma propriété.

D'ailleurs, si je ne méprise pas les belles pensées qui unissent à Dieu,
j'ai compris, il y a longtemps, qu'il faut bien se garder de s'appuyer
trop sur elles. Les inspirations les plus sublimes ne sont rien sans les
œuvres. Il est vrai que d'autres âmes peuvent en retirer beaucoup de
profit, si elles témoignent au Seigneur une humble reconnaissance de ce
qu'il leur permet de partager le festin d'un de ses privilégiés: mais si
celui-ci se complaît dans sa richesse et fait la prière du pharisien, il
devient semblable à une personne mourant de faim devant une table bien
servie, pendant que tous ses invités y puisent une abondante nourriture
et jettent peut-être un regard d'envie sur le possesseur de tant de
trésors.

Ah! comme il n'y a bien que le bon Dieu tout seul qui connaisse le fond
des cœurs! Comme les créatures ont de courtes pensées! Lorsqu'elles
voient une âme dont les lumières surpassent les leurs, elles en
concluent que le divin Maître les aime moins. Et depuis quand donc
n'a-t-il plus le droit de se servir de l'une de ses créatures pour
dispenser à ses enfants la nourriture qui leur est nécessaire? Au temps
de Pharaon, le Seigneur avait encore ce droit; car, dans l'Ecriture, il
dit à ce monarque: «_Je vous ai élevé tout exprès pour faire éclater en
vous_ MA PUISSANCE, _afin que mon nom soit annoncé par toute la
terre_[111].» Les siècles ont succédé aux siècles depuis que le
Très-Haut prononça ces paroles, et sa conduite n'a pas changé: toujours
il s'est choisi des instruments parmi les peuples pour faire son
œuvre dans les âmes.

       *       *       *       *       *

Si la toile peinte par un artiste pouvait penser et parler, certainement
elle ne se plaindrait pas d'être sans cesse touchée et retouchée par le
pinceau; elle n'envierait pas non plus le sort de cet objet, sachant que
ce n'est point au pinceau, mais à l'artiste qui le dirige, qu'elle doit
la beauté dont elle est revêtue. Le pinceau de son côté ne pourrait se
glorifier du chef-d'œuvre exécuté par son moyen, car il n'ignorerait
pas que les artistes ne sont jamais embarrassés, qu'ils se jouent des
difficultés et se servent parfois, pour leur plaisir, des instruments
les plus faibles, les plus défectueux.

Ma Mère vénérée, je suis un petit pinceau que Jésus a choisi pour
peindre son image dans les âmes que vous m'avez confiées. Un artiste a
plusieurs pinceaux, il lui en faut au moins deux: le premier, qui est le
plus utile, donne les teintes générales et couvre complètement la toile
en fort peu de temps; l'autre, plus petit, sert pour les détails. Ma
Mère, c'est vous qui me représentez le précieux pinceau que la main de
Jésus tient avec amour lorsqu'il veut faire un grand travail dans l'âme
de vos enfants; et moi, je suis le tout petit qu'il daigne employer
ensuite pour les moindres détails.

La première fois que le divin Maître saisit son petit pinceau, ce fut
vers le 8 décembre 1892; je me rappellerai toujours cette époque comme
un temps de grâces.

En entrant au Carmel, je trouvai au noviciat une compagne plus âgée que
moi de huit ans; et, malgré la différence des années, il s'établit entre
nous une véritable intimité. Pour favoriser cette affection qui semblait
propre à donner des fruits de vertu, de petits entretiens spirituels
nous furent permis: ma chère compagne me charmait par son innocence, son
caractère expansif et ouvert; mais, d'un autre côté, je m'étonnais de
voir combien son affection pour vous, ma Mère, était différente de la
mienne; de plus, bien des choses dans sa conduite me paraissaient
regrettables. Cependant le bon Dieu me faisait déjà comprendre qu'il est
des âmes que sa miséricorde ne se lasse pas d'attendre, auxquelles il ne
donne sa lumière que par degrés; aussi je me gardais bien de vouloir
devancer son heure.

Réfléchissant un jour sur cette permission qui nous avait été donnée de
nous entretenir ensemble, comme il est dit dans nos saintes
constitutions: «pour nous enflammer davantage en l'amour de notre
Epoux», je pensai avec tristesse que nos conversations n'atteignaient
pas le but désiré; et je vis clairement qu'il ne fallait plus craindre
de parler, ou bien alors cesser des entretiens qui ressemblaient à ceux
des amies du monde. Je suppliai Notre-Seigneur de mettre sur mes lèvres
des paroles douces et convaincantes, ou plutôt de parler lui-même pour
moi. Il exauça ma prière; car _ceux qui tournent leurs regards vers lui
en seront éclairés[112], et la lumière s'est levée dans les ténèbres
pour ceux qui ont le cœur droit_[113]. La première parole, je me
l'applique à moi-même, et la seconde à ma compagne qui véritablement
avait le cœur droit.

A l'heure marquée pour notre entrevue, ma pauvre petite sœur vit bien
dès le début que je n'étais plus la même, elle s'assit à mes côtés en
rougissant; alors, la pressant sur mon cœur, je lui dis avec
tendresse tout ce que je pensais d'elle. Je lui montrai en quoi consiste
le véritable amour, je lui prouvai qu'en aimant sa Mère Prieure d'une
affection naturelle c'était elle-même qu'elle aimait, je lui confiai les
sacrifices que j'avais été obligée de faire à ce sujet au commencement
de ma vie religieuse; et bientôt ses larmes se mêlèrent aux miennes.
Elle convint très humblement de ses torts, reconnut que je disais vrai,
et me promit de commencer une vie nouvelle, me demandant comme une grâce
de l'avertir toujours de ses fautes. A partir de ce moment, notre
affection devint toute spirituelle; en nous se réalisait l'oracle de
l'Esprit-Saint: «_Le frère qui est aidé par son frère est comme une
ville fortifiée_[114].»

O ma Mère, vous savez bien que je n'avais pas l'intention de détourner
de vous ma compagne, je voulais seulement lui dire que le véritable
amour se nourrit de sacrifices, et que plus l'âme se refuse de
satisfactions naturelles, plus sa tendresse devient forte et
désintéressée.

       *       *       *       *       *

Je me souviens qu'étant postulante j'avais parfois de si violentes
tentations de me satisfaire et de trouver quelques gouttes de joie, que
j'étais obligée de passer rapidement devant votre cellule et de me
cramponner à la rampe de l'escalier pour ne point retourner sur mes pas.
Il me venait à l'esprit quantité de permissions à demander, mille
prétextes pour donner raison à ma nature et la contenter. Que je suis
heureuse maintenant de m'être privée dès le début de ma vie religieuse!
Je jouis déjà de la récompense promise à ceux qui combattent
courageusement. Je ne sens plus qu'il soit nécessaire de me refuser les
consolations du cœur; car mon cœur est affermi en Dieu... Parce
qu'il l'a aimé uniquement, il s'est agrandi peu à peu, jusqu'à donner à
ceux qui lui sont chers une tendresse incomparablement plus profonde que
s'il s'était concentré dans une affection égoïste et infructueuse.

       *       *       *       *       *

Je vous ai parlé, ma Mère bien-aimée, du premier travail que Jésus et
vous avez daigné accomplir par le petit pinceau; mais il n'était que le
prélude du tableau de maître que vous lui avez ensuite confié.

Aussitôt que je pénétrai dans le sanctuaire des âmes, je jugeai du
premier coup d'œil que la tâche dépassait mes forces; et, me plaçant
bien vite dans les bras du bon Dieu, j'imitai les petits bébés qui, sous
l'empire de quelque frayeur, cachent leur tête blonde sur l'épaule de
leur père, et je dis: «Seigneur, vous le voyez, je suis trop petite pour
nourrir vos enfants; si vous voulez leur donner par moi ce qui convient
à chacune, remplissez ma petite main; et, sans quitter vos bras, sans
même détourner la tête, je distribuerai vos trésors à l'âme qui viendra
me demander sa nourriture. Lorsqu'elle la trouvera de son goût, je
saurai que ce n'est pas à moi, mais à vous qu'elle la doit; au
contraire, si elle se plaint et trouve amer ce que je lui présente, ma
paix ne sera pas troublée, je tâcherai de lui persuader que cette
nourriture vient de vous, et me garderai bien d'en chercher une autre
pour elle.»

En comprenant ainsi qu'il m'était impossible de rien faire par moi-même,
la tâche me parut simplifiée. Je m'occupai intérieurement et uniquement
à m'unir de plus en plus à Dieu, sachant que le reste me serait donné
par surcroît. En effet, jamais mon espérance n'a été trompée: ma main
s'est trouvée pleine autant de fois qu'il a été nécessaire pour nourrir
l'âme de mes sœurs. Je vous l'avoue, ma Mère, si j'avais agi
autrement, si je m'étais appuyée sur mes propres forces, je vous aurais,
sans tarder, rendu les armes.

De loin, il semble aisé de faire du bien aux âmes, de leur faire aimer
Dieu davantage, de les modeler d'après ses vues et ses pensées. De près,
au contraire, on sent que faire du bien est chose aussi impossible, sans
le secours divin, que de ramener sur notre hémisphère le soleil pendant
la nuit. On sent qu'il faut absolument oublier ses goûts, ses
conceptions personnelles et guider les âmes, non par sa propre voie,
par son chemin à soi, mais par le chemin particulier que Jésus leur
indique. Et ce n'est pas encore le plus difficile: ce qui me coûte
par-dessus tout, c'est d'observer les fautes, les plus légères
imperfections et de leur livrer une guerre à mort.

J'allais dire: malheureusement pour moi,--mais non, ce serait de la
lâcheté,--je dis donc: heureusement pour mes sœurs, depuis que j'ai
pris place dans les bras de Jésus, je suis comme le veilleur observant
l'ennemi de la plus haute tourelle d'un château fort. Rien n'échappe à
mes regards; souvent je suis étonnée d'y voir si clair, et je trouve le
prophète Jonas bien excusable de s'être enfui de devant la face du
Seigneur pour ne pas annoncer la ruine de Ninive. J'aimerais mieux
recevoir mille reproches que d'en adresser un seul; mais je sens qu'il
est très nécessaire que cette besogne me soit une souffrance, car
lorsqu'on agit par nature, il est impossible que l'âme en défaut
comprenne ses torts, elle pense tout simplement ceci: la sœur chargée
de me diriger est mécontente, et son mécontentement retombe sur moi qui
suis pourtant remplie des meilleures intentions.

Ma Mère, il en est de cela comme du reste: il faut que je rencontre en
tout l'abnégation et le sacrifice; ainsi je sens qu'une lettre ne
produira aucun fruit, tant que je ne l'écrirai pas avec une certaine
répugnance et pour le seul motif d'obéir. Quand je parle avec une
novice, je veille à me mortifier, j'évite de lui adresser des questions
qui satisferaient ma curiosité. Si je la vois commencer une chose
intéressante, puis passer à une autre qui m'ennuie sans achever la
première, je me garde bien de lui rappeler cette interruption, car il me
semble que l'on ne peut faire aucun bien en se recherchant soi-même.

Je sais, ma Mère, que vos petits agneaux me trouvent sévère!... S'ils
lisaient ces lignes, ils diraient que cela n'a pas l'air de me coûter le
moins du monde de courir après eux, de leur montrer leur belle toison
salie, ou bien de leur rapporter quelques flocons de laine qu'ils ont
accrochés aux ronces du chemin. Les petits agneaux peuvent dire tout ce
qu'ils voudront: dans le fond, ils sentent que je les aime d'un très
grand amour; non, il n'y a pas de danger que j'imite _le mercenaire qui,
voyant venir le loup, laisse le troupeau et s'enfuit_[115]. Je suis
prête à donner ma vie pour eux et mon affection est si pure que je ne
désire même pas qu'ils la connaissent. Jamais, avec la grâce de Dieu, je
n'ai essayé de m'attirer leurs cœurs; j'ai compris que ma mission
était de les conduire à Dieu et à vous, ma Mère, qui êtes ici-bas le
Dieu visible qu'ils doivent aimer et respecter.

       *       *       *       *       *

J'ai dit qu'en instruisant les autres j'avais beaucoup appris. D'abord
j'ai vu que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats; et, d'un
autre côté, qu'il y a entre elles une différence extrême; cette
différence oblige à ne pas les attirer de la même manière. Avec
certaines, je sens qu'il faut me faire petite, ne point craindre de
m'humilier en avouant mes luttes et mes défaites; alors elles avouent
elles-mêmes facilement les fautes qu'elles se reprochent et se
réjouissent que je les comprenne par expérience; avec d'autres, pour
réussir, c'est la fermeté qui convient, c'est ne jamais revenir sur une
chose dite: s'abaisser deviendrait faiblesse.

Le Seigneur m'a fait cette grâce de n'avoir nulle peur de la guerre; à
tout prix, il faut que je fasse mon devoir. Plus d'une fois j'ai entendu
ceci: «Si vous voulez obtenir quelque chose de moi, ne me prenez pas par
la force mais par la douceur, autrement vous n'aurez rien.» Mais je sais
que nul n'est bon juge dans sa propre cause, et qu'un enfant auquel le
chirurgien fait subir une douloureuse opération, ne manquera pas de
jeter les hauts cris et de dire que le remède est pire que le mal;
cependant s'il se trouve guéri quelques jours après, il est tout heureux
de pouvoir jouer et courir. Il en est de même pour les âmes: bientôt
elles reconnaissent qu'un peu d'amertume est préférable au sucre et ne
craignent pas de l'avouer.

Quelquefois c'est un spectacle vraiment féerique de constater le
changement qui s'opère du jour au lendemain.

On vient me dire: «Vous aviez raison hier d'être sévère; au
commencement, cela m'a révoltée, mais après je me suis souvenue de tout
et j'ai vu que vous étiez très juste. En sortant de votre cellule, je
pensais que c'était fini, je me disais: Je vais aller trouver notre Mère
et lui dire que je n'irai plus avec ma sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, mais j'ai senti que c'était le démon qui me soufflait
cela; et puis il m'a semblé que vous priiez pour moi, alors je suis
restée tranquille et la lumière commence à briller; maintenant
éclairez-moi tout à fait, c'est pour cela que je viens.»

Et moi, tout heureuse de suivre le penchant de mon cœur, je sers vite
des mets moins amers... Oui, mais... je m'aperçois qu'il ne faut pas
trop s'avancer... un mot pourrait détruire le bel édifice construit dans
les larmes! Si j'ai le malheur de dire la moindre chose qui semble
atténuer les vérités de la veille, je vois ma petite sœur essayer de
se raccrocher aux branches... Alors j'ai recours à la prière, je jette
un regard intérieur sur la Vierge Marie, et Jésus triomphe toujours! Ah!
c'est la prière et le sacrifice qui font toute ma force, ce sont mes
armes invincibles; elles peuvent, bien plus que les paroles, toucher les
cœurs, je le sais par expérience.

       *       *       *       *       *

Pendant le carême, il y a deux ans, une novice vint me trouver toute
rayonnante: «Si vous saviez, me dit-elle, ce que j'ai rêvé cette nuit!
J'étais auprès de ma sœur qui est si mondaine, et je voulais la
détacher de toutes les vanités du monde; pour cela je lui expliquais
ces paroles de votre cantique: _Vivre d'amour_:

    T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
    Tous mes parfums sont à loi sans retour.

Je sentais bien que mon discours pénétrait jusqu'au fond de son âme, et
j'étais ravie de joie. Ce matin, je pense que le bon Dieu veut peut-être
que je lui donne cette âme. Si je lui écrivais à Pâques pour lui
raconter mon rêve et lui dire que Jésus la veut pour son épouse! Qu'en
pensez-vous?» Je répondis simplement qu'elle pouvait bien en demander la
permission.

Comme le carême ne touchait pas à sa fin, vous avez été surprise, ma
Mère, d'une demande si prématurée; et, visiblement inspirée par le bon
Dieu, vous avez répondu que les carmélites doivent sauver les âmes
plutôt par la prière que par des lettres. En apprenant cette décision,
je dis à ma chère petite sœur: «Il faut nous mettre à l'œuvre,
prions beaucoup; quelle joie si, à la fin du carême, nous étions
exaucées!» O miséricorde infinie du Seigneur! _A la fin du carême_, une
âme de plus se consacrait à Jésus! C'était un véritable miracle de la
grâce: miracle obtenu par la ferveur d'une humble novice!

Qu'elle est donc grande la puissance de la prière! On dirait une reine
ayant toujours libre accès auprès du roi et pouvant obtenir tout ce
qu'elle demande. Il n'est point nécessaire, pour être exaucé, de lire
dans un livre une belle formule composée pour la circonstance; s'il en
était ainsi, que je serais à plaindre!

En dehors de l'office divin que je suis heureuse, quoique bien indigne,
de réciter chaque jour, je n'ai pas le courage de m'astreindre à
chercher dans les livres de belles prières; cela me fait mal à la tête,
il y en a tant! Et puis, elles sont toutes plus belles les unes que les
autres! Ne pouvant donc les réciter toutes, et ne sachant lesquelles
choisir, je fais comme les enfants qui ne savent pas lire: je dis tout
simplement au bon Dieu ce que je veux lui dire, et toujours il me
comprend.

Pour moi, la prière c'est un élan du cœur, c'est un simple regard
jeté vers le ciel, c'est un cri de reconnaissance et d'amour au milieu
de l'épreuve comme au sein de la joie! Enfin c'est quelque chose
d'élevé, de surnaturel, qui dilate l'âme et l'unit à Dieu. Quelquefois,
lorsque mon esprit se trouve dans une si grande sécheresse que je ne
puis en tirer une seule bonne pensée, je récite très lentement un
_Pater_ ou un _Ave Maria_; ces prières seules me ravissent, elles
nourrissent divinement mon âme et lui suffisent.

       *       *       *       *       *

Mais où en étais-je de mon sujet? Me voici de nouveau perdue dans un
dédale de réflexions... Pardonnez-moi, ma Mère, d'être si peu précise!
Cette histoire, j'en conviens, est un écheveau bien embrouillé. Hélas!
je ne saurais mieux faire; j'écris comme les pensées me viennent, je
pêche au hasard dans le petit ruisseau de mon cœur, et je vous offre
ensuite mes petits poissons comme ils se laissent prendre.

       *       *       *       *       *

J'en étais donc aux novices qui souvent me disent: «Mais vous avez une
réponse à tout, je croyais cette fois vous embarrasser... où donc
allez-vous chercher ce que vous nous enseignez?» Il en est même d'assez
candides pour croire que je lis dans leur âme, parce qu'il m'est arrivé
de les prévenir en leur révélant--sans révélation--ce qu'elles
pensaient.

[Illustration: CHAPELLE DU CARMEL DE LISIEUX]

[Illustration: CHŒUR DES CARMÉLITES

_La stalle marquée d'une croix fut celle de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. A droite la grille de Communion._]

La plus ancienne du noviciat avait résolu de me cacher une grande peine
qui la faisait beaucoup souffrir. Elle venait de passer une nuit
d'angoisses sans vouloir verser une seule larme, craignant que ses yeux
rouges ne la trahissent; lorsque, m'abordant avec le plus gracieux
visage, elle me parle comme à l'ordinaire, d'une façon plus aimable
encore s'il est possible. Je lui dis alors tout simplement: _Vous avez
du chagrin, j'en suis sûre._ Aussitôt elle me regarde avec un étonnement
inexprimable... sa stupéfaction est si grande qu'elle me gagne moi-même
et me communique je ne sais quelle impression surnaturelle. Je sentais
le bon Dieu là, tout près de nous... Sans m'en apercevoir,--car je n'ai
pas le don de lire dans les âmes--j'avais prononcé une parole vraiment
inspirée, et je pus ensuite consoler entièrement cette âme.

       *       *       *       *       *

Maintenant, ma Mère bien-aimée, je vais vous confier mon meilleur profit
spirituel avec les novices. Vous comprenez que tout leur est permis, il
faut qu'elles puissent dire tout ce qu'elles pensent, le bien comme le
mal, sans restriction. Cela leur est d'autant plus facile avec moi
qu'elles ne me doivent pas le respect que l'on rend à une Maîtresse.

Je ne puis dire que Jésus me fasse marcher extérieurement par la voie
des humiliations; non, il se contente de m'humilier au fond de mon âme.
Devant les créatures tout me réussit, je suis le chemin périlleux des
honneurs,--si l'on peut s'exprimer ainsi en religion--et je comprends à
cet égard la conduite de Dieu et des supérieurs. En effet, si je passais
aux yeux de la communauté pour une religieuse incapable, sans
intelligence ni jugement, il vous serait impossible, ma Mère, de vous
faire aider par moi. Voilà pourquoi le divin Maître a jeté un voile sur
tous mes défauts intérieurs et extérieurs.

Ce voile m'attire quelques compliments de la part des novices,
compliments sans flatterie, je sais qu'elles pensent ce qu'elles disent;
mais vraiment cela ne m'inspire point de vanité, car j'ai sans cesse
présent le souvenir de mes misères. Quelquefois cependant, il me vient
un désir bien grand d'entendre autre chose que des louanges, mon âme se
fatigue d'une nourriture trop sucrée, et Jésus lui fait servir alors une
bonne petite salade bien vinaigrée, bien épicée: rien n'y manque,
excepté _l'huile_, ce qui lui donne une saveur de plus.

Cette salade m'est présentée par les novices au moment où je m'y attends
le moins. Le bon Dieu soulève le voile qui leur cache mes imperfections;
et mes chères petites sœurs, voyant la vérité, ne me trouvent plus
tout à fait à leur goût. Avec une simplicité qui me ravit, elles me
disent les combats que je leur donne, ce qui leur déplaît en moi; enfin
elles ne se gênent pas plus que s'il était question d'une autre, sachant
qu'elles me font un grand plaisir en agissant ainsi.

Ah! vraiment c'est plus qu'un plaisir, c'est un festin délicieux qui
comble mon âme de joie. Comment une chose qui déplaît tant à la nature
peut-elle donner un pareil bonheur? Si je ne l'avais expérimenté, je ne
le pourrais croire.

Un jour, où je désirais ardemment être humiliée, il arriva qu'une jeune
postulante se chargea si bien de me satisfaire que la pensée de Séméi
maudissant David me revint à l'esprit, et je répétai intérieurement avec
le saint roi: «_Oui, c'est bien le Seigneur qui lui a ordonné de me dire
toutes ces choses._»[116]

Ainsi le bon Dieu prend soin de moi. Il ne peut toujours m'offrir le
pain fortifiant de l'humiliation extérieure; mais, de temps en temps, il
me permet de me nourrir _des miettes qui tombent de la table des
enfants_[117]. Ah! que sa miséricorde est grande!

       *       *       *       *       *

Mère bien-aimée, puisque j'essaie de chanter avec vous dès ce monde
cette miséricorde infinie, je dois encore vous faire part d'un réel
profit, retiré comme tant d'autres de ma petite mission. Autrefois,
lorsque je voyais une sœur agir d'une façon qui me déplaisait et
paraissait contre la règle, je me disais: Ah! si je pouvais donc
l'avertir, lui montrer ses torts, que cela me ferait de bien! Mais en
pratiquant le métier, j'ai changé de sentiment. Lorsqu'il m'arrive de
voir quelque chose de travers, je pousse un soupir de soulagement:--Quel
bonheur! ce n'est pas une novice, je ne suis pas obligée de la
reprendre! Puis je tâche bien vite d'excuser la coupable et de lui
prêter de bonnes intentions qu'elle a sans doute.

       *       *       *       *       *

Mère vénérée, les soins que vous me prodiguez pendant ma maladie m'ont
encore beaucoup instruite sur la charité. Aucun remède ne vous semble
trop cher; et, s'il ne réussit pas, sans vous lasser vous essayez autre
chose. Lorsque je vais en récréation, quelle attention ne faites-vous
pas à me mettre à l'abri des moindres courants d'air! Ma Mère, je sens
que je dois être aussi compatissante pour les infirmités spirituelles de
mes sœurs, que vous l'êtes pour mon infirmité physique.

J'ai remarqué que les religieuses les plus saintes sont les plus aimées;
on recherche leur conversation, on leur rend des services sans même
qu'elles les demandent; enfin, ces âmes capables de supporter des
manques d'égard et de délicatesse se voient entourées de l'affection
générale. On peut leur appliquer cette parole de notre Père saint Jean
de la Croix: «Tous les biens m'ont été donnés, quand je ne les ai plus
recherchés par amour-propre.»

Les âmes imparfaites, au contraire, sont délaissées; on se tient
vis-à-vis d'elles dans les bornes de la politesse religieuse: mais,
craignant peut-être de leur dire quelque parole désobligeante, on évite
leur compagnie. En disant les âmes imparfaites, je n'entends pas
seulement les imperfections spirituelles, puisque les plus saintes ne
seront parfaites qu'au ciel; j'entends aussi le manque de jugement,
d'éducation, la susceptibilité de certains caractères: toutes choses qui
ne rendent pas la vie agréable. Je sais bien que ces infirmités sont
chroniques, sans espoir de guérison; mais je sais aussi que ma Mère ne
cesserait pas de me soigner, d'essayer de me soulager, si je restais
malade de longues années.

Voici la conclusion que j'en tire: Je dois rechercher la compagnie des
sœurs qui ne me plaisent pas naturellement, et remplir à leur égard
l'office du bon Samaritain. Une parole, un sourire aimable suffisent
souvent pour épanouir une âme triste et blessée. Toutefois ce n'est pas
seulement dans l'espoir de consoler que je veux être charitable: je sais
qu'en poursuivant ce but je serais vite découragée; car un mot dit dans
la meilleure intention sera pris peut-être tout de travers. Aussi, pour
ne perdre ni mon temps, ni ma peine, j'essaie d'agir uniquement pour
réjouir Nôtre-Seigneur et répondre à ce conseil de l'Evangile:

«_Quand vous faites un festin, n'invitez pas vos parents et vos amis, de
peur qu'ils ne vous invitent à leur tour, et qu'ainsi vous avez reçu
votre récompense: mais invitez les pauvres, les boiteux, les
paralytiques, et vous serez heureux de ce qu'ils ne pourront vous
rendre, et votre Père qui voit dans le secret vous en récompensera._»[118]

Quel festin pourrais-je offrir à mes sœurs, si ce n'est un festin
spirituel composé de charité aimable et joyeuse? Non, je n'en connais
pas d'autre, et je veux imiter saint Paul qui se réjouissait avec ceux
qu'il trouvait dans la joie. Il est vrai qu'il pleurait avec les
affligés, et les larmes doivent quelquefois paraître dans le festin que
je veux servir; mais toujours j'essaierai que les larmes se changent en
sourires, puisque _le Seigneur aime ceux qui donnent avec joie_[119].

Je me souviens d'un acte de charité que le bon Dieu m'inspira lorsque
j'étais encore novice. De cet acte tout petit en apparence, le Père
céleste, _qui voit dans le secret_, m'a déjà récompensée sans attendre
l'autre vie.

C'était avant que ma sœur Saint-Pierre tombât tout à fait infirme. Il
fallait, le soir à six heures moins dix minutes, que l'on se dérangeât
de l'oraison pour la conduire au réfectoire. Cela me coûtait beaucoup de
me proposer; car je savais la difficulté ou plutôt l'impossibilité de
contenter la pauvre malade. Cependant je ne voulais pas manquer une si
belle occasion, me souvenant des paroles divines: «_Ce que vous aurez
fait au plus petit des miens, c'est à moi que vous l'aurez fait._»[120]

Je m'offris donc bien humblement pour la conduire, et ce ne fut pas sans
peine que je parvins à faire accepter mes services. Enfin je me mis à
l'œuvre avec tant de bonne volonté que je réussis parfaitement.
Chaque soir, quand je la voyais agiter son sablier, je savais que cela
voulait dire: Partons!

Prenant alors tout mon courage, je me levais, et puis toute une
cérémonie commençait. Il fallait remuer et porter le banc _d'une
certaine manière_, surtout ne pas se presser, ensuite la promenade avait
lieu. Il s'agissait de suivre cette bonne sœur en la soutenant par la
ceinture; je le faisais avec le plus de douceur qu'il m'était possible,
mais si par malheur survenait un faux pas, aussitôt il lui semblait que
je la tenais mal et qu'elle allait tomber.--«Ah! mon Dieu! vous allez
trop vite, j'vais m'briser!» Si j'essayais alors de la conduire plus
doucement:--«Mais suivez-moi donc, je n'sens pas vot'main, vous
m'lâchez, j'vais tomber!... Ah! j'disais bien que vous étiez trop jeune
pour me conduire.»

Enfin nous arrivions sans autre accident au réfectoire. Là, surgissaient
d'autres difficultés: je devais installer ma pauvre infirme à sa place
et agir adroitement pour ne pas la blesser; ensuite relever ses manches,
toujours _d'une certaine manière_, après cela je pouvais m'en aller.

Mais je m'aperçus bientôt qu'elle coupait son pain avec une peine
extrême; et depuis, je ne la quittais pas sans lui avoir rendu ce
dernier service. Comme elle ne m'en avait jamais exprimé le désir, elle
resta très touchée de mon attention, et ce fut par ce moyen nullement
cherché que je gagnai entièrement sa confiance, surtout--je l'ai appris
plus tard--parce qu'après tous mes petits services je lui faisais,
disait-elle, _mon plus beau sourire_.

       *       *       *       *       *

Ma Mère, il y a bien longtemps que cet acte de vertu est accompli, et
pourtant le Seigneur m'en laisse le souvenir comme un parfum, une brise
du ciel. Un soir d'hiver, j'accomplissais comme d'habitude l'humble
office dont je viens de parler: il faisait froid, il faisait nuit...
Tout à coup, j'entendis dans le lointain le son harmonieux de plusieurs
instruments de musique, et je me représentai un salon richement meublé,
éclairé de brillantes lumières, étincelant de dorures; dans ce salon,
des jeunes filles élégamment vêtues recevant et prodiguant mille
politesses mondaines. Puis mon regard se porta sur la pauvre malade que
je soutenais. Au lieu d'une mélodie, j'entendais de temps à autre ses
gémissements plaintifs; au lieu de dorures, je voyais les briques de
notre cloître austère à peine éclairé d'une faible lueur.

Ce contraste impressionna doucement mon âme. Le Seigneur l'illumina des
rayons de la vérité qui surpassent tellement l'éclat ténébreux des
plaisirs de la terre que, pour jouir mille ans de ces fêtes mondaines,
je n'aurais pas donné les dix minutes employées à mon acte de charité.

Ah! si déjà dans la souffrance, au sein du combat, on peut goûter de
semblables délices en pensant que Dieu nous a retirées du monde, que
sera-ce là-haut lorsque nous verrons, au milieu d'une gloire éternelle
et d'un repos sans fin, la grâce incomparable qu'il nous a faite en nous
choisissant pour habiter dans sa maison, véritable portique des cieux?

       *       *       *       *       *

Ce n'est pas toujours avec ces transports d'allégresse que j'ai pratiqué
la charité; mais, au commencement de ma vie religieuse, Jésus voulut me
faire sentir combien il est doux de le voir dans l'âme de ses épouses:
aussi, lorsque je conduisais ma sœur Saint-Pierre, c'était avec tant
d'amour, qu'il m'eût été impossible de mieux faire si j'avais conduit
Nôtre-Seigneur lui-même.

       *       *       *       *       *

La pratique de la charité ne m'a pas toujours été si douce, je vous le
disais à l'instant, ma Mère chérie. Pour vous le prouver, je vais vous
raconter, entre bien d'autres, quelques-uns de mes combats.

Longtemps, à l'oraison, je ne fus pas éloignée d'une sœur qui ne
cessait de remuer, ou son chapelet, ou je ne sais quelle autre chose;
peut-être n'y avait-il que moi à l'entendre, car j'ai l'oreille
extrêmement fine; mais dire la fatigue que j'en éprouvais serait chose
impossible! J'aurais voulu tourner la tête pour regarder la coupable et
faire cesser son tapage; cependant au fond du cœur, je sentais qu'il
valait mieux souffrir cela patiemment pour l'amour du bon Dieu d'abord,
et puis aussi pour éviter une occasion de peine.

Je restais donc tranquille, mais parfois la sueur m'inondait, et j'étais
obligée de faire simplement une oraison de souffrance. Enfin je
cherchais le moyen de souffrir avec paix et joie, au moins dans l'intime
de l'âme; alors je tâchais d'aimer ce petit bruit désagréable. Au lieu
d'essayer de ne pas l'entendre,--chose impossible--je mettais mon
attention à le bien écouter, comme s'il eût été un ravissant concert; et
mon oraison, _qui n'était pas celle de quiétude_, se passait à offrir ce
concert à Jésus.

Une autre fois, je me trouvais à la buanderie devant une sœur qui,
tout en lavant les mouchoirs, me lançait de l'eau sale à chaque instant.
Mon premier mouvement fut de me reculer en m'essuyant le visage, afin de
montrer à celle qui m'aspergeait de la sorte qu'elle me rendrait service
en se tenant tranquille; mais aussitôt je pensai que j'étais bien sotte
de refuser des trésors que l'on m'offrait si généreusement, et je me
gardai bien de faire paraître mon ennui. Je fis tous mes efforts, au
contraire, pour désirer recevoir beaucoup d'eau sale, si bien qu'au bout
d'une demi-heure, j'avais vraiment pris goût à ce nouveau genre
d'aspersion, et je me promis de revenir autant que possible à cette
place fortunée où l'on servait gratuitement tant de richesses.

Ma Mère, vous voyez que je suis une _très petite_ âme qui ne peut offrir
au bon Dieu que de _très petites_ choses; encore m'arrive-t-il souvent
de laisser échapper ces petits sacrifices qui donnent tant de paix au
cœur; mais cela ne me décourage pas, je supporte d'avoir un peu moins
de paix et je tâche d'être plus vigilante une autre fois.

       *       *       *       *       *

Ah! que le Seigneur me rend heureuse! Qu'il est facile et doux de le
servir sur la terre! Oui, toujours, je le répète, il m'a donné ce que
j'ai désiré, ou plutôt il m'a fait désirer ce qu'il voulait me donner.
Ainsi, peu de temps avant ma terrible tentation contre la foi, je me
disais: Vraiment, je n'ai pas de grandes peines extérieures, et, pour en
avoir d'intérieures, il faudra que le bon Dieu change ma voie; je ne
crois pas qu'il le fasse. Pourtant je ne puis toujours vivre ainsi dans
le repos. Quel moyen donc trouvera-t-il?

La réponse ne se fit pas attendre; elle me montra que Celui que j'aime
n'est jamais à court de moyens; car, sans changer ma voie, il me donna
cette grande épreuve qui vint mêler bientôt une salutaire amertume à
toutes mes douceurs.

[Illustration]

[Illustration: VOIE D'ENFANCE SPIRITUELLE

PAR LA BOUCHE D'ENFANTS TU T'ES FONDÉ UNE FORCE VICTORIEUSE POUR
CONFONDRE TES ENNEMIS ET POUR IMPOSER SILENCE AUX BLASPHÉMATEURS. Ps.
VIII

     «Dans le cœur de l'Eglise, ma Mère, je serai l'Amour...--Mes
     frères travaillent à ma place, et moi, petite enfant, je me tiens
     près du trône royal. Je jette les fleurs des petits sacrifices, je
     chante le cantique de l'Amour. J'aime pour ceux qui combattent.»
]



CHAPITRE XI

     Deux frères prêtres--Ce qu'elle entend par ces paroles du livre des
     Cantiques: «Attirez-moi...»--Sa confiance en Dieu.--Une visite du
     Ciel.--Elle trouve son repos dans l'amour.--Sublime enfance.--Appel
     à toutes les «petites âmes».


Ce n'est pas seulement lorsqu'il veut m'envoyer des épreuves que Jésus
me le fait pressentir et désirer. Depuis bien longtemps je gardais un
désir qui me paraissait irréalisable: celui d'avoir un frère prêtre. Je
pensais souvent que, si mes petits frères ne s'étaient pas envolés au
ciel, j'aurais eu le bonheur de les voir monter à l'autel; ce bonheur
je le regrettais! Et voilà que le bon Dieu, dépassant mon rêve,--puisque
je désirais seulement un frère prêtre qui, chaque jour, pensât à moi au
saint autel--m'a unie par les liens de l'âme à _deux_ de ses apôtres. Je
veux, ma Mère bien-aimée, vous raconter en détail comment le divin
Maître combla mes vœux.

       *       *       *       *       *

Ce fut notre Mère sainte Thérèse qui m'envoya pour bouquet de fête, en
1895, mon premier frère. C'était un jour de lessive, j'étais bien
occupée de mon travail, lorsque Mère Agnès de Jésus[121], alors Prieure,
me prit à l'écart et me lut une lettre d'un jeune séminariste, lequel,
inspiré disait-il par sainte Thérèse, demandait une sœur qui se
dévouât spécialement à son salut et au salut des âmes dont il
s'occuperait dans la suite; il promettait d'avoir toujours un souvenir
pour celle qui deviendrait sa sœur, quand il pourrait offrir le Saint
Sacrifice. Et je fus choisie pour devenir la sœur de ce futur
missionnaire.

Ma Mère, je ne saurais vous dire mon bonheur. Mon désir, ainsi comblé
d'une façon inespérée, fit naître dans mon cœur une joie que
j'appellerai enfantine; car il me faut remonter aux jours de mon enfance
pour trouver le souvenir de ces joies si vives que l'âme est trop petite
pour les contenir. Jamais, depuis des années, je n'avais goûté ce genre
de bonheur; je sentais que de ce côté mon âme était neuve, comme si l'on
eût touché en elle des cordes musicales restées jusque-là dans l'oubli.

Comprenant les obligations que je m'imposais, je me mis à l'œuvre,
essayant de redoubler de ferveur, et j'écrivis de temps à autre quelques
lettres à mon nouveau frère. Sans doute, c'est par la prière et le
sacrifice qu'on peut aider les missionnaires, mais parfois, lorsqu'il
plaît à Jésus d'unir deux âmes pour sa gloire, il permet qu'elles
puissent se communiquer leurs pensées afin de s'exciter à aimer Dieu
davantage.

Je le sais, il faut pour cela une volonté expresse de l'autorité; il me
semble qu'autrement cette correspondance _sollicitée_ ferait plus de mal
que de bien, sinon au missionnaire, du moins à la carmélite
continuellement portée par son genre de vie à se replier sur elle-même.
Au lieu de l'unir au bon Dieu, cet échange de lettres--même éloigné--lui
occuperait inutilement l'esprit; elle s'imaginerait peut-être faire des
merveilles, et réellement ne ferait rien du tout que de se procurer,
sous couleur de zèle, une distraction superflue.

       *       *       *       *       *

Mère bien-aimée, me voici partie moi-même, non pas dans une distraction,
mais dans une dissertation également superflue... Je ne me corrigerai
jamais de ces longueurs qui devront être pour vous si fatigantes à lire!
Pardonnez-moi, et permettez que je recommence à la prochaine occasion.

L'année dernière, à la fin de mai, ce fut à votre tour de me donner mon
second frère; et sur ma réflexion, qu'ayant offert déjà mes pauvres
mérites pour un futur apôtre je croyais ne pouvoir le faire encore aux
intentions d'un autre, vous me fîtes cette réponse: que l'obéissance
doublerait mes mérites.

Dans le fond de mon âme je pensais bien cela; et, puisque le zèle d'une
carmélite doit embrasser le monde, j'espère même, avec la grâce de Dieu,
être utile à plus de deux missionnaires. Je prie pour tous, sans laisser
de côté les simples prêtres, dont le ministère est aussi difficile
parfois que celui des apôtres prêchant les infidèles. Enfin je veux être
«fille de l'Eglise» comme notre Mère sainte Thérèse, et prier à toutes
les intentions du Vicaire de Jésus-Christ. C'est le but général de ma
vie.

Mais, comme je me serais unie spécialement aux œuvres de mes petits
frères chéris s'ils eussent vécu, sans délaisser pour cela les grands
intérêts de l'Eglise qui embrassent l'univers, ainsi je reste
particulièrement unie aux nouveaux frères que Jésus m'a donnés. Tout ce
qui m'appartient appartient à chacun d'eux, je sens que Dieu est trop
bon, trop généreux pour faire des partages; il est si riche qu'il donne
sans mesure ce que je lui demande, bien que je ne me perde pas en de
longues énumérations.

Depuis que j'ai seulement deux frères et mes petites sœurs les
novices, si je voulais détailler les besoins de chaque âme, les journées
seraient trop courtes, et je craindrais fort d'oublier quelque chose
d'important. Aux âmes simples il ne faut pas de moyens compliqués, et
comme je suis de ce nombre, Nôtre-Seigneur m'a inspiré lui-même un petit
moyen très simple d'accomplir mes obligations.

       *       *       *       *       *

Un jour, après la sainte communion, il m'a fait comprendre cette parole
des Cantiques: «_Attirez-moi, nous courrons à l'odeur de vos
parfums._»[122] O Jésus, il n'est donc pas nécessaire de dire: En
m'attirant, attirez les âmes que j'aime. Cette simple parole:
«_Attirez-moi_» suffit! Oui, lorsqu'une âme s'est laissé captiver par
l'odeur enivrante de vos parfums, elle ne saurait courir seule, toutes
les âmes qu'elle aime sont entraînées à sa suite; c'est une conséquence
naturelle de son attraction vers vous!

De même qu'un torrent entraîne après lui, dans les profondeurs des mers,
ce qu'il rencontre sur son passage; de même, ô mon Jésus, l'âme qui se
plonge dans l'océan sans rivages de votre amour attire après elle tous
ses trésors! Seigneur, vous le savez, ces trésors pour moi ce sont les
âmes qu'il vous a plu d'unir à la mienne; ces trésors, c'est vous qui me
les avez confiés; aussi j'ose emprunter vos propres paroles, celles du
dernier soir qui vous vit encore sur notre terre, voyageur et mortel.

Jésus, mon Bien-Aimé! je ne sais pas quel jour mon exil finira... plus
d'un soir, peut-être, me verra chanter encore ici-bas vos miséricordes;
mais enfin, pour moi aussi viendra le dernier soir... alors je veux
pouvoir vous dire:

       *       *       *       *       *

«_Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai accompli l'œuvre que vous
m'avez donnée à faire, j'ai fait connaître votre Nom à ceux que vous
m'avez donnés; ils étaient à vous, et vous me les avez donnés. C'est
maintenant qu'ils connaissent que tout ce que vous m'avez donné vient de
vous: car je leur ai communiqué les paroles que vous m'avez confiées;
ils les ont reçues, et ils ont cru que c'est vous qui m'avez envoyée. Je
prie pour ceux que vous m'avez donnés, parce qu'ils sont à vous. Je ne
suis plus dans le monde, mais pour eux ils y sont encore, tandis que je
retourne à vous. Conservez-les à cause de votre Nom._

«_Je vais maintenant à vous; et c'est afin que la joie qui vient de vous
soit parfaite en eux que je dis ceci, à présent que je suis dans le
monde... Je ne vous prie pas de les ôter du monde, mais de les préserver
du mal. Ils ne sont point du monde, de même que moi je ne suis pas du
monde non plus._

«_Ce n'est pas seulement pour eux que je prie, mais c'est encore pour
ceux qui croiront en vous sur ce qu'ils leur entendront dire._

«_Mon Dieu, je souhaite qu'où je serai, ceux que vous m'avez donnés y
soient aussi avec moi; et que le monde connaisse que vous les avez aimés
comme vous m'avez aimée moi-même._»[123]

Oui, Seigneur, voilà ce que je voudrais répéter après vous avant de
m'envoler dans vos bras! C'est peut-être de la témérité; mais non...
Depuis longtemps, ne m'avez-vous pas permis d'être audacieuse avec vous?
Comme le père de l'enfant prodigue parlant à son fils aîné, vous m'avez
dit: «_Tout ce qui est à moi est à toi._»[124] Vos paroles, ô Jésus,
sont donc à moi, et je puis m'en servir pour attirer sur les âmes qui
m'appartiennent les faveurs du Père céleste.

Vous le savez, ô mon Dieu, je n'ai jamais désiré que vous aimer
uniquement, je n'ambitionne pas d'autre gloire. Votre amour m'a prévenue
dès mon enfance, il a grandi avec moi, et maintenant c'est un abîme dont
je ne puis sonder la profondeur.

L'amour attire l'amour, le mien s'élance vers vous, il voudrait combler
l'abîme qui l'attire; mais, hélas! ce n'est même pas une goutte de rosée
perdue dans l'Océan! Pour vous aimer comme vous m'aimez, il me faut
emprunter votre propre amour, alors seulement je trouve le repos. O mon
Jésus, il me semble que vous ne pouvez combler une âme de plus d'amour
que vous n'avez comblé la mienne, c'est pour cela que j'ose vous
demander _d'aimer ceux que vous m'avez donnés comme vous m'avez aimée
moi-même_.

Un jour, au ciel, si je découvre que vous les aimez plus que moi, je
m'en réjouirai, reconnaissant dès ce monde que ces âmes le méritent
davantage; mais ici-bas, je ne puis concevoir une plus grande immensité
d'amour que celle dont il vous a plu de me gratifier, sans aucun mérite
de ma part.

       *       *       *       *       *

Ma Mère, je suis tout étonnée de ce que je viens d'écrire, je n'en avais
pas l'intention!

En répétant ce passage du saint Evangile: «_Je leur ai commimique les
paroles que vous m'avez confiées_», je ne pensais pas à mes frères, mais
à mes petites sœurs du noviciat; car je ne me crois pas capable
d'instruire des missionnaires. Ce que j'écrivais pour eux, c'était la
prière de Jésus: «_Je ne vous prie pas de les ôter du monde... Je vous
prie encore pour ceux qui croiront en vous sur ce qu'ils leur entendront
dire._» Comment, en effet, pourrais-je laisser dans l'oubli les âmes qui
deviendront leur conquête par la souffrance et la prédication?

Mais je n'ai pas expliqué toute ma pensée sur ce passage des Cantiques
sacrés: «_Attirez-moi, nous courrons..._»

«_Personne,_ a dit Jésus, _ne peut venir après moi si mon Père qui m'a
envoyé ne l'attire_.»[125] Ensuite il nous enseigne qu'il suffit de
frapper pour se faire ouvrir, de chercher pour trouver, et de tendre
humblement la main pour recevoir. Il ajoute que tout ce qu'on demande à
son Père en son Nom, il l'accorde. C'est pour cela sans doute que
l'Esprit-Saint, avant la naissance de Jésus, dicta cette prière
prophétique: «_Attirez-moi, nous courrons..._»

Demander d'être attiré, c'est vouloir s'unir d'une manière intime à
l'objet qui captive le cœur. Si le feu et le fer étaient doués de
raison et que ce dernier dit à l'autre: «Attire-moi», ne prouverait-il
pas son désir de s'identifier au feu jusqu'à partager sa substance? Eh
bien! voilà justement ma prière. Je demande à Jésus de m'attirer dans
les flammes de son amour, de m'unir si étroitement à lui qu'il vive et
agisse en moi. Je sens que, plus le feu de l'amour embrasera mon
cœur, plus je dirai: «_Attirez-moi_», plus aussi les âmes qui
s'approcheront de la mienne _courront avec vitesse à l'odeur des parfums
du Bien-Aimé_.

Oui, elles courront, nous courrons ensemble; car les âmes embrasées ne
peuvent rester inactives. Sans doute, comme sainte Madeleine, elles se
tiennent aux pieds de Jésus, écoutant sa parole douce et enflammée.
Paraissant ne rien donner, elles donnent bien plus que Marthe qui se
tourmente de _beaucoup de choses_[126]. Ce ne sont pas cependant les
travaux de Marthe, mais son inquiétude seule, que Jésus blâme; ces mêmes
travaux, sa divine Mère s'y est humblement soumise, puisqu'il lui
fallait préparer les repas de la sainte Famille.

Tous les saints ont compris cela, et plus particulièrement peut-être
ceux qui remplirent l'univers de l'illumination de la doctrine
évangélique. N'est-ce pas dans l'oraison que saint Paul, saint Augustin,
saint Thomas d'Aquin, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse et tant
d'autres amis de Dieu ont puisé cette science admirable qui ravit les
plus grands génies?

Un savant l'a dit: «Donnez-moi un point d'appui et, avec un levier, je
soulèverai le monde.» Ce qu'Archimède n'a pu obtenir, les saints l'ont
reçu pleinement. Le Tout-Puissant leur a donné un point d'appui:
_Lui-même, Lui seul!_ Pour levier, l'oraison qui embrase d'un feu
d'amour; et c'est ainsi qu'ils ont soulevé le monde, c'est ainsi que les
saints encore militants le soulèvent et le soulèveront jusqu'à la fin
des temps.

       *       *       *       *       *

Ma Mère chérie, il me reste à vous dire ce que j'entends par _l'odeur
des parfums du Bien-Aimé_. Puisque Jésus est remonté au ciel, je ne puis
le suivre qu'aux traces qu'il a laissées. Ah! que ces traces sont
lumineuses! qu'elles sont divinement embaumées! Je n'ai qu'à jeter les
yeux sur le saint Evangile: aussitôt je respire le parfum de la vie de
Jésus et je sais de quel côté courir. Ce n'est pas à la première place,
mais à la dernière que je m'élance. Je laisse le pharisien monter, et je
répète, remplie de confiance, l'humble prière du publicain. Ah!
surtout, j'imite la conduite de Madeleine, son étonnante ou plutôt son
amoureuse audace qui charme le Cœur de Jésus, séduit le mien!

Ce n'est pas parce que j'ai été préservée du péché mortel que je m'élève
à Dieu par la confiance et l'amour. Ah! je le sens, quand même j'aurais
sur la conscience tous les crimes qui se peuvent commettre, je ne
perdrais rien de ma confiance; j'irais, le cœur brisé de repentir, me
jeter dans les bras de mon Sauveur. Je sais qu'il chérit l'enfant
prodigue, j'ai entendu ses paroles à sainte Madeleine, à la femme
adultère, à la Samaritaine. Non, personne ne pourrait m'effrayer; car je
sais à quoi m'en tenir sur son amour et sa miséricorde. Je sais que
toute cette multitude d'offenses s'abîmerait en un clin d'œil, comme
une goutte d'eau jetée dans un brasier ardent.

Il est rapporté dans la Vie des Pères du désert, que l'un d'eux
convertit une pécheresse publique dont les désordres scandalisaient une
contrée entière. Cette pécheresse, touchée de la grâce, suivait le saint
dans le désert pour y accomplir une rigoureuse pénitence, quand, la
première nuit du voyage, avant même d'être rendue au lieu de sa
retraite, ses liens mortels furent brisés par l'impétuosité de son
repentir plein d'amour; et le solitaire vit, au même instant, son âme
portée par les Anges dans le sein de Dieu.

Voilà un exemple bien frappant de ce que je voudrais dire, mais ces
choses ne peuvent s'exprimer... Ah! ma Mère, si les âmes faibles et
imparfaites comme la mienne sentaient ce que je sens, aucune ne
désespérerait d'atteindre le sommet de la montagne de l'Amour, puisque
Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l'abandon et la
reconnaissance.

«_Je n'ai nul besoin_, dit-il, _des boucs de vos troupeaux, parce que
toutes les bêtes des forêts m'appartiennent et les milliers d'animaux
qui paissent sur les collines: je connais tous les oiseaux des
montagnes._

«_Si j'avais faim, ce n'est pas à vous que je le dirais: car la terre et
tout ce qu'elle contient est à moi. Est-ce que je dois manger la chair
des taureaux et boire le sang des boucs?_ IMMOLEZ A DIEU DES SACRIFICES
DE LOUANGES ET D'ACTIONS DE GRACES[127].»

       *       *       *       *       *

Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous! Il n'a pas besoin de nos
œuvres, mais uniquement de notre _amour_. Ce même Dieu, qui déclare
n'avoir nul besoin de nous dire s'il a faim, n'a pas craint de _mendier_
un peu d'eau à la Samaritaine..... Il avait soif!!! Mais en disant:
«_Donne-moi à boire_[128]», c'était l'amour de sa pauvre créature que le
Créateur de l'univers réclamait. Il avait soif d'amour!

Oui, plus que jamais Jésus est altéré. Il ne rencontre que des ingrats
et des indifférents parmi les disciples du monde; et parmi _ses
disciples à lui_, il trouve, hélas! bien peu de cœurs qui se livrent
sans aucune réserve à la tendresse de son Amour infini.

Mère chérie, que nous sommes heureuses de comprendre les intimes secrets
de notre Epoux! Ah! si vous vouliez écrire ce que vous en connaissez,
nous aurions de belles pages à lire. Mais, je le sais, vous aimez mieux,
comme la sainte Vierge, conserver au fond de votre cœur _toutes ces
choses_[129]... A moi, vous dites _qu'il est honorable de publier les
œuvres du Très-Haut_[130]. Je trouve que vous avez raison de garder
le silence; il est vraiment impossible de redire avec des paroles
terrestres les secrets du ciel!

Pour moi, après avoir tracé toutes ces pages, je trouve n'avoir pas
encore commencé. Il y a tant d'horizons divers, tant de nuances variées
à l'infini, que la palette du peintre céleste pourra seule, après la
nuit de cette vie, me fournir les couleurs divines capables de peindre
les merveilles qu'il découvre à l'œil de mon âme.

[Illustration: _Ancien cimetière intérieur du Carmel de Lisieux._

Ah! dés à present je le reconnais; oui, toutes mes espérances seront
comblées... oui, le Seigneur fera pour moi des merveilles qui surpasseront
infiniment mes immenses désirs!..]

Cependant, ma Mère vénérée, puisque vous me témoignez le désir de
connaître à fond, autant que possible, tous les sentiments de mon
cœur, puisque vous voulez que je mette par écrit le rêve le plus
consolant de ma vie, je terminerai l'histoire de mon âme par cet acte
d'obéissance. Si vous le permettez, c'est à Jésus que je m'adresserai;
de la sorte, je parlerai plus facilement. Vous trouverez peut-être mes
expressions exagérées; pourtant, je vous assure qu'il n'y a aucune
exagération dans mon cœur: tout y est calme et reposé.

       *       *       *       *       *

O Jésus, qui pourra dire avec quelle tendresse, quelle douceur vous
conduisez ma petite âme!...

L'orage grondait bien fort en elle depuis la belle fête de votre
triomphe, la radieuse fête de Pâques; lorsqu'un des jours du mois de
mai, vous avez fait luire dans ma sombre nuit un pur rayon de votre
grâce...

Pensant aux songes mystérieux que vous accordez parfois à vos
privilégiés, je me disais que cette consolation n'était pas faite pour
moi; que, pour moi, c'était la nuit, toujours la nuit profonde! Et sous
l'orage, je m'endormis.

Le lendemain, 10 mai, aux premières lueurs de l'aurore, je me trouvai,
pendant mon sommeil, dans une galerie où je me promenais seule avec
notre Mère. Tout à coup, sans savoir comment elles étaient entrées,
j'aperçus trois carmélites revêtues de leurs manteaux et grands voiles,
et je compris qu'elles venaient du ciel. «Ah! que je serais heureuse,
pensai-je, de voir le visage d'une de ces carmélites!» Comme si ma
prière eût été entendue, la plus grande des saintes s'avança vers moi et
je tombai à genoux. O bonheur! elle leva son voile, ou plutôt le souleva
et m'en couvrit.

Sans aucune hésitation, _je reconnus_ la Vénérable Mère Anne de Jésus,
fondatrice du Carmel en France[131]. Son visage était beau, d'une beauté
immatérielle; aucun rayon ne s'en échappait, et cependant, malgré le
voile épais qui nous enveloppait toutes les deux, je voyais ce céleste
visage éclairé d'une lumière ineffablement douce qu'il semblait produire
de lui-même.

La sainte me combla de caresses et, me voyant si tendrement aimée,
j'osai prononcer ces paroles: «O ma Mère, je vous en supplie, dites-moi
si le bon Dieu me laissera longtemps sur la terre? Viendra-t-il bientôt
me chercher?» Elle sourit avec tendresse.--«_Oui, bientôt... bientôt...
Je vous le promets._»--«Ma Mère, ajoutai-je, dites-moi encore si le bon
Dieu ne me demande pas autre chose que mes pauvres petites actions et
mes désirs; est-il content de moi?»

A ce moment, le visage de la Vénérable Mère resplendit d'un éclat
nouveau, et son expression me parut incomparablement plus tendre.--«_Le
bon Dieu ne demande rien autre chose de vous_, me dit-elle, _il est
content, très content_!...» Et me prenant la tête dans ses mains, elle
me prodigua de telles caresses, qu'il me serait impossible d'en rendre
la douceur. Mon cœur était dans la joie, mais je me souvins de mes
sœurs et je voulus demander quelques grâces pour elles... Hélas! je
m'éveillai!

Je ne saurais redire l'allégresse de mon âme. Plusieurs mois se sont
écoulés depuis cet ineffable rêve, et cependant le souvenir qu'il me
laisse n'a rien perdu de sa fraîcheur, de ses charmes célestes. Je vois
encore le regard et le sourire pleins d'amour de cette sainte carmélite,
je crois sentir encore les caresses dont elle me combla.

O Jésus, _vous aviez commandé aux vents et à la tempête, et il s'était
fait un grand calme_[132].

A mon réveil, je croyais, je sentais qu'il y a un ciel, et que ce ciel
est peuplé d'âmes qui me chérissent et me regardent comme leur enfant.
Cette impression reste dans mon cœur, d'autant plus douce que la
Vénérable Mère Anne de Jésus m'avait été jusqu'alors, j'ose presque dire
indifférente; je ne l'avais jamais invoquée, et sa pensée ne me venait à
l'esprit qu'en entendant parler d'elle, chose assez rare.

Et maintenant, je sais, je comprends combien de son côté je lui étais
peu indifférente, et cette pensée augmente mon amour, non seulement pour
elle, mais pour tous les bienheureux habitants de la céleste patrie.

O mon Bien-Aimé! cette grâce n'était que le prélude des grâces plus
grandes encore dont vous vouliez me combler; laissez-moi vous les
rappeler aujourd'hui, et pardonnez-moi si je déraisonne en voulant
redire mes espérances et mes désirs qui touchent à l'infini...
pardonnez-moi et guérissez mon âme en lui donnant ce qu'elle espère!

Etre votre épouse, ô Jésus! être carmélite, être, par mon union avec
vous, la mère des âmes, tout cela devrait me suffire. Cependant je sens
en moi d'autres vocations: je me sens la vocation de guerrier, de
prêtre, d'apôtre, de docteur, de martyr... Je voudrais accomplir toutes
les œuvres les plus héroïques, je me sens le courage d'un croisé, je
voudrais mourir sur un champ de bataille pour la défense de l'Eglise.

La vocation de prêtre! Avec quel amour, ô Jésus, je vous porterais dans
mes mains lorsque ma voix vous ferait descendre du ciel! avec quel amour
je vous donnerais aux âmes! Mais hélas! tout en désirant être prêtre,
j'admire et j'envie l'humilité de saint François d'Assise, et je me sens
la vocation de l'imiter en refusant la sublime dignité du sacerdoce.
Comment donc allier ces contrastes?

Je voudrais éclairer les âmes comme les prophètes, les docteurs. Je
voudrais parcourir la terre, prêcher votre Nom et planter sur le sol
infidèle votre croix glorieuse, ô mon Bien-Aimé! Mais une seule mission
ne me suffirait pas: je voudrais en même temps annoncer l'Evangile dans
toutes les parties du monde, et jusque dans les îles les plus reculées.
Je voudrais être missionnaire, non seulement pendant quelques années,
mais je voudrais l'avoir été depuis la création du monde, et continuer
de l'être jusqu'à la consommation des siècles.

Ah! par-dessus tout, je voudrais le martyre. Le martyre! voilà le rêve
de ma jeunesse; ce rêve a grandi avec moi dans ma petite cellule du
Carmel. Mais c'est là une autre folie; car je ne désire pas un seul
genre de supplice, pour me satisfaire il me les faudrait tous...

Comme vous, mon Epoux adoré, je voudrais être flagellée, crucifiée... Je
voudrais mourir dépouillée comme saint Barthélémy; comme saint Jean, je
voudrais être plongée dans l'huile bouillante; je désire, comme saint
Ignace d'Antioche, être broyée par la dent des bêtes, afin de devenir un
pain digne de Dieu. Avec sainte Agnès et sainte Cécile, je voudrais
présenter mon cou au glaive du bourreau; et comme Jeanne d'Arc, sur un
bûcher ardent, murmurer le nom de Jésus!

Si ma pensée se porte sur les tourments inouïs qui seront le partage des
chrétiens au temps de l'Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir, je
voudrais que ces tourments me fussent réservés. Ouvrez, mon Jésus, votre
Livre de Vie, où sont rapportées les actions de tous les Saints; ces
actions, je voudrais les avoir accomplies pour vous!

A toutes mes folies, qu'allez-vous répondre? Y a-t-il sur la terre une
âme plus petite, plus impuissante que la mienne? Cependant, à cause même
de ma faiblesse, vous vous êtes plu à combler mes petits désirs
enfantins; et vous voulez aujourd'hui combler d'autres désirs plus
grands que l'univers...

       *       *       *       *       *

Ces aspirations devenant un véritable martyre, j'ouvris un jour les
épîtres de saint Paul, afin de chercher quelque remède à mon tourment.
Les chapitres XII et XIII de la première épître aux Corinthiens me
tombèrent sous les yeux. J'y lus que tous ne peuvent être à la fois
apôtres, prophètes et docteurs, que l'Eglise est composée de différents
membres, et que l'œil ne saurait être en même temps la main.

La réponse était claire, mais ne comblait pas mes vœux et ne me
donnait pas la paix. «_M'abaissant alors jusque dans les profondeurs de
mon néant, je m'élevai si haut que je pus atteindre mon but._»[133] Sans
me décourager, je continuai ma lecture et ce conseil me soulagea:
«_Recherchez avec ardeur les dons les plus parfaits; mais je vais encore
vous montrer une voie plus excellente._»[134]

Et l'Apôtre explique comment tous les dons les plus parfaits ne sont
rien sans _l'Amour_, que la Charité est la voie la plus excellente pour
aller sûrement à Dieu. Enfin j'avais trouvé le repos!

Considérant le corps mystique de la sainte Eglise, je ne m'étais
reconnue dans aucun des membres décrits par saint Paul, ou plutôt je
voulais me reconnaître en tous. La Charité me donna la clef de _ma
vocation_. Je compris que, si l'Eglise avait un corps composé de
différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous les
organes ne lui manquait pas; je compris qu'elle avait _un cœur_, et
que ce cœur était brûlant d'amour; je compris que l'amour seul
faisait agir ses membres, que, si l'amour venait à s'éteindre, les
apôtres n'annonceraient plus l'Evangile, les martyrs refuseraient de
verser leur sang. Je compris que l'amour renfermait toutes les
vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et
tous les lieux, parce qu'il est éternel!

Alors, dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée: «O Jésus,
mon amour! ma vocation, enfin je l'ai trouvée! _ma vocation, c'est
l'amour!_ Oui, j'ai trouvé ma place au sein de l'Eglise, et cette place,
ô mon Dieu, c'est vous qui me l'avez donnée: dans le cœur de l'Eglise
ma Mère, _je serai l'amour!_... Ainsi je serai tout; ainsi mon rêve sera
réalisé!»

Pourquoi parler de joie délirante? Non, cette expression n'est pas
juste; c'est plutôt la paix qui devint mon partage, la paix calme et
sereine du navigateur apercevant le phare qui lui indique le port. O
phare lumineux de l'amour! je sais comment arriver jusqu'à toi, j'ai
trouvé le secret de m'approprier tes flammes!

Je ne suis qu'une enfant impuissante et faible; cependant, c'est ma
faiblesse même qui me donne l'audace de m'offrir en victime à votre
amour, ô Jésus! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient
seules agréées par le Dieu fort et puissant: pour satisfaire à la
justice divine il fallait des victimes parfaites; mais à la loi de
crainte a succédé la loi d'amour, et l'amour m'a choisie pour
holocauste, moi, faible et imparfaite créature! Ce choix n'est-il pas
digne de l'amour? Oui, pour que l'amour soit pleinement satisfait, il
faut qu'il s'abaisse jusqu'au néant et qu'il transforme en feu ce néant.

O mon Dieu, je le sais, _l'amour ne se paie que par l'amour_[135]. Aussi
j'ai cherché, j'ai trouvé le moyen de soulager mon cœur en vous
rendant amour pour amour.

«_Employez les richesses qui rendent injustes à vous faire des amis qui
vous reçoivent dans les Tabernacles éternels._»[136] Voilà, Seigneur, le
conseil que vous donnez à vos disciples, après leur avoir dit que _les
enfants de ténèbres sont plus habiles dans leurs affaires que les
enfants de lumière_[137].

Enfant de lumière, j'ai compris que mes désirs d'être tout, d'embrasser
toutes les vocations, étaient des richesses qui pourraient bien me
rendre injuste; alors je m'en suis servie à me faire des amis. Me
souvenant de la prière d'Elisée au prophète Elie, lorsqu'il lui demanda
son double esprit, je me présentai devant les Anges et l'assemblée des
Saints et je leur dis: «Je suis la plus petite des créatures, je connais
ma misère, mais je sais aussi combien les cœurs nobles et généreux
aiment à faire du bien; je vous conjure donc, bienheureux habitants de
la cité céleste, de m'adopter pour enfant: à vous seul reviendra la
gloire que vous me ferez acquérir; daignez exaucer ma prière,
obtenez-moi, je vous en supplie, _votre double amour_!»

Seigneur, je ne puis approfondir ma demande, je craindrais de me trouver
accablée sous le poids de mes désirs audacieux! Mon excuse, c'est mon
titre _d'enfant_: les enfants ne réfléchissent pas à la portée de leurs
paroles. Cependant, si leur père, si leur mère montent sur le trône et
possèdent d'immenses trésors, ils n'hésitent pas à contenter les désirs
des petits êtres qu'ils chérissent plus qu'eux-mêmes. Pour leur faire
plaisir, ils font des folies, ils vont même jusqu'à la faiblesse.

Eh bien, je suis l'enfant de la sainte Eglise. L'Eglise est reine
puisqu'elle est votre Epouse, ô divin Roi des rois! Ce ne sont pas les
richesses et la gloire--même la gloire du ciel--que réclame mon cœur.
La gloire, elle appartient de droit à mes frères: les Anges et les
Saints. Ma gloire à moi sera le reflet qui rejaillira du front de ma
Mère. Ce que je demande, c'est _l'amour_! Je ne sais plus qu'une chose,
_vous aimer_, ô Jésus! Les œuvres éclatantes me sont interdites, je
ne puis prêcher l'Evangile, verser mon sang... qu'importe? Mes frères
travaillent à ma place, et moi, _petit enfant_, je me tiens tout près du
trône royal, _j'aime_ pour ceux qui combattent.

Mais comment témoignerai-je mon amour, puisque l'amour se prouve par les
œuvres? Eh bien! _le petit enfant jettera des fleurs..._ il embaumera
de ses parfums le trône divin, il chantera de sa voix argentine le
cantique de l'amour!

Oui, mon Bien-Aimé, c'est ainsi que ma vie éphémère se consumera devant
vous. Je n'ai pas d'autre moyen pour vous prouver mon amour que de jeter
des fleurs: c'est-à-dire de ne laisser échapper aucun petit sacrifice,
aucun regard, aucune parole, de profiter des moindres actions et de les
faire par amour. Je veux souffrir par amour et même jouir par amour;
ainsi je jetterai des rieurs. Je n'en rencontrerai pas une sans
l'effeuiller pour vous... et puis je chanterai, je chanterai toujours,
même s'il faut cueillir mes roses au milieu des épines; et mon chant
sera d'autant plus mélodieux que ces épines seront plus longues et plus
piquantes.

Mais à quoi, mon Jésus, vous serviront mes fleurs et mes chants? Ah! je
le sais bien, cette pluie embaumée, ces pétales fragiles et de nulle
valeur, ces chants d'amour d'un cœur si petit vous charmeront quand
même. Oui, ces riens vous feront plaisir: ils feront sourire l'Eglise
triomphante qui, voulant jouer avec son petit enfant, recueillera ces
roses effeuillées et, les faisant passer par vos mains divines pour les
revêtir d'une valeur infinie, les jettera sur l'Eglise souffrante afin
d'en éteindre les flammes; sur l'Eglise militante afin de lui donner la
victoire.

O mon Jésus! je vous aime, j'aime l'Eglise ma mère, je me souviens que
_le plus petit mouvement de pur amour lui est plus utile que toutes les
autres œuvres réunies ensemble_[138]. Mais le pur amour est-il bien
dans mon cœur? Mes immenses désirs ne sont-ils pas un rêve, une
folie? Ah! s'il en est ainsi, éclairez-moi; vous le savez, je cherche la
vérité. Si mes désirs sont téméraires, faites-les disparaître; car ces
désirs sont pour moi le plus grand des martyres. Cependant, je l'avoue,
si je n'atteins pas un jour ces régions les plus élevées vers lesquelles
mon âme aspire, j'aurai goûté plus de douceur dans mon martyre, dans ma
folie, que je n'en goûterai au sein des joies éternelles; à moins que,
par un miracle, vous ne m'enleviez le souvenir de mes espérances
terrestres. Jésus! Jésus! s'il est si délicieux le désir de l'amour,
qu'est-ce donc de le posséder, d'en jouir à jamais?

Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à la
plénitude de l'amour? Quel est donc ce mystère? Pourquoi ne
réservez-vous pas, ô mon unique Ami, ces immenses aspirations aux
grandes âmes, aux aigles qui planent dans les hauteurs? Hélas! je ne
suis qu'un pauvre petit oiseau couvert seulement d'un léger duvet; je ne
suis pas un aigle, j'en ai simplement les yeux et le cœur... Oui,
malgré ma petitesse extrême, j'ose fixer le Soleil divin de l'amour, et
je brûle de m'élancer jusqu'à lui! Je voudrais voler, je voudrais imiter
les aigles; mais tout ce que je puis faire, c'est de soulever mes
petites ailes; il n'est pas en mon petit pouvoir de m'envoler.

Que vais-je devenir? Mourir de douleur en me voyant si impuissante? Oh!
non, je ne vais pas même m'affliger. Avec un audacieux abandon, je veux
rester là, fixant jusqu'à la mort mon divin Soleil. Rien ne pourra
m'effrayer, ni le vent, ni la pluie; et, si de gros nuages viennent à
cacher l'Astre d'amour, s'il me semble ne pas croire qu'il existe autre
chose que la nuit de cette vie, ce sera alors le moment de la _joie
parfaite_, le moment de pousser ma confiance jusqu'aux limites extrêmes,
me gardant bien de changer de place, sachant que par delà les tristes
nuages mon doux Soleil brille encore!

O mon Dieu! jusque-là je comprends votre amour pour moi; mais, vous le
savez, bien souvent je me laisse distraire de mon unique occupation, je
m'éloigne de vous, je mouille mes petites ailes à peine formées aux
misérables flaques d'eau que je rencontre sur la terre! Alors _je gémis
comme l'hirondelle_[139], et mon gémissement vous instruit de tout, et
vous vous souvenez, ô miséricorde infinie, _que vous n'êtes pas venue
appeler les justes, mais les pécheurs_[140].

Cependant, si vous demeurez sourd aux gazouillements plaintifs de votre
chétive créature, si vous restez voilé, eh bien! je consens à rester
mouillée, j'accepte d'être transie de froid, et je me réjouis encore de
cette souffrance pourtant méritée. O mon Astre chéri! oui, je suis
heureuse de me sentir petite et faible en votre présence et mon cœur
reste dans la paix... je sais que tous les aigles de votre céleste cour
me prennent en pitié, qu'ils me protègent, me défendent et mettent en
fuite les vautours, image des démons, qui voudraient me dévorer. Ah! je
ne les crains pas, je ne suis point destinée à devenir leur proie, mais
celle de l'Aigle divin.

O Verbe, ô mon Sauveur! c'est toi l'Aigle que j'aime et qui m'attires:
c'est toi qui, t'élançant vers la terre d'exil, as voulu souffrir et
mourir afin d'enlever toutes les âmes et de les plonger jusqu'au centre
de la Trinité sainte, éternel foyer de l'amour! C'est toi qui, remontant
vers l'inaccessible lumière, restes caché dans notre vallée de larmes
sous l'apparence d'une blanche hostie, et cela pour me nourrir de ta
propre substance. O Jésus! laisse-moi te dire que ton amour va jusqu'à
la folie... Comment veux-tu, devant cette folie, que mon cœur ne
s'élance pas vers toi? Comment ma confiance aurait-elle des bornes?

Ah! pour toi, je le sais, les Saints ont fait aussi des folies, ils ont
fait de grandes choses, puisqu'ils étaient des aigles! Moi, je suis trop
petite pour faire de grandes choses, et ma folie, c'est d'espérer que
ton amour m'accepte comme victime; ma folie, c'est de compter sur les
Anges et les Saints pour voler jusqu'à toi avec tes propres ailes, ô mon
Aigle adoré! Aussi longtemps que tu le voudras, je demeurerai les yeux
fixés sur toi, je veux être _fascinée_ par ton regard divin, je veux
devenir la proie de ton amour. Un jour, j'en ai l'espoir, tu fondras sur
moi, et, m'emportant au foyer de l'amour, tu me plongeras enfin dans ce
brûlant abîme, pour m'en faire devenir à jamais l'heureuse victime.

       *       *       *       *       *

O Jésus! que ne puis-je dire à toutes les _petites âmes_ ta
condescendance ineffable! Je sens que si, par impossible, tu en trouvais
une plus faible que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs
plus grandes encore, pourvu qu'elle s'abandonnât avec une entière
confiance à ta miséricorde infinie!

Mais pourquoi ces désirs de communiquer tes secrets d'amour, ô mon
Bien-Aimé? N'est-ce pas toi seul qui me les as enseignés, et ne peux-tu
pas les révélera d'autres? Oui, je le sais, et je te conjure de le
faire; _je te supplie d'abaisser ton regard divin sur un grand nombre de
petites âmes, je te supplie de te choisir en ce monde une légion de
petites victimes, dignes de ton_ AMOUR!!!

       *       *       *       *       *

[Illustration: JE VOUS AI PORTÉS SUR DES AILES D'AIGLE ET AMENÉS VERS
MOI. (Ex., XIX, 4.)]

[Illustration: VOIE D'ENFANCE SPIRITUELLE

LE TRIOMPHE

_«Le Royaume des Cieux est pour les enfants et pour ceux qui leur
ressemblent.»_

(LUC, XVIII, 16.)]

              _Jésus!_
       Rappelle-toi les divines tendresses
       Dont tu comblas les tout petits enfants;
       Je veux aussi recevoir tes caresses.
       Ah! donne-moi tes baisers ravissants;
    Pour jouir dans les Cieux de ta douce présence
    Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance;
          Tu nous l'as dit souvent:
         «_Le Ciel est pour l'enfant..._»
              Rappelle-toi!

        THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS.

[Illustration: JE VEUX PASSER MON CIEL A FAIRE DU BIEN SUR LA TERRE.
APRES MA MORT JE FERAI TOMBER UNE PLUIE DE ROSES.

     «Je ne veux pas rester inactive au Ciel, mon désir est de
     travailler encore pour l'Eglise et les âmes. Je le demande a Dieu
     et je suis certaine qu'il m'exaucera...»
]



CHAPITRE XII

Le Calvaire.--L'essor vers le Ciel.

    «Il est de la plus haute importance que l'âme s'exerce beaucoup à
    l'AMOUR, afin que, se consommant rapidement, elle ne s'arrête guère
    ici-bas, mais arrive promptement à voir son Dieu face à face.»

       S. JEAN DE LA CROIX.


«_Bien des pages de cette histoire ne se liront jamais sur la terre..._»
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus l'a dit; et nous le répétons forcément
après elle. Il est des souffrances qu'il n'est pas permis, de révéler
ici-bas; seul le Seigneur s'est jalousement réservé d'en découvrir le
mérite et la gloire dans la claire vision qui déchirera tous les
voiles...

Il fit «_déborder en l'âme de sa petite épouse les flots de tendresse
infinie renfermés dans son Cœur divin_»: ce fut là le martyre d'amour
que sa voix mélodieuse a si suavement chanté. Mais, «_s'offrir en
victime à l'amour, ce n'est pas s'offrir aux douceurs, aux
consolations_...» Thérèse l'éprouva, car le divin Maître la conduisit à
travers les âpres sentiers de la douleur; et c'est seulement à son
austère sommet qu'elle mourut VICTIME DE CHARITÉ.

       *       *       *       *       *

Nous avons vu combien fut grand le sacrifice de Thérèse lorsqu'elle
quitta pour toujours son père, qui l'aimait si tendrement, et la maison
de famille où elle avait été si heureuse; mais on pensera peut-être que
ce sacrifice lui était bien adouci, puisqu'au Carmel elle retrouvait ses
deux sœurs aînées, les chères confidentes de son âme: ce fut au
contraire pour la jeune postulante l'occasion des plus sensibles
privations.

La solitude et le silence étant rigoureusement gardés, elle ne voyait
ses sœurs qu'à l'heure des récréations. Si elle eût été moins
mortifiée, souvent elle aurait pu s'asseoir à leurs côtés; mais «_elle
recherchait de préférence la compagnie des religieuses qui lui
plaisaient le moins_»; aussi l'on pouvait dire qu'on ignorait si elle
affectionnait ses sœurs plus particulièrement.

Quelque temps après son entrée, on la donna comme aide à Sœur Agnès
de Jésus, sa «_Pauline_» tant aimée: ce fut une nouvelle source de
sacrifices. Thérèse savait qu'une parole inutile est défendue et jamais
elle ne se permit la moindre confidence. «O ma petite Mère! dira-t-elle
plus tard, que j'ai souffert alors!... Je ne pouvais vous ouvrir mon
cœur, et je pensais que vous ne me connaissiez plus!...»

Après cinq années de ce silence héroïque, Sœur Agnès de Jésus fut
élue Prieure. Au soir de l'élection, le cœur de la «_petite Thérèse_»
dut battre de joie, à la pensée que désormais elle pourrait parler à sa
«_petite Mère_» en toute liberté, et, comme autrefois, épancher son âme
dans la sienne; mais le sacrifice était devenu l'aliment de sa vie; si
elle demanda une faveur, ce fut celle d'être considérée comme la
dernière, d'avoir partout la dernière place. Aussi, de toutes les
religieuses, ce fut elle qui vit sa Mère Prieure le plus rarement.

       *       *       *       *       *

Elle voulait vivre la vie du Carmel avec toute la perfection demandée
par sa sainte Réformatrice. Bien que plongée dans une habituelle
aridité, son oraison était continuelle. Un jour une novice entrant dans
sa cellule s'arrêta, frappée de l'expression toute céleste de son
visage. Elle cousait avec activité, et cependant semblait perdue dans
une contemplation profonde.

«A quoi pensez-vous? lui demanda la jeune sœur.--Je médite le Pater,
répondit-elle. C'est si doux d'appeler le bon Dieu _notre Père_!...» et
des larmes brillaient dans ses yeux.

«Je ne vois pas bien ce que j'aurai de plus au ciel que maintenant,
disait-elle une autre fois, je verrai le bon Dieu, c'est vrai; mais,
pour être avec lui, j'y suis déjà tout à fait sur la terre.»

Une vive flamme d'amour la consumait. Voici ce qu'elle raconte
elle-même:

«Quelques jours après mon offrande à l'_Amour miséricordieux_, je
commençais au Chœur l'exercice du Chemin de la Croix, lorsque je me
sentis tout à coup blessée d'un trait de feu si ardent que je pensai
mourir. Je ne sais comment expliquer ce transport; il n'y a pas de
comparaison qui puisse faire comprendre l'intensité de cette flamme. Il
me semblait qu'une force invisible me plongeait tout entière dans le
feu. Oh! quel feu! quelle douceur!»

Comme la Mère Prieure lui demandait si ce transport était le premier de
sa vie, elle répondit simplement:

«Ma Mère, j'ai eu plusieurs transports d'amour, particulièrement une
fois, pendant mon noviciat, où je restai une semaine entière bien loin
de ce monde; il y avait comme un voile jeté pour moi sur toutes les
choses de la terre. Mais je n'étais pas brûlée d'une réelle flamme, je
pouvais supporter ces délices sans espérer de voir mes liens se briser
sous leur poids; tandis que, le jour dont je parle, une minute, une
seconde de plus, mon âme se séparait du corps... Hélas! je me retrouvai
sur la terre, et la sécheresse, immédiatement, revint habiter mon
cœur!»

Encore un peu, douce victime d'amour. La main divine a retiré son
javelot de feu, mais la blessure est mortelle...

       *       *       *       *       *

Dans cette intime union avec Dieu, Thérèse acquit sur ses actes un
empire vraiment remarquable; toutes les vertus s'épanouirent à l'envi
dans le délicieux jardin de son âme.

Et qu'on ne croie pas que cette magnifique efflorescence de beautés
surnaturelles grandit sans aucun effort.

«Il n'est point sur la terre de fécondité sans souffrance: souffrances
physiques, angoisses privées, épreuves connues de Dieu ou des hommes.
Lorsqu'à la lecture de la vie des Saints germent en nous les pieuses
pensées, les résolutions généreuses, nous ne devons pas nous borner,
comme pour les livres profanes, à solder un tribut quelconque
d'admiration au génie de leurs auteurs; mais plus encore songer au prix
dont, sans nul doute, ils ont payé le bien surnaturel produit par eux en
chacun de nous[141].»

Et, si aujourd'hui «_la petite sainte_» opère dans les cœurs des
transformations merveilleuses, si le bien qu'elle fait sur la terre est
immense, on peut croire en toute vérité qu'elle l'a acheté au prix même
dont Jésus a racheté nos âmes: la souffrance et la croix.

Une de ses moindres souffrances ne fut pas la lutte courageuse qu'elle
entreprit contre elle-même, refusant toute satisfaction aux exigences de
sa fière et ardente nature. Toute enfant, elle avait pris l'habitude de
ne jamais s'excuser ni se plaindre; au Carmel, elle voulut être la
petite servante de ses sœurs.

Dans cet esprit d'humilité, elle s'efforçait d'obéir à toutes
indistinctement.

Un soir, pendant sa maladie, la communauté devait se réunir à l'ermitage
du Sacré-Cœur pour chanter un cantique. Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, déjà minée par la fièvre, s'y était péniblement rendue;
elle y arriva épuisée et dut s'asseoir aussitôt. Une religieuse lui fit
signe de se lever pour chanter le cantique. Sans hésiter, l'humble
enfant se leva et, malgré la fièvre et l'oppression, resta debout
jusqu'à la fin.

L'infirmière lui avait conseillé de faire tous les jours une petite
promenade d'un quart d'heure dans le jardin. Ce conseil devenait un
ordre pour elle. Un après-midi, une sœur, la voyant marcher avec
beaucoup de peine, lui dit: «Vous feriez bien mieux de vous reposer,
votre promenade ne peut vous être profitable dans de pareilles
conditions, vous vous épuisez, voilà tout!--C'est vrai, répondit cette
enfant d'obéissance, mais savez-vous ce qui me donne des forces?... Eh
bien! _je marche pour un missionnaire_. Je pense que là-bas, bien loin,
l'un d'eux est peut-être épuisé dans ses courses apostoliques; et, pour
diminuer ses fatigues, j'offre les miennes au bon Dieu.»

       *       *       *       *       *

Elle donnait à ses novices de sublimes exemples de détachement:

Une année, pour la fête de la Mère Prieure, nos familles et les ouvriers
du monastère avaient envoyé des gerbes de fleurs. Thérèse les disposait
avec goût, quand une sœur converse lui dit d'un ton mécontent: «On
voit bien que ces gros bouquets-là ont été donnés par votre famille;
ceux des pauvres gens vont encore être dissimulés!» Un doux sourire fut
la seule réponse de la sainte carmélite. Aussitôt, malgré le peu
d'harmonie qui devait résulter du changement, elle mit au premier rang
les bouquets des pauvres.

Pleine d'admiration devant une si grande vertu, la sœur alla
s'accuser de son imperfection à la Révérende Mère Prieure, louant
hautement la patience et l'humilité de Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus.

Aussi, quand la «_Petite Reine_» eut quitté la terre d'exil pour le
royaume de son Epoux, cette même sœur, pleine de foi en sa puissance,
approcha son front des pieds glacés de la virginale enfant, lui
demandant pardon de sa faute d'autrefois. Au même instant, elle se
sentit guérie d'une anémie cérébrale qui, depuis de longues années, lui
interdisait tout travail intellectuel, même la lecture et l'oraison
mentale.

       *       *       *       *       *

Loin de fuir les humiliations, elle les recherchait avec empressement;
c'est ainsi qu'elle s'offrit pour aider une sœur que l'on savait
difficile à satisfaire; sa proposition généreuse fut acceptée. Un jour
qu'elle venait de subir bien des reproches, une novice lui demanda
pourquoi elle avait l'air si heureux. Quelle ne fut pas sa surprise en
entendant cette réponse: «C'est que ma Sœur *** vient de me dire des
choses désagréables. Oh! qu'elle m'a fait plaisir! Je voudrais
maintenant la rencontrer afin de pouvoir lui sourire.» Au même instant
cette sœur frappe à la porte, et la novice émerveillée put voir
comment pardonnent les saints.

«Je planais tellement au-dessus de toutes choses, dira-t-elle plus tard,
que je m'en allais fortifiée des humiliations.»

       *       *       *       *       *

A toutes ces vertus, elle joignait un courage extraordinaire. Dès son
entrée, à quinze ans, sauf les jeûnes, on lui laissa suivre toutes les
pratiques de notre règle austère. Parfois, ses compagnes du noviciat
remarquaient sa pâleur et essayaient de la faire dispenser, soit de
l'Office du soir ou du lever matinal; la vénérée Mère Prieure[142]
n'accédait point à leurs demandes: «Une âme de cette trempe,
disait-elle, ne doit pas être traitée comme une enfant, les dispenses ne
sont pas faites pour elle. Laissez-la, Dieu la soutient. D'ailleurs, si
elle est malade, elle doit venir le dire elle-même.»

Mais Thérèse avait ce principe qu'il «_faut aller jusqu'au bout de ses
forces avant de se plaindre._» Que de fois elle s'est rendue à Matines
avec des vertiges ou de violents maux de tête! «Je puis encore marcher,
se disait-elle, eh bien, je dois être à mon devoir!» Et, grâce à cette
énergie, elle accomplissait simplement des actes héroïques.

Son estomac délicat s'accommodait difficilement de la nourriture frugale
du Carmel; certains aliments la rendaient malade; mais elle savait si
bien le cacher que personne ne le soupçonna jamais. Sa voisine de table
dit avoir, en vain, essayé de deviner quels étaient les mets de son
goût. Aussi, les sœurs de la cuisine, la voyant si peu difficile, lui
servaient invariablement les restes.

C'est seulement pendant sa dernière maladie, lorsqu'on lui ordonna de
dire ce qui lui faisait mal, que sa mortification fut dévoilée.

«Quand Jésus veut qu'on souffre, disait-elle alors, il faut absolument
en passer par là. Ainsi, pendant que ma sœur Marie du Sacré-Cœur
(sa sœur Marie) était provisoire, elle s'efforçait de me soigner avec
la tendresse d'une mère, et je paraissais bien gâtée! Pourtant que de
mortifications elle me faisait faire! car elle me servait selon ses
goûts, absolument opposés aux miens!»

       *       *       *       *       *

Son esprit de sacrifice était universel. Tout ce qu'il y avait de plus
pénible et de moins agréable, elle s'empressait de le saisir comme la
part qui lui était due; tout ce que Dieu lui demandait, elle le lui
donnait, sans retour sur elle-même.

«Pendant mon postulat, dit-elle, il me coûtait beaucoup de faire
certaines mortifications extérieures, en usage dans nos monastères; mais
jamais je n'ai cédé à mes répugnances: il me semblait que le Crucifix du
préau me regardait avec des yeux suppliants et me mendiait ces
sacrifices.»

Sa vigilance était telle qu'elle ne laissait inobservés aucune des
recommandations de sa Mère Prieure, aucun de ces petits règlements qui
rendent la vie religieuse si méritoire. Une sœur ancienne, ayant
remarqué sa fidélité extraordinaire sur ce point, la considéra dès lors
comme une sainte.

Elle se plaît à dire qu'elle ne faisait pas de grandes pénitences: c'est
que sa ferveur comptait pour rien celles qui lui étaient permises. Il
arriva pourtant qu'elle fut malade pour avoir porté trop longtemps une
petite croix de fer dont les pointes s'étaient enfoncées dans sa chair.
«Cela ne me serait pas arrivé pour si peu de chose, disait-elle ensuite,
si le bon Dieu n'avait voulu me faire comprendre que les macérations des
saints ne sont pas faites pour moi, ni pour les petites âmes qui
marcheront par la même voie d'enfance.»

       *       *       *       *       *

_Les âmes les plus chéries de mon Père_, disait un jour Nôtre-Seigneur
à sainte Thérèse, _sont celles qu'il éprouve le plus; et la grandeur de
leurs épreuves est la mesure de son amour_.» Thérèse était une de ces
âmes les plus chéries de Dieu; et il allait mettre le comble à son amour
en l'immolant dans un cruel martyre.

Nous connaissons l'appel du Vendredi-Saint, 3 avril 1896, où, suivant
son expression, elle entendit «_comme un lointain murmure qui lui
annonçait l'arrivée de l'Epoux_.» De longs mois, bien douloureux,
devaient s'écouler encore avant cette heure bénie de la délivrance.

Le matin de ce Vendredi-Saint, elle sut si bien faire croire que son
crachement de sang serait sans conséquence, que la Mère Prieure lui
permit d'accomplir toutes les pénitences prescrites par la règle, ce
jour-là. Dans l'après-midi, une novice l'aperçut nettoyant des fenêtres.
Elle avait le visage livide et, malgré son énergie, semblait à bout de
forces. La voyant si épuisée, cette novice qui la chérissait fondit en
larmes, la suppliant de lui permettre de demander pour elle quelque
soulagement. Mais sa jeune maîtresse le lui défendit expressément,
disant qu'elle pouvait bien supporter une légère fatigue en ce jour où
Jésus avait tant souffert pour elle.

Bientôt une toux persistante inquiéta la Révérende Mère. Elle soumit
sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à un régime fortifiant, et la toux
disparut pour quelques mois.

«Vraiment, disait alors notre chère petite sœur, la maladie est une
trop lente conductrice, _je ne compte que sur l'amour_.»

Fortement tentée de répondre à l'appel du Carmel d'Hanoï qui la
demandait avec instances, elle commença une neuvaine au vénérable
Théophane Vénard, dans le but d'obtenir sa complète guérison. Hélas!
cette neuvaine devint le point de départ d'un état des plus graves.

       *       *       *       *       *

Après avoir, comme Jésus, _passé dans le monde en faisant le bien_;
après avoir été oubliée, méconnue comme lui, notre petite sainte allait
à sa suite gravir un douloureux Calvaire.

Habituée à la voir toujours souffrir, et cependant rester toujours
vaillante, sa Mère Prieure, inspirée de Dieu sans doute, lui permit de
suivre les exercices de communauté dont certains la fatiguaient
extrêmement.

Le soir venu, l'héroïque enfant devait monter seule l'escalier du
dortoir; s'arrêtant à chaque marche pour reprendre haleine, elle
regagnait péniblement sa cellule, et y arrivait tellement épuisée qu'il
lui fallait parfois--elle l'avoua plus tard--une heure pour se
déshabiller. Et, après tant de fatigues, c'était sur sa dure paillasse
qu'il lui fallait passer le temps du repos.

Aussi les nuits étaient-elles très mauvaises; et, comme on lui demandait
si quelque secours ne lui était pas nécessaire dans ces heures de
souffrance: «Oh! non, répondit-elle; je m'estime bien heureuse, au
contraire, de me trouver dans une cellule assez retirée pour n'être pas
entendue de mes sœurs. Je suis contente de souffrir seule; dès que je
suis plainte et comblée de délicatesses, _je ne jouis plus_.»

Sainte enfant!... Quel empire aviez-vous donc acquis sur vous-même pour
pouvoir dire en toute vérité ces sublimes paroles!... Ainsi, ce qui nous
cause à nous tant de déplaisir: l'oubli des créatures, devenait votre
jouissance!..... Ah! comme votre divin Epoux savait bien vous la ménager
cette amère jouissance qui vous était si douce!

On lui faisait souvent des pointes de feu sur le côté. Un jour qu'elle
en avait particulièrement souffert, elle se reposait dans sa cellule
pendant la récréation. Elle entendit alors à la cuisine une sœur
parler d'elle en ces termes: «Ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus va
bientôt mourir; et je me demande vraiment ce que notre Mère en pourra
dire après sa mort. Elle sera bien embarrassée, car cette petite
sœur, tout aimable qu'elle est, n'a pour sur rien fait qui vaille la
peine d'être raconté.»

L'infirmière qui avait tout entendu lui dit:

«Si vous vous étiez appuyée sur l'opinion des créatures, vous seriez
bien désillusionnée aujourd'hui.

--L'opinion des créatures! ah! heureusement le bon Dieu m'a toujours
fait la grâce d'y être absolument indifférente. Ecoutez une petite
histoire qui a achevé de me montrer ce qu'elle vaut:

«Quelques jours après ma prise d'habit, j'allais chez notre Mère. Une
sœur du voile blanc qui s'y trouvait dit en m'apercevant: «Ma Mère,
vous avez reçu là une novice qui vous fait honneur! A-t-elle bonne mine!
J'espère qu'elle suivra longtemps la règle!» J'étais toute contente du
compliment, quand une autre sœur du voile blanc, arrivant à son tour,
dit: «Mais, ma pauvre petite sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, que vous
avez l'air fatigué! Vous avez une mine qui fait trembler; si cela
continue vous ne suivrez pas longtemps la règle!...» Je n'avais pourtant
que seize ans; mais cette petite anecdote me donna une expérience telle,
que depuis je ne comptai plus pour rien l'opinion si variable des
créatures.

--On dit que vous n'avez jamais beaucoup souffert?»

Souriant alors, et montrant un verre contenant une potion d'un rouge
éclatant:

«Voyez-vous ce petit verre, dit-elle, on le croirait plein d'une liqueur
délicieuse; en réalité, je ne prends rien de plus amer. Eh bien, c'est
l'image de ma vie: aux yeux des autres, elle a toujours revêtu les plus
riantes couleurs; il leur a semblé que je buvais une liqueur exquise; et
c'était de l'amertume! Je dis, de l'amertume, et pourtant ma vie n'a pas
été amère, car j'ai su faire ma joie et ma douceur de toute amertume.

--Vous souffrez beaucoup en ce moment, n'est-ce pas?

--Oui, mais je l'ai tant désiré!»

«Que nous avons de peine de vous voir tant souffrir, et de penser que
peut-être vous souffrirez davantage encore», lui disaient ses novices.

--Oh! ne vous affligez pas pour moi, _j'en suis venue à ne plus pouvoir
souffrir, parce que toute souffrance m'est douce_. D'ailleurs, vous avez
bien tort de penser à ce qui peut arriver de douloureux dans l'avenir,
c'est comme se mêler de créer! Nous qui courons dans la voie de l'amour,
il ne faut jamais nous tourmenter de rien. Si je ne souffrais pas de
minute en minute, il me serait impossible de garder la patience; mais je
ne vois que le moment présent, j'oublie le passé et je me garde bien
d'envisager l'avenir. Si on se décourage, si parfois on désespère, c'est
parce qu'on pense au passé et à l'avenir. Cependant, priez pour moi:
souvent, lorsque je supplie le Ciel de venir à mon secours, c'est alors
que je suis Je plus délaissée!

--Comment faites-vous pour ne pas vous décourager dans ces
délaissements?

--Je me tourne vers le bon Dieu, vers tous les saints, et je les
remercie quand même; _je croîs qu'ils veulent voir jusqu'où je pousserai
mon espérance_... Mais ce n'est pas en vain que la parole de Job est
entrée dans mon cœur: «Quand même Dieu me tuerait, j'espérerais
encore en lui[143]!» Je l'avoue, j'ai été longtemps avant de m'établir à
ce degré d'abandon; maintenant j'y suis, _le Seigneur m'a prise et m'a
posée là_!»

«Mon cœur est plein de la volonté de Jésus, disait-elle encore;
aussi, quand on verse quelque chose par-dessus, cela ne pénètre pas
jusqu'au fond; c'est un rien qui glisse facilement, comme l'huile sur la
surface d'une eau limpide. Ah! si mon âme n'était pas remplie d'avance,
s'il fallait qu'elle le fût par les sentiments de joie ou de tristesse
qui se succèdent si vite, ce serait un flot de douleur bien amer! mais
ces alternatives ne font qu'effleurer mon âme; aussi je reste toujours
dans une paix profonde que rien ne peut troubler.»

Pourtant son âme était enveloppée d'épaisses ténèbres: ses tentations
contre la foi, toujours vaincues et toujours renaissantes, étaient là
pour lui enlever tout sentiment de bonheur à la pensée de sa mort
prochaine.

«Si je n'avais pas l'épreuve qu'il est impossible de comprendre,
disait-elle, je crois que je mourrais de joie à la pensée de quitter
bientôt cette terre.»

Le divin Maître voulait, par cette épreuve, achever de la purifier et
lui permettre, non plus seulement de marcher à pas rapides, mais de
voler dans sa _petite voie de confiance et d'abandon_. Ses paroles le
prouvent à chaque instant:

«Je ne désire pas plus mourir que vivre; si le Seigneur m'offrait de
choisir, je ne choisirais rien; je ne veux que ce qu'il veut; _c'est ce
qu'il fait que j'aime_!

«Je n'ai nullement peur des derniers combats, ni des souffrances de la
maladie, si grandes soient-elles. Le bon Dieu m'a toujours secourue: il
m'a aidée et conduite par la main dès ma plus tendre enfance... je
compte sur Lui. La souffrance pourra atteindre les limites extrêmes,
mais je suis sûre qu'il ne m'abandonnera jamais.»

       *       *       *       *       *

Une telle confiance devait exciter la fureur du démon qui, aux derniers
moments, met en œuvre toutes ses ruses infernales pour essayer de
semer le désespoir dans les cœurs.

«Hier soir, disait-elle à Mère Agnès de Jésus, je fus prise d'une
véritable angoisse et mes ténèbres augmentèrent. Je ne sais quelle voix
maudite me disait: «Es-tu sûre d'être aimée de Dieu? Est-il venu te le
dire? Ce n'est pas l'opinion de quelques créatures qui te justifiera
devant lui.»

«Il y avait longtemps que je souffrais de ces pensées lorsqu'on vint
m'apporter votre billet vraiment providentiel. Vous me rappeliez, ma
Mère, tous les privilèges de Jésus sur mon âme; et, comme si mon
angoisse vous eût été révélée, vous me disiez que j'étais grandement
chérie de Dieu, et à la veille de recevoir de sa main la couronne
éternelle. Déjà le calme et la joie renaissaient dans mon cœur.
Cependant je me dis encore: «C'est l'affection de ma petite Mère pour
moi qui lui fait écrire ces paroles.» Immédiatement alors je fus
inspirée de prendre le saint Evangile, et, l'ouvrant au hasard, mes yeux
tombèrent sur ce passage que je n'avais jamais remarqué: «_Celui que
Dieu a envoyé dit les mêmes choses que Dieu, parce qu'il ne lui a pas
communiqué son esprit avec mesure._»[144]

«Je m'endormis ensuite tout à fait consolée. C'est vous, ma Mère, que le
bon Dieu a envoyée pour moi, et je dois vous croire, puisque vous dites
les mêmes choses que Dieu.»

       *       *       *       *       *

Dans le courant du mois d'août, elle resta plusieurs jours comme hors
d'elle-même, nous conjurant de faire prier pour elle. Jamais nous ne
l'avions vue ainsi. Dans cet état d'angoisse inexprimable, nous
l'entendions répéter:

«Oh! comme il faut prier pour les agonisants! si l'on savait!

Une nuit, elle supplia l'infirmière de jeter de l'eau bénite sur son lit
en disant:

«Le démon est autour de moi; je ne le vois pas, mais je le sens... il me
tourmente, il me tient comme avec une main de fer pour m'empêcher de
prendre le plus léger soulagement; il augmente mes maux afin que je me
désespère... Et je ne puis pas prier! Je puis seulement regarder la
Sainte Vierge et dire: Jésus! Combien elle est nécessaire la prière des
Compiles: «_Procul recedant somnia, et noctium phantasmata!_
Délivrez-nous des fantômes de la nuit.»

«J'éprouve quelque chose de mystérieux, je ne souffre pas pour moi, mais
pour une autre âme..... et le démon ne veut pas.»

L'infirmière, vivement impressionnée, alluma un cierge bénit et l'esprit
de ténèbres s'enfuit pour ne plus revenir. Cependant notre petite
sœur resta jusqu'à la fin dans de douloureuses angoisses.

Un jour, tandis qu'elle regardait le ciel, on lui fit cette réflexion:

«Bientôt vous habiterez au delà du ciel bleu; aussi avec quel amour vous
le contemplez!»

Elle se contenta de sourire et dit ensuite à la Mère Prieure:

«Ma Mère, nos sœurs ne savent pas ma souffrance! En regardant le
firmament d'azur, je ne pensais qu'à trouver joli ce ciel matériel;
_l'autre m'est de plus en plus fermé..._ J'ai d'abord été affligée de la
réflexion que l'on m'a faite, puis une voix intérieure m'a répondu:
«_Oui, tu regardais le ciel par amour. Puisque ton âme est entièrement
livrée à l'amour, toutes tes actions, même les plus indifférentes, sont
marquées de ce cachet divin._» A l'instant j'ai été consolée.

En dépit des ténèbres qui l'enveloppaient tout entière, de temps en
temps le Geôlier divin entrouvrait la porte de son obscure prison;
c'était alors un transport d'abandon, de confiance et d'amour.

Se promenant un jour au jardin, soutenue par une de ses sœurs, elle
s'arrêta devant le tableau ravissant d'une petite poule blanche tenant
abritée sous ses ailes sa gracieuse famille. Bientôt ses yeux se
remplirent de larmes, et, se tournant vers sa chère conductrice, elle
lui dit: «Je ne puis rester davantage, rentrons vite...»

Et, dans sa cellule, elle pleura longtemps sans pouvoir articuler une
seule parole. Enfin, regardant sa sœur avec une expression toute
céleste, elle ajouta:

«Je pensais à Notre-Seigneur, à l'aimable comparaison qu'il a prise pour
nous faire croire à sa tendresse. Toute ma vie, c'est cela qu'il a fait
pour moi: _il m'a entièrement cachée sous ses ailes!_ Je ne puis rendre
ce qui s'est passé dans mon cœur. Ah! le bon Dieu fait bien de se
voiler à mes regards, de me montrer rarement et comme «_à travers les
barreaux_[145]» les effets de sa miséricorde; je sens que je ne pourrais
en supporter la douceur.»

       *       *       *       *       *

Nous ne pouvions nous résigner à perdre ce trésor de vertus, et, le 5
juin 1897, nous commençâmes une fervente neuvaine à Notre-Dame des
Victoires, espérant qu'une fois encore elle relèverait par un miracle la
_petite fleur_ de son amour. Mais elle nous fit la même réponse que le
vénérable martyr Théophane, et nous dûmes accepter généreusement la
perspective amère d'une prochaine séparation.

Au commencement de juillet, son état devint très grave, et on la
descendit enfin à l'infirmerie.

Voyant sa cellule vide, et sachant qu'elle n'y remonterait jamais, Mère
Agnès de Jésus lui dit:

«Quand vous ne serez plus avec nous, quelle peine j'aurai en regardant
cette cellule!

--Pour vous consoler, ma petite Mère, vous penserez que je suis bien
heureuse là-haut, et qu'une grande partie de mon bonheur, je l'ai acquis
dans cette petite cellule; car, ajouta-t-elle en levant vers le ciel son
beau regard profond, _j'y ai beaucoup souffert_; j'aurais été heureuse
d'y mourir.»

       *       *       *       *       *

[Illustration: _D'après un phot. prise dans le jardin du monastère._

VUE GÉNÉRALE DU CARMEL DE LISIEUX]

[Illustration: L'infirmerie et la cellule de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus sont marquées d'une †. La première au rez-de-chaussée,
la deuxième au premier étage.--La Servante de Dieu, le jour où elle
pleura en voyant la petite poule blanche, se trouvait dans la prairie,
au premier plan vers la gauche.

Au fond de ce cloître se trouve l'infirmerie de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. Ou aperçoit le lit où elle mourut et le fauteuil qui fut
a son usage pendant sa maladie.]

En entrant à l'infirmerie, le regard de Thérèse se tourna d'abord vers
la Vierge miraculeuse que nous y avions installée. Il serait impossible
de traduire l'expression de ce regard: «Que voyez-vous?» lui dit sa
sœur Marie,--celle-là même qui, dans son enfance, fut témoin de son
extase et lui servit aussi de mère.--Elle répondit:

«Jamais elle ne m'a paru si belle!... mais aujourd'hui c'est la statue;
_autrefois, vous savez bien que ce n'était pas la statue...»_

Souvent depuis, l'angélique enfant fut consolée de la même manière. Un
soir elle s'écria:

«Que je l'aime la Vierge Marie! Si j'avais été prêtre, que j'aurais bien
parlé d'elle! On la montre inabordable, il faudrait la montrer imitable.
_Elle est plus mère que reine!_ J'ai entendu dire que son éclat éclipse
tous les saints, comme le soleil à son lever fait disparaître les
étoiles. Mon Dieu! que cela est étrange! Une mère qui fait disparaître
la gloire de ses enfants! Moi, je pense tout le contraire; je crois
qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus... La Vierge Marie!
comme il me semble que sa vie était simple!»

Et, continuant son discours, elle nous fit une peinture si suave, si
délicieuse de l'intérieur de la sainte Famille, que nous en restâmes
dans l'admiration.

       *       *       *       *       *

Une épreuve bien sensible l'attendait. Depuis le 16 août jusqu'au 30
septembre, jour bienheureux de sa communion éternelle, à cause de
vomissements qui se produisaient sans cesse, il ne lui fut plus possible
de recevoir la sainte Eucharistie. Le Pain des Anges! qui donc l'avait
plus aimé que ce séraphin de la terre? Combien de fois, même en plein
hiver de cette dernière année, après ses nuits de cruelles souffrances,
la courageuse enfant se leva dès le matin, pour se rendre à la Table
sainte! Elle ne croyait jamais acheter trop cher le bonheur de s'unir à
son Dieu.

Avant d'être privée de cette nourriture céleste, Notre-Seigneur la
visita souvent sur son lit de douleur. La communion du 16 juillet, fête
de Notre-Dame du Mont-Carmel, fut particulièrement touchante. Pendant la
nuit, elle composa le couplet suivant qui devait être chanté avant la
communion:

    Toi qui connais ma petitesse extrême,
    Tu ne crains pas de t'abaisser vers moi!
    Viens en mon cœur, ô Sacrement que j'aime;
    Viens en mon cœur... il aspire vers toi.
    Je veux, Seigneur, que ta bonté me laisse
    Mourir d'amour après cette faveur;
    Jésus! entends le cri de ma tendresse,
        Viens en mon cœur!

Le matin, au passage du Saint Sacrement, le pavé de nos cloîtres
disparaissait sous les fleurs des champs et les roses effeuillées. Un
jeune prêtre, devant célébrer, ce jour-là même, sa première Messe dans
notre chapelle, porta le Viatique sacré à notre douce malade. Et sœur
Marie de l'Eucharistie, dont la voix mélodieuse avait des vibrations
célestes, chanta selon son désir:

    Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
    Et c'est celui que je voudrais souffrir.
    O Chérubins! accordez votre lyre,
    Car, je le sens, mon exil va finir...

           *       *       *       *       *

    Divin Jésus, réalise mon rêve:
        Mourir d'amour!

Quelques jours après, la petite victime de Jésus se trouva plus mal; et,
le 30 juillet, elle reçut l'Extrême-Onction. Toute radieuse elle disait
alors:

«La porte de ma sombre prison est entr'ouverte, je suis dans la joie,
surtout depuis que notre Père Supérieur m'a assuré que mon âme ressemble
aujourd'hui à celle d'un petit enfant après le baptême.»

Sans doute, elle pensait s'envoler bien vite au milieu de la blanche
phalange des Saints Innocents. Elle ne savait pas que deux mois de
martyre la séparaient encore de sa délivrance.

Un jour, elle dit à la Mère Prieure:

«Ma Mère, je vous en prie, donnez-moi la permission de mourir...
Laissez-moi offrir ma vie à telle intention...»

Et, comme cette permission lui était refusée:

«Eh bien, reprit-elle, je sais qu'en ce moment le bon Dieu désire tant
_une petite grappe de raisin_, que personne ne veut lui offrir, qu'il va
bien être obligé _de venir la voler..._ Je ne demande rien, ce serait
sortir de ma voie d'abandon, je prie seulement la Vierge Marie de
rappeler à son Jésus le titre de _Voleur_ qu'il s'est donné lui-même
dans le saint Evangile, afin qu'il n'oublie pas de venir _me voler_.»

Un jour, on lui apporta une gerbe d'épis de blé. Elle en prit un
tellement chargé de grains qu'il s'inclinait sur sa tige, et le
considéra longtemps... puis elle dit à la Mère Prieure:

«Ma Mère, cet épi est l'image de mon âme: _le bon Dieu m'a chargée de
grâces pour moi et pour bien d'autres!_.... Ah! je veux m'incliner
toujours sous l'abondance des dons célestes, reconnaissant que tout
vient d'en haut.»

Elle ne se trompait pas: oui, son âme était chargée de grâces... et
qu'il semblait facile de distinguer l'Esprit de Dieu se louant lui-même
par cette bouche innocente!

Cet Esprit de vérité n'avait-il pas déjà fait écrire à la grande Thérèse
d'Avila:

«_Avec une humble et sainte présomption, que les âmes arrivées à l'union
divine se tiennent en haute estime, qu'elles aient sans cesse devant les
yeux le souvenir des bienfaits reçus et se gardent bien de croire faire
acte a humilité en ne reconnaissant pas les grâces de Dieu. N'est-il
pas clair qu'un souvenir fidèle des bienfaits augmente l'amour envers le
bienfaiteur? Comment celui qui ignore les richesses dont il est
possesseur pourra-t-il en faire part et les distribuer avec
libéralité?_»

       *       *       *       *       *

Ce n'est pas la seule fois que _la petite Thérèse de Lisieux_ prononça
des paroles véritablement inspirées.

Au mois d'avril 1895, alors qu'elle était très bien portante, elle fit
cette confidence à une religieuse ancienne et digne de foi:

«Je mourrai bientôt; je ne vous dis pas que ce soit dans quelques mois;
_mais, dans 2 ou 3 ans au plus: je le sens par ce qui se passe dans mon
âme_.»

Les novices lui témoignaient leur surprise de la voir deviner leurs plus
intimes pensées:

«Voici mon secret, leur dit-elle: je ne vous fais jamais d'observations
sans invoquer la Sainte Vierge, je lui demande de m'inspirer ce qui doit
vous faire le plus de bien; et moi-même je suis souvent étonnée des
choses que je vous enseigne. Je sens simplement, en vous les disant, que
je ne me trompe pas et que Jésus vous parle par ma bouche.»

Pendant sa maladie, une de ses sœurs venait d'avoir un moment de
pénible angoisse, presque de découragement, à la pensée d'une inévitable
et prochaine séparation. Entrant aussitôt après à l'infirmerie, sans
rien laisser paraître de sa peine, elle fut bien surprise d'entendre
notre sainte malade lui dire d'un ton sérieux et triste: «Il ne faudrait
pas pleurer comme ceux qui n'ont pas d'espérance!»

Une de nos Mères, étant venue la visiter, lui rendait un léger service.
«Que je serais heureuse, pensait-elle, si cet ange me disait: Au Ciel,
je vous rendrai cela!»--Au même instant, sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus se tournant vers elle, lui dit: «Ma Mère, _au Ciel je
vous rendrai cela_!»

Mais le plus surprenant, c'est qu'elle paraissait avoir conscience de la
mission pour laquelle le Seigneur l'avait envoyée ici-bas. Le voile de
l'avenir semblait tombé devant elle; et, plus d'une fois, elle nous en
révéla les secrets en des prophéties déjà réalisées:

«_Je n'ai jamais donné au bon Dieu que de l'amour, disait-elle, il me
rendra de l'amour._--APRÈS MA MORT, JE FERAI TOMBER UNE PLUIE DE ROSES.»

Une Sœur lui parlait de la béatitude du ciel. Elle l'interrompit,
disant: «Ce n'est pas cela qui m'attire...

--Quoi donc?

--Oh! c'est l'AMOUR! Aimer, être aimée, _et revenir sur la terre pour
faire aimer l'_AMOUR.»

Un soir, elle accueillit Mère Agnès de Jésus avec une expression toute
particulière de joie sereine:

«Ma Mère, quelques notes d'un concert lointain viennent d'arriver
jusqu'à moi, et j'ai pensé que bientôt j'entendrai des mélodies
incomparables; mais cette espérance n'a pu me réjouir qu'un instant; une
seule attente fait battre mon cœur: _c'est l'amour que je recevrai et
celui que je pourrai donner!_

«_Je sens que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon
Dieu comme je l'aime... de donner ma petite voie aux âmes._ JE VEUX
PASSER MON CIEL A FAIRE DU BIEN SUR LA TERRE. _Ce n'est pas impossible,
puisqu'au sein même de la vision béatifique, les anges veillent sur
nous. Non, je ne pourrai prendre aucun repos jusqu'à la fin du monde!
Mais lorsque l'ange aura dit: «Le temps n'est plus[146]!» alors je me
reposerai, je pourrai jouir, parce que le nombre des élus sera complet._

--Quelle petite voie voulez-vous donc enseigner aux âmes?

--Ma Mère, _c'est la voie de l'enfance spirituelle, c'est le chemin de
la confiance et du total abandon_. Je veux leur indiquer les petits
moyens qui m'ont si parfaitement réussi; leur dire qu'il n'y a qu'une
seule chose à faire ici-bas: _jeter à Jésus les fleurs des petits
sacrifices, le prendre par des caresses! C'est comme cela que je l'ai
pris, et c'est pour cela que je serai si bien reçue!_»

«Si je vous induis en erreur avec ma petite voie d'amour, disait-elle à
une novice, ne craignez pas que je vous la laisse suivre longtemps. Je
vous apparaîtrais bientôt pour vous dire de prendre une autre route;
mais, si je ne reviens pas, croyez à la vérité de mes paroles: _on n'a
jamais trop de confiance envers le bon Dieu, si puissant et si
miséricordieux! On obtient de lui tout autant qu'on en espère!..._»

La veille de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel une novice lui dit:

«Si vous alliez mourir demain, après la communion, ce serait une si
belle mort qu'elle me consolerait de toute ma peine, il me semble.»

Et Thérèse répondit vivement:

«Mourir après la communion! Un jour de grande fête! Non, il n'en sera
pas ainsi: _les petites âmes ne pourraient pas imiter cela_. Dans ma
petite voie, il n'y a que des choses très ordinaires; _il faut que tout
ce que je fais, les petites âmes puissent le faire_.»

Elle écrivait encore à l'un de ses frères missionnaires:

«Ce qui m'attire vers la Patrie des cieux, c'est l'appel du Seigneur,
c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée
que je pourrai le faire aimer _d'une multitude d'âmes_ qui le béniront
éternellement.»

Et une autre fois:

«Je compte bien ne pas rester inactive au Ciel, mon désir est de
travailler encore pour l'Eglise et les âmes; je le demande à Dieu et je
suis certaine qu'il m'exaucera. Vous voyez que, si je quitte déjà le
champ de bataille, ce n'est pas avec le désir égoïste de me reposer.
Depuis longtemps la souffrance est devenue mon ciel ici-bas; et j'ai du
mal à concevoir comment il me sera possible de m'acclimater dans un pays
où la joie règne sans aucun mélange de tristesse. Il faudra que Jésus
transforme tout à fait mon âme, autrement je ne pourrais supporter les
délices éternelles.»

       *       *       *       *       *

Oui, la souffrance était devenue son ciel sur la terre; elle lui
souriait, comme nous sourions au bonheur.

«Quand je souffre beaucoup, disait-elle, quand il m'arrive des choses
pénibles, désagréables, au lieu de prendre un air triste, j'y réponds
par un sourire. Au début, je ne réussissais pas toujours; mais
maintenant, c'est une habitude que je suis bien heureuse d'avoir
contractée.»

Une de nos sœurs doutait de sa patience. Un jour, en la visitant,
elle vit sur son visage une expression de joie céleste et voulut en
savoir la cause.

«C'est parce que je ressens une très vive douleur, répondit Thérèse; je
me suis toujours efforcée d'aimer la souffrance et de lui faire bon
accueil.»

«Pourquoi êtes-vous si gaie ce matin?» lui demandait Mère Agnès de
Jésus.

--C'est parce que j'ai eu deux petites peines; rien ne me donne de
_petites joies_ comme les _petites peines_.»

Et une autre fois:

«Vous avez eu bien des épreuves aujourd'hui?

--Oui, mais... puisque je les aime!... J'aime tout ce que le bon Dieu me
donne.

--C'est affreux ce que vous souffrez?

--Non, ce n'est pas affreux; une petite victime d'amour pourrait-elle
trouver affreux ce que son Epoux lui envoie? Il me donne à chaque
instant ce que je puis supporter; pas davantage; et si, le moment
d'après, il augmente ma souffrance, il augmente aussi ma force.

«Cependant, je ne pourrais jamais lui demander des souffrances plus
grandes, _car je suis trop petite_; elles deviendraient alors mes
souffrances à moi, il faudrait que je les supporte toute seule; _et je
n'ai jamais rien pu faire toute seule_.»

       *       *       *       *       *

Ainsi parlait au lit de mort cette vierge sage et prudente dont la
lampe, toujours remplie de l'huile des vertus, brilla jusqu'à la fin.

Si l'Esprit-Saint nous dit au livre des Proverbes: «_La doctrine d'un
homme se prouve par sa patience_»[147], celles qui l'ont entendue
peuvent croire à sa doctrine, maintenant qu'elle l'a prouvée par une
patience invincible.

       *       *       *       *       *

A chaque visite, le médecin nous témoignait son admiration: «Ah! si vous
saviez ce qu'elle endure! Jamais je n'ai vu souffrir autant avec cette
expression de joie surnaturelle. C'est un ange!» Et comme nous lui
exprimions notre chagrin à la pensée de perdre un pareil trésor:--«Je ne
pourrai la guérir, c'est une âme qui n'est pas faite pour la terre.»

Voyant son extrême faiblesse, il ordonnait des potions fortifiantes.
Thérèse s'en attrista d'abord, à cause de leur prix élevé; puis elle
nous dit:

«Maintenant je ne m'afflige plus de prendre des remèdes chers, car j'ai
lu que sainte Gertrude s'en réjouissait en pensant que tout serait à
l'avantage de nos bienfaiteurs, puisque Nôtre-Seigneur a dit: «_Ce que
vous ferez au plus petit d'entre les miens, c'est à moi-même que vous le
ferez._»[148]

«Je suis convaincue de l'inutilité des médicaments pour me guérir,
ajoutait-elle; mais je me suis arrangée avec le bon Dieu pour qu'il en
fasse profiter de pauvres missionnaires qui n'ont ni le temps, ni les
moyens de se soigner.»

       *       *       *       *       *

Touché des prévenances de sa petite épouse, le Seigneur, qui ne se
laisse jamais vaincre en générosité, l'entourait aussi de ses divines
attentions: tantôt, c'étaient des gerbes fleuries envoyées par sa
famille, tantôt un petit rouge-gorge qui venait sautiller sur son lit,
la regardant d'un air de connaissance et lui faisant mille gentillesses.

«Ma Mère, disait alors notre enfant, je suis profondément émue des
délicatesses du bon Dieu pour moi; à l'extérieur, j'en suis comblée...
et cependant je demeure dans les plus noires ténèbres!... Je souffre
beaucoup... oui, beaucoup! mais avec cela, _je suis dans une paix
étonnante_: tous mes désirs ont été réalisés... je suis pleine de
confiance.»

       *       *       *       *       *

Quelque temps après, elle racontait ce trait touchant:

«Un soir, à l'heure du grand silence, l'infirmière vint me mettre aux
pieds une bouteille d'eau chaude et de la teinture d'iode sur la
poitrine.

«J'étais consumée par la fièvre, une soif ardente me dévorait. En
subissant ces remèdes, je ne pus m'empêcher de me plaindre à
Nôtre-Seigneur: «Mon Jésus, lui dis-je, vous en êtes témoin, je brûle et
l'on m'apporte encore de la chaleur et du feu! Ah! si j'avais, au lieu
de tout cela, un demi-verre d'eau, comme je serais bien plus
soulagée!... Mon Jésus! _votre petite fille a bien soif!_ Mais elle est
heureuse pourtant de trouver l'occasion de manquer du nécessaire, afin
de mieux vous ressembler et pour sauver des âmes.»

«Bientôt l'infirmière me quitta, et je ne comptais plus la revoir que le
lendemain matin, lorsqu'à ma grande surprise elle revint quelques
minutes après, apportant une boisson rafraîchissante: «Je viens de
penser à l'instant que vous pourriez avoir soif, me dit-elle, désormais
je prendrai l'habitude de vous offrir ce soulagement tous les soirs.» Je
la regardai, interdite, et, quand je fus seule, je me mis à fondre en
larmes. Oh! que notre Jésus est bon! Qu'il est doux et tendre! Que son
cœur est facile à toucher!»

       *       *       *       *       *

Une des délicatesses du Cœur de Jésus, qui causèrent le plus de joie
à sa petite épouse, fut celle du 6 septembre, jour où, par un fait tout
providentiel, nous reçûmes une relique du vénérable Théophane Vénard.
Plusieurs fois déjà, elle avait exprimé le désir de posséder quelque
chose ayant appartenu à son bienheureux ami; mais, voyant qu'on n'y
donnait pas suite, elle n'en parlait plus. Aussi son émotion fut grande
quand la Mère Prieure lui remit le précieux objet; elle le couvrit de
baisers et ne voulut plus s'en séparer.

Pourquoi donc chérissait-elle à ce point l'angélique missionnaire? Elle
le confia à ses sœurs bien-aimées dans un entretien touchant:

«Théophane Vénard est _un petit saint_, sa vie est tout ordinaire. Il
aimait beaucoup la Vierge Immaculée, il aimait beaucoup sa famille.»

Appuyant alors sur ces derniers mots:

«Moi aussi, j'aime beaucoup ma famille! Je ne comprends pas les saints
qui n'aiment pas leur famille!... Pour souvenir d'adieu, je vous ai
copié certains passages des dernières lettres qu'il écrivit à ses
parents; ce sont mes pensées, mon âme ressemble à la sienne.»

Nous transcrivons ici cette lettre que l'on croirait sortie de la plume
et du cœur de notre ange:

     «Je ne trouve rien sur la terre qui me rende heureuse; mon cœur
     est trop grand, rien de ce qu'on appelle bonheur en ce monde ne
     peut le satisfaire. Ma pensée s'envole vers l'éternité, le temps va
     finir! Mon cœur est paisible comme un lac tranquille ou un ciel
     serein; je ne regrette pas la vie de ce monde: j'ai soif des eaux
     de la vie éternelle...

     «Encore un peu et mon âme quittera la terre, finira son exil,
     terminera son combat. Je monte au ciel! Je vais entrer dans ce
     séjour des élus, voir des beautés que l'œil de l'homme n'a
     jamais vues, entendre des harmonies que l'oreille n'a jamais
     entendues, jouir de joies que le cœur n'a jamais goûtées... Me
     voici rendue à cette heure que chacune de nous a tant désirée! Il
     est bien vrai que le Seigneur choisit _les petits_ pour confondre
     les grands de ce monde. Je ne m'appuie pas sur mes propres forces,
     mais sur la force de Celui qui, sur la croix, a vaincu les
     puissances de l'enfer.

     «Je suis une fleur printanière que le Maître du jardin cueille pour
     son plaisir. Nous sommes toutes des fleurs plantées sur cette terre
     et que Dieu cueille en son temps: un peu plus tôt, un peu plus
     tard... Moi, petite éphémère, je m'en vais la première! Un jour
     nous nous retrouverons dans le paradis et nous jouirons du vrai
     bonheur.»

SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS,

empruntant les paroles de l'angélique martyr Théophane Vénard.


Vers la fin de septembre, comme on lui rapportait quelque chose de ce
qui avait été dit à la récréation, touchant la responsabilité de ceux
qui ont charge d'âmes, elles se ranima un instant et prononça ces belles
paroles:

«_Pour les petits, ils seront jugés avec une extrême douceur[149]!_» Il
est possible de rester petit, même dans les charges les plus
redoutables; et n'est-il pas écrit qu'à la fin «_le Seigneur se lèvera
pour sauver tous les doux et les humbles de la terre[150]»? Il ne dit
pas juger, mais sauver!_»

Cependant, le flot de la douleur montait de plus en plus. La faiblesse
devint si excessive que, bientôt, la sainte petite malade en fut
réduite à ne plus pouvoir faire, sans secours, le plus léger mouvement.
Entendre parler près d'elle, même à voix basse, lui devenait une pénible
souffrance; la fièvre et l'oppression ne lui permettaient pas
d'articuler une seule parole, sans ressentir la plus extrême fatigue. En
cet état pourtant, le sourire ne quitta pas ses lèvres. Un nuage
passait-il sur son front? c'était la crainte de donner à nos sœurs un
surcroît de peine. Jusqu'à l'avant-veille de sa mort elle voulut être
seule la nuit. Cependant, son infirmière se levait plusieurs fois,
malgré ses instances. En l'une de ses visites, elle la trouva les mains
jointes et les yeux élevés vers le ciel.

«Que faites-vous donc ainsi? lui demanda-t-elle; il faudrait essayer de
dormir.

--Je ne puis pas, ma sœur, je souffre trop! alors je prie.....

--Et que dites-vous à Jésus?

--Je ne lui dis rien, _je l'aime!_»

       *       *       *       *       *

«Oh! que le _bon Dieu est bon!_... s'écriait-elle parfois. Oui, il faut
qu'il soit bien bon pour me donner la force de supporter tout ce que je
souffre.»

Un jour elle dit à sa Mère Prieure:

«Ma Mère, je voudrais vous confier l'état de mon âme; mais je ne le
puis, je suis trop émue en ce moment.»

Et, le soir, elle lui remit ces lignes, tracées au crayon, d'une main
tremblante:

«O mon Dieu, que vous êtes bon pour la petite victime de votre amour
miséricordieux! Maintenant même que vous joignez la souffrance
extérieure aux épreuves de mon âme, je ne puis dire: «_Les angoisses de
la mort m'ont environnée._»[151] Mais je m'écrie, dans ma
reconnaissance: «_Je suis descendue dans la vallée des ombres de la
mort, cependant, je ne crains aucun mal, parce que vous êtes avec moi,
Seigneur._»[152]

«Quelques-unes croient que vous avez peur de la mort, lui dit sa _petite
Mère_.

--Cela pourra bien arriver, je ne m'appuie jamais sur mes propres
pensées, je sais combien je suis faible; mais je veux jouir du sentiment
que le bon Dieu me donne maintenant; il sera toujours temps de souffrir
du contraire.

«Monsieur l'Aumônier m'a dit: «Etes-vous résignée à mourir?» Je lui ai
répondu: «Ah! mon Père, je trouve qu'il n'y a besoin de résignation que
pour vivre..... pour mourir, c'est de la joie que j'éprouve.»

«Ne vous faites pas de peine, ma Mère, si je souffre beaucoup, et si je
ne manifeste aucun signe de bonheur au dernier moment. Nôtre-Seigneur
n'est-il pas mort Victime d'amour, et voyez quelle a été son agonie!...»

       *       *       *       *       *

Enfin, l'aurore du jour éternel se leva! C'était le jeudi, 30 septembre.
Le matin, notre douce victime, parlant de sa dernière nuit d'exil,
regarda la statue de Marie en disant:

«Oh! je l'ai priée avec une ferveur!... mais c'est l'agonie toute pure,
sans aucun mélange de consolation...

«L'air de la terre me manque, quand est-ce que j'aurai l'air du Ciel?»

A deux heures et demie, elle se redressa sur son lit, ce qu'elle n'avait
pu faire depuis plusieurs semaines, et s'écria:

«Ma Mère, le calice est plein jusqu'au bord! Non, je n'aurais jamais cru
qu'il fût possible de tant souffrir... Je ne puis m'expliquer cela que
par mon désir extrême de sauver des âmes...»

Et quelque temps après:

«Tout ce que j'ai écrit sur mes désirs de la souffrance, oh! c'est bien
vrai! _Je ne me repens pas de m'être livrée à l'amour._»

Elle répéta plusieurs fois ces derniers mots.

Et un peu plus tard:

«Ma Mère, préparez-moi à bien mourir.»

Sa vénérée Prieure l'encouragea par ces paroles:

«Mon enfant, vous êtes toute prête à paraître devant Dieu, parce que
vous avez toujours compris la vertu d'humilité.»

Elle se rendit alors ce beau témoignage:

«Oui, je le sens, mon âme n'a jamais recherché que la vérité... oui,
j'ai compris l'humilité du cœur!»

A quatre heures et demie, les symptômes de la dernière agonie se
manifestèrent. Dès que notre angélique mourante vit entrer la
communauté, elle la remercia par le plus gracieux sourire; puis tout
entière à l'amour et à la souffrance, tenant le crucifix dans ses mains
défaillantes, elle entreprit le combat suprême. Une sueur abondante
couvrait son visage; elle tremblait... Mais, comme au sein d'une
furieuse tempête le pilote à deux doigts du port ne perd pas courage,
ainsi cette âme de foi, apercevant tout près le phare lumineux du rivage
éternel, donnait vaillamment les derniers coups de rame pour atteindre
le port.

Quand la cloche du monastère tinta l'Angélus du soir, elle fixa sur
l'Etoile des mers, la Vierge immaculée, un inexprimable regard.
N'était-ce pas le moment de chanter:

    Toi, qui vins me sourire au matin de ma vie,
    Viens me sourire encor, Mère, voici le soir!

A sept heures et quelques minutes, notre pauvre petite martyre, se
tournant vers sa Mère Prieure, lui dit:

«Ma Mère, n'est-ce pas l'agonie?... Ne vais-je pas mourir?...

--Oui, mon enfant, c'est l'agonie, mais Jésus veut peut-être la
prolonger de quelques heures.»

Alors, d'une voix douce et plaintive:

«Eh bien... allons... allons... _oh! je ne voudrais pas moins
souffrir!_»

Puis, regardant son crucifix:

«OH!... JE L'AIME!... MON DIEU, JE... VOUS... AIME!!!»

       *       *       *       *       *

Ce furent ses dernières paroles. Elle venait à peine de les prononcer
qu'à notre grande surprise elle s'affaissa tout à coup, la tête penchée
à droite, dans l'attitude de ces vierges martyres s'offrant
d'elles-mêmes au tranchant du glaive; ou plutôt, comme une victime
d'amour, attendant de l'Archer divin la flèche embrasée dont elle veut
mourir...

Soudain elle se relève, comme appelée par une voix mystérieuse, elle
ouvre les yeux et les fixe, brillants de paix céleste et d'un bonheur
indicible, un peu au-dessus de l'image de Marie.

Ce regard se prolongea l'espace d'un _Credo_, et son âme bienheureuse
devenue la proie de l'_Aigle divin_ s'envola dans les cieux....

       *       *       *       *       *

Cet ange nous avait dit quelques jours avant de quitter ce monde: «_La
mort d'amour que je souhaite, c'est celle de Jésus sur la croix._» Son
désir fut pleinement exaucé: les ténèbres, l'angoisse accompagnèrent son
agonie. Cependant, ne pouvons-nous pas lui appliquer aussi la prophétie
sublime de saint Jean de la Croix, touchant les âmes consommées dans la
divine charité:

«_Elles meurent dans des transports admirables et des assauts délicieux
que leur livre l'amour, comme le cygne dont le chant est plus mélodieux
quand il est sur le point de mourir._ C'est ce qui faisait dire à David
que «_la mort des justes est précieuse devant Dieu_»: car c'est alors
que les fleuves de l'amour s'échappent de l'âme, et s'en vont se perdre
dans l'océan de l'amour divin.»

       *       *       *       *       *

Aussitôt que notre blanche colombe eut pris son essor, la joie du
dernier instant s'imprima sur son front; un ineffable sourire animait
son visage. Nous lui mîmes une palme à la main; et les lis et les roses
entourèrent la dépouille virginale de celle qui emportait au ciel la
robe blanche de son baptême empourprée du sang de son martyre d'amour.
Le samedi et le dimanche, une foule nombreuse et recueillie ne cessa
d'affluer devant la grille du chœur, contemplant dans la majesté de
la mort «_la petite reine_» toujours gracieuse, et lui faisant toucher
par centaines: chapelets, médailles, et jusqu'à des bijoux.

Le 4 octobre, jour de l'inhumation, nous la vîmes entourée d'une belle
couronne de prêtres; cet honneur lui était dû: elle avait tant prié pour
les âmes sacerdotales! Enfin, après avoir été solennellement bénit, ce
grain de froment précieux fut jeté dans le sillon par les mains
maternelles de la sainte Eglise...

Et qui dira maintenant de combien d'épis mûrs il a porté le germe?...
Une fois de plus, elle s'est réalisée magnifiquement la parole du divin
Moissonneur: «_En vérité, je vous le dis, si le grain de blé étant tombé
à terre ne vient à mourir, il demeure seul; mais s'il meurt, IL PORTE
BEAUCOUP DE FRUITS.._»

[Illustration]

[Illustration: (Ce tableau représente fidèlement l'expression du visage
et la pose de la tête de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, aussitôt
après sa mort.)

Du monde elle a passé la fugitive image...
À moi le Ciel!]

    Des Anges, ce soir-la, dans l'ombre descendirent,
    Pour chercher une sœur et l'emporter aux Cieux;
    Sur leurs ailes d'azur, joyeux, ils la ravirent,
    Et l'Enfant-Dieu, Jésus, accourait devant eux.

    Des Vierges étaient là, pour faire sa conquête,
    Et l'ardeur du triomphe en leurs yeux éclatait;
    Toutes la regardaient avec un air de fête,
    La Vierge Immaculée aussi lui souriait!...

    Et, ses liens rompus, parut au milieu d'elles,
    Thérèse, belle et jeune, et d'un œil enflammé;
    Seule, elle avait le front orné de fleurs nouvelles,
    Plus brillantes que l'aube aux premiers jours de mai.

    Cette épouse choisie, âme pure et sereine,
    Déjà pleine de jours, allait chercher au Ciel,
    Au Ciel impatient de la proclamer reine,
    De son ardent amour le salaire éternel...

           *       *       *       *       *

    _Belle ROSE EFFEUILLÉE autrefois sur la terre,
    Nous courons à l'odeur de tes parfums si doux.
    Toi qui compris l'Amour, donne-nous ta lumière,
    Jette encor de Là-Haut tes pétales sur nous!_



APPENDICE

[Illustration]

     «_Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce
     que vous avez caché ces choses aux savants et aux sages, et que
     vous les avez révélées aux plus petits._»

     LUC., x, 21.



PORTRAIT PHYSIQUE

DE

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.


Nous trouvons dans le portrait que RIBEIRA nous a laissé de la _grande_
Thérèse de Jésus, les traits sous lesquels est fidèlement peinte la
_petite_ Thérèse de l'Enfant-Jésus (sauf de légères modifications
indiquées en italique):

«Elle était grande de taille et fort bien faite. Elle avait les yeux
_pers_, les cheveux _blonds_, _les traits fins et réguliers_, les mains
très belles. Son visage était d'une très belle coupe, bien proportionné,
le teint de lis: il s'enflammait quand elle parlait de Dieu et lui
donnait une beauté ravissante. Sa figure était ineffablement limpide,
tout y respirait une paix céleste. Enfin tout paraissait parfait en
elle. Sa démarche était pleine de dignité _en même temps gué de
simplicité_ et de grâce; elle était si aimable, si paisible, qu'il
suffisait de la voir et de l'entendre pour lui porter du respect et
l'aimer.»

[Illustration]



Conseils
     et Souvenirs


Dans les entretiens de Thérèse avec ses novices, nous trouvons les plus
précieux enseignements.

       *       *       *       *       *

Je me décourageais à la vue de mes imperfections, raconte l'une d'entre
elles, Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus me dit:

«Vous me faites penser au tout petit enfant qui commence à se tenir
debout, mais ne sait pas encore marcher. Voulant absolument atteindre le
haut d'un escalier pour retrouver sa maman, il lève son petit pied afin
de monter la première marche. Peine inutile! il retombe toujours sans
pouvoir avancer. Eh bien, soyez ce petit enfant; par la pratique de
toutes les vertus, levez toujours votre petit pied pour gravir
l'escalier de la sainteté, et ne vous imaginez pas que vous pourrez
monter même la première marche! non; mais le bon Dieu ne demande de vous
que la bonne volonté. Du haut de cet escalier, il vous regarde avec
amour. Bientôt, vaincu par vos efforts inutiles, il descendra lui-même,
et, vous prenant dans ses bras, vous emportera pour toujours dans son
royaume où vous ne le quitterez plus. Mais, si vous cessez de lever
votre petit pied, il vous laissera longtemps sur la terre.»

       *       *       *       *       *

«Le seul moyen de faire de rapides progrès dans la voie de l'amour,
disait-elle encore, est celui de rester toujours bien petite; c'est
ainsi que j'ai fait; aussi maintenant je puis chanter avec notre Père
saint Jean de la Croix:

    _Et m'abaissant si bas, si bas,
    Je m'élevai si haut, si haut,
    Que je pus atteindre mon but!..._»

       *       *       *       *       *

Dans une tentation qui me semblait insurmontable, je lui dis: «Cette
fois, je ne puis me mettre au-dessus, c'est impossible.» Elle me
répondit:

«Pourquoi cherchez-vous à vous mettre au-dessus? _passez dessous_ tout
simplement. C'est bon pour les grandes âmes de voler au-dessus des
nuages quand l'orage gronde; pour nous, nous n'avons qu'à supporter
patiemment les averses. Tant pis si nous sommes un peu mouillées! Nous
nous sécherons ensuite au soleil de l'amour.

«Je me rappelle à ce propos ce petit trait de mon enfance: un cheval
nous barrait un jour l'entrée du jardin; on parlait autour de moi
cherchant à le faire reculer; mais je laissai discuter, et passai tout
doucement entre ses jambes... Voilà ce que l'on gagne à garder sa petite
taille!»

       *       *       *       *       *

«Nôtre-Seigneur répondait autrefois à la mère des fils de Zébédée:
«_Pour être à ma droite et à ma gauche, c'est à ceux à qui mon Père l'a
destiné._»[153] Je me figure que ces places de choix, refusées à de
grands saints, à des martyrs, seront le partage de petits enfants.

«David n'en fait-il pas la prédiction lorsqu'il dit que _le petit
Benjamin présidera les assemblées_ (des saints)[154]?»

       *       *       *       *       *

«Vous avez tort de trouver à redire à ceci et à cela, de chercher à ce
que tout le monde plie à votre manière de voir. Puisque nous voulons
être de _petits enfants_, les petits enfants ne savent pas ce qui est le
mieux, ils trouvent tout bien; imitons-les. D'ailleurs, il n'y a pas de
mérite à faire ce qui est raisonnable.»

       *       *       *       *       *

«Mes protecteurs au ciel et mes privilégiés sont ceux qui l'ont volé,
comme les saints Innocents et le bon larron. Les grands saints l'ont
gagné par leurs œuvres; moi, je veux imiter les voleurs, je veux
l'avoir par ruse, une ruse d'amour qui m'en ouvrira l'entrée, à moi et
aux pauvres pécheurs. L'Esprit-Saint m'encourage, puisqu'il dit dans les
proverbes: «_O tout petit! venez, apprenez de moi la finesse._»[155]

       *       *       *       *       *

«Que feriez-vous si vous pouviez recommencer votre vie religieuse?

--Il me semble que je ferais ce que j'ai fait.

--Vous n'éprouvez donc pas le sentiment de ce solitaire qui disait:
«Quand même j'aurais vécu de longues années dans la pénitence, tant
qu'il me restera un quart d'heure, un souffle de vie, je craindrai de me
damner»?

--Non, je ne puis partager cette crainte, je suis trop petite pour me
damner, _les petits enfants ne se damnent pas_.

--Vous cherchez toujours à ressembler aux petits enfants, mais
dites-nous donc ce qu'il faut faire pour posséder l'esprit d'enfance?
Qu'est-ce donc que rester petit?

--Rester petit, c'est reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu,
ne pas trop s'affliger de ses fautes; enfin, c'est ne point gagner de
fortune, ne s'inquiéter de rien. Même chez les pauvres, tant que
l'enfant est tout petit, on lui donne ce qui lui est nécessaire; mais,
quand il a grandi, son père ne veut plus le nourrir et lui dit:
«Travaille maintenant! tu peux te suffire à toi-même.» Eh bien! c'est
pour ne pas entendre cela que je n'ai jamais voulu grandir, me sentant
incapable de gagner _ma vie, la vie éternelle!_»

       *       *       *       *       *

Afin d'imiter notre angélique Maîtresse, je voulais ne pas grandir,
aussi m'appelait-elle «_le petit enfant_». Pendant une retraite elle
m'adressa ces délicieux billets:

«Ne craignez pas de dire à Jésus que vous l'aimez, même sans le sentir,
c'est le moyen de le forcer à vous secourir, à vous porter comme un
petit enfant trop faible pour marcher.

«C'est une grande épreuve de voir tout en noir, mais cela ne dépend pas
de vous complètement, faites ce que vous pourrez pour détacher votre
cœur des soucis de la terre, et surtout des créatures; puis, soyez
sûre que Jésus fera le reste. Il ne pourra permettre que vous tombiez
dans l'abîme. Consolez-vous, petit enfant, au ciel vous ne verrez plus
_tout en noir_ mais _tout en blanc_. Oui, tout sera revêtu de la
blancheur divine de notre Epoux, le Lis des vallées. Ensemble, nous le
suivrons partout où il ira... Ah! profitons du court instant de la vie!
faisons plaisir à Jésus, sauvons-lui des âmes par nos sacrifices.
Surtout soyons petites, si petites que tout le monde puisse nous fouler
aux pieds, sans même que nous ayons l'air de le sentir et d'en
souffrir.»

«Je ne m'étonne pas des défaites du petit enfant; il oublie qu'étant
aussi missionnaire et guerrier, il doit se priver de consolations par
trop enfantines. Mais que c'est vilain de passer son temps à se
morfondre, au lieu de s'endormir sur le Cœur de Jésus!

«Si la nuit fait peur au petit enfant, s'il se plaint de ne pas voir
Celui qui le porte, _qu'il ferme les yeux_: c'est le seul sacrifice que
Jésus lui demande. En se tenant ainsi paisible, la nuit ne l'effrayera
pas, puisqu'il ne la verra plus; et bientôt le calme, sinon la joie,
renaîtra dans son cœur.»

       *       *       *       *       *

Pour m'aider à accepter une humiliation, elle me fit cette confidence:

«Si je n'avais pas été acceptée au Carmel, je serais entrée dans un
Refuge, pour y vivre inconnue et méprisée, au milieu des pauvres
«repenties». Mon bonheur aurait été de passer pour telle à tous les
yeux; et je me serais faite l'apôtre de mes compagnes, leur disant ce
que je pense de la miséricorde du bon Dieu...

--Mais comment seriez-vous arrivée à cacher votre innocence au
confesseur?

--Je lui aurais dit que j'avais fait dans le monde une confession
générale et qu'il m'était défendu de la recommencer.»

       *       *       *       *       *

«Oh! quand je pense à tout ce que j'ai à acquérir!

--Dites plutôt _à perdre_! C'est Jésus-qui se charge de remplir votre
âme, à mesure que vous la débarrassez de ses imperfections. Je vois bien
que vous vous trompez de route; vous n'arriverez jamais au terme de
votre voyage. Vous voulez gravir une montagne, et le bon Dieu veut vous
faire descendre: il vous attend au bas de la vallée fertile de
l'humilité.»

       *       *       *       *       *

«Il me semble que l'humilité c'est la vérité. Je ne sais pas si je suis
humble, mais je sais que je vois la vérité en toutes choses.»

       *       *       *       *       *

«Vraiment, vous êtes une sainte!

--Non, je ne suis pas une sainte; je n'ai jamais fait les actions des
saints: _je suis une toute petite âme que le bon Dieu a comblée de
grâces..._ Vous verrez au ciel que je dis vrai.

--Mais vous avez toujours été fidèle aux grâces divines, n'est-ce pas?

--Oui, _depuis l'âge de trois ans_, je n'ai rien refusé au bon Dieu.
Cependant je ne puis m'en glorifier. Voyez comme ce soir le soleil
couchant dore le sommet des arbres; ainsi mon âme vous apparaît toute
brillante et dorée, parce qu'elle est exposée aux rayons de l'amour. Si
le soleil divin ne m'envoyait plus ses feux, je deviendrais aussitôt
obscure et ténébreuse.

--Nous voudrions aussi devenir toutes dorées, comment faire?

--Il faut pratiquer les petites vertus. C'est quelquefois difficile,
mais le bon Dieu ne refuse jamais la première grâce qui donne le courage
de se vaincre; si l'âme y correspond, elle se trouve immédiatement dans
la lumière. J'ai toujours été frappée de la louange adressée à Judith:
«_Vous avez agi avec un courage viril et votre cœur s'est
fortifié._»[156] D'abord, il faut agir avec courage; puis le cœur se
fortifie, et l'on marche de victoire en victoire.»

       *       *       *       *       *

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ne levait jamais les yeux au
réfectoire, ainsi que le veut le règlement. Comme j'avais beaucoup de
mal à m'y astreindre, elle composa cette prière qui me fut une
révélation de son humilité, car elle y demande pour elle une grâce dont
j'avais seule besoin:

«Jésus, vos deux petites épouses prennent la résolution de tenir les
yeux baissés pendant le réfectoire, afin d'honorer et d'imiter l'exemple
que vous leur avez donné chez Hérode. Quand ce prince impie se moquait
de vous, ô Beauté infinie, pas une plainte ne sortait de vos lèvres,
vous ne daigniez pas même fixer sur lui vos yeux adorables. Oh! sans
doute, divin Jésus, Hérode ne méritait pas d'être regardé par vous;
mais, nous qui sommes vos épouses, nous voulons attirer sur nous vos
regards divins. Nous vous demandons de nous récompenser par ce regard
d'amour, chaque fois que nous nous priverons de lever les yeux; et même,
nous vous prions de ne pas nous refuser ce doux regard quand nous serons
tombées, puisque nous nous en humilierons sincèrement devant vous.»

       *       *       *       *       *

Je lui confiais que je n'arrivais à rien; et je m'en décourageais.

«Jusqu'à l'âge de quatorze ans, me dit-elle, j'ai pratiqué la vertu sans
en sentir la douceur; je désirais la souffrance, mais je ne pensais pas
à en faire ma joie; c'est une grâce qui m'a été accordée plus tard. Mon
âme ressemblait à un bel arbre dont les fleurs tombaient aussitôt
qu'elles étaient écloses.

«Faites au bon Dieu le sacrifice de ne jamais cueillir de fruits. S'il
veut que, toute votre vie, vous sentiez de la répugnance à souffrir, à
être humiliée; s'il permet que toutes les fleurs de vos désirs et de
votre bonne volonté tombent à terre sans rien produire, ne vous
troublez pas. En un clin d'œil, au moment de votre mort, il saura
bien faire mûrir de beaux fruits sur l'arbre de votre âme.

«Nous lisons dans l'Ecclésiastique: «_Il est tel homme manquant de force
et abondant en pauvreté, et l'œil de Dieu l'a regardé en bien, et il
l'a relevé de son humiliation, et il a élevé sa tête; beaucoup s'en sont
étonnés et ont honore Dieu._

«_Confie-toi en Dieu et demeure à ta place, car il est facile au
Seigneur d'enrichir tout d'un coup le pauvre. Sa bénédiction se hâte
pour la récompense du juste, et en un instant rapide il fait fructifier
ses progrès._»[157]

--Mais, si je tombe, on me trouvera toujours imparfaite, tandis qu'à
vous, on vous reconnaît de la vertu?

--C'est peut-être parce que je ne l'ai jamais désiré... Mais, qu'on vous
trouve toujours imparfaite, c'est ce qu'il faut, c'est là votre gain. Se
croire soi-même imparfaite et trouver les autres parfaites, voilà le
bonheur. Que les créatures vous reconnaissent sans vertu, cela ne vous
enlève rien et ne vous rend pas plus pauvre; ce sont elles qui perdent
en joie intérieure! Car il n'y a rien de plus doux que de penser du bien
de notre prochain.

«Pour moi, j'éprouve une grande joie, non seulement quand on me trouve
imparfaite, mais surtout, quand je sens que je le suis: au contraire,
les compliments ne me causent que du déplaisir.»

       *       *       *       *       *

«Le bon Dieu a pour vous un amour particulier, puisqu'il vous confie
d'autres âmes.

--Cela ne me donne rien, et je ne suis réellement que ce que je suis
devant Dieu... Ce n'est pas parce qu'il veut que je sois son interprète
près de vous qu'il m'aime davantage: il me fait plutôt votre petite
servante. C'est pour vous et non pour moi qu'il m'a donné les charmes et
les vertus qui paraissent à vos yeux.

«Je me compare souvent à une petite écuelle que le bon Dieu remplit de
toutes sortes de bonnes choses. Tous _les petits chats_ viennent en
prendre leur part; ils se disputent parfois à qui en aura davantage.
Mais l'Enfant-Jésus est là qui guette! «_Je veux bien que vous buviez
dans ma petite écuelle_, dit-il, _mais prenez garde de la renverser et
de la casser!_»

«A vrai dire, il n'y pas grand danger, parce que je suis posée à terre.
Pour les Prieures, ce n'est pas la même chose: étant placées sur des
tables, elles courent beaucoup plus de périls. L'honneur est toujours
dangereux.

«Ah! quel poison de louanges est servi journellement à ceux qui tiennent
les premières places! Quel funeste encens! et comme il faut qu'une âme
soit détachée d'elle-même pour n'en pas éprouver de mal!»

       *       *       *       *       *

«C'est une consolation pour vous de faire du bien, de procurer la gloire
de Dieu. Que je voudrais me voir aussi privilégiée!

--Qu'est-ce que cela me fait que le bon Dieu se serve de moi, plutôt que
d'une autre, pour procurer sa gloire? Pourvu que son règne s'établisse
dans les âmes, peu importe l'instrument. D'ailleurs, il n'a besoin de
personne.

«Je regardais, il y a quelque temps, la mèche d'une petite veilleuse
presque éteinte. Une de nos sœurs y approcha son cierge; et, par ce
cierge, tous ceux de la communauté se trouvèrent allumés. Je fis alors
cette réflexion: «Qui donc pourrait se glorifier de ses œuvres?
Ainsi, par la faible lueur de cette lampe, il serait possible
d'embraser l'univers. Nous croyons souvent recevoir les grâces et les
lumières divines par le moyen de cierges brillants; mais d'où ces
cierges tiennent-ils leur flamme? Peut-être de la prière d'une âme
humble et toute cachée, sans éclat apparent, sans vertu reconnue,
abaissée à ses propres yeux, près de s'éteindre.

«Oh! que nous verrons de mystères plus tard! Combien de fois ai-je pensé
que je devais peut-être toutes les grâces dont j'ai été comblée aux
instances d'une petite âme que je ne connaîtrai qu'au ciel!

«C'est la volonté du bon Dieu qu'en ce monde les âmes se communiquent
entre elles les dons célestes par la prière, afin que, rendues dans leur
patrie, elles puissent s'aimer d'un amour de reconnaissance, d'une
affection bien plus grande encore que celle de la famille la plus idéale
de la terre.

«Là, nous ne rencontrerons pas de regards indifférents, parce que tous
les saints s'entre-devront quelque chose.

«Nous ne verrons plus de regards envieux; d'ailleurs le bonheur de
chacun des élus sera celui de tous. Avec les martyrs, nous ressemblerons
aux martyrs; avec les docteurs, nous serons comme les docteurs; avec les
vierges, comme les vierges; et de même que les membres d'une même
famille sont fiers les uns des autres, ainsi le serons-nous de nos
frères, sans la moindre jalousie.

«Qui sait même si la joie que nous éprouverons en voyant la gloire des
grands saints, en sachant que, par un secret ressort de la Providence,
nous y avons contribué, qui sait si cette joie ne sera pas aussi
intense, et plus douce peut-être, que la félicité dont ils seront
eux-mêmes en possession?

«Et, de leur côté, pensez-vous que les grands saints, voyant ce qu'ils
doivent à de toutes petites âmes, ne les aimeront pas d'un amour
incomparable? Il y aura là, j'en suis sûre, des sympathies délicieuses
et surprenantes. Le privilégié d'un apôtre, d'un grand docteur, sera
peut-être un petit pâtre; et l'ami intime d'un patriarche, un simple
petit enfant. Oh! que je voudrais être dans ce royaume d'amour!»

       *       *       *       *       *

«Croyez-moi, écrire des livres de piété, composer les plus sublimes
poésies, tout cela ne vaut pas le plus petit acte de renoncement.
Cependant, lorsque nous souffrons de notre impuissance à faire le bien,
notre seule ressource c'est d'offrir les œuvres des autres. Voilà le
bienfait de la communion des Saints. Souvenez-vous de cette belle
strophe du Cantique spirituel de notre Père saint Jean de la Croix:

               _Revenez, ma colombe,
                Car le cerf blessé
    Apparaît sur le haut de la colline,
    Attiré par l'air de votre vol, et il y prend le frais._

«Vous le voyez, l'Epoux, _le Cerf blessé_ n'est pas attiré par _la
hauteur_, mais seulement par l'_air_ du vol, et un simple coup d'aile
suffit pour produire cette brise d'amour.»

       *       *       *       *       *

«La seule chose qui ne soit pas soumise à l'envie, c'est la dernière
place; il n'y a donc que cette dernière place qui ne soit point vanité
et affliction d'esprit. Cependant _la voie de l'homme n'est pas toujours
en son pouvoir_[158]; et, parfois, nous nous surprenons à désirer ce qui
brille. Alors, rangeons-nous humblement parmi les imparfaits,
estimons-nous de petites âmes que le bon Dieu doit soutenir à chaque
instant. Dès qu'il nous voit bien convaincues de notre néant, dès que
nous lui disons: «_Mon pied a chancelé, votre miséricorde, Seigneur, m'a
affermi_[159]», il nous tend la main; mais, si nous voulons essayer de
faire quelque chose de grand, même sous prétexte de zèle, il nous laisse
seules. Il suffit donc de s'humilier, de supporter avec douceur ses
imperfections: voilà la vraie sainteté pour nous.»

       *       *       *       *       *

Je me plaignais un jour d'être plus fatiguée que mes sœurs, parce
qu'en plus d'un travail commun j'en avais fait un autre qu'on ignorait.
Elle me répondit:

«Je voudrais toujours vous voir comme un vaillant soldat qui ne se
plaint pas de ses peines, qui trouve très graves les blessures de ses
frères, et n'estime les siennes que des égratignures. Pourquoi
sentez-vous à ce point cette fatigue? C'est parce que personne ne la
connaît...

«La bienheureuse Marguerite-Marie ayant eu deux panaris, disait n'avoir
vraiment souffert que du premier, parce qu'il ne lui fut pas possible de
cacher le second qui devint ainsi l'objet de la compassion des sœurs.

«Ce sentiment nous est naturel: mais, c'est faire comme le vulgaire de
désirer qu'on sache quand nous avons du mal.»

       *       *       *       *       *

«Il ne faut jamais croire, quand nous commettons une faute, que c'est
par une cause physique, comme la maladie ou le temps; mais attribuer
cette chute à notre imperfection sans jamais nous décourager. _Ce ne
sont pas les occasions qui rendent l'homme fragile, mais elles montrent
ce qu'il est._»[160]

       *       *       *       *       *

«Le bon Dieu n'a pas permis que notre Mère me dît d'écrire mes poésies à
mesure que je les composais, et je n'aurais pas voulu le lui demander,
de peur de faire une faute contre la pauvreté. J'attendais donc l'heure
de temps libre, et ce n'était pas sans une peine extrême que je me
rappelais, à huit heures du soir, ce que j'avais composé le matin.

«Ces petits riens sont un martyre, il est vrai; mais il faut bien se
garder de le diminuer en se permettant, ou se faisant permettre, mille
choses qui nous rendraient la vie religieuse agréable et commode.»

       *       *       *       *       *

Un jour que je pleurais, sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus me dit de
m'habituer à ne pas laisser paraître ainsi mes petites souffrances,
ajoutant que rien ne rendait la vie de communauté plus triste que
l'inégalité d'humeur.

«Vous avez bien raison, lui répondis-je, je l'avais moi-même pensé, et
désormais je ne pleurerai plus jamais qu'avec le bon Dieu; à lui seul je
confierai mes peines, il me comprendra et me consolera toujours.» Elle
reprit vivement:

«Pleurer devant le bon Dieu! gardez-vous d'agir ainsi. Vous devez
paraître triste, bien moins encore devant lui que devant les créatures.
Comment! ce bon Maître n'a pour réjouir son Cœur que nos monastères;
il vient chez nous pour se reposer, pour oublier les plaintes
continuelles de ses amis du monde; car le plus souvent sur la terre, au
lieu de reconnaître le prix de la Croix, on pleure et on gémit; et vous
feriez comme le commun des mortels?... Franchement, ce n'est pas de
l'amour désintéressé. _C'est à nous de consoler Jésus, ce n'est pas à
lui de nous consoler._

«Je le sais, _il a si bon cœur_ que, si vous pleurez, il essuiera vos
larmes; mais ensuite il s'en ira tout triste, n'ayant pu se reposer en
vous. Jésus aime les cœurs joyeux, il aime une âme toujours
souriante. Quand donc saurez-vous _lui cacher vos peines_, ou lui dire
en chantant que vous êtes heureuse de souffrir pour lui?

«Le visage est le reflet de l'âme, ajouta-t-elle, vous devez sans cesse
avoir un visage calme et serein, comme un petit enfant toujours content.
Lorsque vous êtes seule, agissez encore de même, parce que vous êtes
continuellement en spectacle aux Anges.»

       *       *       *       *       *

Je voulais qu'elle me félicitât d'avoir pratiqué un acte de vertu
héroïque à mes yeux; mais elle me dit:

«Qu'est ce petit acte de vertu, en comparaison de ce que Jésus a le
droit d'attendre de votre fidélité? Vous devriez plutôt vous humilier de
laisser échapper tant d'occasions de lui prouver votre amour.»

Peu satisfaite de cette réponse, j'attendais une occasion difficile,
pour voir comment sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus s'y comporterait.
Cette occasion se présenta bientôt. Notre Révérende Mère nous ayant
demande un travail fatigant et sujet à mille contradictions, je me
permis malicieusement de lui en augmenter la charge; mais je ne pus un
seul instant la trouver en défaut; je la vis toujours gracieuse,
aimable, ne comptant pas avec la fatigue. S'agissait-il de se déranger,
de servir les autres? elle se présentait avec entrain. A la fin, n'y
tenant plus, je me jetai dans ses bras et lui confiai les sentiments qui
avaient agité mon âme.

«Comment faites-vous, lui dis-je, pour pratiquer ainsi la vertu, pour
être constamment joyeuse, calme et semblable à vous-même?

--Je n'ai pas toujours fait ainsi, me répondit-elle, _mais depuis que je
ne me recherche jamais, je mène la vie la plus heureuse qu'on puisse
voir_.»

       *       *       *       *       *

«A la récréation plus qu'ailleurs, disait notre angélique Maîtresse,
vous trouverez l'occasion d'exercer votre vertu. Si vous voulez en
retirer un grand profit, n'y allez pas avec la pensée de vous récréer,
mais avec celle de récréer les autres; pratiquez-y un complet
détachement de vous-même. Par exemple, si vous racontez à l'une de vos
sœurs une histoire qui vous semble intéressante, et que celle-ci vous
interrompe pour vous raconter autre chose, écoutez-la avec intérêt,
quand même elle ne vous intéresserait pas du tout, et ne cherchez pas à
reprendre votre conversation première. En agissant ainsi, vous sortirez
de la récréation avec une grande paix intérieure et revêtue d'une force
nouvelle pour pratiquer la vertu; parce que vous n'aurez pas cherché à
vous satisfaire, mais à faire plaisir aux autres. Si l'on savait ce que
l'on gagne à se renoncer en toutes choses!...

--Vous le savez bien, vous; c'est ainsi que vous avez toujours fait?

--Oui, je me suis oubliée, j'ai tâché de ne me rechercher en rien.»

       *       *       *       *       *

«Il faut être mortifiée lorsqu'on nous sonne, lorsqu'on frappe à notre
porte, jusqu'à ne pas faire un point de plus avant de répondre. J'ai
pratiqué cela; et je vous assure que c'est une source de paix.»

Après cet avis, lorsque l'occasion se présentait, je me dérangeais
promptement. Un jour, pendant sa maladie, elle en fut témoin et me dit:

«Au moment de la mort, vous serez bien heureuse de retrouver cela! Vous
venez de faire une action plus glorieuse que si, par des démarches
habiles, vous aviez obtenu la bienveillance du gouvernement pour les
communautés religieuses, et que toute la France vous acclamât comme
Judith!»

       *       *       *       *       *

Interrogée sur sa manière de sanctifier les repas, elle répondit:

«Au réfectoire, nous n'avons qu'une seule chose à faire: accomplir cette
action si basse avec des pensées élevées. Je vous l'avoue, c'est souvent
au réfectoire qu'il me vient les plus douces aspirations d'amour.
Quelquefois, je suis forcée de m'arrêter en songeant que, si
Nôtre-Seigneur était à ma place, devant les mets qui me sont servis, il
les prendrait certainement... Il est bien probable que, pendant sa vie
mortelle, il a goûté aux mêmes aliments; _il mangeait du pain, des
fruits_...

«Voici mes petites rubriques enfantines:

«Je me figure être à Nazareth dans la maison de la sainte Famille. Si
l'on me sert, par exemple, _de la salade, du poisson froid, du vin ou
quelque autre chose qui a le goût fort, je l'offre au bon saint Joseph.
A la sainte Vierge, je donne les portions chaudes, les fruits bien mûrs,
etc.: et les mets des jours de fête, particulièrement la bouillie, le
riz, les confitures, je les offre à l'Enfant-Jésus._ Enfin, lorsqu'on
m'apporte un mauvais dîner, je me dis gaiement: _Aujourd'hui, ma petite
fille, tout cela c'est pour toi!_»

Elle nous cachait ainsi sa mortification sous des dehors gracieux.
Cependant, un jour de jeûne, où notre Révérende Mère lui avait imposé un
soulagement, je la surpris assaisonnant d'absinthe cette douceur trop à
son goût.

Une autre fois, je la vis boire lentement un exécrable remède.

«Mais dépêchez-vous donc, lui dis-je, buvez cela tout d'un trait!

--Oh! non; ne faut-il pas que je profite des petites occasions qui se
rencontrent de me mortifier un peu, puisqu'il m'est interdit d'en
chercher de grandes?»

C'est ainsi que, pendant son noviciat,--je l'ai su dans les derniers
mois de sa vie--une de nos sœurs, ayant voulu rattacher son scapulaire,
lui traversa en même temps l'épaule avec sa grande épingle, souffrance
qu'elle endura plusieurs heures avec joie.

Une autre fois, elle me donna une preuve de sa mortification intérieure.
J'avais reçu une lettre fort intéressante qu'on avait lue à la
récréation en son absence. Le soir, elle me manifesta le désir de la
lire à son tour et je la lui donnai. Quelque temps après, comme elle me
rendait cette lettre, je la priai de me dire sa pensée au sujet d'une
chose qui, particulièrement, avait dû la charmer. Elle parut embarrassée
et me répondit enfin:

«Le bon Dieu m'en a demandé le sacrifice, à cause de l'empressement que
j'ai témoigné l'autre jour; je ne l'ai pas lue...»

       *       *       *       *       *

Je lui parlais des mortifications des saints, elle me répondit: «Que
Nôtre-Seigneur a bien fait de nous prévenir _qu'il y a plusieurs
demeures dans la maison de son Père! Sans cela il nous l'aurait
dit_[161]... Oui, si toutes les âmes appelées à la perfection avaient
dû, pour entrer au ciel, pratiquer ces macérations, il nous l'aurait
dit, et nous nous les serions imposées de grand cœur. Mais il nous
annonce _qu'il y a plusieurs demeures dans sa maison_. S'il y a celle
des grandes âmes, celles des Pères du désert et des martyrs de la
pénitence, il doit y avoir aussi celle des petits enfants. Notre place
est gardée là, si nous l'aimons beaucoup, Lui et notre Père céleste et
l'Esprit d'amour.»

       *       *       *       *       *

«Autrefois, dans le monde, en m'éveillant le matin, je pensais à ce qui
devait probablement m'arriver d'heureux ou de fâcheux dans la journée;
et, si je ne prévoyais que des ennuis, je me levais triste. Maintenant,
c'est tout le contraire: je pense aux peines, aux souffrances qui
m'attendent; et je me lève d'autant plus joyeuse et pleine de courage,
que je prévois plus d'occasions de témoigner mon amour à Jésus _et de
gagner la vie de mes enfants_, puisque je suis mère des âmes. Ensuite je
baise mon crucifix, je le pose délicatement sur l'oreiller tout le temps
que je m'habille et je lui dis:

«Mon Jésus, vous avez assez travaillé, assez pleuré, pendant les
trente-trois années de votre vie sur cette pauvre terre! Aujourd'hui,
reposez-vous... C'est à mon tour de combattre et de souffrir.»

       *       *       *       *       *

Un jour de lessive je me rendais à la buanderie sans me presser,
regardant en passant les fleurs du jardin. Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus y allait aussi, marchant rapidement. Elle me croisa
bientôt et me dit:

«Est-ce ainsi qu'on se dépêche quand on a des enfants à nourrir et qu'on
est obligé de travailler pour les faire vivre?»

       *       *       *       *       *

«Savez-vous quels sont mes dimanches et jours de fête?... Ce sont les
jours où le bon Dieu m'éprouve davantage.»

       *       *       *       *       *

Je me désolais de mon peu de courage, ma chère petite sœur me dit:

«Vous vous plaignez de ce qui devrait causer votre plus grand bonheur.
Où serait votre mérite s'il fallait que vous combattiez seulement quand
vous vous sentez du courage? Qu'importe que vous n'en ayez pas, pourvu
que vous agissiez comme si vous en aviez! Si vous vous trouvez trop
lâche pour ramasser un bout de fil, et que néanmoins vous le fassiez
pour l'amour de Jésus, vous avez plus de mérite que si vous
accomplissiez une action beaucoup plus considérable dans un moment de
ferveur. Au lieu de vous attrister, réjouissez-vous donc de voir qu'en
vous laissant sentir votre faiblesse, le bon Jésus vous ménage
l'occasion de lui sauver un plus grand nombre d'âmes!»

       *       *       *       *       *

Je lui demandais si Nôtre-Seigneur n'était pas mécontent de moi en
voyant toutes mes misères. Elle me répondit:

«Rassurez-vous, Celui que vous avez pris pour Epoux a certainement
toutes les perfections désirables; mais, si j'ose le dire, il a en même
temps une grande infirmité: _c'est d'être aveugle!_ et il est une
science qu'il ne connaît pas: _c'est le calcul_. Ces deux grands
défauts, qui seraient des lacunes fort regrettables dans un époux
mortel, rendent le nôtre infiniment aimable.

«S'il fallait qu'il y vit clair et qu'il sût calculer, croyez-vous qu'en
présence de tous nos péchés, il ne nous ferait pas rentrer dans le
néant? Mais non, son amour pour nous le rend positivement aveugle!

«Voyez plutôt: Si le plus grand pécheur de la terre, se repentant de ses
offenses au moment de la mort, expire dans un acte d'amour, aussitôt,
sans calculer d'une part les nombreuses grâces dont ce malheureux a
abusé, de l'autre tous ses crimes, il ne voit plus, il ne compte plus
que sa dernière prière, et le reçoit sans tarder dans les bras de sa
miséricorde.

«Mais, pour le rendre ainsi aveugle et l'empêcher de faire la plus
petite addition, il faut savoir le prendre par le cœur; c'est là son
côté faible...»

       *       *       *       *       *

Je lui avais fait de la peine, et j'allais lui demander pardon. Elle
parut très émue et me dit:

«Si vous saviez ce que j'éprouve! Je n'ai jamais aussi bien compris avec
quel amour Jésus nous reçoit quand nous lui demandons pardon après une
faute! Si moi, sa pauvre petite créature, j'ai senti tant de tendresse
pour vous, au moment où vous êtes revenue à moi, que doit-il se passer
dans le cœur du bon Dieu quand on revient vers lui!... Oui,
certainement, plus vite encore que je ne viens de le faire, il oubliera
toutes nos iniquités pour ne plus jamais s'en souvenir... Il fera même
davantage: il nous aimera plus encore qu'avant notre faute!...»

       *       *       *       *       *

J'avais une frayeur extrême des jugements de Dieu; et, malgré tout ce
qu'elle pouvait me dire, rien ne la dissipait. Je lui posai un jour
cette objection: «On nous répète sans cesse que Dieu trouve des taches
dans ses anges, comment voulez-vous que je ne tremble pas?» Elle me
répondit:

«Il n'y a qu'un moyen pour forcer le bon Dieu à ne pas nous juger du
tout, c'est de se présenter devant lui les mains vides.

--Comment cela?

--C'est tout simple: ne faites aucune réserve, donnez vos biens à mesure
que vous les gagnez. Pour moi, si je vis jusqu'à quatre-vingts ans, je
serai toujours aussi pauvre; je ne sais pas faire d'économies: tout ce
que j'ai, je le dépense aussitôt pour acheter des âmes.

«Si j'attendais le moment de la mort pour présenter mes petites pièces
et les faire estimer à leur juste valeur, Nôtre-Seigneur ne manquerait
pas d'y découvrir de l'alliage que j'irais certainement déposer en
purgatoire.

«N'est-il pas raconté que de grands saints, arrivant au tribunal de Dieu
les mains chargées de mérites, s'en vont quelquefois dans ce lieu
d'expiation, parce que toute justice est souillée aux yeux du Seigneur?

--Mais, repris-je, si Dieu ne juge pas nos bonnes actions, il jugera nos
mauvaises, et alors?

--Que dites-vous là? Nôtre-Seigneur est la Justice même; s'il ne juge
pas nos bonnes actions, il ne jugera pas nos mauvaises. Pour les
victimes de l'amour, il me semble qu'il n'y aura pas de jugement; mais
plutôt que le bon Dieu se hâtera de récompenser, par des délices
éternelles, son propre amour qu'il verra brûler dans leur cœur.

--Pour jouir de ce privilège, croyez-vous qu'il suffise de faire l'acte
d'offrande que vous avez composé?

--Oh! non, les paroles ne suffisent pas... Pour être véritablement
victime d'amour, il faut se livrer totalement. _On n'est consumé par
l'amour qu'autant qu'on se livre à l'amour._»

       *       *       *       *       *

Je me repentais amèrement d'une faute que j'avais commise. Elle me dit:

«Prenez votre crucifix et baisez-le.»

Je lui baisai les pieds.

«Est-ce ainsi qu'une enfant embrasse son Père? Bien vite, passez vos
mains autour de son cou et baisez son visage...»

J'obéis.

«Ce n'est pas tout, il faut se faire rendre ses caresses.»

Et je dus poser le crucifix sur chacune de mes joues; alors, elle me
dit:

«C'est bien, maintenant tout est pardonné!»

       *       *       *       *       *

«Quand on me fait un reproche, lui disais-je, j'aime mieux l'avoir
mérité que d'être accusée à tort.

--Moi, je préfère être accusée injustement, parce que je n'ai rien à me
reprocher, et j'offre cela au bon Dieu avec joie; ensuite, je m'humilie
à la pensée que je serais bien capable de faire ce dont on m'accuse.

«Plus vous avancerez, moins vous aurez de combats, ou plutôt vous les
vaincrez avec plus de facilité, parce que vous verrez le bon côté des
choses. Alors votre âme s'élèvera au-dessus des créatures. Tout ce qu'on
peut me dire maintenant me laisse absolument indifférente, parce que
j'ai compris le peu de solidité des jugements humains.

«Quand nous sommes incomprises et jugées défavorablement, ajouta-t-elle,
à quoi bon se défendre? Laissons cela, ne disons rien, c'est si doux de
se laisser juger n'importe comment! Il n'est point dit dans l'Evangile
que sainte Madeleine se soit expliquée, quand sa sœur l'accusait
d'être aux pieds de Jésus sans rien faire. Elle n'a pas dit: «Marthe! si
tu savais le bonheur que je goûte, si tu entendais les paroles que
j'entends, toi aussi, tu quitterais tout pour partager ma joie et mon
repos.» Non, elle a préféré se taire... O bienheureux silence qui donne
tant de paix à l'âme!»

       *       *       *       *       *

Dans un moment de tentation et de combat, je reçus d'elle ce billet:

«_Que le juste me brise par compassion pour le pécheur! Que l'huile dont
on parfume la tête n'amollisse pas la mienne[162]._ Je ne puis être
brisée, éprouvée que par des justes, puisque toutes mes sœurs sont
agréables à Dieu. C'est moins amer d'être brisé par un pécheur que par
un juste; mais, _par compassion pour les pécheurs_, pour obtenir leur
conversion, je vous demande, ô mon Dieu, d'être brisée par les âmes
justes qui m'entourent. Je vous demande encore _que l'huile des
louanges_, si douce à la nature, _n'amollisse pas ma tête_, c'est-à-dire
mon esprit, en me faisant croire que je possède des vertus qu'à peine
j'ai pratiquées plusieurs fois.

«O mon Jésus! _votre nom est comme une huile répandue_[163]; c'est dans
ce divin parfum que je veux me plonger tout entière, loin du regard des
créatures.»

       *       *       *       *       *

«Vouloir persuader nos sœurs qu'elles sont dans leur tort, même
lorsque c'est parfaitement vrai, ce n'est pas de bonne guerre, puisque
nous ne sommes pas chargées de leur conduite. Il ne faut pas que nous
soyons _des juges de paix_, mais seulement _des anges de paix_.»

       *       *       *       *       *

«Vous vous livrez trop à ce que vous faites, nous disait-elle, vous vous
tourmentez trop de vos emplois, comme si vous en aviez seules la
responsabilité. Vous occupez-vous, en ce moment, de ce qui se passe dans
les autres Carmels? si les religieuses sont pressées ou non? leurs
travaux vous empêchent-ils de prier, de faire oraison? Eh bien, vous
devez vous exiler de même de votre besogne personnelle, y employer
consciencieusement le temps prescrit, mais avec dégagement de cœur.

«J'ai lu autrefois que les Israélites bâtirent les murs de Jérusalem,
travaillant d'une main et tenant une épée de l'autre[164]. C'est bien
l'image de ce que nous devons faire: ne travailler que d'une main, en
effet, et de l'autre défendre notre âme de la dissipation qui l'empêche
de s'unir au bon Dieu.»

       *       *       *       *       *

«Un dimanche, raconte Thérèse, je me dirigeais toute joyeuse vers
l'allée des marronniers; c'était le printemps, je voulais jouir des
beautés de la nature. Hélas! déception cruelle! on avait émondé mes
chers marronniers. Les branches, déjà chargées de bourgeons verdoyants,
étaient là, gisant à terre! En voyant ce désastre, en pensant qu'il
me faudrait attendre trois années avant de le voir réparé, mon
cœur se serra bien fort. Cependant mon angoisse dura peu: «_Si
j'étais dans un autre monastère_, pensai-je, _qu'est-ce que cela me
ferait qu'on coupât entièrement les marronniers du Carmel de Lisieux?_»
Je ne veux plus me faire de peine des choses passagères; mon Bien-Aimé
me tiendra lieu de tout. Je veux me promener sans cesse dans les
bosquets de son amour, auxquels personne ne peut toucher.»

[Illustration: Allée des marronniers dans le jardin du Carmel de
Lisieux.

(La petite voiture que l'on voit, après avoir servi au père de Sœur
Thérèse-de l'Enfant-Jésus, pendant ses années d'infirmité, fut donnée au
Carmel.

C'est dans cette voiture que la servante du Dieu, malade, et installée à
cette même place, écrivit les dernières pages de sa «Vie».)]

       *       *       *       *       *

Une novice demandait à plusieurs sœurs de lui aider à secouer des
couvertures, et leur recommandait, un peu vivement, de veiller à ne pas
les déchirer, parce qu'elles étaient passablement usées. Sœur Thérèse
de l'Enfant-Jésus dit:

«Que feriez-vous si vous n'étiez pas chargée de raccommoder ces
couvertures?... Comme vous agiriez avec dégagement d'esprit! Et, si vous
faisiez remarquer qu'elles sont faciles à déchirer, comme ce serait sans
attache! Ainsi, qu'en toutes vos actions ne se glisse jamais la plus
légère ombre d'intérêt personnel.»

       *       *       *       *       *

Voyant une de nos sœurs très fatiguée, je dis à ma sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus: «Je n'aime pas à voir souffrir, surtout les âmes
saintes.» Elle reprit aussitôt:

«Oh! je ne suis pas comme vous! Les saints qui souffrent ne me font
jamais pitié! Je sais qu'ils ont la force de supporter leurs
souffrances, et qu'ils donnent ainsi une grande gloire au bon Dieu; mais
ceux qui ne sont pas saints, qui ne savent pas profiter de leurs
souffrances, oh! que je les plains! ils me font pitié ceux-là! Je
mettrais tout en œuvre pour les consoler et les soulager.»

       *       *       *       *       *

«Si je devais vivre encore, l'office d'infirmière serait celui qui me
plairait davantage. Je ne voudrais pas le solliciter; mais s'il me
venait directement de l'obéissance, je me croirais bien privilégiée. Il
me semble que je le remplirais avec un tendre amour, pensant toujours à
ce que dit Nôtre-Seigneur: «_J'étais malade et vous m'avez
visité._»[165] La cloche de l'infirmerie devrait être pour vous une
mélodie céleste. Il faudrait passer tout exprès sous les fenêtres des
malades, pour leur donner la facilité de vous appeler et de vous
demander des services. Ne devez-vous pas vous considérer comme une
petite esclave à laquelle tout le monde a le droit de commander? Si vous
voyiez les Anges qui, du haut du ciel, vous regardent combattre dans
l'arène! Ils attendent la fin de la lutte, pour vous couvrir de fleurs
et de couronnes. Vous savez bien que nous prétendons être de _petits
martyrs_: à nous de gagner nos palmes!

«Le bon Dieu ne méprise pas ces combats ignorés et d'autant plus
méritoires: «_L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui
dompte son âme vaut mieux que celui qui prend des villes._»[166]

«Par nos petits actes de charité pratiqués dans l'ombre, nous
convertissons au loin les âmes, nous aidons aux missionnaires, nous leur
attirons d'abondantes aumônes; et, par là, nous construisons de
véritables demeures spirituelles et matérielles à Jésus-Hostie.»

       *       *       *       *       *

J'avais vu notre Mère parler de préférence à l'une de nos sœurs et
lui témoigner, me semblait-il, plus de confiance et d'affection qu'à
moi. Je racontais ma peine à sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, croyant
recevoir de sympathiques condoléances, lorsqu'à ma grande surprise elle
me dit:

«Vous croyez aimer beaucoup notre Mère?

--Certainement! Si je ne l'aimais pas, il me serait indifférent de lui
voir préférer les autres à moi.

--Eh bien, je vais vous prouver que vous vous trompez absolument: ce
n'est pas notre Mère que vous aimez, c'est vous-même.

«Lorsqu'on aime réellement, on se réjouit du bonheur de la personne
aimée, on fait tous les sacrifices pour le lui procurer. Donc, si vous
aviez cet amour véritable et désintéressé, si vous aimiez notre Mère
pour elle-même, vous vous réjouiriez de lui voir trouver du plaisir à
vos dépens; et, puisque vous pensez qu'elle a moins de satisfaction à
parler avec vous qu'avec une autre, vous ne devriez pas avoir de peine
lorsqu'il vous semble être délaissée.»

       *       *       *       *       *

Je me désolais de mes nombreuses distractions dans mes prières:

«Moi aussi, j'en ai beaucoup, me dit-elle, mais aussitôt que je m'en
aperçois, je prie pour les personnes qui m'occupent l'imagination, et
ainsi elles bénéficient de mes distractions.

«... J'accepte tout pour l'amour du bon Dieu, même les pensées les plus
extravagantes qui me viennent à l'esprit.»

       *       *       *       *       *

On m'avait demandé une épingle qui m'était très commode, et je la
regrettais. Elle me dit alors:

«Oh! que vous êtes riche! vous ne pouvez pas être heureuse!»

       *       *       *       *       *

Etant chargée de l'ermitage de l'Enfant-Jésus, et sachant que les
parfums incommodaient une de nos Mères, elle se priva toujours d'y
mettre des fleurs odorantes, même une petite violette, ce qui fut
matière à de vrais sacrifices.

Un jour qu'elle venait de placer une belle rose artificielle au pied de
la statue, notre bonne Mère l'appela. Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus,
devinant bien que c'était pour lui faire enlever la rose, et ne voulant
pas l'humilier, prit la fleur et, prévenant toute réflexion, elle lui
dit:

«Voyez, ma Mère, comme on imite bien la nature aujourd'hui. Ne dirait-on
pas que cette rose vient d'être cueillie dans le jardin?»

       *       *       *       *       *

Elle disait un jour:

«Il y a des instants où l'on est si mal _chez soi_, dans son intérieur,
qu'il faut se hâter d'en sortir. Le bon Dieu ne nous oblige pas alors à
rester en notre compagnie. Souvent même, il permet qu'elle nous soit
désagréable, pour que nous la quittions. Et je ne vois pas d'autre moyen
de sortir de _chez soi_ que d'aller rendre visite à Jésus et à Marie, en
courant aux œuvres de charité.»

       *       *       *       *       *

«Ce qui me fait du bien, lorsque je me représente l'intérieur de la
sainte Famille, c'est de penser à une vie tout ordinaire.

«La sainte Vierge et saint Joseph savaient bien que Jésus était Dieu,
mais de grandes merveilles leur étaient néanmoins cachées, et, comme
nous, ils vivaient de la foi. N'avez-vous pas remarqué cette parole du
texte sacré: «_Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait_[167]», et
cette autre non moins mystérieuse: «_Ses parents étaient dans
l'admiration de ce qu'on disait de lui_[168]»? Ne croirait-on pas qu'ils
apprenaient quelque chose? car cette admiration suppose un certain
étonnement.»

       *       *       *       *       *

«A Sexte, il y a un verset que je prononce tous les jours à
contre-cœur. C'est celui-ci: «_Inclinavi cor meum ad faciendas
justificationes tuas in æternum, propter retributionem._»[169]

«Intérieurement je m'empresse de dire: «O mon Jésus, vous savez bien que
ce n'est pas pour la récompense que je vous sers; mais uniquement parce
que je vous aime et pour sauver des âmes.»

       *       *       *       *       *

«Au ciel seulement nous verrons la vérité absolue en toutes choses. Sur
la terre, même dans la sainte Ecriture, il y a le côté obscur et
ténébreux. Je m'afflige de voir la différence des traductions. Si
j'avais été prêtre, j'aurais appris l'hébreu, afin de pouvoir lire la
parole de Dieu telle qu'il daigna l'exprimer dans le langage humain.»

       *       *       *       *       *

Elle me parlait souvent d'un jeu bien connu, avec lequel elle s'amusait
dans son enfance. C'était un kaléidoscope, sorte de petite longue-vue,
à l'extrémité de laquelle on aperçoit de jolis dessins de diverses
couleurs; si l'on tourne l'instrument, ces dessins varient à l'infini.

«Cet objet, me disait-elle, causait mon admiration, je me demandais ce
qui pouvait produire un si charmant phénomène; lorsqu'un jour, après un
examen sérieux, je vis que c'étaient simplement quelques petits bouts de
papier et de laine jetés ça et là, et coupés n'importe comment. Je
poursuivis mes recherches et j'aperçus trois glaces à l'intérieur du
tube. J'avais la clef du problème.

«Ce fut pour moi l'image d'un grand mystère: Tant que nos actions, même
les plus petites, ne sortent pas du foyer de l'amour, la Sainte Trinité,
figurée par les trois glaces, leur donne un reflet et une beauté
admirables. Jésus, nous regardant par la petite lunette, c'est-à-dire
comme à travers lui-même, trouve nos démarches toujours belles. Mais, si
nous sortons du centre ineffable de l'amour, que verra-t-il? Des brins
de paille... des actions souillées et de nulle valeur.»

       *       *       *       *       *

Un jour, je racontais à sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus les phénomènes
étranges produits par le magnétisme sur les personnes qui veulent bien
remettre leur volonté au magnétiseur. Ces détails parurent l'intéresser
vivement, et le lendemain elle me dit:

«Que votre conversation d'hier m'a fait de bien! _Oh! que je voudrais me
faire magnétiser par Nôtre-Seigneur!_ C'est la première pensée qui m'est
venue à mon réveil. Avec quelle douceur je lui ai remis ma volonté! Oui,
je veux qu'il s'empare de mes facultés, de telle sorte que je ne fasse
plus d'actions humaines et personnelles, mais des actions toutes
divines, inspirées et dirigées par l'Esprit d'amour.»

       *       *       *       *       *

Avant ma profession, je reçus par ma sainte Maîtresse une grâce bien
particulière. Nous avions lavé toute la journée et j'étais brisée de
fatigue, accablée de peines intérieures. Le soir avant l'oraison, je
voulus lui en dire deux mots, mais elle me répondit:

«L'oraison sonne, je n'ai pas le temps de vous consoler; d'ailleurs je
vois clairement que j'y prendrais une peine inutile, le bon Dieu veut
que vous souffriez seule pour le moment.»

Je la suivis à l'oraison, dans un tel état de découragement que, pour la
première fois, je doutai de ma vocation. «Jamais je n'aurai la force
d'être carmélite, me disais-je, c'est une vie trop dure pour moi!»

J'étais à genoux depuis quelques minutes, dans ce combat et ces tristes
pensées, quand tout à coup, sans avoir prié, sans même avoir désiré la
paix, je sentis en mon âme un changement subit, extraordinaire; je ne me
reconnaissais plus. Ma vocation m'apparut belle, aimable; je vis les
charmes, le prix de la souffrance. Toutes les privations et les fatigues
de la vie religieuse me semblèrent infiniment préférables aux
satisfactions mondaines; enfin, je sortis de l'oraison absolument
transformée.

Le lendemain, je racontai à ma sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ce qui
s'était passé la veille; et comme elle paraissait très émue, je voulus
en savoir la cause.

«Ah! que Dieu est bon! me dit-elle alors. Hier soir, vous me faisiez une
si profonde pitié que je ne cessai point, au commencement de l'oraison,
de prier pour vous, demandant à Notre-Seigneur de vous consoler, de
changer votre âme et de vous montrer le prix des souffrances. Il m'a
exaucée!»

       *       *       *       *       *

Comme je suis enfant de caractère, le petit Jésus m'inspira, pour
m'aider à pratiquer la vertu, _de m'amuser avec lui_. Je choisis le _jeu
de quilles_. Je me les représentais de toutes grandeurs et de toutes
couleurs, afin de personnifier les âmes que je voulais atteindre. La
boule du jeu, c'était _mon amour_.

Au mois de décembre 1896, les novices reçurent, au profit des missions,
différents bibelots pour leur arbre de Noël. Et voilà que, par hasard,
il se trouva au fond de la boîte enchantée un objet bien rare au Carmel:
_une toupie_. Mes compagnes dirent: «Que c'est laid! A quoi cela peut-il
servir?» Moi qui connaissais bien le jeu, j'attrapai la toupie en
m'écriant: «Mais c'est très amusant! ça pourrait marcher une journée
entière sans s'arrêter, moyennant de bons coups de fouet!» Et là-dessus
je me mis en devoir de leur donner une représentation qui les jeta dans
l'étonnement.

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus m'observait sans rien dire, et, le
jour de Noël, après la Messe de Minuit, je trouvai dans notre cellule
_la fameuse toupie_ avec cette petite lettre dont l'enveloppe portait
comme adresse:

     _A ma petite épouse chérie_,

     JOUEUSE DE QUILLES _sur la Montagne du Carmel_.

Nuit de Noël 1896.

MA PETITE ÉPOUSE CHÉRIE,

     «Ah! que je suis content de toi! Toute l'année tu m'as beaucoup
     amusé en _jouant aux quilles_. J'ai eu tant de plaisir que la cour
     des anges en était surprise et charmée. Plusieurs petits chérubins
     m'ont demandé pourquoi je ne les avais pas faits enfants; d'autres
     ont voulu savoir si la mélodie de leurs instruments ne m'était pas
     plus agréable que ton rire joyeux, lorsque tu fais tomber _une
     quille_ avec _la boule de ton amour_. J'ai répondu à tous qu'ils ne
     devaient pas se chagriner de n'être point enfants, puisqu'un jour
     ils pourraient jouer avec toi dans les prairies du ciel; je leur ai
     dit que, certainement, ton sourire m'était plus doux que leurs
     mélodies, parce que tu ne pouvais jouer et sourire qu'en souffrant
     et en t'oubliant toi-même.

     Ma petite épouse bien-aimée, j'ai quelque chose à te demander à mon
     tour. Vas-tu me refuser?... Oh! non, tu m'aimes trop pour cela. Eh
     bien, je voudrais changer de jeu: _les quilles, ça m'amuse bien,
     mais je voudrais maintenant jouer à la toupie_; et, si tu veux,
     c'est toi qui seras ma toupie. Je t'en donne une pour modèle; tu
     vois qu'elle n'a pas de charmes extérieurs, quiconque ne sait pas
     s'en servir la repoussera du pied; mais un enfant qui l'aperçoit
     sautera de joie et dira: _Ah! que c'est amusant! ça peut marcher
     toute la journée sans s'arrêter!_...

     Moi, le petit Jésus, je t'aime, bien que tu sois sans charmes, et
     je te supplie de toujours marcher pour m'amuser. Mais, pour faire
     tourner la toupie, il faut _des coups de fouet_! Eh bien, laisse
     tes sœurs te rendre ce service, et sois reconnaissante envers
     celles qui seront les plus assidues à accélérer ta marche...
     Lorsque je me serai bien amusé avec toi, je t'emmènerai là-haut et
     nous pourrons jouer sans souffrir.»

     Ton petit frère, JÉSUS.

       *       *       *       *       *

J'avais l'habitude de pleurer continuellement et pour des riens, ce qui
lui causait une peine très grande.

Un jour, il lui vint une idée lumineuse: prenant sur sa table de
peinture une coquille de moule, et me tenant les mains pour m'obliger à
ne pas m'essuyer les yeux, elle se mit à recueillir mes larmes dans
cette coquille. Au lieu de continuer à pleurer, je ne pus alors
m'empêcher de rire.

«Allez, me dit-elle, désormais je vous permets de pleurer tant que vous
voudrez, pourvu que ce soit dans la coquille.»

Or, huit jours avant sa mort, j'avais pleuré toute une soirée en pensant
à son prochain départ. Elle s'en aperçut et me dit:

«Vous avez pleuré.--_Est-ce dans la coquille?_»

Je ne pouvais mentir... et mon aveu l'attrista. Elle reprit:

«Je vais mourir, et je ne serai pas tranquille sur vôtre compte, si vous
ne me promettez de suivre fidèlement ma recommandation. J'y attache une
importance capitale pour votre âme.»

Je donnai ma parole, demandant toutefois, comme une grâce, la permission
de pleurer librement sa mort.

«Pourquoi pleurer ma mort? Voilà des larmes bien inutiles. Vous
pleurerez mon bonheur! Enfin, j'ai pitié de votre faiblesse et je vous
permets de pleurer les premiers jours. Mais, après cela, il faudra
reprendre la coquille.»

Je dois dire que j'ai été fidèle, bien qu'il m'en ait coûté des efforts
héroïques.

Quand je voulais pleurer, je m'armais avec courage de l'impitoyable
instrument; mais, quelque besoin que j'en eusse, le soin que je devais
prendre à courir d'un œil à l'autre distrayait ma pensée du sujet de
ma peine, et cet ingénieux moyen ne tarda pas à me guérir entièrement de
ma trop grande sensibilité.

       *       *       *       *       *

Je voulais me priver de la sainte Communion pour une infidélité qui lui
avait causé beaucoup de peine, mais dont je me repentais amèrement. Je
lui écrivis ma résolution; et voici le billet qu'elle m'envoya:

«Petite fleur chérie de Jésus, cela suffit bien que, par l'humiliation
de votre âme, _vos racines mangent de la terre_... il faut entr'ouvrir,
ou plutôt élever bien haut votre corolle, afin que le Pain des Anges
vienne, comme une rosée divine, vous fortifier et vous donner tout ce
qui vous manque.

«Bonsoir, pauvre fleurette, demandez à Jésus que toutes les prières qui
sont faites pour ma guérison servent à augmenter le feu qui doit me
consumer.»

       *       *       *       *       *

«Au moment de communier, je me représente quelquefois mon âme sous la
figure d'un petit bébé de trois ou quatre ans qui, à force de jouer, a
ses cheveux et ses vêtements salis et en désordre.--Ces malheurs me sont
arrivés en bataillant avec les âmes.--Mais bientôt la Vierge Marie
s'empresse autour de moi. Elle a vite fait de me retirer _mon petit
tablier tout sale_, de rattacher mes cheveux et de les orner d'un joli
ruban ou simplement d'une petite fleur... et cela suffit pour me rendre
gracieuse et me faire asseoir sans rougir au festin des anges.»

       *       *       *       *       *

A l'infirmerie, nous attendions à peine que ses actions de grâces
fussent terminées pour lui parler et lui demander ses conseils. Elle
s'en attrista d'abord et nous en fit de doux reproches. Puis bientôt
elle nous laissa faire, disant:

«J'ai pensé que je ne devais pas désirer plus de repos que
Notre-Seigneur. Lorsqu'il s'enfuyait au désert après ses prédications,
le peuple venait aussitôt troubler sa solitude. Approchez de moi tant
que vous voudrez. Je dois mourir les armes à la main, _ayant à la bouche
le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu_[170].»

       *       *       *       *       *

«Donnez-nous un conseil pour nos directions spirituelles. Comment
devons-nous les faire?

--Avec une grande simplicité, sans trop compter sur un secours qui peut
vous manquer au premier moment. Vous seriez vite forcées de dire avec
l'épouse des Cantiques: «_Les gardes m'ont enlevé mon manteau, ils m'ont
blessée; et ce n'est qu'en les DÉPASSANT un peu que j'ai trouvé Celui
que j'aime!_»[171] Si vous demandez humblement et sans attache où est
votre Bien-Aimé, _les gardes_ vous l'indiqueront. Toutefois, le plus
souvent, vous ne trouverez Jésus qu'après avoir _dépassé_ toute
créature. Que de fois, pour ma part, n'ai-je pas répété cette strophe du
Cantique spirituel:

              _Ne m'envoyez plus
            Désormais de messagers
    Qui ne savent pas me dire ce que je veux._

           *       *       *       *       *

    _Tous ceux qui s'occupent de vous, sans exception,
    Me parlent continuellement de vos mille grâces
        Et tous me blessent encore davantage;
        Et surtout ce qui me fait mourir_
    C'EST UN JE NE SAIS QUOI QU'ILS NE FONT QUE BALBUTIER[172].»

       *       *       *       *       *

«Si, par impossible, le bon Dieu lui-même ne voyait pas mes bonnes
actions, je n'en serais pas affligée. Je l'aime tant que je voudrais
pouvoir lui faire plaisir, sans qu'il sache que c'est moi. Le sachant et
le voyant, il est comme obligé de me rendre... je ne voudrais pas lui
donner cette peine.»

       *       *       *       *       *

«Si j'avais été riche, je n'aurais pu voir un pauvre ayant faim sans lui
donner à manger. Je fais ainsi dans ma vie spirituelle: à mesure que je
gagne quelque chose, je sais que des âmes sont sur le point de tomber en
enfer, alors je leur donne mes trésors et je n'ai pas encore trouvé un
moment pour me dire: «Maintenant, je vais travailler pour moi.»

       *       *       *       *       *

«Il y a des personnes qui prennent tout de manière à se faire le plus de
peine, pour moi c'est le contraire: je vois toujours le bon côté des
choses. Si je n'ai que la souffrance pure, sans aucune éclaircie, eh
bien, j'en fais ma joie.»

       *       *       *       *       *

«Toujours ce que le bon Dieu m'a donné m'a plu, même les choses qui me
paraissent moins bonnes et moins belles que celles des autres.»

       *       *       *       *       *

«Quand j'étais toute petite, on m'avait mis, chez ma tante, un beau
livre entre les mains. En lisant une histoire, je vis qu'on louait
beaucoup une maîtresse de pension parce qu'elle savait adroitement se
tirer d'affaire sans blesser personne. Je remarquai surtout cette
phrase: «Elle disait à celle-ci: Vous n'avez pas tort; à celle-là: Vous
avez raison»; et tout en lisant, je pensais: «Oh! moi je n'aurais pas
fait ainsi, il faut toujours dire la vérité.»

«Et maintenant je la dis toujours. J'ai bien plus de peine, il est vrai,
car ce serait si facile, quand on vient vous raconter un ennui, de
mettre le tort sur les absents; aussitôt celle qui se plaint serait
apaisée. Oui, mais... je fais tout le contraire. Si je ne suis pas
aimée, tant pis! Qu'on ne vienne pas me trouver si on ne veut pas savoir
la vérité.»

«Pour qu'une réprimande porte du fruit, il faut que cela coûte de la
faire; et il faut la faire sans une ombre de passion dans le cœur.

«Il ne faut pas que la bonté dégénère en faiblesse. Quand on a grondé
avec justice, il faut en rester là et ne pas se laisser attendrir au
point de se tourmenter d'avoir fait de la peine. Courir après l'affligée
pour la consoler, c'est lui faire plus de mal que de bien. La laisser à
elle-même, c'est la forcer à ne rien attendre du côté humain, à recourir
au bon Dieu, à voir ses torts, à s'humilier. Autrement elle
s'habituerait à être consolée après un reproche mérité, et elle agirait
comme un enfant gâté qui trépigne et crie, sachant bien qu'il fera
revenir sa mère pour essuyer ses larmes.»

       *       *       *       *       *

«_Que le glaive de l'esprit qui est la parole de Dieu demeure
perpétuellement en votre bouche et en vos cœurs._»[173] Si nous
trouvons une âme désagréable, ne nous rebutons pas, ne la délaissons
jamais. Ayons toujours «_le glaive de l'esprit_» pour la reprendre de
ses torts; ne laissons pas aller les choses pour conserver notre repos;
combattons sans relâche, même sans espoir de gagner la bataille.
Qu'importe le succès! Allons toujours, quelle que soit la fatigue de la
lutte. Ne disons pas: «Je n'obtiendrai rien de cette âme, elle ne
comprend pas, elle est à abandonner!» Oh! ce serait de la lâcheté! Il
faut faire son devoir jusqu'au bout.»

       *       *       *       *       *

«Autrefois, si quelqu'un de ma famille avait de la peine, et qu'au
parloir je n'avais pu réussir à le consoler, je m'en allais le cœur
navré; mais bientôt, Jésus me fit comprendre que j'étais incapable de
consoler une âme. A partir de ce jour, je n'avais plus de chagrin quand
on s'en allait triste: je confiais au bon Dieu les souffrances de ceux
qui m'étaient chers, et je sentais bien que j'étais exaucée. Je m'en
rendais compte au parloir suivant. Depuis cette expérience, quand j'ai
fait de la peine involontairement, je ne me tourmente pas davantage: je
demande simplement à Jésus de réparer ce que j'ai fait.»

       *       *       *       *       *

«Que pensez-vous de toutes les grâces dont vous avez été comblée?

--Je pense que _l'Esprit de Dieu souffle où il veut_[174].»

       *       *       *       *       *

Elle disait à sa Mère Prieure:

«Ma Mère, si j'étais infidèle, si je commettais seulement la plus légère
infidélité, je sens qu'elle serait suivie de troubles épouvantables, et
je ne pourrais plus accepter la mort.»

Et comme la Mère Prieure manifestait sa surprise de l'entendre tenir ce
langage, elle reprit:

«Je parle d'une infidélité d'orgueil. Par exemple, si je disais: «J'ai
acquis telle ou telle vertu, je puis la pratiquer»; ou bien: «O mon
Dieu, je vous aime trop, vous le savez, pour m'arrêter à une seule
pensée contre la foi»; aussitôt, je le sens, je serais assaillie par les
plus dangereuses tentations, et j'y succomberais certainement.

«Pour éviter ce malheur, je n'ai qu'à dire humblement du fond du
cœur: «O mon Dieu, je vous en prie, ne permettez pas que je sois
infidèle!»

«Je comprends très bien que saint Pierre soit tombé. Il comptait trop
sur l'ardeur de ses sentiments au lieu de s'appuyer uniquement sur la
force divine. Je suis bien sûre que s'il avait dit à Jésus: «Seigneur,
donnez-moi le courage de vous suivre jusqu'à la mort», ce courage ne lui
aurait pas été refusé.

«Ma Mère, comment se fait-il que Notre-Seigneur, sachant ce qui devait
arriver, ne lui dit pas: «Demande-moi la force d'accomplir ce que tu
veux»? Je crois que c'est pour nous montrer deux choses: la première
qu'il n'apprenait rien de plus à ses Apôtres par sa présence sensible,
qu'il ne nous apprend à nous-mêmes par les bonnes inspirations de sa
grâce; la seconde que, destinant saint Pierre à gouverner toute l'Eglise
où il y a tant de pécheurs, il voulait qu'il expérimentât par lui-même
ce que peut l'homme sans l'aide de Dieu. C'est pour cela qu'avant sa
chute, Jésus lui dit: «_Quand tu seras revenu à toi, confirme tes
frères_[175]»; c'est-à-dire raconte-leur l'histoire de ton péché,
montre-leur par ta propre expérience combien il est nécessaire, pour le
salut, de s'appuyer uniquement sur moi.»

       *       *       *       *       *

J'avais beaucoup de peine de la voir malade et je lui répétais souvent:
«Oh! que la vie est triste!» Mais elle me reprenait aussitôt, disant:

«La vie n'est pas triste! elle est au contraire très gaie. Si vous
disiez: «L'exil est triste», je vous comprendrais. On fait erreur en
donnant le nom de vie à ce qui doit finir. Ce n'est qu'aux choses du
ciel, à ce qui ne doit jamais mourir qu'on doit donner ce vrai nom; et,
puisque nous en jouissons dès ce monde, la vie n'est pas triste, mais
gaie, très gaie!...»

       *       *       *       *       *

Elle était elle-même d'une gaieté ravissante:

Pendant plusieurs jours, elle avait été beaucoup mieux et nous lui
disions: «Nous ne savons pas encore de quelle maladie vous mourrez?...

--Mais je mourrai _de mort_! Le bon Dieu n'a-t-il pas dit à Adam de quoi
il mourrait? Il lui a dit: «_Tu mourras de mort[176]!_»

--Eh bien, c'est donc la mort qui viendra vous chercher!

--Non, ce n'est pas la mort qui viendra me chercher, c'est le bon Dieu.
La mort n'est point un fantôme, un spectre horrible comme on la
représente sur les images. Il est écrit dans le catéchisme que _la mort
est la séparation de l'âme et du corps_, ce n'est que cela! Eh bien, je
n'ai pas peur d'une séparation qui me réunira pour toujours au bon
Dieu.»

       *       *       *       *       *

«Le _divin Voleur_ viendra-t-il bientôt voler sa petite grappe de
raisin?

--Je l'aperçois de loin et je me garde bien de crier: «_Au voleur!!!_»
Au contraire, je l'appelle en disant: «_Par ici! par ici!_»

       *       *       *       *       *

Je lui disais que les plus beaux anges, vêtus de robes blanches, le
visage joyeux et resplendissant, transporteraient son âme au ciel. Elle
me répondit:

«Toutes ces images ne me font aucun bien; je ne puis me nourrir que de
la vérité. Dieu et les anges sont de purs esprits, personne ne peut les
voir des yeux du corps tels qu'ils sont en réalité. C'est pour cela que
je n'ai jamais désiré les grâces extraordinaires. J'aime mieux attendre
la vision éternelle.

--J'ai demandé au bon Dieu de m'envoyer un joli rêve pour me consoler de
votre départ.

--Ah! voilà une chose que je n'aurais jamais faite! Demander des
consolations!... Puisque vous voulez me ressembler, vous savez bien que,
moi, je dis:

    _Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille;_
    _J'attends en paix le rivage des cieux..._

Il est si doux de servir le bon Dieu dans la nuit et dans l'épreuve,
nous n'avons que cette vie pour vivre de foi.»

       *       *       *       *       *

«Je suis bien heureuse de m'en aller au ciel, mais quand je pense à
cette parole du Seigneur: «_Je viendrai bientôt et je porte ma
récompense avec moi, pour rendre à chacun selon ses œuvres_[177]», je
me dis qu'il sera bien embarrassé pour moi: je n'ai pas d'œuvres...
Eh bien! il me rendra SELON SES ŒUVRES A LUI!»

       *       *       *       *       *

«Certainement, vous ne ferez pas une minute de purgatoire, ou bien alors
personne ne va droit au ciel!

--Oh! je ne m'inquiète guère de cela; je serai toujours contente de la
sentence du bon Dieu. Si je vais en purgatoire, eh bien! je me
promènerai au milieu des flammes, comme les trois Hébreux dans la
fournaise, en chantant le cantique de l'amour.»

       *       *       *       *       *

«Vous serez placée dans le ciel parmi les séraphins.

--S'il en est ainsi, je ne les imiterai pas; _tous se couvrent de leurs
ailes_ à la vue de Dieu, _je me garderai bien de me couvrir de mes
ailes_!»

       *       *       *       *       *

Je lui montrais une photographie représentant Jeanne d'Arc consolée dans
la prison par ses voix. Elle me dit:

«Je suis consolée, moi aussi, par une voix intérieure. D'en haut, les
saints m'encouragent, ils me disent: «Tant que tu es dans les fers, tu
ne peux remplir ta mission; mais plus tard, après ta mort, ce sera le
temps de tes conquêtes.»

       *       *       *       *       *

«Le bon Dieu fera toutes mes volontés au ciel, parce que je n'ai jamais
fait ma volonté sur la terre.»

       *       *       *       *       *

«Vous nous regarderez du haut du ciel, n'est-ce pas?

--Non, _je descendrai_.»

       *       *       *       *       *

Citons encore ce trait touchant:

Quelques mois avant la mort de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, nous
lisions au réfectoire la vie de saint Louis de Gonzague, et l'une de nos
bonnes Mères fut frappée de l'affection touchante et réciproque du jeune
saint et d'un vénérable religieux de la Compagnie de Jésus, le P.
Corbinelli.

«C'est vous le petit Louis, dît-elle à notre sainte petite sœur, et
moi je suis le vieux P. Corbinelli; quand vous serez au ciel,
souvenez-vous de moi.

--Voulez-vous, ma Mère, que je vienne bientôt vous chercher?

--Non, je n'ai pas encore assez souffert.

--O ma Mère, moi je vous dis que vous avez bien assez souffert.»

Et Mère Hermance du Cœur de Jésus de répondre:

«Je n'ose encore vous dire oui... Pour une chose aussi grave, il me faut
la sanction de l'autorité.»

En effet, la demande fut adressée à la Mère Prieure; et, sans y attacher
d'importance, elle donna une réponse affirmative.

Or, l'un des derniers jours de sa vie, sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, ne pouvant presque plus parler en raison de sa grande
faiblesse, reçut, par l'entremise de l'infirmière, un bouquet de fleurs
cueillies par notre chère Mère, avec prière instante de lui transmettre
ensuite, comme remerciement, un seul mot d'affection. Et voici quel fut
ce mot:

«_Dites à Mère du Cœur de Jésus que ce matin, pendant la messe, j'ai
vu la tombe du P. Corbinelli tout près de celle du petit Louis._

--C'est bien, répondit tout émue notre bonne Mère, dites à sœur
Thérèse de l'Enfant-Jésus que j'ai compris...»

A partir de ce moment, elle demeura persuadée de sa mort prochaine qui
arriva, en effet, un an après.

Et, suivant la prédiction du _petit Louis, la tombe du P. Corbinelli se
trouva tout près de la sienne_.

[Illustration: «Je descendrai»]

[Illustration: _Tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. (Cimetière de
la ville de Lisieux.)_

Je compte bien ne pas rester inactive au
Ciel: mon désir est de travailler encore pour
l'Eglise et les âmes; je le demande à Dieu
et je suis certaine qu'il m'exaucera.]

[Illustration]



Acte d'offrande de moi-même, comme victime d'holocauste à l'Amour
miséricordieux du bon Dieu.

_Cet écrit a été trouvé, après la mort de sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus, dans le livre des saints Evangiles qu'elle portait jour
et nuit sur son cœur._

O mon Dieu, Trinité bienheureuse, je désire vous aimer et vous faire
aimer, travailler à la glorification de la sainte Eglise, en sauvant les
âmes qui sont sur la terre et en délivrant celles qui souffrent dans le
Purgatoire. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au
degré de gloire que vous m'avez préparé dans votre royaume; en un mot,
je désire être sainte, mais je sens mon impuissance, et je vous demande,
ô mon Dieu, d'être vous-même ma sainteté.

Puisque vous m'avez aimée jusqu'à me donner votre Fils unique pour être
mon Sauveur et mon Epoux, les trésors infinis de ses mérites sont à moi;
je vous les offre avec bonheur, vous suppliant de ne me regarder qu'à
travers la Face de Jésus et dans son Cœur brûlant d'amour.

Je vous offre encore tous les mérites des Saints qui sont au ciel et sur
la terre, leurs actes d'amour et ceux des saints Anges; enfin je vous
offre, ô bienheureuse Trinité, l'amour et les mérites de la sainte
Vierge, ma Mère chérie; c'est à elle que j'abandonne mon offrande, la
priant de vous la présenter.

Son divin Fils, mon Epoux bien-aimé, aux jours de sa vie mortelle, nous
a dit: «_Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le
donnera._» (Joan., XVI, 23.) Je suis donc certaine que vous exaucerez
mes désirs... Je le sais, ô mon Dieu, _plus vous voulez donner, plus
vous faites désirer_.

Je sens en mon cœur des désirs immenses, et c'est avec confiance que
je vous demande de venir prendre possession de mon âme. Ah! je ne puis
recevoir la sainte communion aussi souvent que je le désire; mais,
Seigneur, n'êtes-vous pas Tout-Puissant? Restez en moi comme au
Tabernacle, ne vous éloignez jamais de votre petite hostie.

Je voudrais vous consoler de l'ingratitude des méchants, et je vous
supplie de m'ôter la liberté de vous déplaire. Si par faiblesse je tombe
quelquefois, qu'aussitôt votre divin regard purifie mon âme, consumant
toutes mes imperfections, comme le feu qui transforme toute chose en
lui-même.

Je vous remercie, ô mon Dieu, de toutes les grâces que vous m'avez
accordées: en particulier de m'avoir fait passer par le creuset de la
souffrance. C'est avec joie que je vous contemplerai au dernier jour,
portant le sceptre de la croix; puisque vous avez daigné me donner en
partage cette croix si précieuse, j'espère au ciel vous ressembler, et
voir briller sur mon corps glorifié les sacrés stigmates de votre
passion.

Après l'exil de la terre, j'espère aller jouir de vous dans la patrie;
mais je ne veux pas amasser de mérites pour le ciel, je veux travailler
pour votre seul amour, dans l'unique but de vous faire plaisir, de
consoler votre Cœur sacré, et de sauver des âmes qui vous aimeront
éternellement.

Au soir de cette vie, je paraîtrai devant vous les mains vides; car je
ne vous demande pas, Seigneur, de compter mes œuvres... _Toutes nos
Justices ont des taches à vos yeux!_ Je veux donc me revêtir de votre
propre Justice, et recevoir de votre amour la possession éternelle de
vous-même. Je ne veux point d'autre trône et d'autre couronne que vous,
ô mon Bien-Aimé!

A vos yeux, le temps n'est rien; _un seul jour est comme mille
ans_[178]. Vous pouvez donc en un instant me préparer à paraître devant
vous.

       *       *       *       *       *

Afin de vivre dans un acte de parfait amour, JE M'OFFRE COMME VICTIME
D'HOLOCAUSTE A VOTRE AMOUR MISÉRICORDIEUX, vous suppliant de me consumer
sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie
qui sont renfermés en vous, et qu'ainsi je devienne martyre de votre
amour, ô mon Dieu!

Que ce martyre, après m'avoir préparée à paraître devant vous, me fasse
enfin mourir, et que mon âme s'élance sans retard dans l'éternel
embrassement de votre miséricordieux amour!

Je veux, ô mon Bien-Aimé, à chaque battement de mon cœur, vous
renouveler cette offrande un nombre infini de fois, jusqu'à ce que, _les
ombres s'étant évanouies_[179], je puisse vous redire mon amour dans un
face à face éternel!!!...

MARIE-FRANÇOISE-THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS
ET DE LA SAINTE FACE,
_rel. carm. ind._

Fête de la Très Sainte Trinité, le 9 juin,
de l'an de grâce 1895.



Consécration à la sainte Face.

(Composée pour le noviciat.)


O Face adorable de Jésus! puisque vous avez daigné choisir
particulièrement nos âmes pour vous donner à elles, nous venons les
consacrer à vous.

Il nous semble, ô Jésus, vous entendre nous dire: «_Ouvrez-moi, mes
sœurs, mes épouses bien-aimées, car ma Face est couverte de rosée, et
mes cheveux sont humides des gouttes de la nuit._»[180] Nos âmes
comprennent votre langage d'amour; nous voulons essuyer votre doux
Visage et vous consoler de l'oubli des méchants. A leurs yeux, vous êtes
encore «_comme caché... ils vous considèrent comme un objet de
mépris!_»[181]

O Visage plus beau que les lis et les roses du printemps, vous n'êtes
pas caché à nos yeux! Les larmes qui voilent votre divin regard nous
apparaissent comme des diamants précieux que nous voulons recueillir,
afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes de nos frères.

De votre bouche adorée, nous avons entendu la plainte amoureuse.
Comprenant que la soif qui vous consume est une soif d'amour, nous
voudrions, pour vous désaltérer, posséder un amour infini!

Epoux bien-aimé de nos âmes! si nous avions l'amour de tous les
cœurs, cet amour serait à vous... Eh bien, donnez-nous cet amour, et
venez vous désaltérer en vos petites épouses.

Des âmes, Seigneur, il nous faut des âmes! surtout des âmes d'apôtres et
de martyrs; afin que, par elles, nous embrasions de votre amour la
multitude des pauvres pécheurs.

O Face adorable, nous saurons obtenir de vous cette grâce! Oubliant
notre exil, _sur les bords des fleuves de Babylone_, nous chanterons à
vos oreilles les plus douces mélodies. Puisque vous êtes la vraie,
l'unique patrie de nos âmes, _nos cantiques ne seront pas chantés sur
une terre étrangère_[182].

O Face chérie de Jésus! en attendant le jour éternel, où nous
contemplerons votre gloire infinie, notre unique désir est de charmer
vos yeux divins, en cachant aussi notre visage, afin qu'ici-bas personne
ne puisse nous reconnaître... Votre regard voilé, voilà notre ciel, ô
Jésus!



Prières.


    _Tout ce que vous demanderez à mon Père
    en mon nom, il vous le donnera[183]._

Père Eternel, votre Fils unique, le doux Enfant Jésus est à moi, puisque
vous me l'avez donné. Je vous offre les mérites infinis de sa divine
Enfance, et je vous demande, en son nom, d'appeler aux joies du Ciel
d'innombrables phalanges de petits enfants qui suivront éternellement ce
divin Agneau.

       *       *       *       *       *

    _De même que, dans un royaume, on se
    procure tout ce qu'on désire avec l'effigie du
    prince, ainsi avec la pièce précieuse de ma
    sainte humanité, qui est mon adorable Face,
    vous obtiendrez tout ce que vous voudrez._

N.-S. à Sr MARIE DE ST-PIERRE.

Père Eternel, puisque vous m'avez donné pour héritage la Face adorable
de votre divin Fils, je vous l'offre et vous demande, en échange de
cette _Pièce_ infiniment précieuse, d'oublier les ingratitudes des âmes
qui vous sont consacrées et de pardonner aux pauvres pécheurs.



Prière à l'Enfant Jésus.

O petit Enfant Jésus! mon unique trésor, je m'abandonne à tes divins
caprices, je ne veux pas d'autre joie que celle de te faire sourire.
Imprime en moi tes grâces et tes vertus enfantines, afin qu'au jour de
ma naissance au ciel, les Anges et les Saints reconnaissent en ta petite
épouse: THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS.



Prière à la sainte Face.

O Face adorable de Jésus, seule beauté qui ravit mon cœur, daigne
imprimer en moi ta divine ressemblance, afin que tu ne puisses regarder
l'âme de ta petite épouse sans te contempler toi-même. O mon Bien-Aimé,
pour ton amour, j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de ton
regard, de ne pas sentir l'inexprimable baiser de ta bouche, mais je te
supplie de m'embraser de ton amour, afin qu'il me consume rapidement et
fasse bientôt paraître devant toi: THÉRÈSE DE LA SAINTE FACE.



Prière inspirée par une image représentant la Bienheureuse Jeanne d'Arc.


Seigneur, Dieu des armées, qui nous avez dit dans votre Evangile: «_Je
ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive_[184]», armez-moi pour
la lutte; je brûle de combattre pour votre gloire; mais, je vous en
supplie, fortifiez mon courage... Alors, avec le saint roi David, je
pourrai m'écrier: «_C'est mus seul qui êtes mon bouclier; c'est vous,
Seigneur, qui dressez mes mains à la guerre._»[185]

O mon Bien-Aimé! je comprends à quels combats vous me destinez; ce n'est
point sur les champs de bataille que je lutterai... Je suis prisonnière
de votre amour, j'ai librement rivé la chaîne qui m'unit à vous et me
sépare à jamais du monde. Mon glaive c'est l'AMOUR! avec lui _je
chasserai l'étranger du royaume, je vous ferai proclamer Roi_ dans les
âmes.

Sans doute, Seigneur, un aussi faible instrument que moi ne vous est
pas nécessaire; mais Jeanne, votre virginale et valeureuse épouse, l'a
dit: «_Il faut batailler pour que Dieu donne victoire._» O mon Jésus, je
bataillerai donc pour votre amour jusqu'au soir de ma vie. Puisque vous
n'avez pas voulu goûter de repos sur la terre, je veux suivre votre
exemple; alors cette promesse tombée de vos lèvres divines se réalisera
pour moi: «_Si quelqu'un me suit, en quelque lieu que je sois il y sera
aussi; et mon Père l'élèvera en honneur._»[186] Etre avec vous, être en
vous, voilà mon unique désir; cette assurance que vous me donnez de sa
réalisation m'aide à supporter l'exil, en attendant le radieux jour du
face à face éternel.



Prière pour obtenir l'humilité.

(Composée pour une novice.)


O Jésus, lorsque vous étiez voyageur sur la terre, vous avez dit:
«_Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous
trouverez le repos de vos âmes._»[187] Puissant Monarque des Cieux, oui,
mon âme trouve le repos en vous voyant, revêtu de la forme et de la
nature d'esclave, vous abaisser jusqu'à laver les pieds de vos apôtres.
Je me souviens alors de ces paroles que vous avez prononcées, pour
m'apprendre à pratiquer l'humilité: «_Je vous ai donné l'exemple, afin
que vous fassiez vous-même ce que j'ai fait. Le disciple n'est pas plus
grand que le Maître... Si vous comprenez ceci, vous serez heureux en le
pratiquant._»[188] Je les comprends, Seigneur, ces paroles sorties de
votre Cœur doux et humble, je veux les pratiquer, avec le secours de
votre grâce.

Je veux m'abaisser humblement et soumettre ma volonté à celle de mes
sœurs, sans les contredire en rien, et sans rechercher si elles ont,
ou non, le droit de me commander. Personne, ô mon Bien-Aimé, n'avait ce
droit envers vous, et cependant vous avez obéi, non seulement à la
sainte Vierge et à saint Joseph, mais encore à vos bourreaux. Maintenant
c'est dans l'Hostie que je vous vois mettre le comble à vos
anéantissements. Avec quelle humilité, ô divin Roi de gloire, vous vous
soumettez à tous vos prêtres, sans faire aucune distinction entre ceux
qui vous aiment et ceux qui sont, hélas! tièdes ou froids dans votre
service. Ils peuvent avancer, retarder l'heure du saint Sacrifice,
toujours vous êtes prêt à descendre du ciel à leur appel.

O mon Bien-Aimé, sous le voile de la blanche Hostie, que vous
m'apparaissez doux et humble de cœur! Pour m'enseigner l'humilité,
vous ne pouvez vous abaisser davantage; aussi je veux, pour répondre à
votre amour, me mettre au dernier rang, partager vos humiliations, afin
«_d'avoir part avec vous_[189]» dans le royaume des Cieux.

Je vous supplie, mon divin Jésus, de m'envoyer une humiliation, chaque
fois que j'essaierai de m'élever au-dessus des autres.

Mais, Seigneur, ma faiblesse vous est connue; chaque matin je prends la
résolution de pratiquer l'humilité et, le soir, je reconnais que j'ai
commis encore bien des fautes d'orgueil. A cette vue, je suis tentée de
me décourager; mais, je le sais, le découragement est aussi de
l'orgueil; je veux donc, ô mon Dieu, fonder sur vous seul mon espérance:
puisque vous pouvez tout, daignez faire naître en mon âme la vertu que
je désire. Pour obtenir cette grâce de votre infinie miséricorde, je
vous répéterai souvent:

«_Jésus, doux et humble de cœur, rendez mon cœur semblable au
vôtre._»



Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus

ET DE LA SAINTE FACE



LETTRES

(Fragments.)

      «Celui qui enseigne la justice à son frère
    brillera comme un soleil dans les perpétuelles
    éternités.»

    (DAN., XII, 3.)



LETTRES

De Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à sa sœur Céline.


Lettre Ire.

Jésus.

J. M. J. T.

8 mai 1888.

MA CÉLINE CHÉRIE,

Il y a des moments où je me demande s'il est bien vrai que je suis au
Carmel; parfois, je n'y puis croire! Qu'ai-je donc fait au bon Dieu pour
qu'il me comble de tant de grâces?

Déjà un mois que nous sommes séparées! Mais pourquoi dire séparées?
Quand l'océan serait entre nous, nos âmes resteraient unies. Cependant,
je le sais, tu souffres de ne plus m'avoir, et si je m'écoutais, je
demanderais à Jésus de me donner tes tristesses; mais vois-tu, je ne
m'écoute pas, j'aurais peur d'être égoïste, voulant pour moi la
meilleure part, c'est-à-dire la souffrance.

Tu as raison, la vie est souvent pesante et amère; il est pénible de
commencer une journée de labeur, surtout quand Jésus se cache à notre
amour. Que fait-il ce doux Ami? Il ne voit donc pas notre angoisse, le
poids qui nous oppresse; où est-il? Pourquoi ne vient-il pas nous
consoler?

Céline, ne crains rien, il est là, tout près de nous! Il nous regarde;
c'est lui qui nous mendie cette peine, ces larmes... il en a besoin pour
les âmes, pour notre âme; il veut nous donner une si belle récompense!
Ah! je t'assure qu'il lui en coûte pour nous abreuver d'amertume, mais
il sait que c'est l'unique moyen de nous préparer à _le connaître comme
il se connaît, à devenir des dieux nous-mêmes_! Oh! quelle destinée! Que
notre âme est grande! Elevons-nous au-dessus de ce qui passe,
tenons-nous à distance de la terre; plus haut, l'air est si pur! Jésus
peut se cacher, mais on le devine...


Lettre IIe.

20 octobre 1888.

MA SŒUR CHÉRIE

Que ton impuissance ne te désole pas. Lorsque le matin nous ne sentons
aucun courage, aucune force pour pratiquer la vertu, c'est une grâce,
c'est le moment de mettre _la cognée à la racine de l'arbre_[190], ne
comptant que sur Jésus seul. Si nous tombons, tout est réparé dans un
acte d'amour, et Jésus sourit! Il nous aide sans en avoir l'air; et les
larmes que lui font verser les méchants sont essuyées par notre pauvre
et faible amour. L'amour peut tout faire; les choses les plus
impossibles lui semblent faciles et douces. Tu sais bien que
Notre-Seigneur ne regarde pas tant à la grandeur des actions, ni même à
leur difficulté, qu'à l'amour avec lequel nous les accomplissons.
Qu'avons-nous à craindre?

Tu voudrais devenir une sainte, et tu me demandes si ce n'est pas trop
oser. Céline, je ne te dirai pas de viser à la sainteté séraphique des
âmes les plus privilégiées, mais bien _d'être parfaite, comme ton Père
céleste est parfait_[191]. Tu vois donc que ton rêve, que nos rêves et
nos désirs ne sont pas des chimères, puisque Jésus nous en a fait
lui-même _un commandement_.


Lettre IIIe.

Janvier 1889.

MA CHÈRE PETITE CÉLINE,

Jésus te présente la croix, une croix bien pesante! et tu t'effraies de
ne pouvoir porter cette croix sans faiblir; pourquoi? Notre Bien-Aimé,
sur la route du Calvaire, est bien tombé trois fois, pourquoi
n'imiterions-nous pas notre Epoux?

Quel privilège de Jésus! Comme il nous aime pour nous envoyer une si
grande douleur! Ah! l'éternité ne sera pas assez longue pour l'en bénir.
Il nous comble de ses faveurs, comme il en comblait les plus grands
saints. Quels sont donc ses desseins d'amour sur nos âmes? Voilà un
secret qui ne nous sera dévoilé que dans notre patrie, le jour _où le
Seigneur essuiera toutes nos larmes_[192].

Maintenant, nous n'avons plus rien à espérer sur la terre, _les fraîches
matinées sont passées_[193], il ne nous reste que la souffrance! Oh!
quel sort digne d'envie! Les Séraphins dans les cieux sont jaloux de
notre bonheur.

J'ai trouvé ces jours-ci cette parole admirable: «_La résignation est
encore distincte de la volonté de Dieu, il y a la même différence qui
existe entre l'union et l'unité; dans l'union on est encore deux, dans
l'unité on n'est plus qu'un._»[194]

Oh! oui, ne soyons qu'un avec Dieu, même dès ce monde; et pour cela
soyons plus que résignées, embrassons la croix avec joie.


Lettre IVe.

28 février 1889.

MA CHÈRE PETITE SŒUR,

Jésus est _un Epoux de sang_[195], Il veut pour lui tout le sang de
notre cœur! Tu as raison, il en coûte pour lui donner ce qu'il
demande. Et quelle joie que cela coûte! Quel bonheur de porter nos croix
_faiblement_!

Céline, loin de me plaindre à Notre-Seigneur de cette croix qu'il nous
envoie, je ne puis comprendre l'amour infini qui l'a porté à nous
traiter ainsi. Il faut que notre père soit bien aimé de Dieu, pour avoir
tant à souffrir! Quelles délices d'être humiliées avec lui!
L'humiliation est la seule voie qui fait les saints, je le sais; je sais
aussi que notre épreuve est une mine d'or à exploiter. Moi, petit grain
de sable, je veux me mettre à l'œuvre, sans courage, sans force; et
cette impuissance même me facilitera l'entreprise, je veux travailler
par amour. C'est le martyre qui commence... Ensemble, ma sœur chérie,
entrons dans la lice; offrons nos souffrances à Jésus pour sauver des
âmes...


Lettre Ve.

12 mars 1889.

..... Céline, j'ai besoin d'oublier la terre; ici-bas tout me fatigue,
je ne trouve qu'une joie, celle de souffrir... et cette joie non sentie
est au-dessus de toute joie. La vie passe, l'éternité s'avance; bientôt
nous vivrons de la vie même de Dieu. Après avoir été abreuvées à la
source des amertumes, nous serons désaltérées à la source même de toutes
les douceurs.

Oui, _la figure de ce monde passe_[196], bientôt nous verrons de
nouveaux cieux; «un soleil plus radieux éclairera de ses splendeurs des
mers éthérées et des horizons infinis...» Nous ne serons plus
prisonnières sur une terre d'exil, tout sera passé! Avec notre Epoux
céleste, nous voguerons sur des lacs sans rivages; _nos harpes sont
suspendues aux saules qui bordent le fleuve de Babylone_[197]; mais au
jour de notre délivrance, quelles harmonies ne ferons-nous pas entendre!
Avec quelle joie nous ferons vibrer toutes les cordes de nos
instruments! Aujourd'hui, _nous répandons des larmes en nous souvenant
de Sion, comment pourrions-nous chanter les cantiques du Seigneur sur
une terre étrangère[198]?_

Notre refrain, c'est le cantique de la souffrance. Jésus nous présente
un calice bien amer; n'en retirons pas nos lèvres, souffrons en paix!
Qui dit _paix_ ne dit pas _joie_, ou du moins joie sentie; pour souffrir
en paix, il suffit de bien vouloir tout ce que veut Notre-Seigneur.

Ne croyons pas trouver l'amour sans la souffrance. Notre nature est là,
elle n'y est pas pour rien; mais quels trésors elle nous fait acquérir!
C'est notre gagne-pain; elle est si précieuse que Jésus est descendu sur
la terre tout exprès pour la posséder. Nous voudrions souffrir
généreusement, grandement; nous voudrions ne jamais tomber: quelle
illusion! Et que m'importe, à moi, de tomber à chaque instant! je sens
par là ma faiblesse et j'y trouve un grand profit. Mon Dieu, vous voyez
ce que je puis faire si vous ne me portez dans vos bras; et si vous me
laissez seule, eh bien! c'est qu'il vous plaît de me voir _par terre_;
pourquoi donc m'inquiéter?

Si tu veux supporter en paix l'épreuve de ne pas te plaire à toi-même,
tu donneras au divin Maître un doux asile; il est vrai que tu
souffriras, puisque tu seras à la porte de chez toi, mais ne crains pas:
plus tu seras pauvre, plus Jésus t'aimera. Je sais bien qu'il aime mieux
te voir heurter dans la nuit les pierres du chemin, que marcher en plein
jour sur une route émaillée de fleurs, parce que ces fleurs pourraient
retarder ta marche.


Lettre VIe.

14 juillet 1889.

MA SŒUR CHÉRIE,

Mon âme ne te quitte pas. Oh! oui, c'est bien dur de vivre sur cette
terre! Mais demain, dans une heure, nous serons au port! Mon Dieu, que
verrons-nous alors? Qu'est-ce donc que cette vie qui n'aura pas de
fin?... Le Seigneur sera l'âme de notre âme. Mystère insondable!
«_L'œil de l'homme n'a point vu la lumière incréée, son oreille n'a
point entendu les incomparables mélodies des cieux, et son cœur ne
peut comprendre ce qui lui est réservé dans l'avenir._»[199] Et tout
cela viendra bientôt! oui, bientôt, si nous aimons Jésus avec passion.

Il me semble que le bon Dieu n'a pas besoin d'années pour faire son
œuvre d'amour dans une âme; un rayon de son Cœur peut, en un
instant, faire épanouir sa fleur pour l'éternité... Céline, pendant les
courts instants qui nous restent, sauvons des âmes; je sens que notre
Epoux nous demande des âmes, des âmes de prêtres, surtout... C'est lui
qui veut que je te dise cela.

Il n'y a qu'une seule chose à faire ici-bas: aimer Jésus, lui sauver des
âmes pour qu'il soit aimé. Soyons jalouses des moindres occasions pour
le réjouir, ne lui refusons rien. Il a tant besoin d'amour!

Nous sommes ses lis préférés; il réside au milieu de nous, il y réside
en Roi, et nous fait partager les honneurs de sa royauté: son Sang divin
arrose nos corolles; et ses épines, en nous déchirant, laissent exhaler
le parfum de notre amour.


Lettre VIIe.

22 octobre 1889.

MA CÉLINE CHÉRIE,

Je t'envoie une image de la Sainte Face, je trouve que ce sujet divin
convient si parfaitement à la vraie petite sœur de mon âme... Oh!
qu'elle soit une autre Véronique! Qu'elle essuie tout le sang et les
larmes de Jésus, son unique Bien-Aimé! Qu'elle lui donne des âmes!
Qu'elle s'ouvre un chemin à travers les soldats, c'est-à-dire le monde,
pour arriver jusqu'à lui!... Oh! qu'elle sera heureuse quand elle verra
un jour, dans la gloire, la valeur de ce breuvage mystérieux dont elle
aura désaltéré son Fiancé céleste; quand elle verra ses lèvres,
autrefois desséchées par une soif ardente, lui dire l'unique et
éternelle parole de l'AMOUR! le _merci_ qui n'aura pas de fin...

A bientôt, _petite Véronique_[200] chérie, demain sans doute le
bien-Aimé te demandera un nouveau sacrifice, un nouveau soulagement à sa
soif; mais «_allons et mourons avec lui_[201]».


Lettre VIIIe.

18 juillet 1890.

MA CHÈRE PETITE SŒUR,

Je t'envoie un passage d'Isaïe qui te consolera. Vois donc, il y a si
longtemps! et déjà l'âme du prophète se plongeait comme la nôtre dans
les beautés cachées de la Face divine... Il y a des siècles! Ah! je me
demande ce qu'est le temps. Le temps n'est qu'un mirage, un rêve; déjà
Dieu nous voit dans la gloire, il jouit de notre béatitude éternelle.
Que cette pensée fait de bien à mon âme! Je comprends alors pourquoi il
nous laisse souffrir...

Eh bien, puisque notre Bien-Aimé _a été seul à fouler le vin_[202] qu'il
nous donne à boire; à notre tour, ne refusons pas de porter des
vêtements teints de sang, foulons pour Jésus un vin nouveau qui le
désaltère, _et, regardant autour de lui[203], il ne pourra plus dire
qu'il est seul_, nous serons là pour lui venir en aide.

_Son visage était caché_[204], hélas! il l'est encore aujourd'hui,
personne ne comprend ses larmes... «_Ouvre-moi, ma sœur, mon épouse_,
nous dit-il, _car ma tête est pleine de rosée, et mes cheveux humides
des gouttes de la nuit_[205].» Oui, voilà ce que Jésus dit à notre âme
lorsqu'il est abandonné, oublié... _L'oubli_, il me semble que c'est
encore ce qui lui fait le plus de peine.

Et notre père chéri! Ah! mon cœur est déchiré; mais comment nous
plaindre, puisque Notre-Seigneur lui-même a été considéré _comme un
homme frappé de Dieu et humilié_[206]? Dans cette grande douleur,
oublions-nous et _prions pour les prêtres_; que notre vie leur soit
consacrée. Le divin Maître me fait de plus en plus sentir qu'il veut
cela de nous deux...


Lettre IXe.

Mardi, 23 septembre 1890.

O Céline, comment te dire ce qui se passe dans mon âme?... Quelle
blessure! Mais je sens qu'elle est faite par une main amie, par une main
_divinement jalouse_!...

Tout était prêt pour mes noces[207]; cependant ne trouves-tu pas qu'il
manquait quelque chose à la fête? Il est vrai que Jésus avait déjà mis
bien des joyaux dans ma corbeille, mais il en fallait un, sans doute,
d'une beauté incomparable, et ce diamant précieux, Jésus me l'a donné
aujourd'hui... Papa ne viendra pas demain! Céline, je te l'avoue, mes
larmes ont coulé... elles coulent encore pendant que je t'écris, je puis
à peine tenir ma plume.

Tu sais à quel point je désirais revoir notre Père chéri; eh bien!
maintenant, je sens que c'est la volonté du bon Dieu qu'il ne soit pas à
ma fête. Il a permis cela simplement pour éprouver notre amour... Jésus
me veut _orpheline_, il veut que je sois seule avec Lui seul, pour
s'unir plus intimement à moi; et il veut aussi me rendre, dans la
Patrie, les joies si _légitimes_ qu'il m'a refusées dans l'exil.

L'épreuve d'aujourd'hui est une douleur difficile à comprendre: une joie
nous était offerte, elle était possible, naturelle, nous avançons la
main... et nous ne pouvons saisir cette consolation si désirée! Mais ce
n'est pas une main humaine qui a fait cela, c'est Jésus! Céline,
comprends ta Thérèse! et, toutes deux, acceptons de bon cœur l'épine
qui nous est présentée; la fête de demain sera une fête de larmes pour
nous, mais je sens que Jésus sera si consolé!...


Lettre Xe.

14 octobre 1890.

MA SŒUR CHÉRIE,

Je comprends tout ce que tu souffres, je comprends tes déchirements et
je les partage. Ah! si je pouvais te communiquer la paix que Jésus a
mise dans mon âme au plus fort de mes larmes... Console-toi! Tout passe!
Notre vie d'autrefois est passée, la mort passera aussi, et alors nous
jouirons de la vie, de la vraie vie, pour des millions de siècles, pour
toujours!

En attendant, faisons de notre cœur un parterre de délices où notre
doux Sauveur vienne se reposer... N'y plantons que des lis, et puis
chantons avec saint Jean de la Croix:

    Le visage incliné sur mon Bien-Aimé,
    Je restai là et m'oubliai;
    Tout disparut pour moi et je m'abandonnai,
    Laissant toutes mes sollicitudes
    Perdues au milieu des lis.


Lettre XIe.

26 avril 1891.

MA CHÈRE PETITE SŒUR,

Il y a trois ans, nos âmes n'avaient pas encore été brisées, le bonheur
nous souriait ici-bas; mais Jésus nous a regardées, et ce regard s'est
changé pour nous en un océan de larmes, mais aussi en un océan de grâces
et d'amour. Le bon Dieu nous a ravi celui que nous aimions avec une si
grande tendresse; n'est-ce pas afin que nous puissions dire
véritablement: «_Notre Père qui êtes aux cieux_»? Qu'elle est consolante
cette divine parole! Quels horizons elle ouvre à nos yeux!

Ma Céline chérie, toi qui m'adressais tant de questions lorsque tu étais
petite, je me demande comment tu ne m'as jamais fait celle-ci: «Pourquoi
donc le bon Dieu ne m'a-t-il pas créée un ange?» Eh bien, je vais te
répondre quand même:--Le Seigneur veut avoir ici-bas sa cour comme
là-haut, il veut des anges-martyrs, des anges-apôtres; et s'il ne t'a
pas créée un ange du ciel, c'est qu'il te veut un ange de la terre, afin
que tu puisses souffrir pour son amour.

Céline, ma sœur chérie! les ombres bientôt se seront dissipées, aux
durs frimas de l'hiver succéderont les rayonnements du soleil
éternel... bientôt nous serons dans notre terre natale; bientôt les
joies de notre enfance, les soirées du dimanche, les épanchements
intimes nous seront rendus pour toujours!


Lettre XIIe

15 août 1892.

MA CHÈRE PETITE SŒUR,

Pour t'écrire aujourd'hui, je suis obligée de dérober quelques instants
à Nôtre-Seigneur; il ne m'en voudra pas, car c'est de lui que nous
allons parler ensemble.

Céline! les vastes solitudes, les horizons enchanteurs qui s'ouvrent
devant toi, dans la belle campagne que tu habites, doivent élever
grandement ton âme. Moi je ne vois pas tout cela, je me contente de dire
avec saint Jean de la Croix dans son Cantique spirituel:

    J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes,
    Les vallées solitaires et boisées...

Dernièrement, je pensais à ce qu'il m'était possible d'entreprendre pour
sauver les âmes; et cette simple parole de l'Evangile m'a donné la
lumière. Autrefois, Jésus disait à ses disciples en leur montrant les
champs de blés mûrs:

«_Levez les yeux et voyez comme les campagnes sont déjà assez blanches
pour être moissonnées_[208]», et un peu plus loin: «_La moisson est
abondante, mais le nombre des ouvriers est petit; demandez donc au
Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers._»[209]

Quel mystère! Jésus n'est-il pas tout-puissant? Les créatures ne
sont-elles pas à celui qui les a créées? Pourquoi s'abaisse-t-il à dire:
«_Demandez au Maître de la moisson d'envoyer des ouvriers?_...»--Ah!
c'est qu'il a pour nous un amour si incompréhensible, si délicat, qu'il
ne veut rien faire sans nous y associer. Le Créateur de l'univers attend
la prière d'une pauvre petite âme pour en sauver une multitude d'autres,
rachetées comme elle au prix de son sang.

Notre vocation à nous, ce n'est pas d'aller moissonner dans les champs
du Père de famille; Jésus ne nous dit pas: _Baissez les yeux, moissonnez
les campagnes_; notre mission est plus sublime encore. Voici les paroles
du divin Maître: «_Levez les yeux et voyez_...» Voyez comme dans le ciel
il y a des places vides; c'est à vous de les combler... vous êtes mes
Moïse priant sur la montagne; demandez-moi des ouvriers et j'en
enverrai, je n'attends qu'une prière, un soupir de votre cœur!

L'apostolat de la prière n'est-il pas, pour ainsi dire, plus élevé que
celui de la parole? C'est à nous de former des ouvriers évangéliques qui
sauveront des milliers d'âmes dont nous deviendrons les mères;
qu'avons-nous donc à envier aux prêtres du Seigneur?


Lettre XIIIe.

MA SŒUR CHÉRIE,

Notre tendresse d'enfant s'est changée en union bien grande de pensées
et de sentiments. Jésus nous a attirées ensemble, car n'es-tu pas à lui
déjà? Il a mis le monde sous nos pieds. Comme Zachée, nous sommes
montées sur un arbre pour le voir; arbre mystérieux qui nous élève bien
au-dessus de toutes choses; alors nous pouvons dire: _Tout est à moi,
tout est pour moi: la terre est à moi, les cieux sont à moi, Dieu est à
moi, et la Mère de mon Dieu est à moi._»[210]

A propos de la sainte Vierge, il faut que je te confie une de mes
simplicités: parfois je me surprends à lui dire: «Savez-vous, ma Mère
chérie, que _je me trouve plus heureuse que vous_? Je vous ai pour Mère,
et _vous n'avez pas comme moi de sainte Vierge à aimer_!... Il est vrai
que vous êtes la Mère de Jésus, mais vous me l'avez donné; et lui, sur
la croix, vous a donnée à nous comme notre Mère; ainsi nous sommes plus
riches que vous! Autrefois, dans votre humilité, vous souhaitiez de
devenir la petite servante de la Mère de Dieu; et moi, pauvre petite
créature, je suis, non pas votre servante, mais _votre enfant_! Vous
êtes la Mère de Jésus et vous êtes _ma Mère_!»

Céline, qu'elle est donc admirable notre grandeur en Jésus! Que de
mystères il nous a dévoilés en nous faisant monter sur l'arbre
symbolique dont je te parlais tout à l'heure! Et maintenant, quelle
science va-t-il nous enseigner? Ne nous a-t-il pas tout appris?
Ecoutons:

«_Hâtez-vous de descendre, il faut que je loge aujourd'hui chez
vous._»[211]

Eh quoi! Jésus nous dit de descendre! Où donc faudra-t-il aller?
Autrefois, les Juifs lui demandaient: «_Maître, où logez-vous[212]?_» et
il leur répondait: «_Les renards ont leurs tanières, les oiseaux du ciel
leurs nids: et moi, je n'ai pas où reposer la tête._»[213] Voilà
jusqu'où nous devons descendre afin de pouvoir servir de demeure à
Jésus: _être si pauvres que nous n'ayons pas où reposer la tête_.

Cette lumière m'a été donnée pendant ma retraite. Notre-Seigneur désire
que nous le recevions dans nos cœurs; sans doute, ils sont vides des
créatures, mais hélas! le mien n'est pas vide de moi-même, et c'est pour
cela qu'il m'est commandé de descendre. Oh! je veux descendre bien bas,
afin que dans mon cœur Jésus puisse reposer sa tête divine, et que là
il se sente aimé et compris.


Lettre XIVe.

25 avril 1893.

MA PETITE CÉLINE,

Je viens te faire part des désirs de Jésus sur ton âme. Rappelle-toi
qu'il n'a pas dit: Je suis la fleur des jardins, la rose cultivée, mais:
«_Je suis la Fleur des champs et le Lis des vallées._»[214] Eh bien, tu
dois rester toujours _une goutte de rosée_ cachée dans la divine corolle
du beau Lis des vallées.

Une goutte de rosée, qu'y a-t-il de plus simple et de plus pur? Ce ne
sont pas les nuages qui l'ont formée, elle naît sous le ciel étoilé. La
rosée n'existe que la nuit; quand le soleil darde ses chauds rayons, les
charmantes perles qui scintillent à l'extrémité des brins d'herbe se
changent bientôt en vapeur légère. Voilà le portrait de ma petite
Céline... Céline est une goutte de rosée descendue du beau ciel, sa
patrie. Pendant la nuit de cette vie, elle doit se cacher dans le calice
vermeil de _la Fleur des champs_; nul regard ne doit l'y découvrir.

Heureuse petite goutte de rosée, connue de Dieu seul, ne t'arrête pas à
considérer le cours retentissant des neuves de ce monde, n'envie même
pas le clair ruisseau qui serpente dans la prairie. Sans doute son
murmure est bien doux, mais les créatures peuvent l'entendre, et puis le
calice de _la Fleur des champs_ ne saurait le contenir. Pour approcher
de Jésus, il faut être si petit! Oh! qu'il y a peu d'âmes qui aspirent à
être petites et inconnues! «Mais, disent-elles, le fleuve et le
ruisseau ne sont-ils pas plus utiles que la goutte de rosée? Que
fait-elle? Nous la jugeons propre à rien, sinon à rafraîchir un instant
la corolle fragile d'une fleur champêtre.»

Ah! vous ne connaissez pas la véritable _Fleur champêtre_! Si vous la
connaissiez, vous comprendriez mieux le reproche de Notre-Seigneur à
Marthe. Le Bien-Aimé n'a besoin ni de nos œuvres éclatantes, ni de
nos belles pensées; s'il veut des conceptions sublimes, n'a-t-il pas ses
Anges, dont la science surpasse infiniment celle des plus grands génies
de ce monde? Ce n'est donc ni l'esprit, ni les talents qu'il vient
chercher ici-bas... Il ne s'est fait _la Fleur des champs_ qu'afin de
nous montrer combien il chérit la simplicité.

_Le Lis de la vallée_ ne demande _qu'une goutte de rosée_, laquelle,
pendant une nuit seulement, restera cachée aux regards humains. Mais
lorsque les ombres commenceront à décliner, que _la Fleur des champs_
sera devenue _le Soleil de Justice_[215], l'humble compagne de son exil
montera jusqu'à lui comme une vapeur d'amour; il arrêtera sur elle un de
ses rayons, et, devant toute la cour céleste, elle brillera
éternellement, comme une perle précieuse, éclatant miroir du Soleil
divin.


Lettre XVe.

2 août 1893.

MA CHÈRE CÉLINE,

Ce que tu m'écris me comble de joie, tu marches par un chemin royal.
L'épouse des Cantiques, n'ayant pu trouver son Bien-Aimé dans le repos,
se leva, dit-elle, pour le chercher dans la ville, mais en vain... elle
ne le put trouver qu'en dehors des remparts[216]. Jésus ne veut pas que
nous trouvions dans le repos sa présence adorable, il se cache, il
s'enveloppe de ténèbres... Ce n'est pas ainsi qu'il agit à l'égard des
foules, car nous lisons dans le saint Evangile que _le peuple était
enlevé dès qu'il parlait_[217].

Jésus charmait les âmes faibles par ses divines paroles, il essayait de
les rendre fortes pour le jour de la tentation et de l'épreuve; mais
combien fut petit le nombre de ses amis fidèles _lorsqu'il se tut_[218]
devant ses juges! Oh! quelle mélodie pour mon cœur que ce silence du
divin Maître!

Il veut que nous lui fassions la charité comme à un pauvre; il se met,
pour ainsi dire, à notre merci; il ne veut rien prendre sans que nous le
lui donnions de bon cœur, et la plus petite obole est précieuse à ses
yeux divins. Il nous tend la main pour recevoir un peu d'amour, afin
qu'au jour radieux du Jugement, ce doux Sauveur puisse nous adresser ces
paroles ineffables: «_Venez, les bénis de mon Père; car j'ai eu faim et
vous m'avez donné à manger: j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire:
je ne savais où loger et vous m'avez donné un asile; j'étais en prison,
malade, et vous m'avez secouru._»[219]

Ma Céline chérie, réjouissons-nous de notre part; donnons, donnons au
Bien-Aimé, soyons prodigues envers lui, mais n'oublions jamais qu'il est
un Trésor caché: peu d'âmes savent le découvrir. Pour trouver une chose
cachée, il faut se cacher soi-même; que notre vie soit un mystère.
«_Voulez-vous apprendre quelque chose qui vous serve?_ dit l'auteur de
l'Imitation, _aimez à être inconnu et compté pour rien[220]... Après
avoir tout quitté, il faut encore se quitter soi-même[221]; que celui-ci
se glorifie d'une chose, celui-là d'une autre; pour vous, ne mettez
votre joie que dans le mépris de vous-même._»[222]


Lettre XVIe.

Tu me dis, ma Céline chérie, que mes lettres te font du bien; j'en suis
heureuse, mais je t'assure que je ne me méprends pas. «_Si le Seigneur
ne bâtit lui-même la maison, c'est en vain que travaillent ceux qui
l'élèvent._»[223] Tous les plus beaux discours seraient incapables de
faire jaillir un acte d'amour, sans la grâce qui touche le cœur.

Voici une belle pêche rosée et si suave que tous les confiseurs ne
sauraient composer un semblable nectar. Dis-moi, Céline, est-ce pour la
pêche que le Bon Dieu a créé cette jolie couleur et ce velouté si
agréable? Est-ce pour elle encore qu'il a dépensé tant de sucre? Mais
non, c'est pour nous; ce qui lui appartient uniquement, ce qui fait
l'essence de son être, c'est son noyau; elle ne possède que cela.

Ainsi Jésus se plaît à prodiguer ses dons à quelques-unes de ses
créatures, dans le but de s'attirer d'autres âmes; mais intérieurement,
il les humilie par miséricorde, il les force doucement à reconnaître
leur néant et sa toute-puissance. Ces sentiments forment en elles comme
un noyau de grâce qu'il se hâte de développer pour le jour bienheureux
où, revêtues d'une beauté immortelle et impérissable, elles seront
servies sans danger sur la table des cieux.

Chère petite sœur, doux écho de mon âme, ta Thérèse ne se trouve pas
dans les hauteurs en ce moment; mais vois-tu, quand je suis dans la
sécheresse, incapable de prier, de pratiquer la vertu, je cherche de
petites occasions, des riens, pour faire plaisir à mon Jésus: par
exemple, un sourire, une parole aimable, alors que je voudrais me taire
et montrer de l'ennui. Si je n'ai pas d'occasions, je veux au moins lui
répéter souvent que je l'aime; ce n'est pas difficile, et cela
entretient le feu dans mon cœur. Quand même il me semblerait éteint
ce feu d'amour, je jetterais encore de petites pailles sur la cendre et
je suis sûre qu'il se rallumerait.

Il est vrai que je ne suis pas toujours fidèle; mais je ne me décourage
jamais, je m'abandonne dans les bras du Seigneur; il m'apprend _à tirer
profit de tout, du bien et du mal qu'il trouve en moi_[224], il
m'apprend à jouer à la banque de l'amour, ou plutôt c'est lui qui joue
pour moi, sans me dire comment il s'y prend: cela c'est son affaire, et
pas la mienne; ce qui me regarde, c'est de me livrer entièrement, sans
rien me réserver, pas même la jouissance de savoir combien la banque me
rapporte... Après tout, je ne suis pas l'enfant prodigue, ce n'est pas
la peine que Jésus me fasse un festin, _puisque je suis toujours avec
lui_[225].

J'ai lu dans le saint Evangile, que le divin Pasteur abandonne toutes
les brebis fidèles dans le désert pour courir après la brebis perdue.
Que je suis touchée de cette confiance! Vois donc, il est sûr d'elles!
Comment pourraient-elles s'enfuir? elles sont captives de l'amour. Ainsi
le bien-aimé Pasteur de nos âmes nous dérobe sa présence sensible, pour
donner ses consolations aux pécheurs; ou bien, s'il nous conduit au
Thabor, c'est pour un instant... les vallées sont presque toujours le
lieu des pâturages, «_c'est là qu'il prend son repos à midi_[226]».


Lettre XVIIe.

20 octobre 1893.

MA SŒUR CHÉRIE,

Je trouve dans les Cantiques sacrés ce passage qui te convient
parfaitement: «_Que voyez-vous dans l'épouse, sinon un chœur de
musique dans un camp d'armée[227]?_» Par la souffrance, ta vie est en
effet un champ de bataille; il y faut un chœur de musique, eh bien!
tu seras la petite lyre de Jésus. Mais un concert est-il complet quand
personne ne chante? Puisque Jésus joue, ne faut-il pas que Céline
chante? Quand l'air sera triste, elle chantera les cantiques de l'exil;
quand l'air sera joyeux, elle modulera quelques refrains d'en haut...

Tout ce qui arrivera d'heureux ou de fâcheux, tous les événements de la
terre ne seront que des bruits lointains, incapables de faire vibrer la
lyre de Jésus; seul, il se réserve le droit d'en toucher légèrement les
cordes.

Je ne puis penser sans ravissement à la chère petite sainte Cécile; quel
modèle! Au milieu d'un monde païen, au sein du danger, au moment d'être
unie à un mortel qui ne respire que l'amour profane, il me semble
qu'elle aurait dû trembler et pleurer. Mais non, _tandis que les
instruments de joie célébraient ses noces, Cécile chantait en son
cœur_[228]. Quel abandon! Elle entendait sans doute d'autres mélodies
que celles de la terre, son Epoux divin chantait lui aussi, et les Anges
répétaient en chœur ce refrain d'une nuit bénie: «_Gloire à Dieu au
plus haut des cieux et paix sur la terre aux âmes de bonne
volonté._»[229]

La gloire de Dieu! Oh! Cécile la comprenait, elle l'appelait de tous ses
vœux, elle devinait que son Jésus avait soif des âmes... C'est
pourquoi tout son désir était de lui amener bientôt celle du jeune
Romain qui ne songeait qu'à la gloire humaine; cette vierge sage en fera
un martyr, et des multitudes marcheront sur ses traces. Elle ne craint
rien: les Anges ont promis et chanté la paix; elle sait que le Prince de
la paix est obligé de la protéger, de garder sa virginité et de lui
donner sa récompense. «_Oh! qu'elle est belle la génération des âmes
vierges[230]!_»

Ma sœur chérie, je ne sais trop ce que je te dis, je me laisse aller
au courant de mon cœur. Tu m'écris que tu sens ta faiblesse, c'est
une grâce; c'est Nôtre-Seigneur qui imprime en ton âme ces sentiments de
défiance de toi-même. Ne crains pas; si tu restes fidèle à lui faire
plaisir dans les petites occasions, il se trouvera obligé de t'aider
dans les grandes.

Les Apôtres, sans lui, travaillèrent longtemps, toute une nuit, sans
prendre aucun poisson; leur travail pourtant lui était agréable, mais il
voulait prouver que lui seul peut nous donner quelque chose. Il
demandait seulement un acte d'humilité: «_Enfants, n'avez-vous rien à
manger[231]?_» et le bon saint Pierre avoue son impuissance: «_Seigneur,
nous avons péché toute la nuit sans rien prendre[232]!_» C'est assez! le
Cœur de Jésus est touché, il est ému... Peut-être que si l'apôtre eût
pris quelques petits poissons, le divin Maître n'aurait pas fait de
miracle; mais il n'avait _rien_, aussi par la puissance et la bonté
divines ses filets furent bientôt remplis de gros poissons!

Voilà bien le caractère de Nôtre-Seigneur: il donne en Dieu, mais il
veut l'humilité du cœur.


Lettre XVIIIe.

7 juillet 1894.

MA CHÈRE PETITE SŒUR,

Je ne sais pas si tu te trouves encore dans les mêmes dispositions
d'esprit que tu manifestais dans ta dernière lettre; je le suppose, et
j'y réponds par ce passage du _Cantique des Cantiques_ qui explique
parfaitement l'état d'une âme plongée dans la sécheresse, d'une âme que
rien ne peut réjouir ni consoler:

«_Je suis descendue dans le jardin des noyers, pour voir les fruits de
la vallée, pour considérer si la vigne a fleuri et si les pommes de
grenade ont poussé. Je n'ai plus su où j'étais; mon âme a été troublée à
cause des chariots d'Aminadab._»[233]

Voilà bien l'image de nos âmes. Souvent nous descendons dans les vallées
fertiles où notre cœur aime à se nourrir; et le vaste champ des
saintes Ecritures, qui tant de fois s'est ouvert pour répandre en notre
faveur ses plus riches trésors, ce champ lui-même nous semble un désert
aride et sans eau; nous ne savons même plus où nous sommes: au lieu de
la paix, de la lumière, le trouble et les ténèbres sont notre partage...

Mais, comme l'épouse, nous connaissons la cause de cette épreuve:
«_Notre âme est troublée à cause des chariots d'Aminadab._» Nous ne
sommes pas encore dans notre patrie, et la tentation doit nous purifier
comme l'or à l'action du feu; nous nous croyons parfois abandonnées,
hélas! _les chariots_, c'est-à-dire les vains bruits qui nous assiègent
et nous affligent, sont-ils en nous ou en dehors de nous? Nous ne
savons! mais Jésus le sait; il est témoin de notre tristesse, et dans
la nuit soudain sa voix se fait entendre:

«_Reviens, reviens, ma Sulamite, reviens afin que nous le
considérions[234]!_»

Quel appel! Eh quoi! nous n'osions plus même nous regarder, notre état
nous faisait horreur, et Jésus nous appelle pour nous considérer à
loisir... Il veut nous voir, il vient, et les deux autres Personnes
adorables de la Sainte Trinité viennent avec lui prendre possession de
notre âme.

Nôtre-Seigneur l'avait promis autrefois, lorsqu'il disait avec une
tendresse ineffable: «_Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole; et mon
Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre
demeure._»[235] Garder la parole de Jésus, voilà l'unique condition de
notre bonheur, la preuve de notre amour pour lui; et _cette parole_, il
me semble que c'est lui-même, puisqu'il se nomme _le Verbe_ ou _Parole_
incréée du Père.

Dans le même Evangile de saint Jean, il fait cette prière sublime:
«_Sanctifiez-les par votre parole; votre parole est la vérité._»[236] En
un autre endroit, Jésus nous apprend _qu'il est la voie, la vérité et la
vie_[237]. Nous savons donc quelle est la _parole_ à garder; nous ne
pouvons pas dire comme Pilate: «_Qu'est-ce que la vérité[238]?_»--_La
vérité_, nous la possédons, puisque le Bien-Aimé habite dans nos
cœurs.

Souvent _ce Bien-Aimé nous est un bouquet de myrrhe_[239], nous
partageons le calice de ses douleurs; mais qu'il nous sera doux
d'entendre un jour cette parole suave: «_C'est vous qui êtes demeurés
avec moi dans toutes les épreuves que j'ai eues, aussi je vous prépare
mon royaume, comme mon Père me l'a préparé[240]!_»


Lettre XIXe.

19 août 1894.

C'est peut-être la dernière fois, ma chère petite sœur, que je me
sers de la plume pour parler avec toi; le bon Dieu a exaucé mon vœu
le plus cher! Viens, nous souffrirons ensemble... et puis _Jésus prendra
l'une de nous_, et les autres resteront pour un peu de temps dans
l'exil. Ecoute bien ce que je vais te dire: _Jamais, jamais, le bon Dieu
ne nous séparera; si je meurs avant loi, ne crois pas que je
m'éloignerai de ton âme, jamais nous n'aurons été plus unies_. Surtout
ne te fais pas de peine de ma prophétie, c'est un enfantillage! je ne
suis pas malade, j'ai une santé de fer; mais _le Seigneur peut briser le
fer comme l'argile_...

Notre père chéri nous fait sentir sa présence d'une manière qui me
touche profondément. Après une mort de cinq longues années, quelle joie
de le retrouver comme autrefois, et plus paternel encore! Oh! comme il
va te rendre les soins que tu lui as prodigués! Tu as été son ange, il
sera ton ange à son tour. Vois donc, il n'y a pas un mois qu'il est au
ciel, et déjà, par son intervention puissante, toutes tes démarches
réussissent. Maintenant ce lui est chose facile d'arranger nos affaires,
aussi a-t-il eu moins de peine pour sa Céline que pour sa pauvre petite
reine!

Depuis longtemps tu me demandes des nouvelles du noviciat, surtout des
nouvelles de mon métier; je vais te satisfaire:

Je suis _un petit chien de chasse_, et ce titre me donne bien des
sollicitudes, à cause des fonctions qu'il exige, tu en jugeras: toute la
journée, du matin jusqu'au soir, je cours après le gibier. Les
chasseurs--Révérende Mère Prieure et Maîtresse des novices--sont trop
grands pour se couler dans les buissons; tandis qu'un petit chien, ça se
faufile partout... et puis ça a le nez fin! Aussi je veille de près mes
petits lapins; je ne veux pas leur faire de mal; mais je les lèche en
leur disant, tantôt que leur poil n'est pas assez lisse, d'autres fois
que leur regard est trop semblable à celui des lapins de garenne...
enfin je tâche de les rendre tels que le Chasseur le désire: des petits
lapins bien simples, occupés seulement de l'herbette qu'ils doivent
brouter.

Je ris, mais au fond je pense bien sincèrement qu'un de ces petits
lapins--celui que tu connais--vaut mieux cent fois que le petit chien:
il a couru bien des dangers... Je t'avoue qu'à sa place, il y a
longtemps que je me serais perdue pour toujours dans la vaste forêt du
monde.


Lettre XXe.

Je suis heureuse, ma petite Céline, que tu n'éprouves aucun attrait
sensible en venant au Carmel; c'est une délicatesse de Jésus qui veut
recevoir de toi un présent. Il sait qu'il est bien plus doux de donner
que de recevoir. Quel bonheur de souffrir pour celui qui nous aime à la
folie, et de passer pour folles aux yeux du monde! On juge les autres
d'après soi-même, et comme le monde est insensé, naturellement il nous
appelle de ce nom.

Consolons-nous, nous ne sommes pas les premières! Le seul crime reproché
à Notre-Seigneur par Hérode fut celui d'être fou... et franchement
c'était vrai! Oui, c'était de la folie de venir chercher les pauvres
petits cœurs des mortels pour en faire ses trônes, lui, le Roi de
gloire qui est assis au-dessus des Chérubins! N'était-il pas
parfaitement heureux en compagnie de son Père et de l'Esprit d'amour?
Pourquoi venir ici--bas chercher des pécheurs pour en faire ses amis,
ses intimes?

Nous ne pourrons jamais accomplir pour notre Epoux les folies qu'il a
accomplies pour nous; nos actes sont très raisonnables en comparaison
des siens. Que le monde nous laisse tranquilles! Je le répète, c'est lui
qui est insensé, puisqu'il ignore ce que Jésus a fait et souffert pour
le sauver de la damnation.

Nous ne sommes pas non plus des fainéantes, des prodigues; le divin
Maître s'est chargé de notre défense. Ecoute: Il était à table avec
Lazare et ses disciples, Marthe servait; pour Marie, elle ne pensait pas
à prendre de nourriture, mais à faire plaisir à son Bien-Aimé, _aussi
répandit-elle sur la tête du Sauveur un parfum de grand prix, et,
cassant le vase fragile[241], toute la maison fut embaumée de cette
liqueur_[242].

Les Apôtres murmurèrent contre Madeleine; c'est encore ce qui arrive
pour nous: les chrétiens les plus fervents trouvent que nous sommes
exagérées, que nous devrions servir Jésus avec Marthe, au lieu de lui
consacrer les vases de nos vies avec les parfums qui y sont renfermés.
Et cependant, qu'importe que ces vases soient brisés, puisque
Notre-Seigneur est consolé, et que, malgré lui, le monde est contraint
de sentir les parfums qui s'en exhalent! Oh! ces parfums sont bien
nécessaires pour purifier l'atmosphère malsaine qu'il respire.

A bientôt, ma sœur chérie. Voici ta barque près du port; le vent qui
la pousse est un vent d'amour, et ce vent-là est plus rapide que
l'éclair! Adieu! dans quelques jours nous serons réunies au Carmel, puis
là-haut! Jésus n'a-t-il pas dit pendant sa Passion: «_Au reste vous
verre BIENTÔT le Fils de l'homme assis à la droite de Dieu et venant sur
les nuées du ciel[243]?_»

Nous y serons!!!

TA THÉRÈSE.


[Illustration: THÉRÈSE ET CÉLINE

AUX BUISSONNETS

    _Alors nos voix étaient mêlées,_
    _Nos mains l'une à l'autre enchaînées;_
    _Ensemble, chantant les noces sacrées,_
    _Déjà nous rêvions le Carmel,_
    _Le Ciel!_
]



Lettres à la Rde Mère Agnès de Jésus.

FRAGMENTS


Lettre Ire.

_Quelques mois avant l'entrée de Thérèse au Carmel._

1887.

MA PETITE MAMAN CHÉRIE,

Tu as raison de dire que la goutte de fiel doit être mêlée à tous les
calices, mais je trouve que les épreuves aident beaucoup à se détacher
de la terre; elles font regarder plus haut que ce monde. Ici-bas rien ne
peut nous satisfaire; on ne goûte un peu de repos qu'en étant prête à
faire la volonté du bon Dieu.

Ma nacelle a bien de la peine à atteindre le port. Depuis longtemps je
l'aperçois, et toujours je m'en trouve éloignée; mais Jésus la guide,
cette petite nacelle, et je suis sûre qu'au jour choisi par lui, elle
abordera heureusement au rivage béni du Carmel. O Pauline! quand Jésus
m'aura fait cette grâce, je veux me donner tout entière à lui, toujours
souffrir pour lui, ne plus vivre que pour lui. Oh non! je ne craindrai
pas ses coups, car, même dans les souffrances les plus amères, on sent
que c'est sa douce main qui frappe.

Et quand je pense que, pour une souffrance supportée avec joie, nous
aimerons davantage le bon Dieu toujours! Ah! si au moment de ma mort je
pouvais avoir une âme à offrir à Jésus, que je serais heureuse! Il y
aurait une âme de moins dans l'enfer, une de plus à bénir le bon Dieu
toute l'éternité!


Lettre IIe.

_Pendant sa retraite de Prise d'Habit._

Janvier 1889.

Dans mes rapports avec Jésus, rien: sécheresse! sommeil! Puisque mon
Bien-Aimé veut dormir, je ne l'en empêcherai pas; je suis trop heureuse
de voir qu'il ne me traite point comme une étrangère, qu'il ne se gêne
pas avec moi. Il crible _sa petite balle_ de piqûres d'épingles bien
douloureuses. Quand c'est ce doux Ami qui perce lui-même sa balle, la
souffrance n'est que douceur, sa main est si douce! Quelle différence
avec celle des créatures!

Je suis pourtant heureuse, oui, bien heureuse de souffrir! Si Jésus ne
perce pas directement sa petite balle, c'est bien lui qui conduit la
main qui la blesse! O ma Mère, si vous saviez jusqu'à quel point je veux
être indifférente aux choses de la terré! Que m'importent toutes les
beautés créées? Je serais bien malheureuse si je les possédais! Ah! que
mon cœur me paraît grand, quand je le considère par rapport aux biens
de ce monde, puisque tous réunis ne pourraient le contenter; mais quand
je le considère par rapport à Jésus, comme il me semble petit!

Qu'il est bon pour moi Celui qui sera bientôt mon Fiancé! qu'il est
divinement aimable en ne permettant pas que je me laisse captiver par
aucune chose d'ici-bas! Il sait bien que, s'il m'envoyait seulement une
ombre de bonheur, je m'y attacherais avec toute l'énergie, toute la
force de mon cœur; et cette ombre il me la refuse!... Il préfère me
laisser dans les ténèbres, plutôt que de me donner une fausse lueur qui
ne serait pas Lui.

Je ne veux pas que les créatures aient un seul atome de mon amour; je
veux tout donner à Jésus, puisqu'il me fait comprendre que lui seul est
le bonheur parfait. Tout sera pour lui, tout! Et même quand je n'aurai
rien à lui offrir, comme ce soir, je lui donnerai ce rien...


Lettre IIIe.

1889.

       *       *       *       *       *

Oui, je les désire ces blessures de cœur, ces coups d'épingle qui
font tant souffrir!... A toutes les extases, je préfère le sacrifice.
C'est là qu'est le bonheur pour moi, je ne le trouve nulle part
ailleurs. _Le petit roseau_ n'a pas peur de se rompre, car il est planté
au bord des eaux de l'amour; aussi, lorsqu'il plie, cette onde
bienfaisante le fortifie et lui fait désirer qu'un autre orage vienne à
nouveau courber sa tête. _C'est ma faiblesse qui fait toute ma force._
Je ne puis me briser, puisque quelque chose qui m'arrive, je ne vois que
la douce main de Jésus.

Rien de trop à souffrir pour conquérir la palme!


Lettre IVe.

_Pendant sa retraite de Profession._

Septembre 1890.

MA MÈRE CHÉRIE,

Il faut que votre petit solitaire vous donne l'itinéraire de son
voyage.

Avant de partir, mon Fiancé m'a demandé dans quel pays je voulais
voyager, quelle route je désirais suivre. Je lui ai répondu que je
n'avais qu'un seul désir, celui de me rendre _au sommet de la Montagne
de l'_AMOUR.

Aussitôt, des routes nombreuses s'offrirent à mes regards; mais il y en
avait tant de parfaites que je me vis incapable d'en choisir aucune de
mon plein gré. Je dis alors à mon divin Guide: Vous savez où je désire
me rendre, vous savez pour qui je veux gravir la montagne, vous
connaissez Celui que j'aime et que je veux contenter uniquement. C'est
pour lui seul que j'entreprends ce voyage, menez-moi donc par les
sentiers de son choix; pourvu qu'il soit content, je serai au comble du
bonheur.

Et Notre-Seigneur me prit par la main et me fit entrer dans un
souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où le soleil ne luit pas, où
la pluie et le vent n'ont pas d'accès; un souterrain où je ne vois rien
qu'une clarté à demi voilée, la clarté que répandent autour d'eux les
yeux baissés de la Face de Jésus.

Mon Fiancé ne me dit rien, et moi je ne lui dis rien non plus, sinon que
je l'aime plus que moi, et je sens au fond de mon cœur qu'il en est
ainsi, car je suis plus à lui qu'à moi.

Je ne vois pas que nous avancions vers le but de notre voyage, puisqu'il
s'effectue sous terre; et pourtant il me semble, sans savoir comment,
que nous approchons du sommet de la montagne.

Je remercie mon Jésus de me faire marcher dans les ténèbres; j'y suis
dans une paix profonde. Volontiers je consens à rester toute ma vie
religieuse dans ce souterrain obscur où il m'a fait entrer; je désire
seulement que mes ténèbres obtiennent la lumière aux pécheurs.

Je suis heureuse, oui, bien heureuse de n'avoir aucune consolation;
j'aurais honte que mon amour ressemblât à celui des fiancées de la
terre qui regardent toujours aux mains de leurs fiancés pour voir s'ils
ne leur apportent pas quelque présent; ou bien à leur visage, pour y
surprendre un sourire d'amour qui les ravit.

Thérèse, la petite fiancée de Jésus, aime Jésus pour lui-même; elle ne
veut regarder le visage de son Bien-Aimé qu'afin d'y surprendre des
larmes qui la ravissent par leurs charmes cachés. Ces larmes, elle veut
les essuyer, elle veut les recueillir, comme des diamants inestimables,
pour en broder sa robe de noces.

_Jésus! Je voudrais tant l'aimer! L'aimer comme jamais il n'a été
aimé_...

Atout prix, je veux cueillir la palme d'Agnès; _si ce n'est par le sang,
il faut que ce soit par l'_AMOUR...


Lettre Ve.

1890.

L'amour peut suppléer à une longue vie. Jésus ne regarde pas au temps
puisqu'il est éternel. _Il ne regarde qu'à l'amour._ O ma petite Mère,
demandez-lui de m'en donner beaucoup! Je ne désire pas l'amour sensible;
pourvu qu'il soit sensible pour Jésus, cela me suffit. Oh! l'aimer et le
faire aimer, que c'est doux! Dites-lui de me prendre le jour de ma
Profession si je dois encore l'offenser, car je voudrais emporter au
Ciel la robe blanche de mon second baptême, sans aucune souillure. Jésus
peut m'accorder la grâce de ne plus l'offenser ou bien de ne faire que
des fautes _qui ne l'offensent pas_. qui ne lui fassent pas de peine,
mais ne servent qu'à m'humilier et à rendre mon amour plus fort.

Il n'y a aucun appui à chercher hors de Jésus. Lui seul est immuable.
Quel bonheur de penser qu'il ne peut changer!


Lettre VIe.

1891.

MA PETITE MÈRE CHÉRIE,

Oh! que votre lettre m'a fait de bien! Ce passage a été lumineux pour
mon âme: «_Retenons une parole qui pourrait nous élever aux yeux des
autres._» Oui, il faut tout garder pour Jésus avec un soin jaloux; c'est
si bon de travailler pour lui tout seul! Alors, comme le cœur est
rempli de joie! comme l'âme est légère!...

Demandez à Jésus que _son grain de sable_ lui sauve beaucoup d'âmes en
peu de temps, pour voler plus promptement vers sa Face adorée.


Lettre VIIe.

1892.

Voici le rêve d'_un grain de sable_: Jésus seul!... rien que lui! Le
grain de sable est si petit que, s'il voulait ouvrir son cœur à un
autre qu'à Jésus, il n'y aurait plus de place pour ce Bien-Aimé.

Quel bonheur d'être si bien cachées que personne ne pense à nous, d'être
inconnues, même aux personnes qui vivent avec nous! O ma petite Mère!
comme je désire être inconnue de toutes les créatures! Je n'ai jamais
désiré la gloire humaine, le mépris avait eu de l'attrait pour mon
cœur; mais, ayant reconnu que c'était encore trop glorieux pour moi,
je me suis passionnée pour l'oubli.

La gloire de mon Jésus, voilà toute mon ambition; la mienne, je la lui
abandonne; et s'il semble m'oublier, eh bien! il est libre, puisque je
ne suis plus à moi, mais à Lui. Il se lassera plus vite de me faire
attendre que moi de l'attendre!


Lettre VIIIe.

28 mai 1897.

     _Ce jour-là, tandis que sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus souffrait
     d'un fort accès de fièvre, une de nos sœurs vint lui demander
     son concours immédiat pour un travail de peinture difficile à
     exécuter; un instant, son visage trahit le combat intérieur, ce
     dont s'aperçut Mère Agnès de Jésus qui était présente. Le soir,
     Thérèse lui écrivit cette lettre:_

MA MÈRE BIEN-AIMÉE,

Tout à l'heure votre enfant a versé de douces larmes; des larmes de
repentir, mais plus encore de reconnaissance et d'amour. Aujourd'hui je
vous ai montré ma vertu, mes trésors de patience! Et moi qui prêche si
bien les autres! Je suis contente que vous ayez vu mon imperfection.
Vous ne m'avez pas grondée... cependant je le méritais; mais en toute
circonstance, votre douceur m'en dit plus long que des paroles sévères;
vous êtes pour moi l'image de la divine miséricorde.

Oui, mais Sœur ***, au contraire, est ordinairement l'image de la
sévérité du bon Dieu. Eh bien, je viens de la rencontrer. Au lieu de
passer froidement près de moi, elle m'a embrassée en médisant: «Pauvre
petite sœur, vous m'avez fait pitié! Je ne veux pas vous fatiguer,
laissez l'ouvrage que je vous ai demandé, j'ai eu tort.»

Moi qui sentais dans mon cœur la contrition parfaite, je fus bien
surprise de ne recevoir aucun reproche. Je sais bien qu'au fond elle
doit me trouver imparfaite; c'est parce qu'elle croit à ma mort
prochaine qu'elle m'a ainsi parlé. Mais n'importe, je n'ai entendu que
des paroles douces et tendres sortir de sa bouche; alors je l'ai trouvée
bien bonne, et moi je me suis trouvée bien méchante!

En rentrant dans notre cellule, je me demandais ce que Jésus pensait de
moi. Aussitôt, je me suis rappelé ce qu'il dit un jour à la femme
adultère: «Quelqu'un t'a-t-il condamnée[244]?» Et moi, les larmes aux
yeux, je lui ai répondu: «Personne, Seigneur... ni ma petite Mère, image
de votre tendresse, ni ma Sœur ***, image de votre justice; et je
sens bien que je puis aller en paix, car vous ne me condamnerez pas non
plus!»

O ma Mère bien-aimée, je vous l'avoue, je suis bien plus heureuse
d'avoir été imparfaite que si, soutenue par la grâce, j'avais été un
modèle de patience. Cela me fait tant de bien de voir que Jésus est
toujours aussi doux, aussi tendre pour moi. Vraiment, il y a de quoi
mourir de reconnaissance et d'amour.

Ma petite Mère, vous comprendrez que, ce soir, le vase de la miséricorde
divine a débordé pour votre enfant. _Ah! dès à présent, je le reconnais:
oui, toutes mes espérances seront comblées... oui, le Seigneur fera pour
moi des merveilles qui surpasseront infiniment mes immenses désirs_...



Lettres à Sœur Marie du Sacré-Cœur.


Lettre Ire.

21 février 1888.

MA CHÈRE MARIE,

Si tu savais le cadeau que papa m'a fait la semaine dernière!... Je
crois que si je te le donnais en cent, et même en mille, tu ne le
devinerais pas. Eh bien! ce bon petit père m'a acheté un petit agneau
d'un jour, tout blanc et tout frisé. Il m'a dit, en me l'offrant, qu'il
voulait, avant mon entrée au Carmel, me faire le plaisir d'avoir un
petit agneau. Tout le monde était heureux, Céline était ravie. Ce qui
surtout m'avait touchée, c'était la bonté de papa en me le donnant; et
puis, un agneau, c'est si symbolique! il me faisait penser à Pauline.

Jusqu'ici tout va bien, tout est ravissant; mais il faut attendre la
fin. Déjà, nous faisions des châteaux en Espagne, nous nous attendions à
voir notre agneau bondir autour de nous, au bout de deux ou trois jours;
mais hélas! la jolie petite bête est morte dans l'après-midi. Pauvre
petite! à peine née, elle a souffert, puis elle est morte.

Elle était si gentille, elle avait l'air si innocent que Céline a fait
son portrait; puis, papa a creusé une fosse dans laquelle on a mis le
petit agneau qui semblait dormir; je n'ai pas voulu que la terre le
recouvrît: nous avons jeté de la neige sur lui et puis tout a été
fini...

Tu ne sais pas, ma chère marraine, combien la mort de ce petit animal
m'a donné à réfléchir. Oh! oui, sur la terre il ne faut s'attacher à
rien, pas même aux choses les plus innocentes, car elles nous manquent
au moment où nous y pensons le moins. Seul ce qui est éternel peut nous
contenter.


Lettre IIe.

_Pendant sa retraite de Prise d'Habit._

8 janvier 1889.

Ma sœur chérie, votre _petit agnelet_--comme vous aimez à
m'appeler--voudrait vous emprunter un peu de force et de courage. Il ne
peut rien dire à Jésus; et surtout, Jésus ne lui dit absolument rien.
Priez pour moi, afin que ma retraite plaise quand même au Cœur de
Celui qui seul lit au plus profond de l'âme!

La vie est pleine de sacrifices, c'est vrai; mais pourquoi y chercher du
bonheur? N'est-ce pas simplement «_une nuit à passer dans une mauvaise
hôtellerie_», comme le dit notre Mère sainte Thérèse?

Je vous avoue que mon cœur a une soif ardente de bonheur; mais je
vois bien que nulle créature n'est capable de l'étancher! Au contraire,
plus je boirais à cette source enchanteresse, plus ma soif serait
brûlante.

Je connais une source «_où, après avoir bu, on a soif encore_[245]»:
mais d'une soif très douce, d'une soif que l'on peut toujours
satisfaire: cette source, c'est la souffrance connue de Jésus seul!...


Lettre IIIe.

14 août 1889.

Vous voulez un mot de votre petit agnelet. Que voulez-vous qu'il vous
dise? N'a-t-il pas été instruit par vous? Rappelez-vous le temps où, me
tenant sur vos genoux, vous me parliez du Ciel...

Je vous entends encore me dire: «Regarde ceux qui veulent s'enrichir,
vois quel mal ils se donnent pour gagner de l'argent; et nous, ma petite
Thérèse, nous pouvons à chaque instant, et sans prendre tant de peine,
acquérir des trésors pour le Ciel; nous pouvons ramasser des diamants
comme avec un râteau! Pour cela, il suffit de faire toutes nos actions
par amour pour le bon Dieu.» Et je m'en allais le cœur rempli de joie
et du désir d'amasser aussi de grands trésors. Le temps a fui, depuis
ces heureux moments écoulés dans notre doux nid. Jésus est venu nous
visiter, il nous a trouvées dignes de passer par le creuset de la
souffrance.

Le bon Dieu nous dit qu'au dernier jour «_il essuiera toutes les larmes
de nos yeux_[246]»; et, sans doute, plus il y aura de larmes à essuyer,
plus la consolation sera grande...

Priez bien, demain, pour la petite fille que vous avez élevée et qui,
sans vous, ne serait peut-être pas au Carmel.


Lettre IVe.

_Pendant sa Retraite de Profession._

4 septembre 1890.

Votre petite fille n'entend guère les harmonies célestes: son voyage de
noces est bien aride! Son Fiancé, il est vrai, lui fait parcourir des
pays fertiles et magnifiques; mais la nuit l'empêche de rien admirer et
surtout de jouir de toutes ces merveilles.

Vous allez peut-être croire qu'elle s'en afflige? Mais non, au
contraire, elle est heureuse de suivre son Fiancé pour Lui seul et non à
cause de ses dons. Lui seul, il est si beau! si ravissant! même quand il
se tait, même quand il se cache!

Comprenez votre petite fille: elle est lasse des consolations de la
terre, elle ne veut plus que son Bien-Aimé.

Je crois que le travail de Jésus, pendant cette retraite, a été de me
détacher de tout ce qui n'est pas lui. Ma seule consolation est une
force et une paix très grandes; et puis, j'espère être comme Jésus veut
que je sois: c'est ce qui fait tout mon bonheur.

Si vous saviez combien ma joie est grande de n'en avoir aucune pour
faire plaisir à Jésus! C'est de la joie raffinée, bien qu'elle ne soit
nullement sentie!


Lettre Ve.

7 septembre 1890.

Demain je serai l'épouse de Jésus, de Celui dont le «_Visage était caché
et que personne n'a reconnu_[247]!» Quelle alliance et quel avenir! Que
faire pour le remercier, pour me rendre moins indigne d'une telle
faveur?...

... Que j'ai soif du Ciel, de ce séjour bienheureux où l'on aimera Jésus
sans réserve! Mais il faut souffrir et pleurer pour y arriver; eh bien!
je veux souffrir tout ce qu'il plaira à mon Bien-Aimé, je veux le
laisser faire de sa petite balle tout ce qu'il désire.

Ma Marraine chérie, vous me dites que mon petit Jésus est très bien paré
pour le jour de mes noces; vous vous demandez seulement pourquoi je ne
lui ai pas mis les bougies roses neuves? Les autres m'en disent plus
long à l'âme: elles ont commencé à brûler le jour de ma Prise d'habit,
alors elles étaient fraîches et roses; papa, qui me les avait données,
était là, et tout était joie! Mais maintenant, la couleur de rose est
passée..... Y a-t-il encore ici-bas des joies couleur de rose pour votre
petite Thérèse? Oh! non, il n'y a plus pour elle que des joies célestes,
des joies où tout le créé, qui n'est rien, fait place à l'incréé qui est
la réalité...


Lettre VIe.

17 septembre 1896.

Ma sœur bien-aimée, je ne suis pas embarrassée pour vous répondre...
Comment pouvez-vous me demander s'il vous est possible d'aimer le bon
Dieu comme je l'aime?... Mes désirs du martyre ne sont rien; je ne leur
dois pas la confiance illimitée que je sens en mon cœur. A vrai dire,
on peut les appeler ces richesses spirituelles _qui rendent
injuste_[248], lorsqu'on s'y repose avec complaisance, et que l'on croit
qu'ils sont quelque chose de grand... Ces désirs sont une consolation
que Jésus accorde parfois aux âmes faibles comme la mienne--et ces âmes
sont nombreuses.--Mais, lorsqu'il ne donne pas cette consolation, c'est
une grâce de privilège; rappelez-vous ces paroles d'un saint religieux:
«Les martyrs ont souffert avec joie et le Roi des Martyrs a souffert
avec tristesse!» Oui, Jésus a dit: «_Mon Père, éloignez de moi ce
calice._»[249] Comment pouvez-vous penser maintenant que mes désirs sont
la marque de mon amour? Ah! je sens bien que ce n'est pas cela du tout
qui plaît au bon Dieu dans ma petite âme. Ce qui lui plaît, c'est de me
voir aimer ma petitesse et ma pauvreté, c'est l'espérance aveugle que
j'ai en sa miséricorde... Voilà mon seul trésor, Marraine chérie,
pourquoi ce trésor ne serait-il pas le vôtre?

N'êtes-vous pas prête à souffrir tout ce que le bon Dieu voudra? Oui, je
le sais bien; alors, si vous désirez sentir de la joie, avoir de
l'attrait pour la souffrance, c'est donc votre consolation que vous
cherchez, puisque, lorsqu'on aime une chose, la peine disparaît. Je vous
assure que si nous allions ensemble au martyre, vous auriez un grand
mérite, et moi je n'en aurais aucun, à moins qu'il ne plaise à Jésus de
changer mes dispositions.

O ma sœur chérie, je vous en prie, comprenez-moi! comprenez que pour
aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible et misérable,
plus on est propre aux opérations de cet amour consumant et
transformant... Le seul désir d'être victime suffit; mais il faut
consentir à rester toujours pauvre et sans force, et voilà le difficile,
car _le véritable pauvre d'esprit, où le trouver? Il faut le chercher
bien loin_[250], dit l'auteur de l'Imitation... Il ne dit pas qu'il faut
le chercher parmi les grandes âmes, mais bien loin, c'est-à-dire dans la
bassesse, dans le néant... Ah! restons donc _bien loin_ de tout ce qui
brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir; alors nous
serons pauvres d'esprit, et Jésus viendra nous chercher, si loin que
nous soyons; il nous transformera en flammes d'amour!... Oh! que je
voudrais pouvoir vous faire comprendre ce que je sens! C'est la
confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour...
La crainte ne conduit-elle pas à la justice sévère telle qu'on la
représente aux pécheurs? Mais ce n'est pas cette justice que Jésus aura
pour ceux qui l'aiment.

Le bon Dieu ne vous donnerait pas ce désir d'être possédée par son Amour
miséricordieux, s'il ne vous réservait cette faveur; ou plutôt, il vous
l'a déjà faite, puisque vous êtes toute livrée à Lui, puisque vous
désirez être consumée par Lui, et que jamais le bon Dieu ne donne de
désirs qu'il ne veuille réaliser.

Puisque nous voyons la voie, courons ensemble. Je le sens, Jésus veut
nous faire les mêmes grâces, il veut nous donner gratuitement son Ciel.

Marraine chérie, vous voudriez encore entendre les secrets que Jésus
confie à votre petite fille; mais la parole humaine est impuissante à
redire des choses que le cœur humain peut à peine pressentir.
D'ailleurs, ses secrets, Jésus vous les confie aussi, car c'est vous qui
m'avez appris à recueillir ses divins enseignements; c'est vous qui, en
mon nom, avez promis au jour de mon baptême que je ne voulais servir que
Lui seul; vous avez été l'ange qui m'a conduite et guidée sur la route
de l'exil, c'est vous qui m'avez offerte au Seigneur! Aussi je vous aime
comme une enfant sait aimer sa mère; au ciel seulement vous connaîtrez
toute la reconnaissance qui déborde de mon cœur.

Votre petite fille,

_Thérèse de l'Enfant-Jésus_.



Lettres à Sœur Françoise-Thérèse[251].


Lettre Ire.

13 août 1893.

CHÈRE PETITE SŒUR _Thérèse_,

Tes vœux sont donc comblés! Comme la colombe sortie de l'arche, tu ne
pouvais trouver sur la terre du monde où poser le pied, tu as volé
longtemps, cherchant à rentrer dans la demeure bénie où ton cœur
avait pour jamais fixé son séjour. Jésus s'est fait attendre, mais enfin
les gémissements de sa colombe l'ont touché, il a étendu sa main divine,
il l'a prise et l'a placée dans son Cœur, dans le tabernacle de son
amour.

Ah! sans doute, ma joie est toute spirituelle puisque désormais je ne
dois plus te revoir ici-bas, je ne dois plus entendre ta voix en
épanchant mon cœur dans le tien. Mais je sais que la terre est un
lieu de passage, nous sommes des voyageurs qui cheminons vers notre
patrie; qu'importe si la route que nous suivons n'est pas absolument la
même, puisque notre terme unique c'est le Ciel, où nous serons réunies
pour ne plus nous quitter. C'est là que nous goûterons éternellement les
joies de la famille... Que de choses nous aurons à nous dire après
l'exil de cette vie! Ici-bas la parole est impuissante, mais là-haut un
seul regard suffira pour nous comprendre et, je le crois, notre joie
sera encore plus grande que si jamais nous ne nous étions séparées.

En attendant, il nous faut vivre de sacrifices, sans cela la vie
religieuse serait-elle méritoire? Non, n'est-ce pas! Comme on nous le
disait dans une instruction: «Si les chênes des forêts atteignent une si
grande hauteur, c'est parce que, pressés de tous côtés, ils ne dépensent
pas leur sève à pousser des branches à droite et à gauche, mais
s'élèvent droit vers le ciel. Ainsi, dans la vie religieuse, l'âme se
trouve pressée de toutes parts par sa règle, par l'exercice de la vie
commune, et il faut que tout lui devienne un moyen de s'élever très haut
vers les Cieux.»

Ma sœur bien-aimée, prie pour ta petite Thérèse afin qu'elle profite
de l'exil de la terre et des moyens abondants qu'elle a pour mériter le
Ciel...


Lettre IIe.

Janvier 1895.

CHÈRE PETITE SŒUR,

Comme l'année qui vient de s'écouler a été fructueuse pour le Ciel!...
Notre père chéri a vu ce que «l'œil de l'homme ne peut contempler»,
il a entendu l'harmonie des anges... et son cœur comprend, son âme
jouit des récompenses que Dieu a préparées à ceux qui l'aiment!...
Notre tour viendra aussi; oh! qu'il est doux de penser que nous voguons
vers l'éternel rivage!

Ne trouves-tu pas, comme moi, que le départ de notre père bien-aimé nous
a rapprochées des Cieux? Plus de la moitié de la famille jouit
maintenant de la vue de Dieu, et les cinq exilées ne tarderont pas à
s'envoler vers leur Patrie. Cette pensée de la brièveté de la vie me
donne du courage, elle m'aide à supporter les fatigues du chemin.
«Qu'importe un peu de travail sur la terre, nous passons et n'avons
point ici de demeure permanente[252]!»

       *       *       *       *       *

Pense à ta Thérèse pendant ce mois consacré à l'Enfant-Jésus,
demande-lui qu'elle reste toujours petite, toute petite!... Je lui ferai
pour toi la même prière, car je connais tes désirs et je sais que
l'humilité est ta vertu préférée.

Laquelle des _Thérèse_ sera la plus fervente? Celle qui sera la plus
humble, la plus unie à Jésus, la plus fidèle à faire toutes ses actions
par amour. Ne laissons passer aucun sacrifice, tout est si grand dans la
vie religieuse... Ramasser une épingle par amour peut convertir une âme!
C'est Jésus qui seul peut donner un tel prix à nos actions, aimons-le
donc de toutes nos forces...


Lettre IIIe.

12 juillet 1896.

MA CHÈRE PETITE LÉONIE,

J'aurais répondu à ta lettre dimanche dernier, si elle m'avait été
donnée; mais tu sais qu'étant la plus petite, je suis exposée à ne voir
les lettres que bien après mes sœurs, ou même pas du tout... Ce
n'est que vendredi que j'ai lu la tienne, ainsi pardonne-moi si je suis
en retard.

Oui, tu as raison, Jésus se contente d'un regard, d'un soupir d'amour.
Pour moi, je trouve la perfection bien facile à pratiquer, parce que
j'ai compris qu'il n'y a qu'à prendre Jésus par le cœur. Regarde un
petit enfant qui vient de fâcher sa mère, soit en se mettant en colère
ou bien en lui désobéissant; s'il se cache dans un coin avec un air
boudeur et qu'il crie dans la crainte d'être puni, sa maman ne lui
pardonnera certainement pas sa faute; mais s'il vient lui tendre ses
petits bras en disant: «Embrasse-moi, je ne recommencerai plus», est-ce
que sa mère ne le pressera pas aussitôt sur son cœur avec tendresse,
oubliant tout ce qu'il a fait?... Cependant elle sait bien que son cher
petit recommencera à la prochaine occasion, mais cela ne fait rien, et,
s'il la prend encore par le cœur, jamais il ne sera puni.

Au temps de la loi de crainte, avant la venue de Notre-Seigneur, le
prophète Isaïe disait déjà en parlant au nom du Roi des Cieux: «Une mère
peut-elle oublier son enfant?... Eh bien! quand même une mère oublierait
son enfant, moi, je ne vous oublierai jamais[253].» Quelle ravissante
promesse! Ah! nous qui vivons sous la loi d'amour, comment ne pas
profiter des amoureuses avances que nous fait notre Epoux? Comment
craindre Celui _qui se laisse enchaîner par un cheveu qui vole sur notre
cou_[254]? Sachons donc le retenir prisonnier, ce Dieu qui devient le
mendiant de notre amour. En nous disant que c'est un cheveu qui peut
opérer ce prodige, il nous montre que les plus petites actions faites
par amour sont celles qui charment son Cœur. Ah! s'il fallait faire
de grandes choses, combien serions-nous à plaindre! Mais que nous
sommes heureuses, puisque Jésus se laisse enchaîner par les plus
petites!... Ce ne sont pas les petits sacrifices qui te manquent, ma
chère Léonie, ta vie n'en est-elle pas composée? Je me réjouis de te
voir en face d'un pareil trésor et surtout en pensant que tu sais en
profiter, non seulement pour toi, mais encore pour les pauvres pécheurs.
Il est si doux d'aider Jésus à sauver les âmes qu'il a rachetées au prix
de son sang, et qui n'attendent que notre secours pour ne pas tomber
dans l'abîme.

Il me semble que, si nos sacrifices captivent Jésus, nos joies
l'enchaînent aussi; pour cela il suffit de ne pas se concentrer dans un
bonheur égoïste, mais d'offrir à notre Epoux les petites joies qu'il
sème sur le chemin de la vie, pour charmer nos cœurs et les élever
jusqu'à lui.

Tu me demandes des nouvelles de ma santé. Eh bien, je ne tousse plus du
tout. Es-tu contente? Cela n'empêchera pas le bon Dieu de me prendre
quand il voudra. Puisque je fais tous mes efforts pour être un tout
petit enfant, je n'ai pas de préparatifs à faire. Jésus doit lui-même
payer tous les frais du voyage et le prix d'entrée au Ciel!

Adieu, ma sœur bien-aimée, n'oublie pas, près de lui, la dernière, la
plus pauvre de tes sœurs.


Lettre IVe.

17 juillet 1897.

MA CHÈRE LÉONIE,

Je suis bien heureuse de pouvoir m'entretenir avec toi, il y a quelques
jours je ne pensais plus avoir cette consolation sur la terre; mais le
bon Dieu paraît vouloir prolonger un peu mon exil. Je ne m'en afflige
pas, car je ne voudrais point entrer au Ciel une minute plus tôt par ma
propre volonté. L'unique bonheur ici-bas, c'est de s'appliquer à
toujours trouver délicieuse la part que Jésus nous donne; la tienne est
bien belle, ma chère petite sœur. Si tu veux être une sainte cela te
sera facile, n'aie qu'un seul but: faire plaisir à Jésus, t'unir
toujours plus intimement à lui.

Adieu, ma sœur chérie, je voudrais que la pensée de mon entrée au
Ciel te remplît de joie, puisque je pourrai plus que jamais te prouver
ma tendresse. Dans le Cœur de notre céleste Epoux, nous vivrons de la
même vie, et pour l'éternité je resterai

Ta toute petite sœur,

_Thérèse de l'Enfant-Jésus_.



A sa cousine Marie Guérin.


Lettre Ire.

1888.

Avant de recevoir tes confidences (_à propos des scrupules_), je
pressentais tes angoisses; mon cœur était uni au tien. Puisque tu as
l'humilité de demander des conseils à ta petite Thérèse, elle va te dire
ce qu'elle pense. Tu m'as causé beaucoup de peine en laissant tes
communions, parce que tu en as causé à Jésus. Il faut que le démon soit
bien fin pour tromper ainsi une âme! Ne sais-tu pas, ma chérie, que tu
lui fais atteindre ainsi le but de ses désirs? Il n'ignore pas, le
perfide, qu'il ne peut faire pécher une âme qui veut être toute au bon
Dieu; aussi, s'efforce-t-il seulement de lui persuader qu'elle pèche.
C'est déjà beaucoup; mais, pour sa rage, ce n'est pas encore assez... il
poursuit autre chose: il veut priver Jésus d'un tabernacle aimé. Ne
pouvant entrer, lui, dans ce sanctuaire, il veut du moins qu'il demeure
vide et sans maître. Hélas! que deviendra ce pauvre cœur!... Quand le
diable a réussi à éloigner une âme de la communion, il a tout gagné, et
Jésus pleure!...

O ma petite Marte, pense donc que ce doux Jésus est là, dans le
Tabernacle, exprès pour toi, pour toi seule, qu'il brûle du désir
d'entrer dans ton cœur. N'écoute pas le démon, moque-toi de lui, et
va sans crainte recevoir le Jésus de la paix et de l'amour.

Mais je t'entends dire: Thérèse pense cela parce qu'elle ne sait pas mes
misères... Si, elle sait bien, elle devine tout, elle t'assure que tu
peux aller sans crainte recevoir ton seul Ami véritable. Elle a aussi
passé par le martyre du scrupule, mais Jésus lui a fait la grâce de
communier toujours, alors même qu'elle pensait avoir commis de grands
péchés. Eh bien, je t'assure qu'elle a reconnu que c'était le seul moyen
de se débarrasser du démon; s'il voit qu'il perd son temps, il nous
laisse tranquille.

Non, il est impossible qu'un cœur dont l'unique repos est de
contempler le Tabernacle--et c'est le tien, me dis-tu--offense
Nôtre-Seigneur au point de ne pouvoir le recevoir. _Ce qui offense
Jésus, ce qui le blesse au Cœur, c'est le manque de confiance._

Prie-le beaucoup, afin que tes plus belles années ne se passent pas en
craintes chimériques. Nous n'avons que les courts instants de la vie à
dépenser pour la gloire de Dieu; le diable le sait bien; c'est pour cela
qu'il essaie de nous les faire consumer en travaux inutiles. Petite
sœur chérie, communie souvent, bien souvent, voilà le seul remède si
tu veux guérir.


Lettre IIe.

1894.

Tu ressembles à une petite villageoise qu'un roi puissant demanderait en
mariage, et qui n'oserait accepter sous prétexte qu'elle n'est pas assez
riche, qu'elle est étrangère aux usages de la cour. Mais son royal
fiancé ne connaît-il pas mieux qu'elle sa pauvreté et son ignorance?

Marie, si tu n'es rien, oublies-tu que Jésus est tout? Tu n'as qu'à
perdre ton petit rien dans son infini tout, et à ne plus penser qu'à ce
tout uniquement aimable.

Tu voudrais voir, me dis-tu, le fruit de tes efforts? C'est justement ce
que Jésus veut te cacher. Il se plaît à regarder tout seul ces petits
fruits de vertu que nous lui offrons et qui le consolent.

Tu te trompes, ma chérie, si tu crois que ta Thérèse marche avec ardeur
dans le chemin du sacrifice: elle est faible, bien faible; et, chaque
jour, elle en fait une nouvelle et salutaire expérience. Mais Jésus se
plaît à lui communiquer la science de _se glorifier de ses
infirmités_[255]. C'est une grande grâce que celle-là, et je le prie de
te la donner, car dans ce sentiment se trouvent la paix et le repos du
cœur. Quand on se voit si misérable, on ne veut plus se considérer;
on regarde seulement l'unique Bien-Aimé.

Tu me demandes un moyen pour arriver à la perfection. Je n'en connais
qu'un seul: L'AMOUR. Aimons, puisque notre cœur n'est fait que pour
cela. Parfois, je cherche un autre mot pour exprimer l'amour; mais sur
la terre d'exil, _la parole qui commence et finit_[256] est bien
impuissante à rendre les vibrations de l'âme; il faut donc s'en tenir à
ce mot unique et simple: AIMER.

Mais à qui notre pauvre cœur prodiguera-t-il l'amour? Qui donc sera
assez grand pour recevoir ses trésors? Un être humain saura-t-il les
comprendre? et surtout, pourra-t-il les rendre? Marie, il n'existe qu'un
Etre pour comprendre l'amour: c'est notre JÉSUS; Lui seul peut nous
rendre infiniment plus que nous ne lui donnerons jamais...



A sa cousine Jeanne Guérin.

(Mme La Néele.)


Août 1895.

Il est bien grand, ma chère Jeanne, le sacrifice que Dieu t'a demandé en
appelant au Carmel ta petite Marie; mais souviens-toi «qu'il a promis le
centuple à celui qui, pour son amour, aura quitté son père, ou sa mère,
ou _sa sœur_[257].» Eh bien, puisque tu n'as pas hésité, pour l'amour
de Jésus, à te séparer d'une sœur, chérie au delà de tout ce qu'on
peut dire, il se trouve obligé de tenir sa promesse. Je sais
qu'ordinairement ces paroles sont appliquées aux âmes religieuses;
cependant, je sens au fond de mon cœur qu'elles ont été prononcées
aussi pour les généreux parents, qui font à Dieu le sacrifice d'enfants
plus chers qu'eux-mêmes.



Aux deux missionnaires

ses Frères spirituels.

FRAGMENTS


Lettre Ire.

26 décembre 1895.

Notre-Seigneur ne nous demande jamais de sacrifice au-dessus de nos
forces. Parfois, il est vrai, ce divin Sauveur nous fait sentir toute
l'amertume du calice qu'il présente à notre âme. Lorsqu'il demande le
sacrifice de tout ce qui est le plus cher au monde, il est impossible, à
moins d'une grâce toute particulière, de ne pas s'écrier comme lui au
jardin de l'Agonie: «_Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi_...» Mais
empressons-nous d'ajouter aussi: «_Que votre volonté soit faite et non
la mienne._»[258] Il est bien consolant de penser que Jésus, le divin
Fort, a connu toutes nos faiblesses, qu'il a tremblé à la vue du calice
amer, ce calice qu'il avait autrefois si ardemment désiré.

Monsieur l'Abbé, votre part est vraiment belle, puisque Notre-Seigneur
vous l'a choisie et que, le premier, il a trempé ses lèvres à la coupe
qu'il vous présente. Un saint l'a dit: «_Le plus grand honneur que Dieu
puisse faire à une âme, ce n'est pas de lui donner beaucoup, c'est de
lui demander beaucoup._» Jésus vous traite en privilégié; il veut que,
déjà, vous commenciez votre mission et que, par la souffrance, vous
sauviez des âmes. N'est-ce pas en souffrant, en mourant, que lui-même a
racheté le monde? Je sais que vous aspirez au bonheur de sacrifier votre
vie pour lui; mais le martyre du cœur n'est pas moins fécond que
l'effusion du sang; et, dès maintenant, ce martyre est le vôtre. J'ai
donc bien raison de dire que votre part est belle, qu'elle est digne
d'un apôtre du Christ.


Lettre IIe.

1896.

Travaillons ensemble au salut des âmes; nous n'avons que l'unique jour
de cette vie pour les sauver, et donner ainsi au Seigneur des preuves de
notre amour. Le lendemain de ce jour sera l'éternité; alors Jésus vous
rendra au centuple les joies si douces que vous lui sacrifiez. Il
connaît l'étendue de votre immolation, il sait que la souffrance de ceux
qui vous sont chers augmente encore la vôtre; mais Lui-même a souffert
ce martyre pour sauver nos âmes. Il a quitté sa Mère, il a vu la Vierge
Immaculée debout au pied de la Croix, le cœur transpercé d'un glaive
de douleur; aussi j'espère que notre divin Sauveur consolera votre bonne
mère, et je le lui demande instamment.

Ah! si le divin Maître laissait entrevoir à ceux que vous allez quitter
pour son amour la gloire qu'il vous réserve, la multitude d'âmes qui
formeront votre cortège au Ciel, ils seraient déjà récompensés du grand
sacrifice que votre éloignement va leur causer.


Lettre IIIe.

24 février 1896.

Je vous demande de faire chaque jour pour moi cette petite prière qui
renferme tous mes désirs:

«_Père miséricordieux, au nom de votre doux Jésus, de la sainte Vierge
et des saints, je vous demande d'embraser ma sœur de votre Esprit
d'amour, et de lui accorder la grâce de vous faire beaucoup aimer._»

Si le Seigneur me prend bientôt avec Lui, je vous supplie de continuer
chaque jour la même prière, car je désirerai au Ciel la même chose que
sur la terre: AIMER JÉSUS ET LE FAIRE AIMER.


Lettre IVe.

       *       *       *       *       *

La seule chose que je désire, c'est de voir le bon Dieu aimé; et j'avoue
que si, dans le ciel, je ne pouvais plus travailler pour sa gloire,
_j'aimerais mieux l'exil que la Patrie_.


Lettre Ve.

21 juin 1897.

Vous pouvez chanter les divines miséricordes! elles brillent en vous
dans toute leur splendeur. Vous aimez saint Augustin, sainte Madeleine,
ces âmes auxquelles beaucoup de péchés ont été remis, parce qu'elles ont
beaucoup aimé; moi aussi, je les aime, j'aime leur repentir et surtout
leur amoureuse audace. Lorsque je vois Madeleine s'avancer devant les
nombreux convives de Simon, arroser de ses larmes les pieds de son
Maître adoré, qu'elle touche pour la première fois, je sens que son
cœur a compris les abîmes d'amour et de miséricorde du Cœur de
Jésus, et que, non seulement il est disposé à lui pardonner, mais encore
à lui prodiguer les bienfaits de son intimité divine, à l'élever
jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation.

Ah! mon frère, depuis qu'il m'a été donné de comprendre, moi aussi,
l'amour du Cœur de Jésus, j'avoue qu'il a chassé de mon cœur toute
crainte. Le souvenir de mes fautes m'humilie, me porte à ne jamais
m'appuyer sur ma force qui n'est que faiblesse; mais, plus encore, ce
souvenir me parle de miséricorde et d'amour. Comment, lorsqu'on jette
ses fautes, avec une confiance toute filiale, dans le brasier dévorant
de l'amour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour?

Je sais qu'un grand nombre de saints passèrent leur vie à faire
d'étonnantes mortifications pour expier leurs péchés, mais que
voulez-vous! «_Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père
céleste_[259]...» Jésus l'a dit, et c'est pour cela que je suis la voie
qu'il me trace: je tâche de ne plus m'occuper de moi-même en rien; et ce
que Jésus daigne opérer dans mon âme, je le lui abandonne sans réserve.


Lettre VIe.

1897.

Sur cette terre où tout change, une seule chose reste stable: la
conduite du Roi des Cieux à l'égard de ses amis. Depuis qu'il a levé
l'étendard de la Croix, c'est à son ombre que tous doivent combattre et
remporter la victoire. «_Toute vie de missionnaire est féconde en
croix_», disait Théophane Vénard; et encore: «_Le vrai bonheur est de
souffrir, et, pour vivre, il nous faut mourir._»

Mon frère, les débuts de votre apostolat sont marqués du sceau de la
croix: réjouissez-vous! C'est bien plus par la souffrance et la
persécution que par de brillantes prédications que Jésus veut affermir
son règne dans les âmes.

Vous dites: «Je suis encore un petit enfant qui ne sait pas parler.» Le
Père Mazel, qui fut ordonné prêtre le même jour que vous, ne savait pas
parler non plus; cependant, il a déjà cueilli la palme... Oh! que les
pensées divines sont au-dessus des nôtres!... En apprenant que ce jeune
missionnaire était mort, avant même d'avoir foulé le sol de sa mission,
je me suis sentie portée à l'invoquer; il me semblait le voir au Ciel
dans le glorieux chœur des martyrs. Sans doute, aux yeux des hommes,
il ne mérite pas le titre de martyr; mais, au regard du bon Dieu, ce
sacrifice sans gloire n'est pas moins fécond que ceux des confesseurs de
la foi.

S'il faut être bien pur pour paraître devant le Dieu de toute sainteté,
je sais, moi, qu'il est infiniment juste; et cette justice qui effraie
tant d'âmes fait le sujet de ma joie et de ma confiance. Etre juste, ce
n'est pas seulement exercer la sévérité envers les coupables, c'est
encore reconnaître les intentions droites et récompenser la vertu.
J'espère autant de la justice du bon Dieu que de sa miséricorde; c'est
parce qu'il est juste «_qu'il est compatissant et rempli de douceur,
lent à punir et abondant en miséricorde. Car il connaît notre fragilité,
il se souvient que nous ne sommes que poussière. Comme un père a de la
tendresse pour ses enfants, ainsi le Seigneur a compassion de
nous[260]!_...» O mon frère! en entendant ces belles et consolantes
paroles du Roi-Prophète, comment douter que le bon Dieu ne veuille
ouvrir les portes de son royaume à ses enfants qui l'ont aimé jusqu'à
tout sacrifier pour lui, qui, non seulement, ont quitté leur famille et
leur patrie, pour le faire connaître et aimer, mais encore désirent
donner leur vie pour lui!... Jésus avait bien raison de dire qu'il n'est
pas de plus grand amour que celui-là! Comment donc se laisserait-il
vaincre en générosité? Comment purifierait-il, dans les flammes du
purgatoire, des âmes consumées des feux de l'amour divin?...

Voici bien des phrases pour exprimer ma pensée, ou plutôt pour ne pas
arriver à le faire. Je voulais simplement vous dire que, selon moi, tous
les missionnaires sont martyrs par le désir et la volonté; et que, par
conséquent, pas un ne devrait aller en purgatoire.

Voilà, mon frère, ce que je pense de la justice du bon Dieu; ma voie est
toute de confiance et d'amour, je ne comprends pas les âmes qui ont peur
d'un si tendre Ami. Parfois, lorsque je lis certains traités où la
perfection est montrée à travers mille entraves, mon pauvre petit esprit
se fatigue bien vite, je ferme le savant livre qui me casse la tête et
me dessèche le cœur, et je prends l'Ecriture Sainte. Alors tout me
paraît lumineux, une seule parole découvre à mon âme des horizons
infinis, la perfection me semble facile, je vois qu'il suffit de
reconnaître son néant et de s'abandonner, comme un enfant, dans les bras
du bon Dieu. Laissant aux grandes âmes, aux esprits sublimes les beaux
livres que je ne puis comprendre, encore moins mettre en pratique, je me
réjouis d'être petite, puisque «_les enfants seuls et ceux qui leur
ressemblent seront admis au banquet céleste._»[261] Heureusement que le
Royaume des Cieux est composé de plusieurs demeures! car, s'il n'y avait
que celles dont la description et le chemin me semblent
incompréhensibles, certainement je n'y entrerais jamais...


Lettre VIIe.

13 juillet 1897.

Votre âme est trop grande pour s'attacher aux consolations d'ici-bas!
C'est dans les Cieux que vous devez vivre par avance, car il est dit:
«_Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur._»[262] Votre
unique trésor, n'est-ce pas Jésus? Puisqu'il est au Ciel, c'est là que
doit habiter votre cœur. Ce doux Sauveur a, depuis longtemps, oublié
vos infidélités; seuls vos désirs de perfection lui sont présents pour
réjouir son cœur.

Je vous en supplie, ne restez plus à ses pieds; suivez ce premier élan
qui vous entraîne dans ses bras; c'est là votre place, et je constate,
plus encore que dans vos autres lettres, qu'il vous est interdit d'aller
au Ciel par une autre voie que celle de votre petite sœur.

Je suis tout à fait de votre avis: le Cœur de Jésus est bien plus
attristé des mille petites imperfections de ses amis que des fautes,
même graves, que commettent ses ennemis. Mais, mon frère, il me semble
que c'est seulement quand les siens se font une habitude de leurs
indélicatesses et ne lui en demandent pas pardon, qu'il peut dire: «_Ces
plaies que vous voyez au milieu de mes mains, je les ai reçues dans la
maison de ceux qui m'aimaient._»[263]

Pour ceux qui l'aiment et qui, après chaque petite faute, viennent se
jeter dans ses bras en lui demandant pardon, Jésus tressaille de joie.
Il dit à ses anges ce que le père de l'enfant prodigue disait à ses
serviteurs: «_Mettez-lui un anneau au doigt et réjouissons-nous._»[264]
Ah! mon frère, que la bonté et l'amour miséricordieux du Cœur de
Jésus sont peu connus! Il est vrai que, pour jouir de ces trésors, il
faut s'humilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup d'âmes
ne veulent pas faire...


Lettre VIIIe.

1897.

_Ce qui m'attire vers la Patrie des Cieux, c'est l'appel du Seigneur,
c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée
que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui le béniront
éternellement._

Jamais je n'ai demandé au bon Dieu de mourir jeune: cela m'aurait paru
de la lâcheté; mais lui, dès mon enfance, a daigné me donner la
persuasion intime que ma course ici-bas serait courte.

Je le sens, nous devons aller au Ciel par la même voie: la souffrance
unie à l'amour. Quand je serai au port, je vous enseignerai comment vous
devez naviguer sur la mer orageuse du monde: avec l'abandon et l'amour
d'un enfant qui sait que son père le chérit, et ne saurait le laisser
seul à l'heure du danger.

Oh! que je voudrais vous faire comprendre la tendresse du Cœur de
Jésus, ce qu'il attend de vous! Votre dernière lettre a fait tressaillir
doucement mon cœur. J'ai compris jusqu'à quel point votre âme est
sœur de la mienne, puisqu'elle est appelée à s'élever à Dieu par
_l'ascenseur de l'amour_, et non à gravir le rude escalier de la
crainte. Je ne m'étonne pas de voir que la familiarité avec Jésus vous
semble difficile: on ne peut y arriver en un jour; mais j'en suis sûre,
je vous aiderai beaucoup plus à marcher dans cette voie délicieuse,
quand je serai délivrée de mon enveloppe mortelle; et bientôt vous
direz, comme saint Augustin: «_L'amour est le poids qui m'entraîne._»


Lettre IXe.

26 juillet 1897.

Quand vous lirez ce petit mot, peut-être ne serai-je plus sur la terre.
Je ne connais pas l'avenir; cependant, je puis dire avec assurance que
_l'Epoux est à la porte_. Il faudrait un miracle pour me retenir dans
l'exil, et je ne pense pas que Jésus le fasse, car il ne fait rien
d'inutile.

O mon frère, que je suis heureuse de mourir! Oui, je suis heureuse, non
parce que je serai délivrée des souffrances d'ici-bas: la souffrance
unie à l'amour est, au contraire, la seule chose qui me paraît désirable
en cette vallée de larmes; je suis heureuse de mourir parce que, bien
plus qu'ici-bas, je serai utile aux âmes qui me sont chères.

Jésus m'a toujours traitée en enfant gâtée... C'est vrai que sa croix
m'a accompagnée dès le berceau; mais cette croix, il me l'a fait aimer
avec passion.


Lettre Xe.

14 août 1897.

Au moment de paraître devant le bon Dieu, je comprends plus que jamais
qu'il n'y a qu'une chose nécessaire: travailler uniquement pour Lui, et
ne rien faire pour soi ni pour les créatures. Jésus veut posséder
complètement votre cœur; pour cela, il vous faudra beaucoup
souffrir... mais aussi quelle joie inondera votre âme quand vous serez
arrivé à l'heureux moment de votre entrée au Ciel!...

Je ne meurs pas, j'entre dans la vie... et tout ce que je ne puis vous
dire ici-bas, je vous le ferai comprendre du haut des
Cieux...................

[Illustration]

[Illustration: Poésies de Sœur Thérèse de l'Enfant Jésus et de la
Ste Face]

[Illustration: _Portrait de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un
tableau de «Celine»._

_Ce qui m'attire vers la patrie des cieux c'est l'appel du Seigneur,
c'est l'espoir de l'aimer enfin comme je l'ai tant désiré, et la pensée
que je pourrai le faire aimer d'une multitude d'âmes qui les béniront
éternellement._]



PREMIÈRE PARTIE



Mon chants d'aujourd'hui.

Air: _Dieu de paix et d'amour_.


    Ma vie est un instant, une heure passagère,
    Ma vie est un moment qui m'échappe et qui fuit.
    Tu le sais, ô mon Dieu, pour t'aimer sur la terre,
                Je n'ai rien qu'aujourd'hui!

    Oh! je t'aime Jésus!... vers toi mon âme aspire...
    Pour un jour seulement reste mon doux appui!
    Viens régner en mon cœur, donne-moi ton sourire
                Rien que pour aujourd'hui!

    Que m'importe, Seigneur, si l'avenir est sombre!
    Te prier pour demain, oh! non, je ne le puis...
    Conserve mon cœur pur, couvre-moi de ton ombre
                Rien que pour aujourd'hui!

    Si je songe à demain, je crains mon inconstance,
    Je sens naître en mon cœur la tristesse et l'ennui;
    Mais je veux bien, mon Dieu, l'épreuve, la souffrance
                Rien que pour aujourd'hui!

    Je dois te voir bientôt sur la rive éternelle,
    O Pilote divin, dont la main me conduit!
    Sur les flots orageux guide en paix ma nacelle,
                Rien que pour aujourd'hui!

    Ah! laisse-moi, Seigneur, me cacher en ta Face;
    Là je n'entendrai plus du monde le vain bruit.
    Donne-moi ton amour, conserve-moi ta grâce
                Rien que pour aujourd'hui!

    Près de ton Cœur divin, oubliant ce qui passe,
    Je ne redoute plus les traits de l'ennemi.
    Ah! donne-moi, Jésus, dans ton Cœur une place,
                Rien que pour aujourd'hui!

    Pain vivant, Pain du ciel, divine Eucharistie,
    O mystère touchant que l'amour a produit!
    Viens habiter mon cœur, Jésus, ma blanche Hostie,
                Rien que pour aujourd'hui!

    Daigne m'unir à toi, Vigne sainte et sacrée,
    Et mon faible rameau te donnera son fruit,
    Et je pourrai t'offrir une grappe dorée,
                Seigneur, des aujourd'hui.

    Cette grappe d'amour dont les grains sont les âmes,
    Je n'ai pour la former que ce jour qui s'enfuit...
    Oh! donne-moi, Jésus, d'un apôtre les flammes,
                Rien que pour aujourd'hui!

    O Vierge Immaculée! O toi la douce Etoile
    Qui rayonne Jésus et qui m'unit à lui,
    O Mère! laisse-moi me cacher sous ton voile,
                Rien que pour aujourd'hui!

    O mon Ange gardien! couvre-moi de ton aile,
    Eclaire de tes feux ma route, ô doux ami!
    Viens diriger mes pas, aide-moi, je t'appelle,
                Rien que pour aujourd'hui!

    Je veux voir mon Jésus, sans voile, sans nuage;
    Cependant ici-bas je suis bien près de lui...
    Il ne sera caché son aimable Visage
                Rien que pour aujourd'hui!

    Je volerai bientôt pour dire ses louanges,
    Quand le jour sans couchant sur mon âme aura lui;
    Alors je chanterai sur la lyre des anges
                L'ÉTERNEL AUJOURD'HUI!

Juin 1894.



Vivre d'amour!

Air du cantique: _Il est à moi!_


     «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole, et mon Père l'aimera...
     et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.....

     Je vous donne ma paix... demeurez en mon amour.»

     (Joan., XIV, 23, 27.--XV, 9.)

    Au soir d'amour, parlant sans parabole,
    Jésus disait: _«Si quelqu'un veut m'aimer,
    «Fidèlement qu'il garde ma parole,
    «Mon Père et moi viendrons le visiter;
    «Et, de son cœur, faisant notre demeure,
    «Notre palais, notre vivant séjour,
    «Rempli de paix, nous voulons qu'il demeure
            «En notre amour.»_

    Vivre d'amour, c'est te garder toi-même,
    Verbe incréé! Parole de mon Dieu!
    Ah! tu le sais, divin Jésus, je t'aime!
    L'Esprit d'amour m'embrase de son feu.
    C'est en t'aimant que j'attire le Père,
    Mon faible cœur le garde sans retour;
    O Trinité! vous êtes prisonnière
            De mon amour.

    Vivre d'amour, c'est vivre de ta vie,
    Roi glorieux, délices des élus!
    Tu vis pour moi caché dans une hostie...
    Je veux pour toi me cacher, ô Jésus!
    A des amants il faut la solitude,
    Un cœur à cœur qui dure nuit et jour;
    Ton seul regard fait ma béatitude,
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre
    Fixer sa tente au sommet du Thabor;
    Avec Jésus, c'est gravir le Calvaire,
    C'est regarder la croix comme un trésor!
    Au ciel, je dois vivre de jouissance,
    Alors l'épreuve aura fui sans retour:
    Mais, ici-bas, je veux dans la souffrance
            Vivre d'amour!

    Vivre d'amour, c'est donner sans mesure,
    Sans réclamer de salaire ici-bas;
    Ah! sans compter je donne, étant bien sûre
    Que lorsqu'on aime on ne calcule pas.
    Au Cœur divin, débordant de tendresse,
    J'ai tout donné! légèrement je cours...
    Je n'ai plus rien que ma seule richesse:
            Vivre d'amour!

    Vivre d'amour, c'est bannir toute crainte,
    Tout souvenir des fautes du passé.
    De mes péchés je ne vois nulle empreinte,
    Au feu divin chacun s'est effacé.
    Flamme sacrée, ô très douce fournaise,
    En ton foyer je fixe mon séjour;
    Jésus, c'est là que je chante à mon aise:
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, c'est garder en soi-même
    Un grand trésor en un vase mortel.
    Mon Bien-Aimé! ma faiblesse est extrême!
    Ah! je suis loin d'être un ange du ciel.
    Mais, si je tombe à chaque heure qui passe,
    Me relevant, m'embrassant tour à tour,
    Tu viens à moi, tu me donnes ta grâce,
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, c'est naviguer sans cesse,
    Semant la joie et la paix dans les cœurs;
    Pilote aimé! la charité me presse,
    Car je te vois dans les âmes, mes sœurs.
    La charité, voilà ma seule étoile:
    A sa clarté, je vogue sans détour;
    J'ai ma devise écrite sur ma voile:
            «Vivre d'amour!»

    Vivre d'amour, lorsque Jésus sommeille,
    C'est le repos sur les flots orageux.
    Oh! ne crains pas, Seigneur, que je t'éveille,
    J'attends en paix le rivage des cieux...
    La Foi bientôt déchirera son voile,
    Et mon Espoir ne comptera qu'un jour;
    La Charité gonfle et pousse ma voile,
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, c'est, ô mon divin Maître!
    Te supplier de répandre tes feux
    En l'âme élue et sainte de ton prêtre;
    Qu'il soit plus pur qu'un séraphin des cieux!
    Protège-la ton Eglise immortelle,
    Je t'en conjure à chaque instant du jour.
    Moi, son enfant, je m'immole pour elle,
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, c'est essuyer ta Face,
    C'est obtenir des pécheurs le pardon.
    O Dieu d'amour! qu'ils rentrent dans ta grâce,
    Et qu'à jamais ils bénissent ton Nom!
    Jusqu'à mon cœur retentit le blasphème;
    Pour l'effacer je redis chaque jour:
    O Nom sacré! je t'adore et je t'aime,
            Je vis d'amour!

    Vivre d'amour, c'est imiter Marie
    Baignant de pleurs, de parfums précieux
    Tes pieds divins, qu'elle baise ravie,
    Les essuyant avec ses longs cheveux;
    Puis, se levant, dans une sainte audace,
    Ton doux Visage elle embaume à son tour:
    Moi, le parfum dont j'embaume ta Face,
            C'est mon amour!

    «Vivre d'amour, quelle étrange folie!
    Me dit le monde, ah! cessez de chanter;
    Ne perdez pas vos parfums, votre vie;
    Utilement, sachez les employer!»
    --T'aimer, Jésus, quelle perte féconde!
    Tous mes parfums sont à toi sans retour.
    Je veux chanter en sortant de ce monde:
            _Je meurs d'amour!_

    Mourir d'amour, c'est un bien doux martyre,
    Et c'est celui que je voudrais souffrir.
    O Chérubins! accordez votre lyre,
    Car, je le sens, mon exil va finir...
    Dard enflammé, consume-moi sans trêve,
    Blesse mon cœur en ce triste séjour.
    _Divin Jésus, réalise mon rêve:
            Mourir d'amour!_

    Mourir d'amour, voilà mon espérance!
    Quand je verrai se briser mes liens,
    Mon Dieu sera ma grande récompense;
    Je ne veux point posséder d'autres biens.
    De son amour je suis passionnée;
    Qu'il vienne enfin m'embraser sans retour!
    Voilà mon ciel, voilà ma destinée:
            VIVRE D'AMOUR!...

25 février 1895.

[Illustration]


LA SAINTE FACE

DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST

(_D'après le Saint Suaire de Turin._)

[Illustration:

Propriété réservée.

Carmel de Lisieux, pinx1.
]


PRIÈRE


_O Jésus, qui dans votre cruelle Passion êtes devenu «l'opprobre des
hommes et l'homme de douleurs», je vénère votre divin Visage, sur lequel
brillaient la beauté et la douceur de la divinité, maintenant devenu
pour moi «comme le visage d'un lépreux!» Mais sous ces traits défigurés,
je reconnais votre amour infini, et je me consume du désir de vous aimer
et de vous faire aimer de tous les hommes. Les larmes qui coulèrent si
abondamment de vos yeux m'apparaissent comme des perles précieuses que
je veux recueillir, afin d'acheter, avec leur valeur infinie, les âmes
des pauvres pécheurs._

_O Jésus, dont le Visage est la seule beauté qui ravit mon cœur,
j'accepte de ne pas voir ici-bas la douceur de votre regard, de ne pas
sentir l'inexprimable baiser de votre bouche; mais je vous supplie
d'imprimer en moi votre divine ressemblance et de m'embraser de votre
amour, afin qu'il me consume rapidement, et que j'arrive bientôt à voir
votre glorieux Visage dans le Ciel!_

_Ainsi soit-il._

(_Prière de la servante de Dieu,
Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face._)

Indulgence de 300 jours, chaque fois, applicable aux âmes du Purgatoire.

PIE X, 13 Février 1905.

       *       *       *       *       *

FAVEURS ACCORDÉES PAR SA SAINTETÉ PIE X

LE 9 DÉCEMBRE 1905

à tous ceux qui méditeront pendant quelques instants sur la Passion
_devant cette Image de la Sainte Face_.

1º Toutes les indulgences accordées précédemment par les Souverains
Pontifes à _la Couronne des Cinq Plaies_.

2º La Bénédiction Apostolique.



Cantique à la sainte Face.

Air: _Les regrets de Mignon_. (F. BOISSIÈRE.)


    Jésus, ton ineffable image
    Est l'astre qui conduit mes pas;
    Tu le sais bien, ton doux Visage
    Est pour moi le ciel ici-bas!
    Mon amour découvre les charmes
    De tes yeux embellis de pleurs.
    Je souris à travers mes larmes,
    Quand je contemple tes douleurs.

    Oh! je veux pour te consoler
    Vivre ignorée et solitaire;
    Ta beauté que tu sais voiler
    Me découvre tout son mystère,
    Et vers toi je voudrais voler!

    Ta Face est ma seule patrie,
    Elle est mon royaume d'amour;
    Elle est ma riante prairie,
    Mon doux soleil de chaque jour;
    Elle est le lis de la vallée
    Dont le parfum mystérieux
    Console mon âme exilée,
    Lui fait goûter la paix des cieux.

    Elle est mon repos, ma douceur,
    Et ma mélodieuse lyre...
    Ton Visage, ô mon doux Sauveur,
    Est le divin bouquet de myrrhe
    Que je veux garder sur mon cœur!

    Ta Face est ma seule richesse;
    Je ne demande rien de plus.
    En elle, me cachant sans cesse,
    Je te ressemblerai, Jésus!
    Laisse en moi la divine empreinte
    De tes traits remplis de douceurs,
    Et bientôt je deviendrai sainte,
    Vers toi j'attirerai les cœurs!

    Afin que je puisse amasser
    Une belle moisson dorée,
    De tes feux daigne m'embraser!
    Bientôt, de ta bouche adorée,
    Donne-moi l'éternel baiser!

12 août 1895.

[Illustration]



Dirupisti, Domine, vincula mea!

Vous avez rompu mes liens, Seigneur! (Ps. cxv, 7.)

A Sr MARIE DE L'EUCHARISTIE

POUR LE JOUR DE SON ENTRÉE AU CARMEL

Air: _Mignon, connais-tu le pays_? (A. THOMAS.)


    O Jésus, en ce jour tu brises mes liens!
    C'est dans l'Ordre béni de la Vierge Marie
    Que je pourrai trouver les véritables biens.
    Seigneur, si j'ai quitté ma famille chérie,
    Tu sauras la combler de célestes faveurs...
    A moi, tu donneras le pardon des pécheurs!

        Jésus, au Carmel je dois vivre,
    Puisqu'en cette oasis ton amour m'appela;
        C'est là que je veux te suivre,
        T'aimer et bientôt mourir...
          C'est là, oui, c'est là!

    O Jésus, en ce jour tu combles tous mes vœux:
    Je pourrai désormais, près de l'Eucharistie,
    M'immoler en silence, attendre en paix les cieux!
    M'exposant aux rayons de la divine Hostie,
    A ce foyer d'amour je me consumerai,
    Et comme un séraphin, Seigneur, je t'aimerai.

        Jésus, bientôt je dois te suivre
    Au rivage éternel, quand finiront mes jours;
        Toujours, au ciel je dois vivre,
        T'aimer et ne plus mourir,
          Toujours, oui, toujours!

15 août 1895.



Jésus, mon Bien-Aimé, rappelle-toi!...

Air: _Rappelle-toi_.


     «Ma fille, cherche celles de mes paroles qui respirent le plus
     d'amour; écris-les, et puis, les gardant précieusement comme des
     reliques, aie soin de les relire souvent. Quand un ami veut
     réveiller au cœur de son ami la vivacité première de son
     affection, il lui dit: Souviens-toi de ce que tu éprouvais quand tu
     me dis un jour telle parole; ou bien: Te souviens-tu de tes
     sentiments à telle époque, un tel jour, en un tel lieu? Crois-le
     donc, les plus précieuses reliques qui demeurent de moi sur la
     terre sont les paroles de mon amour, les paroles sorties de mon
     très doux Cœur.»

NOTRE-SEIGNEUR _à sainte Gertrude_.


      Oh! souviens-toi de la gloire du Père,
      Rappelle-toi les divines splendeurs
      Que tu quittas, t'exilant sur la terre,
      Pour racheter tous les pauvres pécheurs.
    O Jésus! t'abaissant vers la Vierge Marie,
    Tu voilas ta grandeur et ta gloire infinie.
            De ce sein maternel
            Qui fut ton second ciel,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi qu'au jour de ta naissance,
      Quittant le ciel, les Anges ont chanté:
      «_A notre Dieu: gloire, honneur et puissance!
      Et paix aux cœurs de bonne volonté!_»
    Depuis dix-neuf cents ans, tu remplis ta promesse.
    Seigneur, de tes enfants, la paix est la richesse:
            Pour goûter à jamais
            Ton ineffable paix,
              Je viens à toi!

      Je viens à toi, cache-moi dans tes langes,
      En ton berceau je veux rester toujours!
      Là, je pourrai, chantant avec les anges,
      Te rappeler les fêtes de ces jours:
    O Jésus! souviens-toi des bergers et des mages
    Qui t'offrirent, joyeux, leurs cœurs et leurs hommages;
            Du cortège innocent
            Qui te donna son sang,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi que, les bras de Marie,
      Tu préféras à ton trône royal;
      Petit enfant, pour soutenir ta vie,
      Tu n'avais rien que le lait virginal!
    A ce festin d'amour que te donne ta Mère,
    Oh! daigne m'inviter, Jésus, mon petit frère,
            De ta petite sœur
            Qui fit battre ton Cœur,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi que tu nommas ton père
      L'humble Joseph, qui, par l'ordre du Ciel,
      Sans t'éveiller sur le sein de ta Mère,
      Sut t'arracher aux fureurs d'un mortel.
    Verbe-Dieu, souviens-toi de ce mystère étrange:
    Tu gardas le silence et fis parler un ange!
            De ton lointain exil
            Sur les rives du Nil,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi que, sur d'autres rivages,
      Les astres d'or et la lune d'argent,
      Que je contemple en l'azur sans nuages,
      Ont réjoui, charmé tes yeux d'enfant.
    De ta petite main qui caressait Marie,
    Tu soutenais le monde et lui donnais la vie.
            Et tu pensais à moi!
            Jésus, mon petit Roi,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que, dans la solitude,
      Tu travaillais de tes divines mains;
      Vivre oublié fut ta plus chère étude,
      Tu rejetas le savoir des humains!
    O toi qui d'un seul mot pouvais charmer le monde,
    Tu te plus à cacher ta sagesse profonde...
            Tu parus ignorant!
            O Seigneur tout-puissant,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi qu'étranger sur la terre,
      Tu fus errant, toi, le Verbe éternel!
      Tu n'avais rien, non pas même une pierre,
      Pas un abri, comme l'oiseau du ciel.
    O Jésus! viens en moi, viens reposer ta tête,
    Viens!... à te recevoir mon âme est toute prête.
            Mon bien-aimé Sauveur,
            Repose dans mon cœur,
              Il est à toi!

      Rappelle-toi les divines tendresses
      Dont tu comblas les tout petits enfants;
      Je veux aussi recevoir tes caresses.
      Ah! donne-moi tes baisers ravissants!
    Pour jouir dans les cieux de ta douce présence,
    Je saurai pratiquer les vertus de l'enfance:
            Tu nous l'as dit souvent:
            «_Le Ciel est pour l'enfant_.....»
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi qu'au bord de la fontaine
      Un Voyageur, fatigué du chemin,
      Fit déborder sur la Samaritaine
      Les flots d'amour que renfermait son sein.
    Ah! je connais Celui qui demandait à boire:
    Il est le «_Don de Dieu_», la source de fa gloire!
            C'est toi l'eau qui jaillit,
            Jésus! tu nous as dit:
              «_Venez à moi!_

      _«Venez à moi, pauvres âmes chargées;
      «Vos lourds fardeaux bientôt s'allégeront,
      «Et, pour toujours, dans mon Cœur submergées,
      «De votre sein des sources jailliront.»_
    J'ai soif, ô mon Jésus! cette eau, je la réclame.
    De ses torrents divins daigne inonder mon âme;
            Pour fixer mon séjour
            En l'océan d'amour,
              Je viens à toi!

      Rappelle-toi qu'enfant de la lumière,
      Souvent, hélas! je néglige mon Roi;
      Oh! prends pitié de ma grande misère,
      Dans ton amour, Jésus, pardonne-moi!
    Aux affaires du ciel daigne me rendre habile,
    Montre-moi les secrets cachés dans l'Evangile.
            Ah! que ce livre d'or
            Est mon plus cher trésor,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que ta divine Mère
      A sur ton Cœur un pouvoir merveilleux!
      Rappelle-toi qu'un jour, à sa prière,
      Tu changeas l'onde en vin délicieux!
    Daigne aussi transformer mes œuvres indigentes...
    A la voix de Marie, ô Dieu! rends-les ferventes:
            Que je suis son enfant,
            Mon Jésus, bien souvent,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que souvent les collines
      Tu gravissais au coucher du soleil;
      Rappelle-toi tes oraisons divines,
      Tes chants d'amour à l'heure du sommeil!
    Ta prière, ô mon Dieu, je l'offre avec délice
    Pendant mes oraisons, pendant le saint office:
            Là, tout près de ton Cœur,
            Je chante avec bonheur,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que, voyant la campagne,
      Ton divin Cœur devançait les moissons;
      Levant les yeux vers la sainte Montagne,
      De tes élus tu murmurais les noms!
    Afin que ta moisson soit bientôt recueillie,
    Chaque jour, ô mon Dieu, je m'immole et je prie.
            Que ma joie et mes pleurs
            Sont pour tes moissonneurs,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi cette fête des Anges,
      Cette harmonie au royaume des cieux,
      Et le bonheur des sublimes phalanges,
      Lorsqu'un pécheur vers toi lève les yeux!
    Ah! je veux augmenter cette grande allégresse...
    Jésus, pour les pécheurs je veux prier sans cesse;
            Que je vins au Carmel
            Pour peupler ton beau ciel,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi cette très douce flamme
      Que tu voulais allumer dans les cœurs:
      Ce feu du ciel, tu l'as mis en mon âme,
      Je veux aussi répandre ses ardeurs.
    Une faible étincelle, ô mystère de vie,
    Suffit pour allumer un immense incendie.
            Que je veux, ô mon Dieu,
            Porter au loin ton feu,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi cette fête splendide
      Que tu donnas à ton fils repentant;
      Rappelle-toi que pour l'âme candide,
      Tu la nourris toi-même, à chaque instant!
    Jésus, avec amour tu reçois le prodigue...
    Mais les flots de ton Cœur, pour moi, n'ont pas de digue.
            Que tes biens sont à moi,
            Mon Bien-Aimé, mon Roi,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que, méprisant la gloire,
      En prodiguant tes miracles divins
      Tu t'écriais: «_Comment pouvez-vous croire_
      «_Vous qui cherchez l'estime des humains?_
    «_Les œuvres que je fais vous semblent surprenantes:_
    «_Mes amis en feront de bien plus éclatantes._»
            Que tu fus humble et doux,
            Jésus, mon tendre Epoux,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi qu'en une sainte ivresse
      L'Apôtre-vierge approcha de ton Cœur!
      En son repos il connut ta tendresse;
      Et tes secrets il les comprit, Seigneur!
    De ton disciple aimé je ne suis pas jalouse;
    Je connais tes secrets, car je suis ton épouse...
            O mon divin Sauveur,
            Je m'endors sur ton Cœur.
              Il est à moi!

      Rappelle-toi qu'au soir de l'agonie,
      Avec ton sang se mêlèrent les pleurs;
      Perles d'amour! leur valeur infinie
      A fait germer de virginales fleurs.
    Un Ange, te montrant cette moisson choisie,
    Fit renaître la joie en ton âme bénie;
            Jésus, que tu me vis
            Au milieu de tes lis,
              Rappelle-toi!

      Ton sang, tes pleurs, cette source féconde
      _Virginisant_ les calices des fleurs,
      Les a rendus capables, dès ce monde,
      De t'enfanter un grand nombre de cœurs.
    Je suis vierge, ô Jésus! Cependant, quel mystère!
    En m'unissant à toi, des âmes je suis mère...
            Des virginales fleurs
            Qui sauvent les pécheurs,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi qu'abreuvé de souffrance
      Un Condamné, se tournant vers les cieux,
      S'est écrié: «_Bientôt dans ma puissance_
      «_Vous me verrez paraître glorieux!_»
    Qu'il fût le Fils de Dieu, nul ne le voulait croire,
    Car elle se cachait son ineffable gloire.
            _O Prince de la Paix!_
            Moi, je te reconnais...
              Je crois en toi!

      Rappelle-toi que ton divin Visage,
      Parmi les tiens, fut toujours inconnu!
      Mais tu laissas pour moi ta douce image...
      Et tu le sais, je t'ai bien reconnu!
    Oui, je te reconnais, même à travers tes larmes,
    Face de L'Eternel, je découvre tes charmes.
            Que ton regard voilé
            Mon cœur a consolé,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi cette amoureuse plainte
      Qui, sur la croix, s'échappa de ton Cœur.
      Ah! dans le mien, Jésus, elle est empreinte:
      Oui... de ta soif il partage l'ardeur!
    Plus il se sent blessé de ses divines flammes,
    Plus il est altéré de te donner des âmes.
            Que, d'une soif d'amour,
            Je brûle nuit et jour,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi, Jésus, Verbe de vie,
      Que tu m'aimas jusqu'à mourir pour moi!
      Je veux aussi t'aimer à la folie;
      Je veux aussi vivre et mourir pour toi:
    Tu le sais, ô mon Dieu, tout ce que je désire,
    C'est de te faire aimer, et d'être un jour martyre.
            _D'amour je veux mourir.
            Seigneur, de mon désir,
              Oh! souviens-toi!_

      Rappelle-toi qu'au jour de ta victoire,
      Tu nous disais: «_Celui qui n'a pas vu_
      «_Le Fils de Dieu tout rayonnant de gloire_,
      «_Il est heureux... si quand même il a cru!_»
    Dans l'ombre de la foi, je t'aime et je t'adore:
    O Jésus, pour te voir j'attends en paix l'aurore.
            Que mon désir n'est pas
            De te voir ici-bas,
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que, montant vers le Père,
      Tu ne pouvais nous laisser orphelins;
      Que, te faisant prisonnier sur la terre,
      Tu sus voiler tes rayons tout divins;
    Mais l'ombre de ton voile est lumineuse et pure,
    Pain vivant de la foi, céleste nourriture.
            O mystère d'amour!
            Mon Pain de chaque jour:
              Jésus, c'est toi!

      Jésus, c'est toi qui malgré les blasphèmes
      Des ennemis du Sacrement d'amour,
      C'est toi qui veux montrer combien tu m'aimes,
      Puisqu'en mon cœur tu fixes ton séjour.
    O Pain de l'exilé! sainte et divine Hostie!
    Ce n'est plus moi qui vis; mais je vis de ta vie:
            Ton ciboire doré,
            Entre tous préféré,
              Jésus, c'est moi!

      Jésus, c'est moi ton vivant sanctuaire
      Que les méchants ne peuvent profaner.
      Reste en mon cœur, n'est-il pas un parterre
      Dont chaque fleur vers toi veut se tourner?
    Mais, si tu t'éloignais, ô blanc Lis des vallées!
    Je le sais bien, mes fleurs seraient vite effeuillées.
            Toujours, mon Bien-Aimé,
            Jésus, Lis embaumé,
              Fleuris en moi!

      Rappelle-toi que je veux sur la terre
      Te consoler de l'oubli des pécheurs;
      Mon seul Amour, exauce ma prière:
      Ah! pour t'aimer, donne-moi mille cœurs!
    Mais c'est encore trop peu, Jésus, beauté suprême,
    Donne-moi pour t'aimer ton divin Cœur lui-même;
            De mon désir brûlant,
            Seigneur, à chaque instant,
              Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi que ta volonté sainte
      Est mon repos, mon unique bonheur;
      Je m'abandonne et je m'endors sans crainte
      Entre tes bras, ô mon divin Sauveur!
    Si tu t'endors aussi lorsque l'orage gronde,
    Je veux rester toujours en une paix profonde;
            Mais pendant ton sommeil,
            Jésus! pour le réveil
              Prépare-moi!

      Rappelle-toi que souvent je soupire
      Après le jour du grand avènement.
      Qu'il vienne enfin l'Ange qui doit nous dire:
      «_Le temps n'est plus, venez au jugement!_»
    Alors rapidement je franchirai l'espace,
    Et j'irai me cacher en ta divine Face.
            Qu'au séjour éternel
            Tu dois être mon ciel,
              Rappelle-toi!

21 octobre 1895.

[Illustration]



Au Sacré-Cœur.

Air: _Petit soulier de Noël_.


    Auprès du Tombeau, sainte Madeleine,
    Cherchant son Jésus, se baissait en pleurs.
    Les Anges voulaient adoucir sa peine,
    Mais rien ne pouvait calmer ses douleurs.
    Votre doux éclat, lumineux Archanges,
    Ne suffisait pas à la contenter;
    Elle voulait voir le Seigneur des Anges,
    Le prendre en ses bras, bien loin l'emporter.

    Au Sépulcre Saint, restant la dernière,
    Marie était là, bien avant le jour;
    Son Dieu vint aussi, voilant sa lumière.
    Elle ne pouvait le vaincre en amour...
    Lui montrant alors sa Face bénie,
    Bientôt un seul mot jaillit de son Cœur;
    Murmurant le nom si doux de «_Marie_»,
    Jésus lui rendit la paix, le bonheur.

           *       *       *       *       *

    Un jour, ô mon Dieu, comme Madeleine,
    J'ai voulu te voir, m'approcher de toi;
    Mon regard plongeait dans l'immense plaine
    Dont je recherchais le Maître et le Roi.
    Et je m'écriais, voyant l'onde pure,
    L'azur étoilé, la fleur et l'oiseau:
    Si je ne vois Dieu, brillante nature,
    Tu n'es rien pour moi qu'un vaste tombeau.

    J'ai besoin d'un cœur brûlant de tendresse,
    Restant mon appui sans aucun retour;
    Aimant tout en moi, même ma faiblesse,
    Ne me quittant pas la nuit et le jour.
    Je n'ai pu trouver nulle créature
    Qui m'aimât toujours sans jamais mourir;
    Il me faut un Dieu prenant ma nature,
    Devenant mon frère et pouvant souffrir.

    Tu m'as entendue, oh! l'Epoux que j'aime...
    Pour ravir mon cœur, te faisant mortel,
    Tu versas ton sang, mystère suprême!
    Et tu vis encor pour moi sur l'Autel.
    Si je ne puis voir l'éclat de ta Face,
    Entendre ta voix pleine de douceur,
    Je puis, ô mon Dieu, vivre de ta grâce,
    Je puis reposer sur ton Sacré-Cœur!

    O Cœur de Jésus, trésor de tendresse,
    C'est toi mon bonheur, mon unique espoir!
    Toi qui sus bénir, charmer ma jeunesse,
    Reste auprès de moi jusqu'au dernier soir.
    Seigneur, à toi seul j'ai donné ma vie,
    Et tous mes désirs te sont bien connus.
    C'est en ta bonté toujours infinie
    Que je veux me perdre, ô Cœur de Jésus!

    Ah! je le sais bien, toutes nos justices
    N'ont, devant tes yeux, aucune valeur;
    Pour donner du prix à mes sacrifices,
    Je veux les jeter en ton divin Cœur.
    Tu n'as pas trouvé tes Anges sans tache;
    Au sein des éclairs tu donnas ta loi;
    En ton Cœur Sacré, Jésus, je me cache,
    Je ne tremble pas: ma vertu c'est toi!

    Afin de pouvoir contempler ta gloire,
    Il faut, je le sais, passer par le feu.
    Et moi, je choisis pour mon purgatoire
    Ton amour brûlant, ô Cœur de mon Dieu!
    Mon âme exilée, en quittant la vie,
    Voudrait faire un acte de pur amour,
    Et puis, s'envolant au ciel, sa patrie,
    _Entrer dans ton Cœur, sans aucun détour!_...

Octobre 1895.

[Illustration]



Le Cantique éternel

Chanté dès l'exil.

Air: _Mignon regrettant sa patrie_. (LUIGI BORDÈSE.)


    Ton épouse, ô mon Dieu, sur la rive étrangère
    Peut chanter de l'amour le cantique éternel;
    Puisqu'au sein de l'exil tu daignes, sur la terre,
    Du feu de ton amour l'embraser comme au ciel!

        Mon Bien-Aimé, beauté suprême!
        A moi tu te donnés toi-même;
        Mais en retour, Jésus, je t'aime:
      Fais de ma vie un seul acte d'amour!

        Oubliant ma grande misère,
        Tu viens habiter dans mon cœur.
        Mon faible amour, ah! quel mystère!
        Suffit pour t'enchaîner, Seigneur.

            Amour qui m'enflamme,
            Pénètre mon âme!
            Viens, je te réclame,
            Viens, consume-moi!

            Ton ardeur me presse,
            Et je veux sans cesse,
            Divine fournaise,
            M'abîmer en toi.

            Seigneur, la souffrance
            Devient jouissance,
            Quand l'amour s'élance
            Vers toi sans retour.

            Céleste patrie,
            Douceur infinie,
            Mon âme ravie
            Vous a chaque jour...
            Céleste patrie
            O joie infinie,
        _Vous n'êtes que l'_AMOUR!

10 mars 1896.



J'ai soif d'amour!

Air: _Au sein de l'heureuse patrie_.


    Dans ton amour, t'exilant sur la terre,
    Divin Jésus, tu t'immolas pour moi.
    Mon Bien-Aimé, reçois ma vie entière;
    Je veux souffrir, je veux mourir pour toi.

      Seigneur, tu nous l'as dit toi-même:
      _«L'on ne peut rien faire de plus
      «Que de mourir pour ceux qu'on aime.»_
      Et mon amour suprême
        C'est toi, Jésus!

    Il se fait tard, déjà le jour décline:
    Reste avec moi, céleste Pèlerin.
    Avec ta croix je gravis la colline;
    Viens me guider, Seigneur, dans le chemin!

      Ta voix trouve écho dans mon âme:
      Je veux te ressembler, Seigneur
      La souffrance, je la réclame...
        Ta parole de flamme
          Brûle mon cœur!

    Avant d'entrer dans l'éternelle gloire,
    «_Il a fallu que l'Homme-Dieu souffrît_».
    C'est par sa croix qu'il gagna la victoire;
    O doux Sauveur, ne nous l'as-tu pas dit?

      Pour moi, sur la rive étrangère,
      Quels mépris n'as-tu pas reçus!...
      Je veux me cacher sur la terre,
        Etre en tout la dernière,
          Pour toi, Jésus.

    Mon Bien-Aimé, ton exemple m'invite
    A m'abaisser, à mépriser l'honneur:
    Pour te ravir, je veux rester petite;
    En m'oubliant, je charmerai ton Cœur.

      Ma paix est dans la solitude,
      Je ne demande rien de plus.
      Te plaire est mon unique étude,
        Et ma béatitude
          C'est toi, Jésus!

    Toi, le grand Dieu que l'univers adore,
    Tu vis en moi, prisonnier nuit et jour;
    Ta douce voix à toute heure m'implore,
    Tu me redis: «_J'ai soif! j'ai soif d'amour!_...»

      Je suis aussi ta prisonnière,
      Et je veux redire à mon tour
      Ta tendre et divine prière,
        Mon Bien-Aimé, mon Frère:
          _J'ai soif d'amour!_

    _J'ai soif d'amour!_ Comble mon espérance:
    Augmente en moi, Seigneur, ton divin feu!
    _J'ai soif d'amour!_ bien grande est ma souffrance.
    Ah! je voudrais voler vers toi, mon Dieu!

      Ton amour est mon seul martyre;
      Plus je le sens brûler en moi,
      Et plus mon âme te désire.
        _Jésus, fais que j'expire
          D'amour pour toi!_

30 avril 1896.

[Illustration]



Mon ciel à moi.

Air: _Dieu de paix et d'amour_.


    Pour supporter l'exil de la terre des larmes,
    Il me faut le regard de mon divin Sauveur;
    Ce regard plein d'amour m'a dévoilé ses charmes,
    Il m'a fait pressentir le céleste bonheur.
    Mon Jésus me sourit, quand vers lui je soupire;
    Alors je ne sens plus l'épreuve de la foi.
    Le regard de mon Dieu, son ravissant sourire,
              _Voilà mon ciel à moi!_

    _Mon ciel_ est d'attirer sur l'Eglise bénie,
    Sur la France coupable et sur chaque pécheur,
    La grâce que répand ce beau fleuve de vie
    Dont je trouve la source, ô Jésus, dans ton Cœur.
    Je puis tout obtenir lorsque, dans le mystère,
    Je parle cœur à cœur avec mon divin Roi.
    Cette douce oraison, tout près du sanctuaire,
              _Voilà mon ciel à moi!_

    _Mon ciel_, il est caché dans la petite hostie
    Où Jésus, mon Epoux, se voile par amour.
    A ce foyer divin je vais puiser la vie;
    Et là, mon doux Sauveur m'écoute nuit et jour.
    Oh! quel heureux instant, lorsque dans ta tendresse
    Tu viens, mon Bien-Aimé, me transformer en toi!
    Cette union d'amour, cette ineffable ivresse,
              _Voilà mon ciel à moi!_

    _Mon ciel_ est de sentir en moi la ressemblance
    Du Dieu qui me créa de son souffle puissant;
    Mon ciel est de rester toujours en sa présence,
    De l'appeler mon Père et d'être son enfant;
    Entre ses bras divins je ne crains pas l'orage...
    Le total abandon, voilà ma seule loi!
    Sommeiller sur son Cœur, tout près de son Visage,
              _Voilà mon ciel à moi!_

    _Mon ciel_, je l'ai trouvé dans la Trinité sainte
    Qui réside en mon cœur, prisonnière d'amour.
    Là, contemplant mon Dieu, je lui redis sans crainte
    Que je veux le servir et l'aimer sans retour.
    _Mon ciel_ est de sourire à ce Dieu que j'adore,
    Lorsqu'il veut se cacher pour éprouver ma foi;
    Sourire, en attendant qu'il me regarde encore,
              _Voilà mon ciel à moi!_

7 juin 1896.

[Illustration]



Mon espérance.

Air: _O saint autel qu'environnent les Anges_.


    Je suis encor sur la rive étrangère;
    Mais, pressentant le bonheur éternel,
    Oh! je voudrais déjà quitter la terre
    Et contempler les merveilles du ciel!
    Lorsque je rêve à l'immortelle vie,
    De mon exil je ne sens plus le poids;
    Bientôt, mon Dieu, vers ma seule patrie
    _Je volerai pour la première fois!_

    Ah! donne-moi, Jésus, de blanches ailes,
    Pour que, vers toi, je prenne mon essor.
    Je veux voler aux rives éternelles,
    Je veux te voir, ô mon divin Trésor!
    Je veux voler dans les bras de Marie,
    Me reposer sur ce trône de choix,
    Et recevoir de ma Mère chérie,
    _Le doux baiser pour la première fois!_

    Mon Bien-Aimé, de ton premier sourire
    Fais-moi bientôt entrevoir la douceur;
    Ah! laisse-moi, dans mon brûlant délire,
    Oui, laisse-moi me cacher en ton Cœur.
    Heureux instant!... O bonheur ineffable!
    Quand j'entendrai le doux son de ta voix...
    Quand je verrai, de ta Face adorable
    _L'éclat divin, pour la première fois!_

    Tu le sais bien, mon unique martyre
    C'est ton amour, Cœur sacré de Jésus!
    Vers ton beau ciel, si mon âme soupire,
    C'est pour t'aimer... t'aimer de plus en plus!
    Au ciel, toujours m'enivrant de tendresse,
    Je t'aimerai sans mesure et sans lois.
    Et mon bonheur me paraîtra sans cesse
    _Aussi nouveau que la première fois!_

12 juin 1896.



Jeter des fleurs.

Air: _Oui, je le crois, elle est immaculée_.


    Jésus, mon seul amour, au pied de ton calvaire,
    Que j'aime, chaque soir, à te jeter des fleurs!
    En effeuillant pour toi la rose printanière,
        Je voudrais essuyer tes pleurs!

      _Jeter des fleurs!_... c'est t'offrir en prémices
    Les plus légers soupirs, les plus grandes douleurs.
    Mes peines, mon bonheur, mes petits sacrifices:
                _Voilà mes fleurs!_

    Seigneur, de ta beauté mon âme s'est éprise;
    Je veux te prodiguer mes parfums et mes fleurs.
    En les jetant pour toi sur l'aile de la brise,
              Je voudrais enflammer les cœurs!

    _Jeter des fleurs!_ Jésus, voilà mon arme
    Lorsque je veux lutter pour sauver les pécheurs.
    La victoire est à moi: toujours je te désarme
              _Avec mes fleurs!_

    Les pétales des rieurs caressant ton Visage
    Te disent que mon cœur est à toi sans retour.
    De ma rose effeuillée, ah! tu sais le langage,
              Et tu souris à mon amour...

    _Jeter des fleurs!_ redire tes louanges,
    Voilà mon seul plaisir sur la rive des pleurs.
    Au ciel j'irai bientôt avec les petits anges
              _Jeter des fleurs!_

28 juin 1896.



Mes désirs près du Tabernacle.

Air: _Prévenons les feux de l'aurore._


    _Petite clef_, oh! je t'envie,
    Toi qui peux ouvrir chaque jour
    La prison de l'Eucharistie,
    Où réside le Dieu d'amour.
    Mais je puis, quel touchant miracle!
    Par un seul effort de ma foi,
    Ouvrir aussi le Tabernacle,
    M'y cacher près du divin Roi...

    Je voudrais, dans le sanctuaire,
    Me consumant près de mon Dieu,
    Toujours briller avec mystère,
    Comme _la lampe_ du saint Lieu.
    O bonheur! en moi, j'ai des flammes,
    Et je puis gagner chaque jour,
    A Jésus, un grand nombre d'âmes,
    Les embraser de son amour...

    A chaque aurore, je t'envie,
    _O pierre sainte_ de l'autel!
    Comme dans l'étable bénie,
    Sur toi veut naître l'Eternel.
    Ecoute mon humble prière:
    Viens en mon âme, doux Sauveur!
    Bien loin d'être une froide pierre,
    Elle est le soupir de ton Cœur.

    _O corporal_ entouré d'Anges,
    Que je te porte envie encor!
    Sur toi, comme en ses humbles langes,
    Je vois Jésus, mon seul trésor.
    Change mon cœur, Vierge Marie,
    En un corporal pur et beau,
    Pour recevoir la blanche hostie
    Où se cache ton doux Agneau.

    Sainte _patène_, je t'envie...
    Sur toi, Jésus vient reposer!
    Oh! que sa grandeur infinie,
    Jusqu'à moi daigne s'abaisser...
    Jésus, comblant mon espérance,
    De l'exil n'attend pas le soir:
    Il vient en moi!... par sa présence,
    Je suis un vivant _ostensoir_.

    Je voudrais être le _calice_
    Où j'adore le Sang divin!
    Mais je puis, au saint Sacrifice,
    Le recueillir chaque matin.
    Mon âme à Jésus est plus chère
    Que les précieux vases d'or;
    L'autel est un nouveau Calvaire,
    Où, pour moi, son Sang coule encor.

    Jésus, Vigne sainte et sacrée,
    Tu le sais, ô mon divin Roi,
    Je suis une _grappe dorée_
    Qui doit disparaître pour loi.
    Sous le pressoir de la souffrance,
    Je te prouverai mon amour.
    Je ne veux d'autre jouissance
    Que de m'immoler chaque jour.

    Quel heureux sort! Je suis choisie
    Parmi _les grains de pur froment_
    Qui, pour Jésus, perdent la vie;
    Bien grand est mon ravissement!
    Je suis ton épouse chérie,
    Mon Bien-Aimé, viens vivre en moi.
    Oh! viens, ta Beauté m'a ravie,
    Daigne me transformer en toi!

    1896.

[Illustration]



Jésus seul.

Composé pour une novice.


Air: _Près d'un berceau._

    Mon cœur ardent veut se donner sans cesse,
    Il a besoin de prouver sa tendresse.
    Ah! qui pourra comprendre mon amour?
    Quel cœur voudra me payer de retour?
    Mais, ce retour, en vain je le réclame;
    Jésus, toi seul peux contenter mon âme.
    Rien ne saurait me charmer ici-bas;
    Le vrai bonheur ne s'y rencontre pas.

      Ma seule paix, mon seul bonheur,
      Mon seul amour, c'est toi, Seigneur!

    O toi qui sus créer le cœur des mères,
    Je trouve en toi le plus tendre des pères.
    Mon seul Amour, Jésus, Verbe éternel,
    Pour moi, ton Cœur est plus que maternel!
    A chaque instant, tu me suis, tu me gardes;
    Quand je t'appelle, ah! jamais tu ne tardes.
    Et si parfois tu sembles te cacher,
    C'est toi qui viens m'aider à te chercher...

    C'est à toi seul, Jésus, que je m'attache;
    C'est dans tes bras que j'accours et me cache.
    Je veux t'aimer comme un petit enfant;
    Je veux lutter comme un guerrier vaillant.
    Comme un enfant plein de délicatesses,
    Je veux, Seigneur, te combler de caresses;
    Et, dans le champ de mon apostolat,
    Comme un guerrier je m'élance au combat!

    Ton Cœur, qui garde et qui rend l'innocence,
    Ne saurait pas tromper ma confiance;
    En toi, Seigneur, repose mon espoir:
    Après l'exil, au ciel j'irai te voir.

    Lorsqu'en mon cœur s'élève la tempête,
    Vers toi, Jésus, je relève la tête;
    En ton regard miséricordieux,
    Je lis: Enfant... pour toi, j'ai fait les cieux!

    Je le sais bien, mes soupirs et mes larmes
    Sont devant toi tout rayonnants de charmes;
    Les Séraphins, au ciel, forment ta cour,
    Et cependant tu cherches mon amour...
    Tu veux mon cœur... Jésus, je te le donne!
    Tous mes désirs je te les abandonne;
    Et ceux que j'aime, ô mon Epoux, mon Roi,
    Je ne veux plus les aimer que pour toi.

    15 août 1896.

[Illustration]



La volière de l'Enfant-Jésus.

Air: _Au Rossignol._ (GOUNOD.)


    Pour les exilés de la terre,
    Le bon Dieu créa les oiseaux;
    Ils vont, gazouillant leur prière,
    Dans les vallons, sur les coteaux.
    Les enfants joyeux et volages,
    Ayant choisi leurs préférés,
    Les emprisonnent dans des cages
    Dont les barreaux sont tout dorés.

           *       *       *       *       *

    O Jésus, notre petit Frère,
    Pour nous, tu quittas le beau ciel;
    Mais, tu le sais bien, ta volière,
    Divin Enfant, c'est le Carmel.

    Notre cage n'est pas dorée,
    Cependant nous la chérissons;
    Dans les bois, la plaine azurée,
    Plus jamais nous ne volerons!
    Jésus! les bosquets de ce monde
    Ne peuvent pas nous contenter;
    Dans la solitude profonde,
    Pour toi seul nous voulons chanter.
    Ta petite main nous attire;
    Enfant, que tes charmes sont beaux!
    O divin Jésus! ton sourire
    Captive les petits oiseaux.

    Ici l'âme simple et candide
    Trouve l'objet de son amour;
    Ici la colombe timide
    N'a plus à craindre le vautour.
    Sur les ailes de la prière,
    On voit monter le cœur ardent,
    Comme l'alouette légère
    Qui, bien haut, s'élève en chantant!
    Ici l'on entend le ramage
    Du roitelet, du gai pinson.
    O petit Jésus! dans leur cage,
    Tes oiseaux gazouillent ton Nom.

    Le petit oiseau toujours chante:
    Son pain ne l'inquiète pas...
    Un grain de millet le contente,
    Jamais il ne sème ici-bas.
    Comme lui, dans notre volière,
    Nous recevons tout de ta main;
    L'unique chose nécessaire,
    C'est de t'aimer, Enfant divin!
    Aussi nous chantons tes louanges
    Avec les purs esprits du ciel;
    Et, nous le savons, tous les Anges
    Aiment les oiseaux du Carmel.

    Jésus, pour essuyer les larmes
    Que te font verser les pécheurs,
    Tes oiseaux redisent tes charmes,
    Leurs doux chants te gagnent des cœurs.
    Un jour, loin de la triste terre,
    Lorsqu'ils entendront ton appel,
    Tous les oiseaux de ta volière
    Prendront leur essor vers le ciel.
    Avec les charmantes phalanges
    Des petits chérubins joyeux,
    Eternellement, tes louanges
    Nous les chanterons dans les cieux!

25 décembre 1896.

[Illustration]



Glose sur le Divin.

D'après saint Jean de la Croix.


     Appuyé sans aucun appui; sans lumière et dans les ténèbres, je vais
     me consumant d'amour. (S. JEAN DE LA CROIX.)

    Au monde, quel bonheur extrême!
    J'ai dit un éternel adieu.
    Elevé plus haut que lui-même,
    Mon cœur n'a d'autre appui que Dieu;
    Et maintenant je le proclame:
    Ce que j'estime près de lui,
    C'est de voir mon cœur et mon âme
    Appuyés sans aucun appui!

    Bien que je souffre sans lumière,
    En cette existence d'un jour,
    Je possède au moins sur la terre
    L'Astre céleste de l'amour.
    Dans le chemin qu'il me faut suivre
    Se rencontre plus d'un péril;
    Mais, par amour, je veux bien vivre
    Dans les ténèbres de l'exil.

    L'amour, j'en ai l'expérience,
    Du bien, du mal qu'il trouve en moi,
    Sait profiter; quelle puissance!
    Il transforme mon âme en soi.
    Ce feu qui brûle dans mon âme
    Pénètre mon cœur sans retour;
    Ainsi dans son ardente flamme
    Je vais, me consumant d'amour!

1896.

[Illustration]



A l'Enfant-Jésus.


      Jésus, tu connais mon nom,
      Et ton doux regard m'appelle...
      Il me dit: «_Simple abandon_,
      Je veux guider ta nacelle.»

    De ta petite voix d'enfant,
        Oh! quelle merveille!
    De ta petite voix d'enfant
    Tu calmes le flot mugissant,
            Et le vent.

      Si tu veux te reposer,
      Alors que l'orage gronde,
      Sur mon cœur daigne poser
      Ta petite tête blonde.

    Que ton sourire est ravissant
        Lorsque tu sommeilles!
    Toujours avec mon plus doux chant,
    Je veux te bercer tendrement,
            Bel Enfant!

Décembre 1896.

[Illustration]



Ma Paix et ma Joie.

Air: _Petit oiseau, dis, où vas-tu?_

    Il est des âmes sur la terre
    Qui cherchent en vain le bonheur;
    Mais, pour moi, c'est tout le contraire,
    _La joie_ habite dans mon cœur.
    Cette fleur n'est pas éphémère,
    Je la possède sans retour;
    Comme une rose printanière,
    Elle me sourit chaque jour.

    Vraiment je suis par trop heureuse.
    Je fais toujours ma volonté;
    Pourrais-je n'être pas joyeuse
    Et ne pas montrer ma gaîté?
    _Ma joie_ est d'aimer la souffrance,
    Je souris en versant des pleurs.
    J'accepte avec reconnaissance
    L'épine au milieu de mes fleurs.

    Lorsque le ciel bleu devient sombre,
    Et qu'il semble me délaisser,
    _Ma joie_ est de rester dans l'ombre,
    De me cacher, de m'abaisser.
    _Ma paix_, c'est la volonté sainte
    De Jésus, mon unique amour:
    Ainsi je vis sans nulle crainte;
    J'aime autant la nuit que le jour.

    _Ma paix_, c'est de rester petite;
    Aussi, quand je tombe en chemin,
    Je puis me relever bien vite,
    Et Jésus me prend par la main.
    Alors, le comblant de caresses,
    Je lui dis qu'il est tout pour moi...
    Et je redouble de tendresses,
    Lorsqu'il se dérobe à ma foi.

    _Ma paix_, si je verse des larmes,
    C'est de les cacher à mes sœurs.
    Oh! que la souffrance a de charmes,
    Quand on sait la voiler de fleurs!
    Je veux bien souffrir sans le dire,
    Pour que Jésus soit consolé;
    _Ma joie_ est de le voir sourire
    Lorsque mon cœur est exilé.

    _Ma paix_, c'est de lutter sans cesse
    Afin d'enfanter des élus;
    C'est de redire avec tendresse,
    Bien souvent, à mon doux Jésus:
    Pour toi, mon divin petit Frère,
    Je suis heureuse de souffrir!
    _Ma joie_ unique sur la terre,
    C'est de pouvoir te réjouir.

    Longtemps encor je veux bien vivre,
    Seigneur, si c'est là ton désir.
    Dans le ciel je voudrais te suivre,
    Si cela te faisait plaisir.
    _L'amour_, ce feu de la patrie,
    Ne cesse de me consumer;
    Que me fait la mort ou la vie?
    _Mon seul bonheur, c'est de t'aimer!_...

21 janvier 1897.

[Illustration]



Mes Armes.

A une novice pour sa Profession.

Air: _Partez, hérauts_...


     «L'épouse du Roi est terrible comme une armée rangée en bataille;
     elle est semblable à un chœur de musique dans un camp d'armée.»
     _Cant._, VI, 3; VII, I.

     «Revêtez-vous des armes de Dieu, afin que vous puissiez résister
     aux embûches de l'ennemi.» Ephes., VI, II.

      Du Tout-Puissant j'ai revêtu _les armes_,
      Sa main divine a daigné me parer;
      Rien désormais ne me cause d'alarmes,
      De son amour qui peut me séparer?
      A ses côtés, m'élançant dans l'arène,
      Je ne craindrai ni le fer ni le feu;
      Mes ennemis sauront que je suis reine,
        Que je suis l'épouse d'un Dieu.

      O mon Jésus! je garderai l'armure
      Que je revêts sous tes yeux adorés;
    Jusqu'au soir de l'exil, ma plus belle parure
            Sera mes vœux sacrés.

      _O Pauvreté_, mon premier sacrifice,
      Jusqu'à la mort tu me suivras partout;
      Car, je le sais, pour courir dans la lice,
      L'athlète doit se détacher de tout.
      Goûtez, mondains, le remords et la peine,
      Ces fruits amers de votre vanité;
      Joyeusement, moi je cueille en l'arène
        Les palmes de la Pauvreté.

      Jésus a dit: «_C'est par la violence
      Que l'on ravit le royaume des cieux._»
    Eh bien! la Pauvreté me servira de _lance_,
            _De casque glorieux_.

      _La Chasteté_ me rend la sœur des Anges,
      De ces esprits purs et victorieux.
      J'espère un jour voler en leurs phalanges;
      Mais, dans l'exil, je dois lutter comme eux.
      Je dois lutter, sans repos et sans trêve,
      Pour mon Epoux, le Seigneur des seigneurs.
      La Chasteté, c'est le céleste _glaive_
        Qui peut lui conquérir des cœurs.

      La Chasteté, c'est mon arme invincible;
      Mes ennemis, par elle, sont vaincus;
    Par elle je deviens, ô bonheur indicible!
            L'épouse de Jésus.

      L'Ange orgueilleux, au sein de la lumière,
      S'est écrié: «Je n'obéirai pas!...»
      Moi, je répète en la nuit de la terre:
      Je veux toujours obéir ici-bas.
      Je sens en moi naître une sainte audace,
      De tout l'enfer je brave la fureur.
      _L'Obéissance_ est ma forte _cuirasse_
        Et le _bouclier_ de mon cœur.

      O Dieu vainqueur! je ne veux d'autres gloires
      Que de soumettre en tout ma volonté;
    Puisque l'_obéissant redira ses victoires_
            Toute l'éternité!

      Si du guerrier j'ai les armes puissantes,
      Si je l'imite et lutte vaillamment,
      Comme _la vierge aux grâces ravissantes,
      Je veux aussi chanter en combattant_.
      Tu fais vibrer de _ta lyre_ les cordes,
      Et cette lyre, ô Jésus, _c'est mon cœur!_
      Alors je puis de tes miséricordes
        Chanter la force et la douceur.

      En souriant je brave la mitraille,
      Et dans tes bras, ô mon Epoux divin,
    En chantant je mourrai sur le champ de bataille,
            _Les armes à la main!_

25 mars 1897.



Un lis au milieu des épines.

Composé pour une novice.

Air: _L'envers du ciel_.


    O Seigneur tout-puissant! dès ma plus tendre enfance,
    Je puis bien m'appeler l'œuvre de ton amour;
    Je voudrais, ô mon Dieu, dans ma reconnaissance,
    Ah! je voudrais pouvoir te payer de retour.
    Jésus, mon Bien-Aimé, quel est ce privilège?
    Pauvre petit néant, qu'avais-je fait pour toi?
    Et je me vois ici, suivant le blanc cortège
    Des vierges de ta cour, aimable et divin Roi!

    Hélas! je ne suis rien que la faiblesse même;
    Tu le sais bien, mon Dieu, je n'ai pas de vertus!
    Mais tu le sais aussi, pour moi, le bien suprême
    Qui me charma toujours... c'est toi, mon doux Jésus!
    Lorsqu'en mon jeune cœur s'alluma cette flamme
    Qui se nomme l'amour... tu vins la réclamer.
    Et loi seul, ô Jésus, pus contenter mon âme,
    Car jusqu'à l'infini j'avais besoin d'aimer!

    Comme un petit agneau loin de la bergerie,
    Gaîment je folâtrais, ignorant le danger;
    Mais, ô Reine des cieux, ma Bergère chérie,
    Ton invisible main savait me protéger!
    Ainsi, tout en jouant au bord des précipices,
    Déjà tu me montrais le sommet du Carmel;
    Je comprenais alors les austères délices
    Qu'il me faudrait aimer pour m'envoler au ciel.

    Seigneur, si tu chéris la pureté de l'Ange,
    De ce brillant esprit qui nage dans l'azur,
    N'aimes-tu pas aussi, s'élevant de la fange,
    Le lis que ton amour a su conserver pur?
    S'il est heureux, mon Dieu, l'Ange à l'aile vermeille
    Qui paraît devant toi tout blanc de pureté,
    Ma robe, dès ce monde, à la sienne est pareille,
    Puisque j'ai le trésor de la virginité!

1897.



La rose effeuillée.

Air: _Le fil de la Vierge ou La Rose mousse._


    Jésus, quand je te vois soutenu par ta Mère,
                  Quitter ses bras,
    Essayer en tremblant sur notre triste terre
                  Tes premiers pas;
    Devant toi je voudrais effeuiller une rose
                  En sa fraîcheur,
    Pour que ton petit pied bien doucement repose
                  Sur une fleur.

    Cette rose effeuillée est la fidèle image,
                  Divin Enfant!
    Du cœur qui veut pour toi s'immoler sans partage
                  A chaque instant.
    Seigneur, sur tes autels plus d'une fraîche rose
                  Aime à briller;
    Elle se donne à toi, mais je rêve autre chose:
                  C'est m'effeuiller...

    La rose en son éclat peut embellir ta fête,
                  Aimable Enfant!
    Mais la rose effeuillée, on l'oublie, on la jette
                  Au gré du vent...
    La rose, en s'effeuillant, sans recherche se donne
                  Pour n'être plus.
    Comme elle, avec bonheur, à toi je m'abandonne,
                  Petit Jésus!

    L'on marche sans regret sur des feuilles de rose,
                  Et ces débris
    Sont un simple ornement que sans art on dispose,
                  Je l'ai compris...
    Jésus, pour ton amour j'ai prodigué ma vie,
                  Mon avenir;
    Aux regards des mortels, rose à jamais flétrie,
                  Je dois mourir!

    Pour toi je dois mourir, Jésus, beauté suprême,
                  Oh! quel bonheur!
    Je veux en m'effeuillant te prouver que je t'aime
                  De tout mon cœur.
    Sous tes pas enfantins je veux avec mystère
                  Vivre ici-bas;
    Et je voudrais encore adoucir au Calvaire
                  Tes derniers pas...

Mai 1897.

[Illustration]



L'abandon.

«L'abandon est le fruit délicieux de l'amour.»

_Saint Augustin._


    Il est sur cette terre
    Un arbre merveilleux;
    Sa racine, ô mystère!
    Se trouve dans les cieux.
    Jamais, sous son ombrage,
    Rien ne saurait blesser;
    Là, sans craindre l'orage,
    On peut se reposer.
    De cet arbre ineffable,
    _L'amour_, voilà le nom;
    Et son fruit délectable
    S'appelle l'_abandon_!

    Ce fruit, dès cette vie,
    Me donne le bonheur;
    Mon âme est réjouie
    Par sa divine odeur.
    Ce fruit, quand je le touche,
    Me paraît un trésor;
    Le portant à ma bouche,
    Il m'est plus doux encor.
    Il me donne en ce monde
    Un océan de paix;
    En cette paix profonde
    Je repose à jamais.

    Seul, l'_abandon_ me livre
    En tes bras, ô Jésus!
    C'est lui qui me fait vivre
    Du pain de tes élus;
    A toi je m'abandonne,
    O mon divin Epoux!
    Et je n'ambitionne
    Que ton regard si doux.
    Toujours je veux sourire,
    M'endormant sur ton Cœur...
    Et là, je veux redire
    Que je t'aime, Seigneur!

    Comme la pâquerette
    Au calice vermeil,
    Moi, petite fleurette,
    Je m'entr'ouvre au soleil.
    Mon doux soleil de vie,
    O mon aimable Roi!
    C'est ta divine Hostie,
    Petite comme moi...
    De sa céleste flamme
    Le lumineux rayon
    Fait naître dans mon âme
    Le parfait _abandon_.

    Toutes les créatures
    Peuvent me délaisser;
    Je saurai sans murmures
    Près de toi m'en passer.
    Et si tu me délaisses,
    O mon divin Trésor!
    N'ayant plus tes caresses,
    Je veux sourire encor.
    En paix je veux attendre,
    Doux Jésus, ton retour,
    Et sans jamais suspendre
    Mes cantiques d'amour!

    Non, rien ne m'inquiète,
    Rien ne peut me troubler.
    Plus haut que l'alouette
    Mon âme sait voler!
    Au-dessus des nuages,
    Le ciel est toujours bleu;
    On touche les rivages
    Où règne le bon Dieu!
    J'attends en paix la gloire
    Du céleste séjour,
    Car je trouve au ciboire
    _Le doux fruit de l'amour_!

    Mai 1897.

[Illustration: LA VIERGE-MÈRE

_Reproduction d'un tableau peint par «Céline», en 1864 à la demande de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus._]

_A ce Festin d'Amour que te donne ta Mère Oh! daigne m'inviter, Jésus,
mon petit Frère!_]



DEUXIÈME PARTIE

Première poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.



La Rosée divine ou le Lait virginal de Marie.

Air: _Noël d'Adam_.

    Mon doux Jésus, sur le sein de ta Mère
    Tu m'apparais tout rayonnant d'amour;
    Daigne à mon cœur révéler le mystère
    Qui t'exila du céleste séjour.
    Ah! laisse-moi me cacher sous le voile
    Qui te dérobe à tout regard mortel.
    Près de toi seule, ô matinale étoile,
    Mon âme trouve un avant-goût du ciel!

    Quand, au réveil d'une nouvelle aurore,
    Du soleil d'or on voit les premiers feux,
    La tendre fleur qui commence d'éclore
    Attend d'en haut un baume précieux:
    C'est du matin la perle étincelante,
    Mystérieuse et pleine de fraîcheur,
    Qui, produisant une sève abondante,
    Tout doucement fait entr'ouvrir la fleur.

    C'est toi, Jésus, la Fleur à peine éclose.
    Je te contemple à ton premier éveil;
    C'est toi, Jésus, la ravissante rose,
    Le frais bouton, gracieux et vermeil.
    Les bras si purs de ta Mère chérie
    Forment pour toi: berceau, trône royal.
    Ton doux soleil, c'est le sein de Marie,
    _Et ta rosée est le lait virginal!_

    Mon Bien-Aimé, mon divin petit Frère,
    En ton regard je vois tout l'avenir:
    Bientôt pour moi tu quitteras ta Mère;
    Déjà l'amour te presse de souffrir!
    Mais sur la croix, ô Fleur épanouie!
    Je reconnais ton parfum matinal;
    Je reconnais les perles de Marie:
    _Ton sang divin c'est le lait virginal!_

    Cette rosée, elle est au sanctuaire,
    L'Ange voudrait s'en abreuver aussi;
    Offrant à Dieu sa sublime prière,
    Comme saint Jean il redit: «_Le Voici!_»
    Oui, le voici ce Verbe fait Hostie,
    Prêtre éternel, Agneau sacerdotal!
    Le Fils de Dieu, c'est le Fils de Marie...
    _Le Pain de l'Ange est le lait virginal!_

    Le Séraphin se nourrit de la gloire,
    Du pur amour et du bonheur parfait;
    Moi, faible enfant, je ne vois au ciboire
    Que la couleur, la figure du lait.
    Mais c'est le lait qui convient à l'enfance,
    Du Cœur divin, l'amour est sans égal...
    O tendre amour, insondable puissance!
    _Ma blanche Hostie est le lait virginal!_

2 février 1893.

[Illustration]



La Reine du ciel à sa petite Marie.

A une postulante nommée Marie.

Air: _Petit oiseau, dis, où vas-tu?_


    Je cherche un enfant qui ressemble
    A Jésus, mon unique Agneau,
    Afin de les cacher ensemble,
    Tous deux en un même berceau.

    L'Ange de la sainte patrie
    De ce bonheur serait jaloux;
    Mais je le donne à toi, Marie,
    L'Enfant-Dieu sera ton Epoux!

    C'est toi-même que j'ai choisie
    Pour être de Jésus la sœur.
    Veux-tu lui tenir compagnie?
    Tu reposeras sur mon cœur!

    Je te bercerai sous le voile
    Où se cache le Roi des cieux,
    Mon Fils sera la seule étoile
    Désormais brillante à tes yeux.

    Mais pour que, toujours, je t'abrite
    Sous mon voile, près de Jésus,
    Il te faudra rester petite
    Avec d'enfantines vertus.

    Je veux que sur ton front rayonne
    La douceur et la pureté;
    Mais la vertu que je te donne
    Surtout, c'est la _simplicité_.

    Le Dieu, l'Unique en trois Personnes,
    Qu'adorent les anges tremblants...
    L'Eternel veut que tu lui donnes
    Le simple nom de _Fleur des champs_!

    Comme une blanche pâquerette
    Qui toujours regarde le ciel,
    Sois aussi la simple fleurette
    Du petit Enfant de Noël.

    Le monde méconnaît les charmes
    Du Roi qui s'exile des cieux;
    Bien souvent tu verras des larmes
    Briller en ses doux petits yeux.

    Il faudra qu'oubliant tes peines
    Pour réjouir l'aimable Enfant,
    Tu bénisses tes nobles chaînes,
    Et que tu chantes doucement...

    Le Dieu dont la toute-puissance
    Arrête le flot qui mugit,
    Empruntant les traits de l'enfance,
    Est devenu faible et petit.

    Le Verbe, Parole du Père,
    Qui, pour toi, s'exile ici-bas,
    Mon doux Agneau, ton petit Frère,
    Enfant, ne te parlera pas!

    Le silence est le premier gage
    De son inexprimable amour.
    Comprenant ce muet langage,
    Tu l'imiteras chaque jour.

    Et si parfois Jésus sommeille,
    Tu reposeras près de lui;
    Son Cœur divin, qui toujours veille,
    Te servira de doux appui!

    Ne t'inquiète pas, Marie,
    De l'ouvrage de chaque jour;
    Ton seul travail en cette vie
    Doit être uniquement l'_amour_!

    Et si quelqu'un vient à redire
    Que tes œuvres ne se voient pas:
    J'aime _beaucoup_, pourras-tu dire:
    Voilà mon travail ici-bas.

    Jésus tressera ta couronne,
    Si tu ne veux que son amour;
    Si ton cœur à lui s'abandonne,
    Il te fera régner un jour.

    Après la nuit de cette vie,
    Tu verras son très doux regard;
    Et là-haut ton âme ravie
    Volera sans aucun retard...

Noël 1894.

[Illustration]



Dernière poésie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.



Pourquoi je t'aime, ô Marie!


Air: _La plainte du Mousse._


    Oh! je voudrais chanter, Mère, pourquoi je t'aime!
    Pourquoi ton nom si doux fait tressaillir mon cœur!
    Et pourquoi de penser à ta grandeur suprême
    Ne saurait à mon âme inspirer de frayeur.
    Si je te contemplais dans ta sublime gloire,
    Et surpassant l'éclat de tous les bienheureux;
    Que je suis ton enfant, je ne pourrais le croire.....
    Marie, ah! devant toi je baisserais les yeux.

    Il faut, pour qu'un enfant puisse chérir sa mère,
    Qu'elle pleure avec lui, partage ses douleurs.
    O Reine de mon cœur, sur la rive étrangère,
    Pour m'attirer à toi, que tu versas de pleurs!
    En méditant ta vie écrite en l'Evangile,
    J'ose te regarder et m'approcher de toi;
    Me croire ton enfant ne m'est pas difficile,
    Car je te vois mortelle et souffrant comme moi.

    Lorsqu'un Ange des cieux t'offre d'être la Mère
    Du Dieu qui doit régner toute l'éternité,
    Je te vois préférer, quel étonnant mystère!
    L'ineffable trésor de la virginité.
    Je comprends que ton âme, ô Vierge immaculée,
    Soit plus chère au Seigneur que le divin séjour.
    Je comprends que ton âme, humble et douce vallée,
    Contienne mon Jésus, l'Océan de l'amour!

    Je t'aime, te disant la petite servante
    Du Dieu que tu ravis par ton humilité.
    Cette grande vertu te rend toute-puissante,
    Elle attire en ton cœur la Sainte Trinité!

    Alors l'Esprit d'amour te couvrant de son ombre,
    Le Fils égal au Père en toi s'est incarné...
    De ses frères pécheurs bien grand sera le nombre,
    Puisqu'on doit l'appeler: _Jésus, ton premier-né!_

[Illustration: ORATOIRE

où se trouve actuellement la «Vierge de la chambre de Thérèse».

Cet oratoire communique avec la cellule de Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus dont ou voit la porte entr'ouverte.

Là sont déposées journellement les nombreuses suppliques adressés à la
Servante de Dieu.)

    Marie, ah! tu le sais, malgré ma petitesse,
    Comme toi je possède en moi le Tout-Puissant.
    Mais je ne tremble pas en voyant ma faiblesse:
    Le trésor de la Mère appartient à l'enfant...
    Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie!
    Tes vertus, ton amour ne sont-ils pas à moi?
    Aussi, lorsqu'en mon cœur descend la blanche Hostie,
    Jésus, ton doux Agneau, croit reposer en toi!

    Tu me le fais sentir, ce n'est pas impossible
    De marcher sur tes pas, ô Reine des élus!
    L'étroit chemin du ciel, tu l'as rendu visible
    En pratiquant toujours les plus humbles vertus.
    Marie, auprès de toi j'aime à rester petite;
    Des grandeurs d'ici-bas je vois la vanité.
    Chez sainte Elisabeth recevant ta visite,
    J'apprends à pratiquer l'ardente charité.

    Là, j'écoute à genoux, douce Reine des Anges,
    Le cantique sacré qui jaillit de ton cœur;
    Tu m'apprends à chanter les divines louanges,
    _A me glorifier en Jésus, mon Sauveur_.
    Tes paroles d'amour sont de mystiques roses
    Qui doivent embaumer les siècles à venir:
    En toi, _le Tout-Puissant a fait de grandes choses_:
    Je veux les méditer, afin de l'en bénir.

    Quand le bon saint Joseph ignore le miracle
    Que tu voudrais cacher dans ton humilité,
    Tu le laisses pleurer _tout près du tabernacle_
    Qui voile du Sauveur la divine beauté.
    Oh! que je l'aime encor ton éloquent silence!
    Pour moi, c'est un concert doux et mélodieux
    Qui me dit la grandeur et la toute-puissance
    D'une âme qui n'attend son secours que des cieux...

    Plus tard, à Bethléem, ô Joseph, ô Marie,
    Je vous vois repoussés de tous les habitants;
    Nul ne veut recevoir en son hôtellerie
    De pauvres étrangers... la place est pour les grands!
    La place est pour les grands, et c'est dans une étable
    Que la Reine des cieux doit enfanter un Dieu.
    O Mère du Sauveur, que je te trouve aimable!
    Que je te trouve grande en un si pauvre lieu!

    Quand je' vois l'Eternel enveloppé de langes,
    Quand, du Verbe divin, j'entends le faible cri...
    Marie, à cet instant, envierais-je les Anges?
    Leur Seigneur adorable est mon Frère chéri!
    Oh! que je te bénis, toi qui sur nos rivages
    As fait épanouir cette divine Fleur!
    Que je t'aime, écoutant les bergers et les mages,
    _Et gardant avec soin toute chose en ton cœur_!

    Je t'aime, te mêlant avec les autres femmes
    Qui, vers le Temple saint, ont dirigé leurs pas;
    Je t'aime, présentant le Sauveur de nos âmes
    Au bienheureux vieillard qui le presse en ses bras;
    D'abord en souriant j'écoute son cantique;
    Mais bientôt ses accents me font verser des pleurs...
    Plongeant dans l'avenir un regard prophétique,
    Siméon te présente _un glaive de douleurs_!

    O Reine des martyrs, jusqu'au soir de ta vie
    Ce glaive douloureux transpercera ton cœur.
    Déjà tu dois quitter le sol de ta patrie,
    Pour éviter d'un roi la jalouse fureur.
    Jésus sommeille en paix sous les plis de ton voile,
    Joseph vient te prier de partir à l'instant;
    Et ton obéissance aussitôt se dévoile:
    Tu pars sans nul retard et sans raisonnement.

    Sur la terre d'Egypte, il me semble, ô Marie,
    Que dans la pauvreté ton cœur reste joyeux;
    Car Jésus n'est-il pas la plus belle patrie?
    Que t'importe l'exil?... Tu possèdes les cieux
    Mais à Jérusalem une amère tristesse,
    Comme un vaste océan, vient inonder ton cœur...
    Jésus, pendant trois jours, se cache à ta tendresse.
    Alors c'est bien l'exil dans toute sa rigueur!

    Enfin tu l'aperçois, et l'amour te transporte...
    Tu dis au bel Enfant qui charme les Docteurs:
    «_O mon Fils, pourquoi donc agis-tu de la sorte?_
    «_Voilà ton père et moi qui te cherchions en pleurs!_...»
    Et l'Enfant-Dieu répond--oh! quel profond mystère!--
    A la Mère qu'il aime et qui lui tend les bras:
    «_Pourquoi me cherchiez-vous?_... _Aux œuvres de mon Père_
    «_Je dois penser déjà!... Ne ne le savez-vous pas?_»

    L'Evangile m'apprend que, croissant en sagesse,
    A Marie, à Joseph, Jésus reste soumis;
    Et mon cœur me révèle avec quelle tendresse
    Il obéit toujours à ses parents chéris.
    Maintenant je comprends le mystère du Temple,
    La réponse, le ton de mon aimable Roi:
    Mère, ce doux Enfant veut que tu sois l'exemple
    De l'âme qui le cherche en la nuit de la foi...

    Puisque le Roi des Cieux a voulu que sa Mère
    Fût soumise à la nuit, à l'angoisse du cœur,
    Alors, c'est donc un bien de souffrir sur la terre?
    Oui!... souffrir en aimant, c'est le plus pur bonheur!
    Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre,
    Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi;
    Il peut bien se cacher, je consens à l'attendre
    Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi.

    Je sais qu'à Nazareth, Vierge pleine de grâces,
    Tu vis très pauvrement, ne voulant rien de plus;
    Point de ravissements, de miracles, d'extases
    N'embellissent ta vie, ô Reine des élus!
    Le nombre des petits est bien grand sur la terre,
    Ils peuvent, sans trembler, vers toi lever les yeux;
    Par la commune voie, incomparable Mère,
    Il te plaît de marcher pour les guider aux cieux!

    Pendant ce triste exil, ô ma Mère chérie,
    Je veux vivre avec toi, te suivre chaque jour;
    Vierge, en te contemplant je me plonge ravie,
    Découvrant dans ton cœur des abîmes d'amour!
    Ton regard maternel bannit toutes mes craintes:
    Il m'apprend à pleurer, il m'apprend à jouir.
    Au lieu de mépriser les jours de fêtes saintes,
    Tu veux les partager, tu daignes les bénir.

    Des époux de Cana voyant l'inquiétude
    Qu'ils ne peuvent cacher, car ils manquent de vin,
    Au Sauveur tu le dis, dans ta sollicitude,
    Espérant le secours de son pouvoir divin.
    Jésus semble d'abord repousser ta prière:
    «_Qu'importe_, répond-il, _femme, à vous comme à moi?_»
    Mais, au fond de son cœur il te nomme sa _Mère_,
    Et son premier miracle il l'opère pour toi!

    Un jour que les pécheurs écoutent la doctrine
    De Celui qui voudrait au ciel les recevoir:
    Je te trouve avec eux, Mère, sur la colline;
    Quelqu'un dit à Jésus que tu voudrais le voir.
    Alors ton divin Fils, devant la foule entière,
    De son amour pour nous montre l'immensité;
    Il dit: «_Quel est mon frère, et ma sœur, et ma mère_,
    «_Si ce n'est celui-là qui fait ma volonté_?»

    O Vierge immaculée, ô Mère la plus tendre!
    En écoutant Jésus tu ne t'attristes pas,
    Mais tu te réjouis qu'il nous fasse comprendre
    Que notre âme devient _sa famille_ ici-bas.
    Oui, tu te réjouis qu'il nous donne sa vie,
    Les trésors infinis de sa Divinité!
    Comment ne pas t'aimer, te bénir, ô Marie!
    Voyant, à notre égard, ta générosité?...

    Tu nous aimes vraiment comme Jésus nous aime,
    Et tu consens pour nous à t'éloigner de lui.
    Aimer, c'est tout donner, et se donner soi-même:
    Tu voulus le prouver en restant notre appui.
    Le Sauveur connaissait ton immense tendresse,
    Il savait les secrets de ton cœur maternel...
    Refuge des pécheurs, c'est à toi qu'il nous laisse
    Quand il quitte la croix pour nous attendre au ciel!

    Tu m'apparais, Marie, au sommet du Calvaire,
    _Debout, près de la Croix_, comme un prêtre à l'autel;
    Offrant, pour apaiser la justice du Père,
    Ton bien-aimé Jésus, le doux Emmanuel.
    Un prophète l'a dit, ô Mère désolée:
    «_Il n'est pas de douleur semblable à ta douleur!_»
    O Reine des martyrs, en restant exilée,
    Tu prodigues pour nous tout le sang de ton cœur!

    La maison de saint Jean devient ton seul asile;
    Le fils de Zébédée a remplacé Jésus!
    C'est le dernier détail que donne l'Evangile:
    De la Vierge Marie il ne me parle plus...
    Mais son profond silence, ô ma Mère chérie,
    Ne révèle-t-il pas que le Verbe éternel
    Veut lui-même chanter les secrets de ta vie
    Pour charmer tes enfants, tous les élus du ciel?

    Bientôt je l'entendrai cette douce harmonie;
    Bientôt, dans le beau ciel, je vais aller te voir!
    _Toi qui vins me sourire au matin de ma vie,
    Viens me sourire encor... Mère, voici le soir!_
    Je ne crains plus l'éclat de ta gloire suprême;
    Avec toi j'ai souffert... et je veux maintenant
    _Chanter sur tes genoux, Vierge, pourquoi je t'aime.....
    Et redire à jamais que je suis ton enfant!_

Mai 1897.

[Illustration]



A saint Joseph.


Air: _Par les chants les plus magnifiques._

    Joseph, votre admirable vie
    Se passa dans l'humilité;
    Mais de Jésus et de Marie
    Vous contempliez la beauté!
    Le Fils de Dieu dans son enfance,
    Plus d'une fois, avec bonheur,
    Soumis à votre obéissance
    S'est reposé sur votre cœur!

    Comme vous dans la solitude
    Nous servons Marie et Jésus;
    Leur plaire est notre seule étude,
    Nous ne désirons rien de plus.
    Sainte Thérèse, Notre Mère,
    En vous se confiait toujours;
    Elle assure que sa prière
    Vous l'exauciez d'un prompt secours.

    Quand l'épreuve sera finie,
    Nous en avons le doux espoir,
    Près de la divine Marie,
    O Père, nous irons vous voir!
    Alors nous lirons votre histoire
    Inconnue au monde mortel;
    Nous découvrirons votre gloire
    Et la chanterons dans le ciel.

[Illustration]



A mon Ange gardien.


Air: _Par les chants les plus magnifiques._

    Glorieux gardien de mon âme,
    Toi qui brilles dans le beau ciel
    Comme une douce et pure flamme,
    Près du trône de l'Eternel;
    Tu viens pour moi sur cette terre,
    Et m'éclairant de ta splendeur,
    Bel Ange, tu deviens mon frère,
    Mon ami, mon consolateur!

    Connaissant ma grande faiblesse,
    Tu me diriges par la main;
    Et je te vois, avec tendresse,
    Oter la pierre du chemin.
    Toujours ta douce voix m'invite
    A ne regarder que les cieux;
    Plus tu me vois humble et petite,
    Et plus ton front est radieux.

    O toi qui traverses l'espace
    Plus promptement que les éclairs,
    Vole bien souvent à ma place
    Auprès de ceux qui me sont chers;
    De ton aile sèche leurs larmes,
    Chante combien Jésus est bon!
    Chante que souffrir a des charmes,
    Et tout bas murmure mon nom.

    Je veux, pendant ma courte vie,
    Sauver mes frères les pécheurs;
    O bel Ange de la patrie,
    Donne-moi tes saintes ardeurs.
    Je n'ai rien que mes sacrifices,
    Et mon austère pauvreté;
    Unis à tes pures délices,
    Offre-les à la Trinité.

    A toi, le royaume et la gloire,
    Les richesses du Roi des rois.
    A moi, le Pain du saint ciboire,
    A moi, le trésor de la Croix.
    Avec la Croix, avec l'Hostie,
    Avec ton céleste secours,
    J'attends en paix, de l'autre vie,
    Le bonheur qui dure toujours!

Février 1897.

[Illustration]



A mes petits Frères du ciel, les saints Innocents.


Air: _Le fil de la Vierge_ ou _La Rose mousse_.

     «Le Seigneur rassemblera les petits Agneaux et les prendra sur son
     sein.» Is., XL, II.

     «Heureux ceux que Dieu tient pour justes sans les œuvres! car à
     l'égard de ceux qui font les œuvres, la récompense n'est point
     regardée comme une grâce, mais comme une chose due. C'est donc
     gratuitement que ceux qui ne font pas les œuvres sont justifiés
     par la grâce, en vertu de la Rédemption dont Jésus-Christ est
     l'Auteur.»

Rom., IV, 4, 5, 6.

    Heureux petits enfants! avec quelles tendresses
                Le Roi des cieux
    Vous bénit autrefois, et combla de caresses
                Vos fronts joyeux!
    De tous les Innocents vous étiez la figure,
                Et j'entrevois
    Les biens que, dans le ciel, vous donne sans mesure
                Le Roi des rois.

    Vous avez contemplé les immenses richesses
                Du paradis,
    Avant d'avoir connu nos amères tristesses,
                Chers petits lis!
    O boutons parfumés, moissonnés dès l'aurore
                Par le Seigneur...
    Le doux soleil d'amour qui sut vous faire éclore,
                Ce fut son Cœur!

    Quels ineffables soins, quelle tendresse exquise,
                Et quel amour
    Vous prodigue ici-bas notre Mère l'Eglise,
                Enfants d'un jour!
    Dans ses bras maternels vous fûtes en prémices
                Offerts à Dieu.
    Toute l'éternité vous ferez les délices
                Du beau ciel bleu.

    Enfants, vous composez le virginal cortège
                Du doux Agneau;
    Et vous pouvez redire, étonnant privilège!
                Un chant nouveau.
    Vous êtes, sans combats, parvenus à la gloire
                Des conquérants;
    Le Sauveur a pour vous remporté la victoire,
                Vainqueurs charmants!

    On ne voit point briller de pierres précieuses
                Dans vos cheveux,
    Seul, le reflet doré de vos boucles soyeuses
                Ravit les cieux...
    Les trésors des élus, leurs palmes, leurs couronnes,
                Tout est à vous!
    Dans la sainte patrie, enfants, vos riches trônes
                Sont leurs genoux.

    Ensemble vous jouez avec les petits anges
                Près de l'autel;
    Et vos chants enfantins, gracieuses phalanges,
                Charment le ciel!
    Le bon Dieu vous apprend comment il fait les roses,
                L'oiseau, les vents;
    Nul génie ici-bas ne sait autant de choses
                Que vous, Enfants!

    Du firmament d'azur, soulevant tous les voiles
                Mystérieux,
    En vos petites mains vous prenez les étoiles
                Aux mille feux.
    En courant vous laissez une trace argentée;
                Souvent le soir,
    Quand je vois la blancheur de la route lactée,
                Je crois vous voir.....

    Dans les bras de Marie, après toutes vos fêtes,
                Vous accourez;
    Sous son voile étoilé cachant vos blondes têtes,
                Vous sommeillez...

    Charmants petits lutins, votre enfantine audace
                Plaît au Seigneur;
    Vous osez caresser son adorable Face,
                Quelle faveur!

    C'est vous que le Seigneur me donna pour modèle,
                Saints Innocents!
    Je veux être ici-bas votre image fidèle,
                Petits enfants.
    Ah! daignez m'obtenir les vertus de l'enfance;
                Votre candeur,
    Votre abandon parfait, votre aimable innocence
                Charment mon cœur.

    O Seigneur, tu connais de mon âme exilée
                Les vœux ardents:
    Je voudrais moissonner, beau Lis de la vallée,
                Des lis brillants...
    Ces boutons printaniers, je les cherche et les aime
                Pour ton plaisir;
    Sur eux daigne verser l'eau sainte du baptême:
                Viens les cueillir!

    Oui, je veux augmenter la candide phalange
                Des Innocents;
    Ma joie et mes douleurs, j'offre tout en échange
                D'âmes d'enfants.
    Parmi ces Innocents je réclame une place,
                Roi des élus,
    Comme eux je veux au ciel baiser ta douce Face,
                O mon Jésus!

Février 1897.

[Illustration]



La mélodie de sainte Cécile.


     «Pendant le son des instruments, Cécile chantait en son cœur.»

OFF. DE L'EGLISE.

    O Sainte du Seigneur, je contemple ravie
    Le sillon lumineux qui demeure après toi;
    Je crois entendre encor ta douce mélodie,
    Oui, ton céleste chant arrive jusqu'à moi!
    De mon âme exilée écoute la prière,
    Laisse-moi reposer sur ton cœur virginal:
    Ce lis immaculé qui brilla sur la terre
    D'un éclat merveilleux et presque sans égal.

    O très chaste colombe, en traversant la vie
    Tu ne cherchas jamais d'autre époux que Jésus;
    Ayant choisi ton âme, il se l'était unie,
    La trouvant embaumée et riche de vertus.
    Cependant un mortel, radieux de jeunesse,
    Respira ton parfum, blanche et céleste fleur;
    Afin de te cueillir, de gagner ta tendresse,
    Valérien voulut te donner tout son cœur.
    Bientôt il prépara des noces magnifiques,
    Son palais retentit de chants mélodieux;
    Mais ton cœur virginal redisait des cantiques
    Dont l'écho tout divin s'élevait jusqu'aux cieux...
    Que pouvais-tu chanter si loin de ta patrie,
    Et voyant près de toi ce fragile mortel?
    Sans doute tu voulais abandonner la vie
    Et t'unir pour jamais à Jésus dans le ciel?
    Mais non! j'entends vibrer ta lyre séraphique,
    Lyre de ton amour, dont l'accent fut si doux;
    Tu chantais au Seigneur ce sublime cantique:
    «_Conserve mon cœur pur, Jésus, mon tendre Epoux!_»
    Ineffable abandon! divine mélodie!
    Tu révèles l'amour par ton céleste chant:
    L'amour qui ne craint pas, qui s'endort et s'oublie
    Sur le Cœur de son Dieu, comme un petit enfant...

    Dans la voûte d'azur parut la blanche étoile
    Qui venait éclairer, de ses timides feux,
    La lumineuse nuit qui nous montra sans voile
    Le virginal amour des époux dans les cieux.
    . . . . . . . . . . . . . . . .

    Alors Valérien rêvait la jouissance,
    Cécile, ton amour était tout son désir;
    Il trouva plus encor dans ta noble alliance:
    Tu lui montras d'en haut l'éternel avenir!
    «Jeune ami, lui dis-tu, près de moi toujours veille
    «Un Ange du Seigneur qui garde mon cœur pur;
    «Il ne me quitte pas, même quand je sommeille,
    «Et me couvre joyeux de ses ailes d'azur.
    «La nuit, je vois briller son aimable visage
    «D'un éclat bien plus doux que les feux du matin;
    «Sa face me paraît la transparente image,
    «Le pur rayonnement du Visage divin.»
    Valérien reprit: «Montre-moi ce bel Ange,
    «Afin qu'à ton serment je puisse ajouter foi;
    «Autrement, crains déjà que mon amour ne change
    «En terrible fureur, en haine contre toi.»

    O colombe cachée aux fentes de la pierre,
    Tu ne redoutais pas les filets du chasseur!
    La Face de Jésus te montrait sa lumière,
    L'Evangile sacré reposait sur ton cœur...
    Tu lui dis aussitôt avec un doux sourire:
    «Mon céleste Gardien exauce ton désir;
    «Bientôt tu le verras, il daignera te dire
    «Que pour voler aux cieux, tu dois être martyr...
    «Mais avant de le voir, il faut que le baptême
    «Répande dans ton âme une sainte blancheur;
    «Il faut que le vrai Dieu l'habite par lui-même,
    «Il faut que l'Esprit-Saint donne vie à ton cœur.

    «Le Verbe, Fils du Père, et le Fils de Marie,
    «Dans son immense amour s'immole sur l'autel;
    «Tu dois aller t'asseoir au Banquet de la vie,
    «Afin de recevoir Jésus, le Pain du ciel.
    «Alors le Séraphin t'appellera son frère,
    «Et, voyant dans ton cœur le trône de son Dieu,
    «Il te fera quitter les plages de la terre;
    «Tu verras le séjour de cet esprit de feu.»
    --«Je sens brûler mon cœur d'une nouvelle flamme»,
    S'écria, transformé, l'ardent patricien;
    «Je veux que le Seigneur habite dans mon âme,
    «Cécile, mon amour sera digne du tien!»

    Revêtu de la robe, emblème d'innocence,
    Valérien put voir le bel Ange des deux;
    Il contempla ravi sa sublime puissance,
    Il vit le doux éclat de son front radieux.
    Le brillant Séraphin tenait de fraîches roses,
    Il tenait de beaux lis éclatants de blancheur...
    Dans les jardins du ciel, ces fleurs étaient écloses
    Sous les rayons d'amour de l'Astre créateur.

    --«Epoux chéris des cieux, les roses du martyre
    «Couronneront vos fronts, dit l'Ange du Seigneur.
    «Il n'est pas une voix, il n'est pas une lyre
    «Capable de chanter cette grande faveur.
    «Je m'abîme en mon Dieu, je contemple ses charmes,
    «Mais je ne puis pour lui m'immoler et souffrir,
    «Je ne puis lui donner ni mon sang, ni mes larmes;
    «Pour dire mon amour, je ne saurais mourir.
    «La pureté, de l'Ange est le brillant partage,
    «Son immense bonheur ne doit jamais finir;
    «Mais sur le Séraphin vous avez l'avantage:
    «Vous pouvez être purs et vous pouvez souffrir!
    . . . . . . . . . . . . . . . . . .
    «De la virginité, vous voyez le symbole
    «Dans ces lis embaumés, doux présent de l'Agneau;
    «Vous serez couronnés de la blanche auréole,
    «Vous chanterez toujours le cantique nouveau...
    «Votre chaste union enfantera des âmes
    «Qui ne rechercheront d'autre époux que Jésus;
    «Vous les verrez briller comme de pures flammes,
    «Près du trône divin, au séjour des élus.»

    Cécile, prête-moi ta douce mélodie;
    Je voudrais convertir à Jésus tant de cœurs!
    Je voudrais, comme toi, sacrifier ma vie,
    Je voudrais lui donner tout mon sang et mes pleurs...
    Obtiens-moi de goûter, sur la rive étrangère,
    Le parfait abandon, ce doux fruit de l'amour;
    O Sainte de mon cœur! bientôt, loin de la terre,
    Obtiens-moi de voler près de toi, sans retour...

    28 avril 1893.

[Illustration]



Cantique de sainte Agnès.


Air: _Le Lac_ (NIEDERMEYER).


    Le Christ est mon amour, il est toute ma vie,
    Il est le Fiancé qui seul ravit mes yeux;
    J'entends déjà vibrer de sa douce harmonie
            Les sons mélodieux.

    Mes cheveux sont ornés de pierres précieuses,
    Déjà brille à mon doigt son anneau nuptial;
    Il a daigné couvrir d'étoiles lumineuses
            Mon manteau virginal.

    Il a paré ma main de perles sans pareilles,
    Il a mis à mon cou des colliers de grand prix;
    En ce jour bienheureux, brillent à mes oreilles
            De célestes rubis.

    Oui, je suis fiancée à Celui que les Anges
    Serviront en tremblant toute l'éternité;
    La lune et le soleil racontent ses louanges,
            Admirent sa beauté.

    Son empire est le ciel, sa nature est divine,
    Une Vierge ici-bas, pour Mère, il se choisit;
    Son Père est le vrai Dieu qui n'a pas d'origine,
            Il est un pur esprit.

    Lorsque j'aime le Christ et lorsque je le touche,
    Mon cœur devient plus pur, je suis plus chaste encor;
    De la virginité, le baiser de sa bouche
            M'a donné le trésor...

    Il a déjà posé son signe sur ma face,
    Afin que nul amant n'ose approcher de moi;
    Mon cœur est soutenu par la divine grâce
            De mon aimable Roi.

    De son sang précieux je suis tout empourprée,
    Je crois goûter déjà les délices du ciel!
    Et je puis recueillir sur sa bouche sacrée
            Le lait avec le miel.

    Aussi je ne crains rien, ni le fer, ni la flamme,
    Non, rien ne peut troubler mon ineffable paix;
    Et le feu de l'amour qui consume mon âme
            Ne s'éteindra jamais...

    21 janvier 1896.



Au Vénérable Théophane Vénard.

Air: _Les adieux du Martyr._


    Tous les élus célèbrent tes louanges,
    O Théophane, angélique martyr!
    Et je le sais, dans les saintes phalanges,
    Le Séraphin aspire à te servir.
    Ne pouvant pas, sur la rive étrangère,
    Mêler ma voix à celle des élus,
    Je veux du moins, sur cette pauvre terre,
    Prendre ma lyre et chanter tes vertus.

    Ton court exil fut comme un doux cantique
    Dont les accents savaient toucher les cœurs,
    Et, pour Jésus, ton âme poétique,
    A chaque instant, faisait naître des fleurs...
    En t'élevant vers la céleste sphère,
    Ton chant d'adieu fut encore printanier;
    Tu murmurais: _«Moi, petit éphémère,
    «Dans le beau ciel, je m'en vais le premier!»_

    Heureux martyr, à l'heure du supplice,
    Tu savourais le bonheur de souffrir!
    Souffrir pour Dieu te semblait un délice;
    En souriant, tu sus vivre et mourir.
    A ton bourreau tu t'empressas de dire,
    Lorsqu'il t'offrit d'abréger ton tourment:
    _«Plus durera mon douloureux martyre,
    «Mieux ça vaudra, plus je serai content!»_

    Lis virginal, au printemps de ta vie,
    Le Roi du ciel entendit ton désir;
    Je vois en toi _«la fleur épanouie
    «Que le Seigneur cueillit pour son plaisir»_.
    Et maintenant tu n'es plus exilée,
    Les bienheureux admirent ta splendeur;
    Rose d'amour, la Vierge immaculée
    De ton parfum respire la fraîcheur...

    Soldat du Christ, ah! prête-moi tes armes;
    Pour les pécheurs, je voudrais ici-bas
    Lutter, souffrir, donner mon sang, mes larmes;
    Protège-moi, viens soutenir mon bras.
    Je veux pour eux, ne cessant pas la guerre,
    Prendre d'assaut le royaume de Dieu;
    Car le Seigneur apporta sur la terre,
    Non pas la paix, mais le glaive et le feu.

    Je la chéris, cette plage infidèle
    Qui fut l'objet de ton ardent amour;
    Avec bonheur je volerais vers elle,
    Si mon Jésus le demandait un jour...
    Mais devant lui s'effacent les distances;
    Il n'est qu'un point tout ce vaste univers!
    Mes actions, mes petites souffrances
    Font aimer Dieu jusqu'au delà des mers.

    Ah! si j'étais une fleur printanière
    Que le Seigneur voulût bientôt cueillir!
    Descends du ciel à mon heure dernière,
    Je t'en conjure, ô bienheureux Martyr!
    De ton amour aux virginales flammes,
    Viens m'embraser en ce séjour mortel,
    Et je pourrai voler avec tes âmes
    Qui formeront ton cortège éternel.

    2 février 1897.

[Illustration]



TROISIÈME PARTIE



La Bergère de Domremy écoutant ses Voix.

Fragments.

RÉCRÉATION PIEUSE


    Moi, Jeanne la bergère,
    Je chéris mon troupeau;
    Ma houlette est légère
    Et j'aime mon fuseau.

    J'aime la solitude
    De ce joli bosquet;
    J'ai la douce habitude
    D'y venir en secret.

    J'y tresse une couronne
    De belles fleurs des champs;
    Je l'offre à la Madone
    Avec mes plus doux chants.

    J'admire la nature,
    Les fleurs et les oiseaux;
    Du ruisseau qui murmure
    Je contemple les eaux.

    Les vallons, les campagnes
    Réjouissent mes yeux;
    Le sommet des montagnes
    Me rapproche des cieux.

    J'entends des voix étranges
    Qui viennent m'appeler...
    Je crois bien que les anges
    Doivent ainsi parler.

    J'interroge l'espace,
    Je contemple les cieux;
    Je ne vois nulle trace
    D'êtres mystérieux.

    Franchissant le nuage
    Qui doit me les voiler,
    Au céleste rivage
    Que ne puis-je voler!

           *       *       *       *       *

    _Sainte Catherine et Sainte Marguerite._

    Air: _L'Ange et l'âme_.

    Aimable enfant, notre douce compagne,
    Ta voix si pure a pénétré le ciel,
    L'Ange gardien qui toujours t'accompagne
    A présenté tes vœux à l'Eternel.

    Nous descendons de son céleste empire,
    Où nous régnons pour une éternité;
    C'est par nos voix que Dieu daigne te dire
              Sa volonté.

    Il faut partir pour sauver la patrie,
    Garder sa foi, lui conserver l'honneur;
    Le Roi des cieux et la Vierge Marie
    Sauront toujours rendre ton bras vainqueur.

    (_Jeanne pleure._)

    Console-toi, Jeanne, sèche tes larmes,
    Prête l'oreille et regarde les cieux:
    Là, tu verras que souffrir a des charmes,
    Tu jouiras de chants harmonieux.

    Ces doux refrains fortifieront ton âme
    Pour le combat qui doit bientôt venir;
    Jeanne, il te faut un amour tout de flamme,
            Tu dois souffrir!

        Pour l'âme pure, en la nuit de la terre,
        L'unique gloire est de porter la croix;
        Un jour au ciel, ce sceptre tout austère
        Sera plus beau que le sceptre des rois.


        _Saint Michel._

        Air: _Partez, hérauts_.

        Je suis Michel, le gardien de la France,
        Grand Général au royaume des cieux;
        Jusqu'aux enfers j'exerce ma puissance,
        Et le démon en est tout envieux.
        Jadis aussi, très brillant de lumière,
        Satan voulut régner dans le saint lieu;
        Mais je lançai comme un bruit de tonnerre
          Ces mots: «_Qui peut égaler Dieu?_»

        Au même instant la divine vengeance,
        Creusant l'abîme, y plongea Lucifer;
    Car pour l'ange orgueilleux il n'est point de clémence,
              Il mérite l'enfer.

        Oui, c'est l'orgueil qui, renversant cet ange,
        De Lucifer a fait un réprouvé:
        Plus tard aussi, l'homme chercha la fange,
        Mais de secours il ne fut pas privé.
        C'est l'Eternel, le Verbe égal au Père,
        Qui, revêtant la pauvre humanité,
        Régénéra son œuvre tout entière
          Par sa profonde humilité.

        Ce même Dieu daigne sauver la France;
        Mais ce n'est pas par un grand conquérant.
    Il rejette l'orgueil et prend de préférence
                Un faible bras d'enfant.

        Jeanne, c'est toi que le ciel a choisie,
        Il faut partir pour répondre à sa voix;
        Il faut quitter tes agneaux, ta prairie,
        Ce frais vallon, la campagne et les bois.
        Arme ton bras! vole et sauve la France!
        Va... ne crains rien, méprise le danger;
        Va! je saurai couronner ta vaillance,
          Et tu chasseras l'étranger.

        Prends cette épée et la porte à la guerre;
        Depuis longtemps Dieu la gardait pour toi:
    Prends pour ton étendard une blanche bannière,
              Et va trouver le roi...


_Jeanne seule._

Air: _La plainte du Mousse_.

    Pour vous seul, ô mon Dieu, je quitterai mon père,
    Tous mes parents chéris et mon clocher si beau.
    Pour vous je vais partir et combattre à la guerre,
    Pour vous je vais laisser mon vallon, mon troupeau.
    Au lieu de mes agneaux je conduirai l'armée...
    Je vous donne ma joie et mes dix-huit printemps!
    Pour vous plaire, Seigneur, je manierai l'épée,
    Au lieu de me jouer avec les fleurs des champs.
    Ma voix, qui se mêlait au souffle de la brise,
    Doit bientôt retentir jusqu'au sein du combat;
    Au lieu du son rêveur d'une cloche indécise,
    J'entendrai le grand bruit d'un peuple qui se bat!
    Je désire la croix, j'aime le sacrifice:
    Ah! daignez m'appeler, je suis prête à souffrir.
    Souffrir pour votre amour, ô Maître, c'est délice!
    Jésus, mon Bien-Aimé, pour vous je veux mourir...

_Saint Michel._

Air: _Les Rameaux_ (de FAURE).

    Il en est temps, Jeanne, tu dois partir.
    C'est le Seigneur qui t'arme pour la guerre;
    Fille de Dieu, ne crains pas de mourir,
    Bientôt viendra l'éternelle lumière!


_Sainte Marguerite._

    O douce enfant, tu régneras.


_Sainte Catherine._

    Tu suivras de l'Agneau la trace virginale...


_Les deux Saintes ensemble._

        Comme nous tu chanteras
    Du Dieu Très-Haut, la puissance royale.


    _Saint Michel._

      Jeanne, ton nom est écrit dans les cieux,
      Avec les noms des sauveurs de la France;
      Tu brilleras d'un éclat merveilleux,
      Comme une reine en sa magnificence.

    _Les saintes offrant à Jeanne la palme et la couronne._

      Avec bonheur nous contemplons
    Ce reflet qui déjà sur ta tête rayonne,
            Et du ciel nous t'apportons.


    _Sainte Catherine._

      La palme du martyre.


    _Sainte Marguerite._

                      Et la couronne.


    _Saint Michel, présentant l'épée._

      Il faut combattre avant d'être vainqueur;
      Non, pas encor la palme et la couronne!
      Mérite-les dans les champs de l'honneur;
      Jeanne, entends-tu le canon qui résonne?


    _Les Saintes ensemble._

        Dans les combats nous te suivrons,
    Nous te ferons toujours remporter la victoire,
          Et bientôt nous poserons
      Sur ton front pur l'auréole de gloire.


    _Jeanne seule._

          Avec vous, saintes bien-aimées,
          Je ne craindrai pas le danger;
          Je prierai le Dieu des armées,
          Et je chasserai l'étranger.
          J'aime la France, ma patrie;
          Je veux lui conserver la foi,
          Je lui sacrifierai ma vie
          Et je combattrai pour mon roi.
          Non, je ne crains pas de mourir,
          C'est l'éternité que j'espère.
          Maintenant qu'il me faut partir,
          O mon Dieu, consolez ma mère...
          Saint Michel, daignez me bénir!


    _Saint Michel._

      J'entends déjà tous les élus du ciel
      Chanter joyeux en écoutant la lyre
      Du Pape-Roi, du Pontife immortel
      Appelant Jeanne _une sainte Martyre_.

      J'entends l'univers proclamer
    Les vertus de l'enfant qui fut humble et pieuse;
              Et je vois Dieu confirmer
      Le beau nom de Jeanne _la Bienheureuse!_

      En ces grands jours la France souffrira,
      L'impiété souillera son enceinte;
      De Jeanne, alors, la gloire brillera;
      Toute âme pure invoquera la Sainte.

        Des voix monteront vers les cieux,
    S'harmonisant en chœur, vibrantes d'espérance:
          Jeanne d'Arc, entends nos vœux;
    Une seconde fois, sauve la France!

    1894.

[Illustration]



Hymne de Jeanne d'Arc après ses victoires.

Air: _Les regrets de Mignon._


    A vous tout l'honneur et la gloire,
    O mon Dieu, Seigneur tout-puissant!
    Vous m'avez donné la victoire
    A moi, faible et timide enfant.
    Et vous, ô ma divine Mère,
    Bel astre toujours radieux,
    Vous avez été ma lumière,
    Me protégeant du haut des cieux!
    De votre éclatante blancheur,
    O douce et lumineuse étoile,
    Quand donc verrai-je la splendeur?
    Quand serai-je sous votre voile,
    Me reposant sur votre cœur?...

    Mon âme en l'exil de la terre
    Aspire au bonheur éternel;
    Rien ne saurait la satisfaire...
    Il lui faut son Dieu dans le ciel!
    Mais, avant de le voir sans ombre,
    Je veux combattre pour Jésus,
    Lui gagner des âmes sans nombre,
    Je veux l'aimer de plus en plus.
    L'exil passera comme un jour;
    Bientôt au céleste rivage
    Je m'envolerai sans retour;
    Bientôt, sans ombre, sans nuage,
    Je verrai Jésus, mon amour!

[Illustration]



Prière de Jeanne d'Arc dans sa prison.

Air: _La plainte du Mousse_.


    Mes voix me l'ont prédit: me voici prisonnière;
    Je n'attends de secours que de vous, ô mon Dieu!
    Pour votre seul amour j'ai quitté mon vieux père,
    Ma campagne fleurie et mon ciel toujours bleu;
    J'ai quitté mon vallon, ma mère bien-aimée,
    Et montrant aux guerriers l'étendard de la croix,
    Seigneur, en votre nom j'ai commandé l'armée:
    Les plus grands généraux ont entendu ma voix.

    Une sombre prison, voilà ma récompense,
    Le prix de mes travaux, de mon sang, de mes pleurs!...
    Je ne reverrai plus les lieux de mon enfance,
    Ma riante prairie avec ses mille fleurs...
    Je ne reverrai plus la montagne lointaine
    Dont le sommet neigeux se plonge dans l'azur,
    Et je n'entendrai plus, de la cloche incertaine,
    Le son doux et rêveur onduler dans l'air pur...

    Dans mon cachot obscur, je cherche en vain l'étoile
    Qui scintille le soir au firmament si beau!
    La feuillée, au printemps, qui me servait de voile,
    Lorsque je m'endormais en gardant mon troupeau.
    Ici, quand je sommeille au milieu de mes larmes,
    Je rêve les parfums, la fraîcheur du matin;
    Je rêve mon vallon, les bois remplis de charmes,
    Mais le bruit de mes fers me réveille soudain...

           *       *       *       *       *

    Seigneur, pour votre amour j'accepte le martyre,
    Je ne redoute plus ni la mort, ni le feu.
    C'est vers vous, ô Jésus, que mon âme soupire;
    Je n'ai plus qu'un désir, et c'est vous, ô mon Dieu!
    Je veux prendre ma croix, doux Sauveur, et vous suivre,
    Mourir pour votre amour, je ne veux rien de plus.
    Je désire mourir pour commencer à vivre,
    Je désire mourir pour m'unir à Jésus.

    1894.



Les Voix de Jeanne pendant son martyre.

Air: _Au sein de l'heureuse patrie._


    Nous descendons de la rive éternelle
    Pour te sourire et t'emporter aux cieux;
    Vois en nos mains la couronne immortelle
    Qui brillera sur ton front glorieux.

        Viens avec nous, vierge chérie,
        Oh! viens en notre beau ciel bleu;
        Quitte l'exil pour la patrie,
          Viens jouir de la vie,
            Fille de Dieu!

    De ce bûcher la flamme est embrasée,
    Mais plus ardent est l'amour de ton Dieu;
    Bientôt pour toi l'éternelle rosée
    Va remplacer le supplice du feu.

        Enfin voici la délivrance,
        Regarde, ange libérateur...
        Déjà la palme se balance,
          Vers toi Jésus s'avance,
            Fille au grand cœur!

    Vierge martyre, un instant de souffrance
    Va te conduire au repos éternel.
    Ne pleure pas, ta mort sauve la France;
    A ses enfants tu dois ouvrir le ciel!


    _Jeanne, expirant._

        J'entre dans l'éternelle vie,
        Je vois les anges, les élus...
        Je meurs pour sauver ma patrie!
          Venez, Vierge Marie;
            «_Jésus... Jésus!..._»



Le jugement divin.

Air: _Mignon regrettant sa patrie._


    Je te réponds d'en haut, puisque ta voix m'appelle;
    Je brise le lien qui t'enchaîne en ces lieux.
    Oh I vole jusqu'à moi, colombe toute belle,
    Viens... l'hiver est passé; viens régner dans les cieux!
            Jeanne, ton Ange te réclame,
            Et moi, le Juge de ton âme,
            En toi, toujours, je le proclame,
          J'ai vu briller la flamme de l'amour.

            Oh! viens, tu seras couronnée,
            Tes pleurs, je veux les essuyer.
            De l'exil l'ombre est déclinée,
            Je veux te donner mon baiser!

                Avec tes compagnes,
                Viens sur les montagnes;
                Et dans les campagnes,
                Tu suivras l'Agneau.

                O ma bien-aimée,
                Je t'ai réclamée;
                Chante, transformée,
                Le refrain nouveau.

                De tous les saints Anges,
                Les blanches phalanges
                Chantent tes louanges
                Près de l'Eternel.

                Timide bergère,
                Vaillante guerrière,
                Ton nom sur la terre
                Doit être immortel.
                Timide bergère,
                Vaillante guerrière,
              Je te donne le ciel!...



Le cantique du triomphe.

Air: _Oui, je le crois, elle est immaculée_.


    _Les Saints_.

      Elle est à toi l'immortelle couronne;
    Martyre du Seigneur, cette palme est à toi.
    Nous t'avons préparé cet admirable trône,
                Tout près du Roi.

    Ah! reste dans les cieux, Jeanne, colombe pure
    Echappée à jamais du filet des chasseurs.
    Tu trouveras ici le ruisseau qui murmure,
        L'espace avec des champs en fleurs.

      Prends ton essor, ouvre tes blanches ailes,
    Et tu pourras voler en chaque étoile d'or;
    Tu pourras visiter les voûtes éternelles.
                Prends ton essor!

    Jeanne, plus d'ennemis, plus de prison obscure,
    Le brillant Séraphin va te nommer sa sœur;
    Epouse de Jésus, ton Bien-Aimé t'assure
        L'éternel repos sur son Cœur!


    _Jeanne._

      Il est à moi... quelle douceur extrême!
    Tout le ciel est à moi!


    _Les Saints._

                            Tout le ciel est à toi!


    _Jeanne._

    Les anges et les saints, Marie et Dieu lui-même,
                Ils sont à moi!

           *       *       *       *       *


    _Les Saints._

    Des siècles ont passé sur la terre lointaine
    Depuis l'instant heureux où tu volas au ciel.
    Mille ans sont comme un jour en la céleste plaine;
        Mais ce jour doit être éternel!


    _Jeanne._

      Jour éternel, sans ombre, sans nuage,
    Nul ne me ravira ton éclat immortel.
    Du monde elle a passé la fugitive image...
                A moi le ciel!


    _Les Saints._

                A toi le ciel!



Prière de la France à la Vénérable Jeanne d'Arc.

Air: _Rappelle-toi_.


      Oh! souviens-toi, Jeanne, de ta patrie,
      De tes vallons tout émaillés de fleurs.
      Rappelle-toi la riante prairie
      Que tu quittas pour essuyer mes pleurs.
    O Jeanne, souviens-toi que tu sauvas la France.
    Comme un ange des cieux tu guéris ma souffrance,
            Ecoute dans la nuit
            La France qui gémit:
              Rappelle-toi!

      Rappelle-toi tes brillantes victoires,
      Les jours bénis de Reims et d'Orléans;
      Rappelle-toi que tu couvris de gloire,
      Au nom de Dieu, le royaume des Francs.
    Maintenant, loin de toi, je souffre et je soupire.
    Viens encor me sauver, Jeanne, douce martyre!
              Daigne briser mes fers...
              Des maux que j'ai soufferts,
                Oh! souviens-toi!

      Je viens à toi, les bras chargés de chaînes,
      Le front voilé, les yeux baignés de pleurs;
      Je ne suis plus grande parmi les reines,
      Et mes enfants m'abreuvent de douleurs!
    Dieu n'est plus rien pour eux! Ils délaissent leur Mère
    O Jeanne, prends pitié de ma tristesse amère!
              Reviens, «fille au grand cœur».
              Ange libérateur,
                J'espère en toi!


    1894

[Illustration]



Cantique pour obtenir la canonisation de la Vénérable Jeanne d'Arc.

Air: _Pitié, mon Dieu._


    O Dieu vainqueur! l'Eglise tout entière
    Voudrait bientôt honorer sur l'autel
    Une martyre, une vierge guerrière
    Dont le doux nom retentit dans le ciel.

          Par ta puissance,
          O Roi du ciel!
        Donne à Jeanne de France
        L'auréole et l'autel.

    Un conquérant pour la France coupable,
    Non, ce n'est pas l'objet de son désir;
    De la sauver Jeanne seule est capable:
    Tous les héros pèsent moins qu'un martyr!

    Jeanne, Seigneur, est ton œuvre splendide.
    Un cœur de feu, une âme de guerrier,
    Tu les donnas à la vierge timide,
    La couronnant de lis et de laurier.

    Elle entendit, dans son humble prairie,
    Des voix du ciel l'appeler aux combats;
    Partant alors pour sauver la patrie,
    Son seul aspect ébranla les soldats.

    Des fiers guerriers, Jeanne gagna les âmes:
    L'éclat divin de cet ange des cieux,
    Son pur regard, ses paroles de flammes,
    Surent courber les fronts audacieux.

    Par un prodige unique dans l'histoire,
    On vit alors un monarque tremblant
    Reconquérir sa couronne et sa gloire
    Par le moyen d'un faible bras d'enfant.

    Ce ne sont pas de Jeanne les victoires
    Que nous voulons célébrer en ce jour;
    Nous appelons ses véritables gloires:
    La pureté, le martyre et l'amour.

    En combattant elle sauva la France,
    Mais il fallait à ses grandes vertus
    Le sceau divin d'une amère souffrance,
    Cachet béni de son Epoux, Jésus.

    Sur le bûcher, sacrifiant sa vie,
    Jeanne entendit la voix des bienheureux,
    Elle quitta l'exil pour la patrie.
    L'ange sauveur remonta vers les cieux!...

    Enfant, c'est toi notre douce espérance;
    Nous t'en prions, daigne entendre nos voix;
    Descends vers nous! Viens convertir la France,
    Viens la sauver une seconde fois!

          Par la puissance
          Du Dieu vainqueur,
        Sauve, sauve la France,
        Ange libérateur!

    Chassant l'Anglais hors du pays de France,
    Fille de Dieu, que tes pas étaient beaux!
    Mais souviens-toi qu'aux jours de ton enfance,
    Tu ne gardais que de faibles agneaux.

          Prends la défense
          Des impuissants,
        Conserve l'innocence
        Dans le cœur des enfants.

    Douce martyre, à toi nos monastères!
    Tu le sais bien, les vierges sont tes sœurs:
    Et, comme toi, l'objet de leurs prières
    C'est de voir Dieu régner dans tous les cœurs.

          Sauver les âmes
          Est leur désir,
        Ah! donne-leur tes flammes
        D'apôtre et de martyr!

    Bien loin de nous s'enfuira toute crainte,
    Quand nous verrons l'Eglise couronner
    Le front si pur de Jeanne notre sainte;
    Et c'est alors que nous pourrons chanter:

          Notre espérance
          Repose en vous,
        _Sainte Jeanne de France_,
        Priez, priez pour nous!

    8 mai 1894.

[Illustration]



Histoire d'une Bergère devenue Reine.

A une jeune Sœur converse du nom de Mélanie Marie-Madeleine pour le
jour de sa profession.


    En ce beau jour, ô Madeleine,
    Nous venons chanter près de vous
    La merveilleuse et douce chaîne
    Qui vous unit à votre Epoux.
    Ecoutez la charmante histoire
    D'une bergère qu'un grand Roi
    Voulut un jour combler de gloire,
    Et qui répondit à sa voix:

    _Refrain_:

      Chantons la bergère,
      Pauvre sur la terre,
      Que le Roi du ciel
    Epouse en ce jour au Carmel.

    Une petite bergerette,
    En filant, gardait ses agneaux.
    Elle admirait chaque fleurette,
    Ecoutait le chant des oiseaux;
    Comprenant bien le doux langage
    Des grands bois et du beau ciel bleu,
    Tout pour elle était une image
    Qui lui révélait le bon Dieu.

    Elle aimait Jésus et Marie
    Avec une bien grande ardeur.
    Ils aimaient aussi _Mélanie_,
    Et vinrent lui parler au cœur.
    «Veux-tu, disait la douce Reine,
    Près de moi, sur le Mont Carmel,
    Veux-tu devenir Madeleine,
    Et ne plus gagner que le ciel?
    «Enfant, quitte cette campagne,
    Ne regrette pas ton troupeau;
    Là-bas, sur ma sainte Montagne,
    Jésus sera ton seul Agneau.»
    --«Oh! viens, ton âme m'a charmée»,
    Redisait Jésus à son tour;
    «Je te prends pour ma fiancée,
    Tu seras à moi sans retour.»

    Avec bonheur l'humble bergère
    Répondit à ce doux appel,
    Et, suivant la Vierge, sa Mère,
    Parvint au sommet du Carmel.

           *       *       *       *       *

    C'est vous, petite Madeleine,
    Que nous fêtons en ce grand jour.
    La bergère est maintenant reine
    Près du Roi Jésus, son Amour!

    Vous le savez, ô sœur chérie,
    Servir notre Dieu, c'est régner.
    Le doux Sauveur, pendant sa vie,
    Ne cessait de nous l'enseigner:
    _«Si, dans la céleste patrie,
    Vous voulez être le premier,
    Il faudra, toute votre vie,
    Vous cacher, être le dernier.»_

    Heureuse êtes-vous, Madeleine,
    De votre place, en ce Carmel!
    Serait-il pour vous quelque peine,
    Etant si proche du beau ciel?
    Vous imitez Marthe et Marie:
    Prier, servir le doux Sauveur,
    Voilà le but de votre vie;
    Il vous donne le vrai bonheur.

    Si parfois l'amère souffrance
    Venait visiter votre cœur,
    Faites-en votre jouissance;
    Souffrir pour Dieu, quelle douceur!
    Alors les tendresses divines
    Vous feront bien vite oublier
    Que vous marchez sur les épines,
    Et vous croirez plutôt voler...

    Aujourd'hui l'Ange vous envie,
    Il voudrait goûter le bonheur
    Que vous possédez, ô Marie,
    Etant l'épouse du Seigneur!
    Bientôt, dans les saintes phalanges,
    Parmi les Trônes, les Vertus,
    Vous direz bien haut les louanges
    De votre Epoux, le Roi Jésus.

      Bientôt la bergère,
      Pauvre sur la terre,
      S'envolant au ciel,
    Régnera près de l'Eternel!

    20 novembre 1894.

[Illustration]



Le divin petit Mendiant de Noël.

Récréation pieuse.


     Un ange apparaît portant l'Enfant-Jésus dans ses bras et chante ce
     qui suit:

     Air: SANCTA MARIA--_J'ai vu les séraphins en songe._ (FAURE.)


    Au nom de Celui que j'adore,
    Mes sœurs, je viens tendre la main,
    Et chanter pour l'Enfant divin,
    Car il ne peut parler encore!
    Pour Jésus, l'Exilé du ciel,
    Je n'ai rencontré dans le monde
    Qu'une indifférence profonde;
    C'est pourquoi je viens au Carmel.

      Toujours, toujours, que vos caresses,
      Votre louange et vos tendresses,
          Soient pour l'Enfant!
      Brûlez d'amour, âme ravie;
      Un Dieu pour vous s'est fait mortel.
    O mystère touchant! Celui qui vous mendie
        C'est le Verbe éternel!

      O mes sœurs, approchez sans crainte:
      Venez, chacune à votre tour,
      Offrir à Jésus votre amour;
      Vous saurez sa volonté sainte.
      Je vous apprendrai le désir
      De l'Enfant couché dans les langes,
      A vous, pures comme des anges
      Et qui, de plus, pouvez souffrir!

      Toujours, toujours, que vos souffrances,
      Et de même vos jouissances
          Soient pour l'Enfant

[Illustration: L'Enfant Jésus du cloître.

(Cette statue est ici à la place même ou Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus l'ornait de fleurs.)]

      Brûlez d'amour, âme ravie;
      Un Dieu pour vous s'est fait mortel.
    O mystère touchant! Celui qui vous mendie
        C'est le Verbe éternel!

       *       *       *       *       *

     L'Ange ayant déposé l'Enfant-Jésus dans la crèche, présente à la
     Mère Prieure, puis à toutes les carmélites, une corbeille remplie
     de billets; chacune en prend un au hasard, et, sans l'ouvrir, le
     donne à l'Ange qui chante l'aumône demandée par le divin Enfant.

Les strophes suivantes se chantent sur l'air du _Noël_ (d'HOLMÈS).


       _Un trône d'or_.

    De Jésus, votre seul trésor,
    Ecoutez le désir aimable:
    Il vous demande un _trône d'or_,
    N'en trouvant aucun dans l'étable.
    L'étable est comme le pécheur
    Où Jésus ne voit nulle chose
    Qui puisse réjouir son Cœur,
    Où jamais il ne se repose...
      Sauvez, ma sœur,
      L'âme du pécheur!
    Vers ce _trône_, Jésus soupire.
        Mais, plus encor,
      Pour son _trône d'or_,
    C'est votre cœur pur qu'il désire.


       _Du lait._

    Celui qui nourrit les élus
    De sa sainte et divine essence,
    S'est fait pour vous l'Enfant-Jésus;
    Il réclame votre assistance!
    Au ciel son bonheur est parfait;
    Mais il est pauvre sur la terre...
    Donnez, ma sœur, _un peu de lait_
    A Jésus votre petit Frère!
        Il vous sourit,
      Tout bas vous redit:
    C'est la simplicité que j'aime.
       Noël! Noël!
      Je descends du ciel;
    Mon doux _lait d'amour_, c'est toi-même.


       _Des petits oiseaux._

    Ma sœur, vous brûlez de savoir
    Ce que l'Enfant-Jésus désire;
    Eh bien! je vous dirai ce soir
    Comment vous le ferez sourire:
    Attrapez des _oiseaux charmants_;
    Faites-les voler dans l'étable.
    Ils sont l'image des enfants
    Que chérit le Verbe adorable.
        A leurs doux chants,
      Leurs gazouillements,
    Son visage enfantin rayonne.
        Priez pour eux;
      Un jour dans les cieux,
    Ils formeront votre couronne.


       _Une étoile._

    Parfois, lorsque le ciel est noir
    Et couvert d'un nuage sombre,
    Jésus est bien triste le soir,
    Etant sans lumière, dans l'ombre.
    Pour réjouir l'Enfant-Jésus,
    Comme une _étoile scintillante_,
    Brillez par toutes vos vertus...
    Soyez une lumière ardente!
        Ah! que vos feux,
      Les guidant aux cieux,
    Des pécheurs déchirent le voile.
        L'Enfant divin,
      L'Astre du matin,
    Vous choisit pour _sa douce étoile_.


       _Une lyre._

    Ecoutez, ma petite sœur,
    Ce que l'Enfant-Jésus désire:
    Il vous demande _votre cœur_
    Pour sa _mélodieuse lyre_!
    Il avait bien, dans son beau ciel,
    L'harmonie et l'encens des Anges;
    Mais il veut que, sur le Carmel,
    Comme eux, vous chantiez ses louanges.
        Aimable sœur,
      C'est de votre cœur
    Que Jésus veut la mélodie...
        La nuit, le jour,
      En des chants d'amour,
    Se consumera votre vie.

       _Des roses._

    Votre âme est un lis embaumé
    Qui charme Jésus et sa mère;
    Ecoutez votre Bien-Aimé
    Dire tout bas avec mystère:
    Ah! si je chéris la blancheur
    Des lis, symboles d'innocence,
    J'aime aussi la riche couleur
    _Des roses de la pénitence_.
        Lorsque tes pleurs
      Arrosent les cœurs,
    Quel charmant plaisir tu me causes!
        Car je pourrai,
      Tant que je voudrai,
    A pleines mains, cueillir _des roses_!


       _Une vallée._

    Comme, par l'éclat du soleil,
    La nature est tout embellie;
    Qu'il dore de son feu vermeil
    Et la vallée, et la prairie:
    Ainsi Jésus, Soleil divin,
    N'approche rien qu'il ne le dore.
    Il resplendit à son matin,
    Bien plus qu'une brillante aurore.
        A son réveil,
      Le divin Soleil
    Répand sur votre âme exilée,
        Avec ses dons,
      Ses plus chauds rayons:
    Soyez _sa riante vallée_!...


       _Des moissonneurs._

    Là-bas, sous d'autres horizons,
    Malgré les frimas et la neige,
    Déjà se dorent les moissons
    Que le divin Enfant protège.
    Mais, hélas! pour les recueillir
    Il faudrait de brûlantes âmes:
    Des _Moissonneurs_ voulant souffrir,
    Se jouant du fer et des flammes;
        Noël! Noël!
      Je viens au Carmel,
    Sachant que mes vœux sont les vôtres.
        Au doux Sauveur
      Enfantez, ma sœur,
    Un grand nombre _d'âmes d'apôtres_...


      _Une grappe de raisin[265]._

    Je voudrais un fruit savoureux,
    Une _grappe_ toute dorée,
    Pour rafraîchir du Roi des cieux
    La petite bouche altérée.
    Ma sœur, qu'il est doux votre sort!
    _C'est vous cette grappe choisie;
    Jésus vous pressera bien fort
    Dans sa main mignonne et chérie._
        En cette nuit,
      Il est trop petit
    Pour manger le raisin lui-même;
        Le jus sucré,
      Par lui tout doré,
    Voilà simplement ce qu'il aime!



       _Une petite hostie._

    Jésus, le bel Enfant divin,
    Pour vous communiquer sa vie,
    Transforme en lui, chaque matin,
    Une petite et blanche hostie;
    Avec bien plus d'amour encor,
    Il veut vous changer en lui-même.
    Votre cœur est son cher trésor,
    Son bonheur, son plaisir suprême.
        Noël! Noël!
      Je descends du ciel,
    Pour dire à votre âme ravie:
        L'Agneau si doux
      S'abaisse vers vous;
    Soyez _sa blanche et pure hostie_!

     Les strophes suivantes se chantent sur l'air: _Au Rossignol._
     (GOUNOD.)


       _Un sourire._

    Le monde méconnaît les charmes
    De Jésus votre aimable Epoux,
    Et je vois de petites larmes
    Scintiller en ses yeux si doux.
    Consolez, ô ma sœur chérie,
    Cet Enfant qui vous tend les bras.
    Pour le charmer, je vous en prie,
    Souriez toujours ici-bas!
    Voyez... son regard semble dire:
    Lorsque tu souris à tes sœurs,
    O mon épouse, _ton sourire_
    Suffit pour essuyer mes pleurs!


       _Un jouet._

    Voulez-vous être sur la terre
    Le _jouet_ de l'Enfant divin?
    Ma sœur, désirez-vous lui plaire?
    Restez en sa petite main.
    Si l'aimable Enfant vous caresse,
    S'il vous approche de son Cœur,
    Ou si, parfois, il vous délaisse,
    De tout, faites votre bonheur!
    Recherchez toujours ses caprices,
    Vous charmerez ses yeux divins.
    Désormais, toutes vos délices
    Seront ses désirs enfantins.


       _Un oreiller._

    Dans la crèche où Jésus repose,
    Souvent je le vois s'éveiller.
    Voulez-vous en savoir la cause?
    Il n'y trouve pas d'oreiller...
    Je le sais, votre âme n'aspire
    Qu'à le consoler nuit et jour;
    Eh bien! _l'oreiller_ qu'il désire,
    C'est _votre cœur_ brûlant d'amour.
    Ah! soyez toujours humble et douce,
    Et le plus chéri des Trésors
    Pourra vous dire: Mon épouse,
    En toi doucement je m'endors!...


       _Une fleur._

    La terre est couverte de neige,
    Partout règnent les durs frimas.
    L'hiver et son triste cortège
    Ont flétri les fleurs d'ici-bas.
    Mais pour vous s'est épanouie
    La ravissante _Fleur des champs_
    Qui vient de la sainte patrie,
    Où règne un éternel printemps.
    Ma sœur, cachez-vous dans l'herbette,
    Près de la Rose de Noël;
    Et soyez aussi _la fleurette_
    De votre Epoux, le Roi du ciel.


       _Du pain._

    Chaque jour, en votre prière,
    Parlant à l'Auteur de tout bien,
    Vous répétez: O notre Père!
    Donnez-nous le pain quotidien.
    Ce Dieu, qui s'est fait votre Frère,
    Comme vous souffre de la faim.
    Ecoutez son humble prière:
    Il vous demande _un peu de pain_!...
    O ma sœur, soyez-en bien sûre,
    Jésus ne veut que votre amour.
    Il se nourrit de l'âme pure;
    Voilà _son pain de chaque jour_.


       _Un miroir._

    Tout enfant aime qu'on le place
    Devant un fidèle miroir,
    Alors il sourit avec grâce
    A l'autre petit qu'il croit voir.
    Ah! venez dans la pauvre étable:
    Votre âme est un cristal brillant;
    Reflétez le Verbe adorable,
    Les charmes du Dieu fait enfant...
    Oui, soyez la vivante image,
    Le _pur miroir_ de votre Epoux;
    L'éclat divin de son Visage,
    Il veut le contempler en vous!


       _Un palais._

    Les grands, les nobles de la terre
    Ont tous des palais somptueux;
    Des masures sont, au contraire,
    Les asiles des malheureux.
    Ainsi, voyez dans une étable
    Le petit Pauvre de Noël:
    Il voile sa gloire ineffable
    En quittant son palais du ciel.
    La pauvreté, votre cœur l'aime,
    En elle vous trouvez la paix;
    Aussi, c'est votre cœur lui-même
    Que Jésus veut pour _son palais_!


       _Une couronne de lis._

    Les pécheurs couronnent d'épines
    La tête aimable de Jésus.
    Admirez les grâces divines
    Que la terre ne connaît plus...
    Oh! que votre âme virginale
    Lui fasse oublier ses douleurs;
    Et, pour _sa couronne royale_,
    Offrez-lui les vierges, vos sœurs.
    Approchez tout près de son trône...
    Pour charmer ses yeux ravissants,
    Devant lui, tressez _sa couronne_:
    Formez-la _de beaux lis brillants_!


     Les strophes suivantes se chantent sur l'air _du Passant_.
     (MASSENET.)



       _Des bonbons._

    Ma sœur, les petits poupons
    Aiment beaucoup _les bonbons_;
    Remplissez-en donc bien vite,
    De Jésus la blanche main.
    A ce don, l'Enfant divin
    Par son regard vous invite.

    _Les pralines_ du Carmel
    Qui charment le Roi du ciel,
    Ce sont tous vos sacrifices.
    Ma sœur, votre austérité,
    Votre grande pauvreté,
    De Jésus font les délices!


       _Une caresse._

    A vous le petit Jésus
    Ne demande rien de plus
    Qu'une très douce _caresse_.
    Donnez-lui tout votre amour;
    Et vous saurez en retour
    La charité qui le presse.

    Si quelqu'une de vos sœurs
    Venait à verser des pleurs,
    Aussitôt, avec tendresse,
    Suppliez l'Enfant divin,
    Que, de sa petite main,
    Doucement _il la caresse_.


       _Un berceau._

    Sur terre il est peu de cœurs
    Qui n'aspirent aux faveurs
    De Jésus, le Roi de gloire;
    Mais, s'il vient à s'endormir,
    Ils cessent de le servir,
    En lui ne voulant plus croire.

    Si vous saviez le plaisir
    Que l'Enfant trouve à dormir
    Sans craindre qu'on le réveille,
    Vous serviriez de _berceau_
    A Jésus, le doux Agneau,
    Souriant lorsqu'il sommeille!


       _Des langes._

    Voyez que l'aimable Enfant,
    De son petit doigt charmant,
    Vous montre la paille sèche.
    Ah! comprenez son amour,
    Et garnissez en ce jour,
    _De langes_, la pauvre crèche.

    Excusant toujours vos sœurs,
    Vous gagnerez les faveurs
    De Jésus, le Roi des Anges;
    C'est l'ardente charité,
    L'aimable simplicité
    Qu'il réclame pour _ses langes_.


       _Du feu._

    Ma sœur, le petit Jésus,
    Le doux foyer des élus,
    Tremble de froid dans l'étable...
    Cependant, au beau ciel bleu,
    Des Anges, flammes de feu,
    Servent le Verbe adorable!
    Mais, sur la terre, c'est vous
    _Le foyer_ de votre Epoux...
    Il vous demande _vos flammes_.
    C'est vous qui devez, ma sœur,
    Pour réchauffer le Sauveur,
    Embraser toutes les âmes!


       _Un gâteau._

    Vous savez que tout enfant
    Préfère un gâteau brillant
    A la gloire d'un empire.
    Offrez donc au Roi des cieux
    _Un gâteau délicieux_,
    Et vous le verrez sourire.

    Savez-vous, du Roi des rois,
    Quel est _le gâteau de choix_?
    C'est la prompte obéissance!
    Votre Epoux vous ravissez,
    Lorsque vous obéissez
    Comme lui, dans son enfance.


       _Du miel._

    Aux premiers feux du matin,
    Formant son riche butin,
    On voit la petite abeille
    Voltiger de fleur en fleur,
    Visitant avec bonheur
    Les corolles qu'elle éveille.

    Ainsi, butinez l'amour:
    Et revenez chaque jour,
    Près de la crèche sacrée,
    Offrir au divin Sauveur
    _Le miel_ de votre ferveur,
    Petite abeille dorée!


       _Un agneau._

    Pour charmer le doux Agneau,
    Ne gardez plus de troupeau;
    Et, délaissant toute chose,
    Ne songez qu'à le ravir;
    Désirez le bien servir,
    Tout le temps qu'il se repose.

    O ma sœur, dès aujourd'hui,
    Abandonnez-vous à lui,
    Et vous dormirez ensemble...
    Marie, allant au berceau,
    Verra près de son Agneau
    _Un agneau_ qui lui ressemble!

       *       *       *       *       *

     L'Ange, ayant pris de nouveau l'Enfant-Jésus dans ses bras, chante
     ce qui suit:

     Air: «AINSI SOIT-IL.» _Chaque matin dans sa prière..._ (RUPÉS.)

    L'Enfant divin vous remercie;
    Il est charmé de tous vos dons.
    Aussi, dans son Livre de vie,
    Il les écrit avec vos noms.

    Jésus a trouvé ses délices
        En ce Carmel;
    Et pour payer vos sacrifices,
      Il a son beau ciel!

    Si vous êtes toujours fidèles
    A contenter ce doux Trésor,
    L'amour vous donnera des ailes
    Pour voler d'un sublime essor!

    Un jour, dans la sainte patrie,
        Après l'exil,
    Vous verrez Jésus et Marie:
        _Ainsi soit-il!_

    Noël 1895.



Les Anges à la Crèche.

RÉCRÉATION PIEUSE



L'Ange de l'Enfant-Jésus.

(Rôle rempli par Sr Thérèse.)

Air: _Tombé du nid._


    O Verbe-Dieu! gloire du Père!
    Je te contemplais dans le ciel;
    Maintenant je vois sur la terre
    Le Très-Haut devenu mortel!
    Enfant, dont la lumière inonde
    Les Anges du brillant séjour,
    Jésus, tu viens sauver le monde,
    Qui donc comprendra ton amour?

          O Dieu dans les langes,
          Tu ravis les Anges!
          Verbe fait enfant,
    Vers toi, je m'incline en tremblant.

    Qui donc comprendra ce mystère:
    Un Dieu se fait petit enfant?
    Il vient s'exiler sur la terre,
    Lui, l'Eternel, le Tout-Puissant!
    Divin Jésus, beauté suprême,
    Je veux répondre à ton amour:
    Pour témoigner combien je t'aime,
    Je te veillerai nuit et jour.

          L'éclat de tes langes
          Attire les Anges;
          Verbe fait enfant,
    Vers toi, je m'incline en tremblant.

    Depuis que ce séjour de larmes
    Possède le Roi des élus,
    Pour moi, les cieux n'ont plus de charmes,
    Et j'ai volé vers toi, Jésus!
    Je veux te couvrir de mes ailes,
    Te suivre partout ici-bas;
    Et toutes les fleurs les plus belles,
    Je les sèmerai sous tes pas.

    Je veux d'une étoile brillante,
    Enfant, te former un berceau;
    Et, de la neige éblouissante,
    Te faire un gracieux rideau.
    Je veux, des lointaines montagnes,
    Abaisser pour toi les hauteurs;
    Je veux que pour toi les campagnes
    Produisent de célestes fleurs.

    De Dieu, la fleur est le sourire;
    Elle est l'écho lointain du ciel,
    Le son fugitif de la lyre
    Que tient en sa main l'Eternel.
    Cette note mélodieuse
    De la bonté du Créateur
    Veut, de sa voix mystérieuse,
    Glorifier le Dieu Sauveur.

        Douce mélodie,
        Suave harmonie,
        Silence des fleurs,
    D'un Dieu vous chantez les grandeurs!

    Je sais que tes chères amies,
    Jésus, sont les _vivantes fleurs_...
    Tu viens des célestes prairies
    Pour chercher les âmes, tes sœurs.
    Une âme est la fleur embaumée,
    Enfant, que tu voudrais cueillir;
    Ta petite main l'a semée
    Et pour elle tu veux mourir!

        Mystère ineffable!
        Le Verbe adorable
        Versera des pleurs
    En cueillant sa moisson de fleurs!



_L'Ange de la sainte Face._

Air: _L'encens divin._


    Divin Jésus, au matin de ta vie,
    Ton beau Visage est tout baigné de pleurs!
    Larmes d'amour, sur la Face bénie,
    Vous coulerez jusqu'au soir des douleurs...

          Divine Face,
          Oui, ta beauté,
          Pour l'Ange efface
        La céleste clarté!

    Je reconnais, de ton divin Visage
    Tous les attraits, sur ce voile sanglant;
    Je reconnais, Jésus, en cette image,
    L'éclat si pur de ta Face d'enfant.

    Divin Jésus, la souffrance t'est chère,
    Ton doux regard pénètre l'avenir:
    Tu veux déjà boire la coupe amère;
    Dans ton amour, tu rêves de mourir!

          Rêve ineffable!
          Enfant d'un jour,
          Face adorable,
        Vous m'embrasez d'amour!


_L'Ange de la Résurrection._

Air: _Noël! Noël! læta voce Noël!_

    Ne pleurez plus, Anges du Dieu Sauveur,
    Je viens du ciel consoler votre cœur.
          Ce faible Enfant
        Un jour sera puissant;
        Il ressuscitera,
        Et toujours régnera.

    O Dieu caché sous les traits d'un enfant,
        Je te vois rayonnant,
        Et déjà triomphant!

    Je lèverai la pierre du tombeau,
    Et, contemplant ton Visage si beau,
          Je chanterai
        Et me réjouirai,
        Te voyant de mes yeux
        T'élever glorieux!

    Je vois briller des divines splendeurs
    Tes yeux d'enfant, ce soir mouillés de pleurs.
          Verbe de Dieu,
        Ta parole de feu
        Doit retentir un jour
        Consumante d'amour!


_L'Ange de l'Eucharistie._

Air: _Par les chants les plus magnifiques_.

    Contemplez, bel Ange, mon frère,
    Notre Roi montant vers le ciel;
    Moi, je descends sur cette terre
    Pour l'adorer au saint autel.
    Voilé dans son Eucharistie,
    Je reconnais le Tout-Puissant,
    Je vois le Maître de la vie
    Bien plus petit qu'un humble enfant.

    Ah! désormais, au sanctuaire
    Je veux établir mon séjour,
    Offrant au Très-Haut ma prière,
    L'hymne de mon ardent amour.
    Sur ma lyre mélodieuse,
    Je chanterai le Dieu Sauveur,
    Et la Manne délicieuse
    Qui nourrit l'âme du pécheur!

    Que ne puis-je, par un miracle,
    Me nourrir aussi de ce Pain!
    Ah! que ne puis-je au Tabernacle,
    Prendre ma part du Sang divin!
    Du moins, à l'âme aimante et sainte,
    Je communiquerai mes feux,
    Afin que, sans la moindre crainte,
    Elle approche du Roi des cieux.


_L'Ange du jugement dernier._

Air: _Noël_ (d'ADAM).

    Bientôt viendra le jour de la vengeance,
    Ce monde impur passera par le feu.
    Tous les mortels entendront la sentence
    Qui sortira de la bouche de Dieu.
    Nous le verrons dans l'éclat de sa gloire,
    Non plus caché sous les traits d'un enfant,
    Nous serons là pour chanter sa victoire,
    Et proclamer qu'il est le Tout-Puissant!

    Ils brilleront d'un éclat ineffable,
    Ces yeux voilés de larmes et de sang.
    Nous la verrons cette Face adorable,
    Dans la splendeur de son rayonnement!
    Sur le nuage, en voyant apparaître
    Jésus, portant le sceptre de sa croix:
    L'impie, alors, pourra le reconnaître
    Ce Roi, ce Juge, aux éclats de sa voix!

[Illustration: SI VOUS CONNAISSIEZ LE DON DE DIEU!

Fresque composée et peinte par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus

_autour du Tabernacle de l'Oratoire intérieur du Carmel._]

    Vous tremblerez, habitants de la terre;
    Vous tremblerez à votre dernier jour!
    Ne pouvant plus soutenir la colère
    De cet Enfant, aujourd'hui Dieu d'amour.
    Pour vous, mortels, il choisit la souffrance,
    Ne réclamant que votre faible cœur;
    Au jugement vous verrez sa puissance,
    Vous tremblerez devant le Dieu vengeur.

Tous les Anges, à l'exception de l'Ange du jugement dernier.

Air: _O Cœur de notre aimable Mère._


    Oh! daigne écouter la prière
    De tes Anges, divin Jésus!
    Toi qui viens racheter la terre,
    Prends la défense des élus.

    De ta main, ah! brise ce glaive,
    Apaise cet Ange en courroux!
    Bel Enfant, que ta voix s'élève
    Pour sauver le cœur humble et doux.



L'Enfant-Jésus.

Air: _Petit oiseau, dis, où vas-tu?_


    Consolez-vous, Anges fidèles;
    Vous seuls, pour la première fois,
    Loin des collines éternelles,
    Du Verbe, écouterez la voix:

    Je vous chéris, ô pures flammes!
    Anges du céleste séjour!
    Mais, comme vous, j'aime les âmes,
    Je les aime d'un grand amour.

    Je les ai faites pour moi-même,
    J'ai fait leurs désirs infinis;
    La plus petite âme qui m'aime
    Devient pour moi le paradis.


     L'Ange de l'Enfant-Jésus lui demande de cueillir sur la terre une
     abondante moisson d'âmes innocentes, avant qu'elles soient ternies
     par le souffle impur du péché.


_Réponse de l'Enfant-Jésus._

    O bel Ange de mon enfance!
    J'exaucerai tes vœux ardents:
    Je saurai garder l'innocence
    En l'âme des petits enfants.

    Je les cueillerai dès l'aurore,
    Charmants boutons, pleins de fraîcheur;
    Au ciel tu les verras éclore
    Sous les purs rayons de mon Cœur.

    Leur belle corolle argentée,
    Plus brillante que mille feux,
    Formera la route lactée
    De l'azur étoilé des cieux.

    Je veux des lis pour ma couronne,
    Moi, Jésus, le beau Lis des champs,
    Et je veux, pour former mon trône,
    Une gerbe de lis brillants.


L'Ange de la Sainte Face demande le pardon des pécheurs.


_Réponse de l'Enfant-Jésus._

    Toi qui contemples mon Visage
    Dans un ravissement d'amour,
    Et qui, pour garder mon image,
    Quittas le céleste séjour,

    Je veux exaucer ta prière:
    Toute âme obtiendra son pardon,
    Je la remplirai de lumière,
    Dès qu'elle invoquera mon Nom.

    O toi qui voulus sur la terre
    Honorer ma croix, ma douleur;
    Bel Ange, écoute ce mystère:
    Toute âme qui souffre est ta sœur.

    Au ciel, l'éclat de sa souffrance
    Sur ton front viendra rejaillir;
    Et le rayon de ton essence
    Illuminera le martyr.



L'Ange de l'Eucharistie demande ce qu'il pourra faire pour le consoler
de l'ingratitude des hommes.


_Réponse de l'Enfant-Jésus._

    Ange de mon Eucharistie,
    C'est toi qui charmeras mon Cœur;
    Oui, c'est ta douce mélodie
    Qui consolera ma douleur.

    J'ai soif de me donner aux âmes;
    Mais bien des cœurs sont languissants:
    Séraphin, donne-leur tes flammes,
    Attire-les par tes doux chants.

    Je voudrais que l'âme du prêtre
    Ressemblât à l'Ange du ciel!
    Ah! je voudrais qu'il pût renaître
    Avant de monter à l'autel.

    Afin d'opérer ce miracle,
    Il faut que, brûlantes d'amour,
    Des âmes, près du Tabernacle,
    S'immolent la nuit et le jour.



L'Ange de la Résurrection demande ce que deviendront les pauvres exilés
de la terre, quand le Sauveur sera monté aux cieux.


_Réponse de l'Enfant-Jésus._

    Je remonterai vers mon Père,
    Afin d'attirer mes élus;
    Après l'exil de cette terre,
    Dans mon Cœur ils seront reçus.

    Quand sonnera la dernière heure,
    Je rassemblerai mon troupeau;
    Et, dans la céleste demeure,
    Je lui servirai de flambeau.


_L'Ange du jugement dernier._

    Oublieras-tu, Jésus, bonté suprême,
    Que le pécheur doit être enfin puni?
    Oublieras-tu, dans ton amour extrême,
    Que, des ingrats, le nombre est infini?
    Au jugement je châtierai le crime,
    Et ma fureur saura se décharger.
    Mon glaive est prêt!... Jésus, douce Victime,
    Mon glaive est prêt; je viendrai te venger!


_L'Enfant-Jésus._

    O bel Ange, abaisse ton glaive,
    Ce n'est pas à toi de juger
    La nature que je relève:
    De la paix, je suis Messager.

    Celui qui jugera le monde:
    C'est moi... que l'on nomme _Jésus_!
    De mon sang, la source féconde
    Purifiera tous mes élus.

    Sais-tu que les âmes fidèles
    Me consoleront chaque jour
    Des blasphèmes des infidèles,
    Par un simple regard d'amour?

    Aussi, dans la sainte patrie,
    Mes élus seront glorieux;
    Et, leur communiquant ma vie,
    J'en ferai comme autant de dieux.


_L'Ange du jugement dernier_.

Air: _Dieu de paix et d'amour._

Devant toi, doux Enfant, le Chérubin s'incline: Il admire, éperdu, ton
ineffable amour, Il voudrait, comme toi, sur la sombre colline Pouvoir
mourir un jour!

REFRAIN

_Chanté par tous les Anges._

Qu'il est grand le bonheur de l'humble créature! Le Séraphin voudrait,
dans son ravissement, Délaisser, ô Jésus, l'angélique nature, _Et
devenir enfant..._

Noël 1894.



La fuite en Egypte.

Récréation pieuse (Fragment).


L'Ange _avertit saint Joseph_.

Air: _La folle de la plage._

    Vers l'Egypte, bien vite,
    Il faut prendre la fuite!...
    Joseph, dès cette nuit,
    Eloigne-toi sans bruit.

    Hérode, en sa furie,
    Cherche le Roi nouveau:
    A ce divin Agneau
    Il veut ôter la vie.
    Prends la Mère et l'Enfant,
    Fuyez rapidement!


_Chant des Anges accompagnant la sainte Famille._

Air: _Les gondolières vénitiennes._

    Ineffable mystère!
    Jésus, le Roi du ciel,
    Exilé sur la terre,
    Fuit devant un mortel!
    A ce Dieu dans les langes,
    Offrons tout notre amour;
    Que nos blanches phalanges
    Viennent former sa cour.

    Couvrons-le de nos ailes
    Et des fleurs les plus belles;
    Far nos concerts joyeux,
    Berçons le Roi des cieux.
    Pour consoler sa Mère,
    Chantons avec mystère
    Les charmes du Sauveur,
    Sa grâce et sa douceur!

    Ah! quittons ce rivage,
    Bien loin de l'orage,
      Fuyons cette nuit,
        Loin de tout bruit.

    La Vierge sous son voile
      Cache notre étoile:
      L'astre des élus,
        L'Enfant-Jésus.

        Le Roi du ciel
    Fuit devant un mortel!...

_L'Ange du désert._

Air: du Credo d'_Herculanum._

    Je viens chanter, de la sainte Famille,
    L'éclat divin qui m'attire en ces lieux;
    Dans le désert, cette étoile qui brille
    Me charme plus que la gloire des cieux.
    Ah! qui pourra comprendre ce mystère:
    Parmi les siens, Jésus est rejeté!
    Il est errant, voyageur sur la terre,
    Et nul ne sait découvrir sa beauté.

    Mais, si les grands redoutent votre empire,
    O Roi du ciel, Astre mystérieux!
    Depuis longtemps plus d'un cœur vous désire,
    C'est vous l'espoir de tous les malheureux.
    Verbe éternel, ô Sagesse profonde!
    Vous répandez vos ineffables dons
    Sur les petits, les faibles de ce monde:
    Et dans le ciel vous écrivez leurs noms.

    Si vous donnez la sagesse en partage
    A l'ignorant, s'il est humble de cœur,
    C'est que toute âme est faite à votre image.
    Vous appelez, vous sauvez le pécheur!
    Un jour viendra qu'en la même prairie,
    L'agneau paîtra doucement près du lion;
    Et le désert, votre unique patrie,
    Plus d'une fois entendra votre Nom.

    O Dieu caché! des âmes virginales,
    Brûlant de zèle au foyer de l'amour,
    S'élanceront sur vos traces royales,
    Et les déserts se peupleront un jour.
    Ces cœurs ardents, ces âmes séraphiques
    Réjouiront tous les Anges des cieux,
    Et l'humble accent de leurs divins cantiques
    Fera trembler l'abîme ténébreux.

    Dans sa fureur, sa basse jalousie,
    Satan voudra dépeupler les déserts;
    Il ne sait pas la puissance infinie
    Du faible Enfant qu'ignore l'univers.
    Il ne sait pas que la vierge fervente
    Trouve toujours le repos en son cœur;
    Il ne sait pas combien elle est puissante
    Cette âme unie à son divin Sauveur!

    Peut-être un jour vos épouses chéries
    Partageront votre exil, ô mon Dieu!
    Mais les pécheurs qui les auront bannies,
    De leur amour n'éteindront pas le feu.
    Du monde impur la haine sacrilège
    N'atteindra pas les vierges du Seigneur
    Jusqu'à souiller leur vêtement de neige,
    Jusqu'à ternir leur céleste blancheur.

    O monde ingrat, déjà ton règne expire;
    Ne vois-tu pas que ce petit Enfant
    Cueille joyeux la palme du martyre,
    La rose d'or, le lis éblouissant?
    Ne vois-tu pas que ses vierges fidèles
    Tiennent en main la lampe de l'amour?
    Ne vois-tu pas les portes éternelles,
    Qui, pour les saints, doivent s'ouvrir un jour?

    Heureux instant! ô bonheur sans mélange,
    Quand les élus, paraissant glorieux,
    De leur amour recevront en échange
    L'éternité pour aimer dans les cieux!
    Après l'exil, plus jamais de souffrance,
    Mais le repos du céleste séjour;
    Après l'exil, plus de foi, d'espérance,
    Rien que la paix, l'extase de l'amour!

21 janvier 1896.



Jésus à Béthanie.

Récréation pieuse.

Air: _L'Ange et l'aveugle._

    _Marie-Madeleine._

    O Dieu, mon divin Maître,
    Jésus, mon seul amour!
    A vos pieds je veux être,
    J'y fixe mon séjour.
    En vain sur cette terre
    J'ai cherché le bonheur.
    Une tristesse amère
    Seule a rempli mon cœur...

    _Jésus._

    Marie, ô Madeleine!
    Je suis ton doux Sauveur!
    Oubliant toute peine,
    Jouis de ton bonheur.
    Tes regrets sont extrêmes,
    Et mon Cœur te redit:
    Je sais bien que tu m'aimes.
    Ton amour me suffit!

    _Marie-Madeleine._

    C'en est trop, mon bon Maître,
    Je me sens défaillir...
    Que ne puis-je renaître
    En ce jour, ou mourir!
    Comprenez mes alarmes,
    O Jésus, mon Sauveur!
    J'ai fait couler vos larmes:
    Quelle immense douleur!

    _Jésus._

    Il est vrai, sur ton âme
    J'ai répandu des pleurs;
    Mais d'un seul trait de flamme,
    Te puis changer les cœurs.
    Ton âme, rajeunie
    Par mon regard divin,
    Dans l'éternelle vie
    Me bénira sans fin!

    _Marie-Madeleine._

    Jésus, votre amour même
    Vient déchirer mon cœur,
    Votre bonté suprême
    Augmente ma douleur;
    J'ai méconnu vos charmes
    Et, dans mon repentir,
    Je n'ai plus que des larmes,
    Seigneur, à vous offrir!

    _Jésus._

    Ces larmes précieuses
    Brillent plus à mes yeux
    Que les perles nombreuses
    Qui scintillent aux Cieux.
    A l'étoile charmante
    Rayonnant dans l'azur,
    Je préfère l'amante
    Au cœur devenu pur.

    _Marie-Madeleine._

    Quel étonnant mystère!
    O mon divin Sauveur,
    N'est-il rien sur la terre
    Qui charme votre Cœur?
    Les lointaines montagnes,
    Le blanc et doux agneau,
    Les fleurs de nos campagnes,
    Est-il rien de plus beau?


    _Jésus._

    Tu vois la fleur éclose
    Et son éclat charmant;
    Pour moi, je vois la rose
    De ton amour ardent.
    Cette rose empourprée
    A su ravir mon cœur;
    Elle est ma préférée
    Entre toute autre fleur.

    _Marie-Madeleine._

    L'oiseau, de sa voix pure,
    Chante votre grandeur;
    Le ruisseau qui murmure
    Vous donne sa fraîcheur;
    Le lis de la vallée
    Vous offre son trésor:
    Sa blancheur étoilée
    De fines perles d'or.

    _Jésus._

    Salomon, dans sa gloire,
    Était moins bien paré
    Sur son trône d'ivoire
    Que ce beau lis nacré;
    Les simples pâquerettes
    Surpassent le grand roi,
    Et toutes ces fleurettes
    N'éclosent que pour toi.

    _Marie-Madeleine._

    Du virginal cortège
    Vous offrant son amour,
    Le blanc manteau de neige
    Brillera sans retour...
    Moi, d'une triste vie,
    Je vous offre la fin;
    Hélas! je l'ai flétrie
    Encore à son matin!...

    _Jésus._

    Si j'aime, de l'aurore,
    Les purs et brillants feux:
    Marie... ah! j'aime encore
    Un beau soir radieux.
    Ma bonté sans égale
    Placera le pécheur
    Et l'âme virginale
    Ensemble sur mon Cœur!


    _Marie-Madeleine._

    N'avez-vous pas vos Anges,
    Aux sublimes ardeurs?
    Sur leurs blanches phalanges
    Répandez vos faveurs!
    Moi, pauvre pécheresse,
    Je n'ai pas mérité
    L'ineffable tendresse
    De votre intimité.


    _Jésus._

    Bien plus haut que les Anges
    Tu monteras un jour;
    Ils diront tes louanges,
    Enviant ton amour!
    Mais il faut sur la terre,
    Pour tes frères pécheurs,
    Que, vivant solitaire,
    Tu m'attires leurs cœurs.


    _Marie-Madeleine._

    Seigneur, d'un zèle extrême
    Je sens brûler mon cœur;
    Et votre voix que j'aime
    En redouble l'ardeur.
    Mais, pour être un apôtre,
    Bien trop faible est ce cœur;
    Ah! prêtez-moi le vôtre,
    Jésus, mon doux Sauveur!

    _Marthe._

    Considérez ma sœur, bon Maître, elle s'oublie:
    Voyez: tout mon travail ne l'inquiète pas.
    Dites-lui donc, Seigneur, ah! je vous en supplie,
    Dites-lui de m'aider à servir le repas.


    _Jésus._

    Marthe! ma charitable hôtesse,
    Pourquoi voudriez-vous blâmer
    Votre sœur qui toujours s'empresse
    Vers Celui qui sait la charmer?


    _Marthe._

    Mais, ô divin Sauveur, voilà ce qui m'étonne:
    Ne devrait-elle pas détourner un instant
    Ses regards de Celui qui chaque jour lui donne,
    Et songer à donner aussi quelque présent?


    _Jésus._

    O Marthe, je vous le confie:
    Si votre amour est généreux,
    Celui de votre sœur Marie
    M'est infiniment précieux!


    _Marthe._

    Vos paroles, Seigneur, sont pour moi des mystères,
    Et je ne puis encor m'empêcher de penser
    Qu'il vaut mieux travailler que dire des prières;
    Moi, je sens mon amour qui veut se dépenser.


    _Jésus._

    Le travail est bien nécessaire,
    Je viens moi-même l'honorer;
    Mais, au moyen de la prière,
    Vous devez le transfigurer.


    _Marthe._

    Je savais bien, Seigneur, que, restant inactive,
    Je ne pouvais avoir de charmes à vos yeux;
    C'est pourquoi je m'empresse, adorable Convive,
    A préparer pour vous des mets délicieux.

    _Jésus._

    Votre âme est généreuse et pure,
    Votre travail peut le prouver;
    Mais savez-vous la nourriture
    Que je désirerais trouver?

    Un seul ouvrage est nécessaire:
    Si votre sœur reste à l'écart
    Dans une amoureuse prière,
    _Elle a choisi la bonne part!_

    Oui, cette part est la meilleure,
    Je le proclame dès ce jour;
    O Marthe! venez à cette heure
    Partager ce repos d'amour...

    _Marthe._

    Je le comprends enfin, Jésus, bonté suprême!
    Votre divin regard a pénétré mon cœur.
    Tous mes dons sont trop peu: c'est mon âme elle-même
    Que je dois vous offrir, ô très aimant Sauveur!

    _Jésus._

    Oui, c'est votre cœur que j'envie.
    Jusqu'à lui, je viens m'abaisser:
    Les cieux et leur gloire infinie,
    Pour lui, j'ai voulu délaisser.

    _Marthe._

    Pourquoi, divin Sauveur, avez-vous, de Marie,
    Fait un si grand éloge à Simon le lépreux?
    Il me semble pourtant, que, dans toute sa vie,
    Vous auriez dû compter plus d'un jour orageux...

    _Jésus._

    J'ai su comprendre le langage,
    D'un cœur par l'amour entraîné;
    _Celui-là chérit davantage_
    _A qui l'on a plus pardonné..._

    _Marthe._

    Oh! qu'il en soit ainsi, je m'en étonne encore:
    Car vous m'avez, Seigneur, épargné le danger;
    Je vous dois mon amour, puisque dès mon aurore
    Vous avez bien voulu me suivre et protéger.

    _Jésus._

    Il est bien vrai qu'une âme pure,
    Le chef-d'œuvre de mon amour,
    Devrait, sans aucune mesure,
    M'aimer, me bénir sans retour.

    Vous m'avez charmé dès l'enfance
    Par votre grande pureté;
    Mais, si vous avez l'innocence,
    Madeleine a l'humilité.

    _Marthe._

    Jésus, pour vous ravir, je veux toute ma vie
    Mépriser les honneurs, la gloire des humains;
    En travaillant pour vous, j'imiterai Marie,
    Ne recherchant jamais que vos regards divins.

    _Jésus._

    Ainsi vous sauverez les âmes,
    Et les attirerez vers moi;
    Bien loin, vous porterez mes flammes
    Avec le flambeau de la foi.

    _Marthe et Marie-Madeleine._

    Votre voix, doux Jésus, est une mélodie
    Qui nous ravit d'amour, enflammant notre cœur.
    Restez donc avec nous pour charmer notre vie;
    Restez ici toujours, aimable Rédempteur!


    _Jésus._

    Je suis heureux à Béthanie,
    Je m'y reposerai souvent;
    Et votre Dieu, dans la patrie,
    Se montrera reconnaissant...

    Vous avez compris le mystère
    Qui m'a fait descendre en ces lieux:
    L'âme intérieure m'est chère,
    Bien plus que la gloire des cieux.

    Cette gloire, un jour, sera vôtre,
    Et tous mes biens seront à vous:
    Honneur comparable à nul autre:
    Vous m'appellerez votre Epoux!

    Ici-bas, fidèles amies,
    Vous vous chargez de me nourrir;
    Au festin des noces bénies,
    Je me ceindrai pour vous servir.

    29 juillet 1895.

[Illustration]



Prière de l'enfant d'un Saint.

A son bon Père, rappelé à Dieu le 29 juillet 1894.


      Rappelle-toi qu'autrefois sur la terre
      Ton seul bonheur était de nous chérir:
      De tes enfants exauce la prière,
      Protège-nous, daigne encor nous bénir!
    Tu retrouves là-haut notre mère chérie,
    Depuis longtemps déjà dans la sainte patrie;
            Maintenant, dans les cieux,
            Vous régnez tous les deux...
              Veillez sur nous!

      Rappelle-toi ton ardente Marie,
      Celle qui fut la plus chère à ton cœur;
      Rappelle-toi qu'elle remplit ta vie,
      Par son amour, de charme et de bonheur.
    Pour Dieu, tu renonças à sa douce présence,
    Et tu bénis la main qui t'offrait la souffrance.
              De ton beau «_diamant_[266]»
              Toujours plus scintillant,
                Oh! souviens-toi!

      Rappelle-toi ta belle «_perle fine_»,
      Que tu connus faible et timide agneau;
      Vois-la, comptant sur la force divine,
      Et du Carmel conduisant le troupeau.
    De tes autres enfants elle est aujourd'hui mère,
    Viens guider ici-bas celle qui t'est si chère;
              Et sans quitter le ciel,
              De ton petit Carmel,
                Oh! souviens-toi...

      Rappelle-toi cette ardente prière
      Que tu formas pour ta troisième enfant.
      Dieu l'entendit!... elle estime la terre
      Un lieu d'exil et de bannissement.
    La Visitation la cache aux yeux du monde,
    Elle aime le Seigneur, sa douce paix l'inonde;
              De ses brûlants soupirs,
              De ses ardents désirs,
                Oh! souviens-toi...

      Rappelle-toi ta fidèle Céline
      Qui fut pour toi comme un ange des cieux,
      Lorsqu'un regard de la Face divine
      Vint t'éprouver par un choix glorieux.
    Tu règnes dans le ciel... sa tâche est accomplie;
    Maintenant à Jésus elle donne sa vie...
              Protège ton enfant
              Qui redit bien souvent:
                Rappelle-toi!...

      Oh! souviens-toi de ta «_petite reine_»,
      Du tendre amour dont son cœur déborda...
      Rappelle-toi que sa marche incertaine
      Ce fut toujours ta main qui la guida.
    Papa, rappelle-toi qu'aux jours de son enfance
    Tu voulus pour Dieu seul garder son innocence.
              Ses boucles de cheveux
              Qui ravissaient tes yeux,
                Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que dans le belvédère,
      Tu l'asseyais souvent sur tes genoux,
      Et, murmurant alors une prière,
      Tu la berçais par ton refrain si doux!
    Elle voyait du ciel un reflet sur ta face,
    Quand ton regard profond se plongeait dans l'espace...
              Et de l'éternité
              Tu chantais la beauté,
                Rappelle-toi!

      Rappelle-toi ce radieux dimanche
      Où, la pressant sur ton cœur paternel,
      Tu lui donnas une _fleurette blanche_,
      Et lui permis de voler au Carmel.
    O père, souviens-toi qu'en ses grandes épreuves,
    Du plus sincère amour tu lui donnas des preuves;
              A Rome après Bayeux
              Tu lui montras les cieux;
                Rappelle-toi!

      Rappelle-toi que la main du Saint-Père,
      Au Vatican, sur ton front se posa;
      Mais tu ne pus comprendre le mystère
      Du sceau divin qui sur toi s'imprima.
    Maintenant tes enfants t'adressent leur prière;
    Ils bénissent ta croix et ta douleur amère!
              Sur ton front glorieux
              Rayonnent dans les cieux
              _Neuf lis_ en fleurs!

    Août 1894.



Ce que j'aimais...

Composé à la demande de sa sœur Céline pendant son noviciat.

    Air: _Combien j'ai douce souvenance._

    J'ai en mon Bien-Aimé les montagnes.
    Les vallées solitaires et boisées,
    Les îles étrangères,
    Les fleuves retentissants,
    Le murmure des zéphyrs amoureux.

           *       *       *       *       *

    La nuit paisible,
    Pareille au lever de l'aurore;
    La musique silencieuse,
    La solitude harmonieuse,
    Le souper qui charme et qui accroît l'amour.

    (SAINT JEAN DE LA CROIX.)


      Oh! que j'aime la souvenance
      Des jours bénis de mon enfance!
    Pour garder la fleur de mon innocence,
      Le Seigneur m'entoura toujours
                D'amour.

      Aussi, malgré ma petitesse,
      A Dieu je donnai ma tendresse;
    Et de mon cœur s'échappa la promesse
      D'épouser le Roi des élus,
                Jésus.

      J'aimais, au printemps de ma vie,
      Saint Joseph, la Vierge Marie;
    Déjà mon âme se plongeait ravie
      Quand se reflétaient dans mes yeux
                Les cieux!

      J'aimais les champs de blé, la plaine,
      J'aimais la colline lointaine;
    Dans mon bonheur, je respirais à peine.
      En moissonnant avec mes sœurs,
                Les fleurs.

      J'aimais à cueillir les herbettes,
      Les bluets, toutes les fleurettes;
    Je trouvais le parfum des violettes
      Et surtout celui des coucous
                Bien doux.

      J'aimais la pâquerette blanche,
      Les promenades du dimanche,
    L'oiseau léger gazouillant sur la branche,
      Et l'azur toujours radieux
                Des cieux.

      J'aimais à poser chaque année
      Mon soulier dans la cheminée;
    Accourant dès que j'étais éveillée,
      Je chantais la fête du ciel:
                Noël!

      De maman, j'aimais le sourire,
      Son regard profond semblait dire:
    «L'éternité me ravit et m'attire,
      «Je vais aller dans le ciel bleu
                «Voir Dieu!

      «Je vais trouver dans la patrie
      «_Mes anges_, la Vierge Marie.
    «De mes enfants que je laisse en la vie,
      «A Jésus j'offrirai les pleurs,
                «Les cœurs!»

      Oh! que j'aimais Jésus-Hostie
      Qui vint, au matin de ma vie,
    Se fiancer à mon âme ravie!
      Oh! que j'ouvris avec bonheur
                Mon cœur!

      J'aimais encore, au belvédère
      Inondé de vive lumière,
    A recevoir les doux baisers d'un père,
      A caresser ses blancs cheveux
                Neigeux.

      Sur ses genoux, étant placée
      Avec Thérèse, à la veillée,
    Je m'en souviens, j'étais longtemps bercée.
      J'entends encor, de son doux chant,
                L'accent.

      O souvenir! tu me reposes.
      Tu me rappelles bien des choses...
    Les repas du soir, le parfum des roses,
      Les Buissonnets pleins de gaîté
                L'été.

      A l'heure où tout vain bruit s'apaise,
      J'aimais à confondre à mon aise
    Mon âme avec celle de ma Thérèse;
      Je ne formais avec ma sœur
                Qu'un cœur!

      Alors nos voix étaient mêlées,
      Nos mains, l'une à l'autre enchaînées;
    Ensemble, chantant les noces sacrées,
      Déjà nous rêvions le Carmel,
                Le ciel!

      De la Suisse et de l'Italie,
      Ciel bleu, fruits d'or m'avaient ravie.
    J'aimai surtout le regard plein de vie
      Du saint Vieillard, Pontife-Roi,
                Sur moi.

      Avec amour je t'ai baisée,
      Terre sainte du Colysée!
    Des Catacombes la voûte sacrée
      A répété bien doucement
                Mon chant.

      Mon bonheur fut suivi de larmes;
      Bien grandes furent mes alarmes!
    De mon Epoux je revêtis les armes,
      Et sa croix devint mon soutien,
                Mon bien.

      Alors j'aimais, fuyant le monde,
      Que l'Echo lointain me réponde;
    En la vallée ombragée et féconde
      Je cueillais, à travers mes pleurs,
                Les fleurs.

      J'aimais, de la lointaine église,
      Entendre la cloche indécise.
    Pour écouter les soupirs de la brise,
      Dans les champs j'aimais à m'asseoir
                Le soir.

      J'aimais le vol des hirondelles,
      Le chant plaintif des tourterelles;
    Avec plaisir j'entendais le bruit d'ailes
      De l'insecte au bourdonnement
                Bruyant.

      J'aimais la perle matinale
      Ornant la rose de Bengale;
    J'aimais à voir l'abeille virginale
      Préparer sous les feux du ciel
                Le miel.

      J'aimais à cueillir la bruyère;
      Courant sur la mousse légère,
    Je prenais, voltigeant sur la fougère,
      Les papillons au reflet pur
                D'azur.

      J'aimais le ver luisant dans l'ombre,
      J'aimais les étoiles sans nombre...
    Surtout j'aimais l'éclat, en la nuit sombre,
      De la lune au disque d'argent
                Brillant.

      A mon père, dans sa vieillesse,
      J'offrais l'appui de ma jeunesse...
    Il m'était tout: bonheur, enfant, richesse.
      Ah! je l'embrassais tendrement
                Souvent.

      Nous aimions le doux bruit de l'onde,
      L'éclat de l'orage qui gronde;
    Le soir, en la solitude profonde,
      Du rossignol au fond du bois
                La voix.

      Mais un matin son beau visage
      Du Crucifix chercha l'image.....
    De son amour il me laissa le gage,
      Me donnant son dernier regard:
                Ma part!...

      Et de Jésus la main divine
      Prit le seul trésor de Céline,
    Et, l'emportant bien loin de la colline,
      Le plaça près de l'Eternel,
                Au ciel!

           *       *       *       *       *

      Maintenant je suis prisonnière,
      J'ai fui les bosquets de la terre,
    J'ai vu que tout en elle est éphémère,
      J'ai vu tout mon bonheur finir,
                Mourir!

      Sous mes pas l'herbe s'est meurtrie,
      La fleur en mes mains s'est flétrie...
    Jésus, je veux courir en ta prairie,
      Sur elle ne marqueront pas
                Mes pas.

      Comme un cerf, en sa soif ardente,
      Soupire après l'eau jaillissante,
    O Jésus, vers toi j'accours défaillante:
      Il faut, pour calmer mes ardeurs,
                Tes pleurs...

      C'est ton seul amour qui m'entraîne;
      «Mon troupeau je laisse en la plaine,
    «De le garder je ne prends pas la peine»;
      Je veux plaire à mon seul Agneau
                Nouveau.

      Jésus, c'est toi l'Agneau que j'aime;
      Tu me suffis, ô Bien suprême!
    En toi j'ai tout: la terre et le ciel même:
      La fleur que je cueille, ô mon Roi,
                C'est toi!

      Jésus, beau lis de la vallée,
      Ton doux parfum m'a captivée.
    Bouquet de myrrhe, ô corolle embaumée,
      Sur mon cœur je veux te garder,
                T'aimer!

      Toujours ton amour m'accompagne;
      En toi j'ai les bois, la campagne,
    J'ai les roseaux, la lointaine montagne,
      La pluie et les flocons neigeux
                Des cieux.

      En toi, Jésus, j'ai toutes choses,
      J'ai les blés, les fleurs demi-closes,
    Myosotis, boutons d'or, belles roses;
      Du blanc muguet, j'ai la fraîcheur,
                L'odeur.

      J'ai la lyre mélodieuse,
      La solitude harmonieuse,
    Fleuves, rochers, cascade gracieuse,
      Le doux murmure du ruisseau,
                L'oiseau.

      J'ai l'arc-en-ciel, j'ai l'aube pure,
      Le vaste horizon, la verdure;
    J'ai l'île étrangère et la moisson mûre,
      Les papillons, le gai printemps,
                Les champs.

      En ton amour je trouve encore
      Les palmiers que le soleil dore,
    La nuit pareille au lever de l'aurore;
      En toi je trouve pour jamais
                La paix!

      J'ai les grappes délicieuses,
      Les libellules gracieuses,
    La forêt vierge aux fleurs mystérieuses;
      J'ai tous les blonds petits enfants,
                Leurs chants.

      En toi j'ai sources et collines,
      Lianes, pervenche, aubépines,
    Frais nénuphars, chèvrefeuille, églantines,
      Le frisilis du peuplier
                Léger.

      J'ai l'avoine folle et tremblante,
      Des vents la voix grave et puissante,
    Le fil de la Vierge et la flamme ardente,
      Le zéphir, les buissons fleuris,
                Les nids.

      En toi j'ai la colombe pure;
      En toi, sous ma robe de bure,
    Je trouve joyaux et riche parure,
      Colliers, bagues et diamants
                Brillants.

      J'ai le beau lac, j'ai la vallée
      Solitaire et toute boisée;
    De l'Océan j'ai la vague argentée,
      Perles, corail, trésors divers
                Des mers.

      J'ai le vaisseau fuyant la plage,
      Le sillon d'or et le rivage;
    J'ai, du soleil festonnant le nuage
      Alors qu'il disparaît des cieux,
                Les feux.

      En toi j'ai la brillante étoile;
      Souvent ton amour se dévoile,
    Et j'aperçois comme à travers un voile,
      Quand le jour est sur son déclin,
                Ta main!

      O toi qui soutiens tous les mondes!
      Qui plantes les forêts profondes;
    D'un seul coup d'œil, toi qui les rends fécondes,
      Tu me suis d'un regard d'amour
                Toujours!

      J'ai ton Cœur, ta Face adorée,
      _De ta flèche je suis blessée_...
    J'ai le baiser de ta bouche sacrée,
      Je t'aime et ne veux rien de plus,
                Jésus!

      J'irai chanter avec les Anges
      De l'amour sacré les louanges...
    Fais-moi voler bientôt en leurs phalanges.
      _O Jésus, que je meure un jour
                D'amour!_

      Attiré par sa transparence,
      Vers le feu l'insecte s'élance;
    Ainsi ton amour est mon espérance,
      C'est en lui que je veux voler,
                Brûler...

      Je l'entends déjà qui s'apprête,
      Mon Dieu, ton éternelle fête!
    Aux saules, prenant ma harpe muette,
      Sur tes genoux je vais m'asseoir,
                Te voir!

      Près de toi, je vais voir Marie,
      Les Saints, ma famille chérie;
    Je vais, après l'exil de cette vie,
      Retrouver le toit paternel
                Au ciel...

    28 avril 1895.



Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur.


Armoiries de Jésus et de Thérèse[267].

[Illustration: JHS FMT

L'AMOUR NE SE PAIE QUE PAR L'AMOUR]

_Jours de grâces accordés par le Seigneur à sa petite épouse._

Naissance: 2 janvier 1873.--Baptême: 4 janvier 1873.--Sourire de la
sainte Vierge: 10 mai 1883.--Première Communion: 8 mai
1884.--Confirmation: 14 juin 1884.--Conversion: 25 décembre
1886.--Audience de Léon XIII: 20 novembre 1887.--Entrée au Carmel: 9
avril 1888.--Prise d'Habit: 10 janvier 1889.--Profession: 8 septembre
1890.--Prise de Voile: 24 septembre 1890.--Offrande de moi-même à
l'Amour: 9 juin 1895.


EXPLICATION DES ARMOIRIES

Le blason J.H.S.† est celui que Jésus a daigné apporter en dot à sa
pauvre petite épouse, l'appelant Thérèse de l'_Enfant-Jésus_ et de la
_Sainte Face_. Ce sont là ses titres de noblesse, sa richesse et son
espérance.--La vigne qui sépare le blason est encore la figure de Celui
qui daigna nous dire: «_Je suis la vigne et vous êtes les branches; je
veux que vous me rapportiez beaucoup de fruit_[268].» Les deux rameaux,
entourant l'un la Sainte Face, l'autre le petit Jésus, sont l'image de
Thérèse qui n'a qu'un désir ici-bas, celui de s'offrir comme une petite
grappe de raisin pour rafraîchir Jésus-Enfant, l'amuser, se laisser
presser par lui au gré de ses caprices... et puis étancher aussi la soif
ardente qu'il ressentit pendant sa Passion. La harpe représente encore
Thérèse qui veut chanter sans cesse à Jésus des mélodies d'amour.

Le blason FMT† est celui de Marie-Françoise-Thérèse, la petite fleur
de la sainte Vierge; aussi cette petite fleur est-elle représentée
recevant les rayons bienfaisants de la douce Etoile du matin.--La terre
verdoyante, c'est la famille bénie au sein de laquelle la fleurette a
grandi. Plus loin se voit la montagne du Carmel, où Thérèse figure en
ses armoiries le dard enflammé de l'amour qui doit lui mériter la palme
du martyre. Mais elle n'oublie pas qu'elle n'est qu'un faible roseau;
aussi l'a-t-elle placé sur son blason. Le triangle lumineux représente
l'adorable Trinité qui ne cesse de répandre ses dons inestimables sur
l'âme de la petite Thérèse; aussi, dans sa reconnaissance,
n'oubliera-t-elle jamais cette devise:

«_L'amour ne se paie que par l'amour._»

_Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la Sainte Face_.



QUELQUES-UNES

_Des Grâces et Guérisons_

ATTRIBUÉES A L'INTERCESSION

DE LA SERVANTE DE DIEU

THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS

ET DE LA SAINTE FACE


Récit de son exhumation.


Bayeux, le 4 janvier 1911.

Nous, Evêque de Bayeux, sur le rapport qui Nous a été fait, autorisons
d'imprimer en appendice à la _Vie de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus
écrite par elle-même_, la relation des grâces et guérisons attribuées à
l'intercession de la Servante de Dieu et publiée sous le titre: _Pluie
de Roses._

Nous autorisons pareillement l'adjonction du récit qui Nous a été soumis
de l'exhumation des restes de la Servante de Dieu, au cimetière de
Lisieux.

† THOMAS, _Ev. de Bayeux et Lisieux_.



AVERTISSEMENT

Ces pages ne sont pas destinées à publier tous les bienfaits de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, mais seulement à en désigner quelques-uns à
l'attention du pieux lecteur.

Les faveurs de tout genre attribuées à son intercession se multiplient
d'une manière toujours plus rapide et plus universelle, comme on le
verra dans ce premier recueil et dans un second opuscule: _Pluie de
Roses, II._

Ce second opuscule, contrairement à celui-ci, ne peut trouver place à la
fin de l'«HISTOIRE D'UNE AME».

       *       *       *       *       *

Il ne sera parlé qu'incidemment des parfums. Les personnes qui ont été
favorisées de ces émanations mystérieuses sont en très grand nombre. Il
ne se passe guère de jour sans qu'il en soit question dans le volumineux
courrier concernant la Servante de Dieu. Sur sa tombe et dans
l'intérieur de son monastère les mêmes manifestations ne cessent de se
produire.



Pluie de Roses.

I


JE VEUX PASSER MON CIEL A FAIRE DU BIEN SUR LA TERRE.

APRÈS MA MORT, JE FERAI TOMBER UNE PLUIE DE ROSES.

(Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.)


1.

Monastère des Carmes Déchaussés, Wadourie,
Autriche (Gallicie), 9 octobre 1902.

_Réparation_.

TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE,

L'inscription placée en tête de cette lettre indique mon devoir de
réparer une faute commise par moi envers votre petite sainte, Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Il y a deux ou trois ans, quand on me présenta le manuscrit, avec
traduction en langue polonaise de la vie de cette petite fleur du
Carmel, je me suis permis de faire la remarque que la langue de notre
pays ne sied aucunement au style de l'original, et que la lecture ne
causerait que du dégoût. C'était comme mettre un frein à l'apostolat de
cette élue de Dieu. Elle a dû prendre cela à cœur; et, en revanche,
non seulement a su agir de manière que la dite traduction fût mise au
jour, mais, de plus, s'est prise directement à ma personne.

Il y a une huitaine de jours, je suis rentré à la cellule, l'âme toute
ballottée par les flots d'une mer orageuse de peines intérieures, et ne
sachant où trouver refuge pour s'abriter. Voilà que mon regard s'arrête
sur le livre français de la vie de la _sœur vengeresse_... Je
l'ouvre, et je tombe sur la poésie: «VIVRE D'AMOUR.»

Soudain, l'orage s'apaise, le calme revient, quelque chose d'ineffable
envahit tout mon être et me transforme de fond en comble. Ce cantique
fut donc pour moi la barque de sauvetage: l'aimable sœur s'étant
offerte pour pilote.

Je dois donc constater aujourd'hui que la promesse: «_Je veux passer mon
ciel à faire du bien sur la terre... Après ma mort, je ferai tomber une
pluie de roses_», s'est réalisée en vérité.

Fr. RAPHAEL DE ST-JOSEPH, _Carm. Déch.,

Vicaire-Provincial_.

(Le R. P. Raphaël Kalinowski mourut en odeur de sainteté, en l'année
1907. Sa cause de béatification est soumise à la sainte Eglise.)


2.

Marnes-la-Coquette (Seine-et-Oise), 10 novembre 1902.

Mme Héloïse Debossu, habitant à Reims, actuellement 9, rue Luiquet,
et précédemment 5, avenue de Laon, souffrait depuis une dizaine d'années
d'une tumeur fibreuse, située du côté gauche, un peu au-dessous des
côtes. De nombreux médecins consultés réclamaient avec instance une
opération, devenant chaque jour plus urgente. La malade ne voulut jamais
y consentir. En désespoir de cause, elle fut soumise à divers
traitements de massage et d'électricité qui ne lui procurèrent qu'un
soulagement très passager. Au mois de janvier 1901, son état s'aggrava
tellement qu'elle dut garder la chambre et même le lit à peu près
continuellement. La maigreur et les souffrances étaient devenues
effrayantes. Au mois de septembre, une péritonite venait même de se
déclarer. C'est alors que, désespérant du côté de la terre, j'envoyai à
la pauvre malade un sachet de cheveux de la chère et vénérée petite
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, en l'engageant à s'unir à une neuvaine
que j'allais demander à votre Carmel. Le résultat ne se fit pas
attendre. Le dernier jour de la neuvaine, la malade, guérie de sa
tumeur, pouvait se rendre à sa paroisse et y faire la sainte communion
en action de grâces. Depuis, ses forces n'ont fait qu'aller en
augmentant. Sa figure annonce une santé parfaite, et sa maigreur a fait
place à un embonpoint et à une fraîcheur de teint qui ne laissent aucun
doute sur sa guérison. Tous ceux qui connaissent cette personne, qui
l'ont vue si malade et si désespérée, s'accordent à proclamer la chère
petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus comme l'agent merveilleux de sa
guérison.

Voilà, ma Révérende Mère, simplement, sans phrases et sans exagération,
l'entière et sincère vérité. Aussi, impossible de vous dire la
reconnaissance de Mme Debossu pour son incomparable bienfaitrice.

     Cinq ans après: 23 février 1907.

Je soussigné certifie que Mme Héloïse Debossu, née Dauphinot, qui fut
guérie à la suite d'une neuvaine faite à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
et de la Sainte Face, décédée au Carmel de Lisieux en 1897, a continué
depuis 1902 à jouir d'une excellente santé et qu'elle demeure convaincue
que sa guérison, aussi prompte que complète, est due entièrement et
uniquement à l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la
Sainte Face. Les médecins l'avaient condamnée et, même avec une
opération, ne répondaient pas de sa guérison. Elle n'a pas été opérée
et, à la fin de la neuvaine, elle qui gardait le lit depuis de longs
mois, elle allait à pied communier à l'église de sa paroisse.

En foi de quoi, je signe la présente attestation.

L'abbé D. PETIT,

_Ancien directeur du Séminaire de Versailles,
actuellement curé de Marnes-la-Coquette_[269].

3.

Marnes-la-Coquette (Seine-et-Oise), 23 janvier 1903.

Une dame Jouanne, mariée à un jardinier, et mère de deux enfants dont
l'aîné a dix ans, eut à subir, il y a plus d'un an, une opération pour
une double hernie étranglée. Elle faillit y laisser la vie. Depuis elle
pouvait à peine se traîner, et sa maigreur était extrême. Il y a trois
semaines environ, cette femme est retombée gravement malade d'une
appendicite compliquée d'une péritonite complète. Les médecins déclarent
qu'elle est perdue. Un matin de la semaine dernière, le mari se
précipite chez moi: «Venez vite, Monsieur le Curé, elle se meurt.» Un
grand chirurgien de Paris, celui-là même qui précédemment l'avait opérée
de sa double hernie, appelé par son confrère de Ville-d'Avray, était
venu la veille pour tenter une opération. La malade avait été endormie.
On lui ouvre le ventre, mais on se trouve en présence de tels abcès et
de pus répandu, que vite on renonce à toute opération et qu'après
quelques points de suture, pour rejoindre tant bien que mal les bords de
la plaie, on déclare qu'elle n'a plus que quelques heures à vivre, un
jour ou deux tout au plus.

J'arrive promptement. La malade ne pouvait plus parler, avait le teint
cadavérique, était glacée et semblait ne plus avoir qu'un souffle. Elle
gardait cependant sa connaissance. Je lui adresse du fond du cœur
quelques mots, je lui recommande de se mettre intérieurement sous la
protection de notre bien-aimée petite Thérèse, puis je lui donne
l'absolution et l'indulgence de la bonne mort. J'avais oublié les
Saintes Huiles, peut-être par une permission de Dieu.

La religieuse qui était près d'elle déclarait qu'elle baissait de minute
en minute. Alors je glisse, en la prévenant, sous le traversin de la
malade, un sachet renfermant des feuilles de roses dont Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus avait caressé son crucifix.

Le même jour, les vomissements, qui depuis six jours étaient continuels,
cessaient entièrement; le surlendemain, les médecins déclaraient qu'elle
était hors de danger et lui permettaient des aliments. Cinq jours après,
le mari venait me dire et la joie de la malade et toute sa
reconnaissance pour la chère petite sainte.

Vous le voyez, ma Révérende Mère, un rien qu'a touché cet ange a une
valeur et une vertu inexprimables...


Du même, 23 juillet 1907.

M{me} Jouanne, femme du jardinier, guérie miraculeusement, il y a près
de cinq ans, par S{r} Thérèse de l'Enfant-Jésus, n'habite plus depuis
longtemps déjà ma paroisse; elle demeure actuellement à Versailles. Je
l'ai revue plusieurs fois en parfaite santé; elle conserve pour notre
chère petite sainte la plus vive et la plus durable reconnaissance.
Comme moi, elle attribue uniquement sa guérison si surprenante, si
éclatante et si subite à la relique de S{r} Thérèse. Tous les détails
que je vous ai donnés au moment de sa guérison sont de la plus exacte
vérité et je les confirme de nouveau en son nom et au mien par la
présente.

L'abbé D. PETIT,

_Curé de Marnes-la-Coquette_.


4.

T. (Morbihan), 28 mai 1903.

Que je l'aime, cette petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus! Combien de
fois n'est-elle pas venue à mon secours dans les luttes acharnées, et
pour ainsi dire corps à corps, que me livre l'enfer contre la sainte
vertu! Je ne puis les nombrer. Hélas! ma bonne Mère, depuis trente ans,
je subis ce martyre. J'ai soixante ans passés, et l'ennemi est toujours
sur la brèche. La mort me serait préférable mille fois à ces luttes
journalières. Mon auxiliaire de tous les jours, de tous les instants a
été notre bonne Mère du Ciel. Mais depuis cinq ou six mois, la Très
Sainte Vierge m'a confié à votre chère sainte que j'aime autant et plus
que si j'étais son frère. Et le bien qu'elle m'a fait, je serais prêt à
en rendre témoignage 'devant quelque tribunal que ce soit, quand viendra
le moment où l'Eglise s'occupera d'elle.

Je ne puis que vous engager, ma bonne Mère, à exhorter les âmes que vous
sauriez soumises à cette épreuve humiliante de s'adresser à cette chère
petite bienheureuse.

R. P. Eugène (décédé).


5.


N. (Meurthe-et-Moselle), 7 mai 1905.

Une jeune fille de dix-neuf ans, très chère à ma famille, était atteinte
de l'appendicite. Quand les médecins s'aperçurent du mal, il était déjà
trop tard. Cependant, après avoir longtemps hésité, l'opération fut
décidée; mais la gangrène s'était déjà étendue aux parties
environnantes, et l'opération dut être écourtée. Huit jours après, la
pauvre jeune fille était à toute extrémité, et on n'attendait plus qu'un
dénouement prochain. De plus, une fissure s'était produite dans
l'intestin et avait singulièrement compliqué le cas: bref, suivant
toutes les prévisions humaines, tout espoir était perdu.

Je m'empressai de porter à la mourante ce que j'avais de plus cher; des
cheveux de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et une neuvaine fut
commencée. Deux jours après, subitement, la fissure se ferma; et, depuis
ce moment, le mieux a continué, si bien et si vite que la chère malade
est absolument hors de danger, se lève plusieurs heures par jour et n'a
plus qu'à reprendre des forces.

L'étonnement des médecins ne peut s'exprimer. «Je vous avoue, disait le
chirurgien en chef, que je n'avais jamais eu le moindre espoir, je la
croyais bien perdue... Cette guérison est un phénomène, c'est à n'y rien
comprendre!»

Nous, ma Révérende Mère, nous comprenons bien!

R. P. M. R.


6.


Cracovie (Autriche), 19 mai 1906.

Le frère Ignace Boron, coadjuteur de notre Compagnie de Jésus, souffrait
cruellement de pierres dans le foie, depuis Noël 1905 jusqu'au 20 mars
de cette année. Deux médecins, professeurs de l'Université, MM. P. et
D., avaient déclaré le mal incurable. Le professeur K., célèbre
chirurgien, disait qu'une opération était indispensable.

Après avoir fait inutilement plusieurs neuvaines, nous en avons commencé
une au Sacré-Cœur et à la très sainte Vierge par l'intercession de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus de Lisieux. Le deuxième jour de la
neuvaine, le frère eut une crise, et le troisième, il se leva
complètement guéri, au grand étonnement des docteurs qui déclarèrent le
fait inconnu à la médecine.

R. P. K., S. J.

Carmel de Cracovie, 20 mai 1906.

Le 19 mai, le R. P. K. est venu dire chez nous une messe d'action de
grâces, où le frère Boron a communié. Ce dernier a dit qu'il se sent
tout rajeuni, tout renouvelé, et mieux portant qu'il ne l'a jamais été.


7.


Nancy (Meurthe-et-Moselle), 11 septembre 1906.

Gabrielle-Marie-Antoinette Barroyer, née le 4 août 1896, est tombée
malade en décembre 1900. Des suites d'un fort rhume et d'une rougeole
infectieuse lui est venue la terrible maladie appelée tuberculose. Du
nez et des yeux, il sortait un pus dont l'odeur nauséabonde était si
repoussante qu'il fallait vraiment la tendresse et le dévouement de ses
parents pour procéder au nettoyage si minutieux de ces parties malades.

En mars et avril 1901, le mal empira et le péritoine se contamina comme
les yeux et le nez; le ventre devint très gros et très dur: il se
couvrit de boutons énormes d'où s'écoulait également du pus. La petite
malade eut des crises très violentes qui formèrent des nœuds sur le
dessus de la main droite et au pied gauche. C'était la tuberculose qui
gagnait les extrémités. A partir de ce jour, on ne put lever la pauvre
enfant que pour la mettre dans une longue voiture, où elle passait ses
journées au grand air, dans le jardin.

Vers la fin de cette année 1901, les douleurs des yeux, du nez et du
ventre semblèrent diminuer d'intensité; mais les grosseurs, celle de la
main droite surtout, augmentèrent d'une manière effrayante. Le docteur
nous dit que c'était la tuberculose qui se localisait, qu'il fallait
absolument une opération. Après avoir au préalable essayé toutes sortes
de remèdes sans aucun résultat, l'opération fut fixée au mois de mai
1902; elle réussit bien, mais la maladie était restée; et, après de
grandes souffrances, la grosseur reparut avec une nouvelle vigueur, un
peu en dessous de l'ancienne.--En avril 1903, on recommença de nouveau
l'opération, on enleva un petit bout de l'os du dessus de la main, os
fonctionnant avec le grand doigt et qui se putréfiait; mais on ne fut
pas plus heureux que la première fois; et, toujours après quantité de
soins de toute nature, on recommença une troisième opération en mars
1904. Ce fut en vain; le mal revint ensuite, plus intense encore que les
fois précédentes; on brûla, pendant de longues séances, au crayon de
nitrate d'argent; rien ne fit.

Un jour, je demandai à voir la main de ma pauvre petite fille, on refusa
d'abord, puis on céda enfin à mes instances; mais quelle douleur
j'éprouvai à ce triste spectacle: on aurait dit deux énormes lèvres d'un
bleu noirâtre, toutes tuméfiées. Ce jour-là, on m'avoua qu'il fallait
recommencer un quatrième grattage de l'os. Il faut être mère pour
comprendre tout ce que renfermait d'inquiétudes pour nous le sort de
notre chère enfant.

Quand enfin mon cher cousin, M. l'abbé Renard, touché de notre
affliction, ému de voir souffrir ainsi ce petit ange, nous proposa de
faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Nous acceptâmes
cette nouvelle espérance, car depuis longtemps nous avions adressé
neuvaines sur neuvaines à différents saints de notre choix; mais Dieu
voulait se manifester pour la gloire et l'honneur de sa jeune et si
dévouée servante, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Mon cousin nous
apporta une relique de cette angélique sœur, et chaque soir, pendant
la neuvaine, nous l'appliquions sur la main malade. Est-il besoin de
dire la foi, l'espérance que nous avions en adressant notre prière à
Dieu par l'intercession de sa fidèle épouse? Mais ce n'est pas à nos
prières seulement que nous devons d'avoir fléchi le bon Dieu; mon cher
cousin priait et faisait prier légion de belles âmes avec nous.

Dès le quatrième jour de la neuvaine, un mieux très sensible fut
constaté par le médecin et on conclut que l'opération ne serait
peut-être pas nécessaire. Le huitième jour, nouvelle visite du docteur;
non seulement le mieux se maintenait, mais cette fois, il nous dit qu'on
n'opérerait pas. La bonne sœur Charles, qui soignait ma petite fille,
me demanda ce que nous faisions, car la rapidité de cette belle
amélioration l'avait frappée. Nous lui donnâmes notre recette. «Ah! ne
vous arrêtez pas, nous dit-elle, et faites une autre neuvaine, je me
joindrai à vous.» Nous recommençâmes immédiatement une autre supplique,
dans les mêmes conditions que la précédente. A la fin de cette seconde
requête, ma petite Gabrielle fut guérie complètement. Je lui laissai
néanmoins un petit linge sur la main pendant une partie du mois de
juillet de la même année 1904, parce que la peau reformée était encore
trop fine, mais, après cela, je lui laissai la main libre, et depuis
elle se fortifie et l'enfant aussi.

Nous gardons une profonde reconnaissance à Dieu et à Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, que nous continuons d'invoquer en notre particulier, en
attendant que nous puissions la prier comme une sainte.

E. BARROYER.


8.


P. R. (Bretagne), 7 janvier 1907.

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus vient de m'accorder une grâce inespérée
de conversion.

A la fin d'une neuvaine à cette petite sainte, une femme âgée, en état
de péché mortel dès avant sa première Communion qui fut mauvaise, après
une vie toute de désordres, de scandales et de sacrilèges, s'est sentie
prise d'un tel repentir, après avoir contemplé cinq minutes au plus
l'image de la Sainte Face, peinte par une de vos sœurs, qu'elle a
fondu en larmes et a voulu faire au plus tôt sa confession générale.
Vous dire son bonheur actuel et sa reconnaissance envers Sr Thérèse
de l'Enfant-Jésus est chose impossible.


9.


R. (Bretagne), 11 janvier 1907.

Au mois de juillet dernier, ma santé, déjà ébranlée par une longue
maladie d'estomac, me laissa dans un état de langueur difficile à
décrire; j'étais devenue si maigre qu'il me fut bientôt impossible de
faire un mouvement. Je m'alitai le 20 juillet, et, depuis ce jour,
incapable même de soulever ma tête sur l'oreiller, je fus obligée de me
confier complètement aux religieuses qui me soignaient. Cependant, mon
état s'aggravait encore: mon bras droit, devenu paralysé, me refusait
tout service; et les médecins me condamnèrent.

Ma sœur aînée, Carmélite à A., eut la pensée d'invoquer la sainte
Vierge, par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, pour
obtenir ma guérison. Deux neuvaines successives n'amenèrent aucune
amélioration. Enfin, nous commençâmes une troisième neuvaine, et la
Prieure des Carmélites m'envoya une relique de la robe de Sr Thérèse,
m'engageant à la porter sur moi. Pendant cette troisième neuvaine, mon
état devint plus alarmant, les médecins, perdant tout espoir, cessèrent
leurs visites; mes parents et les autres personnes qui m'entouraient
reconnurent que c'était la fin. Je reçus l'extrême-onction le 29 août au
soir; et, dans la pensée de chacun, tout devait être fini le lendemain
matin.

Ma mère eut cependant un dernier espoir; elle écrivit aussitôt au
sanctuaire de Notre-Dame des Victoires pour demander une messe. Nous
recourions ainsi de nouveau à la sainte Vierge, toujours par l'entremise
de la petite Sr Thérèse.

La messe fut célébrée le lendemain à 10 h. 1/2; pendant ce temps les
supplications redoublèrent, et cette fois le ciel se laissa fléchir.
Pendant la messe, une vigueur toute nouvelle me transforma: Sr
Thérèse, le dernier jour de la troisième neuvaine, exauçait enfin nos
prières en me guérissant.

MARIE-THÉRÈSE L. (22 ans).


10.


Carmel de Nîmes exilé à Florence, Italie, 3 avril 1907.

Avec quel bonheur je viens vous dire le miracle opéré par notre
angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Aidez-nous à lui dire merci!
Oh! qu'elle est puissante, ma Mère!

Sr Joséphine, l'une de nos sœurs converses, fut atteinte, le 18
janvier 1907, d'une pneumonie déclarée infectieuse. En quatre jours,
elle fut à toute extrémité, la fièvre montait à 43°. Aussitôt que je
compris la gravité du mal, je m'adressai avec une confiance inébranlable
à l'ange de Lisieux; je plaçai son image au chevet du lit de la malade
qui, elle, ne désirait pas guérir.

Cependant, le sixième jour de la maladie, le docteur ne nous laissa
plus aucun espoir, et nous avertit de lui faire recevoir les derniers
sacrements, craignant un dénouement fatal pour le lendemain.

Je voulus passer cette dernière nuit auprès de notre chère enfant: mais
nos sœurs m'obligèrent à aller prendre un peu de repos, ce que je fis
pour ne pas les contrister, mais en redoublant mes instantes prières à
notre sœur du Ciel.

Vers 2 heures du matin, je fus réveillée par une force mystérieuse,
j'avais l'intuition que notre Sr Joséphine était à l'agonie.
J'accourus immédiatement et la trouvai, en effet, sur le point de rendre
le dernier soupir, elle était noire... les yeux vitrés... D'une voix
étouffée elle balbutia: «Ma Mère, je ne puis pas mourir!»

Je dis à la Mère Sous-Prieure qui me pressait de faire les prières des
agonisants: «Non, la petite Thérèse la guérira», et je récitai le Credo
avec toute l'énergie de ma foi. J'avais dans l'âme une sorte de
saisissement, comme si notre petite S' Thérèse de l'Enfant-Jésus m'eût
touchée, pour me signifier que le miracle était obtenu. Et je crus à
cette touche inoubliable et je dis tout haut: «S' Joséphine est sauvée!»
Elle l'était, en effet. La crise de suffocation s'apaisa, les yeux
reprirent de la vie et de l'éclat. Le lendemain, le docteur vint
constater lui-même la résurrection de celle dont il croyait constater la
mort. A plusieurs reprises, il s'écria: «C'est un miracle! oui, c'est
bien un miracle.»

Et maintenant, ma Révérende Mère, que vous dirai-je? Jusqu'à mon dernier
soupir, ces souvenirs resteront gravés dans mon cœur pour en rendre
grâce à Dieu.

Sr M., _prieure_.

Suit le certificat du médecin.


11.


Dinan (Côtes-du-Nord), 7 mai 1907.

Au mois de juin 1902, le jour de la Fête-Dieu, ma mère, souffrante
depuis le matin, fut obligée de se coucher. Nous croyions à une grippe,
mais, le lendemain et les jours suivants, elle fut très malade. Le
docteur vint chaque jour pendant plusieurs semaines, essayant de tout et
ne voyant pas de quelle nature pouvait être la maladie. Il était
impossible de faire prendre à ma mère aucune nourriture, les œufs
l'empoisonnaient. Elle était arrivée à un tel état de faiblesse que le
docteur ne put nous cacher la gravité du mal. Un second médecin fut
alors appelé. Tous deux disaient: «Elle se meurt.»

Madame la Supérieure de l'hospice de Dinan, très dévouée à ma famille,
ne nous cachait pas son extrême inquiétude. Un jour, la sœur qui
soignait ma mère nous appela en toute hâte. Nous montâmes, mon frère et
moi. Maman n'avait plus de connaissance, ses yeux étaient vitrés.
Epouvantés, nous envoyons chercher le docteur; il fit une piqûre d'éther
et la connaissance revint. Depuis plusieurs jours, elle ne pouvait
parler qu'avec une extrême difficulté; ce jour-là, ce fut bien pis et
les crises se renouvelèrent dans l'après-midi. Enfin, le soir, vers 8 h.
1/2, une dernière faiblesse survint. Quand la violence de la crise fut
un peu calmée, la connaissance ne revenant pas, Monsieur l'Aumônier de
l'hospice apporta les Saintes Huiles. Mon frère et moi, nous étions
comme fous de douleur. Alors, je me rappelle que nous avions une relique
de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus: c'étaient des cheveux. Je la mets au
cou de maman: immédiatement elle s'endort. Quelques heures après, elle
se réveille, parlant parfaitement; elle me dit qu'elle était très bien.
La sœur et moi n'eûmes pas un instant de doute, ce n'était pas un
mieux trompeur. Maman était guérie. Le lendemain elle s'est levée, a
voulu manger des œufs; je ne les lui donnai qu'en tremblant, mais ils
ne lui firent aucun mal. Le docteur vint encore pendant plusieurs jours,
car il ne voulait pas croire à cette guérison. Il fut bien forcé de
convenir de la vérité.

Est-il nécessaire de vous dire, ma Révérende Mère, quels furent notre
bonheur et notre reconnaissance. Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, une
fois de plus, _avait fait du bien sur la terre_.

M. P.


12.


Carmel de R. (Aveyron), 27 avril 1908.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Permettez à une humble petite sœur du Carmel de venir vous faire part
d'une grande faveur dont elle vient d'être l'objet ces jours-ci, par
l'intercession de notre chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Depuis six ans, ma santé était mauvaise et la faiblesse m'avait
occasionné une extinction de voix. Je ne parlais qu'à voix basse depuis
seize mois et encore avec beaucoup de peine. Un grand nombre de remèdes
avaient été employés, et tous étaient restés sans effet. La communauté
avait adressé de ferventes prières au Saint Enfant Jésus de Prague, mais
notre aimable «_Petit-Grand_» était resté sourd à nos supplications.

Notre Révérende Mère nous ayant lu, en récréation, les nombreuses
faveurs déjà obtenues par l'intercession de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, et consignées dans la grande édition de sa Vie, la
pensée de s'adresser à cette petite sainte pour solliciter le
recouvrement de ma voix fut générale, et, le lundi de Pâques, 20 avril,
notre Mère commençait en communauté une neuvaine en l'honneur de la
Sainte Face, afin d'obtenir, par l'intercession de sa dévouée Servante,
la grâce désirée. Elle promit, si nous étions exaucées, de propager le
plus possible les images de la Sainte Face et aussi la Vie de la petite
sainte.

Le second jour de la neuvaine, dans la matinée, étant occupée à un
travail manuel, je repassais intérieurement le cantique «_Vivre
d'amour_». Arrivée à ces vers:

    _Vivre d'amour, ce n'est pas sur la terre_
    _Fixer sa tente au sommet du Thabor_,

il me prit envie de les chanter. O surprise! Sans effort, je pus en
fredonner quelques mots, quoique péniblement. Le lendemain, je parlais
bien distinctement; enfin, le jeudi, quatrième jour de la neuvaine, je
fus complètement guérie. Depuis je chante, je fais la lecture au
réfectoire, sans la moindre difficulté; il y a six ans que j'étais
privée de cette satisfaction!

Vous trouverez ci-joint, ma Révérende Mère, un mandat de 300 francs, sur
lesquels vous voudrez bien nous envoyer quelques exemplaires de la Vie
de notre puissante «petite Reine». Le reste vous est envoyé par ma
famille, pour aider à l'achat de la châsse qui devra renfermer son
corps, lorsque l'Eglise l'aura déclarée bienheureuse.


_Témoignage de la Révérende Mère Prieure._

Dès le second jour de la neuvaine, la voix de notre chère malade devint
un peu plus libre; chaque jour, le mieux s'accentuait, et vers la fin de
la neuvaine, elle était entièrement revenue à son état normal. Notre
chère sœur put reprendre immédiatement l'office de lectrice au
réfectoire, ce qu'elle continua toute la semaine sans fatigue. Quatre
mois se sont écoulés depuis, et notre sœur jouit toujours de sa bonne
voix. L'état général s'est aussi sensiblement amélioré, et plusieurs
accidents qui se produisaient souvent, tels que crachements de sang,
n'ont pas reparu.

Notre angélique Sr Thérèse a bien voulu donner une preuve de son
affection fraternelle à notre sœur et à toute notre Communauté:
qu'elle en soit mille fois remerciée!

Carmel de R., le 27 août 1908.

Sr S., _prieure_.

Suit le certificat du médecin.


13.

Saint-S. (Creuse), 12 mai 1908.

Devant aller prêcher une mission, j'en mis le succès sous la protection
de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, cette âme si fidèle à la grâce
pendant toute sa vie. Je promis en retour, au cas où les prédications
produiraient des fruits de salut, de les lui attribuer pleinement et de
les publier pour hâter sa béatification.

Je tiens à vous dire aujourd'hui, ma Révérende Mère, que cette mission a
été particulièrement bénie. Grâce à la puissante intercession de votre
sœur du Ciel, les pécheurs se sont convertis en grand nombre. Nous
étions très surpris, mon confrère et moi, des accents que le divin
Maître nous mettait dans le cœur et sur les lèvres, pour tenir notre
auditoire attentif, d'une façon soutenue. Et certes, ils avaient du
mérite à nous écouter, les pauvres gens! car, pendant huit jours, ils
venaient tous les soirs de plusieurs kilomètres, parfois de deux lieues,
malgré la neige, la pluie et le vent, dans une église où nous les
gardions deux longues heures. En s'en retournant, ils étaient obligés de
s'éclairer avec des flambeaux pour se préserver des précipices, dans des
chemins épouvantables.

Que Dieu bénisse votre Carmel d'avoir fait connaître un ange qui lui
ramène tant d'âmes!

C.


14.

S., Belgique, 15 mai 1908.

Le Curé de la paroisse de H. se recommande particulièrement à vos
prières. Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle il avait confié le
succès d'une retraite d'hommes, a attiré de telles bénédictions sur
celle-ci et opéré de si éclatantes conversions que toutes ses espérances
de pasteur ont été dépassées.

T. P.


15.

Je reconnais que ma fille Reine, âgée de 4 ans 1/2, était atteinte,
depuis le 11 janvier 1906, d'une maladie des yeux reconnue incurable par
les médecins.

Après seize mois de soins inutiles, ma femme porta notre enfant aveugle
sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et nous commençâmes une
neuvaine à cette petite sainte. Dès le deuxième jour, le 26 mai 1908,
avant-veille de l'Ascension, pendant que ma femme était à la Messe de 6
heures, car elle se proposait d'y aller tous les jours de la neuvaine,
ma petite Reine, après une crise violente, recouvra subitement la vue.
Ce que ma femme a d'abord constaté, et moi ensuite.

Le docteur L. tient de ma femme elle-même tous les détails qu'il donne à
ce sujet et je les reconnais conformes à la vérité.

En foi de quoi, avec beaucoup de reconnaissance pour le miracle opéré en
notre faveur, nous signons le présent certificat avec les témoins.

A. F.--J. F.

Suivent 11 signatures.

Samedi, 12 décembre 1908.

     _Observation médicale de la jeune Reine F., âgée de 4 ans et demi,
     demeurant à L..., atteinte de kératite phlyctémulaire et guérie le
     26 mai 1908._

Reine F. n'a jamais été malade, sauf de la rougeole quand elle avait un
an.

Le 11 janvier 1906, elle a commencé à souffrir des yeux. Ses paupières
étaient collées et renfermaient du pus, les yeux étaient rouges et
irrités. Au bout de quinze jours, on la conduisit au docteur D., qui lui
continua ses soins pendant plus d'un an. La malade avait des rémissions
pendant quelque temps, puis survenaient des crises plus aiguës. Elle vit
trois oculistes: le docteur D. à L., et les docteurs M. et L. à C.
Ceux-ci dirent à la mère de ne pas leur ramener l'enfant, parce que ses
yeux étaient perdus. Ils étaient, en effet, injectés de sang et couverts
de taies blanchâtres (une douzaine environ). L'enfant souffrait
beaucoup, surtout la nuit. Elle ne voyait pas pour se conduire et ne
distinguait aucun objet placé devant elle. Elle tenait les yeux fermés
et portait des lunettes pour souffrir moins.

Touchée de cet état, une religieuse de la Providence à L., maîtresse de
la classe enfantine, conseilla à la mère de demander la guérison de sa
petite infirme à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la porter sur sa
tombe, en lui recommandant d'avoir d'autant plus de confiance que sa
fille s'appelait Reine, nom que M. Martin, père de Sr Thérèse, se
plaisait à donner à celle-ci. La mère hésitait. Elle se décida
cependant, après la lecture de la vie abrégée de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, et porta l'enfant au cimetière. Elle demanda au Carmel
une neuvaine de prières.

Le lendemain, 26 mai 1908, avant-veille de l'Ascension, elle assista à
la Messe de six heures et demie et mit un cierge à la sainte Vierge en
l'honneur de Sr Thérèse.

En rentrant chez elle, on lui apprend que sa fille a eu une crise de
souffrance plus forte que les autres. «Mets tes lunettes, puisqu'elles
te soulagent», dit la mère à la fillette. Mais celle-ci de s'écrier
toute joyeuse: «Maman, je n'en ai plus besoin, _je vois aussi bien que
toi, à présent_.»

Alors la mère approche l'enfant de la fenêtre et appelle son mari:
«_Regarde ta fille! Tu te moquais de ma confiance, vois ses yeux! Elle
est guérie!_»

En effet, les yeux grands ouverts n'étaient plus rouges; il n'y avait
plus de pus, d'inflammation ni de taies, et l'enfant voyait
distinctement tout ce qui l'entourait.

Depuis elle n'a eu aucune rechute. Le docteur D. la déclara complètement
guérie de sa kératite phlyctémulaire et délivra un certificat à la date
du 6 juillet 1908.

Cette maladie, très fréquente chez les enfants à constitution faible et
lymphathique, est caractérisée par des ulcérations de la cornée. Elle
est sujette à des récidives très fréquentes, d'abord, puis, à
intervalles plus éloignés, à mesure que l'enfant se fortifie. Elle ne
peut donc guérir que _très lentement_, et elle laisse presque toujours
des traces indélébiles, sous forme de taies plus ou moins opaques.

Dr L.

L., le 7 décembre 1908.

Suivent les témoignages recueillis par le docteur, des différentes
personnes qui ont vu l'enfant avant et après sa guérison.


_Témoignage des Carmélites de Lisieux._

Nous, soussignées, avons entendu les parents de Reine F, et vu cette
enfant au parloir. La mère nous a fait exactement le même récit qu'au
docteur L. Elle a ajouté que le premier jour de la neuvaine, elle avait
cueilli sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus deux petites
feuilles de géranium et les avait placées chez elle avec respect. Le
père nous a affirmé que le docteur D. leur avait déclaré que, s'ils
voyaient les yeux de leur petite fille devenir phosphorescents, c'était
signe qu'ils étaient perdus, sans aucun espoir de guérison; or, qu'ils
avaient vu tous deux ce phénomène se produire.

La femme nous a dit encore que le 25 mai 1908, elle était allée chez
Mme D., boulangère, dans la même rue, pour acheter un petit pain;
que, le lendemain, elle y était retournée pour montrer son enfant
guérie, et que cette dame, après avoir examiné les yeux de l'enfant
qu'elle avait vus si malades, la veille encore, s'était écriée avec une
grande émotion: «Ah! ma pauvre femme, c'est un grand miracle qui s'est
opéré chez vous!»

Marie F., âgée de 9 ans et demi, nous a dit avoir vu sa petite sœur,
au matin du 26 mai, s'apaiser tout à coup, après sa grande crise, puis
regarder fixement quelque chose en souriant, et faisant des gestes
d'amitié avec son petit bras; enfin, s'endormir paisiblement. «J'ai
pensé, nous dit-elle, _quelle se guérissait_ et regardait les objets au
fond de la chambre. Je lui ai demandé ensuite ce qu'elle avait tant
regardé et pourquoi elle avait ri. Elle m'a répondu: «_J'ai vu la petite
Thérèse, là, tout près de mon lit, elle m'a pris la main, elle me riait,
elle était belle, elle avait un voile, et c'était tout allumé autour de
sa tête._»

L'enfant nous a raconté la même chose à nous-mêmes. Devant nous, sa mère
a essayé de l'effrayer en lui disant de prendre garde de mentir, ou bien
que la «petite Thérèse» lui reprendrait ses yeux. Elle s'est retournée
vers sa mère et lui a répété avec assurance: «Oui, maman, c'est vrai, je
l'ai vue...»--«Comment était-elle habillée, ma petite Reine?» lui
dîmes-nous.--«_Pareille à vous!_»

5 février 1909.

Suivent les signatures de la Mère Prieure et de plusieurs religieuses.


16.

Le C., Juin 1908.

Un matin, en allant à la Messe, je demandai avec une très grande
confiance au Sacré-Cœur et à Notre-Dame des Victoires, par
l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, la conversion d'une
âme qui--je le savais par ses confidences--n'était point sincère dans
ses confessions.

Le soir de ce même jour, je rencontre cette personne qui me dit: «Oh! je
ne sais pourquoi, mais aujourd'hui j'ai été très tourmentée au sujet de
la confession et c'est ce qui ne m'arrive jamais.» Le lendemain, elle
alla se confesser et revint aussitôt me voir pour me dire combien elle
était heureuse.

X.


17.

Constantinople, 8 juin 1908.

Mon mari vivait depuis seize ans loin des sacrements et ne voulait rien
entendre à ce sujet. Un jour, ma fille, en revenant de l'école, me parla
de la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et ce qu'elle m'en dit
m'inspira beaucoup de confiance. Le soir même, nous récitâmes un _Pater_
et un _Ave_ pour obtenir de la chère sainte la conversion désirée et,
dès le lendemain matin, mon mari me dit spontanément: «_Cette année, je
veux faire mes Pâques et désormais je m'approcherai plus souvent des
sacrements._» C'était le Mercredi Saint, et, tout transformé et tout
joyeux, il communia le Jeudi Saint. Maintenant, il communie tous les
mois.

X.


18.

X., Italie, 8 août 1908.


Quelques mois avant mes vœux perpétuels et mon sous-diaconat, je
traversai une crise violente dont mon avenir sacerdotal et religieux a
évidemment dépendu. Au plus fort de la lutte, sans aucune initiative de
ma part, la pensée de votre sainte s'est imposée à mon esprit avec une
obstination et un charme irrésistibles. Elle a continué à m'occuper
ainsi tout le jour, sans que je dusse faire des efforts pour chercher sa
chère pensée; elle m'a appris à l'appeler _ma Mère_, et à mettre en elle
toute l'espérance de mon âme. Elle m'a béni mieux encore que par ses
joies sensibles; elle a «_tourné_» mon cœur. Mon directeur, un homme
prudent et réservé s'il en fut, a été extrêmement frappé de ce qui
s'était passé en moi, des changements subits et inexplicables qu'elle y
avait faits, et il m'a dit: «Il y a là quelque chose d'extraordinaire:
c'est une grande grâce que vous avez reçue!» Ce que je vous dis en
termes un peu voilés, ma bonne Mère, je serais heureux de pouvoir vous
le dire clairement de vive voix. Alors vous comprendriez mieux comment
elle est _ma Mère_, la mère de mon sacerdoce et de tous mes apostolats
futurs; vous comprendriez combien je désire la faire bénir comme je la
bénis, aimer comme je l'aime.

B.


19.

Estado do Ceara, Brésil, 21 août 1908.

Mon père était très malade et avait déjà reçu les derniers sacrements,
quand, providentiellement, une personne amie m'apporta une relique de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Elle-même adressa ces questions au
malade qui souffrait extrêmement: «Croyez-vous que cette petite sainte
puisse obtenir votre guérison? Voulez-vous suspendre à votre cou cette
relique?--_Oui!_» a répondu mon père avec une grande foi.

Alors j'ai fait une prière à la «petite Reine», et aussitôt mon père
s'est trouvé très bien.

J'ai promis de publier cette guérison extraordinaire.

A. C.


20.

S. J. (Calvados), 23 septembre 1908.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je suis allée faire un pèlerinage sur la tombe de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus en reconnaissance d'une grande faveur obtenue par son
intercession.

Voici le fait.

Le jour de la Pentecôte, mon frère a été pris d'une arthrite infectieuse
dans le genou gauche. Quelques jours après, une péricondite se déclarait
au cœur, puis une miocardite. Son état alors réclama son transport
dans une maison de santé; il fallait près de lui la présence
continuelle d'un médecin. En arrivant à l'hôpital Saint-Joseph,
médecins, internes, religieuses se sont écriés: «C'est un mourant que
vous nous amenez, il ne passera pas la nuit.» Pendant plusieurs jours,
son état était si désespéré que les personnes qui le soignaient ne lui
faisaient aucun traitement, aucun remède, prétextant que c'était un
condamné à mort et qu'il valait mieux le laisser mourir tranquille.
Pendant trois semaines, il ne prit qu'un peu de champagne, et sa
faiblesse était si grande qu'il perdait souvent connaissance.

Nous avons été amenés à prier Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus par ma
sœur aînée, religieuse Carmélite. Ma sœur, mon frère et moi avons
commencé une neuvaine, et, le dernier jour, mon frère était hors de
danger.

Les personnes qui l'ont soigné sont encore dans l'étonnement de cette
guérison.

L. M.


21.

F., Angleterre.

Dans la troisième semaine de juin 1908, sœur Catherine C., postulante
au noviciat de la congrégation de X., Londres, glissa malheureusement
deux marches d'un escalier et se foula gravement le pied. Le repos et
les remèdes ordonnés par le médecin n'apportèrent aucune amélioration.
Le pied restait enflé et décoloré, de sorte que la sœur ne pouvait
marcher.

    _On fait examiner la blessure à l'Hôpital du Royal Collège
    au moyen des Rayons X,_

et le pied malade est enfermé dans une gouttière de plâtre. Le
chirurgien ordonne qu'il reste ainsi durant six semaines. Au bout de ce
temps, le mal n'ayant point diminué, et la sœur souffrant beaucoup,
on essaya un vésicatoire pour réduire l'enflure, mais sans plus de
succès. Enfin, le spécialiste de l'Hôpital fut appelé à F. Après une
consultation avec le médecin du couvent, il donna une très sérieuse
appréciation du mal, et déclara qu'il n'espérait le guérir que sous sa
particulière surveillance.


    _Une opération devient nécessaire._

Ayant su que les parents de la novice désiraient qu'elle fût soignée
chez eux, le spécialiste parla d'écrire à un certain professeur du pays
pour lui donner ses conseils au sujet de l'opération. De plus, il
avertit que les plus grandes précautions seraient à prendre pour le
voyage, et que le moindre choc suffirait pour aggraver le mal et rendre
une amputation inévitable.

Le mardi suivant, 3 novembre, le Révérend Père C., frère de la novice,
arriva à F. dans le but de la ramener chez elle. Il fut bien affligé de
l'état de son pied, et, en le voyant d'une si mauvaise couleur, enflé et
complètement informe, il comprit clairement qu'une opération devenait
urgente.

On prit des mesures pour qu'une voiture d'ambulance se trouvât prête dès
l'arrivée de l'infirme à G. Jusqu'alors on avait caché à sœur
Catherine la nécessité de son départ. Elle fit des instances pour rester
au monastère, mais le cas était trop grave et il lui fallut accepter
l'épreuve. Elle fit donc bien tristement ses adieux au noviciat, et la
voiture qui devait l'emporter loin du couvent qu'elle aimait et
regrettait si vivement, fut demandée pour le lendemain matin, à huit
heures et demie.

    _Venons maintenant à la Thaumaturge_

qui intervint si merveilleusement cette nuit-là même.

Lors de l'accident, on avait placé sur le pied malade une médaille du
Sacré-Cœur, on avait employé de l'eau de Lourdes pour les pansements.
Des neuvaines furent faites au Sacré-Cœur, à la très sainte Vierge et
à plusieurs saints, mais le Ciel semblait sourd à toutes les demandes.

Le 30 octobre, après la décision du chirurgien, sœur Catherine, de
l'avis de sa Supérieure, commença une neuvaine à Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus et plaça parmi ses bandages un pétale de rose avec lequel
Sr Thérèse avait autrefois embaumé et caressé son crucifix, sur son
lit d'agonie. On avait d'ailleurs dans le couvent une grande dévotion à
cette jeune sainte contemporaine, et cette dévotion était sur le point
de recevoir sa récompense.

«Le vendredi soir, 30 octobre, écrit sœur Catherine dans sa relation,
j'avais commencé une neuvaine à la «Petite Fleur» avec une grande
confiance. Je ne la perdais pas de vue un seul instant, toujours je la
priais d'avoir pitié de moi et de me guérir pour sauver ma vocation.

«Le 3 novembre, veille de mon départ, je me couchai vers 9 heures,
ressentant une excessive douleur dans le pied. Je conjurai alors la
Petite Fleur» de m'obtenir enfin du Dieu Tout-Puissant ma guérison. A
chaque fois que je m'éveillais, je lui faisais les mêmes instances. Vers
3 heures, je m'éveillai encore, mais cette fois, ma cellule était
remplie de lumière. Je ne savais quoi penser de cette exquise clarté et
je m'écriai: «_O mon Dieu! qu'est-ce que cela?_» Je restai dans cette
«lumière pendant trois quarts d'heure, et je n'arrivais pas à me
rendormir, malgré mes efforts. Alors je sentis comme l'impression de
quelqu'un qui enlevait les couvertures de mon lit et m'excitait à me
lever. Je remuai mon pied, et quelle ne fut pas ma surprise de trouver
les sept mètres de bandages, qui avaient été liés très fortement et dont
je n'aurais pu me passer, complètement retirés. Je regardai mon pied, il
était entièrement guéri. Je me levai, je marchai, et, ne sentant plus
aucun mal, je tombai à genoux en m'écriant: «_O Petite Fleur de Jésus,
qu'est-ce que vous avez fait pour moi ce matin! Je suis guérie!_»

Vers l'heure de la Messe, on vint chercher sœur Catherine pour la
conduire à la chapelle, mais elle dit qu'elle n'avait plus besoin de
l'appui d'un bras, ni de la canne dont elle se servait d'habitude. Elle
descendit seule l'escalier et courut vers sa Supérieure.

    «_La_ «_Petite Fleur_» _m'a guérie!_

ma Mère», lui dit-elle. Et tout aussitôt, la nouvelle se répandit dans
la communauté, comme une traînée de poudre. Une sorte de crainte planait
sur la maison avec le sentiment que Dieu avait passé par là.

La Mère Provinciale vint bientôt et se rendit compte par elle-même de
l'événement. Pour prouver qu'elle était bien guérie, la novice marcha de
long en large à l'extérieur de l'église, et montra qu'elle portait sa
chaussure ordinaire, au lieu de la chaussure d'infirme qu'on lui avait
préparée à cause de l'enflure.

Enfin, elle resta tout le temps de la Messe à genoux et marcha d'un pas
ferme pour recevoir la sainte Communion des mains de son frère. Celui-ci
ignorait encore le miracle, mais il avoua ensuite que jamais, depuis sa
première Messe, il n'avait reçu autant de consolations divines qu'à
cette Messe-là. Témoignage touchant encore du pouvoir d'intercession de
Sr Thérèse en faveur des prêtres, pour lesquels elle aimait tant à
prier!

Immédiatement après la Messe, la Mère Prieure alla le trouver et lui
raconta ce qui était arrivé. Alors, très ému, il entonna le _Te Deum_,
que la novice poursuivit debout avec la Communauté entière, dans une
joie et une émotion indicibles.

L'examen du pied montra que la décoloration, l'enflure, les marques du
vésicatoire et des pointes de feu avaient disparu et qu'il était revenu
à sa forme naturelle.

La gratitude de la novice et des sœurs fut profonde, en vérité,
devant cette intervention de leur bien-aimée «Petite Fleur». D'autres,
pour lesquels son parfum odorant est une joie toujours renaissante,
apprendront avec plaisir ce nouveau gage de sa puissance au milieu d'une
génération incroyante.

«Vous nous regarderez d'en haut, n'est-ce pas?» disait-on à Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, lorsque, âgée de 24 ans, elle était mourante
à Lisieux.

«_Non_, répondit-elle, _je descendrai_.»

A F., comme en bien d'autres lieux, la «_Fleur de Jésus_» descendit.

T. N. T.


22.

Vendée, 5 novembre 1908.

J'aurais pu, dès le premier jour de la neuvaine, vous écrire pour vous
annoncer la guérison de mon petit Jean, mais je ne l'ai pas voulu pour
ne pas agir avec témérité.

Dès que nous avons eu attaché à la robe du petit malade le morceau
d'étoffe ayant appartenu à votre Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, les
vomissements et autres accidents ont cessé; ils ont cessé si brusquement
que nous n'osions pas y croire. Depuis ce jour, l'enfant se porte à
merveille; jamais il n'avait été aussi gai. C'est de grand cœur que
ma femme et moi nous remercions Sr Thérèse.

Docteur C.


23.

G., Ecosse, 8 novembre 1908.

Une guérison spirituelle--délivrance d'une tentation qui durait depuis
plusieurs années--a été obtenue en un instant par une relique de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, dans un couvent de G. La religieuse avait
déjà demandé de quitter la Congrégation, et maintenant elle est si
heureuse d'y être restée!

T.


24.

V. (Seine-et-Oise), 4 décembre 1908.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je suis très heureuse de venir vous annoncer que Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus a exaucé vos prières et mes supplications en guérissant
Mademoiselle S., âgée de 67 ans, et atteinte d'une bronchite aiguë,
suivie de deux congestions pulmonaires. Son état nous inspirait beaucoup
d'inquiétudes.

Lorsque je reçus le sachet contenant de la laine de l'oreiller de la
petite sainte, je le posai aussitôt sur la malade, qui l'accepta avec
bonheur, me disant qu'elle avait pensé à demander une relique de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus. C'était la première fois qu'elle me parlait
depuis plusieurs jours. Elle ajouta en me regardant: «_Oh! que cela sent
bon! Quelle odeur de roses! Quel délicieux parfum!_» Et pendant cinq
minutes, elle respira ce même parfum. Moi qui étais près d'elle, je ne
sentais absolument rien!

Le soir, à 6 h., le docteur revint, et quelle ne fut pas sa surprise de
voir que la fièvre avait disparu. Il n'en voulait pas croire ses yeux
et, quatre fois, il remit le thermomètre.

Depuis ce jour, Mademoiselle S. est allée de mieux en mieux. Aujourd'hui
elle est guérie et me charge de vous dire, ma Révérende Mère, que nous
viendrons cet été remercier nous-mêmes la chère _petite Reine_ à son
tombeau. Veuillez nous envoyer sa «Vie», et croyez que nous sommes
prêtes à nous dévouer pour la faire connaître et avancer sa
béatification.

M. M.


25.

Carmel de S. P., Espagne, 15 décembre 1908.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

J'ai la consolation d'écrire à Votre Révérence ce qui suit:

Une de nos sœurs, âgée de trente et quelques années, était reconnue
tuberculeuse par le médecin qui lui donnait, tout au plus, deux ans de
vie.

Nous commençâmes une neuvaine à l'Immaculée Conception par
l'intercession de votre aimable petite sainte, et nous la terminâmes le
20 septembre par la sainte Communion.

La malade, se voyant dans le même état, me dit: «_Ma Mère, le 30 de ce
mois, c'est l'anniversaire de la mort de la petite Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. Ce jour-là, je crois qu'elle fera quelque chose pour
moi._»

Voyant sa confiance, nous recommençâmes une neuvaine et, le lendemain du
dernier jour, je fis appeler le docteur qui, après avoir ausculté notre
chère sœur, me dit tout surpris: «Mais elle est beaucoup mieux!»

Cependant, je croyais qu'il fallait un certain temps pour constater une
guérison complète. Ces jours derniers, je la fis donc examiner de
nouveau. Après l'auscultation, le médecin se tourna vers moi et me dit:
«Il n'y a plus rien, elle est guérie!» Il me promit volontiers le
certificat que je vous envoie. Vous y lirez que: «_Cette guérison, si
prompte, lui paraît étrange et merveilleuse._»

Je ne puis vous dire, ma Révérende Mère, avec quel bonheur et quelle
reconnaissance nous avons récité, au chœur, un _Te Deum_ et un
_Magnificat_ en actions de grâces.

Chère petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, combien nous l'aimons!


Sr T., _prieure_.

Suit le certificat du médecin.


26.

D., Suisse, 18 décembre 1908.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Pardonnez-moi si je viens un peu tard vous raconter la guérison de ma
petite fille, Marie-Thérèse, âgée de deux ans, guérison obtenue par
l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

En 1907, cette enfant, d'ailleurs très chétive, fut atteinte d'un mal à
l'index de la main droite. La phalange supérieure devint si enflée
qu'elle égalait en grosseur le pouce d'une grande personne.

Ce mal, paraît-il, était la tuberculose osseuse localisée (_Spina
ventosa_), et on l'appelle _doigt en radis_.

Le docteur jugea une opération indispensable. Il ouvrit donc le petit
doigt malade et gratta l'os. Pendant cinq mois, je dus lui conduire tous
les deux ou trois jours ma petite fille pour les pansements, mais l'état
ne s'améliorait guère. Il se forma même une excroissance de chair, que
l'on dut enlever, au moyen du cautère électrique, et le doigt suppurait
toujours un peu.

En rentrant en France, au mois d'avril, je le fis voir à un autre
docteur qui, ne le trouvant pas bien du tout, me dit qu'une seconde
opération serait nécessaire.

C'est alors que, désolé, mais confiant en votre angélique sœur, je
résolus de conduire mon enfant à son tombeau.

Arrivé là, j'assis tout simplement _Marie-Thérèse_ sur la tombe de la
petite sainte en disant: «_Bonne petite Sr Thérèse, vous qui avez
promis de faire du bien sur la terre, guérissez ma petite
Marie-Thérèse._»

Eh bien, ma Révérende Mère, le doigt qui, jusqu'alors, ne cessait point
de suppurer, sécha; une petite croûte se forma, puis tomba, et huit
jours après, tout était cicatrisé et guéri.

Depuis cette époque, ma petite fille se porte à merveille.

De la part de son père et de sa mère, mille fois merci et vive
reconnaissance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

G. H.--C. H.


27.

21 décembre 1908.

C'est un devoir de reconnaissance qui m'amène aujourd'hui près de vous.
Ayant obtenu par l'intermédiaire de la petite Sr Thérèse une grâce
signalée, je me fais une joie de venir vous la raconter:

Depuis un certain temps, j'allais voir un pauvre malade. Elevé dans la
religion, cet homme, sans devenir sectaire, était devenu plus
qu'indifférent; il avait beaucoup lu, et, de ses lectures, il avait
retiré avec l'incroyance la volonté de se faire enterrer civilement;
cette volonté, il l'avait manifestée à ses enfants.

C'est dans ces dispositions que je le trouvai il y a deux mois. Je ne
fis d'abord que des visites d'ami; quand j'en arrivai aux visites de
prêtre, quand je parlai du bon Dieu, de l'Eternité, un sourire sceptique
et des paroles de dénégation accueillirent mes premières tentatives
d'apostolat. Je revins souvent sur la question et toujours ce fut la
même réponse: «_J'ai trop lu, mon cher Monsieur, pour ne pas savoir la
fausseté de toutes les religions._» Un miracle seul pouvait sauver cette
âme, et ce miracle c'est à l'ange de Lisieux que je le réclamai. Je
priai, je fis prier; une neuvaine fut entreprise. Elle n'était pas
terminée qu'une nuit le pauvre malade, de lui-même, en pleine
connaissance, me fit demander: «_Va me chercher Monsieur l'abbé_»,
dit-il à sa femme. Et, cette demande, il la réitéra depuis 1 h. jusqu'à
6 h. du matin. A 6 h., la femme, vaincue par cette persistance, vint me
chercher. J'arrivai en toute hâte et en toute joie surtout. Le malade
m'accueillit tout heureux; il se confessa, reçut l'Extrême-Onction. Le
loup était devenu agneau, l'impie d'autrefois était devenu subitement un
chrétien repenti. Oh! ils seront pour moi inoubliables ces instants de
retour subit et convaincu vers Dieu. Longtemps j'entendrai dans mon
cœur la voix, maintenant éteinte, de ce pauvre malade qui, en
embrassant son Christ, lui disait avec une réelle piété: «_Seigneur,
avez pitié de moi qui vous ai offensé!... Seigneur, je vous aime!... Mon
Dieu, pardonnez-moi!..._»

Oui, Dieu t'a pardonné, cher ami! Plus heureux que nous, tu jouis
maintenant, peut-être, de Celui que tu ne connaissais plus, de Celui
que, pendant les huit jours qui suivirent ta conversion, tu prias avec
tant d'humilité confiante! Tu me pardonneras d'avoir levé le voile sur
tes derniers instants: il s'agissait de glorifier celle qui se fit
auprès de Dieu ton avocate et ton sauveur...

L'abbé M.


28.

Collège de X., États-Unis, 11 janvier 1909.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je viens vous relater, avec une reconnaissance bien profonde, le fait
d'une protection merveilleuse dont j'ai été l'objet de la part de votre
angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Le 22 septembre 1908, étant à New-York avec notre Révérende Mère, nous
eûmes à traverser, pour reprendre le train, un croisement de voies
ferrées encombré de voitures, de tramways, d'automobiles, etc. Je crus
que notre Mère était passée et je voulus la suivre, mais elle avait vu
venir, sans avoir eu le temps de m'en prévenir, un tramway électrique
qui me heurta en plein front et me fit tomber. Lorsque le mécanicien
parvint à l'arrêter (après un trajet de 5 ou 6 mètres), tout le monde me
croyait écrasée et la foule se pressait autour de moi; mais je me
relevai sans le moindre mal! Notre Mère s'était approchée, pâle comme sa
guimpe... On nous entourait, on voulait m'aider à marcher. Des
«reporters» de journaux demandaient mon nom. Notre Mère disait: «C'est
une religieuse exilée de France, le bon Dieu a fait un miracle en sa
faveur.» Alors on nous laissa passer avec une sorte de respect, bien que
la foule augmentât toujours. Pour nous soustraire à une ovation, nous
entrâmes dans une maison où l'on nous reçut avec la plus grande bonté et
je dis à notre Mère: «_C'est la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
qui m'a préservée: je l'ai sentie au moment de l'accident._» Et sortant
de ma poche une de ses petites photographies que j'avais dans un carnet,
je la baisai avec reconnaissance. Depuis, elle ne me quitte plus.

Je ne puis dire quelle impression de surnaturel nous avait envahies.
Cependant, les «reporters» nous avaient suivies pour demander des
détails. Ils me regardaient avec ébahissement, ne semblant pouvoir
admettre que je n'eusse pas été blessée; car sous ces lourdes machines,
appelées ici «streets cars» et beaucoup plus volumineuses que nos
tramways français, il y a tout un attirail de chaînes qui devraient au
moins blesser ceux qui sont dessous. Le mécanicien avait dit à notre
Mère que j'avais été enfermée entre les roues avec tant de précision,
que c'est comme si la mesure de mon corps avait été prise. Plusieurs
journaux ont dû relater le fait.

Enfin, lorsque la foule fut presque dispersée, nous nous dirigeâmes vers
la gare, marchant assez vite pour ne pas être suivies de nouveau. Quand
nous fûmes installées dans notre compartiment, notre Mère encore tout
émue me demanda: «N'avez-vous pas mal à la tête?--Pas du tout, pas plus
que si j'étais tombée sur un lit de plumes.--Ne portiez-vous pas vos
lunettes bleues quand vous êtes tombée?--Oui, je les avais et les ai
remises inconsciemment dans ma poche en me relevant: les voici, elles
sont intactes. Je ne sais vraiment, ni comment je suis tombée, ni
comment je me suis relevée; tout ce que je puis dire, c'est qu'il m'a
semblé pendant quelques instants être dans un autre monde, une puissance
surnaturelle agissait.»

Nous convînmes, notre Révérende Mère et moi, de ne parler de cet
événement qu'à M. l'Aumônier, pour lui demander une messe d'action de
grâces. Cependant, notre Mère crut de son devoir de tout raconter au
docteur du couvent. Il vint, me croyant du moins couverte de blessures;
mais... rien, pas même une égratignure! et il partagea notre sentiment
que cette protection tenait du miracle.

Veuillez, ma Révérende Mère, avec toute votre communauté, m'aider à
remercier celle qui a été pour moi ce que l'ange Raphaël a été au jeune
Tobie, et croyez à mes sentiments à jamais dévoués en Nôtre-Seigneur.

Sr M., née C. de V.,

Sr X., _Prieure_.


29.

Carmel de X., janvier 1909.

Une de nos Sœurs souffrait depuis dix ans de peines morales qui la
torturaient et lui faisaient délaisser la sainte communion des semaines
entières. Elle fit plusieurs neuvaines à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
qu'elle aime beaucoup. Il y a trois semaines, un soir, pendant l'oraison
de 5 h., s'y étant rendue encore plus bouleversée que jamais et tout à
fait découragée, elle redoubla de ferveur et de supplication auprès de
Thérèse, priant devant son image et baisant sa sainte relique.

Tout à coup, en un clin d'oeil, dit-elle, son cœur se trouva rempli
de paix et de consolation, avec l'assurance, comme le sentiment intime,
que la «Petite Thérèse» avait passé près d'elle et lui avait ôté comme
un lourd vêtement. Elle ne pouvait _même_ plus se rappeler ce qui avait
tant de fois tourmenté sa pauvre âme! «Alors, dit-elle encore, j'aurais
voulu pouvoir communier deux fois au lieu d'une!» Elle est toute changée
depuis ce jour de grâces, et son visage, autrefois si triste, ne reflète
plus qu'une joie profonde.

C'est en reconnaissance de cette inestimable faveur que notre Révérende
Mère vous envoie une offrande pour la béatification tant désirée.

Sr G.


30.

Saint-H. (Vendée), 18 janvier 1909.

Mon fils Louis, né le 27 septembre 1908, était très fort et se portait
très bien, lorsque le jeudi, 8 octobre, dans l'après-midi, il fut pris
d'une forte fièvre accompagnée d'une sueur abondante. Il ne dormit point
la nuit suivante et ne cessa de crier. Le lendemain, ses petites mains
étaient fermées, sans qu'il fût possible de les lui ouvrir. La
sage-femme, le trouvant très mal, nous dit d'aller chercher le médecin.
Celui-ci déclara qu'il était atteint du tétanos et ne nous laissa aucun
espoir de guérison. Il nous dit cependant d'essayer de mettre l'enfant
dans les bains; mais la maladie ne fit qu'augmenter. Bientôt mon petit
garçon devint raide comme un cadavre, sa bouche était fermée, à peine si
l'on pouvait faire couler entre ses lèvres quelques gouttes d'eau ou de
lait, il était absolument impossible de passer la cuiller. Ses bras
étaient allongés, ses mains fermées, ses poignets tournés à l'envers et
repliés, de sorte que ses petites mains touchaient aux bras. Son dos et
son estomac étaient contrefaits, on aurait dit deux bosses de chaque
côté. Ses jambes étaient serrées l'une contre l'autre; bientôt la droite
passa par-dessus la gauche et tourna. Enfin, tous les membres étaient
contractés. Le pauvre petit ne pouvait faire aucun mouvement, il n'avait
point de sommeil et ne cessait de crier jour et nuit. Sa maigreur était
telle qu'on aurait dit un squelette. Sa peau avait, au toucher, la
dureté d'une pierre. Dans les crises il devenait tout bleu.

Le médecin revint la semaine suivante; il fut surpris de le trouver dans
un état pareil et nous dit: «Pour moi, cet enfant est perdu, il ne
vivra pas et la mort est préférable, car, s'il survit, il restera en cet
état. Jamais encore, de ma vie de médecin, je n'ai vu pareille chose.»
Toutes les personnes qui voyaient mon enfant me plaignaient beaucoup.

Cinq semaines s'écoulèrent ainsi. Je priais et faisais prier,
accompagnant mes supplications de toutes sortes de promesses, sans rien
obtenir. Touchées de mon extrême affliction, les demoiselles
institutrices m'envoyèrent, le dimanche 15 novembre, une image de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle était attachée une relique, me
disant qu'elles allaient prier et faire prier leurs petites filles, et
nous recommandant de commencer une neuvaine à la petite sainte. Le soir
même, nous commencions la neuvaine; chaque jour je faisais toucher
l'image à mon enfant, demandant à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus sa
guérison ou sa mort. J'ajoutai que, s'il devait être plus tard un
mauvais chrétien, je préférais le voir mourir.

La petite sainte ne fut pas sourde à nos prières. Le jeudi suivant,
cinquième jour de la neuvaine, je pus faire plier le bras gauche de mon
petit enfant, puis son autre bras. Bientôt il reprit le sein, et, à
Noël, il était complètement guéri. Aujourd'hui, on ne le reconnaît plus,
tant il est beau et fort! Il rit et commence à gazouiller; les personnes
qui le voient n'en reviennent pas et croient bien à un miracle.

A sa naissance, mon petit Louis avait à la tête une bosse qui lui
restait encore après sa guérison. Je fis alors toucher à sa tête l'image
de Sr Thérèse, et depuis la bosse diminue de jour en jour.

Ma reconnaissance est bien grande envers Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, de même que ma confiance. Je demande à cette chère
petite sainte de m'accorder maintenant toutes les grâces nécessaires à
mon état, que mon mari et mes enfants soient toujours de bons chrétiens.
Je lui demande de m'accorder cette grâce encore, de voir au moins l'un
de mes enfants se consacrer à Dieu.

M. G.

Suivent 19 signatures.


31.

Couvent du Bon Pasteur de X., France, 9 février 1909.

Si les miracles extérieurs opérés par votre petite thaumaturge sont
grands et admirables, que dire des miracles intérieurs de la grâce qui
sont toujours plus grands et plus nombreux! C'est une pluie serrée de
roses. Dieu soit béni de cette grande consolation qu'il nous ménage au
milieu d'épreuves toujours plus pénibles et plus dures! Il serait bien
difficile, je crois, d'arriver à exprimer tous les bienfaits spirituels
que Sr Thérèse n'a cessé de faire descendre sur notre grande famille
religieuse depuis un an et plus. C'est le secret du bon Dieu et du
sacrement de Pénitence où le cœur du prêtre ne peut moins faire que
d'être sans cesse débordant de reconnaissance.

L'abbé B.,

_aumônier_.


32.

I. (Seine), 11 février 1909.

MA BONNE MÈRE,

Nous avons ici une jeune fille atteinte d'un ulcère à l'estomac, elle
vomit le sang. Entendant parler des nombreuses guérisons obtenues par
l'intercession de votre chère petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus,
elle y a recours. Nous allons commencer une neuvaine, et nous demandons
à votre communauté de bien vouloir s'y unir pour obtenir sa guérison.

Sr X.

Télégramme reçu le dimanche 21 février, dernier jour de la neuvaine:

_Malade entièrement guérie par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus._

Sr X., _supérieure_.


_Relation de la jeune fille guérie._

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Depuis quatre ans je souffrais de l'estomac. Le 29 décembre 1908, j'ai
eu, pour la première fois, un vomissement de sang. Le 30 et le 31, les
médecins étaient encore indécis; mais le 1er janvier 1909, ils se
prononcèrent et déclarèrent que j'avais un ulcère. Du 29 au 31 décembre,
j'eus plusieurs vomissements; on essayait de me faire boire du lait,
mais je le rejetais immédiatement. Du 1er au 21 janvier, je restai en
traitement à l'hôpital Saint-Joseph où l'on me soumit au régime lacté.
Pointes de feu, vésicatoires, calmants, tout fut essayé sans succès; je
souffrais toujours. A la fin de janvier je suis venue me faire soigner
chez les Dames de... à I. Le 8 février j'eus une très forte crise avec
plusieurs vomissements de sang. Je ne gardais pas le lait, mais
seulement un peu d'eau de Vals, et, encore, pas toujours. On écrivit
alors au Carmel de Lisieux, afin de me mettre sous la protection
spéciale de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. La Mère Prieure m'envoya un
petit sachet contenant de la laine de son oreiller d'infirmerie; je le
mis immédiatement sur moi et l'on commença une fervente neuvaine à la
petite Sœur, en union avec Lisieux.

Pendant la neuvaine les souffrances étaient plus vives, les vomissements
continuels, l'insomnie était perpétuelle. On ne pouvait plus me nourrir
par les moyens ordinaires.

Le 21 février, jour où la neuvaine se terminait, je voulus absolument
aller à la messe de 6 h., avec le désir d'y communier, persuadée que je
serais guérie. Pendant tout le temps de la messe je souffrais
horriblement, mais je priais avec beaucoup de ferveur et mon espérance
était bien grande. Lorsque je revins de la sainte Table, où je m'étais
traînée bien péniblement, mes souffrances redoublèrent. Enfin, au
troisième Ave Maria que dit le prêtre au bas de l'autel, je sentis une
douleur atroce à l'estomac, cette douleur correspondait dans le dos; il
me semblait qu'on m'arrachait l'estomac. J'eus ensuite la sensation très
nette _d'une main qui se posait sur la partie malade et y répandait un
baume céleste_... puis, plus rien, un grand calme... _J'étais guérie!_

Je sentis alors que j'avais faim et j'avalai une grande tasse de lait
que je trouvai exquise. Je restai ensuite à la messe de 7 h. en action
de grâces, et je l'entendis à genoux. Après cette deuxième messe,
j'allai au réfectoire où je pris une grande tasse de chocolat
accompagnée de deux morceaux de pain, moi qui, depuis quatre mois,
n'avais pas mis une bouchée de pain dans ma bouche! Et j'avais encore
faim!

A en juger par le bien-être que j'éprouve, je ne croirais pas avoir été
malade. Je suis absolument guérie. Il ne me reste qu'une faiblesse dans
les jambes qui me rappelle seule les heures douloureuses que j'ai
vécues.

Cette nuit j'ai parfaitement dormi; je me sens tout à fait bien. Toutes
les personnes qui m'ont connue malade admirent en moi l'œuvre de
Sr Thérèse, ma chère bienfaitrice. Voilà, ma Révérende Mère, le
compte rendu de ma maladie et de ma guérison si miraculeuse.

Notre bonne Mère Supérieure espère avoir demain le certificat du
docteur. Je commence une neuvaine d'action de grâces que j'irai terminer
par un pèlerinage au tombeau de la petite sainte de Lisieux.

Agréez, etc.

M. C.

Suit le certificat du médecin.


33.

C., Autriche, 25 février 1909.

Ma Révérende Mère,

Je vous renvoie la notice sur le miracle d'Angleterre, en vous
remerciant de me l'avoir communiquée. Mais tout cela n'est _rien_ à côté
des grâces que je sais avoir été reçues par l'intervention de sœur
Thérèse, grâces de conversions vraiment immenses et miraculeuses. Une
jeune personne, par exemple, a passé en moins d'une année de la boue la
plus dégradante à un état de pureté tel qu'on peut l'imaginer chez les
saints, et à la présence de Dieu presque continuelle; et cela dans le
milieu le plus mondain et le plus frivole, entourée de toutes les
occasions de chute!

Ah! vous avez bien raison de dire qu'une _pluie de roses_ est descendue
sur la terre, depuis que cette sainte est montée au ciel. Oui, cette
remarque qu'elle _descend_ de nouveau sur la terre est _littéralement
vraie_. Que de fois je l'ai sentie près de moi dans cette dernière
année!

M.-H. D.,

_professeur à l'Université de X_.


34.

L. (Normandie), 29 janvier 1907.

Je suis un séminariste âgé de 23 ans. Après de nombreux crachements de
sang et hémorragies violentes, j'étais arrivé à un tel degré
d'affaiblissement que je dus m'aliter le 28 août 1906. Deux médecins
jugèrent mon état très grave: une caverne profonde s'était formée au
poumon droit, les bronches étaient très endommagées, et l'analyse des
crachats révéla la présence du bacille de la tuberculose. Les médecins
s'avouèrent impuissants et me condamnèrent.

Alors, mes parents, éplorés, sollicitèrent ma guérison de Notre Dame de
Lourdes par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et je
passai à mon cou un sachet des cheveux de cette petite sainte. Les
premiers jours de cette neuvaine, mon état s'aggrava: j'eus une
hémorragie si violente que je pensai mourir; on appela en toute hâte un
prêtre; mais, bien que l'on m'engageât à faire le sacrifice de ma vie,
je ne pouvais m'y résoudre et j'attendais avec confiance la fin de cette
neuvaine. Le dernier jour, aucun mieux ne s'était produit. Alors le
souvenir de Thérèse se présenta à mon cœur, la parole qui a si
nettement esquissé sa grande âme me pénétra d'une confiance indicible:
«_Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la terre._» Je pris au mot
la jeune Carmélite. Elle était au ciel, oh! oui, j'en étais sûr; j'étais
sur la terre, je souffrais, j'allais mourir: _il y avait du bien à
faire_, il fallait qu'elle le fît. Serrant donc fortement contre ma
poitrine la chère relique, je priai la petite sainte avec tant de force,
qu'à la vérité, les efforts mêmes, faits en vue de la vie, eussent dû me
donner la mort.

Nous recommençâmes une neuvaine, demandant cette fois ma guérison à
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus elle-même, avec promesse, si elle nous
exauçait, d'en publier la relation. Dès le lendemain la fièvre baissa
subitement, et, les jours suivants, après l'auscultation, le médecin
conclut au rétablissement d'une façon aussi catégorique qu'il avait
affirmé la fin. De la caverne du poumon il n'y avait plus trace;
l'oppression avait cessé et l'appétit revenait sensiblement. J'étais
guéri.

Mais en même temps qu'elle renouvelait mes forces physiques, Thérèse
accomplissait aussi en mon âme une transformation merveilleuse. En un
jour, elle a fait en moi le travail de toute une vie.

Je m'arrête, ma Révérende Mère, Dieu m'a mis au cœur une telle
reconnaissance que je ne saurai jamais l'exprimer. Aidez-moi à lui
rendre grâce.

L'abbé A.[270]

Suit le certificat du médecin.


35.

Q. (Eure), mars 1909.

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus semble favoriser particulièrement ma
famille. Il y a deux ans, c'était moi qu'elle guérissait de la
tuberculose; aujourd'hui c'est mon jeune frère, âgé de 11 ans, qui vient
d'être soudainement sauvé et rétabli par elle.

Voici en quelles circonstances: Le samedi, 22 août 1908, il fut victime
d'un accident terrible. Etant tombé d'une hauteur d'environ six mètres,
par une trappe donnant sur une cave, sa tête vint frapper brutalement à
terre. On releva le pauvre petit sans connaissance et perdant son sang à
pleine bouche. Le médecin, mandé aussitôt, déclara que c'était l'affaire
de deux heures; le crâne était, en effet, fracturé en plusieurs
endroits, la mort était imminente. Cependant la nuit se passa sans le
dénouement qu'on attendait. Le docteur se fit assister d'un chirurgien
spécialiste de R... qui, sans aucune hésitation, confirma le jugement de
son confrère. Nous n'avions donc plus rien à espérer, humainement du
moins; moi-même j'avais entendu le docteur, et c'eût été de la folie
d'espérer quand même.

J'eus cette folie, mes parents l'eurent avec moi: et, le 24 août, ma
Révérende Mère, vous commenciez, sur ma demande, une neuvaine à Sr
Thérèse pour la guérison de mon frère.

Cependant, des crises violentes et réitérées nous jetaient dans de
cruelles alarmes. Nous avons cru quatre fois que la mort allait venir.
Le pauvre enfant resta huit jours entiers sans connaissance et se
débattait continuellement dans son délire.

Le neuvième jour, il reconnut tout son monde, le calme revint, c'était
fini! Il n'avait qu'à reprendre des forces; ce qu'il fit. Il est
aujourd'hui en classe, ne conservant aucune trace, ni physique ni
morale, de son accident.

L'abbé A.


36.

Lisieux (Calvados).

En mars 1908, un petit enfant de cinq ans était atteint d'une méningite
des plus graves. J'engageai sa mère à prier avec confiance Sr Thérèse
de l'Enfant-Jésus. Une neuvaine fut commencée. L'enfant était dans un
perpétuel délire; et, cependant, lorsqu'on voulait lui faire baiser la
relique de Sr Thérèse qu'il portait sur lui, il la retenait et la
pressait sur son cœur. Il allait toujours plus mal. «Il y a deux
jours qu'il devrait être mort», disait le docteur. Mais sa mère ne
perdait pas courage. Tandis qu'il était presque agonisant et que, depuis
plusieurs jours, il ne pouvait articuler une parole, elle vint à
l'église et dit à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus: «Ma petite sainte, si
je dois croire que vous voulez bien guérir mon fils, faites qu'en
revenant de la messe il me demande à boire.»--«_Maman, donne-moi à
boire_», dit l'enfant aussitôt que sa mère eut mis le pied sur le seuil
de sa chambre. Dès lors il alla de mieux en mieux. Aujourd'hui il se
porte bien.

L'abbé L.

16 avril 1909.


37.

X. (Seine-Inférieure), 9 avril 1909.

Le 8 mars dernier M. D. tombait gravement malade. Le docteur le
déclarait atteint d'une grippe infectieuse. Au bout de quelques jours le
mal se compliquait d'une fluxion de poitrine double. M. D. était en
proie à un délire effrayant; jamais une minute de raison. Deux hommes
étaient nécessaires pour le tenir. Le docteur dit qu'il n'y avait plus
aucun espoir, qu'il était absolument perdu.

Tous les regards se portèrent alors vers le ciel. On appliqua une
relique de Sr Thérèse sur la poitrine du malade qui s'endormit et
recouvra ensuite au bout de quelques heures l'usage de sa raison; c'est
alors que la famille s'empressa de lui faire recevoir l'Extrême-Onction.

Dans l'après-midi le malade demanda à sa femme ce que tout cela
signifiait.--«Ai-je donc été si malade?» dit-il; «mais je ne souffre pas
et j'ai grand'faim!» On manda à nouveau le docteur, il crut que c'était
pour constater le décès. Grande fut sa stupéfaction! «Je n'y comprends
rien, dit-il, M. D. est sauvé; qu'il se lève et mange!»

Et depuis, ma bonne Mère, le mal ne laisse plus aucune trace; le malade
déborde de reconnaissance envers la chère thaumaturge.

D.

Suit le certificat du docteur.


38[271].

Carmel de.... Espagne, 7 avril 1909.

J'éprouve un désir très grand, ma Révérende Mère, de vous raconter un
petit miracle opéré par notre bien-aimée Sr Thérèse. Nous possédons
ici sa Vie abrégée, en espagnol; mais, la première fois que je lus ce
livre, je n'eus pour elle qu'une grande indifférence, je me dis: «Cette
petite Sœur est par trop enthousiaste!» Un jour qu'on me demandait ce
que je pensais de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, ma réponse fut
celle-ci: «Ce que j'en pense? c'est qu'elle ne me plaît pas!» Thérèse
allait se venger en reine... Quelque temps après, une de nos postulantes
nous apporte un exemplaire français de l'_Histoire d'une âme_. Je ne
comprenais pas un seul mot de cette langue; mais, tentée d'une très
grande curiosité, je dis à notre Révérende Mère: «Ma Mère, voudriez-vous
me permettre de lire ce livre?» Notre Mère Prieure, toute surprise,
répondit: «Permission pour lire ce livre? et de quel profit vous peut-il
être puisque vous ne comprenez pas le français?--Mais je ne sais quelle
force intérieure m'attire et me dit de le lire.» La permission me fut
accordée.

Et que vous dirai-je, ma bien chère Mère, de mon impression et de la
très grande allégresse qu'éprouva mon pauvre cœur, de voir qu'en
commençant à lire les premières pages de ce livre d'or, je compris dans
la perfection la langue française!... Toute la communauté en resta dans
un grand étonnement. Ma Mère, que de lumières j'ai reçues en lisant ces
pages embaumées d'un parfum si céleste! que de grâces intimes connues de
Jésus seul! Lorsque mon esprit se trouve dans la sécheresse, quelques
pages seulement de la vie de l'angélique Thérèse suffisent pour
enflammer mon âme de l'amour divin.

Aussi toute l'indifférence que j'avais pour elle s'est transformée en
amour le plus reconnaissant et le plus profond. Que de fois, en me
jetant à genoux, lui ai-je demandé pardon de ma faute! Qu'elle m'accorde
la grâce d'aimer Jésus comme elle l'a aimé, afin qu'un jour je puisse
faire partie de la légion des petites victimes de l'amour divin et
chanter en sa compagnie les miséricordes du Seigneur!

Sr...

Cette religieuse, ayant été interrogée plus tard sur la manière dont
elle avait réussi à écrire en français la lettre qui précède, répondit
que c'était une continuation de la faveur reçue.

En novembre 1910, une jeune Sœur d'un autre Carmel d'Espagne nous
confia avoir reçu une grâce identique en tous points à la première, soit
pour la forme extérieure, soit pour les effets intérieurs. Interrogée à
son tour sur son récit, fait par elle-même en français, elle écrivit ce
qui suit:

«Je ne savais pas si vous alliez pouvoir lire ma lettre, je la croyais
comblée de fautes, car je n'avais jamais écrit un seul mot de français
en toute ma vie; de même qu'avant de lire l'_Histoire d'une âme_, je ne
comprenais pas un seul mot de cette langue. C'est par un effet de la
même grâce que j'ai pu lire et écrire. Notre angélique Sr Thérèse a
été ma seule maîtresse de français. Ah! cette faveur m'en a procuré une
autre incomparablement plus grande, celle de l'avoir pour maîtresse en
sa petite voie d'enfance spirituelle. Je ne puis dire, ma Révérende
Mère, ma reconnaissance envers cette bien-aimée sainte!


39.

Paris, 24 avril 1909.

Dans la dernière quinzaine de février, je fus prise d'un coryza aigu qui
dégénéra vite en grippe infectieuse. Une otite des plus douloureuses fit
suite à cette grippe, je devins complètement sourde et, après avoir subi
deux fois la paracentèse du tympan, une mastoïdite se déclara. Elle fut
des plus graves; ses débuts amenèrent vite des symptômes de méningisme.

Le spécialiste qui me soignait ne voulut pas prendre sur lui seul la
responsabilité de cette maladie si terrible en complications, et appela
à mon chevet le célèbre spécialiste des hôpitaux, qui lui-même voulut
avoir l'avis d'un autre confrère. Les six premiers jours de ces
consultations, les progrès du mal furent étroitement et savamment
surveillés; les soins les plus minutieux, les plus énergiques me furent
prodigués et, malgré cela, la fièvre allait croissant, alternant de 40°
à 41°. Enfin le matin du septième jour, le mot d'opération fut prononcé
et j'y fus préparée par de délicats ménagements. Dès le premier jour de
la consultation des trois docteurs, je commençai avec ferveur une
neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus du Carmel de Lisieux. Le mal
pourtant allait s'aggravant, mais je gardais très ferme ma confiance.

Ma famille, plusieurs Carmels et d'autres personnes s'unirent dans la
même prière. L'opération semblait pour tous une évidence et devait se
faire le dimanche qui était le neuvième jour de ma neuvaine. La veille
je voulus recevoir la sainte communion; les préparatifs se faisaient, je
lisais une douloureuse angoisse dans les yeux rougis de ma sœur.

Le soir j'eus 41° de fièvre; ma nuit fut atroce; les douleurs cérébrales
m'arrachaient des cris et, malgré cela, ma foi était inébranlable... une
voix intérieure, infiniment douce, m'insinuant le triomphe de mes
prières, celles de ma chère famille sur le Cœur de Jésus!...

Oh! cette voix intérieure je l'entendrai toujours!... «Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, suppliai-je avec ferveur, j'ai foi en votre sainteté,
ne m'abandonnez pas, demandez à Jésus qu'il ait pitié de ma mère, qu'il
exauce les prières de mes chères tantes, qu'il entende les invocations
des Carmels, qu'il ait pitié de moi!» Et toujours cette même voix si
douce faisait descendre en moi une suave confiance!... Ma tante,
carmélite, eut la même intuition très énergique, elle était certaine que
je ne serais pas opérée.

Le matin de l'opération arriva: à 7 h., j'avais 40° de fièvre! je priai,
m'isolant dans une foi absolue.

A 8 h. 1/2 les docteurs arrivèrent, prêtant la main aux derniers
préparatifs... J'eus un dernier élan! «Sœur Thérèse, suppliai-je,
restez avec moi, ne m'abandonnez pas, j'ai foi, j'ai confiance!» Les
docteurs entrèrent: il fallait me résigner... Quand, soudain, un
apaisement de mon mal, une décroissance subite de ma fièvre et
l'écoulement de l'abcès de ma mastoïde se faisant normalement par
l'oreille! J'eus un cri d'allégresse, j'étais guérie! Les docteurs ne
voulaient pas en croire leurs yeux; ils observèrent, constatèrent, et
furent muets de stupéfaction, enregistrant un cas unique dans la
mastoïdite.

Oh! merci de toute mon âme à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que je
vénère et glorifie comme une sainte!


40.

_Relations de la Révérende Mère Saint-Jean Berchmans, Fondatrice et
Supérieure des Missions des Sœurs de la Providence à Madagascar._

I

Ambatolampy (Madagascar), 16 mai 1909.

Je suis depuis deux jours à l'hôpital de X. auprès de ma Sœur
Ste-R., atteinte de fièvre bilieuse hématurique. Le cas est mortel.
Deux Européens de Tananarive viennent d'être enlevés en quarante-huit
heures par cette maladie. Notre si chère Sœur a été plusieurs fois
sur le point d'expirer; un miracle seul peut la sauver, nous le
demandons ardemment à Notre-Dame de Lourdes par l'intercession de
l'angélique Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.


13 août 1909.

Quelques heures après mon arrivée, les derniers sacrements furent
administrés à la chère malade. Elle fit généreusement le sacrifice de sa
vie, disant qu'elle était heureuse de mourir missionnaire...

Nous avions perdu tout espoir. Nos Malgaches étaient inconsolables; ils
assiégeaient les portes de l'hôpital pour essayer de voir leur bonne
Mère une dernière fois.

Le lundi 17 mai, vers 6 h. du soir, une dernière absolution lui fut
donnée. Tout à coup elle m'appela et me dit d'un accent dont je fus
frappée: «Vous savez ma Mère, que jusqu'à ce jour j'ai cru que j'allais
mourir. Eh bien, ce soir je sens naître la confiance...»

Depuis lors notre chère Sœur alla mieux; maintenant elle est guérie.
Gloire et reconnaissance à Notre-Dame de Lourdes et à Thérèse de
l'Enfant-Jésus!


II

19 décembre 1909.

Notre petite sainte continue à travailler fort à la mission et nous fait
constater une fois de plus la vérité de ses paroles: «Je veux passer mon
ciel à faire du bien sur la terre.» Ce bien, je vois qu'elle aime
surtout à le faire chez les plus petits, les plus pauvres, les plus
déshérités des biens de la fortune et même de la grâce.

J'avais une pauvre infirme qui, depuis plus de dix ans, ne pouvait se
mouvoir. Après plusieurs neuvaines à Sr Thérèse, elle s'est trouvée
guérie et peut maintenant marcher. Elle vient d'être baptisée et a pris
le nom de _Marie-Thérèse_.


III

Il y a un peu plus d'un mois, j'administrai le baptême à un petit enfant
que je quittai ayant déjà le râle de la mort sur les lèvres. J'avais
remis à la mère une image de Sr Thérèse en l'engageant à la prier.
Quelques jours plus tard, je vois arriver la pauvre Malgache portant
dans ses bras son bébé plein de santé. Et me le présentant, ainsi que
l'image que nous lui avions donnée pour tout remède, elle me dit: «_La
belle dame que tu m'as donnée a guéri mon fils pendant la nuit; je le
croyais mort et déjà je pleurais... et elle arriva en portant une robe
blanche qu'elle déposa sur lui, et quand mon petit se réveilla, il était
guéri._»

N'est-il pas vrai, ma Révérende Mère, que ce sont là de beaux traits à
insérer dans la «Pluie de roses»?


IV

29 mai 1910.

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus continue à _descendre_ souvent dans
notre île. Sa pieuse intervention, nous aide beaucoup à prouver la
vérité de notre sainte Religion.

En mai dernier, une de nos nouvelles Sœurs malgaches, la filleule de
Thérèse (car la petite sainte, étant une des premières protectrices de
notre noviciat, nous avons appelé: _Thérèse de l'Enfant-Jésus_, la plus
jeune de nos novices, celle qui par sa simplicité nous rappelle le mieux
notre petite sœur du Ciel), sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus,
dis-je, accompagnée de Flore, une de nos postulantes, visitait les
malades d'une petite chrétienté qui a nom: Ambadivona, près
d'Ambatolampy. Elles rencontrèrent dans une case délabrée une pauvre
femme minée par la fièvre. Après l'avoir fait prier et lui avoir donné
quelques remèdes, la sœur et sa compagne se préparaient à sortir,
lorsqu'elles entendirent un profond gémissement: «Y a-t-il quelque autre
malade ici?» demandèrent-elles à la pauvre femme. Cette dernière, leur
montrant un trou au fond de la case, leur dit: «Il y a là mon fils qui
est mourant.» Nos deux visiteuses pénétrèrent par le trou et virent
étendu sur une natte, faisant entendre le râle de l'agonie, un jeune
homme de 16 à 17 ans. Près de lui était blottie la grand'mère. «Est-il
baptisé?» lui demandèrent-elles; la vieille fit un signe négatif. Alors
sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus essaya de dire quelques mots du
baptême, mais le malade paraissait avoir perdu connaissance. La sœur
eut alors la pensée de sortir une image de Thérèse qu'elle portait sur
elle, et de la mettre devant les yeux du mourant. A l'aspect de cette
image, le regard de ce dernier parut s'illuminer et la connaissance lui
revenir. La sœur profita de cette lueur de raison pour instruire le
jeune homme, puis elle l'ondoya. Enfin, elle invita fortement la famille
à prier et à suivre les catéchismes préparatoires au baptême. Tous
promirent.

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et sa compagne sortirent, laissant la
petite image de Thérèse au père du jeune homme qui venait de rentrer
dans la case, apportant un linceul pour l'ensevelir. Elles remercièrent
leur protectrice, à qui elles devaient la consolation d'avoir donné une
âme de plus à Dieu; mais elles n'espéraient guère la guérison du malade
qui n'avait plus qu'un souffle de vie.

Quel ne fut pas leur étonnement quand une huitaine de jours après cet
incident, la femme du catéchiste d'Ambadivona vint leur dire que le
malade presque mourant était complètement guéri. Elles crurent d'abord à
une erreur.

Pour en avoir le cœur net, elles me demandèrent la permission d'aller
s'assurer de la vérité. Leur surprise fut grande lorsque, arrivées à
quelques pas de la case, elles aperçurent le jeune homme qui s'avançait
à leur rencontre, aussi vigoureux que s'il n'avait jamais été malade.
«Quel remède as-tu pris, lui dirent-elles, pour retrouver si vite tes
forces?--Mais aucun, répondit-il, c'est l'image que vous m'avez laissée
qui m'a guéri; chaque fois que je la regardais, je sentais mes forces
revenir.»

Cette petite image est toujours dans la case, elle fait l'admiration de
tous ces pauvres païens.


V

Il y a quelques mois, une pauvre mère nous amenait son petit enfant
couvert de plaies; pas une place sur tout ce petit corps qui fût
intacte. Comme toujours, ma première question fut de demander si
l'enfant était baptisé. A la réponse négative de ses parents, j'appelai
une de nos sœurs, nouvellement arrivée de France et qui brûlait du
désir de faire un baptême. Après avoir conduit les parents de l'enfant
dans notre chapelle et les avoir fait prier, la sœur toute tremblante
d'émotion fit couler l'eau sur la tête de ce pauvre petit dont la seule
vue et l'odeur nauséabonde, s'échappant des plaies, soulevaient le
cœur. Elle donna ensuite une image de Thérèse aux parents de l'enfant
en leur disant: «Priez bien la petite sœur qui est là sur cette
(sary) image. Elle seule peut guérir votre enfant, ou, si ce n'est pas
la volonté de Dieu, elle viendra le chercher pour le mettre au ciel.»
Ils partirent; nous ne pensions plus du tout à cet enfant, lorsque, une
quinzaine de jours après, la jeune sœur m'appela: «Venez vite voir
mon petit Paul, me dit-elle, il est tout à fait guéri, il n'a plus une
seule plaie»; et la jeune sœur était vivement émue.

«Qui a guéri ton fils?» demandai-je à la mère du petit. Et soulevant
les pauvres haillons qui couvraient le corps de son enfant, la femme me
montra une image de Thérèse, pliée dans un petit chiffon, et attachée à
son cou: «Depuis que l'image est là, me dit-elle, les plaies ont séché
presque subitement.»


VI

Une de nos chrétiennes, atteinte de la tuberculose, après s'être fait
soigner à l'hôpital, fut congédiée par le docteur qui avait perdu tout
espoir de guérison pour sa malade. En s'en allant dans son pays
(Andraraty, 8 kilom. d'Ambatolampy), elle entra au couvent pour me
demander des prières. Je lui donnai une image de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus en lui disant de solliciter sa guérison auprès de cette
religieuse dont elle emportait le portrait.

Le dimanche suivant, à la réunion des chrétiens d'Andraraty, je fus bien
étonnée d'y trouver la pauvre femme toute transformée. Son visage était
plein de santé.

«Qui t'a guérie? lui dis-je.--Mais, c'est l'image que vous m'avez
donnée!»

Toute sa famille est dans l'admiration et croit fermement à l'efficacité
de la prière.


VII

La petite relique de Thérèse vient encore de guérir une de nos
meilleures chrétiennes d'Ambatolampy, Angèle Rasoa. La pauvre femme
venait de perdre sa fille, en quelques heures, d'un fort accès de
fièvre. Le lendemain de cette mort presque subite, elle fut terrassée
elle-même. Son fils nous appela immédiatement. Je prévins le R. P.
Roblet, et je partis en toute hâte. Je fis respirer de l'ammoniaque à la
mourante, ce qui lui rendit assez de connaissance pour que le Père pût
la confesser. Ensuite nous fîmes quelques prières auprès de son lit;
elle paraissait n'avoir plus qu'un souffle de vie. Voyant la douleur de
ses pauvres enfants qui l'entouraient, il me vint à la pensée de
demander sa guérison à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et j'épinglai
une de ses reliques à la couverture de la malade. A partir de ce moment,
cette dernière parut aller mieux; le lendemain, elle était hors de
danger, et deux jours après complètement guérie. Depuis lors, elle et sa
famille ne cessent de remercier leur bienfaitrice.


VIII

10 novembre 1910.

Dans notre orphelinat de Betafo (Madagascar) était élevée, depuis cinq
ans, Justine Raivo, jeune fille d'une très robuste constitution. En
octobre 1907, elle tomba malade, et depuis, sa santé alla de jour en
jour en déclinant. Deux ans après, les crises étaient si violentes
qu'elle devint bientôt méconnaissable. Plus d'appétit, de forces, de
sommeil. Après quelques instants de repos au dortoir, la pauvre enfant
commençait à gémir, se plaignant de douleurs vers le cœur, puis
criait, délirait, se promenait dans la maison, dans la cour, ne sachant
que faire pour obtenir quelque soulagement. Elle était alors, tantôt
transie de froid, tantôt brûlante de fièvre.

Deux docteurs prodiguèrent les soins les plus intelligents et les plus
assidus à la jeune fille, sans obtenir aucun résultat. La malade était
devenue maigre, son teint était terne, ses yeux tantôt hagards, tantôt
brillants démesurément.

Elle se plaignait de souffrances violentes dans la tête, les reins, les
genoux, etc... Les deux docteurs finirent par nous avouer qu'on pouvait
la prolonger de quelques mois; «mais une guérison était impossible»,
disaient-ils.

Dix mois s'étaient ainsi écoulés quand la jeune fille, qui, depuis
longtemps, nous avait témoigne le désir de se faire religieuse,
m'écrivit pour me supplier de vouloir bien l'accepter au noviciat
indigène. Sa demande aie m'étonna pas; mais comment penser à recevoir
une postulante dans un pareil état de santé? Nous commençâmes alors
immédiatement une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et je
donnai une réponse affirmative à la jeune fille. Le lendemain de son
arrivée (31 juillet), commencement d'une seconde neuvaine à la petite
sainte. La nuit suivante fut extrêmement douloureuse; jamais peut être
la pauvre enfant n'avait autant gémi, déliré, souffert. On eût dit que
Thérèse voulait nous prouver à toutes que la terrible maladie existait
bien toujours. Puis ce fut fini; depuis ce moment, les journées et les
nuits de la jeune fille ont été parfaitement calmes.

Chaque jour de la neuvaine on la voyait redevenir plus fraîche, plus
forte, et, à partir du dernier jour, elle reprit son appétit
d'autrefois, toutes ses forces lui revinrent.

Elle n'a cessé depuis d'étudier, de même que ses compagnes, d'aller
faire des catéchismes dans les chrétientés environnantes assez
éloignées, et jamais elle n'a ressenti la moindre lassitude.

Aidez-nous, ma Rde Mère, à remercier notre chère petite Sr Thérèse
de l'Enfant Jésus et demandez-lui de multiplier ses visites; alors,
malgré notre petit nombre, nous pourrons donner à Nôtre-Seigneur les
âmes de tous les païens qui nous entourent.

Sr St-JEAN BERCHMANS.

       *       *       *       *       *

Je soussigné, évêque titulaire de Soruze, vicaire apostolique de
Madagascar central, déclare que Sr St-Jean Berchmans est tout à
fait digne de foi.

     Tananarive (Madagascar), le 22 novembre 1910.

† J.-B. CAZET,

_Vic. apost. de Madagascar central_.


41.

Carmel de Mangalore, Indes-Orientales, 7 juin 1909.

MA TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE,

Vous serez heureuse d'apprendre que votre petite Sœur, qui aimait
tant les Carmels des missions, a bien voulu nous favoriser d'une de ses
visites.

Nous avions une de nos chères Sœurs très mal d'une pneumonie
compliquée d'une maladie de foie et d'une affection des reins; le
docteur avait peu d'espoir et d'autant moins que notre bien-aimée
malade ne voulait pas guérir, étant si heureuse d'entrevoir le ciel,
objet de tous les désirs de son cœur.

Elle venait de recevoir avec une piété touchante le saint Viatique et
l'Extrême-Onction, lorsque nous arriva la circulaire relatant les faits
merveilleux opérés par l'intervention toute-puissante, auprès de Dieu,
de votre aimable petite sainte.

Nous commençâmes une neuvaine en communauté, pour obtenir la guérison de
notre chère malade qui voulut s'unir à nos supplications, dans le but de
glorifier le bon Dieu et de contribuer aussi, autant que possible, à la
glorification de la Servante de Dieu, par sa guérison.

Elle vous dit elle-même comment elle a été guérie.

Cette grâce obtenue au Carmel a fait grand bruit dans la ville, et on
nous demande des neuvaines. Nous vous serions bien reconnaissantes, si
vous vouliez nous envoyer quelques reliques et images.

SR MARIE DE L'ENFANT-JÉSUS.

_prieure_.


_Relation de la Sœur._

Sans me rendre exactement compte des maladies graves dont j'étais
atteinte, souffrant beaucoup sous l'influence d'une forte fièvre,
crachant le sang et comme des morceaux de poumon, j'interrogeai le
docteur afin de savoir si ma vie était en danger, pour recevoir les
derniers sacrements. Il me répondu que, depuis trois jours, je me
trouvais dans ce cas.

J'exprimai alors mon désir à notre Révérende Mère de ne point différer à
me procurer cette grâce et, dans l'après-midi de ce même jour, 16 mars
1909, je reçus la sainte communion en viatique ainsi que
l'Extrême-Onction, et me disposai de mon mieux au grand passage du temps
à l'éternité.

Voyant que le docteur réitérait ses visites trois et même quatre fois
par jour, et qu'il s'était adjoint un autre médecin en consultation, je
fus affligée de sa sollicitude à vouloir m'arracher à la mort, moi qui
me sentais si heureuse de quitter cette terre d'exil, et je lui en
exprimai ma peine, lui reprochant d'agir contrairement aux desseins de
Dieu qui m'appelait.

Il était attristé de mes dispositions, contraires, disait-il, aux
efforts de la science pour me guérir.

Sa piété avait cependant plus d'espoir dans la puissance de la prière
que dans les secours humains. Ce jour même, la communauté commençait une
neuvaine pour solliciter un miracle par l'intercession de la Servante de
Dieu, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Bien après le départ du docteur, j'éprouvai quelque chose qui ne saurait
s'exprimer; j'étais seule et ne dormais point; il me semblait que
j'étais comme suspendue dans l'espace. Je ne vis rien, mais je
m'entendis interroger ainsi: «Pourquoi voulez-vous mourir?» Croyant
parler à Dieu, je répondis: «Pour vous voir.» Mais la voix reprit qu'il
serait plus glorieux à Dieu de m'abandonner à lui, soit pour vivre, soit
pour mourir, et de m'unir à la neuvaine que faisait la communauté.

J'entendis encore ces paroles: «Quelle plus grande gloire pour Dieu,
pour la sainte Eglise, pour votre saint Ordre et votre communauté, si
le miracle de votre guérison doit hâter la glorification de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus!»

Aussitôt mes dispositions furent complètement changées, je répondis:
«Non, je ne veux plus désirer mourir, je veux prier et commencer une
neuvaine.»

Lorsque le docteur revint dans l'après-midi, je lui fis réparation des
reproches que je lui avais adressés; le même jour, sur ma demande, on me
donna une image représentant Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, que je
plaçai près de mon chevet. Je la priais sans cesse, avec une grande
confiance, à proportion de mes souffrances qui s'accentuaient davantage,
à mesure que la neuvaine approchait de son terme.

La veille du dernier jour, 23 mars, vers 5 h. de l'après-midi, alors que
toute la communauté se trouvait réunie au chœur pour l'oraison, étant
seule avec la Sœur infirmière, je fus subitement prise de violentes
suffocations. A la quatrième crise, qui fut la dernière, j'endurai
toutes les angoisses de l'asphyxie. M'étant soulevée du lit par l'excès
de la souffrance, j'étreignais la Sœur qui me soutenait dans ses
bras, croyant, comme moi, que j'allais expirer. L'air me manquait
absolument pour respirer. Lorsque je fus remise de cette terrible lutte,
aussitôt que je pus parler, j'invitai la pauvre Sœur bien émotionnée
à remercier Dieu. «Puisque je n'en suis pas morte, lui dis-je, c'est une
preuve que nos prières seront exaucées.»

J'avais l'espoir que je serais guérie le lendemain à la sainte
communion. La nuit fut très mauvaise. A 3 h. du matin, j'endurai une
véritable agonie, j'étais inondée d'une sueur froide, grelottant malgré
les fortes chaleurs de l'été et la couverture de laine dont j'étais
enveloppée; j'en demandai même une autre plus chaude. A 3 h. 1/2
j'éprouvai soudainement un indéfinissable bien-être, je dis aux Sœurs
qui me prodiguaient leurs soins: «Retirez-vous dans vos cellules, allez
vous reposer, je n'ai plus besoin que personne me veille, je suis
guérie! Aussitôt que notre Mère sera levée, veuillez le lui annoncer.»

En effet, je dormis d'un bon sommeil jusqu'à l'Angélus.

La veille encore, je recevais la sainte communion dans mon lit en
viatique et ne pouvais avaler qu'une parcelle de la sainte Hostie avec
difficulté. Ce dernier jour de la neuvaine je me levais, m'habillais,
recevais la sainte communion et demeurais à genoux, sans appui, environ
une demi-heure.

A la fin de mon action de grâces, je chantais un des cantiques composés
par notre chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus!

Quelques instants après, le docteur vint m'ausculter et déclarait qu'il
n'y avait plus aucune trace de la pneumonie qui m'avait conduite aux
portes du tombeau, et qui était compliquée d'une affection au foie et
d'une maladie non moins sérieuse des reins. Ma santé, si éprouvée depuis
plusieurs années, m'a été rendue bien meilleure. En peu de jours j'ai pu
reprendre et exercer sans interruption mon office de portière avec
d'autres occupations fatigantes. La nuit du Jeudi Saint, 7 avril, j'ai
pu veiller avec la communauté devant le Saint Sacrement. Je prends la
nourriture commune de nos Sœurs au réfectoire et ne ressens nullement
aucune des indispositions des maladies précédentes. J'ai su depuis, par
une religieuse du Tiers-Ordre, qu'ayant interrogé le docteur sur mon
état le soir, veille de ma guérison, celui-ci avait répondu: «Elle
expirera peut-être cette nuit.» Gloire soit rendue à Dieu et à la chère
âme qui a daigné intercéder pour son indigne petite sœur! Qu'elle
achève maintenant son œuvre en m'obtenant l'inappréciable grâce de
marcher fidèlement sur ses traces dans la pratique des vertus
religieuses.

SR MARIE DU CALVAIRE.

Suit le certificat du docteur.


42.

Carmel de Mangalore, Indes-Orientales, 31 juillet 1909.

La santé de notre chère miraculée est bonne, très bonne. Elle, qui
depuis de bien longues années endurait de cruelles douleurs, privée des
exercices de communauté, vient maintenant partout. La joie est répandue
dans tout son être, on sent qu'une divine transformation s'est opérée en
elle. Jamais nous ne pourrons oublier l'expression du visage de notre
bien-aimée Sœur le jour de sa guérison; elle était transfigurée,
comme en extase, et encore, quand elle parle de sa céleste bienfaitrice,
elle est toute rayonnante de reconnaissance et d'amour.

Une de nos Sœurs eut la pensée d'obtenir, elle aussi, la guérison
d'un écoulement d'oreille qui la faisait bien souffrir et la privait de
sa voix au chœur, soit pour la psalmodie, soit pour le chant; elle
avait encore des ulcères extérieurs. Eh bien! pendant la neuvaine, tout
a disparu! Et maintenant elle donne sa voix librement, et il n'y a
aucune trace des ulcères d'où sortait un pus verdâtre qui nous
inquiétait.

Nous faisons quelques économies afin d'offrir notre obole pour la
glorification de notre douce sainte.

Nous vous prions de faire faire une visite pour nous à sa glorieuse
tombe et de lui recommander plusieurs intentions.

SR MARIE DE L'ENFANT-JÉSUS,

_Prieure_.


43.

Communauté de X. (Finistère), 15 juin 1909.

Thérèse, la gracieuse «petite Reine», vient de jeter sur notre monastère
un de ses pétales de rose.

Depuis le 1er décembre 1908, une de nos Sœurs, âgée de 31 ans,
était atteinte d'une maladie infectieuse du cerveau et de la moelle
épinière, le tout augmenté d'une phlébite aux deux jambes.

Le 16 mars, le docteur, ayant constaté que les phlébites avaient
disparu, mais que la jambe droite était ankylosée, plia lui-même les
deux jambes afin de permettre à la Sœur de marcher: ce fut une
souffrance ajoutée à tant d'autres, car quand il fallut faire circuler
la patiente, les jambes fléchissaient et étaient incapables de la
porter. Dès l'abord, on crut à de la faiblesse et l'on espérait que le
temps en aurait raison. Hélas! la malade restait impotente, et le
docteur disait que, probablement, elle serait paralysée toute sa vie et
que, seule, Notre-Dame de Lourdes, pourrait la guérir. C'était le jeudi
3 juin.

Le vendredi, 11 juin, la malade, dès son réveil, se sentit plus fatiguée
encore qu'à l'ordinaire et souffrit cruellement pendant la sainte Messe.
Au moment de la communion, quand l'infirmière la prit pour la conduire à
la sainte Table, elle faillit tomber, tant ses jambes étaient rebelles.

De retour à l'infirmerie, la Sœur dit à la malade: «Quand vous êtes
seule, il faudrait essayer de vous lever du fauteuil.» Elle répondit
tristement: «Je ne le puis j'essaie souvent, mais il m'est impossible de
remuer les reins.» L'infirmière n'insista pas, persuadée, en effet, de
son impuissance; elle la prit par le bras et la fit marcher dans
l'appartement. La Sœur coadjutrice,--aide pour les malades--arrivant
à ce moment, dit à l'infirmière: «Pourquoi vous fatiguer ainsi? On n'est
pas plus avancé de faire marcher la Sœur aujourd'hui qu'au premier
jour.»

L'infirmière remit la malade dans son fauteuil, puis alla prendre une
image sur laquelle est imprimée la poésie de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus: «Les Anges à la crèche», avec le portrait de Sr
Thérèse. Elle fit baiser ce portrait à la malade et lui dit en
s'éloignant de quelques pas: «Maintenant, venez chercher l'image.»
Aussitôt la Sœur fit quelques efforts des reins, s'appuya sur le bras
du fauteuil, se leva et suivit l'infirmière qui, tenant l'image à la
main, faisait le tour de la chambre. Vivement impressionnée, elle dit à
la malade: «Retournez au fauteuil et levez-vous sans vous appuyer.» Ce
qu'elle fit.

Depuis ce jour, elle marche et suit en tout la communauté. Elle a repris
son emploi et se porte très bien. On ne dirait jamais qu'elle est restée
six mois sans bouger.

Le docteur, appelé à constater le fait, s'est écrié: «C'est merveilleux!
car cette Sœur avait des symptômes de méningite cérébro-spinale avec
paralysie des quatre membres.»

     Suit le certificat de ce docteur.


44.

Monastère de la Trappe.

Tarrega, Espagne, 27 juin 1909.

_Relation de la guérison du Frère Marie-Paul._

Dans le courant du mois de septembre de l'année dernière, notre bon
frère Marie-Paul (dans le siècle Philippe Tobzanc, né à Narbonne,
diocèse de Carcassonne, département de l'Aude, le 12 juin 1877, entré en
religion le 9 mai 1905), convers de notre monastère, sentit dans la
région du cœur les premières atteintes d'un mal auquel, tout d'abord,
il ne prit pas garde. Mais ce qui, au début, n'était qu'une simple
oppression, se changea peu à peu en douleur si intense que tout travail
prolongé ou trop pénible lui devint impossible. Le docteur, consulté,
déclara que le mal venait de l'estomac et soumit le malade à un régime
exclusivement lacté. Après six mois de ce traitement, un mieux s'étant
produit, notre bon frère crut pouvoir reprendre la vie de communauté.

Mais deux mois ne s'étaient pas écoulés que les douleurs se réveillèrent
plus vives et plus intenses que la première fois, et nous dûmes
recourir aux mêmes remèdes. Cette fois-ci, nulle fut leur efficacité; le
mal empirait tous les jours et les souffrances devenaient parfois si
cruelles que, pour soulager le patient, nous dûmes employer des
injections de morphine.

Notre bon frère dut cesser alors tout travail, car il était d'une
faiblesse extrême; manger était pour lui un véritable supplice; son
estomac ne pouvait rien conserver, pas même quelques cuillerées de
bouillon qui ne servaient qu'à lui faire éprouver de violentes douleurs.

Parfois aussi le malade crachait comme de la chair hachée; et, de plus,
son haleine était si fétide que la charité seule nous pouvait faire
rester auprès de lui.

Après un nouvel examen, le médecin conclut à une ulcération de l'estomac
qui, facilement, pouvait dégénérer en cancer et me prévint de
l'opportunité d'une opération dans le cas de complications graves. Pour
pouvoir sustenter de quelque manière le malade, le docteur prescrivit
des lavements aux œufs et au lait, mais ce mode d'alimentation ne
pouvait durer longtemps, car notre frère s'affaiblissait et dépérissait
à vue d'œil.

Pour se conformer aux prescriptions du docteur, notre cher malade
faisait chaque jour une petite promenade. Le lundi 3 mai, il en revint
plus fatigué que de coutume; et, cependant, elle n'avait pas duré un
quart d'heure. Rencontrant alors le Père sous-Prieur, il lui dit: «Priez
pour moi, mon Père, car je sens que c'est bien fini...»

Tout espoir n'était cependant pas perdu, et le Seigneur allait, dès le
lendemain de ce jour, faire éclater le pouvoir qu'a sur son Cœur
miséricordieux l'intercession de sa petite Thérèse.

«--Puisque les moyens humains sont impuissants à vous soulager, dit
notre Père infirmier au malade, faites une neuvaine de prières à Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, religieuse du Carmel de Lisieux, morte, il y
a quelques années, en odeur de sainteté.»

La proposition est acceptée avec d'autant plus de joie que le bon frère
avait grande confiance en la «Petite Fleur blanche» dont il avait lu un
résumé de la vie dans la petite brochure intitulée: «Appel aux petites
âmes.» Depuis ce jour, en effet, il portait sur lui une photographie de
Sr Thérèse, disant qu'elle lui porterait bonheur.--Elle ne trompa pas
sa confiance.

Le lendemain, mardi 4 mai, notre malade ne put conserver les lavements,
les douleurs se portèrent sur les reins avec tant d'acuité qu'il fallut
cette fois encore avoir recours à la morphine: le pauvre frère n'en
pouvait plus.--«Cela ne peut pas durer, dit-il alors au Père infirmier.
Si vous voulez bien demander pour moi à mon Père X... une relique de
Sr Thérèse, je l'appliquerai sur mon mal, et j'ai confiance qu'elle
me guérira.»

Le soir, le Père infirmier lui remit la relique et lui conseilla, en
même temps, de prendre un autre lavement.

Mais notre malade avait son idée; plein de confiance, il avait résolu de
boire le liquide. Il pria la «Petite Fleur» de lui rendre la santé pour
aider ses frères déjà si accablés de travail; puis il détache quelques
parcelles de la relique et les met dans son breuvage. Après en avoir
avalé quelques gorgées, il craint de commettre une imprudence en voulant
absorber une si grande quantité de liquide (3/4 de litre). Mais,
toujours plein de confiance qu'il va guérir, il ajoute quelques
nouvelles parcelles de la relique et boit le tout. Il attend... Plus de
souffrances! plus de cruels maux d'estomac! Le mal est complètement
disparu, notre bon frère est guéri!

Il sort alors, fait une longue promenade, gravit sans éprouver ni
malaise, ni fatigue, le plateau qui domine notre propriété. Il rentre
ensuite tout ragaillardi, se sentant fort, vigoureux, et aussitôt
demande à manger.--«Prenez des œufs», lui dit le Père infirmier. Et
notre bon frère, dont l'estomac ne pouvait supporter la plus légère
nourriture, prend non seulement des œufs, mais encore des pommes de
terre frites, des raisins secs, des noix, des figues sèches, et achève
son repas par un bon verre de vin, boisson dont il était obligé de
s'abstenir depuis huit mois... Pas la moindre souffrance!

Notre heureux frère me fait part de sa guérison qui me réjouit
souverainement et, dès le lendemain, il reprend la vie de communauté, en
suit le régime austère et se remet à son pénible travail. Il continue sa
neuvaine, la transformant en action de grâces. A la fin de la neuvaine,
la guérison s'étant maintenue, j'ai cru de mon devoir, ma Rde Mère,
de vous envoyer ma première relation.

Aujourd'hui, près de deux mois se sont écoulés depuis la faveur insigne
dont notre cher frère a été l'objet, et nous pouvons tous certifier ici
qu'il ne se ressent nullement de son mal, a repris de bonnes couleurs et
continue avec générosité et joie le travail que l'obéissance lui a
imposé.

En notre Abbaye de Notre-Dame du Suffrage, ce 27 juin 1909.

R. P. MARI HAVUR, _abbé de N.-D. de Fontfroide_.

     (Réfugié avec sa Communauté à N.-D. du Suffrage.)

     Suit le certificat du docteur, du curé de Tarrega et du maire.

       *       *       *       *       *

Le frère Marie-Paul a été, en 1910, miraculeusement protégé par Sr
Thérèse dans une explosion où il aurait dû trouver la mort ou être
grièvement blessé.

La lampe d'acétylène qui a éclaté, faisant projectile, l'a frappé en
pleine poitrine à l'endroit même où se trouvait une image de la servante
de Dieu. Le frère a été renversé à terre par la violence du choc, mais
s'est relevé sans aucun mal.


45.

Monastère de X., Belgique, 2 juillet 1909.

Un vieillard de 80 ans qui, depuis près de 50 ans, ne s'approchait plus
des sacrements et pour lequel nous avons fait une neuvaine au
Sacré-Cœur par l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, est
transformé; sa conversion va faire un bien immense dans la localité
qu'il habite, car il est ires connu.

Il fallait un miracle de grâce, nous disait-on, pour amener le retour de
cet octogénaire qui, dans son testament, on le savait, donnait 6.000 fr.
pour son enterrement civil. Or, à la première visite qu'on lui fait
après avoir invoqué la petite Sr Thérèse, il accepte volontiers une
médaille du Sacré-Cœur et un scapulaire du Carmel; à la deuxième
visite, le septième jour de la neuvaine, on peut lui administrer les
sacrements, qu'il reçoit avec des sentiments admirables de piété. Il a
vécu onze jours après sa conversion, faisant l'édification des personnes
qui l'approchaient et se prêtant volontiers à ce qu'on demandait de lui
pour ses funérailles.

L'enterrement fut donc religieux et très édifiant; on eût dit un
triomphe, et c'en était un! Remerciements et actions de grâces au
Sacré-Cœur et à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.


46.

Paris, 8 juillet 1909.

Ainsi que je vous l'écrivais il y a huit jours, mon frère avait
formellement refusé les sacrements. Le Révérend Père X., qui s'était
présenté, avait complètement échoué dans sa tentative. «Il n'y a plus
qu'à prier, nous dit-il: c'est une barre de fer, il n'y a rien à
tenter.»

C'est alors que j'eus la pensée de m'adresser au Carmel de Lisieux,
comptant sur l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Voyant
mon frère au plus mal vendredi, on lui envoya encore le prêtre, qui
revint près de nous tout ému, nous disant que le malade, en pleine
lucidité, avait reçu avec reconnaissance l'absolution après un entretien
assez long. Sa femme, ses enfants, étaient dans le plus grand
étonnement... Moi, je pensais que les prières faites au Carmel avaient
été exaucées.

Cependant, je désirais beaucoup avoir une preuve comme quoi ce retour à
Dieu avait été obtenu par l'intercession de Sr Thérèse, et je
demandai pour signe à cette chère petite sainte que mon frère m'adressât
une parole de reconnaissance que je désignai--chose en dehors de ses
habitudes et de son caractère.--Je me rendis chez lui, et quelle ne fut
pas mon émotion d'entendre sortir de sa bouche cette même parole que
j'avais demandée... Il ne dit pas un mot de plus.

C***** DE W.


47.

Porto-Novo (Dahomey), 15 juillet 1909.

Depuis un mois, une de nos chrétiennes ressentait une douleur
insignifiante dans toute la jambe gauche; cela ne l'empêchait pas de
vaquer à ses occupations. Un samedi, cette jambe enfle horriblement,
causant la plus vive douleur, puis il se forme un gros bouton, genre
abcès. On sait que c'est le ver de Guinée, voulant sortir.

Ce ver a la grosseur du vermicelle et une longueur d'au moins 75
centimètres. On l'absorbe avec l'eau, il se répand dans l'organisme;
ordinairement il sort par les jambes. Les médecins européens ont trouvé
des remèdes pour s'en défaire assez promptement: mais avec les
traitements indigènes, l'extraction de ce ver est très longue. Jamais il
ne se montre avant trois jours, et alors on se contente de le fixer au
dehors avec un fil, sans exercer de traction, car celles-ci font
beaucoup souffrir. Ce n'est que dans les cas extrêmes que les noirs ont
recours aux procédés chirurgicaux. Avec ce genre de soins, il survient
souvent de graves ulcères qui peuvent devenir mortels.

Ce matin, samedi, je rencontre le mari de la malade: il m'annonce qu'il
l'a confiée aux soins du médecin indigène. Le lendemain dimanche, je
reçois une image de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. La pensée me vient
de demander une faveur au Cœur eucharistique de Jésus par
l'intercession de sa chère petite épouse. Comme prêtre-adorateur, je
vais faire mon heure de garde de 4 à 5 heures, et pendant ce temps je
présente ma requête.

Le jeudi suivant, je vais visiter la malade. Quel n'est pas mon
étonnement de la voir dans le jardin, venir à pas pressés, tenant son
bébé dans ses bras!

--«Mais ce ver de Guinée?--Il est parti, et tout le monde est très
étonné.--Mais, vous ne souffrez plus?--Non, mon Père (et elle me montre
une profonde cicatrice); ce matin, j'étais à la Messe (elle habite à
près d'un kilomètre de l'église), et hier, je suis allée au marché (2
kilomètres); c'est la neuvaine qui m'a guérie!--Mais, à quel moment
exact ce ver est-il sorti?--Dimanche soir, quand on tintait la cloche
pour la bénédiction (exactement 4 h. 1/3).--Avez-vous souffert?--Point
du tout! Quand le ver a commencé à sortir, j'ai tire dessus, mais il
s'est cassé.--Avez-vous alors souffert? (le ver ainsi cassé cause
ordinairement de très vives douleurs; il ne meurt pas et l'état du
malade empire).--Point du tout; mais il est sorti de l'eau épaisse et ma
jambe a désenflé tout de suite.»

Ainsi c'était à l'instant même où je commençais la neuvaine que
l'intervention d'en haut se manifestait... Trois mois se sont passés
depuis, et la protégée de Sr Thérèse a continué à se porter
parfaitement.

R. P. B.


48.

Chine, 20 juillet 1909.

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'a aidé auprès d'une païenne dont je
désirais plus spécialement la conversion. Pendant son sommeil, elle vit
un être ravissant et mystérieux qui lui montrait le ciel sans proférer
une parole; elle me parla longuement de son costume, et je fus frappé en
reconnaissant, dans sa description, l'habit de carmélite, absolument
inconnu au Sutchuen. A la fin, je lui montrai une image de Sr Thérèse
de l'Enfant-Jésus, devant laquelle elle s'écria, comme en présence d'une
découverte: «Mais c'est cela, mais c'est bien cela! je la reconnais!»

Elle va donc se faire instruire; déjà ses deux enfants étudient chez moi
depuis une semaine.

R. Père A.


49.

Monastère de la Visitation de Caen (Calvados), 25 juillet 1909.

Vers le mois de décembre 1908, je commençai à souffrir de l'estomac; je
pus cependant encore continuer les travaux de nos sœurs converses
jusqu'au mois de février. Mais au commencement de ce mois, je fus prise
de douleurs si aiguës qu'il me semblait qu'une bête me dévorait
l'estomac. Quand ces douleurs me prenaient, je ne pouvais plus marcher,
et lorsqu'il me fallait prendre un peu de nourriture, elles augmentaient
encore.

Le docteur, ayant reconnu un ulcère, me condamna au repos complet et me
fit suivre un régime qui consistait à ne prendre que du lait coupé d'eau
de Vals. Mais bientôt les vomissements reprirent et devinrent plus
fréquents; quatre à cinq fois par jour, je rejetais le peu de lait que
je prenais, et chaque vomissement était mêlé de sang.

Me voyant dans ce triste état, je fus inspirée de faire une neuvaine à
S' Thérèse de l'Enfant-Jésus. Nous la commençâmes le jeudi 24 juin; nos
sœurs la firent avec moi. Pendant la neuvaine, les souffrances ne
firent qu'augmenter; malgré cela ma confiance était inébranlable.

Le dernier jour de la neuvaine, vers midi, j'eus une crise très forte;
il me semblait que l'on m'arrachait l'estomac, la douleur était la même
dans le dos; cela dura un quart d'heure à peu près.

A 1 heure, sœur Françoise-Thérèse (LÉONIE), sœur de la bien-aimée
petite Thérèse de l'Enfant-Jésus, me donna à boire un peu d'eau dans
laquelle elle avait mis un pétale de rose dont Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus s'était servie pour caresser son crucifix, et, en même
temps, notre Mère, pleine de foi en la puissante intercession de la
petite sainte, se mit à genoux et dit un _Laudate_ et un _Gloria Patri_.
Sa confiance ne fut pas déçue... Aussitôt que j'eus pris cette eau
miraculeuse, je sentis quelque chose de très doux qui cicatrisait la
plaie.

A partir de ce moment, je ne ressentis plus aucune douleur, mais une
faim dévorante. Je bus aussitôt une tasse de lait qui passa très bien,
puis, jusqu'au soir, j'en bus un litre et j'avais encore faim.

Le lendemain, au déjeuner, on me servit comme la communauté: je mangeai
de l'omelette, des pois, de la salade... Enfin, je me trouve aujourd'hui
dans un état de santé des meilleurs. J'ai fait une neuvaine d'action de
grâces pour remercier ma chère bienfaitrice, mais mon cœur aura pour
elle une éternelle reconnaissance.

SR MARIE-BÉNIGNE.

     Suit le certificat du docteur.


50.

New-York, 12 août 1909.

A la gloire de Dieu tout-puissant et de sa servante Thérèse, la petite
Fleur de Jésus, je raconterai la grande faveur reçue par l'intercession
de la sainte carmélite.

Cette grâce obtenue est la guérison extraordinaire de ma sœur
mortellement blessée. Cette chère sœur marchait dans les rues de
New-York le matin du 30 juillet 1909, quand un cheval indompté se
précipita sur elle et la piétina. Sa figure fut horriblement
contusionnée et sa tête reçut un tel coup qu'elle était tout en sang.
Bien plus, les côtes brisées percèrent le poumon; le cœur fut
également blessé et comprimé; en un mot elle offrait l'aspect le plus
pitoyable.

Dans son intense agonie, elle ne perdit pas cependant connaissance et
put se confesser dans la rue, au prêtre accouru de l'église la plus
proche.

Le docteur de l'ambulance de New-York ne pensait pas qu'il lui fût
possible d'arriver vivante à l'hôpital et, pour tout espoir, dit
seulement qu'une personne sur mille pouvait en réchapper après de si
terribles brisements.

Tout le jour, la pauvre jeune fille resta suspendue entre la vie et la
mort et, vers minuit, tout espoir de guérison était abandonné. Chaque
respiration semblait être la dernière. Elle resta dans cette agonie
jusqu'au 3 août. Le médecin la croyait si bien perdue que, pour lui
redonner un peu de respiration, il osa lui faire une piqûre qui devait
infailliblement amener la mort par l'empoisonnement.

Le 3 août, tandis que le médecin attendait sa mort, une religieuse très
dévote à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus nous conseilla de placer en
elle toute notre espérance et de lui commencer une neuvaine. Je donnai à
ma sœur une image-relique de la petite sainte; elle l'appliqua, avec
la plus grande confiance, sur son corps broyé. Aussitôt une amélioration
se produisit, et le dernier jour de la neuvaine, la malade était sauvée.

6 septembre 1909.

Je pensais que du moins ma chère sœur resterait un peu délicate des
poumons; mais il n'en a rien été; elle jouit maintenant d'une santé
aussi forte qu'avant son accident.

Sr M. A.


51.

X. (Loiret), 31 août 1909.

Il m'est venu un mal au bras à la suite d'un coup. Je le fis voir au
médecin qui me dit que j'avais un très mauvais mal. Et, en effet, je ne
dormais plus et je souffrais horriblement. Alors j'eus la pensée
d'appliquer sur mon bras une relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Quelques heures après que la relique l'eut touché, je sentis un mieux
extraordinaire; je passai une très bonne nuit, et le lendemain j'étais
complètement guérie.

En reconnaissance je veux faire connaître ma bienfaitrice et la prier
tous les jours de ma vie.

M. D.


52.

Communauté de G. (Eure-et-Loir), 15 septembre 1909.

Depuis quelques mois j'avais un larmoiement perpétuel et douloureux de
l'œil gauche; la glande lacrymale s'était enflammée et rendait de
l'humeur.

Notre Mère m'envoya alors chez l'oculiste qui me dit que souvent cette
inflammation amenait un flegmon, et commença à me soigner en m'enfonçant
une sonde qui me fit très mal. Sur ma demande s'il aurait à y revenir,
il me répondit: «C'est toujours très long; il faut parler au moins de 14
ou 15 fois, en venant trois fois par semaine.»

Je me résignai et retournai le surlendemain; il prit une sonde un peu
plus grosse et, après avoir examiné mon œil qui me faisait beaucoup
souffrir, il parla de 20 sondages. C'était jeudi dernier, 9 septembre.

Le vendredi l'écoulement continuait et la douleur aussi; c'est alors que
j'ai eu la pensée de m'adresser à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et que
je vous ai écrit pour demander des prières. Mais, ma Révérende Mère,
votre petite sainte ne les a pas attendues pour m'exaucer car, à partir
du moment où j'ai fait cette démarche, je n'ai plus souffert et je n'ai
plus eu à l'œil le plus petit suintement. Dès le lendemain, samedi,
je retournai chez l'oculiste; il m'examina et parut positivement
stupéfait de me voir si bien et si rapidement guérie contre toutes ses
prévisions.

Sr X.


53.

Piacenza, Italie, 25 septembre 1909.

Notre petite Henriette, âgée de 11 ans, était depuis deux ans malade
d'entérite aiguë opiniâtre. Tous les remèdes employés avaient été
impuissants à la guérir, même à l'améliorer.

Elle demeura un mois à l'hôpital, soumise aux traitements des médecins
les plus distingués, mais le mal ne faisait qu'empirer. Nul aliment ne
pouvait s'arrêter dans l'intestin et la pauvre petite malade en était
venue à un affaiblissement extrême. Emaciée, décolorée, elle n'avait
qu'à fermer les yeux au sommeil de la mort. On lui prescrivit les bains
de mer, les bains de _salsemaggiore_; rien ne lui profita. Le médecin
frappait du pied en voyant l'insuccès de la science.

Affligés, découragés, nous ne songions plus désormais ni à médecins, ni
à remèdes. Ce fut alors qu'on nous remit providentiellement un objet
ayant appartenu à une religieuse carmélite: Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Une neuvaine fut commencée, et le dernier jour la guérison était
parfaite.

Aujourd'hui, après deux mois, notre petite Henriette se porte aussi bien
que si elle n'avait jamais été malade; pas de rechute, pas de menaces de
rechute. C'est un miracle pour nous, car la longue durée et la gravité
du mal, la guérison soudaine au moment où la maladie semblait
s'aggraver, c'est là un fait que nous ne saurions expliquer par notre
courte raison humaine.

X. X.


54.

S., Angleterre. 13 octobre 1909.

Je prends la liberté de vous écrire pour vous raconter la guérison
merveilleuse que la chère petite «Fleur de Jésus» a opérée en ma faveur.

Je suis une Pénitente et désirais beaucoup entrer dans la communauté des
_Madeleine_, mais je tombai malade. En juillet, une névrite se déclara
au bras droit: les douleurs que je souffrais la nuit étaient
intolérables, il m'était impossible de dormir. Le docteur me donna des
remèdes très énergiques, mais rien ne me soulageait.

Le 4 septembre, j'allai voir la Mère maîtresse des Pénitentes, qui me
donna un feuillet de la chère «Petite Fleur» en me disant de lui faire
une neuvaine. Je commençai le soir même, cessant tout remède.

Dès le troisième jour je ne ressentis plus aucune douleur; j'étais
guérie.

A. C.


55.

Barcelone, Espagne, 14 octobre 1909.

J'étais atteinte depuis douze ans de douleurs à la jambe gauche. Pendant
18 mois, elles furent intolérables, malgré les soins que l'on me
prodiguait. Notre Révérende Mère Supérieure me fit conduire alors chez
un spécialiste. A la vue de ma jambe qui se desséchait, celui-ci déclara
la gravité du mal, ordonna du repos et dit qu'il fallait craindre une
paralysie.

J'en étais là, quand une religieuse de notre communauté me prêta une
relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, m'engageant à la prier avec
une confiance absolue. Je lui fis alors une neuvaine et cessai tout
traitement, n'attendant de secours que de notre chère sainte. Les sept
premiers jours les douleurs augmentèrent; j'étais tentée de me
décourager, mais une voix intérieure que je ne saurais rendre me disait:
«Tu guériras».

Le huitième jour je me sentis grandement soulagée, mais ma guérison
n'était pas encore complète; alors je fis une seconde neuvaine, et la
chère petite sainte me prit en pitié.

Depuis un an, non seulement je n'ai donné aucun soin à ma jambe; mais je
remplis une charge qui me force à marcher ou à me tenir debout la plus
grande partie de la journée, sans prendre jamais une heure de repos.
Quelle reconnaissance je garde à Sr Thérèse pour une guérison si
inespérée!

Sr J. D.


56.

X., Angleterre, 15 octobre 1909.

Depuis onze ans, Mme D. souffrait de douleurs presque incessantes,
causées par le développement d'une tumeur qui poussait de profondes
racines visibles jusque sur le dos de la malade.

A mesure que le temps s'écoulait, les douleurs devenaient plus intenses
et la tumeur plus volumineuse. Durant les trois dernières années avant
la guérison, la malade n'eut pas une heure de répit; elle passait des
nuits blanches, rongée par la douleur incessante, ne dormant jamais plus
de sept minutes de suite.

En 1909, son médecin lui conseilla de se faire opérer; mais plusieurs
chirurgiens l'ayant examinée, la déclarèrent inopérable, la tumeur
affectant tous les organes du corps.

A partir de ce moment, elle ne cessa de s'affaiblir; et, durant les dix
dernières semaines qui précédèrent sa guérison, elle ne put boire que de
l'eau gazeuse, additionnée d'alcool, ou un peu de glace sucrée. Cette
alimentation si légère lui causait des crises de vomissements. La
tumeur, devenue énorme, pesait sur les organes intérieurs et en
paralysait toutes les fonctions.

Sa vie semblait toucher au terme, et on était sur le point de lui
administrer de nouveau les derniers sacrements.

Bien des neuvaines avaient été faites pour obtenir sa guérison; mais une
de ses amies lui ayant fait connaître Sr Thérèse, «LA PETITE FLEUR DE
JÉSUS», une neuvaine fut commencée le dimanche 22 août, en l'honneur de
l'angélique sainte.

Durant les trois premiers jours la malade baissa rapidement, et le jeudi
on s'attendait à ce qu'elle mourût dans la nuit. Ses douleurs étaient
aiguës, ses yeux voilés.

A onze heures du soir elle eut un vomissement qui l'épuisa complètement,
puis elle s'endormit et, pour la première fois depuis bien des années,
reposa paisiblement jusque vers cinq heures et demie du matin. Elle fut
réveillée par un léger attouchement sur les épaules, comme si quelqu'un
se penchait sur elle; elle sentit en même temps une douce chaleur, telle
qu'une respiration, et comprit qu'il y avait auprès d'elle une présence
invisible...

Toute douleur, toute souffrance avait disparu.

Mme D. ne dit rien à personne du miracle dont elle venait d'être
favorisée; elle attendait la visite du docteur pour qu'il s'en rendît
compte lui-même. Pendant une heure, il l'examina, la palpa et avoua que
tous les organes fonctionnaient bien; que l'enflure et la tumeur avaient
disparu, ne laissant qu'une petite grosseur sur le côté, telle qu'une
petite bille, comme pour prouver que la tumeur avait existé. Il ne
restait plus trace de ces racines qu'on avait constatées auparavant
jusque sur le dos de la malade.

Quand, à la fin de cet examen, une des filles de Mme D. rentra dans
la chambre, elle trouva le docteur--un protestant--la tête dans ses
mains, stupéfait: «Après tout, lui dit-il, je crois en Dieu; je sais
qu'il peut faire des miracles: certes, en voici un!»

X.

     Suit le certificat du médecin.


57.

X. (Maine-et-Loire), 15 octobre 1909.

Depuis de longues années, ma domestique souffrait de malaises d'estomac
allant toujours s'aggravant. Finalement, le docteur dit: «Il n'y a plus
qu'une chance de prolongement de vie: l'opération.»

La malade, ne pouvant plus se nourrir, s'y résigna. Il y avait
rétrécissement et affection grave au pylore. C'était l'affaire de
quelques jours, de quelques semaines au plus.

L'opération eut lieu un vendredi. Le dimanche j'allai voir la malade que
je trouvai dans un état épouvantable. Des vomissements de sang à pleine
cuvette l'avaient réduite à ce qu'il y a de pire: physionomie sans vie,
yeux ternes. Comme voix, un souffle à peine perceptible, inconscience
presque complète. Comme nourriture, une seule chose possible: de la
glace trempée dans du lait. On croyait si bien à sa mort, que les
démarches étaient faites auprès des municipalités pour obtenir les
pièces nécessaires à l'inhumation.

Mais la fille de la malade m'avait envoyé une petite relique de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, me demandant avec instance de la faire
appliquer à sa mère. Je la confiai à la religieuse qui la soignait, et
elle lui fut appliquée.

A partir de ce moment, je reçus chaque jour des nouvelles de plus en
plus rassurantes. Au cours de la neuvaine, la malade avait
considérablement repris. Elle mourait de faim et avait grand'peine à
s'en tenir au régime exigé.

Quinze jours après, je la ramenai chez moi. Depuis longtemps elle a
repris son travail, ne sent point de malaises, mange bien, en un mot se
sent guérie.

L'abbé B., _curé_.


58.

X., Turquie d'Asie, 18 octobre 1909.

Je soussigné, pour la plus grande gloire de Dieu et la glorification de
ses saints, déclare ce qui suit:

Au mois de juin dernier, ma belle-sœur, se trouvant dans son
cinquième mois, reçut un sérieux coup de la part de son premier enfant
âgé de deux ans qui, tout en s'amusant, se précipita sur elle. Il
s'ensuivit des douleurs tellement vives que le docteur, appelé en toute
hâte, déclara qu'il y avait à craindre sur l'heure un terrible accident
ou bien que l'enfant naîtrait estropié.

Je recommandai aussitôt la chère malade et son enfant aux prières des
religieuses carmélites de cette ville, qui demandèrent à Dieu la
guérison de la mère en même temps que le parfait état de l'enfant, par
l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, morte en odeur de
sainteté au Carmel de Lisieux. En même temps, elles me remirent pour la
malade un morceau de vêtement de ladite sainte.

Aussitôt que la relique fut appliquée sur le mal, les douleurs cessèrent
et la mère se leva le lendemain pour reprendre ses occupations
habituelles.

Depuis, tout marcha bien et jamais plus douleur ne reparut. La mère
était sauvée... Restait à examiner l'état de l'enfant.

Ce fut une fillette qui vint au monde le 13 octobre, dans un parfait
état de santé et nullement estropiée, au grand étonnement du docteur. En
signe de reconnaissance, toute la famille a décidé à l'unanimité que
l'enfant portera le nom entier de «Thérèse de l'Enfant-Jésus».

Abbé X.

_Aumônier du Carmel de X._


59.

Rome, 30 octobre 1909.

En lisant la brochure des faveurs attribuées à l'intercession de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, j'ai pensé qu'un petit chapitre y manquait:
celui de ma guérison spirituelle qui, à mon avis, est un grand miracle.
Je vais le dire le plus brièvement possible:

Ma pauvre âme répondait en tout au portrait de ce qu'on pourrai appeler
d'une manière générale, l'_âme moderne_: ténèbres de l'esprit et
sentimentalité maladive et non moins pénible du cœur.

J'avais reçu une de ces formations si communes de nos jours, où tout est
superficiel, où, comme le disait un religieux éminent, l'on croirait
trouver l'élément du semi-pelligianisme. C'est une étude continuelle,
énervée de soi, et un oubli complet de la grâce. Il arrive alors que les
meilleures volontés succombent, se croyant seules à lutter contre la
mauvaise nature.

Il faut connaître cet état par expérience, ma Révérende Mère, pour
pouvoir s'en faire une idée exacte. Aujourd'hui que Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus a donné la paix à mon âme, je puis jeter un regard sur ce
passé et en comprendre toutes les misères.

Ce que j'ai souffert pendant ma première année de noviciat, je renonce à
vous en parler. Je crois tout dire en vous assurant que ce fut un
martyre perpétuel.

Le scrupule avait formé en moi comme une seconde nature, mon esprit
voyait tout en noir. C'était la nuit, nuit horrible, nuit que je sentais
et que je me voyais impuissant à éviter. On ne marche pas impunément
dans les ténèbres, dans un chemin composé d'une suite de précipices;
aussi ma pauvre âme tomba à diverses reprises dans des abîmes de
misères. Jésus le permit sans doute pour mieux manifester un jour la
puissance de sa petite épouse, car le salut devait me venir par elle.

Je souffrais toujours beaucoup lorsque «l'Histoire d'une âme» arriva
providentiellement dans notre monastère. Je voulus la lire à mon tour,
et cette lecture produisit en mon esprit une telle impression qu'un
rayon d'espérance vint éclairer les ténèbres de mon âme.

Sachant que je ne pouvais garder le livre, je m'empressai de prendre des
notes car je crus voir là comme l'aurore de ma délivrance. C'était bien
cela en effet. Cette petite «reine» venait d'étendre son royaume jusque
dans ma pauvre âme, et elle agit en vraie souveraine dans le royaume
qu'elle venait de conquérir. Elle commença en moi un travail de
transformation qui, en peu de temps, allait remplacer une vie de trouble
et de souffrances par une autre toute de paix et de joie sainte.

La première parole qui sortit des lèvres de mon vénéré Père Abbé, en
constatant par lui-même l'action toute divine de cette élue de Dieu sur
moi, fut un conseil pressant de vous le faire savoir afin que cela pût
servir à la gloire de celle que j'appelle ma libératrice, la vraie mère
de mon âme...

Rd P. X.


60.

N. (Aube), 2 novembre 1909.

Le 2 août dernier, mon petit garçon, âgé de cinq ans, fut atteint d'une
péritonite à la suite de la rougeole. Malgré les soins du médecin,
l'enfant s'affaiblissait de jour en jour de sorte qu'on craignait pour
la poitrine. Il avait une forte fièvre, un point douloureux au côté et
était devenu d'une extrême maigreur.

Au bout de deux mois, le médecin ayant déclaré qu'il n'y avait ni
médecin, ni médicament capable de le guérir, on eut recours à un
spécialiste qui ne fit que confirmer le diagnostic du docteur, ne nous
cachant pas que l'enfant était perdu, et que la seule chose à tenter
était le grand air et la suralimentation. Nous comprenions qu'un miracle
seul pouvait le sauver.

Madame la Supérieure du Carmel de X. nous conseilla de faire une
neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont elle avait éprouvé pour
elle-même la puissante intercession.

Dieu nous a exaucés! Le huitième jour de notre neuvaine, le cher enfant
se lève, l'appétit revient, et l'obstruction intestinale disparaît,
c'est une véritable résurrection.

Quelle reconnaissance ne devons-nous pas à Sr Thérèse! Que Dieu nous
accorde sa prompte béatification afin qu'elle soit connue et aimée de
tous!

A. R.

     Suit le certificat du médecin.


61.

Carmel de V. (Espagne), 7 novembre 1909.

Pour comprendre combien je suis redevable à votre chère petite Sainte,
vous devez savoir de quel mal elle m'a guérie; je vous confierai donc
mon secret afin que vous rendiez grâces à Dieu qui seul peut opérer de
pareils changements.

Depuis plus de six années, je souffrais d'une tentation terrible qui
semblait vouloir empoisonner toute ma vie religieuse. Si heureuse
pourtant dans ma vocation, je me demandais souvent si je ne m'étais pas
trompée et à quoi me servirait ma vie austère de Carmélite, si je
n'avais en perspective qu'une éternité de tourments, car je croyais déjà
mon arrêt de damnation prononcé!... Ces suggestions entravèrent mes
élans vers Dieu que je n'osais plus regarder comme mon Père, mais comme
un juge terrible et irrité.

Pendant cette dernière année 1909, à cet état d'âme si pénible vinrent
se joindre des souffrances physiques continuelles qui rendaient les
épreuves morales encore plus insupportables. C'est alors que je
commençai une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour obtenir ma
double guérison.

Au matin du deuxième jour, je la sentis près de moi, infusant dans mon
âme, avec cette paix qui surpasse tout sentiment, un ardent désir de ma
sanctification, une volonté ferme de ne plus vouloir que celle de Dieu.
Ma céleste libératrice opérait en moi une transformation telle que,
depuis lors, l'ombre même de la défiance ne m'a plus effleurée.

Cette grâce ne peut s'exprimer.

Sr X.


62.

S. M., Portugal, 14 novembre 1909.

Au commencement du mois de mai, mon frère s'était fait mal à la jambe et
la blessure, d'abord insignifiante, devint de plus en plus grande et
prit un aspect horrible: elle allait du genou au pied. Il souffrait de
grandes douleurs, et tous les jours le mal devenait plus grave. Ce qui
nous faisait perdre courage, c'était l'exemple de notre oncle, affligé,
depuis bien des années, d'une semblable blessure qu'on n'a jamais pu
guérir... Je me suis alors tournée avec confiance vers Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. Nous fîmes trois neuvaines de suite, et, à la dernière,
la jambe fut guérie.

J. M. de B.


63.

D., Sénégal, 18 novembre 1909.

Vers la mi-janvier 1909, je fus pris d'un chagrin immense, d'une
tristesse et d'un abattement insupportables.

J'avais perdu tout appétit, toute gaieté, je maigrissais à vue d'œil,
le temps me paraissait ne pas s'écouler; et, ne prenant de plaisir
absolument à rien, la neurasthénie vraiment horrible qui m'étreignait me
rendait l'existence d'une amertume que pourront comprendre seuls ceux
qui ont subi les effets de cette mauvaise maladie...

Je m'adressai au Sacré-Cœur de Jésus, à Notre-Dame de Lourdes, les
suppliant de faire cesser cet état de découragement si profond et cette
lassitude dont je ne pouvais m'affranchir.

Pendant quatre longs mois, le ciel sembla demeurer sourd à mes prières
et à mes supplications, et je songeais à me faire rapatrier du Sénégal,
quand, vers les premiers jours du mois de Marie, je me pris à rougir de
mon manque d'énergie, je me sentis pris d'un grand courage pour réagir
contre mon état mental, cause de tous les maux dont je souffrais. Les
forces me revinrent avec l'appétit: la neurasthénie avait totalement
disparu. La vie me réapparut pour ainsi dire belle et pleine de charmes.

Le 17 mai, je reçus de ma famille une lettre où l'on m'annonçait que
l'on avait commencé et même terminé, à mon intention, une neuvaine en
l'honneur de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, carmélite, morte en 1897,
en odeur de sainteté, au Carmel de Lisieux.

Je dois dire que mes souffrances morales ont pris fin vers les premiers
jours de mai, c'est-à-dire précisément au moment où commençait la
neuvaine en l'honneur de la sainte carmélite.

Je délivre cette attestation en reconnaissance de la faveur obtenue.

O. B., _officier_.


64.

N. (Alpes-Maritimes), 21 novembre 1909.

TRÈS RÉVÉRENDE MÈRE,

Je viens accomplir un devoir bien doux que m'impose ma conscience, en
vous écrivant ces quelques lignes.

Atteint depuis plus de vingt ans d'une maladie d'estomac, je croyais
être au terme d'une longue durée de souffrances, car, au mois de juillet
dernier, mon mal empira d'une façon inquiétante et mon docteur ne
conservait qu'un bien faible espoir. Les médications n'opéraient plus
et ne m'apportaient aucun adoucissement. L'appétit était nul et je
n'avais plus de sommeil. Les professeurs et élèves devaient partir, vers
le 8 juillet, en colonie de vacances, et j'avais depuis longtemps
renoncé au plaisir de les suivre, tant j'étais épuisé, puisque mon
pauvre estomac ne pouvait plus supporter la moindre nourriture, même
quelques gorgées de lait.

Je reçus alors la visite d'un jeune séminariste qui me parla, en termes
très émus, de la dévotion à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus; il me
proposa de m'associer à une neuvaine de prières faites au Carmel pour ma
guérison. Je priai avec toute la confiance que m'avait inspirée mon ami,
et le 6 juillet, au soir, je demandai à la «petite reine» de pouvoir
dormir jusqu'au lendemain, cinq heures.

Moi qui ne dormais plus, je ne me réveillai le lendemain qu'à l'heure
fixée. Mieux encore: l'appétit était revenu, et le 8 juillet, au matin,
je partis pour un long voyage.

Quinze jours après, je pus suivre une excursion et faire 40 km. à pied
dans une seule journée! Bien des amis qui m'avaient vu si près de la
mort témoigneraient volontiers aujourd'hui du miracle de ma guérison.

Je fais des vœux pour que Sr Thérèse soit connue, vénérée et
bientôt glorifiée sur nos autels.

A. H., _professeur_.


65.

A., 9 décembre 1909.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je suis chargée par une de mes amies de vous écrire le fait suivant.

Avant de commencer, permettez-moi de vous donner quelques détails pour
vous la faire connaître:

Mme X. est protestante; sa fille, mariée à un Hollandais catholique,
a fait son abjuration et sa première communion depuis son mariage; ce
jeune ménage habite Buenos-Ayres.

Au commencement de cette année, mon amie vous écrivit, vous demandant un
livre de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, car elle voulait faire une
neuvaine à cette petite sainte; elle avait appris que sa fille était
malade et, en même temps, elle recevait la nouvelle que son gendre se
disposait à revenir en Hollande pour recevoir un dernier adieu de son
père mourant. Cette pensée était pour elle une véritable épreuve,
sachant loin d'elle sa fille restée seule et malade.

Chaque jour de la neuvaine, Mme X. lisait un chapitre de la vie de
Sr Thérèse. Or, un jour qu'elle venait d'achever sa lecture, après
avoir senti plusieurs fois une odeur de fleurs et d'encens, elle voit
tout à coup devant elle une mer bleue, sur laquelle voguait un bateau
qu'elle reconnut pour être un de ceux de la Compagnie hollandaise; en
même temps elle entendit comme des bruits de cloches et des voix
célestes qui la ravissaient. Cela dura quelques instants, puis tout
cessa... «Qu'est-ce que ceci?!...» se dit-elle.

Elle ne parla d'abord à personne de ce qui venait de lui arriver; mais
au bout de quelques jours, elle dit à son mari: «Nous avons la
certitude que notre gendre est en route; mais si toute la famille
revient, notre gendre, notre fille, notre petit-fils, je puis te dire
que mes idées religieuses seront changées: je croirai à la communion des
saints, car voilà ce que, pendant ma neuvaine, j'ai vu et entendu.»

Les choses s'étant réalisées à la lettre, Mme X. a tenu sa promesse,
elle croit maintenant à la communion des saints.

Elle-même veut signer cette lettre que je vous écris en son nom.

Veuillez, etc...

C. TH. de C.

Après avoir lu la lettre de mon amie, j'affirme que c'est la vérité.

D. B.-P.


66.

L. (Calvados), 16 décembre 1909.

Voilà quinze jours, une jeune parente, âgée de vingt-deux ans,
descendait chez moi pour se faire opérer d'une fistule. Je lui donne à
lire les faveurs attribuées à votre petite sainte; et, profondément
touchée de ces guérisons, elle se recommande elle-même avec confiance à
votre chère sœur.

Nous commençons ensemble une neuvaine et, le jeudi 9 novembre, la malade
voulut faire un pèlerinage sur sa tombe. A mesure que nous priions, il
nous semblait qu'un petit oignon de fleurs sortait de terre; la malade
le prit et, rentrée à la maison, je l'appliquai avec une grande foi sur
la fistule qui était grosse comme un œuf.

Le dernier jour de la neuvaine, cette jeune fille était complètement
guérie. Depuis, elle fait de longues marches sans se fatiguer et ne
souffre plus du tout. Nous ne savons comment exprimer notre
reconnaissance à la chère Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, si puissante
auprès du bon Dieu.

V. L.


67.

R. R. (Orne), 10 janvier 1910.

En allant à Lisieux, le 4 août dernier, accomplir un pèlerinage à la
tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je passai à Caen pour
consulter un oculiste renommé, car je souffrais beaucoup des yeux. Il me
les trouva, en effet, très malades et me condamna à subir une opération
dans le délai d'un mois.

Sur la tombe de la petite sainte je fus délivrée de doutes cruels dont
je souffrais depuis plusieurs années, je retrouvai la paix de l'âme et
je passai des horreurs de l'enfer aux suavités du ciel. Pendant que
Sr Thérèse soulevait ainsi la montagne de ma détresse d'âme, j'eus la
pensée de lui demander de guérir aussi mes yeux. Je les appuyai sur la
croix de sa tombe avec confiance. Il me sembla alors qu'elle y mettait
du velours et le mal disparut... Je n'ai fait aucun remède et n'ai point
eu à subir d'opération. Je travaille sans fatigue à la lumière, ce que
je ne pouvais plus faire.

L. A.


68.

S. (Mayenne), Il janvier 1910.

Au mois de mai 1909, ma mère tomba très gravement malade et le médecin
me dit en particulier: «Votre mère est perdue: elle est atteinte d'un
ulcère à l'estomac.» J'étais désolée et ne savais à quel saint la
recommander, quand une de mes amies me conseilla de faire une neuvaine à
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Ma mère avait vomi plusieurs fois un sang noir et fétide; depuis 15
jours, elle ne pouvait plus digérer ni les œufs, ni le lait, et
passait des nuits épouvantables.

Le premier jour de la neuvaine, je fis tremper dans l'eau une relique de
la petite sainte; ma mère en but et se trouva mieux; le troisième jour
elle éprouva, au moment où elle buvait l'eau, quelque chose d'anormal,
comme un resserrement subit à l'estomac. _Elle était guérie_, et, pleine
de joie et de confiance, elle se mit à manger du pain et de la viande,
ce qu'elle n'avait pas fait depuis quatre mois.

Aujourd'hui, 11 janvier 1910, son parfait état de santé s'est très bien
maintenu. Je garde, ainsi que toute ma famille, une profonde
reconnaissance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

M. H., _couturière_.

     Suit la signature de M. le Curé et de plusieurs autres personnes.


69.

X., 17 janvier 1910.

J'étais souffrante depuis plusieurs jours d'un grand mal de tête,
j'avais de plus mal aux jambes et ne pouvais me tenir debout, de sorte
que ma maîtresse m'avait envoyée coucher. Bientôt je fus prise d'une
sueur froide et, au bout de deux jours, me sentant de plus en plus
malade, je mis la relique de votre chère petite sainte sur mon front. A
l'instant même je me sentis guérie. Je me levai et je repris mon travail
sans éprouver aucune fatigue.

Mais voici une autre grâce que j'estime bien autrement grande. J'ai
demandé à mon confesseur si je pouvais vous la faire connaître. Il m'a
répondu que non seulement je le pouvais, mais que c'était un devoir de
le faire.

Depuis environ 22 ans, je n'avais pas cessé d'éprouver des doutes contre
la foi. J'en étais réduite, la plupart du temps, à aimer le bon Dieu, à
le servir, _au cas où il existerait_. En même temps, j'avais une grande
soif de Dieu; de sorte que cette soif de Dieu, avec l'impossibilité de
le trouver, me faisait quelquefois penser aux souffrances des damnés
dans l'enfer.

Mais depuis que j'ai lu, dans la vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus,
ce qu'elle dit de l'Amour miséricordieux du Seigneur, les doutes se sont
enfuis, la reconnaissance et la confiance ont pris tout mon cœur.

Pour remercier la chère petite sainte, j'ai l'intention de prélever sur
mes gages ce qui me sera possible, pour aider à faire connaître sa
«petite voie d'amour et d'abandon»; ce sera mon humble merci.

A. F., _servante à X_.

De la même; quelques mois plus tard.

Je viens de faire la donation complète de moi-même à votre chère petite
sainte. Voici comment: je connais une âme qui, dans son enfance, s'est
livrée au démon. Songeant à l'influence que celui-ci avait exercé sur
elle, je me suis dit qu'en me donnant à Sr Thérèse, elle n'aurait pas
moins de zèle pour ma sanctification que le diable n'en avait eu pour la
perte de cette âme.

Après avoir soumis ce projet à mon confesseur qui l'a pleinement
approuvé, je me suis livrée totalement et irrévocablement à ma chère
sainte pour qu'elle me donne au bon Dieu.

Depuis ce jour, je ne cesse d'éprouver sa bienfaisante influence.


70.

N. (Oise), 17 janvier 1910.

Mon petit garçon avait été pris de fièvre, points dans le dos,
vomissements et violents maux de tête.

Il était ainsi depuis deux jours, quand, lui ayant posé sur la poitrine
la relique de votre chère sainte, il se trouva guéri _à l'instant même_.
Il s'est mis alors à tousser et à chanter pour me prouver qu'il n'avait
plus aucun mal. Depuis, il ne s'est ressenti de rien.

L. B.


71.

Monastère de X.. Canada, 18 janvier 1910.

Je venais à peine d'achever la lecture du récit des grâces
extraordinaires que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus accorde de tous
côtés, que l'occasion s'est présentée pour moi d'avoir recours à sa
puissance sur le divin Cœur de Jésus.

Un de nos frères qui travaille au moulin s'était fait une blessure
grave. Il venait de descendre au bas du moulin (à la turbine) lorsqu'il
s'aperçoit que quelque dérangement se produisait à l'étage supérieur. Il
remonte précipitamment l'escalier, quand tout à coup le couteau qu'il
porte toujours suspendu à la ceinture est venu heurter le manche contre
le degré de l'escalier, et la lame sur laquelle il a frappé de toute sa
force est entrée profondément dans le genou, entre la rotule et le
kondyle; cette lame, de 6 centimètres de long, était si fortement
engagée que le pauvre frère ne pouvait la retirer. Mais le plus grand
mal venait de ce que le sang, au lieu de sortir de la plaie, avait coulé
à l'intérieur; le médecin, qui ne se dissimulait pas la gravité du coup,
disait que la poche ou récipient à synovie était percé, et il eut
grand'peine à faire sortir un peu de sang au dehors; il restait au fond
du récipient, ce qui faisait craindre qu'il ne se corrompît et ne formât
un abcès. Le docteur décida, que, dans quelques jours, il faudrait
seringuer fortement la plaie.

Le travail était urgent au moulin, et personne pour remplacer notre
frère meunier. J'eus alors l'inspiration de m'adresser à la chère sainte
Thérèse de l'Enfant-Jésus. Pendant qu'on donnait des soins au blessé,
je disais intérieurement: «Puisque vous avez promis de faire descendre
du ciel une pluie de roses, _laissez tomber une petite feuille de rose
sur ce genou_.»

Tout le jour, le frère souffrit beaucoup; son estomac ne pouvait rien
supporter, pas même du liquide, et il se trouvait toujours près de
s'évanouir. Il m'a avoué depuis qu'il avait pensé à me demander les
derniers sacrements.--Nuit sans sommeil.--Le lendemain, le bon frère me
dit: «_J'ai vu Sr Thérèse cette nuit, elle était vêtue de blanc et
couronnée de fleurs blanches. Elle passa près de moi et me sourit..._»

De fait, la plaie était fermée... plus de douleur, même à forte
pression. L'obéissance seule a été capable de retenir le blessé au
repos; trois jours après, il a échappé et est revenu au moulin.

Ma reconnaissance et ma confiance sont acquises pour toujours à cette
âme privilégiée. Je la prie souvent, et mon grand désir serait d'avoir
quelque petit objet qui lui ait appartenu.

Fr. X., _prieur_.


72.

Québec, Canada, 18 janvier 1910.

Ma mère souffrait depuis longtemps de vives douleurs à un pied,
tellement qu'au mois de décembre, elle n'avait plus d'espoir que dans
une opération. Je pris alors une image de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus que je plaçai le soir dans le bandage, et le lendemain
tout mal avait disparu.

A. B.


73.

M., Indes, 19 janvier 1910.

Un prodige de grâces s'est opéré par la lecture de la vie de votre
aimable sainte.

Cette histoire est tombée entre les mains d'une dame veuve qui a passé
toute la nuit à la lire... Le matin, elle était convertie! Accablée de
remords, elle s'est confessée, et maintenant elle n'aspire plus qu'à la
vie religieuse.

X.


74.

E., Belgique, 19 janvier 1910.

C'est à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que j'attribue d'être guérie
d'un abcès au foie sans avoir dû subir l'opération jugée nécessaire par
plusieurs docteurs. Je l'ai priée avec grande confiance, lui promettant
de propager sa dévotion et de faire un pèlerinage à son tombeau si elle
m'accordait la grâce demandée.

Aujourd'hui je suis mieux portante qu'avant ma maladie.

E. V.


75.

L. S., 9 février 1910.

Un petit garçon de sept ans, qui paraissait possédé du démon, était
délaissé par tous les médecins, il criait nuit et jour et déchirait tout
son petit corps qui n'était qu'une plaie. Après une neuvaine faite à la
sainte Vierge par l'intercession de Sr Thérèse, l'enfant s'est calmé,
les cris ont cessé et son corps est redevenu sain[272].

L. L.


76.

T., Italie, 11 février 1910.

C'est la reconnaissance qui m'amène à vous, ma Révérende Mère, pour vous
annoncer une nouvelle grâce reçue au milieu d'innombrables autres moins
grandes, mais continuelles, par l'intercession de votre petite sainte.

Une de nos jeunes sœurs de la Maison centrale des Filles de la
Charité de T. avait été frappée d'un érésipèle si violent qu'en quatre
jours elle fut à toute extrémité.

Profitant d'une lueur d'intelligence au milieu de son douloureux délire,
on lui fit recevoir les derniers sacrements.

Nous en étions à ce point quand je me sentis inspiré de recourir à
l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Je fis commencer une
neuvaine aux petites élèves de la malade et, au troisième jour, notre
chère Sœur était hors de danger.

Aidez-nous, ma Révérende Mère, à remercier Sr Thérèse dont la
charitable et suave mission se fait sentir au milieu des épines de notre
chemin.

D., pr., _Directeur de l'Œuvre de_...


77.

Carmel de Gallipoli, Italie, 25 février 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Le Cœur de Jésus a voulu se servir de moi, la plus indigne de cette
communauté, pour faire éclater son infinie miséricorde.

Je vous envoie la relation du miracle accompli en notre faveur. Mais il
y a à Rome un grand document signé non seulement de toutes nos Sœurs,
mais encore de l'Illme Mgr l'Evêque et d'une commission de Révérends.

Dans la nuit du 16 janvier, je me trouvai très souffrante et préoccupée
de graves difficultés[273]. Trois heures venaient de sonner, et,
presque épuisée, je me soulevai un peu sur mon lit comme pour mieux
respirer, puis je m'endormis et, en rêve, il me semble, je me sentis
touchée par une main qui, faisant revenir la couverture sur mon visage,
me couvrait avec tendresse. Je crus qu'une de mes Sœurs était venue
me faire cette charité, et, sans ouvrir les yeux, je lui dis:
«Laissez-moi, car je suis tout en sueur, et le mouvement que vous faites
me donne trop d'air.» Alors une douce voix inconnue me dit: «_Non, c'est
une bonne chose que je fais._» Et continuant de me couvrir: «_Ecoutez...
le bon Dieu se sert des habitants célestes comme des terrestres pour
secourir ses serviteurs. Voilà 500 francs, avec lesquels vous paierez la
dette de votre Communauté._»

Je répondis que la dette de la Communauté n'était que de 300 francs.
Elle reprit: «_Eh bien, le reste sera en plus. Mais comme vous ne pouvez
garder cet argent dans votre cellule, venez avec moi._» Comment me
lever, étant tout en sueur? pensai-je. Alors la céleste vision,
pénétrant dans ma pensée, ajouta souriante: «_La bilocation nous viendra
en aide._»

Et déjà je me trouvai hors de ma cellule, en compagnie d'une jeune
Sœur carmélite dont les habits et le voile laissaient transparaître
une clarté de Paradis qui servit pour nous éclairer dans notre chemin.

Elle me conduisit en bas dans l'appartement du tour, me fit ouvrir une
cassette en bois où il y avait la note de la dette de la Communauté, et
elle y déposa les 500 fr. Je la regardai avec une joyeuse admiration et
je me prosternai pour la remercier en disant: «O ma sainte Mère!...»
Mais elle, m'aidant à me relever et me caressant avec affection, reprit:
«_Non, je ne suis pas notre sainte Mère_, JE SUIS LA SERVANTE DE DIEU,
SŒUR THÉRÈSE DE LISIEUX. _Aujourd'hui, au Ciel et sur la terre, on
fête le Saint Nom de Jésus._» Et moi, émue, troublée, ne sachant que
dire, je m'écriai plus encore avec mon cœur qu'avec mes lèvres: «O ma
Mère...» mais je ne pus continuer. Alors l'angélique Sœur, après
avoir posé sa main sur mon voile comme pour l'ajuster et m'avoir fait
une caresse fraternelle, s'éloigna lentement. «Attendez, lui dis-je,
vous pourriez vous tromper de chemin.» Mais avec un sourire céleste elle
me répondit: «_Non, non_, MA VOIE EST SÛRE, ET JE NE ME SUIS PAS TROMPÉE
EN LA SUIVANT...»

Je m'éveillai et, malgré mon épuisement, je me levai, je descendis au
Chœur, et je fis la sainte Communion.

Les Sœurs me regardaient et, ne me trouvant pas comme à l'habitude,
elles voulaient faire appeler le médecin. Je passai par la sacristie et
les deux sacristines insistèrent beaucoup pour savoir ce que j'avais.
Elles aussi voulaient absolument m'envoyer au lit et faire appeler le
médecin. Pour éviter tout cela, je leur dis que l'impression d'un rêve
m'avait beaucoup émue et je le leur racontai en toute simplicité.

Ces deux religieuses me pressèrent alors d'aller ouvrir la cassette,
mais je répondis qu'il ne fallait pas croire aux rêves. Enfin, sur leurs
instances, je fis ce qu'elles voulaient: j'allai au tour, j'ouvris la
boîte et... _j'y trouvai réellement la somme miraculeuse de cinq cents
francs_!...

Je laisse le reste, ma Révérende Mère, à votre considération.....

Nous toutes, nous nous sentons confuses d'une si immense bonté et nous
appelons de nos vœux le moment de voir sur les autels la petite
sœur Thérèse, notre grande protectrice.

Suor _M. Carmela del Cuore di Gesu_,
r. c. i.
_prieure_.


78.

De la même. Septembre 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Il m'en coûte beaucoup de vous confier ce que ma chère petite Sr
Thérèse a fait pour nous depuis le mois de janvier. Mais je ne peux pas
résister plus longtemps à vos prières ni à ma petite sainte qui veut
m'obliger à manifester les prodiges de Dieu opérés par elle.

A la fin du mois de janvier, malgré les soins avec lesquels notre
sœur dépositaire, la clavière et les deux sœurs du tour tiennent
leurs livres de comptes, nous avons trouvé dans la recette un surplus de
25 lires que nous n'avons pas pu nous expliquer, si ce n'est en pensant
que Sr Thérèse l'avait glissé dans notre caisse. Alors Mgr notre
Evêque voulut que je séparasse l'argent de la communauté d'avec les deux
billets qui nous restaient des dix apportés du Ciel.

A la fin de février, de mars et d'avril, nous avons remarqué la même
chose étrange; seulement la somme variait.

Au mois de mai, j'ai revu ma petite Thérèse; elle m'a d'abord parlé de
choses spirituelles, et elle m'a dit ensuite: «_Pour vous prouver que
c'est bien moi qui vous ai apporté le surplus d'argent constaté à vos
différents règlements de comptes, vous trouverez dans la cassette un
billet de 50 fr._» Puis elle ajouta: «_La parole de Dieu opère ce
qu'elle dit._»--Vous l'avouerai-je, ma bonne Mère, pour ma grande
confusion? Cette fois encore, je n'osais pas aller voir dans la
cassette; mais le bon Dieu, qui voulait que je constate la nouvelle
merveille, permit que l'un des jours suivants, deux sœurs vinssent
par dévotion me demander à revoir les deux billets miraculeux... Et, ma
Mère, que vous dirai-je? Vous devinez notre émotion: au lieu des deux
billets, il y en avait trois!...

Au mois de juin, nous trouvâmes 50 fr. de la manière ordinaire.

Dans la nuit du 15 au 16 juillet, je revis ma sœur bien-aimée, elle
me promit d'apporter bientôt 100 fr. Et puis elle me souhaita ma
fête[274], en me donnant un billet de 5 lires. Mais moi je n'osais pas
l'accepter, et alors elle le déposa au pied de la petite statue du
Sacré-Cœur qui est dans notre cellule; et peu après, l'heure du
réveil étant sonnée, je trouvai en effet le billet où je l'avais vue le
déposer.

Quelques jours après, Mgr notre Evêque, en causant, nous dit qu'il avait
perdu un billet de 100 fr. en faisant les comptes pour son clergé, et
qu'il espérait que Sr Thérèse les apporterait chez nous.

Le 6 août arriva; c'était la veille de la fête de Monseigneur, qui
s'appelle Gaétan. Je vis encore ma bien-aimée Sr Thérèse..... elle
tenait à la main un billet de 100 fr.!!! Elle me dit alors «_que la
puissance de Dieu retire ou donne avec la même facilité dans les choses
temporelles aussi bien que dans les choses spirituelles_.» Ayant trouvé
ce billet de 100 fr. dans la cassette, je me hâtai de l'envoyer à
Monseigneur avec les souhaits de la communauté; mais lui me le renvoya
aussitôt.

Depuis ce temps, elle ne nous a plus apporté d'argent, car notre
détresse ayant été connue par toutes ces merveilles, nous avons reçu
quelques aumônes.

Mais le 5 septembre, la veille de son exhumation, je l'ai revue et,
après m'avoir parlé comme elle le fait toujours du bien spirituel de la
communauté, elle m'a annoncé qu'on retrouverait «_à peine ses
ossements_». Et puis elle m'a fait comprendre quelque chose des prodiges
qu'elle fera dans l'avenir. Soyez sûre, ma chère Mère, que ses ossements
bénis feront des miracles éclatants et seront des armes puissantes
contre le démon.

Presque toutes les fois, elle s'est fait voir vers l'aurore, en quelque
moment de prière particulière. Son visage est très beau, brillant; ses
vêtements luisent d'une lumière comme d'argent transparent, ses paroles
ont une mélodie d'ange. Elle me révèle ses grandes et occultes
souffrances supportées héroïquement sur cette terre... Ma petite Thérèse
a beaucoup, beaucoup souffert!!!

Que dois-je vous dire de plus? Qu'il vous suffise de savoir, ma chère
Mère, que nous sentons autour de nous l'esprit de votre angélique
enfant. Toutes les sœurs affirment, avec franche et tendre
vénération, que, outre les grâces temporelles accordées à la communauté,
chacune a reçu des grâces intimes et très grandes.

Suor _M. Carmela del Cuore Gesu_,
r. c. i.
_prieure_.


79.

S. (Meuse), 1er avril 1910.

Une de nos deux religieuses de la Doctrine chrétienne, Sr A.,
souffrait depuis longtemps d'un mal intérieur (tumeur) qui ne pouvait
guérir sans une opération chirurgicale fort dangereuse. Après bien des
soins inutiles et un repos prolongé, le mal ne cessait d'empirer, au
point que le moment arriva où elle fut envoyée à Nancy pour y subir
l'opération. Elle fut mise en observation pendant huit jours, au bout
desquels devait être tentée l'opération.

Durant ce temps, une neuvaine fut commencée à Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, avec promesse de répandre son culte par une distribution
d'images si l'opération réussissait.

Or, le moment d'opérer étant arrivé, le docteur constata que le mal
avait disparu; il ne restait plus qu'un peu de sensibilité à la place où
avait été la tumeur.

Abbé F. N.


80.

Quimper (Finistère), 18 avril 1910.

Souffrant depuis huit ans d'un épanchement de synovie et d'une arthrite
au genou gauche, et, ne trouvant aucun soulagement dans les remèdes,
j'eus la pensée d'invoquer la «petite Fleur de l'Enfant Jésus» et de lui
faire une neuvaine.

Dix-huit petites filles se préparant à leur première Communion s'unirent
à moi.

Le huitième jour, je ressentis du mieux, et le neuvième (3 avril), la
douleur avait complètement disparu. Depuis je marche très bien, ne
souffre plus du tout et sors tous les jours.

Mlle M. T.

Le Docteur a promis un certificat.


81.

Carmel de N., avril 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je vous envoie la lettre d'une pénitente guérie au cours d'une neuvaine
à Sr Thérèse.


(Lettre à une amie.)

Couvent de la Préservation, N., mars 1910.

Je suis une miraculée de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

J'étais atteinte d'une grippe infectieuse et le docteur désespérait de
me sauver. Il dit un soir en me quittant: «Madame la Supérieure,
commencez une neuvaine pour que nous la tirions de là.» Je souffrais de
vomissements continuels, mes lèvres étaient noires et j'avais déjà le
hoquet de la mort: les infirmières apprêtaient ce qu'il fallait pour
m'ensevelir; et moi, je voyais bien que j'allais mourir.

Quand notre Mère Supérieure revint me voir, elle me dit: «Charlotte, si
vous voulez me promettre d'être fidèle à Dieu, je vais demander votre
guérison.» Je répondis en rassemblant mes forces: «Oh! oui, Madame, je
vous le promets.» Les compagnes qui entouraient mon lit me dirent: «O
Charlotte! c'est une promesse sacrée!» Notre Mère Supérieure me dit
encore: «Me promettez-vous que, si vous guérissez, votre vie sera pour
la gloire de Dieu et pour votre salut?» Je répondis de nouveau: «Oh!
oui, Madame, je vous le promets.»--«Eh bien! reprit-elle, nous allons
faire une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, et demain je vous
apporterai une relique de cette petite sainte.»

A ce moment suprême où je voyais déjà s'entr'ouvrir ma tombe, j'ai tout
oublié, même les petites austérités de la vie des pénitentes, et j'ai
promis de rester toute ma vie dans la maison si je guérissais.

Une demi-heure après, j'étais mieux; je m'endormis, et quand je me
réveillai le lendemain matin, j'étais complètement guérie. Tout le monde
fut stupéfait dans la maison. Ma première parole à notre Mère fut
celle-ci: «Je suis à vous pour toujours.»

Maintenant mes forces sont bien revenues. Ah! c'est un vrai miracle!
Comment en remercierai-je assez le bon Dieu! Il voulait que je lui fasse
le sacrifice de ma liberté, car, lorsque je suis tombée malade, je
voulais absolument retourner dans le monde, où j'aurais sans doute
repris ma vie de péchés.

C'est donc à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus que je dois la vie de l'âme
et celle du corps.

CHARLOTTE X.



(Lettre de la Supérieure.)

Préservation, N., 3 janvier 1911.

Je vous ai déjà écrit, ma Révérende Mère, que nous avions remarqué une
frappante coïncidence entre la rechute de Charlotte et une infidélité à
sa promesse: elle avait voulu en effet nous quitter. Le miracle que fit
Sr Thérèse en lui redonnant pour si peu de temps la santé était
destiné, je crois, à l'amener à faire une confession générale. La pauvre
enfant a racheté son moment de faiblesse, car sa famille étant venue la
voir et voulant l'emmener pour mourir à Q., elle se montra vraiment
généreuse et refusa.

Jusqu'au dernier moment elle n'a cessé d'invoquer la petite sainte. Une
fois, elle assura l'avoir vue à ses côtés. Voici ce que m'en a raconté
son infirmière:

«C'était pendant la nuit; Charlotte m'appela pour lui ramasser un objet
qu'elle avait fait tomber. Je me levai. Charlotte avait les yeux fixés
sur quelque chose. J'en fus frappée et lui dis: «Vous voyez donc le
ciel?» Elle me répondit: «Je vois la petite Sr Thérèse.» Alors j'eus
peur et, pour cacher mon trouble, je feignis de me moquer d'elle:
«Allons donc, nous voilà bien si vous avez des visions!» Mais Charlotte,
les yeux toujours fixes, redit: «J'ai vu la petite Sr Thérèse!» Et
comme je cherchais la relique qui avait disparu du chevet de son lit:
«Elle est là, me dit-elle en la serrant fortement dans sa main.»

Pour moi, je me souviens de la consolation qu'elle me confia avoir
éprouvée de cette visite de votre ange: «Je l'ai vue comme je vous
vois», m'a-t-elle dit.

Pendant son agonie, elle avait toute sa connaissance et n'a cessé de
prier durant les trois dernières heures. Ses compagnes pleuraient et
disaient: «Quelle belle mort!»

C'était le 26 septembre.


82.

Carmel de X. (Espagne), mai 1910.

Je viens vous faire part de la guérison d'une de mes filles, guérison
due à votre petite sainte. Voici le fait:

«La miraculée est une créole de près de 70 ans, d'une nature craintive
et peu crédule de tempérament, croyant difficilement aux faits
surnaturels, comme visions, guérisons, etc. Elle était atteinte depuis
des années d'un affreux rhumatisme au bras droit, qui lui rendait tout
travail pénible et la faisait souffrir au point qu'elle ne pouvait
rester couchée, la chaleur du lit excitant le mal. Elle fit neuvaines
sur neuvaines à l'Ange de Lisieux, et chaque fois qu'elle fit une
neuvaine, elle fut favorisée la nuit d'une lumière argentée et
merveilleuse qui éclairait sa cellule. Cette sœur, très peureuse,
avoue ingénuement qu'elle fermait les yeux pour ne pas voir cette
lumière qui ne ressemblait en rien à celles de la terre. Avant et après
l'apparition de la lumière argentée, la cellule était plongée dans la
plus profonde obscurité.

A la dernière neuvaine, la guérison survint si complète que, depuis un
an passé, sans faire les remèdes prescrits (remèdes qu'on disait
indispensables), la sœur n'a pas senti la moindre petite atteinte de
ses anciennes douleurs, malgré l'hiver humide et pluvieux que nous
venons de traverser.»

Sr X., _Prieure_.


83.

Un artiste-peintre, ami du Carmel de L. (France), mai 1910.

J'ai l'honneur de porter à votre connaissance le fait suivant:

«Ayant travaillé toute la journée au portrait de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, je rentrais le soir dans mon atelier quand, portant les
yeux à la place de mon chevalet, je vis Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
dans un nuage lumineux. Je fus saisi!... Lorsque je revins de ma
surprise, tout avait disparu.»

_La Mère Prieure du Carmel de L. ajoute ceci_:

Notre Fra Angelico a senti les parfums pendant l'exécution du portrait.

«De quelle nature étaient-ils? demandai-je.

--C'était comme des parfums d'autel!...»


84.

Carmel d'Oloron (Basses-Pyrénées), 4 mai 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je veux vous raconter un fait qui vous montrera une fois de plus la
bienfaisante intervention de votre petite sainte.

C'était en automne dernier. J'étais en souffrance, et toute la maison
avec moi, du manque d'eau pour nos lessives et l'arrosage du jardin. Ce
n'est pas que l'eau fasse défaut dans notre grand enclos, mais les
sources se sont détournées peu à peu. Comme il s'agit d'une forte
réparation, on ajourne sans cesse, à cause de l'incertitude de l'avenir.
Il en résulte que le besoin est pressant. Diverses fois, nous avions
confié à l'angélique Thérèse nos inquiétudes, mais à elle seulement. Et
quelle n'est pas notre surprise quand, en octobre dernier, une dame
vient nous apporter 100 fr. à cette intention. Elle avait compris, je ne
pus savoir par quelle voie, notre besoin d'eau. Je lui promis que nous
emploierions son aumône aux premiers frais de la recherche des sources,
je veux dire à l'examen du terrain. Notre but était de profiter d'un
prêtre du Midi qui a reçu de Dieu un talent rare pour cela. Aussitôt je
me procurai son adresse, qu'on ne me donna pas comme certaine, et je lui
écrivis. J'eus soin de mettre dans la lettre une image de Sr Thérèse,
en disant à la petite faiseuse de miracles, avec beaucoup de foi:
«Sœur Thérèse, allez droit au but!» Elle y fut en effet, mais M.
l'abbé X. se trouva juste parti pour l'Autriche où mon courrier alla le
rejoindre, dans un monastère où il procédait aussi à une canalisation.
Il y séjourna trois semaines. Le temps nous parut long, car il ne donna
pas signe de vie.

De retour en France, ce bon prêtre se posa la question--lui-même me l'a
dit--: «Devrai-je, oui ou non, aller au Carmel? Que me voulait-on? sans
doute peu de chose, et on y aura pourvu, après un long mois.»

Dans la nuit,--il assure qu'il ne dormait pas--une religieuse se montre
dans sa chambre, majestueuse dans un rayon de lumière, et lui dit:
«_Monsieur l'Abbé, vous oubliez les Carmélites d'Oloron qui ont besoin
de vous! Allez au Carmel d'Oloron, on vous attend._»--Le prêtre
reconnaît aussitôt la Carmélite qui avait accompagné ma lettre, je veux
dire l'image de Sr Thérèse. Et vous le comprenez, ma Révérende Mère,
il n'hésita plus, et nous arriva aussitôt. Son travail fut merveilleux,
car il trouva le nœud de toutes les sources de notre enclos qui,
ayant dévié de leur vrai sens, nous causent des préjudices
extraordinaires par l'humidité à la chapelle, au chœur et dans
presque toute la maison.


85.

_Conversion d'un soldat d'infanterie coloniale._

M. Alfred-Marie L. vint au Carmel de Saïgon la première lois pour
demander un scapulaire. En lui remettant le scapulaire demandé, je
sentais qu'il voulait dire autre chose, et, pour le mettre à l'aise, je
lui posai plusieurs questions. Il me dit qu'il désirait beaucoup se
faire Carme après l'année de service militaire qui lui restait à faire.
Puis il me raconta son histoire. Il avait perdu sa mère peu après sa
première Communion: elle était pieuse et il faisait sa désolation, car
il était diable et ne voulait pas travailler au collège. Il eut beaucoup
de peine de la mort de sa mère. Son père ne pratiquait pas. N'ayant pas
voulu travailler pour ses examens, il s'engagea comme simple soldat et
vint à Saïgon où il se livrait plus librement à toutes ses passions. Les
premières années de service achevées, il s'engagea de nouveau pour deux
ans au grand mécontentement de son père. Enfin il tomba malade et dut
aller à l'hôpital. C'est là que le bon Dieu l'attendait.

Pendant sa convalescence, on lui prêta la _Vie de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus_. Le portrait du commencement le frappa d'abord; l'air si
pur de Thérèse lui disait quelque chose; à mesure qu'il lisait, il se
mit à aimer la petite sainte et le dégoût lui venait de sa vie mauvaise.
Rentré à la caserne, il n'était plus le même déjà; le souvenir de
Thérèse le poursuivait, puis il comparait les sœurs qui l'avaient
soigné avec tant de douceur et d'abnégation aux personnes vicieuses
qu'il avait l'habitude de fréquenter, et il résolut d'en finir avec sa
vie honteuse et coupable.

Voulant retrouver Sr Thérèse, les Sœurs et l'aumônier, il fit
croire qu'il était malade, et on le renvoya à l'hôpital. C'est alors
qu'il revint pour tout de bon à Dieu, et ce fut peu de temps après sa
seconde sortie de l'hôpital qu'il nous demanda le scapulaire. Il fit,
depuis, plusieurs visites au Carmel, et je ne puis dire combien j'étais
émerveillée de voir une âme, tombée au point où en était la sienne,
s'élever si rapidement et si haut dans l'intelligence des choses de
Dieu. Il venait à la messe dans notre chapelle, où il communiait tous
les dimanches, à moins d'impossibilité, et souvent il emmenait ses
camarades auprès desquels il commençait un véritable apostolat, les
entraînant avec lui dans le bien comme autrefois il les avait entraînés
dans le mal. «Comme je suis grand et fort, me racontait-il, ils me
craignaient tous, ils avaient peur de mes poings; ceux qui me fâchaient,
je les roulais par terre.»

Quand il se convertit on n'osa rien lui dire d'abord, mais ensuite en le
voyant doux et tout changé, quelques-uns de la chambrée commencèrent à
le taquiner. Il me dit un jour avec beaucoup de confusion que, s'étant
senti bouillonner devant les grossièretés d'un de ses camarades, il
avait eu la tentation de lui jeter son balai à la tête et de le
«rouler», mais qu'il s'était souvenu de Nôtre-Seigneur essuyant les
affronts des soldats et qu'alors il n'avait plus éprouvé que de la joie.
Que de traits de ce genre j'ai oubliés!

Au commencement du mois de mai 1900, il voulut s'imposer un sacrifice en
l'honneur de la sainte Vierge: il trouva que de ne plus fumer serait ce
qui lui coûterait le plus, et il s'en abstint pour le reste de sa vie.
Je lui demandais un jour s'il pensait souvent au bon Dieu à la caserne.
Il parut un peu étonné de ma question et me répondit: «Mais j'y pense
tout le temps! comment pourrais-je ne pas penser à Lui?»

Vers la fin du mois de juin, son régiment reçut l'ordre de se tenir prêt
à partir pour la guerre de Chine qui commençait. Le départ devait avoir
lieu le samedi matin. Le jeudi il vint me voir, disant qu'il désirait
bien communier encore une fois avant de partir, mais qu'il craignait de
ne pouvoir sortir vendredi matin. Il me demanda de prier notre Père
Aumônier de lui donner la sainte Communion quand il pourrait venir. Il
fut convenu ainsi. Le lendemain, _à 7 heures du soir_, il arrivait à
jeun: il n'avait pu s'échapper plus tôt de la caserne. Il se confessa et
reçut la sainte Communion avec une ferveur touchante. Je lui remis une
petite mèche des cheveux de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. «Demandez
que je meure là-bas si je ne dois pas être Carme à mon retour», dit-il
en me quittant. Il a été exaucé, car, peu avant d'arriver à Tientsin, il
est mort d'une insolation à bord, assisté de M. l'Aumônier. Frappé le
soir sur le pont, il eut la fièvre toute la nuit. Dans son délire, il
parlait du Carmel et d'une lettre à nous remettre. Son âme s'envola avec
celle de Sr Thérèse qui l'avait tant protégé.

On peut voir par ses lettres combien il l'aimait. Je vous en envoie
quelques passages.

Sr X., _prieure_, 31 mai 1910.

       *       *       *       *       *

     _Lettres de M. Alfred-Marie L., soldat d'infanterie coloniale
     (converti par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus), adressées à la
     Rde Mère X., Prieure du Carmel de Saïgon_:

6 mai 1900.--Samedi matin nous faisions la pose durant une manœuvre,
et, comme il était 6 h. 10, ma pensée était dans la chapelle du Carmel,
car c'était l'heure de la messe et je désirais ardemment recevoir mon
Dieu. J'étais un peu triste en pensant à la longue année qu'il me faut
encore passer dans la dissipation forcée, quand, levant machinalement la
tête, j'aperçus la grande croix du cimetière d'Han-Hoï et, sans
recherche aucune de ma part, cette pensée me vint que je ne devais pas
envier le bonheur que vous avez de communier tous les jours, car moi
aussi je le puis à chaque instant, sinon en recevant le Corps adorable
de notre Sauveur, du moins en embrassant avec amour les croix qu'il sème
sous mes pas et en coopérant en quelque sorte avec lui à l'œuvre de
la Rédemption.

Si Dieu veut bien commencer à me faire comprendre qu'il accepte la
donation que je lui ai faite de moi-même, il a exaucé, je crois, ma
prière et n'a pas voulu permettre que je l'offense volontairement depuis
ma conversion. Grâces lui soient rendues! J'éprouve le besoin de
m'entretenir de nouveau avec Sr Thérèse et de lui demander de
m'enseigner par son exemple la simplicité et l'humilité. Je voudrais la
revoir au pied de la croix, dans le jardin du monastère. C'est là
qu'elle m'a dit d'aimer... J'espère que vous pourrez me prêter ce livre,
ma sœur; c'est elle qui me donnera la confiance qui me manque.

19 juin 1900.--Tout à l'heure je feuilletais, au hasard, la _Vie de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus_ et je me laissais aller à la tristesse
en comparant sa jeunesse avec la mienne. Quand, brusquement, un passage
fixa mon attention; c'est celui où elle raconte qu'il lui fut révélé
intérieurement que sa gloire consisterait à devenir une grande sainte:
«Ce désir pourrait sembler téméraire si l'on considère combien j'étais
imparfaite et le suis encore après tant d'années passées en religion;
cependant je me sens toujours la même confiance audacieuse de devenir
une grande sainte. Je ne compte pas sur mes mérites, n'en ayant aucun,
mais j'espère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté même...» Cela m'a
suffi et, j'ose à peine le dire tellement c'est insensé, humainement
parlant, si je considère ma vie passée, cependant je sens en moi, non
pas le même désir, mais _la même conviction_. Avoir cette pensée, il y a
quelques heures, m'eût semblé une insulte à Dieu. Mais n'est-il pas le
Tout-Puissant et ne peut-il pas, en une minute, faire du plus grand
pécheur un saint? Bien que je ne le mérite nullement, ma sœur,
conjurez Marie Immaculée de me livrer totalement à l'amour du Cœur de
Jésus, mais comme l'entendait Sr Thérèse, pour souffrir et expier
pour les autres et obtenir la grâce d'une conversion sincère aux
pécheurs, pour consoler ce Cœur adorable et le faire aimer. Vendredi
prochain, en union avec ma sœur du Ciel, je réciterai son acte
d'offrande à l'Amour miséricordieux.

24 juin 1900.--C'est à 6 heures ce matin que nous quitterons la caserne
pour embarquer le «Vaucan»; je ne sais ce qui arrivera, mais je pars
bien en paix et bien résolu à tout. Que Dieu est bon pour moi! Il va
au-devant de tous mes désirs! J'avais l'intention d'écrire au Carmel de
Lisieux pour solliciter un morceau du vêtement de Sr Thérèse. Je ne
vous avais pas fait part de ce désir, et voilà que vous me donnez une
mèche de ses cheveux!

Je ne puis vous dire ma reconnaissance. Demandez pour moi à notre petite
sœur la grâce de mourir sur le champ de bataille plutôt que d'être
infidèle. Et si je ne dois jamais revoir Saïgon, au revoir au Carmel
des Cieux! Je vais préparer une lettre à votre adresse que je porterai
sur moi; j'en ai averti le camarade qui marchera à mes côtés, il se
charge de vous la faire parvenir en cas de malheur. Cette lettre
contiendra la précieuse mèche de cheveux que, pour rien au monde, je ne
voudrais perdre, ni laisser tomber aux mains des Chinois.

A.-M. L.,
Corps expéditionnaire de Chine.


86.

Couvent de N.-D. de la Compassion, M. (France),

20 mai 1910.

J'avais reçu une éducation chrétienne chez les religieuses de la
Compassion à X., près M.--Mais, rentrée dans le monde, j'eus vite oublié
tout et j'abandonnai bientôt les saintes pratiques de notre religion. Je
revins, quelques années après, pensionnaire au même couvent, et je puis
dire, à ma confusion, que les sentiments chrétiens s'étaient
complètement éteints en moi.

Cependant, on me prêta la Vie de la «petite fleur de Jésus».
Machinalement,--car je n'avais aucun attrait pour tout ce qui était
religieux--je lus ce livre; je l'avais fini le même jour. Mes
sentiments, durant cette lecture, ne changèrent pas; mais pourtant je me
sentis attirée vers cette âme si pure et si sainte; le soir, lorsque
j'eus fini, un quelque chose d'indéfinissable s'emparait de mon âme; la
petite sainte commençait son œuvre.

Le lendemain, 15 juillet 1909, mon esprit était encore plus fortement
préoccupé par le même objet; en même temps, le regret de mes fautes
passées entrait dans mon cœur et l'appel divin se faisait entendre.
Alors il s'engagea en moi une lutte acharnée entre la nature et la
grâce. Le monde m'appelait en me montrant tous ses charmes, et Jésus
m'invitait à le suivre en me faisant voir sa croix et son amour. Je ne
pourrai jamais exprimer ce qui se passa dans mon âme en cette
inoubliable journée!...

Enfin, vaincue par la grâce, j'allai confier mon bonheur à une
religieuse qui tient auprès de moi la place de ma mère. Je lui racontai
le miracle que Sr Thérèse venait d'opérer, je lui dis le désir que
j'avais de me donner entièrement à Nôtre-Seigneur. Puis j'allai trouver
mon confesseur à qui je fis une confession générale de ma vie
passée..... C'était bien fini, la «petite Reine» venait d'effeuiller sa
rose sur mon âme, et désormais j'appartenais à Jésus!.....

Et aujourd'hui, ma Révérende Mère, que j'ai revêtu le saint Habit,
j'attends de notre grande sainte de voir se lever pour moi l'aurore du
beau jour de ma profession. Quelle reconnaissance et quel amour j'ai
pour elle! Ah! remerciez-la avec moi pour le miracle opéré en ma
faveur!...


87.

Couvent du Sacré-Cœur, W. (Angleterre). 24 juin 1910.

Au mois d'août dernier, j'ai dû subir une sérieuse opération qui avait
très bien réussi; mais, quelques mois plus tard, un autre mal ayant fait
son apparition, une nouvelle opération fort critique devint urgente; je
(?)us administrée, il semblait ne plus y avoir d'espoir. Cependant, pour
des raisons à Lui seul connues, Nôtre-Seigneur ne m'appela pas encore;
mais ma santé restait des plus précaires.

Au mois d'avril, j'eus une terrible crise de foie, et cette partie de
l'organisme restait sérieusement atteinte.

Quand je reçus la Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je me sentis
alors vivement pressée de lui faire une neuvaine. Avec la permission de
ma Supérieure, je vous priai d'avoir la bonté de m'envoyer une relique
de votre chère petite sainte et, dimanche dernier, je commençai la
neuvaine.

La journée, depuis mon lever, fut très mauvaise; j'éprouvais de telles
douleurs, que je me demandais si je pourrais me tenir sur les jambes
jusqu'à la fin du jour. Quand, au moment de la Bénédiction du Saint
Sacrement, toutes douleurs disparurent, et depuis je ne m'en ressens
plus. Je vais très bien, et les forces reviennent à vue d'œil.

Que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'aide à faire un bon usage de cette
santé que je lui dois, après Dieu!

Sr X.


88.

L. (Calvados), 20 juin 1910.

Je ne puis passer sous silence le miracle que notre chère Sr Thérèse
de l'Enfant-Jésus vient de faire.

Notre lessiveuse, Mme G..., avait des plaies variqueuses depuis des
années; sa jambe faisait peur, tant les plaies étaient profondes. Elle
fut examinée par plusieurs médecins. Quand l'un d'eux, qui avait déjà
guéri des malades atteints de cette infirmité, examina sa jambe, il fut
surpris de voir de pareilles plaies; il lui ordonna un grand repos et
d'aller deux fois la semaine se faire panser au dispensaire, ce qu'elle
fit; et après des mois, sa jambe était toujours très mal. Il lui eût
fallu le repos complet au lit, mais cela était impossible à cette pauvre
femme qui vit uniquement de son travail. Elle souffrait donc atrocement,
surtout la nuit. Emue de pitié, je lui conseillai une neuvaine à notre
chère petite sainte et lui donnai aussi une relique pour la poser sur sa
jambe. A la fin de la seconde neuvaine, toutes les plaies étaient
fermées.

Sr X.,
_religieuse garde-malade_.

Suit le certificat du docteur.


89.

S. (Alsace), juin 1910.

Les personnes les plus réfractaires à la piété--personnes du monde et
jetées dans le tourbillon des œuvres matérielles--se sont trouvées
conquises d'emblée à la vie d'union au Sacré-Cœur, à la communion, au
pur esprit de l'Evangile par quelques mots à peine sur la chère petite
sainte, par quelques pages, que dis-je? _quelques lignes_ de ses écrits
pétris d'amour de Dieu et d'onction du Saint-Esprit. Elles suivent,
depuis, allègrement la voie des _aigles_ et étonnent leur entourage... A
leur tour, elles sont apôtres et des intimes de leur amie du ciel.

Un autre groupe d'âmes, maintenant parues devant Dieu, a consolé mon
ministère--grâce à l'œuvre et à la _voie_ de Sr Thérèse--: les
agonisants! Oh! que de transformations intimes obtenues par elle à ces
minutes dernières où le soleil couchant de la grâce se hâte de mûrir ses
élus pour la récolte, dans la gloire! Ici, les traits sont innombrables
et ravissants...

Rd P. H.


90.

Couvent de X. (Espagne), 3 juillet 1910.


_Guérison de Sœur M._

Il y avait huit ans que notre chère Sr M***, Converse de ce
Couvent, souffrait d'une maladie d'estomac. Plusieurs médecins, à
diverses reprises, dirent que ce pouvait être un cancer ou un ulcère;
mais ils ne l'affirmèrent pas, la maladie n'étant pas arrivée à son
dernier degré, où les vomissements de sang ne laissent plus de doute.

Pendant ce long espace de temps, la malade eut des intervalles de mieux,
elle pouvait alors travailler et suivre en partie la communauté, non
pour la nourriture, car elle était à un régime spécial. Les crises
violentes arrivaient ensuite; alors elle ne pouvait prendre que du lait
et en petite quantité, la morphine seule la calmait dans ce cas. Ces
derniers six mois, les crises se succédèrent très rapprochées; la
malade, d'une maigreur extrême, était très faible. On comprenait que le
mal progressait, et à grands pas; déjà la morphine ne lui produisait
plus l'effet ordinaire. Notre chère sœur souffrait avec une patience
angélique, elle était contente de souffrir pour expier ses péchés, faire
son purgatoire ici-bas et convertir les pécheurs, à l'exemple de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, à laquelle elle était très dévote, ayant déjà
reçu d'elle, il y a quelques mois, une grande grâce qu'elle estimait
davantage que sa guérison. Les choses en étaient là, lorsqu'une des
Mères françaises exilées, qui venait de lire la dernière édition de la
grande Vie de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et les nouveaux miracles
qu'elle raconte, parla à la malade de ces guérisons, surtout de celles
de quatre ulcères à l'estomac, et l'engagea à faire une neuvaine. La
sœur s'y refusa absolument: «Non, dit-elle, car je sais que je
guérirais, et je veux souffrir pour aller au ciel, ou plutôt je ne veux
pas demander la santé, parce que je ne veux que la volonté de Dieu.»
Mais le soir, la Révérende Mère Supérieure visitant la malade, celle-ci
lui raconta l'offre de la Mère française: «Oui, dit la Supérieure, vous
devez faire la neuvaine et demander la santé, car vous savez que la
communauté a besoin de sujets.»

En vraie fille d'obéissance, la sœur, voyant là l'ordre du ciel,
commença dès le lendemain, dimanche 12 juin, une neuvaine très fervente
ayant la conviction intime qu'elle allait guérir. Elle plaça sur son
estomac une relique de «Térésita», rendit tous les médicaments à
l'infirmière, disant: «A présent, j'attends Térésita, c'est elle qui
doit me guérir.»

Les premiers jours de la neuvaine furent pénibles, surtout de nuit où la
malade ne pouvait trouver aucun repos (depuis longtemps d'ailleurs). De
jour, elle travaillait tant qu'elle pouvait à son emploi de cordonnière,
trop même, et comme une des sœurs qui faisait la neuvaine avec elle
l'en reprenait, disant qu'elle gâterait l'œuvre de Sr Thérèse:
«Laissez-moi, répondit la vaillante sœur, quand Térésita verra que je
n'en puis plus, elle viendra, je l'attends, je l'attends!»

Sa grande foi fut récompensée. Le soir du 18, elle se coucha comme à
l'ordinaire, ne pouvant trouver de position reposante dans son lit. Un
peu avant minuit, elle s'assoupit; alors il lui sembla qu'elle sentait
près d'elle une personne qui voulait la guérir. Comprenant que c'était
Térésita, la malade lui dit: «Non, non, je ne veux pas guérir, si ce
n'est pour la plus grande gloire de Dieu.» Mais Sr Thérèse, sans
faire cas de ces paroles, ou plutôt accomplissant la volonté divine,
soulevait les couvertures et passait doucement sa main sur l'estomac de
la sœur. «Alors, dit celle-ci, je sentis comme une rosée céleste qui
tombait goutte à goutte dans tout mon intérieur et le rafraîchissait
d'une manière qui ne se peut dire. Le bien-être surnaturel que
j'éprouvais m'éveilla et je me dis à moi-même: «Mon Dieu! serait-ce
vrai? suis-je guérie?...»

Elle se leva, fit plusieurs mouvements qu'avant cette guérison
miraculeuse elle ne pouvait absolument se permettre sans beaucoup
souffrir; plus rien... aucune douleur! elle se sentait bien, très bien.

Au même instant, minuit sonna: «Oui, pensa la malade, c'est vrai,
Thérèse de l'Enfant-Jésus est descendue à l'heure de la naissance de
l'Enfant-Dieu», et, profondément émue, elle pleura. Puis, elle récita le
_Te Deum_ et la prière à la sainte Trinité, si en honneur en Espagne, et
passa le reste de la nuit en actions de grâces. A 4 heures, elle se leva
comme la communauté et courut chez la Mère Supérieure: «Ma Mère, je suis
guérie; Térésita est venue!» La prudente Prieure demanda à la miraculée
une épreuve de quinze jours avant de rien publier de ce fait
merveilleux.

Pendant cette quinzaine, Sr Marie a repris toute la vie commune:
lever, nourriture, travail. Elle a mangé exprès les choses les plus
indigestes et dont elle était privée depuis des années, elle a bu du
vin... et tout a été trouvé excellent, rien ne lui a fait mal. Les
premiers jours il lui restait une grande faiblesse, dans les jambes
surtout, mais peu à peu les forces sont revenues avec l'alimentation.
Aujourd'hui, sa santé est excellente et elle semble rajeunie. Son
visage, très souvent enflammé autrefois par l'ardeur intérieure qui lui
dévorait l'estomac, a repris une teinte naturelle. Enfin, tout prouve
que Thérèse est «descendue» et que, voyant du bien à faire sur ce petit
coin de terre, elle a laissé tomber du ciel un pétale de rose ou plutôt
une rosée bienfaisante qui a rendu la santé à sa privilégiée.

Nous l'appelons ainsi, puisque voilà deux fois qu'elle reçoit de Sr
Thérèse des preuves de son affection.

Sr X.


91.

Couvent de la Providence, X., 14 juillet 1910.

Ma sœur et son mari étaient un sujet de mauvais exemple pour leur
nombreuse famille de sept enfants. Aucun moyen n'avait été épargné pour
les rappeler à leurs devoirs. Ne sachant plus à quel saint me
recommander, j'abandonnai à la bonne Providence le soin d'intérêts si
chers et si sacrés.

Cependant, sur les instances réitérées d'une de nos sœurs, je me
décidai, quoique avec un peu d'hésitation, à prier Sr Thérèse, et je
demandai à la chère petite sainte qu'elle me fit savoir par un signe
manifeste, le 2 janvier, qu'elle s'occupait de ma requête. Ce jour même,
au matin, sans que rien pût le faire pressentir, sans que j'aie fait
aucune démarche nouvelle, ma sœur et mon beau-frère venaient me
témoigner leurs regrets et me faire des promesses pour l'avenir.

Toute saisie de ce résultat inespéré, je le fus bien davantage au récit
qu'ils me firent. Ne pensant nullement la veille à faire ce voyage, ils
s'étaient sentis comme poussés par une force surnaturelle et s'étaient
décidés, presque malgré eux, à venir vers moi.

Vous pensez, ma Révérende Mère, que non seulement j'étais ébranlée, mais
convaincue de la puissance de Sr Thérèse au ciel!

Après avoir fait connaître la petite sainte à ces pauvres égarés et
glissé son image dans leur foyer, je lui demandai instamment d'achever
son œuvre en ramenant aux pratiques de la vie chrétienne cette
famille d'infidèles baptisés. Elle n'a pas fait les choses à demi. J'ai
eu dernièrement le bonheur de voir mon beau-frère et ma sœur
s'approcher du tribunal sacré et de la Table sainte avec une foi et une
simplicité vraiment édifiantes.

Sr B.


92.

Trouville-sur-Mer (Calvados), 16 juillet 1910.

Je soussignée, Mme M., demeurant à Trouville-sur-Mer, certifie
l'exactitude absolue des faits ci-dessous relatés et en autorise la
publication pour la plus grande gloire de Dieu et de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus.

Ma fille aînée, Thérèse, née le 6 octobre 1898, se trouva prise, 14
jours avant la première Communion de l'année dernière, fixée au 6 juin,
d'une entérite aiguë telle qu'elle ne pouvait plus rien prendre que de
l'eau bouillie. Un remède donné imprudemment à dose trop forte l'avait
affaiblie à ce point que, trois jours avant la première Communion, le
jeudi dans l'après-midi, quand elle voulut se lever pour essayer ses
habits de première communiante, elle s'évanouit et dut aussitôt se
remettre au lit. Le docteur, qui la voyait tous les jours, déclara
qu'il était impossible de songer à ce qu'elle prît part à la cérémonie
du dimanche.

Le lendemain vendredi, découragée, j'allai assister à la Messe. Je
rencontrai M. l'abbé L., il me parla de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
et m'engagea à l'invoquer pour la guérison de ma fille. Je le fis
aussitôt, et quels ne furent pas mon étonnement et ma joie en rentrant
quand je constatai une amélioration subite et considérable! Le docteur,
revenu dans la matinée, m'autorisa à lever l'enfant une heure, et, si le
mieux continuait le lendemain samedi, à la faire confesser dans son lit,
et à la faire assister à la Messe de communion le dimanche matin, à
condition qu'elle se recoucherait aussitôt et se reposerait toute la
journée.

Le lendemain, le mieux s'était confirmé et même augmenté. Thérèse alla
se confesser à l'église et prit part à tous les exercices de retraite de
l'après-midi. Le dimanche, levée dès 5 heures du matin, elle assista,
non seulement à la Messe de communion, mais encore à la grand'Messe, aux
Vêpres et à la procession extérieure, sans aucune fatigue. Le lendemain,
elle assista à la Messe d'actions de grâces, et le surlendemain, au
pèlerinage de Notre-Dame de Grâce, à Honfleur.

Depuis, elle n'a jamais été malade, si bien que je suis heureuse de
pouvoir la compter au nombre de ceux qui ont manifestement éprouvé la
bienfaisante protection de la petite Sr Thérèse dont elle porte le
nom.

En foi de quoi j'ai signé la présente attestation.

Mme M.


93.

X. (Loire-Inférieure), 20 juillet 1910.

Le 2 janvier, une de nos élèves, âgée de onze ans, enfant de complexion
délicate, est prise de la fièvre; on la soigne pour un point de côté.

Quinze jours plus tard, la fillette se lève et constate que les jambes
lui font mal, qu'elle a beaucoup de peine à marcher. Le médecin attribue
ses souffrances à la faiblesse, ordonne des fortifiants et fait
frictionner les jambes; mais notre petite malade ne peut souffrir qu'on
y touche sans pousser des cris, tant les douleurs sont vives et le mal
fait des progrès.

Un second médecin consulté déclare de la métrifrictrique et veut forcer
l'enfant à marcher; celle-ci ne peut plus faire un pas seule et sans
grandes douleurs, les frictions deviennent intolérables.

Désolés de voir tant souffrir leur fillette sans qu'aucun remède puisse
enrayer le mal, les parents font appel à un autre médecin, qui la soigne
pour de la coxalgie. Après un mois de nouveaux traitements, la maladie,
loin de céder, s'accentue toujours. Ce ne sont plus les jambes seules
qui, en lui refusant service, la font souffrir; les reins sont aussi
attaqués, les os se disjoignent, une bosse se forme. Le médecin veut
mettre sa malade dans une gouttière, mais il fait d'abord consulter un
spécialiste qui croit que l'enfant est atteinte de paralysie de la
moelle épinière. «Essayons l'électricité, dit le praticien, peut-être
obtiendrons-nous un peu d'amélioration, peut-être marchera-t-elle dans
un an.»

Notre petite élève s'attristait beaucoup, car l'époque de la première
Communion approchait et elle comprenait qu'elle serait hors d'état de la
faire avec ses compagnes.

Voyant que la science humaine était impuissante, nous eûmes la pensée de
lui faire connaître Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus dont nous lisions la
Vie, et nous l'engageâmes à lui demander sa guérison.

Cette pensée mit la joie dans son âme, elle s'écria: «La petite Fleur de
Jésus me guérira! je marcherai pour ma première Communion!» Depuis ce
jour, elle l'invoquait sans cesse. Ses parents s'unissaient à elle matin
et soir, nos enfants priaient aussi avec confiance; mais la «petite
Fleur» semblait sourde à nos supplications. Trois semaines avant la
première Communion, l'enfant allait plus mal. Tout espoir de guérison
était perdu. Suivant l'avis du dernier docteur, elle avait été
électrisée deux fois sans succès; n'avait-il pas dit: «Peut-être
marchera-t-elle dans un an!»

Or, dans la nuit du mercredi au jeudi de Pâques (il y avait toujours de
la lumière dans la chambre, l'enfant étant devenue très peureuse et
dormant très peu), en ouvrant les yeux elle vit, selon son expression,
«une jolie petite figure» qui lui souriait. Elle fut légèrement effrayée
et fit un signe de croix. L'apparition sourit davantage, sembla se
rapprocher d'elle et lui dit: «_Tu marcheras dans peu de temps.....
aujourd'hui même_!» Puis elle resta quelques instants, toujours
souriante, à contempler sa petite protégée, tout à fait rassurée, et
disparut.....

Le matin, l'heureuse voyante dit à ses parents: «Je vais marcher
aujourd'hui; j'ai vu cette nuit ma «petite Fleur» qui me l'a dit.» Elle
n'avait jamais vu de photographie de Sr Thérèse, mais son cœur lui
disait que cette angélique vision ne pouvait être que la petite sainte
qu'elle invoquait avec tant de confiance.

Vers 3 heures de l'après-midi, une voix suave et douce, qu'elle
reconnaît bien, se fait entendre à son oreille: «_Marche!_» dit-elle. La
malade se lève aussitôt et elle court se jeter dans les bras de sa mère,
qui ne peut croire à tant de bonheur...

Il y avait trois mois que l'enfant ne marchait plus.

Quelques jours plus tard, l'heureuse privilégiée vint nous voir et nous
lui mîmes dans les mains l'_Histoire d'une âme_. Lorsqu'elle fut en face
de la première gravure, l'enfant s'écria: «C'est bien elle que j'ai vue,
je la reconnais!» puis elle ajouta: «Elle était en religieuse, cependant
je n'avais pas remarqué le voile, sa figure seule s'est gravée dans mon
âme.»

Sa physionomie en porte l'empreinte... La petite sainte lui a inspiré
des pensées sérieuses pendant sa maladie; elle nous l'a rendue, je
pourrais dire _convertie_!

A partir du jeudi de Pâques, 31 mars, notre petite élève marcha très
bien. Elle a eu le grand bonheur, grâce à Sr Thérèse, de faire sa
première Communion et d'être confirmée avec ses compagnes.

Mlle X., _directrice de l'école libre_.


94.

Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), 23 juillet 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Je vous adresse enfin sous ce pli la relation de la guérison vraiment
merveilleuse de ma vue. J'ai laissé au temps le loisir d'imprimer à
cette guérison le cachet de la réalité et de la persévérance. Si,
immédiatement après la première amélioration et même à la suite des
progrès plus étonnants encore de ma vue, j'avais publié ce merveilleux
bienfait, on se serait avec raison demandé ce que, tout d'abord, je me
suis demandé moi-même: «N'est-ce pas une de ces facilités de voir,
momentanées et purement accidentelles, qui, parfois, se produisent chez
des vieillards de mon âge (je suis dans ma 76e année), lueurs
passagères qui ne prouvent rien?»

Voici le fait, en toute simplicité et vérité:

Au printemps 1900, M. le Dr X., de C., que je consultais au sujet
d'une anémie, me regardant incidemment dans les yeux, me dit:
«Savez-vous que vous êtes menacé d'une cataracte?»--«D'une cataracte,
moi? lui répliquai-je; mais je vois encore assez bien pour mon âge, et
jamais personne de ma famille n'a été affligé de ce mal.»--«Dites tout
ce que vous voulez, insista-t-il, vous avez un commencement de cataracte
bien caractérisée.»

Je crus à une erreur de la part du médecin. Cependant, me trouvant en
septembre suivant à Paris, je suis allé consulter le distingué oculiste
Abadie, du boulevard Saint-Germain. Je fus reçu par l'un de ses aides:
«Je ne vois rien, me dit celui-ci, mais venez...» Et il m'introduisit
dans la chambre noire. Là, il m'examina minutieusement les yeux, à la
lumière électrique. «Oui, convint-il alors, vous avez un commencement de
cataracte; mais que cela ne vous inquiète pas, ça vous viendra plus
tard... et dans une dizaine d'années, quand elle sera mûre, vous
viendrez nous trouver et l'on vous fera l'opération gratuitement.»

«La belle fiche de consolation! pensai-je en m'en allant: vivre dix ans
dans la perspective d'avoir les yeux gratuitement charcutés! Et quel en
sera le résultat?»

Depuis lors,]e n'ai plus consulté aucun oculiste ni aucun médecin au
sujet de mes yeux, ni employé aucun remède. J'attendais que la cataracte
fût «mûre».

Cependant le pronostic de l'aide de M. Abadie ne tarda pas à se
réaliser. Faible d'abord, le trouble de ma vue devint petit à petit tel
que, dès l'année 1906, je ne pouvais plus que difficilement lire et
écrire, même avec de fortes lunettes. J'avais comme un voile sur les
yeux, et ce voile s'épaississait de plus en plus les années suivantes.

A partir du commencement de 1908, je ne pouvais plus reconnaître à douze
pas mes meilleurs amis. Le crépuscule venu, je n'osais plus me hasarder
dehors de peur de heurter les passants, de manquer le trottoir et de me
faire écraser par les voitures.

En mai 1909, un opticien de passage ici, voulant me vendre des lunettes,
me fit avec ses instruments lire, à des distances variées, des imprimés
à caractères gradués, tour à tour des deux yeux et de chaque œil à
part. Il finit par me déclarer «l'_œil droit complètement éteint_ et
l'autre œil bien malade».

Il avait quelque peu exagéré, car d'une personne placée à deux pas de
moi je voyais encore, de ce seul œil droit, la silhouette, mais une
silhouette vague, imprécise, informe, dont je n'aurais pas pu dire si
elle était d'homme ou de quoi. La vision de l'œil gauche était
devenue si faible que le dimanche des Rameaux 1909, je suis tombé en bas
des degrés du chœur que je ne distinguais plus, et cela devant toute
la paroisse. Depuis lors, je tremblais de descendre les marches de
l'autel, que j'étais obligé de chercher au tâtonnement du pied.

Bref, j'étais menacé de cécité complète à prochaine échéance, et me
sentais à la veille de ne pouvoir plus ni réciter mon bréviaire, ni dire
la sainte Messe.

J'envisageais déjà avec angoisse le voyage à Paris pour la fameuse
opération gratuite, opération en elle-même scabreuse et de chance
douteuse. Mais la divine Providence, qui dispose toutes choses avec
suavité, m'avait, à mon insu, mis en relation avec les consœurs d'une
«oculiste» qui sait rendre la vue aux aveugles, sans onguent ni scalpel
chirurgical.

Au printemps dernier, la Rde Mère Prieure du Carmel de Bordeaux,
exilé à Zaraüz, Espagne, fit appel à mon talent d'apiculteur, et je dus
lui exposer le triste état de ma vue qui me rendait incapable d'accéder
à son désir. Alors elle, avec sa robuste foi de Carmélite, me répondit:
«Puisque la prière est toute-puissante, nous allons faire violence au
bon Dieu, et il sera bien obligé de vous rendre la vue.»

Quelques jours après, je fus tout étonné de la facilité avec laquelle je
pouvais lire et distinguer à mes pieds les marches de l'autel.

Je me rendis donc au Carmel de Zaraüz, et là, j'appris que la communauté
avait fait une neuvaine pour obtenir la guérison de ma vue, par
l'intercession de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont jusqu'alors
j'avais ignoré l'existence.

C'est donc à un prêtre qui ne la connaissait pas, qui ne lui avait--lui
personnellement--rien demandé, que votre angélique sœur avait obtenu
de son divin Epoux une insigne _amélioration_ de sa vue. Je dis
«amélioration», car, pour grand et surprenant que fût ce changement en
mieux, je n'avais pas recouvré la vision claire et pleine. Nous
convînmes donc, la Rde Mère et moi, de faire une seconde neuvaine, et
elle me remit une image-relique de celle que des lors j'appelais «ma
céleste oculiste», me recommandant de l'appliquer sur mes yeux chaque
soir de la neuvaine. Or, cette neuvaine n'était pas finie que déjà je
pouvais lire aisément les «Décrets de la Sacrée Congrégation des Rites»
qui se trouvent imprimés en caractères très fins en tête du _Bréviaire
Romain_ de Tournai (édition de 1902, de la Société de Saint-Jean
l'Evangéliste) et qui, auparavant, ne présentaient à mes yeux qu'une
page maculée, indéchiffrable. Bien plus, je reconnais depuis lors les
personnes à plus de cent pas.

Nous avions commencé cette neuvaine dans l'octave de la Pentecôte (19
mai). Vers la mi-juin, je suis retourné en Espagne pour mettre ordre aux
ruchées du Carmel. Nous décidâmes alors de faire une troisième neuvaine,
en action de grâces celle-là, et en même temps pour obtenir une plus
parfaite lucidité de vue. Et, cette fois encore, ma céleste oculiste
exauça nos prières!

Ayant recouvré la vue, je voulais redevenir apiculteur. J'achète donc
une colonie d'abeilles; quelques jours après, je visite ma ruchée et j'y
trouve plusieurs cellules royales, dont les unes contenaient des larves
déjà écloses et d'autres de simples œufs.

Oh! la vue de ces minimes œufs d'abeille, pareils a de petits bouts
de ténu fil à coudre d'un blanc bleuâtre! Depuis des années, il m'avait
été impossible de les apercevoir, même avec de puissantes lunettes, et
maintenant je les voyais de nouveau _a l'œil nu_! Aussi avec quelle
reconnaissance mes yeux se sont instantanément levés vers le ciel où ma
céleste oculiste venait de réaliser en ma faveur sa résolution de faire
du bien sur la terre.

Il n'y a donc plus de doute possible: la guérison de ma vue est réelle
et persévérante. Et cette guérison, incontestablement merveilleuse
puisqu'elle est obtenue sans l'intervention d'aucun secours ni remède
humains, je la dois évidemment à l'intercession de celle que nous avions
invoquée: Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, morte en 1897, au Carmel de
Lisieux.

Gloire à Dieu! et reconnaissance à _ma céleste oculiste_!

Abbé CH. WÉBER, _prêtre habitué_.


95.

Alençon (Orne), 25 juillet 1910.

En lisant l'_Histoire d'une âme_, j'éprouvai une émotion profonde, et,
voyant que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus voulait employer sa vie du
ciel à convertir les pécheurs, je la priai d'avoir pitié de moi car
j'étais du nombre de ces derniers... Je lui demandai d'être ma
médiatrice près du bon Dieu, d'être mon guide; chaque jour, matin et
soir, je répétais cette prière.

Mais bientôt je désirai un signe évident de sa protection et je me
disais: «Oh! si je pouvais la voir, je serais certain alors qu'elle veut
bien être ma protectrice et _mon guide_!» Puis je me repentis de ce
désir que je trouvai présomptueux, et je n'y pensai plus.

Or, à quelque temps de là, vers 3 h. 1/2 du matin (c'était en été et,
par conséquent, au moment de l'aurore) alors que je dormais si
profondément que je n'avais plus conscience de l'existence, j'eus tout à
coup une vision en esprit. J'aperçus au fond de ma chambre une nuée
lumineuse et j'entendis un appel. Je me dirigeai donc en esprit vers cet
être mystérieux, et comme j'approchais, la nuée s'ouvrit et je me
trouvai en présence d'une jeune religieuse toute brillante de lumière et
couronnée d'un nimbe d'or. Ses traits et ses vêtements étaient ceux des
portraits de Sr Thérèse; son regard était très vif et son visage
étincelant; une lumière argentée baignait l'ensemble de l'apparition.
Elle s'avança vers moi jusqu'au milieu de l'appartement et me dit:
«Monsieur, _suivez-moi_!» Puis elle disparut et, peu après, la lumière
argentée qui l'enveloppait s'évanouit à son tour.

Je m'éveillai très ému et réfléchis à la signification de cette vision.
«_Suivez-moi_», m'avait dit Sœur Thérèse; c'était la réponse à ma
prière quotidienne: «_Soyez mon guide, conduisez-moi à Dieu_».

J'ai fait part à mon confesseur de cette faveur insigne et des
sentiments qu'elle m'avait inspirés; il m'a dit qu'il fallait y croire.

Et maintenant je comprends mieux que jamais que, pour aller au ciel, _je
dois suivre Sœur Thérèse_ dans sa voie d'humilité, de confiance et
d'amour.

A. V.


96.

Tours (Indre-et-Loire), 28 juillet 1910.

Vous recevrez, à la fin de cette semaine ou au commencement de l'autre,
un ex-voto que j'offre avec une pieuse reconnaissance à Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. Voici dans quelle circonstance j'avais fait cette
promesse:

Il y a environ douze jours, une de mes tantes faisait une malheureuse
chute dans la rue et se cassait la cuisse. L'os sortant fit plaie, et le
mal s'aggrava tellement qu'au bout de quelques jours tout espoir était
perdu. Je ne quittais guère ma pauvre blessée car une angoisse me
torturait: je savais ma tante très incroyante, et je ne voulais pas la
voir partir ainsi pour l'au delà.

Cependant le 22 juillet arriva, apportant une nouvelle aggravation du
mal et aucune amélioration morale. La gangrène s'était déclarée et
faisait de terribles progrès. La Sœur garde-malade me demanda s'il
fallait parler. Je crus que le moment était venu. Alors ce fut une lutte
terrible: la mort approchait, ma pauvre tante ne voulait pas recevoir le
prêtre, elle ne voulait pas prier, elle nous repoussait même avec
violence et en blasphémant. Ce fut bientôt une question de minutes...

Malgré toute mon angoisse, je ne désespérais pas et répétais sans cesse:
«Cœur sacré de Jésus, j'ai confiance en vous!» Quand, tout à coup,
poussée par une impulsion irrésistible, je fis mentalement cette prière:
«Mon Jésus, glorifiez votre petite servante Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus; si ma tante consent à se confesser et si elle le peut
faire en pleine connaissance, je lui enverrai un ex-voto au Carmel de
Lisieux.»

A peine avais-je terminé que je me penchai sur la mourante et lui
demandai si elle voulait baiser ma médaille du Sacré-Cœur: elle fit
un signe d'acquiescement et l'embrassa; puis, je lui demandai si elle me
permettait d'amener un prêtre: elle dit «oui» deux fois, et fermement.

L'aumônier, découragé, était parti; personne à la cathédrale, personne à
l'archevêché; enfin je ramenai un prêtre. Je pus en quelques mots le
mettre au courant; ma tante se confessa en pleine lucidité et, à peine
l'absolution donnée, elle perdait connaissance et expirait.

Au ressouvenir de cette grâce inespérée, mon âme s'est émue d'une
reconnaissance sans nom, et c'est avec une joie profonde que je viens
exécuter ma promesse.

Mlle M. V.


97.

(Calvados), 31 juillet 1910.

Le mardi 5 avril 1910, vers 4 h. 1/2 du soir, passant devant le monument
funèbre de M. le comte de Colbert-Laplace, qui se trouve en face du
cimetière de Lisieux, je fus poussée à invoquer Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus pour lui demander la guérison de Mme G...

La manière dont j'avais été attirée à la prier me causa une vive
impression et me donna une certaine assurance d'être exaucée. Cinquante
mètres plus loin, je trouvai une personne qui était chargée, de la part
de Mr G..., de me demander de passer la nuit près de sa femme presque
agonisante.

Vers 8 h. j'arrivai chez la malade que je voyais pour la première fois,
ce ménage n'étant installé dans notre paroisse de Saint-J. de M. que
depuis le 28 décembre 1909. Je la trouvai très mal, éprouvant des
étouffements terribles et de vives douleurs dans le côté gauche,
répandant d'abondantes sueurs froides. Elle me fit remarquer l'enflure
de l'abdomen et de l'estomac; tout faisait prévoir une mort prochaine.
Il faut dire que cette pauvre femme, affaiblie par une pleurésie qui
avait exigé dix vésicatoires, était de plus épuisée par la venue d'un
enfant qu'elle avait porté en ce triste état. Cet enfant, le douzième,
était né six jours avant, le 30 mars 1910.

J'exhortai la malade à la confiance et je lui suggérai d'invoquer la
petite Sr Thérèse dont elle n'avait jamais, me dit-elle, entendu
parler. Ensuite je lui dis de dormir... que je me chargeais du reste.

Dans la soirée, vers 8 h. 3/4, le docteur vint et parut réfléchir
longuement avant de rédiger son ordonnance. Il fut reconduit jusqu'à la
barrière de la cour par le mari et lui dit: «Mon pauvre homme,
qu'allez-vous devenir? Votre femme peut mourir à l'instant; et, si elle
passe la nuit, elle ne passera pas la journée de demain.» Puis il le fit
se tourner et lui traça sur le dos un carré: «Tout cela est creux comme
une lanterne, dit-il, et le poumon gauche est complètement pourri.»

Pendant la nuit, la malade n'eut aucun repos. Entre 5 h. 1/4 et 5 h. 1/2
du matin, alors que j'étais dans la cuisine contiguë à la chambre, elle
se sentit plus mal et appela son mari; un instant après, ses yeux se
portèrent sur un tableau de Jésus en croix qui était près de son lit et
elle s'écria: «Oh! que c'est beau! que c'est beau!» puis elle se mit à
rire et à pleurer.

A ce bruit qui me parut étrange, je me rendis près d'elle; aussitôt elle
me dit: «O ma Sœur, que c'était beau! J'ai vu le ciel ouvert, puis
j'ai entendu distinctement à mon oreille une petite voix si douce qui
m'a dit: «_Aie confiance! tu guériras_...» Mais, ma Sœur, criez donc
au miracle! je suis guérie, je ne souffre plus du tout, je ne suis plus
enflée, je marcherais bien, je veux me lever!»

On ne le lui permit pas. A ce moment je ne pensais nullement au miracle,
mais simplement à un délire qui annonçait la mort prochaine. Alors elle
dit à son mari, à sa mère et à moi: «Otez toute cette pharmacie qui est
là devant moi; retirez-vous, fermez la porte, que je sois seule pour
penser aux belles choses que j'ai vues!...»

Dans la journée le médecin revint et dit au mari: «Je suis stupéfait, je
n'y comprends plus rien!» et à la femme: «Je ne sais pas d'où vous
revenez, vous êtes ressuscitée!...»--«Cette guérison est un miracle»,
dit-il encore à d'autres.

Le miracle était bien réel, car voilà plusieurs mois que Mme G...
jouit d'une parfaite santé et peut donner elle-même à sa nombreuse
famille tous les soins qu'elle réclame.

Sr St-J.

La guérison s'est parfaitement maintenue jusqu'à ce jour.

2 janvier 1911.


98.

(Loire-Inférieure), 17 août 1910.

Une pauvre vieille femme infirme, Mme V., âgée de 84 ans, ne peut
marcher. Elle demeure seule toute la journée. Sa vie toute de privation
était bien triste avant qu'elle connût Sr Thérèse. Mais un jour je
lui portai une image de la petite sainte. Ce fut alors le bonheur qui
entra dans sa maison; sa tristesse a disparu, elle ne s'ennuie plus et
quand, le matin, je la quitte pour aller à mes autres pauvres et
malades, elle me dit en souriant: «Vous me quittez, ma Sœur, mais je
ne suis plus seule, je cause avec la petite sainte qui me garde et ne me
quitte pas.» Le soir, je la trouve à la même note. La chère sainte a
apporté avec elle dans ce pauvre réduit la paix de l'âme, la joie du
cœur, elle y a comblé toutes les absences.

Tous mes malades auxquels j'ai pu donner son portrait ont éprouvé de sa
présence un bien-être évident que je constate avec reconnaissance.

Sr St-P.,
_religieuse garde-malade_.


99.

N., Belgique, 30 août 1910.

Je soussigné, F. F., avocat, me fais un devoir d'attester l'exactitude
des faits suivants:

Je souffrais depuis plusieurs années d'eczéma étendu et permanent à la
partie inférieure des jambes, depuis la cheville jusqu'au genou.
Fréquemment il se produisait des poussées inflammatoires douloureuses,
quelquefois des abcès ou furoncles. Cette affection cutanée ne
paraissait guère laisser d'espoir de guérison, et le traitement
consistait uniquement dans l'emploi de simples palliatifs:
enveloppements humides, compresses, poudres adoucissantes telles que
talc ou autres du même genre.

Aucune amélioration ne se produisait, lorsque, dans mon entourage, on
eut la pieuse pensée de recourir à l'intercession de la petite Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, envers qui ma femme et ma fille professaient
une dévotion particulière.

Aux bandages qui entouraient la partie malade, on attacha une relique
provenant d'objets ayant appartenu à cette sainte religieuse, et des
neuvaines de prières eurent lieu pour obtenir ma guérison.

Bientôt l'inflammation disparut avec les rougeurs, rugosités, pustules
et tous les phénomènes douloureux ou pénibles par lesquels le mal
n'avait cessé de s'accuser depuis des années. La peau a repris
complètement son aspect normal, et il ne reste aucune trace, soit
externe, soit interne, des désordres passés. Il en est ainsi depuis un
an environ et, à en juger par les apparences, il n'y a, semble-t-il,
aucune raison de supposer que la guérison, qui est complète, n'ait pas
le caractère d'une guérison durable et définitive.

Je fais]a présente déclaration pour rendre hommage à la vérité, et je
serais heureux si l'autorité compétente pouvait un jour en faire état,
en vue de la glorification de la pieuse carmélite à l'intercession de
laquelle nous avons eu, en famille, la confiance d'avoir recours[275].

F. F., _avocat_.

     Signature légalisée à l'Evêché de N...


100.

C. (Angleterre), 16 septembre 1910.

Un mal de gorge persistant me faisait craindre de ne plus pouvoir
remplir les obligations de mon saint ministère.

Après une courte instruction d'un quart d'heure que j'avais faite avec
beaucoup de peine, je rentrais triste à la maison, quand un sentiment de
confiance envers Sr Thérèse ranima mon courage. Avec son portrait je
traçai le signe de la croix sur ma gorge. Immédiatement je remarquai un
parfum exquis de violettes qui s'exhalait de l'image, et dès le
lendemain j'étais complètement guéri.

Rd Père Ed. J.


101.

X., septembre 1910.

Etant allée rendre visite à Mme X., je la trouvai dans une très
grande affliction. Son mari, âgé de 35 ans, était bien malade depuis 7
mois, perdu au dire des médecins... Je lui conseillai de lire la vie de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de la prier, ce qu'elle fit.

Le 15 mars, le malade ayant reçu une relique de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus, une neuvaine fut commencée à la petite sainte. Il se
trouvait alors à toute extrémité, et ce que sa femme demandait, ce
n'était plus sa guérison mais sa conversion: depuis l'âge de 20 ans, il
avait laissé toute pratique religieuse!

Le 19 mars, cinquième jour de la neuvaine, il était mourant, dans le
coma, il râlait; son corps était tout noir par la décomposition et
sentait comme un mort de trois jours.

Sa femme, au désespoir, priait tout haut: «Mon Dieu! disait-elle, et
dire qu'il meurt sans s'être converti!... pourtant j'ai tant prié!...»

Tout à coup, le mourant ouvre les yeux, s'assied sur son lit, reste un
moment comme en contemplation et dit: «C'est elle... oui... c'est bien
elle!... Je suis guéri!»

Il demande un prêtre, se confesse et communie à la grande édification de
chacun. Il était radicalement converti.

«Commençons une neuvaine pour remercier Sr Thérèse, dit-il, elle m'a
guéri... Ah! je n'ai plus qu'un désir: c'est de vivre en bon chrétien,
c'est de réparer tant d'années passées loin de Dieu!»

Il ne souffrait plus et avait repris toutes les fonctions de la vie;
c'était une guérison bien réelle, il ne lui restait plus qu'une grande
faiblesse.

Mais cette guérison, ou plutôt ce retour à la vie ne lui avait été
accordé qu'afin de lui permettre de revenir à Dieu avec toute sa
lucidité d'esprit et toute la force de sa volonté; quinze jours plus
tard, les crises le reprenaient. Sa femme et les religieuses rappelées
en toute hâte, craignirent pour sa foi, mais elle n'en reçut aucune
atteinte; au contraire, de converti qu'il était pendant les quinze jours
de retour à la santé, il devint un saint dans sa maladie qui devait
durer six semaines encore. Alors, il donna les plus beaux exemples de
patience et de résignation, craignant de prendre ce qui pouvait le
soulager. Pour n'en citer qu'un exemple: «J'ai tant à expier, disait-il
à la religieuse qui voulait lui faire une piqûre pour calmer d'extrêmes
douleurs, ne serait-ce pas mieux de souffrir?...»

Un mois après l'événement, sa femme lui ayant demandé s'il avait vu la
petite sainte: «Non, dit-il, je ne l'ai pas vue; mais elle était là, je
la sentais, je ne saurais expliquer comment...» Et après une hésitation:
«J'ai vu, ajouta-t-il, la sainte Face de Nôtre-Seigneur.» Plus tard
lorsqu'on lui montra une image de la sainte Face, peinte au Carmel de
Lisieux: «C'est ainsi que je l'ai vue», dit-il. Les religieuses m'ont
dit qu'il avait dû la revoir plusieurs fois. Quelques jours avant sa
mort, comme il venait de dicter ses dernières volontés et qu'il voyait
tous les visages attristés: «Pourquoi tant vous désoler?» dit-il. Puis,
après avoir hésité un moment... «Il faut que je vous fasse une
confidence: Je sais que je vais au Ciel.» Alors il demanda qu'on mît
avec lui sa relique et recommanda à la religieuse de prier bien haut
quand il ne pourrait plus parler, afin qu'il pût s'y unir. Il fit de
tout cœur le sacrifice de sa vie, disant «qu'il n'avait désiré vivre
qu'afin de pouvoir réparer». Le matin de sa mort, il s'efforçait encore
de s'unir aux prières.

Sept personnes de la famille et le valet de chambre se convertirent et
firent leurs Pâques, tant cette conversion les avait touchés.

Sr X.


102.

Strasbourg (Alsace), 17 septembre 1910.

Notre petit garçon, François, âgé de 5 ans, languissait depuis deux
jours lorsque le médecin nous déclara, dans la nuit du 13 au 14 août
1910, qu'il était atteint d'une broncho-pneumonie; il avait à ce moment
une très forte fièvre. Dans la journée du 14, ma tante, Mme K., me
remit une petite relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus afin que je
la mette à l'enfant. Je le fis avec une grande confiance; aussi deux
heures après, la fièvre qui, le matin, était encore de 38°5, tomba à
37°4, et le soir, quand le médecin revint, le thermomètre ne marquait
plus que 37°3.

Le médecin, qui venait trois fois par jour, tant il jugeait le cas
grave, me dit alors: «Ce n'est pas possible que le thermomètre ne marque
que 37°3, vous vous êtes trompée.» A son tour il vérifia, c'était bien
cela. Il n'en revenait pas et ajoutait: «Ne vous faites pas illusion,
c'est une nouvelle crise qui se prépare...» Moi, j'étais sûre de la
guérison miraculeuse, et je ne m'étais pas trompée. _La fièvre ne revint
plus_: notre petit était sauvé! L'enfant qui avait perdu tout appétit et
trouvait tout amer, a commencé, le 15 déjà, à bien manger; le poumon
était dégagé, et la toux diminuait. Dès ce jour, il était tout à fait
remis.

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans les faits que je vous relate, c'est
que le mal a été coupé pour ainsi dire _instantanément_, qu'il n'y a pas
eu un mieux progressif, mais _subit_.

Mme N.


103.

Carmel de X. (Alsace), 29 septembre 1910.

Il y a un lien très fort entre mon âme et Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. Dans des affaires personnelles, elle m'a exaucée d'une
manière _sensible_ et je l'ai même _vue_ une fois passer devant moi en
souriant. Une autre fois, il y a 6 ans, alors que tout était à redouter
pour notre pauvre France, je me vis transportée, en un songe mystérieux
que je n'oublierai jamais, dans une sorte d'oratoire où se trouvait un
grand Christ et à ses pieds une religieuse plongée dans la prière. Elle
pleurait et, à mesure que ses larmes tombaient à terre, je les voyais se
transformer en diamants...

M'approchant alors, je pus voir le doux visage de la sainte et je
reconnus Sr Thérèse: «C'est pour la France, n'est-ce pas?» lui
demandai-je. Elle leva vers moi son regard plein de larmes: «_Oui_,
dit-elle, _Jésus ne veut plus attendre, il va sévir_». Elle se remit à
prier, et je pleurai et priai avec elle. Soudain elle se releva et dit
d'un accent que je n'oublierai jamais: «_Jésus m'a promis de ne pas
punir encore._»

Je le répète, cette vision a laissé dans mon âme un inoubliable
souvenir.

Sr X.


104.

Carmel de St-Ch. (France), 3 octobre 1910.

Mme X., après une maladie dont elle se croyait à peu près remise, eut
une de ses jambes qui enfla démesurément et devint noire comme du
charbon. Pendant vingt-quatre heures, elle en souffrit atrocement. Ne
trouvant de soulagement en aucun des moyens essayés, elle mit sur sa
jambe malade une image-vêtement de notre vénérée Sœur. Aussitôt
enflure et douleur disparurent.


105.

Congrégation des Sœurs de Ste-Marie. T. (M.-et-L.),
5 octobre 1910.

Depuis treize ou quatorze ans, je souffrais d'ulcères de l'intestin avec
entérite membraneuse. Les douleurs, plus ou moins vives, étaient
presque continuelles. Je ne pouvais supporter aucune fatigue sérieuse
sans être obligée de me mettre au lit. J'avais parfois des crises aiguës
qui duraient trois ou quatre semaines, quelquefois plus.

Tous les remèdes et traitements ne m'ont jamais procuré qu'un
soulagement momentané; aussi, ces deux dernières années, je n'en faisais
plus aucun, je me contentais de prendre des calmants quand les douleurs
devenaient plus fortes.

Depuis que notre Rde Mère Supérieure nous a fait connaître Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, je me suis sentie attirée vers elle... Et,
voyant un jour une petite plante prise sur sa tombe, il m'a semblé
qu'elle m'apportait ma guérison.

Aussi le dimanche de la Passion, 28 mars 1909, me sentant prise de
douleurs aiguës, j'en appliquai une feuille sur la partie malade, et je
commençai avec grande confiance une neuvaine à Sr Thérèse. Au cours
de la neuvaine je me trouvai mieux; mais le dernier jour, lundi des
Rameaux, je fus reprise, pendant la Messe, de douleurs si vives que je
me demandais si je pourrais aller faire la sainte Communion.

Je priai alors Sr Thérèse avec plus d'insistance et de confiance que
jamais, et aussitôt les douleurs disparurent pour ne plus revenir.
J'étais complètement guérie!

Depuis dix-huit mois, j'ai pu supporter la marche et le travail sans
fatigue.

J'ai reçu en même temps de Sr Thérèse des faveurs spirituelles que je
n'estime pas moindres que ma guérison miraculeuse.

Sr M.

     Suivent les signatures de la Supérieure et de plusieurs
     religieuses.


106.

Paris, 9 octobre 1910.

Depuis un an, mon fils âgé de 9 ans 1/2 souffrait de violents maux de
tête. Le samedi matin, 28 mai, il se plaignit d'une douleur dans
l'oreille gauche; malgré cela, je l'envoyai à l'école comme d'habitude.
En revenant à midi, il souffrait horriblement, il avait le délire et,
pendant trois jours, il ne fit que crier, appelant le petit Jésus à son
secours. Alors, le docteur me dit qu'il fallait voir un spécialiste.

Je conduisis mon enfant à l'hôpital le 31 mai; les docteurs déclarèrent
qu'il avait une mastoïdite double,--le mal avait gagné l'autre oreille
et il ne pouvait plus poser sa tête sur l'oreiller--qu'une intervention
chirurgicale était nécessaire et qu'il fallait le trépaner.

Ah! ma Révérende Mère, comment vous dire notre désespoir! Ce petit
enfant, c'est notre seul bonheur, nous n'avons plus que lui, le bon Dieu
nous a déjà repris deux petits anges; allait-il encore nous prendre
celui-ci?... Je courus à l'église Sainte-Marie des Batignolles; un
prêtre était de garde; je lui dis ma peine, mon désespoir. Alors ce bon
prêtre, que je ne connaissais pas, me réconforta en me disant de
demander avec confiance à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus la guérison de
mon petit Edmond. Tous les jours, à sept heures, j'assistais à la Messe,
et avec quelle confiance je priais Sr Thérèse!... puis j'allais voir
mon enfant.

De jour en jour, l'opération a été remise; le dépôt qu'il avait dans la
tête s'écoula de lui-même par les oreilles, et le 10 juin, j'avais le
bonheur de ramener chez nous mon fils entièrement guéri.

Mme G.


107.

Lisieux, 21 octobre 1910.

Notre enfant, âgé aujourd'hui de dix ans et demi, était malade depuis
l'âge de sept ans, d'une coxalgie tuberculeuse. Pendant que nous
habitions Lisieux, il reçut les soins de docteurs dévoués, qui furent
obligés de constater leur impuissance; l'un d'eux nous conseilla d'aller
à Paris chez un spécialiste, lequel, après consultation de l'enfant, ne
nous cacha pas ses craintes. Il nous dit que le cas était très grave et
qu'il en voyait rarement de pareils. Le petit avait des douleurs si
aiguës qu'il ne faisait que crier, ce que le docteur n'avait pas encore
vu jusque-là.

Après l'avoir endormi pour lui redresser le côté, car il avait une
déviation de la colonne vertébrale, il lui mit un appareil en nous
disant de revenir tous les quatre mois, car il fallait cette durée pour
que le docteur se prononçât.

A cause des inondations de Paris, nous ne retournâmes qu'au mois de
février cette année 1910, voir ce spécialiste. L'enfant s'était encore
affaibli et était maigre comme un squelette, et il lui était survenu une
entérite aiguë qui aggravait beaucoup son état. Il souffrait de plus en
plus et ne pouvait prendre que très peu de nourriture et difficilement.
Sa respiration était si faible et il était d'une telle pâleur, que
souvent, la nuit, je me levais pour m'assurer, quand il dormait, s'il
vivait encore; mais son sommeil était rare, car cet appareil de plâtre
le faisait beaucoup souffrir.

Cela dura jusqu'au mois d'avril; ayant entendu parler des miracles
obtenus par votre petite sainte, j'en entretins M. l'abbé X., vicaire de
St-J., lorsqu'il vint voir notre petit Ernest, et il nous conseilla
de l'invoquer pour obtenir la guérison de notre enfant. Puis il dit à
celui-ci: «Prie bien la petite sainte du Carmel, elle opère beaucoup de
miracles, et même elle apparaît quelquefois pour guérir les petits
enfants malades comme toi, qui ont confiance en elle.» Et mon petit
Ernest se mit à la prier de tout son cœur. Seulement il s'étonnait de
ne pas la voir apparaître et il dit à M. l'abbé: «J'ai prié la petite
sainte pour qu'elle vienne me guérir, mais je ne l'ai pas encore vue.»

Le 25 avril, malgré que je sois moi-même très souffrante et obligée de
garder le lit, je me sentis poussée d'aller au cimetière; mon mari
voulait s'y opposer, ayant peur que je fasse une imprudence; mais je
partis quand même, et là, sur la tombe de Sr Thérèse, je la suppliai
de bien vouloir m'obtenir, avec l'aide de Notre-Dame de Lourdes, la
guérison de notre enfant si malheureux. Je rapportai deux fleurs que je
fis baiser au petit malade. Nous priions tous en famille la chère petite
sainte. L'enfant souffrait toujours, on ne pouvait le toucher pour le
mettre sur la chaise longue sans qu'il jette des cris. Mais, voilà que
le 15 mai, jour de la Pentecôte, après avoir soupé, il s'écria devant
plusieurs personnes qui étaient là avec nous: «Oh! comme j'ai chaud!»
Sa tante lui dit: «Découvre-toi, mon petit Ernest», mais il répondit:
«Non, je vais me lever car je ne souffre plus, ça ne me fait plus mal».
Alors il se leva et vint nous trouver, et fit le tour de la table.

O ma Mère! je ne croyais pas à un tel bonheur et aussitôt je dis devant
tout le monde: «Oh! Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus m'a exaucée, mon
petit Ernest est guéri!...» Tous étaient stupéfaits de le voir se tenir
debout, lui qui, le matin, criait encore. A partir de ce moment il se
levait tous les jours, marchant comme il pouvait avec son lourd appareil
et descendant même l'escalier.

Mais votre petite sainte ne voulait pas seulement la guérison de notre
enfant, elle voulait aussi la guérison de nos âmes, et cela fut obtenu à
la fin d'une neuvaine que nous faisions à Sr Thérèse pour qu'elle
affermisse la guérison de notre enfant.

En lisant quelques traits de la vie de cette véritable sainte, une
transformation s'opéra en nous, et après quatorze ans d'oubli de Dieu,
mon mari et moi nous approchâmes du sacrement de Pénitence la veille de
la Fête-Dieu, ainsi que de la sainte Table, en suppliant Notre-Seigneur,
par l'intercession de sa petite épouse, que notre enfant fût bien guéri
et bien fort pour que lui aussi puisse faire sa première Communion.

Le docteur X., émerveillé de ce qui était arrivé à notre petit Ernest,
ne voulut pas se charger de retirer son appareil; il préféra me renvoyer
pour cela au spécialiste de Paris, afin qu'il pût, lui aussi, constater
la guérison. Je ne pus y aller qu'au mois de juin, mais ce docteur ne
voulut pas croire mon enfant guéri et refusa d'enlever l'appareil,
disant qu'il lui fallait le porter encore plusieurs années, si,
toutefois, il arrivait à le guérir. Je lui dis: «Vous voyez bien,
docteur, que mon enfant est guéri puisqu'il marche.» Alors, devant la
clinique entière, il me dit: «Cet enfant n'est pas guéri, il en est loin
et je ne retire pas l'appareil, ou alors je ne réponds pas des suites
fâcheuses qui en résulteront.» Le petit, intimidé et effaré, ne voulait
plus qu'on le touche et pleurait. Voyant tout cela, je dis au docteur
que je voulais lui parler seule. Je sortis de la salle avec lui et, une
fois dans son cabinet de consultation, je lui avouai, bien émue, ce que
j'avais fait, comment cette guérison avait été obtenue par la prière et
comment mon mari et moi étions revenus à Dieu. Ce docteur, qui est
pratiquant, me crut alors et me dit: «Cela est autre chose!» Et,
rentrant dans la salle, il dit à ses aides: «Messieurs, coupez
l'appareil!» Puis, se tournant vers moi, il me dit: «L'enfant marche
avec son appareil, maïs je ne serais pas surpris qu'il y ait un abcès,
et certainement il y en a un; nous allons voir.»

Certes, je n'en croyais rien, puisque l'enfant ne souffrait pas depuis
ce jour béni de la Pentecôte!... Enfin, un interne coupa le plâtre après
m'avoir dit: «Vous avez tort.»

Le côté et la jambe de mon fils apparurent très beaux, tandis qu'au mois
de février la peau était toute tuméfiée. Alors le docteur dit: «Oui, il
y a un abcès, et un très grave»; et il fit une ponction pour vider
l'abcès qui s'était formé et qui était la preuve de la coxalgie
tuberculeuse. Il retira deux seringues de pus en me disant: «C'était
mortel. Vous avez bien fait de venir et d'insister pour faire enlever
l'appareil; cet abcès profond serait venu à la peau et aurait causé un
ulcère qu'on n'aurait pu guérir; mais, à présent, il faut de toute
nécessite remettre un nouvel appareil».

Aussitôt je m'écriai: «Non, non, je ne veux pas d'appareil, je suis
certaine que mon enfant est guéri.--Eh bien, allez, dit le docteur d'un
air mécontent; mais votre enfant va endurer de si cruelles souffrances
que d'ici deux jours vous reviendrez, s'il n'est rien survenu avant.»

Il voulait dire: «Si votre enfant n'est pas mort», car il pensait, nous
a dit la sœur directrice de la clinique, qu'il ne ferait pas le
voyage.

L'enfant avait le côté sensible, c'est vrai, mais l'avoir eu si
longtemps immobilisé, ce n'était pas extraordinaire!

Je ne dis rien et partis en gardant toute ma confiance. Je me rendis
chez une tante, ma seconde mère, qui est femme de chambre au Luxembourg.
La dame de la maison fit donner à mon petit Ernest un consommé de
bouillon, une aile de poulet, une tartine de confiture, un gâteau et
deux verres de vin qu'il trouva excellents.

Le voyage de Paris à Lisieux se fit sans qu'il ressentît aucune douleur;
il dormit paisiblement dans le wagon, ce que le docteur apprenant, il
n'en revenait pas; car il croyait bien apprendre sa mort ou qu'il avait
souffert d'une manière épouvantable, plutôt qu'une chose aussi
miraculeuse!

Au mois d'août nous retournâmes à Paris, et le docteur trouva à peine
une demi-seringue de pus dans l'abcès qui s'était formé _sans
occasionner la moindre souffrance_. «C'est vraiment merveilleux, dit-il,
un cas pareil! en si peu de temps, s'asseoir et se mettre à genoux! Cela
me surpasse!»

Nous y retournâmes encore fin septembre et, après examen de quatre
docteurs, on ne trouva plus rien: ni abcès, ni ankylose; l'articulation
de la hanche se faisait très bien; ces messieurs étaient stupéfaits:
«Mais, où tout cela est-il passé en si peu de temps?» disaient-ils; ils
ne trouvaient même plus la place de l'ancien abcès.

Or, ma bonne Mère, dans l'état où était le petit, il fallait compter au
moins six ans, si toutefois on avait pu le guérir.

Encore un fait que je dois vous dire. D'abord il faut que vous sachiez
qu'Ernest n'osait pas se risquer à marcher sans deux petits bâtons. Le
15 août, en rentrant de la grand'messe, il se mit tout à coup à fixer un
objet invisible; sa figure était illuminée. Puis il se mit à marcher
sans bâtons, très droit, pendant cinq minutes; on aurait cru que
quelqu'un le tenait par les épaules; mon mari et moi, nous nous
demandions ce qu'il avait. Il nous dit: «_C'est ma petite Mère Thérèse
qui me tient comme cela et qui me fait marcher sans m'appuyer; je ne la
vois pas, mais je la sens derrière moi._» Et comme i! fixait toujours le
mur, les yeux comme éclairés d'une céleste vision, nous lui dîmes:
«Mais, que vois-tu, mon petit Ernest?» Il s'écria: «_Oh! ma petite Mère
est partie!_» En effet, tout était fini... Mais que nous étions
heureux!.....

A partir de ce jour béni, il marcha sans se tenir et beaucoup mieux;
l'appétit revint tout à fait; maintenant il mange très bien et dort de
même, marche sans appui et va tous les jours à l'école. Sa jambe encore
bien faible le fait boiter, mais j'ai confiance en la petite Sr
Thérèse pour lui enlever cette faiblesse. L'autre jour, en jouant, il
est tombé et ne s'est aperçu de rien, malgré que le docteur nous ait
prévenus qu'il fallait éviter la moindre chute qui, pour lui, serait
très grave.

Voilà, ma révérende Mère, comment Sr Thérèse protège son petit
enfant. Aussi est-ce avec une profonde reconnaissance que nous vous
adressons, mon mari et moi, cette relation et que nous serions heureux
si elle pouvait aider à glorifier Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus et de
la Sainte Face. C'est là notre plus grand désir!

     Suivent les signatures de la mère, du père et de l'enfant, avec
     l'attestation d'un des médecins.


108.

24 octobre 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Le récit que vous avez bien voulu m'envoyer m'a prouvé encore davantage
que Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus est au ciel pour nous, et m'a
rappelé une de ses visites, quelques mois avant mon départ de Trinidad.
Elle ne vint pas pour me faire des caresses, mais pour m'adresser un
reproche fraternel, car, dans la journée, j'avais manqué à la charité.

J'avais, à la procure, un petit bout de crayon que je regardais comme
une relique, car il venait de mon pauvre père. Un jour, ce crayon
disparaît et, intérieurement, j'accuse une de nos sœurs qui se
servait parfois des plumes et crayons à notre usage. Pendant plusieurs
jours j'oubliai le crayon, lorsqu'un matin l'attachement a cette relique
se fit de nouveau sentir. En récréation, je demande à la sœur d'un
ton un peu fâché si le crayon en question ne se trouve pas à l'externat.
La bonne sœur me dit que, pour le moment, elle ne se souvient pas de
ce larcin, mais qu'elle est bien capable d'oublier de me rendre un objet
prêté. Peu satisfaite, je vais dans l'après-midi chez la Mère Prieure
lui exposer ma peine et lui dire que certainement le crayon était à
l'externat. Une bonne leçon de détachement fut la consolation que me
donna la Mère Prieure.

Dans la nuit, je vois en rêve Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus qui, d'un
air doux mais un peu mécontent, me dit: «_Vous avez, manqué à la charité
en accusant injustement Sr X. d'avoir pris votre crayon. Le crayon
que vous cherchez est dans le tiroir du bureau de la procure entre le
bois et le papier que vous avez mis pour le préserver._» En même temps,
je vois le tiroir s'ouvrir et j'aperçois le crayon à la place indiquée.
Après m'avoir encore recommandé la charité, Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus disparaît et l'Angélus sonne. Pendant l'oraison, la messe
et même l'action de grâces, je ne voyais que ma céleste visiteuse me
reprochant mon manquement à la charité et m'indiquant la place du
crayon. Vous comprenez, ma Mère, qu'au premier moment libre j'allai à la
procure, j'ouvris le tiroir, et ce n'est pas sans émotion que je trouvai
le crayon exactement à la place où je l'avais vu la nuit. Alors, en
hâte, je le portai à la Mère Prieure qui, émue elle aussi des attentions
de Sr Thérèse, me recommanda d'être bien fidèle à suivre les conseils
du second ange gardien que le bon Dieu m'avait donné.

Sr X., _religieuse dominicaine_.


109.

Lisieux (Calvados), novembre 1910.

Il y a quatorze ans, mon fils aîné fit sa première Communion. Ce
jour-là, le prêtre chargé du catéchisme nous prit à part, son père et
moi, et nous dit: «Je vous plains de n'avoir que cet enfant; il a de
mauvaises dispositions, et vous aurez beaucoup à en souffrir plus tard.»

Cette déclaration laissa mon mari tout pensif. Pour moi, je me mis à
prier de tout mon cœur pour obtenir de Dieu un autre enfant que je
promis de lui consacrer.

Dix mois après naissait mon second fils.

A cette époque, notre aine commençait déjà à se perdre, et bientôt il
nous quitta tout à fait et ne nous donna plus de ses nouvelles qu'à de
rares intervalles.

Le cadet, à peine âgé de 7 ans, disait qu'il voulait être prêtre, et il
entra au petit Séminaire. Je le donnai avec joie au bon Dieu, mais il
n'en était pas de même de mon mari qui, à plusieurs reprises, voulut le
retirer du Séminaire pour lui faire apprendre un métier. Cette année
1910, à Pâques, l'enfant tomba malade, et un jour, pendant sa maladie,
son père lui raconta un rêve mystérieux qu'il avait fait la nuit
précédente: «J'ai vu, dit-il, Sr Thérèse avec son manteau blanc; elle
paraissait triste...» Le petit, regardant son père, lui dit: «Papa,
c'est parce que tu ne veux pas que je sois prêtre. Je t'en supplie, va
la prier sur sa tombe pour ma guérison.»

Ce jour-là même, mon mari alla deux fois au cimetière; et peu de temps
après, notre fils pouvait reprendre ses études. Mais quand il fut rentré
à la maison pendant les vacances, son père recommença à dire qu'il ne
consentirait jamais à le laisser suivre sa vocation. Puis il déclara
qu'il ne s'approcherait pas des Sacrements pour la fête de l'Assomption.

Dans la nuit du dimanche 14 au lundi 15 août, il vit en songe le prêtre
(mort depuis plusieurs années) qui s'était occupé de notre fils aîné
pour sa première Communion. Ce prêtre lui serra la main en lui rappelant
ses paroles d'autrefois. Comme il y restait indifférent, il leva les
yeux et vit Sr Thérèse; en même temps, il entendit ces paroles
prononcées d'un ton solennel: «_Souvenez-vous de ce qui vous a été
prédit, il y a quatorze ans, sur votre fils aîné. Rappelez-vous encore
que le second ne vous a été donné que pour répondre au pieux désir de sa
mère._»

Il s'éveilla très ému et me raconta ce qui lui était arrivé, ajoutant:
«Je me confesserai et communierai aujourd'hui.»

Le dimanche 4 septembre, je me rendis au cimetière avec mon fils. Chemin
faisant, je me mis à lui parler, avec douleur, de son frère aîné, et
l'enfant me répondit avec animation: «Maman, puisque Sr Thérèse t'a
accordé toutes les grâces que tu lui as demandées pour moi, je t'en
prie, laisse-moi de côté maintenant et prions ensemble pour la
conversion de mon frère.»

Arrivé sur la tombe, l'enfant se mit à réciter avec ferveur un _Ave
Maria_ pour son frère. A peine avait-il commencé sa prière qu'il sentit
un parfum délicieux et inconnu. Au retour, en descendant le chemin du
cimetière, au moment où je lui parlais de l'exhumation de Sr Thérèse
qui devait avoir lieu deux jours après, nous sentîmes passer à côté de
nous comme un être céleste que je ne saurais pas définir, c'était comme
un souffle chaud et embaumé. Ce passage fut très rapide.

Nous restâmes tout impressionnés, et le petit me dit: «C'est la petite
Sr Thérèse! Je suis sûr qu'en ce moment mon frère a une bonne
inspiration et qu'il vient d'obtenir une grande grâce. Sr Thérèse
vient nous dire que nous sommes exaucés.»

L'enfant ne s'était pas trompé. Le matin du 8 septembre, comme nous
sortions de la Messe, le facteur vint à nous en souriant pour nous dire
qu'une lettre nous attendait à la maison.

Cette lettre, datée du _4 septembre_, était de mon malheureux enfant. Ce
nouveau prodigue avait obtenu la grâce du repentir _au jour et à l'heure
même_ où nous accomplissions pour lui notre pèlerinage à la tombe de la
«petite sainte», et il nous demandait de l'aider à quitter sa vie
coupable et à mettre fin à sa situation irrégulière.

X.


110.

B. (Belgique), 9 novembre 1910.

Intimement persuadé que le bon Dieu s'est servi de l'intermédiaire de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour m'accorder la plus grande des
grâces, je crois de mon devoir d'en marquer ici l'expression de ma
profonde reconnaissance.

Bien qu'ayant reçu une éducation profondément chrétienne, j'étais,
hélas! comme Augustin, la victime de toutes les séductions, et sauf un
naturel instinct de révolte contre toute intolérance sectaire, tout en
moi démentait les pieuses ardeurs de ma jeunesse. Je lisais cependant
parfois des vies de saints, mais je n'y cherchais que de curieux
problèmes de psychologie; j'étais un dilettante, et je ne trouvais dans
ces lectures que l'amusement d'un instant.

C'est ainsi qu'un jour,--je dirais par hasard, si tout ici n'était
providentiel--disons: sans motif humainement plausible, le samedi 23
juillet 1904 (je n'oublierai jamais cette date!) j'achetai l'_Histoire
d'une âme_. J'en entamai la lecture, je la poursuivis toute la nuit et,
remué jusqu'aux fibres les plus intimes de l'être, je ne cessai de
sangloter comme un enfant. J'avais à cette date 36 ans. Le surlendemain,
je me confessai. L'année suivante, j'étais tertiaire du Carmel. Je suis
loin d'être un saint, et Sr Thérèse a en moi un bien triste client;
mais enfin, ce que je puis avoir de bon, c'est à coup sûr à elle que je
le dois.

Inutile de vous dire, ma révérende Mère, que depuis lors je professe
pour sa mémoire un véritable culte. Le Père Jésuite auquel je me suis
confessé--vous pouvez avoir son témoignage si vous le désirez--estimait
que j'étais l'objet d'une grâce extraordinaire.

Je vous autorise, ma révérende Mère, à faire de cette communication
l'usage que vous jugerez bon pour la gloire de ma céleste bienfaitrice.

X., _avocat à la Cour d'appel_.


111.

Hospice de Lisieux (Calvados), 18 novembre 1910.

Je suis heureuse d'ajouter aux témoignages de reconnaissance déjà si
nombreux pour Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, celui de ma profonde et
vive gratitude, car elle a exaucé mes prières en m'obtenant la guérison
d'une tumeur que le chirurgien jugeait inopérable, et notre docteur ne
pouvait même plus me soulager.

Il y a six ans (j'en ai 70), je commençai à éprouver de vives douleurs
dans un côté de l'abdomen; mais depuis quatre ans, les souffrances
étaient devenues plus vives et continuelles.

Cette tumeur[276], dont le docteur me disait atteinte, gênait plusieurs
organes intérieurs, ce qui augmentait et multipliait les souffrances.

Au mois d'août 1910, je fis une neuvaine à Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. J'avais d'abord reçu une relique de la petite Sœur;
puis un jour, on me donna de la terre et des fleurs de sa tombe, je les
mis sur moi, et je les portai et les porte encore avec respect et
vénération.

Pendant cette neuvaine, j'éprouvai des douleurs terribles. Un jour même,
en descendant l'escalier, elles redoublèrent de violence et je sentis
quelque chose qui me torturait les membres à tel point que je tombai sur
les degrés. Le docteur, appelé par notre Mère, ne put en aucune façon me
soulager. Cependant je continuais à prier, ayant toujours confiance que,
si c'était la volonté de Dieu, Sr Thérèse m'obtiendrait ma guérison.

Mon espoir si grand ne fut pas trompé, car le 23 août, dernier jour de
la neuvaine, je me sentis tout à coup complètement guérie et débarrassée
de mon mal. Je pus faire un voyage et passer quelques jours chez ma
nièce. Là, je me nourris de tout ce que l'on me présenta; entre autres,
je mangeai des tripes et du canard que je digérai très bien, tandis
qu'auparavant je ne pouvais prendre que du lait, quelques potages, et
l'estomac ne les digérait pas toujours.

Je ne cesse de remercier chaque jour ma chère petite sainte car, en plus
de ma guérison, elle m'a obtenu de très grandes grâces spirituelles.
Aussitôt que je me sentis guérie, j'éprouvai un bonheur inexprimable,
une sorte de faim de prière. Il me semblait m'entendre dire: «Prie, prie
sans cesse.» J'aurais voulu, je voudrais encore pouvoir le faire jour et
nuit et être retirée dans un cloître afin de prier avec plus de
recueillement.

Comment après cela, ma révérende Mère, vous dire mon affection et ma
reconnaissance pour Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus?... Je voudrais
faire connaître partout la bonté et la puissance de ma céleste
bienfaitrice et répéter sans cesse des paroles à sa louange. Si
j'entendais dire quelque chose contre elle, jamais je ne pourrais le
supporter.

Sr M.-J., _religieuse converse_.

Suivent les signatures de la Mère Supérieure, de M. l'Aumônier de
l'établissement et le certificat du docteur X.


112.

R., France, 27 novembre 1910.

M.-M. L., dont les parents demeurent à P. (Côtes-du-Nord), était, il y a
trois ans, chez les Sœurs Franciscaines de R., comme aide
garde-malade.

Certain jour elle venait de la cuisine portant à bout de bras un grand
plateau contenant le repas des malades, quand, à la descente d'un
escalier de ciment dont les marches sont bordées de fer, elle glissa,
tomba en arrière et se blessa grièvement aux reins et à la hanche
droite.--Souffrant beaucoup de ces deux blessures, elle continua très
courageusement son travail pendant cinq mois environ.

Elle rentra ensuite chez elle, à P..., pour aider sa mère chargée
d'enfants. De plus en plus malade, elle fit ce qu'elle put, s'arrêtant
ou marchant, selon le répit laissé par les crises. A ce moment on
s'aperçut d'un commencement de claudication. Dix mois environ se
passèrent en pareille alternative.

Alors il y eut aggravation du mal par une enflure de la hanche, par «une
poussée du corps vers la gauche», comme dit la malade; enfin par un plus
sensible rapetissement de la jambe droite.

N'y tenant plus, elle revint à R... le 24 juillet 1910. Malgré les soins
des religieuses, la malade dut s'aliter le 3 août suivant, tant les
souffrances lui rendaient la marche intolérable. Le 3 août, visite du
médecin ordinaire de la communauté, le docteur B., qui diagnostiqua une
coxalgie. Le 20 août, il ordonna la mise en gouttière. Les souffrances
de la malade étaient passées entre temps à l'état si aigu qu'elle ne
pouvait supporter, sans crier, qu'on la touchât aux parties malades: la
hanche, les reins et le genou.

C'est à cette époque de douleurs intenses que lui vint l'idée de faire
une neuvaine à la «petite sainte de Lisieux»; cette neuvaine commença le
17 septembre 1910, pendant laquelle elle appliqua sur le mal une petite
relique. Le 26 septembre, jour final de la neuvaine, aucun changement
sensible. On décida de continuer les prières avec application de la
relique.

Le lundi 3 octobre, commencement d'une nouvelle neuvaine. Le soir la
malade est réveillée subitement par des douleurs atroces qui durèrent
sans répit depuis 11 h. jusqu'à 3 h. du matin. A 3 h. elle croit
entendre une sorte de craquement dans sa hanche; la souffrance
disparaît, elle s'endort. A son réveil, elle assure à la garde-malade
qu'elle est guérie; celle-ci ne veut pas le croire; alors la miraculée
se lève et se jette dans ses bras.

La Sœur ne peut retenir ses larmes en voyant la réalité du prodige.

La malade était en effet complètement guérie.

(_Récit de l'aumônier complété par la miraculée à son pèlerinage
d'action de grâces au tombeau de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus._)

Suit le certificat du docteur légalisé à la mairie de R.


113.

St-D. (Seine), 29 novembre 1910.

L'une de nos jeunes Sœurs novices était atteinte d'entérite
muco-membraneuse, occasionnant de continuelles souffrances augmentées
par des crises aiguës très fréquentes que le docteur déclarait être des
crises appendiculaires. Les médecins, après avoir songé à une
intervention chirurgicale, jugèrent plus prudent de ne pas la tenter à
cause de la faiblesse du tempérament et prescrivirent un régime
alimentaire très sévère qui débilitait la malade sans amener
l'amélioration désirée. Elle y était condamnée depuis dix mois et ne
pouvait d'ailleurs s'en écarter, ni se livrer à une occupation quelque
peu fatigante, sans souffrir extrêmement.

La pauvre enfant se désolait dans la crainte fondée de n'être pas admise
à la profession et de se trouver obligée de rentrer dans le monde,
malgré son désir ardent de se consacrer à Nôtre-Seigneur. Lors du
pèlerinage national à Lourdes, au mois d'août dernier, elle avait
demandé et obtenu l'autorisation d'aller solliciter sa guérison sur la
terre privilégiée de la sainte Vierge. Mais notre petite malade nous
était revenue dans un état de souffrance qu'aggravait la fatigue du
voyage.

Alors tout le noviciat implora avec une ferveur persévérante
l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont la vie offre
naturellement à ces petites âmes désireuses d'aimer Nôtre-Seigneur un
idéal bien capable de les attirer.

Jusqu'au 15 octobre, rien ne changea dans la situation de la malade. Ce
jour-là, à 4 h. de l'après-midi, elle ressentit tout à coup de vives
douleurs et crut qu'une crise plus violente que les précédentes
s'annonçait. Mais après quelques minutes, dit la jeune Sœur, une
sorte de secousse intérieure se produisit, et instantanément toute
douleur disparut. Croyant à peine à son bonheur, elle le fit connaître
discrètement autour d'elle et, le soir même, elle put prendre un repas
plus substantiel sans éprouver aucune souffrance. Convaincue de sa
guérison radicale, elle désirait se mettre immédiatement au régime
commun; nous ne l'y autorisâmes que peu à peu. Maintenant elle suit,
sans aucune exception, la vie de communauté, elle prend sa part de
travail et ne ressent aucun retour du mal qui a disparu avec toutes ses
conséquences.

Cette guérison instantanée ne nous laisse aucun doute sur la douce et
puissante intervention qui nous l'a obtenue.

Après une attente de plus de six semaines, nous regardons comme un
devoir sacré de faire connaître cette faveur, selon le très vif désir de
l'heureuse novice qui craint déjà de se montrer ingrate envers sa sainte
protectrice.

Sr St-V.,

_Supérieure générale des religieuses de N.-D. de la Compassion_.


114.

L. (Hautes-Pyrénées), novembre 1910.

Notre fillette, âgée de trois ans, tomba malade après avoir mangé des
mûres où se trouvait probablement quelque insecte venimeux. Elle fut
prise d'un tel délire qu'elle ne nous reconnaissait plus. Elle avait le
ventre enflé et dur comme une pierre; elle reposait très peu et ne
pouvait supporter qu'on la touche sans pousser de grands cris, tant la
souffrance était atroce. Ses violentes crises la laissaient épuisée et
mourante; à peine pouvait-elle prendre quelques gouttes de lait. Le
médecin était très inquiet.

Le 24 octobre, une personne pieuse, touchée de notre douleur, donna à la
grand'mère qui soignait notre pauvre petite, une relique de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus et l'engagea à commencer une neuvaine à cette
sainte religieuse. De retour à la maison, notre mère profita d'un moment
très court où la petite s'était assoupie--car elle criait lorsqu'on
s'approchait d'elle, craignant qu'on ne la touche--pour poser la relique
sur la partie douloureuse. Un instant après, l'enfant se réveillait en
souriant. Emue et pleine de confiance, la grand'mère se mit alors à
genoux, reprit dans ses mains la relique et demanda avec ferveur à Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus la guérison de sa petite-fille. Immédiatement
elle se sentit enveloppée d'un parfum délicieux qui l'embauma pendant
plusieurs minutes. A partir de ce moment, sans recourir à aucun remède
humain, l'enfant alla de mieux en mieux, et le dernier jour de la
neuvaine, qui était celui de la Toussaint, elle était complètement
guérie.

     Suit la signature des parents.


115.

A., Belgique, 2 décembre 1910.

Le soussigné E. T., vicaire de Saint-Augustin à A., atteste que Mlle
Marie V., âgée de 74 ans, portait depuis quatre à cinq ans sur la joue
droite une espèce de durillon bien vilain. Ce mal, tout petit dans les
commencements de son apparition, se développait peu à peu et prenait
dans ces derniers temps des proportions inquiétantes, à tel point qu'on
songea à le faire enlever par une opération chirurgicale; mais on
craignait un résultat désastreux, surtout pour une personne d'un âge si
avancé. En un mot, il s'agissait d'un cancer.

Au mois de novembre dernier, une religieuse du Carmel de M... envoya à
l'intéressée une petite relique de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, avec
conseil d'appliquer la relique sur la partie malade et d'invoquer avec
confiance la petite sainte. Il fut fait ainsi; et, dés le premier jour
de la neuvaine, après qu'on eut appliqué la relique, le durillon
commença à diminuer progressivement.--Il noircit, blanchit, enfin se
détacha et disparut.

Les membres de la famille et les connaissances de Mlle V. sont
unanimes à exprimer leur grand étonnement au sujet de cette disparition
merveilleuse, disparition coïncidant d'une façon surprenante avec
l'application de la relique ainsi qu'avec les prières de la neuvaine.

Le soussigné déclare avoir suivi les différentes phases du développement
et surtout de la disparition rapide et extraordinaire de ce mal si
inquiétant.

Abbé E. T., _vicaire_.


116.

Carmel de Tulle (Corrèze), novembre 1910.

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

En même temps que je vous demandais des prières pour la guérison de
Mme X., j'écrivis à une personne de notre connaissance pour lui
demander de faire la neuvaine avec vous. A peine cette dame
recevait-elle ma lettre et l'image de Sr Thérèse qu'elle posa
celle-ci sur son front et se trouva complètement guérie, car elle était
très malade elle-même.

Il n'est pas étonnant que notre bien-aimée Sœur se soit penchée vers
elle; âgée, malade et accablée de grandes peines, elle était bien digne
d'attirer sa compassion.


_Relation de la personne guérie._

Nîmes (Gard), 13 décembre 1910.

Souffrante depuis 25 ou 30 ans (j'ai 80 ans), je passais une partie de
l'année au lit, ne pouvant prendre d'autre nourriture qu'un peu de lait
ou presque rien.

Vers l'époque de la fête de sainte Thérèse, j'endurais des douleurs très
vives dans le cerveau, dans les yeux et dans les oreilles; ma vue était
troublée, mes idées semblaient m'abandonner; je ne pouvais rester debout
sans me trouver mal.

Le 15 octobre, j'eus la pensée d'écrire au Carmel de Tulle afin qu'on
intercède pour moi auprès de la grande sainte Thérèse.

Le jour même, on m'écrivait de ce Carmel en m'envoyant l'image de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus et me disant de la prier.

Je reçus cette lettre le 16 octobre; je pris l'image bénie et la posai
sur mon front en invoquant Sr Thérèse. _Immédiatement_ toute
souffrance disparut; je ne ressentis plus les douleurs qui me venaient
du cœur, du foie, des rhumatismes et de l'albumine; ma vue devint
claire, je pus lire et travailler sans éprouver aucune fatigue. En
outre, depuis ce jour, je mange avec appétit, je dors bien, et j'assiste
à la Messe tous les matins, à 7 h., ce qui fait l'admiration de tout le
monde. On m'appelle la ressuscitée. Je suis toute transformée.

Ma fille et ma petite-fille, qui sont venues passer les fêtes de la
Toussaint chez la grand'mère paternelle, n'en pouvaient croire leurs
yeux. Elles ont répandu la grâce obtenue. Les malades viennent chez moi
prier devant la sainte image qui m'a guérie et la baiser.

Gloire à Dieu et remerciements à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus! Sa Vie
est un festin délicieux pour mon âme; elle me ravit tellement que je
suis continuellement absorbée dans sa pensée.

V** ROUMIEUX.


117.

Fours (Nièvre), 10 décembre 1910.

Je venais de m'offrir en victime à Nôtre-Seigneur quand je reçus le
livre de la petite Sr Thérèse. Je l'ouvris par hasard le 6 août, jour
de la Transfiguration, et aussitôt je me sentis envahi, comme je ne
l'avais jamais été, par les ardeurs de l'amour divin. Au même instant où
je commençais à lire, je sentis--oh! mais intensément--la présence à
côté de moi de la petite Sr Thérèse.

FERNAND RICHARD[277].


118.

29 décembre 1910.

_Relation de la Rde Mère Prieure du Carmel de X._

En février 1909, Sr X. fut atteinte d'un gros rhume, accompagné d'une
toux fatigante. Le 1er mars, elle eut une hémorragie, suivie de
fortes douleurs à la poitrine et au dos, et sa faiblesse devint grande.
Les hémorragies se renouvelèrent, presque chaque jour, jusqu'au 1er
avril. Ce jour-là, le médecin déclara que les poumons étaient
sérieusement atteints.

En avril et en mai, le mal empira, et elle fut condamnée par le docteur
qui exigea qu'elle fût séparée du reste de la communauté à cause de la
contagion. Je remis alors à la malade une relique de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus et je fis avec les Sœurs deux neuvaines à la chère
petite sainte que nous vénérons beaucoup ici et qui nous a obtenu de
grandes grâces.

A la fin de la deuxième neuvaine (le 2 juillet 1909), la malade était
guérie. Il y a de cela dix-huit mois et elle continue à jouir d'une
santé parfaite.


_Relation du docteur._

J'ai soigné la Sr X. au cours d'une maladie très prolongée qui
s'était annoncée par tous les symptômes de l'influenza aiguë et qui,
s'étendant aux deux poumons, présenta ensuite les symptômes d'une
consomption aiguë. Il y avait expectoration abondante, muco-purulente;
une fièvre hectique d'un caractère très prononcé; un pouls extrêmement
rapide et très faible, des sueurs abondantes la nuit, et un
dépérissement tel que la malade fut presque réduite à l'état de
squelette.

Les remèdes habituels: inhalations de formol, absorptions de créosote
furent employés sans succès et je m'attendais tous les jours à recevoir
la nouvelle de sa mort. Alors les religieuses de sa communauté eurent
recours à la prière et, à mon grand étonnement, je l'avoue, une
amélioration rapide se manifesta, et bientôt eut lieu la guérison
complète. Le cas de la malade était cependant désespéré et rien moins
qu'un miracle ne pouvait la sauver de la mort.

Docteur X.


119.

Belgique, décembre 1910.

Quelques jours après avoir subi ma douloureuse opération, le 9 décembre,
Dieu me fit la grâce de comprendre et de sentir que je n'étais pas
inutile à la Cause de Sr Thérèse et que ma vie de souffrances,
offerte dans ce but, l'aiderait à accomplir sa mission. Depuis cette
lumière, mon âme est dans un ineffable abandon, dans un état
d'acquiescement complet à tout ce que Dieu voudra pour aider l'œuvre
de la chère petite sainte.

Celle-ci a voulu me montrer, par une vision symbolique, jusqu'où elle
pourrait m'entraîner dans cette voie; elle m'a fait entrevoir le calice
de Jésus avec ses amertumes.

Il me semble, ma Mère, que le démon serait intéressé à ce que je ne
parle pas de cette faveur, car le jour où je fus engagée à vous en faire
la confidence et au moment même où je m'y décidai, je fus torturée
pendant un quart d'heure par une puissance infernale qui voulait
m'empêcher de parler.

Je dois dire d'abord que, depuis mon opération, je reçois chaque jour
Nôtre-Seigneur dans ma chambre. La religieuse qui me soigne me fait
boire, après l'action de grâces, l'eau des ablutions.

Le lundi 12 décembre 1910, je faisais comme d'ordinaire mon action de
grâces, les yeux fermés, quand une religieuse s'approcha de moi, ayant à
la main un petit verre dont le contenu un peu trouble, comme laiteux, me
frappa. Je bus une longue gorgée du liquide qui m'était présenté;
aussitôt une amertume affreuse se répandit dans ma bouche; je pensais au
fiel qui abreuva Nôtre-Seigneur et j'hésitais à achever disant: «O ma
Sœur, comme c'est amer! j'en ai pris assez, je vous assure, et n'en
pourrais prendre davantage.» Mais la religieuse, me le présentant de
nouveau, me dit: «Buvez, buvez encore, _car au fond c'est Jésus_!»
J'achevai avec effort de boire l'amer breuvage et repris mon action de
grâces. Un moment après survint mon infirmière apportant le verre d'eau
habituel. Je lui dis avec simplicité: «Pourquoi m'en donner deux
aujourd'hui, vous venez de me l'offrir déjà tout à l'heure?»--«Mais non,
répondit-elle en riant, à quoi donc pensez-vous?»

Alors je commençai à comprendre qui m'avait apporté le premier verre à
la mystérieuse amertume!

Dans la même matinée, Dieu acheva de m'éclairer. Il permit qu'une
personne de mon entourage ayant vu, dans mon état, des symptômes
alarmants qui ne m'auraient pas inquiétée à cause de mon inexpérience,
eut la maladresse de me dire que je ne guérirais pas et qu'il me
faudrait deux opérations successives et des plus graves. A cette épreuve
s'en ajoutèrent, en même temps, d'autres plus intimes et non moins
crucifiantes.

C'était bien Sr Thérèse qui était venue me présenter le calice de ma
passion! Depuis elle continue de m'abreuver divinement; chaque jour
amène sa goutte d'amertume, goutte délicieuse puisque la chère sainte
est là pour m'aider à la boire et à l'offrir à Jésus.

Dans les sacrifices plus grands qui m'attendent encore, _c'est Jésus que
je vois_; Thérèse me l'a dit, et ce mot d'elle a suffi pour jeter sur ma
vie entière cette lumière pénétrante qui réduit tout en joie.

X.


120.

Hospice de Cl. (Seine), 30 décembre 1910.

Nous avons été témoin de la guérison d'une jeune fille de 17 ans,
atteinte d'hydrarthrose du genou droit, en traitement ici depuis quatre
mois, sans aucune amélioration, et qui devait, d'après l'avis du
docteur, subir une grave opération.

Malade depuis l'enfance, elle a déjà été opérée plusieurs fois et a été
longtemps traitée dans les hôpitaux pour des humeurs froides.

Dans l'attente de son admission à l'hôpital Necker (Paris), nous eûmes
la pensée de vous écrire pour demander des reliques de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus. A leur arrivée, la pauvre malade pleine de confiance
commença pieusement une neuvaine avec son infirmière, et nous
appliquâmes sur le genou un sachet contenant un morceau du rideau du lit
d'infirmerie de la petite sainte.

Dès le premier jour, qui était le 10 décembre 1910, la malade fut prise
de vomissements violents, ce qui nous parut étrange, car elle a un très
bon estomac et montrait d'habitude un excellent appétit. Les
vomissements durèrent ainsi jusqu'au 13. La pauvre enfant souffrait
beaucoup aussi d'un violent point de côté. Chaque jour l'infirmière lui
lisait, pour l'encourager, quelques guérisons dues à l'intercession de
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus. Alors sa confiance se ranimait; elle
voulait être toute seule et priait continuellement l'angélique sainte.
Elle affirme que, dans la nuit du 13 au 14, Sr Thérèse lui dit en
songe: «_Je te guérirai_» (la malade ordinairement ne rêvait jamais).

La journée du 14 fut fort pénible; les douleurs s'accentuèrent. Pas de
changement le 15. Le vendredi 16 décembre 1910, septième jour de la
neuvaine, le calme se fit, la malade sentit un grand mieux et, pleine de
joie, se mit à chanter. Le samedi matin, au réveil, ne ressentant plus
aucune douleur, elle sauta hors de son lit en s'écriant: «Je suis
guérie!»

Nous examinâmes son genou: tout avait disparu. A midi, elle mangea sans
aucun malaise. Le médecin arriva le lendemain, il regarda le genou, le
tâta et s'écria: «C'est renversant! plus rien! Elle est guérie!
renvoyez-la chez elle.»

Depuis, la miraculée se porte parfaitement et marche sans aucune
fatigue.

SR TH., _supérieure_.


121.

Asile des Petites Sœurs des Pauvres, Lisieux, 30 décembre 1910.

_Guérison d'un cancer à la langue._

Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus a exaucé la prière d'un de nos bons
vieillards (car bien qu'âgé de 60 ans seulement, il paraissait en avoir
80) qui lui demandait sa guérison.

Ferdinand Aubry--c'est le nom du privilégié de la petite Sainte--est
entré dans notre asile au mois de mai 1910. Dès ce moment nous avons
remarqué sur sa langue des taches qui nous firent craindre pour plus
tard un cancer. Il commençait déjà à souffrir un peu. Aux mois d'août et
septembre, les douleurs augmentèrent; il ne pouvait plus manger de
viande ni prendre d'aliments chauds.

Le 22 septembre, la langue se trouvait très envenimée; le lendemain 23,
la Sœur infirmière s'aperçut que le mal commençait à ronger les
chairs. Le 24, M. le docteur V. vint le voir. Il trouva en effet la
langue dans un état très grave. Selon notre conviction il était atteint,
soit de gangrène, soit d'un cancer; mais nous pensions plutôt que
c'était un cancer, à cause des taches que nous avions constatées à son
entrée à l'asile.

Le docteur ordonna de l'envoyer à l'hôpital, car, disait-il, nous
n'avions pas ici les tubes et ce qu'il fallait pour le soulager dans les
horribles souffrances qui l'attendaient; il voulait en même temps nous
épargner le spectacle de sa mort qu'il prévoyait devoir être affreuse.
Nous pensions bien, nous aussi, qu'elle serait cruelle, car nous avions
soigné déjà un vieillard atteint de cette maladie. En attendant son
transfert, le docteur approuva que nous prenions des précautions
sérieuses, comme celle de laver son linge à part. Il aurait voulu que
nous l'isolions des autres vieillards à cause de l'odeur infecte qu'il
exhalait. Il nous conseilla aussi de lui procurer sans tarder la sainte
Communion afin qu'il pût la faire encore une fois avant de mourir, car
le mal faisait des progrès rapides; il jugea même prudent de dire à
Monsieur l'Aumônier de ne lui donner qu'une parcelle de la sainte
hostie.

Dès le lendemain 25, on fit communier le malade. Quelques instants plus
tard, nous lui donnâmes une image et une relique de Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus en lui disant d'avoir confiance en elle, et de lui faire
une neuvaine pour obtenir sa guérison.

Nous avions confiance nous-mêmes, car cette petite Sainte si pure aime
les pécheurs, et nous savions que les antécédents de ce pauvre homme
n'empêcheraient pas sa céleste charité de s'exercer sur lui. Il avait
vécu de longues années loin du bon Dieu, adonné au vice abrutissant de
l'ivrognerie. A son arrivée ici, nous avions agi avec lui selon notre
coutume en pareil cas, ne le sevrant pas tout à coup, mais l'habituant
peu à peu à la sobriété; et, sa bonne volonté et son courage aidant, il
avait fini par se corriger tout à fait.

Quand je lui fis connaître la petite Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, je
lui lus le passage de sa vie où elle parle d'un pauvre vieillard à qui
elle porta l'aumône et qui lui inspira une si vive compassion qu'elle se
souvint de lui le jour de sa première Communion. Le bon Ferdinand en fut
touché; cette petite Sainte qui aimait les pauvres et les vieillards
l'avait conquis. Aussi fit-il sa neuvaine, selon son expression, «_avec
deux cœurs_». Tous les vieillards, émus d'une vive pitié, s'unirent à
sa neuvaine en récitant la «prière pour demander la béatification de
Sr Thérèse».

Ce même jour, 25 septembre 1910, deux Petites Sœurs allèrent en
pèlerinage à la tombe de la Servante de Dieu, à la même intention; et,
le lendemain, M. l'Aumônier offrit le saint sacrifice de la Messe pour
demander à Dieu la béatification de l'angélique Sr Thérèse et, par
son intercession, la guérison de notre malade.

Le lendemain, lundi 26, l'infirmière, en pansant le pauvre homme,
arracha avec un linge un lambeau de chair pourrie qui pendait de la
langue. Elle en fut très impressionnée, car le mal parut encore plus
visible; le bout de la langue avait disparu, et le reste continuait à se
ronger. Le cou était très enflé. A chaque pansement, on voyait les
progrès du mal. L'infirmière déclara plusieurs fois qu'il était
impossible, à moins d'un miracle, que le malheureux guérisse.

Le mercredi 28, nous allâmes au Carmel demander un pétale de roses avec
lesquelles Sr Thérèse avait embaumé et caressé son crucifix sur son
lit de mort. Au retour, nous posâmes la relique auprès du malade.
Revenant un instant après, nous fûmes surprises de ne rien retrouver
dans le petit sachet authentiqué; nous lui demandâmes ce qu'il avait
fait du précieux pétale: «Mais, ma Sœur, je l'ai mangé!» répondit-il
d'un ton résolu et qui révélait sa foi profonde.

A partir de ce moment nous constatâmes une légère amélioration. Pour lui
il ne disait rien, mais il ne souffrait plus. Nous l'apprîmes le 2
octobre lorsque, à notre grande surprise, il nous déclara tout à coup:
«Je suis guéri!--Mais depuis quand?--Depuis trois ou quatre jours!»

Le lendemain, 3 octobre 1910, dernier jour de la neuvaine, nous priâmes
notre docteur de venir voir notre miraculé. Nous le prévînmes de la
guérison, mais il crut que nous nous trompions. Lorsqu'il arriva près du
bon Ferdinand, celui-ci tout heureux ouvrit la bouche, et le docteur
s'écria: «Il est guéri, sa langue est cicatrisée!»

Alors, d'une voix rendue à peine intelligible à cause de l'absence du
morceau de langue que la gangrène avait fait disparaître, le vieillard
demanda: «Ma langue va-t-elle repousser?--Oh! pour ça non, mon ami; n'y
comptez pas, c'est bien impossible!» lui répondit le docteur étonné de
cette foi naïve.

Mais la petite Sainte ne voulut pas se contenter d'avoir miraculeusement
guéri son vieux protégé, elle lui obtint encore la merveille
extraordinaire qu'il désirait; sa langue se mit aussitôt à repousser,
et, à la fin d'octobre, elle avait repris l'aspect normal d'une langue
parfaitement saine.

Notre vieillard était atteint de paralysie; aussi en lui faisant
demander la guérison de sa langue, l'avions-nous engagé à demander en
même temps celle de son autre maladie. Mais il ne l'avait pas voulu,
disant que, pourvu qu'il ne meure pas de son cancer, tout le reste lui
était égal. Il ne tenait pas à la vie et préférait même mourir dans les
bonnes dispositions où il était.

Après être resté quelque temps dans un état stationnaire qui permit à de
nombreux témoins d'admirer en lui la puissance d'intercession de la
petite Sainte du Carmel, il s'affaiblit graduellement. Il put cependant
encore, le 8 décembre, aller en voiture jusqu'au cimetière pour
remercier sa céleste bienfaitrice; mais ce fut sa dernière sortie.
Quelques jours plus tard, le 18 décembre 1910, il rendait doucement son
âme à Dieu après avoir reçu les derniers sacrements avec une grande
piété.--Il était dans une parfaite tranquillité d'âme. Un des soirs qui
précéda sa mort, il dit: «Je suis si faible, je crois que je vais mourir
cette nuit; pour ne pas déranger Monsieur l'Aumônier, on pourrait me
donner tout de suite l'Extrême-Onction.»

Pendant son agonie, on l'encourageait par la pensée d'aller voir au ciel
son angélique protectrice; alors il demanda dans une pensée d'humilité:
«Mais, vais-je pouvoir entrer dans l'«appartement» où elle est?»

La nuit de sa mort, à onze heures et demie, l'infirmière voulut lui
donner de l'eau bénite. Le malade lui prit la main et fit un geste qui
indiquait son désir d'être aidé à faire le signe de la croix; il fixait
en même temps avec attention le portrait de Sr Thérèse attaché au
bénitier et paraissait ne pouvoir en détacher les yeux. On l'exhortait à
avoir confiance en Dieu, lui promettant l'assistance de sa céleste
bienfaitrice au moment de sa mort. En entendant le nom de Sr Thérèse
de l'Enfant-Jésus, il eut comme un tressaillement d'allégresse; son
regard mourant s'illumina tout à coup et se dirigea en haut vers un
certain point de la chambre. Il y avait dans ce regard comme une
assurance de salut!!!

Encore une remarque sur l'organe guéri: avant de mettre le corps dans le
cercueil, un docteur voulut examiner la langue, et nous pûmes voir avec
lui qu'elle était restée belle et saine.

Puisse-t-elle chanter maintenant les miséricordes du Seigneur!

Sr X., _supérieure_.


122.

X., France, janvier 1911.

A la suite d'une fièvre typhoïde je fus prise, vers la fin de 1908, de
vives douleurs au bras gauche qui annonçaient la carie des os. Une large
plaie suppurante s'était formée au poignet et un jour, en baignant mon
bras, je vis avec frayeur un petit fragment d'os s'en détacher.

Le médecin déclara l'urgence d'une opération: il s'agissait de mettre
l'os à nu et de nettoyer la partie atteinte afin d'arrêter--si c'était
possible--les progrès du mal.

Un retard forcé me permit d'aller, le 15 avril 1909, me recommander aux
prières du Carmel de X. Là on m'engagea à prier Sr Thérèse de
l'Enfant-Jésus et on me remit une de ses reliques. Je l'appliquai sur
mon mal et elle y resta pendant la neuvaine que je commençai dès le
lendemain, 16 avril, en union avec le Carmel.

Au jour fixé pour l'opération, le médecin arrive avec ses instruments de
chirurgie, il stérilise la lancette qui doit fouiller mon pauvre bras
tandis que je le débande. J'entre dans la salle d'opération, le docteur
s'approche, regarde ma plaie: elle est cicatrisée; il s'écrie: «Mais
c'est guéri, il n'y a pas besoin d'opération!» En effet je ne souffrais
plus!

Près de deux ans se sont écoulés depuis et jamais la moindre douleur n'a
reparu.

X.


123.

N.-D. de la Miséricorde de Lisieux, 2 janvier 1911.

Louise Lamy a été atteinte de grosseurs le long de la jambe droite en
1900. Il s'est formé du pus et une plaie. Avec les soins le mal a cédé,
mais pour reparaître les années suivantes, et, à deux reprises surtout,
a été très difficile à enrayer.

La malade ne pouvait rester couchée sur le côté droit sans être
réveillée par les douleurs, et souffrait en marchant.

En 1907, le mal fit de tels progrès que, le 28 janvier, Louise dut
entrer à l'infirmerie. Le médecin constata une nécrose à la cuisse
droite. Il s'y forma trois trous sur une superficie de 15 à 20
centimètres. Le pus sortait en telle abondance qu'il fallait passer des
drains pour l'écoulement, la plaie était pansée plusieurs fois par jour,
et des paquets de linge étaient employés à chaque fois.

Les plaies et l'état général donnaient des craintes si sérieuses que le
docteur commençait à désespérer de la guérison.

La malade ne pouvait supporter le moindre pansement sans souffrir
d'atroces douleurs; elle ne pouvait s'appuyer aucunement sur la jambe,
l'appétit avait disparu ainsi que le sommeil, et on s'attendait à un
dénouement prochain.

Notre chère malade, qui aimait beaucoup Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus,
eut l'idée de lui faire une neuvaine. Elle la commença avec une grande
confiance. Pendant cette neuvaine elle souffrit davantage. On lui
conseilla d'en recommencer une seconde, puis, pour les pansements, on se
servit d'une goutte d'huile bénite de la Sainte Face, pour laquelle
Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus avait tant de dévotion. Vers le milieu
de la neuvaine, Jeudi Saint, 28 mars, notre malade, qui avait passé une
bonne nuit, sentit en s'éveillant qu'elle pouvait remuer la jambe et dit
à la Mère infirmière qui se disposait à faire le pansement matinal:
«Vous pouvez aller à la Messe sans me changer, je suis mieux.»

En effet, il restait de petits trous, mais qui ne la faisaient pas
souffrir. La suppuration avait cessé. Les plaies mirent deux ou trois
jours à se fermer. La malade s'était levée vers neuf heures. Le docteur
venu pour la voir ne pouvait en croire ses yeux. «Je suis guérie, lui
dit-elle, je ne souffre plus.»

L'après-midi, elle descendit à la cuisine et remonta les escaliers sans
souffrance.

Le jour de Pâques, 31 mars, elle fut à la Messe à la chapelle, et
s'agenouilla à la sainte Table, comme ses compagnes. Le docteur ne
pouvait revenir d'un tel changement, car il ne voyait pas de remède à ce
mal affreux.

L'année suivante, novembre 1908, ce même docteur demande à voir sa
malade. Il est frappé de sa mine de santé; puis, après examen sérieux,
ne trouvant aucune trace de l'horrible plaie, il se retire persuadé de
l'intervention de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus.

Depuis, aucune rechute, la santé est excellente.

Sr X.

_Supérieure._

     Suit le certificat du médecin.


124.

Trouville-s.-Mer (Calvados), 2 janvier 1911.

J'avais, depuis l'enfance, une grosseur sous l'aisselle droite,
semblable à une bille mobile placée entre cuir et chair. Elle se sentait
très nettement à la palper, mais n'était pas visible à l'extérieur. Je
n'en souffrais nullement.

Il y a quatre ans, elle augmenta de volume et devint douloureuse. Je
consultai alors un médecin de Bernay qui l'appela «ganglion tubéreux» et
me conseilla une opération pour plus tard.

Souffrant davantage, je consultai durant l'été 1905 un médecin de
Trouville qui me fit subir un traitement continu, pendant trois mois et
dix-sept jours. Il appela mon mal «kyste néogéne» et me l'ouvrit très
souvent, c'est-à-dire plusieurs fois chaque semaine. Il en extrayait
alors, à l'aide de pinces, de petits cheveux enroulés en forme de
limaçon. Après ce traitement je souffris un peu moins, mais je n'étais
nullement guéri.

Au printemps 1910, je fus repris plus violemment et incapable de
travailler. La douleur se faisait sentir non pas seulement sous le bras
qui me semblait comme rongé intérieurement, mais encore dans tout le
côté du corps et de la tête, si bien que mon caractère avait
complètement changé et que j'étais devenu, par la persistance du mal,
d'humeur chagrine et irascible.

Une opération fut donc décidée par le docteur X. et le jour fixé à l'un
des derniers samedis de mai, je ne sais plus lequel.--Par une
coïncidence providentielle, une personne pieuse engagea ma femme à faire
une neuvaine à Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus pour ma guérison. C'était
la première fois que nous entendions parler de cette Sœur; nous nous
empressâmes quand même de suivre le conseil.

Or, chaque jour de la neuvaine, nous constations que le kyste diminuait
de grosseur et de dureté, si bien que le samedi, jour de clôture de la
neuvaine et jour fixé pour mon entrée à la clinique, où l'opération
devait avoir lieu le surlendemain lundi, la grosseur avait complètement
disparu. J'hésitai à me rendre à la consultation; sur les instances de
ma femme, je m'y décidai. Je trouvai le docteur X. en compagnie d'un
autre chirurgien qu'il me demanda de faire assister à l'opération, à
titre de témoin, car, disait-il, mon cas était intéressant et rare. Je
lui répondis en souriant--car j'avais repris ma gaieté d'autrefois--que
la présence d'un autre docteur ne me gênait nullement... puis je
découvris l'épaule et le bras, et le docteur parut stupéfait quand,
après avoir examiné et palpé de toutes façons le siège du mal, il
constata qu'il n'y avait plus rien, que j'étais complètement guéri. Il
me demanda si j'avais employé des remèdes nouveaux et lesquels; et, sur
ma réponse négative, il me renvoya en disant: «C'est étrange! Enfin, si
le mal vous reprend, je suis toujours là: vous viendrez me retrouver.»

Depuis cette époque, fin mai 1910, je n'ai plus jamais senti la moindre
trace de cette grosseur, ni éprouvé la moindre douleur à l'endroit jadis
malade; et pourtant, je me suis livré aux plus pénibles travaux.

En foi de quoi j'ai signé de plein cœur la présente attestation,
attribuant ma guérison uniquement à la puissante intercession de Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus dont je n'ai jamais cessé depuis lors de
porter les reliques et d'implorer la bienfaisante protection.

X.


125.

X., 2 janvier 1911.

_Parmi les faveurs que l'on nous signale des cinq parties du monde,
citons enfin celle-ci_:

MA RÉVÉRENDE MÈRE,

Vous vous souvenez de mon pèlerinage à Lisieux, vous vous rappelez dans
quel état de découragement je me présentai à vous. Vous m'avez promis
alors de prier pour moi, et vous l'avez fait certainement car le même
jour, sur la tombe de Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus, tandis que je
sanglotais le front appuyé sur la croix, subitement le calme, la paix,
l'abandon succédèrent à une angoisse mortelle; quand je dis paix, je
veux parler d'un état de quiétude que je n'ai jamais ressenti, même aux
heures divines de mes ordinations, et qui, depuis lors, ne m'a jamais
quitté.

En même temps, une lumière subite inonda mon âme et la transforma. Sr
Thérèse me faisait comprendre et m'obtenait la force de vouloir suivre
la voie du renoncement total et continu. Ce fut un vrai miracle.

A cette même heure, ma mère, restée dans ma paroisse, reçut cette
inspiration: «_Inutile de te préoccuper, ton fils est guéri._» Elle
ouvrit alors au hasard un livre de piété qu'elle tenait à la main, et ce
fut le portrait de Thérèse qui s'offrit à ses regards. Elle le couvrit
de larmes de joie.

Depuis lors, je suis comme sur un rivage béni, en possession d'une paix
inexprimable.

Mais tout cela, ma Révérende Mère, n'est que le prélude des faveurs
admirables dont je suis l'objet de la part de notre angélique Sœur.
Je sens à tout moment l'assistance de quelqu'un qui féconde et conduit
merveilleusement mon ministère et mes labeurs, et me fait demeurer avec
Notre-Seigneur dans une ineffable intimité. Mes plus grosses difficultés
sont réduites à néant comme par enchantement. Malgré l'opposition
humainement insurmontable des méchants, le bien s'accentue tous les
jours davantage.

Parfois, au moment de monter en chaire, je change subitement mon sujet
d'instruction, une force mystérieuse m'inspire et me dicte des paroles
que je trouve étranges; il me serait souvent impossible de me les
rappeler ensuite pour les mettre par écrit. Et après, l'on me fait cette
réflexion: «Mais ce que vous nous avez dit, c'est divin!»

Enfin, ma Révérende Mère, je dois vous avouer que non seulement je sens
la présence de Sr Thérèse, mais aussi que je l'ai _vue_--sous les
traits de sa photographie, celle qui se trouve au commencement de
l'_Histoire d'une âme_.

La première fois, j'étais dans une grande tentation de découragement;
l'angoisse dont elle me délivra sur sa tombe me revenait. Je disais le
bréviaire dans mon jardin; tout à coup, à bout de forces, je m'arrêtai
et m'écriai tout haut: «Thérèse! Thérèse!»..... Et je la vis apparaître
devant moi; elle souriait et me dit avec une autorité toute céleste:
«CONFIANCE!» et elle disparut, ayant mis fin par ce seul mot à mon
tourment intime.

La seconde fois, je revenais de visiter un confrère; chemin faisant, je
songeais aux mille obstacles que l'impiété fait surgir contre moi dans
mon ministère paroissial, et le découragement me saisit de nouveau avec
une telle violence que je fus tenté de rebrousser chemin. Alors, avec la
simplicité et l'insistance d'un enfant, j'appelle ma libératrice... Que
vois-je? Comme un ange elle plane dans les airs, étendant son blanc
manteau sur ma paroisse, tandis que j'entends ces paroles: «_Ce n'est
pas vous seulement que je protège, je protège aussi votre peuple. Soyez,
en paix, je dirigerai tout, je serai votre bouclier._»

Confus des tendresses du Ciel, je me mis à pleurer et rentrai chez moi
l'âme inondée de joie et de confiance.

Dans une autre circonstance, l'appelant à mon secours, je la vis se
précipiter sur le démon et le terrasser, puis elle me couvrit de son
manteau avec une sollicitude de mère. A ce moment, j'avais
l'intelligence de la grandeur du prêtre. Oui, cette âme privilégiée est
terrible aux démons «comme une armée rangée en bataille».

Lorsqu'elle est auprès de moi, je perds conscience des personnes et des
choses, je ne vois plus les objets qui m'environnent, je ne vois
qu'elle, toute baignée de lumière, la physionomie rayonnante de grâce
divine, de tendresse et de force. Ces visions très rapides ne durent que
le temps de faire naître un sentiment profitable à mon âme et glorieux à
Dieu.

       *       *       *       *       *

Depuis quelque temps, au commencement du saint Sacrifice, je lui demande
de me suivre dans l'oblation divine, et, ô merveille! elle m'apparaît
avec une dignité et une majesté célestes. Elle me fait alors comprendre
l'amour infini de Jésus pour l'homme pécheur, et je me sens pénétré de
tendresse pour les âmes.

Ah! ma Révérende Mère, vous le voyez, Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus
s'est chargée de moi. Au ciel seulement on saura tout ce que je lui
dois. Elle m'a donné l'attrait de la vie cachée et oubliée, elle me fait
vivre dans la pratique constante du renoncement absolu; elle m'a révélé
le vrai sens de l'humilité du cœur; maintenant détaché de tout, je
comprends que je suis l'instrument indigne entre les mains de Dieu, et
j'ose dire que mon amour pour Jésus est devenu un feu qui me consume.

Je supplie à genoux mes confrères, qui ne me connaîtront jamais, de
mettre toute leur confiance en cette élue de Dieu. Qu'ils me croient:
_Sr Thérèse aime les prêtres comme elle aimait Jésus sur ta terre._
Le prêtre, n'est-ce pas Jésus avec son autorité et sa miséricorde? ON NE
CONNAÎT PAS ASSEZ LA PUISSANCE ET LE ZÈLE DE CETTE SAINTE CARMÉLITE POUR
LA SANCTIFICATION DES PRÊTRES. _Elle a daigné me le faire comprendre,
non seulement par sa sollicitude à mon égard, mais par une vision
spéciale où elle me montrait le Ciel, m'excitant à travailler avec elle
à la sanctification de mes frères dans le sacerdoce._

Oui, Sr Thérèse sera le salut des prêtres. C'est la mission qui lui a
été confiée par le Seigneur!

       *       *       *       *       *

La main sur le saint Evangile, je jure que tout ce que j'ai dit dans
cette relation est conforme à la vérité.

X., _curé_.

     Suivent les attestations du directeur et du confesseur de ce
     prêtre.


     _Les Carmélites de Lisieux demandent aux personnes qui reçoivent
     des grâces attribuées à l'intercession de sœur Thérèse de
     l'Enfant-Jésus, de bien vouloir, sans tarder, les faire connaître à
     leur monastère._

     _Elles remercient des relations déjà envoyées, ainsi que des dons
     offerts en reconnaissance des grâces obtenues,--dons de toute
     nature, gardés précieusement et discrètement, jusqu'au jour où il
     sera permis de les exposer et de s'en servir:--ex-voto de marbre
     blanc, objets d'art, dentelles de prix, bijoux d'or, pierreries,
     etc.; dons en argent, faits en vue du Procès de Béatification._

[Illustration]

[Illustration: Exhumation de la Servante de Dieu, Thérèse de
l'Enfant-Jésus. (6 septembre 1910.)

Après avoir retiré le cercueil de l'ancienne tombe où l'on voit la
croix, S. G. Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, bénit la
nouvelle tombe et permet à la foule de dénier devant le cercueil. Mgr de
Teil, Vice-Postulateur, écrit, le procès-verbal; à ses pieds on voit la
palme retrouvée intacte.]



Le six Septembre 1910, au Cimetière de Lisieux


Bien des fois durant sa dernière maladie, Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus avait annonce qu'on ne retrouverait d'elle, _selon son
désir_, que des ossements.

«Vous avez trop aimé le bon Dieu, il fera pour vous des merveilles, nous
retrouverons votre corps sans corruption», lui disait une novice peu de
temps avant sa mort.--«_Oh non! répondit-elle, pas cette merveille-là!
ce serait sortir de ma petite voie d'humilité, il faut que les petites
âmes ne puissent rien m'envier._»

L'exhumation des restes de la Servante de Dieu, faite dans le but
d'assurer leur conservation et non de les exposer déjà à la vénération
des fidèles, eut lieu le 6 septembre 1910.

On avait essayé de tenir la chose secrète, mais elle fut cependant assez
connue pour permettre à plusieurs centaines de personnes d'accourir au
cimetière.

Mgr Lemonnier, évêque de Bayeux et Lisieux, Mgr de Teil,
vice-postulateur de la cause, MM. les chanoines Quirié et Dubosq,
vicaires généraux, et beaucoup de prêtres parmi lesquels tous les
membres du Tribunal chargé d'instruire le Procès de Béatification,
étaient présents.

Le travail de l'exhumation offrait de grandes difficultés, le cercueil
se trouvant placé à une profondeur de 3 m. 50, et dans un très mauvais
état. Un expert en ces sortes de manœuvres dirigeait celle-ci. Il fit
glisser des planches sous le cercueil, pour faire un fond artificiel
destiné à soutenir l'autre qui menaçait de s'effondrer; puis on
enveloppa le tout de fortes toiles maintenues par de solides courroies.
Avec bien du temps et des anxiétés, on parvint ainsi à remonter le
cercueil sans accident. Lorsqu'il apparut à ses regards, le Pontife
entonna d'une voix émue le chant de David louant le Seigneur qui «_tire
l'humble de la poussière pour le faire asseoir avec les princes de son
peuple_». Et tandis que les prêtres psalmodiaient le LAUDATE PUERI
DOMINUM, on aperçut au travers des planches disjointes, toute verte et
fraîche comme au premier jour, la palme que le 4 octobre 1897, on avait
placée sur la dépouille virginale de la Servante de Dieu[278].
N'était-ce point le symbole de la palme immortelle qu'elle avait
remportée par le martyre du cœur? ce martyre au sujet duquel elle
avait écrit: «_A tout prix je veux cueillir la palme d'Agnès; si ce
n'est par le sang, il faut que ce soit par l'_AMOUR.»

On ouvrit alors le cercueil.

Deux ouvriers, le père et le fils, se tenaient près de là; ils sentirent
à ce moment un suave et fort parfum de violettes qu'aucune cause
naturelle ne pouvait expliquer et qui les émut profondément[279].

Les vêtements apparurent en ordre; ils semblaient aussi conservés, mais
ce n'était qu'une apparence. Les voiles et la guimpe n'existaient plus,
la grosse bure des carmélites avait perdu toute consistance et se
déchirait sans effort... Enfin, comme l'humble enfant l'avait souhaité,
on ne retrouvait d'elle que des ossements!

Un des médecins présents voulut en offrir une parcelle à Mgr Lemonnier,
mais Sa Grandeur s'y opposa et défendit qu'on en emportât la moindre
partie. Il accepta seulement la petite croix de buis qui avait été
placée dans les mains de la Servante de Dieu.

L'ancien cercueil fut alors déposé dans une bière de plomb disposée dans
un cercueil de chêne. Puis on recouvrit le corps de vêtements neufs qui
avaient été préparés, et la tête d'un voile que l'on entoura de roses,
les dernières cueillies à ces mêmes rosiers du Carmel dont tant de fois
l'angélique Thérèse avait jeté les fleurs au pied du Calvaire.

A ce moment, sur l'ordre de Mgr Lemonnier, pour contenter la foule qui
stationnait dans le cimetière, silencieuse et recueillie, on écarta les
toiles qui dérobaient aux regards le petit enclos des Carmélites et le
cercueil fut placé sur des tréteaux devant la porte grillée.

Pendant trois quarts d'heure, on ne cessa de défiler, de prier, de faire
toucher des objets de piété. Monseigneur l'évêque de Bayeux avait été le
premier à faire toucher aux ossements des morceaux de soie violette
apportés par lui à cette intention. On vit des ouvriers approcher leur
alliance de mariage; tous ceux qui avaient travaillé à l'exhumation
semblaient pénétrés de respect. On estima à plus de cinq cents personnes
celles qui vénérèrent les restes, après trois heures d'attente.

Une impression extraordinaire de surnaturel, une émotion dont ils
n'étaient pas maîtres envahissait les assistants. L'âme de Sœur
Thérèse planait sans doute auprès de sa dépouille mortelle, heureuse
d'offrir à son Créateur l'anéantissement de son être physique... On
sentait qu'il se passait quelque chose de grand, de solennel. Malgré
les réalités lugubres et humiliantes du tombeau, les âmes, au lieu
d'être déconcertées, troublées, refroidies dans leur foi et leur amour,
sentaient croître au contraire la ferveur et la tendresse de leur
vénération.

Quand le défilé eut pris fin, un procès-verbal, écrit sur parchemin
timbré aux armes de Mgr Lemonnier, fut renfermé dans un tube de métal et
déposé dans le cercueil de plomb. Puis on ferma celui-ci, sur la
couverture duquel est soudée une plaque avec l'inscription:

SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS ET DE LA SAINTE FACE.

MARIE-FRANÇOISE-THÉRÈSE MARTIN.

1873-1897.

Le même texte se lit sur une plaque de cuivre fixée sur le cercueil de
chêne. Deux empreintes de chacun des cachets de Mgr Lemonnier et de Mgr
de Teil furent apposées sur la soudure aux quatre angles du cercueil de
plomb. Il ne restait plus qu'à fixer le couvercle en bois de chêne.

A quelques pas de la première tombe, on en avait creusé une nouvelle, de
deux mètres de profondeur, où l'on avait préparé un caveau en briques,
aux dimensions du cercueil. Mgr Lemonnier l'avait bénite en arrivant, et
c'est là que fut descendue la précieuse dépouille.

Le soir, les planches enlevées au cercueil, quelques fragments des
vêtements et la palme, que la dévotion indiscrète des ouvriers avait
mise en lambeaux, furent rapportés au Carmel, et la Sœur chargée de
les ramasser sentit par deux fois un parfum de roses. Des parcelles des
vêtements et du cercueil exhalèrent ailleurs un parfum d'encens.

Une autre planche, détachée de la tête du cercueil et qui n'avait pu
être retrouvée le jour même, fut également, huit jours après, rapportée
au monastère. La Sœur tourière qui l'avait découverte, doutant un peu
de son authenticité, supplia Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus de la
manifester par un signe sensible. Elle fut exaucée, car plusieurs
Sœurs, qui n'avaient point été averties, furent embaumées d'un
merveilleux parfum d'encens qui s'exhalait de cette planche et que l'une
d'elles sentit à une assez grande distance.

Mais le cœur si tendre de Sœur Thérèse voulait encore consoler
ceux qui l'aiment en leur donnant une image saisissante de la plénitude
de vie dont elle jouit dans le Ciel.

Une des âmes qu'elle a favorisées en cette circonstance de ses célestes
communications, et qui est fort estimée de prêtres pieux et éclairés, a
attesté sous la foi du serment la vérité du récit qu'on va lire.

Cette personne souhaitait vivement assister à l'exhumation et avait
projeté de s'informer de l'époque où elle aurait lieu, mais elle la
croyait fort éloignée encore. Le fait suivant s'est passé dans la nuit
même qui suivit l'exhumation, du 6 au 7 septembre.

Dans sa vision, elle aperçut d'abord une grande foule qu'elle prit à la
fois pour un cortège triomphal et un enterrement très solennel. «Puis,
dit-elle, je vis une jeune vierge resplendissante de lumière. Son
vêtement de neige et d'or étincelait de toute part. Je ne distinguais
pas ses traits, tant ils étaient imprégnés de lumière. A demi couchée,
elle se souleva, paraissant sortir d'un suaire lumineux. Avec une
candeur et un sourire d'enfant, elle m'entoura de ses bras et me donna
un baiser. A ce céleste contact il me sembla que j'étais dans un océan
de pureté et que je buvais à la source des joies éternelles. Je n'ai
point de mots pour exprimer l'intensité de vie qui émanait de tout son
être. Tout en elle disait sans parole, par un rayonnement inexprimable
de tendresse, comment en Dieu, foyer de l'amour infini, les bienheureux
aiment au Ciel...»

Ignorant ce qui se passait à Lisieux, l'heureuse privilégiée se
demandait quelle était cette jeune vierge et pourquoi elle lui était
apparue couchée et sortant d'un suaire. Trois jours après, lisant dans
_La Croix_ le récit de l'exhumation, elle eut aussitôt la certitude que
c'était Sœur Thérèse qui était venue l'avertir de l'événement, et
elle partit immédiatement pour l'en remercier sur sa tombe.

Mais ce n'était pas assez pour la Servante de Dieu d'avoir donné aux
siens cette preuve d'affection, de leur avoir dit comme l'ange à
Madeleine: «Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celle qui est pleine
de vie?», elle voulut encore leur faire des promesses pour l'avenir.

Le 5 septembre, veille de l'exhumation, elle était apparue à la
révérende Mère Prieure d'un Carmel étranger, et, lui annonçant que le
lendemain on ne retrouverait d'elle que des ossements, «_à peine des
ossements_», elle lui avait fait pressentir les merveilles qu'elle doit
opérer dans la suite. La révérende Mère les résume ainsi: «Ces ossements
bénis feront des miracles éclatants et seront des armes puissantes
contre le démon.»

Quelques semaines plus tard, le résultat de l'exhumation parvenait à la
connaissance d'un professeur de l'Université de X., homme d'une grande
valeur intellectuelle, d'une éminente piété et, de plus, très favorisé
par la Servante de Dieu de grâces de tout genre, depuis plus de dix ans
qu'il la connaît. Il s'attrista d'abord de ce que l'angélique vierge
avait été soumise à la loi commune, et comme il se laissait aller à ces
pensées mélancoliques, il entendit une voix intérieure lui répondre:

«_C'était la robe de mes jours de travail que J'ai déposée; j'attends la
robe du dimanche éternel: peu m'importe ce qui arrivera à l'autre._»

«Et alors, dit-il, j'eus une lumière qui me consola, je compris que
cette dissolution répandra des atomes de son corps en tous lieux, de
façon que non seulement son âme, mais encore quelque chose de son corps
pourra être présent et FAIRE DU BIEN SUR LA TERRE.

«Il me semble, en effet, que tout ce qui a réellement appartenu au corps
d'un saint est une relique, et s'il en est ainsi, non seulement ses os,
mais encore les molécules invisibles de matière peuvent porter en elles
la grâce des reliques.»

N'est-ce pas la réponse à ce désir si poétiquement exprimé:

    Seigneur, sur tes autels, plus d'une fraîche rose
              Aime à briller,
    Elle se donne à toi... mais je rêve autre chose:
              C'EST M'EFFEUILLER...

[Illustration]



TABLE DES MATIÈRES


                                                                   Pages.

LETTRES D'APPROBATION                                                  V

AU LECTEUR                                                         XXIII

PRÉFACE                                                              XXV

INTRODUCTION                                                      XXXIII


HISTOIRE D'UNE AME

Chapitre premier.

Les premières notes d'un cantique d'amour.--Le cœur d'une mère.--Souvenirs
de deux à quatre ans                                                   3

Chapitre II.

Mort de sa mère.--Les Buissonnets.--Amour paternel.--Première
confession.--Les veillées d'hiver.--Vision prophétique                19

Chapitre III.

Le pensionnat.--Douloureuse séparation.--Maladie étrange.--Un
visible sourire de la Reine du ciel                                   37

Chapitre IV.

Première Communion.--Confirmation.--Lumières et ténèbres.--Nouvelle
séparation.--Gracieuse délivrance de ses peines
intérieures                                                           53

Chapitre V.

La grâce de Noël.--Zèle des âmes.--Première conquête.--Douce
intimité avec sa sœur Céline.--Elle obtient de son père la permission
d'entrer au Carmel à quinze ans.--Refus du Supérieur.--Elle
en réfère à sa Grandeur Mgr Hugonin, évêque de Bayeux                 73

Chapitre VI.

Voyage de Rome.--Audience de Sa Sainteté Léon XIII.--Réponse
de Monseigneur l'Evêque de Baveux.--Trois mois d'attente              93

Chapitre VII.

Entrée de Thérèse dans l'Arche bénie.--Premières épreuves.--Les
fiançailles divines.--De la neige.--Une grande douleur               115

Chapitre VIII.

Les Noces divines.--Une retraite de grâces.--La dernière larme
d'une sainte.--Mort de son père.--Comment Nôtre-Seigneur
comble tous ses désirs.--Une victime d'amour                         131

Chapitre IX.

L'Ascenseur divin.--Première invitation aux joies éternelles.--La
nuit obscure.--La table des pécheurs.--Comment cet ange
de la terre comprend la charité fraternelle.--Une grande victoire.--Un
soldat déserteur                                                     151

Chapitre X.

Nouvelles lumières sur la charité.--Le petit pinceau: sa manière
de peindre dans les âmes.--Une prière exaucée.--Les miettes
qui tombent de la table des enfants.--Le bon Samaritain.--Dix
minutes plus précieuses que mille ans des joies de la terre          177

Chapitre XI.

Deux frères prêtres.--Ce qu'elle entend par ces paroles du livre
des Cantiques: «Attirez-moi...»--Sa confiance en Dieu.--Une
visite du ciel.--Elle trouve son repos dans l'amour.--Sublime
enfance.--Appel à toutes les petites âmes                            199

Chapitre XII.

Le Calvaire.--L'essor vers le ciel                                   223


APPENDICE

Conseils et Souvenirs.--Prières                                      257

Acte d'offrande                                                      301

Consécration à la sainte Face                                        304

Prières                                                              305

Prière à l'Enfant-Jésus                                              305

Prière à la sainte Face                                              306

Prière inspirée par une image représentant la Vénérable Jeanne d'Arc 306

Prière pour obtenir l'humilité                                       307


LETTRES

FRAGMENTS

Lettres de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus à sa sœur Céline           311

Lettres à la Rde Mère Agnès de Jésus                                 337

Lettres à Sœur Marie du Sacré-Cœur                                   344

Lettres à Sœur Françoise-Thérèse                                     351

Lettres à sa cousine Marie Guérin                                    356

Lettre à sa cousine Jeanne Guérin                                    359

Lettres à ses Frères spirituels                                      360


POÉSIES

Première partie.

Mon chant d'aujourd'hui                                              371

Vivre d'amour                                                        393

Cantique à la Sainte Face                                            377

_Dirupisti, Domine, vincula mea!_                                    379

Jésus mon Bien-Aimé, rappelle-toi!                                   380

Au Sacré-Cœur                                                        389

Le Cantique éternel chanté des l'exil                                391

J'ai soif d'amour                                                    392

Mon ciel à moi                                                       394

Mon espérance                                                        396

Jeter des rieurs                                                     397

Mes désirs près du Tabernacle                                        398

Jésus seul                                                           400

La volière de l'Enfant-Jésus                                         402

Glose sur le Divin                                                   404

A l'Enfant-Jésus                                                     405

Ma Paix et ma Joie                                                   406

Mes Armes                                                            408

Un lis au milieu des épines                                          410

La rose effeuillée                                                   411

L'abandon                                                            413

Deuxième partie.

La Rosée divine ou le lait virginal de Marie                         415

La Reine du ciel à sa petite Marie                                   417

Pourquoi je t'aime, ô Marie!                                         420

A saint Joseph                                                       426

A mon Ange gardien                                                   427

A mes petits Frères du ciel, les saints Innocents                    429

La mélodie de sainte Cécile                                          430

Cantique de sainte Agnès                                             436

Au Vénérable Théophane Vénard                                        438


Troisième partie.

La Bergère de Domremy écoutant ses voix                              441

Hymne de Jeanne d'Arc après ses victoires                            447

Prière de Jeanne d'Arc dans sa prison                                448

Les voix de Jeanne pendant son martyre                               449

Le jugement divin                                                    450

Le cantique du triomphe                                              451

Prière de la France à la Vénérable Jeanne d'Arc                      453

Cantique pour obtenir la canonisation de la Vénérable Jeanne d'Arc   454

Histoire d'une Bergère devenue reine                                 457

Le divin petit Mendiant de Noël                                      460

Les Anges à la crèche                                                472

La fuite en Egypte                                                   482

Jésus à Béthanie                                                     485

Prière de l'enfant d'un saint                                        493

Ce que j'aimais                                                      496


PLUIE DE ROSES

_Quelques-unes des grâces et guérisons attribuées à l'intercession
de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus_                                     1*

_Le six Septembre 1910, au Cimetière de Lisieux_                     107*

[Illustration]



TABLE DES GRAVURES


Portrait de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus          II

Thérèse enfant et sa mère                                             11

Maison où naquit Thérèse. Alençon (Orne).--Eglise Notre-Dame
d'Alençon où Thérèse fut baptisée.--Les Buissonnets (Lisieux)         23

La Vierge de la chambre de Thérèse                                    49

Le Pensionnat des Bénédictines de Lisieux.--Thérèse le jour de
sa Première Communion.--Chœur des religieuses où Thérèse
fit sa Première Communion                                             63

Thérèse à 15 ans et son père                                          83

Thérèse aux pieds de Léon XIII                                       107

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus novice                                125

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, sacristine                           141

Cellule de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus.--Le Préau du Carmel
de Lisieux                                                           165

Chapelle du Carme! de Lisieux.--Chœur des Carmélites                 189

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus dans le jardin du monastère           209

Vue générale du Carmel de Lisieux.--Cloître d'où l'on aperçoit
l'infirmerie où mourut Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus                239

Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus après sa mort, d'après un tableau de
«Céline»                                                             255

Allée des marronniers dans le jardin du Carmel de Lisieux            280

Tombe de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus                              301

Thérèse et Céline                                                    339

Portrait de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus d'après un tableau de
«Céline»                                                             368

La Sainte Face                                                       395

Intérieur de la Chapelle du Carmel de Lisieux                        396

La Vierge-Mère                                                       413

Oratoire où se trouve actuellement la «Vierge de la chambre
de Thérèse»                                                          418

L'Enfant Jésus du Cloître                                            458

Fresque composée et peinte par Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus        476

Les armoiries de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus                      505

Exhumation de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus                         103*

[Illustration]



ÉDITIONS ÉTRANGÈRES


L'=Histoire d'une Ame= et les diverses publications sur la Servante de
Dieu, Thérèse de l'Enfant-Jésus, sont traduites et éditées en diverses
langues: =anglaise=, =espagnole=, =portugaise=, =italienne=, =allemande=,
=polonaise=, =flamande=, =hollandaise=, =japonaise=.

Des traductions en d'autres langues sont également en préparation.

Pour avoir le Catalogue détaillé de ces différentes éditions étrangères
s'adresser _au Carmel de Lisieux_ (Calvados) ou _à l'Imprimerie
Saint-Paul_, 36, boulevard de la Banque, Bar-le-Duc (Meuse).


NOTES:

[1] _Une boucle des cheveux de Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus et sa
première petite dent enchâssée dans un de ses bijoux._

[2] Publiée seule à la première édition.

[3] _Univers_, 11 juillet 1906.

[4] Mgr d'Aviau, le saint et illustre archevêque de Bordeaux, fit aux
parents l'honneur de baptiser le petit Louis. Lisant dans l'avenir, il
leur dit: «Réjouissez-vous, cet enfant est un prédestiné.»

[5] Chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.

[6] Devenue bientôt après Sœur Marie-Dosithée, au Monastère de la
Visitation du Mans, elle y pratiqua constamment toutes les vertus
religieuses. De son propre aveu, jamais, dans toute sa vie, elle ne
commit de propos délibéré la faute la plus légère. Dom Guéranger, qui la
connaissait, la citait comme un modèle de parfaite religieuse.

Mgr d'Outremont, de sainte mémoire, vint la visiter quelques jours avant
sa mort et lui dit cette parole qui la combla de joie: «Ma fille, n'ayez
aucune crainte, _où l'arbre tombe, il demeure_: vous allez tomber sur le
Cœur de Jésus pour y demeurer éternellement.» Ainsi encouragée, elle
mourut dans d'admirables sentiments de confiance, le 24 février 1877,
dans sa quarante-huitième année.

[7] R. P. de Santanna.

[8] Cette vierge précieuse, bien que sans aucune valeur artistique,
s'était animée deux fois pour éclairer et consoler, en de graves
circonstances, la mère de Thérèse. Elle-même reçut, par cette statue
bénie, des grâces signalées, comme nous le verrons plus loin.

[9] Marci, III, 13.

[10] Exod., XXXIII, 18, 19.

[11] Rom., IX, 16.

[12] Ps. XXII, 1, 2, 3, 4.

[13] Ps. CII, 8.

[14] Cette vénérée Mère avait fait profession au Carmel de Poitiers,
d'où elle fut envoyée pour fonder celui de Lisieux en 1838.

Sa mémoire est restée en bénédiction dans ces deux monastères; elle y
pratiqua constamment sous le regard de Dieu seul les vertus les plus
héroïques, et couronna par une mort très sainte une vie chargée de
bonnes œuvres, le 5 décembre 1891. Elle était âgée de
quatre-vingt-six ans.

[15] Marie Guérin entra au Carmel de Lisieux, le 15 août 1895, et
prononça ses vœux sous le nom de _Sœur Marie de l'Eucharistie_.

Elle se fit remarquer par son grand esprit de pauvreté et sa patience au
milieu de longues souffrances. «_Je ne sais pas si j'ai bien souffert,_
dira-t-elle pendant sa dernière maladie, _mais il me semble que_ THÉRÈSE
_me communique ses sentiments et que j'ai son même abandon_. _Oh! si je
pouvais comme elle mourir d'amour! Ce ne serait pas étonnant, puisque je
fais partie de la légion des petites victimes qu'elle a demandées au bon
Dieu. Ma Mère, pendant mon agonie, si vous voyez que la souffrance
m'empêche de faire des actes d'amour, je vous en conjure, rappelez-moi
mon désir. Je veux mourir en disant à Jésus que je l'aime._»

Ce désir fut réalisé. La Mère Prieure, dans une lettre circulaire
adressée à tous les Carmels, raconte ainsi ses derniers moments:

«On respirait vraiment, dans sa cellule, une autre atmosphère que celle
d'ici-bas. Une de nos sœurs y apporta «LA VIERGE DE THÉRÈSE». Le
regard déjà si beau de la petite Marie s'illumina d'un reflet céleste.
«_Que je l'aime!_ dit-elle en lui tendant les bras. _Oh! qu'elle est
belle!_»

«Le moment suprême approchait, et les élans de notre douce mourante
devenaient toujours plus expressifs et plus embrasés: «_Je ne crains pas
de mourir! oh! quelle paix!... Il ne faut pas avoir peur de la
souffrance... Il donne toujours la force... Oh! que je voudrais bien
mourir d'amour!... d'amour pour le bon Dieu..._ MON JÉSUS, JE VOUS
AIME!» Et l'âme de notre angélique sœur, quittant son enveloppe
fragile, s'exhala dans cet acte d'amour...

«C'était le 14 avril 1905. Elle avait 34 ans.»

[16] Joan., XI, 4.

[17] Du haut du ciel, Thérèse sut lui rendre ses soins maternels.
Pendant sa dernière maladie, elle la protégea visiblement. Un matin, on
la trouva paisible et radieuse: «_Je souffrais beaucoup,_ dit-elle,
_mais ma petite Thérèse m'a veillée avec tendresse. Toute la nuit je
l'ai sentie près de mon lit. A plusieurs reprises, elle m'a caressée, ce
qui m'a donné un courage extraordinaire._» Mme Guérin avait vécu et
mourut comme une sainte, à l'âge de 52 ans. Elle répétait, le sourire
sur les lèvres: «_Que je suis contente de mourir! C'est si bon d'aller
voir le bon Dieu! Mon Jésus, je vous aime. Je vous offre ma vie pour les
prêtres, comme ma petite Thérèse de l'Enfant-Jésus._» C'était le 13
février 1900.

M. Guérin, après avoir pendant bien des années employé sa plume à la
défense de l'Eglise et sa fortune au soutien des bonnes œuvres,
mourut saintement, tertiaire du Carmel, le 28 septembre 1909, dans sa
69e année.

[18] Cant., II, 11.

[19] Sap., IV, 12.

[20] Eccles., I, 2.

[21] _Imit._, l. I, ch. I, 3.

[22] Cant., II, 1.

[23] Galat., II, 20.

[24] _Imit._, l. III, c. XXVI, 3.

[25] Ps. LIV, 6.

[26] Lucæ, VII, 47.

[27] Lucæ, V, 32.

[28] Sap., IV, 11.

[29] Sap., V, 10.

[30] Elle entra au Carmel de Lisieux le 15 octobre 1886, et prit le nom
de _Sœur Marie du Sacré-Cœur_.

[31] Lucæ, V, 5.

[32] Joan., IV, 7.

[33] Ezech., XVI, 8, 9, 13.

[34] _Imit_., l. III, c. XLIII, 4.

[35] Cant., VIII, 1.

[36] Lucæ, XIX, 26.

[37] Lucæ, X, 21.

[38] Cant., II, 3.

[39] Matt., XVIII, 6.

[40] _Imit._, l. III, c. V, 4.

[41] _Imit._, l. III, c. XXIV, 2.

[42] Is., LXV, 15.

[43] Apoc., II, 17.

[44] I Cor., IV, 5.

[45] Matt., V, 13.

[46] Tit., I, 15.

[47] Cant., VII, 1.

[48] Office de sainte Cécile.

[49] Lucæ, XII, 32.

[50] _Id._, XXII, 29.

[51] Lucæ, XXIV, 26.

[52] Matt., XX, 22.

[53] Ps. CIII, 33.

[54] Ancien missionnaire de la Compagnie de Jésus au Canada.

[55] Joan., XVIII, 36.

[56] _Imit._, l. I, c. II, 3.

[57] Is., LIII, 3.

[58] Pour honorer Jésus, le divin Roi dont sa _petite reine_ allait
devenir la fiancée, M. Martin avait voulu que, ce jour-là, elle fût
vêtue d'une robe de velours blanc, garnie de cygne et de point
d'Alençon. Ses grandes boucles de cheveux blonds flottaient sur ses
épaules et des lis composaient sa parure virginale.

[59] Léonie étant entrée aux Clarisses, ordre trop austère pour sa santé
délicate, dut revenir chez son père. Plus tard elle fut reçue à la
Visitation de Caen, où elle prononça ses vœux sous le nom de _Sœur
Françoise-Thérèse_.

[60] Sap., III, 6.

[61] Elle fut chargée jusqu'à sa mort d'orner cette statue de
l'Enfant-Jésus.

[62] Ps. LXXXIX, 15.

[63] Ps. CII, 14.

[64] Philip., IV, 7.

[65] Corridor.

[66] Is., LII, 11.

[67] Ce désir, Thérèse le gardait dans son cœur depuis son enfance.
Voici ce qu'elle nous confia plus tard:

«J'avais dix ans le jour où mon père apprit à Céline qu'il allait lui
faire donner des leçons de peinture, j'étais là et j'enviais son
bonheur. Papa me dit: «Et toi, ma petite reine, cela te ferait-il
plaisir aussi d'apprendre le dessin?» J'allais répondre un oui bien
joyeux, quand Marie fit remarquer que je n'avais pas les mêmes
dispositions que Céline. Elle eut vite gain de cause: et moi, pensant
que c'était là une bonne occasion d'offrir un grand sacrifice à Jésus,
je gardai le silence. Je désirais avec tant d'ardeur apprendre le dessin
que je me demande encore aujourd'hui comment j'eus la force de me
taire.»

[68] Eccles., II, 11.

[69] Ce fut le 14 septembre 1894. _Céline_ devint _Sr Geneviève de
Sainte-Thérèse_.

[70] Lucæ, XVII, 21.

[71] _Notre-Seigneur_ à la B** Marguerite-Marie.

[72] Cant., VIII, 7.

[73] Ps., CXII, 1.

[74] Lucæ, XV, 31.

[75] Ps. XXXV, 5.

[76] I Reg., XVI, 7.

[77] Tob., XII, 7.

[78] Is., III, 10.

[79] Prov., IX, 4.

[80] Is., LXVI, 13.

[81] Ps. LXX, 18.

[82] Elle exerçait la charge de maîtresse des novices, sans en porter le
titre.

[83] Ps. CXVIII, 141, 100, 105, 106.

[84] Lucæ, I, 49.

[85] Joan., I, 5.

[86] Lucæ, XVIII, 13.

[87] Ps. XCI, 4.

[88] Ps. CXLIII, 1, 2.

[89] Ps. CXXXII, 1.

[90] Matt., XXII, 39.

[91] _Id._, VII, 21.

[92] Joan., XIII, 34.

[93] _Id._, XV, 13.

[94] Lucæ, XI, 33.

[95] Joan., XV, 12.

[96] I Cor., IV, 3, 4.

[97] Lucæ, VI, 37.

[98] Matt., V, 43, 44.

[99] Lucæ, VI, 32.

[100] _Id._, VI, 30.

[101] Matt., XI, 30.

[102] Matt., V, 40.

[103] _Ibid._, 41.

[104] _Ibid._, 42.

[105] Lucæ, VI, 34, 35.

[106] _Imit._, l. III, c. XLIV, 1.

[107] Prov., I, 17.

[108] _Id._, X, 12.

[109] Ps. CXVIII, 32.

[110] Rom., VIII, 15.

[111] Exod., IX, 14.

[112] Ps. XXXIII, 5.

[113] Ps. CXI, 4.

[114] Prov., XVIII, 19.

[115] Joan., X, 12.

[116] II Reg., XVI, 10.

[117] Marci, VII, 28.

[118] Lucæ, XIV, 12, 13, 14.

[119] II Cor., IX, 7.

[120] Matt., XXV, 40.

[121] Sa sœur Pauline.

[122] Cant., I, 3.

[123] Joan., XVII.

[124] Lucæ, XV, 31.

[125] Joan., VI, 44.

[126] Lucæ, X, 41.

[127] Ps. XLIX, 9, 10, 11, 12, 13, 14.

[128] Joan., IV, 7.

[129] Lucæ, II, 19.

[130] Tob., XII, 7.

[131] La Vénérable Mère Anne de Jésus, dans le monde Anne de Lobera,
naquit en Espagne en 1545. Elle entra dans l'Ordre du Carmel, au premier
monastère de Saint-Joseph d'Avila, en 1570, et devint bientôt la
conseillère et la coadjutrice de sainte Thérèse qui la nommait «_sa
fille et sa couronne_». Saint Jean de la Croix, son directeur spirituel
pendant quatorze ans, se plaisait à l'appeler «_un séraphin incarné_» et
l'on faisait une telle estime de sa sagesse et de sa sainteté, que les
savants la consultaient dans leurs doutes et recevaient ses réponses
comme des oracles. Fidèle héritière de l'esprit de sainte Thérèse, elle
avait reçu du Ciel la mission de conserver à la Réforme du Carmel sa
perfection primitive. Après avoir fondé trois monastères de cette
réforme en Espagne, elle l'implanta en France, puis en Belgique, où,
déjà célèbre par les dons surnaturels les plus élevés, particulièrement
celui de la contemplation, elle mourut en odeur de sainteté au Couvent
des carmélites de Bruxelles, le--mars 1621.

Le 3 mai 1878, Sa Sainteté le Pape Léon XIII signa l'introduction de la
cause de béatification de cette grande servante de Dieu.

[132] Matt., VIII, 26.

[133] Saint Jean de la Croix.

[134] I Cor., XII, 31.

[135] Saint Jean de la Croix.

[136] Lucæ, XVI, 9.

[137] _Ibid._, 8.

[138] Saint Jean de la Croix.

[139] Is., XXXVIII, 14.

[140] Matt., IX, 13.

[141] Dom Guéranger.

[142] C'était la Révérende Mère Marie de Gonzague. Elle avait reconnu en
sa novice «une âme extraordinaire, déjà sainte, et capable de devenir
plus tard une Prieure d'élite». C'est pourquoi elle lui donna cette
éducation religieuse si virile dont Thérèse profita si bien et dont elle
se montra si filialement reconnaissante, comme elle le dit dans
l'_Histoire de son âme_. Ce fut entre ses mains que sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus rendit le dernier soupir, «_heureuse_, disait-elle, _de
n'avoir pas, à ce moment, pour Supérieure sa petite Mère, afin de
pouvoir exercer davantage son esprit de foi en l'autorité_.»

Mère Marie de Gonzague mourut le 17 décembre 1904, assistée de la
Révérende Mère Agnès de Jésus, alors Prieure. Elle était âgée de 71 ans.

[143] Job, xiii, 15.

[144] Joan., iii, 34.

[145] Cant., II, 9.

[146] Apoc., x, 6.

[147] Prov., XIX, 11.

[148] Matt., XXV, 40.

[149] Sap., vi, 7.

[150] Ps. lxxv, 9.

[151] Ps. xvii, 5.

[152] Ps. xxii, 4.

[153] Matt., XX, 23.

[154] Ps. LXVII, 29.

[155] Prov., I, 4.

[156] Judith, XV, 11.

[157] Eccl., XI, 12, 13, 22, 23, 24.

[158] Jerem., X, 23.

[159] Ps. XCIII, 18.

[160] Imitation, l. XVI, 4.

[161] Joan., XIV, 2.

[162] Ps. CXL, 5.

[163] Cant., I, 2.

[164] Esdras, IIe, iv, 17.

[165] Matt., xxv, 36.

[166] Prov., xvi, 32.

[167] Lucæ, II, 50.

[168] _Ibid._, 33.

[169] J'ai incliné mon cœur à l'observation de vos préceptes, à cause
de la récompense, Ps. CXVIII, 12.

[170] Ephes., VI, 17.

[171] Cant., V, 7; III, 4.

[172] Saint Jean de la Croix.

[173] Ephes., VI, 17.

[174] Joan., III, 8.

[175] Lucæ, XXII, 32.

[176] Gen., II, 17.

[177] Apoc., XXII, 12.

[178] Ps. LXXXIX, 4.

[179] Cant., IV, 6.

[180] Cant., V, 2.

[181] Is., LIII, 3.

[182] Ps. CXXXVI, 4.

[183] Joan., XV, 16.

[184] Matt., X, 34.

[185] Ps. CXLIII, 1, 2.

[186] Joan., XII, 26.

[187] Matt., XI, 29.

[188] Joan., XIII, 15, 16, 17.

[189] Joan., XIII, 8.

[190] Matt., III, 10.

[191] Matt., V, 48.

[192] Apoc., XI, 4.

[193] S. Jean de la Croix.

[194] Mme Swetchine.

[195] Exod., IV, 25.

[196] I Cor., VII, 31.

[197] Ps. CXXXVI, 2.

[198] _Ibid._, I, 4.

[199] Is., LXIV, 4.

[200] Véronique signifie _vrai portrait_. Il est bien remarquable que
Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ait appelé ainsi sa sœur Céline,
qui devait plus tard, sous son inspiration, reproduire si fidèlement le
_vrai portrait_ de NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, d'après le Saint Suaire
de Turin.

Il est bien remarquable encore, que ce fut _aussitôt_ après la mort de
Thérèse que cette précieuse relique sortit du mystère: l'heure était
venue où les secrets renfermés dans ses plis allaient être révélés au
monde. Lorsque se fit l'ostension solennelle de 1898, personne n'avait
vu le Saint Linceul depuis 30 ans. C'est alors que fut expliquée, par le
cliché _positif_ de la photographie, la mystérieuse empreinte _négative_
du corps de Jésus qui, jusque-là, avait déconcerté les savants mêmes, et
qu'apparut la majestueuse _Figure du Christ_; mais les contours étaient
indécis, les traits effacés, et il devenait nécessaire de la retracer
avec plus de netteté et de précision pour la présenter à la piété des
fidèles.

On sait quel accueil ému lui fit Notre Saint-Père le Pape PIE X, et les
indulgences nombreuses qu'il attacha à cette sainte Effigie, manifestant
hautement le désir «_qu'elle eût sa place dans toutes les familles
chrétiennes_».

Une indulgence de 300 jours, _toties quoties_, fut accordée, dans le
même temps, à une prière à la Sainte Face composée par Sœur Thérèse
de l'Enfant-Jésus, et qui est désormais inséparable de l'image peinte
par sa sœur.--On trouvera cette image, p. 378.

[201] Joan., XI, 16.

[202] Is., LXIII, 3.

[203] Is., LXIII, 5.

[204] _Ibid._, LIII, 3.

[205] Cant., V, 2.

[206] Is., LIII, 4.

[207] C'était la veille de la cérémonie de sa Prise de Voile.

[208] Joan., IV, 35.

[209] Matt., IX, 37, 38.

[210] S. Jean de la Croix.

[211] Lucæ, XIX. 5.

[212] Joan., I, 38.

[213] Lucæ, IX, 58.

[214] Cant. I.

[215] Malach., IV, 2.

[216] Cant., III, 2, 3, 4.

[217] Lucæ, XIX, 48.

[218] Matt., XXVI, 65.

[219] _Ibid._, XXV, 34, 35, 36.

[220] _Imit._, l. I, c. II, 3.

[221] _Ibid._, l. II, c. XI, 4.

[222] _Ibid._, l. III, c. XLIX, 7.

[223] Ps. CXXVI, 1.

[224] S. Jean de la Croix.

[225] Lucæ, XV, 31.

[226] Cant., I, 6.

[227] Cant., VII, 1.

[228] Off. de sainte Cécile.

[229] Lucæ, II, 14.

[230] Sap., IV, 1.

[231] Joan., XXI, 5.

[232] Lucæ, V, 5.

[233] Cant., VI, 10, 11.

[234] Cant., VI, 12.

[235] Joan., XIV, 23.

[236] _Ibid._, XVII, 18.

[237] _Ibid._, XIV, 6.

[238] _Ibid._, XVIII, 38.

[239] Cant., I, 12.

[240] Lucæ, XXII, 28, 29.

[241] Marci, XIV, 3.

[242] Joan., XII, 3.

[243] Matt., XXVI, 46.

[244] Joan., VIII, 10.

[245] Eccli., XXXIV, 20.

[246] Apoc., XXI, 4.

[247] Is., LIII, 3.

[248] Lucæ, XVI, 11.

[249] _Ibid._, XXII, 42.

[250] Imit., l. II, c. XI, 4.

[251] Presque toutes les lettres adressées par Sœur Thérèse de
l'Enfant-Jésus à sa sœur Léonie, ont été perdues. On n'a retrouvé que
celles-ci.

[252] Hebr., XIII, 14.

[253] Is., XLIX, 15.

[254] Cant., IV, 9.

[255] II Cor., XI, 5.

[256] Saint Augustin.

[257] Marci, X, 30.

[258] Matt., XXVI, 39.

[259] Joan., XIV, 2.

[260] Ps. CII, 8, 13, 14.

[261] Matt., XIX, 14.

[262] Lucæ, XII, 34.

[263] Zach., XIII, 6.

[264] Lucæ, XV, 22.

[265] Ce billet fut tiré par SŒUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS, et,
trois mois après, le divin Maître lui faisait entendre son premier
appel.

[266] «_Diamant_» «_perle fine_», surnoms donnés aux deux aînées.

[267] _D'après une peinture de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus_.

[268] Joan., xv, 5.

[269] En 1910, Mme Debossu a écrit plusieurs fois que la guérison se
maintenait parfaitement.

[270] Devenu prêtre M. l'abbé A. est actuellement vicaire dans une
paroisse importante et suffit sans fatigue a un travail laborieux.

[271] Les grâces suivantes s'expliquent facilement lorsqu'on sait que
l'édition espagnole de la Vie complète de la servante de Dieu n'était
pas encore parue.

[272] On ne peut livrer à la publicité les révélations arrachées aux
démons dans les exorcismes à propos de la Servante de Dieu; mais les
observations faites sur ce sujet permettent de croire que sa puissance
sur les esprits de ténèbres leur est grandement redoutable.

[273] Le Carmel de Gallipoli se trouvait à ce moment dans la plus
extrême détresse. La Mère Prieure avait eu l'inspiration de faire un
triduum en l'honneur de la Sainte Trinité, prenant pour médiatrice Sr
Thérèse de l'Enfant-Jésus, dont la vie avait été lue en communauté
quelques mois auparavant.

Le triduum se terminait précisément ce 16 janvier.

[274] La Mère Prieure se nomme Sr Marie du Mont-Carmel, ou Carmela.

[275] En janvier 1911, Mr F. F. a fait savoir que sa guérison se
maintenait.

[276] «Corps fibreux volumineux de l'utérus. Ce fibrome, par son volume,
faisait obstacle à toutes les fonctions de l'organisme.» (_Extrait du
certificat du docteur X._)

[277] M. Fernand Richard, jeune poète chrétien, mort comme un prédestiné
en 1911. Un de ses derniers chants a été consacré à Sr Thérèse.

[278] Il est vrai que cette palme était stérilisée; mais les semblables,
aux feuilles très minces, que l'on avait en 1897 à la sacristie du
Carmel, devaient être préservées avec soin de l'humidité et essuyées en
temps pluvieux; sans quoi elles jaunissaient et se remplissaient de
points de moisissure; finalement on dut les brûler.

[279] L'un de ces ouvriers est le menuisier qui a fait les cercueils. En
reconnaissance de la faveur qu'ils avaient reçue, ils apportèrent au
Carmel, le 30 septembre, pour être déposée dans la cellule de la
Servante de Dieu, une très belle couronne de violettes blanches
artificielles.





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