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Title: L'Illustration, No. 3277, 16 Décembre 1905
Author: Various
Language: French
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L'ILLLUSTRATION, NO. 3277, 16 DÉCEMBRE 1905 ***



L'Illustration, No. 3277, 16 Décembre 1905

Avec ce Numéro Une Gravure hors texte LA CRUCHE CASSÉE, par GREUZE


LA REVUE COMIQUE, par Henriot.


Ce numéro contient: une double page en couleurs sur le 8e Salon de
l'automobile; Et en suppléments:

1º _Une gravure hors texte_: LA CRUCHE CASSÉE, d'après J.-B. Greuze;
2º Le 4e fascicule du roman de J.-H. Rosny: LA TOISON D'OR.

L'ILLUSTRATION _Prix du Numéro: 75 Centimes._ SAMEDI 16 DÉCEMBRE 1905
_63e Année--N° 3277_

[Illustration: Le Dr Récamier Le duc d'Orléans. UNE CHASSE A L'OURS
BLANC AU GROENLAND _Photographie prise au cours de l'expédition arctique
du duc d'Orléans à bord de la_ Belgica.--_Voir l'article, page 403._]



COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

Je ne connais pas M. le député Ribot. Mais je voudrais le connaître pour
lui dire à quel point je suis contente de lui et combien j'admire son
courage. Un journal raconte, en effet, qu'élu naguère membre de
l'Académie des sciences morales et politiques, M. Ribot a volontairement
négligé de commander à son tailleur l'uniforme fameux dont l'image
liante les rêves ingénus de tant de vieillards. L'habit à palmes vertes
ne tente point la coquetterie de M. Ribot; M. Ribot n'éprouve le besoin
ni de suspendre à sa ceinture--pour prouver qu'il est un orateur de
talent--une lame pointue, ni de poser sur sa tête ce chapeau bicorne
dont une mode singulière veut qu'en France, à l'exemple des généraux,
les garçons de recette et les académiciens soient coiffés. Et il ose
avouer à ses amis la répugnance que cette tradition «de se déguiser» lui
inspire! On élira bientôt M. Ribot membre de l'Académie française; cette
fois, il lui faudra, bon gré mal gré, se déguiser; car l'Académie
française ne plaisante point en ces matières et, chez elle, l'uniforme
est resté de rigueur. Et M. Ribot ne dissimule point que cette coiffure
emplumée, cette épée, ces feuillages brodés au plastron de l'habit et à
la couture du pantalon lui gâtent par avance une partie de sa joie.

M. Ribot se consolera en pensant que les plus prestigieuses modes n'ont
qu'un temps et que celle des déguisements académiques passera, comme les
autres. On m'assure même que l'âme française s'est, à cet égard, depuis
quelques années, démocratisée un peu. Il paraît que plusieurs
académiciens ont pris l'habitude de porter, sous le gilet officiel à
boutons d'or, le simple pantalon noir, et qu'à la Sorbonne il existe un
vestiaire commun où les mêmes robes et les mêmes épitoges servent à
plusieurs maîtres qui, suivant les besoins du service, se les
repassent... Les professeurs ont, dans les lycées, renoncé depuis
longtemps au port de la toque noire et de la toge; on a cessé d'orner,
comme autrefois, les manches de tunique des bons élèves de galons de
laine et d'or; au Palais même les règles de l'ancienne étiquette
s'abolissent petit à petit: on a vu M. le bâtonnier Chenu, l'été
dernier, s'y promener en bottines fauves et «canotier» de paille, et des
gilets de fantaisie égayer de leur coloriage l'uniforme des juges. C'est
une révolution, cela! Elle s'accomplit tout doucement, sans doute; mais
M. Ribot n'est pas très vieux. Il a encore le temps de voir tomber en
désuétude bien des modes niaises et, peut-être, qui sait? disparaître
des bancs de l'Institut cet habit vert et ce chapeau à plumes sous
lesquels on a vu tant d'hommes vénérables apparaître un peu comiques...

                                     *
                                    * *

Délire et cohue aux Champs-Elysées. Le Salon de l'automobile a, pour la
huitième fois, ouvert ses portes aux Parisiens. Et ce n'est pas
seulement Paris qui envahit, depuis huit jours, le Grand Palais et les
serres du Cours-la-Reine; c'est l'univers. Les trains d'Allemagne et
d'Italie, les bateaux d'Amérique et d'Angleterre arrivent bondés. Paris
s'est créé là une suprématie que tous avouent. Il en est fier, il a
raison; et il me semble qu'il était juste que le sort désignât Paris
pour le triomphe de cette industrie-ci. Nulle part elle n'eût réussi à
s'épanouir avec tant d'éclat; car, en aucun pays, les femmes n'eussent
composé autour de ses victoires un si délicieux et éblouissant cortège.

Les Parisiennes ne goûtent plus guère la peinture que les jours de
vernissage, et, pour qu'elles s'intéressent aux chevaux, il leur faut
l'exceptionnel régal d'un «grand prix» à Auteuil, à Chantilly ou à
Longchamp. Au Salon de l'automobile, elles n'ont pas de ces
coquetteries. C'est Alphonse Daudet, je crois, qui disait de la musique:
«Je l'aime sans discuter, sans vouloir chercher les raisons de mon
plaisir; je l'aime comme une bête.» C'est un peu, dirait-on, de cette
façon-là que les Parisiennes aiment, à cette heure, l'automobilisme.
Elles en sont allées inaugurer l'exposition; et on les a vues y revenir
dès le lendemain, afin de renouveler en elles l'enthousiasme qu'elles y
avaient ressenti la veille; et elles y sont retournées cette semaine; et
la semaine prochaine, et jusqu'au 24 décembre--inclusivement--on les y
rencontrera.

Diverses raisons amènent la Parisienne au Salon de l'automobile. Elle y
vient pour prendre le thé, parce qu'il est convenu que, pendant trois
semaines, c'est uniquement là qu'elle retrouvera ses amies. Elle y vient
inaugurer quelques toilettes, parce qu'elle sait que c'est là qu'elle
rencontrera les jeunes gens que son élégance ravit et les jeunes femmes
que ses succès font enrager. Elle y vient peut-être aussi pour acheter
une automobile; et elle y vient encore et surtout pour regarder
l'automobile qu'elle n'achètera pas, et pour marchander avec conviction
celle qu'elle achèterait si ses moyens lui permettaient d'en acheter
une, ou enfin pour se mêler à l'élite de celles qui ont le moyen d'en
acheter.

Illusion délicieuse, où sa vanité se complaît et s'attarde! Elle essaye
des voitures; elle compare; elle discute. Avec cette promptitude
d'assimilation où triomphe la Française, elle s'est fait une sorte de
compétence; elle sait le jargon qu'il faut parler ici; connaît les noms
des fabricants, se récrie sur la valeur d'une marque; elle n'ignore ou
ne semble ignorer rien de ce qu'il faut savoir touchant la qualité des
châssis de celui-ci et des cylindres de celui-là. Elle m'émerveille!

Et voilà peut-être de quoi expliquer, en partie, le frénétique essor de
cette industrie neuve. Ce n'est pas _la cause_, assurément; c'est une
des causes. L'automobile a les Parisiennes pour elle. Elle a les
Parisiennes pour elle à cause des facilités de vie qu'elle procure et
des vertiges qu'elle donne; parce qu'elle est un meuble très commode et
un jouet très affolant; parce qu'elle est le véhicule le plus chic,
étant le plus coûteux de tous. Sa cherté même en fait un symbole
d'élégance; elle est l'un des signes à quoi une certaine élite se
reconnaît...

                                      *
                                     * *

En attendant les volumes d'étrennes qu'on va donner aux enfants sages,
les académies font pleuvoir les couronnes et les billets bleus sur les
grandes personnes qui font des livres. L'Institut proclame ses lauréats
de l'année; aux frais d'un journal, un aréopage féminin prime le dernier
ouvrage d'un jeune romancier, M. Romain Rolland; aux frais de deux
écrivains morts, l'Académie Goncourt gratifie d'un don de 5.000 francs
le roman d'un autre jeune,--un enseigne de vaisseau dont le pseudonyme
est Claude Farrère. Et, de son côté, la Société des gens de lettres
distribuera, ces jours-ci, quelques sommes... Que tout cela est peu de
chose! Le dernier recensement quinquennal de la population m'apprend
ceci, qui me confond: il y a, en France, 44.000 «artistes et
littérateurs». N'est-ce pas de quoi décourager la libéralité des
académies? Jamais, quoi qu'elles fassent, leurs ressources ne suffiront
à panser les blessures, à consoler les misères engendrées dans 44.000
âmes par l'ambition d'écrire, de sculpter, de peindre ou de composer des
partitions. Il y a bien quelques puissants dans cette foule-là; et
quelques heureux et beaucoup de «demi-arrivés» pour qui la vie est
possible, si leur soif d'honneurs et de richesses n'est pas grande. Mais
les autres!

Les autres sont des jeunes gens, des hommes mûrs, des vieillards. Mais
c'est aux jeunes que vont de préférence les prix qu'on distribue.
Pourquoi? On trouve intéressant d'encourager la jeunesse, d'aider le
débutant à «faire son trou». Il serait plus humain, ce me semble,
d'aider les vieux à payer leur terme; et j'aimerais que les prix
académiques allassent d'abord aux cheveux gris.

Ce qui est douloureux en art, ce n'est pas d'avoir vingt ans et de rêver
la gloire; c'est, à soixante, de penser qu'on ne l'atteindra plus. Voilà
les vraies tristesses,--celles qui auraient besoin d'être consolées les
premières... Les jeunes gens sont, dans la pire détresse, armés des deux
plus grandes forces qu'il y ait au monde: ils ont l'espérance et ils ont
l'amour. L'avenir est devant eux; les femmes les aiment... Je ne les
trouve pas intéressants du tout.

SONIA.



NOTRE GRAVURE HORS TEXTE

«LA CRUCHE CASSÉE», DE GREUZE

_La Cruche cassée_, le chef-d'oeuvre de Greuze, est l'un des tableaux
les plus fameux de notre musée du Louvre. La grâce de la figure de la
jeune fille, le charme piquant de son expression, la perfection de sa
facture, justifient les enthousiasmés qu'a soulevés cette belle
peinture. Diderot fut l'un de ses premiers fervents et lorsqu'elle
parut, en 1765, il lui consacra l'une de ses pages les plus vibrantes et
les plus jolies. C'est le type parfait de ce qu'on a appelé en badinant
«les tendrons de Greuze». De toutes les ouvres du peintre, il n'en est
pas qui caractérisent mieux son génie, qui, selon le mot de Charles
Blanc, «consistait à arranger toujours les choses de manière que ni la
volupté ni la morale n'y perdissent rien».

Au moment où quelques toiles, sensiblement contemporaines de celle-ci,
ont atteint de si gros prix, il semble intéressant de rappeler qu'à la
vente du marquis de Verri, en 1785, vingt ans après son apparition, _la
Cruche cassée_ fut payée 3.001 francs. De combien de billets de banque
ne la couvrirait-on pas aujourd'hui si elle pouvait courir de nouveau
les hasards d'une vente!

La reproduction de _la Cruche cassée_, que nous offrons à nos lecteurs
avec ce numéro, peut soutenir la comparaison avec les plus belles
gravures tirées à petit nombre et cotées très cher chez les marchands
d'estampes. Nous faisons actuellement reproduire par le même procédé _la
Laitière_, également de Greuze: nos abonnés recevront ce pendant de _la
Cruche cassée_ au mois de février prochain.

L'échéance du 31 décembre étant la plus importante de l'année, nous
prions ceux de nos lecteurs dont l'abonnement expire à cette date de
vouloir bien le renouveler le plus tôt possible, afin d'éviter tout
retard dans la réception des premiers numéros de 1906».



NOTES ET IMPRESSIONS

La campagne veut des âmes tout à elle, des âmes fraîches, parce qu'elle
est fraîche, des âmes jeunes, parce qu'elle est l'éternelle jeunesse.
RENÉ BAZIN.

                                      *
                                     * *

Tout est dans nous et le monde extérieur se transforme, se colore aux
mille nuances de nos passions. ALPHONSE DAUDET.

                                      *
                                     * *

La douleur est individuelle comme la maladie: chacun la traite suivant
son tempérament. SAMUEL ROCHEBLAVE.

                                      *
                                     * *

Lorsqu'une éclaircie se fait dans la vie sombre, il faut en jouir avec
toutes ses puissances de gaieté. MME JULIETTE ADAM.

                                      *
                                     * *

L'impérialisme de nos modernes monarchies ou républiques: une dernière,
crise de mégalomanie sous la menace des douches que nous prépare le
monde de demain.

                                      *
                                     * *

Entre vrais amis, les services ne se demandent pas, ils se rendent.
G.-M. VALTOUR.



[Illustration: Le pavillon français planté sur le cap Philippe par le
duc d'Orléans et les explorateurs de la _Belgica_.]

[Illustration: Le cap Philippe vu de la _Belgica_.] L'EXPÉDITION
ARCTIQUE DU DUC D'ORLÉANS

Le docteur Récamier fut le médecin de l'expédition organisée, l'été
dernier, par le duc d'Orléans, et que la _Belgica_, sous le commandement
de M. de Gerlache, porta dans la banquise groënlandaise. La conférence
qu'il vient de faire, lundi, à la salle de la Société d'horticulture,
rue de Grenelle, libéralement mise à sa disposition, a présenté un très
vif intérêt. Elle constitue, en effet, le premier compte rendu précis,
documenté, de ce beau voyage d'exploration,--en attendant le livre que
le prince lui-même prépare en ce moment.

Au moment où la _Belgica_, sa croisière finie, ramenait, en septembre
dernier, à Ostende, le duc d'Orléans et ses compagnons, nous avons
enregistré les résultats d'une expédition qui fut particulièrement
favorisée, puisqu'en une course de quelques semaines elle a reculé de
plus d'un degré de latitude l'extrême point du monde connu sur la côte
nord-est du Groenland.

Sportsman très passionné, tireur merveilleusement adroit, le duc
d'Orléans avait avant tout rêvé d'une belle campagne de chasse. Mais il
avait tenu à ce que cette expédition coûteuse, aventureuse aussi, au
demeurant, rapportât quelque chose à la science (océanographie,
géographie) et, s'il se pouvait, quelque gloire à la France. La
_Belgica_ était donc armée en conséquence et pourvue des meilleurs
appareils de sondage et d'exploration des couches sous-marines. La
conférence--la causerie plutôt, tant son accent était libre,
pittoresque, charmant--dans laquelle le docteur Récamier, encadré du
commandant de Gerlache et du peintre Mérite, a narré en détail le voyage
de la Belgica, a été infiniment attrayante.

Le docteur Récamier, nous a donné un tableau fort joli de la vie au
cours de cette navigation au milieu des glaces, de ces chasses à l'ours,
au phoque, au morse, où l'adresse du duc d'Orléans avait maintes
occasions de s'exercer, de cette lente promenade à travers des marines
désolées, qu'animaient seuls d'étranges oiseaux décolorés, gris et
blancs, au vol puissant et lourd, les mergules, les guillemots, les
grylles, les pagophiles, certains dont le cri ressemblait à un rire
ironique et qui rêvassaient, alignés en files interminables au bord de
la banquise, dans la lumière pâle du jour polaire.

Le 28 juillet 1905, la _Belgica_ étant immobile dans le brouillard, le
voile de brume qui l'enveloppait se déchira tout à coup. On vit, à
bâbord, une terre accidentée, aride. «Le dîner, ce soir-là, ne fut pas
long», a écrit dans son rapport le commandant de Gerlache. A 8 heures du
soir, le duc d'Orléans et les membres de l'expédition, débarqués en
toute hâte, atteignaient le point culminant de la côte.

Ils dominaient un site désolé, infertile, semé de blocs et de cailloux
roulés, une moraine ancienne, où quelque peu de terre végétale s'était
déposée: la «terre de France», selon le voeu du prince. On y éleva un
cairn, un monticule de pierre, par 77°5 de latitude nord, 18°33 de
longitude ouest. Sur ce _cairn_, on hissa un drapeau tricolore. Ce fut
un moment d'émotion indicible, dont un cliché fragile et pâle, presque
indistinct, perpétuera le souvenir, une terne photographie qu'aucun des
acteurs de cette scène ne peut revoir sans que son coeur batte un peu
plus fort, et dont l'apparition, sur l'écran transparent où le docteur
Récamier la fit projeter, souleva une tempête de bravos...

Deux jours après on redescendait vers les patries, Français, Suédois,
Belges, Norvégiens... après avoir tenté vers le nord-est une pointe, au
cours de laquelle on reconnut encore un banc sous-marin indiquant sans
doute le voisinage d'une côte nouvelle.

On avait écrit sur la mappemonde quelques noms de plus: le cap Philippe,
le point extrême où l'on était arrivé, et qui est probablement la pointe
d'une île; la baie d'Orléans, que commande ce cap; la terre de France...
à laquelle, paraît-il, le Danemark va contester son nom pour des raisons
de nomenclature géographique, en proposant de la nommer «terre du duc
d'Orléans»,--ce qui n'implique aucune hostilité ni contre le prince, ni
contre notre pays, d'ailleurs.

Jusqu'à la croisière de la _Belgica_, la dernière étape des
explorateurs, dans cette direction sur la route de l'inconnu, si
attirante, au dire de tous ceux qui s'y sont aventurés, était le cap
Bismarck, que l'expédition prussienne du capitaine Koldewey avait
atteint le 15 avril 1870, et encore y était-elle arrivée en traîneaux.
Au retour de son voyage, le capitaine Koldewey écrivait: «Aucun navire
ne s'avancera jamais plus avant le long de cette côte, à moins que ce ne
soit à la faveur de chances exceptionnelles.» Ces chances, l'expédition
du duc d'Orléans les a rencontrées.

GUSTAVE BABIN.

_(Photographies du Dr Récamier et du commandant de Gerlache.)_

[Illustration: Le duc d'Orléans sur le pont de la _Belgica_.]

[Illustration: Un ours blessé.]

[Illustration: La moraine du glacier du cap Philippe (avec la silhouette
du docteur Récamier).]



L'ESCADRE INTERNATIONALE EN RADE DE MITYLÈNE

De gauche à droite: le Szigetvar (crois. autr.); le Lancaster (crois.
cuir. angl.); le Sankl Georg (crois. cuir. autr.--Vaisseau amiral); le
Dard (torp. franc.); le Charlemagne (cuir. franc.); le Garibaldi (crois.
cuir. italien); le Koubanetz (torp. russe).



L'INCIDENT TURC

La question du contrôle financier en Macédoine, qui avait amené
l'occupation, par l'escadre internationale, de Mitylène et de Lemnos,
est en voie d'arrangement. On a transigé: les puissances ont fait
quelques concessions; moyennant quoi le sultan a accepté qu'une
commission composée de conseillers financiers nommés et payés par les
puissances exerce son contrôle sur le budget macédonien. Reste à savoir
quel résultat effectif donnera dans l'application le fonctionnement de
cette commission. En tout cas, l'incident est virtuellement clos, ou sur
le point de l'être. Les navires des puissances n'ont sans doute plus
longtemps à demeurer mouillés en rade de Mitylène, devant la petite
ville aux toits de tuile que menaçaient leurs canons. Dans quelques
jours, sans doute, on ne verra plus les allées et venues des vedettes
amenant à la douane les marins des diverses nationalités, ou les
remmenant à leurs bords à l'heure où l'on relève la garde. Ce joug qui
pesait sur la gracieuse île ensoleillée était d'ailleurs des plus
légers, et elle semblait le supporter sans impatience. Même le mouvement
de curiosité que provoquaient, les premiers jours, les allées et venues
des matelots s'était calmé vite. La garnison turque, cantonnée dans un
bout de l'île, était séparée des troupes internationales par une zone
neutre, et chacun vivait, bien tranquille, dans l'espace qui lui était
attribué.

[Illustration: Débarquement des détachements français et anglais devant
la douane de Mitylène.--_Photographies Mraz._]



LES ÉVÉNEMENTS DE RUSSIE

L'ASSASSINAT DU GÉNÉRAL SAKHAROF

Le général Sakharof, qui avait été, de longues années, le chef
d'état-major du général Kouropatkine au ministère de la Guerre russe, et
qui l'avait remplacé, en 1904, à la tête du département, quand celui-ci
fut nommé commandant en chef de l'armée de Mandchourie, vient de périr
dans des circonstances tragiques. Démissionnaire du ministère de la
Guerre depuis le mois de juillet dernier, il avait été récemment envoyé
à Saratof, pour réprimer les troubles agraires. Le 5 décembre, le
général travaillait dans le cabinet du gouverneur quand on lui annonça
une visiteuse. Il la fit introduire auprès de lui. C'était une femme
d'une trentaine d'années, élégamment vêtue. Elle se présenta comme
propriétaire foncière, sollicitant un secours, et tendit une supplique
au général. Soudain, tandis qu'il lisait l'écrit, il reçut à bout
portant quatre balles de revolver. Blessé grièvement, le général
Sakharof s'enfuit dans la pièce voisine où il s'évanouit. Il succomba
rapidement. Il avait été atteint au coeur, au poumon, au bras, dans le
dos. Il avait seulement cinquante-sept ans.

[Illustration: Le général Sakharof.--_Phot. Larger._]



LA MUTINERIE DE SÉBASTOPOL

La sédition qui a éclaté le 25 novembre dernier à Sébastopol, et sur
laquelle, en raison de l'irrégularité des services postaux, nous
recevons seulement les premiers documents photographiques qui soient
parvenus en France, a rappelé, mais avec un autre caractère de gravité,
l'affaire fameuse du _Potemkine._

Les mutins (marins casernes à terre et soldats du régiment de
Brest-Litovsky) s'étaient rendus maîtres du transport _Otchakof_ et en
avaient expulsé les officiers et les marins fidèles au devoir.

Le 27 au soir, les rebelles délivraient un officier, le lieutenant
Schmidt, qui allait être jugé pour avoir tenu un discours
révolutionnaire, et le mettaient à leur tête. Il prit le commandement de
l'_Otchakof_, sur lequel il arbora le drapeau rouge, et parvint à
capturer les torpilleurs le _Sviryopi_ et trois autres qui avaient tenté
de torpiller son navire.

Le lendemain, il enlevait, par un hardi coup de main, les officiers du
_Panteleimon_ (ancien _Potemkine_) et les emmenait à son bord comme
otages. On dut recourir à la force pour dompter les insurgés, et un duel
d'artillerie s'ouvrit, dans l'après-midi du 28, entre leur escadrille,
d'une part, et l'escadre, qu'appuyait de terre de l'artillerie de
campagne. L'_Otchakof_ put tirer seulement six coups, et, un incendie
s'étant déclaré à son bord, il se rendit. Le lieutenant Schmidt était
blessé grièvement.

Le matin du 29, l'amiral Tchoukhine était maître de la situation.

[Illustration: Le lieutenant Schmidt, chef de la mutinerie des 25-28
novembre à Sébastopol. _Phot. Pouditchef._]

[Illustration: Le croiseur _Otchakof._]

[Illustration: Le fort Constantin qui a canonné le croiseur _Otchakof._]



Depuis quelque temps déjà, on voyait circuler parfois à travers les rues
de Paris un omnibus automobile, effectuant une marche d'essai et chargé
de voyageurs fictifs, c'est-à-dire de sacs de sable. L'ouverture du
Salon de l'automobile fournissait tout naturellement l'occasion de
rendre ces épreuves plus intéressantes, en substituant aux sacs inertes
de vrais voyageurs, capables d'apprécier les avantages ou de constater
les défauts des véhicules perfectionnés. La Compagnie des Omnibus vient
donc de mettre provisoirement à la disposition du public neuf voitures
nouveau modèle, actionnées par des moteurs de marques différentes, qui
accomplissent le trajet de la place de la Bourse au Cours-la-Reine par
la rue Vivienne, les boulevards, la place de la Concorde et les
Champs-Elysées.

[Illustration: LES PREMIERS OMNIBUS AUTOMOBILES A PARIS

LES NEUF TYPES EN CIRCULATION ENTRE LA BOURSE ET LE SALON DE
L'AUTOMOBILE.--1. Au départ, sur la place de la Bourse.--2. Devant
l'Automobile-Club.--3. Place de la Concorde.--5. Sur les grands
boulevards.--4, 6, 7. Avenue des Champs-Elysées.--8. Devant le Grand
Palais.--9. A l'arrivée, aux serres du Cours-la-Reine.

_Les neuf voitures ne se distinguent que par leurs moteurs, commandés à
neuf constructeurs différents._]



[Illustration: La toiture effondrée et les murs écroulés.]

L'ACCIDENT DE LA GARE DE CHARING-CROSS, A LONDRES

Un très grave accident s'est produit à Londres, dans l'après-midi du 5
décembre: la toiture de la gare de Charing-Cross s'est brusquement
effondrée avec un fracas épouvantable, entraînant dans sa chute des
équipes d'ouvriers occupés à des travaux de réfection, écrasant
plusieurs wagons des trains formés le long des quais, en même temps que
s'écroulait un mur mitoyen de soutènement, qui sépare ce vaste hall de
la salle de l'Avenue-Theatre.

Le premier moment de stupeur passé, lés pompiers et les agents de police
accourus en toute hâte entreprirent, au milieu d'un épais nuage de
poussière, de fumée et de suie, le laborieux déblaiement des décombres,
inextricable amas de fers disloqués, de verres brisés, de gravats, sous
lequel gisaient les victimes.

Le nombre n'en était pas aussi considérable qu'on l'avait craint
d'abord; mais il s'élevait cependant à une trentaine, dont sept morts.

Quant aux dégâts, telle est leur importance que la gare a dû rester
fermée pendant une semaine et qu'il faudra reconstruire le théâtre
contigu.

[Illustration: La marquise écrasée sur un des quais gravement
endommagé.]

[Illustration: Ruelle séparant la gare de l'Avenue-Theatre, encombrée de
débris.]

[Illustration: L'ACCIDENT DE CHARING-CROSS.--La grande poutre
transversale de la toiture reposant sur les wagons et soutenue par des
piles de traverses.]



LE 8e SALON DE L'AUTOMOBILE

Le Salon de l'automobile de Paris constitue la grande foire mondiale des
véhicules de locomotion sur route; car le centre du marché automobile,
en dépit des efforts chaque jour plus pressants de la concurrence
étrangère, demeure toujours en notre capitale. Les plus grosses
transactions de cette industrie si étonnamment vivante se passent encore
sur le terrain où elle est née, la France.

La grande solennité qui tient en ce moment ses assises, au Grand Palais
et aux Serres de la Ville, nous donne l'occasion d'examiner d'un peu
près les ressources qu'offre au public cette industrie automobile,
d'enregistrer ses victoires acquises, et de mesurer aussi l'énorme
terrain qu'il lui reste à parcourir pour satisfaire toutes les demandes,
de genres si différents, que lui adresse l'humanité. En un mot, nous
noterons où elle en est et où elle doit logiquement aller. Ces simples
réflexions seront probablement jugées beaucoup plus intéressantes que
des commentaires sur les rares perfectionnements de détails que
comportent les machines exposées.

LE SALON DE L'AUTOMOBILE DOIT-IL DEMEURER?

Mais, tout d'abord, le Salon de l'automobile doit-il continuer à vivre,
du moins à revivre chaque année, ainsi qu'il le fait depuis huit
ans?--La question commence à se poser dans les milieux industriels, et
les réponses ne vont pas toutes vers l'affirmative.

Quantité de chefs de maisons reprochent au Salon de les livrer malgré
eux à des frais de publicité fort onéreux. Il jette de plus une
perturbation profonde dans leurs affaires. En effet, il les oblige, à
peine remis du Salon précédent, à peine installés à la livraison des
véhicules commandés, à songer au «type nouveau» qu'il leur faudra
exposer au Salon prochain. Les modèles étant longs à déterminer dans
leurs détails, les pièces de fonte d'acier étant de fabrication très
lente, c'est dès le mois de juillet souvent qu'ils doivent commencer
l'étude des véhicules destinés à _faire sensation_ en décembre!

L'acheteur qui, de son côté, n'ignore pas cette particularité de
mécanisme industriel, ne donne plus de commandes aux usines dès que
l'été est venu: il attend le Salon! La production des usines ne va plus
que par à-coups, et l'on «débauche» le personnel ouvrier à certains mois
avec autant de hâte qu'on «l'embauche» à d'autres.

De plus, les modèles, toujours changés, ne peuvent être construits qu'en
séries relativement petites. Il est impossible d'entreprendre de grandes
séries de voitures identiques, à l'américaine, de voitures dont les
pièces seraient moins onéreuses, le prix de la main-d'oeuvre moins
élevé, sur lesquelles se répartiraient des frais généraux moindres,--et
qui, au total, seraient vendues beaucoup meilleur marché aux
consommateurs.

Enfin, les protestataires contre l'annualité du Salon font observer avec
raison que, si les étrangers commencent contre l'industrie française une
concurrence des plus sérieuses, c'est aux Salons annuels que nous le
devons. Là, groupés en un seul local, mis à nu, exposés dans leurs
moindres détails, divulgués avec complaisance par les vendeurs, tous nos
modèles sont livrés aux instincts copistes des concurrents et surtout
des concurrents étrangers. Un ingénieur intelligent pourra, en cinq ou
six visites attentives, s'il a quelque compétence, bourrer de notes son
portefeuille, travailler discrètement du crayon et du pied-à-coulisse
(appareil de mesure des épaisseurs), et extraire de cette exposition,
comparative donc éminemment instructive, les plus précieuses indications
pour une voiture bien conçue! Il serait, à tous égards, plus adroit,
pense-t-on, d'obliger les constructeurs étrangers à acheter nos voitures
s'ils désirent les copier, au lieu de les leur exposer naïvement, et
gratuitement! Tout au moins la divulgation de nos méthodes et de nos
modèles serait-elle moins préjudiciable à nos intérêts si le Salon de
l'automobile n'avait lieu que tous les trois ans!

Les partisans du Salon annuel soutiennent au contraire que la grande
foire excite la concurrence, c'est-à-dire le progrès, qu'elle fouaille
les acheteurs, entretient la fièvre du marché, la vie de l'industrie
automobile, et qu'elle met ainsi toutes choses au mieux du monde.



TENDANCE VERS UNE BAISSE DES PRIX

La tendance générale va vers une baisse sensible des prix. Sous réserve
des réflexions que j'aurai à formuler tout à l'heure sur ce sujet, voilà
une nouvelle qui réveillera l'espoir dans le coeur de bien des gens! De
très grosses maisons ont descendu tout leur catalogue 1905 de 2.000 et
3.000 francs pour en faire le catalogue 1906. Si l'on rapproche ce fait
de celui que j'ai relaté tout à l'heure, à savoir que la plupart des
constructeurs demandent qu'on leur laisse, entre deux Salons, du répit,
c'est-à-dire le temps de fabriquer par grandes séries, par conséquent de
produire à meilleur compte, on reconnaîtra qu'un vent de sagesse
commence à souffler dans le Grand Palais!

On rapprochera encore de ces deux faits ce troisième, la propension très
caractérisée qu'a aujourd'hui l'acheteur à ne plus acquérir de moteurs
énormes, de «monstres» dont la consommation d'essence et de gomme (car
un moteur très fort entraîne très vite la voiture et consomme parfois
plus de caoutchouc que d'essence) déroute les budgets les mieux
constitués! Il semble vraiment que l'ère des grandes folies de dépenses
et de vitesses soit à son déclin et que l'automobile commence, mais bien
doucement encore, à se diriger vers son vrai but, le transport rapide
des hommes et des choses, et à se détourner de son but factice, le
sport. Les gens sensés attendaient depuis longtemps cette évolution.



LE TRICAR ET LA VOITURETTE

Ce sentiment de la nécessité du bon marché a donné naissance, ou mieux
renaissance, à deux instruments, le tricar et la voiturette, dont on
voit plusieurs modèles très différents au Salon.

Le plus petit modèle d'automobile que nous possédions jusqu'ici était la
motocyclette. Mais la motocyclette, si bien au point qu'elle soit
aujourd'hui, ne peut donner satisfaction à tout le monde. Elle n'est
guère «habitable» que par un tout jeune homme, car elle n'est pas
stable, elle dérape, et puis elle n'a qu'une place. Pour le commerce,
elle est nulle, attendu qu'elle ne peut porter aucun colis.

Les Anglais, les premiers, ont remédié à ces défauts en constituant un
appareil nouveau au moyen d'une roue motrice à l'arrière, comme dans la
motocyclette, et de deux roues porteuses et dirigeantes à l'avant, comme
dans la voiture. Un «trois-roues voiture», un tricar, vint de la sorte
au monde et commença à pulluler en Angleterre. Depuis un an on parle de
lui très fréquemment en France, mais il n'y rencontre pas encore la
haute faveur qui lui est octroyée chez nos voisins, il faut bien le
reconnaître.

Cet instrument peut cependant rendre de très signalés services. Si la
place sur la selle d'arrière ne bénéficie pas d'un confort immodéré, par
contre la place d'avant, entre les roues, est suspendue sur des ressorts
et très acceptable. Pour les besoins du commerce, pour les petites
livraisons en ville ou aux environs de la ville, le tricar transforme en
un instant sa place d'avant en un coffre bien clos où les marchandises
sont à l'abri. Pour les besoins du particulier, du châtelain, par
exemple, le tricar joue aisément le rôle du poney, va porter un paquet
ou même une lettre en retard à la gare, ou plus simplement encore s'en
va au marché.

Les qualités dominantes du tricar sont d'abord le bas prix de son achat,
ensuite sa faible consommation. Mais il ne demeure pratique qu'autant
qu'on ne le «déforme» pas, qu'autant qu'on ne fait pas, de lui aussi, un
monstre!

Le tricar ne peut et ne pourra jamais être très confortable. Il sera
toujours impossible de lui donner une suspension de voiture, de lui
donner de la longueur pour augmenter son empattement et lui demander de
grandes vitesses. Sa légèreté, qui est sa qualité primordiale, l'empêche
d'adhérer au sol suffisamment dans les allures exagérées: il bondit
alors comme une balle et fait des sauts qui le détruisent lui-même et
désespèrent le conducteur.

De plus, si l'on veut exiger du tricar des vitesses élevées, il faut
nécessairement qu'on le munisse d'un moteur beaucoup plus puissant, plus
cher et consommant bien davantage. La seconde qualité du tricar, la
faiblesse de consommation, est anéantie du coup. Désormais, pour
résister à son moteur et aux vitesses que ce moteur lui communique, il
faut au tricar des membres beaucoup plus solides, donc plus lourds; et
une partie de la puissance nouvelle ajoutée à l'ensemble n'a pour effet
que de déplacer à une vitesse un peu plus grande un véhicule beaucoup
plus lourd! On parvient ainsi aux fins dernières de l'instrument: le
gros moteur trépide péniblement à l'arrière quand le véhicule est
arrêté. Il ébranle tous les assemblages. D'autre part, les freins, dont
on n'a pas la place d'augmenter la largeur et le diamètre sur ces petits
instruments, deviennent insuffisants pour les grandes vitesses
engendrées; et bientôt, le véhicule n'étant plus qu'une réunion de
pièces qui cherchent à divorcer, les pannes irrémédiables surviennent,
et l'on appelle le ferrailleur pour le lui vendre.

C'est là le processus morbide par lequel est passé le tricycle à pétrole
d'autrefois avant de disparaître; celui qui guette la motocyclette si
l'on n'y prend garde; celui qui viendra à bout du tricar si les
constructeurs ne réagissent pas avec un entêtement invincible.

Il est à remarquer qu'à ce point de vue les Anglais sont beaucoup plus
raisonnables que nous. Ils ne demandent à leur tricar que les exploits
modestes qu'il est capable de fournir et que le vendeur leur a
enseignés. Ils ne lui mettent sur les reins que deux personnes, parce
qu'il a été construit pour transporter deux personnes; ils n'exigent pas
qu'il fasse des matches même avec des trains omnibus, parce qu'il a été
construit seulement pour marcher plus vite que des chevaux.

En France, nous déduisons du fait que le tricar a été construit pour
deux personnes, qu'il peut bien en porter trois! Une de plus, une de
moins!... Alors, sur l'avant du tricar qui ne devrait être réservé qu'à
sa femme, on installe à côté d'elle une petite soeur, oh! si mince! Puis
on commande au bourrelier un tablier pour leur couvrir les jambes,
ensuite une capote à compas pour les jours de pluie. On fait poser un
générateur d'acétylène et deux petits phares pour voyager la nuit--et
l'on s'aperçoit que le tricar se refuse à tant de besogne et s'abstient
de gravir la moindre rampe. Alors, on juge que le moteur n'est pas assez
puissant, qu'il faut un ou deux chevaux de plus; et le délicieux petit
tricar d'antan devient le monstrueux engin dont j'ai parlé plus haut.

[Illustration: LE 8e SALON DE L'AUTOMOBILE: LE GRAND PALAIS ILLUMINÉ, VU
DU QUAI D'ORSAY _Dessin de Henri Jourdain_.]

Le tricar a ses deux places l'une derrière l'autre; la voiturette les a
à côté l'une de l'autre. Le premier vaut de 1.300 à 1.800 francs; la
seconde débute à 2.000 francs, je crois, jusqu'à 3.800 francs environ.
La voiturette a quatre roues, absolument comme une voiture, mais elle
n'a de la voiture, même en miniature, que la simple apparence. Le public
ne doit pas s'y tromper, et les rêveurs d'automobiles populaires à des
prix infimes doivent en prendre encore leur parti: jamais une voiturette
n'offrira le confort ni la vitesse que procurent les vraies voitures. On
admettra bien, je pense, que, si les voitures ont les dimensions
d'empattement, de voie, de caisse, que nous leur connaissons, c'est
parce que ces dimensions sont reconnues nécessaires! De ce qu'un client
ne peut consacrer que 2.000 francs à l'achat d'une voiturette, il ne
s'ensuit pas que ce monsieur ait les jambes plus courtes que le monsieur
qui signera gaiement un chèque de 25.000 francs, et qu'il ait besoin de
moins de place pour les allonger! De même l'assise d'un chauffeur peu
fortuné réclamera la même profondeur que celle du plus milliardaire de
nos amateurs!

Dès lors, puisque la voiturette ne pourra jamais satisfaire les jambes,
l'assise, et tout le reste de son acheteur, sous peine de devenir une
voiture pure et simple, il faut bien que cet acheteur ait la philosophie
de se contenter de la portion congrue de confort que peut offrir une
voiturette!

De plus, tant que les usines ne pourront pas construire les voiturettes
par grandes séries, par trois ou quatre milliers à la fois, le marché ne
pourra pas offrir, dans les prix les plus bas que j'ai indiqués, de
machines de qualité réelle. Or on sait, ou tout au moins on soupçonne,
quels dangers courent les voyageurs d'un appareil lancé à 30 ou 40 à
l'heure, s'il n'est pas constitué de matériaux de premier choix!

Ces observations n'ont pas pour but de détourner aucun acheteur du
tricar ou de la voiturette, mais de mettre en garde tous nos lecteurs
contre un achat inconsidéré. L'industrie automobile n'est pas encore en
pleine possession de la fabrication de ces appareils, comme elle l'est
de la fabrication des voitures. Il y a donc lieu de prendre plus de
précautions pour acquérir un instrument de 2.000 francs que pour en
commander un de 15.000 francs. J'en connais déjà d'excellents; j'en sais
par contre beaucoup plus d'exécrables.

En résumé, aujourd'hui, il est impossible de trouver sur le marché, pour
3.000 et 4.000 francs même, à l'état de neuf, un véhicule dit _de
famille_, c'est-à-dire capable de porter normalement trois ou quatre
personnes. La motocyclette est faite pour une personne; le tricar et la
voiturette pour deux. Rien n'existe au delà dans la classe des petites
automobiles. Et tous les trois sont faits pour rouler doucement, pour ne
jamais dépasser 40 kilomètres à l'heure sur terrain plat, c'est-à-dire
pour fournir une moyenne de 28 à 30 par tous profils. C'est peu; mais,
pour la plupart des clients de cette classe, c'est fort suffisant.

LA VRAIE VOITURE ET SES SUBDIVISIONS

Lorsqu'on veut bénéficier de tous les avantages d'une vraie voiture,
avoir le confort des places, le confort de la suspension, de la capote
large et longue, il n'est qu'un, moyen: choisir une vraie voiture!

Il ne s'ensuit d'ailleurs pas que l'acheteur qui se décide à cette sorte
d'achat voie obligatoirement ses finances compromises! On réalise
aujourd'hui de bonnes voitures modestes au moyen d'un moteur d'un seul
cylindre. C'est, au total, un poids de 600 à 700 kilos et une dépense de
6.000 francs environ. On achète ainsi un véhicule qui certes n'arrachera
de cris d'admiration à aucun badaud, mais qui honnêtement fera un dur
travail quotidien et résistera victorieusement à de longs voyages.

La voiture élégante, la voiture à quatre cylindres, c'est ici que
triomphe à coup sûr l'industrie automobile! Le nombre des constructeurs
d'automobiles de luxe est considérable, et je ne saurais trop compter
tous ceux qui se sont fait, dans cette spécialité, un nom connu. Il n'y
a ici pour un acheteur d'autre embarras réellement que celui du choix!

De façon générale, lorsqu'on désire une voiture de cette catégorie, on
ne l'achète plus toute finie, mais à l'état de _châssis_, et l'on
demande à un carrossier de la terminer par une _caisse_. Le châssis, ou
mécanisme complet sur ses roues, est fabriqué en séries par le
constructeur, mais la caisse est toujours établie par unité et, pour la
forme autant que pour la garniture et la peinture, au goût du client. Le
prix de l'ensemble est évidemment beaucoup plus élevé, mais l'oeuvre est
au moins personnelle, et, si l'amateur est quelque peu expert en la
matière, il peut, dans une certaine mesure, se dire le collaborateur du
carrossier pour sa voiture.

Si l'on veut en croire mon expérience, on admettra qu'une voiture de
tourisme ne doit guère dépasser une allure de 60 kilomètres à l'heure en
terrain plat, c'est-à-dire fournir une moyenne de 40 à l'heure ou à peu
près. Des allures plus élevées sont, en toute sincérité, dangereuses, et
augmentent le prix d'entretien de la voiture dans des proportions
énormes; des allures plus basses sont soporifiques sur route un peu
longue. Il est d'ailleurs à remarquer que le 60 que j'indique ici est le
maximum de l'allure que puisse fournir le moteur que je préconise, mais
que la souplesse de nos engins actuels permettra à ce même moteur de
faire un service de ville à 20 kilomètres à l'heure. Or, pour obtenir
ces allures, si la caisse est découverte mais pourvue d'une grande
capote, il faut une puissance _réelle_ de 20 chevaux environ. Je dis
_réelle_, parce que les constructeurs de moteurs d'automobiles ont pris
l'habitude d'annoncer des puissances inférieures à celles que peuvent
fournir au maximum ces moteurs. La puissance varie, en effet, beaucoup
avec le conducteur et n'atteint son maximum que lorsque le moteur est
dans les conditions les meilleures de rendement (bonne carburation,
bonne qualité d'étincelle électrique d'allumage, bon graissage, bonne
réfrigération, bonne étanchéité, bons ressorts de soupapes, etc., etc.).
Les constructeurs admettent donc une baisse sensible dans la puissance
du moteur lorsque les circonstances sont défavorables, et baptisent
prudemment 14 chevaux un moteur qui, en réalité, peut en donner 20. On
est alors en présence d'un 14-20 chevaux par exemple.

Un châssis de 20 chevaux a aujourd'hui une valeur de 10.000 à 14.000
francs environ. La caisse, selon la maison de carrosserie qui
l'établira, vaut de 2.000 à 4.000 francs. Il y a lieu toujours d'ajouter
un billet de 1.000 francs pour les accessoires (pièces de rechange de
mécanisme et de pneumatiques, phares à acétylène, etc.). En sorte que,
équipée pour prendre la route, une telle voiture, pour quatre à cinq
personnes, revient à un prix variant entre 13.000 à 19.000 francs.

Si la voiture est fermée par des glaces (landaulet, limousine, phaéton
abrité, etc.) et qu'on veuille atteindre les mêmes allures, il est
nécessaire d'acheter un châssis qui ait une puissance vraie de 24
chevaux environ, car le poids d'une telle caisse est plus élevé, et la
résistance qu'elle présente à l'air (facteur le plus considérable dans
la résistance au roulement qu'éprouve un véhicule rapide) est beaucoup
plus importante. On achètera donc un 18-24 ou un 20-24 chevaux. Le prix
d'un tel châssis varie entre 16.000 et 18.000 francs environ. La caisse
vaudra de 3.000 à 6.000 francs, selon le luxe qu'elle comportera. En
sorte qu'une jolie voiture de voyage, de puissance moyenne, mais de
confort absolu, vaut entre 20.000 et 25,000 francs.

Tous ces prix étaient, l'an dernier encore, plus élevés de 2.000 à 3.000
francs. La baisse n'a d'ailleurs eu lieu que sur les châssis et non pas
sur les caisses, pour la double raison que les modèles mécaniques n'ont
pas subi de modifications très importantes en 1905, et que la
concurrence commence à livrer bataille sérieuse; et que, d'autre part,
les exigences du client pour les détails de la caisse, pour leur nombre,
pour leur soin et pour leur qualité, ont toujours augmenté.

Dans la catégorie de la belle voiture, l'industrie française est, je le
répète, hors de comparaison. On y retrouve tout le goût de notre race.
Mais il faut reconnaître qu'ayant merveilleusement réussi la première
partie de son programme: construire des voitures de plaisance pour
personnes riches, notre industrie doit s'acharner dès maintenant à
réaliser la seconde partie, qui serait: construire des voitures utiles
pour personnes aisées; et à pousser à bonne fin la troisième, déjà
brillamment entamée: construire des véhicules industriels.

POIDS LOURDS, SERVICES PUBLICS, OMNIBUS

La question dite des «poids lourds», c'est-à-dire de la traction par
moteurs mécaniques de lourdes voitures de transport, a reçu, cette
année, quelques nouveaux essais de solution. Les visiteurs des Serres de
la Ville en verront quelques échantillons. Mais il faut bien qu'ils
sachent qu'en vérité notre industrie est encore, à l'heure actuelle,
incapable de livrer au commerce des voitures de transport dont le poids
total (chargement compris) dépasse trois tonnes (3.000 kilos), ou à peu
près. Ce qui manque, c'est à la fois: la roue, qui se démolit si l'on ne
la garnit que de fer, et qui consomme trois fois plus de gomme que ne
consomme d'essence le moteur, si on la garnit de caoutchouc; et la
route, que des roues aussi chargées et motrices (détail capital, car la
roue motrice, roue vivante, agrippe le sol) ont tôt fait de défoncer dès
que la voiture atteint seulement 12 à 15 kilomètres à l'heure.

Les essais les plus réussis de transport de voyageurs sur route ont
presque tous, jusqu'ici, été compromis par l'usure extrêmement rapide
des bandages des roues. Seules, les voitures peu pesantes et conduites à
allure relativement lente, ont pu sauver de la faillite les
exploitations au service desquelles elles travaillaient.

Il y a donc ici une indication précieuse à retenir: la voiture
automobile publique doit être petite, légère et lente. Sa «lenteur»
pourra d'ailleurs, sans danger, équivaloir au double de la vitesse d'une
voiture publique à chevaux! Dans ces limites prudentes, elle est dès
aujourd'hui réellement pratique. Elle permet d'établir, à très bas prix,
de ville à ville, des services publics à petit trafic, à gestion simple,
à amortissement facile. Cette application de l'automobile est évidemment
le succès de demain.

D'ailleurs, les visiteurs du Salon pourront remarquer sur le
Cours-la-Reine des omnibus à impériale, les premiers à Paris, qui, à
l'occasion de la fête de l'automobile, s'essayent à évoluer sans
chevaux. Voici qu'en 1906 le progrès nous vient de la Compagnie générale
des Omnibus!

L. BAUDRY DE SAUNIER.



[Illustration: M. Faguet faisant son cours sur les Poètes français du
temps du premier Empire.]

LES PLAISIRS GRATUITS DE PARIS: EN SORBONNE

C'est une opinion généralement admise en province, et même à l'étranger,
qu'il n'y a pas de ville où, pour passer agréablement le temps, on
dépense plus d'argent qu'à Paris. Quelle erreur! Je me souviens d'un
amusant inventaire auquel procéda, il y a une dizaine d'années, dans le
supplément littéraire du _Figaro_, un jeune homme plein d'esprit, qui
débutait alors dans les lettres, M. Jules Chancel. Il y énumérait et
décrivait l'infinie série des «plaisirs gratuits» qu'offre Paris. Il y
en a de toutes sortes, et pour tous les goûts, et l'écrivain nous
démontrait bien spirituellement qu'il n'existe point à Paris de
ridicule, de travers, de vice ou de vertu qui ne se puisse, en une
certaine mesure au moins, satisfaire gratuitement. Paris ne possède pas
seulement des jardins publics où l'on peut flâner délicieusement,
apprivoiser de petits oiseaux et, la belle saison venue, former son goût
dans la fréquentation des orchestres militaires; Paris n'a pas seulement
des musées merveilleux où il fait chaud pendant l'hiver et des églises
où il fait frais pendant l'été; des bibliothèques publiques, des
conférences où l'on est à l'aise pour digérer; des salons d'hôtel où,
sous prétexte d'attendre l'ami qui ne vient pas, on peut lire tous les
journaux, feuilleter tous les illustrés des deux mondes et faire sa
correspondance sur papier de luxe; des buffets de maisons de nouveautés
où l'on peut se rafraîchir et se restaurer gratis, et des mairies où
l'on trouve, de temps en temps, des mariées ravissantes à embrasser;
Paris possède une Sorbonne dont toutes les portes, ou presque toutes,
sont, huit mois sur douze, ouvertes à tout le monde, et où se donnent
rendez-vous, en la plus pittoresque des promiscuités, toutes les
curiosités, nobles ou futiles, toutes les coquetteries, tous les
snobismes, toutes les activités, toutes les paresses...

Et c'est l'attrait suprême et l'originalité unique de ce lieu: l'homme
sérieux s'y instruit, la femme frivole ne s'y ennuie point et le
philosophe y jouit--comme le dessinateur--de petits spectacles où il est
sûr de s'amuser beaucoup. C'est donc une grave affaire pour Paris que de
savoir, à chaque retour d'hiver, ce que sera l'affiche de la Sorbonne.
Quels professeurs y rencontrera-t-on et de quoi parleront-ils? Et à
quels jours? Et à quelles heures? Dans la clientèle féminine de la
maison ce détail est d'importance. Car, si l'on consent à orner son
esprit de connaissances nouvelles, on ne peut pas tout de même, pour
cela, désorganiser sa vie, changer «son jour», se lever ou déjeuner à
des heures ridicules, renoncer à l'agrément de certaines visites à faire
ou à recevoir et du thé de cinq heures.

[Illustration: Une habituée du cours de M. Faguet.]

[Illustration: Cours de M. Lanson: Histoire du goût littéraire au XVIIIe
siècle.]

Il y a aussi, en dehors de la Sorbonne, quelques cours où se porte
volontiers la curiosité des amateurs, et il est intéressant de savoir,
au moment où la Sorbonne va s'ouvrir, si telles conférences données par
X... à l'École du Louvre ou par Y... au Collège de France, et qu'on ne
veut point manquer, n'auront pas lieu à l'heure précise où Z..., de la
Faculté des lettres, professera le cours très attendu qu'on a résolu de
suivre aussi...

Les amateurs «sérieux» ont eu, cette année, le regret de ne point
trouver sur l'affiche de la Sorbonne quelques-uns des noms qui les y
attiraient d'ordinaire. M. Lavisse n'enseigne plus; M. Boutroux, M. G.
Monod, M. Buisson, ont provisoirement quitté l'affiche. Mais le
répertoire de l'hiver a tout de même de quoi satisfaire les curiosités
des plus gourmands; et, si les noms des «célébrités» y sont plus rares,
les compétences les plus variées et les plus notoires talents y
figurent. Six maîtres y enseignent la philosophie; treize, la géographie
et l'histoire; treize, les lettres et la philologie.

La troupe des amateurs se disperse autour de ces chaires en groupes très
inégaux. Cette année, elle semble négliger un peu les philosophes, et
nous sommes loin des belles années où c'était un brevet de distinction,
pour une Parisienne, que d'être vue--très attentive et le crayon d'or à
la main--aux leçons de Caro. La parole charmante de M. Brochard eût été
digne de les attirer; mais M. Brochard consacre, cet hiver, son élégante
érudition au «Néoplatonisme alexandrin», et ce n'est pas de quoi réjouir
des imaginations de femmes. Quelques-unes vont entendre M. Dumas, qui
leur parle des «Emotions et des passions», mais de si honnête manière!
M. Séailles parle de «l'Idée de Dieu et des méthodes philosophiques»
devant un auditoire attentif, et M. Lévy-Bruhl a vu se lever vers lui,
depuis un mois, quelques jolis yeux: des yeux de graves étudiantes que
tourmente le besoin de savoir ce que c'est au juste que la «Philosophie
de Descartes». Les autres fréquentent de préférence les cours de
lettres. Il y en a, cette année, d'amusants. Le plus suivi de tous est,
comme l'an dernier, celui de M. Faguet, qui traite des «Poètes français
du temps du premier Empire». M. Faguet a tout ce qu'il faut pour
intéresser un auditoire de femmes: il est académicien, il a de l'esprit,
il sait à fond les choses dont il parle, et il ne parle que de choses
qu'on voudrait savoir. Il est, avec cela, le plus fécond des
journalistes, et il exerce la critique dramatique au rez-de-chaussée du
plus vénérable de nos journaux. C'est ce qui vous explique pourquoi on
voit fleurir autour de sa chaire de si jolis chapeaux et briller l'or de
nuques si jolies: ce sont les nuques et ce sont les chapeaux de
comédiennes qui, ayant lu les feuilletons de M. Faguet, se sont dit que
les leçons qu'il professe à l'amphithéâtre Richelieu ne devaient pas
être ennuyeuses... Elles ne le sont pas, en effet. Non plus que celles
de M. Lanson, qui a pris pour sujet, cet hiver, «l'Histoire du goût
littéraire en France au dix-huitième siècle». Ici, moins d'élégances. Un
auditoire où domine l'élément «professionnel»: des étudiants des deux
sexes, des institutrices,--beaucoup d'institutrices. M. Lanson est un
professeur influent et bien en cour; il est fort en littérature et il a,
en politique, des opinions hardies; c'est un maître qu'il est
intéressant de suivre et avantageux d'avoir suivi.

[Illustration: S'est trompée de jour et assiste, avec sa mère, au cours
de M. Luchaire: _Innocent III et la question d'Orient._]

[Illustration: Une Allemande qui suit les cours, quels qu'ils soient,
pour apprendre la bonne prononciation française.]

[Illustration: L'amphithéâtre Richelieu, pendant un cours de M. Faguet.]

C'est au cours de M. Santayana que nous retrouvons les mondains--et les
mondaines--de Sorbonne. Professeur à l'université d'Harvard, M.
Santayana fait, sur la «Philosophie contemporaine en Angleterre et aux
États-Unis», un cours où affluent les jolies femmes... car la colonie
américaine est riche en jolies femmes, et ce sont elles surtout qui
viennent, deux fois par semaine, applaudir leur savant compatriote et
continueront de lui faire cortège jusqu'en mars.

Est-ce à dire que MM. Santayana, Lanson et Faguet méritent seuls la
vogue qui s'attache cet hiver à leur enseignement? Point du tout;
n'oubliez pas que la Sorbonne compte parmi ses maîtres un des hommes les
plus savants et les plus spirituels de ce temps-ci, M. Gebhart; que les
noms de MM. Croiset, Collignon, Martha, Cartault, Thomas, Henry, Gazier,
Lichtenberger, Beljame, Haumant, Dejob, s'inscrivent à l'affiche de
1906. Mais quoi! la vogue ne va pas au talent seul; elle va aux hommes
qui ont «une histoire» et aux sujets qui l'amusent; or, M. Croiset n'a
pas d'histoire; quand M. Collignon lui parle de «l'Art grec au quatrième
siècle», la foule des amateurs fait la grimace, et, si elle néglige un
peu M. Gebhart, c'est que M. Gebhart lui tient, sur la «Chronique de
Fra-Salimbene», des discours qui ne la divertissent point follement.

[Illustration: Cours de M. Collignon _(Art grec au IVe siècle)_.]

Quelques auditrices pourtant restent fidèles à ces graves leçons et
c'est, pour l'habitué de Sorbonne, un amusement que ces rencontres
inattendues: l'auditrice guindée que sa femme de chambre accompagne et
qui échange avec elle des réflexions qu'on voudrait connaître...;
l'élève du Conservatoire, échouée là par on ne sait quel hasard, qui
s'est trompée de porte ou de jour et qui, croyant entendre M Faguet,
demeure comme médusée devant les explications que M. Luchaire lui
fournit sur «Innocent III et la question d'Orient».

[Illustration: Un rentier de Sorbonne.]

[Illustration: Suit le cours de M. Gabriel Séailles... Sa bonne aussi.]

M. Aulard intéresse davantage. M. Aulard est un peu, du côté des
historiens, ce qu'est M. Lanson du côté des professeurs de lettres.
C'est un militant, dont les idées ont fait du bruit. Il nous explique,
cet hiver, la «Méthode des principaux historiens de la Révolution».
Auditoire d'étudiants, d'institutrices, de rentiers graves. Le rentier
fréquente volontiers, en Sorbonne, les cours d'histoire. Et il n'a que
l'embarras du choix. L'histoire ancienne le tente-t-elle? MM. Leclercq
et Grébaut la lui enseigneront. Celle de l'art byzantin lui plaît-elle
davantage? M. Diehl est là pour la lui raconter. Est-il friand
«d'actualité»? Voici les cours où M. Revon, très entouré, traite de
«l'Évolution morale du Japon», et M. Augustin Bernard du Maroc, et M.
Denis de «la Russie depuis Paul Ier». M. Vidal de la Blache, M. Marcel
Dubois, lui enseigneront, s'il veut, toutes sortes de géographies; M.
Lemonnier, l'«Histoire de l'art»; M. Romain Rolland, celle de «l'Opéra,
de Lulli à Gluck». Et je m'en voudrais enfin d'oublier le docte cours de
psychologie de M. Egger, et celui de M. Espinas sur les «Vues
sociologiques de Voltaire et de Rousseau». Le rentier de Sorbonne est le
plus respectueux des auditeurs. Il prend rarement des notes. Ancien
commerçant, fonctionnaire ou vieux militaire retraité, sa fonction est
de se reposer. Il écoute, simplement, et quelquefois il s'endort.
Interpellé par un avocat qui s'irritait de le voir dormir depuis le
commencement de sa plaidoirie, un vieux juge osa répondre que le sommeil
était quelquefois «une opinion».

Le mot est spirituel, mais ne vaudrait rien si on l'appliquait aux
dormeurs de Sorbonne. Car leur sommeil, à ceux-là, ne veut pas dire:
«Vous êtes ennuyeux», mais le plus souvent: «Vous êtes, monsieur le
professeur, un peu trop fort pour moi». Et cela est tout à l'honneur de
nos maîtres. Ils ne cherchent pas à plaire quand même à l'auditoire qui
les écoute; ils l'appellent à eux; ils ne descendent point à lui; ils
savent résister, parlant au public, à la tentation de se faire
courtisans. C'est une des vertus que le Palais-Bourbon pourrait envier à
la Sorbonne.

ÉMILE BERR.



LE POPE GAPONE A PARIS

Le pope Gapone, principal instigateur du mouvement populaire de
Saint-Pétersbourg qui aboutit, le 22 janvier dernier, à la fusillade du
Palais d'Hiver et aux scènes tragiques qui ensanglantèrent les faubourgs
de la capitale russe, avait pu s'enfuir et éviter la répression. Au mois
d'octobre dernier, quoique le gouvernement eût refusé de le comprendre
dans l'amnistie, il était rentré clandestinement en Russie. Mais, traqué
par la police à laquelle il n'échappa que grâce au dévouement de ses
amis, il dut de nouveau prendre la fuite. C'est à Paris, où il est venu
chercher un asile, qu'a été prise la photographie que nous publions de
lui, et qui le représente sous le costume laïque. Un de nos confrères du
_Matin_ l'a interviewé. D'après ses déclarations, il apparaît sinon
découragé du moins inquiet de la tournure qu'ont prise les événements.



«AU JARDIN DE PARIS», TABLEAU DE TOULOUSE-LAUTREC

La Société des Amis du Luxembourg s'est constituée dans le but
d'enrichir notre musée des artistes contemporains. Or, la première oeuvre
qu'elle songea à lui offrir, dès que ses ressources le lui permirent,
fut le tableau que nous reproduisons ici: _Au Jardin de Paris_, oeuvre
du peintre Henri de Toulouse-Lautrec, mort il y a quelques années.
Présentée d'abord au Comité consultatif des musées, l'oeuvre fut agréée.
Le Conseil supérieur des musées, par contre, quand elle arriva devant
lui, la repoussa. Des polémiques s'engagèrent, au cours desquelles
l'éminent président du Conseil supérieur, M. Léon Bonnat, déclara
n'avoir gardé aucun souvenir que cette toile eût été examinée par le
Conseil. Elle vient donc de lui être soumise de nouveau, et une faible
majorité lui a refusé une seconde fois l'entrée du Luxembourg.



LES LIVRES ET LES ÉCRIVAINS

LE PRIX GONCOURT DE 1905: «LES CIVILISÉS», PAR CLAUDE FARRÈRE.

Les hésitations ont été longues à l'Académie Goncourt. Parmi la masse,
plus nombreuse que jamais, des livres présentés pour le prix, aucun ne
semblait attirer les suffrages des nouveaux et jeunes immortels. Presque
au dernier moment, quelqu'un du cénacle a mis en avant un volume auquel
personne ne songeait: _les Civilisés_ (Ollendorff, 3 fr. 50), d'un jeune
officier de marine qui avait déjà publié, sous le même pseudonyme de
Claude Farrère: _Fumées d'opium_. Ces messieurs de l'Académie Goncourt
ont le goût des impromptus; ils aiment à prendre des décisions rapides
et à couronner les pages de la dernière heure. N'ont-ils pas
pareillement le dessein de tromper le public et de choisir le favori que
l'on ne soupçonnait pas?

[Illustration: M. Charles Bargone (Claude Farrère), enseigne de vaisseau
à bord du _Saint-Louis_.]

_Les Civilisés_, qui viennent de réunir la majorité des voix,
méritaient-ils tant d'honneur? Nous avons, dans la vie, rencontré des
êtres, hommes ou femmes, qui nous attirent dès le premier abord. A peine
la porte s'ouvre-t-elle devant eux et apparaissent-ils, qu'ils
conquièrent tout le salon. Ils ont des manières si engageantes, un tel
sourire sur les lèvres, une telle contenance, qu'on est pris et disposé
à tout accorder sans réfléchir davantage. Ainsi en est-il des Civilisés.
La phrase en est vive et à la fois caressante, avec des mots neufs et
éclatants, avec un réalisme qui se voile sous des couleurs très
poétiques, à la Loti.--L'auteur de _Mon frère Yves_ semble avoir marqué
toute la marine littéraire.

Au bout d'un certain temps, et après quelque examen, on aperçoit bien
quelques défauts dans l'inconnu séduisant, mais on reste malgré tout,
sous le charme de la première impression.

Trois personnages principaux remplissent presque tout le livre de M.
Farrère: un médecin, Mévil; un ingénieur, Torral, et un officier de
marine, Fierce. C'est à Saigon qu'ils se rencontrent et qu'ils mènent la
vie de civilisés, dans cette ville étrange, facile, où les plaisirs sont
sous la main et où rien ne retient plus de ce qui constitue les préjugés
de la vieille Europe. Se rappelle-t-on le serpent noir de Nietzsche que
notre éducation et notre atavisme nous ont attaché à la gorge et dont
nous ne pouvons facilement nous défaire? C'est l'ensemble de lois
morales, de conventions mondaines et sages, par lesquelles nous sommes
tenus. M. Farrère, sous le vocable de «civilisés», comprend ceux qui ont
rompu avec les principes anciens, avec les prétendues superstitions
morales pour se livrer uniquement à leur fantaisie et se procurer le
maximum possible de jouissances. «Ils vivent en marge de notre vie
conventionnelle; ils en ont abjuré tous les fanatismes et toutes les
religions. L'éclosion de pareils hommes n'était possible que dans cette
Indo-Chine à la fois très vieille et très neuve...; il y fallait la
corruption d'une société en qui la morale d'Europe a fait faillite; il y
fallait l'humidité brûlante de Saigon où tout se fond au soleil et se
dissout,--les énergies, les croyances et le sens du bien et du mal.»

Tandis que Nietzsche prêche la suppression du serpent noir, pour donner
plus de vigueur à l'homme, pour exalter son orgueil, pour écarter de lui
ce qui l'empêche de devenir un surhomme, les civilisés de M. Farrère
n'élèvent pas si haut leurs pensées et ne visent qu'à la satisfaction de
leurs moins nobles instincts. Les trois Européens de Saïgon se
dépouillent de toute croyance pour se précipiter dans la vie la plus
ignominieuse et la plus débilitante. Ah! les viles orgies où les
entraîne leur scepticisme! A trente ans, le docteur Mévil n'est plus
qu'une loque humaine, amollie et annihilée par les basses voluptés, par
le vin et par l'opium. En vain essaye-t-il de se raccrocher à une
branche de salut, à un amour pour une jeune fille pure. Mais elle
rejette, méprisante, sa vieillesse prématurée. La branche se soustrait à
sa main. Il meurt misérablement sur une route, un matin, après une nuit
honteuse. Fierce a été sur le point de se relever et d'épouser la
ravissante Sélysette; peu s'en est fallu qu'il ne quittât les civilisés
pour rentrer parmi les barbares. Mais, surpris, en une débauche, par sa
fiancée, il perd tout espoir et se fait tuer dans une lutte maritime
avec les Anglais. Pour éviter le service militaire, Torral, avant les
hostilités, avait déserté.

Ainsi finissent lamentablement les civilisés, victimes de leur
scepticisme et de leur révolte contre les vieilles lois et les vieilles
coutumes. Malgré la hardiesse des peintures, la crudité fréquente des
mots, les _Civilisés_, par leur conclusion, se présentent comme une
oeuvre morale. Peut-être l'auteur--il est assez artiste pour le
faire--aurait-il pu atténuer certains détails, nuancer quelques
couleurs. Peut-être aussi aurait-il pu, à la fin, ne pas se transporter
dans l'avenir, en pleine guerre maritime contre l'Angleterre. Cette
conception nuit à la vraisemblance du récit. Mais ne soyons pas trop
pédants devant la beauté; n'écartons pas le rayonnement d'art qui
enveloppe _les Civilisés_ et qui en dérobe si heureusement toutes les
légères taches.

E. LEDRAIN.



POUR LES BIBLIOPHILES

La «Société normande du Livre illustré» vient d'éditer luxueusement un
curieux recueil: _Chansonnier normand_ (chez Carteret, suce, de Conquet;
125 exemplaires à 150 fr.) En forme de préface, une notice historique
sur la chanson normande, par M. Joseph L'Hôpital, ouvre le volume. M.
Joseph L'Hôpital n'est pas un inconnu pour les lecteurs de
_L'Illustration_: il a publié ici même un exquis roman, _Rêve
d'enfants_, et une saisissante nouvelle, _la Dame verte_. Sa
présentation du _Chansonnier normand_ débute par de bien jolies
généralités sur la chanson:

«La chanson est aussi vieille que le monde. Du jour où l'homme a
commencé à traîner sur la terre l'éternel fardeau de ses pensées et de
ses douleurs, elle s'est mise en marche avec lui sur la route de la vie;
elle en a poétisé les sanglants détours, en a fleuri les dures étapes
d'espérance, en a pleuré et exalté tour à tour les mauvais pas et les
riants passages: chanson de guerre, chanson de prière, chanson de deuil,
chanson de joie, chanson d'amour.

» Ainsi s'est formé le grand concert que le passé donne au présent et
que le présent à son tour enrichit de sonorités nouvelles. Car la route
n'est pas finie; l'homme marche toujours; il a toujours besoin que sa
compagne la chanson lui redise les paroles qui ont donné des jambes et
du coeur à ses pères tombés avant lui sur ce chemin sans fin; et il lui
demande à toute heure des chants pour lutter, pour aimer, pour jouir et
pour souffrir...»

Un court fragment de la _Chanson de Roland_ ouvre le recueil: la
«Société normande» a voulu ainsi manifester que, malgré toutes les
démonstrations de M. Gaston Paris, elle s'en tient à l'opinion de M.
Léon Gautier, qui voyait dans l'auteur de la vieille épopée un compagnon
de Guillaume le Conquérant. Mais le premier chansonnier normand
incontesté qu'on nous présente est Richard de Sémilly, baron d'Aunay,
qui nous chante une chanson d'amour:

        J'aime la plus sade rien (1), qui soit de mère née,
        En qui j'ai trestout mis, âme et cors et pensée.
        Plus est blanche que noif (2), comme rose vermeille.

Note 1: La plus gracieuse personne.

Note 2: Neige.

Voilà comme un Normand chantait au douzième siècle. Et voici comme un
autre Normand chante au vingtième:

        Messieurs, grâce au gouvernement
        Dont nous jouissons à l'heure actuelle
        Le pays vit dons l'enchant'ment
        D'une félicité perpétuelle.
        Au dedans, point d'agitations;
        Le gâchis simplement, rien autre.
        A l'extérieur, quoi? des nations
        Messieurs! étrangers à la nôtre!
        Enfin, chose extraordinaire!
        --A quoi c'la tient-il? J'n'en sais rien--
        Nous ne sommes pas même en guerre!
        Tout va bien, messieurs, tout va bien!
        Et zim la boum!... Vive la République!

L'auteur de ce couplet--que beaucoup d'autres couplets accompagnent--est
M. Jacques Ferny, qui naquit à Yerville (Seine-Inférieure), et qui dit
chaque soir lui-même ses _Chansons immobiles_ dans les cabarets de
Montmartre.

On voit combien est éclectique l'anthologie chansonnière de la «Société
normande». Entre le douzième et le vingtième siècle, entre Richard de
Sémilly et Jacques Ferny, nous rencontrons successivement: Marie de
France, qui écrivit des lais pour le roi Henri d'Angleterre, en pure
langue normande; Alain Chartier, né à Bayeux; Olivier Basselin et ses
compagnons du Vau de Vire:

        L'amour de moy sy est enclose
        Dedans ung iolly jardinet,
        Où croist la rose et le muguet,
        Et aussi faict le passerose.

Et puis c'est Jean Marot, père de Clément; Gringoire; Jean Le Houx, qui
chanta le cidre... et aussi le vin; Vauquelin de La Fresnaye et son fils
Vauquelin des Yvetaux; François de Malherbe, dont tant de stances furent
mises en musique de son temps et depuis; Gaultier Garguille; le grand
Corneille lui-même; Madeleine et Georges de Scudéry... Et, plus près de
nous: Malfilâtre, Casimir Delavigne, Louis Bouilhet, Barbey d'Aurevilly,
Guy de Maupassant... Enfin, nos contemporains: Charles Frémine, Eugène
Le Mouel, Paul Harel le bon poète-aubergiste, Henri de Régnier, enfin
Louis Beuve, qui écrit en patois ses chansons.

Cette sélection est le résultat de longues et érudites recherches. Les
lecteurs du _Chansonnier normand_ trouveront dans la remarquable préface
de M. Joseph L'Hôpital l'exposition claire et brillante des faits
généraux qui rattachent les uns aux autres les auteurs cités.

Mais pourquoi ces lecteurs doivent-ils être si peu nombreux? Cent
vingt-cinq exemplaires à cent cinquante francs: que les bibliophiles
sont égoïstes! Certes, ce prix est justifié par la beauté de la
présentation typographique et par la richesse harmonieuse des vignettes
en couleurs de Giraldon, gravées sur bois par Quesnel, qui encadrent
chaque page. Cependant, ne pourrait-on maintenant faire une édition plus
modeste d'un ouvrage que beaucoup de simples lettrés, qui n'ont pas les
moyens d'être bibliophiles, seraient heureux de mettre, eux aussi, dans
leur bibliothèque?



QUELQUES BEAUX LIVRES ILLUSTRÉS

De nos jours, on pardonne assez facilement au Vésuve ses crimes
d'autrefois, d'abord parce que ces méfaits sont atteints par une
prescription deux fois millénaire, ensuite parce que la science s'est
fort heureusement accommodée de leurs résultats. Assurément, lorsqu'il
réunissait les documents de son livre, _Pompéi_ (Emile Gaillard,
éditeur), M. Pierre Gusman, dans un bel égoïsme de lettré et d'artiste,
ne devait pas éprouver des sentiments très hostiles au redoutable
ensevelisseur. Plutôt, il lui savait gré d'avoir préservé les cités
mortes contre l'inévitable profanation des hommes et d'avoir rendu
possible, pour les exhumateurs d'aujourd'hui, la reconstitution
minutieuse de la vie romaine d'il y a deux mille ans.

L'ouvrage de M. Pierre Gusman, qui vient d'être magnifiquement réédité,
est illustré par l'auteur lui-même de 600 dessins et aquarelles d'un
puissant intérêt documentaire. En outre d'une description de Pompéi
avant l'éruption et d'un récit du cataclysme, ce livre contient de
multiples et précieuses indications. Il nous fait assister aux fouilles
anciennes et modernes, nous donne le secret de la vie antique, nous
conduit au théâtre, au cirque, aux endroits où l'on votait; il nous
initie encore aux langues parlées et à l'écriture en usage au temps de
Titus; enfin, il nous fait comprendre, savourer l'art décoratif
qu'Alexandrie exporta en Italie, les formes souples de la plastique et
le brio des peintures aux charmantes compositions païennes, où la grâce
libre et la délicatesse sensuelle des figures offrent un attrait
toujours jeune. «La tête humaine, ouvrière dépensées, révèle le
caractère de ses oeuvres par l'expression habituelle de ses traits.» Par
ces lignes, M. Moreau-Vauthier exprime, sous une forme saisissante, tout
l'intérêt du nouvel album, _l'Homme et son Image_ (Hachette, 30 fr.)
qu'il présente au public. Et, de fait, en contemplant les 200 gravures
et les 12 planches en héliogravure que renferme ce magnifique volume, on
voit aisément combien, du _Chancelier Rollin_ de Van Eyck aux
aristocratiques figures de Van Dyck et aux somptueux et robustes modèles
d'un Titien ou d'un Rubens, des Drapiers de Rembrandt au _Portrait de M.
Bertin_, les physionomies diffèrent, les génies se précisent, les
procédés se transforment. Par la représentation de la figure humaine, le
sculpteur ou le peintre font transparaître à nos yeux, d'une manière
plus immédiate que l'écrivain, le monde intérieur des passions et des
sentiments. En s'appliquant à faire l'histoire de l'homme par son image,
M. Moreau-Vauthier nous a donné l'esquisse de la société même dans ses
évolutions successives. Voyez plutôt les titres des chapitres de
l'album: l'Athlète, l'Homme d'épée, l'Homme de cour, l'Homme d'affaires.
N'est-ce point là une division rationnelle de l'histoire de la
civilisation humaine par les différents âges qu'elle a vécus?

Puvis de Chavannes qui, dans l'intimité, était un homme simple et gai,
avait une passion innocente: il dessinait des caricatures. Il en
dessinait même constamment avec, d'ailleurs, une maîtrise impeccable,
mais sans ajouter la moindre importance à ses coups de crayon et sans se
douter qu'on aurait jamais l'idée d'exhumer ces improvisations et de les
joindre à son oeuvre géniale. Or, voici justement qu'un grand nombre de
ces dessins, recueillis par Mme Ph. Gille, viennent d'être réunis en un
luxueux album, remarquablement préfacé par Mlle Adam. Tous les artistes
voudront connaître _les Caricatures de Puvis de Chavannes_ (Delagrave,7
fr. 50)au nombre desquelles ils trouveront des «instantanés» saisissants
à la manière de Daumier et des imaginations d'un irrésistible comique.
En de petits poèmes souples et colorés, qui ont tout le charme attendri
des récits de l'aïeul, M. Georges Spetz nous conte des _Légendes
d'Alsace_ (Edition de la Revue alsacienne, Strasbourg.) Il nous dit,
entre autres, la tragique aventure des frères Ribeaupierre, l'origine
merveilleuse de la source de Tiérenbach, la lutte des cloches du Donon
contre le violon du diable et la légende gracieuse de la demoiselle
blanche de la Fecht. De superbes illustrations hors texte et des
vignettes de MM. Joseph Sattler, Léon Schnug et Charles Spindler
accompagnent ces évocations du moyen âge allemand que précède un maître
frontispice du tant regretté J.-J. Henner.



AUX CHAUFFEURS!

Nous signalons avec plaisir à ceux de nos lecteurs qu'intéressent les
questions d'automobilisme deux ouvrages importants de notre
collaborateur, M. Baudry de Saunier: _l'Allumage_, qui explique d'une
façon extrêmement claire les principes électriques appliqués à
l'automobile et qui décrit notamment, avec de nombreuses figures, les
bobines et les magnétos de tous systèmes;--et les _Recettes du
chauffeur_, recueil de tous les tours de main que doit connaître un bon
conducteur d'automobile. Le premier ouvrage vaut 15 francs; le second,
12 francs. Tous deux sont en vente aux «Ouvrages Baudry de Saunier», 20,
rue Duret, Paris.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

NOUVEAU GAZ D'ÉCLAIRAGE ET DE CHAUFFAGE.

On connaît le gaz à l'eau, produit par le passage de l'eau sur du
charbon porté au rouge, et l'on sait que ce gaz revient à un très bas
prix, à peine un centime et demi par mètre cube. Mais l'emploi de ce gaz
est très limité, en raison de la très forte proportion d'oxyde de
carbone qu'il contient, proportion qui peut aller jusqu'à 40%.

Un industriel anglais, mettant à profit une méthode due à un professeur
de l'Université de Toulouse, M. Sabatier, serait arrivé à débarrasser le
gaz à l'eau de son oxyde de carbone, et à produire finalement un gaz
dont le prix de revient serait encore très faible et dont le pouvoir
calorifique serait cependant d'environ 35% supérieur à celui du gaz
ordinaire.

On procède actuellement, à Lyon, à des expériences systématiques sur ce
nouveau produit, qui exigerait moitié moins de houille que le gaz
d'éclairage actuel, et s'accommoderait de houille de qualité secondaire.



LES HAUTS FOURNEAUX DANS L'INDE.

C'est une conséquence forcée de l'évolution économique et sociale que
les pays les plus arriérés, au point de vue industriel, arrivent peu à
peu à s'affranchir de certains tributs payés aux nations étrangères,
toutes les fois que des circonstances locales n'y apportent pas un
obstacle absolu. Il y a quelques années, un grand industriel hindou,
nommé Tata, songea à utiliser sur place les charbons et les minerais de
fer indigènes. Il est mort avant d'avoir pu réaliser son projet; mais le
consul américain à Bombay signale que ses fils sont en train de
constituer une société au capital de 6.480.000 livres (162 millions de
francs) pour établir des hauts fourneaux, des aciéries, des laminoirs et
pour exploiter les mines. Si l'entreprise réussit, la métallurgie
européenne et américaine trouvera sur le marché asiatique une
concurrence contre laquelle la lutte pourra devenir singulièrement
difficile.



LA PRODUCTION DU COTON.

La production annuelle du coton est considérable; elle atteint 3
milliards de kilogrammes, et cependant ne dépasse pas les besoins de
l'Industrie.

Les États-Unis tiennent la plus grande place dans cette production: ils
fournissent près de 70% du coton utilisé; les Indes en fournissent 15%
et l'Égypte 8%.

L'appoint est fourni par les autres pays, Turkestan, Japon, etc.: en
tout 500 millions de kilogrammes.

Il n'est pas douteux que nos colonies pourraient jouer un rôle important
dans cette production et qu'elles seraient bien placées pour fournir la
matière première à l'industrie cotonnière française.

Aussi avait-on tenté d'organiser la culture du coton dans nos colonies
africaines. Mais, au Sénégal et au Soudan, cette culture ne paraît
devoir être fructueuse, en raison de la climatologie de ces pays, que
par l'irrigation.

C'est d'ailleurs ce qui se passe en Égypte, où l'État, qui met en
réserve les crues du Nil, est, pour les cultivateurs, une sorte
d'entrepreneur de fourniture d'eau.



LA CRISE DU PÉTROLE AU CAUCASE.

On peut apprécier aujourd'hui les conséquences des incendies de Bakou
sur l'industrie pétrolifère du Caucase. La production du naphte, égale à
50 millions de quintaux en 1904, accusait, pour le premier semestre de
1905, une diminution de 6 millions de quintaux. Depuis les émeutes du
mois de septembre, elle s'est abaissée à un chiffre que l'on n'a pas
encore fait connaître. L'augmentation des cours, seule, permet de
supputer l'importance du déficit. Le poid de 16 kilos n'avait jamais
valu, à Bakou, plus de 17 kopecks; depuis longtemps il était descendu à
7 kopecks. Il est aujourd'hui de 21 kopecks et, à Nijni-Novgorod, il
atteint 30 kopecks. Les armateurs et les usiniers du Volga, qui
employaient tous le pétrole pour produire la force motrice, songent à
utiliser désormais la houille; certaines lignes de chemin de fer ont
déjà effectué la substitution. Le manque de wagons rend la solution
générale difficile, sinon impossible.

D'autre part, le bureau de statistique des industriels de Bakou, tout en
évaluant les pertes à 27 millions de roubles, estime que, grâce aux
énormes capitaux dont disposent les propriétaires de puits, le désastre
est assez facilement réparable. Sur les 1.512 puits existant naguère
dans les quatre districts de Bakou, il en reste 580. Parmi les 932
brûlés, quelques-uns étaient abandonnés. L'établissement d'un puits
coûte 75.000 roubles; mais si, comme on le suppose, les trous de forage
n'ont pas souffert, le dommage se réduirait aux 10.000 roubles
représentant la valeur des machines et des appareils.

[Illustration: Illumination intérieure du 8e Salon de l'automobile au
Grand Palais des Champs-Elysées.]



LA POPULATION FRANÇAISE EN 1904.

Chaque année, depuis quelque temps, nous avons à enregistrer un nombre
de naissances inférieur à celui de l'année précédente. En 1904,
l'excédent des naissances sur les décès n'est que de 57.026, nombre
inférieur d'un quart à celui de 1903: 73.106.

Non seulement, en effet, il y a eu, en 1904, 8.483 naissances de moins
que l'année précédente, mais il y a eu, en outre, une légère
augmentation--7.597 unités--du nombre des décès.

De là un taux d'accroissement de 0,15% inférieur à tous les précédents,
depuis 1900.

La diminution du nombre des naissances est assez générale: elle s'étend
à 56 départements. Mais elle est le plus sensible dans le Nord, le Var,
le Rhône, le Morbihan, la Gironde, la Corse et la Loire.

Le Pas-de-Calais, la Meurthe-et-Moselle, les Alpes-Maritimes et la
Vienne se font remarquer au premier rang des 31 départements où la
natalité a augmenté.

Par contre, la Seine a enregistré, en 1904, 2.051 décès de plus qu'en
1903; le Finistère, 1.233; le Pas-de-Calais, 1.026; la Seine-et-Oise,
865, et le Nord, 833. Les Bouches-du-Rhône, les Alpes-Maritimes, le Var,
la Corse, l'Ain, le Gers, se font remarquer par l'amélioration de leurs
chiffres obituaires.

Toutefois, si les naissances se font rares, les mariages sont cependant
chaque année plus nombreux. Il y en a eu 298.721 en 1904, soit 2.725 de
plus qu'en 1903. C'est surtout dans la Seine que l'accroissement a été
relevé (834 en plus). D'ailleurs, il en est de même des divorces: 9.860
en 1904 au lieu de 8.919 en 1903.

Le nombre des naissances a été de 818.229, soit 2,20% de la population
légale. De ces enfants, 416.812 étaient des garçons et 401.417 des
filles, soit environ 1.038 garçons pour 1.000 filles. Cette proportion
reste à peu près invariable.



L'UTILISATION DES FRUITS DU SORBIER AMÉLIORÉ.

Le sorbier des oiseleurs est un arbre qui commence à prendre une
certaine place dans quelques vergers: on en a trouvé en Moravie des
pieds perfectionnés, à fruit très supérieur à celui que donne
communément cette espèce; et plusieurs pieds, greffés avec ces sujets
d'élite, ont été répandus en Suisse, en Allemagne, et en France même.
Les modes d'utilisation possibles du fruit du sorbier amélioré sont
divers. On peut le consommer cru, frais ou conservé. Pour le conserver,
on le cueille après maturité et on le met sécher en branches, comme les
cerises, dans un endroit à température régulière. Il peut, de cette
manière, durer jusqu'au printemps suivant. On en fait des confitures
aussi, mais il faut cueillir le fruit avant maturité pour avoir des
confitures se conservant bien: en septembre, au lieu d'octobre qui est
le moment où le fruit, devenu sucré, est le plus agréable pour le
consommateur qui l'absorbe cru. Depuis longtemps on fait, avec le fruit
du sorbier sauvage, de l'eau-de-vie: une fabrique fonctionne à Izaebnik
près Krakau depuis 1884, et de grandes plantations de sorbier doux ont
été faites dans la même localité en 1889, pour l'utilisation alcoolique
des fruits améliorés. Le sorbier se recommande encore à l'ami des
animaux: il donne au gibier et aux oiseaux un aliment très apprécié en
hiver.



L'ÉCLAIRAGE DU SALON DE L'AUTOMOBILE

On s'était fort extasié l'année dernière sur l'éclairage du Salon de
l'automobile, mais le chiffre de 20.000 lampes formant la vasque
centrale du plafond était peut-être encore plus impressionnant que
l'effet produit. Cette boule étincelante paraissait un peu isolée au
milieu de l'immense carcasse vitrée dont les grands cintres seuls
étaient dessinés par un sillon lumineux; la surface éclairée présentait
des trous qui en rompaient désagréablement l'unité. Un nouvel effort a
été tenté cette année, et les résultats obtenus semblent rendre bien
difficile tout progrès ultérieur. Le plafond est parsemé d'étoiles, et
des festons très simples courant sur les cintres atténuent par la grâce
de leurs courbes successives les profils un peu durs de cette
architecture spéciale; tout cela dans une mesure et des proportions si
heureuses que le regard embrasse d'un seul coup cette constellation pour
en admirer le parfait équilibre. Peu de visiteurs, sans doute, sont
capables de supputer, même approximativement, l'importance du travail et
de la dépense que représente une telle illumination. Quelques chiffres
vont nous fixer à cet égard:

La force motrice s'élève à 5.000 chevaux, dont 250 seulement fournis par
les sept dynamos installées à demeure dans les sous-sols du Grand Palais
et qui assurent l'éclairage du Concours Hippique et des expositions
ordinaires. Le supplément de force est emprunté au secteur des
Champs-Elysées, à l'usine des Moulineaux et à la Compagnie du
Métropolitain. Cette dernière fournit le plus fort contingent: 1.800
chevaux à la tension de 5.000 volts. Les divers courants sont répartis
sous la direction unique de la maison Lacarrière. Cette force de 5.000
chevaux, supérieure de 1.500 chevaux à celle utilisée antérieurement,
est presque égale à la puissance dont disposent certains secteurs
parisiens (6.000 à 10.000 chevaux). Elle suffirait à l'éclairage public
et domestique d'une ville de 100.000 habitants, et elle permettrait de
faire circuler simultanément, entre la gare des Invalides et Versailles,
dix à douze trains de 150 tonnes.

Les stands des exposants utilisent, à eux seuls, environ 90.000 lampes à
incandescence, presque toutes de 5 à 7 bougies.

L'éclairage «administratif» en comprend 75.000: 50.000 au plafond (en
1904: 30.000); 10.000 pour le grand escalier de fer, la coupole de
l'avenue d'Antin et diverses dépendances; 15.000 pour l'extérieur. Il y
a lieu d'ajouter: 130 lampes à arc intensives; 60 lampes tabulaires à
vapeur de mercure; 2.000 becs de gaz de 200 bougies.

C'est la première fois qu'on emploie sur une aussi vaste échelle la
lampe à mercure. Sa lumière, totalement privée de rayons rouges, est
d'aspect blafard, cadavérique, comme on peut s'en rendre compte dans
quelques magasins parisiens qui l'ont adoptée. Mais, grâce à la hauteur
où les lampes se trouvent ici placées, à la correction apportée par les
rayons d'autres foyers et, aussi, aux tons un peu crus des fresques qui
décorent l'extérieur du palais, elles emplissent le péristyle d'une
sorte d'atmosphère lunaire d'un effet pittoresque.

La consommation horaire totale représente une dépense approximative de
3.600 francs en électricité et 250 francs en gaz, soit, pour une moyenne
quotidienne de quatre heures d'éclairage, 15.400 francs, et pour les
quinze jours d'exposition: deux cent trente et un mille francs
(231.000).

L'éclairage des serres exige une autre force de 800 chevaux et coûte 800
francs par heure. Nous arrivons donc comme total général à une force
d'environ 5.800 chevaux et à une consommation de 279.000 francs pour la
durée de l'exposition.

Le Grand Palais n'ayant été livré aux électriciens que le 20 novembre,
dix-sept jours ont suffi pour une installation qui a occupé un personnel
de 150 personnes et qui a nécessité la pose de plus de 15 kilomètres de
câble, non compris la longueur des bandes souples où sont piquées les
lampes.

La valeur de cette installation, en location, peut être évaluée à
400.000 francs. C'est la première fois que l'on voit en France, et
probablement en Europe, une telle masse de lumière inondant un espace
relativement si restreint.



Mme la baronne de Suttner.

LE PRIX NOBEL DE LA PAIX

Dans la répartition des prix Nobel de 1905, dont les titulaires ont été
solennellement proclamés à Stockholm dimanche dernier, c'est à une
femme, Mme de Suttner, qu'est échu le prix dit «pour la paix».

La baronne Bertha de Suttner, qui fut liée d'amitié avec Nobel, est née
à Prague en 1847. Ecrivain de talent, elle a publié plusieurs romans
dont un, _Bas les armes_, où elle plaidait éloquemment la cause de la
pacification générale, eut un très grand retentissement et fut traduit
dans toutes les langues.

Les autres lauréats sont: le professeur Koch, de Berlin (médecine); le
professeur Lénard, de Kiel (physique); le professeur von Baeyer, de
Munich (chimie), et Henri Sienkiewicz, le célèbre auteur de _Quo vadis_?
(littérature).



M. JOHN BURNS

[Illustration: Un socialiste devenu ministre en Angleterre: M. John
Burns.--_Phot, E. H. Mills._]

Parmi les collaborateurs que sir Henry Campbell Bannerman s'est adjoints
pour former son cabinet libéral, on remarque tout particulièrement M.
John Burns, auquel il a confié la présidence du _Local Government
Board_, administration annexe du ministère de l'Intérieur, chargée des
affaires concernant l'assistance et le travail. Agé de quarante-sept
ans, M. John Burns siège depuis 1892 à la Chambre des communes, où il
représente une circonscription de Londres. C'est un personnage bien
connu comme propagateur d'idées socialistes, voire comme organisateur de
grèves mémorables. Aussi l'élévation au pouvoir d'un chef du parti
ouvrier, sorti des rangs des travailleurs--fait sans précédent dans les
annales de la monarchie anglaise--est-elle un événement curieux,
sensationnel, sujet de quelque étonnement et de beaucoup de
commentaires.



DE STOCKHOLM A PARIS EN CANOË

Il vient d'arriver à Paris un voyageur de qui l'on peut dire qu'il n'a
vraiment pas froid aux yeux. C'est M. Gustavus Nordin, qui a fait tout
le voyage, avec ses propres moyens, dans un fragile canoë de sapin,
ponté en toile. Il affirmait d'autre part son endurance physique, son
beau mépris des intempéries, en n'arborant, dans la majeure partie du
trajet, pour tout costume, qu'une simple culotte de flanelle, restant le
torse et les jambes nus. C'est dans cet équipage, se nourrissant très
frugalement, qu'il a traversé le détroit, suivi les canaux de Danemark,
d'Allemagne, de Hollande et de France pour arriver enfin à bon port, à
Asnières, où il abordait, la semaine dernière, au garage de la Société
de la Basse-Seine. Inutile de dire si les rowingmen français lui ont
fait un accueil enthousiaste et l'ont complimenté pour ce bel exploit
sportif.



PAUL MEURICE

Un des doyens des lettres françaises, Paul Meurice, s'est éteint
subitement, pendant la nuit de dimanche à lundi, dans son petit hôtel de
la rue Fortuny. Il était âgé de quatre-vingt-cinq ans.

[Illustration: M. Paul Meurice.--_Phot. Studio_.]

[Illustration: Les obsèques de M. Zadoc-Kahn: le service religieux dans
la synagogue de la rue de la Victoire.]

[Illustration: Sur la berge de la Seine, à Asnières: M. Gustavus Nordin,
venu de Stockholm en canoë.]

Auteur dramatique, romancier, journaliste, il a beaucoup écrit, et l'on
est loin d'avoir épuisé la liste de ses ouvrages quand on a cité parmi
les pièces: _Benvenuto Cellini, Fanfan la Tulipe, Schamyl, les Beaux
Messieurs de Bois-Doré, le Songe d'une nuit d'été, Antigone_; parmi les
livres: _la Famille Aubry, Césara, les Chevaliers de l'esprit_. Au
théâtre surtout, Paul Meurice avait connu des succès éclatants et
justifiés; mais il semblait avoir abandonné le soin de sa propre
renommée pour se vouer au culte fervent de Victor Hugo, avec lequel, dès
sa jeunesse, son ami Auguste Vacquerie l'avait mis en relation.
Exécuteur testamentaire du grand poète, il employa, on le sait, le
labeur incessant d'une verte vieillesse à la revision de l'oeuvre
posthume du maître, et il avait commencé la publication d'une édition
définitive en quarante volumes de son oeuvre complète.



M. ZADOC-KAHN

M. Zadoc-Kahn, grand rabbin du consistoire central des israélites de
France, a succombé, le 8 décembre, dans sa soixante-septième année, aux
suites de la maladie dont il souffrait depuis deux mois.

Il était né à Mommonheim, en Alsace, le 18 février 1839. Après de
brillantes études au lycée de Metz, il entrait à l'école rabbinique de
cette ville, puis il venait en 1859 achever sa préparation à Paris, où,
à peine âgé de vingt-trois ans, il conquérait le grade de grand rabbin
avec une remarquable thèse théologique, _l'Esclavage suivant la Bible et
le Talmud_, qui fut traduite dans presque toutes les langues
européennes. En 1868, lorsqu'il fut appelé à remplacer M. Isidor en
qualité de grand rabbin de Paris, il n'avait pas trente ans, l'âge
minimum requis, et il fallut différer de quelques mois la signature du
décret de nomination. C'est également à M. Isidor qu'il devait succéder,
le 25 mars 1890, comme grand rabbin de France.

Dans cette haute fonction, M. Zadoc-Kahn déploya durant quinze ans
beaucoup de zèle et d'activité. Chevalier de la Légion d'honneur depuis
1879, il avait été promu officier en 1901.

[Illustration: M. Zadoc-Kahn.--_Phot. Cerschel_.]

Ses obsèques ont eu lieu mardi matin, au milieu d'une assistance
considérable réunie dans la synagogue de la rue de la Victoire, dont le
grand rabbin habitait les dépendances. Le temple où a été célébré le
service religieux était entièrement tendu de draperies noires lamées
d'argent; mais c'est derrière un char très simple, dépourvu de fleurs et
de couronnes, que le long cortège funèbre s'est dirigé vers le cimetière
Montparnasse.



LES THÉÂTRES

L'Odéon vient de donner une pièce en trois actes, de M. André Picard,
Jeunesse, qui a charmé le public par l'émotion sincère et saine qui s'en
dégage autant que par l'ingéniosité de sa composition. C'est la
consécration par l'exemple de la toute-puissance de la jeunesse pour
régler les conflits passionnels suivant les lois de la nature. Nous
publierons prochainement cette pièce; bornons-nous à dire qu'elle est
supérieurement jouée, notamment par Mmes Marthe Régnier, Dux, MM.
Tarride et Janvier, qui tiennent les principaux rôles.



LE TRAITEMENT DES NEURASTHÉNIQUES, par Henriot.



Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés en titre, ne nous ont
pas été fournis.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 3277, 16 Décembre 1905" ***

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