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Title: L'Instruction Publique en France et en Italie au dix-neuvième siècle - Napoléon Ier et ses lycées de jeunes filles en Italie. - L'enseignement supérieur libre en France. Villemain en - Sorbonne. Des édit
Author: Dejob, Charles
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Instruction Publique en France et en Italie au dix-neuvième siècle - Napoléon Ier et ses lycées de jeunes filles en Italie. - L'enseignement supérieur libre en France. Villemain en - Sorbonne. Des édit" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica).



L'INSTRUCTION PUBLIQUE EN FRANCE ET EN ITALIE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE

CHARLES DEJOB

Napoléon Ier et ses lycées de jeunes filles en Italie.

L'enseignement supérieur libre en France.

Villemain en Sorbonne.

Des éditions classiques, à propos des livres scolaires de l'Italie.

PARIS

ARMAND COLIN ET Cie, ÉDITEURS



TABLE DES MATIÈRES

Préface.

NAPOLÉON Ier ET SES LYCÉES DE JEUNES FILLES EN ITALIE.

CHAPITRE PREMIER.

Goût de la société française sous Napoléon Ier pour la langue italienne,
que de sots propos et des mesures oppressives semblaient
menacer.--Représentation de nos pièces de théâtre, et enseignement de
notre langue en Italie.--Napoléon Ier réorganise en Italie l'instruction
publique.

CHAPITRE II.

L'éducation des filles en Italie avant la Révolution.--Première
tentative de réforme au temps de la République Cisalpine.--Admirable bon
sens avec lequel Napoléon approprie ses vues en pédagogie aux besoins de
l'Italie.--Collèges de jeunes filles fondés par lui et par ses
représentants, ou protégés par eux, à Bologne, à Naples, à Milan, à
Vérone, à Lodi.

CHAPITRE III.

Le Règlement du collège de jeunes filles de Milan comparé au Règlement
des maisons de la Légion d'honneur.

CHAPITRE IV.

Le personnel: Mme Caroline de Lort, Mme de Fitte de Soucy, Mmes de
Maulevrier, etc.--Libéralité et bonté du prince Eugène; courtoisie et
tact du ministère italien.--Plein succès du collège de Milan.--L'opinion
publique oblige les Autrichiens à le respecter.--La deuxième directrice
française reste en fonctions jusqu'en 1849.

CHAPITRE V.

Les collèges de Vérone, de Lodi, de Naples, encore aujourd'hui, comme le
collège de Milan, vivants et prospères. Les patriotes italiens et les
voyageurs d'accord avec Stendhal pour reconnaître que la fondation de
ces collèges a puissamment contribué à relever le cœur et l'esprit de la
femme en Italie.

L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR LIBRE EN FRANCE.

CHAPITRE PREMIER.

Du goût pour les cours publics.

CHAPITRE II.

Naissance de l'enseignement supérieur libre à la veille de la
Révolution.

CHAPITRE III.

Période de la Révolution et de l'Empire.

CHAPITRE IV.

Période de la Restauration.

CHAPITRE V.

Fin du plus illustre des établissements d'enseignement supérieur libre,
en 1849.

CHAPITRE VI.

Conjectures sur l'avenir de l'enseignement supérieur libre en France.

VILLEMAIN EN SORBONNE.

CHAPITRE PREMIER.

Quelques remarques sur la condition des professeurs de Facultés sous la
Restauration.--Succès de Villemain.--Mauvais moyens de succès qu'il
s'est interdits.

CHAPITRE II.

Défauts de la méthode d'exposition de Villemain.--Limites de ses
qualités intellectuelles et morales.--Pourquoi son talent n'est pas
toujours allé en grandissant.

CHAPITRE III.

Influence sur l'esprit public des qualités et des défauts de
l'enseignement de Villemain.

DES ÉDITIONS CLASSIQUES À PROPOS DES LIVRES SCOLAIRE DE L'ITALIE.

Appendice A.--Le pensionnat de Mme Laugers à Bologne.--Les collèges de
jeunes filles de Naples.--Le pensionnat de Lodi.

Appendice B.--Projet de Napoléon Ier de fonder, dans toutes les
capitales de l'Europe, un lycée français.--Professeurs français et
professeurs de français en Italie sous Napoléon Ier.

Appendice C.--Le personnel français au Collège de jeunes filles de
Milan.--La comtesse de Lort.--Mme de Fitte de Soucy.--Institutrices et
professeurs de français.

Appendice D.--Élèves et professeurs italiens au Collège de Sorèze
pendant la Révolution et l'Empire.

Appendice E.--Cours d'italien à Lyon sous Napoléon Ier

Appendice F.--Ginguené.

Appendice G.--Conversion de La Harpe.--Sa conduite pendant la Terreur.

Appendice H.--Liste des professeurs de l'Athénée.

Appendice I.--Professeurs du lycée des Arts en l'an II, l'an III et l'an
IV.

Appendice J.--De quelques Sociétés ou Cours qui ont porté le nom de
Lycée ou d'Athénée.

Appendice K.--Liste des professeurs de la Société des bonnes lettres.

INDEX DES NOMS PROPRES.



PRÉFACE


De nos jours, les progrès de l'instruction publique sont subordonnés à
deux conditions: l'initiative de l'État, l'abnégation des maîtres.

Dans une société démocratique où le temps n'a pas encore, quoi qu'on
dise, fondé les mœurs de la liberté, rien de grand et de durable ne peut
se faire que par l'État. Il ne s'ensuit pas qu'il doive interdire ou
entraver les entreprises indépendantes ou même rivales. Loin de là:
supprimer la rivalité, c'est-à-dire l'émulation, serait préparer sa
propre décadence; il doit au contraire stimuler l'activité des individus
et de ce qui reste de corps constitués, mais sans s'abuser sur les
ressources que cette activité peut offrir. Il faut qu'il sache qu'il
détient aujourd'hui une telle part de la force publique que seul il peut
être libéral dans tous les sens du mot. Convaincu de son inquiétante
responsabilité, il faut qu'il se défende énergiquement de l'esprit
d'indifférence, de coterie et de parti, parce qu'on ne sait qui
réparerait ses fautes et parce qu'il est probable qu'au contraire ses
amis et ses ennemis renchériraient sur ses erreurs.

D'autre part l'abnégation chez les professeurs devient plus difficile
parce qu'ils sont plus en vue qu'autrefois. Il suffit d'interroger le
roman et le théâtre contemporains pour apprendre qu'ils font dans le
monde une tout autre figure que jadis. L'abnégation (et ce mot signifie
non pas l'application au travail, mais, ce qui est fort différent,
l'oubli de soi) n'en demeure pas moins pour eux la plus nécessaire des
qualités, puisqu'ils doivent se proportionner à la jeunesse,
c'est-à-dire se dépouiller jusqu'à un certain point de la supériorité du
talent, des connaissances et de l'âge. Qu'ils s'adressent d'ailleurs à
un public juvénile ou à un public mûr, il leur faut accroître sans cesse
la somme de leur science, faire participer leurs auditeurs à ce progrès,
et cependant se régler toujours moins sur l'étendue de leur propre
capacité que sur celle de l'auditoire. Ils doivent cultiver leur talent
et toutefois ne pas s'y complaire; ils ne l'ont pas reçu pour en faire
simplement jouir le public, mais pour l'en faire profiter.

Ces deux pensées forment l'unité du volume qu'on va lire: les deux
premières des études qui le composent se rapportent à l'une, les deux
suivantes à l'autre. Peut-être en effet voudra-t-on bien y reconnaître
autre chose que de simples monographies, quoique le détail y ait été
traité avec le soin qu'on apporte d'ordinaire aux ouvrages de ce genre.
On verra d'un côté un État créant dans un autre État, c'est-à-dire au
milieu de difficultés toutes particulières, une œuvre qui, après plus de
quatre-vingts ans, est aussi florissante qu'au premier jour, et l'on
remarquera que les divers essais tentés à ce propos en Italie sous la
domination française ont précisément réussi dans la proportion où le
gouvernement en avait assumé la responsabilité. D'autre part on verra en
France des établissements entourés dès leur naissance de la faveur
publique, longtemps soutenus par le talent ou même par le génie de leurs
professeurs, par l'assiduité de leurs abonnés, par le désintéressement
de leurs fondateurs, décliner après avoir rendu d'importants services,
et disparaître, sans même laisser l'espérance que d'autres puissent
durer aussi longtemps.

Cette première et cette deuxième étude se confirment en ce que l'une
fait la contre-partie de l'autre; la troisième et la quatrième se
confirment plus directement. Le cours d'un professeur brillant et même à
certains égards fort soucieux de ses devoirs, puis des éditions
scolaires qui font honneur non seulement à leurs auteurs mais à
l'Université nous montreront les divers inconvénients qui peuvent naître
de la complaisance pourtant pardonnable d'un professeur pour la
dextérité de sa parole ou pour l'étendue de son érudition.

C'est parce que toutes les parties de ce livre se relient à des
questions générales qu'en reprenant ici l'histoire des Athénées j'en ai
changé le titre. En comparant le morceau intitulé _L'enseignement
supérieur libre en France_ avec l'article publié en 1889, dans la _Revue
internationale de l'enseignement_, on trouverait que la nouvelle étude
ne diffère pas seulement de ma première esquisse par une étendue à peu
près double et par quelques erreurs de moins; car la notice de 1889
visait seulement à faire connaître et apprécier quelques établissements
érigés à la fin du dix-huitième siècle: l'étude nouvelle, outre qu'elle
embrasse aussi la curieuse Société des Bonnes Lettres, fondée par les
royalistes de la Restauration pour faire échec à l'Athénée, vise à
déterminer par un historique approfondi la mesure dans laquelle chez
nous l'enseignement supérieur libre peut servir la cause de la science.
La chute de l'Athénée, après une glorieuse carrière, n'est plus
expliquée seulement par des circonstances passagères, mais par des
raisons qui tiennent à la transformation des mœurs et qui autorisent des
conjectures sur l'avenir.

Pour l'étude par laquelle s'ouvre ce livre, ce n'est pas seulement par
la pédagogie qu'elle se rapporte à l'histoire générale. On a pu
entrevoir, par une des lignes qui précèdent, qu'elle se rattache aussi à
la vaste et belle question sur laquelle j'ai déjà essayé d'appeler, par
un autre ouvrage, l'attention des historiens: l'heureuse influence
exercée par la France sur l'Italie entre 1796 et 1814. Le moment serait
venu d'en présenter le tableau. Les Italiens ont beaucoup écrit sur
cette période de leur histoire, à laquelle ils accordent avec raison une
importance capitale; il ne suffirait certainement pas de lire les
nombreux articles ou volumes qu'ils y ont consacrés; mais le Français
qui entreprendrait de l'exposer se sentirait guidé dès ses premiers pas,
et la satisfaction qu'il ressentirait tantôt à entendre proclamer les
services alors rendus par la France, tantôt à lui découvrir de nouveaux
titres à la reconnaissance, le payerait amplement de sa peine. Il
n'aurait pas à craindre de paraître réclamer pour elle une orgueilleuse
supériorité. Toutes les nations sont à tour de rôle redevables les unes
aux autres. En rendant compte de mon dernier livre dans la _Cultura_, M.
Zannoni disait fort justement que l'Italie avait tant fait pour la
France qu'elle entendait volontiers un Français rappeler ce que la
France avait fait pour elle. Certes nous honorons la mémoire de
Vercingétorix et nous sommes avec lui de cœur dans sa résistance à
Jules César, mais nous savons gré aux Romains d'avoir aboli chez nous
les sacrifices des druides, et d'avoir mis la Gaule au rang des pays
civilisés; nous nous rappelons avec plus de plaisir les victoires de
Fornoue, d'Agnadel et de Marignan que la défaite de Pavie, mais nous
remercions l'Italie de la Renaissance de nous avoir donné le goût des
arts. Le matin de la journée de Coutras, le Béarnais rappelait à ses
cousins qu'ils étaient Bourbons comme lui et promettait de se montrer
leur aîné; à quoi ses cousins répondaient par la promesse de se montrer
ses dignes cadets: la France et l'Italie ont joué tour à tour l'une
vis-à-vis de l'autre le rôle d'un aîné qui forme ses cadets et se
réjouit de se voir égaler par eux. Il faut donc espérer que l'exemple
donné depuis longtemps par M. Rambaud, lorsqu'il décrivit l'action
bienfaisante de la France dans la vallée du Rhin au temps de la
Révolution et de l'Empire, sera enfin suivi. Au reste, on n'en est déjà
plus à le souhaiter; car on dit qu'une thèse de doctorat portera bientôt
sur l'administration impériale en Dalmatie, qu'on en projette une autre
sur l'administration impériale en Italie, qu'on travaille en ce moment à
l'histoire de la Belgique sous le gouvernement français. Je souhaite
d'autant plus volontiers le succès de ces trois projets que deux de
ceux qui les ont formés me rappellent d'anciens et agréables souvenirs.

L'histoire des collèges fondés par les Français en Italie a été surtout
écrite à l'aide du journal officiel du premier royaume d'Italie et des
Archives de Milan que M. Cesare Cantù m'a encore une fois gracieusement
ouvertes; mais j'ai reçu d'importantes communications de M. Malagola,
directeur des Archives de Bologne, que M. le sénateur Capellini avait eu
l'obligeance d'intéresser à mes recherches, de M. Benedetto Croce,
l'aimable érudit napolitain, de M. Flamini, jeune et déjà savant
professeur de Turin. MM. Luigi Ferri et Alessandro d'Ancona, M. le baron
Manno, MM. Novati, Bernardo Morsolin, Giuseppe Biadego, Ach. Neri m'ont
également prêté leur aide, ainsi que MM. Debidour, Mérimée, Bayet et
Astor, qui ont mis leurs amis à ma disposition.

Quelques-unes des additions faites à l'histoire de l'Athénée sont dues à
d'utiles avis que MM. Aulard et Chuquet m'ont donnés en rendant compte
de mon premier travail sur cet établissement.

D'autres personnes m'ont fourni ou procuré quelques documents; on verra
leurs noms au cours de ce travail. J'offre ma gratitude à tous les
érudits dont l'amitié ou la courtoisie a facilité mes investigations.



NAPOLEON Ier ET SES LYCÉES DE JEUNES FILLES EN ITALIE



CHAPITRE PREMIER.

Goût de la société française sous Napoléon Ier pour la langue italienne,
que de sots propos et des mesures oppressives semblaient
menacer.--Représentation de nos pièces de théâtre, et enseignement de
notre langue en Italie.--Napoléon Ier réorganise en Italie l'instruction
publique.


«Les Italiens avaient absolument abandonné et méprisé leur langue:
arrivent les Français, et, avec leur outrecuidance naturelle, ils
veulent interdire à la meilleure partie de l'Italie l'usage de l'idiome
national. Une indignation générale s'élève dans toute l'Italie; on
n'épargne ni peine ni étude pour recouvrer le patrimoine délaissé, dont
un tyran insolent et insensé voulait nous ravir les derniers restes.»
Ainsi s'exprime Pietro Giordani dans une de ses lettres. Au premier
abord, on qualifierait volontiers d'absurde l'imputation que l'ancien
panégyriste de Napoléon Ier lance ici contre le gouvernement impérial:
tout au plus l'excuserait-on par la fureur où le jetaient ceux qui
voulaient _intedescare_ l'Italie, qui décachetaient les lettres des
patriotes et auxquels il adresse, quelques lignes plus bas, le défi
d'une courageuse exaspération.

Toutefois, la colère de Giordani ne manque pas d'une apparence de
fondement. Usant de ce qu'on appelle le droit de la conquête, Napoléon
avait un instant imposé à toutes les parties de la péninsule qu'il
annexait à son empire, l'emploi du français dans les affaires
judiciaires et dans les actes notariés; et plus d'un Italien avait vu
dans cette mesure, non pas simplement la pratique constamment suivie
pour assurer la prédominance des vainqueurs, mais une tentative pour
évincer progressivement leur langue au profit du français.

Cette crainte était-elle purement chimérique? Assurément, ni Napoléon,
ni les Français en général n'avaient conçu l'extravagant projet de faire
désapprendre la langue de Dante et de Pétrarque. L'inquiétude fort
respectable dont nous parlons s'explique surtout par une ombrageuse
délicatesse qui annonçait le réveil du patriotisme. Les promesses de
Napoléon, la fondation de républiques censées autonomes, d'un royaume où
les Lombards, les Vénitiens, les Romagnols cessaient d'être des
étrangers les uns pour les autres, donnaient aux Italiens, dans
l'assujettissement même, un avant-goût de l'indépendance; et, comme
c'était surtout leur littérature, dont ils étaient fiers, comme c'est là
surtout, dans le patrimoine d'un peuple, le bien que ses vainqueurs lui
interdisent le moins de réclamer, il revendiquait parfois cette gloire
avec plus d'âpreté que d'à-propos. Par exemple, un certain Romaniaco
s'était imaginé que l'_Histoire critique de la République romaine_, de
Lévesque, dirigée contre l'esprit républicain, visait à mortifier
l'Italie[1]. Cependant il n'est pas impossible que l'espérance de voir
notre langue supplanter celle de nos voisins, ait été caressée par
quelques Français. Nos victoires avaient alors tourné bien des têtes, et
la France était non moins infatuée de son génie que de ses conquêtes:
elle comptait un grand siècle de plus que cent ans auparavant; elle
tenait plus que jamais à sa tradition littéraire, parce que Voltaire
avait fortifié en elle le respect de Boileau; à l'école de Condillac,
elle avait même appris à renchérir sur l'Art Poétique: les qualités que
Boileau avait déclarées nécessaires, elle les croyait suffisantes; la
clarté, l'élégance, la finesse lui paraissaient à la fois l'idéal du
style et le cachet de sa propre langue; elle applaudissait à des
tragédies, à des épopées que Boileau eût taxées de prosaïques: quelques
beaux esprits ont pu prendre alors au pied de la lettre le mot sur le
clinquant du Tasse, sur les faux brillants de l'Italie, et, tandis que
jusque-là les lecteurs de Boileau, de Voltaire, de Jean-Jacques étaient
demeurés sensibles au charme de la poésie italienne, ils purent croire
qu'en donnant à nos voisins notre idiome, après lui avoir donné notre
Code, nous lui imposerions un second bienfait. N'avait-on pas entendu
cette étonnante réflexion de Mercier dans un rapport aux Cinq-Cents? «Je
croyais qu'il n'existait plus d'autre langue en Europe que celle des
républicains français!» L'hyperbole déclamatoire, la boutade
impertinente se mêlent vite en France aux naïves suggestions de la
vanité, et ceux d'entre nous qui n'y donnent pas ne les découragent
point assez résolument; il nous semble qu'un propos en l'air ne tire pas
à conséquence, et, quoique persuadés que l'Europe a les yeux fixés sur
nous, nous oublions qu'elle nous écoute. De sots propos sont pourtant
toujours relevés. En 1811, Angeloni, ancien membre du gouvernement de la
république romaine, qui depuis, impliqué dans un complot contre
Bonaparte, avait subi dix mois de captivité, racontait que deux ou trois
ans auparavant on soutenait qu'il fallait supprimer la langue
italienne[2], qu'il avait plusieurs fois soutenu de longues discussions
à ce sujet, contre des Français qui ne savaient d'autre langue que la
leur, et auxquels il avait représenté la difficulté de l'entreprise. De
son côté, Foscolo s'écriait dans son _Hypercalypsis_: «Un Gaulois
s'engraissera des fruits de la terre féconde entre toutes et criera:
Oubliez la langue de vos pères, qui n'est que vanité! Parlez la nôtre,
qui renferme les paroles de la sagesse et qui résonne admirablement sur
le théâtre.»

Du reste, quelques étrangers, et notamment des Italiens même, avaient,
soit pour faire leur cour à la France, soit parce qu'ils subissaient son
prestige, autorisé par leurs doctrines les prétentions de notre vanité.
Ainsi, le savant abbé piémontais Denina, tout en maintenant que
l'italien était plus riche, mieux fait pour la poésie que le français,
avait affirmé publiquement que notre littérature comprenait plus de
livres utiles ou agréables, que le dialecte des Piémontais s'en
approchait plus que de l'italien, et que si l'obligation d'employer le
français dans les actes devait les gêner d'abord, ils s'en trouveraient
bien par la suite; aussi indiquait-il les moyens de leur inculquer notre
idiome: il faudrait, disait-il, reprendre l'usage d'enseigner le
catéchisme en piémontais, puis faire prêcher en français; de plus, on
ferait jouer des pièces dans le patois local, en attendant qu'on eût des
troupes d'acteurs français[3]. Or, quoique Denina louât beaucoup le
prince Eugène et Napoléon, et qu'il eût accepté la charge de
bibliothécaire de l'empereur, il ne faudrait pas voir en lui un traître
à son pays: M. de Mazade nous apprend que, longtemps après, le patriote
Montanelli aimait à répéter que l'Italie finissait au Tessin, et Victor
Amédée II considérait le Piémont comme n'étant ni français, ni
italien[4]. Lorsqu'Alfieri commença à écrire pour le théâtre, il était
obligé de rédiger ses plans en français, et pour acquérir une pratique
facile de l'italien, il dut recommencer ses voyages en Italie.

D'autres, comme s'ils avaient pressenti que la France allait fournir
pendant cinquante années le livret original des plus beaux opéras,
donnaient une nouvelle tournure à la vieille querelle des glückistes et
des piccinistes: le Suisse Escherny, dans un _Fragment sur la Musique_,
déclarait notre langue très mélodieuse[5]; le Sicilien Ant. Scoppa
soutenait que l'accent en français était plus énergique qu'en italien,
que notre idiome fournissait plus aisément des vers iambiques et
anapestiques, les plus heureux de tous, qu'en général les Français sont
naturellement poètes, que chez nous les gens du peuple retiennent
facilement les airs, et les personnes bien élevées sont bonnes
musiciennes, ce qui, d'après lui, se rencontre rarement en Italie; si la
France n'avait pas encore produit beaucoup de bonne musique, c'était, à
l'entendre, parce qu'elle n'avait pas assez confiance en elle-même, que
les librettistes n'appropriaient pas assez les vers aux exigences du
chant, qu'on mettait trop souvent les paroles sur de vieux airs choisis
au hasard, qu'on goûtait trop les accompagnements bruyants, enfin que le
pouvoir n'encourageait pas assez l'étude du chant[6]. Dès 1803,
c'est-à-dire l'année même du livre de l'abbé Denina, Scoppa avait sous
un autre titre donné une ébauche de cette théorie: le français Dépéret
ne croyait donc scandaliser personne en lisant dans cette même année, à
l'Académie de Turin, un Mémoire où il disait: «La langue française est
peut être de toutes les langues vivantes et analogues la plus éloquente,
la plus énergique et la plus propre à la déclamation, parce que l'accent
syllabique y est entièrement subordonné à l'accent oratoire et qu'elle
est sans prosodie... J'ai entendu en Italie déclamer de très beaux vers
et prononcer des discours oratoires par des hommes habiles et j'ai le
plus souvent senti que l'accent syllabique de cette langue, en rendant
trop sensible le son partiel de chaque mot, suspendait l'élan de la
voix, l'entrecoupait, et nuisait entièrement à ce son fondamental qui,
produit par le sentiment, doit retentir et s'étendre depuis la première
jusqu'à la dernière syllabe d'une phrase ou d'une période.»

Mais ces prétentions, encouragées par les uns, impatientaient les
autres. Nous avons mentionné, dans notre livre sur Mme de Staël et
l'Italie, la fermeté avec laquelle certains Italiens rappelèrent alors
les droits de leur littérature au respect des nations; d'autres allèrent
encore plus loin. Angeloni, dans un ouvrage précité, répliquait en ces
termes à Escherny qui avançait que les langues modernes ne sont pas
lyriques: «Fort bien! mais à condition que vous l'entendiez seulement
des langues qui, comme le français, écorchent les oreilles;» il le
raillait de s'en prendre aux chanteurs de notre Opéra de ce qu'ils
criaient, et l'engageait à s'en prendre plutôt à la langue sourde qui
les y forçait; à l'auteur d'un article sur les occupations de la classe
des Beaux-Arts à l'Institut de France, il répondait que, pour rendre
notre langue musicale, il faudrait en refondre tous les sons, et que
tous les Instituts du monde n'y suffiraient pas: il accordait à sa
colère le soulagement de défigurer les noms français, écrivant à
l'italienne Boalò pour Boileau, afin, disait-il, d'en rendre la
prononciation possible aux Italiens, _qui ne peuvent presque pas
s'imaginer qu'il y a au monde une orthographe aussi étrange où tantôt
quatre ou six consonnes d'un même mot sont réputées superflues, tantôt
trois voyelles sont employées pour exprimer un même son_. Corniani,
dans ses _Secoli della letteratura italiana_ (1796), retournant contre
les Français le mot de Boileau, avait dit qu'il voulait montrer à ses
compatriotes l'or qu'ils possèdent, pour qu'ils ne se laissassent plus
éblouir par le clinquant étranger. Dans un langage plus mesuré, De Velo,
professeur à l'université de Pavie, publiait en 1810 des leçons qu'il y
avait faites deux ans auparavant sur l'éloquence, où, non content
d'affirmer que sa nation avait inspiré tous les chefs-d'œuvre des
lettres et des arts, il imputait à l'étranger, particulièrement à la
France, tous les défauts qui s'étaient ensuite glissés dans les
productions de sa patrie. Le journal dirigé par Monti, le _Poligrafo_,
dira bientôt avec une précision encore plus hardie que Marini et
Achillini avaient _mendié_ presque tous leurs défauts en France[7].
Amanzio Cattaneo, professeur de belles lettres au Lycée du Mincio, lut à
l'Académie de Mantoue, le 1er juillet 1807, un discours où il qualifiait
la langue et la littérature d'outre-mont d'ordure malpropre, _lordante
sozzura_.

Mais les patriotes italiens, quand ils voulaient être justes,
convenaient qu'ils n'étaient pas seuls à réclamer contre l'impertinence
de quelques individus et les mesures gênantes du gouvernement: tout en
relevant les appréciations fâcheuses de Boileau et de Bouhours,
Angeloni rendait hommage à Régnier-Desmarais, à Ménage, pour le zèle
avec lequel ils s'étaient essayés dans la langue poétique de son pays;
il louait du premier sa traduction en italien d'_Anacréon_, des huit
premiers livres de l'_Iliade_, du deuxième ses _Origini italiane_, ses
_Annotazioni sopra l'Aminta del Tasso_; il citait cette généreuse
déclaration de Malte-Brun: «Les classiques italiens ont fondé la
littérature moderne et en sont encore les chefs et les princes, quoi
qu'en ait pu dire l'impuissante envie des autres nations.» Il citait ces
paroles plus belles encore de Ginguené: «La langue italienne n'est plus
pour nous un objet de pure curiosité. À mesure que l'Italie devient plus
française, il devient pour les Français d'une nécessité plus urgente
d'entendre la langue de ce beau pays qui la conservera sans doute. Ce
serait un triste fruit de notre influence sur ses destinées, si elle
s'étendait jusqu'à effacer peu à peu, du nombre des langues modernes,
celle qui en est reconnue la plus belle, la plus riche, la plus féconde
en chefs-d'œuvre de tous les genres; c'en sera un très heureux, au
contraire, si nous nous trouvons engagés et comme forcés à étudier
enfin, avec l'attention dont elle est digne, cette belle langue et les
grands écrivains qu'elle a produits[8].» Honneur à Ginguené pour avoir
ainsi défendu la gloire d'un peuple non encore affranchi! Trop souvent
homme de parti dans les questions de politique intérieure et de
religion, sec et hautain dans les relations privées, il a, en écrivant
ces lignes, pratiqué celle de toutes les vertus qui est la plus
populaire en France, le respect du faible. Bien plus, il admettait, ce
qui est encore plus rare, que les Italiens se permissent de revendiquer
eux-mêmes la considération qui leur appartenait; car il louait un
discours prononcé par Foscolo à l'université de Pavie, pour la force des
pensées et surtout pour le patriotisme, _la véhémence entraînante qui,
loin de blesser en nous l'orgueil national, nous fait pour ainsi dire
adopter le sien_[9].

C'est une joie pour nous de le constater: de même qu'il s'est trouvé des
Français pour réprouver la spoliation des musées italiens, il s'en
trouva pour repousser la velléité, le rêve aussi coupable que ridicule
de faire tomber une langue en désuétude. On peut le dire hardiment: la
grande pluralité des esprits cultivés de France s'intéressait à la
littérature italienne; le même _Mercure_ qui avait publié le vœu de
Ginguené traduisit, les 14 et 28 septembre 1811, une page de l'_Ape
subalpina_ contre les Italiens qui écrivaient en style francisé, et des
articles de circonstance n'épuisaient point ces bonnes dispositions. La
France était alors le pays où l'on étudiait avec le plus d'amour et
d'intelligence la littérature italienne. Nous ne rappellerons pas tous
les critiques qui s'en occupèrent avec goût et savoir dans des feuilles
spéciales. Nous citerons seulement Amaury Duval pour ses comptes rendus
dans la _Décade_ et dans le _Mercure étranger_; Marie-Joseph Chénier,
qui, à la suite de son conte, _Le maître italien_, prouve l'étendue de
ses connaissances par un aperçu des richesses de la langue italienne;
Dacier, qui, dans, son _Tableau historique de l'érudition française_,
n'omet aucun des savants travaux publiés de son temps au sud des Alpes.
Nous rappellerons surtout que Ginguené commençait alors la tradition
brillamment continuée après lui par Fauriel, Ozanam et M. Gebhart:
esprit moins ouvert, moins pénétrant que ses successeurs, il a mérité
pourtant que Sismondi et Giordani le dédommageassent des appréciations
dédaigneuses émises par Féletz, par Mme de Genlis et par Chateaubriand,
sur son _Histoire littéraire de l'Italie_.

À la vérité, Ginguené se plaint que le public français montre peu
d'empressement pour la littérature italienne; mais l'accueil fait à
Giulia Beccaria par la société d'Auteuil, l'influence affectueuse que
Fauriel exerça sur le jeune Manzoni, les nombreuses éditions et
traductions publiées à cette époque, prouvent qu'il se montre là bien
exigeant. On n'achetait pas assez, paraît-il, des éditions récemment
publiées en France du _Tacite_ de Davanzati et des _Lettres_ de
Bentivoglio: cela se peut; mais entre 1741 et 1815, il a paru cinq ou
six versions françaises du _Roland Furieux_, dont une a été réimprimée
sept fois et une autre cinq durant cette période. Dans le même laps de
temps, on a imprimé ou réimprimé huit fois chez nous des traductions du
_Décaméron_, dix fois des traductions de la _Jérusalem Délivrée_[10]. La
classe cultivée donnait alors, en France, une preuve encore plus
incontestable de son estime pour la langue italienne par l'empressement
qu'elle mettait à l'apprendre. Il est vrai que les événements de la
péninsule avaient déjà commencé à offrir aux amateurs les séduisantes
leçons de patriotes obligés, comme jadis les savants de Constantinople,
de gagner leur pain dans l'exil, et que, en attendant qu'un Foscolo
donnât des conférences à Londres, qu'un Daniel Manin, chez nous,
acceptât des élèves, des hommes distingués, tels que Buttura et Biagioli
à Paris, Urbano Lampredi et Filippo Pananti à Sorèze, distribuaient un
enseignement très apprécié. La liste des souscripteurs à la _Préparation
à l'étude de la langue latine_ par Biagioli, sous la Restauration,
prouve l'étendue de sa clientèle; il se glorifiait, sans doute, d'avoir
eu _pour seul et unique maître l'immortel Dumarsais_, et Ginguené avait
dit spirituellement de lui, en recommandant sa _Grammaire italienne
élémentaire et raisonnée_: «Si je ne craignais de lui faire tort dans le
monde, s'il ne fallait pas être très réservé dans des accusations de
cette espèce, je le croirais entaché d'idéologie.» Mais ce disciple de
nos idéologues n'en était pas moins un intraitable défenseur de Dante,
et personne, à Paris, ne lui en voulait de ne pas capituler sur ce
point. De moindres talents suffisaient encore à rappeler sur les bancs
des dames élégantes et des hommes à barbe grise. Boldoni a enseigné
vingt-cinq ans dans ce brillant Athénée dont nous raconterons
l'histoire: à Lyon, un Niçois instruit, mais fort médiocre, nommé Rusca,
fondait une _Società d'emulazione italiana_, dans laquelle il commentait
les auteurs de son pays; Silvio Pellico se moque de lui et des Lyonnais,
parce qu'il déclamait devant un auditoire qui ne l'entendait pas, et
parce qu'il soutenait dans les journaux d'indécentes querelles avec un
rival; mais comme ces auditeurs payaient, il est, ce me semble, tout au
plus permis de sourire de leur naïve bonne volonté. Au surplus, dès
1785, l'_Année littéraire_ disait que _les dames françaises apprenaient
l'italien avec autant de soin que leur propre langue, et que les hommes
trouvaient beaucoup plus commode de l'apprendre que le latin qu'ont
appris leurs pères_. M. Aulard constate que Danton, qui, comme
Robespierre, savait très bien l'anglais, parlait aussi italien[11].

Sur le sol italien également, en pays conquis, on peut dire d'une façon
générale que les Français qui furent chargés à un titre quelconque de
diriger l'esprit public, professèrent le plus sincère respect pour la
gloire littéraire de l'Italie. On sait les égards de Championnet pour
ses grands souvenirs; M. Ademollo a retracé ceux du général Miollis,
pour l'illustration passée et présente du peuple qu'il gouvernait avec
autant d'intégrité que de fermeté; Moreau de St-Méry, dans les duchés
de Parme, Plaisance et Guastalla, témoigna des mêmes sentiments. Parmi
les agents inférieurs, Charles Jean La Folie, tantôt journaliste, tantôt
employé dans l'administration du vice-roi qu'il a plus tard racontée,
publiait en 1810 des _Tavole cronologiche degli uomini più illustri
d'Italia dal tempo della Magna Grecia fino ai giorni nostri_; Aimé
Guillon, précepteur des pages du prince Eugène, un des principaux
rédacteurs du journal officiel, a pu ne pas comprendre la beauté des
fameux _Sepolcri_ d'Ugo Foscolo, et s'attirer par là quelques ennuis,
mais l'esprit de ses articles prouve qu'il ne l'a pas niée de parti
pris: il préférait le style facile de Monti au style travaillé de son
rival; rien de plus: il loue en effet de très bon cœur, non seulement
des poésies en l'honneur de Napoléon, mais des traités techniques, des
tableaux, Canova et les _Secoli_ de Corniani. Il défend Alfieri contre
Pietro Schedoni, qui accusait ses tragédies d'offenser la morale et de
troubler l'ordre public par des maximes républicaines; il réfute avec
modération les attaques du poète d'Asti contre Racine, et avertit que la
tragédie et la comédie françaises ont des obligations à l'Italie. Se
faisant Italien de cœur, il proteste que les étrangers, et notamment les
Français, ne sont pas seuls à avoir produit de bons romans, ce qu'il
prouve par les poèmes chevaleresques et les nouvelles de l'Italie; il
fait observer que le _Paolo e Daria_ de Gasparo Visconti est bien
antérieur à Paul et Virginie, et loue les Italiens de préférer les vers
à la prose pour les romans. Ailleurs, il félicite Hager, qu'il appelle
son compatriote, parce qu'ils sont tous deux sujets du royaume d'Italie,
de soutenir contre le Français (lisez le Sarde au service de la France)
Azuni, que la boussole n'est pas d'invention française; il voudrait
seulement que l'invention en fût rapportée, non aux Chinois, mais aux
Italiens[12].

Le zèle de Guillon pour sa patrie adoptive ne lui a pas coûté seulement
des phrases de compliment, il lui a coûté aussi des études assez
sérieuses. Foscolo, Monti même, quand la _Spada di Federigo_ eut essuyé
quelques critiques dans le _Giornale italiano_, ont pu prétendre qu'il
n'entendait ni la langue ni la littérature de leur pays: ils auraient
été mal fondés à lui refuser le mérite d'une lecture considérable. Il
faut en accorder autant à Hesmivy d'Auribeau, ecclésiastique français,
qui avait passé en Italie le temps de la Révolution, et que Napoléon
nomma professeur de littérature française à l'université de Pise; dans
le fatras ampoulé de son discours d'ouverture de 1812, on démêle un réel
travail; car, s'il est aisé d'appeler Pétrarque un génie sans égal, il
l'était moins pour un Français de rassembler les éloges que les
écrivains du moyen âge ont donné à Pise, d'énumérer les grands hommes
qu'elle a produits. Tout médiocre qu'il est, ce discours respire une
sincérité touchante; l'auteur ne cache pas que le gouvernement le charge
de travailler à ce que _les Italiens et les Français soient tellement
confondus entre eux qu'ils ne forment plus qu'une même famille_, la plus
polie et la plus éclairée de l'univers; mais, quand il parle de la
France, il est aussi loin du ton de supériorité que de la fausse
modestie: «Renonçons,» dit-il, «de part et d'autre avec une égale
franchise aux anciens préjugés, aux préventions nationales... On peut
être fort bon Français, disait La Harpe, sans regarder exclusivement sa
langue comme la première du monde... Au lieu donc de nous déprécier ou
flatter à l'excès, unissons sincèrement nos efforts pour augmenter nos
mutuelles richesses!» Chargé d'enseigner le français aux jeunes Pisans,
il veut si peu leur faire oublier l'italien qu'il leur dit:
«Défendez-vous sévèrement d'emprunter de la langue française, toute
belle qu'elle est, aucune de ces locutions que les véritables gens de
lettres en France gémiraient sans aucun doute de voir se mêler à vos
discours!»

Mais, dès lors, une réflexion s'impose: si Angeloni, qui écrivait à
Paris, déjà suspect par ses antécédents, sous l'œil de Napoléon; si
Monti, Foscolo, Cattaneo, professeurs à la nomination du prince Eugène,
ont pu s'exprimer avec liberté sur la même matière; si Auribeau et
Guillon, tous deux fonctionnaires français, marquent tant de
ménagements, il faut croire que le gouvernement ne nourrissait pas de
trop noirs desseins contre l'indépendance littéraire de l'Italie. Pour
le _Giornale italiano_ surtout, le cas est curieux: dans cette feuille
officielle, des rédacteurs qui ne signent que par des initiales, mais
qu'évidemment l'autorité connaissait, se prononcent très franchement. Le
7 mai 1809, par exemple, le journal accueille une très vive réfutation
d'un article où il avait jugé sévèrement une traduction italienne des
_Jardins_, de Delille; l'_Aiace_, de Foscolo, où l'on dit en Italie que
la police impériale vit des allusions hostiles, est jugé bien ou mal
dans le numéro du 15 décembre 1811, mais sans ombre d'insinuation. Si,
dans les numéros des 24 et 26 février 1809, l'autobiographie d'Alfieri
est qualifiée d'œuvre orgueilleuse, qu'il eût mieux valu ne pas publier,
un autre rédacteur, le 18 août de la même année, décerne l'immortalité
au poète d'Asti. Rien, en un mot, à l'adresse des écrivains d'Italie qui
ressemble à la malveillance systématique que l'empereur passait pour
encourager, en France, à l'égard de nos écrivains indépendants. La
presse était surveillée tout aussi rigoureusement en Italie que chez
nous; mais le langage du _Giornale italiano_ montre que l'autorité
française n'avait pas, sur le point qui nous occupe, les intentions
suspectées assez tard par Giordani.

Elle le prouva au surplus en révoquant, le 9 avril 1809, pour la
Toscane, le 10 août de la même année pour les États de l'Église,
l'obligation d'employer notre langue dans les actes notariés et devant
les tribunaux; seuls, le Piémont, la Ligurie et le Parmesan y
demeurèrent soumis. Quant au royaume d'Italie et au royaume de Naples,
ils y avaient naturellement échappé. Ajoutons que le gouvernement, aussi
bien dans les provinces réunies à l'Empire que dans celles que
Beauharnais administrait sous l'étroite tutelle de Napoléon, a protégé
de toutes ses forces la littérature italienne. Je n'entends pas
seulement par là les pensions, les titres donnés à Monti, à Cesarotti, à
une foule d'écrivains ou de savants; on pourrait n'y voir que le dessein
de payer des dithyrambes ou de s'assurer des hommes qui influaient sur
l'opinion publique; mais la fondation d'une Académie modelée sur
l'Institut de France, la réorganisation de la Crusca, restaurée
spécialement en vue de conserver l'intégrité de l'idiome national, les
prix donnés aux auteurs des ouvrages les plus purement écrits, les
instructions ministérielles, comme celle de Scopoli, directeur général
de l'instruction publique sous Beauharnais, qui, en instituant des
concours d'opéra, requérait expressément _la purità dello stile e della
lingua_ fournissent des arguments péremptoires. Un petit détail montrera
l'esprit dans lequel le gouvernement français entendait les rapports
avec les lettrés d'Italie: le célèbre imprimeur Bodoni avait été traité
d'une manière si flatteuse par Beauharnais et par Murat, qui, tour à
tour, avaient essayé de lui faire quitter Parme, l'un pour Milan,
l'autre pour Naples, qu'il avait commencé, pour leur marquer sa
reconnaissance, une édition in-folio des classiques français; or, en
1813, un voyageur français, se persuadant que Bodoni ne méritait pas sa
réputation, écrivit contre lui; c'était assurément une attaque injuste;
mais il était parti jadis de l'imprimerie de Bodoni une imputation
calomnieuse contre les Didot, et ceux-ci n'avaient eu pour dédommagement
qu'un article de Ginguené; Bodoni ne s'en plaignit pas moins à M. de
Pommereul, directeur général de l'imprimerie et de la librairie en
France, et M. de Pommereul fit saisir la brochure, puis écrivit à
l'imprimeur italien une lettre de consolation[13].

Napoléon a beaucoup moins songé à faire oublier aux Italiens leur langue
qu'à étendre chez eux la connaissance de la nôtre, intention beaucoup
moins tyrannique, on en conviendra. C'est peut-être dans ce dessein
qu'il établit, en 1806, une troupe permanente de comédiens français à
Milan, en quoi il ne commençait pas à exécuter le plan d'éviction
proposé par Denina, puisqu'il établit bientôt après, dans la même ville,
une troupe permanente d'acteurs italiens[14]. Mais l'entreprise offrait
bien des difficultés: une troupe lyrique étrangère peut donner des
représentations très suivies, parce que l'auditoire, sans comprendre les
paroles, peut se plaire à la musique; il n'en est pas de même pour une
troupe purement dramatique. Le désir d'amuser la garnison française
entrava encore davantage le succès: il aurait fallu jouer surtout les
chefs-d'œuvre de notre répertoire: d'abord parce que la bonne compagnie
serait volontiers venue les voir, les rédacteurs italiens du _Poligrafo_
de Monti étant d'accord avec les rédacteurs, en partie français, du
_Giornale italiano_, pour les louer; ensuite parce que, connaissant par
avance ces pièces pour les avoir lues, elle en aurait plus facilement
suivi la représentation. Au contraire, pour amuser nos militaires, on se
jeta dans la nouveauté, et point toujours dans la plus délicate; on
donna surtout les farces des petits théâtres de Paris, des Variétés, du
Vaudeville, ou quelquefois, en représentant le répertoire de la Comédie
française, on l'assaisonna de mots et de gestes licencieux. Le genre de
comique qui plaisait à nos braves obtenait encore bien plus la
préférence de certaines _donnicciuole_, de certaines _ragazzine_, dont
la présence n'était évidemment pas sans rapport avec la leur; ces
demoiselles, fort paisibles quand on donnait des pièces lubriques ou
lestes, s'ennuyaient au _Misanthrope_ et troublaient la représentation
_comme une bande de moineaux babillards_. Les acteurs achevèrent
d'éloigner le public indigène en ne prenant pas la peine de ralentir
leur débit, en ne donnant pas assez de pièces à spectacle, en ne se
conformant pas, pour le prix des places, aux habitudes du pays. Enfin,
on ne les avait pas recrutés parmi les meilleurs de la capitale: Mlle
Raucourt, qui dirigea d'ordinaire le théâtre français de Milan, n'était
plus dans l'éclat de la jeunesse et de la faveur publique quand on lui
confia cette fonction; sauf Mme Vanhove, ou, si l'on aime mieux, Mme
Talma, qui ne parut qu'un instant, sauf Mme Grasseau et ses filles, elle
n'eut guère que des collaborateurs d'un talent médiocre ou inégal.
Aussi, excepté les jours où le vice-roi se montrait dans sa loge, la
salle était-elle fort peu garnie de spectateurs. Vers la fin de
l'Empire, la troupe espaça beaucoup ses représentations, et, quand elle
les cessa, au retour des Autrichiens, il ne paraît pas qu'on l'ait fort
regrettée[15].

Un moyen plus sûr de faire naître, ou plutôt d'entretenir le goût de
notre littérature, consistait à enseigner notre langue. Le gouvernement
y travailla tantôt en subordonnant certaines faveurs à la connaissance
du français, tantôt en l'enseignant. D'un côté, un décret de
Beauharnais, du 15 novembre 1808, décida que les candidats aux chaires
de toutes les Facultés seraient, entre autres matières, examinés sur le
français, et Fontanes, dans une lettre du 22 février 1811 au recteur de
Pise, l'informe que les écoles consacrées dans le ressort de cette
Académie à l'enseignement du français obtiendraient pour leurs chefs la
dispense du diplôme décennal et pour leurs élèves celle de la
rétribution due à l'Université[16]. D'autre part, on institua des cours
de français dans les Lycées et dans les Facultés. Sans doute, ces
mesures inspiraient quelques inquiétudes à certains Italiens; mais les
esprits avisés ne s'arrêtaient pas à leurs soupçons, plus respectables
que fondés: «Quelques personnes, «disait Scopoli dans un rapport au
ministre,» murmurent de voir introduire l'étude du français jusque dans
nos gymnases, craignant qu'une langue étrangère n'en bannisse la nôtre
ou n'en corrompe la pureté. Mais un penseur a par avance réfuté cette
erreur en faisant remarquer que, s'il était possible d'apprendre toutes
les langues vivantes de l'Europe, les progrès de nos connaissances
seraient plus grands et plus nombreux. Si la richesse du langage va de
pair avec la civilisation et si, à proprement parler, il n'y a pas de
synonymes, la nation où l'on apprendrait le plus de langues étrangères
serait plus riche d'idées et, par suite, plus forte de pensée.» Ce n'est
pas le lieu de chercher s'il n'y a pas quelque excès dans la réflexion
que Scopoli emprunte ici à Condillac; mais le fait même que la réflexion
est d'un Français marque bien que l'enseignement de notre langue en
Italie n'était pas uniquement inspiré par une pensée d'intérêt;
d'ailleurs, la pièce où Scopoli l'insère, porte avec elle la preuve
manifeste que le gouvernement n'entendait pas condamner l'Italie à ne
voir que par les yeux de la France: c'est, en effet, un rapport daté du
1er avril 1813 sur la mission que le prince Eugène lui avait confiée
d'étudier les établissements d'instruction publique en Allemagne[17].

Ce n'est pas tout: de même qu'en France le grand-maître de l'Université
ne se hâtait pas de remplir les cadres, préférant une chaire vide à une
chaire mal occupée, de même on procéda en Italie avec une lenteur
consciencieuse. De plus, on aurait pu réserver ces chaires à des
Français, tant pour faire vivre quelques nationaux aux frais des sujets
de Beauharnais que pour s'assurer des agents de propagande; car nul ne
dira que la France n'aurait pu fournir quinze à seize maîtres sachant
assez l'italien pour enseigner le français dans autant de Lycées. Au
contraire, on décida que ces chaires, comme toutes les autres, seraient
données au concours, sauf le cas où les publications antérieures d'un
candidat autoriseraient à le dispenser de l'examen; et on attendit
patiemment que des sujets convenables se présentassent. Ainsi, sous
l'Empire, Pise n'a jamais eu de Lycée et le Lycée de Turin n'a jamais eu
de professeur de français. Quant à la nationalité des maîtres qui
enseignèrent notre langue dans les Lycées ou Facultés du prince Eugène
(car dans les Facultés comme dans les Lycées c'était tout autant notre
langue que notre littérature qu'on enseignait), on trouve à peu près
deux Italiens pour un Français.

Malheureusement l'enseignement des langues vivantes est le plus
difficile de tous à bien établir, peut-être parce qu'ici l'insuffisance
des maîtres et des élèves se découvre plus aisément: on ne demande à
l'homme qui enseigne une langue ancienne ni de la bien prononcer ni de
connaître ces mille nuances, ces mille expressions familières qui font
le désespoir des étrangers; on admet que bien des points de la
civilisation antique lui échappent puisqu'ils demeurent mystérieux pour
tout le monde; quand il a mis la moyenne de ses élèves en état
d'expliquer à livre ouvert des passages faciles ou d'écrire avec une
correction suffisante quelques pages de latin, on le tient quitte et
avec raison puisqu'avec cette somme de capacité ils sont en mesure de
profiter des aperçus qu'il leur ouvre sur le génie de l'antiquité. Le
maître qui enseigne une langue vivante, à supposer même qu'on le
dispense de contribuer autant que ses collègues à former l'esprit de
l'élève, a bien plus à craindre de prêter au ridicule, et par
l'imperfection presque inévitable et facile à constater des
connaissances qu'on emporte de son cours, de se déconsidérer. Puis la
France avait dû faire ici comme pour la troupe de comédiens de Milan:
elle n'avait pas envoyé ses plus habiles sujets, et le gouvernement
n'avait pas eu, autant qu'il le souhaitait, l'embarras du choix. Il faut
d'ailleurs reconnaître que, sous l'Empire comme au reste dans les deux
siècles précédents, le corps enseignant ne comptait pas en France
beaucoup d'hommes distingués: combien peu de professeurs du
dix-septième siècle et du dix-huitième dont le nom, je dis simplement le
nom, soit arrivé jusqu'à nous! On n'en faisait pas moins de bonnes
études parce que, dans un pays où les gens du monde savaient lire et
causer, c'était surtout une bonne discipline morale et intellectuelle
qu'il importait d'offrir dans les maisons d'éducation: la rectitude
d'esprit, la gravité des maîtres suffisaient avec l'aide de la
tradition. Mais en Italie, pour cet enseignement nouveau, la tradition
manquait. Ces diverses raisons expliquent pourquoi les cours de français
n'eurent pas absolument partout le succès désiré. Le _Giornale Italiano_
dans deux articles, l'un du 8 mai 1809, l'autre du 18 avril 1811,
faisait remarquer qu'on n'y employait pas toujours de bonnes grammaires,
de bonnes méthodes, et que par suite le résultat ne répondait pas
invariablement à la peine prise. Il est évident néanmoins que les
efforts tentés simultanément dans les plus grandes villes de l'Italie
pour répandre notre idiome n'ont pas été perdus.

Aussi bien toutes les branches de l'instruction publique furent alors
notablement perfectionnées. Certes l'Italie comptait, à la fin du
dix-huitième siècle, des écoles florissantes où des hommes supérieurs
avaient formé de brillants élèves: une génération qui comprenait Monti,
Foscolo, Volta, Canova, n'avait assurément pas grandi dans l'ignorance.
Mais les lumières étaient presque toutes concentrées dans le Nord de la
Péninsule. M. Tivaroni nous révèle, par exemple, que dans certaines
provinces des États de l'Église, aucun paysan ne savait ni lire ni
écrire, que dans le royaume de Naples, plus arriéré par endroits, disait
Genovesi, que le pays des Samoyèdes, ces connaissances élémentaires
étaient rares parmi la bourgeoisie même, que le papier, les livres y
coûtaient si cher que les écoles de campagne s'en passaient, enfin que
dans ces deux États l'histoire et la géographie ne faisaient point
partie d'un cours complet d'instruction[18].

Les Français firent deux choses: premièrement, ils firent pénétrer
l'enseignement dans les pays où il n'avait point encore d'accès; car ils
ne s'en tinrent pas à fonder sur le papier des maisons d'éducation,
puisque le même M. Tivaroni constate que le royaume de Naples, à la fin
du règne de Joachim, possédait trois mille écoles primaires gratuites
avec cent mille élèves[19]; secondement, ils établirent un système
d'éducation coordonné; auparavant le zèle d'une corporation religieuse,
le talent d'un maître, une réforme partielle émanée du gouvernement,
assuraient ici un bon enseignement élémentaire, ailleurs faisaient
fleurir un collège ou jetaient un éclat subit sur telle science:
désormais l'enseignement fut à la fois complet et gradué. Nous
n'entreprendrons pas de tracer le tableau de toutes les mesures prises à
cet effet par Napoléon et par ses lieutenants: nous nous bornerons à
renvoyer au Recueil de ses Lois et Règlements concernant l'Instruction
publique, à l'excellent _Rapport sur les établissements d'Instruction
publique des départements au delà des Alpes fait en 1809 et 1810, par
une commission extraordinaire composée de MM. Cuvier, conseiller
titulaire, de Coiffier, conseiller ordinaire et De Balbe, inspecteur
général de l'Université_, enfin aux historiens italiens qui, pour la
plupart, s'accordent à louer cette partie du gouvernement de
Napoléon[20]. M. Cantù a mieux que personne caractérisé l'ensemble de
ces mesures; après avoir montré comment Napoléon imposait l'obligation
du travail aux compagnies savantes, souvent suspectes de préférer les
conversations agréables aux lectures pénibles, après avoir rappelé que
l'Institut italien, fondé par l'empereur, devait rendre compte des
livres ou machines soumis à son examen, exécuter des expériences,
proposer une liste de trois noms pour les places vacantes dans les
Universités, il ajoute: «C'était une institution moins spéculative que
pratique, qui visait encore moins au progrès des lettres qu'à celui de
la civilisation; et l'histoire ne peut taire l'effet que ces réformes
produisirent sur une époque que pourtant de violentes commotions
rendaient bien peu favorable aux études, aux beaux arts, à l'industrie.»

Mais, dans l'ordre de l'instruction publique, un point particulier nous
arrêtera: les collèges de jeunes filles fondés en Italie par Napoléon
Ier. D'abord la matière est neuve; car les historiens, sans méconnaître
l'importance de ces établissements, les ont à peine signalés d'un mot.
Puis l'éducation des femmes en Italie appelait une réforme bien
autrement urgente que celle des hommes. Ces deux raisons justifient
notre choix.



CHAPITRE II.

L'éducation des filles en Italie avant la Révolution.--Première
tentative de réforme au temps de la République Cisalpine.--Admirable bon
sens avec lequel Napoléon approprie ses vues en pédagogie aux besoins de
l'Italie.--Collèges de jeunes filles fondés par lui et par ses
représentants, ou protégés par eux, à Bologne, à Naples, à Milan, à
Vérone, à Lodi.


Dans une satire d'Alfieri, un noble passe marché avec un prêtre pour
l'éducation de ses enfants. Le précepteur en expectative proteste qu'il
sait très bien le latin. «Votre latin,» répond le seigneur, «sent son
antiquaille; ne me faites pas d'eux de petits docteurs; qu'ils sachent
seulement parler un peu de tout pour ne pas faire figure de bois dans la
conversation.» Puis, il rabat la prétention du pauvre homme qui voudrait
être payé au moins autant que le cocher, et l'avertit qu'il devra se
lever de table quand on apportera le dessert. Tout est réglé, quand le
noble s'aperçoit qu'il a omis un petit détail: «J'oubliais: vous ferez
faire de temps en temps un semblant de lecture à ma fille, Métastase,
les ariettes; elle en est folle. Elle étudie toute seule, car je n'ai
pas le temps de m'occuper d'elle, et la comtesse encore moins. Mais vous
les lui expliquerez. Dans deux ans, je compte la mettre au couvent pour
qu'on achève d'orner son esprit.»

     _Mi scordai d'una cosa: la ragazza
     Farete leggicchiar di quando in quando
     Metastasio, le ariette; ella n'è pazza.

     La si va da sè stessa esercitando;
     Ch'io non ho il tempo e la Contessa meno:
     Ma voi gliele verrete interpretando.

     Finchè un altro par d'anni fatti sieno;
     Ch'io penso allor di porta in monastero,
     Per ch'ivi abbia sua mente ornato pieno._

Quand c'est sur un pareil ton qu'un père traite de semblables matières,
on devine ce que doit être l'instruction publique. Parini confirmerait
au besoin le témoignage d'Alfieri sur l'indifférence des hautes classes
en Italie à la fin du dix-huitième siècle pour l'éducation des filles.
Les historiens vont nous prouver que ce ne sont point là des boutades de
satiriques.

Voici, d'après un érudit italien, comment l'éducation des filles était
comprise avant l'arrivée des Français dans une des plus grandes villes
de l'Italie: «À Naples, en fait d'institutions féminines, il y avait le
conservatoire du Saint-Esprit avec soixante religieuses et cent
soixante-trois enfants nées de mères qui exerçaient la prostitution.
Comme on y dotait les filles, les femmes honnêtes employaient cadeaux et
recommandations à se faire passer pour courtisanes. Le principal objet
de l'éducation consistait à préparer le service de la chapelle. Il y
avait d'autres maisons pour les repenties, pour les filles en danger,
pour les filles tombées; on y recevait plusieurs milliers de vierges et
de non vierges, qui, grâce aux aumônes, trouvaient un morceau de pain à
manger, et à qui leur quenouille donnait des habits. Le nombre total de
ces conservatoires était de quarante-cinq, dont plus de vingt
renfermaient environ cinq mille pauvres femmes, la plupart sous la
direction du clergé qui les préparait seulement à la vie mystique. Dans
la maison royale du petit Carmen, près le Marché, il n'y avait point de
religieuses: on enseignait à deux cent trente jeunes filles à tisser le
fil, la soie et le coton[21].» Ainsi, des ateliers de charité, peuplés
en partie de filles de mauvaise vie ou de mauvaise extraction, et plus
semblables à notre maison des Madelonnettes ou à des hospices qu'à nos
ouvroirs, tels étaient les pensionnats féminins de Naples en 1789.
Certes, les provinces du nord ne se réglaient pas sur ce modèle. Nous
avons nous-même montré ailleurs que beaucoup d'Italiennes, à cette
époque, se piquaient, non seulement de poésie, mais de science, que
plusieurs occupaient des chaires publiques[22]. Mais c'était précisément
l'ignorance, l'insignifiance générale du sexe qui, en excitant le dépit
de quelques femmes de cœur, les avait portées à rivaliser de savoir avec
les hommes. À la fin du dix-huitième siècle, les grandes dames de Milan
n'étaient ni plus corrompues ni plus frivoles que les grandes dames de
Paris, dont les faiblesses ont fait alors assez de bruit; mais, faute
d'étude, de lecture, de conversation, elles étaient beaucoup moins
capables de ces échappées de raison, de ces accès d'enthousiasme pour
toutes les grandes causes, qui honoraient chez nous l'aristocratie
féminine. Dans des couvents où les luttes religieuses n'avaient point,
comme chez nous, retrempé le catholicisme, elles apprenaient la
superstition et la paresse; le monde trouvait son compte à cette
éducation et la conservait soigneusement.

De là, un étrange affaissement de l'esprit public. On en connaît, sous
le nom de sigisbéisme, le témoignage le plus curieux. Un trait moins
connu en France montrera combien la conscience était égarée, même dans
les familles à qui le génie et la gloire semblaient donner mission de
guider les autres: en 1806, quand mourut le comte Carlo Imbonati, avec
lequel la mère de Manzoni, abandonnant son époux, avait parcouru
l'Italie et la France, Manzoni le célébra dans une composition poétique,
qu'il dédia à sa mère et publia, du vivant même de son père, sans se
douter qu'il déshonorait par là l'une et l'autre. Ainsi, à cette date,
l'homme qui plus tard composera un des livres les plus purs, les plus
délicatement édifiants qu'on ait jamais lus, croyait faire œuvre de bon
fils en chantant un nom que son père ne pouvait entendre sans rougir, en
essuyant des larmes qui n'étaient malheureusement pas celles du remords,
en révélant aux contemporains et à la postérité cette coupable douleur!
Et c'était à une fille de Beccaria que s'adressait l'étonnant hommage de
cette piété filiale, et sa tendresse maternelle en était accrue!

À plus forte raison ne pouvait-on compter sur la plupart des femmes
italiennes pour conserver ou refaire le patrimoine des familles. Une des
choses qui surprirent à Paris le marquis Malaspina, quand il visita la
France en 1786, ce fut de voir à combien d'emplois se prêtait la souple
intelligence de la Française, et quelle somme d'activité on pouvait
obtenir d'elle, alors qu'ailleurs le sexe ne lui semblait propre qu'à
mettre des enfants au monde ou à végéter dans des couvents. Personne ne
me reprochera de citer presque tout au long la spirituelle analyse que
M. d'Ancona donne dans la _Nuova Antologia_ du 16 décembre dernier, de
cette partie de sa relation de voyage: «Malaspina a besoin à Paris de
faire réparer sa montre, et c'est une femme qui la lui répare; il lui
faut des souliers, une femme lui en prend mesure. Les églises ont des
femmes pour gardiennes; à la bibliothèque du roi, beaucoup de lectrices;
des femmes aux tribunaux pour enregistrer les actes. Il apprit que dans
certaines contrées de la France les femmes exerçaient le commerce de
préférence aux hommes, et il affirme que, généralement, une Française
parvient plus vite à la maturité de la réflexion qu'un Français. Les
marchandes ont des manières qu'une femme de la meilleure éducation
pourrait leur envier; elles occupent leurs moments de loisirs, en
attendant les clients, à la lecture. Sur l'article de ces marchandes
l'admiration de Malaspina prend feu comme celle de Sterne racontant son
aventure avec la jolie gantière.»

À peine la France avait-elle pris pied au delà des Alpes, qu'un effort
fut tenté pour changer l'éducation des femmes d'Italie: la République
cisalpine, instituée et surveillée par nous, ne comptait pas encore cinq
mois d'existence lorsqu'elle s'en occupa. Le 28 brumaire an VI, 18
novembre 1797, son ministre de l'intérieur envoya une circulaire à
toutes les maisons religieuses ou laïques vouées à l'éducation des
filles, pour les informer que «les soins paternels du Directoire
exécutif, pour préparer à la République un bonheur durable, s'étaient
tournés vers l'éducation républicaine des filles,» que la citoyenne
veuve Visconti Saxy avait été chargée de la surintendance sur toutes les
personnes adonnées à l'instruction du sexe, notamment dans les couvents,
et qu'on espérait que celles-ci voudraient bien se conformer aux
observations qu'elle pourrait leur faire[23]. Le choix fait pour la
fonction de surintendante était heureux: Mme Visconti, née Carlotta de
Saxy, était entrée par son mariage dans une des familles qui donnaient
alors le plus de gages à la France, puisque, sans parler d'Ennio
Quirino Visconti, bientôt ministre de la République romaine, puis
Français de fait et de cœur, Francesco Visconti acceptait une place
importante dans le gouvernement de la Cisalpine, et qu'un autre Visconti
ira sous peu étudier au collège de Sorèze; d'autre part, cette famille
était une des plus illustres de la Lombardie. La surintendante devait
avoir un âge respectable, puisque le comte Pompeo Litta, dans les
_Famiglie celebri ltaliane_, dit qu'elle avait été la troisième et
dernière femme d'Alessandro Visconti, mort en 1757. Enfin, le même
historien souscrit aux éloges que le ministre de 1797 donnait à Mme de
Saxy-Visconti, puisqu'il l'appelle «une femme très distinguée par
quelques œuvres destinées à l'éducation du peuple.»

À la vérité, les divers programmes rédigés par elle et fortifiés par le
droit de visite conféré à la surintendante sur tous les établissements
d'éducation féminine, eurent pour objet de tempérer autant que de
seconder l'effet des principes que la France apportait en Italie. Le
préambule en est invariablement consacré à l'importance de prémunir les
élèves, dans l'intérêt de l'ordre public, contre l'abus des mots de
liberté, d'égalité, de souveraineté populaire: on sentait que les folies
ruineuses, sinon sanglantes qui s'étaient mêlées dans la Cisalpine à
l'enthousiasme pour le nouveau régime, risquaient de tout compromettre;
aussi, les programmes recommandaient expressément d'expliquer que la
liberté consiste pour une nation à faire ses propres lois et non à y
désobéir, que l'égalité devant la loi n'implique pas le mépris des
supérieurs, et que la souveraineté du peuple n'est pas le règne de la
licence. On y exprimait la confiance la plus courtoise dans le zèle et
l'habileté des religieuses pour l'éducation des filles; on y considérait
comme une des autorités dont la Révolution n'affranchissait pas
l'Evangile, cette _expression la plus pure de la loi naturelle_; et
c'était peut-être pour faire abandonner les _robes à la guillotine_
réprouvées dans une ode célèbre de Parini qu'on recommandait aux enfants
les habits de leur pays. Mais aussi ces programmes, sans récriminer d'un
seul mot contre le passé, prescrivaient de former les élèves à une piété
toute différente de celle que jusque-là les jeunes Italiennes
apprenaient, puisqu'on prescrivait de les former aux vertus morales et
sociales. La surintendante se réserve de leur expliquer la Constitution
et même le recueil des lois de la Cisalpine; mais elle compte sur les
maîtresses pour façonner le caractère des jeunes filles. La franchise
est spécifiée parmi les qualités qu'on devra leur enseigner; les
maîtresses s'interdiront de frapper les élèves. On fera lire des livres
qui leur donneront une idée précise des droits de l'homme et des
avantages qu'on trouve à remplir les devoirs sociaux et les devoirs
propres à chaque condition. On accoutumera les jeunes filles à la plus
grande propreté du corps, des dents et des mains, «aussi nécessaire
qu'utile à la santé.»

Quant à l'instruction, dans les établissements d'un ordre supérieur,
outre les travaux de leur sexe, les élèves apprendront à lire et à
écrire en italien, et, si cela se peut, en français; elles sauront
autant d'arithmétique qu'il leur en faudra pour l'usage de la vie; on
leur fera connaître le prix des denrées, et les pensionnaires des
couvents seront employées à tour de rôle dans l'administration du
monastère. Elles apprendront un peu de géographie, surtout celle de leur
patrie. Surtout, on leur fera connaître les parties les plus
intéressantes de l'histoire naturelle pour qu'elles touchent du doigt en
quelque sorte la Providence. «On leur donnera une idée de l'histoire
universelle si bien traitée par Bossuet;» elles étudieront l'histoire de
leur pays. Pour les écoles réservées aux enfants pauvres, en sus des
travaux à l'aiguille, on y enseignera seulement, et dans la mesure où ce
sera praticable (_per quanto è fattibile_) la lecture, l'écriture; mais
l'éducation hygiénique et morale y sera la même que pour les enfants des
riches: l'eau et un peu de diligence ne coûtent rien, dit Mme de
Saxy-Visconti; donc, tout le monde peut être propre; à plus forte
raison, pour les écoles inférieures et pour les écoles plus relevées,
elle propose un même modèle de vertu.

Quelque modeste que fût ce programme, surtout pour les petites écoles,
on voit qu'il témoignait la volonté de réveiller l'intelligence, de
relever le cœur de la femme italienne. L'erreur de nos amis de la
Cisalpine, la nôtre aussi, car ils s'inspiraient de nous dans tous leurs
actes, consistait seulement à procéder en ces matières délicates par
voie d'autorité au lieu de procéder par voie d'exemple. L'État peut
régler les conditions auxquelles on obtiendra des diplômes publics,
pénétrer même dans les établissements particuliers pour y exercer une
sorte de police; mais là s'arrête son droit. Il n'a pas qualité pour
imposer un plan d'éducation, surtout un plan qui comporte de la
politique, d'exiger, comme le fait Mme de Saxy-Visconti, qu'on plante un
arbre de liberté dans les couvents, qu'on n'y emploie pas d'autre
appellation que celle de citoyenne, qu'on proscrive la lecture des
biographies d'ascètes. Imposer ce plan, c'était le rendre odieux à la
moitié des maîtresses qui, si l'on s'y fût pris d'une autre manière, en
eussent accepté une partie et la plus essentielle. Enfin, par la raison
même qu'on rédigeait des programmes obligatoires pour toutes les
écoles, on n'entrait pas, par crainte de multiplier les résistances,
dans les minutieuses exigences qui sont nécessaires toutes les fois
qu'on propose une réforme à laquelle il faut tout d'abord façonner ceux
à qui l'on en remettra l'application. Il aurait mieux valu fonder en
Lombardie un ou deux établissements dont, sans violenter personne, on
eût rédigé la règle en toute liberté.

Napoléon, devenu empereur, n'oublia ni ce qu'il y avait d'excellent, ni
ce qu'il y avait de défectueux dans la tentative que nous venons de
raconter. On sait comment il a repris et modifié pour la France le plan
tracé par Mme de Maintenon. Comme elle, il voulait qu'on formât tout
d'abord les jeunes filles à une dévotion, tout ensemble exacte et
raisonnable, et que l'on cultivât leur raison plus que leur imagination;
mais, tandis que Mme de Maintenon avait entendu pourvoir à un besoin
particulier de son temps, il voulait pourvoir à un besoin général du
sien. Vivant dans une société aristocratique, c'est-à-dire établie sur
l'inégalité des classes, la fondatrice de Saint-Cyr avait travaillé pour
les filles des gentilshommes pauvres; elle avait pour objet de les
préparer à soutenir et l'illustration de leur naissance et la médiocrité
de leur fortune; c'est sur l'exiguïté de leur patrimoine qu'elle réglait
la simplicité, la gravité de l'éducation qu'elle leur offrait, en les
séparant à la fois des filles de la noblesse riche et des filles de la
bourgeoisie. Napoléon, travaillant pour une société démocratique,
admettait à Ecouen des enfants de toutes les classes, pourvu que leurs
pères eussent bien servi l'État; c'est à elles toutes qu'il voulait que
l'uniforme et une règle sévère enseignassent l'esprit d'égalité,
d'économie, de discernement. Puis, s'il fallait continuer à former des
femmes chrétiennes, il fallait les préparer à vivre dans un monde qui
n'était plus fort chrétien, où l'hérétique, l'athée même, avaient
légalement le droit de propager leurs doctrines, où, en matière de
politique aussi, les esprits, sinon la presse, étaient définitivement
affranchis; il ne suffisait donc plus de préserver les jeunes filles des
écarts du mysticisme; il fallait les former à la tolérance, les préparer
à entendre sans scandale les libres discussions. Aussi prenait-il des
mesures pour que toute la partie saine de la philosophie du dix-huitième
siècle pénétrât dans ses maisons d'éducation.

Si ces innovations d'une prudente hardiesse devaient rencontrer
l'approbation du public français, combien ne devaient-elles pas être
accueillies plus favorablement encore en Italie, où elles étaient plus
nécessaires, par tous les bons esprits qui souhaitaient une
régénération de leur patrie et se sentaient impuissants à l'accomplir
seuls!

Ce fut à Bologne que le gouvernement français tenta son premier, son
moins heureux essai. La maison qu'il y fonda ou plutôt dont il consentit
à prendre le patronage, ne fit jamais que végéter parce que, au moment
où le prince Eugène accorda (19 décembre 1805) à une Française, Mme
Thérèse Laugers, une subvention et le titre de _Casa Giuseppina_ pour le
pensionnat qu'elle venait d'établir dans cette ville, les esprits
n'étaient point assez préparés, parce qu'on ne prit à Bologne que des
demi-mesures, enfin parce que la directrice ne réunissait pas toutes les
qualités requises. La pièce suivante, dont nous donnerons une traduction
intégrale, fera comprendre les difficultés de l'entreprise; et la
sévérité avec laquelle on s'y exprime en plusieurs endroits sur la
personne de Mme Laugers fera ressortir l'hommage rendu à l'esprit
pédagogique qu'elle apportait en Italie; c'est un Rapport adressé le 31
août 1808 au ministère de l'intérieur du royaume d'Italie par le préfet
de Bologne[24].

     «À Monsieur le conseiller d'État, directeur de l'instruction
     publique, etc.

     »Milan,

     »31 août 1808.

»La maison Joséphine doit son origine aux efforts incessants de Mme
Laugers, à qui il sembla que Bologne pouvait offrir un vaste champ pour
introduire en Italie de nouvelles méthodes qui donneraient aux femmes
une éducation plus relevée et plus achevée.

»Il faut avouer toutefois que l'éminente institutrice ne fut pas très
heureuse dans ses débuts. La nouveauté qui plut à quelques-uns inspira
des soupçons à beaucoup d'autres, d'autant qu'il s'agissait d'une
étrangère qui ne rendait pas d'elle-même un compte très précis (_la
quale non rendeva di se conto e ragione precisissima_); beaucoup aussi
voyaient d'un mauvais œil qu'elle n'était pas fort pourvue de moyens de
subsistance, si bien que son œuvre semblait inspirée par le besoin et le
calcul. Il est certain que l'opinion se divisa, qu'un parti peu
nombreux, peu énergique, se déclara pour elle, que les autorités locales
ne lui prêtèrent jamais une assistance efficace, et que le projet se
serait évanoui dans sa naissance, si la Préfecture n'avait interposé
plusieurs fois ses offices pour procurer au pays un aussi sensible
avantage que celui d'élever moins grossièrement les jeunes filles (_un
sensibile vantaggio quale lo è quello di educare men rozzamente le
fanciulle_).

»Les choses étaient dans cet état, lorsque, s'étant rendu à Bologne,
notre excellent prince daigna accorder sa haute faveur au pensionnat.
Alors tout obstacle sembla disparaître et l'on put croire que les
meilleurs résultats étaient assurés. La municipalité devait s'occuper du
détail, c'est-à-dire s'enquérir des besoins, trouver les ressources
nécessaires, fixer la discipline, veiller sur le bon ordre et donner à
l'établissement vie et dignité. On ne doit pas dissimuler que si l'on
avait procédé de cette sorte, la répugnance publique aurait fait place à
la faveur la plus décidée. Le nombre des élèves se serait alors
multiplié, et par suite les moyens de balancer les dépenses et les
recettes. Mais ce serait trahir la vérité que de ne pas dire que la
municipalité ou bien négligea absolument l'enquête nécessaire, ou s'en
remit à des personnes inexpérimentées et indolentes, ou ne sut pas ou ne
voulut pas écarter les inconvénients et surmonter les difficultés. Ainsi
le fruit de la faveur précieuse qui avait érigé le pensionnat en collège
honoré d'un titre auguste ne sortit pas de son germe, et ainsi la Maison
royale languit, déchut et périt presque entièrement[25].

»Le nombre des élèves n'y a jamais dépassé vingt-deux; et on y
comprenait des pensionnaires du prince, quelques autres enfants qui
payaient très peu, d'autres qui ne payaient rien. Les malveillants
s'industrièrent à répandre certains bruits qui portèrent atteinte à la
réputation de l'établissement. Cela suffit pour que la plupart des
jeunes filles fussent rappelées dans leurs familles et que tout
expédient tenté en vue de repeupler le collège échouât. Présentement on
n'y compte que neuf élèves dont quatre ne payent pas; c'est la
directrice qui supplée pour elles (_La direttrice supplisce per esse_).

»Les cours se font tous les jours. Le matin on enseigne les lettres et
les beaux-arts, dans l'après-midi les travaux de femme[26]. Les leçons
dites du matin sont données de huit heures à trois heures. Il faut
convenir que le temps n'est pas perdu; car les élèves apprennent et se
développent. Qui les comparerait avec les élèves des couvents ou des
autres pensionnats privés remarquerait une différence capitale et
inexprimable (_Bisogna convenir che il tempo non è perduto giacchè le
alunne apprendono e si sviluppano. Chi le confrontasse con quelle
de'Monasterj o delle altre scuole private rimarcherebbe una differenza
somma e inesprimibile_). Les Bolonais peuvent s'en convaincre dans les
séances publiques que la Maison donne[27]. IL est vrai d'autre part
que, autant dans ces circonstances ils montrent de surprise, de plaisir,
d'approbation, autant l'établissement demeure en mauvais état et désert.

»Les besoins dont il souffre actuellement sont d'une double nature. Les
uns regardent la réparation des bâtiments, les autres la tenue du
pensionnat. Relativement aux premiers, on peut consulter l'expertise
avec plan rédigée par M. Venturcii, ingénieur public; on y indique les
réparations les plus urgentes. Il en faudrait d'ailleurs beaucoup
d'autres, et, quand on les exécuterait toutes, la Maison resterait
imparfaite et défectueuse. Elle est située dans un quartier écarté;
irrégulière et grossière, elle n'offre rien qui flatte l'œil; de
misérables constructions habitées par la basse classe l'entourent, de
sorte que les élèves sont exposées à mille regards curieux et
indiscrets. On ferait donc beaucoup pour cet établissement, si on
l'installait dans une autre propriété domaniale. Mais il est
indispensable d'avertir que, parmi les édifices de cette catégorie, il
n'en reste qu'un sur lequel on pourrait utilement compter. C'est celui
du collège supprimé de Montalto. Fondé pour une maison d'éducation et
d'instruction, il semble expressément fait pour la circonstance. On
n'aurait même pas besoin de l'occuper tout entier; on laisserait libre
une élégante salle qui servirait pour les réunions des corps
considérables; et l'on ne toucherait pas à la vaste salle d'archives où
l'on a réuni les livres et papiers des corporations supprimées.

»Relativement à la tenue journalière du pensionnat, on peut voir le
mémoire avec tableau remis par Mme Laugers. Il a été rédigé en
conséquence de la visite que M. le podestat a faite à l'établissement et
on le trouvera ci-inclus[28].

»Il semble que le nombre des maîtres, leurs honoraires, le nombre des
gens de service, leurs gages, les dépenses d'entretien et de nourriture
n'excèdent pas les limites que trace une juste et sage économie. Une
réforme opérée sur ce point ne donnerait qu'un résultat minime et ne
rétablirait pas la balance du budget de la maison.

»L'article de l'église exige une réflexion. Elle est comprise parmi
celles qui, aux termes du décret royal du 10 mars 1808 cessent d'être
publiques, et par conséquent ne réclamerait pas dorénavant une dépense
aussi forte que par le passé. Mais il est vrai aussi que la perception
des revenus assignés par le domaine ne se fera pas bien tant qu'elle
sera entre les mains d'une femme peu estimée et peu considérée des
débiteurs et à qui au surplus il ne conviendrait pas de tenter des
démarches vigoureuses et offensives; car elle a trop besoin de se
concilier l'estime et la bienveillance.

»Pour faire face au passif, et pour soutenir ultérieurement la maison,
un nouveau subside du gouvernement est absolument indispensable. Mais,
tant que les choses resteront sur le pied actuel, ce serait se jouer du
gouvernement lui-même que de l'assurer du moindre changement heureux.
Peut-être les tentatives les plus énergiques ne donneraient pas un
résultat satisfaisant, parce que, après tant et de si amères
vicissitudes, elles pourraient être intempestives. Néanmoins, au cas où,
pour l'honneur d'un établissement érigé par un prince et décoré d'un nom
très auguste, on voudrait essayer des améliorations, il semble qu'on ne
pourrait imaginer et suggérer que les suivantes:

»La première de toutes les réformes devrait être le choix d'un meilleur
local. Autant, du reste, l'édifice actuel inspire de répugnance au
physique et au moral, autant il est permis de répéter, avec fermeté, que
celui de Montalto plairait généralement.

»En second lieu, il conviendrait de concevoir un plan de discipline
intérieure plus circonstancié et plus libéral. Celui d'aujourd'hui est
trop aride d'une part, et peu philosophique de l'autre. Il laisse
subsister beaucoup de préjugés sans prévenir et rendre impossibles
beaucoup d'inconvénients.

»En troisième lieu, il importerait que la nomination des personnes de
service et des maîtres fût faite par la Préfecture ou par le Ministère
sur une double liste présentée par le Podestat, et après avoir pris,
comme il est convenable, l'avis de la Directrice. Il est indispensable
que la maison ne soit accessible qu'à des personnes d'âge mûr, de sens
éprouvé et de mœurs garanties par la voix publique.

»En quatrième lieu, on pourrait proposer une mesure qui induirait les
pères de famille à envoyer leurs enfants dans ce pensionnat: ce serait
d'engager la Congrégation de Charité de Bologne à réserver un certain
nombre de ses meilleures dots pour celles des élèves en qui l'on
reconnaîtrait les qualités demandées par les testateurs. Tout dépend
d'un premier pas, et il est incontestable que, dès que pour un motif ou
pour un autre, l'établissement acquerrait un peu de crédit par un
accroissement de sa population, la multitude, qui ne se rend qu'aux
faits accomplis, applaudirait et dicterait presque la loi à la volonté
des particuliers.

»Enfin, il serait à souhaiter qu'une des dames les plus distinguées et
les plus honorées de la ville fût chargée de la surintendance de la
maison, et en garantît l'ordre et la discipline. Il n'est ni convenable,
ni possible à la Préfecture et à la Municipalité d'exercer dans
l'intérieur du pensionnat une surveillance assidue et efficace; et les
choses sont à un tel point, que c'est seulement en plaçant la Directrice
sous la suprématie ininterrompue et absolue d'une personne
universellement considérée qu'on peut réfréner les langues malveillantes
et rendre l'institution profitable.

»Tel est, Monsieur le conseiller, le rapport circonstancié et sincère
que je vous soumets, en réponse à votre honorée dépêche du 16 du mois
dernier, n° 3002. Permettez qu'en attendant le retour des papiers
originaux ci-inclus, je vous renouvelle les sentiments de ma parfaite
estime et profonde considération.

     »F° MOSCA.»

Le Ministère approuva la proposition de nommer une surintendante, de
rédiger une règle nouvelle pour l'établissement, le transporta, non
dans l'ex-collège Montalto qui ne se trouva point disponible, mais dans
le _Conservatorio di Santa Croce e San Giuseppe_, rue Castiglione[29];
en 1810, par la nomination d'un économe, il déchargea Mme Laugers du
soin de l'administration. La maison n'en prospéra pas beaucoup plus; en
cette année 1810, le nombre des élèves, tant boursières que payantes,
était de seize. L'entreprise avait été mal commencée et ne s'en releva
jamais.

Il en fut tout autrement partout où le gouvernement français s'occupa
dès le premier jour de choisir le personnel, d'élaborer les règlements
et d'en assurer l'observation; c'est ce qui eut lieu dans le royaume de
Naples d'abord, puis à Milan, à Vérone et à Lodi enfin. Je nomme cette
dernière ville quoique le collège qu'on y institua ait été une fondation
particulière, parce que le bailleur de fonds était le chancelier même du
prince Eugène, le duc Melzi. Il ne faut d'ailleurs pas exagérer
l'initiative de ce dernier: lady Morgan dit, dans son _Voyage en
Italie_, qu'elle croit l'origine de tous ces établissements due au duc
Melzi, en sa qualité de fondateur du pensionnat féminin de Lodi; mais
tous les papiers relatifs au collège de Milan et de Vérone prouvent que
c'est la maison française de la Légion d'honneur que le gouvernement
prenait pour modèle; de plus, une notice que M. Agnelli, de Lodi, a bien
voulu rédiger pour moi, assigne la date de 1812 au collège de cette
ville[30]; or les collèges du royaume de Naples et celui de Milan, sans
parler de la maison de Mme Laugers, sont antérieurs.

Le plus ancien de tous ces collèges est celui de Naples. Le 11 août
1807, Joseph Bonaparte décréta la fondation «d'une maison honorée d'une
distinction particulière pour l'éducation des jeunes filles à qui
l'éclat de leur nom, l'illustration de leurs parents dans les emplois
éminents et les dignités suprêmes de l'État peuvent donner une influence
prépondérante sur leur sexe et dont l'exemple peut plus facilement
contribuer à répandre les vertus qui rendent les familles heureuses.»
Cent places gratuites étaient réservées à des filles de hauts
fonctionnaires, et vingt-quatre mille ducats de rente étaient assignés à
l'établissement. Un sixième des places vacantes serait réservé aux
élèves des pensionnats établis dans les provinces qui en seraient
dignes, chaque élève, après sa sortie du collège, recevrait cent ducats
par an jusqu'à son mariage, puis une dot de mille ducats. Joachim Murat,
successeur de Joseph, plaça cette maison, par un décret du 21 octobre
1808, sous la protection de la reine sa femme et d'un président qui
serait nommé par elle et qui fut l'archevêque de Tarente, ministre de
l'intérieur[31]. Ce fut le collège d'Aversa, après lequel s'ouvrirent,
dans le même royaume, ceux de S. Marcellino à Naples, de San Giorgio, de
Frasso, de Muratea, de Reggio[32]. Le collège de Milan fut fondé par un
décret de Napoléon, daté de Saint-Cloud, 19 septembre 1808 et ouvert le
3 mars 1811; celui de Vérone fut fondé par un décret du prince Eugène du
8 février 1812 et s'ouvrit le 3 septembre de la même année. Je ne parle
pas du collège de Bologne décrété en même temps que celui de Vérone,
parce que les événements en empêchèrent l'ouverture.

Parmi tous ces collèges, c'est celui de Milan que nous choisirons comme
type, en priant seulement le lecteur de ne pas tirer un argument contre
nous des dates que nous venons de citer: si ces maisons d'éducation
s'ouvrirent bien peu d'années avant le décret de Napoléon, l'œuvre du
fondateur, on le verra, ne tomba pas avec lui.



CHAPITRE III.

Le Règlement du collège de jeunes filles de Milan comparé au Règlement
des maisons de la Légion d'honneur.


Nous avons cité dans un précédent ouvrage un rapport, adressé le 20
octobre 1809, à la reine Hortense, Protectrice des maisons de la Légion
d'honneur, où Mme Campan dit qu'il sortira de ces établissements des
femmes qui porteront l'art d'enseigner dans des maisons fondées sur les
mêmes principes: «Il en existe déjà deux à Naples,» disait-elle; «il va
y en avoir une à Munich, fondée par le roi de Bavière; il y en aura une
incessamment à Milan[33].» Ce fut en effet le Règlement Général
Provisoire de la maison d'Ecouen qui servit de base au règlement du
collège de Milan. Le 20 octobre 1808, Marescalchi, ministre des
relations extérieures du royaume d'Italie, envoya de Paris tous les
documents propres à définir l'esprit des maisons impériales. Toutefois,
si l'on compare la règle adoptée pour le collège de Milan, le 17
décembre 1810, avec le règlement provisoire que nous venons de citer, on
verra que, pour le fond et pour la forme, le prince Eugène et ses
conseillers se sont inspirés de celui-ci, mais ne l'ont pas servilement
copié; on les verra tantôt consultant les besoins spéciaux de l'Italie
oser davantage, tantôt consultant les principes universels du bon sens,
écarter certaines chimères introduites dans la maison de la Légion
d'honneur, d'où un nouveau règlement, daté du 3 mars 1811, ne les
chassera pas.

Voici le texte même du règlement de Milan, car c'est en français qu'on
le trouve rédigé dans les Archives d'État de cette ville, sous le titre
de _Règlement général provisoire du collège des demoiselles_[34]:

Titre Ier.--De l'administration intérieure de la maison.

Article Ier. La Directrice a la direction et la surveillance générale du
collège; la Maîtresse en a l'administration inférieure sous son
inspection.

Art. 2. La Maîtresse est dépositaire de la caisse de la maison; elle ne
pourra faire aucun payement que d'après un mandat de la Directrice; tous
les comptes de la maison porteront en marge de chaque article
l'exposition sommaire de l'objet de la dépense et la date du mandat de
la Directrice.

Art. 3. La Directrice tiendra un registre de tous les mandats qu'elle
donnera à la Maîtresse.

Art. 4. La Maîtresse ne pourra faire aucune dépense sans autorisation de
la Directrice.--Art. 5. L'Econome s'adressera à la Maîtresse toutes les
fois que des achats et des dépenses seront jugés nécessaires, et cette
dernière en soumettra la demande à la Directrice. Cependant la Maîtresse
aura droit d'autoriser les dépenses de nourriture journalière, sauf
ensuite à faire ratifier ces dépenses par la Directrice.--Art. 6. La
Maîtresse rendra compte toutes les semaines à la Directrice de la
situation de la caisse, des dépenses faites et des besoins de la
maison.--Art. 7. La Directrice présentera chaque mois au Conseil
d'administration un compte des dépenses. Ces comptes seront appuyés de
toutes les pièces justificatives, des mandats de payement et mémoires
des fournisseurs. Lorsque les mandats de payement ne seront que pour des
acomptes, on y joindra une note de ce qui sera dû aux
fournisseurs.--Art. 8. Si les sommes allouées dans le budget présomptif
de l'année sont, pour certains articles, insuffisantes ou excédantes, la
Directrice en exposera les motifs et sollicitera du Conseil la
présentation de ses réclamations à Son Altesse Impériale.

Art. 9. La Dame lingère aura la garde du linge de table, de lit et de
corps; elle sera chargée d'en surveiller l'emploi et l'entretien d'après
les instructions de la Directrice et de la Maîtresse, et de régler
également tous les objets relatifs à la buanderie, aux détirages et
repassages.--Art. 10. Elle sera aussi chargée, sous inspection de la
Maîtresse, de la confection, réparation et entretien des habits, et
généralement de l'emploi des fils, soie, etc.--Art. 11. L'Econome, la
Dame lingère et l'infirmière ne recevront aucun des objets confiés à
leur garde sans s'assurer en détail de la quantité et de la qualité des
objets fournis, ainsi que de leur conformité aux différents échantillons
adoptés par la Maîtresse; elles signeront le certificat de
réception.--Art. 12. Ce certificat devra être remis à la Maîtresse et
présenté par elle à la Directrice quand elle demandera le mandat de
payement, et ensuite remis avec ce mandat comme pièce justificative des
comptes.--Art. 13. Les dépositaires exigeront un reçu de tous les objets
qu'elles distribueront et les(_sic_) présenteront à la Directrice ou à
la Maîtresse toute les fois qu'elles en seront requises, pour justifier
de l'emploi des objets confiés à leur garde et de ceux qui restent en
leurs mains.--Art. 14.[35]est dépositaire des comestibles, combustibles
et liquides, de l'argenterie, de la vaisselle, des objets de papeterie
et de divers ustensiles à la maison (_sic_); elle en aura la garde et
elle veillera à ce que leur distribution et consommation soient
conformes aux règles établies.--Art. 15. Chaque classe aura deux
institutrices, dont l'une, appelée surveillante, sera chargée par la
Directrice de tout ce qui est relatif à la police des dortoirs, à la
conduite des élèves à leur récréation, à leur promenade et leurs études
dans les moments d'absence de l'institutrice.--Art. 16. Si la santé de
la Directrice l'oblige à interrompre ses fonctions, le Ministre de
l'Intérieur autorise la Maîtresse à les remplir, et alors une
institutrice aussi choisie par le Ministre remplit les fonctions de la
Maîtresse.

Titre II--De l'éducation et de l'instruction des élèves.

Chapitre 1er.--De la distribution des élèves.

Article 17. Les élèves seront distribuées en quatre classes.--Art. 18.
Les classes seront distinguées par la couleur de la ceinture.--Art. 19.
La première classe portera une ceinture de ruban ponceau, la deuxième
violette, la troisième orange, la quatrième gros vert.

Chapitre 2. Trousseau et costume des élèves.

Art. 20. Le trousseau des élèves est composé ainsi qu'il suit.--Art. 21.
8 chemises, 4 jupons de mousseline épaisse, 2 jupons de tricot de laine
pour l'hiver, 2 camisoles de toile de coton pour la nuit; 4 pèlerines en
percale; 4 fichus montants sans garniture; 6 serre-tête; 12 mouchoirs de
poche; 6 paires de bas gris, 6 paires de bas blancs; 2 bonnets de jour;
4 serviettes en toile fine; 1 châle de tissu, 2 robes de couleur pour
l'uniforme de tous les jours; 2 tabliers de percale noire dont l'un à
manches longues pour l'hiver; 1 caleçon pareil aux robes pour l'hiver; 2
robes blanches pour le grand uniforme; 1 tablier noir en taffetas pour
_idem_; 4 paires de mitaines en percale de couleur, 4 paires de blanches
tricotées; 1 chapeau de paille noir; une paire de souliers par mois; 1
peigne à démêler; 1 peigne fin; une brosse pour les peignes, 2 éponges;
1 corset par an.

Chapitre 3.--Du lever et du coucher.

Article 22. L'été la cloche sonnera le réveil à six heures, l'hiver à
sept.--Art. 23. Les élèves les plus âgées aideront à l'habillement des
plus jeunes.--Art. 24. Les élèves les plus âgées s'habilleront
elles-mêmes et ne seront aidées que par leurs compagnes.

Art. 25. Le coucher sera sonné à neuf heures pendant l'hiver et à dix
heures pendant l'été.

Chapitre 4.--Des prières, de la messe et des vêpres.

Article 26. L'appel des élèves se fait dans chaque dortoir le matin
avant de se rendre à la chapelle et le soir dans les classes.--Art. 27.
Cet appel achevé, chaque institutrice conduit sa classe à la
chapelle.--Art. 28. Toutes les classes doivent y être réunies une heure
après le réveil.--Art. 29. La prière se fera sous l'inspection d'une des
institutrices nommées pour cela.--Art. 30. Cette prière consistera dans
le _Pater_, l'_Ave_, le _Credo_, le _Confiteor_, les commandements de
Dieu, ceux de l'Église et l'oraison pour l'Empereur récitée en italien
par une des élèves. Elle sera terminée par la lecture à haute voix de
l'Epître et de l'Evangile du jour. Chaque jour, le livre de prière
passera à une nouvelle élève; elles entendront la messe tous les
jours.--Art. 31. Il y aura deux messes les dimanches et tous les jours
de fêtes, catéchisme et instruction à la portée des élèves. Les vêpres
seront chantées par les élèves tous les dimanches et fêtes établies par
le Concordat, à l'anniversaire du couronnement et du mariage de Sa
Majesté Impériale.--Art. 32. Il y aura salut le jour de la Toussaint, de
Noël, le premier jour de l'an, le jour des Rois, le jour de Pâques, le
jour de l'Ascension et de l'anniversaire du couronnement de l'Empereur,
le jour de la Fête-Dieu, le jour de la Pentecôte, de l'Assomption et de
la Saint-Napoléon.

Chapitre 5.--Des repas.

Article 33.--De la soupe et des fruits composeront le déjeuner.--Art.
34. Les dimanches, les mardis et les jeudis, le dîner sera composé d'une
soupe, d'un bouilli, d'un rôti, d'un plat de légumes ou d'une salade;
les jours maigres, d'une soupe, d'un plat de poisson ou d'œufs, d'un
plat de légumes et d'une salade.--Art. 35. Le souper consistera en une
soupe au lait ou au riz, un plat de légumes et un plat de fruits.--Art.
36. Les élèves boiront à leur repas du vin mêlé avec l'eau. Suivant leur
tempérament, les plus faibles pourront boire du vin pur.--Art. 37. Le
déjeuner aura lieu à neuf heures; à midi l'on distribuera des morceaux
de pain; à trois heures les élèves dîneront; elles souperont à huit
heures.

Chapitre 6.--Des leçons.

Article 37 bis. Les leçons de grammaire italienne et française, de
géographie et d'histoire seront données l'après-midi.--Art. 33. Chaque
institutrice, dans sa classe, sera chargée de donner des leçons de
lecture et de faire répéter aux élèves les leçons qui auront été données
par les professeurs.--Art. 39. Les leçons de lecture, d'écriture, de
calcul, de musique, de dessin et de danse seront données le matin et
aussi en présence de la Directrice, de la Maîtresse ou de deux
institutrices.--Art. 40. Les livres à adopter pour l'instruction des
élèves seront proposés par la Directrice et approuvés par le Ministre de
l'Intérieur.--Art. 41. La Directrice, sur le rapport des professeurs,
jugera de l'époque à laquelle une élève pourra passer d'une classe dans
une autre.--Art. 42. Les soirées seront occupées depuis cinq heures
jusqu'à sept par les leçons de grammaire italienne et française,
histoire (_un mot illisible_), et depuis sept jusqu'à huit au travail à
l'aiguille.--Art. 43. La Directrice nommera chaque mois une élève de
chaque classe, parmi les plus âgées, pour aider l'infirmière et
apprendre auprès d'elle tout ce qui est relatif aux soins d'une
garde-malade attentive et éclairée. Cette disposition n'aura lieu que
lorsqu'il n'y aura pas de maladies contagieuses et que le médecin l'aura
affirmé.--Art. 44. Les institutrices qui président aux classes noteront
chaque jour la conduite de chaque élève sur un registre à ce destiné. Ce
registre sera présenté tous les samedis à la Directrice.--Art. 45. Les
professeurs noteront sur un cahier, à la fin de chaque leçon, à côté, en
marge du nom de chaque élève, s'il a été content ou mécontent de
l'aptitude ou du zèle de l'élève. Ce cahier sera également présenté à
la Directrice tous les samedis.--Art. 46. Les élèves que la Directrice
jugera capables de s'occuper de la conduite d'un ménage et de tout ce
qui y a rapport seront confiées à la Maîtresse à des heures réglées pour
s'instruire avec elle de tout ce qui sera de son département.--Art. 47.
La même mesure sera prise pour celles qui seraient en âge de prendre
connaissance de tout ce qui concerne la lingerie. Les élèves feront
leurs robes, leur linge et celui de la maison autant que leurs forces le
leur permettront.

Chapitre 7.--Des récréations.

Art. 48. Il y aura une heure de récréation après les leçons du matin,
une heure après le dîner, une heure après le souper.--Art. 49. Les
portiques et le jardin qu'ils entourent sont réservés aux récréations
ordinaires.--Art. 50. Les dimanches, les fêtes et les jeudis, on fera
des promenades dans le grand jardin.

Chapitre 8.--Police de la maison.

Article non numéroté. La Directrice a droit de remontrance envers la
Maîtresse; si celle-ci, malgré les avertissements réitérés de la
Directrice, retombait dans la même faute et que cette faute fût d'un
mauvais exemple pour les élèves et quelle portât préjudice à la maison,
la Directrice serait tenue d'en prévenir le Ministre de
l'Intérieur.--Art. 51. Si la Maîtresse avait à se plaindre des
institutrices, elle porte sa plainte à la Directrice.--Art. 52. La
Directrice a droit de réprimande envers les institutrices. Elle peut
même, dans un cas grave, les suspendre de leurs fonctions, en donnant
toutefois avis de cette suspension dans le même jour au Ministre de
l'Intérieur et en lui en faisant connaître les motifs.--Art. 53. La
Directrice peut punir par la suspension du salaire toutes les personnes
de service et même les renvoyer.--Art. 54. Les clefs du grillon (_sic_)
et des portes d'entrée seront toutes déposées chez la Directrice à neuf
heures du soir en hiver et à dix en été.--Art. 55. Une tournée sera
faite tous les soirs à dix heures et demie par la Directrice ou par la
Maîtresse pour s'assurer si toutes les lumières sont éteintes et si tout
est en ordre.

Art. 56. La Maîtresse, les Dames institutrices, lingère et infirmière
déposeront leurs lettres cachetées dans une boîte fermée qui sera dans
une salle de communauté.--Art. 57. La Directrice aura les clefs de cette
boîte, se la fera apporter et l'ouvrira tous les jours de départ.--Art.
58. Les élèves de chaque classe remettront à leur institutrice les
lettres destinées à leur père ou à leur mère; elles seront sans cachet
et remises à la Directrice par l'institutrice.--Art. 59. Il est
expressément défendu à toutes les personnes attachées à la maison, sous
quelque titre que ce soit, de se charger pour l'extérieur de lettres
adressées par les élèves et de permettre qu'il en soit porté par aucune
personne étrangère à la maison.--Art. 60. Les lettres qui arriveront
pour toutes les personnes de la maison seront remises à la Directrice;
celles adressées à la Maîtresse, aux institutrices, aux employées seront
de suite remises par la Directrice à leur destination. Les lettres aux
élèves ne seront remises qu'après avoir été décachetées.--Art. 61. La
Maîtresse peut sortir quand besoin est pour affaires de la maison, en
donnant préalablement avis de sa sortie à la Directrice.--Art. 62. La
Directrice a seule le droit de visiter les parents des élèves, à moins
que la Maîtresse n'en soit spécialement chargée par la Directrice.--Art.
63. Il est accordé un jour de sortie par mois aux Dames institutrices,
mais elles sont tenues d'être rentrées à huit heures en été et à quatre
en hiver, à moins d'une permission particulière de la Directrice. Les
Dames ne pourront passer la nuit hors du collège qu'avec une
autorisation signée par la Directrice.--Art. 64. Toutes les fois que la
Directrice autorisera une Dame à s'absenter pendant plus de vingt-quatre
heures, elle en instruira d'avance S. E. le Ministre de l'Intérieur et
l'informera du motif pour lequel on lui demande son autorisation.--Art.
65. Les Dames institutrices, lingère, infirmière ne pourront se réunir
que dans la salle de communauté et ne pourront aller les unes chez les
autres que lorsqu'elles y seront envoyées pour affaire de la part de la
Directrice ou de la Maîtresse.--Art. 66. Les unes et les autres ne
pourront recevoir les personnes qui viendront pour elles dans les
parties extérieures du parloir qu'avec une permission de la
Directrice.--Art. 67. Aucune élève ne pourra sortir de la maison sans
être cherchée par son père ou sa mère ou par une femme de confiance qui,
chargée d'une lettre, pourrait les suppléer.--Art. 68. Les parents des
jeunes personnes ne pourront les voir que le jeudi et le dimanche depuis
onze heures jusqu'à trois en hiver, et en été depuis quatre jusqu'à
sept.--Art. 69. L'heure fixée pour la sortie des élèves sera de neuf à
dix; (elles) devront rentrer de sept à huit en été, et de quatre à cinq
en hiver. Le jeudi sera le jour spécialement choisi pour la sortie des
élèves. Il n'en pourra sortir qu'une classe à la fois.

Art. 70. Il est expressément interdit à toutes les élèves d'apporter de
chez leurs parents aucun livre ni papier. En rentrant au collège, elles
seront soumises à la surveillance nécessaire pour s'assurer qu'elles ne
désobéissent point à cette défense.

Art. 71. Aucun présent ne peut être accepté par aucune des personnes
employées dans la maison, quand même le présent viendrait des parents ou
des élèves.--Art. 72. Aucune personne de service de la maison ne peut
recevoir d'étrennes.--Art. 73. Les femmes seules pourront être admises
dans l'intérieur du collège.--Art. 74. Seront exceptés les professeurs,
le Directeur spirituel, le chapelain, le médecin, le chirurgien dentiste
et les ouvriers qui ne pourront être remplacés par des femmes.--Art. 75.
Les professeurs n'auront entrée dans le collège qu'à l'heure fixée pour
leurs leçons, et les autres, que lorsqu'ils seront appelés par la
Directrice. Aucun desdits individus ne pourra d'ailleurs circuler dans
l'intérieur qu'accompagné d'une fille de service.--Art. 76. Les pères et
grands-pères des élèves ne pourront avoir entrée dans l'intérieur du
collège qu'en cas de maladie de leurs enfants et avec une permission du
Ministre de l'Intérieur. Dans toute autre circonstance, ils ne pourront
les voir qu'au parloir.--Art. 77. Les élèves auxquelles la Directrice
permettra de se rendre au parloir y seront accompagnées d'une
institutrice. Elles pourront, avec la permission de la Directrice, être
conduites dans la partie extérieure du parloir, lorsque leur père ou
leur mère viendront les voir.--Art. 78. Cette dernière permission ne
sera jamais accordée lorsque les élèves recevront la visite de leurs
autres parents.--Art. 79. Les jours de fêtes et de cérémonies, la
Directrice, la Maîtresse et les institutrices seront vêtues d'une robe
de soie noire. La Directrice et la Maîtresse auront seules le droit de
la porter traînante.--Art. 80. Les Dames lingère et infirmière seront
aussi vêtues de noir.--Art. 81. L'habillement des filles de service sera
d'étamine et de couleur foncée.--Art. 82. Une institutrice, choisie par
la Directrice pour un mois au plus, sera spécialement chargée de la
police du réfectoire pendant les repas.--Art. 83. La Dame institutrice
chargée de la police du réfectoire sera servie après le dîner
général.--Art. 84. La permission de sortir une fois par mois ne sera
accordée à une élève que par la Directrice et sur le rapport favorable
qui sera rendu de sa conduite et de ses études dans les notes de son
institutrice et de ses professeurs.

Titre III.--Service de santé.

Art. 85. La Dame infirmière sera dépositaire des médicaments
usuels.--Art 86. Lorsqu'elle aura besoin de médicaments qui exigeront
une préparation, elle présentera à la Maîtresse l'ordonnance du médecin
et, sur le vu de cette ordonnance, la Maîtresse en autorisera
l'achat.--Art. 87. Lorsqu'une élève entrera dans le collège, la
Directrice prendra, de concert avec le médecin de la maison, les mesures
nécessaires pour s'instruire avec les parents de la jeune demoiselle des
différentes maladies ou inconvénients que la jeune fille pourrait avoir
éprouvés depuis sa naissance, ou des infirmités qui pourraient
l'exclure.--Art. 88. Le chirurgien dentiste de la maison se concertera
avec le médecin pour les opérations qu'il jugera convenables, et rendra
compte à la Directrice du résultat de leur conférence.

Titre IV.--Dispositions générales.

Art. 89. Le Règlement général du collège, le Règlement intérieur proposé
par la Directrice et approuvé par le Ministre de l'Intérieur et les
décisions du Ministre qui pourraient intervenir seront lus tous les six
mois dans une assemblée composée de la Directrice, de la Maîtresse, des
institutrices, des Dames lingère et infirmière.--Art. 90. Toutes les
fois qu'une décision sera adressée par S. E. le Ministre de l'Intérieur
à Mme la Directrice, cette décision sera lue dans une séance de toutes
les Dames, que Mme la Directrice convoquera. Cette séance doit avoir
lieu dans l'un des trois jours de la réception de la décision.--Art. 91.
La Directrice réglera provisoirement tout ce qui n'est pas déterminé par
le présent Règlement ou par le Règlement intérieur. Elle rendra compte à
S. E. le Ministre de l'Intérieur de toutes les mesures qu'elle aura cru
devoir prendre et, chaque mois, de la conduite des élèves.

Note des livres français:

La petite grammaire de Lhomond; l'abrégé de Rostaut; la grammaire de
Wailly, 11me édition; la syntaxe de Fabre.--Géographie: L'abrégé de
géographie de Guthrie, et, quand il aura paru, celui de Malte-Brun;
l'atlas du précis de géographie universelle de Malte-Brun (il réunit
tout ce qu'on peut demander en cartes anciennes, du moyen âge et
modernes); cosmographie de Mentelle.--Mythologie du Père Jouvency, qu'on
trouve à la fin de l'abrégé de l'histoire ancienne à l'usage de l'Ecole
militaire, de Bass-ville; abrégé de celle de l'abbé Banier.--Histoire:
Abrégé de la Bible, par l'Euy[36], 3 volumes in-8°; éléments d'histoire
générale, par Millot. Précis de l'histoire ancienne, de la république
romaine, des empereurs et du Bas-Empire, par Royou. Histoire
d'Angleterre, par Millot. La vie des hommes illustres, de Plutarque.
Abrégé de l'Histoire universelle, de Bossuet. Le Voyage du jeune
Anacharsis, par Barthélemy. L'Atlas de Le Sage. Eléments de l'histoire
d'Allemagne, par Millot ou par Efele[37]. Histoire de l'Espagne, par
Gaillard. Histoire de Russie, par Voltaire; Histoire de Charles XII, par
le même. Histoire de Suède et de Danemarck, par Vertot. Histoire de
Charles-Quint, par Robertson. Les Oraisons funèbres de Fléchier et de
Bossuet. Le Petit Carême, de Massillon. Précis de l'Histoire de la
Révolution, par Lacretelle; Histoire de France, XVIIIe siècle, par le
même. Les Révolutions romaines, de Vertot. Histoire de France, par
Millot. La Chronologie; de Prévost d'Iray.--Littérature: Le cours de
littérature de Le Batteux. Leçons de littérature, de Noël, à l'usage de
tous les établissements d'instruction.--Poèmes: Le poème de la Religion,
de Racine; l'Homère, traduit par Bitaubé. Les satires de Boileau. Les
poésies sacrées de J.-B. Rousseau. Télémaque. Le théâtre de Racine, le
théâtre de Corneille. Lettres de Mme de Sévigné. Le fablier de La
Fontaine.--Livres de récréation: Don Quichotte, les Voyages de Campe.

Note des livres italiens:

Tous les livres élémentaires de Soave pour les commençants. Le
_Galateo_, de Mgr Della Casa; les _Rivoluzioni d'Italia_, de Denina.
Lettres familières à l'usage des lycées. Lettres d'Ann. Caro. Comédies
choisies de Goldoni. Nouvelles morales du P. Soave. Grammaire de la
langue italienne, du même; livre des Devoirs, du même. Choix des
tragédies d'Alfieri. Anthologie italienne tirée des meilleurs
classiques. Les leçons d'éloquence de Villa. Blair, traduit par le P.
Soave. Lettres du card. Bembo. Lettres familières de Magalotti. La Force
de l'imagination humaine, par Muratori; De la Vraie et de la fausse
Religion, _id._; La Philosophie morale, _id._[38].

Certes, ce Règlement porte la marque du génie de Napoléon: l'esprit,
souvent les expressions, en rappellent celui d'Ecouen, la distribution
en est la même. Convaincu que c'est le bon ordre, c'est-à-dire la
subordination et l'économie qui assure la durée d'un établissement, le
gouvernement français avait tout d'abord fixé la hiérarchie, la
distribution des fonctions, le partage de la responsabilité. Comme lui,
le prince Eugène estima qu'aucune méthode pédagogique ne vaut une forte
discipline et une bonne comptabilité. Mais un examen attentif prouve
qu'il a médité et non copié son texte. En voici un exemple: Napoléon,
quoique très positif jusque dans ses chimères, était obligé de passer
quelques fantaisies sentimentales aux Français de son temps; Lacépède,
grand chancelier de la Légion d'honneur, avait donc pu décider que, tous
les ans, les élèves d'Ecouen planteraient dans le parc deux arbres qui
porteraient le nom des deux demoiselles les plus méritantes et au pied
desquels, plus tard, les mères donneraient à leurs filles une leçon de
reconnaissance envers les bienfaitrices de leur jeunesse, et il avait
soigneusement envoyé au prince Eugène ce supplément de sa façon à la
règle impériale[39]. Les Italiens, qui discernent mieux que nous ce qui
est bon à mettre en vers de ce qui est bon à mettre en pratique,
laissèrent à la maison d'Ecouen le privilège des petites scènes à la
Rousseau. Ils démêlèrent une autre illusion cachée dans une des parties
les plus raisonnables du plan français, dans la partie qui regardait
l'enseignement des travaux domestiques: accordant peut-être un peu trop
de portée à des épigrammes que Mme Campan avait eu, dit-on, la faiblesse
de prendre pour elle et de vouloir faire supprimer[40], les rédacteurs y
avaient donné dans l'encyclopédie et s'étaient imaginé candidement que
leurs élèves apprendraient _tout ce qui peut être nécessaire à une mère
de famille pour la conduite de l'intérieur de sa maison, la direction du
jardinage, la préparation du pain et des autres aliments_; ils n'avaient
pas réfléchi que le temps manquerait dans un cours d'éducation qui
embrassait jusqu'à deux langues vivantes. Le gouvernement italien ne
retint que le principe, qui était excellent, savoir qu'une jeune fille
doit occuper ses doigts et non pas seulement son esprit; qu'une
aiguille entre ses mains est encore plus à sa place qu'un livre, et
qu'elle doit apprendre à soigner les malades et les enfants. Sur ce
point, on retrouvera une pareille sagesse dans un règlement pour la
Maison Joséphine de Bologne, que nous donnerons en appendice.

Même indépendance, même sagacité sur d'autres chapitres. Comme la
vigilance sur les mœurs était encore plus nécessaire alors en Italie
qu'en France, les Italiens redoublèrent de précautions à cet égard: les
lettres des institutrices durent toutes passer, cachetées, il est vrai,
sous les yeux de la directrice; toutes les lettres des élèves, même
celles des grandes et celles qui étaient adressées aux pères et aux
mères durent être lues par elle, précautions qu'en France on n'avait pas
exigées. Le Règlement d'Ecouen ne permettait que quelques tragédies de
Corneille et de Racine et permettait _Paul et Virginie_, la _Chaumière
indienne_: le collège de Milan admit tout le théâtre de Corneille et de
Racine, et rejeta les deux romans de Bernardin de Saint-Pierre. Les
Italiens avaient compris que la peinture des troubles de l'amour
naissant est dangereuse, tandis que la peinture de l'amour cédant au
devoir est morale; ils avaient encore plus facilement compris que
c'était un non-sens de recommander la _Chaumière indienne_ à des jeunes
filles qu'on voulait élever dans celle des religions modernes, qui
s'éloigne davantage du pur déisme. Ils proscrivirent également les
_Saisons_, de Saint-Lambert, où l'on se demande comment les rédacteurs
du plan d'Ecouen avaient pu ne pas apercevoir un sensualisme à peine
voilé. Il n'est même pas impossible que ce soit cette judicieuse
épuration qui ait déterminé le gouvernement français à écarter Bernardin
de Saint-Pierre et Saint-Lambert de la liste remaniée qui accompagne le
nouveau Règlement des Maisons de la Légion d'honneur du 3 mars 1811.

En revanche, comme il était encore plus nécessaire en Italie qu'en
France d'agrandir l'esprit des femmes, de l'ouvrir à tout ce qu'il y a
de fort et de généreux dans les théories du dix-huitième siècle, le
Règlement du collège lombard admit un très grand nombre d'ouvrages
d'histoire qu'on ne trouve pas sur la liste d'Ecouen, et, notamment, le
_Charles-Quint_, de Robertson, à côté du _Discours sur l'Histoire
universelle_, de Bossuet, les livres de Voltaire à côté de ceux de
Vertot. Enfin, l'admission des deux ouvrages de Lacretelle prouve qu'on
voulut, à Milan, que les jeunes filles connussent le siècle de la
philosophie dans ses grandeurs comme dans ses misères, au lieu de le
maudire de confiance.

Pour la liste des auteurs italiens, qui a été dressée d'original,
puisque le Règlement provisoire d'Ecouen n'en parlait pas, quoiqu'il
prescrivît l'étude de la langue italienne, on aura pu être surpris de
n'y voir figurer nommément aucun des grands poètes du treizième et du
quinzième siècles: on s'est fié aux anthologies du soin de les faire
connaître, alors que, pour ceux-mêmes qu'on ne pouvait intégralement
donner à des jeunes filles, on pouvait recourir à des éditions
expurgées; mais on est probablement parti de l'idée que ce n'était pas
surtout de poésie que la nation avait besoin; la gloire de ses grands
poètes ne courait aucun péril et leurs imitateurs ne pullulaient que
trop. On a donc surtout cherché, outre les écrivains épistolaires qui
enseignent à s'exprimer avec élégance, les auteurs judicieux et d'une
morale irréprochable, ceux qui pouvaient le mieux accréditer par la
considération dont ils jouissaient les principes d'une philosophie
raisonnable. Voilà pourquoi l'on prescrivit l'étude des _Lettres
familières_, de Magalotti, réfutation estimable de l'athéisme et œuvre
d'un savant distingué; voilà pourquoi on inscrivit au programme jusqu'à
trois traités de Muratori, dont la piété sincère et libérale
s'insinuerait d'autant plus facilement dans les esprits que la renommée
de sa colossale érudition commandait le respect; enfin, voilà pourquoi
l'honnête Soave y figure. On remarquera enfin que, dans son désir de
retremper les âmes, le gouvernement ordonnait l'étude des tragédies
d'Alfieri; or, le prince Eugène n'ignorait certainement pas la haine
dont Alfieri avait, dans ses dernières années, poursuivi la France et
dont il avait voulu qu'une dernière expression sortît de son tombeau; la
réplique que Ginguené venait d'opposer à un passage de son
autobiographie aurait suffi à rappeler cette animosité furieuse[41]. La
France s'intéressait donc assez sincèrement à la génération nouvelle
pour ne point se venger à ses dépens des pamphlets d'Alfieri sur ses
chefs-d'œuvre, et il faut l'en féliciter d'autant plus que l'omission
d'Alfieri n'eût en aucune façon surpris le public italien, alors
beaucoup moins unanime qu'aujourd'hui en sa faveur et beaucoup moins
habitué à voir enseigner la littérature nationale dans les collèges,
surtout au moyen d'auteurs contemporains.



CHAPITRE IV.

Le personnel: Mme Caroline de Lort, Mme de Fitte de Soucy, Mmes de
Maulevrier, etc.--Libéralité et bonté du prince Eugène; courtoisie et
tact du ministère italien.--Plein succès du collège de Milan.--L'opinion
publique oblige les Autrichiens à le respecter.--La deuxième directrice
française reste en fonctions jusqu'en 1849.


La finesse italienne avait, disions-nous, amélioré l'œuvre du bon sens
français. Mais comme les idées sur lesquelles reposait le fond commun
des deux règlements étaient beaucoup plus répandues chez nous que chez
nos voisins, il importait que les personnes chargées plus spécialement
de les inculquer aux jeunes filles fussent en pluralité françaises. Lady
Morgan exagère lorsqu'elle, dit, dans son _Voyage en Italie_, qu'_il est
de fait que quand ce collège fut établi, il ne se trouvait pas une dame
italienne que son éducation ou son expérience rendît propre à en
accepter la direction_. Nous verrons, en effet, que, pour Vérone, on
rencontra en Italie, quelques années après, une personne fort
distinguée. Toutefois, en 1812 comme en 1808, on croyait sage de
chercher de préférence hors de l'Italie, puisque ce fut une Anglaise,
Maria Cosway, la Vigée-Lebrun de l'Angleterre, à qui Melzi confia la
direction du collège de Lodi, et que, pour Vérone même, on ne prendra
une Italienne que sur le refus d'une Française.

Le prince Eugène demanda donc à notre nation la plupart des dames entre
les mains desquelles il remit le collège de Milan. Mais la France
elle-même ne surabondait pas alors de sujets disponibles. De nos jours,
l'embarras d'un ministre de l'instruction publique n'est pas de pourvoir
aux places qui réclament des sujets capables, mais de pourvoir aux
sujets capables qui réclament des places. Il en était autrement alors.
La Révolution avait dispersé une partie du personnel, et les mécomptes
de l'industrie, du commerce, de l'agriculture, n'avaient pas encore jeté
dans la carrière de l'enseignement ce surplus de gradués des deux sexes
que l'on compte aujourd'hui par centaines ou par milliers, et dont on
désespère d'employer les services, tout en cédant quelquefois à la
tentation de faciliter encore davantage les examens élémentaires qui
ouvrent l'accès de la profession. Sous le premier Empire, il fallait
chercher longtemps les gens à mettre en place. Il fallut attendre le 21
janvier 1809 pour pouvoir nommer une directrice, Mme de Lort; le 4
avril pour nommer la maîtresse, Mme de Soucy; le 9 mars 1810 pour nommer
les institutrices, Mmes Victoire et Hortense de Maulevrier, Clausier,
Smith, Gibert; le 9 décembre de la même année pour nommer les
professeurs hommes, tous Italiens, sauf Garcin, chargé du français et de
la géographie[42].

On aurait probablement trouvé plus vite le personnel féminin, si l'on se
fût adressé aux congrégations religieuses, quelques brèches que la
Révolution eût faites dans leurs rangs. Mais Napoléon estimait qu'il
n'était pas sage de les employer tout d'abord. Il ne repoussait pas
absolument leur concours, puisqu'il permettait à quelques-unes d'entre
elles d'ouvrir des pensionnats privés dans ses États; il laissera
bientôt Joachim Murat autoriser, sous conditions, les religieuses de la
Visitation à recevoir des novices, à établir des collèges, en se
fondant, dira le roi de Naples, sur l'avantage que l'Empire français et
le royaume d'Italie tiraient de cet Ordre pour l'éducation des filles;
il le laissera même assigner à ces religieuses, par un décret du 10
janvier 1811, l'ex-couvent de San Marcellino devenu collège royal:
décision qui, par parenthèse, mit encore une Française à la tête d'un
pensionnat italien, la supérieure des Visitandines de Naples étant alors
Mme Eulalie de Bayanne, d'une noble famille dauphinoise, qui comptait
alors parmi les siens un cardinal[43]; enfin on sait que, quand Napoléon
ajoutera aux maisons d'Ecouen et de Saint-Denis les orphelinats de la
Légion d'honneur, il les confiera aux religieuses de la Mère de Dieu.
Mais il voulait commencer par des laïques, d'ailleurs non engagées dans
les liens du mariage, pour bien établir le caractère de l'éducation
qu'il avait en vue.

Où avait-on été chercher les dames qui allaient surveiller l'éducation
des jeunes Milanaises? Très près et très loin. Les unes, comme Mme
Clausier, que la mort d'un frère administrateur général des vivres
venait de laisser sans ressources, habitaient Milan même; les autres,
comme Mme de Lort qui était de Strasbourg ou de Nancy, venaient de
Paris. On avait dû renoncer à exiger l'expérience de l'enseignement. Mme
de Soucy, qu'avait prêtée la maison d'Ecouen, en avait seule une courte
pratique; peut-être en était-il de même de la directrice, mais je ne
l'affirmerais pas. On n'avait pas davantage pu demander de diplômes, ni
même, comme on en peut juger par quelques lettres conservées aux
Archives de Milan, un respect scrupuleux de l'orthographe. On avait
voulu, avant tout, des personnes qui joignissent à des mœurs
irrépréhensibles une éducation excellente et, autant que possible, une
naissance relevée. Mme Caroline de Lort était comtesse et avait été
chanoinesse dans le chapitre de Bouxières où, pour être admise, il
fallait faire preuve d'antique noblesse; Mme Angélique de Fitte de Soucy
avait été élevée à Saint-Cyr; Mmes de Maulevrier, filles d'un officier
supérieur à qui les événements de Saint-Domingue avaient fait perdre une
fortune considérable, portaient un des grands noms de France.
L'aristocratie fournit également quelques-unes des institutrices qui,
dans les années suivantes, remplacèrent plusieurs des premières
titulaires.

Au prestige de la naissance, Napoléon avait voulu ajouter la
considération qui s'attache aux fonctions bien rétribuées. Dans les
maisons de la Légion d'honneur, sans parler de la surintendante qui
recevait 15,000 francs, une dame dignitaire touchait 2,000 francs, une
dame de première classe 1,200, une demoiselle 600, sommes considérables
pour l'époque, surtout si l'on songe qu'elles étaient toutes entièrement
défrayées. Le gouvernement se montra plus généreux encore envers les
dames du collège de Milan, traitant avec la même faveur celles qu'on
avait trouvées à Milan même et celles qui avaient consenti à s'expatrier
exprès: la directrice fut appointée à 4,000 francs, la maîtresse à
3,000, chaque institutrice à 1,500. Le traitement de la maîtresse était
précisément celui d'un professeur de Faculté dans les Universités
impériales. Enfin, le gouvernement payait sans observation les _cent
louis_ qu'avait coûté le voyage de Mme de Lort.

La plupart de ces personnes, comme il est naturel, avaient postulé les
places qu'elles occupaient. Quelquefois pourtant c'était le gouvernement
qui avait fait les premières démarches, ou plutôt, procédant avec une
rapidité un peu militaire, il nommait, sur la foi de leur renom, des
personnes qui ne s'étaient pas mises sur les rangs. Une lettre du
ministre des affaires extérieures du royaume d'Italie à son collègue le
marquis de Breme, ministre de l'intérieur, montre qu'on avait nommé Mme
de Soucy sans lui faire connaître le traitement qu'elle aurait, la date
à laquelle elle devrait partir, sans lui dire si ses frais de route
seraient payés: «Il est pourtant naturel,» disait Marescalchi, «qu'elle
désire être instruite de choses qui la touchent de si près.» C'est ainsi
qu'en 1813, une dame Rambaldi, qui administrait depuis douze ans
l'orphelinat de Vérone, fut toute surprise de recevoir un décret du 6
janvier qui la nommait institutrice au collège de cette ville, honneur
qu'elle déclina[44].

Mais cette façon expéditive de conférer les emplois ne doit pas faire
mal juger de la manière dont le gouvernement se comportait avec les
directrices et avec leurs subordonnées. Sans doute, au premier abord, on
est un peu étonné, en examinant la correspondance administrative, du
style alors en usage dans les bureaux des ministères italiens; les
décrets du prince y sont qualifiés de vénérables et de très vénérés; lui
adresser une pièce officielle s'appelle _umiliarla_; la réponse qu'il y
fait est dite _abbassata da lui_; on ne lui _offre_ pas sa démission, on
la lui _demande_; il ne l'_accepte_ pas, il l'_accorde_, et ce mot
d'accorder revient à propos de tous ses actes qui semblent autant de
faveurs gratuites. Mais en retour, le ministère, qu'il s'adresse à la
directrice ou à une simple institutrice, s'exprime avec une aimable
courtoisie; les arrêtés de nomination sont quelquefois accompagnés de
gracieux compliments sur les mérites qui ont dicté le choix du
souverain. Les agents du ministère s'inspirent du même esprit: le jour
où le préfet de l'Adige ouvrit le collège des jeunes filles de Vérone,
il remit à la directrice provisoire une médaille d'honneur en signe de
la confiance du gouvernement. On accueillait avec une pareille
courtoisie les familles des élèves: le même préfet, dans la circonstance
que nous venons de rappeler, offrit un banquet, non seulement aux
autorités de la ville, mais aux parents qui étaient venus présenter
leurs enfants[45].

La correspondance officielle atteste que la bonne grâce n'était pas la
seule qualité des ministres de ce temps-là. On est frappé de leur
activité. Par une conséquence du pouvoir absolu, qui n'en compense pas
d'ailleurs les inconvénients, ces ministres qui n'ont à satisfaire qu'un
seul homme, et un homme impérieux mais point capricieux, peuvent donner
tout leur temps aux affaires de leur ressort. Des détails, même fort
minces, passent sous leurs yeux; ils veulent tout savoir et y
réussissent; toute question qu'on leur adresse reçoit une réponse
immédiate, mais ils tiennent à être interrogés.--Mais alors, dira-t-on,
ils se substituent à la directrice et l'annihilent.--Nullement. Vaccari,
successeur du marquis de Breme au ministère de l'intérieur, se montre,
dans sa conduite avec Mme de Lort et avec les institutrices, plein
d'égards, de tact et de bonté. Lorsqu'on fonda le collège de Vérone, on
avait naturellement songé à emprunter à Mme de Lort une de ses
collaboratrices, de même qu'on avait, quelques années plus tôt, demandé
à Mme Campan de donner Mme de Soucy au collège de Milan: «Je ne puis me
décider, avait dit le prince Eugène au ministre, à nommer (à Vérone)
une directrice que je ne connais pas... J'ai donc nommé seulement une
Maîtresse et quatre institutrices. Je vous invite ensuite à voir, avec
Mme de Lort, si elle pourrait nous donner une directrice et deux ou
quatre institutrices. Je ne dis pas que toutes ces personnes fussent
prises dans sa maison, mais je voudrais qu'elle nous en donnât au moins
une et nous indiquât les autres.» Loin d'ordonner, le vice-roi priait.
Le ministre, entrant dans ses intentions, écrivait qu'il espérait
déterminer Mme de Lort à se priver d'une de ses auxiliaires. Or, Mme de
Lort indiqua très volontiers, pour le poste de directrice, une
demoiselle Monnier qu'elle avait connue à Paris et qu'on aurait acceptée
de sa main sans disputer sur les conditions, si cette personne n'avait
décliné la proposition pour raison de santé; mais elle répondit à la
demande de prêter une de ses collaboratrices en faisant observer que son
personnel n'était pas au complet; et, plutôt que de la désobliger, le
ministre recommença ses recherches dans l'inconnu[46].

Encore, dans cette circonstance, Mme de Lort pouvait-elle avoir raison.
Mais ce qui fait particulièrement honneur au ministre, c'est la façon
dont il pénètre, supporte et tempère les défauts qu'elle mêlait à ses
vertus et à ses talents. Le gouvernement avait voulu, pour diriger le
collège de Milan, une grande dame: à certains jours, il put croire qu'il
avait réussi au delà de ses souhaits. Mme de Lort n'aimait pas à
compter; elle aurait voulu qu'on fît tenir les livres de la maison par
un agent spécial, et ce désir se justifie; mais elle aimait la
représentation, et un peu plus qu'il n'était nécessaire. Son voyage,
disions-nous, avait coûté cent louis; c'était beaucoup, si l'on songe
que Mmes de Maulevrier n'avaient à elles deux dépensé pour venir que 884
francs. Quand il s'agit de monter le collège, Mme de Lort réclamait dès
le premier jour, et avant que la maison fût pleine d'élèves, un nombre
considérable de gens de service. Le ministère la ramena doucement à
l'économie.

Ce n'est pas tout: Mme de Lort oubliait facilement sa naissance avec les
enfants, à qui au réfectoire elle coupait elle-même les portions; elle
l'oubliait aussi avec celles de ses collaboratrices qui ne pouvaient à
cet égard élever aucune prétention rivale; elle inspirait en particulier
à Mme Smith beaucoup d'affection et de dévouement; mais, en face de ses
égales, la femme de qualité reparaissait avec les petitesses de son
sexe et les exigences hautaines de sa caste. Elle n'eut pas toujours les
torts de son côté, mais la conduite du ministère n'en était que plus
difficile entre ces dames qui ne se sentaient pas nées pour gagner leur
vie, pour obéir, et qui n'avaient plus ni famille, ni foyer paternel, ni
fortune, ni patrie. Mme de Soucy entra la première en mésintelligence
avec Mme de Lort; mais, frêle, souffrante, Mme de Soucy ne fit point
d'éclat; et, quand elle obtint d'être relevée de ses fonctions, les
élèves purent croire que la maladie seule l'y déterminait. Les yeux
malins de la jeunesse surprirent au contraire les démêlés qui éclatèrent
l'année suivante, en 1812, entre la comtesse de Lort et les dames de
Maulevrier. Mme de Lort accusait les deux sœurs de traiter durement les
élèves; Mmes de Maulevrier affirmaient que la Directrice manquait aux
égards dus à deux personnes de leur rang, ou même simplement de leur
profession; les élèves prenaient naturellement parti contre elles, et un
jour une enfant heurta une de ces dames, sans que cet acte, mis par Mme
de Lort sur le compte de l'inadvertance, fût puni; Mme Victoire de
Maulevrier interprétait comme une bravade une visite de la Directrice à
sa sœur malade, et la mettait plus ou moins littéralement à la porte de
la chambre. La comtesse leur adressait à toutes deux le billet
caractéristique que voici: «Mme la Directrice a l'honneur de prévenir
Mmes de Maulevrier qu'elle a reçu l'ordre de S. E. M. le Ministre de
l'intérieur, de faire servir ces dames dans l'une de leurs chambres où,
par son ordre encore, on leur portera l'ordinaire de la maison, avant ou
après le repas des élèves. Ces dames voudront bien dire à la personne
qui leur remettra ce billet, le moment qui leur conviendra le mieux. Mme
la Directrice croit aussi qu'il pourra leur convenir mieux de coucher
dans la même chambre ou chacune dans la leur, et en conséquence, elle se
dispose à faire porter le lit de Mme Hortense à la place qu'elle
désignera.» Ici, Mme de Lort n'interprétait pas très exactement la
pensée du Ministre: il avait non pas ordonné, mais permis ces mesures,
et il les avait autorisées non par voie de punition, mais pour séparer
les parties belligérantes. Ses lettres montrent qu'il suivait d'un œil
attentif et perspicace ces fâcheux mais inévitables démêlés: dans le
différend de Mme de Soucy avec la Directrice, il avait aperçu que les
prétentions de la première avaient causé la mésintelligence; dans
l'affaire des dames de Maulevrier, où les torts étaient partagés, on le
voit offrir au début sa médiation, puis, s'abstenir sur l'observation de
la Directrice que cette intervention envenimerait le dissentiment; aux
deux sœurs qui s'imaginent que Mme de Lort veut les évincer pour faire
place à ses protégées, il répond sans humeur que, le nombre des
institutrices ne se trouvant pas complet, Mme de Lort n'a pas besoin de
les exclure pour introduire les personnes à qui elle voudrait du bien;
il ne les en protégeait pas moins contre toute représaille et invitait
poliment la Directrice à ne pas permettre aux enfants de s'immiscer dans
le débat. Il ne lui échappe aucun trait de raillerie ou d'impatience. En
Italien qu'il est, il sait prendre son parti de ce qu'on ne peut
empêcher, et ne se flatte pas de faire vivre des femmes dans une paix
éternelle. Il maintient le principe d'autorité en laissant partir Mmes
de Maulevrier comme Mme de Soucy, puisqu'elles ne peuvent s'accommoder
au commandement de Mme de Lort; mais alors même ses égards témoignent
aux innocentes rebelles que les qualités qui leur manquent ne lui font
pas méconnaître celles qu'elles possèdent.

Le prince Eugène, qui est Français, prend les choses plus à cœur: «Le
Ministre,» écrit-il de Moscou le 8 octobre 1812, «fera connaître à Mme
la Directrice que cette affaire m'a affligé et que, pour son propre
intérêt comme pour celui du Collège Royal, je verrais avec beaucoup de
peine qu'il se présentât jamais un troisième événement de la même
nature. Je ne doute pas des torts de Mmes de Maulevrier; mais je me
persuade que, si Mme de Lort eût appelé plus tôt à son secours
l'intervention du Ministre, on aurait prévenu les conséquences que la
mesure _aujourd'hui nécessaire_ (souligné dans le texte) ne peut manquer
d'avoir dans l'opinion publique[47].»

Mais le flegme bienveillant du ministre voyait plus juste que le chagrin
affectueux du prince Eugène. Ces petites brouilles ne portèrent aucune
atteinte à la prospérité de la maison qui frappait tous les regards.
Nous en avons pour preuve, non pas seulement des déclarations publiques
qu'on pourrait suspecter: par exemple le _Giornale Italiano_, en
relatant le 19 avril, le 18 décembre 1811 des visites que la vice-reine
et son mari y ont faites, assure que leurs Altesses se sont montrées
très contentes et ont félicité Mme de Lort. On pourrait prétendre que ce
langage s'adresse au public qu'on veut séduire. Mais voici une lettre
ministérielle du 21 juin 1812 qui n'était pas destinée au public, mais à
Mme de Lort seule: «Ma visite d'hier à votre collège m'a convaincu
encore davantage des progrès que les élèves font dans leurs études,
nouvelle preuve de l'excellente direction que vous savez donner à toutes
les parties de leur éducation. J'ai déjà eu, Madame, l'occasion de me
louer de vous; j'ai même eu récemment la satisfaction de voir comme Son
Altesse Impériale a daigné vous manifester par mon intermédiaire son
approbation pour l'œuvre que vous avez accomplie.» Une gratification de
deux cents francs pour chacun des professeurs du collège accompagnait
cette lettre et en corroborait irréfragablement la sincérité.

Le public en jugeait comme l'autorité; car il sollicitait les places
payantes avec autant d'empressement que les places gratuites; et c'est
pour répondre à cette disposition si flatteuse que l'on décida la
fondation des collèges de Vérone et de Bologne où, toutefois, puisqu'il
ne s'agissait plus de fonder dans la capitale du royaume une institution
modèle, on ménagerait le trésor public et la bourse des familles: ces
collèges devaient donner une instruction un peu moins étendue; le prix
de la pension y était fixé à six cents francs au lieu de huit cents, et
chacun des deux recevrait, non plus seulement cinquante élèves comme le
collège de Milan, mais cent, dont moitié, comme à Milan, à titre
gratuit. Le personnel de ces deux collèges de second ordre devait
toucher des appointements un peu inférieurs; (1,000 francs pour la
Directrice, 800 francs pour la Maîtresse, 600 pour chaque
institutrice); et on ne le faisait plus venir d'au delà des Alpes. On
avait pourtant cette fois encore, nous avons eu occasion de le dire,
cherché hors du royaume, au moins pour Vérone; on avait aussi songé à
confier le collège de cette ville à des religieuses salésiennes qui
auraient à cet effet quitté Roveredo; le préfet de l'Adige fut sans
doute fort heureux quand on abandonna ce dernier projet; car dans son
discours d'ouverture, on trouve un passage qu'on croirait d'hier sur
_l'insuffisance babillarde de vierges voilées qui, privées du doux nom
de mères, en pratiquaient mal les fonctions puisqu'elles en ignoraient
les sentiments et les devoirs_[48]. Mais en somme l'esprit et les
méthodes demeurèrent les mêmes qu'à Milan. On apporta les mêmes soins au
choix de la Directrice, et, pour la seule des deux maisons qui s'ouvrit,
celle de Vérone, on en rencontra une fort estimable dans la personne
d'Amalia Guazza qu'on avait nommée Maîtresse le 13 juillet 1812 et que
l'on mit le 6 janvier 1813 à la tête de l'établissement: «Le préfet de
l'Adige, avait dit le ministre, donne les meilleures informations tant
sur le zèle qu'elle a déployé dans les premiers temps de l'installation
du collège, suppléant presque à elle seule à l'absence des
institutrices non encore parvenues à leur destination, que sur son
habileté peu commune à s'acquitter des charges difficiles qui lui
étaient confiées. Il dépeint de la manière la plus avantageuse sa
manière de se présenter, son amabilité qui lui a gagné l'affection de
toutes les élèves alors qu'elle maintenait dans le collège la plus
exacte observance de la Règle[49].»

Le collège de Vérone rencontra dans le public la même faveur que celui
de Milan.

Mais, dira un sceptique, qui sait si en mettant leurs filles dans ces
collèges, les pères n'entendaient pas uniquement faire leur cour à
Napoléon, ou s'ils n'obéissaient même pas aux injonctions de ses agents?
M. Tivaroni n'affirme-t-il pas qu'on ordonnait aux nobles romains
d'envoyer leurs enfants dans les lycées de Paris? Nous répondrons par
des faits positifs. D'abord il suffit si peu de la volonté déclarée du
gouvernement le plus absolu pour peupler un collège, que nous avons vu
l'établissement de Mme Laugers demeurer vide malgré les titres dont on
le décorait, malgré les subventions et un changement de local; ce n'est
ni l'adulation ni la crainte qui font la prospérité d'une maison
d'éducation, c'est la confiance fondée sur l'estime. À Parme,
l'administration française était dirigée par un préfet d'un zèle
intempérant qui s'était mis en tête de communiquer au collège de
Sainte-Catherine, dit collège des nobles, son enthousiasme pour
Napoléon; il en invitait à ses brillantes soirées les sujets les plus
méritants; il faisait jouer par les élèves des pièces militaires, _Le
Dragon de Thionville_, _La Bataille d'Austerlitz_; comme il n'est pas
très difficile d'échauffer l'imagination de la jeunesse, surtout quand
on lui parle au nom d'un victorieux, il avait assez bien réussi auprès
d'elle; ses comédiens imberbes avaient joué avec une verve qui charmait
l'état-major; mais les familles n'entendaient pas que l'on transformât
le collège en prytanée militaire. Elles redemandèrent leurs enfants.
Quelques-uns de ceux-ci protestèrent. Quand le prince romain Spada
envoya réclamer ses trois fils, modèles de bonne conduite, l'aîné qui
était le plus âgé du collège «tint avec ses deux frères un petit conseil
de famille, à la suite duquel il fit connaître à l'agent de sa maison
qu'il ne croyait pas convenable de retirer ses jeunes frères du collège,
et que, comme leur aîné, il ne pouvait y consentir, qu'au reste, son
père ne les réclamant que sur les calomnies et les bruits répandus
contre le collège, il conviendrait qu'il vînt s'éclairer par lui-même de
la vérité, et que l'intérêt de ses enfants devait suffire pour le
déterminer.» Mais en vain l'obstiné préfet signifia qu'une fois admis au
collège, on n'en sortait qu'à la fin des études: les parents employèrent
les larmes des mères, les recommandations des ambassadeurs,
l'intervention des ministres: il fallut rendre un à un bon nombre
d'élèves, et l'on vit l'instant où il ne resterait plus personne dans le
collège[50]. L'insuccès du préfet de Parme, comme celui de Mme Laugers,
prouve que le succès de nos collèges de jeunes filles était mérité.

Un autre fait que j'ai annoncé par une allusion anticipée, prouvera
combien l'opinion publique était attachée à nos collèges: ce fut elle
qui les sauva en 1814, ce fut elle qui obligea l'Autriche à les
respecter et qui par là leur permit de donner tous les fruits qu'on en
pouvait attendre.

La haine des restaurateurs de l'ancien régime contre les Français
s'étendait en effet jusqu'aux établissements d'ordre pédagogique ou
scientifique fondés par nous. Ainsi, en Toscane, Napoléon avait vivifié
un Musée de physique et d'histoire naturelle qui datait de 1775; il
l'avait employé à propager par la parole et par la plume les
connaissances nouvelles, si bien qu'on avait publié un premier volume
d'Annales en 1808, un deuxième en 1810: le gouvernement du grand-duc,
non seulement ne pressa pas la continuation de ce recueil dont le
troisième volume ne parut qu'en 1866, mais supprima les chaires du
Musée[51]. En Lombardie, les Autrichiens établirent en principe, par un
décret du 31 mai 1814, que tous les membres étrangers du corps
enseignant quitteraient leurs fonctions, sauf les exceptions qui
paraîtraient nécessaires. L'application de ce principe eût entraîné la
fermeture immédiate du collège de Milan, puisque, comme le montrait le
tableau du personnel, demandé en cette occasion à Mme de Lort, la
directrice, la maîtresse et trois institutrices au moins sur six,
étaient françaises. Mais Paolo De Capitani, chargé du portefeuille de
l'intérieur, représenta, dès le lendemain 1er juin, cette conséquence à
la régence du gouvernement provisoire, ajoutant que l'établissement
jouissait de la pleine faveur du public, _gode tutto il favore del
pubblico_[52], et les Autrichiens eurent le mérite d'ordonner que le
personnel serait provisoirement maintenu: ils se bornèrent à cet égard à
remercier, par raison d'économie, deux institutrices, les deux dernières
venues: ce fut donc le hasard seul qui fit tomber cette mesure sur deux
Françaises, Mmes Valentine Duhautmuid ou Dehuitmuid et Jasler de
Gricourt, qui reçurent même une indemnité[53].

L'enquête à laquelle les Autrichiens procédèrent ensuite les amena, au
cours de l'année suivante, à émettre le plus honorable témoignage en
faveur de l'institution: «Le gouvernement,» disait le rapport, «devant
rendre justice aux soins de la directrice et à la sagesse des
règlements, ne peut que se déclarer extrêmement satisfait en toute chose
de la marche de cet établissement.» Cette déclaration si flatteuse du
gouvernement s'accorde de tout point avec le vœu de l'opinion publique
et le respectable suffrage des pères et mères de famille des classes les
plus distinguées, qui considèrent comme une faveur insigne d'obtenir
pour leurs filles une place dans le collège, même contre payement de la
pension entière[54].» Le local, sur le choix duquel le gouvernement
français avait longtemps réfléchi avant de s'arrêter au couvent de
Saint-Philippe de Neri, lui paraissait des mieux appropriés à la
destination. Bref, le 8 juillet 1816, Mme de Lort fut informée, par
l'intermédiaire de M. d'Adda, que le collège était définitivement
conservé: «Le gouvernement,» disait le haut fonctionnaire, «a le plaisir
de vous notifier que Sa Majesté impériale et royale, dans sa parfaite
clémence, daigne approuver la conservation du collège impérial et royal
des jeunes filles, si avantageusement confié à votre sage direction,
_alla di Lei saggia direzione tanto vantaggiosamente affidato_;» et ils
résolurent d'augmenter le nombre des places payantes[55].

L'enthousiasme d'une Anglaise va nous expliquer la satisfaction des
Allemands. Voici le récit que lady Morgan nous a laissé de sa visite au
collège de Milan. Après avoir rappelé que Mme de Lort, femme d'un mérite
distingué et d'une conduite irréprochable, avait présidé à la fondation
du collège, elle ajoute: «Depuis, nous recherchâmes toujours l'occasion
de jouir de sa société. Comme il n'existe aucune école de ce genre en
Angleterre, il est impossible d'en donner l'idée par aucune comparaison;
mais sous les rapports essentiels du bon air, de l'espace, de
l'élégance, de la propreté, des soins et du bon ordre, il est impossible
de surpasser cet établissement. Le couvent de Saint-Philippe de Neri
ressemble à un château royal; ses arcades, surmontées de galeries
ouvertes, entourent un jardin superbe et parfaitement cultivé. Les
dortoirs sont très grands et pourvus de cabinets de toilette abondamment
fournis d'eau par de belles fontaines.» Je passe ici quelques détails
sur les dortoirs et l'infirmerie. «Des bains chauds et froids y sont
attenants. La lingerie est une grande pièce remplie de tout ce qui est
nécessaire pour l'habillement d'une femme, fait par les élèves pour leur
propre usage; mais les matériaux sont fournis par la maison. Une autre
chambre contient les ouvrages d'agrément. Chaque classe a des
appartements séparés qui donnent tous sur le jardin, et le désavantage
d'un air chaud et renfermé, si commun même dans nos meilleures écoles,
est ainsi réellement évité. Nous vîmes des groupes d'enfants courant
d'une classe à l'autre à travers des orangers et des buissons couverts
de fleurs, chacune avec son petit chapeau de paille et son panier au
bras. Nous les vîmes ensuite rassemblées dans une belle salle, d'où
elles se rendirent au réfectoire autour d'un excellent dîner. Quand Mme
de Lort entra, plusieurs des plus petites se pressèrent auprès d'elle et
reçurent un moment des caresses ou quelques marques d'affection et de
familiarité. Elle leur parla en français à toutes pour nous montrer
leurs progrès, et les fit rire de bon cœur des méprises qu'elles
faisaient. L'italien est soigneusement cultivé et l'on permet le moins
possible l'usage du milanais. Les études sont très libérales et doivent
choquer la plupart de leurs grand'mères, qui apprenaient à peine à lire
et à écrire et qui voient leurs illustres descendantes, que leur
naissance devait condamner à l'insipidité et à l'indolence, occupées à
couper des chemises ou à faire des corsets, à inventer des formes de
robes et à raccommoder des bas, instruites dans tous les détails que
doit connaître une maîtresse de maison et combinant ces devoirs
domestiques avec l'étude des langues, les arts, les sciences et la
littérature[56].»

À la vérité, les Autrichiens opérèrent bientôt, le 1er août 1818,
quelques changements dans la maison; mais ces changements ne portèrent
guère que sur les exercices religieux, le choix des livres et les
relations de la Directrice avec l'autorité. Napoléon, tout en inculquant
fortement l'habitude de la piété aux jeunes filles, les tenait en garde
contre le mysticisme: il spécifiait des prières purement canoniques: le
règlement autrichien porta, au contraire, que la prière commune serait
ou composée ou tirée exprès de quelque bon livre de spiritualité; il
prescrivit une huitaine de manuels de dévotion. La liste des ouvrages de
pure littérature fut notablement réduite, malgré l'adjonction naturelle
sous un empereur d'Autriche de la langue et de la littérature de
l'Allemagne; elle se composa seulement des ouvrages suivants:
Anthologies italiennes à l'usage des humanités supérieures, des
humanités inférieures, des classes de grammaire; Lettres des meilleurs
écrivains italiens choisies par Elia Giardini, Lettres sur le chant de
Minoja, Lettres familières (en italien également). Fables de La
Fontaine, de Gellert, de Lessing, de Gessner. Contes moraux (en
allemand) de Filippi; Œuvres diverses pour la jeunesse (en allemand) de
Campe; enfin, comme ouvrages de divertissement, Berquin en italien et en
français, les ouvrages sacrés de Métastase, les Nouvelles Morales de
Soave, les Contes Moraux de De Cristoforis. La liste des ouvrages
d'histoire fut encore plus réduite. Plutarque, par exemple, le Voyage
d'Anacharsis, les ouvrages de Robertson, de Voltaire, de Lacretelle,
ceux même de Fléchier, de Bossuet disparurent, aussi bien que Boileau,
Racine, Corneille, Mme de Sévigné, Cervantès, Goldoni et Alfieri. Enfin,
tandis que sous l'Empire, la Directrice était en communication directe
et constante avec le ministère, le collège fut désormais placé sous la
surveillance d'un curateur choisi dans l'aristocratie lombarde, le comte
Giovanni Luca della Somaglia, qui eut plus tard pour successeur le comte
Giovanni Pietro Porro d'abord, le comte Renato Borromeo ensuite.

Mais la timidité d'esprit qui avait dicté tous ces changements
n'empêchait pas le gouvernement autrichien de subir l'ascendant de la
pensée qui avait présidé à la fondation du collège: le régime intérieur
de la maison demeura identiquement le même, sauf que, d'accord avec la
Directrice, on espaça davantage les sorties des élèves et que les
visites des parents furent assujetties aux usages des couvents. On
n'emprunta rien au collège de filles, fondé à Vienne, rue Abster, par
Joseph II, bien qu'on eût un instant expédié d'Autriche la règle de ce
collège dans la pensée de l'appliquer en Lombardie. Les élèves admises
à titre gratuit continuèrent à être traitées sur le même pied que les
autres: à Vienne, celles des jeunes filles qu'on admettait gratuitement
s'engageaient à se vouer pour six ans à l'instruction publique,
engagement fort honorable dans une École Normale où tous le prennent,
mais distinction fâcheuse dans une maison où les pauvres seuls y sont
soumis. À Vienne, les élèves payantes s'entretenaient elles-mêmes; à
Milan, la maison continua à se réserver le moyen de maintenir
l'uniformité du costume. Les habitudes démocratiques, ou, si l'on aime
mieux, viriles, furent maintenues: les grandes élèves durent, comme par
le passé, s'habiller seules ou sans autre aide que celle de leurs
compagnes, aider à tour de rôle l'infirmière pour apprendre à soigner
les malades, faire leurs vêtements, leur linge et celui du collège.
Enfin, si la littérature et la philosophie françaises n'occupèrent plus
la même place dans les programmes, c'étaient une directrice et une
Maîtresse françaises qui continuaient à diriger la maison. Pour les
simples institutrices, si la pluralité avait bientôt cessé de nous
appartenir, si, pour celles qu'on ne prenait pas en Italie, on chercha
peut-être plutôt à Genève ou en Savoie, on n'exclut jamais
systématiquement nos compatriotes.

C'est même chose curieuse que le soin avec lequel les Autrichiens
s'abstiennent d'ordinaire de toucher aux usages de ce collège. Nous
avons dit que la raison d'économie leur avait fait, en 1814, remercier
deux institutrices; cette question de l'économie revint plusieurs fois,
car le collège, comme la plupart des établissements publics, coûtait
plus qu'il ne rapportait; néanmoins on voit François II, en 1818,
déclarer qu'il n'y a point lieu à réduire les dépenses de la maison, et,
détail plus piquant, la Direction impériale et royale de comptabilité
elle-même batailler en 1828 contre la proposition de réduire les
appointements des institutrices à nommer par la suite. «Il fallait avoir
égard,» disait-elle, «aux branches d'enseignement qu'on cultivait dans
ce collège, au degré éminent, aux conditions toutes particulières où il
est placé.» Si cette réduction passa l'année suivante, c'est que le
curateur, fort bien intentionné pour la maison, l'appuya par un argument
fort plausible: il fit remarquer que des appointements très élevés,
offerts à des personnes souvent très jeunes (et quinze cents francs,
pour des femmes nourries et logées, étaient alors en effet une assez
grosse somme) amenaient quelquefois au collège des personnes fort
honnêtes, mais sans vocation véritable, qui n'y restaient que le temps
nécessaire pour amasser un peu d'argent. Enfin l'Autriche eut le mérite
de comprendre que, tandis que la conformité de notre langue avec
l'italien en rendait l'étude attrayante à de jeunes italiennes,
l'allemand semblerait toujours à la plupart d'entre elles un _pensum_
désespérant; aussi, tout en en prescrivant l'étude, ne l'imposa-t-elle
qu'aux élèves les plus avancées, alors que le français, comme l'italien,
s'apprenait dans toutes les classes. Ce fut sans doute par inadvertance
qu'elle supprima dans la liste des livres l'histoire spéciale de
l'Allemagne, en maintenant celle de la France, mais le fait qu'une
pareille inadvertance ait été commise est déjà significatif[57].

Avouons que les Autrichiens eurent du mérite à conserver, même en la
modifiant, une institution du vainqueur de Marengo, d'Austerlitz et de
Wagram! Ils en furent récompensés par la prospérité du collège. Dès
qu'ils avaient mis quelques nouvelles places payantes à la disposition
des familles auxquelles Napoléon n'en offrait que vingt-six sur
cinquante, celles-ci en avaient profité; en 1821, outre les vingt-quatre
élèves gratuites, on eut trente et une élèves payantes, trente-neuf en
1822, quarante-six en 1824 et 1825, accroissement qui élevait la
population totale du collège de cinquante à soixante et onze élèves. Ces
chiffres étaient considérables pour l'époque; car voici la population
des collèges de jeunes filles en 1817 pour la Lombardie d'après
l'Almanach officiel de la province: collège des Salésiennes à Alzano, 65
élèves; collège de Brescia, 14; collège des Salésiennes de Salo, 15; id.
de Côme, 44; collège de Crémone, 12; de Mantoue, 13; à Milan, le collège
des Salésiennes ne compte que 46 élèves et le collège de la Guastalla
réservé aux filles nobles ne comprend, outre ses 24 élèves gratuites,
que 9 payantes. Ce dernier chiffre est fort intéressant, car il prouve
que l'aristocratie lombarde préférait à cette maison purement nobiliaire
l'établissement fondé sur le principe de l'égalité. Ajoutons que ce
n'était pas seulement la partie libérale de la noblesse qui appréciait
ce dernier: on s'attendait bien que le comte Luigi Porro Lambertenghi,
dont les fils eurent Silvio Pellico pour précepteur, y mettrait ses
filles[58]. Mais les partisans, les représentants même de la
restauration de l'ancien régime souhaitaient aussi d'y placer leurs
enfants, témoin le marquis Alfieri di Sostegno, ambassadeur de Sardaigne
à Paris et jadis otage de la France, qui sollicita et obtint en 1815 d'y
faire élever sa fille[59].

Le nombre des élèves du collège diminua un moment vers 1828; mais il se
releva bientôt, puisque le curateur, dans un rapport du 28 février 1834,
demanda qu'on agrandît un peu les dortoirs pour que deux élèves de plus
pussent venir se joindre aux quatre-vingts que la maison comptait alors.
Quant à la diminution momentanée, il l'avait expliquée en juin 1829
d'une manière fort honorable pour le collège, tout en signalant quelques
réformes à y introduire; c'était, disait-il, l'effet de l'ouverture de
beaucoup de pensionnats particuliers à Milan et en Lombardie et des
services mêmes rendus par le collège, beaucoup d'anciennes élèves se
sentant capables d'élever leurs filles chez elles[60]. Le collège
n'avait pas été davantage étranger à cette élévation du nombre des
pensionnats en Lombardie qui avait plus que doublé, comme on peut le
voir en comparant l'Almanach officiel de 1828 à celui de 1817; car, dès
le 5 juin 1813, le gouvernement français avait cru devoir prémunir le
public par la voie du _Giornale italiano_ contre une sorte de
contrefaçon.

Les Rapports annuels qui constataient la prospérité de notre collège
l'attribuaient tous à la bonne tenue de la maison, aux progrès des
élèves: «L'établissement,» dit, par exemple, celui de 1824-1825, «est
florissant au même degré que les années précédentes, comme le montrent
le nombre des élèves et leurs progrès tant dans les mœurs que dans
l'instruction civile et religieuse; les examens semestriels de 1825 en
ont fourni une preuve publique. Pour les professeurs et la Maîtresse, on
ne peut que se louer de leur zèle et de leur conduite régulière et
subordonnée[61].» Aussi le gouvernement autrichien donna-t-il à la
Directrice un gage public de son estime en lui conférant l'Ordre de la
Croix étoilée, «destiné à des dames nobles qui, se consacrant surtout
au service et à l'adoration de la croix, s'adonneraient de plus à la
vertu, aux bonnes œuvres et à la charité[62].» Il est vrai que l'âge de
Mme de Lort et sa santé depuis longtemps ébranlée lui conseillèrent
bientôt après la retraite. Mais, quand elle obtint son congé, à
soixante-quatre ans environ, au début de septembre 1828, le collège
était sur un trop bon pied pour en souffrir. Mme Henriette Smith, qui
appartenait à la maison depuis dix-huit années, qui depuis le 20 mars
1812 y remplissait les fonctions de Maîtresse, qui avait toujours vécu
en parfaite intelligence avec la Directrice et l'avait suppléée avec
dévouement, avec habileté durant ses absences et ses maladies, fut
nommée à sa place le 24 août 1829, après avoir encore une fois exercé la
fonction par intérim.

Les documents qui subsistent ne permettent pas d'instituer le parallèle
de la première et de la deuxième Directrice. Tout ce que l'on peut
conjecturer, c'est que la seconde, si elle n'avait ni les qualités ni
les défauts d'une comtesse, possédait une aptitude plus marquée pour se
mettre à toute espèce de travaux: ainsi, elle emploie au besoin
l'italien dans sa correspondance officielle, tandis que Mme de Lort
répondait toujours en français aux lettres écrites en italien; elle se
déclarait prête à tenir la comptabilité de la maison, tâche que Mme de
Lort avait toujours déclinée autant qu'elle l'avait pu. Quoi qu'il en
soit, l'autorité marquait pour l'une et pour l'autre une égale estime et
leur attribuait à toutes deux une grande part dans la prospérité du
collège.

La seconde et dernière Directrice française administra la maison encore
plus longtemps que n'avait fait la première; car elle resta en activité
jusqu'à la fin de 1849[63]. Je ne sais si c'est la mort ou le besoin de
repos qui l'enleva à ses fonctions et si elle a vu le retour du drapeau
français dans la capitale de la Lombardie; mais je suis du moins
content pour elle qu'elle ait vu les journées de mars 1848, date
glorieuse et pleine de promesses à laquelle les fils et les frères de
ses élèves en avaient une première fois chassé les Allemands.

Elle emporta une autre satisfaction, celle de laisser le collège dans
une prospérité qui dure encore aujourd'hui dans le nouveau local de la
_via Passione_.



CHAPITRE V.

Les collèges de Vérone, de Lodi, de Naples, encore aujourd'hui, comme le
collège de Milan, vivants et prospères. Les patriotes italiens et les
voyageurs d'accord avec Stendhal pour reconnaître que la fondation de
ces collèges a puissamment contribué à relever le cœur et l'esprit de la
femme en Italie.


Le collège de Vérone n'avait pas couru les mêmes dangers, précisément
par les raisons qui nous ont fait prendre de préférence le collège de
Milan pour objet de notre étude: le personnel en était italien, et le
plan d'études moins étendu; il pouvait donc moins inquiéter l'Autriche.
Toutefois, comme nous l'avons dit, on y appliquait le même système
d'éducation, sinon d'instruction, qu'à Milan. Il avait donc, lui aussi,
de quoi déplaire. Mais il faut croire que lui aussi il fut sauvé par les
services qu'il rendait: ici encore, en effet, les Autrichiens
maintinrent en fonctions le personnel nommé par le prince Eugène et
laissèrent en vigueur la règle primitive jusqu'en 1837; encore ne
touchèrent-ils jamais aux points essentiels, à ceux qui pouvaient le
mieux retremper le caractère et réformer les mœurs du sexe féminin en
Italie; on peut s'en convaincre en lisant un récit succinct des
vicissitudes de ce collège, que le gouvernement italien a publié en
1873[64]. Car ce collège, comme celui de Milan, est toujours vivant et
prospère. Nous renvoyons à cette histoire sommaire qui achèvera de
montrer la solidité de cette œuvre de Napoléon. Détachons-en seulement
une note de la page 4, qui rend un glorieux témoignage de l'excellence
du choix fait par le prince Eugène pour la direction de l'établissement:
«C'est une dette de reconnaissance de rappeler le nom de la première
Directrice, qui fut Mme Amalia Guazza, et dont les éminents services ont
laissé dans le pays et dans la maison le plus cher, le plus impérissable
souvenir. Entrée au collège à l'époque même de la fondation, et nommée
Directrice effective par décret du 6 janvier 1813, elle soutint cette
charge difficile pendant plus de quarante années et l'exerçait encore
lorsqu'elle mourut le 30 juin 1854.»

Le collège de Lodi fut également conservé: quand lady Morgan le visita
dans les premières années qui suivirent la chute de Napoléon, Maria
Cosway avait été rappelée en Angleterre par des affaires domestiques, et
une autre dame le dirigeait; mais il était florissant comme il l'est
encore aujourd'hui. Lady Morgan, qui attribue à Maria Cosway _tous les
talents, toutes les qualités qui peuvent rendre une femme accomplie_, y
dit que sous sa direction ce pensionnat était devenu et restait _une des
meilleures maisons qui existent en Italie et peut-être en Europe_. Ce
qu'elle ajoute prouve que, sauf quelques modifications sur l'article du
parloir, les Autrichiens avaient laissé subsister la règle de la maison
émanée du même esprit que celle du collège de Milan, quoique visant à
une éducation moins complète: «Le costume est uniforme, simple et propre
sans recherche. L'instruction est la même pour tous, excepté la musique,
la danse et le dessin que l'on n'enseigne qu'à celles dont les parents
sont de rang à nécessiter des talents de ce genre. Elles apprennent des
ouvrages d'aiguille utiles et l'économie domestique, de manière à
pouvoir, en rentrant dans leur famille à l'âge de quatorze ans, tenir
des livres de commerce ou conduire une maison. L'écriture,
l'arithmétique et le style épistolaire sont particulièrement soignés, et
la géographie, la grammaire et l'histoire enseignées à fond[65].»

L'œuvre française dont nous retraçons l'histoire désarma jusqu'à la
haine plus aveugle encore des Bourbons de Naples. Caroline Murat, qui
avait pris à cœur l'établissement placé sous sa protection, avait,
dit-on, en quittant le royaume, répété à tous les Napolitains qui lui
faisaient leurs adieux: «Conservez mon école, veillez sur les _Miracoli_
(ex-couvent de Naples dans lequel on avait transporté le collège
d'Aversa)!» Son vœu fut exaucé. Le roi Ferdinand Ier montra sa mauvaise
humeur en refusant de visiter l'établissement; mais le 6 novembre 1816,
il le confirma _quoique élevé par l'envahisseur_. Pietro Colletta
constate avec joie, dans son Histoire du Royaume de Naples, que cette
maison, fondée par Joseph et Joachim, «après avoir grandi sept années en
mérite, en importance, et en renommée,» a été conservée avec la règle
originelle. Ce que lady Morgan, dans sa relation de voyage, appelle de
grands changements, se réduisit à l'adjonction d'un professeur de
catéchisme et à quelques modifications dans les rapports entre les
parents et les familles; la règle intérieure fut maintenue[66].
Aujourd'hui encore deux des trois collèges qui existent à Naples sont
établis l'un aux Miracoli, l'autre à San Marcellino. Les noms de la
princesse Maria Clotilda, de la reine Maria Pia, qu'ils portent
présentement, ne suffisent pas à faire oublier les véritables
fondateurs.

Je le demande maintenant: s'il est vrai que de pareils établissements
eussent partout produit de bons effets, combien ne furent-ils pas
efficaces, nécessaires, chez un peuple qui commençait à vouloir se
relever de sa décadence, mais où l'instruction et l'éducation des femmes
étaient dans le délaissement que nous dépeignent les historiens
italiens? À une éducation qui entretenait la mollesse, les préjugés de
caste, l'ignorance, où la piété même ne tournait pas au profit de la
vertu, ils avaient substitué une éducation qui reposait sur une piété
agissante et éclairée, qui enseignait que le mérite seul établit des
différences entre les hommes, qui préparait, non plus des femmes sans
défense contre les surprises du cœur, sans intérêt pour les idées
généreuses, mais les épouses et les mères des patriotes qui ont relevé
l'Italie. Si Parini, si Alfieri avaient pu voir ces nouveaux principes
appliqués pendant quarante années par les personnes mêmes que les
fondateurs avaient reconnues dignes de les répandre, s'ils avaient pu
voir l'élite de la société solliciter le bienfait de cette éducation
pour ses filles, avec quelle éloquence, avec quelle émotion
n'auraient-ils pas béni un pareil symptôme de régénération, et l'auteur
du _Misogallo_ n'eût-il pas avoué ce que proclamait Stendhal, que les
collèges de jeunes filles institués en Italie par le gouvernement
français _ont eu la plus salutaire influence_?

Nous objectera-t-on que Stendhal était Français, que nous faisons parler
à notre guise Alfieri et Parini? En ce cas, nous laisserons le dernier
mot à deux témoins dont on ne suspectera pas l'impartialité et dont on
ne nous accusera pas d'interpréter arbitrairement le silence; car ils
sont tous deux étrangers, et ils se sont prononcés avec une précision
catégorique. Ecoutons d'abord lady Morgan: «De tous les bienfaits que la
Révolution a conférés à l'Italie, celui dont les favorables effets
dureront le plus longtemps, est un système d'éducation pour les femmes
plus libéral, élevé sur les ruines d'un bigotisme dégradant.» Ecoutons
enfin un patriote italien: Colletta, dans le passage précité où il nous
apprend que le collège des Miracoli survécut à la réaction bourbonienne,
déclare que cette maison a contribué et contribue encore puissamment à
rendre meilleures les mœurs domestiques, à former beaucoup de vertueuses
épouses, de mères prévoyantes, affectionnées aux joies de la famille: _è
stata ed è potente cagione dei costumi migliorati delle famiglie e
dell'incontrarsi spesso virtuose consorti, provvide madri amorose delle
domestiche dolcezze_. Il est impossible de désirer un témoignage plus
désintéressé et plus glorieux.



L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR LIBRE EN FRANCE



CHAPITRE PREMIER

Du goût pour les cours publics.


Pourquoi, chez un peuple qui a de tout temps goûté l'art de bien dire,
le brillant professeur qui avait plus fait, par l'éclat de sa parole,
pour fonder l'université de Paris, que les papes par leurs bulles;
pourquoi cet Abélard qui peuplait une solitude de la Champagne en y
portant sa chaire, n'a-t-il trouvé qu'au dix-neuvième siècle, dans la
personne d'illustres maîtres de la Sorbonne et du Collège de France, des
héritiers de son talent et de sa popularité? Pourquoi, si l'on excepte
la période de la Renaissance, où la science d'un Budé, d'un Turnèbe,
aidée de la noblesse de leur caractère et de l'enthousiasme du temps,
amenait à leurs cours quelques gentilshommes, la montagne
Sainte-Geneviève voyait-elle si rarement avant notre siècle le grand
public se mêler aux habitués du pays Latin? Sans doute, les exercices
publics des collèges, surtout quand les jésuites en réglaient
l'ordonnance, les joutes de la Faculté de théologie, surtout quand
Arnauld y déployait sa dialectique passionnée, attiraient un concours
nombreux de personnages marquants; tel professeur à la parole mordante,
d'un tour d'esprit bizarre, un Guy Patin, par exemple, voyait
quelquefois survenir un auditeur illustre qu'il saluait d'un compliment
improvisé. Mais c'étaient là des circonstances extraordinaires: on peut
dire, d'une manière générale, que les candidats aux grades
universitaires fréquentaient seuls l'Université.

Essayons d'expliquer ce fait.

Le public, dans les derniers siècles, n'aimait certes pas moins la
littérature que de nos jours; mais il la cultivait autrement. Aimer les
lettres, c'était d'abord pour lui lire et relire les auteurs classiques
de l'antiquité ou des temps modernes. On sortait jeune du collège; mais
on y avait pris le goût d'un commerce intime avec un petit nombre
d'auteurs du premier ordre; et comme en entrant dans le monde on y
retrouvait ces auteurs en possession d'un égal crédit, on leur gardait
une fidélité qui occupait une bonne part des loisirs de la vie. On ne
désirait point un commentaire éloquent ou spirituel de ces grands
écrivains: on préférait les étudier soi-même. C'est une des raisons pour
lesquelles l'époque qui a le plus universellement, le plus vivement
goûté Cicéron et Virgile, nous a bien laissé quelques pages admirables
offertes en tribut à l'antiquité, mais non un bon livre de critique sur
les orateurs ou sur les poètes anciens; et c'est aussi la raison pour
laquelle on ne se remettait plus, à l'âge adulte, sur les bancs de
l'école.

Aimer les lettres, c'était encore s'essayer à écrire. Même parmi les
personnes les plus résolues à ne point compromettre leur réputation
d'esprit au profit d'un imprimeur, presque tous ceux qui se piquaient de
goûter la littérature se hasardaient à rimer dans le secret de
l'intimité, à enfermer dans d'élégantes maximes quelques ingénieuses
remarques sur les mœurs, à esquisser le portrait d'un ami où l'on
tâchait de mêler d'une main légère l'éloge et l'avertissement, à définir
le sens précis des expressions de la bonne compagnie; ils soignaient
leurs lettres, leurs entretiens des jours de réception: la
correspondance épistolaire et la conversation formaient deux genres
littéraires où l'on se risquait à huis clos. Ainsi passait la part de
loisirs que la lecture ne prenait pas. On n'avait que faire de traverser
la Seine pour aller chercher la littérature, puisqu'on la trouvait chez
soi.

Aussi, au dix-septième siècle, les précieuses ridicules mêmes ne
songent-elles point à réclamer pour elles la fondation de cours publics:
elles vont, à la vérité, dans leur impuissance à renverser les lois de
la nature, prendre une idole dans le sexe dont elles prétendent
s'affranchir; mais c'est un oracle qu'il leur faut, ce n'est pas un
professeur; elles comptent monter à leur tour sur le trépied. Elles lui
prêtent leur attention pour recevoir ses conseils, mais aussi pour qu'il
les écoute ensuite. Elles lui soumettent leurs productions, mais à
charge de revanche; et l'on ne voit même pas qu'elles tiennent de lui la
science qui a brouillé leur jugement: ce n'est pas lui qui a installé
chez elles la grande lunette à faire peur aux gens; elles ne doivent
leur sottise qu'aux livres et à elles-mêmes.

Durant la majeure partie du dix-huitième siècle, le public garda les
mêmes usages. Le ton et la matière des exercices auxquels on s'amusait
avaient changé: le persiflage se cachait sous la politesse; les
discussions sur la philosophie de l'histoire remplaçaient les analyses
de morale; mais on continuait à croire que le plus sûr, pour apprendre à
marcher, comme pour prouver le mouvement, est de marcher plutôt que de
regarder marcher; c'est-à-dire que, du moins l'adolescence passée, la
lecture et la conversation valent encore mieux pour former l'esprit que
de brillantes leçons que rien ne grave dans la mémoire et sur lesquelles
rien ne force à réfléchir.

La manière dont nos pères parachevaient leur instruction dans l'âge mûr
marquait donc peut-être plus d'énergie que celle qui a prévalu depuis,
et préparait un public plus véritablement cultivé; une époque où toute
la société polie se divertissait à penser et à écrire avait plus de
chances de produire des hommes de génie qu'une époque où cette même
société s'amuse à écouter. Toutefois, la vogue des cours publics, outre
qu'elle témoigne d'un goût honorable encore, quoique passif, pour les
lettres, a grandement servi les progrès du genre où notre génération
réussit le mieux: la critique. À mesure que beaucoup d'œuvres
brillantes, mais improvisées par des esprits plus fougueux que profonds
perdent de leur prestige, on comprend mieux que ce genre, qui ne
requiert point de facultés créatrices, est celui qui soutiendra la
réputation de la fin du dix-neuvième siècle. Or, quoique la philosophie
française et la philosophie allemande, l'école de Rousseau représentée
par Mme de Staël et Chateaubriand, et l'école de Kant puissent
revendiquer l'honneur d'avoir découvert les principes qui ont donné à
la critique moderne sa finesse et sa portée, la nécessité d'intéresser
un auditoire nombreux et aussi avide de plaisir que d'instruction a
conduit les maîtres à chercher des vues plus neuves et plus vastes.
Aussi le plus brillant élève de Mme de Staël a-t-il été Villemain; et
depuis soixante ans que la foule se presse devant les chaires de
l'enseignement supérieur, les hommes qui l'y retiennent ont découvert
dans l'histoire de la littérature plus de vérités que leurs devanciers
n'en avaient aperçu en bien des siècles.

Mais, dira-t-on, ce préambule conviendrait si le haut enseignement ne
s'adressait qu'aux amateurs, et nous le voyons, au contraire, former de
sérieux adeptes à la sévérité des bonnes méthodes et ne pas seulement
décrire les résultats brillants de la science, mais frayer la route qui
y conduit.

Nous répondrons que c'est de l'enseignement supérieur libre, et non des
Facultés de l’État que nous esquissons l'histoire, et que les faits vont
nous montrer que les cours libres dont nous exposerons le rôle et
l'influence, ont dû aux gens du monde leur naissance et leur durée.
Étudier ces cours, ce ne sera donc pas simplement ajouter quelques
traits à l'histoire anecdotique de notre littérature, à la biographie de
beaucoup d'hommes célèbres, et défendre contre un injuste oubli
plusieurs associations qui ont longtemps occupé l'attention publique;
ce sera, de plus, s'éclairer sur les avantages et les inconvénients
attachés, au moins dans notre patrie, aux Universités libres. Nous ne
parlerons pas de celles qui existent aujourd'hui sous nos yeux, parce
qu'elles sont encore trop récentes. Les associations qui les ont
précédées nous offrent dans leur longue carrière un champ d'observation
plus vaste, plus sûr même, parce qu'il est plus aisé d'y demeurer
impartial.



CHAPITRE II.

Naissance de l'enseignement supérieur libre à la veille de la
Révolution.


I

Certes, si jamais, en fondant des cours libres, on a pu légitimement
concevoir le dessein de suppléer à l'insuffisance de l'enseignement
officiel, ça été à l'époque où Pilâtre de Rozier ouvrit son Musée. On se
souvient de l'émotion, de l'ardeur généreuse qu'excitèrent un peu après
1870 les hommes qui révélèrent courageusement à la France tout ce qui
manquait aux Facultés de l’État. Les hommes compétents étaient encore
beaucoup moins satisfaits de nos Universités dans les années qui
précédèrent 1789, et ne gardaient pas davantage le silence. M. Liard a
fortement marqué, dans son histoire de l'Enseignement supérieur en
France, le contraste qui existait au dix-huitième siècle entre les
savants libres qui remplissaient de leur nom l'Europe entière, qui
découvraient non pas seulement des vérités, mais des sciences nouvelles
et les maîtres des Universités, routiniers et obscurs, qui ne savaient
même pas se faire honneur des inventions d'autrui. La faute n'en était
pas uniquement à l'insouciance de Louis XV: il n'était pas, en effet,
dans la tradition que le gouvernement provoquât des réformes
pédagogiques favorables au progrès des lumières. Sauf l'heureuse
dérogation par laquelle François Ier avait créé le Collège de France (et
ce collège, créé pour chasser la routine, avait été envahi par elle),
les rois récompensaient par des honneurs et des pensions la science déjà
illustre; mais la science encore obscure et la transmission de la
science ne les intéressaient pas. C'était sous le patronage de l’Église
que les Universités avaient grandi, et l'on ne pouvait raisonnablement
exiger que l’Église traitât les connaissances profanes avec la
sollicitude qu'elle avait témoignée à la théologie. Aussi, nombre des
chaires, locaux, mérite des professeurs, méthodes, tout était
défectueux, tout appelait une réforme.

Il semblerait donc que la pensée de Pilâtre dût être d'offrir aux jeunes
gens qui voulaient se vouer à l'étude l'initiation à la fois prudente et
hardie qu'ils auraient inutilement cherchée ailleurs. Pourtant Pilâtre
ne songea pas surtout à eux. Je ne voudrais pas dire que ses défauts
l'en détournèrent aussi bien que ses qualités; il répugne d'employer un
mot désobligeant à propos d'un homme si sympathique par son courage, son
activité, et dont l'esprit de ressources a été, en somme, beaucoup plus
utile aux autres qu'à lui-même. Peut-être, cependant, n'eût-il été que
médiocrement flatté d'avoir pour uniques auditeurs des étudiants,
c'est-à-dire des jeunes gens pour la plupart sans nom, sans crédit, sans
fortune. Quelques-uns de ses imitateurs penseront davantage à ces
auditeurs modestes; mais ses continuateurs véritables, ceux qui
s'inspireront fidèlement de son esprit, ne songeront que très tard à les
attirer. Quand Pilâtre pensait à la jeunesse, c'était probablement
surtout, comme les rédacteurs d'un programme publié pour son
établissement vers décembre 1785, quelques mois après sa mort, à la
jeunesse aristocratique qu'il songeait particulièrement, aux futurs
chefs d'armées et gouverneurs de provinces. Mais cette préférence
n'était pas de sa part une pure faiblesse. Il lui fallait des appuis et
il connaissait la légèreté des puissances de son temps: il savait
qu'incapables de s'intéresser à ce qui était uniquement sérieux, elles
ne se faisaient pourtant pas une règle de l'indifférence, mais que
l'empire de la mode pouvait seul les en tirer. Comme elles n'accordaient
qu'une protection, et même qu'une tolérance précaire aux efforts des
hommes de bonne volonté, ceux-ci étaient obligés de sacrifier à la
frivolité pour la mettre de leur côté; il fallait se placer sous la
protection de son caprice: l'appui du gouvernement, de la noblesse,
était à ce prix. Pilâtre dut tenir compte de cette considération, qui
faisait souvent échouer ou dévier les tentatives les plus généreuses.

On pourrait également croire, parce que l'établissement qu'il a fondé
rappelle surtout le nom de La Harpe, que l'amour des lettres en a
suggéré la fondation. Il n'en est rien: le fondateur obéit à la pensée
qui avait inspiré la partie scientifique de l'Encyclopédie. Le
dix-huitième siècle, sans placer exclusivement le bonheur dans le
bien-être, voulait que la science se proposât principalement de rendre
la vie plus commode: de là, les soins que prend Diderot pour exposer les
progrès des arts mécaniques, la célébrité qui, dès le premier jour,
récompensa à des titres divers, les Jacquart, les Parmentier, les
Jenner, les Franklin; de là, les sociétés qui se formèrent dans la
seconde moitié du siècle pour encourager les découvertes applicables à
l'agriculture ou aux métiers. Les lettres ne furent admises dans la
maison de Pilâtre que quelques années plus tard. Mais toutes les fois
qu'elles s'allient aux sciences dans une œuvre commune, comme elles
sont plus accessibles à la foule, elles demeurent seules dans sa
mémoire: le mot d'école d'Alexandrie fait surtout songer au poème sur
l'expédition des Argonautes, à des hymnes, à des églogues, et pourtant
Eratosthène et Hipparque avaient plus de force de génie que les poètes
des Ptolémées. Déjà en 1808, un railleur s'étonnait que la salle des
cours ressemblât fort peu à une bibliothèque de lettrés: «Quel aspect,»
disait _La Gazette de France_ du 20 juillet, «offre à l'étranger cet
asile des Muses! Un vaste fourneau, espèce d'antre représentant assez
bien les forges de Vulcain, telle est la décoration du fond de la salle.
Au-dessus de la tête des lecteurs, brillent des bocaux étiquetés et qui
nous transportent dans ces laboratoires de l'alchimie que les peintres
flamands se sont plu à rendre avec leur minutieuse et précieuse
exactitude; des cornues, des alambics complètent l'illusion...; des
globes métalliques suspendus à la voûte et propres à receler des feux
dont Jupiter formera la foudre... frapperaient de terreur si l'œil ne se
reposait enfin sur le modeste verre d'eau sucrée placé à la gauche du
lecteur, comme un symbole des douceurs qu'il se prépare à débiter.» Mais
laissons dire les railleurs: nous verrons que les sciences ont fourni à
cette chaire plus d'hommes supérieurs que les lettres.

Ce fut donc surtout pour intéresser les gens du monde à la physique et
aux mathématiques que le hardi et brillant Pilâtre fonda, sous le
patronage du roi et du comte de Provence, le Musée de Monsieur, qu'il
ouvrit le mardi 11 décembre 1781, rue Sainte-Avoye[67]. Mais alors ne
faut-il pas recommencer sa justification? Car la témérité était encore
beaucoup plus grande que s'il se fût agi de cours de littérature ou
d'histoire. Mais M. Guizot vient à notre aide: dans une notice sur Mme
de Rumford, la veuve de Lavoisier, il reproche aux hommes spéciaux de
trop dédaigner l'intérêt que les gens du monde peuvent porter à leurs
études: «L'estime, le goût du public pour la science, et la
manifestation fréquente, vive de ce sentiment, sont pour elle d'une
haute importance... Les temps de cette sympathie un peu fastueuse et
frivole ont toujours été pour les sciences des temps d'élan et de
progrès.» C'est bien plutôt pour la pédagogie qu'il faut redouter
l'intérêt du grand public parce qu'ici il s'agit d'établir des
règlements, de légiférer, et que, en matière d'éducation surtout, ni la
bonne volonté, ni l'intelligence, ni les lectures et la méditation, ne
sauraient suppléer au défaut de pratique. Mais, pour les autres
sciences, la popularité n'a guère que des avantages: elle stimule les
savants, elle leur procure les ressources nécessaires à leurs
recherches, sans qu'on ait rien à redouter de la foule médiocrement
compétente qui la distribue.

Au surplus, Pilâtre avait bien compris à quelle condition un
établissement du genre de celui qu'il fondait pourrait contribuer
véritablement aux progrès des sciences; et ce n'est pas un médiocre
honneur pour lui que d'avoir tenté le premier d'offrir des laboratoires
aux savants, des cours aux amateurs: «On y fera,» disent les _Mémoires
secrets_, qui assignent à son Musée ce double objet[68]: «1° un cours
physico-chimique servant d'introduction aux arts et métiers, dans lequel
on fera connaître l'histoire naturelle des substances qu'on y emploie;
2° un cours physico-mathématique expérimental, dans lequel on
s'appliquera spécialement aux arts mécaniques; 3° un cours sur la
fabrication des étoffes, la teinture, les apprêts; 4° un cours
d'anatomie dans lequel on démontrera son utilité dans la sculpture et la
peinture, auquel on joindra les connaissances physiologiques nécessaires
à un amateur; 5° un cours de langue anglaise; 6° un cours de langue
italienne.» On le voit, dès 1781, Pilâtre fondait une sorte d’École
pratique des sciences et de Conservatoire des arts et métiers. C'est
sans doute à cette pénétrante intelligence des besoins de son temps
qu'il dut le suffrage de l'Académie des sciences, de l'Académie
française, de l'Observatoire, de la Société royale de médecine, de
l’École royale vétérinaire, encouragements auxquels il répondit en
instituant de nouveaux cours sur les mathématiques, l'astronomie,
l'électricité, les aimants[69].

Mais Pilâtre aimait les applaudissements autant que la science: il était
très répandu dans la haute société; au titre de premier professeur de
chimie de la Société d'émulation de Reims, il joignait celui d'attaché
au service de Madame, d'inspecteur des pharmacies de la principauté de
Limbourg[70]; et il voulait, non pas un simple auditoire d'hommes
studieux, mais un parterre de personnes de marque; il s'était donc fait
autoriser à admettre les dames aux cours de son Musée[71]. D'ailleurs,
en homme avisé, il devinait que les élèves ne viendraient pas tout
d'abord, parce que les familles n'envoient leurs enfants aux écoles
supérieures que quand il est bien avéré qu'ils y apprendront une science
lucrative; et le titre d'ingénieur ou de chimiste leur paraissait alors
beaucoup moins plein de promesses qu'aujourd'hui. Il fallait donc se
ménager les moyens d'attendre les écoliers, de subvenir aux frais du
laboratoire. Pardonnons-lui donc les innocents artifices dont il se
servit pour éblouir et amuser un auditoire superficiel! Épargnons-lui
les qualifications injustes de charlatan, d'aventurier que lui donnent
parfois les _Mémoires secrets_[72]! N'eût-il dû recruter aucun adepte
sérieux, la foule qu'il attirait concourait à son louable dessein.

Son programme, tel que nous l'avons résumé, offre déjà un aperçu des
moyens inventés par lui pour séduire la foule: la multiplicité des
cours, le choix de sciences nées de la veille, les avances faites aux
purs amateurs, la promesse de trouver un même homme qui enseignera
l'anatomie aux artistes et la physiologie aux gens du monde, tout cela
marque l'intention d'attirer les curieux. La rivalité de deux
établissements qui avaient quelque peu précédé le sien, la
_Correspondance générale et gratuite pour les sciences et les arts_
fondée par le sieur de La Blancherie, et le Musée de Paris, présidé par
Court de Gébelin, stimulèrent son imagination[73].

Certes il ne faut pas juger uniquement de ces sociétés par les sarcasmes
des _Mémoires secrets_. Court de Gébelin ne manquait pas de mérite, et,
pour La Blancherie, la lecture des_ Nouvelles de la République des
lettres_, journal où il rendait compte des assemblées des savants et des
artistes auxquels il s'offrait comme intermédiaire, prouve que durant
dix années il a véritablement offert aux hommes d'étude dispersés à
Paris, ou de passage à Paris, un moyen de s'entretenir; aux peintres et
aux sculpteurs, un Salon permanent; qu'il a entretenu effectivement dans
l'intérêt de la science des relations actives et étendues avec
l'étranger; en somme, il ne s'est montré indigne ni de l'appui qu'il
trouva longtemps près de la plus haute noblesse, ni du témoignage que
Franklin, Leroi, Condorcet et Lalande avaient rendu en sa faveur le 20
mai 1778, dans un rapport présenté à l'Académie des sciences. Mais, en
même temps qu'on rivalisait de zèle, on se disputait la vogue. Dès le
premier jour, on tenta de part et d'autre de se dérober les visiteurs:
La Blancherie se fit donner, comme Pilâtre, la permission d'ouvrir ses
séances aux dames, et Pilâtre riposta en dispensant les amateurs de
payer la cotisation de trois louis par an qu'il exigeait d'abord[74],
faveur dont il empruntait l'idée à La Blancherie, et que d'ailleurs il
n'accorda que partiellement ou provisoirement. Bientôt la Société de La
Blancherie ne fit plus que végéter: en vain il en multiplia les attraits
au point de changer ses séances littéraires en bals et en concerts; elle
ne se releva de plusieurs faillites que pour disparaître un peu avant la
Révolution[75]. Il est vrai que Pilâtre était mort avant elle. Court de
Gébelin commença aussi par se défendre avec succès: en mars 1782,
l'affluence était si grande aux lectures publiques qu'il présidait le
premier jeudi de chaque mois, qu'il fallait, pour y trouver place,
arriver longtemps d'avance; il dut rebâtir son Musée à neuf, mettre des
Suisses aux portes; et les gens en redingote s'en virent exclus.
Toutefois la discorde s'y glissa au milieu de 1783; Court de Gébelin,
qu'on voulait évincer, expulsa les dissidents et Cailhava d'Estandoux
leur chef. Il commençait à s'applaudir des progrès de son œuvre, quand
il mourut en mai 1784. Ses adhérents ne surent qu'élaborer à la fin de
l'année des règlements pédantesques où l'on sent des hommes gonflés de
l'importance qu'ils s'attribuent, qui croient que l'honneur d'appartenir
à leur Compagnie met à leur disposition les loisirs et le talent de tous
les amis de la science; on les voit fixer gravement le cérémonial et
presque le Code pénal de leur association. Cette naïveté gourmée n'était
pas celle qui plaisait alors. Le Musée de Paris, qui comprenait
pourtant, jusque hors de France, un nombre de membres assez
considérable, ne fit plus guère parler de lui[76].


II

Au contraire, la prospérité du Musée de Pilâtre croissait toujours: on
accourait en foule aux fêtes qu'il y donnait, soit qu'il célébrât la
réouverture de ses cours dans un nouveau local, rue de Valois, 1, par
une illumination en feux de couleur et qu'il y fît couronner par
Suffren un buste de Buffon qu'il aurait, de plus, honoré d'une cantate
sans un manque de parole de la Saint-Huberti; soit qu'il amusât un
prince nègre par des expériences de physique. Ses rivaux pouvaient bien,
en effet, le lui disputer pour l'entregent et l'esprit de ressources,
mais non pour le courage et le dévouement à la science: on savait qu'au
milieu même de ses fêtes, il préparait l'entreprise où il laissa la
vie[77]. Il perdit, il est vrai, par la faute de quelques-uns de ses
auditeurs, un de ses collaborateurs les plus distingués, le chimiste
Proust, qui, froissé de certaines critiques sur sa méthode, donna sa
démission; lui-même il essuya quelques réclamations blessantes quand il
se fit suppléer pour préluder à l'entreprise où il périt; mais il ferma
la bouche aux mécontents par l'offre de leur rendre le prix de
l'abonnement. La Société Patriotique Bretonne, les dissidents du Musée
de Gébelin lui demandèrent et obtinrent l'hospitalité pour leurs
séances[78]. À la date du 18 décembre 1784, les _Mémoires secrets_
fixent à 40,000 livres la somme des abonnements à son Musée: si la
cotisation était encore de trois louis, Pilâtre avait alors plus de 650
souscripteurs.

La Bibliothèque Carnavalet possède, pour l'année suivante, la «Liste de
toutes les personnes qui composent le premier Musée autorisé par le
gouvernement, sous la protection de Monsieur et de Madame.» On y voit, à
la suite de la famille royale, les plus grands seigneurs et les plus
grandes dames de France; on y trouve aussi la liste des administrateurs
de l'établissement, où l'on apprend que Pilâtre, laissant la présidence
à M. de Flesselles, se contentait des titres de garde des archives et de
trésorier; vient ensuite la liste des cours: chimie, physique,
hippiatrique, anatomie, mathématiques et astronomie, italien, anglais,
espagnol, allemand. Deux de ces sciences, tout au moins, la physique et
l'anatomie, sont enseignées par des hommes distingués, Deparcieux le
neveu et Pierre Sue; la nomenclature des journaux reçus au Musée est
curieuse, parce qu'elle montre chez les souscripteurs de Pilâtre une
curiosité à la fois très étendue et peu exigeante: on les abonne, en
effet, à des feuilles très spéciales, comme le _Journal de Physique_, le
_Journal Militaire_; mais on ne leur donne aucun journal en langue
étrangère. Bientôt on les pourvoira beaucoup mieux à cet égard, et ce
sera un des mérites de cet établissement d'avoir toujours beaucoup
travaillé à augmenter chez nous le nombre des hommes capables de goûter
les écrits venus du dehors. Déjà, aux cours d'anglais et d'italien, il
venait d'ajouter ces cours d'espagnol et d'allemand que, par malheur, on
maintiendra beaucoup moins longtemps que les deux premiers.

Le préambule de la liste en question montre que Pilâtre projetait
d'assurer à ses souscripteurs, si la fortune lui demeurait fidèle, tous
les avantages offerts par ses concurrents: «On verra,» disait-il,
«s'élever un Panthéon littéraire dont la correspondance s'étendra de
plus en plus. Le savant, l'amateur et l'artiste pourront suivre les
progrès des arts et trouver au Musée tout ce qui peut flatter leur
curiosité.» Sa mort tragique, le 15 juin 1785, fit plus que rompre ces
projets: elle faillit ruiner son œuvre; sur le premier moment, on vendit
la bibliothèque et les instruments de physique. Mais le comte de
Provence se déclara protecteur à perpétuité du Musée, le racheta aux
héritiers et en paya les dettes. Des personnes qui avaient aidé de leur
argent Pilâtre à le fonder, firent de nouvelles avances, et l'on réunit
ainsi la somme de cinquante mille francs que valait le cabinet de
physique et les fonds nécessaires pour acquitter le loyer de quinze
mille francs. Le Musée devint le Lycée et garda ses auditeurs[79].

C'est même à partir de cette époque qu'il commença à faire parler de
lui, non plus seulement par ses fêtes, mais par l'éclat de ses cours:
deux professeurs nouveaux y introduisirent brillamment l'enseignement
des lettres auquel, comme on l'a vu, on n'avait pas ménagé de place à
l'origine; c'étaient Garat et La Harpe, qui, le 8 janvier 1786,
inaugurèrent au Lycée, le premier l'enseignement de l'histoire
proprement dite, le second celui de l'histoire littéraire[80]. Garat
continuera ses leçons, avec de fréquentes interruptions, il est vrai,
jusque sous l'Empire, et La Harpe attachera indissolublement son nom au
Lycée. Par l'institution de ces deux chaires, comme, dès l'origine, par
celle des chaires de sciences, l'établissement de Pilâtre se trouvait
remédier à l'insuffisance de l'enseignement public, puisque, malgré les
efforts de Rollin, l'étude de la littérature française, sauf à Paris, où
on la pratiquait dans une certaine mesure, et celle de l'histoire,
étaient communément négligées dans les établissements universitaires.
Pour l'étude de l'histoire surtout on peut en voir d'amusantes preuves
dans le livre de M. Liard: on saura, par exemple, qu'elle s'y enseignait
au moyen d'un abrégé dont on lisait quelques pages un quart d'heure par
classe pour distraire les élèves par _une variété agréable_ et procurer
un _délassement aux maîtres, puisque ce sont les élèves qui lisent_; et
l'on recueillera ce témoignage d'un ancien élève des Universités: «Le
nom de Henri IV ne nous avait pas été prononcé pendant mes huit années
d'études; et à dix-sept ans j'ignorais encore à quelle époque et comment
la maison de Bourbon s'est établie sur le trône.»

Les sciences, on n'en sera pas surpris, étaient encore mieux partagées,
puisque à partir de cette époque l'enseignement des mathématiques est
confié à Condorcet, celui de la chimie à Fourcroy, celui de la physique
à Monge, et que Sue garde l'anatomie. Il est vrai que plusieurs des
nouveaux venus ne prêtent au Lycée que le concours de leur nom, de
leurs conseils, et ne paraissent guère dans leurs chaires: Condorcet a
pour adjoint, ou plutôt pour suppléant, De la Croix; Gingembre remplit
le même office auprès de Monge, de même que c'est Marmontel qui est le
professeur titulaire de la chaire occupée par Garat. Mais tous ceux qui
enseignent réellement au Lycée font vaillamment leur devoir, titulaires
ou suppléants. Fourcroy ne possède peut-être pas encore ce talent
d'exposition bientôt si universellement goûté que, quand il enseignera
au Muséum, il faudra deux fois en élargir le grand amphithéâtre. Mais la
leçon d'ouverture du cours de mathématiques que Condorcet a bien voulu
faire en personne, celles des cours d'histoire et de littérature, ont eu
tant de succès qu'on en a demandé une seconde audition. Le nombre des
souscripteurs s'élève à six ou sept cents, parmi lesquels les femmes les
plus distinguées de la cour et de la ville; car l'auditoire se compose,
non de gens de lettres, mais de gens du monde. Ce sont les seigneurs du
plus haut étage, les marquis de Montesquiou et de Montmorin, le duc de
Villequier qui ont obtenu l'aide de Monsieur, rédigé le nouveau
prospectus, recruté les nouveaux professeurs. L'abonnement coûte quatre
louis; et moyennant ce prix, qui se payait pour un seul cours dans les
établissements analogues, on a droit à suivre tous les cours ci-dessus
et de plus les cours de langues vivantes. Les professeurs, qui ont
devant eux jusqu'à trois cents auditeurs et au delà, sont écoutés dans
le plus profond silence, et le Lycée occupe une assez grande place dans
la vie intellectuelle de Paris pour que, non seulement La Harpe, mais
Grimm, en entretienne les souverains étrangers[81].

D'autre part, c'est aussi vers ce temps que le Lycée commença à donner
dans l'esprit frondeur. Tandis que La Blancherie poussait la discrétion
jusqu'à soumettre aux ambassadeurs des puissances étrangères les
nouvelles littéraires qui lui venaient du dehors; tandis que Pilâtre,
pour sceller à sa manière l'union des Bourbons de France et des Bourbons
d'Espagne, avait accordé des faveurs particulières aux Espagnols, et que
de son côté le roi catholique lui payait l'abonnement aux cours pour six
de ses sujets[82], Condorcet, en décembre 1786, dans son discours
d'ouverture, attaquait le Parlement. On crut, disent à ce propos les
_Mémoires secrets_, que, comme ce n'était pas la première incartade des
professeurs du Lycée, le gouvernement allait soumettre à la censure
préalable leurs discours d'ouverture[83]. Déjà, du vivant de Pilâtre,
Moreau de Saint-Méry, en qualité de secrétaire perpétuel, élu par les
souscripteurs, y avait lu, le 1er décembre 1784, un discours sur les
droits de l'opinion publique à juger des assemblées littéraires où
beaucoup des arguments s'appliqueraient tout aussi bien à la politique
qu'à la littérature. Mais depuis, on s'expliquait plus nettement encore.
Garat et La Harpe surtout représentaient au Lycée l'esprit nouveau. La
parodie du songe d'Athalie, publiée en 1787 sous le nom de Grimod de la
Reynière, en témoigne. La Harpe a cité dans le _Mercure_ du 10 mars 1792
un passage très hardi pour le temps, où en décembre 1788 il avait, dans
une des cinq séances où il combattit certaines doctrines de Montesquieu,
déclaré devant cinq cents personnes que l'autorité n'est que _le pouvoir
donné par la loi de veiller à l'exécution de la loi_: que celle-ci
n'est que l'expression de la volonté générale, et que, _où il n'y a
point de loi il n'y a point de roi_, que _Dieu n'a point fait de rois
mais des hommes_; à ces mots, dit-il, _la salle retentit
d'acclamations_. Longtemps après, à la Convention, le 18 brumaire an
III, Boissy d'Anglas rappelait que les leçons du Lycée et _surtout
celles qui avaient pour objet l'histoire et les lettres_ n'avaient pas
tardé à _déplaire aux despotes d'alors_: «Leur suppression,» disait-il,
«fut plus d'une fois arrêtée dans les conciliabules de Versailles;
d'Éprémesnil dénonça plus d'une fois au Parlement le Lycée où La Harpe,
en analysant Montesquieu, avait combattu ses erreurs sur la monarchie,
et où Garat, en traçant l'histoire des républiques anciennes, façonnait
déjà nos âmes à l'énergie républicaine. Séguier prépara des
réquisitoires et Breteuil des lettres de cachet[84].»

Boissy d'Anglas, au reste, se trompe, quand il prétend que les nobles
protecteurs du Musée avaient cherché dans cette institution un moyen de
consolider le pouvoir absolu: ce sont au contraire les novateurs qui,
bien plus inventifs alors que leurs adversaires, cherchèrent à employer
l'enseignement à répandre leurs doctrines. Brissot, en 1784 et 1785,
voulait fonder à Londres, sous le nom de Lycée, un salon de
correspondance qu'il rattachait à un plan de propagande en faveur de la
Révolution prochaine[85].

Ce que Brissot eût voulu tenter par la conversation et la presse, Garat
et La Harpe le firent un peu après par leurs cours.

Pendant ce temps on ne corrigeait pas le défaut à la fois séduisant et
radical du plan de Pilâtre. Pour s'en convaincre, il suffît de lire les
discours que Condorcet prononça au Lycée.

Les vues ingénieuses et philanthropiques qui abondent dans le premier
n'en voilent pas la chimère. Lui-même, par la promesse de prémunir les
gens du monde contre le charlatanisme des faux savants et les mères
contre le dédain de leurs fils, il avoue que c'est à un auditoire
incapable de profiter des leçons, que le Lycée enseignera les sciences
qu'il énumère: calcul par les logarithmes, théorie des machines simples
et application de cette théorie; problèmes sur la construction des
vaisseaux, méthode pour calculer les différentes forces motrices
employées dans la construction des machines, etc. Il confesse qu'on ne
donnera que des connaissances superficielles et que les développements
philosophiques remplaceront les preuves; mais, dit-il, des connaissances
superficielles très répandues diminuent le prestige des imposteurs qui
spéculent sur l'ignorance. Il se trompe: ce n'est pas la demi-science
qui nous met à l'abri des impostures, c'est la modestie ou dans certains
cas la résignation au sort commun de l'humanité; Condorcet les faisait
peut-être prêcher par son suppléant après la démonstration des
théorèmes; mais que devait comprendre le public aux préliminaires du
sermon? Peu de chose. C'est Condorcet lui-même qui le donne à entendre
dans le second discours, car il y déclare qu'on va désormais insister
davantage sur les conséquences des principes, expliquer la folie des
joueurs qui poursuivent une martingale, combattre l'abus des rentes
viagères, préconiser les placements en vue de la vieillesse ou de la
famille du déposant.--Excellents conseils, mais qui ne fournissent pas
la matière d'un cours, et qui cessent d'être intelligibles pour les
gens du monde quand on les explique par les mathématiques.



CHAPITRE III.

Période de la Révolution et de l'Empire.


I

La Révolution, du moins à ses débuts, ne jeta point de trouble dans un
établissement déjà pénétré de son esprit. Le Lycée s'appliqua d'ailleurs
à la seconder: estimant que l'enseignement doit embrasser plus d'objets
à mesure qu'une nation assiste à de plus grands spectacles, il annonça
dans son programme pour 1790 que La Harpe allait étudier Mably, J.-J.
Rousseau et la philosophie de Voltaire, puis les historiens, se
réservant, au reste, de délasser l'auditoire par l'examen des romans et
de la littérature agréable; que Garat allait recommencer l'histoire de
la Grèce et montrer ce que peuvent de petites nations éprises de
liberté, qu'il traiterait aussi de la philosophie et des arts en Grèce;
que l'avocat au Parlement De la Croix allait inaugurer un cours de
droit public, que Fourcroy exposerait la chimie animale avec ses
applications, qu'Ant. Deparcieux, avant d'aborder le cours de géométrie
par lequel il terminerait l'année, présenterait des recherches sur la
population, sur la durée de la vie, et qu'il tirerait la conséquence de
ces observations relativement à des questions de finances[86]--Le
_Journal général de la Cour et de la Ville_ se plaignit même, le 17
janvier 1791, que le Lycée eût fait fuir les honnêtes gens, effrayés du
_vertige démocratique_ qui l'avait saisi: le Lycée avait pourtant,
disait ce journal, renoncé aux services du professeur de droit public,
mais il avait conservé dans la chaire d'histoire _l'emphatique,
inintelligible et très ennuyeux auteur du «Journal de Paris»_ (Garat).
Les administrateurs du Lycée se soucièrent trop peu de dissiper ces
alarmes: à la vérité, il n'est pas sûr qu'ils aient prescrit, au mois
d'avril de la même année, qu'à l'occasion de la mort de Mirabeau, les
auditeurs prissent le deuil, les hommes en noir, les femmes en blanc; la
_Feuille du Jour_ du 21 de ce mois leur impute cette injonction d'un
patriotisme indiscret, qui, d'après elle, excita des plaintes parmi les
habitués français et étrangers; mais on n'en trouve pas trace dans les
Registres du Lycée conservés à la Bibliothèque Carnavalet, ni dans la
_Chronique de Paris_ du 20 avril, qui rapporte qu'on y exposa un très
beau portrait de Mirabeau et son buste par Houdon, qu'on y lut la notice
sur sa dernière maladie par Cabanis, que Joseph Chénier y déclama une
ode en son honneur.

Quoi qu'il en soit, en se prononçant d'une manière aussi éclatante, on
s'aliénait une partie des habitués. Or, pour faire face à des frais
généraux considérables, on avait besoin que le grand monde tout entier
fût favorable à l'établissement. Dans les premières années de la
Révolution, l'aristocratie avait continué à s'y intéresser; les
registres précités montrent les noms des Laval-Montmorency, des
Pastoret, des Béthune-Charost unis à ceux de Sieyès, de Fourcroy, de
Lavoisier dans le conseil d'administration, en 1790 et en 1791. La plus
simple prudence conseillait de s'interdire les démonstrations
politiques.

Le Lycée commença donc à souffrir de la perturbation générale: les
recettes diminuaient; le professeur le plus en vue partit. Le 20
novembre 1791, une lettre de La Harpe, publiée dans la _Feuille du
Jour_, déclarait que, l'année suivante, ce serait chez lui, rue du
Hasard, 2, qu'il continuerait son cours. La Harpe expliquait franchement
ses motifs: durant l'année qui venait de s'écouler, les recettes du
Lycée n'ayant guère fait que couvrir les frais, les professeurs
n'avaient pas touché d'honoraires; La Harpe s'y serait résigné, si la
suppression des privilèges et la suspension des pensions n'avaient
détruit toutes ses ressources; il n'avait pas été fâché de montrer que
son attachement à la Révolution était désintéressé, mais il fallait bien
qu'il vécût de son travail.

L'année 1792 ramena La Harpe au Lycée, mais suscita à cet établissement,
qui avait déjà peine à se soutenir, une rivalité redoutable par la
fondation du Lycée des Arts. Ce nouveau Lycée menaçait l'ancien, aussi
bien, pour ainsi dire, par la concurrence qu'il ne lui faisait pas que
par celle qu'il lui faisait: si, en effet, en ouvrant des cours de
sciences, il pouvait détourner quelques-uns des habitués de la rue de
Valois, d'autre part, en n'offrant aucun des cours littéraires que
l'autre avait fini par instituer, il semblait inviter le public à les
délaisser comme inutiles à une démocratie et à une nation en péril.

Le Lycée des Arts, fondé en juin-août 1792 sous les auspices de la
Société philomathique[87], par Gaullard de Saudray ou Désaudray,
auparavant secrétaire d'ambassade et militaire qui y professa
différentes sciences, s'ouvrit solennellement quelque temps après la fin
de la Législative, sous la présidence de Fourcroy qui allait désormais
se partager entre les deux établissements. Il était situé dans le cirque
du Jardin-Égalité et comprenait, entre autres pièces, un salon pouvant
contenir trois mille personnes, une jolie salle pour concerts, bals,
spectacles, une bibliothèque et un cabinet littéraire, quatre salles
pour les cours et pour les écoles primaires, une salle pour un _dépôt
des arts_, un vauxhall et un salon pour des assemblées du soir, des
emplacements pour bains, café, restaurant[88].

On voit que si le Lycée des Arts n'enseignait pas les lettres, il ne se
piquait point d'austérité spartiate ou genevoise. Mais on voit aussi,
par la part faite aux études primaires, qu'on commençait à s'apercevoir
que c'est surtout aux écoliers que les leçons profitent. Au surplus, la
société fondée par Désaudray, et qui, sans parler de quelques
littérateurs tels que Lebrun, Millin, Sedaine, du peintre Redouté, de
l'acteur Molé, comprenait (outre Fourcroy) Berthollet, Darcet,
Daubenton, Jussieu, Lavoisier, Vicq d'Azyr, se proposait d'encourager
aussi les sciences en récompensant les inventeurs par des mentions, des
médailles, des couronnes qu'on décernait dans des séances solennelles,
après que le public avait confirmé le suffrage du directoire du Lycée;
elle promettait de les appuyer auprès du gouvernement, d'exécuter pour
eux les expériences dispendieuses, de les aider de son argent à
poursuivre leurs recherches; elle publierait un _Journal des Arts_.
Ajoutons que bientôt par l'effet des circonstances, tout fut gratuit
dans ce Lycée: on ne recruta en effet qu'un très petit nombre de
souscripteurs, étrangers pour la plupart, si bien que les professeurs à
qui l'on avait promis vingt-quatre francs par leçon ne touchèrent à peu
près rien, et que Désaudray ne retira rien de ses avances[89]. Mais on
ne se découragea pas. Tous donnèrent leur peine sans rémunération. Nous
pouvons avouer maintenant que, en vrais pédagogues du dix-huitième
siècle, ils avaient établi, à côté de leurs écoles primaires, une école
de danse et de déclamation. Pardonnons-leur d'avoir oublié qu'il est
imprudent d'honorer toutes les muses dans un même temple! C'étaient des
patriotes que ces hommes qui donnaient, sans compter, leur argent, leur
temps, leur talent à la France, dans un moment où chacun perdait ses
ressources habituelles et où d'un autre côté on risquait, à se mettre en
avant, sa liberté et sa vie[90]!

Les professeurs du Lycée des Arts traversèrent pourtant moins d'épreuves
durant la Terreur que leurs collègues du Lycée de Pilâtre: on conçoit en
effet que les séances en partie littéraires de celui-ci excitassent plus
d'ombrage chez les terroristes que les séances exclusivement
scientifiques ou artistiques de celui-là: la tyrannie, quelque nom
qu'elle porte, s'est toujours beaucoup plus défiée des lettres que des
arts et des sciences. Aussi le _Journal de Paris_ du 23 nivôse an III
(12 janvier 1795) dira-t-il de l'établissement de la rue de Valois: «Il
avait _mérité la préférence de nos derniers tyrans_.» Le désir d'obtenir
du gouvernement des subsides devenus nécessaires avait amené les
administrateurs à de tristes sacrifices. Déjà le 19 novembre 1792,
Roland, en leur annonçant un secours de 10,000 livres, s'était plaint de
quelques propos tenus dans leur établissement et de l'esprit de
plusieurs des cours; le 14 brumaire an II, Fourcroy, en rendant compte
de démarches faites en vue d'une nouvelle subvention, exposa aux
actionnaires du Lycée que la Société encourrait l'_indignation du
gouvernement_ tant qu'elle compterait des _émigrés_, des
_contre-révolutionnaires_; on le chargea en conséquence, de concert avec
Garat, Suë, Houel, Anach. Clootz et quelques autres, de l'épurer. Sur
cent membres, soixante-douze, parmi lesquels Lavoisier, furent évincés,
spoliés de leurs actions et remplacés[91]. Cette régénération de
l'établissement appelé dès lors Lycée Républicain, ne lui procura ni les
subsides espérés ni la tranquillité. Les terroristes s'imposèrent dans
les séances publiques. Un de ces intrus, Varlet, lut à la tribune du
Lycée un ridicule éloge de Marat que l'assemblée écouta dans le plus
profond silence, cherchant à étouffer son horreur et par instants
parvenant à peine à s'empêcher de rire[92]. Chaque jour, ses pareils
_promenaient_ sur l'auditoire l'_œil hagard de la superstition pour y
trouver des victimes_, dira encore la _Décade_ du 20 nivôse an III; ils
intimidèrent les administrateurs du Lycée au point que ceux-ci, non
seulement décidèrent à la reprise des cours de l'année 1793-94 qu'on
professerait en bonnet rouge, mais songèrent à interdire de prononcer le
nom de Dieu, vu que, suivant Garat, _le système de l'athéisme était plus
républicain_ que le système opposé; c'était, paraît-il, sur la
proposition d'un Espagnol, introduit par la faction dominante dans le
directoire du Lycée, que cette proscription de Dieu faillit être
votée[93]: il serait piquant que cet Espagnol eût été un des
pensionnaires de Sa Majesté catholique auxquels Pilâtre avait ouvert son
établissement.

Il devenait périlleux de monter dans les chaires du Lycée, de s'asseoir
même sur ses bancs; La Harpe était incarcéré: le Lycée ne ferma pas ses
portes, comme l'ont cru Peignot et M. Thiers, mais ses recettes
tombèrent bien au-dessous des dépenses[94].

Pour le Lycée des Arts, on n'a jamais contesté qu'il soit demeuré
ouvert. Son _Annuaire_ pour l'an III donne la liste ininterrompue de
ses séances publiques sous la Terreur. Ce n'est pas, on l'a vu plus
haut, qu'il ait dû son salut à sa pusillanimité[95]. Désaudray avait eu
d'ailleurs l'honneur d'encourir, comme auxiliaire de La Fayette dans la
répression du désordre, l'animadversion de Danton[96]. Mais, comme nous
l'avons dit, l'enseignement plus technique du Lycée des Arts le
compromettait moins.


II

À la fin de 1794, le Lycée Républicain n'était pas délivré de toute
inquiétude: trouverait-il dans une population d'où la terreur était
enfin bannie, mais où l'aisance, la liberté d'esprit n'étaient pas
encore revenues, assez de souscripteurs pour subvenir à ses frais? Les
administrateurs du Lycée s'adressèrent à la Convention; mais celle-ci se
borna à ordonner l'impression du rapport très favorable de Boissy
d'Anglas, qui concluait à une subvention de 20,000 francs, en retour de
laquelle 96 auditeurs peu aisés seraient admis gratuitement, et ajourna
le projet de décret[97]. Réduits à leurs seules ressources, les
administrateurs du Lycée s'ingénièrent à en multiplier les attraits: le
10 nivôse an III, la bienveillante _Décade_ annonça qu'ils tenaient à la
disposition des amateurs un salon de conversation, un salon de lecture
avec une bibliothèque nombreuse et choisie, d'autres pièces garnies de
tableaux, de gravures, de dessins, de modèles de machines, un salon
particulier pour les dames qui désireraient se réunir à part, avec un
_forte piano_. (Qu'on ne s'étonne pas de cette attention mondaine! Rien
n'était à dédaigner pour recomposer les auditoires dispersés par la
Terreur. Un curieux article de la _Décade_ du même jour, qui peint
vivement l'état de délaissement, de délabrement où végétaient plusieurs
cours de physique, y compris celui du Collège de France, nous apprend
que, dans un cours plus suivi qui se faisait au Louvre, on apportait une
chaufferette à chaque citoyenne.)

Le Lycée Républicain offrit au surplus, à partir de la rentrée de 1794,
un attrait plus puissant; il offrit un soulagement à la conscience
publique. Dès le 11 nivôse de l'an III (31 décembre 1794), La Harpe y
commença la série de ses ardentes diatribes contre la Terreur par son
discours sur la guerre déclarée par les tyrans (révolutionnaires) à la
raison, à la morale, aux lettres et aux arts. Le sujet, annoncé à
l'avance par la _Décade_ du 10 nivôse, avait attiré une foule
considérable, qui écouta l'orateur, dit La Harpe, _avec une sorte de
silence sombre et inquiet; il semblait que l'on eût peur d'entendre ce
qu'il n'avait pas peur de dire; et, quand les applaudissements rompaient
le silence, c'étaient les cris de l'indignation soulagée_[98].

Dès lors, jusqu'à la fin de la vie de La Harpe, la haine de la Terreur
forma comme l'esprit du cours le plus suivi du Lycée: elle en fut même
quelque temps l'unique inspiratrice; car les leçons qui suivirent le
discours du 31 décembre 1794 furent consacrées à une ample étude de
l'abus des mots dans la langue révolutionnaire, dont l'auteur put
composer plus tard tout un volume qu'il fallut réimprimer deux fois
sur-le-champ pour satisfaire l'empressement du public[99]. Les auditeurs
de La Harpe lui demandaient beaucoup moins alors de former leur goût que
de traduire publiquement leurs douleurs, leurs colères, leurs craintes
et leurs espérances. La _Quotidienne_ du 10 décembre 1795 rapporte les
propos fort libres qu'ils tenaient sur le compte de Tallien. Jusque sous
le Consulat, c'était, dit Dussault, un désappointement pour eux quand La
Harpe se renfermait dans la littérature pure[100]. À peine sur les trois
ou quatre cents personnes qui l'écoutaient, un mécontent se hasardait-il
à l'interrompre; la minorité dissidente n'éclatait qu'après la séance,
soit dans la salle même, soit dans les journaux[101]. D'ailleurs, bien
que La Harpe ne soit plus là pour soutenir ses réquisitoires par
l'habileté de son débit[102], la pitié pour les victimes, surtout la
colère contre les oppresseurs, le souvenir de ses propres périls, le
repentir de ses écarts, le zèle du néophyte y respirent encore.
L'éloquence véritable ne s'y rencontre pas, parce que La Harpe n'a pas
assez mûri sa colère; il s'y abandonne au lieu de la dominer, et
l'exhale dans des pages rarement déclamatoires, rarement injustes, mais
toujours diffuses. L'ensemble n'en demeure pas moins animé, et le détail
offre de la couleur et du trait.

Le Lycée qui applaudissait La Harpe lui-même n'avait pas encore rompu
avec la République. C'est une erreur que de croire, comme on le fait
d'ordinaire, qu'il était sorti monarchiste de la prison du Luxembourg:
il en était seulement sorti chrétien. Ce qui a trompé, c'est qu'on a
jugé de ses opinions par son cours de littérature où, comme il le dit
lui-même, et comme les contemporains l'avaient remarqué, il a retouché
ses discours et ses leçons du Lycée; il suffit, pour sortir d'erreur, de
se reporter aux journaux du temps.

Rappelons d'abord que La Harpe est l'auteur de la pièce de vers
officielle lue dans la fête célébrée le 20 octobre 1794 (30 vendémiaire
de l'an III), à l'occasion de l'évacuation complète du territoire de la
République, et que cette ode exprime non seulement l'amour de
l'indépendance, mais celui de la liberté. Puis, interrogeons sur le
langage tenu par La Harpe au Lycée le 31 décembre 1794, non plus le
texte remanié du _Cours de littérature_, mais le _Journal de Paris_, qui
en publia la péroraison d'après un texte communiqué, peu de jours après
la séance, par La Harpe lui-même. Voici un passage de cette péroraison:
«Non, tous ces crimes ne sont point notre Révolution: car ils ne l'ont
pas détruite, et le crime se détruit toujours lui-même. Non, leur
tyrannie n'est point notre liberté; car leur tyrannie a passé, et notre
liberté ne passera point. Redisons à l'Europe et à la postérité: Jugez
notre République non par ce qu'elle a souffert, mais parce qu'elle a
fait.» Par ces derniers mots, il entend, outre les victoires remportées
sur les ennemis, la conduite de la France depuis le 9 thermidor; il
appelle les conventionnels qui se sont unis contre Robespierre les
_dignes représentants_ de la nation, les loue d'avoir révoqué de
mauvaises lois, vante la gravité, l'énergie des rapports de Johannot, de
Grégoire, des deux Merlin, de Chénier, de Boissy d'Anglas, de Ramel,
_les discours véhéments et courageux_ de Laignelot, de Legendre, de
Tallien, de Fréron, de Clauzel contre les terroristes: «La Convention,
depuis qu'elle s'est si fièrement affranchie, a-t-elle fait autre chose
que du bien? N'est elle pas sans cesse occupée à fermer des plaies que
le temps seul peut cicatriser? Sachons attendre, puisque nous avons su
souffrir... Que tous se persuadent bien que, notre Révolution ayant pour
but une constitution républicaine fondée sur les droits de l'homme, ce
qu'il y a de plus éminemment révolutionnaire, c'est la raison, la
justice et la vérité!» La Harpe concluait ainsi, après un appel à la
concorde: «S'il reste encore quelques mécontents entêtés de leurs
anciens préjugés, ils ne seront ni écoutés ni même aperçus. Leurs
plaintes stériles et leurs impuissants murmures se perdront dans la
félicité universelle, comme dans l'immensité de la mer, quand un vent
favorable porte le navire, on n'entend que l'heureux bruit du sillage
régulier, si doux à l'oreille du navigateur qui se livre à l'espérance
et à l'allégresse, sans savoir et même sans songer si quelque vent
ennemi siffle loin d'eux dans quelques détroits obscurs ou sur des
roches inconnues[103].» Voilà qui est catégorique! Ni Benjamin Constant,
ni Ginguené, ni aucun des publicistes qui défendirent plus tard la
République contre La Harpe, n'eût désavoué ce langage; aucun d'eux
n'exprimait même alors avec cette netteté et cette chaleur la
possibilité et le devoir de procurer à la France l'ordre et la liberté
par un gouvernement républicain.

Le même sentiment se rencontre dans un autre morceau lu par La Harpe
quelques jours après au Lycée, et communiqué également par lui au
_Journal de Paris_; car si La Harpe s'y prononce avec énergie sur le
devoir d'imposer silence aux tribunes qui essayaient encore d'intimider
la Convention, il s'écrie aussi: «Enfin, grâce à la Révolution,
l'éloquence est rentrée ainsi que nous dans tous ses droits[104]!» Aussi
bien les plus fermes républicains le tenaient-ils pour un des leurs: non
seulement dans un _Rapport sur les destructions opérées par le
vandalisme_ et sur les moyens de les réprimer, Grégoire l'avait compté,
le 14 fructidor an II, parmi les hommes paisibles que les hébertistes et
les amis de Robespierre avaient fait incarcérer pour leur esprit et
leurs talents, mais nous avons vu Boissy d'Anglas le présenter, le 18
brumaire de l'an III, comme un républicain de la veille, et quelques
jours plus tôt le gouvernement lui demander une ode patriotique. Enfin
sa nomination de professeur à l’École normale, le 19 nivôse an III (8
janvier 1795)[105], prouve l'accord persistant de ses vues avec celles
de la Convention. Il défendit même publiquement, le 15 mars 1795, le
plan d'études tracé par elle pour cette École dans une verte réplique à
l'auteur du pamphlet _la Tour de Babel_, qui disait qu'on voulait faire
entrer en quatre mois l'Encyclopédie dans la tête des élèves[106]! Dans
son cours à l’École normale, il combattit l'athéisme aux
applaudissements de ses auditeurs; mais quand il exhortait les futurs
instituteurs à _mettre toujours Dieu entre leurs élèves et eux_, il
déclarait les engager par là _à remplir les vues bienfaisantes de nos
représentants_; c'est dans la chaleureuse péroraison du discours qu'il
prononça pour la clôture annuelle des cours, et que le _Journal de
Paris_ publia le 14 prairial an III (2 juin 1795), que se trouvent ces
expressions.

Il n'est même pas sûr qu'en rompant avec la Convention La Harpe et son
élégant auditoire aient tout d'abord rompu avec la République; car,
malgré les factums dans lesquels La Harpe attaqua vivement les
précautions que les conventionnels projetaient contre un revirement de
l'opinion, le _Journal de Paris_, qui avait loué son attachement à la
Révolution et qui plus tard se distinguera parmi les adversaires de La
Harpe, loue sa brochure _le Salut Public ou la Vérité dite à la
Convention, par Un homme libre_[107]. Les harangues que, d'après le
Mémorial de Sainte-Hélène, La Harpe prononçait alors dans les Sections
contre les conventionnels, le mandat d'arrêt lancé contre lui au
lendemain de la canonnade de Saint-Roch, et le grief, d'ailleurs fort
vague, fondé sur les papiers de Lemaître, qui pendant treize mois
l'obligèrent à vivre au moins à demi caché[108], n'interrompirent pas
les bonnes relations de La Harpe avec ce journal: le 5 frimaire an V (25
novembre 1796), les rédacteurs le félicitent chaleureusement de pouvoir
enfin se préparer à reparaître dans sa chaire.

Il allait donc encore une fois briller parmi ses collègues, dont le même
numéro du _Journal de Paris_ donne la liste[109]: Ant. Deparcieux pour
la physique, Fourcroy pour la chimie, Sue pour l'anatomie, Brongniart
pour la zoologie, Gautherot pour les arts et manufactures, Demoustier
pour la morale, Roberts pour l'anglais, Boldoni pour l'italien,
Coquebert pour les poids et mesures, Sicard pour l'art d'instruire les
sourds-muets. Plusieurs de ces hommes égalaient La Harpe pour le talent
d'exposition et le surpassaient par la portée de leur esprit; mais
devant des gens du monde la partie n'était pas égale. Les
administrateurs du Lycée venaient de supprimer, disent-ils dans leur
programme pour l'an V, le cours d'astronomie et de navigation comme ils
avaient précédemment supprimé celui de mathématiques, parce que ces
sciences ne sont pas propres à être étudiées autrement que dans le
silence du cabinet: la vérité était évidemment que leur public n'avait
ni les notions ni l'application qu'exigent de pareilles études. La
morale elle-même, quoique fort populaire alors (nous ne disons pas fort
respectée), devait prendre un air de galanterie pour paraître devant
lui: Demoustier avait, en effet, choisi pour son cours de cette année
les devoirs des femmes, leur mission de dépositaires du bonheur public,
l'union de leurs plaisirs et de leurs devoirs. Comment l'aimable public
du Lycée se fût-il aperçu que Fourcroy, qu'au reste il goûtait fort,
était plus profond que La Harpe? L'époque, d'ailleurs, appelait ces
digressions sur la politique auxquelles la littérature offrait, on en
conviendra, un prétexte plus naturel que la chimie.

Celles auxquelles La Harpe se livra au cours de l'année 1797 prirent un
caractère nouveau.


III

Alors, en effet, il attaque la philosophie du dix-huitième siècle tout
entier, la République et même la Révolution en général. Il embrasse dans
une haine commune tous les partis qui, depuis 1789, ont dirigé la
France. Le terme de républicain devient dans sa bouche une expression
flétrissante; il réprouve _les publicistes actuels qui nous ordonnent
sous peine de la vie de regarder comme des mots synonymes la royauté, le
despotisme, les tyrans_. Ses articles du _Mémorial_ qu'il rédige avec
Fontanes et Vauxcelles, et où il déclare qu'en 1793 la Révolution
comptait déjà quatre années de crimes, ne sont pas plus amers ni plus
violents que ses leçons[110]. J'ignore ses relations avec le
conspirateur royaliste Brotier dont les papiers rangent La Harpe avec
Lacretelle et Richer-Serisy parmi les principaux meneurs des
sections[111]; mais il est manifeste qu'il appartient alors de cœur au
parti royaliste.

Sainte-Beuve, dans un article sur Mme de Staël, émet l'opinion que ce
ne dut pas être au Lycée demeuré fidèle à l'esprit de la Révolution que
La Harpe se rétracta de la sorte, mais plutôt rue de Provence, près de
la rue du Mont-Blanc[112]. Cette conjecture doit être écartée. Car,
outre qu'elle a contre elle une assertion positive de M. Thiers[113], je
n'ai rien trouvé qui l'appuie, ni dans les nombreuses notes ou préfaces
du _Cours de littérature_ où La Harpe fournit des éclaircissements sur
son enseignement, ni dans Daunou, son exact et véridique biographe,
quoiqu'il avance que le Lycée l'avait rayé de sa liste après Vendémiaire
et ne l'y rétablit qu'à la fin de 1796. Nous verrons La Harpe inscrit en
1797 sur la liste des cours d'un autre établissement, mais cet
établissement comptera précisément parmi ses membres plusieurs amis
dévoués du gouvernement. Les procès-verbaux du Lycée conservés à l'Hôtel
Carnavalet prouvent que La Harpe y resta durant tout le cours de l'an V
et que l'on comptait sur lui pour l'an VI[114]; et toutes les fois que
les contemporains relèveront une diatribe de La Harpe, c'est dans leurs
comptes rendus des séances du Lycée Républicain.

Pourquoi donc La Harpe et la société polie qui l'écoutait, si patients,
si confiants sous les thermidoriens, haïssent-ils les hommes du
Directoire à qui ils ne peuvent reprocher la Terreur? La cause en est
dans la politique haineuse et méprisante à laquelle le Directoire se
laissait aller contre le catholicisme. Provoqué par la propagande que
les prêtres insermentés faisaient en faveur de la royauté, il revint sur
la tolérance que la Convention avait fini par accorder[115]. Nourri des
livres de Voltaire et de Rousseau, il constatait avec surprise et
mécontentement l'ascendant que le catholicisme conservait encore; il
avait cru épargner un moribond, et le malade se portait mieux que lui.
Alors ces hommes qui avaient détesté et renversé Robespierre, mais qui
avaient pris sous lui l'habitude de gouverner despotiquement,
employèrent tout un système d'intimidation et de sarcasme contre une
religion qui s'obstinait à vivre et menaçait la République de ses
représailles. Ce fut ce retour partiel à la violence, ce repentir
malencontreux d'hommes modérés tels que Chénier et La
Révellière-Lepeaux[116], qui brouillèrent La Harpe et ses auditeurs avec
le gouvernement. Ce sont les écrits et les instructions de La Révellière
contre le christianisme qui excitèrent sa colère; c'est quand une
administration locale déclare que, _fidèle aux principes républicains_,
elle a _soigneusement défendu_ aux instituteurs publics _de mêler à
leurs leçons rien qui puisse rappeler l'idée d'un culte religieux_,
qu'il s'écrie au Lycée: «Partout on se demandera quel doit être l'état
d'un peuple dont les magistrats parlent ce langage _au nom de la loi_
(souligné) et que peut être une _république_ (souligné) dont ce sont là
les principes.» C'est en haine de ceux qu'il appelle des _oppresseurs
philosophes dont la place n'est déjà plus tenable dans l'opinion et qui
bientôt n'en auront plus aucune_, qu'il conçoit pour la République une
aversion qui va parfois jusqu'à troubler son jugement: ne prétendra-t-il
pas bientôt que la journée du 30 prairial an VII (18 juin 1799), dans
laquelle ses amis, unis à leurs adversaires, ont chassé La Révellière du
Directoire, _a remis au premier rang dans la République les complices de
Babœuf_?[117].

L'enseignement de La Harpe et ses articles dans le _Mémorial_ jetèrent
les partisans du Directoire dans une irritation qui se marqua, lors du
18 fructidor, par un arrêt de proscription et inspirèrent aux
voltairiens de toute opinion un ressentiment qui n'est peut-être pas
encore apaisé de nos jours[118].

Cependant le Lycée Républicain ne souffrit pas des attaques dirigées par
La Harpe contre le gouvernement. Il se tira également bien d'une autre
difficulté: l'année 1797, qui le priva pour deux ans de La Harpe, lui
avait, dès les premiers jours, suscité un nouveau rival: le 17 janvier,
les fondateurs d'un Salon des Étrangers, qui existait depuis deux ans,
ouvrirent un établissement analogue, le Lycée des Étrangers, appelé
aussi Lycée Marbeuf, du nom de l'hôtel où il fut d'abord installé dans
le faubourg Saint-Honoré, puis Lycée Thélusson quand il eut été
transporté à l'hôtel Thélusson, rue de Provence, en face de la rue
d'Artois, et quelquefois aussi Lycée de Paris[119]. Ce Lycée avait
obtenu que plusieurs des professeurs de la rue de Valois lui prêtassent
aussi leur concours: aux noms peu connus d'Audin Rouvière, de Pinglin,
chargés l'un de l'hygiène, l'autre de la logique, il était fier
d'ajouter ceux de Sue pour l'histoire naturelle, de Demoustier pour la
_morale à l'usage des dames_, de La Harpe enfin pour la littérature. Il
ne faudrait pas croire qu'il eût pour cela dérobé ces trois professeurs
au Lycée de Pilâtre. Les termes dans lesquels la _Décade_ annonce le 30
nivôse an V qu'ils vont enseigner à l'hôtel Marbeuf marquent bien qu'ils
gardent leur première chaire: «Ce qu'il y a de singulier, dit-elle,
c'est que ce sont à peu près les mêmes professeurs qui remplissent les
chaires de l'autre Lycée, c'est-à-dire La Harpe, Sue, Demoustier.» Pour
La Harpe, en particulier, c'est au Lycée Républicain qu'il recommença en
1797 la réfutation d'Helvétius qu'il y avait présentée en 1783. On
retrouve sur tous les programmes ultérieurs du Lycée Républicain, sinon
Demoustier, du moins Sue et même La Harpe dès qu'il ne croit plus le
séjour de Paris dangereux pour lui. Les trois professeurs avaient sans
doute cédé au désir légitime d'accroître leurs ressources[120].

Il ne faudrait surtout pas croire que le nouveau Lycée eût été fondé
dans une pensée d'hostilité contre la République. Si La Harpe y
professe, si en juin 1797 on y couronne son buste, la _Décade_, qui sur
un rapport inexact le raille d'avoir assisté complaisamment à sa propre
apothéose[121], n'attribue au Lycée Marbeuf aucun caractère politique.
Comment l'aurait-elle fait, quand Chénier comptait au nombre des
souscripteurs de ce Lycée, et quand un des statuts en bannissait la
politique? C'est le journal même de Chénier, le _Conservateur_, fondé le
1er septembre 1797, trois jours avant le 18 fructidor, qui nous
l'apprend dans le numéro du 3 floréal an VI. La vérité est que ce Lycée
offrait l'attrait alors plus rare que jamais d'_une douce société_; le
mot est de la _Décade_; les discussions irritantes étaient formellement
exclues des morceaux qu'on présentait à ses concours et bannies même des
conversations. L'on était sûr de goûter, dans un cercle où l'irascible
Chénier consentait, c'est tout dire, à n'être qu'un poète, le plaisir
d'oublier ce qu'on avait fait ou souffert pendant la Terreur. On y
venait dans les instants où l'on était las d'entretenir ses propres
ressentiments. Des femmes du monde, des hommes de lettres, des artistes
de tous les partis ou dégagés de tous les partis, Lebrun, Lemercier,
Ducis, Palissot, Cherubini, Lesueur, Méhul, Mesdames de Beauharnais et
Dufresnoy s'asseyaient auprès de Rouget de l'Isle et de David, l'ancien
ami de Marat. Il aurait fallu que les vers soumis avant la lecture
publique au jugement d'Arnault, de Legouvé, de Laya et de Vigée fussent
bien mauvais pour ne pas plaire à un auditoire heureux et surpris de se
trouver si pacifique. Ce Lycée avait un journal à lui, _les Veillées des
Muses_, qui trouvait des lecteurs. On avait sans doute la même
indulgence pour ses cours, mais on la témoignait en n'en parlant pas.

Nous ferons de même, et nous répondrons au journaliste malin qui
constate que telle leçon n'y a duré qu'un quart d'heure, que dans ces
cours, au moins, on n'avait pas le temps de s'ennuyer[122].


IV

Le Lycée des Arts avait de plus justes titres à balancer la célébrité
du Lycée Républicain. Il avait même rendu des services plus immédiats.
Durant ces années où il fallait défendre à la fois la France contre
l'ennemi et contre la famine, ses membres, tout en faisant leurs cours,
s'étaient employés avec un zèle admirable à provoquer, à faire connaître
les inventions utiles, depuis la machine à fabriquer des canons que
venait d'inventer un ancien facteur de pianos, Jean Dillon, depuis les
procédés nouveaux pour faire du salpêtre, jusqu'aux moyens de réserver
toute la farine pour l'alimentation; depuis l'exploitation des mines
jusqu'à l'élève des vers à soie et aux machines à moissonner ou à
fabriquer des rubans[123]. Dès la fin de 1794, le Lycée des Arts avait
rédigé plus de cent cinquante rapports signés des noms de Lavoisier, de
Darcet, de Fourcroy, de Vicq d'Azyr, de Lalande, etc.; en janvier 1797,
il avait récompensé déjà cinq cent quatre-vingts inventions ou
perfectionnements utiles[124]. Il appuyait d'autant plus efficacement
les inventeurs pauvres auprès du gouvernement que ses membres
composaient en grande partie le Bureau de consultation des Arts et
Métiers, établi le 12 septembre 1791 pour leur distribuer 300,000 livres
par an; il payait, nous l'avons dit, une partie des frais de
l'application de leurs théories; il leur offrait un Bureau central des
Arts pour se mettre en communication avec les industriels, une caisse de
dépôts pour la montre et la vente de leurs machines moyennant un droit
de 3 p. 100, leur avançait de l'argent aux mêmes conditions, et
souhaitait que, à l'exemple de l'Angleterre, le gouvernement prêtât
gratuitement à tout homme qui en aurait besoin, sur sa valeur
personnelle estimée d'après sa profession[125]. Cinq sociétés d'utilité
publique recevaient de lui l'hospitalité; la Vendée ravagée lui
demandait un modèle de pressoirs propres à être construits rapidement,
et il promettait d'en fournir un dans les quarante-huit heures;
plusieurs départements, qui manquaient de professeurs pour leurs Ecoles
centrales, en réclamaient de lui.

Nous passerons, à un établissement d'un zèle reconnu, l'apparence de
futilité que lui donnaient ses concerts et ses fêtes[126]. Nous
donnerons acte des encouragements qu'il offrait à la vertu. Nous ne nous
permettrons pas, comme la _Décade_ du 10 germinal an IV, de sourire de
ce vœu adressé à un fabricant de filigrane: «Puissions-nous enflammer
votre génie et l'encourager à produire de nouveaux miracles!» Mais nous
ne lui accorderons pas le sens pédagogique; non que plusieurs de ses
membres ne sussent parfaitement enseigner, mais ils méconnaissaient une
vérité primordiale, savoir: que le talent des maîtres ne supplée pas à
l'insuffisance de préparation des élèves. Il est vrai que sur ce point
le malheur du temps les ramena malgré eux à des visées plus sages; en
l'an II ils avaient professé des cours dont la plupart, pour être
entendus, auraient réclamé des auditeurs une vocation éprouvée dans un
examen: agronomie, mécanique et perspective, calcul appliqué au commerce
et aux banques, physique végétale, chimie appliquée aux arts, harmonie
théorique et pratique, contrepoint, composition, technologie
(c'est-à-dire tout ce qui a rapport aux manufactures); mais l'année
suivante, la réquisition ne laissant à Paris que les jeunes gens
au-dessous de dix-huit ans, le Lycée des Arts ne distribua durant l'an
III, outre l'enseignement primaire, que les connaissances qu'on acquiert
aujourd'hui dans les Ecoles de commerce. Mais en l'an IV, l'anatomie, la
physique végétale, l'économie politique reparurent; la chimie
s'installa à côté d'elles; Sue et Fourcroy remontèrent en chaire,
introduisant avec eux Brongniart: par malheur, pour de tels cours, ce ne
sont pas toujours les maîtres, même illustres, qu'il est le plus
difficile de trouver.

Le directeur du Lycée des Arts n'entendait peut-être pas très bien non
plus les règles d'une bonne éducation. N'était-ce pas exalter par une
récompense disproportionnée l'amour-propre de ses jeunes élèves que de
présenter les meilleurs d'entre eux à la Convention[127]? On nous
répondra que cet honneur était si prodigué qu'il ne devait plus tourner
les têtes. Soit! Mais, même dans un temps où nos soldats observaient
leur _pacte avec la mort_, était-il sage de confier aux quatre cents
élèves gratuitement admis, le soin de rédiger leur règlement d'ordre, et
fallait-il demander à l'âge de l'étourderie un serment de bien
travailler[128]? Espérons du moins que le Lycée des Arts n'avait pas
invité ses écoliers à la séance publique où il laissa une institutrice
de la rue des Champs-Elysées faire réciter par une de ses élèves un
morceau sur l'influence réciproque des deux sexes qu'heureusement, dit
la _Décade_ du 30 thermidor an III, l'enfant n'était pas en état
d'avoir composé!

Mais ces erreurs ne doivent pas faire oublier les services qu'il a
rendus à la science, surtout si l'on se souvient qu'il donnait son zèle
gratuitement, que l'entrée aux séances publiques même était gratuite, et
que les deux artistes qui prirent à leur charge les frais que le
désintéressement des savants ne pouvait supprimer ont caché leurs
noms[129].

Ce n'est qu'en l'an III que l'administration revint à l'espérance de
faire payer l'entrée aux cours et aux séances: on espérait tirer de là
quelques ressources qui, jointes au produit de la vente du _Journal des
Arts_ et de notices sur les inventions examinées par le Lycée et aux
cotisations des membres de son directoire, permettraient de subvenir à
des dépenses qui en l'an IV allaient monter à 500,000 francs par an; on
aurait aussi voulu, à partir de l'an IV, assurer quelques honoraires aux
professeurs[130]. Encore réservait-on quatre cents places pour les
sujets pauvres; et le _Journal de Paris_ put annoncer le 23 février et
le 10 mars 1795 que, _à la prière de quantité de nos frères des
départements_, appelés à l’École normale, le Lycée des Arts ouvrait dix
cours dialogués où il leur offrait six cents places également gratuites.
Malheureusement les recettes n'atteignirent pas la somme qu'on espérait:
bien que les membres se décourageassent si peu qu'en l'an V ils étaient
trois cents[131], il fallut solliciter l'appui du gouvernement. Déjà, le
17 messidor an III, le directoire du département de la Seine avait
recommandé le Lycée des Arts à la libéralité de la Convention, et, le 19
vendémiaire de la même année, Grégoire avait demandé et obtenu que
l’État imprimât à ses frais les rapports lus dans les séances publiques
du Lycée des Arts[132]; mais cela ne suffit pas. Enfin le 1er
vendémiaire de l'année suivante, Lakanal, au nom du comité d'instruction
publique, obtint pour lui, à titre d'encouragement, une somme de 60,000
livres.

Pourtant des infiltrations détérioraient le local, l'architecte ayant eu
l'ingénieuse idée de mettre les salles en contre-bas du jardin et
d'entourer l'édifice d'une pièce d'eau. Ne pouvant obtenir qu'on le
réparât[133], Désaudray sollicita, comme compensation, un prolongement
de bail ou, à charge d'entretenir en bon état le Jardin-Égalité, la
jouissance gratuite; mais certaines personnes mal disposées crièrent au
charlatanisme, prétendirent qu'il ne cessait de demander de l'argent; et
en ventôse an V, sur un rapport de Camus, les Cinq-Cents passèrent à
l'ordre du jour sur la proposition[134]. Le gouvernement songeait même à
s'épargner les frais d'assainissement que réclamait le quartier du
Palais-Royal en faisant passer des rues sur l'emplacement du jardin, et
laissait la _Décade_ penser toute seule qu'il conviendrait en pareil cas
de donner un autre local au Lycée des Arts[135].

Une circonstance imprévue dispensa le gouvernement de commettre une
injustice: le 26 frimaire an VII (6 décembre 1798) un incendie consuma
entièrement le cirque où le Lycée des Arts était installé; et il faut
bien croire que l'établissement passait pour faire mal ses affaires; car
certains accusaient, sans preuves d'ailleurs, les administrateurs
d'avoir allumé eux-mêmes le feu[136].

Cet événement porta un coup sensible au Lycée des Arts. Il erra quelque
temps de salle en salle; un de ses membres, Frochot, préfet de la Seine,
lui donna asile à l'Oratoire, alors sécularisé, puis à l'Hôtel de ville.
Mais l'imminente réorganisation des écoles publiques fournit un prétexte
opportun pour cesser les cours[137]. Réduit au rôle plus aisé à soutenir
de société d'encouragement, le Lycée des Arts, devenu l'Athénée des
Arts, continua tant à publier qu'à récompenser des travaux littéraires
et surtout scientifiques. Ses séances publiques, où l'on entendit, entre
beaucoup d'autres poètes, Mme Anaïs Ségalas, et auparavant la belle
Théis, qui s'appelait alors Mme Pipelet avant de s'appeler la princesse
de Salm, attirèrent encore longtemps la foule. Car il ne cessa
d'exister qu'à la fin de 1869. Mais le grand public avait peu à peu
perdu la mémoire de son désintéressement, de ses services, de ses
exemples. Toutefois, la science contemporaine se souvient de lui: M.
Berthelot l'a mentionné avec honneur en août 1888 dans le _Journal des
Savants_[138].


V

Le Lycée Républicain, avec des cours plus attrayants et plus de
professeurs célèbres, se maintint beaucoup mieux. L'absence de La Harpe,
entre le 18 fructidor et la fin de l'année qui suivit le 18 brumaire,
lui causa sans doute quelque préjudice. Il l'avait remplacé par Mercier,
qui, dans une leçon, prit Newton à partie et replaça, de son autorité
privée, la terre au centre du monde[139]. Du moins l'auditoire ne
s'endormait pas; et La Harpe trouva un public attentif devant sa chaire,
quand il y remonta à la fin de 1800.

Au surplus, il amenait avec lui et plaçait savamment en évidence une
auditrice dont la présence eût suffi pour remplir la salle, Mme
Récamier; mais son talent et ses digressions politiques n'avaient rien
perdu de leur popularité[140]. À la rentrée de l'an IX, on remarqua que
le public était cinq fois plus nombreux que précédemment; et M. Legouvé
m'a signalé le récit[141] d'une curieuse ovation que l'auditoire fit un
jour à son professeur favori: La Harpe, dit Bouilly dans les
_Encouragements de la Jeunesse_, ayant passé la nuit à retoucher un
morceau sur La Fontaine, s'endormit dans la salle d'attente du Lycée,
tandis qu'un de ses collègues occupait la chaire; il dormait encore
quand celui-ci eut fini; on respecta son sommeil, et Luce de Lancival,
prenant ses cahiers, fit sa leçon à sa place; mais La Harpe s'éveille,
écoute, s'approche, se montre sans le vouloir, et la salle éclate en
applaudissements. Mais les clameurs soulevées par la publication de sa
Correspondance Russe et l'intempérance de ses attaques contre les
philosophes, firent oublier à Bonaparte que La Harpe avait exalté le 18
brumaire; et, une troisième fois, La Harpe, sexagénaire et malade, dut
quitter le Lycée et Paris[142]. Il ne revint guères d'exil que pour
mourir le 11 février 1803[143].

Il n'emportait pas avec lui la fortune du Lycée[144]: l'administration
avait acquis à la fin de 1800 de précieux collaborateurs en donnant à
Rœderer une chaire d'économie politique, à de Gérando une chaire de
philosophie morale; et celui-ci, résolu à s'interdire les réquisitoires
que La Harpe n'avait pas eu tort de prononcer jadis, mais qu'il avait
tort de répéter sous le Consulat, avait prononcé ces belles paroles:
«C'est parce que nous avons tous souffert qu'il nous convient à tous
d'oublier. Ce serait peut-être aujourd'hui être l'ennemi du présent, de
l'avenir, que d'insister trop sur les souvenirs du passé;» enfin, recrue
bien plus illustre, le Lycée s'était adjoint un peu auparavant Cuvier
pour l'histoire naturelle des animaux[145], et Biot, Thénard et
Richerand y commencèrent, quelques années après, le premier un cours de
physique expérimentale, le second un cours de chimie, le troisième un
cours de physiologie[146]. A.-M. Ampère y enseigna, en 1806-1807, le
calcul des probabilités. Sans avoir une aussi bonne fortune pour
l'enseignement des lettres, le Lycée, à la fin de 1803, put enfin
ressaisir Garat, et s'agréger l'érudit et spirituel Ginguené, pour
lequel il fonda une chaire d'histoire littéraire moderne, et qui
préluda, devant ses auditeurs, à son important ouvrage sur la
littérature italienne[147]. Seule, la chaire de La Harpe ne rencontra
pas un brillant titulaire; on la donna à Vigée. François Hoffmann
s'exprime avec inexactitude dans la première de ses _Lettres
champenoises_ quand il présente Chénier comme ayant succédé à La
Harpe[148]. Chénier ne professa au Lycée que dans les deux années qui
précédèrent les _Lettres champenoises_ de 1807; il y fit alors, d'après
la _Nouvelle Biographie générale_, un cours sur la littérature française
jusqu'à Louis XII; auparavant, il y avait simplement lu quelques
morceaux, par exemple, comme nous l'apprend l'édition des œuvres de
Chateaubriand de 1836, son jugement sur _Atala_.

La coutume s'était en effet introduite au Lycée de donner des séances
littéraires où ne paraissaient pas seulement les professeurs: Luce de
Lancival, Legouvé, Daru y lisaient des vers. On avait même cessé d'y
dédaigner l'appât de la musique[149]. Les administrateurs, entrant dans
la pensée de Pilâtre de Rozier, voulaient en faire un lieu de réunion
mondaine en même temps que d'étude; de là, l'ouverture des salons de
lecture et de conversation dont nous avons parlé.

Ce mélange de solidité et de frivolité permit au Lycée Républicain de se
soutenir. Le retour de la tranquillité, de la prospérité, le silence
auquel fut bientôt réduite la tribune politique lui profitèrent.
L'épithète qu'il avait prise pendant la Révolution n'allait bientôt plus
être compatible avec les institutions de la France: une conjoncture lui
épargna la mortification de l'immoler à Bonaparte, et lui fournit une
occasion décente de changer de nom. Les établissements nationaux
d'enseignement secondaire ayant reçu en 1803 le nom de Lycées, il prit
celui d'Athénée tout court: l'adjectif compromettant disparut ainsi sans
bruit avec le substantif.

C'étaient d'ailleurs alors des citoyens fort paisibles que les habitués
de ces cours: on nous les représente dormant près du feu ou parcourant
des journaux dans le cabinet de lecture en attendant qu'un des garçons
de service annonçât le commencement d'une leçon[150]. Mais ils étaient
fortement attachés à un établissement où ils trouvaient des plaisirs si
variés: ils le prouvèrent en lui demeurant fidèles malgré l'acharnement
avec lequel certains des adversaires de la Révolution essayèrent de le
déconsidérer. Les rédacteurs des _Débats_, en particulier, Féletz
d'abord, puis Hoffmann, épuisèrent leur ironie sur les leçons et les
lectures qu'on y entendait. Le premier surtout ne cessait de harceler
d'épigrammes poliment désobligeantes Vigée et Ginguené. Les incidents
fâcheux qui, par aventure, se produisaient avant ou pendant la leçon
étaient aussitôt publiés par lui. Vigée perdit enfin patience, et un
procès intenté à Féletz en 1804 délivra pour onze ans l'Athénée d'un
auditeur malveillant. Mais d'autres continuèrent la guerre, en attendant
que les _Débats_ revinssent à la charge à partir de 1807 avec les
_Lettres champenoises_ d'Hoffmann et que la _Gazette de France_ pour des
raisons analogues s'acharnât contre le cours d'éloquence de Victorin
Fabre que le _Mercure_ soutenait.

Les adversaires de l'Athénée lui reprochaient deux choses, le caractère
superficiel de son enseignement et sa partialité contre le
christianisme: griefs en partie fondés. Néanmoins le parti pris,
l'insistance de Féletz lui font peu d'honneur. Autant on approuverait
quelques articles où l'esprit du cours de Ginguené ou du Lycée en
général serait exposé et critiqué, autant cette réfutation ironique,
composée au jour le jour, fatigue même le lecteur désintéressé ou acquis
aux idées que le journaliste défend. Aussi éprouve-t-on du plaisir à
constater par les aveux répétés de Féletz et d'Hoffmann que les cours
attiraient encore beaucoup d'auditeurs. On aime à entendre un de nos
détracteurs, Auguste de Kotzebue, avouer, dans ses _Souvenirs de
Paris_, qu'il est impossible de trouver à aussi bon marché un plaisir
plus varié et qui flatte plus agréablement l'esprit. Pourtant on cessa
de faire salle comble: les embarras financiers un instant conjurés
reparurent. Mais l'Athénée restait en possession de la faveur publique.

Vers 1810, deux nouveaux professeurs y avaient contribué; Gall, en
exposant son système sur la _cranioscopie_, Lemercier par le cours de
littérature dramatique qu'il publiera plus tard en 1820 après l'avoir
repris sous la Restauration. Ces deux cours furent plus remarqués encore
que les professeurs ne l'auraient désiré: Gall fut poursuivi de brocards
par les journalistes ennemis de l'Athénée, et Lemercier faillit payer
encore plus cher son succès. Les esprits cultivés étaient alors si las
du despotisme impérial, des guerres éternelles où Napoléon épuisait la
France, que le sage Guizot, dans sa leçon d'ouverture du 11 décembre
1812 à la Faculté des Lettres, faussait par instants l'histoire pour
censurer, non sans excès, le gouvernement de l'Empereur. Lemercier, de
son côté, employait les auteurs anciens à rappeler aux auditeurs de
l'Athénée que le despotisme tue la poésie. Ses paroles étaient
rapportées au maître, et, en attendant que l'autorité punît ces
insinuations, un fanatique de Napoléon prit sur lui de tirer sur
Lemercier un coup de pistolet qui heureusement rata. Lemercier dut
interrompre son cours[151].



CHAPITRE IV.

Période de la Restauration.


I

Sous la Restauration, l'Athénée perdit quelques-uns de ses titres à la
faveur des juges impartiaux. Il ne faut pas accepter aveuglément
l'affirmation des _Débats_ du 15 novembre 1820, qui le déclarent en
décadence. Pourtant, il est vrai que la maison dut remercier cette
année-là, par raison d'économie, le professeur d'italien Boldoni, qui
lui appartenait depuis vingt-cinq ans, et que le nombre des cours, qui
était d'environ quinze sous le Consulat, tombe à environ dix sous la
Restauration et sous les premières années du règne de Louis-Philippe. Ce
n'est pas, on le verra bientôt, que l'Athénée ne garde point un
auditoire nombreux, enthousiaste. Mais nous avons fait remarquer plus
haut qu'un établissement aussi dispendieux avait besoin de conserver sa
clientèle tout entière, et, sous la Restauration, cette clientèle se
divisa de nouveau.

Le numéro précité des _Débats_ en accuse une mauvaise administration: de
fait, le fréquent changement des professeurs et des cours que l'on
remarquera dans les programmes de cette période marque bien chez les
directeurs un manque d'esprit de suite. Toutefois deux circonstances
indépendantes des administrateurs de l'Athénée lui ont sans doute nui
davantage.

En premier lieu, tant que la Sorbonne et le Collège de France avaient
continué à distribuer sans éclat un enseignement abandonné par le grand
public aux étudiants, il n'avait eu à lutter que contre des
établissements privés qui, dès l'abord ou bientôt, faisaient, comme lui,
payer leurs leçons, et il avait soutenu victorieusement la concurrence.
Le Collège de France avait eu beau se mêler, dès avant la fondation du
Lycée, de tenir des séances solennelles à l'exemple des Académies[152]:
faute d'hommes de talent ou du moins faute d'hommes d'esprit, il n'en
avait pas retiré grand honneur, jusqu'au temps où Delille, sous le
Consulat, réveilla par ses vers, moins spirituels encore que son débit,
l'auditoire endormi par la prose de ses collègues[153]; ses cours
étaient fort arides: la plupart des professeurs exposaient des théories
sans nouveauté, lisaient un texte classique, le commentaient
laconiquement, comparaient, s'il s'agissait d'un ancien, une traduction
avec l'original, et c'était tout[154]. Le cours de littérature française
au Collège de France n'avait encore, en 1805, que cent cinquante
auditeurs, en y comprenant tous les candidats aux grades
universitaires[155]. Les amateurs aimaient mieux payer pour entendre La
Harpe que de s'ennuyer gratuitement sur la montagne Sainte-Geneviève.
Mais, vers la fin de l'Empire, Tissot au Collège de France, La
Romiguière à la Sorbonne, commencèrent à ramener la foule vers les
chaires de l’État auxquelles Cousin, Villemain et Guizot assurèrent sous
la Restauration une popularité sans égale: on trouva dès lors un peu
chères les leçons de l'Athénée.

En second lieu, l'esprit de l'Athénée n'était plus de tout point à la
mode: sa fidélité à la philosophie du dix-huitième siècle diminuait son
influence sur la génération nouvelle. Encore la doctrine de la sensation
se soutenait-elle par son air d'indépendance; mais la timidité d'esprit
qu'elle engendre par ses procédés de minutieuse analyse, la froideur, la
sécheresse dans lesquelles elle enferme ses partisans par la crainte
d'être dupes de l'imagination ou du cœur, ne pouvaient plaire longtemps
à un public charmé des vues générales qui renouvelaient alors l'histoire
des sociétés. L'Athénée avait sans doute avec lui une partie des
libéraux, quand il confiait au jeune Arm. Marrast, à la fin de 1828, un
cours de philosophie destiné à combattre le romantisme et l'éclectisme;
le _Courrier français_ approuvait cette résistance à l'éclectisme, dont
l'apôtre le plus célèbre avait dit, d'après ce journal: «Il y a les
trois quarts d'absurde dans ce que je dis,» et affirmait que cette leçon
facilement et brillamment improvisée avait plu[156]. L'enseignement de
l'Athénée n'en prenait pas moins par là, pour ce qui touche à la
philosophie et à la littérature, un caractère un peu suranné que le
cours de philosophie positive qu'Auguste Comte y professa en 1829-1830
ne lui enleva pas, rien ne ressemblant plus au sensualisme démodé que le
positivisme naissant.

Enfin, pour comble de malheur, l'Athénée repoussait indistinctement tous
les principes du romantisme, auquel ses professeurs, qu'ils
enseignassent l'histoire, la littérature française ou la littérature
italienne, qu'ils se nommassent Jay, Buttura ou Lemercier, déclaraient
une guerre sans merci. Ceux de ses amis qui gardaient plus de mesure,
Benjamin Constant, par exemple, ne se risquaient pas à lui prêcher la
conciliation. Seuls, deux hommes s'y hasardèrent. Le premier, Lingay,
est absolument oublié aujourd'hui; mais le courage, la judicieuse
modération qu'il montre dans sa leçon d'ouverture du 22 novembre 1821,
méritent qu'on s'y arrête un moment. Après avoir déclaré que Lemercier,
auquel il donnait, d'un ton sincère, de grands éloges, avait, dans son
cours, _immolé son génie à son goût_ et développé des théories que le
rigorisme du siècle de Louis XIV eût avouées, mais qui pouvaient
paraître désormais insuffisantes ou excessives, il ajoutait: «Notre
siècle serait un siècle d'imitation, s'il était resté un siècle de
despotisme, de cour et de servitude, ou un siècle de décadence et de
délire sous le règne de cette anarchie déjà si longue en peu de jours
qui atteste si éloquemment la réaction inévitable des institutions sur
les lettres... Laissons dans la tombe de Louis XIV, dans celle de
Voltaire les regrets de toutes les gloires qui ont illustré la
monarchie; hâtons-nous de découvrir et de féconder les espérances qui
reposent dans le berceau de la Charte.» Il accordait que les vieilles
nations ne pouvaient prétendre à la même poésie que les peuples
primitifs, mais il montrait fort bien les inspirations qu'elles
pouvaient en échange tirer de la religion et de la philosophie. N'étant
pas doué du don de prophétie, il se préparait en déniant à la poésie le
pouvoir de peindre les objets physiques, l'irréfutable démenti de Victor
Hugo, mais c'était déjà justifier sa place dans sa chaire que de
comprendre si nettement que Lamartine avait fait une révolution dans la
littérature.

L'autre professeur qui, deux ans plus tard, réclama plus hardiment pour
les poètes le droit de s'affranchir de la tradition, fut Artaud.
Oubliant, comme tant d'autres, que ce sont des clercs de procureurs et
des bourgeois assis aux places à quinze sous, qui ont fondé la
réputation de Corneille et de Racine, il allait jusqu'à appeler notre
système tragique «une littérature morte qui n'a rien de vrai, qui n'est
pas la voix d'un peuple, mais tout au plus l'écho des temps passés,
défigurés par l'ignorance et l'affectation.» Heureusement pour Artaud,
de fines observations firent pardonner cette irrévérence; les plus
intraitables classiques étaient bien obligés de convenir qu'ils
recouraient à un étrange procédé quand ils imputaient leurs propres
torts à leurs adversaires: il nous apprend en effet que les premiers
accusaient les seconds d'employer des inversions forcées, de substituer
la périphrase au mot propre; Artaud renvoyait fort justement la friperie
mythologique dont les novateurs se revêtaient quelquefois par mégarde à
ceux qui prétendaient en affubler de gré ou de force tous les aspirants
à la poésie. On goûtait aussi sa franchise et sa finesse quand il
confessait que le malheur des romantiques était de _se faire les
législateurs d'une littérature qui n'existait pas encore_: «On fait la
poétique de la tragédie romantique, avant d'en avoir. Faites des
ouvrages neufs qui réussissent: on en aura bientôt trouvé la poétique.
Vienne un homme de génie plus profondément ému que les autres à l'aspect
des événements contemporains..., il ne fera qu'exprimer naïvement ce
qu'il aura senti, et par un instinct sûr il ira toucher droit au but.»
Si le romantisme n'a pas tenu toutes ses promesses, c'est parce que le
conseil d'Artaud n'a pas été suivi et parce que son espoir n'a pas été
exaucé; il est bien venu un chef d'école assez grand pour se faire
obéir et admirer, mais aussi peu naïf que possible, qui lui aussi a
rédigé trop tôt sa poétique, et qui a moins étudié l'histoire et la
société que les systèmes débattus autour de lui[157].

Mais tout ce qu'Artaud, comme Lingay, put obtenir, ce fut l'attention
polie des habitués de l'Athénée; son cours ne dura également qu'une
année, et rencontra plus de faveur au dehors que d'adhésion parmi ses
premiers juges. C'est peut-être parce que l'hostilité déclarée de
l'Athénée contre le romantisme limitait ses choix pour les professeurs
de littérature française, qu'il alla souvent les chercher parmi des
hommes incomparablement inférieurs à ses professeurs de sciences: on
comprend fort bien en effet qu'il se soit attaché, pour l'enseignement
de l'éloquence et de la poésie, des hommes tels qu'un Lemercier, un
Tissot, un Jouy; mais l'obscurité d'un Berville, d'un Parent-Réal, d'un
Villenave même, tranche trop vivement, si je puis m'exprimer ainsi, sur
la notoriété ou la gloire de leurs collègues les physiciens ou les
physiologistes.

Toutefois, si les juges impartiaux et clairvoyants commençaient à
mesurer leur faveur à l'Athénée, le gros de la bourgeoisie lui demeurait
fidèle. Il se l'était attachée par une adhésion éclatante au parti
libéral. À la vérité en 1814 il avait envoyé une adresse respectueuse à
Louis XVIII; mais le souvenir des bienfaits du comte de Provence, la
joie d'être enfin délivré de guerres éternelles, d'échapper au
despotisme, de trouver un arrangement qui sauvait l'intégrité du
territoire, suffisent à expliquer cette démarche qui lui est commune
avec le Conseil de l'Université, le Collège de France, la Faculté de
Droit[158]. Au demeurant, les ultras se chargèrent de tuer promptement
la popularité renaissante des Bourbons. Sous ce régime où la censure ne
parvenait pas plus à intimider l'opinion que la Charte à la rassurer, où
l'on avait, si l'on veut parler sans chicane, et le droit de tout dire
et le droit de tout craindre, l'Athénée accueillit hardiment les
discussions politiques.

Benjamin Constant les y introduisit, en effet, tantôt sous la forme de
ces questions générales où il excellait, tantôt sous celle d'hommage
rendu à un étranger de mérite; «L'Athénée,» disait un peu naïvement la
_Minerve_, en 1819, «s'est ouvert une route nouvelle: débattre les
questions politiques est un moyen assuré d'exciter un grand intérêt. La
dernière lecture de M. B. Constant avait pour objet de rechercher la
différence qui existe entre la liberté des peuples anciens et la liberté
des nations modernes. L'assemblée était nombreuse et brillante, et
l'orateur a été souvent interrompu par de fréquents et vifs
applaudissements.» Or ce débat une fois posé avait tout naturellement
amené l'orateur à condamner l'exil politique (c'est-à-dire le
bannissement des régicides), l'intolérance en matière d'éducation
(c'est-à-dire le projet de rendre l'enseignement au clergé), et il ne
lui avait plus fallu qu'un peu de bonne volonté pour louer la loi des
élections qui venait, suivant son expression, de permettre à la
reconnaissance nationale de récompenser trente ans de fidélité aux
principes dans la personne du plus illustre défenseur de la liberté
(c'est-à-dire de Lafayette)[159]. Quand Jouy consacrait une partie de
son cours de 1819-1820 à prouver que les rois ne peuvent se réclamer
d'une morale spéciale, il partait lui aussi d'une thèse générale, mais
les conseils que la même année Viennet donnait à Ferdinand VII, dans une
épître lue à l'Athénée, invitait à l'application des théories. Azaïs,
dans son cours de philosophie générale en 1821-1822, avait invité ses
auditeurs à lui adresser par lettre des objections et des questions:
ils en vinrent très vite, curieux symptôme du temps, à lui demander son
opinion sur les conjonctures politiques; il répondit sans embarras qu'à
son sens les hommes actuellement au pouvoir n'iraient pas jusqu'au bout
de leur système, que la vérité triompherait prochainement puisqu'on le
laissait paisiblement exposer sa doctrine, alors que sous Napoléon qu'il
vénérait, mais qui était obligé de respecter la religiosité, il était
mal vu du pouvoir: il ajoutait que, maintenant que _la glace était
rompue_, il s'ouvrirait avec la même franchise sur tout ce qui
intéresserait l'auditoire. Les administrateurs de l'Athénée firent sur
ces digressions des remarques qui l'année suivante empêchèrent Azaïs de
remonter dans sa chaire. Mais plus tard ils accordèrent à d'autres bien
plus de liberté que n'en avait pris l'ancien pensionnaire du duc
Decazes, puisqu'ils laissèrent Tissot, dans la séance d'ouverture de
l'année 1826-1827, dénoncer, à la joie du _Courrier Français,
l'influence occulte_ qui menaçait les libertés les plus chères de la
France[160].

Encore était-ce là seulement ce que l'on confiait à la presse; les
professeurs de l'Athénée osaient bien davantage. Des rapports de police
conservés aux Archives nationales les montrent discutant hardiment le
projet de loi sur le sacrilège, le licenciement de la garde nationale,
déchirant la fiction constitutionnelle de l'irresponsabilité du
monarque; à propos d'une des mesures de Charles X, qu'il considère comme
une provocation, Villenave disait: «Ce ne serait pas la première fois
qu'on aurait vu des souverains déposés pour avoir méconnu la voix du
peuple.» À propos de la chronique de Turpin, qui qualifie Charlemagne de
très grand et très révérendissime, il s'écriait: «Voilà bien le style
servile et rampant d'un moine! Il n'y avait qu'un prêtre qui fût capable
de commencer ainsi un ouvrage rempli d'ailleurs de prodiges et de
miracles.» Dunoyer, Charles Comte rivalisent de véhémence avec lui,
Crussolle-Lami tient des propos séditieux; Alexis de Junien donne
clairement à entendre que la Constitution des États-Unis pourrait bien
franchir l'Atlantique; il n'est pas jusqu'à un futur recteur qui ne
s'émancipe: Artaud taxe, en effet, les Croisés de fanatisme et de
brigandage. Les rapports ajoutent qu'une assistance nombreuse savourait
par avance ces invectives, les applaudissait avec éclat, les commentait
avec passion.

Il ne faudrait pas suspecter la police, quoique alors insuffisamment
scrupuleuse d'avoir inventé ces propos. Le ministre de la police semble
pourtant nous y inviter, quand il demande au préfet, son subordonné,
s'il ne pourrait pas charger de ces rapports un commissaire de police
qui eût qualité pour verbaliser. Mais le préfet, outre qu'il avertit
judicieusement qu'un personnage officiel serait mal choisi pour une
surveillance occulte, garantit l'exactitude de son agent, et tout
lecteur de ces rapports y verra le cachet de la sincérité: ce n'est pas
une énumération incohérente de propos compromettants que tout délateur
peut imaginer; on y reconnaît un homme qui sait suivre et rédiger une
leçon, qui discerne la thèse générale licite dans ses hardiesses d'avec
le défi, le sarcasme, la menace. Le gouvernement n'a donc pu douter que
l'Athénée ne se transformât à certains jours en un véritable club: il ne
le ferma pas pourtant, et se contenta de refuser, en 1822,
l'autorisation d'ouvrir à Marseille un établissement analogue[161].
Cette longue patience indique de quel prestige la maison de Pilâtre
jouissait encore.


II

Soit que cette tolérance déplût aux royalistes intransigeants, soit
qu'ils espérassent battre l'adversaire par ses propres armes, ils
résolurent de donner un rival à l'Athénée, de même qu'ils avaient fondé
le _Conservateur_ pour l'opposer à la _Minerve_. Ils résolurent de
fonder un établissement aussi royaliste et religieux que l'autre était
libéral et philosophe, et d'offrir, là aussi, aux gens du monde et aux
dames, des fêtes littéraires, une bibliothèque, un cercle. Ils
imaginèrent même, ce dont l'Athénée ne s'avisa qu'à leur exemple,
d'attirer les jeunes gens par une réduction de prix. Tous leurs
prospectus portent en effet que l'abonnement sera seulement de cinquante
francs, au lieu de cent, pour les étudiants en droit et en
médecine[162]. Toutefois, Decazes, qui avait autant de raisons pour
redouter que pour souhaiter leur concours, n'accorda jamais
l'autorisation nécessaire; ce fut seulement après sa chute qu'on put
préparer l'ouverture des cours qui eut lieu le 2 février 1821. Encore
n'osa-t-on d'abord fonder l'association que pour trois années. Plus d'un
an après, un vice-président de cette société appelée par un archaïsme
significatif Société des bonnes lettres, flétrissait en ces termes les
ministres qui s'étaient défiés d'elle: «Ils tremblaient pour leur
déplorable système qui n'osait avouer la vertu par égard pour le vice,
qui imposait silence aux honnêtes gens par la crainte des factieux, et
qui ne connaissait d'autres moyens d'étouffer les cris de révolte que
d'interdire aux Français le cri de vive le roi! Grâce à la Providence
qui ne permet jamais en France un long empire à la sottise, ce système
est tombé[163].» Le ministère de Villèle voyait assurément la nouvelle
société d'un œil favorable; mais il ne paraît pas lui avoir octroyé
autre chose que le titre de Société royale qu'elle porta depuis 1823.

En revanche, le faubourg Saint-Germain et la jeunesse royaliste
affluèrent dans les salons de plus en plus spacieux où elle s'installa
tour à tour, rue de Grenelle, 27, rue Neuve-Saint-Augustin, 17, rue de
Grammont, où elle occupa l'ancien hôtel de Gesvres. Présidée par
Fontanes d'abord, puis par Châteaubriand, puis par le duc de
Doudeauville, ayant pour rapporteurs attitrés de ses concours de poésie
et d'éloquence des membres de l'Académie française: Roger, Charles
Lacretelle, comment n'aurait-elle pas attiré un auditoire choisi? Un
heureux hasard y avait aidé en donnant à quelques-uns de ses
fondateurs, à Roger, à ses deux confrères Auger et Michaud, au baron
Trouvé, des femmes et des filles charmantes qui furent là ce qu'avait
été Mme Récamier au cours de La Harpe: on vint les regarder tout en
écoutant les orateurs. La Société eut même assez longtemps un journal à
elle: _Les annales de la littérature et des arts_, dont les trente-trois
volumes fournissent beaucoup de documents sur son histoire, et qui lui
prêtèrent pour ses séances et pour ses cours la plupart de leurs
rédacteurs, lui empruntèrent à un certain moment son nom comme
sous-titre. Le royalisme le plus pur, le plus exalté régnait dans cette
réunion; les infortunes des Bourbons, leur rétablissement imprévu y
excitaient un attendrissement simulé chez les uns, très sincère chez les
autres; la Vendée, la guerre de 1823 y inspiraient des dithyrambes. On
n'y mettait pas seulement au concours la réfutation du sensualisme mais
l'entrée de Henri IV à Paris, l'exposition des avantages de la
légitimité, l'éloge du duc d'Enghien. La politique était d'ailleurs
alors tellement inséparable de toute assemblée qu'on y prononçait des
discours spécialement consacrés à réclamer l'intervention de l'Europe en
faveur des Grecs, et qu'on imagina, ce que l'Athénée avait également
omis, de célébrer par des banquets les dates qui rappelaient des
événements agréables: bien que la Société eût applaudi dans une de ses
séances cette jolie épigramme lancée aux _ventrus_: «La gastronomie ne
saurait plus être un ridicule sous le gouvernement représentatif,» elle
célébra la Saint-Louis et le sacre de Charles X, en écoutant, le verre
en main, les couplets de Martainville, le fougueux rédacteur du _Drapeau
blanc_[164].

Cependant, les historiens de la Restauration exagèrent lorsqu'ils
présentent la Société des bonnes lettres comme uniquement occupée des
intérêts du trône et de l'autel, et lorsqu'ils ne donnent ses exercices
littéraires que comme un appât offert, presque comme un piège tendu à la
jeunesse. L'illustration nobiliaire ou littéraire de quelques-uns des
patrons de la Société lui amena quelques maîtres d'un grand mérite. Il
est vrai qu'elle donnait des honoraires bien supérieurs
proportionnellement à ceux qu'avait jamais proposés l'Athénée, puisque
Véron nous dit dans ses Mémoires qu'elle payait chaque leçon ou lecture
cent francs. Aussi, outre Michaud, on vit dans sa chaire des hommes d'un
talent vraiment estimable, dans différents genres, comme Laurent de
Jussieu, l'auteur d'un des meilleurs ouvrages de morale populaire,
Capefigue, Cayx, Alf. Nettement et même des hommes dont le nom demeure
attaché à l'histoire des sciences ou des arts qu'ils ont cultivés; car
Abel Rémusat y étudia les mœurs de la Chine, Raoul Rochette y disserta
sur l'histoire et la littérature de la Grèce, M. Patin y lut l'ébauche
de son ouvrage sur les tragiques grecs et, en parcourant les extraits
que le _Journal de l'Instruction publique_ donnait alors de ses leçons,
on se demande si L'ébauche a gagné de tout point aux patientes, aux
lentes retouches qui en alourdirent l'agrément et en défraîchirent
l'originalité. Enfin, Berryer y fit un cours pratique d'éloquence:
observa-t-on bien dans ce cours la résolution qu'on avait prise d'en
écarter les questions brûlantes? je l'ignore; mais ces discussions sur
la morale, la politique, l'économie politique, l'histoire ancienne et
moderne, instituées entre jeunes gens et dirigées par un des hommes les
plus éloquents de notre siècle, ont certainement contribué à former les
brillants publicistes et orateurs qui ont fleuri à la fin de la
Restauration et sous le gouvernement de Juillet.

Il faut, toutefois, reconnaître que, à la Société des bonnes lettres,
l'enseignement fut d'ordinaire moins solide, moins sérieux qu'il ne
l'était, certains cours mis à part, à l'Athénée. D'abord, dès l'origine,
il n'y eut que trois jours de leçons par semaine et ce chiffre fut
promptement réduit à deux: très peu de professeurs étaient chargés de
plus de deux leçons par mois: et plus d'un se faisait peu de scrupule de
manquer une leçon ou d'interrompre son cours avant la clôture de
l'année. Puis, les sciences physiques et naturelles n'y furent jamais
enseignées par des hommes vraiment supérieurs; on avait compté sur Biot
pour l'astronomie, il fallut se contenter de Nicollet. Pour l'hygiène,
Pariset, qui s'était vu remercier par l'Athénée pour avoir accepté une
place de censeur, et qui finit par être suspect aussi à la Société des
bonnes lettres[165], cherchait surtout à plaire par les grâces de sa
parole; son jeune collègue pour la physiologie, Véron, le futur
directeur de journaux et de théâtre, aurait eu quelque peine, sans
doute, à donner un enseignement grave. Pour les sciences morales et
politiques, la Société nouvelle le cédait également à sa rivale:
qu'est-ce que son professeur de droit public, M. de Boisbertrand,
comparé à Benjamin Constant, à Mignet qu'on entendit à l'Athénée? Il est
singulier que ni l'auteur de la _Monarchie selon la Charte_, ni celui de
la _Législation Primitive_, qui ne dédaignaient pas le titre de
journalistes, se soient peu souciés de celui de professeurs, surtout
alors que la chaire devait ressembler fort à une tribune; l'absence de
loisirs ne l'expliquerait pas, car, sauf durant son court ministère et
durant ses plus courtes ambassades, Chateaubriand était beaucoup moins
occupé que Constant. On se serait moins aperçu de son silence, si Guizot
avait consenti à consacrer à la Société une partie des vacances
indéfinies que le gouvernement lui avait faites, mais je ne sais comment
le rédacteur du prospectus de 1822-3 avait pu se bercer d'une telle
espérance: il y avait trop longtemps que Guizot était revenu du voyage
de Gand.

On croirait que la Société des bonnes lettres prenait sa revanche dans
les cours de littérature moderne, d'abord parce qu'ici elle n'était plus
gênée par ses scrupules politiques et religieux, ensuite parce que,
comme on admet généralement que le Romantisme est né à l'ombre du parti
monarchique, on penserait que l'enthousiasme pour une doctrine vraie ou
fausse, mais neuve, a dû vivifier son enseignement. Mais la célèbre
préface où Alfred de Musset range tous les partisans de l'ancien régime
sous la bannière du romantisme, tous les libéraux sous l'étendard
opposé, n'est pas absolument d'accord avec les faits; car, si les
romantiques fournirent plus d'adeptes que les libéraux à la nouvelle
école, celle-ci pourrait se réclamer du très libéral auteur de
_l'Allemagne_ à meilleur titre encore que de Chateaubriand. La
divergence en littérature ne se réglait pas sur la divergence en
politique. D'une manière générale, entre 1820 et 1830, la grande
pluralité des littérateurs en renom, et, dans le public, la plupart des
hommes faits, aussi bien parmi les amis que parmi les ennemis de la
Restauration, tenait pour l'école classique; ce fut la jeune génération
qui donna la victoire aux Romantiques.

Aussi, dans la Société des bonnes lettres comme à l'Athénée, le
romantisme ne se glissait-il qu'à la dérobée; le grand monde royaliste
applaudissait Victor Hugo comme il applaudissait Guiraud, Soumet et bien
d'autres, mais il ne distinguait pas sa poétique d'avec la poétique
traditionnelle, par la raison simple que Hugo écrivit d'abord dans le
goût classique et que, dans le _Conservateur Littéraire_, il se
prononçait nettement contre quelques-uns des procédés dont il allait
bientôt faire un usage retentissant. L'opinion dominante de la Société
des bonnes lettres s'est exprimée dans les leçons où Duviquet réclamait
pour nos poètes classiques toutes les qualités que s'attribuait le
Romantisme naissant, dans le discours d'ouverture du 4 décembre 1823, où
Lacretelle déclarait qu'un des objets de la Société était de combattre
les novateurs littéraires, se prononçait pour la règle des trois unités
et se moquait des poètes pleureurs qui prêtaient au joyeux moyen âge
leur lugubre mélancolie. Sans doute M. Patin démêlait plus
judicieusement du vrai goût classique la fausse délicatesse qui s'y
était mêlée au cours du dix-huitième siècle, et raillait spirituellement
La Harpe pour avoir dédaigné des beautés simples que Racine osait sentir
s'il n'osait pas les copier: mais on peut voir dans le journal officiel
de la Société que, tout en appréciant la finesse de son esprit, elle ne
lui donnait pas raison[166]. Il n'aurait pas fallu moins qu'un
Villemain, c'est-à-dire un véritable enchanteur, pour lui faire admettre
que Voltaire l'avait pris de trop haut avec Shakespeare; encore
Villemain n'y réussira-t-il en Sorbonne et peut-être ne s'en
apercevra-t-il que dans les dernières années de la Restauration. Au
reste Villemain, quoique Lacretelle dans le discours d'ouverture que
nous venons de rappeler l'eût fait espérer à ses auditeurs, ne parut
jamais dans la chaire de la Société des bonnes lettres.

Aussi le _Globe_, qui rendait justice à cette Société comme à l'Athénée,
mais qui ne cachait pas son éloignement pour la superstition intolérante
des classiques de son temps, confondait à cet égard les deux maisons
dans un même blâme. Le 4 décembre 1824, à propos d'un discours
d'ouverture où Villenave avait maladroitement laissé voir l'inquiétude
qu'une ardente concurrence faisait éprouver aux professeurs de la rue de
Valois, le _Globe_ disait que l'Athénée, fort d'un passé illustre, de la
sympathie attachée à _la seule société littéraire libérale de France_,
n'éprouverait pas de pareilles craintes s'il gardait aussi bien ses
avantages dans l'enseignement littéraire qu'il les gardait dans
l'enseignement scientifique; le public, d'après le _Globe_, n'hésitait
entre les deux maisons que parce que, dans le domaine de la critique, la
routine y régnait également.


III

La concurrence entre les deux établissements dictait quelquefois des
mots un peu vifs. C'est bien, je crois, la Société des bonnes lettres
que vise un passage assez obscur du discours précité de Lingay, où il
parle des «passions mal inspirées qui ont élevé aux Lettres qu'elles
n'osent appeler belles, aux Arts qu'elles frémiraient de nommer
libéraux, un autel rival consacré aux Muses par trois sœurs qui ne sont
point les trois Grâces.» Roger, dans un rapport sur un concours
d'éloquence présenté à la Société des bonnes lettres en 1827, affirme
que les ennemis de la religion et de la royauté ont «épuisé contre elle
toutes les ressources de la langue perfectionnée des injures et des
calomnies» qu'on a «cherché par tous les moyens les plus odieux, soit à
imposer silence à ses professeurs les plus distingués, soit à écarter de
leurs leçons les auditeurs de tout âge et surtout la jeunesse de nos
écoles.» Mais le _Drapeau blanc_, de son côté, ne ménageait pas
Lingay[167]. Toutefois, ni les feuilles de droite ni celles de gauche ne
marquèrent à cet égard l'acharnement que nous avons vu, sous le premier
Empire, les _Débats_ déployer en pareille matière. Je mettrais plutôt
l'intempérance de langage et les actes d'intimidation dont parle Roger
sur le compte d'étudiants, qui auront porté plus loin qu'il n'est permis
la crainte de se laisser endoctriner.

Il y avait cependant un point sur lequel la Société des bonnes lettres
et l'Athénée s'accordaient sans avoir besoin de s'entendre: c'était sur
l'opportunité de propager chez nous la connaissance des langues et des
littératures étrangères. L'Athénée, en renouvelant sous la Restauration
son personnel pour cette partie de l'enseignement, trouva quelques
étrangers de mérite, tels que Buttura et Michel Beer, le frère du
compositeur, qui plus tard lui reviendra un jour de cérémonie pour
prononcer l'éloge de Benjamin Constant; et, s'il ne posséda pas, lui non
plus, Villemain, Artaud, en étudiant pour lui la littérature comparée,
mérita d'être distingué par le _Globe_ des critiques étroits. La Société
des bonnes lettres fit professer la littérature espagnole par Abel Hugo,
les littératures italienne, anglaise, portugaise par des hommes oubliés
aujourd'hui, mais qui contribuèrent à faire lire, au moins dans des
traductions, Milton, Dante, Byron, Cervantès et Camoëns.

Quelques circonstances étrangères à l'esprit de parti et au goût du jour
aidèrent encore les deux établissements: d'abord, pour les changements
dans le personnel, on n'était plus obligé de choisir parmi les seuls
littérateurs de profession; on pouvait prendre aussi, ce qui rendait le
recrutement plus aisé, des professeurs dans les collèges royaux de
Paris. Avant la Révolution et sous Napoléon Ier, l'Université gardait
encore trop le caractère d'une corporation religieuse, ses maîtres
étaient en général trop exclusivement humanistes, trop timides pour
qu'on pût trouver parmi eux beaucoup d'hommes capables d'affronter un
auditoire de gens du monde. Au contraire, à partir de 1820, elle fournit
un assez grand nombre de professeurs à l'Athénée et à la Société des
bonnes lettres. Ensuite le talent de la parole s'était notablement
développé en France; le don de parler d'abondance commençait à n'être
pas beaucoup plus rare que l'art de bien lire, et le public prenait un
tel plaisir à cette nouveauté qu'il allait en chercher le spectacle
jusqu'au domicile des professeurs. On sait avec quelle émotion était
écouté le cours que Jouffroy faisait dans sa chambre à quelques
disciples d'élite. Azaïs, beaucoup moins profond, n'étonnait guère
moins: «J'habite au sein de Paris une maison solitaire,» disait-il dans
les _Débats_ du 8 décembre 1820 en annonçant un de ses livres, «un beau
jardin l'entoure; tous les jours, pendant deux heures, j'y serai à la
disposition des personnes qui voudraient se procurer l'un de mes
ouvrages et en discuter avec moi les principes. De deux à quatre heures
pendant l'hiver et, pendant l'été, de six heures jusqu'à la nuit, il me
sera très agréable de faire connaissance avec les amateurs des sciences
et de la philosophie, de me promener avec eux dans mon petit domaine, de
répondre à leurs questions, à leurs observations... Si j'osais composer
un mot qui peindrait nos rapports d'instruction et de confiance, je
dirais: nous platoniserons ensemble.» La foule répondait à cet appel que
le plus répandu, le plus à la mode des professeurs de philosophie de
notre génération n'eût pas osé tenter; on dit qu'un jour, entre autres,
deux mille personnes environ, réunies dans le jardin d'Azaïs,
l'écoutèrent dans un silence qu'interrompaient parfois des salves
d'applaudissements. Aussi, quand Azaïs parlait à l'Athénée, ceux même
qui faisaient des réserves sur sa doctrine, subissaient le charme de
_ses paroles qui naissaient sans affectation de ses pensées_[168].

La Société des bonnes lettres avait aussi ses brillants improvisateurs;
on admirait la facilité de Nicollet, la verve pittoresque de Pariset, la
sensibilité toujours prête de Charles Lacretelle, ressource très
appréciée de ses collègues qu'il suppléait au pied levé. Pour
Lacretelle, en particulier, nous pouvons nous faire une idée assez
exacte de l'effet qu'il produisait, parce que les journaux nous donnent
l'analyse de plusieurs de ses leçons et même (car il n'improvisait pas
toujours) le texte d'une partie de ses cours; il n'y faut certes pas
chercher la profondeur ni la méthode; le lieu commun y abonde et
l'apprêt s'y fait sentir quelquefois; mais la chaleur n'en est
assurément pas refroidie, et, même quand on ne partage pas les opinions
qu'il exprime, on est touché des sentiments généreux qui l'inspirent.

La Révolution de 1830 fut fatale à la Société des bonnes lettres. Elle
lui survécut à peine un an[169]. Les principes qu'elle représentait
étaient devenus trop impopulaires, et une partie des hommes qui avaient
contribué à l'établir était passée dans le camp des libéraux.



CHAPITRE V.

Fin du plus illustre des établissements d'enseignement supérieur libre,
en 1849.


I

D'ailleurs, nous l'avons dit, l'enseignement avait eu moins de fond à la
Société des bonnes lettres qu'à l'Athénée, qui, souvent aussi, à la
vérité, se piquait surtout d'amuser les loisirs, de flatter les passions
de son auditoire, mais qui du moins y mettait plus de suite. Devenu plus
positif qu'élégant, depuis qu'il se considérait comme un asile de
l'esprit moderne menacé par la Restauration, il cultivait avec éclat les
sciences sociales. Il trouva pour les enseigner des hommes vraiment
supérieurs: ses abonnés entendirent quelques morceaux de Daunou, deux
cours consécutifs, dont un sur l'histoire de l'Angleterre, de Mignet, un
cours sur la constitution anglaise de Benjamin Constant qui, l'année
précédente, avait donné plusieurs conférences sur l'histoire du
sentiment religieux[170], un cours de Charles Dupin sur les forces
productives et commerciales de la France. Si l'Athénée courut une
aventure en s'adressant à M. Considérant (1836-1837), il avait été fort
bien inspiré en appelant à lui Jean-Baptiste Say et en priant Adolphe
Blanqui de décrire la civilisation industrielle des nations de l'Europe
(1827-1828).

Mais c'est surtout pour les sciences proprement dites qu'il peut étaler
avec orgueil la liste de ses maîtres. L'assemblée qui rédigea la liste
de ses cours pour 1821-1822 était présidée par Chaptal, et l'on citerait
difficilement un chimiste, un physicien, un mathématicien, un
physiologiste illustre du temps de la Restauration qui n'y ait pas
enseigné dans la chaire de Fourcroy, de Biot, de Cuvier, d'A.-M. Ampère,
de Thénard; parmi ceux qui la remplirent dignement, nommons Chevreul,
Orfila, de Blainville, Fresnel, Pouillet, Robiquet, Dumas, Trélat. Et
qu'on ne croie pas que c'était à leurs débuts, et encore obscurs, que
ces hommes acceptaient de professer à l'Athénée. Ils y ont pour la
plupart accru et non commencé leur renommée. Qu'on ne pense pas que
chacun d'eux se montrait un instant par complaisance aux abonnés et
s'éclipsait après quelques leçons. Cuvier, Thénard, de Blainville y ont
enseigné de longues années, Fourcroy y avait professé presque jusqu'à
son dernier jour.

L'éclat de ces cours prolongea la vie de l'Athénée: vers 1836, le nombre
des cours s'éleva jusqu'au chiffre de quinze, comme à l'époque de sa
plus grande prospérité; on en compte même vingt et un pour l'année
1840-1841 et pour l'année 1842-1843. La raison en est sans doute que, à
la suite de la révolution de 1830, l'Athénée avait eu la bonne fortune
de mettre la main sur de spirituels causeurs qui, malheureusement, lui
échappèrent bientôt, mais qui y relevèrent pour un temps l'enseignement
de la littérature: ce furent d'abord M. Ernest Legouvé qui établit une
comparaison ingénieuse entre la biographie de Byron et celle de
Benvenuto Cellini; puis Léon Halévy, dont le onzième volume de la revue
_la France littéraire_ a conservé la piquante leçon d'ouverture; Jules
Janin, qui raconta l'histoire des journaux en France; Philarète Chasles,
qui étudia tour à tour la littérature du seizième siècle et les romans
anglais. Mais ensuite, pour cette partie de l'enseignement, la liste des
professeurs recommença à offrir des noms inconnus. Tel d'entre eux,
pour suppléer à l'originalité véritable par un adroit mélange de
paradoxe et de flatterie à l'adresse des auteurs en vogue, donnera une
analyse philosophique du livret de _Robert-le-Diable_ et la conclura en
disant que cette œuvre de Scribe _est peut-être la plus capitale et la
plus magnifique conception dramatique de la scène française_.

Réfléchissons toutefois que parmi ces maîtres médiocres, il a pu s'en
rencontrer à qui l'accent d'une énergique conviction donnait une réelle
puissance de parole, témoin cet Ottavi, dont Gozlan s'est fait le
biographe, et qui, estropié dans l'accomplissement d'un acte de courage,
allait d'un auditoire à un autre, prodiguant et communiquant son
enthousiasme, jusqu'à l'heure où un dernier effort lui coûta la vie.

Une circonstance faillit pourtant hâter la fin de l'Athénée en lui
suscitant un rival redoutable dans l'Institut historique, fondé le 24
décembre 1833, constitué le 6 avril 1834. Michaud, de Monglave, et les
autres fondateurs de cette société se proposaient surtout en effet de
provoquer, de publier, de discuter des ouvrages historiques, mais ils
projetaient aussi de fonder des chaires de toute nature; une commission
des cours se forma, composée notamment d'Alex. Lenoir, du marquis de
Sainte-Croix, de Villenave, de Mary Lafon, d'Isidore Geoffroy
Saint-Hilaire. Un moment, en 1837 et en 1838, il ne manqua plus qu'un
local convenable; l'Athénée tenta de parer le coup en offrant le sien;
les deux établissements se seraient fondus, mais son offre fut déclinée,
bien que plusieurs de ses amis, outre Villenave, fissent partie de
l'Institut historique. Déjà la liste des cours était dressée; on avait
élaboré une règle où l'on voit qu'on interdisait toute discussion à la
suite des leçons professées, afin, disait le secrétaire perpétuel,
d'éviter les désordres que ces discussions avaient produits à l'Athénée:
constatation fâcheuse pour l'Athénée, d'une conséquence naturelle de la
place qu'il avait souvent faite à la politique militante. Mais la
défiance d'un propriétaire qui, prenant l'Institut historique pour
l'honnête couverture d'une conspiration, n'en voulut pas pour locataire,
fit ajourner indéfiniment la concurrence dont l'Athénée s'inquiétait.
L'Institut historique entendit quelques conférences faites par des
hommes de talent, mais demeura surtout une sorte d'Académie[171].

Néanmoins le déclin de l'Athénée était visible. Le nombre des cours
retombe à onze en 1844-1845, et, ce qui est beaucoup plus grave, la
liste n'offre plus aucun nom célèbre, même pour les sciences, alors que,
durant les années précédentes, elle présentait encore dans cet ordre
d'enseignement, sans parler de Payen et d'Audoin, des noms tels que ceux
d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, de Babinet, de Raspail. L'Athénée
vivait sur sa réputation, qui suffisait encore à lui amener des
auditeurs bénévoles, mais non des maîtres de génie. Les directeurs
avaient cherché dans leur mémoire et dans leur imagination des moyens
d'attirer le public; ils avaient rétabli les concerts dont les
programmes ne faisaient plus mention depuis 1815, institué des
_répétitions chorales de musique religieuse_; des séances de
déclamation, inventé le _feuilleton dramatique parlé_, ouvert des
discussions littéraires et philosophiques: tout s'usa, même des attraits
plus sérieux ménagés à une curiosité légitime. Car, fidèle à l'esprit de
son fondateur, l'Athénée se piquait de donner à son auditoire la primeur
des découvertes. Il enseignait donc l'homéopathie au moment où Hahnemann
venait de s'établir en France, la phrénologie, quand Spurzheim venait de
modifier et de baptiser le système de Gall, la théorie des machines à
vapeur, quand on lançait les premières locomotives; l'art photogénique,
pendant que le nom de Daguerre était dans toutes les bouches; enfin la
sténographie et l'écriture hiéroglyphique; il plaida le droit social des
femmes, par la bouche de Mme Dauriat. Que dis-je? soit amour de la
nouveauté, soit parce qu'il se sentait vieillir, peu s'en faut qu'il ne
se soit fait ermite: il chargea Glade et Emile Broussais de lui prêcher
le néo-catholicisme. Sainte-Beuve n'hésitait pas, et voyait là une
marque irrécusable de sénilité. Il faut bien avouer que le second des
deux apôtres annonçait, sur un ton étrange, _une nouvelle Église, un
nouveau Dieu pour un autre univers_: «Je parais ici le cœur à la gêne,»
s'écriait le fils du célèbre physiologiste, «les membres contractés,
l'œil étincelant, comme un lion traqué dans son fort, mais ce n'est que
la vérité de ma position vis-à-vis de l'influence prépondérante du
monde. Je l'ai trouvé traître, féroce, implacable.» Em. Broussais
anathématisait d'ailleurs l'Église et la sommait de ne pas
répliquer[172]. La piété de quelques autres professeurs de l'Athénée
n'avait rien d'hétérodoxe: la religion bienfaisante à laquelle Dréolle
veut ramener, paraît être purement et simplement le christianisme, et
son collègue pour l'histoire, Henri Prat, a fondé entre deux cours, à
l'Athénée, le _Mémorial catholique_, un des adversaires les plus ardents
du monopole de l'Université.

Au demeurant, l'attention publique se portait ailleurs: on en trouve la
preuve jusque dans l'indulgence des satiriques, qui épargne
l'établissement: sans doute Louis Reybaud abonne encore le vaniteux
Paturot _à tous les Athénées_, mais c'est aux cours de la Sorbonne et du
Collège de France qu'il l'envoie satisfaire sa curiosité crédule et
narquoise: quarante ans plus tôt, il l'aurait adressé rue de Valois, en
compagnie du Champenois Lourdet d'Hoffmann.

L'Athénée avait assez duré pour sa gloire. La Révolution de 1848 le
trouva non plus rue de Valois, mais galerie Montpensier, n° 6; l'abandon
du local, que pendant plus de soixante années il avait rendu célèbre,
fut un symptôme inquiétant. Il cessa d'exister à la fin de 1849. Il ne
figure plus, en effet, dans l'Almanach du Commerce de 1850. C'est
peut-être lui qui renaît un instant en 1852, rue du 24 Février, 8, et
Cour des Fontaines, 1, sous le nom d'Athénée National, qu'il avait pris
en 1849, puis sous un autre nom rue de Valois, 8, en 1853; mais ces
résurrections, s'il faut les appeler ainsi, n'appartiennent plus à son
histoire.


II

Dans l'histoire de cet établissement, ce qui nous a paru mériter d'être
exposé, c'est le changement dans les mœurs littéraires qui l'avait fait
fonder, ce sont les péripéties qu'il a traversées durant la Révolution,
les établissements analogues qu'il a suscités. Nous nous proposions
moins d'en écrire les annales que d'étudier, à propos de ces
vicissitudes, certaines transformations de l'esprit public. Sa vogue,
quelque part qu'y ait eue la frivolité, fait époque dans l'histoire de
l'enseignement supérieur. Elle a préparé, en se soutenant durant tout
l'Empire, l'auditoire qui allait applaudir sous la Restauration les
illustres régénérateurs de la Sorbonne. Ceux-ci auraient-ils même daigné
monter en chaire, si les bancs, avaient dû être garnis comme quarante
ans auparavant de simples écoliers, si le succès de l'Athénée ne leur
avait appris que le public élégant peut donner à un brillant professeur
une réputation, sinon aussi populaire et aussi fructueuse, du moins
aussi prompte et aussi flatteuse que celle de l'auteur dramatique?
D'ailleurs, une maison qui a compté pendant de longues années tant
d'hommes éminents parmi ses maîtres appartient à l'histoire de notre
patrie, d'autant que ses souscripteurs n'ont pas seuls profité de leur
enseignement. Le _Système des connaissances chimiques_ et la
_Philosophie chimique_, de Fourcroy, les _Leçons d'Anatomie comparée_,
de Cuvier, le _Traité d’Économie politique_, de Jean-Baptiste Say
ont-ils été véritablement composés pour lui, comme ses administrateurs
le disent dans plusieurs de leurs prospectus? La nature de quelques-uns
de ces ouvrages et le silence de leurs auteurs à cet égard permettraient
d'en douter. Mais il est évident que l'obligation d'intéresser un
auditoire mondain auquel ils offraient la primeur de leurs travaux a
fait mieux sentir à ces savants la nécessité de répandre une vive clarté
sur leurs démonstrations. Pour l'_Histoire littéraire de l'Italie_, par
Ginguené, pour le _Lycée_ de La Harpe, il n'y a pas le moindre doute.
Mais je pourrais citer une douzaine d'autres ouvrages dont quelques-uns
fort appréciés ou même plusieurs fois réimprimés qui sont sortis de ces
cours; je signalerai seulement les _Principes élémentaires de botanique
expliqués au Lycée républicain_, par Ventenat, l'ouvrage où Charles
Dupin a traité précisément sous le même titre le sujet qu'il venait d'y
professer en 1826-7, l'_Étude des passions appliquée aux Beaux-Arts_,
par Delestre; c'est évidemment aussi là qu'Adrien de la Fage avait
préparé son _Histoire générale de la Musique et de la Danse_.

L'influence de l'Athénée peut encore se mesurer au nombre des
établissements créés à son image: à ceux que nous avons cités, nous en
pourrions ajouter six autres pour la seule ville de Paris, sans parler
de deux revues littéraires, le _Lycée Armoricain_, fondé à Nantes en
1823 et le _Lycée Français_, de Charles Loyson, qui date de 1829,
auxquelles, sans le vouloir, il servit de parrain. Dans la partie de la
France où le don de la parole est le plus répandu, plusieurs grandes
villes, Bordeaux, Marseille voulurent avoir leurs cours libres
d'enseignement supérieur. Ce fut l'objet, dans la première de ces deux
villes, d'une Société Philomathique qui y remplaça un Musée, fondé sur
le modèle de l'établissement de Court de Gébelin; c'est à l'Athénée de
Marseille, dont l'ouverture avait été enfin autorisée sous le ministère
de Martignac, que J.-J. Ampère fit ses débuts à défaut de Méry et sur le
refus de Sainte-Beuve, et qu'un premier caprice de sa mobile
imagination lui donna bientôt pour successeur Auguste Brizeux[173].

L'Athénée a eu des imitateurs au delà même de nos frontières. Outre les
voyageurs qui de retour chez eux avaient vanté ses agréments de toute
espèce, nombre d'étrangers admis à professer dans sa chaire avaient
donné de lui une idée avantageuse à leurs compatriotes; car, sans
compter les professeurs de langues, il avait vu parmi ses maîtres
Spurzheim, un autre Allemand nommé Gustave Œlsner, chargé d'affaires de
Francfort et de Brème, le Suisse Hollard, et un illustre exilé italien,
le comte Mamiani. Aussi s'intéressait-on à lui ailleurs que chez nous.
La feuille célèbre qui travaillait sous l'ombrageuse surveillance de
l'Autriche, à entretenir en Italie l'esprit public naissant, le
_Conciliatore_, le signalait à ses lecteurs, et un de ses plus nobles
rédacteurs, Federico Confalonieri, projetait d'instituer un
établissement analogue à Milan[174]. Sans doute, l'Athenœum de Londres
ne doit à l'Athénée que son nom; mais c'est déjà quelque chose pour
celui-ci que d'avoir baptisé un des plus luxueux et des plus riches
clubs du monde. Quant à l'_Ateneo_ de Madrid, M. Rafael de Labra, son
historien, a raison de le considérer comme unique dans son genre: une
institution qui, dès le premier jour a excité l'intérêt des patriotes, à
commencer par Castaňos, le vainqueur de Baylen, et que Ferdinand VII a
honoré de sa haine, un établissement à qui la Commission chargée de
réformer le Code pénal a demandé une consultation peut légitimement
s'appeler original; c'est la générosité castillane qui en a décidé tous
les professeurs pendant une suite d'années si longue à offrir
gratuitement leur parole, circonstance qui explique pourquoi tous les
cours y ont toujours eu un caractère d'apparat et pourquoi, à la
différence de nos Athénées, l'enseignement des sciences proprement dites
y a toujours langui; des cours dont les applaudissements sont l'unique
salaire seront toujours plus ou moins faits en vue des applaudissements.
Mais notre Athénée que M. de Labra oublie a évidemment fourni le modèle
de l'institution madrilène; c'est à son exemple qu'elle a mêlé la
politique et l'enseignement: toute la différence tient à ce que
l'_Ateneo_ fondé en 1820 lors du soulèvement de Riego, supprimé au
rétablissement de l'absolutisme, réouvert sous Marie-Christine, a sans
cesse recruté plutôt des partisans pour la liberté que des adhérents
pour la science même mondaine. Ce qui achève de prouver que cette
institution encore aujourd'hui florissante fut imitée de la France,
c'est qu'en 1836 Madrid vit naître un établissement assez semblable
sous l'autre des deux noms que nous avions remis à la mode: _el
Liceo_[175].

L'Athénée a donc puissamment contribué à répandre le goût des
conférences à la fois savantes, et mondaines qui est un des caractères
de notre siècle. Mais on demandera quel profit réel ses auditeurs ont pu
retirer de ses leçons. Certes tout l'avantage a été souvent pour les
professeurs qui s'y sont plus instruits dans l'art d'enseigner la
science qu'ils n'ont instruit leurs auditeurs dans la science elle-même:
il faut se faire courageusement écolier pour suivre utilement un cours
de mathématiques ou de chimie. Cependant la génération qui a fait la
Révolution et soutenu pendant plus de vingt ans l'effort acharné de
l'Europe cachait trop d'énergie sous sa frivolité pour ne pas porter
quelque application dans ses divertissements. De nos jours, les gens du
monde qui vont écouter un cours public, s'y rendent, j'en ai peur, ou
par distraction, ou pour y rencontrer leurs amis, ou par bel air; et
c'est beaucoup s'ils s'entretiennent, à la sortie, du cours qu'ils
viennent d'entendre. On peut affirmer qu'aux beaux jours du Lycée, les
gens du monde ne se croyaient pas si tôt quittes envers les sciences
qu'ils se mêlaient d'aimer: de retour chez eux, ils complétaient par des
lectures et des réflexions les connaissances qu'ils venaient d'acquérir.
Pour la botanique en particulier, toute personne qui a pratiqué d'un peu
près la littérature de cette époque conviendra qu'elle leur était alors
très familière. Chateaubriand, pendant son ambassade à Londres, étonnait
son jeune secrétaire, M. de Marcellus, par la sûreté avec laquelle il
lui nommait les plantes que le hasard de la promenade leur faisait
rencontrer. On peut même remarquer que ses descriptions et celles de
Bernardin de Saint-Pierre, à la différence des descriptions de Victor
Hugo, supposent souvent cette connaissance chez le lecteur; pour
apprécier le dessin et le coloris de leurs paysages, il faut connaître
par soi-même la forme, la couleur des arbres, des feuillages qu'ils y
disposent en se bornant d'ordinaire à les nommer; et c'est précisément
parce que leurs indications sommaires ne nous suffisent plus que nous
sommes un peu moins touchés que les contemporains de leur talent
pittoresque. Mais qu'on y regarde bien, et l'on verra que l'on peut leur
appliquer ce qu'on a dit, je crois, de Théodore Rousseau, quand on l'a
loué d'avoir dans ses tableaux substitué à l'_arbre en soi_, si l'on
peut s'exprimer ainsi, dont se contentait l'école du paysage historique,
les arbres vivants et variés que produit la nature. Or c'était à force
de se parer de tous les attraits à la mode, de faire appel à la
galanterie, à la sensibilité sous toutes ses formes, que la science
s'était insinuée dans le grand monde; mais une fois admise, elle se
faisait écouter. Nous sourions aujourd'hui, quand nous feuilletons un
des mille ouvrages où les compliments aux dames et les déclamations
philanthropiques s'entremêlent à l'énumération des plantes, et nous nous
imaginons que les lecteurs ne lisaient que ces digressions. C'est de nos
jours que l'on saute les pages sérieuses des romans d'aventure qui
visent à répandre les découvertes de la science. Les souscripteurs du
Lycée lisaient de pareils livres d'un bout à l'autre avec un intérêt
soutenu; et des ouvrages que nous n'oserions plus appeler savants
inspiraient un goût véritable pour l'étude. Un éminent géologue italien,
M. le sénateur Capellini, me pardonnera mon indiscrétion si je dis que
les Lettres d'Aimé Martin à Sophie sur la physique, la chimie et
l'histoire naturelle lui ont révélé sa vocation. Assurément les amateurs
des deux sexes qui s'amusaient à se composer un herbier n'ont pas autant
fait avancer la science, et la raillerie a beau jeu contre un
divertissement qui peut être aussi stérile qu'il est inoffensif, contre
les chasseurs de papillons, les amateurs de tulipes, les collectionneurs
de cailloux. Pourtant, à intelligence égale, de qui doit-on attendre
des observations plus fines, plus originales, et un intérêt plus sincère
pour la science, de l'homme du monde qui lit dans nos Revues le résumé
des doctrines transformistes ou de l'homme du monde qui savait
reconnaître et classer toutes les plantes de son jardin?

Sur un autre point encore, la peine des professeurs du Lycée n'a pas été
perdue. La connaissance de la langue, de la littérature de deux nations
étrangères, l'Angleterre et l'Italie, était sans contestation beaucoup
plus répandue alors qu'aujourd'hui dans le grand monde. Nous avons
aujourd'hui plus de savants versés dans ces connaissances, plus de
critiques capables d'apprécier justement les écrivains étrangers; nous
envoyons plus d'habiles explorateurs dans les archives de Londres et de
Rome. Mais la haute société compte infiniment moins de personnes
capables de lire dans le texte les poèmes, les romans des deux nations,
de saisir les allusions qui s'y rapportent. Au temps dont nous parlons,
elle comprenait mal Shakespeare, mais Fielding, Richardson, Robertson
trouvaient encore plus de lecteurs parmi ses membres que n'en ont eu
plus tard Dickens et Macaulay. Quant à l'Italie, nous avons vu dans la
précédente étude que les éditions et traductions de ses classiques
formaient un article important de la librairie française. On dira que
la faveur a passé aux romanciers russes, mais combien de personnes ont
imité le courage de M. Ernest Dupuy et appris le russe pour les mieux
goûter[176]? La méthode alors suivie dans l'enseignement et dans la
critique amenait plus directement l'auditeur à prendre par lui-même
connaissance des textes, car elle consistait principalement dans
l'analyse suivie des chefs-d'œuvre. Fauriel admirait par exemple celle
que Ginguené a donnée de la Divine Comédie, et l'appelait _un
chef-d'œuvre en son genre_. Cette méthode nous paraît aujourd'hui bien
timide, nous l'accusons de réduire les professeurs aux remarques que
tout lecteur intelligent ferait de lui-même; nous essayons d'entrer plus
avant et de découvrir non plus seulement la beauté des œuvres mais le
secret de cette beauté, d'autant que l'analyse des chefs-d'œuvre se
trouvant faite, nous ne pouvons la recommencer. Mais il faut bien
reconnaître que des leçons consacrées au commentaire suivi d'un poème
invitent plus irrésistiblement à le lire que de savantes leçons sur
l'influence de la race et du milieu. Notre méthode requiert assurément
des connaissances plus vastes et plus de force d'esprit; elle forme des
esprits plus philosophes, elle développe davantage le sens de
l'histoire. Les leçons de l'Athénée formaient des _dilettanti_, ou
plutôt, car ce mot implique de nos jours une curiosité mobile et
capricieuse, elles enseignaient à lire et à relire sans cesse un petit
nombre de livres de choix.

Cette méthode si simple nous paraît un peu primitive. Elle était neuve
alors. On peut dire qu'un genre est né dans la maison de Pilâtre, la
critique appliquée. L'école actuelle procède de La Harpe en ce sens que,
tandis que Boileau, Fénelon et Voltaire recherchent surtout les lois de
la littérature et n'apprécient les œuvres qu'incidemment et pour
contrôler leurs théories, La Harpe s'intéresse déjà plus aux œuvres
qu'aux principes, et que son dogmatisme, qui le sépare de ses
successeurs, se cache d'ordinaire sous des analyses raisonnées.
Autrefois on discutait sur les lois de l'épopée, sur les règles de
théâtre, ou, comme dirait Cicéron, _de optimo genere dicendi_. Au Lycée
comme aujourd'hui on discutait beaucoup moins sur les règles que sur la
façon très différente dont les différents maîtres de l'art s'y sont
conformés. Resterait seulement à savoir si ce changement n'a eu que des
avantages; en effet, la littérature en général pourrait bien y avoir
perdu autant que la critique en particulier y a gagné. La critique s'est
assuré, par cette transformation, une vaste matière et un avenir
indéfini, puisque à la discussion d'un petit nombre de principes
invariables elle a substitué l'étude successive des innombrables
ouvrages qui forment la bibliothèque du genre humain. Mais ici encore
notre siècle pourrait bien se méprendre: car la critique appliquée, plus
féconde assurément en aperçus, développe peut-être moins le talent
oratoire ou poétique que la critique théorique, puisque, au lieu
d'insister seulement sur les règles obligatoires pour tous et d'inviter
ensuite à composer d'original, elle risque de retenir indéfiniment les
esprits dans la contemplation des ouvrages d'autrui. Quoi qu'il en soit,
le _Cours de littérature_ de La Harpe, tout inférieur qu'il est aux
_Lundis_ de Sainte-Beuve, marque une date comme les célèbres
feuilletons du _Moniteur_.



CHAPITRE VI.

Conjectures sur l'avenir de l'enseignement supérieur libre en France.


Aujourd'hui une association libre de cette nature, sans attache avec
aucune Église, absolument réduite à ses propres forces, comme l'était
celle-là, car c'est seulement d'une manière toute accidentelle qu'elle a
reçu des secours du gouvernement, pourrait-elle prétendre à une aussi
longue carrière? Pourrait-elle même s'installer aussi convenablement, ne
fût-ce que pour vivre d'une existence éphémère? Il est permis d'en
douter.

D'abord les conditions matérielles ont changé: les loyers coûtent plus
cher, les professeurs aussi; les progrès de la science ont rendu
beaucoup plus dispendieux l'approvisionnement d'un cabinet de physique;
enfin, l'agrandissement de Paris a dispersé les amateurs. Ce n'est pas
tout: l'esprit public a changé aussi. Ce qui avait soutenu l'Athénée
aux heures de détresse qui furent fréquentes, au milieu de sa gloire,
c'était le reste d'un sentiment jadis très énergique et qui va
s'affaiblissant tous les jours, l'esprit de corps. Fondateurs,
professeurs, abonnés, tous l'aimaient avec fidélité, avec fierté,
souvent avec abnégation. Ils avaient pour lui quelque chose de
l'affection, sinon du religieux pour son ordre, au moins du bourgeois
pour sa province et son quartier. C'est ce même sentiment qui, dans la
première moitié de notre siècle, donnait encore tant de force à la
camaraderie de collège, et en faisait une des formes proverbiales de
l'amitié. Ce sentiment s'efface. Où est le temps où un ancien barbiste
n'eût point, pour ainsi dire, osé envoyer son fils ailleurs qu'à
Sainte-Barbe? Les succès d'un Lycée dans les concours académiques
excitent-ils, parmi ses élèves présents ou passés, le même enthousiasme
qu'autrefois? Les associations d'anciens élèves vivent toujours parce
que, Dieu merci! la bienfaisance n'est pas morte; mais il suffit de se
rendre à leurs réunions annuelles pour se convaincre que les anciens
condisciples n'éprouvent pas un impérieux désir de se revoir, même une
fois par an. Une autre sorte de camaraderie est née, celle que Scribe a
décrite: les gens habiles savent fort bien se réunir et s'entendre; les
intrigants découvrent à merveille l'homme qu'il est utile de louer,
sauf à glisser dans l'éloge et jusque dans l'expression du respect et de
la reconnaissance un peu de perfidie et de méchanceté; car aujourd'hui
la louange la plus lucrative est celle qui fait craindre une satire.
Mais l'attachement naturel, désintéressé, dévoué, qui naît du
rapprochement des personnes, des habitudes communes, des émotions
partagées, n'existera bientôt plus. Aucun établissement privé ne
survivrait donc à une suite un peu longue de mauvais jours.

Un autre sentiment, qui aide à comprendre l'attachement des
souscripteurs de l'Athénée pour leur établissement, s'est affaibli
aussi: la sociabilité. On a vu que l'Athénée était un cercle en même
temps qu'une sorte d'université. Il avait été fondé à une époque où le
goût, le talent de la conversation, où la courtoisie atteignirent en
France leur apogée; car à cet égard le règne de Louis XVI l'emporte même
sur celui de Louis XIV, parce que l'esprit libéral a déjà rapproché les
rangs sans que l'esprit démocratique ait encore gâté les manières. Les
hommes des différentes classes se sentaient alors le besoin et la
faculté de s'entretenir, d'autant que le nombre des objets qui
éveillaient l'intérêt public avait fort augmenté. C'était l'époque où
l'on portait si loin la persuasion que les conditions et les sexes
peuvent se rencontrer partout impunément, que les femmes honnêtes se
rendaient aux bals publics de l'Opéra et dans ce qu'on nommait des
vauxhalls. Aujourd'hui un cercle pourra bien donner des fêtes où il
invitera les dames, mais il n'osera pas inscrire, comme faisait
l'Athénée, des dames au nombre de ses abonnés, et ouvrir un salon pour
elles; ce sera désormais une association exclusivement masculine; encore
l'âme des cercles véritablement vivants est-elle de nos jours, non plus
la conversation, mais le jeu.

Privé des soutiens que l'esprit de corps et la sociabilité fournirent
longtemps à l'Athénée, un établissement de ce genre n'est donc plus
possible. Cependant une considération adoucira nos regrets: c'est bien
l'esprit d'association qui a soutenu l'Athénée, mais c'est aussi quelque
chose de beaucoup moins bon et qui, sans en être inséparable assurément,
s'y joint souvent et le renforce: l'esprit de parti. Il dut dans une
certaine mesure, nous l'avons montré, ses derniers beaux jours au zèle
obstiné qu'il conservait en tout pour les doctrines du dix-huitième
siècle. Chose curieuse! L'enseignement de l’État s'est renouvelé
beaucoup plus vite que le sien. Ce n'est pas l'Athénée, c'est la
Sorbonne qui a rompu la première avec une philosophie étroite, sèche,
creuse, avec une école historique généreuse sans doute, mais dénuée de
vigueur et de couleur, mais où la philanthropie tenait souvent lieu
d'érudition solide et de vues originales. C'est la Sorbonne et non
l'Athénée qui a fait la première, de bonne grâce, les concessions
nécessaires aux adversaires des classiques. Nous reviendrons sur ce
point dans l'étude qui va suivre celle-ci. Les professeurs de l’État ont
eu, je ne dis pas seulement plus de talent, du moins dans l'ordre des
lettres[177], mais plus de hardiesse et d'ouverture d'esprit que les
maîtres de l'Athénée.

Expliquons cette apparente anomalie: il ne faut évidemment pas reporter
aux gouvernements le mérite de cette supériorité. Ni Fontanes, ni
Corbière, ni l'évêque d'Hermopolis, ne se souciaient de rajeunir les
doctrines, et, à vrai dire, tel n'est pas l'office d'un grand-maître de
l'Université. Mais le gouvernement, qui avait le tort de s'effrayer trop
vite quand le trône ou l'autel lui paraissait menacé, avait le mérite de
ne pas prendre fait et cause contre des systèmes philosophiques ou
littéraires qui ne menaçaient ni l'un ni l'autre. Le ministre demandait
aux professeurs de l’État de ne pas le gêner dans sa marche, et non de
l'entretenir dans les opinions qu'il avait jadis apprises sur les bancs
du collège. D'autre part, les auditeurs de Villemain, de Cousin, de
Guizot leur arrivaient sans doute, pour la plupart, prévenus en faveur
des systèmes que la Sorbonne attaquait ou modifiait, mais, ne se sentant
nul droit d'empêcher qu'on pensât différemment, ils écoutaient et se
laissaient convaincre. Au contraire, les auditeurs de l'Athénée, qui
payaient leur abonnement, qui, au besoin, subvenaient à l'insuffisance
de la recette, exigeaient des maîtres, non pas seulement du talent, mais
une doctrine de leur goût. Ils laissaient une entière indépendance aux
mathématiciens et aux physiciens, parce que, dans ces matières
spéciales, le public est toujours plus docile, et c'est ce qui aide à
comprendre pourquoi, dans ces branches, l'Athénée a brillé plus
longtemps. Mais dans les matières où chacun croit pouvoir émettre un
avis, il fallait que les professeurs fissent à l'auditoire la galanterie
de lui prouver qu'il avait raison. Il y a un inconvénient, disions-nous
à propos de l'_Ateneo_ de Madrid, à ce que les professeurs ne soient pas
payés; il y en a un autre à ce qu'ils le soient par leurs auditeurs. On
dira que c'est la condition de tout homme vivant de sa plume, puisque le
débit des livres dépend de la satisfaction des lecteurs. Non; car
l'écrivain s'adresse à tout le public; la pièce que les habitués des
premières représentations accueillent froidement peut se relever le
lendemain devant d'autres spectateurs. Mais le professeur qui débute
dans un Athénée conservera, pour unique juge, une assistance
invariablement composée de la même manière; puis, il se sent comme
introduit dans une famille étrangère; il y trouve une tradition sur
laquelle sans doute on ne lui fait pas prêter serment, mais qu'il se
croit engagé d'honneur à ne pas choquer. Il aperçoit sur les visages
gracieux ou respectables qu'il a sous les yeux la confiance que donne
une adhésion paisible, invétérée à une doctrine et il se conforme peu à
peu à l'opinion qu'il trouve établie; ou bien, comme Lingay et Artaud,
il essaie doucement de la modifier, et l'inutilité de ses efforts
l'avertit de les cesser un instant avant qu'on l'y invite.

En dernière analyse, un professeur était et sera d'ordinaire moins libre
dans l'enseignement libre que dans renseignement de l’État. L'Athénée
n'aurait pas remercié Cousin et Guizot pour les motifs qui firent
suspendre leurs cours en Sorbonne; mais, quant à Cousin tout au moins,
il l'aurait certainement moins longtemps supporté que ne fit le
ministère.

Est-ce à dire que l'enseignement libre n'ait pas servi et ne doive plus
servir aux progrès de la science? Nullement, puisque nous avons vu les
heureux effets du talent, du zèle des maîtres de l'Athénée. Qui sait si,
par la routine même où une partie d'entre eux s'engagea, ils
n'aiguillonnèrent pas d'une autre manière encore les professeurs de
l’État? Puis il peut fort bien arriver qu'une doctrine, une science
nouvelle née hors de l'Université ne parvienne pas tout d'abord à y
trouver sa place légitime, soit que l’État la juge à tort futile, soit
qu'il la voie d'un mauvais œil. En effet, il y a des revirements dans
l'esprit des peuples et, par suite, des gouvernements, comme dans celui
d'un seul homme: à certaines époques l’État est prodigue, à d'autres il
est avare; tantôt il se préoccupe un peu trop du devoir de n'imposer
aucune doctrine, tantôt il prend un peu plus à cœur qu'il ne convient le
devoir de veiller au salut de la société. Ce salut il l'entend, suivant
les époques, de manières fort opposées. De la meilleure foi du monde, il
juge pernicieuses, à certains moments, des opinions qu'il jugeait
bienfaisantes quelques années plus tôt. C'est alors que l'enseignement
libre méritera son nom, ou, pour mieux dire, car cette expression fait
équivoque, il se formera, à la faveur de la liberté, des établissements
aussi intolérants peut-être, mais animés d'un autre esprit, et les
systèmes opposés pourront se faire entendre et se balancer.

Mais il se produira bientôt une conséquence après tout fort heureuse: la
science dédaignée, la doctrine suspecte s'imposeront, si elles sont
fondées, à l’État lui-même qui les installera dans ses chaires; et
alors cessera la raison d'être, non pas de la liberté de l'enseignement
supérieur qui est essentielle là comme partout, mais de tel ou de tel
établissement qui, indissolublement attaché à la vérité qu'il aura fait
triompher, ne voudra pas voir les vérités qui limitent celle-là.
Certains établissements libres d'enseignement supérieur pourront rendre
des services permanents lorsque, comme notre École des sciences morales
et politiques, ils prépareront à des examens spéciaux; mais quant aux
Facultés libres, quoiqu'il puisse s'y rencontrer quelques hommes d'un
grand mérite, elles ne brilleront jamais chez nous de l'éclat qu'a
longtemps jeté l'Athénée, et elles ne rendront à la science que les
services intermittents dont nous venons de parler, ce qui suffit, au
reste, pour qu'on leur souhaite de vivre.

L’État a eu beau abdiquer le monopole de l'enseignement supérieur, la
force des choses lui rend, de nos jours et dans notre pays, une sorte de
monopole de la haute culture. De même que les collections particulières
de livres et de tableaux viennent une à une se fondre dans ses vastes
Musées, dans ses immenses bibliothèques, de même toutes les sciences
viennent à lui pour se répandre par ses soins dans les intelligences. On
peut lui faire une concurrence durable dans l'enseignement primaire ou
secondaire; on ne peut lui faire qu'une concurrence momentanée dans
l'enseignement supérieur. De là pour lui le devoir, auquel du reste il a
travaillé avec ardeur, de porter à la perfection qu'elle peut
atteindre cette partie de nos institutions pédagogiques.



VILLEMAIN EN SORBONNE



CHAPITRE PREMIER

Quelques remarques sur la condition des professeurs de Facultés sous la
Restauration.--Succès de Villemain.--Mauvais moyens de succès qu'il
s'est interdits.


Nous nous proposons ici d'étudier en Villemain, non pas le critique
récemment apprécié dans un intéressant chapitre de M. Brunetière, mais
le professeur. Cette étude offre plus d'importance qu'il ne semble
peut-être d'abord. L'art d'enseigner était à la vérité moins
indispensable alors à un professeur de Faculté, par la raison que les
Facultés n'avaient pas au même degré qu'aujourd'hui la charge de
préparer aux examens et à l'enseignement. Mais un maître de
l'enseignement supérieur, fût-il absolument dispensé de cette fonction
plus spécialement pédagogique, il faudrait encore lui souhaiter les
dons professionnels. Le talent de l'homme de lettres, c'est-à-dire un
jugement fin, une plume habile, ne lui suffit pas. Sans doute, plus il
aura de ce talent et plus il agira sur les esprits, mais il est clair
que cette action dépendra de la façon dont il l'exerce, de la manière
dont il présente ses pensées. Si par hasard, en effet, il ne joignait
pas aux qualités d'un homme de lettres le talent de la parole qui ne les
accompagne pas toujours, quelque occasion qu'on ait eue de s'y exercer,
qui même se concilie malaisément avec certaines d'entre elles, son
ascendant s'en trouverait à la longue notablement diminué. Mais laissons
cette conséquence trop évidente. Ce n'est pas seulement par sa doctrine
qu'un professeur influe sur l'assistance: l'idée qu'il donne de son
caractère, la façon dont il en use avec le public, la manière dont il
ordonne ses leçons, ne contribuent guère moins à la bonne ou à la
mauvaise direction qu'il imprime. Chercher dans quelle mesure Villemain
entendait son métier, c'est donc approfondir le rôle qu'il a joué dans
l'histoire littéraire de notre temps.

On nous permettra seulement de ne pas nous hâter, et, avant d'entrer en
matière, d'examiner quelle était la condition des professeurs de
l'enseignement supérieur sous la Restauration et de rectifier sur
quelques points les idées inexactes qu'on s'en fait d'ordinaire.


I

D'abord, l'éclat des cours de Villemain, de Cousin et de Guizot a pour
nous effacé le souvenir de leurs collègues, et nous croirions volontiers
qu'eux seuls ils attirèrent la foule. Or, sans rappeler l'Athénée dont
nous venons d'écrire l'histoire, dès les dernières années du premier
Empire plusieurs professeurs de la Faculté des Lettres et du Collège de
France eurent un nombre considérable d'auditeurs. Ce n'était pas,
paraît-il, le cas de Royer-Collard, mais Laromiguière, mais Daunou, mais
Andrieux, mais Charles Lacretelle s'adressaient à un public fidèle et
nombreux, au milieu duquel il n'était pas rare d'apercevoir les hommes
politiques les plus en vue. En 1819, six ans avant que le général Foy
reçût au cours d'éloquence française l'ovation que Villemain a racontée
dans ses _Souvenirs contemporains_, La Fayette et Dupont de l'Eure,
reconnus pendant une leçon de Daunou, avaient été vivement applaudis et
installés par l'assistance à des places d'honneur. En 1827, un journal
félicitera Andrieux du concours d'auditeurs qu'il obtient sans manège et
sans passions de parti. «Quel charme depuis vingt ans attire à ses
leçons une foule de personnes comme au plus rare spectacle, des
étudiants, des gens de lettres, de jeunes demoiselles, des mères de
famille[178]?» Certes, nul professeur n'occupait l'attention publique au
même degré que les trois maîtres dont les noms sont inséparables; nul ne
fut poursuivi comme eux par les offres de services des sténographes et
des libraires; mais leur succès n'eût pas été aussi grand si d'autres
n'avaient pas, à la même époque, répandu par leur talent le goût des
leçons instructives et agréables.

Un autre point sur lequel il n'est pas inutile de s'expliquer avec
quelque précision, ce sont les rapports du gouvernement et des
professeurs.

Il serait absurde de soutenir que la Restauration traitât l'Université
avec une indulgence maternelle. Si elle ne l'a pas sacrifiée à ses
ennemis, elle l'a décimée. Voici le tableau des exécutions de la
première heure, tel que l'a tracé Guizot, qui en approuvait le principe,
sans prévoir qu'elles s'étendraient un jour jusqu'à lui: «Neuf recteurs
entre vingt-cinq et cinq inspecteurs d'académie ont été remplacés. Dans
les collèges royaux, trois proviseurs ou censeurs, trente-six
professeurs, trois économes et un très grand nombre de maîtres d'étude
ont été destitués; quatre proviseurs, cinq censeurs, vingt-trois
professeurs ont été suspendus ou déplacés; plus de trois cents élèves
boursiers ont été renvoyés. Dans les collèges communaux, dix-huit
principaux et cent quarante régents ont été destitués, suspendus ou
déplacés. La suppression de la plupart des Facultés des lettres et des
sciences a dispensé la commission d'examiner la conduite des professeurs
de ces établissements. Dans les Facultés de droit et de médecine, neuf
professeurs ont été suspendus[179].» La plupart de ces mesures n'étaient
certainement pas plus justes que celle qui, à la même époque, atteignait
Daunou, privé un instant de sa chaire du Collège de France et, pour
quinze ans, de la direction des Archives. Enfin personne, aujourd'hui,
ne s'aviserait de prétendre que les doctrines de Guizot ou de Cousin
méritassent qu'on leur retirât la parole. Tous deux avaient détesté
l'Empire, mais ils ne détestaient pas la Restauration[180]. Lorsque,
pour un enseignement qui ne s'adresse pas à des enfants et que la
publicité corrige en cas d'erreur par la réfutation, un gouvernement a
la bonne fortune de rencontrer de pareils hommes, il doit leur permettre
de ne pas penser de tout point comme lui. En ce qui concerne Guizot,
comme le fit remarquer le Globe du 22 mars 1828, souscrivant à une
réflexion émise la veille par les _Débats_, le gouvernement avait violé
non seulement l'équité, mais la justice; car Guizot, professeur
titulaire et inamovible, n'aurait dû être suspendu que pour trois mois
au plus. On lui avait laissé, il est vrai, son traitement, ce qui
explique la demi-résignation qu'il confiait à Prosper de Barante[181];
mais on ne pouvait prétendre qu'il ne demandait qu'à jouir de ce loisir
rétribué, puisque tous les ans il informait le doyen qu'il était prêt à
reprendre son cours.

Mais, ceci posé, il faut convenir qu'on s'exagère, en général, les torts
de la Restauration dans cette circonstance. Elle a fait payer à Cousin
et à Guizot (et c'est déjà beaucoup trop) des fautes qui n'étaient pas
les leurs, mais qui, nous le montrerons, étaient à la fois très réelles
et très difficiles à saisir, très fréquentes et très fâcheuses;
j'entends ces allusions faites du haut de la chaire, en termes
irréprochables, à les prendre au pied de la lettre, à des actes de
l'autorité. Lorsque Naudet, par exemple, expliquait à ses auditeurs du
Collège de France qu'un gouvernement ébranle toutes les lois quand il en
change une sans nécessité, il émettait la plus saine des doctrines; mais
personne ne se trompait sur sa pensée, et, le _Constitutionnel_ n'eût-il
pas transcrit dans son numéro du 24 décembre 1819 la déclaration du
professeur, tout le monde aurait compris qu'il blâmait le projet de
changer la loi des élections. Or, le droit du professeur de Faculté à
inspirer des principes un peu différents de ceux du gouvernement pourvu
que la morale ne les réprouve pas, ne va point évidemment jusqu'à celui
de censurer les mesures du gouvernement. La Restauration se sentait
quotidiennement atteinte par cent traits partis de l'Université, dont
les ultras lui avaient aliéné nombre de membres à une époque où Cousin
et Guizot espéraient encore dans la branche aînée des Bourbons.

Le cours de Tissot en fournirait la preuve[182]; mais ne nous lançons
point à la poursuite d'allusions oubliées depuis longtemps, et
arrêtons-nous sur une affaire célèbre. On a fait grand bruit, à l'époque
où Cousin allait être frappé, de l'arrêté pris contre Bavoux, le
professeur de la Faculté de droit. Je crois que toute personne qui se
donnera la peine de lire en entier les pièces du procès, conviendra que
Bavoux avait gravement manqué à la réserve professionnelle. Je ne parle
pas ainsi sur la foi des journaux qui l'attaquèrent; on sait trop, et ma
propre expérience me l'a montré jadis, jusqu'où peut aller la crédulité
ou la mauvaise foi des feuilles politiques; je ne m'en rapporte pas
davantage au petit nombre d'étudiants royalistes qui incriminèrent son
enseignement: on peut juger Bavoux sur ses propres paroles puisque,
suivant l'usage qui dominait encore à cette époque, il lisait son cours,
et que son manuscrit, avoué par lui, fut produit aux débats. Bavoux,
dans la leçon qui mit le feu à l’École de droit, avait agité une
question qui n'excédait pas sa compétence et l'avait résolue d'une
manière licite à un professeur de droit pénal qui, en principe, peut
donner son avis sur les lois qu'il explique. Il examinait l'article du
Code, qui punissait d'une amende de 16 à 200 francs le magistrat qui
viole le domicile d'un citoyen hors des cas prévus par la loi; et il
avait déclaré cette peine insuffisante. Mais il avait oublié qu'un
professeur de droit, qui parle du haut de la chaire et devant un
auditoire facile à enflammer, ne doit pas critiquer une loi, même
défectueuse, avec la véhémence d'un orateur politique; il n'avait montré
dans le Code pénal que l'œuvre d'une hypocrite tyrannie; et voici en
quels termes il avait présenté l'inconvénient de ne pas prévenir par la
menace d'une répression plus sévère la violation du domicile: «Ne nous y
trompons pas! S'il est des êtres pusillanimes et capables de tout
sacrifier à la crainte, il en est d'autres qui n'en ressentiront jamais
l'impression; il en est que le sentiment d'une injustice révolte, que le
péril enhardit, et qu'un vif attachement pour leurs proches exalte au
moindre danger.» À qui la faute, si les auditeurs se battirent sous les
yeux de Bavoux et sous ceux du doyen appelé par l'appariteur, si les
partisans de Bavoux en vinrent aux mains avec la police, et si l'ordre
ne put être rétabli que par l'intervention de la troupe et la fermeture
momentanée de l’École de droit? Comme citoyen, Bavoux n'avait commis
aucun délit, puisque c'était la résistance à un acte illégal qu'il
approuvait; mais, comme professeur, la révocation dont il fut frappé lui
fit très justement porter la peine d'un langage fougueux, qui n'avait
même pas pour excuse l'entraînement de l'improvisation. Au reste, les
hommes sages dans le parti libéral regrettèrent que dans cette affaire
l'effervescence de la jeunesse eût été fomentée et exploitée à son
détriment et à celui de l'ordre public; car à la Chambre, après une
discussion où tout l'avantage avait été pour le garde des sceaux, pour
le ministre de l'intérieur, pour Laîné qui les appuyait, l'ordre du jour
pur et simple qu'ils demandaient sur une pétition des étudiants en
faveur de Bavoux, fut voté même par le centre et par la gauche, à la
réserve d'un petit nombre de voix; et, quelques années plus tard, devant
Villemain, Foy blâmera Benjamin Constant, d'une façon générale, il est
vrai, d'avoir échauffé les têtes des étudiants[183].

Ce n'étaient pas seulement les étudiants qui s'agitaient: la
tranquillité ne régnait pas davantage dans les collèges. Pendant la
délibération qu'on vient de rappeler, Royer-Collard avait exposé à la
Chambre que, quelques mois auparavant, une révolte avait éclaté à
Louis-le-Grand et au collège de Nantes, qu'en même temps des désordres
avaient été tentés dans les collèges de Rouen, de Bordeaux, de
Périgueux, de Caen, de Lyon, de Tournon, de Vannes, à la suite de
_provocations insensées_ répandues sous le nom du collège
Louis-le-Grand; et l'on sait que les émeutes scolaires de ce temps-là ne
se bornaient pas à des promenades en file indienne et à des refrains
irrévérencieux; les poings se mettaient de la partie, et ce n'était pas
toujours seulement sur les meubles que les mutins frappaient.

Cette ébullition de l'Université ne justifie pas la disgrâce de Cousin
et de Guizot, mais elle l'explique. Puis cette disgrâce ne fut point
aussi brutale qu'on l'a prétendu. Kératry avançait, en 1821, dans _La
France telle qu'on l'a faite_, que _des détails odieux_ s'étaient, à ce
qu'on l'assurait, mêlés à la révocation de Cousin, et qu'il n'avait plus
ni titre, ni fonctions, ni traitement. Mais M. Paul Janet qui a, en
1884, dans de remarquables articles de la _Revue des Deux-Mondes_,
approfondi l'histoire de l'enseignement de Cousin, fait fort justement
observer qu'il conserva sa place de maître de conférences à l’École
normale, et, en fait de détails odieux, n'a rencontré qu'une note, fort
peu franche à la vérité, par laquelle le _Moniteur_ du 29 novembre 1820
présentait la cessation de son cours à la Faculté comme une renonciation
spontanée inspirée au jeune maître par le désir de réserver tout son
temps pour d'importantes recherches sur la philosophie. Pour Guizot,
nous avons déjà dit qu'il gardait son traitement de professeur
titulaire; à plus forte raison conservait-il son droit de vote dans les
assemblées de la Sorbonne, comme on peut le voir par le registre de la
Faculté qui, malheureusement, ne contient pour cette époque que des
résumés dénués d'intérêt.

J'ajouterai, d'après des pièces conservées aux Archives nationales, que
la foudre n'avait pas éclaté à l'improviste. Le directeur de l’École
normale, Guéneau de Mussy, qui paraît avoir joué un rôle important dans
la révocation de Cousin, avait écrit, le lundi 27 mars 1820, au
président de la Commission de l'Instruction publique: «Monsieur le
Président, j'ai l'honneur de vous envoyer, comme vous me l'avez demandé,
le numéro du _Censeur_, où vous trouverez l'exposé sommaire de la
doctrine philosophique de M. Cousin. Vous jugerez dans votre sagesse si
vous devrez en parler au Ministre dans votre séance de demain. Si l'on
veut prendre un parti, il me semble que c'est avant l'ouverture d'un
second semestre qu'il convient de le prendre. Agréez la nouvelle
assurance de mon respectueux dévouement[184].» Peut-être n'était-ce pas
la première marque de défiance donnée à Cousin: le 13 novembre 1819, la
Commission de l'Instruction publique avait écrit à Royer-Collard que
Cousin venait de demander, pour raison de santé, un congé de trois mois
à l’École normale, qu'on supposait qu'il ne pourrait pendant ce temps
faire son cours à la Faculté, et qu'en conséquence on priait
Royer-Collard d'indiquer un autre suppléant; le professeur titulaire
n'avait heureusement pas tenu compte de ce zèle trop officieux. Mais,
cette fois, les ennemis de Cousin le crurent perdu. Déjà la
_Quotidienne_ annonçait (21 avril 1820) que le Conseil de l'Université
venait de mettre Cousin à la retraite. Mais tous les maîtres de
conférences de l’École normale écrivirent à Guéneau de Mussy en faveur
de leur collègue, et Guéneau de Mussy transmit, le 17 mai 1820, à la
Commission ces vœux qu'il déclarait partager dans la mesure où ils se
concilieraient avec un intérêt qu'il devait mettre avant tous les
autres: «Je me suis toujours plu, ajoutait-il, à rendre justice aux
connaissances de M. Cousin et à son talent pour l'enseignement. Il peut
sans aucun doute se rendre très utile à l’École; mais pour cela je crois
qu'il faudrait que, même pour ses leçons publiques[185], il fût
renfermé dans un sujet absolument étranger à ces questions qui ne
peuvent pas être l'objet de discussions philosophiques, par cela seul
que les passions auxquelles elles s'adressent les ont résolues d'avance,
de manière que non seulement l’École ne reçût que l'enseignement qui lui
convient, mais encore que le professeur, par la couleur trop tranchée
qu'il aurait prise au dehors, ne pût lui apporter aucun préjudice. Un
arrangement qui remplirait ces conditions paraîtrait concilier tous les
intérêts. Les élèves pourraient continuer à profiter des leçons de M.
Cousin, et M. Cousin lui-même y trouverait encore de plus grands
avantages.» La note suivante tracée en marge de cette lettre indique
l'accueil qu'elle reçut: «Écrire que la Commission serait fâchée que les
services d'un homme aussi distingué que M. Cousin fussent perdus pour
l’École normale et qu'elle désire connaître le programme détaillé des
leçons qu'il pourrait y faire; qu'elle le croit d'autant plus disposé à
le remettre, qu'il en a fait, il y a déjà du temps, la promesse verbale
à M. le Président, et que M. le Directeur de l’École doit l'engager à
l'exécuter.»

Une correspondance s'engagea en fait à la fin des vacances de la Faculté
entre le ministère et Cousin. Comme on n'a pas les réponses de celui-ci
aux accusations de faux-fuyants que contiennent les lettres
ministérielles dont on possède les minutes[186], on ne peut dire si
vraiment il usa de tergiversations; mais le ministère, prévenu ou non,
lui témoignait de réels égards. Dans une première lettre on se plaint
qu'il n'ait pas accusé réception de la première partie de son programme
qu'on lui a retournée paraphée, qu'il ait remis au doyen Barbié du
Bocage une annonce de son cours rédigée dans des termes différents de
ceux que contenait ce commencement de programme; et on l'avertit ainsi:
«Je suis donc obligé, pour éviter toute erreur, de prévenir le Doyen de
ce que je vous ai dit au sujet de votre cours et de ce que vous êtes
convenu de faire.» On lui retourne la deuxième partie de son programme
également paraphée, avec prière de faire parvenir au ministère l'épreuve
du tout dès qu'elle sera tirée. Remarquons la formule finale de cette
lettre: «Agréez, je vous prie, l'assurance de ma haute considération et
de mon attachement.» Le 14 novembre on annonce à Cousin que la
Commission de l'instruction publique a reçu communication de son
programme: «Je sais», est-il dit dans cette lettre, «qu'en pareille
matière un programme n'est pas un indice certain de doctrine; mais le
Conseil Royal compte en cette occasion sur votre bonne foi, et il me
charge de vous prévenir qu'en vous donnant une marque de la
considération qu'il porte à vos talents, il se réserve, s'il était
trompé dans son attente, le droit de faire tout ce que réclameraient
l'honneur de l'Université et surtout l'intérêt de la jeunesse qui doit
être le premier objet de sa sollicitude. Je vous renvoie les deux
premières feuilles paraphées de ma main. Veuillez me faire passer de
même les suivantes avant de les livrer.» Une dernière lettre adressée
non plus à Cousin mais au Doyen prouve qu'à ce moment toutes les
difficultés semblaient levées: «Monsieur le Doyen, la présente lettre
est pour vous seul et ne doit, sous aucun prétexte être communiquée à
d'autres. Le Conseil Royal de l'instruction publique a consenti à ce que
M. Cousin continuât cette année à faire pour M. Royer-Collard le cours
d'histoire de la philosophie, mais seulement à condition qu'il ferait,
avant de l'ouvrir, imprimer son programme tel qu'il aurait été approuvé
par le Conseil. M. Cousin m'a remis, en effet, ce programme. Je le lui
ai rendu, paraphé de ma main en l'invitant à m'envoyer l'épreuve que je
verrai encore avant le tirage, et ce n'est qu'après que j'aurai donné
mon approbation à cette épreuve que M. Cousin sera autorisé à enseigner
à la Faculté. Vous voudrez donc bien attendre pour insérer l'annonce de
son cours dans votre programme que vous ayez reçu de moi avis que cette
pièce a été vue. Vous aurez soin d'ailleurs de ne pas mettre l'annonce
du cours telle que vous venez de me la faire connaître mais telle
qu'elle était sur le programme que m'a remis M. Cousin. Je vous en
communiquerai la rédaction. Le Conseil Royal me charge expressément de
vous adresser ces instructions dont vous sentez sans doute assez
l'importance pour que je n'aie pas besoin de vous en recommander
davantage la stricte exécution. Veuillez, je vous prie, m'accuser
réception de cette lettre et agréer...» Que se passa-t-il durant les
quinze jours qui suivirent, je l'ignore; mais, en rapprochant ce qui
précède du maintien de Cousin à l’École normale, je crois pouvoir
conclure que, dans l'injustice même des mesures prises contre lui, le
ministère n'avait pas dépouillé toute bienveillance.

Quant à Guizot, qui, récemment évincé du Conseil d’État, remontait alors
dans sa chaire d'où on ne l'écarta que deux ans après, on trouve une
trace d'une négociation semblable, à son sujet, dans le _post-scriptum_
de la dernière des lettres précitées: «Si M. Guizot ne vous a pas envoyé
une autre rédaction de son annonce, je vous prie de me le faire savoir.
Je vous donnerai également une direction à ce sujet.» Le bruit courut
même alors que Guizot avait été mandé devant la Commission de
l'instruction publique pour y donner communication de ses cahiers,
rumeur que le _Constitutionnel_, après l'avoir rapportée le 3 décembre
de cette année, démentit le lendemain.


II

La tolérance ininterrompue accordée à Villemain prouve encore que le
gouvernement opposa plus de résistance qu'on ne croit aux ennemis de
l'Université. L'opinion publique s'était si fort habituée à ne point
séparer son nom de ceux de Guizot et de Cousin que certaines personnes,
Étienne Delécluze, par exemple, ont cru qu'il avait été suspendu comme
eux sous l'administration de Villèle, de même que beaucoup de personnes
croient que Cousin et Guizot furent frappés dans un seul et même jour.
L'erreur est excusable, parce que, du moins dans son cours sur le
dix-huitième siècle, c'est-à-dire à l'époque où Villemain fut exclu du
Conseil d’État pour avoir courageusement défendu la liberté de la
presse, la politique inspira plus fréquemment sa parole qu'elle n'avait
jamais fait celle de ses collègues. D'autre part, les gages qu'il avait
donnés à la Restauration n'étaient pas plus marqués que ceux qu'elle
avait reçus de l'un et de l'autre; il avait accepté la fonction de
Directeur de l'Imprimerie et de la Librairie, mais Guizot avait accepté
celle de secrétaire général du ministère de l'intérieur; il avait
complimenté, en 1814, l'empereur de Russie et le roi de Prusse, mais
Guizot était allé où l'on sait pendant les Cent Jours, et il n'avait pas
tenu à Cousin qu'à cette même époque les Normaliens ne couvrissent de
leurs corps Louis XVIII, menacé par le retour de Napoléon. Villemain a
loué Charles X dans les termes les plus gracieux, les plus caressants,
mais c'était en 1824, dans un moment où l'amabilité du nouveau roi, la
suppression de la censure faisaient oublier les fautes du comte
d'Artois, et chacun de ces éloges cachait le plus opportun des
conseils[187]. Néanmoins il fut, jusqu'en 1827, l'objet d'une
bienveillance particulière. L'autorisation de ne faire qu'une leçon par
semaine qu'on lui accorda dès le 6 novembre 1822 avait été accordée, au
moins provisoirement, le 27 avril 1816, à Laya, à Raoul Rochette, alors
suppléant de Guizot, à Cousin[188]; mais dès 1826 il était officier de
la Légion d'honneur, distinction que pas un de ses collègues, ni le
doyen, ni Guizot, ni Cousin n'avaient encore; et, lorsqu'on voulut
l'incriminer pour l'accueil fait par ses auditeurs au général Foy,
Frayssinous, c'est Villemain lui-même qui le rapporte, répondit que le
professeur d'éloquence française aurait bien mal fait son devoir si les
étudiants n'avaient pas pris un goût vif pour la parole brillante de cet
orateur.

On lui avait même accordé une faveur bien autrement précieuse pour lui
que les décorations et qui tourna au bien de la littérature, mais dont
la justice pourrait prêter à la contestation: on l'avait laissé changer
absolument la nature de sa chaire et annexer à son domaine celui de son
collègue Laya. Ce n'est même pas assez dire: Villemain était professeur
d'éloquence française, et Laya professeur d'histoire littéraire et de
poésie française; Laya, son aîné de trente ans, son ancien à la
Faculté, après avoir obtenu de Fontanes une rhétorique pour ce débutant,
s'était laissé, à la mort de Delille, transférer de la chaire
d'éloquence à la chaire de poésie française, pour que la première de ces
deux chaires pût être donnée à Villemain. Que Villemain s'attribuât pour
son cours, non seulement les orateurs, mais tous les prosateurs, nul ne
pouvait s'en étonner; mais si un des deux professeurs était fondé à
embrasser dans son ensemble la littérature d'un siècle, c'était celui
dont l'enseignement comprenait, d'après le titre de la chaire,
l'histoire littéraire, c'est-à-dire Laya. Le gouvernement laissa
Villemain renverser les choses et ajouter à la supériorité du talent
l'avantage du rôle. Laya en fut probablement mal satisfait. Scribe
aurait peut-être trouvé là l'occasion d'expliquer, suivant sa coutume,
les grandes choses par les petites; il aurait dit que, par cette
extension de son domaine, qui entraîna une révolution dans la critique,
Villemain se vengeait de la brochure où Laya, en 1819, lui avait
attribué «ce courage de persévérance qu'il faut pour arriver aux places,
cette constance obséquieuse qu'il faut après cela pour s'y maintenir,»
enfin, une reconnaissance qui ne survivait jamais au pouvoir des
protecteurs[189]. Quoi qu'il en soit, et bien que le dossier de
Villemain aux Archives ne porte pas trace d'une autorisation analogue à
celle qui, dans le dossier de Cousin, autorise une incursion dans
l'histoire de la philosophie ancienne, il est clair qu'en laissant faire
Villemain, le gouvernement lui témoignait une bienveillance très
caractérisée; on allait jusqu'à lui permettre de railler l'_objet
officiel_ de son cours, ce qu'il appelait son _devoir ostensible_ et
d'affirmer, contrairement à l'avis de tous les grands orateurs qui,
depuis Démosthène jusqu'à Bourdaloue, ont cru à la rhétorique, que
l'éloquence qu'il était chargé d'enseigner ne s'enseigne pas[190].

D'où vient que le parti qui frappait Cousin et Guizot traitât Villemain
avec tant de condescendance?

Le premier motif est qu'une chaire de littérature donne toujours moins
d'ombrage qu'une chaire d'histoire ou de philosophie. Sans doute, le
siècle précédent avait fait voir quel allié redoutable l'esprit de
révolution trouve dans le talent d'écrire; mais toute la génération qui
lui avait survécu, Louis XVIII le premier, gardait au fond du cœur pour
la littérature l'idolâtrie dont Rousseau, qui en était lui-même atteint,
n'avait pu la guérir. Puis Villemain, aussi répandu dans le monde que
Guizot et beaucoup plus que Cousin, était de sa personne plus séduisant
que tous deux. Sa redoutable causticité ne lui nuisait pas, parce qu'il
ne s'y livrait qu'à bon escient; et il portait dans les salons une
grâce, une aisance que la nature leur avait refusées. Ce charme le
suivait dans ses cours et en dissimulait la portée à ceux de ses
auditeurs qui auraient pu s'en choquer. On les trouvait instructifs,
mais par-dessus tout amusants. C'est le jugement de Charles de Rémusat
dans une lettre à sa mère, de Dubois et de M. Patin dans le _Globe_, de
Sainte-Beuve dans le premier volume des _Causeries du Lundi_. Les
ouvrages où il a recueilli son enseignement des quatre dernières années
ne peuvent donner une idée exacte de l'agrément qu'on y trouvait, parce
que son goût, plus délicat que le nôtre, l'avertissait de sacrifier, en
travaillant pour l'impression, certaines fantaisies piquantes de
l'improvisation qui, dans un livre, eussent paru entachées tantôt de
négligence, tantôt d'affectation.

Obligés de croire sur l'attrait de sa parole vivante ceux qui l'avaient
entendu, nous citerons quelques lignes des journaux du temps et un
charmant passage de Sainte-Beuve que, d'ailleurs, M. de Loménie a déjà
cité. Voici l'appréciation des _Annales de la littérature et des arts_:
Il commence, disent-elles, par un morceau très brillant et très
substantiel dont l'Académie avouerait l'élégance soutenue, puis entre
pour ainsi dire en conversation avec l'auditoire, lui communique son
enthousiasme, l'électrise, l'égaye par des saillies qui vont jusqu'à la
naïveté et à la bonhomie; si un trait de satire lui échappe, il
gourmande avec grâce et autorité les rires ou les applaudissements
indiscrets et se condamne lui-même avec une modestie qu'on peut trouver
extrême. Le _Globe_ dit qu'on peut jusqu'à un certain point se figurer
l'action oratoire de Cousin et de Guizot sans les avoir entendus, mais
qu'on ne saurait s'imaginer «cette éloquence toute en saillies, en
originalités, en caprices» de Villemain, «ce désordre d'un esprit
inspiré par le spectacle d'un chef-d'œuvre, et pourtant si présent pour
en interpréter les beautés, ces agaceries d'une coquetterie charmante
mêlées aux impétuosités d'une verve irréfléchie, ces élans comprimés
tout à coup par un sourire et une suspension maligne.» Écoutons enfin
Sainte-Beuve: «Il ne ramène pas à lui impérieusement son auditoire sur
un point principal autour de la monade _moi_, comme faisait dans sa
manière différemment admirable M. Cousin; mais penché au dehors,
rayonnant sur tous, cherchant, demandant à l'entourage le point d'appui
et l'aiguillon, questionnant et pour ainsi dire agaçant à la fois toutes
les intelligences, allant, venant, voltigeant sur les flancs et comme
aux deux ailes de sa pensée, quel spectacle amusant et actif, quelle
délicieuse étude que de l'entendre!... Si la saillie est trop forte,
trop hardie (jamais pour le goût), il la ressaisit au vol, il la retire,
et elle échappe encore; et c'est alors une lutte engagée de la vivacité
et de la prudence, un miracle de flexibilité et de contours, et de
saillies lancées, reprises, rétractées, expliquées, toujours au triomphe
du sens et de la grâce[191].»

Aussi, Villemain était-il encore plus goûté que Cousin et Guizot. La
preuve n'en est pas seulement dans le nombre encore plus grand
d'auditeurs qu'il réunissait au pied de sa chaire: car, outre qu'on ne
s'est point avisé de mettre un tourniquet à l'entrée des cours et qu'il
faut se défier des évaluations approximatives[192], un cours de
littérature est plus attrayant pour la foule qu'un cours d'histoire ou
de philosophie; mais on peut noter que, dès le premier jour, Villemain
fit courir les amateurs: sa première leçon sur la littérature française,
le 8 décembre 1815, alors qu'il n'était encore connu du public que pour
avoir quelque temps suppléé Guizot, amena à la Faculté, au dire du
_Moniteur_, une assistance nombreuse qui avait réussi à découvrir la
date de la séance, que nulle annonce n'avait indiquée. Les revues du
temps rendent bien plus souvent compte des leçons de Villemain que des
leçons de Cousin et de Guizot, et les comparaisons qu'elles établissent
parfois entre eux sont d'ordinaire à son avantage. Tout en déclarant que
l'ascendant de Cousin «est déjà très marqué sur une partie de son
auditoire», les _Annales de la Littérature et des Arts_ estimaient qu'il
plairait surtout aux _amateurs indigènes de la philosophie allemande_;
elles croyaient également Guizot fait surtout pour plaire aux _enfants
de la Germanie_: «M. Villemain a, plus que ses deux collègues, ce qu'il
faut pour captiver des esprits éminemment français[193].» La
_Quotidienne_ du 2 juin 1828 accusait Guizot de vouloir dérober à
Villemain «les formes de son ingénieux et pittoresque langage», de se
livrer à des _boutades d'imitation_; elle dit qu'elle comprend les
expressions hasardées chez un littérateur ou chez M. Cousin, qui
ressemble à un enfant racontant son rêve de la nuit, et qui, d'ailleurs,
finira par trouver la vérité qu'il cherche avec tant d'ardeur; mais elle
blâme ce langage aventureux chez un professeur d'histoire. Personne ne
croira que Guizot ait copié Villemain; toutefois, la _Quotidienne_
aurait touché juste, en disant qu'il avait dû acquérir lentement
l'aisance dans la parole que Villemain avait apportée en venant au
monde. Le _Globe_ constatait, en effet, en 1828, que Guizot avait gagné
et non perdu dans la retraite: «Autrefois, il y avait plus de solennité
apprêtée; maintenant c'est de la force qui va sans calcul, jaillit
tantôt en mots spirituels et tantôt en émotions[194].» La réfutation
qu'Armand Marrast a prétendu faire à cette époque du cours de Cousin
marque un esprit aussi étroit qu'élégant, mais il ne se trompe pas quand
il compare Villemain, qui s'assied négligemment dans sa chaire et ne
cherche pas ses mots, et Cousin, qui compose ses attitudes et médite
ses expressions: «M. Cousin, dit-il, se tient debout, ne s'assied qu'à
temps fixes, et il n'est pas jusqu'à son verre d'eau qu'il ne boive d'un
air méditatif et consciencieux.» Marrast nous apprend que, tandis que
dans l'auditoire du premier on distingue des vieillards et de hauts
fonctionnaires de l'Université, celui du deuxième est exclusivement
formé de jeunes gens; il affirme même que, vers la fin, Cousin n'aurait
plus eu pour auditeurs que _la cour de Victor Hugo_, y compris
Sainte-Beuve, et Armand Marrast n'est pas absolument seul à soutenir
qu'en 1829 l'auditoire de Cousin a diminué[195]. Au contraire,
l'auditoire de Villemain est toujours allé s'accroissant; et c'est pour
son cours, je crois, qu'en 1828 on ouvrit pour la première fois, aux
étudiants, les tribunes de côté de la salle de distribution des prix du
Concours général, mise depuis six ans à sa disposition[196].


III

Villemain a dû un pareil succès tout d'abord à son talent de parole,
puis aux qualités qu'on lui reconnaît universellement, et dont nous
avons dit que nous ne recommencerions pas l'analyse, à l'étendue de sa
science, qui embrasse l'antiquité, le moyen âge dans tout ce qu'on en
savait alors, et les temps modernes, qui s'étend des lettres sacrées aux
lettres profanes, des œuvres originales aux livres de critique et aux
journaux, de l'histoire littéraire à l'histoire politique, qui n'est
guère moins familière avec l'Angleterre et l'Italie qu'avec la France,
et cela dans un temps où l'on ne possédait pas encore ces manuels de
toute nature qui aujourd'hui permettent à un homme adroit de feindre
d'avoir tout étudié; il l'a dû aussi à sa prompte et souple
intelligence, à sa manière neuve de concevoir la critique. Mais, puisque
nous étudions en lui le professeur, c'est sa méthode d'exposition, et
non sa doctrine avec toutes les qualités d'esprit qu'elle suppose, que
nous examinerons. Cherchons donc si en lui le professeur acheta par de
graves concessions la vogue qui ne l'abandonna pas.

Il semble que nous ayons tranché d'avance la question par
l'affirmative; car nous avons dit que durant plusieurs années son cours
eut une visée politique. Étudier le dix-huitième siècle, c'était traiter
une question brûlante; on ne s'échauffait guère moins à propos de
Voltaire et de Jean-Jacques qu'à propos de Chateaubriand et de Villèle.
Encore Villemain ne se bornait-il point à l'appréciation du talent que
les philosophes du dix-huitième siècle avaient déployé dans leur lutte
contre l'ancien régime; il s'intéressait à cette lutte, il y prenait
parti, puisque tout son enseignement tendait alors à inspirer l'amour
des conquêtes de la Révolution; par exemple, c'était évidemment ce désir
qui lui faisait consacrer tant de leçons aux orateurs de l'Angleterre;
car on ne dira pas que lord Chatam et son fils aient eu dans la France
de leur temps des maîtres ou des élèves, et par conséquent ils ne se
rattachent guère à l'histoire de notre littérature au dix-huitième
siècle.

Cela est vrai. Mais d'abord il faut remarquer que Villemain n'est arrivé
à cette époque si voisine de la sienne que conduit en quelque sorte par
la marche de son enseignement; en effet, il avait pris l'étude de notre
littérature à son origine, et mis plus de dix ans pour parvenir à
Voltaire; le dix-huitième siècle une fois étudié, il retourna
immédiatement en arrière et revint au moyen âge. Il travaille à faire
aimer la liberté, mais la liberté telle précisément que la Charte la
définit et la garantit: ce n'est pas sa faute si le roi rêve la
destruction de la Charte. Enfin, les allusions qu'il se permet ne
sortent pas de ces généralités dont la forme fait tout le prix et dont
ceux mêmes qu'elles pourraient atteindre seraient les premiers à
sourire. Un prêtre se serait-il fâché pour lui entendre appeler le Père
Isla _bon prédicateur et assez bon romancier_? Lorsqu'en réponse aux
personnes qui l'accusent d'avoir fait l'apothéose _de ce vil, de cet
infâme Rousseau_, il promet «d'être plus ennuyeux parce que cela est
plus orthodoxe,» ce mot vif passe à la faveur de sa position d'accusé.
Les hommes en place ne pouvaient guère s'offenser davantage de quelques
railleries sur le goût naturel aux ministres pour le pouvoir, sur ceux
d'entre eux qui, avec toute leur habileté, n'ont pas assez de génie pour
s'accommoder de la libre discussion. À peine relèverait-on dans tout son
cours un trait qui porte contre les hommes et les choses du jour, ici un
regret pour l’École normale supprimée, là une allusion aux fournées de
pairs, à l'article de la Constitution qui retarde outre mesure l'âge de
l'éligibilité. À propos de la fin prématurée de quelques orateurs
anglais, il rappelle, en terminant une leçon, Camille Jordan, de Serre,
le général Foy; mais bien peu de royalistes eussent incriminé cette
piété envers de pareils morts. Un mot sur Burke, à qui les ministres
donnaient des maisons, pourrait tomber sur Azaïs, qu'on avait jadis
accusé de s'être vendu à Decazes pour un semblable présent; mais
Villemain et ses auditeurs se rappelaient-ils, en 1828, les sarcasmes
que nous retrouvons dans les journaux de 1819? Seuls, les Jésuites ont à
se plaindre de lui: il laisse percer sa joie quand cette _corporation
puissante et vivace, mais moins indestructible que les Provinciales_, et
qui, à la fin du dix-huitième siècle, _n'était plus qu'intrigante,
tracassière et bonne à être chassée_, est _enfin_ abolie en France et
dans d'autres États; il pense à elle, même quand son sujet ne l'y invite
pas, puisqu'il appelle le sacre de Napoléon Ier _cette grande
escobarderie du conquérant_; mais sous la Restauration, les évêques qui
entraient au conseil des ministres se déclaraient gallicans et ne
prenaient pas fait et cause pour la Compagnie de Jésus. En somme,
Villemain ne touche pas à la politique courante.

Mais, dira-t-on, vous en jugez d'après le cours imprimé où il a pu
effacer ce qu'il a voulu; la première édition même, celle qui parut
leçon par leçon grâce aux soins des sténographes, avait été revue par
lui; Sainte-Beuve, dans un passage cité tout à l'heure, ne semble-t-il
pas autoriser à croire que la parole de Villemain a été plus hardie que
sa plume?--Je ne crois pas que sa malice ait souvent dépassé la limite.
D'abord, et c'est un argument de poids, Guizot, dans ses Mémoires,
précisément à propos de l'époque où l'on a dit depuis que Villemain se
vengeait de sa radiation du Conseil d’État, déclare que Villemain et
Cousin s'interdisaient comme lui-même les allusions aux événements du
jour. Puis, ceux des contemporains qui attaquent Villemain, qui vont
jusqu'à demander la suppression de sa chaire, l'accusent, les uns, comme
on l'a vu, de trop louer Rousseau, les autres de méconnaître l'influence
du christianisme sur la littérature du moyen âge, d'autres de
discréditer les études classiques; mais on ne voit pas qu'on lui
reproche des incursions dans la polémique des partis.

Il ne faudrait pas conclure de quelques brocards contre les jésuites
qu'il ait systématiquement flatté les passions de ses auditeurs. Il est
vrai que, comme la plupart des libéraux de la Restauration, il pèche par
un optimisme un peu confiant; il croit, non pas que la liberté suffit à
tout, mais qu'elle produit nécessairement toutes les vertus dont la
société a besoin, qu'elle corrige de toutes les erreurs, que, par
exemple, la France est irrévocablement désabusée de celles qui ont égaré
Jean-Jacques, et c'est pourquoi il prononce à son sujet la phrase qui
souleva la colère des journaux royalistes: «Dans cette apothéose que
fait la gloire, les erreurs de l'homme s'effacent par ses services.» Il
n'aperçoit pas le ferment caché qu'il eût pu reconnaître à la
persistance du bonapartisme, au peu de scrupule des libéraux à s'allier
avec lui, à entrer dans des sociétés secrètes. Mais avouons que c'est la
lumière des événements postérieurs qui nous éclaire sur ces indices. Si
Villemain se trompe sur l'avenir, ce n'est ni qu'il flatte le présent,
ni qu'il se méprenne sur le passé. Il a très nettement démêlé toutes les
parties répréhensibles de l'œuvre et de la vie de Rousseau; car s'il
exalte son génie et son caractère, c'est par rapport aux autres hommes
du dix-huitième siècle; Rousseau lui paraît beaucoup moins grand comparé
aux hommes de l'âge antérieur: «Sa libre rêverie», dit-il, «en étant
plus abandonnée que celle des écrivains du dix-septième siècle n'est pas
toujours plus naïve; en s'arrêtant à plus de détails, elle n'est pas
plus vraie. Le naturel que peint Rousseau est celui d'un malade plutôt
que d'un homme en santé.» Il déclare courageusement que Jean-Jacques, du
moins en France, n'a subi _ni persécution ni martyre_: «Nous disons les
choses comme elles sont; il faut que nul enthousiasme trompeur, nulle
réminiscence exagérée ne vienne altérer pour vous la vérité dont vous
êtes dignes par votre âge et par l'époque où vous vivez. Il faut encore
moins sous la Charte s'indigner comme Rousseau sous le bon plaisir; et,
pour être juste, on doit reconnaître que dans ce bon plaisir même il y
avait souvent plus d'indécision et de faiblesse que de tyrannie.» Il ose
davantage encore; il met les _Confessions_ de Jean-Jacques, pour la
valeur morale, au-dessous des _Confessions_ de saint Augustin. Ce n'est
pas la seule fois qu'il ait en Sorbonne rendu justice aux Pères, puisque
son beau tableau de l'_Éloquence chrétienne au quatrième siècle_ avait
été esquissé dans les dernières séances de l'année où il acheva l'étude
du dix-huitième siècle. Chateaubriand lui en avait sans doute donné
l'exemple; mais au lendemain de la Révolution, l'éloge de tout ce qui
touche à l’Église ne rencontrait pas plus de défiance qu'à l'époque où
l'entourage de Charles X compromettait le clergé. Quant à l'heureuse
influence du christianisme, il ne l'a jamais méconnue, quoiqu'on l'en
ait alors accusé; et c'est parce qu'il en était frappé, autant que par
sympathie pour les victimes de la persécution, qu'il a consacré une de
ses plus belles leçons, une de celles qui frappèrent le plus les
contemporains à réfuter les froids et lourds sarcasmes de Gibbon contre
les chrétiens morts pour leur foi.

Il n'a pas davantage cherché le succès dans ce qu'on a nommé l'art de
confire le fruit défendu. C'était une innovation hardie de la part du
professeur et séduisante pour le public que de traiter du roman dans une
chaire de Sorbonne. Il a senti le besoin de s'en justifier; mais il y a
réussi aisément; si l'on admet qu'à l'étude isolée du genre oratoire on
substitue celle du génie des peuples, il est clair que ce génie s'accuse
dans les fictions en prose et dans la peinture des mœurs bourgeoises,
comme dans l'épopée et dans la tragédie. Tout ce que l'on doit exiger,
c'est qu'il en parle avec la réserve d'un homme tenu à se faire
respecter. Villemain s'est assujetti à cette réserve avec une rigueur
singulière. La Harpe avait montré, dans quelques pages fort
intéressantes sur Manon Lescaut et sur Clarice Harlowe, qu'un homme de
bonne compagnie peut analyser, même devant des dames, un roman hardi
sans alarmer trop vivement aucune des parties de l'assistance. Villemain
a pensé qu'il fallait encore plus de retenue devant un auditoire
universitaire que devant un auditoire mondain, car là où le public mûr
de l'Athénée n'observait que l'art du romancier, le public juvénile de
la Sorbonne ne verrait que l'intrigue dont le romancier se sert pour
caractériser ses personnages. Le passage où il touche au roman de
Prévost est une merveille de délicatesse: l'essentiel s'y trouve
indiqué, mais sans que les auditeurs puissent s'arrêter à rien de
scabreux; c'est au milieu d'observations sur l'habitude qu'avait
l'auteur de se peindre lui-même dans ses ouvrages, que Villemain jette
le jugement auquel il ne pouvait se soustraire sur «cette aventure
vulgaire dont les détails offrent souvent des mœurs dégradées,» mais
«qui s'élève, en finissant, au sublime de la passion.» S'agit-il de
romans dont l'appréciation n'est pas indispensable pour en faire
connaître les auteurs? Il les rappelle d'une manière encore plus
expéditive. Il montre la portée des _Lettres Persanes_; mais quant à la
fiction même dans laquelle Montesquieu a caché son prélude à l'_Esprit
des Lois_, il l'appelle «un ouvrage que nous ne pouvons pas lire ici.»
«Ce n'est pas ici,» dira-t-il ailleurs, «que nous pouvons juger la
_Nouvelle Héloïse_.» Il désigne l'_Ingénu_, de Voltaire, par ces mots:
«un ouvrage que je ne nommerai pas.» On sait que Fénelon, dans la
_Lettre sur les Occupations de l'Académie_, s'excuse de citer Catulle:
Villemain demande également pardon de citer le _Satyricon_, de Pétrone,
«ce livre qu'il ne faut pas lire et qu'il est à peine permis de nommer,»
tant il est vrai qu'il est inutile d'étaler la licence d'un siècle pour
en marquer la conséquence! Villemain doit être d'autant plus loué de
cette retenue, qu'il ne paraît pas avoir prévu combien elle était
opportune; car il était optimiste en matière de morale comme en matière
de littérature, et ne semble pas avoir prévu que l'adultère allait,
dans quelques années, devenir le thème obligé et presque le héros du
drame et du roman.

Villemain s'interdit aussi l'appât moins dangereux en apparence du
paradoxe. Avec plus de lecture et d'ouverture d'esprit que La Harpe,
avec un tact plus sûr que Mme de Staël et Chateaubriand, libre des
partis-pris qui abusaient Schlegel, il ne pouvait se laisser surprendre
par un système exclusif; mais on feint souvent par calcul les erreurs
dont on n'est pas dupe. Il pouvait donc imaginer comme un autre un
système à lui, auquel il aurait fait semblant de croire, auquel il
aurait bientôt obtenu du ciel la faveur de croire; car la prédication
peut donner la foi au prédicateur même. Rien ne frappe autant la foule
qu'un système; et l'heure était particulièrement propice, puisque de
toutes parts alors, en économie politique comme en littérature, on
élaborait des plans de renouvellement universel. Nous avons souscrit,
dans l'étude qui précède la présente, au jugement d'Artaud, qui croit
que les romantiques auraient mieux fait de ne pas débuter par publier
des manifestes; mais ce qui nuit à la gloire durable sert souvent à la
vogue. Villemain, qui apercevait mieux que pas un de ses contemporains
le fort et le faible de la littérature classique et de celle qui
aspirait à la remplacer, eût frappé encore bien davantage l'opinion
s'il s'était érigé en défenseur intransigeant de l'une ou de l'autre.
Loin de là: jamais les imperfections de nos tragiques ne lui ont fait
méconnaître la profondeur avec laquelle ils ont représenté les passions.
Il déclare positivement à plusieurs reprises que la littérature est une
science expérimentale, qu'on ne peut prévoir toutes les formes du beau,
à plus forte raison imposer celles d'un siècle à un autre; mais
affranchir les génies à venir, ce n'est pas pour lui les soulever contre
les génies d'autrefois; l'ingratitude et le dédain lui paraissent une
mauvaise école de liberté. Il montre d'ailleurs que, s'il y a des règles
purement transitoires, il en existe d'éternelles. Il prévoit les
inévitables changements de la langue; mais il n'en maintient pas moins
qu'il y a pour chaque idiome un point de maturité après lequel il se
gâte. Il ne veut pas plus qu'on copie les siècles barbares que les
siècles polis, et prémunit contre l'engouement pour les littératures
étrangères dans le moment où il en inspire le goût; il avertit par
exemple que «la récente poésie du Nord est savante, réfléchie,
artificielle,» que Goethe appartient à une école subtilement naturelle,
laborieusement téméraire, que Byron cherche avec effort des émotions
nouvelles. En un mot, il s'expose par amour pour la vérité, à déplaire
tour à tour aux deux partis entre lesquels se partageaient alors à peu
près tous les amateurs de littérature.

L'amour de la vérité ou plutôt la malignité qui en prend le nom
désaccoutume quelquefois d'une sorte de réserve différente de celle que
nous avons relevée chez lui et dont il est plus méritoire de ne pas se
départir parce que tout le monde n'a pas la finesse nécessaire pour y
manquer. Lorsqu'on réfléchit notamment sur quelques passages des leçons
qu'il consacre à Jean-Jacques, on se persuade qu'il n'a tenu qu'à lui
d'égaler par avance la perspicacité presque diabolique avec laquelle
Sainte-Beuve, dans l'instant même où il vient de louer comme un fervent
solitaire de Port-Royal la vertu ou le grand sens d'Arnaud et de Nicole,
signale leurs faiblesses et leurs ridicules. Dans le passage pénétrant
où il montre que c'est plus par rapport à son siècle qu'absolument
parlant que Jean-Jacques est original, il glisse cette remarque: son
originalité réelle se marque par le pathétique familier et _la
mélancolie dans les petites choses_. Quand Sainte-Beuve fait une
découverte de ce genre, il n'appuie pas lourdement, mais il insiste
d'une main légère et cruelle; il tient, non pas à humilier la raison
humaine, mais à nous tenir en joie par le spectacle de ses faiblesses et
à nous prémunir par là, en passant, contre les doctrines qui nous
attribuent, à nos risques et périls, une origine et une destination
d'ordre supérieur; personne ne prêche moins que lui, mais, s'il ne
dogmatise jamais, il insinue toujours. Eût-il été difficile à Villemain
d'expliquer agréablement ce qu'il entendait par la mélancolie dans les
petites choses, et d'arriver enfin, de réflexions malignes en
expressions pittoresques, à prononcer ou à suggérer les mots
d'enfantillage charlatanesque? Il possédait, lui aussi, l'art de tout
dire; il était sûr de retrouver à point, après un mot spirituel, sa
sensibilité pour admirer le beau et le faire sentir. Dans la vie
quotidienne, dans la polémique, il a su fort bien mêler les épigrammes
aux compliments; il pouvait dans sa chaire exercer ce talent pour le
plaisir de son auditoire; il n'a pas voulu l'exercer sans péril, aux
dépens des grands écrivains et de la jeunesse même qui, en riant d'eux,
aurait perdu l'habitude salutaire du respect. Ce cours si amusant ne
forme point à l'irrévérence. Villemain avait trop d'esprit pour régenter
le génie, mais il en avait assez pour oublier et faire oublier à ses
auditeurs la distance qui les sépare, eux et lui, des grands hommes. Il
s'en garde bien. Ce qu'il cherche à exciter en eux, plus encore que le
sens critique, c'est l'enthousiasme.

Cette dernière assertion, qui, aujourd'hui, étonnera peut-être, n'eût
pourtant pas été contredite par ceux mêmes qui trouvaient, qu'en
dernière analyse, le cours était surtout amusant. Qu'on se reporte aux
éloges que nous avons cités plus haut, on verra que si Sainte-Beuve a
surtout goûté l'agrément de Villemain, les revues du temps lui accordent
le don de ressentir et de communiquer la passion du beau. Charles
Lacretelle, dans son discours de 1823 à la Société des bonnes lettres,
rappelle «un phénomène d'instruction et de facilité à qui l'expression
éloquente ne coûte pas plus que l'expression spirituelle.» Comme nous
lisons moins les livres de Villemain que nous ne discutons ses
doctrines, comme aussi le don oratoire est allé chez lui s'affaiblissant
du jour où il a plus écrit que parlé, nous nous étonnons un peu
d'entendre vanter sa verve éloquente; nous lui concéderions seulement la
verve spirituelle. Mais, de quelque épithète qu'on la distingue, la
verve ne va jamais sans quelque chaleur; chez un homme dont le sens est
juste et dont le cœur n'est pas corrompu, il suffit pour qu'elle change
de nom, qu'elle passe d'un objet à un autre. Celle de Villemain, quand
il s'émeut, n'est jamais factice ou déclamatoire, elle part de faits
rassemblés et médités. Un jour, ses auditeurs applaudirent ce trait:
«L'Angleterre a mis partout des gardes aux barrières de l'Océan.» Dans
le passage où il se rencontre, ce mot oratoire n'est autre chose que la
conclusion d'un raisonnement: Villemain veut établir qu'une nation
libre, au milieu même de ses fautes et de ses revers, travaille
efficacement au bonheur du monde et à sa propre gloire, et il le prouve
en montrant que la politique qui a fait perdre à l'Angleterre, sur la
fin du siècle dernier, sa plus belle colonie, a donné naissance à une
grande nation capable de se passer désormais de la métropole, et a
remplacé cet empire perdu par l'Inde et par les clefs de tous les
détroits du monde. Ailleurs, un instant après avoir approuvé Montesquieu
d'attribuer à chaque climat une religion différente, il affirme que le
christianisme sera un jour la religion de l'univers: est-ce une
précaution de rhéteur prudent qui rachète une proposition hardie par une
contradiction? Non. À lire le passage, on voit que, dans l'intervalle de
ces deux déclarations qui s'accordent mal, la pensée des pointes
aventureuses que les soldats, les négociants, les missionnaires anglais
et russes, poussent chaque jour sur le continent asiatique, l'imposante
perspective du triomphe final des lumières a frappé son imagination et
entraîné sa parole[197]. Quand on pense qu'il avait fait sa rhétorique
sous le premier Empire, à l'époque où la littérature d'opposition et la
littérature officielle, très inégalement riches d'idées, cultivaient
toutes deux l'emphase, on s'étonne de le trouver si sobre dans l'usage
des procédés oratoires. Dans ses leçons, il fait des parallèles; le
cours en comprenait même un peu plus que n'en contient le livre; mais on
n'y sent pas l'antithèse arrangée à plaisir: le morceau où il oppose la
mort de lord Chatam à celle de Richelieu et de Mazarin, est plus
expressif encore par l'idée que par les mots, et l'idée du morceau est
la morale même du cours dont il fait partie. Au reste, la chaleur ne se
marque pas seulement dans quelques passages isolés; elle anime des
leçons entières, par exemple celles où il fait l'apologie de
Jean-Jacques, et celle où, comme nous l'avons dit, il défend le
christianisme contre Gibbon.

Une preuve qu'au milieu de toutes ses saillies, de toute sa coquetterie,
il se faisait une haute idée de sa profession, c'est la sympathie, on
dirait presque l'onction, avec laquelle, pour expier, disait-il, son
enseignement et mille choses qui lui échappaient, il a tracé le portrait
de Rollin. Les contemporains admirèrent, on le voit par les journaux du
temps, l'affectueuse loyauté de la leçon où, tout en expliquant ce qui
manque à l'auteur du _Traité des études_, il dépeint sa charmante et
noble candeur. Ici encore, il diffère à son avantage de Sainte-Beuve,
qui veut bien admirer la vertu, mais qui, lorsqu'elle n'a pas l'excuse
du génie, en fait la consolation des esprits bornés.

L'homme qui a dignement parlé de Rollin n'a pu, malgré son désir de
succès, courtiser son auditoire. La tentation était grande; car la
jeunesse de la Restauration, ces étudiants en droit qui formaient, non
pas la totalité, mais la pluralité de son assistance[198], méritaient
des éloges et étaient habitués à en recevoir. On pressentait tout ce que
la jeune génération allait produire, on voyait ce qu'elle donnait déjà
par les mains de Lamartine et de Victor Hugo, et les hommes politiques
ne se faisaient pas faute de lui révéler les espérances fondées sur
elle. Chateaubriand lui a en personne décerné des félicitations qui, du
reste, ne dépassent pas la mesure de la vérité. Pourtant, ni le
spectacle de l'attention qui dénotait le zèle de cette jeunesse, ni la
reconnaissance pour l'admiration qu'elle lui témoignait n'ont décidé
Villemain à l'aduler. Il loue très volontiers les débutants qui viennent
de faire leurs preuves; le nom d'Augustin Thierry revient presque aussi
souvent dans son cours que celui de Chateaubriand[199]; mais il ne dit
pas à ses auditeurs, précisément parce qu'il le pense, qu'ils sont,
suivant la phrase dont on abusait tant, l'espoir de la patrie ou de la
science; il exprimait quelquefois des souhaits ambitieux pour elle, mais
ne lui adressait pas de compliments. Il ne fait pas non plus étalage des
lettres très nombreuses sans doute qu'il recevait de ses auditeurs: on
le voit seulement en mentionner quatre qui contenaient des critiques et
y répondre en homme uniquement occupé d'instruire l'auditoire et non de
récompenser un flatteur ou de gagner un rebelle. Son éclatant succès,
celui de Cousin et de Guizot avaient changé les rapports de l'auditoire
et des professeurs; il n'a rien fait pour accélérer ce changement.
Auparavant, c'était chose insolite dans une Faculté que d'applaudir un
professeur; car, dans le réquisitoire prononcé contre Bavoux, ces
marques d'approbation sont qualifiées de _non moins extraordinaires dans
l’École que son genre d'enseignement_; ce n'était point là une vaine
phrase; jusque vers 1825, l'interdiction d'applaudir fut assez rarement
violée, sauf dans les séances d'ouverture et sauf pour des incidents
étrangers aux leçons des maîtres pour qu'à propos d'une leçon de
Villemain de décembre 1824; le _Globe_ constatât que c'était la deuxième
fois qu'on l'enfreignait en son honneur[200]. Mais Villemain, tout en
travaillant à mériter d'être applaudi, a toujours, comme Guizot, essayé
de réprimer cette dérogation à l'usage, aussi bien quand l'hommage
allait à son talent que quand il allait à son intervention en faveur de
la liberté de la presse[201]; et il ne faut pas dire que c'était calcul
de sa part, puisqu'il n'employait pas le moyen le plus sûr pour être
applaudi, les compliments.

Ajoutons que, si ses empiétements ont pu mécontenter Laya, il n'a, du
moins, jamais cherché à traverser le succès des seuls collègues qu'il
pût considérer comme ses rivaux. Il ne fait jamais que les plus
honorables allusions à leurs cours, même quand il discute franchement
une de leurs opinions. Bien plus: c'est par leur retour à la Faculté en
1828, que dans une préface il explique l'accroissement, à partir de
cette époque, de son propre succès.



CHAPITRE II.

Défauts de la méthode d'exposition de Villemain.--Limites de ses
qualités intellectuelles et morales.--Pourquoi son talent n'est pas
toujours allé en grandissant.


I

Pourtant, comme professeur, Villemain n'est pas impeccable, et il faut
enfin marquer les défauts de sa méthode.

Gardons-nous cependant de rien exagérer. Avant de lui demander compte de
ces boutades, de ces fantaisies d'expressions qui amusaient les
auditeurs, avant de prononcer qu'elles conviennent peu à la gravité
doctorale, il faudrait les connaître, et nous ne les connaissons pas. Il
les a effacées. Les contemporains disent que c'étaient de gracieux et
charmants caprices; ils n'auraient certainement qualifié ainsi ni des
traits de mauvais goût, ni ces expressions triviales que le vulgaire
aime aujourd'hui à retrouver sous la plume ou dans la bouche des hommes
d'esprit. D'ailleurs, le mauvais goût et la bassesse du langage sont des
défauts dont on se dépouille malaisément; il en serait demeuré des
traces malgré la revision de Villemain. L'extrême limite de la
familiarité était, je pense, chez Villemain des expressions comme: _À la
bonne heure! Je crois bien!_ que nous rangerions presque aujourd'hui
dans le style soutenu. Quant aux boutades, c'étaient probablement des
expressions piquantes dans le goût de La Bruyère, comme celle-ci qui a
trouvé grâce devant la revision: il appelle le succès d'un livre qui
préluda au succès du _Voyage du jeune Anacharsis_ «un commencement
d'admiration qui était prêt et attendait l'ouvrage de l'abbé
Barthélemy;» c'étaient encore des remarques utiles énoncées d'une
manière frivole en apparence, telles que la mention du goût d'Alfieri
pour les chevaux présentée comme par un caprice de la mémoire dans le
moment où Villemain décrit l'impétuosité qui changeait tout sentiment en
passion dans le cœur du poète d'Asti. Rien là qui donne prise au blâme.
On voit bien au style que le cours de Villemain a été fait de vive voix
avant d'être rédigé, et l'on peut dire à cette occasion qu'une des
choses qui ont contribué dans notre siècle à gâter la langue, c'est
qu'un grand nombre de nos meilleurs livres n'ont plus été que des
conversations écrites; nos lectures même ne nous corrigent pas des
négligences, des bizarreries de la parole improvisée; le cours de La
Harpe, fort inférieur, à tout autre égard, à celui de Villemain,
l'emporte par le naturel du style. Mais quant à la langue que Villemain
parlait dans sa chaire, quant à son style considéré comme style
d'improvisateur, rien n'autorise à l'inculper.

Il ne faut pas s'arrêter trop longtemps au reproche qu'un lecteur
pourrait être tenté de faire à Villemain en parcourant la table des
matières du cours sur le dix-huitième siècle: on pourrait dire que
l'ordre n'en est pas lumineux, que Villemain voyage d'un pays à un
autre, qu'il passe de la littérature militante à la littérature
pacifique, sans autre raison que l'amour de la variété, laquelle, s'il
fallait l'en croire, forme son unique plan. Ce grief n'est pas fondé. Le
plan de tout ouvrage qui embrassera la littérature d'une pareille époque
prêtera par quelque endroit à la critique. Si toutes les productions de
ce siècle se rattachaient étroitement à la querelle engagée entre les
philosophes et leurs adversaires, le plan serait tout fait; il suffirait
de suivre la décadence du gouvernement et les progrès de la libre
pensée; mais on rencontre alors des talents trop nombreux, trop divers,
trop complexes pour qu'on puisse ordonner l'ouvrage qui les étudie d'une
manière rigoureusement satisfaisante. Villemain lui-même a voulu
changer son plan pour la partie qui d'abord n'avait pas été publiée; on
le constate en rapprochant le cours imprimé des articles de journaux où
l'on avait rendu compte de ses leçons: l'on verra que le nouvel ordre
qu'il substitue au premier n'est ni meilleur, ni plus défectueux[202].

Voici un défaut plus véritable et plus préjudiciable de sa méthode
d'enseignement: c'est la rapidité excessive, et l'on serait tenté de
dire inconcevable, avec laquelle il court parfois sur les sujets qu'il
traite, le manque de proportion entre les parties essentielles et les
parties secondaires, entre les parties faciles et les parties
difficiles. Villemain voudra se justifier par le titre de son cours: un
tableau, dira-t-il, peut embrasser une foule de personnages, pourvu
qu'il soit animé. Sans doute, mais il faut soigneusement distribuer les
plans et la lumière; encore le travail du peintre nous laisse-t-il,
comme un livre, le loisir de l'examiner. Il n'en est pas de même de la
parole. Aussi une leçon, une suite de leçons qui embrassent trop de
matières diverses laissent beaucoup de confusion dans l'esprit. Dans un
livre même, les détails risquent beaucoup plus que dans un tableau de
faire oublier les idées générales, parce que nos yeux ont, à un plus
haut degré que notre esprit, la faculté de ne voir, quand ils le
veulent, que ce qui est saillant.

Le défaut dont nous parlons est poussé, dans ce cours de Villemain,
jusqu'à un point qui surprend. Nous concevrions fort bien une leçon sur
le bel esprit, avec exemples empruntés à Fontenelle et à Marivaux; mais
une leçon où l'on prétend étudier dans l'ensemble et Fontenelle, et
Mairan, et Terrasson, et Marivaux, est une leçon brillante peut-être,
mais, si l'on peut s'exprimer ainsi, infructueuse. J.-J. Rousseau et
Alfieri occupent chacun dans ce cours trois leçons sur soixante-deux:
c'est bien peu pour le premier, c'est beaucoup pour le deuxième, du
moins dans un cours de littérature française. Villemain estime qu'un
coup d'œil sur l'histoire de la poésie lyrique est nécessaire pour
saisir le caractère factice des strophes harmonieuses de J.-J. Rousseau:
fort bien, à condition qu'on s'en tienne à des généralités où l'on
portera toute la pénétration dont on est capable; mais si vous
caractérisez, dans la partie de la leçon que vous consacrez à cette
revue, Pindare, la version de la Bible par Luther, le psautier huguenot,
tous les lyriques de l'antiquité, Dante, Pétrarque, Chiabrera et Cowley,
vous éblouissez l'auditoire plus que vous ne l'instruisez.
L'inconvénient est surtout sensible quand Villemain aborde un auteur
aussi profond que Montesquieu. Nous trouvions tout à l'heure J.-J.
Rousseau insuffisamment partagé; mais, après tout, il ne faut pas de
longues heures pour faire comprendre son œuvre, parce que chez lui le
sentiment domine la pensée; tous ses ouvrages, comme Villemain l'a fort
bien marqué, se ramènent à un petit nombre de propositions, justes ou
non, mais claires et méthodiques. Au contraire, un homme qui porte dans
sa tête la science de tous les jurisconsultes, de tous les politiques,
de tous les historiens, qui ajoute ses vues profondes aux leurs, qui
montre dans ses méditations la prudence d'un sage, la générosité d'un
philanthrope français, quelquefois les préjugés de la noblesse de robe,
un homme qui veut tour à tour ou tout à la fois interpréter le passé,
faire durer le présent, préparer l'avenir, peut-on en deux séances
expliquer son génie à des auditeurs assez âgés pour en comprendre
l'explication, trop jeunes pour y suppléer par eux-mêmes? Évidemment
non. C'est pourtant ce qu'essaie Villemain. Il lui semble même que,
disposant de deux leçons tout entières, il doit se jeter dans quelques
excursions; et il raconte des anecdotes, s'étend sur les théories de
Niebuhr dont il énumère ensuite les prédécesseurs français, apprécie
tous les devanciers anciens ou modernes de Montesquieu et ses
commentateurs, raisonne sur les vicissitudes récentes de l'Angleterre!

Si Villemain entendait émettre cette critique, il tendrait sans doute un
piège à la personne qui lui tiendrait ce langage; il la laisserait
s'échauffer jusqu'à prétendre qu'une pareille méthode conduit
nécessairement à des appréciations superficielles. Alors, il la prierait
de lui dire si, parmi tant d'ouvrages spécialement consacrés depuis le
sien aux divers auteurs du dix-huitième siècle, il en est beaucoup qui
présentent des aperçus qui lui aient réellement échappé, qu'il n'ait
indiqués avec autant de précision que de brièveté, d'élégance et de
vivacité. Villemain a l'air superficiel, mais il ne l'est pas. Son
regard mobile pénètre en un instant les objets que notre attention
obstinée embrasse avec peine. S'il commet une erreur, il la corrige à
l'instant. Dans sa course éperdue à travers les lyriques de tous les
siècles, il a d'abord parlé de Pindare en lecteur de Voltaire; mais
qu'il cite à son auditoire un passage de l'ode à Hiéron, et aussitôt il
aperçoit la piété simple et expressive qui l'a dictée. Trop confiant,
nous l'avons dit, dans la persistance de l'élan qui emportait alors la
France vers la liberté, il lui suffit d'aborder l'étude des orateurs
anglais pour découvrir que c'est un attachement opiniâtre, chicanier si
l'on veut, à la légalité, qui distingue les peuples destinés à demeurer
libres. Presque seul en France, à l'époque où les premières tentatives
de l'Italie pour recouvrer l'indépendance furent en un instant
comprimées, il a deviné, en se rappelant le courage de ses soldats dans
la campagne de Russie, que _l'expression géographique_ de M. de
Metternich deviendrait un jour une patrie vivante[203].

Mais un esprit pénétrant peut donner un enseignement superficiel, et
c'est uniquement ce que nous reprochons à Villemain. Ce n'est pas son
intelligence que nous accusons, c'est sa méthode d'enseignement. Il a
quitté trop tôt le Lycée Charlemagne, il a cessé trop tôt d'avoir des
élèves qu'on peut interroger sur la leçon qu'ils viennent d'entendre et
dont les réponses ou le silence nous apprennent qu'il ne suffit pas
d'énoncer une idée pour la faire comprendre et retenir. Puis il ne
s'oublie pas assez lui-même. Il veut faire passer chez ses auditeurs son
admiration pour les grands écrivains, mais cette admiration il veut, en
quelque sorte, qu'ils la reçoivent de ses propres mains; car il ne leur
laisse pas le temps d'aller la puiser dans la lecture de leurs ouvrages,
puisqu'il les entraîne sans cesse d'un livre à un autre et souvent en
étudie plusieurs à la fois. Un protestant dirait que c'est un catholique
du seizième siècle qui prêche la Bible et n'en permet pas l'usage. Il
distribue à ses auditeurs beaucoup plus d'idées qu'ils n'en trouveraient
seuls; mais il ignore que l'instruction la plus profitable est celle
qu'on se donne à soi-même et que, pour apprendre à un enfant à marcher,
il faut marcher lentement près de lui en le tenant par la main, et non
pas courir en le portant sur son dos. Supposez Villemain consacrant à
l'_Esprit des lois_ un nombre convenable de séances: l'auditoire auquel
il fait aimer Montesquieu, qu'il guide dans l'étude de son génie, a le
loisir de contrôler, de comprendre ses remarques, enfin de se faire, par
la lecture et la réflexion, une opinion personnelle, tout au moins de
savoir pourquoi il adopte celle du professeur. Le peut-il, quand,
suivant une spirituelle expression qui cachait une judicieuse critique,
Villemain, pareil aux dieux d'Homère, est en trois pas au bout du monde?

On pourrait croire que c'est en réimprimant son cours que Villemain,
s'adressant non plus à des auditeurs mais à des lecteurs, a multiplié
les digressions à mesure que sa science s'accroissait. Il n'en est
rien. Les analyses données par la presse du temps prouvent que dès
l'origine il possédait cette science vaste, bien digérée même, mais trop
impétueuse et qui profite moins à l'élève qu'elle n'a profité au maître.
À peine citerait-on quelques passages surchargés ultérieurement, comme
la digression sur les spectacles sous l'Empire romain à propos de la
lettre de Jean-Jacques à d'Alembert, et le passage sur l'histoire de la
pédagogie à propos de l'_Émile_. Au contraire l'épreuve de l'impression
a plutôt averti Villemain du danger de sa méthode; car, à partir du jour
où, pour fermer la bouche à ceux qui dénaturaient sa doctrine, il
consentit enfin à laisser publier après revision les notes des
sténographes[204], il composa ses leçons avec plus de soin. Désormais il
lui arrivera encore de marcher trop vite, mais c'est dans l'intervalle
des séances qu'il fera trop de chemin, quittant trop tôt un auteur pour
un autre; les actes successifs du drame qu'il déroule se passeront
encore dans des régions trop éloignées l'une de l'autre, mais il abusera
moins des changements à vue.


II

À la vérité, la méthode choisie par Villemain n'offrait pas tout à fait
de son temps les inconvénients qu'elle aurait aujourd'hui, parce que le
public, beaucoup moins bien préparé alors pour suivre un cours
d'histoire (Guizot dans ses _Mémoires_ le reconnaît), était beaucoup
mieux préparé à suivre un cours de littérature; il avait une
connaissance préalable de la plupart des auteurs anciens ou modernes,
français ou étrangers sur lesquels Villemain court trop vite. Les
journaux et les revues étant alors beaucoup moins nombreux et beaucoup
moins longs laissaient plus de temps pour lire les auteurs originaux;
l'érudition de détail, ce gouffre où s'engloutissent nos heures,
attirait moins les esprits; les théâtres jouaient beaucoup plus souvent
et beaucoup mieux le répertoire des deux siècles précédents et
entretenaient ainsi les amateurs dans la familiarité de notre passé
dramatique. Enfin, on lisait avec plus d'ardeur parce qu'on lisait avec
plus de foi; car les uns croyaient ou que la France avait atteint la
perfection au dix-septième siècle ou qu'elle allait l'atteindre au
dix-neuvième, les autres croyaient que les grands hommes de tous les
pays conspiraient à l'établissement de la fraternité universelle.
Villemain a évidemment compté sur cette heureuse conjoncture. Sa leçon
sur Richardson, pour ne parler que de celle-là, suppose absolument que
la presque totalité de l'assistance avait lu _Clarisse Harlowe_: non
seulement, comme nous l'avons remarqué, il y glisse sur les situations
hardies du roman, mais il n'y donne pas la plus légère analyse de
l'ouvrage sur lequel il insiste néanmoins très longuement; une pareille
leçon faite à une assistance qui n'aurait jamais lu Richardson, y aurait
jeté un malaise, un froid dangereux pour la popularité du professeur. On
ne remarquait rien de pareil chez les auditeurs de Villemain. Aussi les
journaux qui insinuaient parfois qu'on aurait moins de peine à retenir
ses entraînantes improvisations si elles formaient toujours un tout
homogène, approuvaient-ils sans réserve les résumés où, en une seule
leçon, il appréciait tous les écrivains d'un genre, par exemple, la
leçon supprimée plus tard, où il appréciait tous les poètes épiques,
depuis l'_Iliade_ jusqu'aux _Martyrs_, et jusqu'au _Philippe-Auguste_ de
Parseval-Grandmaison[205].

Mais il appartenait à Villemain de ne pas profiter des lectures
préalables que son auditoire avait faites pour le dispenser de les
recommencer; autre chose est de lire seul, à dix-huit ans, sur la foi de
la renommée, un ouvrage de Montesquieu, de Jean-Jacques, autre chose de
le relire pendant qu'un maître éloquent et fin explique comment la vie
de l'auteur et l'histoire de son temps amenèrent l'auteur à l'écrire,
fait entrer dans le détail de son génie, prémunit contre ses erreurs.
Villemain donne certes l'envie d'approfondir tous les livres dont il
parle; mais dans la plupart de ses leçons il en signale trop pour que le
plus grand nombre de ses auditeurs, ne sachant par lequel commencer, ne
se décident pas à n'en ouvrir aucun. Villemain répliquerait peut-être
qu'il entend faire œuvre d'art en même temps que d'enseignement, et que
c'est pour cela qu'il s'abandonne à sa libre allure, qu'au reste il ne
prévarique pas, en n'assujettissant pas son cours à la marche lente et
aux proportions exactes d'un livre; car le comte de Gormas aurait
probablement dit à don Diègue que les étudiants apprennent mal leur
devoir dans un livre et que les exemples vivants ont un autre pouvoir;
si donc le professeur est tour à tour éloquent ou spirituel, il inspire
une admiration, une émulation qui valent bien, pour le profit des
auditeurs, une lecture à tête reposée; si, au cours d'une séance ou
d'une séance à l'autre, il court au gré de sa fantaisie, c'est pour
frapper plus sûrement les auditeurs.

     _Ils apprendront_ à vaincre en me regardant faire.

L'erreur de Villemain consisterait en ce cas à ne pas voir que l'art
s'accommode fort bien, dans les sciences, de la logique, de ses
exigences, et que la marche qu'elle impose n'enchaîne aucunement
l'esprit et l'éloquence. Villemain, qui démêlait fort bien
l'inconvénient de calquer des plans d'Homère et de Pindare, se
tromperait là comme les auteurs qui croyaient que dans une épopée
l'exposition des faits antérieurs à l'action doit nécessairement être
différée jusqu'à un récit placé après les premiers chants: il introduit
dans ses leçons le _beau désordre_ dont il dénoncerait l'artifice s'il
le rencontrait dans une ode. C'est là qu'on surprend le calcul chez ce
professeur dont la parole était pourtant toute verve et toutes saillies.

Il n'a pas osé procéder plus simplement: pour expliquer le défaut de sa
méthode, il faut joindre à son insuffisante expérience de l'enseignement
la crainte d'ennuyer son auditoire. Cette crainte est manifeste chez
lui; il la laisse très souvent percer. Cet homme, à qui la vie avait
souri dès son enfance, qui fut maître de conférences à l’École normale
et professeur en Sorbonne presque au sortir du lycée, qui fut membre de
l'Académie française à trente et un ans, cet homme, non moins brillant
dans le monde que dans sa chaire, non moins goûté dans le salon de la
duchesse de Duras que dans celui de M. Suard, cet homme qui portait
partout avec lui une amabilité irrésistible ou une causticité
redoutable, doutait de lui-même. Plus tard, secrétaire perpétuel de
l'Académie française, pair de France, après avoir siégé dans les
conseils de la couronne, il éprouvera pour un instant le délire de la
persécution; car Victor Hugo a involontairement arrangé sans doute la
conversation que dans _Choses vues_ il rapporte à l'année 1845, date du
trouble d'esprit de Villemain; mais il n'a pas dû l'inventer. Sous la
Restauration, Villemain n'en est encore qu'à redouter de fatiguer son
auditoire. De là, son soin de lui présenter sans cesse de nouveaux
objets, de lui ménager de perpétuelles surprises; en un mot, une
préoccupation qui rend d'autant plus méritoires tous les scrupules dont
nous l'avons loué, mais qui explique pourquoi il a, comme à plaisir,
empêché son enseignement de porter tous les fruits qu'on en pouvait
attendre.

Mais d'où provenait cette défiance de soi? Dans la conversation que je
viens de rappeler, Villemain, à qui Victor Hugo conseille de dédaigner
ses ennemis, d'être fort, répond en indiquant à la fois l'étendue et la
limite de ses propres facultés, et se résume ainsi: «La force, mais
c'est précisément ce qui me manque!» Le mot est juste: Villemain sait
tout voir et tout exprimer: il ne sait ni dominer ni imposer ses idées.
Sainte-Beuve, dans un article du 19 novembre 1843, lui reprochait
doucement de ne pas conclure avec assez de netteté dans ses
appréciations littéraires; ce n'est pas que son jugement hésite ou qu'il
ne le laisse pas très clairement apercevoir; c'est qu'il n'a point la
force d'esprit nécessaire pour le mettre en relief. Ainsi, lorsqu'on lit
dans la XLe leçon du cours sur le dix-huitième siècle son histoire de la
critique, il est impossible de n'être pas frappé des remarques profondes
qu'il y sème, mais il est impossible aussi de ne pas se dire qu'un
Guizot les eût fait ressortir davantage, les eût plus fortement
enchaînées les unes aux autres. Villemain a touché vingt fois à la
querelle des classiques et des romantiques, il a donné aux deux parties
les avis les plus judicieux, sans jamais laisser aucune indécision sur
sa pensée; mais jamais il n'a traité la question à fond. Il veut donner
un cours complet et non un cours méthodique; mais ce n'est pas
uniquement de peur d'ennuyer qu'il renonce à être dogmatique, c'est
aussi parce qu'il sent qu'il n'y réussirait pas.

La force de l'homme tient à deux racines, l'énergie de sa volonté d'une
part, les grandes idées auxquelles il s'attache, de l'autre. L'énergie
pèche chez Villemain, et de plus, il n'est pas également touché des
différentes idées qui fortifient l'homme. Son cours repose sur une idée
morale très élevée, mais non pas sur la plus élevée de toutes. On
reconnaît en lui pour cette double raison un élève du philosophe qu'il
exaltait sans se méprendre sur ses faiblesses et dont il avait reçu la
tradition vivante par Mme de Staël. Reprenant à son grand honneur une
noble thèse gâtée par les paradoxes de Rousseau, il montre sans cesse
qu'il n'y a rien de plus vide, de plus froid qu'une littérature qui
prétend se suffire à elle-même, que les bibliothèques, les salons, les
académies, les applaudissements des lettrés, les faveurs du pouvoir ne
forment pas à eux seuls un poète, qu'ils pourraient même, dans certains
cas, l'empêcher de naître, et que la littérature trouve en revanche de
grandes chances de prospérité là où le titre de citoyen est porté avec
honneur. Mais il y a quelque chose de plus grand que la liberté, c'est
la vertu, cette condition de la liberté. Villemain respecte et fait
aimer la vertu partout où il la rencontre, fût-elle, nous l'avons
montré, séparée du génie; mais il ne pense à elle que quand il la voit.
Il ne lui échappe jamais rien dont elle puisse s'offenser, quoique
plusieurs fois, dans son aversion pour la carrière routinière des gens
de lettres, il ait été sur le point de dire, comme le feront les
romantiques, qu'un peu de désordre dans la vie ne nuit point au
génie[206]; toujours il s'est retenu à temps. Mais il se contente de ne
jamais donner de mauvais conseils et d'en donner quelquefois de bons.
Son enseignement, pénétré de l'amour de la liberté, n'est pas pénétré de
l'amour du bien, comme l'eût été celui, je ne dis pas seulement d'un
Bossuet, mais d'un Platon, comme l'eût été celui d'un Démosthène s'il
était descendu de la tribune pour monter en chaire. Il ne se moque pas
intérieurement de Rollin quand il l'admire, mais il ne se soucie pas
assez de lui ressembler. Qu'on ne dise pas que nous proposons là un
modèle un peu terne à un fort brillant esprit! Nous proposerions sur le
champ d'autres modèles dont l'imitation ne ferait rien perdre au talent
le plus soucieux de se déployer librement; car le _Gorgias et le Traité
de l’Éducation des Filles_ ont prouvé que l'éloquence, la malice,
l'élégance, la grâce se concilient sans effort avec les visées les plus
austères. Si l'on disait que ce qui est possible dans un livre ne l'est
pas dans un cours, nous rappellerions les leçons si spirituelles, si
appréciées dans lesquelles Saint-Marc Girardin a réfuté plus tard les
doctrines dangereuses répandues par les drames contemporains.

Ce qui précède explique pourquoi Villemain, né avec des dons oratoires,
et qui, par la suite, a pris une part plus active que Cousin aux débats
des assemblées, n'y a pas, à beaucoup près, obtenu le même succès que
Guizot. Lui, dont les journaux disaient que souvent à la Sorbonne il
_électrisait_ les mêmes auditeurs qu'il venait d'égayer, passait à la
Chambre des Pairs pour plus élégant qu'éloquent. Il ne suffit pas en
effet de dire que la scène avait changé, que tel qui brille sur un
théâtre plaît moins sur un autre: plus d'un morceau du cours sur le
dix-huitième siècle trouverait sa place dans les discussions d'un corps
politique, surtout si l'on se rappelle que le goût du temps et la
composition des collèges électoraux conservaient au style parlementaire
une couleur littéraire qui s'est effacée depuis. Or, tandis que le
doctrinaire Guizot se formait de plus en plus à l'éloquence politique,
Villemain, qui s'était souvent moqué devant ses auditeurs de l'éloquence
académique, s'en est rapproché de plus en plus. Ce qui a transformé la
parole de Guizot, ce n'est pas la pratique des affaires, laquelle
n'apprend qu'à penser, c'est l'habitude de rassembler ses idées, d'en
chercher les rapports, et d'attendre dans une forte méditation le moment
où l'unité qui résulte de ces rapports, clairement aperçue, soulage la
mémoire et anime l'intelligence. Au contraire, c'était chez Villemain le
feu de la jeunesse qui suppléait à la profondeur de la méditation; il
distribuait les différentes parties de sa leçon dans un ordre un peu
factice que sa mémoire exercée retenait sans peine; fraîche encore,
riche d'idées et de souvenirs, elle lui suggérait pendant qu'il parlait
une foule de remarques; et la joie de ces bonnes fortunes échauffait son
discours. Mais, aux environs de la quarantième année, ce feu commença à
s'amortir, d'autant que les immenses lectures auxquelles sa méthode
l'obligeait, avaient souvent dérangé sa santé; car, bien que sous la
Restauration il n'ait pris qu'une fois un suppléant, Pierrot, qui le
remplaça dans l'année 1819-1820, il avait dû, en 1822, en 1823, manquer
bien des leçons, et même lorsqu'il entreprit, au début de 1827, l'étude
du dix-huitième siècle, il y avait deux ans qu'il n'avait professé[207].
Dans la leçon de clôture du cours de 1827-1828, il confiait à ses
auditeurs qu'il sentait s'affaiblir en lui la prompte mémoire, l'action
naturelle, la facilité d'apprendre nécessaires à sa profession. Plus
heureux qu'Hortensius qui perdit tout son talent avec sa jeunesse, il ne
parvint du moins qu'à une maturité autre et moins parfaite que celle
qu'on eût pu espérer pour lui.

La prépondérance donnée par Villemain à la politique sur la morale
achève d'expliquer pourquoi le talent oratoire a diminué plutôt que
grandi en lui. Le découragement est fatal aux orateurs; si le dernier
que nous possédions des discours de Démosthène est le plus beau de tous,
c'est qu'après Chéronée il ne désespérait pas; mais une pareille trempe
d'âme est rare, et dans la vie des peuples il se rencontre des heures
tellement tristes, que celui qui met toute la dignité de l'homme dans la
liberté politique, risque fort de perdre courage. Guizot, quelque
attaché qu'il fut au régime parlementaire, en a supporté vaillamment la
longue éclipse, parce que pour lui l'individu, même privé de ses droits
de citoyen, conserve une noble tâche à remplir. Villemain, qui ne l'eût
pas nié, mais qui n'arrêtait pas souvent son esprit sur cette pensée, a
dû sentir son optimisme s'ébranler bien avant l'époque où, sous le
second Empire, il exhalait en épigrammes son mécontentement du présent
et son manque de confiance dans l'avenir; car, bien qu'il ait été
ministre sous Louis-Philippe, ses discours à la Chambre des pairs
prouvent que le gouvernement de Juillet ne lui paraissait pas toujours
tenir ses engagements. Sa foi dans le triomphe facile de la liberté
avait été sa meilleure inspiratrice; quand elle diminua, il ne trouva
rien pour la remplacer.



CHAPITRE III.

Influence sur l'esprit public des qualités et des défauts de
l'enseignement de Villemain.


On voit donc ce qui a dû manquer à l'influence exercée par Villemain. Il
a, en homme sage et pratique, inspiré à ses auditeurs une ambition plus
relevée et plus facile à satisfaire en même temps que celle d'être de
grands écrivains; il leur a inspiré l'ambition d'être des citoyens
utiles; mais il n'a pas assez cherché à leur inspirer l'ambition encore
plus relevée et encore plus permise à tous d'être, dans l'intimité de
leur vie, des hommes de bien.

Dans l'ordre intellectuel, sa méthode a pu contribuer à former des
esprits superficiels, en ne laissant pas le temps de vérifier les
théories du maître. J'ai peur que tous ceux de ses auditeurs qui avaient
un peu d'esprit et de faconde n'aient fait à son cours pour toute leur
vie provision de jugements littéraires, ou, ce qui ne vaut guère mieux,
ne se soient enhardis en voyant juger dans le préambule d'une leçon tous
les écrivains d'un genre depuis l'époque la plus reculée jusqu'à nos
jours, à improviser des systèmes nécessairement faux, puisqu'ils ne
reposaient ni sur la science, ni sur la réflexion. L'instruction de
Villemain était prodigieuse pour l'étendue et la solidité; mais la
science chez lui paraît si facile qu'elle finit par sembler inutile, ou
du moins il devait sembler, après l'avoir entendu, qu'avec un peu de
lecture tout homme d'esprit pouvait disserter sur l'histoire de
l'intelligence humaine. Je mettrais donc volontiers à sa charge
l'imperturbable assurance avec laquelle, dans la fameuse préface de
_Cromwell_, V. Hugo émet les plus étonnantes assertions sur les
vicissitudes de la poésie; sans doute, Villemain eût pu envier la
vigueur de style qui y règne, le ton d'autorité qui y alterne avec les
déclarations les plus modestes, et il eût souri d'entendre affirmer que
toute la littérature de l'antiquité a le caractère épique, qu'avant la
chute de l'empire romain les catastrophes qui frappaient les États
n'atteignaient pas les individus, que de l'invasion des Barbares date
l'introduction dans le monde de l'esprit de libre examen; mais je ne
serais pas surpris que V. Hugo ait écrit sa préface au sortir d'une
leçon de Villemain, trompé par l'apparente facilité des aperçus qu'il
venait d'entendre. Villemain pouvait transmettre sans trop
d'inconvénients sa méthode à des esprits déliés comme J.-J. Ampère et
Saint-Marc Girardin, qui l'un et l'autre procèdent de lui, le premier
par la rapidité avec laquelle sa curiosité change d'objet, le second par
les rapprochements, très judicieux d'ailleurs mais un peu inattendus,
qui donnent à son cours de littérature dramatique la forme d'un
enseignement à bâtons rompus. Mais déjà Saint-Marc Girardin n'a pas
toujours pratiqué cette méthode que personne aujourd'hui ne pratique
plus.

Villemain n'est assurément pas responsable des dangereuses utopies de
ceux qui, entre 1830 et 1850, portèrent dans l'économie politique la
légèreté présomptueuse que sa méthode, corrigée chez lui par la solidité
de sa science et de son jugement, avait involontairement encouragée. On
ne peut légitimement lui demander compte que de son influence dans la
littérature et plus spécialement dans la critique. Mais aussi dans ce
domaine on peut lui imputer, non seulement comme nous venons de le
faire, ce que cette influence a produit directement, mais ce qui s'est
produit par l'effet d'une réaction. Si Villemain n'avait pas procédé
d'une manière par trop expéditive, Sainte-Beuve n'aurait peut-être pas
dépensé son incomparable finesse dans les innombrables articles qui
composent les _Causeries du Lundi_, véritable mine d'observations
psychologiques plutôt que monument littéraire. Né pour composer plus de
vrais livres qu'il n'en a laissé, il ne se serait pas si curieusement
attaché à tant de personnages voués à l'oubli, si Villemain n'avait pas
paru quitter les grands hommes presque aussitôt qu'il les abordait;
Sainte-Beuve aurait laissé à d'autres le soin de peindre des modèles qui
ne méritaient pas d'être si bien peints, et il aurait travaillé à des
œuvres plus importantes. L'esprit public fût devenu moins mobile et
moins léger. Nous avons innocenté les ingénieux caprices de la parole de
Villemain, en faisant remarquer que, dans la rédaction de son cours, il
les avait sacrifiés. Mais la séduction de ces caprices a piqué
d'émulation Sainte-Beuve, qui, formant son style sur le modèle d'une
improvisation enjouée, a rempli ses livres, souvent aux dépens de la
brièveté et de l'élégance, de toutes les saillies de son imagination et
de son esprit. On dira que, s'il en est ainsi, il faut remercier
Villemain de nous avoir valu le style de Sainte-Beuve. Mais à mon sens
Sainte-Beuve eût pu encore mieux écrire. Si, lorsqu'on vient de lire une
page des _Causeries du Lundi_, on lit une page de La Fontaine ou de Mme
de Sévigné, on comprend combien un écrivain, à qui la nature a donné une
grâce pittoresque et une science délicate du langage populaire, gagne à
être difficile pour lui-même et à ne pas lâcher la bride à sa fantaisie.
Le style de Mme de Sévigné et de La Fontaine ne vieillira pas, tandis
que dans cinquante ans celui de Sainte-Beuve paraîtra souvent diffus et
bizarre. On rendra toujours hommage aux qualités de fond ou de forme
dont il n'a pas fait le meilleur emploi; mais un jour on lui reprochera
d'avoir mis à la mode l'habitude d'écrire, non pas avec ces expressions
simples et naturelles qu'on trouve les dernières, mais avec ces
expressions contournées ou triviales qu'on rencontre d'abord et dont on
prend l'étrangeté pour l'originalité véritable. La complaisance de
Villemain pour sa propre verve dans son cours, sinon dans ses livres, a
peut-être répandu le goût d'un travail incomplet qui, dans la recherche
du naturel, s'arrête à l'affectation.

Mais, avant de conclure, rappelons-nous que Villemain, dans sa fonction
de professeur de Faculté, a dû, pour ainsi dire, se former tout seul. Il
avait lu le cours de La Harpe, les ouvrages critiques de Chénier et de
quelques autres; mais il n'avait entendu, ni même lu ce que nous
appellerions des leçons bien composées. Quand il débuta, ses collègues
ou bien en étaient encore pour la plupart à lire des cahiers ou à
commenter péniblement un texte, ou, quand ils savaient parler
d'abondance et avec animation, leurs leçons étaient plutôt des homélies
d'hommes instruits qu'un cours d'enseignement supérieur. Voici, d'après
le Moniteur du 18 décembre 1820, le résumé d'une leçon faite la veille à
la Faculté des lettres par Charles Lacretelle, le professeur d'histoire
ancienne. Le sujet en est la bienfaisance dans l'antiquité: Lacretelle a
montré par l'usage des caravansérails que cette vertu n'était pas
inconnue de l'Orient, que par malheur, dans ces contrées, le despotisme
a tout corrompu, qu'Athènes avait, par une pensée généreuse, établi le
Prytanée, mais que dans les républiques anciennes les distributions de
vivres ruinaient l'État et disposaient le peuple à vendre sa liberté;
passant aux peuples chrétiens, il a opposé la charité de saint Vincent
de Paul qui recueillait les enfants des pauvres aux législations
païennes qui permettaient de les exposer; il a montré la science
s'alliant de nos jours à la charité, enseignant l'importance hygiénique
de la propreté; il a loué le courage, l'habileté, la discrétion des
médecins préservant la population civile de la contagion au moment où
les hôpitaux de la France envahie regorgeaient de blessés de toute
nation; il a terminé en exhortant ses auditeurs à pratiquer la
bienfaisance dont le devoir s'impose aux particuliers comme aux
gouvernements. On le voit: c'est une conférence judicieuse et
chaleureuse dont le succès, attesté par le _Moniteur_, ne surprend pas:
mais ce n'est point là ce qu'on attend d'un professeur de Faculté.
Villemain donnait donc des leçons trop pleines ou trop discursives,
parce que autour de lui on distribuait souvent un enseignement trop peu
nourri ou trop terre à terre. Son cours ressemblait un peu plus qu'il
n'eût été nécessaire à une conversation d'ailleurs étincelante parce que
ses prédécesseurs rebutaient souvent par la froideur ou par la
déclamation.

Il faut le dire cependant: quoiqu'il ait eu encore plus de vogue que
Cousin et que Guizot, il ne les égale pas comme professeur, c'est-à-dire
dans l'art de former les esprits. Pour Guizot, on l'admettra sans peine;
mais pour Cousin on dira que ses artifices de comédien convenaient
encore moins à sa mission que la coquette agilité de la méthode de
Villemain. Il est vrai que depuis on s'est fort égayé des grands airs de
Cousin et nous avons même vu que dès 1828 Armand Marrast les avait
percés à jour. Mais à cette époque, pour échapper à l'ascendant de
Cousin, il fallait presque nécessairement être tenu en garde soit par un
invincible attachement aux doctrines du dix-huitième siècle, soit par
l'inaptitude à la philosophie. La plupart des jeunes gens nés avec une
véritable vocation se laissèrent ravir et provisoirement subjuguer. Près
de Cousin on riait tout au plus sous cape, et les disciples qui avaient
la hardiesse de rire tout bas n'avaient pas celle de se révolter. Leur
esprit n'était pour cela ni enchaîné pour toujours ni stérilisé: tout au
contraire. Car, bien loin qu'on brise chez les jeunes gens le ressort de
la volonté quand on leur parle d'un ton d'autorité, on leur enseigne par
là à vouloir: dans toute société, plus l'individu a été formé à
l'obéissance, mieux ensuite il sait commander; la république romaine,
l'état militaire, les corporations religieuses en fournissent la preuve.
C'est seulement sous le régime des castes, là où l'inférieur sait que,
quoi qu'il fasse et quoi qu'il vaille, il obéira toujours, que la
soumission tue la volonté. Le ton d'autorité de Cousin n'inféodait donc
pas les auditeurs à sa doctrine, mais les obligeait à se pénétrer de la
part de vérité qu'elle contenait et dont plus tard chacun profitait à sa
manière, de même que la pluie qui arrose bon gré mal gré les plantes les
aide toutes à produire les fruits que chacune comporte. L'autorité de
Cousin venait de ce que, comme Guizot et à la différence de Villemain,
il avait autre chose que du talent. Sa gravité n'eût-elle été qu'un
_mystère du corps_ eût déjà imposé parce que c'est une qualité ou, si
l'on veut, une disposition rare en France. Mais on sentait que, quoique
calculée, elle tenait, comme celle de Guizot, à une autre qualité rare
dans tous les pays, à une volonté énergique, et que cette volonté, pure
ou non de tout égoïsme, servait de bonnes causes, d'abord la
restauration du spiritualisme, puis l'union de l'histoire et de la
philosophie, enfin l'œuvre fort délicate de l'enseignement de la
philosophie dans les lycées. M. Janet a fort bien établi en 1884, dans
la _Revue des Deux-Mondes_, ce dernier point trop oublié et a prouvé que
celui qui sous le gouvernement de Juillet avait régenté la philosophie
universitaire l'avait aussi sauvée. Cousin avait discipliné les jeunes
philosophes comme Guizot avait discipliné la Chambre des députés.
Villemain, avec plus d'admirateurs que l'un et l'autre, eut bien
quelques imitateurs, mais n'eut point véritablement de disciples. Ses
anciens auditeurs ne l'oublièrent pas puisqu'on voit un d'eux, M. Alex.
Nicolas, le défendre en 1844 contre un écrit de M. Collombet. Mais il
n'a point réuni un groupe autour de lui: après quinze ans de
l'enseignement le plus applaudi, après avoir été ministre de
l'instruction publique, il demeurait isolé.

Il n'en a pas moins, dans la mesure où sa doctrine s'accordait avec
celle de Guizot et de Cousin, contribué à un progrès des esprits. Ils se
partagent tous trois le grand honneur d'avoir enseigné l'équité à notre
intelligence. Pour mesurer ce qu'ils ont fait, il faut les comparer, non
pas à Voltaire (on nous dirait que la Révolution avait désabusé de
l'esprit voltairien), non pas à La Harpe (on nous dirait que La Harpe
n'était pas assez original), mais à Chateaubriand et à Mme de Staël.
Combien les vues systématiques dominent encore chez l'un et chez
l'autre! Combien elles triomphent souvent de la courtoisie chevaleresque
du premier, de la générosité impétueuse de la seconde! Tous deux nous
ont appris des vérités nouvelles, nous en ont réappris d'anciennes, mais
avec eux on perd toujours d'un côté ce qu'on gagne d'un autre; ils nous
instruisent toujours au prix d'une erreur, aux dépens d'une vérité. En
1815, Mme de Staël n'avait plus que deux ans à vivre, et Chateaubriand
s'enfermait dans la politique; mais la partialité demeurait la règle des
jugements. Les hommes les plus respectables et les plus instruits, les
esprits les plus libres en apparence, Daunou par exemple, ne voulaient
rien voir au delà du cercle étroit où ils s'étaient placés; longtemps
après, Daunou s'effraiera de la méthode d'Augustin Thierry, des
généralisations hardies et fécondes enseignées à Cousin par Vico[208];
et l'on sait de reste que, dans la querelle des romantiques et des
classiques, les deux partis rivalisaient d'injustice. C'est à Villemain,
à Cousin, à Guizot que nous devons notre véritable affranchissement.
Lacordaire disait un jour, à Notre-Dame, que si les libres penseurs
répandus dans son auditoire avaient vécu au douzième siècle, ils
auraient apporté des pierres pour bâtir la cathédrale. Sans les trois
hommes dont nous parlons, nous nous partagerions encore en détracteurs
de Shakespeare et du moyen âge, ou de Racine et de Voltaire.



DES ÉDITIONS CLASSIQUES À PROPOS DES LIVRES SCOLAIRES DE L'ITALIE


Joubert aurait voulu détourner les professeurs d'écrire pour le public,
ou du moins de se donner ce plaisir avant l'âge de l'éméritat. Il les
engageait avec une douce malice à se contenter du rôle des Muses, qui
inspirent des vers mais qui n'en composent pas. Avait-il tort ou raison?
Nous n'entreprendrons pas de décider ce point. Des deux parts, en effet,
les bonnes raisons abondent. D'un côté, Joubert dirait que la tâche
quotidienne peut souffrir du travail de longue haleine dont on se passe
la fantaisie, que d'ailleurs ce travail, auquel on donne tous les
instants qu'on peut dérober, ménage peut-être bien des mécomptes,
puisqu'un excellent maître peut faire un très méchant auteur, qu'enfin
tout n'est pas agréable dans la préparation d'un ouvrage, et qu'un homme
qui, après avoir donné honnêtement à ses élèves la part de sa journée
qu'il leur doit, réserverait les autres heures pour des lectures, des
réflexions, des conversations de dilettante, mènerait peut-être une vie
non seulement plus douce, mais plus profitable aux autres, qui sait?
plus intelligente même que celle de son confrère obstiné à publier
ouvrage sur ouvrage. Mais, d'autre part, on peut répondre qu'il est bien
dur de s'interdire de prendre la plume quand on passe sa vie à enseigner
l'art d'écrire, et que, comme parle Juvénal, dans un siècle où tout le
monde écrit, c'est une sotte clémence que d'épargner un papier qui n'en
périra pas moins; puis, il n'est pas démontré que le maître qui compose
des livres soit toujours celui qui s'occupe le moins de ses élèves; le
dilettantisme entretient souvent mal l'activité de l'esprit et ne
protège pas toujours contre la tentation de la paresse routinière. En
dernière analyse, tout revient à savoir si le professeur est déterminé à
remplir loyalement ses fonctions, s'il entend gagner ses honoraires ou
s'il lui suffit de les toucher. Dans le premier cas, il accordera ses
travaux personnels avec la préparation de ses cours; dans le second, les
loisirs qu'il se réserve profiteront moins à ses élèves qu'à sa santé.

Aussi, même à l'époque de la plus forte discipline, n'interdisait-on
pas aux professeurs de se hasarder à se faire imprimer. Il est vrai
qu'alors ils publiaient surtout des vers, des discours latins, des
traductions, en un mot des livres qui ne les détournaient pas de leur
enseignement et qui auraient pu passer pour des _corrigés_, tandis que
leurs successeurs ne s'enferment plus dans la limite de ces exercices
d'école. Mais depuis que les savants laïques ont perdu la jouissance
plus commode que canonique des bénéfices d’Église, depuis que le clergé,
beaucoup moins riche et moins nombreux que jadis, contribue beaucoup
moins aux progrès des lettres et des sciences, il faut bien permettre
aux professeurs de remplacer les abbés sans charge d'âmes et les
bénédictins d'autrefois. Si Joubert pouvait ressusciter et compter tous
les bons ouvrages qu'on doit aux universitaires de ce siècle, il leur
pardonnerait de n'avoir pas uniquement composé des livres destinés à
vivre toujours. À tout le moins il ferait grâce à la sorte d'ouvrages
dont nous allons parler, aux éditions classiques.


I

Lorsqu'on écrira l'histoire de l'enseignement au dix-neuvième siècle, un
chapitre sera certainement réservé aux efforts que, dans tous les pays,
on a tentés pour rendre, par de bonnes éditions, l'étude des grands
écrivains plus facile, plus attrayante, plus fructueuse aux élèves; et,
quelque jugement que l'on porte sur les méthodes qui ont prévalu de nos
jours, on rendra hommage à la science, au labeur, à l'esprit de
ressources dont témoignent les livres mis aujourd'hui à la disposition
des enfants. Les pères de famille, quand ils jettent les yeux sur les
volumes dans lesquels leurs fils étudient, sont unanimes à s'écrier,
comme un héros de Rabelais et avec plus de raison encore, que de leur
temps la science se mettait moins en frais pour la jeunesse; et, quand
on vient à penser que les auteurs de ces éditions les ont d'ordinaire
préparées dans les heures que la fatigue de la journée semble assigner
au repos, qu'un travail de cette nature est fort médiocrement payé, que
le nombre des hommes de mérite qui s'y livrent empêche d'en faire un
titre sérieux pour l'avancement, on est forcé de convenir que l'estime
publique n'est pas de trop pour les dédommager.

L'Université de France s'est fait dans cet ordre d'ouvrages un honneur
particulier, et, si je ne nomme personne, c'est pour avoir le droit de
lui rendre témoignage sans être suspect de complaisance pour l'amitié.
Mais l'Italie mériterait aussi à cet égard de grands éloges. Je ne veux
toutefois présenter qu'un petit nombre d'observations suggérées par
quelques-unes des meilleures éditions des classiques italiens récemment
publiées à l'usage des classes. On n'attend pas sans doute que j'aie
l'impertinence de prononcer sur l'érudition et le goût des hommes
distingués à qui on les doit. L'appréciation de leur méthode tombe seule
sous la compétence d'un étranger.

Des mesures récentes et sages que vient de prendre en France le
ministère de l'instruction publique donnent à cet examen un intérêt
présent. Depuis plusieurs années, on se plaignait que dans
l'enseignement secondaire les langues de l'Europe méridionale fussent
sacrifiées à l'allemand et à l'anglais. Pourquoi, disait-on, l'espagnol
et l'italien ne sont-ils enseignés que dans un petit nombre de nos
lycées du Midi? Pourquoi ne sont-ils admis au baccalauréat qu'à titre
supplémentaire? Pourquoi les maîtres qui les enseignent ne peuvent-ils,
faute d'une agrégation spéciale, dépasser le certificat d'aptitude et
les modestes appointements qu'il confère? Comment se fait-il qu'il n'y
ait pas une chaire d'italien ni d'espagnol dans un seul des lycées de
Paris? On faisait remarquer que les littératures de l'Europe méridionale
ne le cèdent nullement en beauté à celles des nations du Nord, qu'elles
ont beaucoup plus souvent influé sur la nôtre, qu'on est beaucoup plus
sûr d'être payé de sa peine quand on enseigne à de jeunes Français des
langues néo-latines comme la nôtre, qu'enfin la condition commerciale et
industrielle de l'Italie et de l'Espagne rend la connaissance de leurs
langues au moins aussi avantageuse pour nos négociants que celle de
l'allemand et de l'anglais. M. Magnabal, dans un très curieux article de
la _Revue internationale de l'enseignement_, M. Ernest Mérimée, dans la
préface de son excellente thèse sur Quevedo, avaient présenté ces
doléances avec l'autorité qui leur appartient. Ce n'est pas en un jour
qu'on pouvait leur donner satisfaction. Mais le ministère a pris des
décisions qu'il nous permettra de considérer comme un gage pour un
avenir prochain. Il a établi une chaire d'espagnol dans un des nouveaux
lycées de Paris, au lycée Buffon, et il a réservé une place aux langues
méridionales dans le système d'éducation qui s'élève en ce moment sur
les ruines de l'enseignement spécial. À ce propos, il s'est occupé de
refondre la partie du programme qui concernait ces langues. L'heure est
donc bien choisie pour faire connaître quelques-unes des éditions
classiques les plus estimées en Italie, tout en discutant librement la
façon dont elles ont été conçues.

Un mot d'abord sur l'aspect extérieur de ces ouvrages. On est surpris de
voir que la plupart sont vendus brochés: les nôtres, on le sait, sont,
pour la plupart, cartonnés, usage préférable sans conteste pour des
volumes qui, destinés à des enfants, ne sauraient être trop solides. Il
semble aussi qu'en Italie on orne moins souvent que chez nous les livres
scolaires de plans, de cartes, de figures destinés à l'explication du
texte; mais, sur ce point, il ne faut pas attacher trop d'importance à
cet avantage, si réellement nous le possédons: trop souvent les
illustrations des livres scolaires sont des dessins faiblement exécutés
ou dont on pourrait contester le rapport avec l'œuvre où on les insère
et que le libraire a imposés au commentateur pour parer sa marchandise;
trop souvent une ombre grise de forme circulaire traversée par une ligne
noire sinueuse est censée représenter une ville, et une tête aux traits
vagues et effacés est donnée pour le portrait d'un grand homme. Nous
devrions prendre garde de revenir, sans nous en apercevoir, aux
illustrations de ces histoires de France dont on se moquait il y a vingt
ans, et où nous avons, quand nous étions enfants, colorié les portraits
de nos rois. Même bien exécutés, ces dessins ne rendent pas toujours les
services qu'on en espère. Par exemple, dans une des éditions italiennes
qui en possèdent, dans la _Gerusalemme Liberata esposta alla gioventù
italiana_, qui a eu au moins quatre éditions, on voit les machines
militaires du moyen âge; le dessin en est fort net; mais, même avec ce
secours, peu de professeurs seraient en état d'expliquer à leurs élèves
le jeu de ces machines qui, au musée de Saint-Germain où on les touche,
n'est pas fort aisé à comprendre, car une baliste ne dit rien à qui ne
sait pas un mot de balistique. Les libraires italiens n'ont donc point
tort de ménager à cet égard la bourse des familles. Il vaudrait mieux
leur reprocher de ne pas ménager toujours autant la vue des élèves; ils
savent que la jeunesse a des yeux de lynx et quelquefois ils en abusent;
leurs éditions, en général élégamment imprimées, sont souvent d'un usage
pénible, d'abord parce que leurs typographes font usage d'une encre trop
blanche, puis parce que, pour faire tenir beaucoup de matière dans un
volume qui doit demeurer maniable, ils font choix de caractères trop
menus. Dans plusieurs, le corps de l'ouvrage est imprimé en caractères
tout au plus aussi gros que ceux que nous employons pour les notes. Il
faut avouer que nos médecins, dont l'intervention dans la pédagogie
n'est pas toujours heureuse, ont eu raison en demandant aux imprimeurs
de ne pas avancer l'âge de la myopie.

Pour le fond, les auteurs des éditions classiques italiennes paraissent
s'accorder un peu moins sur la méthode à suivre qu'on ne fait en
France. On ne s'en étonnera point. La France est centralisée depuis
longtemps; et, là même où l'autorité ne commande point, la mode établit
une harmonie parmi nous. Aussi toutes les éditions scolaires publiées
chez nous dans une période donnée se ressemblent fort. En Italie on
trouve plus de diversité dans les opinions du corps enseignant.

Il ne faudrait pas insister démesurément sur le premier exemple que j'en
donnerai, mais il ne faut pas non plus le passer sous silence. En
France, on ne trouverait pas un seul universitaire qui proposât de
mettre intégralement Villon ou Régnier au programme de nos lycées; on se
rappelle les justes clameurs que souleva un corps non universitaire pour
avoir donné en prix certains livres. L'Italie est beaucoup moins
d'accord sur ce point. Comme elle a eu ses grands hommes plutôt que
nous, par suite, à une époque où les mœurs n'avaient pas encore la
délicatesse qui ne date en Europe que des environs de l'an 1660, ses
grands écrivains se permettent des libertés que chez nous l'hôtel de
Rambouillet avait déjà proscrites quand les nôtres parurent; et comme,
pendant plusieurs siècles, ces poètes, ces prosateurs de l'Italie ont
fait sa seule consolation, elle leur a voué une piété touchante qui
s'alarme au moindre projet de porter atteinte à leurs écrits. J'ai
raconté ailleurs la résistance victorieuse qu'elle opposa dans le
seizième siècle au projet d'expurger Boccace. Mais alors c'étaient les
hommes faits mêmes à qui l'on prétendait refuser le _Décaméron_ complet,
et d'ailleurs l'esprit de corps avait autant de part dans ce projet que
le respect de la morale. Aujourd'hui même, où l'on ne peut plus
suspecter les intentions des épurateurs, on les voit pourtant d'assez
mauvais œil. M. T. Casini a eu besoin d'expliquer, dans la _Rivista
critica della letteratura italiana_, qu'on ne pouvait pourtant pas
mettre le _Décaméron_ et le _Roland furieux_ tout entiers entre les
mains des élèves[209]; mais il a si peu convaincu tout le monde que,
dans la même revue, un autre rédacteur a laissé échapper le regret que,
dans une édition classique de l'_Arioste_, MM. Picciola et Zamboni
eussent appliqué ce sage principe. Ne suffisait-il pas, disait-il, de
retrancher le vingt-huitième chant (l'aventure de Joconde), qu'Arioste
lui-même autorise à passer? Pour se consoler des retranchements opérés,
il est obligé de se dire qu'on a pourtant conservé _qualche graziosa
lascivia_, et d'en citer un exemple[210]. Quoi donc! Faudrait-il mettre
sous les yeux des écoliers la description à peu près complète des
beautés d'Alcina et d'Olimpia, les entreprises de l'ermite, les
consolations données par le frère de Bradamante à Fiordispina, etc.?
Certes le critique dont nous parlons reculerait devant l'application de
son conseil, s'il donnait à son tour une édition classique du _Roland
furieux_[211], de même que Ugo Foscolo, qui conseillait à deux
demoiselles anglaises de jeter à la mer, comme une offrande à l'ombre
offensée d'Arioste, une autre édition expurgée du poème, n'aurait
certainement pas entrepris de leur commenter le texte intégral.--Mais,
dit-on, la malice des collégiens a déjà deviné les mystères dont on
prétend retarder pour eux la connaissance.--C'était précisément le
langage que tenait un généreux écrivain qui a exposé sa vie pour la
liberté de sa patrie et qui flétrissait la licence quand il la
rencontrait chez d'autres que chez les grands écrivains, Settembrini.
Mais la question ne se pose pas ainsi. M. Rigutini fait très
judicieusement observer dans la préface de son édition classique du
_Cortegiano_, que le respect dû à la classe défend d'y parler de
certaines choses qu'on ne peut empêcher les écoliers de découvrir. Il ne
suffit pas de répondre qu'en classe on n'expliquera pas les passages
scabreux. C'est déjà beaucoup trop qu'on invite pour ainsi dire les
élèves à les lire seuls, qu'on leur présente des tableaux qui, s'ils ne
leur apprennent rien, font cependant sur leur imagination un tout autre
effet que sur celle de l'homme mûr. Ce qui n'était que débauche d'esprit
chez un poète du seizième siècle, tourne facilement en excitation à la
débauche sensuelle auprès d'un adolescent. Le maître, fût-il sûr de
prêcher ensuite la régularité des mœurs avec autant de séduction
qu'Arioste et Boccace prêchent quelquefois le contraire, ferait bien de
ne pas leur donner la parole dans les moments où ils flattent des
passions presque irrésistibles dans la jeunesse.

On pense bien que dans la pratique la théorie de la conservation
intégrale des ouvrages sujets à caution n'a pas été suivie. M. G.-B.
Bolza, qui, lui aussi, a publié le _Roland furieux_ à l'usage des
classes, y a fait, comme MM. Picciola et Zamboni, les coupures
nécessaires. M. Raffaello Fornaciari, l'auteur d'une célèbre grammaire
italienne, a réduit hardiment de cent à vingt-cinq les Nouvelles du
_Décaméron_ dans la dernière recension de l'édition classique qu'il en a
donnée. Inutile de dire que l'on peut en toute confiance mettre entre
les mains de nos élèves l'excellent recueil de morceaux choisis que
l'éminent doyen de l'Université de Rome, M. Luigi Ferri, se souvenant
qu'il est élève de notre Ecole normale, a bien voulu composer pour la
maison Hachette, et où ils trouveront, tant dans les notes que dans la
préface, tout ce qui leur est nécessaire pour l'intelligence du texte et
la connaissance sommaire de la littérature italienne. Néanmoins, la
crainte d'entendre crier à la profanation a empêché quelques éditeurs
d'abréger aussi souvent qu'il aurait fallu. Ainsi, c'est à la vérité une
œuvre exquise que le _Cortegiano_, et même une œuvre d'une morale à la
fois délicate et forte pour qui sait la lire; mais, pour en laisser les
interlocuteurs disserter si longtemps sur l'amour, M. Rigutini était-il
assez sûr de la maturité de ses jeunes lecteurs? Il y a loin encore des
passages les plus voluptueux du Tasse au chant de l'_Adone_, qui a pour
titre: _I Trastulli_. Cela suffit-il pour absoudre telle édition
classique de la _Jérusalem délivrée_, de conserver entièrement la
peinture d'Armide arrivant parmi les Croisés ou s'ébattant avec Renaud?
Parini a plaidé avec beaucoup d'esprit et de cœur la cause d'une pauvre
veuve chargée de quatre enfants; mais il lui est arrivé tant de fois de
présenter spirituellement des idées généreuses, qu'on aimerait à en
trouver, dans une anthologie destinée aux classes, d'autre preuve que
la pièce où il finit par appeler de leur nom véritable les lieux que
fréquentait Régnier. Monti a écrit:

     _Disse rea d'adulterio altri la madre,
     E di vile semenza di convento
     Sparso il solco accusó del proprio padre._

Un commentateur conserve sans sourciller ce passage, explique le mot
_solco_ par une périphrase «_la via alla generazione_,» et indique les
endroits où l'on trouvera la même métaphore chez d'autres poètes. En
vérité, c'est compter beaucoup sur la gravité de la jeunesse italienne.


II

On ne trouve pas non plus, pour ce qui touche le commentaire du texte,
autant d'uniformité en Italie que chez nous. En France, depuis vingt
ans, il est universellement admis qu'une édition classique, outre
qu'elle doit donner un texte revu sur les meilleures éditions (au besoin
sur les manuscrits, et avec l'orthographe du temps), doit contenir les
variantes, l'indication des imitations faites ou suggérées par l'auteur,
des passages où d'autres écrivains se rencontrent avec lui ou le
combattent, des jugements portés sur son œuvre; on veut qu'elle soit
précédée d'une ample biographie et d'une introduction où l'on embrasse
l'histoire de l'œuvre, du sujet s'il a été traité à d'autres époques, du
genre auquel il appartient, avec un aperçu du siècle où il a été
composé. En un mot, on tient généralement qu'une bonne édition classique
doit être l'abrégé d'une édition savante. Les Italiens penchent aussi
vers l'érudition, mais ne s'y livrent pas d'après un plan aussi
méthodique. Dans beaucoup de leurs éditions les plus estimées, ils
suppriment absolument toute biographie, à moins que l'auteur n'ait écrit
lui-même un récit de sa vie ou qu'un biographe accrédité n'y ait
suppléé; en ce cas, ils conservent en totalité ou en partie ces récits
tout préparés. D'ordinaire aussi ils s'abstiennent de toute dissertation
historique ou littéraire. Après une courte préface où ils exposent
uniquement la méthode qu'ils ont suivie, le texte vient immédiatement.
D'autres encore mettent d'abord sous les yeux des lecteurs les documents
propres à éclairer l'œuvre qu'ils éditent, mais suppriment à peu près
toute note au bas des pages.

Ce n'est pas qu'ils entendent ménager leur peine: ces éditions, pour la
plupart, ont coûté au moins autant de travail que les plus soignées de
notre pays, surtout celles où ils ont porté tous leurs efforts sur
l'annotation du texte. En effet, la tâche est d'ordinaire chez nous
préparée d'avance par des éditions à l'usage des savants où il est
permis de puiser, tandis que l'éditeur italien est souvent pour deux
raisons privé d'un tel secours. Premièrement, comme il y a moins
longtemps qu'on a réappris à travailler en Italie (et cette remarque est
à l'honneur de la génération actuelle qui doit suffire à tout), il s'y
rencontrait moins, je ne dis pas de belles, mais de bonnes éditions des
auteurs; on sait, notamment, que les innombrables commentateurs qui
s'étaient avant notre siècle exercés sur la _Divine Comédie_ ont
médiocrement facilité la tâche des érudits contemporains; il manque
également aux Italiens certains ouvrages de fonds qui ont été largement
mis à profit pour nos éditions scolaires entre autres, un dictionnaire
historique de la langue nationale. En second lieu, leurs siècles
classiques ne fournissent pas comme notre dix-septième siècle un assez
grand nombre de livres, à la fois graves et attrayants, pour qu'on en
compose tout le programme des lycées; leurs plus beaux génies sont
souvent ou trop profonds, ou trop hardis, ou trop légers pour que
l'éducation de la jeunesse leur soit absolument confiée; on s'adresse
donc aussi aux penseurs, aux patriotes de la fin du siècle dernier ou du
commencement du nôtre, ou même à des hommes de cette période qui, comme
Monti, sans prétendre à l'un ou à l'autre de ces titres, ont été avertis
par le changement des mœurs de surveiller au moins l'expression de leur
pensée. On a donc donné des éditions classiques d'écrivains très
récents, sur lesquels sans doute on avait déjà beaucoup écrit, mais sur
lesquels il ne s'était pas formé ce commentaire de tradition qu'un
professeur trouve tout préparé dans sa mémoire quand il veut éditer un
auteur mort depuis plusieurs siècles. Pour éditer, selon la méthode
actuelle, un ouvrage de Chateaubriand, de Lamartine, de V. Hugo, il
faudrait beaucoup plus de recherches que pour éditer un ouvrage du temps
de Louis XIV. C'est le cas de quelques-uns des éditeurs italiens. Enfin,
il faut à certains égards plus d'érudition pour commenter un auteur
italien, parce que tandis que chez nous la plupart des auteurs n'ont
guère imité que les anciens, en Italie la plupart des écrivains ont
beaucoup emprunté en outre à leurs compatriotes des générations
précédentes. Ce serait même, du moins pour un Français, une étude pleine
de surprises que de rechercher l'influence gardée, malgré les variations
du goût public, par Dante et par Pétrarque sur les poètes qui leur
ressemblaient le moins; et ce n'étaient pas eux seuls qu'on imitait. On
peut donc admettre sans crainte de se tromper, que les éditions
scolaires dont les Italiens font cas, mais qui ne contiennent pas toutes
les parties intégrantes que le genre nous paraît comporter, n'en ont
pas moins de droits à l'estime.

Au fond, le contraste signalé plus haut entre les systèmes des éditeurs
italiens tient uniquement à une différence de méthode et non à une
différence d'intention; elles sont faites d'après un même principe, qui
est précisément celui qui a prévalu chez nous. En Italie, comme en
France, on veut éviter de se substituer à l'élève. Ceux des éditeurs
italiens qui s'interdisent les dissertations d'histoire littéraire,
comme ceux d'entre eux qui s'interdisent les notes au bas des pages
obéissent exactement au même scrupule qui, chez nous, a fait rejeter ce
qu'on a nommé les notes admiratives. Des deux parts, on craint de dicter
l'opinion de l'élève. On ne veut pas lui suggérer des jugements: on se
borne à lui fournir des occasions d'exercer son jugement. Ce principe
reçoit seulement des applications fort diverses. Celles qu'on préfère en
Italie encourraient probablement notre censure. Un Français
représenterait aux uns, que c'est laisser bien longtemps l'élève à
lui-même que de l'abandonner aussitôt après l'introduction pour ne le
retrouver que dans les additions qui suivent le texte, aux autres, que
c'est mettre sa bonne volonté à une périlleuse épreuve que de l'obliger
à chercher lui-même ailleurs les notions préliminaires sans lesquelles
on ne comprend pas un ouvrage. Mais les Italiens pourraient bien nous
répliquer que nous avons nous-mêmes fait quelques sacrifices d'une
opportunité contestable à la crainte de prévenir le jugement de l'élève.

Nous avons, en effet, banni de nos livres de classe les courtes
remarques par lesquelles on y signalait jadis les beautés de style.
C'est un lieu commun que de les railler, et il ne faudrait pas,
d'ailleurs, pour le plaisir d'être seul à les défendre, soutenir que
jamais commentateur d'autrefois n'a prêté au ridicule par un
enthousiasme pédantesque ou inintelligent. Les Italiens ont, eux aussi,
modifié leur style dans les passages où ils provoquent l'admiration des
écoliers pour leur auteur. Nul d'entre eux ne s'écrierait plus
aujourd'hui que Le Tasse ressemble «à un être surnaturel apparu sur la
terre pour servir de guide à un peuple qui s'élève ou à une civilisation
qui se transfigure,» «à l'Océan d'Homère riche de sa propre immensité et
du tribut de tous les fleuves de l'univers;» nul n'entremêlerait ses
remarques de petits sermons et ne présenterait ses réflexions sous forme
d'apostrophe à la studieuse jeunesse, comme le voulait la mode d'il y a
quarante ans. Mais le changement s'est opéré sans bruit et moins
radicalement que chez nous. Comme les Italiens ne connaissent pas la
peur de paraître naïfs, qui est une de nos pires faiblesses, il leur
arrive encore de signaler, en les appelant du terme technique, les
figures dont un écrivain orne sa diction. En France, aujourd'hui, nous
partons de l'idée, qui pourrait bien manquer de justesse, que les
beautés qui frappent une grande personne frappent un enfant et que, par
suite, en cette matière, les remarques oiseuses pour l'une sont inutiles
pour l'autre. L'expérience prouve, au contraire, que les rhétoriciens
les mieux doués, ceux qui entendent le mieux une version, qui tournent
avec le plus d'agrément une page de français, ne s'avisent pas eux-mêmes
des beautés de style qui nous frappent le plus. Il ne faut pas dire
qu'ils les sentent et que c'est seulement l'embarras de trouver les mots
nécessaires ou une sorte de pudeur qui les empêche de les commenter. La
plupart des meilleurs, quand on les met sur une page dont la tradition
ne leur a pas appris d'avance les traits saillants ne sauraient même pas
les montrer du doigt. Cette observation ne s'applique pas seulement aux
rhétoriciens: elle s'applique aussi aux étudiants de première année,
même à ceux dont le style fait déjà concevoir les plus heureuses
espérances. Ce qui trompe, c'est la vivacité avec laquelle les jeunes
gens sentent l'énergie d'une belle page quand on la leur interprète par
une lecture animée; la manière dont ils goûtent l'ensemble fait croire
qu'ils goûtent le détail. Ce qui trompe encore, c'est qu'au besoin ils
savent, la plume à la main, apprécier ces beautés de détail; mais,
s'ils y réussissent, c'est que, si précisément que soit indiqué le
passage soumis à leur critique, ils s'aident des souvenirs de leurs
cours, de leurs manuels; ils travaillent, en réalité, non pas sur la
page dont il faudrait découvrir les beautés, mais sur le jugement qu'ils
ont trouvé quelque part; ils changent, sans le remarquer eux-mêmes, un
exercice d'invention critique en un exercice d'exposition oratoire. Tant
il est vrai qu'il faut avoir beaucoup lu et même un peu vécu pour
apercevoir, sans le secours d'autrui, le mérite de l'expression! Le
style est la qualité qui se développe la première chez les jeunes
gens[212], et c'est la dernière qu'ils démêlent chez les auteurs.

Il n'est donc pas inopportun d'avertir en toute simplicité les jeunes
gens qu'une belle parole est belle, dût-on faire sourire, par cet avis,
l'homme fait qui n'en a pas besoin. Lorsque aujourd'hui, dans nos
éditions, on donne à la jeunesse un de ces avis charitables, on veut le
racheter par la finesse du commentaire qu'on fait de la beauté
signalée. La vieille méthode, dans sa sécheresse prudemment banale,
après avoir prévenu les jeunes lecteurs qu'il y avait là quelque chose
d'admirable, les laissait chercher davantage. Quant à sa terminologie
que nous sommes si fiers de ne plus comprendre, elle était peut-être
plus commode que ridicule. Car, dès qu'on veut aller jusqu'à la
précision, il est malaisé de se passer absolument de mots techniques;
que deviendrait l'enseignement de la peinture si l'on proscrivait les
mots de glacis, d'empâtement, etc.? La critique contemporaine parle elle
aussi une langue fort spéciale; un puriste prétendrait même qu'elle a
remplacé une nomenclature tirée du grec mais précise par un jargon vague
mais inutile, qu'il n'a que faire d'appeler _suggestif_ un livre qui
fait penser, tandis qu'il ne sait par quoi remplacer métonymie, qu'il
comprenait fort bien le mot litote, mais qu'il n'entend pas très bien ce
que c'est que l'_au-delà_ dans un écrivain.

Il est vrai qu'on reproche aux notes dites admiratives d'empiéter sur le
commentaire oral. Mais toutes les pages d'une édition classique ne sont
pas destinées à être lues en classe; il faut penser à l'élève qui lit
tout seul. Puis quel est donc le professeur qui ne trouvera plus rien à
dire sur une expression pleine de sens ou de sentiment parce qu'une
ligne placée au bas de la page en aura conseillé l'examen? Ce reproche
atteindrait au surplus toute espèce de commentaires, et on l'adresserait
avec plus de fondement aux nouvelles éditions qu'aux anciennes;
celles-ci n'aidaient l'élève qu'à découvrir des beautés qu'à son âge on
ne peut saisir seul, tandis que celles-là multiplient les observations
sur le fond même des choses, lequel est plus à sa portée. Par exemple
l'analyse d'une pièce de théâtre, d'un caractère tragique ou comique ne
dépasse nullement la force d'un rhétoricien; or, outre que la plupart
des éditions récentes de notre théâtre apprécient au cours de la pièce
tous les passages où se marque le progrès de l'action ou de la passion,
la plupart dans l'introduction traitent avec détails les questions peu
nombreuses dont on peut proposer l'étude aux élèves. Or, si désireux que
vous supposiez l'élève de ne pas copier ces aperçus, il ne réussit pas à
s'affranchir de ce qu'il a lu; il ne pense pas assez pour n'être point
dominé par la pensée d'autrui. En fait de commentaire général,
j'aimerais mieux la méthode d'un auteur italien, M. Falorsi, qui donne
alternativement les objections dirigées contre les drames d'Alfieri et
les réponses de l'auteur, puis qui laisse l'élève se prononcer en
connaissance de cause.


III

Mais si les Italiens ont moins peur que nous d'offrir au jugement de
l'écolier le guide dont il a besoin, les voici de nouveau partagés sur
l'esprit dont la critique littéraire doit procéder dans un livre de
classe. Une des choses qui font la force de l'Université de France,
c'est qu'elle porte dans l'appréciation de nos grands écrivains deux
sentiments également précieux, une admiration sincère et une
respectueuse liberté. Pour nous réconforter à l'heure de nos désastres,
un de nos maîtres a pieusement recueilli à travers les siècles passés
les paroles que le patriotisme a inspirées à tous nos écrivains obscurs
ou célèbres[213]; mais jamais sa sympathie pour les chantres de nos
joies, de nos douleurs, ne l'abuse sur leur talent; quand leur mérite
littéraire n'égale pas la générosité de leur cœur, il avoue sans hésiter
son regret de ne pas les trouver plus éloquents ou plus spirituels. Il
me semble qu'en Italie de très bons esprits mêmes concilient plus
malaisément les scrupules du critique et ceux du citoyen. Il semble qu'à
cet égard les éditeurs italiens se partagent; les uns, dans leur crainte
de refroidir l'enthousiasme de la jeunesse ou d'éveiller sa malignité,
dispensent un peu trop libéralement l'éloge aux auteurs qu'ils
commentent, ou ferment les yeux sur leurs défauts; les autres font payer
à leur auteur les exagérations de ses panégyristes, sans se demander si
l'admiration des élèves est assez robuste pour résister aux assauts
qu'ils lui donnent.

Ainsi M. Bertoldi, dans une édition fort érudite de Monti, trouve moyen
de ne jamais censurer les palinodies de son poète; lui qui pousse la
sévérité à l'endroit de Voltaire jusqu'à l'appeler un des plus efficaces
coopérateurs de l'athéisme, qui l'accuse de mépris et de haine pour la
divinité, il réussit à ne jamais condamner la versatilité de ce flatteur
de tous les régimes; il cite sans observation les vers où il est dit que
Napoléon inspire de la jalousie à Jupiter; il rapporte sans la discuter
l'allégation insoutenable de Monti prétendant après les victoires de la
France que la _Bassvilliana_ n'était écrite que contre la tyrannie
démagogique. M. Puccianti, dans ses anthologies, dont le public italien
fait grand cas avec beaucoup de raison, ne s'abstient pas de signaler
les défauts des écrivains; mais, en beaucoup d'endroits, il fait
visiblement effort, par patriotisme, pour trouver beau ce qui n'est que
médiocre. Au contraire, l'édition des morceaux choisis de Giusti, que M.
Guido Biagi a composée pour une excellente _Biblioteca delle
Giovanette_, s'ouvre par une curieuse histoire de l'engouement que les
circonstances avaient valu à son héros; il n'y aurait qu'à louer cette
savante, cette piquante revue de tous les jugements portés en Italie et
au dehors sur Giusti, si elle était destinée à des hommes faits qui,
après l'avoir lue, n'en goûteraient pas moins _Girella_ et la _Terra dei
morti_; mais n'est-il pas à craindre que dans l'âge où ]es préventions
sont plus fortes que le goût n'est vif, les jeunes lectrices de M. Biagi
ne sortent de cette lecture moins aptes à discerner le mérite du
satirique toscan? Le terrible mot de pauvre esprit, _povera mente_,
articulé par Tommaseo, ne gâtera-t-il pas pour elles la malice et la
verve de Giusti, et ne pouvait-on les mettre en garde d'une façon moins
savante mais moins cruelle contre une estime outrée pour son talent? M.
Severino Ferrari a démêlé avec une remarquable finesse les petits
artifices du Tasse; il a surpris tous ses emprunts, il a découvert que
son originalité consiste quelquefois à exagérer les exagérations
d'autrui; et il le dit. C'est son droit, et une étude où il en
rassemblerait les preuves offrirait autant d'utilité que d'agrément.
Mais une édition de la _Jérusalem délivrée_ qui doit conduire à un
jugement général de l'œuvre, surtout une édition classique, devait-elle
être conçue d'après ce plan? Non, certes, du moins à mon avis. Boileau
lui-même, s'il avait entrepris un commentaire suivi de la _Jérusalem_, y
eût montré aussi soigneusement l'or que le clinquant; il n'aurait pas
consacré toute sa préface à établir que le style en est affecté, que les
caractères n'y sont pas conformes à l'histoire. Puisque M. Severino
Ferrari convient que le Tasse émeut encore aujourd'hui les charbonniers
des Apennins, le devoir essentiel de ses commentateurs est de faire
sentir le charme de sa poésie. Prémunissez les élèves contre les
ornements recherchés qui abondent dans l'épisode d'Olinde et de
Sophronie, mais à la condition d'excepter formellement de la
condamnation des vers délicieux comme le

     _Brama assai, poco spera e nulla chiede,_

à condition de rendre hommage aux mâles et modestes paroles de Clorinde
à Aladin, qui terminent l'épisode par un contraste plein de grandeur.
Dans les paroles de Clorinde, vous énumérez les imitations de Dante et
de Pétrarque: fort bien, pourvu que vous avertissiez les écoliers que ce
n'est ni à Laure ni à Béatrix que l'héroïne doit l'incomparable accent
de sa gratitude envers l'homme qui l'a tuée sans la connaître, qui lui a
ouvert le ciel, et qui mourrait de douleur si elle ne lui apportait pas
cette consolation céleste:

     _Vivi, e sappi ch' io t'amo, e non te l' celo,
     Quanto più creatura umana amar conviensi._

Faites sentir que le cœur du Tasse, à la différence du cœur de Dante,
n'est pas égal à son sujet, mais à condition d'ajouter que souvent, dans
le langage qu'il prête à Godefroy de Bouillon, dans la peinture des
chrétiens apercevant la cité sainte, ailleurs encore, il en a senti et
exprimé dignement la grandeur. M. Ferrari ne cède pas à un parti pris
d'injustice; il cite çà et là quelques éloges donnés à de beaux vers, il
lui arrive de réfuter des critiques mal fondées; mais, laissé à
lui-même, il vaque plus volontiers à l'office de désenchantement qu'il
s'est attribué.

Toutefois plusieurs éditions scolaires d'Italie échappent à la fois au
reproche de complaisance et au reproche d'excessive sévérité. On peut
citer à cet égard le résumé que M. Falorsi a donné de l'autobiographie
d'Alfieri dans une édition d'œuvres choisies du poète d'Asti. M. Falorsi
est malheureusement de ceux qui suppriment à peu près entièrement les
notes, du moins pour les quatre pièces d'Alfieri qui forment la plus
grosse part de son recueil. Il est probable qu'il rédigerait fort bien
les siennes; son récit de la vie du grand tragique ne contient pas une
seule appréciation malsonnante, et pourtant fait sentir avec autant de
netteté que de discrétion tout ce qui se mêlait de faiblesse bizarre et
maladive à l'énergie d'Alfieri et comment c'est du jour où Alfieri a
lutté courageusement contre lui-même qu'il s'est acquis des titres à la
gloire. Le libre esprit de M. Falorsi s'accuse encore dans l'analyse
qu'à propos du théâtre d'Alfieri il donne de quelques pièces de Racine;
ces analyses contiennent des inexactitudes de faits et ne font pas assez
ressortir les caractères, mais peu d'admirateurs d'Alfieri, peu
d'admirateurs de Racine même auraient mieux marqué la rapidité d'action,
le caractère constamment tragique de notre _Britannicus_. Citons comme
dernier exemple de cette liberté de jugement une note amusante qui
établit fort bien que l'excès opposé à notre indifférence prétendue ou
réelle pour les langues étrangères ne va pas sans inconvénient: «Les
Italiens modernes qui, dans la lecture de méchantes gazettes d'un style
pis que francisé, dans des traductions subreptices (_ladre_) d'ouvrages
étrangers, dans le commerce de précepteurs, de bonnes d'enfants, bientôt
de nourrices, qui nous arrivent de la Chine, du Mongol et du Japon,
sucent avec le lait un sot mépris (_dispregio ciuco_) de leur belle
langue, feront bien de méditer un passage d'Alfieri sur le rapport
nécessaire qui existe entre l'étude de la langue maternelle et
l'éducation de la pensée[214].»

Il va de soi que, quand un des maîtres de la critique italienne trouve
le temps d'annoter une édition à l'usage des classes, il sait faire
entendre ce qu'on doit dire, sans rien fausser par excès d'insistance.
M. Alessandro d'Ancona l'a prouvé à l'occasion des Odes de Parini.
C'était un sujet particulièrement délicat: la difficulté ne consistait
pas pour un érudit de sa force à réunir tous les passages anciens et
modernes dont l'habile imitation compose jusqu'à un certain point
l'originalité laborieuse de Parini; mais les Italiens doivent tant de
reconnaissance au noble poète qui, au siècle dernier, releva dans leur
patrie la dignité de l'homme et du citoyen, qu'ils souffrent
impatiemment toute censure à son adresse; ils pardonneraient encore un
mot franc sur Alfieri, parce que Alfieri a tant commis et avoué
d'extravagances que leur gratitude fort légitime ne peut pas se
dissimuler ses travers. Mais le caractère pur, la vie sans faiblesses de
Parini protègent sa gloire. Il était donc fort difficile, surtout dans
un volume destiné à la jeunesse, d'indiquer tout ce qui manque à Parini
pour être un penseur et un écrivain du premier ordre. Il ne faut donc
pas reprocher à M. d'Ancona de ne point signaler certains défauts que
l'ironie mordante de Parini et ses intentions généreuses ne nous
empêchent pas d'apercevoir. Il suffisait de choisir quelques points, où
la censure pouvait s'appliquer sans soulever de clameurs. Ces points,
M. d'Ancona, en homme d'esprit et en homme de cœur, les a choisis d'une
main heureuse et touchés d'une main délicate. En voici un exemple: un
Italien, car en Italie même on ne peut s'aveugler toujours sur les
défauts de Parini, avait osé dire que dans la _Caduta_, une de ses
pièces les plus estimées, la bassesse officieuse de l'inconnu qui
prétend tirer le poète de la pauvreté s'exprime avec une invraisemblance
choquante. M. d'Ancona, en quelques lignes d'une spirituelle bonhomie,
nous enseigne à reconnaître et à limiter en même temps la portée d'une
critique qui n'atteint que l'exécution d'un morceau et n'entame pas la
beauté fondamentale de la pièce: «Sans accepter entièrement,» dit-il,
«les conclusions qu'on nous propose, on peut avouer que quand cet
officieux conseille froidement et d'un ton amical à Parini de se faire
démagogue, espion, voleur, il va peut-être un peu trop loin, même étant
donnée l'intention sarcastique.» Quand l'intérêt public est en jeu, M.
d'Ancona n'hésite pas: il donne nettement tort à Parini s'imaginant que
la charité peut prévenir tous les crimes et que le pardon accordé à un
criminel offre une garantie suffisante contre la récidive, et il conclut
son commentaire de l'Ode _Il bisogno_ par ces belles paroles dont la
citation est d'autant plus de mise ici qu'elles s'appliqueraient aussi
bien à la pédagogie qu'à la politique: «Du reste les disputes sur le
devoir de prévenir et sur celui de réprimer sont des logomachies
byzantines. L'État est tenu de prévenir quand il le peut, de réprimer
quand il le doit. La limite de la prévention est la possibilité, la
limite de la répression est la justice.»

Ce franc aveu des défauts d'un auteur classique, pourvu qu'on n'y joigne
pas un apparent oubli de leurs qualités, aurait d'autant moins
d'inconvénients en Italie, que le public le prend de moins haut chez eux
que chez nous avec les écrivains de talent. Chez nous, sauf durant des
périodes de caprices qui ne durent jamais longtemps, le bon sens et la
clarté sont les deux qualités réputées les plus indispensables; comme la
multitude est compétente pour juger de ces deux qualités, elle fait tout
d'abord des écrivains ses justiciables. En Italie, on demande tout
d'abord à un écrivain de l'imagination; or l'imagination est une qualité
qui varie d'homme à homme, qui suit sa fantaisie et à qui, si on l'aime,
on permet de s'y livrer; puis Dante, élève des scolastiques, a, dès
l'origine, accoutumé les Italiens à une poésie savante qui ne se laisse
pas entendre à première lecture. L'ambition de conserver dans la langue
vulgaire les inversions, les enchevêtrements de mots qui, dans le latin,
n'engendrent pas la confusion à cause des désinences moins uniformes, a
encore fait accepter une demi-obscurité qui tient le lecteur en respect;
enfin, la langue littéraire de l'Italie n'est pas, n'était pas surtout
jusqu'à ces derniers temps, la langue maternelle de tous les Italiens,
chacun d'eux, dans l'usage courant de la vie, employant le dialecte de
sa province. Pour toutes ces raisons, ils lisent avec plus de patience,
partant avec plus de déférence que nous. C'est même chose touchante que
de voir avec quelle modestie grave des hommes fort savants proposent
chez eux plusieurs explications de tel vers d'un grand poète, avec
quelle longanimité la nation s'éclaire tour à tour des interprétations
successives qu'on lui en présente. Chez nous, lorsque Muret déclare que
sans sa glose les _Amours_ de Ronsard sont inintelligibles, notre
premier mouvement est de rire du texte et de la scolie, et de laisser là
l'un et l'autre: en Italie une déclaration semblable ne choque personne.
C'est dire qu'en Italie un commentateur, pourvu qu'il sache confirmer
les lecteurs dans l'admiration des beautés véritables de son texte,
peut, s'il l'ose, en révéler les défauts, sans crainte de le
discréditer.


IV

Puisque au total, en Italie et en France, les éditions scolaires se
rapprochent plus ou moins des éditions savantes, puisqu'elles visent,
soit à les résumer, soit à en tenir lieu, demandons-nous en finissant si
les incontestables mérites qu'elles présentent sont bien ceux que
réclame l'enseignement secondaire.

Certes un homme d'esprit n'est jamais trop savant pour accomplir la plus
modeste des tâches; et c'est même le devoir strict de tout homme qui
veut éditer un ouvrage pour la jeunesse, de s'assurer au préalable qu'il
connaît toutes les découvertes des érudits qui se rapportent à son
auteur. Il doit aux élèves, sous la réserve des suppressions que leur
âge exige, un texte authentique, et, par conséquent, il faut qu'il ait
consulté les travaux où l'on a corrigé les mauvaises leçons. Il leur
doit de ne jamais les induire, par ses commentaires, dans des erreurs
déjà réfutées, et par conséquent il faut qu'il ait lu les érudits et les
critiques dont les lumières s'ajouteront utilement aux siennes. Mais il
ne s'ensuit nullement qu'il doive faire passer dans son édition la plus
grande somme possible de la science qu'il a pu acquérir. Une édition
destinée aux érudits n'est jamais trop érudite parce qu'elle doit
répondre à d'innombrables questions. Vingt savants qui viennent
interroger l'un après l'autre notre admirable collection des grands
écrivains de la France, la feuillettent chacun dans une pensée
différente. Il a donc fallu, dans la mesure du possible, prévoir et
satisfaire tous leurs désirs. Les tout jeunes gens ont des besoins tout
autres. Cet ouvrage que vous mettez sous leurs yeux pour la première
fois, qui cédera la place à un autre dans quelques semaines, ils n'en
peuvent saisir que l'essentiel, et ce n'est pas trop, pour qu'ils y
parviennent, de tous leurs efforts et de tous les vôtres. Ces beautés
saillantes, que peut-être dans le fond de votre âme vous êtes las
d'admirer et de commenter, ils ne les découvrent pas d'eux-mêmes et ne
les comprendront bien que grâce à vous. Toutes les questions
subsidiaires qui s'imposent à qui veut approfondir, ne se présentent pas
à leur esprit; les leur proposer, c'est les distraire de l'objet
principal qu'ils ont déjà beaucoup de peine à ne pas manquer. Toutes les
notions qui nous ont fait pénétrer depuis notre jeunesse dans les
auteurs que nous avions étudiés au collège, la vie, la lecture nous les
ont données peu à peu; nous les avons digérées, et c'est pour cela
qu'elles nous profitent. En présenter à la jeunesse un résumé, même fort
judicieux, fort élégant, c'est lui donner une nourriture trop forte. Il
faut donc s'accommoder à sa faiblesse. Dans une savante revue italienne
que nous avons citée un peu plus haut, M. S. Morpurgo, répondant à un de
ses compatriotes qui déclarait qu'on traite trop les lycéens en
enfants, fait spirituellement observer que ce traitement n'est pas très
disproportionné à leur âge. Il faut sans doute ouvrir l'esprit des
enfants, mais il importe encore bien davantage de le fixer. Il n'est pas
mauvais de leur indiquer d'un mot qu'il y a d'autres questions à étudier
que celles qu'on étudie avec eux, mais il faut aussitôt après les
ramener sur ces dernières. La meilleure édition classique est celle qui,
tout en leur fournissant les indications dont ils ont besoin, disperse
le moins possible leur attention et la concentre le mieux sur le texte
lui-même.

Une des principales qualités qu'il y faut est donc la brièveté, la
sobriété. Nous avons raison d'exiger qu'on place en tête du volume une
biographie, une introduction. Rappelons-nous toutefois que c'est pour
nos enfants que l'édition est faite et non pas pour nous, et que ce
n'est peut-être pas faire l'éloge d'un livre scolaire que de constater
l'intérêt que les parents prennent à le lire. Ces longs morceaux pleins
de faits et d'idées qui font honneur à l'érudition, à l'étendue
d'esprit, au style du professeur qui les a composés n'effraieront-ils
pas l'élève? S'il les lit, lui qui dispose de si peu d'heures, lui
restera-t-il le temps de lire, de relire le texte? En aura-t-il même le
désir? Les vastes perspectives que vous lui aurez ouvertes ne l'en
auront-elles pas détourné? Prenons garde de rebuter les élèves légers,
et, ce qui serait encore pis, de donner aux élèves studieux une habitude
qu'hélas! nous avons peut-être contractée nous-mêmes, celle de lire trop
vite. Prenons garde de leur en donner une autre, celle d'encombrer leur
mémoire au lieu d'exercer leur jugement. Beaucoup de laborieux élèves
n'ont que trop perdu l'habitude de l'effort personnel. On raillait
autrefois certains exercices de la rhétorique dont les paresseux se
tiraient, dit-on, par des larcins qualifiés de réminiscences; mais nos
élèves ont aujourd'hui la tête si remplie de notices biographiques et
critiques, que de la meilleure foi du monde ils les récitent sans s'en
apercevoir; il leur semble même, comme aux légistes de l'époque
antérieure à Cujas, que la seule manière d'étudier un texte soit d'en
étudier les commentateurs. Voici une anecdote dont j'ai de bonnes
raisons pour garantir l'authenticité: il y a trois ans, à la Faculté des
lettres de Paris, à la suite d'une conférence de littérature française,
un jeune homme à figure ouverte et sympathique vint demander de quel
manuel on recommandait particulièrement l'usage; on lui répondit
naturellement que l'on conseillait plutôt de ne faire usage d'aucun
manuel, du moins à propos des auteurs marqués au programme, et de lire
assidûment ces auteurs pour se mettre en état de répondre même aux
questions imprévues. Le jeune homme insista, expliquant qu'il
appartenait à un lycée de province et ne pouvait venir que de loin en
loin à la Sorbonne. On l'assura que le jour de l'examen on demandait au
candidat, non pas l'opinion des critiques, mais la sienne, et que rien
n'était plus facile pour les examinateurs que de discerner les
compositions dont la mémoire seule avait fait les frais. Sa figure prit
une expression d'incrédulité, de tristesse, et il partit évidemment
persuadé que les maîtres de conférences de la Sorbonne, afin de ne point
faire de tort à leurs auditeurs réguliers, gardaient pour eux le secret
des recettes infaillibles grâce auxquelles un étudiant docile devenait à
coup sûr licencié. Nos éditions scolaires ont contribué à cette
disposition des esprits: dans les livres de cette nature, telle préface
qui stimule la réflexion chez un homme fait l'engourdit chez les
écoliers.

En accordant qu'il faut donner aux élèves le texte véritable de nos
classiques, nous n'avons pas voulu dire qu'il fallût y conserver une
orthographe archaïque ou capricieuse; c'est leur prêter une apparence
rébarbative. Quant aux notes, elles doivent, à mon sens, n'être pas trop
multipliées. On pourrait ménager davantage les notes curieuses seulement
en elles-mêmes, celles qu'on peut lire à part; car, si ces notes
amusent, instruisent même, elles n'exercent pas assez l'esprit.
Peut-être abuse-t-on quelquefois des variantes, des rapprochements, de
l'indication des passages que l'auteur a imités. Il ne faut, pour ainsi
dire, interrompre la conversation de l'auteur et de l'élève que pour
expliquer à celui-ci le langage de celui-là, pour l'aider à en
comprendre la force, pour l'inviter à interroger respectueusement son
interlocuteur. Il ne faut que rarement lui parler d'autre chose à propos
de ce que dit Racine ou Bossuet. Il a déjà quelque peine à soutenir le
dialogue et ne le quittera que trop volontiers pour le commentateur qui
lui conte de piquantes historiettes. Les notes véritablement utiles sont
celles qui soulèvent à demi le voile qui lui cache les beautés de
l'éloquence et de la poésie, qui lui promettent au prix d'un effort un
plaisir flatteur pour son amour propre et, ce qui vaut mieux, un plaisir
d'imagination et de cœur. Quelquefois les notes pourraient prendre la
forme d'un questionnaire. Par exemple, on demanderait pourquoi l'on
tient pour vraie telle maxime que tel et tel fait paraissent contredire,
pourquoi tel vers est éloquent ou spirituel, en quoi l'idée d'une scène
est dramatique ou fine. En un mot, tandis que l'auteur d'une édition
savante doit faciliter l'étude de l'ouvrage dans ses rapports complexes
avec l'histoire littéraire et morale de l'humanité, l'auteur d'une
édition scolaire se proposerait seulement de faciliter l'étude de
l'ouvrage en lui-même. On se rappellerait qu'il est dangereux de vouloir
tout enseigner à qui a tout à apprendre.

Circonscrite de cette manière, la tâche ne serait pas beaucoup plus
facile ni moins capable de tenter les hommes dévoués et distingués
auxquels nous prenons la liberté de soumettre ces réflexions. Pour
atteindre la perfection dans le genre qui nous occupe, il ne leur manque
plus qu'une chose, mais qui me paraît aussi malaisée qu'indispensable,
c'est de vouloir bien se faire petits.



APPENDICES



APPENDICE A.

Le pensionnat de Mme Laugers à Bologne.--Les collèges de jeunes filles
de Naples.--Le pensionnat de Lodi.


LE PENSIONNAT DE Mme LAUGERS À BOLOGNE.

Outre la plupart des documents qui m'ont servi à faire connaître cette
maison, MM. Capellini et Malagola m'ont encore fourni les deux pièces
dont voici la traduction et dont les originaux sont aux Archives d’État
de Bologne.

ROYAUME D'ITALIE.

     Bologne, 17 avril 1807.

Le préfet du département du Reno,

Vu le plan organique de la Maison Royale Joséphine, présenté
antérieurement par M. le chevalier Salina, président royal,

Considérant qu'il s'agit d'un établissement honoré d'une spéciale
protection par S. A. I. le prince Vice-Roi,

Qu'il a pour objet la garde la plus vigilante, la culture la plus pure
des âmes des jeunes filles,

Que des fins aussi importantes peuvent être pleinement atteintes sous la
direction de l'institutrice actuelle, Mme Thérèse Laugers[215],

Et que, pour accroître le nombre de ces chères écolières (_delle tenere
alunne_), qui feront ensuite passer dans leurs familles et dans la
société l'éducation parfaite qu'elles y auront puisée, il sera bon de
faire connaître les dispositions précises et louables du plan susvisé,

Décide:

Le plan organique de la Royale Maison Joséphine sera imprimé et publié.

La présente décision est communiquée en copie conforme à Mme la
directrice Laugers, pour qu'elle l'exécute.

     Signé: MOSCA, et, au-dessous: ZECCHINI, secrétaire général.

     Pour copie conforme: F° Zecchini.


Plan de la Maison Royale Joséphine de Bologne.

I.--_Caractère particulier de ce pensionnat._

La Royale Maison Joséphine de Bologne, située rue Nosadella, dans
l'ex-couvent des Franciscaines du Tiers-Ordre, est dirigée et
administrée immédiatement par Mme Laugers, qui y donne l'instruction. La
discipline est sous la surveillance d'une commission nommée par la
municipalité de Bologne et par un président choisi directement par S. A.
I. le prince Vice-Roi. Les jeunes élèves sont partagées en trois classes
d'après leur âge et leur capacité. Les unes sont pensionnaires, les
autres demi-pensionnaires, les autres externes.

II--_Culture de l'esprit._

La religion catholique et la saine morale sont l'objet principal et
capital de cette éducation. Aussi, outre la règle pour la pratique
journalière des actes de religion, les instructions morales, le
catéchisme des samedis, les exercices spirituels du 28 octobre au 1er
novembre[216], il y aura un ou plusieurs prêtres chargés spécialement de
cultiver l'esprit et le cœur des pensionnaires.

III.--_Travail manuel._

Tous les travaux à l'aiguille et à la maille qui conviennent au sexe
féminin sont dirigés par la directrice elle-même, aidée d'une
sous-maîtresse, et sont traités avec le soin que réclame ce genre
d'occupation. On forme, en outre, les jeunes filles, dans la mesure du
possible[217], à ce qui concerne le ménage domestique.

IV.--_Études._

La directrice enseigne la grammaire française, la géographie, la sphère,
la chronologie, l'histoire et d'autres sciences et langues selon la
capacité des enfants.

Des maîtres probes et habiles enseignent à toutes les élèves l'écriture,
l'arithmétique, la langue italienne.

Pour celles qui désireraient apprendre le dessin, la danse, la musique
vocale ou instrumentale, il y aura des maîtres spéciaux.

V.--_Examens._

Tous les six mois, il y a une épreuve publique à laquelle sont invités
les parents, les autorités, et, à cette occasion, l'on distribue des
prix.

Tous les trois mois, on fait une récapitulation des études de chaque
classe. La jeune fille qui s'est distinguée par-dessus toutes les autres
par la douceur de son caractère, l'exactitude dans l'accomplissement de
ses devoirs sans mériter aucun reproche, reçoit un insigne qu'elle porte
durant trois mois, c'est-à-dire jusqu'à l'examen suivant.

VI.--_Divertissements._

Aux heures de récréation, les enfants se promènent ou se livrent, à
l'intérieur, aux amusements de leur âge et de leur sexe. Tout jeu de
cartes ou de dés est interdit.

VII.--_Dépenses à la charge des pensionnaires[218]._

1° La pension est de 30 livres italiennes par mois. Les étrangères[219]
payent toujours quatre mois d'avance. Les Bolonaises payent également
d'avance, mais seulement par trimestre. La nourriture est saine et
bonne.

2° L'habillement, le papier, les livres, les dépenses en cas de maladie
sérieuse, sont également à la charge des élèves.

3° De même l'enseignement de la danse, du dessin, de la musique vocale
et instrumentale.

4° Chaque élève apporte: un lit complet, avec les couvertures pour l'été
et pour l'hiver; 4 paires de bas et 4 petites taies d'oreiller; 6
serviettes; 6 essuie-mains; 6 chemises; 4 mouchoirs blancs, 4 de
couleur; 2 jupons d'hiver, 2 d'été; 8 paires de bas; 2 tabliers blancs,
2 de couleur; 4 bonnets de nuit; 4 camisoles de nuit; 2 bobines à
dévider; 1 peigne et l nécessaire de toilette; une chaise; 6 assiettes;
1 verre; 1 couvert.

Comme la libre disposition de l'argent peut être cause, chez les jeunes
filles, de nombreux désordres, on désire que les sommes accordées pour
leur honnête divertissement soient remises à la directrice, qui en
disposera avec une sage économie.

VIII.--_Dépenses à la charge de l'établissement outre l'entretien
quotidien._

1° Tous les meubles d'un commun usage;

2° Le feu pendant l'hiver, l'éclairage, l'encre;

3° Les dépenses de voyage, aller et retour, quand on mènera les élèves à
la campagne;

4° La messe, les cierges et tout ce qui sert aux cérémonies de la
chapelle;

5° Les honoraires du médecin et du chirurgien dans les petites maladies;

6° Les dépenses pour les examens et les séances publiques;

7° La garde du vestiaire, le blanchissage de la literie et du linge de
table;

8° Les gages du cuisinier et des femmes de service.

Pour toutes ces dépenses, les pensionnaires versent, par an, cent livres
italiennes, payables par trimestre et d'avance.

IX.--_Entrée, séjour, sortie des élèves._

On n'admet les pensionnaires que de l'âge de cinq ans à douze ans
révolus, et sur le vu d'un certificat qui prouve qu'elles ont eu la
petite vérole ou qu'elles ont été vaccinées.

Les payements qu'on acquittera, comme il a été dit; d'avance, se feront
toujours en monnaie ayant cours légal.

Les pensionnaires ne pourront dîner dans leurs familles qu'une fois tous
les deux mois. Elles ne coucheront jamais hors du collège.

Tous les quinze jours, un jeudi, de quatre à six heures dans
l'après-midi, les parents pourront venir visiter leurs filles, mais
toujours dans le parloir et en présence de la directrice ou de la
sous-maîtresse.

Nul ne pourra pénétrer dans le pensionnat, sauf les personnes qui en
auront obtenu de la directrice une permission qu'il faudra faire
renouveler à chaque fois.

L'accès des chambres de l'étage supérieur est interdit à toute personne
autre que celles qui sont commises à cet effet, le médecin et le
chirurgien.

Toutes ces règles concernent également les demi-pensionnaires et les
externes pour toute la partie qui peut leur être appliquée.

Le supplément à payer pour les unes et pour les autres est réglé par la
directrice d'après les études et les leçons particulières que les
parents auront demandées.


Collèges de jeunes filles du Royaume de Naples, fondés par Joseph
Bonaparte et Joachim Murat.

Le plan de notre étude ne nous a permis que de faire quelques emprunts à
la notice que M. Benedetto Croce a bien voulu fournir sur ces collèges.
Nous n'avons garde d'en priver le lecteur. Voici donc la traduction de
la partie que nous n'avons pas employée:

Le décret de Joseph Bonaparte du 11 août 1807 (dont nous avons extrait
ci-dessus les dispositions fondamentales) fixait que cinq dames seraient
chargées de l'éducation des jeunes filles, sous la surveillance de
personnes qualifiées de première et de deuxième dames. Le règlement de
la maison d'Aversa devait être établi par une commission composée du
président du conseil d'administration du collège, du _capellano
maggiore_, de la première et de la deuxième dames, et de la plus âgée
des autres, et approuvé par la reine. Un décret du 1er septembre 1807
assigna pour local dans Aversa le couvent de l'ordre supprimé du
Mont-Cassin et les jardins attenants. Une décision du 2 novembre nomma
un administrateur des rentes du collège; une autre, du 27 novembre,
renvoya, à l'arrivée de la reine, les travaux d'appropriation. Ces
arrêtés et d'autres relatifs à l'administration de la maison se trouvent
aux Archives d'État de Naples, à la section _Ministero dell'Interno_,
fascicule 714. On y voit que, jusqu'au milieu de 1808, le collège
n'était pas encore installé.

Joseph Bonaparte avait aussi institué pour chaque province du royaume
une maison d'éducation pour les jeunes filles de bonne famille (_di
civili natali_); pour la province de Naples, cette maison fut établie au
ci-devant monastère des bénédictines de San Marcellino.

Joachim Murat, par un décret du 21 octobre 1808, disposa que le ministre
de l'intérieur prendrait les ordres de la reine, sous les ordres de
laquelle serait placé le collège d'Aversa, et qui en établirait le
règlement; le même décret mit une rente de 24,000 ducats à la
disposition du président de l'établissement, qui serait nommé par la
reine. Des lors, le collège put fonctionner.

Peu de temps après, ces deux institutions d'Aversa et de Naples furent
réunies dans le local de la première, sous le nom de Maison Royale
Caroline; une série de décrets de Joachim accrut les rentes et modifia
l'administration de cet établissement.

Le couvent de San Marcellino demeurait vide, mais il eut bientôt un
emploi analogue. Par un décret du 12 décembre 1810, Joachim maintint
dans son royaume les visitandines, «vu l'avantage que l'Empire français
et le Royaume d'Italie tirent pour l'éducation des filles de l'ordre de
la Visitation, rétabli et modifié par les décrets de notre auguste
beau-frère l'empereur Napoléon[220].» Voulant donc, disait-il, procurer
le même avantage à ses États, _où tant et de si grands motifs ordonnent
de multiplier les maisons d'éducation pour les deux sexes_, Joachim
autorisait à perpétuité les couvents de cet ordre actuellement établis
dans le royaume, permettait d'en instituer d'autres là où il serait
nécessaire et plaçait l'ordre sous la protection de la reine; les
visitandines étaient autorisées à recevoir des novices et à les lier par
des vœux simples, renouvelables chaque année, les vœux éternels
demeurant interdits à tous les membres de la congrégation, quelles que
fussent leurs conditions d'âge ou autres; les statuts de Saint-François
de Sales étaient maintenus, sauf à être revus et approuvés; l'Ordre
ressortirait pour le spirituel à l'évêque diocésain, pour
l'administration économique et pour l'enseignement au ministère de
l'intérieur. Un décret du 10 janvier 1811 assigna aux visitandines de
Naples le couvent de San Marcellino.

Ces Dames avaient alors pour supérieure une Française, Mme Eulalie de
Bayanne.--J'interromps ici la notice de M. Croce pour dire que Mme de
Bayanne était une des trois filles de Louis de Lathier, marquis de
Bayanne, qui, à l'époque où Lachesnaye-Desbois imprimait son
_Dictionnaire de la Noblesse_, étaient visitandines à Grenoble. Elle
était assez avancée en âge au temps de Murat, puisque sa naissance
remontait à l'année 1741, comme on peut le voir par son acte de baptême,
que je dois à M. Lacroix, archiviste départemental de la Drôme: «L'an
1741 et le 2e janvier a été baptisée Geneviève-Eulalie, fille naturelle
et légitime de Mre Louis de Lathier de Bayane, seigneur d'Oursinas et
autres places, et de dame Catherine de Sibeud de Saint-Ferréol, ses père
et mère. Le parrain a été M. François Blancher, soubsigné, et la
marraine a été Mlle Marguerite Bonal, aussi soubsignée.» Signé: Bayane,
François Blanchet, Marguerite Bonnard, le chevalier de Bayane, Victoire
de Bayane, Duperon de Ravel, Trévy curé[221]. Mme Eulalie de Bayanne
avait sans doute passé en Italie à la suite de son parent, le duc
Alphonse-Hubert Lathier de Bayanne, auditeur de Rote en 1777, plus tard
cardinal, qui mourra le 6 avril 1813. Revenons à la notice de M.
Croce.--Les autres sœurs et les professeurs du couvent furent (à en
juger d'après les noms rencontrés par M. Croce, qui n'a point trouvé
l'état complet du personnel) des natifs de l'Italie et même de Naples.

Le 27 février 1811, Murat approuva le règlement de l'institution; le 24
septembre de la même année, il mit à la charge de la municipalité de
Naples l'entretien de l'édifice, la dépense de la chapelle,
l'acquittement de la contribution foncière, etc.

Dans la correspondance du ministère de l'intérieur avec Mme de Bayanne,
on trouve une lettre du ministre en date du 31 mars 1811, où il lui fait
connaître que la volonté de Sa Majesté est qu'on forme non des
religieuses, mais des femmes utiles à la société civile, et prend des
mesures pour être informé, chaque semaine, de l'enseignement distribué
dans la maison et des progrès de chaque élève[222]. Le 22 août 1811, un
décret interdit de recevoir pour élèves à San Marcellino les enfants de
plus de douze ans; le 29 août, la maison fut autorisée à acquérir des
biens. Le 24 janvier 1812, le gouvernement approuva un règlement pour
les examens des élèves de San Marcellino.

Tous ces documents proviennent encore du fascicule 714.

Pendant ce temps, un établissement particulier de Naples, celui de Mme
Rosalie Prota, dans l'ex-couvent de San Francesco delle Monache, avait
acquis une grande réputation. Il existait donc alors dans le royaume
trois établissements importants pour l'éducation des filles.

En 1813, la Maison Royale Caroline fut transférée d'Aversa à l'édifice
de Naples, appelé les Miracoli, en vertu d'un décret du 6 septembre de
cette année. Des décrets de ce même jour, du 13 janvier et du 17
novembre 1814, en accrurent encore les rentes. La reine Caroline
déployait, en effet, une grande sollicitude pour ce collège, aidée, dans
son œuvre intelligente, par le ministre Capecelatro, archevêque de
Tarente.

L'année 1815 ramena les Bourbons...

Le collège royal jouissait alors d'un revenu d'environ 40,000 ducats. La
direction et l'administration n'en relevaient d'aucun ministère[223],
parce qu'il était uniquement et directement gouverné par Caroline Murat;
Capecelatro, sous le titre de président, n'en réglait que la partie
morale. Un décret du 27 juin 1815 fit passer la maison sous la direction
du ministère de l'intérieur et en nomma président le prince de Luzzi,
dont un rapport, daté du 2 août suivant, constata que l'ordre et la
régularité qui y régnaient étaient absolument parfaits; le prince
proposait seulement l'adjonction d'un professeur de catéchisme, vu
l'importance suprême de cet enseignement...

Sans continuer l'histoire de ces établissements, nous nous en tiendrons
aux faits que voici:

En avril 1829, les visitandines quittèrent volontairement Naples, et
l'établissement de Mme Prota fut transporté au couvent de San Marcellino
qu'elles laissaient, et fondu avec leur collège.

La même année, la reine Isabelle de Bourbon, femme du roi François Ier,
prit la direction des deux maisons, des Miracoli et de San Marcellino,
qui reçurent respectivement les noms de _Primo_ et_ Secondo educandato
Regio Isabella di Borbone_; toute la différence entre les deux
établissements était dans la classe sociale à laquelle appartenaient les
élèves; la discipline et l'instruction étaient les mêmes dans l'un et
dans l'autre. Le premier, qui comprenait les enfants des familles les
plus relevées, comptait deux cents places gratuites; le deuxième en
comptait cent quatre; les autres places des deux collèges étaient
payantes. La reine nommait aux places gratuites. Le programme des études
et le règlement se trouvent dans l'ouvrage intitulé: _Napoli e luoghi
celebri delle sue vicinanze_ (Naples, 1845, 2e volume, p. 45-51)[224].

Après 1860, la distinction de naissance établie entre les élèves des
deux collèges a été supprimée. Un statut organique commun aux deux
maisons a été promulgué le 12 septembre 1861, puis modifié le 13 février
1868 et le 3 octobre 1875. La maison des Miracoli porte le nom de
_Collegio Principessa Maria Clotilde_; celle de San Marcellino s'appelle
_Collegio Regina Maria Pia_.

Pendant l'impression de ce volume, le hasard m'a fait connaître un
opuscule qui prouve une fois de plus l'estime dont jouissaient nos
collèges, et qui m'apprend en outre que Mme Prota, elle aussi, était
notre compatriote. C'est une brochure intitulée: _De la musique à
Naples, surtout parmi les femmes_. L'auteur en est la comtesse Cecilia
De Luna Folliero, qui a composé également des poésies et un livre
intitulé: _Moyens de faire contribuer les femmes à la félicité publique
et à leur bien-être individuel_. Ce dernier ouvrage a été traduit en
français, et le traducteur a réimprimé à la suite le susdit opuscule,
qui avait été composé et publié une première fois à Paris en 1826. Mme
De Luna Folliero reconnaît aux Napolitaines les plus heureuses
dispositions pour la musique, mais se plaint que trop souvent à Naples
les dames du monde, qui prétendent rivaliser pour les fredons avec les
chanteuses d'opéra, ignorent le premier mot de la musique vocale et
instrumentale. (Rappelons qu'un autre écrivain des Deux-Siciles, Ant.
Scoppa, avait soutenu que les connaissances musicales étaient moins
répandues dans sa patrie qu'à Paris.) Mais Mme De Luna Folliero termine
en exprimant l'espoir que l'éducation des napolitaines sera par la suite
moins négligée: «Déjà deux excellents établissements d'instruction
publique ont donné à Naples des jeunes personnes remplies de vertus,
d'esprit et de talents, dont l'heureux caractère empreint de cette
aimable franchise, de cette piquante vivacité qui caractérisent les
Napolitaines, leur fait soutenir sans crainte la comparaison avec les
femmes les plus distinguées de l'Europe. En un mot, elles ont tout ce
qu'il faut pour être des musiciennes parfaites, et font, par le double
charme de leurs vertus et de leur talent distingué, les délices et la
gloire d'un des plus beaux pays de la terre.» En note, elle désigne ces
deux établissements, celui des Miracoli et celui de Mme Prota: «Qu'il
soit permis à ma reconnaissance,» dit elle à propos de cette dernière,
«de rendre ici un hommage public au noble caractère et aux rares
qualités de cette dame aussi vertueuse que spirituelle. Née en France,
elle a transporté à Naples avec elle ses vertus, ainsi que les talents
qu'elle y avait acquis. Là, ses lumières l'ayant mise à même d'être à la
tête d'une grande maison d'éducation, son exquise sensibilité a fait de
cet établissement respectable le centre du bonheur pour les jeunes
demoiselles qui y sont élevées, et qui trouvent en elle une mère tendre
et éclairée. Cette digne Française, honneur de son sexe et de sa patrie,
a voulu en mon absence me remplacer à Naples auprès de mes filles, qui,
grâce à ses bontés, vont recevoir dans son institut une richesse qui
n'est point sujette aux revers de la fortune, une excellente éducation.»
Une des filles de Mme De Luna Folliero, Mme Aurelia Folliero, est en
effet devenue un écrivain distingué, et s'est notamment occupée de
l'éducation de la femme italienne, comme on peut voir dans un article de
la _Bibliografia femminile italiana_ (Venise, 1875), par M. Oscar Greco.


Pensionnat de jeunes filles de Lodi.

Voici la traduction de la notice que je dois à l'amabilité de M.
Agnelli, de Lodi.

La baronne Maria Hadfield Cosway fonda, en 1812, à Lodi, sous les
auspices de Franc. Melzi d'Eril, duc de Lodi, un pensionnat pour élever
les enfants de bonne condition dans les principes d'une saine morale et
faire d'elles à la fois de bonnes mères de famille et l'ornement de la
société.

À l'origine, le personnel se composait de maîtresses laïques sous la
direction de la fondatrice; mais l'instabilité de ce personnel se
prêtait mal à l'adoption d'une méthode fixe telle que la voulait Mme
Cosway. Cette dame, qui joignait à son talent de peintre la passion des
voyages, crut voir au cours d'une de ses excursions en Allemagne, en
visitant les maisons consacrées dans ce pays à l'éducation des jeunes
filles, que les meilleures étaient celles que dirigeait l'association
religieuse des Dames Anglaises. D'accord avec le gouvernement, elle en
appela quelques membres à Lodi pour son collège.

Dès lors, on nomma indifféremment cette maison Institut Cosway ou des
Dames Anglaises, et son existence légale fut constatée à l'occasion des
dispositions testamentaires de la fondatrice et sanctionnée dans un acte
du 7 juin 1833 par les soins de Me Giuseppe Carminali, notaire à Lodi.

Le zèle des Dames Anglaises, dont Mme Cosway n'eut jamais qu'à se louer,
le patronage de la municipalité de Lodi, ont maintenu la prospérité du
collège, qui est aujourd'hui en grande partie peuplé de filles et de
petites-filles d'anciennes élèves de la maison.

Le patrimoine du collège est, aux termes du testament de la directrice,
administré par une commission de cinq personnes; le revenu en est
administré par les Dames Anglaises. L'édifice est grandiose, bien
approprié à l'objet, et comprend: chapelle, vastes dortoirs,
réfectoires, salles pour les séances publiques, classes, bains et
cabinets de douches, bibliothèque, cabinet de physique, d'histoire
naturelle, gymnase, cours spacieuses, jardins, le tout bien aéré et
salubre.

L'instruction est donnée par des institutrices italiennes pourvues des
diplômes de l'enseignement élémentaire et supérieur; on suit les
programmes officiels. Pour les langues française, anglaise, allemande,
il y a des institutrices appelées des maisons que la Congrégation
possède à l'étranger. Des maîtresses du dehors viennent donner les
leçons de musique, de dessin et de danse.

Le nombre des élèves varie de 70 à 90[225]; le prix de la pension est de
800 francs, non comprises les leçons de musique et de dessin, qui se
payent à part.

L'instruction se donne en cinq classes divisées chacune en deux
sections. Les trois premières embrassent l'enseignement élémentaire; la
quatrième prépare à l'instruction supérieure, qui s'achève en trois
années, c'est-à-dire dans la cinquième classe et dans deux cours de
perfectionnement. Puis, les élèves, quand elles le désirent, sont
admises au concours pour la patente normale supérieure qui a lieu dans
un établissement public. Le collège a figuré avec honneur dans ces
concours durant les années 1880 et suivantes.

Les jeunes filles sortent d'ordinaire une fois par mois pour aller dans
leurs familles, où elles passent de plus, tous les ans, les quinze
premiers jours d'octobre; le reste des vacances s'écoule pour elles à la
maison de campagne du collège, sur les hauteurs de San Colombano.

Un règlement intérieur détermine tous les détails d'administration,
d'instruction et d'éducation.

La notice de M. Agnelli se termine par deux citations. La première est
extraite du journal _La Donna_, dirigé par M. Vespucci: «Je n'hésite pas
à affirmer que le collège Cosway, de Lodi, est un des meilleurs de
l'Italie et qu'il se place dans le petit nombre de ceux qui peuvent
soutenir la comparaison avec les plus renommés de l'étranger» (Numéro 15
de la Ve année, 22 juillet 1879). L'autre citation est extraite du
dernier livre de Bonfadini: «Parmi les réformes pédagogiques dont
Francesco Melzi caressait l'idée, il faut mettre en première ligne
l'intérêt croissant qu'il porta aux nouvelles méthodes anglaises
d'instruction et d'éducation[226]. Ce fut lui qui, en 1812, acheta, à un
certain Luigi Piccaluga, l'ancien couvent de Santa Maria delle Grazie,
de Lodi, pour y installer un de ces établissements, qui acquit, par la
suite, tant de réputation sous le nom de Maison des Dames Anglaises. Ses
héritiers et successeurs continuèrent et parachevèrent ses intentions,
et, en 1833, le duc Giovanni Francesco céda, par acte notarié, à Mme
Maria Cosway, représentée par don Palamede Carpani, alors conseiller
inspecteur des écoles élémentaires, tout l'édifice de Lodi, où le
pensionnat a, depuis lors, siégé et fait honneur aux principes sur
lesquels il repose.

À cette notice, pour laquelle je renouvelle ici mes remerciements à M.
Agnelli, j'ajouterai seulement que, à juger de Maria Cosway par
l'article que le _Dictionary of national Biography_ de M. Leslie Stephen
lui consacre, on prendrait une idée un peu moins favorable, non pas
certes de son zèle ou de son intelligence, mais de sa gravité; cette
femme de peintre, peintre elle-même, qui, entre deux accès de vocation
religieuse, parcourt, à ce qu'il semble, l'Italie en compagnie d'un
ténor italien (à la vérité sexagénaire et castrat), paraît moins bien
préparée à la direction d'un pensionnat que Mme de Lort et Mme de
Bayanne. Mais enfin, en lui conseillant de fonder un pensionnat, le
cardinal Fesch avait sans doute trouvé le moyen de la fixer, puisque
Melzi d'Eril se félicita de l'avoir encouragée. L'oncle de Napoléon
aurait même voulu l'attacher à la France, car c'est à Lyon, d'après son
biographe, l'abbé Lyonnet, qu'il aurait voulu lui confier une maison
d'éducation[227].



APPENDICE B.

Projet de Napoléon Ier de fonder dans toutes les capitales de l'Europe
un lycée français.--Professeurs français et professeurs de français en
Italie, sous Napoléon Ier.


Pendant l'impression de ce volume, M. Caussade, l'aimable érudit de la
Bibliothèque mazarine, m'a fait une communication fort intéressante. Il
m'a raconté qu'au cours des travaux de la commission qui, sous l'Empire,
publiait la correspondance de Napoléon Ier, un membre de la famille
impériale, ayant pris l'habitude d'anéantir les documents dont la
divulgation lui aurait déplu, feu le docteur Bégin, un des membres de la
commission, eut l'idée de copier une partie des papiers qu'il classait.
Toutefois, ne voulant pas encourir l'accusation d'abus de confiance, il
cacha ses copies dans un coin de la Bibliothèque du Louvre, remettant
au hasard le soin de les faire retrouver un jour et au temps celui de
dissiper les scrupules qui en dictaient alors la suppression. Les
incendiaires de 1871 firent, sans le savoir, aux parents de l'Empereur,
le plaisir de les protéger contre l'indiscrétion de l'avenir. Or, parmi
les copies du Dr Bégin, brûlées avec la Bibliothèque du Louvre, il ne se
trouvait pas seulement des lettres, mais une foule de plans que Napoléon
jetait sur le papier, dans ses heures de loisir et qu'il se réservait
d'exécuter plus tard; et, parmi ces plans, se rencontrait celui
d'établir dans toutes les capitales de l'Europe un lycée français, pour
répandre dans tous les pays civilisés notre langue et notre littérature.
N'est-il pas curieux de voir Napoléon rêver longtemps à l'avance l'œuvre
de l'Alliance française? Je remercie donc vivement M. Caussade, qui
tient ces détails de M. Bégin, de m'avoir fourni une nouvelle preuve de
l'importance que l'Empereur attachait à la collaboration de
l'Université.

Il faut cependant reconnaître que Napoléon aurait fort malaisément
appliqué son vaste dessein. La preuve en est dans la peine qu'il eut à
recruter le corps enseignant pour la France même et dans la lenteur que
le prince Eugène et lui furent obligés de mettre à la nomination des
professeurs dont nous rassemblerons ici les noms.

À part Silvio Pellico, qui enseigna le français à l'orphelinat militaire
de Milan, à partir de 1810, les noms à citer sont bien obscurs;
toutefois on ne jugera peut-être pas que ce soit trop d'accorder une
ligne de souvenir à des hommes qui ont travaillé à la propagation de
notre langue.

Dans les Universités impériales, on trouve comme professeurs de
littérature française à Turin Gabriel Dépéret, à Gênes Marré, à Pise P.
d'Hesmivy d'Auribeau. Dépéret était membre de l'Académie de Turin, pour
la classe des sciences morales, de la littérature et des beaux-arts. Il
a inséré dans les _Mémoires_ de cette classe des _Recherches
philosophiques sur le langage des sons inarticulés_ (tome Ier, 1803),
des _Réflexions sur les divers systèmes de versification_ (tome II,
1805), et une dissertation intitulée: _Principe de l'harmonie des
langues, de leur influence sur le chant et la déclamation_ (tome III,
1809). Sur les nombreux écrits d'Auribeau, on peut consulter la _France
littéraire_ de Quérard et la _Biographie des hommes vivants_ (Paris.
Michaud, 1816-1819, 5 volumes). D'après les recherches que M. Ach. Neri,
bibliothécaire de l'université de Gênes, a bien voulu faire, à la prière
de M. le professeur Franc. Novati, Marré a laissé quelques écrits,
notamment celui-ci: _Vera idea delle tragedie di Vitt. Alfieri_; et le
_Giornale degli studiosi_ lui a consacré une notice en 1869. Je n'ai pu
me procurer cette notice. Ce Marré était sans doute le même que Gaet.
Marré, qui, professeur de droit commercial à l'université de Gênes en
1821, publia cette année-là à Milan une dissertation intitulée _Sul
merito tragico di Vitt. Alfieri_ composée pour un concours ouvert, en
1818, par l'Académie de Berlin, et destinée à défendre le poète d'Asti
contre les critiques de Schlegel.

On voit dans le discours de P. d'Auribeau auquel nous avons fait des
emprunts, que, dans sa chaire de l'Université de Pise, il unissait,
comme il pouvait, l'enseignement de notre langue et celui de notre
littérature; il y dit qu'il commencera par examiner ce que ses élèves
savent de français, qu'il divisera d'abord ses leçons entre la grammaire
et la littérature, que ses élèves lui en rendront compte sous forme de
lettres; dans une note de la page 25, il se loue du soin et du succès
avec lesquels ils pratiquent cet exercice; quelques-uns traduisent en
vers italiens ou latins les vers français qu'il leur cite; à la page 3
d'un avis aux élèves, placé à la fin, on voit que la leçon durait une
heure et demie, dont une demi-heure employée à la revision de la leçon
précédente et à des exercices de prononciation et de grammaire, puis le
cours de littérature commençait.

Voici les noms des professeurs de français dans les lycées du prince
Eugène:

Udine, Ant. Orioli; Capo d'Istria, Vincenzo Rebuffi; Bellune, Ant.
Ochofer, Trévise, Giov. Zucconi ou Souchon, prêtre; Vicence, Giov.
Domen. de Majenza[228]; Reggio d'Emilie, Tonelli[229]; Ferrare, Franc.
Guazagni, ex-comptable de la Compagnie de Jésus; Fermo, Arcang. Corelli,
de Faenza[230]; Crémone, Pierre Prégilot; Brescia, Jérôme Borgne;
Modène, Maselli; Côme, Carlo Bonoli; Cesena, Baldass. Gessi[231];
Trente, Agost. Lutterati; Vicence, Emanuele N. fre (ces abréviations
indiquent peut-être qu'il s'agit d'un religieux)[232].

Pour les lycées des pays annexés à la France, on trouve à Gênes,
Berthon, qui, d'après M. Neri, devait être un religieux; à Casal,
Pachoud; à Parme, Reynaud. Ce Reynaud était probablement le Français de
ce nom qui dirigeait le collège des nobles, au moment où le fougueux
préfet du Taro y faisait régner, aux risques et périls de la maison,
l'esprit dont nous avons parlé. C'était peut-être aussi le conseiller de
préfecture qui, dans ce département, est appelé du même nom.

Nous avons dit qu'Aimé Guillon était professeur de français à l'école
des pages du vice-roi. Si, comme le dit la _Biographie_ précitée des
_Hommes vivants_, il faut lui attribuer dans le _Giornale italiano_, non
seulement les articles signés _Guill._, mais les articles signés _O.
N._, ce serait probablement lui qui se serait attiré, par un article de
cette biographie, la réplique de Ludovico di Breme.

Je dois à l'amitié de M. le professeur Morsolin, de Vicence, quelques
documents qui montrent les difficultés que le gouvernement rencontra
dans le recrutement du personnel. On trouve dans les archives du lycée
de Vicence une lettre du proviseur qui avertit que le jour de la rentrée
de 1809, Majenza ne s'est pas trouvé à son poste, non plus que le
suppléant qu'il a fallu lui donner l'année précédente pendant la plus
grande partie de laquelle Majenza a été absent; il prie donc le préfet
de faire cesser ce désordre; le préfet répond que, le directeur général
de l'Instruction publique ayant accordé à ce professeur un congé
jusqu'au 18 décembre, avec obligation de se faire suppléer à ses frais,
le proviseur est invité à trouver un suppléant capable. Le proviseur
réplique le lendemain qu'il s'étonne que le professeur de français,
après avoir si mal répondu l'année précédente au choix qu'on avait fait
de lui, ait eu le courage de solliciter encore un suppléant; que, si M.
Majenza continue, le nombre des élèves, déjà tombé de cinquante à cinq,
tombera à néant. Il n'en fallut pas moins chercher un suppléant, et
Majenza continua à ne plus se montrer.

M. Morsolin m'a procuré deux autres communications, l'une de M. Vinc.
Joppi, bibliothécaire à Udine, qui m'apprend qu'un programme de ce Lycée
du 31 mars 1808 porte, comme grammaire française, la grammaire de
Goudar, précisément celle que, le 8 mai 1809, le _Giornale italiano_
déclarera mauvaise[233]; l'autre de M. Pellegrini, bibliothécaire du
_Museo civico_ de Bellune sur Ochofer, qui eut l'honneur d'avoir pour
beau-frère le naturaliste Tommaso Catullo, mais le malheur d'appartenir
à une famille où tout le monde était fou, ses frères, sa sœur et lui; un
de ses frères se jeta dans la Piave, et lui-même se coupa la gorge en
1820.

On pourrait presque compter comme un Français Ferri di San Costante, ce
recteur provisoire de l'Académie universitaire de Rome, qui n'eut sans
doute pas en cette qualité des occupations bien pénibles, car il
constituait son Académie à lui tout seul. Il n'avait nullement renié
l'Italie, puisqu'il écrivait dans la Gazette de Gênes contre les
déprédations commises par les Français aux dépens de cette ville; mais
il s'était certainement pénétré de notre esprit, puisqu'il s'était
établi de bonne heure chez nous, avait rempli la fonction de secrétaire
auprès de nos ambassadeurs en Hollande, puis, après avoir quitté la
France pendant la Révolution, avait été quatre ans proviseur du Lycée
d'Angers (Voir sur lui Quérard, la _France littéraire_; la Nouvelle
Biographie Générale; le quarantième volume de l'_Antologia_ de
Vieusseux, année 1830, page 203 et suiv. La même Revue apprécie dans
son quatorzième volume un de ses ouvrages, _Lo Spettatore_, où Ferri
examine les moralistes des divers pays et donne de petites dissertations
morales dans le goût de J.-J. Rousseau; cet ouvrage est à la
Bibliothèque nationale. S'il faut en croire le Dictionnaire de Larousse,
San Costante n'était que la traduction du nom de sa femme qu'il avait
ajouté au sien. Ces derniers documents m'ont été signalés par M. Luigi
Ferri, qui a bien voulu rechercher pour moi la trace de cet ancien
recteur).

Le décret qui établissait le concours pour toutes les chaires de
facultés ou de lycées est du 17 juillet 1807; les professeurs de
français y étaient soumis comme les autres (Voir le _Giornale italiano_
du 21 juillet 1807).

Dans l'enseignement libre, parmi les cours de français, nous citerons
les suivants: Charles Rouy, après avoir fait quelque bruit à Milan par
des leçons d'astronomie en 1809, annonça le 4 janvier de l'année
suivante dans le _Giornale italiano_, la fondation d'une école
secondaire française et italienne dans cette ville, rue du Gesù, n°
1285. La Bibliothèque Brera, à Milan, a de lui un _Saggio di cosmografia
e descrizione del mecccanismo_, Milan, Pirotta, 1812, in-8.--Le 3
septembre 1809, Bern. Rossi annonça dans la même feuille des cours
d'anglais, d'allemand, de français, d'italien qu'il ouvrait à Milan, rue
de la Passarella, n° 517.--Le 26 septembre 1809, G. B. Scagliotti fit
connaître par la même voie qu'il allait ouvrir, rue de la Marine, n°
1139, une triple école, 1° pour ceux qui ont les organes en bon état, 2°
pour les sourds-muets; 3° pour les aveugles; que de plus il ferait pour
les adultes des cours de psychologie et de grammaire philosophique; que
par là il mettrait en état de comprendre non seulement les auteurs
italiens, latins ou français, mais les anglais, etc.!

Nommons, en terminant, deux hommes qui firent aussi connaître la France
en Italie: Ant. Eyraud, qui mérita, par ses leçons aux sourds-muets les
éloges de Lodovico di Breme, aumônier du vice-roi et fils du
prédécesseur de Vaccari au ministère de l'intérieur, et Louis Dumolard,
qui ouvrit à Milan, derrière le _Coperto dei Figini_, près du café
Mazza, un cabinet de lecture, fort bien fourni, pour les livres
français (_Giornale italiano_ du 26 juillet 1808).



APPENDICE C.

Le personnel français au collège des jeunes filles de Milan.--La
comtesse de Lort.--Mme de Fitte de Soucy.--Institutrices et professeurs
de français.


LA COMTESSE DE LORT.

La Chesnaye-Desbois, dans son Dictionnaire de la Noblesse indique deux
familles nobles de ce nom: l'une dont il écrit le nom en deux mots et
qui était du bas Languedoc, l'autre dont il écrit le nom en un seul mot
et qui était de Guyenne; c'est sans doute à cette dernière
qu'appartenait la première Directrice du collège de Milan, non par la
raison insignifiante que ses contemporains écrivent tous son nom en un
seul mot, d'autant qu'elle même l'écrivait en deux, mais parce que La
Chesnaye dit que quelques membres de cette deuxième famille s'étaient
transportés en Lorraine. En effet, La Folie, dans le catalogue placé en
tête de son histoire pseudonyme de l'administration du royaume d'Italie,
nous apprend que Mme de Lort avait été chanoinesse; or, en 1785, parmi
les _dames nièces_ du chapitre de Bouxières-aux-Dames, abbaye située à 8
kilomètres de Nancy, où l'on ne pouvait être admis qu'en prouvant seize
quartiers de noblesse suivant les uns, neuf quartiers de chaque côté
suivant les autres, on trouve une dame de Lort et une dame de
Montesquiou[234]; et d'autre part, La Chesnaye nous dit qu'un arrêt qui
établissait la noblesse purement militaire de la famille Delort de
Guyenne, et que la Chambre des Comptes de Lorraine enregistra le 21 mars
1764, permit l'entrée de Mlle de Montesquiou, fille du chevalier
Delort, commandant de la ville, et de la citadelle de Nancy, au chapitre
de Bouxières. Ce chevalier et cette dame de Montesquiou sont évidemment
parents de Caroline de Lort: reste à savoir à quel degré, ce que
j'ignore.

En 1785, un membre de la même famille, De Lort de Saint-Victor, était
membre du chapitre noble de la cathédrale de Nancy; à la même époque, un
baron de Lort figurait parmi les Commandeurs de Saint-Louis pour le
service de Terre; sa promotion remontait au 1er septembre 1766. (_La
France chevaler. et chapitr._)

Je dois dire que M. Duvernoy, archiviste paléographe de
Meurthe-et-Moselle, qui a bien voulu, à la prière de M. l'inspecteur
général Debidour, consulter en ma faveur les archives et la bibliothèque
de Nancy, m'avertit que d'après une liste des dames qui composaient le
chapitre de Bouxières au moment où ce chapitre fut supprimé[235], Mme De
Lort avait pour prénoms Marie-Rose, que sa parente y est appelée
Marie-Thérèse-Agnès-Angélique De Lort-Montesquiou, et que ni l'une ni
l'autre ne porte le prénom de Caroline, invariablement attribué à la
Directrice du Collège de Milan. Mais l'assertion positive de La Folie
que notre Directrice avait été chanoinesse, l'uniformité avec laquelle
elle est appelée comtesse, me semblent exiger qu'on la reconnaisse dans
une des deux Dames du chapitre de Bouxières et qu'on admette qu'après la
Révolution elle aura pour une raison ou pour une autre signé avec un
autre prénom.

Je dois également à M. Duvernoy le début de la lettre patente précitée:
«Vu par la Chambre la requête à elle présentée par le Sr Maximilien De
Lort, chevalier, seigneur de Montesquiou-Levantès, commandeur des villes
et citadelle de Nancy, la dame Elisabeth-Agnès De Lort de Saint-Victor,
son épouse, et le sieur Ch. Frédéric De Lort de Saint-Victor, brigadier
des armées du Roi Très Chrétien, son lieutenant au Gouvernement de
Strasbourg, chevalier seigneur de Tanviller, Saint-Maurice et
Saint-Pierrebois, expositive que, étant originaires de Guyenne et du
pays de Comminges, mais se trouvant établis en Lorraine... (Registre des
arrêts d'entérinement de 1764; coté B. 258 aux Archives de
Meurthe-et-Moselle, pièce n°11).

D'après les registres de la paroisse Notre-Dame de Nancy, Maximilien De
Lort était mort le 6 décembre 1777, à l'âge de soixante-dix-sept ans
(Henri Lepage, _Archives de Nancy_, Nancy, Wiener, 1865, p. 372 du IIIe
vol.)


Mme DE FITTE DE SOUCY.

Une dame de Soucy est comprise, ainsi que la veuve de Bernardin de
Saint-Pierre, parmi les dames dignitaires de Saint-Denis, dont Louis
XVIII approuva la nomination le 26 mars 1816 (p. 400 de l'_Histoire de
la Légion d'Honneur_ par Saint-Maurice, Paris, Dénain, 1833) et portée
comme trésorière cette année-là et l'année suivante dans l'Almanach
Royal, d'où elle disparaît en 1818; c'est sans doute l'ancienne
Maîtresse du collège de Milan.


INSTITUTRICES ET PROFESSEURS DE FRANÇAIS.

Outre les dames citées au cours de notre étude[236], nous nommerons Mme
Rollin, qui se trouvait en fonctions depuis environ deux ans lors de
l'entrée des Autrichiens, et qui est indiquée comme Parisienne, ainsi
que Mme Dehuitmuid, dans le tableau du personnel rédigé en cette
occasion; vers la fin de 1815, rappelée chez elle pour des affaires de
famille, elle donna sa démission.

Mme Joséphine De Laulnes ou Delaunes, qui figure dans le tableau du
personnel de 1815.

Mme Gabrielle Rendu, fille d'un propriétaire de Gex, qui avait
vingt-quatre ans, lorsqu'elle remplaça la précédente; toutefois, dans
le tableau du personnel de 1822, on la fait naître à Mégrin-Genève.

Mme Maire, de Besançon, qui entra au collège, le 9 avril 1827, à
trente-neuf ans, après avoir été dans l'établissement de Mme Lille (ou
Lilla) Viala, et en sortit le 30 avril 1830.

Mme Negrotti, née à Marseille, était d'une famille gênoise; Mmes
Paccoret, Laracine, Tisserand, institutrices au collège, à l'époque de
la Restauration, étaient toutes trois de Chambéry; Mme Antoinette-Jeanne
Berthollet, entrée le 19 avril 1831, était de Carouge, près Genève.
J'ignore si Mme de l'Orne et Mme Luayon étaient des Françaises de
France.

Garcin (J.-B. ou plutôt Balthazar) professeur de français au collège
depuis l'origine, prit sa retraite en 1830. Le Rapport dans lequel on
l'avait proposé pour cette place, lui attribuait la qualité de prêtre,
de professeur de français au collège de Porta Nuova à Milan et l'âge
d'environ quarante-cinq ans. Il eut pour successeur Salvatore Torretti,
de Gênes, qui avait étudié à Paris, et qui, en 1830, avait
cinquante-deux ans; Torretti employa dans son cours une grammaire de sa
composition (Voir sur toutes ces personnes, les divers cartons relatifs
au collège des jeunes filles de Milan, dans les Archives de l'État de
cette ville).



APPENDICE D.

Élèves et professeurs italiens au collège de Sorèze pendant la
Révolution et l'Empire.


Le général baron de Marbot a résumé dans ses Mémoires[237] l'histoire du
collège de Sorèze, une des quatre maisons bénédictines où l'on avait
entrepris de prouver que la suppression des jésuites ne privait pas
irrévocablement le monde de maîtres habiles; les élèves y affluèrent
bientôt, et l'on vit même beaucoup d'étrangers, surtout des Anglais, des
Espagnols, des Américains, s'établir à Sorèze pour la durée des études
de leurs enfants. Pendant la Révolution, à la vente des biens du
clergé, le Principal, dom Ferlus, se porta acquéreur du collège et tout
le pays lui facilita le payement. La maison comptait alors, s'il faut en
croire le général, sept cents élèves; ce chiffre surprend un peu,
d'autant qu'à une époque bien plus favorable, en 1802, le collège
comptait seulement, d'après une brochure publiée cette année-là, le
nombre déjà respectable de trois ou quatre cents écoliers. Il fallut
seulement que le Principal feignant de s'accommoder aux idées du moment,
tolérât chez les élèves une tenue passablement négligée, et déployât
toutes les ressources de son esprit pour apprivoiser les représentants
en mission, dont au reste il fit ce qu'il voulut.

Un peu après le temps où s'arrête, pour ce collège, le récit du général,
la réaction sanglante qui accompagna en Italie la destruction des
républiques fondées par la France, obligea de nombreux patriotes à
chercher un refuge dans notre pays. Deux Italiens, qui ont laissé un nom
dans la littérature, Urbano Lampredi et Filippo Pananti professèrent
alors à Sorèze, après avoir lutté pour les idées nouvelles, l'un à Rome,
l'autre en Toscane. Mais, parmi leurs élèves, se trouvaient beaucoup de
leurs compatriotes dont plus d'un appartenait à des familles mêlées aux
événements récents. Les Génois surtout connaissaient déjà le chemin de
Sorèze; car une partie des jeunes gens qui, avant l'occupation de Gênes
par les Français avaient essayé de renverser dans leur patrie le
gouvernement aristocratique, sortaient de ce collège. Ce piquant détail
d'une maison de bénédictins formant et recueillant des républicains
italiens a échappé à l'auteur du Voyage à Sorèze (Dax. 1802), J.-B.
Lalanne, et à celui de la Notice Historique de l'Ecole de Sorèze, Dardé.
Voilà pourquoi nous donnerons le tableau suivant que le Père Louis Selva
a bien voulu, avec la permission de M. le Directeur du collège, rédiger
pour moi. Nous rangerons les élèves italiens d'après l'année de leur
entrée au collège de Sorèze.

Ant. Greppi, de Milan (Probablement de la famille d'un des rédacteurs de
la Constitution de la Cisalpine en 1797), entré en l'an VIII.

Léon. Bensa, de Gênes ou de Porto Maurizio[238], probablement de la
famille du personnage du même nom qui a travaillé à la Constitution de
la République Ligurienne; Gianpietro et Giuseppe Franco, de Gênes;
Luigi, Giulio, Orazio, Galeas Calepio, de Bergame; Visconti, de Milan,
parent peut-être de Franc. Visconti qui a fait partie du gouvernement de
la Cisalpine; Giov. Carlo Bataglini, de Nice, entrés en l'an IX.

Giovanni et Ridolfo Castinella, de Pise (Ce sont évidemment les fils de
Castinelli, chef des démocrates de Pise, dont M. Tribolati nous apprend
que les fils vinrent étudier à Sorèze, à la suite des troubles de la
Toscane. _Saggi critici e biografici_, Pise, Sproni, 1891, p. 260, n.
1), entrés en l'an X.

Angelo Campana, de Turin (dont le père servit avec honneur comme général
dans les armées de Napoléon Ier); Franc. Guide, de Nice; Gius. Avogrado
(sans doute, pour Avogadro), de Turin, de la famille de Pietro Avogadro,
comte de Valdengo et Formigliana et membre du gouvernement provisoire
que le Directoire avait institué en Piémont[239]; Auguste Sibille, de
Nice; G. B. Bobone, de San Remo ou de Gênes; G. B. et Luca Podestà, de
Gênes; Luigi Littardi, de Gênes, probablement de la famille de Nicoló
Littardi, membre du Directoire de la République Ligurienne; Bartolomeo,
Luigi et Enrico Boccardi, de Gênes; Giuseppe Franchetti, de Final,
entrés en l'an XI[240].

Carlo Alessandro Camilla, de Turin; Francesco Gioan, de Nice, entrés en
l'an XII.

Cesare Rufli, Ant. Feraudi, Charles Bades, Lorenzo Gioan, tous quatre de
Nice; Em. Orosco, de Milan, entrés en l'an XIII.

Bartol. Pontio, de Gênes; Giov. Freppa, de Livourne; Luigi Grillo, de
Moneglia; Bartol. Costa, de Gênes, de la famille de Paolo Costa, qui fut
membre du gouvernement de la République Ligurienne, entrés en 1807.

Alexandre Roux, de Livourne, entré en 1808;

Luigi Viala, de Ferrare, entré en 1812.

À ces noms j'ajouterai ceux des enfants de Lavilla qui étudiaient à
Sorèze en 1803, tandis que leur père et le beau-frère de celui-ci,
Saint-Martin La Mothe, administraient des départements italiens (Préface
du livre de Denina, _Dell'uso della lingua francese_... Berlin, 1803).

Les nominations obtenues par les élèves italiens pendant ces années (les
registres du collège ne mentionnent pas d'italiens pour les années 1813
et 1814) prouvent qu'ils y firent très bonne figure, surtout les
Castinella. Sans les transcrire, notons les titres des cours qu'on
suivait au collège; on ne sera pas surpris d'apprendre qu'on enseignait
à Sorèze, le latin, l'histoire, la géographie, la mythologie,
l'éloquence, l'idéologie, la littérature, la géométrie, la physique,
l'histoire naturelle, les langues vivantes; celles-ci avaient été dès
l'origine cultivées dans le collège; M. Liard a rappelé que dom Ferlus a
proposé un plan pour la réforme des Universités où figure l'étude de
l'anglais et de l'allemand avec obligation aux candidats aux examens de
Droit de connaître cette dernière langue; mais on s'attendait moins à
des prix de statistique, de fortifications, de poésie dramatique,
d'apologue, de poésie pastorale, de poésie lyrique, épique, didactique,
de déclamation théâtrale.

Pananti, qualifié de citoyen d'abord, de monsieur ensuite, est porté
sur les registres comme professeur d'italien, en l'an VIII, en l'an IX,
en l'an X[241]; Lampredi, comme professeur de métaphysique et de
physique générale, en l'an X; comme professeur de physique générale, de
latin et de grec, en l'an XII; comme professeur de physique générale, de
calcul différentiel et intégral en l'an XIII. Une telle variété
d'attributions préparait ce dernier à mériter l'éloge que lui donne
Lodovico di Breme (_Grand Commentaire sur un Petit Article_) quand il
dit que lui et Carpani, professeurs à l'Ecole des Pages, le premier pour
les mathématiques, le deuxième pour l'histoire, tempéraient heureusement
l'instruction trop scientifique qu'on y donnait par les digressions
qu'ils faisaient, l'un dans la théorie fondamentale du raisonnement,
l'autre dans ses applications morales et politiques. D'après la Nouvelle
Biographie Générale, Lampredi ne quitta Sorèze qu'en 1807.

Un de leurs collègues français de Sorèze, Cavaille, qui y enseigna de
1795 jusqu'à 1825, où ses opinions libérales lui firent perdre sa place,
traduisit en vers Virginie, Saül et Myrrha, d'Alfieri; et, sans une
cabale, Talma, dit-on, eût fait jouer ces traductions au
Théâtre-Français. (Magloire Raynal, 1er volume de _Bibliographies et
Chroniques Castraises_. Castres, 1833-7, 4 volumes.)



APPENDICE E.

Cours d'italien à Lyon sous Napoléon Ier.


Aux indications données dans cette étude j'ajouterai ce qui suit: dans
le _Giornale Italiano_ du 15 juin 1812, Raymond annonce que l'Ecole de
Commerce de cette ville, située Coteau du Verbe-Incarné, n° 153,
enseignera, entre autres choses, l'italien et l'allemand. Dès avant la
Révolution, entre 1780 et 1790, sur treize maîtres de langues
étrangères, huit, dont six italiens, y enseignaient l'italien. Je dois
cette dernière particularité à une obligeante communication de M.
Bleton, membre de l'Académie de Lyon et secrétaire du palais des Arts,
que M. Bayet, recteur de l'Académie de Lille, avait interrogé pour moi.
L'italien était enseigné dans l'établissement fondé à Lyon par Esclozas
et loué dans un article du _Courrier_ du 25 juillet 1786.

J.-B. Say, dans le fragment de Mémoires publié par M. Léon Say dans les
_Débats_ du 8 juillet 1890, dit que, à neuf ans (par conséquent vers
1776), il fut mis dans la pension que venaient d'établir à une lieue de
Lyon, au village d'Ecully, l'abbé Gorati et le Napolitain Giro, qui fut
plus tard un des martyrs de la république parthénopéenne; que cette
école, où l'on appliquait des méthodes très incomplètement inspirées par
l'esprit philosophique, essuya des persécutions de la part de
l'archevêque de Lyon; que, au surplus, les deux chefs de la maison
étaient bons, dévoués à leurs élèves, et que, s'ils enseignaient fort
mal le latin, ils enseignaient assez bien l'italien.



APPENDICE F.

Ginguené.


La vie et les ouvrages de Ginguené offriraient une étude très
intéressante. D'une part, on y tracerait la triste et curieuse histoire
de ces hommes honnêtes mais prévenus qui se laissèrent maladroitement
entraîner à recommencer sous une autre forme la guerre que La Montagne
avait faite au christianisme, qui se crurent modérés parce que, à la
guillotine, ils substituèrent les tracasseries, les coups d’État sans
effusion de sang et la déportation, qui achevèrent de perdre, par leur
imprudence, la République qu'ils honoraient par leur désintéressement et
qu'ils eurent l'honneur de regretter toujours. D'autre part, on
comparerait les travaux de Ginguené sur la littérature italienne avec
ceux de Tiraboschi, de Quadrio, de Fontanini, de Corniani, etc.; on y
verrait l'esprit voltairien fausser quelquefois l'appréciation des
siècles, mais diriger l'érudition au profit du bon goût et de la science
véritable. Ginguené, dont la bibliothèque comprenait trois mille volumes
italiens, avait de bonne heure et profondément étudié la littérature de
nos voisins, mais il croyait qu'un érudit n'a fait qu'un tiers de sa
tâche quand il a recueilli des faits, et qu'il lui reste à en discerner
l'importance et à présenter d'une manière piquante ceux qui méritent
d'être conservés.

Parmi les articles de journaux écrits contre Ginguené, à l'époque où son
amour inquiet et intolérant pour la liberté s'exhalait dans son ouvrage
_de M. Necker et de son livre intitulé De la Révolution française_, nous
citerons la _Gazette française_ du 15 juillet 1797, qui commente le
frontispice du 32e numéro de l'_Accusateur public_, de Richer Sérisy, où
l'on voit _un petit homme comme Ginguené, chauve comme Ginguené, portant
des lunettes comme Ginguené_, qui reçoit une bourse d'un homme en
manteau de Directeur et bossu, c'est-à-dire de Larevellière-Lépeaux; le
lieu de la scène est le club de Salm; tous les membres aiguisent des
poignards; sur la figure de chacun d'eux, dit la _Gazette_, on peut
mettre le nom d'un coquin connu. (Voir une autre annonce de ce numéro de
l'_Accusateur public_, dans le _Courrier républicain_ du 15 juillet
1797. Le 30e numéro de l'_Accusateur public_ traite Necker aussi mal que
faisait Ginguené, au nom de principes différents.) Par contre, quand, au
lendemain du 18 fructidor, on planta un arbre de la liberté au club de
Salm, et que Benjamin Constant harangua, du haut d'une galerie,
l'assistance répandue dans le jardin, le directeur de l'instruction
publique, Ginguené, qui chante, en l'honneur du récent coup d’État, des
vers _qu'il faisait en quelque sorte à mesure qu'il les chantait_,
reçoit les félicitations du Conservateur de Garat, Daunou et Chénier
(numéros des 18 et 21 septembre 1797). Daunou écrira plus tard une
notice très bienveillante sur Ginguené pour la deuxième édition de
l'_Histoire de la littérature italienne_. Lady Morgan, qui avait visité
Ginguené dans ses dernières années, lui consacre aussi un passage très
sympathique, dans la relation de son voyage en France, aux pages 272-283
du deuxième volume de la traduction française (Paris, Treuttel et Wurtz,
1818, 2 vol. in-8).

Ginguené est encore fort maltraité par Mme Vigée-Lebrun, dans les
_Portraits à la plume_, insérés à la suite de ses _Souvenirs_; par Mme
de Genlis, au Ve vol., p. 281 et suiv. de ses _Mémoires_; par
Chateaubriand, qui le citait avec honneur dans son _Essai sur les
révolutions_, mais qui marque peu de sympathie pour lui, dans ses
_Mémoires d'outre-tombe_, à la p. 239 du Ier vol., et à la page 223 du
IIe.

Sur ses leçons à l’École normale, voir l'_Histoire littéraire de la
Convention_, par Eug. Maron, p. 159-160, 328-331. M. Ristelhuber a
rappelé la candidature malheureuse de Ginguené contre Andrieux, pour un
fauteuil de l'Académie française, dans la préface des _Contes
d'Andrieux_, pour l'édition de MM. Charavay, Paris, 1882.

Il importerait aussi d'examiner le rôle diplomatique de Ginguené en
Italie[242]. Il a pu s'y montrer hautain à l'égard du roi de Sardaigne,
et peu scrupuleux observateur de l'indépendance de la Cisalpine, comme
le dépeint M. Tivaroni (_L'Italia durante il dominio francese_, I, 43,
47, 143); encore Ginguené protestait-il qu'il avait, au péril de sa vie,
sauvé le Piémont de _révolutions subversives et sanglantes_, ajoutant
que, quand on avait voulu un agent pour jouer un rôle perfide à Turin,
on avait cherché un autre que lui (Lettre précitée à un académicien de
l'Académie impériale de Turin). Quoi qu'il en soit, il paraît difficile
d'admettre qu'il se soit fait donner des présents par le gouvernement
provisoire de Turin, comme le dit encore M. Tivaroni, qui cite pourtant,
mais sans en tenir compte, le jugement de Botta sur Ginguené: _homme
vraiment probe, âme bienveillante_ (ceci est un peu exagéré, quoique
Lady Morgan prétende qu'on disait _le bon Ginguené_), _esprit cultivé,
mais imagination ardente, et très tenace dans ses idées_.

C'est dans les _Débats_ qu'il faut chercher les nombreux articles de
Féletz, contre le cours de Ginguené à l'Athénée d'où est sortie
l'_Histoire de la littérature italienne_; car Féletz ne les a pas tous
recueillis dans ses _Mélanges_. En réponse à ses attaques quelquefois
justes, plus souvent malveillantes, on peut citer les articles de
Fauriel dans le _Mercure_ (31 août, 7 septembre, 19 octobre 1811, 5
décembre, 12 décembre 1812, 30 janvier 1813), et l'unanimité des
journaux italiens du temps, par exemple le _Poligrafo_, de Monti du 21
avril 1811, du 16 février 1812; le _Conciliatore_ du 12 novembre 1818,
du 1er avril 1819; le _Spettatore_, p. 335-9 et 353 du IXe volume; le
_Giornale enciclopedico di Firenze_, p. 97 du IIIe volume. Une preuve
curieuse de l'estime dont Ginguené jouissait en Italie, est que le
_Giornale bibliografico universale_ déclare, dans son Ve volume, que la
lettre où notre compatriote qualifie d'_ingrat_ et de _lâche_, le
procédé fort étrange en effet d'Alfieri à son égard, est dictée par un
_noble ressentiment_. Quelques-unes des dates qui précèdent prouvent que
ce ne fut pas seulement sous la domination française qu'on s'exprima
ainsi. D'ailleurs, Ginguené ne comptait pas parmi ceux dont le
gouvernement français eût récompensé les flatteurs. Enfin, veut-on des
témoignages intimes? Sismondi s'exprime avec éloge sur l'ouvrage de
Ginguené dans ses lettres à la comtesse d'Albany, et Giordani écrit à
Cicognara: «Si Ginguené veut savoir combien d'Italiens l'estiment et
l'aiment, ne manque pas de m'inscrire sur ce très long catalogue.»
(Lettre du 14 juillet 1813, p. 55 du IIIe volume de son _Epistolario_.)



APPENDICE G.

Conversion de La Harpe.--Sa conduite pendant la Terreur.


Les défauts de La Harpe, en survivant à sa conversion, ne contribuèrent
pas peu à la faire taxer d'hypocrisie par les philosophes. Toutefois,
non seulement Mme de Genlis, qui avait autant à se plaindre qu'à se
louer de lui, mais Benjamin Constant qui était allé, dans le feu de la
polémique, jusqu'à dire que La Harpe avait été _athée par peur_, et,
avant eux, Daunou, Dacier, Morellet, ont rendu hommage à la sincérité de
son changement[243]. On trouve, d'ailleurs, dans ses controverses contre
les philosophes, dans son _Apologie de la religion_ qui fait partie des
_Œuvres choisies et posthumes_, des passages touchants ou énergiques
d'autant plus concluants que le talent naturel de La Harpe n'était pas
de ceux qui suppléent à une émotion véritable. Dans l'article du _Cours
de littérature_ sur Diderot, par exemple, il relève vivement le mot
célèbre: «Élargissez Dieu!» il montre combien il est faux que les gens
du peuple croient que Dieu est renfermé dans les églises, en donne pour
preuve la fête des Rogations et, à propos des arrêtés qui interdisent
cette fête, s'écrie en apostrophant Diderot: «Ah! lorsque Dieu et ses
adorateurs sont légalement confinés dans les temples, ce mot qui, dans
ta bouche, n'était qu'un extravagant blasphème; ce mot, pris dans un
sens trop réel et trop juste; ce mot nous appartient aujourd'hui, et
c'est bien nous qui avons le droit de dire: «Élargissez Dieu!» On pourra
lire encore, dans la préface de son _Apologie de la religion_, quelques
lignes émouvantes sur le bienfait que Dieu accorde aux incrédules quand
il les éclaire, et cette forte peinture de la jalousie des philosophes
contre l’Église: «J'ai vu moi-même mille fois saigner cette plaie
honteuse, surtout depuis que nos philosophes, faisant corps sous les
remparts de l'Encyclopédie, enhardis les uns par les autres, fortifiés
par la renommée littéraire devenue une espèce d'idole pour un peuple qui
ne voulait plus avoir que de l'esprit, en vinrent jusqu'à s'indigner
tout haut qu'il y eût au monde une autorité, une puissance au-dessus des
_précepteurs du genre humain_, titre modeste, comme on voit, et qu'ils
se prodiguaient à tout moment les uns aux autres en prose et en vers.»
De même le passage où il se promet de montrer _combien ceux qui
s'exagèrent la puissance révolutionnaire et ses effets possibles et sa
durée probable, sont loin de la juger dans leurs craintes comme elle se
juge dans les siennes_[244]. Il y a aussi de la sensibilité dans les
passages où La Harpe cite, pour les condamner, ses anciens sarcasmes
contre le christianisme. Enfin cette Apologie et son Discours sur le
style des prophètes et l'esprit des Livres saints attestent qu'il a
compris et goûté l’Écriture. Dans ce dernier ouvrage, il explique
judicieusement qu'il ne faut pas confondre les exigences particulières
du goût de chaque nation avec les règles universelles du goût; que,
d'ailleurs, quand on approfondit les sentiments qui font parler les
écrivains hébreux, notre goût même cesse de réclamer; que les
répétitions d'idées, de sentiments dans les _Psaumes_ sont les effets
naturels de l'amour pour Dieu qui y déborde, car _celui qui aime ne
s'occupe uniquement qu'à répandre son âme devant ce qu'il aime et à
exprimer ce qu'il sent, sans songer à varier ce qu'il dit_. L'éloquence
des Psaumes, qui triomphe de ses scrupules littéraires, touche aussi son
cœur: il affirme que nul écrivain non chrétien n'a si bien peint la
bonté familière qui, suivant un prophète, _retournerait le lit de
l'homme qui souffre_, et qui, jointe à la plus magnifique peinture qu'on
ait jamais faite de la majesté de Dieu, forme _une démonstration morale
venue de l'inspiration divine_; et montre que si, de tout temps, on a
détesté le vice, seuls, dans l'antiquité, les prophètes ont souffert à
la vue des péchés d'autrui.

On retrouve malheureusement l'âpreté habituelle de La Harpe dans la
manière dont il s'exprime sur les incrédules dans son _Apologie de la
religion_, soit parce que, en psychologue de l'ancienne école, il sait
mal apercevoir chez le même homme des qualités contradictoires, soit
parce qu'il était malaisé d'apprécier la philanthropie de Voltaire et de
Rousseau au moment où leurs disciples venaient de gouverner par la
guillotine. Il va jusqu'à absoudre l'inquisition et les supplices
d'hérétiques, sinon comme hérétiques du moins comme factieux. Mais
l'intolérance, qui n'est pas en elle-même un signe de foi, n'est pas non
plus un signe d'hypocrisie.

Quant au reproche souvent répété d'avoir sous la Terreur flatté et
excité la démagogie, La Harpe ne le mérite point davantage.

Sans doute, il avait partagé à cette époque l'espérance haineuse que
caressaient également Mirabeau, les Girondins et Robespierre, de voir
bientôt disparaître le catholicisme. Il faut en croire l'abbé Morellet,
quand il dit au chapitre XXII de ses _Mémoires_ que La Harpe _venait
s'asseoir content de lui-même_ entre l'abbé Barthélemy et lui à
l'Académie française, _après avoir imprimé dans le «Mercure» contre les
prêtres une satire sanglante_: tel est en effet l'esprit qui inspire
tous les articles de critique littéraire insérés alors dans ce journal
par La Harpe[245], mais il ne faut pas faire de lui un pourvoyeur ni un
panégyriste de l'échafaud.

1° Les expressions de la fameuse _Ode_ lue au Lycée le 3 décembre 1792,
où Palissot voit une glorification des massacres de septembre,
s'appliquent au 10 août; les menaces que La Harpe y fait entendre visent
les ennemis du dehors.

2° On a dit souvent qu'il avait, dès 1792, coiffé spontanément le bonnet
rouge au lycée. Il s'est expliqué sur ce point dans le _Mémorial_ du 10
juillet 1797; il y déclare que c'est au renouvellement des cours de
1794, et pour obéir à une disposition prise par les administrateurs du
Lycée, qu'il s'en coiffa un instant, comme ses collègues Sue,
Deparcieux, Le Hoc; et je n'ai pas vu que les deux journaux contre
lesquels il se défend, dans cet article, d'avoir appuyé la Terreur, le
_Journal de Paris_ et le _Rédacteur_, feuille en partie officielle,
contredisent cette réplique[246].

3° Attaqué sur ses articles du _Mercure_, notamment le 6 juillet 1797
par le _Journal de Paris_, La Harpe a prouvé victorieusement que, durant
l'année 1793, longtemps encore après le 31 mai, il n'avait cessé d'y
faire entendre à la Convention de sages et courageuses vérités[247]. Il
est inutile de transcrire tous les passages qu'il cite, je me bornerai à
cette phrase que j'ai relevée dans le _Mercure_ même[248], sur
l'imprudente déclaration de guerre faite aux puissances; après avoir dit
que la politique d'un peuple libre _ne doit être que la fermeté calme
et intrépide d'une nation qui a proclamé son indépendance, et non
l'orgueil insensé qui proclame la guerre contre tous les rois_, il
ajoute: «Nous avons fait de cruelles fautes, parce que l'ostentation
d'un charlatanisme mercenaire a pris la place de ce courage tranquille
et désintéressé qui caractérise les vrais républicains.» Qu'on lise les
autres articles de 1793 auxquels il renvoie, et l'on avouera que peu de
victimes des _décemvirs_ avaient condamné plus fortement leur politique.

4° M. Aulard a très justement blâmé La Harpe, dans la _Justice_ du 25
novembre 1889, d'avoir proposé, au club des Jacobins, le 17 décembre
1790, d'ôter des tragédies les maximes monarchiques, et, dans le
_Mercure_ du 15 février 1794, de faire disparaître sur les livres de la
Bibliothèque nationale les armoiries royales; il s'est félicité à bon
droit que La Harpe n'ait pas reçu satisfaction sur ce dernier point. Ces
deux motions de La Harpe étaient à la vérité fort ridicules. Mais
heureux qui, parmi les hommes en vue de cette époque d'affolement, n'a
dénoncé que des vers, même classiques, et des armoiries, même
artistiques, alors qu'autour de lui, par frénésie, par rancune ou par
peur, tant d'autres demandaient ou accordaient la tête d'un Lavoisier,
d'un André Chénier, d'un Malesherbes!

Il faut toutefois reconnaître que le courage de La Harpe a fini par
faiblir, vaincu par la durée affreuse et l'accroissement incessant du
péril. Il ne faut sans doute pas abuser contre lui d'une assertion de
Laya déclarant, près de quarante ans après, avoir vu, au lendemain du 10
thermidor, une lettre pleine de flagornerie, que, du fond de sa prison,
La Harpe aurait écrite à Robespierre à propos de son discours en
l'honneur de l’Être suprême[249]; car, outre que la mémoire de Laya a pu
le tromper sur l'existence ou sur l'auteur de cette lettre, il a pu à
distance s'en exagérer la politesse. Mais il y a dans le _Mercure_ de
1794 quelques passages que La Harpe n'a pas réussi à justifier. Il
prétend que ce sont des expressions à double entente que ces épithètes
de _mémorable_, de _si constamment et si éminemment révolutionnaire_
qu'il applique le 15 février 1794 à la Commune de Paris dans un article
de complaisance sur les poésies d'un de ses membres, Dorat-Cubières; il
explique de même le passage du 8 mars, dans lequel il dit que, si l'on
n'avait pas encore formé le projet de reviser les noms des rues de
Paris, _c'est qu'il n'y avait pas non plus de modèle de cette autorité
révolutionnaire qui a produit tant de merveilles inouïes jusqu'à nos
jours, parce qu'elle tient à un enthousiasme patriotique qui se porte
sur tout et fait exécuter d'un commun accord ce qui, par sa nature, ne
saurait se commander et ce que, partout ailleurs, on tenterait
vainement_. Mais en vérité, à lire ces deux articles, il est impossible
d'y apercevoir l'ironie que l'auteur des courageux articles de 1793
avait peut-être voulu y mettre. Or, un compliment ironique dont
l'intention moqueuse passe inaperçue ressemble fort à une flatterie.

Il se peut donc que La Harpe ait cédé à un moment de défaillance, mais
il a racheté cette faiblesse, d'abord par sa détention de quatre mois
(avril-juillet 1794) qu'il encourut pour avoir blessé les puissants du
jour, soit dans leur fanatisme politique, soit dans leur vanité de
littérateurs[250], puis par l'intrépidité avec laquelle, depuis sa
sortie de prison, il lutta pour ses croyances. Si sa conversion ne l'a
guère rendu plus charitable[251], ni plus modeste, elle l'a rendu plus
courageux; c'est une nouvelle preuve qu'elle fut sincère.

On n'a voulu voir dans sa polémique de 1795 et de 1797 que l'emportement
d'un zèle aussi impuissant qu'imprévu, comme si, à braver la Convention
et le Directoire, il n'avait encouru que des épigrammes. N'est-ce donc
rien que d'avoir dû se cacher un an après le 13 vendémiaire, deux ans
après le 18 fructidor? On ne l'inquiéta pas durant ces retraites
forcées; mais serait-il mort dans son lit si les agents de Larevellière
l'avaient arrêté en 1797? La _Décade_ du 10 frimaire an IX raille comme
plat et injuste le mot de La Harpe, qu'au 18 fructidor _on ne tuait
plus, mais on faisait mourir_; la bonne _Décade_ prend apparemment pour
une excursion de plaisance la déportation à la Guyanne, et croit que
tout le monde en est revenu. Faut-il d'ailleurs oublier le dénuement
auquel l'impossibilité de reparaître en chaire condamnait La Harpe[252]?

Refusons-lui donc l'aimable modération qui attire la sympathie, mais
accordons-lui, pour sa conduite pendant ses dernières années, la loyauté
courageuse qui commande l'estime[253]!



APPENDICE H.

Liste des professeurs de l'Athénée.


On nous pardonnera sans doute les lacunes de ce tableau qui, tout
incomplet qu'il est, nous a coûté de très longues recherches. Les
programmes des cours se publiaient tantôt en octobre, tantôt en
novembre, tantôt en décembre, quelquefois en janvier; un même journal ne
les publiait pas toujours: on voit combien pour trouver celui d'une
seule année il faut feuilleter de périodiques, quand on n'a pas la
chance rare de mettre la main sur les prospectus que l'établissement
publiait.

Pour les années antérieures à 1789, à la réserve de 1785, je ne puis
rien ajouter aux indications fournies dans mon étude, sauf que Chazet
(Éloge de La Harpe, 1805) compte, comme La Harpe dans sa Correspondance
Russe, Marmontel et Monge parmi les professeurs de la maison, et que
d'autre part on ne trouve rien à cet égard dans les _Mémoires_ de
Marmontel ni dans les notices composées sur Monge par son neveu Barnabé
Brisson et par Charles Dupin.

1784-1785.

Mithouard (chimie); Deparcieux (physique); Flandrin (hippiatrique); Sue
(anatomie); Prévost (mathématiques et astronomie); l'abbé Curioni
(italien); Lenoir (anglais); l'abbé Pelicer (espagnol); Friedel
(allemand) (_Liste de toutes les personnes qui composent le premier
Musée_... 1785).

1789-1790.

Aux professeurs que j'ai cités pour cette année, il faut, d'après la
_Chronique de Paris_, du 4 décembre 1789, ajouter l'abbé Ray, qui,
l'histoire naturelle ne pouvant être enseignée par un seul maître, se
chargea d'un cours de zoologie. Pendant cette année lycéenne, La Harpe
se fit quelquefois remplacer par Jacques-François-Marie de Boisjolin,
lecteur du duc de Montpensier; celui-ci, selon l'article que lui
consacre la _Nouvelle biographie générale_, aurait simplement lu au
Lycée les cahiers de La Harpe; mais l'article de la _Chronique de
Paris_, du 27 mars 1790, ne paraît pas réduire M. de Boisjolin à ce rôle
effacé. Le _Moniteur_ du temps donne de nombreux extraits du cours de
l'avocat de La Croix, sur lequel on peut consulter, outre la Table de ce
journal, pour la suite de sa vie, ses propres ouvrages: _Constitutions
des principaux États de l'Europe et des États-Unis d'Amérique_; le
_Spectateur français pendant le gouvernement révolutionnaire_. (En 1815,
il donna une édition retouchée de ce dernier ouvrage,) Le _Moniteur_ du
10 février 1790 donne des détails sur le cours de Fourcroy.

1790-1791.

La _Chronique de Paris_ du 9 janvier 1791 dit que le Lycée maintient,
cette année, avec les mêmes professeurs, les mêmes cours que l'année
précédente, savoir: littérature, histoire, physique, chimie, anatomie,
histoire naturelle, anglais, italien. Sur les leçons d'ouverture de
Fourcroy, Sue, Boldoni, La Harpe, voir le numéro de ce journal du 13
janvier 1791. Pendant cette année, le Lycée projeta un cours d'allemand
et ouvrit un cours de grec fait par un Grec (_ibid._, n°s du 11 février
et du 4 mai 1791.) Sur les embarras financiers du Lycée à cette époque,
voir ibid., n°s du 13 septembre et 26 décembre 1790 et du 9 janvier
1791. Consulter encore sur le Lycée le même journal, p. 139 du IIe
volume, p. 377 du IVe et le _Moniteur_ du 14 janvier 1791.

1791-1792.

Le registre des assemblées générales des nouveaux fondateurs du Lycée
donne, pour cette année, le 17 août 1792, à la fois les noms et les
honoraires: Fourcroy, 2000 fr.; Deparcieux, _id._; Garat, 1000 fr.; Sue,
1200 fr,; Roberts (Anglais), 800 fr.; Boldoni (Italien), _id._; Selis
(qui, à défaut de La Harpe, avait fait lire un cours de littérature),
300 fr.; Domergue, _id._ (Manusc. Bibliothèque Carnavalet). Durant cette
année, Cailhava fit un cours de littérature dramatique et Sicard donna
quelques séances.

AN I, 1792-1793.

Fourcroy, Deparcieux, Sue, Roberts, Boldoni, tous aux mêmes conditions
que l'année précédente; La Harpe, 1800 fr.; Thiéry, suppléant de Garat,
600 fr.; Brongniart, 300 fr. (Même registre, 2 août 1793). À la date du
6 novembre 1792, il y avait été dit que Fourcroy, n'ayant pas le temps
de faire ses deux leçons par semaine, en confierait une à Vauquelin. Le
_Moniteur_ du 26 novembre rédige ainsi la liste: Deparcieux (physique);
Fourcroy et Vauquelin chimie; _id._, pour l'histoire naturelle; Sue
(anatomie et physiologie); La Harpe et Selis (littérature); Garat et
Théry (histoire); Roberts (anglais); Boldoni (italien); dans les séances
extraordinaires, Delille, Sélis, Sicard, M. Chuquet, dans le compte
rendu qu'il a bien voulu faire de ma première étude sur ce sujet (_Revue
critique_, 4 novembre 1789), dit que le dimanche 20 janvier 1793,
Rœderer ouvrit au Lycée un cours d'organisation sociale, et que le
mercredi 27 février de la même année, dans une séance extraordinaire,
Gail lut une traduction de quelques morceaux de Bion et d'Anacréon, et
Sélis la première partie de l'_Anecdote de M. Salle_.

AN II, 1793-1794.

Deparcieux (physique); le même (mathématiques pures et appliquées); La
Harpe; Ventenat (botanique); Sue (anatomie et physiologie); Parmentier
(économie rurale); Boldoni; Garat (histoire); Tonnelier (minéralogie);
Fourcroy (chimie); Hassenfratz (arts et métiers); Richard (zoologie);
Publicola Chaussard (droit public); Le Hoc (lectures sur les rapports
politiques et commerciaux de la France avec l'étranger)[254].

AN III, 1794-1795.

La Harpe[255], Garat, Molé (déclamation); Mentelle (géographie);
Deparcieux, Fourcroy; les autres cours, dont la _Décade_ du 10 nivôse an
III, que nous suivons ici, n'indique pas les professeurs, sont la
zoologie, l'anatomie, la botanique, la minéralogie, les mathématiques,
les arts et métiers, l'économie rurale, l'italien et l'anglais. Le
_Moniteur_ du 30 décembre 1794 annonce qu'à la séance d'ouverture, La
Harpe lira un discours sur la guerre déclarée par les derniers tyrans à
la raison, à la morale, aux lettres et aux arts (ce morceau fait partie
du cours de littérature); Le Hoc présentera des considérations sur la
Hollande et l'Angleterre; Boldoni traitera des troubles de Florence et
de Dante. Il ajoute qu'à la demande de beaucoup de citoyens retenus par
leurs affaires durant la journée, les deux séances décadaires du cours
de littérature auront lieu le soir, que les cours de Sicard (grammaire
générale), et de Molé (déclamation), ne pourront s'ouvrir dans la
première décade. Le professeur de botanique était alors Ventenat, qui
publia aussitôt son cours sous ce titre: _Principes élémentaires de
botanique expliqués au Lycée républicain_, Paris, Sallior, 1794-1795,
in-8.

AN V, 1796-1797.

Le registre des Assemblées générales donne, à la date du 16 messidor, un
nom de plus que notre liste empruntée au _Journal de Paris_, celui de
Perreau (cours sur l'homme physique et moral), et trois noms en moins:
Gautherot, Coquebert, Sicard.

AN VI, 1797-1798.

Deparcieux (physique expérimentale); Fourcroy (chimie élémentaire et
chimie appliquée à la physique; ces deux cours sont distincts);
Brongniart (histoire naturelle); Sue (anatomie et physiologie);
Coquebert (géographie physico-économique); Hassenfratz; anglais, italien
(_Décade_ du 10 frimaire an VI).

AN VII, 1798-1799.

Mercier (littérature); Garat, Fourcroy, Brongniart, Deparcieux, Sue,
Boldoni, Roberts, Weiss, ce dernier pour l'allemand (_Révolution
française_ du 10 juin 1888; toutefois, on voit par la _Décade_ du 10
thermidor an V que Garat ne fit pas son cours cette année).

AN VIII, 1799-1800.

Fourcroy, Brongniart, Sue, Hassenfratz (arts et métiers); Coquebert
(géographie physico-économique); Roberts; Boldoni. Ces deux derniers
touchent 800 francs chacun; Fourcroy 1500; les autres 1200. Ginguené,
Demoustier, Ducray-Duminil, Butet offrent gratuitement des cours, les
trois premiers sur la littérature, le quatrième sur la physique
(_Décade_ du 10 frimaire an VII; Délibérations et Arrêtés du conseil
d'administration, 29 fructidor an VII). Fourcroy, ayant été chargé de
fonctions publiques par Bonaparte, fut suppléé par Brongniart, que
Cuvier s'offrit à suppléer (V. le même registre manuscrit de
délibérations, 15 nivôse an VIII, au musée Carnavalet).

AN IX, 1800-1801.

Butet (physique expérimentale); Fourcroy (chimie); Cuvier (histoire
naturelle); Sue (anatomie); Moreau (hygiène); Hassenfratz (arts et
métiers); Adolphe Leroi (éducation des facultés physiques et morales de
l'homme); La Harpe (littérature, en particulier étude de l'éloquence et
de la philosophie au dix-huitième siècle); Garat (histoire, surtout
celle de l’Égypte); De Gérando (philosophie morale); Legrand (principes
généraux de l'art du dessin et histoire de l'architecture); Roberts
(étude des poètes anglais); Boldoni (étude de la versification
italienne). Il y aura en outre des séances littéraires, dont
quelques-unes seront consacrées à la grammaire générale, et Sicard y
prêtera son concours (_Moniteur_ du 13 brumaire an IX). Toutefois, les
délibérations et arrêtés du conseil d'administration, à la date du 27
prairial an IX, portent seulement à l'article des professeurs de cette
année: La Harpe, 2,400 fr.; Fourcroy, 1,200 fr.; Cuvier, _id._;
Hassenfratz, Sue, De Gérando, Roberts, Boldoni, 600 fr. chacun.

AN X, 1801-1802.

Butet (physique); Fourcroy (chimie); Cuvier (histoire naturelle);
Ventenat et Mirbel (botanique); Sue (anatomie et physiologie); La Harpe
(littérature); De Gérando (philosophie morale); Hassenfratz (arts et
métiers); Legrand (architecture); Roberts (anglais); Boldoni (italien);
Weiss (allemand) (_Moniteur_ du 18 brumaire an X).

AN XII, 1803-1804.

Biot (physique); Fourcroy et Thénard (chimie); Sue; Cuvier; Mirbel
(botanique); Hassenfratz (arts et métiers); Lavit (perspective); Vigée
(littérature); Garat (histoire de la Grèce); Ginguené (histoire
littéraire moderne); Sicard (grammaire générale); Roberts, Boldoni
(_Décade_, 30 vendémiaire an XII).

AN XIII, 1804-1805.

Biot (physique expérimentale); Fourcroy et Thénard (chimie); Sue
(anatomie et physiologie); Cuvier (histoire naturelle);
Coquebert-Monbret (géographie physique et économique); Mirbel
(botanique); Hassenfratz (arts et métiers); Vigée (littérature); Sicard
(grammaire générale); Roberts (anglais); Boldoni (italien). (_Moniteur_
du 12 novembre 1804.)

AN XIV, 1805-1806.

Biot (physique expérimentale); Fourcroy et Thénard (chimie); Sue;
Richerand (physiologie); Esparron (hygiène); Cuvier, Mirbel (physiologie
végétale et botanique); Ducler (cosmographie et géologie); Hassenfratz,
Vigée, Ginguené, Millin (histoire des arts chez les anciens); Sicard,
Roberts. Boldoni (_Décade_, 10 frimaire an XIV, 1er décembre 1805). Le
_Moniteur_ du 3 février 1806 donne quelques détails sur les cours de
Hassenfratz, Fourcroy, Thénard, Esparron, Biot, Cuvier, Ducler,
Ginguené, Boldoni, Roberts, Vigée, et ajoute que Desodoarts a continué
la lecture de son histoire de France.

1806-1807.

Trémery (physique expérimentale); Fourcroy et Thénard (chimie); Sue
(anatomie et physiologie); Richerand (physiologie); Esparron (hygiène);
Cuvier (histoire naturelle); Ducler (cosmographie et géographie); Ampère
(théorie des probabilités appliquée aux diverses branches des
connaissances humaines); Hassenfratz (arts et métiers); Chénier
(origines et progrès de la littérature française); Ginguené (littérature
italienne); J.-J. Combes-Dounous, ex-législateur (histoire des guerres
civiles de la république romaine); Desodoarts (histoire de France);
Roberts (anglais); Boldoni (italien) (_Moniteur_ du 29 novembre 1806;
on y trouve des détails sur les cours que doivent faire ces
professeurs.)

1807.

Voir dans les délibérations et arrêtés de l'établissement quelques
traits de délicatesse, de causticité et d'irascibilité de Joseph
Chénier.

1807-1808.

Trémery (physique expérimentale); Thénard (chimie); Pariset
(organisation de l'homme); Richerand (physiologie); Esparron (hygiène);
Cuvier (histoire naturelle des animaux); Ducler (cosmographie et
géographie); Boldoni (italien); Roberts (anglais). (_Moniteur_ du 6
novembre 1807; on y voit que Boldoni avait été autrefois professeur dans
les écoles centrales, de même que Roberts, qui avait de plus enseigné à
l’École royale militaire, et qui était alors professeur au lycée
Napoléon; on y voit aussi que durant cette année les cours littéraires
seront remplacés par des séances littéraires où on lira des morceaux
acceptés par Legouvé, Luce de Lancival et Parceval de Grandmaison.)

1808-1809.

Cuvier, Trémery, Thénard; Barbier (botanique et physiologie végétales);
Pariset (physiologie et anatomie); Esparron (hygiène); Prévost d'Iray,
inspecteur général des études (histoire moderne); Ducler (histoire et
géographie); J.-J. Leuliette (histoire littéraire); de Murville
(littérature et poésie); Roberts, Boldoni. (_Moniteur_ du 3 octobre
1808.)

1809-1810.

Cuvier, Trémery, Thénard, Barbier, Pariset; Ducler (chronologie,
histoire et géographie); Caille (botanique); Népomucène Lemercier
(littérature générale); Boldoni, Roberts. (_Moniteur_ du 4 novembre
1809.)

1810-1811.

Sur le cours d'histoire de l'éloquence professé pendant cette année par
Victorin Fabre, voir le _Moniteur_ du 14 décembre 1810, le _Mercure de
France_ des 9 et 23 février et du 27 juillet 1811.

1811-1812.

Thénard (chimie); Trémery (physique); Chaussard (littérature); de
Blainville (zoologie); Gall (physiologie générale de l'homme et
particulièrement du cerveau). (_Gazette de France_ du 24 novembre 1811.
Je ne suis pas sûr que la liste donnée par ce journal soit complète.)

1812-1813.

Les _Débats_ du 19 février 1813 annoncent que Lhéritier (géomètre, alors
âgé de vingt-trois ans) ouvrira le 4 du mois suivant un cours
d'arithmétique de la vie humaine à l'Athénée.

1813-1814.

Aimé Martin (littérature française); Thénard; Pariset (physiologie et
hygiène); Trémery (physique); Jussieu (minéralogie), (_Débats_ du 3
novembre 1813. Cette liste doit être fort incomplète.)

1814-1815.

Thénard; Jay (histoire); Trémery, Pariset; Lemercier (littérature);
Lucas (minéralogie); Virey (histoire naturelle générale); Circaud des
Gelins (physiognomonie). (_Débats_ du 1er novembre 1814. Liste
incomplète.)

1815-1816.

Le _Moniteur_ du 11 décembre 1815 annonce que Ch. Lacretelle va ouvrir
un cours d'histoire ancienne à l'Athénée.

1816-1817.

Thénard; Say (économie politique); Trémery (physique); Buttura
(littérature italienne); Hippolyte Cloquet (physiologie); Pariset
(entendement humain); Rougier de la Bergerie (agriculture et physique
végétale); Brès (physiologie appliquée aux beaux-arts); Michel Beer
(littérature allemande). (_Débats_ du 9 novembre 1816. Liste
incomplète.)

1817-1818.

Trémery; Chevreul (chimie); de Blainville (zoologie); Cloquet;
Pariset (entendement humain); Tissot (littérature); Choron (théorie de la
musique); Roberts, Boldoni. Benjamin Constant (lectures sur l'histoire
et le sentiment religieux). (_Débats_ du 7 novembre 1817.)

1818-1819.

Say (économie politique); Trémery (physique); Magendie (anatomie et
physiologie); Orfila (chimie); Buttura (littérature italienne); Bérenger
(droit naturel et des gens); de Blainville (zoologie); de la Bergerie
(agriculture); Benjamin Constant (maximes fondamentales de la
Constitution anglaise). (_Débats_ du 3 novembre 1813, _Moniteur_ du même
jour.) Buttura a publié chez Firmin Didot, en 1819, le discours qu'il
avait prononcé à l'Athénée le 6 mars de cette année sur la littérature
de son pays.

1819-1820.

Fresnel (physique); Magendie (anatomie et physiologie); Daunou (lectures
sur l'histoire); Despretz (chimie); Lemercier (lectures sur la
littérature); de Blainville, le baron Fourier, de l'Institut d’Égypte
(cours tout neuf sur les applications des mathématiques aux besoins de
la société); Alex. Lenoir (antiquités). (_Débats_ du 13 novembre 1819,
et Programme imprimé, à la bibliothèque Carnavalet.)

1820-1821.

Trognon (histoire); Pouillet (physique); Robiquet (chimie); Magendie
(anatomie et physiologie); Jouy (littérature et morale); Flourens
(théorie des sensations); de Blainville; Francœur (astronomie).
(_Débats_ du 16 novembre 1820. Liste incomplète.)

1821-1822.

Pouillet, Robiquet, de Blainville, Magendie, Francœur; Const. Prévost
(géologie appliquée aux environs de Paris); Lingay (littérature); Azaïs
(philosophie générale)[256].--Nous avons dit qu'Azaïs a publié son
cours.

1822-1823.

Pouillet, Robiquet, de Blainville, Magendie; Levillain (géographie
générale); Berville (littérature); Victorin Fabre (recherches sur les
principes de la société civile); Mignet et Bodin (histoire). Outre ces
cours, Jomard, de l'Institut, traitera des sciences et arts chez les
anciens Égyptiens; Denon, de l'Institut, donnera plusieurs séances sur
l'étude de l'art par les fac-similés; Lenoir traitera des antiquités de
Paris; Viennet, Merville, Boucharlat et plusieurs hommes de lettres
feront des lectures[257]. Sur le cours de Fabre, voir l'article de
Sainte-Beuve sur lui dans les _Portraits contemporains_.

1823-1824.

Pouillet; Dumas (chimie); Magendie; Francœur (astronomie); Parent Réal
(littérature); Villenave (histoire littéraire de la France); Merville
(art oratoire); Mignet (histoire d'Angleterre); outre ces cours, Jomard,
Denon, F. Bodin, Victorin Fabre, le baron de la Bergerie, Dubois, Febvé
Savardan et autres hommes de lettres ont promis des lectures[258].

1824-1825.

Pouillet, Dumas, Magendie, de Blainville, Ad. Brongniart, Eus. de
Salles, Villenave; Amaury Duval (histoire philosophique des beaux-arts);
Dunoyer (morale et économie politique); Artaud (tableau de la
littérature en Europe aux quinzième et seizième siècles); Mignet,
Casimir Bonjour, d'Anglemont, etc., feront des lectures[259].

1825-1826.

De Montferrand (physique); Dumas (chimie); Magendie (physiologie); de
Blainville (zoologie); Eusèbe de Salles (hygiène); Auzoux (anatomie au
moyen de pièces artificielles); Const. Prévost (géologie générale);
Babinet (météorologie); Villenave (histoire littéraire de la France);
Gall (philosophie des facultés intellectuelles); Dunoyer (morale, et
économie politique); Alexis de Jussieu (considérations sur la
civilisation aux dix-huitième et dix-neuvième siècles)[260].

1826-1827.

De Montferrand, Dumas, de Blainville, Constant Prévost, Villenave;
Adolphe Brongniart (anatomie et physiologie appliquées à l'agriculture
et à l'horticulture); Amussat (anatomie); Bertrand (extase et magnétisme
animal); baron Ch. Dupin (forces productives et commerciales de la
France); Crussole-Lami (histoire de la révolution des Pays-Bas); Buttura
(poésie italienne). De plus, Auzoux fera quelques démonstrations avec
les pièces articulées de son invention, et Maisonabe quelques leçons sur
les difformités dont le corps humain est susceptible (_Moniteur_ du 26
novembre 1826). Ch. Dupin a publié son cours, Paris, Bachelier, 1827, 2
vol. in-4°.

1827-1828.

Gall (philosophie); Adolphe Blanqui (histoire de la civilisation
industrielle des nations européennes); Levasseur (éloquence française);
Parisot (l'école romantique); de Blainville (zoologie); de Montferrand
(physique); Dumas (chimie appliquée aux arts); Constant Prévost
(géologie); Adolphe Brongniart (physiologie comparée des végétaux et des
animaux); Amussat (anatomie et physiologie); Mélier (médecine publique).
(_Courrier français_ du 8 décembre 1827.)

1828-1829.

Pouillet (physique); Dumas (chimie); Constant Prévost (géologie); Bory
de Saint-Vincent (géographie physique); Babinet (météorologie); Amussat
(anatomie et physiologie); Trélat (hygiène); Armand Marrast
(philosophie); Amédée Pommier (littérature); Doin (histoire des
établissements d'utilité publique en France depuis le dixième siècle);
Adol. Blanqui (économie politique). De Guy, avocat, ex-professeur de
rhétorique, fera des lectures sur les opinions de la nouvelle école
philosophique. (_Moniteur_ du 30 novembre 1828.)

1829-1830.

Nicollet (astronomie); Pouillet (physique); Dumas, Const. Prévost;
Requin (physiologie); Trélat (hygiène); Aug. Comte (philosophie
positive); Mottet (art dramatique); Mézières (littérature anglaise).
(_Courrier français_, 1er décembre 1829.)

1830-1831.

Nicollet et Lechevalier (astronomie); Bussy (chimie); Requin (anatomie
et physiologie); Isid. Geoffroy Saint-Hilaire (zoologie); Aug. Comte;
Villenave (littérature); Gandillot (économie politique); Jules Desnoyers
(antiquités du moyen âge) (_Ibid._, 7 décembre 1830).

1831-1832.

Lechevalier (physique); Bussy (chimie); Requin (hygiène); Isid. Geoffroy
Saint-Hilaire; Spurzheim (anthropologie); Am. Pommier (littérature
contemporaine); Ch. Durosoir (histoire de France); Filon (sur la France
et l'Angleterre)[261]. Filon a publié son cours de cette année.

1832-1833.

Gaultier de Claubry (physique expérimentale); Bussy (chimie); Laurent
(physiologie philosophique); Isid. Geoffroy Saint-Hilaire; Const.
Prévost (géologie); Filon (histoire du seizième siècle); Legouvé
(littérature dramatique); Eugène de Pradel (poésie et improvisation
française); Delestre (étude des passions appliquées aux
beaux-arts)[262]. Filon et Delestre ont publié des ouvrages sur les
sujets qu'ils avaient traités durant cette année.

1833-1834.

Gaultier de Claubry (physique); Bussy (chimie); Isidore Geoffroy
Saint-Hilaire (zoologie); Rozet (géologie); Léon Halévy (littérature
française); le comte Mamiani (philosophie italienne); Parisot (histoire
des croyances religieuses); Nau de la Sauvagère (droit commercial.)
(_Moniteur_ du 6 décembre 1833.) Au 12e volume de la revue la _France
littéraire_, on trouve un extrait du cours de Parisot; le volume
précédent de cette revue donne un aperçu du cours de M. Mamiani, dont
l'auteur a d'ailleurs publié une partie en français dans son livre
_Dell'ontologia e del metodo_ (Paris, Lacombe, 1841).

1834-1835.

Aug. Comte (astronomie); Payen (chimie agricole et manufacturière);
Lesueur (chimie toxicologique); Rozet (géologie); Audouin (zoologie);
Ach. Comte (physiologie animale); Jules Janin (littérature); de Mersan
(philosophie de l'histoire); Nau de la Sauvagère (droit commercial et
économie politique). (_Courrier français_, 5 décembre 1834.)

1835-1836.

Sainte-Preuve (physique); Payen (chimie appliquée); Rozet (géologie);
Ach. Comte (physiologie comparée et zoologie); Audouin (entomologie);
Léon Simon (homœopathie); Philarète Chasles (histoire de l'intelligence
au seizième siècle); Leudière (littérature grecque); Henri Duval
(phraséologie poétique et prosodie française) (Programme imprimé à la
bibliothèque Carnavalet).

1836-1837.

De La Borne (physique générale); Payen; Ach. Comte (histoire des
animaux); Léon Simon (doctrine homéopathique); Watras (économie
politique); Sainte-Preuve (examen de quelques grandes questions
d'industrie); Gandillot (finances publiques); Considérant (science
sociale); E. Lambert (histoire philosophique); Leudière (philosophie et
éloquence grecques); Philar. Chasles (le roman en Angleterre); Raimond
de Véricour (Milton et la poésie épique); Ch. Loubens (la comédie au
dix-huitième siècle); Eug. de Pradel (improvisation)[263]. E. Lambert a
publié son cours de cette année sous le titre de _Histoire des
histoires_, Paris, 1838, in-8°.

1837-1838.

De La Borne; Babinet (météorologie); Rivière (géologie); Payen;
Galy-Cazalat (machines à vapeur); de Rienzi (géographie encyclopédique);
Cazalis (physiologie expérimentale); Casimir Broussais (phrénologie); de
la Berge (hygiène); Turck (application de la physique et de la chimie à
la physiologie); Dréolle (influence du principe religieux); Mme Dauriat
(droit social des femmes); Henri Prat (histoire des premiers temps de
la France); Charles Loubens (la comédie au dix-neuvième siècle)
(Programme imprimé à la Bibliothèque Carnavalet). Dréolle a publié son
cours (Paris, Ebrard, 1838).

1838-1839.

Babinet (physique et météorologie); Horace Demarçay (chimie générale);
Payen (chimie appliquée); Rivière (géologie); Halmagrand (physiologie);
Gervais (zoologie générale); Morand (histoire philosophique des
sciences); Hippeau (philosophie de l'histoire); Henri Prat (féodalité en
France); Œlsner (histoire générale de l'Europe); Gaubert (causes
primordiales, géographiques et historiques); Ottavi (littérature);
Charles Loubens (le roman au dix-huitième siècle); Michelot (théorie
alphabétique de la parole). Loubens rendra compte tous les quinze jours
des principales pièces de théâtre. Ch. Bonjour, Alf. de Musset ont
promis des lectures. Hipp. Colet fera un cours d'harmonie. Tous les
quinze jours, soirées musicales sous la direction de Richelmi[264]. A.
Rivière a publié la même année des _Éléments de géologie_. Paris,
Méquignon-Marvis, in-8°.

1839-1840.

Babinet (cosmographie et physique du globe); Baudrimont (chimie); Const.
Prévost (physique générale), Rivière (géologie industrielle); Gervais
(zoologie); Halmagrand (physiologie); Hollard (anthropologie); Léon
Simon (homéopathie); Monneret (hygiène); Henri Prat (histoire des Valois
directs); Ottavi (littérature française); Loubens (de la poésie en
France jusqu'au dix-septième siècle); Cellier-Dufayel (littérature et
législation comparées); Bouzeran (système d'unité linguistique); Midy
(sténographie). Richelmi et Larivière continueront à donner leurs
concerts tous les quinze jours (Programme imprimé, Bibliothèque
Carnavalet).

1840-1841.

Babinet (physique); Tavernier (expériences et instruments de physique et
de météorologie); Rivière (géologie); Raspail (chimie); Hollard
(philosophie naturelle); Laurent (développement des corps organisés);
Gervais (zoologie générale); Halmagrand (physiologie); Léon Simon
(philosophie médicale); Samson (hygiène publique); Ricard (magnétisme
animal); de Marivault (économie politique); Glade (histoire des
religions); Bailleul (de la civilisation égyptienne par les monuments);
de la Fage (histoire de la musique); Sudre (langue musicale); Henri Prat
(la France au seizième siècle); Ch. Loubens (littérature contemporaine);
Ottavi (histoire des journaux depuis 1789); Régnier (littérature arabe);
Thénot (perspective pratique). Soirées musicales sous la direction de
Larivière et d'Aristide Delatour (_Courrier français_, 16 décembre
1840).

1841-1842.

Babinet (physique); Tavernier (instruments d'observation); Dupuis
Delcourt (aérostats); Laurent (développement des corps organiques);
Voisin-Dumoutier (phrénologie); Belhomme (études sur la folie); James
(galvanisme); Léon Simon (homéopathie); Al. Samson (hygiène publique);
Glade (étude sur la religion primitive); Artaud (philosophie de
l'histoire); Henri Prat (histoire de France); Fresse-Montval (poèmes
d'Hésiode); Bern. Julien (littérature française de l'époque impériale);
Ottavi (littérature de la Restauration); Ch. Loubens (poésie au
dix-neuvième siècle); Casella (Divine Comédie); Lourmand (lecture
expressive). Discussions littéraires et philosophiques une fois par
semaine. Répétitions chorales de musique religieuse. Séances de
déclamation (_Courrier français_, 5 décembre 1841). Fresse-Montval a
imprimé sa leçon d'ouverture de cette année à la suite de sa traduction
en vers d'Hésiode (Paris, Langlois et Leclercq, 1842, in-12).

1842-1843.

Babinet (généralités d'une instruction libérale tant scientifique que
littéraire); Tavernier (instruments d'observation et de voyage); Edm.
Becquerel fils (de la lumière et de l'art photogénique); Jules Rossignon
(chimie); Laurent (zoologie); Dr Grauby (humeurs et tissus); Dumoutier
(phrénologie); Belhomme (maladies mentales); Maisonabe (erreurs et
déceptions en médecine); Glade (histoire des religions); Em. Broussais
(philosophie religieuse); Henri Prat (histoire de France); Joseph
Garnier (économie politique); comte de Lencisa (institutions municipales
de l'Europe); V.-H. Cellier Dufayel (Études sur les femmes);
Fresse-Montval (poésie des peuples de l'Hellade); Casella (Divine
Comédie); Ch. Loubens (la Comédie de Molière); Bern. Jullien
(littérature française de l'époque impériale); de la Fage (histoire de
la musique); Thénot (science et art de la perspective). Discussions
littéraires et philosophiques de temps en temps (_Courrier français_ du
23 décembre 1842). Bern. Jullien a publié son cours en 1844 (2 vol.
in-12); en 1844 également, Adr. de la Fage a publié l'_Histoire générale
de la Musique et de la Danse_ (Paris, 2 vol. in-8°).

1844-1845.

Plisson (astronomie); Anatole de Moyencourt (chimie); Grauby
(physiologie); Mlle Magaud de Beaufort (botanique); Leharivel-Durocher
(philosophie); Ch. Husson (philosophie de l'histoire); Jos. Garnier
(économie politique); Fréd. Charassin (philosophie des langues); Bern.
Jullien (littérature française); Loubens (Molière); de la Fage (histoire
de la musique) (_Courrier français_, 27 décembre 1844).

1847-1848.

Auguste Bolot fit, durant cette année, un cours sur la poésie légère en
France aux dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, qu'il
ouvrit par un discours en vers, dont un fragment imprimé existe à la
Bibliothèque Carnavalet.

1848-1849.

Ch. Loubens (études sur Molière); l'abbé Auger (littérature française);
Fresse-Montval (de l'idée et de la forme dans les œuvres de
l'intelligence); Léon Simon (homéopathie); Guézon-Duval (botanique);
Vanier (physiologie générale); Josat (hygiène); Alexandre Ferrier
(phrénologie); Camille Duteil (écriture hiéroglyphique); Hœfer (histoire
des sciences physiques) (Programme imprimé à la Bibliothèque
Carnavalet).


L'abonnement, qui avait coûté trois louis par an à l'origine, quatre
louis à partir de la réorganisation qui suivit la mort de Pilâtre,
coûtait l'an I et l'an II 100 francs pour les hommes, 50 francs pour les
femmes (_Moniteur_ du 14 novembre 1793); l'an IV, 1,000 livres en
assignats pour les hommes, moitié pour les femmes (_Quotidienne_ du 10
décembre 1795); l'an V, 90 francs pour les hommes, 48 pour les femmes
(_Révolution française_ du 14 juin 1888)[265], même prix en l'an IX
(Décade du 20 frimaire an IX); sous l'Empire, quatre louis (V. le 3e des
articles sur le Lycée recueillis par Féletz, au IIIe vol. de ses
Mémoires); puis 120 francs pour les hommes, 60 francs pour les femmes
(_Moniteur_ du 11 octobre 1808, _Débats_ du 7 novembre 1817, _Courrier
français_, du 14 novembre 1821 et du 30 novembre 1824).



APPENDICE I.

Professeurs du Lycée des Arts en l'an II, l'an III et l'an IV.


AN II.

Désaudray (droits et intérêts des nations); Descemet (agronomie); Targe
(mathématiques appliquées); Dumas (mécanique et perspective linéaire;
géométrie pratique à l'usage des constructeurs; ce sont deux cours
distincts); Neveu (calcul appliqué au commerce et aux banques, et
géographie, histoire avec ce qui se rapporte au commerce et aux
manufactures; ce sont aussi deux cours distincts); Millin (zoologie);
Gillet-Laumont et Tonnellier (minéralogie); Fourcroy (physique
végétale); Sue (anatomie, physiologie, hygiène). Puis deux cours dont on
n'indique pas les professeurs: chimie appliquée aux arts et cours
théorique et pratique de peinture, sculpture et architecture; enfin
Langlé (harmonie théorique et pratique, contrepoint, composition);
Lépine (anglais); Hassenfratz (technologie, c'est-à-dire ce qui se
rapporte aux manufactures).

AN III.

Laval (arithmétique décimale; poids et mesures); Leschard (écriture et
orthographe); Perny (astronomie appliquée aux besoins usuels et à la
navigation); Igoard et Breton (tachygraphie); Delmas (commerce, finances
et tenue de livres; langue française et géographie); Daubenton (dessin
appliqué); Dumas (géométrie appliquée aux constructions et à la
mécanique); Lépine (anglais); Targe (mathématiques élémentaires);
Désaudray (prononciation, art oratoire, déclamation; premiers éléments
de la constitution d'un peuple libre et état civil et politique de la
France); Millin (histoire naturelle). De plus, un cours particulier de
mathématiques fait par le même Targe, et pour lequel on souscrit à part
et à son profit.

AN IV.

Sue (anatomie); Laval (arithmétique décimale); Igoard et Breton
(tachygraphie); Perny (astronomie appliquée); Brongniart (chimie); Neveu
et Delmas (commerce, finances et tenue de livres); Daubenton et Bellot
(dessin appliqué aux cartes, aux plans, à l'arpentage); Gervais (dessin
pour la figure et l'ornement); Leschard (écriture et orthographe);
Désaudray (économie politique; élocution française et art oratoire);
Descemet (économie rurale); Dumas (géométrie pratique; perspective
linéaire); Langlé (harmonie); Ventenat (histoire naturelle); Delmas
(langue française et géographie); Lépine (anglais); Targe
(mathématiques); Gillet-Laumont (minéralogie); Fourcroy (physique
végétale); Millin (zoologie); professeur non indiqué (technologie)[266].

L'Annuaire de ce Lycée, pour l'an VI, nous apprend qu'un de ses élèves,
Guyot, âgé de quatorze ans, vient d'être admis premier à l’École
Polytechnique: que le _secours provisoire_ de vendémiaire an IV s'est
réduit à fort peu de chose par la dépréciation des assignats; que
Désaudray l'a distribué aux professeurs; que le gouvernement voulait
convertir ce lycée en école spéciale de mécanique pratique, mais qu'il y
a renoncé faute d'argent. La bibliothèque Carnavalet possède un
exemplaire de cet Annuaire. On y trouvera aussi quelques détails sur la
fondation du lycée des Arts, ainsi que dans l'opuscule: _Établissement
d'une école athénienne, sous le nom de Lycée des Arts_ (même
bibliothèque). Le carton F17 1143 des Archives nationales fournirait un
supplément d'indications sur les embarras financiers de l'établissement
et sur les expédients proposés pour l'en tirer.



APPENDICE J.

De quelques Sociétés ou Cours qui ont porté le nom de Lycée ou
d'Athénée.


Outre les associations sur lesquelles porte cette notice, citons encore:

Le Lycée de l'Yonne, dont il est parlé dans le _Moniteur_ du 2 frimaire
an X, et dont Féletz examine, au 6e volume de ses _Mélanges_, des
Mémoires écrits dans l'esprit des philosophes du dix-huitième siècle; le
Lycée de Caen, qui tint sa première séance le 15 germinal an IX (v. la
_Décade_ du 10 floréal an IX et du 10 floréal an X); le Lycée de
Grenoble: Berriat Saint-Prix, un de ceux qui en soutenaient le mieux
l'honneur, constatait, en 1802, qu'en cinq ans cette société avait reçu
cent vingt mémoires ou pièces détachées[267]; le Lycée de Bourges; le
Lycée de Toulouse, sur lequel on peut consulter, à la bibliothèque
municipale de la ville: 1° un recueil contenant les noms des associés
correspondants; les lectures faites dans les séances publiques, depuis
le 10 floréal an VI jusqu'en l'an IX; 2° un recueil d'éloges, discours,
poésies, notices de travaux, de l'an VII à l'an IX; 3° un discours en
vers du citoyen Saint-Jean, professeur à l’École centrale, sur ce Lycée,
en l'an VI; 4° des registres conservés aux archives de Toulouse. (Ces
détails sur le Lycée de Toulouse m'ont été fournis par M. Lapierre,
bibliothécaire de la ville, à la prière de M. Ernest Mérimée).

C'étaient là de petites académies; voici des cours.

Le Lycée de Marseille, pour lequel, grâce à Mgr Ricard interrogé pour
moi par M. le recteur Bizos, son ancien collègue de la Faculté d'Aix, je
puis fournir les éléments d'une notice. Autorisé le 7 décembre 1828, ce
Lycée renonça assez promptement aux cours pour les simples séances
littéraires, et bien avant d'être fermé en 1885, il n'était plus qu'un
cercle; mais pendant le temps où il tenait école, il avait compté parmi
ses professeurs, outre Ampère et Brizeux, quelques hommes distingués,
tels que Bérard, plus tard membre de l'Institut et doyen à Montpellier;
le cours de Brizeux fut consacré à la littérature française: celui
d'Ampère avait roulé sur la poésie du Nord; la leçon d'ouverture du 12
mars 1830, qu'Ampère en avait publiée, a été réimprimée dans ses
_Mélanges d'histoire littéraire et de littérature_, publiés après sa
mort, par M. de Loménie (Paris, Mich. Lévy, 1867, 2 vol. in-8°); la
_Revue de Provence_ a donné un résumé de ce cours. On peut consulter,
sur ce Lycée: 1° à la bibliothèque de Marseille, qui a acquis la presque
totalité de l'importante bibliothèque que possédait l'établissement, les
statuts (F p b 47); quelques recueils des lectures faites par des
membres de l'association; des leçons sur différents sujets et en
particulier des leçons d'Ampère; 2° une notice par M. Tamisier, dans la
_Revue de Marseille_, année 1856, p. 79 et suiv., 140 et suiv.; 3° du
même M. Tamisier, les _Noces d'or de l'Athénée_ (de Marseille),
Marseille, 1879. Les historiens provençaux qui ont parlé _passim_ de ce
Lycée, sont: Marius Chauvelin, Augustin Fabre dans _Les Rues de
Marseille_; Justin Cauvière, dans le recueil appelé _le Caducée_.

Le Musée de Bordeaux, fondé à l'imitation du Musée de Court de Gébelin,
et dont il est parlé dans la _Séance du Musée de Paris du 5 février
1784_ (Bibliothèque Carnavalet), n'avait été qu'une Académie; mais M.
Dezeimeris m'apprend qu'il eut pour successeur une Société Philomathique
qui se rapprochait davantage de l'établissement de Pilâtre. Bordeaux a
eu un Athénée.

Pour Paris, nous citerons:

L'Athénée de la langue française, rue Neuve-des-Bons-Enfants, 25, sous
le premier Empire (Voir aux Archives nationales le carton F17 1144 et le
_Publiciste_ du 16 décembre 1809).

L'Athénée central qui avait deux établissements, l'un rue Vivienne, 10,
l'autre rue de Touraine Saint-Germain, 6, près de l'Odéon, et qui
enseignait l'anglais, l'allemand, l'espagnol, le droit commercial,
l'arithmétique commerciale; le seul nom un peu connu qu'on voie parmi
ses professeurs dans le _Courrier français_ du 14 décembre 1828, dont
j'extrais ce qui le concerne, est Suckau.

L'Athénée des familles, rue de Monsigny, 6[268].

L'Athénée populaire du XIIe arrondissement, où, sous la deuxième
République, Demogeot enseignait l'histoire de France, M. A. Macé, alors
professeur d'histoire au lycée Monge, l'histoire des institutions
politiques; Demontz, la comptabilité commerciale; Gouiffès, la
législation commerciale[269].

L'Athénée de la jeunesse, 3, quai Malaquais, qui donnait un cours
complet pour l'éducation des jeunes personnes.

L'Athénée Européen, 33, rue de Montreuil.

Le Lycée industriel et commercial, passage Saunier, 11.

L'Athénée polyglotte, qui promettait de se charger de toute sorte de
travaux, traduction, copie, rédaction, etc.

L'Athénée des Beaux-Arts, rue de Seine, 37, fondé en 1834 par M.
Gendrin, et dont le nom indique assez l'objet.

J'ignore ce qu'était l'Athénée oriental situé quai des Grands-Augustins,
47.



APPENDICE K.

Liste des professeurs de la Société des bonnes lettres.


On se rappellera que les cours de cette Société se composaient de leçons
assez espacées, et que les trois ou plutôt les deux séances par semaine
dans lesquelles on entendait les orateurs ou lecteurs étaient surtout
consacrées à des conférences isolées. Autrement le tableau qui va suivre
donnerait une idée fausse.

1821[270].

Duviquet (cours de littérature française), dont l'objet est de prouver
que toutes les beautés préconisées par l'école romantique se rencontrent
chez les classiques; Laurentie (littérature latine); Raoul Rochette
(considérations sur l'histoire); Abel Hugo (lectures sur la littérature
espagnole); Ch. Lacretelle (lecture de fragments de son Histoire du
XVIIIe siècle); Michaud (lecture de fragments de son Histoire des
Croisades) (Annales de la littérature et des arts, vol. II et III,
_passim_). Laurentie a publié son cours sous le nom de _Études
littéraires et morales sur les historiens latins_ (Paris, Méquignon, 2
vol.).

1822.

Duviquet (littérature); Ch. Lacretelle (morale); Abel Hugo (littérature
espagnole); Nicollet (astronomie); de Bois-Bertrand (économie
politique); Berryer (cours pratique d'éloquence parlementaire); Dr Véron
(physiologie) (Annales précitées, vol. V et VI; Véron, _Mémoires d'un
bourgeois de Paris_).

1823.

À la page 121 du XIe volume des mêmes Annales, on trouvera quelques
détails sur les cours de cette année; Malitourne a lu notamment une
notice sur Balzac et commencé un essai sur le roman.

1824.

Bayard ou Savary (physique); Véron (physiologie); Pariset (causes qui
troublent ou favorisent dans l'homme l'économie animale); Abel Rémusat
(lettres sur la Chine); Ch. Lacretelle (histoire du XVIIIe siècle);
Berryer (éloquence parlementaire); Duviquet (étude des auteurs qui ont
écrit après La Harpe); Malitourne (continuation de l'essai sur les
romans); Auger (réflexions sur la comédie); Dussault (critique
littéraire). (Mêmes Annales, XIIIe vol., p. 388; Discours d'ouverture
prononcé à cette Société par Ch. Lacretelle, le 4 décembre 1823, et qui
fut publié aussitôt.--Je ne sais si Dussault, mort en 1824, eut le temps
de commencer son cours.)

1825.

Pariset, Abel Rémusat, Auger, Malitourne, continuent leurs cours; Patin
(tragédie grecque); Robert (histoire naturelle); Raoul Rochette (théâtre
grec) (en particulier, je crois, la comédie); Auger, Laurentie (extrait
d'un traité des bonnes lettres); Alletz (essai sur la morale dans ses
rapports avec les arts); Rio, professeur au collège Louis-le-Grand
(histoire générale et histoire de France en particulier); Raoul
Rochette, Ch. Lacretelle, ont dû aussi se faire entendre quelquefois.
(Mêmes annales, XVIIe vol., p. 390-391; _Moniteur_ des 15 et 24 janvier
1815.)

1826.

Pariset, Rio, Patin, Auger, Alletz, Malitourne, continuent leurs cours;
Gaultier de Claubry (physique); Raoul Rochette (essai sur les
révolutions de Genève); Girardin, professeur au collège Henri IV
(littérature française). (Mêmes annales, XXIe vol., p. 432-433.)

1827.

Patin, Gautier de Claubry, continuent les mêmes cours; Pariset (histoire
des moralistes); Abel Rémusat (génie et mœurs des peuples orientaux);
Rio (histoire du moyen âge); Caïx, professeur d'histoire au collège
Charlemagne (histoire de France); Alletz (littérature sacrée);
Indelicato (et non Indedicato) (littérature italienne), (Mêmes annales,
XXVe vol, p. 516; _Moniteur_ du 20 décembre 1826 et du 9 janvier 1827.)

1828.

Pariset (hygiène); Rio (histoire); Laurent de Jussieu (morale);
Despretz, professeur au collège Henri IV (physique expérimentale); Patin
(tragédie grecque); Fallon, professeur à Sainte-Barbe (poésie anglaise);
Paoli (littérature italienne); Auger et Abel Rémusat ont dû aussi donner
des conférences. (Mêmes annales, XXIXe vol., p. 443; _Moniteur_ du 11
janvier 1828.)

1829.

Despretz, Rio, Patin, Fallon continuent leurs cours; Dr Meyranx
(sciences naturelles); baron d'Eckstein (philosophie du catholicisme);
Febvé (cours de lecture à haute voix). (_Moniteur_ du 13 janvier 1829.)

1830.

Le _Moniteur_ du 7 mars 1830 contient la liste des séances de ce mois.
Cette liste, qui comprend des conférences isolées et des cours, donne
l'idée de la façon dont la Société concevait et composait l'ensemble de
ses séances.--Lundi 1er mars, esquisses dramatiques sur la Révolution,
par Ducancel.--Vendredi 5, lecture du discours sur le caractère moral et
politique de Louis XIV, par Anatole Roux de Laborie, ouvrage couronné
par la Société en 1829; contes en vers, par Vial.--Lundi 8, essai sur la
tragédie grecque, par Patin; cours de morale, essai sur l'imagination,
par Laurent de Jussieu.--Vendredi 12, cours d'histoire et d'éloquence
parlementaire, par Moret, avocat à la Cour royale; cours de littérature
française, par Nettement.--Lundi 15, littérature portugaise, fin des
Lusiades, par Sarmento; fragment d'un voyage en Italie, par
Lafitte.--Vendredi 19, poésie anglaise, Shakespeare, par Fallon; cours
de morale, essai sur la curiosité, par Laurent de Jussieu.--Lundi 22,
essai sur la tragédie grecque, par Patin; cours de littérature
française, par Nettement.--Vendredi 26, cours d'histoire et d'éloquence
parlementaire, par Moret; pièce de vers, par Lesguillon.--Lundi 29, sur
l'état de la littérature au Brésil et les moyens de la développer, par
Sarmueto; cours de morale, essai sur l'étude, par Laurent de Jussieu.



INDEX DES NOMS PROPRES


(On ne relève pas dans cet index les noms trop obscurs ou mentionnés
d'une façon trop incidente.)

Achillini.

Ademollo.

Agnelli.

Alfieri (Vitt.).

Alfieri di Sostegno.

Ampère (A.-M.).

Ampère (J.-J.).

Amussat.

Ancona (Aless. d').

Andrieux.

Angeloni.

Arioste.

Artaud (Nic.-Louis).

Astor (A.).

Atenco de Madrid.

Athénée (fondé par Pilâtre de Rozier sous le nom de Musée, appelé
ensuite Lycée, Lycée Républicain, Athénée, Athénée Royal et Athénée
National).

Audouin.

Aulard (A.).

Auribeau (P. d'Hesmivy d').

Auzoux.

Azaïs.

Azuni.

Babinet.

Bacchi Della Lega.

Bavoux.

Bayanne (Mme Eulalie de).

Bayet.

Beauharnais (le prince Eugène de).

Beccaria (Giulia).

Beer (Mich.).

Bentivoglio (le Card. Guido).

Bernardin de Saint-Pierre.

Berryer.

Berthelot.

Bertoldi (Alf.).

Biadego (Gius.).

Biagi (Guido).

Biagioli.

Bianchi (Nicom.).

Biot.

Bizos.

Blainville (de).

Blanqui (Ad.).

Bleton.

Boccace.

Bodoni (G.-B.).

Boileau.

Boissy d'Anglas.

Boldoni.

Bolza (G.-B.).

Bonaparte (Joseph).

Borromeo (Famille).

Bory de Saint-Vincent.

Bouhours.

Brissot.

Brizeux (Aug.).

Brongniart.

Broussais (Em.).

Brunetière.

Buttura.

Cailhava.

Calvi (Felice).

Campan (Mme).

Canova.

Cantù (Cesare).

Capellini.

Carutti.

Casella.

Casini (T.).

Cattaneo (Amanzio).

Caussade.

Cesarotti.

Championnet.

Chasles (Phil.).

Chateaubriand.

Chénier (Jos.).

Chevreul.

Choron.

Chuquet.

Cimarosa.

Collège de jeunes filles projeté pour Bologne.

Collège de jeunes filles de Milan.

Collèges de jeunes filles de Naples.

Collège de jeunes filles de Vérone.

Collège de jeunes filles fondé par Joseph II à Vienne.

Colletta (Pietro).

Comte (Ach.).

Comte (Aug.).

Comte (Ch.).

Condorcet.

Confalonieri (Fed.).

Considérant (Vict.).

Constant (B.).

Corniani.

Correspondance générale et gratuite pour les sciences et les arts.

Cosway (Maria).

Court de Gébelin (Voir au mot _Musée de Paris_).

Cousin (Vict.).

Croce (Benedetto).

Cusani.

Cuvier.

Dacier (Bon Joseph).

Dante.

Danton.

Daunou.

Davanzati.

Debidour.

_Décaméron (Le)_.

Delille.

Demogeot.

Demoustier.

Denina (l'abbé).

Deparcieux.

Dépéret.

Desaudray (Gaullard).

De Velo.

Dezeimeris.

Didot (Les).

Ducler.

Dumarsais.

Dumas (le chimiste).

Dunoyer.

Dupin (Ch.).

Dussault.

Duval (Amaury).

Duvernoy.

Duviquet.

Escherny.

Eugène (le prince).

Fabre (Victorin).

Falorsi (G.).

Fauriel.

Féletz.

Ferrari (Sever.).

Ferrazzi (G.-J.).

Ferri (Luigi).

Ferri di San Costante.

Filon.

Flamini (Franc).

Fontanes.

Fornaciari (Raffaello).

Foscolo (Ugo).

Fourcroy.

Fourier (J.-B.-Jos.).

Fresnel.

Gall.

Garat (Dominique).

Garnier (Joseph).

Gazier.

Gebhart.

Genlis (Mme de).

Genovesi.

Geoffroy Saint-Hilaire (Isid.).

Gérando (de).

Gillet-Laumont.

Ginguené.

Giordani (Pietro).

_Giornale italiano (Il)_.

Grasseau (Mme et Mlles).

Grégoire (l'abbé).

Gricourt (Mme de).

Guasti.

Guazza (Mme Amalia).

Gueneau de Mussy.

Guillon (Aimé).

Guizot (Franc.).

Halévy (Léon).

Hassenfratz.

Himly (A.).

Hippeau.

Hœfer.

Hoffmann (Fr.-Ben.).

Hugo (Abel).

Hugo (Vict.).

Janin (J.).

Janvier (Aug.).

_Jérusalem délivrée (La)_.

Joppi (Vinc.).

Joret-Desclosières.

Joubert (Jos.).

Jouy.

Jussieu (Al. de).

Jussieu (Laur. de).

La Blancherie.

Labra (Raf. de).

Lacépède.

Lacretelle (Ch.).

Lacroix.

La Croix (de).

La Fage (Adr. de).

La Folie (Ch.-J.).

La Harpe (Jean-François).

Lama (de).

Lampredi (Urb.).

Lapierre.

Larevellière-Lépeaux.

Laugers (Mme Thérèse).

Lavoisier.

Laya (Jean-Louis).

Legouvé (Ern.).

Lemercier.

Lenient (Ch.).

Lenoir (Alex.).

Lévesque.

Liard.

Lingay.

Londonio.

Lort (Mme Caroline de).

Loubens (Ch.).

Lycée de Lyon, fondé par Bassi.

Lycée Républicain.

Macé (A.).

Magendie.

Magnabal.

Maisonabe.

Malagola.

Malaspina (le marquis).

Malte-Brun.

Mamiani (Ter.).

Manin (Dan.).

Manno (le baron Ant.).

Manzoni (Aless.).

Marini.

Marmontel.

Marrast (Arm.).

Martin (Aimé).

Maulevrier (Mmes de).

Mazade (de).

Méjan.

Melzi d'Eril (duc de).

Ménage.

Mercier (Louis-Sébastien).

Mérimée (Ernest).

Métastase.

Michaud.

Mignet.

Millin.

Miollis.

Monge.

Montanelli (Giuseppe).

Monti (Vinc.).

Moreau de Saint-Méry.

Morgan (Lady).

Morpurgo (S.).

Morsolin (Bern.).

Mosca (Filippo).

Mozart.

Murat (Caroline).

Murat (Joach.).

Muratori.

Musée fondé par Pilâtre de Rozier.

_Musée de Paris_.

Napoléon Ier.

Naudet.

Neri (Ach.).

Nettement.

Nicollet.

Novati (Franc.).

Orfila.

Ottavi.

Pananti (Fil.).

Parini (Gius.).

Pariset.

Parisot.

Parmentier.

Patin.

_Paul et Virginie_.

Payen (le chimiste).

Pellegrini.

Pellico (Silvio).

Pensionnat de jeunes filles de Bologne.

Pensionnat de jeunes filles de Lodi.

Pétrarque.

Picavet.

Picciola.

Pilâtre de Rozier.

_Poligrafo_ (_Il_).

Pommereul (de).

Porro (famille).

Pouillet.

Pradel (Eug. de).

Prat (Henri).

Prévost (Const.).

Prota (Mme Rosalie).

Proust.

Prudhomme.

Puccianti (Gius.).

Rambaud.

Raspail.

Raucourt (Mlle).

Regnier-Desmarais.

Rémusat (Abel).

_Revue internationale de l'enseignement_.

Ricard.

Richerand.

Rigutini.

Ristelhuber.

_Rivista critica della letteratura italiana_.

Robecchi (Levino).

Robespierre.

Robiquet (P.).

Rochette (Raoul).

Rœderer.

Roger (Franc.).

_Roland furieux (le)_.

Romaniaco,

Rousseau (J.-J.).

Rusca.

Saint-Lambert.

Saint-Marc Girardin.

Sainte-Beuve.

Saxy-Visconti (Mme Carlotta de).

Say (J.-B.).

Scopoli.

Scoppa (Ant.).

Selva (Le P.).

Sforza (G.).

Sicard.

Simon (Léon).

Sismondi.

Smith (Mme Henriette).

Société des bonnes lettres.

Sorèze (collège de).

Soucy (Mme Angélique de Fitte de).

Spurzheim.

Stendhal.

Sue (Pierre).

Tasse (le).

Thénard.

Tissot.

Tivaroni.

Trélat.

Tribolati (Fel.).

Vaccari.

Vanhove-Talma (Mme).

Vauquelin.

Ventenat.

Véron (Dr).

Victor Amédée.

Vigée.

Villemain.

Villenave.

Villoteau.

Visconti (Gasp.).

Voltaire.

Zamboni (Virginio).

Zannoni.

Zobi.



NOTES:

[1: _Giornale italiano_ du 12 mai 1805. Une preuve que chez les Italiens
de cette époque les plus amères représailles contre les prétentions
littéraires des Français n'impliquaient pas la révolte contre la
suprématie politique de la France, c'est que Cattanco, dans l'année où
il qualifie, comme on le verra tout à l'heure, notre littérature, donne,
dans son _Discorso sull'apparecchio allo studio della storia
universale_, les plus grands éloges au prince Eugène et à son secrétaire
Méjan. Ajoutons qu'en 1825 il chanta la venue de l'empereur d'Autriche
en Italie.]

[2: _Che la lingua italiana dovesse mettersi in fondo_. Préface de son
livre: _Sopra la vita, le opere e il sapere di Guido d'Arezzo_, Paris,
1811, écrit contre les _Recherches_ de Villoteau _sur l'analogie de la
musique avec les arts qui ont pour objet l'imitation du langage..._
Paris, 2 tomes in-8°, 1807.]

[3: _Dell' uso della lingua francese, discorso in forma di lettera,
diretto a un letterato francese_, Berlin, 1803. Réserve, X, 1195 A, à la
Bibliothèque nationale de Paris.]

[4: Tivaroni, _L'Italia, prima della Rivoluzione francese_,
Turin-Naples, Roux, 1888, p. 525.]

[5: Paris, 1809. Voir, sur la querelle des partisans des _Noces de
Figaro_ de Mozart, et des partisans du _Matrimonio Segreto_ de Cimarosa,
un article signé L. V. P. dans la _Gazette de France_ du 28 décembre
1808.]

[6: Son livre: _Les vrais principes de la versification développés par
un examen comparatif entre la langue italienne et la française_ (Paris,
1811-1814, 3 vol. in-8°), a été, au cours de la publication, l'objet
d'un rapport intéressant de Choron; on y trouve, au milieu de paradoxes,
des vues neuves et justes.]

[7: Page 136-138 du premier volume.]

[8: Le passage de Malte-Brun est extrait du _Journal de l'Empire_ du 26
juin 1810; celui de Ginguené, du _Mercure de France_ du 29 octobre
1808.]

[9: _Mercure de France_ du 24 février 1810.]

[10: Voir les recherches bibliographiques de M. G. J. Ferrazzi sur
Arioste, de M. Bacchi della Lega sur Boccace, et la réimpression que M.
Guasti a donnée du livre de Serassi sur le Tasse; on y verra aussi les
éditions françaises du texte de ces classiques.]

[11: _Orateurs de la Législative et de la Convention_ (Paris, Hachette,
1886, II, p. 174-175). Sur Rusca, voir p. 183 du 1er vol. des _Curiosità
e ricerche di Storia subalpina_, publication dirigée par M. Nicom.
Bianchi (Rome, Turin, Florence; Bocca, 1875); Ginguené est plus
indulgent pour Rusca (_Mercure de France_ du 24 février 1810). Le
passage de _L'Année littéraire_ est tome II, lettre 10.]

[12: Voir ses articles du 12 janvier 1807, des 4, 5 et 9 décembre 1809,
du 19 juillet 1810 dans le _Giornale italiano_.]

[13: _Vita del cavaliere G.-B. Bodoni_, Parme, 1816, par Gius. de Lama.
L'article de Ginguené pour les Didot est dans le _Mercure de France_ du
29 juillet 1809.]

[14: Le décret du 12 août 1807, qui décide qu'une troupe italienne sera
formée sous la protection et avec subvention du gouvernement, ordonne
qu'elle jouera à Milan et dans les principales villes du royaume, et que
nulle troupe italienne ne pourra jouer en même temps qu'elle dans une
ville à l'époque (annoncée à l'avance) où elle y donnera des
représentations (_Giornale italiano_ du 22 août 1807, 11 juillet 1812,
30 août 1812). En fondant cette troupe, le gouvernement français donnait
satisfaction à un des vœux émis par Londonio en 1804, dans ses _Succinte
osservazioni di un cittadino milanese sui publici spettacoli teatrali
della sua patria_.]

[15: Voir, sur ces représentations, qui avaient lieu le plus souvent au
théâtre de la Canobiana, des articles du _Giornale italiano_ du 9
janvier et du 12 mars 1807, du 21 avril et du 27 mai 1808, du 6 février
1809, du 28 novembre 1810, du 5 juin, des 4 et 29 octobre, du 22
novembre, du 10 décembre 1811, du 24 janvier, du 18 mars, du 8 avril
1814, et une lettre de S. Pellico, p. 179 du 1er vol. des _Curiosità...
di storia subalpina précitées_.]

[16: Voir ces décisions dans le _Giornale italiano_ du 3 décembre 1808,
et dans le discours précité d'Auribeau.]

[17: Le passage cité du _Rapport_ de Scopoli se lit aux pages 32-33 de
l'extrait que M. Giuseppe Biadego en a publié à Vérone en 1879. M.
Biadego y a joint d'utiles éclaircissements; j'en détacherai une preuve
touchante des bonnes relations dans lesquelles les officiers français et
la population devaient vivre à Vérone: Le 15 octobre 1813, peu de temps
avant que nos soldats abandonnassent l'Italie, un militaire français,
offrant à la ville un ouvrage de sa composition, écrivait sur le volume:
«Déposé à la Bibliothèque publique de S. Sébastien à Vérone, comme un
témoignage de souvenir et d'attachement que je désire laisser aux
habitants de cette ville où j'ai passé trois années avec ma famille...»
Vers le même temps, quelques pauvres Espagnols, internés dans un village
du Forez, offraient à l'église une corbeille tressée par leurs mains en
souvenir du bon accueil qu'ils avaient trouvé dans le pays. On saisira
l'analogie de ces deux faits]

[18: _L'Italia prima della rivoluzione francese_, p. 290, et p. 369 et
suiv.]

[19: _L'Italia sotto il dominio francese_ (Rome, Turin, Naples, Roux,
1889, p. 266 du 2e volume).]

[20: Cantù, _Dell' indipendenza italiana, cronistoria_, 1er vol.; Zobi,
_Storia civile della Toscana dal 1787 al 1848_ (Florence, Molini, 1851),
p. 431-435, 458 et suiv., 713-715 du 3e vol.; Cusani, _Storia di Milano
dall' origine ai di nostri_ (Milan, typogr. Albertari, 1867), 6e vol.,
p. 104-106, 132-133, 349-350.]

[21: Tivaroni, _L'Italia prima della rivoluzione francese_, p. 371.]

[22: _Madame de Staël et l'Italie_ (Paris, Colin, 1890), p. 67-75.]

[23: Voir les instructions et les arrêtés du ministre aux pages 34-41 et
70 du 4e vol. de la _Raccolta delle leggi, proclami, ordini ed avvisi
pubblicati in Milano nell'anno VIe_. Ce recueil, édité à l'époque même
par Veladini, est devenu si rare que, non seulement on ne le trouve pas
à la Bibliothèque nationale de Paris, mais à Rome même M. Zannoni l'a
vainement cherché pour moi. C'est grâce à M. Lev. Robecchi, le libraire
érudit de Milan, que j'ai pu le consulter.--Le comte Litta, dans le
livre cité un peu plus bas, ne donne pas la particule à Mme de Saxy; il
dit que son père avait pour prénom Gianluigi. Il existait en Provence
une famille noble appelée Saxi. Je ne sais si la surintendante en
descendait.]

[24: Ce Rapport, qui porte le numéro d'ordre 18792, figure dans les
Archives d'État de Bologne, dont le savant directeur, M. Malagola, à la
prière de MM. Aless. d'Ancona et Capellini, a bien voulu l'extraire pour
moi. C'est également à M. Malagola que je dois la plupart de mes autres
données sur ce pensionnat.--Sur la subvention donnée par le prince
Eugène à Mme Laugers, voir le _Giornale italiano_ du 22 décembre 1805.]

[25: Dans le Règlement dont le préfet avait ordonné la publication, le
17 avril 1807, afin d'inviter, comme il le disait un peu naïvement, les
Bolonais à grossir le nombre des élèves (Archives d'État de Bologne), le
prix de la pension est de 30 livres italiennes par mois, plus cent
francs par an de faux frais, et non compris les arts d'agrément.]

[26: Mme Laugers se chargeait du français, de l'histoire, de la
géographie _et d'autres sciences et langues_, selon la capacité des
élèves; elle dirigeait les travaux à l'aiguille avec l'aide d'une
sous-maîtresse; des professeurs enseignaient l'écriture, l'arithmétique
et l'italien. Les arts d'agrément étaient facultatifs.]

[27: Ces examens avaient lieu tous les six mois. Chaque trimestre, on
procédait à une récapitulation, et la plus méritante recevait un insigne
qu'elle gardait pendant trois mois.]

[28: Je n'ai pas ce document.]

[29: L'établissement était auparavant rue Nosadella.]

[30: C'est à la prière de M. Flamini, professeur d'histoire à l'Istituto
tecnico de Turin, et auteur d'un très estimable ouvrage sur les poètes
lyriques de la Toscane au quinzième siècle, que M. Agnelli m'a fourni
cette notice que je donnerai en appendice. Le passage de lady Morgan
forme une note du morceau qu'elle consacre aux collèges napoléoniens de
jeunes filles, p. 248-254 du 1er volume.]

[31: Voir le _Giornale italiano_ des 10 et 13 novembre 1808, et les
documents originaux qui se trouvent aux Archives d'État de Naples, à la
section _Ministero dell'Interno_, fascicule 714; M. Benedetto Croce a eu
l'obligeance de m'envoyer un extrait de ces papiers, auquel je viens de
faire quelques emprunts, et dont le reste se placera dans un appendice.]

[32: Tivaroni, _L'Italia durante il dominio francese_, II, p. 266.]

[33: Page 27 du 2e volume de la _Correspondance inédite de Mme Campan
avec la reine Hortense_, Paris, Levavasseur, 1835.]

[34: Voir le carton intitulé _Studj Collegi Milano Collº Re delle
Fanciulle Prowidenze Generali dal 1808 al..._--Les deux Règlements de la
Légion d'honneur se trouvent à la Bibliothèque nationale de Paris.]

[35: Ce blanc qui est dans le texte manuscrit devait sans doute être
rempli par les mots «l'Econome.» Toutefois, d'après une traduction faite
plus tard pour le gouvernement autrichien, il s'agirait ici de la
Maîtresse.]

[36: Je n'ai point trouvé ce nom dans les dictionnaires, et soupçonne,
par conséquent, une erreur du manuscrit.]

[37: Probablement par erreur, au lieu de Pfeffel.]

[38: Cette liste est, dans le texte, rédigée en italien.]

[39: Voir aux Archives de Milan, dans le carton précité, une lettre de
Lacépède à Mme Campan, du 28 septembre 1808; on y verra aussi une lettre
de Lacépède, du 5 du même mois, qui s'accordait mieux avec la gravité du
plan de Napoléon, en prescrivant la célébration d'une messe annuelle en
souvenir des parents qui viendraient de mourir.]

[40: C'est M. Lenient qui m'a appris qu'elle avait demandé
l'interdiction du _Pacha de Suresnes_, comédie d'Etienne et de
Gaugiran-Nanteuil, jouée en 1802, où la maîtresse d'un pensionnat
morigénait en ces termes ses élèves: «On doit vous établir en sortant de
chez moi; et si vous n'apprenez pas à dessiner, à chanter, à danser, à
faire des vers et à jouer la comédie, comment voulez-vous devenir de
bonnes femmes de ménage?»]

[41: Voir la Lettre de M. Ginguené, membre de l'Institut de France à un
académicien de l'Académie impériale de Turin (Valperga di Caluso) sur un
passage de la Vie de Vitt. Alfieri (Paris, imp. Colas, 1809).]

[42: C'étaient, pour l'italien et l'histoire, Luigi Romanelli; pour la
calligraphie et l'arithmétique, Giuseppe Bissi; pour la danse, Mme
Coralli, dont la directrice apprécia bientôt le tact; pour le chant,
Ant. Secchi; pour le piano, Bened. Negri; pour le dessin, Giuseppe de
Albertis.--Voir ces nominations dans le _Giornale italiano_ des 2
février et 5 avril 1809, 1er avril et 9 décembre 1810. J'ai rectifié
plusieurs noms français d'après les Archives de Milan. Il y eut toujours
aussi, sous Napoléon, une ou deux institutrices italiennes. D'ailleurs,
Mme Gibert, souvent appelée Giberti, est portée comme Milanaise dans une
pièce du carton Ufficj PG et AZ (Archives de Milan).]

[43: La notice de M. Croce, que nous publierons en appendice, donnera
des détails sur ce collège.]

[44: Le passage suivant de sa lettre de refus m'a paru mériter d'être
traduit: «Madame Rambaldi (elle parle d'elle à la troisième personne)
avait fort peu d'inclination pour les emplois publics de toute espèce;
depuis douze ans, le destin a voulu qu'elle assumât la charge de diriger
l'hospice civil de Vérone, où elle se trouve encore, et d'où elle ne
pourrait s'éloigner sans une immense douleur. Cet emploi surpasse ses
forces, et ce n'est qu'en redoublant de zèle qu'elle essaie de suppléer
à l'insuffisance de ses talents dans l'exercice de ses fonctions; mais
elle ne pourrait certes en faire autant au Collège Royal des jeunes
filles, où on vient de la nommer, car il faudrait là, sans conteste,
bien plus de lumières et de capacité qu'elle n'en possède. Accepter ce
suffrage honorable et trop flatteur, ce serait se trahir elle-même, en
même temps que trahir les vues sages de notre paternel gouvernement.» On
s'était de même inutilement adressé, pour le poste de directrice du
collège de Vérone, à une dame piémontaise nommée Dauptan.--Sur ces deux
dames, voir aux Archives de Milan, le carton intitulé _Collegi d'educ.
Verona, Collegio femminile. Ufficj_.]

[45: Voir aux Archives de Milan le carton _Studj. Collegj d'educazione.
Verona. Coll° Femminile. Prowe GenII_ et le _Giornale italiano_ du 23
septembre 1812.--À l'occasion d'une visite des enfants du prince Eugène
au collège de Milan, le 21 juin 1811, on avait construit un théâtre de
marionnettes qui coûta plus de sept cents francs (_Studj. Colleg.
d'educ. Milano. Coll° delle Fanciulle A-Z_. Archives de Milan).]

[46: Voir un rapport ministériel qui porte en marge les observations
ci-dessus du prince Eugène, datées du 13 juillet 1812, et une lettre du
ministre, du 31 du même mois, dans le carton _Studj. Collegj d'educaz.
Verona. Coll° Femminile Prow. Genli_, et dans un autre carton relatif au
même collège qui porte la rubrique _Ufficj_ (mêmes Archives).]

[47: Sur ces divers démêlés, voir _Studj. Collegj d'educaz. Milano.
Coll° Reale delle Fanciulle, Direttrici. Uff. Istit. e Maestre. Prow.
Gener._ (Arch. de Milan).--Conséquence plus inoffensive de son origine
aristocratique, Mme de Lort attachait une grande importance à l'élégante
simplicité de la démarche: un professeur de danse qu'on accusait de ne
pas faire faire de progrès aux élèves répondra que la faute en est à Mme
la Directrice, qui les dégoûte de la danse, en l'obligeant à ne donner
presque que des leçons de maintien.]

[48: Archives de Milan, carton _Studj. Collegj d'educ. Verona. Coll°
Femminile. Prow. Gener_.]

[49: Rapport du 7 décembre 1812, même carton des Archives de Milan. Les
arrêtés de nomination de Mme Guazza comme Maîtresse, puis comme
Directrice, sont dans le _Giornale Italiano_ du 28 juillet 1812 et du 7
février 1813. Son nom est souvent estropié dans les pièces qui la
concernent.]

[50: Voir aux Archives nationales de Paris, dans le dossier Théâtre,
Bibliothèque et Collège (de Parme), du carton Fle85 des lettres de ce
préfet, notamment celles du 25 août et du 11 octobre 1806. Dans le même
dossier, on trouve une lettre du même préfet, en date du 10 septembre
1806, écrite dans un esprit analogue sur l'emploi à faire des comédiens
français en Italie.]

[51: Hugo Schiff, article sur l’École des hautes études de Florence,
dans la _Revue internationale de l'enseignement_ du 15 septembre 1891.]

[52: Carton _Studj. Collegj. Milano Coll° R. delle Fanciulle. Ufficj. PG
ed AZ._]

[53: Même carton et carton _Direttrici, Ufficj, Istit. e Maestre. Prow.
Gener._]

[54: _Il governo, dovendo render giustizia alle cure della Direttrice ed
alla saviezza dei regolamenti, non puo non chiamarsi estremamente
soddisfatto sotto ogni rapporto dell'andamento di questo Istituto. A
simile testimonianza lusinghiera per parte del governo corrisponde
pienamente il voto della pubblica opinione e il suffragio autorevole dei
padri e delle madri di famiglia delle più cospicue classi della società,
che riguardano come un favore insigne quello di ottenere per le loro
figlie un posto nel collegio, anche contro la corrisponsione
dell'intiera pensione. Carton Prow. Gener. dal 1808 a...,_ aux Archives
de Milan.]

[55: _Ibid._]

[56: Premier volume de la traduction française de 1821, p. 248 et suiv.]

[57: Sur les modifications que les Autrichiens apportèrent au règlement
original, sur l'importance inégale donnée dans le collège au français et
à l'allemand, sur la longue opposition aux économies, voir, aux Archives
de Milan, celui des s précités qui est intitulé: _Prow. Gener, dal 1808,
a..._]

[58: Au moment où une de ses filles, Anna Maria, atteignit l'âge de
dix-huit ans auquel les élèves devaient quitter la maison, elle était,
non plus seulement orpheline de mère, mais privée de son père, qui avait
dû fuir en 1821 et resta vingt ans environ en exil (Voir quelques mots
sur la famille dans un article de M. Felice Calvi, _Archiv. Stor.
Lombardo_, 2e série, 2e vol., 12e année). Son tuteur, le comte Giberto
Borromeo, demanda qu'on voulût bien la garder; sur le rapport de Mme de
Lort, qui déclara que la jeune fille était d'un excellent exemple par
_sa piété, sa douceur, sa docilité et son application_, le gouvernement
y consentit (1823. Archives de Milan, carton _Alunne, G. L._). Le
tableau du personnel du collège pour 1824-5 porte une institutrice du
nom d'Anna Porro, née à Milan, âgée de vingt et un ans, et entrée en
fonctions le 1er janvier 1822. Ne serait-ce pas la fille du comte
Luigi?]

[59: Voyez aux Archives de Milan, parmi les cartons relatifs au collège,
celui qui porte la rubrique _Alunne, A. G._]

[60: Sur la population du collège à ces différentes époques, voyez, aux
mêmes archives, le carton souvent cité _Prow. Gener. dal 1808 al.._, et
le carton _Alunne, Prow. Gener. 1831_, dans la série des documents
relatifs au collège.]

[61: Voir le premier des deux cartons cités dans la note précédente.]

[62: C'est dans l'Almanach officiel de 1828 que le nom de Mme de Lort se
trouve accompagné de ce titre; nous empruntons la définition de l'ordre
à la _Collection historique des ordres civils et militaires_ de A. M.
Perrot. Paris, André, 1820, in-4°.]

[63: Je n'avais eu entre les mains que les almanachs antérieurs à 1849
qui la portent tous comme Directrice depuis l'époque de sa nomination.
M. le professeur Novati, qui a bien voulu continuer mes recherches sur
ce point, la trouve mentionnée, avec cette même qualité, dans la _Guida
di Milano_ de 1849; en 1850, le nom de la Directrice est en blanc; en
1851, la nouvelle titulaire est Mme Rosa Scatiglia. M. Novati fait
observer à ce propos que, cet annuaire se publiant alors comme
aujourd'hui entre les mois de février et de mars de l'année dont il
porte le millésime, Mme Smith, du moment où elle ne figure plus dans
l'édition de 1850, doit avoir cessé ses fonctions à la fin de 1849. Aux
Archives de Milan, les particularités sur Mmes de Lort et Smith se
trouvent surtout dans les cartons _Prow. Gener, dal 1808 al..._, et
_Direttrici Uff. Istit. e Maest. Prow. Gener._]

[64: _Regno d'Italia. R. Collegio Femminile di Verona_. Vérone, typogr.
Gaetano Franchini. J'en dois la connaissance à M. Giuseppe Biadego.]

[65: Voir la note qu'elle a mise au passage précité de sa relation de
voyage.]

[66: Le passage de Colletta est tiré de la _Storia del Reame di Napoli
dal 1734 sino al 1835_, liv. VII, ch. I, § 7. Pour l'histoire des
collèges de jeunes filles de Naples sous les Bourbons, j'ai mis à profit
la notice de M. Croce que j'ai déjà citée et dont je donnerai le reste
en appendice.]

[67: Voyez p. 173 du 18e volume des _Mémoires secrets pour servir à
l'histoire de la république des lettres_, à la date du 2 décembre 1781,
et Dulaure, _Histoire de Paris_, 6e vol. de la 6e édit., p. 381.]

[68: _Mémoires secrets_, 3 décembre 1781.]

[69: _Ibid._, 3 décembre 1782.]

[70: _Ibid._, 2 décembre 1781.]

[71: _Ibid._, 3 janvier 1782.]

[72: Par exemple, le 7 décembre 1784.]

[73: La _Corresp. génér._ de La Blancherie avait été fondée sur le
modèle du Lycée de Lyon, établi d'après les _Mémoires secrets_ en 1777,
par un certain Bassi, à l'imitation du fameux club littéraire du café de
Saint-James (Voir, sur le Lycée de Lyon, le _Courrier_ du 25 juillet
1786). Le musée de Court de Gébelin datait du 17 novembre 1780. Bassi
songea, en 1784, à ouvrir un club littéraire dans les nouvelles
constructions du Palais-Royal, sous le nom que nous verrons reparaître,
plus tard, de Lycée de Paris: on peut voir son prospectus imprimé à la
Bibliothèque Carnavalet.]

[74: _Mémoires secrets_ du 3 janvier 1782.]

[75: Voyez la curieuse histoire des efforts de La Blancherie, dans les
_Mémoires secrets_, 22 et 23 avril, 28 octobre, 9 décembre 1782, 20 août
et 24 novembre 1783, 18 décembre 1784, 2 mars 1785, 17 avril, 7 mai, 20
novembre 1786; mais il faut contrôler les assertions des _Mémoires
secrets_, en consultant le journal de La Blancherie.]

[76: Sur ce musée, voy. _Mém. secr._, 10 mars 1782, 4 juillet, 7, 9, 10,
13, 21 août, 2 septembre 1783, 1er janvier 1784 (on voit, par l'article
de ce jour, que le musée de Paris siégeait rue Dauphine), 25 mai 1784,
et les deux pièces suivantes qu'on trouve à la Bibliothèque Carnavalet:
_Séance du musée de Paris du 5 décembre 1784_; _Règlements du musée de
Paris, 1785_. Le Prévost d'Exmes a consacré quelques pages de ses
_Entretiens philosophiques_ (Genève, 1785) au musée de Paris, sur lequel
il revient encore à la note D de cet opuscule.]

[77: Sur les fêtes données au musée de Pilâtre, voyez _Mém. secrets_, 7
décembre 1784, 31 janvier 1785, le Courrier du 18 janvier 1785. Sur la
médaille destinée aux Montgolfier, _Mém. secrets_, 9 septembre 1783.--Le
musée de Gébelin avait, le 11 mars 1783, fait une cantate en l'honneur
de Franklin et couronné son buste.--Le 20 novembre 1783, à la reprise
des cours de Pilâtre, Mme de Chartres couronna le buste du plus jeune
des frères Montgolfier.]

[78: Sur ces incidents fâcheux ou heureux, voy. Lenoir, _Eloge funèbre
de M. Pilâtre de Rozier_, Londres et Paris, 1785, l'autobiographie de
Pilâtre, les _Mém. secrets_, 9 septembre 1783, 31 janvier 1785. Les
dissidents du musée de Paris se rejoignirent à leurs anciens confrères
après la mort de Gébelin et de Pilâtre (_Mém. secrets_, 18 décembre
1785).]

[79: Sur les péripéties du Musée à la mort de Pilâtre, voyez un article
de la _Révolution française_ du 14 juin 1888 sur le Lycée Républicain;
la _Vie de Louis XVIII_, par Alph. de Beauchamp, Paris, Naudin, 1825,
1er vol., p. 14; la _Nouvelle Biographie générale_, au mot Flesselles;
la 239e lettre de la _Correspondance russe_ de La Harpe. Les _Eloges
funèbres_ de Pilâtre ont été publiés.]

[80: Voir, dans le _Courrier_ du 7 février 1786, un article daté du 17
janvier et la _Nouvelle Biographie générale_, au mot Garat.]

[81: Voir les lettres 201 et 239 de la _Correspondance russe_, la note
ajoutée par Grimm dans sa _Correspondance littéraire, philosophique et
critique_ à la lettre de février 1786 et _ibid_. la lettre du mois de
mai de la même année. D'après Grimm, le professeur de physique du Lycée
était alors Deparcieux; nous avons suivi l'assertion de La Harpe comme
de l'homme en position pour être le mieux informé, quoique, avant et
après cette date, Deparcieux ait certainement enseigné au Lycée auquel
il demeurera fidèle jusqu'à sa mort, 1799.]

[82: _Mémoires secrets_, 8 janvier 1786. Les Espagnols continuèrent,
après la mort de Pilâtre, à jouir de ces divers avantages.]

[83: _Mémoires secrets_, 22 décembre 1786. Ce discours de Condorcet est
celui que l'on rapporte d'ordinaire à l'année 1787, parce qu'il
inaugurait l'année scolaire ou, comme l'on disait, l'année lycéenne, qui
suivit celle durant laquelle il avait prononcé au Lycée un autre
discours, le 15 février 1786; je soupçonne encore une erreur dans la
date de ce dernier discours que, d'après un article du 17 janvier de
cette année inséré dans le _Courrier_ du 6 février, je rapporterais au 8
janvier 1786.]

[84: _Moniteur_ du 21 brumaire an III.--Quand La Harpe publia son cours
de littérature, il rétracta cette réfutation de Montesquieu, qui,
dit-il, avait eu un tel succès qu'on le sollicitait de toutes parts de
l'imprimer sur-le-champ (V. la note 1 de la page 266 du 3e vol. de
l'édition de Firmin-Didot, 1863).]

[85: _Mémoires de Brissot_, p. 61-62 du 2e volume, et, d'après les _Mém.
secrets_, 11 février 1785, le n° 9 du _Courrier de l'Europe_ du même
jour. Brissot a publié un _Journal du Lycée de Londres_ ou _Tableau de
l'état présent des sciences et des arts en Angleterre_ (Paris, Périsse
jeune, 1784, in-8°).]

[86: Voir le _Moniteur_ du 6 décembre 1789.]

[87: Voir, sur cette société, un article de M. Berthelot dans le
_Journal des savants_ d'août 1888.]

[88: Voir la _Biographie Michaud_ au mot de Saudray et surtout
l'_Annuaire du Lycée des Arts pour l'an III_.]

[89: Sur les embarras pécuniaires où le Lycée des Arts tomba dès 1793,
voir, aux Archives nationales, le carton E 1143; on y lira, entre autres
choses, une curieuse lettre de Fourcroy, du 12 brumaire an II, où il
prie le ministre de l'Intérieur, qu'il tutoie, de subvenir à cette
détresse; Fourcroy ne demande pas à être payé tout seul; il se confond
dans la liste des professeurs de l'établissement; mais, en homme avisé,
il glisse sur la demande d'indemnité qu'en conscience il ne peut
s'empêcher de présenter en faveur des bailleurs de fonds: «Il est,»
dit-il, «dans mes principes et dans mon cœur d'insister davantage auprès
de toi sur le salaire dont les professeurs seraient frustrés.» Pourtant,
la créance de ceux qui avaient engagé leur fortune dans le Lycée des
Arts était au moins aussi respectable que celle des maîtres qui ne lui
avaient donné que quelques mois de leçons.]

[90: Sur tous ces détails, consulter l'_Annuaire du Lycée des Arts pour
l'an III_. On y verra, de plus, que ce Lycée donnait un prix pour les
arts agréables à chaque séance publique.]

[91: _Moniteur_ du 14 novembre 1793 (On voit, dans ce numéro du
_Moniteur_, que le prix d'abonnement venait d'être et allait être encore
l'année suivante de 100 francs pour les hommes et de 50 francs pour les
femmes), et Reg. ms. des assemblées générales des nouveaux fondateurs du
Lycée (Hôtel Carnavalet).]

[92: La Harpe, Introduction à son Discours sur la guerre déclarée par
les tyrans révolutionnaires à la raison, à la morale, aux lettres et aux
arts.]

[93: La Harpe, _Histoire de mon bonnet rouge_, dans le _Mémorial_, 10
juillet, et 1er supplément au n° du 13 juillet 1797.]

[94: Registre précité des assemblées générales des fondateurs.]

[95: Voir le _Moniteur_ du 25 brumaire an III (15 nov. 1794); _Décade_
du 20 brumaire an III. On peut soupçonner toutefois que Lakanal, dans un
rapport de 1795, que cite l'_Annuaire du Lycée des Arts pour l'an III_,
exagère un peu le courage des administrateurs de cet établissement.]

[96: Voir l'accueil que fit Danton, dans la Convention, à la
renonciation patriotique de Désaudray à une pension de 1,000 livres
(_Moniteur_ du 7 frimaire an II, 27 novembre 1793).]

[97: _Moniteur_ du 20 brumaire an III (19 novembre 1794) et le numéro du
lendemain. Nous avons extrait ci-dessus la partie du rapport qui loue
l'esprit indépendant dont le Lycée, dès avant la Révolution, se montrait
animé.]

[98: Voir ce discours et l'introduction qui le précède dans le _Cours de
littérature_ de La Harpe; voir aussi la _Décade_ du 20 nivôse an III.]

[99: _Du fanatisme dans la langue révolutionnaire_. Migneret, 1796,
in-8°, 3e édit.]

[100: _Débats_ du 9 décembre 1800.]

[101: Voir la note qui termine l'introduction de La Harpe à son étude de
la philosophie du dix-huitième siècle, dans le _Cours de littérature_;
l'avertissement à l'appendice de l'article sur Vauvenargues, _ibid._; le
discours préliminaire de Daunou sur les ouvrages de La Harpe et
spécialement le passage sur son _Cours de littérature_; l'article de
Dussault dans les _Débats_ du 26 novembre 1801.]

[102: La Harpe au Lycée lisait ses leçons. C'est à partir de notre
siècle seulement que l'habitude de parler d'abondance s'est répandue
parmi les professeurs: auparavant, ils récitaient par cœur des discours
d'apparat ou lisaient des commentaires qu'ils avaient entièrement
rédigés dans leur cabinet. Nos premiers orateurs politiques ne se
fièrent pas davantage à la facilité de leur parole (voir le livre de M.
Aulard sur les orateurs de la Constituante). La Harpe avait la voix
naturellement rauque, mais Daunou (Disc. prélim. déjà cité) et Dussault
(_Débats_ du 26 janvier 1802) sont d'accord pour louer son talent de
lecteur.]

[103: _Journal de Paris_, 23 et 24 nivôse an III (12 et 13 janvier
1795).]

[104: _Journal de Paris_, 1er pluviôse an III.]

[105: _Moniteur_ du 22 nivôse an III (11 janvier 1795).]

[106: _Journal de Paris_ du 25 ventôse an III (15 mars 1795).]

[107: Article du 22 fructidor an III (8 septembre 1795), trois semaines
seulement avant le 13 vendémiaire.]

[108: En juin 1796, les amis de La Harpe commençaient à penser qu'il
pouvait se montrer sans inconvénient (_Gazette française_ du 21 de ce
mois); mais le mandat d'arrêt n'était pas encore levé; c'est seulement
en novembre 1796 qu'une sentence d'acquittement fut rendue (voir
l'_Eclair_ du 20 nov. 1796). Dans les papiers de Lemaître, agent
royaliste, qui furent analysés le 23 vendémiaire an III devant la
Convention, La Harpe figurait parmi les personnages représentés comme
_intéressants aux succès du plan_ (_Moniteur_ du 28 vendémiaire an IV).]

[109: C'est par une erreur évidente et d'ailleurs rectifiée quelques
jours après que ce numéro donne cette liste comme celle des professeurs
du Lycée des Arts.--Sur les bons rapports de la Harpe avec le _Journal
de Paris_ en 1796, voir aussi le numéro du 21 octobre.]

[110: Les attaques de La Harpe contre la République se trouvent
particulièrement dans les articles du cours de littérature sur Helvétius
et sur Diderot; le mot tiré du _Mémorial_ s'y trouve dans le 1er
supplément du n° du 13 juillet 1797.]

[111: _Moniteur_ du 23 fructidor an V (9 septembre 1797).]

[112: C'est-à-dire dans un troisième Lycée dont il sera parlé plus
loin.]

[113: _Histoire de la Révolution française_, VIIe vol., ch. XXVII.]

[114: Sur les opinions politiques de l'auditoire, voir l'article de la
_Quotidienne_, cité ci-dessus.]

[115: Voir les savantes _Études sur l'histoire religieuse de la
Révolution française_, de M. GAZIER, A. Colin, 1887.]

[116: Il serait curieux d'étudier une pareille transformation dans les
articles que Rœderer a insérés à cette époque dans le _Journal de
Paris_.]

[117: Voir l'article du _Cours de littérature_ sur Diderot.--Il paraît
que La Harpe ne ménageait guère les prêtres assermentés (voir le
post-scriptum d'une lettre insérée dans leur journal, _Les Annales de la
religion_, le 24 juin 1797).]

[118: Sur la condamnation de La Harpe à la déportation en fructidor,
voir le _Moniteur_ du 27 fructidor an V (13 septembre 1797) et le livre
de Peignot.--Arnault, bonapartiste mais voltairien, ne lui avait pas
encore pardonné, en 1833, de s'être converti (voir la note 12 de ses
_Souvenirs d'un sexagénaire_), et l'on sait comment M. Paul Albert a
jugé de cette conversion dans sa _Littérature du dix-huitième siècle_.]

[119: Voir le _Messager du soir_ du 18 janvier 1797 et la _Décade_ du 30
nivôse an V.]

[120: Fourcroy a longtemps professé à la fois au Lycée Républicain et au
Lycée des Arts. Durant l'an VI, Sue fit simultanément un cours
d'histoire naturelle au Lycée Républicain (_Décade_ du 10 frimaire an
VI) et un autre chez lui (_Décade_ du 10 brumaire an VI).]

[121: _Décade_ du 30 prairial an V; réponse du _Déjeuner_ du 23 juin
1797; rétractation de la _Décade_ du 10 messidor an V.]

[122: Voir, sur ce Lycée, le _Journal des veillées des muses_, le
_Conservateur_ du 3 floréal an VI, la _Décade_ du 30 prairial an VIII,
du 10 floréal an IX; le _Moniteur_ du 6 brumaire an IX, des 15 et 29
brumaire an X; les _Débats_ du 26 février, du 20 et du 29 décembre 1808;
les _Souvenirs de Paris en 1804_, par Kotzebue, p. 116-117 de la
traduction française de 1805.]

[123: On trouvera, dans les numéros de la _Décade_, le compte rendu de
toutes les inventions propagées par le Lycée des Arts; celles que nous
mentionnons sont consignées dans les numéros du 20 frim. an III, du 10
germin. an IV et dans le _Moniteur_ du 28 fructidor an II.]

[124: _Décade_ du 20 frim. an III; lettre de Désaudray du 1er pluviôse
an V, dans le _Moniteur_ du 4 du même mois.]

[125: Voir les _Annuaires du Lycée des Arts_ pour l'an III et pour l'an
IV.]

[126: Voir, outre l'_Annuaire du Lycée des Arts_ de l'an III, et la
_Décade, passim_, le _Moniteur_ du 28 mars 1796, du 29 septembre et du
25 novembre 1797, l'_Ami des lois_ du 19 mai 1796.]

[127: _Moniteur_ du 25 vendém. an III.]

[128: _Annuaire du Lycée des Arts_ pour l'an III.]

[129: _Décade_ du 20 messidor an II et du 20 frimaire an III.]

[130: Voir les _Annuaires du Lycée des Arts_ pour l'an III et l'an IV,
la _Décade_ du 20 germinal an III, le _Journal de Paris_ du 17 thermidor
an III. C'est surtout dans l'_Annuaire_ de l'an IV qu'il faut étudier le
règlement de ce Lycée; on y verra les précautions prises pour obliger
les membres du Directoire à prêter à l'œuvre une sérieuse
collaboration.--En l'an III, l'entrée aux séances et l'abonnement au
journal et aux notices coûtaient en tout, si l'on payait d'avance, 60
livres; pour chaque cours, on payait de 3 à 5 livres par mois; les prix
pour l'an IV sont un peu plus élevés.]

[131: Lettre de Désaudray dans le _Moniteur_ du 4 pluviôse an V.]

[132: _Moniteur_ du 27 thermidor an III (14 août 1795); _Décade_ du 20
brumaire an III et _Annuaire du Lycée des Arts_ de l'an III.]

[133: Sur l'installation du Cirque où était ce Lycée, voir les _Voyages
d'Art. Young en France_ (p. 356 du 1er vol. de la traduction Lesage.
Paris, Guillaumin et Cie, 1860). En vendémiaire an III, le Lycée des
Arts avait demandé à la Convention un local plus sain et des livres pris
dans les bibliothèques des émigrés.]

[134: Voir une lettre de Désaudray dans le _Moniteur_ du 4 pluviôse an V
(23 janvier 1797), le rapport de Camus dans le _Moniteur_ du 7 ventôse
de la même année et une protestation de Désaudray, dans le _Journal de
Paris_ du 13 ventôse.]

[135: _Décade_ du 10 thermidor an V.]

[136: _Moniteur_ du 27 frimaire an VII; Fontaine, _Le Palais Royal_,
Paris, Gaultier-Laguionie, 1829, p. 23. Fontaine et l'auteur anonyme
d'une _Histoire du Palais Royal_, publiée en 1830, se trompent en
rapportant cet incendie à l'an VIII.]

[137: En 1809, Bodard y ouvrit un cours de botanique médicale comparée
dont il a publié l'analyse (Paris, Méquignon, in-4°), mais ce fut une
exception dont on citerait peu d'exemples.]

[138: Voir la _Décade_ du 30 pluviôse et du 10 thermidor an VIII, du 30
fructidor an IX, la table alphabétique du _Moniteur_, le recueil coté
2447 à la Bibliothèque Carnavalet. Le dernier Almanach du Commerce où
figure l'Athénée des Arts est celui de 1869. Sur la fin, il siégeait à
la mairie du quatrième arrondissement.]

[139: _Décade_ du 30 ventôse an VIII. L'Annuaire du Lycée Républicain
pour l'an VII donne comme professeurs, durant cette année, outre
Mercier, Fourcroy, Brongniart, Sue, Boldoni, Roberts, Weiss, Garat (voir
la _Révolution française_ du 14 juin 1888). D'après la _Décade_ du 10
frimaire an VIII, Mercier ne professait pas proprement l'histoire
littéraire au Lycée; il y avait prononcé en l'an VII des discours sur la
littérature ancienne et moderne, française et étrangère, et allait
continuer pendant l'an VIII.--Voir l'éloge du Lycée dans un curieux
discours de Mercier, _Moniteur_, 22 et 23 fructidor an IV (8 et 9
septembre 1796).]

[140: Sur la présence de Mme Récamier, voir p. 14 du 1er vol. des
_Souvenirs et correspondance tirés de ses papiers_, 4e édit.--Sur les
digressions de la Harpe à cette époque, voir la notice que Daunou lui a
consacrée et la _Décade_ du 10 frimaire an IX.]

[141: _Décade_ du 20 frimaire an IX.]

[142: Ce fut vers le 10 ventôse de l'an X qu'il reçut l'ordre de
s'éloigner (v. la _Décade_ de ce jour). Sur ce nouvel exil, voir
Peignot, _op. cit_.--Il pourrait aussi se faire que Bonaparte eût voulu
punir La Harpe de s'être mêlé au projet de restaurer l'Académie
française.]

[143: Sur la mort et les obsèques de La Harpe, voir la _Décade_ des 12,
15 et 17 février 1803.]

[144: Ce n'était pas une raison pour le Lycée de différer jusqu'au
milieu de l'année 1805 l'éloge public qu'il devait à La Harpe, et de le
confier à un littérateur aussi obscur que Chazet. Les _Débats_ du 24
novembre 1803 blâment avec raison le silence gardé sur La Harpe dans la
séance de réouverture des cours de 1803-1804.]

[145: _Décade_ des 20 et 30 frimaire et du 10 nivôse an IX.
_Délibérations et arrêtés du Comité d'administration du Lycée_
(manuscrit à l'hôtel Carnavalet).]

[146: Je les trouve mentionnés pour la première fois comme professeurs
au Lycée, les deux premiers dans la _Décade_ du 30 vendémiaire an XII,
et le troisième dans la _Décade_ du 10 frimaire an XIV.]

[147: Daunou dit que déjà, dans l'hiver de 1802 et de 1803, Ginguené
avait fait au Lycée des lectures sur la littérature italienne (Notice de
Daunou sur Ginguené, dans la 2e édition de l'_Histoire de la littérature
italienne_ de celui-ci, Paris, Michaud, 1824).]

[148: Voir, au surplus, la liste des professeurs pour l'année 1803-1804,
dans la _Décade_ du 30 vendémiaire an XII et les _Débats_ du 5 décembre
1803.]

[149: _Décade_ du 10 thermidor an XII, 10 frimaire an XIII.]

[150: _Débats_ du 12 décembre 1801.]

[151: Sur le cours de Lemercier, voir ce qu'il en dit lui-même dans
l'ouvrage où il l'a publié, et un article de la _Biographie des hommes
du jour_ par Sarrut et Saint-Edme, 1re partie du 1er volume. Pour la
leçon de Guizot à la Faculté, en 1812, on la trouvera dans ses
_Mémoires_. Le passage suivant offre une allusion évidente: «Les
provinces n'existaient pour Rome que par les tributs qu'elles lui
payaient; Rome n'existait pour les provinces que par les tributs dont
elle les accablait... Dès que cet empire fut conquis, il commença à
cesser d'être, et cette orgueilleuse cité qui regardait comme soumises
toutes les régions où elle pouvait, en entretenant une armée, envoyer un
proconsul et lever des impôts, se vit bientôt forcée d'abandonner
presque volontairement des provinces qu'elle était incapable de
conserver.» On voit que Guizot abrège singulièrement la durée de la
domination romaine, et qu'il oublie que les peuples vaincus par Rome et
par Napoléon n'ont pas uniquement eu à se plaindre de leurs
conquérants.]

[152: Voir les _Nouvelles de la République des lettres_ de La
Blancherie, à la date du 28 novembre 1779.]

[153: Sur les séances d'ouverture du Collège de France, voir _Mémoires
secrets_, 13 et 14 novembre 1786, 16 décembre 1786, 13 novembre 1787;
_Décade_ du 30 brumaire an VI, 10 frimaire an VII, 30 brumaire an XI;
_Journal de Paris_, 30 brumaire an III, 25 brumaire an V; _Débats_ du 26
novembre 1803; _Publiciste_ du 25 novembre 1805.]

[154: _Décade_ du 30 brumaire an VIII; _Débats_ du 3 janvier 1804.]

[155: Article de M. Liard sur l'Enseignement supérieur et le Consulat,
dans la _Revue internationale de l'Enseignement_, 15 avril 1889, p.
347.]

[156: Numéro du 20 novembre 1828. Arm. Marrast a publié un _Examen
critique du cours de M. Cousin_ (Paris, Corréard jeune, 1828), qui
justifie nos remarques sur le rationalisme méticuleux qui régnait alors
à l'Athénée. Voir encore, à ce sujet, les éloges que le _Courrier
français_, donne à Daunou le 9 décembre 1828, et le 7 du même mois, ses
remarques malveillantes sur le cours de Guizot. Sur les rapports d'Arm.
Marrast avec l'école de La Romiguière, voir les _Idéologues_, par M.
Picavet (Paris, Alcan, 1891), p. 554-5 et 607-608.]

[157: Voir, sur le cours d'Artaud à l'Athénée, ses _Essais_ posthumes
_de littérature_ (Paris, Plon, 1863, in-8°), p. 306-351 et p. XII de la
préface.]

[158: Voir un article de M. Aulard, dans la _Révolution française_ du 14
avril 1890.]

[159: 5e vol. de la _Minerve_, p. 209; voir _ibid._, 4e vol., p. 516 et
suiv.]

[160: _Courrier français_ du 8 décembre 1826. Pour Azaïs, voir, dans son
_Cours de philosophie générale_, les trois premiers volumes qui
reproduisent ses leçons de l'Athénée.]

[161: Une pièce, émanée des bureaux de la censure, rapporte qu'on dit
que l'autorité a fait cesser, comme trop agressif, un cours de Jouy;
c'est la seule mention d'une mesure prise contre l'Athénée, et elle
n'est pas positive. Toutes ces pièces sont dans le carton F7, 6915, des
Archives nationales, au dossier qui porte les noms de Villenave et de
Comte.]

[162: Voir aussi le numéro du _Drapeau blanc_ du 26-27 décembre 1822.]

[163: Voir le discours de clôture prononcé par Roger, le 31 mai 1822,
dans les _Annales de la littérature et des arts_.]

[164: Débats du 31 août 1821; _Moniteur_ du 30 juin 1825.]

[165: P. 46 de la _Galerie_, publiée par Lacretelle aîné, à la suite de
la cessation de la _Minerve_; p. 121 du 18e volume des _Annales de la
littérature et des arts_.]

[166: Voir p. 122 du 18e volume des _Annales de la littérature et des
arts_.]

[167: Voir les numéros des 3, 9, 22 décembre 1821.]

[168: Voir le _Constitutionnel_ du 18 décembre 1821, et sur les leçons
qu'Azaïs faisait dans son jardin, la biographie placée en tête de la 5e
édition de son traité des _Compensations_.]

[169: C'est en 1832 qu'elle disparaît de l'_Almanach du commerce_, où
elle figure encore en 1831.]

[170: Voir, sur les cours de Mignet à l'Athénée, le livre de M. Édouard
Petit: _François Mignet_, Paris, Didier, 1889, p. 40 et suiv., et sur
les lectures de Constant, relatives au sentiment religieux, le
_Moniteur_ des 6 février, 16 et 19 mars 1818.]

[171: Voir l'_Investigateur_, journal de cette Société, vol. I, p. 185;
vol. VII, p. 237-238; vol. VIII, p. 43-44, 89, 187. Je dois ces
indications à M. Joret-Desclozières, secrétaire général de la Société
historique, qui a succédé à l'Institut historique; c'est l'intervention
de M. Berth. Zeller qui m'a valu cette gracieuse communication.]

[172: C'est évidemment sa leçon d'ouverture qu'il a publiée sous un
titre interminable dont nous transcrirons les premiers mots:
_Régénération du monde_, Paris, Leroy, in-8°, 1842.--À propos des cours
précités de Mme Dauriat, le programme imprimé de 1837-8, qui est à la
bibliothèque Carnavalet, dit que Mme de Staël et la princesse de Salm
s'étaient fait entendre à l'Athénée. C'est la seule mention que je
connaisse de ce double fait. Quant aux lectures de la princesse de Salm
à l'Athénée des arts, nous les avons rappelées. On sait d'autre part que
Mme de Staël a lu à l'Académie romaine des Arcades une traduction en
vers d'un sonnet italien.]

[173: Dans un appendice sur les cours établis à Paris et en province à
l'imitation du Lycée, nous donnerons des détails dus à M. Dezeimeris et
à Mgr Richard, sur ces établissements de Bordeaux et de Marseille.]

[174: Voir le _Conciliatore_ du 21 mars 1819 et la p. 28 de l'attachante
étude de M. d'Ancona sur F. Confalonieri.]

[175: Le livre où M. de Labra a écrit l'histoire de ces établissements a
pour titre: _El Ateneo de Madrid_ (Madrid, Alaria, 1878). C'est M.
Ernest Mérimée qui me l'a signalé.]

[176: On n'oubliera pas que nous parlons des gens du monde, de
l'éducation qu'on se donne à soi-même; car nul n'ignore ce que
l'Université a fait depuis trente ans pour répandre la connaissance des
langues modernes. Dans cet ordre de connaissances, les hommes qui
écrivent sont en France beaucoup plus instruits que ceux des époques
précédentes.]

[177: Pour les sciences, tous les illustres professeurs de l'Athénée ont
enseigné aussi dans les chaires de l’État.]

[178: Article du _Mercure_ reproduit aux p. 23-25 du 1er volume du
_Journal de l'Instruction publique_ (1827). Pour Daunou, voir le
_Constitutionnel_ du 8 décembre 1819, et un article de Tissot, à la p.
578 du 5e volume de la _Minerve_.]

[179: Guizot, _Essai sur l'histoire et sur l'état actuel de
l'instruction publique en France_ (Paris, Maradan, 1816, p. 121).]

[180: Voir les vains griefs des _Débats_ du 18 novembre 1820 et du 8 mai
1821 contre le cours de Guizot. Cousin donnait quelquefois une forme
provocante à des idées très sages, mais c'était un pur artifice; dans la
fameuse leçon où il exposa sa politique, il ne demandait même pas le
jury pour la presse que tous les libéraux réclamaient.]

[181: Le 20 octobre 1822, il lui écrivait qu'il regrettait un peu cette
petite tribune d'où il exerçait quelque action directe; que cependant il
avait pour dédommagement tout son temps et toute sa liberté. (Voir le
volume de lettres de Guizot, publié par la maison Hachette, en 1884.)]

[182: Voir, sur ce cours, un article du _Conservateur littéraire_ de
juillet 1820.]

[183: Sur l'affaire de Bavoux, voir le _Moniteur_ des 5, 6, 11, 12, 28
juillet, 1, 2, 3 août, 9 septembre 1819. Entre autres journaux qui
défendirent Bavoux, voir la _Minerve_, p. 418-9, 530 et suiv. du VIe
volume; p. 26 et suiv. du VIIe. Parmi ceux qui l'attaquaient, voir un
article de Chateaubriand, p. 76 et suiv. du IVe volume du
_Conservateur_.]

[184: Arch. nat., dossier de Cousin coté 71968. La lettre est simplement
datée du lundi 27 mars, mais elle appartient évidemment à l'année 1820
où le 27 mars tombait en effet un lundi.]

[185: C'est-à-dire pour ses leçons de la Faculté, où il n'existait pas
encore de cours fermé.]

[186: Ces minutes sans signature, écrites de la même main et de la même
encre, sur du papier qui porte l'en-tête imprimé: _Commission de
l'Instruction publique_, se trouvent aux Archives nationales, dans le
dossier précité.]

[187: C'était sans doute à la même époque qu'il lui échappait le
compliment par calembourg, rapporté dans les _Mémoires de Sosthène_ de
Larochefoucauld: «Charles X, c'est deux fois Charles V.»]

[188: Voir, aux Archives nationales, le dossier de Villemain coté F,
72081 et le dossier déjà cité de Cousin. Un statut du 16 février 1810
exigeait de chaque professeur de la Faculté deux leçons d'une heure et
demie par semaine, fixait l'ouverture des cours au mois de décembre, et
la durée de l'année scolaire, pour l'enseignement supérieur, à huit
mois.--D'après un article de la _Rivista critica della letteratura
italiana_ de janvier 1892, sur les vacances et les fêtes de l'Université
de Pise, le grand-duc de Toscane avait décidé, en 1575, que les
professeurs de Faculté feraient chacun, par an, au moins cent dix
leçons: prétention exorbitante, et qui ne pouvait avoir pour effet que
d'abaisser la valeur de l'enseignement donné.]

[189: Cette brochure, éditée à Paris par Pélicier, avait pour titre: _Un
mot sur M. le Directeur de l'imprimerie et de la librairie_. Villemain,
en cette qualité, avait fait confirmer l'interdiction de jouer l'_Ami
des lois_, que la Restauration n'osait laisser représenter par crainte
des cabales des bonapartistes; ceux-ci prenaient alors pour eux ce que
Laya avait écrit contre les démagogues de 1793. C'est dans cette
brochure qu'on trouve la mention des services rendus auparavant à
Villemain par Laya.]

[190: Voir le début de la 52e leçon. Encore est-ce par malice que
Villemain rappelle ici qu'il est professeur d'éloquence. Il veut
justifier la longue étude qu'il entreprend de l'éloquence politique en
Angleterre.]

[191: Voir ces appréciations dans les _Annales de la littérature et des
arts_, p. 234 du 26e vol.; dans le _Globe_, p. 387 du 6e vol.; dans
l'article sur Villemain du 1er vol. des _Causeries du lundi_.]

[192: Près de deux mille cartes auraient été distribuées lors de la
séance d'ouverture de Guizot, en décembre 1820, d'après le
_Constitutionnel_ du 8 de ce mois; mais on venait, ce jour-là, donner
une marque d'adhésion à un homme politique qu'une disgrâce imméritée
obligeait à reprendre possession de sa chaire, Guizot, dans ses
_Mémoires_, dit que son auditoire était alors beaucoup moins nombreux et
moins varié qu'il ne fut quelques années plus tard.]

[193: 34e volume de cette Revue, à propos d'une leçon de Villemain, du 6
janvier 1829.]

[194: P. 347-348 du 6e volume du _Globe_.]

[195: Nous avons déjà touché un mot de l'_Examen critique du cours de M.
Cousin_, par Marrast, à propos de l'Athénée.]

[196: Voir, dans les _Annales de la littérature et des arts_, l'article
des p. 377 et suivantes du 33e volume, et le _Moniteur_ du 26-27
décembre 1822. Sur d'autres travaux d'appropriation exécutés à la
Sorbonne sous la Restauration, voir le _Moniteur_ du 13 novembre 1819 et
du 3 janvier 1820. Il résulte, de recherches consignées par M. le doyen
Himly dans un registre de la Faculté des lettres, que ce fut une
ordonnance du 3 janvier 1821 qui attribua la Sorbonne aux Facultés de
Théologie, des Sciences et des Lettres, et que les affiches de la
Faculté des lettres, depuis 1815-6 jusqu'à 1817-8, portent: «rue
Saint-Jacques, ancien Collège de France;» depuis 1817-8 jusqu'à
1820-1821, «rue Saint-Jacques, ancien collège du Plessis;» depuis
1821-2, «à la Sorbonne.»]

[197: Voir ces deux passages dans le _Cours sur le dix-huitième siècle_,
leçons XIV et XV.]

[198: On a vu plus haut que son auditoire était moins exclusivement
composé de jeunes gens que celui de Cousin.--C'est dans la 52e leçon du
_Cours sur le dix-huitième siècle_ qu'il nous dit que la plupart de ses
auditeurs sont des étudiants en droit.]

[199: Il y loue aussi Lamartine; je n'ai pas remarqué qu'il y fasse
mention de Victor Hugo.]

[200: Dans l'affaire de Bavoux, on voit les étudiants royalistes avancer
que, puisque ses partisans s'arrogent la liberté d'applaudir, les
mécontents acquièrent le droit de siffler, et Bavoux, au moment où il
s'inquiète de la tournure que prennent les événements, déclarer qu'il
n'est pas un acteur, et prier ses auditeurs de l'approuver en silence ou
de se retirer paisiblement.--Sur une manifestation politique des
auditeurs au cours de Raoul Rochette et à celui de Charles Lacretelle,
voir p. 45-6 de la _Galerie_, recueil qui avait succédé à la _Minerve_,
en 1820.]

[201: Voir les _Annales de la littérature et des arts_, 26e vol., p.
198-9, et un article du _Moniteur_ sur la leçon du 24 novembre 1824.
Pour Guizot, voir ses _Mémoires_, 1er vol., p. 343.]

[202: On s'étonne, en lisant le cours imprimé, de voir Villemain
s'excuser, dans la XXVIIe leçon, de traiter du roman, alors que dans la
XIe il en a déjà traité sans se justifier. C'est qu'à l'origine, la
leçon qui contient cette apologie venait bien avant l'autre.]

[203: Sur sa confiance dans les qualités que les circonstances ne
permettaient pas à l'Italie de produire au dehors, voir la 32e leçon du
_Cours sur le dix-huitième siècle_. Sur le scepticisme de la génération
de Villemain à l'endroit du relèvement de l'Italie, voir notre livre:
_Mme de Staël et l'Italie_, p. 136-139.]

[204: Ce fut à partir du 29 avril 1828, date de la leçon sur Hume.]

[205: Voir le _Journal de l'Instruction publique_ du temps, articles des
pages 91 et suiv. du Ier volume, 432 et suiv. du IIe.]

[206: Voir, dans la 23e leçon du _Cours sur le dix-huitième siècle_, et
ailleurs le passage où il prétend que c'est une vie d'aventures qui a
formé tous les talents du seizième siècle, connue si, sans parler de
Marot et de Ronsard, de l'Arioste et du Tasse, la vie de Montaigne et
celle d’Érasme offraient beaucoup d'aventures.]

[207: Outre son dossier aux Archives, voir les _Annales de la
Littérature et des Arts_, vol. IX, p. 427, et vol. XXVI, p. 116; le
_Moniteur_, numéros des 26-27 décembre 1822, du 19 novembre 1823, du 12
janvier 1827. C'étaient tantôt des accidents de poitrine, tantôt une
cruelle maladie des yeux qui avaient nécessité ces interruptions.]

[208: Sur ce dernier point, voir, dans le _Courrier français_ du 9
décembre 1828, le résumé d'une leçon de Daunou au Collège de France.]

[209: 1re année de cette Revue, colonne 111.]

[210: Même Revue, 2e année, colonne 45.]

[211: J'éprouve presque un remords à critiquer un homme qui, dans ce
même article, a parlé courageusement de notre patrie: «Au moment,»
dit-il, «où des passions malsaines sèment la discorde entre deux peuples
frères, il sera bon que le chant du plus sympathique de nos poètes, qui
célèbre les exploits des vaillants et généreux paladins, donne aux
jeunes gens l'amour de la noble et douce terre de France, de tous les
peuples qui s'honorent et se vantent encore du sang latin qui coule dans
leurs veines.»]

[212: Il est, par exemple, bien supérieur au fond dans les premiers
ouvrages de Molière et de Racine; jusqu'à un certain point, la remarque
est vraie aussi des peuples; car les Romains, qui n'ont eu de
jurisconsultes véritablement grands qu'après avoir appris la philosophie
à l'école des Grecs, avaient, dès la Loi des Douze Tables, atteint la
perfection du style législatif.]

[213: M. Lenient, _La poésie patriotique en France au moyen âge_. Paris,
Hachette, 1891.]

[214: Note 3 de la page 270.]

[215: Ce paragraphe est une réponse aux défiances qui entretenaient dans
le pensionnat la demi-solitude avouée par le paragraphe suivant.]

[216: Probablement une Retraite comme dans nos pensionnats
ecclésiastiques.]

[217: Remarquons ici encore que la prudence italienne ne contracte pas
les engagements chimériques de la pédagogie française de ce temps-là.]

[218: Ou plutôt, comme on le verra au dernier paragraphe de ce chapitre,
dépenses que les parents payent par l'intermédiaire du pensionnat.]

[219: _Le straniere._ À cette époque, un Italien ne reconnaissait encore
pour compatriotes ou, du moins, ne nommait ainsi que ses concitoyens.]

[220: Nous avons vu que les maisons d'éducation fondées par le
gouvernement français dans le royaume d'Italie étaient purement laïques,
mais il y existait un certain nombre de pensionnats tenus par des
religieuses.]

[221: Extrait des registres de l'état civil de Saint-Apollinaire (à
Valence), de 1739 à 1749 (G. G., 52). Nous avons conservé les
divergences dans l'orthographe des noms. C'est M. Prudhomme, archiviste
de l'Isère, qui, après avoir fait des recherches dans son département, à
la prière de M. Astor, professeur à la Faculté des sciences de Grenoble,
a bien voulu m'obtenir cette obligeante communication de son collègue de
la Drôme.]

[222: Nous avons trouvé les mêmes intentions dans le gouvernement de
Napoléon et du prince Eugène, la même vigilance dans leurs ministres.]

[223: À la différence du collège de San Marcellino.]

[224: On pourra consulter ce volume à la Bibliothèque nationale de
Paris.]

[225: Lors de la visite de lady Morgan, le nombre des élèves montait à
vingt-deux seulement; mais, comme nous l'avons dit, les pensionnats de
jeunes filles étaient alors tous moins peuplés qu'aujourd'hui.]

[226: Au temps dont parle Bonfadini, ces expressions désignaient
d'ordinaire la méthode des écoles lancastriennes, c'est-à-dire
l'enseignement mutuel qui fit beaucoup parler de lui en France et un peu
en Italie pendant la Restauration. Je ne sais, toutefois, si
l'enseignement mutuel fut, en effet, appliqué par Mme Cosway à Lodi.]

[227: Voir p. 209-212 du 2° volume de cette biographie publiée à Lyon en
1841 (2 vol. in-8°).]

[228: _Giornale italiano_ des 2 janvier, 25 juin 1808 et 1er décembre
1809.]

[229: Ibid., 1er avril 1808.]

[230: Ibid., 1er décembre 1809.]

[231: Ibid., 1er mai 1810.]

[232: Ibid., 2 mai 1811.]

[233: Sur cette grammaire et sur quelques autres, voir M. Ademollo, _Un
awenturiere francese in Italia nella seconda metà del settecento_.
Bergame, 1891, p. 21 et 146-151.]

[234: _La France chevaleresque et chapitrale_, par le vicomte de G***,
Paris, Leroy, 1785. _Catalogue des gentilshommes de Lorraine et du duché
de Bar qui ont pris part ou envoyé leur procuration aux assemblées de la
noblesse pour l'élection des députés aux états généraux de 1789_, par L.
de Larroque et Édouard de Barthélemy, Paris, 1865.]

[235: 9e volume des _Mémoires de la Société d'archéologie lorraine de
Nancy_.]

[236: Relativement à Mme de Gricourt, M. Janvier, président de la
Société des antiquaires de Picardie, m'apprend qu'il existe encore une
famille noble de ce nom alliée aux familles Cousin-Montauban et Tascher
de la Pagerie; mais il n'oserait affirmer que l'institutrice de Milan
appartînt à cette famille.]

[237: Paris, Plon, Nourrit et Cie, 2 vol. in-8°, 1er vol., ch. IV.]

[238: Là où les registres du collège indiquent tantôt Gênes, tantôt une
autre ville de la Ligurie, il est probable que Gênes n'est qu'une
désignation générique et que le véritable lieu de naissance est l'autre
ville.]

[239: M. le baron Ant. Manno veut bien m'écrire que ce Gius. Avogadro
est celui qui devint, plus tard, lieutenant-colonel et qui eut pour fils
l'abbé Gaetano, peintre de quelque mérite, et le comte Annibal, tué d'un
coup de canon en 1848, sous les murs de Milan. Pour Ang. Campana, M.
Manno, qui l'a connu dans sa vieillesse, me dit qu'après 1848 il
commandait en second, comme major général, la garde nationale de Turin.]

[240: M. Ach. Neri, bibliothécaire de l'Université de Gênes, a
l'obligeance de m'apprendre que Luca Podestà fut, plus tard, ingénieur
en chef des ponts et chaussées et eut pour fils le baron Andrea Podestà,
actuellement sénateur et maire de Gênes, et que la famille des Boccardi
a fourni un ambassadeur en France en 1798, et actuellement un sénateur,
qui est, en même temps, un économiste distingué.]

[241: M. G. Sforza a publié une lettre écrite par lui de Sorèze le 16
mai 1802 (_Archivio storico italiano_, 1889, 5e série, n° 169.--P. 12
des _Rime e prose di Fil. Pananti_ (Florence, Salani, 1882)). On dit que
ses élèves pleurèrent à son départ, qu'il alla ensuite à Londres, y
écrivit dans le journal _L'Italia_, donna des leçons d'italien dans le
grand monde et gagna beaucoup d'argent ainsi que le titre de poète du
Théâtre musical; il quitta l'Angleterre en 1813. Sous la Restauration,
le professeur d'italien à la mode à Londres était P.-L. Costantini, qui
a publié des Anthologies, et que Ginguené avait autrefois recommandé
(_Mercure_, 29 octobre 1808).]

[242: Voir, dans la bibliographie qui fait suite à mon livre sur Mme de
Staël et l'Italie, les livres relatifs à l'histoire du Piémont et de la
Lombardie à cette époque, et de plus, les chap. 3 et 4 du IVe vol. de la
_Storia della corte di Savoja durante la Rivoluzione et l'Impero
francese_, par M. Carutti (Turin-Rome; Roux, 1892, in-8°, 1er vol.
L'ouvrage est en cours de publication).]

[243: Voir quelques pages des _Mémoires sur la jeunesse de Mme
Récamier_, de B. Constant, que Mme Lenormant donne en appendice à la
suite des lettres du deuxième à la première qu'elle a publiées en 1882
(Calmann-Lévy, in-8°); le _Discours préliminaire_ de Daunou sur La
Harpe; le _Tableau historique de l'érudition française_ de Dacier; le
chap. XXII des _Mémoires_ de Morellet; les _Mémoires_ de Mme de Genlis.
Mme Récamier ne mettait pas en doute la sincérité de cette conversion;
et, peut-être en réponse à la fameuse historiette sur la componction
gastronomique de la Harpe, elle racontait comment des jeunes gens qui
avaient tendu chez elle un piège à la dévotion de son hôte ne purent
qu'en constater la vérité (_Souvenirs et corresp. tirés des papiers de
Mme Récamier_, par Mme Lenormant, Paris, Mich. Lévy, 1873. p. 54-56 du
1er vol.).]

[244: On remarquera que, tandis que Chateaubriand, atteint dans son fond
par l'incrédulité, parle presque de la religion dans le _Génie du
christianisme_ comme d'une morte qu'il pleure et voudrait ressusciter,
La Harpe voit déjà le philosophisme expirant.]

[245: Encore convient-il de remarquer que l'injustice des autres envers
le christianisme le ramène quelquefois à l'équité (voir la préface du
vol. de J.-B. Salgues, _Mélanges inédits de littérature de La Harpe_,
1810).]

[246: Les articles qui avaient particulièrement piqué La Harpe sont la
lettre assez amusante d'un Frère et Ami retiré des affaires insérée dans
le _Journal de Paris_ du 18 messidor an V (6 juillet 1797) et le numéro
du lendemain du _Rédacteur_. Or, je n'ai plus retrouvé mention de La
Harpe dans le _Journal de Paris_ jusqu'au delà du 18 fructidor; et
pourtant le _Journal de Paris_ était alors si déclaré contre les
opinions de La Harpe que, le 25 fructidor an V, il approuva formellement
le coup d'État du Directoire. Quant au _Rédacteur_, s'il revient à la
charge contre La Harpe le 20 messidor (14 juillet) et le 10 fructidor
(27 août), il ne dit plus rien du bonnet rouge.]

[247: Voir l'art, précité du _Mémorial_, 10 juillet 1797, dont le titre
est: _Histoire de mon bonnet rouge, de ma philosophie, de mon
jacobinisme_, etc., et la suite de cet article dans le premier des deux
suppléments au n° du 13 juillet; voir aussi, dans le _Cours de
littérature_, le préambule du morceau intitulé: _Esprit de la
Révolution_.]

[248: Numéro du 29 juin 1793.]

[249: Note manuscrite de Laya relevée sur un exemplaire de l'_Histoire
de la Révolution_ de M. Thiers, édition de 1832, par M. Ravenel (voir
l'article de M. Ravenel auquel renvoie la _Nouvelle Biographie générale_
au mot LA HARPE).]

[250: La Harpe a toujours dit qu'il avait été enfermé pour avoir
qualifié Robespierre d'_inepte_; le _Journal de Paris_ dit, le 6 juillet
1797, qu'_il fut coffré pour avoir contredit un de nos gros bonnets sur
un point d'histoire_. Cette version se rapproche de celle de Daunou. Peu
importe, en somme: les hommes de la Révolution pardonnaient moins encore
une critique littéraire qu'une satire politique. Voir la fine
explication que M. Aulard donne de l'amertume de Robespierre, p. 516-519
de ses _Orateurs de la Constituante_.]

[251: Des malheurs domestiques contribuèrent à tourner en acrimonie le
zèle religieux de La Harpe. Voir, sur la fin tragique de sa première
femme et sur les chagrins que lui causa son deuxième mariage, les
_Mémoires secrets_ du comte d'Allonville (Paris, Werdet, 1838), p.
352-353 du 1er vol., et _Souvenirs et corresp. tirés des papiers de Mme
Récamier_, par Mme Lenormant, 4e édit. Paris, Michel Lévy, 1873, p.
60-63 du 1er vol. La Harpe avait eu des torts avec sa première femme;
mais Mme Récamier, qui avait fait le deuxième mariage (9 août 1797),
témoignait qu'il se conduisit avec beaucoup de droiture, de modération
et d'humilité dans les mortifications qui en furent pour lui la
conséquence au moment même où le Directoire le poursuivait.]

[252: D'après les _Mémoires_ de Fabre (de l'Aude), Paris, Ménard, 1832,
p. 340-341 du 1er volume, La Harpe dut mettre ses livres en vente;
quelques-uns furent acquis à des prix considérables par des personnes
qui les lui laissèrent.]

[253: Signalons à ceux qui voudront écrire sur La Harpe la réimpression
de son discours sur la liberté des théâtres dans le n° de
juillet-septembre 1789 de la _Révolution française_, p. 363, et, à
propos de ce discours, le n° de la _Feuille du Jour_ du 21 décembre
1790.]

[254: Programme pour l'an II, rédigé par Garat, imprimé (Bibliothèque
Carnavalet). Parmi les curieux détails sur l'épuration de l'an II que
donne le registre des assemblées générales, notons que, pour remplacer
les actionnaires évincés, on se proposait d'appeler pêle-mêle
Berthollet, Monge, Pache, Barrère, Couthon.]

[255: Je ne répéterai plus les attributions des professeurs chaque fois
qu'un même nom reviendra.]

[256: _Courrier français_, 14 novembre 1821, et _Moniteur_ du 15
novembre 1821.]

[257: _Ibid._, 17 novembre 1822.]

[258: _Ibid._, 20 novembre 1823.]

[259: _Courrier français_, 30 novembre 1824; _Globe_ du 2 décembre
1824.]

[260: _Courrier français_, 1er décembre 1825.]

[261: _Courrier français_, 10 décembre 1831.]

[262: _Ibid._, 17 décembre 1832.]

[263: _Courrier français_, 8 décembre 1836, et Programme imprimé à la
Bibliothèque Carnavalet.]

[264: _Courrier français_, 1er décembre 1838.]

[265: Le n° du 19 mai 1796 de l'_Ami des lois_, à propos des séances
publiques du Lycée, dit qu'on peut s'abonner pour trois mois au prix de
200 livres; il veut, sans doute, dire 200 livres en assignats.]

[266: Ces trois listes sont tirées des annuaires du Lycée des Arts. Pour
l'an II, des listes qu'on trouvera au carton F17 1143 des Archives
nationales omettent le nom de Gillet-Laumont et mentionnent en plus, par
contre, les cours de Trouville (hydraulique), et de Lussaut
(architecture).]

[267: Voir la _Décade_ du 20 floréal an VII, du 30 vendémiaire an VIII,
du 20 floréal an IX, et les _Annuaires statistiques_ ou _Annuaires
généraux du département de l'Isère_, rédigés par Berriat Saint-Prix.]

[268: _Courrier français_, 3 décembre 1837.]

[269: _Ibid._, 23 novembre 1848.]

[270: Les cours commençaient quelquefois avant le 1er janvier, mais
point assez régulièrement pour qu'on soit obligé de compter par année
scolaire et non par année civile.]





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