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Title: L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843
Author: Various
Language: French
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L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843

        L'ILLUSTRATION,
        JOURNAL UNIVERSEL

        Nº 27. Vol. II--SAMEDI 2 SEPTEMBRE 1843.
        Bureaux, rue de Seine, 33.

        Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr.
        Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br. 1 fr. 75.

        Ab. pour les Dép..--3 mois, 9 fr.--6 mois. 17 fr.--Un an, 33 fr.
        pour l'Étranger. 10 20 40



SOMMAIRE. Incendie du théâtre de l'Opéra, à Berlin. _Gravure_.--Courrier
de Paris.--Don Francisco Martinez de la Rosa. _Portrait_.--Inauguration
de la Statue de Bichat, sur la place de la Grenette, à Bourg. _Statue de
Bichat, par David (d'Angers)_. M. A. Vattemare et son projet d'échange.
_Médaille._--Une soirée orientale chez M. H... _Gravure_.--Coots.
_Portrait et Exercices de Coots._--De l'autre côté de l'Eau, souvenirs
d'une promenade par O. N.--Agriculture. Labour et Moisson. _Attributs;
Moissonneurs à ta Sape; Moissonneuse à la Faucille; Moissonneur à la
Faux; Dépiquage des Blés dans les départements méridionaux; Moissonneurs
faisant des Meules._--On ne s'avise jamais de tout. Chansonnette.
_Musique_.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù. Chapitre V. La
Conjuration. _Six Gravures_.--Bulletin
bibliographique.--Annonces.--Théâtre portatif de Campagne. _Deux
gravures_.--Amusement des sciences. _Gravure_. Rébus _Une Devise de
Confiseur; Enseigne_.



Incendie du théâtre de l'Opéra

A BERLIN.

Un incendie vient de détruire le théâtre de l'Opéra de Berlin, c'était
le soir du 18 août; l'élite des Berlinois avait assisté à une
représentation _par ordre_ dans laquelle madame Pauline. Viardot avait
excité le plus vif enthousiasme. Le bruit des applaudissements vibrait
encore, quand, sur les dix heures et demie, les soldats du grand
corps-de-garde situé en face du théâtre en virent jaillir des
tourbillons de fumée. L'officier de garde, à la tête d'une escouade,
pénétra intrépidement au milieu des flammes, et parvint à sauver une
collection précieuse de partitions. A onze, heures, une foule
considérable s'empressait autour de l'édifice, tant pour porter des
secours que pour obéir à cet aveugle instinct de curiosité qui trouve à
se satisfaire même au milieu des plus grandes catastrophes. Le prince de
Prusse, en uniforme de général, dirigeait le travail des pompes; autour
de lui étaient accourus le prince Albert, le prince Woldmar, le prince
Étienne d'Autriche, le prince Adelbert et le prince Auguste de
Wurtemberg. Le roi lui-même, Frédéric-Guillaume IV, les rejoignit à sept
heures du matin. Grâce au zèle qu'on déployé, le feu ne consuma que les
instruments de musique et une partie de la garde-robe. Le magasin des
décorations se trouvant dans un autre bâtiment, on n'a perdu que celles
qui avaient servi à la représentation de la veille. On a pu préserver
les édifices voisins, le palais du prince de Prusse, celui du comte de
Nassau (ex-roi de Hollande), et la Bibliothèque Royale; on avait fait
toutefois des préparatifs pour enlever les livres en cas d'urgence.

La toiture s'est écroulée à minuit et demi, et il ne reste plus
aujourd'hui, de ce remarquable monument, que des pans de murs crevassés
et noircis.

Ce théâtre, commencé en 1710, avait été inauguré, le 7 décembre 1712,
par la représentation de _César et Alexandre_, opéra de Grann; il était
situé à l'extrémité de l'avenue _Unter den Linden_ (sous les tilleuls),
à l'angle de _Fredericks-Strasse_. Six colonnes corinthiennes décoraient
la façade, dont la plinthe portait cette inscription:

FREDERICUS REX APOLLINI ET MUSIS.

Les statues de quelques auteurs dramatiques allemands étaient placées
dans des niches extérieures. La salle, longue de 54 mètres (161 pieds),
large de 34 mètres (103 pieds), avait quatre rangs de loges, un parquet,
un parterre, et pouvait contenir près de 2,500 spectateurs.

Plusieurs scènes du dernier roman de madame Sand, _la Comtesse de
Rudolstadt_, se passent à l'Opéra de Berlin.

[Illustration: Incendie du Théâtre de Berlin.]



Courrier de Paris.

Il y a quelques jours, des hommes de lettres, des écrivains politiques
s'étaient réunis et suivaient un modeste cercueil; le mort qui s'en
allait à sa dernière demeure avec cette escorte avait été un honnête
homme et un homme de talent.

Tous les journaux, en annonçant cette fin prématurée de Bert, ont rendu
justice, sans distinction de bannière et sans ressentiment de parti, aux
nobles qualités de son esprit et de son âme, que rehaussaient la
simplicité et la modestie, deux vertus rares de notre temps, et qui
courent risque, pour peu que cela dure, d'être tout entières ensevelies,
comme vient de l'être ce bon et modeste Bert.

On s'est acheminé vers le cimetière de Vauves, et là les restes mortels
sont descendus dans la fosse; le prêtre a béni la terre funèbre, deux
voix émues ont prononcé les paroles d'adieu, et les quelques amis qui
s'étaient donné rendez-vous autour de ce cercueil se sont séparés. Un
monument, ou plutôt une pierre sépulcrale sans prétention et sans faste,
simple comme la vie de celui dont elle doit recouvrir les restes, a été
volée par la piété de ces fidèles.

Deux simples discours, une simple tombe et une simple inscription!
jamais Bert, de son vivant, n'aurait pu croire pour lui à une telle
pompe.. Bert, en effet, fut un de ces caractères timides, réservés,
ingénus, qui dépensent beaucoup en intelligence, en dévouement, en
honnêteté, et qui s'effaroucheront si, par hasard, ils soupçonnent qu'on
s'aperçoit de leur mérite: esprits délicats et ornés, coeurs préparés à
toute belle action et à tout sacrifice, qui se réfugient à chaque pas de
leur existence, et disparaissent dans leur modestie. Il arrive que ces
homme, si craintifs et si défiants d'eux-mêmes, remplissent leur vie de
nobles actions et de travaux distingués, sans en recueillir la moindre
récompense; ils passent inaperçus avec une provision d'idées et de
savoir dont la plus mince part suffirait à d'autres pour chercher
l'éclat, faire du bruit et se dresser un piédestal.

Quelques privilégiés seulement les connaissent et les apprécient à toute
leur valeur; ce sont les hommes assez noblement et assez finement doués
pour aller trouver, à travers toutes les grosses réputations effrontées
que l'audace et le charlatanisme enfantent, ces talents recueillis en
eux-mêmes et voilés, qui se limitent à l'écart et semblent fuir le grand
jour avec autant de soin que le recherchent tous ces audacieux coureurs
de renommée.

Telle a été la singulière destinée de Bert: il a mis la moitié, de sa
vie à être un littérateur plein de goût, un écrivain politique fécond et
habile, une âme haute et libre, un bon et courageux citoyen, et le
premier barbouilleur de papier venu s'est fait souvent, en vingt-quatre
heures, plus de réputation que lui en vingt-quatre ans. Demandes à votre
voisin: «Connaissez-vous Hilarion et Andoche.--Parbleu! si je les
connais? vous répondra-t-il, ce sont deux grands hommes, deux fameux
auteurs: l'un a fait le _Coupe-Jarret_, feuilleton en trente-cinq
parties, dont j'achève en ce moment de lire le dernier chapitre; et
l'autre, le _Coupe-Tête_, roman magnifique que je lirai la semaine
prochaine, en attendant le _Coupe-Gorge_, par le même.»

Mais vous demanderiez: «Connaissez-vous Bert? que votre interlocuteur
stupéfait vous regarderait de l'air ébahi d'un homme qui ne sait pas ce
qu'on veut lui dire.

Ce qu'était Bert, on vous l'a appris sur sa tombe. Ce n'est qu'au moment
où ces honnêtes hommes meurent qu'on y regarde d'un peu plus près et
qu'on sent tout leur prix. En remontant leur vie pas à pas, on est tout
étonné d'y trouver la trace non interrompue d'une activité morale sans
repos et sans faiblesse, qui puisait incessamment sa force à la source
des sentiments généraux, pour la mettre au service des nobles causes.
Ainsi, Bert a été un des combattants résolus et infatigables de
l'opinion libérale: il l'a servie pendant tout le cours de la
Restauration, avec la fermeté et la modération qui étaient à la fois lu
résultat du sa sincérité et du ses lumières. Ou ne cite pas un seul
journal important, pendant cette période de lutte ardente, où Bert n'ait
apporté chaque jour son contingent de talent, de savoir, de bon style et
de conviction; il a été de toutes les batailles théoriques qui se
livrèrent en ce temps-là avec tant de bonne foi et d'espérance, sur le
terrain représentatif d'un côté, et de l'autre sur le vieux sol
monarchique; et souvent il eut l'occasion de prouver que la résolution
du citoyen ne faisait pas faute à la plume de l'écrivain.

Cependant, sous la Restauration, même au plus fort de cette grande
querelle où il prenait une part si utile, si intelligente et si active,
Bert n'était guère plus connu qu'en ces derniers temps où il avait cessé
tout combat. C'est que Bert donnait son patriotisme et son talent, comme
ces braves qui versent leur sang à toute rencontre, laissant aux
fanfarons le soin de se pavaner après le bataille, et de faire sonner
leurs éperons et leur sabre. Bert se taisait, lu! Bert, l'affaire
terminée, se cachait derrière les autres, comme un simple soldat,
quoique pendant la journée il eût été un des plus savants et des plus
intrépides parmi les capitaines. Deux fois cependant Bert se nomma: la
première fois pour offrir sa poitrine à une épée ennemie pour en faire
un rempart à ses opinions; la seconde fois pour prendre sa place dans la
résistance et se ranger du côté de la Constitution violée. Bert fut un
des signataires de la protestation de la presse contre les ordonnances
de juillet 1830. Il se nomma à deux reprises, ai-je dit, et ces deux
jours-là il mit sa vie sur son nom.

Son penchant l'avait entraîné d'abord vers les lettres et le théâtre,
mais sa modestie se découragea d'un revers: sa première comédie, bien
qu'écrite en vers spirituels et piquants, rencontra un parterre rétif.
Bert, inébranlable dans ses sentiments d'honnête homme et dans ses
devoir, avait pour tout ce qui touchait à son mérite personnel, la
timidité d'un enfant; il se crut condamné sans retour par ce premier
échec, et se jeta dans la politique. Souvent, vers la fin de sa carrière
fatigué de cette politique si pleine de réalités désespérante, et de
déceptions, je l'ai entendu parler avec regret de cet abandon qu'il
avait fait de la poésie à son début, et donner à cette première passion
de ses jeunes années un souvenir mélancolique.

Il lui en était resté un goût très-fin et très-sûr pour les bons et
beaux écrits. Le littérateur se retrouvait souvent sous l'écrivain
politique, et, dans les derniers temps, il avait fini par le remplacer
tout à fait. Bert, depuis quatre ou cinq années, avait publié une série
d'articles de critique littéraire et particulièrement de critique
dramatique qui s'étaient fait remarquer par une sagacité d'analyse et
une justesse de vues ingénieuses aujourd'hui à peu près passées de mode;
on y remarquait à chaque pas, un esprit délicat et sensé nourri aux
sources pures.

Cette finesse et ce goût, Bert les avait dans la conversation; mais il
fallait qu'il se résolût à parler; il était dans le monde--quand par
hasard il y allait--d'une réserve extrême: c'était le silence même; on
n'aurait jamais soupçonné l'homme d'esprit dans cette statue
d'Hypocrate. Il lui arrivait de n'être guère plus causeur avec ses
amis, quoique doux, affable, et d'humeur bienveillante; mais une fois
qu'il s'y mettait, il était charmant à entendre, et contait à ravir une
foule d'anecdotes piquantes qu'il avait retenues ou qui étaient le
résumé du son observation spirituelle et déliée.

Je le rencontrais souvent dans le foyer des théâtres, enveloppé d'une
redingote flottante, la main au gousset de son pantalon, l'air distrait,
la tête légèrement penchée vers l'épaule, traversant la foule sans la
regarder, envisageant souvent ses amis intimes sans les reconnaître, et
cherchant un petit coin solitaire, sur quelque banquette, pour s'y
asseoir et y rêver. C'était là qu'il faisait bon aller le trouver; en
vous voyant, mon Bert s'éveillait comme d'un songe; alors s'il se
décidait à causer, vous n'aviez qu'à le laisser faire; vous récoltiez
les aperçus les plus justes et les plus fins sur la pièce nouvelle, sur
les acteurs ou sur le vieux chef-d'oeuvre qu'on venait de représenter,
tout cela du ton le plus naturel et le plus simple du monde; tandis
qu'un peu plus loin, tous les grands braillards du foyer se démenaient
avec les grands éclats de leur ignorante vanité et faisaient grand
tapage pour n'accoucher souvent que de paradoxes ou de sottises.

Après une vie si pure, si laborieuse et consacrée tout entière au pays,
après un acte de dévouement public où il avait exposé sa tête pour la
défense des lois, il ne manquait plus à Bert que de mourir pauvre et
ignoré; c'est ce qui lui est arrivé; il est mort très pauvre en effet,
et cet homme probe et désintéressé, qui s'était épuisé dans la lutte
soutenue pour la cause de la France, n'a été accompagné au cimetière de
Vanves que par un petit nombre d'amis! Ceci donne une idée des beaux
sentiments et de la reconnaissance du temps où nous vivons.

--Passons à quelque chose de moins triste. Le héros de l'aventure n'est
pas un simple mortel, un de ces hommes de rien, comme Bert, qui n'ont
pour fortune que beaucoup de talent, de coeur et d'esprit; il s'agit
d'un grand personnage, d'un très-grand personnage; on n'approche de lui
qu'en s'inclinant; des peuples nombreux lui obéissent; il descend d'une
race dont le blason remonte tout au moins au déluge, et se pare de
titres les plus solennels et les plus magnifiques; c'est un puissant
seigneur enfin qui s'assied sur un trône et porte une couronne au front;
quant à son royaume, prenez la carte du monde, et tâchez de deviner sous
quel degré de latitude il est situé et vers quel point de l'horizon, à
l'orient ou à l'occident, au nord ou au midi. Il faut bien laisser
quelque chose à votre sagacité.

Un beau matin, donc, ce noble prince était assis dans son cabinet, sur
un vaste fauteuil de velours à crépines d'or et de soie; de ses deux
mains il tenait un livre ouvert et magnifiquement relié, et fixait sur
le vélin un oeil sérieux et attentif. Le premier ministre entra en ce
moment pour traiter, sans doute, des plus importantes affaires de
l'État. Au bruit de ses pas, le prince, continuant à garder le livre
immobile entre ses mains, et tournant la tête du côté de l'excellence:
«Chut!» lui dit-il d'un air à la fois prudent et mystérieux; le ministre
avançait toujours; «Chut! chut!» continua le prince, en reportant sans
cesse ses regards sur le livre avec une attention inquiète et
persistante.

«Qu'y a-t-il donc? rumina le ministre à part lui; sans doute Sa Majesté
est occupée à méditer quelque passage profond de ce livre précieux: une
pensée philosophique ou politique, ou diplomatique...» Et cependant il
allait toujours; «Chut! chut! chut!» dit le prince pour la troisième
fois; et au même instant il ferma le livre avec violence; le ministre en
tressaillit, et crut voir, dans cette vivacité, un signe de colère et
une disgrâce.

Mais le prince: «Enfin, je la tiens!» s'écria-t-il; et son visage
annonçait la joie la plus vive: «Je la tiens! je la tiens!--Quoi donc?
la grave question qui occupait tout à l'heure l'esprit de Votre
Majesté?--Non; la mouche! la mouche qui s'était posée là, sur cette
page; la mouche que je cherchais à attraper depuis une demi-heure.»

Heureux peuple, dont le prince ne s'occupe qu'à prendre des mouches!

--Nous venons de parler d'un simple homme de talent et d'un prince
bonhomme; parlons maintenant d'un grand homme. La diversité plaît.

On sait quelle émotion excita en France l'arrivée des glorieux restes de
Napoléon; les villes et les campagnes par où passait le noir cortège
s'inclinaient; tout dissentiment avait disparu; pour tout le monde,
Napoléon n'était plus qu'une grande ombre poétique, qui glissait à
travers les mers et sur les fleuves, pour venir retrouver la terre de la
patrie et s'y reposer éternellement dans son héroïque linceul, partout
les imaginations étaient émues.

Rouen, la ville énergique, se distingua particulièrement par son
enthousiasme; dans l'ardeur de son émotion, le peuple rouennais se porta
à l'Hôtel-de-Ville, et demanda que le fait mémorable du passage dans ses
murs des restes du héros fût consacré par un monument durable; la
municipalité s'associa à ce voeu populaire, et les souscriptions
arrivèrent de tous côtés.

Aujourd'hui la ville de Rouen est satisfaite: une médaille d'un travail
précieux est achevée, et perpétuera la mémoire de l'élan patriotique des
Rouennais. Cette médaille est un chef-d'oeuvre d'exécution et de pensée;
on devine que le graveur, M. Depaulis, un des habiles et des renommés de
notre art numismatique, inspiré par la grandeur du sujet, s'est attaché
à mettre dans son oeuvre toute la force et toute la finesse de son pur
talent.

Sur la face de la médaille, ou voit la tête de Napoléon; cette noble
tête est présentée de profil, ceinte du laurier impérial, et appuyée sur
l'oreiller mortuaire; les traits sont d'une beauté exquise; bien que la
mort vienne de les saisir, je ne sais quoi d'héroïque et de grand vit
toujours en eux; le mouvement est absent, mais il semble que la pensée
subsiste, et il y a une admirable expression dans cette immobilité. Le
dessin, le modelé, les moindres détails sont achevés; c'est tout à fait
du grand art, de cet art des maîtres, qui attire, captive et fait rêver.

Au revers s'élève l'arc-de-triomphe sous lequel l'illustre cercueil a
passé; au loin, la ville et ses tours pavoisées, pendant que le vaisseau
qui porte le mort immortel glisse sur les eaux du fleuve. Cette dernière
partie de l'oeuvre offrait, sous le point de vue de la composition et de
l'exécution, des détails infinis et d'une difficulté dont un talent
supérieur, comme celui de M. Depaulis pouvait seul triompher.

Le nom de M. de Joinville se mêle naturellement à cet épisode du poème
napoléonien: c'est M. de Joinville qui est allé demander Napoléon à la
terre de l'exil; c'est lui qui a suivi la grande ombre sur les mers. On
se plaît à voir un jeune prince ardent, qui a l'avenir devant lui,
accompagnant un cercueil plein de si grands souvenirs.

--Voulez-vous avoir un échantillon du grand zèle avec lequel certains
bureaucrates se dévouent au soin des administrés, et savoir de quelles
graves affaires ils s'occupent parfois? Quelqu'un que je connais
biens,--c'était peut-être moi-même,--avait un rendez-vous l'autre jour
avec un chef supérieur d'une grande direction.

L'antichambre était encombrée de solliciteurs: les uns attendaient
depuis une heure, les autres depuis une demi-heure, mais tous
attendaient. C'était partout des plaintes et des hélas! «Quand mon tour
viendra-t-il? Qu'est-ce qu'il fait donc? Ça n'en finit pas! Ah! mon
Dieu!»

Enfin la porte s'ouvre et l'on m'introduit. Que vis-je en entrant? Mon
homme, le nez collé contre les vitres de la fenêtre. «C'est vous!....
dit-il. Savez-vous ce que je faisais là? je regardais passer les
_omnibus_, et j'en ai compté dix de suite qui étaient complètement
vides.»

Est-ce que le cerveau de certains administrateurs serait aussi vide que
ces dix _omnibus_?

--On annonce le prochain départ de Rossini: il y a près de trois mois
que l'illustre maestro est à Paris. Le monde musical a été chez lui en
pèlerinage, depuis le plus obscur fabricant de notes jusqu'au plus
illustre: on s'est agenouillé, on a supplié, mais personne n'y a fait:
Rossini ne veut plus que soigner son estomac. Le plus grand ennui qu'on
puisse lui causer, c'est de lui faire entendre seulement une note; il
tressaille aussitôt comme un hydrophobe à la vue d'une rivière.

Dernièrement un de nos plus ingénieux compositeurs lui parlait d'un
morceau de chant qu'il venait de composer. «Je serais bien aise d'avoir
votre avis et vos conseils, dit-il au maître; voulez-vous que j'aille
chez vous demain?--Oh surtout point de musique chez moi! s'écria Rossini
avec effroi.

Qu'a donc fait la musique à Rossini? Quant à Rossini on, sait ce qu'il a
fait de la musique: dix chefs-d'oeuvre et une foule d'opéras charmants.
Est-ce une raison pour tant lui en vouloir?

--Mademoiselle Rachel est revenue: elle a joué vendredi dernier le rôle
de Pauline. La canicule est peu favorable à ces ovations dramatiques;
tandis que le parterre est occupé à respirer et à s'essuyer le front, il
oublie d'avoir de l'enthousiasme. Cependant mademoiselle Rachel a excité
des bravos suffisants pour des bravos du mois d'août.

--L'affaire de MM. Alexandre Dumas et Jules Janin est complètement
enterrée; on n'en parle plus. Qu'on me permette cependant d'ajouter
encore quelques mots pour lui servir de _De profundis_ définitif.

Un des témoins du feuilletoniste, voyant le trouble et l'inquiétude de
madame Janin, lui dit spirituellement: «Eh! mon pauvre ami, tu te
trompes; ton duel n'est pas avec Dumas, mais avec ta femme.»

M. Jules Janin répondit: «Que veux-tu? la pauvre petite n'est pas encore
habituée à ces choses-là; c'est sa première affaire!»

--M. Alexandre Dumas, à peine remis de ce combat sanglant, vient de lire
une comédie en trois ou quatre actes à MM. les comédiens français:
l'ouvrage a été reçu, cela va sans dire. Vaut-il un peu mieux que les
_Demoiselles de Saint-Cyr?_ je n'en sais rien; toujours est-il que M.
Alexandre Dumas à grand besoin d'un succès pour panser les blessures
qu'il s'est faites à lui-même sa ridicule affaire contre M. Jules Janin.



Don Francisco Martinez de la Rosa.

Don Martinez de la Rosa naquit à Grenade en 1786. Il était l'aîné d'une
famille qui tenait un rang honorable dans la noblesse espagnole. Le
premier acte de sa volonté fut une protestation énergique et généreuse
centre les privilèges de la naissance; il ne voulut pas pour lui du
droit d'aînesse et partagea avec ses frères l'héritage paternel. Enfant
encore, il entendait de loin le bruit de notre grande révolution, et le
spectacle de nos luttes intestines lui appui de bonne heure à distinguer
la liberté qui fait les nations grandes et fortes de licence, qui les
énerve et les dégrade. Cette première impression de sa jeunesse, loin de
s'effarer, l'a guidé au contraire toutes les phases de sa vie.

L'invasion de sa patrie par une armée française, cette irréparable faute
de Napoléon, surprit don Martinez au milieu de ses travaux littéraires;
il publiait à Salamanque un cours de littérature et de philosophie.
L'indépendance nationale trouva en lui un éloquent défenseur; il ferma
ses livres, renonça à ses douces et studieuses occupations, et mit sa
plume au service de cette noble cause. Il se fit journaliste et
contribua puissamment à développer les généreux instincts populaires,
force mystérieuse contre laquelle, se brisa la puissance gigantesque de
l'Empire.

Après l'invasion de l'Andalousie, quand le droit dut un instant céder à
la force, don Martinez se réfugia à Cadix et de là il passa en
Angleterre, triste exil où il ne cessa de regretter la patrie absente et
opprimée, sentiment plein d'amertume qui lui inspira quelques-unes de
ses plus remarquables poésies. _El Recuerdo de la patria_ (le Souvenir
de la patrie), entre autres, est à lui seul un petit poème aussi
remarquable par la délicatesse du rhythme que par les sentiments tendres
et élevés qu'il exprime. Qu'importent à l'exilé les splendeurs de cette
cour opulente, les richesses industrielles de l'Angleterre, et ces
femmes _blanches_ et _roses_, aux yeux plus _bleus une l'azur du ciel_,
aux cheveux qui _paraissent de l'or pur?_ Les _gracieux yeux noirs, le
pied léger, le teint brun_ des femmes de la patrie n'effacent-ils pas
ces froides _beautés du Nord_? Une triste et touchante invocation au
fleuve paternel, _Padre Dauro_, termine cette plainte harmonieuse.

[Illustration: Francisco Martinez de la Rosa.]

Le temps de l'exil ne fut pas seulement consacré à des regrets stériles,
le littérateur reprit ses travaux interrompus et publia à Londres, en
1811, un poème en six chants où furent réunies toutes les règles de
l'art poétique espagnol. Cet ouvrage manquait à la littérature
nationale. La compilation de préceptes rassemblés sans ordre et sans
méthode par Juan de la Cueva était le seul code poétique de la poétique
Espagne, et don Leandro Fernandez de Moratin avait signalé ce vide
regrettable. Notre jeune poète se proposa de le remplir, et son poème,
auquel il a joint des notes fort étendues, pleines d'érudition et
d'idées justes, lui assigna dès lors une place élevée dans la
littérature contemporaine. Il publia en même temps des appendices sur la
poésie didactique, sur la tragédie et la comédie, études sérieuses qui
complétèrent l'oeuvre de Juan de la Cueva.

Mais la bouillante ardeur du patriotisme espagnol ne supporta pas
longtemps l'oppression étrangère. L'insurrection, qui jusqu'ici avait
marché sans ordre et sans but, sans chef pour diriger et coordonner tous
ses efforts, s'organisa enfin. A la junte suprême avait succédé un
gouvernement constitutionnel dirigé par les Cortès au nom du roi
Ferdinand, alors prisonnier en France.

Don Martinez, de la Rosa quitta l'Angleterre et vint aussitôt offrir ses
services au gouvernement national. La prise de Saragosse et les malheurs
qui avaient suivi l'héroïque résistance de cette énergique cité lui
inspirèrent un poème intitulé _Saragozza_, cri d'indignation et de
douleur qui fut répété par toutes les bouches et commença la réputation
du poète.

Peu de temps après, il fit représenter à Cadix, pendant que l'armée
française en faisait le siège, sa tragédie de _la Vence de Padilla_, un
des sujets, les plus populaires de l'Espagne. Cette oeuvre dramatique,
que la lecture des tragédies d'Altieri avait inspirée à don Martinez,
eut un prodigieux succès; elle fut représentée, non au théâtre, que les
bombes françaises menaçaient, mais dans une baraque où la foule se
pressait pour voir cette grande figure historique, cette _tirana de
Toledo_, comme dit un historien, _que todos le acalaban no como à muger
mas como à varon heroico_.

Ces succès désignèrent le jeune poète à l'attention des Cortès, qui
étaient alors alliées à toutes les cours européennes. Don Martinez fut
chargé de diverses missions diplomatiques, et lorsque la catastrophe de
1814 eut entraîné avec elle le trône du faible Joseph, les électeurs
renvoyèrent à la première assemblée des Cortès constitutionnelles le
poète patriote qui avait chanté les gloires et les malheurs de la patrie
en face de ses injustes oppresseurs.

On sait comment Ferdinand VII reconnut les services des patriotes
constitutionnels qui lui avaient conservé son trône.

Don Martinez, fut enveloppé dans la proscription générale et exilé en
Afrique. La encore il s'inspira des souvenirs de la patrie et écrivit sa
tragédie de _Morayma_, un des plus poétiques épisodes de ces longues
guerres de Grenade si naïvement racontées par les romanceros et les
historiens contemporains.

La révolution de l'île de Léon, en 1820, rendit don Martinez à la
liberté et l'associa au nouveau au mouvement politique, dont il allait
être bientôt un des chefs importants. Élu député par Grenade, sa ville
natale, il ne tarda pas à recevoir de ses collègues un témoignage
éclatant de l'estime qu'ils attachaient à son beau caractère et à ses
talents: il fut appelé à la présidence des Cortès. En 1822, Ferdinand
nomma don Martinez de la Rosa ministre des affaires étrangères, et le
chargea de composer le cabinet. La ligne de conduite prudente et ferme,
la politique modérée du nouveau ministère, susciteront contre lui les
partis extrêmes, les _communeros_ et les _descamisados_. Il fut renversé
le 7 juillet 1822, et Ferdinand n'ayant plus le choix qu'entre un
libéralisme outré et le pouvoir absolu, n'hésita pas un seul instant.

La contre-révolution obligea de nouveau don Martinez à la fuite; mais
cette fois il put suivre l'inspiration de son coeur, et vint se fixer en
France, où il demeura pendant sept ans. Il publia en 1826, à Paris, une
édition de ses oeuvres où se trouve, en outre de celles que nous avons
citées déjà, la spirituelle comédie de la _Nina en casa y la madre en la
Mascara_, une traduction en vers de l'épître d'Horace aux Pisons et la
tragédie d'_Oedipe_.

Pendant son séjour en France, nos moeurs, notre esprit, notre langue,
lui devinrent tellement familiers qu'il composa pour le théâtre de la
Porte-Saint-Marlin un drame historique intitulé: _Aben-Humeya_, ou _les
Maures sous Philippe II._

Mais le contre-coup de la révolution de Juillet qui se fit sentir en
Espagne rappela bientôt l'exilé dans sa patrie. La chute du ministère
Zéa-Bermudez appela une fois encore aux affaires le parti modéré dont
Martinez, de la Rosa était devenu le chef. Le 15 janvier 1834, la
reine-régente le choisit pour ministre des affaires étrangères et lui
confia la présidence du conseil. Des actes empreints de grandeur et de
sagesse signalèrent son administration. Les Mina, les Quiroga, les
Isturitz, et tous ces proscrits illustres dont il avait partagé les
efforts, les espérances, les dangers, furent rappelés par lui dans la
mère patrie. Le 10 avril, il publia l'_Estato real_, oeuvre pleine de
sens et de modération, qui réglait la limite du pouvoir royal et celle
du pouvoir populaire.

Mais l'Espagne n'était pas prête encore pour ce régime tempéré; les
passions politiques étaient loin d'être amorties, et de longues et
ardentes divisions devaient déchirer encore le sein de ce malheureux
pays. La triste victoire d'Espartero sur la reine-régente éloigna une
fois encore don Martinez de sa patrie. Il rentra en France, où il
retrouva cette douce hospitalité qui seule, pourrait consoler de l'exil,
si quelque chose pouvait en consoler. Il reprit ses travaux littéraires,
et publia en 1836 un nouveau volume on se trouvent de charmantes poésies
légères, douce et riante mélodie au milieu de laquelle un entend de loin
en loin une note sombre et douloureuse: c'est le cri de souffrance de
l'exilé. Nous citerons entre autres la _Soledad_, la _Muerte_, un sonnet
intitulé _Mis Penas_, et cette inscription pour le tombeau d'un émigré:
«Que la terre te soit douce et légère... si la terre étrangère peut
l'être jamais!»

Appelé, au mois de mai dernier, à présider le neuvième congrès
historique réuni dans une des salles du Luxembourg, il y prononça un
discours fort remarquable dont nous avons indiqué le sujet au
commencement de cette notice. Il y déploya un luxe d'érudition, un
esprit vif et pénétrant, une observation fine et profonde, qui
excitèrent plus d'une fois les applaudissements de la savante assemblée.

Les événements qui se pressent en Espagne y rappellent don Martinez,
dont l'avenir se lie désormais à celui de la prospérité, de la gloire et
de la vraie liberté de sa patrie.



Inauguration de la statue de Bichat

SUR LA PLACE DE LA GRENETTE, A BOURG.

Dans les premiers mois de 1794, par une froide matinée d'hiver, une
foule de jeunes gens se pressaient sur les bancs de l'amphithéâtre de
l'Hôtel-Dieu, où professait l'illustre Desault. Bientôt celui-ci entra
aux applaudissements de son nombreux auditoire et appela l'élève qui
devait suivant l'usage, analyser la leçon de la veille. L'élève désigné
ne se présentant pas, le professeur demanda si quelqu'un dans
l'auditoire pouvait le remplacer.

On vit alors se lever un jeune homme d'un extérieur modeste;
nouvellement arrivé à Paris, il n'était connu que du bien peu de ses
condisciples, et ce fut avec quelque embarras qu'il prit la parole au
milieu d'un profond silence. Mais bientôt un murmure d'approbation
courut dans l'amphithéâtre; la pureté de son style, la netteté de ses
idées, l'exactitude de son résumé, annonçaient un professeur plutôt
qu'un étudiant. Quand il eut fini sa lecture, Desault, vivement
impressionné, le fit approcher de lui, et lui adressant la parole avec
ce ton brusque mais plein de bonté qui lui avait valu parmi ses élèves
le surnom de bourru bienfaisant: «Mon ami, lui dit-il, quel âge
avez-vous?--Vingt-deux ans, monsieur.--Où êtes-vous né?--A Thourette,
dans la Bresse, actuellement département du Jura.--Depuis combien de
temps étudiez-vous la chirurgie?--Depuis trois ans.--A Paris?--Non,
monsieur, je n'y suis que depuis quelques mois; c'est à Lyon que j'ai
commencé mes études.--Vous y avez suivi les cours de Marc-Antoine
Petit?--Oui, monsieur; et même ce professeur a bien voulu m'associer à
quelques-uns de ses derniers travaux.--C'est un grand chirurgien, il
vous a deviné, et moi aussi je vois ce que vous êtes et ce que vous
deviendrez un jour.»

Puis entraînant le jeune homme vers une embrasure de fenêtre: «Écoutez,
lui dit-il, vous êtes bien jeune pour vivre seul dans une grande ville;
de bons conseils ne vous seront pas inutiles; les études à Paris sont
coûteuses et demandent à être bien dirigées; venez chez moi, vous y
serez traité comme mon fils, vous profiterez de mon expérience, et vous
me succéderez un jour... bientôt peut-être.»

Et comme le jeune homme, tout surpris d'une offre pareille, semblait
hésiter: «C'est entendu, lui dit-il; après la leçon je vous emmène avec
moi. A propos, comment vous nommez-vous?--Xavier Bichat.»

Tel fut, en effet, le début à Paris de Marie-François-Xavier Bichat,
l'un des génies les plus étonnants qui aient illustré la médecine. Après
avoir passé sa première enfance près de son père, médecin et maire du
petit bourg de Poncin-en-Bugey (Ain), il avait fait ses études
classiques au collège de Nantua, puis au séminaire de Lyon, et s'était
ensuite livré à son goût pour l'art de guérir. Interrompu dans ses
travaux par les troubles politiques, il avait quitté Lyon après le siège
de cette ville, non sans regretter les leçons et le savant patronage de
son premier maître; heureusement le génie de Desault devina celui de
Bichat, et loin de lui porter envie, loin de chercher à l'arrêter dans
son essor, il l'adopta et ne négligea rien pour le développer, donnant
ainsi un grand exemple.

Bichat se montra digne d'une pareille amitié; il se livra à l'étude avec
plus d'ardeur que jamais, partagea tous les travaux de son illustre
maître; et quand, dix-huit mois après, la mort vint le lui ravir
inopinément, il devint à son tour l'appui de la veuve et du fils de
celui qui l'avait traité en père.

De 1795 à 1798, il publia plusieurs ouvrages résumés des leçons de
Desault, ou fruits de ses propres études. En 1797, il entra dans la
carrière du professorat, et fit un cours d'anatomie et d'opérations
chirurgicales. En 1798, il aborda la physiologie et la médecine
proprement dite, et publia, en 1800, ses belles _Recherches
physiologiques sur la vie et la mort_. La même année il fut nommé
médecin de l'Hôtel-Dieu, quoique à peine âgé de vingt-huit ans.

Entièrement livré à son service d'hôpital et aux études de
l'amphithéâtre pendant la journée, il passait les nuits à composer ses
immortels ouvrages; et ce fut ainsi que, grâce à une immense capacité
pour le travail et à une facilite prodigieuse, il publia en quelques
années des chefs-d'oeuvre qu'il devait, ce semble, avoir à peine le
temps d'écrire, et parmi lesquels son _Anatomie générale_ est un de ses
beaux titres de gloire.

Cherchant sans cesse dans l'examen de l'homme mort les traces laissées
par la maladie, il fit faire un grand pas à l'anatomie pathologique,
dont on peut le regarder comme le créateur; enfin il méritait ce que
Corvisart disait de lui: «Personne, en aussi peu de temps, n'a fait tant
de choses et aussi bien.»

Épuisé par le travail et par les veilles, il refusait de suivre les
conseils de ses amis, qui cherchaient en vain à lui faire prendre du
repos. Depuis quelque temps il souffrait d'indispositions fréquentes,
lorsque, vers la fin de juin 1802, il fit une chute en descendant un
escalier de l'Hôtel-Dieu, et perdit connaissance. Le lendemain il
voulut, néanmoins, faire encore son service à l'hôpital, mais il
s'évanouit au milieu de sa visite. Ramené chez lui, il succomba quatorze
jours après, dans la maison de Desault, et fut pleuré par la veuve de
son père adoptif, qu'il n'avait pas quittée.

Sur la demande de Corvisart, et par les soins du premier Consul, une
table de marbre, placée, le 2 août 1802 dans le vestibule de
l'Hôtel-Dieu, atteste, la reconnaissance du pays envers Desault et
Bichat; on lit avec plaisir dans la même inscription funéraire les noms
de ces deux grands hommes si unis pendant leur vie.

Un monument a été élevé à Bichat dans la ville de Lons-le-Saulnier
(Jura). La ville de Bourg vient à son tour d'inaugurer pompeusement, le
24 août, une statue de cet illustre savant sur la place de la Grenette.
La cérémonie avait attiré un concours immense, et les médecins surtout y
affluaient. Le vénérable Pariset représentait l'Académie royale de
Médecine, dont il est le secrétaire; les Facultés de Pans et de
Strasbourg avaient pour délégués M. Hippolyte Royer-Collard et M.
Forget; Lyon, où Bichat commença ses travaux d'anatomie et de médecine
opératoire, avait envoyé à cette fête médicale MM. Brachet, Berrier,
Bonnet, Martin, Pravaz, Repiquet, Montain, Gommier, Bouchet, etc. Le
cortège s'est mis en marche à dix heures, escorté par la compagnie des
pompiers, et précédé de la musique de l'artillerie. En tête s'avançaient
M. le préfet de l'Ain, M. le maire de Bourg, M. le général commandant le
département, MM. d'Angeville, Perrier, Latournelle, Poizat, députés de
l'Ain; les membres du conseil général, les médecins, les fonctionnaires
publics, les maires de Poncin et de Thourette, suivaient avec les
souscripteurs du monument. La place de la Grenette était garnie
d'estrades circulaires, ou se tenaient des dames élégamment parées:
«Jamais ou n'en vit tant et de si jolies,» dit le galant journal de la
localité. Une foule considérable occupait les abords de la place et les
hauteurs du bastion.

La statue a été découverte au bruit de l'artillerie et d'une cantate
chantée par des amateurs, qui se sont montrés en cette circonstance
supérieurs à bien des artistes; des discours ont été prononcés par le
préfet, le maire de Bourg, M. Pariset, M. Royer-Collard, M. Bonnet de
Lyon, M. Larey, chirurgien militaire; M. Brachet, président de la
Société de Médecine de Lyon, et M Martin, doyen des médecins de cette
ville. A deux heures, le cortège s'est acheminé vers la salle du
banquet; deux cent cinquante personnes y ont pris place; plusieurs
toasts ont été portés aux acclamations unanimes de l'assemblée. Un feu
d'artifice a terminé la soirée.

La statue, exécutée en bronze d'après le modèle de M. David (d'Angers),
est placée sur un piédestal quadrangulaire, et entourée d'une grille.
Bichat est représenté étudiant sur un enfant le mouvement de la vie, et
ayant à ses pieds un cadavre à moitié disséqué; cette disposition
rappelle les _Recherches physiologiques sur la vie et la mort_, l'un des
principaux travaux de l'illustre anatomiste. Cette oeuvre nouvelle digne
de l'habile sculpteur auquel nous devons le fronton du Panthéon, les
bustes d'Ambroise Paré, de Boulay de la Meurthe, de Cuvier, de Paganini,
la tombe de Garnier-Pages; les statues de sainte Cécile, du Grand Condé,
de Bonchamps, de Talma, de Gutenberg, et tant d'autres monuments
originalement conçus.

[Illustration: Statue de Bichat, par M. David d'Angers, inaugurée le 21
août, à Bourg.]

Bientôt chaque ville aura ses héros de bronze ou de marbre; dimanche
encore, 25 août, on inaugurait à Versailles la statue de l'abbé de
L'Épée, fondateur de l'Institution des Sourds-et-Muets..



M. A. Vattemare et son projet d'échange.

Depuis quelques jours on lit sur un placard oblong suspendu au balcon de
la Maison-Dorée: «Exposition publique des dessins de M. Vattemare.» Nous
vous introduirons plus tard dans cette vaste et curieuse collection; il
importe préalablement de vous entretenir de celui qui l'a fondée. Nul,
dit-on, n'est prophète en son pays, et m. A. Vattemare est beaucoup plus
connu des Anglais et des Américains que de ses compatriotes.

M. Alexandre Vattemare nous apparaît sous un double aspect. Désigné par
son prénom, c'est au artiste dramatique qui excelle dans les rôles à
travestissements, et qu'on a vu au Gymnase dans _l'Auberge de Calais_ et
autre pièces dont il remplissait seul tous les personnages. Sous son nom
propre, c'est l'auteur d'un projet d'échange entre les bibliothèques.
Alexandre mime recueille des applaudissements sur les théâtres du monde
entier; M. Vattemare entre au conseil des peuples pour en provoquer les
délibérations. Alexandre s'adresse à la foule avide d'émotions; M.
Vattemare confère avec les artistes, les bibliographes et les rois. Le
public s'amuse des transformations protéiennes d'Alexandre; les chefs
des États s'étonnent de l'honorable persistance de M. Vattemare. M.
Vattemare prodigue les guinées de l'acteur Alexandre pour réaliser une
idée utile.

M. Vattemare s'était dit en 1815: «Un nombre infini de doubles se
trouvent toujours dans les musées, les collections, les galeries, les
bibliothèques; ces doubles, relégués dans les magasins, sont enfouis et
perdus à jamais; pourquoi ne pas leur rendre une valeur réelle? Qu'on
organise entre les grands dépôts scientifiques un échange régulier de
leurs doubles, et tous seront plus complets et plus riches sans qu'il en
ait coûté à l'État autre chose que le soin d'une intelligente
organisation.» Ce projet conçu, M. Vattemare parcourt le monde pour le
proposer aux souverains; il se fait le missionnaire de son idée, ne
demandant à la profession d'acteur que des ressources pécunières.
Partout l'échange des doubles trouve des approbateurs: les savants, les
rois, les ministres, les gens de lettres, les artistes encouragent M.
Vattemare, correspondent avec lui, travaillent ou dessinent pour lui.
Une médaille est fondue en son honneur à la monnaie de Berlin. De retour
en France, il soumet son plan à la Chambre des Députés, qui, le 16 mars
1836, renvoie la pétition au ministre de l'instruction publique; le 26,
à la Chambre des Pairs, M. le duc de Fézensac, rapporteur, proclame la
pétition utile et importante. «C'est, dit-il, une grande et noble pensée
que d'unir ainsi les diverses nations de l'Europe par un commerce de
richesses littéraires et scientifiques.» La Chambre des Pairs ordonne le
renvoi de la pétition aux ministres de l'instruction publique et des
affaires scientifiques, et le projet d'échange s'en va sommeiller dans
la nécropole des cartons ministériels.

[Illustration.]

M. Vattemare ne s'est pas découragé. De même que O'Connell répète:
«Agitez!» le Pierre l'Ermite de l'union intellectuelle: n'a cessé du
crier par le monde: «Échangez vos doubles! échangez vos doubles!» Il a
obtenu les suffrages autographes d'un grand nombre d'illustres
personnages de tous les pays. Puis, après avoir récolté les adhérions
européennes, M. Vattemare, le 20 septembre 1839, s'est embarqué pour
New-York. Là, on l'a accueilli avec un fanatisme incroyable; il a voyagé
d'États en États, provoquant des _meetings_, remuant les congrès et les
populations; un bill a été vote à l'unanimité par les deux Chambres pour
la fondation de bibliothèques et la mise à exécution du système
d'échange. «Est-il une idée plus belle et plus heureuse?» écrivait M.
White, représentant de la Louisiane. «La belle France, disait le général
Keim, représentant de la Pennsylvanie, la belle France nous offre
toujours des bienfaits: jadis elle nous envoya un Lafayette pour aider à
l'établissement de notre liberté politique; aujourd'hui nous en recevons
Vattemare, qui mettra le comble à nos plaisirs intellectuels.» Fanny
Elsler n'était pas encore arrivée, je crois, aux États-Unis, et n'avait
pas augmenté cette dette de reconnaissance des représentants américains
«en mettant le comble à leurs plaisirs moraux.»

Chose pénible à penser, tant de zèle, de démarches, de sacrifices,
d'enthousiasme, de discours et de _meetings_, ont amené d'imperceptibles
résultats; seulement l'État du Maine, les villes de Baltimore, Boston,
New-York et Washington, ont transmis à la ville de Paris quelques
documenta administratifs, et notre conseil municipal y a répondu, le 21
décembre 1842, par l'expédition des _Comptes et Budgets de la Ville_, de
_l'Histoire du choléra_, des _Ordonnances de la Préfecture de Police_,
et autres renseignements que les Américains auront probablement soin de
ne lire jamais. Les échanges des doubles, s'ils ont lieu, se font à huis
clos, de bibliothèque à bibliothèque, et non point par une grande
disposition législative, comme l'aurait désiré M. A. Vattemare.
Heureusement pour nous consoler, en attendant mieux, nous avons les onze
cuits dessins qu'il a rapportés de ses voyages. Nous parlerons de cette
exposition.



Une Soirée orientale à Paris.

Les artistes voyageurs et les voyageurs artistes gardent religieusement
les costumes des pays qu'ils ont visités. Ce ne sont pas seulement pour
eux de précieux souvenirs; ce sont aussi des preuves incontestables de
leurs lointaines pérégrinations. A leurs ami qui les interrogent, ils
disent: J ai vu la Grèce; voici la fustanelle d'une Palyare de Samos ou
de Chio--J'étais à Stamboul; voici le fez d'un bachalda (officier de
police) et le chapeau d'un derviche.--J'ai hérité de ce bonnet kahnouk
après la mort du brave qui le portait. Voici un sabre turc, un mousquet
japonais, un châle indien, un cric malais, des bottes chinoises. Voyez
et croyez.»

[Illustration: Soirée orientale chez M. H...]

Les voyageurs aiment aussi à se parer des costumes qu'ils ont portés
dans leurs courses aventureuses; ils y joignent, s'ils le peuvent, les
gestes et le langage des pays lointains; alors la métamorphose est
presque complète. C'est sous l'empire de ces caprices que, par une belle
soirée d'été, le mois dernier, des artistes et des voyageurs se sont
réunis chez M. H.... architecte, sous une tente élégante ornée de
fleurs, sans autres meubles que des divans. Nul n'était admis sous le
frac; tous les invités portaient avec aisance des costumes orientaux
d'une fidélité scrupuleuse. C'était une réunion vraiment curieuse, et
les diverses langues qu'on y parlait en faisaient une sorte de petite
Babel.

Les scheicks arabes des provinces de l'Yémen, avec leurs longues robes
de soie, leurs ceintures de cachemire et les pieds chaussés de sandales,
causaient, assis sur le tapis, avec l'habitant des montagnes, de
l'Assyr; le soldat régulier d'Abd-el-Kader, avec ses armes grossières et
ses haillons pittoresques, fraternisait avec un agha allié de la France;
le palyare grec, revêtu de son costume resplendissant de broderies,
entretenait un arnaute, son voisin, dans la langue, dégénérée d'Homère;
un autre, sous le costume d'un fellah égyptien, faisait entendre le cri
monotone du muezzim, tandis qu'un jeune orientaliste, portant le costume
du hizam égyptien, chantait d'une voix dolente une chanson arabe; l'un
fumait le gargouli indien, l'autre le narguilé persan, le chibouk turc
ou le chiche arabe. Il y avait là des Tartares des Persans, des Indiens,
des Japonais, des Turcs, des Égyptiens, des Nubiens. Chaque peuple y
était représenté.

Les passants attardés près de la place Vendôme ont dû croire un instant
que l'Orient avait envahi la grande cité, ou que six mois de l'année
venaient d'être tout à coup supprimés par ordonnance, et que l'on était
en carnaval.

Le dessin que nous donnons est du au crayon habile de M. Karl Girardet,
qui a visité l'Égypte, et qui figurait à ce titre parmi les invités de
M. H....

Tous les personnages représentés sont des portraits; et nos lecteurs
reconnaîtront aisément sous ces déguisements quelques-uns de nos
artistes et des savants les plus célèbres.



Coots.

EXPÉRIENCE DU 27 AOÛT.

Dans la durée d'une heure, ramasser avec la bouche, à genoux, et
rapporter l'un après l'autre, au punit de départ, cent oeufs disposés à
égale distance, sur une ligne droite de cent mètres, en sautant chaque
fois une haie de steeple-chase d'un mètre de hauteur; tel est le
programme d'un exercice qui a eu pour témoins, lundi dernier, sur les
terrains du tir de M. Renette les membres du Jockey-Club et quelques
amateurs profanes.

Coots, né à Londres, âgé de trente-neuf ans, est venu d'Angleterre, où
sa renommée comme coureur et comme boxeur est depuis longtemps établie,
pour donner à l'illustre club ces preuves de sa merveilleuse agilité.

[Illustration: Coots, célèbre boxeur anglais.]

Lundi dernier, à quatre heures douze minutes, vêtu de flanelle, il s'est
mis en marche et a exécuté le programme; mais, hélas! le malheureux! il
a dépassé d'une minute, d'une seule minute, les soixante minutes
convenues. Toutefois, les spectateurs se sont montrés indulgents; le
Jockey-Club a bien voulu être un peu moins sévère pour lui qu'il ne
l'aurait été pour miss Atalante ou toute autre miss en retard «d'une
tête:» on l'a consolé d'un échec qui véritablement n'en est pas un.

Il est certain qu'en soixante minutes s'agenouiller cent fois, sauter
cent fois une haie, et parcourir, en répétant ce fatigantes évolutions,
une distance que l'on évalue à dix kilomètres (environ deux lieues et
demie), c'est assurément une tâche difficile, et qui suppose autant de
force de volonté que de vigueur musculaire.

Un des élégants Mécènes de Coots propose de parier que le meilleur
piéton de Paris, marchant d'un pas direct et accéléré, ne traverserait
pas le Bois de Boulogne aussi vite que Coots marchant à reculons.

[Illustration: Exercices de Coots.]

On assure que plusieurs élèves de nos gymnases ont offert d'entrer en
lutte avec Coots. C'est bien: cette émulation n'a rien que de fort
convenable; mais que le Jockey-Club n'outrepasse point son but, et qu'il
ne lui vienne pas en fantaisie, comme on le soupçonne sans doute trop
légèrement, de nous attirer à Paris des boxeurs ou des tauréadors.



De l'autre côté de l'Eau.

SOUVENIR D'UNE PROMENADE.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que le voyageur le plus
exact est justement celui qui le paraît le moins, et qui, sans s'occuper
de l'ordre ou de l'exactitude des faits, raconte fidèlement, dans toute
leur naïveté, non l'histoire de son voyage, mais celle de ses
sensations.

Il est malheureux que cette idée soit venue à beaucoup de gens d'esprit
avant de traverser mon cerveau. A compter de Sterne, je ne sais pas un
de ces prétendus voyageurs sentimentaux qui ne se soient crus dans
l'obligation d'orner singulièrement la vérité de leurs souvenirs, pas un
qui n'y ait mêlé des incidents évidemment romanesques. Comme si la
vérité ne suffisait pas toujours et partout.

Et, en parlant de Sterne, je veux bien croire à l'histoire du Sansonnet,
mais j'attesterais devant toutes les cours de justice de ce monde ou de
l'autre qu'il n'a jamais rencontre, à une demi-lieue de Moulins, sous un
peuplier, Maria la folle tout de blanc vêtue, avec un ruban vert-pâle en
sautoir, un chalumeau pendu à ce ruban, un cordon attaché à sa ceinture,
et, au bout de ce cordon, un petit chien. Un petit chien nommé
Sylvio!--à une demi-lieue du Moulins.

UN LIEU CONSACRÉ.

_Chambre de Sterne_.--Ces mots étaient écrits sur une porte grise, dans
le corridor où me conduisit le factotum de l'hôtel Dessein.

J'aurais pu faire le sceptique ou le dédaigneux, mais à quoi bon? Tandis
qu'on montait mes malles, je poussai doucement la porte entr'ouverte et
posai ma main sur mon coeur pour y surprendre les symptômes d'une
émotion quelconque; mais, à l'aspect d'un lit défait, d'une table de
nuit toute neuve et de deux serviettes mouillées qui séchaient
paisiblement sur le rebord des fenêtres, je ne ressentis qu'un léger
désappointement. Dans la cour je jetai un coup d'oeil pour voir, sous
quelque remise, une vieille _désobligeante_; il n'y avait que du gazon
et quelques jeunes arbres frémissant au souffle du vent de mer.

J'entendis à ce moment craquer, sur l'escalier, les escarpins vernis du
factotum, et, craignant de lire sur son visage sévère la désapprobation
de mon indiscrète conduite, je rentrai en deux sauts dans mon domaine
privé.

BIOGRAPHIE EPISODIQUE.

Toujours à propos de Sterne. Dans un choix d'anecdotes curieuses, j'ai
trouvé la biographie de ce bon et joyeux La Fleur, que son maître nous a
tant fait aimer. Il était Bourguignon de naissance et bohémien de
caractère. A huit ans, un instinct irrésistible lui fit quitter sa
famille; il erra deux années durant sur les chemins de France, sans
autre patron que son extérieur prévenant et doux. Il trouvait partout un
peu de pain et de lait, un lit de paille pour la nuit et quelques
vêtements de rebut. Sans trop savoir où il allait, et attiré par cet
aimant mystérieux des capitales, dont tous les vagabonds ont ressenti
l'influence, après deux années de hasards, il se trouva un matin sur le,
Pont-Neuf, regardant couler la Seine comme un vieux Parisien. Un tambour
qui se rendait sans nul doute au quai de la Ferraille, le rendez-vous
des enrôleurs, vit cette petite mine éveillée, et suborna l'enfant
perdu. Comme les biens en déshérence, les enfants sans famille
appartenaient au roi; celui-ci fut réclamé au nom de Sa Majesté qui ne
s'en doutait guère; on lui pendit au cou une caisse dorée, on lui mit
sur les épaules un habit blanc à revers bleus, qui lui fit connaître les
premières joies de la toilette, et, pendant six ans, il fut tambour.
Deux ans encore, et la loi le déclarait libre; mais La Fleur, ennuyé du
service, n'était pas homme à faire son temps comme le premier manant
venu. Il changea d'habit avec un paysan, et déserta galamment pour on ne
sait quelle querelle avec ses supérieurs. C'est alors qu'il se retira
dans _ses terres_ pour y vivre _comme il plaisait à Dieu_, c'est-à-dire
très-mal, jusqu'au moment où Varenne, l'aubergiste de Montreuil,
l'offrit à Sterne qui passait et qui l'emmena courir le monde, ainsi que
le sait du reste tout lecteur instruit.

On sait encore que La Fleur était amoureux, sérieusement amoureux d'une
très-jolie fillette aussi pauvre, aussi gaie, aussi imprévoyante que
lui. Il l'épousa à son retour d'Italie, sans réfléchir que son métier de
couturière lui rapportait à peine six sous par jour. Elle ne tarda pas,
une fois mariée, à le gratifier d'un enfant, et les profits diminuaient
à mesure que croissaient les charges. La Fleur un jour cessa de rire; le
pain manquait à la maison; il se remit derechef en quête d'un _milord
anglais_, et reprit quelques années encore la livrée qu'il portait si
bien; puis, dès qu'il eut des économies, il revint trouver sa femme;
quelques mauvaises langues essayèrent de lui mettre martel en tête à
propos de ce qui s'était passé durant son absence, mais il leur rit au
nez en vrai philosophe, et ouvrit un cabaret à Calais, dans la rue
Royale. Les marins anglais y venaient en foule, et d'abord tout
prospéra; mais il plut à Louis XVI de prendre parti pour les
républicains d'Amérique, et, entre autres résultats désastreux, la
rupture de la France et de l'Angleterre entraîna la ruine des
cabaretiers de Calais.

La Fleur vit bien que, sans une troisième campagne, il ne pourrait tenir
tête à la mauvaise fortune, et, comme il parlait, le souvenir des
méchants propos tenus sur le compte de la femme lui donna quelque
tintouin. Elle s'en douta sans doute, et lui lit une scène pathétique,
prenant pour texte de son désespoir les infidélités probables dont elle
allait être victime. Tout en se justifiant par avance, La Fleur oublia
ses craintes. Il n'était pas homme à mener de front deux idées aussi
différentes que celles d'être trompeur ou trompé.

Pauvre La Fleur! lorsqu'il revint trois ans après, toujours tendre et
toujours constant, il trouva, derrière, le comptoir de son cabaret, une
figure étrangère. Des comédiens nomades passant à Calais lui avaient
enlevé femme et enfant. Jamais il ne revit ni l'un ni l'autre.

Depuis ce tennis, il vécut sans établissement fixe, tantôt en
Angleterre,--il aimait les Anglais,--tantôt sur la côte de France, à
demi messager, à demi agent d'affaires, toujours employé de manière on
d'autre, et recommandé par son activité, son dévouement, son
intelligence.

Je n'en sais de La Fleur pas davantage, à mon grand regret. M'eût-on
appris la date exacte de sa mort, je la donnerais ici avec autant de
scrupule que s'il s'agissait d'Alisfragmonthosis ou de
Misphrathouthinosis, monarques interessants de la douzième ou
vingt-deuxième dynastie égyptienne. Voyez les listes de Manéthon.

HISTOIRE PRÉSUMÉE D'UNE FEMME PÂLE.

Ce ressouvenir égyptien me fait songer qu'à l'entrée de l'établissement
des bains de mer, à Boulogne, j'ai vu se promener une momie en chapeau
rose. Elle descendait d'une calèche magnifique, et se mit à marcher avec
une lenteur sépulcrale, appuyée, au bras d'un gentleman frais et
rougeaud, tandis que trois ou quatre jolis chiens blancs, traînant après
eux de longues laisses vertes, gambadaient follement autour de ce couple
respectable.

Cette momie, était maigre; sa peau tannée avait la couleur des figues
sèches, et ses yeux, fixes, soucieux, enfoncés dans de creuses orbites,
exprimaient l'inexorable ennui dont on doit être dévoré après quelques
siècles de séjour dans ces énormes fourreaux de pierre noire, en forme
de boîte à violon, où les Égyptiens cachaient leurs morts.

J'eus beau soutenir à mon compagnon que cette exhumée sentait le
camphre, le benjoin et toutes sortes de vieux aromates, il ne
distinguait que l'odeur du patchouli, et une momie n'était pour lui que
la veuve remariée de quelque riche nabab.

Dans tous les cas, il était impossible de ne pas remarquer cette
apparition, qui nous donnait un avant-goût de la riche et triste
Angleterre. Elle glissa lentement dans les allées sinueuses, sans
retourner une seule fois la tête, et se perdit avec sa mente élégante
entre les colonnes bariolées du pavillon composite qu'un décorateur
d'Opéra est venu élever sur la grève de Boulogne.

Pour réconcilier avec l'humble poésie de sa misère la plus pauvre de ces
jeunes filles pleines de vie et de santé, aux yeux desquelles une
calèche et des domestiques à livrée sont l'indispensable apanage du
bonheur, il ne faudrait, je pense, que leur montrer dans tout l'éclat de
son luxe inutile découragé quelque misérable créature comme celle-ci; un
seul de ses regards pesants, un seul de ses pas allongés, leur en dirait
plus long que bien des homélies sur le néant des richesses.

J'aime par-dessus tout à recomposer sur la donnée la plus fugitive toute
l'existence d'une personne à peine entrevue; et tandis que nous
gravissions l'espèce de promontoire sur lequel s'élève le monument
napoléonien, je me racontai la vie de cette livide Anglaise.

Elle était, il y a quinze ans, jeune, belle et pauvre, dans un faubourg
de Londres. Son mari, qu'elle avait épousé sans l'aimer, à condition
qu'il l'aiderait à vivre elle et sa mère, non content de dissiper en
orgies le peu d'argent qu'il pouvait extorquer à ces deux femmes, les
battait et les humiliait à chaque instant du jour. Néanmoins, dans ce
pays où le lien conjugal a conservé toute sa force, Elisa n'eut jamais
songé à se séparer de cet homme cruel; mais un jour il la quitta de
lui-même et disparut.

La mère et la fille, débarrassées de lui, songèrent à lutter de leur
mieux contre la misère, et tout d'abord elles mirent à louer une partie
de leur modeste habitation. Là vint s'établir, après quelque temps, un
de ces jeunes gens aventureux, dont la volonté, de bonne heure exercée,
se plaît à soumettre tout ce qui leur offre une résistance. Il n'eût
peut-être pas aimé sa jeune hôtesse, s'il n'eût été attiré par la
froideur même et le dédain qu'une première trahison avaient laissés dans
le coeur de cette pauvre femme. Le jour où elle lui raconta,--sans y
mettre de coquetterie,--qu'elle se croyait pour jamais à l'abri des
séductions, ce jour-là, comme éveillé par un défi, le jeune homme voulut
être aimé.

Il avait trop d'avantages et de persévérance pour ne pas réussir. Après
bien des combats, et non sans de vifs remords, Elisa devint la maîtresse
de celui qu'elle ne pouvait épouser.

Par bonheur il l'aima aussi fortement qu'il l'avait désirée; et, bien
que ces noeuds illégitimes, dans un pays comme l'Angleterre, paralysent
encore plus que chez nous les efforts qu'un homme doit faire pour s
élever, il résolut de n'abandonner jamais sa compagne; seulement,
lorsqu'il se fut bien convaincu, par de dures et fréquentes épreuves,
qu'en s'unissant publiquement à la femme d'un autre il avait jeté le
gant à d'implacables préjugés, cet homme énergique ne vit qu'un moyeu de
dompter l'opinion, et devint ambitieux d'argent comme il l'avait été
jusque-là d'amour et de renommée.

A Londres, la fortune l'aurait fait trop longtemps attendre; mais dans
l'Inde, lorsqu'il veut mettre sa vie au jeu, l'homme de talent peut
largement réaliser les bénéfices du quitte ou double. Les deux amants
engagèrent sans hésiter cette partie redoutable, décidés, perte ou gain,
morts on millionnaires, à partager les résultats qu'elle aurait.

Dix ans après, elle était à moitié gagnée, à moitié perdue. La richesse
était venue, la mort allait venir, Elisa semblait la plus menacée, car
c'était sur sa frêle constitution que les ardeurs dévorantes du ciel
indien avaient exercé le plus de ravages.

Le départ était résolu, le jour fixé, le navire choisi. Chaque soir,
quand la brise, de mer se levait, Elisa se faisait porter en palanquin
sur le port pour contempler avec une joie d'enfant le magnifique
_steam-boat_ qui allait la ramener dans sa patrie. C'était l'heure des
apprêts, et son amant voulait qu'elle présidât elle-même aux mille soins
qu'il se donnait pour lui rendre la traversée moins pénible. Entre
autres formalités nécessaires, il fallait un permis d'embarquement
nominalement délivré à chaque passager. L'employé du gouvernement,
chargé de cette portion du service, après avoir pris le nom et le
signalement des autres voyageurs, vint, chapeau bas, demander celui de
la dame au palanquin. Elisa lui répondit sans le regarder; mais, à peine
avait-elle articulé son nom de famille, qu'une exclamation de surprise
échappée à cet homme, la tira brusquement de son indolente rêverie.

Et, lorsqu'elle leva les yeux sur lui, un tressaillement nerveux la fit
frémir de la tête aux pieds: elle venait de reconnaître son mari.

..............................................................

Mortellement blessé, son amant, avant d'expirer, lui légua l'énorme
fortune qu'il avait acquise pour elle. Son mari la contraignit
d'accepter, et ramassa hardiment cet héritage souillé pour lui de boue
et de sang. Honte à la loi qui consacre et légitime de telles infamies!
Honte à l'homme qui abuse de sa force et de sa volonté pour dominer une
femme à demi brisée par le mal, anéantie par le désespoir!

Mon roman une fois bâti, selon toutes les règles de la poétique moderne,
je me laissai aller à toute l'indignation que m'inspiraient les procédés
de ce mari si gros et si rubicond.

Malheureuse femme! m'écriai-je-, j'espère bien qu'elle l'empoisonnera
tôt ou lard!

Mon compagnon, qui me précédait de quelques pas, tourna brusquement sur
ses talons, et me demanda d'une voix émue à qui diable j'en avais.

Je compris que j'étais tout à coup devenu suspect,--moi, célibataire,--à
cet homme éminemment marié.

PRÉVENANCES.

Environ une lieue avant Boulogne commence un insuportable régime
d'obsessions et de véritables violences faites à la volonté des
voyageurs. Les aubergistes, dépêchent sur la route des émissaires à
cheval qui viennent occuper les portières de la diligence et accabler
ses malheureux habitants de renseignements intéressés. Les cartes
lithoraphiées pleuvent de tous côtés; des recommandations
contradictoires se croisent et se démentent avec une énergie effrayante.
Le chevalier de _l'Etoile_ jette un insultant défi au champion du
_Lion-d'Or_; le tournoi va sans doute s'engager; mais tandis qu'ils
s'écartent pour prendre champ, une petite paysanne à l'air éveillé saute
lestement sur le marchepied, m'offre un bouquet frais cueilli, et me vante
les charmes du _Boeuf-Couronné_. Cette manoeuvre perfide attire les
regards des deux paladins à _tweeds_-gris; ils se précipitent, la
cravache haute; mais cette charge de cavalerie n'effraie pas l'héroïque
pucelle; d'un seul bond, elle est à terre, ramasse deux gros cailloux,
et fait hardiment face à l'ennemi étonné. Trois _groans_ pour le _Lion_
et _l'Étoile; hussah_ pour le _boeuf_; le _Boeuf for ever_, sa couronne
lui reste.

A Douvres, ce fut bien pis. Quarante ou cinquante sacripants déguenillés
nous attendaient sur le quai. Le prisme du mal de mer n'embellit rien,
et je tiendrais pour un galant Amadis l'homme enthousiaste que la beauté
soumettrait à son empire sur un paquebot aussi violemment secoué que
l'avait été le nôtre. Si j'ai quelque raison de penser ainsi, jugez ce
que durent être àmes yeux, encore mouillés des pleurs de la traversée,
les physionomies atroces de ces truands en haillons qui nous entourèrent
en hurlant des que nous eûmes mis pied à terre.

Ils jargonnaient tous les idiomes de l'univers: _Gentleman!
--Herren!--Signori!--Caballeros!--Messieurs!--the Star hotel!--die
Kanone!--l'Osteria del Orsa!-l'Albergia de la Anela!-les Trois Maures!_

Les cris de cette canaille étourdissante que notre silence semblait
encourager, les regards impudents dont elle nous assiégeait,
l'inquiétante activité qu'elle déployait autour de nous, ajoutaient à la
prostration générale de mes facultés, et au lieu de tomber à coups de
canne sur ces fâcheux cosmopolites, je me laissais naturellement palper
et entraîner par eux, hébété, stupide, vaincu d'avance et résigné à tout
à qui pouvait m'arriver de pis.

Déjà l'un de ces croquants avait passé son bras sous le mien avec un
sourire de triomphe, je vois encore d'ici sa figure de zingaro, ses
cheveux gras, noirs et frisés sa redingote d'un bleu sale boutonnée
jusqu'au menton, ses lèvres ironiques et ses yeux noirs rayonnant d'un
éclat fascinateur Celui-là n'était ni Anglais, ni Français, ni Espagnol,
ni Allemand, ni Romain, ni Russe, j'en répondrais sur mon âme Juif on
Bohémien, je ne dis pas, voleur et peut-être, assassin, j'en ferais
serment au besoin.

Tels étaient cependant mon indifférence et mon apathique désespoir que
je me laissais entraîner machinalement par ce monstre à figure humaine.
Nous allions tourner ensemble dans une ruelle déserte, et je cherchait à
deviner d'avance quel était, de toutes ces maisons grimaçantes, le
coupe-gorge où devait s'accomplir ma fatale destinée, quand un incident
imprévu me tira d'affaire.

Mille cris s'élevant derrière moi me forcèrent à tourner la tête. Ils
saluèrent la chute de mon déplorable compagnon de voyage, qui avait
butté sur les degrés de la _Custom-house_. Etendu au milieu de ces
sauvages, il courait autant de risques que le capitaine Cook dans la
baie de Katakakooa.

Je dois le dire à mon éloge: ce spectacle me rendit aussitôt toute
l'énergie que je n'avais pu trouver pour ma propre défense. Je me
débarrassai par un mouvement soudain de mon assassin futur, et,
brandissant d'un air martial un innocent parapluie, je courus à la
rescousse de mon malheureux ami.

Cette scène incontestablement tragique se passait le 20 mai dernier, aux
pieds des rochers de Shakspeare.

O. N.

_(La suite à un prochain numéro.)_



Agriculture

LABOUR ET MOISSON.

La moisson! Que de travaux pour l'amener à bien! que de sueurs versées
sur les guérets pour fournir à trente-quatre millions de bouches le plus
nécessaire des aliments, le pain! Dès la plus haute antiquité, le pain a
été considéré comme le premier bienfait des cieux envers la pauvre
humanité. Les Grecs avaient déifié le premier laboureur Triptolème, mais
Triptolème évidemment trompa la Grèce en se donnant pour inventeur; il
n'avait droit tout au plus qu'à un brevet d'importation.

Les charrues primitives étaient d'une extrême simplicité: on en peut
juger par les deux charrues d'origine antique en usage dans le midi de
la France, sans avoir subi pour ainsi dire aucune modification;
l'_Aramon_ phocéen et le _Fourca_ romain ont conservé leur nom et leur
forme. Ce sont des instruments très-imparfaits, dans la construction
desquels il n'entre presque point de fer. Une autre charrue, peut-être
plus antique et non moins imparfaite, est encore en usage dans tous les
départements de l'ancienne-Bretagne. L'extrémité qui représente le soc
est armée d'une pointe de fer de forme conique, tout à fait semblable à
l'instrument dont les bouchers se servent pour aiguiser leurs outils. Le
travail que ces charrues exécutent ne peut pas, à proprement parler, se
nommer labour. Pour que la terre soit labourée dans le, vrai sens du
mot, il ne suffit pas qu'elle soit déchirée à sa surface, il faut encore
qu'elle soit retournée; il faut que la portion de la couche végétale qui
se trouvait au-dessus soit rejetée en dedans, et réciproquement. C'est c
que font toutes les bonnes charrues au moyen du versoir, partie
essentielle qui manquait à toutes les charmes de l'antiquité. Les
charrues modernes les plus perfectionnées donnent à la terre un travail
aussi profond et presque aussi parfait que le travail de la bêche ou de
la pioche, avec beaucoup plus de promptitude et d'économie.

Les amis de l'agriculture reconnaissent l'extrême importance de tous les
perfectionnements que peut recevoir la charrue; les deux meilleures
charrues des temps modernes, la charrue Bonnet et la charrue Fourche,
portent toutes les deux les noms de leurs inventeurs; ces inventeurs,
par parenthèse, sont deux paysans, l'un et l'autre complètement
illettrés, étrangers aux mathématiques.

Les boeufs paraissent avoir été les premiers animaux attelés à la
charrue; les anciens les attelaient par la tête, non pas que ce mode
d'attelage offre aucun avantage réel quant à l'emploi de la force des
animaux, mais uniquement, parce que, dans l'origine, on attelait à la
charrue des taureaux, très peu dociles de leur nature, et que leurs
cornes cessaient d'être à craindre lorsqu'ils avaient la tête prise dans
le jonc.

Le mode d'attelage usité en Provence semble être une transition assez
bien ménagée entre l'attelage par la tête et l'attelage par le poitrail;
les boeufs sont toujours maîtrisés par un joug qui les maintient unis
l'un à l'autre en assurant leur docilité; mais la force du tirage porte
sur la partie antérieure du poitrail. Néanmoins la meilleure manière de
mettre les boeufs à la charrue consiste toujours à les atteler au
collier, comme les chevaux.

Après les boeufs, on a successivement attelé à la charrue des chevaux,
des mulets et même des ânes. Quoique l'âne, d'après la forme de son
épine dorsale semble plutôt destiné à _porter_ qu'à _tirer_, cependant
un attelage d'ânes bien dressés peut vaincre dans un concours de
labourage les meilleurs mulets, et même les chevaux les plus vigoureux.
Ces animaux sont rarement admis dans ces sortes de concours; plus
rarement encore ils en sortent vainqueurs. Nous nous plaisons à signaler
ici le triomphe récent d'un attelage de six ânes, triomphe d'autant plus
glorieux qu'il fut plus vivement contesté. La Société d'Agriculture du
département de l'Hérault a couronné, en 1842, dans un concours fort
nombreux, un attelage de six ânes qui avait pour rivaux des attelages de
six chevaux et de six mulets, conduisant des charrues parfaitement
semblables à celles que manoeuvraient les ânes. Leur maître eut d'abord
quelque peine à se faire admettre au concours; cependant, comme sa
charrue remplissait les conditions exigées et que le règlement du
concours n'excluait pas les ânes, on lui donna, comme aux autres, sa
portion de champ à labourer. C'était un labour d'été. Il est difficile
pour ceux qui n'ont pas habité le Midi de se figurer à quel point la
terre devient compacte à la suite des longues sécheresses auxquelles
sont exposées nos terres dans les départements du Midi; ce n'est plus de
la terre; c'est de la pierre; elle fait feu sous les pieds des chevaux.
C'est dans cette pierre qu'il s'agissait d'ouvrir des sillons. Les ânes
étaient attelés avec beaucoup de soin, quoique d'une manière assez
grotesque. Dans le but de les rendre plus dignes de paraître devant une
réunion d'agronomes et de personnages les plus distingués du
département, leur maître n'avait rien imaginé de mieux que d'acheter à
la friperie de vieux pantalons garance provenant des réformes des
équipements militaires; en les remplissant de foin, il en avait l'air
des colliers improvisés pour ses ânes, dont chacun avait ainsi autour
des épaules deux jambes de pantalons rouges qui se réunissaient sur le
poitrail. Aux éclats de rire qui avaient d'abord accueilli l'arrivée des
ânes sur le champ du concours, succéda l'étonnement, lorsqu'au bout de
cinq à six tours seulement, les ânes eurent laissé tous leurs rivaux en
arrière. La promptitude et la perfection du labour tenaient surtout à
cette circonstance, que leur maître les conduisait uniquement de la
voix, de sorte qu'arrivés au bout du sillon, ils tournaient d'eux-mêmes
et reprenaient leur direction sans perdre de temps, quoique leur maître
fut seul pour les conduire, tandis que tous les autres attelages du même
nombre d'autres animaux étaient conduits par deux hommes on même
quelquefois trois, et ne tournaient cependant qu'avec beaucoup de
lenteur et de difficulté. Parvenu à peu près à la moitié de sa tâche, le
laboureur aux ânes cassa sa charrue; c'était un accident prévu en raison
de la dureté du terrain. Le laboureur connaissait le côté faible de son
instrument; il avait des pièces de rechange. Les ânes avaient tellement
pris l'avance, qu'il eut tout le loisir d'aller à la forge voisine
raccommoder lui-même sa charrue, car tous les laboureurs languedociens
sont plus ou moins forgerons; puis il revint à son sillon, et bien que
ses rivaux n'eussent pas manqué de se dépêcher pendant son absence, il
eut encore terminé sa tâche longtemps avant tous les autres. Quant à la
perfection du travail, qui fut examiné avec beaucoup de soin et jugé
avec sévérité, elle était évidemment supérieure à celle de tous les
autres labours exécutés par des mulets ou des chevaux. Les ânes,
proclamés vainqueurs, furent promenés en triomphe, tout chargés de
rubans et de banderoles. Ils semblaient comprendre les honneurs qu'on
leur rendait, car ils en témoignaient hautement leur satisfaction par
des accents qui, mêlés avec l'harmonie d'un nombreux orchestre
d'instruments à vent, formaient un étrange charivari.

Pour bien comprendre l'importance du résultat de ce concours, il suffit
de se rappeler que tous les concurrents des ânes étaient des animaux
d'un prix très-élevé. Il n'y avait pas là un cheval uni eût coûté moins
de 7 à 800 francs; ou admirait de magnifiques attelages de mulets,
vidant de 12 à 1500 francs la pièce; le plus cher des six ânes qui
venaient de battre tous ces animaux de prix avait coûté 60 francs. Que
l'on compare les frais de toute espèce pour la nourriture, la ferrure et
les harnais de ces animaux, avec les mêmes dépenses pour les ânes, et
l'on sera convaincu, ainsi que l'ont été les juges du concours, que le
labour des ânes présente sur celui de tous les autres attelages une
économie de plus de moitié; or, ou sait qu'il n'y a pas de petites
économies, en agriculture, parce que chacune d'elles, quelque petite
qu'elle soit individuellement, se multiplie toujours par des nombres
énormes, car les laboureurs forment les trois quarts de la population.

La destinée de certaines charrues est assez curieuse; quelques-unes ont
traversa les siècles presque sans altération; le vieux fourca romain est
un instrument tout à fait primitif, probablement fort peu différent de
celui dont dut se servir Adam au sortir du paradis. D'autres ont eu la
sort de ces hommes supérieurs qui ne parviennent jamais, comme dit le
proverbe, à être prophètes dans leur pays. Ainsi, il n'existe pas dans
le monde entier de charrue supérieure à la charrue belge, connue sous le
nom de charrue du Brabant; elle l'emporte sur toutes les autres quant à
l'économie de forces et à la perfection du travail; elle agit également
bien sur toutes les natures de terrains. Eh bien! cette excellente
charrue n'a jamais pu parvenir à franchir la frontière du département du
Nord, et la Société d'Agriculture de Valenciennes s'épuise en vains
efforts depuis nombre d'années, pour obtenir des laboureurs de la
Flandre française qu'ils renoncent au lourd et informe _harna_, ou
charrue du pays, pour adopter la charrue de Brabant. Cette même charrue,
emporté au delà de l'Atlantique par les émigrés hollandais, qui,
longtemps avant les Anglais, commencèrent à défricher le sol de
l'Amérique du Nord, est revenue en Europe comme une grande nouveauté, et
a été accueillie avec enthousiasme sous le nom de charrue américaine;
c'est celle dont la plupart des agriculteurs éclairés se servent
aujourd'hui sous le nom de charrue-Dombasle, ou charrue de Roville, à
cause de quelques perfectionnements qu'elle a reçus à l'Institution
agricole de Roville, où l'on en fabrique des milliers tous les ans, et
d'où elle se répand dans toute la France. Sous le nom de charrue
brabançonne, personne n'en avait voulu entendre parler.

Donnons maintenant une idée des diverses manières de moissonner.
L'observateur attentif trouve des rapports frappants entre le caractère
et les habitudes des peuples, et leur manière de faire la moisson. Sans
sortir de la France, nous voyons les habitants de tous les départements,
où le travail est peu en honneur, moissonner presque tous debout, et
perdre, en coupant le blé à la moitié de sa longueur, la meilleure
partie de la paille.

Qui ne connaît Cérès et sa faucille? Les trois quarts de la France et
tout le midi de l'Europe n'ont pas progressé dans cette voie depuis
trois ou quatre mille ans; ils en sont encore à la faucille de Cérès.
Dans le Nord, on moissonne de temps immémorial par un procédé tellement
supérieur à tous les autres, qu'il mérite d'être décrit en détail: le
moissonneur se sert, au lieu de faucille, d'une petite faux exactement
de la même forme que la grande faux ordinaire à faucher les foins,
munie, au lieu de manche, d'une poignée très-courte, qui peut s'allonger
à volonté, ce qui permet de la manier d'une main sûre, sans aucune
fatigue. Les Belges, inventeurs de cette manière de moissonner, la
nomment _sape_. Pour moissonner à la sape, on tient cette petite faux de
la main droite; la gauche est armée d'un crochet assez analogue à celui
des chiffonniers de Paris, mais plus long et recourbé par le bout. Le
moissonneur frappe le blé très-près de terre, ce qui laisse à la paille
toute sa longueur. Tandis qu'il frappe avec la faux, la main gauche, qui
tient le crochet, maintient réunies les tiges abattues, et, par un
mouvement facile à exécuter, elle en forme une petite javelle; une femme
suit d'ordinaire les moissonneurs à la sape pour réunir ces javelles en
gerbes, et les lier aussitôt, afin de pouvoir les disposer debout quatre
par quatre, les épis en haut, position dans laquelle elles achèvent de
sécher. On ne peut se figurer quels avantages résultent de ce simple
arrangement des gerbes, comparé à l'usage de les laisser à plat, en tas
sur le sol. S'il survient une petite pluie, l'eau glisse sur l'épi placé
debout, et le moindre courant d'air la sèche en un instant; si la pluie
augmente, on prend une des quatre gerbes, dont on couvre les trois
autres, en l'ouvrant, comme le montre la figure ci-jointe; une récolte
en cet état peut braver huit ou dix jours de pluies continues, comme, il
en survient souvent au mois d'août sous le climat humide de la Belgique.

En France, excepté dans le Nord, où les moeurs et les usages sont restés
belges en grande partie, les gerbes, en tas sur le sol, ne manquent pas
d'y pourrir à la suite des pluies prolongées, s'il en vient à cette
époque, et une portion importante du grain germe dans l'épi.

Ce que le bon sens et l'esprit d'observation ont enseigné de temps
immémorial aux bons paysans flamands, les meilleurs cultivateurs de
l'Europe, sans excepter les Anglais l'esprit de routine empêche nos
paysans de la Beauce et de la Brie de l'adopter; il y a des années
pluvieuses où cela seul cause, au seul rayon d'approvisionnement de
Paris, une perte de plusieurs millions.

Dans tous les pays de grande culture, la population est trop clairsemée
pour suffire aux travaux de la moisson; les plaines de la Beauce et
celles de la Brie, ces deux greniers de Paris, ne pourraient être
moissonnées sans le secours des émigrations périodiques de travailleurs
qui s'y donnent rendez-vous, les uns du nord, les autres du midi. La
concurrence que font aux ouvriers français les moissonneurs belges à la
sape ne date pas de fort loin; il y a quelques années, les sapeurs ne
passaient pas la Somme; ils passent aujourd'hui la Seine; on les
rencontre déjà jusque dans la vallée de la Loire. Les autres
moissonneurs viennent de la Bourgogne, particulièrement des montagnes du
Morvan; dans la Beauce ou les désigne sous le nom d'_auterons_ ou
_hauterons_, nom que nous avons entendu expliquer par la périphrase:
gens du pays haut; nous ne garantissons pas cette étymologie. Les
hauterons ne moissonnent qu'à la faucille; quelques-uns seulement savent
faucher; ils fauchent les orges et les seigles médiocres; la faux est
pour cet usage munie d'une espèce de grillage en osier qui rabat les
chaumes coupés en les empêchant de se disperser, et fait de chaque trait
de faux la base d'une gerbe toute préparée.

Après la moisson des plaines de la Beauce, de la Brie et de
l'Ile-de-France, les sapeurs belges s'en retournent à temps pour faire
leur propre moisson, retardée de près de quinze jours à cause de la
différence de latitude. Les Bourguignons du Morvan sont moins pressés de
s'en retourner; dans leurs pauvres vallées il n'y a pas de moisson qui
les rappelle.

Les cérémonies pompeuses du culte de Cérès ont laissé des traces en
Italie, même en Espagne; l'Allemagne célèbre périodiquement des fêtes
agricoles avec beaucoup de solennité; en France, les contrées les plus
riches en céréales n'ont rien conservé de ces cérémonies païennes; un
simple violon de village, monté sur un tonneau placé debout, fait
quelquefois danser les moissonneurs de l'un et l'autre sexe après la
rentrée de la dernière, gerbe; c'est un usage assez général, mais dont
beaucoup de fermiers se dispensent quand la récolte, n'est pas assez
belle à leur gré, ou qu'ils ne sont pas en veine de générosité.

La conservation des grains, soit dans l'épi, soit hors de l'épi, donne
lieu à des travaux et à des procédés très-divers dans les différentes
régions de la France agricole. Considérons d'abord les procédés les plus
simples. En Bretagne, terre fertile, mais mal cultivée, affamée comme
ses habitants et produisant peu faute de nourriture, c'est-à-dire faute
d'engrais, la conservation des grains ne regarde pas le paysan: aussitôt
la moisson faite, chacun s'arme d'un fléau; tout est battu en quelques
jours jusqu'à la dernière gerbe; on rentre à la maison, dans des sacs,
la quantité de grains nécessaire à la consommation présumée de la
famille; le reste va directement au marché. La conservation des grains
regarde par conséquent, non le cultivateur, mais exclusivement le
négociant qui fait le commerce des grains. Cette méthode, suivie de
temps immémorial dans toute la partie sud de l'Armorique, depuis Nantes
jusqu'à Brest, supprime les granges, les meules, les greniers et tout ce
qui s'y rapporte dans les pays de grande culture. Sur une longueur de
plus de trois cents kilomètres, on ne rencontre, dans toute cette partie
de la Bretagne, ni grenier carrelé, ni grange, ni meule de grains; les
meules je paille ou _paillers_, qu'on voit à la porte de chaque
métairie, ne renferment réellement que de la paille pour la nourriture
ou la litière du bétail.

Dans le Midi, le battage au fléau est inconnu; les grains ne sont
comparativement au vin, à l'huile et à la soie, qu'une récolte
accessoire dans une partie de nos départements méridionaux; chaque
métairie, de même qu'en Bretagne, réalise sa récolte aussitôt qu'elle
est terminée; les gerbes vont directement du champ sur l'aire.
L'emplacement de l'aire est choisi dans un lieu le plus souvent élevé,
toujours le plus découvert et le mieux aéré possible, à portée de
l'exploitation; c'est une espèce de plate-forme circulaire grossièrement
pavée. Les gerbes transportées sur l'aire y sont foulées sous les pieds
des chevaux, des boeufs ou des mulets selon la méthode décrite dans la
Sainte-Écriture, méthode qui n'a pas changé depuis Moïse, et qui par
conséquent ne saurait avoir moins de trente-cinq à quarante siècles
d'antiquité. Cette opération se nomme _dépiquage._

[Illustration.]

A mesure que la paille se trouve suffisamment triturée sous la course
circulaire des animaux employés au dépiquage, on l'enlève par brassées
en la secouant; le grain tombe de lui-même, mêlé de beaucoup de menue
paille; on ne l'en sépare que par des vannages réitérés, travail pénible
et très-long quand on n'est pas favorisé d'un peu de vent; c'est la
raison qui fait choisir pour l'aire une place, très-aérée. Le tatare ou
diable volant, aujourd'hui universellement adopté dans tout le reste de
la France, commence à peine à s'introduire dans les exploitations du
Midi; cette machine, des plus simples, vanne parfaitement le grain sans
attendre qu'il plaise à Dieu de faire souffler le vent.

La paille, par l'opération du dépiquage, est réduite en fragments, dont
le plus long n'a pas plus d'un décimètre; elle sert de nourriture
principale aux boeufs pendant l'hiver. Les hache-paille sont inconnus
dans tout le Midi; la paille qui a subi le dépiquage est en effet comme
hachée; elle occupe très-peu d'espace comparativement au volume des
gerbes; on la conserve en tas dans les greniers.

[Illustration: Moissonneur à la sape.]

Dans tous les pays où le dépiquage est usité, les granges sont aussi
inutiles qu'en Bretagne; rentrer des gerbes dans une grange ou les
conserver en meules à l'air libre sont deux opérations dont les
cultivateurs du midi de la France n'ont aucune idée, parce qu'ils n'en
ont pas besoin.

Mais, dans les contrées tempérées du centre et du nord de la France,
partout où la récolte du blé tient le premier rang, il est de toute
impossibilité de battre toutes les gerbes au moment de la moisson, pour
n'avoir à conserver que du grain et de la paille isolés l'un de l'autre;
les granges, les meules, les machines à battre, les silos, les greniers
à bascule, sont dans ces riches contrées des objets dignes de toute
l'attention des agriculteurs. Le génie des mécaniciens et des
architectes, associé à celui des agronomes, s'occupe incessamment de
perfectionner tous ces moyens de ne laisser rien perdre de la plus
précieuse des récoltes, et d'en conserver le plus longtemps possible les
produits en bon état.

La conservation dans les granges des gerbes qui n'ont point été battues
offre toujours un inconvénient grave; les rats et les souris pullulent
dans les granges remplies; ces animaux y détruisent d'énormes, quantités
de céréales. La multiplication des rongeurs est beaucoup moindre dans
les meules à l'air libre; les gerbes y sont, sous tous les rapports,
mieux qu'en grange; une bonne couverture en chaume les préserve
très-bien de l'humidité atmosphérique; un rang de fagots (bourrées),
placés circulairement, les garantit également contre l'humidité, du sol;
les chats et les chiens de petite taille, dressés à la chasse des rats,
peuvent aisément les poursuivre sous les meules par des passades ménagés
à dessein; s'ils ne les détruisent pas complètement, ils les troublent
assez pour qu'ils ne puissent multiplier à l'excès.

Rien ne surpasse pour ce mode de conservation la meule à toit mobile, ou
grange portative, dont le toit s'abaisse à mesure que la meule entamée
par le sommet diminue de hauteur. Tel est, en effet, le défaut des
meules: tant qu'elles subsistent intégralement, rien de mieux, mais il
ne faudrait jamais y toucher; dès qu'on les entame, ce qui n'est pas
immédiatement battu est à la merci des éléments.

[Illustration: Moissonneuse à la faucille.]

Les Anglais, dont le génie inventif a perfectionné tant d'industries,
ont fait usage les premiers des machines à battre, aujourd'hui assez
répandues, en France dans les pays de grande culture. Elles ont toutes
pour base la machine écossaise, formée essentiellement de deux cylindres
cannelés, entre lesquels les épis sont engagés et les pailles froissées,
ce qui ne permet pas à un seul train de rester dans l'épi.

Ces machines ont le défaut de coûter fort cher; on ne peut en avoir une
passable à moins de 2,000 francs; les meilleures coûtent le double;
elles ne conviennent par conséquent qu'aux grandes exploitations.
L'usage commence à s'introduire, parmi les fermiers de Seine-et-Marne,
d'Eure-et-Loir (Brie et Beauce), d'acquérir en commun une machine à
faire argent de ses grains; elle laisse toujours une portion
considérable de grains dans l'épi: voilà, certes, bien des motifs pour
que l'agriculture y renonce à jamais. On objecte la suppression de la
main-d'oeuvre; cette objection, qu'on peut opposer d'ailleurs à toute
espèce de mécanique perfectionnée, est ici sans aucune valeur: les bras
manquent pour les travaux des champs; les villes et l'armée absorbent et
dévorent la jeunesse des campagnes; l'emploi des machines à battre, dont
toutes les fermes d'une commune se servent tour à tour.

[Illustration: Moissonneur à la faux.]

[Illustration: Dépiquage des blés dans les départements méridionaux.] Il
reste beaucoup à faire dans cette voie pour doter la petite culture
d'une bonne machine à battre, d'un prix modéré; les divers essais de
fléaux mus par une manivelle adaptée à un cylindre n'ont pas jusqu'ici
atteint ce double but; la moyenne et la petite culture en sont encore au
fléau à bras pour toute ressource; c'est la plus lente et la plus
défectueuse manière de battre les céréales; elle coûte fort cher, elle
met le fermier à la merci des ouvriers au moment où il lui faut battre
ne retranche rien au salaire des travailleurs agricoles. Le grain battu
n'est pas encore sauvé des attaques de ses innommables ennemis. Dans les
greniers, outre les souris qu'il est facile de détruire, il est en proie
à un insecte fort petit, mais très-destructeur, parce qu'il multiplie
prodigieusement. Le charançon (_curculio_) est le fléau de nos greniers.
De tous les moyens de détruire les charançons, le plus simple consiste à
étendre le soir sur les tas de blé de peu d'épaisseur des toisons en
suint, non lavées, provenant de moutons récemment abattus; tous les
charançons se rendent pendant la nuit dans la laine de la toison; chaque
matin on la secoue dans la basse-cour afin que les poules profitent des
charançons, dont elles sont fort avides; au bout de quelques jours, il
n'y a plus de charançons en apparence; mais il suffit de deux ou trois
de ces insectes échappés à la destruction pour repeupler
très-rapidement; puis ceux qui étaient à l'état de larve n'ont pu être
attirés par l'odeur des toisons, et recommencent bientôt une génération
nouvelle.

[Illustration: Moissonneurs faisant des meules.]

Les procédés qui préviennent la multiplication des charançons sont donc
de beaucoup préférables aux procédés de destruction, qui n'atteignent
jamais complètement leur but. Dans les greniers des fermes, on n'emploie
pas d'autre moyen que de remuer fréquemment les grains à la pelle, moyen
long, coûteux et peu efficace. Mais dans les vastes établissements de
meunerie, dont un des plus baux modèles qui soient en Europe est le
moulin à vapeur de la Villette, à l'extrémité du faubourg Saint-Martin,
on use d'un procédé fort ingénieux, qui exige un bâtiment construit
exprès; le blé, au moyen d'un système de trappes, y est mis en
circulation du haut en bas, d'étage en étage, et remonté à l'étage
supérieur au moyen d'une bascule; il reçoit ainsi l'agitation et la
ventilation nécessaires à sa bonne conservation, et les insectes ne
peuvent s'y multiplier.

Ou sait que dès la plus haute antiquité, les Égyptiens conservaient
leurs grains dans des cavités nommées silos, encore aujourd'hui fort en
usage chez les Arabes de l'Algérie, comme dans tous les pays de
l'Orient. Des essais auxquels se rattachent les noms de MM. Jacques
Laffitte et Ternaux, ont été faits sous la Restauration pour introduire
en France l'usage des silos; quoique les grains s'y conservent assez
bien, l'usage, ne s'en est pas généralement répandu. Il y a pour cela
une raison qui l'emporte sur toute les autres, une raison qu'il faudrait
publier sur les toits pour forcer nos hommes d'État à en faire leur
affaire principale, et nos agronomes à s'en occuper sans relâche: _la
France n'a pas de réserve de céréales_. En temps de paix, elle se
suffit tant bien que mal, grâce au secours des grains étrangers de la
Baltique et de la Mer Noire, qui affluent à bas prix sur tout notre
littoral; mais, qu'on le sache bien, en France, une guerre malheureuse,
une ou deux mauvaises récoltes seulement, c'est la famine.



(Nous donnons aux lecteurs et lectrices de L'ILLUSTRATION le vaudeville
final de l'opéra _On ne s'avise jamais de tout_, charmant _pont-neuf_,
plein de cette bonhomie vive et franche qui distinguait la musique
d'autrefois. MM. les vaudevillistes ne manqueront pas sans doute d'en
tirer parti.)

[Illustration: Partition musicale.]

        ON NE S'AVISE JAMAIS DE TOUT

        PREMIER COUPLET

        Un tuteur pour sa pupille
        Brûle des plus tendres feux
        De son coeur la paix s'exile
        C'est un argus aux cent yeux.
        Il voit tout,
        Est partout
        Du grenier jusqu'à la cave
        Sans témoin
        Avec soin
        Il visite chaque coin
        Son amour
        Nuit et jour.
        Son amour le rend esclave
        De bons chiens
        Vieux gardiens
        Et malgré tous ces moyens
        Un enfant vient à bout
        De tromper barbe grise.
        Ah! c'est qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout
        Un enfant vient à bout
        De tromper barbe grise Ah!
        DAME SIMONNE.

        Un enfant vient à bout
        De tromper barbe grise Ah!
        LE MARQUIS.

        Un enfant vient à bout
        De tromper barbe grise Ah!
        LE DOCTEUR.

        Un enfant vient à bout
        De tromper barbe grise Ah!

        C'est qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout.

        C'est qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout.

        C'est qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout.

        C'est qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout.

        DEUXIÈME COUPLET

        LE MARQUIS.
        Cher docteur, voulez-vous suivre
        Le conseil de la raison?
        C'est de brûler votre livre
        Et d'oublier sa leçon.
        LE DOCTEUR.
        Oui, ma foi!
        Je vous crois;
        De ce soin je me délivre.
        Mais j'en vois
        Comme moi
        S'adonner à cet emploi:
        Vieux jaloux,
        Loups-garoux.
        Il vous faut apprendre à vivre,
        Comprenez,
        Retenez
        Qu'ici-bas vous vous damnez,
        Un enfant vient à bout, etc.

        TROISIÈME COUPLET

        LISE (AU PUBLIC).

        Avec l'espoir de vous plaire
        Nous rajustons aujourd'hui
        Un opéra centenaire
        En son temps fort applaudi.
        Les leçons.
        En chansons
        Parfois plaisent davantage;
        Les sermons
        Froids et longs
        Ici ne semblent pas bons.
        Si l'auteur,
        Par malheur,
        N'obtient pas votre suffrage,
        Il a tort;
        Mais encore,
        Ne le jugez pas à mort:
        Pardonnez à son goût
        Sa funeste méprise;
        Songez qu'on ne s'avise
        Jamais jamais de tout!



MARGHERITA PUSTERLA.

Lecteur as-tu souffert?--Non.
--Ce livre n'est pas pour toi.

CHAPITRE V

LA CONJURATION.

BON Jésus, qui fûtes aussi un petit enfant, et qui dès votre
enfance avez commencé à souffrir; vous qui croissiez en âge et en
sagesse, soumis à vos parents, et acquérant de la grâce devant Dieu et
devant les hommes, oh! veuillez garder mon enfance, et faire que je n'en
souille pas la pureté, et que mes oeuvres, conformes à votre volonté, me
promettent un bel avenir aux yeux de mes parents et de mes concitoyens.

«Bon Jésus, qui avez tant aimé vos parents, je vous recommande les
miens; bénissez-les, donnez-leur la patience dans la douleur, la force
de se soumettre, et la consolation de me voir grandir tel qu'ils me
désirent, dans la crainte du Seigneur.

«Bon Jésus, qui avez aimé votre patrie même ingrate, et qui pleuriez en
prévoyant les maux dont elle allait être accablée, regardez mon pays
d'un oeil bienveillant, délivrez-le de ses maux, convertissez ceux qui
le contristent par leurs fraudes ou par leurs violences; inspirez-leur
la confiance du bien, et faites que je puisse devenir un jour un citoyen
probe, honnête, dévoué.»

[Illustration.]

Marguerite faisait répéter cette prière à son Venturino, qui se tenait à
genoux devant elle et les mains jointes. Une mère qui apprend à prier à
son enfant est l'image à la fois la plus sublime et la plus tendre qu'un
puisse se figurer. Alors la femme, élevée au-dessus des choses de ce
monde, ressemble à ce anges qui, nos frères et nos gardiens dans cette
vie, nous suggère nos vertus et corrigent nos vices. Dans l'âme de
l'enfant se grave, avec le portrait de sa mère, la prière qu'elle lui a
enseignée, l'invocation au Père qui est dans le ciel. Lorsque les
séductions du monde voudront le conduire à l'iniquité, il trouvera la
force de leur résister en invoquant ce Père qui est dans le ciel. Jeté
au milieu des hommes, il rencontre la fraude sous le manteau de la
loyauté, il voit la vertu dupée, la générosité raillée, la haine
furieuse, et tiède l'amitié; frémissant, il va maudire ses semblables...
mais il se souvient du Père qui est dans le ciel. A-t-il, au contraire
cédé au monde, l'égoïsme et ses bassesses ont-ils germé dans son âme? au
fond de son coeur résonne une voix, une voix austèrement tendre, comme
celle de sa mère lorsqu'elle lui enseignait à prier le Père qui est dans
ciel. Il traverse ainsi la vie; puis, au lit de mort, abandonné des
hommes, entouré seulement du cortège de ses oeuvres, il revient encore,
en pensée, à ses jours enfantins, à sa mère, et il meurt plein d'une
tranquille confiance dans le Père qui est au ciel.

Et Marguerite faisait répéter cette prière à son pieux enfant; puis le
déshabillant elle-même, aimable travail qui n'est jamais une fatigue
pour les mères, mais la plus suave des douceurs, elle le couchait, le
baisait, et, avec l'effusion de la tendresse maternelle, elle s'écriait:
«Tu seras vertueux!»

Bientôt Venturino abandonnait ses paupières à ce sommeil béni de
l'enfance, qui s'endort sans une pensée entre les bras des anges, sans
une pensée se réveille... Heureux jours! les plus beaux de la vie, et
qu'on passe sans les goûter!

Marguerite contemplait In rapide respiration de l'enfant. Le brillant
incarnat que le sommeil répandait sur les joues de Venturino l'invitait
à les couvrir de ses baisers, et le visage de la mère resplendissait
d'une ineffable béatitude pendant qu'elle demeurait absorbée dans la
contemplation muette de ces yeux fermés, qui devaient lui sourire
amoureusement au réveil.

[Illustration.]

Enfin, Marguerite s'arracha à ce berceau, et vint dans la salle où
s'étaient réunis les plus intimes amis de la famille pour saluer le
retour de Pusterla. La joie de le revoir avait effacé dans le coeur de
Marguerite les déplaisirs que lui avait causés l'absence. Son âme, si
bien faite pour sentir les jouissances domestiques, lui disait qu'après
un éloignement si fécond en périls, rien ne sourirait davantage à son
mari que de rester paisible entre sa femme et son fils, et de réunir
trois vies en une seule. Mais d'autres pensées bouillonnaient dans
l'esprit de Pusterla, et tout le jour il ne faisait que rêver et
préparer la vengeance.

Pendant son séjour à Vérone, il n'avait point caché à Mastino ni le
nouvel outrage qu'il venait de recevoir, ni sa vieille haine. Le
Scaliger, voulant tourner ce ressentiment à son profit, l'enflamma
autant qu'il put, et promit à Pusterla que, quelle que fût la résolution
qu'il prît, il trouverait en lui assistance et protection. Matteo
Visconti, que ses déportements rendirent fameux par la suite, ne devait
pas être vivement touché des désordres de son oncle, mais il était bien
aise de troubler l'étang pour y pêcher, et il attisa le mécontentement
de Pusterla. Il lui donna des lettres pour ses frères Galéas et Barnabé,
où il les exhortait à se souvenir de leur origine, et à profiter de
l'occasion pour rompre le joug, comme il disait, d'un prêtre et d'un
bourreau.

Pusterla étant revenu secrètement à Milan, aucune bannière sur les tours
n'annonçait sa présence, et la garde accoutumée ne veillait point à la
porte du palais; mais, à l'intérieur, Pusterla dévorait les orages de
son âme, sans que sa femme parvint à les adoucir. Habitué à la vie
bruyante des cercles, aux discussions, toujours avide de nouvelles et
fortes émotions, il n'aurait pu passer même cette première soirée
paisible dans sa famille: par son ordre, Alpinolo avait porté l'avis de
son retour à ses amis les plus sûrs, et ceux-ci, le soir, l'un après
l'autre, par une porte secrète donnant sur la voie des seigneurs qui
étaient venus le trouver et le consoler.

[Illustration.]

Les dehors du palais étaient muets et sombres, comme s'il eût été
désert; mais à peine Franzion Malcolzalo, le fidèle portier, avait-il
fait passer les amis du seigneur d'une première cour dans la seconde,
ils étaient accueillis par des valets vêtus en livrée mi-partie jaune et
noire, qui, portant des torches de cire, les introduisaient de
plain-pied dans une vaste salle sans communication avec le palais, et
entourée par les jardins. Des tapisseries historiées couvraient les
murailles; çà et là des étagères portant des vases et des plats en
faïence avec des fruits en relief et coloriés; deux larges fenêtres
percées de chaque côté et tendues de rideaux d'éclatantes couleurs,
donnaient passage à la brise du soir, qui tempérait agréablement la
chaleur du mois de juin. Ils entraient, et les uns entourant Francisco,
les autres assis sur de vastes chaises de velours, d'autres, près d'une
table où l'on avait jeté en désordre des gants, des manteaux, des épées,
des toques, discouraient, racontaient, interrogeaient, écoutaient. On
remarquait le bouillant Zurione, frère de Pusterla; le modéré Maflino de
Resozzo. Calzino Forniello de Novare, Borolo de Castelletto et d'autres,
exaltés Gibelins, qui, dégoûtés aujourd'hui d'un prince dont ils avaient
autrefois établi le pouvoir, montraient par là qu'il n'avait point
réalisé leurs espérances. Les frères Pinalla et Martino Aliprandi
arrivèrent les derniers. Ils étaient nés à Monza: le premier, habile
capitaine; le second, jurisconsulte renommé. Ils avaient gagné la faveur
d'Azone en lui ouvrant, en 1329, les portes de Monza, que Martin, devenu
podestat, fit ceindre de murailles. Pinalla la défendit contre
l'empereur Louis de Bavière; puis, à la tête de l'armée de Visconti, il
enleva Bergame au roi de Bohême. Ces prouesses lui valurent d'être, à la
Pâque de 1338, armé chevalier dans l'église de Saint-Ambroise, en même
temps que notre Pusterla. Mais Pinalla était descendu de cet apogée
lorsque, à l'époque de l'invasion de Lodrisio, il se vil lâchement
abandonné des troupes qu'on lui avait confiées pour défendre le passage
de l'Adda à Rivolta. Une nouvelle guerre qui pourrait le venger du
dédain de Luchino, ou du moins, par de belles emprises et de brillants
succès, effacerait la honte de son armée, était le plus ardent de ses
désirs.

[Illustration.]

Dans une telle assemblée et dans une semblable circonstance, on ne
devait point s'attendre à de paisibles discussions: au ressentiment des
malheurs publics, chacun ajoutait le ressentiment d'une injure
particulière. Aussi s'échappèrent-ils en projets violents, furieux
contre les tyrans de leur pays, et ils donnèrent d'autant plus carrière
à leur haine qu'ils étaient plus sûrs de ceux qui les entouraient.
«Hélas! oui, s'écriait Franciscolo, au moment un Marguerite, après avoir
couché son fils, entrait dans la salle, ils vont, ces vieillards,
chantant les maux qui nous accablaient au temps de notre liberté! Ce
n'étaient que batailles: tous, jusqu'aux enfants, devaient s'exercer
sans cesse au maniement des armes. Tout à coup sonnait la Martinella, on
sortait le Caroccio, et chacun, de gré ou de force, était réduit à se
vêtir de fer, à se priver du repos de sa maison, des gains de son
métier, pour courir dans les sanglants dangers de la mêlée ou dans les
obscurs périls de l'embuscade; d'autres fois, révoltes des bourgeois,
exils, dénonciations, meurtres... Oh! que n'avons-nous un chef qui nous
contienne avec une main de fer! C'est ainsi que parlaient les timides à
qui la nature a refusé un sang généreux, ou qui s'est refroidi sous les
glaces de l'âge.»

Zurione l'interrompant: «Et c'est là aimer la patrie! Ils récoltent
aujourd'hui ce qu'ils avaient semé. La liberté est éteinte, la guerre ne
l'est pas. Les meurtres, l'exil, ne sont pas moins fréquents et ils ne
profitent plus à la patrie; ils ne servent qu'à consolider la puissance
de notre maître et à river nos propres fers. Alors c'était nous qui
voulions la guerre, nous qui la décrétions. Après l'effervescence d'une
première ardeur, tout se calmait et mûrissait pour le bien de tous ou du
plus grand nombre. Aujourd'hui le seigneur commande la bataille seul, à
son gré, pour satisfaire à des intérêts isolés, et c'est nous qui devons
le suivre. Notre travail est sa gloire.

--Vous dites vrai, s'écriait Alpinolo, sa gloire! A qui est revenu
l'honneur de la victoire de Parabiago? qui a triomphé? qui en a tiré
profit? On a dit: Luchino est un vaillant chevalier, donc élevons-le à
la seigneurie.--Et pourtant, si nous n'avions pas été là!...

--Oh! pourquoi, reprenait Zurione, pourquoi l'as-tu détaché de l'arbre à
Parabiago?

--Il eût certainement mieux valu l'y laisser, dit le docteur Aliprando;
on ne verrait point aujourd'hui les privilèges des nobles foulés aux
pieds, les Gibelins confondus avec les plus vils Guelfes, les grands
seigneurs grevés de tributs comme la plèbe la plus infime; on ne verrait
point dans l'oubli ceux qui autrefois....

--Et nous nous taisons! disait Alpinolo, les yeux étincelants et
frappant la table de sa main. Ne pouvons-nous nous venger? Quoi!
n'avons-nous plus d'épées? Les bras lombards n'ont-ils plus de nerfs?
Nous n'avons qu'à vouloir être libres, nous le serons.»

Et il levait les yeux sur Marguerite comme pour chercher nue approbation
dans l'expression des traits de sa maîtresse. Dès sa première enfance,
Marguerite avait été habituée à entendre discuter chez elle les affaires
publiques, et elle s'était formé une manière de les voir et de les
apprécier. Dans ces temps où la vie publique avait tant d'énergie, il
n'était donc pas ridicule qu'une femme s'entretînt de politique, et elle
ne laissait pas l'impression fâcheuse qu'on peut éprouver à d'autres
époques en voyant une dame décider hardiment les questions qui
embarrassent les plus âgés, sans écouter autre chose que la sensation
du moment où l'opinion de son plus proche voisin. L'éducation qu'elle
avait reçue de son père lui avait appris à discerner la raison des
exagérations des exaltés, et les injures véritables des préjugés de la
passion; mais, n'espérant pas calmer l'impétuosité de l'assemblée, ni
lui faire goûter ses raisonnements, elle se tenait à l'écart, et
commença à causer avec le docteur Aliprando.

[Illustration.]

Celui-ci, en véritable érudit qu'il était, se montrait tout fier
d'avoir eu le premier, à Milan, le livre des _Remèdes de l'une et de
l'autre Fortune_, publié vers ce temps par Pétrarque, et il s'était
empressé de l'apporter dans cette soirée à Marguerite, qu'il savait
amoureuse des belles nouveautés. Elle feuilletait: ce livre en lui
demandant son avis et en jetant çà et là les yeux sur le parchemin.
Bientôt, de sa belle main, elle demande un peu de silence, et, d'une
voix suave qui commanda aussitôt l'attention des assistants, comme au
milieu d'une taverne lorsqu'une flûte mélodieuse se fait entendre, elle
parla ainsi: «Écoutez les sages pensées du livre que le docteur m'a
donné: _Les citoyens crurent que ce qui était la ruine de tous n'était
la ruine d'aucun d'eux. C'est pourquoi il convient de chercher avec
piété et prudence à porter la paix dans les esprits; et si cela ne
réussit pas auprès des hommes, il faut prier Dieu de ramener la lumière
dans l'âme des citoyens._»

Alpinolo comprit cette réponse indirecte. «Si l'énergie d'une volonté
unanime, dit-il, manque aux citoyens, que ne peut accomplir un seul
homme? que ne peut le poignard d'un homme résolu?»

Aliprando, prenant le livre dans ses mains, ajoutait: «Madonna est comme
l'abeille; des fleurs, elle ne prend que le miel. Mais l'abeille
elle-même a son aiguillon pour repousser les attaques, et je vous prie
d'écouter ce que le divin poète dit en un autre endroit; il lut: _On a
un seigneur de la même façon qu'on a la gale et la pituite. Seigneurie
et bonté sont choses contradictoires. Dire qu'un seigneur est bon n'est
que mensonge et adulation manifeste; il est le pire de tous tes hommes
parce qu'il enlève à des concitoyens la liberté, le plus grand de tous
les biens de ce monde, et que, pour satisfaire l'insatiable avidité d'un
seul, il voit d'un oeil sec des milliers de souffrances. Qu'il soit
aimable, gracieux, libéral à donner au petit nombre de ses favoris les
dépouilles de ses sujets, qu'importe? c'est l'art de ces tyrans que le
peuple appelle seigneurs et qui sont ses
bourreaux_.--Bien!--Bravo!--Bien pensé!--Heureusement dit!» Tels étaient
les cris qui, de toutes parts, s'élevaient de;'assemblée. Le docteur,
flatté de ces applaudissements comme s'ils se fussent adressés à
lui-même, continua: «Prêtez l'oreille, voilà qui est plus fort: _Comment
peux-tu déchirer tes frères, ceux qui ont passé avec toi les jours de
l'enfance et de l'adolescence, ceux qui ont respiré le même air sous le
même ciel, qui ont tout partagé avec toi, sacrifices, jeux, plaisirs,
souffrances? De quel front peux-tu vivre là ou tu sais que ta vie est
détestée et que chacun te souhaite, la mort?_--Qu'en dites-vous? Est-il
besoin de vous expliquer ce portrait? n'est-il pas écrit précisément
pour....

--Pour Luchino! qui en doute? c'est lui tout entier,» répliquèrent
ensemble tous les conjurés. Puis l'un commentait, un second répétait, un
autre voulait voir de ses yeux les paroles sacro-saintes du grand
Italien, de l'Italien vraiment libre, comme ils appelaient Pétrarque,
sans se souvenir qu'il courtisait alors les prélats dans Avignon, qu'il
avait caressé Luchino de ses flatteries, et que, mesurant les vertus des
princes à leur libéralité, il avait proclamé l'évêque Giovanni le plus
grand homme de l'Italie. Ces adulations devaient même lui attirer le
blâme d'un autre illustre de ce temps-là, Boccace, qui lui reprocha de
vivre dans une étroite amitié avec le plus grand et le plus odieux des
tyrans de l'Italie, dans une cour aussi pleine de bruit et de corruption
que l'était celle des Visconti.

Marguerite, dont la douceur naturelle avait été entretenue par les
conseils intelligents de son père, jetait ça et là quelques paroles pour
désapprouver les mesures excessives. Elle montrait que de telles
plaintes contre un gouvernement tyrannique ne pouvaient que l'empirer et
envenimer les souffrances. Il fallait plutôt, s'il était possible, le
réformer par les voies légitimes, et non allumes dans le sein des
opprimés une fureur impuissante. Si ces moyens manquaient, il fallait
souffrir en paix ou changer de patrie. «J'ai entendu, ajoutait-elle,
dire souvent que la patience est la vertu des novateurs. Aucune réforme
ne peut grandir si elle n'a ses racines dans le peuple. Ce peuple,
malgré l'opinion des partis extrêmes, n'est ni tout or, ni tout fange.
Sans cesse courbé sous le travail, il ne s'abandonne guère aux
sentiments, et calcule de préférence les avantages immédiats. Ne
dédaignez pas les avis d'une jeune femme; je vous les donne comme
empreints de l'expérience de mon père, qui avait aussi ce proverbe dans
la bouche: Le peuple est comme saint Thomas, il veut voir et toucher.
Mais vous, quelle est votre conduite? Vous parlez de liberté, et vous
n'interrogez point la volonté du peuple; de vertu, et vous vous préparez
à l'assassinat!

--Non! non! c'est parler avec sagesse,» disait en l'appuyant Maflino
Resozzo; «on ne doit point recourir à des moyens si désespérés. A quoi
sert jamais le meurtre d'un tyran? Demain le peuple s'en donnera un
autre. Nos pères suivaient une route plus sûre. La religion a établi sur
la terre une puissance supérieure à celle des trônes, gardienne
spirituelle de la justice et tutrice de la faiblesse contre la violence.
L'innocence qui se confie en elle et lui demande secours est toujours
accueillie, et l'épée des tyrans s'émousse contre le manteau des papes
étendu sur l'humanité. Vous vous rappelez, qu'un empereur demanda
pardon, les pieds nus, à Grégoire VII, des injustices commises. Quand
Barberousse voulait étouffer la liberté lombarde, qui marchait à la tête
de notre ligue, qui empêcha l'Italie de tomber tout entière sous le joug
des Allemands? Qui réprima la sauvage tyrannie d'Ezzelino? Aujourd'hui,
nous nous défions de cette puissance pacifique pour ne nous en rapporter
qu'à notre épée. Nous voyons les fruits de notre défiance.

--O le guelfe hypocrite! ô le papiste! ô le moine!» s'écrièrent à la
fois les assistants, ils n'avaient point de raisons à opposer aux faits
rapportés par Maflino; aussi se jetaient-ils dans l'injure et dans le
sophisme. «Le pape, reprenait Pusterla, que peut-on espérer de lui?
Homme-lige de la France, il veut se créer un royaume terrestre rumine
ces princes que nous combattons. II n'y a de salut que dans le peuple.

--Et le peuple, interrompit Martin Aliprando, le peuple, n'est-ce pas
nous? La pesanteur du joug des Visconti n'est-elle pas sentie par tous?
Le peuple qui l'a élu peut lui retirer l'autorité qu'il lui a donnée.
Mais ce peuple qui gémit dans l'oppression a la bouche fermée par
l'épouvante. Il n'est qu'un moyen pour qu'il manifeste ses voeux, et
c'est la révolte.

--Et les armes, ajouta Pinalla.

--L'État, reprit Franciscolo, est entoure de seigneurs chagrins ou
envieux de la grandeur de Luchino. Qu'y a-t-il de plus facile que de
s'entendre avec eux? Je suis sûr de Vérone. Loin de désirer l'amitié de
Visconti, le Scaliger n'attend que l'heure de se déclarer contre lui. La
révolte de Lodrisio a montré que pour détruire la _Vipère_, il ne
fallait qu'une bande soudoyée. Que sera-ce donc lorsqu'elle sera
attaquée par un chef appuyé de la confiance du peuple!

--Ne pourrait-on pas tirer Lodrisio lui-même de sa prison de
Saint-Colomban? demanda Zurione.

--N'est-il donc pas d'homme, dit avec mépris Pinalla, qui sache mieux
que lui tenir l'épée?

--N'est-il pas de chefs, ajoutait Borolo, d'une naissance plus relevée?
Barnabé et Galéas sont maintenant mal vus de leur oncle; ils lèveraient
bien vite leur bannière s'ils étaient certains d'avoir des partisans.

--Quel fond peut-on faire sur eux pour notre dessein? demandait
Pusterla, à demi fâché de n'être point proposé lui-même. J'ai pour eux
des lettres de leur frère Matteo, mais je ne sais jusqu'il quel point on
doit compter sur eux.

--Ce sont des âmes libres, enflammés l'amour du bien public et de la
liberté,» criait Alpinolo, prompt à supposer dans les autres les
sentiments qui l'animaient. Mais Resozzo, plus expérimenté et plus
pénétrant, répliqua: «Amis île la liberté! Attendons pour leur donner ce
nom qu'ils soient assis au pouvoir. Qu'un général assiège une cité, il
met tous ses soins à en démolir les défenses; il ouvre la brèche, il
abat les murailles. S'en est-il rendu maître, il va mettre tous ses
soins à relever les remparts, à réparer, fortifier les murs de la ville.
C'est l'image de ceux qui aspirent à gouverner.

--Et c'est pourquoi, ajouta Ottorino Borso, ils donnent de l'ombrage à
Luchino. Barnabé joue un double rôle: il se montre avec nous amoureux de
la liberté; avec son oncle, dégagé de tout désir de régner. Quant au
beau Galéas, son ambition s'évapore au sein des magnificences où il
figure, et il est trop occupé à partager le lit de Luchino pour pouvoir
partager son trône.»

Cette saillie excita un rire général. Zurione l'interrompit.
«Qu'avons-nous besoin, s'écria-t-il, de revenir sans cesse à cette
famille maudite? Nous avons été maltraités par les pères, donc il nous
faut mettre les fils à notre tête: beau raisonnement, en vérité! La cité
est-elle donc si dépourvue de citoyens riches et puissants? Au dehors,
manquons-nous d'alliés prêts à nous tendre la main? Quelque ennemi qui
se présente contre Luchino, nous sommes prêts à le seconder...

--Et une foule d'innocents tomberont sous l'épée en courant à la
recherche d'un bien qu'ils ne connaissent pas, que peut-être ils ne
désirent pas. Et vous attirez sur la patrie la guerre, la ruine, les
massacres, les violences, pour un résultat incertain ou pour une
victoire dont l'unique fruit sera un changement de maître.»

Marguerite avait ainsi interrompu son parent, s'exprimant avec ce calme
qui est l'attribut de la raison. Mais il faut d'autres accents pour
frapper des esprits exaltés. On criait de tous côtés: «Avec une pareille
doctrine, on n'entreprendrait jamais rien.--Le bien public doit être
préféré au bien particulier.--Aucune entreprise n'est plus sainte que
celle de délivrer la patrie.» Franciscolo, avec un mouvement de dédain,
s'écria impérieusement. «Soit, restons là, les mains dans les mains;
faisons-nous troupeau pour que le loup nous dévore; taisons-nous, et que
le tyran foule aux pieds nos privilèges, qu'il déshonore nos
femmes....»

A peine cette parole fut-elle sortie de ses lèvres, que, songeant au
coup qu'elle allait portera Marguerite, il eût voulu la retenir. Il
s'approcha d'elle, la combla de caresses, l'appela des noms de tendresse
qu'elle affectionnait le plus. Mais sa parole avait été accueillie par
un murmure d'approbation et avait tourné la conversation car la
tentative injurieuse de Luchino, sur les débauches de ce prince et sur
d'autres faits de même, nature. Celui-ci rappelait l'insolence de Lando
de Plaisance; celui-là parlait d'Ubertino de Carrare, qui, ayant été
outragé par Alberto della Scala, fit ajouter une corne d'or à la tête de
More qu'il portait pour cimier, et qui, peu de temps après, par ses
manoeuvres, enleva Padoue aux Scaliger. «Ce n'est pas la première fois
qu'on perd une belle ville pour avoir insulté une belle femme.--Gloire à
Brutus et à ses imitateurs! vive la liberté! vive la république! vive
saint Ambroise!» Ces cris faisaient résonner les échos de la salle.
Comme une décharge électrique secoue tous ceux qui se trouvent dans
l'air qu'elle a remué, ainsi la parole d'un seul homme avait animé
toutes ces imaginations lombardes.

Au milieu de l'agitation de l'assemblée, apparut un petit esclave
mauresque, vêtu de blanc à l'orientale, avec de grosses perles aux
oreilles et au cou. Il portait sur sa tête, en levant les bras à la
façon des amphores antiques, un vaisseau d'argent en forme de panier,
dans lequel on avait disposé des rafraîchissements et des confitures. A
côté de lui, un page portait, sur une soucoupe d'or ciselé, une large
tasse de même métal et travaillée avec un art infini; un autre page la
remplissait d'un vin exquis contenu dans une fiole d'argent. On l'offrit
d'abord, à genoux, à Franciscolo, qui la porta à ses lèvres et la fit
circuler parmi ses amis. On dut la remplir plusieurs fois, et la
généreuse liqueur exalta encore dans les âmes l'amour de la patrie.

«A la liberté de Milan! s'écria Alpinolo.

--Oui, oui, répondirent-ils tous; et, vidant les coupes, ils criaient:
Vive Milan! vive saint Ambroise!

--Et meurent les Visconti!» ajouta Zurione. Cette parole ne resta pas
sans échos, mais personne ne se leva, comme de nos jours le Parini, pour
corriger ce cri en disant: «Vive la liberté! et la mort à personne!»

Bientôt, après s'être serré la main en signe d'alliance et de fidélité,
ils jetèrent leurs manteaux sur leurs épaules, enfoncèrent leurs bérets
sur leurs têtes, et se séparèrent en se promettant de garder le silence,
de penser à leur projet commun et de se revoir.

Marguerite s'était retirée dès que la malencontreuse parole de
Franciscolo lui avait rappelé le triste souvenir de l'outrage qu'elle
avait reçu, et réveillé en elle le déplaisir de n'avoir pu le tenir
secret. Lorsque les conjurés furent partis, Franciscolo alla la
rejoindre, et ils décidèrent entre eux qu'ils iraient avec leur fils
s'établir dans le Véronais, pour attendre en sécurité l'occasion
favorable. Ils firent donc tout préparer pour leur départ, qu'ils
avaient fixé à la nuit du lendemain.

--Mais le lendemain repose dans la droite du Seigneur.



[Illustration.]

Bulletin bibliographique..

_Lettres sur la Russie, la Finlande et la Pologne_: par M. X. MARMIER,
auteurs des _Lettres sur le Nord et sur la Hollande_. 2 vol.
in-18.--Paris, 1843. _Delloye_. 3 fr. 50 c. le vol.

M. X. Marmier s'est épris d'une véritable passion pour le nord de
l'Europe. Depuis plusieurs années il a beaucoup écrit sur l'Islande, sur
le Nord, sur la Hollande, et il continue encore ses études littéraires
et historiques, «si douces à poursuivre, dit-il, qu'il oublie de les
achever.» la Russie, la Finlande et la Pologne sont les huis contrées
septentrionales qui lui ont, cette année, fourni l'occasion d'entretenir
une active et intéressante correspondance avec des hommes d'État, des
ministres, des poètes, des littérateurs. Qu'on ne cherche pas dans ces
nouvelles lettres des impressions de voyages imaginaires, des anecdotes
vulgaires racontées avec un esprit commun, des catalogues d'objets
matériels, une érudition factice et ridicule, des descriptions trop
vivement colorées, des observations plus piquantes que vraies. M. X.
Marmier a évité avec bon sens et avec goût les défauts que la critique
reproche si justement à MM. A. Dumas, Victor Hugo, Th. Gautier, de
Custine, etc. Son talent, calme et pur, est en harmonie avec le
caractère des contrées vers lesquelles il se sent toujours attiré. Qui
ne deviendrait dans certains moments un peu rêveur «sur ces plages
mélancoliques, au bord de ces lacs limpides voilés par l'ombre des pâles
bouleaux, au milieu de ces simples et honnêtes tribus, si fidèles encore
à leur nature primitive et à leurs moeurs patriarcales?»

Parti de Stockholm au mois de mai 1842, M. X. Marinier relâche d'abord
aux Iles d'Alant; puis, ayant débarqué à Abo, il se rendit par terre à
Helsingfors. Quatre de ses lettres sont consacrées à la Finlande. Après
avoir raconté longuement la fondation de l'université d'Abo, transportée
depuis à Helsingfors, après être entré dans des détails minutieux sur
l'organisation intérieure et les progrès de cette université, M. X.
Marmier s'attache à faire connaître à ses lecteurs la littérature
finlandaise ancienne et moderne. Il analyse ou traduit tour à tour les
vieilles épopées nationales, le Kalevala et le Kanteletar, on les
chefs-d'oeuvre des poètes contemporains dont les noms étaient demeurés
presque complètement inconnus en France, Choraens, Franzen et
Runeberg,--Le 3 juin il s'embarque à Helsingfors sur un navire à vapeur,
longe les côtes du golfe de Finlande et va débarquer à Vibord, d'où il
gagne Saint-Pétersbourg en poste.

M. X. Marmier ne fit qu'un court séjour à Saint-Pétersbourg et à Moscou;
aussi deux lettres lui suffisent-elles pour décrire leur aspect général
et leurs principales curiosités; mais il avait su mettre à profit le
temps qu'il venait de passer dans les deux capitales de la Russie. Non
content de décrire ce qu'il a vu, il raconte ce qu'il a lu, ce qu'il a
entendu. Le couvent de Troitza et le clergé; noblesse, administration
et servage; chants populaires, littérature moderne; tels sont les titres
de quatre autres lettres consacrées à la Russie et adressées à M. de
Lamartine, à M. Michelet, à M. Edilestand du Meril et à M. Amédée
Pichot.

En quittant la Russie, M. X. Marmier se rendit en Pologne, dont il
visita aussi les deux anciennes capitales, Varsovie et Cracovie. Il nous
donne sur l'état actuel de ce malheureux pays du si tristes détails, que
nous ne nous sentons pas même le courage d'en faire l'analyse.
«Heureusement, s'écrie-t-il en terminant, au fond des souffrances
humaines, le ciel, dans sa commisération, a laissé l'espérance. C'est là
le dernier sentiment de consolation qui reste aux Polonais, à ceux qui
gémissent sur les ruines de leur patrie, et à ceux qui la regrettent sur
les rives étrangères.»

«Ce livre, avait dit M. X. Marmier dans sa préface, est le résumé de ce
que j'ai pu apprendre, recueillir dans une contrée où il y a tant de
choses à apprendre et à recueillir. L'impartialité que j'apportais dans
mes observations, j'ai taché de la conserver dans mon récit. Entre les
flatteurs officiels de la Russie qui pour elle, épuisent les formules de
la louange, et les hommes indépendants, mais parfois trompés, qui ne
considèrent que ses vices grossiers, ses vestiges de barbarie et son
outrecuidance, il reste encore une assez large place pour ceux qui ne
cherchent qu'à voir cet empire tel qu'il est, dans son luxe désordonné
et sa misère profonde, dans l'audacieux élan de sa pensée et les lourdes
entraves de son état politique et social. C'est cette place que
j'ambitionnais; car sur les places du golfe de Finlande comme sur les
rives de la Neva, à Moscou comme à Varsovie, je ne voulais obéir qu'à un
sentiment de coeur et de conscience, je ne voulais faire qu'un livre
loyal et sincère.»

_Philosophie sociale de la Bible_; par l'abbé F.-B. CLÉMENT. 2 vol.
in-8.--Paris, 1843. _Paul Mellier_. 15 fr..

La _Philosophie sociale de la Bible_, que vient de publier l'abbé F.-B.
Clément, se divise en deux grandes parties: La première, sous le titre
de _Mosaïsme_, traite des principes de stabilité avant le Christ, et
plus spécialement de la législation juive; la seconde, sous le nom de
_Christianisme_, comprend l'analyse et l'application raisonnée des
principes sociaux dérivés de la pensée chrétienne. Cette division ainsi
expliquée, M. F.-B. Clément expose lui-même, dans les termes suivants,
le but et les résultats de son ouvrage.

L'auteur, dit-il, s'est demandé d'abord s'il n'v aurait pas dans le
monde moral, aussi bien que dans le monde physique, une loi universelle
établie pour coordonner et diriger les êtres moraux, comme il y a dans
le monde des corps une grande et unique loi qui préside à la
reproduction et à l'arrangement harmonique des êtres matériels. Cette
première idée est jetée en avant dans une courte introduction destinée
surtout à rappeler le besoin des croyances en général.

Pour découvrir une loi, il faut étudier le phénomène ou l'être, car la
loi en relation suppose l'être préexistant. Puisqu'il s'agit de trouver
la loi de l'homme, c'est lui d'abord qu'on doit examiner attentivement.
Ici, l'auteur se sépare de tous les systèmes philosophiques et prend son
point de départ dans la Bible. Il pense avec raison (c'est M. l'abbé
Clément qui parle) que le livre qui donne de la nature divine les notion
les plus saines et les plus pures, peut fournir aussi la meilleure
definition de l'homme. Il interroge donc la bible, et à la question:
Qu'est-ce que l'homme? la Bible répond que c'est _une créature faite à
l'image et à la ressemblance de Dieu_.

Un voit par cette définition que la _raison_ de l'homme, c'est-à-dire ce
qui fait qu'il est tel et pas autre chose, consiste dans sa ressemblance
avec la divinité; donc il y a _trois_ dans l'homme comme en Dieu: la
_puissance_ ou force, correspondant au père; le _verbe_ ou
l'entendement, au fils, et le _sens_, à l'esprit. Le _moi_ humain n'est
pas l'unité simple, mais une _société_ indivisible, car l'homme converse
avec lui-même; il s'interroge et se répond. Deux de ces trois _termes_
ou _éléments_ du _moi_, la _puissance_ et le _sens_, produisent la
variété, taudis que le troisième, le _verbe_, donne l'unité, l'union, la
fusion. En d'autres mots, deux termes fournissent la différence, et un
seul la ressemblance. Or, la loi la plus générale des êtres ne peut
consister dans leurs caractères différentiels, mais dans celui de
ressemblance qu'ils ont entre eux. Le _verbe_ sera donc appelé à donner
la loi générale du genre humain.

Le désordre originel survenu dans le développement des éléments
constitutifs du _moi_ fournit l'explication de la société ancienne. La
perturbation de la petite société individuelle grandissant avec
l'humanité, amène les gouvernements par la force brutale et l'anarchie
après leur chute. L'union est impossible, parce que l'élément de fusion
n'a pas reçu son développement légitime.

Un seul peuple sort de la loi commune; il démêle parmi les ruines du
monde moral quelques restes précieux des traditions primitives, se
construit un symbole invariable, et parvient ainsi à traverser, sans se
perdre, les temps obscurs de la sensualité et de l'ignorance. On
reconnaît ici la race d'Abraham. L'auteur, mettant de côté pour le
moment le merveilleux de l'histoire juive, s'attache à l'examen
analytique de l'ancienne loi, montre la sagesse des principales
dispositions du culte mosaïque, et conclut que l'union seule donne et
assure lu vie nationale et la liberté.

Les derniers chapitres de cette première partie sont consacrés à traiter
du _merveilleux_ et de la _parole_. Afin de conserver au raisonnement
l'unité et la suite nécessaires, l'auteur a renvoyé à la fin du volume
ces deux questions importantes, qu'il envisage particulièrement sous le
point de vue social. Le merveilleux ou miracle est destiné plutôt à
l'homme multiple qu'à l'individu; il complète ce que l'homme ne peut
faire par lui-même; c'est le moyen _extra-naturel_ tenu en réserve pour
les circonstances extraordinaires. La parole est avant tout le véhicule
de la vérité; elle se développe avec la vérité; mais l'erreur se mêle
aussi à ce développement. Fidèle au principe qu'il s'est pose lui-même
en parlant des croyances traditionnelles contenues dans la Bible,
l'auteur ne pouvait faire du langage une institution purement humaine,
comme il plaît à quelques-uns. C'est au ciel qu'il remonte pour trouver
la première _parole_ et en même temps la première vérité.

Le rétablissement de l'ordre, trouble au commencement, ne peut être la
continuation des systèmes sociaux anciens. A l'exception du mosaïsme,
tous se résumaient dans l'usage de la _force_. Quand la force fait la
loi, il n'y a point de liberté. Or, le christianisme, c'est la
_réparation_, la _rédemption_, la _délivrance_. Il est donc appelé à
renouveler non-seulement l'homme individuel, mais encore l'homme social.
C'est ici qu'il faut pénétrer dans la pensée chrétienne pour en extraire
les vrais éléments de sociabilité, et montrer que le christianisme est
éminemment l'union, la fusion de tous les êtres moraux; que c'est la
variété au sein de l'unité, mais non l'unité dans la variété. L'union
produit la véritable force; elle consacre la liberté, car un être
vraiment fort est toujours libre. De la, il suit que la tyrannie n'est
jamais au pouvoir d'un seul homme, que les peuples eux-mêmes fondent le
despotisme en se divisant; il suffit, pour s'en convaincre, de voir
l'autocratie levant la tête au-dessus des peuples hostiles à l'unité
chrétienne, tandis que la liberté grandit et se développe au sein des
nations assez heureuses pour avoir conservé cette unité.

La liberté n'est donc pas le résultat logique de telle ou telle forme de
gouvernement; elle est fille de la _vérite_ qui _réunit_; lu tyrannie
est enfantée par l'_erreur_ qui _divise_. Cependant tous les esprits
étant unis par la vérité, l'union une fois solidement établie, la
meilleure forme gouvernementale sera toujours celle qui représentera le
mieux l'unité. En somme, l'auteur s'attache à prouver non-seulement que
le christianisme complet n'est pas contraire à la liberté des peuples,
mais que cette liberté n'est possible qu'au sein du christianisme; que
le règne de la liberté lui retarde en proportion des obstacles opposés
au développement légitime et naturel du christianisme.

Enfin, après avoir puisé dans la doctrine du Christ les vraies notions
de la foi et du droit, l'auteur conclut que Dieu et l'humanité ne
fournissant que deux relations, celle de supériorité de Dieu sur les
hommes, celle d'égalité entre les homme, il n'y a point de forme
gouvernementale meilleure que celle qui consacre cette double relation
de supériorité et d'égalité. Or, le christianisme complet se résume dans
l'égalité des hommes sous la loi ou supériorité divine, dès que cette
supériorité se pose comme base fondamentale d'un système législatif, il
se dessine une double forme de gouvernement: la monarchie et
l'aristocratie, également chrétiennes, parce qu'elles découlent l'une et
l'autre de l'unité du principe.

Comme on le voit par cette analyse que nous lui avons fidèlement
empruntée, M l'abbé Clément croit que le dix-neuvième siècle doit
chercher dans la Bible seule «un véritable système de philosophie,
c'est-à-dire un corps de doctrines intimement liées, logiquement
déduites, et toutes en rapport avec la nature de l'homme consideré sous
le triple point vue de l'être moral, politique et religieux» Ce n'est
pas ici le lieu de combattre celles des assertions de M. l'abbé Clément
qui nous paraissent contestables; nous devons nous borner, dans ce
bulletin, à faire connaître à nos lecteurs le but principal que se
propose l'auteur de la _Philosophie de la Bible_, et les moyens à l'aide
desquels il espère l'atteindre. Quel que soit l'avenir réservé à ses
théories, il n'en aura pas moins publié un ouvrage aussi remarquable par
la forme que par le fond, et digne de l'attention et de l'estime
particulières de tous les esprits sérieux.


_Éléments de Géographie générale_, ou Description abrégée de la terre,
d'après ses divisions politiques, coordonnée avec ses grandes divisions
naturelles, selon les dernières transactions et les découvertes les plus
récentes; par ADRIEN BALBI. 1 vol. in-18 de 600 pages, avec 8
cartes.--Paris, 1843, _Jules Renouard_. 15 francs.

Un traite de _Géographie moderne_, quelque élémentaire qu'il soit, doit
offrir, selon M. Balbi, trois divisions principales, correspondantes aux
trois points de vue principaux sous lesquels la géographie considère la
terre; savoir; comme corps céleste, faisant partie du système solaire;
dans sa structure, et comme séjour des êtres organises et de l'homme en
général; enfin, comme habitation des différents peuples formant les
États qui se partagent sa surface.

Les _Éléments de Géographie généraux_ que vient de publier M. Balbi se
divisent donc en deux parties distinctes: la partie des principes
généraux, qui embrasse les deux premières divisions de la science, et la
partie descriptive, qui comprend la troisième.

Dans la première, qui est de beaucoup la moins étendue, M. A. Balbi
expose en dix chapitres toutes les notions les plus indispensables que
la géographie emprunte à l'astronomie, aux mathématiques, à la physique,
à l'histoire naturelle, à l'anthropologie et à la statistique, Un de ces
chapitres est entièrement consacré aux définitions qui, en géographie,
comme dans toutes les autres sciences, doivent toujours précéder
l'exposition des théorèmes ou des faits.

La partie descriptive est partagée en cinq grandes sections,
correspondant aux cinq parties du monde. Chaque section se subdivise en
géographie générale et en géographie particulière. La géographie
générale offre, pour chaque partie du monde, la géographie physique et
la géographie politique, en donnant leur, éléments principaux dans les
articles: position astronomique, dimensions, confins, mers et golfes,
détroits, caps, presqu'îles, fleuves, caspiennes, lacs et lagunes, îles,
montagnes, plateaux et hautes vallées, volcans, plaines et vallées
basses, déserts, steppes et landes, canaux, routes, chemins de fer,
industrie, commerce, superficie, population absolue et relative,
ethnographie, religions, gouvernements, divisions. La géographie
particulière comprend autant de chapitres qu'il y a de grands États ou
de grandes régions géographiques à décrire. Leur description se compose
des articles suivants; position astronomique, confins, fleuves,
topographie, et, pour les États qui ont des possessions hors d'Europe,
possessions. Un tableau statistique complète la description de chaque
partie du monde, en offrant dans ses colonnes le titre de chaque État,
sa superficie, sa population absolue et sa population relative.

Cette courte analyse suffit pour prouver que les _Éléments de
Géographie_, «miniature de son _Abrégé_,» comme les appelle M. A. Balbi,
ne sont que l'_Abrégé_ lui-même, considérablement diminué, corrigé et
augmenté dans certaines parties, et mis à la portée de toutes les
intelligences et de toutes les fortunes. M. A. Balbi n'a pas la
prétention d'offrir au lecteur un ouvrage parfait; mais, par le soin
qu'il lui a donné, il se flatte que, malgré son cadre resserré, il a
évité l'omission de tout point général d'une véritable importance, comme
aussi il croit avoir renfermé dans le plus petit espace possible le plus
grand nombre de faits géographiques dont l'ensemble constitue la science
dans son état actuel.


_Mémoires de madame de Staël (Dix Années d'Exil)_, suivis d'autres
ouvrages posthumes du même auteur. Nouvelle édition, précédée d'une
Notice sur la vie et les ouvrages de madame de Staël; par madame NECKER
DE SAUSSURE. 1 vol. in-18 de 600 pages.--Paris, 1843. _Charpentier_. 3
fr. 50 c.

L'ouvrage posthume de madame de Staël, publié sous le titre de _Dix
années d'Exil_ se compose de fragments de mémoires que l'illustre auteur
de _Corinne_ se proposait d'achever dans ses loisirs, et n'embrasse
qu'une période de sept années, séparées en deux parties par un
intervalle de près de six années. En effet, le récit, commencé en 1800,
s'arrête en 1804 recommence en 1810 et s'arrête brusquement en 181
2.--si incomplet, si passionné, si injuste qu'il soit, cet ouvrage
excitera toujours un vif intérêt. La première partie est un pamphlet
politique contre Napoléon, «destiné à accroître l'horreur des
gouvernements arbitraires.» comme l'espère M. de Staël fils dans sa
préface; la seconde, une relation détaillée des voyages de madame de
Staël en Suisse, en Autriche, en Pologne, en Russie et en Finlande.
Outre _Dix années d'Exil_, le nouveau volume que vient de publier M.
Charpentier renferme notice d'environ 200 pages sur la vie et les
ouvrages de madame de Staël par madame Necker de Saussure; l'éloge de M.
Guibert; neuf pièces de vers et des essais dramatiques, _***** dans le
désert_, scène lyrique; _Geneviève de Brabant_, drame en 3 actes et en
prose; la _Nanumate_ drame en trois actes et en prose; le _Capitaine
Kersadec_, ou _Sept Années en un Jour_, comédie en deux actes;
_********_ et _le Mannequin_, proverbes dramatiques, et S*****, drame en
cinq actes et en prose.

[Note du transcripteur: les astérisques indiquent des caractères
complètement délavés dans le document électronique qui nous a été
fourni.]



Théâtre portatif de campagne.

[Illustration: Développement général.]

Un fabricant de papiers peints(1) a eu l'ingénieuse idée d'appliquer la
forme simple et portative du paravent à la construction de petits
théâtres de campagne.

[Note 1: Passage Choiseul.]

Un seul de ces paravents suffit pour la représentation de la plupart des
proverbes; avec deux, figurant un salon et un jardin, on peut
représenter toutes les pièces d'un répertoire très-varié.

Il est, d'ailleurs facile d'appliquer sur les feuilles de ces paravents
quelques légers châssis garnis de toiles et recouverts de papier peint,
ou plutôt badigeonné par quelque artiste amateur, pour modifier et
varier, autant qu'il peut être nécessaire, les décorations principales.

[Illustration: Développement partiel.]

On place les paravents au fond d'un salon ou d'une galerie, en ayant
soin de laisser à l'entour une enceinte de dégagement destinée à servir
de coulisses et à faciliter l'entrée et la sortie des personnages par
les portes pratiquées dans la décoration. On masque ce dégagement de
l'ouverture de la scène au moyen de deux grands rideaux, qui, fixés par
des anneaux à une tringle transversale, s'ouvrent au moyen d'un jeu de
poulies ordinaire.

[Illustration.]



SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.

I. Placez devant vous un miroir plan MM', dans lequel vous apercevrez
l'objet O que vous voulez atteindre. Mettez le canon du pistolet P sur
l'épaule ou au-dessus, et dirigez-le, en regardant dans le miroir, et en
visant, avec l'image P' du pistolet, l'image réfléchie O' du but à
frapper; puis lâchez le coup lorsque l'image sera bien dans l'alignement
de la mire et du canon.

[Illustration.]

II. Il avait 7 napoléons, et à la première emplette il en a dépensé 4, à
la seconde 2, à la troisième 1; car 4 est la moitié de 7 augmentée de
1/2; 2 est la moitié du reste 3 augmentée de 1/2; 1 est la moitié du
reste 1 augmentée de 1/2.

Ou parvient facilement à ce résultat en raisonnant sur le nombre 7
comme s'il était connu, et en imaginant que l'on effectue les opérations
indiquées par l'énoncé. Un trouvera alors que lorsque du huitième du
nombre inconnu on retranche les 7/8 de l'unité, il ne reste rien. Donc
le nombre inconnu est 7.

III. En faisant le même raisonnement, on trouvera que si c'est à la
quatrième emplette, seulement que tout a été dépensé, le nombre des
napoléons était de 15; de 31 à la cinquième emplette, de 65 à la
sixiéme, et ainsi de suite. Voici un petit tableau qui montre la marche
à suivre pour résoudre complètement la question, quel que soit le nombre
des emplettes.

        Nombre des           Termes de la          Nombre des
        emplettes          progression double    napoléons dépensés.

           1                     2                      1
           2                     4                      3
           3                     8                      7
           4                    16                     15
           5                    32                     31
           6                    64                     63
           7                   128                    127
           8                   256                    255
           9                   512                    511
          10                  1024                   1023



NOUVELLES QUESTIONS À RÉSOUDRE.

I. Faire une boîte dans laquelle on verra des corps pesants que l'on y
jette, une balle de plomb, par exemple, monter de bas en haut, au lieu
de descendre, de haut en bas.

II. Les trois Grâces portant des oranges, dont elles ont chacune un
nombre égal sont rencontrées par les neuf Muses, qui leur en demandent.
Chacune des Grâces en donne le même nombre à chacune des muses, après
quoi elles se trouvent toutes également partagées. Combien les Grâces
avaient-elles d'oranges?



Rébus

EXPLICATION DES DERNIERS RÉBUS.

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.
La valeur n'attend pas le nombre des années.
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains.


[Illustration: Nouveau rébus. UNE DEVISE DE CONFISEUR.]

[Illustration. Nouveau rébus. UNE ENSEIGNE.]





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0027, 2 Septembre 1843" ***

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