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Title: Petit traité des punitions et des récompenses à l'usage des maîtres et des parents
Author: Hément, Félix
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Petit traité des punitions et des récompenses à l'usage des maîtres et des parents" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
et n'a pas été harmonisée.



     PETIT TRAITÉ

     DES

     PUNITIONS & DES RÉCOMPENSES



DU MÊME AUTEUR


   Ouvrages couronnés par la Société pour l'instruction
   élémentaire, adoptés pour les distributions de prix dans les
   écoles de la ville de Paris, admis par la Commission
   ministérielle des bibliothèques populaires et scolaires.

Format in-12:

   =Premières notions d'histoire naturelle.= 19e édition,
   nombreuses figures, cart.                                  3 fr.

   =Premières notions de cosmographie.= 5e édition, avec
     figures                                                  1 fr. 50

   =Premières notions de géométrie.= 6e édition, avec
     figures                                                  1 fr. 50

   =Premières notions de physique et de météorologie.=
     4e édition, avec figures                                 3 fr. 50

   =Menus propos sur les sciences.= 6e édition, avec
     figures                                                  3 fr. 50

   =Simple discours sur la terre et sur l'homme= (couronné
     par l'Académie française)                                3 fr.

   =De l'instinct et de l'intelligence= (couronné par
     l'Académie française; prix Montyon), illustré            2 fr.

   =Les étoiles filantes et les bolides=                      2 fr. 50

   =La science anecdotique.= 2e édition                       1 fr.

Format in-8º:

   =De l'instinct et de l'intelligence= (couronné
     par l'Académie française; prix Montyon), illustré        3 fr. 50

   =Les infiniment petits=, illustré                          1 fr. 50

   =L'origine des êtres vivants=, illustré                    2 fr. 50

   =Tableaux géographiques=, avec notice                     15 fr. 50
     La notice seule, illustrée, cartonnée                    1 fr. 50
     (Honoré d'une souscription Ministère de l'Instruction
     publique.)

   =Tableaux astronomiques=, avec notice. Six tableaux       10 fr.
     La notice seule, illustrée, cartonnée                    1 fr.



     PETIT TRAITÉ

     DES PUNITIONS

     ET DES RÉCOMPENSES

     A L'USAGE DES MAITRES ET DES PARENTS

     Par FÉLIX HÉMENT

     Inspecteur général honoraire de l'Instruction publique

     Lauréat de l'Institut

     AVEC UNE LETTRE DE M. LEGOUVÉ, DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

     PARIS

     GEORGES CARRÉ, ÉDITEUR

     58, RUE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS

     1890



A M. FÉLIX HÉMENT


MON CHER CONFRÈRE ET AMI,

_Vous me demandez quelques lignes à mettre en tête de votre petit
Traité. Que voulez-vous que j'y ajoute? il est complet. On y sent
l'oeuvre d'un homme qui a beaucoup étudié les enfants, beaucoup
réfléchi sur les enfants, beaucoup pratiqué les enfants, et, de plus,
ce livre part de la main d'un pédagogue._

_Tout au plus puis-je donc noter ici, quelques petits faits que m'a
fournis mon expérience personnelle._

_J'ai élevé mes deux enfants, et un peu mes trois petits-enfants,
jamais je ne leur ai donné une chiquenaude, et pourtant, j'enregistre
ici comme un titre dont je suis très fier, le mot que m'a dit un jour
ma fille: «Tu nous aurais fait rentrer dans un trou de souris.»_

_Quelle était donc mon attitude vis-à-vis d'eux? Étais-je donc dur,
sévère? Nullement. Toutes les occasions d'amusement je les saisissais,
je les recherchais pour eux; j'étais le_ plus joueur de tous les pères
avec eux, _mais une fois que le devoir avait parlé, j'étais d'une
fermeté inflexible_.

_Selon moi, la fermeté paternelle a sa source dans la tendresse. Je ne
connais rien qui aille si bien ensemble que la familiarité et
l'autorité. Un axiome célèbre dit_: «Qui aime bien châtie bien.»
_C'est monstrueux. Bien aimer, c'est bien élever, et bien élever c'est
corriger, c'est réprimer, c'est contenir, c'est prévenir; c'est punir,
ce n'est pas châtier._

_Le châtiment corporel a bien plus pour objet de satisfaire la colère
de celui qui l'applique que de corriger le défaut de celui qui la
subit. J'ai cependant vu une mère, la plus tendre des mères, faire
couler le sang de son fils qu'elle adorait, et jamais je n'ai mieux
compris ce qu'il y avait d'héroïque dans la tendresse, que le jour où
j'ai vu les lèvres de cette mère toutes rouges du sang de son enfant.
Elle lui avait mordu le doigt sans hésiter. Pourquoi? Parce qu'il
avait mordu lui-même, lâchement et cruellement le doigt de son petit
frère. La figure de cette mère et celle de cet enfant ne sortiront
jamais de ma mémoire. Le bourreau avait la pâleur d'une martyre, son
visage exprimait une douleur mille fois plus profonde que celle de son
fils. Pour lui, il ne dit rien; il la regarda, il comprit et il se
jeta à son cou._

_En revanche, j'ai connu une jeune fille, à qui son père, dans un
moment de colère, avait donné un soufflet quand elle avait déjà quinze
ans, et qui m'a dit, quand elle en avait vingt-cinq_: «Jamais je ne
lui ai pardonné et je ne lui pardonnerai jamais.»

_Enfin, troisième fait qui rentre directement dans votre théorie:
L'amiral Jurien de la Gravière m'a dit que la discipline n'avait
jamais été plus forte dans la marine, que depuis l'abolition des
châtiments corporels._

_Je m'arrête, mon cher Confrère et Ami, ayant voulu seulement mêler à
votre solide et excellent ouvrage, quelques faits aussi frappants qui
s'y rapportent, et surtout saisir l'occasion de témoigner tout haut de
mes sentiments d'estime et de sympathie pour votre personne._

     E. LEGOUVÉ.



AVANT-PROPOS


Personne n'ignore que l'opinion s'est émue, il y a quelque temps, de
l'excès de travail imposé à nos écoliers de tout ordre et par suite
duquel ils se trouvaient, comme on dit, surmenés.

Pour donner satisfaction à ce qu'il y avait de légitime dans les
plaintes des parents et des hygiénistes, les programmes ont été
remaniés, sinon réduits, et les règlements ont été adoucis de manière
à mettre les moeurs de l'école en harmonie avec celles de la Société.

Il nous a paru qu'il convenait, à cette occasion, de faire précéder
les règlements actuels d'un résumé historique et d'une appréciation
des châtiments et des récompenses scolaires chez les divers peuples,
aux diverses époques. C'est ce résumé que nous donnons sous le titre
de _Petit Traité des punitions et des récompenses_, qui sera, nous
l'espérons, de quelque utilité à la plupart des maîtres et des
parents.

     F. H.



PETIT TRAITÉ DES PUNITIONS & DES RÉCOMPENSES


L'éducation de l'enfant, c'est-à-dire le développement harmonique de
son âme et de son corps, se fait, soit dans la famille, soit à l'école
où les enfants se trouvent réunis pour recevoir l'enseignement et les
soins en commun, soit simultanément à l'école et dans la famille.

Quel que soit le mode adopté, le but auquel on tend est atteint par
certains moyens dont il importe d'assurer l'efficacité. Par exemple,
les exercices doivent être convenablement répartis, un temps
déterminé doit leur être consacré de judicieux intervalles sont
nécessaires pour les séparer; en un mot il faut établir l'ordre dans
le travail, puis, veiller à l'exécution de ce travail. Toutes les
prescriptions, ordres ou défenses, sont renfermées dans un Code nommé
règlement auquel se conforment maîtres, parents et élèves. C'est la
loi commune, égale pour tous, protectrice de tous, et que tous ont un
égal intérêt à respecter et à maintenir. L'autorité du réglement est
d'autant mieux établie, sur des bases d'autant plus solides, qu'il a
été inspiré par une préoccupation plus exclusive de la justice. S'il
est juste, il assure la liberté et l'égalité; l'obéissance qu'on lui
doit, loin d'être servile et imposée par la force, est au contraire
une soumission volontaire, recherchée même comme une garantie de
sécurité, comme une protection que tous invoquent à l'occasion pour
se défendre contre les injustices dont ils se croient victimes.

Si quelqu'un enfreint la loi, il doit être puni. Il a mal agi, et
toute action mauvaise entraîne un blâme et un châtiment. De là, les
peines édictées par la loi. Tandis que dans les lois sociales se
trouvent inscrits des châtiments contre les coupables, il n'est
nullement question de récompenses pour les gens de bien. Le
législateur a pensé, peut-être avec raison, que s'il est inévitable de
punir le vice, il n'est pas absolument nécessaire de récompenser la
vertu. La Loi scolaire, elle, punit et récompense; c'est par la
crainte et l'espérance qu'on gouverne les enfants tout aussi bien que
les hommes.

L'enfant est un être moral en puissance, la conscience est chez lui en
germe. Dès lors, nous devons, dès le premier éveil de la conscience,
nous préoccuper de développer chez lui le sens moral. Ne négligeons
rien, n'oublions rien de ce qui peut nous faciliter la tâche. «Tout
est bien, dit Rousseau, sortant des mains de l'Auteur des choses»,
seulement rien ne sort directement des mains de l'Auteur des choses,
car tout est bien changé depuis tant de siècles que les hommes
occupent la terre. L'enfant n'apporte-t-il pas en naissant des
prédispositions, des aptitudes, des goûts qu'il doit à ses ancêtres
comme il leur doit les linéaments de son visage? C'est un héritier de
l'humanité. Tout n'est pas bien mais tout n'est pas mal en lui, et la
mission de l'éducateur consiste tout à la fois à contrarier les
mauvaises tendances et à favoriser l'épanouissement des bonnes.

Nous devons nous attacher à lui faire comprendre qu'il y a des choses
permises et des choses défendues; qu'il doit par suite s'interdire ce
qui est défendu, et que l'obéissance à la règle, loin d'être pour lui
un effet de la crainte, doit être l'expression d'un mouvement spontané
de son âme. Nous contribuerons ensuite à développer et à fortifier
chez lui le sens moral, à rendre sa conscience de plus en plus
délicate, en évitant de lui laisser confondre le mérite et le démérite
avec leurs conséquences, en le pénétrant de cette idée que ce n'est
pas de la punition mais de la faute qu'il doit être peiné, comme ce
n'est pas de la récompense mais de la bonne action seule dont il doit
être satisfait.



I

DES PUNITIONS


Il importe bien plus d'ailleurs, en particulier dans nos écoles,
disons-le tout d'abord, de prévenir que de punir. Il faut tendre, sans
prétendre y arriver, vers cette classe idéale où l'on ne punit pas. Au
lieu de se proposer, comme les jeunes maîtres encore inexpérimentés,
d'obtenir d'abord le silence et l'attention pour donner ensuite
l'enseignement, c'est le contraire qu'on doit se proposer,
c'est-à-dire rendre l'enseignement assez attrayant pour intéresser les
élèves. L'ordre et l'application sont alors des conséquences
naturelles. Que la leçon soit donnée avec intelligence, mesure et
goût, on obtiendra par surcroît le silence, l'attention et le travail.
Ne pas regarder la discipline comme un but à atteindre est un moyen de
l'obtenir. En général plus l'enseignement est faible, plus la
discipline est dure.

Bien entendu, cela ne dispense ni de bons règlements, ni de bonnes
méthodes, ni de bons procédés, en un mot des conditions favorables au
travail. La tâche du maître sera en outre singulièrement facilitée: 1º
si la durée des classes est en rapport avec l'âge des enfants; 2º s'il
existe une judicieuse répartition du travail et du repos; 3º si une
sage mesure est observée dans la durée et l'intensité des efforts
exigés des élèves, car nous ne devons pas oublier qu'il faut au
cerveau, comme à l'estomac, indépendamment de la diversité dans
l'alimentation, une somme de nourriture qu'il puisse digérer et
assimiler.

Si rarement qu'on ait à punir, encore faut-il punir quelquefois.
Occupons-nous donc de la nature des châtiments.

       *       *       *       *       *

Depuis l'humanité naissante jusqu'à nos jours, on a surtout fait usage
des peines corporelles. On a puni l'âme indocile dans le corps qu'elle
gouverne, au lieu de la châtier directement. On était plus préoccupé
de l'expiation de la faute que de l'amélioration du coupable. Il a
fallu, d'une part, l'adoucissement des moeurs, et, d'autre part, une
idée plus exacte, une appréciation plus saine du châtiment pour
reconnaître qu'il ne doit être ni une cruauté ni une vengeance, mais
un moyen offert au coupable de s'amender. Les moeurs scolaires se
sont ressenties de la transformation des moeurs générales, ainsi qu'on
voit les grands mouvements de l'Océan gagner les baies les plus
reculées dans l'intérieur des terres.

Aujourd'hui, dans la plupart des pays civilisés, les châtiments
corporels sont tombés dans un discrédit sérieux. En Angleterre, où le
respect de la tradition est excessif, on se relâche cependant des
rigueurs du fouet traditionnel. Dans un rapport présenté au _Conseil
d'éducation_ de Londres, le rapporteur s'exprime ainsi: «Nous sommes
heureux d'annoncer, que le nombre des punitions diminue, spécialement
en ce qui concerne les punitions corporelles, ce qui tient sans doute
aux règles établies pour les cas où ces punitions sont permises. Nous
les verrions même disparaître si les maîtres avaient le droit de
renvoyer les enfants incorrigibles et intraitables, ce qui est
impossible dans une école ouverte à tous.»

Par contre, de l'autre côté du Rhin, on semble vouloir en augmenter
les rigueurs, «en autorisant l'instituteur à infliger des punitions
corporelles sensibles qui laissent des traces comme les bleus, les
raies enflées, les ecchymoses». Voici un extrait d'un jugement rendu
par le tribunal supérieur d'_administration_ de Prusse:

L'instituteur, y est-il dit, est autorisé à infliger des punitions
corporelles sensibles. Il doit éviter de causer des blessures
«marquantes», qui mettent en danger la santé de l'élève. Les bleus,
les raies enflées, les ecchymoses, ne constituent pas de signes
indiquant des blessures «marquantes»; car chaque correction
sensible--et l'instituteur est expressément autorisé à infliger une
correction sensible--laisse des traces pareilles.

L'instituteur n'est pas passible d'une peine s'il châtie un élève
appartenant à une autre classe que celle qu'il dirige; la punition
peut être infligée en dehors du local scolaire.

La conduite de l'élève en dehors de l'école est également soumise à la
discipline scolaire.

L'ecclésiastique de son côté est autorisé quand il donne l'instruction
religieuse à administrer des punitions sensibles.

La conduite de l'instituteur ne peut devenir l'objet de poursuites que
lorsqu'il a infligé des blessures marquantes.

Toujours est-il que c'est avec quelque répugnance, et à la dernière
extrémité qu'on les applique, et en les atténuant, Ceux qui les
appliquent semblent s'en excuser et les considérer comme un mal
nécessaire.

       *       *       *       *       *

Remarquons en passant qu'un très petit nombre d'animaux mordent ou
frappent à coups de bec leurs petits qui se conduisent mal. Le plus
souvent, ils les grondent, et cela suffit ordinairement pour les faire
rentrer dans le devoir. C'est merveille, par exemple, de voir les
jeunes poussins obéir à la mère poule.

Elle a un cri pour les rappeler lorsqu'ils s'égarent, un autre cri
pour les rassurer s'ils ont eu peur à tort; un autre, pour les
rassembler si un danger se présente. Quel que soit l'ordre donné, ils
obéissent à la voix maternelle. Comment se fait-il que l'homme, qui
se qualifie animal raisonnable, ne soit pas conduit uniquement par la
raison. C'est sans doute parce que de tous les animaux, il est celui
dont l'éducation première a la plus longue durée et réclame le plus de
soins. L'éducation des jeunes animaux par leurs parents rentre dans la
catégorie des actes instinctifs: elle est invariable dans ses moyens
comme dans sa durée et parfaite quant au but à atteindre. Celle de
l'enfant, au contraire, se modifie avec le progrès des moeurs et la
connaissance plus précise de l'hygiène. Les procédés d'éducation
varient avec le degré de civilisation.

       *       *       *       *       *

Le premier châtiment corporel est infligé avec la main. Non moins
diligente que la parole, la main se lève au moment même où celle-ci
formule un reproche. Un ébranlement nerveux unique, parti du cerveau,
se répand dans le corps tout entier et détermine simultanément
l'ensemble des manifestations de la colère. La main est tout à la fois
un merveilleux outil au service du corps et un admirable instrument
aux ordres de l'âme. Ses mouvements ne sont pas moins variés que ses
usages. Si, d'une part, elle sert à assurer et à guider les pas du
jeune enfant, elle devient, à l'occasion, envers ce même enfant, un
instrument de correction.

Nous n'hésitons pas à condamner cette sorte de correction, qu'elle
qu'en soit la forme: tape, calotte, claque, soufflet, lors même
qu'elle n'a rien de prémédité ni de suivi, qu'elle résulte d'un
mouvement de vivacité sans conséquence, parce que, avec une apparence
anodine, elle présente parfois de graves inconvénients sinon des
dangers. Les coups sur la tête, le dos ou la face donnés par une main
brutale, peuvent déterminer des accidents sérieux et le soufflet a de
plus un caractère dégradant. La face humaine voisine du cerveau,
centralisant les organes des sens est en rapport direct et intime avec
l'âme. La personne humaine est empreinte dans le visage plus que dans
toute autre partie du corps, voilà ce qui rend le visage digne de
respect. Tout au plus la fessée pourrait être tolérée, et encore pour
de très jeunes enfants.

Malgré l'aisance de ses mouvements et la vigueur de ses coups, la main
ne paraît pas toujours suffire à certaines personnes, et tantôt pour
des motifs de convenance ou de commodité, tantôt pour aggraver la
souffrance, on l'a armée du bâton, de la baguette, du fouet, de la
férule ou du martinet.

Ces diverses modifications du châtiment corporel n'étaient pas pour
lui conquérir des sympathies.

       *       *       *       *       *

Chez les Égyptiens, le bâton est l'instrument de correction; comme on
a pu s'en assurer par les devoirs d'écoliers égyptiens qui se trouvent
parmi les papyrus du _British Museum_ (Musée de Londres) et qui
remontent au XVIIe siècle avant notre ère[1]. Parmi les exemples
d'écriture, on lit: «Celui qui n'écoute pas sera battu;» ailleurs: «Ne
fais pas un jour de paresse, ou bien on te battra; il y a un dos chez
le jeune homme, il écoute celui qui le frappe». La menace des coups de
bâton, revient souvent mais il ne paraît pas que ce soit seulement à
propos des fautes commises. Il semble que les coups aient eu aussi
pour but d'encourager l'écolier au travail, d'éveiller son attention
comme le léger coup de fouet par lequel on excite le cheval et qui est
comme une caresse stimulante. Les Égyptiens bâtonnent leurs ânes et
ils ont procédé de même avec les écoliers. Il est même probable que la
comparaison de l'écolier ignorant à un âne est d'origine égyptienne.
Le bâton présente peut-être moins de dangers et d'inconvénients que le
fouet pour un même effort de celui qui frappe.

  [1] _Pédagogie égyptienne_, note de M. Georges Daressy dans la
  _Revue pédagogique_ (juillet-décembre 1885).


       *       *       *       *       *

La verge, qui semble avoir été en usage chez les Hébreux, et qui
pouvait être une baguette ou un bâton, est sans doute empruntée aux
Égyptiens. Nous disons qu'elle semble avoir été en usage parce que les
proverbes ou autres passages qui se rapportent aux menaces de la verge
ne sauraient prouver plus que nos propres proverbes qui ne sont
d'ailleurs le plus souvent que la répétition des proverbes anciens. Se
figure-t-on nos descendants, retrouvant des expressions comme
celles-ci: _donner des verges pour se faire fouetter_, et concluant de
là qu'on faisait usage de ce mode de punition chez les Français. Or,
c'est ainsi qu'on raisonne lorsqu'on attribue cet usage aux Hébreux
parce qu'on lit dans les _proverbes_: _la folie est liée au coeur de
l'enfant, et la verge de la discipline l'en chassera_, ou bien parce
que Roboam dit: _mon père vous a battus avec des verges, moi je vous
châtierai avec des verges de fer_. Quoi qu'il en soit, il est permis
de croire que les enfants des Hébreux ont reçu le fouet comme ceux des
autres nations.

       *       *       *       *       *

Nous n'avons guère que quelques indications sommaires sur les moyens
de correction appliqués par les Grecs. Xénophon nous dit, en parlant
des enfants de Sparte, qu'on les encourage à dérober les fromages sur
l'autel de Diane Orthie, quitte à les _fouetter_ jusqu'au sang s'ils
se laissent surprendre. Lycurgue voulait que tout citoyen eût sur
chaque enfant le droit de correction, et si, _frappé_ par d'autres,
l'enfant vient se plaindre, etc., c'est le châtiment corporel appliqué
sans ménagement[2]. Remarquons que les choses se passent ainsi à
Sparte et qu'on n'en saurait conclure qu'il en ait été de même à
Athènes; loin de là. Platon ne nous dit rien des corrections, lui qui
entre pourtant dans de grands détails sur les soins à donner aux
jeunes enfants et dont les préceptes, disons-le en passant, sont en
opposition avec les lois les plus élémentaires de l'hygiène[3].

  [2] Xénophon, _Gouvernement de Sparte_.

  [3] Ainsi il préconise le maillot et l'usage du berceau jusqu'à
  l'excès. Il voudrait que l'enfant fût dans son berceau comme dans
  un navire constamment balancé par les vagues.

Nous ne trouvons rien non plus dans Aristote: il est vrai que tout ce
qui se rapporte à l'éducation du premier âge est traité par lui avec
un évident amour de l'enfance, et que la tendresse du père laisse
présumer celle de l'éducateur. Avec Plutarque, au contraire, nous
sommes exactement renseignés sur le point qui nous intéresse. «C'est
par la douceur, la persuasion, dit-il, qu'il faut porter au bien la
jeunesse; les mauvais traitements et les coups ne conviennent qu'à des
esclaves, et dégradent des hommes libres. A ce régime, l'enfant
devient comme hébêté[4].» Les Grecs n'en sont pas encore, on le voit,
à fonder une société protectrice des animaux. Toutefois un progrès
considérable s'est déjà accompli dans les moeurs.

  [4] _Éducation des enfants_, 16.


       *       *       *       *       *

Chez les Romains, la chose n'est pas douteuse; les renseignements nous
viennent de divers côtés. Plaute (234-184 av. J.-C.) dans sa comédie
des _Bacchis_, met dans la bouche d'un des personnages, ces mots:.....
«Assis auprès de ton précepteur, tu lisais, et s'il t'arrivait de
manquer d'une syllabe, ta peau était aussitôt bigarrée comme le
manteau de la nourrice[5].»

Horace (65-8 av. J.-C.) nous a conservé le nom de ce rude soldat qui
s'était fait grammairien à cinquante ans, et dont il dit: «... Je me
souviens des vers que me dictait le _fouetteur_ Orbilius, lorsque
j'étais enfant...[6]»

  [5] Plaute, _les Bacchis_, acte 3, scène 4.

  [6] Ep. I, liv. II.

«Loin de nous, dit Quintilien (42-120) le châtiment ignominieux qu'on
inflige aux enfants, quoique l'usage l'autorise... D'abord, il est
indécent et servile puisqu'à tout autre âge, il constituerait un
outrage cruel, ensuite, l'élève, sourd aux réprimandes, sera bientôt
insensible aux coups.»

On pourrait multiplier les citations.

       *       *       *       *       *

Tandis que les Romains instruits blâment l'usage de corrections
corporelles, saint Chrysostome, saint Augustin, les moines s'inspirent
de la Bible, mal interprétée, pour préconiser ces corrections. Les
moeurs du moyen âge n'étaient pas faites pour apporter quelque
adoucissement à ce régime. Nous n'avons pas l'intention de réunir ici
tous les témoignages qui sont fort nombreux[7]. Nous citerons
seulement les plus intéressants. Les maîtres ne sont pas désignés
autrement que par l'épithète de _furieux_ (_furiosus preceptor_) que
leur avait donné déjà saint Jérôme. Ils ne décolèrent pas, ne cessent
de frapper pour faire pénétrer dans la tête de pauvres enfants des
connaissances médiocres et médiocrement enseignées. Un évêque,
Rathérius (ou Rathier, 974), compose une grammaire qu'il intitule
_pare-dos_. C'est effectivement le dos qui reçoit le plus de coups, ce
qui n'empêche que la tête, le visage, les fesses n'en aient leur bonne
part. Les cheveux, les oreilles semblent aussi appeler les
tiraillements des maîtres bourreaux.

  [7] Voir une spirituelle et intéressante étude de M. Franck
  D'Arvert dans la _Revue pédagogique_ (juillet 1885). Voir
  également l'_Histoire des doctrines de l'éducation_, de M.
  Compayré.


Les esprits doux et sensés s'élèvent contre ces brutalités odieuses.

Saint Anselme (1033-1109) rapporte que, causant avec un abbé qui
dirigeait les études des écoliers d'un cloître, celui-ci se plaignit
amèrement des enfants: «Ils sont, dit-il, méchants et incorrigibles.
Nous ne cessons de les frapper jour et nuit et ils deviennent toujours
pires.--Eh quoi! lui dit saint Anselme, vous ne cessez de les frapper,
et que deviennent-ils une fois grands?--Idiots et stupides, répond
l'abbé.--Voilà une belle éducation, reprend le saint, qui de l'homme
fait une bête.»

Le doux et pieux Gerson (1363-1429) est l'auteur d'un petit livre dans
lequel il compare les enfants à de frêles plantes pour lesquelles il
réclame des soins et une vigilance active. Il se plaint de la disette
de bons maîtres qui aient pour leurs élèves un coeur de père et qui
n'usent pas de châtiments corporels.

«Il est plus facile, dit-il, de gagner les enfants par la douceur que
par la crainte; autrement dit: On prend plus de mouches avec une
cuillerée de miel qu'avec une tonne de vinaigre.»

Un siècle plus tard, Rodolphe Agricola (1442-1485), disait: «Une école
ressemble à une prison: ce sont des coups, des pleurs et des
gémissements sans fin.» Après lui Érasme (1467-1536) continue: «C'est
à la charrue qu'il faut envoyer de pareils maîtres, dignes d'effrayer
de leur voix tonnante les boeufs et les ânes..... Oses-tu bien,
stupide bourreau, déchirer à coups de fouet, des jeunes gens d'esprit
et de bonne famille, que tu es plus capable de tuer que
d'instruire!...» Érasme et Rabelais (1483-1553) ont cité, avec les
mêmes sentiments de réprobation, le collège de Montaigu où régnait le
bourreau Pierre Tempête tenant en guise de sceptre le fameux fouet
auquel il dut sa détestable renommée[8].

  [8] L. I, ch. 27.

«..... L'éducation se doit conduire avec une fermeté douce, dit
Montaigne... Otez-moi la violence et la force; il n'est rien, à mon
avis, qui abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien née...
Entre autres choses, la discipline de la plupart de nos collèges m'a
toujours déplu... c'est une vrai prison (geaule) de jeunesse
captive... Arrivez-y au moment du travail, vous n'entendez (oyez) que
cris et d'enfants suppliciés et de maîtres enivrés dans leur colère.
Quelle manière pour éveiller l'appétit envers leur leçon, à ces âmes
tendres et craintives, que de les y engager avec une trogne
effroyable, les mains armées de fouets... Combien leurs classes
seraient plus décemment jonchées de fleurs et de feuilles que de
tronçons d'osier sanglants!...[9]»

  [9] Montaigne (1533-1592), liv. Ier, chap. XXV.

Le disciple de Montaigne, Charron (1543-1603), l'auteur de _la
Sagesse_, parle dans le même sens que son maître, quelquefois même il
lui emprunte ses propres écrits. «..... Nous condamnons, dit-il, tout
à fait la coutume presque universelle de battre, fouetter, injurier et
crier après les enfants... préjudiciable et toute contraire au dessein
que l'on a de les rendre amoureux et poursuivant la vertu, sagesse,
science, honnêteté. Or cette façon impérieuse et rude leur en fait
venir la haine, l'horreur et le dépit; puis les effarouche et les
entête, leur abat et ôte le courage tellement que leur esprit n'est
plus que servile et bas... Les coups sont pour les bêtes qui
n'entendent pas raison; les injures et crieries sont pour les
esclaves...»

Rollin (1661-1741), à son tour, réprouve dans son for intérieur les
châtiments corporels; son coeur paternel, son âme sensible y
répugnent, et pourtant il hésite par respect pour les textes bibliques
que nous avons cités plus haut. Nous l'avons dit, le langage de la
Bible est surtout figuré, et Varet (1632-1676) de Port-Royal[10],
interprète les textes plus judicieusement que Rollin lorsqu'il dit:
«J'estime que la rigueur recommandée par l'Écriture-Sainte s'exerce
bien plus parfaitement et mieux selon l'esprit de Dieu par le refus
d'un baiser ou des caresses ordinaires que par les verges.»

  [10] (Varet, _De l'éducation chrétienne des enfants_.)

Locke (1632-1704) veut bien tolérer dans certains cas exceptionnels
les peines corporelles: L'usage du fouet, dit-il, est une discipline
servile qui rend le caractère servile[11]. Quelques voix s'élèvent
dans ce concert de réprobation pour parler en faveur du fouet:
Mélanchton, Johnson, Goldschmidt déclarent qu'ils n'auraient jamais
rien appris s'ils n'avaient été fouettés. C'est là une simple
affirmation sans preuves, et dans tous les cas ce ne sont pas des
personnalités éminentes.

  [11] Locke, _Pensées sur l'éducation_.

Par contre, Luther protestera, lui qui avait été battu jusqu'à quinze
fois dans une seule matinée.

«Un enfant intimidé, dit-il, par de mauvais traitements, est irrésolu
dans tout ce qu'il fait. Celui qui a tremblé devant ses parents
tremblera toute sa vie devant le bruit d'une feuille que le vent
soulève.»


Qui ne voit que le maître qui frappe un élève compromet tout à la fois
sa dignité et son autorité? S'il ne se possède pas, s'il s'emporte,
quel déplorable spectacle ne donne-t-il pas à son élève et dès lors
quel respect, quelle estime, quelle affection peut-il en attendre? Si,
au contraire, il est calme, comment osera-t-il brutaliser un enfant ou
assister impassible à l'exécution qu'il aura ordonnée!

Et pourtant les punitions corporelles continuent à être pratiquées.
Nul n'en est exempt, pas même les enfants des grands et des rois. On
le comprendrait à la rigueur dans les masses ignorantes et non
policées; là, les coups sont et seront toujours d'un usage courant: le
procédé est commode, sommaire, et expéditif, à la portée de tous,
tandis que les autres moyens de corrections exigent bien des qualités
que maître et parents possèdent rarement.

Lorsqu'il fut question de l'éducation du Dauphin, fils de Louis XIV,
le marquis du Châtelet composa un traité dans lequel on lit: «Il n'est
point ici question de férule, un Dauphin de France doit être conduit
par la gloire et par la douceur..... On doit ne le détourner du vice
que par les charmes de la vertu[12]». Mais malgré ces sages avis, sans
doute aussi, malgré Bossuet dont tous les contemporains ont loué la
douceur et qui écrivait au pape Innocent: «C'est par la douceur qu'il
faut former l'esprit des enfants», on donna pour gouverneur au Dauphin
ce soldat honnête, mais quinteux, violent, brutal, sans pitié pour
l'enfance, le duc de Montausier, qui se qualifiait gaîment lui-même
_exécuteur des hautes oeuvres_, et se livrait envers son royal élève à
un véritable débordement de coups dont rougirait aujourd'hui un
charretier. Le fidèle valet de chambre Dubois nous a conservé le récit
ému de ces scènes odieuses[13]. Se figure-t-on Bossuet spectateur
indifférent de ces honteuses violences!

  [12] _Traité de l'éducation de Monsg. le Dauphin_, par Paul Hay
  du Châtelet.

  [13] _Journal de Dubois_, 29 juillet 1671. Bibl. de l'école des
  Chartes, c. 4, 2e série.

       *       *       *       *       *

Encore, si la peine corporelle était efficace ou l'était plus que les
autres punitions! Mais nullement: elle est sans effet. Où la douceur
n'a rien obtenu, la violence obtient moins encore. On impose par la
crainte le silence et l'immobilité, non l'attention et le travail
fécond. Les Jésuites avaient essayé d'un fouet perfectionné, composé
de petites ficelles qui effleuraient la peau sans atteindre la chair.
A quoi bon! Si le fouet ne cause aucun mal, il n'est plus qu'une
grossière et inutile humiliation, d'une pratique pernicieuse au point
de vue éducatif. Renonçons une fois pour toutes à des procédés qui
terrifient l'enfant et le rendent incapable d'attention. Locke dit
avec autant d'esprit que de raison, qu'il est aussi difficile de fixer
des idées nettes dans une âme agitée que de bien écrire sur un papier
qui tremble[14].

  [14] Locke, _Quelques pensées sur l'éducation_.


Comment veut-on que l'esprit de l'enfant ne soit pas troublé par les
menaces et les éclats de la colère, prélude ou accompagnement
ordinaire des brutalités? La crainte rend l'enfant timide et sournois;
frapper n'est pas corriger. L'unique souci de l'enfant sera d'éviter
les coups, et, pour s'y soustraire, il dissimulera ses fautes par le
mensonge. C'est en ce sens surtout que le châtiment corporel est
anti-éducatif.

Ce châtiment présente en outre des dangers sérieux: un maître irrité
ne mesure pas ses coups et, parfois il lui arrivera de dépasser une
limite prudente et de blesser un enfant sans le vouloir. Un mouvement
instinctif de celui-ci pour éviter ou parer un coup peut occasionner
un accident grave. Si, à la rigueur, on use des coups envers les
animaux, c'est qu'il ne nous est pas facile de nous en faire
comprendre, d'autant que nous exigeons d'eux des services peu en
rapport avec leurs aptitudes et souvent contre leur gré. On sait
combien l'abus est voisin de l'usage[15]; de là les mauvais
traitements que réprime la loi protectrice des animaux. Mais l'enfant
est un animal raisonnable, il nous comprend. Dès lors pourquoi nous
priver bénévolement du concours de ses facultés supérieures et, d'un
animal raisonnable, ne pas utiliser la raison.

  [15] Pour se convaincre de la facilité avec laquelle on glisse de
  l'usage à l'abus, il suffit de lire dans les règlements des
  Jésuites, des Frères, de MM. de Port-Royal, etc., les
  recommandations aux maîtres, les appels à leur patience, à leur
  modération. Il est si naturel de se servir d'une arme lorsqu'on
  la tient à la main! Le châtiment corporel a été souvent un
  acheminement vers la torture.


       *       *       *       *       *

Jusqu'ici il n'a été question que de coups, parce qu'en général les
coups seuls, en y comprenant les tirements d'oreilles, de cheveux et
pincements, sont regardés comme des châtiments corporels. En réalité,
on doit comprendre sous cette appellation toute privation de nature à
porter atteinte à la santé: celle d'une nourriture substantielle, par
exemple. Mettre un jeune enfant au pain sec et à l'eau, c'est lui
infliger une punition plus sévère qu'une tape ou qu'un coup de
baguette, et d'une durée plus longue. La retenue, la privation de
récréation ou de promenade sont également des punitions corporelles et
des plus pénibles pour un être qui a si grand besoin de mouvement: en
outre, ces moyens de correction vont contre le but qu'on se propose,
car s'il s'agit de réprimer la turbulence, l'immobilité qu'on impose à
l'enfant ne fait qu'exaspérer le besoin de mouvement qu'il a; c'est
pour lui un supplice. Laissez-le au contraire épuiser son activité
afin de le calmer; qu'il dépense sa fougue hors de la classe, afin
qu'il ne la dépense pas au dedans.

Si, de plus, vous lui donnez à faire des pensums, si vous
l'assujettissez à une besogne fastidieuse et stérile, vous rendez la
punition plus dure encore. Ajoutons enfin qu'il y a toujours de
sérieux inconvénients à donner au travail le caractère d'un châtiment.
On risque ainsi d'inspirer à l'enfant le dégoût de l'étude et
l'aversion pour le maître, indépendamment des mauvaises habitudes de
travail qu'entraîne l'accomplissement d'une tâche rebutante.

En résumé, tout châtiment corporel, quelle qu'en soit la nature, est
_sans effet sérieux, dangereux_ et _anti-éducatif_. C'est plus qu'il
n'en faut pour le proscrire.

       *       *       *       *       *

Que reste-t-il alors comme moyen d'action?

La privation de certains plaisirs; mais surtout les exhortations et
les réprimandes.

C'est peu, pensera-t-on peut-être. C'est suffisant, dirons-nous, pour
qui saura en user avec tact, mesure et convenance, en tenant compte de
la gravité plus ou moins grande de la faute, de la sensibilité plus ou
moins vive de l'enfant.

Swift (1667-1745), dans son ingénieux roman de _Gulliver_, fait ainsi
finement la critique de la discipline scolaire de son temps.

«Il est défendu aux maîtres, dit-il, de châtier les enfants par la
douleur, ils le font par le retranchement de quelque douceur sensible,
par la honte, et surtout par la privation de deux ou trois leçons, ce
qui les mortifie extrêmement, parce qu'alors on les abandonne à
eux-mêmes, et qu'on fait semblant de ne les pas juger dignes
d'instruction. La douleur, selon eux, ne sert qu'à les rendre timides,
défaut très préjudiciable, et dont on ne guérit jamais.»

Gardons-nous en effet de croire que la sévérité des peines en assure
l'efficacité: la sensibilité physique ou morale s'émousse par l'effet
de l'habitude. Défions-nous de cette soumission silencieuse obtenue
par un mot dur ou par la menace d'un châtiment et qui dissimule mal la
révolte intérieure et le coeur ulcéré.

«On obtient plus, dit Plutarque, par les éloges et les réprimandes que
par les rigueurs si l'on a soin de les employer tour à tour, celles-ci
pour détourner du mal, ceux-là, pour encourager au bien.» «Je veux,
dit à son tour Quintilien, qu'on me donne un enfant qui soit sensible
à la louange, que la gloire enflamme, à qui une défaite arrache des
larmes..... Un reproche, une réprimande le touchera au vif, le
sentiment de l'honneur l'aiguillonnera»[16].

  [16] Quintilien, _Institution oratoire_, l. I.

Un reproche adressé sans amertume, sinon sans gravité et sans
tristesse, produit une vive impression sur l'enfant surtout si en lui
adressant on s'attache à lui faire reconnaître sa faute et qu'on lui
inspire le désir de s'amender. Le châtiment doit être pour celui qui a
commis une faute un moyen de se relever. En éducation, tout doit
servir à l'éducation.

Malheureusement peu de gens savent adresser des reproches, les
formuler, les graduer, prendre le ton nécessaire, choisir le moment
convenable, l'occasion propice, les circonstances favorables. Il y a
un art de punir. N'ajoutez pas l'insulte au reproche, comme on le fait
d'ordinaire, car vous aggravez ainsi la punition, et vous en épuisez
bientôt l'effet, si bien que vous serez désarmé pour l'avenir; surtout
n'y revenez pas à plusieurs reprises comme ces parents qui, à toute
occasion, renouvellent leurs plaintes, invitent les parents, les amis,
les étrangers même à s'associer à eux pour accabler l'enfant. C'est
comme une blessure que vous rouvrez, c'est un supplice incessamment
renouvelé, ce n'est plus un reproche, mais une succession de
reproches, une série d'humiliations, A l'entrée de chaque visiteur, on
entend: savez-vous ce qu'a fait Jules?--Il a fait telle
chose.--Grondez-le donc. Puis, on compare Jules à Paul qui est bien
autrement sage, qui donne à ses parents de si vives satisfactions,
etc. Heureusement que les enfants, moins soucieux que leurs parents de
la prétendue sagesse qu'on leur accorde, ne s'en aiment pas moins, car
les parents font tout ce qui est nécessaire pour éveiller chez leurs
enfants des sentiments de haine, d'envie et de jalousie.


_Conditions auxquelles doivent satisfaire les punitions._

Avant de donner quelques indications sur la manière dont on doit
procéder dans l'application, il nous semble indispensable d'énumérer
les conditions auxquelles doivent satisfaire les punitions en général.
Ces conditions sont au moins aussi essentielles que les punitions
mêmes et il est absolument nécessaire de s'y conformer si l'on veut
assurer l'efficacité de ces dernières.

Nous ne dirons pas qu'une punition doit être juste; cela va de soi.
Quand elle est injuste, c'est que parents ou maîtres se sont trompés;
nous ne saurions admettre un instant que de propos délibéré ils
veuillent commettre une injustice. «C'est perdre toute confiance dans
l'esprit des enfants, dit La Bruyère, et leur devenir inutile, que de
les punir des fautes qu'ils n'ont point faites ou même sévèrement de
celles qui sont légères. Ils savent précisément et mieux que personne
ce qu'ils méritent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils craignent:
ils connaissent si c'est à tort ou avec raison qu'on les châtie et ne
se gâtent pas moins des peines mal ordonnées que de l'impunité[17].»

  [17] La Bruyère, _De l'homme_, XI.


Point de punitions générales dans les classes; mieux vaut laisser un
coupable impuni que punir des innocents afin de pouvoir l'atteindre.
Ajoutons que le plus souvent la punition sera beaucoup plus dure pour
ceux-ci qu'elle ne sera efficace pour celui-là.


1º.--_Les punitions doivent être rares._

La fréquence des punitions en diminue l'effet. L'élève s'y accoutume:
or comme nous voulons faire appel aux sentiments délicats et élevés,
nous ne devons le faire qu'avec de grands ménagements, afin de
conserver à l'enfant toute sa fraîcheur d'impression et toute sa
sensibilité.

«..... Si vous avez envie, dit excellemment Montaigne, qu'il craigne
la honte et le châtiment, ne l'y endurcissez pas: endurcissez-le à la
sueur et au froid, au vent, au soleil, et aux hasards qu'il lui faut
mépriser...[18]»

  [18] Montaigne, l. I, ch. XXV.


2º.--_Toute punition infligée doit être exactement subie._

Pas d'indécision à cet égard. La certitude de la punition importe bien
plus que la rigueur. Réfléchissez mûrement avant d'infliger un
châtiment, mais, la décision prise, ne cédez ni aux cris, ni aux
supplications, car si vous manquez de fermeté une seule fois, votre
autorité est perdue. Dès que l'enfant se sera aperçu qu'il peut vous
fléchir en vous lassant, vous n'aurez plus d'action sur lui, tandis
que s'il est convaincu de son impuissance, s'il désespère de vaincre
votre résistance, il n'essaiera plus de lutter, il se résignera.

Que de fois nous avons entendu des mères trop vives et trop tendres,
s'écrier: Gaston, si tu fais cela, tu seras privé de dessert; mais le
moment d'après, la peine était levée et à partir de ce moment l'enfant
savait qu'il n'avait plus à redouter l'exécution des menaces. Sans le
vouloir, inconsciemment, la mère lui avait laissé voir sa faiblesse.

«Que tous vos refus soient irrévocables, dit Rousseau, que le _non_
prononcé soit un mur d'airain, contre lequel l'enfant n'aura pas
épuisé cinq ou six fois ses forces qu'il ne tentera plus de
renverser[19]».

  [19] Rousseau (1712-1778), _Émile_, livre II.

Nous donnons des instructions générales qui souffrent des exceptions.
La justice n'exclut pas la miséricorde. Il faut rester inflexible tant
qu'on ne voit chez l'enfant qu'un désir d'échapper à une punition
comme on évite ce qui est désagréable, mais on peut céder devant les
signes d'un repentir évident, d'un regret sincère de la faute commise
et d'une douleur vraie.


3º.--_La punition doit suivre de très près la faute._

L'enfant agit et pense rapidement. La faute qu'il a commise, il
l'oublie l'instant d'après. Tout est pour lui à courte échéance: le
passé et l'avenir. Il vit surtout dans le présent. Que tout châtiment
suive donc de très près la faute et même s'il se peut, qu'il la suive
immédiatement et comme une conséquence. L'efficacité en sera d'autant
plus certaine. Un enfant qui ressent une douleur parce qu'il a touché
à un objet malgré la défense qui lui en a été faite, associe plus
étroitement dans son esprit la faute et le châtiment, comme la cause
et l'effet. Il ne désobéira pas de si tôt; le voilà doublement averti
et qui se tient mieux sur ses gardes: _chat échaudé craint l'eau
froide_, dit le proverbe. Malheureusement on ne peut que bien rarement
tirer parti de ce que nous appelons les _punitions-conséquences_,
d'abord parce que toute faute n'en comporte pas nécessairement, puis,
à cause des dangers qu'elles présentent souvent. Laisser, par exemple,
un enfant se brûler pour qu'il ne touche pas au feu, c'est courir un
trop grand risque pour un trop faible résultat. Avec un pareil mode de
correction, l'enfant aurait le temps de mourir avant d'avoir appris à
vivre.

«Faire la part de l'expérience personnelle, dit M. Gréard, rien de
mieux; elle est la rançon de la liberté. Mais attendre que le jeune
homme s'instruise exclusivement par ses propres fautes, n'est-ce pas
la plus dangereuse des chimères?[20]» Qui donc a pu se passer de
l'expérience d'autrui? Notre expérience se compose de celle de
l'humanité et de la nôtre; les deux sont nécessaires. Attendre que
l'expérience résulte du jeu des événements, c'est réduire l'enfant à
n'être qu'une chose ou qu'un être inconscient; c'est le priver
bénévolement du facteur le plus important, la pensée, ou ne la faire
intervenir que par la réflexion après coup. «C'est le résultat d'un
acte, dit M. Gréard, qui en détermine la nature et la valeur..... Il
s'agit non de bien faire, mais d'être adroit[21].» Cela rappelle le
cas des enfants de Sparte punis non du larcin mais de leur
maladresse. Où est l'idée de responsabilité du moment que je ne compte
que pour une chose. S'il y avait en cela une idée morale on pourrait
la désigner sous le nom de morale de l'habileté; ce serait une variété
de la morale de l'intérêt.

  [20] Gréard, _de l'esprit de discipline_.

  [21] Id.

Remarquons d'autre part que l'enfant victime des choses, s'irrite mais
ne s'éclaire pas; s'il se heurte contre un meuble, il frappera
volontiers le meuble et ne s'en prendra pas à lui-même. A proprement
parler, il ne s'agit pas ici de l'expérience telle qu'on l'entend
d'ordinaire et qu'on pourrait appeler générale, mais d'une expérience
particulière. La nécessité n'en est pas douteuse mais elle ne comporte
pas l'idée de devoir, la notion du mérite et du démérite. C'est une
expérience d'ordre inférieur.


4º.--_La punition doit être proportionnée à la faute._

Gardons-nous de donner aux fautes une valeur fictive qui résulte de ce
que l'enfant et nous ne l'envisageons pas de la même manière. Tâchons
de voir les choses du même oeil, non à notre point de vue, mais au
sien, afin qu'il ne se croie pas victime d'un excès de sévérité.

«L'enfant, dit Rousseau, a des manières de voir, de penser, de sentir,
qui lui sont propres; rien n'est moins sensé que d'y vouloir
substituer les nôtres; et j'aimerais autant exiger qu'un enfant eût
cinq pieds de haut, que du jugement, à dix ans[22].» La proportion
dont nous parlons est assez difficile à garder parce qu'il faut
l'entendre comme l'enfant lui-même. Il ne s'agit pas de juger la
faute avec notre jugement et notre expérience mais comme l'enfant la
juge avec son défaut ou son rudiment de jugement et d'expérience. Il
sait fort bien, par exemple, que la préméditation ou la récidive
constituent des aggravations de la faute; il comprendra moins la
gravité d'une faute due à la paresse ou au défaut d'attention. Nous
devons attacher plus d'importance à lui faire sentir les inconvénients
de la paresse qu'à le punir d'avoir été paresseux. De même le besoin
d'activité physique qu'il éprouve le rend très indulgent pour sa
turbulence et lui fait éprouver des mouvements d'humeur lorsqu'on l'en
punit. Il se sent incapable de se contraindre et de gouverner son
corps.

  [22] Rousseau, _Émile_, livre second.


5º.--_La punition doit être proportionnée à la sensibilité de
l'enfant; elle doit varier avec l'âge._

Le tempérament, la complexion, la sensibilité des enfants sont choses
très variables; la même punition est plus ou moins rigoureuse selon
que celui qui la subit est plus ou moins délicat. Une étude attentive
de chaque enfant nous permettra de distribuer équitablement les
peines. Quand cette étude devrait nous coûter beaucoup, il n'y a pas à
hésiter; cela fait partie de la mission de l'éducateur. D'ailleurs
nous trouverons dans les résultats la compensation de nos efforts et
de nos peines. Une punition de même nature peut être variée dans le
degré et la forme, il sera donc facile de dresser une échelle pour
chaque sorte de punition. Toutefois, hâtons-nous d'ajouter que tout
ne sera pas résolu par un tarif; n'attribuons pas aux procédés une
action plus efficace que celle qu'ils comportent, et ne perdons pas de
vue un seul instant que notre mission est d'éveiller d'abord, de
cultiver ensuite le sens moral. Nous devons pour ainsi dire couver
l'enfant, le maintenir dans une atmosphère morale qui est pour son âme
ce que sont pour son corps les soins tendres, empressés, attentifs de
sa mère. A peine sera-t-il abattu qu'il faudra se hâter de le relever,
car rien ne doit durer pour l'enfant, surtout si les fautes qu'il
commet sont la conséquence de la légéreté naturelle à son âge.

       *       *       *       *       *

Ces principes admis, passons à l'application.

L'enfant commet-il des étourderies légères, nous feindrons de ne pas
voir ou de ne pas entendre une première fois, nous tolérerons
beaucoup, surtout si l'enfant est jeune, d'un tempérament ardent,
d'une santé robuste.

«N'oublions pas, comme dit Plutarque avec sa bonté accoutumée, que
nous avons été jeunes et sachons pardonner aux enfants les fautes qui
échappent à la faiblesse de leur âge.» Il va même jusqu'à conseiller
certaines ruses: «L'âge, dit-il, rend notre vue plus faible et notre
ouïe plus dure; n'est-ce-pas une occasion de tirer parti de nos
infirmités pour ne voir et n'entendre qu'à demi.»

       *       *       *       *       *

Les étourderies se multiplient-elles par trop, le maître donne un
avertissement. S'il aime les enfants, s'il est bon et juste, doux et
ferme, s'il se plaint sans humeur, gronde sans dureté, corrige sans
emportement, il sera aimé et respecté de ses élèves et l'avertissement
suffira.

«A Port-Royal, on recommandait aux maîtres de supporter patiemment les
fautes et les faiblesses des enfants, de ne pas se montrer trop exacts
avec eux, ni s'inquiéter trop, de se contenter de les préserver des
fautes principales et de fermer les yeux sur leurs petits
manquements»[23]. De son côté, le P. Lamy, ajoute: «Pour ramener les
enfants à leurs devoirs, une caresse, une menace, l'espérance d'une
récompense ou la crainte d'une humiliation font plus d'effet que les
verges[24].»

  [23] Carré, _Les pédagogues de Port-Royal_.

  [24] Le P. Lamy, de l'Oratoire: _Entretien sur les sciences_.

J'ai souvent regretté que, dans les établissements scolaires et dans
la famille, on ne permît pas aux enfants de converser sans faire trop
de bruit pendant les repas. Le silence est dans ce cas un châtiment,
en même temps qu'une contravention à l'hygiène.

Les nouveaux règlements tout à la fois sensés et paternels permettent
la conversation à voix basse pendant les repas. Bien des punitions
seront ainsi évitées. On ne doit pas craindre d'autoriser ce qui est
juste; s'il en résulte des inconvénients, ils seront toujours
inférieurs aux avantages. En supprimant les prétextes et les occasions
d'infraction, non seulement on a plus rarement à donner des
punitions, mais le règlement acquiert plus d'autorité parce qu'il est
plus juste.

Certaines punitions, ridicules ou inconvenantes, doivent être
proscrites à l'égal des punitions corporelles. Ainsi, dans certaines
maisons, les enfants sont condamnés à baiser la terre, ou à se couvrir
le visage avec leur tablier ou prendre une attitude génante. A
Port-Royal-des-Champs, certaines punitions étaient entourées d'un
appareil d'une solennité puérile. Il faut éviter tout ce qui ôte de la
gravité à un châtiment.

       *       *       *       *       *

Résumons ce qui précède en formulant un code de punitions:

En premier lieu, la réprimande dont on variera la forme de manière à
la rendre plus ou moins sévère. Elle ne sera publique que dans des
cas très exceptionnels par la gravité.

Puis, le pensum consistant en un certain nombre de lignes d'une
écriture _appliquée_.

Enfin, la privation d'un plaisir tel que promenade, jeu, friandises,
spectacles, objets divers de toilette ou d'agrément.

Si simple que soit ce code, il peut être simplifié. Nous avons à
l'école Turgot un mode de punitions et de récompenses qui consiste
uniquement en une inscription sur le cahier de notes de l'enfant. Tel
élève a mérité une punition ou une récompense; on écrit sur son livret
_une punition_ ou _une récompense_. C'est la punition sans châtiment,
la récompense sans avantage matériel. Un grand nombre d'élèves
préféreraient un châtiment à la simple inscription de la punition,
tant il est vrai que ce n'est pas la rigueur de la peine qui en fait
l'efficacité et «qu'il n'y a de pénétrant, de durable et de salutaire,
comme le dit M. Gréard avec sa netteté et sa précision accoutumées,
que le sentiment de la faute attaché d'une main sûre à la conscience
du coupable». C'est bien là la vraie punition: si l'enfant n'éprouve
pas de honte à la subir, elle a beau être dure, l'enfant redoutera la
douleur, l'ennui, les privations, mais la peine sera sans effet moral.

Pour un devoir mal écrit faute de soin et sans mauvaise intention,
n'infligeons pas de punition, mais donnons simplement le devoir à
recommencer.

Quant aux leçons à apprendre ou aux exercices de mémoire que l'enfant
ne saurait pas par coeur, nous devons nous assurer s'il a fait des
efforts suffisants et s'il a une mémoire ingrate; dans ce cas, il
faut venir à son aide, en divisant la tâche, en la diminuant, en lui
indiquant certains procédés qui la facilitent. Dans le cas contraire,
s'il y a paresse évidente, l'enfant sera puni sans être dispensé pour
cela de remplir sa tâche.

Dans la graduation des punitions, nous devons tenir compte des goûts
particuliers des enfants, car il se peut qu'un enfant accepte
volontiers ce qu'un autre regarde comme une aggravation de la peine.
Tel enfant attachera plus d'importance à une promenade qu'à la
possession d'un objet, tandis que tel autre préfèrera l'objet à la
promenade.

       *       *       *       *       *

Supposons maintenant que l'enfant ait commis une faute grave, qu'il se
soit attiré une remontrance exceptionnelle, voici comment nous
procédons: nous le conduisons dans un endroit dont il n'a pas
habituellement l'accès et qui, en conséquence, ne lui est pas
familier, c'est une pièce éclairée d'un demi-jour et située dans un
lieu retiré. Nous voulons exercer sur lui une première impression par
le milieu. Nous prenons un air grave et résigné. Nous le faisons
asseoir en face de nous, nous lui prenons les mains, en le fixant avec
insistance dans les yeux, nous lui parlons avec douceur, lentement,
d'une manière un peu monotone afin de l'assoupir peu à peu. Dans ce
demi-sommeil, la volonté de l'enfant s'affaiblit. Nous lui parlons
alors de la faute qu'il a commise, nous lui en faisons comprendre la
gravité, nous lui en montrons les conséquences, en lui faisant
craindre que la tendresse de ses parents, la confiance, l'estime, la
sympathie de ses amis et de ses maîtres ne s'en trouve diminuée. Nous
lui inspirons le regret de l'avoir commise, le désir de se faire
pardonner et la résolution de se corriger.

L'enfant est somnolent; dans son corps inerte, son esprit vacille pour
ainsi dire, il sent sa volonté lui échapper, en quelque sorte; c'est
alors que, mis dans l'impossibilité de nous résister, il se trouve
tout à fait préparé à recevoir nos avis et à suivre nos conseils. Loin
de nous la pensée de substituer notre volonté à la sienne, d'affaiblir
en lui le sentiment de la responsabilité: nous le désarmons mais
seulement pour qu'il ne résiste pas, nous le subjuguons sans
l'anéantir. Il comprend nos raisonnements, il les suit, il se les
approprie; nous sommes parvenu à pénétrer dans une place qui n'est
plus défendue. Puis, lorsque l'impression est faite dans son esprit,
les entraves sont enlevées, il s'éveille, il est libre, il est
meilleur.

Nous n'agissons pas autrement pour détruire des habitudes vicieuses,
des défauts de caractère, des affections maladives[25]. L'enfant est
pour nous, dans tous ces divers cas, un malade au moral ou au
physique, par cela seul que maladies ou vices tiennent d'une
organisation défectueuse par quelque côté, qu'il doit souvent, il faut
bien le dire, à la négligence, à l'incurie ou aux vices de ses
parents. A l'éducateur de rétablir l'équilibre de ce corps et de cet
esprit, mais bien entendu, avec le concours du malade. Lentement et
progressivement, nous amenons l'enfant à sentir les inconvénients ou
les dangers de son état et la nécessité d'y porter remède. Nous
insistons, nous martelons nos enseignements dans son esprit. Il nous
écoute, il nous comprend, il se laisse persuader dans son
demi-sommeil, et, revenu à la réalité, il se trouve dans la situation
de ceux qu'un rêve a obsédés. Une première amélioration s'est
produite, le mauvais pli a été défait, comme par un effort mécanique
un bâton tordu se trouve rectifié.

  [25] M. le docteur Aug. Voisin, médecin à la Salpétrière, à
  Paris, M. le professeur Bernheim, et M. le docteur Liébault, de
  Nancy, ont combattu avec succès, chez plusieurs enfants, des
  habitudes vicieuses, la chorée, l'incontinence nocturne d'urine,
  des tics, la grossièreté des manières et du langage, la paresse
  invétérée, l'incapacité d'attention, etc.


Nous revenons à la charge à plusieurs reprises, et, chaque fois,
l'amélioration s'accentue. Des enfants grossiers, turbulents,
indociles, paresseux, sont ainsi transformés: on a raison de leur trop
grande vivacité, de leur nature emportée, ou de leur apathie. C'est là
un traitement, qu'on pourrait désigner sous le nom d'_orthopédie
morale_.

Parfois il faut beaucoup de temps et encore plus de patience mais la
guérison vient à la fin. Si elle est incomplète, si l'enfant retombe
dans sa faute, on recommence le traitement jusqu'à ce qu'on ait
triomphé de la cause du mal. Toutefois les cas de récidive sont rares,
car une première amélioration obtenue rend plus facile une
amélioration plus grande, comme les exercices répétés d'une
gymnastique méthodique superposent leurs effets et accroissent les
forces d'une manière continue. Il se produit dans l'ordre moral
quelque chose d'analogue aux intérêts composés; chaque progrès dans le
bien est la source d'un progrès nouveau, et la nature humaine continue
ainsi son redressement d'elle-même, par sa propre puissance, quand la
première impulsion a été donnée. L'homme devient le collaborateur
conscient ou non de ceux qui suscitent en lui de bons sentiments. De
même que le grain mis en terre donne naissance à un épi, de même une
bonne pensée déposée dans un esprit convenablement préparé y devient
le germe d'autres pensées bienfaisantes. L'esprit, comme le corps, a
des ressources propres qui ne lui viennent pas du dehors et lui
permettent de lutter contre le mal ainsi que le corps lutte contre la
maladie. Nos conseils, nos remèdes, ne font qu'aider cette action qui
se poursuit naturellement[26].

  [26] Nous lisons dans le rapport cité plus haut, page 16:

  «Nous avons cependant fait un pas dans cette voie par la création
  d'une école pour les vagabonds incorrigibles et les enfants
  indisciplinables. Nous espérons beaucoup de ce nouvel
  établissement. Nous croyons que quelques semaines de séjour, par
  ordre d'un magistrat, et avec le consentement des parents,
  triompheront presque toujours de l'esprit de désordre et
  prépareront l'enfant à suivre les travaux de l'école. On évitera
  ainsi les frais d'un long internat dans une école industrielle de
  répression.» C'est précisément à ces enfants, dits incorrigibles,
  et qui ne sont _qu'incorrigés_, que convient le traitement dont
  nous parlons. Nous le croyons préférable au séjour détestable dans
  la plupart des maisons de correction, où on ne corrige pas, au
  contraire.



II

LES RÉCOMPENSES


Nous avons réduit les punitions à la privation de certains plaisirs et
aux réprimandes, et même à moins que cela. Nous ne serons pas moins
sobre de récompenses. Il suffit de prendre la contre-partie, de borner
les récompenses à certains plaisirs et à des approbations ou des
éloges. Ne soyons pas surpris de cette pénurie de moyens; l'abondance
ni la variété ne sont des signes de puissance, et, de même que la
rigueur des peines n'en assure pas l'efficacité, l'exagération des
marques d'approbation ou la valeur des objets et des avantages
accordés ne donne pas plus de prix aux récompenses.

       *       *       *       *       *

L'idéal à réaliser consisterait en un mode de récompense sans valeur
vénale ou matérielle et dont l'effet concourrait à l'éducation de
l'enfant, c'est-à-dire à son amélioration morale, car en matière
d'éducation, nous ne saurions trop le répéter, tout doit servir à
l'éducation. Le bien devrait être fait pour l'amour du bien et non
pour les avantages qu'on en peut retirer, lesquels viennent par
surcroît. Nous savons que c'est là un idéal mais lors même qu'un but
ne peut être tout à fait atteint, l'effort n'est pas inutile; nous
devenons meilleur rien qu'en cherchant à le devenir. Si donc nous
voulons améliorer l'enfant, la première condition pour obtenir ce
résultat, c'est de le croire capable de désintéressement, de
dévouement, d'élévation, etc. Comment entreprendre une tâche si l'on
n'a la certitude ou au moins l'espérance de l'accomplir; quelle plus
déplorable disposition que le scepticisme chez un éducateur; quelle
peut être son action s'il n'a la conviction.

On croit généralement que l'enfant a des défauts qui lui sont propres;
on s'en va répétant après La Fontaine que «cet âge est sans pitié».
Persuadons-nous bien au contraire que leurs défauts sont les nôtres,
que nous sommes une même personne à tous les moments de notre
existence, seulement l'enfant donne un libre cours à ses pensées comme
à ses mouvements; il ne sait pas encore pratiquer la réserve ni la
modestie, et manifeste spontanément ses désirs. Ses défauts sont plus
évidents parce qu'il n'a pas encore appris à les combattre ou à les
dissimuler. Dans les reproches que nous leur adressons combien
pourraient être justement retournés contre nous. Avons-nous toujours
eu soin d'éveiller leur conscience et de la développer une fois
éveillée? Loin de là, il arrive souvent qu'on la fait dévier comme on
fait dévier leur intelligence par les préjugés; comme on fait dévier
leurs jambes par le maillot et la marche hâtive. Que de bien n'y
aurait-il pas à faire rien qu'en évitant le mal que l'on cause
inconsciemment lorsqu'on altère le sens naturellement droit de
l'enfant!

Au lieu, par exemple, de nous borner à le louer de ce qu'il a fait de
bien, nous ajoutons un avantage matériel qui diminue la valeur morale
de l'éloge et lui ôte une part de son action éducatrice. «Ne
promettez jamais aux enfants, dit Fénelon, pour récompenses des
ajustements et des friandises; c'est faire deux maux: le premier de
leur inspirer l'estime de ce qu'ils doivent mépriser et le second de
nous ôter le moyen d'établir d'autres récompenses qui facilitaient
votre travail[27].» Lorsque nous disons à l'enfant: si tu fais bien
ton devoir, tu auras des fruits, des gâteaux, des jouets, des bijoux,
il travaille non pour le plaisir de l'étude, mais en vue de l'avantage
promis. «Toute idée de devoir disparaît, dit Madame Guizot, un calcul
intéressé en prend la place, occupe seul son esprit, la tâche pourra
bien être faite, mais l'enfant n'aura point appris à bien faire[28].»
«Il faut éviter, dit Locke, de cajoler les enfants en leur donnant
comme récompenses certaines choses qui leur plaisent pour les engager
à s'acquitter de leur devoir... on ne fait qu'autoriser par là leur
amour pour le plaisir et entretenir une dangereuse inclination[29].»

  [27] _Éducation des filles_, chapitre V.

  [28] Mme Guizot, _Éducation domestique_, lettre XVIII.

  [29] Locke, _Conseils sur l'Éducation_, ch. III, § 1.

Certains pensent que l'enfant prend ainsi l'habitude du bien et que
l'habitude une fois prise, il fait par goût ce qu'il a d'abord fait
par intérêt. Or, l'habitude nous dispense précisément d'agir
consciemment et volontairement; c'est en quelque sorte un instinct
acquis. Où donc est alors le profit moral? L'habitude succède à des
actes volontaires répétés, elle en est la conséquence mais le
contraire n'est pas vrai. On ne fait pas l'apprentissage d'une qualité
en pratiquant le défaut opposé. Agir souvent dans un but intéressé
mènera à prendre l'habitude d'agir toujours par intérêt.

       *       *       *       *       *

Il est vrai que la plus simple approbation, l'éloge le plus discret ne
va pas sans flatter la vanité de celui qui le reçoit, que, dès lors,
un intérêt s'y trouve attaché. La seule récompense idéale pure
consiste dans la satisfaction du for intérieur. Celui qui s'en
contente n'en connaît pas de plus haute et qui lui cause une joie
aussi complète. C'est la jouissance exquise des natures délicates et
élevées. Aussi, devons-nous nous efforcer de développer chez l'enfant
le sentiment de l'honneur, le respect de soi, la sensibilité de la
conscience. L'estime de soi-même, le souci de sa réputation ne doivent
pas être confondus avec la vanité ou l'orgueil, c'est le fondement de
la dignité humaine. «De tous les motifs propres à toucher une âme
raisonnable, dit Locke, il n'y en a pas de plus puissants que
l'honneur et la honte..... Si donc vous pouvez inspirer aux enfants
l'amour de la réputation et les rendre sensibles à la honte, vous
aurez mis dans leur âme un principe qui les portera continuellement au
bien[30].»

  [30] Locke, _Pensées sur l'éducation_, chap. III, § 1.

Toute récompense autre que la satisfaction du devoir accompli entraîne
avec elle un avantage ou un profit; elle excitera donc chez l'enfant
des appétits malsains ou la gourmandise ou la vanité ou la cupidité
ou l'amour du plaisir. Donner à l'enfant des mets qu'il aime, des
gâteaux, des sucreries, des fruits comme récompense d'un travail bien
fait, d'une leçon bien sue, c'est le rendre gourmand; lui accorder un
bijou, une parure, un vêtement nouveau, c'est le rendre vain; lui
donner de l'argent est bien autrement grave; aussi nous sommes d'avis
qu'il n'en faut jamais donner aux enfants. Ils n'en connaissent pas la
valeur, ne l'ayant pas gagné; l'argent devient pour eux un complice
docile de leurs fantaisies: il leur permet de satisfaire des caprices,
de vaincre des résistances et les prépare ainsi à la vie facile; voilà
le danger. L'argent qui n'est pas sanctifié, en quelque sorte, par le
travail, est essentiellement corrupteur. «Mon fils, disait, avec une
singulière force d'expression, un homme du siècle dernier, l'argent,
ça pue.»

Restent les plaisirs en général, tels que la promenade, les
spectacles, les jeux, mais n'est-ce pas inspirer l'amour du plaisir
que d'accorder un plaisir comme récompense? Quoi qu'on fasse, la
récompense ne va pas sans un salaire; ainsi l'exige la bête qui habite
en chacun de nous et qui chez l'enfant est particulièrement exigeante.
Le seul parti à prendre c'est de réduire le salaire le plus possible,
et, d'autant plus, que l'enfant est plus âgé.

       *       *       *       *       *

N'exagérons pas, examinons les choses avec calme: les motifs qui
déterminent nos actions sont toujours complexes comme notre nature;
il n'en saurait être autrement; l'homme ne peut être moral d'une
manière absolue. Lorsque le sauveteur arrache une personne en danger
de se noyer, il éprouve certainement une joie très vive de sa bonne
action, mais à cette joie pour ainsi dire instinctive, se mêle bientôt
la pensée de la récompense qu'il pourra recevoir et le plaisir de
recueillir les applaudissements de la foule; le soldat marche au
combat par obéissance, par amour de la gloire, par amour de la patrie,
par désir de vaincre et avec l'espoir d'un grade ou de la croix. Tous
ces mobiles coexistent et agissent simultanément avec des intensités
différentes et variables; même la soeur de charité et le martyr ne
sont pas exempts, nous ne dirons pas de ces faiblesses, mais de ces
sentiments, de ces impulsions diverses de notre nature complexe, car
ils ont l'espoir de gagner le ciel, qui est une récompense d'une
valeur infinie.

Ainsi, toute bonne action n'est pas absolument bonne, il y a toujours
un motif intéressé auquel donne satisfaction la récompense concrète.

       *       *       *       *       *

Ces préliminaires établis, nous allons chercher les conditions
auxquelles doivent satisfaire les récompenses.[31]

  [31] Nous ne dirons pas quelles doivent être justes pas plus que
  nous ne l'avons dit à propos des châtiments, parce que cela va de
  soi.


1º _Elles doivent être rares._

Chacun sait que la facilité avec laquelle on obtient ce qu'on désire
en diminue le prix et détermine bientôt la satiété. Même lorsque les
choses n'ont pas de valeur intrinsèque, la difficulté de les obtenir
leur en donne une fictive, et si elles en ont une, elle se trouvera
rehaussée. Le désir s'accroît en même temps que les difficultés. Si
l'on se montre trop prodigue de récompenses, non seulement les enfants
y deviennent indifférents, mais ce qui est plus grave, ils prennent de
la suffisance et un sentiment de sécurité qui affaiblissent en eux
tout ressort et les rendent impertinents et paresseux.


2º.--_Les récompenses doivent être graduées._

L'éloge pur et simple, tout en conservant sa valeur relative, doit
être mesuré. Les nuances seront indiquées surtout par la force et la
précision des termes, depuis la plus faible marque d'approbation
jusqu'à la plus flatteuse. N'ajoutez pas de développement; ne dites
que ce qui est nécessaire pour justifier l'éloge. Rien de trop.

Si, par exception, l'éloge est rendu public, ce doit être parce qu'il
est de nature à produire une excitation salutaire sur l'ensemble des
écoliers plutôt que pour causer à celui qui l'aura mérité une
satisfaction plus vive.

«En louant les compositions de ses élèves le maître ne doit être ni
avare ni prodigue de compliments, de peur de leur inspirer ou le
dégoût du travail ou trop de sécurité[32]».

  [32] Quintilien, l. II, ch. II.

«Quoiqu'il soit fort bon d'augmenter l'ardeur que les enfants ont pour
l'étude par les justes louanges qu'on leur donne, il le faut
néanmoins faire sobrement, de peur de leur donner de la vanité et de
les remplir d'une secrète et dangereuse opinion de leur prétendue
suffisance[33].»

  [33] Coustel, _Éducation des enfants_, chap. IV.

L'amour-propre ou, si l'on veut, l'estime de soi-même est un mobile
excellent dont l'excès seul, c'est-à-dire la présomption ou l'orgueil
est à redouter. L'éloge public est par lui-même excessif; ceux qui
l'entendent en aggravent les effets en renchérissant sur l'éloge, en y
ajoutant leur propre approbation. Rien de plus fréquent que cette
complaisance inconsciente des hommes par laquelle ils conspirent à
élever davantage celui qui a déjà été élevé. Nous appuyons sur l'éloge
comme sur le blâme. En outre, l'éloge public excite l'envie, la
jalousie des émules ou des rivaux. «En tâchant de leur donner de
l'émulation, disent MM. de Port-Royal, il faut bien prendre garde de
ne pas faire naître de l'envie pour les bonnes qualités qu'ils
remarquent dans leurs compagnons, et qui leur manquent[34].»

  [34] Coustel, _Éducation des enfants_, chap. IV.

       *       *       *       *       *

Puisque nous parlons d'émulation, distinguons celle entre les
personnes de celle qui est relative aux choses. Dire à l'écolier, un
tel a mieux fait que vous, il aura tels avantages, voilà qui lui
inspirera de mauvais sentiments, et qui embarrassera son camarade plus
intelligent ou plus heureux. L'élève est-il paresseux? on ne
l'excitera pas au travail par ce moyen, et s'il pèche par le défaut
d'intelligence, ou par l'incapacité d'attention, on ne parviendra
ainsi qu'à lui inspirer le dégoût de l'étude, comme il arrive qu'on se
désintéresse d'un travail auquel on s'est appliqué et où l'on n'a pas
réussi malgré ses efforts. Il n'y a aucun inconvénient au contraire, à
dire à l'enfant: tu as mieux fait ton devoir, tu peux le mieux faire
encore. Ce mode d'émulation est même le seul qui puisse être employé
lorsque l'enfant est élevé dans la famille.

Malgré les inconvénients que présente l'éloge, c'est un levier trop
puissant pour renoncer à s'en servir. Nous ne tenons à rien tant qu'à
l'approbation de nos semblables; elle nous est tellement précieuse que
nous sommes sensibles même à celle des hommes que nous ne connaissons
pas ou, qui pis est, que nous n'estimons pas.


3º.--_Il faut être très réservé dans le nombre et très scrupuleux dans
le choix des avantages attachés aux récompenses._

Nous avons indiqué déjà les écueils qu'il faut craindre en accordant
des récompenses vénales. Il importe d'en user avec beaucoup de
discrétion, de faire en sorte que l'avantage soit plutôt une
conséquence naturelle qu'un appoint ou un salaire. L'effet nuisible en
sera atténué si l'on donne à l'enfant des objets plutôt utiles
qu'agréables, tels que des livres ou des vêtements, toutefois on
choisira des livres de lecture plutôt que d'étude, des vêtements plus
agréables que nécessaires et on aura soin d'éviter, dans ces divers
objets, la fausse élégance et le luxe de mauvais aloi; par là encore,
on contribuera a l'éducation des enfants, en développant le goût.

       *       *       *       *       *

Parmi les plaisirs, il y a un choix à faire: non seulement il faut
tenir compte de l'âge, du sexe, du goût, du degré de sensibilité de
l'enfant, mais d'une manière générale, il faut lui épargner tout
spectacle qui est de nature à causer des émotions trop fortes ou à
fausser son jugement. Les impressions reçues dans l'enfance, sont
toujours très vives, et si elles sont violentes, elles exercent sur
l'esprit une influence funeste qui persiste jusque dans l'âge mûr, et
peuvent occasionner des troubles sérieux. Ce que nous disons des
spectacles s'applique également aux livres; l'enfant s'attache
fortement au livre qu'il aime, il y revient sans éprouver de
lassitude ni d'ennui, il relit les passages qui lui ont plu, aussi
importe-t-il de mesurer l'émotion à son jeune et tendre coeur. Les
vibrations violentes brisent la corde sonore délicate.

       *       *       *       *       *

Les promenades sont d'excellentes récompenses; elles satisfont au
besoin d'exercice; elles peuvent être associées à des jeux. C'est un
plaisir simple, naturel, hygiénique qui ne laisse aucune amertume
après lui, qui apaise, qui calme les excitations maladives causées par
la vie sédentaire et le surmenage.

       *       *       *       *       *

Dans ces derniers temps, l'usage s'est répandu d'accorder en
récompense des livrets de caisse d'épargne, dans l'espoir de créer
des habitudes d'ordre et d'économie dans des familles peu aisées où
ces qualités sont plus particulièrement nécessaires et où elles font
généralement défaut. Le but est louable mais ne doit-on pas craindre
de paralyser ainsi les élans généreux de l'enfant et de l'accoutumer
prématurément à une économie qui peut dégénérer en avarice. L'esprit
d'économie ne se crée pas avec de l'argent donné et n'est pas une
qualité qui se développe dans l'enfance. Nous n'attachons de valeur à
l'argent que s'il représente un salaire, le prix d'un travail, s'il
nous a coûté quelque peine à acquérir; alors seulement nous ne le
gaspillons pas. On ne suscite pas plus dans l'esprit d'un enfant les
goûts ou les idées de l'âge mûr qu'on ne peut lui donner la taille
qu'il atteindra à cet âge, et il y a beaucoup à parier qu'on produira
chez lui des déviations morales comme on lui tord les jambes en
voulant le faire marcher trop tôt.

       *       *       *       *       *

Le _bon point_ est une des récompenses fort en usage dans nos
établissements scolaires. Il y en a de diverses sortes et de valeur
différentes qui composent un système analogue à celui de notre
monnaie. Récemment ils ont été illustrés et représentent soit des
personnages illustres, soit des animaux, des plantes ou des faits
historiques. D'un côté se trouve l'image, de l'autre une biographie ou
une explication. Cette innovation est bonne. Les dessins sont en
général convenablement exécutés et les notes suffisamment exactes; le
seul point défectueux est le défaut d'appropriation à l'âge et au
degré de culture de l'enfant; notes et dessins ne sont pas, en
général, assez simples.

       *       *       *       *       *

Nous n'avons pas de goût pour les _croix_ et en général pour les
distinctions honorifiques; ce mode de récompense ne convient pas à des
enfants; il n'est pas bon de leur faire singer les hommes, de les
familiariser avec ce que les hommes respectent, car on peut craindre
d'émousser ainsi le sentiment de l'honneur. Si ce sont des
récompenses, la durée en est trop longue et persiste après que la
cause de la récompense a cessé d'exister; si ce sont des insignes qui
donnent à l'enfant, parmi ses camarades, un rang mérité par le travail
ou la conduite, nous leur préférons ceux qui sont en usage dans
l'armée, les galons.

       *       *       *       *       *

Les bons points servent, dans certains cas, _d'exemptions_,
c'est-à-dire de moyen de s'exempter des punitions. Dans la balance de
la justice, la récompense et la punition sont choses de nature
différente et qui ne se peuvent faire équilibre. Ce qui ne s'ajoute
pas ne saurait non plus se retrancher. L'exemption a été conquise par
le travail tandis que la punition est la conséquence de la légèreté,
de la paresse, etc. Il n'y a pas là de parité et par conséquent
d'échange possible, sans blesser le sens moral. Toute punition doit
être subie. Il est permis de regretter qu'un bon élève ait eu un
moment de faiblesse, mais alors il eût mieux valu ne pas le punir.

       *       *       *       *       *

L'inscription au _tableau d'honneur_ est une forme de l'éloge public;
il en présente les inconvénients et nous semble devoir être écarté
comme moyen de récompenser. A plus forte raison devons-nous redouter
les _distributions solennelles de prix_. Le plus souvent on voit
l'intelligence, le travail facile récompensés au détriment des efforts
sérieux. Ajoutons que la présence des parents, leurs exigences
illégitimes ont complétement faussé le caractère de ces cérémonies; ce
ne sont plus des distributions de prix mais des distributions de
livres. La coutume a passé des établissements privés aux
établissements publics. Les parents se sentent, avec raison
d'ailleurs, solidaires de leurs enfants, ils sont fiers des succès que
ceux-ci remportent, ils s'en attribuent une part, et, par contre, ils
se sentent atteints par les insuccès et accusent volontiers les
maîtres de partialité. Dans les réprimandes qu'ils adressent à cette
occasion aux enfants, on sent la révolte de l'amour propre blessé,
plus encore que tout autre sentiment. Ils veulent le succès avant
tout, et l'enfant est blâmé pour n'avoir pas réussi, lors même que sa
conduite et son travail n'ont rien laissé à désirer. Les maîtres ont
la faiblesse de sacrifier à ces vues étroites: ils multiplient les
récompenses, et chaque élève, à fort peu près, emporte un témoignage
sinon de satisfaction du maître, au moins de contentement pour les
parents.

       *       *       *       *       *

Un établissement qui jouit d'une réputation méritée[35] a voulu réagir
contre cette détestable coutume. Nous avons dit plus haut qu'à
_l'École Turgot_ on a mis en pratique le mode des récompenses sans
avantages matériels et des punitions sans châtiments. Les unes et les
autres se bornent à des inscriptions sur le livret de l'écolier. Voilà
des améliorations notables, mais dont il ne faut pas pourtant exagérer
l'importance.

  [35] _L'école Alsacienne._

       *       *       *       *       *

Dans l'application, nous procéderons de la manière suivante:

Pour les simples encouragements, les notes habituelles suffisent:
_passable_, _assez bien_, _bien_, _très bien_, écrites ou énoncées.
L'accent y ajoutera beaucoup; un sourire approbateur suffira à
l'enfant doux et sensible.

Ces notes pourront être données à l'enfant seul ou en présence de
toute la classe.

Une action très méritoire sera portée à l'ordre du jour de l'école, et
l'éloge en sera fait publiquement devant le personnel scolaire tout
entier.

Une classe tout entière pourra être récompensée dans certains cas
exceptionnels.

Dans la famille, l'enfant pourra obtenir non à cause de son travail
mais pour la satisfaction qu'il aura donnée à ses parents, soit des
objets, soit une partie de plaisir.



APPENDICE



EXTRAIT DU RÈGLEMENT DES ÉCOLES PRIMAIRES DE LA SEINE


ARTICLE 18

Les punitions admises dans les écoles publiques sont:

1º Les mauvais points;

2º La réprimande;

3º La privation partielle de la récréation;

4º La retenue après la classe;

5º L'imposition d'un court devoir supplémentaire dans la famille;

6º L'exclusion d'un ou deux jours sous la seule responsabilité du
directeur de l'école. Avis en sera donné à la famille, à l'inspecteur
primaire et à la mairie.

Dans le cas d'inconduite notoire cette peine pourra être portée de
deux à huit jours avec l'assentiment de l'inspecteur primaire. Avis en
sera donné à la mairie et aux parents.

Cette punition pourra entraîner d'urgence pour l'élève le changement
d'école.

Une exclusion de plus longue durée ne pourra être prononcée que par
l'inspecteur d'Académie.

       *       *       *       *       *

Les récompenses sont de deux sortes:

1º Les récompenses permanentes qui sont mises pendant toute l'année à
la disposition de l'instituteur:

2º Les prix et livrets de la Caisse d'épargne, qui sont attribués à la
fin de l'année scolaire, en distribution solennelle.

Les récompenses permanentes appelées communément «récompenses
scolaires», consistent en bons points de diverses valeurs, images,
objets de papeterie, etc.

Ces images et objets divers sont distribués chaque mois aux élèves en
échange de bons points qu'ils ont obtenus.

Un règlement du 14 juin 1884 détermine les conditions dans lesquelles
s'opère cet échange.


Les prix donnés en distribution solennelle sont choisis de manière à
intéresser et amuser l'élève tout en concourant à son instruction et à
son éducation morale.

En moyenne, le nombre attribué à chaque école est calculé à raison de
un pour trois élèves; ces prix sont de valeurs différentes.



EXTRAIT DU PROJET DE RÈGLEMENT

Délibéré en Conseil supérieur

POUR LES LYCÉES ET COLLÈGES


Les élèves sont autorisés à causer entre eux pendant les repas, dans
les mouvements et pendant les exercices gymnastiques. Le bruit ne sera
pas toléré;

Les punitions auront toujours un caractère moral et réparateur. Le
piquet, les pensums, les privations de récréation, sauf l'exception
des retenues du jeudi et du dimanche prévues à l'article suivant, la
retenue de promenade sont formellement interdits. La mise à l'ordre du
jour, comme peine disciplinaire, est supprimée;

3º Les seules punitions autorisées sont les suivantes:

     _a._ La mauvaise note;

     _b._ La leçon à rapprendre en totalité ou en partie;

     _c._ Le devoir à refaire en totalité ou en partie;

     _d._ Le devoir extraordinaire;

     _e._ La retenue du jeudi et du dimanche;

     _f._ La privation de sortie;

     _g._ L'exclusion de la classe ou de l'étude;

     _h._ L'exclusion temporaire ou définitive de l'établissement.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les prix et accessits seront décernés d'après le total des notes
obtenues par tous les élèves dans les compositions, les compositions
finales ayant un coefficient double.

Selon le travail des élèves et la valeur des compositions, il pourra
n'être attribué aucun prix, ou, au contraire, en être attribué plus
de deux dans une faculté donnée.

Tous les élèves ayant bien travaillé et convenablement réussi pourront
être nommés à la distribution des prix, à condition d'avoir atteint
une moyenne déterminée.

Le nom de _prix d'excellence_ est réservé à des prix d'ensemble
décernés aux élèves qui, dans chaque classe et chaque division, auront
le mieux satisfait à tous leurs devoirs.

Le prix d'excellence sera décerné par un vote de l'ensemble des
maîtres de chaque classe et de chaque division. Il pourra y avoir un
prix distinct pour les externes.

Les notes obtenues dans les exercices physiques entrent en ligne de
compte pour le prix d'excellence.


Tours, imp. Deslis Frères, 6, rue Gambetta.





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