Home
  By Author [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Title [ A  B  C  D  E  F  G  H  I  J  K  L  M  N  O  P  Q  R  S  T  U  V  W  X  Y  Z |  Other Symbols ]
  By Language
all Classics books content using ISYS

Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ]

Look for this book on Amazon


We have new books nearly every day.
If you would like a news letter once a week or once a month
fill out this form and we will give you a summary of the books for that week or month by email.

Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
Author: Fénélon, Bertrand de Salignac de la Mothe
Language: French
As this book started as an ASCII text book there are no pictures available.


*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
et n'a pas été harmonisée.



    CORRESPONDANCE
    DIPLOMATIQUE

    DE

    BERTRAND DE SALIGNAC
    DE LA MOTHE FÉNÉLON,

    AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
    DU 1568 A 1575

    PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS

    Sur le manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

    TOME CINQUIÈME.
    ANNÉES 1572--1573.

    PARIS ET LONDRES.
    1840.



    DÉPÊCHES, RAPPORTS,

    INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

    DES AMBASSADEURS DE FRANCE

    EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE

    PENDANT LE XVIe SIÈCLE.



    RECUEIL

    DES

    DÉPÊCHES, RAPPORTS,

    INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

    Des Ambassadeurs de France

    _EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE_

    PENDANT LE XVIe SIÈCLE,


    Conservés aux Archives du Royaume,
    A la Bibliothèque du Roi,
    etc., etc.,



    ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS

    _Sous la Direction_

    DE M. CHARLES PURTON COOPER.

    [Illustration]


    PARIS ET LONDRES.

    1840.



LA MOTHE FÉNÉLON.



Imprimé par BÉTHUNE et PLON, à Paris.



    A

    S. E. MR GUIZOT

    AMBASSADEUR DE S. M. LE ROI DES FRANÇAIS
    PRÈS LA COUR DE LONDRES.


    CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ

    COMME TÉMOIGNAGE DE RESPECT

    PAR

    SON TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR

    CHARLES PURTON COOPER.



DÉPÊCHES

DE

LA MOTHE FÉNÉLON.



CCLIVe DÉPESCHE

--du IIIe jour de juing 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Négociation de Mr Du Croc en Écosse.--Demandes adressées
    secrètement par les partisans de Marie Stuart.--Propositions
    faites dans le parlement de mettre la reine d'Écosse à mort, de
    déclarer traître quiconque reconnaîtra son droit à la
    succession de la couronne d'Angleterre, et d'exiger l'exécution
    du duc de Norfolk.--Succès des Gueux dans les Pays-Bas; prise
    de Valenciennes par les révoltés.


    AU ROY.

Sire, je vous ay escript, du XXVIIIe du passé, tout ce que, sur le
partement du comte de Lincoln, j'ay peu aprandre des particullarités
de sa légation, dont ne vous en toucheray, icy, davantage; et sera la
présente pour accompaigner ung pacquet, que Mr Du Croc faict à Vostre
Majesté, des choses qui luy ont succédé à son arrivée en Escoce, et de
la bonne réception que ceulx des deux partys luy ont faicte, qui
monstrent que, nonobstant les extrêmes difficultés de ce commencement,
il y a aparance que la paix sera enfin embrassée des ungs et des
aultres; et je juge, par une lettre, que j'ay receue en chiffres de
ceulx de Lillebourg, que le dict Sr Du Croc s'est comporté si sagement
en ses premières propositions qu'on n'a descouvert plus avant de son
intention qu'aultant que de ses parolles générales l'on en a peu
comprendre, et que ceulx, à qui sa commission est plus favorable, ont
pour encores senty le moins de faveur. J'estime, Sire, que ce sera
chose fort à propos que certeine demande du capitaine Granges et du Sr
de Ledington, qui est portée par le dict chiffre, laquelle ilz
veulent, pour ung temps, estre cellée au dict Sr Du Croc, leur soit
accordée; car, par ce moyen, l'authorité de Vostre Majesté, demeurera
plus grande au dict pays, et vostre allience mieulx confirmée. En
confience de quoy je donray, par mes premières, grande espérance et
mesmes assurance, comme de moy mesmes, aus dicts de Granges et de
Ledington que Vostre Majesté les en gratiffiera; et n'aura, pour
cella, le maréchal Drury, quand bien il le sçaura, occasion de se
pleindre que Mr Du Croc ayt rien négocié par dellà contre ce qui a
esté promis, icy, à la Royne, sa Mestresse. Cependant je vous supplie
très humblement, Sire, me mander comme il vous plait qu'en vostre nom
je leur en escripve, car c'est ung des principaulx poinctz dont ceulx
de Lillebourg desirent estre promptement esclarcis: et l'aultre poinct
après, est en quelle sorte il vous plaira qu'ilz facent l'accord. Le
Sr de Vérac m'a mandé de le vouloir advertyr s'il s'en doibt
retourner, ou non, attandu que Vostre Majesté ne luy en a rien
escript. Sur quoy je luy conseilleray, par mes dictes premières, qu'il
attande le commandement de Vostre Majesté; et je croy qu'il sera fort
à propos qu'il ne bouge de là jusques à ce que la paciffication soit
conclue, ou bien que l'abstinence de guerre soit bien accordée. J'ay
envoyé au dict Sr Du Croc, avec vostre pacquet du Xe du passé, ung
extrêt des articles du traicté qui concernent le faict d'Escoce.
J'espère que bientost il vous mandera toutes aultres nouvelles de
dellà.

Ce a esté, Sire, par les soixante six depputez du parlement, qui se
tient maintenant icy, que les deux billetz, dont je vous ay cy devant
faict mencion, ont esté proposés contre la Royne d'Escoce: l'ung, de
la faire mourir; et l'aultre, de déclarer traître quiconques, à
jamais, métroit en compte, ou relèveroit, le tiltre qu'elle prétend à
la succession de ceste couronne; et y ont adjouxté ung troysiesme, de
la sentence de mort contre le duc, demandant qu'elle fût exécutée.
Lesquelz billetz, après que la Royne d'Angleterre a heu remercyé les
dicts depputés du soing qu'ilz avoient d'elle et de sa seureté, parce
qu'ilz fondoient là dessus l'occasion de leurs troys propositions,
elle les a priés de se déporter entièrement de la première; et ayant
encores considéré, de plus près, la segonde, elle ne l'a voulu
admettre, et m'ont ses conseillers mandé que je ne sois plus en peyne
de cella, car leur Mestresse estoit dellibérée de respecter tant
vostre amityé qu'elle ne laysseroit passer en cest endroict rien qui
pût offancer l'honneur et réputation de Vostre Majesté; en quoy
j'entendz, Sire, que la contradiction, que ceulx de la noblesse y ont
faicte, y a beaucoup valu; et a beaucoup servy de rabatre aussi la
proposition contre le dict duc, car ont remonstré qu'ilz avoient faict
leur debvoir de procéder par les loix à le condampner, mais qu'il
n'apartenoit aulx subjectz de recalculer rien maintenant sur la
clémence de la Royne, leur Mestresse. Or, demeure la détermination des
dicts trois poinctz encores en quelque suspens par l'opiniastreté de
ceulx de la segonde chambre, dont le duc court grand péril ceste
sepmayne. Et semble qu'il sera depputé troys évesques, troys comtes,
troys barons et troys chevalliers, pour aller ouyr et examiner sur
quelques poinctz la dicte Royne d'Escoce.

Le bruict de la prinse de Valenciennes[1], par les Gueux, et ce, qu'on
présume que les Huguenotz veulent ayder de tout leur pouvoir et moyen
leur entreprinse, et qu'on dict que le prince d'Orenge marche avec
trente enseignes d'allemans et six mille chevaulx, et le jeune comte
d'Ayguemont avec aultres deux mille chevaulx, pour les venir secourir,
eschauffe ung peu ceulx cy de s'en vouloir mesler. Vray est que
Anthonio de Guaras, lequel a receu pouvoir expécial, par lettres du
duc d'Alve, d'assister, icy, ez choses qu'il verra appartenir au
service du Roy d'Espagne, a faict mettre en prison deux capitaines qui
levoient des gens de guerre pour aller à Fleximgues. Je croy bien
qu'ilz ont esté depuis relaschés, et qu'ilz sont desjà embarqués pour
suyvre leur voyage avecques leurs gens; tant y a que le dict de Guaras
a grand accès en ceste court, et est favorablement ouy; et j'entendz
qu'il faict de fort grandes offres, de la part du dict duc d'Alve;
lesquelles ceulx cy trouvent recepvables et ne les rejettent
nullement. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1572.

  [1] Valenciennes fut pris, le 24 mai 1572, par La Noue et le Sr
  de Famars; mais ils ne purent se rendre maîtres du château, dans
  lequel don Juan de Mendosa s'était jeté. Peu de jours après, les
  protestans durent abandonner la ville.



CCLVe DÉPESCHE

--du Ve jour de juing 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Mr de L'Espinasse._)

  Résolution prise par Élisabeth de rejeter les propositions faites
  dans le parlement contre Marie Stuart.--Exécution du duc de
  Norfolk.--Arrivée du comte de Lincoln en France.--Nouvelles
  d'Écosse; nécessité d'envoyer des secours à Lislebourg.--Craintes
  que les succès des Gueux dans les Pays-Bas donnent aux
  Anglais.--Détails sur l'exécution du duc de Norfolk.


    AU ROY.

Sire, de la communicquation que j'ay faicte de voz deux dernières
lettres, du IIe et Xe passé, à la Royne d'Angleterre, elle a comprins
qu'il y avoit desjà ung très bon acheminement, de vostre costé, à tous
les debvoirs de la bonne amytié qu'avez nouvellement conclue avec
elle; de quoy est advenu qu'elle a faict à ses plus expéciaulx
conseillers, ainsy qu'on me l'a fort assuré, une remonstrance comme
s'ensuit:

«Que, puysqu'entre les grandz dangers qui s'estoient, depuis quelque
temps, manifestés au monde contre elle, Dieu avoit voulu, du milieu de
ceulx, que les feus Roys d'Angleterre, ses prédécesseurs, avoient
tousjours réputés leurs plus grandz ennemys, luy succiter à elle ung
très grand et parfaict amy, qui ambrassoit sa protection et sa
deffence, sellon le traicté de ligue qu'elle avoit faicte avec Vostre
Majesté, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, qu'on proposât rien en
son parlement qui vous peût offancer; et, qu'ayant considéré les deux
billetz, qui avoient esté mis en avant contre la Royne d'Escoce,
desquelz elle avoit desjà cassé celluy qui touchoit à sa vie, elle
vouloit qu'on se désistât encores de celluy qui concernoit la
succession qu'elle prétandoit en ce royaulme; car elle voyoit bien ne
se pouvoir faire que Vostre Majesté, pour le debvoir de parantage, et
pour les aultres obligations que vous avez avec ceste princesse, n'en
fussiez offancé, sellon qu'elle le comprenoit bien par les lettres que
je luy en avois communicquées; (car, à la vérité, Sire, je les luy ay
assés faictes sonner en ce sens). Et a adjouxté qu'on trouveroit aussy
bien estrange, par toute la Chrestienté, qu'on la condampnât sans
l'ouyr; mais que, pour satisfaire à ses Estatz, elle vouloit bien que,
dorsenavant, l'on soubsmît la dicte Royne d'Escoce à l'obligation des
plus rigoureuses loix qu'on pourroit faire contre elle, si elle
atamptoit jamais rien plus au préjudice de ce royaulme.»

De quoy, monstrantz les dicts Estatz n'estre assez contantz, ont
incisté qu'aulmoins l'on ne leur refuzât l'exécution du duc de
Norfolc, qui estoit desjà condampné; ce qui a esté si chauldement
mené, par ceulx qui avoient la matière à cueur, que la Royne
d'Angleterre n'y a peu résister. Dont estant ce pouvre seigneur mené
sur l'eschafault, à heure non accoustumée, de fort grand matin, a
confessé, en présence de ceulx qui s'y sont trouvez, qu'il avoit fort
offancé Dieu comme pécheur, et avoit offancé la Royne, sa Mestresse,
en ce que, contre sa promesse qu'il luy avoit faicte de ne traicter
avec la Royne d'Escoce, (ce que toutesfoys il ne luy avoit confirmé
par sèrement), il avoit escript des lettres et en avoit receu de la
dicte Dame, et avoit pareillement receu une lettre du Pape, non qu'il
l'eût pourchassée, mais Ridolfy la luy avoit adressée; et qu'au reste
il assuroit, avec toute vérité, de n'avoir jamais rien atempté de
faict, de parolle, ny encores de pensée, contre la Royne, sa
Mestresse, ny contre ce royaulme; et de cella il en bailloit sa mort à
tesmoing, devant Dieu et devant les hommes. Et ainsy, d'un visage
constant et magnanime, s'est exhibé luy mesmes au supplice, au grand
regret des gens de bien. Et son corps a esté raporté dans la Tour en
ung cercueil couvert de velours noir; et luy a esté faict quelque
forme d'exèques.

Hier vint nouvelles comme monsieur l'admiral d'Angleterre estoit
descendu à Boulogne, le pénultiesme jour du passé, premier que Mr de
Piennes ny le Sr de Mauvissière y arrivassent, et que la présence de
Mr de Foix, avec la diligence de Mr de Cailliac, avoient grandement
suply à sa réception; en laquelle, s'il y a heu quelque manquement, il
a esté bien honnorablement excusé par une honneste lettre, que Mr de
Foix m'a escripte là dessus, laquelle a esté bien fort agréable en
ceste court.

Le Sr de L'Espinasse vous comptera, Sire, les difficultés ès quelles
Mr Du Croc, son beau père, se retrouve en Escoce; où semble qu'il
importe grandement, pour vostre réputation, qu'il soit pourveu
promptement à ceulx de Lillebourg qu'ilz ne soient ruynés, et que le
chasteau ne viègne ez meins de ceulx qui sont à la dévotion de la
Royne d'Angleterre; car de ces deux poinctz dépend non seulement la
conservation de vostre ancienne allience, mais que l'estat, qui
souloit estre françoys, ne deviègne du tout angloys. Dont vous plerra,
Sire, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix seront icy, nous
ordonner de prendre quelque résolution là dessus avec ceste princesse
et avec ceulx de son conseil, pour réduyre ce pays à une bonne
paciffication; et cependant mander quelque honnorable promesse à
ceulx de Lillebourg, accompagnée d'aulcun présent effect pour les
consoler; dont seroit bien à propos, Sire, que Mr de Flemy les allât
trouver avec ce qu'il leur pourroit apporter de refraichissement.

Le progrès des entreprinses, qui s'entend des Pays Bas, commence de
mettre ceulx cy en quelque souspeçon qu'elles tendent d'impatroniser
Vostre Majesté de cest estat, ce qui leur seroit formidable; et ne
vouldroient qu'en façon du monde cella succédât, s'ilz n'y
participoient. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juing 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, j'ay esté en une merveilleuse peyne pour la partinacité de
laquelle ceulx de ce parlement ont incisté que la Royne d'Escoce fût
punie de mort, et que le tiltre, qu'elle prétend à la succession de
cette couronne, fût aboly pour elle et pour les siens à jamais, car
cella tournoit merveilleusement à l'indignité du Roy; et non seulement
faisoit mal sonner le traicté de la ligue, qu'il a faicte avec ceste
princesse, mais diffamoit beaucoup tous les aultres honnestes pourchas
d'allience, que Voz Majestez Très Chrestiennes ont mené, et continuent
de mener encores avec elle. Je rends grâces à Dieu que ce danger est,
pour ceste fois, évité; de quoy la dicte Royne d'Escoce en doibt
recognoistre l'obligation, après Dieu, au seul respect que la Royne
d'Angleterre a heu de ne vouloir ou de n'ozer, en ce temps, offancer
le Roy. Il est vray que le pouvre duc de Norfolc a passé; lequel, par
l'acte dernier de sa vye, a confirmé davantage au monde une très
grande justiffication de luy, et a layssé ung grand regret et une
grande compunction du cueur à ung chacun. Il a parlé fort clèrement
de tout son faict; dont la Royne d'Angleterre peut, à ceste heure,
demeurer esclarcye si je y ay esté jamais en rien meslé, ainsy que ses
ambassadeurs vous en avoient quelquefoys touché quelque mot. J'ay
requis que le collier de l'ordre du Roy, qu'il avoit, fût remis entre
mes mains, ce qui ne m'a esté encores accordé; tant y a que je supplye
très humblement Voz Majestez trouver bon que je m'en charge, sellon
qu'il me faict aussy grand besoing d'en avoir ung pour la dignité de
ceste charge, aux jours de solennité.

L'apareil de la réception de messieurs voz depputés est si honnorable
par deçà, et la provision si grande pour les bien traicter, avec toute
leur compagnie, dez qu'ilz descendront à Douvres, que je ne veulx
fallir de le recorder à Voz Majestez affin de faire uzer de quelque
correspondance vers monsieur l'admiral d'Angleterre; car c'est chose
qu'on regarde bien fort en ceste court: et desjà s'est dict quelque
mot qu'il n'avoit esté assez favorablement receu à Bouloigne, mays une
lettre de Mr de Foix, qui m'est arrivée fort à propos, en a aporté la
satisfaction. Et se dict, Madame, que le présent de Mr de Montmorency
sera d'envyron vingt mille escus; tant y a que je mettray peyne de le
sçavoir plus au vray. Sur ce, etc.

    Ce Ve jour de juing 1572.



CCLVIe DÉPESCHE

--du IXe jour de juing 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Chamberland._)

  Préparatifs faits à Londres pour recevoir. MMrs de Montmorenci et
    de Foix.--Résolution secrète arrêtée dans le parlement de
    soumettre la reine d'Écosse aux lois d'Angleterre.--Nécessité
    de s'opposer à cette résolution.--Défense faite en France de
    porter secours aux révoltés des Pays Bas.


    AU ROY.

Sire, à ce matin, bon matin, j'ay receu des lettres de Mr de
Montmorency et de Mr de Foix, de devant hier, VIIe de ce moys, à
Boulogne, qui me mandent que ce sera à la première marée de ce
jourdhuy, IXe, qu'avec l'ayde de Dieu, ilz passeront la mer; de quoy
toute ceste court est grandement ayse, laquelle adjouxte toutjour
quelque chose de plus à l'ordre de leur réception, affin de la faire
plus honnorable. Eulx deux, par la fréquence des lettres qu'ilz m'ont
souvant escriptes sur la légitime excuse de leur retardement, m'ont
beaucoup aydé de pouvoir solager ceulx cy en leur atante; lesquelz ont
desjà tant faict qu'ilz ont prolongé le parlement jusques après la St
Jehan, affin d'avoyr plus grande compagnie de noblesse en ceste ville
quand ilz arriveront; et le comte de Pembroth, milord de Vuindesor et
milord Bocaust, avec bon nombre de noblesse, n'ont jamais bougé de
Douvres, depuis le dernier de l'aultre moys.

Ceulx du dict parlement, quand ilz ont veu qu'ilz avoient gaigné le
poinct de l'exécution du duc de Norfolc, ont remis sus, plus
instamment que jamais, la poursuyte contre la Royne d'Escoce, avec
tant de partinacité, instigués par les ennemys de la pouvre
princesse, que je viens d'estre adverty que le décret, de privation du
tiltré de ceste succession, s'en ensuyvra contre elle; et qu'ilz la
soubsmettront à la rigueur des lois du Royaulme pour tout ce que, dez
ceste heure en là, elle pourra atempter contre la Royne d'Angleterre
ou contre le repos de son estat. Qui sont actes peu correspondans à la
considération d'entre Voz Majestez, et sur lesquelz, encor qu'on se
puisse assez esbahyr comme j'en auray esté adverty, car le tiennent
fort secret, je ne larray pourtant de m'y oposer en vostre nom, si
Vostre Majesté me le commande, et en façon néantmoins si gracieuse et
modeste que la Royne d'Angleterre n'aura occasion quelconque, aulmoins
qui soit juste, de le trouver maulvais; dont suplie très humblement
Vostre Majesté m'en faire une prompte responce affin que, tout à
temps, j'en puisse faire la remonstrance.

Ceulx cy ont entendu la deffence, que Vostre Majesté a faicte publier
en la frontière, que nulz gens de guerre françoys aillent en Flandres,
de quoy ilz se sont assez esbahys, et n'empeschent pourtant, de leur
part, qu'il ne coule tousjours des soldatz d'icy à Fleximgues; mesmes
beaucoup d'Anglois commencent d'y passer, et forniront les dicts de
Fleximgues de grand nombre de vivres et de monitions de ce royaulme.

J'estime que messieurs voz depputés pourront arriver en ceste ville
vendredy prochein, et que la ratiffication du traicté se fera le
quinziesme de ce moys; et sur ce, etc.

    Ce IXe jour de juing 1572.



CCLVIIe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de juing 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par ung courier de Mr de
Montmorency._)

  Arrivée de MMrs de Montmorenci et de Foix.--Serment solennel
    prêté par la reine pour la confirmation du traité.--Demande
    officielle de la main d'Élisabeth pour le duc
    d'Alençon.--Détails circonstanciés de la réception faite à MMrs
    de Montmorenci et de Foix, de l'audience qui a suivi, et des
    fêtes qui leur ont été données.


    AU ROY.

Sire, nous, de Montmorency et de Foix, sommes arrivés icy vendredy,
XIIIe de ce moys, ayant en chemin receu toutes les caresses et
honneurs possibles. Le lendemein, après disner, sommes toutz troys
allés trouver la Royne d'Angleterre, à laquelle nous avons présenté
les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, concernant
la confirmation et ratiffication du traicté, lesquelles elle a reçues
avec déclaration de l'opinion de voz vertus, et grand estime qu'elle
fait de vostre amytié; de sorte que tout ce premier jour s'est passé
en propos courtois et gracieux. Le lendemein matin, nous sommes allés
recepvoir d'elle le sèrement accoustumé, avant lequel presté, elle
nous a aussy déclaré n'avoir restitué le chasteau de Humes, scitué en
Escoce, comme elle est obligée par le traicté de confédération,
d'aultant qu'elle s'est trouvée en peyne auquel des deux partis elle
le debvoit rendre, ou au Sr de Humes, ou au régent, mais qu'elle
protestoit que son intention estoit de le randre aux Escouçoys, et
satisfaire en toutes choses au dict traicté; dont nous l'avons priée
de faire la dicte restitution au plus tost, et avec le consantement et
volonté de Vostre Majesté, ce qu'elle a promis de faire. Et, après le
dict sèrement faict, elle nous a menés en sa chambre, où nous luy
avons présenté les lettres escriptes de la mein de Vostre Majesté, de
la Royne, et de Noz Seigneurs voz frères, desquelles elle a leu à
l'instant la vostre, remettant alors les aultres jusques après dîner;
à l'yssue duquel elle nous a ramenés en la mesmes chambre, et dict à
moy, de Montmorency, que je luy exposasse la créance. Sur quoy nous
l'avons priée de lire premièrement la lettre de la Royne, vostre mère,
ce qu'elle a faict tout hault; et après, dict qu'elle se santoit très
obligée en son endroict, d'aultant qu'elle luy avoit présenté toutz
ses enfans, réitérant à moy, de Montmorency, que je luy exposasse donc
nostre dicte créance. Ce que j'ay faict, sans rien obmettre de ce qui
estoit contenu en noz instructions, et conforme à vostre intention.

La dicte Royne, pour responce, est entrée en quelques discours des
choses passez, que nous remétrons de vous dire à quand nous serons
auprès de Vostre Majesté, dont la fin a esté qu'estant l'affaire de
grande importance, qu'elle en vouloit dellibérer, tellement que, ce
jourdhuy, elle a envoyé milord de Burgley devers nous pour entendre
sur ce faict plus amplement vostre dicte intention, nous proposant
plusieurs difficultés, auxquelles nous avons mis peyne de satisfaire
le mieulx qu'il nous a esté possible; de sorte qu'il s'en est
retourné, nous promettant de faire, de sa part, tous bons offices:
comme aussy nous a assuré le comte de Lestre, de son costé, auquel
nous avons déclaré le bien qu'il doibt espérer de Vostre Majesté, si
cest affaire peut bien réuscyr; de façon que nous n'avons rien oublié,
à l'endroict de luy, ny de toutz les aultres, que nous avons cuydé
pouvoir servir pour conduire cest affaire à bonne fin; duquel nous ne
voyons pas encores aulcune assurance, aussy n'avons nous occasion d'en
mal espérer; et, de ce que nous verrons de lumière, de jour à aultre,
nous ne faudrons de vous en advertir, et suyvant voz commandementz, de
vous en aporter une dernière résolution. Sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour de juing 1572.


    AU ROY.

Sire, aussytost que Mr de Montmorency, estant arrivé à Bouloigne, a
veu que le vent luy pouvoit servir, il a passé la mer, ensemble Mr de
Foix et tous les seigneurs et gentilshommes qui sont en leur
compagnie, le VIIIe de ce moys; et, le mesme jour, ilz ont esté, du
comte de Pembroc et des milords de Vuindesor et de Boucaust, et aultre
bon nombre de noblesse de ce royaulme, fort bien et fort
honnorablement recueillis à Douvre, ainsy que Mr de Foix m'a assuré
qu'il le vous avoit amplement escript du dict lieu, et ont séjourné là
ung jour entier pour se refère du travail de la mer. Et, le lendemain,
se sont acheminés à Conturbery, à Setemborne et à Rochester, où ilz
ont de mesmes esté partout fort bien reçus, et sont arrivez le
vendredy, XIIIe du moys, à Gravesines; auquel lieu je les suys allé
trouver. Et, peu après, le comte d'Ochestre, accompagné de milord
Grey, de milord Staffort, de milord Comthom, de milord Cheyne, et
aultre bon nombre de gentilshommes, leur y est venu au devant, avec
les barges de la Royne; sur lesquelles il nous a tous reconduictz,
l'après dînée, en ceste ville de Londres, à laquelle ainsy que sommes
arrivés, la Tour a faict son debvoir de tirer force coups de canon;
et, quand avons esté descendus à Sommerset Place, le dict comte
d'Ochestre a présenté à Mr de Montmorency, de la part de la Royne, sa
Mestresse, ung petit St George à mettre au coul, et luy a baillé les
estatutz de l'ordre d'Angleterre; et puis le hérault d'armes luy a
ataché la jarretière, ce que mon dict sieur de Montmorency a receu,
avec plusieurs bien dignes et honnorables parolles de mercyement à la
dicte Dame, avec mencion expresse du congé qu'il avoit de Vostre
Majesté de le pouvoir accepter, accollant le dict sieur comte qui le
luy présentoit, et le baysant fort cordialement à la joue, comme l'ung
des confrères. Et, peu d'heures après, le comte d'Exex, accompagné
d'aultre troupe de noblesse, l'est venu visiter pour luy dire, et à Mr
de Foix, la bien venue de la part d'elle. Et, le matin ensuyvant, le
comte de Sussex, encores plus accompaigné que nul des précédans, luy
est venu faire plusieurs honnestes complimens qu'il luy a mandés, et a
dîné en la compagnie; puis, sur les quatre heures du soyr, nous a
conduictz, avec les mesmes barges du jour précédent, à Ouestmenster.
Et là, avec ung concours fort grand des seigneurs et dames de ceste
court, et de ceulx qui se sont trouvés en ceste ville, elle a fort
favorablement receu, premièrement, mon dict sieur de Montmorency avec
une très grande démonstration d'ung vray et inthime contantement, et
après, Mr de Foix avec plusieurs gracieuses parolles de grande
privauté et confience, et puis tous les gentilshommes françoys, ung à
ung, avec tant d'honneste faveur que je ne puis dire, Sire, sinon que
ceste princesse a monstré combien elle vous veult honnorer, et combien
par effect elle veult satisfaire au debvoir de l'amityé qu'elle vous
promet de parolle.

Le jour ensuyvant, qui a esté dimanche, quinziesme de ce moys, après
que le pouvoir et la forme du sèrement ont esté monstrés à milord de
Burgley, et après que Mr de Montmorency, accompagné de Mr de Foix et
de moy, a heu présanté à la dicte Dame, à l'issue de ses prières, le
dict pouvoir, et luy a heu, en très honnorable façon et avec parolles
à ce convenables, faict la réquisition en tel cas requise. Elle, uzant
d'une expression grande à monstrer combien volontiers et plus
cordiallement, que de nul aultre acte qu'elle heût faict de son règne,
elle alloit accomplir cestuy cy, et combien elle réputoit heureux ce
jour, auquel elle s'alloit conjoindre d'une perpétuelle confédération
avec Vostre Majesté; appellant Dieu à tesmoing pour la punir, si, dans
son cueur, il ne voyoit une vraye intention d'en produire les effectz
comme estantz les vrays fruictz trop meilleurs et plus grandz que par
ses parolles, qui n'en estoient que les feuilles, elle ne le nous
pouvoit exprimer; elle a dict, tout hault, que, premier que jurer,
elle vous vouloit bien déclarer qu'elle n'avoit, pour encores, randu
en Escoce le chasteau de Humes, n'estant bien résolue auquel des deux
partis ce seroit, de peur d'y augmanter le trouble, néantmoins que sa
résolucion estoit de le remettre ez mains des Escouçoys. Sur quoy nous
luy avons requis que la dicte rédiction se fît avec le sceu de Vostre
Majesté, ce qu'elle nous a accordé. Et, après, s'estant aprochée de
l'autel et estandu la mein sur les évangiles de Dieu, le livre touché
entre les mains d'ung de ses évesques, a fort sollennellement juré
l'entretènement de tout le contenu au traicté de confédération, jouxte
la forme qui en avoit esté auparavant dressée par Mr de Foix, laquelle
estant rédigée par un escript en parchemin, elle l'a signée de sa
mein sur ung poulpitre d'or soubstenu par quatre comtes, à ce
assistans grand nombre de seigneurs françoys et toutz les principaulx
seigneurs et dames de sa court. De quoy mon dict sieur de Montmorency,
pour tous troys, en a requis l'acte, qui nous a esté concédé avec ung
infiny contentement de la dicte Dame et de toutz ceulx qui, des deux
partis, y ont assisté.

Elle nous a, au partir de sa chapelle, mené toutz troys en sa privée
chambre, et, peu après, à la sale de présence, où elle a voulu
qu'ayons dîné en sa table, et toutz les aultres françoys en une aultre
grande sale auprès, avec les seigneurs de sa court; et, l'après dînée,
ayant entretenu quelque temps à part mon dict sieur de Montmorency,
elle nous a ramené toutz troys seuls en sa mesmes chambre privée, pour
entendre le reste de leur charge; laquelle mon dict sieur de
Montmorency, après qu'elle a heu lues les petites lettres, la luy a
fort dignement proposée, et Mr de Foix y a adjouxté la confirmation,
là où il en a esté besoing. A quoy elle, après les mercyements bien
honnorables, dont elle a sceu, sellon sa coustume, fort à propos et
fort expressément, uzer vers Voz Majestez Très Chrestiennes, est
entrée en ung petit discours des choses du passé et des difficultés
présentes; et, sans rien rejecter de ce qui luy estoit maintenant mis
en termes, ny monstrer aussy d'en rien accepter, a remis la responce à
une aultre foys, après qu'elle y auroit ung peu pensé. Puiz, ayant
faict la faveur à mon dict sieur de Montmorency de le mener en la
propre chambre où elle couche, elle l'a licencié pour quelques heures,
affin qu'il s'allât retirer en la sienne, qui luy estoit préparée là
auprès; en laquelle il n'a guyères séjourné que les comtes de Lestre
et de Sussex le sont venus prendre pour le mener voyr le combat des
ours, des taureaux et du cheval, du cinge, et puys à l'esbat dans les
jardins jusques à ce que la dicte Dame y est sortie, attandant l'heure
du festin; qui a esté dressé fort grand et magnifique sur une terrasse
du chasteau, dans une feuillée fort belle et ample, bien ornée de
beaucoup de compartimens et de deux des plus beaux et riches buffetz
de l'Europe. Et, de rechef, elle a faict manger Mr de Montmorency, Mr
de Foix et moy, à sa table, et tout le reste des seigneurs françoys et
angloys, meslés avec les dames de la court, en une aultre fort longue
table près de la sienne, fort opulentment traictés, prolongeant les
services jusques environ minuict, qu'elle nous a menés sur une aultre
terrasse qui regarde dans une grande court du dict chasteau; où nous
n'avons guyères tardé qu'ung viellard avec deux jeunes pucelles est
entré, qui a requis secours pour elles en ceste court: et soubdein se
sont présentés vingt chevalliers sur les rancz, dix blanz menés par le
comte d'Essex, et dix bleus menés par le comte de Rotheland, qui ont,
pour l'occasion des dictes pucelles, attaqué ung brave combat à
l'espée, à cheval; lequel a duré jusque sur l'aube du jour que la
Royne, par l'adviz des juges du camp, a déclaré les dictes pucelles
libres, et s'est retirée pour s'aller dormir, et a licencié mon dict
sieur de Montmorency et toute sa troupe pour s'aller reposer.

Aujourdhuy il va à Windesor pour y recepvoir l'ordre à la cérémonie
accoustumée, accompagné de toute ceste court, et au retour, il passera
à Hamptoncourt, remettant, Sire, toutes aultres choses à ce que, en la
lettre générale de nous troys, et en les leurs aultres particullières,
ils vous escripvent plus amplement, pour adjouxter seulement icy que
je suis infinyement bien ayse que, par les lettres de Voz Majestez,
du VIIe de ce moys, je voy qu'il est à tout cecy très bien correspondu
de dellà à honnorer et bien traicter le comte de Lincoln et ceux qui
sont avecques luy. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de juing 1572.



CCLVIIIe DÉPESCHE

--du XXIIe jour de juing 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le courrier Barroys._)

  Négociation de MMrs de Montmorenci et de
    Foix.--Audience.--Proposition du mariage.--Réunion du conseil
    pour délibérer sur la demande.--Affaires d'Écosse.--Détails sur
    la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, nous avons, le dix huictiesme de ce moys, receu la lettre qu'il
a pleu à Vostre Majesté nous escripre, du XIIIe, avec le postcript du
XIIIIe, et avons trouvé par icelle que nous, de Montmorency et de
Foix, estions arrivés en ceste ville de Londres le mesme jour que vous
aviez donné la première audience à monsieur l'admiral d'Angleterre; et
avions aussy toutz trois receu le sèrement de ceste Royne, le mesme
jour, que luy l'avoit receu de Vostre Majesté; et vous envoyons la
coppie de la forme du dict sèrement et acte d'icelluy, que Vostre
Majesté trouvera conformes à celluy de la forme et acte du vostre,
qu'il vous a pleu nous envoyer.

Quand au mariage, nous avons escript à Vostre Majesté, par lettres du
XVIIe, envoyez par courrier exprès, ce que nous y avons faict jusques
alors; et, le mesme jour, du XVIIe, moy, de Montmorency, suys allé,
accompagné de plusieurs seigneurs et gentilshommes de ce pays, à
Windesore distant d'icy de vingt milles, où est la chapelle de
l'ordre de la Jarretière pour y estre instalé et prendre la possession
accoustumée. Par tout le chemin, j'ay tousjours esté, moy et ma suyte,
comme auparavant, et suis encores, deffrayé et servy aulx despens et
par les officiers de ceste Royne, avec grande abondance; et ay veu ez
maysons du dict Windesor et Hamptoncourt, et principallement à
Hamptoncourt, la plus grande quantité de riches et précieulx meubles
que je vys jamais, et que l'on se sauroit imaginer. Je n'ay esté de
retour que jusques au XIXe au soir, et, pendant ce voyage, j'ay parlé
plusieurs foix du dict mariage au comte de Lestre, et à milord de
Burgley, qui ont monstré le desirer, et promis de s'y emploier de leur
pouvoir. Je leur ay aussy faict entendre que nous en voulions avoir
responce au plus tost, et, pour ce faire, desirions parler à la Royne
d'Angleterre; ce que fut cause qu'elle nous manda toutz troys le
lendemein, vingtiesme, pour aller parler à elle après disner, sans
cérémonies et en privé; et fusmes conduictz par eau en son jardrin, et
l'allasmes trouver en une gallerie, où elle nous accueillit fort
gracieusement. Et, après quelques devis du susdict voyage, nous
luy dismes que nous avions receu lettres de Vostre Majesté, par
lesquelles il vous plaisoit nous faire entendre combien vous avoit
esté agréable de voyr le dict sieur amiral et le bon nombre de
noblesse qui l'accompaignoient, nous commandant de la remercyer très
affectueusement des très bons et honnestes propos qu'il vous avoit
tenus de sa part.

Et, peu après, rentrant sur le faict du dict mariage, elle continuoit
tousjours de mettre en avant le jeune aage de Monseigneur le Duc,
monstrant prendre plésir de continuer ce propos, et principallement
d'entendre ce que nous luy disions de sa doulceur, bonté et louables
meurs, et aultres qualités; et enfin elle demanda comment est ce qu'on
feroit de la religion, sur quoy nous luy respondismes que nous estions
assurés que l'on n'en seroit en aulcun différend, parce que, si
d'ailleurs elle trouvoit bon le dict mariage, elle auroit soing de la
conscience, honneur et réputation de Mon dict Seigneur le Duc, comme
de la sienne propre, comme aussy luy auroit tout esgard à son
contantement d'elle et de ses subjectz, et à l'union et repos de son
royaulme.

Sur quoy elle réplicqua que c'estoient parolles générales, et qu'elle
desiroit entendre le particullier. Nous respondismes que, pour le
grand desir que Voz Majestez et Mon dict Seigneur avoient à ce
mariage, nous espérions que vous vous contanteriés de ce qu'elle avoit
voulu accorder à Monsieur. Et, sur ce qu'elle disoit qu'elle ne luy
avoit rien accordé, nous luy respondismes qu'il étoit vray, mais que
nous entendions ce qu'elle avoit donné charge à Me Smith de luy
accorder. Et, disant la dicte Dame que nous n'en pouvions rien
sçavoir, nous luy dismes que nous en appellions à tesmoing sa propre
conscience, et que nous sçavions qu'elle estoit si vertueuse qu'elle
ne vouldroit rien taire de la vérité. Elle assura que non, et que jà,
à Dieu ne pleust que en chose de telle importance, elle voulût tant
offancer sa conscience que d'y apporter rien de faulx. Sur ce, ne
réplicquant la dicte Dame autre chose, nous prinsmes congé d'elle.

Ce jourdhuy nous avons entendu, et de lieu seur, que la dicte Royne
déduysoit, sur le soir, bien au long au comte de Lecestre et à milord
de Burgley tout ce que nous luy avions dict; et enfin requit le dict
de Burgley de luy en dire son advis. Qui luy dict qu'il luy sembloit
qu'elle debvoit aujourdhuy assembler son conseil pour en dellibérer,
estant l'affaire de si grand poidz et importance qu'il méritoit
l'assemblée et conférence de toutz ceulx qu'elle avoit honnorés de ce
lieu, et estimoit luy estre fidelles. Ce qu'elle estima bon, et, à ces
fins, toutz les seigneurs de ce conseil ont esté mandés pour ceste
après dînée, où l'affaire doibt estre proposé par icelluy de Burgley;
et de ce que nous entendrons en avoir esté résolu nous en advertirons
incontinent Vostre Majesté.

Quant au commerce, et affères d'Escoce, il ne nous a pas semblé à
propos d'en parler devant qu'avoir résolution du principal, lequel,
venant à réuscyr sellon vostre intention, emporte avec soy tout le
reste. Cependant nous avons escript à Mr Du Croc que nous ne faudrons,
pour les affères d'Escoce, de nous emploier de nostre pouvoir, et
comme nous en avons charge et commandement de Vostre Majesté, le
priant d'assurer ceulx de Lillebourg que l'intention vostre est de
pourvoir à leur seureté, et ne les laisser oprimer par leurs
adversaires. Et sur ce, etc.

    Ce XXIIe jour de juing 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, ce seroit chose trop longue de vous racompter en combien
d'honnestes façons la Royne d'Angleterre s'est efforcée de caresser et
honnorer messieurs voz depputés, et leur faire, et à toute leur
compaignie, depuis qu'ilz sont en ce royaulme, le plus grand et le
meilleur traictement qu'il est possible de penser, et comme elle a
donné ordre que cella leur soit continué jusques à ce qu'ilz
remonteront en mer. Dont vous diray seulement, Madame, que Mr de
Montmorency et Mr de Foix, chacun en son endroict, et moy avec eulx,
du mien, ne cessons, parmy ces bonnes chères, d'acheminer toutjours,
aultant qu'il nous est possible, le propos de Monseigneur le Duc
vostre filz, et n'obmettons ung seul de toutz les poinctz que nous
imaginons y pouvoir servir que nous ne l'y amployons.

Et voycy, Madame, l'advancement que nous y avons peu donner, c'est que
ne nous sommes en rien layssez vaincre des argumentz de la dicte Dame,
bien qu'ilz soient grandz, et nous sommes efforcés de la randre
vaincue par les nostres, qui, à la vérité, sont plus grandz et plus
urgentz que les siens; mais ils sont fort contredictz par les
adversaires, comme j'espère bien aussy qu'ilz seront soubstenus par
ceulx qui y ont bonne affection. La matière est ung estat si doubteux
que ceulx, qui ne la veulent, commancent bien fort de la creindre, et
ceulx qui la desirent ne voyent où debvoir espérer encores rien de
certein, et ce qui tient et les ungs et les aultres en merveilleux
suspens est que aujourdhuy l'on la met en dellibération de conseil;
dont ce qui s'en entendra cy après Vostre Majesté le sçaura bientost.
Mais j'estime, Madame, que bonne partie de la conclusion de ce propos
a de résulter du bon acheminement que Voz Majestez y donront par dellà
avec le comte de Lincoln, et avec les ambassadeurs d'Angleterre, et de
ce qu'ilz escripront et rapporteront de la vraye et indubitable
intention de Voz Majestez, de l'honneste affection et non feincte de
Monseigneur le Duc, et de la bonne opinion qu'ilz imprimeront de luy
et de ses vertueuses qualitez par deçà, et du contantement avec lequel
vous les aurez en toutes sortes de faveur, de bonnes chères, de
présentz, de promesses et d'honnorables entretènementz, renvoyez par
deça la mer; vous supliant très humblement, Madame, commander, de
bonne heure, que l'apparat soit aussy bon et meilleur pour eulx à leur
retour, partout où ilz passeront, comme a esté à l'aller, sellon que
je vous puis dire, avec vérité, Madame, que tout ce qui se faict icy
pour Mr de Montmorency et Mr de Foix, et les siens, est très
magnifique, très sumptueux et royal. Sur ce, etc.

    Ce XXIIe jour de juing 1572.

   Si l'affaire continue de cheminer comme il a commencé, il
   parviendra bientost à une ou aultre conclusion, et j'ay
   occasion d'espérer que plutost elle sera bonne que maulvayse,
   sinon que l'ordinayre instabilité de ceste court y change
   quelque chose. Je desire que Vostre Majesté escripve une
   lettre, de sa mein, au comte de Lester pour le mercyer de
   l'advancement qu'il a donné à ce propos, et pour le prier d'y
   mettre luy mesmes la perfection, et l'assurer de la
   récompense. Nous uzons cepandant de toutes les promesses et
   honnestes persuasions que nous pouvons vers les dames qui sont
   les plus près de ceste princesse, et vers toutz ceulx qui ont
   quelque moyen de nous ayder. Je remercye très humblement Voz
   Majestez de l'honneur et faveur qu'il leur plaist me faire du
   collier de l'ordre. L'on m'avoit, une foys, respondu qu'il
   estoit égaré et perdu, mais ayant remonstré qu'il y avoit une
   promesse par escript de le debvoir rendre, l'on l'a faict
   trouver, et a esté remis en mes mains depuis deux jours.



CCLIXe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour de juing 1572.--

    Négociation du mariage du duc d'Alençon.

    Icy défault une dépesche, mais, en lieu d'icelle, suplèe ung
    discours que Mr de Foix a adressé.


Ce _Discours_, qui renferme le détail de toute la négociation de Mrs
de Montmorenci, de Foix et de La Mothe Fénélon, touchant le mariage
du duc d'Alençon, ayant été imprimé en entier dans l'édition que Le
Laboureur a donnée des _Mémoires de Castelnau_ (t. 1er, p. 652), nous
croyons inutile de le reproduire. Il n'a pas été d'ailleurs transcrit
sur les registres de l'ambassadeur, mais il s'en est trouvé dans ses
papiers plusieurs copies, qui sont littéralement conformes à celle qui
a été publiée par Le Laboureur.



CCLXe DÉPESCHE

--du premier jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._)

  État de la négociation de MMrs de Montmorenci et de
    Foix.--Plaintes de Marie Stuart.--Nouvelles des révoltés de
    Flessingue.--Riches présens faits à MMrs de Montmorenci et de
    Foix.--Explication sur la négociation du mariage du duc
    d'Anjou.


    AU ROY.

Sire, de tout ce qui s'est négocié, icy, pendant que Mr de Montmorency
et Mr de Foix y ont esté, et combien avant, eulx et moy, y sommes
allés, et où nous en sommes demeurés, je laisse à eulx de le vous
particullariser par le menu; et vous diray seulement, Sire, que ce que
la présence d'ung seigneur de grande qualité, qui a la réputation
d'estre fort entier et véritable, et plein de toute sorte d'honneur et
de vertu, peult en cella, Mr de Montmorency l'y a tout aporté; et ce
que les sages advertissementz, et prudentes considérations, et vifves
remonstrances pleines de rayson, y ont peu donner d'efficace, Mr de
Foix l'y a fort abondamment et fort dignement presté. Et je n'ay
obmis, de ma part, rien de ce que je y ay peu aporter de ma
dilligence, y ayans, toutz troys, fort soigneusement observé le
temps, et l'ayant faict observer par ceulx d'icy qu'avons cognu y
avoir bonne intention; de sorte que rien n'y a esté précipité, ny
aussy rien délayssé. Et croy bien, Sire, quand à l'acte de
confirmation et sèrement du traicté, et à donner impression à ceste
princesse de vous demeurer perpétuellement confédérée, qu'il ne se
peut desirer rien de plus, ny de mieulx, de ce qui en a esté faict.

Et, au regard du propos de Monseigneur le Duc, ceste princesse l'a
prins de fort bonne part, et a fort grandement remercyé Voz Majestez
qui le luy présentiés, et a fort honnorablement parlé de luy qui se
offroit à elle. Ses conseillers l'ont générallement approuvé, et ont
réduict toutes les difficultés à deux seules, qui sont de l'aage et de
la religion; et encores, si la première se peult vaincre, que la
seconde se modèrera. Sur quoy a esté prins le dellay d'un moys pour y
faire une résolue responce, laquelle dépend assez du raport que feront
ceulx qui retournent de France; lesquelz, pour ceste occasion, je me
resjouys infinyement que Vostre Majesté les ayt renvoyez ainsy bien
contantz, comme elle le nous escript, du XXIIIe et XXVe du passé.

Et, quant aux aultres poinctz, concernant les deux lettres que ceste
princesse vous debvoit escripre: l'une, de sa mein, pour l'expression
de la cause de la religion au traicté, et l'aultre de l'interprétation
du XXVIe article; pareillement de la paix d'Escoce; et du transport du
commerce d'Angleterre en vostre royaulme; il a été satisfaict au
premier, et Mr de Montmorency en a emporté la lettre: laquelle, ainsy
qu'elle est, a esté dressée par ceste princesse, qui estime estre en
meilleure forme que l'aultre que milord de Burgley luy avoit minituée,
dont nous a en faillu contanter.

Et le segond a esté tant débatu qu'il a esté remis d'ouyr là dessus Me
Smith, après qu'il sera arrivé, premier que d'en dépescher nulle
lettre.

Pour le troysiesme, il sera promptement envoyé une déclaration en
Escoce, contenant que résolution a esté prinse entre ceste princesse
et nous, voz depputés, d'admonester les deux partys, qui sont par
dellà, de faire commancer que soyt une vraye et seure abstinence
d'armes affin de traicter des moyens d'accord entre eulx; et, s'il y a
quelque différend sur les condicions de la dicte abstinence, qu'ilz se
raporteront à ce que les deux ambassadeurs, qui sont devers eulx, en
ordonneront.

Le quatriesme, qui est du commerce, demeure à estre traité, icy, à
loysir, par les marchandz de ceste ville avecques moy, dans les quatre
moys du dellay, qui a esté préfix à cella.

Et, oultre ce dessus, Mr de Montmorency et Mr de Foix ont proposé
aulcunes choses honnorables, de vostre part, pour la personne de la
Royne d'Escoce, en quoy ilz n'ont esté du tout esconduictz; et mesmes
ont heu permission de pouvoyr envoyer devers elle, dont ilz y ont
dépesché le secrettère d'Ardoy. Elle m'a escript deux fort amples
lettres, du Xe et XVe du moys passé, et m'a envoyé aultres deux
lettres pour Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et m'a prié de
vous faire entendre le misérable estat, auquel elle et ses affères
sont réduictz; dont, de tant que je ne le vous sçaurois mieulx
représanter que par ses propres lettres, je les ay adjouxtées à ce
pacquet, et loue infiniement le bon et vrayement royal office qu'avez
faict pour elle vers ces seigneurs angloys, qui estoient par dellà,
lequel servira grandement à ceste pouvre princesse.

Il semble que des nouvelles, qui viennent d'arriver de dellà la mer,
que Flexingues a cuydé estre surprinse, et qu'on n'a tant de
contantement du debvoir que les françoys, qui y sont, ont faict pour y
résyster que des angloys. L'on prépare d'y envoyer, d'icy, quelque
renfort d'hommes, et pensent aulcuns qu'enfin la Royne d'Angleterre
prendra ceste ville là en sa protection. Je vous manderay, jour par
jour, ce qui s'en entendra. Et, pour faire fin, je vous diray, Sire,
que Mr de Montmorency et Mr de Foix, et toutz les seigneurs et
gentilshommes françoys de leur compagnie, après avoir, l'espace de
quinze jours, esté en toute magnificence et grandeur fort
favorablement entretenus en festins, en bonnes chères, en diverses
sortes de passe temps, sans laysser quasy une seule heure vuyde de
plésir; et, ayant mon dict sieur de Montmorency, oultre le collier et
l'habillement de l'ordre d'icy, et deux petites ordres et deux
jarretières, fort belles et riches, que ceste princesse et le comte de
Lestre luy a donné, esté gratiffié d'elle d'ung présent, d'envyron
sept mille escuz en vaysselle d'argent doré, et d'un vase d'or fort
beau; et Mr de Foix aussy d'un buffet d'environ douze cens escuz; et
toutz deux, et encores aulcuns des aultres seigneurs, d'ung nombre de
belles hacquenées et de dogues par le dict comte de Lestre; et estantz
reconvoyez jusques à Douvres par le comte de Herfort avec cinq aultres
milordz, ilz s'en sont retournés très contantz par dellà; et ont
layssé ung semblable grand contantement d'eux à tout ce royaulme. Dont
je prie Dieu que les effectz plus grandz puissent bientost suyvre ces
honnestes démonstrations. Et sur ce, etc. Ce Ier jour de juillet
1572.


    A LA ROYNE.

Madame, il suffira, s'il vous plaist, pour ceste foys, que je ne passe
à choses plus expresses de la négociation, qui a esté faicte icy,
pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix y ont séjourné, qu'ainsy
que présentement je les metz générales en la lettre du Roy; m'assurant
que Vostre Majesté aura plus de plésir d'en entendre la particullarité
par eulx mesmes, que si je vous en faysois, icy, un récit à part.
Seulement vous diray, Madame, que, pour le propos de Monseigneur le
Duc, il a esté besoing de respondre à ung particulier escrupulle, que
ceste princesse et les siens nous ont faict, du doubte, où l'on les a
voulu mettre, que Vostre Majesté n'avoit jamais heu bonne inclination
que Monsieur, vostre filz, l'espousât. En quoy, oultre les vrayes et
indubitables occasions, que toutz troys avons alléguées à la dicte
Dame pour la persuader au contraire, et, oultre celles que, de
longtemps, je luy avoys représantées avec grand démonstration de
vérité, comme, cy devant, je le vous ay escript, Mr de Montmorency luy
a faict tant de particulliers comptes de ce qu'il avoit veu, sceu et
ouy en cella, et l'a confirmé avec tant d'expression, et avec
sèrement, que la dicte Dame en est demeurée très abondamment
satisfaicte, et si bien édiffiée de la vraye et indubitable sincérité
et droicte intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, et de la
dévotion et affection de Monsieur qu'elle en demeure du tout
deschargée du mal qui luy en restoit sur le cueur; de sorte que, quand
luy et Mr de Foix sont partis, elle a uzé de termes si honnorables de
Voz dictes Majestez et de Monsieur, et encores de tant honnorables et
bons de Monseigneur le Duc, que de meilleurs ny plus honnorables ne
s'en pourroit tenir au monde. Je verray bientost, et le plus souvant
que je pourray, la dicte Dame, et auray grand plésir que ce puisse
estre avec l'occasion de voz lettres, en la forme et substance que Mr
de Montmorency et Mr de Foix sçavent qu'il les faudra escripre; et
qu'il y en ayt une fort expresse, de vostre mein, ou de celle du Roy,
pour le comte de Lestre; et, jour par jour, je vous manderay tout ce
que je pourray entendre et descouvrir en cella. Sur ce, etc. Ce Ier
jour de juillet 1572.



CCLXIe DÉPESCHE

--du Ve jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Audience.--Négociation du mariage du duc
    d'Alençon.--Conversations intimes d'Élisabeth et de
    l'ambassadeur à ce sujet.--Espoir d'un meilleur traitement pour
    Marie Stuart.--Secours préparé à Londres pour
    Flessingue.--Nouvelles d'Écosse.--Conférence de l'ambassadeur
    avec Leicester et Burleigh sur le projet de mariage.--Desir que
    le duc d'Alençon passe en Angleterre.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, le troysiesme de ce moys, devers la Royne
d'Angleterre pour luy dire que, par une dépesche de Vostre Majesté, du
XXVe du passé, (laquelle Mr de Montmorency et Mr de Foix, après que je
fuz départy d'eux à Rochestre, l'avoient reçue, ainsy qu'ilz
arrivoient à Setimborne, et l'avoient leue, et puis me l'avoient
envoyée), vous nous commandiez, à tous troys, de luy dire que vous ne
pouviez sentyr chose, en ce temps, qui plus vous apportât de
contantement que d'avoyr de si expresses et si certeines déclarations
d'amytié, comme nous vous monstrions, par noz précédantes lettres,
que la dicte Dame s'esforçoit, en beaucoup d'honnorables sortes, de
vous rendre; et que vous la remercyez infiniement des honnestes
faveurs et honneurs, et bonnes chères, qu'elle avoit faictes à Mr de
Montmorency, à Mr de Foix et à toute leur compagnie; et de ce que,
tant franchement, et d'un cueur ouvert et entier, elle avoit
satisfaict au sèrement et ratiffication du traicté. De quoy vous
estimiés, Sire, ne la pouvoir mieulx récompanser que par une
correspondance de semblable amityé vers elle, esloignée de toute
simulation, et qu'à cella, suyvant le sèrement et ratiffication que,
de mesmes, vous aviez faict de vostre part, vous ne manqueriez à
jamais d'aulcun debvoir que vous luy puissiez rendre de bon et naturel
frère et perpétuel confédéré, sans excuse ny dellay quelconque, en
tout ce que le bien de ses affères, l'accroissement de sa grandeur, le
repos de son estat et la seureté de sa personne, le pourroient
requérir.

A quoy la dicte Dame, pleine d'ung grand ayse, ainsy qu'elle l'a
monstré, m'a respondu qu'elle ne sentoit aussy rien, de son costé, qui
plus luy donnât de consolation et de contantement, que l'assurance de
vostre amytié, laquelle luy estoit le plus riche et le plus précieux
acquest qu'elle heût faict, de tout son règne, et c'estoit ce qu'elle
vouloit le plus soigneusement conserver; qu'elle savoit bien qu'il
n'avoit esté possible d'arriver à fayre icy vers les vostres ce que
Vostre Majesté avoit faict par dellà vers les siens, sinon en
affection, en quoy elle croyoit de vous égaller, et, possible, de vous
surmonter; et aulmoins remercyoit elle Dieu que ceste bonne troupe des
vostres, qui s'en retournoit, luy seroit aultant de tesmoings vers
Vostre Majesté, et vers toute la France, d'avoir veu par
démonstration d'effect accomplir ce qu'elle m'avoit souvant promis et
assuré de parolle: qu'elle procédoit de vraye et droicte intention,
pleine de toute sincérité, à se confédérer pour jamais avec Vostre
Majesté et vostre couronne; et qu'encor que, par lettres, qu'elle
venoit tout freschement de recepvoir d'Escoce, il luy estoit mandé que
le capitaine Granges la menaçoit du contraire, assurant que ceste
ligue ne seroit d'aulcune durée, qu'elle n'en croyoit rien, ains se
confioit parfaictement en l'assurance et vérité de vostre parolle.

Je luy ay dict qu'elle la trouveroit perpétuellement ferme et
indubitable. Et ay adjouxté, Sire, que, par la mesme dépesche, du XXVe
du passé, vous nous commandiez à tous trois de luy représanter le
singullier contantement, que vous aviez, de ce qu'elle avoit prins de
bonne part l'offre, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy
aviez faicte, de Monseigneur le Duc, vostre frère et filz, et que
c'estoit la chose de ce monde par laquelle vous desiriez plus
signiffier à toute la Chrestienté que vous estiez uny avec elle d'ung
lien si indissoluble qu'il ne restoit nul moyen de le pouvoir rompre;
nous ordonnant qu'avant nous départir, nous fissions tout ce qu'il
nous seroit possible pour mener l'affaire à quelque résolution, affin
que les deux la vous peussent rapporter à leur retour. Dont ilz
creignoient bien que ne vous rapportant qu'ung dellay, qu'ilz ne
seroient bien receus de Vostre Majesté; mais ilz se consoloient en
deux choses: l'une, que le dellay n'estoit long; et l'aultre, que la
dicte Dame estoit si prudente et vertueuse, que tant plus elle
prendroit de loysir pour considérer l'affaire, plus elle se
confirmeroit non seulement de le vouloir, mais de le desirer, soit
qu'elle regardât à elle mesmes ou bien à son estat, ou aulx amys
qu'elle faysoit, ou combien elle se jectoit hors du danger de toutz
ses ennemys, mais singullièrement combien de sortes de vray
contantement, d'honneurs, d'advantages, de seuretés et infinyes
commodictés, elle s'acquerroit par ce mariage, et combien elle
mettroit fin à toutz les ennuys, à toutz les inconvénientz et à toutz
les périlz qu'elle pouvoit creindre, pour le reste de sa vye. Ce que
je luy ay bien voulu dire, Sire, parce que ceulx, qui veulent bien à
ce propos, me l'ont conseillé.

Elle m'a respondu qu'elle cognoissoit avoir plus d'obligation à Vostre
Majesté et à la Royne, vostre mère, qu'elle n'en avoit, ny pourroit
jamais avoyr, à nulz princes de la terre, et qu'ung de ses conseillers
luy venoit de dire qu'elle advisât bien de ne faire que les
difficultés, qui n'estoient que légières pailles dedans l'une des
balances de cest affaire, n'emportassent ce qui estoit de plomb et de
solide dedans l'aultre; ce qui luy faisoit desirer, de bon cueur, que
l'inégalité de l'aage ne se monstrât si malaysée qu'elle est, mais
bien voyoit que celluy de Monseigneur le Duc ne se sçavoit tant
approcher que le sien ne s'esloignât davantaige de la vraye proportion
que les deux debvoient avoir ensemble, ce qui la retenoit en plusieurs
doubtes pour ce regard; car, quand à tout le reste, elle estimoit
qu'il n'y avoit rien qui ne fût facille à accomoder.

J'ay réplicqué, Sire, que j'estois bien ayse que toutes les
difficultés fussent réduictes à celle seule de l'aage, et qu'elle
n'eût sinon creinte que Mon dict Seigneur le Duc, pour estre jeune, ne
la sceût bien aymer. Sur quoy je luy avois desjà dict et ne voulois
cesser de luy dire que ce, que j'estimois de plus parfaict en cest
affaire, estoit le jeune aage de ce prince; car, encor qu'il ne fût
pour s'entremettre si tost du gouvernement, bien qu'elle l'y
associât, ains pour se laysser conduire à tout ce qu'elle et ses
conseillers vouldroient, qui seroit chose que ses subjectz n'auroient
que bien agréable, si, voyoit on en luy tout ce qui estoit requis pour
satisfaire aux deux plus nécessaires occasions qui faisoient desirer
ung roy par deçà: la première estoit la personne avec la présence et
la dignité, qui se monstroient en luy très royalles, et accompaignées
d'ung bon sens et de beaucoup de valeur, pour estre desjà fort capable
de commander; l'aultre, qu'il estoit comblé de toutes les honnestes et
agréables et souhaitables qualités, qui se pouvoient desirer pour
estre très digne mary d'elle; et n'y avoit, je ne voulois pas dire ung
prince en Europe, mais entre les gentilshommes, d'espée et cape, ne
s'en trouveroit ung qui fût pour satisfaire, mieulx que luy, à tout ce
qui pouvoit contanter la bonne grâce d'une belle et vertueuse
princesse; et qu'au reste elle feroit tort à elle mesmes, de ne
s'estimer assez digne de l'amour et du service du plus accomply prince
qui soit en la terre; et à luy, qu'il fût de si maulvais jugement, et
si mal nourry, qu'il ne recognût en elle les excellentes et belles
qualités qui la rendoient singulièrement aymable. Dont la supliois
qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée que nulle, soubz le
ciel, seroit plus parfaictement bien aymée et honnorée qu'elle, s'il
luy playsoit de bien aymer ce prince, et le recepvoir en sa bonne
grâce.

Elle m'a respondu qu'encor seroit il besoing, si Monseigneur le Duc
avoit à venir par deçà, qu'il sceût estre au conseil, et commander,
bien qu'elle ne le desiroit ny trop sévère ny mélancolicque; mais une
chose surtout luy faysoit tousjours peur, c'est que toutz deux, en ung
mesme temps, se verroient fort diversement croistre, luy en
perfections, et elle en deffaultz, ce qui feroit qu'après sept ou
huict ans, dedans lesquelz, à la vérité, elle espéroit de luy estre
assez agréable, il viendroit, incontinent après, à la mespriser et la
hayr, ce qui l'envoyeroit le landemain au tombeau.

Je luy ay respondu qu'en une amityé contractée entre deux personnes
royalles, soubz la bénédiction de mariage, telle chose n'estoit
aulcunement à creindre, et que Mr de Montmorency et Mr de Foix luy
avoient dict tout ce qu'ilz avoient sceu et creu, et espéré, de cest
affaire, et elle leur debvoit adjouxter foy, estantz personnages
d'honneur et de vertu, et parlantz de la part de princes très vertueux
et très honnorables; et que je n'avois que adjouxter, pour ceste
heure, à leurs remonstrances, sinon ung petit escript, que j'avois
trouvé dans leur pacquet, lequel je n'avois, à la vérité, nulle
commission de le luy monstrer, mais j'estimois qu'il pouvoit beaucoup
servir à l'esclarcir de ce principal doubte qu'elle avoit sur le
cueur.

Sur quoy, ayant la dicte Dame demandé des sièges, elle m'a menné
assoir auprès d'elle en ung coing de la chambre; et luy ayant baillé
le dict escript, elle a veu que c'estoit une lettre, que Monseigneur
le Duc avoit escripte de sa mein à Mr de Montmorency, concernant ce
propos, dont elle l'a lue tout au long et l'a relue une segonde foys,
et l'a trouvée merveilleusement bien faicte, et fort convenable à ce
qu'elle desiroit cognoistre de luy. Et, après avoir loué la belle et
propre et bien ornée façon d'escripre, et l'escripture mesmes, elle
m'a dict que cella seroit cause dont elle me diroit qu'elle s'estoit
fort esbahye qu'en tout le temps que le comte de Lincoln avoit demeuré
en France, il ne luy avoit escript ung seul mot de ce propos, et
qu'elle croyoit que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy
en aviez aulcunement parlé; dont ne sçavoit que penser sinon que la
maladie de la Royne en avoit esté cause, me demandant là dessus bien
fort curieusement comme elle se pourtoit.

A quoy ayant satisfait que, grâces à Dieu, j'estimois que fort bien;
elle a suyvy à dire qu'il estoit bien vray que, depuis le partement de
Mr de Montmorency et de Mr de Foix, elle avoit veu une lettre d'ung
des angloys qui estoient allez en France, homme de bon jugement, qui
parloit le plus honnorablement de ce prince qu'il estoit possible,
assurant qu'il estoit d'une belle disposition, fort adroit, et qui
s'exerçoit à toutes sortes d'armes aultant vigoureusement que nul
prince ou seigneur qui fût en la court, et qu'il avoit la grâce fort
bonne, et toutes ses condicions et qualités fort aymables et fort
recommandables, seulement la petite vérolle luy avoit faict un peu de
tort au visage, mais que cella se pourroit guérir dans ung moys; et
qu'elle attandoit, en brief, le comte de Lincoln pour en entendre plus
avant, ne demeurant en rien si creintifve que de ceste diverse sorte
qu'ilz avoient à croistre ensemble, luy en toutes sortes de pris, et
elle en toutes sortes de despris; néantmoins qu'elle prioit Dieu, et
vouloit que je le priasse aussy, qu'elle peût faire en cest endroict
une telle résolution qui peût bien contanter Voz Très Chrestiennes
Majestez.

Qui est en substance, Sire, tout ce que, pour ceste fois, j'ay peu
recueillir des propos de la dicte Dame, bien qu'ilz ayent esté plus
longs, et que je les aye tout exprès prolongés davantaige pour pouvoir
remarquer quelque chose de son intention.

Au surplus, Sire, vous entendrés par Mr de Montmorency la parolle
qu'il a obtenue d'elle pour la personne de la Royne d'Escoce. Luy et
Mr de Foix ont faict beaucoup de dignes offices pour elle; et j'espère
que celluy, que la Royne a faict en l'endroict des seigneurs angloys
qui estoient par dellà, servira grandement à ceste pouvre princesse.
J'ay suyvy icy, le plus doulcement que j'ay peu, les instances que
toutz troys avions commancé d'en faire, en sorte que, grâces à Dieu,
le parlement a esté remis jusques à la Toutz Sainctz, sans rien
toucher au tiltre que la dicte Dame prétend à la succession de ce
royaulme. Je sçauray encores mieulx comme la chose en demeure, et la
vous manderay par le premier.

Il se prépare icy ung bon secours pour envoyer à Fleximgues, et semble
qu'on vueille passer plus avant en l'entreprinse de Olande qu'on ne le
pensoit du commancement. J'en apprandray, jour par jour, les
particullarités. L'on est fort escandalisé du propos que le cappitaine
Granges a tenu: que la ligue ne seroit pas de durée, et que Vostre
Majesté luy avoit offert dix mille escus, s'il vouloit mettre le
chasteau de Lillebourg entre voz mains. J'ay fort soubstenu qu'il ne
pouvoit avoir dict une chose si faulce que cella. Nous sommes après à
faire conjoinctement une dépesche au dict pays, et, encore que ne
convenions encores du tout bien comme se fera, je croy qu'à la fin
nous nous en accorderons. Sur ce, etc.

    Ce Ve jour de juillet 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, après avoir heu avec la Royne d'Angleterre le long discours
que trouverez en la lettre du Roy, j'ay parlé au comte de Lestre pour
le confirmer en celle tant dévote affection qu'il a assuré Mr de
Montmorency et Mr de Foix qu'il avoit à la confirmation du propos de
Monseigneur le Duc, et il m'a monstré qu'il y estoit plus disposé que
jamais. Et puis je me suis retiré, à part, avec milord de Burgley,
soubz prétexte de traicter avec luy des choses d'Escoce, et luy ay
récité tout ce qui s'estoit passé entre la Royne, sa Mestresse, et
moy; lequel a loué grandement le propos, et encores plus loué l'advis
que j'avois prins de monstrer la lettre de Monseigneur le Duc, vostre
filz, à la dicte Dame, et luy mesme l'a trouvée très bien faicte, et
la plus à propos du monde; et m'a dict que plusieurs doubtes avoient
saysy la Royne, sa Mestresse, quant elle avoit veu qu'en tout le temps
que le comte de Lincoln avoit demeuré en France, il n'avoit rien
escript de ce propos par deçà, et qu'elle craignoit qu'il heût cognu
de la froideur en Monseigneur le Duc, ou bien quelques desfaultz qu'il
n'avoit ozé les mander; mais que, despuis, il avoit escript en si
bonne et advantageuse sorte de luy, qu'elle en demeuroit la mieulx
édiffiée du monde, et que je ferois bien d'advertir Mr de Montmorency
et Mr de Foix, si le temps le portoit, qu'ilz instruisissent bien le
dict sieur comte de Lincoln et Me Milmor aussi, quand ilz les
rencontreront en chemin, sur tout ce qu'ilz auront à rapporter par
deçà, sans toutesfois tromper leur Mestresse, et que je fisse aussy
aller quelqu'ung au devant d'eux pour les bien disposer.

Sur quoy, Madame, mon dict sieur de Montmorency et Mr de Foix, avant
partir d'icy, ont bien advisé de ce qu'ilz auroient à faire et dire,
quand ilz rencontreroient les dicts sieurs comte Smith et Milmor, de
sorte qu'il ne fault doubter qu'ilz n'y ayent abondamment satisfaict.
Et j'ay donné ordre, icy, qu'aussitost qu'ilz aprocheront de cest
court, milord de Boucaust et maistre Enich aillent au devant d'eux
pour leur faire la bouche. Et encores le comte de Lestre me vient de
mander qu'il les priera de faire bien leur debvoir, mais qu'il me
vouloit bien assurer que Mr de Montmorency, ny Mr de Foix, ny moy, ny
pareillement luy, ny milord de Burgley, ny tout le conseil
d'Angleterre n'avoient tant advancé ce propos vers la Royne, comme
avoit faict ceste petite lettre que je luy avois montrée au soyr; et
que pourtant il me prioit de dépescher en dilligence vers Vostre
Majesté pour faire que Mon dict Seigneur le Duc me vueille escripre
une aultre bonne lettre, plaine d'affection, pour me recommander de
m'emploier vifvement en cest affaire, et qu'elle soit pour estre
monstrée à la dicte Dame; et encores, s'il luy sembloit bon, une
aultre à luy mesmes, et encores une aultre à elle, car estimoit que
cella ne luy pourroit de rien préjudicier, mais aulmoins une à moy, et
qu'il ne creignît de dire que, si n'estoit la réputation du monde, et
que Voz Majestez le luy voulussent permettre, il passeroit très
volontiers par deçà pour la venir remercyer de la faveur qu'elle avoit
porté au propos qu'on luy avoit tenu de luy, et pour se dédier et
consacrer pour jamais à l'honneur, et service d'elle; car dict que
surtout elle vouloit estre requise, et avoyr quelque cognoissance
qu'elle fût aymée.

Je ne veulx, Madame, faire trop de fondement en ces démonstrations,
car l'ordinayre instabilité de ceste court ne me le permet, mais, de
tant que c'est chose qui n'est ny esloignée du propos ny malaysée à
faire, j'ay estimé qu'il ne sera que bon de l'essayer. Le dict sieur
comte ne déclare encores rien de son intention, touchant le party qui
luy a esté proposé pour luy, et dict que, pourveu que le principal
succède bien, il ne peut demeurer que trop bien pourveu par la
bénéficence du Roy et de celle du segond Roy, voz enfans, et de celle
de la Royne, sa Mestresse; par ainsy qu'il ne fault parler de son
faict jusques après la conclusion de l'aultre. Tant y a qu'il desire
avoir le pourtraict de madamoyselle de Montpensier, lequel il sçait
bien qu'est en la mayson du comte Palatin; dont je vous suplie très
humblement, Madame, l'en vouloir faire gratifier, et croyre que c'est
ung poinct fort important. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juillet 1572.



CCLXIIe DÉPESCHE

--du Xe jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Laurent._)

  Retour du comte de Lincoln et de Me Smith.--Clôture du
    parlement.--Résolution concernant Marie Stuart.--Secours
    envoyés à Flessingue.--Fausse nouvelle d'une victoire remportée
    près de Mons par les Gueux.--Négociations du mariage.


    AU ROY.

Sire, le VIIe de ce moys, Mr le comte de Lincoln et les milordz et
gentilshommes, qui estoient passez en France avecques luy, et Me Smith
sont arrivés en ce lieu, lesquelz, par le raport qu'ilz ont faict de
leur voyage à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de ce conseil,
et à toute ceste court, j'entendz qu'ilz se sont bien fort louez de
l'honneur, faveur et bonne chère qu'ilz ont receus par dellà, et que
si, d'avanture, il y a heu quelque deffault, ou à Paris, ou par les
chemins, que cella reste trop plus que suffisemment récompansé par
l'abondance de bonne affection que Vostre Majesté monstre de porter à
la Royne, leur Mestresse, et à toute ceste nation, et par la privaulté
et courtoysie, et gracieuseté, dont il vous a pleu uzer en meintes
sortes vers eulx; de façon qu'avec beaucoup de louenge, qu'ilz donnent
à Voz Majestez Très Chrestiennes et à Messeigneurs voz frères, pour
les excellantes et vertueuses qualitez qu'ilz ont remarquées en vous
et en eulx, ilz protestent qu'après leur Mestresse, ilz vous sont plus
serviteurs qu'à nul prince qui soit aujourd'huy en tout le reste du
monde.

Le dict sieur comte de Lincoln, et Me Smith et Me Milmor font de très
bons offices pour advancer le propos de Monseigneur le Duc, et parlent
bien fort à l'advantage de luy, assurantz qu'il est d'une fort belle
disposition, et qu'il a la taille belle et bien proportionnée, et est
fort vigoureux et adroict, et, au reste, qu'il est si accomply, en
toutes aultres bonnes et desirables condicions et qualités, qu'il n'y
a que le seul accidant du visage qui luy face ung peu de tort. Icelluy
sieur comte et Me Smith m'ont envoyé visiter, et m'ont mandé qu'ilz me
viendroient voyr. Je mettray peyne de cognoistre d'eux à quoy il leur
semble que incline l'affère, et de leur confirmer, par toutes les
persuasions qu'il me sera possible, la bonne affection qu'ilz
monstrent d'y avoyr.

Milord Sideney et meylady Sideney, sa femme, laquelle peut infinyement
vers sa Mestresse, se sont soigneusement enquis si leur filz estoit
bien veu en vostre court, et s'il aura l'honneur que le faciez
gentilhomme de vostre chambre; dont je seray bien ayse, Sire, qu'il
s'en puisse louer vers eulx, avant la fin de ce moys.

Le Sr de L'Espinasse est passé en Escoce, lequel j'ay mis peyne, avec
quelques advertissementz de Mr David Chambres, de l'envoyer, le mieulx
instruict que j'ay peu, vers Mr Du Croc, son beau père, sur toutz les
affères de dellà, et n'ay obmis d'envoyer au dict Sr Du Croc, une
segonde foys, le mesmes arresté, qu'il a, à mon advis, desjà receu par
mes précédantes, des choses qu'on nous a accordées pendant que Mr de
Montmorency et Mr de Foix ont esté icy.

Au surplus, Sire, le jour que la Royne d'Angleterre a esté clorre son
parlement, après que milord Quiper a heu proposé assez briefvement
pour elle en l'assemblée, elle a faict lire, tout hault, les
déterminations du dict parlement qui se sont trouvées en nombre vingt
et troys, desquelles elle a passées la pluspart; mais, quand est venu
à celles qui touchent la Royne d'Escoce, elle a dict qu'elle y vouloit
penser, parce qu'elles estoient de grande conséquence, priant ceulx de
l'assemblée de croyre que ce n'estoit en la façon accoustumée par le
passé, que, quand le prince remétoit d'y penser, c'estoit qu'il n'en
vouloit rien faire; et qu'elle dellibéroit de pourvoir indubitablement
à ces affères de la Royne d'Escoce, après qu'elle auroit bien et
meurement consulté quand, et comment, et par quel ordre et façon, elle
y debvroit procéder. De quoy les ecclésiastiques et les plus
passionnés de la religion protestante sont restez fort malcontantz,
car ilz pensoient avoir bien dressé leurs praticques pour rendre, à ce
coup, désauthorée ceste pouvre princesse de la future succession de
ceste couronne; mais je croy, Sire, que la Royne d'Angleterre se
contantera de donner ordre que, durant sa vye, elle ne luy puisse rien
quereller. Je loue Dieu que, parmy beaucoup de très grandz et très
imminantz dangers, il préserve tousjours ceste princesse, et nous
laysse espérer quelque chose de mieulx à l'advenir pour elle par la
clémence et débonnaireté de sa cousine.

Ceulx de ce conseil se sont assemblés par plusieurs foys, et
s'assemblent toutz les jours, sur les affères de Flandres. Je voy bien
qu'ilz veulent ayder à bon esciant à ceulx de Fleximgues, et mettre
pied en Zélande. Il est vray que leur agent en Hembourg leur escript
que de bien fort grandes levées d'allemans sont prestes à marcher pour
les deux partis, et qu'il creint que celles du prince d'Orange, par
faulte d'argent, seront les dernières en campaigne, ou bien qu'elles
s'arresteront du tout, et que l'espérance gist en deniers qui pourront
provenir de ces marchandises, qui ont esté prinses à la venue du duc
de Medina Celi. Tant y a qu'on n'a layssé d'envoyer pour cella d'icy,
depuis deux jours, mille soldatz en fort bon équippage à Fleximgues,
soubz la charge du cappitaine Gelibert, en sorte qu'il y a, à présent,
près de deux mille angloys, et s'en apreste beaucoup plus grand
nombre, sans commission toutesfois, ny sans aulcune apparante
authorité de cette princesse, ny de son conseil.

Milord de Burgley m'a mandé que les marchandz de Londres ont commancé
de parler avecques luy du commerce, et que bientost nous en pourrons
traicter, et pareillement de l'esclarcissement du XXXVIe article,
puisque Me Smith est arrivé. Mr de Montmorency et Mr de Foix m'ont
faict tenir la dépesche, que Vostre Majesté avoit conjoinctement
faicte à eulx et à moy, du XXVIIe du passé, sur laquelle j'yray
trouver ceste princesse avant qu'elle entre en son progrès. Et sur ce,
etc.

    Ce Xe jour de juillet 1572.

   Depuis ce dessus, est venu nouvelles que dom Fédéricque d'Alba
   et le Sr Chapin ont esté deffaictz près de Montz[2], ce qui
   eschauffe davantage ceulx cy à secourir ceux de Fleximgues.

  [2] Cette nouvelle était fausse. Ciapino Vitelli avait au
  contraire remporté un avantage signalé sur le Sr de Genlis, qui
  venait au secours de Mons avec 4,000 piétons, 200 hommes d'armes,
  2 compagnies d'arquebusiers à cheval et 500 chevaux. Genlis,
  surpris près de Quévrain à une lieue et demie de Mons, perdit
  1,200 hommes et fut fait prisonnier.


    A LA ROYNE.

Madame, j'ay grand regret que Mr de Montmorency et Mr de Foix n'ayent
rencontré en chemin Mr le comte de Lincoln et sa compagnie, pour
plusieurs bons effectz que leur conférance, partantz ainsy
freschement, les ungs de ceste court, et les aultres de la vostre,
eussent peu apporter au propos de Monseigneur le Duc vostre filz, mais
l'incommodicté de la mer a empesché cella. J'ay mis peyne, avant que
nul de ceulx qui sont retournés ayent parlé à ceste princesse, que les
principaulx, comme est monsieur l'admiral, Me Smith et Me Milmor,
ayent esté préocupés et préparés par ceulx qui ont singullière
affection au dict propos; de sorte que, quand ilz sont venus à faire
leur raport, il ne se peut desirer rien de mieulx que ce qu'ilz ont
dict à la louenge de Mon dict Seigneur le Duc, n'obmettant rien de ce
qu'ilz ont cognu de valeur, de vertu et de perfections en luy; mais,
comme ilz ont parlé à la vérité de ces choses, ilz n'ont aussy rien
dissimulé de l'inconvénient du visage; et quelques ungs, qui ne sont
des troys, l'ont exagéré en façon que les mieulx disposez se sont
teus. Dont milord de Burgley, lequel persévère constamment en
l'affère, m'a mandé que, quand à luy, il ne cesseroit de monstrer que
le party, de soy, estoit très honnorable et très utille, et encores
desirable pour sa Mestresse et pour son royaulme; mais, quand au
deffault de l'eage et inconvénient du visage, qu'il ne pouvoit, ny
vouloit, en cella, la presser, et qu'à la vérité ce qu'on raportoit du
visage estoit tel que luy, ny aultre, n'en ozeroit plus parler; et
qu'il me prioit, sur ce que je luy mandois que cella seroit aysé à
remédier, que, si je sçavois quelqung en ce royaulme qui en heût esté
guéry par le mèdecin, qui en assuroit la guérison, que je le luy
nommasse, et qu'il s'esforceroit d'en faire valoir la remonstrance
aultant qu'il luy seroit possible.

J'ay mis peyne, Madame, de luy en faire nommer deux, dont l'ung est de
ceste ville de Londres, et l'aultre est une dame du pays, laquelle est
parante de la comtesse de Betfort. Et, à la vérité, le dict mèdecin,
qui est personnage de grand sçavoir et de beaucoup d'expériance, ne
met grand difficulté en cella, et dict que le remède n'est nullement
malaysé, et si, est bien seur. J'ay faict tenir vostre lettre au comte
de Lestre, avec confirmation de tout ce que j'ay estimé bien à propos
pour luy pouvoir rendre indubitable la promesse de Voz Majestez, et
l'assurer de la perpétuelle faveur de Monseigneur le Duc, et le
semblable à milord de Burgley, en luy baillant la sienne; et ne se
peut rien voyr de mieulx disposé en parolle et démonstration que
l'ung, ny rien mieulx en effect que l'aultre. Et vous veulx bien dire
aussy, Madame, que Monseigneur le Duc s'est acquis une très grande
faveur en ce royaulme par la bonne réputation qui y court de luy, et
pour s'estre faict remarquer en plusieurs vertueux et agréables
déportemens aux angloix qui l'ont veu, et qui l'ont curieusement
observé, pendant qu'ilz ont esté par dellà. Mais je considère bien que
ceste princesse est facille à retourner à sa naturelle inclination de
ne se marier point, pour la moindre difficulté qu'elle y trouve, et à
l'habitude qu'elle a faicte, de longtemps, de vivre en grandeur et
régner tantost quatorze ans heureusement sans mary. Et puis meylady
Sideney est arrivée depuis six jours, et a tretté fort secrettement,
et en privé, avec elle qui, pour estre dévote à l'Espaigne, et plus
intime avec le comte de Lestre que nulle aultre seur qu'il ait, et le
mène là où elle veult, nous l'avons tousjours plus souspeçonnée au
premier propos, et la souspeçonnons en ce segond, plus que nulle
aultre dame de ceste court; de sorte que ceulx, qui s'y entendent le
mieulx, doubtent assez que la responce ne sera telle que nous la
desirons, bien qu'il leur semble qu'il ne se doibt pour cella rien
obmettre du debvoir et dilligence de Voz Majestez en cest endroict.
Par ainsy, Madame, j'attandz ce que me manderez par le Sr de Sabran
pour, tout incontinent et sans dellay ny excuse quelconque, très
soigneusement et très fidellement l'accomplir. L'affaire va si secret
que j'estime impossible de vous pouvoir faire rien entendre de la
responce jusques à ce que par Mr de Montmorency, si elle est bonne, ou
par le Sr de Walsingam, si elle n'est telle, ceste princesse la vous
fera sçavoir au jour qu'elle a promis; dont je prierai Dieu cepandant
de luy bien disposer le cueur. Sur ce, etc. Ce Xe jour de juillet
1572.



CCLXIIIe DÉPESCHE

--du XVe jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr Derdey._)

  Audience.--Négociation du traité de commerce avec l'Angleterre et
    de la pacification de l'Écosse.--Vives assurances d'amitié
    réciproque.--Négociation du mariage.--Conversations intimes de
    l'ambassadeur avec la reine à ce sujet.--Détails particuliers
    sur l'état de cette négociation.


    AU ROY.

Sire, premier que la Royne d'Angleterre ayt commancé son progrès, je
luy suis allé dire que, bientost après que le comte de Lincoln heût
prins congé de Vostre Majesté, vous receûtes ung pacquet que Mr de
Montmorency, Mr de Foix et moy vous avions ung peu auparavant
dépesché, où nous vous parlions du sumptueux et magnificque
traictement qu'elle nous faysoit recepvoir en son royaulme, des
honnorables et vertueux propos qu'elle tenoit de Vostre Majesté, de la
confience qu'elle prenoit de vostre parolle et promesse en
l'observance du traicté, et des termes où nous estions avec elle,
touchant Monseigneur le Duc. Sur lesquelles quatre choses vous nous
aviez respondu par voz lettres du XXVIIe du passé, (lesquelles Mr de
Montmorency et Mr de Foix avoient reçues en chemin; et après les avoyr
leues, parcequ'elles s'adressoient à toutz troys, ilz me les avoient
envoyées); que Vostre Majesté, voyant que le trettement, qu'avoit esté
faict par dellà au dict comte de Lincoln et sa compagnie, n'aprochoit
de celuy qui nous estoit faict icy, vous aviez heu recours aulx
mercyementz, nous commandant d'en faire de bien exprès à la dicte Dame
pour le surplus de ce qu'elle avoit mis peyne de vous excéder, et
surpasser en cella; et que vous promettiez de le luy recognoistre bien
largement à la première occasion, qui se offriroit, de vous envoyer
quelqung des siens, ce que, vous espériez, seroit bientost, et qu'il
n'y avoit heu faulte de bonne volonté ny d'affection de vostre costé,
car en cella ne pouviez vous estre surmonté; et que vous aviez heu le
dict sieur comte bien fort agréable, et n'y avoit heu rien en ses
déportementz, ny de toutz ceulx qui estoient avecques luy, qui ne vous
heût bien fort contanté, et toute vostre court, de sorte que vous
desiriez, de bon cueur, que Mr de Montmorency et sa troupe heussent
layssé à elle et aux siens pareille satisfaction d'eux par deçà; que
ces propos tout honnorables, qu'elle avoit tenus de vous, vous les
recognoissiez procéder de sa bonne et vertueuse inclination et de
l'affection qu'elle vous portoit, et que c'estoit à Vous, Sire, à qui
les excellantes qualités siennes vous bailloient ample argument, de
dire beaucoup de choses à l'honneur et louange d'elle, dont serez
prest d'en publier de parolle la bonne et grande estime que vous en
avez, et ainsy le maintenir d'effect, sans y espargner rien de ce que
Dieu vous avoit donné de moyen et de pouvoir au monde.

Au regard de la confience qu'elle prenoit de vostre promesse en
l'observance du traicté, que vous n'obmettriez, ny permettriez qu'il
fût obmis par nul des vostres, chose aulcune qui peût servir à le bien
entretenir avec vraye et sincère affection d'ung bien bon frère envers
celle que vous réputiez pour propre seur, espérant le semblable,
qu'elle vous tiendroit pour son vray et propre frère germein; qui
estoit une partie de ce que nous mandiez par voz lettres; et que le
surplus estoit pour monstrer qu'il restoit seulement troys choses
pour conduire ceste vostre amityé à une perfection indissoluble,
pleine d'honneur et de proufict, et hors de tout danger qu'on la peût
jamais rompre ny altérer; dont, de tant que les deux estoient portées
par le traicté: sçavoir, le commerce d'entre les deux royaulmes et
d'esteindre les troubles d'Escoce; je ne voulois en cella luy recorder
sinon son sèrement, et que si, d'avanture, ces deux poincts
demeuroient non accomplis, que cella seroit de grand préjudice à tout
le traicté, lequel pourroit estre argué d'invalidité, comme n'ayant
sorty à nul effect; et que, pour le regard de l'Escoce, il avoit esté
desjà procédé à une dépesche, de laquelle failloit attandre la
responce; mais, quand au commerce, qu'ayant esté desjà déclaré, de
vostre part, à ceulx de son conseil, l'offre que vous luy faysiez de
toutes les commodictés de vostre royaulme pour servir à celles du
sien, c'estoit à elle maintenant de les demander, et à Vous, Sire, de
les luy avoyr assises et establies, avant que les quatre moys de la
dathe du traicté soient expirés.

Et comme je voulois continuer le reste, elle m'a interrompu avec ung
gracieulx soubsrire, me disant qu'elle entendoit bien ce que j'avois à
dire davantage, et que nous y reviendrions, puis après, à loysir,
après qu'elle m'auroit respondu à tout le précédant: qu'elle
estimeroit faire grand tort à elle mesmes, et à ceulx qui, pour
l'amour d'elle, avoient receu tant d'honneur, de faveur et de bon
traictement de Voz Très Chrestiennes Majestez et de toutz les vostres,
à l'aller et à la demeure, ou au revenir, qu'ilz ne s'en pouvoient
assez louer, si elle ne vous en remercyoit; et qu'elle avoit grand
plésir que le comte de Lincoln vous heût contanté; car, à cest effect,
l'avoit elle esleu, pour aulmoins correspondre à une partie de
l'honneur et contantement, que vous luy aviez donné, de luy envoyer Mr
de Montmorency et sa compagnie par deçà; que ce, qu'elle avoit dict en
vostre louenge, n'aprochoit de ce qu'elle en avoit dans le cueur, luy
deffaillant parolles pour le bien exprimer, mais c'estoit avec telle
opinyon qu'elle se réputoit heureuse que vous la voulussiez tenir en
ce degré de bienvueillance et d'amityé de seur, que, sur ceste grande
estime qu'elle avoit de vous, fondoit elle l'assurance des choses que
vous luy promettiés, et ne doubtoit aulcunement que ne les luy
observissiez toutes comme, de sa part, elle ne manqueroit à une seule
de celles qu'elle vous avoit promises et jurées; et que vous la
pouviez, à bon esciant, mètre pour troysiesme aux deux seurs qui vous
restoient, qui ne vous aymeroient jamais, ny vous honnoreroient plus
qu'elle faysoit.

Et touchant les deux choses de ces troys, que je luy disois rester
pour conduire l'amityé qui estoit entre vous à sa perfection, qu'elle
avoit desjà satisfaict à la première, concernant les Escouçoys, de
leur avoir mandé qu'ilz se missent en paix; à quoy s'ilz
n'acquiesçoient, elle estoit dellibérée de ne s'en plus mesler pour
l'ung party ny pour l'aultre; et, quand à la segonde, qui estoit du
commerce, qu'elle estoit après à ordonner troys ou quatre personnages
de bonne qualité, qui en traicteroient avecques moy; au regard de la
troysiesme, elle estoit preste d'ouyr maintenant ce que je luy en
vouldrois dire.

J'ay suivy à dire, Sire, que j'estoys bien ayse que nous nous fussions
ainsy desmélés des aultres pour mieulx vacquer à ceste cy, qui estoit
la plus importante, et de laquelle vous espériez, Sire, que viendroit
l'accomplissement des aultres deux, et encores l'establissement de
tout ce qui estoit à desirer entre Voz Majestez, pour Voz Majestez, et
contre ceulx qui n'aymeroient Voz Majestez: c'estoit le propos du
mariage. Auquel, pour la parfaicte amityé que Vous et la Royne, vostre
Mère, luy aviez tousjours portée, et pour l'honneste estime que vous
aviez d'elle, et aussy pour segonder l'honneste affection de
Monseigneur le Duc, et ayder, aultant que vous pourriez, le hault et
généreulx desir, lequel vous voyez qu'il avoit de servir une si
excellente et grande princesse comme elle, vous persévériez plus que
jamais d'aspirer à son allience, et me commandiez de sentir comme elle
demeuroit meintenant bien édiffiée de luy, après le raport que Mr le
comte de Lincoln et sa compagnie luy en auroient faict.

Elle m'a respondu que le dict sieur comte luy avoit faict plusieurs
singulliers raports de Vostre Majesté et de vostre bonne inclination
vers elle, et le desir que vous aviez de la voyr, et le semblable de
la Royne, vostre mère, de qui elle restoit fort contante; et luy avoit
aussy faict d'aultres fort honnorables raportz de Monsieur et de
Monseigneur le Duc, voz frères, et n'avoit obmis ce qui pouvoit servir
à l'advantage du troysiesme, assurant qu'il estoit, quand à la
personne, d'une fort jolye taille et bien proporcionnée, fort
vigoureux et adroict, l'esprit et le sens fort bons, le cueur grand et
magnanime, la grâce bonne, sa conversation fort agréable, et toutes
ses condicions et meurs bien fort vertueuses et desirables; et pour
n'obmettre rien, sçachant combien elle avoit l'œuil délicat et vif
pour remarquer toutes les choses qui seroient en luy, qu'il ne luy
vouloit dissimuler qu'il avoit le visage gasté de la petite vérolle,
et qu'il heût, pour le parfaict contantement d'elle, desiré au
troysiesme une semblable présence qu'il avoit bien veu au segond; et
avoit adjouxté qu'elle debvoit considérer le dedans, et ce qui estoit
le plus important en ceste affaire, sans s'arrester à l'extérieur et
aux choses légères qui n'estoient de tel poix, comme s'il luy heust
voulu représanter ce que son chancellier luy avoit naguières dict
qu'elle ne ballancât la paille avec le plomb; et que Milmor aussy, qui
avoit le jugement bon, luy avoit dict mille louenges de Monseigneur le
Duc, et qu'il s'estoit fort esbahy, luy ayant d'autresfoys veu les
proportions et teinct du visage si bon, qu'il monstroit debvoir estre
plus beau que nul de ses frères, comme la petite vérolle l'avoit peu
tant gaster. Et Me Smith, nonobstant cella, n'avoit layssé de luy
alléguer tant de grandes raysons et commodictés sur ce mariage, qu'il
failloit qu'elle me confessât que c'estoit maintenant elle seule qui
faysoit les argumentz contre elle mesmes.

J'ay respondu, Sire, que j'avois tousjours bien creinct que le raport
du visage ne la contanteroit assez, sçachant, quand à tout le reste,
que Monseigneur le Duc pouvoit estre paragonné à quel autre prince qui
vesquît au monde; et de cella mesmes il se pouvoit espérer, n'estant
qu'ung accident de la petite vérolle, que le temps le guériroit de
brief, et que j'avois parlé à ung personnage de grand sçavoir et
d'expériance, qui assuroit que le remède, bien que ne fût cognu de
plusieurs, n'estoit pourtant difficille, ny long, et si, estoit seur;
et qu'il en avoit guéry ung, en ceste ville, qui en estoit le plus
gasté du monde, et que je m'assurois, si elle acceptoit le service de
Mon dict Seigneur le Duc, que, en peu de jours, il se rendroit beau et
très accomply en toutes sortes de perfections par la faveur de sa
bonne grâce, et que je la priois de ne m'alléguer plus l'eage ny
aultres semblables argumentz, qui confirmoient plus en vérité qu'ilz
ne destruisoient ce bon propos, auquel aparoissoit par trop de bien,
trop d'honneur, trop de bonheur et trop d'avantageuses commodictés,
pour laysser à si légères occasions de le parfaire; et qu'elle se
voulût mettre, ceste foys, hors des grandz ennuis, fâcheries et
dangers, que la solitude et faulte de mary pouvoient apporter à une
telle princesse qu'elle estoit; et que Vostre Majesté et la Royne,
vostre mère, aviez prins si bonne espérance de cest affère que ce ne
seroit sans grand regret, ny sans ung extrême déplaisir, si maintenant
elle la vous vouloit diminuer ou faire perdre, ainsy qu'il se pouvoit
comprendre par voz dernières lettres; lesquelles je ne ferois
difficulté de les luy monstrer.

La dicte Dame, estant bien ayse de les voyr, les a leues tout au long,
et puis m'a dict qu'il n'y avoit rien plus vray que toutz ses
conseillers luy remonstroient que, quant à ce qui touchoit à eulx, de
regarder aux meurs, aux condicions, à l'extraction, aux commodictés et
advantages de ce party, qu'ilz y avoient satisfaict, et qu'ilz
remettoient à elle de regarder à l'eage, à la taille et aux aultres
commodictés particullières, requises au contantement de son mariage,
et que je ne trouvasse maulvais, si elle jouyssoit du terme qu'elle
avoit prins de s'en résouldre; et qu'elle en feroit entendre à Vostre
Majesté sa responce par Mr de Montmorency, qui ne seroit sans que je
la sceusse bientost; et qu'elle avoit occasion de se pleindre de luy,
de Mr de Foix, et de moy, de vous avoyr donné, ainsy qu'elle voyoit,
trop plus d'espérance que nous n'avions heu occasion de le faire.

Je luy ay respondu qu'à la vérité nous vous l'avions donnée grande, et
serions encores prestz de le faire, si ne l'avions faict, car ne nous
avoit apparu difficulté ny empeschement quelconque qui nous en deût
retarder.

Elle a répliqué, en riant, qu'elle vouloit donc estudier d'aultres
argumentz, puisque nous tournions les siens premiers contre elle
mesmes; et est retournée à parler de l'inconvénient du visage, et de
l'homme que je luy avois allégué, en ceste ville, qui en estoit
parfaictement guéry; et, quand bien le propos n'auroit à réuscyr, si
desiroit elle, et me prioit, que je misse peine de procurer qu'on
appliquât tout le remède qu'on pourroit à Mon dict Seigneur le Duc.
Après lequel propos, elle m'a parlé de la Royne d'Escoce, et qu'elle
estoit bien ayse que Mr d'Ardoy l'eût visitée, et qu'il eût cognu
qu'elle est en la compagnie d'ung fort honnorable seigneur; et qu'elle
vous prie, Sire, de croire que, pour l'amour de vous, elle a voulu
avoir tant d'esgard à elle, qu'elle a cuydé offancer toutz ses Estatz,
et que c'est la dicte Royne d'Escoce elle mesmes qui procure son mal.

Je l'ay remercyée grandement de vostre part, et, sans toucher pour ce
coup davantage à matière si visqueuse, je me suis licencié
gracieusement de la dicte Dame, et suis allé parler à ses conseillers,
remettant de vous continuer en la lettre de la Royne, parce que ceste
cy est desjà trop longue, ce qui s'est passé entre nous. Et sur ce,
etc.

    Ce XVe jour de juillet 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, parce qu'en la lettre du Roy je récite assez par le menu les
principaulx propos qui ont, ceste foys, esté tenus entre la Royne
d'Angleterre et moy, j'ay seulement à vous dire en ceste cy que la
dicte Dame s'est fort soigneusement enquise de vostre santé, luy ayant
le comte de Lincoln dict que vous teniez encores le lict, quand il
print congé de Vostre Majesté, dont desiroit sçavoir comme à présent
vous vous portiez; et que le dict comte avoit esté si surprins de ce
peu de motz, que vous luy aviez lors tenus touchant le mariage, qu'il
n'avoit ozé faire semblant de les entendre: ce qu'elle prenoit en
bonne part, considérant que Vostre Majesté, pour ne sçavoir en quoy en
estoient lors les choses par deçà, parce que n'aviez encores receu noz
lettres, et pouviez doubter de la responce qu'on vous y feroit, n'en
aviez quasy voulu toucher qu'ung mot; et le Roy n'en avoit parlé en
façon du monde; vray est que ses démonstrations et les vostres, et
celles de Monsieur, et de Monseigneur le Duc, en avoient plus
signiffié que plusieurs expresses parolles ne l'eussent sceu faire. Il
me semble, Madame, que ceste princesse se conduict d'une mesmes sorte
en ce propos, après le retour du dict sieur comte de Lincoln et de
ceulx qui sont revenuz de France, qu'elle faysoit auparavant, et ne
laysse cognoistre ou si sa disposition y est meilleure ou bien
empirée, sinon que je voy bien qu'on luy a faict l'accidant du visage
plus grand qu'elle ne le cuydoit, et monstre, à bon esciant, qu'elle
desire qu'il y soit remédié; dont, Madame, je mettray peyne de vous
envoyer pour cest effect le personnage duquel je vous ay cy devant
escript, s'il vous playst de me le commander. J'ay comprins par
aulcuns motz des propos de la dicte Dame, et l'ay aussy entendu
d'ailleurs, que le filz de l'Empereur a esté mis en avant, et, à la
vérité, Anthonio de Gouaras, l'espagnol, est plus assidu en ceste
court qu'il ne souloit; dont j'auray l'œuil le plus ouvert là dessus
qu'il me sera possible.

Or ayant, après mon audience, conféré avec les deux conseillers de
ceste princesse, ilz m'ont confirmé cella mesmes qu'elle m'avoit dict,
du rapport que le comte de Lincoln, et Me Smith, et Me Milmor, avoient
faict de Monseigneur le Duc. Et m'a le comte de Lestre fort incisté
que je fisse bientost venir de ses lettres, ainsy qu'il me l'avoit
desjà dict; et que, de sa part, il ne manqueroit d'aulcun debvoir
qu'il peût rendre à l'advancement du bon propos. Milord de Burgley m'a
dict que je pouvois avoyr cognu, aux propos de la dicte Dame, combien
il s'estoit esforcé de la persuader, sur l'accidant du visage, qu'il
se pourroit remédier; et qu'il y avoit deux de ceulx, qui estoient
naguières revenus de France, qui avoient fermement assuré à elle
mesmes que quand elle le verroit, elle ne s'en pourroit nullement
contanter; dont, estant à ceste heure tout ce faict en la pure volonté
d'elle, il falloit attandre ce que Dieu luy en vouldroit inspirer, et
que, de sa part, il voyoit encores toutes choses pour ce regard si
incertaynes, qu'il ne m'en vouloit rien promettre ny assurer jusques à
ce que la résolution s'en manderoit par Mr de Montmorency à Leurs Très
Chrestiennes Majestez; et que cepandant il persévèreroit en ses
accoustumées remonstrances de louer et approuver ce party, aultant
qu'il luy seroit possible de le faire. Sur ce, etc.

    Ce XVe jour de juillet 1572.

   Tout maintenant, Mr le comte de Lincoln m'est venu visiter, et
   m'a signiffié ung très grand desir de servir à cest affaire,
   et ne m'a point donné à cognoistre que sa Mestresse n'ayt
   prins playsir d'ouyr bien dire de Monseigneur le Duc. Il y a
   heu quelque rencontre en Escoce, dont j'en sçauray bientost la
   particullarité.



CCLXIVe DÉPESCHE

--du XXe jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Gautier._)

  Conférence de l'ambassadeur avec le comte de
    Lincoln.--Irrésolution d'Élisabeth sur le mariage.--Promesse de
    la mise en liberté de l'évêque de Ross.--Commission délivrée
    contre le comte de Northumberland.--Nouvelles de
    Flessingue.--Etat de la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, m'estant le comte de Lincoln venu visiter en mon logis, ainsy
que, par le postille de ma précédente dépesche, je le vous ay mandé,
il s'est esforcé de me monstrer combien Vostre Majesté et la Royne,
vostre mère, et Messeigneurs voz frères, et toutz les principaulx de
vostre court, avoient mis peyne que luy et ceulx de sa compagnie s'en
retournassent trop plus que bien contantz des faveurs, et des grandes
et extraordinayres chères, et des honnestes présens qu'ilz y avoient
receus, et qu'ilz raportassent surtout une singullière satisfaction à
la Royne, leur Mestresse, de la vraye et sincère amityé que voz
parolles et toutez voz démonstrations leur ont indubitablement
signiffié que vous luy portiés. De quoy il dict, Sire, qu'ayant
retrouvé icy, après nostre dernière négociation de Mr de Montmorency,
de Mr de Foix et de moy, une parfaicte correspondance en sa Mestresse,
il ne veult espérer de moins que de voyr bientost, oultre le sèrement
du traicté, se faire un bien plus seur et plus ferme establissement de
vostre confédération par une bonne allience et ung bon parantage entre
Voz Majestez Très Chrestiennes et elle; et qu'en particullier il
m'estoit venu remercyer du bon succez que j'avois faict prendre à sa
légation en France, et de la luy avoyr encores randue honnorable, et
aprouvée par deçà, par les bons raportz, qu'au nom de Vostre Majesté
j'en avois faict à sa Mestresse; dont me offroit tout ce qu'il me
pourroit rendre d'amityé, tant que je serois en ce royaume. Je luy ay
gratiffié, Sire, bien grandement toutz ces honnestes propos qu'il luy
plaisoit me tenir, mais beaucoup plus ceulx que j'avoys bien cognu
qu'il avoit desjà tenu à la Royne, sa Mestresse, le priant de l'y
vouloir tousjours bien disposer, et que vous aviez prinz une si grande
confience de la bonne affection qu'il avoit monstrée vous porter, que
vous ne pouviez ni vouliez espérer de nul aultre de ce royaulme
aulcuns meilleurs offices, pour le propos de Monseigneur le Duc, que
de luy et de madame la comtesse sa femme; et qu'aussy se pouvoient ilz
assurer, toutz deux, oultre une bonne recognoissance de vostre part et
de la Royne, vostre mère, que jamais la faveur de Monseigneur le Duc
ne leur deffauldroit ny à toutz les leurs, quant il seroit par deçà.
Il m'a réplicqué qu'il pouvoit jurer avecques vérité de s'en estre
retourné aultant plein de bonne affection vers vostre grandeur et vers
celle de toutz les vostres, et vers l'amplitude de vostre couronne, en
ce qui ne seroit contre celle de sa Mestresse, qu'il n'y avoit nul de
voz meilleurs subjetz qui en sceût avoyr davantaige; et, en espécial,
si dévot à Monseigneur le Duc qu'il n'avoit nul plus grand soing
maintenant que de luy rendre la noblesse de ce royaulme de mesmes très
affectionnée, et bien dévote à faire incliner la Royne, sa Mestresse,
à son party, leur remonstrant à toutz que les difficultés de l'eage
n'empeschoient que ses aultres perfections ne le rendissent bien
capable d'estre, dès ceste heure, mary de leur Royne, et qu'encores
bientost il en seroit si parfaictement digne qu'elle se pourroit
réputer aussy heureusement accompaignée que nulle aultre princesse de
l'Europe; et que ce qu'on luy pouvoit avoir raporté du visage estoit
de nulle considération, car le temps en amanderoit, de bref, la
pluspart, et la barbe couvriroit l'aultre; et que je creusse ardiment
que Me Smith, et Me Milmor, et luy, et encores aulcuns de sa troupe,
n'avoient rien obmis de ce qui se pouvoit dire de bien pour ce propos;
et que, de sa part, il persévèreroit constamment de l'advancer aultant
qu'il luy seroit possible de le faire.

Par lesquelz propos, Sire, les raportant à d'aultres, qu'on m'a tenus
d'ailleurs, et que luy m'a dict ceulx cy, après avoir conféré avec sa
dicte Mestresse, je juge qu'elle n'avoit encores résolu la responce
qu'elle vous debvoit faire, quand elle est partie d'icy; et qu'il
semble encores ceste foys qu'elle ne la vous fera entière, ce que
prévoyant j'en ay voulu parler bien expressément avec ses deux
conseillers, et les admonester de la promesse d'elle et de la leur en
cest endroict, et qu'ilz ne vueillent permettre que rien en aille en
longueur; à quoy ilz m'ont fort promiz qu'ilz s'y employeroient de
toute leur puyssance. Cepandant la dicte Dame a commancé son progrès,
et est allé à Avrin, d'où elle ne bougera de six jours, et après
s'acheminera, peu à peu, vers Warwic, m'ayant le comte de Lestre fort
prié que je la vueille aller trouver, quand elle arrivera, en sa
mayson de Quilincourt. Elle a faict une distribution d'estatz, avant
bouger de ce lieu, ayant donné celluy de grand trésorier, qui est le
premier d'Angleterre, après le chancellier, à milord de Burgley, et a
faict milord Chamberland privé scéel, et baillé celluy qu'il avoit de
grand chamberlan de la mayson au comte de Sussex, et l'estat de
secrettère à Me Smith. Elle a encores entre ses mains l'estat de
grand mestre, duquel elle heût desjà pourvueu le comte de Lestre, mais
il n'est bien résolu à qui faire tomber celluy qu'il a de grand
escuyer; et dict qu'elle fera vischamberlan Me Pigrin, et capitaine de
ses gardes Me Hathon. L'on espère qu'elle donra liberté à quelques
ungs de ceulx de la Tour, et desjà elle m'a promis celle de l'évesque
de Roz. Je ne sçay si l'on l'en détournera. J'entendz qu'il a esté
envoyé commission à Barvic pour procéder contre le comte de
Northomberland.

Je ne vous escriptz, Sire, des nouvelles d'Escoce ny de la
confirmation de ce que je vous ay mandé par mes dernières: que le
comte de Honteley avoit donné une estrette vers le North à ceux du
party d'Esterling. J'espère que Mr Du Croc, par les lettres qu'il vous
escript, satisfera largement à tout cella.

L'on continue d'envoyer tousjours gens, monitions et artillerie, à
Fleximgues; et le capitaine Pelan, lieutenant de l'artillerie, est
party, depuys deux jours, pour y aller. Ceulx du dict Fleximgues ont
ouvert les digues et ont environné leur ville d'eau; ilz n'ont receu,
à ce qu'on dict, toutz les angloys ny pareillement les françoys, ains
en ont envoyé une partie ez aultres villes qui tiennent pour eulx en
Zélande. Ilz ont couru l'estrade entre Envers et Bruges, et ont prins
quelques deniers, que le duc d'Alve envoyoit à l'Escluse pour payer
les navires et mariniers qui ont conduict le duc de Medina Cely. Il a
esté apporté, ces jours passez, grande quantité d'espiceries du dict
lieu de Fleximgues en ceste ville, et en envoye l'on quérir davantage.
Les marchandz de ceste ville ont esté appellés devant le conseil affin
d'adviser au faict du commerce pour l'accomplissement du traicté,
mais ne sont encores venus devers moy. Sur ce, etc. Ce XXe jour de
juillet 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, aultant de choses que je cognois pouvoir advancer le propos de
Monseigneur le Duc, et aultant que ceux qui y ont bonne affection me
monstrent qu'il y en a qui y peuvent servir, je n'en obmetz une seule
que je ne mette peyne, tout incontinent, de les essayer; dont Dieu,
s'il luy plaist, y adjouxtera, puis après, la perfection qu'il voyt et
cognoit y estre honnorable et nécessaire. Je ne presse de sçavoir de
ceulx cy rien de la résolution de la responce; il ne seroit ny
honneste à moy, de la leur demander, ny à eulx, de me la dire, ayant
esté arresté que la Royne d'Angleterre la fera sçavoir à Voz Très
Chrestiennes Majestez par Mr de Montmorency; et elle me l'a ainsy
confirmé, depuis son partement, avec une fort honnorable commémoration
de luy, et de la confience que, pour son intégrité, elle met ez choses
qu'il luy a dictes, et pareillement de Mr de Foix. Le comte de Lestre
et milord de Burgley affirment que le raport, qu'on a faict de
Monseigneur le Duc, ne sçauroit estre plus grand pour sa réputation,
ny meilleur pour tout ce qui se pourroit desirer de luy pour ce
royaulme, que l'ont faict ceulx qui sont freschement revenus de
France; et tout le conseil d'Angleterre a fort bien faict son debvoir
d'aprouver son party, de sorte que le tout reste maintenant en la pure
volonté de la Royne, leur Mestresse; à laquelle, parce qu'elle a
touché de discerner d'aulcunes particullarités, qui peulvent rendre, à
une telle princesse qu'elle est, ou agréable ou désagréable son
mariage pour toute sa vye, ilz ne peuvent ny veulent davantage l'en
presser. Et m'a le dict comte dict qu'il trouve fort expédiant que
Monseigneur le Duc escripve les lettres que j'ay desjà mandées; car
estime que nul ne peult tant en cest affaire pour luy que luy mesmes.
Et milord de Burgley m'a confirmé que la petite lettre, que
Monseigneur le Duc avoit escripte à Mr de Montmorency, laquelle
j'avoys naguyères, comme par accidant, faicte voyr à la dicte Dame,
avoit beaucoup servy, et qu'il desiroit surtout qu'il fût pourveu à
l'inconvénient de son visage. Néantmoins l'ung et l'aultre assurent
que l'affaire est encores bien incertein, dont aulcuns des amys
donnent pour conseil, qu'encor que la responce n'aye à estre si bonne
comme nous la desirerions, que, pourveu qu'elle ne soit du tout
maulvayse, et qu'elle ne porte ung entier refus, que Vostre Majesté
n'en doibt couper court le propos. Et, de ma part, Madame, j'ay trouvé
tousjours tant de changement, d'heure en heure, ez résolutions de
ceste court, que je ne puis dire sinon ce qui semble bon, et
pareillement ce qui semble maulvais, n'y demeurent guyères en ung
mesme estre. Sur ce, etc.

    Ce XXe jour de juillet 1572.



CCLXVe DÉPESCHE

--du XXIIe jour de juillet 1572.--

(_Envoyée jusques à la court par Giles Malapart._)

  Négociation du mariage.--Avis émis par un seigneur du conseil
    d'écouter les propositions faites par Antonio de Gouaras pour
    le mariage d'Élisabeth avec le fils de l'empereur.


    AU ROY.

Sire, il n'a esté possible au Sr de Sabran d'arriver icy plus tost que
hier matin, en la compagnie de plusieurs aultres qui ont esté
contrainctz, aussy bien que luy, de temporiser, troys jours entiers,
le passage à Callays, à cause du vent. Il m'a randu vostre dépesche du
unziesme et quatuorziesme de ce moys, laquelle est très ample et fort
à propos pour l'occasion présente. Je mettray peyne de l'emploier le
mieulx qu'il me sera possible en ma première audience, laquelle j'ay
desjà envoyé demander; et ay faict tenir à milord de Burgley la lettre
de Mr de Walsingam. Ceste princesse, continuant son progrès vers
Warvic, arrivera demein en la mayson du dict de Burgley, à présent son
grand trésorier, où les principaulx seigneurs de sa court et de son
conseil, lesquelz, au partir d'icy, estoient allez se rafraischir en
leurz maysons, se doibvent randre. Et j'entendz que, au dict lieu, se
résouldra la responce qui vous doibt estre faicte sur le propos de
Monseigneur le Duc, n'ayant point cognu, Sire, qu'en nul aultre
affaire, depuis que je suis en ce royaulme, l'on soit allé plus
réservé qu'on faict en cestuy cy, duquel ne se permet qu'il en sorte
une seule parolle dehors. Néantmoins l'on m'a fort assuré que le moys
ne se passera sans qu'on ayt satisfaict à la promesse qui nous a esté
faicte, quant Mr de Montmorency et Mr de Foix sont partis; et
cependant je verray la dicte Dame, et n'obmettray rien, Sire, de tout
ce que me commandez, ny de tout ce que je me pourray adviser, pour la
persuader, et mesmes la presser de vous faire la responce telle que
vous la desirez, et que singullièrement je la desire, plus à la vérité
qu'il ne me semble que je le puisse de tout bien espérer, ayant
quelque advis qu'il y sera faict mencion de ce contrepoix, dont le Sr
de Walsingam a desjà parlé à la Royne, pour récompanser le deffault de
l'eage et l'inconvénient du visage de Monseigneur le Duc.

Il n'y a rien plus vray qu'ung des seigneurs de ce dict conseil,
entendant débattre les difficultez qu'on alléguoit de Monseigneur le
Duc, a mis en avant qu'on debvoit ouyr Anthonio de Gouaras sur ce
qu'il proposoit du filz de l'Empereur, ainsy que d'aultres foys l'on
l'avoit bien escouté sur le propos du Roy d'Espaigne, ayant esté le
premier qui l'avois mis en termes, et avoit réuscy. Mais de tant que,
par les deux lettres que le dict de Gouaras avoit naguières présentées
du dict Roy d'Espagne; et aulcunes du duc d'Alve touchant les choses
de Flandres, il n'apparoissoit qu'ilz luy donnassent assez expécial
pouvoir de parler maintenant de cestuy cy, cella n'a esté suyvy.

L'on prépare icy tousjours nouveau renfort pour envoyer à Fleximgues,
mais, jusques au retour de Me Pelan, l'on ne se hastera de le faire
partir. Je n'ay, à présent, rien de nouveau d'Escoce, et suis
attandant ce que les deux partis auront respondu sur l'abstinence de
guerre à Mr Du Croc, auquel je feray cependant tenir vostre dépesche;
et, m'ayant esté octroyé ung passeport pour envoyer visiter par ung
mien secrettaire la Royne d'Escoce, avec ung peu d'argent, je vous
manderay à son retour de toutes ses nouvelles. Et sur ce, etc.

    Ce XXIIe jour de juillet 1572.



CCLXVIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de juillet 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Conversations intimes entre
    la reine et l'ambassadeur.--Conférences de l'ambassadeur avec
    Leicester et Burleigh sur la négociation.


    AU ROY.

Sire, ayant envoyé prier le comte de Sussex, qui est à présent grand
chambellan de ceste court, de vouloir entendre de la Royne, sa
Mestresse, quand elle auroit agréable que je l'allasse trouver pour
une dépesche que j'avoys reçue de Vostre Majesté, elle m'a soubdain
mandé que ce seroit le landemein matin en la mayson de son grand
trésorier, qui luy faysoit un festin, où je serois le bien venu. Et
m'ayant le dict grand trésorier envoyé son coche en chemin, j'ay esté
fort bien receu de la dicte Dame, laquelle m'a semblé estre en
beaucoup meilleure et plus belle disposition, depuis le commancement
de son progrès, que pendant qu'elle estoit en ceste ville. L'après
disnée, après s'estre soigneusement enquise de vostre bon portement,
et de celluy de la Royne, en la continuation de sa grossesse, et
pareillement de la Royne, vostre mère, après sa dernière maladie,
aussy de l'arrivée du Roy de Navarre et des prochaines nopces qui se
doibvent faire de luy avecques Madame, et de plusieurs aultres
particullarités, ausquelles j'ay mis peyne de bien luy satisfaire,
elle m'a mené en ung petit compartiment hors de la sale, où ayant
faict apporter des sièges, n'a souffert qu'aulcun aultre y ayt
demeuré.

Et luy ayant dict que Vostre Majesté avoit fort volontiers entendu par
Mr de Montmorency le discours de tout ce qui avoit passé icy, pendant
que luy et Mr de Foix, et toute leur troupe, y avoient esté; et que
vous n'aviez, longtemps y a, ouy ung récit qui plus vous heût
contanté, ny qui plus vous heût apporté d'honnestes satisfactions que
celluy là, pour y avoir remarqué plusieurs choses, lesquelles vous
estoient ung indubitable tesmoignage de l'affection et de la vraye
inclination qu'elle avoit à vostre amityé, vous la supliés de croyre
que vous recepviez à grande obligation qu'elle heût voulu faire une si
expresse profession et déclaration, comme elle avoit faict, de vous
aymer, et de vouloir demeurer vostre perpétuelle confédérée; et
qu'elle estimât par là d'avoir tant acquis et gaigné de vostre amityé
et bienvueillance que vous fesiés compte de n'espargner vostre propre
personne, et avec icelle tout ce qui se pouvoit compter de la grandeur
d'ung roy de France, pour l'employer pour elle, quand l'occasion s'y
offriroit; et, qu'après le rapport de Mr de Montmorency, vous aviez
ouy celluy de Mr de Foix sur tout ce qui avoit esté dict et déduict ez
négociations qu'ilz avoient faictes par deçà, qui ne vous avoit pas
moins contanté, encor que vous heussiez bien desiré qu'ilz vous
heussent apporté une entière résolution du propos de Monseigneur le
Duc, mais aulmoins cognoissiez vous qu'il ne monstroit qu'il y heût
apparu aulcune difficulté qui fût assez considérable pour debvoir
différer d'une seule heure, après le moys, la response qu'elle nous
avoit promis de vous faire, et laquelle vous ne pouviez espérer de
moins, sinon qu'elle la vous rendroit conforme à l'honneste et
honnorable demande que vous luy aviez faicte; et que la Royne, vostre
mère, qui avoit esté présente aux deux discours, jugeoit bien que,
sur ce qu'elle m'en feroit mander par ses lettres, je ne pourrois
assez à son gré représanter, icy, à elle, le contantement qu'elle
recepvoit de ceste sienne tant déclarée amityé, et du bon acheminement
qu'elle voyoit que alloit prendre le propos de Monseigneur le Duc, son
filz, elle avoit advisé d'envoyer quérir le Sr de Walsingam pour luy
en signiffier aultant, de parolle, comme elle en avoit dans le cueur;
et que je croyois que mesmes elle luy avoit faict voyr jusques dans
son âme; dont le dict de Vualsingam, à mon advis, n'avoit obmis de le
bien représanter par ses lettres, et que Vous, Sire, par les lettres
dernières, et elle, par les siennes, me commandiez bien fort
expressément que je luy incistasse à ce que sa dicte responce vous
peût venir et bonne, et bientost, sellon que vous sçavez bien que le
plus mortel ennemy qu'eust ce propos estoit la longueur; et que vous
luy promettiez, s'il venoit à succéder, de le luy rendre comble de
tout bien, de tout honneur, de toute seurté, de toute vraye et
perdurable amour, et d'ung perpétuel contantement, ainsy que je luy en
engagoys la foy, la parolle et la promesse de Vostre Majesté et de la
Royne, vostre mère, par les propres lettres que vous et elle luy en
escripviez de voz meins, lesquelles je luy ay incontinant présentées.

La dicte Dame, premier que rien respondre, a voulu ouvrir les dictes
lettres, lesquelles elle a lues avec son grand contantement, et a
monstré prendre une singullière confiance de l'offre que luy fesiez
par la vostre, et de l'honnorable soubscription et bien affectionnée
que vous y aviez mise; et a curieusement nothé toutes les
particullarités de celles de la Royne, sans en laysser rien, monstrant
à bon esciant qu'elle n'en vouloit perdre ung tout seul mot, tant
elle y trouvoit de satisfaction; et y voyoit, ainsy qu'elle a dict,
une déclaration très honneste, et vrayement royalle, de tout ce qu'une
si grande, et néantmoins très prudente, et vertueuse princesse pouvoit
honnorablement, et sans trop considérer sa propre affection, desirer
au propos de Monseigneur le Duc, son filz. Et puis, les ayant mises en
sa pochète, a suyvy me dire qu'il luy venoit, chacun jour, de devers
vous et de devers la Royne, vostre mère, tant de bons rencontres
d'amityé, et iceulx accompaignez de tant de respect et d'honneste
faveur, et aultres honnorables observances, et si esloignées, ainsy
qu'elle croyoit, de toute feintise, qu'elle ne se sentoit si obligée à
chose de ce monde que d'en avoir perpétuelle recognoissance; et
qu'elle vous prioit, Sire, de croire qu'elle le recognoistroit, tant
qu'elle vivroit en ce monde, avec dellibération, dès aujourdhuy, de
souffrir plustost quelque offance que de se porter jamais vostre
adversaire, ny contraire, ny se monstrer ingrate vers la Royne, vostre
mère; et qu'elle vous prioit toutz deux de prendre parfaicte confience
d'elle, tout ainsy qu'elle se commettoit du tout pour jamais à la
vostre. Et, au regard du propos de Monsieur d'Alançon, elle vous
prioit bien de considérer que la seule opinyon, que ses subjectz
avoient, qu'elle fût ung peu sage, l'avoient faicte, quatorze ans, et
la fesoient, encores aujourdhuy, régner heureusement et paysiblement
sur eulx, et que, s'ilz la voyoient aller à ceste heure
inconsidéréement en son mariage, qui estoit ung acte qui s'estendoit
pour tout le cours de sa vye, et que elle, desjà vielle, prînt ung
mary par trop jeune, et encores avec l'accidant que Monsieur d'Alançon
avoit au visage, qu'il y avoit grand danger qu'ilz ne la tinsent pour
mal advisée, et ne l'eussent à mespris, ne leur monstrant mesmement
qu'en contrepois on luy eût offert quelque chose pour récompanser ces
deux deffaultz; dont avoit donné charge à ceulx de son conseil de
dresser la response, laquelle estoit desjà preste, et la vouloit
envoyer, du premier jour, à monsieur de Montmorency, s'il luy plaisoit
prendre la peyne de la vous présanter, ou sinon au Sr de Vualsingam
son ambassadeur; et qu'elle vous suplioit de la prendre de bonne part,
ainsy que d'une princesse qui, estant toute vostre, vous debviez
penser d'elle comme d'une vostre propre seur.

Je luy ay respondu, Sire, que, à la vérité, sa prudence, avec la
faveur de Dieu, l'avoient faicte et la faysoient heureusement régner,
mais que nul plus prudent acte sçauroit elle faire au monde pour elle,
ny pour ses subjectz, que d'accepter ce party; lequel, si ces deux
deffaultz avoient à le monstrer ung peu plus judicieulx que plein
d'affection, tant plus elle s'en acquerroit de louange, et que, d'y
mettre le contrepoix, Vostre Majesté estimoit sa bonne grâce estre de
si excellant pris que vous n'aviez avec quoy l'achepter qu'avec
l'abondance d'amityé et de respect que Monseigneur le Duc luy
porteroit; lequel vous luy offriez avec les mesmes condicions que luy
aviez offert Monsieur, qui, estantz toutz deux voz frères, ne luy
pouviez faire ung plus égal présent; dont ne failloit aussy qu'elle
haulçât ses demandes, et seulement qu'en lieu d'_Henry_ elle prînt
_Francoys_, sinon que l'ung se contanteroit d'ung peu moins de
l'exercice publicque de sa religion, là où la conscience n'avoit peu
permettre à l'aultre qu'il en peult rien laysser; et que, pour mieulx
conduire son inclination à satisfaire à Vostre Majesté et à la Royne,
vostre mère, en cest endroict, Mon dict Seigneur d'Alançon mesmes y
adjouxtoit sa bien humble requeste, par une sienne lettre à part,
qu'il me commandoit de luy présenter.

La dicte Dame a soubdain prins la dicte lettre, et l'a lue tout du
long avec démonstration de contantement, et a dict que tout ce que son
escript luy faysoit voyr de luy correspondoit à ce qu'elle en oyoit
dire. Et puis, je l'ay supliée bien humblement qu'elle voulût encores
prendre la peyne de lire ce qu'il me prioit, et me commandoit de
faire, pour luy, par une aultre sienne lettre; à quoy elle n'a faict
aulcune difficulté.

Et j'ay adjouxté que c'estoit affin qu'elle ne m'estimât ny
présomptueux ny téméraire, si j'entreprenois de luy faire entendre
quelque chose de la bonne affection que ce prince luy portoit, et si
je la supliois de le réputer digne de la sienne; que, à la vérité, il
estoit jeune, mais nourry en tant de meureté qu'il le failloit, quand
au sens, estimer desjà homme parfaict, et quand à la personne, qu'il
estoit de l'extraction de princes si bien formés et d'une si
parfaictement belle taille, et si bien proporcionnés, qu'il ne
failloit doubter que leur filz ne leur ressemblât, et qu'il ne vînt
aussy hault d'estature et aussy beau de visage comme ilz avoient esté;
et que mesmes il avoit advancé son eage de troys ou quatre ans, se
trouvant en ceste sienne première puberté ung bien accomply et bien
vigoureulx chevalier, et qu'il estoit filz et petit filz, et deux foys
frère, de quatre grandz roys, et luy mesmes tout royal, qu'il estoit
magnanime et généreulx, et remply de toutes vertueuses condicions,
mais qu'il n'estoit en tout rien tant que tout à elle, et tout
transformé en ung vraye et naturel amour qu'il portoit à sa grandeur,
à ses perfections et à ses belles et excellantes qualités, et ne se
délectoit de rien tant que d'ouyr ses louanges, d'adjouxter ce qu'il
pouvoit à icelles, et de vouloir emploier sa personne pour les
maintenir jusques à la mort, ne cherchant aulcune chose de meilleur
cueur que de se perdre soy mesmes pour se retrouver tout en sa bonne
grâce. Dont je la supliois qu'à une telle perfection d'amityé, comme
elle trouvoit en Vostre Majesté, et en la Royne, vostre mère, et en
luy, elle ne voulût uzer d'aulcune male correspondance en sa responce,
et que vous jugiés, Sire, les choses estre passées si avant qu'il ne
se pouvoit faire, oultre l'intérest des affères que vous aviez communs
avec elle, qu'il n'y courût beaucoup de vostre honneur et réputation,
si le mariage ne succédoit.

Elle m'a dict qu'elle vouloit estimer cella mesmes que j'avoys dict,
et encores mieulx de Monsieur d'Alançon, car le rapport qu'on faysoit
de luy estoit parfaict en toutes choses d'honneur, de valeur et de
vertu; et qu'elle vouloit encores croire ce qu'il luy escripvoit de
son amityé, et ce que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy en
promectiez, neantmoins que les difficultés de l'eage et du visage
restoient aparantes, et que ce que j'avois allégué de la religion ne
se pouvoit prendre pour récompance, car ne failloit dire ny que
Monsieur se fût voulu contanter de l'exercice de sa religion en privé,
ny qu'elle le luy heût voulu accorder, affin que ny l'ung ny l'aultre
ne se peussent maintenant advantager ny qu'il l'eût délayssée, ny
qu'elle l'eût délaissé; et, quand au point que Monsieur d'Alançon
m'escripvoit que, s'il n'estoit retenu d'aulcuns respectz, qu'il
passeroit volontiers par deçà, que c'estoit ung faict sien, et de
Vostre Majesté, et de la Royne, vostre mère, qui debvoit estre réglé
par vostre conseil, dont n'en vouloit rien dire, mais qu'elle croyoit
certaynement que si Monsieur luy mesmes fût venu, quand il se parloit
de luy, que l'affère heût mieulx réuscy qu'il n'a; et que je pourrois
encores conférer de toutes ces choses avec ceulx de son conseil, affin
que la responce peût estre plus promptement expédiée.

Et ainsy, Sire, ayant esté encores quelque temps avec elle à luy
respondre sur aulcunes demandes qu'elle m'a faictes de Mon dict
Seigneur le Duc, s'il n'estoit pas creu depuis le pourtraict qu'elle
avoit veu, et si j'avois point adverty la Royne, vostre mère, du
mèdecin qui promettoit de remédier à cest inconvénient du visage; et,
luy ayant satisfaict de tout cella à son contantement, je me suis
gracieusement licencié d'elle pour aller traicter de ces mesmes choses
avec les seigneurs de son conseil; de quoy, en la lettre de la Royne,
parce que ceste cy est trop longue, je mettray comme tout le reste a
passé. Et sur ce, etc.

    Ce XXIXe jour de juillet 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, affin que Vostre Majesté puisse mieulx juger des choses qui
concernent icy le propos de Monseigneur le Duc, vostre filz, après que
les aurez entendues par ordre, je metz peyne, en la lettre du Roy, de
vous bien particulariser celles qui ont passé en la dernière audience
que j'ay heue de cette princesse; de la quelle, à vray dire, je suis
retourné plus contant des parolles et démonstrations que j'ay notées
d'elle, pendant ses discours, que des poinctz qu'elle m'a voulu
toucher de la responce qu'elle a promis de mander à Mr de Montmorency.
J'avoys desjà faict voyr à milord de Burgley, premier que d'aller
trouver la dicte Dame, les troys lettres qui s'adressoient à elle et
les deux qui s'adressoient au comte de Lestre et à luy, ensemble ce
que, en particullier, vous me mandiez, par une des vostres, de luy
dire, qui a trouvé le tout merveilleusement bon, et bien à propos. Et,
après infinys et très humbles mercyementz de la confiance qu'il voyoit
que Voz Majestez Très Chrestiennes prenoient de luy, avec assurance de
s'emploier plus affectueusement pour cest affaire que pour nul aultre
qu'il ayt jamais manyé, il m'a mandé que je me hastasse de porter les
dictes lettres, parce que les comtes de Lestre et de Sussex, et luy,
avoient desjà commandement de leur Mestresse de dresser la dicte
responce, qu'elle avoit à vous faire: ce qui m'a randu encores plus
dilligent de l'aller trouver.

Et, après que j'ay heu devisé avec elle, aultant longuement que je
l'ay peu desirer, je suis allé parler aux dicts comtes de Lestre et de
Sussex, et au dict de Burgley, lesquelz n'ont voulu entrer guyères
avant à contester et débatre aulcun poinct de l'affère; ains, après
avoyr escouté ce qui s'estoit passé entre la dicte Dame et moy, ilz
m'ont respondu que, puisque j'avoys présenté nouvelles lettres, ilz
confèreroient de nouveau avec la dicte Dame pour voyr si elle leur
commanderoit de changer rien en sa dicte responce, et ont assez
estendu leurz propos sur le mesmes faict; mais ilz l'ont tousjours
tenu bien loing de la conclusion. Dont, ayant tiré à part le comte de
Lestre, je luy ay baillé la lettre de Monseigneur le Duc, et luy ay
monstré ce qui estoit en article exprès pour son bien dans celle que
Vostre Majesté m'escripvoit; à quoy il m'a randu de si honnestes
responces qu'il ne se peut dire mieulx. J'ay aussy exprimé à milord de
Burgley ce que je luy avois auparavant mandé, lequel m'a assuré qu'il
persévèreroit de solliciter sa Mestresse. Et n'ay obmis de confirmer
de mesmes le comte de Sussex en la bonne affection qu'il a tousjours
monstré de porter à cest affère; et puis, je les ay ainsy layssez
quelques jours pour faire leurs dellibérations.

Et depuis, je les ay envoyez sonder si les lettres avoient esté
d'aulcun effect, dont le comte de Lestre m'a mandé qu'il me prioit de
croyre qu'il avoit parlé sur icelles de si grande affection à sa
Mestresse que moy mesmes ne l'eusse peu faire davantaige, et qu'elle
demeuroit en suspens, sans se sçavoir bien résouldre, monstrant
d'incliner à ce qu'elle puisse voyr Monseigneur le Duc, et qu'il la
voye aussy à elle, ce que le dict comte ne pouvoit trouver bon, et
estimoit qu'il seroit tousjours meilleur qu'elle fît une plus certaine
responce. Et milord de Burgley m'a respondu qu'il n'y avoit rien plus
vray que, pour ceste heure, l'accident du visage donnoit plus
d'empeschement au propos que ne faysoit la difficulté de l'eage, car
sa Mestresse avoit parlé à ceulx qui estoient naguières revenus de
France, et s'estoit enquise à ung chacun d'eux, à part, fort
particullièrement, de Monseigneur le Duc; qui luy avoient toutz, d'une
commune voix, raporté beaucoup de louanges des condicions et qualités
de Mon dict Seigneur le Duc, et encores de sa taille et disposition,
mais il n'y en avoit heu pas ung qui ne luy eût dict, quand au visage,
qu'ilz avoient opinyon qu'elle ne s'en pourroit nullement contanter,
quand elle le verroit: ce qui estoit cause que les lettres, que je luy
avoys présentées, feroient peu ou guières changer la responce qu'on
avoit dellibéré de vous faire mander; et que, de tant que j'avoy dict
à elles mesmes qu'il y avoit ung mèdecin qui promettoit de remédier au
dict inconvénient du visage, qu'il failloit que je y pourveusse, me
voulant au reste bien assurer que sa Mestresse s'estoit infinyement
contanté de la lettre que Vostre Majesté luy avoit escripte, qui
estoit bien la meilleure qu'elle eust jamais reçue et la plus pleyne
d'honnestes respectz; et qu'en effet il ne voyoit aulcune chose à
présent, sur laquelle il voulût me mettre plus avant en espérance, ny
aussy du tout me désespérer, cognoissant très bien que sa Mestresse
procédoit d'une vraye et droicte intention en cest affère, et qu'il
n'y avoit que les deux difficultés, et celle mesmement du visage, qui
la retardoient.

Et de tant que la pluspart de la négociation d'entre milord Burgley et
moy a esté mené par le Sr de Vassal, présent porteur, que j'ay souvant
envoyé vers luy, je le vous dépesche présentement pour vous en aller
rendre meilleur compte, et pour, tout ensemble, apporter à Voz
Majestez le traicté tout ratiffié, qui m'a esté, depuis deux jours,
dellivré de la part de ceste princesse; et vous suplier très
humblement, Madame, que par luy il vous playse me faire entendre en
quelz termes on vous aura faicte la susdicte responce, et, comme après
icelle, vous vouldrez que je continue de la poursuivre. Et sur ce,
etc.

    Ce XXIXe jour de juillet 1572.



CCLXVIIe DÉPESCHE

--du IIIe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Arrivée de Mr de La Mole à Londres.--Entrevue avec le lord
    garde-des sceaux.--Nouvelles de la guerre des
    Pays-Bas.--Progrès du prince d'Orange.--Détails sur le combat
    de Mons.


    AU ROY.

Sire, ayant Mr de La Mole faict si bonne dilligence qu'il est arrivé
le XXVIIe du passé à Londres, j'ay incontinent envoyé faire entendre
sa venue à la Royne d'Angleterre, à quarante mille de là, sur son
progrès de Warvic, laquelle, se trouvant en lieu incommode et trop
estroict pour nous recepvoir, et voyant encores que les quatre ou cinq
premiers gittes, qu'elle auroit à faire, le seroient de mesmes, elle
nous a remis jusques au lieu de Eston, où elle faysoit estat d'y
arriver dès hier, et nous y donner aujourdhuy l'audience. Mais,
s'estant trouvée ung peu lasse de la chasse de devant hier, au lieu de
Saldon, pour y avoir suivy, tout le jour et jusques à quelque heure de
la nuict, ung grand cerf, elle n'en a bougé de hier ny aujourdhuy, et
nous a mandé, sachant que nous estions desjà en ce lieu de Brichil,
bien près d'elle, que nous fussions les bien venus; et que, demein,
qui est lundy, elle se rendroit sans aulcun doubte au lieu de Eston
pour nous y recepvoir mardy, et que cepandant elle avoit commandé au
sire Henry Cobhan de nous accompaigner, et nous faire accomoder à
Tocester, qui est à ung petit mille du dict lieu; monstrant la dicte
Dame, après qu'on luy a heu touché quelque mot de l'honneste occasion
du voyage du dict Sr de La Mole, et par l'instance de qui il estoit
faict, et combien l'élection de luy estoit bien fort bonne et propre
en cest endroict, qu'elle en avoit grand contentement; dont nous
mettrons peyne, Sire, de le luy augmanter davantage et le rendre le
plus utile qu'il nous sera possible pour Vostre Majesté.

Nous avons, en venant icy, visité milord Quipper en une sienne mayson
aulx champs, où la dicte Dame avoit passé, qui a monstré de nous y
voir de bon cueur, et de persévérer en la bonne et droicte intention
qu'il a tousjours heue à ce bon propos d'ung des Filz de France pour
sa Mestresse; et nous a dict que, pour estre Monseigneur le Duc plus
esloigné d'ung degré de vostre couronne que Monsieur, que de ce degré
l'aprouvoit il davantage et le jugoit plus propre pour eulx, et qu'il
luy sembloit que la présence sienne avoit à produire une trop plus
briefve conclusion en cest affère que nulle aultre chose qu'il cognût
aujourdhuy au monde. A quoy nous avons oposé que cella estoit peu
requis, et nullement uzité entre grandz princes, et que, sans plus
grande assurance, je ne voyois qu'il se peût faire, ny qu'il deût
passer deçà, ny que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, le
voulussiez jamais consentir.

Je comprans bien, Sire, qu'une partie de la responce qu'on vous a
faicte tend à cella; dont Mr de La Mole et moi adviserons de modérer
vers elle, et vers ceulx qui la conseillent, ceste dellibération le
plus qu'il nous sera possible, et ne précipiterons rien sans réserver
toutes choses à vostre disposition; qui vous suplie cependant, Sire,
de nous mander par le Sr de Vassal comme, après la dicte responce, il
vous semblera que nous aurons à procéder.

Le comte de Lestre, qui estoit allé devant à Quilingourt, est
retourné pour se trouver à la réception du dict Sr de La Mole; mais
milord de Burgley, qui est allé en une sienne mayson vers le Nort, ne
sera de retour jusques à samedy, qui sera cause que nous temporiserons
davantage pour l'attandre, et pour ne presser de vous rien respondre
qu'il n'y soit.

Maistre Pelan est retourné de Fleximgues, lequel rapporte, à ce que
j'entendz, que quatre centz françoys et aultant d'anglois, et
semblable nombre de walons, sont logés dans la ville, et qu'avec ce
nombre les habitans se font fort de la garder; et que le cappitaine
Gilibert, avec quinze centz angloys, est logé aux environs, ayant cinq
centz escuz d'entretènement par moys comme coronnel, et ses gens bien
entretenus à la rayson de quatre escus la simple paye; et que tout le
pays d'Olande, sinon Utrec et Ostradam, recognoissent le prince
d'Orange pour légitime gouverneur, et que desjà l'on a estably à
Dordrec une forme de conseil, et le lieu de la monoye pour y battre ce
qui se pourra ramasser d'argent pour servir à ceste guerre; et semble
que le dict Pelan persuade bien fort à ceste princesse de prendre en
sa protection le dict lieu de Fleximgues, comme très oportun à
l'Angleterre et fort aysé de le pouvoir deffendre.

Anthonio de Guaras a porté, ces jours passez, en ceste court, une
relacion des choses advenues près de Montz[3], par lettre que le duc
d'Alve luy en a escripte de Bruxelles; où il mande la défaicte sur les
Huguenotz estre fort grande, et qu'il y en a envyron troys mille cinq
centz de mortz, avec fort petite perte des leurs, plusieurs
prisonniers de qualité et vingt cinq enseignes et huict cornettes
prinses; ce qui met assez de réfroidissement à ceulx cy: bien que
d'ailleurs la certitude qu'ilz disent avoir de l'arrivée du prince
d'Orange, en Gueldres, avec sept mille reytres et trèze mille hommes
de pied, les eschauffe. Sur ce, etc.

  [3] Voir ci-dessus _note_ p. 44.

    Ce IIIe jour d'aoust 1572.



CCLXVIIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience accordée à l'ambassadeur et à Mr de La
    Mole.--Négociation de Mr de La Mole au sujet du mariage.--Desir
    d'Élisabeth que le duc d'Alençon passe en
    Angleterre.--Suspension d'armes en Écosse.--Nouvelles de Marie
    Stuart.


    AU ROY.

Sire, je ne doubtois nullement que la Royne d'Angleterre ne fît une
bien bonne réception à Mr de La Mole, à cause de la plus estroicte
amityé qu'elle a maintenant avec Vostre Majesté, mais elle la luy a
faicte beaucoup meilleure que je ne l'avois espéré, et nous a donné,
mardy dernier, au lieu de Sthon, une très favorable audience, de
laquelle n'est besoing que je vous racompte icy ce que j'ay dict et
faict pour introduire le dict Sr de La Mole et sa légation vers elle,
car j'ay mis peyne de n'y rien oublier, et seroit trop long de le vous
réciter; ny que je vous représante aussy, Sire, ce que luy, de sa
part, et en une très bonne façon et avec parolles vifves et pleines
d'efficace, et bien accompaignées de tout ce que l'honneste présence
et bonne grâce et modestie d'ung gentilhomme les a peu segonder, luy a
tenus, car je laysse tout cella à vous estre mieulx cognu, quand
bientost il s'en retournera.

Et vous diray seulement, Sire, qu'elle a monstré d'avoir aultant
agréable le message et le messager, comme Vostre Majesté le pourroit
desirer, ainsy que les honnestes responces et les très grandz
mercyementz, qu'elle nous a chargé de vous en faire, le nous ont
témoigné; qui, entre aultres choses, elle vous prie, Sire, de vouloir
croyre que l'obligation qu'elle vous a pour la suyte de tant d'amityé
et de bonne affection, dont, de plus en plus, il vous plaist
persévérer vers elle, la rendent non moins germayne à Vostre Majesté
ny moins vraye fille de la Royne, vostre mère, que le pourroit estre à
toutz deux Madame Marguerite; et qu'elle vous avoit desjà envoyé sa
responce, de laquelle elle attandoit, dedans troys jours, une dépesche
de son ambassadeur, pour sçavoir comme Vostre Majesté l'auroit prinse,
et que, sur ce qu'il luy en manderoit, se pourroit, puis après,
adviser comme passer plus avant. Et me semble, Sire, qu'elle a
commancé, ceste foys, d'uzer des mesmes parolles et contenances que
j'avois auparavant remarquées d'elle, quand elle dellibéroit à bon
esciant d'entendre au propos de Monsieur, de sorte que je n'estime
l'avoir jamais cognue mieulx disposée à la résolution de se marier que
maintenant, inclinant néantmoins à vouloir estre satisfaicte de la
venue de Monseigneur le Duc plus pour cognoistre, ainsy qu'elle dict,
si elle luy sera agréable, et si les difficultés qu'il pourroit faire
d'elle le pourroient divertir, que non pas qu'elle s'arreste à celles
qu'on luy a faictes de luy; assurant la dicte Dame qu'elle le répute
d'estre tel, sellon le rapport qu'on luy en a faict, qu'elle ne
s'estime assez digne d'estre sienne, et qu'elle nous vouloit bien
promettre, s'il venoit icy, et que le mariage ne succédât, qu'elle
prandroit sur elle la plus grande moictié de la honte, d'avoir esté
plustost refuzée de luy, que non pas qu'elle ne l'eust voulu accepter;
et puis l'excuse de la religion pourroit servir à toutz deux:
monstrant la dicte Dame une fort grande affection à ceste entreveue et
de chercher elle mesmes comme elle se pourroit faire, sans qu'il y
courût nul intérest de vostre grandeur, ny de celle de Mon dict
Seigneur le Duc.

Et je voy bien, Sire, que ceulx de son conseil ne sont trop marris
qu'elle ayt ceste opinyon, affin qu'elle mesmes face l'élection de son
mary.

Et je luy ay respondu, Sire, qu'il y avoit beaucoup de voyes bien
honnestes et bien fort honnorables à Monseigneur le Duc pour venir
vers elle, et qu'elle s'assurât hardiment d'avoir aujourdhuy tant de
pouvoir sur luy qu'il feroit très volontiers tout ce qu'elle
vouldroit, et qui seroit de son contantement; et que, sans doubte, il
viendroit aussytost qu'il entendroit ceste sienne bonne volonté, mais
elle mesmes ne le debvoit, en façon du monde, desirer sinon à la
charge de le prendre pour mary, aussytost qu'il seroit icy, ou bien de
le retenir prisonnier en la Tour de Londres; car il ne y avoit nulle
assez honnorable voye pour s'en retourner: et que je ne croyois pas
que Vostre Majesté, ny la Royne; qui est comme mère à toutz,
voulussiez, sans quelque assurance du dict mariage, jamais consentir
qu'il y vînt; ayant ajouxté, Sire, affin de ne laysser trop de dureté
en ce qui, peu à peu, monstre se ramoller en ce propos, que, comme
nous la suplions à elle de n'introduire nouvelles difficultés et
longueurs en cest affère, qu'ainsy vous suplierions nous très
humblement, Sire, de ne vous randre difficille en rien de ce que, sans
diminuer la réputation de vostre couronne, ny la dignité de Mon dict
Seigneur le Duc, vous pourriez complaire à la dicte Dame.

Et après plusieurs bien fort gracieulx propos, qu'elle nous a
continués plus de troys heures à son grand contantement, quelquefoys
avec toutz deux ensemble, et quelquefoys séparéement avecques luy,
parce que j'ay estimé que cella seroit très oportun; et, après qu'elle
nous a heu de rechef priés de randre plusieurs sortes de mercyementz à
Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, pour elle, avec une si
honnorable mencion de Mon dict Seigneur le Duc que de plus honnorable
ne s'en pourroit faire de nul prince qui vive, sans oublier ung
expécial grand mercys de l'élection que Voz Majestez, et luy, aviez
voulu faire de Mr de La Mole pour le luy envoyer, elle nous a, pour
ceste première foys, bien fort gracieusement licenciez, remettant à
nous voyr le jour ensuyvant à la chasse, où elle nous convioit.

Et, au sortir de la dicte audience, le dict Sr de La Mole a salué le
comte de Lestre et le comte de Sussex, et Me Smith, avec les lettres
qu'il leur a présentées et avec les bons propos qu'il leur a tenus;
qui ont monstré d'adjouxter je ne sçay quoy de nouvelle disposition à
celle qu'ilz avoient toutjours à ce propos. Et nous a le comte de
Lestre depuis faict entendre qu'il seroit bon que ne nous lassissions
de temporiser icy quelques jours; dont faysons estat d'accompaigner la
dicte Dame jusques à Quilingourt, où milord de Burgley et le comte de
Lincoln, qui sont maintenant absentz, ne faudront, lundy prochain, de
s'y rendre.

Et cependant j'ay receu ung petit pacquet du Sr de Vérac, du
pénultiesme du passé, qui porte l'abstinance d'armes en Escoce pour
deux moys, sellon la forme d'un brouillard qui contient la
publication que, ce mesme jour, en a esté faicte à Lislebourg; et ay
pareillement sceu, en ce lieu, des nouvelles de la Royne d'Escoce par
le retour d'ung mien secrettère, que je luy avois envoyé avec ce peu
d'argent, qui m'assure qu'elle se porte bien de sa santé, mais ennuyée
de se voir toutjours estroictement gardée, bien que, depuis ung moys,
l'on luy permet de aller souvant se promener aux champs. Je n'ay
oublié de faire vers la Royne d'Angleterre l'office que m'avez
commandé pour elle, qui a esté assez bien receu. Il n'y a icy rien de
nouveau de Flandres depuis mes précédantes. Sur ce, etc.

    Ce VIIe jour d'aoust 1572.

   La nuict après notre audience, la Royne d'Angleterre s'est
   trouvée bien mal pour s'estre promenée trop tard au serein,
   faysant bien froid; et pour avoir trop travaillé à la chasse,
   les jours auparavant; mais aujourdhuy elle se porte fort bien,
   et sommes conviez pour l'aller accompaigner aux champs après
   dîner.



CCLXIXe DÉPESCHE

--du XIe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Bourdillon._)

  Maladie et rétablissement d'Élisabeth.--Négociation de Mr de La
    Mole avec les comtes de Leicester, de Sussex et de
    Warwick.--Audience.--Insistance d'Élisabeth pour que le duc
    d'Alençon vienne en Angleterre.--Desir de Leicester d'être
    chargé d'une mission en France.--Nouvelles de
    Flessingue.--Crainte des Anglais que Strozy ne s'empare de
    cette ville pour la France.


    AU ROY.

Sire, à l'occasion d'ung peu de mal d'estomac qui a prins à la Royne
d'Angleterre, le jour qu'elle nous a donné audience, au lieu de Sthon,
ainsy que, par le post scripta de noz précédantes, du Ve du présent,
nous le vous avons mandé, elle a esté deux jours sans sortir de la
chambre, pandant lesquelz les comtes de Lestre, de Sussex et de Warvic
nous ont mené chez ung riche gentilhomme voysin; là où ilz nous ont
faict fort honnorer et bien tretter, et nous ont, le matin et l'après
dînée, donné beaucoup de plésir dans les parcz de la Royne, qui
estoient là auprès, en diverses sortes de chasses qui n'ont esté moins
roïales que si la Royne mesmes s'y fût trouvée; et avons heu ample
commodicté de négocier avec les dicts deux comtes de Lestre et de
Sussex, dont n'avons perdu temps. Cepandant milord trézorier est
arrivé de sa mayson de Burgley, auquel moy, La Mole, ay faict l'exprès
office de recommandation du faict de Monseigneur le Duc, de la part de
Vostre Majesté et de celle de la Royne, et avec les mesmes lettres de
Mon dict Seigneur, comme me l'avez commandé, qui ay trouvé qu'il
estoit en toute bonne disposition.

Et le troysiesme jour, la dicte Dame, encores non du tout bien guérye,
nous a permis de la voyr, laquelle, après nous avoyr compté de
l'occasion de son mal, et nous avoyr infinyement mercyez de ce que
nous avions monstré ung non moins extrême ennuy, durant sa douleur,
que ung très singulier plésir après qu'elle nous heût mandé qu'elle
luy estoit passée, elle nous a dict qu'elle avoit cerché son meilleur
soulagement ez lettres de Vostre Majesté et en celles de la Royne, et
de Nosseigneurs voz frères, et encores en celle que Monseigneur le
Duc, en particullier, m'avoit escripte à moy, La Mothe; lesquelles
elle s'estoit faictes toutes lire durant son mal, et y avoit trouvé
tant de singullières et expécialles occasions de se resjouyr en la
vraye amytié qu'il vous plaist à toutz luy porter, et vous en estre à
jamais tant obligée que, quand elle auroit commancé bon matin de nous
en dire des mercyementz, elle n'auroit achevé, à beaucoup d'heures de
la nuict, à vous randre toutz ceulx qu'elle en avoit dans son cueur;
mais elle vous prioit de croyre qu'elle avoit prins là dessus une très
ferme résolution d'emploier une bonne partie de sa vye pour en avoyr
aultant de recognoissance, comme Dieu feroit aparoistre au monde
qu'elle en pourroit avoir les moïens; et qu'elle avoit pensé de ne se
debvoir encores haster de respondre ceste foys à voz lettres ny à
celles de la Royne, jusques à ce qu'elle heût entandu, par le Sr de
Walsingam duquel elle attandoit d'heure à aultre ung courrier, comme
Voz Majestez auroient prins sa responce; et pourtant, s'il nous
plesoit temporiser jusques à Quilingourt, elle remettroit allors de
faire ses lettres, ou sinon elle s'esforceroit de nous en bailler à
ceste heure de telles qu'elle pourroit; et qu'elle nous avoit desjà
dict que son desir seroit d'estre satisfaicte d'une entrevue, plus
pour le contantement de Monseigneur le Duc, que pour le sien, bien
qu'elle vouldroit que ce fût comme par fortune de temps, qui l'eût
poussé par deçà; et que néantmoins plusieurs doubtes là dessus la
mettoient en peyne, s'il luy arrivoit, d'avanture, quelque
inconvénient au passage, ou bien si, estant icy, l'on ne se pouvoit
accorder des condicions: dont remettoit cella à Vostre Majesté, affin
que rien ne procédât jamais d'elle qui vous pût offancer; car c'est ce
qu'elle vouloit le plus éviter en ce monde; bien nous vouloit dire
qu'elle avoit des maysons assez voysines de la mer qui seroient fort à
propos pour cest effect.

Sur quoy, Sire, commançantz à ce qu'elle nous avoit discouru de son
mal, et puis de sa convalessance, et sur la faveur qu'elle nous
faysoit de la pouvoir voyr, premier qu'elle fût du tout bien guérye,
et sur le soing que cepandant elle avoit heu de nous faire donner du
plésir dans ses parcz, mais principallement sur les bonnes parolles
qu'elle nous venoit de dire de Vostre Majesté et de la Royne, et de
Nosseigneurs voz frères, et de voz lettres, nous luy avons respondu,
l'ung après l'aultre, tout ce que nous avons estimé qui estoit bien
convenable de luy dire; et vous promettons, Sire, que ce a esté tant
au contantement de la dicte Dame que, quand nous avons monstré
creindre de l'ennuyer, pour n'estre encores parfaictement guérye, elle
mesmes a estendu davantage le propos. Dont, sur celluy de notre
temporisement icy, nous luy avons dict que Mr de Vualsingam ne luy
pourroit mander rien de plus expécial de vostre intention que ce que
Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, La Mothe, et puis voz
précédantes lettres, et puis celles de maintenant, et encores ce que
de parolle à moy, La Molle, et par escript à moy, La Mothe, vous nous
aviez donné charge de luy en déclarer; et qu'il ne failloit, au cas
que la responce qu'elle vous avoit desjà mandée ne fût si bonne comme
vous la desiriez et l'espériez, sinon qu'elle la nous melliorât, et
qu'elle la nous voulût faire entière et résolue; car serions prestz de
l'accepter, et temporiserions très volontiers pour cest effect jusques
à Quilengourt, ainsy qu'elle monstroit de le desirer; que, quand à
l'entrevue, il n'estoit nul besoing de chercher en cella le
contantement de Monseigneur le Duc, car non seulement il estoit très
contant, mais tout transformé au desir des bonnes grâces et des
perfections qu'il sçavoit estre véritablement en elle, mais c'estoit à
sa satisfaction d'elle qu'on avoit à regarder; et que pour cella
croyons nous bien que Monseigneur le Duc ne regardoit à nul danger ny
inconvénient, ny s'il y auroit quelque diminution de sa propre
grandeur, pourveu qu'il peût aultant defférer à celle de la dicte
Dame; mais qu'il nous sembloit que Vostre Majesté, ny la Royne, ne le
luy vouldriez jamais permettre, et qu'encor que vous jugiés très bien
que nulle sorte de passer vers elle ne pourroit sembler que très
honneste et pleine d'ung singullier plésir à ce prince, si, ne pouviez
vous voyr qu'il luy en peût rester pas une honnorable ny sinon
accompaignée d'ung extrême crèvecueur et d'ung perdurable regret, qui
luy dureroit jusques à la mort, de s'en retourner refuzé ou non
accepté; et qu'il nous sembloit qu'en ung affaire tant approuvé de
Dieu, et louable devant les hommes, et tant plein d'honneur et de vray
contantement aux deux partis, et desjà passé par le conseil universel
des deux royaulmes, l'on ne debvoit proposer ung acrochement, lequel
monstroit partir de l'invention de quelque maulvès ange, qui
ourdissoit desjà, par la longueur et par la difficulté de ceste
entrevue, une entière ruyne du propos, premier qu'il fût conclud.

La dicte Dame, ayant un peu pensé là dessus, a monstré qu'elle
desireroit infiniement de cognoistre quel auroit à estre Mon dict
Seigneur le Duc vers son amytié, et a percisté qu'il luy failloit
attandre quelque dépesche du Sr de Walsingam; puis a passé à plusieurs
gracieulx propos d'elle et de Monseigneur le Duc, au cas que le dict
mariage succédât entre eulx: dont, ayant préveu ensemble qu'il ne
seroit que bon que moy, La Mole, luy en continuasse encores aulcuns à
part d'aulcunes privés particullarités et remarquables enseignes de
l'inthime affection et dévotion de Mon dict Seigneur vers elle, moy
de La Mothe, les ay ung peu layssez toutz deux, qui en ont tenu
plusieurs, desquelles elle a monstré, de son costé, en sentir ung fort
singullier contantement; et moy, La Mole, suis retourné du mien avec
tousjours meilleure espérance, comme j'espère bientost vous en aller
rendre compte. Cepandant moy, La Mothe, ay pressé milord de Burgley de
nous faire avoir une résolution, et il n'a heu rien d'assez aparant
pour en excuser davantage sa Mestresse, sinon de me dire que Vostre
Majesté auroit trouvé la responce en telz termes qu'il n'estoit
possible qu'on passât à rien plus avant, que vous n'eussiez de rechef
parlé, bien qu'il me vouloit assurer que luy et les deux comtes
trouvoient que le voyage de moy, La Mole, estoit très oportun, et très
oportunes les lettres que j'avoys apportées, et qu'il ne vouloit, de
sa part, encore cesser de bien espérer.

Ainsy, Sire, nous suyvons jusques à Quilingourt, et nous veulent,
ceulx qui sont bien intentionnés en cest affaire, persuader que ce que
ceste princesse monstre d'avoir fort grande affection à ceste entrevue
est le meilleur signe qui se pourroit desirer d'elle, dont nous
conseillent de ne le trop rejecter. Et le comte de Lestre m'a encores
refrayschy à moy, La Mothe, qu'il avoit ung grand desir d'aller en
France pour la conjouyssance des premières couches de la Royne Très
Chrestienne, et qu'il seroit tousjours prest de partir dans troys
jours, après que la Royne, sa Mestresse, le luy auroit commandé;
laquelle nous a desjà dict, Sire, qu'elle le vouloit de bon cueur,
pourveu que ce fût ung filz, et qu'elle prioit Dieu de vous donner ung
daulfin.

Maistre Pelan a rapporté de Fleximgues que la ville est tenable, si
la Royne, sa Mestresse, la veult prendre en sa protection; mais il
semble que, icy, l'on est entré en quelque souspeçon que le Sr Strossy
s'en vueille saysir, et qu'il a desjà escript à ceulx qui y commandent
d'y vouloir recepvoir deux mille françoys. Sur quoy quelqun m'a
declaré à moy, La Mothe, que cella réfroydira bien fort les Angloys,
et qu'ilz ne voudroient que les Françoys entreprinsent rien de ce
costé, à la charge qu'ilz favoriseroient tout ce qu'ilz vouldroient
entreprendre ez aultres endroictz. J'ay jetté bien loing tout ce qu'on
m'a dict du dict Sr Strossy. Hier, ung des gens du prince d'Orange a
esté renvoyé d'icy avec force bonnes parolles, et attand l'on de luy
une plus solenne légation, quand il sera plus avant en pays; dont lors
il sera mieulx respondu. Sur ce, etc.

    Ce XIe jour d'aoust 1572.



CCLXXe DÉPESCHE

--du XIIIe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée jusques à la court par Mr de L'Espinasse._)

  Nouvelles d'Écosse.--Vives plaintes de l'ambassadeur contre le
    mépris que font des ordres du roi les Ecossais qui occupent
    Leith.


    AU ROY.

Sire, estant Mr de La Mole et moy en ce lieu de Conventery, à la suyte
de ceste princesse, laquelle arrive aujourdhuy en la mayson du comte
de Lestre à Quilingourt, qui est à quatre mille d'icy, le Sr de
L'Espinasse m'a envoyé de Londres en hors les mémoires qu'il a raporté
d'Escoce, sur lesquelz je me suys infinyement esbahy des façons de
procéder de ceulx du Petit Lith, qui sont telles qu'elles me semblent
bien requérir, Sire, que Vostre Majesté y pourvoye avec authorité pour
ne laysser aller les choses, qui ont esté, en ce faict, faictes et
négociées par vostre ambassadeur en vostre nom, à l'indignité que
ceulx du Petit Lith monstrent qu'ilz les veulent réduyre, qui n'est
sans beaucoup de mespris et quasy mocquerye de vostre grandeur. Il est
vray que la passion les mène de vouloir chercher tant d'avantage
qu'ilz pourront pour ruyner ceulx qui leur font teste; et, si
l'assemblée du parlement se pouvoit tenir, possible que l'on
parviendroit à quelque accord, mesmement si Vostre Majesté monstre
qu'en toutes sortes elle veult et entend qu'il se face, et qu'il vous
plaise en parler vifvement à l'ambassadeur d'Angleterre et luy dire
que vous n'estes pour comporter qu'on achève de ruyner cest estat, ny
que les dicts du Petit Lith abusent des mesmes moyens qui procèdent de
vous contre ceulx qui, plus que eulx, ont espéré en Vostre Majesté.

Je verray, Sire, comme la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil
prendront le faict, et requerray en cella ce que j'estimeray convenir
au bien de vostre service; dont par mes premières je ne faudray de
vous en escripre ce qu'ilz m'y auront respondu. Et cependant, pour ne
rien retarder, je mande au dict Sr de L'Espinasse de parachever sa
dilligence vers Vostre Majesté, vous supliant très humblement de le
renvoyer, ainsy bien et bientost expédié, comme jugerez qu'il se
debvra faire, et qu'envoyez par luy quelque petite provision au
capitaine Granges pour le faire persévérer, car en luy consiste
aujourdhuy la conservation de tout ce qui peut dépandre de l'allience
de vostre couronne au dict pays. Sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour d'aoust 1572.


_Par postille à la lettre précédente._

   Depuis ce dessus, je me suis infinyement pleinct à ceste
   princesse, et aulx siens, de l'atemptat de ceulx du Petit
   Lith, et ilz ont monstré qu'ilz le trouvent très maulvais;
   dont m'ont promis qu'il y sera indubitablement remédyé.



CCLXXIe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Mr de La Mole._)

  Audiences.--Détails de la négociation de Mr de La
    Mole.--Délibération du conseil sur le mariage.--Explications
    sur la réponse donnée au roi, qui a été prise en France pour
    une rupture.--Déclarations d'Élisabeth qu'elle est décidée à se
    marier, qu'elle ne veut pas rompre la négociation; mais
    qu'avant de prendre un engagement elle croit l'entrevue
    nécessaire.--Avis donné par les Anglais sur le peu de confiance
    que doit inspirer le gouverneur de Flessingue.--Bonne
    disposition d'Élisabeth à l'égard de la négociation du
    mariage.--Départ de Mr de La Mole.


    AU ROY.

Sire, au partir de Norampthon, d'où Mr de La Mole, présent pourteur,
et moy, vous fismes une dépesche, le XIe de ce moys, nous arrivasmes,
le tréziesme ensuyvant, à Quilingourt, et le lendemein Mr le comte de
Lestre nous y traicta en festin avec les plus grandz de ce royaulme,
où ayant esté plus d'une heure et demye en conversation avec la Royne
d'Angleterre pour luy continuer, en attandant des nouvelles de France,
le propos de Monseigneur le Duc, affin de luy en imprimer tousjours le
desir, et à nous l'espérance, le dict sieur comte nous mena, l'après
dînée, avec le reste de la noblesse de la court, courre le cerf dans
ung de ses parcz jusques à la nuict; et, le deuxiesme jour après, le
Sr de Vassal arriva avec la dépesche de Voz Majestez du VIIe et IXe du
présent et avec ce que, oultre la dicte dépesche, il vous avoit pleu
le charger de nous dire.

Sur quoy nous allasmes, le XVIIe, retrouver la dicte Dame à Warvic, à
laquelle, après aulcuns propos qu'elle mesmes nous commença, nous luy
dismes qu'il nous estoit venu des lettres de Voz Majestez Très
Chrestiennes sur la responce que son ambassadeur avoit heu à vous
faire, à la fin de juillet; et de tant que luy mesmes avoit ouy les
parolles et veu les contenances, dont luy aviez uzé quand il la vous
avoit déclarée, et qu'il avoit très bien recueilly le tout, nous nous
assurions que desjà elle avoit mieulx entendu la façon comme Voz
Majestez avoient prinse la dicte responce par le discours de ses
lettres que nous ne luy sçaurions représanter sur celles de Voz
Majestez. Et, sans rien toucher à la dicte Dame de la lettre qu'elle
luy avoit escripte le XXIIe de juillet, parce que vous le nous
deffandiez, nous ajouxtâmes seulement qu'il n'estoit pas à croyre
combien il vous avoit touché au cueur que la dicte responce n'eust
esté conforme à vostre honneste desir; et combien Vostre Majesté et la
Royne, vostre mère, vous estiez vergongniez de ce que, cuydantz avoir
bien mesuré vostre offre pour la plus juste, la plus honnorable, et
quasy la plus nécessayre que vous heussiez su faire à une telle
princesse comme elle, laquelle vous aymiez et observiez plus que nulle
aultre de la Chrestienté, elle néantmoins vous heût randus confus, et
vous heût condampnés de n'avoir heu bon jugement en cella; et qu'après
y avoir bien pensé et dellibéré avec ceulx de vostre conseil, et ne
pouvantz juger, par les choses que Mr de Montmorency et Mr de Foix,
vous avoient rapportées, et par celles que je vous avois escriptes, et
encores par celles que Mr le comte de Lincoln et ses aultres
ambassadeurs vous avoient dictes, qu'il fût possible que ceste
responce heût à estre celle résolue qu'elle avoit dans son cueur, Voz
Majestez la suplioient de vous en randre une meilleure et plus
aprochante du vray contantement que vous aviez espéré d'elle.

La dicte Dame, comme préocupée d'une peur que nous voulussions rompre,
et résolue néantmoins, pour la recordation de ce qui luy estoit advenu
du premier propos, de ne changer point d'opinion, s'escria ung peu en
elle mesmes disant:--«Ha! je voy bien, par la responce de mon
ambassadeur et par ce que je oy maintenant, que la Royne Mère, comme
prudente et vertueuse, a voulu estre sage pour son filz et pour moy,
et ne veut que nous nous voyons de peur qu'il ne se puisse contanter
d'une telle femme, ou que je ne puisse demeurer bien satisfaicte d'ung
tel mary.» Et après, s'estant adressé à nous, continua nous dire que,
puisque les lettres tant honnestes et pleines d'honneur et de mille
satisfactions que je luy avois présentées en la mayson de milord
trésorier, escriptes de vostre mein, et de la Royne, et de Monseigneur
le Duc, avoient esté cause de luy faire méliorer sa première responce,
du XXIIe de juillet, par laquelle elle mandoit que les difficultés de
l'eage empeschoient qu'elle ne peût satisfaire ny à son desir ny à
vostre espérance, et d'avoir, comme par ung bon et nouveau moyen,
proposé l'entrevue, affin d'oster les dictes difficultés, elle pensoit
que, non seulement vous l'aprouveriez, mais luy sçauriez un grand gré
d'avoir, de son costé, faict l'ouverture qui debvoit procéder du
vostre; qu'elle prioit Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Mr
de Montmorency, desquelz troys le langage avoit esté semblable, qu'il
vous pleût croyre qu'elle n'estoit si traistre, ny si meschante, de
parler d'une entrevue à ung prince de si grande qualité, si elle
n'estoit bien résolue de se marier, et qu'elle m'avoit, longtemps y a,
assuré de la victoyre qu'elle avoit gaignée sur elle en cest endroict;
dont ne voudroit maintenant vendre à si inique et desloyal pris, comme
seroit cestuy cy, le précieulx trésor de vostre amityé et de la Royne
et des princes de vostre couronne, ses enfans, et qu'à la vérité elle
avoit plusieurs justes occasions du passé, et plusieurs grandes
considérations du présent, pour desirer la dicte entrevue, tant pour
la satisfaction de Monseigneur le Duc, affin qu'il n'espousât une
femme qui ne luy pleût, que, à dire vray, pour le compte d'elle
mesmes, affin de voyr si elle pourroit être aymée de luy, et si la
disposition de l'eage, et ce qu'on luy avoit rapporté du visage
seroient objetz si véhémentz qu'elle ne s'en peût jamais contanter;
et, de tant qu'elle avoit mis cella en l'arbitre de Voz Majestez, il
n'estoit raysonnable que luy renvoyssiez maintenant la pierre, sinon
que vous voulussiez que ce qu'elle vous avoit mandé et ce que Vous et
la Royne, vostre mère, aviez respondu à son ambassadeur, et ce que
nous luy disions maintenant, fût la fin du propos; demeurant la dicte
Dame là dessus bien fort pensive, sans y rien plus adjouxter.

Nous suyvismes à luy dire, Sire, que Voz Majestez la prioient de
considérer qu'il n'est en la mein des mortelz de remédier au poinct
qu'elle alléguoit de l'eage, et que vous aviez ung incroyable regret
que ne l'en peussiez satisfaire, dont ne vous restoit que dire là
dessus, sinon ce que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, luy avions
desjà dict, que, tant s'en failloit que vous heussiez pensé que les
jeunes ans de Monseigneur le Duc fussent quelque deffault que, au
contrayre, vous estimiez que c'estoit la perfection de ce mariage, et
que vous sçaviez très bien que la disposition de la dicte Dame estoit
si bonne et si belle qu'elle se retrouvoit plus jeune de neuf ans
qu'elle n'estoit, et aussy la vigueur et belle taille et bonne
disposition de Monseigneur le Duc luy anticipoient à luy son eage
d'aultres neuf ans, par ainsy, qu'ilz se rencontroient d'en avoir
chacun vingt et sept; et, au regard de l'entrevue, que si Vous, Sire,
et la Royne, vostre mère, cognoissiez qu'elle peût servir à vous
donner le contantement que vous espériez et desiriez plus que chose du
monde, que vous vouldriez que Monseigneur le Duc fût aujourdhuy
plustost que demein devers elle; mais, si la dicte entrevue avoit à
estre en vein, et que la dicte Dame n'eût volonté de se marier, comme
ses responces vous en faysoient doubter, ny voulût avoyr Mon dict
Seigneur le Duc agréable, duquel elle avoit desjà veu le pourtrêt, et
avoit entendu, par beaucoup des siens, quel il estoit, ce ne seroit
qu'adjouxter ung par trop grand malcontantement à celluy que vous
aviez desjà bien grand de la responce qu'elle vous avoit mandée. Dont
nous la voulions très humblement suplier, et la conjurer, par les
mérites de la parfaicte bienveillance et loyalle amityé que Vous et la
Royne, vostre mère, luy portiez, et par la dévotion et servitude de
Monseigneur le Duc vers elle, qu'elle voulût, sellon sa prudence, et
par l'advis des seigneurs de son conseil, avec lesquelz nous desirions
qu'elle communicquât de ce faict, vous faire une meilleure responce,
et telle qu'il n'en peût réuscyr qu'une bonne conclusion de propos, et
non jamais fin en vostre commune amityé, sinon lorsque vous cesseriez
de n'estre plus au monde.

La dicte Dame, réaulçant la teste, nous respondit, avec ung meilleur
et plus joyeulx visage, qu'elle estoit contante de parler à ceulx de
son conseil et faire voyr à Voz Majestez que vous ne sçauriez trouver
princesse, en toute la terre, qui plus s'esforçât de correspondre à
l'amityé, qu'avez tousjours monstré luy porter, qu'elle feroit. Et
entrant là dessus en plusieurs devis avec Mr de La Mole, lequel je luy
layssay seul pour parler à ses conseillers, elle fit toutz les
semblantz du monde d'avoir fort agréable ce qu'il luy disoit de son
Maistre, et luy fit reprandre à luy mesmes plus d'espérance que par
ses premiers propos elle n'avoit monstré de nous en vouloir donner.

Et sur ce, se retirant pour ung peu de temps fort joyeuse en sa
chambre, dict à Mr le comte de Lestre qu'il nous retînt pour souper
avec elle; et elle mesmes nous convia. Puis, à bout de pièce, estantz
retournés vers elle, la trouvasmes qu'elle jouoit de l'espinette, et
continua, à nostre prière, d'en jouer encores davantage pour
satisfaire au dict Sr de La Mole; et puis, au souper, qui fut ung
festin assez magnificque, elle nous fit devant toute l'assemblée les
meilleures démonstrations qui se peulvent desirer, mesmes après avoir
beu à moy, et m'avoir envoyé sa couppe et son restant pour la pléger,
elle voulut bien monstrer qu'elle avoit agréable le message et le
messager de Mon dict Seigneur le Duc, et beut aussy au Sr de La Mole,
avec plusieurs aultres honnestes démonstrations et courtoysies que,
pour l'honneur de son Maistre, ung chacun s'efforça de luy faire. Et
l'après soupée, sur les neuf heures de nuict, ung fort, qui estoit
dressé dans une prairie, soubz les fenestres du chasteau, fut assaly
par une partie de la jeunesse de la court, et soubstenu par l'aultre,
où y heut tant d'artiffices à feu, si furieulx et bien conduictz,
qu'il le fit fort bon voyr, et la dicte Dame nous retint jusques
envyron minuict pour en attandre la fin.

Le lendemein, XVIIIe, après que le trésorier de la mayson de la dicte
Dame nous heût donné à dîner, elle nous fit appeller pour nous dire
que, sellon nostre réquisition du jour précédant, elle avoit mis
l'affaire en dellibération de son conseil, où les lettres de son
ambassadeur avoient de rechef esté leues et conférées avec nostre
dire, et qu'ayant ouy l'opinion d'ung chacun là dessus, elle se
trouvoit en plus de perplexité que jamais, pour s'estre tant advancée
que d'avoir parlé de l'entrevue, et qu'elle desireroit avoir esté lors
bien empeschée de la langue; mais ses conseillers, qui avoient plus
regardé à leur affection de la voyr mariée que à sa dignité en cest
endroict, luy avoient faict faire cest erreur, se persuadans que
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, embrasseriez ce moyen, comme
le meilleur et le plus court, pour effectuer ce que monstriez desirer;
mais elle et eulx s'apercevoient, à ceste heure, encor que bien tard,
que vostre intention estoit au contraire, et que ce qu'elle avoit veu
par ung advis qui luy estoit venu de bien loing, que l'on avoit desjà
mis ordre de faire qu'elle ne trouvât non plus de correspondance en ce
segond propos qu'elle en avoit heu au premier, commançoit de
s'effectuer; car, de révoquer en doubte si elle se vouloit marier,
estoit ramener l'affaire à son commancement, et d'alléguer le
malcontantement qui resteroit de l'entrevue, si elle réuscissoit
vayne, estoit l'advertir de se garder bien de la consentir; mais ce,
qui plus la mettoit en peyne, estoit qu'on avoit remonstré à son
ambassadeur que de l'entrevue des princes n'estoit accoustumé de
provenir guyères jamais que toute male satisfaction, et cella luy
remétoit devant les yeulx que si, de l'entrevue de troys ou quatre
jours, de Monseigneur le Duc et d'elle, debvoit advenir quelque mal,
quel auroit à estre le reste de leur vye, s'ilz se marioyent sans
quelques prémices d'amityé, qui ordinayrement s'acquièrent par la
veue; et qu'elle juroit à Dieu que ces doubtes luy faysoient tant de
peur qu'elle se repentoit bien fort d'avoir jamais touché ce poinct;
duquel ny elle, ny ses conseillers ne se pouvoient, à ceste heure,
bien résouldre.

Nous répliquâmes, Sire, qu'elle debvoit prendre de bonne part ce que
Voz Majestez Très Chrestiennes aviez remonstré à son ambassadeur qui,
à ce que nous pouvions cognoistre par voz lettres, vous avoit
représenté les obstacles si grandz, et si esloignés de la facillité
qu'aviez espéré trouver en cest affaire, qu'à vostre grand regret vous
aviez interprété l'entrevue ne pouvoyr réuscyr que vayne, et pleyne de
mocquerie pour Monseigneur le Duc; et que mesmes il sembloit que vous
heussiez comprins qu'il heût uzé du mot d'_impossibilité_, dont elle
ne debvoit que bien juger de Vostre Majesté et de la Royne, vostre
mère, si, persévérans en vostre singulière affection vers elle, vous
la supliez de vous rendre une meilleure responce. Et Mr de La Mole
adjouxta que cella mesmes, qu'elle pouvoit creindre de l'altération de
vostre mutuelle amityé, si l'affaire, après l'entrevue, ne succédoit,
se debvoit creindre de ceste heure sur sa responce, au cas qu'elle ne
la vous melliorât. Et luy usasmes toutz deux, là dessus, des
meilleures et plus vifves persuasions que nous peusmes, de façon que
la dicte Dame, après avoir confessé que, si son ambassadeur avoit usé
du mot d'_impossibilité_, ou bien vous avoit faict les difficultés
non esloignées de cella, que vous aviez heu, et la Royne, vostre mère,
très juste occasion de doubter beaucoup d'elle.

Elle nous pria de luy donner encores le loysir d'ung jour entier pour
dellibérer dans cest affaire avec son dict conseil; et, sur l'heure
mesmes, monstant à cheval, elle trouva bon que nous l'allissions
accompaigner à Quilingourt, où elle s'en retournoit en chassant; et
l'entretinsmes, l'ung et l'autre, à diverses foys, sur la poursuite de
nostre propos, tout le long du chemin, avec son grand contantement.

Le lendemein matin, nous trouvasmes moyen de luy faire voyr une petite
lettre de la Royne, vostre mère, du Xe du présent, avec celle que, de
mesmes dathe, Mr Pinart m'avoit escripte, qui l'assuroient fort de la
persévérance de vos bonnes intentions vers elle; et fismes voyr aussy
à milord trésorier, par certains motz de la vostre, comme vous n'aviez
peu comprendre que les difficultez, que Mr de Walsingam vous avoit
alléguées, fussent sinon impossibles.

Et ainsy, ayant, par ce moyen et par toute la sollicitation que nous
peusmes, envers les seigneurs de ce conseil, ung à ung, et envers les
principalles dames de ceste court, bien disposé l'affaire, ce jour se
passa en de bien grandes et bien débatues dellibérations, non du tout
si vives et conformes entre ceulx du dict conseil comme nous l'avions
pensé. Tant y a que, le vintgiesme de ce moys, estantz de rechef
mandez à Quilingourt, la dicte Dame, après nous avoir entretenu
quelque temps d'aulcunes petites advantures, qui luy estoient advenues
le matin à la chasse, et après nous avoyr faict ouyr, plus d'une
heure, sa musicque en la chambre de présence, elle nous mena en la
privée.

Et là, en présence de milord trésorier et des comtes de Sussex, de
Lestre, de Lincoln, de maistre Quenolles, de sire Jacques Serofz, de
maistre Smith, toutz officiers principaulx, et du conseil privé de la
dicte Dame, elle nous dict qu'ayant bien examiné et fait examiner de
près par ceulx, qui estoient là présentz, tout l'estat de cet affaire,
elle estoit bien ayse d'avoir trouvé que le principal escrupule ne
provînt maintenant que de ce qu'il sembloit que son ambassadeur ne se
fût bien explicqué en la responce qu'il avoit heu à vous faire, ou
bien que Voz Majestez ne l'eussent bien comprinse; car n'avoit heu
charge de dire sinon que de l'inégallité de l'eage procédoit beaucoup
de grandes difficultés, qui empeschoient qu'elle ne vous peût
respondre sellon que vous l'espériez et sellon qu'elle l'heût bien
desiré, et qu'elle estimoit qu'une entrevue pourroit beaucoup
esclarcyr l'ung et l'aultre de leurs plus grandz doubtes, mais non
qu'elle luy heût mandé du mot d'_impossibilité_; car heût esté chose
fort absurde de parler d'une entrevue sur un affaire qu'elle heût
estimé impossible, et que si Voz Majestez avoient prins l'un pour
l'aultre, et qu'il vous eust représenté les difficultés comme
impossibles, elle confessoit que la Royne, vostre mère, avoit heu
occasion de faire ses responces ainsy aygres, comme son ambassadeur
les luy avoit escriptes, et comme nous mesmes ne les luy nions pas. De
quoy, par la petite lettre que nous luy avions faicte voyr le jour
précédent, et par ce que nous avions communicqué à milord trézorier,
elle demeuroit maintenant satisfaicte; et vouloit, devant Dieu,
assurer Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, que, depuis le temps
qu'elle avoit accordé à ceulx de son conseil de vouloir, pour le
béneffice de ses subjectz, résoluement se marier, et qu'elle m'en heût
faicte la déclaration pour la vous mander, elle y avoit tousjours
persévéré, et ne s'estimeroit digne du lieu, où Dieu l'avoit mise, si
elle avoit varyé; car ne pouvoit juger que ce fût ung acte d'un prince
d'honneur de ne tenir sa parolle à qui qu'il l'eût donné; et tant
plus, quand elle l'avoit mandée à ung très grand roy, auquel elle
avoit beaucoup d'obligation; et que ceulx qui, du commancement du
propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoient voulu dire
qu'elle n'en entretenoit la praticque, sinon pour servir à ses
affères, et pour en augmanter sa réputation, avoient esté conveincus
pour menteurs et pleins de grand calomnie, pour l'espreuve de ce qui
s'estoit veu depuis, qu'elle avoit passé si avant qu'elle layssoit
bien maintenant à nous mesmes de juger si c'estoit par l'esprit de
Dieu, ou bien de Satan, son adversayre, que leur mariage avoit esté
interrompu; et que, pour la considération, non d'elle en façon que ce
fût, mais pour divertir le mal qui menassoit son estat et ses subjectz
d'une inévitable ruyne, par faulte de certein successeur, incontinent
qu'elle seroit morte, qu'elle persévéroit, plus que jamais, de se
vouloir sacriffier elle mesmes pour leur en laysser ung.

Dont avoit, de rechef, résolu avec ceulx de son conseil, et ainsy le
déclaroit à nous, en leur présence, qu'indubitablement elle vouloit
prendre mary; et que, touchant ce poinct, nous en assurissions
ardiment Vostre Majesté: et, si nous luy demandions d'où? elle nous
respondoit de grand lieu, parce qu'elle n'estoit petite; et qu'en ce
que Voz Majestez luy proposoient Monseigneur le Duc, de quoy elle ne
vous sçauroit jamais assez remercyer de vous estre ainsy toutz troys,
l'ung après l'aultre, offertz à elle, elle vouloit bien dire que le
party estoit fort honnorable; car nul aultre prince, en toute la
terre, se pouvoit vanter d'estre de meilleure, ny plus grande, ny plus
royalle extraction que luy, et luy mesmes estoit si royal et tant
accomply en excellantes qualitez d'un gentil et valeureux prince,
qu'il méritoit une trop plus grande et meilleure fortune qu'il ne la
pourroit rencontrer en elle, ny en une aultre princesse qui fût plus
grande qu'elle; mais, quand à ce qui pouvoit concerner à elles mesmes,
encores qu'elle desirât se sacriffier pour ses subjectz, ce n'estoit
toutesfoys en sorte qu'elle voulût encourir l'extrême tourmant d'ung
maulvais mariage, car ce luy seroit ung perpétuel enfer en ce monde.
Dont, pour s'esclarcyr de cella, en l'endroict de Monseigneur le Duc,
et voyr si les difficultez de l'eage et aultres qui se trouvoient
entre elle et luy, se pourroient oster par une entrevue, elle, de
rechef, nous accordoit de remettre ce poinct à Voz Majestez Très
Chrestiennes affin qu'il vous pleût regarder si, avec l'honneur de
vostre couronne et la dignité de vostre frère et filz, vous pourriez
trouver bon que eulx deux se vissent, bien que, pour la creinte
qu'elle avoit que, ne s'accomplissant le mariage, l'amityé que luy
portiés se vînt à diminuer, qui seroit chose qu'elle vouldroit plus
éviter que la propre mort, elle n'osoit dire ce qu'elle desiroit en
cella; dont suplioit Voz Majestez d'y vouloir regarder, et pour elle,
et pour vous, et prendre, de bonne part, ceste sienne déclaration, qui
estoit la plus clère et ouverte qu'elle vous pouvoit faire.

Et exprima la dicte Dame toutes ces choses beaucoup plus amplement, et
avec ung si bel ordre de parolles, prononcées d'affection, et avec
tant de grâce, et encores avec tant d'ornement, que nous deux, et les
siens mesmes en restâmes bien fort esmerveillés.

Et, après nous estre conjouys avec elle d'ung si vertueux, et si
digne, et vrayement royal propos, qu'elle venoit de nous tenir, fort
conforme à l'affection de Voz Majestez Très Chrestiennes vers elle, et
bien fort à vostre louange, et de ceulx de vostre couronne, Mr de La
Mole et moy luy dismes que nous ne nous pouvions tenir que ne luy en
baysissions, mille et mille foys, bien humblement, les meins; et
néantmoins nous la voulions prier d'avoir agréable que nous
persévérissions encores en nostre première instance d'impétrer une
meilleure responce d'elle; car, de nulle part du monde, Voz Majestez
n'attandoient meilleures nouvelles que de son costé, et que nous
sçavions certaynement que de pires n'en pourriés vous avoir, ny qui
plus vous apportassent d'affliction, que si Mr de La Mole n'avoit
trouvé icy la correspondance que vous attandiez sur le propos de
Monseigneur le Duc, et réputeriez à grand malheur qu'il s'y sucitât
des difficultés qui peussent empescher ou retarder vostre honneste
pourchas, prévoyans bien que ce seroit ung commancement de sape pour
ruyner le meilleur fondement de vostre commune et parfaicte amityé; et
luy ozions dire tout librement que vous n'eussiez entreprins de faire
passer Mr de Montmorency par deçà, ny luy heussiez donné charge, et à
Mr de Foix et à moy, par pouvoir exprès, lequel nous avions monstré à
milord trézorier, de faire à la dicte Dame l'offre de Monseigneur le
Duc, si vous n'eussiez bien mesuré par plusieurs grandes
considérations, bien digérées en vostre conseil, et par plusieurs
conjoinctes nécessités que vous avez avec elle, qu'il ne se pouvoit
faire qu'elle ne fût toute résolue d'iceulx deux poinctz qu'elle avoit
desduictz: l'ung, de se marier; et l'aultre, de prendre party de grand
lieu.

Car, pour le regard du premier, voyantz qu'elle avoit régné quatorze
ans en grande paix, et que Dieu avoit monstré qu'au milieu des plus
divers temps et plus dangereulx, il sçavoit régir et gouverner une
monarquie soubz l'authorité d'une princesse, qui estoit ung fort rare
exemple, mais qui rendoit la dite Dame la plus cellèbre princesse qui
heust guière jamais régné au monde, vous jugiés très bien que ce
n'avoit peu estre sans qu'elle fût pleine de grande prudence, et de
grand vertu, et de sages conseilz, et d'un parfaictement bon heur; et
que, se rencontrantz encores tout cella en la personne d'une, que
toutz ses subjectz recognoissoient estre fille et petite fille de
leurs roys, belle princesse et pleyne de majesté, laquelle ilz voyent
remplir fort dignement le siège de ceste couronne, ilz luy avoient
très volontiers obéy jusques icy, et avoient déchassé bien loing toutz
les empeschementz et difficultez qui aultrement se fussent trouvés en
son règne, en espérance toutesfoys qu'elle leur laysseroit ung
successeur après elle, ce que difficilement ilz vouldroient plus
comporter quand ilz verroient qu'elle se seroit layssée surprendre
d'ung temps qu'ilz ne pourroient plus espérer cella d'elle, qui seroit
une sayson que vous luy jugiez si périlleuse que vous vous doulriez,
dès ceste heure, de ses calamitez d'allors, plus que vous ne vous
pouviez resjouir de ses prospérités présentes; et qu'il y avoit
plusieurs exemples, de non trop longtemps, que les grandz roys très
puissantz, et qui manioyent eulx mesmes les armes, ne s'estoient
jamais trouvez plus assurez de leurs personnes ny de leurs estatz,
que quand ilz s'estoient veus mariez et avoir des enfans, et que Voz
Majestez n'estoient ignorantes des desseins qui avoient esté faictz
contre la personne, la vye, la qualité et l'estat de la dicte Dame, en
diverses partz de la Chrestienté, dont vous assuriez qu'elle n'avoit
peu faire une résolution si esloignée de sa prudence et de sa vertu et
de tout bon conseil, ny si procheyne de son malheur, que de ne se
vouloir marier; et pourtant vous croyez, avec la confirmation que vous
aviez de sa parolle en cella, sur la quelle vous faysiez plus de
fondement que en tout le reste, que, sans aulcun doubte, elle
prendroit mary.

Et quand à dire d'où? qu'il estoit vray qu'avant qu'elle nasquît, et
après qu'elle estoit venue au monde, la couronne de France avoit
tousjours heu une grande inclination vers elle, car le feu grand Roy
Françoys, seul de toutz les princes chrestiens, avoit favorisé les
nopces d'où elle estoit yssue, et avoit, premier qu'il aparût nul
astre de sa nativité au ciel, desjà faict ce bon office pour elle,
guyde possible d'ung bon présage pour Françoys, son petit filz, lequel
estoit aujourdhuy son vray image au monde; et le Roy Henry, son père,
l'avoit aymée et avoit heu soing d'elle, pendant qu'elle estoit
princesse, comme si ce heût esté la propre Elizabeth sa fille, qui fut
depuis Royne d'Espaigne; et Vostre Majesté à présent, l'aviez
tousjours plus respectée et observée que princesse du monde; et, encor
qu'eussiez esté assez provoqué de son costé, vous aviez tousjours paré
les coups le mieulx que vous aviez peu, sans la vouloir, à vostre
esciant, jamais offancer, ains aviez diverty, de vostre pouvoir, tout
ce que vous aviez apperceu au monde qui pouvoit torner à son offance;
et enfin Dieu avoit si bien segondé vostre bonne intention que vous
aviez contracté une plus estroicte confédération avec elle; et vous
trouviez aujourdhuy, si vous n'estiez bien trompé, le premier d'entre
toutz ses alliez, qu'elle aymoit le mieulx, et en qui elle avoit plus
de fiance, comme aussy Voz Majestez luy portoient plus de
bienveillance et de cordiale amityé qu'à princesse de la terre; et
que, vous retrouvant en ce degré, vous estimiez n'apartenir à nul si
bien qu'à Vous et à la Royne, vostre mère, de luy pourchasser party;
dont luy aviez offert Monseigneur le Duc comme ung d'entre ses plus
certains amys, et de si bon lieu que de meilleur n'en estoit au monde,
et lequel vous cognoissiez si garny d'excellantes qualités, de vertu,
de valeur et aultres dons du ciel et de nature, que vous oziez donner
ce tesmoignage à vostre frère, qu'il ne luy restoit plus qu'estre
receu en la bonne grâce d'elle, pour estre ung des plus accomplis
princes de l'Europe: dont n'aviez peu doubter que très volontiers elle
ne l'acceptât.

Mais, de tant que vous ne vouliez rien demander en cest endroict qui
ne fût pour l'advantage d'elle, et de sa réputation et honneur, nous
la voulions bien suplier d'avoir le pareil esgard à vous, de ne
requérir rien de Monseigneur le Duc qui semblât extraordinayre ou non
accoustumé aulx plus grandz princes, car ne pouvions estimer qu'il
peût comparoistre devant elle en ceste entrevue, sinon ainsy que
feroit le criminel devant ung juge, duquel il attandoit la sentence de
sa mort et de sa vye, ce qui luy diminueroit beaucoup de ses bonnes
grâces, là où, s'il venoit bien assuré de celles d'elle, elle ne
trouveroit qu'il en deffaillît une seule en luy; et avions l'exemple
du Roy d'Espaigne et de la feue Royne, sa seur, qui s'estoient bien
mariés sans se voyr, qui n'estoient rien de plus que les deux, dont
nous traictions à présent.

A quoy elle me respondit que je n'allégasse plus cest exemple, car il
n'avoit heu ung seul rencontre de bonheur; dont continuay que,
puisqu'ainsy estoit, qu'elle ne vouloit changer d'opinion, que Mr de
La Mole et moy luy accordions très vollontiers que le dict point de
l'entrevue fût remis à Voz Très Chrestiennes Majestez; mais, affin
qu'il y restât moins de difficultés, nous la voulions très humblement
suplier de nous accorder que toutz les articles, qui avoient esté
déterminés sur le propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté,
demeurassent entiers, et desjà toutz accordez pour Mon dict Seigneur
le Duc.

A quoy elle nous respondit qu'elle en estoit contante, sinon seulement
des articles de la religion, ainsy qu'elle l'avoit auparavant escript
à son ambassadeur, affin qu'à toutes advantures, si le mariage n'avoit
à réuscyr, cella peût servir d'honnorable excuse à toutz deux.

Nous incistâmes que les dicts articles demeurassent, mais,
puysqu'ainsy luy playsoit que l'interprétation, sur laquelle l'on en
estoit demeuré pour Monsieur, fût réservée pour s'en accorder allors;
et que, pour ne procéder en ung si grand faict par négociations
incerteynes, elle trouvât bon que le tout fût rédigé par escript; ce
que la dicte Dame ne nous refuza, ny l'ung ny l'aultre.

Et encores, après avoir examiné, à part, le dict Sr de La Mole de
l'intention de Monseigneur le Duc, son Maistre, pendant que les dicts
du conseil me vindrent parler d'aulcunes aultres choses, à quoy je
m'assure qu'il la satisfit grandement, elle nous remeit à nous revoir
encores le lendemein, où nous ne fallismes de nous rendre à l'heure
accoustumée, et trouvasmes qu'elle avoit desjà escripte la lettre de
la Royne, vostre mère, de laquelle elle nous fit communicquation; et
nous dict qu'elle estoit après à mettre la mein à la vostre, et
qu'elle vous vouloit prier toutz deux de respondre pour elle à celle
de Monseigneur le Duc, se ressouvenant bien que, d'aultresfoys, je luy
avois faict faire une semblable erreur en pareille occasion; mais nous
la conjurasmes tant, et luy fismes de si humbles prières pour ceste
faveur vers Mon dict Seigneur le Duc, qu'enfin elle nous promit
d'escripre à toutz deux voz frères. Et nous ayant encores, puis après,
menés à la chasse, et faict plusieurs aultres honnestes et favorables
démonstrations, et qu'elle heût monstré en toutes sortes de demeurer
très satisfaicte de toute la légation du dict Sr de La Mole, et bien
fort grandement de luy mesmes, elle nous licencia très gracieusement
toutz deux, et adjouxta ce mot, Sire,--«Que le dict de La Mole s'est
si sagement et en si bonne façon conduict et comporté, en tout ce
qu'il a heu à dire et faire en ceste court, qu'il y a layssé une très
bonne opinion de luy, et y sera toujours fort bien venu.» Et sur ce,
etc. Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572.

   Les seigneurs de ce conseil estiment que le capitaine Serras,
   à présent gouverneur de Fleximgues, a intelligence avec le duc
   d'Alve, dont vous suplient que, si Vostre Majesté entend que
   les angloys, qui sont au dict lieu, se soient pourveus pour
   leur seurté contre le dict Serras, que ne le vueilliez
   interpréter qu'à bien, et faire que les françoys n'entreprennent
   de s'y oposer.


    A LA ROYNE.

Madame, de tant que, par aulcunes de voz responces à Mr de Walsingam,
la Royne, sa Mestresse, avoit prins opinion que Vostre Majesté
n'estoit si affectionnée au bon propos, qui est maintenant en termes,
comme elle l'eût pensé, et luy en estant le souspeçon aulcunement
confirmé par quelques lettres, qui naguières avoient été surprinses,
nous avons esté en grande perplexité comme luy oster ceste impression;
mais elle mesmes nous en a mis en chemin, nous racomptant par ordre
tout le contenu de la lettre du XXIIe de juillet, de laquelle vous
nous deffandiez de luy en parler, et nous faysant faire par ses
conseillers tout le discours d'icelle et des subséquentes, jusques à
la responce, ce qui nous a donné argument, en luy en épluchant bien
toutz les poinctz, de luy faire cognoistre que Vostre Majesté avoit
heu occasion de parler en la façon qu'elle avoit faict, et qu'elle
pouvoit bien comprendre (par la petite lettre que m'aviez despuis
escripte, du Xe du présent, et par celle de Mr Pinart, de mesmes
dathe, lesquelles nous luy fismes voyr bien à propos), que vous ne
persévériez en nulle plus fervente affection au monde qu'en celle de
ce mariage.

Et me semble, Madame, que ce petit inconvénient n'est advenu que pour
bien, pour la faire déclarer davantage et tirer plus de lumière de son
intention; mesmes que, l'ayantz supliée de n'en imputer rien à son
ambassadeur, ains plustost à Voz Majestez et au trouble que ce avoit
esté en vostre cueur de n'avoir trouvé tant de correspondance en sa
responce comme vous l'aviez espéré, elle nous a assurez qu'elle
n'avoit, ny pouvoit avoir, aulcun malcontantement de luy, et que nul
gentilhomme de ce monde pourroit jamais mieulx mériter de ceste cause,
et pour vous et pour elle, qu'il faysoit; mais ce qu'elle vous en
mandoit par sa lettre serviroit bien fort à son propos; et néantmoins
vous prioit de croyre qu'il n'avoit escript que en très bonne sorte
toutes les choses que luy aviez dictes.

Sur quoy, Madame, je vous suplie très humblement me donner charge, par
voz premières, de dire quelque mot à la dicte Dame du contantement que
vous avez de luy, et cepandant prendre de bonne part si, pour ne
rompre ce propos, Mr de La Mole et moy avons consenty à la dicte Dame
qu'elle remît encores à Voz Majestez le poinct de l'entrevue; qui n'a
esté sans que nous y ayons oposé toutz les plus grandz argumentz que
nous avons peu, qui ont esté cause de nous faire gaigner les aultres
deux pointz que verrez en la lettre du Roy; en laquelle nous
racomptons les principalles choses de toute la négociation qui a esté
faicte depuis nos précédantes; et cella avec quelque peu de longueur
qui, possible, vous sera ennuyeuse, mais c'est affin que, par la
représantation des mutuelz propos qui ont esté entre la dicte Dame et
nous, et par ses démonstrations, que nous y avons exprimées, Voz
Majestez puissent mieulx juger en quoy reste l'affaire maintenant, et
y puissent prendre une plus certayne résolution; bien qu'il reste
encores au dict Sr de La Mole de vous réciter assez d'aultres
particullaritez pour en faire une histoyre: et luy veulx bien rendre
ce tesmoignage qu'il a si bien accomply et sa légation, et vostre
commandement, par deçà, et s'est en toutes choses si bien comporté que
je ne l'eusse sceu desirer mieulx pour vostre service, ny pour la
satisfaction de ceste princesse et de toute ceste court. Et vous
suplie très humblement, Madame, de croyre qu'il n'a tenu à nous, ny à
chose quelconque, qui se soit peu faire de la part de nous deux, qu'il
ne vous rapporte maintenant l'entière résolution de l'affère; mais il
se fault contanter de ce qu'on peut. Et aulmoins veux je bien, Madame,
qu'il vous assure que, sellon les démonstrations de ceste princesse,
nous l'avons layssée, ceste foys, beaucoup mieulx disposée vers Voz
Majestez Très Chrestiennes et vers ce propos que je ne l'y avois vue
auparavant; et ceulx qui y ont bonne affection nous crient: _que
Monseigneur le Duc vienne_.

Dont, Madame, si Voz Majestez estiment que, pour une si haulte
entreprinse, il faille mettre au risque et à l'azard la dicte
entrevue, chose à quoy je n'oze adjouxter mon advis, parce qu'estant
le faict de Monseigneur vostre filz, il doibt estre entièrement
réservé à la détermination de Voz Majestez, je vous suplie très
humblement vous en résouldre si bien, et si tost, que cella se puisse
accomplir dans le prochein moys d'octobre au plus tard; de tant que
les volontés ne sont perpétuelles, ny souvant de guières de durée, par
deçà. Et desjà je sçay que, de dellà la mer, l'on sollicite instamment
la ropture; dont sera très nécessayre de tenir fort secrette la
dellibération que vous y ferez.

La noblesse de ce royaulme est très bien affectionnée à ce propos, les
principalles dames de ceste court le favorisent, et ceulx du conseil
ont faict ung singullier debvoir de l'advancer; dont adviserez,
Madame, comme leur en faire quelque recognoissance, et comme
satisfaire principallement au particullier de Mr le comte de Lestre,
vers lequel, si Mr de Montpensier se rend si difficile, du party de sa
fille, comme il me deffend par une sienne lettre de n'en parler
jamais, Vostre Majesté pourra considérer s'il seroit bon que je mysse
en avant celuy de madamoyselle de Chasteauneuf, ou de quelque aultre,
que Voz Majestez vueillent apparanter avec semblables advantages,
qu'avez desjà offertz pour la susdicte de Montpensier. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572.


   _Par postille à la lettre précédente._

   Le dict Sr de La Mole, pour l'honneur de Voz Majestez et de
   Monseigneur le Duc, a esté fort favorablement reçu de ceste
   princesse, et a esté bien traicté en sa court et en divers
   lieux de ce royaume, et honnoré, puis après, d'un présent,
   qui, à la vérité, n'a pas correspondu au reste, ny à la
   libéralité, dont le dict Sr de La Mole a uzé fort honnestement
   partout, ny à ce qu'on a veu de luy en ceste court, qui est
   arrivé à dix sept chevaulx de poste; car n'a esté que d'une
   cheyne de troys centz trente escuz, mais, possible, est
   advenu, par ce qu'on n'estoit en lieu commode. Et ne fauldra
   pour cella, Madame, que layssiez de remercyer du reste
   l'ambassadeur d'Angleterre, et que Monseigneur le Duc l'en
   envoye aussy remercyer. Et ne puis obmettre de vous
   ramantevoir tousjours les remèdes pour le visage de Mon dict
   Seigneur; car c'est chose qui m'est singullièrement recommandé
   de ce costé.



CCLXXIIe DÉPESCHE

--du XXXe jour d'aoust 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Fogret._)

  Effet produit à Londres par la première nouvelle de la
    Saint-Barthèlemy.--Saisie de la première dépêche adressée à
    l'ambassadeur.--Réception de la seconde.--Irritation des
    Anglais.--Résolution de l'ambassadeur de suspendre toutes les
    négociations.--Nouvelles d'Écosse.--Nécessité de donner à
    Walsingham en France les mêmes explications que doit donner
    l'ambassadeur en Angleterre.--Impossibilité où se trouve
    l'ambassadeur de répondre aux questions qui lui sont faites.


    AU ROY.

Sire, ainsy que Mr de La Mole estoit prest à partir, jeudy matin, pour
aller retrouver Vostre Majesté, le premier courrier que m'aviez
dépesché, le dimanche, XXIIIIe de ce moys, arriva icy sans aulcun
pacquet, parce qu'en passant à la Rye, où il estoit venu descendre, au
partir de Roan, les officiers du lieu, ayant desjà veu arriver six ou
sept bateaux des gens de la nouvelle religion de Dieppe, toutz
épouvantez de la soubdaine sédition de Paris, prinrent la dépesche
qu'il m'aportoit, et l'envoyèrent incontinent à la Royne, leur
Mestresse, qui ne me l'a encores renvoyée, parce qu'elle est bien
loing d'icy. Et le dict Sr de La Mole ne layssa, pour cella, de
partir, l'après dînée, avec l'entier discours de toute la négociation
qu'avions faicte jusques allors. Et, le soyr mesmes, vint le segond
courrier, qui estoit party de Paris le mardy, XXVIe, par lequel, Sire,
il vous a pleu me mander le regret, que Vostre Majesté avoit, que la
sédition de ceulx de la ville n'estoit encores appaisée, et que je ne
parlasse aulcunement des particullarités, ny de l'occasion d'icelle,
jusques à l'aultre procheine dépesche, que Vostre Majesté me feroit,
le jour ensuyvant[4]. En quoy j'estime, Sire, que vostre troysiesme
pacquet m'arrivera plus tost que l'on ne m'aura rendu le premier; et,
par ainsy, je parleray sellon icelluy, et non sellon l'aultre.

  [4] Voir les lettres du roi en date des 24, 25, 26 et 27 août
  1572, adressées à Mr de La Mothe Fénélon, ainsi que l'instruction
  qui y fut jointe; _Supplément à la Correspondance Diplomatique de
  La Mothe Fénélon_, contenant les lettres qui lui étaient écrites
  de la cour.

Et néantmoins je vous veulx bien dire, Sire, que tout ce royaulme est
desjà plein de la nouvelle du faict, et que l'on l'interprète
diversement sellon la passion d'ung chacun plus que sellon la vérité;
dont je vous suplie très humblement de vouloir faire capable
l'ambassadeur d'Angleterre des mesmes choses que me commandez d'en
dire icy, affin qu'il y ayt confirmité de ses lettres à mon parler;
car cella importe beaucoup. Et tout ainsy que je pense bien qu'ung tel
accidant muera assez la forme des choses par dellà, je voy que l'on en
est desjà icy en telle altération qu'il faudra, à mon advis, qu'on
recommance une nouvelle forme d'y procéder, de vostre costé; et ne
pouvant encores bien discerner comme elle aura à se faire, je
laysseray toutes les choses du passé en quelque suspens, jusques à ce
que, par celles qui sont freschement survenues, nous pourrons
cognoistre comment nous gouverner vers celles d'après. Et adjouxteray
seulement à ce pacquet l'extrêt d'ung chiffre, que j'ay receu de Mr Du
Croc, et une lettre que la Royne d'Escoce m'a naguières escripte, avec
ung sien mémoyre à part; et vous diray sur le tout, Sire, qu'il me
semble tousjours plus expédiant que les différendz des Escouçoys
soient remis à la détermination des Estatz du pays, que si Vostre
Majesté les prenoit en sa mein; de peur de ne satisfaire à la Royne
d'Escoce, et que ne divisiez l'estat, lequel vous voulez conserver
entier à vostre allience.

Je suplie, de rechef, très humblement Vostre Majesté de faire bien
informer l'ambassadeur d'Angleterre des choses qui ont passé à Paris,
et garder que luy, ny nulz angloys soient oppressez de la sédition,
car cella interromproit beaucoup la bonne intelligence qu'avez
maintenant avecques ce royaulme. Et sur ce, etc.

    Ce XXXe jour d'aoust 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, sur ung cas si nouveau et si inopiné, comme celluy qui est
advenu, dimanche dernier, à Paris, l'on faict desjà icy tant de
diverses interprétations, qu'on me met en grand peyne comme y
respondre; et, ce matin, Me Wilson, maistre des requestes de ceste
princesse, m'en est venu curieusement demander les particullarités,
mais je me suis excusé de luy en rien respondre, à l'occasion que je
n'avoys encores mon pacquet; et seulement luy ay dict que je creignois
que ceulx de la nouvelle religion eussent donné occasion à ceulx de
Paris de s'eslever contre eulx. Il n'est pas à croyre combien ceste
nouvelle esmeut grandement tout ce royaulme. Je verray comment les
choses s'y disposeront, et vous advertiray, le plus particullièrement
qu'il me sera possible, de tout ce que, jour par jour, j'en pourray
comprendre. Et sur ce, etc.

    Ce XXXe jour d'aoust 1572.



CCLXXIIIe DÉPESCHE

--du IIe jour de septembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Remise à l'ambassadeur de la dépêche qui a été saisie.--Premiers
    détails de la Saint-Barthèlemy.--Mort de l'amiral
    Coligni.--Assurance que Walsingham n'a dû courir aucun
    danger.--Protestation de l'ambassadeur que l'exécution n'a
    point été préméditée.--Interruption de toutes les négociations
    avec la France.--Projet des Anglais de renouer leur alliance
    avec l'Espagne.--Demande de nouvelles instructions sur la
    négociation du mariage.--Exécution du comte de Northumberland à
    York.--Suspension du commerce avec la France.


    AU ROY.

Sire, aussytost que les officiers de la Rye, qui avoient prins le
pacquet que Vostre Majesté m'envoyoit par Nicollas le chevaulcheur,
l'ont heu apporté en ceste court, ceulx de ce conseil, s'estant bien
courroucés à eulx de la faulte qu'ilz avoient faicte de me l'avoir
retardé, me l'ont incontinent remandé par le Sr de Quillegrey, avec
plusieurs bien honnestes excuses, et m'ont faict prier que je leur
fisse sçavoir si ce qu'ilz avoient ouy de tant de meurtres advenus à
Paris, estoit chose véritable, et si Mr de Walsingam y avoit prins nul
mal. A quoy pour leur satisfaire, j'ay communicqué au dict Sr de
Quillegrey la première lettre de Vostre Majesté, du XXVIe du passé, et
luy ay dict que je n'avois rien davantage de tout le dict faict de
Paris, sinon que le chevaulcheur, qui estoit venu, assuroit que,
depuis icelle escripte, et avant qu'il montât à cheval, il avoit veu
la sédition bien allumée par la ville, et qu'il sçavoit certaynement
que monsieur l'Amiral et plusieurs aultres de la nouvelle religion
estoient mortz, mais n'avoit entendu d'où cella estoit procédé; et,
quand à Mr de Walsingam, il croyoit qu'il n'avoit nul danger, parce
que ceulx de Paris estoient assez bien instruicts qu'il failloit, en
toutes choses, tousjours respecter les ambassadeurs.

Je croy, Sire, qu'il a esté fort à propos que le dict Sr Quillegrey et
Me Wilson, maistre des requestes de ceste Royne, qui aussi m'est venu
trouver de la part des seigneurs de ce conseil sur ceste occasion,
ayent veu la dicte lettre, affin d'oster aux ungs et aux aultres
l'impression qu'ilz avoient que ce fût ung acte projecté de longtemps,
et que vous heussiez accordé avecques le Pape et le Roy d'Espaigne de
faire servir les nopces de Madame, vostre seur, avec le Roy de
Navarre, à une telle exécution pour y atraper, à la foys, toutz les
principaulx de la dicte religion assemblés; ce que la dicte lettre
monstre combien vostre intention a esté esloignée de cella, et combien
le cas a esté fortuit et soubdein.

Je voy bien, Sire, que tout ce royaulme en est merveilleusement esmeu,
et qu'on met en suspens le propos de Monseigneur le Duc, celluy du
commerce, les entreprinses de Flandres et toutes aultres choses,
jusques à ce que l'on ayt l'entier esclarcissement comme la chose a
passé, et à quoy se résouldra meintenant Vostre Majesté de
l'entretènement de l'édict de paciffication. Et cependant, Sire, il
semble que ceulx cy veulent, en tout évènement, reprendre quelque
nouvelle praticque avec Anthonio de Guaras, sur les lettres qu'il a
apportées du Roy d'Espaigne et du duc de Medina Celi à ceste
princesse, quand elle estoit à Quilingourt; desquelles la substance
n'estoit que de la venue du dict duc aux Pays Bas; mais ilz veulent
maintenant, sur l'occasion des choses de Paris, les fère servir à ung
plus grand effect, s'ilz peulvent, et préparent aussy d'envoyer, du
premier jour, quelqung en Allemaigne devers les princes protestans.
Dont je retourne suplier très humblement Vostre Majesté, comme je l'ay
desjà supliée par mes précédantes lettres, qu'il luy plaise me mander
la façon comme j'auray à parler de cecy à ceste princesse, affin de la
rendre capable de la vérité des choses; et que faciez, Sire, que Mr de
Valsingam en soit aussy informé, affin qu'il le luy représente de
mesmes par ses dépesches.

J'ay touché quelque mot au dict Sr de Quillegrey de ce que me mandiez
en chiffre; à quoy il m'a respondu qu'il n'a pas quinze jours que la
Royne, sa Mestresse, et les siens se fussent bien fort resjouys d'une
telle déclaration, mais qu'à ceste heure il croyoit qu'ilz prendroient
nouveaulx advis, et, possible, bien esloignés de ceulx qu'ilz avoient
eus auparavant. Je l'ay fort assuré qu'aussytost que j'auroys de voz
nouvelles, lesquelles ne pouvoient guières plus tarder, je les iroys
apporter à la dicte Dame; et ainsy il l'est allé trouver. Je seray
bien ayse, Sire, qu'incontinent après l'arrivée de Mr de La Mole, il
vous playse me mander à quoy Voz majestez vouldront résouldre du
propos de Monseigneur le Duc, affin que j'en reprenne les erres, le
mieulx qu'il me sera possible.

Vendredy, XXIIe du passé, le comte de Northombelland a esté exécuté
publicquement en la ville d'Yorc, non sans regret de plusieurs, mais
sans tumulte de pas ung, parce qu'on révère bien fort par deçà la
justice et l'authorité de leur Royne. Vray est qu'on n'a layssé de
donner ung grand blasme aux Escouçoys sur l'indignité de cest acte, de
ce que, contre l'ancienne observance d'entre ces ceulx royaulmes, ilz
ont vendu la vie de ce seigneur, lequel estoit allé à refuge à eulx.
Sur ce, etc.

    Ce IIe jour de septembre 1572.

   Depuis ce dessus, J'ay receu une lettre de Me Smith, à présent
   seul secrettaire d'estat d'Angleterre, touchant aulcunes
   choses d'Escoce, et le mémoyre qu'il m'a envoyé des dictes
   choses, en escouçoys. Il faict aussi quelque jugement de
   celles qui s'entendent de Paris, dont vous envoye l'original
   de sa lettre et le traduict du dict mémoyre. Ceste princesse
   est en quelque opinion d'envoyer bientost le Sr de Quillegreu
   en France. S'il y va, je creins qu'il passera en Allemaigne.


    A LA ROYNE.

Madame, parce que ceulx cy délayssent presque toutes aultres choses en
suspens, pour entendre à celles qu'on leur a rapportées de Paris, et
sçavoir d'où est procédé l'occasion d'icelles, et quelles conséquences
elles produiront, j'ay estimé qu'il n'estoit encores bien à propos
d'aller trouver là dessus la Royne d'Angleterre, et qu'il estoit trop
meilleur que j'attandisse vostre procheyne dépesche, affin de luy
pouvoir mieulx apporter la certitude du tout, et avoir, premier que de
luy en rien discourir, la forme comme il plerra à Voz Majestez que je
en parle. Et cependant je satisfay, le mieulx que je puys, par la
lettre du Roy, du XXVIe du passé, à toutz ceulx qui m'en viennent
rechercher; et leur fay cognoistre que c'est ung cas fortuit qui
oncques n'avoit esté projecté, et que le Pape, ny le Roy d'Espaigne,
n'y sont, comme ilz l'estiment, en rien meslés; et qu'il y a grand
apparance que ceulx de la nouvelle religion, après la blessure de
monsieur l'Amiral, ayent eulx mesmes provoqué ceste entreprinse contre
eulx.

Il y a plusieurs navyres dans ceste rivière, chargés de draps et
aultres marchandises, pour France, qui debvoient faire voyle, à ce
commancement de septembre; mais tout est arresté jusques à ce qu'on
ayt plus grand esclarcissement de l'affaire, duquel je desire
infinyement que l'ambassadeur d'Angleterre demeure bien édiffié, et
que bonne édiffication en demeure pareillement vers toute la
Chrestienté pour Voz Majestez Très Chrestiennes, et pour toutz les
vostres, contre ceulx qui vouldront entreprendre d'en rien calompnier.
Et sur ce, etc.

    Ce IIe jour de septembre 1572.

   Je ne puis faire, Madame, touchant le propos de Monseigneur le
   Duc, que je ne vous ramantoyve tousjours de faire accélérer
   les remèdes du visage, et de faire advancer, avec l'art, ce
   que la nature s'esforce de rabiller peu à peu d'elle mesmes,
   vous supliant très humblement d'essayer l'expérience du
   personnage que je vous ay envoyé; car la démonstration, qu'il
   m'en a faicte, est chose si aysée et si seure, que nul ne le
   pourra contredire, et j'en suis, de plus en plus, très
   instamment sollicité de ce costé.



CCLXXIVe DÉPESCHE

--du XIIIIe jour de septembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Nycolas._)

  Irritation des Anglais; insultes et provocations faites à
    l'ambassadeur.--Précautions prises en Angleterre.--Demande
    d'audience.--Retard de la reine à l'accorder.--Audience. Froide
    réception faite par la reine.--Déclaration de l'ambassadeur de
    la nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de
    Coligni et des protestans, pour prévenir l'exécution qu'ils
    voulaient faire eux mêmes contre lui, la reine-mère, les ducs
    d'Anjou et d'Alençon.--Curiosité d'Élisabeth pour connaître les
    détails de l'évènement; regret qu'elle éprouve, non de la mort
    de l'amiral et des protestans, mais de ce qu'ils ont été punis
    sans l'intervention de justice; son desir que le roi se
    justifie complètement aux yeux de toute l'Europe.--Protestation
    de l'ambassadeur que l'exécution n'a pas été
    préméditée.--Crainte de la reine que l'alliance d'Angleterre ne
    soit désormais abandonnée par le roi.--Assurance donnée par
    l'ambassadeur que le roi persiste dans le traité d'alliance et
    dans la proposition du mariage du duc d'Alençon; demande que
    Leicester soit autorisé à passer en France.--Refus d'Élisabeth
    d'envoyer en France Leicester ou Burleigh, de peur qu'ils ne
    soient eux mêmes mis à mort.--Même communication faite par
    l'ambassadeur au conseil d'Angleterre.--Horreur inspirée par
    l'exécution de la Saint-Barthèlemy.--Nouvelle justification de
    la nécessité où s'est trouvé le roi d'agir ainsi qu'il a
    fait.--Explications demandées par le conseil sur la réception
    que peuvent espérer les marchands anglais à Bordeaux, et sur
    les projets de Strozzy en Flandre.--Vives assurances d'amitié
    données par l'ambassadeur.--État de la négociation concernant
    l'Écosse.--Efforts de l'ambassadeur pour empêcher une rupture
    avec l'Angleterre.--Remontrances par lui faites du danger que
    courrait l'Angleterre si l'on forçait le roi à révoquer l'édit
    de pacification pour s'unir aux projets du pape et du roi
    d'Espagne.--Nécessité de maintenir cet édit en France, et d'en
    donner l'assurance à Walsingham.--Imminence du danger où se
    trouve Marie Stuart par suite de l'exécution faite en France.


    AU ROY.

Sire, le temps a esté si contraire au Sr de L'Espinasse et au
secrettère de Mr de Walsingam, venantz dernièrement ensemble par deçà,
qu'ilz ont esté contrainctz de séjourner troys jours à Bouloigne, sans
avoyr passage, et encores, quand ilz ont entreprins de passer le
quatriesme, ilz ont cuydé périr dedans le port; dont n'a esté possible
qu'ilz soient arrivez jusques au troysiesme de ce moys en ceste ville;
où il n'est pas à croyre, Sire, combien la nouvelle confuse, qui avoit
couru devant eulx, dès le XXVIIe du passé, des choses advenues à
Paris, avoit desjà immué le cueur des habitans; lesquelz ayant monstré
auparavant d'avoir une fort grande affection à la France, ilz l'ont
soubdein convertye en une extrême indignation, et une merveilleuse
hayne contre les Françoys, reprochans, tout hault, la foy rompue, avec
grande exécration de l'excès et avec tant de sortes d'otrages, meslés
de parolles de deffy, par ceulx qui portent les armes, contre
quiconques vouldroit dire le contrayre, qu'il n'a esté possible que je
l'aye peu suporter, mesmes que, quand la nouvelle a esté plus
esclarcye, ilz ne se sont de rien modérez, ains sont entrés davantage
en fureur avec exagération du faict, et avec opinion que ce ayt esté
le Pape et le Roy d'Espaigne qui ont rallumé ce feu en vostre
royaulme, pour ne laysser trop embraser celluy de Flandres; et qu'il y
ayt encores quelque maulvais marché, entre vous troys, contre
l'Angleterre.

Dont j'entendz, Sire, que, de ceste court, premier que je y aye peu
arriver, a esté dépesché ung gentilhomme de bonne qualité devers le
duc d'Alve, par l'entremise de Guaras; et expédié en Allemaigne
aulcuns gentilshommes allemans, qui se sont trouvés icy; et envoyé le
Sr de Quillegreu devers les Escouçoys pour prendre nouveaulx
expédiantz par dellà; et mandé au comte de Cherosbery de reserrer,
plus que jamais, la Royne d'Escoce; et faict dilligemment observer
comme je parlerois de ce faict qui estoit advenu; et enfin a esté mis
tout l'ordre qu'on a peu, tant par mer que par terre, que nul
inconvénient puisse advenir en ce royaulme, où il ne soit desjà
pourveu.

Sur quoy je n'ay layssé pour cella, incontinent que le Sr de
L'Espinasse a esté arrivé, de m'achemyner vers ceste princesse à
Oestoc; laquelle ne m'a pas si tost admis à parler à elle, ains m'a
faict temporiser, troys jours, au lieu d'Oxfort, pour donner loysir à
ceulx de son conseil de s'assembler ce pendant, comme ilz ont faict
plusieurs foys, sur la dépesche de Mr de Walsingam. Et enfin elle m'a
mandé venir; qui l'ay trouvée, accompaignée de pluseurs seigneurs de
son conseil, et des principalles dames de sa court, toutz en grand
silence, dedans sa chambre privée.

Et elle s'est advancée, dix ou douze pas, pour me recepvoir, avec une
triste et sévère, mais toutjours fort humayne façon; et m'ayant mené à
une fenestre, à part, après s'estre ung peu excusée du dellay de mon
audience, elle m'a demandé s'il estoit possible qu'elle peût ouyr de
si estranges nouvelles, comme on les publioit, d'ung prince qu'elle
aymoit et honnoroit; et auquel elle avoit mis plus de fiance qu'en
tout le reste du monde.

Je luy ay respondu, Sire, qu'à la vérité je me venois condouloir
infinyement avec elle, de la part de Vostre Majesté, d'ung extrême et
bien lamentable accidant, où vous aviez esté contrainct de passer, au
plus grand regret que de chose qui vous fût advenue despuis que vous
estiez né au monde. Et luy ay racompté, par ordre, tout le fait,
sellon l'instruction que j'en avoys; adjouxtant aulcuns
advertissementz que j'ay estimé bien nécessayres pour luy fère toucher
que, par l'apréhension de deux extrêmes dangers, qui estoient si
soubdeins qu'il ne vous avoit resté une heure entière de bon loysir
pour les remédier, et dont l'ung estoit de vostre propre vye, et de
celle de la Royne, vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et
l'aultre d'un inévitable recommancement de troubles, pires que les
passez, vous aviez esté contreinct, à vostre plus que mortel
déplaysir, non seulement de n'empêcher, mais de laysser exécuter, en
la vye de monsieur l'Amyral et des siens, ce qu'ilz préparoient en la
vostre, et courre sur eulx la sédition qui leur estoit desjà dressée;
après toutesfoys n'avoyr obmis ung seul office de bon roy envers le
debvoir de la justice, nul de bon prince envers son subject, nul de
cordial seigneur et maistre envers son bien aymé serviteur, que vous
ne les heussiez toutz randus à monsieur l'Amiral en sa blesseure,
comme s'il heût esté vostre propre frère; et aviez encores auparavant
faict vers luy, et vers ceulx de la nouvelle religion, mille sortes de
faveurs et de bon entretènement, de sorte que vous vous condoliés
davantage, avec elle, de la perverse intention et horrible ingratitude
qu'ilz avoient uzée vers vous; de quoy aulcuns d'eux, premier que de
mourir, avoient confessé qu'ilz estoient justement punis, pour avoir
conjuré contre leur prince naturel; finablement que vous vous
condoliez d'avoir esté contreinct de vous laysser couper un bras, pour
saulver le reste du corps; et que vous vous assuriez, Sire, qu'elle
auroit douleur de cestuy vostre accidant, et ayderoit, en tout ce
qu'elle pourroit, de vous en relever et de modérer vostre regrect.

La dicte Dame, voyant que je luy parlois en aultre façon que possible
elle n'espéroit, après m'avoir curieusement interrogé d'aulcunes
particullarités, m'a respondu qu'elle vouldroit, de bon cueur, que les
crimes qu'on imposoit de nouveau à monsieur l'Amiral et aux siens
fussent plus grandz que ceulx, dont ilz avoient esté nothés
auparavant, et que leurs conspirations présentes surpassassent
beaucoup celles du passé, et fussent plus énormes que l'escript
qu'elle avoit veu de Mr de Walsingam, ny ce que je luy en disois, qui
l'exprimois davantage, ne les dépeignoient, affin que leurs propres
démérites les rendissent coupables de la cruelle mort qu'ilz avoient
souferte; ou bien qu'ilz fussent toutz tombez ez mains de Monsieur,
frère de Vostre Majesté, pendant qu'il les poursuyvoit, sans que la
victoyre en heût esté ailleurs réservée; car leur perte, ny de
plusieurs foys aultant de leurs semblables, ne la mouvoit de rien,
n'ayant guyères jamais aprouvé leurs entreprinses, sinon ung peu en ce
qu'ilz monstroient de deffendre vostre édict de la paix, et
qu'encores, en cella, eût elle plus approuvé qu'ilz se fussent
absentés, que d'avoir opposé leurs armes contre les vostres, et contre
ceulx qui les portoient pour vous. Mais, ce qui luy pressoit le cueur
estoit la creinte qu'elle avoit de vostre réputation; car vous ayant
choysy pour celluy, d'entre toutz les princes chrestiens, puisqu'elle
n'a point de mary, qu'elle vouloit aymer et révérer comme si elle fût
vostre épouse, elle estoit infinyement jalouse de vostre honneur, et
pouviez croire qu'elle avoit debbatu vostre justiffication et
innocence, en cest endroict, plus qu'elle n'eût faict la sienne
propre; et avoit assuré, sur sa vye, que, de vostre naturel, ny
d'aulcune intention qui fût procédée de vostre cueur, toutz ces
meurtres n'estoient point advenus; et que c'estoit quelque accidant
estrange, duquel le temps esclarciroit les occasions. Mais quand,
depuis, on luy avoit rapporté plusieurs particullaritez, qui avoient
lors succédé en vostre présence, et que mesmes vous aviez faict
aprouver le tout par vostre parlement, comme s'il n'y heût des loix en
France contre ceulx qui conspireroient contre Voz Majestez Très
Chrestiennes et contre les princes de vostre couronne, sinon en
aprovant une sédition, elle ne sçavoit plus que dire, sinon creindre
que beaucoup de grandz inconvénientz ne vous en adviennent, et prier
Dieu, de bon cueur, pour vous, qu'il les vueille destourner; au reste
vous offroit, de bon cueur, tout ce qui est en son moyen et puissance,
pour l'effect, que je luy demandois, de vous ayder à vous relever de
cest accidant, me priant de l'advertir en quoy ce pourroit estre; car
juroit de n'y rien espairgner, et que mesmes elle avoit le cueur assés
fort pour supporter de perdre ung doigt, et de ne refuzer qu'on le luy
coupât à vostre occasion, pourveu qu'elle peût remédier que vostre foy
et promesse ne fussent de rien intérésez en cest endroict.

Je l'ay infinyement remercyé de l'abondance de sa bonne volonté vers
vous, et de ce que ses vertueux propos m'assuroient qu'elle
n'aprouvoit aulcunement la male intention de ceulx cy, ny réprouvoit
le chastiement qu'ilz en avoient receu, sinon seulement qu'elle heût
bien voulu que ce heût esté par l'ordre de la justice; ce que je luy
pouvois assurer que Vostre Majesté heût aussy infinyement desiré, mais
je la supliois de considérer que c'estoit tenir le loup par les
oreilles; et qu'à deux dangers qui estoient si pressantz, que
l'irésolution d'une heure estoit la ruyne de vostre vye et des
vostres, et l'entière désolation de vostre royaulme, les plus présens
remèdes avoient esté trouvez les meilleurs. Et, quand à ce que vous
pourriez desirer d'elle en ceste endroict, c'estoit qu'elle voulût
ainsy juger de vous comme d'ung prince qui, jusques à l'extrémité de
la vye, aviez tenu toutes vos promesses, sans manquer d'une seule à
monsieur l'Amiral et aux siens; qu'elle voulût réputer le faict pour
le plus fortuit et le moins prémédité que nul aultre, qui fût jamais
advenu; qu'elle ne voulût penser qu'il y heût rien meslé de la
religion, ny de la ropture de l'édict, car dellibériez de le fère
droictement observer; qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée
que c'estoit leur propre conjuration, qui seule avoit provoqué la
sédition contre eulx, et finallement qu'elle ne permît que, pour ce
qui estoit advenu, il fût rien changé ny diminué en vostre mutuelle
amytié, sellon que, de vostre part, vous dellibériez d'y persévèrer
plus constemment que jamais.

Elle soubdain m'a réplicqué qu'elle creignoit bien fort que ceux, qui
vous avoient faict habandonner voz naturelz subjectz, vous feroient
bien délaysser une telle bonne amye, estrangère comme elle vous
estoit, et que la promesse et sèrement que luy aviez faict de vostre
amityé ne fussent assez suffizans rempart contre leurs persuasions;
toutesfoys qu'elle me promectoit d'accomplir vers Vostre Majesté tout
ce dont je l'avoys requise, et vous prioit que, pour l'amour d'elle,
vous voulussiez aussi fère deux choses qui serviroient à vostre
justiffication: l'une, d'esclaircir de mesmes les aultres princes et
potentatz de la Chrestienté, de l'occasion que vous aviez heue contre
ceulx cy, affin qu'ilz demeurent bien édiffiez que ce n'a esté
nullement de vostre costé que la foy et promesse ont commancé de se
rompre; la segonde, que vous mainteniez à ceulx de la nouvelle
religion, qui n'ont esté de la conspiration, vostre édict; et que les
rassuriez de l'espouvantement qu'ilz ont, pour cest accidant de
Paris; et qu'elle trouvoit bon que je tinse à ceulx de son conseil les
semblables propos que j'avoys faict à elle, parce qu'on parloit fort
estrangement de ce qui estoit advenu; et que ses subjectz estimoient
de ne pouvoir plus trouver de seurté ny en vous, ny en vostre
royaulme: et qu'il y en avoit qui ozoient dire que les mariages, qu'on
avoit mis en avant, avoient esté projectez pour dresser une semblable
partie en Angleterre.

Je luy ay respondu que la considération de l'amityé et de la
confédération, d'entre Voz Majestez, estoit chose de telle importance
qu'il n'y avoit celluy qui vous ozât jamais conseiller de vous en
départir. Et, quand aux choses qu'elle vous requéroit, j'estimois que
vous les accompliriez entièrement, sellon que je pouvois cognoistre
que vostre intention n'en estoit esloignée, et que vous inclineriez
tousjours fort volontiers à ses honnestes conseilz qu'elle vous
donneroit; et qu'au reste je sçavois qu'il n'y avoit rien qui ne fût
très sincère au pourchas de son mariage, ayant receu de voz lettres,
du jour auparavant la blessure de monsieur l'Amiral, par lesquelles
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, m'en
fesiez la plus honnorable et expresse mencion du monde; desirans qu'à
cest effect monsieur le comte de Lestre voulût accomplir le voyage
qu'il avoit desiré fère par dellà, et que je la supliois de voyr, par
la lettre de Monseigneur le Duc, en quelle bonne affection il
persévéroit vers elle.

La dicte Dame a leu fort volontiers la dicte lettre, et en a receu
contantement; puis, m'a dict qu'elle avoit proposé d'envoyer visiter
la Royne Très Chrestienne, en ses premières couches, par la plus
honnorable ambassade qui fût, de longtemps, passée en France, aulmoins
la plus grande que la couronne d'Angleterre l'eût peu fère; mais
qu'elle n'avoit garde meintenant d'y envoyer le comte de Lestre, ny
son grand trézorier, car sçavoit combien leur mort estoit desirée; et,
encores qu'elle se confiât entièrement de Vostre Majesté, si ne
vouloit elle estre veue si imprudente que de l'entreprendre
meintenant, et que, sellon qu'elle verroit procéder les choses, elle
se conduiroit.

Au partir d'elle, je suis allé fère les mesmes discours aulx seigneurs
de son conseil, et leur ay encores plus exprimé les extrémités qui
vous avoient contreint de laysser exécuter ceste violence.

Dont ilz m'ont respondu qu'ilz estoient bien ayses que les dictes
extrémités leur fussent encores représantées plus urgentes, par mon
dire, qu'ilz ne les avoient trouvez par l'escript de Mr de Walsingam,
et que, sans doubte, le plus énorme faict qui, depuis Jésus Christ,
fût advenu au monde, avoit esté freschement exécuté par les Françoys;
lequel les Italiens, ny les Espagnolz, encor que bien passionnés,
n'avoient garde de le louer en leur cueur; et seroient les ennemis
plus promptz à le condempner que les amys à le réprouver, pour estre
ung acte trop plein de sang, la pluspart innocent, et trop suspect de
fraulde, qui avoit violé la seureté d'ung grand roy, et troublé la
sérénité des nopces royalles de sa seur, insuportable d'estre ouy des
oreilles des princes, et abominable à toutes sortes de subjectz, faict
contre tout droict divin et humein, et sans ordre ny exemple d'aulcun
aultre acte qui ayt esté jamais entreprins en la présence de nul
prince, et qui mesmes avoit plustost mis, que osté de danger Vostre
Majesté et toutz les vostres, et qu'enfin la foy avoit esté
manifestement violée; mais par qui? ilz estoient bien ayses que je
monstrois que ce avoit esté par les subjectz, et desiroient que toute
la Chrestienté en demeurât ainsy persuadée, comme, de leur part, ilz
ne vouloient que bien juger des actions de Vostre Majesté; seulement
voudroient qu'elles heussent esté sans sédition, et sans oultrepasser
les ordres de la justice que les princes ont accoustumé d'uzer en la
punition des subjectz.

Je leur ay respondu que, s'ilz vouloient mettre en considération les
choses qui avoient passé depuis douze ans en France, et celles qui se
offroient meintenant, si urgentes qu'on n'avoit heu une heure de
loysir pour les pouvoir dellibérer, ilz jugeroient bien que
l'extrémité du mal avoit requiz extrême remède; mesmes que, tout ce
qui se peult ymaginer de salutayre pour la conservation du prince et
de l'estat, s'il n'est du tout aprouvé, aulmoins est il excusable: et
qu'en ce faict, Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ny
Messeigneurs voz frères, n'aviez rien changé de vostre très clément et
accoustumé naturel, facille à pardonner. Ains aviez les premiers
soufert une extrême viollence en voz propres âmes, de sorte que leur
Mestresse et eulx debvoient avoir plus de compassion que de hayne de
ce qui estoit advenu; et debvoient demeurer fermes, de leur costé,
comme vous seriez immuable, du vostre, en la plus estroicte amityé et
confédération qu'avez naguyères conclue avec elle et son royaulme.

Ilz m'ont réplicqué qu'il n'estoit rien succédé de nouveau du costé de
la Royne, leur Mestresse, pour fère creindre la ropture, et qu'il ne
fault doubter d'elle, si elle trouvoit correspondance; dont
communiqueroient avec elle, et puys me feroient avoyr sa responce, me
priant cependant de vous vouloir suplier, Sire, qu'il vous plaise les
esclarcyr de deux choses: l'une, de la seureté que leurz marchandz
pourront trouver à Bordeaulx, où ilz sont prestz d'aller pour les
vins, car ilz se creignent fort de n'y estre bien receus ny bien
trectez; et l'aultre, de ce qu'ilz ont à penser de l'armée du Sr
Strossy.

Je leur ay respondu, quand au premier, que Vostre Majesté me
commandoit d'assurer la Royne, leur Mestresse, de vostre persévérance
vers son amityé, et vers la paix de son royaulme; et pour le segond,
je l'avoys assurée, de vostre part, que l'armée du Sr Strossy n'yroit
en lieu qui peût tourner à son préjudice; ains seroit preste de la
servir, si elle en avoit besoing.

Ilz m'ont réplicqué que ce nouveau accidant, qui estoit survenu,
requéroit nouvelle provision et confirmation de ces deux choses, et
qu'avec icelles ilz vous prioient d'avoir leur ambassadeur pour
recommandé.

Et, le jour après, ilz m'ont mandé qu'ilz avoient conféré avec leur
Mestresse, et qu'elle m'envoyeroit la responce, conforme à ce que
j'avoys desiré.

J'ay obtenu d'eux qu'il se fera, de la part de la dicte Dame, au Sr de
Quillegrey, lequel a succédé au Sr Drury, en Escoce, une dépesche
conforme à ce que desirez, d'incister que la ville de Lillebourg soit
layssée en liberté; que l'interprétation «de rentrer chacun en sa
mayson» s'entende chacun en ses biens, tant eclésiasticques que
temporelz; et que l'abstinence soit prorogée pour aultres deux moys,
si la paix ne peult succéder. Et ainsy j'ay layssé le Sr de
L'Espinasse devers eulx pour s'acheminer, avec vostre dépesche et la
leur, par dellà.

Despuis, estant de retour en ce lieu, j'ay receu celle de Vostre
Majesté, du premier, segond et troisiesme de ce moys; sur laquelle
j'yray retrouver la dicte Dame le plus tost qu'il me sera possible; et
sur ce, etc.

    Ce XIVe jour de septembre 1572.

   Pendant que j'achevoys ceste dépesche, le courrier de la Royne
   d'Angleterre a passé en ceste ville; par lequel j'entends
   qu'elle mande à son ambassadeur de vous fère sa response. Je
   ne sçay si l'arrivée de milord Quiper, et du comte de Bedfort,
   à la court, depuis mon audience, y aura faict changer quelque
   chose. Tout présentement, je viens de recepvoir vostre pacquet
   du VIIIe du présent.


    A LA ROYNE.

Madame, jamais nul accidant ne se fit tant sentir, en nul pays,
estrange, comme celluy qui est advenu à Paris, se ressent par deçà, et
a esté bien besoing que je me soye comporté en quelque façon qui n'ayt
point offancé ceulx cy, car j'ay esté le plus observé du monde; et
encores n'aparoit il que violence et ung grand débordement de parolles
et reproches, par ceste ville, contre toute la France; et cuydoit l'on
que ceste princesse ne me deût aulcunement admettre en sa présence.
Néantmoins elle m'a receu assez humaynement, et, après m'avoir ouy,
m'a encores plus gracieusement licencié; et ceulx de son conseil
aussy, après ung peu d'aigreur, se sont radoulcis, et sont venus à la
modération que Vostre Majesté verra par la lettre du Roy, leur ayant
franchement dict qu'il importoit beaucoup de quelle façon, elle et
eulx, prendroient cest affaire, et de quelle responce ilz vous y
satisferoient; car, s'ilz monstroient de n'en rester point offancés,
et de ne vouloir, pour cella, changer rien des bons termes, auxquelz
ilz estoient avecques Voz Majestez et vostre royaulme, que vous
persévèreriez très constemment de mesmes vers eulx; mais, s'ilz en
uzoient aultrement, ilz vous contreindroient de vous getter
entièrement du costé de ceulx à qui, pour aulcuns leurs respectz, ce
qui avoit esté faict ne pouvoit déplaire; qui, possible, vous
induiroient de mener encores les choses à de pires conséquences que
les passées.

Sur quoy me semble, Madame, que les ay mis à penser, et que si,
d'avanture, ils voyent que les affères en France n'aillent à telle
extrémité contre ceulx de la religion, qu'ilz ne puissent bien
demeurer en vostre intelligence, qu'ilz ne s'en départiront point pour
encores; bien qu'il ne fault doubter qu'ilz n'ayent conceu une très
grande deffiance de nous, et que pourtant il ne nous faille estre ung
peu deffians d'eux. Dont sera bon que faciez prendre garde en
Allemaigne qu'est ce qu'ilz y négocieront, et, en Flandres, en quelles
nouvelles praticques ilz rentreront avec le duc d'Alve; et qu'est ce
qu'ilz traicteront, en vostre royaulme, avec voz subjectz qui sont de
leur religion; et advertir les gouverneurs des places de dessus la
mer, de deçà, qu'ilz se tiennent sur leurs gardes; et, en Escoce, à
ceulx du bon party, d'estre bien advisés sur les menées que le Sr de
Quillegreu y fera, mesmement touchant le chasteau de Lislebourg; et
j'auray l'œil s'ilz hasteront rien icy des préparatifz qu'ilz ont
ordonné pour mer et pour terre, affin de vous en advertyr incontinent.

Il semble néantmoins que si Vostre Majesté dispose bien le Sr de
Walsingam, et le rende capable de la justiffication des choses qui
sont advenues; et luy faciez voyr qu'il n'y a heu rien de meslé de la
religion, et que mesmes les Angloys n'ont à espérer moins de seureté
et de bon traictement en France, qu'ilz faysoient auparavant, qu'il
sera possible que le propos de mariage se repreigne; et aulmoins que
la confédération se continue; et qu'on n'yra pas rechercher le Roy
d'Espaigne, et encores procèdera l'on, par advanture, plus modéréement
vers la Royne d'Escoce, laquelle je vous puis assurer, Madame, qu'elle
est en très grand danger. Il sera bon de satisfaire, le plus
promptement qu'on pourra, à ceulx de ce conseil, sur les deux poinctz
qu'ilz demandent, de la seureté de leurz marchandz à Bourdeaulx, et du
faict de l'armée du Sr Strossy. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour de
septembre 1572.

   Depuis avoyr layssé la Royne d'Angleterre, elle a assemblé
   toutz ceulx de son conseil, qui, possible, luy auront faict
   changer quelque chose du bon propos où je l'ay layssée; mais
   je la reverray bientost sur les deux dernières dépesches, que
   j'ay reçues de Vostre Majesté. Je vous suplie très humblement
   de parler ung mot de bonne affection à Mr de Walsingam pour la
   Royne d'Escoce, car je vous puis assurer, Madame, qu'elle est
   en grand danger; mais que ce soit sans augmenter le souspeçon
   qu'on a par deçà.



CCLXXVe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de septembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Nouvelles de France.--Efforts du roi pour arrêter les
    exécutions.--Preuves nouvelles de la conspiration qui avait été
    formée.--Assurance que le roi veut maintenir l'édit de
    pacification.--Le comte de Montgommery réfugié à
    Jersey.--Armemens en Angleterre.--Mort du comte de
    Mar.--Insultes continuelles faites à
    l'ambassadeur.--Difficultés que présente la négociation du
    mariage.


    AU ROY.

Sire, je vays présentement retrouver la Royne d'Angleterre pour luy
faire part du contenu ez deux dernières dépesches de Vostre Majesté,
du premier et septiesme de ce moys, et croy bien qu'il me faudra
temporiser quelques jours l'audience, parce que la dicte Dame part
aujourdhuy, du lieu où je la layssay dernièrement, et s'achemine,
ainsy qu'on dict, à Redin, où à peyne arrivera elle devant samedy au
soyr, et je pourray parler à elle dimanche.

Je luy continueray le propos de la conjuration, naguières dressée
contre Vostre Majesté et contre la Royne, vostre mère, et contre
Messeigneurs voz frères, et que vous rendez infinyes grâces à Dieu de
vous avoir toutz préservés de l'instant péril où avez esté de voz
vyes, regrettant néantmoins, de tout vostre cueur, que la sédition,
qui a esté suscitée à cause de cella, tant à Paris que ez aultres
endroictz de vostre royaulme, où la nouvelle en est allée, ayt passé
plus avant que contre les seuls conspirateurs; et toutesfoys que vous
aviez mis bon ordre de la faire bientost cesser; et avez envoyé les
gouverneurs, chacun en sa province, pour y rasseurer ceulx de la
nouvelle religion, et les mettre en la plus grande saulvegarde que
faire se pourra, sellon la continuation de l'édict; lequel vous
dellibériez faire exactement entretenir, avec pareilh bon traictement
à toutz ceulx de la dicte religion, qui n'auront esté de la
conjuration, comme à voz aultres subjectz, en ce, toutesfoys, qu'ilz
demeureront paysibles, et ne se pourront pour encores assembler; et
que la dicte conjuration, oultre la première avération, qui en a esté
faicte devant la sédition de Paris, se va, de jour en jour,
descouvrant si à cler, et mesmes par l'audition de Briquemaut, qui a
esté trouvé en l'escuyrie de Mr de Walsingam, et puis par Cavaignes,
qui a esté prins ailleurs, lesquelz sont toutz deux ez meins de la
justice, qu'il ne fault que l'on en demeure plus en doubte; et
qu'après que l'information en sera parfaicte, Vostre Majesté en fera
communicquation à toutz les princes voz alliez, et nomméement à la
dicte Dame. Et n'obmettray rien vers elle, Sire, de ce qui pourra
servir pour luy faire voyr que vous avez heu la plus juste occasion du
monde de laysser passer les choses, ainsy qu'elles ont. En quoy il
importe assez que la justiffication s'en sante par deçà par le moyen
de Mr de Walsingam; et je m'assure que la Royne, sa Mestresse, aydera
en ce qu'elle pourra de la faire bien recepvoir d'ung chacun; mais il
y a une telle concurrence entre elle, son conseil et le commun du
royaulme, qu'ilz ne veulent, ny ozent vouloir rien l'ung sans
l'aultre; et creins bien fort qu'il faudra que la dicte Dame, premier
qu'elle passe plus avant au propos de Monseigneur le Duc, fasse voyr
quelque satisfaction à ses subjectz de cest accidant de Paris; lequel
vous jugés bien, Sire, sellon les grandes difficultez qu'on a
tousjours trouvé icy, sur le poinct de la religion, qu'il n'en a peu
succéder ung qui y ayt apporté plus de traverse que celluy là.
Néantmoins je proposeray à la dicte Dame l'entrevue, ainsy qu'il vous
playst, et à la Royne, vostre mère, me le commander, sans luy
obmettre, et aux siens, une seule de toutes les meilleures persuasions
que je leur pourray alléguer en cella; mais je voy bien que le trop
grand et le trop récent sentiment, qu'ilz ont de ce qui est advenu, ne
leur permettra de m'y bien respondre. Dont semble qu'il ne les faudra
trop presser, et qu'il sera meilleur, premier que de rien rompre, de
renvoyer encores l'affaire à Voz Majestez.

Il estoit desjà quelque vent que le comte de Montgommery estoit passé
à Gersé, mais j'attandoys de le sçavoir plus certeynement; et m'a le
visadmiral d'Angleterre, son beau frère, prié et faict prier, par
ceulx de ce conseil, de moyenner vers Vostre Majesté que le douayre
de sa belle fille luy soit payé; à quoy je luy ay respondu que si le
dict comte se justiffie bien de la conspiration de Paris, que luy
mesmes le pourra payer, et sinon que je luy ayderay envers Vostre
Majesté de tout ce qu'il me sera possible. Je n'oublieray, touchant le
dict comte, de faire l'instance que me commandez.

Toutz les principaulx du conseil d'Angleterre sont allez trouver ceste
Royne, et ont mis quelques nouveaulx ordres par le royaulme. Ilz
avoient quelques gens prestz pour les passer encores à Fleximgues,
mais ilz les ont arrestés et ont mis en dellibération si l'on
révoquera ceulx qui sont desjà par dellà. L'on a mandé de tenir prestz
dix grandz navyres, de ceulx qui mieulx peuvent suporter l'hyver en la
mer, affin de les envoyer vers Porsemmue. Il passe toutz les jours
beaucoup de Françoys icy, qui ne sont de grand nom. Je me suis layssé
entendre que Vostre Majesté a volonté de rasseurer en leurz maysons
ceulx qui n'auront esté de la conspiration; dont vous pléra me mander
comme j'auray à me comporter vers eulx, et ce que j'auray à leur dire.
Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre 1572.

   L'on me vient de donner advis qu'en Escoce a succédé quelque
   grand meurtre, et que le comte de Mar y a esté tué. J'en
   sçauray mieulx la certitude, et la vous manderay par mes
   premières.


    A LA ROYNE.

Madame, je loue bien fort les propos que j'ay veus en la lettre du
Roy, du premier de ce moys, que sa Majesté et la vostre avez tenus à
Mr de Walsingam, lequel j'espère qu'il les aura escriptz à la Royne,
sa Mestresse, et que je la trouveray maintenant mieulx édiffiée de Voz
dictes Majestez sur les choses advenues à Paris, que je ne fis
l'aultre foys; dont je la suplieray de faire cesser en ceste ville les
maulvaises parolles, pleines de diffâme, qu'on y tient, et les aultres
grandes indignités, dont l'on uze assez publicquement là dessus; qui,
vous prometz, me sont par trop insuportables. Je uzeray le plus
discrètement que je pourray vers elle des deux lettres qu'il vous a
pleu m'escripre du VIIe de ce moys, et mectray peyne de faire si bien
prendre celle qui parle du feu Amiral, que, possible, cella nous
remettra en bon chemin pour le propos de l'aultre; bien que je vous
puis assurer, Madame, que ce nouvel accident luy est, à elle et à
toutz les siens, une playe si profonde et si rescente, qu'il y
faudroit ung bien expert cirurgien, et du baulme fort excellant pour
si soubdein la guérir et rescouder. Et me creins assez, sellon
aulcunes choses que j'ay entendues, qu'on vouldra aulcunement se
rétracter de ce qu'on nous avoit accordé par l'escript que Mr de La
Mole vous a apporté. Aulmoins ne m'attans je pas que ceste princesse,
laquelle n'a nul certein successeur, face, en ce temps, ung seul pas
hors du royaulme; tant y a que je n'obmettray rien de ce que
j'estimeray la pouvoir bien persuader à l'entrevue, en la façon que me
le mandez; vous supliant très humblement, Madame, de disposer en telle
sorte le Sr de Walsingam par dellà, que ses lettres puissent remettre
icy sa Mestresse et les siens en leur première bonne disposition: car
vous prometz qu'il y peut beaucoup, et je ne m'y espargneray
aulcunement de mon costé. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre
1572.



CCLXXVIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de septembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Tauriel._)

  Exécutions faites à Orléans, à Lyon et à Rouen.--Entreprise
    dirigée contre le chancelier L'Hospital.--Excès de Strozzy
    contre les marchands anglais.--Irritation toujours croissante
    en Angleterre.--Éloignement montré à l'égard de
    l'ambassadeur.--Mauvais accueil qui lui est fait à la
    cour.--Audience.--Nouvelle insistance de l'ambassadeur sur la
    nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de
    Paris.--Pratiques imputées à l'amiral Coligni contre
    l'Angleterre.--Consentement du roi à une entrevue, sur mer,
    entre Élisabeth, le duc d'Alençon et la
    reine-mère.--Déclaration d'Élisabeth que les massacres ne
    peuvent être justifiés, et qu'elle ne doit compter désormais ni
    sur l'alliance de France ni sur la parole du
    roi.--Justification de l'amiral.--Refus d'accepter l'entrevue
    proposée sur mer.--Motifs qui ont dû forcer le roi à se défaire
    de chefs aussi entreprenans et aussi redoutables que l'étaient
    l'amiral et ses complices.--Demande de l'ambassadeur que le
    comte de Montgommery soit livré au roi.--Vive assurance que
    protection sera donnée aux protestans qui n'ont pas fait partie
    du complot.--Consentement de la reine-mère à ce que l'entrevue
    se fasse dans l'endroit que la reine d'Angleterre voudra
    désigner.--Délai demandé par Élisabeth pour donner sa
    réponse.--Elle accorde l'entrevue, pourvu qu'elle ait lieu à
    Douvres.--Armemens à Londres.--Demande d'un sauf-conduit pour
    les navires du commerce qui veulent se rendre à
    Bordeaux.--Violence des accusations portées en Angleterre
    contre le roi.


    AU ROY.

Sire, les seigneurs du conseil d'Angleterre, lesquelz j'ay trouvés
toutz assemblés auprès de la Royne, leur Mestresse, à Redin, avoient
desjà, depuis ma dernière audience, heu assez de quoy faire mettre en
suspens à la dicte Dame, par les choses advenues à Paris et à Orléans,
toutes les bonnes dellibérations qu'elle avoit avec Vostre Majesté;
mais, ayantz depuis ouy ce qui est advenu à Lion et à Roan, et ce
qu'on leur a dict qui a esté faict du chancellier de l'Hospital[5],
et ce que aulcuns de leurz marchandz d'Ouest, qui alloient à
Bourdeaulx pour les vins, leur ont rapporté: que l'armée du Sr Strossy
avoit pillé, tué, mis à fondz quelques ungs de leur flotte, ilz ont
prins de là ung très ample argument, aulmoins les partisans de
Bourgoigne, de dissuader tout ouvertement la confédération de France;
de sorte que aulcuns de ceulx, qui l'avoient conseillée, m'ont faict
advertir qu'ilz sont si honteux et confus, qu'ilz soufrent toutz les
blasmes du monde, et qu'il n'y a que ceulx là qui soient maintenant
loués jusques au bout, qui crioient tousjours qu'on ne se debvoit
arrester à la foy des Françoys, ny quicter jamais l'intelligence du
Roy d'Espaigne; lequel ne procédoit sans forme de justice en ce qu'il
faysoit, et ne deffailloit de sa foy, ny de sa promesse, aux mesmes
Mores et Mahométans qui habitoient en ses pays.

  [5] Le chancelier L'Hospital qui, depuis quelque temps, ne
  faisait plus partie du conseil, vivait retiré à sa terre de
  Vignay. Au moment des massacres, les habitans des environs
  s'ameutèrent, ravagèrent ses terres et traînèrent à la ville ses
  fermiers enchaînés. Mais la reine mère, inquiète sur son sort,
  envoya pour le protéger un détachement de cavalerie qui arriva à
  temps. La fille de L'Hospital, que le hasard avait conduite à
  Paris, y courut aussi les plus grands dangers. Elle fut sauvée
  par Anne d'Este, duchesse de Guise.

Dont estant arrivé, Sire, sur ung tel poinct en ceste court, sans
avoyr rien sceu ny estre aulcunement préparé de ces nouveaulx
accidans, qu'ilz disent de Lion, de Roan, du chancelier, ny de
l'injure faicte aux Angloys, il fault que je confesse que je y ay esté
assez mal veu, et quasy nul ne m'a ozé saluer, sinon la seule Royne,
laquelle, à la vérité, m'a ainsy humaynement receu comme de coustume.

Et j'ay mis peyne de luy particulariser les choses qui estoient
contenues ez troys dépesches, que j'ay reçues de Vostre Majesté
depuis le commancement de ce moys, sans rien obmettre de ce qui
pouvoit servir à luy faire voyr que vous aviez heu non seulement très
juste, mais très urgente, occasion, (sinon que voulussiez perdre vous
mesmes et toutz les vostres, avec vostre estat, pour saulver ceulx qui
vous vouloient ruyner), de laysser passer ainsy les choses qu'elles
avoient; et que, nonobstant icelles, vous persévériez plus constamment
que jamais vers elle, avec la mesme affection de la secourir et luy
assister, là où elle en auroit besoing, encor que ce fût pour la cause
de la religion, comme vous luy aviez promis, et plus abondamment que
ne luy aviez promis; et que vous aviez trouvé, parmy les papiers du
feu Amiral, de quoy bien juger d'elle vers vous, et de quoi bien fort
mal juger de luy vers elle, sellon que la Royne, vostre mère, l'avoit
faict voyr à Mr de Walsingam son ambassadeur. Ce qui faysoit qu'en
détestant l'intention de ce personnage, qui vous vouloit aussy bien
provoquer contre les amys que contre les ennemys, Voz Majestez Très
Chrestiennes, et toutz les vostres, preniés davantage à cueur la
conservation d'elle, de sa personne, et de son estat, et de sa
grandeur, comme de la vostre propre, connoissant qu'elle n'avoit pas
tousjours esté de l'intelligence du dict Amiral en ses excessives
violences contre vous;

Et que vous vous affectionnés, pour cella, plus que jamais à la
poursuite du bon propos de Monseigneur le Duc avec elle. Et là dessus,
Sire, je luy ay touché combien le retour du Sr de La Molle avoit
apporté de singullier contantement à Voz Majestez Très Chrestiennes et
à toutz les vostres, et combien vous me commandiez de la remercyer du
bon traictement qu'il avoit receu par deçà, et de la faveur qu'elle
avoit faicte aux lettres qu'il luy avoit apportées, escriptes de voz
meins, et des honnestes responces qu'il vous avoit rapportées,
escriptes de la sienne, ensemble des honnorables et vertueux propos
qu'elle nous avoit tenus à toutz deux; et que vous aviez aussy prié Mr
de Vualsingam de luy en faire entendre les mesmes merciementz, avec la
recognoissance que vous en aviez dans le cueur; et qu'affin que ne
deffaillissiez de correspondance à la dicte Dame, vous aviez
incontinent faict mettre la matière en dellibération, sur l'escript
que le dict Sr de La Mole vous avoit apporté; et que, sans vous
arrester aux doubtes et difficultez, que ceulx de vostre conseil y
avoient faict, sur l'entrevue, après avoyr ouy leurs argumentz, Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, aviez remonstré que, veu la grandeur
de la dicte Dame et la digne façon de laquelle avoit régné quatorze
ans, avec réputation de grande prudence, de grand honneur et d'ung
très grand ornement de toutes sortes de vertus; et, veu les aultres
rares qualités qui la rendoient excellante entre toutes les aultres
princesses du monde, vous aviez trouvé raysonnable qu'elle se satisfît
elle mesmes de la vue de celluy qu'elle vouldroit espouser; et que
pourtant vous luy accordiez de bon cueur la dicte entrevue, et m'aviez
commandé, par vostre lettre du VIIe du présent, de la luy offrir, et
que mesmes la Royne, vostre mère, pour le desir qu'elle avoit, de
longtemps, de la voyr, y viendroit, et y admèneroit Monseigneur le Duc
son filz, et s'esforceroient de luy apporter toutz deux tant de
contantement qu'elle n'en sçauroit desirer davantage.

La dicte Dame, réduysant les choses par ordre, que son ambassadeur luy
avoit escriptes des troys audiences, que Vostre Majesté luy avoit
données le IIe, VIIe et XIIe du présent, quasy aulx mesmes termes que
je les ay heues, tant Mr de Vualsingam les avoit bien recueillies,
m'a respondu que la multiplication des énormes excez de vostre
royaulme, lesquelz elle ne pouvoit plus ouyr sans larmes, donnoient
tant d'erreur à toutz les siens qu'ilz bouchoient maintenant les
oreilles, et serroient le cueur à toutes les choses qui venoient de
France, pour n'en vouloyr ouyr, ny recepvoir plus pas une; et disoient
qu'encores que l'Amiral et les siens heussent faicte la conspiration,
que je mettoys tant de peyne d'assurer, laquelle, sinon qu'elle me
voulût mentir, elle ne me pouvoit encores dire qu'elle la creût vraye,
et attandoit là dessus la vériffication qu'aviez promis à son
ambassadeur de luy en envoyer, néantmoins que ceste extrême violence,
qui excédoit toute humanité, contre ung si grand nombre d'aultres, qui
ne pouvoient estre aulcunement conjurateurs, et jusques aux femmes et
enfans, monstroit bien que Voz Majestez Très Chrestiennes, et toutz
les vostres, aviez une extrême hayne contre ceulx de la mesmes
religion, dont elle et les siens faysoient profession, et que ne leur
vouliez garder ny foy, ny promesse; dont, de tant qu'elle ne s'estoit
plus estroictement confédérée avec Vostre Majesté que pour
considération de vostre amityé, et pour la foy qu'elle pensoit trouver
plus certeyne en voz promesses que en nul de toutz les mortelz, sellon
que vous aviez la réputation plus grande de bien garder vostre foy,
que nul aultre prince qui vesquît au monde, elle ne voyoit plus,
(puisque ces deux fondementz deffailloient: sçavoir est, que vous ne
la puissiez aymer, ny luy garder voz promesses, à cause de sa
religion,) comme pouvoir espérer que vous persévèreriez bien vers
elle; néantmoins qu'elle me vouloit assurer qu'attandant de voyr comme
vous vous comporteriez en son endroict, sellon que je luy en donnois
nouvelle assurance, elle ne deffaudroit de sa part de rien qu'elle
vous heût promis; et qu'au reste elle se commétoit de tout à Dieu et
au bon ordre qu'elle mettroit en ses affères; qu'elle estoit bien ayse
qu'eussiez trouvé le mémoyre de feu monsieur l'Amiral, lequel, sellon
ce qu'il jugoit des guerres passées d'entre ces deux royaulmes, il
vous pouvoit avoyr sagement adverty de ce qui estoit vray, et que
debviez traverser les affères du Roy d'Espaigne et les siens d'elle;
mais qu'à présent son advertissement n'avoit plus lieu contre elle, et
que, si vous aviez trouvé des lettres siennes parmi les aultres
papiers du dict Amiral, vous pouviez avoir cognu qu'elle avoit
tousjours heu une singullière affection à la conservation de vostre
grandeur et de vostre estat.

Et, au regard de l'entrevue que luy offriez sur le propos de
Monseigneur le Duc et de l'honneur que la Royne, vostre mère, luy
vouloit faire d'y venir, qu'elle vous en remercyoit toutz deux de tout
son cueur, et se santoit vous avoir une si grande obligation pour
cella qu'elle ne sçavoit comment le recognoistre, bien qu'elle estoit
assez en peyne comme une telle chose se pourroit accomplyr meintenant,
et mesmes sur la mer; car, oultre que ne luy seroit descent d'aller
ainsy dehors chercher mary, ses subjectz aussy ne luy permettroient
jamais qu'elle se mît sur mer, non pour passer en l'isle d'Ouyc, qui
n'estoit qu'à quatre mille de la coste de deçà; et qu'il y avoit de
ses conseillers qui estimoient qu'on se mocquoit d'elle, d'avoir mis
telle chose en avant.

Je luy ay réplicqué, quand au doubte qu'elle faysoit de la
conspiration, que nul ne devoit mettre en difficulté qu'elle n'eût
esté clèrement advérée à Voz Majestez et aulx vostres, premier
qu'eussiez lâché la mein contre les conspirateurs; et que, si ce heût
esté de quelques aultres qu'on vous la heût rapportée, vous heussiez,
par advanture, mesprisé l'advis, ou heussiez mis peyne de le remédier
aultrement; mais, considérant que c'estoit de gens qui estoient
merveilleusement promptz à la mein, hazardeux jusques au bout, qui ne
layssoient rien de si difficile qu'ilz n'entreprinsent, et souvant ung
petit nombre d'eulx avoit surprins de grandes villes, et s'estoient
rendus mestres d'ung infiny nombre de peuple; qui, par leurs
consistoires et monopoles, avoient dressé une si grande monarchie à
part, pour eulx, dans vostre royaulme, que le feu Amiral se vantoit de
pouvoir mettre en ung subit trente mille hommes de pied et quatre
mille chevaulx en campaigne; et ne leur pouvoit si tost passer une
bien petite mouche devant les yeulx qu'incontinent ilz ne
retournassent, avec la plus grande impacience du monde, à leur
habitude accoustumée de vouloir tout renverser par les armes, sans
faire non plus de difficulté de s'attacquer à vous mesmes, qui estiez
leur roy, que feroit ung queréleux de desgainer son espée contre son
compagnon, vous ne pouviez, Sire, après leur avoir excusé les dix ans
de troubles passés, et la ruyne de tant de voz villes et pays, qu'ilz
avoient mis en désolation en vostre royaulme, et les armées
estrangères qu'ilz y avoient introduictes, et l'épuisement de voz
finances, et les infinys debtes où ilz vous avoient constitué, sinon
louer et remercyer infinyement Nostre Seigneur de vous avoir
meintenant dellivré de la malheureuse conspiration, par laquelle, pour
revencher la blessure du feu Amiral, dont vous ne pouviez mais, et en
estiez très marry, et leur en vouliez fère avoyr la plus prompte
réparation que faire se pouvoit, ilz vous vouloient, et toutz les
vostres, mettre misérablement à mort, de sorte que vous hayssiez
encores ceulx qui estoient exécutés, et aviez en très grand hayne
ceulx qui restoient encores en vye de la dicte conspiration; luy
touchant, Sire, à ce propos, ce que me commandiés du comte de
Montgommery, qu'elle voulût mander à ses officiers de Gersé de le
consigner en voz meins, et que, comme princesse prudente et vertueuse,
elle voulût mettre toutes les considérations dessus dictes devant ses
yeulx, lesquelles feroient qu'elle mesmes justiffieroit ce que vous
aviez faict en cella, ainsy que vous espériez que Dieu, à qui seul
vous aviez à rendre compte de voz actions, l'avoit desjà justiffié:

Que, pour le regard de vostre plus estroicte confédération avec elle,
vous ne pensiez qu'elle y deût mettre en aulcun compte ce qui touchoit
le faict des subjectz, car, comme vous ne prétandiez d'avoir
intelligence, sans elle, avec les siens, ainsy seriez vous marry
qu'elle, ny nul aultre prince, en heût avec les vostres, sans vous; et
que tant plus debvoit elle maintenant estimer vostre persévérance vers
elle, qu'elle ne procédoit plus, ny par le moyen du feu Amiral, ny
pour l'occasion de ceulx de la nouvelle religion, mais de la seule
affection et bienvueillance que vous luy portiez, et qu'elle s'assurât
de ne trouver jamais manquement en vostre amityé, ny en voz promesses,
pour la cause de sa religion, non plus que les feus Roys, son père,
son frère et elle mesmes, n'en avoient trouvé ez feus Roys, voz ayeul
et père, encor que leur religion fût diverse; et que Voz Majestez ne
portoient hayne à ceulx de la nouvelle religion que aux seulz
conspirateurs, et aviez mis tout l'ordre, qu'il vous avoit esté
possible, que la violence ne passât sinon contre ceulx là, et
m'assurois que ce qui estoit advenu davantage à Paris et à Orléans, à
Lyon et à Roan, avoit esté à vostre regret, et contre vostre volonté;
et qu'au regard de ce qu'elle disoit que l'on faisoit aller le Roy de
Navarre et la Princesse de Condé par force à la messe, que je la
suplioys de croyre qu'on ne les contreignoit de rien, ny ne failloit
interpréter ce que la Royne, vostre mère, avoit dict à son
ambassadeur, «qu'il n'y auroit plus qu'une religion en France» qu'on
voulût pour cella forcer personne en leur conscience, mais seulement
empescher, pour quelque temps, l'exercice public et les assemblées que
ceulx de la nouvelle religion avoient accoustumé de faire, affin
qu'ilz ne preignent les armes, et qu'ilz ne provoquent les
Catholicques à leur courre sus, jusqu'à ce qu'on ayt pourveu de
quelque bon ordre pour tenir le royaulme en paix; et qu'elle ne fît
doubte que Voz Majestez ne procédissiez vers elle de pareille
sincérité qu'avec les plus fermes catholicques du monde. De quoy
l'entrevue, que luy accordiez, où la Royne, vostre mère, se vouloit
trouver, l'en pouvoit rendre très assurée; laquelle avoit mis en avant
que ce fût sur mer, sachant que la dicte Royne d'Angleterre avoit le
plus beau et magnifficque équippage de navyres, que prince ny
princesse de l'Europe, et que ce ne luy seroit à elle que commodicté
d'en mettre quelques ungs dehors; et néantmoins qu'ayant le Sr de
Walsingam depuis suplié Voz Majestez luy vouloir advouer qu'il peût
escripre à la dicte Dame que la dicte entrevue seroit là où elle
trouveroit bon; à quoy la Royne, vostre mère, luy avoit respondu
qu'elle en estoit contante, et ne seroit si escrupuleuse de sa
grandeur qu'elle ne defférât tout ce qu'elle pourroit à celle de la
dicte Dame, que je la suplioys maintenant de regarder quand, et
comment, et où elle vouldroit que cella se fît? Et que, s'il luy
playsoit que ce fût aux isles de Gerzé et de Grènezé, que ce seroit à
la commodicté de toutes deux.

La dicte Dame m'a soubdein respondu que son ambassadeur ne luy en
avoit pas tant mandé, car s'estoit remis à moy; et qu'elle ne voyoit
nul lieu plus commode pour cest effect que Douvre; mais qu'elle ne
pensoit que nul de ses conseillers, tant ilz avoient meintenant
suspectes toutes choses, et mesmes, possible, l'entrevue d'elles deux,
peût estre d'advis de la dicte entrevue, et que, si elle avoit à
estre, il faudroit qu'elle seule l'ordonnât.

J'ay adjouxté que, si vous aviez de quoy honnorer davantage la dicte
Dame, et luy donner plus de certitude de vostre droicte intention vers
elle, et vers le bon propos d'entre elle et Monseigneur le Duc, par
aultre moyen que cestuy cy, que vous le feriez; et que pourtant elle
ne refusât l'honneur, l'advantage, la seureté et les aultres
commodictez que la couronne de France luy offroit par ceste entrevue.

Sur quoy elle m'a prié de luy donner deux jours pour y penser, et
qu'elle me feroit avoir responce.

Pendant lequel temps, j'ay faict, de mon costé, la meilleure
dilligence que j'ay peu, et elle, du sien, à sonder l'intention de
ceulx de son conseil, lesquelz se sont monstrés assez sourdz et muetz,
de sorte qu'elle a esté elle mesmes contreincte de faire la
déclaration de son intention là dessus; en quoy elle a esté, à ce que
j'entendz, beaucoup aydée du comte de Lestre et de milord trésorier.
Et le dict milord l'a rédigée depuis par escript en ung sommaire qu'il
m'a mandé en angloys, et je l'ay faict traduyre, quasy de mot à mot
en françoys, en la forme que je le vous envoye, qui explique si bien
l'entier desir de la dicte Dame, et pareillement la conception de son
conseil, que je ne veulx y rien adjouxter du mien, sinon vous assurer
que nul n'a peu estimer que, en ce temps, je deusse rapporter une si
bonne responce, comme j'ay faict, de la dicte Dame. Laquelle n'a
laissé pour cella d'ordonner une monstre générale et une description
des gens de guerre, et de grand nombre de mariniers, par tout son
royaulme, et a faict préparer ses grandz navyres; desquelz l'on en
met, dès demein, quatre des meilleurs dehors, avec six centz hommes,
pour tenir le Pas de Callays. Et parce qu'en nulle manière les
marchandz se veulent hazarder d'envoyer, de cest an, en leur nom, à
Bourdeaulx, à cause de l'armée du Sr Strossy qui en a desjà pillé
quelques ungs, et qui a arresté ung navyre du Sr Acerbo Velutelly, je
suis recherché par l'ordre de ceulx mesmes de ce conseil, mais soubz
mein, de suplier Vostre Majesté qu'elle me vueille promptement envoyer
ung saufconduict en bonne forme, affin que les Angloys s'en puissent
servir, et qu'ilz se mettent par là hors de la grande deffiance qu'ilz
ont, laquelle leur Mestresse ne veult qu'ilz monstrent d'avoyr; et
néantmoins, si le dict saufconduit ne vient bientost, elle leur
croistra davantage; en quoy il importe assez, Sire, qu'en toutes les
choses qui concernent icy vostre service, vous disposiez bien
l'ambassadeur qui est de dellà. Et sur ce, etc.

    Ce XXIXe jour de septembre 1572.

   Commandez, s'il vous plaist, Sire, que le susdict navyre et
   marchandise du Sr Acerbo Velutelly, qui est un gentilhomme
   lucois très dévot serviteur de Vostre Majesté, et pareillement
   les vaysseaulx et marchandises des Angloys soient relaschées;
   et qu'il soit faict réparation aus dicts Angloys de ce qui
   leur a esté frèchement déprédé depuis le traicté de la ligue.


    A LA ROYNE.

Madame, il m'a faict grand bien de trouver en voz dernières dépesches,
tant au long et bien fort sagement desduictz, les propos que Mr de
Walsingam vous avoit tenus, le deuxiesme, septiesme et treiziesme de
ce moys, avec les vertueuses responces que Vostre Majesté luy avoit
faictes; lesquelles m'ont servy de rempar et d'adresse, pour ozer
comparoir en ceste court, contre les exécrables parolles qu'on y
disoit assez ouvertement contre les François, à cause des meurtres
naguières succédez en France contre ceulx de leur religion. Et me suis
prévalu, Madame, le mieulx que j'ay peu, de voz raysons et
remonstrances, avec ceste princesse et vers ceulx de son conseil, pour
leur justiffier ce qui a esté faict.

En quoy elle, de sa part, a monstré qu'elle desiroit, de bon cueur,
que la justiffication s'en peût faire si clère, que tout le tort de la
foy rompue s'en imputât au feu Admiral et aux siens, et qu'elle, ny
les aultres princes protestans n'eussent occasion de croyre que le Roy
et Vous, Madame, ne les puissiez aymer, ny leur garder la foy et
parolle des choses que leur promettez; car dict que, sans ces deux
fondementz, il est impossible que rien se puisse bien establir entre
vous, et que, de ne les observer à voz subjectz, nuls estrangers s'en
pourront jamais puis après assurer. Mais ceulx de son conseil, encores
qu'ilz ne m'ayent parlé que modestement de Voz Majestez, disantz ne
vouloir condempner les actions des princes, ny se monstrer trop
curieux en la républicque d'aultruy, néantmoins ilz ont déduict tant
d'argumentz contre l'extrême violence dont a esté uzé, non contre
l'Admiral et les siens, puisque vous les souspeçonniez de la
conspiration, ny contre ceulx qui avoient porté les armes, encor que
vous les heussiez assurés de vostre édict, ny encores contre ceulx qui
estoient capables de les porter, puisqu'ilz les pouvoient prendre,
mais contre les femmes, les enfans et pouvres viellardz, sans aulcune
différance, que ce n'estoit plus la mort de ceulx là, ny la
considération de la hayne qu'on portoit en France aux Protestantz,
mais la condicion de la nation meuertrière, séditieuse et très
inhumayne, qui leur faisoit creindre d'avoir jamais rien de commun
avecques nous;

Et que je leur alléguois beaucoup de grandes raysons bien déduictes
pour collorer ce faict, sellon que j'estois commandé de le faire, mais
que l'éloquence du grand orateur d'Athènes, ny du Romain, n'y
pourroient suffire; car ce n'estoient que parolles persuasives, là où
les horribles effectz, qu'ilz voyoient devant les yeulx, les mouvoient
au contraire; et que, veu l'exécution qui estoit auparavant advenue en
Flandres, et meintenant plus grande en France, sur ceulx de leur
religion, ilz jugeoient bien que c'estoit meintenant à eulx de
regarder de près à leur faict, et que pourtant je ne trouvasse
estrange s'ilz vouloient quelque preuve de l'intention de Voz Majestez
vers ce royaulme, et de l'expédition du Sr Strossy, premier que de
passer en rien plus avant vers nous, ny mesmes de laysser partir la
flotte pour Bourdeaulx, (puisque ceulx de l'armée du dict Sr Strossy
avoient commancé de maltrecter aulcuns de leurs marchandz, qui avoient
faict voyle les premiers), jusques à ce qu'il leur viegne quelque
nouvelle seureté de vostre part; et que ce que je leur alléguois, que
nul plus grand ny plus certein gage leur pourroit estre baillé de Voz
Majestez Très Chrestiennes que l'offre de l'entrevue et le mariage de
Monseigneur le Duc, que, au contraire, ilz creignoient que vous
prinsiez ung trop grand gage d'eux de leur bailler ung roy.

Je n'ay failly là dessus de leur réplicquer; et n'ay layssé ung seul
poinct de voz lettres, ny pas une de toutes les considérations que
j'ay peu ymaginer de moy mesmes, que je ne leur aye le tout déduict,
avec le plus d'efficace que j'ay peu; mais il est trop difficile de
gaigner une telle cause devant de telz juges.

Tant y a qu'en l'endroict de la Royne, leur Mestresse, j'ay
interrompu, pour ce coup, la prompte responce, dont ilz l'avoient
préparée pour me refuser l'entrevue, et ay tant faict qu'elle a prins
deux jours pour en dellibérer, pendant lesquelz j'ay très instamment
sollicité ceulx qui y pouvoient quelque chose, de s'y vouloir bien
employer; et leur ay, avec les lettres de Mr de Montmorency,
administré force raysons pour déduyre, et force promesses pour les
faire persévérer. Et enfin j'ay rapporté la responce que Vostre
Majesté verra, non si bonne que je la desirois, mais beaucoup
meilleure que je ne l'espéroys, et telle qu'elle vous remect en chemin
de pouvoir parachever les choses bien commancées, si, d'avanture, vous
vous voulés ung peu accomoder à l'intention de ceste princesse et des
siens. Et j'entendz que milord trésorier et le comte de Lestre y ont
faict ung fort bon office; et disent aulcuns, Madame, qu'il est temps
de faire des présentz par deçà; car, du costé de Bourgoigne, rien ne y
est espargné. Mr de Walsingam a escript en bonne sorte du mariage, et
bien fort honnorablement de Monseigneur le Duc, et s'est loué des
bons rapportz que Mr de La Mole a faict à son retour par dellà. Sur
ce, etc. Ce XXIXe jour de septembre 1572.

   Madame, voyant que la Royne d'Angleterre et les siens me
   déclaroient que l'entrevue ne pourroit estre sur mer, ny hors
   d'Angleterre, et qu'ilz voyoient encores beaucoup de doubtes,
   sur la venue d'une si grande princesse comme Vostre Majesté
   par deçà, avec le grand trein qu'elle y pourroit mener en
   temps si suspect, qui malaysément se passeroit sans qu'il
   advînt des parolles et reproches sur les choses advenues en
   France, j'ay dict que Vostre Majesté pourroit accorder de
   venir à Douvre avec telle compagnie que seroit advisé. Et, à
   la vérité, Madame, c'est le lieu le plus commode qui se puisse
   choysyr en ce royaulme, car, de Gerzé ny de Grenezé, l'on n'en
   veult ouyr parler.



CCLXXVIIe DÉPESCHE

--du IIe jour d'octobre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Défiance des Anglais.--Crainte qu'ils éprouvent d'une attaque
    subite de la part de la France.--Continuation des
    armemens.--Nouvelles des Pays-Bas; succès du duc
    d'Albe.--Importance de maintenir la Rochelle sous l'obéissance
    du roi.--Grand nombre de Français qui cherchent refuge en
    Angleterre.--Refus d'Élisabeth de livrer le comte de
    Montgommery.--Nouvelles d'Écosse.--Délibération au sujet de
    Marie Stuart, à qui l'on reproche d'avoir connu et célébré
    d'avance les massacres de Paris.--Difficulté toujours
    croissante que présente la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, après ma dernière dépesche, du jour de St Michel, je n'ay
guières voulu retarder ceste cy, affin de vous donner advis de la
réception de la vostre, du XXIIe du passé, en laquelle j'ay trouvé,
par ung très sage et vertueux discours, la déduction de beaucoup de
choses, lesquelles debvront assez satisfère ceste princesse et les
siens, sinon qu'elle et eulx ne se veuillent payer d'aulcune rayson.
Il est vray que les parolles, pour ce commancement, ne peuvent assez
suffire pour les bien remettre, parce que les faitz, qui leur
viennent, d'heure en heure, rapportés de dellà, les meuvent au
contrayre; tant y a que je les yray trouver demein à Windezore, et ne
leur obmettray rien de tout le contenu de voz lettres, et
m'esforceray, aultant qu'il me sera possible, de les rassurer du costé
de Vostre Majesté, car n'est pas à croyre combien ilz ont encores très
suspecte l'armée du Sr Strossy, pensant qu'elle ayt une entreprinse en
Escoce, ou bien en quelque endroict de ce royaulme, mesmement sur
Portsemmue ou l'isle d'Ouyc; qui sont les deux plus importans lieux de
la coste de deçà; dont y ont envoyé armes et mounitions, et ung
ingénieur, avec commissaires et argent, pour besoigner en dilligence à
la fortification, et remettre le tout en bon estat. Et, de mesmes, ont
mandé de pourvoir, aultant que faire se pourra, du costé d'Escoce, se
continuant icy l'aprest des grandz navyres, mais avec ung peu moins de
presse que devant que j'eusse esté à Redine, et pareillement la
monstre, laquelle j'estime qu'ilz continueront davantage; et feront
encores plus grande description des gens de guerre sur la nouvelle qui
est arrivée de la reprinse de Montz, et de la retraicte du prince
d'Orange, et de la réduction d'ung ou deux lieux en Olande, qui ont
chassé les Gueux. Il semble qu'à Fleximgues les françoys, qui y
estoient, ayent esté mis dehors, et que les angloys y ayent esté
receus.

L'on a resserré icy les seigneurs catholiques qui estoient dans la
Tour, et y a deux commissaires par la ville, et pareillement ez
aultres lieux et villes de ce royaulme, pour s'enquérir des
estrangers: dont estant, d'avanture, le jeune capitaine Monluc abordé
par deçà, venant de Dannemarc et de Pouloigne, il a esté mené soubz
quelque garde, par les officiers d'Arvich, jusques vers ceulx de ce
conseil, et j'y ay envoyé ung gentilhomme pour le faire relascher, et
luy faire bailler son passeport. L'on apprestoit beaucoup d'armes et
de monitions et vivres pour envoyer en Flandres, mais le tout est
maintenant réservé par deçà.

Troys françoys, qui se disent capitaines, sont arrivés depuis huict
jours du dict Fleximgues, quasy dévalisez, et semble qu'ilz se sont
desrobés pour cuyder rencontrer icy meilleure fortune, à cause des
choses advenues en France, comme si incontinent les Angloys nous
devoient déclarer la guerre; mais ce qui plus amortit les
entreprinses, que ceulx de la nouvelle religion qui sont icy
pourroient exciter, est d'entendre que la Rochelle demeure ferme en
l'obéyssance de Vostre Majesté, et que vous y avez envoyé Mr de Biron.
En quoy, Sire, je vous suplie très humblement de mettre
principallement ordre que ceste ville persévère bien en vostre
dévotion, car elle est de très grand moument pour y contenir aussy
tout ce royaulme. Bien que la Royne d'Angleterre m'a assuré que son
visadmiral, ny nul aultre angloys, n'y a esté envoyé de sa part,
depuis les choses de Paris; et m'a assuré aussy qu'elle ne permettra
que ceulx de voz subjectz, qui ont fouy deçà, arment nulz vaysseaulx
pour piller la mer, néantmoins, je suis adverty que le capitaine Sores
est arrivé à la Rye avec ung navire de cent cinquante tonneaulx et
deux centz hommes dessus, et pareillement le capitaine Giron avec ung
aultre vaysseau et hommes, et n'atendent que la permission d'elle pour
continuer ce qu'ilz faysoient aux derniers troubles.

Villiers, Fuguerel, Pâris et quelques aultres ministres sont arrivés
en ceste ville, et aulcuns d'eux ont passé jusques à la court, et y
ont si fort exagéré les choses de France qu'ilz ont assuré que cent
mille personnes ont esté tuées par dellà depuis l'émotion de Paris;
acte qu'on trouve icy si cruel et tant contrayre à toute humanité
qu'on excogite nouvelles sortes d'exécration pour détester ceulx qui
l'ont faict, et ceulx qui l'ont faict fère. A quoy, Sire, je me suis
efforcé de monstrer qu'il n'en est pas mort cinq mille, et qu'encor
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et toutz ceulx de vostre
couronne, aviés très grand regret que cella ne s'est peu passer avec
la perte de cent seulement, de ceulx qui, par leur malheureuse
conspiration, sont cause de l'inconvénient des aultres. Les Srs
Linguens, Vieurne, Bouchard, le contrerolleur le Noble, et leurs
femmes, les Srs de Hèdreville, Bouville, Migean et son filz, Legras
avocat, le lieutenant criminel, l'uyssyer Durant, le jeune Bourry et
quelques aultres, de Roan et de Normandye, en assez grand nombre, mais
ceulx là sont les principaulx, ont passé deçà, et les a l'on assez
humaynement receus en ceste ville.

Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, est venu secrètement en
la mayson du visadmiral du Ouest, son beau frère, et m'a la Royne
d'Angleterre, quand je luy ay dernièrement parlé qu'elle voulût mander
à ses officiers de Gerzé de le remettre entre voz meins, ou bien vous
permettre de l'y envoyer prendre, soubz bonne seureté de ne meffayre
de la valeur d'une paille à nul de ses subjectz, que, à la vérité, le
capitaine de Gersé l'avoit advertye de sa fuyte, aussytost qu'il y
estoit arrivé, et qu'elle avoit mandé au dict cappitayne qu'il sçavoit
bien l'ordonnance de l'isle, de n'y debvoir recepvoir aulcun
estranger; dont s'assuroit qu'il n'y estoit plus, et que, s'il estoit
en nulle part d'Angleterre, que c'estoit si secrettement qu'elle ne
l'y sçavoit pas; mais, s'il tomboit entre ses meins, et qu'il fût
vériffié d'avoyr conjuré contre Vostre Majesté, que, de mille vyes,
s'il en avoit aultant, il ne luy en resteroit pas une; vray est que,
de le renvoyer en France, quand bien elle l'auroit en ses meins, où
l'on ne faysoit aultre procès sinon sçavoyr qu'ung fût protestant pour
incontinent le mettre à mort, que vous jugiés bien, Sire, que sa
conscience, estant elle protestante, ne le pourroit permectre. Et
depuis, Sire, j'ay faict parler, soubz mein, à ceulx qui ont notice de
luy, de la permission qu'il pourra impétrer de Vostre Majesté de
pouvoir vendre ses biens en la forme que me l'avez mandé, dont
j'atandz d'avoyr bientost sa responce.

J'ay receu une lettre, d'assez vielle dathe, de Mr Du Croc, par
laquelle j'ay comprins que luy et le Sr de Quillegreu debvoient partir
ensemble, le XXIe du passé, et que l'assemblée de la noblesse du pays
se faysoit le lendemein, XXIIe du passé, incerteins toutz deux de ce
qui pourroit succéder. Et puis adjouxte en chiffre que l'abstinence a
esté très profitable à ceulx de Lillebourg, car ilz se sont pourveus
de vivres, dont ilz avoient grand faulte; et que le comte de Morthon
ne s'est voulu trouver au mandement que le comte de Mar a faict de la
noblesse, dont semble que ce soit luy qui vueille empescher la paix;
et que le comte de Hontely et son frère sont pour faire parler d'eux,
si la guerre recommance; et que les adversaires de la paix se
repantiront, pour peu de moyen que ceulx du bon party ayent de dehors,
ou pour le moins ilz feront qu'on se contantera de rayson.

Il n'y a rien de plus vray, Sire, qu'on a mis en dellibération icy
comme l'on pourroit procéder contre la Royne d'Escoce pour la faire
mourir, et qu'on a envoyé la reserrer davantage, parce qu'on a observé
que le samedy, dont l'exécution se fit le dimanche après à Paris, elle
se monstra beaucoup plus joyeuse, (et veilla quasy toute la nuict à se
resjouyr), qu'elle n'avoit faict depuis sa prison. De quoy l'on a
conjecturé qu'elle sçavoit l'entreprinse, et que quelqung des miens,
que naguyères j'avoys envoyé vers elle, la luy avoit faicte sçavoir;
dont, comme de moy mesmes, j'ay bien voulu dire à la Royne
d'Angleterre qu'il sembloit qu'on se voulût prendre icy à la Royne
d'Escoce de ce qui avoit esté faict à Paris, et que je la supliois de
considérer que la pouvre princesse n'en pouvoit mais, et n'en avoit
jamais rien sceu, dont n'en debvoit estre plus mal trectée, et que ce
ne seroit qu'engendrer nouvelles querelles. A quoy elle m'a respondu
que la dicte Royne d'Escoce avoit assez de ses propres péchés sans luy
impétrer ceulx d'aultruy. Et depuis, j'ay intercédé pour elle vers
aulcuns de ce conseil, qui ne luy sont mal affectionnés; lesquelz
m'ont promis qu'ilz s'employeroient de tout ce qu'ilz pourroient en sa
faveur, et qu'à la vérité toutes choses luy sont à présent plus
contraires que jamais en ce royaulme, toutesfoys que, pour encor, il
n'y a rien d'ordonné contre elle. Sur ce, etc.

    Ce IIe jour d'octobre 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, je ne m'attandz pas que, jusques à ce que l'ambassadeur
d'Angleterre ayt de rechef escript par deçà, sur ce qu'il aura négocié
avec Voz Majestez, touchant la responce que sa Mestresse m'a faicte,
le XXVe du passé, laquelle je vous ay envoyé le XXIXe, je puisse de
rien faire advancer davantaige la dicte Dame au faict de l'entrevue,
ny sur le propos du mariage, car elle a bien fort meurement dellibéré
ce qu'elle m'a ceste fois respondu, et n'est pour y rien changer
qu'elle ne voye plus avant. Néantmoins j'yray trecter avec elle sur
les particullarités de la dépesche de Voz Majestez, du XXIIe du passé,
lesquelles luy debvront apporter du contantement. Et ne fays doubte
que je ne la trouve elle bien disposée, car me semble qu'elle ne
reçoit, sinon fort bien, tout ce qui luy est dict de ce propos, et
toutes ses parolles et démonstrations monstrent assez qu'elle demeure
bien inclinée au mariage, et qu'elle a très bonne opinyon de
Monseigneur le Duc vostre filz; mais elle a bien tant de respect à ce
que ceulx de son conseil luy disent, et à conserver le repos de son
royaulme, qu'il ne se fault pas attandre, Madame, qu'elle fasse jamais
rien ny contre l'advis des ungs, ny contre ce qui pourra avoyr la
moindre apparance du monde de préjudicier à l'aultre. Par ainsy, j'ay
meintenant plus à faire, à contanter ceulx de son dict conseil et à
les rasseurer de l'espouventement qu'ilz ont prins des choses qui sont
freschement advenues en France, que non pas de la bien persuader à
elle; et voy bien que de son ambassadeur dépend quasy la meilleure
résolution du faict, sellon qu'il rendra ceulx cy bien édiffiez de Voz
Majestez et des choses qui passeront de delà: dont, Madame, à Vostre
Majesté sera de le tenir bien disposé. Je n'ay obmis de l'excuser vers
sa Mestresse, touchant la responce qu'il vous avoit faicte à la fin de
juillet, et comme Vostre Majesté la prioit d'en attribuer la faulte,
qui y pourroit estre, à vous mesmes et non à luy; et luy ay touché
aussy, en passant, comme le Roy ny Vous, Madame, n'aviez peu
interpréter à mal ce qu'il avoit retiré Briquemau en son logis:
desquelles deux choses la dicte Dame a esté bien fort ayse, et m'a
prié de vous assurer qu'en tout ce qu'il escript, et en toutz les
offices qu'il faict, il monstre de n'estre moins affectionné à Voz
Majestez Très Chrestiennes que à elle mesmes.

Au surplus, j'ay bien noté, par le propos des privés conseillers de la
dicte Dame, qu'auparavant que ces choses de Paris advinsent, elle
s'attendoit d'estre une des commères aux premières couches de la
Royne, vostre belle fille, affin de confirmer davantage la plus
estroicte amityé et confédération, qui a esté nouvellement faicte
entre Voz Majestez; mais elle ny eulx ne croyent, à ceste heure, que
vous en ayez jamais heu la volonté, et j'ay bien opinyon, Madame, que,
si c'estoit chose que Voz Majestez estimassent estre bonne de faire,
qu'elle seroit bien fort à propos pour retenir ceste princesse et tout
ce royaulme en vostre dévotion.

La dicte Dame a heu grand plésir que je luy aye faict voyr, par une de
voz lettres, comme le visage de Monseigneur le Duc se va tous les
jours rabillant, et qu'encores vous y voulez faire applicquer les
remèdes du mèdecin, qui est allé par dellà; en quoy elle m'a dict
qu'elle s'estoit fort esbahye, veu l'extrême bonne affection qu'avez
tousjours monstrée vers toutz voz enfans, que ne luy heussiez faict
pourvoir de bonne heure à ce grand inconvénient, qui tant luy gastoit
le visage. Sur ce, etc.

    Ce IIe jour d'octobre 1572.



CCLXXVIIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour d'octobre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

   Maladie d'Élisabeth.--Retard apporté à l'audience demandée par
   l'ambassadeur.--Nouvelle irritation causée en Angleterre par
   les nouveaux massacres de Rouen.--Efforts des partisans de
   l'Espagne pour faire rompre l'alliance avec le roi.--Nécessité
   de rassurer les protestans en France.


    AU ROY.

Sire, j'espérois, vendredy dernier, troysiesme de ce moys, aller
trouver la Royne d'Angleterre à Windesore pour luy faire entendre les
particullarités que, par vostre lettre du XXIIe du passé, il vous a
pleu me commander de luy dire, qui sont toutes d'un si grand
contantement et d'une si honneste satisfaction pour elle, qu'elle ne
le sçauroit desirer davantage; mais elle me manda, le jeudy au soir,
que je l'excusasse pour le dict vendredy, car avoit dellibéré de
prendre mèdecine, et encores pour tout le jour d'après, car sçavoit
que ne pourroit se trouver bien; mais que je pourrois venir le
dimanche, ou bien que, si c'estoit chose pressée, qu'elle remettroit
sa mèdecine à une aultre foys.

Je n'ay ozé, Sire, tant présumer que de retarder chose qui appartînt à
sa santé, dont, ayant remis d'y aller au dict dimanche, le comte de
Sussex m'a faict entendre, le samedy, à la nuict, qu'elle n'avoit peu
prendre sa mèdecine, comme elle l'espéroit, le vendredy, s'estant
trouvée ung peu mal, et s'estoit mise entre les meins de son mèdecin,
dont ne sçavoit quand je la pourrois voyr; mais que, si j'avoys à luy
communicquer quelque chose de la part de Vostre Majesté, je le
pouvois escripre à milord trézorier qui le luy feroit très volontiers
entendre. J'ay, le bon matin, dépesché ung des miens jusques là, affin
d'entendre plus particullièrement de la santé de la dicte Dame, et
pour dire au dict comte de Sussex que j'ay à présenter à elle des
lettres de Vostre Majesté en créance sur moy, qui ne se peut faire
sans que je soye présent, et que pourtant j'attandray paciemment sa
commodicté et bonne disposition. Ce que j'ay faict, Sire, affin que je
puisse remarquer, par ses propres parolles et contenance, en quoy elle
persévère vers Vostre Majesté; car je sens bien que toutes choses ont
commencé et continuent de nous devenir si contraires par deçà, depuis
l'émotion de Paris, (et mesmes pour l'orrible tragédye qui s'est jouée
à Rouen, à l'espectacle de laquelle plusieurs angloys ont esté
présens, qui raportent qu'on y continue encore de contreindre ceulx de
la nouvelle religion de se rebaptiser, ou bien l'on les tue sans
rémission), que ceulx de ce conseil ne travaillent en rien tant, à
ceste heure, que de cercher comment la dicte Dame se pourra retirer de
vostre intelligence; et observent le temps, quand, et à quelle
occasion, elle le pourra faire sans danger. Dont les partisans de
Bourgogne ont le vent en poupe, et sont ceulx qui, plus que les
aultres, bien que la ruyne des Protestans leur playse, agravent les
meurtres et exécutions de France, et cellèbrent jusques au ciel le duc
d'Alve de ce qu'il a seu, par sa valeur, et de vifve force, repoulser
l'armée du prince d'Orange et reprendre Montz, et a gardé la
capitulation à ceulx de dedans, et n'en a esté tué pas ung soubz la
seurté de sa parolle. Et suis adverty, Sire, que le courrier
Francisque, flammant, lequel Anthonio de Guaras avoit dépesché devers
le dict duc, a esté redépéché de deçà, le jour après que le dict duc
a esté dedans Montz; et luy et Guaras sont, depuis deux jours, à
Windesor, dont je ne veulx perdre l'occasion, s'il m'est possible, de
parler moi mesmes à ceste princesse, affin de tenir vostre party le
plus relevé que je pourray vers elle, et, en l'assurant tousjours de
vostre parfaicte amityé, la randre de plus en plus bien édiffiée de
Voz Majestez Très Chrestiennes et des vostres sur tout ce qui est
advenu par dellà.

J'entendz qu'il est arrivé ung navyre de la Rochelle et que quelqu'ung
de ceulx, qui estoient dedans, est allé jusques à Windesore, mais ne
sçay encores qu'il y négocie; seulement il a dict, en passant, que
ceulx de sa ville, pour les choses advenues à Paris, n'avoient du
commancement voulu prendre aultre dellibération que de faire tout ce
que Vostre Majesté leur commanderoit, mais, entendant l'exécution, qui
depuis a esté faicte ez aultres villes, ilz vouloient pourvoir à leur
seureté. Quelqu'ung m'a dict que le vidame de Chartres, et Mr de
Pontivy sont abordés deçà. Je mettray peyne de le mieulx sçavoir, et
vous puys bien assurer, Sire, qu'il y arrive tous les jours beaucoup
de voz subjectz de la dicte nouvelle religion.

La souspeçon et deffiance croît de plus en plus en ceulx cy, et ne
peulvent, par mes parolles ny par les propres lettres de Vostre
Majesté, lesquelles je ne fay quelquefoys difficulté de les leur fère
voyr, aulcunement se rasseurer; car disent que les effectz, lesquelz
conveinquent et les parolles et les lettres, leur monstrent ce qu'ilz
doibvent creindre. Et ont esté milord de Lestre et le comte de
Lincoln, avec les mestres des fortiffications, à Porsemmue et en
l'isle d'Ouic, pour mettre ces deux lieux en deffance. Je ne fay
doubte que leur deffiance ne croisse aussy du costé d'Espaigne, mais
il leur est plus facille de s'en mettre hors, à cause de leur ancienne
allience, que de nous qui leur sommes nouveaulx, et non encores bien
esprouvés amys. Sur ce, etc. Ce VIIe jour d'octobre 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, si je retarde un peu plus que de coustume de rendre responce
aulx lettres que Voz Majestez m'ont escriptes, du XXIIe du passé,
elles verront, par celles que j'escriptz présentement au Roy, que
l'occasion en est, pour ung peu, l'indisposition qui a prins à la
Royne d'Angleterre, et pour ne vouloir en ce temps rien trecter avec
elle sinon par moy mesmes, n'ayant encores bien recognu quelz
persévèreront d'estre ses conseillers vers la France depuis ceste
émotion de Paris; dont je veulx attandre que la dicte Dame se porte
mieulx pour parler à elle, et que par ses propos et ses contenances,
je puisse mieulx conjecturer, que ne pourrois faire par ung tiers, qui
ne me rapporteroit sinon les simples parolles de sa responce, quelle
est son intention.

Et semble bien, Madame, s'il se pouvoit faire que ceulx de la nouvelle
religion se voulussent ung peu rassurer, et que Mr de Walsingam
représentât par deçà une partie de ces tant importantes occasions, qui
ont meu Voz Majestez de leur faire supercéder des presches et des
assemblées publicques, sans leur oster la privée liberté de leurs
maysons, que cella serviroit beaucoup à l'advancement du propos de
Monseigneur le Duc, et m'ayderoit grandement de conveincre aulcuns de
la dicte religion, qui afferment qu'encores après les grandes
exécutions passées, eulx, estantz depuis à Roan, ilz ont esté ung soyr
advertys par leurs hostes de s'en fouyr, parce qu'ung nouveau
mandement estoit secrettement arrivé de la court, par où l'on mandoit
de mettre à mort ceulx qui restoient de la dicte religion qui ne la
vouldroient renoncer. De quoy les Anglois s'animent davantage contre
nous, et crient que toutz les édictz et trectés que le Roy faict pour
ou avec ceulx de leur religion, ne sont que pour les tromper. Je feray
tout ce que je pourray pour entretenir ceste princesse et les siens en
bonne disposition, mais il fault que le plus grand moyen m'en viegne
du Roy et de Vostre Majesté; que toutz deux me faciez parler avec
eulx, tant du présent que de ce que prétandez pour l'advenir, en ce
que vous sçavez qu'ilz ont à cueur, comme pouvez bien juger, Madame,
que leur ambassadeur ne leur en déguysera rien, ou aultrement vostre
parole viendra à estre de nulle authorité, et moy ridiculle, en tout
ce que je leur diray ou promectray de vostre part. Et sur ce, etc. Ce
VIIe jour d'octobre 1572.



CCLXXIXe DÉPESCHE

--du XIIIe jour d'octobre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Conférence de l'ambassadeur avec le comte de Sussex, Leicester et
    Burleigh pendant la maladie de la reine.--Efforts de
    l'ambassadeur afin de renouer les diverses
    négociations.--Motifs donnés par Burleigh du peu de confiance
    que les Anglais doivent avoir dans le roi.--Assurance de
    l'ambassadeur que les protestans recevront toute protection en
    France.--État de la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, ce que, par mes précédantes, je vous ay escript, de quelque
petite indisposition qui avoit prins à la Royne d'Angleterre, au
retour de son progrès, cella peu à peu s'est converty en ung ou deux
accès de fiebvre, et après en la picote ou petite vérolle, qui luy
faict tenir le lict; dont n'ay ozé incister de parler à elle, par ce
mesmement qu'il luy en estoit sorty au visage, mais non pas beaucoup.

Elle a depputé milord trézorier et les deux comtes de Sussex et de
Lestre pour entendre ce que j'avoys à luy dire de la part de Vostre
Majesté; ausquelz j'ay récité le contenu de vostre lettre du XXIIe,
ainsy qu'elle est bien ample et pleine de beaucoup d'honnestes
particullarités, si bien déduictes pour la satisfaction de ceste
princesse et de tout ce royaulme, qu'il ne m'a esté besoing d'y
adjouxter quasy ung seul mot du mien; et seulement j'ay uzé de la plus
grande expression qu'il m'a esté possible pour leur confirmer ce que
je leur disoys, et les assurer que leur Mestresse trouvera toute
vérité et certitude en ce que Vostre Majesté luy promect.

Ilz m'ont presté fort bénigne audience; et, après avoir conféré
ensemble, milord trézorier, pour les troys, m'a dict qu'ilz avoient
grand plésir de cognoistre par mon discours que Vostre Majesté
continuoit en une semblable bonne et sincère disposition vers leur
Mestresse, qu'il sçavoit bien qu'elle persévéroit vers vous; et que,
de toutes les particularités que je venois de leur réciter, qui
estoient beaucoup en nombre, ilz n'en avoient ouy pas une qui ne fût
pour luy apporter du contantement, et plus celle que nulle aultre, par
où apparoissoit qu'en toutes choses vous aviez desir de la contanter;
dont ne feroient faulte de luy rapporter fort fidellement le tout,
aulx mesmes termes que je le leur avois dict, ou le plus près d'iceulx
qu'il leur seroit possible; et que, s'il me plaisoit leur donner ung
extrêt de vostre lettre, ou bien l'original, qui estoit signé de
vostre mein, puisqu'il ne contenoit sinon les bonnes choses que je
leur avois rapportées, qu'ilz donroient ce plésir à leur Mestresse de
la luy lire entièrement.

Je leur ay respondu que, possible, auroient ilz pensé que, comme
ministre affectionné à la paix, et desirant toujours une bonne
intelligence entre ces deux royaulmes, j'avoys entreprins, affin de
rabiller les choses, de faire cest office de moy mesmes, sans en avoir
charge; mais je les priois que, comme je n'avoys jamais rien faict de
semblable, qu'ainsy voulussent ilz croyre qu'à ceste heure, moins que
jamais, vouldrois je advancer une seule parolle à leur Mestresse ny à
eulx, sans en avoir ung bien exprès commandement, et pourtant qu'ilz
pouvoient voyr les propres lettres de Vostre Majesté, lesquelles
j'avois en la mein, et les leur ay incontinent exhibées; car aussy
avoys je proposé de les monstrer à la dicte Dame, ayant seulement
immué une sillabe d'ung mot, et adjouxté par interligne ung aultre
mot, et changé ung bien peu la substance du déchiffrement qui y
estoit; duquel je ne leur ay faict que lecture en passant, sans leur
en laysser rien par escript.

Et milord trézorier avec plésir a prins la dicte lettre, et, après en
avoyr, à parcelles, quasy leu la pluspart, il m'a dict que sa
Mestresse seroit bien ayse de la voyr; à quoy non seulement j'ay
condescendu, mais je l'ay prié de la luy monstrer; et eulx trois, avec
une protestation que ce ne seroit pour servir de responce, jusques à
ce qu'ilz auroient parlé à leur Mestresse, m'ont prié que je prinse de
bonne part ce que, par manière de conférance, ilz me vouloient dire:
c'est que Dieu leur estoit tesmoing combien la Royne, leur Mestresse,
et eulx avoient esté et estoient en grande peyne de dissuader au
commun de ce royaume que Vostre Majesté ne leur heût desjà dénoncé la
guerre, comme prince du tout déterminé à la ruyne des Protestans; car,
par plusieurs coppies, qui leur avoient esté envoyées de divers
endroictz de France, de certeines lettres, escriptes le XXIIIIe
d'aoust, au nom de Vostre Majesté, pour advertyr les gouverneurs que
l'exécution du feu Amiral estoit advenue par la querelle de la mayson
de Guyse, voyantz qu'incontinent après il estoit sorty d'aultres
lettres pour déclarer que cella estoit advenu pour une conspiration
que luy et ceulx de la nouvelle religion avoient faicte contre Vostre
Majesté, ilz vouloient inférer que vous vouliés par là prendre une
apparante occasion, (laquelle nul, à la vérité, ne pourroit nier que
ne fût juste, si elle estoit bien advérée), de vous porter pour
capital ennemy de toutz les Protestans, et que les exécutions, qui
depuis s'en estoient ensuivyes, le monstroient assez; mesmes que
plusieurs angloys, qui avoient esté à Roan, lors de la sédition,
rapportoient qu'elle estoit advenue par mandement de Vostre Majesté,
jusques à affermer qu'ilz avoient veu de voz propres lettres à cest
effect, et qu'ilz me vouloient bien dire aussy que la conjouyssance
que Mr le cardinal de Lorrayne, personnage principal de vostre
conseil, avoit faicte au Pape, au nom de Vostre Majesté, laquelle il
avoit faicte publier en lettres d'or sur la porte de l'hostel St Louis
à Romme[6], en portoient grand tesmoignage; et que tout cella estoit
cause que, oultre l'indignation de la noblesse, et des meilleurs du
royaulme, qui se voyoient comme toutz admonestés par là de debvoir
prendre les armes pour leur deffance, leurs marchandz estoient venus
semondre tout ce conseil de leur laysser transporter leur traffic, et
mesmes de s'aller pourvoir de vin et d'aultres denrées, ailleurs que
de la France, baillantz des démonstrations, par articles, que cella
seroit à la seureté et utilité de l'Angleterre; mais qu'ilz avoient
faict tout ce qu'ilz avoient peu pour modérer les ungs et radoulcir
les aultres, par les mesmes bonnes remonstrances, qu'ilz avoient
apprinses de moy, de l'intention de Vostre Majesté. Et néantmoins, si
l'on ne leur monstroit quelque meilleur effect de vostre part, ilz
n'estimoient pas qu'ilz se puissent assez rasseurer pour s'ozer
encores commètre ny eulx, ny leurs biens, à la France; et que
l'effect, à leur advis, seroit bon, et rendroit les leurz bien
édiffiez de beaucoup de choses passées, si Vostre Majesté faisoit
faire punition exemplaire d'aulcuns de ces plus principaulx séditieulx
de Roan, ainsy que vostre lettre, laquelle les avoit bien fort
resjouys, monstroit que vous estiez résolu de le faire; et quand à
eulx troys, ilz croyoient que l'Angleterre les réputeroit pour
traistres, si, premier que avoyr veu quelque chose de cella, ilz
conseilloient l'entrevue de la Royne, vostre mère, avecques leur
Mestresse.

  [6] Voir la _Conjouyssance de Mr le cardinal de Lorrayne_, en
  date du 7 septembre 1572; _Supplément à la Correspondance
  Diplomatique de La Mothe Fénélon_.

Je leur ay respondu briefvement que leur dicte Mestresse et eulx
voyoient, par voz lettres et par voz parolles, une si bonne et droicte
intention de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz les vostres
vers ce royaulme, qu'ilz n'en debvoient nullement doubter, ny faire
ces argumentz au contrayre, et l'expérimenteroient encores meilleure,
quand il en faudroit venir à l'espreuve.

Ilz ont suivy à me dire qu'ilz estimoient que Vostre Majesté ne
pourroit trouver maulvès que les pouvres françoys, de leur religion,
qui fuyoient icy, pour saulver leurs vyes, y fussent receus.

Je leur ay respondu que je n'avoys nul commandement de parler de
cella, et qu'il sembloit bien que, sellon le dernier traicté de plus
estroicte confédération, les Françoys pouvoient venir icy, et les
Angloys passer en France, sans aulcune difficulté; mais je les
supliois que la recordation de leurs fuitifz, qui avoient trecté avec
le duc d'Alve, les gardât de vous donner semblable souspeçon d'eulx;
que, quand leur Mestresse voudroit intercéder vers Vostre Majesté pour
aulcuns des dicts françoys, oultre que vos édictz les assuroient
assez, encores, pour l'honneur d'elle, seroient ilz davantage assurés
et bien trectés en vostre royaulme; néantmoins que d'avoyr estroicte
praticque avec ceulx qui se monstreroient ou malcontantz, ou qui
voudroient dresser des entreprinses, au préjudice de la paix de vostre
royaulme, que cella ne se pourroit faire, sans que vous en heussiez
beaucoup de jalouzie.

Ilz m'ont réplicqué qu'à la vérité, le vidame de Chartres estoit en
ceste court, où il estoit venu pour eschaper le danger de sa vye; de
quoy ilz ne luy pouvoient faire tort, non plus qu'aulx habitans de la
Rochelle, d'avoir, à ce qu'on disoit, fermé leurs portes à ceulx qui
ne faysoient conscience de tuer indifféremment, et sans forme de
justice, toutz ceulx de leur religion; mais que je pouvois asseurer
Vostre Majesté que leur Mestresse, ny nul de son conseil, ne
presteroit l'oreille à pas ung qui voulût rien troubler en vostre
royaulme. Et, pour le regard de ce que, par une particullarité de mon
dire, laquelle, Sire, je n'ay pas insérée icy, je leur avoys remonstré
qu'on souspeçonneroit une grande altération entre Voz Majestez, si les
Angloys n'alloient ceste année à Bourdeaulx, qu'ilz trouvoient bon,
pour obvier à cella, qu'ilz y allassent, soubz la seureté que je leur
monstrois de voz lettres, et soubz celle que je leur promectois; que
pourtant ilz les feroient partir du premier jour, et qu'ilz pensoient
aussy, Sire, que, s'il vous playsoit de faire dépescher nouvelles
lettres de vostre grand sceau, ez endroictz où le trafficq de leurs
marchandz s'adonne en France, pour les y faire bien recepvoir, et
deffendre de ne leur meffaire ny mesdire, sur grandz peynes, et qu'il
leur en fût monstré, icy, ung extrect, que cella, possible, les
encourageroit davantage, et aussy de mettre ordre, touchant les biens
et marchandises qu'ils avoient commis en divers lieux à ceulx de la
nouvelle religion, qui ont esté tués, ou s'en sont fouys, qu'il leur
en soit faict droict et restitution.

En quoy je leur ay fort promis que Vostre Majesté ne feroit point de
difficulté à tout cella. Et ainsy, après les avoyr fort soigneusement
enquis du bon portement, et disposition de leur Mestresse, je me suis
gracieusement licencié d'eux.

Et le jour d'après, milord trézorier m'a mandé que la dicte Dame avoit
prins beaucoup de contantement de la lettre de Vostre Majesté, et
avoit longuement devisé, avec eux troys, de la responce qu'elle y
debvoit faire, et qu'il estoit après à la rédiger par escript, pour,
puis après, me la faire entendre; dont je l'attandz dans deux ou troys
jours. Je creins assez qu'une partie de la flotte pour les vins
n'aille à la Rochelle, qui pourtant vous suplie très humblement, Sire,
de pourvoir bientost à la réduction d'icelle ville; car de là dépend
le repos de vostre royaulme, et la paix avec les estrangers. J'ay
faict parler au Sr de Colombières, qui est en ceste ville, lequel
monstre de n'avoir nulle plus grande affection que de demeurer vostre
très obéissant et fidelle subject, pourveu qu'il le puisse faire avec
la seureté de sa vye. Il vous pléra m'en mander vostre intention. Je
n'ay aultres nouvelles d'Escoce, sinon qu'on y a prorogé l'abstinence
pour huict jours, affin de moïenner l'accord, mais l'on doubte assez
qu'il se puisse faire. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'octobre 1572.

   Tout présentement, je viens de recepvoir vostre dépesche du
   IIIIe du présent avec le saufconduict.


    A LA ROYNE.

Madame, en faysant la négociation, que verrez par la lettre du Roy,
avec troys seigneurs de son conseil, j'ay mis peyne de tirer d'eux en
quelle bonne intention leur Mestresse persévéroit d'estre vers le
propos de Monseigneur le Duc, et si elle estoit point disposée à
l'entrevue, en quoy les deux plus inthimes m'ont monstré que Mon dict
Seigneur le Duc estoit tousjours en fort bon concept vers elle, et
qu'elle avoit très bonne opinyon de luy; mais qu'elle et eulx deux
estoient merveilleusement contredictz en la poursuite de ce propos,
jusques à ce qu'il se puisse bien voyr que l'estat de ce royaulme
n'est pour en recepvoir aulcune altération, ains pour en confirmer
davantage son repos; et le troysiesme m'a dict que, de tant que les
responces, qu'elle nous avoit faictes jusques icy, ne la constituoient
en aulcune obligation, que la difficulté seroit grande comme pouvoir
conduire les choses en façon qu'elle et ses subjectz s'y vueillent
maintenant obliger, après une si expresse déclaration de Voz Majestez
et de toute la France contre la cause de leur religion, toutesfoys
que je ne pourrois de mon costé procéder par nulle meilleure voie que
par celle que je suivoys, et qu'ilz verroient, toutz troys, avec leur
Mestresse, comme elle se pourroit bien conduire en cest endroict, dont
m'y seroit bientost faict responce. Et, au regard de l'entrevue, que
se trouvant leur Mestresse en une indisposition que les dames ne
vuellent guières qu'on les voye, et mesmes qu'elle n'est pour sortir
d'ung moys de sa chambre, dont l'yver sera bien avant, qu'ilz ne
voyent comme cela se puisse bien commodément faire de cest an; joinct
l'aultre rayson qu'ilz m'avoient desjà desduicte, laquelle, Madame,
j'ay mise en la lettre du Roy. Et, quant aller aux isles de Gerzé ou
Grènezé, que ce seroit aultant à leur Mestresse comme si elle passoit
du tout en France, (car aussy en sont elles vingt foys plus près que
de l'Angleterre), comme pour aller chercher mary par dellà.

Je n'ay deffailly de réplicques, lesquelles ilz m'ont promis de les
faire toutes entendre à la dicte Dame, dont attandz meintenant sa
responce.

Milord trézorier a jecté bien loing de faire meintenant nul voyage en
France, à cause de ses indispositions de la goutte et colicque, mais
le comte de Lestre m'a respondu qu'il seroit tousjours prest d'aller
là où sa Mestresse luy commanderoit, et mesmes vers Voz Majestez Très
Chrestiennes, quand il pourroit servir au propos de l'amityé et du
mariage, et à la réconciliation de ceulx de sa religion. Et toutz deux
m'ont rendu très humbles merciementz pour l'honnorable tesmoignage,
que je leur ay monstré en voz lettres, que Voz Majestez leur
rendoient, et la bonne estime en quoy vous les teniez; qui pourtant se
santent d'avoir de plus en plus très grande obligation à vostre
service. Et sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour d'octobre 1572.



CCLXXXe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour d'octobre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Grognet._)

  Réponses faites au nom d'Élisabeth aux demandes du roi.--Efforts
    de l'ambassadeur pour combattre les intrigues de
    l'Espagne.--Nouvelles de la Rochelle; crainte que les armemens
    faits à Londres n'aient pour but de rallumer la guerre civile
    en France.--Affaires d'Écosse.--Danger de Marie Stuart.--Le
    vidame de Chartres réfugié en Angleterre.--Demande
    d'instruction sur la conduite que doit tenir l'ambassadeur à
    l'égard des protestans français réfugiés en
    Angleterre.--Nécessité où s'est trouvé l'ambassadeur d'accorder
    que l'entrevue se pût faire à Douvres.--Danger que pourrait
    avoir cette entrevue.--Demande par l'ambassadeur de son rappel.

    AU ROY.

Sire, après que les troys seigneurs, avec lesquelz j'ay heu ceste foys
à négocier sur la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIe du passé, ont
heu rapporté à leur Mestresse les choses que je leur avoys dictes, et
qu'elle a heu longuement conféré là dessus avecques eulx, ilz se sont,
avec tout le reste du conseil, plusieurs foys assemblés pour
dellibérer comme l'on auroit à m'y respondre. Et enfin ilz m'ont mandé
par ung des miens ce que Vostre Majesté verra en cest aultre escript,
séparé, lequel luy mesmes, en leur présence, a recueilly, ainsy mot à
mot, comme ilz le luy ont dict, qui monstre bien, Sire, qu'ilz mettent
grand peyne de faire devenir ceste princesse fort ombrageuse et
deffiante de tout ce qui leur est maintenant proposé de vostre part.
Et, de tant qu'ilz y explicquent ouvertement leurs conceptions, je
n'ay que y adjouxter, sinon qu'il me semble, Sire, qu'encores qu'ilz
se monstrent bien farouches, si ont ilz grand plésir, pendant que
l'intention du Roy d'Espaigne ne leur est encores bien cognue, de voyr
que la vostre tend à persévérer vers eulx; en quoy, encor que tout ce
dont ilz uzent à ceste heure vers vous, ne soit, à mon advis, que pour
vous entretenir affin de gaigner le temps, si se peut il fère que le
dict temps et les bons déportemens, dont vous et voz subjectz uzerez
cepandant vers eulx, leur apprendra de ne se debvoir point départir
d'avecques vous, et de n'espérer jamais trouver si bonne addresse vers
le Roy d'Espaigne comme vers Vostre Majesté; qui est ce en quoy je
travaille le plus maintenant, par toutz les moyens et démonstrations
et communicquation de voz lettres, qu'il m'est possible de le faire,
affin mesmement que les agentz du dict Roy d'Espaigne ne se
prévaillent trop icy des choses advenues en France; qui, à la vérité,
s'esforcent de les interpréter fort mal pour advancer leurs affères et
traverser d'aultant ceulx de Vostre Majesté; car, sans cella, je ne
mettroys la peyne de radoulcir tant les Angloys comme je fay; qui se
monstrent si extrêmes que souvant ilz me font honte des choses qu'ilz
me disent. J'eusse espéré pouvoir tirer quelque chose de plus
gracieulx de ceste princesse, si je luy eusse faict voyr la bonne
lettre de Vostre Majesté, que je n'ay pas faict de ceulx de son
conseil. Tant y a qu'ilz ont meurement dellibéré leur responce; et
leur Mestresse l'a aprouvée.

Guaras et Sanvictores, qui sont espaignolz, et le cavalier Geraldy qui
est icy pour le roy de Portugal, sont beaucoup mieulx ouys, et plus
favorablement receus en ceste court qu'ilz ne souloient. Icelluy
Guaras a grande espérance de faire retirer toutz les angloys qui sont
à Fleximgues et en Flandres, et qu'il remettra en bon trein l'accord
des différendz et de l'entrecours des Pays Bas, bien que freschement
soient arrivés aulcuns bourgois du dict Fleximgues et de Holande, qui
font tenir ceste dellibération en quelque suspens. Les princes
protestans ont aussy envoyé secrettement ung personnage de qualité qui
ne se montre point, duquel je n'ay encores aprins le nom. Il négocie
souvant avec quatre de ce conseil, et semble qu'il obtiendra quelque
provision de deniers.

Ung bourgoys de la Rochelle, nommé Duret, est icy, lequel, encor qu'il
monstre d'y estre venu pour le faict de marchandise, si a il, et ung
Bobineau qui est aussy de la Rochelle, esté quelques jours à Vindezor.
J'entendz qu'on a dépesché incontinent ung vaysseau angloys au dict
lieu de la Rochelle pour aller voyr comme les choses s'y passent; car
il s'en parle icy diversement. Et c'est de ce costé là, Sire, que je
ne puys cesser de vous suplier très humblement qu'il vous playse en
quelque façon y pourvoir, le plus promptement qu'il vous sera
possible: car, voyant que ceulx cy sont fort dégoustés de la France,
et que, toutz les jours, ilz tiennent plusieurs heures, soyr et matin,
très estroictement le conseil; et qu'ilz ont mandé force capitaynes et
mariniers, et préparent de mettre dix grandz navyres dehors pour les
tenir à Porsemue, je ne puis avoir sinon bien suspecte ceste leur
grand deffiance, et creindre que, pour s'en rasseurer, ilz vueillent
fomenter en ce qu'ilz pourront les troubles dans vostre royaulme; et
ne fay doubte qu'ilz ne recherchent le comte de Montgommery par le
moyen de son beau frère, qui est voysin du dict Portsemmue, et
pareillement le cappitaine Sores, auquel a esté desjà ordonné ung
logis pour luy et sa famille à Hamptonne.

Je sentz bien aussy qu'ilz font de grandes dellibérations sur l'Escoce
pour y suprimer du tout l'authorité de la Royne d'Escoce, et y relever
celle du prétandu régent, et pour parachever icy, s'ilz peuvent, la
ruyne de la dicte Dame à ce prochein parlement; lequel, à ce que
j'entendz, ilz veulent rouvrir le lendemain de la Toutz Sainctz pour
ce seul effect, qui ne sera sans que la pouvre princesse ayt grand
besoing de vostre faveur; et néantmoins je creins assez qu'elle ne luy
sera de si seur refuge comme elle luy a esté jusques icy. Il a esté
dépesché, coup sur coup, troys courriers à Barvic pour les choses du
dict pays, sans qu'on m'ayt faict part de rien, et n'ay nulles lettres
de dellà depuis le VIIIe de septembre; tant y a que quelqu'ung m'a
dict que les seigneurs du pays ont prins ung expédiant d'accord
d'entre eulx, et que l'ung party s'est uny avecques l'aultre, et toutz
deux avecques les Anglois pour se munir et pourvoir contre l'aparance,
que les choses de France leur font creindre, qu'il y ayt entreprinse
faicte pour exterminer de toutz pointz leur religion; et que Mr Du
Croc et son beau filz, et monsieur de Vérac, seront icy le XXe ou
XXIIe de ce moys, estantz desjà arrivés à Barvic. Ce que je mettray
peyne de sçavoir mieulx au vray.

Mr le vidame de Chartres, ayant trouvé ung des miens à Windesor, est
venu parler à luy, et luy a dict que, nonobstant l'exécution de Paris,
il avoit une foys résolu de se tenir en sa mayson soubz la sauvegarde
que Vostre Majesté luy avoit envoyée, mais que depuis il fut adverty
que le Sr de Saint Légier venoit avecques forces pour le surprendre,
ce qui l'a contreinct de passer deçà, et qu'il me viendroit voyr;
dont vous suplie très humblement, Sire, me commander comme j'auray à
uzer vers luy et vers toutz ceulx de la nouvelle religion qui ont
passé deçà, qui s'adressent à moy. Et sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour d'octobre 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, j'eusse espéré une meilleure responce de la Royne d'Angleterre
si j'eusse parlé à elle, que non de l'avoir heue ainsy par l'entremise
de ceulx de son conseil. Il est vray que tout ce qu'on m'a dict ceste
foys n'est qu'en attandant ce que le Roy et Vostre Majesté aurez
advisé sur ma dépesche, du XXIXe du passé, et sur ce que, conforme à
icelle, Mr de Walsingam vous aura dict davantage; dont m'assurant que
Voz Majestez y auront prins une bonne et vertueuse résolution, je ne
m'advanceray de rien vers eulx jusques à voz premières lettres et voz
procheins commandementz. Mais sur ce, Madame, que Vostre Majesté avoit
trouvé ung peu estrange que j'eusse offert l'entrevue à Douvre, et
qu'il ne vous souvenoit de me l'avoir ainsy expressément mandé, je
vous suplie très humblement de considérer que, ayant la Royne
d'Angleterre jetté bien loing de faire la dicte entrevue sur mer,
jusques à me dire que ses conseillers estimoient qu'on se mocquât
d'elle, de l'avoir mis en avant; et luy ayant respondu que vous
n'aviez pensé qu'elle le deût trouver maulvès, à cause qu'elle a ung
équippage de mer si beau et si bon, qu'il ne luy pouvoit revenir qu'à
plésir et commodicté de s'en servir à cest honnorable effect; et
néantmoins que, sur ce que Mr de Vualsingam vous en avoit depuis
remonstré, vous luy aviez promis d'escripre à la dicte Dame que vous
n'estiez trop escrupuleuse, et que vous seriez contante que ce fût là
où seroit advisé, dont estimiez qu'il seroit bien à propos, pour l'une
et pour l'aultre, de choisir à cest effect l'isle de Gerzé ou de
Grènezé; et m'ayant la dicte Dame rejecté cella aussy loing que le
premier, me disant qu'elle ne voyoit nul lieu plus à propos que
Douvre, mais qu'elle ne pensoit pas que nul de ses conseillers en peût
estre maintenant d'advis; et que mesmes il y avoit bien à regarder
comme recepvoir et traicter une si grande Royne et ung si grand trein
comme celluy que Vostre Majesté admèneroit, je ne peus faire de moins,
voyant toutz aultres expédiantz rejectés, que de luy dire que, veu ce
qu'aviez promis à Mr de Walsingam d'escripre, Vostre Majesté pourroit
accorder de venir en quelque lieu en terre qui seroit advisé, sans
expéciffier nullement Douvre, et avec compagnie modérée, et avec les
seurtés telles, comme il convenoit à la personne d'une si grande
princesse. En quoy je n'estime pas, Madame, m'estre advancé en cella
de luy offrir davantage que ne pourtoient les lettres du Roy et
vostre, du XIIe de septambre, et si, ay tousjours réservé, plus que
n'est en icelles, les seuretés que vouldrés demander, n'ayant jamais
accordé du dict lieu de Douvre, ny aussy je ne l'ay pas contredict;
car je vous puis asseurer, Madame, qu'il n'y a nul aultre lieu si
commode que celluy là, et ne voy point, si vous le débatez, qu'il en
faille parler de nul aultre.

Tant y a que les choses n'en sont encores si près, et si, se
représantent, de jour en jour, tant de nouveaulx escrupules devant mes
yeulx, sur la dicte entrevue, pour le regard de Vostre Majesté, que je
ne l'oze aulcunement solliciter, non que je y cognoisse aulcun
apparant danger; mais il y pourroit intervenir ou parolle ou
démonstration de quelque anglois, en l'endroit de quelqu'un des
vostres, sur l'émotion de Paris, que je le voudrois, puis après, avoir
rachepté avecques la vie, joinct que nous sommes si procheins de
l'yver que la mer commancera de devenir bientost bien fâcheuse. Et je
desirerois bien aussy, Madame, avant cella, que quelque principal
personnage de ce costé fût envoyé visiter la Royne, vostre belle
fille, en ses premières couches, affin qu'il se fût ung peu prins plus
de confidence entre ces deux royaulmes qu'il semble n'en y avoir
meintenant, vous supliant au surplus, Madame, le plus humblement qu'il
m'est possible, que si à Mr de Walsingam est permis de venir par deçà,
sellon que ceulx cy y incistent, qu'il vous plaise m'octroïer d'aller
trouver Voz Majestez; car, oultre qu'ilz ne doibvent gaigner cest
advantage sur le Roy, je serois, et toutz les papiers de ceste
négociation, en danger: et m'y seroit à tout coup fait quelque trêt
qui seroit contre la dignité de vostre couronne; bien que j'ay à me
louer infinyement des honnestes faveurs que j'y reçoys de ceste
princesse, et de la modeste façon dont ceulx de son conseil et toute
la noblesse de ce royaulme m'y uze. Néantmoins je retourne vous
suplier très humblement, Madame, qu'ayant esté quatre ans toutz
completz au continuel service de ceste charge, non sans du travail
beaucoup, qui m'a infinyement envielly, il vous playse meintenant
prendre tant de pitié de moy que de me vouloir révoquer, sellon que
Vostre Majesté sçait qu'il n'y a gentilhomme, au service de Voz
Majestez, qui plus ayt besoing de s'aller reposer, et pourvoir à sa
pouvreté et nécessité que moy. Sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour d'octobre 1572.



CCLXXXIe DÉPESCHE

--du XXIIe jour d'octobre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

   Nouvelle des massacres de Bretagne.--Craintes témoignées par
   les marchands anglais qui se disposent à se rendre à
   Bordeaux.--Défiances continuelles des Anglais sur toutes les
   négociations de l'ambassadeur.--Retour de MMrs Du Croc et de
   Vérac venant d'Écosse, où ils ont conclu une nouvelle
   suspension d'armes.--Bon accueil fait par les habitans de la
   Rochelle à Mr de Biron.--Assurance donnée par Mr de La
   Meilleraie qu'il promet toute protection, dans son
   gouvernement de Normandie, aux protestans fugitifs.--Effet
   produit en Écosse par la nouvelle des massacres de Paris.


    AU ROY.

Sire, estant la flote des navyres preste à partir pour Bourdeaulx, les
marchandz de Londres ont heu quelque advis que les gallères avoient de
rechef prins des vaysseaulx angloys qui alloient celle routte, et que
pareillement il en avoit esté déprédé quelques ungs sur la coste de
Bretaigne, et que, au dict pays de Bretaigne, s'estoit ensuivye une
semblable exécution sur ceulx de la nouvelle religion comme à Roan;
dont sont tournés les dicts marchandz s'excuser aulx seigneurs de ce
conseil du dict voyage, alléguans qu'encor que l'intention de Vostre
Majesté soit qu'ilz soient bien traictez en vostre royaulme, que
néantmoins il se voit si peu d'obéyssance en vos subjectz qu'il est
très dangereulx de se commettre à leur discrétion. Sur quoy, iceulx
seigneurs du conseil leur ont faict plusieurs honnestes remonstrances
pour les rasseurer, et leur ont monstré vostre édict que je leur avoys
baillé imprimé, et leur ont faict entendre ce que, d'abondant, il vous
avoit pleu m'escripre à ce propos, et ont tant faict que la dicte
flote part résoluement ceste sepmayne; mais ce n'est sans estre venu,
quasy chacun vaysseau, prendre nouvelle seureté de moy, et mes lettres
de saufconduict. Dont vous suplie très humblement, Sire, qu'il vous
playse faire en sorte qu'ilz ne reçoivent poinct de mal, et que là
dessus soit refreschy le commandement, à vostre armée de mer, de
servir plustost de conserve que de dommage aux dictz Angloys, et que,
à Bourdeaulx, ilz les veuillent bien recepvoir, et leur y fère le bon
traictement qu'on avoit accoustumé.

Mr de La Melleraye et Mr de Sigoignes m'ont envoyé des pleinctes pour
aulcunes déprédations qui ont naguières esté faictes, en ceste mer
estroicte, sur voz subjectz, et sur l'empêchement qu'aulcuns
vaysseaulx, équippés en guerre, donnoient à la pescherie de l'aranc.
Sur quoy, je leur ay incontinent envoyé une commision de la Royne
d'Angleterre pour deffandre à toutz ses vaysseaulx de ne troubler la
dicte pescherie; et, quand aux prinses, elle a fait commander aux
juges de son admiraulté d'y pourvoir: et ainsy je vays gaygnant, peu à
peu, tout ce que je puis vers eulx, mais leur deffiance est si grande
qu'ilz croyent que tout ce que je leur dis de vostre part est pour les
surprendre et tromper.

Mr Du Croc et le Sr de Vérac sont arrivés, et sont allés prendre congé
de la Royne d'Angleterre à Windesor. Il leur a semblé, après avoir
procuré la prorogation de l'abstinence pour aultres deux moys, que
leur demeure par dellà seroit plus dommageable que utille à vostre
service, dont s'en sont venus, et le Sr de Quillegreu y est encores
demeuré, qui inciste fermement à la paix; mais c'est en réduysant
l'ung et l'aultre party à l'obéyssance du prétandu régent, et toutz
deux à la mutuelle deffence avec les Anglois de leur commune
religion. Le dict Sr Du Croc espère partir d'icy, dans ung jour ou
deux, pour vous aller donner bon compte de toutes les choses de dellà.

Vendredy au soyr, arriva nouvelles au change royal de ceste ville
comme Mr de Biron avoit esté receu à la Rochelle, et que la dicte
ville persévéroit de tout poinct en vostre obéyssance; ce que je
cognois estre de grand moment, et que cella amortira bien fort, s'il
est ainsy, toutes les imaginations que les Angloys pourroient avoyr
d'entreprendre quelque chose par dellà.

Le dict Sr de La Melleraye m'a mandé de faire entendre à ceulx de la
nouvelle religion, qui sont de son gouvernement, qui ont fouy, de s'en
retourner en leurs maysons, soubz le commandement que toutz les
gouverneurs ont de les tenir en la plus grande saulvegarde que faire
se pourra; dont ay donné passeport à quelqung d'entre eulx, pour aller
jusques à Roan voyr quel il y faict pour eulx; mais ilz ne s'y ozent
fier pour encores.

Les agentz du duc d'Alve sont, à ceste heure, si ordinayres en ceste
court que quasy ilz n'en bougent. L'on m'a dict qu'ilz ont faict
dépescher deux personnages à Fleximgues pour aller retirer les angloys
qui y sont, et que tant plus facillement ilz ont obtenu cella, quand
on a rapporté icy que Vostre Majesté avoit faict mettre en pièces
ceulx qui estoient sortis par composition de Montz[7]. J'entendray
plus au vray comme il va de toutes ces choses affin de m'y comporter
sellon qu'elles seront vrayes. Et sur ce, etc.

  [7] Voir la lettre de Walsingham à Smith en date du 8 octobre
  1572, dans laquelle il annonce que les 800 hommes sortis de Mons
  avaient été passés au fil de l'épée pour faire plaisir au roi
  d'Espagne. 209e _lettre_.

    Ce XXIIe jour d'octobre 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, attendant ce qu'il vous plerra me commander sur les deux
responces de la Royne d'Angleterre et des seigneurs de son conseil,
que je vous ay envoyés le XXIXe du passé, et le XVIIIe d'estuy cy, je
n'entreray en nulle plus grande négociation avec elle ny avec eulx; et
seulement j'yray les entretenant en la meilleure opinion que je
pourray pour les faire tousjours bien espérer de votre amityé. Mr Du
Croc n'a pas trouvé que le Sr de Quillegreu luy ayt esté meilleur
adjoinct qu'estoit le Sr de Drury; car a dict, soubz mein, aulcunes
choses assez peu convenables à l'amityé d'entre la France et
l'Angleterre; et s'est soubdein veue une semblable mutation de
volontés par dellà, à cause de l'exécution de l'Admiral et des siens,
comme je l'ay expérimantée en ce royaulme. Il y a plusieurs jours que
je n'ay rien sceu de la Royne d'Escoce, sinon qu'on dict qu'elle est
fort resserrée et fort rudement traictée. Il me viendra, possible,
bientost quelque moyen de sçavoir de ses nouvelles, et je ne fauldray
de vous en advertir incontinent. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour d'octobre
1572.



CCLXXXIIe DÉPESCHE

--du IIe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth sur
    les massacres de France.--Désaveu fait au nom du roi de toutes
    les exécutions qui ont eu lieu ailleurs qu'à Paris.--Refus de
    la reine de s'expliquer sur la demande d'une entrevue autre
    part qu'à Douvres.--Son dessein de rappeler Walsingham.--Regret
    qu'elle éprouve de ce que le roi ne veut pas permettre au
    vidame de Chartres de rester en Angleterre.--Détails
    particuliers de l'audience.--Ferme opinion d'Élisabeth qu'une
    ligue est formée pour l'extermination des protestans.--Motifs
    qui ont dû empêcher la reine-mère d'accepter l'entrevue à
    Douvres.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, depuis quatre jours en çà, devers la Royne
d'Angleterre, pour l'occasion de voz lettres du VIIe du passé, mais,
premier qu'elle m'ayt layssé entrer en nul des propos d'icelles, elle
m'a voulu rendre plusieurs grandz mercys du soing que j'avoys heu
d'elle pendant sa dernière maladye de la petite vérolle; et que, si
elle n'eût heu l'estomac fâché, l'aultre foys que j'estois à Windezor,
à cause qu'elle avoit prins ung peu de mitridat, elle m'eût permis de
la voyr affin de pouvoir donner à Voz Majestez meilleur compte de son
mal; et qu'elle croyoit bien que, quand Monseigneur le Duc l'entendit,
qu'il desira qu'elle en heût beaucoup au visage affin de ne
s'entrereprocher rien plus l'ung à l'aultre.

Je luy ay respondu que Voz Majestez, et Monseigneur le Duc, et toutz
ceulx de vostre couronne, desiriez parfaictement la conservation de
ses excellantes qualités, et aussy bien de celles qui convenoient à sa
beauté comme de celles qui ornoient sa grandeur, et que vous auriez
grand plésir d'entendre, par mes premières, qu'elle en fût si
parfaictement bien guérye qu'il n'en restât ung seul vestige au
visage; et que, de ma part, je me resjouyssois non guyères moins de
l'accidant que de la guérison, car c'estoit une espèce de maladie qui
monstroit que la jeunesse n'estoit encore passée, ny preste à passer
de longtemps, et qu'elle n'avoit jamais esté en meilleure disposition
d'estre maryée, ny de devenir bientost grosse, si elle avoit ung mary,
que maintenant; et que pourtant elle ne voulût plus retarder à elle
mesmes le grand bien et contantement qui luy viendroit de la
résolution du propos de Monseigneur le Duc.

Elle, en soubsriant, m'a dict qu'elle ne s'attendoit pas que je luy
deusse parler à ceste heure d'ung tel faict, mais plustost des couches
de la Royne Très Chrestienne, car desjà les nouvelles estoient à
Londres qu'elle avoit heu ung beau filz, et elle prioit Dieu qu'il fût
ainsy; mais, de tant qu'elle s'assuroit bien que la certitude n'en
pouvoit estre encores arrivée après le dernier courrier qui en estoit
venu, lequel n'en parloit poinct, elle me vouloit demander de vostre
bon portement et santé, et qu'est ce que, par voz dernières dépesches,
j'avois apprins de l'estat des choses de France.

Je luy ay racompté aulcunes petites particullaritez, et icelles
faictes quadrer à ung fort apparant repos, qui de toutz costés semble
s'establir bien et bientost en vostre royaulme; et puis, suis venu à
luy dire qu'ayant Mr de Walsingam monstré, au commancement de ce moys,
qu'il desiroit avoir audience, et que néantmoins, à cause d'une sienne
indisposition, il n'y pouvoit venir, Vostre Majesté avoit depputé Mr
Brullard, vostre secrettère des commandementz, et Mr de Mauvissière
pour aller parler à luy; ausquelz il avoit faict entendre en mesmes
motz la mesmes responce qu'elle m'avoit faicte à Redinc, touchant
l'occasion de la mort de l'Amiral et des siens, et touchant la
continuation de l'amytié, et touchant l'entrevue. Sur lesquelz troys
poinctz Vostre Majesté me commandoit de luy dire de nouveau ce que
fort expressément je luy ay récité, de toutz les poinctz de vostre
dicte lettre, en la forme qu'ilz y sont contenus; qui n'est besoing de
les répéter icy. Et ay curieusement observé comme elle les prendroit
et qu'est ce qu'elle m'y respondroit.

Sur quoy, quand au premier, elle m'a uzé des termes qui
s'ensuyvent:--«Que la mort de l'Amiral et des siens luy touchoit si
peu qu'elle n'y considéroit que le seul intérest qui en pouvoit tomber
sur voz affères et sur vostre réputation; bien est vray qu'elle
creignoit que provoquissiez l'yre de Dieu, en luy faysant voyr dans le
cueur, et par voz œuvres, et en vostre forme de régner, que vous
voulez que l'ommicide en vostre royaulme ne soit point réputé péché,
comme si vouliez corriger et vous oposer au décalogue de ses
commandementz, et en oster les meurtres, ne recognoissant que aulx
mesmes princes il n'est licite de tuer ny faire tuer, sinon en deux
cas seulement: l'ung, de guerre légitime; et l'aultre, pour
l'exécution de justice à punir les crimes, et que nulz aultres, sinon
les seulz princes et magistratz souverains ont authorité de mort; et
que tant plus vous différiez de faire publier le procès de l'Amiral,
tant plus layssiez vous, pour ce regard, quelque chose de vostre
estimation en suspens, et qu'elle retenoit bien ce qu'on luy en avoit
escript de divers lieux; dont, si elle avoit aultant d'authorité sur
vous, comme elle avoit de bonne affection vers vous, elle vous feroit
une réprimande pour vous apprandre de ne vous porter, une aultre foys,
tant de préjudice, comme vous aviez fait ceste cy.»

Je luy ay réplicqué plusieurs choses, et l'ay suplié de les vouloir
bien examiner par la règle de ce qu'elle mesmes feroit contre ceulx de
ses subjectz qui, au bout d'une si horrible guerre, comme ceulx cy ont
mené en vostre royaulme, l'espace de douze ans, se prépareroient de
rechef contre la mesmes personne et la vye d'elle, et la subversion de
son estat.

Elle m'a respondu que, quand à ceulx de Paris, elle me vouloit le tout
excuser; mais, quand à ce qui s'estoit depuis ensuivy à Roan et
aultres lieux, elle n'y voyoit aulcun lieu d'excuse, mesmes qu'on luy
avoit dict que vous aviez envoyé de voz gens de guerre pour faire
l'exécution, mais que ceulx de la ville, en estantz advertis, avoient
fermé les portes pour y mettre eulx mesmes la mein, affin que le butin
ne leur eschapât; que, pour le regard d'observer bien l'amityé, elle
n'avoit chose au monde en plus grande affection que de se porter
droictement pour très constante amye et perpétuelle confédérée à
Vostre Majesté, si, de vostre costé, Sire, vous vous vouliez monstrer
vers elle prince non indigne d'avoir des perdurables amys, et très
fermes confédérez; et qu'elle avoit des advertissementz, de beaucoup
de grandz lieux, qui l'admonestoient de se réputer comme desjà toute
habandonnée, et qu'il estoit temps qu'elle pourveût en dilligence à
ses affères: ce qu'elle feroit, mais non en façon que pour cella elle
voulût uzer d'aulcune séparation d'amityé d'avec Vostre Majesté; et
que, s'il en advenoit quelqune, elle indubitablement proviendroit de
vostre part, et non jamais de la sienne; que, pour le regard de
l'entrevue, elle commançoit à doubter assez si Voz Majestez avoient
jamais bien desiré le mariage, et qu'aulmoins voyoit elle que vous
n'aviez pas suyvy le chemin de bientost l'effectuer, et qu'elle ne
pouvoit comprendre par les lettres de son ambassadeur sur quoy Voz
Majestez se rétractoient de l'offre de la dicte entrevue, qui en
vouliez maintenant rejecter la faute sur vostre ambassadeur; car
sçavoit que je ne m'estois pas plus advancé en cella que du contenu de
mes lettres, ayant veu l'article qui en parloit, et elle n'en avoit
point escript aultrement à son ambassadeur; mais qu'elle jugoit bien
que c'estoit pour les accidans survenus, lesquelz rendroient toutes
choses, de toutes partz, fort suspectes, comme elle, à la vérité,
confessoit que le temps estoit très maulvais et très dangereulx.

Je luy ay réplicqué que, quand au premier poinct, elle debvoit
demeurer très fermement persuadée que, si vous n'eussiez esté meu, non
seulement de juste mais très nécessayre occasion de laysser faire
l'exécution de Paris, que nul, soubz le ciel, s'y fût plus fermement
oposé que vous, pour le regret que vous aviez de perdre l'Amiral et
les siens, et pour la traverse que cella portoit à quelques aultres
voz entreprinses; mais que ce qui avoit despuis succédé à Roan et
ailleurs, en l'endroict d'autres que des seulz conspirateurs, il
estoit trop cler que tout cella estoit advenu contre vostre intention,
ny jamais vous n'aviez envoyé à Roan ung seul de voz gens de guerre,
ainsy que la punition, que vous feriez fère, monstreroit à elle et à
tout le monde combien cest excès vous avoit dépleu; au regard de
vostre amityé, qu'elle ne debvoit nullement doubter que vous ne la luy
rendissiez perdurable à jamais, et que ne luy accomplissiez les
promesses que luy aviez faictes et jurées par le traicté, et beaucoup
davantage, quand son besoing le requerroit, jusques y emploïer tout le
moyen et meilleures forces de vostre couronne; et que, de ce poinct et
de celluy de Monseigneur le Duc, Voz Majestez me commandiez de
l'assurer que vous en desiriez l'effect plus que jamais; et Mon dict
Seigneur le Duc mesme m'en faysoit une bien expresse lettre, et que la
Royne demeuroit tousjours très résolue de venir à Bouloigne, toutes
les foys que la dicte Dame se voudroit approcher à Douvre, pour de là
convenir ensemble du jour et lieu de leur entrevue; et qu'à la vérité
je pouvois avoir ung peu trop emplyé ce qui m'en avoit esté escript,
d'avoir offert qu'elle pourroit accorder de venir en quelque lieu en
terre là où seroit advisé; car, à la vérité, ce mot _en terre_,
n'estoit dans l'article. Il est vray que, quand je le luy avois
monstré, elle et moy avions estimé qu'il se pouvoit interpréter ainsy,
et que néantmoins je la supliois que, sellon qu'elle avoit tousjours
procédé clèrement et sincèrement en ce propos, ainsy qu'il convenoit
entre princes bien unis, et qui cherchoient l'alliance plus estroicte
l'ung de l'aultre, qu'elle me voulût dire en quoy elle persévéroit
vers le dict propos, et vers l'article où nous en estions demeurés de
l'entrevue, et je mettrois peine d'y incliner l'intention de Voz
Majestez, aultant qu'il me seroit possible de le fère.

Elle m'a soudein respondu que, sans ce qu'elle avoit desiré d'entendre
de voz nouvelles, et satisfère à l'affection que j'avois de la voyr,
après sa petite vérolle, qu'elle ne m'eût donné ceste foys audience,
se doubtant bien que je ne faudrois de luy parler de ces deux poinctz,
et elle ne m'y vouloit ny pouvoit encores respondre jusques à ce
qu'elle heût heu une responce qu'elle attandoit d'heure en heure, de
son ambassadeur, et l'avoit tousjours attandue depuis Redinc; mais, à
cause qu'il estoit malade, il ne la luy avoit encores peu mander; et
que, touchant le dict ambassadeur, pour beaucoup de respectz, tant de
sa maladie que de l'instance que sa femme faysoit icy, et aussy pour
la particullière hayne que la Royne d'Escoce et ses parans luy
portoient, elle estoit contraincte de le retirer; et heût bien desiré
qu'ung secrettère heût peu satisfaire, pour ung moys ou six sepmaynes,
à sa charge; mais, puisque Vostre Majesté ne le trouvoit bon, elle en
feroit préparer ung aultre.

J'ay bien donné à cognoistre à la dicte Dame que ses responces, en ce
qu'elle y mesloit ung peu de deffiance, et y uzoit de remises, ne
pouvoient bien convenir à ce que je desirois pour vostre satisfaction.
Néantmoins, voyant que je ne pouvois rapporter, pour ce coup, sinon
celle déclaration de sa ferme persévérance en vostre amityé, et
aulcunes parolles bien fort honnorables de Monseigneur le Duc, je me
suis déporté de tout le reste; mais, pour la fin, je luy ay présenté
la lettre que Vostre Majesté luy escripvoit touchant Mr le vidame de
Chartres, laquelle elle a lue.

Et m'a respondu que le dict vidame, puisque ne trouviez bon qu'il fût
icy, pourroit aller où bon lui sembleroit; mais qu'elle estimoit qu'il
ne seroit point conseillé de s'en retourner en France, jusques à ce
qu'il veît y pouvoir bien jouyr la seureté et sauvegarde que Vostre
Majesté luy promectoit, et qu'elle heût bien pensé qu'en ce temps vous
ne luy heussiez voulu refuser une si petite chose que la demeure d'ung
de voz subjectz en Angleterre; car pouviez croire qu'il n'y seroit
soufert, s'il y praticquoit quelque chose contre vostre intention, et
que le dict vidame avoit esté et estoit tenu pour si suspect de ceulx
de sa religion qu'elle mesmes estoit advertye de ne s'y fier.

Je me suis rencontré, mècredy dernier, avec les principaulx seigneurs
du conseil d'Angleterre, au festin du maire, où ilz m'ont toutz, d'une
voix, recommandé deux affères, l'ung du Sr Benedicto Spinola, touchant
des laynes acheptées par authorité publicque en ce royaulme et
envoyées débiter à Roan, sur lesquelles quelque espagnol luy meut
débat, et qu'à ceste heure se recognoistra si Vostre Majesté veut
prendre la cause du duc d'Alve contre la Royne, leur Mestresse, ou
bien vous monstrer vray amy et confédéré d'elle; et l'autre faict est
d'ung pouvre marchand angloys qui a esté fort maltraicté à Roan, à ce
qu'il vous plaise luy faire administrer justice contre ceulx qui l'ont
otragé et qui luy ont pillé ses biens. Et sur ce, etc.

    Ce IIe jour de novembre 1572.


    A LA ROYNE.

Madame, suivant vostre lettre, du VIIe du passé, j'ay continué à la
Royne d'Angleterre le propos du mariage et celluy de l'entrevue, en la
façon que Vostre Majesté verra par le récit que j'en fays à la lettre
du Roy, qui n'a esté sans qu'elle ayt montré d'estre encores bien
disposée vers ces deux poinctz, et de vouloir fort cognoistre s'il y
a, de vostre costé, semblable disposition; car, de toutz les endroitz
qu'elle reçoit ou conseil ou advertissement, qui ne vient le plus
communément que des Protestans, elle est fort admonestée de prendre
bien garde de ne se laysser tromper, et qu'elle doibt croire,
puisqu'elle est en mesmes cause que les Huguenotz de France, qu'il y
a une mesmes dellibération contre elle, et que la bulle luy doibt
estre ung signe pour l'advertir de ne se fier ny à traicté, ny à
confédération, ny à promesses, ny à mariage, ny à bonnes chères, ny à
propos d'amityé: car tout cella a précédé avec ceulx de la nouvelle
religion, qui pourtant n'en ont esté garantis; de sorte qu'elle m'a
dict qu'on luy avoit fait sortir en proverbe d'éviter les _nopces
gallicques_ comme chose bien dangereuse.

Je luy ay représanté tant de signes et tesmoignages de la vraye
intention du Roy et vostre vers elle, et encores de l'affection que
Monseigneur le Duc luy porte, (et luy en ay faict voyr quelques
articles dans aulcunes de voz lettres), qu'enfin elle m'a faict
cognoistre qu'il n'y a que celle grande extrémité qui se poursuit
encores en divers lieux de France, et de laquelle se conjecture une
déterminée résolution en voz cueurs de vous estre obligés au Pape et à
l'Empereur, et au Roy d'Espagne, d'exterminer les Protestans, qui la
mect en peyne et la faict tenir en suspens: et puis m'a curieusement
demandé d'où procédoit la difficulté que Vostre Majesté faysoit
maintenant à l'entrevue.

A quoy je luy ay respondu que je voyois bien que c'estoit à moy de me
purger de péché d'autruy, et que je luy voulois dire tout librement
qu'il me sembloit que la faute procédoit de deux grandes Roynes; et
que, de tant que j'estoys subject et serviteur de l'une, et très
affectionné à la grandeur de l'aultre, il falloit que je le portasse
paciemment, et qu'à la vérité Vostre Majesté, ne pensant que ce qui
estoit advenu à Paris deût estre sinon aprouvé de toutz ceulx à qui
vous en fesiez entendre la nécessayre occasion, et l'ayant mandée à
elle, vous aviez tousjours continué d'ung mesme trein, comme
auparavant, la poursuiyte du dict mariage, et aviez libérallement
accordé à son ambassadeur qu'il luy peût escripre bien avant de
l'entrevue, et à moy de la luy offrir, et que vous viendriez jusques
en l'isle de Gerzé, ce qui m'avoit faict advancer, voyant les
incommodités qu'elle alléguoit du dict Gerzé, et pareillement de faire
l'entrevue sur mer, de luy dire que Vostre Majesté pourroit, possible,
accorder de venir en quelque lieu en terre, avec compagnie modérée, et
avec les seuretez à ce requises; mais que elle, de son costé, avoit
monstré d'estre si offancée de cest évènement de Paris, et mesmes d'en
prendre quelque deffiance de Vostre Majesté, jusques à vous en faire
toucher quelque mot bien exprès par son dict ambassadeur; et
entendiez, au reste, tant de rapportz de ce qui s'en disoit en ce
royaulme, que nul de voz meilleurs serviteurs, ny de ceulx qui
aymoient la conservation de Vostre Majesté, vous ozoient conseiller
d'azarder vostre personne à passer deçà, jusques à ce qu'eussiez plus
grande certitude de l'intention de la dicte Dame.

Sur quoy elle m'a faict plusieurs honnestes excuses de n'avoir ny
pensé ny parlé que bien honnorablement du Roy, vostre filz, et de
Vous, sur tout ce qui estoit advenu, et qu'elle avoit bien dict ung
peu librement quelques choses à moy et non à aultre, qui procédoient
de la bonne intention et plus estroicte amityé qui est contractée
entre vous; et que mesmes elle avoit faict cognoistre à toutz les
siens combien luy déplaysoit qu'on en parlât licencieusement, dont je
n'en oyois plus nul propos; et, quand à l'entrevue, qu'elle pensoit
bien avoir aultant comprins par l'article qu'elle en avoit veu dans
mes lettres, et en celles de son ambassadeur, de la volonté qu'aviez
de venir à Douvre, encor que le lieu n'y fût nommé, comme elle en
avoit depuis mandé à son ambassadeur; mais que de cella, ny du
principal propos du mariage, elle ne m'y respondroit rien plus, pour
ceste heure, jusques après la procheyne dépesche de son dict
ambassadeur; seulement me prioit de remercyer infinyement Monseigneur
le Duc vostre filz, de la bonne souvenance qu'il monstroit avoyr
d'elle, par les honnestes propos qu'il m'en escripvoit, (lesquelz, à
dire vray, Madame, elle les a fort curieusement leus), et qu'elle ne
valoit pas tant qu'il la deût tenir en tel compte, dont ne seroit
jamais qu'elle ne s'en sentît obligée à luy, et qu'elle ne luy en
recognût, en tout ce qu'elle pourroit, l'obligation.

J'ay depuis parlé au comte de Lestre et à milord de Burgley, et
encores au chancellier, desquelz, parce que le langage se rapporte à
celluy que la dicte Dame m'a tenu, je ne l'exprime poinct davantage.
Et vous diray seulement que toutes choses, à la vérité, monstrent
d'estre assez changées, mais non encores tant du tout comme, il ne y a
pas ung moys, que je les creignois. Sur ce, etc.

    Ce IIe jour de novembre 1572.



CCLXXXIIIe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Dominique Vestin_).

  Accouchement de la reine de France.--Naissance d'une
    fille.--Proposition, faite à Élisabeth d'être sa
    marraine.--Acceptation d'Élisabeth.


    AU ROY.

Sire, ce courrier a esté ung peu retardé en venant icy, à cause du
passaige, et, aussytost que j'ay heu la lettre qu'il vous a pleu
m'escripre, du XXVIIe du passé, après avoir loué et remercyé Dieu des
heureuses couches de la Royne et du commancement de lignée, qu'il luy
a pleu vous donner à toutz deux, de ceste belle petite princesse[8],
qui vous est née, je me suis mis après à m'enquérir si la Royne
d'Angleterre vouldroit bien accepter d'en estre la marraine. Et, pour
cest effect, j'ay envoyé le Sr de Vassal devers milord de Burgley pour
me conjouyr avecques luy de la bonne nouvelle, et luy dire que, si je
pensois que la Royne, sa Mestresse, ayant commencé ceste année de se
faire vostre confédérée, desirât aussy de devenir vostre commère, que
je suplierois Vostre Majesté de le luy offrir, et que je le priois de
m'en mander son advis, car ne me voudrois advancer en cella, et mesmes
voudrois bien garder que Vostre Majesté ne s'en advançât, si elle
n'avoit fort à gré de l'accepter.

  [8] Cette princesse, née le 27 octobre 1572, est morte en 1578,
  âgée de cinq ans et demi.

Sur quoy il a soubdein respondu qu'il n'ozeroit s'ingérer de me
respondre rien là dessus, sans en avoir communicqué avec elle. Dont
est allé soubdein parler à sa dicte Mestresse, et puis m'a mandé dire,
par le mesmes gentilhomme, que j'avois sagement advisé en ung tel
faict de vouloir bien pourvoir, à cause du temps et pour les
évènementz naguières passez, qu'il ne fût proposé sinon au commun gré
de Vostre Majesté et de sa dicte Mestresse, affin de ne convertir
entre vous un acte d'amityé en offance; et qu'il m'assuroit qu'elle
acceptera de bon cueur d'estre la marraine, si luy faictes l'honneur
de l'en prier, non toutesfoys pour envoyer par dellà ny le comte de
Lestre, ny luy, parce qu'elle les réserve toutz deux pour sa
perpétuelle conserve, contre les dangers et inconvénientz qui semblent
se présenter de beaucoup d'endroictz, mais ce ne sera sans y députer
quelque personnage d'honneur et des plus grandz de ce royaulme. De
quoy, Sire, je vous ay bien incontinent voulu advertir affin que
accomplissiez en cella vostre bonne intention. Et sur ce, etc.

    Ce IVe jour de novembre 1572.



CCLXXXIVe DÉPESCHE

--du IXe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Intrigues des Espagnols pour détruire l'alliance de la France
    avec l'Angleterre.--Confiance que commencent à prendre les
    Anglais dans les assurances du roi.--Départ de la flotte pour
    Bordeaux.--Nouvelles de la Rochelle où l'on a repris les
    armes.--Retraite du prince d'Orange des Pays-Bas.--Nouvelles
    d'Écosse; certitude de la mort du comte de Mar.--Rappel de
    Walsingham.--Demande par l'ambassadeur de son rappel.


    AU ROY.

Sire, les honnestes propoz et les bonnes démonstrations, dont Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, avez uzé en l'endroict de
l'ambassadeur d'Angleterre, sur la persévérance de vostre amityé vers
la Royne, sa Mestresse, et la confirmation que m'en avez faict donner
icy à elle, retiennent encores les choses en ce royaulme si balancées
pour vous, que ce qui est advenu contre ceulx de la nouvelle religion,
ny les praticques d'Espagne, ne les peulvent encores du tout emporter,
non qu'il y ayt faulte d'offres ny de condicions de la part du duc
d'Alve, fort advantageuses pour ceulx cy, jusques à offrir de faire
tout ce qu'ilz voudront, et de remettre icy ung ambassadeur, encor
que la dicte Dame n'en envoye poinct en Espaigne; et Guaras praticque
cella avec de si bons présens qu'on m'a assuré qu'il en a faict ung de
plus de dix mil escuz à ung personnage seul, qui a quelque authorité
en ce royaulme; et il a bien tant faict que les seigneurs de ce
conseil ont vacqué plusieurs jours à chercher les moïens comme se
raconcillier avec le Roy d'Espaigne, dont le dict Guaras a esté
souvant en court, mais, pour ceste foys, il n'a obtenu sinon une
segonde provision pour le faict de Fleximgues et pour quelques ourques
d'Espaigne, qui naguière ont esté combatues et prinses en mer par ung
navyre de guerre angloys qui revenoit de cours. Bien est vray qu'il a
rapporté de bonnes parolles et promesses sur toutes ses aultres
propositions; et est certein que ceste princesse et les siens avoient
desjà prins une si ferme résolution de délaysser toutes aultres
intelligences pour fère estat de la vostre seule, et commettre à
icelle le repos et la seureté de ce royaulme, qu'ilz ne s'en peulvent
si tost départir, et vont discourant et argumentant sur ce qui est
naguières advenu; et observent dilligemment ce qui s'y voyt de suyte,
affin que, s'ilz peuvent juger par voz déportementz que vostre amityé
ne leur soit, à cause de leur religion, du tout suspecte, ilz
persévèrent en ce qui est desjà conclu entre Voz Majestez et entre voz
deux royaulmes; dont j'entendz qu'ayantz aulcuns des françoys, qui
sont icy, voulu taster leur intention, ilz ont trouvé que la dicte
Dame et ceulx de son conseil ne sont, pour encores, guyères eschaufés
sur les partys et ouvertures qui se pourroient faire de reprandre les
armes en France.

Je ne sçay si cella leur durera, et croy bien qu'ilz voudront suyvre
l'example de ce qu'ilz verront faire aulx princes protestans
d'Allemaigne, et que, si la Rochelle se meintient opinyastre, qu'ilz
la voudront favoriser soubz mein, ainsy qu'aux troubles passez. Et
suys adverty, de bon lieu, que les dicts princes ont mandé à la dicte
Dame qu'elle ne mecte plus en doubte qu'il n'y ayt dellibération
faicte et jurée contre elle et contre eulx toutz pour abolir leur
dicte religion; et que pourtant elle vueille retenir toute sa
navigation dans ses portz affin de l'avoyr preste au besoing, ce qui a
de rechef cuydé interrompre le voyage de Bourdeaux pour les vins; mais
enfin toute la flotte y est allée.

J'ay heu, à la vérité, beaucoup de doubtes, ces jours passez,
entendant qu'on avoit tiré quarante huict chariotz d'armes, de
pouldres, et aultres mounitions de guerre, de la Tour de Londres, que
ce fût pour en envoyer à la Rochelle, mais j'ay sceu que le tout est
allé aux fortz de Portsemmue, et l'isle d'Ouyc, et de Douvre. Il est
vray que quelques françoys acheptent bien des armes en ceste ville,
mais non encores en si grande quantité qu'il en faille fère cas. Il
semble que ceulx de la Rochelle ont mis de leurs habitans dehors, car,
puis cinq ou six jours, il en est arrivé icy quelques mesnages qui
raportent que le Sr Strossy est allé sommer la ville, et qu'elle ne
luy a respondu sinon à coups de canon, dont huict des siens ont esté
tués; ce qui semble que ceulx cy ne réprouvent guyères, et mesmes
disent qu'ilz sçavent que aulcuns catholicques françoys ont dict
qu'ilz seroient très mal advisez de se randre, car aussy bien les
tueroit on.

J'entendz que ceste princesse et les siens avoient espéré, ceste
année, ung grand effect de l'entreprinse du prince d'Orange ez Pays
Bas, et qu'ilz y faysoient estat d'en emporter la Zélande; dont, sur
ceste persuasion, laquelle estoit conduicte par ung allemant avec
l'assistance d'ung seigneur de ce conseil, elle avoit mandé fournir
soixante six mil escus au dict prince en Embourg; et avoit layssé
couler envyron quatre mille angloys à Fleximgues, soubz la charge du
Sr Homfray Gillebert; et promiz de mettre ses navyres en mer pour
empêcher le secours d'Espaigne; mais, voyant que le dict prince se
retire comme déconfit, et que les Angloys n'ont esté bien traictez au
dict Fleximgues, elle se rétracte de sa libéralité, et retire ses
gens, et faict cesser une partie de l'appareil de ses navyres. Il est
vray qu'il y a encores icy un solliciteur du dict prince, et quelque
ambassadeur du comte Palatin. Je ne sçay enfin qu'est ce qu'ilz
obtiendront.

Il semble qu'on ne soit guyères marry en ceste court que la nouvelle
qu'on y avoit publiée de la victoyre de Dom Jehan d'Austria en Levant
soyt réuscye vayne; mais il y a aultres deux nouvelles qui les fâchent
assez: l'une, du décès de l'Empereur, si elle est vraye; et l'aultre,
de celluy du prétandu régent d'Escoce[9]. Et creins bien, si le dict
prétandu régent est mort de poyson, ainsy qu'on l'a dict, ou bien de
quelque aultre violence, qu'on n'en traicte plus mal la pauvre Royne
d'Escoce. Je viens d'estre adverty que ceste princesse a accordé son
congé au Sr de Walsingam, et que le sire Jehan Caro s'apreste pour luy
aller succéder, dedans ung moys ou six sepmaynes. Je m'enquerray
dilligemment du dict Sr Caro; et vous suplie très humblement, Sire,
me vouloir de mesmes retirer; car, oultre que j'ay doublé icy le
temps, encores ne doibt vouloir Vostre Majesté laysser l'advantage à
la Royne d'Angleterre qu'elle ayt plus de soing de son ambassadeur que
vous du vostre, ny que le Sr de Walsingam soit en meilleur concept
vers elle, que moy vers Vostre Majesté. Sur ce, etc.

  [9] La nouvelle du décès de l'empereur Maximilien II était
  fausse.--Le comte de Mar était mort le 29 octobre 1572 à
  Stirling, après une indisposition subite survenue à la suite
  d'une visite qu'il avait faite au comte de Morton à Dalkeith. La
  nouvelle de sa mort, déjà donnée dans la lettre du 18 septembre,
  se rapportait probablement à l'accident de Dalkeith.

    Ce IXe jour de novembre 1572.



CCLXXXVe DÉPESCHE

--du XVe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Lettre du roi d'Espagne à la reine d'Angleterre.--Négociation des
    Espagnols.--Sollicitations des protestans de France pour
    obtenir des secours afin de reprendre les armes.--Nouvelles
    d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, j'attandz les procheines lettres de Vostre Majesté pour aller
trouver la Royne d'Angleterre, laquelle, dans ung jour ou deux, s'en
vient à Hamptoncourt, et se porte fort bien, ne s'estant, longtemps y
a, trouvée plus sayne qu'elle faict à présent, depuis qu'elle est
guérye de ceste dernière maladye qu'elle a heu de la petite vérolle;
et si, se trouve fort contante que le Roy d'Espaigne luy a escript une
lettre fort pleyne d'affection et d'offres, et d'une quasy
soubmission, qui semble ne convenir guières ny à la grandeur d'un tel
prince, ny à la recordation des injures qu'il a reçues. Tant y a qu'en
la dicte lettre, après beaucoup de belles et bonnes parolles, il
inciste au renouvellement des anciens traictés et de l'ancienne
confédération d'entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne, et
qu'il est prest de la confirmer et la jurer de nouveau; et, quand
aulx différendz passez, qu'il en veult demeurer à ce que la dicte Dame
et ceulx de son conseil en ont desjà advisé, sans s'arrester aux
difficultez que son ambassadeur ou ses ministres y peulvent avoir
faictes. Et est venue la dicte lettre accompagnée d'une aultre du duc
d'Alve, et d'aulcuns si bons présens, que l'affère a commancé de
s'estreindre en bien peu d'heures, et cella fort secrettement; mais
non tant que je n'en aye heu assez tost le vent. Dont ceulx, à qui
j'en ay parlé, m'ont respondu que Vous, Sire, en faysant la deffance à
voz subjectz de n'aller poinct en Flandres, et chastiant ceulx qui
revenoient de Montz, avez monstré à la Royne d'Angleterre comme elle
debvoit uzer en cest endroict, et luy aviez faict retirer ses subjectz
de Fleximgues, et luy aviez apprins de ne refuzer l'amityé du Roy
d'Espaigne; et que, puisqu'ainsy vous plaist, vous verrez bientost les
choses de toutes partz céder à l'intention du duc d'Alve.

Je n'ay deffailly de réplicque, mais je tiens pour assuré que le
commerce sera bientost restably entre l'Angleterre et les Pays Bas du
Roy d'Espagne, si quelque accidant nouveau ne survient. Il est vray
que je ne sentz poinct pour cella qu'on se vueille retirer de la ligue
et du bon traicté qui a esté dernièrement conclud avec Vostre Majesté,
mais bien, qu'on regardera de fort près comme, de jour en jour, s'en
pouvoir mieulx establir avecques vous pour la seureté de ce royaulme.
Et mesmes j'entendz que la dicte Dame et ceulx de son conseil n'ont
encores rien respondu à ce qui leur a esté proposé, de vouloir faire
une déclaration en faveur des françoys qui se sont retirés icy pour
leur religion, pour y estre soufertz avec gracieulx entretien, et de
vouloir aussy donner quelque secours à ceulx qui dellibèrent s'oposer
aux violences qu'ilz disent qu'on leur faict en France. Et semble que
celluy qui sollicite ce faict a parlé comme envoyé par les Vicomtes,
au nom des gentilshommes et aultres de la nouvelle religion, qui sont
par dellà; et bien qu'il n'ayt encores rien impétré, si creins je
assez que ceulx cy, par occasion, seront conduictz à faire quelque
faveur, soubz mein, à ceulx de la Rochelle par le moyen du comte de
Montgommery, qui pratiquera avec le visadmiral d'Ouest, son beau
frère, d'estre accommodé de quelque vaysseau pour s'y retirer, et pour
y conduire ce qui se trouvera à ceste heure de françoys icy revenantz
de Fleximgues, lesquelz peuvent estre deux centz en nombre; oultre
que, depuis deux jours, sont arrivez envyron quinze gentilshommes ou
soldatz, les ungs normantz, les aultres de Poictou, et les aultres de
Guyenne, entre aultres le jeune Pardaillan, et avec eulx ung marchand
de la Rochelle, nommé David, qui disent qu'ilz sont fouys pour n'aller
poinct à la messe, et font une grande rumeur de la persécution qu'ilz
disent qui continue par dellà.

Le Sr de Gasceville, qui est icy pour le prince d'Orange, a essayé de
praticquer les dicts françoys pour les ramener en Olande, mais ilz n'y
vuellent entendre à cause qu'ilz y ont esté fort maltraictez; dont
vous suplie, Sire, me commander comme j'auray à parler à ceste
princesse et aulx siens du dict faict de la Rochelle, et de ceulx qui
y voudroient aller, et pareillement comme uzer envers ceulx de voz
subjectz qui se voudroient retirer en leurs maysons; car l'on m'a
assuré, Sire, que, en divers endroictz de ce royaulme, il y en a bien
à présent de quatre à cinq mille, que hommes, que femmes, ou petitz
enfans.

Je n'ay, du costé d'Escoce, aultres nouvelles que la confirmation de
la mort du comte de Mar, laquelle aulcuns souspeçonnent estre du
poyson, mais je crois que non; et se dict que ceulx, qui
recognoissoient le dict de Mar pour régent, se sont assemblés affin
d'en créer ung aultre et pourvoir à la seureté du jeune Prince. Cest
accydant semble bien requérir, Sire, que Vostre Majesté dépesche
quelqu'ung par dellà; mais je ne m'attans pas que nous puissions
obtenir le congé de son passeport par icy. J'estime que le Sr de
Quillegreu ne s'oposera trop à ce que le duc de Chastellerault soit
faict régent; car l'on m'a adverty qu'il avoit charge de le praticquer
pourveu qu'il voulût suyvre le party d'Angleterre; car l'on voit bien
que à luy appartient le droict de ceste couronne, après la Royne
d'Escoce et son filz. Sur ce, etc.

    Ce XVe jour de novembre 1572.



CCLXXXVIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Communication officielle de la naissance de la fille
    du roi.--Assurance de continuation d'amitié.--Arrêts rendus en
    France contre l'Amiral, Briquemaut et Cavagnes.--Exécution de
    Briquemaut et de Cavagnes.--Légation du cardinal
    Orsini.--Affaires de la Rochelle.--Délibération du conseil
    d'Angleterre.--Vives réclamations des Anglais au sujet des
    entreprises faites contre eux en Bretagne.--Affaires d'Écosse;
    convocation d'une assemblée à Lislebourg.--Nouvelles des
    Pays-Bas et d'Irlande.


    AU ROY.

Sire, ayant, le XVe de ce moys, receu la dépesche que mon secrettère
m'a apportée, j'ay envoyé, le XVIe, demander audience, et la Royne
d'Angleterre me l'a octroyée pour le lendemein, XVIIe, qui a esté le
propre jour du quatorziesme an complet de son advènement à ceste
couronne, duquel se faict ordinayrement quelque commémoration en ceste
court. Et, après qu'elle a heu bien curieusement lue vostre lettre et
celle de la Royne, vostre mère, et encores celle de Monseigneur, frère
de Vostre Majesté, lesquelles je luy ay présentées, elle a monstré
d'estre en quelque suspens qu'est ce que j'avoys à luy dire.

Dont je luy ay assez tost explicqué ma créance, ainsy qu'elle m'estoit
fort bien et fort amplement prescripte par la lettre de Vostre
Majesté, du IIIe du présent, et la luy ay restraincte en cinq poinctz:
dont l'ung a esté de la conjouyssance des couches de la Royne, et
l'heureuse naissance de la petite princesse vostre fille, qu'il a pleu
à Dieu vous donner; le segond, de la persévérance de vostre amityé
vers la dicte Dame et du plésir qu'avez prins que, depuis l'accidant
de Paris, elle vous ayt tousjours faict confirmer et renouveller la
promesse de la sienne, dont estiez attandant, et pareillement la
Royne, vostre mère, en bien grande dévotion, qu'est ce qu'elle vous
fera entendre meintenant sur le propos de Monseigneur le Duc, vostre
frère, et quel accomplissement elle fera donner aux deux articles du
commerce et de la paix d'Escoce, qui restent à estre effectués par le
traicté; le troysiesme poinct a esté des arrestz et jugementz donnez
contre le feu Admiral, et contre Briquemault et Cavaignes, par la
court de parlement de Paris, avec le récit de ce qui a esté vériffié
contre eulx et leurs [complices] de la conspiration; le quatriesme,
de la légation du cardinal Ursin; et le cinquiesme, du faict de la
Rochelle, et pourquoy l'armée du Sr Strossy a esté de rechef
rassemblée et remise sus.

Sur lesquelz poinctz, voyant la dicte Dame que vous luy gardiez en
tout ung fort grand respect et monstriez de tenir grand compte de son
amityé, elle n'a pas dissimulé qu'elle en sentoit ung singullier
contantement, mais, comme princesse agitée de diverses impressions,
m'a respondu: quand au premier, que Vous mesmes, Sire, ne vous estiez
pas souhayté ung plus grand contantement des couches de la Royne
qu'elle a desiré que vous l'eussiez très parfaictement accomply par
l'heureuse nayssance d'ung Daulfin, et que néantmoins la petite
princesse soit la bien venue au monde, et qu'elle prioit Dieu de l'y
faire aultant heureuse comme elle y est de très grande extraction, et
comme elle s'assure qu'elle y sera belle et vertueuse, n'ayant regret
sinon que vous ayez voulu profaner le jour de sa nayssence par ung si
facheus espectacle qu'allastes voyr en grève: ce que n'entendant point
qu'est ce qu'elle vouloit dire, elle me l'a explicqué[10]. Et je luy
ay respondu que c'estoit ce qui rendoit ce jour là, s'il avoit esté
quelquefoys néfaste, de toutes parts bien heureulx; et que vous
n'aviez pas assisté à cest acte, si, d'avanture, vous y aviez esté,
sans exemple d'aultres grandz roys.

  [10] Par arrêt du parlement de Paris, en date du 27 octobre 1572,
  Briquemaut et Cavagnes, qui avaient été arrêtés, à la suite de la
  Saint-Barthélemy, furent déclarés coupables comme complices de
  l'amiral, et condamnés à être pendus, ce qui fut exécuté le soir
  même, aux flambeaux. On sait qu'un arrêt de condamnation fut
  également rendu contre la mémoire de l'amiral.

  Charles IX assista avec Catherine de Médicis à l'exécution de
  Briquemaut et de Cavagnes, qui eut lieu le jour même de la
  naissance de sa fille. Walsingham, dans sa correspondance, déclare
  qu'ils étaient accompagnés du roi de Navarre, de Madame, du prince
  de Condé, des ducs d'Anjou et d'Alençon. Mèzeray ne parle que de
  Charles IX et de Catherine de Médicis; De Thou ajoute qu'ils
  exigèrent que le roi de Navarre fût présent à l'exécution.

Elle a suyvy que, quand à vostre persévérance vers elle, que c'estoit
ce qu'elle avoit le plus cherché, et pensoit n'avoir jamais rien
trouvé de plus assuré au monde; dont, de sa part, elle vous promectoit
devant Dieu que vous n'auriez, ny verriez jamais procéder, chose
aulcune d'elle pourquoy vous vous en deussiez départir, demeurant
l'incertitude de sa plus grande déclaration touchant le propos de
Monseigneur le Duc, sur ce qu'elle n'avoit encores receu la responce
qu'elle a longuement attandue de son ambassadeur, et sur ce aussy que
l'image des choses de France luy représante une très extrême horreur,
qu'il semble que vous avez contre toutz ceulx de sa religion; ayant,
quand aux deux poinctz du traicté, une bien bonne affection qu'il y
puysse estre satisfaict, mais les Escoucoys lui donnoient occasion de
ne se mesler plus de leur faict, et les marchandz ses subjectz
trembloient encores si fort des choses de France qu'ilz refuzoient
infinyement d'y transporter leur trafficq; quand à la condempnation de
l'Amiral et des aultres, si le temps vous apprenoit que leur ruyne fût
vostre seureté, que nul seroit plus ayse qu'elle qu'ilz fussent mortz,
et, s'il advenoit que vous y ayez de juste regret, qu'elle y
participera aultant que nul aultre de vostre alliance, car elle ne
mettoit en considération ny leur mort, ny leur vye, que pour vostre
intérest; qu'elle répute à une bien expécialle faveur la
communiquation que luy avez voulu fère de la légation du cardinal
Ursin, vous priant néantmoins de prendre de bonne part, si elle vous
dict qu'elle sçait, aussy bien que luy mesmes, que, en apparance, sa
dicte légation est bien fondée sur la ligue contre le Turc, mais
qu'en effect il en vient procurer une aultre contre les Chrestiens,
et allumer, s'il peut, ung grand feu par toutz les coings de l'Europe,
en quoy si, en vostre présence, vous layssez passer quelque chose qui
tende à la ruyne d'elle, Dieu est tesmoing que ce sera au dommage de
vous mesmes, ou aulmoins de chose que vous debvez en ce temps réputer
comme vostre bien; qu'elle ne se voit pas en termes pour debvoir trop
creindre toutes ses praticques, non qu'elle ne se sante soubmise à la
mein de Dieu, quand, pour l'honneur et gloyre sienne, il vouldra
qu'elle périsse, à quoy elle aura moins de regret; mais elle
expérimantoit assez que son indignation n'est contre elle, ains
plustost contre ceulx qui la voudroient ruyner, et que sa bonté divine
a si bien pourveu au faict d'elle et de son estat, qu'elle vous
vouloit bien dire, Sire, qu'elle s'estimoit beaucoup plus loing du
danger que ne sont ceulx qui la y voudroient mettre: ce qu'elle m'a
fort prié de n'oublier vous escripre, et que son ambassadeur aura
charge de vous en dire aultant; que, pour le regard de ceulx de la
Rochelle, elle seroit marrye qu'ilz ne vous rendissent l'obéyssance
qu'ilz vous doibvent, ny qu'ilz excitassent aulcun trouble en vostre
royaulme, mais elle estimoit qu'ilz ne prétandoient de garder leur
ville que pour vous et pour leurs vyes, en quoy elle ne leur pouvoit
fère tort, si, voyant venir ceulx qui les vouloient tuer, ilz leur
fermoient leurz portes; et que le comte de Montgommery ne l'avoit
veue, ny n'avoit parlé à elle, pour avoir deu escripre aux dicts de la
Rochelle qu'elle les secourroit, n'estant si hastive ny si légière que
de rompre la ligue qu'elle venoit de faire avecques vous pour chose de
peu d'importance; et que, si elle avoit ceste volonté, elle la vous
nottiffieroit ouvertement, ainsy qu'elle vous avoit bien faict
entendre son entreprinse du Hâvre de Grâce; et qu'elle me vouloit bien
dire, en passant, qu'elle s'estoit lors saysie du dict Hâvre, à cause
d'une mauvaise responce qu'on luy avoit faicte de Callays, et que,
sans ce que la peste s'y mit, elle n'eut lâché ceste place, sans avoyr
heu rayson de l'aultre.

A toutes lesquelles siennes responces, fors en ce qu'elle m'a touché
de Callays, que j'ay expressément obmis, je luy ay uzé des meilleures
et plus convenables responces, pleynes de mercyement, là où il a esté
besoing, et de toutes aultres bonnes remonstrances qu'il m'a esté
possible. Et l'ay conduicte, de propos en propos, à plusieurs raysons
pour la bien édiffier de Voz Majestez Très Chrestiennes et des
vostres, et pour luy oster les impressions qu'on luy a peu donner au
contraire, et pour la remettre aux bons termes qu'elle estoit,
auparavant ces émotions de France; de sorte que, acquiessant à la
pluspart, elle m'a prié, pour la fin, que je voulusse faire
communicquation à ceulx de son conseil des mesmes choses que je luy
avoys dictes à elle.

Et, appellant là dessus milord trézorier et les comtes de Sussex et de
Lestre, je me suis retiré à part avec eulx, qui ont avec attention
fort volontiers ouy ma créance; et, après qu'ilz m'y ont heu faict
quelques courtes responces et aulcunes légières contradictions, ilz
m'ont prié de la leur vouloir bailler par escript, affin d'y pouvoir
mieulx dellibérer et en conférer davantage avec leur Mestresse, pour,
puis après, m'y faire avoyr responce là où il escherroit d'en bailler.
Et, m'ayant toutz troys assuré de la persévérance de leur Mestresse en
l'entretènement du traicté, ilz ont monstré qu'il leur restoit
beaucoup de satisfaction de ce que je leur avoys dict, et de vostre
ouverte démonstration vers leur Mestresse et vers ce royaulme;
seulement ilz ont exclamé les injures, violences, meurtres et
pilleries que le cappitaine de Belle Isle de Bretaigne, et son filz,
et quelque aultre, qu'ilz ne m'ont peu nommer, font, à ce qu'ilz
disent, sur les Angloys, et qu'ilz suplient Vostre Majesté d'accorder
à leur Mestresse qu'elle puisse permectre à ses subjectz d'avoir la
guerre au dict capitaine; car elle ne sçait comme aultrement leur
satisfère, parce qu'on ne leur faict jamais justice en Bretaigne; ny
ne peulvent, sans danger de mort, l'aller demander.

Du costé d'Escoce, Sire, il s'entend que, le XVe de ce moys, se
debvoit faire l'assemblée de la noblesse du pays à Lillebourg pour
créer ung nouveau régent, et pour pourvoir à la seureté du petit
Prince, mais l'on n'espère guières que la paix puisse réuscyr au bout
des deux moys de l'abstinence.

Fleximgues monstre de se vouloir opiniastrer, car l'on y faict une
extrême dilligence de se bien fortiffier, et le capitaine Morguen,
avec une compagnie d'angloys, y est enfin demeuré. Le prince d'Orange
est encores en Olande, et ung sien agent est tousjours par deçà. L'on
m'a adverty que le comte de Montgommery doibt bientost venir
secrettement en cette ville. Je mettray peyne de l'observer. J'entendz
que ceulx de la Rochelle, qui sont icy, ont esté en ceste court; et, à
dire vray, Sire, la responce, que ceste princesse m'a faicte touchant
l'opinyastreté des dicts de la Rochelle, ne me contante assez. Ceulx
cy mandent pour toute provision en Irlande trente mille escus pour
résister aulx saulvages. Sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de novembre 1572.



CCLXXXVIIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de novembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère._)

  Défiances inspirées aux Anglais par la légation du cardinal
    Orsini et par les armemens faits en France.--Résolution prise
    par Élisabeth de maintenir l'alliance avec le roi, et néanmoins
    de rechercher l'alliance d'Espagne, de s'unir aux princes
    protestans d'Allemagne, et de soutenir les mécontens de
    France.--Affaires d'Écosse.--Méfiances témoignées contre
    l'ambassadeur par les français réfugiés en
    Angleterre.--Assurance qu'il leur donne au nom du roi qu'ils
    peuvent en toute sûreté rentrer en France.--Arrivée de Mr de
    Mauvissière.


    AU ROY.

Sire, après que j'eus parlé à la Royne d'Angleterre, le XVIIe de ce
moys, et que j'eus baillé par escript à ceulx de son conseil ce que je
luy avoys dict, ung des gens de Mr de Walsingam leur arriva, le jour
d'après; de la dépesche duquel il semble que la jalousie et la
deffiance ayt augmenté à la dicte Dame et à eulx, touchant la légation
du cardinal Ursin, et touchant quelques levées de Suisses qu'on leur a
mandé que Vostre Majesté faict desjà marcher, creignant que ce soit
contre leur religion, et nomméement contre l'estat et repos de ce
royaulme, en faveur de la Royne d'Escoce, dont se sont assemblés
plusieurs foys pour dellibérer de leurz affères. Et j'entendz qu'après
les avoyr bien débattus, ilz se sont résolus à quatre poinctz: l'ung,
d'observer, de la part de leur Mestresse, le traicté que naguyères
elle a faict avec Vostre Majesté, sans toutesfoys y mettre grand
fiance; le segond, d'estreindre l'accord avec le Roy d'Espaigne; le
troysiesme, de faire une prompte et bien ample dépesche en Allemaigne;
et le quatriesme, de se prévaloir, si elle peut, de voz subjectz
malcontantz, qui sont par deçà, au cas qu'elle et eux ne puissent
voyr plus cler dedans voz entreprinses qu'ilz ne font.

Dont, du premier, j'ay desjà assez souvent escript à Vostre Majesté ce
que la dicte Dame et les siens m'en ont respondu, toutes les foys que
je leur en ay parlé; et, quand aux aultres troys, j'ay fait un
mémoire[11] à part de tout ce que, jusques à ceste heure, il m'en est
venu en cognoissance; dont je n'auray à vous dire icy davantage, Sire,
sinon que ceulx cy ne layssent cepandant d'encourager le prince
d'Orange à la poursuyte de son entreprinse, et luy donner grande
espérance qu'il sera assisté, bien qu'ilz se soyent accordés avecques
luy de retirer ce qui restoit d'anglois à Fleximgues, qui achèveront
d'arriver ceste sepmayne; et pressent, le plus qu'ilz peuvent, les
choses d'Escosse pour les faire réuscyr à leur intention; en quoy,
pour y surmonter les difficultez qui s'y trouvent, l'on m'a adverty
qu'ilz dépêchent une bonne somme de deniers au Sr de Quillegreu, affin
de faire tomber la régence et le gouvernement du Prince ez meins de
ceulx qu'il recognoistra dévotz à l'Angleterre; et qu'il a charge de
praticquer la dicte régence pour le comte d'Arguil, et la garde du
Prince pour le comte de Morthon. En quoy est fort à creindre, si le
dict d'Arguil prent le dict party, qu'il n'y mène le duc son oncle, et
ses enfans, et que le comte de Honteley demeure seul, de toutz les
grandz, pour le party de la Royne d'Escoce; et, si le susdict de
Morthon a le Prince en ses meins, qu'il ne le livre aulx Angloys,
aussy bien comme il leur a vendu le comte de Nortomberland.

  [11] Ce mémoire n'a pas été transcrit sur les registres de
  l'ambassadeur.

Je sçay bien que, pour encores, les choses n'y vont du tout ainsy que
ceulx cy voudroient, et n'y espèrent guyères la paix, au bout de
l'abstinence; tant y a que leur argent y pourra faire beaucoup
incliner les choses à leur desir, et y en employent de tant plus
volontiers qu'ilz ont descouvert que l'entreprinse, que les saulvages
d'Irlande ont cuydé exécuter sur Dublin, Corc et aultres places de la
Palissade, a esté tramée par le comte de Honteley. Dont, en ce
conseil, a esté dict que la Royne d'Escoce, de laquelle il se porte
lieutenant au North, y avoit besoigné, et que, tant qu'elle vivra, ces
troys royaulmes, d'Angleterre, d'Escoce et d'Irlande, ne seront jamais
en paix, qui est ung trêt pour remettre ceste pouvre princesse en
grand danger; de laquelle j'ay heu deux lettres du premier de ce moys,
que milord trézorier m'a envoyées, le XXIIe, toutes ouvertes; et
encores il a fallu que je les luy aye prestées pour en communiquer
quelques poinctz à la Royne, sa Mestresse.

J'avoys prié monsieur le Vidame de Chartres et le jeune Pardaillan, et
le Sr Du Plessis, et quelques aultres françoys, de ceulx qui sont
fuitifz, de venir prendre leur dîner en mon logis, affin de leur faire
entendre l'intention de Vostre Majesté; mais, pour creinte qu'ilz ne
donnassent quelque souspeçon d'eux aux Angloys, s'ilz y venoient, et
pour quelque opinyon, qu'on a imprimé au dict vidame, que Vostre
Majesté le vouloit faire tuer, fût par poyson ou aultrement, ilz se
sont toutz excusez, ormis le jeune Pardaillan, lequel à grande
difficulté a voulu manger une foys avecques moy; et par luy j'ay mandé
à toutz les aultres que vostre desir est, Sire, qu'ilz se retirent en
leurs maisons, et que vous leur promettés, sur vostre honneur, qu'il
ne leur y sera faict ny mal, ny déplaysir; et si, pour prendre plus
grande seureté de cella, ilz vouloient envoyer ung d'entre eulx vers
Vostre Majesté, que je l'accompaignerois de mes lettres. Sur quoy, au
bout de deux jours, ainsy que les dicts vidames et de Pardaillan
alloient trouver ceste princesse à Hamptoncourt, ils me sont venus, en
passant, tenir le propos que je metz à l'instruction de ce
porteur[12], affin de tenir ceste lettre tant plus briefve. Et
adjouxteray seulement à icelle que je sentz bien qu'on uze de toutz
les artiffices et persuasions qu'on peut pour retirer, peu à peu,
ceste princesse de l'opinyon qu'elle s'estoit imprimée de vouloir
establir une privée amityé, et une fort estroicte intelligence avec
Voz Majestez Très Chrestiennes et avec vostre couronne: dont je seray
bien fort ayse qu'en la faysant vostre commère, vous la confirmiez en
son premier bon propos; et croy que difficillement la pourra l'on du
tout tirer à l'aultre party, tant je l'ay une fois vue très fermement
résolue de suyvre du tout le vostre. Sur ce, etc. Ce XXIXe jour de
novembre 1572.

  [12] Cette pièce n'a pas été transcrite sur les registres de
  l'ambassadeur.

   Ainsy que ce porteur montoit à cheval, Mr de Mauvissière est
   arrivé. Je n'ay layssé pour cella de le faire partir.



CCLXXXVIIIe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de décembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience accordée à l'ambassadeur et à Mr de
    Mauvissière.--Demande officielle faite à Élisabeth de tenir la
    fille du roi sur les fonts de baptême.--Acceptation de la
    reine.--Embarras qu'elle témoigne pour envoyer, à cette
    occasion, un ambassadeur en France, de peur qu'il ne soit
    massacré.--Nouvelle proposition du mariage.--Difficulté opposée
    par la reine à la reprise de cette négociation.--Froide
    réception faite par les seigneurs du conseil à l'ambassadeur et
    à Mr de Mauvissière.


    AU ROY.

Sire, le deuxiesme de ce moys, Mr de Mauvissière et moy sommes allez
trouver la Royne d'Angleterre à Hamptoncourt, laquelle l'a beaucoup
mieulx et plus favorablement receu que l'occasion des choses passées
ne me le faysoit espérer, et croy, à la vérité, qu'en l'endroict d'ung
aultre, elle n'eut si bien uzé qu'au sien; qui a bien voulu, dès
l'entrée, luy commémorer les honnestes charges que, d'autrefoys, il a
heu vers elle[13], qui luy avoient faict dès lors cognoistre sa vertu,
et que ce où il s'estoit depuis loyallement porté en bon et fidelle
subject, d'advertir Vostre Majesté d'éviter la dangereuse entreprinse
de Meaulx[14], luy avoit faict mériter qu'elle et toutz les aultres
princes en ouyssent bien parler; et qu'au reste il avoit tousjours heu
une si bonne inclination à tout ce qui estoit de la commune amityé
d'entre Voz Majestez, et avoit uzé de tant de sortes de courtoysies
envers ceulx qu'elle avoit envoyé en France et envers toute la nation,
qu'elle se sentoit obligée d'en avoyr mémoyre à jamais; et pourtant
qu'elle remercyoit Vostre Majesté de luy avoir envoyé ung tel
messager, et qu'il fût le très bien venu.

  [13] Michel de Castelnau, sieur de Mauvissière, avait déjà été
  chargé à différentes époques de diverses missions en Angleterre.
  En 1576, il succéda comme ambassadeur à La Mothe Fénélon. Voir
  ses _Mémoires_ auxquels Le Laboureur a fait de nombreuses
  additions. Bruxelles, 1731, 3 vol. in-fº.

  [14] V. tom. 1, p. 27 _note_.

A quoy luy ayant le dict Sr de Mauvissière faict l'humble mercyement
qui convenoit, il luy a présenté, avec les recommandations de Vostre
Majesté, de la Royne, et de la Royne, vostre mère, et de Monsieur, les
lettres de toutz quatre, réservant celle de Monseigneur le Duc, après
le récit de sa créance; et luy a faict, en fort bonne façon, entendre
sa dicte créance, laquelle elle a monstré d'avoyr bien fort agréable.

Elle nous a respondu que nul, après Voz Majestez Très Chrestiennes,
avoit receu ung plus accomply plésir qu'elle de l'heureuse nayssance
de vostre petite fille, et l'eût senty plus grand, si ce eut esté ung
filz, et qu'elle réputoit l'offre, que luy fesiez d'estre vostre
commère, pour ung des plus certeins signes de vraye et parfaicte
amityé qui se pouvoit uzer non seulement entre princes, mais entre
toutes aultres plus inthimes et conjoinctes personnes; et pourtant
qu'elle vous remercyoit, et remercyoit la mère, et la grand mère, et
les oncles, de la plus grande affection de son cueur, de ceste vostre
tant bonne et tant cordialle démonstration vers elle. Et, après
s'estre ung peu enquise comme nous estimions que l'Impératrix en
uzeroit, et laquelle des princesses de vostre court pourroit elle
prier de fère l'office pour elle, elle a suivy à dire que ce, où elle
se trouvoit le plus empeschée, estoit d'envoyer quelqu'ung par dellà,
après ce qui y estoit advenu, non pour deffiance qu'elle heût de
Vostre Majesté, mais qu'elle n'avoit ung seul personnage de qualité
qui n'estimât qu'elle le tînt en fort petit compte, et qu'elle se
vouloit deffayre de luy, si elle luy parloit de le vouloir envoyer en
France, néantmoins qu'elle aviseroit d'y uzer le plus honnorablement
qu'il luy seroit possible.

Et s'estant le propos adonné à parler des choses de Paris, le dict Sr
de Mauvissière luy a confirmé ce que j'en avois devant dict à la dicte
Dame et aux siens. Et elle y a respondu quasy de mesmes qu'elle avoit
faict les aultres foys, monstrant creindre que les choses passassent
jusques à elle et jusques à troubler son estat, ce que nous avons mis
peyne de luy fort dissuader. Et après, il luy a présenté la lettre de
Monseigneur le Duc, et l'a accompaignée de plusieurs honnestes propos
de l'affection et du vray amour qu'il luy porte, et du singullier
desir que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur avez
que l'accomplissement du mariage s'en ensuyve.

A quoy elle a respondu que Dieu luy est tesmoing que les choses en
estoient venues à si bons et si procheins termes, de sa part, qu'elle
ne pensoit qu'il s'y deût trouver plus de difficulté; mais qu'elle
voyoit, à ceste heure, que l'extérieur, de l'inégalité des aages, et
l'intérieur, de la différance des consciences en la religion, y
remettoient plus d'empeschement qu'elle n'eût pensé, et qu'il faudroit
qu'elle renouvellât toutz ceulx de son conseil pour prendre quelque
bonne résolution là dessus, parce que nul de ceulx, qui y estoient à
présent, n'en pouvoient estre d'advis; néantmoins qu'elle ne layssoit
de se santir pour jamais très obligée à Vostre Majesté et à la Royne,
vostre mère, et encores à Monseigneur le Duc, et qu'elle adviseroit
pour ce soyr comme nous respondre le lendemein à toutes ces choses,
affin de donner le plus de satisfaction à Vostre Majesté qu'il luy
sera possible.

Et n'ayant Mr de Mauvissière rien obmis de tout ce qui la pouvoit
rendre bien disposée, et luy ayant aussy, de ma part, touché aulcunes
particullaritez pour l'induyre à vous debvoir fère de meilleures
responces que jamais, je luy ay baillé la lettre que Mon dict Seigneur
le Duc m'avoit escripte, laquelle elle a volontiers reçue et retenue;
et nous nous sommes pour ceste foys licenciez d'elle. Et, après avoyr
fayct les meilleurs et les plus exprès offices que nous avons peu vers
ses conseillers, lesquelz, à la vérité, nous avons trouvez fort
froidz, nous sommes, pour ce soyr, allez loger à ung mille de la
court.

Et, le grand matin, elle nous a mandé qu'elle nous prioit de luy
donner temps de nous faire sa responce jusques à vendredy, qui sera
demein; dont avons advisé, Sire, de vous faire cepandant ce mot, affin
que Vostre Majesté sache en quelz termes est toute ceste négociation.
Sur ce, etc.

    Ce IVe jour de décembre 1572.



CCLXXXIXe DÉPESCHE

--du Xe jour de décembre 1572.--

(_Envoyée jusques à la court par Mr de Mauvissière._)

  Réponse de la reine sur la négociation de Mr de
    Mauvissière.--Acceptation du titre de marraine.--Objections
    faites contre le mariage.


    AU ROY.

Sire, après que la Royne d'Angleterre a heu à loysir dellibéré des
troys poinctz de la créance de Mr de Mauvissière, sçavoir est: d'estre
vostre commère, de continuer l'amityé, et de passer oultre au propos
de Monseigneur le Duc; et qu'elle a heu, comme j'ay esté bien adverty,
faict cognoistre à ceulx de son conseil qu'elle continuoit d'avoyr
toujours bonne inclination à la France, leur mettant en grand compte
ceste présente signiffication de vostre singullière bienvueillance
vers elle, et leur remonstrant que les quatre lettres de Voz Majestez
et de Monsieur, et la cinquiesme de Monseigneur le Duc, escripte de sa
mein, et les propos que le dict Sr de Mauvissière et moy luy avons
tenus, l'assuroient que vous la fesiez vostre commère tout exprès pour
luy tesmoigner, et à toutz ses subjectz, et encores pour manifester à
tout le monde, que vous la vouliés aymer et respecter aultant, et
possible plus, que prince ny princesse de vostre alliance, ainsy que,
parmy les choses qui sont advenues en France, vous avez heu ung grand
soing de faire garder à elle et à ses dictz subjectz ung fort grand
respect, elle a conduict iceulx de son dict conseil à luy aprouver
qu'elle nous ayt, vendredy dernier, faict la responce qui s'ensuit:

«Qu'elle accepte de bon cueur l'honneur que luy faictes de vouloir
qu'elle soit l'une des marraines de vostre fille aynée, et prend cella
pour une bien fort grande et singullière récompense de la droicte
affection dont elle s'est resjouye de sa nayssance, et qu'il ne luy
heût sceu advenir, en ce temps, chose aulcune de plus grande
satisfaction que de se voyr par Vostre Majesté, et par la Royne Très
Chrestienne, et la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz frères,
recherchée de signe de vostre plus estroicte amityé vers elle, dont
elle vous en rend le plus grand mercys qu'elle peut, et n'estime que
faciez peu pour elle de la convyer à estre compagne en ce sainct acte
d'une si excellante princesse comme est l'Impératrix, laquelle elle
honnore en toutes sortes pour sa grandeur et pour ses vertueuses
qualités, et espére que d'elle procèdera tant de bien et de bonheur à
leur petite filleule, oultre celluy qu'elle tirera de la bonne fortune
du père et de la mère, et des princes dont elle descend, que tout le
mal qui luy pourroit venir de son costé, n'y pourra à peyne paroistre;
et, encor que de ces premières couches de la Royne Très Chrestienne
son plésir ne puysse estre si parfaict, comme si celluy de Vostre
Majesté heût esté du tout accomply par la nayssance d'ung beau filz,
si répute elle à grande bénédiction de Dieu que vostre mariage, qui
est en toutes sortes très honnorable, vous ayt desjà rendus toutz deux
l'ung père et l'aultre mère de ceste heureuse princesse, ayant
espérance qu'il vous adviendra, sellon le commun dire, que, _qui par
filles commance de masles hérite_; et qu'elle a desjà advisé que de
deux seigneurs, qui sont des plus grandz de son royaulme, l'ung yra
trouver Vostre Majesté pour assister, pour elle, au baptesme, et pour
faire tout ce que Vostre Majesté luy ordonnera; mais parce que l'ung
ny l'aultre ne sont à présent en court, et qu'elle ne sçayt encores
lequel se trouvera le plus disposé de faire le voyage, qu'elle
différoit de les nous nommer; et qu'elle vous prie, au reste, Sire, de
croyre que, comme en la faysant vostre commère, vous luy monstrez, et
donnez à cognoistre à ung chacun, que vous voulez persévérer en son
amityé, que aussy, de son costé, en acceptant de l'estre, et par toutz
aultres bons effectz en quoy la voudrez employer, elle vous fera voyr,
et à toute la Chrestienté, qu'elle veut de mesmes persévérer très
constamment en la vostre;

«Que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, il me peut bien
souvenir où les choses en sont demeurées au partir de Quilingourt, et
que, pour estre despuis survenus plusieurs divers accidans, elle a
mandé à son ambassadeur, après mon audience de Redinc, de tirer de Voz
Majestez Très Chrestiennes, le plus dextrement qu'il pourra,
l'esclarcissement d'ung certein poinct, duquel par ses lettres, qu'il
a depuis escriptes, encor qu'il y récite plusieurs propos que Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, luy en avez tenus, qui sont très
honnorables et qui la rendent très obligée de vous en remercyer, ilz
sont néantmoins si généraulx qu'elle n'y peut trouver la satisfaction
de ce qu'elle desire; et pourtant qu'elle vous prye de prendre en
bonne part qu'elle vous dye encores ceste foys qu'il ne luy est
possible de vous résoudre si clèrement là dessus, comme vous le
voudriez, et comme elle desireroit le pouvoir faire.»--Et est entrée
en deux divers discours, l'ung, de l'entrevue, comme ung voyage en
poste n'eut peu estre réputé ny mal séant ny mal honnorable, ny,
possible, inutille à Monseigneur le Duc pour cest effect; et l'aultre,
de la religion, comme le Pape, par aulcunes lettres et briefz qu'elle
a naguyères veus, qu'il a escript à ses rebelles, résidans en
Flandres, l'appelle illégitime et prétandue royne usurparesse de ce
royaulme, ce que pourroit, possible, fère raviser Monseigneur le Duc
de ne se vouloir si mal loger que de l'épouser; et pareillement Vostre
Majesté de ne vouloir avoyr de eux deux ung nepveu, ni la Royne,
vostre mère, ung petit filz qui fût réputé sismatique; avec d'aultres
propos qui monstrent que ceulx de son conseil l'ont merveilleusement
agitée de beaucoup d'escrupulles et de plusieurs grandes difficultés.

Dont nous avons mis peyne de luy en diminuer l'impression, luy
remonstrant, quand au premier, qu'il n'a tenu et ne tient qu'à elle
qu'elle ne soit desjà satisfaicte de l'entrevue; et, quand au segond,
que vous avez tousjours monstré, avant la bulle, et depuis encores, en
ce présent acte, que vous la réputés pour vraye et légitime et
indubitable Royne d'Angleterre. Et se sont conduictz les propos à
plusieurs particullaritez bien gracieuses de la vraye et droicte
intention, et de l'affection non feinte, dont persévérez tousjours à
desirer son allience; y adjouxtant, Mr de Mauvissière, plusieurs
expéciallités qu'il luy a assuré avoir freschement ouyes de Vostre
Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monsieur, et encores de
plus expécialles de Monseigneur le Duc qu'elle n'a poinct dissimulé de
les avoyr bien agréables. Et nous a faict cognoistre en somme qu'elle
ne veut qu'on délaysse aulcunement la poursuyte de ce propos; puis a
prié le dict Sr de Mauvissière de vouloir retourner le lundy ensuyvant
pour prendre ses lettres et son congé.

Dont je laysse à luy, Sire, de vous rendre plus ample compte de tout
le reste de sa légation, et seulement je adjouxteray icy qu'il l'a
accomplie ainsy dignement et avec la dextérité qu'il a accoustumé
toutes les aultres charges que Vostre Majesté luy a souvant commises.
Et sur ce, etc.


    Ce Xe jour de décembre 1572.



CCXCe DÉPESCHE

--du XVIe jour de décembre 1572.--

_(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience de congé donnée à Mr de Mauvissière.--Son
    départ.--Armemens faits en Angleterre par le capitaine Sores
    pour la Rochelle.--Demande d'un sauf-conduit pour le
    vice-amiral d'Angleterre chargé de passer en France.--Succès du
    duc d'Albe dans les Pays-Bas.--Difficulté que présente la
    négociation du traité de commerce.--Nouvelles d'Écosse; le
    comte de Morton régent.--Meilleur traitement fait au comte
    d'Arundel.--Mort du comte de Derby.


    AU ROY.

Sire, estant Mr de Mauvissière allé prendre congé de la Royne
d'Angleterre, le VIIIe de ce moys, il m'a raporté qu'elle luy avoit
confirmé les mesmes bonnes responces qu'elle nous avoit faictes à
toutz deux, et qu'elle luy avoit davantage expéciffié une
particullarité de l'entrevue; laquelle je m'assure, Sire, que n'aura
failly de la vous racompter: qui me semble assez conforme à ce qu'elle
m'en avoit, dez le commancement, proposé, dont je verray, en ma
première audience, si elle y persévère, et comme ses conseillers y
sont disposez. Elle luy a, le lendemein, envoyé sa dépesche avec ung
honneste présent, mais il a esté contreinct de temporiser encore
quelques jours, premier que de partir, affin de pourvoir à la seureté
de son passage, ayant eu advertissement qu'on le guettoit sur la mer;
chose que la dicte Dame et les siens ont monstré de leur déplaire bien
fort; et j'espère qu'il aura passé bien seurement, et que Vostre
Majesté aura entendu par luy mesmes tout ce qui a résulté de son
voyage par deçà, et en quelle disposition les choses y restent après
luy.

A ceste heure, Sire, j'ay à vous dire qu'il s'équippe en divers
endroictz de ce royaulme dix huict navyres de guerre, desquels (encor
qu'il y en y ayt une partie au nom du prince d'Orange, pour passer
deux compagnies de wualons en Holande) si semble il que des dix
principaulx, (sçavoyr est: cinq françoys, troys angloys et deux
escouçoys, qui sont fort bien équippés et les mieulx fournis et
pourveuz d'arquebuzes, corseletz, picques, morrions, pouldres et
aultres monitions de guerre, qu'ilz ont esté prendre à Porsemmue, et
fort bien avitaillés de toutes choses,) le cappitayne Sores en sera le
général, et son nepveu le lieutenant; et que de Plemmue, et de
Excester, sont partis, depuis douze ou quinze jours, deux navyres
chargés de beufz et aultres vivres pour la Rochelle, et que de présent
il se charge encores ung aultre navyre de bledz au dict Excester,
d'environ cent cinquante tonneaulx, pour y aller. De quoy je ne
faudray de m'en pleindre à ma première audience, sellon qu'il m'a esté
desjà respondu par les seigneurs de ce conseil que, quand je les
advertiray de telles choses, qu'ilz y mettront si bon ordre que
j'auray occasion de m'en contanter.

Je desire bien, Sire, qu'il vous playse m'envoyer bientost le
saufconduict que le visadmiral d'Angleterre demande pour aller trouver
Vostre Majesté, car par son moïen tout cest appareil se pourra
interrompre ou aulmoins l'entreprinse s'en pourra rejecter ailleurs.

La responce que ceulx cy espéroient avoyr du duc d'Alve par les deux
derniers ordinayres, sur le renouvellement des accordz, n'est encores
venue, mais, en lieu de cella, ilz ont receu plusieurs nouvelles des
heureulx exploitz du dict duc, desquelles ilz ne se réjouyssent
nullement.

J'ay naguières continué à iceulx seigneurs du conseil mon instance,
touchant accomplir l'article du commerce, affin que le traicté ne
puisse estre argué d'invalidité pour n'avoir sorty effect, ce qu'ilz
m'ont advoué estre fort raysonnable, mais que c'estoit ung faict qui
dépendoit de leurz marchandz, lesquelz s'y monstroient à présent fort
rétifz; dont sera bon, Sire, qu'en faciez toucher quelque mot par
dellà au Sr de Walsingam; et j'espère qu'à la fin ilz passeront
oultre.

Je n'ay eu, longtemps y a, aulcunes bien certeynes nouvelles d'Escoce;
tant y a que, par aulcunes de mes intelligences, je suis adverty que
l'abstinence y a esté gardée durant les deux moys, lesquelz sont desjà
expirés dès le VIe du présent, et que le comte de Morthon y a esté,
par le party du Prince, subrogé régent au lieu du feu comte de Mar, et
la garde du dict Prince a esté continuée à la vefve et au frère du
dict comte de Mar, à eulx adjoinct le comte d'Angoux, qui est nepveu
et héritier présumptif du dict de Morthon. Je ne sçay comme les choses
se comporteront maintenant par dellà, mais il ne s'y doibt espérer
guyères d'amandement pour estre retumbées du tout en la mein du dict
de Morthon, parce qu'il s'est monstré tousjours le principal
adversaire de la Royne, sa Mestresse, et très grand ennemy de la paix.

L'on a, depuis deux jours, emplyé ung peu la liberté du comte
d'Arondel en sa mayson, et de se pouvoir promener à l'entour d'icelle;
mais ceulx qui sont dans la Tour demeurent tousjours fort restreinctz,
et encores ung peu plus que les aultres, les deux segondz filz du
comte Dherby, depuis quinze jours, que le vieulx comte, leur père, est
mort. Sur ce, etc.

    Ce XVIe jour de décembre 1572.



CCXCIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de décembre, 1572.--

(_Envoyée exprès jusque à Calais par Jehan Volet._)

   Désignation du comte de Worcester pour représenter Élisabeth
   au baptême.--Désignation du docteur Dale destiné à remplacer
   Walsingham.--Insistance de l'ambassadeur pour obtenir son
   rappel.--Interruption des armemens pour la
   Rochelle.--Protestation du vidame de Chartres de son
   dévouement au roi; son refus de rentrer en France.--État de la
   négociation des Pays-Bas.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, je n'ay receu, à cause de l'empeschement de la mer, vostre
dépesche, du IIIe de ce moys, jusques au quinziesme, et, le mesme
jour, le Sr de Sabran est arrivé avec celle qu'il vous a pleu me
faire, du IXe et Xe ensuyvant, ès quelles deux j'ay trouvé plusieurs
bien amples satisfactions, et, à mon advis, bien considérées, touchant
aulcunes particullaritez, dont je vous avoys auparavant escript. Je
m'en vays demein trouver ceste princesse à Hamptoncourt, affin de luy
faire bien entendre tout ce que je y ay comprins de l'intention de Voz
Majestez, et, incontinent après, je vous manderay sa responce.
Cepandant je vous diray, Sire, que le comte de Wourchester a très
volontiers accepté d'aller devers Voz Majestez pour le baptesme, et je
le solliciteray de partir bientost affin qu'il puisse arriver à Paris,
incontinent après les Roys. C'est ung seigneur, duquel Voz Majestez et
toutz les vostres aurez contantement, et qui s'esforcera de sa propre
inclination, avec le commandement de sa Mestresse, de faire de fort
bons offices. Il est parent de la Royne d'Angleterre et porte le
surnom de _Sommerset_, et n'eût l'on sceu faire élection d'ung plus
grand ny d'ung plus noble que luy en ce royaulme, pour honnorer
l'acte; et si, est bien estimé de sa Mestresse et bien voulu de tout
ce royaulme. L'on ne luy a pas encores ordonné sa compagnie, mais,
aussytost qu'on luy en aura baillé le rolle, il m'a promis qu'il me
l'apportera, et je l'envoyeray à Vostre Majesté affin que puissiez
mieulx ordonner de sa réception et de son traictement.

Il avoit esté commandé, à deffault du Sr Caro, à sire Jehan Hastingues
de s'aprester pour aller succéder à Mr de Walsingam, mais il a tant
faict que, par maladye ou aultres occasions, il s'en est excusé, dont
ung homme de robe longue, nommé le docteur Dail, lieutenant en la
court de l'admiraulté, s'appreste maintenant pour y aller. Et encores,
Sire, que je me veulx bien garder de n'estre indiscret à contrarier
par trop vostre volonté sur ma demeure par deçà, si espérè je tant
d'icelle que, pour plusieurs considérations, dont les unes
appartiennent à vostre réputation, et les aultres sont dignes de
compassion vers moy, j'impètreray bientost que Vostre Majesté me
retire.

Je ne faudray de me pleindre demein à ceste princesse et à ceulx de
son conseil de l'apprest de dix ou douze navyres, lesquelz, encor
qu'ilz s'advouent au prince d'Orange, ilz monstrent néantmoins de
vouloir trajecter des hommes et des monitions à la Rochelle; ilz
n'entrent point dans les portz, mais ilz demeurent à l'ancre en la
rade et à l'abry de la coste de deçà. Quand aulx vaysseaulx que les
françoys apprestoient, ilz demeurent en suspens par commandement de la
dicte Dame, et croy bien que, si le visadmiral trouve Vostre Majesté
bien disposé sur les choses qu'il luy proposera, que tout cest
appareil yra descendre ailleurs.

J'ay monstré à Mr le vidame de Chartres la déclaration, en forme, que
Vostre Majesté m'a envoyé, et l'article qui le concerne dans ma
lettre. Il m'a respondu que ce luy est ung singulier et souverein bien
d'avoir quelque tesmoignage, tant petit soit il, de vostre bonne
intention vers luy. Il trouve le terme de son retour, dans la
chandeleuse, merveilleusement brief, veu qu'il y court le danger de sa
vye et de sa conscience; mais il proteste bien qu'il ne s'arrestera en
part du monde, où il y ayt tant soit peu d'apparence qu'on y praticque
rien ny contre le service, ny contre l'intention de Vostre Majesté; et
le jeune Pardaillan monstre avoyr la mesmes volonté; car sont les deux
qui me sont venus voyr, et qui affirment bien fort qu'ilz ne sont
passés, et qu'ilz ne demeurent icy que pour la seule occasion de fouyr
à la mort.

La responce du duc d'Alve; touchant l'accord des différendz des Pays
Bas, met tant à venir que ceulx cy commancent de s'ennuyer, et de mal
espérer d'icelle, bien qu'il n'ayt encores rien refuzé de son costé,
et seulement il uze de remises sur l'attante des dépesches d'Espaigne,
mais l'on ne prend cella icy en payement.

J'ay heu, Sire, la confirmation de ce que je vous avoys cy devant
escript, que le comte de Morthon a esté subrogé régent en Escoce par
ceulx du party du Prince, et semble qu'ilz continuent encores
l'abstinence, après le VIe de ce moys. Je loue grandement les bonnes
résolutions qu'avez prinses sur les affères de ce pays là, desquelles,
s'il m'est possible, je donray advis à la Royne d'Escoce et à ceulx de
Lislebourg, bien qu'il y ayt très grande difficulté d'escripre
meintenant ny à elle ny à eulx. Et sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de décembre 1572.



CCXCIIe DÉPESCHE

--du XXVe jour de décembre 1572.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Communications privées renouées, pour la première fois depuis la
    Saint-Barthèlemy, par l'ambassadeur avec
    Leicester.--Préparatifs de départ du comte de Worcester.


    AU ROY.

Sire, ayant le comte de Lestre sceu que j'alloys hier, qui estoit
l'avant veille de Noël, à Hamptoncourt, il m'a envoyé prier qu'il m'y
donnât à dîner, comme il a faict avec beaucoup de faveur; et a monstré
qu'il ne creinct plus de trecter en privé avecques moy, ainsy que, ces
quatre moys passés, il s'estoit bien engardé de le fère. Et le comte
de Wourchester s'est trouvé en la compagnie, avec lequel j'ay devisé
de son voyage vers Vostre Majesté, et l'ay sollicité de vouloir partir
bientost, pour se rendre à Paris, incontinent après les Roys, ce qu'il
a trouvé estre ung peu bien court; néantmoins m'a promis que, sellon
le commandement que la Royne, sa Mestresse, luy en feroit, il mettra
peyne de s'y disposer. J'en ay depuis parlé à la dicte Dame, laquelle
m'a dict qu'elle eût bien voulu, premier que le dépescher, estre
advertye s'il fault qu'elle prie une des princesses, et laquelle, de
vostre court, ou bien qu'elle commète le dict comte pour tenir pour
elle, car en voudroit uzer ainsy que l'auriez plus à gré.

Je luy ay respondu que j'attandz de brief une responce de Voz Majestez
là dessus; qu'il ne fault pour cella laysser de faire partir le dict
sieur comte, car elle pourra, puis après, s'il en est besoin, envoyer
sa lettre et sa commission par la poste, là où il est besoing au dict
sieur comte d'aller par journées, et ainsy nous sommes accordez
qu'elle le fera partir le IIIe jour de l'an. Sur ce, etc.

    Ce XXVe jour de décembre 1572.



CCXCIIIe DÉPESCHE

--du IIe jour de janvier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Audience.--Bonnes dispositions d'Élisabeth, de Leicester et de
    Burleigh en faveur de la France.--_Mémoire._ Détails de
    l'audience.--Assurance de la reine qu'elle persiste dans le
    traité d'alliance avec le roi, et dans la négociation relative
    au commerce.--Refus d'envoyer de nouveaux ambassadeurs en
    Écosse, et de chasser d'Angleterre les Français
    réfugiés.--Protestation d'Élisabeth qu'elle ne donnera aucun
    secours à la Rochelle.--Remerciement au sujet de la
    communication faite sur la négociation en France du cardinal
    Orsini.--Résolution de la reine d'envoyer sans délai le comte
    de Worcester en France; difficulté qu'elle fait de le charger
    de reprendre la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, de tant que, par vostre lettre du IXe et Xe du passé[15], je me
suis trové non seulement bien respondu sur mes précédantes dépesches,
mais encores fort amplement informé de certeins poinctz bien
importans, que desirez estre de nouveau négociez avec ceste princesse,
je n'ay fally de les luy déduyre toutz par le mesmes ordre que je les
ay trouvés en vostre dicte lettre, et avec le plus de respect et
d'expression qu'il m'a esté possible, pour tout ensemble les fère
bien prendre et bien comprendre à la dicte Dame. Dont je ne les
réytèreray icy; car c'est de Vostre Majesté mesmes que j'en ay heu la
substance, et je y ay adjouxté seulement quelque forme de parolles;
mais je charge le présent pourteur de vous dire, Sire, ce que la dicte
Dame m'a respondu.

  [15] A partir de cette époque, les lettres écrites par le roi et
  par la reine-mère à Mr de La Mothe Fénélon ont été publiées par
  Le Laboureur, qui les a jointes aux mémoires de Castelnau. Cette
  lettre, du 9 décembre 1572, est celle qui commence son
  recueil.--_Mémoires de Castelnau_, 3 vol. in-folio. Bruxelles,
  1731, t. III, p. 265.

Il seroit long de vous racompter icy aulcunes réplicques que j'ay
estimé ne debvoir obmettre de luy fère, lesquelles elle a prinses de
bonne part; et, en me licenciant, m'a pryé que je voulusse
communicquer, avec milord trézorier et avec le comte de Lestre, des
mesmes poinctz que je luy avoys déduictz; ce que j'ay faict. Je les ay
trouvés l'ung et l'aultre bien facilles et promptz à l'entretennement
du traicté, doubteux et incerteins aulx propos du mariage; mais si
estonnez, des choses naguières passées, qu'ilz ne sçavent comme
prendre les présentes, ny comme juger de celles d'advenir. Ilz ont
voulu avoyr temps pour rapporter le tout en l'assemblée de leur
conseil et en conférer de rechef avec leur Mestresse. Sur ce, etc.

    Ce IIe jour de janvier 1573.


INSTRUCTION DES CHOSES

   dont le Sr de Vassal, suyvant la présente dépesche, aura à
   informer Leurs Majestez:

   Que la Royne a respondu à mes demandes, Sire, qu'elle confesse
   que vous auriez occasion de vous fyer peu de son amityé, si
   cognoissiez qu'elle ne se confiât de la vostre, et pourtant
   qu'elle vouloit de bon cueur déposer les escrupulles, qu'elle
   avoit prins de ce qui s'estoit faict, sur l'assurance de ce
   que luy fesiez dire; et que je luy estois tesmoing qu'encor
   qu'elle n'eût approuvé l'acte, qu'aulmoins s'estoit elle
   tousjours efforcée de l'excuser d'elle mesmes, mais ne l'avoit
   peu justiffier vers les siens; qu'il n'estoit rien advenu, de
   son costé, qui vous deût faire changer de volonté; et,
   puisqu'il vous plésoit de persévérer au traicté, qu'elle ne
   s'en départiroit pour occasion qui se peût jamais présenter;

   Que de rechef elle commanderoit fort volontiers à ceulx de son
   conseil de pourvoir aulx choses qui restoient à accomplir des
   articles du dict traicté, et que l'offre de Vostre Majesté de
   vouloir assoyr l'estappe aulx marchandz angloys, aussytost
   qu'ilz auroient choisy leurs lieux et places en France, avec
   les privilèges accordez, et l'émologation de voz parlementz,
   estoit très honnorable, mais qu'ilz refuzoient d'y entendre,
   parce que la peur les tenoit encores des évènementz de dellà;
   néantmoins qu'elle les en feroit de rechef exorter; et, quand
   bien ilz s'y rendroient opinyastres, le reste du traicté pour
   cella ne laysseroit de demeurer en sa vigueur, ny l'ancien
   commerce d'estre continué;

   Que, pour la paix d'Escoce, elle ne voyoit pas que de
   nouveaulx ambassadeurs, encor qu'ilz fussent de plus grande
   qualité que les premiers, y peussent rien advancer, aulmoins
   pour le regard d'elle, qui ne sçauroit y faire ny dire
   davantage que ce qu'elle y avoit desjà dict et faict, et que
   le comte de Morthon, qui estoit à présent régent, avoit offert
   le chasteau de St André pour recouvrer le chasteau de
   Lislebourg, et d'aultres grandes récompances qui valoient
   vingt foys mieulx que le dict chasteau, mais ceulx de dedans
   estoient opinyastres; et qu'elle espéroit qu'ilz
   s'accorderoient à la fin par force:

   Au regard de voz subjetz qui sont icy, qu'elle ne leur avoit
   peu dénier refuge pour l'occasion qu'ilz y estoient passez, et
   qu'il estoit en leur liberté de s'en retourner quand ilz
   voudroient; néantmoins que, de les en faire exorter, cella luy
   seroit imputé à cruaulté, jusqu'à ce qu'on vît que vostre
   justice ozât bien exécuter la punition qu'aviez commandé de
   faire des autheurs des meurtres et séditions passées;

   Mais que, de donner secours ny assistance à ceulx de la
   Rochelle, elle seroit très marrye de le faire: bien avoit
   entendu que quelques ungs des habitans estoient descendus vers
   la coste de Ouest, lesquelz elle n'avoit point veus, et
   s'asseuroit qu'ilz ne trouveroient en ce royaulme chose
   aulcune qui leur peût servir pour maintenir leur rébellion,
   s'ilz la vouloient faire; vray est qu'elle ne pourroit, sans
   injure, deffendre que quelques ungs de ses marchandz, qui y
   avoient leur commerce de longtemps, et y avoient leurs biens
   engagés, ne l'y continuent, non toutesfoys d'y en fère
   establir de nouveau;

   Qu'elle vous remercyoit grandement de ne vous estre layssé
   surprendre des persuasions du cardinal Ursin, non qu'elle ne
   louât bien fort que vous vous liguissiez contre le Turcq,
   comme encores elle se voudroit bien obliger à une si saincte
   ligue, affin de résister au commun ennemy et adversayre du nom
   chrestien, lequel, s'il n'estoit réprimé, opprimeroit
   quelquefoys les plus grandes puissances et les premières
   authoritez, et toute la liberté de la Chrestienté; mais que le
   vray moyen de luy résister seroit de mettre toutz les princes
   chrestiens en bonne union, et les différendz de la religion en
   accord, non de liguer contre luy, ainsy en apparance, une
   partie des forces chrestiennes, en intention de ruyner les
   aultres, et que, si Vostre Majesté s'estoit à bon esciant
   excusée d'entendre à telles praticques, elle estimoit que vous
   cognoistriez bientost que vous auriez beaucoup faict pour
   vostre réputation; qu'elle vouloit fort fermement croyre, sans
   y mettre aulcun doubte, que ne layssiez de l'aymer, pour la
   diversité qui estoit entre vous de la religion, car, avant que
   vostre dernière amityé fût promise ny jurée, vous sçaviez
   toutz deux quelle estoit la religion l'ung de l'aultre, et
   qu'elle croyoit bien qu'elles estoient diverses en quelques
   parolles, mais nullement contrayres en substance; dont tout
   ainsy qu'elle vous réputoit prince chrestien, qui ne luy
   manqueriez de vostre foy ny de vostre parolle, qu'ainsy la
   trouveriez vous princesse fort chrestienne, qui vous tiendroit
   toutes les choses qu'elle vous avoit promises et jurées.

   Et adjouxta qu'elle croyoit que Dieu, au pis aller, n'avoit
   pas encores déterminé de faire que l'Angleterre ne demeurât là
   où elle estoit; aulmoins ne comprenoit elle pas qu'il eût
   encores mis en pouvoir de le fère à ceulx d'entre les hommes
   qui, possible, le voudroient bien entreprendre.

   Et ayant la dicte Dame là dessus faict ung peu de pause, je
   luy ay dict, voyant que le temps estoit court, qu'à mon advis
   il y avoit de quoy louer et approuver, et de quoy plus la
   remercyer en sa responce, qu'il n'y avoit lieu d'y rien
   replicquer, et pourtant je la priois de passer oultre aulx
   aultres choses que je luy avois dictes.

   Elle a suivy qu'à son advis Vostre Majesté se contanteroit de
   l'élection qu'elle avoit faicte du comte de Wourchester, car
   estoit de mesmes mayson qu'elle, personnage nourry en la
   court, qui avoit esté uniquement aymé du feu Roy, son père, et
   lequel vous trouveriez très inclin à Vostre Majesté et prest à
   faire tout ce que vous voudriez, et vous accompaigner là où
   luy commanderiez, et estimoit que vous le recepvriez et
   favoriseriez ainsy qu'avez tousjours faict ceulx qu'elle vous
   avoit cy devant envoyez; que, d'adjouxter à la commission,
   qu'elle luy donroit du baptesme, celle du mariage, elle s'en
   trouvoit en quelque perplexité, parce que son ambassadeur ne
   l'avoit encores résolue des poinctz dont elle luy avoit,
   longtemps y a, donné charge qu'il s'en esclarcît avec la
   Royne, vostre mère; mais qu'avant le troysiesme de janvier que
   le dict comte partiroit, elle pourroit avoyr receu la responce
   de son ambassadeur pour luy en mettre quelque article en son
   instruction, ou bien le luy envoyeroit après; et qu'elle
   creignoit assez qu'encor que Voz Majestez dissent que les
   difficultez de l'extérieur, qui estoient ez personnes, fussent
   beaucoup amandées, que néantmoins celles de l'intérieur, qui
   restoient ez consciences et en la religion, ne se fissent de
   jour en jour plus grandes; dont voudroit de bon cueur qu'elles
   fussent vuydées: car y avoit apparence, comme je le luy avoys
   bien remonstré, qu'après ceste foys, l'on réputeroit que ce ne
   fût plus qu'entretènement et peyne perdue d'en parler.



CCXCIVe DÉPESCHE

--du IXe jour de janvier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Nouvelles assurances d'amitié de la part de la
    reine.--Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh, le comte de
    Sussex, et Mr Smith.--Préparatifs pour la Rochelle.--_Mémoire._
    Détails de l'audience.--Blessure du roi.--Retard apporté au
    départ du comte de Worcester.--Remerciemens d'Élisabeth sur
    l'offre faite par la reine de Navarre de tenir Madame en son
    nom sur les fonts de baptême.--Reprise de la négociation du
    mariage.--Défense faite en Angleterre de préparer des secours
    pour la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, il n'est possible de voyr une plus grande satisfaction que celle
que la Royne d'Angleterre a monstré de recepvoir les bons termes
d'amityé qu'il vous a pleu me commander luy tenir, et elle aussy, de
son costé, n'a layssé une seule sorte de bonnes parolles ny de bonnes
démonstrations, qu'elle n'en ayt uzé pour me tesmoigner que très
parfaictement elle vous y correspondît; chose qui seroit longue à
mettre icy, et suffira s'il vous plaist que je touche sommèrement
aulcunes responces qu'elle m'a faictes, que je joins dans un mémoire à
part.

Et après, elle m'a pryé de vouloir conférer du tout avec milord
trézorier, avec le comte de Sussex et avec Me Smith; qui pourtant nous
sommes retirés, toutz quatre à part. Et après qu'ilz ont eu paciemment
escouté la déduction des principaux poinctz, ilz ont monstré d'avoyr
très bonne inclination de satisfère, en tout ce qu'ilz pourront, à
Vostre Majesté.

Les françoys qui sont icy font tousjours quelque apprest d'armes, et
le cappitayne Poyet faict faire demy cent de longues harquebuses à
fourchette, mais semble qu'il s'en veult retourner à Fleximgues, car
il parle comme ayant charge du prince d'Orange; et les aultres font
bruict d'aller à la Rochelle; néantmoins ilz n'impètrent encores de
ceste court toutes les choses qu'ilz demandent. Je les observeray et
les feray observer, ainsy que me mandez, affin de vous advertyr de
leurs déportementz. Et sur ce, etc.

    Ce IXe jour de janvier 1573.


MÉMOIRE

   des choses que la dicte Dame m'a faict entendre.

   Quand à vostre blesseure[16], Sire, elle m'a dit que plusieurs
   occasions luy faisoient réputer peu heureuse l'année dont nous
   venions de sortir, mais que cest accident seul la luy faysoit
   réputer du tout malheureuse, car s'estoit imprimé que le coup
   d'espée n'avoit peu estre sinon fort grand, puisque le
   gentilhomme tiroit à tuer le sanglier; et que de nul présent
   plus précieulx pourroit estre elle estrénée à ce nouvel an,
   que de l'assurance que luy donniez que cella s'estoit passé
   sans dangier, dont elle en louoit et remercyoit Dieu de bon
   cueur; et cella seroit cause de quoy elle jouyroit plus à
   plein le grand plésir qu'elle avoit aussy receu d'entendre
   que la Royne, vostre mère, fût entièrement bien guérye de son
   rume: qui vous supplioit toutz deux de croyre qu'elle ne
   pouvoit ouyr qu'il vous advînt, et aulx vostres, si peu de mal
   qu'elle n'y participât incontinent, avec aultant de douleur
   comme s'il touchoit à elle mesmes;

   Et, au regard de faire promptement partir le comte de
   Wourchester, qu'elle vous suplioit d'excuser ung peu, s'il
   n'estoit desjà en chemin, parce qu'elle l'avoit mandé venir en
   poste; et il luy avoit esté besoing de renvoyer jusques en sa
   mayson, qui est en Galles bien loing d'icy, pour quérir ses
   gens, son équippage et aucuns de ses parans qu'il vouloit
   mener en sa compagnie, mais qu'elle le feroit partyr dans
   troys jours sans faillir, bien que aulcuns luy avoient voulu
   dire qu'il ne seroit assuré, et que d'aultres eussent voulu
   songer que messieurs de Guyse le feroient arrester pour ravoyr
   la Royne d'Escoce, ce qui n'avoit esté sans qu'elle eût
   monstré que non seulement elle mesprisoit, mais qu'elle avoit
   en hayne toutz les advis qu'on luy donnoit pour luy ingindrer
   doubte ou souspeçon de la foy et amytié de Vostre Majesté;

   Qu'elle n'avoit parolles assez expresses pour vous remercyer
   aultant qu'elle debvoit, et la Royne, vostre mère, de
   l'honneur et faveur que luy faysiez, et que luy fesiez faire
   par la Royne de Navarre, qu'elle deignât tenir pour elle la
   petite Madame, de quoy elle se santoit vous en avoyr, et à
   elle, une très grande obligation, et que son desir doncques
   seroit de l'en suplier; néantmoins, voyant que l'Impératrix
   vouloit que son depputé mesmes tînt pour elle, qu'elle
   adviseroit, avec son conseil, comme en debvoir uzer, affin
   qu'il ne s'y trovât manquement ny diversité de sa part; et ne
   pensoit pas, quoy que aulcuns escruppulleux luy eussent voulu
   remonstrer au contrayre, que sa conscience ny celle du comte
   peussent estre intéressez que luy mesmes pour elle intervînt
   en ce sainct acte; et, quand à adjouxter son nom à celluy de
   l'Impératrix, pour en faire dénommer de toutz deux leur petite
   fillieule, que cella luy faysoit cognoistre combien Voz
   Majestez avoient soing de n'obmettre aulcune sorte d'honneste
   respect que n'essayssiez de l'en gratiffier; ce qui luy
   donnoit occasion d'estre pareillement respectueuse vers tout
   ce qu'elle cognoistroit à jamais servir à vostre grandeur et
   réputation:

   Au regard de donner ample instruction au dict sieur comte pour
   résouldre Voz Majestez du propos du mariage, qu'elle mettroit
   peyne de le faire avec des conjectures, néantmoins, dont elle
   seroit contreinte d'uzer, que, si Voz Majestez luy parloient
   en une sorte, qu'il vous ayt à respondre sellon celle là; et
   si aultrement, aultrement; veu qu'elle n'avoit peu estre
   encores esclarcye par son ambassadeur de certeins poinctz de
   la religion, qu'elle luy avoit commandé d'en parler à la
   Royne, vostre mère, laquelle ne luy avoit voulu respondre,
   sinon que, quand elles deux se verroient, elles s'en
   sçauroient bien accorder entre elles; et que, ne se parlant, à
   ceste heure, plus de l'entrevue, il falloit qu'on regardât ung
   peu à ce poinct, ny ne vouloit advouer, sur ce que je luy
   disois que Monseigneur le Duc se pourroit contanter de ce
   qu'elle avoit voulu concéder à Monsieur, frère de Vostre
   Majesté, pour l'exercice de sa religion, qu'elle luy en eût
   voulu rien concéder, puisque rien il n'en avoit voulu
   accepter, et qu'elle se vouloit bien garder de ne se trop
   haster, affin de ne broncher là où elle avoit cuydé trébucher
   l'aultre foys; et que son ambassadeur se trouvoit si estonné
   d'avoyr trop espéré le premier mariage, qu'encor qu'il ne
   desirât pas moins ce segond, si ne trouvoit elle qu'en pas une
   de ses lettres il ozât encores assurer que Voz Majestez, à bon
   esciant, aient une ferme dellibération de l'effectuer;

   Que ce qui s'estoit parlé, entre elle et le Sr de Mauvissière,
   de Monseigneur le Duc, qu'il pourroit faire ung voyage à la
   desrobée jusques icy, que cella s'estoit dict, plus sur
   l'occasion de leur propos, que non qu'elle l'eût mis en avant
   elle mesmes, car avoit tousjours remis cella à ce que Vostre
   Majesté et la Royne, vostre mère, jugeriez que seroit
   honnorable pour luy de faire;

   Et qu'elle vous remercyoit, le plus qu'elle pouvoit, de
   l'offre que luy fesiez qu'après les difficultez vuydées et les
   choses réduictes à quelque bon accord, que Voz Majestez
   mettroient lors peyne de luy satisfaire, et de luy defférer,
   et luy uzer beaucoup de respectz; qu'elle n'avoit garde d'en
   desirer jamais de plus grandz qu'elle ne debvoit, ny qui ne
   fussent égallement honnorables à Monseigneur le Duc et à la
   couronne dont il est, qu'ilz le pourroient estre à elle et à
   la sienne; et que, de tenir les choses en longueur, c'estoit
   ce qu'elle vouloit surtout éviter, et croyoit bien que Voz
   Majestez et toute la Chrestienté jugeoient assez d'où
   procédoit, à ceste heure, le retardement;

   Au regard de ce que j'avois entendu que quelques ungs armoient
   en ce royaulme pour nuyre à voz subjectz, qu'elle me prioit de
   ne le vouloir aulcunement croire; car c'estoit chose qu'elle
   avoit expressément deffendu; et avoit mandé à toutz les
   gardiens de ses portz qu'ilz missent ordre de l'empescher;
   dont elle me pouvoit assurer que, des principaulx lieux et
   hâvres de son royaulme, il n'en sortiroit rien, de quoy
   j'eusse cy après occasion de me pleindre; mais qu'à la vérité
   la mer estoit desjà si pleine de pirates, et il y avoit tant
   de petits lieux et criques cachées le long de la coste de
   deçà, qu'elle n'y sçauroit mettre l'ordre qu'elle vouloit;
   mais que ce n'estoit que larrons de mer, lesquelz il failloit
   que le premier qui les pourroit prendre les fît pendre;

   Que, touchant ce que Mr le baron de La Garde escripvoit, de
   douze vaysseaulx angloys qui s'estoient esforcés d'entrer au
   port de la Rochelle, et favoriser ceux qui y portoient des
   vivres, qu'elle sçavoit bien la responce que son ambassadeur
   avoit faicte là dessus, que, s'il y eut eu douze bons navyres
   angloys, l'on ne les eût pas légièrement empeschés d'aller là
   où ilz eussent voulu; et cuydoit, à la vérité, que ce n'en
   estoient poinct; néantmoins, puisque le dict Sr de La Garde le
   mandoit, et, sur ce qu'il se pleignoit d'aucuns aultres
   angloys qui, avec mes passeportz, que je leur avoys baillé
   pour aller à Bourdeaulx, s'estoient voulu couler dans la dicte
   ville, qu'elle s'en feroit enquérir pour les faire toutz
   rigoureusement punir, ainsy qu'elle estoit après à faire
   chastier ceulx qui avoient mené des angloys à Fleximgues, sans
   qu'elle l'eût ordonné; et qu'elle vous prioit prendre ceste
   seurté d'elle qu'elle ne secourra en façon du monde les dicts
   de la Rochelle, et que mesmes l'on luy avoit dict que troys
   des habitans estoient par deçà qui proposoient d'en admener
   deux navyres chargés de greins et de vivres; mais que, s'ilz
   s'attandoient à cella, ilz endureroient longtemps la feim.

  [16] Cette blessure, reçue par le roi à la chasse, était
  très-légère.

Et après, la dicte Dame est venue à quelques particullaritez que je
luy avoys touchées d'une lettre que la Royne d'Escoce m'avoit
escripte, en quoy elle m'a parlé assez aygrement.



CCXCVe DÉPESCHE

--du XVe jour de janvier 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Départ du comte de Worcester avec charge de traiter du
    mariage.--Négociation des Pays-Bas.--_Mémoire._ Réclamation du
    vidame de Chartres et des Srs Pardaillan et Du Plessis contre
    l'ordre du roi qui leur enjoint de rentrer en
    France.--Disposition du comte de Montgommery à faire sa
    soumission.--Nouvelles de la Rochelle; préparatifs faits
    secrètement en Angleterre pour secourir cette ville.


    AU ROY.

Sire, le comte de Vourchester a esté retardé jusques aujourdhui XVe,
qu'on a achevé de le dépescher, et, après m'estre venu dire l'adieu en
mon logis, il s'est mis incontinent sur la Tamise. Il s'en va pourveu
d'une très bonne intention vers ces deux royaulmes, et d'une bien
ample commission, ainsy qu'il m'a dict, de sa Mestresse, pour traicter
avec Voz Majestez du poinct de l'allience qui se recherche maintenant
entre vous; qui sont deux choses, lesquelles je m'assure, Sire,
qu'avec la considération des aultres bonnes et grandes qualités
siennes, vous le feront avoyr agréable.

L'on attand tousjours icy en grande dévotion la responce du duc d'Alve
sur l'accord des différandz des Pays Bas, et semble que, si elle
n'arrive dans le caresme prenant, que ceulx cy veulent prendre quelque
aultre expédiant. Je desire, de plus en plus, Sire, que faciez
bientost partir le Sr de Vérac pour Escoce, car j'entendz que les deux
praticques, de mettre le Prince d'Escoce ez meins de la Royne
d'Angleterre, et le chasteau de Lislebourg ez meins du comte de
Morthon, se poursuyvent fort à l'estroict; et me vient l'on
d'advertyr que le Sr de Quillegreu est arrivé depuis deux jours pour
cest effect en ceste ville, et qu'il se tient caché au logis de milord
trézorier, son beau frère. L'on offre de grosses sommes pour cella.
J'ay escript à ceulx du dict chasteau la bonne provision que Vostre
Majesté a ordonné pour les affères du dict pays, et qu'ilz auront
bientost par dellà de voz nouvelles, si desjà elles ne sont arrivées.
Et sur ce, etc. Ce XVe jour de janvier 1573.


MÉMOIRE.

   Mr le vidame de Chartres et les Srs De Pardaillan et Du
   Plessis me sont venuz faire une grande pleincte, me
   remonstrantz qu'en nul temps il n'avoit esté veu qu'on eût
   jamais accusé l'absance d'aulcun, qui eût voulu fouyr bien
   loing pour éviter la persécution de sa religion; et qu'ilz
   vous suplient très humblement que, veu qu'il estoit bien cognu
   à Vostre Majesté qu'ilz n'estoient passez en ce royaulme,
   lequel est maintenant de vostre alliance, sinon pour céder à
   l'extrême violence qui s'exerçoit indifféremment en France
   contre ceulx de leur religion, et pour seulement deffendre,
   avec la fuyte, leurs vyes, affin de n'estre veus rebelles
   s'ilz se joignoient avec ceulx qui monstrent de la vouloir
   deffandre par les armes, qu'il fût vostre bon plésir ne
   vouloyr permettre qu'ilz soient notez du nom infamme de
   rébellion.

   J'ay respondu que, par vostre dernière déclaration, du VIIe de
   décembre, il leur estoit pourveu d'une si bonne seureté, en
   leurs maysons, qu'ilz ne se pouvoient excuser d'y retourner.

   Ilz m'ont réplicqué qu'il y en avoit si peu que, naguyères,
   l'on avoit esté bien près, à Roan et à Paris, de recommancer
   une aultre émotion sur ceulx qui restoient de leur religion,
   sans que la justice eût fait semblant de s'y ozer oposer.

   Sur quoy, voulantz mener les propos plus avant, non sans
   quelque altération entre nous, je leur ay résoluement déclaré
   que je ne me pouvois rétracter de chose que j'eusse dicte, car
   c'estoit, sellon la charge que j'en avoys, par commandement
   exprès de Vostre Majesté; mais, pour ne les désespérer, je
   leur ay dict que je vous feroys très volontiers entendre ce
   qu'ilz m'alléguoient, dont m'ont prié de le vouloir accepter
   par escript, et le faire ainsy tenir à Vostre Majesté.

   Et puis le dict Sr Vidame, à part, m'a dict que le comte de
   Montgommery offroit que, si j'avois à luy faire entendre
   quelque chose, en particullier, de Vostre Majesté et de la
   Royne, vostre mère, ou de Messeigneurs voz frères, qu'il
   viendroit parler, avec tout respect, à moy, pour ouyr voz bons
   commandementz.

   Je luy ay respondu que, en brief, j'attandoys une vostre
   dépesche, et que, s'il y avoit quelque chose qui le concernât,
   je le luy ferois incontinent sçavoyr.

   Il semble que, depuis quatre jours, soit arrivé ung vaisseau
   de la Rochelle, et qu'il rapporte que Mr de La Noue s'en est
   retourné sans rien fère, et que mesmes il a esté tenu de bien
   court dans la ville, non sans danger de sa personne. Et, de
   tant que ceulx des habitans, qui sont icy, voyent bien que la
   continuelle instance, que je fay contre eulx, leur pourroit
   donner quelque empeschement en leurs affères, ilz trouvent
   moyen d'attitrer des marchandz angloys, qui ont accoustumé de
   trafficquer des mesmes choses qui leur sont besoing, et par
   ceulx là ilz font leur emplète, et puis les font embarquer en
   lieux escartés; de sorte qu'il est très difficille d'y trouver
   remède. Et mesmes semble que la Royne d'Angleterre, ny ceulx
   de son conseil ne l'y sçauroient mettre, sans y procéder par
   quelque bien extraordinayre voye; ce que, pour ne leur toucher
   l'affère de si près, il n'y a pas grand apparance qu'ilz le
   facent, ny qu'on les en doibve trop presser.

   Néantmoins, de tant qu'il est certein qu'il coulera tousjours
   d'icy quelque rafraychissement, a la desrobbée, aux dicts de
   la Rochelle, il ne sera que bon que Mr de La Garde n'espargne
   pas les navyres angloys, qu'il trouvera, qui en abuseront;
   pourveu qu'il garde que, soubz tel prétexte, l'on ne traicte
   mal ceulx qui yront ailleurs pour exercer leurs commerces: car
   il se pourroit, à la fin, peu à peu fère une si bonne masse au
   port de la Rochelle, qu'elle ozeroit bien aller rencontrer voz
   gallères. De quoy il s'en faict desjà quelque bruict; et que
   mesmes les dicts de la Rochelle se veulent résouldre de
   n'attandre pas que l'armée de terre approche de leurs
   murailles, ains qu'ilz yront se retrancher le plus loing
   qu'ilz pourront pour l'arrester, mesmement, s'il ne vous vient
   poinct de Suysses, comme ilz en ont quelque espérance.

   Il y a des cappitaynes de mer angloys, lesquelz, ayantz armé
   des navyres soubz l'espérance de la guerre qui se feroit pour
   secourir ceulx de la Rochelle, ne pouvantz maintenant obtenir
   congé d'y aller, veulent vendre leurs navyres. Et ung d'entre
   eulx m'a faict dire qu'il vendra très volontiers le sien à
   Vostre Majesté: dont, pour garder qu'il n'en accomode les
   dicts de la Rochelle, ny ceulx qui s'en pourroient servir à
   nuyre à voz subjectz, je luy ay mandé que je le vous
   escriprois, et que je luy en feroys avoyr bientost responce,
   ce qui, possible, induyra les aultres d'en fère de mesmes;
   dont vous plerra m'en mander vostre intention.



CCXCVIe DÉPESCHE

--du XXIIe jour de janvier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Négociation du comte de Worcester.--Armemens faits par les
    protestans pour secourir la Rochelle.--Armemens faits par la
    reine d'Angleterre; doutes sur le but qu'ils peuvent
    avoir.--Dessein des Anglais de s'emparer du prince
    d'Écosse.--Bonne disposition du conseil en faveur de la France.


    AU ROY.

Sire, puisque le comte de Worcester est maintenant devers Vostre
Majesté pour accomplir, le plus honnorablement qu'il pourra, la charge
de tenir pour la Royne, sa Mestresse, la petite Madame sur les sainctz
fontz de baptesme, il sera bon de tirer encores de sa légation le plus
d'utilité qu'il sera possible pour le bien de vos affères; dont, s'il
vous plaist, et à la Royne, vostre mère, de traiter bien à fondz
avecques luy et avec Mr de Vualsingam du propos de Monseigneur le Duc,
il m'a fort assuré qu'il a fort ample commission d'y entendre, et
mesmes de ne partir d'auprès de Vostre Majesté, si la négociation
prent bon train, qu'il ne la voye réduicte à quelque bonne conclusion.
Par ainsy, Sire, il est expédiant de convenir avec eulx, en propres
parolles et bien expresses, du poinct de la religion, car ilz
s'attandent que Voz Majestez, premier qu'ilz s'advancent d'en rien
dire, leur en facent ouverture par quelque bonne responce sur les
précédantes propositions que le dict de Valsingam dict qu'il en a
desjà, de longtemps, faictes à la Royne; en quoy semble qu'elle luy
peut demander qu'il ayt à répéter ce qu'il estime luy en avoyr
proposé, et par là en attacher si bien la praticque que toutes les
difficultés s'en puissent facillement esclarcyr.

Le comte de Montgommery a esté appellé ces jours passez à la court, où
son frère, Mr de St Jean, qui est arrivé icy le dix huictiesme de ce
moys, l'a trouvé, lequel vous comptera tout ce qui s'est passé entre
eulx; et nonobstant que ceulx de la Rochelle ne soient ouvertement
ouyz par la Royne, ny de ceulx de son conseil, en leurs instances,
elles sont toutesfoys secrettement reçues par aulcuns aultres qui
peuvent assez, et hier est huict jours qu'il se tint ung conseil en
une mayson privée de ceste ville sur les moyenz de pouvoir secourir la
dicte ville; dont, de plusieurs propos irrésolus, qu'on m'a rapporté y
avoyr esté tenus, semble qu'il se peut colliger ceste résolution, que,
par tout le moys de febvrier, se pourront mettre ensemble trente cinq
ou quarante navyres de ceulx de Fleximgues, et qu'il se ramassera
bien, entre françoys et vualons, et aulcuns angloys désadvouez,
jusques à troys mille hommes en tout; lesquelz de divers endroitz
couleront facillement ez dicts navyres: et qu'avec cella
s'entreprendra de mettre ung rafreschissement d'hommes et de vivres,
et de monitions, dans la ville, non sans quelque dellibération de
vouloir combattre vostre armée de mer, si l'occasion s'y présente, et,
quoy que soit, de la forcer, si elle entreprend de leur empescher le
passage.

En quoy ma souspeçon devint plus grande de ce que j'ay sceu que la
Royne d'Angleterre a faict présant d'ung navyre de six centz
tonneaulx, et de deux aultres de cent cinquante tonneaulx chacun, à
son admiral, qui a donné incontinent le grand à son filz, et les deux
aultres à deux gentilshommes ses parans; et si, a baillé commission à
neuf ou à dix aultres gentilshommes, de bonne qualité, d'en armer
chacun ung, pour estre prestz dans la fin du prochein moys de
febvrier, ce que je puis bien interpréter se faire pour d'aultres
considérations, mesmement pour se pourvoyr contre le Roy d'Espaigne;
duquel ilz se sont formés une récente peur, parce qu'on leur a
rapporté qu'il faict préparer ung grand équippage de mer en Biscaye
pour passer luy mesmes en Flandres, et qu'ilz n'ont receu la responce
ainsy bonne, comme ilz l'attandoient, du duc d'Alve sur l'accord de
leurs différendz; ou bien qu'ilz veulent fère quelque secours au
prince d'Orange et aux habitans de Holande et Fleximgues, desquelz ilz
ont ordinayrement leurs députés avec eulx qui, à ce qu'on dict,
n'offrent rien moins que de soubmettre volontairement les deux isles à
la perpétuelle protection de la couronne d'Angleterre, et d'y establir
présentement l'authorité de ceste princesse partout;

Ou bien que c'est pour entendre aulx choses d'Escoce, desquelles l'on
m'a confirmé que le Sr de Quillegreu a véritablement esté troys jours
entiers en la mayson de milord trézorier aulx champs, et s'en est
retourné le XVIIIe du présent pour parachever la praticque de
recouvrer par deçà le Prince d'Escosse, par l'entremise des
gentilshommes qui ont la garde de sa personne, et mesmement de celluy
qui entrera en quartier à ce prochein mars, y tenant la mein le comte
de Morthon. Et, pour cest effect, il emporte dix mille escus, et y en
sera employé jusques à cent mille, s'il est besoing; joinct qu'on
dict que les principaulx de la noblesse d'Escoce monstrent de se
vouloir départir de l'intelligence du dict de Morthon, et que ceulx du
chasteau de Lillebourg ont commancé de canonner dans la ville, et y
ont tué le cappitaine Hacman et ung aultre gentilhomme, parce
qu'icelluy de Morthon a prins prisonnier milord de Sethon: ce que, si
ainsy est, ceulx cy font bien leur compte que les armes se reprendront
par dellà, incontinent après le dernier de ce moys; dont veulent estre
pourveus, et vont couvrant, plus qu'ilz ne firent onques, et
dissimulant leurs dellibérations.

Néantmoins, Sire, je veulx, par plusieurs conjectures, et encores par
quelques advis, présumer que ce qui se prépare maintenant en ceste mer
estroicte tend tout au faict de la Rochelle comme à ung affère qui est
présent, et lequel tient toutz aultres affères, du costé de deçà, en
grand suspens; dont je vous suplie très humblement, Sire, en faire
advertyr Monsieur, frère de Vostre Majesté, affin qu'il y pourvoye si
bien qu'il ne puisse estre ny empesché ny surprins d'aulcun accidant.
Et cependant par une ouverte et franche négociation avec les
ambassadeurs de ceste princesse, Voz Majestez pourront essayer de
remédier à ces choses, ou aulmoins de les divertir, affin qu'elles ne
puissent empescher l'heur de voz affères, ny retarder la victoire de
Mon dict Seigneur; ce que j'estime ne sera trop difficille à conduyre,
car milord trézorier m'a mandé que, si le comte de Worcester trouve
que vous soyez ainsy bien disposez, devers ceste princesse, comme je
me suis efforcé de le leur persuader, qu'il ne fault doubter que les
choses n'aillent aussy bien, entre Voz Majestez et vos deux couronnes
et subjectz, comme vous le pourriez desirer. Sur ce, etc. Ce XXIIe
jour de janvier 1573.



CCXCVIIe DÉPESCHE

--du XXVe jour de janvier 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par un marchand de Londres._)

   Résolution des protestans de hâter l'expédition de leurs
   secours pour la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, suyvant ce que je vous ay mandé, du XXIIe du présent, que la
résolution avoit esté prinse icy entre quelques particulliers de
secourir la Rochelle, j'ay à vous dire maintenant qu'ilz préparent à
furie d'en exécuter promptement l'entreprise sans la vouloir différer,
ny à la fin de febvrier, ny au commancement de mars, comme ilz
l'avoient une foys pensé, parce qu'ilz se persuadent qu'estant desjà
Monsieur devant la place, il se pourroit bien fère, ayant avec luy
Monseigneur le Duc, et aultres princes, et bon nombre de grandz
cappitaines, et une brave armée, qu'il la forçât par sa dilligence et
valeur beaucoup plus tost qu'ilz ne peussent y avoyr pourveu. Dont
tout ce qui estoit de pirates, au long de la coste plus procheyne
d'icy, a faict desjà voylle vers le cap de Cornaille, et les françoys,
qui estoient en ceste ville, s'y retirent toutz pour s'y aller
embarquer, car c'est la poincte plus voysine de la Rochelle; sinon
aulcuns des principaulx qui ne bougent encores. Et je voy bien, Sire,
par les allées et venues que font aulcuns cappitaines de mer angloys
en ceste court, qu'ilz veulent estre de la partye, de quoy je ne
faudray d'en aller porter pleincte au premier jour.

Il ne se parle de rien plus chauldement en ce royaulme que de secourir
les dicts de la Rochelle, et ce qui eschauffe davantage les Angloys à
vouloir ayder l'entreprinse, est qu'il vient ordinayrement des lettres
et nouvelles du dict lieu, par lesquelles l'on mande que, s'il se peut
présenter quelques forces vers la Guyenne en faveur de ceulx de la
religion, qu'indubitablement il s'y suscitera une fort grande révolte,
et qu'il s'y pourra facillement reconquérir bonne partye du pays, que
les dicts de la religion y avoient occupé aux derniers troubles. En
quoy, pour se pouvoir prévaloir d'une si bonne occasion, si,
d'avanture, elle se offroit, l'on m'a adverty qu'il a esté mandé, vers
le quartier d'Ouest, de tenir prestz dix mil hommes et mille chevaulx,
des mieulx choysis d'Angleterre. Et sur ce, etc.

    Ce XXVe jour de janvier 1573.



CCXCVIIIe DÉPESCHE

--du IIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo_).

  Audience.--Insulte faite en mer au comte de Worcester.--Plaintes
    contre les pirates et contre les armemens destinés pour la
    Rochelle.--Vives assurances de la reine que les pirates seront
    réprimés, et qu'elle interdira à ses sujets de porter aucun
    secours à la Rochelle.--Protestation de dévouement au roi
    faites par les chefs des protestans français réfugiés à
    Londres.


    AU ROY.

Sire, pendant que j'ay heu ainsy suspectes les allées et venues
d'aulcuns particulliers de ce royaulme en ceste court, à cause qu'ilz
s'esforçoient de persuader à la Royne d'Angleterre qu'elle se deût
entremettre des affères de ceulx de la Rochelle, en leur baillant
quelque assistance soubz mein; et qu'ilz luy remonstroient que, si
elle vous layssoit venir à bout, comme vous voudriez, de ceulx de sa
religion en vostre royaulme, qu'indubitablement vous passeriez
bientost oultre à poursuyvre la mesme cause par deçà, suyvant la
promesse qu'en aviez desjà jurée au Pape, conjoinctement avec le Roy
d'Espaigne, ainsy qu'ilz sçavoient très bien par des advis bien seurs,
qu'on leur en avoit mandé de France, de Flandres et d'Allemaigne, et
encores plus expressément de ceulx qui leur estoient venus de Rome, et
que l'entreprinse se feroit soubz couleur de secourir la Royne
d'Escoce; de quoy l'impression n'en estoit petite en l'esprit de ceste
princesse, j'ay prins argument d'aller trouver ceste princesse par
prétexte de me vouloir pleindre à elle du meschant et malheureux tour
qui a esté faict au comte de Worcester.

Et, après l'avoyr supliée que, de tant que toutes les sortes de
respect que les hommes doibvent à Dieu, aux princes et au droit des
gens, avoient esté violés en cest endroict, et que l'outrage touche
conjoinctement Vostre Majesté et elle, qu'il luy pleût commander d'en
estre faict une si dilligente poursuyte que les autheurs d'ung si
exécrable excès n'en demeurassent impunis[17]. J'ay suivy à luy dire
qu'elle se pouvoit bien souvenir comme, à ma dernière audience, elle
m'avoit promis de fère donner quelque bon ordre contre ces pirates; et
depuis, les seigneurs de son conseil me l'avoient aussi confirmé; mays
tant s'en falloit qu'il y eût esté pourveu que, au contrayre,
j'entendois que le nombre en augmentoit toutz les jours, et que, en
divers portz de ce royaulme, se faysoit une grande dilligence, par
des françoys et flammans fuytifz, d'armer des vaysseaulx, et mesmes
aulcuns des meilleurs capitaines de mer angloys, et nomméement maistre
Hacquens et aultres apprestoient les leurs pour aller toutz ensemble,
ainsy que bruict en couroit, faire la guerre aulx papistes françoys,
et n'en laisser pas ung sans le piller, et jetter les hommes dans la
mer, et aller combatre voz gallères et aller avitailler la Rochelle,
et, en somme, nuyre à Vostre Majesté en tout ce qu'ilz pourroient. Qui
estoit chose que vous ne pouviez ny vouliés espérer d'elle, et qu'il
ne se pouvoit pas fère qu'elle vous peût compter pour si principal
amy, comme vous luy estiez, s'il vous advenoit que de son royaulme
sortissent actes si ennemys comme seroit de troubler la navigation et
le commerce à voz subjectz, et de s'esforcer de donner empeschement à
la réduction d'une vostre ville; dont, de tant que j'estoys constitué
icy procureur de vostre mutuelle amityé, je luy voulois bien dire
qu'il yroit en cella, si les choses passoient oultre, de ropture
d'icelle, et de l'infraction du traicté; et que je la suplioys ne
trouver maulvais si je me oposois, aultant qu'il m'estoit possible,
qu'il ne se fît pas.

  [17] Le navire qui portait le comte de Worcester en France avait
  été attaqué, et ce n'était qu'à grand' peine que le comte avait
  pu parvenir à s'échapper.

La dicte Dame, d'une fort bonne et agréable façon, m'a respondu
qu'elle pensoit que le seul bonheur de l'occasion, pour laquelle elle
vous dépeschoit le comte de Worchester, laquelle estoit saincte et
privilégiée envers Dieu, et le debvoit estre envers les hommes,
l'avoient ainsy préservé de ce grand dangier, et espéroit que, maulgré
toutz empeschementz, vous vous trouveriez satisfaict d'elle et servy
du dict comte en ce que vous desiriez; et que de tant que l'outrage,
qui luy avoit esté faict, touchoit fort à elle, qu'elle ne permettroit
qu'on en délayssât jamais la poursuyte, jusques à ce que la punition
s'en fît à bon esciant, comme aussy elle vous prioit, parce que vous y
estiez de mesmes intéressé, que, si l'acte procédoit de quelque lieu
de vostre obéyssance, ainsy qu'on le souspeçonnoit, qu'il vous pleût
ne le laisser impuny, et que, quand le cas seroit davantage vériffié,
qu'elle le vous feroit entendre; que cella faysoit assez de foy que
les pirates n'avoient guyères d'intelligence avec elle, et que, oultre
l'ordre que, à mon instance, elle avoit mandé donner en cella pour
bien les réprimer, qu'elle avoit mandé, de rechef, qu'il y fût très
soigneusement pourveu;

Et, quand à debvoir sortir quelque empeschement de ce royaulme à voz
subjectz en leur commerce et navigation de ceste mer, et pareillement
à Vostre Majesté en la réduction de la Rochelle, qu'elle vous suplioit
de demeurer mieulx persuadé d'elle que cella; et que, tant qu'il vous
playroit luy garder l'amityé, qu'elle la vous rendroit de son costé la
plus parfaicte et entière que prince ny princesse que vous heussiez en
toute vostre alliance; et qu'elle ne sortiroit, pour chose qui peût
advenir, de ce qui estoit droict et juste vers vous, si vous ne
deveniez injuste vers elle, ce qu'elle ne vouloit si mal espérer des
promesses et sèrement que luy avez faictz, bien qu'on luy avoit voulu
persuader le contrayre; et qu'elle ne pensoit pas que pas ung fût si
hardy d'ozer mettre hors d'aulcun port de ce royaulme aulcung appareil
qui fût pour vous aller nuyre; car elle l'avoit trop expressément
deffandu: ny Me Hacquens n'avoit aulcune hayne aulx Françoys, mais
bien l'avoit fort grande aulx Espaignolz, qui l'avoient fort
maltraicté; et pourveu qu'il se gardât d'offancer le Roy d'Espaigne,
car cella ne luy comporteroit elle jamais, elle ne seroit pas marrye
qu'il se peût venger de ceulx qui l'avoient oultragé.

Et, après aulcunes aultres bien honnestes responces, qui concernoient
d'aultres poinctz que je luy avoys proposés, lesquelz seroient longs à
mettre icy, elle s'est mise à discourir du voyage de Monsieur et de
Monseigneur le Duc, frères de Vostre Majesté; et qu'elle s'esbahyssoit
comme vous les vouliez hasarder toutz deux à une mesmes entreprinse,
ou bien qu'elle pensoit qu'ilz s'estoient volontayrement ainsy
absentés, l'ung et l'aultre, pour ne voyr poinct son depputé quand il
arriveroit; et que cependant Mr le cardinal de Lorrayne estoit de
retour, avec déclaration, pour la Royne d'Escoce, qu'elle puisse
prendre encores ung aultre mary.

A quoy je n'ay manqué de réplicquer là où j'ay cognu en estre besoing,
et elle m'a bien fort gracieusement licencié.

Or, estoit Mr le comte de Montgommery présent, quand j'ay parlé à la
dicte Dame, mais n'a faict semblant de nous voyr ny de nous saluer,
tant y a que Mr le vidame et les Srs de Pardaillan et Du Plessis, qui
sont venus communicquer avecques moy, m'ont signiffié que le dict
comte et eulx, et toutz les gentilshommes qui sont icy, ont ung
singullier desir d'estre remis en vostre bonne grâce; et le dict sieur
vidame se promet de fère en sorte que vous cognoistrez, Sire, qu'il
n'aura employé ce temps, qu'il est absent, qu'à vous fère tant de
service qu'il le puisse mériter. J'espère bien que de ceste
négociation viendra quelque changement, ou aulmoins quelque
suspencion, ez dellibérations qui se faisoient par deçà. Et sur ce,
etc.

    Ce IIe jour de febvrier 1573.



CCXCIXe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Crainte que les Anglais ne préparent secrètement quelque
    entreprise contre la France.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, au sortir de dîner, le jour du mardi gras, milord trézorier et
les comtes et seigneurs de ce conseil, après m'avoir rendu plusieurs
grandz mercys de la bonne chère, et m'avoir faict une fort privée et
ouverte démonstration de beaucoup de contantement, ilz m'ont dict que,
pour ne rompre l'ancienne observance du jour, laquelle estoit de ne
l'employer qu'à banqueter et se resjouyr, ilz se vouloient bien garder
de traicter d'aulcune chose avecques moy, qui eût apparance d'estre
guyères sérieuse, et pourtant qu'ilz remettroient, jusques à deux ou
troys jours de là, de me respondre aulx querelles que je leur avoys
faictes le XXVIIIe du passé; et ne me mouveroient celles qu'ilz
avoient aussy à me fère sur aulcunes inconsidérations qu'on avoit
naguyères uzées à Roan vers aulcuns angloys; seulement ilz me
vouloient dire que la Royne, leur Mestresse, après ma dernière
audiance, estoit demeurée si irritée contre les pirates, pour
l'outrage faict au comte de Worcester, qu'elle avoit résolu d'en
nétier la mer, dont avoit commandé qu'il fût mis promptement III bons
navyres dehors pour les aller chasser de toutes les rades et costes de
deçà, ce qui seroit faict dans sept ou huict jours. Sur quoy voyant
qu'ilz avoient prescrit l'ordre de ne me vouloir travailler d'affères
parce que j'estois leur hoste, je ne les en voulus ennuyer à eulx
parce qu'ilz estoient les miens, et ainsy a esté remis de traicter de
toutes noz négociations à quand j'yray trouver, la première foys, la
Royne, leur Mestresse, à Grenvich. Or, Sire, ces troys navyres sont
ceulx, que je vous ay desjà mandé, qu'elle avoit donnés à son admiral,
lesquelz, parce qu'ilz avoient esté destinés à ung aultre effect, je
souspeçonne fort que le prétexte de chasser les pirates sera de les
envoyer toutz à la Rochelle, ou bien à fère la surprinse de quelque
lieu le long de la coste de Normandye de Bretaigne, ou de Guyenne,
s'ilz le trouvent mal gardé. Car à voyr les dilligences d'aulcuns
malcontantz qui sont icy, et leurs ordinayres sollicitations en court,
les armes et monitions qu'ilz acheptent, le nombre de grandes
harquebuzes à forchette qu'ilz font forger, les navyres de guerre
qu'ilz louent et marchandent, les hommes qu'ils entretiennent, et la
presse qu'ilz leur font toutz les jours de se tenir pretz, et mêmes
qu'ilz vont praticquant les soldatz, tant angloys que françoys,
aussytost qu'il en arrive ung en ceste ville, ainsy qu'ilz sont après
à suborner quatorze ou quinze françoys qui viennent d'Escoce (mais je
leur ay obtenu passeport, et baillé quelques deniers pour se retirer à
Dieppe), il est aysé à juger qu'ilz ont quelque desseing non petit, et
qui est fort prest d'estre bientost exécuté. En quoy semble qu'il ne
faut non seulement avoyr l'euil sur l'object de la Rochelle, car
estiment qu'elle n'est pour estre forcée de longtemps, mais que, s'il
leur reste quelque moyen de vous apprester de la besoigne ailleurs,
qu'ilz ne faudront de l'essayer affin de divertir le siège du dict
lieu de la Rochelle.

Il est arrivé ung courrier d'Escoce depuys troys jours, duquel l'on ne
publie les nouvelles qu'il a apportées de dellà, mais quelqu'ung, qui
en a descouvert quelque chose, m'a mandé que le capitaine Granges et
Ledington, encor que milord de Morthon poursuive opiniastrément de les
resserrer par une tranchée qu'il a faicte devant le chasteau de
Lillebourg, qu'ilz se maintiennent néantmoins fort bravement contre
luy, et monstrent de creindre bien peu ses effortz; que ce que le dict
de Morthon traictoit de bailler le Prince d'Escoce aux Angloys, ainsy
qu'il a esté sur le poinct de le consigner, cella a esté esventé par
quelque lettre que j'avoys escripte d'icy; dont semble que
l'entreprinse reste maintenant fort éloignée, nonobstant que les
cinquante mille escus de la convention soient desjà sur les lieux, car
les Escouçoys disent qu'ilz mourront plustost très-toutz que de
souffrir qu'on le transporte hors du pays; qu'il estoit bruict que le
frère du dict Granges estoit arrivé à Abredin avec le Sr de Vérac. Sur
ce, etc.

    Ce VIIIe jour de febvrier 1573.



CCCe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

   Négociation secrète de l'ambassadeur avec
   Burleigh.--Favorables dispositions des Anglais.--_Mémoire._
   Détails de la négociation.--Plainte de l'ambassadeur au sujet
   d'un traité qui aurait été signé par Elisabeth avec les
   protestans de la Rochelle.--Protestation de Burleigh avec
   serment que cette imputation est fausse.--Sa déclaration que
   si le roi veut faire punir les auteurs des massacres de la
   Saint-Barthèlemy, la reine lui montrera la même confiance
   qu'autrefois, et consentira à reprendre la négociation du
   mariage.


    AU ROY.

Sire, affin d'interrompre l'effect de quelques dilligences que je
voyois fère icy, qui m'estoient suspectes, j'ay prins occasion, par la
dépesche de Vostre Majesté du XXIIIe de janvier, d'aller, la nuict
passée, sur les dix heures d'après soupper, fère une négociation
extraordinayre avec milord de Burgley, dont je mets le récit à part.

J'espère, Sire, que les choses se pourront modérer, si une nouvelle,
qui vient tout à ceste heure d'arriver, ne les altère, c'est qu'on a
escript de Barvic que quatre ou cinq centz françoys se sont
désambarqués en Escoce, du costé du Nort, chose que j'estime qu'on a
controuvée sur l'arrivée du Sr de Vérac par dellà; mais je mettray
peyne d'en oster l'impression. Les troys navyres que je vous ay cy
devant mandé estre ordonnés pour chasser les pirates de deçà,
sortyront dans troys jours hors du port, et, si l'on ne leur envoye
une nouvelle commission quand ilz seront sur mer, je sçay bien que
celle qu'ilz emportent d'icy n'est pour atempter chose qui soit contre
vostre service; et mesmes l'on a faict arrester quelques navyres
chargés de bledz vers l'Ouest, qui estoient prestz d'aller à la
Rochelle. Tant y a, Sire, que je ne veulx pour cella me rétracter de
chose que j'ay escripte, ny que Vostre Majesté n'ayt encores bien
suspecte la grande deffiance de ceux cy, car l'évesques de Londres et
les principaulx protestantz de ce royaulme continuent ouvertement de
retenir aultant de soldatz volontayres qu'il en arrive en ceste ville,
et en ont desjà plus de troys mille enrollés. Ilz communicquent avec
les malcontantz et tiennent plusieurs estroictz conseilz avec eulx.
Ilz font des cueuillètes de deniers, et, oultre les sommes que je vous
ay cy devant mandées, ilz contreignent les douze principalles
compagnies des marchandz de Londres de contribuer vingt mille escus
contantz qui se payent aujourdhuy. Et sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de febvrier 1573.


NÉGOCIATION AVEC MILORD DE BURGLEY.

   Sire j'ay dict à milord de Burgley qu'à peyne eussiez vous
   espéré, du plus grand ennemy qu'ayez au monde, ung acte plus
   contrayre à l'amityé d'entre Vostre Majesté et la Royne, sa
   Mestresse, que celluy qui vous estoit naguières apparu d'elle
   par ung advis, dont m'aviez envoyé l'extrêt, touchant une
   confédération qu'elle traictoit de fère avec ceulx qui se sont
   soublevés en vostre royaulme, et que j'estois le plus honteux
   et confus gentilhomme qui fût en vostre service de ce,
   qu'après les bonnes parolles et promesses bien expresses
   qu'encores, depuis l'accidant de Paris, elle m'avoit prié de
   vous escripre de sa persévérance vers vous, il se trouvoit
   maintenant qu'elle s'alloit non seulement joindre, mais se
   rendre chef de la plus adversayre entreprinse qui se pourroit
   dresser contre Vostre Majesté et contre le repos de vostre
   estat, et que vous aviez en cella à accuser beaucoup ma
   facillité et sottise d'avoyr légièrement creu à parolles, mais
   beaucoup plus leur maulvayse foy, qui sçavoient bien que,
   depuis huict moys, la dicte Dame avoit très solennellement
   juré de vous estre bonne amye et vraye confédérée; et que
   Dieu, à qui elle en avoit faict le sèrement, estoit tesmoing
   qu'en tout ce temps, ny depuis la paix de l'an 1565, il ne
   s'estoit offert aulcune occasion en toute la Chrestienté, où
   il fût question du bien de l'estat et de la personne d'elle,
   que vous ne vous y fussiez monstré son vray amy, voyre son
   très parcial amy;

   Et pourtant que je luy vouloys bien dire, si les choses
   passoient plus avant, bien que soubz mein, ou couvertes de
   quelque prétexte que ce fût, qu'il vous resteroit, vifve à
   jamais, la plus juste prétantion d'injure contre sa Mestresse
   et contre ce royaulme, dont prince ayt esté oncques provocqué,
   pour vous en revancher, quand vous verriez l'oportunité de le
   fère; et que je luy portois le dict advis qui arguoit fort la
   dicte Dame d'avoyr desjà deffailly vers vous; et luy portois
   aussy l'extrêt de vostre dicte lettre qui, au contrayre,
   monstroit tousjours combien vous persévériez droictement vers
   elle, affin que luy mesmes fût tesmoing qu'elle cherchoit de
   perdre sans occasion ung amy, dont la perte ne luy en pouvoit
   estre, ny aulx siens, petite ny légière.

   Le dict de Burgley, après avoir considéré ce que je luy
   disoys, qui n'a esté sans beaucoup d'aultres remonstrances
   bien amples, et les plus vifves que je luy ay peu déduyre,
   lesquelles, pour briefveté, je ne metz icy, et qu'il a heu leu
   vostre lettre en ce qui concernoit les poinctz de l'amityé,
   du faict de la Rochelle, de l'offre de l'Irlandoys, celluy de
   la ligue contre le Turcq, celluy de messieurs de Guyse et
   celluy du mariage, il m'a respondu qu'il me prioit, devant
   toutes choses, de croyre que l'advis estoit aussy faulx et
   mensonger, comme l'estoit le Diable luy mesmes, autheur de
   faulceté et de mensonge. Et puis a adjouxté ung sèrement à
   Dieu, bien fort grand et digne d'estre creu, que la Royne, sa
   Mestresse, n'avoit escripte aulcune lettre, petite ny grande,
   à ceulx de la Rochelle, ny leur avoit encores, en façon du
   monde, rien respondu, bien que plusieurs choses de leur faict
   luy eussent à la vérité esté proposées; et que le dict advis
   estoit plustost une admonition que ceulx de la religion se
   donnoient les ungs aulx aultres, et ung advertissement entre
   eulx, que non une chose ainsy advenue; et qu'il vous suplioit,
   Sire, de vous donner paix et repos, quand à cella;

   Qu'il avoit ung infiny plésir de voyr en vostre lettre
   beaucoup de particulliers tesmoignages de vostre bonne et
   vertueuse procédure vers la Royne, sa Mestresse, à laquelle
   nul, soubz le ciel, luy pouvoit reprocher qu'elle fût en
   aulcun deffault vers Vostre Majesté, mais bien luy estoit
   besoin, pour les choses advenues en France, qu'il luy apparût
   ung peu plus cler, qu'elle ne l'avoit peu voyr depuis huict
   moys en çà, si l'intention de Voz Majestez, et de Monsieur, et
   de Monseigneur le Duc, tendoient à la ruyne de ceulx de sa
   religion ou bien à conserver leur amityé, premier qu'elle
   estimât se debvoir si confidemment commettre à Vostre Majesté
   comme elle faysoit auparavant;

   Mais que, si Vostre Majesté luy donnoit quelque
   esclarcissement de cella, en faysant punir quelques ungs de
   ces plus séditieux, qui, sans authorité publique, ont tué
   ceulx de la dicte religion, mesmement les femmes et enfans,
   qui ne pouvoient estre participans de la conspiration; et si
   faysiez cognoistre à ceulx qui sont échappés de ceste grande
   émotion, que vous n'estes poinct marry qu'ilz se soient
   retirez en lieu de refuge, pour la seureté de leurs vyes; et
   que ne permettiez procéder qu'avec temps et ordre vers les
   dicts de la nouvelle religion, si, d'avanture, vous ne voulés
   plus souffrir qu'il y en ayt qu'une en vostre royaulme,
   qu'aulmoins ilz ne soient forcés d'abandonner la leur, premier
   qu'ilz soient instruitz ou persuadés comme ilz doivent prendre
   l'aultre, sans violenter ny leurs personnes ny leurs
   consciences; que lors auroit elle apparente occasion de se
   commettre comme auparavant à Vostre Majesté, et luy, de le luy
   oser conseiller, parce que cella justiffieroit vos actions
   passées, et feroit voyr que l'accident auroit esté ou
   fortuit, ou provocqué par ceulx mesmes de la dicte religion,
   là où ung chacun demeureroit maintenant persuadé du contraire,
   avec quelque escandalle de vostre réputation vers toutz les
   Protestantz;

   Et que le propos du mariage ne tarderoit après d'estre
   approuvé par toutz ceulx de ce conseil, comme chose qu'ilz
   voyent bien qui est plus nécessayre à leur Mestresse et à son
   royaulme, que non à Voz Majestez Très Chrestiennes ny au
   vostre; (et les difficultez ne paroistroient grandes, pourveu
   que la dicte Dame se peût apercevoir que, nonobstant la
   souspeçon qu'elle a prins de ce que, en mesmes temps qu'on
   traictoit avec elle pour Monsieur, l'on envoya fère des
   practiques pour le marier en Pouloigne, et que Monseigneur le
   Duc s'est maintenant absenté, quand le comte de Worchester a
   deu arriver par dellà, et que la Royne, vostre mère, a différé
   longtemps de respondre aulx poinctz de la religion;) si
   néantmoins vous y vouliez maintenant procéder de bonne et
   vraye intention, car ne falloit doubter que elle, de son
   costé, ne l'y eût toujours heue très bonne, et clère, et
   nette.

   Et a poursuivy son discours en plusieurs aultres propos,
   desquelz j'ay heu occasion d'espérer que de ceste nostre
   conférance pourroit sortir quelque proufit pour vostre
   service. Dont luy ay seulement réplicqué que j'acceptois, de
   tout mon cueur, l'atestation qu'avec sèrement il me faysoit
   que l'advis estoit faulx; et que, sur la parolle sienne,
   j'entreprendrois de vous promettre, Sire, que vous trouveriez
   plus de vérité en l'assurance, que je vous avoys donnée, et
   que je vous confirmois de rechef, de la persévérance de sa
   Mestresse vers vostre amityé, que non en tout ce qu'on vous
   avoit voulu, et qu'on vous voudroit, fère doubter de la
   sienne.

   Et, touchant les justes déportementz de Voz Majestez Très
   Chrestiennes vers ceulx de la nouvelle religion, et de vostre
   droicte intention au propos du mariage, oultre qu'il avoit veu
   l'esclarcissement de cella en termes bien exprès dans vostre
   dicte lettre, je luy avoys encores apporté la lettre de la
   Royne, vostre mère, de mesmes dathe, en laquelle, après le
   narré principal, il y verroit adjouxté ung bien peu de motz de
   sa mein, qui luy donroient pleyne satisfaction de ces deux
   poinctz.

   Et ainsy, la luy ayant baillée à lire, il l'a trouvée
   merveilleusement à son goust; et je luy ay faict gouster
   davantage ce qu'elle mesmes y adjouxtoit par postille, qu'elle
   ne croyroit jamais que la Royne d'Angleterre peût laysser de
   vous estre bonne sœur et amye, pour avoyr mis vostre estat
   et vostre vye en seureté, et qu'à ce coup elle vous voulût
   faire cognoistre, par sa résolution sur le propos de
   Monseigneur le Duc, sa bonne volonté:

   Que c'estoient bien peu de parolles, mais, parce qu'elles
   procédoient d'une grande princesse qui les escripvoit de sa
   royalle mein, qu'elles justiffioient, plus que à suffizance,
   les actions de Voz Majestez sur tout l'accidant qui estoit
   advenu à ceulx de la nouvelle religion; et déclaroient si
   ouvertement vostre sincérité au propos du mariage, que je ne
   voulois, ny à l'ung ny à l'aultre, adjouxter une seule sillabe
   du mien.

   Le dict milord estant demeuré tout court, et non, à mon advis,
   mal satisfaict, m'a prié de luy laysser la dicte lettre, affin
   de la pouvoir communicquer à sa Mestresse, ce que j'ay très
   volontiers faict. Et ainsy nous sommes départis.



CCCIe DÉPESCHE

--du XVIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Nouvelles d'Allemagne et d'Écosse.--Crainte que l'on doit avoir
    en France des secours préparés en Angleterre pour la
    Rochelle.--État de la négociation des Pays Bas.


    AU ROY.

Sire, le gentilhomme angloys qui estoit passé oultre jusques au duc de
Saxe est revenu, depuis trois jours, par la voye de Holande, par
laquelle, peu devant luy, l'homme du comte Palatin estoit arrivé, et
semble que son retour en ceste court ayt réchauffé la dellibération de
la guerre en faveur des Protestantz, qui auparavant s'alloit peu à peu
attiédir, ayant, à ce qu'on dict, rapporté beaucoup plus de
satisfaction du dict duc, sur les choses que la Royne d'Angleterre luy
a faictes proposer, qu'on ne l'espéroit de luy; qui, pour enseignes de
sa bonne affection en cest endroict, a gratiffié le messager d'une
cheyne de huict centz escus, avec une médaille de son effigie au
bout, qu'il porte à la vue de tout le monde.

Et, le mesmes jour, le Sr de Languillier est arrivé de la Rochelle,
et, peu après, le poste de Vuarvic a aporté la certitude comme le Sr
de Vérac et Carcade, frère du cappitaine Granges, sont arrivés à
Abredin d'Escosse, sans aultre nombre de françoys que de huict ou dix
harquebusiers, qu'ilz avoient prins dans leur navyre pour se garder
des pirates, mais il compte aussy comme le dict Carcade, s'estant
depuis conduict jusques au lieu de Blacmet, le comte de Morthon l'est
allé assiéger, et l'a prins avec tout ce qu'il portoit de lettres,
d'instructions et d'argent, et qu'il guette le Sr de Vérac pour luy en
faire aultant.

Je creins, Sire, de beaucoup d'endroictz, beaucoup de choses, dont
auray l'œil en beaucoup de partz pour vous donner le plus
d'advertissementz que je pourray; mais il semble bien que debvés
surtout fère dilligemment recognoistre en Allemaigne qu'est ce qu'on y
prépare, car de là viendra le plus grand effort; et m'a l'on dict que
le comte Ludovic assure que sans doubte il y aura bientost une armée
en campagne, mais ne se publie encores où elle marchera; qui prévoys
néantmoins que les Angloys, en quelle part qu'elle aille, y
adresseront aussy leur entreprinse. Dont je desire infinyement que,
par une bonne dilligence d'avoyr plustost réduict, ou par amour ou par
force, ceulx de la Rochelle, et ceulx qui suyvent leur party en
France, à vostre obéyssance, Vostre Majesté oste toutz moyens à ces
estrangers de s'entremettre de leur faict.

Guaras attand encores la responce pour le Duc d'Alve, et n'espère de
moins sinon qu'on la luy fera fort bonne, et qu'après les procheynes
lettres, que le dict duc renvoyera, le commerce et les portz seront
réouvertz entre les deux pays pour deux ans, et que, pendant iceulx,
il sera depputé des personnages, de chacun costé, pour mettre toutz
les aultres différendz en bons termes d'accord. Sur ce, etc.

    Ce XVIe jour de febvrier 1573.



CCCIIe DÉPESCHE

--du XXIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée jusques à Bouloigne par le courrier._)

  Armemens faits par le comte de Montgommery.--Projets divers qu'on
    lui suppose.


    AU ROY.

Sire, après que j'ay eu remonstré au grand trézorier d'Angleterre les
choses, que Vostre Majesté m'avoit escriptes touchant la confédération
qui se présumoit entre la Royne, sa Mestresse, et ceulx de la
Rochelle, l'on n'a depuis rien plus traicté de ces matières suspectes
dans ce conseil; ains le dict grand trézorier et les comtes de Lestre
et de Lincoln se sont absentés, et n'est demeuré gens d'affaires près
de la dicte Dame que le seul comte de Sussex et mestre Smith: ce qui
est cause, Sire, que je ne puis, si proprement que je voudrois,
descouvrir, à ceste heure, comme va la particullarité des praticques
de deçà. Néantmoins je voy bien que aulcuns fâcheus, et pleins de
passions, ne cessent de poursuyvre, de mayson en mayson, et d'oreille
en oreille, leurs accoustumées sollicitations plus que jamays; et que
le comte de Montgommery va cherchant ceulx cy, et pareillement qu'il
est cherché d'eulx, et qu'il traicte ordinayrement avec le secrettère
du comte Palatin, et que la retenue des soldatz, tant françoys que
aultres, qui a esté faicte en ceste ville, monstre de n'attandre que
l'ordre et commandement de luy. En quoy, à mon jugement, Sire, il
semble estre passé si avant, en prenant de l'argent de ceulx de
Londres, et encores, à ce que j'entendz, quelque somme de ceste court,
qu'il est aysé à juger qu'il s'est obligé à quelque entreprinse. Et
parce qu'on ne publie au vray quelle elle est, qui, possible, luy
mesmes ne la sçayt encores de certein, je vous diray, Sire, quelle
opinyon en ont ceulx qui antent avec luy et avec les siens, et qui
oyent souvant leurs discours: c'est que, si les moyens ne luy viennent
plus grandz que, pour encores, ilz ne luy apparoissent, qu'il s'yra
jetter, avec ce qu'il a de soldatz, dans la Rochelle; mais, s'il peut
avoyr les moyens si gaillardz qu'il ayt de quoy mettre des gens en
terre, sans dégarnir ses vaisseaulx, qu'il hazardera de surprendre ou
de forcer quelque place, le long de la côte de Normandie, de Bretaigne
ou de Guyenne, et qu'en toute sorte il tentera de maîtriser la mer
avec cinquante navyres de guerre petits ou grands qu'il peut mettre
ensemble en dellibération de combatre les gallères et vaysseaulx de
Vostre Majesté, si l'occasion s'y offre. Et s'entend aussy, parmy
eulx, qu'il pourra fère une entreprinse en Escoce pour y réduyre les
choses, à la dévotion des Angloys, qui les ont à cueur, aultant que
nulles aultres qui les concernent; et s'efforcera de prendre le
chasteau de Lillebourg et de transporter le Prince d'Escoce par deçà:
qui ay bien advertissement, Sire, qu'on prépare de l'artillerye, des
pouldres et des monitions, en la Tour de ceste ville, pour les envoyer
à Barvic tout exprès, à ce qu'on dict, pour en accomoder le comte de
Morthon, lequel monstre d'avoyr résoluement déterminé de venir à bout
de ceulx du dict chasteau de Lillebourg. Il se parle aussy que cest
apprest de mer du dict de Montgommery est pour aller en cours piller
quelque isle, ou bien pour dévaliser quelqu'une des flotes qui
reviendront des Indes. Et aultres disent qu'il yra trouver le prince
d'Orange, et que mesmes il essayera de tirer des harquebousiers de la
Rochelle, et des aultres lieux de France, pour en accommoder le dict
prince.

Je supplye très humblement Vostre Majesté d'advertyr vostre armée de
mer de se préparer et se tenir sur ses gardes. Sur ce, etc. Ce XXIe
jour de febvrier 1573.



CCCIIIe DÉPESCHE

--du XXVIIe jour de febvrier 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Brouar._)

  Préparatifs du comte de Montgommery.--Protestation de dévouement
    de la part du vidame de Chartres et de plusieurs autres
    réfugiés.--_Mémoire._ Audience.--Plainte de l'ambassadeur au
    sujet de l'alliance qu'Élisabeth aurait faite avec les
    protestans de France.--Insistance pour la conclusion du
    mariage.--Déclaration de la reine qu'elle n'a pas formé
    d'alliance avec les protestans de France, et qu'elle ne veut
    donner aucun secours à la Rochelle.--Communication faite par
    elle de divers avis qui lui sont adressés de France.--Ses
    plaintes à raison des projets imputés au roi sur l'Écosse.


    AU ROY.

Sire, premier que le comte de Worchester soit arrivé icy, lequel est
encores attendant le vent à Bouloigne, j'ay esté bayser les mains de
cette princesse à Grenwich, pour luy rendre, de la part de Vostre
Majesté, et des deux Roynes Très Chrestiennes, l'exprès mercîment, qui
est contenu en vos lettres, du IIIIe et VIIe du présent, pour la
peyne qu'elle avoit prinse d'envoyer tenir la petite Madame, vostre
fille, sur les saincts fontz de baptesme; en quoy je n'ay obmis de luy
gratiffier le présent, et l'eslection du dict comte, et ce, qu'en
toutes choses elle avoit procédé si honnorablement en cest endroict,
qu'il ne s'y eût peu desirer ny plus de dignité, du costé d'elle, ny
plus de contantement pour Voz Très Chrestiennes Majestez: et je mets
dans un mémoire à part ce qui s'en est ensuivy.

Depuis cella, elle a faict deffendre à aulcuns cappitaines anglois,
lesquelles s'apprestoient d'aller en cours, que, sur peyne de vye, ilz
n'aillent poinct à la Rochelle, et une partie de la contribution des
marchandz ne se poursuit plus avant. Je ne ne sçay si pourtant le
comte de Montgommery s'arrestera; mais il semble que non, et qu'il est
résolu ou de deffandre la Rochelle, ou bien de faire sa composition,
en composant pour icelle. Le vidame s'est du tout retiré de
l'entreprinse, et monstre de n'avoyr aultre affection qu'à vostre
service, et de diminuer, s'il peut, aulx princes protestantz la malle
impression qu'ilz pourroient avoyr prinse de l'évènement de Paris, et
a opinion qu'il s'y pourra utillement employer. Les sieurs de
Pardaillan, Du Plessis, Maysonfleur et aultres monstrent de ne vouloir
suyvre le dict de Montgommery, ains de passer plustost en Olande,
ainsy que le cappitaine Poyet faict estat d'y retourner. Sur ce, etc.

    Ce XXVIIe jour de febvrier 1573.


MÉMOIRE.

   Sire, j'ay discouru à la dicte Dame les propos qu'avez eus
   avec ses ambassadeurs touchant l'observance du traicté, et
   touchant le faict du mariage, et comme vous vous estes donnés
   assez de satisfaction les ungs aulx aultres, pour les bons
   termes où semble qu'avez mutuellement remis les affaires; et
   que cependant vous desirés, Sire, quand à ce qui appartient au
   traité, estre esclarcy de quelle intention elle pouvoit estre
   sur les advis qu'on vous avoit baillez par escript; lesquelz
   je l'ay supplyée vouloir prendre la peyne elle mesmes de les
   lyre, et de vouloir considérer sur iceulx que, si les choses
   estoient ainsy, comme je me doubtois assez d'une partye
   d'icelles, qu'il ne pouvoit estre qu'il ne vous restât à
   jamays une très juste occasion de vous plaindre de sa foy, de
   sa parolle, de sa promesse, de son sèrement, et de la lettre
   expresse qu'aviez devers vous, escripte de sa mein, en ce
   mesmement qu'au lieu d'espérer secours d'elle, jouxte vostre
   dernier traité, il se trouvoit maintenant qu'elle traictoit
   avec ceulx de voz subjectz qui s'estoient soublevés; et
   qu'elle layssoit sortir de Londres, et des ports de deçà, ung
   équippage fourny d'argent et d'armes, d'hommes, de vaysseaulx,
   d'artillerye, de monitions et de toutz aultres moyens prins en
   son royaulme, pour vous aller fère la guerre au vostre; qui au
   contrayre fesiez escrupule de prester seulement l'oreille au
   moindre de ses fuytifz, et qui mesme, quand au propos de
   Monseigneur le Duc, persévériez plus que jamays d'en
   pourchasser une heureuse conclusion, sellon que Vostre Majesté
   et la Royne, vostre mère, aviez ouvert là dessus le fondz de
   voz desirs au dict sieur comte et au Sr de Vualsingam, si bien
   que c'estoit maintenant à elle d'en résouldre tout l'effect.

   Et me suis esforcé, Sire, de luy desduyre, par le menu, toutes
   les particullaritez de voz lettres, et toutes celles que j'ay
   estymé appartenir aux deux affaires affin de la retirer
   entièrement de l'ung, et la fère advancer, le plus que je
   pourrois, en l'aultre; qui pourtant m'estandray à racompter
   icy davantage tout ce que je luy ay dict, affin de donner tant
   plus de lieu à ce que j'ay peu recueillir de ses responces.

   Lesquelles, en subtance, sont, Sire, qu'elle avoit ung
   singulier plésir de voyr que le voyage du comte de Worchester
   eût produict le bon effect qu'elle desiroit, de vous avoyr
   apporté aultant de contentement pour le baptesme de Madame,
   vostre fille, comme vous luy aviez faict d'honneur de la
   convier d'en estre l'une des commères; et qu'elle prioit Dieu
   de la rendre aussy heureuse comme elle estoit grande, et comme
   elle s'assuroit qu'elle seroit vertueuse princesse, et de la
   fère ung commancement d'une si accomplie lignée à Voz Majestez
   Très Chrestiennes, que bientost elle eût une suyte d'aultant
   de frères, comme, pour la succession de vostre grandeur, vous
   en pouviez desirer; qu'elle ne pouvoit ouyr chose qui plus la
   contantast, que la continuation de vostre amityé, et qu'elle
   vous offroit pour jamays la sienne;

   Que, touchant le premier des deux advis, que je luy avoys
   monstré, il ne se trouveroit poinct qu'elle eût jamais faict
   ligue avec aulcuns subjectz, et mesmes, sans la persuasion de
   l'Empereur, elle n'eut point contracté celle qui duroit
   encores d'entre elle et les princes de l'Empire, parce qu'ilz
   n'estoient souverains; et que, touchant ceulx de vostre
   royaulme, elle vous prioit ne l'estimer jamays princesse de
   vérité, si elle en avoit faict, ny si elle estoit entrée en
   aulcune confédération avec eulx; et, quand elle en voudroit
   venir là, ce ne seroit soubz mein, affin de ne décevoir ceulx
   de la Rochelle, de ne les secourir si petitement et à cachète,
   sçachant que, à une force royalle comme la vostre, il en
   faudroit oposer une aultre royalle, ou ne s'en mesler poinct,
   par ainsy qu'elle se déclareroit ouvertement;

   Et que, du comte de Montgommery, elle me pouvoit jurer, avec
   vérité, qu'elle n'estoit aulcunement informée de son faict, et
   qu'elle ne pensoit pas qu'il peût trouver tant d'argent à
   Londres comme je disoys, parce que les marchandz n'estoient
   trop volontayres de prester à ung estrangier, sans bons gages
   et sans bonne seureté;

   Qu'il estoit bien vray que plusieurs de ses subjectz avoient
   esté priez de prendre les armes pour ceste cause, et plusieurs
   en grand nombre, et qui ont de bons moyens, s'estoient très
   vollontiers offertz de le fère, pourveu qu'elle le leur voulût
   permettre; et qu'elle vouoit à Dieu qu'elle le leur avoit très
   expressément deffandu, et commanderoit de nouveau à ses
   conseillers de ne laysser rien sortir hors de ce royaulme, qui
   peût aller contre les affères de Vostre Majesté, et qu'elle
   sçavoit bien qu'on ne la pourroit tromper en cella sinon,
   possible, soubz la couleur des marchandz, qui la
   contreignoient de leur permettre d'armer leurs vaysseaulx pour
   se deffandre contre les pirates, ou bien ilz vouloient
   délaysser du tout le trafficq en ce royaulme;

   Qu'elle vous estimoit d'ung si vertueux naturel que vous ne
   pourriez mescognoistre qu'elle ne vous eût esté très bonne
   amye en voz précédans affères, comme elle dellibéroit de
   l'estre en ceulx cy, ainsy que le Roy d'Espaigne commançoit
   aussy de s'appercevoyr que l'amityé d'elle ne luy pouvoit
   estre sinon bien utille; de quoy il luy avoit desjà donné de
   si bonnes enseignes, d'avoyr changé la maulvaise opinion qu'il
   en avoit eu auparavant, qu'elle feroit cognoistre à toute la
   Chrestienté qu'elle n'en vouloit plus doubter;

   Et qu'elle vous prioit, Sire, que la faulceté de ces advis,
   qu'on vous avoit maintenant donnés, vous fût cause de
   n'adjouxter plus de foy à ceulx qu'on vous bailleroit cy
   après, comme elle ne vouloit aussy croyre toutz ceulx qu'on
   luy escripvoit de France: d'où l'on l'advertissoit qu'aulcuns
   personnages de crédit avoient assuré qu'aussytost que vous
   auriez réduict la Rochelle, vous commanceriez la guerre à
   l'Angleterre, pour l'occasion de restituer la Royne d'Escoce,
   qui vous serviroit de bon prétexte en cella, mesmement à ceste
   heure que la déclaration estoit arrivée de Rome, comme le
   comte de Boudouel n'estoit plus son mary, et qu'on disoit que
   Monsieur, frère de Vostre Majesté, y vouloit prétendre pour
   luy; à quoy elle a adjouté, avec ung soubsrire, qu'elle s'y
   opposeroit, et allègueroit que c'estoit à elle, à qui il avoit
   premier promis mariage;

   Que, à la vérité, il avoit esté interçu, au frère du
   cappitayne Granges en Escoce, des lettres de Vostre Majesté,
   lesquelles, encor que fussent en chiffres, il avoit néantmoins
   exposé sa créance par escript, qui estoit d'avoir charge
   d'admonester ceulx du chasteau de Lislebourg de ne faire point
   de paix, et que, dans le moys de may, Vostre Majesté leur
   envoyeroit de bonnes forces pour les secourir, avec monsieur
   de Guyse;

   Que, nonobstant tout cella, nul, soubz le ciel, desiroit plus
   la paix de vostre royaulme qu'elle faysoit; qui vous vouloit
   bien advertir, Sire, et vous prioit de luy adjouxter foy en
   cecy, que, si ne trouviés moïen de paciffier voz subjectz sur
   la seureté de leurs vyes, et au faict de leurs consciences, ou
   aulmoins de ne les contreindre du tout en la liberté que leur
   aviez cy devant permise par voz édictz, que vous estiez pour
   vous trouver en plus d'affères, ceste année, que n'en aviez eu
   aulx précédantes;

   Que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, elle vous
   remercyoit et la Royne, vostre mère, de tout son cueur, pour
   la bonne affection que vous y aviez, et mercyoit Monseigneur
   le Duc de sa persévérance vers elle; et que ses ambassadeurs
   ne luy avoient escript ung seul mot de ce faict; dont, après
   que le comte seroit arrivé, elle adviseroit, sur le rapport
   qu'elle entendroit de luy, et sur ce que je luy en disois, de
   vous faire une si bonne responce qu'elle espéroit que Voz
   Majestez s'en contanteroient.

   Voylà, Sire, quasy en propres termes, ce qu'elle m'a
   respondu.

   Ce que la dicte Dame dict des affères, que pourrés avoyr ceste
   année, est sur le rapport que luy a faict le secrettère du
   comte Palatin.

   Et quand à ces advis qu'on luy a mandés de France, et les
   lettres qui ont esté surprinses en Escoce, ne fault doubter
   que ne luy ayent augmanté la deffiance, laquelle elle avoit
   desjà assés grande auparavant; en quoy si, d'advanture, ce
   n'estoit que vaynes parolles, il y pourroit, possible, par
   aultres parolles estre satisfaict, mais, si c'est à bon
   esciant, il faudra, Sire, qu'y pourvoyez par quelque bon
   effect, à cause que desjà je commance à descouvrir que, soubz
   couleur de fournir la garnison de Barvic, l'on parle d'envoyer
   des gens et toutes sortes de monitions de guerre vers la
   frontière d'Escoce.

   Au regard de ce qu'elle a dict du Roy Catholique, je ne fais
   plus de doubte que, dans peu de temps, les portz et le
   commerce ne soient ouvertz pour deux ans entre ce royaulme et
   les pays du dict Roy, sellon que luy mesmes a escript ceste
   foys, de sa mein, de fort bonnes lettres à la dicte Dame, à
   milord de Burgley et aultres de ce conseil, pour le requérir.



CCCIVe DÉPESCHE

--du IIIe jour de mars 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par Estienne._)

  Négociation avec les seigneurs du conseil pour empêcher le départ
    de l'expédition préparée par le comte de Montgommery.


    AU ROY.

Sire, après que j'eus parlé à ceste princesse, le XXIIIIe du passé,
voyant que, pour lors, je ne pouvois avoyr aulcune conférence avec les
seigneurs de ce conseil, à cause qu'ilz estoient sur leur partement
pour ce petit progrès qu'elle estoit allé fère à vingt mille d'icy,
j'ay depuis envoyé le Sr de Vassal après eulx, avec de mes lettres,
conformes aulx propos que j'avoys tenu à leur Mestresse, pour les
exorter de vouloir bien mesurer, par vos bons déportementz vers elle,
combien elle se porteroit de préjudice à elle mesmes, et à la
confédération qu'elle avoit faicte bien seure et estable avecques
vous, et au party qui seul aujourdhui la poursuivoit d'alliance, si
elle et eulx permettoient que rien sortît de ce royaulme qui allât au
dommage de voz affères; et qu'ilz pouvoient bien penser que vous ne
réputeriez jamais aulcune sorte d'inimityé plus dommageable de leur
costé, que si, se monstrantz en parolle voz amys, ilz se portoient en
effect voz couvertz ennemys, et que vous imputeriez à eulx tout le mal
que le comte de Montgommery s'esforceroit de vous fère, plus que non
pas à luy, qui n'y pouvoit apporter que la maulvayse volonté, là où il
prendroit, d'eux et de ce royaulme, toutz les aultres moyens de vous
nuyre.

Sur quoy, ayantz les dicts du conseil conféré de rechef avec leur
dicte Mestresse, et s'estantz assemblés par deux foys là dessus, ilz
m'ont enfin mandé, par le mesmes Sr de Vassal, que la dicte Dame me
prioit d'escripre ardiment à Vostre Majesté qu'elle n'envoyeroit, ny
donroit permission qu'on envoyât, d'icy, aulcuns vaysseaulx ny hommes,
ny armes, artillerye, monitions, ny vivres en France; car ne vouloit
enfreindre le traicté, ny vous faulcer son sèrement, tant que luy
garderiez le vostre; et, quand au comte de Montgommery, elle m'avoit
desjà respondu qu'elle n'estoit bien advertye de son faict, ny eulx
pareillement, et que ce ne seroit tout ce qu'on m'en avoit rapporté;
que, au surplus, ilz me vouloient dire librement que leur Mestresse ny
eulx n'avoient peu trouver de bonne digestion que Monseigneur le Duc,
qui estoit bien capable de traicter luy mesmes de son faict, fût party
de Paris troys foys vingt quatre heures après le jour préfix du
partement du comte de Worchester de ceste court; ce qui leur donnoit
argument de penser que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ne
vouliez poursuivre ceste alliance, que jusques après avoyr bien
pourveu à voz affères, et que, d'un certein propos, qui avoit esté
tenu en ung bon et grand lieu de France, il avoit esté recueilly ung
advis par lequel l'on les advertissoit que Vostre Majesté avoit
commancé de donner secrettement ordre, en Normandye et Bretaigne, à un
embarquement pour passer des gens de guerre en Écosse; et que
Monsieur, frère de Vostre Majesté, en seroit le conducteur, et que Mr
le chevallier et Mr de Guyse, et aultres grandz du royaulme, debvoient
estre de la partye; et que mesmes le cappitayne Sarlabos assembloit
desjà pour cest effect, au Hâvre de Grâce, le plus de soldatz qu'il
pouvoit: ce que la dicte Dame ne vouloit encores résoluement croyre,
ains attandoit qu'elle en vît quelque chose plus avant.

J'espère, Sire, que j'yray trouver bientost la dicte Dame sur
l'occasion de vostre dépesche du XIIIIe du passé, et sur le retour du
comte de Worchester qui arriva hier, et mettray peyne de luy rabbattre
ceste impression, aultant qu'il me sera possible. Cependant le dict de
Montgommery s'appreste en la plus grande dilligence qu'il peut, et
bien que, à cause de mes instances, il ne pourra, possible, tirer tout
ce qu'il espéroit d'hommes et d'argent d'icy, si ne layssera il, à ce
que je voy, de se mettre sur mer, et ne sera son embarquement de grand
monstre, car n'y aura que quelques ungs des siens qui partiront
avecques luy, sur ung ou deux vaisseaulx, mais, au rendés vous, se
doibvent assembler, comme on dict, soixante à quatre vingtz navyres,
et envyron cinq mille hommes, entre marinyers et soldatz. Je n'attandz
que l'heure qu'il parte d'icy, dont le feray suivre par ung homme
exprès, affin qu'il me rapporte quand et comment il s'embarquera. Et
sur ce, etc. Ce IIIe jour de mars 1573.



CCCVe DÉPESCHE

--du IXe jour de mars 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Rapport favorable du comte de Worcester à son retour.--Opposition
    mise aux armemens pour la Rochelle.--Rejet de la proposition
    faite en Angleterre d'envoyer une armée en France.--Préparatifs
    de départ du comte de Montgommery.--Négociation des princes
    protestans d'Allemagne pour former une ligue avec
    Élisabeth.--Nouvelles d'Écosse.--Communication faite par
    l'ambassadeur aux protestans de France.--Accord conclu en
    Écosse pour la reconnaissance de Jacques VI.


    AU ROY.

Sire, la Royne d'Angleterre m'a envoyé prier de différer mon audience
jusques à demein, qu'elle sera de retour en ung lieu qui est bien près
d'icy, où je ne faudray, tout à une foys, de tretter avec elle du
contenu en voz deux dernières dépesches; et cependant je vous diray,
Sire, que les bonnes démonstrations et bonnes parolles dont Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, avez uzé au comte de Worchester, et
le bon rapport qu'à son retour il a faict icy de toutz deux, et le
moyen que m'avez donné par voz lettres de rendre plusieurs évidentz
tesmoignages à ceste princesse de vostre droicte intention vers elle,
ont faict naistre beaucoup d'empeschemens, au comte de Montgommery et
à ceulx de la Rochelle, de ne pouvoir ouvertement, ny soubz mein,
impétrer tout ce qu'ilz pourchassoient en ceste court, ny, à beaucoup
près, tout ce qu'ilz pensoient leur y estre desjà octroyé; car ung
milord, qui est aultant digne de foy qu'il y en ait en ce royaulme,
m'a assuré que les choses de Paris avoient bien si merveilleusement
immué toute l'affection, que les Angloys commançoient avoyr assez
bonne vers nous, en une extrême indignation contre nous, que ung bon
nombre de la noblesse estoient venus, d'ung commun accord, se offrir
de mener trente mille hommes bien armés en France à leurs despens,
s'il playsoit à leur Mestresse de le leur permettre, et oultre cella,
d'advancer, du leur, demy million d'or pour ceste guerre, pourveu
qu'ilz le peussent recouvrer, dans deux ans, par des moyens qui ne
toucheroient rien au revenu de la dicte Dame, ce qu'à la vérité elle
n'a jamais voulu concéder; ains je sçay qu'elle l'a fort rejetté. Mais
ny encores le dict de Montgommery n'a pu avoyr le tiers de l'argent
que l'évesque de Londres et luy avoient praticqué en ceste ville, ny
pareillement toutz les vaysseaulx qu'il pensoit; et mesmes y a
beaucoup de gentilshommes angloys qui avoient donné parolle, et
s'apprestoient pour l'accompaigner, à qui a esté deffandu de ne
bouger; et une partie des pirates ont esté prins ou escartés par le
bon debvoir que l'admyral d'Angleterre a faict faire contre eulx,
suyvant ce que ceste princesse et les siens luy en ont commandé pour
interrompre principallement l'entreprinse du dict de Montgommery; qui
pourtant ne la délaysse, ains partira, à ce que j'entendz, mardy
prochein de ceste ville.

L'homme du comte Palatin est encores icy, et tout ce que, jusques à
ceste heure, j'ay peu découvrir de sa négociation, est qu'il a fort
instamment pressé ceste princesse de vouloir entrer ouvertement avec
les princes protestantz en la deffance de leur religion, et nomméement
en France, pareillement aussy en Flandres, et de contribuer, comme la
plus riche, aulx principaulx frays de ceste guerre. A quoy j'entendz
que la résolution a esté prinse, mais fort secrettement, par ceulx de
ce conseil, de luy respondre que, pour aulcunes bonnes et grandes
considérations, concernantz la seureté de sa couronne, la dicte Dame
ne pouvoit ny vouloit entrer aulcunement en guerre contre Vostre
Majesté, ny aussy se déclarer, pour encores, plus avant qu'elle avoit
faict contre le Roy d'Espaigne; mais, quand aux frays de la guerre, en
tout ce que les dictz princes jugeroient estre bon de fère et
d'entreprendre pour la deffance de leur religion, elle ne voudroit
estre veue de n'y contribuer aultant ou plus largement que nul aultre
prince ou princesse de la Chrestienté; et, là dessus, se sont
poursuyvies d'aultres négociations particullières et bien estroictes,
que je ne sçay pas encores quelles elles sont. Tant y a qu'ung
secrettère du comte Ludovic, qui est arrivé depuis six jours, s'y est
allé incontinent mesler bien avant.

J'ay advis, de plusieurs costés, comme le Sr de Vérac est
véritablement abordé en ce royaulme. Je ne faudray d'en fère une bien
expresse mencion à la dicte Dame. Je n'ay receu, longtemps y a,
aulcunes nouvelles d'Escoce, et croy que les choses n'y passent du
tout ainsy qu'il a esté rapporté à Mr le cardinal de Lorrayne. Il est
bien vray que, en ceste court, l'on a opinion qu'il s'y pourra fère
bientost quelque paix, car la noblesse se debvoit assembler pour cest
effect dès la my febvrier, et ne faut doubter, puisque Carcade est
prins, que ceulx du chasteau de Lillebourg ne se trouvent en grande
nécessité, aulxquelz, depuis naguières, j'ay escript par deux foys.
J'espère qu'ilz auront receu mes lettres.

J'ay communicqué, par Mr le vydame de Chartres et le jeune Sr de
Pardaillan, aulx aultres gentilshommes françoys, la vertueuse responce
que Vostre Majesté m'a mandé de leur fère, et leur en ay baillé tout
l'article de vostre lettre par escript, affin qu'il n'y puisse estre
rien varié. Ilz m'ont prié d'en rendre leurs très humbles grâces à
Vostre Majesté, et qu'après qu'ilz auront dellibéré ensemble, ilz
adviseront d'envoyer quelqu'ung d'entre eulx devers Vostre Majesté. Et
sur ce, etc.

    Ce IXe jour de mars 1573.

   Depuis ce dessus, m'est venu advis comme l'accord a esté faict
   en Escosse, et que toutz les principaulx de la noblesse se
   sont rengés à recognoistre le Prince, et n'y a rien plus que
   le chasteau de Lillebourg qui tiegne pour la Royne d'Escosse.
   Je creins assez qu'on entreprendra de le assiéger, et que les
   Angloys y envoyeront gens et monitions.



CCCVIe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de mars 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._)

  Audience.--Expédition du comte de Montgommery.--Nouvelles
    d'Écosse et d'Allemagne.--_Mémoire._ Détails de
    l'audience.--Satisfaction montrée par la reine de la mission du
    comte de Worcester.--Négociation du mariage.--Discussion de
    l'article sur l'exercice de la religion.--Proposition faite à
    cet égard par l'ambassadeur.--Plaintes au sujet de l'expédition
    du comte de Montgommery.--Plaintes de la reine à raison de la
    conduite des Français en Écosse.--Assurance qu'elle ne donnera
    aucun secours au comte de Montgommery.


    AU ROY.

Sire, de tant que je metz dans un mémoire à part ce qui s'est passé en
la conférance que j'ay heu avec la Royne d'Angleterre, je vous diray
au surplus que le dict de Montgommery, le jour d'après, a faict une
extrême sollicitation en ceste court, mais j'espère qu'il luy aura
esté plus osté que accreu de moyens. Il n'a peu encores partir, mais
j'entends qu'il s'acheminera aujourdhuy vers l'Ouest, résolu, comme
le commun dict, de s'aller jecter dans la Rochelle, avec moins de
forces beaucoup qu'il n'avoit promis d'y mener. Aultres assurent que
son entreprinse est ailleurs, ez confins d'entre la Normandye et
Bretaigne, et qu'il tirera toute faveur des isles de Grènezé. J'ay mis
gens après. Je pense avoyr comprins de ceste princesse qu'il y a
résolution prinse en Escoce de bastre le chasteau de Lillebourg, si
les Srs de Granges et de Ledington ne le veulent rendre, et qu'elle ne
fera difficulté d'y envoyer des forces et des monitions à cest effect;
de tant qu'elle dict que ceulx de la noblesse monstrent toutz d'y
convenir. Dont adviserez, Sire, ce que sera expédient d'y pourvoir,
attandu qu'elle a tout ce qui faict besoing à cella desjà tout prest
et apporté à Barvic.

Le secrettère du comte Ludovic s'estant meslé dans la négociation de
l'homme du comte Palatin a faict et conclud, icy, par le moyen d'ung
Henry Pol, riche marchand d'Envers, lequel il a faict expressément
passer deçà, ung party de soixante mil escus à estre payez au
commancement d'avril, par trois égalles porcions, en Hembourg,
Francfort et Strasbourg; et dict on que le dict Palatin a assuré une
levée de quatre mille reytres à icelluy Ludovic. Sur quoy, de tant
qu'il est échappé au dict de Montgommery de dire qu'il entreprendroit
bien de l'aller recueillir jusques à la frontière, il semble que ce
seroit pour la France; mais je n'en ay encores d'aultre indice.

Le duc de Saxe a mandé icy ung homme exprès pour fère entendre à ceste
princesse que l'Empereur avoit esté adverty de la légation qu'elle
avoit envoyé fère vers luy, et comme il avoit gratiffié le messager
d'une cheyne et de sa médaille, chose qui ne debvoit avoyr esté sceue
ny en France, ny en Flandres; et que, dorsenavant, elle ne voulût
monstrer d'avoyr aulcune intelligence avec luy, ains qu'elle layssât
jouer tout le jeu au Palatin. Sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de mars 1573.


MÉMOIRE.

   Sire, pour garder que je ne me pleignisse du dellay de mon
   audience, la Royne d'Angleterre, après aulcunes excuses des
   maulvais et estroitz logis où elle avoit passé, m'a dict que,
   en lieu que j'avois accoustumé d'aller vers elle, elle estoit
   pour satisfaction de mon attante venue ceste foys vers moy,
   toute preste d'ouyr de bon cueur ce que je luy voudrois dire
   de la part de Vostre Majesté; mais ce seroit après qu'elle
   vous auroit infinyement remercyé de tant de sortes de faveurs
   et d'honnestes respectz, et de bons traictementz, dont il vous
   avoit pleu, et aulx deux Roynes Très chrestiennes, uzer vers
   le comte de Worchester son depputé, qui en avoit encores tant
   receu en vostre court; et partout où il avoit passé en vostre
   royaulme, que, de son abondante satisfaction, il avoit, à son
   retour, satisfaict elle et toutz les siens par deçà, aultant
   qu'il estoit possible de le fère; de quoy, pour beaucoup de
   mutuelles occasions d'entre Voz Majestez et de voz communs
   subjectz, elle en estoit bien fort ayse, et me prioit croyre
   qu'elle se santoit vous en avoyr beaucoup d'obligation.

   Je luy ay respondu que cella monstroit aulmoins que les siens
   et toutz ceulx de ceste nation sont et seront tousjours mieulx
   receus en France qu'on ne luy avoit voulu fère accroyre; et,
   de tant que ce que m'aviez mandé par voz deux dernières
   dépesches donnoit ung fort parfaict tesmoignage à la foy,
   intégrité et droicte conscience, dont vous procédés en toutes
   choses vers elle, et au regret que vous auriez qu'à l'appétit
   d'aulcuns de voz subjectz malcontantz, ou des siens
   passionnés, elle layssât naistre quelque préjudice en l'amityé
   qu'elle vous avoit jurée; et que vous l'assuriez bien que le
   Pape, ny Mr le cardinal de Lorrayne ne pourroient jamais rien
   traverser en celles que vous luy portiés; que j'avoys estimé
   bon de laysser à part tout ce que je pouvois avoyr pensé de
   luy dire, et remonstrer de moy mesmes là dessus, pour luy fère
   voyr les propres conceptions vostres, et celles de la Royne,
   vostre mère, par les propres lettres de Voz Majestez.

   Ce que la dicte Dame monstrant d'avoyr bien agréable, a fort
   attentivement leu tout l'extrêt, que je luy ay faict voyr,
   des plus notables poinctz de voz deux lettres du XIIIIe et du
   XXIIIe du passé;

   Et, après avoyr déduict aulcunes choses, pour conférer
   l'effect, qu'elle dict vous avoyr tousjours monstré de son
   amityé et bons déportementz vers vous, à ceulx de Vostre
   Majesté vers elle,

   J'ay suivy à luy dire que ce qu'elle avoit leu monstroit qu'il
   ne se pouvoit desirer rien de mieulx en l'affection, où vous
   vous confirmiés de plus en plus, de luy demeurer à jamais très
   bon amy et perpétuel confédéré; et que vous vouliez que cella
   fût notoyre à toute la Chrestienté avec dellibération que, si
   le feu Roy François le Grand, vostre ayeul, s'estoit oncques
   monstré ferme amy des princes protestantz en la première
   guerre que l'Empereur Charles cinquiesme leur avoit commancé,
   aulxquelz il avoit faict secours, pour une foys, de cinq centz
   mille escuz, car ilz avoient d'aultres forces assez; et le feu
   Roy Henry, vostre père, quand il fit, quelque temps après, la
   guerre au mesme Empereur pour la dellivrance du duc de Saxe et
   lansgrave de Hetz, et pour la liberté de l'Allemaigne; et, si
   l'ung et l'aultre avoient esté constantz vers les feus Roys
   Henry et Edouard, ses père et frère, quand eulx mesmes ne les
   avoient provocqués, que vous vous proposiez de l'estre encores
   plus vers elle en toutz les accidentz et occasions qui s'en
   présenteroient jamais au monde;

   Et, pour ne m'arrester trop en ce poinct, duquel elle avoit
   vostre foy, vostre sèrement et vostre propre lettre, pour
   gages, je voulois venir à l'aultre principal poinct de voz
   lettres, lequel estoit l'entière confirmation d'estuy cy, et
   confutoit toutz les argumentz qu'on pouvoit fère au contraire:
   c'estoit du propos de Monseigneur le Duc, lequel Voz Majestez
   me commandoient de le résouldre avec elle, et que, pour ne le
   laysser plus en simples parolles et remises, et n'y laisser
   ainsy naistre des difficultés les unes après les aultres, vous
   la vouliez instamment prier de vous vouloir maintenant
   esclarcir de sa résolue volonté, affin qu'après ceste foys
   Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, vous imposissiez à
   vous mesmes ung perpétuel silence de ne donner à elle l'ennuy,
   ny à vous la honte, de jamais plus en parler; qu'elle se
   pouvoit souvenir qu'au moys d'aoust dernier elle m'avoit donné
   charge de vous respondre, présent le Sr de La Molle, que,
   suivant la contreinte, qu'elle s'estoit faicte à elle mesmes
   pour l'amour de ses subjectz, de se résouldre à se marier,
   qu'elle avoit dellibéré de prendre party de grand lieu, parce
   qu'elle n'estoit petite, et que celluy que Voz Majestez luy
   offroient de Monseigneur le Duc luy sembloit très honnorable,
   si toutes aultres choses y pouvoient convenir, dont elle
   avoit estimé que aulcunes gisoient en l'entrevue d'entre eulx
   deux; et qu'elle m'avoit dict et faict bailler par escript
   qu'elle estoit contante que toutz les articles, qui avoient
   esté trouvés bons au premier propos de Monsieur, frère de
   Vostre Majesté, restassent accordés en ce segond, réservé le
   seul poinct où l'aultre avoit esté délayssé, touchant accorder
   plus ou moins de l'exercice de la religion: dont n'y pouvoit
   plus rester que celle seule difficulté, et une aultre,
   laquelle il falloit plus tost vuyder, qui estoit, si elle
   avoit depuis faict nulle contrayre résolution de ne se marier
   pas; car sur celle là faudroit il couper entièrement le
   propos, et establyr, en tout ce que fère se pourroit, celluy
   de la ligue.

   Elle m'a respondu qu'elle avoit bonne souvenance des propos
   que je luy ramantevoys, de la résolution à prendre party
   sellon elle, et qu'elle en estoit encores là, et ne se feroit
   jamais ce préjudice, d'en prendre d'aultre qualité, et qu'elle
   voudroit qu'aussi peu se fussent elloignées les choses du
   costé de Vostre Majesté que du sien; mais si, en ung tel
   party, ne se trouvoient maintenant, les aultres considérations
   qui estoient requises pour le repos d'elle et de son estat,
   force luy seroit de s'en passer.

   J'ay réplicqué que, puisque ce doubte estoit vuydé, tout
   l'affère estoit bien près de sa conclusion, car ne restant
   plus aulcun escrupulle, ny apparance de danger, que au seul
   poinct de la religion, la Royne, vostre mère, en avoit parlé
   si clèrement au comte de Worchester et au Sr de Valsingam, et
   croy qu'encores escript à elle mesmes, que c'estoit maintenant
   à elle d'y mettre l'effect, quand elle voudroit.

   Elle m'a dict incontinent que la Royne n'avoit parlé que en
   termes généraux, et qu'il sembloit qu'elle estoit allée fort
   retenue en ce propos, auquel l'on voyoit néantmoins que, du
   costé de Monseigneur le Duc, estoit raysonnable que se
   demandoit l'esclarcissement de toutz les doubtes, et s'est
   mise à en déduyre plusieurs.

   Dont enfin je luy ay dict, en termes bien clers, que Vostre
   Majesté et la Royne, vostre mère, desiriez qu'elle jugeât
   ainsy de Monseigneur le Duc comme d'ung prince catholicque,
   qui avoit aultant à cueur ce qui estoit de son Dieu, de sa
   religion et de sa conscience, que prince qui fût au monde; et,
   s'il estoit aultre, vous l'estimiés si vertueuse qu'elle ne
   l'auroit en aulcun compte, et que d'un prince desirable qu'il
   estoit, elle le tiendroit pour ung ambitieulx digne d'estre
   rejetté;

   Que pourtant Voz Majestez la prioient de luy accorder aultant
   du dict exercice comme elle jugeoit bien qu'il ne pouvoit
   estre en Dieu, en conscience et en honneur, qu'il n'en heût;
   et, pour parler en termes plus exprès, que, _venant
   Monseigneur le Duc par deçà_, elle ne le voulût tant
   contreindre en sa conscience que de ne luy laysser pour luy et
   ses domesticques, non subjectz de ceste couronne, l'exercice
   de _sa religion en privée, en ung quartier où il logeroit, et,
   pour obvier à toutz les escandalles qu'elle alléguoit, s'il
   estoit besoing que ce fût à huys clos, avec ung de ses
   huyssiers à la porte, qu'il ne refuzeroit de le fère_.

   Elle a monstré de ne trouver poinct maulvais cella, et m'a
   dict que, si on luy eût voulu parler si clèrement, il y a
   longtemps qu'elle eût baillé sa response, et qu'elle s'en
   alloit, le jour après, à Grenvich, où elle en confèreroit avec
   ceulx de son conseil, et puis me manderoit un jour pour me la
   fère, m'ayant demandé, d'elle mesmes, si Vostre Majesté
   m'avoit envoyé le reste des articles.

   Je luy ay dict qu'il fauldroit suyvre ceulx mesmes du premier
   propos.


   Et puys ay suivy à luy dire que maintenant voulois je, hors de
   voz lettres, luy parler de l'expédition qu'ung chacun disoit
   et qu'on voyoit que le comte de Montgommery s'aprestoit de
   fère je ne sçavois où, parce que je n'avois pas tant pénétré
   en ses entreprinses; mais j'entendois que c'estoit en quelque
   lieu contre vous, et que je n'avois pas tant de regret au mal
   qu'il vous pourroit fère, qui y aviez très bien pourveu, comme
   à ce qu'il s'estoit pourveu d'armes, d'argent, d'hommes et de
   monitions, et possible, de maulvaise affection dedans Londres,
   allant et venant en la court de la dicte Dame, et alloit
   prendre vaysseaulx et tout aultre équipage en ses portz; que
   ce m'estoit chose si griefve, après luy avoir veu, ceste
   mesmes année, lever la mein à Dieu pour vous jurer amityé, et
   vous la luy aviez pareillement jurée à elle, qu'il falloit
   bien ou que je luy demandasse congé, ou bien qu'elle commandât
   que le dict de Montgommery ny aultres eussent à sortir de ses
   portz avec armement, sans prendre bonne seureté qu'ilz
   n'yroient poinct contre Vostre Majesté, ny troubler vostre
   royaulme, ny porter dommage à voz subjectz, ny atempter
   aulcune chose, soit à la Rochelle ou ailleurs, contre la bonne
   ligue et confédération d'entre Voz Majestez.

   La dicte Dame, après m'avoir, en contre eschange de cella,
   racompté aulcunes particullarités des propos que Carcade avoit
   tenus à son retour en Escoce, et des souspeçons que la
   dépesche de Vérac par mer, et plusieurs advis qu'elle avoit
   de France, luy pouvoient avoyr donné beaucoup plus grandes à
   elle de Vostre Majesté que non à vous d'elle, si elle les
   vouloit prendre, m'a dict qu'elle desireroit de bon cueur que
   vous sceussies au vray ce qui s'estoit passé, de sa part, sur
   les instances de Montgommery et de ceulx de la Rochelle, et
   sur les présens affères de vostre royaulme; car avoit opinion
   que ne pourriez fère que ne luy en sentissiez une bien grande
   obligation, et que j'aurois occasion de me pleindre, si je
   voyois qu'elle baillât de ses navyres, et argent, et hommes,
   au dict de Montgommery, mais, de le laisser aller là où il
   voudroit, mesmement qu'elle juroit ne sçavoir quelle part
   c'estoit, et cuydoit que ce ne seroit poinct à la Rochelle,
   elle ne le debvoit empescher; et, affin que pas ung angloys ne
   peût traicter avecques luy, au préjudice de ce qu'elle me
   disoit, elle commanderoit à ses conseillers de conférer
   avecques moy, et je leur pourrois fère la mesmes remonstrance
   que j'avois faicte à elle.


   Sur quoy, ayant reprins le premier propos de l'entretènement
   de vostre traicté, et l'ayant priée qu'elle voulût si bien
   déposer toutz ces umbrages et deffiances, qu'on s'efforçoit de
   luy imprimer de vous, qu'elle vous en rendît son amityé plus
   parfaicte, et de me vouloir bientost résouldre du faict de
   Monseigneur le Duc, elle m'a bien fort gracieusement licencié.



CCCVIIe DÉPESCHE

--du XIXe jour de mars 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Ouater._)

  Efforts de l'ambassadeur pour empêcher le départ de l'expédition
    du comte de Montgommery.--Nouvelles d'Allemagne.--Arrivée de Mr
    de Chateauneuf à Londres.--Audience.--_Mémoire au roi._ Détails
    de l'audience.--Nouvelles plaintes au sujet de l'expédition du
    comte de Montgommery.--Assurance donnée par la reine que toutes
    les mesures sont prises pour arrêter l'exécution de ses
    projets.--Déclaration que les prises faites sur les Français ne
    seront pas reçues en Angleterre.--Affaires d'Écosse.--Plainte
    de la reine à l'égard du projet imputé au roi de venir en
    personne au secours de l'Écosse, après la réduction de la
    Rochelle, afin d'envahir l'Angleterre.--Demande d'un délai pour
    répondre sur la négociation du mariage.--_Mémoire à la reine._
    Détails particuliers de la négociation de Mr de Chateauneuf sur
    le mariage.


    AU ROY.

Sire, le jour après que j'eus communicqué avec la Royne d'Angleterre
des poinctz principaulx de voz lettres, du XIIIIe et XXIIIe du passé,
elle mit en dellibération les remonstrances que je luy avoys faictes,
dont le comte de Montgommery s'apperceut incontinent qu'elle auroit
grand regret que, par les déportementz de luy, vous vous sentissiez
offancé d'elle, ny qu'il se fît aulcune altération au bon traicté
d'entre Voz Majestez; et que pourtant il ne pourroit tirer ny hommes,
ny argent, ny monitions, ny aulcung notable secours procédant de la
dicte Dame, ny sinon celluy que les évecques, et aulcuns siens
particulliers parantz, et quelques passionnés protestantz, aulxquelz
elle mesmes n'ozeroit contredire, luy pourroient moyenner sur le seul
crédit et responce de ceulx de la Rochelle, dont il a changé l'ordre
qu'il avoit préparé pour son voyage; et au lieu que le cappitayne
Poyet, et ung nombre de françoys, debvoient aller en Holande, il les
mène presque toutz avecques luy, réservé les Srs vidame, Pardaillan,
Le Plessis, La Garde et quelques aultres, qui demeurent. Il est bien
certein que, suyvant l'eschange du sel et du vin, qu'on va quérir à la
Rochelle pour d'aultres vivres et monitions, qu'on y porte d'icy,
plusieurs navyres angloys y vont de compagnie, qui sont équippés,
moytié en guerre, moytié en marchandises; et avec ceulx là, et les
pirates, et d'aultres vaysseaulx, qui l'attendent au pays d'Ouest, il
faict estat de mettre plus de cinquante navyres de combat ensemble:
dont le rendez vous est ez isles de Grènesay, avec résolution de
crever ou de se fère mestres de la mer, et de combattre les gallères
et navyres de Vostre Majesté; et puis, par les marées haultes, mettre
des hommes, des armes, des monitions, et des vivres pour ung an, dans
la Rochelle.

Le cappitayne Morguen, et mille angloys passent peu à peu en Holande,
et, le quatorziesme de ce moys, l'homme du comte Palatin a conféré de
rechef fort estroictement avec milord Quipper et avec le comte de
Lestre, et puis s'est licencié pour aller, du premier bon temps, tout
de long, en Hembourg; et ung marchand d'Allemaigne, qui est icy,
assure qu'il se faict une levée de reytres en son pays, nomméement
pour aller en France.

Toutes ces choses, Sire, m'ont donné occasion de retourner à
l'audience, dont je donne le récit à part, en ayant assez bon argument
par les deux dépesches de Vostre Majesté du IIe et IIIIe du présent,
et par la venue de Mr de Chasteauneuf, laquelle j'ay toute convertye
en une honneste visite de Monseigneur le Duc vers ceste princesse,
chose qui s'est trouvée estre plus à propos que je n'eusse espéré. Et
sur ce, etc.

    Ce XIXe jour de mars 1573.


MÉMOIRE AU ROY.

   Sire, après avoyr aydé au Sr de Chasteauneuf de fère l'office
   qui convenoit pour Monseigneur le Duc, duquel il s'est aussy
   bien et modestement acquicté qu'il se pouvoit desirer pour le
   contantement de ceste princesse, j'ay parlé bien exprès à elle
   de toutes les choses, une à une, qui sembloient tourner au
   préjudice de l'amityé et des bons traictés d'entre Voz
   Majestez; et que, de tant que je n'estois icy que pour
   procurer l'entretènement de l'une, et pour m'oposer à
   l'infraction des aultres, je la suplioys d'y pourvoir, ou bien
   qu'elle trouvât bon que je supliasse très humblement Vostre
   Majesté de me permettre que je la peusse requérir de mon
   congé; car, après cella, il ne siéroit plus bien ny à moy, ny
   à pas ung aultre, de la part de Vostre Majesté, de se trouver
   auprès de la sienne.

   La dicte Dame, en bonne et bien fort bénigne façon, m'a
   respondu que quelle démonstration que je fisse, je sçavois
   bien que Vostre Majesté avoit occasion de la remercyer sur le
   faict mesmes du comte de Montgommery, duquel tant je me
   pleignois; et que, oultre ce que j'avoys entendu par les gens
   de son conseil, qu'elle luy avoit interrompu une armée,
   laquelle la noblesse d'Angleterre luy avoit offerte, et faict
   prendre ses pirates, et qu'elle pouvoit assurer qu'il n'avoit
   esté accomodé par elle d'ung seul escu, n'y d'aultant de
   poudre qu'il en pourroit dans la mein, ny d'armes jusques à
   une simple espée, ny d'hommes, ny de vaysseaulx; encores
   l'avoit elle, après ma précédante audience, faict appeller en
   son conseil pour luy deffandre de sortir, aulcunement armé, de
   ses portz, ce qu'il avoit trouvé si estrange qu'il luy avoit
   demandé à quel titre le vouloit elle retenir prisonnier;

   Et que néantmoins elle luy avoit esté si redde en cella, que
   les évesques et plusieurs principaux personnages de ce
   royaulme luy estoient venus remonstrer que, oultre le tort
   qu'elle faysoit à elle mesmes, à sa couronne et à ses
   subjectz, d'abandonner la deffance de leur religion, elle ne
   pourroit plus griefvement offancer Dieu et à sa conscience que
   d'empescher que le dict de Montgommery n'allât soubstenir en
   son pays, par les moyens qu'il pourroit, la cause de sa
   religion; et que, nonobstant, elle ne l'avoit voulu laysser
   partir sans prendre promesse et seureté de luy qu'il n'iroit
   point contre Vostre Majesté, ny fère chose aulcune au
   préjudice de la bonne confédération d'entre ces deux
   royaulmes;

   Dont pouvoit jurer qu'elle ne sçavoit où il alloit; et que,
   possible, alloit il aussytost en Flandres que en France;
   néantmoins que, ayant depuis sceu comme il y avoit, en l'isle
   d'Ouyc, sèze vaysseaulx et six centz françoys, qui se
   préparoient pour l'aller trouver, elle les avoit faict
   arrester, et avoit aussy elle mesmes, de sa bouche, prescript
   à des milords et à plusieurs gentilshommes de sa court, qui
   avoient affection à ceste entreprinse, d'entièrement s'en
   départir.

   Au regard des prinses qu'on avoit faictes sur voz subjectz,
   elle n'entendoit qu'il en eût esté rien débité en son
   royaulme, ny rien entré dans sa coustume, ains vouloit que
   tout ce qu'elle en avoit faict recouvrer par ses propres
   vaysseaulx, fût entièrement rendu; et que de cella j'en
   parlasse avec ceulx de son conseil;

   Quand aulx choses d'Escosse, que je m'advançoys bien de me
   pleindre de cella, mesmes qu'elle avoit bien fort grande
   occasion de se douloir pour les menées qu'elle avoit
   découvertes qui s'y faysoient contre elle du costé de France,
   jusques à y debvoir Vostre Majesté mesmes passer, en personne,
   après la prinse de la Rochelle, et entrer en armes en
   Angleterre; où elle ne s'attandoit pas, à la vérité, que vous
   y voulussiez jamays venir en sorte d'ennemy, puisque vous y
   pouviez venir en sorte d'amy, et y estiés ainsy plus desiré
   que personne qui fût au monde;

   Et, encor qu'elle eut pensé, comme je disoys, d'envoyer du
   secours en Escoce pour expugner le chasteau de Lillebourg,
   c'estoit en faveur du jeune Roy, son parant, et pour la
   noblesse et la paix universelle du royaulme, et non pour y
   préjudicier en rien à vostre alliance, ny pour fère, de ce
   costé, ny de nul aultre, aulcun préjudice à l'amityé et aulx
   bons traictés d'entre Voz Majestez; et qu'elle vous prioit de
   croyre qu'elle n'estoit pas plus résolue de ne souffrir point
   d'offance, si, d'avanture, quelqu'ung luy en vouloit fère,
   qu'elle avoit fermement résolu de ne commancer à vous en fère
   aulcune de sa part;

   Et quand à l'instance, que je luy fesois, de respondre au
   faict de Monseigneur le Duc, qu'elle ne le vouloit ny
   différer, ny prolonger, bien que ces saincts jours de Pasques
   la rendoient un peu excusable, et qu'elle avoit advisé d'y
   procéder ainsy honnorablement, et par l'ordre que les aultres
   princes avoient accoustumé fère en choses de si grand
   importance, comme estoit ceste cy à elle, qui me prioit ne
   trouver maulvais si elle respondoit là dessus à Vostre Majesté
   et à la Royne, vostre mère, par son ambassadeur; pour de tant
   plus s'assurer de voz intentions; et qu'elle m'en feroit aussy
   participant par deçà, et espéroit que sa responce seroit si
   honnorable que Voz Majestez s'en contanteroient.

   Les propos de la dicte Dame ont esté dictz en si bonne façon
   que j'ay estimé luy en debvoir rendre beaucoup de mercyement
   pour les ungs, et j'ay bien voulu aussy réplicquer ung peu sur
   les aultres, et nomméement j'ay passé à diverses remonstrances
   sur le faict du comte de Montgommery, et bien fort
   expressément sur n'envoyer point de forces en Escosse, et de
   vouloir elle mesmes deffandre les poinctz de l'amityé et
   confédération d'entre Voz Majestez, et commander à ses
   conseillers de n'y laysser venir, de son costé, aulcune
   altération; comme vous ne souffririez qu'il y en vînt du
   vostre;

   Et m'ayant fort assuré qu'elle le feroit ainsy; et que mesmes
   ce qu'elle m'avoit dict mander des forces en Escoce, n'estoit
   que contre les larrons de la frontière, et qu'elle envoyeroit
   milord trézorier pour conférer davantage avecques moy à
   Londres, et qu'elle seroit preste de favoriser l'élection de
   Monsieur en Pouloigne, en tout ce qu'elle pourroit; et nous
   nous sommes fort gracieusement licenciés d'elle.


MÉMOIRE A LA ROYNE.

   Au regard du propos de Monseigneur le Duc, j'ay faict que le
   voyage de Mr de Chasteauneuf, qui aultrement eut esté peu
   honnorable pour Voz Majestez, ayt esté fondé sur une honneste
   visite de Mon dict Seigneur le Duc vers ceste princesse, ce
   qui a esté receu de merveilleusement bonne part.

   Et après qu'il a eu, en fort bonne façon, explicqué sa
   créance, j'ay dict à la dicte Dame que Mon dict Seigneur le
   Duc ayant fally au plésir et contantement qu'il espéroit
   recepvoyr par la venue du comte de Worchester, s'il fût arrivé
   à temps de s'enquérir à luy de toutes les bonnes nouvelles de
   la dicte Dame, et luy tesmoigner la dévotion et servitude
   qu'il luy porte, ayant esté contreinct, pour sa réputation, de
   s'acheminer au camp avec Monsieur, son frère, il avoit
   moyenné, estant devant la Rochelle, au dict Sr de
   Chasteauneuf, qui estoit de ses favoris, gentilhomme de
   mayson, et des mieulx apparantés de France, ce voyage tout
   exprès pour la venir visiter, luy bayser les meins de sa part,
   luy présenter une sienne lettre, sçavoyr de son bon portement,
   et santé, luy tesmoigner le regret de n'avoir veu le comte de
   Worchester, et l'assurer qu'entre les princes qui avoient
   aspiré à son amityé, nul luy demeureroit jamays plus constant
   serviteur que luy; et qu'il la suplioit de luy permettre qu'il
   peût commancer sa première guerre et ses armes soubz la faveur
   de son nom, et qu'en quelle part qu'il fût, il se peût advouer
   son champion, espérant que la recordation d'elle le feroit
   venir à bout des plus haultes et généreuses entreprinses qu'il
   eût en son cueur, et le jetteroit hors des plus grands
   dangiers, et luy feroit acquérir tant de réputation qu'il
   mériteroit ung jour le bien de ses bonnes grâces; et surtout
   qu'il la suplioit de fère une bonne responce aulx honnestes et
   raysonnables demandes que Voz Majestez luy avoient faictes
   pour luy.

   A quoy la dicte Dame ayant, avec toute faveur, receu le dict
   Sr de Chasteauneuf, et leu fort curieusement la lettre qu'il
   luy portoit, nous a respondu qu'elle participoit au mesmes
   regret de Mon dict Seigneur le Duc, aultant que luy, que le
   comte de Worchester ne l'eût peu voyr pour le remercyer bien
   fort de la bonne souvenance qu'il luy plésoit avoyr d'elle, et
   de l'honneste affection qu'il monstroit luy porter, laquelle
   luy estoit si expressément signiffyé par Voz Majestez Très
   Chrestiennes, et par les propres lettres de luy, et fort
   souvant par celles du Sr de Vualsingam, et quasy, à toute
   heure, par les bons rapportz que je luy en fesois, qui luy
   monstrois ordinayrement ce qu'il m'en escripvoit;

   Et, à présent, estoit confirmée par ce nouveau message,
   qu'elle vouloit confesser de luy avoyr une très grande
   obligation, et qu'il méritoit d'apporter quelque meilleure et
   plus agréable faveur, que ne luy seroit la sienne, en ses
   premières armes, et mesmes qu'elle avoit regret de luy en
   bailler là où il estoit, qui voudroit de bon cueur que
   Monsieur, son frère, et luy, employassent tant de valeur,
   qu'il y a en eulx, en d'aultres entreprinses qui fussent
   contre les ennemys et non contre les subjectz de la couronne
   d'où ilz sont;

   Et que, touchant vous fère responce à ce que demandiés pour
   luy, il estimeroit qu'elle y auroit trop respondu s'il la
   voyoit, car la trouvant ainsy vieille qu'elle estoit, elle le
   feroit bientost retirer de sa poursuyte; néantmoins que le
   dict Sr de Chasteauneuf l'assurât qu'elle la vous feroit
   bientost, et la vous feroit honnorable.

   Et après avoyr monstré d'estre bien marrye du tort qu'on avoit
   faict en chemin au dict de Chasteauneuf, de luy avoyr osté la
   lettre qu'il portoit, et avoyr faict quelque difficulté d'y
   vouloir respondre, elle l'a fort gracieusement licencié; et,
   le jour après, luy a envoyé la responce à Mon dict Seigneur le
   Duc, avec laquelle il s'en retourne vers luy par le mesmes
   chemin qu'il estoit venu, et passera là où est le comte de
   Montgommery, affin qu'avec les choses que je luy ay
   communicquées de son entreprinse, il puisse encores mieulx
   informer Monseigneur de tout ce qu'il en aura veu davantage et
   apprins sur le lieu.



CCCVIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de mars 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Réponse de la reine sur la négociation de Mr de Chateauneuf.--Sa
    persistance dans son refus de prendre un engagement formel sur
    le mariage, avant qu'une entrevue ait eu lieu.


    AU ROY.

Sire, suyvant ce que la Royne d'Angleterre m'avoit dict qu'elle
m'envoyoit milord de Burgley pour me communiquer la responce qu'elle
entendoit fère à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, sur les
choses que je luy avoys proposées, le VIIe et XVIe de ce moys, du
mariage d'entre elle et de Monseigneur le Duc vostre frère, elle n'a
pas failly, le XVIIIe ensuyvant, de fère venir en mon logis le dict
milord, qui m'a dict que la dicte Dame me prioit de croyre qu'elle
avoit mis en grande considération ce que, sur voz dernières dépesches,
du IIe et IIIIe de ce moys, je luy avoys remonstré, de l'entière et
parfaicte amityé que Vostre Majesté luy portoit;--«Et comme, depuis la
dernyère paix, en toutes les choses qui s'estoient offertes pour le
faict d'elle en la Chrestienté, d'où qu'elles eussent procedé, fût ce
de Rome, ou d'Espaigne, ou de Flandres, ou de son mesme pays, vous
vous estiez tousjours porté en très parfaict amy à destourner ce qui
pouvoit estre contre elle, et advancer ce qui estoit à son repos; et
que n'aviez jamays voulu admettre en vostre présence aulcuns de ses
rebelles; et que, ceste année, vous vous estiez, au veu et au sceu de
toutz les Chrestiens, ouvertement confédéré avec elle, et en aviez
mutuellement juré le traicté, et aviez envoyé de notables
ambassadeurs, de chacun costé, pour estipuler voz promesses, et aviez
sur icelles escript lettres de voz propres meins l'ung à l'aultre, et
que, pour confirmation de cella, vous faysiez, encores à présent,
requérir l'accomplissement des articles et observance d'iceulx; et que
vous ayant, ceste mesmes année, esté offert une aultre ligue avec de
grandz avantages, vous l'aviez refuzée pour demeurer entier en la
sienne; et que, ez choses d'Escoce, vous vous estiez toujours comporté
en façon que vous aviez bien monstré de ne la vouloir offancer; et que
de ce, d'où elle avoit peu prendre quelque deffiance de Vostre
Majesté, pour les accidantz naguyères survenus en France, vous aviez
eu, en l'évènement mesmes d'iceulx, et tousjours depuis, un grand
soing qu'elle y fût respectée et ses subjectz conservés; et
qu'aussytost que Dieu vous avoit donné lignée, vous l'aviez choisye
pour une de voz comères, et, pour plus grande confirmation de vostre
bienveillance, vous persévériez à desirer son alliance, et faisiez que
Monseigneur le Duc, vostre frère, l'envoyoit en bonne façon
rechercher:»

Que toutes ces choses, desquelles la recordation luy estoit fort
agréable, lui donnoient occasion de réputer bien employés toutz les
bons tours de très bonne amye, que, non moins expressément, elle avoit
aussy rendus de sa part à Vostre Majesté, en voz plus grandz affères,
et mesmes tout freschement de si bons, avec quelque hazard d'elle et
de son propre estat, que de meilleurs ne vous en eût sceu rendre la
feue Royne d'Espaigne, qui estoit vostre seur germayne, si elle eut
esté en vye; et que, pour conduyre ceste concurrence d'amityé à plus
de perfection, elle s'esforceroit de vous rendre, et à la Royne,
vostre mère, sur le propos, dont je la pressois, de Monseigneur le
Duc, la meilleure responce qu'il luy seroit possible; mais vouloit,
devant cella, me fère entendre qu'il y avoit deux choses qui l'avoient
longtemps retenue, et la retenoient encores beaucoup, de ne s'ozer
advancer guyères en ce propos: l'une, qu'il s'estoit peu nother, du
costé de Voz Majestez Très Chrestiennes, que n'y aviez guyères de
volonté, et que, possible, ne le vouliez du tout; la segonde, que
plusieurs considérations luy avoient tousjours faict, et luy faysoient
encores, juger estre expédiant de ne s'obliger à pas ung mariage, sans
qu'elle peût voyr et estre veue de celluy qui l'épouseroit.

Et, là dessus, s'estant mis le dict milord à discourir plusieurs
choses et ouyr, aussy fort paciemment, celles que je luy ay voulues
déduyre pour comprouver que l'intention de Voz Majestez et de
Monseigneur le Duc estoit pure et parfaicte vers la dicte Dame, il m'a
faict la responce que j'ay mise en ce pacquet. Et sur ce, etc.

    Ce XXXIe jour de mars 1573.



CCCIXe DÉPESCHE

--du IIIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Laurent._)

  Négociations au sujet du mariage et de l'expédition du comte de
    Montgommery.--Audience.--Affaires d'Écosse.--Autorisation
    donnée par la reine à Mr de Vérac de retourner en
    Écosse.--Déclaration du comte de Morton qu'il ne veut pas le
    recevoir.--État de la négociation des Pays Bas.


    AU ROY.

Sire, ceste princesse et l'ung de ses expéciaulx conseillers, car
l'aultre est allé pour quinze jours en sa mayson de Quilingourt,
monstrant que, par la responce qu'ilz vous ont maintenant envoyée, ilz
pensent avoyr faict une assez grande ouverture, pour découvrir bien
avant ce qu'avez en l'intention touchant le propos de Monseigneur le
Duc, (et sont assez en suspens si Voz Majestez voudront accorder
l'entrevue sous ung incertein évènement, et mesmement après vous avoyr
admonestés que, si vous debviez tant soit peu rester offancés, au cas
que le mariage ne succédât, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, que
la dicte entrevue se fît: qui, à la vérité, est ung poinct fort
considérable, et lequel elle estime n'estre chose indiscrète ny
impertinante à elle de le mettre en avant,) je luy ay d'ailleurs
recordé, Sire, comme de moy mesmes, ainsy que me le mandiez fère, du
XVIIe du passé, les mesmes instances, que je luy avoys cy devant
faictes, touchant le comte de Montgommery, et que vous la priez bien
fort de ne laysser à l'arbitre d'ung tel homme, qui faict le
malcontant et le désespéré, la seureté de vostre mutuelle amityé, ny
celle de vostre confédération, car il y pourroit fère du préjudice,
qui vous randroit offancé, et elle, à la fin, malcontante; et je me
oposoys, de rechef, qu'on ne le layssât sortir d'aulcun port de ce
royaulme, sans prendre assurance qu'il n'yroit poinct contre Vostre
Majesté. De quoy se trouvant la dicte Dame en quelque perplexité, elle
m'a respondu qu'elle avoit prins de luy la dicte assurance que je
demandoys, et pensoit luy avoir faict cognoistre qu'elle vous estoit
très bonne seur; dont il s'estoit party fort malcontant d'elle, et
avoit dict ne sçavoyr s'il alloit à la Rochelle, ou en sa mayson
trouver ses amys qui l'y attandoient, ou bien en Holande, mais qu'elle
avoit bien sceu qu'au partir d'icy, ung des gens du comte Ludovic le
vint rencontrer en chemin, qui heurent une longue conférance ensemble,
et qu'elle ne pensoit que pas ung de ses subjectz, sinon son beau filz
seul, l'allât accompaigner.

J'ay pareillement remonstré à cette princesse, touchant les choses
d'Escoce, que (se traictant avec le Sr de Quillegreu, son ambassadeur,
de faire une ligue par dellà sans vous en parler, toute séparée de
celle qu'aviez très ancienne avec l'Escoce; et de transporter le filz,
aussy bien que la mère, qui sont les seuls princes de ceste couronne,
et les plus estroictz confédérez que vous ayez en la vostre, sans
vostre sceu, par deçà; et de vouloir expugner le chasteau de
Lillebourg, et ruyner ceulx de dedans, qui ont tousjours heu recours à
vous, et que mesmes elle y vueille envoyer à cest effect de ses forces
et des monitions; ainsy que de toutes ces choses l'on vous avoit
adverty de dellà, et que mesmes l'on n'aspiroit à rien tant que d'y
effacer du tout la mémoire de vostre nom, et de la France), qu'il
estoit impossible que n'en fussiez beaucoup offancé; et de tant
qu'elle se souvenoit bien que, pour vostre regard, elle n'y avoit
oncques senty aulcune sorte d'offance depuis vostre règne, vous la
vouliez bien fort prier de fère cesser ces poursuytes; lesquelles je
luy voulois bien dire que romproient à la fin les traictés, et que son
bon plésir fût de se ranger, comme vous feriez aussy, à uzer vers
l'Escoce et les Escouçoys en la forme de vostre dernier traicté; et
qu'estant le Sr de Vérac, lequel vous aviez dépesché pour aller
trouver le petit Prince d'Escoce, abordé par temps contrayre en ce
royaulme, elle luy voulût faire bailler son passeport pour s'y
conduyre, soubz bonne promesse, que vous luy fesiez, qu'il n'y
procureroit rien, qui ne fût sellon la bonne amityé et les bons
traictés que vous aviez avec elle.

La dicte Dame, discourant là dessus plusieurs choses, de l'occasion
que ceulx du chasteau de Lillebourg luy avoient donnée de ne
s'entremettre plus de leur faict, et des divers rolles que le Sr de
Ledington jouoit au monde, et des divers rapportz que Carcade avoit
faictz, m'a enfin assez gracieusement respondu qu'elle vouloit, en
tout et partout, observer les traictés.

Et luy ayant, à l'heure mesmes, le dict Sr de Vérac baysé la mein,
elle luy a libérallement accordé son passage; mais, le jour d'après,
comme il est allé poursuyvre son passeport, milord de Burgley luy a
respondu qu'il estoit cependant venu nouvelles d'Escoce, par
lesquelles apparoissoit que le comte de Morthon ne vouloit que le dict
Sr de Vérac allât par dellà, par ce mesmement que les lettres qu'il
portoit n'estoient inscriptes avec le tiltre qu'il appartenoit à leur
jeune Prince, et qu'il avoit résolu de n'admettre pas ung dans le
royaulme qui ne l'advouhât, et ne s'addressât à luy, come à Roy; et de
souffrir que le dict Sr de Vérac se tînt à Barvic jusques à ce qu'il
eût démeslé tout ce différand avec le dict de Morthon, la Royne, sa
Mestresse, ne le vouloit pas. A quoy nous avons répliqué que le dict
Sr de Vérac n'ozeroit rebrousser chemin, ny délaysser, en façon du
monde, son voyage, sinon que la dicte Dame luy déniât son passeport.

Et, là dessus, le dict milord nous a offert que, si nous voulions
sonder la volonté du dict comte de Morthon par lettres, qu'il les luy
feroit apporter par la poste, et aurions sa responce dans six jours.
De quoy ne nous contantantz, comme aussy milord de Leviston et le Sr
de Molins, qui veulent aussy passer en Escoce, se trouvent icy
arrestés et malcontantz, icelluy de Burgley nous a promis d'en
conférer de rechef avec la dicte Dame pour, puis après, nous fère
entendre sa volonté, mais j'entendz qu'il prolongera cella jusques à
ce que la responce de ceulx du dict chasteau de Lillebourg soit
arrivée; auxquelz, depuis mon audience, la dicte Dame a mandé qu'ilz
ayent à se renger au party de la paix, comme les aultres, et remettre
le dict chasteau ez meins du dict de Morthon, ou bien qu'elle luy
envoyera gens, argent et monitions, pour les y forcer; et cepandant
quelqu'ung m'a dict qu'elle a escript à Barvic de fère encores
temporiser les soldats qui estoient pretz d'y aller. Je creins enfin
qu'il faudra que le dict Sr de Vérac preigne son chemin par ailleurs.

Au regard de l'accord des Pays Bas, ceulx cy ont desjà respondu à
Guaras que la Royne, leur Mestresse, avoit très agréable la
déclaration du duc d'Alve, et qu'aussytost que la ratiffication en
serait venue d'Hespaigne, elle feroit publier la liberté du commerce
et ouverture des portz, et mesmement, si le dict duc donnoit ordre que
la rivyère d'Envers fût ouverte; qui sont des remises qui monstrent y
avoyr encores quelque accrochement: et ne cessent pour cella les
Angloys de passer en Holande et à la Brille comme prétandans, si les
choses prospèrent au prince d'Orange, ainsy qu'ilz disent qu'elles
font, de suyvre son party, et aussy, s'il accorde avec le Roy
d'Espaigne, comme il en est quelque bruict, qu'ilz pourront encores
mieulx que jamays uzer lors du commerce que le dict duc leur offre. Et
sur ce, etc. Ce IIIe jour d'apvril 1573.



CCCXe DÉPESCHE

--du VIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Forces de l'expédition du comte de Montgommery.--Opinion de
    l'ambassadeur qu'Élisabeth n'est pas résolue à abandonner
    l'alliance de France.--Négociation avec l'Espagne.--Affaires de
    la Rochelle et d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, je suis adverty que, après beaucoup de difficultez, qui ont esté
faictes au comte de Montgommery pour traverser son entreprinse, il a
enfin dressé ung assez beau appareil de mer, et que, dans le Xe de ce
moys, au plus tard, il s'embarquera, et qu'il a de quoy mectre troys
mil hommes bien armés en terre; que sa flote sera de plus de cinquante
cinq vaysseaulx de toutes sortes, et qu'il en y aura envyron quarante
de combat, dont les cinq sont aultant bien équippés qu'il y en y ayt
en ceste mer, et qu'il est encores assez incertein où il dressera son
entreprinse. D'ailleurs, Sire, il m'est venu ung aultre advis comme le
Sr de Languillier, avec les nouvelles qu'il a rapportées de la
Rochelle, presse si fort le dict de Montgommery de partir, qu'il luy
faict anticiper son embarquement de quelques jours devant le dict
dixiesme, et qu'il faict estat que, entre le XIIIIe et XXe de ce moys,
il se pourra présenter avec son armée devant la ville; et que, à cause
des empeschementz qu'on luy a rapporté qu'il trouvera à l'entrée du
port et auprès de la place, il dellibère, s'il ne peult combattre
l'armée de mer de Vostre Majesté, de prendre terre en l'isle de Rhé,
ou en quelque aultre lieu voysin de là, que la cavallerye n'y puisse
aller; et, de là en hors, tenant ses vaysseaulx les plus près qu'il
pourra de ce qu'il aura mis en terre, s'esforcer par marées d'envoyer
tout le secours et refraychissement qu'il luy sera possible aulx
assiégés. J'entendz que le dict de Montgommery a descouvert que
quelques ungs vouloient attempter à sa vye, dont a envoyé requérir icy
commission pour les pouvoir fère mettre en arrest, et m'a l'on dict
que Maysonfleur en est l'ung.

J'attandray la procheyne dépesche de Vostre Majesté, premier que de
parler à nul des françoys qui sont icy, et ne monstreray, lors, que
vous vous soulciez guyères de tout l'effort du dict de Montgommery,
comme aussy me semble, Sire, que n'en debvez fère trop de cas, ayant
Monsieur ainsy bien pourveu, du costé de la Rochelle, et les
gouverneurs, le long de la coste, comme me le mandez: qui ne seroit
que encourager davantage le dict de Montgommery et ceulx qui le
favorisent, si l'on l'alloit rechercher et luy fère maintenant de
nouvelles offres, et mesmement que les affères de Vostre Majesté ne
s'en porteront qu'avec plus de réputation, si donnez ordre, ayant
desjà préveu son entreprinse, qu'elle ne puisse réuscyr à effet.

Et, quand aulx souspeçons et deffiances que Vostre Majesté a quelque
occasion de prendre de ceste princesse et des siens, sellon que très
sagement il vous playst me le discourir en vostre dépesche du XXVe du
passé, vous aurez, Sire, sellon mon jugement, receu quelque
satisfaction là dessus par la dépesche du Sr de Vassal, vous suppliant
très humblement de fère prendre bien garde du costé d'Allemagne et
d'Espaigne. Néantmoins, quant aulx choses d'icy, je ne puis penser
pour encores, Sire, que ceste princesse se vueille du tout alliéner de
Vostre Majesté; et, bien que je la voye fort recherchée, du costé
d'Espaigne, pour le mariage du filz de l'Empereur, et pour l'accord
des différendz des Pays Bas, et pour le restablissement du commerce en
Envers; et puis assez persuadée que Voz Majestez ayent juré la ruyne
de ceulx de sa religion; et ung peu par trop prompte aulx choses
d'Escoce; et aulcuns de ses conseillers soient menés, les ungz par
présantz et les aultres par passion, à l'allienner, tant qu'ilz
peuvent, de la France, si ne me veulx je encores du tout désespérer de
la dicte Dame. Et avez, Sire, quand à son mariage, beaucoup meilleures
erres d'elle pour Monseigneur le Duc, par la responce que vous ay
naguyères envoyée, que n'en a peu tirer encores l'agent d'Espaigne
pour le Roy de Hongrie; et, au regard de l'accord des Pays Bas, les
choses en sont aux termes que le vous ay escript.

Quant à la persuasion, en quoy la dicte Dame et les siens sont, que
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, soyez animés à la ruyne des
Protestantz, je leur ay faict voyr combien les condicions qu'offrez à
ceulx de la Rochelle, et aultres de leur opinyon en France, sont au
contraire, ce qui les a assez remis; et donnent à cognoistre
maintenant qu'ilz desirent la paix de vostre royaulme, avec quelque
accommodement, à ceulx de leur religion, d'ung exercice ou d'une
tollérance beaucoup moindre et plus modérée qu'ilz ne l'avoient
auparavant.

Et, touchant les choses d'Escoce, ce sont celles qui plus donnent de
peur et de souspeçon à ceste princesse et à tout ce royaulme, et
lesquelles elle voudroit, devant toutes aultres, accommoder à son
repoz; dont sera bien difficille qu'on la puisse retenir de s'en
mesler plus avant, possible, qu'elle ne debvroit. Toutesfoys j'ay mis
et mettray toute la peyne, qu'il me sera possible, de luy représenter
tousjours là dessus l'infraction des traictés, qui est chose qu'elle
monstre en toute sorte de vouloir éviter. Elle demeure encores en
cella de ne nous vouloir octroyer ny refuzer le passeport du Sr de
Vérac, et les mesmes difficultés faict elle à milord de Leviston et au
Sr de Molins; et néantmoins il faudra que bientost elle se résolve ou
à l'ung ou à l'aultre, et possible n'aura elle avec tant de facillité
rengé cependant les choses par dellà comme elle l'a espéré. Sur ce,
etc.

    Ce VIe jour d'apvril 1573.



CCCXIe DÉPESCHE

--du XIIIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration de la reine-mère
    qu'elle ne peut accorder à l'entrevue sans avoir une assurance,
    au moins secrète, qu'Élisabeth consent au mariage.--Persistance
    de la reine d'Angleterre dans sa proposition.--Conférence de
    l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.--_Mémoire._ Détails
    de l'audience sur les affaires générales.--Demande faite à
    Élisabeth de déclarer ses véritables intentions à l'égard du
    roi.--Assurance d'amitié de la part de la reine.--Affaires
    d'Écosse.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle envoie des troupes
    en Écosse pour réduire Lislebourg.--Protestation de
    l'ambassadeur contre cette infraction au traité
    d'alliance.--Promesses qui lui sont faites par les seigneurs du
    conseil.


    A LA ROYNE.

Madame, estant adverty que ceste princesse ne se trouvoit assez
satisfaicte d'aulcunes choses, que le Sr de Vualsingam luy avoit
escriptes, de la dernyère audience que luy aviez donnée à
Fontènebleau, j'ay voulu voyr si, en ne m'esloignant poinct de la
teneur de vostre lettre, du XXIXe de mars, je luy pourrois en quelque
si honneste façon réciter ce que m'escripviez, de la dicte audience,
qu'elle s'en peût contanter; mais, encor qu'elle ayt bien prins la
pluspart de ce que je luy ay dict, si a elle monstré néanlmoins de
santir bien fort celle portion où il luy semble qu'elle demeure
refuzée.

Mon parler a esté que, devant toutes choses, Vostre Majesté me
commandoit de la saluer de voz meilleures et plus cordialles
recommandations, et que le Roy, vostre filz, et Vous, aviez receu, de
la meilleure et plus inthime affection de vostre cueur, ce que son
ambassadeur vous avoit déduict, de l'intention d'elle vers le propos
de Monseigneur le Duc; qui ne vouliez faillir de la remercyer
infinyement de la faveur qu'elle portoit au dict propos, et de ce
qu'elle ne rejectoit l'instance que le Roy, son frère, et Vostre
Majesté, qui estiez sa mère, luy faysiez pour luy; et que le dict Sr
de Walsingam vous avoit commancé son récit par celluy que j'avoys
faict icy à elle, après le retour du comte de Wourcester, et vous
avoit dict que, si l'entrevue se faisoit, il auroit espérance que la
résolution de l'affère s'ensuyvroit, et que le poinct de la religion
seroit accordé; duquel, s'estant, puis après, mis à discourir, il
avoit dict que le desir d'elle seroit que Monseigneur le Duc se
contentât de la liberté de conscience, sans avoyr aulcun exercice,
privé ny externe, de sa religion en ce royaulme: ce qui vous avoit mis
en peyne; et néantmoins aviez promptement esclarcy le dict Sr de
Walsingam de la volonté du Roy et vostre: c'est que vous offriez, avec
le plus d'honneur et de respect que vous pouviez, Monseigneur le Duc à
la dicte Dame, et avecques luy vous mesmes, et toutz les moyens et
commodictés de vostre couronne, et la priez, de la plus pure et
droicte affection qui fût en vostre âme, qu'elle le voulût accepter
comme entièrement sien, et qu'il se viendroit mettre en sa possession,
toutes les foys qu'elle vouldroit, en ce qu'elle voulût avoyr esgard
aulx choses qui pouvoient estre de l'honneur du Roy et vostre, et de
celluy de vostre couronne, et de la réputation de vostre filz en cest
endroict; qui, proposiez bien, toutz troys, de ne rechercher jamais
d'elle, sinon ce qui seroit pour l'honneur sien, sa grandeur, sa
satisfaction, et son perpétuel contantement et repoz, et que vous la
priez aussy que, de sa part, elle fît en sorte que n'eussiez à sentir
ny regret, ny offance, de vostre honneste pourchas;

Que, quand à la religion, le Roy et Vous, vous estiez restreincts, et
aviez faict restreindre avecques vous ceulx de vostre conseil, au plus
extrême poinct qui se pouvoit requérir en cella, qui estoit d'avoyr
l'exercice en privé, à huys clos, l'huyssier à la porte; ce que si
elle n'octroyoit, c'estoit, à bon esciant, couper du tout le propos,
et monstrer que non à la religion, mais à la volonté, estoit tout
l'empeschement;

Au regard de l'entrevue, que Voz Majestez ne la luy vouloient
aulcunement refuser, et permettriez très volontiers à Monseigneur le
Duc qu'il se satisfît soy mesmes du grand desir qu'il avoit de la
voyr, aussytost qu'il pourroit apparoir de quelque seureté; que ce
n'estoit pour le refuser, ains pour accepter les vertueux et généreulx
desirs qui le faysoient aspirer à ses bonnes grâces, que son intention
estoit qu'il vînt par deçà; et que vous vous contanteriez qu'elle vous
en baillât l'assurance en telle et si secrette façon qu'elle voudroit,
par articles signés entre Voz Majestez seulement, ou par une lettre
qu'elle pourroit respondre à celles que Voz Majestez, à cest effect,
luy en escriproient; et qu'elle pouvoit considérer que, oultre
l'opinyon qu'on pourroit prendre que Voz Majestez fussent mal fondées
en leurs consciences, et réputassent Monseigneur le Duc de l'estre
mesmes, et peu révérantz toutz troys à Dieu, si l'envoyez doubteux et
incertein de pouvoir avoyr sa religion par deçà, il y couroit encores
le hazard du refus, lequel engendreroit ung perpétuel crèvecueur à luy
et ung regret par trop grand à Voz Majestez, de luy avoyr veu
recepvoyr ceste honte et ce déplaysir;

Que vous confessiez bien que la grandeur d'elle et ses excellantes
perfections méritoient bien que Monseigneur le Duc et ceulx qui
pourchassoient pour luy la vinssent rechercher, et luy déférassent
toutz les advantages qu'il seroit possible, et qu'elle le peût avoyr
agréable, si elle le debvoit espouser, et, possible aussy, que luy, de
son costé, monstrât qu'il se complésoit d'elle, parce que nul mariage
peût estre bon sans correspondance d'amityé; mais que, pour le regard
du premier, Voz Majestez y vouloient entièrement satisfère, aussytost
qu'il vous pourroit apparoir quelque peu de seureté, et ne faudriez de
fère incontinent passer Monseigneur le Duc, accompaigné des plus
solennels ambassadeurs que vous pourriez, vers elle, pour la requérir
et pour traicter du mariage, comme si jamays n'en eut esté parlé;
quand à luy estre Monseigneur le Duc agréable, que vous espériez et
vous assuriez fort qu'il le seroit, si prince desoubz le ciel le
pouvoit estre; car il estoit bien nay, d'une très belle disposition et
taille, et aultant accomply en excellentes et vertueuses qualités
qu'il se pouvoit desirer; et, quand à se complère luy d'elle, elle
mettoit en plusieurs sortes ce poinct hors de tout doubte, oultre
qu'elle auroit les promesses de Voz Majestez et la sienne, et luy
mesmes entre ses meins, dont ne tenoit plus qu'à elle seule qu'elle ne
se rendît tout maintenant dame et mestresse de ce grand bien.

La dicte Dame, après avoyr ung peu pensé, m'a, d'une fort bonne et
modeste façon, respondu qu'elle vouloit tousjours remercyer le Roy et
Vostre Majesté du bon desir que monstriez avoyr à son alliance, et de
l'honnorable pourchas que continués d'en fère, et de ce que, toutz
deux, aviez mis peyne de chercher ung expédiant sur la principalle
difficulté, qui estoit celle de la religion; mais qu'il sembloit que,
sur l'aultre, qui estoit de l'entrevue, vous y aviez, Madame, trouvé
ce dont elle vous avoit tousjours requise, que ne la voulussiez
consentir, si jugiez qu'il y eût tant soit peu de chose mal honnorable
pour Monseigneur le Duc; et qu'il luy sembloit que Vostre Majesté
avoit fort bien réduict l'affère au poinct où il la falloit proprement
délaysser: car, après vous avoyr faict entendre qu'elle avoit résolu
de ne s'obliger jamays à aulcun mariage qu'elle n'eût veu celluy
qu'elle espouseroit, et Vostre Majesté estant résolue que Monseigneur
le Duc ne passe icy, sans qu'elle vous ayt promis de l'espouser,
c'estoient deux résolutions si contrayres l'une à l'aultre, qu'il ne
luy restoit sinon de mander à son ambassadeur de n'en parler plus, et
à moy de me prier que je vous voulusse assurer, de la part d'elle,
qu'elle n'avoit esté si meschante ny si desloyalle, après vous avoyr
faict déclairer qu'elle se vouloit résoluement marier d'ung bon et
grand lieu sellon elle, qu'elle eût faict proposer à Voz Majestez
l'entrevue de Monseigneur le Duc et d'elle, en intention de vous
offancer toutz troys en le refuzant, ains de l'espouser de bon cueur,
s'il eût pleu à Dieu qu'ilz se fussent compleus l'ung de l'aultre, et
qu'elle verroit ce que, sur la dépesche du gentilhomme que je vous
avoys naguyères envoyé, vous m'en respondriez; qui toutesfoys ne
sçavoit si elle debvoit plus consentir la dicte entrevue, puisque
Vostre Majesté y voyoit du danger; car avoit tousjours estimée que le
poinct de la religion pourroit estre très honnorable à l'ung et à
l'aultre, s'il advenoit, par quelque occasion, que le dict mariage ne
peût succéder.

Je n'ay fally de remonstrer à la dicte Dame combien vous aviez de
justes occasions de requérir ceste secrette seureté, et de n'azarder
le voyage de Mon dict Seigneur le Duc, sans plus de fondement de bonne
espérance qu'elle ne vous en avoit encores donné, et qu'elle debvoit
laysser conduyre ce mariage en la façon accoustumée des princes, par
ambassadeurs et ministres; mais elle est demeurée ferme au poinct de
l'entrevue, et d'attandre ce que me manderez par le Sr de Vassal.

Sur quoy m'estant gracieusement licencié de la dicte Dame, Mr le comte
de Lestre m'est venu demander où j'en estoys demeuré avec elle; et je
le luy ay particullièrement récité: lequel m'a dict qu'il y avoit de
la rayson des deux costés, et qu'il en vouloit aller, sur l'heure
mesmes, parler avec elle, et que, le jour après, il viendroit à
Londres, où milord trézorier estoit, pour en conférer toutz deux
avecques moy; comme il a faict, bien que, après avoyr, eulx deux, esté
quelque temps ensemble, il n'a heu loysir davantage d'attandre, et le
propos a esté seulement entre le dict milord et moy. Lequel m'a dict
que, sellon troys choses, que le Sr de Walsingam avoit recuillies de
voz propos, la Royne, sa Mestresse, et eulx avoient prins quelque
conjecture que Vostre Majesté ne vouloit poinct le dict mariage; la
première estoit le refus de l'entrevue, après l'avoyr d'aultrefoys
voulue, et après avoyr offert, Vostre Majesté mesmes, d'y venir, qui
estoit ung trêt qu'il estimoit non guyères dissemblable à celluy du
premier propos, pour fère que la dicte Dame se trouve tousjours
refuzée; la segonde est le party que Vostre Majesté a dict avoyr en
mein pour Monseigneur le Duc, si n'estiez bientost respondue d'estuy
cy; et la troysiesme, la commémoration qu'avez faicte de la Royne
d'Escoce, comme le Sr de Vérac avoit charge de relever son party en
Escoce, bien que vous fussiez depuis corrigée, quand le dict Sr de
Walsingam vous avoit dict que le traicté portoit qu'il ne seroit
poinct parlé d'elle.

Aulxquelles troys choses j'ay mis peyne de satisfère si bien au dict
milord, qu'il a bien veu que la vérité surmontoit les dictz argumentz,
et que le Roy et Vous, Madame, et Monseigneur le Duc, et toutz ceulx
de vostre couronne, aviez une très droicte, très certayne et
indubitable, bonne intention au dict mariage, et qu'il estoit desjà
tout résolu de vostre costé, et le poinct de la religion entièrement
esclarcy.

Il m'a réplicqué que, puisque Monseigneur le Duc estoit de si belle
disposition, et de belle taille, et avoit de si belles et vertueuses
qualitez, comme je disoys, pourquoy est ce que Vostre Majesté
creignoit l'entrevue, car me pouvoit jurer, devant Dieu, qu'il ne
voyoit aultre dellibération en sa Mestresse que de se marier pour
satisfère à ses subjectz, et servir à la nécessité du temps; et
qu'elle ne s'arresteroit poinct à la couleur du visage; et le faict de
la religion se pourroit assez bien accomoder entre eulx, sellon ce qui
en estoit desjà proposé; mais qu'elle estoit entièrement résolue de
voyr celluy qu'elle espouseroit, fût ce le plus grand prince de la
terre, premier que de luy promectre mariage; et qu'il sçavoit bien
certaynement que ce n'estoit en intention de refuzer Mon dict Seigneur
le Duc, qu'elle demandoit l'entrevue, ains pour l'espouser, si Dieu
vouloit qu'ilz se peussent complère. Et sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour d'apvril 1573.


MÉMOIRE AU ROY.

   Sire, je suis allé trouver la Royne d'Angleterre, et, après
   l'avoir fort grandement mercyée, ainsy qu'il vous plaisoit me
   commander de le fère, de ce qu'elle avoit envoyé réprimer les
   pirates, et de ce qu'elle avoit faict rendre à voz subjectz ce
   qui avoit esté recoux d'eulx, qui leur appartenoit, et
   singullièrement de ce qu'elle n'avoit layssé au comte de
   Montgommery, ny à ceulx qu'il avoit praticqués par deçà, toute
   la faculté et les moyens d'exécuter leur maulvayse volonté et
   leurs maulvais desseings qu'ilz avoient contre Vostre Majesté;
   je luy ay dict que, par ung article d'une de voz lettres, vous
   vous esbahyssiez néantmoins comme j'osoys vous assurer si
   confidemment, comme je faysois, de la parfaicte amytié d'elle
   et de l'observance des traictés, là où vous aviez trois
   argumentz devant les yeulx qui vous donnoient occasion de
   creindre le contrayre.

   L'ung estoit ceste persévérance en laquelle le dict
   Montgommery continuoit de prendre icy les armes, pour s'aller
   esprouver sinon contre vostre personne, aulmoins contre celle
   de Messieurs voz frères, qui estoient campés devant la
   Rochelle, pour les empescher en la réduction de ceste place à
   vostre obéyssance, chose que vous ne pouviez en façon du monde
   bien gouster; le segond, qu'en mesmes temps les marchandz
   angloys, qui estoient à Roan et ez aultres villes de vostre
   royaulme, vendoient leurs biens et laissoient à vils prix
   leurs marchandises pour se retirer à grand haste deçà la mer,
   pour quelque advertissement qui leur estoit venu d'icy, ou
   bien du Sr de Walsingam, comme si elle avoit proposé de vous
   commancer bientost la guerre; et le troisiesme, que le Sr de
   Vérac, lequel vous envoyez en Escoce, estoit arresté par deçà,
   bien qu'il fût garny de vostre passeport, et de voz lettres et
   pacquetz;

   Qui estoient troys trêtz, sur lesquelz me commandiez de vous
   esclarcyr de l'intention d'elle, affin de ne vous trouver
   surprins de quelque mal, du costé que vous n'espériez que
   bien; car c'estoient tousjours les plus nuysans coups, ceulx
   qu'on n'avoit pas préveus: et que, de tant que vous luy
   renouvelliez et confirmiez de rechef devant Dieu, et sur
   l'obligation de vostre honneur et de vostre conscience, de luy
   garder invyolablement la confédération que luy aviez jurée, et
   d'empescher que vous, ny voz subjectz, ny pas un, vers qui
   vous eussiez moyen ou puissance, l'enfrennissent à jamais au
   préjudice d'elle, ny du repoz de sont estat, que vous la priez
   et l'adjuriez qu'elle voulût uzer de mesmes droictement vers
   vous; et que, suyvant cella, elle fît cesser l'apareil et les
   entreprinses du dict de Montgommery, et fît que les marchandz
   angloys, qui estoient en France, y continuassent doulcement
   leur commerce, comme ilz avoient accoustumé, et qu'au Sr de
   Vérac fût baillé son passeport pour continuer le voyage que
   luy aviez commandé en Escoce.

   A toutes lesquelles choses la dicte Dame m'a respondu que,
   devant toutes aultres, elle vous prioit de vivre en très
   parfaicte assurance d'elle, et qu'elle ne vous deffaudra ny
   d'amityé ny de ligue, ainsy qu'elle le vous a juré, tant
   qu'elle sera en ce monde, si premièrement vous ne la luy
   rompés:

   Et, quand au faict du comte de Montgommery, qu'elle m'y avoit
   desjà amplement respondu, et vous y avoit faict satisfère par
   son ambassadeur, et qu'elle y avoit uzé, du commancement, et
   continuoit d'y uzer encores, en façon que sa conscience
   l'assuroit fort que vous sentiés beaucoup plus d'obligation
   que d'offance d'elle en cest endroict;

   Qu'elle feroit commander aulx principaulx marchandz de Londres
   de continuer, par leurs facteurs, leur commerce en France,
   comme ilz avoient accoustumé, et de les advertir bien de ne
   fère, ny dire, chose qui ne soit sellon la bonne intelligence
   d'entre ces deux royaulmes;

   Et, quand au passeport du Sr de Vérac, que j'avoys bien veu,
   en ma précédante audience, la volonté qu'elle avoit eu de le
   luy octroyer, mais que, le soyr mêmes, estoit arrivé ung
   pacquet du comte de Morthon, par lequel il la prioit de ne le
   laysser poinct passer, estimant que cella pourroit renouveller
   quelque altération en la bonne paix, où le païs estoit à
   présent, et par ainsy que je l'excusasse; car, tant s'en
   falloit qu'elle voulût retarder la dicte paix, que au
   contrayre elle la vouloit advancer et establir, parce que
   celle de son royaulme en dépandoit;

   Et que, de tant qu'il n'y avoit rien plus que le chasteau de
   Lillebourg qui l'empeschât, elle me vouloit bien dire, et
   avoit mandé à son ambassadeur de le notiffier à Vostre
   Majesté, qu'elle permettoit à ses subjectz, qui sont vers la
   frontière d'Escosse, d'aller secourir le jeune Roy, son
   nepveu, à réduyre le dict chasteau à son obéyssance, ainsy
   que, jouxte les traictés, elle en avoit esté requise par luy
   et par les Estatz du pays.

   J'ay réplicqué, Sire, que Vostre Majesté et la Royne, vostre
   mère, aviez prié le Sr de Walsingam de luy remonstrer qu'elle
   ne voulût plus estre vostre amye et bonne seur à demy, ains
   entièrement, comme vous luy vouliés estre vray frère et tout
   entier amy, à jamais; et que, déposantz toutz deux les
   jalousies et deffiances d'entre vous, il ne fût plus uzé
   d'aulcune sorte de simulation, ny de ces façons couvertes, et
   soubz mein, l'ung vers l'aultre, et que pourtant elle advisât
   si elle aymoit mieulx, à ceste heure, complayre au comte de
   Morthon, d'arrester icy le Sr de Vérac, que de satisfère à
   Vostre Majesté, de luy donner moyen de continuer son voyage;
   et que je pouvois jurer, suyvant ce que m'aviez escript, qu'il
   n'avoit commission de fère chose aulcune par dellà que sellon
   le traicté de la ligue, et de procéder en tout conjoinctement
   avec son ambassadeur;

   Et, quand à mander de ses forces en Escoce, que cella vous
   osteroit le moyen de vous pouvoir excuser d'y envoyer des
   vostres, qui aviez jusques icy respondu à ceulx qui vous en
   avoient pressé, que vous aviez une mutuelle promesse avec elle
   de n'y envoyer des françoys non plus qu'elle des angloys; et,
   quoy que soit, je la prioys d'attandre qu'est ce que Vostre
   Majesté respondroit là dessus à son ambassadeur; car je
   sçavoys bien que le dernier traicté portoit que, dans quarante
   jours, l'ung et l'aultre debviez retirer les gens de guerre
   que pouviez avoyr au dict païs, tant s'en falloit qu'elle y en
   deût envoyer, et que je ne pouvois fère de moins cepandant que
   de protester de l'infraction du traicté; mais que je la
   supplyois de me laysser débattre ce faict avec les seigneurs
   de son conseil, affin que je luy peusse tenir ung plus
   agréable propos.

   Et là dessus, Sire, je luy ay parlé amplement de l'audience
   que la Royne vostre mère avoit donné au Sr de Walsingam en
   vostre gallerie de Fontainebleau, à quoy elle s'est rendue
   fort attentive; et néantmoins m'a assez faict cognoistre que
   le dict de Walsingam luy en avoit mandé quelque particullarité
   qui ne l'avoit bien contantée. Et de tant, Sire, que j'ay mis
   le récit de cella en la lettre de la Royne, je adjouxteray
   seulement icy que, ayant depuis débatu les affères d'Escoce
   avec les dictz du conseil, il me semble les avoyr ramenés à
   quelque rayson; et m'a esté octroyé que le Sr de Vérac puisse
   envoyer son homme jusques au comte de Morthon, pour quérir son
   passeport, si, d'avanture, il le veult bailler.



CCCXIIe DÉPESCHE

--du XVIIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par le Sr Christofle Dumont._)

  Nouvelles de la Rochelle.--Reprise du commerce entre l'Angleterre
    et l'Espagne.--Conférence de l'ambassadeur et de Burleigh sur
    les affaires d'Écosse.--Fausse nouvelle de la prise de
    Lislebourg.


    AU ROY.

Sire, de tant que le comte de Montgommery faict son embarquement à
plus de cent soixante dix mil d'icy, et que celluy, que j'ay envoyé
pour le recognoistre, ne revient poinct, ains m'a l'on dict qu'il a
esté découvert et qu'on l'a arresté; et que le dict de Montgommery a
envoyé se pleindre que je descouvrois beaucoup de ses affères, et les
luy traversoys, qui creignoit que ce fût par le moyen du jeune Sr de
Pardaillan, l'on m'a observé, et toutz les miens, beaucoup de plus
près qu'on ne souloit. Dont ne vous puis mander, pour ceste heure,
Sire, sinon la confirmation de ce qu'en avez veu par mes précédantes,
du XIIIe de ce moys, auxquelles je vous supplie très humblement
adjouxter foy. Et vous diray davantage que j'ay sceu que quelques ungs
de la Rochelle, lesquelz s'institulent mayre, juratz et payrs de la
ville, ont escript une lettre, du XVIe de mars, au dict de
Montgommery, par laquelle ilz luy mandent que le Sr de La Noue, avec
quelques aultres, les ont layssés, de quoy ilz sont fort ayses, pour
ce qu'ilz ne pouvoient vivre sans quelque souspeçon de luy, puisqu'il
avoit passé par la court, non qu'il ne se fût porté en fort vaillant
gentilhomme et en homme de bien, tant qu'il avoit esté avec eulx.

Au surplus, Sire, les articles de l'ouverture du commerce pour deux
ans, entre les pays du Roy d'Espaigne et l'Angleterre, sont passés, et
le duc d'Alve les a signés pour le Roy Catholique et milord trézorier
pour la Royne sa Mestresse; à laquelle le dict Roy Catholique a mandé,
de sa mein, qu'il vouloit de bon cueur que les choses passassent à
l'honneur et advantage d'elle, comme de celle de qui, pour beaucoup de
respectz, il desiroit conserver l'amityé; et elle luy a pareillement
escript, de sa mein, qu'elle luy vouloit defférer le semblable, comme
à celluy par qui elle recognoissoit que la vye et l'estat luy avoient
esté conservés.

Le Sr de Vérac et moy avons obtenu qu'il puisse dépescher, par la
poste, son homme devers le comte de Morthon, en Escoce, pour aller
quérir son passeport, affin de continuer son voyage, s'il le luy
envoye, ou bien s'en retourner, s'il le luy refuze. Milord trézorier,
quand je luy ay débatu que sa Mestresse ne pouvoit, sans enfreindre
les traictés, envoyer des forces en Escoce, m'a dict qu'il ne falloit
que Vostre Majesté eût opinyon qu'elle voulût entreprendre, ny en
Escoce, ny en nulle part du monde, chose aulcune que pour la seule
nécessité de sa seureté et pour le repos de son estat; et que, si elle
pouvoit avoyr ces deux poinctz, avec vostre amityé, ne falloit doubter
qu'elle ne vous gardât invyolablement la sienne avec aultant
d'affection comme pour sa propre vye; mais que les choses luy
estoient, en cest endroict, fort suspectes; dont voudroit, à ceste
heure que ceulx de la noblesse du pays se trouvoient aulcunement unis
à l'obéyssance du jeune Roy, que, à l'occasion du chasteau de
Lillebourg et de ceulx qui sont dedans, l'on ne retournât plus aulx
armes, et que pourtant le cappitaine Granges, milord de Humes et le Sr
de Ledington, qui seuls maintenant excitoient le trouble, se
voulussent contanter des seuretés qu'on leur vouloit bailler, toutes
semblables à celles que le duc, le comte de Honteley et les
principaulx, qui avoient suivy le party de la Royne d'Escoce, avoient
prins pour eulx mesmes; et qu'ilz voulussent libérallement rendre le
chasteau pour estre miz ez meins du comte de Rothes, ainsy que les
Estatz du pays l'avoient ordonné; et qu'il tardoit à la Royne, sa
Mestresse, que milord de Humes se fût rengé à l'obéyssance du dict
jeune Roy, affin de luy rendre incontinent son chasteau, lequel elle
avoit tout à plat refusé à ceste occasion au susdict de Morthon,
affin de n'en frustrer le propriétayre, bien qu'elle n'eût promis de
le rendre sinon en général aulx Escouçoys; et que le dict de Morthon
s'estoit monstré fort modéré en cest accord de l'Escoce, car avoit
rendu toutz les biens et estats qu'il tenoit, et le duc et ses enfants
avoient recouvert leurs terres et les abbayes d'Arbret et de Peselay,
et pareillement l'estat de chancellier avoit esté baillé au comte
d'Arguil, et celluy d'admiral à ung aultre; et le comte de Honteley et
luy estoient, à présent, grandz amys; qu'il me vouloit bien advertyr
néantmoins de deux choses: l'une, qu'il avoit esté faict ung acte de
parlement entre les Escouçoys pour requérir la Royne, sa Mestresse, de
les recevoir en ligue avec elle, pour la deffance de leur commune
religion, contre toutz ceulx qui se voudroient monstrer ennemys
d'icelle; l'aultre, que madame de Levisthon avoit esté faicte
prisonnyère, à cause d'une lettre de créance qu'elle avoit escripte à
la comtesse de Mar; dont celluy qui la portoit avoit esté prins, et
déposoit que c'estoit pour pratiquer, avec elle et avec Me Alexandre
Asquin, de transporter le jeune Roy en France; et que, si Vostre
Majesté avoit prins quelque souspeçon de la Royne, sa Mestresse, par
les appretz du comte de Montgommory par deçà, et pour voyr retirer les
marchandz anglois hors de France, et pour vouloir envoyer quelque
secours aulx Estatz d'Escoce, qui le demandent, qu'elle avoit plus
d'occasion de se craindre des dellibérations de Vostre Majesté parce
qu'elles tendoient à la ruyne d'elle, estant mesmement guydées par les
ennemys de sa couronne, là où elle ne prétandoit, par toutes ses
entreprinses, qu'à se conserver.

A quoy j'ay respondu fort court que nulle sorte de nouvelle ligue se
pouvoit fère en Escoce, ny envoyer des forces dans le pays, sans
contrevenir aulx traictés, et que c'estoit la Royne, sa Mestresse, qui
tâchoit d'avoyr le Prince entre ses meins; mais que si, pour se mectre
hors de toutes ces difficultés, elle vouloit s'esclarcyr avec Vostre
Majesté du faict du chasteau de Lillebourg, et du dict Prince, et de
l'entière paix du pays, et de toutes aultres choses qu'aviez à
desmeller ensemble, que vous seriez prest de le fère. Ce qu'il a
trouvé fort bon, mais je creins que, pour cella, le dict secours pour
l'Escoce ne sera suspendu, tant ceulx cy ont à cueur la reddition du
chasteau de Lillebourg, laquelle ilz font, à toute heure, presser
davantage. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour d'apvril 1573.


   Ainsy que je signois la présante, l'on m'est venu dire qu'ung
   courrier arrivoit d'Escoce, qui disoit que le chasteau de
   Lillebourg s'étoit rendu par composition à l'obéyssance du
   jeune Roy. J'entendray mieulx comme il en va: car, dès hier,
   on m'avoit bien dict que le comte de Rothes avoit esté dedans,
   mais non rien davantage.



CCCXIIIe DÉPESCHE

--du XXIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Départ de l'expédition du comte de Montgommery.--Affaires
    d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, ung messager est venu, du quartier d'Ouest, qui assure que le
comte de Montgommery s'est ambarqué, le XVIe du présent, à Plemmue. Il
est allé par mer jusques à Falmue, qui est à la poincte de Cornoaille,
pour, de là en hors, fère voyle à l'Isle Dieu, où il prétend de
recueillir toutz ses vaysseaulx. Je n'ay aultres nouvelles d'Escoce,
depuis mes précédantes, du XVIIe de ce moys, sinon que de la part de
ceulx qui ont suivy le party de la Royne d'Escoce, qui mènent quelques
praticques en faveur de ceulx du chasteau de Lillebourg pour les fère
comprendre dans l'accord; que le comte de Rothes a esté devers eulx
dans la place, et que le cappitaine Granges a offert de la luy
remettre en ses meins, ou bien ez meins de celluy que ceulx de la
noblesse nommeront, en luy baillant néantmoins, premier qu'il s'en
descharge, une bonne somme de deniers contantz pour s'acquicter des
grandz debtes qu'il a faictz pour la fournyr et conserver durant le
temps qu'il en a esté cappitaine, en luy baillant aussy le chasteau de
Blacnes pour sa seureté, et pour celle aussy de ceulx de son party. De
quoy il n'y a encores rien de faict, et m'a l'on dict que les trèze
centz harquebusiers, que la Royne d'Angleterre avoit faictz approcher
vers ces quartiers là pour les envoyer au comte de Morthon, lesquelz,
à la vérité, ont esté jusques sur la frontyère d'Escoce, s'en estoient
retournés; ce que, si ainsy est, Sire, elle a voulu monstrer de
n'aller poinct contre la protestation que je luy ay faicte, et à ceulx
de son conseil, de n'y envoyer poinct de forces s'ilz ne vouloient
enfraindre le traicté. Néantmoins l'on continue de m'advertyr qu'elle
passera oultre à fère passer les dictz harquebousiers et l'artillerye
pour forcer ou pour intimyder ceulx du dict chasteau, s'ilz ne
viennent à composition. Et sur ce, etc. Ce XXIe jour d'apvril 1573.



CCCXIVe DÉPESCHE

--du XXVIe jour d'apvril 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Nouvelles du comte de Montgommery.--Affaires d'Écosse.--Mise en
    liberté de lord de Lumley et des sirs Thomas et Edouard de
    Stanley.--Le comte de Soutampton retenu à la Tour.--Nouvelles
    arrivées à Londres des succès remportés par les protestans de
    la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, jusques au XXIIe du présent, le partement du comte de
Montgommery n'a esté bien sceu en ceste court, mais, ce matin là, il
est arrivé ung courrier du Ouest qui assure de l'avoyr veu à la
voylle, le XVIe auparavant, hors du port de Falammue, avec le nombre
de vaysseaulx que je vous ay desjà mandé. Je sçay bien, Sire, que le
Sr de Walsingam vous aura parlé de ceste expédition, sellon qu'on luy
a escript d'icy ce qu'il auroit à vous en dire; dont je desire bien
entendre la vertueuse et prudente responce que Voz Majestez luy auront
faicte, affin que je la suive par deçà. Je voys bien que ceulx cy
mettent à exécution les dellibérations qu'ilz avoient prinses en une
leur assemblée de conseil, qui a esté tenue au commancement de ce
moys; et, suivant icelles, ilz layssent aller ceste flotte du comte de
Montgommery en France, et layssent couler en Flandres, nonobstant le
dernier accord, le secours qu'ilz avoient promis au prince d'Orange:
et ne fays aussy doubte qu'ilz n'envoyent en Escoce les trèze centz
hommes et les douze pièces de batterie, que le comte de Morthon attand
d'eulx; car j'entendz que le capitaine Granges demeure fermement
opiniastre de ne quicter le chasteau de Lillebourg, que premièrement
l'on ne luy ayt fourny contant vingt mille livres d'esterlin, qui sont
soixante six mille sept centz soixante quinze escus, et qu'on l'ayt
mis en possession du chasteau de Blacnes pour la seureté sienne et des
siens.

Le conseil, ces jours passez, a vacqué à l'examen de ces seigneurs
catholicques, qui estoient dans la Tour, dont milord Lommeley, les
sires Thomas Standley, Edouard Standley, Gérard, et aultres, sont
remis en liberté, bien que encores soubz quelque guarde; mais le comte
de Surthampton, ayant esté mené en la présence du dict conseil, après
avoyr esté ouy, je ne sçay pour quelle occasion, plus que les aultres,
a esté ramené dans la Tour. Sur ce, etc.

    Ce XXVIe jour d'apvril 1573.


   Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr que, de Roan, est
   arrivé ung advis en ceste court, comme la nuict, du VIIe de ce
   moys, ayant Monsieur voulu fère donner une camisade à ceulx de
   la Rochelle, les siens y ont esté repoulsés, avec la perte de
   troys centz gentilshommes, et que Mr de Guyse et le Sr Strossy
   y ont esté blessés à la mort, et pareillement y ont esté
   blessés Mr le marquis Du Mayne et Mr de Nevers, l'ung au bras,
   et l'aultre à la jambe; et que, à Bordeaux et en la Gascoigne,
   y a quelque révolte, que Vostre Majesté a esté contreincte d'y
   envoyer des forces. Qui sont nouvelles qui convyeroient les
   Angloys, si elles estoient vrayes, de favorizer encores
   davantage l'entreprinse du comte de Montgommery; dont je
   desire leur pouvoir fère bientost voyr tout le contrayre.



CCCXVe DÉPESCHE

--du premier jour de may 1573.--

(_Envoyée jusques à la court par Jacques Laurent._)

  Audience.--Détails sur l'expédition du comte de
    Montgommery.--Résolution des Anglais d'envoyer des troupes en
    Écosse pour réduire Lislebourg.--_Mémoire._ Détails de
    l'audience.--Perte essuyée par les troupes royales à l'assaut
    de la Rochelle.--Accord des Vénitiens avec les Turcs.--Vives
    plaintes du roi contre les secours donnés à la Rochelle, et la
    conduite tenue par Élisabeth, tant à l'égard de l'Écosse que de
    la négociation du mariage.--Explications données par la reine
    d'Angleterre.


    AU ROY.

Sire, ainsy que Jacques, le courrier, est arrivé avec les lettres de
Vostre Majesté, du XXIIIe du passé, j'estois tout prest d'aller
trouver ceste princesse sur l'occasion de vostre précédante dépesche,
du XXIe auparavant; et m'a semblé que je ne debvois, pour les segondes
lettres, changer rien de ce que j'avoys à dire à la dicte Dame sur les
premières, estant mesmement bien adverty qu'elle, et ceulx de son
conseil, ne sçavoient comment prendre le contremandement de monsieur
de Walsingam; et que, d'ailleurs, l'on leur faysoit accroyre que
Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoit perdu presque toute la
noblesse, qu'il avoit avecques luy, en ung assault qu'il avoit faict
donner à la Rochelle, le VIIe du dict moys: qui estoient deux choses,
dont l'une pouvoit beaucoup irriter la dicte Dame, et l'aultre
l'animer à quelque entreprinse. A l'occasion de quoy j'ay été trouver
la dicte Dame, à laquelle j'ay tenu le propos que verrez dans un
mémoire à part.

Il y a plus de trois moys, Sire, que, jour par jour, je vous ay
adverty comme cette entreprise du comte de Montgommery s'apprétoit;
et vous ay faict sa flotte, et son armement, ung peu plus grandz et
plus fortz qu'ilz ne sont, et que, entre le XIIIIe et XXe d'avril, il
se présenteroit devant la Rochelle, dont j'espère qu'il n'aura trouvé
à y gaigner que force coups et beaucoup de honte. Il luy arryvera
encores dix ou douze petitz vaysseaulx, car son nombre, ainsy qu'on
m'a rapporté, estoit de soixante et deux, et que, en tout, il y avoit
quelque équippage de guerre, mais n'en y avoit que XXII ou XXIII qui
fussent de combat, ny d'iceulx sinon cinq ou six qui fussent pour fère
grand effort. Et pour le présent, ceste princesse ne faict aulcun
aultre préparatif, par mer ny par terre, sauf qu'elle persévère, ainsy
que je suis bien adverty, et son parler ne le contredict poinct, de
vouloir mander au comte de Morthon le secours qu'elle luy a promis. Et
j'entendz que à Barvic s'espéroient, ces jours passés, quelques
seigneurs d'Escoce pour ostages et respondantz des canons et monitions
qu'on luy envoyera. Si le dict de Montgommery est repoulsé, il y a
grande aparance que ceulx cy ne remueront rien plus vers la France,
mais, s'il luy succède bien, je creins assez qu'ilz se layssent
facillement tirer à y fère quelque entreprinse davantage. Et sur ce,
etc. Ce 1er jour de may 1573.


MÉMOIRE.

   Sire, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que, par vostre
   dépesche du XXIe du passé, Vostre Majesté me commandoit de
   fère deux offices vers elle: l'ung, de luy donner compte
   d'aulcunes choses, et l'aultre, de luy fère pleincte de
   quelques aultres, et que, en l'une et en l'aultre, Vostre
   Majesté monstroit une si expresse signiffication d'amityé et
   de bienveillance vers elle, que je m'assurois qu'elle
   prendroit le tout de fort bonne part. Et là dessus je luy ay
   particullarisé le contantement que ses deux ambassadeurs,
   l'ung prenant son congé, et l'autre entrant en sa charge, vous
   avoient toutz deux donné des bons et honnorables propos
   qu'ilz vous avoient tenus, touchant l'observance des traictés
   et la continuation de la ligue; et que Vostre Majesté et la
   Royne, vostre mère, leur aviez bien faict cognoistre que, en
   tout tant de princes qu'il y avoit au monde, elle ne
   trouveroit jamays tant de bonne correspondance comme en vous
   et en ceulx de vostre couronne: car vostre naturel estoit,
   encor que nul proufit vous deût jamays revenir de son amityé,
   de l'aymer tousjours néantmoins parfaictement, et que vous ne
   cesseriez de luy vouloir toutjour beaucoup de bien jusques à
   ce que vous apercevriez, à bon esciant, qu'elle vous voulût
   beaucoup de mal;

   Et me commandiez aussy de luy compter comme vous espériez de
   brief la réduction de la Rochelle, vous ayant Monsieur escript
   qu'il estoit dellibéré, après ce premier assault[18], lequel
   ne luy avoit du tout bien succédé, (et auquel, à la vérité, il
   avoit fait perte de quelques ungs, mais non en grand nombre,
   ny de gens de nom, sinon le jeune Sr de Clermont Tallard et le
   cappitaine Causeings,) d'y fère ung segond effort si bon et si
   grand, et presser si vifvement les assiégés qu'il en viendroit
   bientost à bout; et que Vostre Majesté luy avoit envoyé les
   Suysses qui pouvoient estre desjà arrivez au camp.

  [18] Ce premier assaut, dans lequel les catholiques perdirent
  plus de 300 hommes, fut donné le 6 avril 1573. Le jeune Clermont
  Tallard y reçut une blessure dont il mourut; Caussens fut tué, le
  18, dans la tranchée.

Et luy ay, après cella, touché quelque mot de l'accord des Vénitiens
avecques le Turcq, pour luy fère voyr qu'elle avoit esté mal persuadée
de croyre que fussiez intervenu en aulcun marché, au préjudice d'elle,
dans la ligue qu'ilz avoient faicte avecques le Roy d'Espaigne et le
Pape. Puis, luy ayant récité l'accidant du vaysseau angloys qui avoit
esté combatu et mené à Fescamp, et l'ordre que Vostre Majesté avoit
donné de le fère dellivrer et de satisfère à tout le dommage qu'il
avait souffert, et que, jusques à ung poil, vous vouliez exactement
observer le traicté de la ligue, j'ay finy en cest endroict mon
premier propos.

Et suis venu au segond, de la pleincte: sur lequel je luy ay dict que
je me trouvois en peyne comme bien uzer sur tout ce que me commandiés
de luy en dire, car m'appelliés à tesmoing, et je vouloys bien rendre
ce tesmoignage à Vostre Majesté et à la Royne vostre mère, que, en
tout ce que j'avoys jamays cogneu de vostre intention vers la dicte
Dame, toutz deux l'aviez eue très bonne et droicte, et fondée en une
perdurable amityé vers elle; mais que je ne sçavois par quel accidant
elle ne s'estoit jamays entretenue ung moys entier, sans entrer en
quelque souspeçon ou meffiance de Voz Majestez: ce qui avoit engardé
et engardoit encores que, de son costé, ne se peût former une si
assurée intelligence, entre vous et voz deux royaulmes, comme Voz
Majestez Très Chrestiennes, et, possible, elle mesmes, le
desireroient, et qu'elle vous avoit mis à ne sçavoyr que espérer de
son intention;

De tant que, en lieu de vous secourir sellon le traicté, et sellon son
sèrement, et sellon la promesse qu'elle vous en avoit faicte de sa
mein, vous voyez maintenant aller de son royaulme le secours à voz
ennemys; et, en lieu de procurer conjoinctement, par voz communs
ambassadeurs, la paix en Escoce, elle engardoit que celuy de Vostre
Majesté n'y peût passer, et envoyoit des forces au dict pays, quand
elle les debvoit dans quarante jours retirer, si elle en y avoit,
ainsy qu'elle avoit juré de le fère; et, touchant le propos de
Monseigneur le Duc, qu'elle avoit monstré de ne prendre de bonne part
la bonne et vertueuse responce que la Royne, vostre mère, avoit faicte
au Sr de Walsingam. Qui estoient trois inconvénientz que Voz Majestez
Très Chrestiennes avoient imaginé que pouvoient procéder de ce que la
dicte Dame n'estoit parfaitement bien informée de vostre intention, et
comme véritablement vous l'aviez bonne et entière vers elle, ny
pareillement de celle de Monseigneur le Duc, lequel vous avoit
supplyé, par ses lettres, d'en esclarcir Mr de Walsingam, premier
qu'il s'en retournât.

Sur quoy Vostre Majesté avoit bien voulu, pour ces troys occasions,
mander au dict Sr de Walsingam, et pareillement au Sr docteur Dayl, de
vous venir toutz deux retrouver, encor qu'il eût desjà prins congé. Et
cepandant vous estoit arrivé la nouvelle comme le comte de Montgommery
estoit venu, avec cinquante vaysseaulx, mouiller l'ancre à la portée
du canon de vostre armée de mer devant la Rochelle, le XIXe du passé,
à quatre heures du soyr, chose de quoy Monsieur ne s'estoit mis en
peyne, car avoit pourveu que le dict de Montgommery n'en peût
rapporter que honte et dommage; néantmoins que cella vous venoit à
regret d'entendre que la Primeroze, et aultres vaysseaulx de la dicte
Dame, et ceulx de Hacquens, et autres de ses subjectz, fussent en la
flote, et eussent incontinent arboré les enseignes et les croix
rouges, comme si elle vous eût dénoncé la guerre. De quoy, à mon
advis, Vostre Majesté feroit une fort grande pleincte à ses
ambassadeurs, et je la suppliois aussy de me dire qu'est ce que
j'avoys à vous y respondre.

La dicte Dame, se trouvant pour une partie du propos en assez de
satisfaction, et en beaucoup de perplexité pour l'autre, m'a dict
qu'elle vouloit joindre son contantement à celluy que Vostre Majesté
et la Royne, vostre mère, aviez prins des propos qu'elle avoit
commandé à ses ambassadeurs de vous tenir, et qu'elle vous confirmoit
de rechef fort fermement tout ce qu'ilz vous avoient dict, de la
persévérance de son amityé et de l'observance du traicté, et que vous
ne verriez jamais rien sortir de son costé, d'où vous n'eussiez
occasion de luy continuer à jamays vostre perpétuelle bienvueillance;
qu'elle souhaytoit ung si bon succès à Monsieur, frère de Vostre
Majesté, qu'il vous peût en brief recouvrer l'obéyssance de ceulx de
la Rochelle, et leur fère voyr à eulx que vous leur vouliez estre
prince débonnayre et clément, et qu'elle regrettoit bien fort que vous
fussiez en ceste nécessité, de fère combatre ainsy voz subjectz les
ungs contre les aultres, avec une si grande perte comme elle avoit
entendu, en ce dernier assault, des meilleurs et plus vaillantz de
vostre royaulme; dont desiroit que Vostre Majesté et la prudence de la
Royne, vostre mère, y peussiez trouver quelque bon remède; qu'elle
réputoit sages les Vénitiens, de s'estre mis en paix, bien creignoit
que le Turc s'en prévalût davantage contre la Chrestienté, de quoy
elle seroit marrye, mesmement s'il en advenoit quelque dommage à
l'Empereur, et qu'à la vérité elle avoit eu occasion de tenir jusques
icy assez suspecte la ligue qui avoit esté faicte pour ceste guerre,
dont verroit, à ceste heure, ce qui en succèderoit; et qu'elle vous
remercyoit grandement du soing, qu'aviez eu, de pourvoyr au faict de
ce vaysseau anglois qui avoit esté mené à Fescamp; et qu'elle, de son
costé, continueroit de pourvoir aussy à la conservation et indempnité
de voz subjectz, aultant qu'il luy seroit possible:

Et, quand aulx troys chefz de pleincte que je luy avoys déduictz, elle
s'assuroit fort, pour le regard des deux premiers, que ses
ambassadeurs vous y avoient très amplement satisfaict, si ses lettres
là dessus n'avoient esté perdues, et qu'elle prenoit, sur l'obligation
de sa conscience et de la foy qu'elle avoit à Dieu, de ne préjudicier,
ny du costé de France, ny du costé d'Escoce, de la largeur d'une
ongle, à la teneur du traicté et de la ligue qu'elle avoit avec Vostre
Majesté; et que, si la creincte de Dieu et l'escrupulle de son
sèrement, et l'amityé qu'elle porte aux princes ses voysins, n'eussent
esté trop plus grandes, que les moyens et occasions de s'agrandir et
de s'accroistre ne luy ont deffally, et pourroit estre comptée
aujourdhuy au reng des plus grandz conquéreurs;

Dont ne doubtoit que, pour vostre regard, Sire, vous ne l'eussiez bien
cognu, et que ne la réputissiez pour vostre parfaictement bonne seur,
dont ne desiroit sinon que, si ung semblable accidant, d'avanture, luy
survenoit, qu'elle vous y peût expérimanter de mesmes son bon frère;
que les jalousies ne deffailloient jamays à ceulx qui avoient à garder
quelque estat, et qu'elle, qui n'avoit ny mary, ny lignée, ny aparant
successeur, debvoit estre plus jalouse que nul autre du sien,
mesmement qu'elle sçavoit que Vostre Majesté faysoit divers fondementz
sur elle et sur la Royne d'Escoce, pour vous apuyer des deux costez,
et garder, en tout évènement, l'intelligence de ce royaulme; mais
c'estoit en vain, car ceulx de ce royaulme mettroient plustost en
pièces la Royne d'Écosse que de la laisser régner sur eulx après elle:

Qu'elle avoit beaucoup d'obligation à Voz Majestez, et à Monseigneur
le Duc, pour vostre persévérance au propos du mariage, lequel sembloit
néantmoins que l'aviez voulu terminer et finir par vostre dernière
responce, et que si, pour les troys occasions susdictes, vous aviez
contremandé le dict Sr de Walsingam, elle desiroit qu'il vous y peût
bien satisfère.

Au regard de l'arrivée du comte de Montgommery à la Rochelle, et de
toutes ces choses que, par une partie de vostre lettre, laquelle je
luy avoys leue, Vostre Majesté me commandoit de luy remonstrer, elle
me promettoit et juroit, en foy et parolle de princesse chrestienne et
véritable, que, en toute sa flote, il n'y avoit ung seul homme, ny ung
seul vaysseau, ny pour ung escu d'aulcune sorte d'armement, qui fût
provenu d'elle, ny de sa permission ou commandement; et que la
Primeroze, plus d'ung an a, n'estoit du nombre de ses vaysseaulx, et
qu'elle ne pensoit qu'ung seul gentilhomme angloys, si n'estoit,
possible, son beau filz, fût avecques le dict de Montgommery; et qu'il
avoit esté contreinct de ramasser ce qu'il avoit peu, de vaysseaulx et
d'hommes, françoys et flammantz, pour exécuter son entreprinse; et
qu'elle avoit veu des lettres que le dict de Montgommery avoit
escriptes à quelques ungs de sa court, par où il se pleignoit
amèrement d'avoyr esté mal traicté et fort trompé des Angloys; et,
quand avoyr arboré les croix rouges, ce n'estoit chose que les navyres
marchandz n'eussent accoustumé de fère en temps suspect; par ainsy
qu'elle vous prioit de croyre que, en tout cella, il n'y avoit rien de
sa coulpe, et que Vostre Majesté trouveroit estre véritable ce que son
ambassadeur avoit eu charge de vous en dire.

Je n'ay manqué de réplicquer, par le menu, à chacun poinct de son
dire, et à toutes ces souspeçons; et luy ay dict, sur ce dernier, que
vous la priez bien fort qu'elle mesmes voulût juger en son cueur si
ung prince pouvoit estre si peu sensible que, en l'offançant, et luy
faysant beaucoup de mal, l'on peût retenir et conserver son amityé.

Elle est retournée, là dessus, à me parler en si expéciaulx termes de
sa bonne intention, et de la certayne et indubitable bonne affection
qu'elle avoit à Voz Majestez et à la conservation de vostre grandeur,
et m'a tant conjuré de vous escripre de bonne sorte ce qu'elle m'avoit
dict de sa justiffication en cest endroict, qu'elle a bien monstré de
ne me vouloir renvoyer malcontant.



CCCXVIe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de may 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Retraite du comte de Montgommery de devant la
    Rochelle.--Déclaration du roi touchant les affaires
    d'Écosse.--Consentement donné par le roi à l'entrevue avec le
    duc d'Alençon, qui desire passer en Angleterre après la
    réduction de la Rochelle.--Explications données par la reine
    sur sa conduite à l'égard de l'Écosse.--Satisfaction qu'elle
    éprouve de la résolution prise par le duc d'Alençon.--Nouvelle
    de la prise de Belle-Isle par le comte de Montgommery.


    AU ROY.

Sire, si je n'eusse bien assuré à la Royne d'Angleterre que Vostre
Majesté n'avoit contremandé son ambassadeur que pour davantage
l'esclarcyr, premier qu'il repassât la mer, de tout ce qu'aviez à
desmeller avecques elle, affin que, quand il seroit par deçà, il la
peût parfaictement assurer de l'indubitable volonté de Voz Majestez
Très Chrestiennes vers l'observance du traicté, et du desir qu'avez,
plus grand que jamays, que le bon propos d'entre elle et Monseigneur
le Duc s'effectue, elle eût facillement creu que ce n'estoit pour une
si gracieuse occasion comme celle là qu'il eût esté arresté; et n'en
a peu perdre du tout le doubte jusques à ce que le Sr de Vassal est
arrivé, le premier de ce moys, avec vostre dépesche, du XXVIe du
passé, et l'homme du dict sieur ambassadeur, troys jours après, avec
celle du XXIXe.

Sur lesquelles deux je suis allé dire à la dicte Dame que Vostre
Majesté sçavoit ung bien fort bon gré à son dict ambassadeur de ce
qu'il n'avoit refuzé la peyne de retourner tout incontinent et bien
fort volontiers vers vous, et qu'il ne tarderoit guyères d'estre
devers elle, et de luy apporter beaucoup de satisfaction des choses
que luy aviez déduictes en ceste dernière conférance; de sorte qu'elle
cognoistroit n'y avoyr princes en toute la Chrestienté, qui eussent
mieulx mérité de l'amityé d'elle que Vostre Majesté, la Royne, vostre
mère, et Messeigneurs voz deux frères, et qu'il ne se pourroit
imaginer nul plus grand, ny plus énorme péché, que de la fère mal
espérer de la vostre, et de l'induyre à permettre quelque effect qui
vous peût offancer; et que cependant me commandiez de luy racompter ce
qui avoit succédé de l'exploit du comte de Montgommery devant la
Rochelle, et comme, par l'espace de deux jours, qu'il s'estoit tenu
devant la ville, il avoit faict son effort de mettre du secours
dedans, et d'atacher quelque combat de mer, mais, voyant que la
prévoyance et pourvoyance de Monsieur avoient remédyé à son
entreprinse, il s'estoit, l'aultre jour après, envyron la marée de
minuit, getté au large, et avoit reprins la mesmes route qu'il estoit
venu; et qu'aussytost que Vostre Majesté avoit sceu son départ, vous
aviez mandé aulx gouverneurs de voz provinces que, nonobstant que des
vaysseaulx et des enseignes d'Angleterre eussent été veues avecques
luy, qu'on ne layssât pourtant de bien recepvoyr partout les Angloys,
parce que vous demeuriez persuadé qu'elle n'avoit eu intelligence du
faict du dict de Montgommery, ny n'avoit aulcune male volonté contre
vous, ny contre voz subjectz; et la suplioys que, pour ce tant
singullier tesmoignage de vostre bienvueillance vers elle, elle
voulût, après cest acte d'hostillité du dict de Montgommery, juger
ainsy de luy comme d'ung qui s'estoit efforcé de se déclarer ennemy et
rebelle de Vostre Majesté; et que, de tant qu'il estoit allé contre le
traicté de la ligue, et contre la seureté qu'elle avoit prins de luy
qu'il n'y feroit poinct de préjudice, qu'elle voulût contremander
ceulx de ses subjectz qu'il avoit avecques luy, et fère retirer les
vaysseaulx angloys qu'il avoit à sa suyte, et deffandre que nulz
aultres, dorsenavant, eussent à favorizer ses entreprinses;

Et que Vostre Majesté me commandoit qu'avec ceste instance, je luy
continuasse aussy celle que je luy avoys desjà par plusieurs fois
faicte des choses d'Escoce, de vouloir la dicte Dame procéder,
conjoinctement avec Vostre Majesté, à procurer la paix du dict pays
sellon le traicté; et que, de tant que j'estois seurement adverty que,
contre la teneur d'icelluy, elle avoit faict marcher son artillerye et
ses gens de guerre, par dellà, pour forcer le chasteau de Lislebourg,
je luy voulois renouveller ma précédante protestation de l'infraction
du dict traicté, et la supplier qu'elle voulût fère cesser son exploit
de guerre; néantmoins que je luy offrois, si elle vouloit s'esclarcyr
avec vous de tout ce qu'elle pouvoit estre en deffiance du dict costé
d'Escoce, que vous seriez prest de le fère avec tant d'advantage pour
elle, et repos de ses subjectz, qu'elle et eulx n'en pourroient
rester sinon bien fort contantz; et pourtant qu'elle voulût fère
donner passeport au Sr de Vérac pour continuer son voyage, ou bien
pour s'en retourner, esconduict, devers Vostre Majesté.

La dicte Dame, considérant l'honnesteté du dict propos, conjoincte
avec beaucoup de rayson, m'a respondu que Vostre Majesté, en ce que je
luy avoys dict, luy faysoit toucher aulcuns poinctz qui estoient si
honnorables pour elle, qu'elle ne vouloit fallir de bien fort
grandement vous en remercyer, et se louer encores davantage de ce que,
oultre les parolles, vous y adjouxtiez encore les effectz; qui vous
prioit aussy de croyre, de sa part, que, touchant le comte de
Montgommery, elle n'avoit esté aulcunement participante de ses
dellibérations, et que son exploict, ainsy que Monsieur l'avoit bien
esprouvé, ne procédoit d'une force royalle: et, touchant l'Escoce,
qu'encores qu'elle eût presté de l'artillerye aulx seigneurs et Estats
du pays, auxquelz, par rayson, elle ne l'avoit peu dénier, et eût
faict marcher quelques gens pour la conduire; que néantmoins ce
n'estoit pour y acquérir ung poulce de terre, ny pour y atempter rien
contre le traicté, ny à la diminution de l'allience de France, et
qu'elle me déclaroit que, à tout ce qui dépendoit de vostre mutuelle
amityé, et qui concernoit la grandeur et réputation de Vostre Majesté,
elle y vouloit moins préjudicier qu'à sa propre vye, et que, des
instances que je luy avois sur ce faictes, elle en communicqueroit
avec ceulx de son conseil pour, puis après, m'y satisfère.

Je luy ay, de rechef, agravé mes dictes instances, le plus que j'ay
peu, et luy ay monstré combien elles estoient raysonnables et justes,
et combien c'estoit chose elloignée de bonne foy que, pendant qu'elle
vous faysoit entretenir de bonnes parolles, et qu'elle retardoit icy
soubz quelque excuse le Sr de Vérac, elle permît que, en faveur du
comte de Montgommery, du costé de France, et du comte de Morthon, du
costé d'Escoce, ung si grand et si royal amy, comme vous luy estiez,
fût offancé, qui espérois qu'elle y auroit du regrect davantage, après
qu'elle auroit ouy ce qui me restoit à luy dire de vostre part:

C'estoit que Monseigneur le Duc, ayant envoyé remercyer Vostre Majesté
de la communicquation que luy aviez voulu fère de la responce de la
dicte Dame sur son faict, après l'avoyr bien considérée, et considéré
le propos qui en avoit esté entre la Royne, vostre mère, et le Sr de
Walsingam, et veu la lettre qu'elle luy avoit escripte à luy mesmes à
la Rochelle par le Sr de Chasteauneuf, et entendu les honnorables
rapportz que le dict Sr de Chasteauneuf luy avoit faictz de ce qu'il
avoit veu et ouy en présence de la dicte Dame, il vous avoit fort
honnorablement supplyé, et pareillement la Royne, vostre mère, par
lettre de sa mein, du propre jour de la retraicte du comte de
Montgommery, qu'il vous pleût ne luy tenir si restreinct le hault
desir qui l'avoit faict aspirer aulx excellantes perfections de la
dicte Dame, que luy en volussiez maintenant retrancher l'espérance; et
que pourtant luy voulussiez permettre qu'il peût, incontinent après la
réduction de la Rochelle, luy venyr bayser les meins, s'assurant
qu'elle ne luy dénieroit ce qui seroit raysonnable de l'exercice de sa
religion; et que, de sa part, il luy feroit cognoistre par luy mesmes,
mieulx qu'il ne le pourroit fère par un tiers, ny par ses propres
lettres, combien il avoit voué d'affection et de vray amour et de
servitude à ses bonnes grâces: et que Vostre Majesté et la Royne,
vostre mère, qui estiez très disposés vers elle et vers la perfection
de ce propos, luy aviez entièrement accordé sa requeste; et me
commandiez de luy dire qu'incontinent que la Rochelle seroit prinse,
vous permettriez à ce jeune prince d'accomplir le vertueux et royal
desir qu'il avoit de la venir voyr, et que Voz Majestez Très
Chrestiennes la prioient de le recevoir pour ung éternel gage de
vostre perdurable amityé vers elle, et de la perpétuelle confédération
d'entre voz deux couronnes, ainsy qu'elle en trouveroit l'offre plus
expresse par deux lettres que j'avoys à luy présenter de la Royne,
vostre mère, et de luy; et que je la supliois de vouloir penser
meintenant de sa seureté, affin qu'il fût aussy favorablement receu de
ses subjectz, et en son royaulme, comme je m'assurois qu'il le seroit
très honnorablement d'elle et des siens en sa court.

La dicte Dame, d'ung visage contant et d'une façon bien modeste, m'a
respondu qu'elle remercyoit infinyement Vostre Majesté de la
perdurable et constante bonne volonté qu'aviez vers elle, et
pareillement Monseigneur le Duc, qui l'obligeoit beaucoup plus qu'elle
n'auroit jamays moyen de luy satisfère; mais elle remercyoit davantage
la Royne, vostre mère, comme luy ayant plus d'obligation qu'à toutz
deux, parce que, nonobstant qu'elle eût estimé l'entrevue pleine de
danger et peu advantageuse pour son filz, elle avoit néantmoins
condescendu qu'il y vînt; et que le plus mortel regret qu'elle
pourroit avoyr au monde seroit si, ne se faysant poinct le mariage, il
advenoit que Vostre Majesté et elle, et vostre frère, en restissiez
mal contantz; dont n'estoit de merveille si elle se trouvoit en peyne.
Et, après avoyr fort curieusement leue la lettre de la Royne, vostre
mère, sans en perdre ung seul mot, elle m'a demandé si, depuis ceste
vostre résolution, son ambassadeur avoit poinct eu conférance avec Voz
Majestez. Et luy ayant dict que ouy, elle m'a prié trouver bon qu'elle
peût attandre quelque jour, affin que, sur ce qu'elle entendroit de
luy, elle sceût mieulx prendre l'expédiant qui luy seroit nécessayre.
Je n'ay rien pressé davantage; ains, après luy avoir encores tenu
quelques gracieux propos sur la lettre de Monseigneur le Duc, je me
suis licencié d'elle.

Il n'y avoit lors, Sire, en ceste court aulcunes nouvelles de la
retrette du comte de Montgommery, sinon celles que j'avoys apportées,
ny ne sçavoit on qu'il estoit devenu, mays, hier au soyr, arrivèrent
deux des siens, l'ung qui dict luy avoyr esté envoyé de la Rochelle,
pendant qu'il estoit à l'ancre devant la ville, et l'aultre se nomme
le cappitaine Ber, lesquelz racomptent les choses non guyères
aultrement que Vostre Majesté me les a escriptes; mais ilz adjouxtent
que le dict de Montgommery est descendu depuis à Belle Isle, et que,
le XXVIIIe du passé, il a prins par composition le chasteau, et qu'il
dellibère de fortiffier toutz les portz et advenues du lieu, et que
certeins navyres, qu'il avoit envoyé vers la coste d'Hespaigne, luy
avoient desjà ramené deux ou trois prinses qui valoient plus de
cinquante mille escus, et que bientost le Sr de Languillier viendroit
icy affin solliciter de rechef ung plus notable et plus grand secours
que le premier pour la Rochelle. Sur ce, etc.

    Ce VIIIe jour de may 1573.

   L'on a escript en ceste court qu'il a esté faict de rechef un
   grand massacre de ceulx de la nouvelle religion à Chasteaudun,
   de quoy les souspeçons renouvellent aulx Angloys que la
   conjuration, de les exterminer toutz, soit vraye, si,
   d'avanture, ilz n'entendent que Vostre majesté en face fère
   quelque punition.

   Je viens d'avoyr relation comme, depuis cinq ou six jours, dix
   jeunes gentilshommes escouçoys ont esté mandés ostages en
   Angleterre pour douze pièces d'artillerye, et pour les
   monitions que ceste princesse a prestées au prétendu régent et
   aulx Estatz d'Escoce, et que troys compagnies d'angloys, de
   trois centz hommes chacune, les sont allez conduyre par dellà,
   et que desjà l'on besoigne à une platte forme pour assoyr la
   dicte artillerye contre le chasteau de Lillebourg.



CCCXVIIe DÉPESCHE

--du XIIe jour de may 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Combes._)

  Retour de Walsingham en Angleterre.--Conférence de l'ambassadeur
    avec Burleigh.--Offre de la médiation de l'Angleterre et des
    princes protestans d'Allemagne pour rétablir la paix en
    France.--Nouvelles d'Écosse.--Rupture de la négociation tendant
    à la capitulation de Lislebourg.


    AU ROY.

Sire, le jour de la Panthecoste, le Sr de Walsingam est arrivé devers
la Royne, sa Mestresse, à Grenvich, où elle et ses deux principaulx
conseillers l'ont fort curieusement examiné, deux jours durant, à
part, des choses de France, et puis ont mandé le reste du conseil pour
l'ouyr aujourdhuy davantage; dont ne fault doubter que, du rapport
qu'il fera, bon ou maulvais, n'ayt à dépendre ce qu'avez à espérer, de
bien ou de mal, de ce costé. Et, de tant que milord trézorier m'a
librement dict que, lors du premier congé du dict Sr de Walsingam, il
s'en venoit persuadé que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère,
estiez plus animés que jamays contre voz subjectz de la nouvelle
religion, et entièrement résolus à la ruyne des Protestantz, et que
vous, ny elle, ne vouliez nullement le mariage de Monseigneur le Duc
avec leur Mestresse, il ne fault doubter que, si ne l'avez, ceste
segonde foys, renvoyé mieulx édiffié de voz bonnes intentions, qu'en
lieu d'allience et confédération avec les Angloys, Vostre Majesté
n'ayt à les compter pour ceulx qui ouvertement, ou soubz mein, seront
ordinayrement en armes contre la France. Milord trézorier m'a fort
conjuré de vouloir bien penser de la sincère volonté de la Royne, sa
Mestresse, vers Vostre Majesté et vers la Royne, vostre mère, et
pareillement de celle de luy vers l'entretènement de tout le traicté,
mais qu'il n'estoit pas possible que la dicte Dame ni luy, avec toute
l'ayde qu'il luy sçauroit fère, peussent surmonter l'universel
consens, dont le conseil et toute la noblesse d'Angleterre convenoient
à se bander contre les dellibérations de Voz Majestez Très
Chrestiennes, en ce que vouliez poursuyvre à oultrance l'oppression de
la religion protestante, et exterminer ceulx de voz subjectz qui en
faysoient profession; et que, de tant qu'il me pouvoit fère clèrement
voyr, s'il vouloit, mais vous l'expérimantiez assez, que l'entreprinse
ne vous estoit nullement aysée, il vous vouloit, pour le debvoir de la
ligue, très humblement supplier de ne vous y opiniastrer tant, que la
Royne, sa Mestresse, et les princes protestantz fussent, à la fin,
contreinctz de vous monstrer que vostre entreprinse ne leur seroit
tollérable; et que s'il vous plésoit fère deviser avec elle, ou avec
quelqu'ung des dictz princes, de remettre la paciffication en vostre
royaulme, qu'il estoit très assuré qu'ilz seroient moyen qu'avec une
bonne parolle, et avec quelque démonstration de clémence, Vostre
Majesté regaigneroit plus d'authorité sur ses subjectz et recouvreroit
mieulx l'obéyssance qu'ilz luy doibvent, et se soubsmettroient plus
facillement à Monsieur que si vous y employez toutes les forces, et
tout l'estat de vostre couronne; et qu'il desiroit grandement que la
Royne, vostre mère, voulût prendre cest affère en sa mein.

Je l'ay bien fort remercyé de la bonne affection qu'il avoit à la paix
de vostre royaulme; mais je luy ay dict, sans toutesfoys rejetter son
conseil, qu'il ne deffailloit ny bonnes parolles ny clémence de la
part de Vostre Majesté, ny le bon office de la Royne, vostre mère, et
de Messeigneurs voz frères, et aultres grandz princes de vostre
royaulme, pour la réduction de voz subjectz, mais c'estoit l'habitude
que quelques ungs s'estoit faicte, depuis douze ans en çà, de
reprendre trop facillement les armes, qui rendoit tout le reste
opiniastre: et n'ay point suivy plus avant.

L'ung de ceulx que j'avoys secrettement envoyé en Escoce vient
d'arriver, qui rapporte qu'encor qu'il n'ayt recouvert la responce de
ceulx du chasteau de Lillebourg, que néantmoins il leur a fait tenir
mon chiffre, et ilz luy ont fait signal de l'avoyr receu; et que cella
est advenu sur le poinct que le comte de Rothes avoit esté desjà cinq
foys parlemanter à eulx, et sur le poinct qu'ilz estoient prestz de
livrer le dict chasteau au comte de Morthon, en, par luy, baillant
celluy de Blacnes, garny de quatre pièces d'artillerye, en baillant
aussy le revenu de Saint André pour le cappitaine Granges, mais que
toute ceste praticque avoit esté lors rompue. Dont le dict de Morthon,
à la persuasion du Sr de Quillegreu, avoit envoyé emprunter
l'artillerye et les neuf centz harquebousiers de la Royne
d'Angleterre; et que néantmoins l'on disoit que le dict chasteau
n'estoit pour estre forcé, mais bien creignoit on qu'il y eût de
l'intelligence dedans, ou bien que le cappitayne prétandoit de le
rendre avec plus d'honneur quand il verroit le canon, et assuroit on
qu'il y avoit vivres dedans jusques à la Saint Michel, et prou
pouldre, mais peu de bouletz. Sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de may 1573.



CCCXVIIIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de may 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Affaires de la Rochelle et
    d'Écosse.--Envoi de la réponse d'Élisabeth sur la demande de
    l'entrevue avec le duc d'Alençon.


    AU ROY.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre prins le loysir, durant toutes ces
festes de Pantecoste, de dellibérer avec les seigneurs de son conseil
de ce qu'elle avoit à me respondre sur l'offre de l'entrevue, et sur
les aultres deux instances, que je luy avoys faictes, du comte de
Montgommery et des choses d'Escoce; après qu'elle a eu bien examiné le
Sr de Walsingam, de l'intention qu'il pouvoit avoyr cognue là dessus
de Voz Majestez Très Chrestiennes, elle m'a faict, depuis troys jours
en çà, et non plus tost, appeler devers elle pour me dire que, devant
toutes choses, elle vous remercyoit infinyement de la favorable
expédition que, par deux foys, Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, aviez donnée à son ambassadeur, qui le luy aviez renvoyé le plus
satisfaict et le plus contant que nul aultre gentilhomme qu'elle eût
jamays mandé en charge; et que, si, de ceste vostre faveur, la
récompanse se pouvoit fère par une grande recognoissance d'elle, et
par une très grande obligation de luy, vous ne vous plaindriés jamais
du payement, mais qu'il luy deffailloit bien à elle le moyen, comme
sur une aultre plus grande obligation qu'elle vous avoit pour la tant
expresse déclaration, qu'il luy avoit apportée, de vostre parfaicte et
perdurable amityé vers elle, elle vous y peût bien satisfère;
néantmoins que là où les parolles propres, pour vous en rendre ung
assez suffisant grand mercy, luy deffailloient, elle adjouxteroit
davantage de la recognoissance dans son cueur pour vous produyre les
bons effectz que pourriez desirer de sa correspondance: et a
accompaigné cella d'une si bonne expression qu'elle a monstré de le
dire de bon cueur: que, touchant l'octroy que luy aviez voulu defférer
de l'entrevue, lequel elle recognoissoit procéder d'une singullière
faveur et très grande grâce de Vostre Majesté et de la Royne, vostre
mère, et de Monseigneur le Duc, elle mettroit peyne de vous y fère la
plus honnorable et cordialle responce, qu'elle pourroit, par ses
lettres qu'elle vous feroit présenter, et avec quelques parolles de
son intention par son ambassadeur: que, du comte de Montgommery, elle
estoit bien assurée qu'il n'y avoit plus ny hommes ny vaysseaulx
angloys en sa compagnie, s'estant toutz les navyres marchandz, qu'il
cuydoit conduyre dans la Rochelle, retirés par deçà, et qu'il n'y en
yroit poinct d'aultres, et que, si j'entendoys qu'il en allât
aultrement, que je l'en advertisse; car me juroit qu'elle y mettroit
bon remède, estant résolue de vous guarder, comment que ce fût,
inviolablement l'amityé: que, des choses d'Escoce, l'entreprinse du
chasteau de Lillebourg estoit bien advancée, en laquelle, ny en chose
qui se traictât par dellà, vous ne trouveriez qu'il s'y fît rien à
vostre préjudice; et puisque le comte de Morthon ne respondoit rien
sur le voyage du Sr de Vérac, il monstroit bien qu'il ne vouloit pas
qu'il y allât; néantmoins qu'elle remettoit en la liberté du dict Sr
de Vérac de s'y acheminer ou de s'en retourner en France.

Je luy ay réplicqué, Sire, sur les deux derniers poinctz que, de tant
que, pour l'amour d'elle, vous aviez faict fère une publication,
incontinent après la retraicte du dict de Montgommery, qu'on eût à
bien recepvoir les Angloys en vostre royaulme, que je la supplioys de
fère aussy, pour l'amour de vous, publier maintenant une deffence au
sien que nul eût à suyvre les entreprinses du dict de Montgommery,
puisqu'il avoit monstré acte d'hostillité contre vous; et, touchant
l'Escoce, qu'elle me déclarât ouvertement si elle vouloit demeurer
aulx termes du traicté, à procurer, conjoinctement avec Vostre
Majesté, la paix du pays, ou bien si je vous manderois qu'elle
délibéroit d'y poursuyvre les choses par les armes; et que je la
supplioys de trouver bon que je débatisse plus amplement ces deux
faictz avec les seigneurs de son conseil, affin que j'eusse tant plus
de commodité de traicter avec elle de l'aultre principal, et plus
agréable propos, sur lequel, de tant que la Royne, vostre mère, et
Monseigneur le Duc m'avoient commandé de recouvrer, le plus tost que
je pourrois, la responce qu'elle voudroit fère à leurs lettres, et de
procurer qu'elle la leur fît si clère, sur la réalité de leur offre,
qu'il n'y peût rester aulcune ambiguyté, je la supplioys bien
humblement me donner moyen de leur bien satisfère.

Elle a respondu qu'elle trouvoit bon de me bailler ses lettres, et de
me toucher encores quelque mot de ce qu'elle manderoit dedans; c'est
qu'elle estoit en peyne de ce que la Royne, vostre mère, avoit estimé
mal honnorable que Monseigneur le Duc vînt icy sans assurance de
mariage, et que néantmoins, sans l'avoyr eu, elle offroit maintenant
l'y laysser venir; dont desiroit estre satisfaicte de la diversité de
l'occasion, et estre bien assurée que, au cas que le mariage ne peût
succéder, que Mon dict Seigneur le Duc n'en sentiroit pourtant aulcune
offance en son honneur, ny n'en viendroit aulcune diminution en vostre
mutuelle amityé; et que, ce faict, s'il plaisoit à Mon dict Seigneur
le Duc de passer en ce royaulme, il y seroit le très bien venu, et
elle mettroit peyne de l'honnorer sellon sa grandeur et sellon celle
de vostre couronne d'où il estoit, comme s'il fût ung empereur, et,
aultant qu'il seroit en elle, et en toutz ses moyens, et de ceulx de
son royaulme, de le pouvoir mieulx fère; et que, des seuretés, oultre
que Voz Majestez n'en debvoient nullement doubter, elle les bailleroit
si bonnes et si grandes comme je les voudroys demander; et qu'on luy
avoit bien voulu fère remarquer, en ceste offre de l'entrevue, que ce
n'estoit sinon après la prinse de la Rochelle, et que, si la Rochelle
n'estoit prinse, l'on ne luy offroit rien, ou bien que, puis après,
l'on se mocqueroit, possible, d'elle, mais qu'elle considéroit bien
que cella estoit plus procédé de l'affection que Voz Majestez avoient
à la réduction de ceste place, que non pour mettre, de vostre part,
aulcung retardement au propos.

Je luy ay répliqué, Sire, qu'à la vérité il n'avoit esté faict mencion
de la Rochelle, sinon parce que Monseigneur le Duc n'avoit peu, avec
son honneur, parler aultrement, ny laysser ceste entreprinse de
guerre, qui touchoit grandement à voz affères et à la réputation de
Monsieur, et à la sienne mesmes, pour venir à une aultre entreprinse,
qui estoit pleyne de tout plésir et contentement; et, quand au
doubte, dont elle desiroit estre satisfaicte, premier que déclarer sa
volonté sur l'entrevue, qu'il n'estoit besoing d'attendre plus grand
esclarcissement que celluy qui apparoissoit assez de ce qu'après une
tant expresse protestation, qu'elle vous avoit faicte en cella, Voz
Majestez n'avoient layssé de luy offrir l'entrevue; et qu'elle debvoit
excuser l'affection maternelle qui avoit faict desirer à la Royne,
premier que d'envoyer son filz, de pouvoir mettre ung peu plus de
seureté en son affère que les difficultez, que le Sr de Walsingam luy
avoit proposé de la religion, ne luy permettoient d'en prendre,
lesquelles difficultez sembloient estre ung refus; et que je luy
voulois dire tout librement que, si Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, sçaviez certaynement ou pensiez qu'elle deût refuzer Mon dict
Seigneur le Duc, qu'en nulle façon du monde vous luy permettriez d'y
venir, mais que, sur ce qu'elle m'avoit dict qu'elle n'estoit si
maulvayse ny si desloyalle qu'elle eût voulu mettre en avant la dicte
entrevue, en intention de le refuzer, ains pour l'épouser de bon
cueur, s'il plaisoit à Dieu qu'ilz se peussent complayre, et qu'elle
vouloit résoluement se marier, vous luy aviez consenty qu'il la peût
venir voyr; et pourtant je la supplioys de remettre maintenant, sans
aulcune condicion, à Voz Majestez Très Chrestiennes et à luy,
d'accomplir son voyage, quand vous verriez qu'il luy seroit commode et
honnorable de le fère.

Sur cella elle m'a respondu qu'elle avoit bien cognu, par les propos
de messire Walsingam, que la Royne, vostre mère, avoit prins pour
chose arrestée ce qu'il luy avoit seulement dict par manyère de devis,
du faict de la religion, de Monseigneur le Duc, qu'il se debvoit
contenter de la liberté de conscience sans aulcung exercice privé ny
externe de sa dicte religion, mais elle avoit tousjours prétandu que
cella seroit réservé entre eulx deux; et que, de la déclaration que je
vous avoys mandée, qu'elle se vouloit marier, et qu'elle n'avoit
intention de refuzer Mon dict Seigneur le Duc, s'ilz se pouvoient
complaire, qu'elle estoit très vraye, néantmoins qu'elle desiroit bien
fort pouvoir estre esclarcye du doubte que la Royne, vostre mère,
avoit eu de l'honneur de luy, bien que, sur les raysons que je venois
de lui déduyre là dessus, lesquelles luy sembloient fort
considérables, elle y penseroit encores, premier que d'escripre ses
lettres, et que je pourrois, quand je traicterois avec ses conseillers
des aultres deux poinctz, leur parler aussy de cestuy cy.

Et me licenciant ainsy de la dicte Dame avec plusieurs aultres bien
honnestes parolles, elle commanda à milord trézorier, au comte de
Sussex et mestre Smith, qui estoient là présentz, de conférer à loysir
avecques moy. De laquelle conférance, Sire, après que les choses ont
esté débatues, de chacun costé, aultant avant qu'il s'est peu fère, et
dont le Sr de Vérac est intervenu en celles qui concernoient l'Escoce,
iceulx du conseil ont volu encores rapporter le tout à leur Mestresse.
Et, depuis, s'en est ensuivy que la dicte Dame a faict, quand à
l'entrevue, la responce qui est contenue ez lettres qu'elle escript à
la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, et qu'elle a mandé au
pays d'Ouest de n'aller pas ung à la Rochelle, ou que ce sera à leur
damp, et qu'elle a fait expédier passeport au Sr de Vérac jusqu'à
Barvic, où luy et le Sr de Sabran se sont desjà acheminés, affin que,
si l'on faict difficulté à l'ung, l'aultre puisse passer en Escoce. Et
sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de may 1573.



CCCXIXe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour de may 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Motifs qui ont déterminé la réponse d'Élisabeth au sujet de
    l'entrevue demandée.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, quand la Royne d'Angleterre vous a deu rendre la responce, que
je vous ay mandée par le Sr de Vassal, ceux de son conseil, qui ont
esté appellés pour en dellibérer avec elle, luy ont trop curieusement
interprété les circonstances de l'offre de l'entrevue, car luy ont
donné entendre qu'elles monstroient plus d'artiffice pour contenir
l'Angleterre pendant les troubles de vostre royaulme, qu'il
n'aparoissoit en Voz Majestez, de volonté par après, de l'effectuer.
De quoy ne les ayant le Sr de Walsingam, à son retour, peu assez bien
esclarcyr, ou ne l'ayant ozé fère, ilz ont, à ce que j'entendz,
induict la dicte Dame de respondre assez artificieusement aulx petites
lettres de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur le Duc; de quoy
les siennes vous auront faict foy de ce qui en est, car je vous ay
seulement représanté les propos qu'elle m'en a tenus. Tant y a, Sire,
qu'il se voyt clèrement que la matière est si affectée en ceste court
que, ny ceulx, qui la desirent, veulent qu'on la délaysse, ny ceulx,
qui la creignent, permettent qu'elle soit conclue; et m'a l'on assuré
qu'on l'entretiendra toujours en cest incertein, jusques à ce que, par
ung langage cler et non condicionné de vostre part, Voz Majestez Très
Chrestiennes auront contreinct la dicte Dame de vous y respondre de
mesmes. Tant y a que puisque ceste princesse monstre quelque
modération procédante d'elle mesmes, il semble, Sire, qu'il sera
expédiant, en ce temps, que la supportiez ung peu sur l'impétuosité de
ses subjectz; et que néantmoins renforciez si bien vostre armée de mer
et pourvoyez en si bonne sorte à vostre frontière, ainsy comme avez
faict jusques icy, que ceulx, qui y voudront entreprendre, n'en
puissent rapporter que beaucoup de honte et beaucoup de dommage.

J'entendz que l'artillerye n'a encores faict grand effort contre le
chasteau de Lillebourg, et que le comte de Morthon a commancé d'avoyr
suspectz aulcuns des principaulx qui avoient suivy le party de la
Royne d'Escoce, nonobstant l'accord qu'ilz ont faict avecques luy,
dont demande davantage de forces de ce costé; et je creins assez qu'on
luy en baillera. L'on m'a dict qu'il menoit un traicté de livrer le
petit Prince d'Escoce aulx Angloys, et que ce qui est allé d'hommes,
d'artillerye et de monitions, par dellà, et les ostages qu'on a prins
de ce costé, a esté plus à ces fins qu'en intention d'espugner le
chasteau; et que cella a esté aulcunement découvert, ou aulmoins l'on
en a eu tant de souspeçon qu'il y a esté remédyé; et je sçay que la
grand mère a dict icy que le petit Prince, son petit filz, estoit en
très grand danger, dont prioit Dieu qu'elle le voulût préserver. Et
sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour de may 1573.



CCCXXe DÉPESCHE

--du IIIe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth
    qu'elle ne livrera pas le comte de Montgommery au roi;
    protestation de sa part qu'elle ne lui donnera aucun
    secours.--Affaires d'Écosse.--Seconde audience.--Communication
    de la décision des états de Pologne, qui ont fait élection du
    duc d'Anjou pour leur roi.--Capitulation de
    Lislebourg.--Satisfaction de la reine sur l'élection du duc
    d'Anjou.


    AU ROY.

Sire, avant que recepvoir vostre dépesche, du vingt quatriesme du
passé, j'avoys esté parler du contenu en celle du dix huictiesme
auparavant à ceste princesse pour, en premier lieu, la prier que si,
sur le faict de l'entrevue, elle ne vous avoit par ses lettres et par
son ambassadeur respondu si clèrement et sans condicion, comme le
requéroit la réalité de l'offre que luy aviez faicte, elle me voulût
dire maintenant quelque chose qui peût supléer à la satisfaction de ce
que Voz Majestez Très Chrestiennes en desiroient; que s'estant le
comte de Montgommery, ainsy qu'on vous l'avoit dict, retiré par deçà
pour y recouvrer nouveaux secours, affin de tenter de rechef
l'entreprinse, qu'il avoit une foys fallye, de mettre du
refraychissement dans la Rochelle, que, non seulement elle ne voulût
permettre qu'il en tirât pas ung de ce royaulme, mais qu'elle le feist
saysir et ses complices, pour les remettre en voz meins, affin d'en
fère justice, parce qu'ilz s'estoient desjà efforcés de vous fère la
guerre, et de rompre la bonne confédération d'entre ces deux
royaulmes; que Vostre Majesté avoit trouvé bien estrange qu'elle eût
envoyé des forces et de l'artillerye en Escoce; et desiriez sçavoyr
si elle vouloit demeurer aulx bons termes du traicté, de procurer
conjoinctement une bonne paciffication dans le pays, ou bien y
procéder par les armes, luy racomptant, au surplus, de l'estat du
siège de la Rochelle, et des aultres exploictz qui se faysoient en
vostre royaulme, sellon qu'il estoit contenu dans voz lettres.

A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle espéroit que Voz Majestez,
touchant l'entrevue, resteroient assez bien satisfaictes de ce qu'elle
vous en avoit mandé par ses lettres, et faict dire par son
ambassadeur, et qu'elle desiroit bien fort estre esclarcye si c'estoit
par la seule importunité de Monseigneur le Duc, lequel elle estoit
bien advertye, de plusieurs endroictz, qu'il avoit beaucoup d'honneste
affection vers elle, ou bien si la volonté de la Royne, vostre mère,
avoit concoru libérallement à ce que ceste offre se feist, attandu que
auparavant elle l'avoit contredicte, sinon qu'elle veist le mariage
tout assuré: dont attandoit là dessus une dépesche de son ambassadeur,
après laquelle il n'y auroit plus de remises que celles que Voz
Majestez Très Chrestiennes y voudroient mettre; qu'elle me pouvoit
jurer, avec vérité, qu'elle ne sçavoit, en façon du monde, que le
comte de Montgommery fût en ce royaulme, et, quand il y viendroit,
elle vous respondroit de mesmes que feist le feu Roy, vostre père, à
la feu Royne Marie, sa sœur,--«Qu'il ne vouloit estre le bourreau de
la Royne d'Angleterre;»--Et ainsy, que Vostre Majesté l'excusât, si
elle ne vouloit être le bourreau de ceulx de sa religion, non plus
qu'il ne l'avoit voulu estre de ceulx qui n'estoient pas de la sienne,
mais qu'elle vous promettoit qu'elle le guarderoit bien qu'il ne fît
rien contre Vostre Majesté, et qu'il ne retournast plus à ce que,
sans qu'elle le sceût, ny le consentît, il avoit une foys entreprins;
et qu'il estoit bien vray, comme je le disoys, que la comtesse de
Montgommery, accompaignée des parantz et amys de son mary, avoient
esté vers elle pour la prier de beaucoup de choses, mais qu'elle leur
avoit respondu qu'elle n'avoit esté du premier conseil du dict comte,
et ne vouloit estre du segond; et avoit esté bien esbahie comme il
n'avoit voulu accepter les bonnes offres de Vostre Majesté, et que la
dicte comtesse luy avoit respondu qu'il s'estoit trop légièrement
obligé, par promesse et par sèrement, à ceulx de la Rochelle, de leur
admener le secours, non en intention que ce fût contre l'honneur et le
service de Vostre Majesté, mais pour donner quelque respict aulx
assiégés, et aulx aultres de leur party, de pouvoir impétrer aulcunes
tollérables condicions, pour la seureté de leur vye et de leur
religion, et qu'il avoit à se pleindre infinyement de ce que les
Angloys ne luy avoient quasy rien tenu de ce qu'ils luy avoient
promis: et que la dicte comtesse avoit exprimé cella, avec tant de
larmes et avec tant d'humbles requestes, assistées de celles de ses
amys, qu'ilz l'avoient assez esmue, mais néantmoins qu'elle ne leur
avoit octroyé, ny octroyeroit, rien qui peût estre contre Vostre
Majesté;

Que, des choses d'Escoce, elle m'avoit naguyères respondu, ce qu'elle
me confirmoit de rechef, qu'elle ne prétandoit qu'il y fût attempté
par armes, ny par traicté, aulcune chose, au préjudice ou diminution
de l'allience de France, et que seulement elle avoit satisfaict au
desir des Estatz du pays, aulxquelz elle estimoit que Vostre Majesté
avoit aussy intention de satisfère; et que le Sr de Vérac pourroit
maintenant cognoistre comme elle y avoit procédé; que, quand au siège
de la Rochelle, et les aultres exploictz de guerre de vostre royaulme,
elle les déploroit en toutes sortes pour voyr que la clémence du
prince vers les subjectz, et l'obéyssance des subjectz vers leur
prince, et la socialle amityé d'entre les mesmes subjectz, estoient
converties en aultres bien contrayres effectz de fureur, de
désobéyssance, et d'une très violente inimityé, dont n'y avoit
personne, soubz le ciel, qui desirât plus d'y voyr bientost quelque
bon remède qu'elle faysoit. Et a terminé ceste audience en plusieurs
semblables propos, pleins de grande bienvueillance vers Vostre
Majesté.

Depuys, aussytost que le courrier a esté arrivé avec la dépesche, du
vingt quatriesme du présent, j'ay renvoyé supplier la dicte Dame de me
vouloir ouyr sur aulcunes choses, que me commandiez de luy fère
incontinent sçavoir. De quoy elle s'est assez esbahye que ce pouvoit
estre, et m'a pryé que je luy concédasse ung jour pour satisfère à ses
mèdecins, qui luy avoient ordonné quelque chose pour le mal de teste
que j'avois veu qu'elle avoit.

Cepandant, Sire, l'aultre courrier angloys, qui m'a apporté vostre
aultre dépesche, du vingt cinquiesme du passé, est arrivé, sur
laquelle, après avoyr, à meins joinctes, et les genoux en terre, loué
et remercyé Dieu de l'élection de Monseigneur, frère de Vostre
Majesté, à la couronne de Pouloigne, j'en suis allé porter la nouvelle
à la dicte Dame, et luy en ay faict l'expresse conjouyssance, que Voz
Majestez me commandoient, avec le récit en quoy en sont les choses,
sellon que voz ambassadeurs vous l'avoient escript; et que vous la
priez de croyre que, tant plus vous viendroit d'augmentation de
grandeur et de puissance, et plus d'accessions de biens et d'honneur
à vostre couronne, plus Voz Majestez se confirmoient de vouloir
honnorer et aymer la dicte Dame; et pourchassiez tousjours beaucoup
plus instamment, en temps de voz prospéritez, que non en voz
adversitez, l'accomplissement de son mariage avec Monseigneur le Duc,
vostre frère, luy faysant là dessus une particullière mencion du grand
desir que Mon dict Seigneur le Duc avoit de la venir bientost mettre
en possession de l'entier et pur don qu'il luy avoit faict de luy
mesmes.

A quoy la dicte Dame, surprinse de quelque admiration d'une si grande
nouvelle, comme est celle de l'élection de Mon dict Seigneur, m'a
respondu qu'elle vous remercyoit infinyement de la bonne et prompte
part, qu'il vous plaisoit luy fère, de la joye, que Vostre Majesté et
la Royne, vostre mère, en aviez reçue; qui estoit si grande en elle,
qu'elle avoit de quoy mutuellement s'en resjouyr à non moindre mesure
avec Voz Majestez; et qu'il y avoit plusieurs considérations de la
concurrence des compéditeurs, de la rarité de l'acte, et de l'occasion
des temps, qui rendoient ceste élection très ample et très honnorable
pour vostre couronne, et bien heureuse pour voz meilleurs alliez,
desquelz elle vous prioit de croyre que nul en sentiroit le plaisir
plus parfaict et accomply qu'elle.

Et s'estant eslargie en divers propos et en aulcunes assez curieuses
demandes là dessus, sçavoyr: si l'Empereur se trouvoit offancé? si Mon
dict Seigneur feroit maintenant la guerre aux Turcs? s'il l'auroit
contre le Moscovite? s'il espouseroit la princesse de Pouloigne? quand
il pourroit partir pour ce voyage? et s'il laysseroit le siège de la
Rochelle pour y aller? Et luy ayant respondu à tout avec le plus de
discrétion que j'ay peu, elle est venue, quand à Monseigneur le Duc,
à me dire qu'elle luy restoit très obligée à jamais pour sa
persévérance vers elle, laquelle toutesfoys elle pensoit bien que ne
seroit semblable, ou aulmoins ne dureroit guyères, s'il l'avoit une
foys veue ainsy passée d'aage comme elle est; et que les doubtes et
difficultez, qu'elle voyoit en cest affère, et l'escrupulle que la
Royne, vostre mère, avoit faict de l'honneur de Mon dict Seigneur le
Duc, son filz, en cest endroict, joinct que deux ans s'estoient desjà
écoulés depuis le propos encommancé, elle estoit quasy réduicte à ne
debvoir plus penser de se maryer, ny donner la peyne à Monseigneur le
Duc de venir.

Sur quoy luy ayant faict et redoublé toutes les réplicques, que j'ay
estimé opportunes, pour rejetter bien loing ceste sienne
dellibération, elle m'a dict qu'elle attandroit ce que, sur sa
dernière responce, il vous plairoit luy fère entendre. Et puis, d'elle
mesmes, a adjouxté que, depuis vingt quatre heures, elle avoit entendu
que le comte de Montgommery estoit arrivé à l'isle de With, et que
soubdein elle luy avoit dépesché sir Artus Chambernan pour l'advertyr
qu'elle ne tenoit en si peu vostre amityé, qu'elle luy voulût
permettre de venir en sa court, au retour de telz exploictz qu'il
venoit de faire, et qu'elle vous assuroit, Sire, qu'il ne tireroit
aulcun moyen de ce royaulme pour vous nuyre; et, quand aulx choses
d'Escoce, si le Sr de Vérac trouvoit maintenant sur le lieu qu'elles
n'allassent sellon le traicté, qu'elle seroit preste de les redresser
fort volontiers de sa part. Qui est, en substance, tout ce que, pour
ceste foys, j'ay peu recueillir des propos de la dicte Dame.

Et, au partir d'elle, j'ay conféré avec milord trézorier, avec milord
de Lestre et Me Smith, les troys ensemble, et puis fort amplement avec
chacun à part, pour voyr si, de leur propos, je pourrois tirer aulcune
conjecture sur les choses de vostre segonde lettre que j'ay moy mesmes
déchiffrée. Et, après qu'ilz ont eu, aussy bien que leur Mestresse,
admiré l'élection de Monseigneur, ilz m'ont dict, touchant le propos
de Monseigneur le Duc, que, quand Vostre Majesté voudroit remettre les
choses au mesme trein qu'elles estoient auparavant l'évènement de
Paris, ou aulmoins non tant hors de chemin comme elles vont
maintenant, que vous retrouveriez leur Mestresse, et eulx, au mesme
endroict que vous les aviez layssés. Et m'ont confirmé, au reste, ce
que leur Mestresse m'avoit dict du comte de Montgommery et de
l'Escoce, et qu'après qu'ilz auront plus amplement devisé avec la
dicte Dame ilz traicteront, ung jour de ceste sepmayne, davantage
avecques moy. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1573.

   Je suis en quelque traicté avec la comtesse de Montgommery,
   par interposées personnes, de fère retourner son mary à
   l'obéyssance de Vostre Majesté; et, s'il vous plaist, Sire,
   que je luy permette de venir parler à moy, l'on me donne
   espérance que je le pourray réduyre. L'on me vient d'advertyr
   que le comte de Morthon et les Angloys, qui sont devant le
   chasteau de Lillebourg[19], ont capitulé avec ceulx de dedans,
   et que le chasteau recognoit maintenant le jeune Prince à Roy.

  [19] Le château d'Édimbourg s'était en effet rendu par
  capitulation le 29 mai 1573, après trente-quatre jours de siège.


    A LA ROYNE.

Madame, je n'allay jamais avec plus d'ayse, ny avec plus de parfaicte
affection, porter aulcune nouvelle, en part du monde, que je feys,
hier, à ceste princesse, celle de l'élection qu'ont faict les Estatz
de Pouloigne de Monsieur, vostre filz, pour leur Roy, et vous prometz,
Madame, que j'ay miz peyne de fère voyr à la dicte Dame combien il
plaist à Dieu de bénire voz enfans; qui les ayantz faictz princes très
royaulx d'extraction, les faict encores devenir Roys par élection, et
qu'elle pouvoit cognoistre par là combien elle confirmeroit son
vouloir avec celluy de Dieu, de fère aussy élection de Monseigneur le
Duc, vostre troysiesme filz, pour la venir accompaigner à ceste
couronne.

Elle a monstré de réputer ceste nouvelle pour la plus grande et la
plus honnorable pour le Roy, et la plus comble de félicité pour Vostre
Majesté, et la plus pleyne d'esplandeur et de gloyre pour Monsieur, et
encores la plus heureuse pour la France, que nulle aultre qui fût
advenue, depuis que le royaulme est estably; et m'a dict que, oultre
la part que luy aviez faicte de vostre joye, elle en prenoit ugne
aultre en elle mesmes de celle qu'elle imaginoit estre si accomplye en
vous, qu'elle surabondoit beaucoup pour elle, et pour toutz ceulx qui,
comme elle, aymoient et honnoroient parfaictement Vostre Majesté.

Et, bien qu'elle m'ayt faict, là dessus, quelques assez curieuses
demandes, et m'ayt tenu des propos assez remis et froidz, touchant
l'aultre faict de Monseigneur le Duc, si m'a elle dict que ceste
nouvelle élection de Monsieur vous debvoit fère espérer
l'accomplissement du reste de la prophétie, qu'on vous avoit donnée,
que vous verriez toutz voz enfans Roys, et que mesmes ce ne seroit
sellon la maulvayse interprétation que aulcuns en faysoient, que cella
se debvoit entendre de la mesmes couronne de France, l'ung après
l'aultre, car Dieu feroit que vous les verriez toutz troys, à la foys,
roys de troys grandz royaumes, et a monstré la dicte Dame de fouyr
d'un costé, et de se fère poursuyvre par ung aultre, sur le dict
propos de Monseigneur le Duc. Dont est besoing, Madame, de la fère
parler, ceste foys, si cler qu'il n'y puisse rester aulcune particulle
d'ambiguyté. Et je trouve, Madame, que surtout il est expédiant que le
comte de Lestre soit promptement gratiffié de quelque honneste
présant, et pareillement milord trézorier, et toutz deux entretenuz de
quelques gracieuses lettres de la mein de Vostre Majesté et de
Monseigneur le Duc. Car l'on s'esforce, à grand pris, de les attirer à
ung aultre party fort contrayre au vostre, et ne pourra ce
qu'employerez en cest endroict estre perdu, car aulmoins retiendront
ceulx cy ceste princesse, et ce royaulme, tousjours à vostre
intelligence pour cepandant conduyre voz affères ailleurs. Sur ce,
etc. Ce IIIe jour de juing 1573.



CCCXXIe DÉPESCHE

--du VIe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétère._)

  Conseil tenu en Angleterre à l'occasion de l'élection du roi de
    Pologne.--Sollicitations de nouveaux secours pour le comte de
    Montgommery et la Rochelle.--Certitude de la reddition de
    Lislebourg.--Communication secrète faite au roi par le prince
    d'Orange.


    AU ROY.

Sire, après avoyr, dimenche dernier, notiffié à la Royne d'Angleterre
l'heureuse élection du Roy de Pouloigne, vostre frère, toutz ceulx de
son conseil se sont, le lundy et mardy, assemblés à Grenvich pour
prendre, sur ceste grande nouvelle, nouvelles résolutions ez choses de
France; qui ne sçay encores quelles elles sont. Il est vray que
s'estantz lors les amys du comte de Montgommery présentés, avec plus
d'instance que jamays, pour luy impétrer ung nouveau renfort, ou
quelques nouvelles provisions, ilz n'ont pas esté tant esconduictz des
dictz du conseil comme ilz ont esté reboutés de la dicte Dame.

J'ay sceu aussy, Sire, qu'après le dict conseil à Grenvich, un party
de cent mille escus a esté conclud et arresté en ceste ville, pour en
estre faict le payement, par tout ce moys de juing, à Noremberg,
Hambourg et Couloigne, mais la pluspart à Noremberg, au mandement du
duc de Cazimir ou du duc Christofle son frère, (dont vous plaira,
Sire, fère prendre garde en Allemaigne;) et que, d'aultre costé, l'on
a ordonné que le comte d'Essex, avec troys ou quatre mille angloys, et
bonne provision d'argent et de monitions, passera en Irlande pour
réprimer les saulvages qui commancent de rechef à tumultuer.

L'on a aussi dépesché en Escoce pour advertyr le Sr de Quillegreu que,
commant que ce soit, il y ayt à mettre l'accord; mais cepandant est
arrivé l'advertissement comme le chasteau de Lillebourg est rendu au
jeune Roy, bien qu'on ne publie encores à quelles condicions: dont je
creins qu'il y ayt couru de l'argent, et que, pour la réputation, l'on
a voulu que le canon ayt tiré, premier que parler de se rendre.

Le Sr de Lumbres, en venant de Hollande, a esté prins sur mer par des
pirates angloys, qui ne le cognoissoient poinct, et l'ont descendu par
deçà. Il doibt aller trouver demein ceste princesse à Grenvich; et
aujourdhui, bon matin, il a mandé secrettement quérir ung de mes plus
confidans gentilshommes pour me communiquer chose qui importoit à
vostre service, dont luy ay envoyé le Sr de Vassal; et il m'a mandé
qu'il estoit dépesché vers Vostre Majesté par le prince d'Orange son
mestre, et qu'il me prioit de vouloir envoyer quérir en dilligence son
passeport par ung des miens, à qui il commettroit son pacquet pour luy
passer la mer avec ung de ses gens qui l'yroit attandre à Abbeville,
parce qu'on avoit aulcunement icy suspecte sa venue. Sur ce, etc.

    Ce VIe jour de juing 1573.



CCCXXIIe DÉPESCHE

--du IXe jour de juing 1573.--

(_Envoyée à la court par le Sr de Vérac._)

  Départ de Mr de Vérac pour retourner en France.--Son audience de
    congé.--Ses plaintes de n'avoir pu se rendre en
    Écosse.--Excuses données par la reine.--Ses protestations
    qu'elle n'a voulu porter aucune atteinte au traité.--Favorable
    disposition d'Élisabeth sur la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, n'ayant esté possible au Sr de Vérac, en façon du monde, de
passer en Escoce, par l'empeschement que le comte de Morthon, ou bien
ceulx cy, et, par advanture, eulx et luy tout ensemble, luy ont faict,
il va retrouver maintenant Vostre Majesté pour luy compter le succès
de son voyage, et comme (sur la pleincte que j'ay faicte à la Royne
d'Angleterre que, ayant le dict Sr de Vérac couru tout ce royaulme, et
veu les bords de celluy d'Escoce, il s'en retournoit sans s'estre
apperceu que, en l'ung ny en l'aultre, luy eut esté uzé ce qui se
debvoit à l'allience ancienne, ny ce qui s'espéroit de la rescente
confédération avec Vostre Majesté,) la dicte Dame s'en est non
petitement troublée. Laquelle a incontinent appelé ceulx de son
conseil, en présence du dict Sr Vérac, pour se plaindre bien fort
aygrement à eulx de ceste faulte, et a monstré, avec parolles et
visage plein de courroux, qu'elle vouloit bien fort en demeurer
excusée vers Vostre Majesté; et, m'ayant tiré à part, m'a juré que son
intention avoit esté que le dict Sr de Vérac passât, ou bien, si le
comte de Morthon ne le vouloit aulcunement permettre de luy, que ce
fût aulmoins le Sr de Sabran; et que, quand il playroit à Vostre
Majesté d'y envoyer quelqu'ung, elle offroit, dez à présent, le
passage sans aulcune difficulté; et que, quand à ce qui estoit advenu
du chasteau de Lillebourg, elle vous envoyeroit ung gentilhomme exprès
pour vous en donner si bon compte, que Vostre Majesté cognoistroit
qu'elle n'y avoit procédé sinon jouxte le traicté, pour ayder à
réduyre a l'obéyssance du jeune Prince, son nepveu, ceulx qui tenoient
fort dans le dict chasteau, et garder qu'ilz ne nuysissent à elle,
sans y avoyr rien retenu en sa puissance, ny rien altéré de l'ancienne
allience que Vostre Majesté a avec les Escouçoys.

A quoy je luy ay respondu que le dict Sr de Vérac ne pouvoit fère
qu'il ne vous racomptât au long ce qui luy estoit advenu, et ce qu'il
avoit apprins en son voyage, et qu'à Vostre Majesté, puis après,
seroit de juger si les articles du traicté avoient esté bien guardés,
ou non, en ceste entreprinse d'Escoce; car, puisque j'étois l'un de
ceulx, qui avoient été présentz, quand elle avoit levé la mein à Dieu
pour les jurer, je ne voulois mal juger de sa conscience, ains voulois
laysser ce propos pour luy fère entendre ce que Vostre Majesté me
commandoit de luy dire de celluy de l'entrevue. Et ainsy ay passé à
luy réciter, par le menu, tout le contenu de vostre lettre du XXXe du
passé; et lui ay baillé celle que la Royne, vostre mère, luy
escripvoit; qui me semble, Sire, qu'après qu'elle l'a eue leue fort
distinctement, et qu'elle a eu fort bien prins les raysons que je luy
ay déduictes, et celles que, sur les siennes, je luy ay réplicquées,
elle est demeurée mieulx disposée vers l'entrevue et vers le mariage,
que je ne l'y avoys vue de longtemps, et m'a promis de vous y mander
bientost une si bonne responce, qu'elle espéroit qu'elle vous
contanteroit.

Or, Sire, le Sr de Vérac vous comptera en quoy en restent les choses,
et qu'est ce qu'avons entendu de la capitulation du dict chasteau de
Lillebourg, et du malcontantement qu'en ont eu les principaulx
seigneurs d'Escoce, qui se sont départis, à ceste occasion, la
pluspart, d'avec le dict Morthon, et ce qui nous semble qui pourroit
estre maintenant uzé par dellà pour vostre service, ensemble d'aulcuns
propos que j'ay esté d'advis qui fussent suivys avec ceulx de la
Rochelle, qui sont icy. Sur ce, etc. Ce IXe jour de juing 1573.



CCCXXIIIe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Délibération des seigneurs du conseil sur la négociation du
    mariage.--Mission donnée au capitaine Orsey de passer en
    France.


    A LA ROYNE.

Madame, ayant la Royne d'Angleterre trouvé en la lettre, que vostre
Majesté luy a escripte, du XXe du passé, aultant de satisfaction comme
elle en demandoit pour le faict de l'entrevue, et plus qu'elle n'en
avoit espéré, je l'ay fort instamment priée que, puisque la volonté du
Roy et celle de Vostre Majesté, et toutes celles qui sont dans le
cueur de Monseigneur le Duc, avec sa mesmes personne, venoient estre
si entièrement remises en sa mein qu'elle n'avoit rien plus que
doubter de vostre costé, qu'elle voulût aussy du sien maintenant se
résouldre si bien à la correspondance, laquelle vous aviez tousjours
espéré d'elle, que n'eussiez aulcune occasion de vous en douloir; et
que pourtant elle voulût accepter la dicte entrevue, et fère expédier
les seuretés que je demandois. A quoy la dicte Dame a monstré, en
plusieurs sortes, qu'elle y avoit si bonne disposition que j'ay espéré
de pouvoir promptement tirer d'elle une responce du tout conforme à ma
demande; mais milord de Burgley, qui n'a ozé procéder seul en cella, a
trouvé moyen de fère assembler les seigneurs de ce conseil pour leur
proposer le contenu de vostre dicte lettre, affin que, par
l'honnesteté d'icelle, et de l'offre que Vostre Majesté y fesoit, ils
fussent induictz d'approuver non seulement l'entrevue, mais tout ce
qui se doibt espérer d'icelle.

Dont est advenu que la dicte Dame m'a faict communicquer les argumentz
qu'ilz ont débatus entre eulx, qui, encores que milord de Burgley ayt
monstré de fère grand cas qu'il eût gaigné ung poinct, qu'il dict
estre fort nécessayre à l'advancement du propos, (c'est de l'avoir
faict de rechef approuver par le dict conseil;) si, luy ay je faict
cognoistre qu'il ne pouvoit revenir à vostre satisfaction qu'en lieu
que la Royne, sa Mestresse, et eulx debvoient accepter vostre offre,
et vous envoyer incontinent les seuretés, elle et eulx ayent mis en
termes quelque aultre chose. Et, à dire vray, Madame, encores que je
trouve, en ceste princesse et en toutz les siens, une trop plus
ouverte et meilleure disposition vers cest affère que, dix moys a, je
ne les y avoys veus, et que le comte de Lestre semble s'y affectionner
grandement, et le dict milord de Burgley aussy, à l'envy l'ung de
l'aultre, et que le comte de Sussex, Me Smith et aultres monstrent d'y
convenir, et allèguent toutz des occasions grandes et nécessayres du
dict mariage pour leur Mestresse et son estat, si ne me peut nullement
playre ceste leur responce; et j'ay tant de preuves de l'inconstance
et changementz de leurs dellibérations que je ne puis prendre grande
espérance, ny ne veulx fère guyères espérer à Vostre Majesté d'eulx,
sinon aultant que j'en toucheray avec la mein, et que j'en verray par
effect. Dont vous supplye très humblement, Madame, que, pendant que
l'affère est fervant et chauld, il vous playse incister qu'il soit du
tout accomply ou bien du tout délayssé.

Et m'a quelqu'un adverty que toutes choses sont icy maintenant pour
vous, et qu'il y a une occulte occasion dans ce royaulme qui vous
dispose assez bien cest affère pour le rendre effectué avant le
prochein septembre, s'il est bien vifvement mené, mais, s'il ne
s'accomplit entre cy et là, il n'y a apparance qu'il se puisse jamays
plus conduyre. Le cappitayne Orsey, lequel elle envoye maintenant par
dellà, a esté pensionnayre du feu Roy, vostre mary, et monstre avoir
bonne inclination à la France; il est tout entièrement du comte de
Lestre; et la Royne faict cas de luy. Sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour de juing 1573.



CCCXXIVe DÉPESCHE

--du XXe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Bouloigne par le Sr Cavalcanti._)

  Déclaration faite par Burleigh à l'ambassadeur que, si la paix
    n'est pas promptement rétablie en France, la reine d'Angleterre
    est décidée à prendre parti pour les protestans.--Efforts de
    l'ambassadeur pour s'opposer à cette résolution.--Affaires
    d'Écosse.--Mission du capitaine Orsey.


    AU ROY.

Sire, le cappitayne Orsey partira dans bien peu d'heures, d'icy, pour
aller trouver Voz Majestez, avec la responce que faict, de sa mein, la
Royne, sa Mestresse, aulx lettres que la Royne, vostre mère, luy avoit
escriptes. Sa dicte Mestresse et ceulx de ce conseil ont entendu les
effortz qui ont esté faictz, ainsy qu'ilz disent, le XXVIIIe du passé
et le Ve d'estuy cy, à la Rochelle; et m'a milord de Burgley mandé
qu'elle et eulx sont fort esmeus de voyr que les choses vont à
l'extrémité, et que Vostre Majesté ne veult entendre à la modération
qui se pourroit bien trouver en cecy, s'il vous playsoit conférer avec
les princes, intéressez en la cause de la religion, des moyens
d'assurer une bonne et perdurable paix en vostre royaulme; et que la
dicte Dame et eulx seroient enfin contreinctz de vous remonstrer que
voz subjectz ne combattent pour vous dénier rien de ce qu'ilz vous
doibvent, ny pour usurper rien qui appartienne à vostre grandeur, car
recognoissent estre très obéyssantz subjectz de vostre Majesté, qui ne
tiennent fermées leurs portes que pour ne souffrir la violence qu'on
leur veult fère, d'abjurer leur religion, sans tenir ny ordre, ny
forme, pour les instruyre, et persuader à une aultre, que seulement
avec l'espée et la mort: chose qu'ilz sçavent bien que Vostre Majesté
ne soufriroit qu'il se fît de mesmes, en Angleterre, vers ceulx qui
sont réputez catholicques romains; et que le dict de Burgley m'avoit
souvent remonstré, et remonstroit encores, que ceste cause touchoit de
si près à la conscience et à la seureté de la Royne, sa Mestresse, et
à la tranquillité de son estat, qu'il me vouloit librement dire que
l'amityé ne pourroit aulcunement durer entre ces deux royaulmes, si
Vostre Majesté continuoit de poursuyre l'extermination de leur
religion, ainsy qu'il a commancé.

Je ne luy ay encores rien respondu là dessus, réservant de le fère, en
présence, quand j'iray parler à sa Mestresse. Je notte bien que c'est
ung trêt qui m'advertit de prendre garde à leurs déportementz, et à ce
qui pourra résulter de la conférance du comte de Montgommery avec ung
gentilhomme de ceste court, qu'on a envoyé parler à luy, jusques en la
mayson de madame Messen, à trente mille d'icy, et à ce aussy que je
pourray descouvrir qui se résouldra avec ung agent du comte Palatin,
duquel l'on attand, d'heure en heure, la venue en ceste court.
Néantmoins j'espère que, sur la dépesche de Vostre Majesté, du Xe du
présent, laquelle je viens de recepvoir, je pourray remectre les
choses en quelques meilleurs termes, et plus conformes de vostre
desir. Et desjà j'ay si bien imprimé à plusieurs de ceste court que
Vostre Majesté mettroit, de bref, la paix en son royaulme, et ay
trouvé moyen de le fère ainsy entendre au comte de Montgommery, que ny
eulx ne parlent si fort de luy bailler nouveau renfort, ny luy inciste
plus tant de l'avoyr comme il faysoit auparavant. Et desjà Lorges, son
filz, et la plupart des françoys, qui sont revenus de devant la
Rochelle, s'embarquent pour passer en Hollande et à Fleximgues,
ensemble plusieurs angloys, de ceulx qui parlent françoys, et
plusieurs walons avec eulx.

Et, au regard des choses d'Escoce, l'on m'a confirmé encores
aujourdhuy, Sire, qu'elles vont ainsy que je le vous ay mandé par mes
précédantes; et m'a l'on dict davantage que le Sr de Ledington est
mort, et que le comte de Morthon est après à fère tenir quelque
assemblée d'Estatz, où ceulx cy s'attandent bien qu'il y fera
proclamer la Royne d'Angleterre protectrice du jeune Roy, et du
royaulme d'Escoce, durant sa minorité.

J'ay mis peyne de disposer le cappitayne Orsey sur trois principalles
particullaritez: sçavoir, celle de la ligue, du mariage et du faict du
dict Escoce, le mieulx qu'il m'a esté possible; et je croy qu'il se
portera, en l'acquit de sa légation, que sa Mestresse luy a donnée là
dessus, comme homme qui desire de la voyr vivre en grande et bien
estroicte amityé avec Vostre Majesté. Sur ce, etc.

    Ce XXe jour de juing 1573.


   Le cappitayne Orsey vous fera supplication pour le comte de
   Montgommery.



CCCXXVe DÉPESCHE

--du XXIIe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth
    qu'elle a chargé le capitaine Orsey d'offrir sa médiation entre
    le roi et les protestans de la Rochelle.--Conditions sous
    lesquelles elle pense que se pourrait faire le traité.


    AU ROY.

Sire, aussytost que j'ay faict sçavoir à la Royne d'Angleterre que je
desiroys parler à elle, elle m'a incontinent mandé venir, et a faict
différer d'aultant le partement du cappitayne Orsey, affin que, si de
mes propos elle comprenoit qu'il y eût quelque changement ez
dellibérations de Voz Majestez, elle peût aussy fère changer quelque
chose en sa dépesche; mais les propos, que je luy ay tenus, sont ceulx
de vostre lettre du Xe du présent, qui concernent le faict du mariage,
l'entrevue de Monseigneur le Duc, la continuation du traicté, le
présent estat des choses d'Escoce, la dilligence que le Roy de
Pouloigne faict de réduyre, non moins par condicions honnestes, et
pleines de vostre clémence, que par force d'armes, ceulx de la
Rochelle à vostre obéyssance, l'approbation de l'élection du dict Roy
de Pouloigne par le commun consens de toutz les Estatz bien unis du
royaulme. Et après, je suis venu à luy débattre bien fort la responce
de ceulx de son conseil, et que je la prenois comme une forme de
deffecte, affin que la dicte Dame s'explicquât elle mesmes à quoy elle
prétandoit de fère servir ce voyage du dict cappitayne Orsey, et en
quelle sorte elle entendoit de s'employer à la paix de vostre
royaulme. Et puis luy ayant dict, en passant, que j'estois adverty que
les ennemys de son mariage, quand ilz avoient veu qu'on esclarcissoit
bien fort les principalles difficultez, s'estoient desjà efforcés d'y
susciter beaucoup d'escrupulles à Voz Majestez, je luy en ay faict
prendre plusieurs à elle de ces négociations qui se font avec son
ambassadeur, sans toutesfoys nommer ny luy, ny ceulx qui négocient
avec luy; et n'ay rien obmis de ce que j'ay estimé qui pouvoit servir
de tirer, sur ces particullaritez, quelque notice de l'intention de la
dicte Dame.

Et elle a monstré qu'elle estoit déjà toute préparée de ce qu'elle me
debvoit dire, et m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre
mère, ne debviez prendre, sinon de bonne part, qu'elle eût communiqué
à ceulx de son conseil l'offre que luy aviez faicte de l'entrevue,
affin qu'elle ne procédât seule en ung affère, où toutz ceulx de son
royaulme estoient avec elle intéressés; et qu'après avoyr ouy leurs
advis, lesquelz, à dire vray, elle avoit trouvé fondés en de bien
grandes considérations, elle n'avoit peu du tout leur contredire, ains
avoit prins avec eulx cest honnorable expédient de fère précéder le
voyage du cappitayne Orsey, affin que si Monseigneur le Duc avoit,
puis après, à passer deçà, sa venue fût et plus agréable à tout ce
royaulme, et plus utille à l'effaict pour quoy elle se faysoit;
qu'elle avoit esleu le cappitayne Orsey, comme affectionné à vostre
couronne, pour fère ceste légation, laquelle n'estoit dissemblable à
celle que plusieurs aultres princes, de non meilleure qualité qu'elle,
avoient bien envoyé fère, d'aultres foys, aulx feus Roys, vostre ayeul
et père, en temps moins pressé qu'estui cy, qui ne s'en estoient
retournés esconduictz:

«C'est, dict elle, de vous prier que vueillez donner la paix à voz
subjectz, et regaigner l'obéyssance, qu'ilz vous doibvent, par
clémence, en préservant leurs vyes et leur religion; et qu'elle vous
offre son office en cella pour servir, premièrement, comme Royne, à la
réputation et grandeur de Vostre Majesté, et, puis, comme chrestienne,
à la conservation de ceulx de sa religion; et que, s'il vous plaist
que le gentilhomme, qu'elle envoye, passe jusques vers le Roy de
Pouloigne, vostre frère, pour davantage manifester et rendre plus
cognue ceste sienne bonne intention, et mesmes le fère entendre à
ceulx de la Rochelle, qu'il sera prest de s'y acheminer; et qu'elle
vous supplie de croyre qu'elle tient en tel compte l'offre et la
déclaration de Voz Majestez vers elle, qu'elle sera infinyement bien
ayse que vous recognoissiez et trouviez, par l'effect de ceste
légation, qu'elle veut commander d'en avoyr recognoissance; car Dieu
void dans son cueur qu'elle la vouhe et dédie toute à l'honneur et
commodicté de Vostre Majesté et de vostre royaulme, sans qu'elle y
cherche la valeur d'un festu pour elle; et, vous prie que vueillez
recepvoir en ceste façon ce gentilhomme, et en ceste façon en uzer;
et, si voyez que ne vous en puissiez ainsy accommoder, que vous le
renvoyez ardiment comme il est allé;

«Que par ceste mesmes légation, elle mande vous donner compte des
choses d'Escoce, et vous fère voyr qu'il n'a esté faict préjudice, par
dellà, d'ung travers d'un poil, à rien qui concerne l'allience de
vostre couronne, et l'observance des traictés; qu'elle mande la
responce, de sa mein, à la lettre de la Royne, Vostre mère, et se
conjouyt infinyement avec elle de la prospérité du Roy de Pouloigne,
son filz, et l'advertit de ne se laysser trop aller aulx persuasions
de son aultre filz Monseigneur le Duc; qu'elle ne faict doubte que
plusieurs ne facent de bien maulvayses sollicitations contre le propos
du mariage; et qu'elle me vouloit bien dire que l'ambassadeur
d'Espaigne a trouvé moyen de se rencontrer, une foys seulement, avec
le sien, à Melun, pour luy en parler; et qu'après avoyr discouru des
choses de Flandres, il luy a miz en avant le filz de l'Empereur,
duquel luy a dict qu'encor qu'il n'ayt esté esleu Roy de Pouloigne, il
ne layrra pourtant d'avoir ung beau et grand royaume.»

Et s'est la dicte Dame arrestée assez longtemps à discourir de toutz
les susdictz propos, sans que je l'aye interrompue; puis je luy ay
réplicqué, en bref, que, puisqu'elle dressoit tout l'effect du voyage,
du cappitayne Orsey, à l'honneur et commodicté de Vostre Majesté, je
la supplioys de luy commander de suyvre entièrement ce qui luy
viendroit, ordonné de vostre part, de celle de la Royne Mère, du Roy
de Pouloigne et de vostre conseil, qui sçaviez mieux en quoy son
office vous pourroit estre honnorable et utille que nulz aultres; et
que, si elle me vouloit déclarer ung peu quelz moyens elle estimeroit
bon que voz Majestez uzassent en cest endroict, je vous en advertiroys
incontinent. Bien la voulois prier de considérer que les douze ans
derniers monstroient estre très nécessayre que vous procédissiez avec
grand caution vers ceulx de la nouvelle religion, et qu'ilz fussent,
de leur costé, plus modérez, à l'advenir, qu'ilz ne l'avoient esté par
le passé.

Elle m'a respondu fort librement qu'elle voudroit qu'octroyssiez à voz
subjectz leur religion, avec quelque exercice modéré, qui ne fût ny
injurieulx, ny insolant, contre voz aultres subjectz de la religion
catholicque; et qu'il vous pleût, après une si longue guerre, et
après tant de troubles et de ruynes de vostre royaulme, incliner
maintenant à cest expédiant par l'intermission d'elle, comme d'une
princesse qui est en ligue avec Vostre Majesté, et qui a intérest à la
conservation de voz forces, de vostre estat et grandeur; et que, de
tant que aulcuns accidantz passés mettent voz subjectz en deffience,
de ne pouvoir assez trouver de seureté ez édictz de la paciffication,
parce qu'ilz disent que leurs ennemys uzent de beaucoup de moyens, et
de beaucoup de conseils et d'effortz, pour tousjours les rompre, que
veuillés déclarer à elle ce qu'il vous plerra leur offrir, et que, sur
vostre parolle, elle leur en respondra; et a espérance qu'ilz s'y
confirmeront, et se soubmettront franchement à vostre obéyssance, ou
bien, si voyez que, par aultre chemin, vous vous puissiez mieulx
servir de son office, elle est preste de s'y employer. En quoy, si
faictes acheminer le dict cappitayne Orsey vers le Roy de Pouloigne,
et à ceulx de la Rochelle, elle entend que luy baillés ung ou deux
gentilhommes pour le dresser en ce qu'il aura à fère et dire, et pour
estre présentz à tout ce qu'il négociera avec eulx. Et s'est fort
esforcée, la dicte Dame, de me fère voyr qu'elle procédoit de la plus
pure, et nette bonne volonté en cest endroict qu'il est possible, mais
n'a trop dissimulé que le voyage du cappitayne Orsey ne fût aussy pour
voyr quel est devenu, à ceste heure, Monseigneur le Duc.

Et, après m'avoyr parlé du progrès qu'elle va fère ceste année vers
Douvre, et du costé de France, elle m'a dict comme elle avoit eu
advertissement que monsieur le comte de Retz avoit assemblé une armée
de mer, pour se revencher de Belle Isle sur ses isles de Gersay et de
Grènesay; mais elle ne pensoit pas qu'il se voulût prendre à elle des
faultes du comte de Montgommery, ny que vous le luy voulussiez
permettre, et qu'elle me prioit d'en fère ung article dans ma première
dépesche.

Je luy ay respondu que, par celle que j'avois naguyères receu de
Vostre Majesté, vous ne monstriez d'avoyr aulcune semblable volonté,
ny que Mr le comte de Retz eût dressé cest armement pour cest effect;
et ainsy je me suis licencié d'elle. Sur ce, etc.

    Ce XXIIe jour de juing 1573.



CCCXXVIe DÉPESCHE

--du XXVIIe jour de juing 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Jehan Volet._)

  Fausse nouvelle de la capitulation de la Rochelle.--Assaut donné
    à la ville par le roi de Pologne.--Nouvelles d'Écosse et des
    Pays-Bas.


    AU ROY.

Sire, sur une assés légière nouvelle, que le docteur Dailh a escripte
à la Royne, sa Mestresse, le bruict a couru, deux jours durant, en
ceste ville, et est allé bien loing dans ce royaulme, que ceulx de la
Rochelle s'estoient rendus à Vostre Majesté ez meins du Roy de
Pouloigne, vostre frère, le XVIIe du passé. De quoy ceste princesse,
et les siens, entendant que c'estoit à des condicions qui n'estoient
sinon assez tollérables, ilz ont faict semblant d'en estre bien ayses,
et ont monstré de se disposer à quelque chose de mieulx qu'ilz
n'estoient auparavant vers la France; mais, le troisiesme jour, il est
arrivé ung second courrier du dict docteur Dailh, qui a porté
nouvelles bien contrayres: c'est que le traicté de la composition
estoit du tout rompu, parce que ceulx de dedans demandoient plus que
ne portoit le dernier édict de Vostre Majesté; et que, pendant encores
qu'on parlementoit avec eulx, le Roy de Pouloigne avoit faict donner
feu à une mine, et, quand et quand, assault, et une escalade, dont il
avoit esté repoussé et sa personne mesmes blessée, et que les choses
tendoient, sans aulcun remède, à l'extrémité. De quoy les Angloys, et
pareillement ce nombre de voz subjectz qui sont icy, ont commancé à
penser de toute aultre chose que la paix, et croy que, sans le voyage
du cappitayne Orsey, ilz l'eussent desjà plus manifesté qu'ilz n'ont.
Et m'a l'on dict que celluy qui vint, sur la fin du mois de may, de la
Rochelle, a dict que les assiégés estoient fermement résolus
d'attandre le dernier poinct de la dicte extrémité, et mettre lors le
feu en leur ville, pour fère une irruption et salie sur vostre armée
de mer, ou sur celle de terre, affin d'essayer par les armes tout ce
que peut le désespoir.

L'on a retiré à Barvic les forces et l'artillerye, que la Royne
d'Angleterre avoit prestées au comte de Morthon, et aulcuns
gentilshommes, des pensionnayres de ceste princesse, qui estoient
allez à l'entreprinse de Lillebourg, sont desjà de retour, en court.
Guaras, agent du duc d'Alve, a tant faict vers ceulx de ce conseil que
deux cappitaynes angloys, qui alloient en Ollande, ont esté arrestez,
mais il en est allé d'aultres. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIe jour de juing 1573.



CCCXXVIIe DÉPESCHE

--du IIIe jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Blessure du roi de Pologne.--Nouvelles agitations en
    Irlande.--Desir du comte de Montgommery de travailler à la
    pacification.--Nouvelles d'Écosse.--Réclamation faite par Marie
    Stuart de ses diamans qui étaient à Lislebourg.--Mission de Mr
    Duverger, auprès de la reine d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, j'ay faict voyr à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son
conseil, par la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du
XVIIIe du passé, la vérité de ce qui est advenu de la blessure du Roy
de Pouloigne[20], vostre frère, lesquelz ont monstré d'avoir beaucoup
de playsir que le mal ne fût si grand, comme l'on le leur avoit
escript. Et m'a, la dicte Dame, mandé qu'elle se conjouyssoit
grandement avec Vostre Majesté, et avec la Royne, vostre mère, de ce
que Dieu avoit retiré cestuy vostre frère et filz, du grand et non
préveu péril, où il s'estoit trouvé; et de ce qu'il luy faysoit, de
jour en jour, venir sa réputation de tant plus clère et illustre,
qu'il luy donnoit à l'augmanter par de bien grandes et hazardeuses
entreprinses; et qu'elle desiroit de bon cueur que les instances,
qu'elle vous avoit envoyé fère par le cappitayne Orsey, vous vînssent
à gré, affin que cella servît de divertir ce qui pouvoit rester
encores de mal à venir de la fin de ceste guerre.

  [20] Le roi de Pologne, dans une reconnaissance faite le 14 juin,
  avec le duc d'Alençon, le roi de Navarre et quelques seigneurs,
  ayant été aperçu du haut des remparts, un soldat le mit en joue;
  mais de Vins, son écuyer, gentilhomme provençal, se jeta
  au-devant du coup, et tomba frappé d'une balle. Le roi reçut dans
  ses vêtemens les postes dont le fusil était chargé, mais il ne
  fut pas blessé.

Les choses d'Irlande semblent de s'altérer, de jour en jour,
davantage, non toutesfoys que la dicte Dame les répute beaucoup
dangereuses, parce qu'elle voyt que Vostre Majesté et le Roy
d'Espaigne estes tirés à d'aultres plus pressantz affères.

Le sir Artus Chambernon m'est venu dire qu'il a esté voyr le comte de
Montgommery, son beau frère, et l'a trouvé fort disposé au service de
Vostre Majesté; et à desirer, plus que sa vye, la réunion de voz
subjectz de sa religion à vostre obéyssance, soubz la protection et
observance de vostre dernier édict de paciffication.

Je n'ay, à présent, rien de particullier, d'Escoce, sinon qu'on dict
qu'ung chacun y vit en paix, et que le cappitayne Granges est détenu
encores soubz quelque garde en la ville de Lillebourg, où l'on luy
faict fort bonne chère, et, qu'encor que la pluspart des principaulx
de la noblesse soient de maulvayse intelligence avec le comte de
Morthon, il n'y a toutesfoys que le milord Claude et Adam Gordon qui
monstrent, plus extérieurement que les aultres, de n'approuver son
authorité, et dellibèrent d'aller servir le roy de Suède, avec trois
mil escoucoys, contre le Moscovite. La Royne d'Escoce m'a faict fère
instance, icy, pour les bagues qu'elle a dedans le chasteau de
Lillebourg, mais ne m'y a esté encores rien respondu. Monsieur le
président de Tours est arrivé pour aller devers elle, auquel j'ay mis
peyne, ainsy qu'il vous a pleu me le commander, de luy assister,
aultant qu'il m'a esté possible, pour luy fère avoyr son passeport, et
lettres des seigneurs de ce conseil au comte de Cherosbery, dont il
s'y achemine demein. Sur ce, etc.

    Ce IIIe jour de juillet 1573.



CCCXXVIIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Instance d'Élisabeth pour la pacification.--_Mémoire._
    Détails de l'audience.--Condoléances de la reine sur la
    blessure du roi de Pologne.--Etat de la négociation de la paix
    en France.--Négociation du mariage.--Nouvelles instructions
    qu'Élisabeth se propose de donner au capitaine Orsey.


    A LA ROYNE.

Madame, oultre ce que je mande, dans le récit que j'ay mis à part, des
propos que la Royne d'Angleterre m'a tenus sur la blesseure du Roy de
Pouloigne, vostre filz, elle m'a dict qu'elle jugeoit bien que Vostre
Majesté prenoit ung singullier contantement de voyr et ouyr les
preuves de la valeur de voz enfans, mais qu'elle croyoit bien que nul
plus mortel regret eut peu jamays saysir vostre cueur, ny advenir
aulcun plus grand inconvénient au Roy, vostre filz, et à son royaulme,
ny nul plus grand trouble aulx estatz de Pouloigne, ny rien de plus
esmervueillable en la Chrestienté, que si ce jeune prince, plein de
valeur et de grande espérance, et nouvellement Roy, se fût ainsy perdu
en ceste misérable guerre, laquelle estoit lors assez tollérable,
quand elle estoit menée par des cappitaynes du royaulme; mais, après
que ceulx là ont esté mortz, et qu'il y fault maintenant employer si
souvant les propres princes de la couronne, voz enfantz, elle vous
prioit que la voulussiez, pour jamays, retrencher par une bonne et
bien assurée paciffication.

Je luy ay respondu que cella ne tenoit à Vostre Majesté, et qu'il
falloit, puisqu'elle avoit crédit avec la partie plus opinyastre,
qu'elle luy persuadât de se renger à l'obéyssance qu'elle debvoit, et
de se contanter de ce que le Roy leur pouvoit tollérer de leur
religion, sans troubler ny l'estat de la sienne, ny la tranquillité de
son royaulme; ce que la dicte Dame a trouvé raysonnable. Et depuis,
ceulx de son conseil me l'ont approuvé, et m'ont assuré que vous
trouverez, par la légation du cappitayne Orsey, que telle estoit
l'opinion de leur Mestresse et de toutz eulx. Sur ce, etc.

    Ce VIIe jour de juillet 1573.


MÉMOIRE AU ROI.

   Sire, j'ay remercyé en la meilleure façon que j'ay peu la
   Royne d'Angleterre de l'honneste propos, et de la vertueuse
   démonstration, dont elle avoit uzé sur la nouvelle de la
   blesseure du Roy de Pouloigne, vostre frère, quand j'envoyay
   luy communicquer, par le comte de Lestre, ce que m'en avez
   mandé, le XVIIIe du passé, et luy ay dict davantage que, par
   nouvelles lettres du XXIIIIe, Vostre Majesté et la Royne,
   vostre mère, me commandiés de me conjouyr infinyement avec
   elle, de vostre part, de ce qu'il avoit pleu à Dieu de le vous
   préserver. Qui vous assuriés fort qu'elle auroit playsir de
   voyr que vous, et luy, et vostre aultre frère, qui toutz troiz
   l'aviez bien aymée, et luy portiés tousjours une singullière
   affection, allissiez estandant la réputation de vostre valeur,
   avec le danger de voz personnes, et, qu'au milieu de ces
   dangers, Dieu vous voulût conserver.

   Ce que la dicte Dame a monstré qu'elle avoit très agréable, et
   m'a confirmé, en parolles et démonstrations, cella mesmes que
   le comte de Lestre m'avoit desjà mandé: qu'elle avoit esté non
   moins troublée de l'accidant du Roy de Pouloigne, que si elle
   eut esté sa seur germayne. Et a adjouxté que, oultre les
   occasions expécialles qui l'obligeoient de se resjouyr du
   bien, et se douloir du mal, qui pourroit advenir à Vostre
   Majesté, et à toutz ceulx de vostre couronne, il y avoit des
   considérations, pour le général d'aucuns estatz de la
   Chrestienté, qui luy faysoient juger que ce eût esté par trop
   de malheur au monde, si ce prince fût ainsy péry en ceste
   entreprinse. Et m'a fort curieusement demandé comme cella luy
   estoit advenu, et s'il ne seroit pas, une aultre foys, aprins
   de fère mieulx recognoistre les lieux dangereulx, plustost
   que d'y aller? et si le troisiesme n'en deviendroit pas aussy
   plus advisé de son costé, lequel ne debvoit lors estre guyères
   loing de son frère? et s'il estoit vray que ung gentilhomme,
   ayant entreveu prendre feu à l'arquebouze, se fût mis devant
   pour couvrir son Mestre, et qu'il eût esté tué?

   A quoy je luy ay satisfaict de ce que je sçavois, de la vérité
   de ces choses, et luy ay discouru celles qui servoient à
   cellébrer la magnanimité de Vostre Majesté, et les gestes
   vertueux du Roy de Pouloigne, et comme Monseigneur le Duc se
   formoit près de luy, pour se rendre bientost ung grand et
   brave chef de guerre, de sorte qu'elle a monstré d'avoyr à
   plésir ce propos.

   Et puis a suyvy à dire qu'elle désireroit bien fort que la
   légation, qu'elle avoit maintenant envoyé vous fère, peût
   servir de destourner ce qui pouvoit rester à venir du malheur
   de ceste guerre, et qu'elle n'attandoit sinon que le
   cappitayne Orsey luy mandât que vous aviez eu agréable
   l'office qu'elle vous offroit, et que luy eussiez ordonné
   d'aller devers le Roy de Pouloigne et devers ceulx de la
   Rochelle, affin qu'elle luy enchargât de nouveau de fère
   toutes choses au contantement de voz Majestez Très
   Chrestiennes et du dict Roy de Pouloigne; et qu'on luy avoit
   bien dict que la paix ne tardoit plus que pour la deffiance,
   laquelle elle creignoit que fût ung peu rengrégée de ce qu'on
   avoit mis feu à une mine pour surprendre les dicts de la
   Rochelle, pendant qu'on parlementoit à eulx, ainsy que ung
   gentilhomme allemand, filz d'un angloys, qui estoit lors au
   camp, le luy avoit dict; ce qu'elle n'avoit peu aprouver, car
   n'estoit expédient que voulussiez, ny que monstrissiez de
   vouloir, la mort de voz subjectz de la nouvelle religion.

   Je luy ay respondu que la légation du cappitayne Orsey, venant
   de la part d'elle pour deux si honnorables effectz, comme pour
   la paix de vostre royaulme et pour le faict de l'entrevue, ne
   pourroit estre que bien receue de Voz Très Chrestiennes
   Majestez, et, possible, viendroit elle, quand au premier
   poinct, assez oportunément pour ayder la négociation que le Sr
   de La Noue menoit avec les dicts de la Rochelle et de
   Monthaulban, et des aultres de la nouvelle religion, pour les
   réduyre à ung bon et honnorable expédiant d'accord; et qu'il
   n'y avoit lieu d'alléguer plus la deffience, car eulx mesmes
   cognoissoient très bien qu'il ne leur manqueroit aulcune sorte
   de bonne seureté.

   Et touchant la mine, dont elle parloit, qui avoit esté essayée
   pendant le parlement, je n'en sçavois rien, mais aussy n'avoys
   je pas sceu qu'aulcune suspencion de guerre eût esté octroyée
   en ce siège, sinon pour ceulx seulement qui parlemantoient; et
   qu'au reste, Voz Majestez, et le Roy de Pouloigne, aviez
   clèrement monstré que vous desiriez la conservation
   générallement, et non la ruyne, de voz subjectz;

   Au regard de l'aultre poinct, qui concernoit l'entrevue, que
   je creignois qu'il vous restât, et à la Royne, vostre mère, de
   quoy vous vergoigner assez d'avoyr defféré à la dicte Dame
   tout ce qui se pouvoit imaginer d'honneur et d'advantage entre
   princes, et qu'elle l'eût néantmoins tenu en peu de compte, et
   quasy l'eût eu à mespris, et que Monseigneur le Duc n'en
   conceût ung très grand regret en son cueur; qui, s'estant
   proposé par l'abondance de son amityé et de la dévotion, et
   servitude, qu'il luy avoit vouée, qu'il auroit facille accès à
   ses bonnes grâces, il porteroit à ceste heure fort
   impaciemment ceste remise, car ne pensoit, en façon du monde,
   qu'il s'en peût trouver une seule, ny aulcune sorte de
   réplicque à son offre; ainsy qu'en ses lettres, que j'avoys
   freschement reçues, il me parloit comme un prince qui, ayant
   embrassé de toute son affection ceste espérance, avoit desjà
   le pied à l'estrier, et estoit comme de chemin pour s'en
   venir, et qui me commandoit qu'en luy présentant cependant une
   sienne lettre, je luy impétrasse tant de faveur d'elle que de
   luy bayser en son nom et très humblement ses belles meins,
   qu'il avoit tant de desir de venir luy mesmes et bayser, et
   toucher.

   La dicte Dame, qui ne s'attandoit d'avoyr à présent de ses
   lettres, s'estant composée de contenance, mais devenue
   vermeille au visage, les a prinses et leues incontinent
   d'affection, et les a trouvées fort pleynes d'honneur et
   d'honneste amityé; dont m'a respondu qu'elles l'arguoient
   d'une grande faulte, de n'avoir escript à Monseigneur le Duc,
   mais qu'elle rabilleroit cella, si elle pouvoit entendre que
   le dict cappitayne Orsey allât au camp, et qu'elle luy avoit
   par trop d'obligation pour ne manquer à ce debvoir, si elle ne
   vouloit estre trouvée ingrate.

   J'ay poursuivy à luy dire que, si, en la commission du dict
   cappitayne, il y avoit chose aulcune qui peût mettre en
   quelque suspens Voz Majestez et Monseigneur le Duc de la bonne
   intention d'elle, que je la priois de le vouloir promptement
   réparer, affin de ne deffallir de correspondance, de sa part,
   à la plus parfaicte et constante amityé, dont elle seroit
   jamays aymée, ny bien volue, de nulz aultres princes qui
   fussent au monde.

   Elle m'a soubdein mené en une fenestre assez loing, et m'a
   dict, que, s'il vous playsoit luy fère cest honneur de
   l'employer à la paciffication de vostre royaulme, qu'elle
   mettroit peyne de vous y complayre de tout son pouvoir, et de
   conserver ce qui seroit de l'honneur et authorité et grandeur
   de Vostre Majesté, pour vous rendre les subjectz très humbles
   et très obéyssantz, et les plus modérez qu'elle pourroit en ce
   qu'ilz demanderoient de l'exercice de leur religion, pour n'en
   avoyr que aultant, et en la forme que trouverez raysonnable de
   leur accorder, de vostre propre grâce, pour satisfaction de
   leurs consciences, sans troubler le repos de vostre estat:

   Et, quand à l'entrevue, que ceulx de son conseil avoient bien
   digéré la responce qu'elle vous y avoit faicte, laquelle vous
   ne trouveriez, à son advis, que desvoyât aulcunement l'affère,
   ains, possible, le remettroit en meilleur chemin qu'il
   n'estoit auparavant; et qu'elle estoit bien ayse de demeurer
   satisfaicte et de pouvoir satisfère aultruy de vostre
   persévérance vers elle, car vouloit, puisqu'elle estoit femme,
   me réveller ung secret: c'est que, depuis trois jours, sur
   quelques responces de grande importance qu'on luy faysoit
   attandre de quelque part du monde, l'on luy estoit venu dire
   que véritablement elles luy estoient mandées très bonnes et
   pleines de tout contantement, mais qu'en France l'on luy
   avoit, coup sur coup, tué trois courriers qui apportoient les
   dépesches, et qu'elle me layssoit juger que vouloit dire
   cella.

   Je n'ay uzé ny de réplicque, ny de curiosité, pour fère
   explicquer davantage la dicte Dame, ains, l'ayant seulement
   pryée de vouloir radresser la commission du cappitayne Orsey,
   si elle ne la luy avoit donnée parfaictement bonne, quand il
   partit; et de vouloir escripre à Monseigneur le Duc, elle m'a
   promis de fère l'ung et l'autre; et puis, m'ayant fort
   volontiers baillé la mein à bayser au nom de Monseigneur le
   Duc, je me suis licencié d'elle. Qui est, Sire, le sommayre de
   ce qui s'est passé en ceste audience.



CCCXXIXe DÉPESCHE

--du XIIe jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Communication officielle de la paix conclue en
    France.--Félicitations de la reine.--Demande de l'ambassadeur
    qu'Élisabeth consente à l'entrevue sollicitée par le duc
    d'Alençon.--Demande d'un délai pour donner la
    réponse.--Nouvelles d'Écosse.--Le lord de Hume et le lair de
    Granges retenus prisonniers.


    AU ROY.

Sire, après que j'ay eu loué et remercyé Dieu de la bonne nouvelle de
la paix[21], qu'il vous a pleu me mander, du premier de ce moys, je la
suis allé porter à la Royne d'Angleterre, laquelle, d'un semblant fort
joyeux et contant, m'a demandé, premier quasi que j'aye eu loysir de
luy en entamer le propos, s'il estoit bien vray qu'elle fût faicte. Et
je luy ay dict que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez
estimé très raysonnable, aussytost que Dieu vous y avoit faict voyr
quelque certitude, et premier quasy qu'elle fût du tout bien conclue,
ou aulmoins devant qu'elle fût publiée en vostre court, d'en fère la
première part à elle, affin de luy advancer, devant les aultres
princes, voz alliez et confédérés, l'ayse et le plésir que vous vous
assuriez qu'elle en recevroit, comme celle qui, plus que nul d'entre
eulx, avoit monstré tousjours la desirer, et qui s'estoit offerte, par
le cappitayne Orsey, de bien honnorablement et en très bonne façon
s'employer de la fère. De quoy me commandiés de l'en remercyer de tout
vostre cueur, et l'assurer que vostre résolution avoit tousjours
esté, au cas qu'il fût besoing d'y appeller aulcun de voz alliez, d'y
uzer les moyens et expédientz qui viendroient d'elle, sans vous ayder
d'aulcun aultre prince; et qu'aussytost que le cappitayne Orsey estoit
arrivé, vous l'eussiez volontiers faict acheminer au camp et à la
Rochelle, pour ayder à la conclusion des articles, mais ilz estoient
desjà toutz concludz; et néantmoins vous ne layssiez de vous sentir
aultant obligé à elle, comme s'il en eût prins la peyne, et comme si
le nom de la dicte Dame y fût intervenu; qui la priés de prendre ceste
vostre dilligence, de luy avoyr faict la première communicquation de
la dicte paix, et de l'avoyr notiffiée à ses ambassadeurs, premier
qu'à toutz les aultres, qui résident près de Vostre Majesté, ung
tesmoignage certein que vous n'aviez rien mis en oubly de ce que vous
sçaviez luy en debvoir, et que vous lui promettiés, Sire, de luy
approprier le bien, que vous en recepvriés, à l'utillité sienne, et
aultant à la tranquillité de son royaulme, comme elle avoit tousjours
monstré de desirer le repos du vostre.

  [21] Paix conclue le 24 juin 1573 par la capitulation de la
  Rochelle, et confirmée par l'édit rendu le 6 juillet suivant.

Elle a monstré d'estre fort contante et de la nouvelle, et des propos
que luy en fesiez tenir, et m'a dict que l'ayse et le playsir, que Voz
Majestez en avoient, ne surmontoit en cest endroict le sien; et
qu'aulmoins vous prioit elle de ne mettre aulcun aultre prince, de
toutz voz alliés, au pareil reng qu'elle en cella, car elle sçavoit
bien que vous luy feriez tort; et vous remercyoit infinyement
qu'eussiez prins de bonne sorte l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère
par le cappitayne Orsey, et qu'eussiez cognu qu'elle estoit pure, et
pleine d'une singullière affection vers tout ce qui pouvoit concerner
et l'honneur de Vostre Majesté et toutz les degrés de vostre
souverayne authorité sur voz subjectz, comme si elle eût voulu
procéder en cella pour sa cause propre, et pour celle de sa couronne.
Et m'a curieusement demandé quelles estoient les conditions de la
paix, et si vostre dernier édict estoit pas restably, et toutz voz
subjectz rappellés, et si le comte de Montgommery pourroit pas aussy
bien retourner, comme les aultres, en vostre bonne grâce?

Je luy ay dict que je recuillerois le sommayre de ce que je
trouverois, des dictes conditions de la paix, ez lettres de Vostre
Majesté pour le luy envoyer, et que je ne pensois que voulussiez
excepter le comte de Montgommery, s'il ne vous apparoissoit bien qu'il
eût machiné quelque chose de plus que les aultres contre vostre propre
personne. Et luy ay touché cepandant aulcuns poinctz des susdictes
conditions pour voyr comme elle les prendroit, qui ne m'a faict
semblant de les trouver sinon assez raysonnables. Et, après, j'ay
adjouxté que, de tant qu'à ceste heure les ostacles, que ceulx de son
conseil avoient mis au faict de l'entrevue, estoient ostés, et que la
guerre contre ceulx de leur religion, en laquelle ilz les avoient
fondés, s'estoit terminée en la façon, que eulx mesmes desiroient,
d'une bonne paix et d'ung amyable accord; et que Monseigneur le Duc ne
se trouveroit plus ny sanglant ny meurtrier des dicts de la nouvelle
religion de devant la Rochelle, ains possible aultant leur amy et
bienvueillant que prince de la Chrestienté; que Vostre Majesté et la
Royne, vostre mère, me commandiés de luy incister qu'elle vous voulût
rendre une responce bien entière à vostre offre, et me déclarer
qu'elle l'acceptoit; et que me feist dellivrer les seuretés.

La dicte Dame m'a respondu que ma demande estoit raysonnable, et
qu'elle ne la vouloit différer, et manderoit venir milord trézorier,
et les aultres de son conseil qui estoient absentz, pour en dellibérer
avec eulx, affin que, devant le XVe du présent, auquel jour elle
dellibéroit de commancer son progrès, elle me peût rendre sa responce;
et que cepandant elle verroit ce que le cappitayne Orsey et son
ambassadeur, résident, luy en escripvoient, desquelz le pacquet venoit
tout présentement d'arriver, mais leurs lettres n'avoient esté encores
lues. Et m'a demandé là dessus si je sçavois que le dict cappitayne
Orsey s'en revînt.

Je luy ay dict que je n'en sçavois rien, et que j'estimois qu'il
feroit sellon qu'elle luy avoit commandé.

A quoy, après avoyr esté ung peu pensive, elle m'a continué dire qu'il
avoit charge de suivre ce qu'il verroit qui plus vous pourroit
complère, et qu'il sçavoit bien la bonne et droicte intention qu'elle
avoit à Voz Majestez.

Et, après, je luy ay sommayrement touché les particullaritez, dont il
avoit traicté avecques vous, et la satisfaction qu'il vous avoyt
donnée, et que seulement vous restiez esbahys comme il ne vous avoit
faict aulcune mencion des choses d'Escoce, bien que la lettre d'elle
en parlât.

A quoy soubdein elle m'a respondu qu'il avoit attendu qu'on luy en
commançât le propos, mais qu'avant partir il vous en rendroit bon
compte, et sommes passez à quelques aultres gracieux propos de son
progrès, et des chasses qu'on dellibéroit de luy monstrer en chemin.

Et puis, ay communicqué aulx seigneurs de son conseil la mesmes
desirée nouvelle de la paix, qui ont monstré toutz de s'en resjouyr;
et ainsy me suis desparty d'elle et d'eulx.

Cepandant le Sr de Quillegreu est revenu d'Escoce, avec ung grand
nombre de papiers et chiffres qui ont esté trouvés dedans le chasteau
de Lillebourg. Le dict chasteau est gardé par James Douglas, frère
bastard du comte de Morthon, et par le cappitaine Humes; milord de
Humes a esté remis prisonnyer dans le mesmes chasteau, et le layr de
Granges envoyé à Loclevin, et les aultres principaulx distribués en
aultres lieux. Les soldatz, qui ont suivy le party du dict de Morthon,
passent peu à peu en Ollande, et ceulx du party de la Royne s'en vont
servir le roy de Suède, de sorte qu'il en sort envyron quatre mille du
pays, ce qui fera davantage continuer la paix. Milord Claude ny Adam
Gourdon ne bougent; le cappitayne Cauberon a suivy, icy, le dict de
Quillegreu, et dict on qu'il a charge du comte de Morthon de requérir
l'évesque de Roz comme rebelle. Sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de juillet 1573.



CCCXXXe DÉPESCHE

--du XXe jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Groignet, mon secrettère._)

  Retour du capitaine Orsey à Londres.--Négociation du
    mariage.--Sollicitations du comte de Morton pour obtenir
    d'Élisabeth l'autorisation de mettre à mort les seigneurs
    écossais pris dans le château d'Édimbourg.--Soumissions faites
    par les Français réfugiés en Angleterre.--_Mémoire._ Détails
    d'audience.--Négociation du mariage.--Consentement d'Élisabeth
    à accorder les sûretés nécessaires pour l'entrevue.--Plaintes
    du roi au sujet des affaires d'Écosse.--Sollicitations de
    l'ambassadeur en faveur de l'évêque de Ross, qui est réclamé
    par le comte de Morton.--Déclaration de la reine qu'il ne sera
    pas livré.--_Avis à part à la Reine._ Mécontentement de
    Leicester.


    AU ROY.

Sire, trois jours de reng, le conseil a esté tenu à Grenvich pour
dellibérer de la responce qu'on avoit à me fère, où j'entendz que les
choses ont esté merveilleusement débatues, non par contention de
parolles, mais avec des argumentz pourpousés de si loing, et si
artifficieusement recherchés, qu'on a mis ceste princesse à ne sçavoir
à quoy se résouldre; et le cappitayne Orsey a esté dilligemment
examiné de ce qu'il raportoit de vostre intention, et de celle de la
Royne, vostre mère, et de l'estat des choses de France: dont me suis
présenté au dict lieu, le XVe de ce moys, comme je y estois assigné,
pour ouyr ce qu'on me voudroit dire, dont je mets le récit à part.
J'adjouxteray, icy, que le comte de Morthon inciste fort que la Royne
d'Angleterre ayt agréable qu'il puisse fère exécuter à mort ceulx
qu'il a prins dans le chasteau de Lillebourg, à quoy semble qu'elle
fermera les yeulx, pour d'autant confirmer son party; et j'entendz
qu'elle a ordonné quelque nombre de gentilshommes ses pencionayres, au
dict pays d'Escoce, desquelz je mettray peyne de sçavoir les noms. Le
Sr de Villy s'en est retourné vers Vostre Majesté et le Sr Voysin, son
compaignon, reste encores icy, qui ont toutz deux, ainsy qu'ilz
disent, trouvé ez francoys, qui sont par deçà, une bonne disposition
vers vostre service. Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, n'a
attendu que le retour du cappitayne Orsey pour envoyer devers moy. Je
orray ce qu'il me mandera. Le Sr de Languillier est venu très
libérallement offrir sa personne, et sa vye, pour vostre service, et
de vouloir vivre et mourir vostre très humble subject. Mr le vidame ne
peut trouver qu'il soit suffizamment pourveu, par les articles de la
paix, à la nécessité de leur religion; néantmoins que ce ne sera luy
qui yra rien recalculer là dessus, et percistera à vouloir jouyr, en
pacience, la paix et bonne grâce de Vostre Majesté. Et sur ce, etc.

    Ce XXe jour de juillet 1573.


MÉMOIRE.

   Sire, après avoir grandement remercyé la Royne d'Angleterre de
   l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère, de s'employer à la
   paix de vostre royaulme, et de persévérer en la ligue, je luy
   ay dict que, ayant Vostre Majesté et la Royne, vostre mère,
   ouy, par deux foys, le cappitayne Orsey, et vous estant, après
   l'assurance de la paix, bien fort explicqués à luy et à
   l'ambassadeur, résident, touchant le propos de Monseigneur le
   Duc et de l'entrevue, vous estiez restés fort esbahys qu'ilz
   vous avoient layssez aussy incertains et irrésolus de
   l'intention d'elle en cella, comme si le dict Orsey n'en eût
   eu nulle charge; et pourtant me commandiés d'incister à
   obtenir la responce qu'elle me voudroit donner sur la dicte
   entrevue, et d'impétrer les seuretés qui estoient pour cella
   nécessayres.

   A quoy la dicte Dame m'a respondu que c'estoit à elle et non à
   Vous, Sire, que touchoit de recognoistre tout l'effaict du
   voyage du cappitayne Orsey, car, en récompense de quelque
   petite courtoysie qu'elle vous avoit envoyé offrir par luy,
   Voz Majestez en avoient par luy mesmes remandé à elle au
   double, et de si bonnes que de meilleures ne les eussiez sceu
   fère à vostre propre seur germayne; et, quand à la responce
   que demandiés maintenant de l'entrevue, qu'elle vous prioit de
   croyre qu'elle avoit cherché de la vous fère, sellon vostre
   desir, et quoyque ses conseillers luy déduysissent des
   empeschements si extrêmes, qu'il leur sembloit qu'elle voulût,
   avec Voz Majestez Très Chrestiennes, conjurer la ruyne de
   ceulx de sa propre religion, si ne voulait elle monstrer
   d'estre si mal nourrye que de ne recognoistre l'obligation
   qu'elle vous avoit et à Monseigneur le Duc, pour tant
   d'honneur que luy aviez faict; et pourtant qu'elle ne vouloit
   différer d'accepter l'entrevue, et d'offrir les seuretés,
   sinon jusques à tant qu'elle vous eût encores escript à toutz
   troys, de sa mayn, comme les raysons qu'on luy avoit alléguées
   contre le mariage contrepesoient et mesmes sembloient si fort
   surbalancer celles qui font pour icelluy, qu'elle estimoit ne
   pouvoir procéder sincèrement avec Voz Majestez, si elle ne
   vous advertissoit que, venant Monseigneur le duc, elle
   creignoit bien fort que son intention ne peût réuscyr à
   l'effect qu'il voudroit.

   Dont, encor que, par ses propres lettres, et de la Royne,
   vostre mère, elle eut promesse qu'il en prendroit tout le
   hazard sur luy, si cognoissoit elle bien qu'il y courroit
   encores une bonne partie de hazard pour elle, d'altérer la
   bonne amityé, en quoy elle se trouvoit maintenant avec toutz
   troys, et que pourtant elle y vouloit obvier, aultant qu'il
   luy seroit possible, dont vous escriproit franchement tout ce
   qui en estoit, sans vous en rien dissimuler; et puis à Voz
   Majestez seroit d'en uzer comme bon vous sembleroit, car les
   seuretés se trouveroient incontinent toutes prestes, telles
   que je les voudrois demander.

   Je luy ay, pour réplicque, récapitullé tout ce qui avoit esté
   dict et faict, et escript, depuis le commancement du propos
   jusques à ceste heure, et comme la mesmes difficulté, qu'elle
   alléguoit maintenant, estoit desjà vuydée par les propres
   lettres de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc, qu'elle
   avoit devers elle; et que vous vous estiez layssez mener à
   elle jusques au fin bout de ce que luy pouviez defférer
   d'honneur et d'avantage en cest endroict, de sorte que vous ne
   vous estiez réservez à y pouvoir fère ung pas davantage, et
   tout le parfayre et l'accomplyr estoit à ceste heure en la
   main d'elle; qui la priés de l'y mettre si bon et si
   honnorable, comme ses propos précédans, ses démonstrations,
   ses lettres et responces vous avoient tousjours faict croyre
   qu'elle y procédoit d'une pure et non feincte, ny simulée,
   sincérité.

   La dicte Dame m'a soubdein demandé si je voulois empescher
   qu'elle ne vous donnât cet advertissement, qu'elle vous
   vouloit escripre.

   Je luy ay respondu que non, ains la supliois de le vous
   exprimer le plus qu'elle pourroit, affin que n'envoyassiez,
   par mesgarde, ce vertueux prince à ung manifeste refus, comme
   je sçavois bien que vous en vouliés très bien garder, mais
   que, par ensemble, elle m'accordât l'entrevue et les seuretés;
   qui estoient deux choses que j'avois simplement charge de
   requérir; et puis Voz Majestez en uzeroient sellon leur bon
   plésir. Qui vous assuriez bien que si, ez perfections de
   prince qui fût en la Chrestienté, Dieu avoit laissé de quoy
   pouvoir agréer à celles de la dicte Dame, que Monseigneur le
   Duc luy complerroit entièrement.

   Elle, ne se pouvant assez bien démesler de ce poinct, a
   appellé milord trézorier et les quatre comtes, d'Arondel, de
   Sussex, de Betfort et de Lestre, commandant de chasser tout le
   reste de la chambre. Et ayant longtemps devisé avec eulx, en
   angloys, et avec réplicques, d'ung chacun costé, enfin par
   leurs advis, et eulx présentz, elle m'a respondu qu'elle
   accordoit que les seuretés fussent expédiées, et que j'en
   baillerois le mémoyre, quand je voudrois, mais que ne seroient
   envoyées qu'elle ne vous eût premièrement escript le susdict
   advertissement, et qu'elle en eût eu vostre responce.

   Je n'ay rien plus réplicqué là dessus, mais j'ay adjouxté que
   Voz Majestez demeuroient escandalisées de ce que le cappitayne
   Orsey ne vous avoit touché ung seul mot des choses d'Escoce,
   bien qu'elle vous eût escript qu'elle luy en avoit donné
   charge; dont je la priois de vous fère explicquer, par son
   ambassadeur résident, ce que c'estoit; et qu'elle me voulût
   octroyer ung passeport pour ung gentilhomme, que Vostre
   Majesté dellibéroit d'envoyer par dellà; et qu'au reste
   j'ozois bien employer le nom de Vostre Majesté pour incister
   qu'elle ne voulût bailler l'évesque de Roz au comte de
   Morthon, comme j'estois adverty qu'il pourchassoit de l'avoir
   en ses mains.

   Elle, en la mesmes présence de ses conseillers, m'a respondu
   que, à dire vray, le cappitayne Orsey n'avoit satisfaict à ce
   poinct, comme il luy avoit esté commandé, et seulement, en
   parlant de la conscience d'elle à la Royne, vostre mère, il
   luy avoit dict qu'encor qu'elle s'estoit peu saysir du
   chasteau de Lillebourg, elle néantmoins l'avoit entièrement
   délayssé aulx Escouçoys; et parce que la Royne, vostre mère,
   n'avoit lors suivy le propos, il n'y avoit sceu retourner une
   aultre foys, mais elle avoit desjà faict escripre à son
   ambassadeur qu'il ne faillît de le vous parachever; et qu'elle
   m'accordoit le passeport que je demandois, et commandoit, dès
   à présent, qu'il me fût dellivré, quand je le vouldrois;

   Quand à l'évesque de Roz, qu'elle me promectoit de le refuzer
   au comte de Morthon, et de procurer qu'il peût retourner en
   ses biens, ou, s'il ne pouvoit estre soufert d'en jouyr dans
   le païs, qu'il en peût aulmoins avoyr le revenu icy ou en
   France, s'il playsoit à sa Mestresse qu'il y passât, et, sur
   ce, estant la dicte Dame pressée de partir pour fère la
   première trette de son progrès, elle m'a licencié.


ADVIS, A PART, A LA ROYNE.

   Madame, j'ay parlé, à part, au comte de Lestre, lequel m'a uzé
   de beaucoup de bonnes parolles, mais icelles conformes à la
   résolution du reste du conseil, et je me suis efforcé de fère
   que le malcontantement, que son secrettère, qui estoit avec le
   cappitayne Orsey, luy avoit imprimé, de ce que Voz Majestez
   n'avoient, sinon petitement et bien tard, faict mencion de luy
   au dict Orsey, fût rejecté sur ce que icelluy Orsey, lequel
   vous sçaviés bien qu'il estoit à luy, et par lequel aviez
   espéré d'avoir plusieurs advertissementz particulliers et
   expéciaulx, en l'affère de Monseigneur, vostre filz, ne vous
   y avoit jamays respondu une seule bonne parolle.

   De quoy je luy voulois bien dire que j'avois fort exprès
   commandement, de Vostre Majesté, de m'en pleindre à luy: qui
   m'a respondu que le dict Orsey estoit vrayement son bon amy,
   mais qu'il avoit esté dépesché par commandement plus hault,
   lequel il luy avoit convenu suyvre.

   Et, depuis, ayant par un tiers faict sonder bien avant le dict
   comte, il ne m'a raporté de luy que doubtes et difficultez
   touchant le mariage, et qu'il ne pouvoit, ny vouloit s'en
   mesler plus avant que les aultres du conseil.

   Et au regard de son particullier, il lui avoit discouru fort
   au long, mais avec charge de n'en parler jamays à personne,
   comme il se trouvoit fort déceu en ce qu'il avoit espéré de
   Voz Majestez Très Chrestiennes, pour lesquelles il disoit
   s'estre déclaré si avant qu'il ne sçavoit qu'est ce qu'il
   n'avoit faict pour la France, jusques avoyr mis sa Mestresse
   et son royaulme en voz meins, si l'eussiez voulu avoyr, abbatu
   la ligue d'Espaigne et relevé la vostre, saulvé la vye de la
   Royne d'Escoce, diverty toutes occasions de guerre entre ces
   deux royaulmes, et faict beaucoup de grandes despences pour
   honnorer et traicter les Françoys, et se porter, en toutes
   choses, très parcial pour la France:

   De quoy il n'avoit acquis que souspeçons et deffiences vers
   les siens, et non jamays ung seul bouton vaillant, ny une
   lettre, ny mesmes ung grand mercys de Voz Majestez, ny de nul
   aultre endroit de France, et qu'il ne se vouloit plus mettre à
   tel pris.

   Et, comme l'aultre luy a respondu que le temps ne vous donnoit
   loysir de luy pouvoir tesmoigner, à ceste heure, voz bonnes
   volontés, et qu'il ne failloit pour cella qu'il layssât de
   demeurer bon parcial françoys, et de pourchasser ce party de
   Monseigneur le Duc à sa Mestresse, sellon qu'elle avoit
   nécessayrement besoing d'avoyr ung mary ou ung déclaré
   successeur;

   Il a réplicqué soubdein que sa Mestresse avoit voyrement
   besoing de l'ung ou de l'aultre, et qu'il avoit peur qu'elle
   les laysseroit sans pas ung des deux, et tout son estat en
   grand confusion, néantmoins qu'il demeureroit, quand à luy,
   bien bon angloys, et n'est passé plus avant.

   Je fay, Madame, le mieulx que je puis, pour maintenir vostre
   affère, et conserver voz amys en ceste court, et y employe
   beaucoup de bonnes paroles; mais le torrent de deniers et de
   présantz qui viennent d'ailleurs les emportent, et c'est de là
   d'où je me sents le plus traversé.



CCCXXXIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Négociation du mariage.--Conférence de l'ambassadeur et de
    Burleigh sur cette négociation.


    AU ROY.

Sire, en débatant naguyère avec la Royne d'Angleterre des poinctz de
la responce qu'elle m'a faicte touchant l'entrevue, elle m'a bien
donné à cognoistre qu'on luy avoit représenté de grandz inconvénientz
et beaucoup de dangers de vostre costé, lesquelz elle a aulcunement
comprins, parce que je luy en ay remonstré, qu'on les luy avoit plus
fondez en imagination que sur apparance de vérité; car, après
plusieurs réplicques d'entre nous, elle m'a enfin dict que, quelle
impression, qu'on luy eût peu donner, qu'il luy adviendroit beaucoup
de mal de vostre costé, si ne layrroit elle de remémorer le bien
qu'elle en avoit desjà senty, et ce que, depuis son advènement à ceste
couronne, elle n'avoit receu de Vostre Majesté ny de la Royne, vostre
mère, ny de Messeigneurs voz frères, ny encores du feu Roy, vostre
père, quand il vivoit, que beaucoup de faveurs et beaucoup de
courtoysies et gratieusetés; et qu'elle ne se vouloit encores
ayséement persuader que luy voulussiez nuyre, ny la tromper. Il est
vray qu'elle pouvoit considérer que ce qu'on luy en disoit pourroit
bien advenir, et qu'elle s'en garderoit le mieulx qu'elle pourroit,
néantmoins que, de son costé, elle ne commanceroit poinct de changer
de volonté vers Voz Très Chrestiennes Majestez; ains vous observeroit
justement les promesses qu'elle vous avoit faictes. A quoy, Sire, il
seroit long de vous racompter, icy, ce que je luy ay commémoré là
dessus, qui ne pense estre demeuré nullement court.

Mais j'ay bien depuis voulu aprofondir ce propos avec milord de
Burgley, avec lequel, estant seul à seul, je luy ay dict que Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, auriez eu juste occasion, quand vous
auriez veu la responce que sa Mestresse vous avoit mandée, de vous en
plaindre; car c'estoit elle qui avoit mis en avant l'entrevue, et qui
avoit demandé de n'estre en rien obligée par la venue de Monseigneur
le Duc, et qui néantmoins avoit déclaré qu'elle l'espouseroit, s'il
playsoit à Dieu qu'en présence ilz se peussent complaire; et
maintenant que Voz Majestez luy avoient concédé toutz les poinctz qui
estoient à l'advantage d'elle, elle disoit que les raysons qui
faysoient pour le propos estoient si contrepesées et surbalancées par
celles qui faysoient au contrayre, qu'elle doubtoit fort que le
mariage ne peût succéder. Ce que Voz Majestez prendroient pour ung
fort nouvel accidant, de tant que les difficultés, qu'elle avoit
jusques à ceste heure alléguées, n'avoient esté jamays que trois:
sçavoir, celle du visage, pour laquelle l'entrevue se faysoit; celle
de l'eage, laquelle estoit desjà vuydée; et celle de la religion,
laquelle estoit remise entre eulx deux: et que, d'en proposer
maintenant d'aultres, ou bien vous agraver celles là davantage, estoit
vous monstrer que n'aviez esté correspondus de pareille sincérité, que
vous aviez tousjours de vostre part procédé, et vous fère croyre qu'il
n'y avoit jamays eu qu'une seule difficulté, c'estoit qu'elle n'avoit
onques eu intention, ny volonté, au dict mariage.

Le dict milord s'est trouvé fort perplex, et a voulu eschaper sur ce
que j'avoys desjà une responce de sa Mestresse, et qu'elle mesmes
escripvoit son intention à la Royne, vostre mère, dont ne luy estoit
loysible de parler plus avant; mais, voyant que je ne cessois
d'incister, et que j'ay de bon cueur juré que je ne le faysois qu'à
très bonne fin, il m'a dict que, devant Dieu et en sa conscience, il
avoit cognu sa Mestresse en intention de se marier, et ne voyoit pas
qu'elle eût encores changé, et que, de sa part, il le desiroit, plus
que chose du monde; que des trois difficultés qui avoient esté
alléguées, celle de l'eage avoit esté véritablement vuydée, et n'en
falloit plus parler; mais, quand aulx aultres deux, celle de la
religion estoit beaucoup rengrégée depuis les évènementz de France, et
ne s'en voyoit encores bien la purgation; et, de celle du visage, il
me vouloit bien advertyr qu'ayant sa mestresse tousjours estimé que ce
fust ung reste de la petite vérolle, qui se guériroit avec le temps,
l'on escripvoit de France que le temps l'augmentoit, et qu'il luy
restoit des enflures et grosseurs qui luy faysoient tant de tort au
vysage qu'on croyoit qu'à peyne s'en pourroit elle jamays contanter;

Que, quand à l'assurance que je demandois du dict milord, qu'il ne
m'en pouvoit donner d'aultre sinon qu'il confirmeroit tousjours à sa
Mestresse que le party de ce prince, quand à l'extraction et à la
bonne réputation qui couroit de luy, et quand à l'appuy de la couronne
de France, et aultres commodictés pour l'Angleterre, estoit très
honnorable et fort à propos pour sa dicte Mestresse, et que, si elle
ne luy disoit ou ne luy faysoit rien dire de l'empeschement du
visage, après qu'elle l'auroit veu, si, d'avanture, il venoit par
deçà, qu'indubitablement il la conseilleroit de l'épouser, mais si
aussy il voyoit ou entendoit qu'elle ne s'en peût complayre, qu'ung
chacun l'excusât, s'il mettoit peyne de segonder et d'affection, et de
conseil, et par toutz les moyens qu'il pourroit, les justes et
raysonnables desirs de sa Mestresse. Et nonobstant, Sire, que j'aye
mis peyne de tirer plus grand esclarcissement de luy, je n'ay sceu
rien obtenir de plus. Sur ce, etc. Ce XXVIe jour de juillet 1573.



CCCXXXIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de juillet 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Expédition du comte d'Essex en Irlande.--Nouvelles
    d'Écosse.--Retard du comte de Montgommery à faire sa
    soumission.--Actes d'obéissance de la plupart des
    réfugiés.--Nouvelles d'Espagne.


    AU ROY.

Sire, la Royne d'Angleterre a faict résouldre l'embarquement du comte
d'Essex pour Irlande, au VIe du prochein, avec plus ample commission
que nul aultre visroy qui ayt jamais passé dellà; et desjà plusieurs
gentilhommes de bonne qualité s'y sont acheminés. Et discourent
quelques ungs que ce qui l'incite davantage à ceste entreprinse est
pour prendre plus de pied au pays d'Escoce, et réprimer par là ceulx
du quartier du Nord, et les saulvages escouçoys qui recognoissent
encores l'authorité de leur Royne, sans se vouloyr soubmestre à celle
du comte de Morthon, et secourent souvant les Irlandoys, leur voysins,
contre les garnisons d'Angleterre.

Le vieulx Cauberon a esté renvoyé, depuys deux jours, avec une bien
ample dépesche vers le comte de Morthon, sans qu'il me soit venu voyr,
ny qu'il m'ayt rien faict sçavoyr de sa part, ains s'est fort caché de
moy. Je ne sçay particullièrement qu'est ce qu'il emporte, tant y a
que j'ay advis que ceste princesse a esté conseillée de remettre à
l'arbitre du dict de Morthon qu'il puisse procéder comme il vouldra,
par la rigueur des loix du pays, contre ceulx qui estoient dans le
chasteau de Lillebourg; dont se présume qu'il en fera mourir la
pluspart. Le dernier messager, que j'ay envoyé par dellà, n'est
encores de retour; il regarde, possible, à se conduyre plus sagement
que n'a faict l'aultre, que j'y avoys envoyé devant luy, qui a esté
descouvert, et icelluy Morthon l'a faict pendre, à quoy j'ay ung très
grand regrect.

Le comte de Montgommery n'a encores envoyé devers moy à cause, à mon
advis, que le cappitayne Orsey luy a escript la bonne responce, qu'il
luy a rapportée de Vostre Majesté touchant son faict particullier;
mais je sçay bien qu'il s'est fort resjouy de la paix, et pense qu'il
fera bientost repasser sa femme et ses enfans en France. Les aultres
gentilshommes françoys, qui sont icy, sont la pluspart venus, ung à
ung, me offrir leurs vyes et personnes pour vostre service; et semble
que toutz, en général, et chacun, en son particullier, veulent jouyr
le bien de la paix et de la bonne grâce de Vostre Majesté, dont,
depuis deux jours, le Sr de Boy de Bretaigne, le cappitayne Ber, le
cappitayne La Fosse, le cappitayne Bernardyère, et aultres, m'en sont
venus tesmoigner leur affection. Je ne sçay si le comte de Montgommery
prétend d'aller trouver le prince d'Orange, tant y a qu'il faict faire
des armes en ceste ville.

Il semble qu'on ayt quelque souspeçon que le Roy d'Espaigne ne vueille
ratiffier l'accord, du premier jour de may, car le temps, dans lequel
l'on avoit promis de fournir de sa lettre et de sa responce là dessus,
est passé de plus d'ung moys, bien qu'il s'entend que le dict accord a
esté publié en Espaigne, et que les biens et navyres des Angloys y ont
esté relaschés. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de juillet 1573.



CCCXXXIIIe DÉPESCHE

--du Ve jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Pierre Cahier._)

  Inquiétude causée en Angleterre par le voyage du roi sur les
    côtes de Normandie.--Crainte d'une entreprise contre l'Écosse
    concertée entre le roi et le roi d'Espagne.


    AU ROY.

Sire, nonobstant la satisfaction, que j'ay donné à ceste princesse et
aulx siens, de la venue de Vostre Majesté en Normandye, et de celle de
la Royne, vostre mère, à Dieppe, ilz ne layssent, pour cella, d'avoyr
suspect l'armement et appareil de mer, que Voz Majestez y ont commandé
de dresser, leur estant rapporté, par ceulx qui viennent de dellà la
mer, qu'il se parle ouvertement qu'une partie de cella se faict pour
passer des forces en Escoce: dont ont escript en dilligence au comte
de Morthon qu'il se tiegne sur ses gardes, et qu'il ayt à garnyr les
chasteaus et places fortes, et les portz du pays, de gens de guerre,
pour empescher la descente des Françoys; et au comte de Houtincthon,
lequel préside en leur quartier du Nort, vers le dict royaulme
d'Escoce, qu'il ayt à visiter la frontière, et y fère, de rechef, les
monstres, et remplir bien les garnisons. Et s'est augmentée ceste leur
souspeçon de ce qu'ilz ont sceu, ainsy qu'ilz disent, que Vostre
Majesté a donné passage à ung milion et demy d'or, que le Roy
d'Espaigne envoyoit en Flandres; qui jugent bien que vous ne tiendriés
la mein à l'accomodement des affères du dict Roy d'Espagne et à
l'establissement de sa grandeur, laquelle s'opose tousjours à la
vostre, si quelques aultres conventions secrètes ne vous unissoient à
ceste intelligence, laquelle ils creignent bien fort que soit contre
eulx et contre le faict de leur religion. Dont sont bien fort après à
se racointer eulx mesmes, s'ilz peulvent, avec le dict Roy d'Espaigne,
et à fère que, des deux costés, l'altération cesse, et qu'ilz
retournent à ceste mutuelle bienvueillance qu'il y a eu, de tout
temps, entre leurs pays et estatz: ce que je croy ne leur sera
difficille. Et la prinse d'Arlem[22] y convye ceulx icy davantage.

  [22] Harlem, après un siège de sept mois, s'était rendue à
  discrétion, dans les premiers jours d'août, à Frédéric de Tolède,
  fils du duc d'Albe.

J'ay receu la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIIIe du passé, avec
les pleinctes de voz subjectz contre les pirates, et n'obmettray ung
seul poinct de l'instance, que me commandés d'en fère à ceste
princesse, à la première audience qu'elle me donra. Et sur ce, etc.

    Ce Ve jour d'aoust 1573.



CCCXXXIVe DÉPESCHE

--du IXe jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Préparatifs de défense faits en
    Angleterre.--Audience.--Satisfaction donnée à
    l'ambassadeur.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Demande afin
    d'obtenir la sûreté du passage par mer pour le roi de
    Pologne.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle consent à donner
    toute protection en Angleterre au roi de Pologne, mais qu'elle
    n'y veut pas recevoir les gens de guerre qu'il emmène avec
    lui.--Négociation du mariage.--Plaintes du roi au sujet des
    affaires d'Écosse et des exécutions faites par le comte de
    Morton.


    AU ROY.

Sire, je m'estois bien aperceu que ceulx de ce conseil se donnoient
beaucoup de peur, et en imprimoient beaucoup à leur Mestresse, de
l'armement de mer qui se prépare en Normandye pour le voyage de
Pouloigne: car, dès le XXVIe du passé, ilz avoient chauldement
dépesché ung courrier en Escoce, pour de rechef advertyr le comte de
Morthon de se tenir sur ses gardes, et de mettre le plus de soldatz
qu'il pourroit ez places fortes, portz et advenues du pays, affin de
ne laisser aborder aulcuns navyres de guerre, ny permettre d'aller et
venir aulcuns estrangiers par dellà, et d'establir si bien son
authorité et avoyr l'œil si ouvert, sur ceulx qui luy vouldroient
remuer quelque chose, qu'il les peût facillement et bientost réprimer;
et que, s'il luy survenoit quelque besoing de forces, qu'il seroit
promptement secouru de deux mille harquebusiers angloys et huict centz
chevaulx, et qu'on tiendroit une si bonne provision d'artillerye et de
pouldres, et monitions, à Varvic, qu'il en pourroit recouvrer, du jour
au lendemain, aultant qu'il luy seroit besoing. Et, par mesme
dépesche, mandoient au sire Jehan Fauster, à milord Scrup, et aultres
gardiens de la frontière du Nort, vers l'Escoce, de fère, de rechef,
bien soigneusement les monstres des gens de guerre et une description
expécialle de mille cinq centz harquebuziers pour estre prestz, à
toutes les heures qu'on les manderoit; laquelle démonstration, Sire,
avec celle qu'ilz ont faicte, quand le comte d'Essex est party pour
Irlande, m'avoient desjà assez faict remarquer leur grande meffiance
et leur souspeçon; mais la Royne mesmes, me les a ouvertement et plus
à cler déclarées, comme verrez par un mémoire que je joins à ce
pacquet.

Après avoyr prins congé d'elle, je suis entré là où les dicts du
conseil étoient assemblés, et leur ay faict voyr les pièces, qu'il
vous avoit pleu m'envoyer, des déprédations, et plusieurs aultres que
j'en avoys devers moy, qui m'en ont débatu quelques unes, et m'ont
fort expressément remonstré, qu'encor qu'il apparût plus de pleinctes
du costé des Françoys contre l'Angleterre, que du costé des Angloys
contre la France, que néantmoins ilz avoient cest advantage de pouvoir
fère foy d'ung fort grand nombre de restitutions qu'ilz avoient
faictes aulx Françoys, là où, en France, n'en avoit esté faicte
encores une seule aulx Angloys. Et après leur avoyr touché ung mot des
escrupulles que la Royne, leur Mestresse, m'avoit faict sur la seureté
du passage que je luy avoys demandé, je leur ay remonstré que si elle
et eulx s'y arrestoient, ce seroit argument qu'ilz doubtoient par trop
de vostre bonne intention, et qu'ilz ne l'avoient nullement bonne vers
Vostre Majesté; et les ay priés de vous fère voyr, à bon escient,
s'ilz vouloient demeurer en la bonne confédération du dernier traicté,
ou bien s'ilz avoient intention de s'en départyr. Et les ayant ainsy
layssez, ilz m'ont mandé, le jour après, que la dicte Dame m'avoit
accordé le dict passage, et le saufconduict, sans aulcune difficulté.
Et sur ce, etc.

    Ce IXe jour d'aoust 1573.


MÉMOIRE.

   Sire, quand, avec les lettres de Vostre Majesté et du Roy de
   Pouloigne, vostre frère, je suis allé prier la Royne
   d'Angleterre de luy vouloir octroyer le bon, et seur, et libre
   passage que requiert la bonne intelligence d'entre voz deux
   royaulmes, et la promise et jurée amityé d'entre Voz Majestez,
   avec toutes les aultres honnestes cautions que luy offriez en
   voz dictes lettres, et avec les meilleures persuasions, dont
   je me suis peu adviser;

   Elle m'a respondu que, quand à la personne du Roy de
   Pouloigne, vostre frère, et des principaulx, d'auprès de luy,
   et de son trein ordinayre, sa suyte et meubles, elle
   l'octroyoit très volontiers, et que, sans saufconduict ou avec
   saufconduict, si le vent le jettoit par deçà, il y seroit
   aussy bien et honnorablement receu comme s'il abordoit en
   France, ou en son propre royaulme; mais, quand à ses gens de
   guerre, elle me vouloit dire librement qu'on luy avoit remis
   ce qui s'estoit passé, du propos d'entre elle et le Roy de
   Pouloigne, vostre frère, devant les yeux, et luy avoit on
   faict considérer que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère,
   et luy mesmes, aviez indubitablement eu une grande affection
   au mariage, mais que Mr le cardinal de Lorrayne, pour
   l'occasion de la Royne d'Escoce, sa niepce, avoit trouvé moyen
   de l'interrompre; dont, s'il avoit eu tant de crédit en cella,
   il le pourroit bien avoir encores plus grand, à ceste heure,
   en chose de moindre conséquence, pour, en faveur de sa mesmes
   niepce, entreprendre quelque nouveaulté dans ce royaulme, si
   tant de gens de guerre y abordoient.

   En quoy je luy ay réplicqué soubdein qu'elle me pardonnât, si
   je luy disois que c'estoit elle, et ceulx qui pour elle
   avoient manyé le dict propos de son mariage avec le Roy de
   Pouloigne, qui l'avoient à la fin interrompu, et non Mr le
   cardinal de Lorrayne; pour lequel je ozois et voulois bien
   respondre que, oultre qu'il avoit tousjours suivy les
   intentions de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et conseillé
   les choses qui estoient pour la grandeur de leur couronne,
   comme estoit bien le dict mariage, qu'il avoit encores plus
   espéré par là de solagement ez affères et à la personne de la
   Royne d'Escoce, que par nul aultre moyen du monde; et que, si
   elle vouloit considérer que Vous, Sire, aviez maintenant à
   establir ung grand et nouveau royaulme, qui estoit advenu à
   vostre frère, et non luy venir troubler à elle le sien, et que
   vous ne mettiés, de gayeté de cueur, ce nombre de gens de
   guerre sur mer, après la perte et diminution de beaucoup de
   voz forces en ces guerres civilles de vostre royaulme; ains
   que vous le faysiez pour accomplir vostre promesse aulx
   Poulounois, elle jugeroit bien que sa difficulté estoit mal
   fondée.

   Et me suis eslargy en plusieurs clères démonstrations là
   dessus, qui ont faict confesser à la dicte Dame qu'elle avoit
   regret de débattre rien sur vostre raysonnable demande; mais
   que, pour satisfère à ceulx de son conseil, elle me prioit de
   luy donner temps, qu'elle la peût mettre en dellibération; car
   aussy sçavoit elle que l'affère n'estoit pressé, et qu'on luy
   avoit escript qu'il ne se mettoit plus tant de dilligence à
   l'embarquement, et sembloit que le voyage du Roy de Pouloigne
   fût, pour quelque occasion, retardé; néantmoins elle espéroit
   de vous satisfère de si bonne sorte en cest endroict, que
   Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et le Roy de
   Pouloigne, en resteriez contantz.

   J'ay poursuivy les aultres propos de voz lettres, du XVIIIe et
   XXIIIIe du passé, et mesmes de l'entrevue de Monseigneur le
   Duc, où elle s'est layssée fort facillement attirer; et a
   monstré que son ambassadeur luy en avoit escript, et que
   bientost j'auroys les lettres de Vostre Majesté et de la
   Royne, vostre mère, pour luy en fère entendre vostre
   résolution, ne dissimulant poinct qu'elle ne voulût fort
   volontiers voyr Monseigneur le Duc par deçà; mais c'estoit
   tousjours avec la protestation de n'estre de rien obligée pour
   sa venue, et de n'encourir la diminution de vostre amityé, ny
   de celle de la Royne, vostre mère, ny de luy, s'il s'en
   retournoit sans la conclusion du dict mariage.

   Je luy ay respondu, en peu de motz, _que la sincérité seroit
   la règle de cella entre Voz Majestez_, et que l'affère estoit
   en toutes sortes si éminent qu'il n'y pouvoit enfin rester
   rien de caché. Et l'ay layssée amplement discourir de ce
   faict, sans l'interrompre nullement; qui, après ses
   accoustumez doubtes, a terminé son propos en plusieurs
   parolles de contantement.

   Et j'ay adjouxté que, par voz deux dernières dépesches, Vostre
   Majesté ne me faisoit poinct mention que son ambassadeur vous
   eût parlé des choses d'Escoce, ains me commandiez de vous
   mander des nouvelles de ce pays là, et que j'estimois que
   vous touveriez bien estrange si ce qu'on disoit à Londres
   estoit vray, que le comte de Morthon eut faict exécuter à mort
   ceulx qu'il avoit prins dans le chasteau de Lillebourg, qui
   s'estoient rendus à elle, et qu'il sembloit qu'ung régent ne
   debvoit entreprendre ung faict de telle conséquence, sans en
   advertyr les principaulx alliés de la couronne.

   A quoy elle m'a respondu qu'elle n'avoit rien entendu de la
   dicte exécution, et qu'elle avoit remis tout l'affère à ceulx
   du pays, et n'avoit accepté les personnes de ceulx du dict
   chasteau pour prisonnyers; et qu'elle sçavoit bien que son
   ambassadeur vous avoit donné compte de tout ce faict; dont
   pensoit que, par le premier pacquet que je recepvrois de
   Vostre Majesté, j'en serois amplement informé.

   Après, je luy ay touché, en termes bien exprès, tout ce que me
   commandiés luy dire à l'égard du faict des déprédations, et
   elle, après l'avoir ouy paciemment, et en avoyr longuement
   débatu avecques moy, m'a prié d'en communicquer avec ceulx de
   son conseil.



CCCXXXVe DÉPESCHE

--du XIIIIe jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer._)

  Disposition d'Élisabeth à accepter l'entrevue.--Nouvelles de
    Flandre.--Exécutions faites en Écosse par le comte de
    Morton.--Nouvelles de Marie Stuart.--Bruit répandu à Londres
    que les armes ont été reprises dans le Languedoc.


    AU ROY.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne fût en peyne du retardement
de vostre response, sur les lettres qu'elle a dernièrement escriptes à
la Royne, vostre mère, et à Monseigneur, frère de Vostre Majesté, je
luy ay envoyé communicquer vostre dépesche du dernier du passé;
laquelle contient ce qu'avez arresté, le dict jour, avec son
ambassadeur: et semble bien, Sire, qu'elle s'attand à l'entrevue, car
j'ay sceu qu'elle a faict advertyr toutz les officiers de sa mayson de
ne s'esloigner, et de se tenir si prestz qu'ilz puissent estre devers
elle, en la part qu'elle sera, dans vingt quatre heures, après qu'elle
les aura mandés. Cependant elle m'a faict expédier le sauf conduict
pour le voyage de Pouloigne, et m'a mandé qu'il est en la plus ample
forme qu'il se peut fère.

Il se cognoit desjà que l'estonnement, qu'on avoit prins, du succès
d'Arlem est passé, car les flammantz, qui sont icy, se sont si bien
encouragés, depuis la nouvelle de Ramequin, et ont encouragé
Maysonfleur et aulcuns françoys, qui auparavant estoient comme toutz
disposés d'aller trouver le prince d'Orange, qu'ilz s'embarquent,
toutz de compaignye, aujourdhuy ou demein, pour passer à la Brille.

Maistre Drury, mareschal de Barvic, est arryvé en ceste cour, qui
apporte, comme l'on dict, la confirmation de la mort du cappitayne
Granges, et de son frère milord de Humes, de Melvin, de Cadinguen, et
aultres, qui estoient dans le chasteau de Lillebourg, lesquelz le
comte de Morthon a faict exécuter; et qu'il a plusieurs réquisitions à
fère pour le dict de Morthon, entre aultres, l'on creinct qu'il
perciste à demander l'évesque de Roz, pour en fère aultant que des
aultres. A quoy, Sire, j'ay desjà oposé, et oposeray encores
davantage, le nom et l'authorité de Vostre Majesté.

Monsieur le présidant de Tours, lequel a esté, plus d'ung moys, avec
la Royne d'Escoce, vient d'arriver, ayant très bien et vertueusement
accomply la charge, qu'il avoit vers elle, dont il en rendra bon
compte à Vostre Majesté. L'on a, premier qu'il soit party, remué la
dicte Dame en ung plus beau et meilleur logis qu'elle n'estoit, et luy
a l'on ung peu amplyé sa liberté; et j'ay tant faict que la Royne
d'Angleterre a mandé au comte de Cherosbery de la mener aulx beins de
Boeston pour sa santé, par tout ce moys d'aoust.

Il se parle icy diversement de l'estat des affères de vostre royaulme,
et que, en Languedoc, ceulx de la religion, ne se contantantz des
condicions de la paix, sellon les articles arrestés à la Rochelle,
poursuyvent d'exécuter les armes avec plus de violence que jamays, et
qu'ilz ont surprins Aygues Mortes et Bésiers, et sont les plus fortz
en la campaigne. Ce qui esmeut assez les Angloys, et tient en grand
suspens le reste des françoys, qui sont encores icy, qui avoient bien
desir de se retirer. Néantmoins je ne sentz, pour ceste heure, qu'il
se praticque rien par eulx contre vostre service. Le comte de
Montgommery est vers le cap de Cornoaille avec son beau frère, et ne
s'entend rien de luy par deçà. Je ne sçay s'il s'yra promener en
Irlande avec le comte d'Essex; aulcuns ont présumé qu'il le feroit,
dont je mettray peyne de le sçavoir, et de le fère observer. Sur ce,
etc. Ce XIVe jour d'aoust 1573.



CCCXXXVIe DÉPESCHE

--du XXe jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Maladie du duc d'Alençon.--Projet d'Élisabeth de se rendre à
    Douvres.--Sollicitations adressées au roi par Marie
    Stuart.--Négociation du mariage.--Plaintes d'Élisabeth à raison
    des prises récemment faites sur les Anglais par les Bretons.


    AU ROY.

Sire, à ce que j'avoys mandé dire à la Royne d'Angleterre, que
l'occasion, pourquoy je n'avoys encores receu vostre responce, sur les
lettres qu'elle avoit dernièrement escriptes à Vostre Majesté et à la
Royne, vostre mère, estoit pour la maladye survenue à Monseigneur le
Duc; et que je creignois bien fort qu'elle mesmes, pour n'avoyr poinct
monstré assez de correspondance à l'honneste affection de ce vertueux
prince, ait causé ce mal, elle m'a faict respondre, par ung mot de
lettre de milord de Burgley, qu'elle estoit bien marrie de
l'indisposition de Mon dict Seigneur, vostre frère, laquelle elle
espéroit que ne seroit de longue durée, veu que, par conjecture, la
fiebvre luy pouvoit estre occasionnée du long siège, et du travail
d'estre, par ce temps chault d'esté, retourné de la Rochelle vers
vous, et qu'avec ung peu de repos, qu'il en seroit bientost quicte, et
restitué en sa première santé, et qu'elle continuoit tousjours son
progrès en intention de se rendre à Douvre, le XXVe du présent: et n'y
a rien plus de ce propos en la dicte lettre.

Cependant, Sire, je me suis approché, icy, à la suyte de la dicte
Dame, pour satisfère à la Royne d'Escoce, laquelle, après avoyr
licencié monsieur le présidant de Tours, au bout d'ung moys, ou cinq
sepmaynes, qu'il a eu toute entière commodicté d'estre avec elle, elle
m'a escript que, pour aulcuns affères qui concernent la personne
d'elle et son traictement, nous voulussions toutz deux, de compagnie,
en venir traicter avec la Royne d'Angleterre et avec les seigneurs de
son conseil. A quoy je n'ay voulu deffallir de l'office que m'avez
commandé fère tousjours icy pour elle; dont le dict sieur présidant
rendra bon compte du tout à Vostre Majesté. Et seulement je
adjouxteray, icy, quand à l'Escoce, que la dicte Dame desire fort
qu'il vous playse prendre bientost la résolution que vous semblera
plus expédiente pour conserver vostre ancienne allience avec le dict
pays; car a esté advertye qu'il y a des secretz articles d'une aultre
ligue avec l'Angleterre, desjà toutz dressés, qui préjudicient
grandement à celle de Vostre Majesté, et qu'elle ne prendra sinon en
très bonne part, et n'interprètera sinon à bien, tout ce que vouldrés
adviser et résouldre en cella, encor qu'en apparance il y semble avoyr
quelque chose qui puisse déroger au droict et authorité d'elle; car
réputera que le ferez pour mieulx préserver elle, son filz et son
royaulme, d'ung plus grand inconvénient.

Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'aoust 1573.


PAR POSTILLE.

   Depuis ce dessus, j'ay veu, par occasion, cette princesse,
   laquelle, après aulcunes siennes responces assez indifférantes
   sur le faict de la Royne d'Escosse, m'ayant tiré à part, m'a
   curieusement demandé de la santé de Monseigneur vostre frère,
   et du faict de l'entrevue. A quoy, pour luy satisfère, je luy
   ay dict cella mesmes que naguyères je luy en avois escript, et
   que je n'en sçavois aultre chose, dont s'est esbahye du
   retardement de mon secrettère; et puis a adjouxté qu'elle me
   vouloit fère une grande pleincte de voz navyres de guerre,
   lesquelz, estantz partis de la Rochelle, estoient venus
   prendre, la sepmayne passée, sur la coste de Bretaigne, six
   navyres marchandz angloys, bien riches, et les en avoient
   admenez fort maltraictés, et qu'elle vous demandoit réparation
   de ce tort, tout ainsy qu'elle vous offroit non seulement la
   réparation des tortz de ses propres navyres, si, d'avanture,
   vos subjectz se pleignoient de quelqu'un d'eux; mais avoit
   envoyé, à ses despens, prendre et réprimer, en faveur de voz
   dicts subjectz, les pirates, tout le long de la coste de deçà,
   pour leur assurer la navigation, et leur fère rendre leurs
   biens, ainsy que je l'avoys requis. Je luy ay fait la responce
   que j'ay estimé convenir à ung tel faict, sellon l'ample
   argument que j'en avoys, rejettant la coulpe de ce mal sur le
   désordre qui procédoit de son royaulme, et que j'en escriprois
   fort expressément à Vostre Majesté. Elle et ceulx de son
   conseil ont bien fort à cueur cest affère.



CCCXXXVIIe DÉPESCHE

--du XXVe jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de Vassal._)

  Invitation faite à l'ambassadeur de se rendre à
    Douvres.--Négociation du duc d'Albe pour obtenir un secours de
    vaisseaux anglais.--Affaires d'Écosse.--Nouvelle qu'une mission
    a été donnée au maréchal de Retz pour passer en Angleterre.


    AU ROY.

Sire, il semble que l'ambassadeur d'Angleterre ayt escript en ceste
court que, premier que prendre nulle certeyne résolution, sur les
lettres que la Royne d'Angleterre a dernièrement escriptes à la Royne,
vostre mère, et à Monseigneur le Duc vostre frère, Vostre Majesté
veult envoyer icy, vers elle, un personnage de qualité pour avoyr, sur
l'intention sienne touchant le mariage et l'entrevue, ung plus grand
esclarcissement que n'en avez peu prendre par ses propres lettres. Et
je sçay bien qu'elle et ses conseillers sont en grand suspens à quoy
il tient que je n'aye desjà nouvelles de celluy qui doibt venir, et
que ne me mandez de fère entendre quelque chose de ce faict à la dicte
Dame. Et ont faict dire à mes gens, après que j'ay heu satisfaict aux
affères de la Royne d'Escoce, que, si je voulois suivre le progrès
jusques à Douvre, l'on me feroit bien accomoder de logis. Mais j'ay
advisé, Sire, pour bonne occasion, de retourner jusques en ceste
ville, où j'ay apprins que, nonobstant qu'on ayt faict prendre bonne
espérance au duc d'Alve, qu'il pourroit estre accomodé d'ung nombre
des grandz navyres de ceste princesse pour sa guerre de Hollande, et
dont il y en avoit desjà quelques ungs sortis de la rivyère, elle les
a néantmoins toutz faict rammener dedans leur arcenal accoustumé de
Gelingam; et que, quand Guaras a cuydé estreindre bien cest affère, il
s'en est trouvé du tout descheu, et mesmes il a mal employé ung nombre
d'escus, vers des particulliers qui luy avoient promis de l'accomoder
de leurs propres vaysseaulx.

J'ay apprins que la dicte Dame faict préparer ce qui faict besoing
pour renforcer l'entreprinse d'Irlande, et pour pourvoir fort
soigneusement aulx choses d'Escoce, et que, pour mieulx fournyr aulx
deux entreprinses, elle faict ung emprunct nouveau sur toutes les
maysons de ceste ville, qui reviendra, ainsy qu'on dict, à quatre
centz mil escus. J'ay sceu, du costé d'Escoce, qu'il s'est trouvé cent
gentilshommes escouçoys, qui ont voulu pléger de soixante dix mille
escus la vie du cappitayne Granges, et de servir de leurs personnes,
tant qu'ilz vivroient, le party du comte de Morthon, s'il la luy
vouloit saulver, mais le dict de Morthon n'y a voulu entendre et l'a
faict mourir, ensemble son frère et trois aultres, et que Melvin est
eschappé, parce qu'il a eu quelque bon amy en ceste court
d'Angleterre, et que le comte de Honteley, milord de Ruven et Me
Asquin ont tant pourchassé pour milord de Humes qu'ilz ont faict
remettre son faict au prochain parlement, monstrant Me Asquin, qui a
espousé sa seur, qu'il ne pourroit estre contant si l'on uzoit de
rigueur vers son beau frère; dont, de tant qu'il a le Prince d'Escosse
entre ses meins, et que ceulx, qui sont dedans Dombertrand, sont toutz
à sa dévotion, l'on ne l'oze offancer. Tant y a que les meilleurs et
les principaulx de la noblesse du pays creignent fort le dict prochein
parlement; dont desirent qu'il s'y puisse trouver quelqu'ung, de la
part de Vostre Majesté, pour y modérer les affères. Et sur ce, etc. Ce
XXVe jour d'aoust 1573.


_Par postille à la lettre précédente._

   Ainsy que je mettois fin à ceste dépesche, mon secrettère est
   arrivé, avec les deux de Vostre Majesté, des XIIIIe et XVIIIe
   du présent; et incontinent j'ay faict venir des chevaulx pour
   m'acheminer là où est la Royne d'Angleterre, affin de
   l'advertyr de la venue de Mr le maréchal de Retz, et la
   disposer à luy fère une bonne et favorable réception.



CCCXXXVIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour d'aoust 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Communication officielle de l'envoi du maréchal de
    Retz en Angleterre pour la négociation du
    mariage.--Satisfaction d'Élisabeth.


    AU ROY.

Sire, parce que j'avoys desjà déclaré à la Royne d'Angleterre que, de
tant qu'elle ne s'estoit assez bien explicquée de son intention par
les dernières lettres qu'elle avoit escriptes à la Royne, vostre mère,
et à Monseigneur le Duc, frère de Vostre Majesté, qu'il ne vous avoit
peu clèrement apparoir ce qu'elle y avoit voulu dire, sinon qu'elle
n'y avoit pas dict ce que vous aviez desiré, ny ce qu'aviez justement
espéré d'elle, vous aviez esté contreinct, avec l'accidant survenu de
la maladye de Mon dict Seigneur, d'estre long et tardif de luy
respondre, je n'ay eu maintenant, Sire, de quoy toucher guyères
davantage de ce poinct à la dicte Dame; et, seulement, suis venu à luy
dire que, de tant que, par les honnorables et vertueuses déclarations,
qu'elle vous avoit souvant faictes, de son intention, elle vous avoit
layssé prendre beaucoup de bonnes erres d'elle sur le propos de Mon
dict Seigneur, vostre frère, vous ne pouviez, ny vouliez maintenant
délaysser le dict propos sans le conduyre à l'extrême et dernier
poinct de ce qui estoit requis, pour tesmoigner à elle et aulx siens,
et rendre manifeste à toute la Chrestienté, que vous persévèreriez,
jusques au bout, de pourchasser son allience par toutz les plus
honnorables moyens qu'il vous seroit possible, jusques à ce qu'elle
vous eût mis hors de tout chemin de la pouvoir plus espérer; et que
pourtant Vostre Majesté luy dépeschoit maintenant Mr le mareschal de
Retz, (personnage de telle élection, qu'elle sçavoit qui tenoit ung
très grand lieu en vostre royaulme, et estoit singullièrement bien
aymé et estimé de Voz Très Chrestiennes Majestez), pour deux effectz:
l'ung, affin de defférer, par la qualité sienne, tousjours aultant
d'honneur et d'avantage, que vous pourriez en cest endroict, à la
dicte Dame; et l'aultre, pour nettier si bien par luy toutes
difficultez et toutz escrupulles, qui pourroient rester en cest
affère, qu'il ne s'y peût dorsenavant trouver autre chose que débatre,
sinon à qui, de Voz Majestez et de toutz les meilleurs et plus dévotz
serviteurs de voz couronnes, s'esforceroient, à l'envy les ungs des
autres, d'advancer l'accomplissement de ceste heureuse allience, et de
ce desiré parantage, lequel debvoit rendre voz amityez perpétuelles et
indissolubles à jamays. Dont, de tant que la venue icy, de Mr le
mareschal, luy estoit plus que mille et mille tesmoings de vostre
parfaicte persévérance et de celle de la Royne, vostre mère, et
encores plus expressément de celle de Monseigneur, vostre frère, vers
elle, je la supplioys très humblement, et en vertu de ses mesmes
promesses et des honnorables propos qu'elle vous avoit tant de foys
faict tenir de ce faict, qu'elle voulût maintenant monstrer comme elle
y avoit tousjours procédé d'une vraye et pure, et non feincte, ny
simulée volonté; adjouxtant à cella, Sire, plusieurs aultres
instances, que j'ay estimé convenir à bien disposer ceste princesse
sur la favorable réception de mon dict sieur le mareschal, et sur les
bons propos qu'il vient luy tenir.

A quoy elle, d'une démonstration pleyne de grand contantement, m'a
respondu que, par son ambassadeur, elle avoit desjà eu quelque notice
comme Vostre Majesté dellibéroit d'envoyer quelqu'ung vers elle, mais
n'espéroit tant de faveur que ce fût Mr le comte de Retz, et réputoit
davantage à honneur que je l'appellois mareschal de France; et, encor
qu'elle pensât d'avoyr escript ses lettres bien clères à la Royne,
vostre mère, si estoit elle très ayse que en cherchissiez davantage
l'esclarcissement par ung personnage qu'elle sçavoit vous estre très
inthyme et très confident à toutz deux, me priant de vous fère ung
article bien exprès, par mes premières, du grand et très cordial
mercyement, qu'elle vous en rendoit; et, que, en nulle aultre façon,
Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy eussiez peu donner
tesmoignage de vostre entière et souveraynement bonne intention vers
elle, ny qu'elle y eût plus donné de foy que par le dict sieur comte,
lequel elle m'assuroit qu'il seroit le très bien venu, et que, quelle
impression que se donnassent les aultres de voz divers prétextes en
cest endroict, elle ne les interprèteroit dorsenavant que très bons et
très sincères pour elle.

Je luy ay merveilleusement agréé sa responce, et avons esté longtemps
en ce propos, et à parler de la maladye de Mon dict Seigneur le Duc;
lequel je luy ay assuré estre hors de tout danger, et que, dans dix ou
douze jours, il pourroit sortir de la chambre. De quoy elle a monstré
d'estre bien fort ayse.

Et après, Sire, j'ay assemblé ceulx du conseil de la dicte Dame pour
leur proposer la venue de Mr le mareschal, et fère expédier son
saufconduict, et impétrer des navyres de ceste princesse pour l'aller
quérir et assurer son passage, et pour les bien disposer à sa
réception. Dont ayant obtenu le tout, j'ay dépesché, avec toutes ces
provisions, le Sr de Vassal et ung de mes secrettères, qui parle
angloys, devers luy; par lesquelz j'espère qu'il se trouvera bien
satisfaict, et bien informé, de tout ce qu'il peut desirer pour son
arrivée vers ceste princesse; laquelle il pourra encores trouver icy,
mardy prochein, mais, s'il ne passe si tost, nous la suyvrons à
Conthurbery, où elle fera quelque séjour. Et sur ce, etc. Ce XXXIe
jour d'aoust 1573.



CCCXXXIXe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de septembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Ridou._)

  Préparatifs pour recevoir le maréchal de Retz.--Soupçon contre le
    comte de Montgommery.--Nouvelles d'Écosse et de Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre estimé que Mr le mareschal de Retz,
à son désembarquement, seroit bien ayse d'avoyr quelque espace de se
pouvoir ung peu refaire du travail de la mer, premier que de se
présenter à elle, ny luy aller explicquer sa légation, elle a advisé,
pour cella, de le recevoyr à Canturbery, quatre lieues dans le pays,
ville bien commode et assez espacieuse, où plusieurs seigneurs et
dames de sa court se rendront; et est partie de Douvre, quelques jours
plus tost qu'elle n'eût faict, et a hasté d'autant son progrès pour
luy laysser cette, commodicté, mais ce n'a esté sans avoyr
premièrement commandé qu'il me fût largement pourveu à tout ce que
j'avoys demandé pour les vaysseaulx de son passage, pour les navyres
de conserve, pour sa réception au sortir de la mer, et pour les
chevaulx qui luy feroient besoing; de sorte que je vous puys assurer,
Sire, qu'il est maintenant attendu, icy, avecques desir, et qu'il sera
le fort bien venu et fort honnorablement receu en ce royaulme.

Le vidame de Chartres a envoyé prendre logis à Canturbery, qui ne sera
sans que luy et les aultres gentilshommes françoys, qui sont par deçà,
viennent saluer Mr le mareschal, et vueillent entendre curieusement de
luy l'estat de la paix de vostre royaulme. Cependant j'ay, à toutes
advantures, donné ordre que, pour les escrupulles qui me restent
encores du comte de Montgommery, ung personnage que Vostre Majesté
répute confident, soit, soubz aultre prétexte, allé à la Rochelle;
lequel, après qu'il aura bien nothé toutes choses dans la ville, les
vous yra dire, ou bien me les rapportera, icy, pour en advertyr Vostre
Majesté.

Je n'ay apprins rien de nouveau d'Escoce, depuis mes précédantes,
sinon que je viens de sçavoyr que le vieux Cauberon est arryvé, depuis
deux jours, en ceste court, et que le Sr de Quillegreu le y a admené;
et que l'on dict que le comte de Morthon, pour quelque nouvelle
souspeçon, a faict mourir milord de Humes, sans attandre le parlement.
La Royne d'Escoce est encores aulx beings, d'où elle m'a escript que
l'uzage d'iceulx a commancé de luy provocquer des sueurs, qui luy font
grand solagement à son mal de costé. Sur ce, etc.

    Ce IVe jour de septembre 1573.



CCCXLe DÉPESCHE

--du XXe jour de septembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Bonne réception faite au maréchal de Retz.--Détails de sa
    négociation.--Entière justification de la conduite du roi dans
    les guerres civiles de France.--Heureux résultat de la mission
    du maréchal.--Honneurs qui lui sont rendus.--Résolution des
    seigneurs du conseil d'approuver le mariage d'Élisabeth avec le
    duc d'Alençon.


    AU ROY.

Sire, je sçay bien qu'estant, Mr le mareschal de Retz, de retour par
dellà, Vostre Majesté aura eu le plésir d'entendre, de luy mesmes, le
récit de son voyage; dont je n'entreprendray de vous en toucher, icy,
les principalles particullaritez, parce qu'il n'aura pas obmis celles
qui servent de vous donner bon compte de ce qu'il a peu traicter et
résouldre avec ceste princesse. Et seulement je vous supplieray, Sire,
de vouloir gratiffier, par quelque bonne parolle et par quelque
démonstration, à l'ambassadeur de la dicte Dame, et me commander de
gratifier de mesmes, icy, à elle, les honnestes faveurs et bon
traictement qu'elle luy a faict recevoir en son royaulme; qui vous
puis assurer, Sire, que, nonobstant les choses advenues, depuis ung
an, en France, elle a voulu qu'on luy ayt uzé les mesmes sortes
d'honneur et d'entretien qui furent faictz à Mr de Montmorency, quand
luy et Mr de Foix vindrent jurer la ligue, sinon que, lors, les choses
furent préparées de longtemps, et la court estoit à Londres, là où, à
ceste heure, il est arrivé en temps de progrès, et sans qu'on ayt
sceu, que de bien peu de jours, sa venue. En quoy l'opinion de
plusieurs et ma propre expectation ont esté de beaucoup surmontées, et
mesmes en ce qu'après qu'il a eu salué la dicte Dame, et qu'il luy a
eu explicqué sa première charge, et faict les aultres honnestes et
bien fort honnorables complimentz vers les principalles personnes de
ceste court, il n'y a eu celluy qui n'ayt monstré de l'avoyr bien fort
agréable; et surtout quand, le troysiesme jour, il a eu déduict, par
ung bel ordre de peu de parolles, mais icelles de grande efficace et
pleynes de tout ornament, en l'assemblée de ceulx de ce conseil, les
choses advenues, depuis quatorze ans, en vostre royaulme, commançant
dès l'entreprinse d'Amboyse jusques à la fin du siège de la Rochelle;
et que, pour respondre aulx objections et difficultés que, pour tant
de divers évènementz, l'on faysoit contre le propos du mariage, il
leur a eu séparé la rébellion de la cause de la religion, et monstré
fort clèrement que vous aviez bien, Sire, tousjours prétendu de
réprimer l'une, mais non de vous porter jamays ennemy de l'aultre;
avec tant de apparantes raysons de cella, qu'ilz n'ont peu contredire
qu'il ne fût ainsy, et ont confessé, tout hault, que nul plus grand ny
plus relevé service il eût peu fère à Vostre Majesté en ce royaulme,
que de les avoyr renduz capables de ce faict; et qu'ilz desireroient
que dix mille Angloys, des plus passionnez, eussent esté présentz à
son discours.

Ung chacun s'est efforcé, de là en avant, de l'honnorer et respecter
davantage, et la dicte Dame a faict augmanter l'ordre de son
entretien, et a depputé des gentilhommes de bien bonne qualité pour le
servir, et des plus grandz de sa court pour l'accompaigner, de façon
que, depuis le sortir du navyre jusques au rembarquement, il luy a
esté, d'heure en heure, toujours uzé quelque chose de plus et de
mieux. Comme luy aussy, de son costé, Sire, a continué, jusques au
dire adieu, d'accomoder tousjours tout l'effect de sa négociation à
leur honneur; et s'est conduict, en toutes choses, si sagement, et
avec tant d'honneur, vers eulx, qu'il les a non seulement renduz bien
édiffiez de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz
ceulx de vostre couronne, mais semble qu'il leur ayt faict perdre
toute la malle impression que, depuis ung an, ilz avoient conceue de
la France. Et luy a ceste princesse voulu donner ce tesmoignage, en la
présence de ceulx de son conseil et de moy, que, depuis qu'elle est
royne, elle n'a poinct traicté avec aulcun gentilhomme, d'où qu'il luy
eut esté envoyé, de qui elle ayt mieulx receu, ny eu plus agréables
les propos que de luy, parce que, si l'éloquence n'y a point deffally,
elle a opinyon que la sincérité y a grandement abondé, et qu'elle le
tient pour ung des plus dignes et acortz gentilshommes, qu'elle ayt
veu jamays, pour porter très confidemment les secretz qui se mandent
entre princes.

Et, en ceste tant bonne opinyon, avec quelques honnestes présentz,
qu'il a faictz à la dicte Dame et à ses plus expéciaulx conseillers,
et avec la libéralité qu'il a largement uzée vers ceulx qui ont eu
charge de le servir et traicter, et encores avec la modération dont il
a sceu très bien contenir toute sa troupe, qui n'estoit petite, il a
layssé, à son partement, ung fort grand contantement de luy et une
très bonne satisfaction de toute sa légation, en ceste court.

Or, Sire, après l'avoir reconduict jusques à la mer, je suis retourné
fère ung commencement de mercyement à la dicte Dame de tant de bons
traictementz et honnestes faveurs, et du présent que mon dict sieur le
mareschal avoit receu d'elle; laquelle a monstré, en son absence, plus
que quand il estoit présent, de l'avoir en grande estime, et de donner
très grand foy aux choses qu'il luy a dictes de la part de Voz Très
Chrestiennes Majestez, et que, suyvant icelles, elle tiendra l'ordre
qui a esté arresté entre eulx, lequel elle et ceulx de son conseil
m'ont, d'eux mesmes, déclaré; dont j'ay veu le Sr de Quillegreu tout
prest à prendre la poste pour aller, à cest effect, trouver mon dict
sieur le mareschal; mais la dicte Dame s'est depuis advisée qu'elle
diffèreroit encores huict ou dix jours, affin d'attendre que
Monseigneur, frère de Vostre Majesté, fût mieulx remis de sa maladye.
Et ses deux plus expéciaulx conseillers m'ont, sur leur foy et
conscience, fort expressément assuré qu'elle estoit très bien disposée
à cest honnorable party, et que la difficulté n'estoit plus que en ce
qu'on avoit rapporté que l'accidant du visage de Mon dict Seigneur
estoit beaucoup pire que ne monstroit le pourtraict qu'elle en avoit
desjà veu; lequel, s'il se trouvoit qu'il ne feût poinct flaté, ilz
s'assuroient que toutz aultres empeschementz seroient bientost ostés.
Et ay comprins de leur discours, Sire, qu'ilz sont restés bien
persuadés de la justiffication de Voz Majestez, et du Roy de
Pouloigne, et de Monseigneur, sur les choses de France, par la
déduction que Mr le mareschal leur en a faicte; et que, pourveu que
Vostre Majesté observe bien le nouvel édict, qui a esté faict devant
la Rochelle, ilz retourneront sans aulcun escrupulle à la mesmes
confience qu'ilz avoient prinse de Vostre Majesté; mais aussy, s'ilz y
voyoient la moindre infraction du monde, ilz jurent de jamais plus,
en façon du monde, ne s'y fier.

Et j'ay apprins, de fort bon lieu, que milord de Burgley, quand il est
venu à oppiner devant la dicte Dame sur la résolution de ce bon propos
de Monseigneur le Duc, il a dict que, succédant ou ne succédant poinct
le dict propos, tousjours l'estat de leur religion demeuroit en
danger, mais qu'il y avoit quelque espérance d'y remédier, si,
d'avanture, le dict mariage s'effectuoit, là où, s'il ne s'effectuoit
poinct, il demeuroit du tout sans remède, car l'on pouvoit fère entrer
Mon dict Seigneur, par le contract du dict mariage, aulx mesmes
obligations qu'estoit la Royne, sur l'observance des décretz du
parlement touchant l'ordre de la dicte religion, et que cella
tiendroit tout le temps de leur règne, et durant encores qu'ilz
auroient l'administration de leurs enfans, si Dieu leur en donnoit, là
où, si la couronne venoit à ung aultre, qui ne se trouvât obligé aulx
dicts décretz, il les pourroit changer, quand il voudroit; et qu'ayant
là dessus esté réplicqué au dict milord que l'exemple des choses de
France monstroit que ce ne seroit se mettre seulement en danger, mais
se précipiter en ung très manifeste péril, s'ilz se commettoient à Mon
dict Seigneur, il a respondu que si, lors de l'excès et au milieu des
armes, et quand il estoit environné de ceulx qui s'exaspéroient contre
ceulx de leur religion, il avoit esté trouvé modeste, et n'avoit uzé
une seule parolle, ny une démonstration, ny un seul maulvais effect
contre eulx, il estoit bien à croyre que, quand il seroit icy, près de
la Royne, leur Mestresse, et au milieu d'eulx, en un royaulme desjà
estably à ceste forme de religion, qu'il s'y conduyroit encores avec
plus de modération. Dont toutz ceulx du conseil, après l'avoir ouy,
ont opiné pour le mariage, pourveu que la personne de Mon dict
Seigneur puisse complère à leur Mestresse.

J'ay bien ouy, Sire, par ci devant, plusieurs aultres choses aussy
expresses que celles icy en ce mesme propos, lesquelles ne sont venues
à pas une conclusion. Ce qui me tient tousjours en souspeçon qu'il y
puisse encores avoyr de l'artiffice caché; mais Mr le mareschal vous
apporte de quoy fère bientost venir en évidence ce qui en est. Et sur
ce, etc. Ce XXe jour de septembre 1573.



CCCXLIe DÉPESCHE

--du XXVe jour de septembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Communication sur les affaires de Pologne.--Nouvelles méfiances
    des Anglais et des Français réfugiés sur les projets du roi
    contre les protestans.--Affaires d'Écosse.--Excès du comte de
    Morton.


    AU ROY.

Sire, l'on avoit donné entendre, en ceste court, que les prélatz et
palatins poulonnois, qui sont en la vostre, estoient si
merveilleusement opiniastres que, pour ne vouloir rien rabattre de
beaucoup de choses, qui mesmes apparoissent par trop extraordinayres
et hors de moyen ez chapitres de leur demandes, leur légation s'alloit
finir en ropture, au grand malcontantement d'eux, et peu de
satisfaction de Vostre Majesté et du Roy, vostre frère, et desjà ceste
princesse m'en avoit touché quelque mot, en passant. Dont j'ay esté
infinyement bien ayse d'avoyr eu de quoy fère voyr à elle et aulx
seigneurs de son conseil, par la lettre qu'il vous a pleu m'escripre,
du XIe du présent, que le tout estoit bien et gracieusement accordé,
au mutuel contantement de Voz Majestez et des dicts prélats et
palatins, et que les articles avoient esté desjà fort solennellement
jurez, en la grande églyse de Nostre Dame de Paris, avec l'aclamation
et publicque réjouyssance de ce nombre de grandz personnages, et d'une
infinyté de peuple, qui y avoient assisté, et que Dieu qui n'avoit
moins monstré sa divine faveur, ez actes qui avoient suivy l'élection
que en l'élection mesmes, laquelle luy seul avoit conduicte,
manifestoit encores clèrement qu'il vouloit mener tout l'affère à son
heureuse perfection.

A quoy la dicte Dame et iceulx de son dict conseil m'ont mandé de bien
honnestes responces, du plésir qu'elle et eulx avoient que les choses,
les unes après les aultres, succédassent toutes bien à establir ce
grand estat en la personne du Roy de Pouloigne, vostre frère; et que
l'Angleterre, aussy bien que la France, en desiroit le très ferme et
perpétuel establissement; et qu'ilz ne mettoient en grand compte les
démonstrations qu'aulcuns voysins faysoient, et mesmement le roy de
Dannemarc, de ne vouloir laysser en paix les affères de dellà, tenant
encores arrestés ung des ambassadeurs et le jeune Sr de Lansac: car ne
faysoient aulcun doubte que l'arrivée du Roy, vostre frère, en son
royaulme, ne réduyse incontinent tout le pays en ung aussy paysible et
assuré estat qu'il le sçauroit desirer, et que, non seulement il ne
seroit inquiété, ains ardemment recherché de bien estroicte amityé par
toutz les princes chrestiens, qui seroient ses voysins.

Et s'est la dicte Dame faicte enquérir soigneusement si j'avoys receu
aulcunes nouvelles de Mr le mareschal de Retz, depuis qu'il estoit
party; qui semble, Sire, qu'elle attande en grande dévotion la
responce de la lettre qu'elle luy a escripte. Et se faict une
généralle démonstration, en ceste court et en ce royaulme, que le
voyage, que luy avez faict fère par deçà, et les propos que luy avez
faict tenir, ont hasté ceulx cy de retourner en leur bonne première
disposition vers Vostre Majesté; qui n'y cheminoient qu'à regret, et
comme s'ilz eussent marché sur des épineuses et fort malaysées
difficultez. Et se continue la résolution d'envoyer, sur le
commancement de ce moys prochein, le Sr de Quillegreu par dellà,
sellon que mon dict sieur le mareschal mandera qu'il se debvra fère.

Il est vray qu'on a faict courir, icy, ung bruit qu'à Paris avoient
esté tués quelques cappitaynes, qui avoient esté recognus estre de
ceulx qui avoient soustenu le siège de la Rochelle, ce qui a cuydé
renouveller les escrupules à ceulx cy, lesquelz sont naturellement
deffiantz; qui m'ont faict fort curieusement examiner si j'en sçavois
quelque chose, mais j'ay jetté cella bien loing, et ay fort réduict
ung chacun à n'en croyre rien. Les Françoys, qui sont icy, en
demeurent ung peu en suspens, lesquelz toutefoys je conforte fort de
retourner toutz en leur mayson, et qu'ilz y vivront très assurez,
soubz la protection de Vostre Majesté et observance de vostre dernier
édict.

Il y a dix ou douze jours que quatre centz cinquante harquebousiers
escoussoys, de ceulx du comte de Morthon, estantz abordés en ung port
de ce royaulme, aussytost qu'ilz ont eu le vent bien à propos, ils
sont passez en Holande au service du prince d'Orange, et assure l'on
qu'il en est allé plus de quatre mille aultres escouçoys au service du
roy de Suède, et que, quand Vostre Majesté, ou le Roy de Pouloigne,
en voudrez tirer quelque nombre, qu'ilz y yront trop plus volontiers
que au service de nulz aultres princes du monde. Ceulx, qui sont ainsy
sortis, sont cause qu'on vit en quelque façon tollérable dans le pays,
sans guerre, bien que soubz la dominion du dict de Morthon, qui est
violent et fort avare, et qui ne s'est réservé aulcun amy, et a imposé
des subcides et empruntz sur la ville de Lillebourg, laquelle estoit
franche de tout temps; et a transporté la fabricque de la monoye en sa
mayson de Datquier, et enfin a uzurpé toutz les droictz royaulx. Il a
retiré des bagues de la Royne d'Escoce, qui estoient en gages, et a
exigé par menaces, de ceulx qui les avoient, aultant de somme qu'ilz
avoient desjà presté sur icelles, par prétexte qu'ilz avoient fourny
de l'argent à ceulx qu'il a déclarés rebelles; et a faict mettre
prisonnier dans le chasteau de Lillebourg le Sr Craffort, qui est de
voz gardes, parce qu'il avoit parlé à la Royne d'Escoce, en passant.
Le comte d'Arguil, ayant répudié la bastarde d'Escosse, a espousé la
fille d'ung milord, qui n'est amy du dict de Morthon, de quoy il est
bien marry. Je ne puis assez, Sire, ramentevoir à Vostre Majesté,
l'estat du dict pays, affin qu'il vous playse pourvoyr à ce qui faict
besoing, pour la conservation de vostre alliance; et semble qu'on
tienne icy en suspens le vieulx Cauberon de ne luy bailler sa dépesche
vers le dict de Morthon, sur la tenue du prochein parlement d'Escoce,
et sur l'affère de milord de Humes, de Cadinguen, et aultres qu'il
tient encores prisonniers, jusques à ce qu'on verra comme la
négociation, que Mr le mareschal de Retz a remise en termes, s'yra
continuant. Sur ce, etc.

    Ce XXVe jour de septembre 1573.



CCCXLIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de septembre 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par le beau fils de Cahier._)

  Secours donnés en Angleterre au prince d'Orange.--Convocation du
    parlement d'Écosse à Lislebourg.--Protestation de dévouement au
    roi faite par le député de la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, samedy dernier, ceste princesse est venue finir son progrès de
ceste année au mesme lieu de Grenvich, d'où elle l'avoit commancé, et
semble qu'elle y fera quelque séjour, attandant qu'il luy vienne des
nouvelles de France, après le retour de Mr le mareschal de Retz, sur
la disposition des propos qu'elle a eus avec luy; et que sellon cella,
elle se puisse résouldre des moyens qu'elle y aura, puis après, à
suyvre. Dont j'attandz aussy, Sire, quelque dépesche de Vostre
Majesté, affin que j'aye occasion d'aller trouver la dicte Dame, et
que je recognoisse si elle persévère en ce qu'elle et les siens
principaulx nous ont faict espérer de sa bonne intention en cest
endroict. L'on s'attandoit que les principaulx du royaulme deussent
estre mandez, à la my octobre prochein, pour continuer le parlement,
mais je pense comprendre que cella sera remis jusques après la
chandelleur.

J'ay curieusement recherché le faict dont l'on m'avoit donné advis du
cappitayne Boychamp, et enfin j'ay trouvé que c'est le cappitayne
Boysseau, à qui ceulx de la Rochelle, durant le siège, avoient donné
charge de leurs vaysseaulx de guerre, parce qu'il est natif de leur
ville, et que le comte de Montgommery luy avoit aussy baillé une
commission de sa part, mais il ne m'appert encores qu'on luy ayt
renouvellé son pouvoir depuis la paix; et si, d'avanture, l'on l'a
faict, j'ay opinyon, Sire, que c'est pour servir au prince d'Orenge:
car l'on faict, tous les jours, nouvelles dilligences, icy, en sa
faveur, à recouvrer armes, monitions, hommes et vaysseaulx, pour luy
envoyer; et mesmes l'on m'a dict que le Sr de Quillegreu, pendant
qu'il a esté en Escoce, luy a praticqué mille cinq centz chevaulx
escouçoys qui sont prestz à partir, pourveu que, d'icy, leur soit
envoyé quelque commancement de paye et moyen de s'embarquer; ce qui ne
sera trop difficille d'estre moyenné par les évesques et plus
affectionnés protestantz de ce royaulme. Et croy que c'est ung des
articles sur lequel l'on a faict temporiser quelque temps le vieulx
Cauberon, lequel, à mon advis, sera renvoyé ceste sepmayne. Et m'a
l'on dict que le parlement, que le comte de Morthon avoit mandé au
premier d'octobre à Lillebourg, est remis jusques au XXVIIIe du dict
moys, ce qui vous donra loysir, Sire, d'y pouvoir envoyer quelqu'ung
pour y assister de vostre part; et souspeçonne l'on assés que le dict
de Morthon vueille dresser une entreprinse pour courre sus au comte de
Honteley, à cause de quelques jalousies qu'il a prinses de luy, bien
qu'il escript, icy, d'avoyr donné si bon ordre par toutz les portz et
advenues d'Escoce, qu'on ne doibt creindre que nulz estrangiers y
puissent faire descente.

L'agent, qui est encores icy, de la Rochelle, m'est venu confirmer, de
la part de ceulx de sa ville, que, en nulle sorte, ilz n'attempteront,
ny icy ny en nulle aultre part du monde, chose aulcune qui ne soit de
très obéissantz et fort loyaulx et fidelles subjectz de Vostre
Majesté, et qu'ilz ne desirent rien tant que de voyr qu'on leur
continue la seureté qu'il vous a pleu leur donner, et que, sans
aulcune aultre garde, ilz ayent à confier, du tout, leurs vyes, biens
et personnes, à la seule protection de la parolle de Vostre Majesté,
et qu'il estoit tout esbahy de ce qu'on disoit que les depputés de la
Rochelle avoient nouvellement esté tués à Paris. A quoy je luy ay
respondu, quand au premier, qu'il ne debvoit demeurer en aulcun doubte
de vostre droicte intention vers les promesses qu'avez faictes à ceulx
de sa ville, pourveu qu'ilz se continssent en celle loyalle obéyssance
qu'il me disoit, et que je tenois le bruict de ce meurtre de Paris
pour entièrement faulx, parce que j'avoys des lettres assez fresches
de Vostre Majesté, qui n'en faysoient aulcune mencion. De quoy il a
monstré de rester bien fort satisfaict. Sur ce, etc.

    Ce XXXe jour de septembre 1573.



CCCXLIIIe DÉPESCHE

--du VIe jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Rue._)

  Audience.--Cérémonies faites à Paris à l'occasion de l'élection
    du roi de Pologne.--État de la négociation du mariage.--Mission
    du capitaine Cauberon en Écosse.


    AU ROY.

Sire, j'ay faict part à la Royne d'Angleterre, ainsy qu'il vous a pleu
me le commander par vostre lettre, du XVe et XVIIe du passé, de tout
l'ordre qui a esté tenu, dimanche, tréziesme du dict moys, en la
proposition et présentation, que les ambassadeurs de Pouloigne ont
publicquement faicte à Vostre Majesté, des décretz des Estatz de leur
pays, sur l'élection de vostre frère, et la déclaration que, par le
bon consentement de Vostre Majesté, le Roy, vostre frère, leur a
faicte d'accepter d'estre leur roy; et de l'entrée magnificque et
honnorable qui, le jour après, luy a esté faicte, comme à Roy de
Pouloigne, en vostre ville de Paris, avec le royal festin le soyr, en
vostre grande salle du pallays, ensemble le somptueux festin, du
lendemein, par la Royne, vostre mère, à son pallays des Tuilleryes; et
comme le tout a esté conduict avec tant d'honneur et de bon ordre, et
de dignité, qu'on peut compter cest acte, ainsy achevé, pour ung des
plus excellantz qu'on ayt jamays veu en France, et l'ung des plus
notables que Dieu ayt faict advenir, de beaucoup de siècles au monde;
et que Voz Majestez me commandoient d'en fère une expresse
conjouyssance avec elle, comme avec celle que vous sçaviez qui vouloit
participer, de bon cueur, aulx choses qui vous estoient et à honneur
et à contantement.

A quoy la dicte Dame m'a respondu que, voyrement, elle participoit
grandement à ceste vostre félicité, et à l'heur et bonne fortune du
Roy de Pouloigne, vostre frère, et que Dieu ne permît pas qu'elle peût
tant oublier le debvoir, auquel l'amityé, que luy avés tousjours
monstrée, obligeoit la sienne entièrement vers vous, qu'elle ne se
resjouyst de toutz les advantages et grandeurs qui vous advenoient, et
qu'elle ne se douleût pareillement de ce qui ne vous viendroit bien,
plus que nul aultre de toutz les princes de vostre allience; et que,
de ces actes tant honnorables, qui s'estoient passez avec les
ambassadeurs de Pouloigne, aulxquelz elle ne pouvoit qu'elle ne louât
infinyement la royalle esplendeur et générosité de vostre cueur, et la
singullière prudence de la Royne, vostre mère, et les desirables
qualités du Roy, vostre frère, elle s'en estoit desjà beaucoup réjouye
en elle mesmes; mais que sa joye en estoit devenue de beaucoup plus
grande pour celle portion de la vostre que Voz Majestez luy en
faisoient maintenant adjouxter, et qu'elle espéroit que, d' ung
commancement et progrès si heureulx, qu'on avoit veu jusques icy es
dicts affères de Pouloigne, la fin n'en pouvoit réuscyr sinon ainsy
heureuze et honnorable, comme le desiriez, et comme elle en prioit
Dieu, de bon cueur. Et m'a curieusement examiné de plusieurs
particullaritez des dicts actes passez, et de ceulx d'advenir, et du
voyage du Roy, vostre frère.

A quoy je luy ay satisfaict le mieulx que j'ay peu, et luy ay promis
de luy bailler le mémoyre qui m'en sera envoyé par escript, aussytost
que je l'auray receu, ce qu'elle m'a pryé de n'oublier pas. Et j'ay
adjouxté que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, me commandiez
de luy dire que vous n'estiez meus de moins de desir, et n'aviez
l'affection moindre au bon propos, que luy aviez faict refreschir par
Mr le mareschal de Retz, que à ce mesmes affère de Pouloigne; et que
c'estoit ce dont aujourdhuy vous desiriez l'accomplissement aultant de
bon cueur, que de chose qui soit au monde, affin de la fère
participante, comme vraye et germayne seur, non seulement de ceste
nouvelle accession de Pouloigne, mais encores de toutes les aultres
prospéritez et bonnes fortunes, que Dieu vous envoyera jamays.

A quoy elle m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère,
luy aviez faict voyr si avant, dedans vostre intention, et dedans les
bons et vertueux desirs qu'avez vers elle, qu'elle ne vouloit, en
façon du monde, vous deffallir de correspondance, et que pourtant elle
attandoit de sçavoyr ce qui auroit succédé, après le retour de Mr le
mareschal de Retz par dellà, pour incontinent y envoyer ung
gentilhomme, sellon l'ordre qu'elle en avoit pris avecques luy.

Et se sont passez plusieurs propos, qui seroient longs à mettre icy,
entre elle et moy, là dessus; esquelz elle s'est efforcée d'excuser la
longueur et les difficultez, que j'ay accusé procéder de son costé, et
m'a assuré que Mr le mareschal avoit bien cognu qu'elles n'estoient ny
légières ny vagues, et qu'il avoit assez comprins, sellon qu'il estoit
bien expérimanté ez choses d'estat, que les dictes difficultez
estoient fondées en grandes considérations; dont elle les vouloit
réduyre à facillité, si elle pouvoit, affin de ne laysser venir aulcun
dégoust ny une seulle apparance de malcontantement, cy après, à Voz
Majestez et à Monseigneur, vostre frère, en ce faict, ou bien elle
auroit une extrême regret de le laysser passer plus avant; et nous
sommes remis, toutz deux, à ce qui nous en sera mandé par la procheyne
dépesche de France.

Et, sur la fin, je luy ay faict une expécialle salutation, de la part
de Monseigneur, vostre frère, laquelle elle a monstré d'avoyr fort
agréable, et m'a soigneusement enquis de sa santé, et qu'elle n'avoit
peu comprendre, par la lettre que Mr le mareschal luy avoit escripte,
s'il estoit encores du tout parfaictement guéry; mais qu'elle avoit
biens comprins d'aultres choses de ce qu'il luy avoit escript, qui
l'obligeoient grandement vers mon dict sieur le mareschal, et la
confirmoient en la bonne et grande oppinyon qu'elle avoit conceue de
luy.

Les seigneurs de ce conseil, au partir d'elle, m'ont longuement
entretenu de ce mesmes propos, et qu'ilz s'esbahyssoient comme il
n'estoit venu aulcune dépesche, depuis l'arryvée de mon dict sieur le
mareschal par dellà, et m'ont parlé aussy bien fort honnorablement des
choses de Pouloigne; et mesmes a semblé que ce fût avec leur grand
plésir d'entendre qu'elles succédoient ainsy, de bien en mieulx. Et ay
trouvé que la dicte Dame et eulx estoient, en apparance, toutz bien
contantz, sinon ung peu milord trézorier qui a prins plus à cueur, que
ne font les aultres, certeins livres diffamatoires contre l'estat du
gouvernement de ce royaulme, que ceulx de Rouen ont envoyé semer en
ceste ville; de quoy a esté faict une proclamation fort rigoureuse
contre ceulx qui apporteront, ny qui publieront, cy après, rien de
semblable.

Le vieulx Cauberon a esté cependant renvoyé, avec une fort ample
dépesche, devers le comte de Morthon, et croy que c'est sur ce nombre
d'escossoys qui doibvent passer en Hollande, et sur des conséquences
qu'on faict icy, de la blessure d'Adan Gordon, plus grandes, à mon
advis, que le cas ne le requiert. Et sur ce, etc.

    Ce VIe jour d'octobre 1573.



CCCXLIVe DÉPESCHE

--du XIIIIe jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._)

  Audience.--Réponse du roi sur la négociation du maréchal de
    Retz.--Satisfaction d'Élisabeth.--Sa résolution d'envoyer un
    ambassadeur en France pour cette négociation.


    AU ROY.

Sire, parce que le courrier, qui m'a esté dépesché, le XXVIIe du
passé, a esté contreinct de séjourner huict jours entiers à Callays,
pour l'empeschement de la mer, (laquelle a bien esté la plus haulte,
et pleyne de tourmante, qu'on l'ayt veue de fort longtemps, ayant
apparu, tout au long de ces costes, force mastz et pièces de navyres
rompus, et des corps mortz en grand nombre, signe de quelque grand
naufrage advenu non guières loing d'icy), les lettres de Vostre
Majesté, qu'il m'a apportées, ont esté retardées jusques au VIIIe du
présent, non sans que j'aye bien senty qu'elles se faisoient
aulcunement desirer en ceste court, et que les malintentionnés en
commançoient desjà d'arguer quelque réfroydissement: ce qu'ilz
eussent, possible, persuadé, si une lettre de Mr le mareschal de Retz
ne fût auparavant arryvée à ceste princesse, laquelle l'a tousjours
entretenue en bonne espérance. Et je vous puis assurer, Sire, que la
dicte Dame a monstré de prendre maintenant à beaucoup de plésir les
particullaritez, qu'il vous a pleu me commander de luy dire, de
mercyement des faveurs et bon traictement, qu'elle avoit faictz à mon
dict sieur le mareschal, et du desir que vous aviez de vous en
revencher vers quelqu'ung des siens, qu'elle pourroit envoyer par
dellà, de ceulx qu'elle ayme et estime beaucoup; et de la privée
communicquation qu'elle vous avoit voulu fère par luy d'aulcunes de
ses intentions, pareillement de vous avoyr, par luy mesmes, ouvert le
fondz de son cueur; ensemble de l'assurance, qu'il vous avoit
apportée, que non seulement elle persévèreroit constamment en vostre
amityé, mais qu'elle estoit très bien disposée de l'estreindre et la
rendre plus ferme par le mesmes moyen, dont vous la recherchiez, du
propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté.

En quoy, Sire, seroit trop long de vous discourir tout ce que je luy
ay déduict, par le menu, sinon vous assurer que je ne luy ay rien
obmis du contenu de voz lettres; ny rien de ce que j'ay estimé qui
pouvoit servir en cest endroict; mais il seroit encores beaucoup plus
long de vous racompter, une à une, toutes les honnestes responces
qu'elle m'y a faictes: car, en lieu de recevoir de voz mercyementz,
elle s'est efforcée de vous en rendre infinys, de son costé, pour
avoyr, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, voulu prendre de si
bonne part, comme elles ont, ce peu qu'elle a uzé de bon traictement
vers Mr le mareschal, et ce qu'elle vous a mandé par luy. Et s'est
ellargie à me discourir du contantement, que luy avez donné, de la
forme de négocier qu'il a tenu avec elle, laquelle luy avoit esté
singullièrement agréable, et de la foy que pouvez indubitablement
adjouxter aulx choses qu'il vous avoit rapportées de sa part;
lesquelles elle vous prioit que les voulussiez très fermement croyre.

Mais, quand j'ay reprins le propos pour luy dire qu'elle trouveroit
l'entière confirmation de tout ce que je venois de luy dire dans les
lettres de la propre mein de Voz Majestez et de Monseigneur,
lesquelles je luy ay soubdein présentées; et que je l'ay eue bien fort
conjurée de ne vouloir plus laysser au hazard du temps, ny au danger
de la longueur, ung si précieulx affère, comme estoit celluy de ce
propos; et que vous la suplyiez de bon cueur qu'elle vous volût rendre
maintenant certein de ce qu'elle avoit résolu d'en fère, il a apparu,
Sire, en son visage et en ses contenances, une plus grande
satisfaction que je ne la vous sçaurois exprimer, et a soubdein leu, à
part elle, toutes les quatre lettres, et puis me les a releues fort
distinctement, notant avec beaucoup de curiosité toutz les poinctz de
chascune.

Et a remis à plus de loysir de lire la cinquiesme, qui estoit de Mr le
mareschal; duquel elle a suivy à dire qu'elle cognoissoit bien qu'il
n'avoit pas réfroydy la matière, ainsy que quelques ungs l'avoient
desjà pensé, et qu'elle voyoit Voz Majestez Très Chrestiennes, et les
vostres, continuer tousjours d'une si honnorable façon au pourchas de
son allience, qu'elle s'estimeroit par trop indigne d'honneur, si elle
ne mettoit peyne de vous y bien voyr correspondre; et que, sans
doubte, elle y avoit tousjours correspondu de bon cueur, mais que le
temps et les occasions ne luy avoient servy qu'elle l'eût peu ainsy
manifester, comme elle eût bien desiré de le fère; et qu'elle n'avoit
jamays prins de dellay en cecy, que pour garder qu'il ne s'y en peût
mettre, quand les choses en seroient venues à meilleure conclusion; et
que, depuis le partement de Mr le mareschal, elle n'avoit pas perdu
temps à bien disposer aulcuns des siens à ce propos, qui estoient des
principaulx de son royaulme; car n'avoit à se soulcier de toutz, mais
bien se vouloit elle fort soulcier que, venant Monseigneur par deçà,
il y fût communément bien receu d'ung chacun, et aultant honnoré et
bien veu, et y eût aultant de contantement comme elle mesmes; et que,
quand elle verroit qu'il ne se pourroit fère ainsy, que jamays elle ne
consentiroit sa venue, nonobstant l'advantage qui luy en pourroit
rester à elle; et que sa déterminée résolution avoit esté de fère
partir, ce soyr mesmes qu'elle parloit à moy, le gentilhomme qu'elle
avoit promis à Mr le mareschal qu'elle envoyeroit par dellà; mais
qu'il estoit tombé malade, ainsy que je le pouvois bien avoyr sceu:
comme, Sire, cella est véritable; mais qu'elle en feroit apprester
ung aultre qui partiroit indubitablement dans trois jours; et qu'elle
avoit à fère une querelle à Mr le mareschal de ce qu'il vous avoit
révellé, et à la Royne, vostre mère, le secret de ce message, car luy
avoit promis que Voz Majestez, pareillement Monseigneur, vostre frère,
n'en scauriés rien, toutesfoys qu'elle remettoit bien en luy d'en uzer
comme il jugeroit estre bon, car le tenoit pour si advisé et accord,
et d'une si bonne inclination en cest endroict, qu'il conduiroit le
tout à bon port.

Je luy ay réplicqué qu'elle trouveroit que la coulpe n'en estoit venue
de luy, ny du costé de dellà, en façon du monde, ains de ce costé icy,
et que ce seroit luy mesmes qui la rabilleroit.

J'ay, incontinent après, parlé à milord trézorier et au comte de
Sussex, et mestre Smith, estant le comte de Lestre encores absent en
sa maison, et leur ay faict l'honneste compliment du postscript de la
lettre de Vostre Majesté, qu'ilz ont receu à beaucoup de faveur, et
m'ont parlé en très bonne façon et en beaucoup d'espérance de cest
affère. Et le dict grand trézorier m'a confirmé ce qu'elle m'avoit
dict de la maladye et empeschement du Sr de Quillegreu, et m'a adverty
qu'elle avoit mandé Me Randolf pour le fère apprester, et l'avoit
choisy elle mesmes bien qu'il luy en eût nommé ung aultre, lequel elle
n'avoit voulu accepter, par ce, disoit elle, qu'il n'estoit bien
affectionné à son mariage; ce que le dict grand trézorier avoit prins
pour ung bon signe, et m'a assuré qu'il trouvoit la dicte Dame très
bien disposée en ce propos; mais, de tant, Sire, que le dict Randolf
ne me revient non plus, ny possible si bien, que faysoit Quillegreu,
je suis après à fère changer l'élection. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour
d'octobre 1573.


_Par postille à la lettre précédente._

   Si Vostre Majesté trouvoit bon de fère venir icy quelques
   lettres de crédit, pour fère respondre, condicionellement, par
   des banquiers, en ceste ville, à ceulx qui peuvent ayder cest
   affère, que, au cas que le dict affère viegne à bonne
   conclusion, et que le dict mariage ensuyve, qu'il leur sera
   payé comptant telle et telle somme, l'on a opinyon que cella
   feroit un grand effect, car les simples promesses ne sont
   tenues en compte; et qu'on auroit plus à gré une telle somme
   de deniers contantz, que non pas une pension, ny ung revenu,
   ny ung estat en France; et si, ne courra rien de hazard, si
   l'affère demeuroit imparfaict, mais faudroit que ce fust de
   sommes assez notables.



CCCXLVe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Désignation de Me Randolf pour passer en France.--Remise de
    l'ouverture du parlement.--Menées du duc d'Albe.--Secours
    donnés par les Anglais au prince d'Orange.--Desir des réfugiés
    de rentrer en France.


    AU ROY.

Sire, je vous ay renvoyé Jacques, le courier, le XIIIIe de ce moys,
avec le récit de toutes les responces que la Royne d'Angleterre m'a
faictes, quand je luy ay présenté les lettres, que Vostre Majesté et
la Royne, vostre mère, et le Roy de Pouloigne, et Monseigneur, luy
avez, toutz quatre, escriptes de voz meins, ensemble ce que j'ay peu
nother davantage des propos que les seigneurs de ce conseil m'ont
tenu; qui n'en racompteray rien plus icy, et seulement vous diray,
Sire, que Me Randolf, lequel la dicte Dame a mandé par la poste, parce
qu'il estoit absent avec le comte de Lestre, est arryvé le deuxiesme
jour après, et est allé descendre au logis de milord trézorier, où
j'estime qu'il a esté fort soigneusement examiné; et ne se publie
encores rien de son partement, ny ne s'en sçaura, à mon advis, le
certein, jusques à demein au soyr, que le dict comte de Lestre doibt
estre de retour. Et ne voy pas qu'il me puisse estre bien séant, Sire,
de fère rien davantage, touchant l'élection du dict Randolf, plus que
ce que j'ay desjà faict; car est besoing, en l'endroict de ceulx cy,
sur une telle chose, après les avoyr bien advertys une foys seulement,
les laysser, de là en avant, fère comme ilz l'entendent, aultrement
ilz s'imagineroient des souspeçons qui seroient très difficilles de
les leur oster. Je procèderay en cella, et en toute aultre chose, qui
concernera icy l'advancement de cest affère, le plus accortement que
je pourray.

Le chancellier et le grand trézorier, et le grand chambelland, et
plusieurs aultres seigneurs de ce conseil et de la noblesse de ceste
court, se sont trouvés à l'ouverture de ce terme de la justice, le
segond vendredy de ce moys, pour remettre encores plus loing la tenue
du parlement, duquel la continuation estoit assignée au XVe de ce
mesmes moys; et ilz l'ont prononcée au IIIIe de febvrier prochein: et
ont fort dilligemment examiné la cause de ceste élévation, qui avoit
apparu, vers Cambrich, à quarante mille d'icy, où ilz ont trouvé qu'il
y avoit de la malice d'aulcuns et de la simplicité des aultres; et
sont après à y donner quelque forme de chastiement, si discrète,
qu'elle ne puisse effacer le lustre du repos, qu'on veut persuader à
ung chacun qu'est bien estably en ce royaulme.

Ces libelles, que les angloys, qui sont à Louvein, en avoient envoyé
semer icy ung nombre, ont mis du trouble beaucoup en ceste court; car
il y est remonstré aulcunes choses à ceste princesse, de ceulx à qui
elle donne la principalle authorité, qu'il semble qu'elles soient très
expresses et bien fort apparantes contre eulx, de sorte qu'ilz ne
sçavent où ilz en sont, et creignent que leur crédit en demeure fort
ravallé; et présuppose l'on que le duc d'Alve a tenu la mein à cella,
et qu'il faict que les partisans de Bourgoigne, icy, monstrent eulx
mesmes d'en estre offancés, affin que ces imputations soient
esclayrées et espluchées davantage, et que, par une telle attacque,
ceulx qu'il luy semble que tiennent icy les choses trop reddes contre
le Roy, son Mestre, en soient d'aultant réprimés. J'entendz qu'il a
esté proposé de fère bientost passer quelque personnage de bonne
qualité, de la part du dict Roy d'Espaigne, vers ceste princesse, mais
ne se parle plus que ce soit le duc de Medina Celly, soubz couleur de
son retour, ains que ce sera ung aultre seigneur, tout exprès, et,
possible, ung ambassadeur résident. Néantmoins le prince d'Orange ne
laysse, pour cella, d'avoyr tousjours icy bien vifves ses praticques,
et tire ordinayrement beaucoup de commodités de ce royaulme; et mesmes
les Escossoys, qu'il a, qui sont bien douze centz cinquante en nombre,
luy ont esté addressés d'icy; vray est qu'on assure que leur payement
vient des deniers que le dict prince et le comte Ludovic, son frère,
avoient faict dépositer, l'année passée, en France, pour une nouvelle
levée de françoys, après la route de Genlis,[23] et m'a l'on confirmé,
de rechef, qu'il se prépare encores mille escouçoys à cheval pour
aller, à ce printemps, trouver le dict prince.

  [23] Voyez ci-dessus _note_, p. 44.

J'ay baillé des passeportz à douze ou quinze soldatz françoys, qui
sont naguyères venus de Ollande, pour eulx retirer en leurs maysons,
qui sont les ungs de Languedoc et Provence, les aultres de la
Guienne, les aultres de Bretaigne, et les aultres de Normandye, et
plusieurs d'entre eulx catholicques, qui s'estoient layssés mener par
diverses persuasions au dict pays, avant la défaicte ou peu après
icelle du dict Sr de Genlis. Et toutz m'ont protesté, avecques
sèrement, de vivre, sans contradiction aulcune, en bons et très
humbles subjectz, soubz l'obéyssance de voz édictz.

Je vous supplie très humblement, Sire, de m'envoyer les saufconduictz
pour les Srs de Languillier, Du Refuge, Des Champs, La Meaulce, à
chacun ung; et pareillement pour Moyssonnyère, car ceulx là feront si
bien le chemin aulx aultres, qu'à peyne en restera il pas ung, après
eulx, par deçà. Et desjà le cappitayne La Meaulce s'estoit confié sur
ung passeport mien, mais, ainsy qu'il a voulu partir, il est tombé si
extrêmement malade qu'on ne sçayt qu'espérer de luy. Les aultres
françoys, qui sont de robbe longue, marchandz, artisantz, et leurs
femmes, repassent toutz les jours de dellà, et en est repassé plus de
cinq centz depuis ung moys. Sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour d'octobre 1573.



CCCXLVIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Ratheau._)

  Mission de Me Randolf.--Nouvelles des Pays-Bas.--Sollicitations
    du comte de Montgommery pour être reçu par
    Élisabeth.--Protestation de dévouement du député de la
    Rochelle.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire; aussytost que le comte de Lestre a esté de retour de
Quilingourt, l'on a mis en dellibération du conseil le voyage de
celluy qui doibt aller en France, et je n'ay oublyé d'envoyer, soubz
mein, remonstrer, en la meilleure façon que j'ay peu, qu'il estoit
fort expédient qu'ung gentilhomme, de bonne intention et bien choisy,
y fût envoyé. En quoy, après que toutes choses ont esté bien débatues,
la résolution a esté prinse de fère partir, dans la fin de ceste
sepmayne, Me Randolf pour aller achever ceste commission. Et le dict
comte ayant, avec une démonstration de très grand contantement, bien
receu l'office, que m'avez commandé de luy fère par le postscript de
vostre lettre, du XXIIIe du passé, m'a adverty que les ennemys de ce
propos avoient uzé de beaucoup de malice, pendant qu'il estoit absent;
et qu'ilz avoient supposé ung homme, comme venant de France, qui avoit
parlé si peu à l'advantage de la personne de Monseigneur, frère de
Vostre Majesté, qu'il me vouloit dire, en général, que nul plus
maulvais rapport l'on n'eût su fère de luy, et qu'il n'estoit pas
besoing que j'en sceusse davantage les particullaritez, mais qu'il
voudroit, de bon cueur, avoyr eu ce bien de voyr une foys Mon dict
Seigneur, affin de conveincre les faulces inventions qu'on s'efforçoit
de mettre ainsy en avant: et monstre le dict sieur comte de prendre
bien à cueur cest affère. Le susdict Me Randolf dépend entièrement de
luy; et est extrêmement passionné en sa religion. Il a esté
ambassadeur devers le Moscovite, et souvant employé vers les
Escossoys, et est reputé icy assez adversayre de la Royne d'Escoce. Il
est mestre des postes de ce royaulme, qui est ung estat duquel l'on
faict assez de compte. J'estime qu'il voudra conférer avecques moy,
premier que de partir, dont je mettray peyne, s'il vient, de le
disposer le mieulx qu'il me sera possible, et desjà il promect de se
déporter fort droictement en sa dicte commission.

Ceulx cy tiennent pour assez certein l'advertissement, qu'on leur a
donné, du passage du Roy d'Espaigne en Flandres, à ce prochein
printemps, et en font plusieurs discours, non sans y mesler des
souspeçons et des deffiences beaucoup; et mesmes que ung docteur, de
ce pays, et ung milord, qui sont toutz deux personnaiges de beaucoup
d'estime vers les catholicques de ce royaulme, se sont, depuis ung
moys, acheminés de Louvein vers le dict Roy d'Espaigne; ce qui faict
que, d'icy, l'on fomante davantage le party du prince d'Orange, et
qu'on ne prend plésir d'entendre qu'il se traicte d'accord ez Pays
Bas, ce que néantmoins l'on se persuade; et creinct on assez qu'il se
fera, bien que d'ailleurs l'agent du Roy d'Espaigne, qui est icy,
semble avoyr découvert que troys centz harquebuziers françoys doibvent
bientost aller trouver, de nouveau, les cappitaynes Poyet et
Maysonfleur, en Hollande, et que les flammantz, qui sont icy, lèvent
des deniers entre eulx pour les payer.

L'on m'a rapporté que le comte de Montgommery a fort pourchassé de
venir en ceste court, promettant de mettre en avant des choses à ceste
princesse, qui seroient grandement pour son service; et que milord
trézorier luy avoit escript qu'il eût ung peu de pacience, et que
bientost il luy impètreroit cette permission; mais, voyant qu'elle
tardoit trop, il a faict semblant de s'en vouloir retourner en France,
de quoy son beau frère a donné incontinent, icy, advis, et luy mesmes
a fort incisté qu'il peût venir, mais il luy a esté de rechef respondu
que cella ne se pouvoit encores fère. Et, à la vérité, Sire, l'on a
esté, l'espace de quinze jours, à attandre, en ung logis de ceste
ville, que, d'heure en heure, le dict de Montgommery y arrivât, qui
est signe qu'il a eu grande espérance d'y venir; mais enfin, les Srs
de Lorges et Du Refuge, son filz et beau filz, sont partis, ceste
sepmayne, pour l'aller trouver, non sans que le dict Du Refuge me soit
venu dire adieu: et toutz deux monstrent d'estre fort desireux de
repasser en France.

L'agent de la Rochelle est venu, depuis deux jours, me prier que je ne
voulusse interpréter, sinon à bien, sa demeure, pour encores, en ceste
ville, et de fère que Vostre Majesté ne le prînt à mal, ny pensât que
ceulx de sa ville y praticquassent rien, qui ne fût sellon le debvoir
de très obéyssantz et très loyaulx subjectz; et que ce qui le détenoit
icy, à ceste heure, estoit pour achever de payer ce qu'il avoit
emprunté au nom de ses concitoyens, pour lesquelz il estoit comme en
arrest, et qu'ilz supplioient très humblement Vostre Majesté de
demeurer très assuré de leur fidellité et perpétuelle subjection; et à
moy, de m'informer, aultant curieusement que je voudrois, de leurs
déportementz, affin de n'en demeurer en doubte. Je luy ay respondu que
luy et ceulx de sa ville n'avoient chose qui plus leur importât
aujourdhuy, en ce monde, que d'imprimer une bonne et indubitable
opinyon de leur foy et obéyssance à Vostre Majesté, et d'éviter toutes
occasions qui vous pourroient fayre prendre tant soit peu de souspeçon
d'eux; qui pourtant l'exortois de se retirer d'icy, le plus tost qu'il
pourroit, attandu les choses passées, et que, puisqu'il m'estoit venu
advertyr de la nécessayre occasion, qu'il avoit, d'y demeurer quelque
peu de temps, que je le tesmoignerois à Vostre Majesté.

Jacmes Levisthon, qui est de voz gardes, vient d'arriver, tout
présentement, d'Escoce, il s'attand d'avoyr, demein ou après demein,
son passeport, et de continuer, incontinent après, son chemin vers
Vostre Majesté, à laquelle il donra bon compte de toutes nouvelles de
son pays, et de la démonstration que faict la Royne d'Angleterre de
vouloir remettre les deux chasteaulx, qu'elle tient par dellà, ez
meins des Escouçoys, suyvant l'instance que, en vertu du dernier
traicté, je luy en ay souvent faicte; mais je croy bien, si elle en
vient à tant, que ce sera au comte de Morthon qu'elle s'en démettra.
Et sur ce, etc.

Ce XXIIIe jour d'octobre 1573.



CCCXLVIIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par ung serviteur de Me Randolf._)

  Conférence de l'ambassadeur avec Me Randolf.--Vives
    recommandations pour qu'il lui soit fait bon accueil en France.


    AU ROY.

Sire, après que la Royne d'Angleterre a eu bien instruict Me Randolf
sur les choses qu'elle luy vouloit commettre en France, elle luy a
commandé de me venir trouver, pour me conférer le tout, et j'ay mis
peyne de l'examiner bien curieusement de l'intention, avec laquelle il
passoit de dellà; et il m'a monstré d'y apporter une très bonne
affection vers le propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, et
de desirer que son voyage soit si heureulx qu'il puisse servir à y
fère venir quelque bonne conclusion; et qu'estant sa Mestresse fort
judicieuse, qui a l'esprit fort rare, et à laquelle il a toute
obligation de naturel subject de luy procurer son bien et
contantement, qu'il mettroit peyne de s'acquicter droictement, et avec
toute fidellité, et encores en conscience, de la charge qu'elle luy
bailloit, et de luy en rapporter aultant de certitude et de vérité,
comme il seroit en sa capacité de le pouvoir fère. Et m'ayant allégué
là dessus plusieurs doubtes et creintes, ès quelles l'importance de ce
faict le mettoient, pour estre de chose qu'il réputoit trop privée, et
appartenir de trop près à la propre personne de très grandz princes,
vers lesquelz il n'avoit jamais eu auparavant rien à traicter, je l'ay
conforté de n'en estre en nulle peyne, et qu'il avoit son addresse à
des princes qui estoient les plus courtois et humains, qui fussent en
tout le reste du monde, et qu'il auroit, d'abondant, ung très bon
directeur en Mr le mareschal de Retz, dont ne falloit qu'il doubtât de
ne s'en retourner très contant de Vostre Majesté et de la Royne,
vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne. Et luy ay, au
reste, si particullièrement remonstré les très grandes utillités, qui
procèderont de son voyage pour le bien public de son pays, et pour le
sien particullier, qu'il me semble, Sire, qu'il s'en va bien disposé
et en bonne volonté de bien fère. Dont, suyvant cella, je vous supplye
très humblement de le fère bien et favorament recevoir, et de le fère
honnorer et bien traicter, affin qu'il y ayt encores de l'inclination
davantage. Il m'a dict qu'il emporte les mémoyres pour achever ce qui
reste, de l'article du commerce, dans le traicté. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIe jour d'octobre 1573.


    A LA ROYNE.

Madame, après que j'ay eu faict ma sollicitation en ceste court, sur
la dépesche de mestre Randolphe, j'ay mis peyne, quand il m'est venu
voyr, par deux foys, et fère bonne chère en mon logis, de luy fère les
démonstrations du général intérest des deux royaulmes, et de celluy de
son particullier, qui dépendoient de son voyage, en si expresse façon
que je ne pense qu'il ayt esté rien obmis de ce qui luy pouvoit estre
remonstré en cest endroict; et il monstre de partir aultant bien
édiffyé qu'il se peult dire vers tout ce qui y peut appartenir, et
d'avoyr une singullière affection de l'advancer. Il est vray qu'il
monstre de creindre bien fort la difficulté du jugement qu'il a à
rapporter à sa Mestresse, et me semble qu'il part avec une opinyon
préjugée de la debvoir, à son retour, conseiller que, sans donner foy
ny à peintres, ny à rapporteurs, elle ne doibve croyre sinon à la
présence, et qu'en toutes sortes, elle le doibve voyr; qui n'est le
pire expédient qu'il pourroit choisir, pour se desmeller d'une
commission qu'il répute dangereuse. Néantmoins il importe beaucoup
qu'il parle, à son retour, en très bonne sorte des choses qu'il aura
vues, et ouyes, par dellà, comme je sçay bien qu'il ne le pourra fère
sinon ainsy, s'il ne veult laysser la vérité. Mais encores vous
supplyè je très humblement, Madame, ne trouver maulvais que je vous
recorde que ceste nation se gaigne, plus que nulle aultre du monde,
par faveur et bonne chère, et par libérallité, et qu'il est expédient
de luy en uzer ung peu largement; et qu'avec celle que Voz Majestez
luy feront, il luy en viegne encores quelque aultre de Monseigneur,
vostre filz, et n'oublier quelque promesse pour l'advenir, et de luy
confirmer bien fort expressément celles plus grandes qu'avez faictes
espérer au comte de Lestre et à milord de Burgley; car il dépend
entièrement des deux. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour d'octobre 1573.



CCCXLVIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour d'octobre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Détails de la conférence de l'ambassadeur avec Me
    Randolf.--Objections faites contre le mariage.--Mesures prises
    en Angleterre à l'égard des puritains.--Délibération au sujet
    de la prochaine arrivée du roi d'Espagne dans les Pays Bas.


    AU ROY.

Sire, premier que Me Randolphe se soit acheminé devers Vostre Majesté,
le XXVIe de ce moys, ainsy que je le vous ay escript, du dict jour, il
m'est venu entretenir de plusieurs propos qui concernoient son voyage;
dont les deux plus considérables ont esté de me dire que, si la Royne,
sa Mestresse, n'avoit poinct voulu croyre à Mr le comte de Lincoln, ny
à plusieurs milords qui estoient avecques luy, ny à Mr de Walsingam,
ny à Mr de Quillegreu, touchant la disposition de la personne de
Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comment pourroit on penser
qu'elle deût maintenant adjouxter plus de foy au rapport qu'il luy en
feroit? et que pourtant son voyage avoit à estre, ou inutille, si elle
ne s'arrestoit non plus à son opinyon qu'à celle de ceulx qui
l'avoient veu devant luy, ou bien fort périlleux, si il en opinoit en
aultre sorte qu'ilz n'avoient faict. A quoy je luy ay respondu que la
seule vérité le mettroit hors de tout ce danger, car sa Mestresse ne
vouloit sinon sçavoyr ce qui en estoit; et Voz Majestez desiroient
infinyement qu'elle le sceût, sans qu'il luy en fût rien déguysé; et
qu'estant davantage aydé par le portraict, il ne pouvoit nullement
errer en sa commission. Il m'a réplicqué qu'il vous supplieroit
donques, Sire, et la Royne, vostre mère, de ne trouver maulvais, au
cas qu'il remarquât quelque chose au dict pourtraict, qui fût
dissemblable de la vraye présence, qu'il vous requît de le fère
rabiller. De quoy je l'ay assuré que, non seulement Voz Majestez ne
seroient marryes d'estre advertyes de ce deffault, mais qu'elles
auroient très grand plaisir de le fère réparer.

Son aultre propos a esté que, advenant le cas que Monseigneur fût bien
agréable à sa Mestresse, comme il le vouloit ainsy espérer, si je
tenois pour cella que le mariage fût desjà faict. Je luy ay respondu
que, du costé de Monseigneur, il n'y avoit nulle difficulté, et, du
costé d'elle, l'on nous faysoit accroyre qu'il n'y en restoit plus que
celle là. Il a réplicqué que de certeyne impression, qu'elle s'estoit
donnée, que, à cause de son aage qui commançoit ung peu à passer, elle
seroit bientost mesprisée de ce jeune prince, lequel ne faysoit
qu'entrer en la fleur du sien; et de ne luy pouvoir poinct porter
d'enfantz, ou bien, si elle luy en apportoit, que ce seroit avec le
grand danger de sa personne, naystroient assez d'aultres difficultez,
qui seroient bien mal aysées de veincre; mais encores, quand toutes
celles là ne viendroient à produyre aulcun empeschement, j'avoys à
rechercher si le peuple de ce royaulme resteroit bien contant du dict
mariage, car mal volontiers vouloient souffrir les Angloys qu'un
prince estranger régnât sur eulx, tesmoing ce qu'on avoit veu du Roy
d'Espaigne; et que je ferois bien de m'esclarcyr de ce poinct, premier
que de passer oultre, car me vouloit bien advertyr que beaucoup de
ceulx, qui avoient desiré le mariage de leur princesse, ne vouloient
plus, à ceste heure, qu'elle se maryât, et que, parmy ceux là, il y en
avoit des plus grandz. Je luy ay respondu que ces particullaritez
n'estoient de la considération présente, et ne touchoient en rien sa
commission, car elles avoient desjà esté toutes débatues, et que je
m'assurois qu'il n'y auroit ny deffault d'amityé, ny, Dieu aydant, de
lygnée, ny de toute aultre bénédiction et bonheur en ce mariage; et
que je n'estimoys pas qu'il y peût avoyr ung seul sy desloyal subject,
en ce royaulme, qui ne voulût que la Royne, sa princesse, se maryât;
et qu'elle ne pourroit proposer rien de plus digne, ny de plus
honnorable, à son peuple, pour son mariage que Monseigneur, frère de
Vostre Majesté, lequel ne viendroit icy estrangier, ains pour s'y
porter comme naturel angloys, et que l'exemple du Roy d'Espaigne ne me
mouvoit de rien, parce que la rayson estoit bien diverse.

Et ainsy, Sire, je n'ay faict semblant au dict Me Randolphe que je
m'arrestasse beaucoup à toutes ses considérations, lesquelles
toutesfoys j'ay bien voulu mettre icy, affin que Vostre Majesté les
ayt en tel compte comme elle jugera qu'elles le méritent; et cependant
je mettray peyne d'aprofondir d'où elles peuvent derriver.

Ces jours passez, les seigneurs de ce conseil ont esté fort occupés
sur les remonstrances, que les évesques de ce royaulme sont venus fère
à ceste princesse, des grandz désordres qui proviennent en leurs
églises et diocèses, pour la multiplicité des religions, et mesmes
pour la presse que les Puretains font de vouloir avoir l'exercice de
la leur. Sur quoy, après plusieurs assemblées des plus grandz et
notables du royaulme, et longue conférence avec les dicts évesques,
par meure dellibération de conseil, a esté faicte une proclamation,
mais aulcuns estiment que cella ne sera suffisant remède, parce que le
nombre des Puretains est trop grand; tant y a que les Catholicques
demeurent paysibles.

Les dicts du conseil ont aussy longuement dellibéré sur la venue du
Roy d'Espaigne en Flandres, laquelle ils tiennent pour fort certayne,
et que ce sera, à ce prochein primptemps, avec huict mille Espaignolz
de renfort et une fort grande provision de deniers, et qu'il fera son
chemin par Gènes. Sur quoy j'entendz, Sire, qu'entre eulx celle
opinyon a prévalu, laquelle a monstré de tendre à s'entretenir aulx
bons termes, où l'on est avec le dict Roy d'Espaigne, et d'accomoder
le faict des prinses, et les choses mal passées depuis cinq ans, et de
retourner à l'ancienne confédération, dont luy mesmes recherche ceste
princesse, et de conduyre dextrement, là dessus, et avec le plus qu'on
pourra d'honneur pour ceste couronne, une bonne négociation, avec
ceulx qu'il y vouldra commettre de sa part. Et sur ce, etc.

    Ce XXXIe jour d'octobre 1573.



CCCXLIXe DÉPESCHE

--du VIe jour de novembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Vigier._)

  Conférence particulière de l'ambassadeur avec le lord garde des
    sceaux sur la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, il est advenu que milord Quipper et moy avons esté assis, l'ung
auprès de l'aultre, en ce festin du mayre de Londres, où j'ay eu la
commodicté de parler longuement à luy, et je l'ay principallement
entretenu de l'honnorable légation qu'aviez dernièrement envoyé fère à
la Royne, sa Mestresse, par Mr le mareschal de Retz, et comme Vostre
Majesté avoit bien voulu tant defférer à la plus estroicte amityé et
confédération qu'avez maintenant avec elle et avec sa couronne, que de
luy mander cestuy tant expécial et confident ambassadeur pour luy
donner compte des plus importantz évènementz de vostre royaulme, non
seulement de ceulx du jour St Barthèlemy, et de ce qui avoit suivy
après, mais encores de ceux qui avoient commancé, dès la première
prinse des armes par voz subjectz, en l'an soixante ung, jusques à la
fin du siège de la Rochelle, qui estoient douze ans d'ung continuel
trouble, et d'ung merveilleux et bien fort dangereulx suspens de tout
l'estat de vostre royaulme; et que j'avoys grand regret qu'il n'eust
esté présent à ce récit, affin de ne demeurer moins bien édiffié des
actions de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz ceulx de vostre
couronne, qu'avoient faict ceulx des aultres du conseil qui l'avoient
ouy; et que je m'assuroys qu'il eût, avec eulx, facillement déposé ces
escrupulles, qu'ilz en avoient auparavant conceu, et sur lesquelz ilz
avoient, depuis quinze moys, tenu tousjours accroché le bon propos de
Monseigneur le Duc, pour, dorsenavant, le laisser parvenir à quelque
bonne conclusion, sellon que je sçavois bien qu'entre toutz les dicts
du conseil il avoit tousjours, plus fermement que nul aultre, opiné
pour cest honnorable party. Il m'a respondu, Sire, que, de très bon
cueur, il eût veu Mr le mareschal, et eût fort volontiers ouy de luy
la justiffication de Vostre Majesté sur les choses de Paris, et n'en
eût resté moins bien persuadé, ny moins satisfaict, qu'avoient faict
ceulx qui estoient présentz; et que, touchant le propos de
Monseigneur, il confessoit de l'avoyr tousjours plus vifvement
conseillé que nul aultre de ce royaulme; et qu'à la vérité les
évènementz de France luy avoient bien faict suspendre, mais non jamays
changer d'advis, ainsy que la Royne mesmes le sçavoit très bien; et
qu'il avoit très grand plésir que ces nuées fussent ung peu haulcées,
néantmoins aulcuns jugeoient que les plus grandes difficultez venoient
maintenant de nostre costé. A quoy luy ayant soubdein réplicqué que je
luy voulois respondre, sur le péril de ma vye, qu'il n'y en avoit
nulle; il a suivy à dire que je ne sçavoys tout, ny ma vye ne pourroit
respondre de tout, et que le temps mèneroit bientost cella à lumyère;
dont, si les empeschementz cessoient, il conseilleroit aussy le
mesmes, qu'il avoit tousjours faict, à sa Mestresse, d'accepter cest
honnorable party du frère de Vostre Majesté: et c'est la substance de
tout ce que j'ay peu tirer de luy.

Puis, au sortir de table, milord trézorier s'est retiré, à part,
avecques moy, pour me demander des nouvelles de France et de ces
divers bruictz qu'on en faysoit courir par deçà, et si le Roy de
Pouloigne, vostre frère, entreprendroit son voyage avant le
primptemps. A quoy luy ayant très bien satisfaict, jouxte la dépesche
de Vostre Majesté, du XVIIIe du passé, je l'ay, de propos en propos,
tiré à parler des choses d'Allemaigne, parce que j'avoys sceu que Me
Estrange estoit arryvé le jour précédant. Et il m'a confessé que la
Royne, sa Mestresse, avoit eu des nouvelles bien fresches de
l'Empereur, lequel se monstroit tousjours fort bien incliné vers elle,
et que une des choses, à quoy il avoit prins le plus de plaisir, de
toutes celles que celluy, qui venoit de dellà, avoit récitées, estoit
que, des mesmes domesticques de ce prince, dont il y en avoit de
catholicques et de protestantz, les ungs et les aultres convenoient
très bien à l'accompaigner à la messe, et ceulx qui estoient de sa
religion demeuroient avecques luy, et les aultres alloient au presche
et à l'exercice de la religion protestante; et néantmoins tous
concouroient fort paysiblement ensemble à son service, qui estoit ung
exemple par lequel ce premier prince des Chrestiens monstroit, en
embrassant les Catholicques, de n'estre poinct persécuteur des
Protestantz, et de tollérer l'exercisse des deux religions en son
estat.

A quoy je luy ay respondu que l'Empereur servoit au temps; et qu'il
avoit cy devant assez monstré de quel esprit il estoit meu en cest
endroict, et que, quand à la France, je le priois de croyre fermement
que ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict, de vostre
dellibération là dessus, se trouvoit très ferme et très véritable,
sellon que je luy en pouvois fère voyr une fort expresse confirmation
par la dernière dépesche de Vostre Majesté. Et soubdain, je luy ay
monstré l'article qui parloit fort dignement et en termes fort propres
de ce poinct, lequel il a eu fort à gré de le voyr; et n'ay, pour ce
regard, passé à rien davantage, comprenant en moy mesmes assez bien à
quoy vouloit tendre tout ce qu'il me disoit, mais, après l'avoyr
remercyé de la dilligence, dont je m'assurois qu'il avoit uzé à former
l'intention de Me Randolphe, premier que de le dépescher en France, et
de ce qu'il l'avoit faict venir conférer avecques moy, je luy ay
particullarizé, Sire, les mesmes propos que je vous ay desjà escript
que le dict Me Randolphe m'avoit tenus; et, nomméement, ceulx de ces
nouvelles difficultez qu'il m'avoit alléguées, oultre celle pour
laquelle il estoit maintenant envoyé; et que, si cella venoit de plus
haut que de luy, je pryois le dict milord de considérer, combien,
entre grandz princes, et sur ung affère si royal et si privilégié
comme estoit cestuy cy, toute ceste façon de deffettes convenoit mal à
la grande sincérité, dont Voz Majestez Très Chrestiennes, et
Monseigneur, avoient uzé en leur honnorable pourchas; et que ce
n'estoit propos que je vous peusse ny celler, ny dissimuler.

A quoy il m'a respondu qu'il ne sçavoit sur quelle occasion Me
Randolphe estoit venu si avant avecques moy, et néantmoins que
c'estoient les mesmes difficultez qui avoient esté desjà assez souvent
déduictes, et qu'il n'y pouvoit avoyr rien de mal qu'il me les eût de
rechef renouvellées, néantmoins qu'il me pouvoit dire en vérité que, à
présent, il ne voyoit, quand à luy, qu'il y eût aulcune aultre
difficulté que celle de la personne de Monseigneur pour le
contantement de sa Mestresse; et qu'il estoit bien ayse de m'ouyr
parler si confidemment, comme je faysois, de luy et de sa belle
disposition, et de ce qu'il sembloit que j'eusse, soubz mein, faict
toucher à la dicte Dame que la Royne, vostre mère, m'en avoit de
nouveau escript aulcunes particullaritez qui l'avoient fort contantée;
et qu'il estoit bien d'advis que je conférasse de ces propos de Me
Randolphe avec le comte de Lestre, comme, Sire, je suis après à le
fère, le plus tost que je pourray. Et cepandant le dict comte m'a
mandé qu'il avoit conjuré le dict Me Randolphe de se déporter bien et
sagement en ceste commission, et de se donner bien garde que, par luy,
le propos ne vînt en pires termes qu'il n'estoit à présent; car, par
cy après, l'on luy feroit plus parfaictement cognoistre, qu'on ne
faisoit maintenant, combien ce mariage estoit nécessayre.

Et ainsy, Sire, comme je n'ay pas cogneu, pour ce coup, rien de
contrayre à ce propos, par ces troys personnages, aussy n'ay je rien
ouy d'eux, où je puisse mettre plus de fondement que devant; mais je
mettray peyne de les approfondir tousjours davantage, affin que,
d'heure en heure, je vous puisse donner plus de lumyère de leur
intention.

Cependant, Sire, l'on me veult faire accroyre que les deux chasteaulx,
de Humes et de Fastcastel, en Escosse, ont esté remis ez meins des
Escossoys; dont, pour en sçavoyr mieulx la vérité, et pour entendre de
l'estat du reste du pays, duquel l'on m'a dict que les choses sont
fort près de retourner à quelque altération, à cause que le comte de
Morthon n'a voulu rendre les sceaulx et estat de chancellier au comte
de Honteley, ains l'a baillé à ung aultre jeune milord son parant,
j'ay dépesché, par mer, ung homme exprès par dellà, et ay escript à
quatre seigneurs du pays, desquelz j'espère que j'auray bientost leur
responce. Et sur ce, etc. Ce VIe jour de novembre 1573.



CCCLe DÉPESCHE

--du XIe jour de novembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Charles de Bouloigne._)

  Conférence particulière de l'ambassadeur avec Leicester sur la
    négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, pour le desir que j'ay eu de parler au comte de Lestre, sur
l'occasion que j'ay desjà escripte à Vostre Majesté, je l'ay envoyé
prier de me donner la commodicté que je le peusse aller entretenir
ugne heure en son logis, et il m'a uzé ceste courtoysie de me venir
trouver fort privéement au mien; où, après que je luy ay eu donné
compte des nouvelles de France, et de la ferme dellibération que
Vostre Majesté a de fère observer l'édict de la paix, et comme toutz
ces faulx bruictz, qui avoient couru, icy, qu'on eût maltraicté ceulx
de la nouvelle religion, depuis la réduction de la Rochelle et de
Sanserre, estoient faulx; et que je le pryois de garder la mémoyre de
ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict de vostre bonne
intention à la paix et au repos de la Chrestienté, et de celle de
Monseigneur à l'observance des loix et ordres de ce royaulme; et qu'il
ne se trouveroit, pour chose qui peût jamays advenir, qu'il y eût
manquement ez parolles et promesses de Vostre Majesté; et luy ayant,
au reste, satisfaict à des particullarités, qu'il m'a demandées, du
voyage du Roy de Pouloigne, vostre frère, je l'ay infinyement remercyé
de trois bons offices que je sçavois qu'il avoit faictz: l'ung,
d'avoyr confirmé, plus que nul aultre de ce royaulme, les
remonstrances de Mr le mareschal de Retz touchant la justiffication de
Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et des vostres, sur les
évènementz de St Barthèlemy, et avoyr osté, aultant qu'il a peu, à
ceulx de ceste court et aulx principaulx de ce royaulme, la malle
impression qu'ilz en avoient; le segond, de ce qu'il avoit instruict
et bien informé Me Randolphe au faict de sa commission en France; et
le troysiesme estoit d'aulcunes siennes, bonnes et favorables,
démonstrations, vers la Royne d'Escosse; et qu'il s'assurât que,
prenant ainsy à cueur, comme il faisoit, les choses qui concernoient,
icy, Vostre Majesté, il fortiffieroit ung party, duquel, avec le bien
et seureté de la Royne, sa Mestresse, et de ceste couronne, il
s'acquerroit ung perpétuel refuge pour luy; oultre que, présentement,
et à l'advenir, Vostre Majesté en auroit une non petite
recognoissance. Et me suis de tant plus efforcé, Sire, de luy
rallumer l'affection que, de longtemps, luy et les siens ont eu à la
France, que je sçavoys qu'il estoit bien fort praticqué et très
instamment sollicité d'ailleurs, et que l'homme, retourné
d'Allemaigne, et ung adjoinct, qu'il a prins en Flandres, estoient
ordinayrement après luy. Et puis je luy ay touché ces difficultez que
Me Randolphe m'avoit déduictes, et comme j'avoys trouvé bon d'en
conférer avecques luy, premier que de les escripre, affin que je ne
les fisse prendre en plus de considération qu'il ne jugeroit que
Vostre Majesté les deût avoyr. Et pense, Sire, n'avoyr rien obmis de
ce qui a peu servir à bien fort encourager le dict comte vers la
conclusion du bon propos, et à n'y admettre plus une seule sorte de
longueur ny de remise.

Et il m'a respondu, Sire, qu'il avoit ung très grand plésir d'entendre
que ces nouvelles, qu'on avoit publiées, d'ung renouvellement de
trouble et d'ung maulvais traictement en France, contre ceulx de la
nouvelle religion, fussent faulces; et remercyoit Dieu qu'il se
cognût, de plus en plus, que la dellibération de Vostre Majesté estoit
très ferme à l'observance de son édict; et que, de sa part, il avoit
receues pour très justes et légitimes les occasions que Mr le
mareschal avoit déduictes de l'accidant de Paris, et pour telles les
avoit imprimées à toutz ceulx qu'il avoit peu; et qu'il me pouvoit
assurer, Sire, qu'il vous avoit regaigné ung grand nombre des plus
notables de ce royaulme, qui estoient fort alliennés de Vostre
Majesté; qu'il voudroit, de bon cueur, que ces aultres nouvelles qu'on
avoit semées de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comme il estoit
sorty de sa dernière maladye aussy jaulne que cuyvre, tout bouffy,
deffiguré, bien fort petit et mince, fussent pareillement faulces; et
qu'il me vouloit bien dire que j'avoys faict ung service fort à
propos, et qui avoit esté fort agréable à sa Mestresse, d'avoyr si
confidemment assuré, comme j'avoys faict, tout le contrayre; et que
j'eusse monstré des lettres de la Royne, vostre mère, à cest effect,
lesquelles se rapportoient à ce que le docteur Dail en avoit aussy
escript, qui en parloit bien en la plus advantageuse façon qui se
pouvoit dire; et que c'estoit quelqu'ung, qui avoit naguères veu Mon
dict Seigneur, qui avoit semé ce meschant bruict. Dont, en l'assurance
de ce que Mr le mareschal avoit dict, sur son honneur, que la personne
de Monseigneur se trouveroit d'une parfaicte et belle disposition,
pour debvoir playre à quelque princesse que fût au monde, il avoit
bien voulu soigneusement advertyr le dict Me Randolphe qu'il n'eût à
rapporter que la vraye vérité de ce qu'il verroit; ce qu'il pensoit
qu'il le feroit sans doubte, bien qu'à dire vray il eût desiré qu'ung
mieulx incliné, que luy, eût faict le voyage; et que, pour le regard
des difficultez qu'il m'avoit alléguées, que je creuse qu'elles
procédoient de sa passion, et non qu'il les eût ouyes de Sa Majesté,
icy, ny d'eulx de son conseil, ny d'aulcun des grandz, ny encores du
commun de ce royaulme; car toutz universellement desiroient le mariage
de leur princesse. Bien failloit que je me recordasse comme l'on avoit
advisé de réserver toujours quelque difficulté, affin qu'on n'eût à
toucher à celles de la personne, au cas que le mariage ne vînt à
effect, mais il me promectoit, devant Dieu, qu'à présent il n'en
sçavoit nulle aultre que celle là seule, et qu'il trouvoit que la
dicte Dame estoit, plus qu'elle ne fut oncques, bien disposée à ce
propos. Et me vouloit advertyr, en secret, que Me Randolphe, au
prendre congé d'elle, luy avoit demandé s'il n'uzeroit pas de quelques
termes froidz, en France, pour elloigner le dict propos, au cas qu'il
trouvât que Mon dict Seigneur le Duc ne fût pour luy complayre; et
qu'elle luy avoit respondu qu'elle l'avoit choysy comme son œil, en
ceste commission, et qu'elle luy enchargoit, sur sa loyaulté, de luy
rapporter le plus fidelle et certein pourtraict de Monseigneur qu'il
luy seroit possible, et qu'il se gardât bien de dire ou fère chose,
par où l'on peût arguer qu'elle voulût réfroidir ou elloigner le dict
propos; et que le dict sieur comte, pour son regard, engagoit à Dieu
et à Vostre Majesté sa foy et son honneur qu'il s'efforceroit, de tout
son pouvoir, de conduyre cest affère au bon effect que desiriez,
sellon qu'il cognoissoit que c'estoit le bien et conservation de sa
Mestresse, et le repos de son royaulme; et que si, d'avanture, il ne
le pouvoit fère, il supplyoit très humblement Vostre Majesté de croyre
qu'il n'auroit tenu à luy, ny à nul office et bon debvoir, qu'il y
auroit peu fère; et qu'en toutes sortes il avoit à rester le plus
parcial françoys qui fût en ce royaulme. Et a confirmé cella, Sire,
par le récit d'aulcuns aultres privés accidentz; desquelz, parce que
je les sçay estre vrays, les ayant cy devant bien advérez, et que la
façon du dict sieur comte a esté toujours de se monstrer froid, quand
il a senty que l'affère alloit froydement, et chault quand il l'a veu
aller bien, je prens opinyon qu'il m'a parlé ceste foys d'ung cueur
fort ouvert, et bien fort déterminé à la conclusion du dict affère.

Dont j'ay employé les meilleurs et les plus exprès termes, que j'ay
peu, pour luy gratiffier bien fort sa bonne volonté; et l'ay assuré
que, sur la confience de ce qu'il me venoit de dire, et de promettre,
et, nonobstant les rescentes difficultez de Me Randolphe, je
persuaderoys, aultant qu'il me seroit possible, Voz Majestez Très
Chrestiennes de continuer vostre poursuyte, sellon l'honnorable façon
qu'aviez commancé. Or, Sire, j'ay apprins d'ailleurs, et de fort bon
lieu, que certeynement l'Empereur a escript, par Me Estrange, à ceste
princesse, pour le mariage d'elle avec le prince Ernest, son segond
filz; et que le duc d'Alve y a adjouxté une sienne lettre à la dicte
Dame, et d'aultres lettres à aulcuns seigneurs de ce conseil, par où
il inciste bien fort qu'on ne se haste de conclurre le party de
Monseigneur, frère de Vostre Majesté, sans avoyr sceu qu'est ce qu'on
veut proposer pour l'aultre; et que, du premier jour, s'il plaist à la
dicte Dame, elle aura des ambassadeurs, de bien bonne qualité, vers
elle, pour cest effect, qui luy feront cognoistre que le dict prince
Ernest, sans comparaison, luy est, en toutes sortes, plus advantageus
et sortable mary, que Mon dict Seigneur vostre frère. Sur ce, etc.

    Ce XIe jour de novembre 1573.



CCCLIe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de novembre 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Maladie du roi.--Voyage du roi de Pologne.--Détails
    sur la mission de Me Randolf.--Nouvelles d'Écosse.--Maladie
    grave du prince d'Écosse, bruit de sa mort.--Crainte que les
    Anglais ne veuillent faire périr, par le poison, Marie Stuart
    et son fils.


    AU ROY.

Sire, au retour du Sr de Vassal, je suis allé trouver la Royne
d'Angleterre, à Grenvich, pour luy compter des nouvelles de Vostre
Majesté, luy dire l'accidant qui vous estoit survenue de la petite
vérolle, bien que l'eussiés eu une aultre foys, et que, pour cella,
vous n'aviez point senty d'accès de fiebvre, et mesmes estiés desjà,
grâces à Dieu, si advancé de guérir que vous espériez de n'avoyr à
discontinuer vostre chemin de Metz, pour tousjours convoyer le Roy de
Pouloigne, vostre frère, jusques à la frontyère.

Et là dessus, Sire, et sur la résolution, que le Roy de Pouloigne a
faicte, de partir en ce grand cueur d'hyver, et sur ce que l'Empereur
et les Estatz et princes de l'Empire vous ont, par décret général, et
encores ung chacun, à part, envoyé offrir aultant de seureté pour son
passage comme vous en avez desiré, et plus encores et avec plus de
faveur que ne le leur avez demandé, je l'ay longuement entretenue.
Puis, suis venu à luy parler du faict de Monseigneur le Duc, vostre
frère, et, après, des aultres poinctz, qui estoient amplement
desduictz, et par ung bon ordre, en vostre lettre du premier de ce
moys, de sorte qu'il ne luy en a esté rien obmis, ny mesmes de la
satisfère de plusieurs aultres particullaritez de Voz trois Majestez
Très Chrestiennes, et du Roy de Pouloigne, et de Monseigneur vostre
frère, et encores des choses de vostre royaulme, sellon qu'elle m'en a
interrogé, et sellon que je luy en ay peu donner compte par le rapport
du dict Sr de Vassal.

Elle m'a respondu, en premier lieu, qu'elle ne prenoit pour petite
grâce de Dieu qu'elle n'eût sceu vostre mal, sinon après qu'il estoit
desjà passé, ny à peu de faveur, de Vostre Majesté, que luy eussiez
ainsy particullièrement faict entendre quel il estoit, et comme il
vous estoit venu, car l'ung luy avoit espargné ung grand ennuy, et
l'aultre luy tesmoignoit une vostre fort singullière bienvueillance,
dont en vouloit à Dieu rendre sa louenge, et ung fort exprès grand
mercys à Vostre Majesté; et qu'elle vous prioit de croyre qu'elle ne
se santiroit jamays moins esmue à plésir pour vostre prospérité, ny à
moins de déplaysir pour vostre mal, que si elle vous estoit germayne
et vrayement naturelle seur; que c'estoit une maladye qui trompoit
souvent le monde, car pensantz d'en estre quictes, pour l'avoyr eue
une foys, ilz ne se donnoient de garde qu'elle les reprenoit encores
deux et troys foys, quand ilz s'eschauffoient trop, ou pour une trop
soubdeinne mutation de froid et de chault, et qu'elle mesmes l'avoit
eue deux foys, et desiroit, de bon cueur, que vous en sortissiés aussy
quicte comme elle avoit faict, car ne luy avoit layssé ung seul
vestige au visage; et que, de ceste espèce de mal, revenoit
ordinayrement ce bien, qu'il apportoit une grande purgation et ung
grand advancement de santé à ceulx qui l'avoient; qu'elle estimoit que
les mèdecins ne vous permettroient, de beaucoup de jours, de sortir de
la chambre, parce que l'air froid vous seroit fort dangereulx; dont, à
son advis, laysseriés au Roy de Pouloigne, vostre frère, de continuer
seul son voyage, sans l'accompaigner plus avant, ou bien luy mesmes,
pour attendre vostre parfaicte guérison, et pour laysser passer ce
grand yver, diffèreroit son partement jusques à l'entrée du
primptemps, bien que, ny le froid ny la longueur du chemin luy
pourroient sembler griefz, allant prendre possession d'ung si grand
royaulme, et qui luy estoit si heureusement advenu; qu'elle se
resjouissoit de l'honneste debvoir, dont l'Empereur et les princes
d'Allemaigne uzoient pour la seureté de son passage, et qu'en cella
ilz simbolisoient toutz avec elle; que, pour le regard du propos de
Monseigneur le Duc, elle voyoit bien qu'elle entroit, de jour en jour,
en plus d'obligation vers Voz Majestez Très Chrestiennes, et vers luy,
pour vostre persévérance vers elle, et qu'elle avoit envoyé Me
Randolphe en France pour satisfère à toutz les poinctz qui avoient
esté arrestez entre elle et Mr le mareschal de Retz; dont falloit
attendre son retour, pour ne rien changer de ce bon ordre, et que, ny
en la commission qu'elle luy avoit donnée par dellà, ny en chose qui
peût ensuyvre après, Vostre Majesté ne trouveroit qu'elle uzât d'ung
seul trêt de longueur ny de simulation. Et s'est eslargie en plusieurs
propos, là dessus, pour protester de sa sincérité en cest endroict, et
de vouloir bien pourvoir que, venant Mon dict Seigneur vostre frère
par deçà, il n'y puisse voyr, ny ouyr, chose qui ne luy soit de
satisfaction.

Puis, s'estant enquise de l'occasion du retour de la Royne, vostre
mère, et du Roy de Pouloigne, à Paris, et du renforcement des
garnisons qu'avez faictes venir en Picardye, desquelles a monstré
qu'on les luy faisoit avoyr suspectes; et m'ayant demandé des choses
de Languedoc et Daulfiné, je luy ay respondu à tout, en la façon que
je le pouvois sçavoir. Et, après cella, luy ayant faict voyr la lettre
que Monseigneur, vostre frère, m'escripvoit, du dict premier de ce
moys, avec quelques honnestes propos de sa dévotieuse affection vers
elle, lesquelz elle a monstré d'avoyr bien fort agréables, je me suis
licencié d'elle.

Et me suis arresté encores, envyron demye heure, vers les seigneurs de
son conseil, pour leur parler des mesmes choses que j'avoys faict à
leur Mestresse; qui m'ont monstré, et espéciallement le grand
trézorier et le comte de Lestre, qu'ilz demeuroient très affectionnés
au bon propos de Monseigneur le Duc.

Au surplus, Sire, entendant que, coup sur coup, estoient arrivés deux
courriers d'Escoce, dont le premier apportoit nouvelles comme le petit
Prince du pays estoit si extrêmement mallade qu'on espéroit peu de sa
vye, et ne se publioit rien de la dépesche du segond, j'ay eu
souspeçon qu'elle estoit faicte sur l'accidant de la mort; dont ay
soubdein envoyé, de plusieurs costés, pour en apprendre la vérité,
mais j'ay esté trois jours entiers sans qu'on m'en ayt rapporté que
des conjectures semblables aulx miennes. Et, le quatriesme, envyron
les dix heures de nuict, d'ung bon et notable lieu de ce royaulme, il
m'a esté envoyé ung personnage de qualité pour me dire que, faulx ou
vray que fût le bruict de la mort du dict Prince, je tînse pour chose
certeyne qu'il se menoit, d'icy, une chaulde et très malheureuse
praticque de le fère mourir, et qu'on s'en deschargoit à moy, comme
ambassadeur de Vostre Majesté, pour y mettre le meilleur remède que je
pourrois. Et, peu de jours auparavant, la Royne d'Escoce avoit trouvé
moyen de m'advertyr, le plus secrettement qu'elle avoit peu, qu'on
insidioit aussy à sa vye, et qu'elle me prioit de luy envoyer tout
incontinent de bon mitridat et aultres préservatifz. Sur quoy, Sire,
j'ay mis peyne de pourvoir, le plus promptement que j'ay peu, au
besoing de la mère; et, quand au danger du filz, j'en ay mandé
l'advertissement à Me Asquin par ung escousoys qui semble estre assez
fidelle. Et depuis, j'ay seu, par advertissement de Lillebourg du VIe
du présent, que le petit Prince se porte mieulx, et que le comte de
Morthon s'efforce de persuader aulx seigneurs du pays qu'ils veuillent
venir passer leur yver au dict Lillebourg, et qu'il dellibère d'aller,
bientost après, vers le Nort, pour y réduyre le pays à son obéyssance;
et que milord de Glames a esté faict chancellier du royaulme, et que
milord de Humes traicte de rentrer dans ses deux chasteaulx, que les
Angloys ont indubitablement rendus; ce qu'il espère d'obtenir,
moyennant vingt quatre mille livres qu'il baillera au dict de Morthon;
et que Melvin a été mis en liberté. Et j'entendz que le dict Morthon
veult fère offrir à l'évesque de Roz de le remettre en toutz ses
biens, pourveu qu'il quicte le party de sa Mestresse, ce que je ne
puis croyre qu'il puisse jamays consentir. Icelluy de Roz a si bien
sollicité, de son costé, et je luy ay tant assisté, de la faveur de
Vostre Majesté, que sa liberté luy a esté enfin accordée, pour se
retirer en France. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour de novembre 1573.



CCCLIIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de novembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Suspension de la négociation du mariage jusqu'au retour de Me
    Randolf.--Affaires d'Écosse.--Délibérations sur le parti qu'il
    y aurait à prendre, en cas de mort du prince
    d'Écosse.--Nécessité d'envoyer de France un ambassadeur dans ce
    pays.--Sollicitations faites auprès de l'ambassadeur par
    l'agent de la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, par les deux dernières responces, que la Royne d'Angleterre et
les seigneurs de ce conseil m'ont faictes, desquelles j'ay faict ample
mencion à Vostre Majesté, le XVIIIe de ce moys, ilz m'ont bien faict
cognoistre que leur résolution estoit de ne passer nullement oultre,
en chose qui fût du propos du mariage, que Me Randolphe ne fût de
retour; dont j'ay toujours esté, depuis, et seray encores, jusques à
ce qu'il viegne, sans leur en toucher rien davantage. Et vous diray,
icy, Sire, que, sur la nouvelle qui courut, il y a quinze jours, que
le Prince d'Escoce estoit mort, ceulx icy prévoyantz que, d'ung tel
accidant, se renouvelleroient de plus grandz troubles que jamays au
dict pays, à cause de la compétence que les Amelthons et les Stuardz
se font, les ungs aulx autres, sur la succession de la couronne, ilz
s'assemblèrent en conseil pour ouvrir à leur mestresse des moyens et
expédientz comme elle se pourroit entremettre bien avant en ce faict,
sellon que, par quelque example, qu'ilz allèguent du passé, ilz
veulent bien inférer que les roys d'Angleterre sont, encores
aujourdhuy, au droict et possession de le pouvoir fère. Et y a danger,
Sire, si le cas advenoit, qu'ilz se voulussent efforcer de fère tomber
cest estat au jeune comte de Lenoz, oncle du dict petit Prince, au
préjudice de la mère, qui est la vraye et naturelle princesse du pays.
En quoy, pour l'importance que ce seroit à l'honneur et réputation de
vostre couronne, qu'ung tel acte se passât, sans l'intervention du nom
et de l'authorité de Vostre Majesté, j'estime, Sire, qu'il sera bon
que faciez, de bonne heure, regarder en vostre conseil comme, en tout
évènement, il auroit à y estre procédé de vostre part. Et tousjours
semble il, Sire, qu'il est expédient qu'envoyez résider ung agent, ou
ung ambassadeur, sur le lieu, sellon que je viens d'estre adverty que
le Sr de Quillegreu s'appreste pour y aller, avec sa femme et toute sa
famille, résider ambassadeur de la Royne d'Angleterre. Et croy
qu'entre les occasions, pour lesquelles l'on haste sa dépesche, ceste
cy, dont je viens de parler, est bien la principalle; mais aussy
estimè je que son partement est aulcunement pressé pour aller pourvoyr
au secours que le prince d'Orenge attend encores du dict pays, et pour
y apporter de l'argent pour lever des gens de guerre, sellon que ung
cappitayne escouçoys, qui se nomme Montgommery, lequel est, depuis
huict jours, repassé icy de Ollande, de la part du dict prince, faict
beaucoup de sollicitation et de dilligences pour luy en ceste court.

L'agent de la Rochelle se trouve maintenant fort empesché de satisfère
à ce qu'il avoit emprunté, icy, pour ceulx de sa ville, et pour les
frays qu'à sa requeste aulcuns angloys disent avoyr faictz pour les
secourir, durant le siège, de sorte qu'il en a esté plusieurs jours en
arrest; et, enfin, ayant remis l'affère en arbitrage, le vidame de
Chartres et le Sr de Languillier ont faict quelque difficulté d'en
vouloir estre arbitres, si je ne le consentoys, creignant que je le
fisse trouver maulvais à Vostre Majesté. Dont le dict agent m'est venu
prier de le trouver bon, comme chose qui estoit conforme à vostre
édict de paciffication, et qu'il ne pensoit estre tenu, envers les
Angloys, pour toutes choses, que à quatorze ou quinze mille escus,
mais que, s'ilz en demeuroient seulz les juges, il sçavoit bien qu'ilz
feroient monter les frays à des sommes fort excessives et
extraordinayres. Je luy ay respondu que je desiroys, de bon cueur, que
ceulx de sa ville n'eussent jamays occasion d'emprunter ainsy de
l'argent des Angloys, et que les Angloys ne leur en voulussent jamays
plus prester, et que j'avoys faict tout ce que javoys peu pour
empescher qu'il ne trouvât ceste somme, ny encores de beaucoup plus
grandes que je sçavoys bien qu'il s'estoit efforcé d'emprunter; mais
que, depuis l'édict de paciffication, Vostre Majesté ne m'avoit rien
commandé de tout cella; dont je n'y adjouxteroys aussy ny mon
consentement ny ma contradiction, si Vostre Majesté ne le me
commandoit de nouveau. Et ainsy, je ne m'en suys pas plus avant
entremis, et il pourvoit maintenant à son affère, comme il peut. Ceulx
cy ont eu opinyon que Vostre Majesté n'avoit faict venir les
compagnies de gens de pied, en Picardye, que pour quelque grand
effect. Ils ont eu, depuis peu de jours, nouvelles d'Irlande comme le
comte d'Essex y a receu une estrette, et que les naturelz du pays
l'ont mis en beaucoup de nécessités. Sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de
novembre 1573.



CCCLIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de novembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Desir d'Élisabeth d'envoyer chercher des vins à
    Bordeaux.--Sollicitations faites auprès d'elle par le prince
    d'Orange.--Victoire remportée sur mer par les Gueux.


    AU ROY.

Sire, ainsy que la Royne d'Angleterre estoit, mardy dernier, devisant
avecques ses dames, en sa chambre privée, la gouvernante des filles
devint soubdein mallade, et, à l'instant, mourut; de quoy s'estant la
dicte Dame donnée peur, elle deslogea, dans une heure après, de
Grenwich, avec bien peu de compagnye, et s'en vint en ceste ville de
Londres, où elle est encores; et semble qu'elle y séjournera jusques à
tant que Me Randolphe reviegne; duquel elle commence de s'esbahyr
comme il tarde tant en son voyage, ou aulmoins que l'ambassadeur, et
luy, ne luy font cepandant quelque dépesche, mais désormays elle a
bien opinyon que ce sera luy, le premier, qui luy apportera des
nouvelles: et jusques allors, Sire, il ne peult estre rien touché au
propos, pour lequel il est passé par dellà. La dicte Dame m'a faict
escripre, par Me Smith, qu'affin que, dorsenavant, elle puisse estre
mieulx servie de vin de sa bouche, et pour sa mayson, qu'elle ne l'a
esté, ces années passées, et aussy, pour soulager ses marchandz, elle
dellibéroit de reprendre l'ordre que le feu Roy, son père, et ses
prédécesseurs avoient accoustumé de tenir, c'est d'envoyer elle
mesmes, de ses propres deniers, fère sa provision de vin à Bourdeaulx;
dont elle me prioit de vouloyr bailler mon passeport à deux
gentilshommes, officiers et serviteurs de sa maison, lesquels, à cest
effect, elle y dépeschoit présentement par terre; et pareillement mes
lettres au gouverneur, et à ceulx qui sont officiers pour Vostre
Majesté à Bourdeaulx, pour les y fère bien recepvoyr, et pour y fère
bien recepvoir aussy les navyres qu'elle y envoyera, qui auront les
merques et enseignes d'Angleterre; affin que, tant à l'arryver,
séjour, cargayson, que retour; ilz y puissent jouyr les anciennes
libertés et privilèges accoustumés. Ce que ne luy ayant refuzé, j'ay,
d'abondant, mandé au dict Me Smith que, par mes premières,
j'advertirois Vostre Majesté d'escripre promptement et favorablement
au dict Bourdeaulx, en recommandation de cest affère pour la dicte
Dame. De quoy, Sire, je vous en supplye très humblement.

Il semble qu'elle et ceulx de son conseil ayent quelque advertissement
que le prince d'Orange commance d'estre abandonné de ses gens, de quoy
ilz sont en bien fort grand peyne. Et ne sçay si le cappitayne
Montgommery, escouçoys, qui est encores icy à solliciter les affères
du dict prince, impètrera maintenant rien de troys poinctz, que
principallement il y est venu réquérir: l'ung est que les Angloys
vueillent cesser de tout traffic avec ceulx qui tiennent le party du
dict duc d'Alve, et que le dict prince puisse déclarer de bonne prinse
les navires, desquelz les chartes parties monstreront qu'ilz alloient
ailleurs que là où l'on luy obéyt, sinon qu'ilz eussent congé et
saufconduict de luy; l'aultre, que la dicte Dame et ceulx de son
conseil vueillent fère haster les deniers, qu'ilz luy ont promis de
fournir, pour fère une nouvelle levée de troys mille hommes de pied,
et mille de cheval, en Escoce, affin qu'il les puisse avoyr toutz
prestz du premier jour; et le troysiesme, qu'elle et iceulx de son
conseil vueillent escripre au comte de Morthon de mettre en mer ung
nombre de navyres, équippés en guerre, pour favorizer les affères du
dict prince. Dont j'entendz que, pour ce dernyer, icelluy prince a
desjà faict passer vingt mille florins en Escoce, mais, parce qu'on va
temporisant, à ceste heure, icy, la dépesche de Me Quillegreu pour le
dict pays d'Escoce, cella me faict accroyre que ceulx cy ne veulent se
haster de rien qu'ilz ne voyent comme les choses succèderont en
Flandres; joinct qu'il semble bien que, peu à peu, ilz sont venus à ne
se trouver moins empeschés des Pureteins en ce royaulme, que en France
des Huguenotz, et en Flandres des Gueulx; dont, vendredy dernier,
s'est tenue une assemblée, en ceste ville, pour adviser des moyens
expédientz comme les pouvoir contenir et réprimer. Et sur ce, etc.

    Ce XXXe jour de novembre 1573.


   Depuis ce dessus escript, est arrivé ung homme, qui dict venir
   de Fleximgues, lequel rapporte qu'il y avoit nouvelles comme
   les vaysseaulx du prince d'Orange avoient combatu la flotte,
   que le duc d'Alve envoyoit pour avitailler Middelbourg, et
   qu'ilz avoient eu du meilleur, et avoient prins vingt des
   meilleurs navyres de la dicte flote; ce que, si ainsy est, ne
   fault doubter que le dict prince n'impètre plus facillement
   les choses qu'il poursuivoit, icy, qu'il n'eût faict
   auparavant.



CCCLIVe DÉPESCHE

--du Ve jour de décembre 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par Nicolas de Malehape._)

  Audience.--Convalescence du roi.--Détails sur les adieux du roi
    et du roi de Pologne.--État de la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, j'ay, avec très grand plaisir, donné assurance à la Royne
d'Angleterre, par vostre lettre du XIe du passé, que Vostre Majesté se
portoit mieulx, et que desjà, grâces à Dieu, vous estiez quasy hors de
vostre maladye, de quoy elle a faict une non petite démonstration
d'estre infinyement bien ayse de ceste bonne nouvelle. Et soubdein,
sans me laysser continuer davantage mon propos, m'a pryé de vous
escripre que le bruict de vostre mal avoit couru plus grand jusques
icy, et en nom, et qualité de plus dangereulx pour vostre personne,
que je ne le luy avois premièrement dict, et qu'elle y avoit participé
avec très grande douleur comme à ung accidant qu'elle estimeroit des
plus malheureux qui luy peût advenir au monde; et que Dieu, qui voyoit
son cueur, sçavoit qu'elle avoit pryé pour vostre convalescence, et
que véritablement elle avoit pryé, et ne cesseroit de prier, avec le
plus de dévotion qu'elle pourroit, pour icelle, jusques à ce qu'elle
en eût plus de confirmation: car, à cause que Me Randolphe avoit
escript qu'il vous avoit veu encores bien fort foyble, elle ne pouvoit
que n'en fût beaucoup en peyne.

De quoy je luy ay, de vostre part, Sire, gratiffié très grandement, et
en la plus expresse façon que j'ay peu, ceste sienne bonne volonté.
Et ay suivy à luy dire que je ne pouvois que bien espérer, et fère
bien espérer à elle de vostre santé, parce que voz lettres m'en
donnoient toute asseurance, bien que, à vray dire, elles me fesoient
quelque mencion comme vous estiés encores ung peu foible, mais que
c'estoit sans fiebvre, ny altération quelquonque; et néantmoins que,
pour ne vous commettre si tost au vent et au froid, vous aviés esté
contreinct vous despartir, plus tost que n'esperiés, du Roy de
Pouloigne, vostre frère, et de laysser à la Royne, vostre mère, et à
Monseigneur le Duc, vostre frère, et à la Royne de Navarre,
d'accomplyr pour vous la dellibération qu'aviés faicte de l'aller
convoyer jusques à la frontyère. Et me suis ung peu eslargy à luy
racompter le congé qu'il a prins, et le poinct de l'adieu qu'avés dict
à l'ung et à l'aultre, sellon la vifve expression que Mr Pinart m'en a
faicte; qui, du profond regret et des larmes abondantes de Vostre
Majesté, et de celles qu'il a veu jetter à ceulx qui estoient
présentz, il a facillement provoqué non seulement les miennes, mais
assez esmeu ceste princesse, en les oyant réciter.

Laquelle a dict que cella monstroit combien toutz deux aviez le
naturel bon et humein, et combien vostre norriture se manifestoit
d'avoyr esté tousjours très louable et vertueuse; et qu'en son advis
il ne s'estoit veu, de longtemps, en la Chrestienté, ung dire adieu
plus royal et plus dolent, tout ensemble, ny qui plus eût layssé de
regret à ceulx qui se despartoient; et néantmoins l'occasion estoit
très honnorable et desirable au Roy de Pouloigne de s'en aller, et non
moins honnorable à Vostre Majesté et à la Royne, sa mère, de le luy
permettre; dont elle prioit Dieu qu'il peût rencontrer tant de bonnes
fortunes par dellà, et Voz Majestez en ouyr bientost de si bonnes
nouvelles, que toutz les regretz qu'il emportoit, et ceulx qu'il
layssoit, en peussent estre oubliés. Puis, a suivy à dire que Me
Randolphe, par ses lettres, s'efforçoit bien fort de s'excuser de ce
qu'il n'estoit arryvé assez à temps, à Vitry, pour vous y trouver
toutz quatre ensemble; néantmoins que Vostre Majesté l'avoit fort
favorablement receu, et luy avoit mis à option d'aller suivre la Royne
et Monseigneur le Duc à Metz, ou bien d'attandre leur retour, et
qu'elle ne sçavoit lequel des deux il auroit faict; et qu'il n'avoit
encores escript ung seul mot touchant le faict de sa principalle
charge, où il y eût rien de substance, seulement qu'il creignoit de
perdre la meilleure adresse qu'il eût en vostre court, si Mr le
mareschal de Retz faisoit le voyage de Pouloigne, comme il
s'apprestoit d'y aller. Et m'a la dicte Dame fort volontiers
entretenu, plus d'une heure, en divers aultres propos de Vostre
Majesté et de la Royne, vostre mère, et de voz deux frères, et de se
vouloyr, de plus en plus, confirmer en vostre amityé; et que, quoy
qu'il adviegne du propos, dont vous la recherchiez, que vous la
trouveriez, et toutz les vostres, très persévérante en l'amityé
qu'elle vous avoit promise, et qu'elle la continueroit vers le Roy,
vostre frère, plus parfaictement que ne l'avoit oncques eue, ny ses
prédécesseurs aussy, avec nul aultre roy de Pouloigne.

De quoy l'ayant bien fort remercyée, j'ay faict venir à propos de luy
monstrer aulcuns poinctz des lettres, que toutz quatre m'aviez
escriptes pour luy tesmoigner de mesmes vostre persévérance vers elle,
et comme vous entendiés de procéder tousjours très sincèrement à
vouloir qu'elle vît fort clèrement de vostre costé, et qu'elle fût
entièrement satisfaicte de tout ce qu'elle desiroit de dellà; et que,
s'il y restoit quelque chose à accomplyr, oultre le poinct qui estoit
commis au dict Me Randolphe, que Vostre Majesté me commandoit de
l'entendre d'elle et de ceulx de son conseil, affin qu'y peussiez
pourvoyr avant son retour, comme aussy vous la pryez bien fort que,
vous estant condescendu à toutz les poinctz qu'elle avoit desiré pour
son advantage, elle ne voulût laysser plus aller vostre honneste
pourchas en longueur, ny remises.

Ce que, avec une fort agréable démonstration, elle m'a expressément
promis qu'elle ne le feroit; et semble, Sire, que la disposition de
ceste princesse ne sçauroit, à présent, estre meilleure qu'elle est
vers la France. Il est vray qu'elle ne laysse d'estre instamment
sollicitée, de l'autre costé, et luy a l'on faict tant de diverses
remonstrances, sur l'arryvée du grand commandeur de Castille en
Flandres, et sur la révocation que l'on estime qui s'ensuyvra bientost
du duc d'Alve, et sur ce qu'il se continue que le Roy d'Espagne, avant
peu de moys, pourra luy mesmes passer aulx Pays Bas, qu'elle a faict
dépescher en Envers, le XXVIIe du passé, ung personnage d'assez bonne
qualité, qui est mestre des marchandz de Londres, pour aller voyr
comme les choses s'y passent. Sur ce, etc.

    Ce Ve jour de décembre 1573.



CCCLVe DÉPESCHE

--du XIIe jour de décembre 1573.--

(_Envoyée jusques à Calais par Odoard Paquentin._)

  Satisfaction montrée par Élisabeth de la convalescence du
    roi.--Nouvelles d'Écosse.--Exécutions faites en Suède et en
    Danemark des écossais auxiliaires.--Convocation d'une assemblée
    à Londres pour prendre une résolution à l'égard des
    puritains.--Nouvelles des progrès faits en Languedoc par les
    protestans qui ont repris les armes.


    AU ROY.

Sire, j'ay mis la Royne d'Angleterre hors du doubte, où elle monstroit
d'estre, de vostre convalescence, l'ayant assurée, par vostre lettre
du XXIIIIe du passé, que vous estiés desjà remis en chemin, et venu à
Chalon, pour vous rapprocher en çà, avec pleyne guérison, et avec une
aultant bonne disposition, grâces à Dieu, de vostre santé que vous
l'eussiez eue de longtemps; de quoy elle a monstré de se resjouyr bien
fort, et de bon cueur, et en a loué et remercyé Dieu, comme dellivrée
d'un pesant soulcy, où la peur de vostre mal l'avoit cy devant
détenue. Elle a eu playsir de sçavoyr que son ambassadeur et Me
Randolphe fussent arrivés à Nancy, et qu'ilz y eussent encores trouvé
la Royne, vostre mère, de séjour, pour les ouyr, et pour se pouvoir,
eulx, satisfère de ce qu'ilz desiroient voyr de sa compagnye. Dont la
dicte Dame se promect maintenant qu'icelluy Me Randolphe sera
bientost, icy, de retour.

Le voyage de Me Quillegreu en Escoce est encores différé, et quasy ne
s'en parle plus, parce que le Prince d'Escosse se porte bien; et le
comte de Honteley ne monstre de prendre trop à cueur que milord Glames
soit faict chancellier, ny n'apparoit qu'il y doibve pour cella avoyr
d'altération au pays, s'y monstrant les choses assés tranquilles pour
le présent. Il est vray qu'il est arrivé une malle fortune aulx
Escouçoys, car aulcuns d'eulx qui alloient au service du roy de
Dannemarc, ayantz, par temps contrayre, esté gettés en Suède, le roi
de Suède les a faictz exécuter; et le roy de Dannemarc a faict le
semblable de quelques aultres qui sont abordés en son pays, qui
alloient servir le roi de Suède.

L'on n'a peu encores prendre assez bon expédient sur le faict des
Pureteins, et de ceulx qui troublent l'ordre de la religion receue en
ce royaulme, seulement l'on en a mis quelques ungs des plus
opinyastres en prison; mais, au quinziesme de ce moys, se doibt fère,
de rechef, une grande assemblée, en ceste ville, pour y mettre une
résolution. L'on a nouvelles, en ceste ville, du costé de la Rochelle,
comme la paix y continue fort bien, mais que, en Languedoc, ceulx de
la nouvelle religion sont si fortz qu'ilz ont assiégé Avignon. Le
comte de Montgommery, depuis trois jours, s'est approché à quatre
lieues d'icy, en ung lieu, où ses filles et petitz enfantz sont
nourris avec la vefve du feu conseiller Fumer. Je ne sçay s'il
s'approchera davantage. Je ne cesse d'assurer ceulx de voz subjectz de
la dicte nouvelle religyon, qui sont encores par deçà, que vostre
dellibération est d'establir fermement la paix en vostre royaulme, et
d'y remettre les choses en ung estat tranquille et heureulx, pour le
repos d'ung chacun, ainsy qu'elles l'ont esté du temps de voz
prédécesseurs; de quoy ilz monstrent d'en estre bien fort ayses et
d'en avoyr grande espérance. Et sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de décembre 1573.



CCCLVIe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de décembre 1573.--

(_Envoyée jusques à la court par Urbein Fougerel._)

  Audience.--Détails sur le voyage du roi de Pologne.--Mission de
    Me Randolf en France.--Négociation du mariage.--Soumission du
    comte de Montgommery.


    AU ROY.

Sire, partant le postillon de Callays, d'icy, avec ma dépesche, du
XIIe du présent, le courrier, qui m'a apporté celle de Vostre Majesté,
du Ve, est arrivé; et, le deuxiesme jour après, je suis allé assurer,
de rechef, la Royne d'Angleterre de vostre parfaicte et bien confirmée
santé, et que vous la vouliés remercyer bien fort affectueusement du
grand sentiment qu'elle avoit monstré avoyr de vostre mal. Et luy ay
compté en quoy le Roy de Pouloigne estoit de son partement et voyage,
et comme vous attandiez, de brief, le retour de la Royne, vostre mère,
et de Monseigneur, vostre frère, vers vous; et que son ambassadeur et
Me Randolphe avoient layssé une grande satisfaction de beaucoup de
choses, de la part d'elle, à Voz Majestez, comme vous pensiés aussy
qu'il n'en rapportoit pas de moindres à elle de la vostre; et que le
séjour de Nancy avoit esté prolongé, de deux jours entiers, pour
l'amour d'eux, et pour leur donner moyen qu'ilz veissent et ouyssent
ce qu'ilz desiroient de la compagnye; et qu'à présent, ayant bien
accomply leur commission, ilz estoient de retour à Paris, d'où
bientost le dict Me Randolphe arriveroit vers elle, avec de si
certeynes et vrayes enseignes de ce, pourquoy il estoit allé par
dellà, qu'elle ne pourroit jamays plus doubter qu'il y deffaillît une
seule de toutes les meilleures parties et perfections, qui se
pouvoient souhayter en ung très accomply et bien fort desirable
subject. Et ay estendu ces poinctz, ainsy restreinctz, en d'aultres
propos beaucoup plus amples, sellon que j'en ay trouvé l'instruction
très bonne et prudente ez lettres de Voz Majestez, et en celle, que Mr
le mareschal de Retz m'a escripte, du XXVe du passé.

A quoy la dicte Dame m'a respondu que nulle aultre nouvelle luy estoit
plus agréable, aujourdhuy, au monde, que celle de vostre bon
portement; et que, pour celuy là, n'espargneroit elle non plus ses
meilleures et plus dévotes prières à Dieu qu'elle faysoit pour elle
mesmes, comme chose, d'où elle vous supplioyt de croyre qu'il n'en
venoit pas plus de soulagement à vous qu'elle en sentoit de repos en
elle, et qu'elle vous supplioyt, Sire, d'avoyr vostre santé en
singullière recommandation; que, pour le regard du Roy de Pouloigne,
elle avoit grand plaisir qu'il trouvât maintenant, en Allemaigne, la
faveur que l'Empereur et les Estats de l'Empire vous y avoient
promise, pour la seureté de son passage; et que, sellon que toutes
aultres choses luy avoient bien succédé jusques icy, elle jugeoit que
son voyage seroit heureux, et que heureusement il seroit receu et
estably en son royaulme; quand à Me Randolphe, qu'en une chose
doncques se pourroit elle louer de luy, s'il avoit donné du
contantement à Voz Très Chrestiennes Majestez, car c'estoit ce qu'elle
luy avoit fort expressément commandé de fère, mais qu'en effect il ne
s'estoit pas mis en beaucoup de debvoir de la contanter à elle, ayant
tant faict le long, en chemin, qu'il n'avoit sceu arryver à Vitry,
avant que la Royne, vostre mère, se départît de Vostre Majesté, et
puis avoit failleu qu'il l'allât suyvre à Nancy, affin de publier
davantage ce qui debvoit estre tenu secret, ny n'avoit, en deux moys
qu'il avoit esté par dellà, jamays escript ung seul mot à elle, bien
qu'il eût assez escript, à d'aultres de son conseil, tout ce qu'il luy
avoit pleu; que, puisqu'il estoit si près d'arryver, qu'elle verroit
ce qu'il apporteroit, et puis, elle et moy, en pourrions communicquer
ensemble, et ne doubtoit nullement, veu les passées démonstrations,
dont aviés tousjours uzé vers elle, qu'il ne luy apportât beaucoup de
bonnes satisfactions de la part de Voz Majestez; que, pour le regard
de Monseigneur le Duc, elle me vouloit bien renouveller ce que,
d'aultrefoys, elle m'avoit dict, qu'elle n'estoit si curieuse de
rechercher quelles perfections estoient en luy, bien qu'elle en fît
quelque dilligence, comme elle creignoit qu'il trouvât trop d'ans, et
trop d'aultres imperfections en elle; et qu'elle mettoit en grand
compte qu'il couroit une très bonne réputation de sa vertu, et qu'il
estoit de sang royal et d'une des plus illustres extractions de tout
l'universel monde, car, avec ung, de telle qualité, avoit elle proposé
de se maryer, si elle le debvoit jamays estre; et que le plus galant
gentilhomme et le plus accomply, qui vive aujourdhuy entre les
mortels, quand bien elle le pourroit avoyr, ne luy seroit jamays rien,
s'il n'estoit de sang et mayson royalle. Et s'est mise à discourir,
fort privéement et longuement, de toutz ces propos avecques moy,
monstrant qu'après le retour du dict Randolphe, et, sellon les choses
qu'elle entendroit de luy, elle se résouldroit de ce qu'elle debvroit
fère en cest endroict.

Néantmoins, Sire, pour obvier à toute longueur, et de tant qu'il
fault tousjours que tout le pourchas viegne du costé des hommes, il
vous plerra me commander si je incisteray maintenant à requérir le
saufconduict de Monseigneur le Duc, et que la dicte Dame vous vueille
fère une ouverte déclaration de son intention vers luy; ou bien au cas
qu'y voyez plus intervenir aucune difficulté, ou bien quelque nouvelle
remise, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, prendrés cella
pour ung advertissement de ne debvoir plus donner, à elle, l'ennuy, ny
à vous, la honte de jamays plus en parler. J'ay desjà communicqué avec
milord trézorier de la bonne expédition qu'avez donnée à Me Randolphe,
et ay disposé luy, et les aultres, que je cognoys bien affectionnés à
ce propos, à l'observer et le fère si bien observer, à son arrivée,
que j'espère qu'il n'ozera parler sinon ainsy qu'il doibt, et sellon
la vérité des choses qu'il a vues et ouyes, et de celles qu'il
rapporte de dellà.

Le comte de Montgommery s'estant enfin approché en ceste ville, et,
premier qu'il soit allé saluer ceste princesse, ny voyr pas ung des
siens, il m'est venu trouver en mon logis; et, après s'estre fort
curieusement enquis qu'est ce qu'il pouvoit espérer de vostre bonne
grâce, et qu'il protestoit bien à Dieu de n'avoyr jamays eu aultre
affection ny volonté que d'ung très loyal et fidelle subject vers le
service de Vostre Majesté, il m'a allégué, pour la plus urgente
occasion qui l'eût meu de prendre les armes en ces derniers troubles,
et de n'avoyr voulu entendre à pas ung party qui luy eût esté offert
pour son particullier, qu'il jugeoit bien ne luy pouvoir estre à
honneur, ains qu'il luy fût tourné à estime du plus meschant homme,
lasche et fally de cueur, qui fût au monde, s'il eût abandonné ceulx
du party de sa religion, lorsqu'ilz se trouvoient les plus affligés et
persécutés, et qu'ilz estoient poursuyvis et assiégés avec plus
d'effort et de danger, et avec moins de secours qu'ilz eussent oncques
eu; et que ce qu'il en avoit faict avoit esté seulement pour garantir
soy et eulx, aultant qu'il pouvoit, jusques à ce qu'il eût pleu à
Vostre Majesté prendre ung plus modéré expédient vers eulx; ce
qu'estant depuis advenu, il me déclaroit qu'il vous vouloit
entièrement rendre le debvoir d'obéyssance d'ung vray et naturel
subject, et offrir sa vye et celle de ses enfantz, lesquelz, à cest
effect, il m'avoit admenés, pour vostre service; et de desirer jouyr
le bien et le béneffice de la paix, en vostre royaulme, soubz la
protection et bonne grâce de Vostre Majesté. Je luy ay dict que
j'avoys grand plaisir de le voyr en ceste bonne volonté, et que, si
les choses estoient ainsy comme il disoit, qu'il n'eût attempté rien
de plus extraordinayre contre la personne et l'estat de Vostre Majesté
qu'avoient faict les aultres de sa religion, que je ne doubtois
nullement qu'il ne peût jouyr, aussy bien qu'eulx, de la grâce et
clémence de Vostre Majesté et du béneffice de vostre édict. Il m'a
réplicqué qu'il vous supplyeroit doncques très humblement de luy en
vouloir octroyer une déclaration particullière, sellon qu'il faysoit
plus de besoing à luy qu'à ung aultre de l'avoyr; et m'en a baillé sa
requête, laquelle je luy ay prié de la signer et de n'y mettre rien
qui ne fût sellon l'édict; et luy ay promis de la vous fère tenir, et
de luy en fère avoyr bientost la responce, comme je vous supplie très
humblement, Sire, me la mander, et m'envoyer, par le premier, la
provision et déclaration[24] qu'il vous plerra luy octroyer. Et sur
ce, etc.

    Ce XVIIe jour de décembre 1573.

  [24] Cette déclaration, en date du 20 janvier 1574, est jointe
  aux _Mémoires de Castelnau_, t. III, p. 377.



CCCLVIIe DÉPESCHE

--du XXIVe jour de décembre 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Retour de Me Randolf à Londres.--Résolution du comte de
    Montgommery de se retirer à Gersey.--Inquiétudes causées en
    Angleterre par les puritains.--Affaires d'Irlande.--Nouvelle
    irritation d'Élisabeth contre Marie Stuart.--Autorisation
    donnée à l'évêque de Ross de passer en France.


    AU ROY.

Sire, après avoyr faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre que Me
Randolphe estoit licencié de Vostre Majesté, et s'estoit achemyné de
Chalons, le Ve de ce moys, pour la venir retrouver, il s'est passé dix
ou douze jours qu'elle n'a entendu aulcunes nouvelles de luy, de quoy
elle n'a pas esté contante de son peu de dilligence. Et enfin il est
arryvé, le jour de St Thomas, sur l'entrée de la nuict; et n'a poinct
bougé, ce soyr, de son logis; mais, le bon matin, il est allé en
court, où il a esté fort curieusement examiné sur le pourtraict; et
puis m'est venu trouver pour me prier de remercyer très humblement
Vostre Majesté du favorable traictement, qu'il vous avoit pleu luy
fère recevoyr en France, trop meilleur qu'il ne l'avoit mérité, et
plus grand qu'il ne l'eust sceu desirer, et que, ayant, pour cella,
beaucoup d'obligation à vostre service, il satisferoit à son debvoir
de rapporter fidellement à la Royne, sa Mestresse, et en ceste court,
les choses qui résultoient de sa légation; car c'estoit ce en quoy il
se pouvoit, à présent, monstrer vostre serviteur; et que desjà il y
avoit donné tel commancement qu'il espéroit que son voyage ne
réuscyroit, de toutes partz, inutille; et que, de tant qu'il n'avoit
encores veu milord trézorier, à cause de son indisposition, il me
prioit de l'excuser, s'il n'entroit plus avant en discours avecques
moy, jusques à ce qu'il eût parlé à luy. Et ainsy m'a promis qu'il
reviendroit une aultre foys.

Cependant j'ay pourveu, Sire, par toutz les meilleurs moyens qu'il m'a
esté possible, qu'il ne puisse, quand bien il le voudroit fère, rien
changer ny déguyser de la vérité des choses; et ceulx qui le
cognoissent m'assurent fort qu'il ne le fera pas, et qu'il dira
franchement ce qu'il a veu, bien qu'il se soit assez faict remarquer
pour ung de ceulx qui, depuis la St Barthèlemy, se sont plus
formalizés et opposés à ce bon propos. Et suis bien marry que milord
trézorier se trouve ainsy mallade maintenant, et si abbattu de la
goutte et d'aultres indispositions, encores pires, dans son lict,
qu'il ne peut donner ny le conseil, ny la conduicte à ce négoce, qu'il
monstre bien qu'il voudroit fère. Je verray, le plus tost que je
pourray, la dicte Dame pour, incontinent après, vous mander comme je
l'auray trouvée satisfaicte de ce voyage de Randolphe.

Le comte de Montgommery, avant partyr d'icy, m'est venu dire qu'elle
l'avoit mis en propos de Monseigneur le Duc, et luy avoit semblé
qu'elle avoit meilleure inclination vers luy qu'il ne cuydoit, dont
luy avoit offert de rechercher, le pluz avant qu'il luy seroit
possible, le fondz de l'intention qu'il pouvoit avoir vers elle, pour
la luy fère sçavoyr, ce qu'elle avoit monstré d'avoyr fort à plaisir;
et luy avoit dict qu'il estoit bien besoing que quelqu'ung le
ramenteût, car bien peu, de ceulx d'auprès d'elle, parloient
maintenant, icy, pour luy. Le dict de Montgommery, après avoir parlé
deux foys à elle, et avoyr esté quatre jours en ceste court, il s'en
est allé à Sion, une mayson de la dicte Dame, à huict mille d'icy, où
il s'est retiré avec toute sa famille, et n'en bougera jusques à ce
que je luy auray faict sçavoyr la responce de Vostre Majesté, après
laquelle il dict avoyr obtenu de pouvoir aller habiter ez isles de
Gersay et Grènesay; lesquelles ne sont qu'à sept ou huict lieues de sa
mayson, d'où il pourra tirer ses commoditez, mais que ce a esté à très
grand difficulté, que la dicte Dame et ceulx de son conseil le luy ont
voulu concéder, tant ilz sont meffiantz depuis la paix; et n'a esté
sans qu'il ayt desjà baillé son segond filz au comte de Lestre, pour
estre nourry en l'escuyerye de la dicte Dame. Encores pensent aulcuns
que ce a esté le cappitayne Leyton, gouverneur de Grènesay, qui luy a
beaucoup aydé d'obtenir cette permission, parce qu'il prétend espouser
une des filles du dict comte, qui est veufve, mais il semble qu'elle
n'ayt aulcune volonté d'y entendre.

Le faict des Pureteins est venu à tel poinct qu'on ne trouve voye ny
moyen de les pouvoir bien accorder, et les évesques et curés crient
que leurs églises vont, de plus en plus, en trouble, et en ung très
grand désordre à cause d'eux, et ont defféré plus de mille cinq centz
personnes de qualité, qui sont de ceste secte; mais, à cause de la
maladye de milord trézorier et de Me Smith, l'on n'y touche rien.
Chacun s'attand qu'à ce prochein parlement, de febvrier, il y sera mis
bon ordre, avec punition exemplayre de quelqu'ung.

Mr Walsingam a esté faict segond secrettayre d'estat et receu au
conseil. L'on m'a dict qu'il est venu, de rechef, de fort maulvayses
nouvelles à ceulx cy des choses d'Irlande, dont je ne sçay encores
aultrement les particullaritez, sinon que le conseil a bien esté, ces
troys jours passez, assemblé là dessus, et qu'on dict que, de nouveau,
il sera bientost envoyé hommes, armes, argent et monitions, par
dellà, pour renforcer l'entreprinse.

Quelques ungs ont faict, en ceste court, de bien fort maulvais, et je
croy que bien fort faulx, rapportz de la Royne d'Escoce, de façon
qu'il y a danger que la Royne d'Angleterre, laquelle est tousjours en
peur et en jalouzie de son estat, et plus de la Royne d'Escoce que de
nulle aultre personne qui vive, se laysse aller à quelques maulvayses
dellibérations contre elle, à ce prochein parlement; car, à ces fins,
cognoys je bien que ses ennemys se sont meintenant resveillés contre
ceste pouvre princesse; et ont si bien ulcéré le cueur de la dicte
Royne d'Angleterre qu'elle n'a pas été plus picquée, ny offancée, des
aultres choses les plus grandes, qui ont cy devant passé entre elles
deux, qu'elle monstre de l'estre maintenant, encor que ce ne soit que
pour parolles. Je mettray peyne de l'en advertyr en la meilleure façon
que je le pourray fère, affin qu'elle, de son costé, et moy, d'icy,
puissions divertyr, le mieulx que nous pourrons, le mal qui luy en
pourroit advenir. L'évesque de Roz a obtenu pleynement son congé et
passera du premier jour en France. Et sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour de décembre 1573.



CCCLVIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de l'an 1573.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Audience.--Satisfaction montrée par Élisabeth de l'accueil fait à
    Me Randolf en France.--Instance de l'ambassadeur pour obtenir
    la réponse de la reine sur la négociation du mariage.--Nouvelle
    d'une entreprise tentée contre la Rochelle.--Autorisation
    donnée à l'évêque de Ross de passer en France.


    AU ROY.

Sire, bien peu d'heures, après que Me Randolphe a eu faict son rapport
et présenté le pourtraict à la Royne d'Angleterre, j'ay esté adverty
qu'il avoit parlé à elle dignement, et en homme entier, des choses
qu'il avoit veues et ouyes en France, sans en rien dissimuler, et
l'avoit rendue beaucoup plus satisfaicte des principaulx poinctz de sa
légation, et mesmement du plus principal, qu'elle ne l'espéroit; dont
suis allé la trouver, avec l'argument de la lettre de Vostre Majesté
que le dict Me Randolphe m'avoit apportée. Et, après aulcunes
particullarités de la satisfaction, qu'il vous avoit donnée, de
beaucoup de bons et honnestes propos que, par deux foys, à l'aller et
au retour, il vous avoit tenus, de l'amityé que la dicte Dame vous
portoit, et comme il vous avoit aussy trouvé d'une semblable et si
entière affection vers elle que vous dellibériez manifester à toute la
Chrestienté de n'avoyr moins à cueur son bien, son repos et sa
grandeur, que la vostre propre, je suis venu à luy dire que je
creignois bien fort que, pour le désordre où Me Randolphe avoit trouvé
les choses, quand il estoit arrivé par dellà, à cause de
l'indisposition de Vostre Majesté, et du partement du Roy de
Pouloigne, vostre frère, et de ce voyage de Nancy, il n'eût veu rien
d'assez bien préparé en vostre court, ny en la personne de Monseigneur
le Duc, pour en pouvoir fère, icy, le rapport que Vostre Majesté
desireroit; et mesmes que le pourtraict, lequel eût, possible, en
quelque chose favorisé Mon dict Seigneur, s'il eût esté achevé à
loysir, avec les colleurs et lustres qu'on y eût peu mettre, ne
s'estoit trouvé à peyne commancé, dont estant apporté si frays faict,
il estoit malaysé qu'il fût arryvé, icy, sans estre aulcunement gasté
et mal condicionné; mais que sçavoys bien aussy que le desir de Vostre
Majesté et de la Royne, vostre mère, estoit qu'elle vît clèrement, et
quasy à nud, en l'offre que luy aviez faicte de vostre frère, affin
qu'elle s'assurât mieulx de ce qui en estoit, et ne trouvât rien que
redire en vostre sincérité; dont la suppliois de prendre le tout de
bonne part, et croyre que aulmoins n'y avoit il rien de feinct, ny de
déguysé, de vostre costé.

La dicte Dame, d'ung visage fort contant et joyeulx, m'a dict que, si
jamays elle avoit eu besoing de l'office d'ung gentilhomme, qu'elle
recouroit maintenant à moy, pour luy ayder à remercyer infinyement
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, des
grandes et bien fort remarcables satisfactions qu'il vous avoit pleu
luy mander par Me Randolphe; lesquelles elle recognoissoit qui
partoient de la mesmes source d'honneur, dont aviés tousjours uzé vers
elle, depuis qu'aviés commancé de pourchasser son allience, et que
c'estoient des neudz bien serrés, par où vous l'attachiez, de plus en
plus, à vostre obligation, et luy faysiez prendre tant de seureté de
vostre amityé, qu'elle ne feroit nulle difficulté d'y assoyr
dorsenavant sa meilleure confience; et qu'elle ne mettoit en petit
compte ce qu'il vous avoit pleu renvoyer si honnoré et bien traicté,
et si abondamment gratiffyé, comme vous aviez faict, le gentilhomme
qu'elle vous avoit envoyé; lequel auroit à se louer, toute sa vye, de
Vostre Majesté; et elle à vous en debvoir une grande obligation, car
n'y avoit chose qui peût estre plus à son gré au monde, que de voyr
fère quelque sorte de faveur aulx siens, pour l'amour d'elle; et
qu'aulmoins me pouvoit elle assurer qu'en une chose s'estoit il
efforcé bien fort de s'en monstrer recognoissant, c'est que, dès son
arrivée, il avoit commancé et ne cessoit, ny pouvoit mettre fin de
dire plusieurs choses à la grande louange et grande réputation de Voz
Majestez Très Chrestiennes, et de Monseigneur, et qu'il n'estoit
possible qu'on peût parler plus honnorablement de quelques aultres
princes qui fussent au monde, qu'il faysoit de tous troys; et que, par
une parcelle d'ung de ses propos, lequel elle me vouloit réciter, je
pourrois juger quelz pouvoient estre les aultres: et que c'estoit
touchant Monseigneur, duquel, après avoyr rapporté tout ce qui se peut
de bien d'ung prince, il avoit adjouxté qu'il ne vouloit pas fère ung
si hault jugement de dire qu'il fût digne d'estre mary et espoux de la
dicte Dame, qui estoit sa Royne et sa Mestresse, mais qu'il vouloit
bien assurer qu'il n'estoit indigne de l'estre de quelconque princesse
que ce fût, et fût elle Dame du plus grand et plus riche estat de
tout le monde; et qu'elle croyoit fort fermement qu'il estoit ainsy,
sellon les bons et grandz tesmoignages qui estoient toutjour venus, et
qui venoient ordinayrement, de luy; et lesquelz luy estoient, à
présent, si notoyres, qu'elle ne pensoit avoyr à fère plus aulcune
sorte de recherche en cella; et qu'à elle touchoit maintenant de
respondre à l'entrevue et saufconduict que luy aviés demandé: dont y
penseroit, durant ces fêtes, et en communicqueroit avec ceulx de son
conseil, pour, incontinent après, m'en fère sçavoyr sa responce.

J'ay réplicqué que cest affère avoit esté toujours prins par elle,
avec aultant de loysir comme elle avoit voulu, et elle avoit eu du
temps beaucoup pour la considérer, dont j'espéroys qu'elle ne voudroit
remettre à ung aultre jour de m'y respondre, et qu'aulmoins la priois
je de me dire si, ce pendant, je vous en pourrois escripre quelque mot
de bonne espérance.

Elle m'a respondu que le terme ne seroit long, et qu'elle m'useroit
lors d'ung langage si cler que je verrois bien qu'il n'y auroit ny
remise, ny ambiguyté, et que, ayant, Vostre Majesté, procédé d'ung
très grand honneur vers elle, elle s'estimeroit n'en avoyr poinct, si
elle n'uzoit de mesmes vers vous; et pourtant vous prioit de croyre
que, quelle yssue que prînt l'affère, elle feroit qu'elle seroit très
honnorable.

Je pourchasseray doncques, Sire, le plus dilligemment que je pourray,
la dicte responce, et travailleray, en tout ce qu'il me sera possible,
qu'elle vous soit faicte bonne. Sur ce, etc. Ce XXXIe jour de décembre
1573.


   Depuis ce dessus, il est venu nouvelles de la Rochelle comme
   l'on y a descouvert une praticque qu'on y menoit pour
   surprendre la ville[25], ce qui a troublé ung peu ceulx de
   voz subjectz de la nouvelle religion qui sont icy; mais je
   mettray peyne de les rassurer, et de fère que ceste princesse
   et les siens ne s'en troublent, attandant de sçavoyr au vray
   ce qui en est par les procheynes lettres de Vostre Majesté.

  [25] Biron, Du Lude, Landereau et Puy-Gaillard ayant été chargés
  par Catherine de Médicis de surprendre la Rochelle, avaient
  traité avec Jacques Du Lyon, qui s'était engagé à leur livrer la
  ville. Le complot ayant été découvert, Du Lyon fut tué dans sa
  maison de campagne, et un grand nombre de ses complices, entre
  autres, La Zardonière, Planta, Turgier et Salis, tous capitaines
  de compagnies des grisons, furent condamnés et mis à mort.
  Guillaume Gui Le Taillon, qui avait été maire de la Rochelle, eut
  la tête tranchée. Biron et Puy-Gaillard retirèrent les troupes
  qu'ils avaient fait approcher. Cette entreprise fut le signal
  d'une nouvelle guerre civile.


FIN DU CINQUIÈME VOLUME.



TABLE

DES MATIÈRES DU CINQUIÈME VOLUME.


ANNÉE 1572.--SECONDE PARTIE.

                                                           Pages


    254e _Dépêche_.--3 juin.--

    AU ROI.                                                    1

    Négociation de Mr du Croc en
    Ecosse.                                                 _Ib._

    Proposition du parlement.                                  3

    Succès des gueux; prise de
    Valenciennes.                                              4


    255e _Dépêche_.--5 juin.--

    AU ROI.                                                    5

    Assurance pour Marie Stuart.                            _Ib._

    Exécution du duc de Norfolk.                               6

    Nouvelles d'Ecosse.                                        7

    A LA REINE.                                                8

    Détails sur Marie Stuart et le
    duc de Norfolk.                                         _Ib._


    256e _Dépêche_.--9 juin.--

    AU ROI.                                                   10

    Préparatifs pour recevoir Mrs
    de Montmorenci et de Foix.                              _Ib._

    Résolution contre Marie Stuart.                         _Ib._


    257e _Dépêche_.--17 juin.--

    AU ROI.                                                   12

    Arrivée de Mrs de Montmorenci
    et de Foix.                                             _Ib._

    AU ROI.                                                   14

    Détails de la Négociation de
    Mrs de Montmorenci et de
    Foix.                                                   _Ib._


    258e _Dépêche_.--22 juin.--

    AU ROI.                                                   19

    Audience sur la négociation du
    mariage.                                                _Ib._

    A LA REINE.                                               22

    Détails particuliers sur cette
    négociation.                                            _Ib._


    259e _Dépêche_.--28 juin.--

    Négociation de Mrs de Montmorenci,
    de Foix et de La
    Mothe Fénélon, touchant le
    mariage du duc d'Alençon.                                 24


    260e _Dépêche_.--1er juillet.--

    AU ROI.                                                   25

    Négociation de Mrs de Montmorenci
    et de Foix.                                             _Ib._

    A LA REINE.                                               29

    Explication sur la négociation
    du mariage du duc d'Anjou.                              _Ib._


    261e _Dépêche_.--5 juillet.--

    AU ROI.                                                   30

    Audience.                                               _Ib._

    A LA REINE.                                               38

    Conférence avec Leicester.                              _Ib._


    262e _Dépêche_.--10 juillet.--

    AU ROI.                                                   40

    Retour du comte de Lincoln et
    de Me Smith.                                           _Ib._

    Clôture du parlement.                                     42

    Résolution sur Marie Stuart.                            _Ib._

    Affaires des Pays-Bas.                                    43

    A LA REINE.                                               44

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    263e _Dépêche_.--15 juillet.--

    AU ROI.                                                   47

    Audience.                                               _Ib._

    A LA REINE.                                               54

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    264e _Dépêche_.--20 juillet.--

    AU ROI.                                                   57

    Conférence avec le comte de
    Lincoln.                                                _Ib._

    Irrésolution d'Elisabeth.                                 59

    Affaires des Pays-Bas.                                    60

    A LA REINE.                                               61

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    265e _Dépêche_.--22 juillet.--

    AU ROI.                                                   62

    Négociation du mariage.                                   63


    266e _Dépêche_.--29 juillet.--

    AU ROI.                                                   65

    Audience.                                               _Ib._

    A LA REINE.                                               72

    Conférence avec Leicester et
     Burleigh.                                                73


    267e _Dépêche_.--3 août.--

    AU ROI.                                                   76

    Arrivée de Mr de La Mole.                              _Ib._

    Nouvelles des Pays-Bas.                                   78


    268e _Dépêche_.--7 août.--

    AU ROI.                                                   79

    Audience.                                               _Ib._


    269e _Dépêche_.--11 août.--

    AU ROI.                                                   83

    Négociation de Mr de La Mole.                            84

    Audience.                                               _Ib._

    Nouvelles des Pays-Bas.                                   88


    270e _Dépêche_.--13 août.--

    AU ROI.                                                   89

    Nouvelles d'Ecosse.                                     _Ib._


    271e _Dépêche_.--28 août.--

    AU ROI.                                                   91

    Audience.                                                 92

    Détails de la négociation de Mr
    de La Mole sur le mariage.                              _Ib._

    A LA REINE.                                              108

    Nouveaux détails.                                       _Ib._


    272e _Dépêche_.--30 août.--

    AU ROI.                                                  112

    Première nouvelle de la Saint
    Barthèlemy.                                             _Ib._

    Irritation des Anglais.                                  113

    A LA REINE.                                              114

    Ignorance complète de l'ambassadeur
    sur les explications
    qu'il doit donner.                                      _Ib._


    273e _Dépêche_.--2 septemb.--

    AU ROI.                                                  115

    Premiers détails de la Saint-Barthèlemy.                 116

    Mort de Coligni.                                        _Ib._

    Interruption des négociations.                          _Ib._

    Demande de nouvelles instructions.                       117

    Exécution du comte de Northumberland.                    118

    A LA REINE.                                             _Ib._

    Suspension du commerce.                                  119


    274e _Dépêche_.--14 septemb.--

    AU ROI.                                                  120

    Vive irritation des Anglais
    contre la France.                                        121

    Audience. Déclaration des motifs
    qui doivent justifier la
    Saint-Barthèlemy.                                        122

    Même communication faite au
    conseil.                                                 128

    Horreur, inspirée à Londres par
    cette exécution.                                        _Ib._

    A LA REINE.                                              131

    Efforts pour empêcher une
    rupture.                                                 132

    Danger de Marie Stuart.                                  133


    275e _Dépêche_.--18 septemb.--

    AU ROI.                                                 _Ib._

    Efforts du roi pour arrêter les
    exécutions.                                              134

    Preuves de la conspiration.                             _Ib._

    Le comte de Montgommery réfugié
    à Jersey.                                                135

    Armemens en Angleterre.                                  136

    A LA REINE.                                             _Ib._

    Insultes faites à l'ambassadeur.                         137

    Difficulté de renouer la négociation
    du mariage.                                             _Ib._


    276e _Dépêche_.--29 septemb.--

    AU ROI.                                                  138

    Massacres d'Orléans, Lyon et
    Rouen.                                                  _Ib._

    Audience.                                                139

    Correspondance de Coligni.                               140

    Justification de l'amiral par
    Elisabeth.                                               142

    Consentement d'Elisabeth à
    l'entrevue, à Douvres, pour
    le mariage.                                              147

    A LA REINE.                                              149

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    277e _Dépêche._--2 octobre.--

    AU ROI.                                                  152

    Armemens en Angleterre.                                  153

    Refus de livrer Montgommery.                             155

    Nouvelles d'Ecosse.                                      156

    Reproche fait à Marie Stuart.                            157

    A LA REINE.                                             _Ib._

    Négociation du mariage.                                  158


    278e _Dépêche_.--7 octobre.--

    AU ROI.                                                  160

    Maladie d'Elisabeth.                                    _Ib._

    Irritation croissante des Anglais.                       161

    Efforts des partisans de l'Espagne.                     _Ib._

    A LA REINE.                                              165

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    279e _Dépêche_.--13 octobre.--

    AU ROI.                                                  164

    Conférence avec Sussex, Leicester
    et Burleigh.                                             165

    A LA REINE.                                              171

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    280e _Dépêche_.--18 octobre.--

    AU ROI.                                                  173

    Réponses d'Elisabeth aux demandes
    du roi.                                                 _Ib._

    Intrigues des Espagnols.                                 174

    Nouvelles de la Rochelle.                                175

    Affaires d'Ecosse.                                       176

    A LA REINE.                                              177

    Négociation du mariage.                                 _Ib._

    Demande par l'ambassadeur de
    son rappel.                                              179


    281e _Dépêche_.--28 octobre.--

    AU ROI.                                                  180

    Massacres de Bretagne.                                  _Ib._

    Retour de Mrs Du Croc et de
    Vérac, venant d'Ecosse.                                  181

    Nouvelles de France et des
    Pays-Bas.                                                182

    A LA REINE.                                              183

    Effet produit en Ecosse par la
    nouvelle de la Saint-Barthèlemy.                        _Ib._


    282e _Dépêche_.--2 novemb.--

    AU ROI.                                                  184

    Audience.                                               _Ib._

    A LA REINE.                                              191

    Détails particuliers de l'audience.                     _Ib._


    283e _Dépêche_.--4 novemb.--AU

    AU ROI.                                                  194

    Accouchement de la reine de
    France.                                                  193

    Consentement d'Elisabeth à être
    marraine de là fille du roi.                            _Ib._


    284e _Dépêche_.--9 novemb.--

    AU ROI.                                                  196

    Intrigues des Espagnols.                                _Ib._

    Départ de la flotte pour Bordeaux.                       198

    Reprise d'armes à la Rochelle.                          _Ib._

    Retraite du prince d'Orange.                            _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse; mort du
    comte de Mar.                                            199


    285e _Dépêche_.--15 novemb.--

    AU ROI.                                                  200

    Négociation des Espagnols.                              _Ib._

    Sollicitations des protestans de
    France.                                                  201

    Nouvelles d'Ecosse.                                      203


    286e _Dépêche_.--23 novemb.--

    AU ROI.                                                 _Ib._

    Audience.                                                204

    Exécution de Briquemaut et
    Cavagnes.                                                205

    Affaires de la Rochelle.                                 207
    Nouvelles d'Ecosse et des Pays-Bas.                      209


    287e _Dépêche_.--29 novemb.--

    AU ROI.                                                  210

    Légation du cardinal Orsini.                            _Ib._

    Résolution d'Elisabeth.                                 _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      211

    Arrivée de Mr de Mauvissière.                           213


    288e _Dépêche_.--4 décembre.--

    AU ROI.                                                  214

    Audience.                                               _Ib._

    Mission de Castelnau de Mauvissière
    pour le baptême.                                         214


    289e _Dépêche_.--10 décemb.--

    AU ROI.                                                  217

    Audience.                                                218

    Acceptation par Élisabeth du
    titre de marraine.                                      _Ib._

    Négociation du mariage.                                  220


    290e _Dépêche_.--16 décemb.--

    AU ROI.                                                  222

    Audience de congé de Castelnau.                         _Ib._

    Armemens pour la Rochelle.                               223

    Succès du duc d'Albe.                                   _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse; le comte
    de Morton régent.                                        224


    291e _Dépêche_.--23 décemb.--

    AU ROI.                                                  225

    Désignation du comte de Worcester
    pour assister au baptême.                               _Ib._

    Et du docteur Dale pour remplacer
    Walsingham.                                              226

    Interruption des armemens.                              _Ib._

    Nouvelles des Pays-Bas et d'Ecosse.                      227


    292e _Dépêche_.--25 décemb.--

    AU ROI.                                                  228

    Reprise des communications
    privées avec Leicester.                                 _Ib._

    Préparatifs du départ du comte
    de Worcester.                                           _Ib._


    ANNÉE 1573.


    293e _Dépêche_.--2 janvier.--

    AU ROI.                                                  229

    Audience.                                               _Ib._

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                        230


    294e _Dépêche_.--9 janvier.--

    AU ROI.                                                  233

    Audience.                                               _Ib._

    Conférence avec Burleigh,
    Sussex et Smith.                                         234

    Préparatifs pour la Rochelle.                           _Ib._

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                       _Ib._


    295e _Dépêche_.--15 janvier.--

    AU ROI.                                                  238

    Départ de Worcester.                                    _Ib._

    Négociation des Pays-Bas.                               _Ib._

    _Mémoire._ Réclamation des réfugiés;
    nouvelles de la Rochelle.                                239


    296e _Dépêche_.--22 janvier--

    AU ROI.                                                  241

    Négociation de Worcester.                               _Ib._

    Armemens.                                                242

    Dessein des Anglais de s'emparer
    du prince d'Ecosse.                                      243


    297e _Dépêche_.--25 janvier.--

    AU ROI.                                                  245

    Secours pour la Rochelle.                               _Ib._


    298e _Dépêche_.--2 février.--

    AU ROI.                                                  246

    Audience.                                                247

    Plaintes contre les pirates et
    les armemens pour la Rochelle.                          _Ib._


    299e _Dépêche_.--8 février.--

    AU ROI.                                                  251

    Crainte d'une entreprise secrète
    contre la France.                                       _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      252


    300e _Dépêche_.--13 février.--

    AU ROI.                                                  253

    Négociation secrète avec Burleigh.                       254

    _Mémoire._ Détails de la négociation.
    Plaintes au sujet
    d'un traité qu'Elisabeth aurait
    fait avec les protestans
    de la Rochelle.                                          255


    301e _Dépêche_.--16 février.--

    AU ROI.                                                  258

    Secours pour la Rochelle.                                259

    Négociation des Pays-Bas.                               _Ib._


    302e _Dépêche_.--21 février.--

    AU ROI.                                                  260

    Armemens et projets de Montgommery.                     _Ib._


    303e _Dépêche_.--27 février.--

    AU ROI.                                                  262

    Préparatifs de Montgommery.                              263

    _Mémoire._ Audience.                                    _Ib._

    304e _Dépêche_.--3 mars.--

    AU ROI.                                                  267

    Efforts de l'ambassadeur pour
    arrêter les projets de Montgommery.                     _Ib._


    305e _Dépêche_.--9 mars.--

    AU ROI.                                                  270

    Retour de Worcester.                                    _Ib._

    Suspension des armemens pour
    la Rochelle.                                             271

    Accord conclu en Ecosse pour
    reconnaître Jacques VI.                                  272


    306e _Dépêche_.--13 mars.--

    AU ROI.                                                  273

    Audience.                                               _Ib._

    Expédition de Montgommery.                              _Ib._

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                        275


    307e _Dépêche_.--19 mars.

    AU ROI.                                                  280

    Expédition de Montgommery.                              _Ib._

    Mission de Mr de Chateauneuf.                           281

    Audience.                                               _Ib._

    _Mémoire au roi._ Détails de l'audience.                 282

    _Mémoire à la reine._ Négociation
    de Mr de Chateauneuf sur le
    mariage.                                                 284


    308e _Dépêche_.--31 mars.--

    AU ROI.                                                  286

    Réponse d'Elisabeth sur la négociation
    du mariage.                                             _Ib._


    309e _Dépêche_.--3 avril.--

    AU ROI.                                                  289

    Négociation au sujet du mariage,
    et de Montgommery.                                      _Ib._

    Audience.                                                290

    Affaires d'Ecosse.                                       291

    Négociation des Pays-Bas.                                292


    310e _Dépêche_.--6 avril.--

    AU ROI.                                                  293

    Expédition de Montgommery.                              _Ib._

    Affaires d'Ecosse.                                       296


    311e _Dépêche_.--13 avril.--

    A LA REINE.                                              297

    Audience. Négociation du mariage.                       _Ib._

    Conférence avec Leicester et
    Burleigh.                                                302

    _Mémoire au roi._ Détails de l'audience
    sur les affaires générales.                              303


    312e _Dépêche_.--17 avril.--

    AU ROI.                                                  306

    Nouvelles de la Rochelle.                                307

    Traité entre l'Angleterre et
    l'Espagne.                                              _Ib._

    Affaires d'Ecosse.                                       308


    313e _Dépêche_.--21 avril.--

    AU ROI.                                                  310

    Départ de l'expédition de Montgommery.                  _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      311


    314e _Dépêche_.--26 avril.--

    AU ROI.                                                  312

    Expédition de Montgommery.                              _Ib._

    Affaires d'Ecosse.                                      _Ib._

    Lord de Lumley et les sirs de
    Stanley mis en liberté.                                  313

    Nouvelles de la Rochelle.                               _Ib._


    315e _Dépêche_.--1er mai.--

    AU ROI.                                                  314

    Audience.                                               _Ib._

    Expédition de Montgommery.                              _Ib._

    Secours envoyés en Ecosse.                               315

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                       _Ib._


    316e _Dépêche_.--8 mai.--

    AU ROI.                                                  320

    Audience.                                                321

    Retraite de Montgommery.                                _Ib._

    Déclaration touchant l'Ecosse.                           322

    Desir du duc d'Alençon de passer
    en Angleterre.                                           324

    Prise de Belle-Isle par Montgommery.                     326


    317e _Dépêche_.--12 mai.--

    AU ROI.                                                  327

    Retour de Walsingham.                                   _Ib._

    Conférence avec Burleigh.                                328

    Nouvelles d'Ecosse.                                      329


    318e _Dépêche_.--23 mai.--

    AU ROI.                                                  330

    Audience.                                               _Ib._


    319e _Dépêche_.--28 mai.--

    AU ROI.                                                  336

    Réponse d'Elisabeth sur l'entrevue.                     _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      337


    320e _Dépêche_.--3 juin.--

    AU ROI.                                                  338

    Audience.                                               _Ib._

    Élection du duc d'Anjou comme
    roi de Pologne.                                          341

    Prise de Lislebourg.                                     344

    A LA REINE.                                             _Ib._

    Compliment sur l'élection du
    duc d'Anjou.                                            _Ib._


    321e _Dépêche_.--6 juin.--

    AU ROI.                                                  346

    Affaires de la Rochelle.                                 347

    Communication du prince d'Orange.                       _Ib._


    322e _Dépêche_.--9 juin.--

    AU ROI.                                                  348

    Audience de congé de Mr de
    Vérac.                                                  _Ib._


    323e _Dépêche_.--17 juin.--

    A LA REINE                                               350

    Négociation du mariage.                                 _Ib._

    Mission du capitaine Orsey.                              352


    324e _Dépêche_.--20 juin.--

    AU ROI.                                                  353

    Déclaration de Burleigh sur les
    affaires de France.                                     _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      355


    325e _Dépêche_.--22 juin.--

    AU ROI.                                                  356

    Audience.                                               _Ib._

    Offre faite par la reine de sa
    médiation.                                               358


    326e _Dépêche_.--27 juin.--

    AU ROI.                                                  361

    Assaut donné à la Rochelle.                              362

    Nouvelles d'Ecosse et des Pays-Bas.                     _Ib._


    327e _Dépêche_.--3 juillet.--

    AU ROI.                                                  363

    Blessure du roi de Pologne.                             _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      364

    Mission de Mr Duverger auprès
    de Marie Stuart.                                        _Ib._


    328e _Dépêche_.--7 juillet.--

    A LA REINE.                                              365

    Audience.                                               _Ib._

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                        366


    329e _Dépêche_.--12 juillet.--

    AU ROI.                                                  370

    Audience.                                               _Ib._

    Paix conclue en France.                                 _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      373


    330e _Dépêche_.--20 juillet.--

    AU ROI.                                                  374

    Retour du capitaine Orsey.                               375

    Affaires d'Ecosse.                                      _Ib._

    _Mémoire._ Détails d'audience.                           376

    _Avis à la reine._ Mécontentement
    de Leicester.                                            378


    331e _Dépêche_.--26 juillet.--

    AU ROI.                                                  380

    Conférence avec Burleigh.                               _Ib._


    332e _Dépêche_.--31 juillet.--

    AU ROI.                                                  383

    Expédition du comte d'Essex
    en Irlande.                                             _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                      384


    333e _Dépêche_.--5 août.--

    AU ROI.                                                  385

    Inquiétudes des Anglais.                                _Ib._


    334e _Dépêche_.--9 août.--

    AU ROI.                                                  387

    Armemens à Londres.                                     _Ib._

    Audience.                                                388

    _Mémoire._ Détails de l'audience.                        389


    335e _Dépêche_.--14 août.--

    AU ROI.                                                  391

    Nouvelles de Flandre.                                    392

    Exécutions en Ecosse.                                   _Ib._

    Mission près de Marie Stuart.                           _Ib._


    336e _Dépêche_.--20 août.--

    AU ROI.                                                  393

    Négociation du mariage.                                  394

    Sollicitations de Marie Stuart.                         _Ib._


    337e _Dépêche_.--25 août.--

    AU ROI.                                                  396

    Négociation du duc d'Albe.                              _Ib._

    Affaires d'Ecosse.                                       397


    338e _Dépêche_.--31 août.--

    AU ROI.                                                  398

    Audience.                                               _Ib._


    339e _Dépêche_.--4 septemb.--

    AU ROI.                                                  401

    Soupçon contre Montgommery.                              402

    Nouvelles d'Ecosse.                                     _Ib._


    340e _Dépêche_.--20 septemb.--

    AU ROI.                                                  403

    Négociation du maréchal de
    Retz.                                                   _Ib._


    341e _Dépêche_.--25 septemb.--

    AU ROI.                                                  408

    Affaires de Pologne.                                    _Ib._

    Méfiance des Anglais.                                    410

    Excès de Morton.                                        _Ib._


    342e _Dépêche_.--30 septemb.--

    AU ROI.                                                  412

    Secours pour le prince d'Orange.                         413

    Nouvelles d'Ecosse.                                     _Ib._


    343e _Dépêche_.--6 octobre.--

    AU ROI.                                                  414

    Audience.                                               _Ib._


    344e _Dépêche_.--14 octobre.--

    AU ROI.                                                  418

    Audience.                                                419


    345e _Dépêche_.--18 octobre.--

    AU ROI.                                                  423

    Affaires de Flandre.                                     425

    Sollicitations des réfugiés.                             426


    346e _Dépêche_.--25 octobre.--

    AU ROI.                                                 _Ib._

    Mission de Randolf.                                      427

    Nouvelles des Pays-Bas.                                  428


    347e _Dépêche_.--26 octobre.--

    AU ROI.                                                  430

    Conférence avec Randolf.                                _Ib._

    A LA REINE.                                              431

    Recommandation d'un bon accueil
    pour Randolf.                                            432


    348e _Dépêche_.--31 octobre.--

    AU ROI.                                                  433

    Conférence avec Randolf.                                _Ib._

    Mesures contre les puritains.                            435


    349e _Dépêche_.--6 novembre.--

    AU ROI.                                                  436

    Conférence avec le garde-des-sceaux.                    _Ib._


    350e _Dépêche_.--11 novemb.--

    AU ROI.                                                  441

    Conférence avec Leicester.                              _Ib._


    351e _Dépêche_.--18 novemb.--

    AU ROI.                                                  446

    Audience.                                               _Ib._

    Maladie du roi.                                         _Ib._

    Mission de Randolf.                                      449

    Nouvelles d'Ecosse.                                     _Ib._

    Maladie du prince d'Ecosse.                              450


    352e _Dépêche_.--23 novemb.--

    AU ROI.                                                  451

    Affaires d'Ecosse.                                      _Ib._

    Sollicitations pour la Rochelle.                         453


    353e _Dépêche_.--30 novemb.--

    AU ROI.                                                  454

    Voyage de Bordeaux.                                     _Ib._

    Sollicitations du prince d'Orange.                       455

    Ses succès.                                              456


    354e _Dépêche_.--5 décemb.--

    AU ROI.                                                  457

    Audience.                                               _Ib._

    Adieux du roi et du roi de Pologne.                      458

    Négociation du mariage.                                 _Ib._


    355e _Dépêche_.--12 décemb.--

    AU ROI.                                                  461

    Convalescence du roi.                                   _Ib._

    Nouvelles d'Ecosse.                                     _Ib._

    Progrès des protestans en Languedoc.                     462


    356e _Dépêche_.--17 décemb.--

    AU ROI.                                                  463

    Audience.                                               _Ib._

    Négociation du mariage.                                  465

    Soumission de Montgommery.                               466


    357e _Dépêche_.--24 décemb.--

    AU ROI.                                                  468

    Retour de Randolf.                                      _Ib._

    Montgommery à Jersey.                                    469

    Plaintes contre les puritains.                           470

    Nouvelles d'Irlande.                                    _Ib._

    Irritation d'Elisabeth contre
    Marie Stuart.                                           _Ib._


    358e _Dépêche_.--31 décemb.--

    AU ROI.                                                  472

    Audience.                                               _Ib._

    Négociation du mariage.                                  474

    Entreprise contre la Rochelle.                           475


FIN DE LA TABLE DU CINQUIÈME VOLUME.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" ***

Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.



Home