By Author | [ A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z | Other Symbols ] |
By Title | [ A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z | Other Symbols ] |
By Language |
Download this book: [ ASCII | HTML | PDF ] Look for this book on Amazon Tweet |
Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575 Author: Fénélon, Bertrand de Salignac de la Mothe Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" *** by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTHE FÉNÉLON, AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE DU 1568 A 1575 PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS Sur le manuscrits conservés aux Archives du Royaume. TOME CINQUIÈME. ANNÉES 1572--1573. PARIS ET LONDRES. 1840. DÉPÊCHES, RAPPORTS, INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES DES AMBASSADEURS DE FRANCE EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE PENDANT LE XVIe SIÈCLE. RECUEIL DES DÉPÊCHES, RAPPORTS, INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES Des Ambassadeurs de France _EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE_ PENDANT LE XVIe SIÈCLE, Conservés aux Archives du Royaume, A la Bibliothèque du Roi, etc., etc., ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS _Sous la Direction_ DE M. CHARLES PURTON COOPER. [Illustration] PARIS ET LONDRES. 1840. LA MOTHE FÉNÉLON. Imprimé par BÉTHUNE et PLON, à Paris. A S. E. MR GUIZOT AMBASSADEUR DE S. M. LE ROI DES FRANÇAIS PRÈS LA COUR DE LONDRES. CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ COMME TÉMOIGNAGE DE RESPECT PAR SON TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-OBÉISSANT SERVITEUR CHARLES PURTON COOPER. DÉPÊCHES DE LA MOTHE FÉNÉLON. CCLIVe DÉPESCHE --du IIIe jour de juing 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Négociation de Mr Du Croc en Écosse.--Demandes adressées secrètement par les partisans de Marie Stuart.--Propositions faites dans le parlement de mettre la reine d'Écosse à mort, de déclarer traître quiconque reconnaîtra son droit à la succession de la couronne d'Angleterre, et d'exiger l'exécution du duc de Norfolk.--Succès des Gueux dans les Pays-Bas; prise de Valenciennes par les révoltés. AU ROY. Sire, je vous ay escript, du XXVIIIe du passé, tout ce que, sur le partement du comte de Lincoln, j'ay peu aprandre des particullarités de sa légation, dont ne vous en toucheray, icy, davantage; et sera la présente pour accompaigner ung pacquet, que Mr Du Croc faict à Vostre Majesté, des choses qui luy ont succédé à son arrivée en Escoce, et de la bonne réception que ceulx des deux partys luy ont faicte, qui monstrent que, nonobstant les extrêmes difficultés de ce commencement, il y a aparance que la paix sera enfin embrassée des ungs et des aultres; et je juge, par une lettre, que j'ay receue en chiffres de ceulx de Lillebourg, que le dict Sr Du Croc s'est comporté si sagement en ses premières propositions qu'on n'a descouvert plus avant de son intention qu'aultant que de ses parolles générales l'on en a peu comprendre, et que ceulx, à qui sa commission est plus favorable, ont pour encores senty le moins de faveur. J'estime, Sire, que ce sera chose fort à propos que certeine demande du capitaine Granges et du Sr de Ledington, qui est portée par le dict chiffre, laquelle ilz veulent, pour ung temps, estre cellée au dict Sr Du Croc, leur soit accordée; car, par ce moyen, l'authorité de Vostre Majesté, demeurera plus grande au dict pays, et vostre allience mieulx confirmée. En confience de quoy je donray, par mes premières, grande espérance et mesmes assurance, comme de moy mesmes, aus dicts de Granges et de Ledington que Vostre Majesté les en gratiffiera; et n'aura, pour cella, le maréchal Drury, quand bien il le sçaura, occasion de se pleindre que Mr Du Croc ayt rien négocié par dellà contre ce qui a esté promis, icy, à la Royne, sa Mestresse. Cependant je vous supplie très humblement, Sire, me mander comme il vous plait qu'en vostre nom je leur en escripve, car c'est ung des principaulx poinctz dont ceulx de Lillebourg desirent estre promptement esclarcis: et l'aultre poinct après, est en quelle sorte il vous plaira qu'ilz facent l'accord. Le Sr de Vérac m'a mandé de le vouloir advertyr s'il s'en doibt retourner, ou non, attandu que Vostre Majesté ne luy en a rien escript. Sur quoy je luy conseilleray, par mes dictes premières, qu'il attande le commandement de Vostre Majesté; et je croy qu'il sera fort à propos qu'il ne bouge de là jusques à ce que la paciffication soit conclue, ou bien que l'abstinence de guerre soit bien accordée. J'ay envoyé au dict Sr Du Croc, avec vostre pacquet du Xe du passé, ung extrêt des articles du traicté qui concernent le faict d'Escoce. J'espère que bientost il vous mandera toutes aultres nouvelles de dellà. Ce a esté, Sire, par les soixante six depputez du parlement, qui se tient maintenant icy, que les deux billetz, dont je vous ay cy devant faict mencion, ont esté proposés contre la Royne d'Escoce: l'ung, de la faire mourir; et l'aultre, de déclarer traître quiconques, à jamais, métroit en compte, ou relèveroit, le tiltre qu'elle prétend à la succession de ceste couronne; et y ont adjouxté ung troysiesme, de la sentence de mort contre le duc, demandant qu'elle fût exécutée. Lesquelz billetz, après que la Royne d'Angleterre a heu remercyé les dicts depputés du soing qu'ilz avoient d'elle et de sa seureté, parce qu'ilz fondoient là dessus l'occasion de leurs troys propositions, elle les a priés de se déporter entièrement de la première; et ayant encores considéré, de plus près, la segonde, elle ne l'a voulu admettre, et m'ont ses conseillers mandé que je ne sois plus en peyne de cella, car leur Mestresse estoit dellibérée de respecter tant vostre amityé qu'elle ne laysseroit passer en cest endroict rien qui pût offancer l'honneur et réputation de Vostre Majesté; en quoy j'entendz, Sire, que la contradiction, que ceulx de la noblesse y ont faicte, y a beaucoup valu; et a beaucoup servy de rabatre aussi la proposition contre le dict duc, car ont remonstré qu'ilz avoient faict leur debvoir de procéder par les loix à le condampner, mais qu'il n'apartenoit aulx subjectz de recalculer rien maintenant sur la clémence de la Royne, leur Mestresse. Or, demeure la détermination des dicts trois poinctz encores en quelque suspens par l'opiniastreté de ceulx de la segonde chambre, dont le duc court grand péril ceste sepmayne. Et semble qu'il sera depputé troys évesques, troys comtes, troys barons et troys chevalliers, pour aller ouyr et examiner sur quelques poinctz la dicte Royne d'Escoce. Le bruict de la prinse de Valenciennes[1], par les Gueux, et ce, qu'on présume que les Huguenotz veulent ayder de tout leur pouvoir et moyen leur entreprinse, et qu'on dict que le prince d'Orenge marche avec trente enseignes d'allemans et six mille chevaulx, et le jeune comte d'Ayguemont avec aultres deux mille chevaulx, pour les venir secourir, eschauffe ung peu ceulx cy de s'en vouloir mesler. Vray est que Anthonio de Guaras, lequel a receu pouvoir expécial, par lettres du duc d'Alve, d'assister, icy, ez choses qu'il verra appartenir au service du Roy d'Espagne, a faict mettre en prison deux capitaines qui levoient des gens de guerre pour aller à Fleximgues. Je croy bien qu'ilz ont esté depuis relaschés, et qu'ilz sont desjà embarqués pour suyvre leur voyage avecques leurs gens; tant y a que le dict de Guaras a grand accès en ceste court, et est favorablement ouy; et j'entendz qu'il faict de fort grandes offres, de la part du dict duc d'Alve; lesquelles ceulx cy trouvent recepvables et ne les rejettent nullement. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1572. [1] Valenciennes fut pris, le 24 mai 1572, par La Noue et le Sr de Famars; mais ils ne purent se rendre maîtres du château, dans lequel don Juan de Mendosa s'était jeté. Peu de jours après, les protestans durent abandonner la ville. CCLVe DÉPESCHE --du Ve jour de juing 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Mr de L'Espinasse._) Résolution prise par Élisabeth de rejeter les propositions faites dans le parlement contre Marie Stuart.--Exécution du duc de Norfolk.--Arrivée du comte de Lincoln en France.--Nouvelles d'Écosse; nécessité d'envoyer des secours à Lislebourg.--Craintes que les succès des Gueux dans les Pays-Bas donnent aux Anglais.--Détails sur l'exécution du duc de Norfolk. AU ROY. Sire, de la communicquation que j'ay faicte de voz deux dernières lettres, du IIe et Xe passé, à la Royne d'Angleterre, elle a comprins qu'il y avoit desjà ung très bon acheminement, de vostre costé, à tous les debvoirs de la bonne amytié qu'avez nouvellement conclue avec elle; de quoy est advenu qu'elle a faict à ses plus expéciaulx conseillers, ainsy qu'on me l'a fort assuré, une remonstrance comme s'ensuit: «Que, puysqu'entre les grandz dangers qui s'estoient, depuis quelque temps, manifestés au monde contre elle, Dieu avoit voulu, du milieu de ceulx, que les feus Roys d'Angleterre, ses prédécesseurs, avoient tousjours réputés leurs plus grandz ennemys, luy succiter à elle ung très grand et parfaict amy, qui ambrassoit sa protection et sa deffence, sellon le traicté de ligue qu'elle avoit faicte avec Vostre Majesté, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, qu'on proposât rien en son parlement qui vous peût offancer; et, qu'ayant considéré les deux billetz, qui avoient esté mis en avant contre la Royne d'Escoce, desquelz elle avoit desjà cassé celluy qui touchoit à sa vie, elle vouloit qu'on se désistât encores de celluy qui concernoit la succession qu'elle prétandoit en ce royaulme; car elle voyoit bien ne se pouvoir faire que Vostre Majesté, pour le debvoir de parantage, et pour les aultres obligations que vous avez avec ceste princesse, n'en fussiez offancé, sellon qu'elle le comprenoit bien par les lettres que je luy en avois communicquées; (car, à la vérité, Sire, je les luy ay assés faictes sonner en ce sens). Et a adjouxté qu'on trouveroit aussy bien estrange, par toute la Chrestienté, qu'on la condampnât sans l'ouyr; mais que, pour satisfaire à ses Estatz, elle vouloit bien que, dorsenavant, l'on soubsmît la dicte Royne d'Escoce à l'obligation des plus rigoureuses loix qu'on pourroit faire contre elle, si elle atamptoit jamais rien plus au préjudice de ce royaulme.» De quoy, monstrantz les dicts Estatz n'estre assez contantz, ont incisté qu'aulmoins l'on ne leur refuzât l'exécution du duc de Norfolc, qui estoit desjà condampné; ce qui a esté si chauldement mené, par ceulx qui avoient la matière à cueur, que la Royne d'Angleterre n'y a peu résister. Dont estant ce pouvre seigneur mené sur l'eschafault, à heure non accoustumée, de fort grand matin, a confessé, en présence de ceulx qui s'y sont trouvez, qu'il avoit fort offancé Dieu comme pécheur, et avoit offancé la Royne, sa Mestresse, en ce que, contre sa promesse qu'il luy avoit faicte de ne traicter avec la Royne d'Escoce, (ce que toutesfoys il ne luy avoit confirmé par sèrement), il avoit escript des lettres et en avoit receu de la dicte Dame, et avoit pareillement receu une lettre du Pape, non qu'il l'eût pourchassée, mais Ridolfy la luy avoit adressée; et qu'au reste il assuroit, avec toute vérité, de n'avoir jamais rien atempté de faict, de parolle, ny encores de pensée, contre la Royne, sa Mestresse, ny contre ce royaulme; et de cella il en bailloit sa mort à tesmoing, devant Dieu et devant les hommes. Et ainsy, d'un visage constant et magnanime, s'est exhibé luy mesmes au supplice, au grand regret des gens de bien. Et son corps a esté raporté dans la Tour en ung cercueil couvert de velours noir; et luy a esté faict quelque forme d'exèques. Hier vint nouvelles comme monsieur l'admiral d'Angleterre estoit descendu à Boulogne, le pénultiesme jour du passé, premier que Mr de Piennes ny le Sr de Mauvissière y arrivassent, et que la présence de Mr de Foix, avec la diligence de Mr de Cailliac, avoient grandement suply à sa réception; en laquelle, s'il y a heu quelque manquement, il a esté bien honnorablement excusé par une honneste lettre, que Mr de Foix m'a escripte là dessus, laquelle a esté bien fort agréable en ceste court. Le Sr de L'Espinasse vous comptera, Sire, les difficultés ès quelles Mr Du Croc, son beau père, se retrouve en Escoce; où semble qu'il importe grandement, pour vostre réputation, qu'il soit pourveu promptement à ceulx de Lillebourg qu'ilz ne soient ruynés, et que le chasteau ne viègne ez meins de ceulx qui sont à la dévotion de la Royne d'Angleterre; car de ces deux poinctz dépend non seulement la conservation de vostre ancienne allience, mais que l'estat, qui souloit estre françoys, ne deviègne du tout angloys. Dont vous plerra, Sire, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix seront icy, nous ordonner de prendre quelque résolution là dessus avec ceste princesse et avec ceulx de son conseil, pour réduyre ce pays à une bonne paciffication; et cependant mander quelque honnorable promesse à ceulx de Lillebourg, accompagnée d'aulcun présent effect pour les consoler; dont seroit bien à propos, Sire, que Mr de Flemy les allât trouver avec ce qu'il leur pourroit apporter de refraichissement. Le progrès des entreprinses, qui s'entend des Pays Bas, commence de mettre ceulx cy en quelque souspeçon qu'elles tendent d'impatroniser Vostre Majesté de cest estat, ce qui leur seroit formidable; et ne vouldroient qu'en façon du monde cella succédât, s'ilz n'y participoient. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juing 1572. A LA ROYNE. Madame, j'ay esté en une merveilleuse peyne pour la partinacité de laquelle ceulx de ce parlement ont incisté que la Royne d'Escoce fût punie de mort, et que le tiltre, qu'elle prétend à la succession de cette couronne, fût aboly pour elle et pour les siens à jamais, car cella tournoit merveilleusement à l'indignité du Roy; et non seulement faisoit mal sonner le traicté de la ligue, qu'il a faicte avec ceste princesse, mais diffamoit beaucoup tous les aultres honnestes pourchas d'allience, que Voz Majestez Très Chrestiennes ont mené, et continuent de mener encores avec elle. Je rends grâces à Dieu que ce danger est, pour ceste fois, évité; de quoy la dicte Royne d'Escoce en doibt recognoistre l'obligation, après Dieu, au seul respect que la Royne d'Angleterre a heu de ne vouloir ou de n'ozer, en ce temps, offancer le Roy. Il est vray que le pouvre duc de Norfolc a passé; lequel, par l'acte dernier de sa vye, a confirmé davantage au monde une très grande justiffication de luy, et a layssé ung grand regret et une grande compunction du cueur à ung chacun. Il a parlé fort clèrement de tout son faict; dont la Royne d'Angleterre peut, à ceste heure, demeurer esclarcye si je y ay esté jamais en rien meslé, ainsy que ses ambassadeurs vous en avoient quelquefoys touché quelque mot. J'ay requis que le collier de l'ordre du Roy, qu'il avoit, fût remis entre mes mains, ce qui ne m'a esté encores accordé; tant y a que je supplye très humblement Voz Majestez trouver bon que je m'en charge, sellon qu'il me faict aussy grand besoing d'en avoir ung pour la dignité de ceste charge, aux jours de solennité. L'apareil de la réception de messieurs voz depputés est si honnorable par deçà, et la provision si grande pour les bien traicter, avec toute leur compagnie, dez qu'ilz descendront à Douvres, que je ne veulx fallir de le recorder à Voz Majestez affin de faire uzer de quelque correspondance vers monsieur l'admiral d'Angleterre; car c'est chose qu'on regarde bien fort en ceste court: et desjà s'est dict quelque mot qu'il n'avoit esté assez favorablement receu à Bouloigne, mays une lettre de Mr de Foix, qui m'est arrivée fort à propos, en a aporté la satisfaction. Et se dict, Madame, que le présent de Mr de Montmorency sera d'envyron vingt mille escus; tant y a que je mettray peyne de le sçavoir plus au vray. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juing 1572. CCLVIe DÉPESCHE --du IXe jour de juing 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Chamberland._) Préparatifs faits à Londres pour recevoir. MMrs de Montmorenci et de Foix.--Résolution secrète arrêtée dans le parlement de soumettre la reine d'Écosse aux lois d'Angleterre.--Nécessité de s'opposer à cette résolution.--Défense faite en France de porter secours aux révoltés des Pays Bas. AU ROY. Sire, à ce matin, bon matin, j'ay receu des lettres de Mr de Montmorency et de Mr de Foix, de devant hier, VIIe de ce moys, à Boulogne, qui me mandent que ce sera à la première marée de ce jourdhuy, IXe, qu'avec l'ayde de Dieu, ilz passeront la mer; de quoy toute ceste court est grandement ayse, laquelle adjouxte toutjour quelque chose de plus à l'ordre de leur réception, affin de la faire plus honnorable. Eulx deux, par la fréquence des lettres qu'ilz m'ont souvant escriptes sur la légitime excuse de leur retardement, m'ont beaucoup aydé de pouvoir solager ceulx cy en leur atante; lesquelz ont desjà tant faict qu'ilz ont prolongé le parlement jusques après la St Jehan, affin d'avoyr plus grande compagnie de noblesse en ceste ville quand ilz arriveront; et le comte de Pembroth, milord de Vuindesor et milord Bocaust, avec bon nombre de noblesse, n'ont jamais bougé de Douvres, depuis le dernier de l'aultre moys. Ceulx du dict parlement, quand ilz ont veu qu'ilz avoient gaigné le poinct de l'exécution du duc de Norfolc, ont remis sus, plus instamment que jamais, la poursuyte contre la Royne d'Escoce, avec tant de partinacité, instigués par les ennemys de la pouvre princesse, que je viens d'estre adverty que le décret, de privation du tiltré de ceste succession, s'en ensuyvra contre elle; et qu'ilz la soubsmettront à la rigueur des lois du Royaulme pour tout ce que, dez ceste heure en là, elle pourra atempter contre la Royne d'Angleterre ou contre le repos de son estat. Qui sont actes peu correspondans à la considération d'entre Voz Majestez, et sur lesquelz, encor qu'on se puisse assez esbahyr comme j'en auray esté adverty, car le tiennent fort secret, je ne larray pourtant de m'y oposer en vostre nom, si Vostre Majesté me le commande, et en façon néantmoins si gracieuse et modeste que la Royne d'Angleterre n'aura occasion quelconque, aulmoins qui soit juste, de le trouver maulvais; dont suplie très humblement Vostre Majesté m'en faire une prompte responce affin que, tout à temps, j'en puisse faire la remonstrance. Ceulx cy ont entendu la deffence, que Vostre Majesté a faicte publier en la frontière, que nulz gens de guerre françoys aillent en Flandres, de quoy ilz se sont assez esbahys, et n'empeschent pourtant, de leur part, qu'il ne coule tousjours des soldatz d'icy à Fleximgues; mesmes beaucoup d'Anglois commencent d'y passer, et forniront les dicts de Fleximgues de grand nombre de vivres et de monitions de ce royaulme. J'estime que messieurs voz depputés pourront arriver en ceste ville vendredy prochein, et que la ratiffication du traicté se fera le quinziesme de ce moys; et sur ce, etc. Ce IXe jour de juing 1572. CCLVIIe DÉPESCHE --du XVIIe jour de juing 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par ung courier de Mr de Montmorency._) Arrivée de MMrs de Montmorenci et de Foix.--Serment solennel prêté par la reine pour la confirmation du traité.--Demande officielle de la main d'Élisabeth pour le duc d'Alençon.--Détails circonstanciés de la réception faite à MMrs de Montmorenci et de Foix, de l'audience qui a suivi, et des fêtes qui leur ont été données. AU ROY. Sire, nous, de Montmorency et de Foix, sommes arrivés icy vendredy, XIIIe de ce moys, ayant en chemin receu toutes les caresses et honneurs possibles. Le lendemein, après disner, sommes toutz troys allés trouver la Royne d'Angleterre, à laquelle nous avons présenté les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, concernant la confirmation et ratiffication du traicté, lesquelles elle a reçues avec déclaration de l'opinion de voz vertus, et grand estime qu'elle fait de vostre amytié; de sorte que tout ce premier jour s'est passé en propos courtois et gracieux. Le lendemein matin, nous sommes allés recepvoir d'elle le sèrement accoustumé, avant lequel presté, elle nous a aussy déclaré n'avoir restitué le chasteau de Humes, scitué en Escoce, comme elle est obligée par le traicté de confédération, d'aultant qu'elle s'est trouvée en peyne auquel des deux partis elle le debvoit rendre, ou au Sr de Humes, ou au régent, mais qu'elle protestoit que son intention estoit de le randre aux Escouçoys, et satisfaire en toutes choses au dict traicté; dont nous l'avons priée de faire la dicte restitution au plus tost, et avec le consantement et volonté de Vostre Majesté, ce qu'elle a promis de faire. Et, après le dict sèrement faict, elle nous a menés en sa chambre, où nous luy avons présenté les lettres escriptes de la mein de Vostre Majesté, de la Royne, et de Noz Seigneurs voz frères, desquelles elle a leu à l'instant la vostre, remettant alors les aultres jusques après dîner; à l'yssue duquel elle nous a ramenés en la mesmes chambre, et dict à moy, de Montmorency, que je luy exposasse la créance. Sur quoy nous l'avons priée de lire premièrement la lettre de la Royne, vostre mère, ce qu'elle a faict tout hault; et après, dict qu'elle se santoit très obligée en son endroict, d'aultant qu'elle luy avoit présenté toutz ses enfans, réitérant à moy, de Montmorency, que je luy exposasse donc nostre dicte créance. Ce que j'ay faict, sans rien obmettre de ce qui estoit contenu en noz instructions, et conforme à vostre intention. La dicte Royne, pour responce, est entrée en quelques discours des choses passez, que nous remétrons de vous dire à quand nous serons auprès de Vostre Majesté, dont la fin a esté qu'estant l'affaire de grande importance, qu'elle en vouloit dellibérer, tellement que, ce jourdhuy, elle a envoyé milord de Burgley devers nous pour entendre sur ce faict plus amplement vostre dicte intention, nous proposant plusieurs difficultés, auxquelles nous avons mis peyne de satisfaire le mieulx qu'il nous a esté possible; de sorte qu'il s'en est retourné, nous promettant de faire, de sa part, tous bons offices: comme aussy nous a assuré le comte de Lestre, de son costé, auquel nous avons déclaré le bien qu'il doibt espérer de Vostre Majesté, si cest affaire peut bien réuscyr; de façon que nous n'avons rien oublié, à l'endroict de luy, ny de toutz les aultres, que nous avons cuydé pouvoir servir pour conduire cest affaire à bonne fin; duquel nous ne voyons pas encores aulcune assurance, aussy n'avons nous occasion d'en mal espérer; et, de ce que nous verrons de lumière, de jour à aultre, nous ne faudrons de vous en advertir, et suyvant voz commandementz, de vous en aporter une dernière résolution. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de juing 1572. AU ROY. Sire, aussytost que Mr de Montmorency, estant arrivé à Bouloigne, a veu que le vent luy pouvoit servir, il a passé la mer, ensemble Mr de Foix et tous les seigneurs et gentilshommes qui sont en leur compagnie, le VIIIe de ce moys; et, le mesme jour, ilz ont esté, du comte de Pembroc et des milords de Vuindesor et de Boucaust, et aultre bon nombre de noblesse de ce royaulme, fort bien et fort honnorablement recueillis à Douvre, ainsy que Mr de Foix m'a assuré qu'il le vous avoit amplement escript du dict lieu, et ont séjourné là ung jour entier pour se refère du travail de la mer. Et, le lendemain, se sont acheminés à Conturbery, à Setemborne et à Rochester, où ilz ont de mesmes esté partout fort bien reçus, et sont arrivez le vendredy, XIIIe du moys, à Gravesines; auquel lieu je les suys allé trouver. Et, peu après, le comte d'Ochestre, accompagné de milord Grey, de milord Staffort, de milord Comthom, de milord Cheyne, et aultre bon nombre de gentilshommes, leur y est venu au devant, avec les barges de la Royne; sur lesquelles il nous a tous reconduictz, l'après dînée, en ceste ville de Londres, à laquelle ainsy que sommes arrivés, la Tour a faict son debvoir de tirer force coups de canon; et, quand avons esté descendus à Sommerset Place, le dict comte d'Ochestre a présenté à Mr de Montmorency, de la part de la Royne, sa Mestresse, ung petit St George à mettre au coul, et luy a baillé les estatutz de l'ordre d'Angleterre; et puis le hérault d'armes luy a ataché la jarretière, ce que mon dict sieur de Montmorency a receu, avec plusieurs bien dignes et honnorables parolles de mercyement à la dicte Dame, avec mencion expresse du congé qu'il avoit de Vostre Majesté de le pouvoir accepter, accollant le dict sieur comte qui le luy présentoit, et le baysant fort cordialement à la joue, comme l'ung des confrères. Et, peu d'heures après, le comte d'Exex, accompagné d'aultre troupe de noblesse, l'est venu visiter pour luy dire, et à Mr de Foix, la bien venue de la part d'elle. Et, le matin ensuyvant, le comte de Sussex, encores plus accompaigné que nul des précédans, luy est venu faire plusieurs honnestes complimens qu'il luy a mandés, et a dîné en la compagnie; puis, sur les quatre heures du soyr, nous a conduictz, avec les mesmes barges du jour précédent, à Ouestmenster. Et là, avec ung concours fort grand des seigneurs et dames de ceste court, et de ceulx qui se sont trouvés en ceste ville, elle a fort favorablement receu, premièrement, mon dict sieur de Montmorency avec une très grande démonstration d'ung vray et inthime contantement, et après, Mr de Foix avec plusieurs gracieuses parolles de grande privauté et confience, et puis tous les gentilshommes françoys, ung à ung, avec tant d'honneste faveur que je ne puis dire, Sire, sinon que ceste princesse a monstré combien elle vous veult honnorer, et combien par effect elle veult satisfaire au debvoir de l'amityé qu'elle vous promet de parolle. Le jour ensuyvant, qui a esté dimanche, quinziesme de ce moys, après que le pouvoir et la forme du sèrement ont esté monstrés à milord de Burgley, et après que Mr de Montmorency, accompagné de Mr de Foix et de moy, a heu présanté à la dicte Dame, à l'issue de ses prières, le dict pouvoir, et luy a heu, en très honnorable façon et avec parolles à ce convenables, faict la réquisition en tel cas requise. Elle, uzant d'une expression grande à monstrer combien volontiers et plus cordiallement, que de nul aultre acte qu'elle heût faict de son règne, elle alloit accomplir cestuy cy, et combien elle réputoit heureux ce jour, auquel elle s'alloit conjoindre d'une perpétuelle confédération avec Vostre Majesté; appellant Dieu à tesmoing pour la punir, si, dans son cueur, il ne voyoit une vraye intention d'en produire les effectz comme estantz les vrays fruictz trop meilleurs et plus grandz que par ses parolles, qui n'en estoient que les feuilles, elle ne le nous pouvoit exprimer; elle a dict, tout hault, que, premier que jurer, elle vous vouloit bien déclarer qu'elle n'avoit, pour encores, randu en Escoce le chasteau de Humes, n'estant bien résolue auquel des deux partis ce seroit, de peur d'y augmanter le trouble, néantmoins que sa résolucion estoit de le remettre ez mains des Escouçoys. Sur quoy nous luy avons requis que la dicte rédiction se fît avec le sceu de Vostre Majesté, ce qu'elle nous a accordé. Et, après, s'estant aprochée de l'autel et estandu la mein sur les évangiles de Dieu, le livre touché entre les mains d'ung de ses évesques, a fort sollennellement juré l'entretènement de tout le contenu au traicté de confédération, jouxte la forme qui en avoit esté auparavant dressée par Mr de Foix, laquelle estant rédigée par un escript en parchemin, elle l'a signée de sa mein sur ung poulpitre d'or soubstenu par quatre comtes, à ce assistans grand nombre de seigneurs françoys et toutz les principaulx seigneurs et dames de sa court. De quoy mon dict sieur de Montmorency, pour tous troys, en a requis l'acte, qui nous a esté concédé avec ung infiny contentement de la dicte Dame et de toutz ceulx qui, des deux partis, y ont assisté. Elle nous a, au partir de sa chapelle, mené toutz troys en sa privée chambre, et, peu après, à la sale de présence, où elle a voulu qu'ayons dîné en sa table, et toutz les aultres françoys en une aultre grande sale auprès, avec les seigneurs de sa court; et, l'après dînée, ayant entretenu quelque temps à part mon dict sieur de Montmorency, elle nous a ramené toutz troys seuls en sa mesmes chambre privée, pour entendre le reste de leur charge; laquelle mon dict sieur de Montmorency, après qu'elle a heu lues les petites lettres, la luy a fort dignement proposée, et Mr de Foix y a adjouxté la confirmation, là où il en a esté besoing. A quoy elle, après les mercyements bien honnorables, dont elle a sceu, sellon sa coustume, fort à propos et fort expressément, uzer vers Voz Majestez Très Chrestiennes, est entrée en ung petit discours des choses du passé et des difficultés présentes; et, sans rien rejecter de ce qui luy estoit maintenant mis en termes, ny monstrer aussy d'en rien accepter, a remis la responce à une aultre foys, après qu'elle y auroit ung peu pensé. Puiz, ayant faict la faveur à mon dict sieur de Montmorency de le mener en la propre chambre où elle couche, elle l'a licencié pour quelques heures, affin qu'il s'allât retirer en la sienne, qui luy estoit préparée là auprès; en laquelle il n'a guyères séjourné que les comtes de Lestre et de Sussex le sont venus prendre pour le mener voyr le combat des ours, des taureaux et du cheval, du cinge, et puys à l'esbat dans les jardins jusques à ce que la dicte Dame y est sortie, attandant l'heure du festin; qui a esté dressé fort grand et magnifique sur une terrasse du chasteau, dans une feuillée fort belle et ample, bien ornée de beaucoup de compartimens et de deux des plus beaux et riches buffetz de l'Europe. Et, de rechef, elle a faict manger Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, à sa table, et tout le reste des seigneurs françoys et angloys, meslés avec les dames de la court, en une aultre fort longue table près de la sienne, fort opulentment traictés, prolongeant les services jusques environ minuict, qu'elle nous a menés sur une aultre terrasse qui regarde dans une grande court du dict chasteau; où nous n'avons guyères tardé qu'ung viellard avec deux jeunes pucelles est entré, qui a requis secours pour elles en ceste court: et soubdein se sont présentés vingt chevalliers sur les rancz, dix blanz menés par le comte d'Essex, et dix bleus menés par le comte de Rotheland, qui ont, pour l'occasion des dictes pucelles, attaqué ung brave combat à l'espée, à cheval; lequel a duré jusque sur l'aube du jour que la Royne, par l'adviz des juges du camp, a déclaré les dictes pucelles libres, et s'est retirée pour s'aller dormir, et a licencié mon dict sieur de Montmorency et toute sa troupe pour s'aller reposer. Aujourdhuy il va à Windesor pour y recepvoir l'ordre à la cérémonie accoustumée, accompagné de toute ceste court, et au retour, il passera à Hamptoncourt, remettant, Sire, toutes aultres choses à ce que, en la lettre générale de nous troys, et en les leurs aultres particullières, ils vous escripvent plus amplement, pour adjouxter seulement icy que je suis infinyement bien ayse que, par les lettres de Voz Majestez, du VIIe de ce moys, je voy qu'il est à tout cecy très bien correspondu de dellà à honnorer et bien traicter le comte de Lincoln et ceux qui sont avecques luy. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de juing 1572. CCLVIIIe DÉPESCHE --du XXIIe jour de juing 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le courrier Barroys._) Négociation de MMrs de Montmorenci et de Foix.--Audience.--Proposition du mariage.--Réunion du conseil pour délibérer sur la demande.--Affaires d'Écosse.--Détails sur la négociation du mariage. AU ROY. Sire, nous avons, le dix huictiesme de ce moys, receu la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté nous escripre, du XIIIe, avec le postcript du XIIIIe, et avons trouvé par icelle que nous, de Montmorency et de Foix, estions arrivés en ceste ville de Londres le mesme jour que vous aviez donné la première audience à monsieur l'admiral d'Angleterre; et avions aussy toutz trois receu le sèrement de ceste Royne, le mesme jour, que luy l'avoit receu de Vostre Majesté; et vous envoyons la coppie de la forme du dict sèrement et acte d'icelluy, que Vostre Majesté trouvera conformes à celluy de la forme et acte du vostre, qu'il vous a pleu nous envoyer. Quand au mariage, nous avons escript à Vostre Majesté, par lettres du XVIIe, envoyez par courrier exprès, ce que nous y avons faict jusques alors; et, le mesme jour, du XVIIe, moy, de Montmorency, suys allé, accompagné de plusieurs seigneurs et gentilshommes de ce pays, à Windesore distant d'icy de vingt milles, où est la chapelle de l'ordre de la Jarretière pour y estre instalé et prendre la possession accoustumée. Par tout le chemin, j'ay tousjours esté, moy et ma suyte, comme auparavant, et suis encores, deffrayé et servy aulx despens et par les officiers de ceste Royne, avec grande abondance; et ay veu ez maysons du dict Windesor et Hamptoncourt, et principallement à Hamptoncourt, la plus grande quantité de riches et précieulx meubles que je vys jamais, et que l'on se sauroit imaginer. Je n'ay esté de retour que jusques au XIXe au soir, et, pendant ce voyage, j'ay parlé plusieurs foix du dict mariage au comte de Lestre, et à milord de Burgley, qui ont monstré le desirer, et promis de s'y emploier de leur pouvoir. Je leur ay aussy faict entendre que nous en voulions avoir responce au plus tost, et, pour ce faire, desirions parler à la Royne d'Angleterre; ce que fut cause qu'elle nous manda toutz troys le lendemein, vingtiesme, pour aller parler à elle après disner, sans cérémonies et en privé; et fusmes conduictz par eau en son jardrin, et l'allasmes trouver en une gallerie, où elle nous accueillit fort gracieusement. Et, après quelques devis du susdict voyage, nous luy dismes que nous avions receu lettres de Vostre Majesté, par lesquelles il vous plaisoit nous faire entendre combien vous avoit esté agréable de voyr le dict sieur amiral et le bon nombre de noblesse qui l'accompaignoient, nous commandant de la remercyer très affectueusement des très bons et honnestes propos qu'il vous avoit tenus de sa part. Et, peu après, rentrant sur le faict du dict mariage, elle continuoit tousjours de mettre en avant le jeune aage de Monseigneur le Duc, monstrant prendre plésir de continuer ce propos, et principallement d'entendre ce que nous luy disions de sa doulceur, bonté et louables meurs, et aultres qualités; et enfin elle demanda comment est ce qu'on feroit de la religion, sur quoy nous luy respondismes que nous estions assurés que l'on n'en seroit en aulcun différend, parce que, si d'ailleurs elle trouvoit bon le dict mariage, elle auroit soing de la conscience, honneur et réputation de Mon dict Seigneur le Duc, comme de la sienne propre, comme aussy luy auroit tout esgard à son contantement d'elle et de ses subjectz, et à l'union et repos de son royaulme. Sur quoy elle réplicqua que c'estoient parolles générales, et qu'elle desiroit entendre le particullier. Nous respondismes que, pour le grand desir que Voz Majestez et Mon dict Seigneur avoient à ce mariage, nous espérions que vous vous contanteriés de ce qu'elle avoit voulu accorder à Monsieur. Et, sur ce qu'elle disoit qu'elle ne luy avoit rien accordé, nous luy respondismes qu'il étoit vray, mais que nous entendions ce qu'elle avoit donné charge à Me Smith de luy accorder. Et, disant la dicte Dame que nous n'en pouvions rien sçavoir, nous luy dismes que nous en appellions à tesmoing sa propre conscience, et que nous sçavions qu'elle estoit si vertueuse qu'elle ne vouldroit rien taire de la vérité. Elle assura que non, et que jà, à Dieu ne pleust que en chose de telle importance, elle voulût tant offancer sa conscience que d'y apporter rien de faulx. Sur ce, ne réplicquant la dicte Dame autre chose, nous prinsmes congé d'elle. Ce jourdhuy nous avons entendu, et de lieu seur, que la dicte Royne déduysoit, sur le soir, bien au long au comte de Lecestre et à milord de Burgley tout ce que nous luy avions dict; et enfin requit le dict de Burgley de luy en dire son advis. Qui luy dict qu'il luy sembloit qu'elle debvoit aujourdhuy assembler son conseil pour en dellibérer, estant l'affaire de si grand poidz et importance qu'il méritoit l'assemblée et conférence de toutz ceulx qu'elle avoit honnorés de ce lieu, et estimoit luy estre fidelles. Ce qu'elle estima bon, et, à ces fins, toutz les seigneurs de ce conseil ont esté mandés pour ceste après dînée, où l'affaire doibt estre proposé par icelluy de Burgley; et de ce que nous entendrons en avoir esté résolu nous en advertirons incontinent Vostre Majesté. Quant au commerce, et affères d'Escoce, il ne nous a pas semblé à propos d'en parler devant qu'avoir résolution du principal, lequel, venant à réuscyr sellon vostre intention, emporte avec soy tout le reste. Cependant nous avons escript à Mr Du Croc que nous ne faudrons, pour les affères d'Escoce, de nous emploier de nostre pouvoir, et comme nous en avons charge et commandement de Vostre Majesté, le priant d'assurer ceulx de Lillebourg que l'intention vostre est de pourvoir à leur seureté, et ne les laisser oprimer par leurs adversaires. Et sur ce, etc. Ce XXIIe jour de juing 1572. A LA ROYNE. Madame, ce seroit chose trop longue de vous racompter en combien d'honnestes façons la Royne d'Angleterre s'est efforcée de caresser et honnorer messieurs voz depputés, et leur faire, et à toute leur compaignie, depuis qu'ilz sont en ce royaulme, le plus grand et le meilleur traictement qu'il est possible de penser, et comme elle a donné ordre que cella leur soit continué jusques à ce qu'ilz remonteront en mer. Dont vous diray seulement, Madame, que Mr de Montmorency et Mr de Foix, chacun en son endroict, et moy avec eulx, du mien, ne cessons, parmy ces bonnes chères, d'acheminer toutjours, aultant qu'il nous est possible, le propos de Monseigneur le Duc vostre filz, et n'obmettons ung seul de toutz les poinctz que nous imaginons y pouvoir servir que nous ne l'y amployons. Et voycy, Madame, l'advancement que nous y avons peu donner, c'est que ne nous sommes en rien layssez vaincre des argumentz de la dicte Dame, bien qu'ilz soient grandz, et nous sommes efforcés de la randre vaincue par les nostres, qui, à la vérité, sont plus grandz et plus urgentz que les siens; mais ils sont fort contredictz par les adversaires, comme j'espère bien aussy qu'ilz seront soubstenus par ceulx qui y ont bonne affection. La matière est ung estat si doubteux que ceulx, qui ne la veulent, commancent bien fort de la creindre, et ceulx qui la desirent ne voyent où debvoir espérer encores rien de certein, et ce qui tient et les ungs et les aultres en merveilleux suspens est que aujourdhuy l'on la met en dellibération de conseil; dont ce qui s'en entendra cy après Vostre Majesté le sçaura bientost. Mais j'estime, Madame, que bonne partie de la conclusion de ce propos a de résulter du bon acheminement que Voz Majestez y donront par dellà avec le comte de Lincoln, et avec les ambassadeurs d'Angleterre, et de ce qu'ilz escripront et rapporteront de la vraye et indubitable intention de Voz Majestez, de l'honneste affection et non feincte de Monseigneur le Duc, et de la bonne opinion qu'ilz imprimeront de luy et de ses vertueuses qualitez par deçà, et du contantement avec lequel vous les aurez en toutes sortes de faveur, de bonnes chères, de présentz, de promesses et d'honnorables entretènementz, renvoyez par deça la mer; vous supliant très humblement, Madame, commander, de bonne heure, que l'apparat soit aussy bon et meilleur pour eulx à leur retour, partout où ilz passeront, comme a esté à l'aller, sellon que je vous puis dire, avec vérité, Madame, que tout ce qui se faict icy pour Mr de Montmorency et Mr de Foix, et les siens, est très magnifique, très sumptueux et royal. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour de juing 1572. Si l'affaire continue de cheminer comme il a commencé, il parviendra bientost à une ou aultre conclusion, et j'ay occasion d'espérer que plutost elle sera bonne que maulvayse, sinon que l'ordinayre instabilité de ceste court y change quelque chose. Je desire que Vostre Majesté escripve une lettre, de sa mein, au comte de Lester pour le mercyer de l'advancement qu'il a donné à ce propos, et pour le prier d'y mettre luy mesmes la perfection, et l'assurer de la récompense. Nous uzons cepandant de toutes les promesses et honnestes persuasions que nous pouvons vers les dames qui sont les plus près de ceste princesse, et vers toutz ceulx qui ont quelque moyen de nous ayder. Je remercye très humblement Voz Majestez de l'honneur et faveur qu'il leur plaist me faire du collier de l'ordre. L'on m'avoit, une foys, respondu qu'il estoit égaré et perdu, mais ayant remonstré qu'il y avoit une promesse par escript de le debvoir rendre, l'on l'a faict trouver, et a esté remis en mes mains depuis deux jours. CCLIXe DÉPESCHE --du XXVIIIe jour de juing 1572.-- Négociation du mariage du duc d'Alençon. Icy défault une dépesche, mais, en lieu d'icelle, suplèe ung discours que Mr de Foix a adressé. Ce _Discours_, qui renferme le détail de toute la négociation de Mrs de Montmorenci, de Foix et de La Mothe Fénélon, touchant le mariage du duc d'Alençon, ayant été imprimé en entier dans l'édition que Le Laboureur a donnée des _Mémoires de Castelnau_ (t. 1er, p. 652), nous croyons inutile de le reproduire. Il n'a pas été d'ailleurs transcrit sur les registres de l'ambassadeur, mais il s'en est trouvé dans ses papiers plusieurs copies, qui sont littéralement conformes à celle qui a été publiée par Le Laboureur. CCLXe DÉPESCHE --du premier jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._) État de la négociation de MMrs de Montmorenci et de Foix.--Plaintes de Marie Stuart.--Nouvelles des révoltés de Flessingue.--Riches présens faits à MMrs de Montmorenci et de Foix.--Explication sur la négociation du mariage du duc d'Anjou. AU ROY. Sire, de tout ce qui s'est négocié, icy, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix y ont esté, et combien avant, eulx et moy, y sommes allés, et où nous en sommes demeurés, je laisse à eulx de le vous particullariser par le menu; et vous diray seulement, Sire, que ce que la présence d'ung seigneur de grande qualité, qui a la réputation d'estre fort entier et véritable, et plein de toute sorte d'honneur et de vertu, peult en cella, Mr de Montmorency l'y a tout aporté; et ce que les sages advertissementz, et prudentes considérations, et vifves remonstrances pleines de rayson, y ont peu donner d'efficace, Mr de Foix l'y a fort abondamment et fort dignement presté. Et je n'ay obmis, de ma part, rien de ce que je y ay peu aporter de ma dilligence, y ayans, toutz troys, fort soigneusement observé le temps, et l'ayant faict observer par ceulx d'icy qu'avons cognu y avoir bonne intention; de sorte que rien n'y a esté précipité, ny aussy rien délayssé. Et croy bien, Sire, quand à l'acte de confirmation et sèrement du traicté, et à donner impression à ceste princesse de vous demeurer perpétuellement confédérée, qu'il ne se peut desirer rien de plus, ny de mieulx, de ce qui en a esté faict. Et, au regard du propos de Monseigneur le Duc, ceste princesse l'a prins de fort bonne part, et a fort grandement remercyé Voz Majestez qui le luy présentiés, et a fort honnorablement parlé de luy qui se offroit à elle. Ses conseillers l'ont générallement approuvé, et ont réduict toutes les difficultés à deux seules, qui sont de l'aage et de la religion; et encores, si la première se peult vaincre, que la seconde se modèrera. Sur quoy a esté prins le dellay d'un moys pour y faire une résolue responce, laquelle dépend assez du raport que feront ceulx qui retournent de France; lesquelz, pour ceste occasion, je me resjouys infinyement que Vostre Majesté les ayt renvoyez ainsy bien contantz, comme elle le nous escript, du XXIIIe et XXVe du passé. Et, quant aux aultres poinctz, concernant les deux lettres que ceste princesse vous debvoit escripre: l'une, de sa mein, pour l'expression de la cause de la religion au traicté, et l'aultre de l'interprétation du XXVIe article; pareillement de la paix d'Escoce; et du transport du commerce d'Angleterre en vostre royaulme; il a été satisfaict au premier, et Mr de Montmorency en a emporté la lettre: laquelle, ainsy qu'elle est, a esté dressée par ceste princesse, qui estime estre en meilleure forme que l'aultre que milord de Burgley luy avoit minituée, dont nous a en faillu contanter. Et le segond a esté tant débatu qu'il a esté remis d'ouyr là dessus Me Smith, après qu'il sera arrivé, premier que d'en dépescher nulle lettre. Pour le troysiesme, il sera promptement envoyé une déclaration en Escoce, contenant que résolution a esté prinse entre ceste princesse et nous, voz depputés, d'admonester les deux partys, qui sont par dellà, de faire commancer que soyt une vraye et seure abstinence d'armes affin de traicter des moyens d'accord entre eulx; et, s'il y a quelque différend sur les condicions de la dicte abstinence, qu'ilz se raporteront à ce que les deux ambassadeurs, qui sont devers eulx, en ordonneront. Le quatriesme, qui est du commerce, demeure à estre traité, icy, à loysir, par les marchandz de ceste ville avecques moy, dans les quatre moys du dellay, qui a esté préfix à cella. Et, oultre ce dessus, Mr de Montmorency et Mr de Foix ont proposé aulcunes choses honnorables, de vostre part, pour la personne de la Royne d'Escoce, en quoy ilz n'ont esté du tout esconduictz; et mesmes ont heu permission de pouvoyr envoyer devers elle, dont ilz y ont dépesché le secrettère d'Ardoy. Elle m'a escript deux fort amples lettres, du Xe et XVe du moys passé, et m'a envoyé aultres deux lettres pour Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et m'a prié de vous faire entendre le misérable estat, auquel elle et ses affères sont réduictz; dont, de tant que je ne le vous sçaurois mieulx représanter que par ses propres lettres, je les ay adjouxtées à ce pacquet, et loue infiniement le bon et vrayement royal office qu'avez faict pour elle vers ces seigneurs angloys, qui estoient par dellà, lequel servira grandement à ceste pouvre princesse. Il semble que des nouvelles, qui viennent d'arriver de dellà la mer, que Flexingues a cuydé estre surprinse, et qu'on n'a tant de contantement du debvoir que les françoys, qui y sont, ont faict pour y résyster que des angloys. L'on prépare d'y envoyer, d'icy, quelque renfort d'hommes, et pensent aulcuns qu'enfin la Royne d'Angleterre prendra ceste ville là en sa protection. Je vous manderay, jour par jour, ce qui s'en entendra. Et, pour faire fin, je vous diray, Sire, que Mr de Montmorency et Mr de Foix, et toutz les seigneurs et gentilshommes françoys de leur compagnie, après avoir, l'espace de quinze jours, esté en toute magnificence et grandeur fort favorablement entretenus en festins, en bonnes chères, en diverses sortes de passe temps, sans laysser quasy une seule heure vuyde de plésir; et, ayant mon dict sieur de Montmorency, oultre le collier et l'habillement de l'ordre d'icy, et deux petites ordres et deux jarretières, fort belles et riches, que ceste princesse et le comte de Lestre luy a donné, esté gratiffié d'elle d'ung présent, d'envyron sept mille escuz en vaysselle d'argent doré, et d'un vase d'or fort beau; et Mr de Foix aussy d'un buffet d'environ douze cens escuz; et toutz deux, et encores aulcuns des aultres seigneurs, d'ung nombre de belles hacquenées et de dogues par le dict comte de Lestre; et estantz reconvoyez jusques à Douvres par le comte de Herfort avec cinq aultres milordz, ilz s'en sont retournés très contantz par dellà; et ont layssé ung semblable grand contantement d'eux à tout ce royaulme. Dont je prie Dieu que les effectz plus grandz puissent bientost suyvre ces honnestes démonstrations. Et sur ce, etc. Ce Ier jour de juillet 1572. A LA ROYNE. Madame, il suffira, s'il vous plaist, pour ceste foys, que je ne passe à choses plus expresses de la négociation, qui a esté faicte icy, pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix y ont séjourné, qu'ainsy que présentement je les metz générales en la lettre du Roy; m'assurant que Vostre Majesté aura plus de plésir d'en entendre la particullarité par eulx mesmes, que si je vous en faysois, icy, un récit à part. Seulement vous diray, Madame, que, pour le propos de Monseigneur le Duc, il a esté besoing de respondre à ung particulier escrupulle, que ceste princesse et les siens nous ont faict, du doubte, où l'on les a voulu mettre, que Vostre Majesté n'avoit jamais heu bonne inclination que Monsieur, vostre filz, l'espousât. En quoy, oultre les vrayes et indubitables occasions, que toutz troys avons alléguées à la dicte Dame pour la persuader au contraire, et, oultre celles que, de longtemps, je luy avoys représantées avec grand démonstration de vérité, comme, cy devant, je le vous ay escript, Mr de Montmorency luy a faict tant de particulliers comptes de ce qu'il avoit veu, sceu et ouy en cella, et l'a confirmé avec tant d'expression, et avec sèrement, que la dicte Dame en est demeurée très abondamment satisfaicte, et si bien édiffiée de la vraye et indubitable sincérité et droicte intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, et de la dévotion et affection de Monsieur qu'elle en demeure du tout deschargée du mal qui luy en restoit sur le cueur; de sorte que, quand luy et Mr de Foix sont partis, elle a uzé de termes si honnorables de Voz dictes Majestez et de Monsieur, et encores de tant honnorables et bons de Monseigneur le Duc, que de meilleurs ny plus honnorables ne s'en pourroit tenir au monde. Je verray bientost, et le plus souvant que je pourray, la dicte Dame, et auray grand plésir que ce puisse estre avec l'occasion de voz lettres, en la forme et substance que Mr de Montmorency et Mr de Foix sçavent qu'il les faudra escripre; et qu'il y en ayt une fort expresse, de vostre mein, ou de celle du Roy, pour le comte de Lestre; et, jour par jour, je vous manderay tout ce que je pourray entendre et descouvrir en cella. Sur ce, etc. Ce Ier jour de juillet 1572. CCLXIe DÉPESCHE --du Ve jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._) Audience.--Négociation du mariage du duc d'Alençon.--Conversations intimes d'Élisabeth et de l'ambassadeur à ce sujet.--Espoir d'un meilleur traitement pour Marie Stuart.--Secours préparé à Londres pour Flessingue.--Nouvelles d'Écosse.--Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh sur le projet de mariage.--Desir que le duc d'Alençon passe en Angleterre. AU ROY. Sire, j'ay esté, le troysiesme de ce moys, devers la Royne d'Angleterre pour luy dire que, par une dépesche de Vostre Majesté, du XXVe du passé, (laquelle Mr de Montmorency et Mr de Foix, après que je fuz départy d'eux à Rochestre, l'avoient reçue, ainsy qu'ilz arrivoient à Setimborne, et l'avoient leue, et puis me l'avoient envoyée), vous nous commandiez, à tous troys, de luy dire que vous ne pouviez sentyr chose, en ce temps, qui plus vous apportât de contantement que d'avoyr de si expresses et si certeines déclarations d'amytié, comme nous vous monstrions, par noz précédantes lettres, que la dicte Dame s'esforçoit, en beaucoup d'honnorables sortes, de vous rendre; et que vous la remercyez infiniement des honnestes faveurs et honneurs, et bonnes chères, qu'elle avoit faictes à Mr de Montmorency, à Mr de Foix et à toute leur compagnie; et de ce que, tant franchement, et d'un cueur ouvert et entier, elle avoit satisfaict au sèrement et ratiffication du traicté. De quoy vous estimiés, Sire, ne la pouvoir mieulx récompanser que par une correspondance de semblable amityé vers elle, esloignée de toute simulation, et qu'à cella, suyvant le sèrement et ratiffication que, de mesmes, vous aviez faict de vostre part, vous ne manqueriez à jamais d'aulcun debvoir que vous luy puissiez rendre de bon et naturel frère et perpétuel confédéré, sans excuse ny dellay quelconque, en tout ce que le bien de ses affères, l'accroissement de sa grandeur, le repos de son estat et la seureté de sa personne, le pourroient requérir. A quoy la dicte Dame, pleine d'ung grand ayse, ainsy qu'elle l'a monstré, m'a respondu qu'elle ne sentoit aussy rien, de son costé, qui plus luy donnât de consolation et de contantement, que l'assurance de vostre amytié, laquelle luy estoit le plus riche et le plus précieux acquest qu'elle heût faict, de tout son règne, et c'estoit ce qu'elle vouloit le plus soigneusement conserver; qu'elle savoit bien qu'il n'avoit esté possible d'arriver à fayre icy vers les vostres ce que Vostre Majesté avoit faict par dellà vers les siens, sinon en affection, en quoy elle croyoit de vous égaller, et, possible, de vous surmonter; et aulmoins remercyoit elle Dieu que ceste bonne troupe des vostres, qui s'en retournoit, luy seroit aultant de tesmoings vers Vostre Majesté, et vers toute la France, d'avoir veu par démonstration d'effect accomplir ce qu'elle m'avoit souvant promis et assuré de parolle: qu'elle procédoit de vraye et droicte intention, pleine de toute sincérité, à se confédérer pour jamais avec Vostre Majesté et vostre couronne; et qu'encor que, par lettres, qu'elle venoit tout freschement de recepvoir d'Escoce, il luy estoit mandé que le capitaine Granges la menaçoit du contraire, assurant que ceste ligue ne seroit d'aulcune durée, qu'elle n'en croyoit rien, ains se confioit parfaictement en l'assurance et vérité de vostre parolle. Je luy ay dict qu'elle la trouveroit perpétuellement ferme et indubitable. Et ay adjouxté, Sire, que, par la mesme dépesche, du XXVe du passé, vous nous commandiez à tous trois de luy représanter le singullier contantement, que vous aviez, de ce qu'elle avoit prins de bonne part l'offre, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy aviez faicte, de Monseigneur le Duc, vostre frère et filz, et que c'estoit la chose de ce monde par laquelle vous desiriez plus signiffier à toute la Chrestienté que vous estiez uny avec elle d'ung lien si indissoluble qu'il ne restoit nul moyen de le pouvoir rompre; nous ordonnant qu'avant nous départir, nous fissions tout ce qu'il nous seroit possible pour mener l'affaire à quelque résolution, affin que les deux la vous peussent rapporter à leur retour. Dont ilz creignoient bien que ne vous rapportant qu'ung dellay, qu'ilz ne seroient bien receus de Vostre Majesté; mais ilz se consoloient en deux choses: l'une, que le dellay n'estoit long; et l'aultre, que la dicte Dame estoit si prudente et vertueuse, que tant plus elle prendroit de loysir pour considérer l'affaire, plus elle se confirmeroit non seulement de le vouloir, mais de le desirer, soit qu'elle regardât à elle mesmes ou bien à son estat, ou aulx amys qu'elle faysoit, ou combien elle se jectoit hors du danger de toutz ses ennemys, mais singullièrement combien de sortes de vray contantement, d'honneurs, d'advantages, de seuretés et infinyes commodictés, elle s'acquerroit par ce mariage, et combien elle mettroit fin à toutz les ennuys, à toutz les inconvénientz et à toutz les périlz qu'elle pouvoit creindre, pour le reste de sa vye. Ce que je luy ay bien voulu dire, Sire, parce que ceulx, qui veulent bien à ce propos, me l'ont conseillé. Elle m'a respondu qu'elle cognoissoit avoir plus d'obligation à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, qu'elle n'en avoit, ny pourroit jamais avoyr, à nulz princes de la terre, et qu'ung de ses conseillers luy venoit de dire qu'elle advisât bien de ne faire que les difficultés, qui n'estoient que légières pailles dedans l'une des balances de cest affaire, n'emportassent ce qui estoit de plomb et de solide dedans l'aultre; ce qui luy faisoit desirer, de bon cueur, que l'inégalité de l'aage ne se monstrât si malaysée qu'elle est, mais bien voyoit que celluy de Monseigneur le Duc ne se sçavoit tant approcher que le sien ne s'esloignât davantaige de la vraye proportion que les deux debvoient avoir ensemble, ce qui la retenoit en plusieurs doubtes pour ce regard; car, quand à tout le reste, elle estimoit qu'il n'y avoit rien qui ne fût facille à accomoder. J'ay réplicqué, Sire, que j'estois bien ayse que toutes les difficultés fussent réduictes à celle seule de l'aage, et qu'elle n'eût sinon creinte que Mon dict Seigneur le Duc, pour estre jeune, ne la sceût bien aymer. Sur quoy je luy avois desjà dict et ne voulois cesser de luy dire que ce, que j'estimois de plus parfaict en cest affaire, estoit le jeune aage de ce prince; car, encor qu'il ne fût pour s'entremettre si tost du gouvernement, bien qu'elle l'y associât, ains pour se laysser conduire à tout ce qu'elle et ses conseillers vouldroient, qui seroit chose que ses subjectz n'auroient que bien agréable, si, voyoit on en luy tout ce qui estoit requis pour satisfaire aux deux plus nécessaires occasions qui faisoient desirer ung roy par deçà: la première estoit la personne avec la présence et la dignité, qui se monstroient en luy très royalles, et accompaignées d'ung bon sens et de beaucoup de valeur, pour estre desjà fort capable de commander; l'aultre, qu'il estoit comblé de toutes les honnestes et agréables et souhaitables qualités, qui se pouvoient desirer pour estre très digne mary d'elle; et n'y avoit, je ne voulois pas dire ung prince en Europe, mais entre les gentilshommes, d'espée et cape, ne s'en trouveroit ung qui fût pour satisfaire, mieulx que luy, à tout ce qui pouvoit contanter la bonne grâce d'une belle et vertueuse princesse; et qu'au reste elle feroit tort à elle mesmes, de ne s'estimer assez digne de l'amour et du service du plus accomply prince qui soit en la terre; et à luy, qu'il fût de si maulvais jugement, et si mal nourry, qu'il ne recognût en elle les excellentes et belles qualités qui la rendoient singulièrement aymable. Dont la supliois qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée que nulle, soubz le ciel, seroit plus parfaictement bien aymée et honnorée qu'elle, s'il luy playsoit de bien aymer ce prince, et le recepvoir en sa bonne grâce. Elle m'a respondu qu'encor seroit il besoing, si Monseigneur le Duc avoit à venir par deçà, qu'il sceût estre au conseil, et commander, bien qu'elle ne le desiroit ny trop sévère ny mélancolicque; mais une chose surtout luy faysoit tousjours peur, c'est que toutz deux, en ung mesme temps, se verroient fort diversement croistre, luy en perfections, et elle en deffaultz, ce qui feroit qu'après sept ou huict ans, dedans lesquelz, à la vérité, elle espéroit de luy estre assez agréable, il viendroit, incontinent après, à la mespriser et la hayr, ce qui l'envoyeroit le landemain au tombeau. Je luy ay respondu qu'en une amityé contractée entre deux personnes royalles, soubz la bénédiction de mariage, telle chose n'estoit aulcunement à creindre, et que Mr de Montmorency et Mr de Foix luy avoient dict tout ce qu'ilz avoient sceu et creu, et espéré, de cest affaire, et elle leur debvoit adjouxter foy, estantz personnages d'honneur et de vertu, et parlantz de la part de princes très vertueux et très honnorables; et que je n'avois que adjouxter, pour ceste heure, à leurs remonstrances, sinon ung petit escript, que j'avois trouvé dans leur pacquet, lequel je n'avois, à la vérité, nulle commission de le luy monstrer, mais j'estimois qu'il pouvoit beaucoup servir à l'esclarcir de ce principal doubte qu'elle avoit sur le cueur. Sur quoy, ayant la dicte Dame demandé des sièges, elle m'a menné assoir auprès d'elle en ung coing de la chambre; et luy ayant baillé le dict escript, elle a veu que c'estoit une lettre, que Monseigneur le Duc avoit escripte de sa mein à Mr de Montmorency, concernant ce propos, dont elle l'a lue tout au long et l'a relue une segonde foys, et l'a trouvée merveilleusement bien faicte, et fort convenable à ce qu'elle desiroit cognoistre de luy. Et, après avoir loué la belle et propre et bien ornée façon d'escripre, et l'escripture mesmes, elle m'a dict que cella seroit cause dont elle me diroit qu'elle s'estoit fort esbahye qu'en tout le temps que le comte de Lincoln avoit demeuré en France, il ne luy avoit escript ung seul mot de ce propos, et qu'elle croyoit que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy en aviez aulcunement parlé; dont ne sçavoit que penser sinon que la maladie de la Royne en avoit esté cause, me demandant là dessus bien fort curieusement comme elle se pourtoit. A quoy ayant satisfait que, grâces à Dieu, j'estimois que fort bien; elle a suyvy à dire qu'il estoit bien vray que, depuis le partement de Mr de Montmorency et de Mr de Foix, elle avoit veu une lettre d'ung des angloys qui estoient allez en France, homme de bon jugement, qui parloit le plus honnorablement de ce prince qu'il estoit possible, assurant qu'il estoit d'une belle disposition, fort adroit, et qui s'exerçoit à toutes sortes d'armes aultant vigoureusement que nul prince ou seigneur qui fût en la court, et qu'il avoit la grâce fort bonne, et toutes ses condicions et qualités fort aymables et fort recommandables, seulement la petite vérolle luy avoit faict un peu de tort au visage, mais que cella se pourroit guérir dans ung moys; et qu'elle attandoit, en brief, le comte de Lincoln pour en entendre plus avant, ne demeurant en rien si creintifve que de ceste diverse sorte qu'ilz avoient à croistre ensemble, luy en toutes sortes de pris, et elle en toutes sortes de despris; néantmoins qu'elle prioit Dieu, et vouloit que je le priasse aussy, qu'elle peût faire en cest endroict une telle résolution qui peût bien contanter Voz Très Chrestiennes Majestez. Qui est en substance, Sire, tout ce que, pour ceste fois, j'ay peu recueillir des propos de la dicte Dame, bien qu'ilz ayent esté plus longs, et que je les aye tout exprès prolongés davantaige pour pouvoir remarquer quelque chose de son intention. Au surplus, Sire, vous entendrés par Mr de Montmorency la parolle qu'il a obtenue d'elle pour la personne de la Royne d'Escoce. Luy et Mr de Foix ont faict beaucoup de dignes offices pour elle; et j'espère que celluy, que la Royne a faict en l'endroict des seigneurs angloys qui estoient par dellà, servira grandement à ceste pouvre princesse. J'ay suyvy icy, le plus doulcement que j'ay peu, les instances que toutz troys avions commancé d'en faire, en sorte que, grâces à Dieu, le parlement a esté remis jusques à la Toutz Sainctz, sans rien toucher au tiltre que la dicte Dame prétend à la succession de ce royaulme. Je sçauray encores mieulx comme la chose en demeure, et la vous manderay par le premier. Il se prépare icy ung bon secours pour envoyer à Fleximgues, et semble qu'on vueille passer plus avant en l'entreprinse de Olande qu'on ne le pensoit du commancement. J'en apprandray, jour par jour, les particullarités. L'on est fort escandalisé du propos que le cappitaine Granges a tenu: que la ligue ne seroit pas de durée, et que Vostre Majesté luy avoit offert dix mille escus, s'il vouloit mettre le chasteau de Lillebourg entre voz mains. J'ay fort soubstenu qu'il ne pouvoit avoir dict une chose si faulce que cella. Nous sommes après à faire conjoinctement une dépesche au dict pays, et, encore que ne convenions encores du tout bien comme se fera, je croy qu'à la fin nous nous en accorderons. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juillet 1572. A LA ROYNE. Madame, après avoir heu avec la Royne d'Angleterre le long discours que trouverez en la lettre du Roy, j'ay parlé au comte de Lestre pour le confirmer en celle tant dévote affection qu'il a assuré Mr de Montmorency et Mr de Foix qu'il avoit à la confirmation du propos de Monseigneur le Duc, et il m'a monstré qu'il y estoit plus disposé que jamais. Et puis je me suis retiré, à part, avec milord de Burgley, soubz prétexte de traicter avec luy des choses d'Escoce, et luy ay récité tout ce qui s'estoit passé entre la Royne, sa Mestresse, et moy; lequel a loué grandement le propos, et encores plus loué l'advis que j'avois prins de monstrer la lettre de Monseigneur le Duc, vostre filz, à la dicte Dame, et luy mesme l'a trouvée très bien faicte, et la plus à propos du monde; et m'a dict que plusieurs doubtes avoient saysy la Royne, sa Mestresse, quant elle avoit veu qu'en tout le temps que le comte de Lincoln avoit demeuré en France, il n'avoit rien escript de ce propos par deçà, et qu'elle craignoit qu'il heût cognu de la froideur en Monseigneur le Duc, ou bien quelques desfaultz qu'il n'avoit ozé les mander; mais que, despuis, il avoit escript en si bonne et advantageuse sorte de luy, qu'elle en demeuroit la mieulx édiffiée du monde, et que je ferois bien d'advertir Mr de Montmorency et Mr de Foix, si le temps le portoit, qu'ilz instruisissent bien le dict sieur comte de Lincoln et Me Milmor aussi, quand ilz les rencontreront en chemin, sur tout ce qu'ilz auront à rapporter par deçà, sans toutesfois tromper leur Mestresse, et que je fisse aussy aller quelqu'ung au devant d'eux pour les bien disposer. Sur quoy, Madame, mon dict sieur de Montmorency et Mr de Foix, avant partir d'icy, ont bien advisé de ce qu'ilz auroient à faire et dire, quand ilz rencontreroient les dicts sieurs comte Smith et Milmor, de sorte qu'il ne fault doubter qu'ilz n'y ayent abondamment satisfaict. Et j'ay donné ordre, icy, qu'aussitost qu'ilz aprocheront de cest court, milord de Boucaust et maistre Enich aillent au devant d'eux pour leur faire la bouche. Et encores le comte de Lestre me vient de mander qu'il les priera de faire bien leur debvoir, mais qu'il me vouloit bien assurer que Mr de Montmorency, ny Mr de Foix, ny moy, ny pareillement luy, ny milord de Burgley, ny tout le conseil d'Angleterre n'avoient tant advancé ce propos vers la Royne, comme avoit faict ceste petite lettre que je luy avois montrée au soyr; et que pourtant il me prioit de dépescher en dilligence vers Vostre Majesté pour faire que Mon dict Seigneur le Duc me vueille escripre une aultre bonne lettre, plaine d'affection, pour me recommander de m'emploier vifvement en cest affaire, et qu'elle soit pour estre monstrée à la dicte Dame; et encores, s'il luy sembloit bon, une aultre à luy mesmes, et encores une aultre à elle, car estimoit que cella ne luy pourroit de rien préjudicier, mais aulmoins une à moy, et qu'il ne creignît de dire que, si n'estoit la réputation du monde, et que Voz Majestez le luy voulussent permettre, il passeroit très volontiers par deçà pour la venir remercyer de la faveur qu'elle avoit porté au propos qu'on luy avoit tenu de luy, et pour se dédier et consacrer pour jamais à l'honneur, et service d'elle; car dict que surtout elle vouloit estre requise, et avoyr quelque cognoissance qu'elle fût aymée. Je ne veulx, Madame, faire trop de fondement en ces démonstrations, car l'ordinayre instabilité de ceste court ne me le permet, mais, de tant que c'est chose qui n'est ny esloignée du propos ny malaysée à faire, j'ay estimé qu'il ne sera que bon de l'essayer. Le dict sieur comte ne déclare encores rien de son intention, touchant le party qui luy a esté proposé pour luy, et dict que, pourveu que le principal succède bien, il ne peut demeurer que trop bien pourveu par la bénéficence du Roy et de celle du segond Roy, voz enfans, et de celle de la Royne, sa Mestresse; par ainsy qu'il ne fault parler de son faict jusques après la conclusion de l'aultre. Tant y a qu'il desire avoir le pourtraict de madamoyselle de Montpensier, lequel il sçait bien qu'est en la mayson du comte Palatin; dont je vous suplie très humblement, Madame, l'en vouloir faire gratifier, et croyre que c'est ung poinct fort important. Sur ce, etc. Ce Ve jour de juillet 1572. CCLXIIe DÉPESCHE --du Xe jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Laurent._) Retour du comte de Lincoln et de Me Smith.--Clôture du parlement.--Résolution concernant Marie Stuart.--Secours envoyés à Flessingue.--Fausse nouvelle d'une victoire remportée près de Mons par les Gueux.--Négociations du mariage. AU ROY. Sire, le VIIe de ce moys, Mr le comte de Lincoln et les milordz et gentilshommes, qui estoient passez en France avecques luy, et Me Smith sont arrivés en ce lieu, lesquelz, par le raport qu'ilz ont faict de leur voyage à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de ce conseil, et à toute ceste court, j'entendz qu'ilz se sont bien fort louez de l'honneur, faveur et bonne chère qu'ilz ont receus par dellà, et que si, d'avanture, il y a heu quelque deffault, ou à Paris, ou par les chemins, que cella reste trop plus que suffisemment récompansé par l'abondance de bonne affection que Vostre Majesté monstre de porter à la Royne, leur Mestresse, et à toute ceste nation, et par la privaulté et courtoysie, et gracieuseté, dont il vous a pleu uzer en meintes sortes vers eulx; de façon qu'avec beaucoup de louenge, qu'ilz donnent à Voz Majestez Très Chrestiennes et à Messeigneurs voz frères, pour les excellantes et vertueuses qualitez qu'ilz ont remarquées en vous et en eulx, ilz protestent qu'après leur Mestresse, ilz vous sont plus serviteurs qu'à nul prince qui soit aujourd'huy en tout le reste du monde. Le dict sieur comte de Lincoln, et Me Smith et Me Milmor font de très bons offices pour advancer le propos de Monseigneur le Duc, et parlent bien fort à l'advantage de luy, assurantz qu'il est d'une fort belle disposition, et qu'il a la taille belle et bien proportionnée, et est fort vigoureux et adroict, et, au reste, qu'il est si accomply, en toutes aultres bonnes et desirables condicions et qualités, qu'il n'y a que le seul accidant du visage qui luy face ung peu de tort. Icelluy sieur comte et Me Smith m'ont envoyé visiter, et m'ont mandé qu'ilz me viendroient voyr. Je mettray peyne de cognoistre d'eux à quoy il leur semble que incline l'affère, et de leur confirmer, par toutes les persuasions qu'il me sera possible, la bonne affection qu'ilz monstrent d'y avoyr. Milord Sideney et meylady Sideney, sa femme, laquelle peut infinyement vers sa Mestresse, se sont soigneusement enquis si leur filz estoit bien veu en vostre court, et s'il aura l'honneur que le faciez gentilhomme de vostre chambre; dont je seray bien ayse, Sire, qu'il s'en puisse louer vers eulx, avant la fin de ce moys. Le Sr de L'Espinasse est passé en Escoce, lequel j'ay mis peyne, avec quelques advertissementz de Mr David Chambres, de l'envoyer, le mieulx instruict que j'ay peu, vers Mr Du Croc, son beau père, sur toutz les affères de dellà, et n'ay obmis d'envoyer au dict Sr Du Croc, une segonde foys, le mesmes arresté, qu'il a, à mon advis, desjà receu par mes précédantes, des choses qu'on nous a accordées pendant que Mr de Montmorency et Mr de Foix ont esté icy. Au surplus, Sire, le jour que la Royne d'Angleterre a esté clorre son parlement, après que milord Quiper a heu proposé assez briefvement pour elle en l'assemblée, elle a faict lire, tout hault, les déterminations du dict parlement qui se sont trouvées en nombre vingt et troys, desquelles elle a passées la pluspart; mais, quand est venu à celles qui touchent la Royne d'Escoce, elle a dict qu'elle y vouloit penser, parce qu'elles estoient de grande conséquence, priant ceulx de l'assemblée de croyre que ce n'estoit en la façon accoustumée par le passé, que, quand le prince remétoit d'y penser, c'estoit qu'il n'en vouloit rien faire; et qu'elle dellibéroit de pourvoir indubitablement à ces affères de la Royne d'Escoce, après qu'elle auroit bien et meurement consulté quand, et comment, et par quel ordre et façon, elle y debvroit procéder. De quoy les ecclésiastiques et les plus passionnés de la religion protestante sont restez fort malcontantz, car ilz pensoient avoir bien dressé leurs praticques pour rendre, à ce coup, désauthorée ceste pouvre princesse de la future succession de ceste couronne; mais je croy, Sire, que la Royne d'Angleterre se contantera de donner ordre que, durant sa vye, elle ne luy puisse rien quereller. Je loue Dieu que, parmy beaucoup de très grandz et très imminantz dangers, il préserve tousjours ceste princesse, et nous laysse espérer quelque chose de mieulx à l'advenir pour elle par la clémence et débonnaireté de sa cousine. Ceulx de ce conseil se sont assemblés par plusieurs foys, et s'assemblent toutz les jours, sur les affères de Flandres. Je voy bien qu'ilz veulent ayder à bon esciant à ceulx de Fleximgues, et mettre pied en Zélande. Il est vray que leur agent en Hembourg leur escript que de bien fort grandes levées d'allemans sont prestes à marcher pour les deux partis, et qu'il creint que celles du prince d'Orange, par faulte d'argent, seront les dernières en campaigne, ou bien qu'elles s'arresteront du tout, et que l'espérance gist en deniers qui pourront provenir de ces marchandises, qui ont esté prinses à la venue du duc de Medina Celi. Tant y a qu'on n'a layssé d'envoyer pour cella d'icy, depuis deux jours, mille soldatz en fort bon équippage à Fleximgues, soubz la charge du cappitaine Gelibert, en sorte qu'il y a, à présent, près de deux mille angloys, et s'en apreste beaucoup plus grand nombre, sans commission toutesfois, ny sans aulcune apparante authorité de cette princesse, ny de son conseil. Milord de Burgley m'a mandé que les marchandz de Londres ont commancé de parler avecques luy du commerce, et que bientost nous en pourrons traicter, et pareillement de l'esclarcissement du XXXVIe article, puisque Me Smith est arrivé. Mr de Montmorency et Mr de Foix m'ont faict tenir la dépesche, que Vostre Majesté avoit conjoinctement faicte à eulx et à moy, du XXVIIe du passé, sur laquelle j'yray trouver ceste princesse avant qu'elle entre en son progrès. Et sur ce, etc. Ce Xe jour de juillet 1572. Depuis ce dessus, est venu nouvelles que dom Fédéricque d'Alba et le Sr Chapin ont esté deffaictz près de Montz[2], ce qui eschauffe davantage ceulx cy à secourir ceux de Fleximgues. [2] Cette nouvelle était fausse. Ciapino Vitelli avait au contraire remporté un avantage signalé sur le Sr de Genlis, qui venait au secours de Mons avec 4,000 piétons, 200 hommes d'armes, 2 compagnies d'arquebusiers à cheval et 500 chevaux. Genlis, surpris près de Quévrain à une lieue et demie de Mons, perdit 1,200 hommes et fut fait prisonnier. A LA ROYNE. Madame, j'ay grand regret que Mr de Montmorency et Mr de Foix n'ayent rencontré en chemin Mr le comte de Lincoln et sa compagnie, pour plusieurs bons effectz que leur conférance, partantz ainsy freschement, les ungs de ceste court, et les aultres de la vostre, eussent peu apporter au propos de Monseigneur le Duc vostre filz, mais l'incommodicté de la mer a empesché cella. J'ay mis peyne, avant que nul de ceulx qui sont retournés ayent parlé à ceste princesse, que les principaulx, comme est monsieur l'admiral, Me Smith et Me Milmor, ayent esté préocupés et préparés par ceulx qui ont singullière affection au dict propos; de sorte que, quand ilz sont venus à faire leur raport, il ne se peut desirer rien de mieulx que ce qu'ilz ont dict à la louenge de Mon dict Seigneur le Duc, n'obmettant rien de ce qu'ilz ont cognu de valeur, de vertu et de perfections en luy; mais, comme ilz ont parlé à la vérité de ces choses, ilz n'ont aussy rien dissimulé de l'inconvénient du visage; et quelques ungs, qui ne sont des troys, l'ont exagéré en façon que les mieulx disposez se sont teus. Dont milord de Burgley, lequel persévère constamment en l'affère, m'a mandé que, quand à luy, il ne cesseroit de monstrer que le party, de soy, estoit très honnorable et très utille, et encores desirable pour sa Mestresse et pour son royaulme; mais, quand au deffault de l'eage et inconvénient du visage, qu'il ne pouvoit, ny vouloit, en cella, la presser, et qu'à la vérité ce qu'on raportoit du visage estoit tel que luy, ny aultre, n'en ozeroit plus parler; et qu'il me prioit, sur ce que je luy mandois que cella seroit aysé à remédier, que, si je sçavois quelqung en ce royaulme qui en heût esté guéry par le mèdecin, qui en assuroit la guérison, que je le luy nommasse, et qu'il s'esforceroit d'en faire valoir la remonstrance aultant qu'il luy seroit possible. J'ay mis peyne, Madame, de luy en faire nommer deux, dont l'ung est de ceste ville de Londres, et l'aultre est une dame du pays, laquelle est parante de la comtesse de Betfort. Et, à la vérité, le dict mèdecin, qui est personnage de grand sçavoir et de beaucoup d'expériance, ne met grand difficulté en cella, et dict que le remède n'est nullement malaysé, et si, est bien seur. J'ay faict tenir vostre lettre au comte de Lestre, avec confirmation de tout ce que j'ay estimé bien à propos pour luy pouvoir rendre indubitable la promesse de Voz Majestez, et l'assurer de la perpétuelle faveur de Monseigneur le Duc, et le semblable à milord de Burgley, en luy baillant la sienne; et ne se peut rien voyr de mieulx disposé en parolle et démonstration que l'ung, ny rien mieulx en effect que l'aultre. Et vous veulx bien dire aussy, Madame, que Monseigneur le Duc s'est acquis une très grande faveur en ce royaulme par la bonne réputation qui y court de luy, et pour s'estre faict remarquer en plusieurs vertueux et agréables déportemens aux angloix qui l'ont veu, et qui l'ont curieusement observé, pendant qu'ilz ont esté par dellà. Mais je considère bien que ceste princesse est facille à retourner à sa naturelle inclination de ne se marier point, pour la moindre difficulté qu'elle y trouve, et à l'habitude qu'elle a faicte, de longtemps, de vivre en grandeur et régner tantost quatorze ans heureusement sans mary. Et puis meylady Sideney est arrivée depuis six jours, et a tretté fort secrettement, et en privé, avec elle qui, pour estre dévote à l'Espaigne, et plus intime avec le comte de Lestre que nulle aultre seur qu'il ait, et le mène là où elle veult, nous l'avons tousjours plus souspeçonnée au premier propos, et la souspeçonnons en ce segond, plus que nulle aultre dame de ceste court; de sorte que ceulx, qui s'y entendent le mieulx, doubtent assez que la responce ne sera telle que nous la desirons, bien qu'il leur semble qu'il ne se doibt pour cella rien obmettre du debvoir et dilligence de Voz Majestez en cest endroict. Par ainsy, Madame, j'attandz ce que me manderez par le Sr de Sabran pour, tout incontinent et sans dellay ny excuse quelconque, très soigneusement et très fidellement l'accomplir. L'affaire va si secret que j'estime impossible de vous pouvoir faire rien entendre de la responce jusques à ce que par Mr de Montmorency, si elle est bonne, ou par le Sr de Walsingam, si elle n'est telle, ceste princesse la vous fera sçavoir au jour qu'elle a promis; dont je prierai Dieu cepandant de luy bien disposer le cueur. Sur ce, etc. Ce Xe jour de juillet 1572. CCLXIIIe DÉPESCHE --du XVe jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr Derdey._) Audience.--Négociation du traité de commerce avec l'Angleterre et de la pacification de l'Écosse.--Vives assurances d'amitié réciproque.--Négociation du mariage.--Conversations intimes de l'ambassadeur avec la reine à ce sujet.--Détails particuliers sur l'état de cette négociation. AU ROY. Sire, premier que la Royne d'Angleterre ayt commancé son progrès, je luy suis allé dire que, bientost après que le comte de Lincoln heût prins congé de Vostre Majesté, vous receûtes ung pacquet que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy vous avions ung peu auparavant dépesché, où nous vous parlions du sumptueux et magnificque traictement qu'elle nous faysoit recepvoir en son royaulme, des honnorables et vertueux propos qu'elle tenoit de Vostre Majesté, de la confience qu'elle prenoit de vostre parolle et promesse en l'observance du traicté, et des termes où nous estions avec elle, touchant Monseigneur le Duc. Sur lesquelles quatre choses vous nous aviez respondu par voz lettres du XXVIIe du passé, (lesquelles Mr de Montmorency et Mr de Foix avoient reçues en chemin; et après les avoyr leues, parcequ'elles s'adressoient à toutz troys, ilz me les avoient envoyées); que Vostre Majesté, voyant que le trettement, qu'avoit esté faict par dellà au dict comte de Lincoln et sa compagnie, n'aprochoit de celuy qui nous estoit faict icy, vous aviez heu recours aulx mercyementz, nous commandant d'en faire de bien exprès à la dicte Dame pour le surplus de ce qu'elle avoit mis peyne de vous excéder, et surpasser en cella; et que vous promettiez de le luy recognoistre bien largement à la première occasion, qui se offriroit, de vous envoyer quelqung des siens, ce que, vous espériez, seroit bientost, et qu'il n'y avoit heu faulte de bonne volonté ny d'affection de vostre costé, car en cella ne pouviez vous estre surmonté; et que vous aviez heu le dict sieur comte bien fort agréable, et n'y avoit heu rien en ses déportementz, ny de toutz ceulx qui estoient avecques luy, qui ne vous heût bien fort contanté, et toute vostre court, de sorte que vous desiriez, de bon cueur, que Mr de Montmorency et sa troupe heussent layssé à elle et aux siens pareille satisfaction d'eux par deçà; que ces propos tout honnorables, qu'elle avoit tenus de vous, vous les recognoissiez procéder de sa bonne et vertueuse inclination et de l'affection qu'elle vous portoit, et que c'estoit à Vous, Sire, à qui les excellantes qualités siennes vous bailloient ample argument, de dire beaucoup de choses à l'honneur et louange d'elle, dont serez prest d'en publier de parolle la bonne et grande estime que vous en avez, et ainsy le maintenir d'effect, sans y espargner rien de ce que Dieu vous avoit donné de moyen et de pouvoir au monde. Au regard de la confience qu'elle prenoit de vostre promesse en l'observance du traicté, que vous n'obmettriez, ny permettriez qu'il fût obmis par nul des vostres, chose aulcune qui peût servir à le bien entretenir avec vraye et sincère affection d'ung bien bon frère envers celle que vous réputiez pour propre seur, espérant le semblable, qu'elle vous tiendroit pour son vray et propre frère germein; qui estoit une partie de ce que nous mandiez par voz lettres; et que le surplus estoit pour monstrer qu'il restoit seulement troys choses pour conduire ceste vostre amityé à une perfection indissoluble, pleine d'honneur et de proufict, et hors de tout danger qu'on la peût jamais rompre ny altérer; dont, de tant que les deux estoient portées par le traicté: sçavoir, le commerce d'entre les deux royaulmes et d'esteindre les troubles d'Escoce; je ne voulois en cella luy recorder sinon son sèrement, et que si, d'avanture, ces deux poincts demeuroient non accomplis, que cella seroit de grand préjudice à tout le traicté, lequel pourroit estre argué d'invalidité, comme n'ayant sorty à nul effect; et que, pour le regard de l'Escoce, il avoit esté desjà procédé à une dépesche, de laquelle failloit attandre la responce; mais, quand au commerce, qu'ayant esté desjà déclaré, de vostre part, à ceulx de son conseil, l'offre que vous luy faysiez de toutes les commodictés de vostre royaulme pour servir à celles du sien, c'estoit à elle maintenant de les demander, et à Vous, Sire, de les luy avoyr assises et establies, avant que les quatre moys de la dathe du traicté soient expirés. Et comme je voulois continuer le reste, elle m'a interrompu avec ung gracieulx soubsrire, me disant qu'elle entendoit bien ce que j'avois à dire davantage, et que nous y reviendrions, puis après, à loysir, après qu'elle m'auroit respondu à tout le précédant: qu'elle estimeroit faire grand tort à elle mesmes, et à ceulx qui, pour l'amour d'elle, avoient receu tant d'honneur, de faveur et de bon traictement de Voz Très Chrestiennes Majestez et de toutz les vostres, à l'aller et à la demeure, ou au revenir, qu'ilz ne s'en pouvoient assez louer, si elle ne vous en remercyoit; et qu'elle avoit grand plésir que le comte de Lincoln vous heût contanté; car, à cest effect, l'avoit elle esleu, pour aulmoins correspondre à une partie de l'honneur et contantement, que vous luy aviez donné, de luy envoyer Mr de Montmorency et sa compagnie par deçà; que ce, qu'elle avoit dict en vostre louenge, n'aprochoit de ce qu'elle en avoit dans le cueur, luy deffaillant parolles pour le bien exprimer, mais c'estoit avec telle opinyon qu'elle se réputoit heureuse que vous la voulussiez tenir en ce degré de bienvueillance et d'amityé de seur, que, sur ceste grande estime qu'elle avoit de vous, fondoit elle l'assurance des choses que vous luy promettiés, et ne doubtoit aulcunement que ne les luy observissiez toutes comme, de sa part, elle ne manqueroit à une seule de celles qu'elle vous avoit promises et jurées; et que vous la pouviez, à bon esciant, mètre pour troysiesme aux deux seurs qui vous restoient, qui ne vous aymeroient jamais, ny vous honnoreroient plus qu'elle faysoit. Et touchant les deux choses de ces troys, que je luy disois rester pour conduire l'amityé qui estoit entre vous à sa perfection, qu'elle avoit desjà satisfaict à la première, concernant les Escouçoys, de leur avoir mandé qu'ilz se missent en paix; à quoy s'ilz n'acquiesçoient, elle estoit dellibérée de ne s'en plus mesler pour l'ung party ny pour l'aultre; et, quand à la segonde, qui estoit du commerce, qu'elle estoit après à ordonner troys ou quatre personnages de bonne qualité, qui en traicteroient avecques moy; au regard de la troysiesme, elle estoit preste d'ouyr maintenant ce que je luy en vouldrois dire. J'ay suivy à dire, Sire, que j'estoys bien ayse que nous nous fussions ainsy desmélés des aultres pour mieulx vacquer à ceste cy, qui estoit la plus importante, et de laquelle vous espériez, Sire, que viendroit l'accomplissement des aultres deux, et encores l'establissement de tout ce qui estoit à desirer entre Voz Majestez, pour Voz Majestez, et contre ceulx qui n'aymeroient Voz Majestez: c'estoit le propos du mariage. Auquel, pour la parfaicte amityé que Vous et la Royne, vostre Mère, luy aviez tousjours portée, et pour l'honneste estime que vous aviez d'elle, et aussy pour segonder l'honneste affection de Monseigneur le Duc, et ayder, aultant que vous pourriez, le hault et généreulx desir, lequel vous voyez qu'il avoit de servir une si excellente et grande princesse comme elle, vous persévériez plus que jamais d'aspirer à son allience, et me commandiez de sentir comme elle demeuroit meintenant bien édiffiée de luy, après le raport que Mr le comte de Lincoln et sa compagnie luy en auroient faict. Elle m'a respondu que le dict sieur comte luy avoit faict plusieurs singulliers raports de Vostre Majesté et de vostre bonne inclination vers elle, et le desir que vous aviez de la voyr, et le semblable de la Royne, vostre mère, de qui elle restoit fort contante; et luy avoit aussy faict d'aultres fort honnorables raportz de Monsieur et de Monseigneur le Duc, voz frères, et n'avoit obmis ce qui pouvoit servir à l'advantage du troysiesme, assurant qu'il estoit, quand à la personne, d'une fort jolye taille et bien proporcionnée, fort vigoureux et adroict, l'esprit et le sens fort bons, le cueur grand et magnanime, la grâce bonne, sa conversation fort agréable, et toutes ses condicions et meurs bien fort vertueuses et desirables; et pour n'obmettre rien, sçachant combien elle avoit l'œuil délicat et vif pour remarquer toutes les choses qui seroient en luy, qu'il ne luy vouloit dissimuler qu'il avoit le visage gasté de la petite vérolle, et qu'il heût, pour le parfaict contantement d'elle, desiré au troysiesme une semblable présence qu'il avoit bien veu au segond; et avoit adjouxté qu'elle debvoit considérer le dedans, et ce qui estoit le plus important en ceste affaire, sans s'arrester à l'extérieur et aux choses légères qui n'estoient de tel poix, comme s'il luy heust voulu représanter ce que son chancellier luy avoit naguières dict qu'elle ne ballancât la paille avec le plomb; et que Milmor aussy, qui avoit le jugement bon, luy avoit dict mille louenges de Monseigneur le Duc, et qu'il s'estoit fort esbahy, luy ayant d'autresfoys veu les proportions et teinct du visage si bon, qu'il monstroit debvoir estre plus beau que nul de ses frères, comme la petite vérolle l'avoit peu tant gaster. Et Me Smith, nonobstant cella, n'avoit layssé de luy alléguer tant de grandes raysons et commodictés sur ce mariage, qu'il failloit qu'elle me confessât que c'estoit maintenant elle seule qui faysoit les argumentz contre elle mesmes. J'ay respondu, Sire, que j'avois tousjours bien creinct que le raport du visage ne la contanteroit assez, sçachant, quand à tout le reste, que Monseigneur le Duc pouvoit estre paragonné à quel autre prince qui vesquît au monde; et de cella mesmes il se pouvoit espérer, n'estant qu'ung accident de la petite vérolle, que le temps le guériroit de brief, et que j'avois parlé à ung personnage de grand sçavoir et d'expériance, qui assuroit que le remède, bien que ne fût cognu de plusieurs, n'estoit pourtant difficille, ny long, et si, estoit seur; et qu'il en avoit guéry ung, en ceste ville, qui en estoit le plus gasté du monde, et que je m'assurois, si elle acceptoit le service de Mon dict Seigneur le Duc, que, en peu de jours, il se rendroit beau et très accomply en toutes sortes de perfections par la faveur de sa bonne grâce, et que je la priois de ne m'alléguer plus l'eage ny aultres semblables argumentz, qui confirmoient plus en vérité qu'ilz ne destruisoient ce bon propos, auquel aparoissoit par trop de bien, trop d'honneur, trop de bonheur et trop d'avantageuses commodictés, pour laysser à si légères occasions de le parfaire; et qu'elle se voulût mettre, ceste foys, hors des grandz ennuis, fâcheries et dangers, que la solitude et faulte de mary pouvoient apporter à une telle princesse qu'elle estoit; et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prins si bonne espérance de cest affère que ce ne seroit sans grand regret, ny sans ung extrême déplaisir, si maintenant elle la vous vouloit diminuer ou faire perdre, ainsy qu'il se pouvoit comprendre par voz dernières lettres; lesquelles je ne ferois difficulté de les luy monstrer. La dicte Dame, estant bien ayse de les voyr, les a leues tout au long, et puis m'a dict qu'il n'y avoit rien plus vray que toutz ses conseillers luy remonstroient que, quant à ce qui touchoit à eulx, de regarder aux meurs, aux condicions, à l'extraction, aux commodictés et advantages de ce party, qu'ilz y avoient satisfaict, et qu'ilz remettoient à elle de regarder à l'eage, à la taille et aux aultres commodictés particullières, requises au contantement de son mariage, et que je ne trouvasse maulvais, si elle jouyssoit du terme qu'elle avoit prins de s'en résouldre; et qu'elle en feroit entendre à Vostre Majesté sa responce par Mr de Montmorency, qui ne seroit sans que je la sceusse bientost; et qu'elle avoit occasion de se pleindre de luy, de Mr de Foix, et de moy, de vous avoyr donné, ainsy qu'elle voyoit, trop plus d'espérance que nous n'avions heu occasion de le faire. Je luy ay respondu qu'à la vérité nous vous l'avions donnée grande, et serions encores prestz de le faire, si ne l'avions faict, car ne nous avoit apparu difficulté ny empeschement quelconque qui nous en deût retarder. Elle a répliqué, en riant, qu'elle vouloit donc estudier d'aultres argumentz, puisque nous tournions les siens premiers contre elle mesmes; et est retournée à parler de l'inconvénient du visage, et de l'homme que je luy avois allégué, en ceste ville, qui en estoit parfaictement guéry; et, quand bien le propos n'auroit à réuscyr, si desiroit elle, et me prioit, que je misse peine de procurer qu'on appliquât tout le remède qu'on pourroit à Mon dict Seigneur le Duc. Après lequel propos, elle m'a parlé de la Royne d'Escoce, et qu'elle estoit bien ayse que Mr d'Ardoy l'eût visitée, et qu'il eût cognu qu'elle est en la compagnie d'ung fort honnorable seigneur; et qu'elle vous prie, Sire, de croire que, pour l'amour de vous, elle a voulu avoir tant d'esgard à elle, qu'elle a cuydé offancer toutz ses Estatz, et que c'est la dicte Royne d'Escoce elle mesmes qui procure son mal. Je l'ay remercyée grandement de vostre part, et, sans toucher pour ce coup davantage à matière si visqueuse, je me suis licencié gracieusement de la dicte Dame, et suis allé parler à ses conseillers, remettant de vous continuer en la lettre de la Royne, parce que ceste cy est desjà trop longue, ce qui s'est passé entre nous. Et sur ce, etc. Ce XVe jour de juillet 1572. A LA ROYNE. Madame, parce qu'en la lettre du Roy je récite assez par le menu les principaulx propos qui ont, ceste foys, esté tenus entre la Royne d'Angleterre et moy, j'ay seulement à vous dire en ceste cy que la dicte Dame s'est fort soigneusement enquise de vostre santé, luy ayant le comte de Lincoln dict que vous teniez encores le lict, quand il print congé de Vostre Majesté, dont desiroit sçavoir comme à présent vous vous portiez; et que le dict comte avoit esté si surprins de ce peu de motz, que vous luy aviez lors tenus touchant le mariage, qu'il n'avoit ozé faire semblant de les entendre: ce qu'elle prenoit en bonne part, considérant que Vostre Majesté, pour ne sçavoir en quoy en estoient lors les choses par deçà, parce que n'aviez encores receu noz lettres, et pouviez doubter de la responce qu'on vous y feroit, n'en aviez quasy voulu toucher qu'ung mot; et le Roy n'en avoit parlé en façon du monde; vray est que ses démonstrations et les vostres, et celles de Monsieur, et de Monseigneur le Duc, en avoient plus signiffié que plusieurs expresses parolles ne l'eussent sceu faire. Il me semble, Madame, que ceste princesse se conduict d'une mesmes sorte en ce propos, après le retour du dict sieur comte de Lincoln et de ceulx qui sont revenuz de France, qu'elle faysoit auparavant, et ne laysse cognoistre ou si sa disposition y est meilleure ou bien empirée, sinon que je voy bien qu'on luy a faict l'accidant du visage plus grand qu'elle ne le cuydoit, et monstre, à bon esciant, qu'elle desire qu'il y soit remédié; dont, Madame, je mettray peyne de vous envoyer pour cest effect le personnage duquel je vous ay cy devant escript, s'il vous playst de me le commander. J'ay comprins par aulcuns motz des propos de la dicte Dame, et l'ay aussy entendu d'ailleurs, que le filz de l'Empereur a esté mis en avant, et, à la vérité, Anthonio de Gouaras, l'espagnol, est plus assidu en ceste court qu'il ne souloit; dont j'auray l'œuil le plus ouvert là dessus qu'il me sera possible. Or ayant, après mon audience, conféré avec les deux conseillers de ceste princesse, ilz m'ont confirmé cella mesmes qu'elle m'avoit dict, du rapport que le comte de Lincoln, et Me Smith, et Me Milmor, avoient faict de Monseigneur le Duc. Et m'a le comte de Lestre fort incisté que je fisse bientost venir de ses lettres, ainsy qu'il me l'avoit desjà dict; et que, de sa part, il ne manqueroit d'aulcun debvoir qu'il peût rendre à l'advancement du bon propos. Milord de Burgley m'a dict que je pouvois avoyr cognu, aux propos de la dicte Dame, combien il s'estoit esforcé de la persuader, sur l'accidant du visage, qu'il se pourroit remédier; et qu'il y avoit deux de ceulx, qui estoient naguières revenus de France, qui avoient fermement assuré à elle mesmes que quand elle le verroit, elle ne s'en pourroit nullement contanter; dont, estant à ceste heure tout ce faict en la pure volonté d'elle, il falloit attandre ce que Dieu luy en vouldroit inspirer, et que, de sa part, il voyoit encores toutes choses pour ce regard si incertaynes, qu'il ne m'en vouloit rien promettre ny assurer jusques à ce que la résolution s'en manderoit par Mr de Montmorency à Leurs Très Chrestiennes Majestez; et que cepandant il persévèreroit en ses accoustumées remonstrances de louer et approuver ce party, aultant qu'il luy seroit possible de le faire. Sur ce, etc. Ce XVe jour de juillet 1572. Tout maintenant, Mr le comte de Lincoln m'est venu visiter, et m'a signiffié ung très grand desir de servir à cest affaire, et ne m'a point donné à cognoistre que sa Mestresse n'ayt prins playsir d'ouyr bien dire de Monseigneur le Duc. Il y a heu quelque rencontre en Escoce, dont j'en sçauray bientost la particullarité. CCLXIVe DÉPESCHE --du XXe jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Gautier._) Conférence de l'ambassadeur avec le comte de Lincoln.--Irrésolution d'Élisabeth sur le mariage.--Promesse de la mise en liberté de l'évêque de Ross.--Commission délivrée contre le comte de Northumberland.--Nouvelles de Flessingue.--Etat de la négociation du mariage. AU ROY. Sire, m'estant le comte de Lincoln venu visiter en mon logis, ainsy que, par le postille de ma précédente dépesche, je le vous ay mandé, il s'est esforcé de me monstrer combien Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz frères, et toutz les principaulx de vostre court, avoient mis peyne que luy et ceulx de sa compagnie s'en retournassent trop plus que bien contantz des faveurs, et des grandes et extraordinayres chères, et des honnestes présens qu'ilz y avoient receus, et qu'ilz raportassent surtout une singullière satisfaction à la Royne, leur Mestresse, de la vraye et sincère amityé que voz parolles et toutez voz démonstrations leur ont indubitablement signiffié que vous luy portiés. De quoy il dict, Sire, qu'ayant retrouvé icy, après nostre dernière négociation de Mr de Montmorency, de Mr de Foix et de moy, une parfaicte correspondance en sa Mestresse, il ne veult espérer de moins que de voyr bientost, oultre le sèrement du traicté, se faire un bien plus seur et plus ferme establissement de vostre confédération par une bonne allience et ung bon parantage entre Voz Majestez Très Chrestiennes et elle; et qu'en particullier il m'estoit venu remercyer du bon succez que j'avois faict prendre à sa légation en France, et de la luy avoyr encores randue honnorable, et aprouvée par deçà, par les bons raportz, qu'au nom de Vostre Majesté j'en avois faict à sa Mestresse; dont me offroit tout ce qu'il me pourroit rendre d'amityé, tant que je serois en ce royaume. Je luy ay gratiffié, Sire, bien grandement toutz ces honnestes propos qu'il luy plaisoit me tenir, mais beaucoup plus ceulx que j'avoys bien cognu qu'il avoit desjà tenu à la Royne, sa Mestresse, le priant de l'y vouloir tousjours bien disposer, et que vous aviez prinz une si grande confience de la bonne affection qu'il avoit monstrée vous porter, que vous ne pouviez ni vouliez espérer de nul aultre de ce royaulme aulcuns meilleurs offices, pour le propos de Monseigneur le Duc, que de luy et de madame la comtesse sa femme; et qu'aussy se pouvoient ilz assurer, toutz deux, oultre une bonne recognoissance de vostre part et de la Royne, vostre mère, que jamais la faveur de Monseigneur le Duc ne leur deffauldroit ny à toutz les leurs, quant il seroit par deçà. Il m'a réplicqué qu'il pouvoit jurer avecques vérité de s'en estre retourné aultant plein de bonne affection vers vostre grandeur et vers celle de toutz les vostres, et vers l'amplitude de vostre couronne, en ce qui ne seroit contre celle de sa Mestresse, qu'il n'y avoit nul de voz meilleurs subjetz qui en sceût avoyr davantaige; et, en espécial, si dévot à Monseigneur le Duc qu'il n'avoit nul plus grand soing maintenant que de luy rendre la noblesse de ce royaulme de mesmes très affectionnée, et bien dévote à faire incliner la Royne, sa Mestresse, à son party, leur remonstrant à toutz que les difficultés de l'eage n'empeschoient que ses aultres perfections ne le rendissent bien capable d'estre, dès ceste heure, mary de leur Royne, et qu'encores bientost il en seroit si parfaictement digne qu'elle se pourroit réputer aussy heureusement accompaignée que nulle aultre princesse de l'Europe; et que ce qu'on luy pouvoit avoir raporté du visage estoit de nulle considération, car le temps en amanderoit, de bref, la pluspart, et la barbe couvriroit l'aultre; et que je creusse ardiment que Me Smith, et Me Milmor, et luy, et encores aulcuns de sa troupe, n'avoient rien obmis de ce qui se pouvoit dire de bien pour ce propos; et que, de sa part, il persévèreroit constamment de l'advancer aultant qu'il luy seroit possible de le faire. Par lesquelz propos, Sire, les raportant à d'aultres, qu'on m'a tenus d'ailleurs, et que luy m'a dict ceulx cy, après avoir conféré avec sa dicte Mestresse, je juge qu'elle n'avoit encores résolu la responce qu'elle vous debvoit faire, quand elle est partie d'icy; et qu'il semble encores ceste foys qu'elle ne la vous fera entière, ce que prévoyant j'en ay voulu parler bien expressément avec ses deux conseillers, et les admonester de la promesse d'elle et de la leur en cest endroict, et qu'ilz ne vueillent permettre que rien en aille en longueur; à quoy ilz m'ont fort promiz qu'ilz s'y employeroient de toute leur puyssance. Cepandant la dicte Dame a commancé son progrès, et est allé à Avrin, d'où elle ne bougera de six jours, et après s'acheminera, peu à peu, vers Warwic, m'ayant le comte de Lestre fort prié que je la vueille aller trouver, quand elle arrivera, en sa mayson de Quilincourt. Elle a faict une distribution d'estatz, avant bouger de ce lieu, ayant donné celluy de grand trésorier, qui est le premier d'Angleterre, après le chancellier, à milord de Burgley, et a faict milord Chamberland privé scéel, et baillé celluy qu'il avoit de grand chamberlan de la mayson au comte de Sussex, et l'estat de secrettère à Me Smith. Elle a encores entre ses mains l'estat de grand mestre, duquel elle heût desjà pourvueu le comte de Lestre, mais il n'est bien résolu à qui faire tomber celluy qu'il a de grand escuyer; et dict qu'elle fera vischamberlan Me Pigrin, et capitaine de ses gardes Me Hathon. L'on espère qu'elle donra liberté à quelques ungs de ceulx de la Tour, et desjà elle m'a promis celle de l'évesque de Roz. Je ne sçay si l'on l'en détournera. J'entendz qu'il a esté envoyé commission à Barvic pour procéder contre le comte de Northomberland. Je ne vous escriptz, Sire, des nouvelles d'Escoce ny de la confirmation de ce que je vous ay mandé par mes dernières: que le comte de Honteley avoit donné une estrette vers le North à ceux du party d'Esterling. J'espère que Mr Du Croc, par les lettres qu'il vous escript, satisfera largement à tout cella. L'on continue d'envoyer tousjours gens, monitions et artillerie, à Fleximgues; et le capitaine Pelan, lieutenant de l'artillerie, est party, depuys deux jours, pour y aller. Ceulx du dict Fleximgues ont ouvert les digues et ont environné leur ville d'eau; ilz n'ont receu, à ce qu'on dict, toutz les angloys ny pareillement les françoys, ains en ont envoyé une partie ez aultres villes qui tiennent pour eulx en Zélande. Ilz ont couru l'estrade entre Envers et Bruges, et ont prins quelques deniers, que le duc d'Alve envoyoit à l'Escluse pour payer les navires et mariniers qui ont conduict le duc de Medina Cely. Il a esté apporté, ces jours passez, grande quantité d'espiceries du dict lieu de Fleximgues en ceste ville, et en envoye l'on quérir davantage. Les marchandz de ceste ville ont esté appellés devant le conseil affin d'adviser au faict du commerce pour l'accomplissement du traicté, mais ne sont encores venus devers moy. Sur ce, etc. Ce XXe jour de juillet 1572. A LA ROYNE. Madame, aultant de choses que je cognois pouvoir advancer le propos de Monseigneur le Duc, et aultant que ceux qui y ont bonne affection me monstrent qu'il y en a qui y peuvent servir, je n'en obmetz une seule que je ne mette peyne, tout incontinent, de les essayer; dont Dieu, s'il luy plaist, y adjouxtera, puis après, la perfection qu'il voyt et cognoit y estre honnorable et nécessaire. Je ne presse de sçavoir de ceulx cy rien de la résolution de la responce; il ne seroit ny honneste à moy, de la leur demander, ny à eulx, de me la dire, ayant esté arresté que la Royne d'Angleterre la fera sçavoir à Voz Très Chrestiennes Majestez par Mr de Montmorency; et elle me l'a ainsy confirmé, depuis son partement, avec une fort honnorable commémoration de luy, et de la confience que, pour son intégrité, elle met ez choses qu'il luy a dictes, et pareillement de Mr de Foix. Le comte de Lestre et milord de Burgley affirment que le raport, qu'on a faict de Monseigneur le Duc, ne sçauroit estre plus grand pour sa réputation, ny meilleur pour tout ce qui se pourroit desirer de luy pour ce royaulme, que l'ont faict ceulx qui sont freschement revenus de France; et tout le conseil d'Angleterre a fort bien faict son debvoir d'aprouver son party, de sorte que le tout reste maintenant en la pure volonté de la Royne, leur Mestresse; à laquelle, parce qu'elle a touché de discerner d'aulcunes particullarités, qui peulvent rendre, à une telle princesse qu'elle est, ou agréable ou désagréable son mariage pour toute sa vye, ilz ne peuvent ny veulent davantage l'en presser. Et m'a le dict comte dict qu'il trouve fort expédiant que Monseigneur le Duc escripve les lettres que j'ay desjà mandées; car estime que nul ne peult tant en cest affaire pour luy que luy mesmes. Et milord de Burgley m'a confirmé que la petite lettre, que Monseigneur le Duc avoit escripte à Mr de Montmorency, laquelle j'avoys naguyères, comme par accidant, faicte voyr à la dicte Dame, avoit beaucoup servy, et qu'il desiroit surtout qu'il fût pourveu à l'inconvénient de son visage. Néantmoins l'ung et l'aultre assurent que l'affaire est encores bien incertein, dont aulcuns des amys donnent pour conseil, qu'encor que la responce n'aye à estre si bonne comme nous la desirerions, que, pourveu qu'elle ne soit du tout maulvayse, et qu'elle ne porte ung entier refus, que Vostre Majesté n'en doibt couper court le propos. Et, de ma part, Madame, j'ay trouvé tousjours tant de changement, d'heure en heure, ez résolutions de ceste court, que je ne puis dire sinon ce qui semble bon, et pareillement ce qui semble maulvais, n'y demeurent guyères en ung mesme estre. Sur ce, etc. Ce XXe jour de juillet 1572. CCLXVe DÉPESCHE --du XXIIe jour de juillet 1572.-- (_Envoyée jusques à la court par Giles Malapart._) Négociation du mariage.--Avis émis par un seigneur du conseil d'écouter les propositions faites par Antonio de Gouaras pour le mariage d'Élisabeth avec le fils de l'empereur. AU ROY. Sire, il n'a esté possible au Sr de Sabran d'arriver icy plus tost que hier matin, en la compagnie de plusieurs aultres qui ont esté contrainctz, aussy bien que luy, de temporiser, troys jours entiers, le passage à Callays, à cause du vent. Il m'a randu vostre dépesche du unziesme et quatuorziesme de ce moys, laquelle est très ample et fort à propos pour l'occasion présente. Je mettray peyne de l'emploier le mieulx qu'il me sera possible en ma première audience, laquelle j'ay desjà envoyé demander; et ay faict tenir à milord de Burgley la lettre de Mr de Walsingam. Ceste princesse, continuant son progrès vers Warvic, arrivera demein en la mayson du dict de Burgley, à présent son grand trésorier, où les principaulx seigneurs de sa court et de son conseil, lesquelz, au partir d'icy, estoient allez se rafraischir en leurz maysons, se doibvent randre. Et j'entendz que, au dict lieu, se résouldra la responce qui vous doibt estre faicte sur le propos de Monseigneur le Duc, n'ayant point cognu, Sire, qu'en nul aultre affaire, depuis que je suis en ce royaulme, l'on soit allé plus réservé qu'on faict en cestuy cy, duquel ne se permet qu'il en sorte une seule parolle dehors. Néantmoins l'on m'a fort assuré que le moys ne se passera sans qu'on ayt satisfaict à la promesse qui nous a esté faicte, quant Mr de Montmorency et Mr de Foix sont partis; et cependant je verray la dicte Dame, et n'obmettray rien, Sire, de tout ce que me commandez, ny de tout ce que je me pourray adviser, pour la persuader, et mesmes la presser de vous faire la responce telle que vous la desirez, et que singullièrement je la desire, plus à la vérité qu'il ne me semble que je le puisse de tout bien espérer, ayant quelque advis qu'il y sera faict mencion de ce contrepoix, dont le Sr de Walsingam a desjà parlé à la Royne, pour récompanser le deffault de l'eage et l'inconvénient du visage de Monseigneur le Duc. Il n'y a rien plus vray qu'ung des seigneurs de ce dict conseil, entendant débattre les difficultez qu'on alléguoit de Monseigneur le Duc, a mis en avant qu'on debvoit ouyr Anthonio de Gouaras sur ce qu'il proposoit du filz de l'Empereur, ainsy que d'aultres foys l'on l'avoit bien escouté sur le propos du Roy d'Espaigne, ayant esté le premier qui l'avois mis en termes, et avoit réuscy. Mais de tant que, par les deux lettres que le dict de Gouaras avoit naguières présentées du dict Roy d'Espagne; et aulcunes du duc d'Alve touchant les choses de Flandres, il n'apparoissoit qu'ilz luy donnassent assez expécial pouvoir de parler maintenant de cestuy cy, cella n'a esté suyvy. L'on prépare icy tousjours nouveau renfort pour envoyer à Fleximgues, mais, jusques au retour de Me Pelan, l'on ne se hastera de le faire partir. Je n'ay, à présent, rien de nouveau d'Escoce, et suis attandant ce que les deux partis auront respondu sur l'abstinence de guerre à Mr Du Croc, auquel je feray cependant tenir vostre dépesche; et, m'ayant esté octroyé ung passeport pour envoyer visiter par ung mien secrettaire la Royne d'Escoce, avec ung peu d'argent, je vous manderay à son retour de toutes ses nouvelles. Et sur ce, etc. Ce XXIIe jour de juillet 1572. CCLXVIe DÉPESCHE --du XXIXe jour de juillet 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._) Audience.--Négociation du mariage.--Conversations intimes entre la reine et l'ambassadeur.--Conférences de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh sur la négociation. AU ROY. Sire, ayant envoyé prier le comte de Sussex, qui est à présent grand chambellan de ceste court, de vouloir entendre de la Royne, sa Mestresse, quand elle auroit agréable que je l'allasse trouver pour une dépesche que j'avoys reçue de Vostre Majesté, elle m'a soubdain mandé que ce seroit le landemein matin en la mayson de son grand trésorier, qui luy faysoit un festin, où je serois le bien venu. Et m'ayant le dict grand trésorier envoyé son coche en chemin, j'ay esté fort bien receu de la dicte Dame, laquelle m'a semblé estre en beaucoup meilleure et plus belle disposition, depuis le commancement de son progrès, que pendant qu'elle estoit en ceste ville. L'après disnée, après s'estre soigneusement enquise de vostre bon portement, et de celluy de la Royne, en la continuation de sa grossesse, et pareillement de la Royne, vostre mère, après sa dernière maladie, aussy de l'arrivée du Roy de Navarre et des prochaines nopces qui se doibvent faire de luy avecques Madame, et de plusieurs aultres particullarités, ausquelles j'ay mis peyne de bien luy satisfaire, elle m'a mené en ung petit compartiment hors de la sale, où ayant faict apporter des sièges, n'a souffert qu'aulcun aultre y ayt demeuré. Et luy ayant dict que Vostre Majesté avoit fort volontiers entendu par Mr de Montmorency le discours de tout ce qui avoit passé icy, pendant que luy et Mr de Foix, et toute leur troupe, y avoient esté; et que vous n'aviez, longtemps y a, ouy ung récit qui plus vous heût contanté, ny qui plus vous heût apporté d'honnestes satisfactions que celluy là, pour y avoir remarqué plusieurs choses, lesquelles vous estoient ung indubitable tesmoignage de l'affection et de la vraye inclination qu'elle avoit à vostre amityé, vous la supliés de croyre que vous recepviez à grande obligation qu'elle heût voulu faire une si expresse profession et déclaration, comme elle avoit faict, de vous aymer, et de vouloir demeurer vostre perpétuelle confédérée; et qu'elle estimât par là d'avoir tant acquis et gaigné de vostre amityé et bienvueillance que vous fesiés compte de n'espargner vostre propre personne, et avec icelle tout ce qui se pouvoit compter de la grandeur d'ung roy de France, pour l'employer pour elle, quand l'occasion s'y offriroit; et, qu'après le rapport de Mr de Montmorency, vous aviez ouy celluy de Mr de Foix sur tout ce qui avoit esté dict et déduict ez négociations qu'ilz avoient faictes par deçà, qui ne vous avoit pas moins contanté, encor que vous heussiez bien desiré qu'ilz vous heussent apporté une entière résolution du propos de Monseigneur le Duc, mais aulmoins cognoissiez vous qu'il ne monstroit qu'il y heût apparu aulcune difficulté qui fût assez considérable pour debvoir différer d'une seule heure, après le moys, la response qu'elle nous avoit promis de vous faire, et laquelle vous ne pouviez espérer de moins, sinon qu'elle la vous rendroit conforme à l'honneste et honnorable demande que vous luy aviez faicte; et que la Royne, vostre mère, qui avoit esté présente aux deux discours, jugeoit bien que, sur ce qu'elle m'en feroit mander par ses lettres, je ne pourrois assez à son gré représanter, icy, à elle, le contantement qu'elle recepvoit de ceste sienne tant déclarée amityé, et du bon acheminement qu'elle voyoit que alloit prendre le propos de Monseigneur le Duc, son filz, elle avoit advisé d'envoyer quérir le Sr de Walsingam pour luy en signiffier aultant, de parolle, comme elle en avoit dans le cueur; et que je croyois que mesmes elle luy avoit faict voyr jusques dans son âme; dont le dict de Vualsingam, à mon advis, n'avoit obmis de le bien représanter par ses lettres, et que Vous, Sire, par les lettres dernières, et elle, par les siennes, me commandiez bien fort expressément que je luy incistasse à ce que sa dicte responce vous peût venir et bonne, et bientost, sellon que vous sçavez bien que le plus mortel ennemy qu'eust ce propos estoit la longueur; et que vous luy promettiez, s'il venoit à succéder, de le luy rendre comble de tout bien, de tout honneur, de toute seurté, de toute vraye et perdurable amour, et d'ung perpétuel contantement, ainsy que je luy en engagoys la foy, la parolle et la promesse de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, par les propres lettres que vous et elle luy en escripviez de voz meins, lesquelles je luy ay incontinant présentées. La dicte Dame, premier que rien respondre, a voulu ouvrir les dictes lettres, lesquelles elle a lues avec son grand contantement, et a monstré prendre une singullière confiance de l'offre que luy fesiez par la vostre, et de l'honnorable soubscription et bien affectionnée que vous y aviez mise; et a curieusement nothé toutes les particullarités de celles de la Royne, sans en laysser rien, monstrant à bon esciant qu'elle n'en vouloit perdre ung tout seul mot, tant elle y trouvoit de satisfaction; et y voyoit, ainsy qu'elle a dict, une déclaration très honneste, et vrayement royalle, de tout ce qu'une si grande, et néantmoins très prudente, et vertueuse princesse pouvoit honnorablement, et sans trop considérer sa propre affection, desirer au propos de Monseigneur le Duc, son filz. Et puis, les ayant mises en sa pochète, a suyvy me dire qu'il luy venoit, chacun jour, de devers vous et de devers la Royne, vostre mère, tant de bons rencontres d'amityé, et iceulx accompaignez de tant de respect et d'honneste faveur, et aultres honnorables observances, et si esloignées, ainsy qu'elle croyoit, de toute feintise, qu'elle ne se sentoit si obligée à chose de ce monde que d'en avoir perpétuelle recognoissance; et qu'elle vous prioit, Sire, de croire qu'elle le recognoistroit, tant qu'elle vivroit en ce monde, avec dellibération, dès aujourdhuy, de souffrir plustost quelque offance que de se porter jamais vostre adversaire, ny contraire, ny se monstrer ingrate vers la Royne, vostre mère; et qu'elle vous prioit toutz deux de prendre parfaicte confience d'elle, tout ainsy qu'elle se commettoit du tout pour jamais à la vostre. Et, au regard du propos de Monsieur d'Alançon, elle vous prioit bien de considérer que la seule opinyon, que ses subjectz avoient, qu'elle fût ung peu sage, l'avoient faicte, quatorze ans, et la fesoient, encores aujourdhuy, régner heureusement et paysiblement sur eulx, et que, s'ilz la voyoient aller à ceste heure inconsidéréement en son mariage, qui estoit ung acte qui s'estendoit pour tout le cours de sa vye, et que elle, desjà vielle, prînt ung mary par trop jeune, et encores avec l'accidant que Monsieur d'Alançon avoit au visage, qu'il y avoit grand danger qu'ilz ne la tinsent pour mal advisée, et ne l'eussent à mespris, ne leur monstrant mesmement qu'en contrepois on luy eût offert quelque chose pour récompanser ces deux deffaultz; dont avoit donné charge à ceulx de son conseil de dresser la response, laquelle estoit desjà preste, et la vouloit envoyer, du premier jour, à monsieur de Montmorency, s'il luy plaisoit prendre la peyne de la vous présanter, ou sinon au Sr de Vualsingam son ambassadeur; et qu'elle vous suplioit de la prendre de bonne part, ainsy que d'une princesse qui, estant toute vostre, vous debviez penser d'elle comme d'une vostre propre seur. Je luy ay respondu, Sire, que, à la vérité, sa prudence, avec la faveur de Dieu, l'avoient faicte et la faysoient heureusement régner, mais que nul plus prudent acte sçauroit elle faire au monde pour elle, ny pour ses subjectz, que d'accepter ce party; lequel, si ces deux deffaultz avoient à le monstrer ung peu plus judicieulx que plein d'affection, tant plus elle s'en acquerroit de louange, et que, d'y mettre le contrepoix, Vostre Majesté estimoit sa bonne grâce estre de si excellant pris que vous n'aviez avec quoy l'achepter qu'avec l'abondance d'amityé et de respect que Monseigneur le Duc luy porteroit; lequel vous luy offriez avec les mesmes condicions que luy aviez offert Monsieur, qui, estantz toutz deux voz frères, ne luy pouviez faire ung plus égal présent; dont ne failloit aussy qu'elle haulçât ses demandes, et seulement qu'en lieu d'_Henry_ elle prînt _Francoys_, sinon que l'ung se contanteroit d'ung peu moins de l'exercice publicque de sa religion, là où la conscience n'avoit peu permettre à l'aultre qu'il en peult rien laysser; et que, pour mieulx conduire son inclination à satisfaire à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, en cest endroict, Mon dict Seigneur d'Alançon mesmes y adjouxtoit sa bien humble requeste, par une sienne lettre à part, qu'il me commandoit de luy présenter. La dicte Dame a soubdain prins la dicte lettre, et l'a lue tout du long avec démonstration de contantement, et a dict que tout ce que son escript luy faysoit voyr de luy correspondoit à ce qu'elle en oyoit dire. Et puis, je l'ay supliée bien humblement qu'elle voulût encores prendre la peyne de lire ce qu'il me prioit, et me commandoit de faire, pour luy, par une aultre sienne lettre; à quoy elle n'a faict aulcune difficulté. Et j'ay adjouxté que c'estoit affin qu'elle ne m'estimât ny présomptueux ny téméraire, si j'entreprenois de luy faire entendre quelque chose de la bonne affection que ce prince luy portoit, et si je la supliois de le réputer digne de la sienne; que, à la vérité, il estoit jeune, mais nourry en tant de meureté qu'il le failloit, quand au sens, estimer desjà homme parfaict, et quand à la personne, qu'il estoit de l'extraction de princes si bien formés et d'une si parfaictement belle taille, et si bien proporcionnés, qu'il ne failloit doubter que leur filz ne leur ressemblât, et qu'il ne vînt aussy hault d'estature et aussy beau de visage comme ilz avoient esté; et que mesmes il avoit advancé son eage de troys ou quatre ans, se trouvant en ceste sienne première puberté ung bien accomply et bien vigoureulx chevalier, et qu'il estoit filz et petit filz, et deux foys frère, de quatre grandz roys, et luy mesmes tout royal, qu'il estoit magnanime et généreulx, et remply de toutes vertueuses condicions, mais qu'il n'estoit en tout rien tant que tout à elle, et tout transformé en ung vraye et naturel amour qu'il portoit à sa grandeur, à ses perfections et à ses belles et excellantes qualités, et ne se délectoit de rien tant que d'ouyr ses louanges, d'adjouxter ce qu'il pouvoit à icelles, et de vouloir emploier sa personne pour les maintenir jusques à la mort, ne cherchant aulcune chose de meilleur cueur que de se perdre soy mesmes pour se retrouver tout en sa bonne grâce. Dont je la supliois qu'à une telle perfection d'amityé, comme elle trouvoit en Vostre Majesté, et en la Royne, vostre mère, et en luy, elle ne voulût uzer d'aulcune male correspondance en sa responce, et que vous jugiés, Sire, les choses estre passées si avant qu'il ne se pouvoit faire, oultre l'intérest des affères que vous aviez communs avec elle, qu'il n'y courût beaucoup de vostre honneur et réputation, si le mariage ne succédoit. Elle m'a dict qu'elle vouloit estimer cella mesmes que j'avoys dict, et encores mieulx de Monsieur d'Alançon, car le rapport qu'on faysoit de luy estoit parfaict en toutes choses d'honneur, de valeur et de vertu; et qu'elle vouloit encores croire ce qu'il luy escripvoit de son amityé, et ce que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy en promectiez, neantmoins que les difficultés de l'eage et du visage restoient aparantes, et que ce que j'avois allégué de la religion ne se pouvoit prendre pour récompance, car ne failloit dire ny que Monsieur se fût voulu contanter de l'exercice de sa religion en privé, ny qu'elle le luy heût voulu accorder, affin que ny l'ung ny l'aultre ne se peussent maintenant advantager ny qu'il l'eût délayssée, ny qu'elle l'eût délaissé; et, quand au point que Monsieur d'Alançon m'escripvoit que, s'il n'estoit retenu d'aulcuns respectz, qu'il passeroit volontiers par deçà, que c'estoit ung faict sien, et de Vostre Majesté, et de la Royne, vostre mère, qui debvoit estre réglé par vostre conseil, dont n'en vouloit rien dire, mais qu'elle croyoit certaynement que si Monsieur luy mesmes fût venu, quand il se parloit de luy, que l'affère heût mieulx réuscy qu'il n'a; et que je pourrois encores conférer de toutes ces choses avec ceulx de son conseil, affin que la responce peût estre plus promptement expédiée. Et ainsy, Sire, ayant esté encores quelque temps avec elle à luy respondre sur aulcunes demandes qu'elle m'a faictes de Mon dict Seigneur le Duc, s'il n'estoit pas creu depuis le pourtraict qu'elle avoit veu, et si j'avois point adverty la Royne, vostre mère, du mèdecin qui promettoit de remédier à cest inconvénient du visage; et, luy ayant satisfaict de tout cella à son contantement, je me suis gracieusement licencié d'elle pour aller traicter de ces mesmes choses avec les seigneurs de son conseil; de quoy, en la lettre de la Royne, parce que ceste cy est trop longue, je mettray comme tout le reste a passé. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de juillet 1572. A LA ROYNE. Madame, affin que Vostre Majesté puisse mieulx juger des choses qui concernent icy le propos de Monseigneur le Duc, vostre filz, après que les aurez entendues par ordre, je metz peyne, en la lettre du Roy, de vous bien particulariser celles qui ont passé en la dernière audience que j'ay heue de cette princesse; de la quelle, à vray dire, je suis retourné plus contant des parolles et démonstrations que j'ay notées d'elle, pendant ses discours, que des poinctz qu'elle m'a voulu toucher de la responce qu'elle a promis de mander à Mr de Montmorency. J'avoys desjà faict voyr à milord de Burgley, premier que d'aller trouver la dicte Dame, les troys lettres qui s'adressoient à elle et les deux qui s'adressoient au comte de Lestre et à luy, ensemble ce que, en particullier, vous me mandiez, par une des vostres, de luy dire, qui a trouvé le tout merveilleusement bon, et bien à propos. Et, après infinys et très humbles mercyementz de la confiance qu'il voyoit que Voz Majestez Très Chrestiennes prenoient de luy, avec assurance de s'emploier plus affectueusement pour cest affaire que pour nul aultre qu'il ayt jamais manyé, il m'a mandé que je me hastasse de porter les dictes lettres, parce que les comtes de Lestre et de Sussex, et luy, avoient desjà commandement de leur Mestresse de dresser la dicte responce, qu'elle avoit à vous faire: ce qui m'a randu encores plus dilligent de l'aller trouver. Et, après que j'ay heu devisé avec elle, aultant longuement que je l'ay peu desirer, je suis allé parler aux dicts comtes de Lestre et de Sussex, et au dict de Burgley, lesquelz n'ont voulu entrer guyères avant à contester et débatre aulcun poinct de l'affère; ains, après avoyr escouté ce qui s'estoit passé entre la dicte Dame et moy, ilz m'ont respondu que, puisque j'avoys présenté nouvelles lettres, ilz confèreroient de nouveau avec la dicte Dame pour voyr si elle leur commanderoit de changer rien en sa dicte responce, et ont assez estendu leurz propos sur le mesmes faict; mais ilz l'ont tousjours tenu bien loing de la conclusion. Dont, ayant tiré à part le comte de Lestre, je luy ay baillé la lettre de Monseigneur le Duc, et luy ay monstré ce qui estoit en article exprès pour son bien dans celle que Vostre Majesté m'escripvoit; à quoy il m'a randu de si honnestes responces qu'il ne se peut dire mieulx. J'ay aussy exprimé à milord de Burgley ce que je luy avois auparavant mandé, lequel m'a assuré qu'il persévèreroit de solliciter sa Mestresse. Et n'ay obmis de confirmer de mesmes le comte de Sussex en la bonne affection qu'il a tousjours monstré de porter à cest affère; et puis, je les ay ainsy layssez quelques jours pour faire leurs dellibérations. Et depuis, je les ay envoyez sonder si les lettres avoient esté d'aulcun effect, dont le comte de Lestre m'a mandé qu'il me prioit de croyre qu'il avoit parlé sur icelles de si grande affection à sa Mestresse que moy mesmes ne l'eusse peu faire davantaige, et qu'elle demeuroit en suspens, sans se sçavoir bien résouldre, monstrant d'incliner à ce qu'elle puisse voyr Monseigneur le Duc, et qu'il la voye aussy à elle, ce que le dict comte ne pouvoit trouver bon, et estimoit qu'il seroit tousjours meilleur qu'elle fît une plus certaine responce. Et milord de Burgley m'a respondu qu'il n'y avoit rien plus vray que, pour ceste heure, l'accident du visage donnoit plus d'empeschement au propos que ne faysoit la difficulté de l'eage, car sa Mestresse avoit parlé à ceulx qui estoient naguières revenus de France, et s'estoit enquise à ung chacun d'eux, à part, fort particullièrement, de Monseigneur le Duc; qui luy avoient toutz, d'une commune voix, raporté beaucoup de louanges des condicions et qualités de Mon dict Seigneur le Duc, et encores de sa taille et disposition, mais il n'y en avoit heu pas ung qui ne luy eût dict, quand au visage, qu'ilz avoient opinyon qu'elle ne s'en pourroit nullement contanter, quand elle le verroit: ce qui estoit cause que les lettres, que je luy avoys présentées, feroient peu ou guières changer la responce qu'on avoit dellibéré de vous faire mander; et que, de tant que j'avoy dict à elles mesmes qu'il y avoit ung mèdecin qui promettoit de remédier au dict inconvénient du visage, qu'il failloit que je y pourveusse, me voulant au reste bien assurer que sa Mestresse s'estoit infinyement contanté de la lettre que Vostre Majesté luy avoit escripte, qui estoit bien la meilleure qu'elle eust jamais reçue et la plus pleyne d'honnestes respectz; et qu'en effet il ne voyoit aulcune chose à présent, sur laquelle il voulût me mettre plus avant en espérance, ny aussy du tout me désespérer, cognoissant très bien que sa Mestresse procédoit d'une vraye et droicte intention en cest affère, et qu'il n'y avoit que les deux difficultés, et celle mesmement du visage, qui la retardoient. Et de tant que la pluspart de la négociation d'entre milord Burgley et moy a esté mené par le Sr de Vassal, présent porteur, que j'ay souvant envoyé vers luy, je le vous dépesche présentement pour vous en aller rendre meilleur compte, et pour, tout ensemble, apporter à Voz Majestez le traicté tout ratiffié, qui m'a esté, depuis deux jours, dellivré de la part de ceste princesse; et vous suplier très humblement, Madame, que par luy il vous playse me faire entendre en quelz termes on vous aura faicte la susdicte responce, et, comme après icelle, vous vouldrez que je continue de la poursuivre. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de juillet 1572. CCLXVIIe DÉPESCHE --du IIIe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Arrivée de Mr de La Mole à Londres.--Entrevue avec le lord garde-des sceaux.--Nouvelles de la guerre des Pays-Bas.--Progrès du prince d'Orange.--Détails sur le combat de Mons. AU ROY. Sire, ayant Mr de La Mole faict si bonne dilligence qu'il est arrivé le XXVIIe du passé à Londres, j'ay incontinent envoyé faire entendre sa venue à la Royne d'Angleterre, à quarante mille de là, sur son progrès de Warvic, laquelle, se trouvant en lieu incommode et trop estroict pour nous recepvoir, et voyant encores que les quatre ou cinq premiers gittes, qu'elle auroit à faire, le seroient de mesmes, elle nous a remis jusques au lieu de Eston, où elle faysoit estat d'y arriver dès hier, et nous y donner aujourdhuy l'audience. Mais, s'estant trouvée ung peu lasse de la chasse de devant hier, au lieu de Saldon, pour y avoir suivy, tout le jour et jusques à quelque heure de la nuict, ung grand cerf, elle n'en a bougé de hier ny aujourdhuy, et nous a mandé, sachant que nous estions desjà en ce lieu de Brichil, bien près d'elle, que nous fussions les bien venus; et que, demein, qui est lundy, elle se rendroit sans aulcun doubte au lieu de Eston pour nous y recepvoir mardy, et que cepandant elle avoit commandé au sire Henry Cobhan de nous accompaigner, et nous faire accomoder à Tocester, qui est à ung petit mille du dict lieu; monstrant la dicte Dame, après qu'on luy a heu touché quelque mot de l'honneste occasion du voyage du dict Sr de La Mole, et par l'instance de qui il estoit faict, et combien l'élection de luy estoit bien fort bonne et propre en cest endroict, qu'elle en avoit grand contentement; dont nous mettrons peyne, Sire, de le luy augmanter davantage et le rendre le plus utile qu'il nous sera possible pour Vostre Majesté. Nous avons, en venant icy, visité milord Quipper en une sienne mayson aulx champs, où la dicte Dame avoit passé, qui a monstré de nous y voir de bon cueur, et de persévérer en la bonne et droicte intention qu'il a tousjours heue à ce bon propos d'ung des Filz de France pour sa Mestresse; et nous a dict que, pour estre Monseigneur le Duc plus esloigné d'ung degré de vostre couronne que Monsieur, que de ce degré l'aprouvoit il davantage et le jugoit plus propre pour eulx, et qu'il luy sembloit que la présence sienne avoit à produire une trop plus briefve conclusion en cest affère que nulle aultre chose qu'il cognût aujourdhuy au monde. A quoy nous avons oposé que cella estoit peu requis, et nullement uzité entre grandz princes, et que, sans plus grande assurance, je ne voyois qu'il se peût faire, ny qu'il deût passer deçà, ny que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, le voulussiez jamais consentir. Je comprans bien, Sire, qu'une partie de la responce qu'on vous a faicte tend à cella; dont Mr de La Mole et moi adviserons de modérer vers elle, et vers ceulx qui la conseillent, ceste dellibération le plus qu'il nous sera possible, et ne précipiterons rien sans réserver toutes choses à vostre disposition; qui vous suplie cependant, Sire, de nous mander par le Sr de Vassal comme, après la dicte responce, il vous semblera que nous aurons à procéder. Le comte de Lestre, qui estoit allé devant à Quilingourt, est retourné pour se trouver à la réception du dict Sr de La Mole; mais milord de Burgley, qui est allé en une sienne mayson vers le Nort, ne sera de retour jusques à samedy, qui sera cause que nous temporiserons davantage pour l'attandre, et pour ne presser de vous rien respondre qu'il n'y soit. Maistre Pelan est retourné de Fleximgues, lequel rapporte, à ce que j'entendz, que quatre centz françoys et aultant d'anglois, et semblable nombre de walons, sont logés dans la ville, et qu'avec ce nombre les habitans se font fort de la garder; et que le cappitaine Gilibert, avec quinze centz angloys, est logé aux environs, ayant cinq centz escuz d'entretènement par moys comme coronnel, et ses gens bien entretenus à la rayson de quatre escus la simple paye; et que tout le pays d'Olande, sinon Utrec et Ostradam, recognoissent le prince d'Orange pour légitime gouverneur, et que desjà l'on a estably à Dordrec une forme de conseil, et le lieu de la monoye pour y battre ce qui se pourra ramasser d'argent pour servir à ceste guerre; et semble que le dict Pelan persuade bien fort à ceste princesse de prendre en sa protection le dict lieu de Fleximgues, comme très oportun à l'Angleterre et fort aysé de le pouvoir deffendre. Anthonio de Guaras a porté, ces jours passez, en ceste court, une relacion des choses advenues près de Montz[3], par lettre que le duc d'Alve luy en a escripte de Bruxelles; où il mande la défaicte sur les Huguenotz estre fort grande, et qu'il y en a envyron troys mille cinq centz de mortz, avec fort petite perte des leurs, plusieurs prisonniers de qualité et vingt cinq enseignes et huict cornettes prinses; ce qui met assez de réfroidissement à ceulx cy: bien que d'ailleurs la certitude qu'ilz disent avoir de l'arrivée du prince d'Orange, en Gueldres, avec sept mille reytres et trèze mille hommes de pied, les eschauffe. Sur ce, etc. [3] Voir ci-dessus _note_ p. 44. Ce IIIe jour d'aoust 1572. CCLXVIIIe DÉPESCHE --du VIIe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet._) Audience accordée à l'ambassadeur et à Mr de La Mole.--Négociation de Mr de La Mole au sujet du mariage.--Desir d'Élisabeth que le duc d'Alençon passe en Angleterre.--Suspension d'armes en Écosse.--Nouvelles de Marie Stuart. AU ROY. Sire, je ne doubtois nullement que la Royne d'Angleterre ne fît une bien bonne réception à Mr de La Mole, à cause de la plus estroicte amityé qu'elle a maintenant avec Vostre Majesté, mais elle la luy a faicte beaucoup meilleure que je ne l'avois espéré, et nous a donné, mardy dernier, au lieu de Sthon, une très favorable audience, de laquelle n'est besoing que je vous racompte icy ce que j'ay dict et faict pour introduire le dict Sr de La Mole et sa légation vers elle, car j'ay mis peyne de n'y rien oublier, et seroit trop long de le vous réciter; ny que je vous représante aussy, Sire, ce que luy, de sa part, et en une très bonne façon et avec parolles vifves et pleines d'efficace, et bien accompaignées de tout ce que l'honneste présence et bonne grâce et modestie d'ung gentilhomme les a peu segonder, luy a tenus, car je laysse tout cella à vous estre mieulx cognu, quand bientost il s'en retournera. Et vous diray seulement, Sire, qu'elle a monstré d'avoir aultant agréable le message et le messager, comme Vostre Majesté le pourroit desirer, ainsy que les honnestes responces et les très grandz mercyementz, qu'elle nous a chargé de vous en faire, le nous ont témoigné; qui, entre aultres choses, elle vous prie, Sire, de vouloir croyre que l'obligation qu'elle vous a pour la suyte de tant d'amityé et de bonne affection, dont, de plus en plus, il vous plaist persévérer vers elle, la rendent non moins germayne à Vostre Majesté ny moins vraye fille de la Royne, vostre mère, que le pourroit estre à toutz deux Madame Marguerite; et qu'elle vous avoit desjà envoyé sa responce, de laquelle elle attandoit, dedans troys jours, une dépesche de son ambassadeur, pour sçavoir comme Vostre Majesté l'auroit prinse, et que, sur ce qu'il luy en manderoit, se pourroit, puis après, adviser comme passer plus avant. Et me semble, Sire, qu'elle a commancé, ceste foys, d'uzer des mesmes parolles et contenances que j'avois auparavant remarquées d'elle, quand elle dellibéroit à bon esciant d'entendre au propos de Monsieur, de sorte que je n'estime l'avoir jamais cognue mieulx disposée à la résolution de se marier que maintenant, inclinant néantmoins à vouloir estre satisfaicte de la venue de Monseigneur le Duc plus pour cognoistre, ainsy qu'elle dict, si elle luy sera agréable, et si les difficultés qu'il pourroit faire d'elle le pourroient divertir, que non pas qu'elle s'arreste à celles qu'on luy a faictes de luy; assurant la dicte Dame qu'elle le répute d'estre tel, sellon le rapport qu'on luy en a faict, qu'elle ne s'estime assez digne d'estre sienne, et qu'elle nous vouloit bien promettre, s'il venoit icy, et que le mariage ne succédât, qu'elle prandroit sur elle la plus grande moictié de la honte, d'avoir esté plustost refuzée de luy, que non pas qu'elle ne l'eust voulu accepter; et puis l'excuse de la religion pourroit servir à toutz deux: monstrant la dicte Dame une fort grande affection à ceste entreveue et de chercher elle mesmes comme elle se pourroit faire, sans qu'il y courût nul intérest de vostre grandeur, ny de celle de Mon dict Seigneur le Duc. Et je voy bien, Sire, que ceulx de son conseil ne sont trop marris qu'elle ayt ceste opinyon, affin qu'elle mesmes face l'élection de son mary. Et je luy ay respondu, Sire, qu'il y avoit beaucoup de voyes bien honnestes et bien fort honnorables à Monseigneur le Duc pour venir vers elle, et qu'elle s'assurât hardiment d'avoir aujourdhuy tant de pouvoir sur luy qu'il feroit très volontiers tout ce qu'elle vouldroit, et qui seroit de son contantement; et que, sans doubte, il viendroit aussytost qu'il entendroit ceste sienne bonne volonté, mais elle mesmes ne le debvoit, en façon du monde, desirer sinon à la charge de le prendre pour mary, aussytost qu'il seroit icy, ou bien de le retenir prisonnier en la Tour de Londres; car il ne y avoit nulle assez honnorable voye pour s'en retourner: et que je ne croyois pas que Vostre Majesté, ny la Royne; qui est comme mère à toutz, voulussiez, sans quelque assurance du dict mariage, jamais consentir qu'il y vînt; ayant ajouxté, Sire, affin de ne laysser trop de dureté en ce qui, peu à peu, monstre se ramoller en ce propos, que, comme nous la suplions à elle de n'introduire nouvelles difficultés et longueurs en cest affère, qu'ainsy vous suplierions nous très humblement, Sire, de ne vous randre difficille en rien de ce que, sans diminuer la réputation de vostre couronne, ny la dignité de Mon dict Seigneur le Duc, vous pourriez complaire à la dicte Dame. Et après plusieurs bien fort gracieulx propos, qu'elle nous a continués plus de troys heures à son grand contantement, quelquefoys avec toutz deux ensemble, et quelquefoys séparéement avecques luy, parce que j'ay estimé que cella seroit très oportun; et, après qu'elle nous a heu de rechef priés de randre plusieurs sortes de mercyementz à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, pour elle, avec une si honnorable mencion de Mon dict Seigneur le Duc que de plus honnorable ne s'en pourroit faire de nul prince qui vive, sans oublier ung expécial grand mercys de l'élection que Voz Majestez, et luy, aviez voulu faire de Mr de La Mole pour le luy envoyer, elle nous a, pour ceste première foys, bien fort gracieusement licenciez, remettant à nous voyr le jour ensuyvant à la chasse, où elle nous convioit. Et, au sortir de la dicte audience, le dict Sr de La Mole a salué le comte de Lestre et le comte de Sussex, et Me Smith, avec les lettres qu'il leur a présentées et avec les bons propos qu'il leur a tenus; qui ont monstré d'adjouxter je ne sçay quoy de nouvelle disposition à celle qu'ilz avoient toutjours à ce propos. Et nous a le comte de Lestre depuis faict entendre qu'il seroit bon que ne nous lassissions de temporiser icy quelques jours; dont faysons estat d'accompaigner la dicte Dame jusques à Quilingourt, où milord de Burgley et le comte de Lincoln, qui sont maintenant absentz, ne faudront, lundy prochain, de s'y rendre. Et cependant j'ay receu ung petit pacquet du Sr de Vérac, du pénultiesme du passé, qui porte l'abstinance d'armes en Escoce pour deux moys, sellon la forme d'un brouillard qui contient la publication que, ce mesme jour, en a esté faicte à Lislebourg; et ay pareillement sceu, en ce lieu, des nouvelles de la Royne d'Escoce par le retour d'ung mien secrettère, que je luy avois envoyé avec ce peu d'argent, qui m'assure qu'elle se porte bien de sa santé, mais ennuyée de se voir toutjours estroictement gardée, bien que, depuis ung moys, l'on luy permet de aller souvant se promener aux champs. Je n'ay oublié de faire vers la Royne d'Angleterre l'office que m'avez commandé pour elle, qui a esté assez bien receu. Il n'y a icy rien de nouveau de Flandres depuis mes précédantes. Sur ce, etc. Ce VIIe jour d'aoust 1572. La nuict après notre audience, la Royne d'Angleterre s'est trouvée bien mal pour s'estre promenée trop tard au serein, faysant bien froid; et pour avoir trop travaillé à la chasse, les jours auparavant; mais aujourdhuy elle se porte fort bien, et sommes conviez pour l'aller accompaigner aux champs après dîner. CCLXIXe DÉPESCHE --du XIe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Bourdillon._) Maladie et rétablissement d'Élisabeth.--Négociation de Mr de La Mole avec les comtes de Leicester, de Sussex et de Warwick.--Audience.--Insistance d'Élisabeth pour que le duc d'Alençon vienne en Angleterre.--Desir de Leicester d'être chargé d'une mission en France.--Nouvelles de Flessingue.--Crainte des Anglais que Strozy ne s'empare de cette ville pour la France. AU ROY. Sire, à l'occasion d'ung peu de mal d'estomac qui a prins à la Royne d'Angleterre, le jour qu'elle nous a donné audience, au lieu de Sthon, ainsy que, par le post scripta de noz précédantes, du Ve du présent, nous le vous avons mandé, elle a esté deux jours sans sortir de la chambre, pandant lesquelz les comtes de Lestre, de Sussex et de Warvic nous ont mené chez ung riche gentilhomme voysin; là où ilz nous ont faict fort honnorer et bien tretter, et nous ont, le matin et l'après dînée, donné beaucoup de plésir dans les parcz de la Royne, qui estoient là auprès, en diverses sortes de chasses qui n'ont esté moins roïales que si la Royne mesmes s'y fût trouvée; et avons heu ample commodicté de négocier avec les dicts deux comtes de Lestre et de Sussex, dont n'avons perdu temps. Cepandant milord trézorier est arrivé de sa mayson de Burgley, auquel moy, La Mole, ay faict l'exprès office de recommandation du faict de Monseigneur le Duc, de la part de Vostre Majesté et de celle de la Royne, et avec les mesmes lettres de Mon dict Seigneur, comme me l'avez commandé, qui ay trouvé qu'il estoit en toute bonne disposition. Et le troysiesme jour, la dicte Dame, encores non du tout bien guérye, nous a permis de la voyr, laquelle, après nous avoyr compté de l'occasion de son mal, et nous avoyr infinyement mercyez de ce que nous avions monstré ung non moins extrême ennuy, durant sa douleur, que ung très singulier plésir après qu'elle nous heût mandé qu'elle luy estoit passée, elle nous a dict qu'elle avoit cerché son meilleur soulagement ez lettres de Vostre Majesté et en celles de la Royne, et de Nosseigneurs voz frères, et encores en celle que Monseigneur le Duc, en particullier, m'avoit escripte à moy, La Mothe; lesquelles elle s'estoit faictes toutes lire durant son mal, et y avoit trouvé tant de singullières et expécialles occasions de se resjouyr en la vraye amytié qu'il vous plaist à toutz luy porter, et vous en estre à jamais tant obligée que, quand elle auroit commancé bon matin de nous en dire des mercyementz, elle n'auroit achevé, à beaucoup d'heures de la nuict, à vous randre toutz ceulx qu'elle en avoit dans son cueur; mais elle vous prioit de croyre qu'elle avoit prins là dessus une très ferme résolution d'emploier une bonne partie de sa vye pour en avoyr aultant de recognoissance, comme Dieu feroit aparoistre au monde qu'elle en pourroit avoir les moïens; et qu'elle avoit pensé de ne se debvoir encores haster de respondre ceste foys à voz lettres ny à celles de la Royne, jusques à ce qu'elle heût entandu, par le Sr de Walsingam duquel elle attandoit d'heure à aultre ung courrier, comme Voz Majestez auroient prins sa responce; et pourtant, s'il nous plesoit temporiser jusques à Quilingourt, elle remettroit allors de faire ses lettres, ou sinon elle s'esforceroit de nous en bailler à ceste heure de telles qu'elle pourroit; et qu'elle nous avoit desjà dict que son desir seroit d'estre satisfaicte d'une entrevue, plus pour le contantement de Monseigneur le Duc, que pour le sien, bien qu'elle vouldroit que ce fût comme par fortune de temps, qui l'eût poussé par deçà; et que néantmoins plusieurs doubtes là dessus la mettoient en peyne, s'il luy arrivoit, d'avanture, quelque inconvénient au passage, ou bien si, estant icy, l'on ne se pouvoit accorder des condicions: dont remettoit cella à Vostre Majesté, affin que rien ne procédât jamais d'elle qui vous pût offancer; car c'est ce qu'elle vouloit le plus éviter en ce monde; bien nous vouloit dire qu'elle avoit des maysons assez voysines de la mer qui seroient fort à propos pour cest effect. Sur quoy, Sire, commançantz à ce qu'elle nous avoit discouru de son mal, et puis de sa convalessance, et sur la faveur qu'elle nous faysoit de la pouvoir voyr, premier qu'elle fût du tout bien guérye, et sur le soing que cepandant elle avoit heu de nous faire donner du plésir dans ses parcz, mais principallement sur les bonnes parolles qu'elle nous venoit de dire de Vostre Majesté et de la Royne, et de Nosseigneurs voz frères, et de voz lettres, nous luy avons respondu, l'ung après l'aultre, tout ce que nous avons estimé qui estoit bien convenable de luy dire; et vous promettons, Sire, que ce a esté tant au contantement de la dicte Dame que, quand nous avons monstré creindre de l'ennuyer, pour n'estre encores parfaictement guérye, elle mesmes a estendu davantage le propos. Dont, sur celluy de notre temporisement icy, nous luy avons dict que Mr de Vualsingam ne luy pourroit mander rien de plus expécial de vostre intention que ce que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, La Mothe, et puis voz précédantes lettres, et puis celles de maintenant, et encores ce que de parolle à moy, La Molle, et par escript à moy, La Mothe, vous nous aviez donné charge de luy en déclarer; et qu'il ne failloit, au cas que la responce qu'elle vous avoit desjà mandée ne fût si bonne comme vous la desiriez et l'espériez, sinon qu'elle la nous melliorât, et qu'elle la nous voulût faire entière et résolue; car serions prestz de l'accepter, et temporiserions très volontiers pour cest effect jusques à Quilengourt, ainsy qu'elle monstroit de le desirer; que, quand à l'entrevue, il n'estoit nul besoing de chercher en cella le contantement de Monseigneur le Duc, car non seulement il estoit très contant, mais tout transformé au desir des bonnes grâces et des perfections qu'il sçavoit estre véritablement en elle, mais c'estoit à sa satisfaction d'elle qu'on avoit à regarder; et que pour cella croyons nous bien que Monseigneur le Duc ne regardoit à nul danger ny inconvénient, ny s'il y auroit quelque diminution de sa propre grandeur, pourveu qu'il peût aultant defférer à celle de la dicte Dame; mais qu'il nous sembloit que Vostre Majesté, ny la Royne, ne le luy vouldriez jamais permettre, et qu'encor que vous jugiés très bien que nulle sorte de passer vers elle ne pourroit sembler que très honneste et pleine d'ung singullier plésir à ce prince, si, ne pouviez vous voyr qu'il luy en peût rester pas une honnorable ny sinon accompaignée d'ung extrême crèvecueur et d'ung perdurable regret, qui luy dureroit jusques à la mort, de s'en retourner refuzé ou non accepté; et qu'il nous sembloit qu'en ung affaire tant approuvé de Dieu, et louable devant les hommes, et tant plein d'honneur et de vray contantement aux deux partis, et desjà passé par le conseil universel des deux royaulmes, l'on ne debvoit proposer ung acrochement, lequel monstroit partir de l'invention de quelque maulvès ange, qui ourdissoit desjà, par la longueur et par la difficulté de ceste entrevue, une entière ruyne du propos, premier qu'il fût conclud. La dicte Dame, ayant un peu pensé là dessus, a monstré qu'elle desireroit infiniement de cognoistre quel auroit à estre Mon dict Seigneur le Duc vers son amytié, et a percisté qu'il luy failloit attandre quelque dépesche du Sr de Walsingam; puis a passé à plusieurs gracieulx propos d'elle et de Monseigneur le Duc, au cas que le dict mariage succédât entre eulx: dont, ayant préveu ensemble qu'il ne seroit que bon que moy, La Mole, luy en continuasse encores aulcuns à part d'aulcunes privés particullarités et remarquables enseignes de l'inthime affection et dévotion de Mon dict Seigneur vers elle, moy de La Mothe, les ay ung peu layssez toutz deux, qui en ont tenu plusieurs, desquelles elle a monstré, de son costé, en sentir ung fort singullier contantement; et moy, La Mole, suis retourné du mien avec tousjours meilleure espérance, comme j'espère bientost vous en aller rendre compte. Cepandant moy, La Mothe, ay pressé milord de Burgley de nous faire avoir une résolution, et il n'a heu rien d'assez aparant pour en excuser davantage sa Mestresse, sinon de me dire que Vostre Majesté auroit trouvé la responce en telz termes qu'il n'estoit possible qu'on passât à rien plus avant, que vous n'eussiez de rechef parlé, bien qu'il me vouloit assurer que luy et les deux comtes trouvoient que le voyage de moy, La Mole, estoit très oportun, et très oportunes les lettres que j'avoys apportées, et qu'il ne vouloit, de sa part, encore cesser de bien espérer. Ainsy, Sire, nous suyvons jusques à Quilingourt, et nous veulent, ceulx qui sont bien intentionnés en cest affaire, persuader que ce que ceste princesse monstre d'avoir fort grande affection à ceste entrevue est le meilleur signe qui se pourroit desirer d'elle, dont nous conseillent de ne le trop rejecter. Et le comte de Lestre m'a encores refrayschy à moy, La Mothe, qu'il avoit ung grand desir d'aller en France pour la conjouyssance des premières couches de la Royne Très Chrestienne, et qu'il seroit tousjours prest de partir dans troys jours, après que la Royne, sa Mestresse, le luy auroit commandé; laquelle nous a desjà dict, Sire, qu'elle le vouloit de bon cueur, pourveu que ce fût ung filz, et qu'elle prioit Dieu de vous donner ung daulfin. Maistre Pelan a rapporté de Fleximgues que la ville est tenable, si la Royne, sa Mestresse, la veult prendre en sa protection; mais il semble que, icy, l'on est entré en quelque souspeçon que le Sr Strossy s'en vueille saysir, et qu'il a desjà escript à ceulx qui y commandent d'y vouloir recepvoir deux mille françoys. Sur quoy quelqun m'a declaré à moy, La Mothe, que cella réfroydira bien fort les Angloys, et qu'ilz ne voudroient que les Françoys entreprinsent rien de ce costé, à la charge qu'ilz favoriseroient tout ce qu'ilz vouldroient entreprendre ez aultres endroictz. J'ay jetté bien loing tout ce qu'on m'a dict du dict Sr Strossy. Hier, ung des gens du prince d'Orange a esté renvoyé d'icy avec force bonnes parolles, et attand l'on de luy une plus solenne légation, quand il sera plus avant en pays; dont lors il sera mieulx respondu. Sur ce, etc. Ce XIe jour d'aoust 1572. CCLXXe DÉPESCHE --du XIIIe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée jusques à la court par Mr de L'Espinasse._) Nouvelles d'Écosse.--Vives plaintes de l'ambassadeur contre le mépris que font des ordres du roi les Ecossais qui occupent Leith. AU ROY. Sire, estant Mr de La Mole et moy en ce lieu de Conventery, à la suyte de ceste princesse, laquelle arrive aujourdhuy en la mayson du comte de Lestre à Quilingourt, qui est à quatre mille d'icy, le Sr de L'Espinasse m'a envoyé de Londres en hors les mémoires qu'il a raporté d'Escoce, sur lesquelz je me suys infinyement esbahy des façons de procéder de ceulx du Petit Lith, qui sont telles qu'elles me semblent bien requérir, Sire, que Vostre Majesté y pourvoye avec authorité pour ne laysser aller les choses, qui ont esté, en ce faict, faictes et négociées par vostre ambassadeur en vostre nom, à l'indignité que ceulx du Petit Lith monstrent qu'ilz les veulent réduyre, qui n'est sans beaucoup de mespris et quasy mocquerye de vostre grandeur. Il est vray que la passion les mène de vouloir chercher tant d'avantage qu'ilz pourront pour ruyner ceulx qui leur font teste; et, si l'assemblée du parlement se pouvoit tenir, possible que l'on parviendroit à quelque accord, mesmement si Vostre Majesté monstre qu'en toutes sortes elle veult et entend qu'il se face, et qu'il vous plaise en parler vifvement à l'ambassadeur d'Angleterre et luy dire que vous n'estes pour comporter qu'on achève de ruyner cest estat, ny que les dicts du Petit Lith abusent des mesmes moyens qui procèdent de vous contre ceulx qui, plus que eulx, ont espéré en Vostre Majesté. Je verray, Sire, comme la Royne d'Angleterre et ceulx de son conseil prendront le faict, et requerray en cella ce que j'estimeray convenir au bien de vostre service; dont par mes premières je ne faudray de vous en escripre ce qu'ilz m'y auront respondu. Et cependant, pour ne rien retarder, je mande au dict Sr de L'Espinasse de parachever sa dilligence vers Vostre Majesté, vous supliant très humblement de le renvoyer, ainsy bien et bientost expédié, comme jugerez qu'il se debvra faire, et qu'envoyez par luy quelque petite provision au capitaine Granges pour le faire persévérer, car en luy consiste aujourdhuy la conservation de tout ce qui peut dépandre de l'allience de vostre couronne au dict pays. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'aoust 1572. _Par postille à la lettre précédente._ Depuis ce dessus, je me suis infinyement pleinct à ceste princesse, et aulx siens, de l'atemptat de ceulx du Petit Lith, et ilz ont monstré qu'ilz le trouvent très maulvais; dont m'ont promis qu'il y sera indubitablement remédyé. CCLXXIe DÉPESCHE --du XXVIIIe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Mr de La Mole._) Audiences.--Détails de la négociation de Mr de La Mole.--Délibération du conseil sur le mariage.--Explications sur la réponse donnée au roi, qui a été prise en France pour une rupture.--Déclarations d'Élisabeth qu'elle est décidée à se marier, qu'elle ne veut pas rompre la négociation; mais qu'avant de prendre un engagement elle croit l'entrevue nécessaire.--Avis donné par les Anglais sur le peu de confiance que doit inspirer le gouverneur de Flessingue.--Bonne disposition d'Élisabeth à l'égard de la négociation du mariage.--Départ de Mr de La Mole. AU ROY. Sire, au partir de Norampthon, d'où Mr de La Mole, présent pourteur, et moy, vous fismes une dépesche, le XIe de ce moys, nous arrivasmes, le tréziesme ensuyvant, à Quilingourt, et le lendemein Mr le comte de Lestre nous y traicta en festin avec les plus grandz de ce royaulme, où ayant esté plus d'une heure et demye en conversation avec la Royne d'Angleterre pour luy continuer, en attandant des nouvelles de France, le propos de Monseigneur le Duc, affin de luy en imprimer tousjours le desir, et à nous l'espérance, le dict sieur comte nous mena, l'après dînée, avec le reste de la noblesse de la court, courre le cerf dans ung de ses parcz jusques à la nuict; et, le deuxiesme jour après, le Sr de Vassal arriva avec la dépesche de Voz Majestez du VIIe et IXe du présent et avec ce que, oultre la dicte dépesche, il vous avoit pleu le charger de nous dire. Sur quoy nous allasmes, le XVIIe, retrouver la dicte Dame à Warvic, à laquelle, après aulcuns propos qu'elle mesmes nous commença, nous luy dismes qu'il nous estoit venu des lettres de Voz Majestez Très Chrestiennes sur la responce que son ambassadeur avoit heu à vous faire, à la fin de juillet; et de tant que luy mesmes avoit ouy les parolles et veu les contenances, dont luy aviez uzé quand il la vous avoit déclarée, et qu'il avoit très bien recueilly le tout, nous nous assurions que desjà elle avoit mieulx entendu la façon comme Voz Majestez avoient prinse la dicte responce par le discours de ses lettres que nous ne luy sçaurions représanter sur celles de Voz Majestez. Et, sans rien toucher à la dicte Dame de la lettre qu'elle luy avoit escripte le XXIIe de juillet, parce que vous le nous deffandiez, nous ajouxtâmes seulement qu'il n'estoit pas à croyre combien il vous avoit touché au cueur que la dicte responce n'eust esté conforme à vostre honneste desir; et combien Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, vous estiez vergongniez de ce que, cuydantz avoir bien mesuré vostre offre pour la plus juste, la plus honnorable, et quasy la plus nécessayre que vous heussiez su faire à une telle princesse comme elle, laquelle vous aymiez et observiez plus que nulle aultre de la Chrestienté, elle néantmoins vous heût randus confus, et vous heût condampnés de n'avoir heu bon jugement en cella; et qu'après y avoir bien pensé et dellibéré avec ceulx de vostre conseil, et ne pouvantz juger, par les choses que Mr de Montmorency et Mr de Foix, vous avoient rapportées, et par celles que je vous avois escriptes, et encores par celles que Mr le comte de Lincoln et ses aultres ambassadeurs vous avoient dictes, qu'il fût possible que ceste responce heût à estre celle résolue qu'elle avoit dans son cueur, Voz Majestez la suplioient de vous en randre une meilleure et plus aprochante du vray contantement que vous aviez espéré d'elle. La dicte Dame, comme préocupée d'une peur que nous voulussions rompre, et résolue néantmoins, pour la recordation de ce qui luy estoit advenu du premier propos, de ne changer point d'opinion, s'escria ung peu en elle mesmes disant:--«Ha! je voy bien, par la responce de mon ambassadeur et par ce que je oy maintenant, que la Royne Mère, comme prudente et vertueuse, a voulu estre sage pour son filz et pour moy, et ne veut que nous nous voyons de peur qu'il ne se puisse contanter d'une telle femme, ou que je ne puisse demeurer bien satisfaicte d'ung tel mary.» Et après, s'estant adressé à nous, continua nous dire que, puisque les lettres tant honnestes et pleines d'honneur et de mille satisfactions que je luy avois présentées en la mayson de milord trésorier, escriptes de vostre mein, et de la Royne, et de Monseigneur le Duc, avoient esté cause de luy faire méliorer sa première responce, du XXIIe de juillet, par laquelle elle mandoit que les difficultés de l'eage empeschoient qu'elle ne peût satisfaire ny à son desir ny à vostre espérance, et d'avoir, comme par ung bon et nouveau moyen, proposé l'entrevue, affin d'oster les dictes difficultés, elle pensoit que, non seulement vous l'aprouveriez, mais luy sçauriez un grand gré d'avoir, de son costé, faict l'ouverture qui debvoit procéder du vostre; qu'elle prioit Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Mr de Montmorency, desquelz troys le langage avoit esté semblable, qu'il vous pleût croyre qu'elle n'estoit si traistre, ny si meschante, de parler d'une entrevue à ung prince de si grande qualité, si elle n'estoit bien résolue de se marier, et qu'elle m'avoit, longtemps y a, assuré de la victoyre qu'elle avoit gaignée sur elle en cest endroict; dont ne voudroit maintenant vendre à si inique et desloyal pris, comme seroit cestuy cy, le précieulx trésor de vostre amityé et de la Royne et des princes de vostre couronne, ses enfans, et qu'à la vérité elle avoit plusieurs justes occasions du passé, et plusieurs grandes considérations du présent, pour desirer la dicte entrevue, tant pour la satisfaction de Monseigneur le Duc, affin qu'il n'espousât une femme qui ne luy pleût, que, à dire vray, pour le compte d'elle mesmes, affin de voyr si elle pourroit être aymée de luy, et si la disposition de l'eage, et ce qu'on luy avoit rapporté du visage seroient objetz si véhémentz qu'elle ne s'en peût jamais contanter; et, de tant qu'elle avoit mis cella en l'arbitre de Voz Majestez, il n'estoit raysonnable que luy renvoyssiez maintenant la pierre, sinon que vous voulussiez que ce qu'elle vous avoit mandé et ce que Vous et la Royne, vostre mère, aviez respondu à son ambassadeur, et ce que nous luy disions maintenant, fût la fin du propos; demeurant la dicte Dame là dessus bien fort pensive, sans y rien plus adjouxter. Nous suyvismes à luy dire, Sire, que Voz Majestez la prioient de considérer qu'il n'est en la mein des mortelz de remédier au poinct qu'elle alléguoit de l'eage, et que vous aviez ung incroyable regret que ne l'en peussiez satisfaire, dont ne vous restoit que dire là dessus, sinon ce que Mr de Montmorency, Mr de Foix et moy, luy avions desjà dict, que, tant s'en failloit que vous heussiez pensé que les jeunes ans de Monseigneur le Duc fussent quelque deffault que, au contrayre, vous estimiez que c'estoit la perfection de ce mariage, et que vous sçaviez très bien que la disposition de la dicte Dame estoit si bonne et si belle qu'elle se retrouvoit plus jeune de neuf ans qu'elle n'estoit, et aussy la vigueur et belle taille et bonne disposition de Monseigneur le Duc luy anticipoient à luy son eage d'aultres neuf ans, par ainsy, qu'ilz se rencontroient d'en avoir chacun vingt et sept; et, au regard de l'entrevue, que si Vous, Sire, et la Royne, vostre mère, cognoissiez qu'elle peût servir à vous donner le contantement que vous espériez et desiriez plus que chose du monde, que vous vouldriez que Monseigneur le Duc fût aujourdhuy plustost que demein devers elle; mais, si la dicte entrevue avoit à estre en vein, et que la dicte Dame n'eût volonté de se marier, comme ses responces vous en faysoient doubter, ny voulût avoyr Mon dict Seigneur le Duc agréable, duquel elle avoit desjà veu le pourtrêt, et avoit entendu, par beaucoup des siens, quel il estoit, ce ne seroit qu'adjouxter ung par trop grand malcontantement à celluy que vous aviez desjà bien grand de la responce qu'elle vous avoit mandée. Dont nous la voulions très humblement suplier, et la conjurer, par les mérites de la parfaicte bienveillance et loyalle amityé que Vous et la Royne, vostre mère, luy portiez, et par la dévotion et servitude de Monseigneur le Duc vers elle, qu'elle voulût, sellon sa prudence, et par l'advis des seigneurs de son conseil, avec lesquelz nous desirions qu'elle communicquât de ce faict, vous faire une meilleure responce, et telle qu'il n'en peût réuscyr qu'une bonne conclusion de propos, et non jamais fin en vostre commune amityé, sinon lorsque vous cesseriez de n'estre plus au monde. La dicte Dame, réaulçant la teste, nous respondit, avec ung meilleur et plus joyeulx visage, qu'elle estoit contante de parler à ceulx de son conseil et faire voyr à Voz Majestez que vous ne sçauriez trouver princesse, en toute la terre, qui plus s'esforçât de correspondre à l'amityé, qu'avez tousjours monstré luy porter, qu'elle feroit. Et entrant là dessus en plusieurs devis avec Mr de La Mole, lequel je luy layssay seul pour parler à ses conseillers, elle fit toutz les semblantz du monde d'avoir fort agréable ce qu'il luy disoit de son Maistre, et luy fit reprandre à luy mesmes plus d'espérance que par ses premiers propos elle n'avoit monstré de nous en vouloir donner. Et sur ce, se retirant pour ung peu de temps fort joyeuse en sa chambre, dict à Mr le comte de Lestre qu'il nous retînt pour souper avec elle; et elle mesmes nous convia. Puis, à bout de pièce, estantz retournés vers elle, la trouvasmes qu'elle jouoit de l'espinette, et continua, à nostre prière, d'en jouer encores davantage pour satisfaire au dict Sr de La Mole; et puis, au souper, qui fut ung festin assez magnificque, elle nous fit devant toute l'assemblée les meilleures démonstrations qui se peulvent desirer, mesmes après avoir beu à moy, et m'avoir envoyé sa couppe et son restant pour la pléger, elle voulut bien monstrer qu'elle avoit agréable le message et le messager de Mon dict Seigneur le Duc, et beut aussy au Sr de La Mole, avec plusieurs aultres honnestes démonstrations et courtoysies que, pour l'honneur de son Maistre, ung chacun s'efforça de luy faire. Et l'après soupée, sur les neuf heures de nuict, ung fort, qui estoit dressé dans une prairie, soubz les fenestres du chasteau, fut assaly par une partie de la jeunesse de la court, et soubstenu par l'aultre, où y heut tant d'artiffices à feu, si furieulx et bien conduictz, qu'il le fit fort bon voyr, et la dicte Dame nous retint jusques envyron minuict pour en attandre la fin. Le lendemein, XVIIIe, après que le trésorier de la mayson de la dicte Dame nous heût donné à dîner, elle nous fit appeller pour nous dire que, sellon nostre réquisition du jour précédant, elle avoit mis l'affaire en dellibération de son conseil, où les lettres de son ambassadeur avoient de rechef esté leues et conférées avec nostre dire, et qu'ayant ouy l'opinion d'ung chacun là dessus, elle se trouvoit en plus de perplexité que jamais, pour s'estre tant advancée que d'avoir parlé de l'entrevue, et qu'elle desireroit avoir esté lors bien empeschée de la langue; mais ses conseillers, qui avoient plus regardé à leur affection de la voyr mariée que à sa dignité en cest endroict, luy avoient faict faire cest erreur, se persuadans que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, embrasseriez ce moyen, comme le meilleur et le plus court, pour effectuer ce que monstriez desirer; mais elle et eulx s'apercevoient, à ceste heure, encor que bien tard, que vostre intention estoit au contraire, et que ce qu'elle avoit veu par ung advis qui luy estoit venu de bien loing, que l'on avoit desjà mis ordre de faire qu'elle ne trouvât non plus de correspondance en ce segond propos qu'elle en avoit heu au premier, commançoit de s'effectuer; car, de révoquer en doubte si elle se vouloit marier, estoit ramener l'affaire à son commancement, et d'alléguer le malcontantement qui resteroit de l'entrevue, si elle réuscissoit vayne, estoit l'advertir de se garder bien de la consentir; mais ce, qui plus la mettoit en peyne, estoit qu'on avoit remonstré à son ambassadeur que de l'entrevue des princes n'estoit accoustumé de provenir guyères jamais que toute male satisfaction, et cella luy remétoit devant les yeulx que si, de l'entrevue de troys ou quatre jours, de Monseigneur le Duc et d'elle, debvoit advenir quelque mal, quel auroit à estre le reste de leur vye, s'ilz se marioyent sans quelques prémices d'amityé, qui ordinayrement s'acquièrent par la veue; et qu'elle juroit à Dieu que ces doubtes luy faysoient tant de peur qu'elle se repentoit bien fort d'avoir jamais touché ce poinct; duquel ny elle, ny ses conseillers ne se pouvoient, à ceste heure, bien résouldre. Nous répliquâmes, Sire, qu'elle debvoit prendre de bonne part ce que Voz Majestez Très Chrestiennes aviez remonstré à son ambassadeur qui, à ce que nous pouvions cognoistre par voz lettres, vous avoit représenté les obstacles si grandz, et si esloignés de la facillité qu'aviez espéré trouver en cest affaire, qu'à vostre grand regret vous aviez interprété l'entrevue ne pouvoyr réuscyr que vayne, et pleyne de mocquerie pour Monseigneur le Duc; et que mesmes il sembloit que vous heussiez comprins qu'il heût uzé du mot d'_impossibilité_, dont elle ne debvoit que bien juger de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, si, persévérans en vostre singulière affection vers elle, vous la supliez de vous rendre une meilleure responce. Et Mr de La Mole adjouxta que cella mesmes, qu'elle pouvoit creindre de l'altération de vostre mutuelle amityé, si l'affaire, après l'entrevue, ne succédoit, se debvoit creindre de ceste heure sur sa responce, au cas qu'elle ne la vous melliorât. Et luy usasmes toutz deux, là dessus, des meilleures et plus vifves persuasions que nous peusmes, de façon que la dicte Dame, après avoir confessé que, si son ambassadeur avoit usé du mot d'_impossibilité_, ou bien vous avoit faict les difficultés non esloignées de cella, que vous aviez heu, et la Royne, vostre mère, très juste occasion de doubter beaucoup d'elle. Elle nous pria de luy donner encores le loysir d'ung jour entier pour dellibérer dans cest affaire avec son dict conseil; et, sur l'heure mesmes, monstant à cheval, elle trouva bon que nous l'allissions accompaigner à Quilingourt, où elle s'en retournoit en chassant; et l'entretinsmes, l'ung et l'autre, à diverses foys, sur la poursuite de nostre propos, tout le long du chemin, avec son grand contantement. Le lendemein matin, nous trouvasmes moyen de luy faire voyr une petite lettre de la Royne, vostre mère, du Xe du présent, avec celle que, de mesmes dathe, Mr Pinart m'avoit escripte, qui l'assuroient fort de la persévérance de vos bonnes intentions vers elle; et fismes voyr aussy à milord trésorier, par certains motz de la vostre, comme vous n'aviez peu comprendre que les difficultez, que Mr de Walsingam vous avoit alléguées, fussent sinon impossibles. Et ainsy, ayant, par ce moyen et par toute la sollicitation que nous peusmes, envers les seigneurs de ce conseil, ung à ung, et envers les principalles dames de ceste court, bien disposé l'affaire, ce jour se passa en de bien grandes et bien débatues dellibérations, non du tout si vives et conformes entre ceulx du dict conseil comme nous l'avions pensé. Tant y a que, le vintgiesme de ce moys, estantz de rechef mandez à Quilingourt, la dicte Dame, après nous avoir entretenu quelque temps d'aulcunes petites advantures, qui luy estoient advenues le matin à la chasse, et après nous avoyr faict ouyr, plus d'une heure, sa musicque en la chambre de présence, elle nous mena en la privée. Et là, en présence de milord trésorier et des comtes de Sussex, de Lestre, de Lincoln, de maistre Quenolles, de sire Jacques Serofz, de maistre Smith, toutz officiers principaulx, et du conseil privé de la dicte Dame, elle nous dict qu'ayant bien examiné et fait examiner de près par ceulx, qui estoient là présentz, tout l'estat de cet affaire, elle estoit bien ayse d'avoir trouvé que le principal escrupule ne provînt maintenant que de ce qu'il sembloit que son ambassadeur ne se fût bien explicqué en la responce qu'il avoit heu à vous faire, ou bien que Voz Majestez ne l'eussent bien comprinse; car n'avoit heu charge de dire sinon que de l'inégallité de l'eage procédoit beaucoup de grandes difficultés, qui empeschoient qu'elle ne vous peût respondre sellon que vous l'espériez et sellon qu'elle l'heût bien desiré, et qu'elle estimoit qu'une entrevue pourroit beaucoup esclarcyr l'ung et l'aultre de leurs plus grandz doubtes, mais non qu'elle luy heût mandé du mot d'_impossibilité_; car heût esté chose fort absurde de parler d'une entrevue sur un affaire qu'elle heût estimé impossible, et que si Voz Majestez avoient prins l'un pour l'aultre, et qu'il vous eust représenté les difficultés comme impossibles, elle confessoit que la Royne, vostre mère, avoit heu occasion de faire ses responces ainsy aygres, comme son ambassadeur les luy avoit escriptes, et comme nous mesmes ne les luy nions pas. De quoy, par la petite lettre que nous luy avions faicte voyr le jour précédent, et par ce que nous avions communicqué à milord trézorier, elle demeuroit maintenant satisfaicte; et vouloit, devant Dieu, assurer Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, que, depuis le temps qu'elle avoit accordé à ceulx de son conseil de vouloir, pour le béneffice de ses subjectz, résoluement se marier, et qu'elle m'en heût faicte la déclaration pour la vous mander, elle y avoit tousjours persévéré, et ne s'estimeroit digne du lieu, où Dieu l'avoit mise, si elle avoit varyé; car ne pouvoit juger que ce fût ung acte d'un prince d'honneur de ne tenir sa parolle à qui qu'il l'eût donné; et tant plus, quand elle l'avoit mandée à ung très grand roy, auquel elle avoit beaucoup d'obligation; et que ceulx qui, du commancement du propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoient voulu dire qu'elle n'en entretenoit la praticque, sinon pour servir à ses affères, et pour en augmanter sa réputation, avoient esté conveincus pour menteurs et pleins de grand calomnie, pour l'espreuve de ce qui s'estoit veu depuis, qu'elle avoit passé si avant qu'elle layssoit bien maintenant à nous mesmes de juger si c'estoit par l'esprit de Dieu, ou bien de Satan, son adversayre, que leur mariage avoit esté interrompu; et que, pour la considération, non d'elle en façon que ce fût, mais pour divertir le mal qui menassoit son estat et ses subjectz d'une inévitable ruyne, par faulte de certein successeur, incontinent qu'elle seroit morte, qu'elle persévéroit, plus que jamais, de se vouloir sacriffier elle mesmes pour leur en laysser ung. Dont avoit, de rechef, résolu avec ceulx de son conseil, et ainsy le déclaroit à nous, en leur présence, qu'indubitablement elle vouloit prendre mary; et que, touchant ce poinct, nous en assurissions ardiment Vostre Majesté: et, si nous luy demandions d'où? elle nous respondoit de grand lieu, parce qu'elle n'estoit petite; et qu'en ce que Voz Majestez luy proposoient Monseigneur le Duc, de quoy elle ne vous sçauroit jamais assez remercyer de vous estre ainsy toutz troys, l'ung après l'aultre, offertz à elle, elle vouloit bien dire que le party estoit fort honnorable; car nul aultre prince, en toute la terre, se pouvoit vanter d'estre de meilleure, ny plus grande, ny plus royalle extraction que luy, et luy mesmes estoit si royal et tant accomply en excellantes qualitez d'un gentil et valeureux prince, qu'il méritoit une trop plus grande et meilleure fortune qu'il ne la pourroit rencontrer en elle, ny en une aultre princesse qui fût plus grande qu'elle; mais, quand à ce qui pouvoit concerner à elles mesmes, encores qu'elle desirât se sacriffier pour ses subjectz, ce n'estoit toutesfoys en sorte qu'elle voulût encourir l'extrême tourmant d'ung maulvais mariage, car ce luy seroit ung perpétuel enfer en ce monde. Dont, pour s'esclarcyr de cella, en l'endroict de Monseigneur le Duc, et voyr si les difficultez de l'eage et aultres qui se trouvoient entre elle et luy, se pourroient oster par une entrevue, elle, de rechef, nous accordoit de remettre ce poinct à Voz Majestez Très Chrestiennes affin qu'il vous pleût regarder si, avec l'honneur de vostre couronne et la dignité de vostre frère et filz, vous pourriez trouver bon que eulx deux se vissent, bien que, pour la creinte qu'elle avoit que, ne s'accomplissant le mariage, l'amityé que luy portiés se vînt à diminuer, qui seroit chose qu'elle vouldroit plus éviter que la propre mort, elle n'osoit dire ce qu'elle desiroit en cella; dont suplioit Voz Majestez d'y vouloir regarder, et pour elle, et pour vous, et prendre, de bonne part, ceste sienne déclaration, qui estoit la plus clère et ouverte qu'elle vous pouvoit faire. Et exprima la dicte Dame toutes ces choses beaucoup plus amplement, et avec ung si bel ordre de parolles, prononcées d'affection, et avec tant de grâce, et encores avec tant d'ornement, que nous deux, et les siens mesmes en restâmes bien fort esmerveillés. Et, après nous estre conjouys avec elle d'ung si vertueux, et si digne, et vrayement royal propos, qu'elle venoit de nous tenir, fort conforme à l'affection de Voz Majestez Très Chrestiennes vers elle, et bien fort à vostre louange, et de ceulx de vostre couronne, Mr de La Mole et moy luy dismes que nous ne nous pouvions tenir que ne luy en baysissions, mille et mille foys, bien humblement, les meins; et néantmoins nous la voulions prier d'avoir agréable que nous persévérissions encores en nostre première instance d'impétrer une meilleure responce d'elle; car, de nulle part du monde, Voz Majestez n'attandoient meilleures nouvelles que de son costé, et que nous sçavions certaynement que de pires n'en pourriés vous avoir, ny qui plus vous apportassent d'affliction, que si Mr de La Mole n'avoit trouvé icy la correspondance que vous attandiez sur le propos de Monseigneur le Duc, et réputeriez à grand malheur qu'il s'y sucitât des difficultés qui peussent empescher ou retarder vostre honneste pourchas, prévoyans bien que ce seroit ung commancement de sape pour ruyner le meilleur fondement de vostre commune et parfaicte amityé; et luy ozions dire tout librement que vous n'eussiez entreprins de faire passer Mr de Montmorency par deçà, ny luy heussiez donné charge, et à Mr de Foix et à moy, par pouvoir exprès, lequel nous avions monstré à milord trézorier, de faire à la dicte Dame l'offre de Monseigneur le Duc, si vous n'eussiez bien mesuré par plusieurs grandes considérations, bien digérées en vostre conseil, et par plusieurs conjoinctes nécessités que vous avez avec elle, qu'il ne se pouvoit faire qu'elle ne fût toute résolue d'iceulx deux poinctz qu'elle avoit desduictz: l'ung, de se marier; et l'aultre, de prendre party de grand lieu. Car, pour le regard du premier, voyantz qu'elle avoit régné quatorze ans en grande paix, et que Dieu avoit monstré qu'au milieu des plus divers temps et plus dangereulx, il sçavoit régir et gouverner une monarquie soubz l'authorité d'une princesse, qui estoit ung fort rare exemple, mais qui rendoit la dite Dame la plus cellèbre princesse qui heust guière jamais régné au monde, vous jugiés très bien que ce n'avoit peu estre sans qu'elle fût pleine de grande prudence, et de grand vertu, et de sages conseilz, et d'un parfaictement bon heur; et que, se rencontrantz encores tout cella en la personne d'une, que toutz ses subjectz recognoissoient estre fille et petite fille de leurs roys, belle princesse et pleyne de majesté, laquelle ilz voyent remplir fort dignement le siège de ceste couronne, ilz luy avoient très volontiers obéy jusques icy, et avoient déchassé bien loing toutz les empeschementz et difficultez qui aultrement se fussent trouvés en son règne, en espérance toutesfoys qu'elle leur laysseroit ung successeur après elle, ce que difficilement ilz vouldroient plus comporter quand ilz verroient qu'elle se seroit layssée surprendre d'ung temps qu'ilz ne pourroient plus espérer cella d'elle, qui seroit une sayson que vous luy jugiez si périlleuse que vous vous doulriez, dès ceste heure, de ses calamitez d'allors, plus que vous ne vous pouviez resjouir de ses prospérités présentes; et qu'il y avoit plusieurs exemples, de non trop longtemps, que les grandz roys très puissantz, et qui manioyent eulx mesmes les armes, ne s'estoient jamais trouvez plus assurez de leurs personnes ny de leurs estatz, que quand ilz s'estoient veus mariez et avoir des enfans, et que Voz Majestez n'estoient ignorantes des desseins qui avoient esté faictz contre la personne, la vye, la qualité et l'estat de la dicte Dame, en diverses partz de la Chrestienté, dont vous assuriez qu'elle n'avoit peu faire une résolution si esloignée de sa prudence et de sa vertu et de tout bon conseil, ny si procheyne de son malheur, que de ne se vouloir marier; et pourtant vous croyez, avec la confirmation que vous aviez de sa parolle en cella, sur la quelle vous faysiez plus de fondement que en tout le reste, que, sans aulcun doubte, elle prendroit mary. Et quand à dire d'où? qu'il estoit vray qu'avant qu'elle nasquît, et après qu'elle estoit venue au monde, la couronne de France avoit tousjours heu une grande inclination vers elle, car le feu grand Roy Françoys, seul de toutz les princes chrestiens, avoit favorisé les nopces d'où elle estoit yssue, et avoit, premier qu'il aparût nul astre de sa nativité au ciel, desjà faict ce bon office pour elle, guyde possible d'ung bon présage pour Françoys, son petit filz, lequel estoit aujourdhuy son vray image au monde; et le Roy Henry, son père, l'avoit aymée et avoit heu soing d'elle, pendant qu'elle estoit princesse, comme si ce heût esté la propre Elizabeth sa fille, qui fut depuis Royne d'Espaigne; et Vostre Majesté à présent, l'aviez tousjours plus respectée et observée que princesse du monde; et, encor qu'eussiez esté assez provoqué de son costé, vous aviez tousjours paré les coups le mieulx que vous aviez peu, sans la vouloir, à vostre esciant, jamais offancer, ains aviez diverty, de vostre pouvoir, tout ce que vous aviez apperceu au monde qui pouvoit torner à son offance; et enfin Dieu avoit si bien segondé vostre bonne intention que vous aviez contracté une plus estroicte confédération avec elle; et vous trouviez aujourdhuy, si vous n'estiez bien trompé, le premier d'entre toutz ses alliez, qu'elle aymoit le mieulx, et en qui elle avoit plus de fiance, comme aussy Voz Majestez luy portoient plus de bienveillance et de cordiale amityé qu'à princesse de la terre; et que, vous retrouvant en ce degré, vous estimiez n'apartenir à nul si bien qu'à Vous et à la Royne, vostre mère, de luy pourchasser party; dont luy aviez offert Monseigneur le Duc comme ung d'entre ses plus certains amys, et de si bon lieu que de meilleur n'en estoit au monde, et lequel vous cognoissiez si garny d'excellantes qualités, de vertu, de valeur et aultres dons du ciel et de nature, que vous oziez donner ce tesmoignage à vostre frère, qu'il ne luy restoit plus qu'estre receu en la bonne grâce d'elle, pour estre ung des plus accomplis princes de l'Europe: dont n'aviez peu doubter que très volontiers elle ne l'acceptât. Mais, de tant que vous ne vouliez rien demander en cest endroict qui ne fût pour l'advantage d'elle, et de sa réputation et honneur, nous la voulions bien suplier d'avoir le pareil esgard à vous, de ne requérir rien de Monseigneur le Duc qui semblât extraordinayre ou non accoustumé aulx plus grandz princes, car ne pouvions estimer qu'il peût comparoistre devant elle en ceste entrevue, sinon ainsy que feroit le criminel devant ung juge, duquel il attandoit la sentence de sa mort et de sa vye, ce qui luy diminueroit beaucoup de ses bonnes grâces, là où, s'il venoit bien assuré de celles d'elle, elle ne trouveroit qu'il en deffaillît une seule en luy; et avions l'exemple du Roy d'Espaigne et de la feue Royne, sa seur, qui s'estoient bien mariés sans se voyr, qui n'estoient rien de plus que les deux, dont nous traictions à présent. A quoy elle me respondit que je n'allégasse plus cest exemple, car il n'avoit heu ung seul rencontre de bonheur; dont continuay que, puisqu'ainsy estoit, qu'elle ne vouloit changer d'opinion, que Mr de La Mole et moy luy accordions très vollontiers que le dict point de l'entrevue fût remis à Voz Très Chrestiennes Majestez; mais, affin qu'il y restât moins de difficultés, nous la voulions très humblement suplier de nous accorder que toutz les articles, qui avoient esté déterminés sur le propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, demeurassent entiers, et desjà toutz accordez pour Mon dict Seigneur le Duc. A quoy elle nous respondit qu'elle en estoit contante, sinon seulement des articles de la religion, ainsy qu'elle l'avoit auparavant escript à son ambassadeur, affin qu'à toutes advantures, si le mariage n'avoit à réuscyr, cella peût servir d'honnorable excuse à toutz deux. Nous incistâmes que les dicts articles demeurassent, mais, puysqu'ainsy luy playsoit que l'interprétation, sur laquelle l'on en estoit demeuré pour Monsieur, fût réservée pour s'en accorder allors; et que, pour ne procéder en ung si grand faict par négociations incerteynes, elle trouvât bon que le tout fût rédigé par escript; ce que la dicte Dame ne nous refuza, ny l'ung ny l'aultre. Et encores, après avoir examiné, à part, le dict Sr de La Mole de l'intention de Monseigneur le Duc, son Maistre, pendant que les dicts du conseil me vindrent parler d'aulcunes aultres choses, à quoy je m'assure qu'il la satisfit grandement, elle nous remeit à nous revoir encores le lendemein, où nous ne fallismes de nous rendre à l'heure accoustumée, et trouvasmes qu'elle avoit desjà escripte la lettre de la Royne, vostre mère, de laquelle elle nous fit communicquation; et nous dict qu'elle estoit après à mettre la mein à la vostre, et qu'elle vous vouloit prier toutz deux de respondre pour elle à celle de Monseigneur le Duc, se ressouvenant bien que, d'aultresfoys, je luy avois faict faire une semblable erreur en pareille occasion; mais nous la conjurasmes tant, et luy fismes de si humbles prières pour ceste faveur vers Mon dict Seigneur le Duc, qu'enfin elle nous promit d'escripre à toutz deux voz frères. Et nous ayant encores, puis après, menés à la chasse, et faict plusieurs aultres honnestes et favorables démonstrations, et qu'elle heût monstré en toutes sortes de demeurer très satisfaicte de toute la légation du dict Sr de La Mole, et bien fort grandement de luy mesmes, elle nous licencia très gracieusement toutz deux, et adjouxta ce mot, Sire,--«Que le dict de La Mole s'est si sagement et en si bonne façon conduict et comporté, en tout ce qu'il a heu à dire et faire en ceste court, qu'il y a layssé une très bonne opinion de luy, et y sera toujours fort bien venu.» Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572. Les seigneurs de ce conseil estiment que le capitaine Serras, à présent gouverneur de Fleximgues, a intelligence avec le duc d'Alve, dont vous suplient que, si Vostre Majesté entend que les angloys, qui sont au dict lieu, se soient pourveus pour leur seurté contre le dict Serras, que ne le vueilliez interpréter qu'à bien, et faire que les françoys n'entreprennent de s'y oposer. A LA ROYNE. Madame, de tant que, par aulcunes de voz responces à Mr de Walsingam, la Royne, sa Mestresse, avoit prins opinion que Vostre Majesté n'estoit si affectionnée au bon propos, qui est maintenant en termes, comme elle l'eût pensé, et luy en estant le souspeçon aulcunement confirmé par quelques lettres, qui naguières avoient été surprinses, nous avons esté en grande perplexité comme luy oster ceste impression; mais elle mesmes nous en a mis en chemin, nous racomptant par ordre tout le contenu de la lettre du XXIIe de juillet, de laquelle vous nous deffandiez de luy en parler, et nous faysant faire par ses conseillers tout le discours d'icelle et des subséquentes, jusques à la responce, ce qui nous a donné argument, en luy en épluchant bien toutz les poinctz, de luy faire cognoistre que Vostre Majesté avoit heu occasion de parler en la façon qu'elle avoit faict, et qu'elle pouvoit bien comprendre (par la petite lettre que m'aviez despuis escripte, du Xe du présent, et par celle de Mr Pinart, de mesmes dathe, lesquelles nous luy fismes voyr bien à propos), que vous ne persévériez en nulle plus fervente affection au monde qu'en celle de ce mariage. Et me semble, Madame, que ce petit inconvénient n'est advenu que pour bien, pour la faire déclarer davantage et tirer plus de lumière de son intention; mesmes que, l'ayantz supliée de n'en imputer rien à son ambassadeur, ains plustost à Voz Majestez et au trouble que ce avoit esté en vostre cueur de n'avoir trouvé tant de correspondance en sa responce comme vous l'aviez espéré, elle nous a assurez qu'elle n'avoit, ny pouvoit avoir, aulcun malcontantement de luy, et que nul gentilhomme de ce monde pourroit jamais mieulx mériter de ceste cause, et pour vous et pour elle, qu'il faysoit; mais ce qu'elle vous en mandoit par sa lettre serviroit bien fort à son propos; et néantmoins vous prioit de croyre qu'il n'avoit escript que en très bonne sorte toutes les choses que luy aviez dictes. Sur quoy, Madame, je vous suplie très humblement me donner charge, par voz premières, de dire quelque mot à la dicte Dame du contantement que vous avez de luy, et cepandant prendre de bonne part si, pour ne rompre ce propos, Mr de La Mole et moy avons consenty à la dicte Dame qu'elle remît encores à Voz Majestez le poinct de l'entrevue; qui n'a esté sans que nous y ayons oposé toutz les plus grandz argumentz que nous avons peu, qui ont esté cause de nous faire gaigner les aultres deux pointz que verrez en la lettre du Roy; en laquelle nous racomptons les principalles choses de toute la négociation qui a esté faicte depuis nos précédantes; et cella avec quelque peu de longueur qui, possible, vous sera ennuyeuse, mais c'est affin que, par la représantation des mutuelz propos qui ont esté entre la dicte Dame et nous, et par ses démonstrations, que nous y avons exprimées, Voz Majestez puissent mieulx juger en quoy reste l'affaire maintenant, et y puissent prendre une plus certayne résolution; bien qu'il reste encores au dict Sr de La Mole de vous réciter assez d'aultres particullaritez pour en faire une histoyre: et luy veulx bien rendre ce tesmoignage qu'il a si bien accomply et sa légation, et vostre commandement, par deçà, et s'est en toutes choses si bien comporté que je ne l'eusse sceu desirer mieulx pour vostre service, ny pour la satisfaction de ceste princesse et de toute ceste court. Et vous suplie très humblement, Madame, de croyre qu'il n'a tenu à nous, ny à chose quelconque, qui se soit peu faire de la part de nous deux, qu'il ne vous rapporte maintenant l'entière résolution de l'affère; mais il se fault contanter de ce qu'on peut. Et aulmoins veux je bien, Madame, qu'il vous assure que, sellon les démonstrations de ceste princesse, nous l'avons layssée, ceste foys, beaucoup mieulx disposée vers Voz Majestez Très Chrestiennes et vers ce propos que je ne l'y avois vue auparavant; et ceulx qui y ont bonne affection nous crient: _que Monseigneur le Duc vienne_. Dont, Madame, si Voz Majestez estiment que, pour une si haulte entreprinse, il faille mettre au risque et à l'azard la dicte entrevue, chose à quoy je n'oze adjouxter mon advis, parce qu'estant le faict de Monseigneur vostre filz, il doibt estre entièrement réservé à la détermination de Voz Majestez, je vous suplie très humblement vous en résouldre si bien, et si tost, que cella se puisse accomplir dans le prochein moys d'octobre au plus tard; de tant que les volontés ne sont perpétuelles, ny souvant de guières de durée, par deçà. Et desjà je sçay que, de dellà la mer, l'on sollicite instamment la ropture; dont sera très nécessayre de tenir fort secrette la dellibération que vous y ferez. La noblesse de ce royaulme est très bien affectionnée à ce propos, les principalles dames de ceste court le favorisent, et ceulx du conseil ont faict ung singullier debvoir de l'advancer; dont adviserez, Madame, comme leur en faire quelque recognoissance, et comme satisfaire principallement au particullier de Mr le comte de Lestre, vers lequel, si Mr de Montpensier se rend si difficile, du party de sa fille, comme il me deffend par une sienne lettre de n'en parler jamais, Vostre Majesté pourra considérer s'il seroit bon que je mysse en avant celuy de madamoyselle de Chasteauneuf, ou de quelque aultre, que Voz Majestez vueillent apparanter avec semblables advantages, qu'avez desjà offertz pour la susdicte de Montpensier. Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour d'aoust 1572. _Par postille à la lettre précédente._ Le dict Sr de La Mole, pour l'honneur de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc, a esté fort favorablement reçu de ceste princesse, et a esté bien traicté en sa court et en divers lieux de ce royaume, et honnoré, puis après, d'un présent, qui, à la vérité, n'a pas correspondu au reste, ny à la libéralité, dont le dict Sr de La Mole a uzé fort honnestement partout, ny à ce qu'on a veu de luy en ceste court, qui est arrivé à dix sept chevaulx de poste; car n'a esté que d'une cheyne de troys centz trente escuz, mais, possible, est advenu, par ce qu'on n'estoit en lieu commode. Et ne fauldra pour cella, Madame, que layssiez de remercyer du reste l'ambassadeur d'Angleterre, et que Monseigneur le Duc l'en envoye aussy remercyer. Et ne puis obmettre de vous ramantevoir tousjours les remèdes pour le visage de Mon dict Seigneur; car c'est chose qui m'est singullièrement recommandé de ce costé. CCLXXIIe DÉPESCHE --du XXXe jour d'aoust 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Fogret._) Effet produit à Londres par la première nouvelle de la Saint-Barthèlemy.--Saisie de la première dépêche adressée à l'ambassadeur.--Réception de la seconde.--Irritation des Anglais.--Résolution de l'ambassadeur de suspendre toutes les négociations.--Nouvelles d'Écosse.--Nécessité de donner à Walsingham en France les mêmes explications que doit donner l'ambassadeur en Angleterre.--Impossibilité où se trouve l'ambassadeur de répondre aux questions qui lui sont faites. AU ROY. Sire, ainsy que Mr de La Mole estoit prest à partir, jeudy matin, pour aller retrouver Vostre Majesté, le premier courrier que m'aviez dépesché, le dimanche, XXIIIIe de ce moys, arriva icy sans aulcun pacquet, parce qu'en passant à la Rye, où il estoit venu descendre, au partir de Roan, les officiers du lieu, ayant desjà veu arriver six ou sept bateaux des gens de la nouvelle religion de Dieppe, toutz épouvantez de la soubdaine sédition de Paris, prinrent la dépesche qu'il m'aportoit, et l'envoyèrent incontinent à la Royne, leur Mestresse, qui ne me l'a encores renvoyée, parce qu'elle est bien loing d'icy. Et le dict Sr de La Mole ne layssa, pour cella, de partir, l'après dînée, avec l'entier discours de toute la négociation qu'avions faicte jusques allors. Et, le soyr mesmes, vint le segond courrier, qui estoit party de Paris le mardy, XXVIe, par lequel, Sire, il vous a pleu me mander le regret, que Vostre Majesté avoit, que la sédition de ceulx de la ville n'estoit encores appaisée, et que je ne parlasse aulcunement des particullarités, ny de l'occasion d'icelle, jusques à l'aultre procheine dépesche, que Vostre Majesté me feroit, le jour ensuyvant[4]. En quoy j'estime, Sire, que vostre troysiesme pacquet m'arrivera plus tost que l'on ne m'aura rendu le premier; et, par ainsy, je parleray sellon icelluy, et non sellon l'aultre. [4] Voir les lettres du roi en date des 24, 25, 26 et 27 août 1572, adressées à Mr de La Mothe Fénélon, ainsi que l'instruction qui y fut jointe; _Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe Fénélon_, contenant les lettres qui lui étaient écrites de la cour. Et néantmoins je vous veulx bien dire, Sire, que tout ce royaulme est desjà plein de la nouvelle du faict, et que l'on l'interprète diversement sellon la passion d'ung chacun plus que sellon la vérité; dont je vous suplie très humblement de vouloir faire capable l'ambassadeur d'Angleterre des mesmes choses que me commandez d'en dire icy, affin qu'il y ayt confirmité de ses lettres à mon parler; car cella importe beaucoup. Et tout ainsy que je pense bien qu'ung tel accidant muera assez la forme des choses par dellà, je voy que l'on en est desjà icy en telle altération qu'il faudra, à mon advis, qu'on recommance une nouvelle forme d'y procéder, de vostre costé; et ne pouvant encores bien discerner comme elle aura à se faire, je laysseray toutes les choses du passé en quelque suspens, jusques à ce que, par celles qui sont freschement survenues, nous pourrons cognoistre comment nous gouverner vers celles d'après. Et adjouxteray seulement à ce pacquet l'extrêt d'ung chiffre, que j'ay receu de Mr Du Croc, et une lettre que la Royne d'Escoce m'a naguières escripte, avec ung sien mémoyre à part; et vous diray sur le tout, Sire, qu'il me semble tousjours plus expédiant que les différendz des Escouçoys soient remis à la détermination des Estatz du pays, que si Vostre Majesté les prenoit en sa mein; de peur de ne satisfaire à la Royne d'Escoce, et que ne divisiez l'estat, lequel vous voulez conserver entier à vostre allience. Je suplie, de rechef, très humblement Vostre Majesté de faire bien informer l'ambassadeur d'Angleterre des choses qui ont passé à Paris, et garder que luy, ny nulz angloys soient oppressez de la sédition, car cella interromproit beaucoup la bonne intelligence qu'avez maintenant avecques ce royaulme. Et sur ce, etc. Ce XXXe jour d'aoust 1572. A LA ROYNE. Madame, sur ung cas si nouveau et si inopiné, comme celluy qui est advenu, dimanche dernier, à Paris, l'on faict desjà icy tant de diverses interprétations, qu'on me met en grand peyne comme y respondre; et, ce matin, Me Wilson, maistre des requestes de ceste princesse, m'en est venu curieusement demander les particullarités, mais je me suis excusé de luy en rien respondre, à l'occasion que je n'avoys encores mon pacquet; et seulement luy ay dict que je creignois que ceulx de la nouvelle religion eussent donné occasion à ceulx de Paris de s'eslever contre eulx. Il n'est pas à croyre combien ceste nouvelle esmeut grandement tout ce royaulme. Je verray comment les choses s'y disposeront, et vous advertiray, le plus particullièrement qu'il me sera possible, de tout ce que, jour par jour, j'en pourray comprendre. Et sur ce, etc. Ce XXXe jour d'aoust 1572. CCLXXIIIe DÉPESCHE --du IIe jour de septembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Remise à l'ambassadeur de la dépêche qui a été saisie.--Premiers détails de la Saint-Barthèlemy.--Mort de l'amiral Coligni.--Assurance que Walsingham n'a dû courir aucun danger.--Protestation de l'ambassadeur que l'exécution n'a point été préméditée.--Interruption de toutes les négociations avec la France.--Projet des Anglais de renouer leur alliance avec l'Espagne.--Demande de nouvelles instructions sur la négociation du mariage.--Exécution du comte de Northumberland à York.--Suspension du commerce avec la France. AU ROY. Sire, aussytost que les officiers de la Rye, qui avoient prins le pacquet que Vostre Majesté m'envoyoit par Nicollas le chevaulcheur, l'ont heu apporté en ceste court, ceulx de ce conseil, s'estant bien courroucés à eulx de la faulte qu'ilz avoient faicte de me l'avoir retardé, me l'ont incontinent remandé par le Sr de Quillegrey, avec plusieurs bien honnestes excuses, et m'ont faict prier que je leur fisse sçavoir si ce qu'ilz avoient ouy de tant de meurtres advenus à Paris, estoit chose véritable, et si Mr de Walsingam y avoit prins nul mal. A quoy pour leur satisfaire, j'ay communicqué au dict Sr de Quillegrey la première lettre de Vostre Majesté, du XXVIe du passé, et luy ay dict que je n'avois rien davantage de tout le dict faict de Paris, sinon que le chevaulcheur, qui estoit venu, assuroit que, depuis icelle escripte, et avant qu'il montât à cheval, il avoit veu la sédition bien allumée par la ville, et qu'il sçavoit certaynement que monsieur l'Amiral et plusieurs aultres de la nouvelle religion estoient mortz, mais n'avoit entendu d'où cella estoit procédé; et, quand à Mr de Walsingam, il croyoit qu'il n'avoit nul danger, parce que ceulx de Paris estoient assez bien instruicts qu'il failloit, en toutes choses, tousjours respecter les ambassadeurs. Je croy, Sire, qu'il a esté fort à propos que le dict Sr Quillegrey et Me Wilson, maistre des requestes de ceste Royne, qui aussi m'est venu trouver de la part des seigneurs de ce conseil sur ceste occasion, ayent veu la dicte lettre, affin d'oster aux ungs et aux aultres l'impression qu'ilz avoient que ce fût ung acte projecté de longtemps, et que vous heussiez accordé avecques le Pape et le Roy d'Espaigne de faire servir les nopces de Madame, vostre seur, avec le Roy de Navarre, à une telle exécution pour y atraper, à la foys, toutz les principaulx de la dicte religion assemblés; ce que la dicte lettre monstre combien vostre intention a esté esloignée de cella, et combien le cas a esté fortuit et soubdein. Je voy bien, Sire, que tout ce royaulme en est merveilleusement esmeu, et qu'on met en suspens le propos de Monseigneur le Duc, celluy du commerce, les entreprinses de Flandres et toutes aultres choses, jusques à ce que l'on ayt l'entier esclarcissement comme la chose a passé, et à quoy se résouldra meintenant Vostre Majesté de l'entretènement de l'édict de paciffication. Et cependant, Sire, il semble que ceulx cy veulent, en tout évènement, reprendre quelque nouvelle praticque avec Anthonio de Guaras, sur les lettres qu'il a apportées du Roy d'Espaigne et du duc de Medina Celi à ceste princesse, quand elle estoit à Quilingourt; desquelles la substance n'estoit que de la venue du dict duc aux Pays Bas; mais ilz veulent maintenant, sur l'occasion des choses de Paris, les fère servir à ung plus grand effect, s'ilz peulvent, et préparent aussy d'envoyer, du premier jour, quelqung en Allemaigne devers les princes protestans. Dont je retourne suplier très humblement Vostre Majesté, comme je l'ay desjà supliée par mes précédantes lettres, qu'il luy plaise me mander la façon comme j'auray à parler de cecy à ceste princesse, affin de la rendre capable de la vérité des choses; et que faciez, Sire, que Mr de Valsingam en soit aussy informé, affin qu'il le luy représente de mesmes par ses dépesches. J'ay touché quelque mot au dict Sr de Quillegrey de ce que me mandiez en chiffre; à quoy il m'a respondu qu'il n'a pas quinze jours que la Royne, sa Mestresse, et les siens se fussent bien fort resjouys d'une telle déclaration, mais qu'à ceste heure il croyoit qu'ilz prendroient nouveaulx advis, et, possible, bien esloignés de ceulx qu'ilz avoient eus auparavant. Je l'ay fort assuré qu'aussytost que j'auroys de voz nouvelles, lesquelles ne pouvoient guières plus tarder, je les iroys apporter à la dicte Dame; et ainsy il l'est allé trouver. Je seray bien ayse, Sire, qu'incontinent après l'arrivée de Mr de La Mole, il vous playse me mander à quoy Voz majestez vouldront résouldre du propos de Monseigneur le Duc, affin que j'en reprenne les erres, le mieulx qu'il me sera possible. Vendredy, XXIIe du passé, le comte de Northombelland a esté exécuté publicquement en la ville d'Yorc, non sans regret de plusieurs, mais sans tumulte de pas ung, parce qu'on révère bien fort par deçà la justice et l'authorité de leur Royne. Vray est qu'on n'a layssé de donner ung grand blasme aux Escouçoys sur l'indignité de cest acte, de ce que, contre l'ancienne observance d'entre ces ceulx royaulmes, ilz ont vendu la vie de ce seigneur, lequel estoit allé à refuge à eulx. Sur ce, etc. Ce IIe jour de septembre 1572. Depuis ce dessus, J'ay receu une lettre de Me Smith, à présent seul secrettaire d'estat d'Angleterre, touchant aulcunes choses d'Escoce, et le mémoyre qu'il m'a envoyé des dictes choses, en escouçoys. Il faict aussi quelque jugement de celles qui s'entendent de Paris, dont vous envoye l'original de sa lettre et le traduict du dict mémoyre. Ceste princesse est en quelque opinion d'envoyer bientost le Sr de Quillegreu en France. S'il y va, je creins qu'il passera en Allemaigne. A LA ROYNE. Madame, parce que ceulx cy délayssent presque toutes aultres choses en suspens, pour entendre à celles qu'on leur a rapportées de Paris, et sçavoir d'où est procédé l'occasion d'icelles, et quelles conséquences elles produiront, j'ay estimé qu'il n'estoit encores bien à propos d'aller trouver là dessus la Royne d'Angleterre, et qu'il estoit trop meilleur que j'attandisse vostre procheyne dépesche, affin de luy pouvoir mieulx apporter la certitude du tout, et avoir, premier que de luy en rien discourir, la forme comme il plerra à Voz Majestez que je en parle. Et cependant je satisfay, le mieulx que je puys, par la lettre du Roy, du XXVIe du passé, à toutz ceulx qui m'en viennent rechercher; et leur fay cognoistre que c'est ung cas fortuit qui oncques n'avoit esté projecté, et que le Pape, ny le Roy d'Espaigne, n'y sont, comme ilz l'estiment, en rien meslés; et qu'il y a grand apparance que ceulx de la nouvelle religion, après la blessure de monsieur l'Amiral, ayent eulx mesmes provoqué ceste entreprinse contre eulx. Il y a plusieurs navyres dans ceste rivière, chargés de draps et aultres marchandises, pour France, qui debvoient faire voyle, à ce commancement de septembre; mais tout est arresté jusques à ce qu'on ayt plus grand esclarcissement de l'affaire, duquel je desire infinyement que l'ambassadeur d'Angleterre demeure bien édiffié, et que bonne édiffication en demeure pareillement vers toute la Chrestienté pour Voz Majestez Très Chrestiennes, et pour toutz les vostres, contre ceulx qui vouldront entreprendre d'en rien calompnier. Et sur ce, etc. Ce IIe jour de septembre 1572. Je ne puis faire, Madame, touchant le propos de Monseigneur le Duc, que je ne vous ramantoyve tousjours de faire accélérer les remèdes du visage, et de faire advancer, avec l'art, ce que la nature s'esforce de rabiller peu à peu d'elle mesmes, vous supliant très humblement d'essayer l'expérience du personnage que je vous ay envoyé; car la démonstration, qu'il m'en a faicte, est chose si aysée et si seure, que nul ne le pourra contredire, et j'en suis, de plus en plus, très instamment sollicité de ce costé. CCLXXIVe DÉPESCHE --du XIIIIe jour de septembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Nycolas._) Irritation des Anglais; insultes et provocations faites à l'ambassadeur.--Précautions prises en Angleterre.--Demande d'audience.--Retard de la reine à l'accorder.--Audience. Froide réception faite par la reine.--Déclaration de l'ambassadeur de la nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de Coligni et des protestans, pour prévenir l'exécution qu'ils voulaient faire eux mêmes contre lui, la reine-mère, les ducs d'Anjou et d'Alençon.--Curiosité d'Élisabeth pour connaître les détails de l'évènement; regret qu'elle éprouve, non de la mort de l'amiral et des protestans, mais de ce qu'ils ont été punis sans l'intervention de justice; son desir que le roi se justifie complètement aux yeux de toute l'Europe.--Protestation de l'ambassadeur que l'exécution n'a pas été préméditée.--Crainte de la reine que l'alliance d'Angleterre ne soit désormais abandonnée par le roi.--Assurance donnée par l'ambassadeur que le roi persiste dans le traité d'alliance et dans la proposition du mariage du duc d'Alençon; demande que Leicester soit autorisé à passer en France.--Refus d'Élisabeth d'envoyer en France Leicester ou Burleigh, de peur qu'ils ne soient eux mêmes mis à mort.--Même communication faite par l'ambassadeur au conseil d'Angleterre.--Horreur inspirée par l'exécution de la Saint-Barthèlemy.--Nouvelle justification de la nécessité où s'est trouvé le roi d'agir ainsi qu'il a fait.--Explications demandées par le conseil sur la réception que peuvent espérer les marchands anglais à Bordeaux, et sur les projets de Strozzy en Flandre.--Vives assurances d'amitié données par l'ambassadeur.--État de la négociation concernant l'Écosse.--Efforts de l'ambassadeur pour empêcher une rupture avec l'Angleterre.--Remontrances par lui faites du danger que courrait l'Angleterre si l'on forçait le roi à révoquer l'édit de pacification pour s'unir aux projets du pape et du roi d'Espagne.--Nécessité de maintenir cet édit en France, et d'en donner l'assurance à Walsingham.--Imminence du danger où se trouve Marie Stuart par suite de l'exécution faite en France. AU ROY. Sire, le temps a esté si contraire au Sr de L'Espinasse et au secrettère de Mr de Walsingam, venantz dernièrement ensemble par deçà, qu'ilz ont esté contrainctz de séjourner troys jours à Bouloigne, sans avoyr passage, et encores, quand ilz ont entreprins de passer le quatriesme, ilz ont cuydé périr dedans le port; dont n'a esté possible qu'ilz soient arrivez jusques au troysiesme de ce moys en ceste ville; où il n'est pas à croyre, Sire, combien la nouvelle confuse, qui avoit couru devant eulx, dès le XXVIIe du passé, des choses advenues à Paris, avoit desjà immué le cueur des habitans; lesquelz ayant monstré auparavant d'avoir une fort grande affection à la France, ilz l'ont soubdein convertye en une extrême indignation, et une merveilleuse hayne contre les Françoys, reprochans, tout hault, la foy rompue, avec grande exécration de l'excès et avec tant de sortes d'otrages, meslés de parolles de deffy, par ceulx qui portent les armes, contre quiconques vouldroit dire le contrayre, qu'il n'a esté possible que je l'aye peu suporter, mesmes que, quand la nouvelle a esté plus esclarcye, ilz ne se sont de rien modérez, ains sont entrés davantage en fureur avec exagération du faict, et avec opinion que ce ayt esté le Pape et le Roy d'Espaigne qui ont rallumé ce feu en vostre royaulme, pour ne laysser trop embraser celluy de Flandres; et qu'il y ayt encores quelque maulvais marché, entre vous troys, contre l'Angleterre. Dont j'entendz, Sire, que, de ceste court, premier que je y aye peu arriver, a esté dépesché ung gentilhomme de bonne qualité devers le duc d'Alve, par l'entremise de Guaras; et expédié en Allemaigne aulcuns gentilshommes allemans, qui se sont trouvés icy; et envoyé le Sr de Quillegreu devers les Escouçoys pour prendre nouveaulx expédiantz par dellà; et mandé au comte de Cherosbery de reserrer, plus que jamais, la Royne d'Escoce; et faict dilligemment observer comme je parlerois de ce faict qui estoit advenu; et enfin a esté mis tout l'ordre qu'on a peu, tant par mer que par terre, que nul inconvénient puisse advenir en ce royaulme, où il ne soit desjà pourveu. Sur quoy je n'ay layssé pour cella, incontinent que le Sr de L'Espinasse a esté arrivé, de m'achemyner vers ceste princesse à Oestoc; laquelle ne m'a pas si tost admis à parler à elle, ains m'a faict temporiser, troys jours, au lieu d'Oxfort, pour donner loysir à ceulx de son conseil de s'assembler ce pendant, comme ilz ont faict plusieurs foys, sur la dépesche de Mr de Walsingam. Et enfin elle m'a mandé venir; qui l'ay trouvée, accompaignée de pluseurs seigneurs de son conseil, et des principalles dames de sa court, toutz en grand silence, dedans sa chambre privée. Et elle s'est advancée, dix ou douze pas, pour me recepvoir, avec une triste et sévère, mais toutjours fort humayne façon; et m'ayant mené à une fenestre, à part, après s'estre ung peu excusée du dellay de mon audience, elle m'a demandé s'il estoit possible qu'elle peût ouyr de si estranges nouvelles, comme on les publioit, d'ung prince qu'elle aymoit et honnoroit; et auquel elle avoit mis plus de fiance qu'en tout le reste du monde. Je luy ay respondu, Sire, qu'à la vérité je me venois condouloir infinyement avec elle, de la part de Vostre Majesté, d'ung extrême et bien lamentable accidant, où vous aviez esté contrainct de passer, au plus grand regret que de chose qui vous fût advenue despuis que vous estiez né au monde. Et luy ay racompté, par ordre, tout le fait, sellon l'instruction que j'en avoys; adjouxtant aulcuns advertissementz que j'ay estimé bien nécessayres pour luy fère toucher que, par l'apréhension de deux extrêmes dangers, qui estoient si soubdeins qu'il ne vous avoit resté une heure entière de bon loysir pour les remédier, et dont l'ung estoit de vostre propre vye, et de celle de la Royne, vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et l'aultre d'un inévitable recommancement de troubles, pires que les passez, vous aviez esté contreinct, à vostre plus que mortel déplaysir, non seulement de n'empêcher, mais de laysser exécuter, en la vye de monsieur l'Amyral et des siens, ce qu'ilz préparoient en la vostre, et courre sur eulx la sédition qui leur estoit desjà dressée; après toutesfoys n'avoyr obmis ung seul office de bon roy envers le debvoir de la justice, nul de bon prince envers son subject, nul de cordial seigneur et maistre envers son bien aymé serviteur, que vous ne les heussiez toutz randus à monsieur l'Amiral en sa blesseure, comme s'il heût esté vostre propre frère; et aviez encores auparavant faict vers luy, et vers ceulx de la nouvelle religion, mille sortes de faveurs et de bon entretènement, de sorte que vous vous condoliés davantage, avec elle, de la perverse intention et horrible ingratitude qu'ilz avoient uzée vers vous; de quoy aulcuns d'eux, premier que de mourir, avoient confessé qu'ilz estoient justement punis, pour avoir conjuré contre leur prince naturel; finablement que vous vous condoliez d'avoir esté contreinct de vous laysser couper un bras, pour saulver le reste du corps; et que vous vous assuriez, Sire, qu'elle auroit douleur de cestuy vostre accidant, et ayderoit, en tout ce qu'elle pourroit, de vous en relever et de modérer vostre regrect. La dicte Dame, voyant que je luy parlois en aultre façon que possible elle n'espéroit, après m'avoir curieusement interrogé d'aulcunes particullarités, m'a respondu qu'elle vouldroit, de bon cueur, que les crimes qu'on imposoit de nouveau à monsieur l'Amiral et aux siens fussent plus grandz que ceulx, dont ilz avoient esté nothés auparavant, et que leurs conspirations présentes surpassassent beaucoup celles du passé, et fussent plus énormes que l'escript qu'elle avoit veu de Mr de Walsingam, ny ce que je luy en disois, qui l'exprimois davantage, ne les dépeignoient, affin que leurs propres démérites les rendissent coupables de la cruelle mort qu'ilz avoient souferte; ou bien qu'ilz fussent toutz tombez ez mains de Monsieur, frère de Vostre Majesté, pendant qu'il les poursuyvoit, sans que la victoyre en heût esté ailleurs réservée; car leur perte, ny de plusieurs foys aultant de leurs semblables, ne la mouvoit de rien, n'ayant guyères jamais aprouvé leurs entreprinses, sinon ung peu en ce qu'ilz monstroient de deffendre vostre édict de la paix, et qu'encores, en cella, eût elle plus approuvé qu'ilz se fussent absentés, que d'avoir opposé leurs armes contre les vostres, et contre ceulx qui les portoient pour vous. Mais, ce qui luy pressoit le cueur estoit la creinte qu'elle avoit de vostre réputation; car vous ayant choysy pour celluy, d'entre toutz les princes chrestiens, puisqu'elle n'a point de mary, qu'elle vouloit aymer et révérer comme si elle fût vostre épouse, elle estoit infinyement jalouse de vostre honneur, et pouviez croire qu'elle avoit debbatu vostre justiffication et innocence, en cest endroict, plus qu'elle n'eût faict la sienne propre; et avoit assuré, sur sa vye, que, de vostre naturel, ny d'aulcune intention qui fût procédée de vostre cueur, toutz ces meurtres n'estoient point advenus; et que c'estoit quelque accidant estrange, duquel le temps esclarciroit les occasions. Mais quand, depuis, on luy avoit rapporté plusieurs particullaritez, qui avoient lors succédé en vostre présence, et que mesmes vous aviez faict aprouver le tout par vostre parlement, comme s'il n'y heût des loix en France contre ceulx qui conspireroient contre Voz Majestez Très Chrestiennes et contre les princes de vostre couronne, sinon en aprovant une sédition, elle ne sçavoit plus que dire, sinon creindre que beaucoup de grandz inconvénientz ne vous en adviennent, et prier Dieu, de bon cueur, pour vous, qu'il les vueille destourner; au reste vous offroit, de bon cueur, tout ce qui est en son moyen et puissance, pour l'effect, que je luy demandois, de vous ayder à vous relever de cest accidant, me priant de l'advertir en quoy ce pourroit estre; car juroit de n'y rien espairgner, et que mesmes elle avoit le cueur assés fort pour supporter de perdre ung doigt, et de ne refuzer qu'on le luy coupât à vostre occasion, pourveu qu'elle peût remédier que vostre foy et promesse ne fussent de rien intérésez en cest endroict. Je l'ay infinyement remercyé de l'abondance de sa bonne volonté vers vous, et de ce que ses vertueux propos m'assuroient qu'elle n'aprouvoit aulcunement la male intention de ceulx cy, ny réprouvoit le chastiement qu'ilz en avoient receu, sinon seulement qu'elle heût bien voulu que ce heût esté par l'ordre de la justice; ce que je luy pouvois assurer que Vostre Majesté heût aussy infinyement desiré, mais je la supliois de considérer que c'estoit tenir le loup par les oreilles; et qu'à deux dangers qui estoient si pressantz, que l'irésolution d'une heure estoit la ruyne de vostre vye et des vostres, et l'entière désolation de vostre royaulme, les plus présens remèdes avoient esté trouvez les meilleurs. Et, quand à ce que vous pourriez desirer d'elle en ceste endroict, c'estoit qu'elle voulût ainsy juger de vous comme d'ung prince qui, jusques à l'extrémité de la vye, aviez tenu toutes vos promesses, sans manquer d'une seule à monsieur l'Amiral et aux siens; qu'elle voulût réputer le faict pour le plus fortuit et le moins prémédité que nul aultre, qui fût jamais advenu; qu'elle ne voulût penser qu'il y heût rien meslé de la religion, ny de la ropture de l'édict, car dellibériez de le fère droictement observer; qu'elle voulût demeurer très fermement persuadée que c'estoit leur propre conjuration, qui seule avoit provoqué la sédition contre eulx, et finallement qu'elle ne permît que, pour ce qui estoit advenu, il fût rien changé ny diminué en vostre mutuelle amytié, sellon que, de vostre part, vous dellibériez d'y persévèrer plus constemment que jamais. Elle soubdain m'a réplicqué qu'elle creignoit bien fort que ceux, qui vous avoient faict habandonner voz naturelz subjectz, vous feroient bien délaysser une telle bonne amye, estrangère comme elle vous estoit, et que la promesse et sèrement que luy aviez faict de vostre amityé ne fussent assez suffizans rempart contre leurs persuasions; toutesfoys qu'elle me promectoit d'accomplir vers Vostre Majesté tout ce dont je l'avoys requise, et vous prioit que, pour l'amour d'elle, vous voulussiez aussi fère deux choses qui serviroient à vostre justiffication: l'une, d'esclaircir de mesmes les aultres princes et potentatz de la Chrestienté, de l'occasion que vous aviez heue contre ceulx cy, affin qu'ilz demeurent bien édiffiez que ce n'a esté nullement de vostre costé que la foy et promesse ont commancé de se rompre; la segonde, que vous mainteniez à ceulx de la nouvelle religion, qui n'ont esté de la conspiration, vostre édict; et que les rassuriez de l'espouvantement qu'ilz ont, pour cest accidant de Paris; et qu'elle trouvoit bon que je tinse à ceulx de son conseil les semblables propos que j'avoys faict à elle, parce qu'on parloit fort estrangement de ce qui estoit advenu; et que ses subjectz estimoient de ne pouvoir plus trouver de seurté ny en vous, ny en vostre royaulme: et qu'il y en avoit qui ozoient dire que les mariages, qu'on avoit mis en avant, avoient esté projectez pour dresser une semblable partie en Angleterre. Je luy ay respondu que la considération de l'amityé et de la confédération, d'entre Voz Majestez, estoit chose de telle importance qu'il n'y avoit celluy qui vous ozât jamais conseiller de vous en départir. Et, quand aux choses qu'elle vous requéroit, j'estimois que vous les accompliriez entièrement, sellon que je pouvois cognoistre que vostre intention n'en estoit esloignée, et que vous inclineriez tousjours fort volontiers à ses honnestes conseilz qu'elle vous donneroit; et qu'au reste je sçavois qu'il n'y avoit rien qui ne fût très sincère au pourchas de son mariage, ayant receu de voz lettres, du jour auparavant la blessure de monsieur l'Amiral, par lesquelles Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, m'en fesiez la plus honnorable et expresse mencion du monde; desirans qu'à cest effect monsieur le comte de Lestre voulût accomplir le voyage qu'il avoit desiré fère par dellà, et que je la supliois de voyr, par la lettre de Monseigneur le Duc, en quelle bonne affection il persévéroit vers elle. La dicte Dame a leu fort volontiers la dicte lettre, et en a receu contantement; puis, m'a dict qu'elle avoit proposé d'envoyer visiter la Royne Très Chrestienne, en ses premières couches, par la plus honnorable ambassade qui fût, de longtemps, passée en France, aulmoins la plus grande que la couronne d'Angleterre l'eût peu fère; mais qu'elle n'avoit garde meintenant d'y envoyer le comte de Lestre, ny son grand trézorier, car sçavoit combien leur mort estoit desirée; et, encores qu'elle se confiât entièrement de Vostre Majesté, si ne vouloit elle estre veue si imprudente que de l'entreprendre meintenant, et que, sellon qu'elle verroit procéder les choses, elle se conduiroit. Au partir d'elle, je suis allé fère les mesmes discours aulx seigneurs de son conseil, et leur ay encores plus exprimé les extrémités qui vous avoient contreint de laysser exécuter ceste violence. Dont ilz m'ont respondu qu'ilz estoient bien ayses que les dictes extrémités leur fussent encores représantées plus urgentes, par mon dire, qu'ilz ne les avoient trouvez par l'escript de Mr de Walsingam, et que, sans doubte, le plus énorme faict qui, depuis Jésus Christ, fût advenu au monde, avoit esté freschement exécuté par les Françoys; lequel les Italiens, ny les Espagnolz, encor que bien passionnés, n'avoient garde de le louer en leur cueur; et seroient les ennemis plus promptz à le condempner que les amys à le réprouver, pour estre ung acte trop plein de sang, la pluspart innocent, et trop suspect de fraulde, qui avoit violé la seureté d'ung grand roy, et troublé la sérénité des nopces royalles de sa seur, insuportable d'estre ouy des oreilles des princes, et abominable à toutes sortes de subjectz, faict contre tout droict divin et humein, et sans ordre ny exemple d'aulcun aultre acte qui ayt esté jamais entreprins en la présence de nul prince, et qui mesmes avoit plustost mis, que osté de danger Vostre Majesté et toutz les vostres, et qu'enfin la foy avoit esté manifestement violée; mais par qui? ilz estoient bien ayses que je monstrois que ce avoit esté par les subjectz, et desiroient que toute la Chrestienté en demeurât ainsy persuadée, comme, de leur part, ilz ne vouloient que bien juger des actions de Vostre Majesté; seulement voudroient qu'elles heussent esté sans sédition, et sans oultrepasser les ordres de la justice que les princes ont accoustumé d'uzer en la punition des subjectz. Je leur ay respondu que, s'ilz vouloient mettre en considération les choses qui avoient passé depuis douze ans en France, et celles qui se offroient meintenant, si urgentes qu'on n'avoit heu une heure de loysir pour les pouvoir dellibérer, ilz jugeroient bien que l'extrémité du mal avoit requiz extrême remède; mesmes que, tout ce qui se peult ymaginer de salutayre pour la conservation du prince et de l'estat, s'il n'est du tout aprouvé, aulmoins est il excusable: et qu'en ce faict, Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ny Messeigneurs voz frères, n'aviez rien changé de vostre très clément et accoustumé naturel, facille à pardonner. Ains aviez les premiers soufert une extrême viollence en voz propres âmes, de sorte que leur Mestresse et eulx debvoient avoir plus de compassion que de hayne de ce qui estoit advenu; et debvoient demeurer fermes, de leur costé, comme vous seriez immuable, du vostre, en la plus estroicte amityé et confédération qu'avez naguyères conclue avec elle et son royaulme. Ilz m'ont réplicqué qu'il n'estoit rien succédé de nouveau du costé de la Royne, leur Mestresse, pour fère creindre la ropture, et qu'il ne fault doubter d'elle, si elle trouvoit correspondance; dont communiqueroient avec elle, et puys me feroient avoyr sa responce, me priant cependant de vous vouloir suplier, Sire, qu'il vous plaise les esclarcyr de deux choses: l'une, de la seureté que leurz marchandz pourront trouver à Bordeaulx, où ilz sont prestz d'aller pour les vins, car ilz se creignent fort de n'y estre bien receus ny bien trectez; et l'aultre, de ce qu'ilz ont à penser de l'armée du Sr Strossy. Je leur ay respondu, quand au premier, que Vostre Majesté me commandoit d'assurer la Royne, leur Mestresse, de vostre persévérance vers son amityé, et vers la paix de son royaulme; et pour le segond, je l'avoys assurée, de vostre part, que l'armée du Sr Strossy n'yroit en lieu qui peût tourner à son préjudice; ains seroit preste de la servir, si elle en avoit besoing. Ilz m'ont réplicqué que ce nouveau accidant, qui estoit survenu, requéroit nouvelle provision et confirmation de ces deux choses, et qu'avec icelles ilz vous prioient d'avoir leur ambassadeur pour recommandé. Et, le jour après, ilz m'ont mandé qu'ilz avoient conféré avec leur Mestresse, et qu'elle m'envoyeroit la responce, conforme à ce que j'avoys desiré. J'ay obtenu d'eux qu'il se fera, de la part de la dicte Dame, au Sr de Quillegrey, lequel a succédé au Sr Drury, en Escoce, une dépesche conforme à ce que desirez, d'incister que la ville de Lillebourg soit layssée en liberté; que l'interprétation «de rentrer chacun en sa mayson» s'entende chacun en ses biens, tant eclésiasticques que temporelz; et que l'abstinence soit prorogée pour aultres deux moys, si la paix ne peult succéder. Et ainsy j'ay layssé le Sr de L'Espinasse devers eulx pour s'acheminer, avec vostre dépesche et la leur, par dellà. Despuis, estant de retour en ce lieu, j'ay receu celle de Vostre Majesté, du premier, segond et troisiesme de ce moys; sur laquelle j'yray retrouver la dicte Dame le plus tost qu'il me sera possible; et sur ce, etc. Ce XIVe jour de septembre 1572. Pendant que j'achevoys ceste dépesche, le courrier de la Royne d'Angleterre a passé en ceste ville; par lequel j'entends qu'elle mande à son ambassadeur de vous fère sa response. Je ne sçay si l'arrivée de milord Quiper, et du comte de Bedfort, à la court, depuis mon audience, y aura faict changer quelque chose. Tout présentement, je viens de recepvoir vostre pacquet du VIIIe du présent. A LA ROYNE. Madame, jamais nul accidant ne se fit tant sentir, en nul pays, estrange, comme celluy qui est advenu à Paris, se ressent par deçà, et a esté bien besoing que je me soye comporté en quelque façon qui n'ayt point offancé ceulx cy, car j'ay esté le plus observé du monde; et encores n'aparoit il que violence et ung grand débordement de parolles et reproches, par ceste ville, contre toute la France; et cuydoit l'on que ceste princesse ne me deût aulcunement admettre en sa présence. Néantmoins elle m'a receu assez humaynement, et, après m'avoir ouy, m'a encores plus gracieusement licencié; et ceulx de son conseil aussy, après ung peu d'aigreur, se sont radoulcis, et sont venus à la modération que Vostre Majesté verra par la lettre du Roy, leur ayant franchement dict qu'il importoit beaucoup de quelle façon, elle et eulx, prendroient cest affaire, et de quelle responce ilz vous y satisferoient; car, s'ilz monstroient de n'en rester point offancés, et de ne vouloir, pour cella, changer rien des bons termes, auxquelz ilz estoient avecques Voz Majestez et vostre royaulme, que vous persévèreriez très constemment de mesmes vers eulx; mais, s'ilz en uzoient aultrement, ilz vous contreindroient de vous getter entièrement du costé de ceulx à qui, pour aulcuns leurs respectz, ce qui avoit esté faict ne pouvoit déplaire; qui, possible, vous induiroient de mener encores les choses à de pires conséquences que les passées. Sur quoy me semble, Madame, que les ay mis à penser, et que si, d'avanture, ils voyent que les affères en France n'aillent à telle extrémité contre ceulx de la religion, qu'ilz ne puissent bien demeurer en vostre intelligence, qu'ilz ne s'en départiront point pour encores; bien qu'il ne fault doubter qu'ilz n'ayent conceu une très grande deffiance de nous, et que pourtant il ne nous faille estre ung peu deffians d'eux. Dont sera bon que faciez prendre garde en Allemaigne qu'est ce qu'ilz y négocieront, et, en Flandres, en quelles nouvelles praticques ilz rentreront avec le duc d'Alve; et qu'est ce qu'ilz traicteront, en vostre royaulme, avec voz subjectz qui sont de leur religion; et advertir les gouverneurs des places de dessus la mer, de deçà, qu'ilz se tiennent sur leurs gardes; et, en Escoce, à ceulx du bon party, d'estre bien advisés sur les menées que le Sr de Quillegreu y fera, mesmement touchant le chasteau de Lislebourg; et j'auray l'œil s'ilz hasteront rien icy des préparatifz qu'ilz ont ordonné pour mer et pour terre, affin de vous en advertyr incontinent. Il semble néantmoins que si Vostre Majesté dispose bien le Sr de Walsingam, et le rende capable de la justiffication des choses qui sont advenues; et luy faciez voyr qu'il n'y a heu rien de meslé de la religion, et que mesmes les Angloys n'ont à espérer moins de seureté et de bon traictement en France, qu'ilz faysoient auparavant, qu'il sera possible que le propos de mariage se repreigne; et aulmoins que la confédération se continue; et qu'on n'yra pas rechercher le Roy d'Espaigne, et encores procèdera l'on, par advanture, plus modéréement vers la Royne d'Escoce, laquelle je vous puis assurer, Madame, qu'elle est en très grand danger. Il sera bon de satisfaire, le plus promptement qu'on pourra, à ceulx de ce conseil, sur les deux poinctz qu'ilz demandent, de la seureté de leurz marchandz à Bourdeaulx, et du faict de l'armée du Sr Strossy. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour de septembre 1572. Depuis avoyr layssé la Royne d'Angleterre, elle a assemblé toutz ceulx de son conseil, qui, possible, luy auront faict changer quelque chose du bon propos où je l'ay layssée; mais je la reverray bientost sur les deux dernières dépesches, que j'ay reçues de Vostre Majesté. Je vous suplie très humblement de parler ung mot de bonne affection à Mr de Walsingam pour la Royne d'Escoce, car je vous puis assurer, Madame, qu'elle est en grand danger; mais que ce soit sans augmenter le souspeçon qu'on a par deçà. CCLXXVe DÉPESCHE --du XVIIIe jour de septembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Nouvelles de France.--Efforts du roi pour arrêter les exécutions.--Preuves nouvelles de la conspiration qui avait été formée.--Assurance que le roi veut maintenir l'édit de pacification.--Le comte de Montgommery réfugié à Jersey.--Armemens en Angleterre.--Mort du comte de Mar.--Insultes continuelles faites à l'ambassadeur.--Difficultés que présente la négociation du mariage. AU ROY. Sire, je vays présentement retrouver la Royne d'Angleterre pour luy faire part du contenu ez deux dernières dépesches de Vostre Majesté, du premier et septiesme de ce moys, et croy bien qu'il me faudra temporiser quelques jours l'audience, parce que la dicte Dame part aujourdhuy, du lieu où je la layssay dernièrement, et s'achemine, ainsy qu'on dict, à Redin, où à peyne arrivera elle devant samedy au soyr, et je pourray parler à elle dimanche. Je luy continueray le propos de la conjuration, naguières dressée contre Vostre Majesté et contre la Royne, vostre mère, et contre Messeigneurs voz frères, et que vous rendez infinyes grâces à Dieu de vous avoir toutz préservés de l'instant péril où avez esté de voz vyes, regrettant néantmoins, de tout vostre cueur, que la sédition, qui a esté suscitée à cause de cella, tant à Paris que ez aultres endroictz de vostre royaulme, où la nouvelle en est allée, ayt passé plus avant que contre les seuls conspirateurs; et toutesfoys que vous aviez mis bon ordre de la faire bientost cesser; et avez envoyé les gouverneurs, chacun en sa province, pour y rasseurer ceulx de la nouvelle religion, et les mettre en la plus grande saulvegarde que faire se pourra, sellon la continuation de l'édict; lequel vous dellibériez faire exactement entretenir, avec pareilh bon traictement à toutz ceulx de la dicte religion, qui n'auront esté de la conjuration, comme à voz aultres subjectz, en ce, toutesfoys, qu'ilz demeureront paysibles, et ne se pourront pour encores assembler; et que la dicte conjuration, oultre la première avération, qui en a esté faicte devant la sédition de Paris, se va, de jour en jour, descouvrant si à cler, et mesmes par l'audition de Briquemaut, qui a esté trouvé en l'escuyrie de Mr de Walsingam, et puis par Cavaignes, qui a esté prins ailleurs, lesquelz sont toutz deux ez meins de la justice, qu'il ne fault que l'on en demeure plus en doubte; et qu'après que l'information en sera parfaicte, Vostre Majesté en fera communicquation à toutz les princes voz alliez, et nomméement à la dicte Dame. Et n'obmettray rien vers elle, Sire, de ce qui pourra servir pour luy faire voyr que vous avez heu la plus juste occasion du monde de laysser passer les choses, ainsy qu'elles ont. En quoy il importe assez que la justiffication s'en sante par deçà par le moyen de Mr de Walsingam; et je m'assure que la Royne, sa Mestresse, aydera en ce qu'elle pourra de la faire bien recepvoir d'ung chacun; mais il y a une telle concurrence entre elle, son conseil et le commun du royaulme, qu'ilz ne veulent, ny ozent vouloir rien l'ung sans l'aultre; et creins bien fort qu'il faudra que la dicte Dame, premier qu'elle passe plus avant au propos de Monseigneur le Duc, fasse voyr quelque satisfaction à ses subjectz de cest accidant de Paris; lequel vous jugés bien, Sire, sellon les grandes difficultez qu'on a tousjours trouvé icy, sur le poinct de la religion, qu'il n'en a peu succéder ung qui y ayt apporté plus de traverse que celluy là. Néantmoins je proposeray à la dicte Dame l'entrevue, ainsy qu'il vous playst, et à la Royne, vostre mère, me le commander, sans luy obmettre, et aux siens, une seule de toutes les meilleures persuasions que je leur pourray alléguer en cella; mais je voy bien que le trop grand et le trop récent sentiment, qu'ilz ont de ce qui est advenu, ne leur permettra de m'y bien respondre. Dont semble qu'il ne les faudra trop presser, et qu'il sera meilleur, premier que de rien rompre, de renvoyer encores l'affaire à Voz Majestez. Il estoit desjà quelque vent que le comte de Montgommery estoit passé à Gersé, mais j'attandoys de le sçavoir plus certeynement; et m'a le visadmiral d'Angleterre, son beau frère, prié et faict prier, par ceulx de ce conseil, de moyenner vers Vostre Majesté que le douayre de sa belle fille luy soit payé; à quoy je luy ay respondu que si le dict comte se justiffie bien de la conspiration de Paris, que luy mesmes le pourra payer, et sinon que je luy ayderay envers Vostre Majesté de tout ce qu'il me sera possible. Je n'oublieray, touchant le dict comte, de faire l'instance que me commandez. Toutz les principaulx du conseil d'Angleterre sont allez trouver ceste Royne, et ont mis quelques nouveaulx ordres par le royaulme. Ilz avoient quelques gens prestz pour les passer encores à Fleximgues, mais ilz les ont arrestés et ont mis en dellibération si l'on révoquera ceulx qui sont desjà par dellà. L'on a mandé de tenir prestz dix grandz navyres, de ceulx qui mieulx peuvent suporter l'hyver en la mer, affin de les envoyer vers Porsemmue. Il passe toutz les jours beaucoup de Françoys icy, qui ne sont de grand nom. Je me suis layssé entendre que Vostre Majesté a volonté de rasseurer en leurz maysons ceulx qui n'auront esté de la conspiration; dont vous pléra me mander comme j'auray à me comporter vers eulx, et ce que j'auray à leur dire. Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre 1572. L'on me vient de donner advis qu'en Escoce a succédé quelque grand meurtre, et que le comte de Mar y a esté tué. J'en sçauray mieulx la certitude, et la vous manderay par mes premières. A LA ROYNE. Madame, je loue bien fort les propos que j'ay veus en la lettre du Roy, du premier de ce moys, que sa Majesté et la vostre avez tenus à Mr de Walsingam, lequel j'espère qu'il les aura escriptz à la Royne, sa Mestresse, et que je la trouveray maintenant mieulx édiffiée de Voz dictes Majestez sur les choses advenues à Paris, que je ne fis l'aultre foys; dont je la suplieray de faire cesser en ceste ville les maulvaises parolles, pleines de diffâme, qu'on y tient, et les aultres grandes indignités, dont l'on uze assez publicquement là dessus; qui, vous prometz, me sont par trop insuportables. Je uzeray le plus discrètement que je pourray vers elle des deux lettres qu'il vous a pleu m'escripre du VIIe de ce moys, et mectray peyne de faire si bien prendre celle qui parle du feu Amiral, que, possible, cella nous remettra en bon chemin pour le propos de l'aultre; bien que je vous puis assurer, Madame, que ce nouvel accident luy est, à elle et à toutz les siens, une playe si profonde et si rescente, qu'il y faudroit ung bien expert cirurgien, et du baulme fort excellant pour si soubdein la guérir et rescouder. Et me creins assez, sellon aulcunes choses que j'ay entendues, qu'on vouldra aulcunement se rétracter de ce qu'on nous avoit accordé par l'escript que Mr de La Mole vous a apporté. Aulmoins ne m'attans je pas que ceste princesse, laquelle n'a nul certein successeur, face, en ce temps, ung seul pas hors du royaulme; tant y a que je n'obmettray rien de ce que j'estimeray la pouvoir bien persuader à l'entrevue, en la façon que me le mandez; vous supliant très humblement, Madame, de disposer en telle sorte le Sr de Walsingam par dellà, que ses lettres puissent remettre icy sa Mestresse et les siens en leur première bonne disposition: car vous prometz qu'il y peut beaucoup, et je ne m'y espargneray aulcunement de mon costé. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de septembre 1572. CCLXXVIe DÉPESCHE --du XXIXe jour de septembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Tauriel._) Exécutions faites à Orléans, à Lyon et à Rouen.--Entreprise dirigée contre le chancelier L'Hospital.--Excès de Strozzy contre les marchands anglais.--Irritation toujours croissante en Angleterre.--Éloignement montré à l'égard de l'ambassadeur.--Mauvais accueil qui lui est fait à la cour.--Audience.--Nouvelle insistance de l'ambassadeur sur la nécessité où s'est trouvé le roi d'ordonner l'exécution de Paris.--Pratiques imputées à l'amiral Coligni contre l'Angleterre.--Consentement du roi à une entrevue, sur mer, entre Élisabeth, le duc d'Alençon et la reine-mère.--Déclaration d'Élisabeth que les massacres ne peuvent être justifiés, et qu'elle ne doit compter désormais ni sur l'alliance de France ni sur la parole du roi.--Justification de l'amiral.--Refus d'accepter l'entrevue proposée sur mer.--Motifs qui ont dû forcer le roi à se défaire de chefs aussi entreprenans et aussi redoutables que l'étaient l'amiral et ses complices.--Demande de l'ambassadeur que le comte de Montgommery soit livré au roi.--Vive assurance que protection sera donnée aux protestans qui n'ont pas fait partie du complot.--Consentement de la reine-mère à ce que l'entrevue se fasse dans l'endroit que la reine d'Angleterre voudra désigner.--Délai demandé par Élisabeth pour donner sa réponse.--Elle accorde l'entrevue, pourvu qu'elle ait lieu à Douvres.--Armemens à Londres.--Demande d'un sauf-conduit pour les navires du commerce qui veulent se rendre à Bordeaux.--Violence des accusations portées en Angleterre contre le roi. AU ROY. Sire, les seigneurs du conseil d'Angleterre, lesquelz j'ay trouvés toutz assemblés auprès de la Royne, leur Mestresse, à Redin, avoient desjà, depuis ma dernière audience, heu assez de quoy faire mettre en suspens à la dicte Dame, par les choses advenues à Paris et à Orléans, toutes les bonnes dellibérations qu'elle avoit avec Vostre Majesté; mais, ayantz depuis ouy ce qui est advenu à Lion et à Roan, et ce qu'on leur a dict qui a esté faict du chancellier de l'Hospital[5], et ce que aulcuns de leurz marchandz d'Ouest, qui alloient à Bourdeaulx pour les vins, leur ont rapporté: que l'armée du Sr Strossy avoit pillé, tué, mis à fondz quelques ungs de leur flotte, ilz ont prins de là ung très ample argument, aulmoins les partisans de Bourgoigne, de dissuader tout ouvertement la confédération de France; de sorte que aulcuns de ceulx, qui l'avoient conseillée, m'ont faict advertir qu'ilz sont si honteux et confus, qu'ilz soufrent toutz les blasmes du monde, et qu'il n'y a que ceulx là qui soient maintenant loués jusques au bout, qui crioient tousjours qu'on ne se debvoit arrester à la foy des Françoys, ny quicter jamais l'intelligence du Roy d'Espaigne; lequel ne procédoit sans forme de justice en ce qu'il faysoit, et ne deffailloit de sa foy, ny de sa promesse, aux mesmes Mores et Mahométans qui habitoient en ses pays. [5] Le chancelier L'Hospital qui, depuis quelque temps, ne faisait plus partie du conseil, vivait retiré à sa terre de Vignay. Au moment des massacres, les habitans des environs s'ameutèrent, ravagèrent ses terres et traînèrent à la ville ses fermiers enchaînés. Mais la reine mère, inquiète sur son sort, envoya pour le protéger un détachement de cavalerie qui arriva à temps. La fille de L'Hospital, que le hasard avait conduite à Paris, y courut aussi les plus grands dangers. Elle fut sauvée par Anne d'Este, duchesse de Guise. Dont estant arrivé, Sire, sur ung tel poinct en ceste court, sans avoyr rien sceu ny estre aulcunement préparé de ces nouveaulx accidans, qu'ilz disent de Lion, de Roan, du chancelier, ny de l'injure faicte aux Angloys, il fault que je confesse que je y ay esté assez mal veu, et quasy nul ne m'a ozé saluer, sinon la seule Royne, laquelle, à la vérité, m'a ainsy humaynement receu comme de coustume. Et j'ay mis peyne de luy particulariser les choses qui estoient contenues ez troys dépesches, que j'ay reçues de Vostre Majesté depuis le commancement de ce moys, sans rien obmettre de ce qui pouvoit servir à luy faire voyr que vous aviez heu non seulement très juste, mais très urgente, occasion, (sinon que voulussiez perdre vous mesmes et toutz les vostres, avec vostre estat, pour saulver ceulx qui vous vouloient ruyner), de laysser passer ainsy les choses qu'elles avoient; et que, nonobstant icelles, vous persévériez plus constamment que jamais vers elle, avec la mesme affection de la secourir et luy assister, là où elle en auroit besoing, encor que ce fût pour la cause de la religion, comme vous luy aviez promis, et plus abondamment que ne luy aviez promis; et que vous aviez trouvé, parmy les papiers du feu Amiral, de quoy bien juger d'elle vers vous, et de quoi bien fort mal juger de luy vers elle, sellon que la Royne, vostre mère, l'avoit faict voyr à Mr de Walsingam son ambassadeur. Ce qui faysoit qu'en détestant l'intention de ce personnage, qui vous vouloit aussy bien provoquer contre les amys que contre les ennemys, Voz Majestez Très Chrestiennes, et toutz les vostres, preniés davantage à cueur la conservation d'elle, de sa personne, et de son estat, et de sa grandeur, comme de la vostre propre, connoissant qu'elle n'avoit pas tousjours esté de l'intelligence du dict Amiral en ses excessives violences contre vous; Et que vous vous affectionnés, pour cella, plus que jamais à la poursuite du bon propos de Monseigneur le Duc avec elle. Et là dessus, Sire, je luy ay touché combien le retour du Sr de La Molle avoit apporté de singullier contantement à Voz Majestez Très Chrestiennes et à toutz les vostres, et combien vous me commandiez de la remercyer du bon traictement qu'il avoit receu par deçà, et de la faveur qu'elle avoit faicte aux lettres qu'il luy avoit apportées, escriptes de voz meins, et des honnestes responces qu'il vous avoit rapportées, escriptes de la sienne, ensemble des honnorables et vertueux propos qu'elle nous avoit tenus à toutz deux; et que vous aviez aussy prié Mr de Vualsingam de luy en faire entendre les mesmes merciementz, avec la recognoissance que vous en aviez dans le cueur; et qu'affin que ne deffaillissiez de correspondance à la dicte Dame, vous aviez incontinent faict mettre la matière en dellibération, sur l'escript que le dict Sr de La Mole vous avoit apporté; et que, sans vous arrester aux doubtes et difficultez, que ceulx de vostre conseil y avoient faict, sur l'entrevue, après avoyr ouy leurs argumentz, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez remonstré que, veu la grandeur de la dicte Dame et la digne façon de laquelle avoit régné quatorze ans, avec réputation de grande prudence, de grand honneur et d'ung très grand ornement de toutes sortes de vertus; et, veu les aultres rares qualités qui la rendoient excellante entre toutes les aultres princesses du monde, vous aviez trouvé raysonnable qu'elle se satisfît elle mesmes de la vue de celluy qu'elle vouldroit espouser; et que pourtant vous luy accordiez de bon cueur la dicte entrevue, et m'aviez commandé, par vostre lettre du VIIe du présent, de la luy offrir, et que mesmes la Royne, vostre mère, pour le desir qu'elle avoit, de longtemps, de la voyr, y viendroit, et y admèneroit Monseigneur le Duc son filz, et s'esforceroient de luy apporter toutz deux tant de contantement qu'elle n'en sçauroit desirer davantage. La dicte Dame, réduysant les choses par ordre, que son ambassadeur luy avoit escriptes des troys audiences, que Vostre Majesté luy avoit données le IIe, VIIe et XIIe du présent, quasy aulx mesmes termes que je les ay heues, tant Mr de Vualsingam les avoit bien recueillies, m'a respondu que la multiplication des énormes excez de vostre royaulme, lesquelz elle ne pouvoit plus ouyr sans larmes, donnoient tant d'erreur à toutz les siens qu'ilz bouchoient maintenant les oreilles, et serroient le cueur à toutes les choses qui venoient de France, pour n'en vouloyr ouyr, ny recepvoir plus pas une; et disoient qu'encores que l'Amiral et les siens heussent faicte la conspiration, que je mettoys tant de peyne d'assurer, laquelle, sinon qu'elle me voulût mentir, elle ne me pouvoit encores dire qu'elle la creût vraye, et attandoit là dessus la vériffication qu'aviez promis à son ambassadeur de luy en envoyer, néantmoins que ceste extrême violence, qui excédoit toute humanité, contre ung si grand nombre d'aultres, qui ne pouvoient estre aulcunement conjurateurs, et jusques aux femmes et enfans, monstroit bien que Voz Majestez Très Chrestiennes, et toutz les vostres, aviez une extrême hayne contre ceulx de la mesmes religion, dont elle et les siens faysoient profession, et que ne leur vouliez garder ny foy, ny promesse; dont, de tant qu'elle ne s'estoit plus estroictement confédérée avec Vostre Majesté que pour considération de vostre amityé, et pour la foy qu'elle pensoit trouver plus certeyne en voz promesses que en nul de toutz les mortelz, sellon que vous aviez la réputation plus grande de bien garder vostre foy, que nul aultre prince qui vesquît au monde, elle ne voyoit plus, (puisque ces deux fondementz deffailloient: sçavoir est, que vous ne la puissiez aymer, ny luy garder voz promesses, à cause de sa religion,) comme pouvoir espérer que vous persévèreriez bien vers elle; néantmoins qu'elle me vouloit assurer qu'attandant de voyr comme vous vous comporteriez en son endroict, sellon que je luy en donnois nouvelle assurance, elle ne deffaudroit de sa part de rien qu'elle vous heût promis; et qu'au reste elle se commétoit de tout à Dieu et au bon ordre qu'elle mettroit en ses affères; qu'elle estoit bien ayse qu'eussiez trouvé le mémoyre de feu monsieur l'Amiral, lequel, sellon ce qu'il jugoit des guerres passées d'entre ces deux royaulmes, il vous pouvoit avoyr sagement adverty de ce qui estoit vray, et que debviez traverser les affères du Roy d'Espaigne et les siens d'elle; mais qu'à présent son advertissement n'avoit plus lieu contre elle, et que, si vous aviez trouvé des lettres siennes parmi les aultres papiers du dict Amiral, vous pouviez avoir cognu qu'elle avoit tousjours heu une singullière affection à la conservation de vostre grandeur et de vostre estat. Et, au regard de l'entrevue que luy offriez sur le propos de Monseigneur le Duc et de l'honneur que la Royne, vostre mère, luy vouloit faire d'y venir, qu'elle vous en remercyoit toutz deux de tout son cueur, et se santoit vous avoir une si grande obligation pour cella qu'elle ne sçavoit comment le recognoistre, bien qu'elle estoit assez en peyne comme une telle chose se pourroit accomplyr meintenant, et mesmes sur la mer; car, oultre que ne luy seroit descent d'aller ainsy dehors chercher mary, ses subjectz aussy ne luy permettroient jamais qu'elle se mît sur mer, non pour passer en l'isle d'Ouyc, qui n'estoit qu'à quatre mille de la coste de deçà; et qu'il y avoit de ses conseillers qui estimoient qu'on se mocquoit d'elle, d'avoir mis telle chose en avant. Je luy ay réplicqué, quand au doubte qu'elle faysoit de la conspiration, que nul ne devoit mettre en difficulté qu'elle n'eût esté clèrement advérée à Voz Majestez et aulx vostres, premier qu'eussiez lâché la mein contre les conspirateurs; et que, si ce heût esté de quelques aultres qu'on vous la heût rapportée, vous heussiez, par advanture, mesprisé l'advis, ou heussiez mis peyne de le remédier aultrement; mais, considérant que c'estoit de gens qui estoient merveilleusement promptz à la mein, hazardeux jusques au bout, qui ne layssoient rien de si difficile qu'ilz n'entreprinsent, et souvant ung petit nombre d'eulx avoit surprins de grandes villes, et s'estoient rendus mestres d'ung infiny nombre de peuple; qui, par leurs consistoires et monopoles, avoient dressé une si grande monarchie à part, pour eulx, dans vostre royaulme, que le feu Amiral se vantoit de pouvoir mettre en ung subit trente mille hommes de pied et quatre mille chevaulx en campaigne; et ne leur pouvoit si tost passer une bien petite mouche devant les yeulx qu'incontinent ilz ne retournassent, avec la plus grande impacience du monde, à leur habitude accoustumée de vouloir tout renverser par les armes, sans faire non plus de difficulté de s'attacquer à vous mesmes, qui estiez leur roy, que feroit ung queréleux de desgainer son espée contre son compagnon, vous ne pouviez, Sire, après leur avoir excusé les dix ans de troubles passés, et la ruyne de tant de voz villes et pays, qu'ilz avoient mis en désolation en vostre royaulme, et les armées estrangères qu'ilz y avoient introduictes, et l'épuisement de voz finances, et les infinys debtes où ilz vous avoient constitué, sinon louer et remercyer infinyement Nostre Seigneur de vous avoir meintenant dellivré de la malheureuse conspiration, par laquelle, pour revencher la blessure du feu Amiral, dont vous ne pouviez mais, et en estiez très marry, et leur en vouliez fère avoyr la plus prompte réparation que faire se pouvoit, ilz vous vouloient, et toutz les vostres, mettre misérablement à mort, de sorte que vous hayssiez encores ceulx qui estoient exécutés, et aviez en très grand hayne ceulx qui restoient encores en vye de la dicte conspiration; luy touchant, Sire, à ce propos, ce que me commandiés du comte de Montgommery, qu'elle voulût mander à ses officiers de Gersé de le consigner en voz meins, et que, comme princesse prudente et vertueuse, elle voulût mettre toutes les considérations dessus dictes devant ses yeulx, lesquelles feroient qu'elle mesmes justiffieroit ce que vous aviez faict en cella, ainsy que vous espériez que Dieu, à qui seul vous aviez à rendre compte de voz actions, l'avoit desjà justiffié: Que, pour le regard de vostre plus estroicte confédération avec elle, vous ne pensiez qu'elle y deût mettre en aulcun compte ce qui touchoit le faict des subjectz, car, comme vous ne prétandiez d'avoir intelligence, sans elle, avec les siens, ainsy seriez vous marry qu'elle, ny nul aultre prince, en heût avec les vostres, sans vous; et que tant plus debvoit elle maintenant estimer vostre persévérance vers elle, qu'elle ne procédoit plus, ny par le moyen du feu Amiral, ny pour l'occasion de ceulx de la nouvelle religion, mais de la seule affection et bienvueillance que vous luy portiez, et qu'elle s'assurât de ne trouver jamais manquement en vostre amityé, ny en voz promesses, pour la cause de sa religion, non plus que les feus Roys, son père, son frère et elle mesmes, n'en avoient trouvé ez feus Roys, voz ayeul et père, encor que leur religion fût diverse; et que Voz Majestez ne portoient hayne à ceulx de la nouvelle religion que aux seulz conspirateurs, et aviez mis tout l'ordre, qu'il vous avoit esté possible, que la violence ne passât sinon contre ceulx là, et m'assurois que ce qui estoit advenu davantage à Paris et à Orléans, à Lyon et à Roan, avoit esté à vostre regret, et contre vostre volonté; et qu'au regard de ce qu'elle disoit que l'on faisoit aller le Roy de Navarre et la Princesse de Condé par force à la messe, que je la suplioys de croyre qu'on ne les contreignoit de rien, ny ne failloit interpréter ce que la Royne, vostre mère, avoit dict à son ambassadeur, «qu'il n'y auroit plus qu'une religion en France» qu'on voulût pour cella forcer personne en leur conscience, mais seulement empescher, pour quelque temps, l'exercice public et les assemblées que ceulx de la nouvelle religion avoient accoustumé de faire, affin qu'ilz ne preignent les armes, et qu'ilz ne provoquent les Catholicques à leur courre sus, jusqu'à ce qu'on ayt pourveu de quelque bon ordre pour tenir le royaulme en paix; et qu'elle ne fît doubte que Voz Majestez ne procédissiez vers elle de pareille sincérité qu'avec les plus fermes catholicques du monde. De quoy l'entrevue, que luy accordiez, où la Royne, vostre mère, se vouloit trouver, l'en pouvoit rendre très assurée; laquelle avoit mis en avant que ce fût sur mer, sachant que la dicte Royne d'Angleterre avoit le plus beau et magnifficque équippage de navyres, que prince ny princesse de l'Europe, et que ce ne luy seroit à elle que commodicté d'en mettre quelques ungs dehors; et néantmoins qu'ayant le Sr de Walsingam depuis suplié Voz Majestez luy vouloir advouer qu'il peût escripre à la dicte Dame que la dicte entrevue seroit là où elle trouveroit bon; à quoy la Royne, vostre mère, luy avoit respondu qu'elle en estoit contante, et ne seroit si escrupuleuse de sa grandeur qu'elle ne defférât tout ce qu'elle pourroit à celle de la dicte Dame, que je la suplioys maintenant de regarder quand, et comment, et où elle vouldroit que cella se fît? Et que, s'il luy playsoit que ce fût aux isles de Gerzé et de Grènezé, que ce seroit à la commodicté de toutes deux. La dicte Dame m'a soubdein respondu que son ambassadeur ne luy en avoit pas tant mandé, car s'estoit remis à moy; et qu'elle ne voyoit nul lieu plus commode pour cest effect que Douvre; mais qu'elle ne pensoit que nul de ses conseillers, tant ilz avoient meintenant suspectes toutes choses, et mesmes, possible, l'entrevue d'elles deux, peût estre d'advis de la dicte entrevue, et que, si elle avoit à estre, il faudroit qu'elle seule l'ordonnât. J'ay adjouxté que, si vous aviez de quoy honnorer davantage la dicte Dame, et luy donner plus de certitude de vostre droicte intention vers elle, et vers le bon propos d'entre elle et Monseigneur le Duc, par aultre moyen que cestuy cy, que vous le feriez; et que pourtant elle ne refusât l'honneur, l'advantage, la seureté et les aultres commodictez que la couronne de France luy offroit par ceste entrevue. Sur quoy elle m'a prié de luy donner deux jours pour y penser, et qu'elle me feroit avoir responce. Pendant lequel temps, j'ay faict, de mon costé, la meilleure dilligence que j'ay peu, et elle, du sien, à sonder l'intention de ceulx de son conseil, lesquelz se sont monstrés assez sourdz et muetz, de sorte qu'elle a esté elle mesmes contreincte de faire la déclaration de son intention là dessus; en quoy elle a esté, à ce que j'entendz, beaucoup aydée du comte de Lestre et de milord trésorier. Et le dict milord l'a rédigée depuis par escript en ung sommaire qu'il m'a mandé en angloys, et je l'ay faict traduyre, quasy de mot à mot en françoys, en la forme que je le vous envoye, qui explique si bien l'entier desir de la dicte Dame, et pareillement la conception de son conseil, que je ne veulx y rien adjouxter du mien, sinon vous assurer que nul n'a peu estimer que, en ce temps, je deusse rapporter une si bonne responce, comme j'ay faict, de la dicte Dame. Laquelle n'a laissé pour cella d'ordonner une monstre générale et une description des gens de guerre, et de grand nombre de mariniers, par tout son royaulme, et a faict préparer ses grandz navyres; desquelz l'on en met, dès demein, quatre des meilleurs dehors, avec six centz hommes, pour tenir le Pas de Callays. Et parce qu'en nulle manière les marchandz se veulent hazarder d'envoyer, de cest an, en leur nom, à Bourdeaulx, à cause de l'armée du Sr Strossy qui en a desjà pillé quelques ungs, et qui a arresté ung navyre du Sr Acerbo Velutelly, je suis recherché par l'ordre de ceulx mesmes de ce conseil, mais soubz mein, de suplier Vostre Majesté qu'elle me vueille promptement envoyer ung saufconduict en bonne forme, affin que les Angloys s'en puissent servir, et qu'ilz se mettent par là hors de la grande deffiance qu'ilz ont, laquelle leur Mestresse ne veult qu'ilz monstrent d'avoyr; et néantmoins, si le dict saufconduit ne vient bientost, elle leur croistra davantage; en quoy il importe assez, Sire, qu'en toutes les choses qui concernent icy vostre service, vous disposiez bien l'ambassadeur qui est de dellà. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de septembre 1572. Commandez, s'il vous plaist, Sire, que le susdict navyre et marchandise du Sr Acerbo Velutelly, qui est un gentilhomme lucois très dévot serviteur de Vostre Majesté, et pareillement les vaysseaulx et marchandises des Angloys soient relaschées; et qu'il soit faict réparation aus dicts Angloys de ce qui leur a esté frèchement déprédé depuis le traicté de la ligue. A LA ROYNE. Madame, il m'a faict grand bien de trouver en voz dernières dépesches, tant au long et bien fort sagement desduictz, les propos que Mr de Walsingam vous avoit tenus, le deuxiesme, septiesme et treiziesme de ce moys, avec les vertueuses responces que Vostre Majesté luy avoit faictes; lesquelles m'ont servy de rempar et d'adresse, pour ozer comparoir en ceste court, contre les exécrables parolles qu'on y disoit assez ouvertement contre les François, à cause des meurtres naguières succédez en France contre ceulx de leur religion. Et me suis prévalu, Madame, le mieulx que j'ay peu, de voz raysons et remonstrances, avec ceste princesse et vers ceulx de son conseil, pour leur justiffier ce qui a esté faict. En quoy elle, de sa part, a monstré qu'elle desiroit, de bon cueur, que la justiffication s'en peût faire si clère, que tout le tort de la foy rompue s'en imputât au feu Admiral et aux siens, et qu'elle, ny les aultres princes protestans n'eussent occasion de croyre que le Roy et Vous, Madame, ne les puissiez aymer, ny leur garder la foy et parolle des choses que leur promettez; car dict que, sans ces deux fondementz, il est impossible que rien se puisse bien establir entre vous, et que, de ne les observer à voz subjectz, nuls estrangers s'en pourront jamais puis après assurer. Mais ceulx de son conseil, encores qu'ilz ne m'ayent parlé que modestement de Voz Majestez, disantz ne vouloir condempner les actions des princes, ny se monstrer trop curieux en la républicque d'aultruy, néantmoins ilz ont déduict tant d'argumentz contre l'extrême violence dont a esté uzé, non contre l'Admiral et les siens, puisque vous les souspeçonniez de la conspiration, ny contre ceulx qui avoient porté les armes, encor que vous les heussiez assurés de vostre édict, ny encores contre ceulx qui estoient capables de les porter, puisqu'ilz les pouvoient prendre, mais contre les femmes, les enfans et pouvres viellardz, sans aulcune différance, que ce n'estoit plus la mort de ceulx là, ny la considération de la hayne qu'on portoit en France aux Protestantz, mais la condicion de la nation meuertrière, séditieuse et très inhumayne, qui leur faisoit creindre d'avoir jamais rien de commun avecques nous; Et que je leur alléguois beaucoup de grandes raysons bien déduictes pour collorer ce faict, sellon que j'estois commandé de le faire, mais que l'éloquence du grand orateur d'Athènes, ny du Romain, n'y pourroient suffire; car ce n'estoient que parolles persuasives, là où les horribles effectz, qu'ilz voyoient devant les yeulx, les mouvoient au contraire; et que, veu l'exécution qui estoit auparavant advenue en Flandres, et meintenant plus grande en France, sur ceulx de leur religion, ilz jugeoient bien que c'estoit meintenant à eulx de regarder de près à leur faict, et que pourtant je ne trouvasse estrange s'ilz vouloient quelque preuve de l'intention de Voz Majestez vers ce royaulme, et de l'expédition du Sr Strossy, premier que de passer en rien plus avant vers nous, ny mesmes de laysser partir la flotte pour Bourdeaulx, (puisque ceulx de l'armée du dict Sr Strossy avoient commancé de maltrecter aulcuns de leurs marchandz, qui avoient faict voyle les premiers), jusques à ce qu'il leur viegne quelque nouvelle seureté de vostre part; et que ce que je leur alléguois, que nul plus grand ny plus certein gage leur pourroit estre baillé de Voz Majestez Très Chrestiennes que l'offre de l'entrevue et le mariage de Monseigneur le Duc, que, au contraire, ilz creignoient que vous prinsiez ung trop grand gage d'eux de leur bailler ung roy. Je n'ay failly là dessus de leur réplicquer; et n'ay layssé ung seul poinct de voz lettres, ny pas une de toutes les considérations que j'ay peu ymaginer de moy mesmes, que je ne leur aye le tout déduict, avec le plus d'efficace que j'ay peu; mais il est trop difficile de gaigner une telle cause devant de telz juges. Tant y a qu'en l'endroict de la Royne, leur Mestresse, j'ay interrompu, pour ce coup, la prompte responce, dont ilz l'avoient préparée pour me refuser l'entrevue, et ay tant faict qu'elle a prins deux jours pour en dellibérer, pendant lesquelz j'ay très instamment sollicité ceulx qui y pouvoient quelque chose, de s'y vouloir bien employer; et leur ay, avec les lettres de Mr de Montmorency, administré force raysons pour déduyre, et force promesses pour les faire persévérer. Et enfin j'ay rapporté la responce que Vostre Majesté verra, non si bonne que je la desirois, mais beaucoup meilleure que je ne l'espéroys, et telle qu'elle vous remect en chemin de pouvoir parachever les choses bien commancées, si, d'avanture, vous vous voulés ung peu accomoder à l'intention de ceste princesse et des siens. Et j'entendz que milord trésorier et le comte de Lestre y ont faict ung fort bon office; et disent aulcuns, Madame, qu'il est temps de faire des présentz par deçà; car, du costé de Bourgoigne, rien ne y est espargné. Mr de Walsingam a escript en bonne sorte du mariage, et bien fort honnorablement de Monseigneur le Duc, et s'est loué des bons rapportz que Mr de La Mole a faict à son retour par dellà. Sur ce, etc. Ce XXIXe jour de septembre 1572. Madame, voyant que la Royne d'Angleterre et les siens me déclaroient que l'entrevue ne pourroit estre sur mer, ny hors d'Angleterre, et qu'ilz voyoient encores beaucoup de doubtes, sur la venue d'une si grande princesse comme Vostre Majesté par deçà, avec le grand trein qu'elle y pourroit mener en temps si suspect, qui malaysément se passeroit sans qu'il advînt des parolles et reproches sur les choses advenues en France, j'ay dict que Vostre Majesté pourroit accorder de venir à Douvre avec telle compagnie que seroit advisé. Et, à la vérité, Madame, c'est le lieu le plus commode qui se puisse choysyr en ce royaulme, car, de Gerzé ny de Grenezé, l'on n'en veult ouyr parler. CCLXXVIIe DÉPESCHE --du IIe jour d'octobre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Défiance des Anglais.--Crainte qu'ils éprouvent d'une attaque subite de la part de la France.--Continuation des armemens.--Nouvelles des Pays-Bas; succès du duc d'Albe.--Importance de maintenir la Rochelle sous l'obéissance du roi.--Grand nombre de Français qui cherchent refuge en Angleterre.--Refus d'Élisabeth de livrer le comte de Montgommery.--Nouvelles d'Écosse.--Délibération au sujet de Marie Stuart, à qui l'on reproche d'avoir connu et célébré d'avance les massacres de Paris.--Difficulté toujours croissante que présente la négociation du mariage. AU ROY. Sire, après ma dernière dépesche, du jour de St Michel, je n'ay guières voulu retarder ceste cy, affin de vous donner advis de la réception de la vostre, du XXIIe du passé, en laquelle j'ay trouvé, par ung très sage et vertueux discours, la déduction de beaucoup de choses, lesquelles debvront assez satisfère ceste princesse et les siens, sinon qu'elle et eulx ne se veuillent payer d'aulcune rayson. Il est vray que les parolles, pour ce commancement, ne peuvent assez suffire pour les bien remettre, parce que les faitz, qui leur viennent, d'heure en heure, rapportés de dellà, les meuvent au contrayre; tant y a que je les yray trouver demein à Windezore, et ne leur obmettray rien de tout le contenu de voz lettres, et m'esforceray, aultant qu'il me sera possible, de les rassurer du costé de Vostre Majesté, car n'est pas à croyre combien ilz ont encores très suspecte l'armée du Sr Strossy, pensant qu'elle ayt une entreprinse en Escoce, ou bien en quelque endroict de ce royaulme, mesmement sur Portsemmue ou l'isle d'Ouyc; qui sont les deux plus importans lieux de la coste de deçà; dont y ont envoyé armes et mounitions, et ung ingénieur, avec commissaires et argent, pour besoigner en dilligence à la fortification, et remettre le tout en bon estat. Et, de mesmes, ont mandé de pourvoir, aultant que faire se pourra, du costé d'Escoce, se continuant icy l'aprest des grandz navyres, mais avec ung peu moins de presse que devant que j'eusse esté à Redine, et pareillement la monstre, laquelle j'estime qu'ilz continueront davantage; et feront encores plus grande description des gens de guerre sur la nouvelle qui est arrivée de la reprinse de Montz, et de la retraicte du prince d'Orange, et de la réduction d'ung ou deux lieux en Olande, qui ont chassé les Gueux. Il semble qu'à Fleximgues les françoys, qui y estoient, ayent esté mis dehors, et que les angloys y ayent esté receus. L'on a resserré icy les seigneurs catholiques qui estoient dans la Tour, et y a deux commissaires par la ville, et pareillement ez aultres lieux et villes de ce royaulme, pour s'enquérir des estrangers: dont estant, d'avanture, le jeune capitaine Monluc abordé par deçà, venant de Dannemarc et de Pouloigne, il a esté mené soubz quelque garde, par les officiers d'Arvich, jusques vers ceulx de ce conseil, et j'y ay envoyé ung gentilhomme pour le faire relascher, et luy faire bailler son passeport. L'on apprestoit beaucoup d'armes et de monitions et vivres pour envoyer en Flandres, mais le tout est maintenant réservé par deçà. Troys françoys, qui se disent capitaines, sont arrivés depuis huict jours du dict Fleximgues, quasy dévalisez, et semble qu'ilz se sont desrobés pour cuyder rencontrer icy meilleure fortune, à cause des choses advenues en France, comme si incontinent les Angloys nous devoient déclarer la guerre; mais ce qui plus amortit les entreprinses, que ceulx de la nouvelle religion qui sont icy pourroient exciter, est d'entendre que la Rochelle demeure ferme en l'obéyssance de Vostre Majesté, et que vous y avez envoyé Mr de Biron. En quoy, Sire, je vous suplie très humblement de mettre principallement ordre que ceste ville persévère bien en vostre dévotion, car elle est de très grand moument pour y contenir aussy tout ce royaulme. Bien que la Royne d'Angleterre m'a assuré que son visadmiral, ny nul aultre angloys, n'y a esté envoyé de sa part, depuis les choses de Paris; et m'a assuré aussy qu'elle ne permettra que ceulx de voz subjectz, qui ont fouy deçà, arment nulz vaysseaulx pour piller la mer, néantmoins, je suis adverty que le capitaine Sores est arrivé à la Rye avec ung navire de cent cinquante tonneaulx et deux centz hommes dessus, et pareillement le capitaine Giron avec ung aultre vaysseau et hommes, et n'atendent que la permission d'elle pour continuer ce qu'ilz faysoient aux derniers troubles. Villiers, Fuguerel, Pâris et quelques aultres ministres sont arrivés en ceste ville, et aulcuns d'eux ont passé jusques à la court, et y ont si fort exagéré les choses de France qu'ilz ont assuré que cent mille personnes ont esté tuées par dellà depuis l'émotion de Paris; acte qu'on trouve icy si cruel et tant contrayre à toute humanité qu'on excogite nouvelles sortes d'exécration pour détester ceulx qui l'ont faict, et ceulx qui l'ont faict fère. A quoy, Sire, je me suis efforcé de monstrer qu'il n'en est pas mort cinq mille, et qu'encor Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et toutz ceulx de vostre couronne, aviés très grand regret que cella ne s'est peu passer avec la perte de cent seulement, de ceulx qui, par leur malheureuse conspiration, sont cause de l'inconvénient des aultres. Les Srs Linguens, Vieurne, Bouchard, le contrerolleur le Noble, et leurs femmes, les Srs de Hèdreville, Bouville, Migean et son filz, Legras avocat, le lieutenant criminel, l'uyssyer Durant, le jeune Bourry et quelques aultres, de Roan et de Normandye, en assez grand nombre, mais ceulx là sont les principaulx, ont passé deçà, et les a l'on assez humaynement receus en ceste ville. Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, est venu secrètement en la mayson du visadmiral du Ouest, son beau frère, et m'a la Royne d'Angleterre, quand je luy ay dernièrement parlé qu'elle voulût mander à ses officiers de Gerzé de le remettre entre voz meins, ou bien vous permettre de l'y envoyer prendre, soubz bonne seureté de ne meffayre de la valeur d'une paille à nul de ses subjectz, que, à la vérité, le capitaine de Gersé l'avoit advertye de sa fuyte, aussytost qu'il y estoit arrivé, et qu'elle avoit mandé au dict cappitayne qu'il sçavoit bien l'ordonnance de l'isle, de n'y debvoir recepvoir aulcun estranger; dont s'assuroit qu'il n'y estoit plus, et que, s'il estoit en nulle part d'Angleterre, que c'estoit si secrettement qu'elle ne l'y sçavoit pas; mais, s'il tomboit entre ses meins, et qu'il fût vériffié d'avoyr conjuré contre Vostre Majesté, que, de mille vyes, s'il en avoit aultant, il ne luy en resteroit pas une; vray est que, de le renvoyer en France, quand bien elle l'auroit en ses meins, où l'on ne faysoit aultre procès sinon sçavoyr qu'ung fût protestant pour incontinent le mettre à mort, que vous jugiés bien, Sire, que sa conscience, estant elle protestante, ne le pourroit permectre. Et depuis, Sire, j'ay faict parler, soubz mein, à ceulx qui ont notice de luy, de la permission qu'il pourra impétrer de Vostre Majesté de pouvoir vendre ses biens en la forme que me l'avez mandé, dont j'atandz d'avoyr bientost sa responce. J'ay receu une lettre, d'assez vielle dathe, de Mr Du Croc, par laquelle j'ay comprins que luy et le Sr de Quillegreu debvoient partir ensemble, le XXIe du passé, et que l'assemblée de la noblesse du pays se faysoit le lendemein, XXIIe du passé, incerteins toutz deux de ce qui pourroit succéder. Et puis adjouxte en chiffre que l'abstinence a esté très profitable à ceulx de Lillebourg, car ilz se sont pourveus de vivres, dont ilz avoient grand faulte; et que le comte de Morthon ne s'est voulu trouver au mandement que le comte de Mar a faict de la noblesse, dont semble que ce soit luy qui vueille empescher la paix; et que le comte de Hontely et son frère sont pour faire parler d'eux, si la guerre recommance; et que les adversaires de la paix se repantiront, pour peu de moyen que ceulx du bon party ayent de dehors, ou pour le moins ilz feront qu'on se contantera de rayson. Il n'y a rien de plus vray, Sire, qu'on a mis en dellibération icy comme l'on pourroit procéder contre la Royne d'Escoce pour la faire mourir, et qu'on a envoyé la reserrer davantage, parce qu'on a observé que le samedy, dont l'exécution se fit le dimanche après à Paris, elle se monstra beaucoup plus joyeuse, (et veilla quasy toute la nuict à se resjouyr), qu'elle n'avoit faict depuis sa prison. De quoy l'on a conjecturé qu'elle sçavoit l'entreprinse, et que quelqung des miens, que naguyères j'avoys envoyé vers elle, la luy avoit faicte sçavoir; dont, comme de moy mesmes, j'ay bien voulu dire à la Royne d'Angleterre qu'il sembloit qu'on se voulût prendre icy à la Royne d'Escoce de ce qui avoit esté faict à Paris, et que je la supliois de considérer que la pouvre princesse n'en pouvoit mais, et n'en avoit jamais rien sceu, dont n'en debvoit estre plus mal trectée, et que ce ne seroit qu'engendrer nouvelles querelles. A quoy elle m'a respondu que la dicte Royne d'Escoce avoit assez de ses propres péchés sans luy impétrer ceulx d'aultruy. Et depuis, j'ay intercédé pour elle vers aulcuns de ce conseil, qui ne luy sont mal affectionnés; lesquelz m'ont promis qu'ilz s'employeroient de tout ce qu'ilz pourroient en sa faveur, et qu'à la vérité toutes choses luy sont à présent plus contraires que jamais en ce royaulme, toutesfoys que, pour encor, il n'y a rien d'ordonné contre elle. Sur ce, etc. Ce IIe jour d'octobre 1572. A LA ROYNE. Madame, je ne m'attandz pas que, jusques à ce que l'ambassadeur d'Angleterre ayt de rechef escript par deçà, sur ce qu'il aura négocié avec Voz Majestez, touchant la responce que sa Mestresse m'a faicte, le XXVe du passé, laquelle je vous ay envoyé le XXIXe, je puisse de rien faire advancer davantaige la dicte Dame au faict de l'entrevue, ny sur le propos du mariage, car elle a bien fort meurement dellibéré ce qu'elle m'a ceste fois respondu, et n'est pour y rien changer qu'elle ne voye plus avant. Néantmoins j'yray trecter avec elle sur les particullarités de la dépesche de Voz Majestez, du XXIIe du passé, lesquelles luy debvront apporter du contantement. Et ne fays doubte que je ne la trouve elle bien disposée, car me semble qu'elle ne reçoit, sinon fort bien, tout ce qui luy est dict de ce propos, et toutes ses parolles et démonstrations monstrent assez qu'elle demeure bien inclinée au mariage, et qu'elle a très bonne opinyon de Monseigneur le Duc vostre filz; mais elle a bien tant de respect à ce que ceulx de son conseil luy disent, et à conserver le repos de son royaulme, qu'il ne se fault pas attandre, Madame, qu'elle fasse jamais rien ny contre l'advis des ungs, ny contre ce qui pourra avoyr la moindre apparance du monde de préjudicier à l'aultre. Par ainsy, j'ay meintenant plus à faire, à contanter ceulx de son dict conseil et à les rasseurer de l'espouventement qu'ilz ont prins des choses qui sont freschement advenues en France, que non pas de la bien persuader à elle; et voy bien que de son ambassadeur dépend quasy la meilleure résolution du faict, sellon qu'il rendra ceulx cy bien édiffiez de Voz Majestez et des choses qui passeront de delà: dont, Madame, à Vostre Majesté sera de le tenir bien disposé. Je n'ay obmis de l'excuser vers sa Mestresse, touchant la responce qu'il vous avoit faicte à la fin de juillet, et comme Vostre Majesté la prioit d'en attribuer la faulte, qui y pourroit estre, à vous mesmes et non à luy; et luy ay touché aussy, en passant, comme le Roy ny Vous, Madame, n'aviez peu interpréter à mal ce qu'il avoit retiré Briquemau en son logis: desquelles deux choses la dicte Dame a esté bien fort ayse, et m'a prié de vous assurer qu'en tout ce qu'il escript, et en toutz les offices qu'il faict, il monstre de n'estre moins affectionné à Voz Majestez Très Chrestiennes que à elle mesmes. Au surplus, j'ay bien noté, par le propos des privés conseillers de la dicte Dame, qu'auparavant que ces choses de Paris advinsent, elle s'attendoit d'estre une des commères aux premières couches de la Royne, vostre belle fille, affin de confirmer davantage la plus estroicte amityé et confédération, qui a esté nouvellement faicte entre Voz Majestez; mais elle ny eulx ne croyent, à ceste heure, que vous en ayez jamais heu la volonté, et j'ay bien opinyon, Madame, que, si c'estoit chose que Voz Majestez estimassent estre bonne de faire, qu'elle seroit bien fort à propos pour retenir ceste princesse et tout ce royaulme en vostre dévotion. La dicte Dame a heu grand plésir que je luy aye faict voyr, par une de voz lettres, comme le visage de Monseigneur le Duc se va tous les jours rabillant, et qu'encores vous y voulez faire applicquer les remèdes du mèdecin, qui est allé par dellà; en quoy elle m'a dict qu'elle s'estoit fort esbahye, veu l'extrême bonne affection qu'avez tousjours monstrée vers toutz voz enfans, que ne luy heussiez faict pourvoir de bonne heure à ce grand inconvénient, qui tant luy gastoit le visage. Sur ce, etc. Ce IIe jour d'octobre 1572. CCLXXVIIIe DÉPESCHE --du VIIe jour d'octobre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Maladie d'Élisabeth.--Retard apporté à l'audience demandée par l'ambassadeur.--Nouvelle irritation causée en Angleterre par les nouveaux massacres de Rouen.--Efforts des partisans de l'Espagne pour faire rompre l'alliance avec le roi.--Nécessité de rassurer les protestans en France. AU ROY. Sire, j'espérois, vendredy dernier, troysiesme de ce moys, aller trouver la Royne d'Angleterre à Windesore pour luy faire entendre les particullarités que, par vostre lettre du XXIIe du passé, il vous a pleu me commander de luy dire, qui sont toutes d'un si grand contantement et d'une si honneste satisfaction pour elle, qu'elle ne le sçauroit desirer davantage; mais elle me manda, le jeudy au soir, que je l'excusasse pour le dict vendredy, car avoit dellibéré de prendre mèdecine, et encores pour tout le jour d'après, car sçavoit que ne pourroit se trouver bien; mais que je pourrois venir le dimanche, ou bien que, si c'estoit chose pressée, qu'elle remettroit sa mèdecine à une aultre foys. Je n'ay ozé, Sire, tant présumer que de retarder chose qui appartînt à sa santé, dont, ayant remis d'y aller au dict dimanche, le comte de Sussex m'a faict entendre, le samedy, à la nuict, qu'elle n'avoit peu prendre sa mèdecine, comme elle l'espéroit, le vendredy, s'estant trouvée ung peu mal, et s'estoit mise entre les meins de son mèdecin, dont ne sçavoit quand je la pourrois voyr; mais que, si j'avoys à luy communicquer quelque chose de la part de Vostre Majesté, je le pouvois escripre à milord trézorier qui le luy feroit très volontiers entendre. J'ay, le bon matin, dépesché ung des miens jusques là, affin d'entendre plus particullièrement de la santé de la dicte Dame, et pour dire au dict comte de Sussex que j'ay à présenter à elle des lettres de Vostre Majesté en créance sur moy, qui ne se peut faire sans que je soye présent, et que pourtant j'attandray paciemment sa commodicté et bonne disposition. Ce que j'ay faict, Sire, affin que je puisse remarquer, par ses propres parolles et contenance, en quoy elle persévère vers Vostre Majesté; car je sens bien que toutes choses ont commencé et continuent de nous devenir si contraires par deçà, depuis l'émotion de Paris, (et mesmes pour l'orrible tragédye qui s'est jouée à Rouen, à l'espectacle de laquelle plusieurs angloys ont esté présens, qui raportent qu'on y continue encore de contreindre ceulx de la nouvelle religion de se rebaptiser, ou bien l'on les tue sans rémission), que ceulx de ce conseil ne travaillent en rien tant, à ceste heure, que de cercher comment la dicte Dame se pourra retirer de vostre intelligence; et observent le temps, quand, et à quelle occasion, elle le pourra faire sans danger. Dont les partisans de Bourgogne ont le vent en poupe, et sont ceulx qui, plus que les aultres, bien que la ruyne des Protestans leur playse, agravent les meurtres et exécutions de France, et cellèbrent jusques au ciel le duc d'Alve de ce qu'il a seu, par sa valeur, et de vifve force, repoulser l'armée du prince d'Orange et reprendre Montz, et a gardé la capitulation à ceulx de dedans, et n'en a esté tué pas ung soubz la seurté de sa parolle. Et suis adverty, Sire, que le courrier Francisque, flammant, lequel Anthonio de Guaras avoit dépesché devers le dict duc, a esté redépéché de deçà, le jour après que le dict duc a esté dedans Montz; et luy et Guaras sont, depuis deux jours, à Windesor, dont je ne veulx perdre l'occasion, s'il m'est possible, de parler moi mesmes à ceste princesse, affin de tenir vostre party le plus relevé que je pourray vers elle, et, en l'assurant tousjours de vostre parfaicte amityé, la randre de plus en plus bien édiffiée de Voz Majestez Très Chrestiennes et des vostres sur tout ce qui est advenu par dellà. J'entendz qu'il est arrivé ung navyre de la Rochelle et que quelqu'ung de ceulx, qui estoient dedans, est allé jusques à Windesore, mais ne sçay encores qu'il y négocie; seulement il a dict, en passant, que ceulx de sa ville, pour les choses advenues à Paris, n'avoient du commancement voulu prendre aultre dellibération que de faire tout ce que Vostre Majesté leur commanderoit, mais, entendant l'exécution, qui depuis a esté faicte ez aultres villes, ilz vouloient pourvoir à leur seureté. Quelqu'ung m'a dict que le vidame de Chartres, et Mr de Pontivy sont abordés deçà. Je mettray peyne de le mieulx sçavoir, et vous puys bien assurer, Sire, qu'il y arrive tous les jours beaucoup de voz subjectz de la dicte nouvelle religion. La souspeçon et deffiance croît de plus en plus en ceulx cy, et ne peulvent, par mes parolles ny par les propres lettres de Vostre Majesté, lesquelles je ne fay quelquefoys difficulté de les leur fère voyr, aulcunement se rasseurer; car disent que les effectz, lesquelz conveinquent et les parolles et les lettres, leur monstrent ce qu'ilz doibvent creindre. Et ont esté milord de Lestre et le comte de Lincoln, avec les mestres des fortiffications, à Porsemmue et en l'isle d'Ouic, pour mettre ces deux lieux en deffance. Je ne fay doubte que leur deffiance ne croisse aussy du costé d'Espaigne, mais il leur est plus facille de s'en mettre hors, à cause de leur ancienne allience, que de nous qui leur sommes nouveaulx, et non encores bien esprouvés amys. Sur ce, etc. Ce VIIe jour d'octobre 1572. A LA ROYNE. Madame, si je retarde un peu plus que de coustume de rendre responce aulx lettres que Voz Majestez m'ont escriptes, du XXIIe du passé, elles verront, par celles que j'escriptz présentement au Roy, que l'occasion en est, pour ung peu, l'indisposition qui a prins à la Royne d'Angleterre, et pour ne vouloir en ce temps rien trecter avec elle sinon par moy mesmes, n'ayant encores bien recognu quelz persévèreront d'estre ses conseillers vers la France depuis ceste émotion de Paris; dont je veulx attandre que la dicte Dame se porte mieulx pour parler à elle, et que par ses propos et ses contenances, je puisse mieulx conjecturer, que ne pourrois faire par ung tiers, qui ne me rapporteroit sinon les simples parolles de sa responce, quelle est son intention. Et semble bien, Madame, s'il se pouvoit faire que ceulx de la nouvelle religion se voulussent ung peu rassurer, et que Mr de Walsingam représentât par deçà une partie de ces tant importantes occasions, qui ont meu Voz Majestez de leur faire supercéder des presches et des assemblées publicques, sans leur oster la privée liberté de leurs maysons, que cella serviroit beaucoup à l'advancement du propos de Monseigneur le Duc, et m'ayderoit grandement de conveincre aulcuns de la dicte religion, qui afferment qu'encores après les grandes exécutions passées, eulx, estantz depuis à Roan, ilz ont esté ung soyr advertys par leurs hostes de s'en fouyr, parce qu'ung nouveau mandement estoit secrettement arrivé de la court, par où l'on mandoit de mettre à mort ceulx qui restoient de la dicte religion qui ne la vouldroient renoncer. De quoy les Anglois s'animent davantage contre nous, et crient que toutz les édictz et trectés que le Roy faict pour ou avec ceulx de leur religion, ne sont que pour les tromper. Je feray tout ce que je pourray pour entretenir ceste princesse et les siens en bonne disposition, mais il fault que le plus grand moyen m'en viegne du Roy et de Vostre Majesté; que toutz deux me faciez parler avec eulx, tant du présent que de ce que prétandez pour l'advenir, en ce que vous sçavez qu'ilz ont à cueur, comme pouvez bien juger, Madame, que leur ambassadeur ne leur en déguysera rien, ou aultrement vostre parole viendra à estre de nulle authorité, et moy ridiculle, en tout ce que je leur diray ou promectray de vostre part. Et sur ce, etc. Ce VIIe jour d'octobre 1572. CCLXXIXe DÉPESCHE --du XIIIe jour d'octobre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Conférence de l'ambassadeur avec le comte de Sussex, Leicester et Burleigh pendant la maladie de la reine.--Efforts de l'ambassadeur afin de renouer les diverses négociations.--Motifs donnés par Burleigh du peu de confiance que les Anglais doivent avoir dans le roi.--Assurance de l'ambassadeur que les protestans recevront toute protection en France.--État de la négociation du mariage. AU ROY. Sire, ce que, par mes précédantes, je vous ay escript, de quelque petite indisposition qui avoit prins à la Royne d'Angleterre, au retour de son progrès, cella peu à peu s'est converty en ung ou deux accès de fiebvre, et après en la picote ou petite vérolle, qui luy faict tenir le lict; dont n'ay ozé incister de parler à elle, par ce mesmement qu'il luy en estoit sorty au visage, mais non pas beaucoup. Elle a depputé milord trézorier et les deux comtes de Sussex et de Lestre pour entendre ce que j'avoys à luy dire de la part de Vostre Majesté; ausquelz j'ay récité le contenu de vostre lettre du XXIIe, ainsy qu'elle est bien ample et pleine de beaucoup d'honnestes particullarités, si bien déduictes pour la satisfaction de ceste princesse et de tout ce royaulme, qu'il ne m'a esté besoing d'y adjouxter quasy ung seul mot du mien; et seulement j'ay uzé de la plus grande expression qu'il m'a esté possible pour leur confirmer ce que je leur disoys, et les assurer que leur Mestresse trouvera toute vérité et certitude en ce que Vostre Majesté luy promect. Ilz m'ont presté fort bénigne audience; et, après avoir conféré ensemble, milord trézorier, pour les troys, m'a dict qu'ilz avoient grand plésir de cognoistre par mon discours que Vostre Majesté continuoit en une semblable bonne et sincère disposition vers leur Mestresse, qu'il sçavoit bien qu'elle persévéroit vers vous; et que, de toutes les particularités que je venois de leur réciter, qui estoient beaucoup en nombre, ilz n'en avoient ouy pas une qui ne fût pour luy apporter du contantement, et plus celle que nulle aultre, par où apparoissoit qu'en toutes choses vous aviez desir de la contanter; dont ne feroient faulte de luy rapporter fort fidellement le tout, aulx mesmes termes que je le leur avois dict, ou le plus près d'iceulx qu'il leur seroit possible; et que, s'il me plaisoit leur donner ung extrêt de vostre lettre, ou bien l'original, qui estoit signé de vostre mein, puisqu'il ne contenoit sinon les bonnes choses que je leur avois rapportées, qu'ilz donroient ce plésir à leur Mestresse de la luy lire entièrement. Je leur ay respondu que, possible, auroient ilz pensé que, comme ministre affectionné à la paix, et desirant toujours une bonne intelligence entre ces deux royaulmes, j'avoys entreprins, affin de rabiller les choses, de faire cest office de moy mesmes, sans en avoir charge; mais je les priois que, comme je n'avoys jamais rien faict de semblable, qu'ainsy voulussent ilz croyre qu'à ceste heure, moins que jamais, vouldrois je advancer une seule parolle à leur Mestresse ny à eulx, sans en avoir ung bien exprès commandement, et pourtant qu'ilz pouvoient voyr les propres lettres de Vostre Majesté, lesquelles j'avois en la mein, et les leur ay incontinent exhibées; car aussy avoys je proposé de les monstrer à la dicte Dame, ayant seulement immué une sillabe d'ung mot, et adjouxté par interligne ung aultre mot, et changé ung bien peu la substance du déchiffrement qui y estoit; duquel je ne leur ay faict que lecture en passant, sans leur en laysser rien par escript. Et milord trézorier avec plésir a prins la dicte lettre, et, après en avoyr, à parcelles, quasy leu la pluspart, il m'a dict que sa Mestresse seroit bien ayse de la voyr; à quoy non seulement j'ay condescendu, mais je l'ay prié de la luy monstrer; et eulx trois, avec une protestation que ce ne seroit pour servir de responce, jusques à ce qu'ilz auroient parlé à leur Mestresse, m'ont prié que je prinse de bonne part ce que, par manière de conférance, ilz me vouloient dire: c'est que Dieu leur estoit tesmoing combien la Royne, leur Mestresse, et eulx avoient esté et estoient en grande peyne de dissuader au commun de ce royaume que Vostre Majesté ne leur heût desjà dénoncé la guerre, comme prince du tout déterminé à la ruyne des Protestans; car, par plusieurs coppies, qui leur avoient esté envoyées de divers endroictz de France, de certeines lettres, escriptes le XXIIIIe d'aoust, au nom de Vostre Majesté, pour advertyr les gouverneurs que l'exécution du feu Amiral estoit advenue par la querelle de la mayson de Guyse, voyantz qu'incontinent après il estoit sorty d'aultres lettres pour déclarer que cella estoit advenu pour une conspiration que luy et ceulx de la nouvelle religion avoient faicte contre Vostre Majesté, ilz vouloient inférer que vous vouliés par là prendre une apparante occasion, (laquelle nul, à la vérité, ne pourroit nier que ne fût juste, si elle estoit bien advérée), de vous porter pour capital ennemy de toutz les Protestans, et que les exécutions, qui depuis s'en estoient ensuivyes, le monstroient assez; mesmes que plusieurs angloys, qui avoient esté à Roan, lors de la sédition, rapportoient qu'elle estoit advenue par mandement de Vostre Majesté, jusques à affermer qu'ilz avoient veu de voz propres lettres à cest effect, et qu'ilz me vouloient bien dire aussy que la conjouyssance que Mr le cardinal de Lorrayne, personnage principal de vostre conseil, avoit faicte au Pape, au nom de Vostre Majesté, laquelle il avoit faicte publier en lettres d'or sur la porte de l'hostel St Louis à Romme[6], en portoient grand tesmoignage; et que tout cella estoit cause que, oultre l'indignation de la noblesse, et des meilleurs du royaulme, qui se voyoient comme toutz admonestés par là de debvoir prendre les armes pour leur deffance, leurs marchandz estoient venus semondre tout ce conseil de leur laysser transporter leur traffic, et mesmes de s'aller pourvoir de vin et d'aultres denrées, ailleurs que de la France, baillantz des démonstrations, par articles, que cella seroit à la seureté et utilité de l'Angleterre; mais qu'ilz avoient faict tout ce qu'ilz avoient peu pour modérer les ungs et radoulcir les aultres, par les mesmes bonnes remonstrances, qu'ilz avoient apprinses de moy, de l'intention de Vostre Majesté. Et néantmoins, si l'on ne leur monstroit quelque meilleur effect de vostre part, ilz n'estimoient pas qu'ilz se puissent assez rasseurer pour s'ozer encores commètre ny eulx, ny leurs biens, à la France; et que l'effect, à leur advis, seroit bon, et rendroit les leurz bien édiffiez de beaucoup de choses passées, si Vostre Majesté faisoit faire punition exemplaire d'aulcuns de ces plus principaulx séditieulx de Roan, ainsy que vostre lettre, laquelle les avoit bien fort resjouys, monstroit que vous estiez résolu de le faire; et quand à eulx troys, ilz croyoient que l'Angleterre les réputeroit pour traistres, si, premier que avoyr veu quelque chose de cella, ilz conseilloient l'entrevue de la Royne, vostre mère, avecques leur Mestresse. [6] Voir la _Conjouyssance de Mr le cardinal de Lorrayne_, en date du 7 septembre 1572; _Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe Fénélon_. Je leur ay respondu briefvement que leur dicte Mestresse et eulx voyoient, par voz lettres et par voz parolles, une si bonne et droicte intention de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz les vostres vers ce royaulme, qu'ilz n'en debvoient nullement doubter, ny faire ces argumentz au contrayre, et l'expérimenteroient encores meilleure, quand il en faudroit venir à l'espreuve. Ilz ont suivy à me dire qu'ilz estimoient que Vostre Majesté ne pourroit trouver maulvès que les pouvres françoys, de leur religion, qui fuyoient icy, pour saulver leurs vyes, y fussent receus. Je leur ay respondu que je n'avoys nul commandement de parler de cella, et qu'il sembloit bien que, sellon le dernier traicté de plus estroicte confédération, les Françoys pouvoient venir icy, et les Angloys passer en France, sans aulcune difficulté; mais je les supliois que la recordation de leurs fuitifz, qui avoient trecté avec le duc d'Alve, les gardât de vous donner semblable souspeçon d'eulx; que, quand leur Mestresse voudroit intercéder vers Vostre Majesté pour aulcuns des dicts françoys, oultre que vos édictz les assuroient assez, encores, pour l'honneur d'elle, seroient ilz davantage assurés et bien trectés en vostre royaulme; néantmoins que d'avoyr estroicte praticque avec ceulx qui se monstreroient ou malcontantz, ou qui voudroient dresser des entreprinses, au préjudice de la paix de vostre royaulme, que cella ne se pourroit faire, sans que vous en heussiez beaucoup de jalouzie. Ilz m'ont réplicqué qu'à la vérité, le vidame de Chartres estoit en ceste court, où il estoit venu pour eschaper le danger de sa vye; de quoy ilz ne luy pouvoient faire tort, non plus qu'aulx habitans de la Rochelle, d'avoir, à ce qu'on disoit, fermé leurs portes à ceulx qui ne faysoient conscience de tuer indifféremment, et sans forme de justice, toutz ceulx de leur religion; mais que je pouvois asseurer Vostre Majesté que leur Mestresse, ny nul de son conseil, ne presteroit l'oreille à pas ung qui voulût rien troubler en vostre royaulme. Et, pour le regard de ce que, par une particullarité de mon dire, laquelle, Sire, je n'ay pas insérée icy, je leur avoys remonstré qu'on souspeçonneroit une grande altération entre Voz Majestez, si les Angloys n'alloient ceste année à Bourdeaulx, qu'ilz trouvoient bon, pour obvier à cella, qu'ilz y allassent, soubz la seureté que je leur monstrois de voz lettres, et soubz celle que je leur promectois; que pourtant ilz les feroient partir du premier jour, et qu'ilz pensoient aussy, Sire, que, s'il vous playsoit de faire dépescher nouvelles lettres de vostre grand sceau, ez endroictz où le trafficq de leurs marchandz s'adonne en France, pour les y faire bien recepvoir, et deffendre de ne leur meffaire ny mesdire, sur grandz peynes, et qu'il leur en fût monstré, icy, ung extrect, que cella, possible, les encourageroit davantage, et aussy de mettre ordre, touchant les biens et marchandises qu'ils avoient commis en divers lieux à ceulx de la nouvelle religion, qui ont esté tués, ou s'en sont fouys, qu'il leur en soit faict droict et restitution. En quoy je leur ay fort promis que Vostre Majesté ne feroit point de difficulté à tout cella. Et ainsy, après les avoyr fort soigneusement enquis du bon portement, et disposition de leur Mestresse, je me suis gracieusement licencié d'eux. Et le jour d'après, milord trézorier m'a mandé que la dicte Dame avoit prins beaucoup de contantement de la lettre de Vostre Majesté, et avoit longuement devisé, avec eux troys, de la responce qu'elle y debvoit faire, et qu'il estoit après à la rédiger par escript, pour, puis après, me la faire entendre; dont je l'attandz dans deux ou troys jours. Je creins assez qu'une partie de la flotte pour les vins n'aille à la Rochelle, qui pourtant vous suplie très humblement, Sire, de pourvoir bientost à la réduction d'icelle ville; car de là dépend le repos de vostre royaulme, et la paix avec les estrangers. J'ay faict parler au Sr de Colombières, qui est en ceste ville, lequel monstre de n'avoir nulle plus grande affection que de demeurer vostre très obéissant et fidelle subject, pourveu qu'il le puisse faire avec la seureté de sa vye. Il vous pléra m'en mander vostre intention. Je n'ay aultres nouvelles d'Escoce, sinon qu'on y a prorogé l'abstinence pour huict jours, affin de moïenner l'accord, mais l'on doubte assez qu'il se puisse faire. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'octobre 1572. Tout présentement, je viens de recepvoir vostre dépesche du IIIIe du présent avec le saufconduict. A LA ROYNE. Madame, en faysant la négociation, que verrez par la lettre du Roy, avec troys seigneurs de son conseil, j'ay mis peyne de tirer d'eux en quelle bonne intention leur Mestresse persévéroit d'estre vers le propos de Monseigneur le Duc, et si elle estoit point disposée à l'entrevue, en quoy les deux plus inthimes m'ont monstré que Mon dict Seigneur le Duc estoit tousjours en fort bon concept vers elle, et qu'elle avoit très bonne opinyon de luy; mais qu'elle et eulx deux estoient merveilleusement contredictz en la poursuite de ce propos, jusques à ce qu'il se puisse bien voyr que l'estat de ce royaulme n'est pour en recepvoir aulcune altération, ains pour en confirmer davantage son repos; et le troysiesme m'a dict que, de tant que les responces, qu'elle nous avoit faictes jusques icy, ne la constituoient en aulcune obligation, que la difficulté seroit grande comme pouvoir conduire les choses en façon qu'elle et ses subjectz s'y vueillent maintenant obliger, après une si expresse déclaration de Voz Majestez et de toute la France contre la cause de leur religion, toutesfoys que je ne pourrois de mon costé procéder par nulle meilleure voie que par celle que je suivoys, et qu'ilz verroient, toutz troys, avec leur Mestresse, comme elle se pourroit bien conduire en cest endroict, dont m'y seroit bientost faict responce. Et, au regard de l'entrevue, que se trouvant leur Mestresse en une indisposition que les dames ne vuellent guières qu'on les voye, et mesmes qu'elle n'est pour sortir d'ung moys de sa chambre, dont l'yver sera bien avant, qu'ilz ne voyent comme cela se puisse bien commodément faire de cest an; joinct l'aultre rayson qu'ilz m'avoient desjà desduicte, laquelle, Madame, j'ay mise en la lettre du Roy. Et, quant aller aux isles de Gerzé ou Grènezé, que ce seroit aultant à leur Mestresse comme si elle passoit du tout en France, (car aussy en sont elles vingt foys plus près que de l'Angleterre), comme pour aller chercher mary par dellà. Je n'ay deffailly de réplicques, lesquelles ilz m'ont promis de les faire toutes entendre à la dicte Dame, dont attandz meintenant sa responce. Milord trézorier a jecté bien loing de faire meintenant nul voyage en France, à cause de ses indispositions de la goutte et colicque, mais le comte de Lestre m'a respondu qu'il seroit tousjours prest d'aller là où sa Mestresse luy commanderoit, et mesmes vers Voz Majestez Très Chrestiennes, quand il pourroit servir au propos de l'amityé et du mariage, et à la réconciliation de ceulx de sa religion. Et toutz deux m'ont rendu très humbles merciementz pour l'honnorable tesmoignage, que je leur ay monstré en voz lettres, que Voz Majestez leur rendoient, et la bonne estime en quoy vous les teniez; qui pourtant se santent d'avoir de plus en plus très grande obligation à vostre service. Et sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'octobre 1572. CCLXXXe DÉPESCHE --du XVIIIe jour d'octobre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Grognet._) Réponses faites au nom d'Élisabeth aux demandes du roi.--Efforts de l'ambassadeur pour combattre les intrigues de l'Espagne.--Nouvelles de la Rochelle; crainte que les armemens faits à Londres n'aient pour but de rallumer la guerre civile en France.--Affaires d'Écosse.--Danger de Marie Stuart.--Le vidame de Chartres réfugié en Angleterre.--Demande d'instruction sur la conduite que doit tenir l'ambassadeur à l'égard des protestans français réfugiés en Angleterre.--Nécessité où s'est trouvé l'ambassadeur d'accorder que l'entrevue se pût faire à Douvres.--Danger que pourrait avoir cette entrevue.--Demande par l'ambassadeur de son rappel. AU ROY. Sire, après que les troys seigneurs, avec lesquelz j'ay heu ceste foys à négocier sur la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIe du passé, ont heu rapporté à leur Mestresse les choses que je leur avoys dictes, et qu'elle a heu longuement conféré là dessus avecques eulx, ilz se sont, avec tout le reste du conseil, plusieurs foys assemblés pour dellibérer comme l'on auroit à m'y respondre. Et enfin ilz m'ont mandé par ung des miens ce que Vostre Majesté verra en cest aultre escript, séparé, lequel luy mesmes, en leur présence, a recueilly, ainsy mot à mot, comme ilz le luy ont dict, qui monstre bien, Sire, qu'ilz mettent grand peyne de faire devenir ceste princesse fort ombrageuse et deffiante de tout ce qui leur est maintenant proposé de vostre part. Et, de tant qu'ilz y explicquent ouvertement leurs conceptions, je n'ay que y adjouxter, sinon qu'il me semble, Sire, qu'encores qu'ilz se monstrent bien farouches, si ont ilz grand plésir, pendant que l'intention du Roy d'Espaigne ne leur est encores bien cognue, de voyr que la vostre tend à persévérer vers eulx; en quoy, encor que tout ce dont ilz uzent à ceste heure vers vous, ne soit, à mon advis, que pour vous entretenir affin de gaigner le temps, si se peut il fère que le dict temps et les bons déportemens, dont vous et voz subjectz uzerez cepandant vers eulx, leur apprendra de ne se debvoir point départir d'avecques vous, et de n'espérer jamais trouver si bonne addresse vers le Roy d'Espaigne comme vers Vostre Majesté; qui est ce en quoy je travaille le plus maintenant, par toutz les moyens et démonstrations et communicquation de voz lettres, qu'il m'est possible de le faire, affin mesmement que les agentz du dict Roy d'Espaigne ne se prévaillent trop icy des choses advenues en France; qui, à la vérité, s'esforcent de les interpréter fort mal pour advancer leurs affères et traverser d'aultant ceulx de Vostre Majesté; car, sans cella, je ne mettroys la peyne de radoulcir tant les Angloys comme je fay; qui se monstrent si extrêmes que souvant ilz me font honte des choses qu'ilz me disent. J'eusse espéré pouvoir tirer quelque chose de plus gracieulx de ceste princesse, si je luy eusse faict voyr la bonne lettre de Vostre Majesté, que je n'ay pas faict de ceulx de son conseil. Tant y a qu'ilz ont meurement dellibéré leur responce; et leur Mestresse l'a aprouvée. Guaras et Sanvictores, qui sont espaignolz, et le cavalier Geraldy qui est icy pour le roy de Portugal, sont beaucoup mieulx ouys, et plus favorablement receus en ceste court qu'ilz ne souloient. Icelluy Guaras a grande espérance de faire retirer toutz les angloys qui sont à Fleximgues et en Flandres, et qu'il remettra en bon trein l'accord des différendz et de l'entrecours des Pays Bas, bien que freschement soient arrivés aulcuns bourgois du dict Fleximgues et de Holande, qui font tenir ceste dellibération en quelque suspens. Les princes protestans ont aussy envoyé secrettement ung personnage de qualité qui ne se montre point, duquel je n'ay encores aprins le nom. Il négocie souvant avec quatre de ce conseil, et semble qu'il obtiendra quelque provision de deniers. Ung bourgoys de la Rochelle, nommé Duret, est icy, lequel, encor qu'il monstre d'y estre venu pour le faict de marchandise, si a il, et ung Bobineau qui est aussy de la Rochelle, esté quelques jours à Vindezor. J'entendz qu'on a dépesché incontinent ung vaysseau angloys au dict lieu de la Rochelle pour aller voyr comme les choses s'y passent; car il s'en parle icy diversement. Et c'est de ce costé là, Sire, que je ne puys cesser de vous suplier très humblement qu'il vous playse en quelque façon y pourvoir, le plus promptement qu'il vous sera possible: car, voyant que ceulx cy sont fort dégoustés de la France, et que, toutz les jours, ilz tiennent plusieurs heures, soyr et matin, très estroictement le conseil; et qu'ilz ont mandé force capitaynes et mariniers, et préparent de mettre dix grandz navyres dehors pour les tenir à Porsemue, je ne puis avoir sinon bien suspecte ceste leur grand deffiance, et creindre que, pour s'en rasseurer, ilz vueillent fomenter en ce qu'ilz pourront les troubles dans vostre royaulme; et ne fay doubte qu'ilz ne recherchent le comte de Montgommery par le moyen de son beau frère, qui est voysin du dict Portsemmue, et pareillement le cappitaine Sores, auquel a esté desjà ordonné ung logis pour luy et sa famille à Hamptonne. Je sentz bien aussy qu'ilz font de grandes dellibérations sur l'Escoce pour y suprimer du tout l'authorité de la Royne d'Escoce, et y relever celle du prétandu régent, et pour parachever icy, s'ilz peuvent, la ruyne de la dicte Dame à ce prochein parlement; lequel, à ce que j'entendz, ilz veulent rouvrir le lendemain de la Toutz Sainctz pour ce seul effect, qui ne sera sans que la pouvre princesse ayt grand besoing de vostre faveur; et néantmoins je creins assez qu'elle ne luy sera de si seur refuge comme elle luy a esté jusques icy. Il a esté dépesché, coup sur coup, troys courriers à Barvic pour les choses du dict pays, sans qu'on m'ayt faict part de rien, et n'ay nulles lettres de dellà depuis le VIIIe de septembre; tant y a que quelqu'ung m'a dict que les seigneurs du pays ont prins ung expédiant d'accord d'entre eulx, et que l'ung party s'est uny avecques l'aultre, et toutz deux avecques les Anglois pour se munir et pourvoir contre l'aparance, que les choses de France leur font creindre, qu'il y ayt entreprinse faicte pour exterminer de toutz pointz leur religion; et que Mr Du Croc et son beau filz, et monsieur de Vérac, seront icy le XXe ou XXIIe de ce moys, estantz desjà arrivés à Barvic. Ce que je mettray peyne de sçavoir mieulx au vray. Mr le vidame de Chartres, ayant trouvé ung des miens à Windesor, est venu parler à luy, et luy a dict que, nonobstant l'exécution de Paris, il avoit une foys résolu de se tenir en sa mayson soubz la sauvegarde que Vostre Majesté luy avoit envoyée, mais que depuis il fut adverty que le Sr de Saint Légier venoit avecques forces pour le surprendre, ce qui l'a contreinct de passer deçà, et qu'il me viendroit voyr; dont vous suplie très humblement, Sire, me commander comme j'auray à uzer vers luy et vers toutz ceulx de la nouvelle religion qui ont passé deçà, qui s'adressent à moy. Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour d'octobre 1572. A LA ROYNE. Madame, j'eusse espéré une meilleure responce de la Royne d'Angleterre si j'eusse parlé à elle, que non de l'avoir heue ainsy par l'entremise de ceulx de son conseil. Il est vray que tout ce qu'on m'a dict ceste foys n'est qu'en attandant ce que le Roy et Vostre Majesté aurez advisé sur ma dépesche, du XXIXe du passé, et sur ce que, conforme à icelle, Mr de Walsingam vous aura dict davantage; dont m'assurant que Voz Majestez y auront prins une bonne et vertueuse résolution, je ne m'advanceray de rien vers eulx jusques à voz premières lettres et voz procheins commandementz. Mais sur ce, Madame, que Vostre Majesté avoit trouvé ung peu estrange que j'eusse offert l'entrevue à Douvre, et qu'il ne vous souvenoit de me l'avoir ainsy expressément mandé, je vous suplie très humblement de considérer que, ayant la Royne d'Angleterre jetté bien loing de faire la dicte entrevue sur mer, jusques à me dire que ses conseillers estimoient qu'on se mocquât d'elle, de l'avoir mis en avant; et luy ayant respondu que vous n'aviez pensé qu'elle le deût trouver maulvès, à cause qu'elle a ung équippage de mer si beau et si bon, qu'il ne luy pouvoit revenir qu'à plésir et commodicté de s'en servir à cest honnorable effect; et néantmoins que, sur ce que Mr de Vualsingam vous en avoit depuis remonstré, vous luy aviez promis d'escripre à la dicte Dame que vous n'estiez trop escrupuleuse, et que vous seriez contante que ce fût là où seroit advisé, dont estimiez qu'il seroit bien à propos, pour l'une et pour l'aultre, de choisir à cest effect l'isle de Gerzé ou de Grènezé; et m'ayant la dicte Dame rejecté cella aussy loing que le premier, me disant qu'elle ne voyoit nul lieu plus à propos que Douvre, mais qu'elle ne pensoit pas que nul de ses conseillers en peût estre maintenant d'advis; et que mesmes il y avoit bien à regarder comme recepvoir et traicter une si grande Royne et ung si grand trein comme celluy que Vostre Majesté admèneroit, je ne peus faire de moins, voyant toutz aultres expédiantz rejectés, que de luy dire que, veu ce qu'aviez promis à Mr de Walsingam d'escripre, Vostre Majesté pourroit accorder de venir en quelque lieu en terre qui seroit advisé, sans expéciffier nullement Douvre, et avec compagnie modérée, et avec les seurtés telles, comme il convenoit à la personne d'une si grande princesse. En quoy je n'estime pas, Madame, m'estre advancé en cella de luy offrir davantage que ne pourtoient les lettres du Roy et vostre, du XIIe de septambre, et si, ay tousjours réservé, plus que n'est en icelles, les seuretés que vouldrés demander, n'ayant jamais accordé du dict lieu de Douvre, ny aussy je ne l'ay pas contredict; car je vous puis asseurer, Madame, qu'il n'y a nul aultre lieu si commode que celluy là, et ne voy point, si vous le débatez, qu'il en faille parler de nul aultre. Tant y a que les choses n'en sont encores si près, et si, se représantent, de jour en jour, tant de nouveaulx escrupules devant mes yeulx, sur la dicte entrevue, pour le regard de Vostre Majesté, que je ne l'oze aulcunement solliciter, non que je y cognoisse aulcun apparant danger; mais il y pourroit intervenir ou parolle ou démonstration de quelque anglois, en l'endroit de quelqu'un des vostres, sur l'émotion de Paris, que je le voudrois, puis après, avoir rachepté avecques la vie, joinct que nous sommes si procheins de l'yver que la mer commancera de devenir bientost bien fâcheuse. Et je desirerois bien aussy, Madame, avant cella, que quelque principal personnage de ce costé fût envoyé visiter la Royne, vostre belle fille, en ses premières couches, affin qu'il se fût ung peu prins plus de confidence entre ces deux royaulmes qu'il semble n'en y avoir meintenant, vous supliant au surplus, Madame, le plus humblement qu'il m'est possible, que si à Mr de Walsingam est permis de venir par deçà, sellon que ceulx cy y incistent, qu'il vous plaise m'octroïer d'aller trouver Voz Majestez; car, oultre qu'ilz ne doibvent gaigner cest advantage sur le Roy, je serois, et toutz les papiers de ceste négociation, en danger: et m'y seroit à tout coup fait quelque trêt qui seroit contre la dignité de vostre couronne; bien que j'ay à me louer infinyement des honnestes faveurs que j'y reçoys de ceste princesse, et de la modeste façon dont ceulx de son conseil et toute la noblesse de ce royaulme m'y uze. Néantmoins je retourne vous suplier très humblement, Madame, qu'ayant esté quatre ans toutz completz au continuel service de ceste charge, non sans du travail beaucoup, qui m'a infinyement envielly, il vous playse meintenant prendre tant de pitié de moy que de me vouloir révoquer, sellon que Vostre Majesté sçait qu'il n'y a gentilhomme, au service de Voz Majestez, qui plus ayt besoing de s'aller reposer, et pourvoir à sa pouvreté et nécessité que moy. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour d'octobre 1572. CCLXXXIe DÉPESCHE --du XXIIe jour d'octobre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Nouvelle des massacres de Bretagne.--Craintes témoignées par les marchands anglais qui se disposent à se rendre à Bordeaux.--Défiances continuelles des Anglais sur toutes les négociations de l'ambassadeur.--Retour de MMrs Du Croc et de Vérac venant d'Écosse, où ils ont conclu une nouvelle suspension d'armes.--Bon accueil fait par les habitans de la Rochelle à Mr de Biron.--Assurance donnée par Mr de La Meilleraie qu'il promet toute protection, dans son gouvernement de Normandie, aux protestans fugitifs.--Effet produit en Écosse par la nouvelle des massacres de Paris. AU ROY. Sire, estant la flote des navyres preste à partir pour Bourdeaulx, les marchandz de Londres ont heu quelque advis que les gallères avoient de rechef prins des vaysseaulx angloys qui alloient celle routte, et que pareillement il en avoit esté déprédé quelques ungs sur la coste de Bretaigne, et que, au dict pays de Bretaigne, s'estoit ensuivye une semblable exécution sur ceulx de la nouvelle religion comme à Roan; dont sont tournés les dicts marchandz s'excuser aulx seigneurs de ce conseil du dict voyage, alléguans qu'encor que l'intention de Vostre Majesté soit qu'ilz soient bien traictez en vostre royaulme, que néantmoins il se voit si peu d'obéyssance en vos subjectz qu'il est très dangereulx de se commettre à leur discrétion. Sur quoy, iceulx seigneurs du conseil leur ont faict plusieurs honnestes remonstrances pour les rasseurer, et leur ont monstré vostre édict que je leur avoys baillé imprimé, et leur ont faict entendre ce que, d'abondant, il vous avoit pleu m'escripre à ce propos, et ont tant faict que la dicte flote part résoluement ceste sepmayne; mais ce n'est sans estre venu, quasy chacun vaysseau, prendre nouvelle seureté de moy, et mes lettres de saufconduict. Dont vous suplie très humblement, Sire, qu'il vous playse faire en sorte qu'ilz ne reçoivent poinct de mal, et que là dessus soit refreschy le commandement, à vostre armée de mer, de servir plustost de conserve que de dommage aux dictz Angloys, et que, à Bourdeaulx, ilz les veuillent bien recepvoir, et leur y fère le bon traictement qu'on avoit accoustumé. Mr de La Melleraye et Mr de Sigoignes m'ont envoyé des pleinctes pour aulcunes déprédations qui ont naguières esté faictes, en ceste mer estroicte, sur voz subjectz, et sur l'empêchement qu'aulcuns vaysseaulx, équippés en guerre, donnoient à la pescherie de l'aranc. Sur quoy, je leur ay incontinent envoyé une commision de la Royne d'Angleterre pour deffandre à toutz ses vaysseaulx de ne troubler la dicte pescherie; et, quand aux prinses, elle a fait commander aux juges de son admiraulté d'y pourvoir: et ainsy je vays gaygnant, peu à peu, tout ce que je puis vers eulx, mais leur deffiance est si grande qu'ilz croyent que tout ce que je leur dis de vostre part est pour les surprendre et tromper. Mr Du Croc et le Sr de Vérac sont arrivés, et sont allés prendre congé de la Royne d'Angleterre à Windesor. Il leur a semblé, après avoir procuré la prorogation de l'abstinence pour aultres deux moys, que leur demeure par dellà seroit plus dommageable que utille à vostre service, dont s'en sont venus, et le Sr de Quillegreu y est encores demeuré, qui inciste fermement à la paix; mais c'est en réduysant l'ung et l'aultre party à l'obéyssance du prétandu régent, et toutz deux à la mutuelle deffence avec les Anglois de leur commune religion. Le dict Sr Du Croc espère partir d'icy, dans ung jour ou deux, pour vous aller donner bon compte de toutes les choses de dellà. Vendredy au soyr, arriva nouvelles au change royal de ceste ville comme Mr de Biron avoit esté receu à la Rochelle, et que la dicte ville persévéroit de tout poinct en vostre obéyssance; ce que je cognois estre de grand moment, et que cella amortira bien fort, s'il est ainsy, toutes les imaginations que les Angloys pourroient avoyr d'entreprendre quelque chose par dellà. Le dict Sr de La Melleraye m'a mandé de faire entendre à ceulx de la nouvelle religion, qui sont de son gouvernement, qui ont fouy, de s'en retourner en leurs maysons, soubz le commandement que toutz les gouverneurs ont de les tenir en la plus grande saulvegarde que faire se pourra; dont ay donné passeport à quelqung d'entre eulx, pour aller jusques à Roan voyr quel il y faict pour eulx; mais ilz ne s'y ozent fier pour encores. Les agentz du duc d'Alve sont, à ceste heure, si ordinayres en ceste court que quasy ilz n'en bougent. L'on m'a dict qu'ilz ont faict dépescher deux personnages à Fleximgues pour aller retirer les angloys qui y sont, et que tant plus facillement ilz ont obtenu cella, quand on a rapporté icy que Vostre Majesté avoit faict mettre en pièces ceulx qui estoient sortis par composition de Montz[7]. J'entendray plus au vray comme il va de toutes ces choses affin de m'y comporter sellon qu'elles seront vrayes. Et sur ce, etc. [7] Voir la lettre de Walsingham à Smith en date du 8 octobre 1572, dans laquelle il annonce que les 800 hommes sortis de Mons avaient été passés au fil de l'épée pour faire plaisir au roi d'Espagne. 209e _lettre_. Ce XXIIe jour d'octobre 1572. A LA ROYNE. Madame, attendant ce qu'il vous plerra me commander sur les deux responces de la Royne d'Angleterre et des seigneurs de son conseil, que je vous ay envoyés le XXIXe du passé, et le XVIIIe d'estuy cy, je n'entreray en nulle plus grande négociation avec elle ny avec eulx; et seulement j'yray les entretenant en la meilleure opinion que je pourray pour les faire tousjours bien espérer de votre amityé. Mr Du Croc n'a pas trouvé que le Sr de Quillegreu luy ayt esté meilleur adjoinct qu'estoit le Sr de Drury; car a dict, soubz mein, aulcunes choses assez peu convenables à l'amityé d'entre la France et l'Angleterre; et s'est soubdein veue une semblable mutation de volontés par dellà, à cause de l'exécution de l'Admiral et des siens, comme je l'ay expérimantée en ce royaulme. Il y a plusieurs jours que je n'ay rien sceu de la Royne d'Escoce, sinon qu'on dict qu'elle est fort resserrée et fort rudement traictée. Il me viendra, possible, bientost quelque moyen de sçavoir de ses nouvelles, et je ne fauldray de vous en advertir incontinent. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour d'octobre 1572. CCLXXXIIe DÉPESCHE --du IIe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._) Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth sur les massacres de France.--Désaveu fait au nom du roi de toutes les exécutions qui ont eu lieu ailleurs qu'à Paris.--Refus de la reine de s'expliquer sur la demande d'une entrevue autre part qu'à Douvres.--Son dessein de rappeler Walsingham.--Regret qu'elle éprouve de ce que le roi ne veut pas permettre au vidame de Chartres de rester en Angleterre.--Détails particuliers de l'audience.--Ferme opinion d'Élisabeth qu'une ligue est formée pour l'extermination des protestans.--Motifs qui ont dû empêcher la reine-mère d'accepter l'entrevue à Douvres. AU ROY. Sire, j'ay esté, depuis quatre jours en çà, devers la Royne d'Angleterre, pour l'occasion de voz lettres du VIIe du passé, mais, premier qu'elle m'ayt layssé entrer en nul des propos d'icelles, elle m'a voulu rendre plusieurs grandz mercys du soing que j'avoys heu d'elle pendant sa dernière maladye de la petite vérolle; et que, si elle n'eût heu l'estomac fâché, l'aultre foys que j'estois à Windezor, à cause qu'elle avoit prins ung peu de mitridat, elle m'eût permis de la voyr affin de pouvoir donner à Voz Majestez meilleur compte de son mal; et qu'elle croyoit bien que, quand Monseigneur le Duc l'entendit, qu'il desira qu'elle en heût beaucoup au visage affin de ne s'entrereprocher rien plus l'ung à l'aultre. Je luy ay respondu que Voz Majestez, et Monseigneur le Duc, et toutz ceulx de vostre couronne, desiriez parfaictement la conservation de ses excellantes qualités, et aussy bien de celles qui convenoient à sa beauté comme de celles qui ornoient sa grandeur, et que vous auriez grand plésir d'entendre, par mes premières, qu'elle en fût si parfaictement bien guérye qu'il n'en restât ung seul vestige au visage; et que, de ma part, je me resjouyssois non guyères moins de l'accidant que de la guérison, car c'estoit une espèce de maladie qui monstroit que la jeunesse n'estoit encore passée, ny preste à passer de longtemps, et qu'elle n'avoit jamais esté en meilleure disposition d'estre maryée, ny de devenir bientost grosse, si elle avoit ung mary, que maintenant; et que pourtant elle ne voulût plus retarder à elle mesmes le grand bien et contantement qui luy viendroit de la résolution du propos de Monseigneur le Duc. Elle, en soubsriant, m'a dict qu'elle ne s'attendoit pas que je luy deusse parler à ceste heure d'ung tel faict, mais plustost des couches de la Royne Très Chrestienne, car desjà les nouvelles estoient à Londres qu'elle avoit heu ung beau filz, et elle prioit Dieu qu'il fût ainsy; mais, de tant qu'elle s'assuroit bien que la certitude n'en pouvoit estre encores arrivée après le dernier courrier qui en estoit venu, lequel n'en parloit poinct, elle me vouloit demander de vostre bon portement et santé, et qu'est ce que, par voz dernières dépesches, j'avois apprins de l'estat des choses de France. Je luy ay racompté aulcunes petites particullaritez, et icelles faictes quadrer à ung fort apparant repos, qui de toutz costés semble s'establir bien et bientost en vostre royaulme; et puis, suis venu à luy dire qu'ayant Mr de Walsingam monstré, au commancement de ce moys, qu'il desiroit avoir audience, et que néantmoins, à cause d'une sienne indisposition, il n'y pouvoit venir, Vostre Majesté avoit depputé Mr Brullard, vostre secrettère des commandementz, et Mr de Mauvissière pour aller parler à luy; ausquelz il avoit faict entendre en mesmes motz la mesmes responce qu'elle m'avoit faicte à Redinc, touchant l'occasion de la mort de l'Amiral et des siens, et touchant la continuation de l'amytié, et touchant l'entrevue. Sur lesquelz troys poinctz Vostre Majesté me commandoit de luy dire de nouveau ce que fort expressément je luy ay récité, de toutz les poinctz de vostre dicte lettre, en la forme qu'ilz y sont contenus; qui n'est besoing de les répéter icy. Et ay curieusement observé comme elle les prendroit et qu'est ce qu'elle m'y respondroit. Sur quoy, quand au premier, elle m'a uzé des termes qui s'ensuyvent:--«Que la mort de l'Amiral et des siens luy touchoit si peu qu'elle n'y considéroit que le seul intérest qui en pouvoit tomber sur voz affères et sur vostre réputation; bien est vray qu'elle creignoit que provoquissiez l'yre de Dieu, en luy faysant voyr dans le cueur, et par voz œuvres, et en vostre forme de régner, que vous voulez que l'ommicide en vostre royaulme ne soit point réputé péché, comme si vouliez corriger et vous oposer au décalogue de ses commandementz, et en oster les meurtres, ne recognoissant que aulx mesmes princes il n'est licite de tuer ny faire tuer, sinon en deux cas seulement: l'ung, de guerre légitime; et l'aultre, pour l'exécution de justice à punir les crimes, et que nulz aultres, sinon les seulz princes et magistratz souverains ont authorité de mort; et que tant plus vous différiez de faire publier le procès de l'Amiral, tant plus layssiez vous, pour ce regard, quelque chose de vostre estimation en suspens, et qu'elle retenoit bien ce qu'on luy en avoit escript de divers lieux; dont, si elle avoit aultant d'authorité sur vous, comme elle avoit de bonne affection vers vous, elle vous feroit une réprimande pour vous apprandre de ne vous porter, une aultre foys, tant de préjudice, comme vous aviez fait ceste cy.» Je luy ay réplicqué plusieurs choses, et l'ay suplié de les vouloir bien examiner par la règle de ce qu'elle mesmes feroit contre ceulx de ses subjectz qui, au bout d'une si horrible guerre, comme ceulx cy ont mené en vostre royaulme, l'espace de douze ans, se prépareroient de rechef contre la mesmes personne et la vye d'elle, et la subversion de son estat. Elle m'a respondu que, quand à ceulx de Paris, elle me vouloit le tout excuser; mais, quand à ce qui s'estoit depuis ensuivy à Roan et aultres lieux, elle n'y voyoit aulcun lieu d'excuse, mesmes qu'on luy avoit dict que vous aviez envoyé de voz gens de guerre pour faire l'exécution, mais que ceulx de la ville, en estantz advertis, avoient fermé les portes pour y mettre eulx mesmes la mein, affin que le butin ne leur eschapât; que, pour le regard d'observer bien l'amityé, elle n'avoit chose au monde en plus grande affection que de se porter droictement pour très constante amye et perpétuelle confédérée à Vostre Majesté, si, de vostre costé, Sire, vous vous vouliez monstrer vers elle prince non indigne d'avoir des perdurables amys, et très fermes confédérez; et qu'elle avoit des advertissementz, de beaucoup de grandz lieux, qui l'admonestoient de se réputer comme desjà toute habandonnée, et qu'il estoit temps qu'elle pourveût en dilligence à ses affères: ce qu'elle feroit, mais non en façon que pour cella elle voulût uzer d'aulcune séparation d'amityé d'avec Vostre Majesté; et que, s'il en advenoit quelqune, elle indubitablement proviendroit de vostre part, et non jamais de la sienne; que, pour le regard de l'entrevue, elle commançoit à doubter assez si Voz Majestez avoient jamais bien desiré le mariage, et qu'aulmoins voyoit elle que vous n'aviez pas suyvy le chemin de bientost l'effectuer, et qu'elle ne pouvoit comprendre par les lettres de son ambassadeur sur quoy Voz Majestez se rétractoient de l'offre de la dicte entrevue, qui en vouliez maintenant rejecter la faute sur vostre ambassadeur; car sçavoit que je ne m'estois pas plus advancé en cella que du contenu de mes lettres, ayant veu l'article qui en parloit, et elle n'en avoit point escript aultrement à son ambassadeur; mais qu'elle jugoit bien que c'estoit pour les accidans survenus, lesquelz rendroient toutes choses, de toutes partz, fort suspectes, comme elle, à la vérité, confessoit que le temps estoit très maulvais et très dangereulx. Je luy ay réplicqué que, quand au premier poinct, elle debvoit demeurer très fermement persuadée que, si vous n'eussiez esté meu, non seulement de juste mais très nécessayre occasion de laysser faire l'exécution de Paris, que nul, soubz le ciel, s'y fût plus fermement oposé que vous, pour le regret que vous aviez de perdre l'Amiral et les siens, et pour la traverse que cella portoit à quelques aultres voz entreprinses; mais que ce qui avoit despuis succédé à Roan et ailleurs, en l'endroict d'autres que des seulz conspirateurs, il estoit trop cler que tout cella estoit advenu contre vostre intention, ny jamais vous n'aviez envoyé à Roan ung seul de voz gens de guerre, ainsy que la punition, que vous feriez fère, monstreroit à elle et à tout le monde combien cest excès vous avoit dépleu; au regard de vostre amityé, qu'elle ne debvoit nullement doubter que vous ne la luy rendissiez perdurable à jamais, et que ne luy accomplissiez les promesses que luy aviez faictes et jurées par le traicté, et beaucoup davantage, quand son besoing le requerroit, jusques y emploïer tout le moyen et meilleures forces de vostre couronne; et que, de ce poinct et de celluy de Monseigneur le Duc, Voz Majestez me commandiez de l'assurer que vous en desiriez l'effect plus que jamais; et Mon dict Seigneur le Duc mesme m'en faysoit une bien expresse lettre, et que la Royne demeuroit tousjours très résolue de venir à Bouloigne, toutes les foys que la dicte Dame se voudroit approcher à Douvre, pour de là convenir ensemble du jour et lieu de leur entrevue; et qu'à la vérité je pouvois avoir ung peu trop emplyé ce qui m'en avoit esté escript, d'avoir offert qu'elle pourroit accorder de venir en quelque lieu en terre là où seroit advisé; car, à la vérité, ce mot _en terre_, n'estoit dans l'article. Il est vray que, quand je le luy avois monstré, elle et moy avions estimé qu'il se pouvoit interpréter ainsy, et que néantmoins je la supliois que, sellon qu'elle avoit tousjours procédé clèrement et sincèrement en ce propos, ainsy qu'il convenoit entre princes bien unis, et qui cherchoient l'alliance plus estroicte l'ung de l'aultre, qu'elle me voulût dire en quoy elle persévéroit vers le dict propos, et vers l'article où nous en estions demeurés de l'entrevue, et je mettrois peine d'y incliner l'intention de Voz Majestez, aultant qu'il me seroit possible de le fère. Elle m'a soudein respondu que, sans ce qu'elle avoit desiré d'entendre de voz nouvelles, et satisfère à l'affection que j'avois de la voyr, après sa petite vérolle, qu'elle ne m'eût donné ceste foys audience, se doubtant bien que je ne faudrois de luy parler de ces deux poinctz, et elle ne m'y vouloit ny pouvoit encores respondre jusques à ce qu'elle heût heu une responce qu'elle attandoit d'heure en heure, de son ambassadeur, et l'avoit tousjours attandue depuis Redinc; mais, à cause qu'il estoit malade, il ne la luy avoit encores peu mander; et que, touchant le dict ambassadeur, pour beaucoup de respectz, tant de sa maladie que de l'instance que sa femme faysoit icy, et aussy pour la particullière hayne que la Royne d'Escoce et ses parans luy portoient, elle estoit contraincte de le retirer; et heût bien desiré qu'ung secrettère heût peu satisfaire, pour ung moys ou six sepmaynes, à sa charge; mais, puisque Vostre Majesté ne le trouvoit bon, elle en feroit préparer ung aultre. J'ay bien donné à cognoistre à la dicte Dame que ses responces, en ce qu'elle y mesloit ung peu de deffiance, et y uzoit de remises, ne pouvoient bien convenir à ce que je desirois pour vostre satisfaction. Néantmoins, voyant que je ne pouvois rapporter, pour ce coup, sinon celle déclaration de sa ferme persévérance en vostre amityé, et aulcunes parolles bien fort honnorables de Monseigneur le Duc, je me suis déporté de tout le reste; mais, pour la fin, je luy ay présenté la lettre que Vostre Majesté luy escripvoit touchant Mr le vidame de Chartres, laquelle elle a lue. Et m'a respondu que le dict vidame, puisque ne trouviez bon qu'il fût icy, pourroit aller où bon lui sembleroit; mais qu'elle estimoit qu'il ne seroit point conseillé de s'en retourner en France, jusques à ce qu'il veît y pouvoir bien jouyr la seureté et sauvegarde que Vostre Majesté luy promectoit, et qu'elle heût bien pensé qu'en ce temps vous ne luy heussiez voulu refuser une si petite chose que la demeure d'ung de voz subjectz en Angleterre; car pouviez croire qu'il n'y seroit soufert, s'il y praticquoit quelque chose contre vostre intention, et que le dict vidame avoit esté et estoit tenu pour si suspect de ceulx de sa religion qu'elle mesmes estoit advertye de ne s'y fier. Je me suis rencontré, mècredy dernier, avec les principaulx seigneurs du conseil d'Angleterre, au festin du maire, où ilz m'ont toutz, d'une voix, recommandé deux affères, l'ung du Sr Benedicto Spinola, touchant des laynes acheptées par authorité publicque en ce royaulme et envoyées débiter à Roan, sur lesquelles quelque espagnol luy meut débat, et qu'à ceste heure se recognoistra si Vostre Majesté veut prendre la cause du duc d'Alve contre la Royne, leur Mestresse, ou bien vous monstrer vray amy et confédéré d'elle; et l'autre faict est d'ung pouvre marchand angloys qui a esté fort maltraicté à Roan, à ce qu'il vous plaise luy faire administrer justice contre ceulx qui l'ont otragé et qui luy ont pillé ses biens. Et sur ce, etc. Ce IIe jour de novembre 1572. A LA ROYNE. Madame, suivant vostre lettre, du VIIe du passé, j'ay continué à la Royne d'Angleterre le propos du mariage et celluy de l'entrevue, en la façon que Vostre Majesté verra par le récit que j'en fays à la lettre du Roy, qui n'a esté sans qu'elle ayt montré d'estre encores bien disposée vers ces deux poinctz, et de vouloir fort cognoistre s'il y a, de vostre costé, semblable disposition; car, de toutz les endroitz qu'elle reçoit ou conseil ou advertissement, qui ne vient le plus communément que des Protestans, elle est fort admonestée de prendre bien garde de ne se laysser tromper, et qu'elle doibt croire, puisqu'elle est en mesmes cause que les Huguenotz de France, qu'il y a une mesmes dellibération contre elle, et que la bulle luy doibt estre ung signe pour l'advertir de ne se fier ny à traicté, ny à confédération, ny à promesses, ny à mariage, ny à bonnes chères, ny à propos d'amityé: car tout cella a précédé avec ceulx de la nouvelle religion, qui pourtant n'en ont esté garantis; de sorte qu'elle m'a dict qu'on luy avoit fait sortir en proverbe d'éviter les _nopces gallicques_ comme chose bien dangereuse. Je luy ay représanté tant de signes et tesmoignages de la vraye intention du Roy et vostre vers elle, et encores de l'affection que Monseigneur le Duc luy porte, (et luy en ay faict voyr quelques articles dans aulcunes de voz lettres), qu'enfin elle m'a faict cognoistre qu'il n'y a que celle grande extrémité qui se poursuit encores en divers lieux de France, et de laquelle se conjecture une déterminée résolution en voz cueurs de vous estre obligés au Pape et à l'Empereur, et au Roy d'Espagne, d'exterminer les Protestans, qui la mect en peyne et la faict tenir en suspens: et puis m'a curieusement demandé d'où procédoit la difficulté que Vostre Majesté faysoit maintenant à l'entrevue. A quoy je luy ay respondu que je voyois bien que c'estoit à moy de me purger de péché d'autruy, et que je luy voulois dire tout librement qu'il me sembloit que la faute procédoit de deux grandes Roynes; et que, de tant que j'estoys subject et serviteur de l'une, et très affectionné à la grandeur de l'aultre, il falloit que je le portasse paciemment, et qu'à la vérité Vostre Majesté, ne pensant que ce qui estoit advenu à Paris deût estre sinon aprouvé de toutz ceulx à qui vous en fesiez entendre la nécessayre occasion, et l'ayant mandée à elle, vous aviez tousjours continué d'ung mesme trein, comme auparavant, la poursuiyte du dict mariage, et aviez libérallement accordé à son ambassadeur qu'il luy peût escripre bien avant de l'entrevue, et à moy de la luy offrir, et que vous viendriez jusques en l'isle de Gerzé, ce qui m'avoit faict advancer, voyant les incommodités qu'elle alléguoit du dict Gerzé, et pareillement de faire l'entrevue sur mer, de luy dire que Vostre Majesté pourroit, possible, accorder de venir en quelque lieu en terre, avec compagnie modérée, et avec les seuretez à ce requises; mais que elle, de son costé, avoit monstré d'estre si offancée de cest évènement de Paris, et mesmes d'en prendre quelque deffiance de Vostre Majesté, jusques à vous en faire toucher quelque mot bien exprès par son dict ambassadeur; et entendiez, au reste, tant de rapportz de ce qui s'en disoit en ce royaulme, que nul de voz meilleurs serviteurs, ny de ceulx qui aymoient la conservation de Vostre Majesté, vous ozoient conseiller d'azarder vostre personne à passer deçà, jusques à ce qu'eussiez plus grande certitude de l'intention de la dicte Dame. Sur quoy elle m'a faict plusieurs honnestes excuses de n'avoir ny pensé ny parlé que bien honnorablement du Roy, vostre filz, et de Vous, sur tout ce qui estoit advenu, et qu'elle avoit bien dict ung peu librement quelques choses à moy et non à aultre, qui procédoient de la bonne intention et plus estroicte amityé qui est contractée entre vous; et que mesmes elle avoit faict cognoistre à toutz les siens combien luy déplaysoit qu'on en parlât licencieusement, dont je n'en oyois plus nul propos; et, quand à l'entrevue, qu'elle pensoit bien avoir aultant comprins par l'article qu'elle en avoit veu dans mes lettres, et en celles de son ambassadeur, de la volonté qu'aviez de venir à Douvre, encor que le lieu n'y fût nommé, comme elle en avoit depuis mandé à son ambassadeur; mais que de cella, ny du principal propos du mariage, elle ne m'y respondroit rien plus, pour ceste heure, jusques après la procheyne dépesche de son dict ambassadeur; seulement me prioit de remercyer infinyement Monseigneur le Duc vostre filz, de la bonne souvenance qu'il monstroit avoyr d'elle, par les honnestes propos qu'il m'en escripvoit, (lesquelz, à dire vray, Madame, elle les a fort curieusement leus), et qu'elle ne valoit pas tant qu'il la deût tenir en tel compte, dont ne seroit jamais qu'elle ne s'en sentît obligée à luy, et qu'elle ne luy en recognût, en tout ce qu'elle pourroit, l'obligation. J'ay depuis parlé au comte de Lestre et à milord de Burgley, et encores au chancellier, desquelz, parce que le langage se rapporte à celluy que la dicte Dame m'a tenu, je ne l'exprime poinct davantage. Et vous diray seulement que toutes choses, à la vérité, monstrent d'estre assez changées, mais non encores tant du tout comme, il ne y a pas ung moys, que je les creignois. Sur ce, etc. Ce IIe jour de novembre 1572. CCLXXXIIIe DÉPESCHE --du IIIIe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Dominique Vestin_). Accouchement de la reine de France.--Naissance d'une fille.--Proposition, faite à Élisabeth d'être sa marraine.--Acceptation d'Élisabeth. AU ROY. Sire, ce courrier a esté ung peu retardé en venant icy, à cause du passaige, et, aussytost que j'ay heu la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, du XXVIIe du passé, après avoir loué et remercyé Dieu des heureuses couches de la Royne et du commancement de lignée, qu'il luy a pleu vous donner à toutz deux, de ceste belle petite princesse[8], qui vous est née, je me suis mis après à m'enquérir si la Royne d'Angleterre vouldroit bien accepter d'en estre la marraine. Et, pour cest effect, j'ay envoyé le Sr de Vassal devers milord de Burgley pour me conjouyr avecques luy de la bonne nouvelle, et luy dire que, si je pensois que la Royne, sa Mestresse, ayant commencé ceste année de se faire vostre confédérée, desirât aussy de devenir vostre commère, que je suplierois Vostre Majesté de le luy offrir, et que je le priois de m'en mander son advis, car ne me voudrois advancer en cella, et mesmes voudrois bien garder que Vostre Majesté ne s'en advançât, si elle n'avoit fort à gré de l'accepter. [8] Cette princesse, née le 27 octobre 1572, est morte en 1578, âgée de cinq ans et demi. Sur quoy il a soubdein respondu qu'il n'ozeroit s'ingérer de me respondre rien là dessus, sans en avoir communicqué avec elle. Dont est allé soubdein parler à sa dicte Mestresse, et puis m'a mandé dire, par le mesmes gentilhomme, que j'avois sagement advisé en ung tel faict de vouloir bien pourvoir, à cause du temps et pour les évènementz naguières passez, qu'il ne fût proposé sinon au commun gré de Vostre Majesté et de sa dicte Mestresse, affin de ne convertir entre vous un acte d'amityé en offance; et qu'il m'assuroit qu'elle acceptera de bon cueur d'estre la marraine, si luy faictes l'honneur de l'en prier, non toutesfoys pour envoyer par dellà ny le comte de Lestre, ny luy, parce qu'elle les réserve toutz deux pour sa perpétuelle conserve, contre les dangers et inconvénientz qui semblent se présenter de beaucoup d'endroictz, mais ce ne sera sans y députer quelque personnage d'honneur et des plus grandz de ce royaulme. De quoy, Sire, je vous ay bien incontinent voulu advertir affin que accomplissiez en cella vostre bonne intention. Et sur ce, etc. Ce IVe jour de novembre 1572. CCLXXXIVe DÉPESCHE --du IXe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Intrigues des Espagnols pour détruire l'alliance de la France avec l'Angleterre.--Confiance que commencent à prendre les Anglais dans les assurances du roi.--Départ de la flotte pour Bordeaux.--Nouvelles de la Rochelle où l'on a repris les armes.--Retraite du prince d'Orange des Pays-Bas.--Nouvelles d'Écosse; certitude de la mort du comte de Mar.--Rappel de Walsingham.--Demande par l'ambassadeur de son rappel. AU ROY. Sire, les honnestes propoz et les bonnes démonstrations, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, avez uzé en l'endroict de l'ambassadeur d'Angleterre, sur la persévérance de vostre amityé vers la Royne, sa Mestresse, et la confirmation que m'en avez faict donner icy à elle, retiennent encores les choses en ce royaulme si balancées pour vous, que ce qui est advenu contre ceulx de la nouvelle religion, ny les praticques d'Espagne, ne les peulvent encores du tout emporter, non qu'il y ayt faulte d'offres ny de condicions de la part du duc d'Alve, fort advantageuses pour ceulx cy, jusques à offrir de faire tout ce qu'ilz voudront, et de remettre icy ung ambassadeur, encor que la dicte Dame n'en envoye poinct en Espaigne; et Guaras praticque cella avec de si bons présens qu'on m'a assuré qu'il en a faict ung de plus de dix mil escuz à ung personnage seul, qui a quelque authorité en ce royaulme; et il a bien tant faict que les seigneurs de ce conseil ont vacqué plusieurs jours à chercher les moïens comme se raconcillier avec le Roy d'Espaigne, dont le dict Guaras a esté souvant en court, mais, pour ceste foys, il n'a obtenu sinon une segonde provision pour le faict de Fleximgues et pour quelques ourques d'Espaigne, qui naguière ont esté combatues et prinses en mer par ung navyre de guerre angloys qui revenoit de cours. Bien est vray qu'il a rapporté de bonnes parolles et promesses sur toutes ses aultres propositions; et est certein que ceste princesse et les siens avoient desjà prins une si ferme résolution de délaysser toutes aultres intelligences pour fère estat de la vostre seule, et commettre à icelle le repos et la seureté de ce royaulme, qu'ilz ne s'en peulvent si tost départir, et vont discourant et argumentant sur ce qui est naguières advenu; et observent dilligemment ce qui s'y voyt de suyte, affin que, s'ilz peuvent juger par voz déportementz que vostre amityé ne leur soit, à cause de leur religion, du tout suspecte, ilz persévèrent en ce qui est desjà conclu entre Voz Majestez et entre voz deux royaulmes; dont j'entendz qu'ayantz aulcuns des françoys, qui sont icy, voulu taster leur intention, ilz ont trouvé que la dicte Dame et ceulx de son conseil ne sont, pour encores, guyères eschaufés sur les partys et ouvertures qui se pourroient faire de reprandre les armes en France. Je ne sçay si cella leur durera, et croy bien qu'ilz voudront suyvre l'example de ce qu'ilz verront faire aulx princes protestans d'Allemaigne, et que, si la Rochelle se meintient opinyastre, qu'ilz la voudront favoriser soubz mein, ainsy qu'aux troubles passez. Et suys adverty, de bon lieu, que les dicts princes ont mandé à la dicte Dame qu'elle ne mecte plus en doubte qu'il n'y ayt dellibération faicte et jurée contre elle et contre eulx toutz pour abolir leur dicte religion; et que pourtant elle vueille retenir toute sa navigation dans ses portz affin de l'avoyr preste au besoing, ce qui a de rechef cuydé interrompre le voyage de Bourdeaux pour les vins; mais enfin toute la flotte y est allée. J'ay heu, à la vérité, beaucoup de doubtes, ces jours passez, entendant qu'on avoit tiré quarante huict chariotz d'armes, de pouldres, et aultres mounitions de guerre, de la Tour de Londres, que ce fût pour en envoyer à la Rochelle, mais j'ay sceu que le tout est allé aux fortz de Portsemmue, et l'isle d'Ouyc, et de Douvre. Il est vray que quelques françoys acheptent bien des armes en ceste ville, mais non encores en si grande quantité qu'il en faille fère cas. Il semble que ceulx de la Rochelle ont mis de leurs habitans dehors, car, puis cinq ou six jours, il en est arrivé icy quelques mesnages qui raportent que le Sr Strossy est allé sommer la ville, et qu'elle ne luy a respondu sinon à coups de canon, dont huict des siens ont esté tués; ce qui semble que ceulx cy ne réprouvent guyères, et mesmes disent qu'ilz sçavent que aulcuns catholicques françoys ont dict qu'ilz seroient très mal advisez de se randre, car aussy bien les tueroit on. J'entendz que ceste princesse et les siens avoient espéré, ceste année, ung grand effect de l'entreprinse du prince d'Orange ez Pays Bas, et qu'ilz y faysoient estat d'en emporter la Zélande; dont, sur ceste persuasion, laquelle estoit conduicte par ung allemant avec l'assistance d'ung seigneur de ce conseil, elle avoit mandé fournir soixante six mil escus au dict prince en Embourg; et avoit layssé couler envyron quatre mille angloys à Fleximgues, soubz la charge du Sr Homfray Gillebert; et promiz de mettre ses navyres en mer pour empêcher le secours d'Espaigne; mais, voyant que le dict prince se retire comme déconfit, et que les Angloys n'ont esté bien traictez au dict Fleximgues, elle se rétracte de sa libéralité, et retire ses gens, et faict cesser une partie de l'appareil de ses navyres. Il est vray qu'il y a encores icy un solliciteur du dict prince, et quelque ambassadeur du comte Palatin. Je ne sçay enfin qu'est ce qu'ilz obtiendront. Il semble qu'on ne soit guyères marry en ceste court que la nouvelle qu'on y avoit publiée de la victoyre de Dom Jehan d'Austria en Levant soyt réuscye vayne; mais il y a aultres deux nouvelles qui les fâchent assez: l'une, du décès de l'Empereur, si elle est vraye; et l'aultre, de celluy du prétandu régent d'Escoce[9]. Et creins bien, si le dict prétandu régent est mort de poyson, ainsy qu'on l'a dict, ou bien de quelque aultre violence, qu'on n'en traicte plus mal la pauvre Royne d'Escoce. Je viens d'estre adverty que ceste princesse a accordé son congé au Sr de Walsingam, et que le sire Jehan Caro s'apreste pour luy aller succéder, dedans ung moys ou six sepmaynes. Je m'enquerray dilligemment du dict Sr Caro; et vous suplie très humblement, Sire, me vouloir de mesmes retirer; car, oultre que j'ay doublé icy le temps, encores ne doibt vouloir Vostre Majesté laysser l'advantage à la Royne d'Angleterre qu'elle ayt plus de soing de son ambassadeur que vous du vostre, ny que le Sr de Walsingam soit en meilleur concept vers elle, que moy vers Vostre Majesté. Sur ce, etc. [9] La nouvelle du décès de l'empereur Maximilien II était fausse.--Le comte de Mar était mort le 29 octobre 1572 à Stirling, après une indisposition subite survenue à la suite d'une visite qu'il avait faite au comte de Morton à Dalkeith. La nouvelle de sa mort, déjà donnée dans la lettre du 18 septembre, se rapportait probablement à l'accident de Dalkeith. Ce IXe jour de novembre 1572. CCLXXXVe DÉPESCHE --du XVe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Lettre du roi d'Espagne à la reine d'Angleterre.--Négociation des Espagnols.--Sollicitations des protestans de France pour obtenir des secours afin de reprendre les armes.--Nouvelles d'Écosse. AU ROY. Sire, j'attandz les procheines lettres de Vostre Majesté pour aller trouver la Royne d'Angleterre, laquelle, dans ung jour ou deux, s'en vient à Hamptoncourt, et se porte fort bien, ne s'estant, longtemps y a, trouvée plus sayne qu'elle faict à présent, depuis qu'elle est guérye de ceste dernière maladye qu'elle a heu de la petite vérolle; et si, se trouve fort contante que le Roy d'Espaigne luy a escript une lettre fort pleyne d'affection et d'offres, et d'une quasy soubmission, qui semble ne convenir guières ny à la grandeur d'un tel prince, ny à la recordation des injures qu'il a reçues. Tant y a qu'en la dicte lettre, après beaucoup de belles et bonnes parolles, il inciste au renouvellement des anciens traictés et de l'ancienne confédération d'entre ceste couronne et la mayson de Bourgoigne, et qu'il est prest de la confirmer et la jurer de nouveau; et, quand aulx différendz passez, qu'il en veult demeurer à ce que la dicte Dame et ceulx de son conseil en ont desjà advisé, sans s'arrester aux difficultez que son ambassadeur ou ses ministres y peulvent avoir faictes. Et est venue la dicte lettre accompagnée d'une aultre du duc d'Alve, et d'aulcuns si bons présens, que l'affère a commancé de s'estreindre en bien peu d'heures, et cella fort secrettement; mais non tant que je n'en aye heu assez tost le vent. Dont ceulx, à qui j'en ay parlé, m'ont respondu que Vous, Sire, en faysant la deffance à voz subjectz de n'aller poinct en Flandres, et chastiant ceulx qui revenoient de Montz, avez monstré à la Royne d'Angleterre comme elle debvoit uzer en cest endroict, et luy aviez faict retirer ses subjectz de Fleximgues, et luy aviez apprins de ne refuzer l'amityé du Roy d'Espaigne; et que, puisqu'ainsy vous plaist, vous verrez bientost les choses de toutes partz céder à l'intention du duc d'Alve. Je n'ay deffailly de réplicque, mais je tiens pour assuré que le commerce sera bientost restably entre l'Angleterre et les Pays Bas du Roy d'Espagne, si quelque accidant nouveau ne survient. Il est vray que je ne sentz poinct pour cella qu'on se vueille retirer de la ligue et du bon traicté qui a esté dernièrement conclud avec Vostre Majesté, mais bien, qu'on regardera de fort près comme, de jour en jour, s'en pouvoir mieulx establir avecques vous pour la seureté de ce royaulme. Et mesmes j'entendz que la dicte Dame et ceulx de son conseil n'ont encores rien respondu à ce qui leur a esté proposé, de vouloir faire une déclaration en faveur des françoys qui se sont retirés icy pour leur religion, pour y estre soufertz avec gracieulx entretien, et de vouloir aussy donner quelque secours à ceulx qui dellibèrent s'oposer aux violences qu'ilz disent qu'on leur faict en France. Et semble que celluy qui sollicite ce faict a parlé comme envoyé par les Vicomtes, au nom des gentilshommes et aultres de la nouvelle religion, qui sont par dellà; et bien qu'il n'ayt encores rien impétré, si creins je assez que ceulx cy, par occasion, seront conduictz à faire quelque faveur, soubz mein, à ceulx de la Rochelle par le moyen du comte de Montgommery, qui pratiquera avec le visadmiral d'Ouest, son beau frère, d'estre accommodé de quelque vaysseau pour s'y retirer, et pour y conduire ce qui se trouvera à ceste heure de françoys icy revenantz de Fleximgues, lesquelz peuvent estre deux centz en nombre; oultre que, depuis deux jours, sont arrivez envyron quinze gentilshommes ou soldatz, les ungs normantz, les aultres de Poictou, et les aultres de Guyenne, entre aultres le jeune Pardaillan, et avec eulx ung marchand de la Rochelle, nommé David, qui disent qu'ilz sont fouys pour n'aller poinct à la messe, et font une grande rumeur de la persécution qu'ilz disent qui continue par dellà. Le Sr de Gasceville, qui est icy pour le prince d'Orange, a essayé de praticquer les dicts françoys pour les ramener en Olande, mais ilz n'y vuellent entendre à cause qu'ilz y ont esté fort maltraictez; dont vous suplie, Sire, me commander comme j'auray à parler à ceste princesse et aulx siens du dict faict de la Rochelle, et de ceulx qui y voudroient aller, et pareillement comme uzer envers ceulx de voz subjectz qui se voudroient retirer en leurs maysons; car l'on m'a assuré, Sire, que, en divers endroictz de ce royaulme, il y en a bien à présent de quatre à cinq mille, que hommes, que femmes, ou petitz enfans. Je n'ay, du costé d'Escoce, aultres nouvelles que la confirmation de la mort du comte de Mar, laquelle aulcuns souspeçonnent estre du poyson, mais je crois que non; et se dict que ceulx, qui recognoissoient le dict de Mar pour régent, se sont assemblés affin d'en créer ung aultre et pourvoir à la seureté du jeune Prince. Cest accydant semble bien requérir, Sire, que Vostre Majesté dépesche quelqu'ung par dellà; mais je ne m'attans pas que nous puissions obtenir le congé de son passeport par icy. J'estime que le Sr de Quillegreu ne s'oposera trop à ce que le duc de Chastellerault soit faict régent; car l'on m'a adverty qu'il avoit charge de le praticquer pourveu qu'il voulût suyvre le party d'Angleterre; car l'on voit bien que à luy appartient le droict de ceste couronne, après la Royne d'Escoce et son filz. Sur ce, etc. Ce XVe jour de novembre 1572. CCLXXXVIe DÉPESCHE --du XXIIIe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Communication officielle de la naissance de la fille du roi.--Assurance de continuation d'amitié.--Arrêts rendus en France contre l'Amiral, Briquemaut et Cavagnes.--Exécution de Briquemaut et de Cavagnes.--Légation du cardinal Orsini.--Affaires de la Rochelle.--Délibération du conseil d'Angleterre.--Vives réclamations des Anglais au sujet des entreprises faites contre eux en Bretagne.--Affaires d'Écosse; convocation d'une assemblée à Lislebourg.--Nouvelles des Pays-Bas et d'Irlande. AU ROY. Sire, ayant, le XVe de ce moys, receu la dépesche que mon secrettère m'a apportée, j'ay envoyé, le XVIe, demander audience, et la Royne d'Angleterre me l'a octroyée pour le lendemein, XVIIe, qui a esté le propre jour du quatorziesme an complet de son advènement à ceste couronne, duquel se faict ordinayrement quelque commémoration en ceste court. Et, après qu'elle a heu bien curieusement lue vostre lettre et celle de la Royne, vostre mère, et encores celle de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, lesquelles je luy ay présentées, elle a monstré d'estre en quelque suspens qu'est ce que j'avoys à luy dire. Dont je luy ay assez tost explicqué ma créance, ainsy qu'elle m'estoit fort bien et fort amplement prescripte par la lettre de Vostre Majesté, du IIIe du présent, et la luy ay restraincte en cinq poinctz: dont l'ung a esté de la conjouyssance des couches de la Royne, et l'heureuse naissance de la petite princesse vostre fille, qu'il a pleu à Dieu vous donner; le segond, de la persévérance de vostre amityé vers la dicte Dame et du plésir qu'avez prins que, depuis l'accidant de Paris, elle vous ayt tousjours faict confirmer et renouveller la promesse de la sienne, dont estiez attandant, et pareillement la Royne, vostre mère, en bien grande dévotion, qu'est ce qu'elle vous fera entendre meintenant sur le propos de Monseigneur le Duc, vostre frère, et quel accomplissement elle fera donner aux deux articles du commerce et de la paix d'Escoce, qui restent à estre effectués par le traicté; le troysiesme poinct a esté des arrestz et jugementz donnez contre le feu Admiral, et contre Briquemault et Cavaignes, par la court de parlement de Paris, avec le récit de ce qui a esté vériffié contre eulx et leurs [complices] de la conspiration; le quatriesme, de la légation du cardinal Ursin; et le cinquiesme, du faict de la Rochelle, et pourquoy l'armée du Sr Strossy a esté de rechef rassemblée et remise sus. Sur lesquelz poinctz, voyant la dicte Dame que vous luy gardiez en tout ung fort grand respect et monstriez de tenir grand compte de son amityé, elle n'a pas dissimulé qu'elle en sentoit ung singullier contantement, mais, comme princesse agitée de diverses impressions, m'a respondu: quand au premier, que Vous mesmes, Sire, ne vous estiez pas souhayté ung plus grand contantement des couches de la Royne qu'elle a desiré que vous l'eussiez très parfaictement accomply par l'heureuse nayssance d'ung Daulfin, et que néantmoins la petite princesse soit la bien venue au monde, et qu'elle prioit Dieu de l'y faire aultant heureuse comme elle y est de très grande extraction, et comme elle s'assure qu'elle y sera belle et vertueuse, n'ayant regret sinon que vous ayez voulu profaner le jour de sa nayssence par ung si facheus espectacle qu'allastes voyr en grève: ce que n'entendant point qu'est ce qu'elle vouloit dire, elle me l'a explicqué[10]. Et je luy ay respondu que c'estoit ce qui rendoit ce jour là, s'il avoit esté quelquefoys néfaste, de toutes parts bien heureulx; et que vous n'aviez pas assisté à cest acte, si, d'avanture, vous y aviez esté, sans exemple d'aultres grandz roys. [10] Par arrêt du parlement de Paris, en date du 27 octobre 1572, Briquemaut et Cavagnes, qui avaient été arrêtés, à la suite de la Saint-Barthélemy, furent déclarés coupables comme complices de l'amiral, et condamnés à être pendus, ce qui fut exécuté le soir même, aux flambeaux. On sait qu'un arrêt de condamnation fut également rendu contre la mémoire de l'amiral. Charles IX assista avec Catherine de Médicis à l'exécution de Briquemaut et de Cavagnes, qui eut lieu le jour même de la naissance de sa fille. Walsingham, dans sa correspondance, déclare qu'ils étaient accompagnés du roi de Navarre, de Madame, du prince de Condé, des ducs d'Anjou et d'Alençon. Mèzeray ne parle que de Charles IX et de Catherine de Médicis; De Thou ajoute qu'ils exigèrent que le roi de Navarre fût présent à l'exécution. Elle a suyvy que, quand à vostre persévérance vers elle, que c'estoit ce qu'elle avoit le plus cherché, et pensoit n'avoir jamais rien trouvé de plus assuré au monde; dont, de sa part, elle vous promectoit devant Dieu que vous n'auriez, ny verriez jamais procéder, chose aulcune d'elle pourquoy vous vous en deussiez départir, demeurant l'incertitude de sa plus grande déclaration touchant le propos de Monseigneur le Duc, sur ce qu'elle n'avoit encores receu la responce qu'elle a longuement attandue de son ambassadeur, et sur ce aussy que l'image des choses de France luy représante une très extrême horreur, qu'il semble que vous avez contre toutz ceulx de sa religion; ayant, quand aux deux poinctz du traicté, une bien bonne affection qu'il y puysse estre satisfaict, mais les Escoucoys lui donnoient occasion de ne se mesler plus de leur faict, et les marchandz ses subjectz trembloient encores si fort des choses de France qu'ilz refuzoient infinyement d'y transporter leur trafficq; quand à la condempnation de l'Amiral et des aultres, si le temps vous apprenoit que leur ruyne fût vostre seureté, que nul seroit plus ayse qu'elle qu'ilz fussent mortz, et, s'il advenoit que vous y ayez de juste regret, qu'elle y participera aultant que nul aultre de vostre alliance, car elle ne mettoit en considération ny leur mort, ny leur vye, que pour vostre intérest; qu'elle répute à une bien expécialle faveur la communiquation que luy avez voulu fère de la légation du cardinal Ursin, vous priant néantmoins de prendre de bonne part, si elle vous dict qu'elle sçait, aussy bien que luy mesmes, que, en apparance, sa dicte légation est bien fondée sur la ligue contre le Turc, mais qu'en effect il en vient procurer une aultre contre les Chrestiens, et allumer, s'il peut, ung grand feu par toutz les coings de l'Europe, en quoy si, en vostre présence, vous layssez passer quelque chose qui tende à la ruyne d'elle, Dieu est tesmoing que ce sera au dommage de vous mesmes, ou aulmoins de chose que vous debvez en ce temps réputer comme vostre bien; qu'elle ne se voit pas en termes pour debvoir trop creindre toutes ses praticques, non qu'elle ne se sante soubmise à la mein de Dieu, quand, pour l'honneur et gloyre sienne, il vouldra qu'elle périsse, à quoy elle aura moins de regret; mais elle expérimantoit assez que son indignation n'est contre elle, ains plustost contre ceulx qui la voudroient ruyner, et que sa bonté divine a si bien pourveu au faict d'elle et de son estat, qu'elle vous vouloit bien dire, Sire, qu'elle s'estimoit beaucoup plus loing du danger que ne sont ceulx qui la y voudroient mettre: ce qu'elle m'a fort prié de n'oublier vous escripre, et que son ambassadeur aura charge de vous en dire aultant; que, pour le regard de ceulx de la Rochelle, elle seroit marrye qu'ilz ne vous rendissent l'obéyssance qu'ilz vous doibvent, ny qu'ilz excitassent aulcun trouble en vostre royaulme, mais elle estimoit qu'ilz ne prétandoient de garder leur ville que pour vous et pour leurs vyes, en quoy elle ne leur pouvoit fère tort, si, voyant venir ceulx qui les vouloient tuer, ilz leur fermoient leurz portes; et que le comte de Montgommery ne l'avoit veue, ny n'avoit parlé à elle, pour avoir deu escripre aux dicts de la Rochelle qu'elle les secourroit, n'estant si hastive ny si légière que de rompre la ligue qu'elle venoit de faire avecques vous pour chose de peu d'importance; et que, si elle avoit ceste volonté, elle la vous nottiffieroit ouvertement, ainsy qu'elle vous avoit bien faict entendre son entreprinse du Hâvre de Grâce; et qu'elle me vouloit bien dire, en passant, qu'elle s'estoit lors saysie du dict Hâvre, à cause d'une mauvaise responce qu'on luy avoit faicte de Callays, et que, sans ce que la peste s'y mit, elle n'eut lâché ceste place, sans avoyr heu rayson de l'aultre. A toutes lesquelles siennes responces, fors en ce qu'elle m'a touché de Callays, que j'ay expressément obmis, je luy ay uzé des meilleures et plus convenables responces, pleynes de mercyement, là où il a esté besoing, et de toutes aultres bonnes remonstrances qu'il m'a esté possible. Et l'ay conduicte, de propos en propos, à plusieurs raysons pour la bien édiffier de Voz Majestez Très Chrestiennes et des vostres, et pour luy oster les impressions qu'on luy a peu donner au contraire, et pour la remettre aux bons termes qu'elle estoit, auparavant ces émotions de France; de sorte que, acquiessant à la pluspart, elle m'a prié, pour la fin, que je voulusse faire communicquation à ceulx de son conseil des mesmes choses que je luy avoys dictes à elle. Et, appellant là dessus milord trézorier et les comtes de Sussex et de Lestre, je me suis retiré à part avec eulx, qui ont avec attention fort volontiers ouy ma créance; et, après qu'ilz m'y ont heu faict quelques courtes responces et aulcunes légières contradictions, ilz m'ont prié de la leur vouloir bailler par escript, affin d'y pouvoir mieulx dellibérer et en conférer davantage avec leur Mestresse, pour, puis après, m'y faire avoyr responce là où il escherroit d'en bailler. Et, m'ayant toutz troys assuré de la persévérance de leur Mestresse en l'entretènement du traicté, ilz ont monstré qu'il leur restoit beaucoup de satisfaction de ce que je leur avoys dict, et de vostre ouverte démonstration vers leur Mestresse et vers ce royaulme; seulement ilz ont exclamé les injures, violences, meurtres et pilleries que le cappitaine de Belle Isle de Bretaigne, et son filz, et quelque aultre, qu'ilz ne m'ont peu nommer, font, à ce qu'ilz disent, sur les Angloys, et qu'ilz suplient Vostre Majesté d'accorder à leur Mestresse qu'elle puisse permectre à ses subjectz d'avoir la guerre au dict capitaine; car elle ne sçait comme aultrement leur satisfère, parce qu'on ne leur faict jamais justice en Bretaigne; ny ne peulvent, sans danger de mort, l'aller demander. Du costé d'Escoce, Sire, il s'entend que, le XVe de ce moys, se debvoit faire l'assemblée de la noblesse du pays à Lillebourg pour créer ung nouveau régent, et pour pourvoir à la seureté du petit Prince, mais l'on n'espère guières que la paix puisse réuscyr au bout des deux moys de l'abstinence. Fleximgues monstre de se vouloir opiniastrer, car l'on y faict une extrême dilligence de se bien fortiffier, et le capitaine Morguen, avec une compagnie d'angloys, y est enfin demeuré. Le prince d'Orange est encores en Olande, et ung sien agent est tousjours par deçà. L'on m'a adverty que le comte de Montgommery doibt bientost venir secrettement en cette ville. Je mettray peyne de l'observer. J'entendz que ceulx de la Rochelle, qui sont icy, ont esté en ceste court; et, à dire vray, Sire, la responce, que ceste princesse m'a faicte touchant l'opinyastreté des dicts de la Rochelle, ne me contante assez. Ceulx cy mandent pour toute provision en Irlande trente mille escus pour résister aulx saulvages. Sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de novembre 1572. CCLXXXVIIe DÉPESCHE --du XXIXe jour de novembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère._) Défiances inspirées aux Anglais par la légation du cardinal Orsini et par les armemens faits en France.--Résolution prise par Élisabeth de maintenir l'alliance avec le roi, et néanmoins de rechercher l'alliance d'Espagne, de s'unir aux princes protestans d'Allemagne, et de soutenir les mécontens de France.--Affaires d'Écosse.--Méfiances témoignées contre l'ambassadeur par les français réfugiés en Angleterre.--Assurance qu'il leur donne au nom du roi qu'ils peuvent en toute sûreté rentrer en France.--Arrivée de Mr de Mauvissière. AU ROY. Sire, après que j'eus parlé à la Royne d'Angleterre, le XVIIe de ce moys, et que j'eus baillé par escript à ceulx de son conseil ce que je luy avoys dict, ung des gens de Mr de Walsingam leur arriva, le jour d'après; de la dépesche duquel il semble que la jalousie et la deffiance ayt augmenté à la dicte Dame et à eulx, touchant la légation du cardinal Ursin, et touchant quelques levées de Suisses qu'on leur a mandé que Vostre Majesté faict desjà marcher, creignant que ce soit contre leur religion, et nomméement contre l'estat et repos de ce royaulme, en faveur de la Royne d'Escoce, dont se sont assemblés plusieurs foys pour dellibérer de leurz affères. Et j'entendz qu'après les avoyr bien débattus, ilz se sont résolus à quatre poinctz: l'ung, d'observer, de la part de leur Mestresse, le traicté que naguyères elle a faict avec Vostre Majesté, sans toutesfoys y mettre grand fiance; le segond, d'estreindre l'accord avec le Roy d'Espaigne; le troysiesme, de faire une prompte et bien ample dépesche en Allemaigne; et le quatriesme, de se prévaloir, si elle peut, de voz subjectz malcontantz, qui sont par deçà, au cas qu'elle et eux ne puissent voyr plus cler dedans voz entreprinses qu'ilz ne font. Dont, du premier, j'ay desjà assez souvent escript à Vostre Majesté ce que la dicte Dame et les siens m'en ont respondu, toutes les foys que je leur en ay parlé; et, quand aux aultres troys, j'ay fait un mémoire[11] à part de tout ce que, jusques à ceste heure, il m'en est venu en cognoissance; dont je n'auray à vous dire icy davantage, Sire, sinon que ceulx cy ne layssent cepandant d'encourager le prince d'Orange à la poursuyte de son entreprinse, et luy donner grande espérance qu'il sera assisté, bien qu'ilz se soyent accordés avecques luy de retirer ce qui restoit d'anglois à Fleximgues, qui achèveront d'arriver ceste sepmayne; et pressent, le plus qu'ilz peuvent, les choses d'Escosse pour les faire réuscyr à leur intention; en quoy, pour y surmonter les difficultez qui s'y trouvent, l'on m'a adverty qu'ilz dépêchent une bonne somme de deniers au Sr de Quillegreu, affin de faire tomber la régence et le gouvernement du Prince ez meins de ceulx qu'il recognoistra dévotz à l'Angleterre; et qu'il a charge de praticquer la dicte régence pour le comte d'Arguil, et la garde du Prince pour le comte de Morthon. En quoy est fort à creindre, si le dict d'Arguil prent le dict party, qu'il n'y mène le duc son oncle, et ses enfans, et que le comte de Honteley demeure seul, de toutz les grandz, pour le party de la Royne d'Escoce; et, si le susdict de Morthon a le Prince en ses meins, qu'il ne le livre aulx Angloys, aussy bien comme il leur a vendu le comte de Nortomberland. [11] Ce mémoire n'a pas été transcrit sur les registres de l'ambassadeur. Je sçay bien que, pour encores, les choses n'y vont du tout ainsy que ceulx cy voudroient, et n'y espèrent guyères la paix, au bout de l'abstinence; tant y a que leur argent y pourra faire beaucoup incliner les choses à leur desir, et y en employent de tant plus volontiers qu'ilz ont descouvert que l'entreprinse, que les saulvages d'Irlande ont cuydé exécuter sur Dublin, Corc et aultres places de la Palissade, a esté tramée par le comte de Honteley. Dont, en ce conseil, a esté dict que la Royne d'Escoce, de laquelle il se porte lieutenant au North, y avoit besoigné, et que, tant qu'elle vivra, ces troys royaulmes, d'Angleterre, d'Escoce et d'Irlande, ne seront jamais en paix, qui est ung trêt pour remettre ceste pouvre princesse en grand danger; de laquelle j'ay heu deux lettres du premier de ce moys, que milord trézorier m'a envoyées, le XXIIe, toutes ouvertes; et encores il a fallu que je les luy aye prestées pour en communiquer quelques poinctz à la Royne, sa Mestresse. J'avoys prié monsieur le Vidame de Chartres et le jeune Pardaillan, et le Sr Du Plessis, et quelques aultres françoys, de ceulx qui sont fuitifz, de venir prendre leur dîner en mon logis, affin de leur faire entendre l'intention de Vostre Majesté; mais, pour creinte qu'ilz ne donnassent quelque souspeçon d'eux aux Angloys, s'ilz y venoient, et pour quelque opinyon, qu'on a imprimé au dict vidame, que Vostre Majesté le vouloit faire tuer, fût par poyson ou aultrement, ilz se sont toutz excusez, ormis le jeune Pardaillan, lequel à grande difficulté a voulu manger une foys avecques moy; et par luy j'ay mandé à toutz les aultres que vostre desir est, Sire, qu'ilz se retirent en leurs maisons, et que vous leur promettés, sur vostre honneur, qu'il ne leur y sera faict ny mal, ny déplaysir; et si, pour prendre plus grande seureté de cella, ilz vouloient envoyer ung d'entre eulx vers Vostre Majesté, que je l'accompaignerois de mes lettres. Sur quoy, au bout de deux jours, ainsy que les dicts vidames et de Pardaillan alloient trouver ceste princesse à Hamptoncourt, ils me sont venus, en passant, tenir le propos que je metz à l'instruction de ce porteur[12], affin de tenir ceste lettre tant plus briefve. Et adjouxteray seulement à icelle que je sentz bien qu'on uze de toutz les artiffices et persuasions qu'on peut pour retirer, peu à peu, ceste princesse de l'opinyon qu'elle s'estoit imprimée de vouloir establir une privée amityé, et une fort estroicte intelligence avec Voz Majestez Très Chrestiennes et avec vostre couronne: dont je seray bien fort ayse qu'en la faysant vostre commère, vous la confirmiez en son premier bon propos; et croy que difficillement la pourra l'on du tout tirer à l'aultre party, tant je l'ay une fois vue très fermement résolue de suyvre du tout le vostre. Sur ce, etc. Ce XXIXe jour de novembre 1572. [12] Cette pièce n'a pas été transcrite sur les registres de l'ambassadeur. Ainsy que ce porteur montoit à cheval, Mr de Mauvissière est arrivé. Je n'ay layssé pour cella de le faire partir. CCLXXXVIIIe DÉPESCHE --du IIIIe jour de décembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience accordée à l'ambassadeur et à Mr de Mauvissière.--Demande officielle faite à Élisabeth de tenir la fille du roi sur les fonts de baptême.--Acceptation de la reine.--Embarras qu'elle témoigne pour envoyer, à cette occasion, un ambassadeur en France, de peur qu'il ne soit massacré.--Nouvelle proposition du mariage.--Difficulté opposée par la reine à la reprise de cette négociation.--Froide réception faite par les seigneurs du conseil à l'ambassadeur et à Mr de Mauvissière. AU ROY. Sire, le deuxiesme de ce moys, Mr de Mauvissière et moy sommes allez trouver la Royne d'Angleterre à Hamptoncourt, laquelle l'a beaucoup mieulx et plus favorablement receu que l'occasion des choses passées ne me le faysoit espérer, et croy, à la vérité, qu'en l'endroict d'ung aultre, elle n'eut si bien uzé qu'au sien; qui a bien voulu, dès l'entrée, luy commémorer les honnestes charges que, d'autrefoys, il a heu vers elle[13], qui luy avoient faict dès lors cognoistre sa vertu, et que ce où il s'estoit depuis loyallement porté en bon et fidelle subject, d'advertir Vostre Majesté d'éviter la dangereuse entreprinse de Meaulx[14], luy avoit faict mériter qu'elle et toutz les aultres princes en ouyssent bien parler; et qu'au reste il avoit tousjours heu une si bonne inclination à tout ce qui estoit de la commune amityé d'entre Voz Majestez, et avoit uzé de tant de sortes de courtoysies envers ceulx qu'elle avoit envoyé en France et envers toute la nation, qu'elle se sentoit obligée d'en avoyr mémoyre à jamais; et pourtant qu'elle remercyoit Vostre Majesté de luy avoir envoyé ung tel messager, et qu'il fût le très bien venu. [13] Michel de Castelnau, sieur de Mauvissière, avait déjà été chargé à différentes époques de diverses missions en Angleterre. En 1576, il succéda comme ambassadeur à La Mothe Fénélon. Voir ses _Mémoires_ auxquels Le Laboureur a fait de nombreuses additions. Bruxelles, 1731, 3 vol. in-fº. [14] V. tom. 1, p. 27 _note_. A quoy luy ayant le dict Sr de Mauvissière faict l'humble mercyement qui convenoit, il luy a présenté, avec les recommandations de Vostre Majesté, de la Royne, et de la Royne, vostre mère, et de Monsieur, les lettres de toutz quatre, réservant celle de Monseigneur le Duc, après le récit de sa créance; et luy a faict, en fort bonne façon, entendre sa dicte créance, laquelle elle a monstré d'avoyr bien fort agréable. Elle nous a respondu que nul, après Voz Majestez Très Chrestiennes, avoit receu ung plus accomply plésir qu'elle de l'heureuse nayssance de vostre petite fille, et l'eût senty plus grand, si ce eut esté ung filz, et qu'elle réputoit l'offre, que luy fesiez d'estre vostre commère, pour ung des plus certeins signes de vraye et parfaicte amityé qui se pouvoit uzer non seulement entre princes, mais entre toutes aultres plus inthimes et conjoinctes personnes; et pourtant qu'elle vous remercyoit, et remercyoit la mère, et la grand mère, et les oncles, de la plus grande affection de son cueur, de ceste vostre tant bonne et tant cordialle démonstration vers elle. Et, après s'estre ung peu enquise comme nous estimions que l'Impératrix en uzeroit, et laquelle des princesses de vostre court pourroit elle prier de fère l'office pour elle, elle a suivy à dire que ce, où elle se trouvoit le plus empeschée, estoit d'envoyer quelqu'ung par dellà, après ce qui y estoit advenu, non pour deffiance qu'elle heût de Vostre Majesté, mais qu'elle n'avoit ung seul personnage de qualité qui n'estimât qu'elle le tînt en fort petit compte, et qu'elle se vouloit deffayre de luy, si elle luy parloit de le vouloir envoyer en France, néantmoins qu'elle aviseroit d'y uzer le plus honnorablement qu'il luy seroit possible. Et s'estant le propos adonné à parler des choses de Paris, le dict Sr de Mauvissière luy a confirmé ce que j'en avois devant dict à la dicte Dame et aux siens. Et elle y a respondu quasy de mesmes qu'elle avoit faict les aultres foys, monstrant creindre que les choses passassent jusques à elle et jusques à troubler son estat, ce que nous avons mis peyne de luy fort dissuader. Et après, il luy a présenté la lettre de Monseigneur le Duc, et l'a accompaignée de plusieurs honnestes propos de l'affection et du vray amour qu'il luy porte, et du singullier desir que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur avez que l'accomplissement du mariage s'en ensuyve. A quoy elle a respondu que Dieu luy est tesmoing que les choses en estoient venues à si bons et si procheins termes, de sa part, qu'elle ne pensoit qu'il s'y deût trouver plus de difficulté; mais qu'elle voyoit, à ceste heure, que l'extérieur, de l'inégalité des aages, et l'intérieur, de la différance des consciences en la religion, y remettoient plus d'empeschement qu'elle n'eût pensé, et qu'il faudroit qu'elle renouvellât toutz ceulx de son conseil pour prendre quelque bonne résolution là dessus, parce que nul de ceulx, qui y estoient à présent, n'en pouvoient estre d'advis; néantmoins qu'elle ne layssoit de se santir pour jamais très obligée à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, et encores à Monseigneur le Duc, et qu'elle adviseroit pour ce soyr comme nous respondre le lendemein à toutes ces choses, affin de donner le plus de satisfaction à Vostre Majesté qu'il luy sera possible. Et n'ayant Mr de Mauvissière rien obmis de tout ce qui la pouvoit rendre bien disposée, et luy ayant aussy, de ma part, touché aulcunes particullaritez pour l'induyre à vous debvoir fère de meilleures responces que jamais, je luy ay baillé la lettre que Mon dict Seigneur le Duc m'avoit escripte, laquelle elle a volontiers reçue et retenue; et nous nous sommes pour ceste foys licenciez d'elle. Et, après avoyr fayct les meilleurs et les plus exprès offices que nous avons peu vers ses conseillers, lesquelz, à la vérité, nous avons trouvez fort froidz, nous sommes, pour ce soyr, allez loger à ung mille de la court. Et, le grand matin, elle nous a mandé qu'elle nous prioit de luy donner temps de nous faire sa responce jusques à vendredy, qui sera demein; dont avons advisé, Sire, de vous faire cepandant ce mot, affin que Vostre Majesté sache en quelz termes est toute ceste négociation. Sur ce, etc. Ce IVe jour de décembre 1572. CCLXXXIXe DÉPESCHE --du Xe jour de décembre 1572.-- (_Envoyée jusques à la court par Mr de Mauvissière._) Réponse de la reine sur la négociation de Mr de Mauvissière.--Acceptation du titre de marraine.--Objections faites contre le mariage. AU ROY. Sire, après que la Royne d'Angleterre a heu à loysir dellibéré des troys poinctz de la créance de Mr de Mauvissière, sçavoir est: d'estre vostre commère, de continuer l'amityé, et de passer oultre au propos de Monseigneur le Duc; et qu'elle a heu, comme j'ay esté bien adverty, faict cognoistre à ceulx de son conseil qu'elle continuoit d'avoyr toujours bonne inclination à la France, leur mettant en grand compte ceste présente signiffication de vostre singullière bienvueillance vers elle, et leur remonstrant que les quatre lettres de Voz Majestez et de Monsieur, et la cinquiesme de Monseigneur le Duc, escripte de sa mein, et les propos que le dict Sr de Mauvissière et moy luy avons tenus, l'assuroient que vous la fesiez vostre commère tout exprès pour luy tesmoigner, et à toutz ses subjectz, et encores pour manifester à tout le monde, que vous la vouliés aymer et respecter aultant, et possible plus, que prince ny princesse de vostre alliance, ainsy que, parmy les choses qui sont advenues en France, vous avez heu ung grand soing de faire garder à elle et à ses dictz subjectz ung fort grand respect, elle a conduict iceulx de son dict conseil à luy aprouver qu'elle nous ayt, vendredy dernier, faict la responce qui s'ensuit: «Qu'elle accepte de bon cueur l'honneur que luy faictes de vouloir qu'elle soit l'une des marraines de vostre fille aynée, et prend cella pour une bien fort grande et singullière récompense de la droicte affection dont elle s'est resjouye de sa nayssance, et qu'il ne luy heût sceu advenir, en ce temps, chose aulcune de plus grande satisfaction que de se voyr par Vostre Majesté, et par la Royne Très Chrestienne, et la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz frères, recherchée de signe de vostre plus estroicte amityé vers elle, dont elle vous en rend le plus grand mercys qu'elle peut, et n'estime que faciez peu pour elle de la convyer à estre compagne en ce sainct acte d'une si excellante princesse comme est l'Impératrix, laquelle elle honnore en toutes sortes pour sa grandeur et pour ses vertueuses qualités, et espére que d'elle procèdera tant de bien et de bonheur à leur petite filleule, oultre celluy qu'elle tirera de la bonne fortune du père et de la mère, et des princes dont elle descend, que tout le mal qui luy pourroit venir de son costé, n'y pourra à peyne paroistre; et, encor que de ces premières couches de la Royne Très Chrestienne son plésir ne puysse estre si parfaict, comme si celluy de Vostre Majesté heût esté du tout accomply par la nayssance d'ung beau filz, si répute elle à grande bénédiction de Dieu que vostre mariage, qui est en toutes sortes très honnorable, vous ayt desjà rendus toutz deux l'ung père et l'aultre mère de ceste heureuse princesse, ayant espérance qu'il vous adviendra, sellon le commun dire, que, _qui par filles commance de masles hérite_; et qu'elle a desjà advisé que de deux seigneurs, qui sont des plus grandz de son royaulme, l'ung yra trouver Vostre Majesté pour assister, pour elle, au baptesme, et pour faire tout ce que Vostre Majesté luy ordonnera; mais parce que l'ung ny l'aultre ne sont à présent en court, et qu'elle ne sçayt encores lequel se trouvera le plus disposé de faire le voyage, qu'elle différoit de les nous nommer; et qu'elle vous prie, au reste, Sire, de croyre que, comme en la faysant vostre commère, vous luy monstrez, et donnez à cognoistre à ung chacun, que vous voulez persévérer en son amityé, que aussy, de son costé, en acceptant de l'estre, et par toutz aultres bons effectz en quoy la voudrez employer, elle vous fera voyr, et à toute la Chrestienté, qu'elle veut de mesmes persévérer très constamment en la vostre; «Que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, il me peut bien souvenir où les choses en sont demeurées au partir de Quilingourt, et que, pour estre despuis survenus plusieurs divers accidans, elle a mandé à son ambassadeur, après mon audience de Redinc, de tirer de Voz Majestez Très Chrestiennes, le plus dextrement qu'il pourra, l'esclarcissement d'ung certein poinct, duquel par ses lettres, qu'il a depuis escriptes, encor qu'il y récite plusieurs propos que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy en avez tenus, qui sont très honnorables et qui la rendent très obligée de vous en remercyer, ilz sont néantmoins si généraulx qu'elle n'y peut trouver la satisfaction de ce qu'elle desire; et pourtant qu'elle vous prye de prendre en bonne part qu'elle vous dye encores ceste foys qu'il ne luy est possible de vous résoudre si clèrement là dessus, comme vous le voudriez, et comme elle desireroit le pouvoir faire.»--Et est entrée en deux divers discours, l'ung, de l'entrevue, comme ung voyage en poste n'eut peu estre réputé ny mal séant ny mal honnorable, ny, possible, inutille à Monseigneur le Duc pour cest effect; et l'aultre, de la religion, comme le Pape, par aulcunes lettres et briefz qu'elle a naguyères veus, qu'il a escript à ses rebelles, résidans en Flandres, l'appelle illégitime et prétandue royne usurparesse de ce royaulme, ce que pourroit, possible, fère raviser Monseigneur le Duc de ne se vouloir si mal loger que de l'épouser; et pareillement Vostre Majesté de ne vouloir avoyr de eux deux ung nepveu, ni la Royne, vostre mère, ung petit filz qui fût réputé sismatique; avec d'aultres propos qui monstrent que ceulx de son conseil l'ont merveilleusement agitée de beaucoup d'escrupulles et de plusieurs grandes difficultés. Dont nous avons mis peyne de luy en diminuer l'impression, luy remonstrant, quand au premier, qu'il n'a tenu et ne tient qu'à elle qu'elle ne soit desjà satisfaicte de l'entrevue; et, quand au segond, que vous avez tousjours monstré, avant la bulle, et depuis encores, en ce présent acte, que vous la réputés pour vraye et légitime et indubitable Royne d'Angleterre. Et se sont conduictz les propos à plusieurs particullaritez bien gracieuses de la vraye et droicte intention, et de l'affection non feinte, dont persévérez tousjours à desirer son allience; y adjouxtant, Mr de Mauvissière, plusieurs expéciallités qu'il luy a assuré avoir freschement ouyes de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monsieur, et encores de plus expécialles de Monseigneur le Duc qu'elle n'a poinct dissimulé de les avoyr bien agréables. Et nous a faict cognoistre en somme qu'elle ne veut qu'on délaysse aulcunement la poursuyte de ce propos; puis a prié le dict Sr de Mauvissière de vouloir retourner le lundy ensuyvant pour prendre ses lettres et son congé. Dont je laysse à luy, Sire, de vous rendre plus ample compte de tout le reste de sa légation, et seulement je adjouxteray icy qu'il l'a accomplie ainsy dignement et avec la dextérité qu'il a accoustumé toutes les aultres charges que Vostre Majesté luy a souvant commises. Et sur ce, etc. Ce Xe jour de décembre 1572. CCXCe DÉPESCHE --du XVIe jour de décembre 1572.-- _(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience de congé donnée à Mr de Mauvissière.--Son départ.--Armemens faits en Angleterre par le capitaine Sores pour la Rochelle.--Demande d'un sauf-conduit pour le vice-amiral d'Angleterre chargé de passer en France.--Succès du duc d'Albe dans les Pays-Bas.--Difficulté que présente la négociation du traité de commerce.--Nouvelles d'Écosse; le comte de Morton régent.--Meilleur traitement fait au comte d'Arundel.--Mort du comte de Derby. AU ROY. Sire, estant Mr de Mauvissière allé prendre congé de la Royne d'Angleterre, le VIIIe de ce moys, il m'a raporté qu'elle luy avoit confirmé les mesmes bonnes responces qu'elle nous avoit faictes à toutz deux, et qu'elle luy avoit davantage expéciffié une particullarité de l'entrevue; laquelle je m'assure, Sire, que n'aura failly de la vous racompter: qui me semble assez conforme à ce qu'elle m'en avoit, dez le commancement, proposé, dont je verray, en ma première audience, si elle y persévère, et comme ses conseillers y sont disposez. Elle luy a, le lendemein, envoyé sa dépesche avec ung honneste présent, mais il a esté contreinct de temporiser encore quelques jours, premier que de partir, affin de pourvoir à la seureté de son passage, ayant eu advertissement qu'on le guettoit sur la mer; chose que la dicte Dame et les siens ont monstré de leur déplaire bien fort; et j'espère qu'il aura passé bien seurement, et que Vostre Majesté aura entendu par luy mesmes tout ce qui a résulté de son voyage par deçà, et en quelle disposition les choses y restent après luy. A ceste heure, Sire, j'ay à vous dire qu'il s'équippe en divers endroictz de ce royaulme dix huict navyres de guerre, desquels (encor qu'il y en y ayt une partie au nom du prince d'Orange, pour passer deux compagnies de wualons en Holande) si semble il que des dix principaulx, (sçavoyr est: cinq françoys, troys angloys et deux escouçoys, qui sont fort bien équippés et les mieulx fournis et pourveuz d'arquebuzes, corseletz, picques, morrions, pouldres et aultres monitions de guerre, qu'ilz ont esté prendre à Porsemmue, et fort bien avitaillés de toutes choses,) le cappitayne Sores en sera le général, et son nepveu le lieutenant; et que de Plemmue, et de Excester, sont partis, depuis douze ou quinze jours, deux navyres chargés de beufz et aultres vivres pour la Rochelle, et que de présent il se charge encores ung aultre navyre de bledz au dict Excester, d'environ cent cinquante tonneaulx, pour y aller. De quoy je ne faudray de m'en pleindre à ma première audience, sellon qu'il m'a esté desjà respondu par les seigneurs de ce conseil que, quand je les advertiray de telles choses, qu'ilz y mettront si bon ordre que j'auray occasion de m'en contanter. Je desire bien, Sire, qu'il vous playse m'envoyer bientost le saufconduict que le visadmiral d'Angleterre demande pour aller trouver Vostre Majesté, car par son moïen tout cest appareil se pourra interrompre ou aulmoins l'entreprinse s'en pourra rejecter ailleurs. La responce que ceulx cy espéroient avoyr du duc d'Alve par les deux derniers ordinayres, sur le renouvellement des accordz, n'est encores venue, mais, en lieu de cella, ilz ont receu plusieurs nouvelles des heureulx exploitz du dict duc, desquelles ilz ne se réjouyssent nullement. J'ay naguières continué à iceulx seigneurs du conseil mon instance, touchant accomplir l'article du commerce, affin que le traicté ne puisse estre argué d'invalidité pour n'avoir sorty effect, ce qu'ilz m'ont advoué estre fort raysonnable, mais que c'estoit ung faict qui dépendoit de leurz marchandz, lesquelz s'y monstroient à présent fort rétifz; dont sera bon, Sire, qu'en faciez toucher quelque mot par dellà au Sr de Walsingam; et j'espère qu'à la fin ilz passeront oultre. Je n'ay eu, longtemps y a, aulcunes bien certeynes nouvelles d'Escoce; tant y a que, par aulcunes de mes intelligences, je suis adverty que l'abstinence y a esté gardée durant les deux moys, lesquelz sont desjà expirés dès le VIe du présent, et que le comte de Morthon y a esté, par le party du Prince, subrogé régent au lieu du feu comte de Mar, et la garde du dict Prince a esté continuée à la vefve et au frère du dict comte de Mar, à eulx adjoinct le comte d'Angoux, qui est nepveu et héritier présumptif du dict de Morthon. Je ne sçay comme les choses se comporteront maintenant par dellà, mais il ne s'y doibt espérer guyères d'amandement pour estre retumbées du tout en la mein du dict de Morthon, parce qu'il s'est monstré tousjours le principal adversaire de la Royne, sa Mestresse, et très grand ennemy de la paix. L'on a, depuis deux jours, emplyé ung peu la liberté du comte d'Arondel en sa mayson, et de se pouvoir promener à l'entour d'icelle; mais ceulx qui sont dans la Tour demeurent tousjours fort restreinctz, et encores ung peu plus que les aultres, les deux segondz filz du comte Dherby, depuis quinze jours, que le vieulx comte, leur père, est mort. Sur ce, etc. Ce XVIe jour de décembre 1572. CCXCIe DÉPESCHE --du XXIIIe jour de décembre, 1572.-- (_Envoyée exprès jusque à Calais par Jehan Volet._) Désignation du comte de Worcester pour représenter Élisabeth au baptême.--Désignation du docteur Dale destiné à remplacer Walsingham.--Insistance de l'ambassadeur pour obtenir son rappel.--Interruption des armemens pour la Rochelle.--Protestation du vidame de Chartres de son dévouement au roi; son refus de rentrer en France.--État de la négociation des Pays-Bas.--Nouvelles d'Écosse. AU ROY. Sire, je n'ay receu, à cause de l'empeschement de la mer, vostre dépesche, du IIIe de ce moys, jusques au quinziesme, et, le mesme jour, le Sr de Sabran est arrivé avec celle qu'il vous a pleu me faire, du IXe et Xe ensuyvant, ès quelles deux j'ay trouvé plusieurs bien amples satisfactions, et, à mon advis, bien considérées, touchant aulcunes particullaritez, dont je vous avoys auparavant escript. Je m'en vays demein trouver ceste princesse à Hamptoncourt, affin de luy faire bien entendre tout ce que je y ay comprins de l'intention de Voz Majestez, et, incontinent après, je vous manderay sa responce. Cepandant je vous diray, Sire, que le comte de Wourchester a très volontiers accepté d'aller devers Voz Majestez pour le baptesme, et je le solliciteray de partir bientost affin qu'il puisse arriver à Paris, incontinent après les Roys. C'est ung seigneur, duquel Voz Majestez et toutz les vostres aurez contantement, et qui s'esforcera de sa propre inclination, avec le commandement de sa Mestresse, de faire de fort bons offices. Il est parent de la Royne d'Angleterre et porte le surnom de _Sommerset_, et n'eût l'on sceu faire élection d'ung plus grand ny d'ung plus noble que luy en ce royaulme, pour honnorer l'acte; et si, est bien estimé de sa Mestresse et bien voulu de tout ce royaulme. L'on ne luy a pas encores ordonné sa compagnie, mais, aussytost qu'on luy en aura baillé le rolle, il m'a promis qu'il me l'apportera, et je l'envoyeray à Vostre Majesté affin que puissiez mieulx ordonner de sa réception et de son traictement. Il avoit esté commandé, à deffault du Sr Caro, à sire Jehan Hastingues de s'aprester pour aller succéder à Mr de Walsingam, mais il a tant faict que, par maladye ou aultres occasions, il s'en est excusé, dont ung homme de robe longue, nommé le docteur Dail, lieutenant en la court de l'admiraulté, s'appreste maintenant pour y aller. Et encores, Sire, que je me veulx bien garder de n'estre indiscret à contrarier par trop vostre volonté sur ma demeure par deçà, si espérè je tant d'icelle que, pour plusieurs considérations, dont les unes appartiennent à vostre réputation, et les aultres sont dignes de compassion vers moy, j'impètreray bientost que Vostre Majesté me retire. Je ne faudray de me pleindre demein à ceste princesse et à ceulx de son conseil de l'apprest de dix ou douze navyres, lesquelz, encor qu'ilz s'advouent au prince d'Orange, ilz monstrent néantmoins de vouloir trajecter des hommes et des monitions à la Rochelle; ilz n'entrent point dans les portz, mais ilz demeurent à l'ancre en la rade et à l'abry de la coste de deçà. Quand aulx vaysseaulx que les françoys apprestoient, ilz demeurent en suspens par commandement de la dicte Dame, et croy bien que, si le visadmiral trouve Vostre Majesté bien disposé sur les choses qu'il luy proposera, que tout cest appareil yra descendre ailleurs. J'ay monstré à Mr le vidame de Chartres la déclaration, en forme, que Vostre Majesté m'a envoyé, et l'article qui le concerne dans ma lettre. Il m'a respondu que ce luy est ung singulier et souverein bien d'avoir quelque tesmoignage, tant petit soit il, de vostre bonne intention vers luy. Il trouve le terme de son retour, dans la chandeleuse, merveilleusement brief, veu qu'il y court le danger de sa vye et de sa conscience; mais il proteste bien qu'il ne s'arrestera en part du monde, où il y ayt tant soit peu d'apparence qu'on y praticque rien ny contre le service, ny contre l'intention de Vostre Majesté; et le jeune Pardaillan monstre avoyr la mesmes volonté; car sont les deux qui me sont venus voyr, et qui affirment bien fort qu'ilz ne sont passés, et qu'ilz ne demeurent icy que pour la seule occasion de fouyr à la mort. La responce du duc d'Alve; touchant l'accord des différendz des Pays Bas, met tant à venir que ceulx cy commancent de s'ennuyer, et de mal espérer d'icelle, bien qu'il n'ayt encores rien refuzé de son costé, et seulement il uze de remises sur l'attante des dépesches d'Espaigne, mais l'on ne prend cella icy en payement. J'ay heu, Sire, la confirmation de ce que je vous avoys cy devant escript, que le comte de Morthon a esté subrogé régent en Escoce par ceulx du party du Prince, et semble qu'ilz continuent encores l'abstinence, après le VIe de ce moys. Je loue grandement les bonnes résolutions qu'avez prinses sur les affères de ce pays là, desquelles, s'il m'est possible, je donray advis à la Royne d'Escoce et à ceulx de Lislebourg, bien qu'il y ayt très grande difficulté d'escripre meintenant ny à elle ny à eulx. Et sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de décembre 1572. CCXCIIe DÉPESCHE --du XXVe jour de décembre 1572.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Communications privées renouées, pour la première fois depuis la Saint-Barthèlemy, par l'ambassadeur avec Leicester.--Préparatifs de départ du comte de Worcester. AU ROY. Sire, ayant le comte de Lestre sceu que j'alloys hier, qui estoit l'avant veille de Noël, à Hamptoncourt, il m'a envoyé prier qu'il m'y donnât à dîner, comme il a faict avec beaucoup de faveur; et a monstré qu'il ne creinct plus de trecter en privé avecques moy, ainsy que, ces quatre moys passés, il s'estoit bien engardé de le fère. Et le comte de Wourchester s'est trouvé en la compagnie, avec lequel j'ay devisé de son voyage vers Vostre Majesté, et l'ay sollicité de vouloir partir bientost, pour se rendre à Paris, incontinent après les Roys, ce qu'il a trouvé estre ung peu bien court; néantmoins m'a promis que, sellon le commandement que la Royne, sa Mestresse, luy en feroit, il mettra peyne de s'y disposer. J'en ay depuis parlé à la dicte Dame, laquelle m'a dict qu'elle eût bien voulu, premier que le dépescher, estre advertye s'il fault qu'elle prie une des princesses, et laquelle, de vostre court, ou bien qu'elle commète le dict comte pour tenir pour elle, car en voudroit uzer ainsy que l'auriez plus à gré. Je luy ay respondu que j'attandz de brief une responce de Voz Majestez là dessus; qu'il ne fault pour cella laysser de faire partir le dict sieur comte, car elle pourra, puis après, s'il en est besoin, envoyer sa lettre et sa commission par la poste, là où il est besoing au dict sieur comte d'aller par journées, et ainsy nous sommes accordez qu'elle le fera partir le IIIe jour de l'an. Sur ce, etc. Ce XXVe jour de décembre 1572. CCXCIIIe DÉPESCHE --du IIe jour de janvier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._) Audience.--Bonnes dispositions d'Élisabeth, de Leicester et de Burleigh en faveur de la France.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Assurance de la reine qu'elle persiste dans le traité d'alliance avec le roi, et dans la négociation relative au commerce.--Refus d'envoyer de nouveaux ambassadeurs en Écosse, et de chasser d'Angleterre les Français réfugiés.--Protestation d'Élisabeth qu'elle ne donnera aucun secours à la Rochelle.--Remerciement au sujet de la communication faite sur la négociation en France du cardinal Orsini.--Résolution de la reine d'envoyer sans délai le comte de Worcester en France; difficulté qu'elle fait de le charger de reprendre la négociation du mariage. AU ROY. Sire, de tant que, par vostre lettre du IXe et Xe du passé[15], je me suis trové non seulement bien respondu sur mes précédantes dépesches, mais encores fort amplement informé de certeins poinctz bien importans, que desirez estre de nouveau négociez avec ceste princesse, je n'ay fally de les luy déduyre toutz par le mesmes ordre que je les ay trouvés en vostre dicte lettre, et avec le plus de respect et d'expression qu'il m'a esté possible, pour tout ensemble les fère bien prendre et bien comprendre à la dicte Dame. Dont je ne les réytèreray icy; car c'est de Vostre Majesté mesmes que j'en ay heu la substance, et je y ay adjouxté seulement quelque forme de parolles; mais je charge le présent pourteur de vous dire, Sire, ce que la dicte Dame m'a respondu. [15] A partir de cette époque, les lettres écrites par le roi et par la reine-mère à Mr de La Mothe Fénélon ont été publiées par Le Laboureur, qui les a jointes aux mémoires de Castelnau. Cette lettre, du 9 décembre 1572, est celle qui commence son recueil.--_Mémoires de Castelnau_, 3 vol. in-folio. Bruxelles, 1731, t. III, p. 265. Il seroit long de vous racompter icy aulcunes réplicques que j'ay estimé ne debvoir obmettre de luy fère, lesquelles elle a prinses de bonne part; et, en me licenciant, m'a pryé que je voulusse communicquer, avec milord trézorier et avec le comte de Lestre, des mesmes poinctz que je luy avoys déduictz; ce que j'ay faict. Je les ay trouvés l'ung et l'aultre bien facilles et promptz à l'entretennement du traicté, doubteux et incerteins aulx propos du mariage; mais si estonnez, des choses naguières passées, qu'ilz ne sçavent comme prendre les présentes, ny comme juger de celles d'advenir. Ilz ont voulu avoyr temps pour rapporter le tout en l'assemblée de leur conseil et en conférer de rechef avec leur Mestresse. Sur ce, etc. Ce IIe jour de janvier 1573. INSTRUCTION DES CHOSES dont le Sr de Vassal, suyvant la présente dépesche, aura à informer Leurs Majestez: Que la Royne a respondu à mes demandes, Sire, qu'elle confesse que vous auriez occasion de vous fyer peu de son amityé, si cognoissiez qu'elle ne se confiât de la vostre, et pourtant qu'elle vouloit de bon cueur déposer les escrupulles, qu'elle avoit prins de ce qui s'estoit faict, sur l'assurance de ce que luy fesiez dire; et que je luy estois tesmoing qu'encor qu'elle n'eût approuvé l'acte, qu'aulmoins s'estoit elle tousjours efforcée de l'excuser d'elle mesmes, mais ne l'avoit peu justiffier vers les siens; qu'il n'estoit rien advenu, de son costé, qui vous deût faire changer de volonté; et, puisqu'il vous plésoit de persévérer au traicté, qu'elle ne s'en départiroit pour occasion qui se peût jamais présenter; Que de rechef elle commanderoit fort volontiers à ceulx de son conseil de pourvoir aulx choses qui restoient à accomplir des articles du dict traicté, et que l'offre de Vostre Majesté de vouloir assoyr l'estappe aulx marchandz angloys, aussytost qu'ilz auroient choisy leurs lieux et places en France, avec les privilèges accordez, et l'émologation de voz parlementz, estoit très honnorable, mais qu'ilz refuzoient d'y entendre, parce que la peur les tenoit encores des évènementz de dellà; néantmoins qu'elle les en feroit de rechef exorter; et, quand bien ilz s'y rendroient opinyastres, le reste du traicté pour cella ne laysseroit de demeurer en sa vigueur, ny l'ancien commerce d'estre continué; Que, pour la paix d'Escoce, elle ne voyoit pas que de nouveaulx ambassadeurs, encor qu'ilz fussent de plus grande qualité que les premiers, y peussent rien advancer, aulmoins pour le regard d'elle, qui ne sçauroit y faire ny dire davantage que ce qu'elle y avoit desjà dict et faict, et que le comte de Morthon, qui estoit à présent régent, avoit offert le chasteau de St André pour recouvrer le chasteau de Lislebourg, et d'aultres grandes récompances qui valoient vingt foys mieulx que le dict chasteau, mais ceulx de dedans estoient opinyastres; et qu'elle espéroit qu'ilz s'accorderoient à la fin par force: Au regard de voz subjetz qui sont icy, qu'elle ne leur avoit peu dénier refuge pour l'occasion qu'ilz y estoient passez, et qu'il estoit en leur liberté de s'en retourner quand ilz voudroient; néantmoins que, de les en faire exorter, cella luy seroit imputé à cruaulté, jusqu'à ce qu'on vît que vostre justice ozât bien exécuter la punition qu'aviez commandé de faire des autheurs des meurtres et séditions passées; Mais que, de donner secours ny assistance à ceulx de la Rochelle, elle seroit très marrye de le faire: bien avoit entendu que quelques ungs des habitans estoient descendus vers la coste de Ouest, lesquelz elle n'avoit point veus, et s'asseuroit qu'ilz ne trouveroient en ce royaulme chose aulcune qui leur peût servir pour maintenir leur rébellion, s'ilz la vouloient faire; vray est qu'elle ne pourroit, sans injure, deffendre que quelques ungs de ses marchandz, qui y avoient leur commerce de longtemps, et y avoient leurs biens engagés, ne l'y continuent, non toutesfoys d'y en fère establir de nouveau; Qu'elle vous remercyoit grandement de ne vous estre layssé surprendre des persuasions du cardinal Ursin, non qu'elle ne louât bien fort que vous vous liguissiez contre le Turcq, comme encores elle se voudroit bien obliger à une si saincte ligue, affin de résister au commun ennemy et adversayre du nom chrestien, lequel, s'il n'estoit réprimé, opprimeroit quelquefoys les plus grandes puissances et les premières authoritez, et toute la liberté de la Chrestienté; mais que le vray moyen de luy résister seroit de mettre toutz les princes chrestiens en bonne union, et les différendz de la religion en accord, non de liguer contre luy, ainsy en apparance, une partie des forces chrestiennes, en intention de ruyner les aultres, et que, si Vostre Majesté s'estoit à bon esciant excusée d'entendre à telles praticques, elle estimoit que vous cognoistriez bientost que vous auriez beaucoup faict pour vostre réputation; qu'elle vouloit fort fermement croyre, sans y mettre aulcun doubte, que ne layssiez de l'aymer, pour la diversité qui estoit entre vous de la religion, car, avant que vostre dernière amityé fût promise ny jurée, vous sçaviez toutz deux quelle estoit la religion l'ung de l'aultre, et qu'elle croyoit bien qu'elles estoient diverses en quelques parolles, mais nullement contrayres en substance; dont tout ainsy qu'elle vous réputoit prince chrestien, qui ne luy manqueriez de vostre foy ny de vostre parolle, qu'ainsy la trouveriez vous princesse fort chrestienne, qui vous tiendroit toutes les choses qu'elle vous avoit promises et jurées. Et adjouxta qu'elle croyoit que Dieu, au pis aller, n'avoit pas encores déterminé de faire que l'Angleterre ne demeurât là où elle estoit; aulmoins ne comprenoit elle pas qu'il eût encores mis en pouvoir de le fère à ceulx d'entre les hommes qui, possible, le voudroient bien entreprendre. Et ayant la dicte Dame là dessus faict ung peu de pause, je luy ay dict, voyant que le temps estoit court, qu'à mon advis il y avoit de quoy louer et approuver, et de quoy plus la remercyer en sa responce, qu'il n'y avoit lieu d'y rien replicquer, et pourtant je la priois de passer oultre aulx aultres choses que je luy avois dictes. Elle a suivy qu'à son advis Vostre Majesté se contanteroit de l'élection qu'elle avoit faicte du comte de Wourchester, car estoit de mesmes mayson qu'elle, personnage nourry en la court, qui avoit esté uniquement aymé du feu Roy, son père, et lequel vous trouveriez très inclin à Vostre Majesté et prest à faire tout ce que vous voudriez, et vous accompaigner là où luy commanderiez, et estimoit que vous le recepvriez et favoriseriez ainsy qu'avez tousjours faict ceulx qu'elle vous avoit cy devant envoyez; que, d'adjouxter à la commission, qu'elle luy donroit du baptesme, celle du mariage, elle s'en trouvoit en quelque perplexité, parce que son ambassadeur ne l'avoit encores résolue des poinctz dont elle luy avoit, longtemps y a, donné charge qu'il s'en esclarcît avec la Royne, vostre mère; mais qu'avant le troysiesme de janvier que le dict comte partiroit, elle pourroit avoyr receu la responce de son ambassadeur pour luy en mettre quelque article en son instruction, ou bien le luy envoyeroit après; et qu'elle creignoit assez qu'encor que Voz Majestez dissent que les difficultez de l'extérieur, qui estoient ez personnes, fussent beaucoup amandées, que néantmoins celles de l'intérieur, qui restoient ez consciences et en la religion, ne se fissent de jour en jour plus grandes; dont voudroit de bon cueur qu'elles fussent vuydées: car y avoit apparence, comme je le luy avoys bien remonstré, qu'après ceste foys, l'on réputeroit que ce ne fût plus qu'entretènement et peyne perdue d'en parler. CCXCIVe DÉPESCHE --du IXe jour de janvier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Nouvelles assurances d'amitié de la part de la reine.--Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh, le comte de Sussex, et Mr Smith.--Préparatifs pour la Rochelle.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Blessure du roi.--Retard apporté au départ du comte de Worcester.--Remerciemens d'Élisabeth sur l'offre faite par la reine de Navarre de tenir Madame en son nom sur les fonts de baptême.--Reprise de la négociation du mariage.--Défense faite en Angleterre de préparer des secours pour la Rochelle. AU ROY. Sire, il n'est possible de voyr une plus grande satisfaction que celle que la Royne d'Angleterre a monstré de recepvoir les bons termes d'amityé qu'il vous a pleu me commander luy tenir, et elle aussy, de son costé, n'a layssé une seule sorte de bonnes parolles ny de bonnes démonstrations, qu'elle n'en ayt uzé pour me tesmoigner que très parfaictement elle vous y correspondît; chose qui seroit longue à mettre icy, et suffira s'il vous plaist que je touche sommèrement aulcunes responces qu'elle m'a faictes, que je joins dans un mémoire à part. Et après, elle m'a pryé de vouloir conférer du tout avec milord trézorier, avec le comte de Sussex et avec Me Smith; qui pourtant nous sommes retirés, toutz quatre à part. Et après qu'ilz ont eu paciemment escouté la déduction des principaux poinctz, ilz ont monstré d'avoyr très bonne inclination de satisfère, en tout ce qu'ilz pourront, à Vostre Majesté. Les françoys qui sont icy font tousjours quelque apprest d'armes, et le cappitayne Poyet faict faire demy cent de longues harquebuses à fourchette, mais semble qu'il s'en veult retourner à Fleximgues, car il parle comme ayant charge du prince d'Orange; et les aultres font bruict d'aller à la Rochelle; néantmoins ilz n'impètrent encores de ceste court toutes les choses qu'ilz demandent. Je les observeray et les feray observer, ainsy que me mandez, affin de vous advertyr de leurs déportementz. Et sur ce, etc. Ce IXe jour de janvier 1573. MÉMOIRE des choses que la dicte Dame m'a faict entendre. Quand à vostre blesseure[16], Sire, elle m'a dit que plusieurs occasions luy faisoient réputer peu heureuse l'année dont nous venions de sortir, mais que cest accident seul la luy faysoit réputer du tout malheureuse, car s'estoit imprimé que le coup d'espée n'avoit peu estre sinon fort grand, puisque le gentilhomme tiroit à tuer le sanglier; et que de nul présent plus précieulx pourroit estre elle estrénée à ce nouvel an, que de l'assurance que luy donniez que cella s'estoit passé sans dangier, dont elle en louoit et remercyoit Dieu de bon cueur; et cella seroit cause de quoy elle jouyroit plus à plein le grand plésir qu'elle avoit aussy receu d'entendre que la Royne, vostre mère, fût entièrement bien guérye de son rume: qui vous supplioit toutz deux de croyre qu'elle ne pouvoit ouyr qu'il vous advînt, et aulx vostres, si peu de mal qu'elle n'y participât incontinent, avec aultant de douleur comme s'il touchoit à elle mesmes; Et, au regard de faire promptement partir le comte de Wourchester, qu'elle vous suplioit d'excuser ung peu, s'il n'estoit desjà en chemin, parce qu'elle l'avoit mandé venir en poste; et il luy avoit esté besoing de renvoyer jusques en sa mayson, qui est en Galles bien loing d'icy, pour quérir ses gens, son équippage et aucuns de ses parans qu'il vouloit mener en sa compagnie, mais qu'elle le feroit partyr dans troys jours sans faillir, bien que aulcuns luy avoient voulu dire qu'il ne seroit assuré, et que d'aultres eussent voulu songer que messieurs de Guyse le feroient arrester pour ravoyr la Royne d'Escoce, ce qui n'avoit esté sans qu'elle eût monstré que non seulement elle mesprisoit, mais qu'elle avoit en hayne toutz les advis qu'on luy donnoit pour luy ingindrer doubte ou souspeçon de la foy et amytié de Vostre Majesté; Qu'elle n'avoit parolles assez expresses pour vous remercyer aultant qu'elle debvoit, et la Royne, vostre mère, de l'honneur et faveur que luy faysiez, et que luy fesiez faire par la Royne de Navarre, qu'elle deignât tenir pour elle la petite Madame, de quoy elle se santoit vous en avoyr, et à elle, une très grande obligation, et que son desir doncques seroit de l'en suplier; néantmoins, voyant que l'Impératrix vouloit que son depputé mesmes tînt pour elle, qu'elle adviseroit, avec son conseil, comme en debvoir uzer, affin qu'il ne s'y trovât manquement ny diversité de sa part; et ne pensoit pas, quoy que aulcuns escruppulleux luy eussent voulu remonstrer au contrayre, que sa conscience ny celle du comte peussent estre intéressez que luy mesmes pour elle intervînt en ce sainct acte; et, quand à adjouxter son nom à celluy de l'Impératrix, pour en faire dénommer de toutz deux leur petite fillieule, que cella luy faysoit cognoistre combien Voz Majestez avoient soing de n'obmettre aulcune sorte d'honneste respect que n'essayssiez de l'en gratiffier; ce qui luy donnoit occasion d'estre pareillement respectueuse vers tout ce qu'elle cognoistroit à jamais servir à vostre grandeur et réputation: Au regard de donner ample instruction au dict sieur comte pour résouldre Voz Majestez du propos du mariage, qu'elle mettroit peyne de le faire avec des conjectures, néantmoins, dont elle seroit contreinte d'uzer, que, si Voz Majestez luy parloient en une sorte, qu'il vous ayt à respondre sellon celle là; et si aultrement, aultrement; veu qu'elle n'avoit peu estre encores esclarcye par son ambassadeur de certeins poinctz de la religion, qu'elle luy avoit commandé d'en parler à la Royne, vostre mère, laquelle ne luy avoit voulu respondre, sinon que, quand elles deux se verroient, elles s'en sçauroient bien accorder entre elles; et que, ne se parlant, à ceste heure, plus de l'entrevue, il falloit qu'on regardât ung peu à ce poinct, ny ne vouloit advouer, sur ce que je luy disois que Monseigneur le Duc se pourroit contanter de ce qu'elle avoit voulu concéder à Monsieur, frère de Vostre Majesté, pour l'exercice de sa religion, qu'elle luy en eût voulu rien concéder, puisque rien il n'en avoit voulu accepter, et qu'elle se vouloit bien garder de ne se trop haster, affin de ne broncher là où elle avoit cuydé trébucher l'aultre foys; et que son ambassadeur se trouvoit si estonné d'avoyr trop espéré le premier mariage, qu'encor qu'il ne desirât pas moins ce segond, si ne trouvoit elle qu'en pas une de ses lettres il ozât encores assurer que Voz Majestez, à bon esciant, aient une ferme dellibération de l'effectuer; Que ce qui s'estoit parlé, entre elle et le Sr de Mauvissière, de Monseigneur le Duc, qu'il pourroit faire ung voyage à la desrobée jusques icy, que cella s'estoit dict, plus sur l'occasion de leur propos, que non qu'elle l'eût mis en avant elle mesmes, car avoit tousjours remis cella à ce que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, jugeriez que seroit honnorable pour luy de faire; Et qu'elle vous remercyoit, le plus qu'elle pouvoit, de l'offre que luy fesiez qu'après les difficultez vuydées et les choses réduictes à quelque bon accord, que Voz Majestez mettroient lors peyne de luy satisfaire, et de luy defférer, et luy uzer beaucoup de respectz; qu'elle n'avoit garde d'en desirer jamais de plus grandz qu'elle ne debvoit, ny qui ne fussent égallement honnorables à Monseigneur le Duc et à la couronne dont il est, qu'ilz le pourroient estre à elle et à la sienne; et que, de tenir les choses en longueur, c'estoit ce qu'elle vouloit surtout éviter, et croyoit bien que Voz Majestez et toute la Chrestienté jugeoient assez d'où procédoit, à ceste heure, le retardement; Au regard de ce que j'avois entendu que quelques ungs armoient en ce royaulme pour nuyre à voz subjectz, qu'elle me prioit de ne le vouloir aulcunement croire; car c'estoit chose qu'elle avoit expressément deffendu; et avoit mandé à toutz les gardiens de ses portz qu'ilz missent ordre de l'empescher; dont elle me pouvoit assurer que, des principaulx lieux et hâvres de son royaulme, il n'en sortiroit rien, de quoy j'eusse cy après occasion de me pleindre; mais qu'à la vérité la mer estoit desjà si pleine de pirates, et il y avoit tant de petits lieux et criques cachées le long de la coste de deçà, qu'elle n'y sçauroit mettre l'ordre qu'elle vouloit; mais que ce n'estoit que larrons de mer, lesquelz il failloit que le premier qui les pourroit prendre les fît pendre; Que, touchant ce que Mr le baron de La Garde escripvoit, de douze vaysseaulx angloys qui s'estoient esforcés d'entrer au port de la Rochelle, et favoriser ceux qui y portoient des vivres, qu'elle sçavoit bien la responce que son ambassadeur avoit faicte là dessus, que, s'il y eut eu douze bons navyres angloys, l'on ne les eût pas légièrement empeschés d'aller là où ilz eussent voulu; et cuydoit, à la vérité, que ce n'en estoient poinct; néantmoins, puisque le dict Sr de La Garde le mandoit, et, sur ce qu'il se pleignoit d'aucuns aultres angloys qui, avec mes passeportz, que je leur avoys baillé pour aller à Bourdeaulx, s'estoient voulu couler dans la dicte ville, qu'elle s'en feroit enquérir pour les faire toutz rigoureusement punir, ainsy qu'elle estoit après à faire chastier ceulx qui avoient mené des angloys à Fleximgues, sans qu'elle l'eût ordonné; et qu'elle vous prioit prendre ceste seurté d'elle qu'elle ne secourra en façon du monde les dicts de la Rochelle, et que mesmes l'on luy avoit dict que troys des habitans estoient par deçà qui proposoient d'en admener deux navyres chargés de greins et de vivres; mais que, s'ilz s'attandoient à cella, ilz endureroient longtemps la feim. [16] Cette blessure, reçue par le roi à la chasse, était très-légère. Et après, la dicte Dame est venue à quelques particullaritez que je luy avoys touchées d'une lettre que la Royne d'Escoce m'avoit escripte, en quoy elle m'a parlé assez aygrement. CCXCVe DÉPESCHE --du XVe jour de janvier 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet._) Départ du comte de Worcester avec charge de traiter du mariage.--Négociation des Pays-Bas.--_Mémoire._ Réclamation du vidame de Chartres et des Srs Pardaillan et Du Plessis contre l'ordre du roi qui leur enjoint de rentrer en France.--Disposition du comte de Montgommery à faire sa soumission.--Nouvelles de la Rochelle; préparatifs faits secrètement en Angleterre pour secourir cette ville. AU ROY. Sire, le comte de Vourchester a esté retardé jusques aujourdhui XVe, qu'on a achevé de le dépescher, et, après m'estre venu dire l'adieu en mon logis, il s'est mis incontinent sur la Tamise. Il s'en va pourveu d'une très bonne intention vers ces deux royaulmes, et d'une bien ample commission, ainsy qu'il m'a dict, de sa Mestresse, pour traicter avec Voz Majestez du poinct de l'allience qui se recherche maintenant entre vous; qui sont deux choses, lesquelles je m'assure, Sire, qu'avec la considération des aultres bonnes et grandes qualités siennes, vous le feront avoyr agréable. L'on attand tousjours icy en grande dévotion la responce du duc d'Alve sur l'accord des différandz des Pays Bas, et semble que, si elle n'arrive dans le caresme prenant, que ceulx cy veulent prendre quelque aultre expédiant. Je desire, de plus en plus, Sire, que faciez bientost partir le Sr de Vérac pour Escoce, car j'entendz que les deux praticques, de mettre le Prince d'Escoce ez meins de la Royne d'Angleterre, et le chasteau de Lislebourg ez meins du comte de Morthon, se poursuyvent fort à l'estroict; et me vient l'on d'advertyr que le Sr de Quillegreu est arrivé depuis deux jours pour cest effect en ceste ville, et qu'il se tient caché au logis de milord trézorier, son beau frère. L'on offre de grosses sommes pour cella. J'ay escript à ceulx du dict chasteau la bonne provision que Vostre Majesté a ordonné pour les affères du dict pays, et qu'ilz auront bientost par dellà de voz nouvelles, si desjà elles ne sont arrivées. Et sur ce, etc. Ce XVe jour de janvier 1573. MÉMOIRE. Mr le vidame de Chartres et les Srs De Pardaillan et Du Plessis me sont venuz faire une grande pleincte, me remonstrantz qu'en nul temps il n'avoit esté veu qu'on eût jamais accusé l'absance d'aulcun, qui eût voulu fouyr bien loing pour éviter la persécution de sa religion; et qu'ilz vous suplient très humblement que, veu qu'il estoit bien cognu à Vostre Majesté qu'ilz n'estoient passez en ce royaulme, lequel est maintenant de vostre alliance, sinon pour céder à l'extrême violence qui s'exerçoit indifféremment en France contre ceulx de leur religion, et pour seulement deffendre, avec la fuyte, leurs vyes, affin de n'estre veus rebelles s'ilz se joignoient avec ceulx qui monstrent de la vouloir deffandre par les armes, qu'il fût vostre bon plésir ne vouloyr permettre qu'ilz soient notez du nom infamme de rébellion. J'ay respondu que, par vostre dernière déclaration, du VIIe de décembre, il leur estoit pourveu d'une si bonne seureté, en leurs maysons, qu'ilz ne se pouvoient excuser d'y retourner. Ilz m'ont réplicqué qu'il y en avoit si peu que, naguyères, l'on avoit esté bien près, à Roan et à Paris, de recommancer une aultre émotion sur ceulx qui restoient de leur religion, sans que la justice eût fait semblant de s'y ozer oposer. Sur quoy, voulantz mener les propos plus avant, non sans quelque altération entre nous, je leur ay résoluement déclaré que je ne me pouvois rétracter de chose que j'eusse dicte, car c'estoit, sellon la charge que j'en avoys, par commandement exprès de Vostre Majesté; mais, pour ne les désespérer, je leur ay dict que je vous feroys très volontiers entendre ce qu'ilz m'alléguoient, dont m'ont prié de le vouloir accepter par escript, et le faire ainsy tenir à Vostre Majesté. Et puis le dict Sr Vidame, à part, m'a dict que le comte de Montgommery offroit que, si j'avois à luy faire entendre quelque chose, en particullier, de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, ou de Messeigneurs voz frères, qu'il viendroit parler, avec tout respect, à moy, pour ouyr voz bons commandementz. Je luy ay respondu que, en brief, j'attandoys une vostre dépesche, et que, s'il y avoit quelque chose qui le concernât, je le luy ferois incontinent sçavoyr. Il semble que, depuis quatre jours, soit arrivé ung vaisseau de la Rochelle, et qu'il rapporte que Mr de La Noue s'en est retourné sans rien fère, et que mesmes il a esté tenu de bien court dans la ville, non sans danger de sa personne. Et, de tant que ceulx des habitans, qui sont icy, voyent bien que la continuelle instance, que je fay contre eulx, leur pourroit donner quelque empeschement en leurs affères, ilz trouvent moyen d'attitrer des marchandz angloys, qui ont accoustumé de trafficquer des mesmes choses qui leur sont besoing, et par ceulx là ilz font leur emplète, et puis les font embarquer en lieux escartés; de sorte qu'il est très difficille d'y trouver remède. Et mesmes semble que la Royne d'Angleterre, ny ceulx de son conseil ne l'y sçauroient mettre, sans y procéder par quelque bien extraordinayre voye; ce que, pour ne leur toucher l'affère de si près, il n'y a pas grand apparance qu'ilz le facent, ny qu'on les en doibve trop presser. Néantmoins, de tant qu'il est certein qu'il coulera tousjours d'icy quelque rafraychissement, a la desrobbée, aux dicts de la Rochelle, il ne sera que bon que Mr de La Garde n'espargne pas les navyres angloys, qu'il trouvera, qui en abuseront; pourveu qu'il garde que, soubz tel prétexte, l'on ne traicte mal ceulx qui yront ailleurs pour exercer leurs commerces: car il se pourroit, à la fin, peu à peu fère une si bonne masse au port de la Rochelle, qu'elle ozeroit bien aller rencontrer voz gallères. De quoy il s'en faict desjà quelque bruict; et que mesmes les dicts de la Rochelle se veulent résouldre de n'attandre pas que l'armée de terre approche de leurs murailles, ains qu'ilz yront se retrancher le plus loing qu'ilz pourront pour l'arrester, mesmement, s'il ne vous vient poinct de Suysses, comme ilz en ont quelque espérance. Il y a des cappitaynes de mer angloys, lesquelz, ayantz armé des navyres soubz l'espérance de la guerre qui se feroit pour secourir ceulx de la Rochelle, ne pouvantz maintenant obtenir congé d'y aller, veulent vendre leurs navyres. Et ung d'entre eulx m'a faict dire qu'il vendra très volontiers le sien à Vostre Majesté: dont, pour garder qu'il n'en accomode les dicts de la Rochelle, ny ceulx qui s'en pourroient servir à nuyre à voz subjectz, je luy ay mandé que je le vous escriprois, et que je luy en feroys avoyr bientost responce, ce qui, possible, induyra les aultres d'en fère de mesmes; dont vous plerra m'en mander vostre intention. CCXCVIe DÉPESCHE --du XXIIe jour de janvier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Négociation du comte de Worcester.--Armemens faits par les protestans pour secourir la Rochelle.--Armemens faits par la reine d'Angleterre; doutes sur le but qu'ils peuvent avoir.--Dessein des Anglais de s'emparer du prince d'Écosse.--Bonne disposition du conseil en faveur de la France. AU ROY. Sire, puisque le comte de Worcester est maintenant devers Vostre Majesté pour accomplir, le plus honnorablement qu'il pourra, la charge de tenir pour la Royne, sa Mestresse, la petite Madame sur les sainctz fontz de baptesme, il sera bon de tirer encores de sa légation le plus d'utilité qu'il sera possible pour le bien de vos affères; dont, s'il vous plaist, et à la Royne, vostre mère, de traiter bien à fondz avecques luy et avec Mr de Vualsingam du propos de Monseigneur le Duc, il m'a fort assuré qu'il a fort ample commission d'y entendre, et mesmes de ne partir d'auprès de Vostre Majesté, si la négociation prent bon train, qu'il ne la voye réduicte à quelque bonne conclusion. Par ainsy, Sire, il est expédiant de convenir avec eulx, en propres parolles et bien expresses, du poinct de la religion, car ilz s'attandent que Voz Majestez, premier qu'ilz s'advancent d'en rien dire, leur en facent ouverture par quelque bonne responce sur les précédantes propositions que le dict de Valsingam dict qu'il en a desjà, de longtemps, faictes à la Royne; en quoy semble qu'elle luy peut demander qu'il ayt à répéter ce qu'il estime luy en avoyr proposé, et par là en attacher si bien la praticque que toutes les difficultés s'en puissent facillement esclarcyr. Le comte de Montgommery a esté appellé ces jours passez à la court, où son frère, Mr de St Jean, qui est arrivé icy le dix huictiesme de ce moys, l'a trouvé, lequel vous comptera tout ce qui s'est passé entre eulx; et nonobstant que ceulx de la Rochelle ne soient ouvertement ouyz par la Royne, ny de ceulx de son conseil, en leurs instances, elles sont toutesfoys secrettement reçues par aulcuns aultres qui peuvent assez, et hier est huict jours qu'il se tint ung conseil en une mayson privée de ceste ville sur les moyenz de pouvoir secourir la dicte ville; dont, de plusieurs propos irrésolus, qu'on m'a rapporté y avoyr esté tenus, semble qu'il se peut colliger ceste résolution, que, par tout le moys de febvrier, se pourront mettre ensemble trente cinq ou quarante navyres de ceulx de Fleximgues, et qu'il se ramassera bien, entre françoys et vualons, et aulcuns angloys désadvouez, jusques à troys mille hommes en tout; lesquelz de divers endroitz couleront facillement ez dicts navyres: et qu'avec cella s'entreprendra de mettre ung rafreschissement d'hommes et de vivres, et de monitions, dans la ville, non sans quelque dellibération de vouloir combattre vostre armée de mer, si l'occasion s'y présente, et, quoy que soit, de la forcer, si elle entreprend de leur empescher le passage. En quoy ma souspeçon devint plus grande de ce que j'ay sceu que la Royne d'Angleterre a faict présant d'ung navyre de six centz tonneaulx, et de deux aultres de cent cinquante tonneaulx chacun, à son admiral, qui a donné incontinent le grand à son filz, et les deux aultres à deux gentilshommes ses parans; et si, a baillé commission à neuf ou à dix aultres gentilshommes, de bonne qualité, d'en armer chacun ung, pour estre prestz dans la fin du prochein moys de febvrier, ce que je puis bien interpréter se faire pour d'aultres considérations, mesmement pour se pourvoyr contre le Roy d'Espaigne; duquel ilz se sont formés une récente peur, parce qu'on leur a rapporté qu'il faict préparer ung grand équippage de mer en Biscaye pour passer luy mesmes en Flandres, et qu'ilz n'ont receu la responce ainsy bonne, comme ilz l'attandoient, du duc d'Alve sur l'accord de leurs différendz; ou bien qu'ilz veulent fère quelque secours au prince d'Orange et aux habitans de Holande et Fleximgues, desquelz ilz ont ordinayrement leurs députés avec eulx qui, à ce qu'on dict, n'offrent rien moins que de soubmettre volontairement les deux isles à la perpétuelle protection de la couronne d'Angleterre, et d'y establir présentement l'authorité de ceste princesse partout; Ou bien que c'est pour entendre aulx choses d'Escoce, desquelles l'on m'a confirmé que le Sr de Quillegreu a véritablement esté troys jours entiers en la mayson de milord trézorier aulx champs, et s'en est retourné le XVIIIe du présent pour parachever la praticque de recouvrer par deçà le Prince d'Escosse, par l'entremise des gentilshommes qui ont la garde de sa personne, et mesmement de celluy qui entrera en quartier à ce prochein mars, y tenant la mein le comte de Morthon. Et, pour cest effect, il emporte dix mille escus, et y en sera employé jusques à cent mille, s'il est besoing; joinct qu'on dict que les principaulx de la noblesse d'Escoce monstrent de se vouloir départir de l'intelligence du dict de Morthon, et que ceulx du chasteau de Lillebourg ont commancé de canonner dans la ville, et y ont tué le cappitaine Hacman et ung aultre gentilhomme, parce qu'icelluy de Morthon a prins prisonnier milord de Sethon: ce que, si ainsy est, ceulx cy font bien leur compte que les armes se reprendront par dellà, incontinent après le dernier de ce moys; dont veulent estre pourveus, et vont couvrant, plus qu'ilz ne firent onques, et dissimulant leurs dellibérations. Néantmoins, Sire, je veulx, par plusieurs conjectures, et encores par quelques advis, présumer que ce qui se prépare maintenant en ceste mer estroicte tend tout au faict de la Rochelle comme à ung affère qui est présent, et lequel tient toutz aultres affères, du costé de deçà, en grand suspens; dont je vous suplie très humblement, Sire, en faire advertyr Monsieur, frère de Vostre Majesté, affin qu'il y pourvoye si bien qu'il ne puisse estre ny empesché ny surprins d'aulcun accidant. Et cependant par une ouverte et franche négociation avec les ambassadeurs de ceste princesse, Voz Majestez pourront essayer de remédier à ces choses, ou aulmoins de les divertir, affin qu'elles ne puissent empescher l'heur de voz affères, ny retarder la victoire de Mon dict Seigneur; ce que j'estime ne sera trop difficille à conduyre, car milord trézorier m'a mandé que, si le comte de Worcester trouve que vous soyez ainsy bien disposez, devers ceste princesse, comme je me suis efforcé de le leur persuader, qu'il ne fault doubter que les choses n'aillent aussy bien, entre Voz Majestez et vos deux couronnes et subjectz, comme vous le pourriez desirer. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour de janvier 1573. CCXCVIIe DÉPESCHE --du XXVe jour de janvier 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par un marchand de Londres._) Résolution des protestans de hâter l'expédition de leurs secours pour la Rochelle. AU ROY. Sire, suyvant ce que je vous ay mandé, du XXIIe du présent, que la résolution avoit esté prinse icy entre quelques particulliers de secourir la Rochelle, j'ay à vous dire maintenant qu'ilz préparent à furie d'en exécuter promptement l'entreprise sans la vouloir différer, ny à la fin de febvrier, ny au commancement de mars, comme ilz l'avoient une foys pensé, parce qu'ilz se persuadent qu'estant desjà Monsieur devant la place, il se pourroit bien fère, ayant avec luy Monseigneur le Duc, et aultres princes, et bon nombre de grandz cappitaines, et une brave armée, qu'il la forçât par sa dilligence et valeur beaucoup plus tost qu'ilz ne peussent y avoyr pourveu. Dont tout ce qui estoit de pirates, au long de la coste plus procheyne d'icy, a faict desjà voylle vers le cap de Cornaille, et les françoys, qui estoient en ceste ville, s'y retirent toutz pour s'y aller embarquer, car c'est la poincte plus voysine de la Rochelle; sinon aulcuns des principaulx qui ne bougent encores. Et je voy bien, Sire, par les allées et venues que font aulcuns cappitaines de mer angloys en ceste court, qu'ilz veulent estre de la partye, de quoy je ne faudray d'en aller porter pleincte au premier jour. Il ne se parle de rien plus chauldement en ce royaulme que de secourir les dicts de la Rochelle, et ce qui eschauffe davantage les Angloys à vouloir ayder l'entreprinse, est qu'il vient ordinayrement des lettres et nouvelles du dict lieu, par lesquelles l'on mande que, s'il se peut présenter quelques forces vers la Guyenne en faveur de ceulx de la religion, qu'indubitablement il s'y suscitera une fort grande révolte, et qu'il s'y pourra facillement reconquérir bonne partye du pays, que les dicts de la religion y avoient occupé aux derniers troubles. En quoy, pour se pouvoir prévaloir d'une si bonne occasion, si, d'avanture, elle se offroit, l'on m'a adverty qu'il a esté mandé, vers le quartier d'Ouest, de tenir prestz dix mil hommes et mille chevaulx, des mieulx choysis d'Angleterre. Et sur ce, etc. Ce XXVe jour de janvier 1573. CCXCVIIIe DÉPESCHE --du IIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo_). Audience.--Insulte faite en mer au comte de Worcester.--Plaintes contre les pirates et contre les armemens destinés pour la Rochelle.--Vives assurances de la reine que les pirates seront réprimés, et qu'elle interdira à ses sujets de porter aucun secours à la Rochelle.--Protestation de dévouement au roi faites par les chefs des protestans français réfugiés à Londres. AU ROY. Sire, pendant que j'ay heu ainsy suspectes les allées et venues d'aulcuns particulliers de ce royaulme en ceste court, à cause qu'ilz s'esforçoient de persuader à la Royne d'Angleterre qu'elle se deût entremettre des affères de ceulx de la Rochelle, en leur baillant quelque assistance soubz mein; et qu'ilz luy remonstroient que, si elle vous layssoit venir à bout, comme vous voudriez, de ceulx de sa religion en vostre royaulme, qu'indubitablement vous passeriez bientost oultre à poursuyvre la mesme cause par deçà, suyvant la promesse qu'en aviez desjà jurée au Pape, conjoinctement avec le Roy d'Espaigne, ainsy qu'ilz sçavoient très bien par des advis bien seurs, qu'on leur en avoit mandé de France, de Flandres et d'Allemaigne, et encores plus expressément de ceulx qui leur estoient venus de Rome, et que l'entreprinse se feroit soubz couleur de secourir la Royne d'Escoce; de quoy l'impression n'en estoit petite en l'esprit de ceste princesse, j'ay prins argument d'aller trouver ceste princesse par prétexte de me vouloir pleindre à elle du meschant et malheureux tour qui a esté faict au comte de Worcester. Et, après l'avoyr supliée que, de tant que toutes les sortes de respect que les hommes doibvent à Dieu, aux princes et au droit des gens, avoient esté violés en cest endroict, et que l'outrage touche conjoinctement Vostre Majesté et elle, qu'il luy pleût commander d'en estre faict une si dilligente poursuyte que les autheurs d'ung si exécrable excès n'en demeurassent impunis[17]. J'ay suivy à luy dire qu'elle se pouvoit bien souvenir comme, à ma dernière audience, elle m'avoit promis de fère donner quelque bon ordre contre ces pirates; et depuis, les seigneurs de son conseil me l'avoient aussi confirmé; mays tant s'en falloit qu'il y eût esté pourveu que, au contrayre, j'entendois que le nombre en augmentoit toutz les jours, et que, en divers portz de ce royaulme, se faysoit une grande dilligence, par des françoys et flammans fuytifz, d'armer des vaysseaulx, et mesmes aulcuns des meilleurs capitaines de mer angloys, et nomméement maistre Hacquens et aultres apprestoient les leurs pour aller toutz ensemble, ainsy que bruict en couroit, faire la guerre aulx papistes françoys, et n'en laisser pas ung sans le piller, et jetter les hommes dans la mer, et aller combatre voz gallères et aller avitailler la Rochelle, et, en somme, nuyre à Vostre Majesté en tout ce qu'ilz pourroient. Qui estoit chose que vous ne pouviez ny vouliés espérer d'elle, et qu'il ne se pouvoit pas fère qu'elle vous peût compter pour si principal amy, comme vous luy estiez, s'il vous advenoit que de son royaulme sortissent actes si ennemys comme seroit de troubler la navigation et le commerce à voz subjectz, et de s'esforcer de donner empeschement à la réduction d'une vostre ville; dont, de tant que j'estoys constitué icy procureur de vostre mutuelle amityé, je luy voulois bien dire qu'il yroit en cella, si les choses passoient oultre, de ropture d'icelle, et de l'infraction du traicté; et que je la suplioys ne trouver maulvais si je me oposois, aultant qu'il m'estoit possible, qu'il ne se fît pas. [17] Le navire qui portait le comte de Worcester en France avait été attaqué, et ce n'était qu'à grand' peine que le comte avait pu parvenir à s'échapper. La dicte Dame, d'une fort bonne et agréable façon, m'a respondu qu'elle pensoit que le seul bonheur de l'occasion, pour laquelle elle vous dépeschoit le comte de Worchester, laquelle estoit saincte et privilégiée envers Dieu, et le debvoit estre envers les hommes, l'avoient ainsy préservé de ce grand dangier, et espéroit que, maulgré toutz empeschementz, vous vous trouveriez satisfaict d'elle et servy du dict comte en ce que vous desiriez; et que de tant que l'outrage, qui luy avoit esté faict, touchoit fort à elle, qu'elle ne permettroit qu'on en délayssât jamais la poursuyte, jusques à ce que la punition s'en fît à bon esciant, comme aussy elle vous prioit, parce que vous y estiez de mesmes intéressé, que, si l'acte procédoit de quelque lieu de vostre obéyssance, ainsy qu'on le souspeçonnoit, qu'il vous pleût ne le laisser impuny, et que, quand le cas seroit davantage vériffié, qu'elle le vous feroit entendre; que cella faysoit assez de foy que les pirates n'avoient guyères d'intelligence avec elle, et que, oultre l'ordre que, à mon instance, elle avoit mandé donner en cella pour bien les réprimer, qu'elle avoit mandé, de rechef, qu'il y fût très soigneusement pourveu; Et, quand à debvoir sortir quelque empeschement de ce royaulme à voz subjectz en leur commerce et navigation de ceste mer, et pareillement à Vostre Majesté en la réduction de la Rochelle, qu'elle vous suplioit de demeurer mieulx persuadé d'elle que cella; et que, tant qu'il vous playroit luy garder l'amityé, qu'elle la vous rendroit de son costé la plus parfaicte et entière que prince ny princesse que vous heussiez en toute vostre alliance; et qu'elle ne sortiroit, pour chose qui peût advenir, de ce qui estoit droict et juste vers vous, si vous ne deveniez injuste vers elle, ce qu'elle ne vouloit si mal espérer des promesses et sèrement que luy avez faictz, bien qu'on luy avoit voulu persuader le contrayre; et qu'elle ne pensoit pas que pas ung fût si hardy d'ozer mettre hors d'aulcun port de ce royaulme aulcung appareil qui fût pour vous aller nuyre; car elle l'avoit trop expressément deffandu: ny Me Hacquens n'avoit aulcune hayne aulx Françoys, mais bien l'avoit fort grande aulx Espaignolz, qui l'avoient fort maltraicté; et pourveu qu'il se gardât d'offancer le Roy d'Espaigne, car cella ne luy comporteroit elle jamais, elle ne seroit pas marrye qu'il se peût venger de ceulx qui l'avoient oultragé. Et, après aulcunes aultres bien honnestes responces, qui concernoient d'aultres poinctz que je luy avoys proposés, lesquelz seroient longs à mettre icy, elle s'est mise à discourir du voyage de Monsieur et de Monseigneur le Duc, frères de Vostre Majesté; et qu'elle s'esbahyssoit comme vous les vouliez hasarder toutz deux à une mesmes entreprinse, ou bien qu'elle pensoit qu'ilz s'estoient volontayrement ainsy absentés, l'ung et l'aultre, pour ne voyr poinct son depputé quand il arriveroit; et que cependant Mr le cardinal de Lorrayne estoit de retour, avec déclaration, pour la Royne d'Escoce, qu'elle puisse prendre encores ung aultre mary. A quoy je n'ay manqué de réplicquer là où j'ay cognu en estre besoing, et elle m'a bien fort gracieusement licencié. Or, estoit Mr le comte de Montgommery présent, quand j'ay parlé à la dicte Dame, mais n'a faict semblant de nous voyr ny de nous saluer, tant y a que Mr le vidame et les Srs de Pardaillan et Du Plessis, qui sont venus communicquer avecques moy, m'ont signiffié que le dict comte et eulx, et toutz les gentilshommes qui sont icy, ont ung singullier desir d'estre remis en vostre bonne grâce; et le dict sieur vidame se promet de fère en sorte que vous cognoistrez, Sire, qu'il n'aura employé ce temps, qu'il est absent, qu'à vous fère tant de service qu'il le puisse mériter. J'espère bien que de ceste négociation viendra quelque changement, ou aulmoins quelque suspencion, ez dellibérations qui se faisoient par deçà. Et sur ce, etc. Ce IIe jour de febvrier 1573. CCXCIXe DÉPESCHE --du VIIIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._) Crainte que les Anglais ne préparent secrètement quelque entreprise contre la France.--Nouvelles d'Écosse. AU ROY. Sire, au sortir de dîner, le jour du mardi gras, milord trézorier et les comtes et seigneurs de ce conseil, après m'avoir rendu plusieurs grandz mercys de la bonne chère, et m'avoir faict une fort privée et ouverte démonstration de beaucoup de contantement, ilz m'ont dict que, pour ne rompre l'ancienne observance du jour, laquelle estoit de ne l'employer qu'à banqueter et se resjouyr, ilz se vouloient bien garder de traicter d'aulcune chose avecques moy, qui eût apparance d'estre guyères sérieuse, et pourtant qu'ilz remettroient, jusques à deux ou troys jours de là, de me respondre aulx querelles que je leur avoys faictes le XXVIIIe du passé; et ne me mouveroient celles qu'ilz avoient aussy à me fère sur aulcunes inconsidérations qu'on avoit naguyères uzées à Roan vers aulcuns angloys; seulement ilz me vouloient dire que la Royne, leur Mestresse, après ma dernière audiance, estoit demeurée si irritée contre les pirates, pour l'outrage faict au comte de Worcester, qu'elle avoit résolu d'en nétier la mer, dont avoit commandé qu'il fût mis promptement III bons navyres dehors pour les aller chasser de toutes les rades et costes de deçà, ce qui seroit faict dans sept ou huict jours. Sur quoy voyant qu'ilz avoient prescrit l'ordre de ne me vouloir travailler d'affères parce que j'estois leur hoste, je ne les en voulus ennuyer à eulx parce qu'ilz estoient les miens, et ainsy a esté remis de traicter de toutes noz négociations à quand j'yray trouver, la première foys, la Royne, leur Mestresse, à Grenvich. Or, Sire, ces troys navyres sont ceulx, que je vous ay desjà mandé, qu'elle avoit donnés à son admiral, lesquelz, parce qu'ilz avoient esté destinés à ung aultre effect, je souspeçonne fort que le prétexte de chasser les pirates sera de les envoyer toutz à la Rochelle, ou bien à fère la surprinse de quelque lieu le long de la coste de Normandye de Bretaigne, ou de Guyenne, s'ilz le trouvent mal gardé. Car à voyr les dilligences d'aulcuns malcontantz qui sont icy, et leurs ordinayres sollicitations en court, les armes et monitions qu'ilz acheptent, le nombre de grandes harquebuzes à forchette qu'ilz font forger, les navyres de guerre qu'ilz louent et marchandent, les hommes qu'ils entretiennent, et la presse qu'ilz leur font toutz les jours de se tenir pretz, et mêmes qu'ilz vont praticquant les soldatz, tant angloys que françoys, aussytost qu'il en arrive ung en ceste ville, ainsy qu'ilz sont après à suborner quatorze ou quinze françoys qui viennent d'Escoce (mais je leur ay obtenu passeport, et baillé quelques deniers pour se retirer à Dieppe), il est aysé à juger qu'ilz ont quelque desseing non petit, et qui est fort prest d'estre bientost exécuté. En quoy semble qu'il ne faut non seulement avoyr l'euil sur l'object de la Rochelle, car estiment qu'elle n'est pour estre forcée de longtemps, mais que, s'il leur reste quelque moyen de vous apprester de la besoigne ailleurs, qu'ilz ne faudront de l'essayer affin de divertir le siège du dict lieu de la Rochelle. Il est arrivé ung courrier d'Escoce depuys troys jours, duquel l'on ne publie les nouvelles qu'il a apportées de dellà, mais quelqu'ung, qui en a descouvert quelque chose, m'a mandé que le capitaine Granges et Ledington, encor que milord de Morthon poursuive opiniastrément de les resserrer par une tranchée qu'il a faicte devant le chasteau de Lillebourg, qu'ilz se maintiennent néantmoins fort bravement contre luy, et monstrent de creindre bien peu ses effortz; que ce que le dict de Morthon traictoit de bailler le Prince d'Escoce aux Angloys, ainsy qu'il a esté sur le poinct de le consigner, cella a esté esventé par quelque lettre que j'avoys escripte d'icy; dont semble que l'entreprinse reste maintenant fort éloignée, nonobstant que les cinquante mille escus de la convention soient desjà sur les lieux, car les Escouçoys disent qu'ilz mourront plustost très-toutz que de souffrir qu'on le transporte hors du pays; qu'il estoit bruict que le frère du dict Granges estoit arrivé à Abredin avec le Sr de Vérac. Sur ce, etc. Ce VIIIe jour de febvrier 1573. CCCe DÉPESCHE --du XIIIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Négociation secrète de l'ambassadeur avec Burleigh.--Favorables dispositions des Anglais.--_Mémoire._ Détails de la négociation.--Plainte de l'ambassadeur au sujet d'un traité qui aurait été signé par Elisabeth avec les protestans de la Rochelle.--Protestation de Burleigh avec serment que cette imputation est fausse.--Sa déclaration que si le roi veut faire punir les auteurs des massacres de la Saint-Barthèlemy, la reine lui montrera la même confiance qu'autrefois, et consentira à reprendre la négociation du mariage. AU ROY. Sire, affin d'interrompre l'effect de quelques dilligences que je voyois fère icy, qui m'estoient suspectes, j'ay prins occasion, par la dépesche de Vostre Majesté du XXIIIe de janvier, d'aller, la nuict passée, sur les dix heures d'après soupper, fère une négociation extraordinayre avec milord de Burgley, dont je mets le récit à part. J'espère, Sire, que les choses se pourront modérer, si une nouvelle, qui vient tout à ceste heure d'arriver, ne les altère, c'est qu'on a escript de Barvic que quatre ou cinq centz françoys se sont désambarqués en Escoce, du costé du Nort, chose que j'estime qu'on a controuvée sur l'arrivée du Sr de Vérac par dellà; mais je mettray peyne d'en oster l'impression. Les troys navyres que je vous ay cy devant mandé estre ordonnés pour chasser les pirates de deçà, sortyront dans troys jours hors du port, et, si l'on ne leur envoye une nouvelle commission quand ilz seront sur mer, je sçay bien que celle qu'ilz emportent d'icy n'est pour atempter chose qui soit contre vostre service; et mesmes l'on a faict arrester quelques navyres chargés de bledz vers l'Ouest, qui estoient prestz d'aller à la Rochelle. Tant y a, Sire, que je ne veulx pour cella me rétracter de chose que j'ay escripte, ny que Vostre Majesté n'ayt encores bien suspecte la grande deffiance de ceux cy, car l'évesques de Londres et les principaulx protestantz de ce royaulme continuent ouvertement de retenir aultant de soldatz volontayres qu'il en arrive en ceste ville, et en ont desjà plus de troys mille enrollés. Ilz communicquent avec les malcontantz et tiennent plusieurs estroictz conseilz avec eulx. Ilz font des cueuillètes de deniers, et, oultre les sommes que je vous ay cy devant mandées, ilz contreignent les douze principalles compagnies des marchandz de Londres de contribuer vingt mille escus contantz qui se payent aujourdhuy. Et sur ce, etc. Ce XIIIe jour de febvrier 1573. NÉGOCIATION AVEC MILORD DE BURGLEY. Sire j'ay dict à milord de Burgley qu'à peyne eussiez vous espéré, du plus grand ennemy qu'ayez au monde, ung acte plus contrayre à l'amityé d'entre Vostre Majesté et la Royne, sa Mestresse, que celluy qui vous estoit naguières apparu d'elle par ung advis, dont m'aviez envoyé l'extrêt, touchant une confédération qu'elle traictoit de fère avec ceulx qui se sont soublevés en vostre royaulme, et que j'estois le plus honteux et confus gentilhomme qui fût en vostre service de ce, qu'après les bonnes parolles et promesses bien expresses qu'encores, depuis l'accidant de Paris, elle m'avoit prié de vous escripre de sa persévérance vers vous, il se trouvoit maintenant qu'elle s'alloit non seulement joindre, mais se rendre chef de la plus adversayre entreprinse qui se pourroit dresser contre Vostre Majesté et contre le repos de vostre estat, et que vous aviez en cella à accuser beaucoup ma facillité et sottise d'avoyr légièrement creu à parolles, mais beaucoup plus leur maulvayse foy, qui sçavoient bien que, depuis huict moys, la dicte Dame avoit très solennellement juré de vous estre bonne amye et vraye confédérée; et que Dieu, à qui elle en avoit faict le sèrement, estoit tesmoing qu'en tout ce temps, ny depuis la paix de l'an 1565, il ne s'estoit offert aulcune occasion en toute la Chrestienté, où il fût question du bien de l'estat et de la personne d'elle, que vous ne vous y fussiez monstré son vray amy, voyre son très parcial amy; Et pourtant que je luy vouloys bien dire, si les choses passoient plus avant, bien que soubz mein, ou couvertes de quelque prétexte que ce fût, qu'il vous resteroit, vifve à jamais, la plus juste prétantion d'injure contre sa Mestresse et contre ce royaulme, dont prince ayt esté oncques provocqué, pour vous en revancher, quand vous verriez l'oportunité de le fère; et que je luy portois le dict advis qui arguoit fort la dicte Dame d'avoyr desjà deffailly vers vous; et luy portois aussy l'extrêt de vostre dicte lettre qui, au contrayre, monstroit tousjours combien vous persévériez droictement vers elle, affin que luy mesmes fût tesmoing qu'elle cherchoit de perdre sans occasion ung amy, dont la perte ne luy en pouvoit estre, ny aulx siens, petite ny légière. Le dict de Burgley, après avoir considéré ce que je luy disoys, qui n'a esté sans beaucoup d'aultres remonstrances bien amples, et les plus vifves que je luy ay peu déduyre, lesquelles, pour briefveté, je ne metz icy, et qu'il a heu leu vostre lettre en ce qui concernoit les poinctz de l'amityé, du faict de la Rochelle, de l'offre de l'Irlandoys, celluy de la ligue contre le Turcq, celluy de messieurs de Guyse et celluy du mariage, il m'a respondu qu'il me prioit, devant toutes choses, de croyre que l'advis estoit aussy faulx et mensonger, comme l'estoit le Diable luy mesmes, autheur de faulceté et de mensonge. Et puis a adjouxté ung sèrement à Dieu, bien fort grand et digne d'estre creu, que la Royne, sa Mestresse, n'avoit escripte aulcune lettre, petite ny grande, à ceulx de la Rochelle, ny leur avoit encores, en façon du monde, rien respondu, bien que plusieurs choses de leur faict luy eussent à la vérité esté proposées; et que le dict advis estoit plustost une admonition que ceulx de la religion se donnoient les ungs aulx aultres, et ung advertissement entre eulx, que non une chose ainsy advenue; et qu'il vous suplioit, Sire, de vous donner paix et repos, quand à cella; Qu'il avoit ung infiny plésir de voyr en vostre lettre beaucoup de particulliers tesmoignages de vostre bonne et vertueuse procédure vers la Royne, sa Mestresse, à laquelle nul, soubz le ciel, luy pouvoit reprocher qu'elle fût en aulcun deffault vers Vostre Majesté, mais bien luy estoit besoin, pour les choses advenues en France, qu'il luy apparût ung peu plus cler, qu'elle ne l'avoit peu voyr depuis huict moys en çà, si l'intention de Voz Majestez, et de Monsieur, et de Monseigneur le Duc, tendoient à la ruyne de ceulx de sa religion ou bien à conserver leur amityé, premier qu'elle estimât se debvoir si confidemment commettre à Vostre Majesté comme elle faysoit auparavant; Mais que, si Vostre Majesté luy donnoit quelque esclarcissement de cella, en faysant punir quelques ungs de ces plus séditieux, qui, sans authorité publique, ont tué ceulx de la dicte religion, mesmement les femmes et enfans, qui ne pouvoient estre participans de la conspiration; et si faysiez cognoistre à ceulx qui sont échappés de ceste grande émotion, que vous n'estes poinct marry qu'ilz se soient retirez en lieu de refuge, pour la seureté de leurs vyes; et que ne permettiez procéder qu'avec temps et ordre vers les dicts de la nouvelle religion, si, d'avanture, vous ne voulés plus souffrir qu'il y en ayt qu'une en vostre royaulme, qu'aulmoins ilz ne soient forcés d'abandonner la leur, premier qu'ilz soient instruitz ou persuadés comme ilz doivent prendre l'aultre, sans violenter ny leurs personnes ny leurs consciences; que lors auroit elle apparente occasion de se commettre comme auparavant à Vostre Majesté, et luy, de le luy oser conseiller, parce que cella justiffieroit vos actions passées, et feroit voyr que l'accident auroit esté ou fortuit, ou provocqué par ceulx mesmes de la dicte religion, là où ung chacun demeureroit maintenant persuadé du contraire, avec quelque escandalle de vostre réputation vers toutz les Protestantz; Et que le propos du mariage ne tarderoit après d'estre approuvé par toutz ceulx de ce conseil, comme chose qu'ilz voyent bien qui est plus nécessayre à leur Mestresse et à son royaulme, que non à Voz Majestez Très Chrestiennes ny au vostre; (et les difficultez ne paroistroient grandes, pourveu que la dicte Dame se peût apercevoir que, nonobstant la souspeçon qu'elle a prins de ce que, en mesmes temps qu'on traictoit avec elle pour Monsieur, l'on envoya fère des practiques pour le marier en Pouloigne, et que Monseigneur le Duc s'est maintenant absenté, quand le comte de Worchester a deu arriver par dellà, et que la Royne, vostre mère, a différé longtemps de respondre aulx poinctz de la religion;) si néantmoins vous y vouliez maintenant procéder de bonne et vraye intention, car ne falloit doubter que elle, de son costé, ne l'y eût toujours heue très bonne, et clère, et nette. Et a poursuivy son discours en plusieurs aultres propos, desquelz j'ay heu occasion d'espérer que de ceste nostre conférance pourroit sortir quelque proufit pour vostre service. Dont luy ay seulement réplicqué que j'acceptois, de tout mon cueur, l'atestation qu'avec sèrement il me faysoit que l'advis estoit faulx; et que, sur la parolle sienne, j'entreprendrois de vous promettre, Sire, que vous trouveriez plus de vérité en l'assurance, que je vous avoys donnée, et que je vous confirmois de rechef, de la persévérance de sa Mestresse vers vostre amityé, que non en tout ce qu'on vous avoit voulu, et qu'on vous voudroit, fère doubter de la sienne. Et, touchant les justes déportementz de Voz Majestez Très Chrestiennes vers ceulx de la nouvelle religion, et de vostre droicte intention au propos du mariage, oultre qu'il avoit veu l'esclarcissement de cella en termes bien exprès dans vostre dicte lettre, je luy avoys encores apporté la lettre de la Royne, vostre mère, de mesmes dathe, en laquelle, après le narré principal, il y verroit adjouxté ung bien peu de motz de sa mein, qui luy donroient pleyne satisfaction de ces deux poinctz. Et ainsy, la luy ayant baillée à lire, il l'a trouvée merveilleusement à son goust; et je luy ay faict gouster davantage ce qu'elle mesmes y adjouxtoit par postille, qu'elle ne croyroit jamais que la Royne d'Angleterre peût laysser de vous estre bonne sœur et amye, pour avoyr mis vostre estat et vostre vye en seureté, et qu'à ce coup elle vous voulût faire cognoistre, par sa résolution sur le propos de Monseigneur le Duc, sa bonne volonté: Que c'estoient bien peu de parolles, mais, parce qu'elles procédoient d'une grande princesse qui les escripvoit de sa royalle mein, qu'elles justiffioient, plus que à suffizance, les actions de Voz Majestez sur tout l'accidant qui estoit advenu à ceulx de la nouvelle religion; et déclaroient si ouvertement vostre sincérité au propos du mariage, que je ne voulois, ny à l'ung ny à l'aultre, adjouxter une seule sillabe du mien. Le dict milord estant demeuré tout court, et non, à mon advis, mal satisfaict, m'a prié de luy laysser la dicte lettre, affin de la pouvoir communicquer à sa Mestresse, ce que j'ay très volontiers faict. Et ainsy nous sommes départis. CCCIe DÉPESCHE --du XVIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Nouvelles d'Allemagne et d'Écosse.--Crainte que l'on doit avoir en France des secours préparés en Angleterre pour la Rochelle.--État de la négociation des Pays Bas. AU ROY. Sire, le gentilhomme angloys qui estoit passé oultre jusques au duc de Saxe est revenu, depuis trois jours, par la voye de Holande, par laquelle, peu devant luy, l'homme du comte Palatin estoit arrivé, et semble que son retour en ceste court ayt réchauffé la dellibération de la guerre en faveur des Protestantz, qui auparavant s'alloit peu à peu attiédir, ayant, à ce qu'on dict, rapporté beaucoup plus de satisfaction du dict duc, sur les choses que la Royne d'Angleterre luy a faictes proposer, qu'on ne l'espéroit de luy; qui, pour enseignes de sa bonne affection en cest endroict, a gratiffié le messager d'une cheyne de huict centz escus, avec une médaille de son effigie au bout, qu'il porte à la vue de tout le monde. Et, le mesmes jour, le Sr de Languillier est arrivé de la Rochelle, et, peu après, le poste de Vuarvic a aporté la certitude comme le Sr de Vérac et Carcade, frère du cappitaine Granges, sont arrivés à Abredin d'Escosse, sans aultre nombre de françoys que de huict ou dix harquebusiers, qu'ilz avoient prins dans leur navyre pour se garder des pirates, mais il compte aussy comme le dict Carcade, s'estant depuis conduict jusques au lieu de Blacmet, le comte de Morthon l'est allé assiéger, et l'a prins avec tout ce qu'il portoit de lettres, d'instructions et d'argent, et qu'il guette le Sr de Vérac pour luy en faire aultant. Je creins, Sire, de beaucoup d'endroictz, beaucoup de choses, dont auray l'œil en beaucoup de partz pour vous donner le plus d'advertissementz que je pourray; mais il semble bien que debvés surtout fère dilligemment recognoistre en Allemaigne qu'est ce qu'on y prépare, car de là viendra le plus grand effort; et m'a l'on dict que le comte Ludovic assure que sans doubte il y aura bientost une armée en campagne, mais ne se publie encores où elle marchera; qui prévoys néantmoins que les Angloys, en quelle part qu'elle aille, y adresseront aussy leur entreprinse. Dont je desire infinyement que, par une bonne dilligence d'avoyr plustost réduict, ou par amour ou par force, ceulx de la Rochelle, et ceulx qui suyvent leur party en France, à vostre obéyssance, Vostre Majesté oste toutz moyens à ces estrangers de s'entremettre de leur faict. Guaras attand encores la responce pour le Duc d'Alve, et n'espère de moins sinon qu'on la luy fera fort bonne, et qu'après les procheynes lettres, que le dict duc renvoyera, le commerce et les portz seront réouvertz entre les deux pays pour deux ans, et que, pendant iceulx, il sera depputé des personnages, de chacun costé, pour mettre toutz les aultres différendz en bons termes d'accord. Sur ce, etc. Ce XVIe jour de febvrier 1573. CCCIIe DÉPESCHE --du XXIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée jusques à Bouloigne par le courrier._) Armemens faits par le comte de Montgommery.--Projets divers qu'on lui suppose. AU ROY. Sire, après que j'ay eu remonstré au grand trézorier d'Angleterre les choses, que Vostre Majesté m'avoit escriptes touchant la confédération qui se présumoit entre la Royne, sa Mestresse, et ceulx de la Rochelle, l'on n'a depuis rien plus traicté de ces matières suspectes dans ce conseil; ains le dict grand trézorier et les comtes de Lestre et de Lincoln se sont absentés, et n'est demeuré gens d'affaires près de la dicte Dame que le seul comte de Sussex et mestre Smith: ce qui est cause, Sire, que je ne puis, si proprement que je voudrois, descouvrir, à ceste heure, comme va la particullarité des praticques de deçà. Néantmoins je voy bien que aulcuns fâcheus, et pleins de passions, ne cessent de poursuyvre, de mayson en mayson, et d'oreille en oreille, leurs accoustumées sollicitations plus que jamays; et que le comte de Montgommery va cherchant ceulx cy, et pareillement qu'il est cherché d'eulx, et qu'il traicte ordinayrement avec le secrettère du comte Palatin, et que la retenue des soldatz, tant françoys que aultres, qui a esté faicte en ceste ville, monstre de n'attandre que l'ordre et commandement de luy. En quoy, à mon jugement, Sire, il semble estre passé si avant, en prenant de l'argent de ceulx de Londres, et encores, à ce que j'entendz, quelque somme de ceste court, qu'il est aysé à juger qu'il s'est obligé à quelque entreprinse. Et parce qu'on ne publie au vray quelle elle est, qui, possible, luy mesmes ne la sçayt encores de certein, je vous diray, Sire, quelle opinyon en ont ceulx qui antent avec luy et avec les siens, et qui oyent souvant leurs discours: c'est que, si les moyens ne luy viennent plus grandz que, pour encores, ilz ne luy apparoissent, qu'il s'yra jetter, avec ce qu'il a de soldatz, dans la Rochelle; mais, s'il peut avoyr les moyens si gaillardz qu'il ayt de quoy mettre des gens en terre, sans dégarnir ses vaisseaulx, qu'il hazardera de surprendre ou de forcer quelque place, le long de la côte de Normandie, de Bretaigne ou de Guyenne, et qu'en toute sorte il tentera de maîtriser la mer avec cinquante navyres de guerre petits ou grands qu'il peut mettre ensemble en dellibération de combatre les gallères et vaysseaulx de Vostre Majesté, si l'occasion s'y offre. Et s'entend aussy, parmy eulx, qu'il pourra fère une entreprinse en Escoce pour y réduyre les choses, à la dévotion des Angloys, qui les ont à cueur, aultant que nulles aultres qui les concernent; et s'efforcera de prendre le chasteau de Lillebourg et de transporter le Prince d'Escoce par deçà: qui ay bien advertissement, Sire, qu'on prépare de l'artillerye, des pouldres et des monitions, en la Tour de ceste ville, pour les envoyer à Barvic tout exprès, à ce qu'on dict, pour en accomoder le comte de Morthon, lequel monstre d'avoyr résoluement déterminé de venir à bout de ceulx du dict chasteau de Lillebourg. Il se parle aussy que cest apprest de mer du dict de Montgommery est pour aller en cours piller quelque isle, ou bien pour dévaliser quelqu'une des flotes qui reviendront des Indes. Et aultres disent qu'il yra trouver le prince d'Orange, et que mesmes il essayera de tirer des harquebousiers de la Rochelle, et des aultres lieux de France, pour en accommoder le dict prince. Je supplye très humblement Vostre Majesté d'advertyr vostre armée de mer de se préparer et se tenir sur ses gardes. Sur ce, etc. Ce XXIe jour de febvrier 1573. CCCIIIe DÉPESCHE --du XXVIIe jour de febvrier 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Brouar._) Préparatifs du comte de Montgommery.--Protestation de dévouement de la part du vidame de Chartres et de plusieurs autres réfugiés.--_Mémoire._ Audience.--Plainte de l'ambassadeur au sujet de l'alliance qu'Élisabeth aurait faite avec les protestans de France.--Insistance pour la conclusion du mariage.--Déclaration de la reine qu'elle n'a pas formé d'alliance avec les protestans de France, et qu'elle ne veut donner aucun secours à la Rochelle.--Communication faite par elle de divers avis qui lui sont adressés de France.--Ses plaintes à raison des projets imputés au roi sur l'Écosse. AU ROY. Sire, premier que le comte de Worchester soit arrivé icy, lequel est encores attendant le vent à Bouloigne, j'ay esté bayser les mains de cette princesse à Grenwich, pour luy rendre, de la part de Vostre Majesté, et des deux Roynes Très Chrestiennes, l'exprès mercîment, qui est contenu en vos lettres, du IIIIe et VIIe du présent, pour la peyne qu'elle avoit prinse d'envoyer tenir la petite Madame, vostre fille, sur les saincts fontz de baptesme; en quoy je n'ay obmis de luy gratiffier le présent, et l'eslection du dict comte, et ce, qu'en toutes choses elle avoit procédé si honnorablement en cest endroict, qu'il ne s'y eût peu desirer ny plus de dignité, du costé d'elle, ny plus de contantement pour Voz Très Chrestiennes Majestez: et je mets dans un mémoire à part ce qui s'en est ensuivy. Depuis cella, elle a faict deffendre à aulcuns cappitaines anglois, lesquelles s'apprestoient d'aller en cours, que, sur peyne de vye, ilz n'aillent poinct à la Rochelle, et une partie de la contribution des marchandz ne se poursuit plus avant. Je ne ne sçay si pourtant le comte de Montgommery s'arrestera; mais il semble que non, et qu'il est résolu ou de deffandre la Rochelle, ou bien de faire sa composition, en composant pour icelle. Le vidame s'est du tout retiré de l'entreprinse, et monstre de n'avoyr aultre affection qu'à vostre service, et de diminuer, s'il peut, aulx princes protestantz la malle impression qu'ilz pourroient avoyr prinse de l'évènement de Paris, et a opinion qu'il s'y pourra utillement employer. Les sieurs de Pardaillan, Du Plessis, Maysonfleur et aultres monstrent de ne vouloir suyvre le dict de Montgommery, ains de passer plustost en Olande, ainsy que le cappitaine Poyet faict estat d'y retourner. Sur ce, etc. Ce XXVIIe jour de febvrier 1573. MÉMOIRE. Sire, j'ay discouru à la dicte Dame les propos qu'avez eus avec ses ambassadeurs touchant l'observance du traicté, et touchant le faict du mariage, et comme vous vous estes donnés assez de satisfaction les ungs aulx aultres, pour les bons termes où semble qu'avez mutuellement remis les affaires; et que cependant vous desirés, Sire, quand à ce qui appartient au traité, estre esclarcy de quelle intention elle pouvoit estre sur les advis qu'on vous avoit baillez par escript; lesquelz je l'ay supplyée vouloir prendre la peyne elle mesmes de les lyre, et de vouloir considérer sur iceulx que, si les choses estoient ainsy, comme je me doubtois assez d'une partye d'icelles, qu'il ne pouvoit estre qu'il ne vous restât à jamays une très juste occasion de vous plaindre de sa foy, de sa parolle, de sa promesse, de son sèrement, et de la lettre expresse qu'aviez devers vous, escripte de sa mein, en ce mesmement qu'au lieu d'espérer secours d'elle, jouxte vostre dernier traité, il se trouvoit maintenant qu'elle traictoit avec ceulx de voz subjectz qui s'estoient soublevés; et qu'elle layssoit sortir de Londres, et des ports de deçà, ung équippage fourny d'argent et d'armes, d'hommes, de vaysseaulx, d'artillerye, de monitions et de toutz aultres moyens prins en son royaulme, pour vous aller fère la guerre au vostre; qui au contrayre fesiez escrupule de prester seulement l'oreille au moindre de ses fuytifz, et qui mesme, quand au propos de Monseigneur le Duc, persévériez plus que jamays d'en pourchasser une heureuse conclusion, sellon que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez ouvert là dessus le fondz de voz desirs au dict sieur comte et au Sr de Vualsingam, si bien que c'estoit maintenant à elle d'en résouldre tout l'effect. Et me suis esforcé, Sire, de luy desduyre, par le menu, toutes les particullaritez de voz lettres, et toutes celles que j'ay estymé appartenir aux deux affaires affin de la retirer entièrement de l'ung, et la fère advancer, le plus que je pourrois, en l'aultre; qui pourtant m'estandray à racompter icy davantage tout ce que je luy ay dict, affin de donner tant plus de lieu à ce que j'ay peu recueillir de ses responces. Lesquelles, en subtance, sont, Sire, qu'elle avoit ung singulier plésir de voyr que le voyage du comte de Worchester eût produict le bon effect qu'elle desiroit, de vous avoyr apporté aultant de contentement pour le baptesme de Madame, vostre fille, comme vous luy aviez faict d'honneur de la convier d'en estre l'une des commères; et qu'elle prioit Dieu de la rendre aussy heureuse comme elle estoit grande, et comme elle s'assuroit qu'elle seroit vertueuse princesse, et de la fère ung commancement d'une si accomplie lignée à Voz Majestez Très Chrestiennes, que bientost elle eût une suyte d'aultant de frères, comme, pour la succession de vostre grandeur, vous en pouviez desirer; qu'elle ne pouvoit ouyr chose qui plus la contantast, que la continuation de vostre amityé, et qu'elle vous offroit pour jamays la sienne; Que, touchant le premier des deux advis, que je luy avoys monstré, il ne se trouveroit poinct qu'elle eût jamais faict ligue avec aulcuns subjectz, et mesmes, sans la persuasion de l'Empereur, elle n'eut point contracté celle qui duroit encores d'entre elle et les princes de l'Empire, parce qu'ilz n'estoient souverains; et que, touchant ceulx de vostre royaulme, elle vous prioit ne l'estimer jamays princesse de vérité, si elle en avoit faict, ny si elle estoit entrée en aulcune confédération avec eulx; et, quand elle en voudroit venir là, ce ne seroit soubz mein, affin de ne décevoir ceulx de la Rochelle, de ne les secourir si petitement et à cachète, sçachant que, à une force royalle comme la vostre, il en faudroit oposer une aultre royalle, ou ne s'en mesler poinct, par ainsy qu'elle se déclareroit ouvertement; Et que, du comte de Montgommery, elle me pouvoit jurer, avec vérité, qu'elle n'estoit aulcunement informée de son faict, et qu'elle ne pensoit pas qu'il peût trouver tant d'argent à Londres comme je disoys, parce que les marchandz n'estoient trop volontayres de prester à ung estrangier, sans bons gages et sans bonne seureté; Qu'il estoit bien vray que plusieurs de ses subjectz avoient esté priez de prendre les armes pour ceste cause, et plusieurs en grand nombre, et qui ont de bons moyens, s'estoient très vollontiers offertz de le fère, pourveu qu'elle le leur voulût permettre; et qu'elle vouoit à Dieu qu'elle le leur avoit très expressément deffandu, et commanderoit de nouveau à ses conseillers de ne laysser rien sortir hors de ce royaulme, qui peût aller contre les affères de Vostre Majesté, et qu'elle sçavoit bien qu'on ne la pourroit tromper en cella sinon, possible, soubz la couleur des marchandz, qui la contreignoient de leur permettre d'armer leurs vaysseaulx pour se deffandre contre les pirates, ou bien ilz vouloient délaysser du tout le trafficq en ce royaulme; Qu'elle vous estimoit d'ung si vertueux naturel que vous ne pourriez mescognoistre qu'elle ne vous eût esté très bonne amye en voz précédans affères, comme elle dellibéroit de l'estre en ceulx cy, ainsy que le Roy d'Espaigne commançoit aussy de s'appercevoyr que l'amityé d'elle ne luy pouvoit estre sinon bien utille; de quoy il luy avoit desjà donné de si bonnes enseignes, d'avoyr changé la maulvaise opinion qu'il en avoit eu auparavant, qu'elle feroit cognoistre à toute la Chrestienté qu'elle n'en vouloit plus doubter; Et qu'elle vous prioit, Sire, que la faulceté de ces advis, qu'on vous avoit maintenant donnés, vous fût cause de n'adjouxter plus de foy à ceulx qu'on vous bailleroit cy après, comme elle ne vouloit aussy croyre toutz ceulx qu'on luy escripvoit de France: d'où l'on l'advertissoit qu'aulcuns personnages de crédit avoient assuré qu'aussytost que vous auriez réduict la Rochelle, vous commanceriez la guerre à l'Angleterre, pour l'occasion de restituer la Royne d'Escoce, qui vous serviroit de bon prétexte en cella, mesmement à ceste heure que la déclaration estoit arrivée de Rome, comme le comte de Boudouel n'estoit plus son mary, et qu'on disoit que Monsieur, frère de Vostre Majesté, y vouloit prétendre pour luy; à quoy elle a adjouté, avec ung soubsrire, qu'elle s'y opposeroit, et allègueroit que c'estoit à elle, à qui il avoit premier promis mariage; Que, à la vérité, il avoit esté interçu, au frère du cappitayne Granges en Escoce, des lettres de Vostre Majesté, lesquelles, encor que fussent en chiffres, il avoit néantmoins exposé sa créance par escript, qui estoit d'avoir charge d'admonester ceulx du chasteau de Lislebourg de ne faire point de paix, et que, dans le moys de may, Vostre Majesté leur envoyeroit de bonnes forces pour les secourir, avec monsieur de Guyse; Que, nonobstant tout cella, nul, soubz le ciel, desiroit plus la paix de vostre royaulme qu'elle faysoit; qui vous vouloit bien advertir, Sire, et vous prioit de luy adjouxter foy en cecy, que, si ne trouviés moïen de paciffier voz subjectz sur la seureté de leurs vyes, et au faict de leurs consciences, ou aulmoins de ne les contreindre du tout en la liberté que leur aviez cy devant permise par voz édictz, que vous estiez pour vous trouver en plus d'affères, ceste année, que n'en aviez eu aulx précédantes; Que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, elle vous remercyoit et la Royne, vostre mère, de tout son cueur, pour la bonne affection que vous y aviez, et mercyoit Monseigneur le Duc de sa persévérance vers elle; et que ses ambassadeurs ne luy avoient escript ung seul mot de ce faict; dont, après que le comte seroit arrivé, elle adviseroit, sur le rapport qu'elle entendroit de luy, et sur ce que je luy en disois, de vous faire une si bonne responce qu'elle espéroit que Voz Majestez s'en contanteroient. Voylà, Sire, quasy en propres termes, ce qu'elle m'a respondu. Ce que la dicte Dame dict des affères, que pourrés avoyr ceste année, est sur le rapport que luy a faict le secrettère du comte Palatin. Et quand à ces advis qu'on luy a mandés de France, et les lettres qui ont esté surprinses en Escoce, ne fault doubter que ne luy ayent augmanté la deffiance, laquelle elle avoit desjà assés grande auparavant; en quoy si, d'advanture, ce n'estoit que vaynes parolles, il y pourroit, possible, par aultres parolles estre satisfaict, mais, si c'est à bon esciant, il faudra, Sire, qu'y pourvoyez par quelque bon effect, à cause que desjà je commance à descouvrir que, soubz couleur de fournir la garnison de Barvic, l'on parle d'envoyer des gens et toutes sortes de monitions de guerre vers la frontière d'Escoce. Au regard de ce qu'elle a dict du Roy Catholique, je ne fais plus de doubte que, dans peu de temps, les portz et le commerce ne soient ouvertz pour deux ans entre ce royaulme et les pays du dict Roy, sellon que luy mesmes a escript ceste foys, de sa mein, de fort bonnes lettres à la dicte Dame, à milord de Burgley et aultres de ce conseil, pour le requérir. CCCIVe DÉPESCHE --du IIIe jour de mars 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par Estienne._) Négociation avec les seigneurs du conseil pour empêcher le départ de l'expédition préparée par le comte de Montgommery. AU ROY. Sire, après que j'eus parlé à ceste princesse, le XXIIIIe du passé, voyant que, pour lors, je ne pouvois avoyr aulcune conférence avec les seigneurs de ce conseil, à cause qu'ilz estoient sur leur partement pour ce petit progrès qu'elle estoit allé fère à vingt mille d'icy, j'ay depuis envoyé le Sr de Vassal après eulx, avec de mes lettres, conformes aulx propos que j'avoys tenu à leur Mestresse, pour les exorter de vouloir bien mesurer, par vos bons déportementz vers elle, combien elle se porteroit de préjudice à elle mesmes, et à la confédération qu'elle avoit faicte bien seure et estable avecques vous, et au party qui seul aujourdhui la poursuivoit d'alliance, si elle et eulx permettoient que rien sortît de ce royaulme qui allât au dommage de voz affères; et qu'ilz pouvoient bien penser que vous ne réputeriez jamais aulcune sorte d'inimityé plus dommageable de leur costé, que si, se monstrantz en parolle voz amys, ilz se portoient en effect voz couvertz ennemys, et que vous imputeriez à eulx tout le mal que le comte de Montgommery s'esforceroit de vous fère, plus que non pas à luy, qui n'y pouvoit apporter que la maulvayse volonté, là où il prendroit, d'eux et de ce royaulme, toutz les aultres moyens de vous nuyre. Sur quoy, ayantz les dicts du conseil conféré de rechef avec leur dicte Mestresse, et s'estantz assemblés par deux foys là dessus, ilz m'ont enfin mandé, par le mesmes Sr de Vassal, que la dicte Dame me prioit d'escripre ardiment à Vostre Majesté qu'elle n'envoyeroit, ny donroit permission qu'on envoyât, d'icy, aulcuns vaysseaulx ny hommes, ny armes, artillerye, monitions, ny vivres en France; car ne vouloit enfreindre le traicté, ny vous faulcer son sèrement, tant que luy garderiez le vostre; et, quand au comte de Montgommery, elle m'avoit desjà respondu qu'elle n'estoit bien advertye de son faict, ny eulx pareillement, et que ce ne seroit tout ce qu'on m'en avoit rapporté; que, au surplus, ilz me vouloient dire librement que leur Mestresse ny eulx n'avoient peu trouver de bonne digestion que Monseigneur le Duc, qui estoit bien capable de traicter luy mesmes de son faict, fût party de Paris troys foys vingt quatre heures après le jour préfix du partement du comte de Worchester de ceste court; ce qui leur donnoit argument de penser que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ne vouliez poursuivre ceste alliance, que jusques après avoyr bien pourveu à voz affères, et que, d'un certein propos, qui avoit esté tenu en ung bon et grand lieu de France, il avoit esté recueilly ung advis par lequel l'on les advertissoit que Vostre Majesté avoit commancé de donner secrettement ordre, en Normandye et Bretaigne, à un embarquement pour passer des gens de guerre en Écosse; et que Monsieur, frère de Vostre Majesté, en seroit le conducteur, et que Mr le chevallier et Mr de Guyse, et aultres grandz du royaulme, debvoient estre de la partye; et que mesmes le cappitayne Sarlabos assembloit desjà pour cest effect, au Hâvre de Grâce, le plus de soldatz qu'il pouvoit: ce que la dicte Dame ne vouloit encores résoluement croyre, ains attandoit qu'elle en vît quelque chose plus avant. J'espère, Sire, que j'yray trouver bientost la dicte Dame sur l'occasion de vostre dépesche du XIIIIe du passé, et sur le retour du comte de Worchester qui arriva hier, et mettray peyne de luy rabbattre ceste impression, aultant qu'il me sera possible. Cependant le dict de Montgommery s'appreste en la plus grande dilligence qu'il peut, et bien que, à cause de mes instances, il ne pourra, possible, tirer tout ce qu'il espéroit d'hommes et d'argent d'icy, si ne layssera il, à ce que je voy, de se mettre sur mer, et ne sera son embarquement de grand monstre, car n'y aura que quelques ungs des siens qui partiront avecques luy, sur ung ou deux vaisseaulx, mais, au rendés vous, se doibvent assembler, comme on dict, soixante à quatre vingtz navyres, et envyron cinq mille hommes, entre marinyers et soldatz. Je n'attandz que l'heure qu'il parte d'icy, dont le feray suivre par ung homme exprès, affin qu'il me rapporte quand et comment il s'embarquera. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de mars 1573. CCCVe DÉPESCHE --du IXe jour de mars 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Rapport favorable du comte de Worcester à son retour.--Opposition mise aux armemens pour la Rochelle.--Rejet de la proposition faite en Angleterre d'envoyer une armée en France.--Préparatifs de départ du comte de Montgommery.--Négociation des princes protestans d'Allemagne pour former une ligue avec Élisabeth.--Nouvelles d'Écosse.--Communication faite par l'ambassadeur aux protestans de France.--Accord conclu en Écosse pour la reconnaissance de Jacques VI. AU ROY. Sire, la Royne d'Angleterre m'a envoyé prier de différer mon audience jusques à demein, qu'elle sera de retour en ung lieu qui est bien près d'icy, où je ne faudray, tout à une foys, de tretter avec elle du contenu en voz deux dernières dépesches; et cependant je vous diray, Sire, que les bonnes démonstrations et bonnes parolles dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, avez uzé au comte de Worchester, et le bon rapport qu'à son retour il a faict icy de toutz deux, et le moyen que m'avez donné par voz lettres de rendre plusieurs évidentz tesmoignages à ceste princesse de vostre droicte intention vers elle, ont faict naistre beaucoup d'empeschemens, au comte de Montgommery et à ceulx de la Rochelle, de ne pouvoir ouvertement, ny soubz mein, impétrer tout ce qu'ilz pourchassoient en ceste court, ny, à beaucoup près, tout ce qu'ilz pensoient leur y estre desjà octroyé; car ung milord, qui est aultant digne de foy qu'il y en ait en ce royaulme, m'a assuré que les choses de Paris avoient bien si merveilleusement immué toute l'affection, que les Angloys commançoient avoyr assez bonne vers nous, en une extrême indignation contre nous, que ung bon nombre de la noblesse estoient venus, d'ung commun accord, se offrir de mener trente mille hommes bien armés en France à leurs despens, s'il playsoit à leur Mestresse de le leur permettre, et oultre cella, d'advancer, du leur, demy million d'or pour ceste guerre, pourveu qu'ilz le peussent recouvrer, dans deux ans, par des moyens qui ne toucheroient rien au revenu de la dicte Dame, ce qu'à la vérité elle n'a jamais voulu concéder; ains je sçay qu'elle l'a fort rejetté. Mais ny encores le dict de Montgommery n'a pu avoyr le tiers de l'argent que l'évesque de Londres et luy avoient praticqué en ceste ville, ny pareillement toutz les vaysseaulx qu'il pensoit; et mesmes y a beaucoup de gentilshommes angloys qui avoient donné parolle, et s'apprestoient pour l'accompaigner, à qui a esté deffandu de ne bouger; et une partie des pirates ont esté prins ou escartés par le bon debvoir que l'admyral d'Angleterre a faict faire contre eulx, suyvant ce que ceste princesse et les siens luy en ont commandé pour interrompre principallement l'entreprinse du dict de Montgommery; qui pourtant ne la délaysse, ains partira, à ce que j'entendz, mardy prochein de ceste ville. L'homme du comte Palatin est encores icy, et tout ce que, jusques à ceste heure, j'ay peu découvrir de sa négociation, est qu'il a fort instamment pressé ceste princesse de vouloir entrer ouvertement avec les princes protestantz en la deffance de leur religion, et nomméement en France, pareillement aussy en Flandres, et de contribuer, comme la plus riche, aulx principaulx frays de ceste guerre. A quoy j'entendz que la résolution a esté prinse, mais fort secrettement, par ceulx de ce conseil, de luy respondre que, pour aulcunes bonnes et grandes considérations, concernantz la seureté de sa couronne, la dicte Dame ne pouvoit ny vouloit entrer aulcunement en guerre contre Vostre Majesté, ny aussy se déclarer, pour encores, plus avant qu'elle avoit faict contre le Roy d'Espaigne; mais, quand aux frays de la guerre, en tout ce que les dictz princes jugeroient estre bon de fère et d'entreprendre pour la deffance de leur religion, elle ne voudroit estre veue de n'y contribuer aultant ou plus largement que nul aultre prince ou princesse de la Chrestienté; et, là dessus, se sont poursuyvies d'aultres négociations particullières et bien estroictes, que je ne sçay pas encores quelles elles sont. Tant y a qu'ung secrettère du comte Ludovic, qui est arrivé depuis six jours, s'y est allé incontinent mesler bien avant. J'ay advis, de plusieurs costés, comme le Sr de Vérac est véritablement abordé en ce royaulme. Je ne faudray d'en fère une bien expresse mencion à la dicte Dame. Je n'ay receu, longtemps y a, aulcunes nouvelles d'Escoce, et croy que les choses n'y passent du tout ainsy qu'il a esté rapporté à Mr le cardinal de Lorrayne. Il est bien vray que, en ceste court, l'on a opinion qu'il s'y pourra fère bientost quelque paix, car la noblesse se debvoit assembler pour cest effect dès la my febvrier, et ne faut doubter, puisque Carcade est prins, que ceulx du chasteau de Lillebourg ne se trouvent en grande nécessité, aulxquelz, depuis naguières, j'ay escript par deux foys. J'espère qu'ilz auront receu mes lettres. J'ay communicqué, par Mr le vydame de Chartres et le jeune Sr de Pardaillan, aulx aultres gentilshommes françoys, la vertueuse responce que Vostre Majesté m'a mandé de leur fère, et leur en ay baillé tout l'article de vostre lettre par escript, affin qu'il n'y puisse estre rien varié. Ilz m'ont prié d'en rendre leurs très humbles grâces à Vostre Majesté, et qu'après qu'ilz auront dellibéré ensemble, ilz adviseront d'envoyer quelqu'ung d'entre eulx devers Vostre Majesté. Et sur ce, etc. Ce IXe jour de mars 1573. Depuis ce dessus, m'est venu advis comme l'accord a esté faict en Escosse, et que toutz les principaulx de la noblesse se sont rengés à recognoistre le Prince, et n'y a rien plus que le chasteau de Lillebourg qui tiegne pour la Royne d'Escosse. Je creins assez qu'on entreprendra de le assiéger, et que les Angloys y envoyeront gens et monitions. CCCVIe DÉPESCHE --du XIIIe jour de mars 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._) Audience.--Expédition du comte de Montgommery.--Nouvelles d'Écosse et d'Allemagne.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Satisfaction montrée par la reine de la mission du comte de Worcester.--Négociation du mariage.--Discussion de l'article sur l'exercice de la religion.--Proposition faite à cet égard par l'ambassadeur.--Plaintes au sujet de l'expédition du comte de Montgommery.--Plaintes de la reine à raison de la conduite des Français en Écosse.--Assurance qu'elle ne donnera aucun secours au comte de Montgommery. AU ROY. Sire, de tant que je metz dans un mémoire à part ce qui s'est passé en la conférance que j'ay heu avec la Royne d'Angleterre, je vous diray au surplus que le dict de Montgommery, le jour d'après, a faict une extrême sollicitation en ceste court, mais j'espère qu'il luy aura esté plus osté que accreu de moyens. Il n'a peu encores partir, mais j'entends qu'il s'acheminera aujourdhuy vers l'Ouest, résolu, comme le commun dict, de s'aller jecter dans la Rochelle, avec moins de forces beaucoup qu'il n'avoit promis d'y mener. Aultres assurent que son entreprinse est ailleurs, ez confins d'entre la Normandye et Bretaigne, et qu'il tirera toute faveur des isles de Grènezé. J'ay mis gens après. Je pense avoyr comprins de ceste princesse qu'il y a résolution prinse en Escoce de bastre le chasteau de Lillebourg, si les Srs de Granges et de Ledington ne le veulent rendre, et qu'elle ne fera difficulté d'y envoyer des forces et des monitions à cest effect; de tant qu'elle dict que ceulx de la noblesse monstrent toutz d'y convenir. Dont adviserez, Sire, ce que sera expédient d'y pourvoir, attandu qu'elle a tout ce qui faict besoing à cella desjà tout prest et apporté à Barvic. Le secrettère du comte Ludovic s'estant meslé dans la négociation de l'homme du comte Palatin a faict et conclud, icy, par le moyen d'ung Henry Pol, riche marchand d'Envers, lequel il a faict expressément passer deçà, ung party de soixante mil escus à estre payez au commancement d'avril, par trois égalles porcions, en Hembourg, Francfort et Strasbourg; et dict on que le dict Palatin a assuré une levée de quatre mille reytres à icelluy Ludovic. Sur quoy, de tant qu'il est échappé au dict de Montgommery de dire qu'il entreprendroit bien de l'aller recueillir jusques à la frontière, il semble que ce seroit pour la France; mais je n'en ay encores d'aultre indice. Le duc de Saxe a mandé icy ung homme exprès pour fère entendre à ceste princesse que l'Empereur avoit esté adverty de la légation qu'elle avoit envoyé fère vers luy, et comme il avoit gratiffié le messager d'une cheyne et de sa médaille, chose qui ne debvoit avoyr esté sceue ny en France, ny en Flandres; et que, dorsenavant, elle ne voulût monstrer d'avoyr aulcune intelligence avec luy, ains qu'elle layssât jouer tout le jeu au Palatin. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour de mars 1573. MÉMOIRE. Sire, pour garder que je ne me pleignisse du dellay de mon audience, la Royne d'Angleterre, après aulcunes excuses des maulvais et estroitz logis où elle avoit passé, m'a dict que, en lieu que j'avois accoustumé d'aller vers elle, elle estoit pour satisfaction de mon attante venue ceste foys vers moy, toute preste d'ouyr de bon cueur ce que je luy voudrois dire de la part de Vostre Majesté; mais ce seroit après qu'elle vous auroit infinyement remercyé de tant de sortes de faveurs et d'honnestes respectz, et de bons traictementz, dont il vous avoit pleu, et aulx deux Roynes Très chrestiennes, uzer vers le comte de Worchester son depputé, qui en avoit encores tant receu en vostre court; et partout où il avoit passé en vostre royaulme, que, de son abondante satisfaction, il avoit, à son retour, satisfaict elle et toutz les siens par deçà, aultant qu'il estoit possible de le fère; de quoy, pour beaucoup de mutuelles occasions d'entre Voz Majestez et de voz communs subjectz, elle en estoit bien fort ayse, et me prioit croyre qu'elle se santoit vous en avoyr beaucoup d'obligation. Je luy ay respondu que cella monstroit aulmoins que les siens et toutz ceulx de ceste nation sont et seront tousjours mieulx receus en France qu'on ne luy avoit voulu fère accroyre; et, de tant que ce que m'aviez mandé par voz deux dernières dépesches donnoit ung fort parfaict tesmoignage à la foy, intégrité et droicte conscience, dont vous procédés en toutes choses vers elle, et au regret que vous auriez qu'à l'appétit d'aulcuns de voz subjectz malcontantz, ou des siens passionnés, elle layssât naistre quelque préjudice en l'amityé qu'elle vous avoit jurée; et que vous l'assuriez bien que le Pape, ny Mr le cardinal de Lorrayne ne pourroient jamais rien traverser en celles que vous luy portiés; que j'avoys estimé bon de laysser à part tout ce que je pouvois avoyr pensé de luy dire, et remonstrer de moy mesmes là dessus, pour luy fère voyr les propres conceptions vostres, et celles de la Royne, vostre mère, par les propres lettres de Voz Majestez. Ce que la dicte Dame monstrant d'avoyr bien agréable, a fort attentivement leu tout l'extrêt, que je luy ay faict voyr, des plus notables poinctz de voz deux lettres du XIIIIe et du XXIIIe du passé; Et, après avoyr déduict aulcunes choses, pour conférer l'effect, qu'elle dict vous avoyr tousjours monstré de son amityé et bons déportementz vers vous, à ceulx de Vostre Majesté vers elle, J'ay suivy à luy dire que ce qu'elle avoit leu monstroit qu'il ne se pouvoit desirer rien de mieulx en l'affection, où vous vous confirmiés de plus en plus, de luy demeurer à jamais très bon amy et perpétuel confédéré; et que vous vouliez que cella fût notoyre à toute la Chrestienté avec dellibération que, si le feu Roy François le Grand, vostre ayeul, s'estoit oncques monstré ferme amy des princes protestantz en la première guerre que l'Empereur Charles cinquiesme leur avoit commancé, aulxquelz il avoit faict secours, pour une foys, de cinq centz mille escuz, car ilz avoient d'aultres forces assez; et le feu Roy Henry, vostre père, quand il fit, quelque temps après, la guerre au mesme Empereur pour la dellivrance du duc de Saxe et lansgrave de Hetz, et pour la liberté de l'Allemaigne; et, si l'ung et l'aultre avoient esté constantz vers les feus Roys Henry et Edouard, ses père et frère, quand eulx mesmes ne les avoient provocqués, que vous vous proposiez de l'estre encores plus vers elle en toutz les accidentz et occasions qui s'en présenteroient jamais au monde; Et, pour ne m'arrester trop en ce poinct, duquel elle avoit vostre foy, vostre sèrement et vostre propre lettre, pour gages, je voulois venir à l'aultre principal poinct de voz lettres, lequel estoit l'entière confirmation d'estuy cy, et confutoit toutz les argumentz qu'on pouvoit fère au contraire: c'estoit du propos de Monseigneur le Duc, lequel Voz Majestez me commandoient de le résouldre avec elle, et que, pour ne le laysser plus en simples parolles et remises, et n'y laisser ainsy naistre des difficultés les unes après les aultres, vous la vouliez instamment prier de vous vouloir maintenant esclarcir de sa résolue volonté, affin qu'après ceste foys Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, vous imposissiez à vous mesmes ung perpétuel silence de ne donner à elle l'ennuy, ny à vous la honte, de jamais plus en parler; qu'elle se pouvoit souvenir qu'au moys d'aoust dernier elle m'avoit donné charge de vous respondre, présent le Sr de La Molle, que, suivant la contreinte, qu'elle s'estoit faicte à elle mesmes pour l'amour de ses subjectz, de se résouldre à se marier, qu'elle avoit dellibéré de prendre party de grand lieu, parce qu'elle n'estoit petite, et que celluy que Voz Majestez luy offroient de Monseigneur le Duc luy sembloit très honnorable, si toutes aultres choses y pouvoient convenir, dont elle avoit estimé que aulcunes gisoient en l'entrevue d'entre eulx deux; et qu'elle m'avoit dict et faict bailler par escript qu'elle estoit contante que toutz les articles, qui avoient esté trouvés bons au premier propos de Monsieur, frère de Vostre Majesté, restassent accordés en ce segond, réservé le seul poinct où l'aultre avoit esté délayssé, touchant accorder plus ou moins de l'exercice de la religion: dont n'y pouvoit plus rester que celle seule difficulté, et une aultre, laquelle il falloit plus tost vuyder, qui estoit, si elle avoit depuis faict nulle contrayre résolution de ne se marier pas; car sur celle là faudroit il couper entièrement le propos, et establyr, en tout ce que fère se pourroit, celluy de la ligue. Elle m'a respondu qu'elle avoit bonne souvenance des propos que je luy ramantevoys, de la résolution à prendre party sellon elle, et qu'elle en estoit encores là, et ne se feroit jamais ce préjudice, d'en prendre d'aultre qualité, et qu'elle voudroit qu'aussi peu se fussent elloignées les choses du costé de Vostre Majesté que du sien; mais si, en ung tel party, ne se trouvoient maintenant, les aultres considérations qui estoient requises pour le repos d'elle et de son estat, force luy seroit de s'en passer. J'ay réplicqué que, puisque ce doubte estoit vuydé, tout l'affère estoit bien près de sa conclusion, car ne restant plus aulcun escrupulle, ny apparance de danger, que au seul poinct de la religion, la Royne, vostre mère, en avoit parlé si clèrement au comte de Worchester et au Sr de Valsingam, et croy qu'encores escript à elle mesmes, que c'estoit maintenant à elle d'y mettre l'effect, quand elle voudroit. Elle m'a dict incontinent que la Royne n'avoit parlé que en termes généraux, et qu'il sembloit qu'elle estoit allée fort retenue en ce propos, auquel l'on voyoit néantmoins que, du costé de Monseigneur le Duc, estoit raysonnable que se demandoit l'esclarcissement de toutz les doubtes, et s'est mise à en déduyre plusieurs. Dont enfin je luy ay dict, en termes bien clers, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, desiriez qu'elle jugeât ainsy de Monseigneur le Duc comme d'ung prince catholicque, qui avoit aultant à cueur ce qui estoit de son Dieu, de sa religion et de sa conscience, que prince qui fût au monde; et, s'il estoit aultre, vous l'estimiés si vertueuse qu'elle ne l'auroit en aulcun compte, et que d'un prince desirable qu'il estoit, elle le tiendroit pour ung ambitieulx digne d'estre rejetté; Que pourtant Voz Majestez la prioient de luy accorder aultant du dict exercice comme elle jugeoit bien qu'il ne pouvoit estre en Dieu, en conscience et en honneur, qu'il n'en heût; et, pour parler en termes plus exprès, que, _venant Monseigneur le Duc par deçà_, elle ne le voulût tant contreindre en sa conscience que de ne luy laysser pour luy et ses domesticques, non subjectz de ceste couronne, l'exercice de _sa religion en privée, en ung quartier où il logeroit, et, pour obvier à toutz les escandalles qu'elle alléguoit, s'il estoit besoing que ce fût à huys clos, avec ung de ses huyssiers à la porte, qu'il ne refuzeroit de le fère_. Elle a monstré de ne trouver poinct maulvais cella, et m'a dict que, si on luy eût voulu parler si clèrement, il y a longtemps qu'elle eût baillé sa response, et qu'elle s'en alloit, le jour après, à Grenvich, où elle en confèreroit avec ceulx de son conseil, et puis me manderoit un jour pour me la fère, m'ayant demandé, d'elle mesmes, si Vostre Majesté m'avoit envoyé le reste des articles. Je luy ay dict qu'il fauldroit suyvre ceulx mesmes du premier propos. Et puys ay suivy à luy dire que maintenant voulois je, hors de voz lettres, luy parler de l'expédition qu'ung chacun disoit et qu'on voyoit que le comte de Montgommery s'aprestoit de fère je ne sçavois où, parce que je n'avois pas tant pénétré en ses entreprinses; mais j'entendois que c'estoit en quelque lieu contre vous, et que je n'avois pas tant de regret au mal qu'il vous pourroit fère, qui y aviez très bien pourveu, comme à ce qu'il s'estoit pourveu d'armes, d'argent, d'hommes et de monitions, et possible, de maulvaise affection dedans Londres, allant et venant en la court de la dicte Dame, et alloit prendre vaysseaulx et tout aultre équipage en ses portz; que ce m'estoit chose si griefve, après luy avoir veu, ceste mesmes année, lever la mein à Dieu pour vous jurer amityé, et vous la luy aviez pareillement jurée à elle, qu'il falloit bien ou que je luy demandasse congé, ou bien qu'elle commandât que le dict de Montgommery ny aultres eussent à sortir de ses portz avec armement, sans prendre bonne seureté qu'ilz n'yroient poinct contre Vostre Majesté, ny troubler vostre royaulme, ny porter dommage à voz subjectz, ny atempter aulcune chose, soit à la Rochelle ou ailleurs, contre la bonne ligue et confédération d'entre Voz Majestez. La dicte Dame, après m'avoir, en contre eschange de cella, racompté aulcunes particullarités des propos que Carcade avoit tenus à son retour en Escoce, et des souspeçons que la dépesche de Vérac par mer, et plusieurs advis qu'elle avoit de France, luy pouvoient avoyr donné beaucoup plus grandes à elle de Vostre Majesté que non à vous d'elle, si elle les vouloit prendre, m'a dict qu'elle desireroit de bon cueur que vous sceussies au vray ce qui s'estoit passé, de sa part, sur les instances de Montgommery et de ceulx de la Rochelle, et sur les présens affères de vostre royaulme; car avoit opinion que ne pourriez fère que ne luy en sentissiez une bien grande obligation, et que j'aurois occasion de me pleindre, si je voyois qu'elle baillât de ses navyres, et argent, et hommes, au dict de Montgommery, mais, de le laisser aller là où il voudroit, mesmement qu'elle juroit ne sçavoir quelle part c'estoit, et cuydoit que ce ne seroit poinct à la Rochelle, elle ne le debvoit empescher; et, affin que pas ung angloys ne peût traicter avecques luy, au préjudice de ce qu'elle me disoit, elle commanderoit à ses conseillers de conférer avecques moy, et je leur pourrois fère la mesmes remonstrance que j'avois faicte à elle. Sur quoy, ayant reprins le premier propos de l'entretènement de vostre traicté, et l'ayant priée qu'elle voulût si bien déposer toutz ces umbrages et deffiances, qu'on s'efforçoit de luy imprimer de vous, qu'elle vous en rendît son amityé plus parfaicte, et de me vouloir bientost résouldre du faict de Monseigneur le Duc, elle m'a bien fort gracieusement licencié. CCCVIIe DÉPESCHE --du XIXe jour de mars 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Ouater._) Efforts de l'ambassadeur pour empêcher le départ de l'expédition du comte de Montgommery.--Nouvelles d'Allemagne.--Arrivée de Mr de Chateauneuf à Londres.--Audience.--_Mémoire au roi._ Détails de l'audience.--Nouvelles plaintes au sujet de l'expédition du comte de Montgommery.--Assurance donnée par la reine que toutes les mesures sont prises pour arrêter l'exécution de ses projets.--Déclaration que les prises faites sur les Français ne seront pas reçues en Angleterre.--Affaires d'Écosse.--Plainte de la reine à l'égard du projet imputé au roi de venir en personne au secours de l'Écosse, après la réduction de la Rochelle, afin d'envahir l'Angleterre.--Demande d'un délai pour répondre sur la négociation du mariage.--_Mémoire à la reine._ Détails particuliers de la négociation de Mr de Chateauneuf sur le mariage. AU ROY. Sire, le jour après que j'eus communicqué avec la Royne d'Angleterre des poinctz principaulx de voz lettres, du XIIIIe et XXIIIe du passé, elle mit en dellibération les remonstrances que je luy avoys faictes, dont le comte de Montgommery s'apperceut incontinent qu'elle auroit grand regret que, par les déportementz de luy, vous vous sentissiez offancé d'elle, ny qu'il se fît aulcune altération au bon traicté d'entre Voz Majestez; et que pourtant il ne pourroit tirer ny hommes, ny argent, ny monitions, ny aulcung notable secours procédant de la dicte Dame, ny sinon celluy que les évecques, et aulcuns siens particulliers parantz, et quelques passionnés protestantz, aulxquelz elle mesmes n'ozeroit contredire, luy pourroient moyenner sur le seul crédit et responce de ceulx de la Rochelle, dont il a changé l'ordre qu'il avoit préparé pour son voyage; et au lieu que le cappitayne Poyet, et ung nombre de françoys, debvoient aller en Holande, il les mène presque toutz avecques luy, réservé les Srs vidame, Pardaillan, Le Plessis, La Garde et quelques aultres, qui demeurent. Il est bien certein que, suyvant l'eschange du sel et du vin, qu'on va quérir à la Rochelle pour d'aultres vivres et monitions, qu'on y porte d'icy, plusieurs navyres angloys y vont de compagnie, qui sont équippés, moytié en guerre, moytié en marchandises; et avec ceulx là, et les pirates, et d'aultres vaysseaulx, qui l'attendent au pays d'Ouest, il faict estat de mettre plus de cinquante navyres de combat ensemble: dont le rendez vous est ez isles de Grènesay, avec résolution de crever ou de se fère mestres de la mer, et de combattre les gallères et navyres de Vostre Majesté; et puis, par les marées haultes, mettre des hommes, des armes, des monitions, et des vivres pour ung an, dans la Rochelle. Le cappitayne Morguen, et mille angloys passent peu à peu en Holande, et, le quatorziesme de ce moys, l'homme du comte Palatin a conféré de rechef fort estroictement avec milord Quipper et avec le comte de Lestre, et puis s'est licencié pour aller, du premier bon temps, tout de long, en Hembourg; et ung marchand d'Allemaigne, qui est icy, assure qu'il se faict une levée de reytres en son pays, nomméement pour aller en France. Toutes ces choses, Sire, m'ont donné occasion de retourner à l'audience, dont je donne le récit à part, en ayant assez bon argument par les deux dépesches de Vostre Majesté du IIe et IIIIe du présent, et par la venue de Mr de Chasteauneuf, laquelle j'ay toute convertye en une honneste visite de Monseigneur le Duc vers ceste princesse, chose qui s'est trouvée estre plus à propos que je n'eusse espéré. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de mars 1573. MÉMOIRE AU ROY. Sire, après avoyr aydé au Sr de Chasteauneuf de fère l'office qui convenoit pour Monseigneur le Duc, duquel il s'est aussy bien et modestement acquicté qu'il se pouvoit desirer pour le contantement de ceste princesse, j'ay parlé bien exprès à elle de toutes les choses, une à une, qui sembloient tourner au préjudice de l'amityé et des bons traictés d'entre Voz Majestez; et que, de tant que je n'estois icy que pour procurer l'entretènement de l'une, et pour m'oposer à l'infraction des aultres, je la suplioys d'y pourvoir, ou bien qu'elle trouvât bon que je supliasse très humblement Vostre Majesté de me permettre que je la peusse requérir de mon congé; car, après cella, il ne siéroit plus bien ny à moy, ny à pas ung aultre, de la part de Vostre Majesté, de se trouver auprès de la sienne. La dicte Dame, en bonne et bien fort bénigne façon, m'a respondu que quelle démonstration que je fisse, je sçavois bien que Vostre Majesté avoit occasion de la remercyer sur le faict mesmes du comte de Montgommery, duquel tant je me pleignois; et que, oultre ce que j'avoys entendu par les gens de son conseil, qu'elle luy avoit interrompu une armée, laquelle la noblesse d'Angleterre luy avoit offerte, et faict prendre ses pirates, et qu'elle pouvoit assurer qu'il n'avoit esté accomodé par elle d'ung seul escu, n'y d'aultant de poudre qu'il en pourroit dans la mein, ny d'armes jusques à une simple espée, ny d'hommes, ny de vaysseaulx; encores l'avoit elle, après ma précédante audience, faict appeller en son conseil pour luy deffandre de sortir, aulcunement armé, de ses portz, ce qu'il avoit trouvé si estrange qu'il luy avoit demandé à quel titre le vouloit elle retenir prisonnier; Et que néantmoins elle luy avoit esté si redde en cella, que les évesques et plusieurs principaux personnages de ce royaulme luy estoient venus remonstrer que, oultre le tort qu'elle faysoit à elle mesmes, à sa couronne et à ses subjectz, d'abandonner la deffance de leur religion, elle ne pourroit plus griefvement offancer Dieu et à sa conscience que d'empescher que le dict de Montgommery n'allât soubstenir en son pays, par les moyens qu'il pourroit, la cause de sa religion; et que, nonobstant, elle ne l'avoit voulu laysser partir sans prendre promesse et seureté de luy qu'il n'iroit point contre Vostre Majesté, ny fère chose aulcune au préjudice de la bonne confédération d'entre ces deux royaulmes; Dont pouvoit jurer qu'elle ne sçavoit où il alloit; et que, possible, alloit il aussytost en Flandres que en France; néantmoins que, ayant depuis sceu comme il y avoit, en l'isle d'Ouyc, sèze vaysseaulx et six centz françoys, qui se préparoient pour l'aller trouver, elle les avoit faict arrester, et avoit aussy elle mesmes, de sa bouche, prescript à des milords et à plusieurs gentilshommes de sa court, qui avoient affection à ceste entreprinse, d'entièrement s'en départir. Au regard des prinses qu'on avoit faictes sur voz subjectz, elle n'entendoit qu'il en eût esté rien débité en son royaulme, ny rien entré dans sa coustume, ains vouloit que tout ce qu'elle en avoit faict recouvrer par ses propres vaysseaulx, fût entièrement rendu; et que de cella j'en parlasse avec ceulx de son conseil; Quand aulx choses d'Escosse, que je m'advançoys bien de me pleindre de cella, mesmes qu'elle avoit bien fort grande occasion de se douloir pour les menées qu'elle avoit découvertes qui s'y faysoient contre elle du costé de France, jusques à y debvoir Vostre Majesté mesmes passer, en personne, après la prinse de la Rochelle, et entrer en armes en Angleterre; où elle ne s'attandoit pas, à la vérité, que vous y voulussiez jamays venir en sorte d'ennemy, puisque vous y pouviez venir en sorte d'amy, et y estiés ainsy plus desiré que personne qui fût au monde; Et, encor qu'elle eut pensé, comme je disoys, d'envoyer du secours en Escoce pour expugner le chasteau de Lillebourg, c'estoit en faveur du jeune Roy, son parant, et pour la noblesse et la paix universelle du royaulme, et non pour y préjudicier en rien à vostre alliance, ny pour fère, de ce costé, ny de nul aultre, aulcun préjudice à l'amityé et aulx bons traictés d'entre Voz Majestez; et qu'elle vous prioit de croyre qu'elle n'estoit pas plus résolue de ne souffrir point d'offance, si, d'avanture, quelqu'ung luy en vouloit fère, qu'elle avoit fermement résolu de ne commancer à vous en fère aulcune de sa part; Et quand à l'instance, que je luy fesois, de respondre au faict de Monseigneur le Duc, qu'elle ne le vouloit ny différer, ny prolonger, bien que ces saincts jours de Pasques la rendoient un peu excusable, et qu'elle avoit advisé d'y procéder ainsy honnorablement, et par l'ordre que les aultres princes avoient accoustumé fère en choses de si grand importance, comme estoit ceste cy à elle, qui me prioit ne trouver maulvais si elle respondoit là dessus à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, par son ambassadeur; pour de tant plus s'assurer de voz intentions; et qu'elle m'en feroit aussy participant par deçà, et espéroit que sa responce seroit si honnorable que Voz Majestez s'en contanteroient. Les propos de la dicte Dame ont esté dictz en si bonne façon que j'ay estimé luy en debvoir rendre beaucoup de mercyement pour les ungs, et j'ay bien voulu aussy réplicquer ung peu sur les aultres, et nomméement j'ay passé à diverses remonstrances sur le faict du comte de Montgommery, et bien fort expressément sur n'envoyer point de forces en Escosse, et de vouloir elle mesmes deffandre les poinctz de l'amityé et confédération d'entre Voz Majestez, et commander à ses conseillers de n'y laysser venir, de son costé, aulcune altération; comme vous ne souffririez qu'il y en vînt du vostre; Et m'ayant fort assuré qu'elle le feroit ainsy; et que mesmes ce qu'elle m'avoit dict mander des forces en Escoce, n'estoit que contre les larrons de la frontière, et qu'elle envoyeroit milord trézorier pour conférer davantage avecques moy à Londres, et qu'elle seroit preste de favoriser l'élection de Monsieur en Pouloigne, en tout ce qu'elle pourroit; et nous nous sommes fort gracieusement licenciés d'elle. MÉMOIRE A LA ROYNE. Au regard du propos de Monseigneur le Duc, j'ay faict que le voyage de Mr de Chasteauneuf, qui aultrement eut esté peu honnorable pour Voz Majestez, ayt esté fondé sur une honneste visite de Mon dict Seigneur le Duc vers ceste princesse, ce qui a esté receu de merveilleusement bonne part. Et après qu'il a eu, en fort bonne façon, explicqué sa créance, j'ay dict à la dicte Dame que Mon dict Seigneur le Duc ayant fally au plésir et contantement qu'il espéroit recepvoyr par la venue du comte de Worchester, s'il fût arrivé à temps de s'enquérir à luy de toutes les bonnes nouvelles de la dicte Dame, et luy tesmoigner la dévotion et servitude qu'il luy porte, ayant esté contreinct, pour sa réputation, de s'acheminer au camp avec Monsieur, son frère, il avoit moyenné, estant devant la Rochelle, au dict Sr de Chasteauneuf, qui estoit de ses favoris, gentilhomme de mayson, et des mieulx apparantés de France, ce voyage tout exprès pour la venir visiter, luy bayser les meins de sa part, luy présenter une sienne lettre, sçavoyr de son bon portement, et santé, luy tesmoigner le regret de n'avoir veu le comte de Worchester, et l'assurer qu'entre les princes qui avoient aspiré à son amityé, nul luy demeureroit jamays plus constant serviteur que luy; et qu'il la suplioit de luy permettre qu'il peût commancer sa première guerre et ses armes soubz la faveur de son nom, et qu'en quelle part qu'il fût, il se peût advouer son champion, espérant que la recordation d'elle le feroit venir à bout des plus haultes et généreuses entreprinses qu'il eût en son cueur, et le jetteroit hors des plus grands dangiers, et luy feroit acquérir tant de réputation qu'il mériteroit ung jour le bien de ses bonnes grâces; et surtout qu'il la suplioit de fère une bonne responce aulx honnestes et raysonnables demandes que Voz Majestez luy avoient faictes pour luy. A quoy la dicte Dame ayant, avec toute faveur, receu le dict Sr de Chasteauneuf, et leu fort curieusement la lettre qu'il luy portoit, nous a respondu qu'elle participoit au mesmes regret de Mon dict Seigneur le Duc, aultant que luy, que le comte de Worchester ne l'eût peu voyr pour le remercyer bien fort de la bonne souvenance qu'il luy plésoit avoyr d'elle, et de l'honneste affection qu'il monstroit luy porter, laquelle luy estoit si expressément signiffyé par Voz Majestez Très Chrestiennes, et par les propres lettres de luy, et fort souvant par celles du Sr de Vualsingam, et quasy, à toute heure, par les bons rapportz que je luy en fesois, qui luy monstrois ordinayrement ce qu'il m'en escripvoit; Et, à présent, estoit confirmée par ce nouveau message, qu'elle vouloit confesser de luy avoyr une très grande obligation, et qu'il méritoit d'apporter quelque meilleure et plus agréable faveur, que ne luy seroit la sienne, en ses premières armes, et mesmes qu'elle avoit regret de luy en bailler là où il estoit, qui voudroit de bon cueur que Monsieur, son frère, et luy, employassent tant de valeur, qu'il y a en eulx, en d'aultres entreprinses qui fussent contre les ennemys et non contre les subjectz de la couronne d'où ilz sont; Et que, touchant vous fère responce à ce que demandiés pour luy, il estimeroit qu'elle y auroit trop respondu s'il la voyoit, car la trouvant ainsy vieille qu'elle estoit, elle le feroit bientost retirer de sa poursuyte; néantmoins que le dict Sr de Chasteauneuf l'assurât qu'elle la vous feroit bientost, et la vous feroit honnorable. Et après avoyr monstré d'estre bien marrye du tort qu'on avoit faict en chemin au dict de Chasteauneuf, de luy avoyr osté la lettre qu'il portoit, et avoyr faict quelque difficulté d'y vouloir respondre, elle l'a fort gracieusement licencié; et, le jour après, luy a envoyé la responce à Mon dict Seigneur le Duc, avec laquelle il s'en retourne vers luy par le mesmes chemin qu'il estoit venu, et passera là où est le comte de Montgommery, affin qu'avec les choses que je luy ay communicquées de son entreprinse, il puisse encores mieulx informer Monseigneur de tout ce qu'il en aura veu davantage et apprins sur le lieu. CCCVIIIe DÉPESCHE --du dernier jour de mars 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._) Réponse de la reine sur la négociation de Mr de Chateauneuf.--Sa persistance dans son refus de prendre un engagement formel sur le mariage, avant qu'une entrevue ait eu lieu. AU ROY. Sire, suyvant ce que la Royne d'Angleterre m'avoit dict qu'elle m'envoyoit milord de Burgley pour me communiquer la responce qu'elle entendoit fère à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, sur les choses que je luy avoys proposées, le VIIe et XVIe de ce moys, du mariage d'entre elle et de Monseigneur le Duc vostre frère, elle n'a pas failly, le XVIIIe ensuyvant, de fère venir en mon logis le dict milord, qui m'a dict que la dicte Dame me prioit de croyre qu'elle avoit mis en grande considération ce que, sur voz dernières dépesches, du IIe et IIIIe de ce moys, je luy avoys remonstré, de l'entière et parfaicte amityé que Vostre Majesté luy portoit;--«Et comme, depuis la dernyère paix, en toutes les choses qui s'estoient offertes pour le faict d'elle en la Chrestienté, d'où qu'elles eussent procedé, fût ce de Rome, ou d'Espaigne, ou de Flandres, ou de son mesme pays, vous vous estiez tousjours porté en très parfaict amy à destourner ce qui pouvoit estre contre elle, et advancer ce qui estoit à son repos; et que n'aviez jamays voulu admettre en vostre présence aulcuns de ses rebelles; et que, ceste année, vous vous estiez, au veu et au sceu de toutz les Chrestiens, ouvertement confédéré avec elle, et en aviez mutuellement juré le traicté, et aviez envoyé de notables ambassadeurs, de chacun costé, pour estipuler voz promesses, et aviez sur icelles escript lettres de voz propres meins l'ung à l'aultre, et que, pour confirmation de cella, vous faysiez, encores à présent, requérir l'accomplissement des articles et observance d'iceulx; et que vous ayant, ceste mesmes année, esté offert une aultre ligue avec de grandz avantages, vous l'aviez refuzée pour demeurer entier en la sienne; et que, ez choses d'Escoce, vous vous estiez toujours comporté en façon que vous aviez bien monstré de ne la vouloir offancer; et que de ce, d'où elle avoit peu prendre quelque deffiance de Vostre Majesté, pour les accidantz naguyères survenus en France, vous aviez eu, en l'évènement mesmes d'iceulx, et tousjours depuis, un grand soing qu'elle y fût respectée et ses subjectz conservés; et qu'aussytost que Dieu vous avoit donné lignée, vous l'aviez choisye pour une de voz comères, et, pour plus grande confirmation de vostre bienveillance, vous persévériez à desirer son alliance, et faisiez que Monseigneur le Duc, vostre frère, l'envoyoit en bonne façon rechercher:» Que toutes ces choses, desquelles la recordation luy estoit fort agréable, lui donnoient occasion de réputer bien employés toutz les bons tours de très bonne amye, que, non moins expressément, elle avoit aussy rendus de sa part à Vostre Majesté, en voz plus grandz affères, et mesmes tout freschement de si bons, avec quelque hazard d'elle et de son propre estat, que de meilleurs ne vous en eût sceu rendre la feue Royne d'Espaigne, qui estoit vostre seur germayne, si elle eut esté en vye; et que, pour conduyre ceste concurrence d'amityé à plus de perfection, elle s'esforceroit de vous rendre, et à la Royne, vostre mère, sur le propos, dont je la pressois, de Monseigneur le Duc, la meilleure responce qu'il luy seroit possible; mais vouloit, devant cella, me fère entendre qu'il y avoit deux choses qui l'avoient longtemps retenue, et la retenoient encores beaucoup, de ne s'ozer advancer guyères en ce propos: l'une, qu'il s'estoit peu nother, du costé de Voz Majestez Très Chrestiennes, que n'y aviez guyères de volonté, et que, possible, ne le vouliez du tout; la segonde, que plusieurs considérations luy avoient tousjours faict, et luy faysoient encores, juger estre expédiant de ne s'obliger à pas ung mariage, sans qu'elle peût voyr et estre veue de celluy qui l'épouseroit. Et, là dessus, s'estant mis le dict milord à discourir plusieurs choses et ouyr, aussy fort paciemment, celles que je luy ay voulues déduyre pour comprouver que l'intention de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc estoit pure et parfaicte vers la dicte Dame, il m'a faict la responce que j'ay mise en ce pacquet. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de mars 1573. CCCIXe DÉPESCHE --du IIIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Laurent._) Négociations au sujet du mariage et de l'expédition du comte de Montgommery.--Audience.--Affaires d'Écosse.--Autorisation donnée par la reine à Mr de Vérac de retourner en Écosse.--Déclaration du comte de Morton qu'il ne veut pas le recevoir.--État de la négociation des Pays Bas. AU ROY. Sire, ceste princesse et l'ung de ses expéciaulx conseillers, car l'aultre est allé pour quinze jours en sa mayson de Quilingourt, monstrant que, par la responce qu'ilz vous ont maintenant envoyée, ilz pensent avoyr faict une assez grande ouverture, pour découvrir bien avant ce qu'avez en l'intention touchant le propos de Monseigneur le Duc, (et sont assez en suspens si Voz Majestez voudront accorder l'entrevue sous ung incertein évènement, et mesmement après vous avoyr admonestés que, si vous debviez tant soit peu rester offancés, au cas que le mariage ne succédât, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, que la dicte entrevue se fît: qui, à la vérité, est ung poinct fort considérable, et lequel elle estime n'estre chose indiscrète ny impertinante à elle de le mettre en avant,) je luy ay d'ailleurs recordé, Sire, comme de moy mesmes, ainsy que me le mandiez fère, du XVIIe du passé, les mesmes instances, que je luy avoys cy devant faictes, touchant le comte de Montgommery, et que vous la priez bien fort de ne laysser à l'arbitre d'ung tel homme, qui faict le malcontant et le désespéré, la seureté de vostre mutuelle amityé, ny celle de vostre confédération, car il y pourroit fère du préjudice, qui vous randroit offancé, et elle, à la fin, malcontante; et je me oposoys, de rechef, qu'on ne le layssât sortir d'aulcun port de ce royaulme, sans prendre assurance qu'il n'yroit poinct contre Vostre Majesté. De quoy se trouvant la dicte Dame en quelque perplexité, elle m'a respondu qu'elle avoit prins de luy la dicte assurance que je demandoys, et pensoit luy avoir faict cognoistre qu'elle vous estoit très bonne seur; dont il s'estoit party fort malcontant d'elle, et avoit dict ne sçavoyr s'il alloit à la Rochelle, ou en sa mayson trouver ses amys qui l'y attandoient, ou bien en Holande, mais qu'elle avoit bien sceu qu'au partir d'icy, ung des gens du comte Ludovic le vint rencontrer en chemin, qui heurent une longue conférance ensemble, et qu'elle ne pensoit que pas ung de ses subjectz, sinon son beau filz seul, l'allât accompaigner. J'ay pareillement remonstré à cette princesse, touchant les choses d'Escoce, que (se traictant avec le Sr de Quillegreu, son ambassadeur, de faire une ligue par dellà sans vous en parler, toute séparée de celle qu'aviez très ancienne avec l'Escoce; et de transporter le filz, aussy bien que la mère, qui sont les seuls princes de ceste couronne, et les plus estroictz confédérez que vous ayez en la vostre, sans vostre sceu, par deçà; et de vouloir expugner le chasteau de Lillebourg, et ruyner ceulx de dedans, qui ont tousjours heu recours à vous, et que mesmes elle y vueille envoyer à cest effect de ses forces et des monitions; ainsy que de toutes ces choses l'on vous avoit adverty de dellà, et que mesmes l'on n'aspiroit à rien tant que d'y effacer du tout la mémoire de vostre nom, et de la France), qu'il estoit impossible que n'en fussiez beaucoup offancé; et de tant qu'elle se souvenoit bien que, pour vostre regard, elle n'y avoit oncques senty aulcune sorte d'offance depuis vostre règne, vous la vouliez bien fort prier de fère cesser ces poursuytes; lesquelles je luy voulois bien dire que romproient à la fin les traictés, et que son bon plésir fût de se ranger, comme vous feriez aussy, à uzer vers l'Escoce et les Escouçoys en la forme de vostre dernier traicté; et qu'estant le Sr de Vérac, lequel vous aviez dépesché pour aller trouver le petit Prince d'Escoce, abordé par temps contrayre en ce royaulme, elle luy voulût faire bailler son passeport pour s'y conduyre, soubz bonne promesse, que vous luy fesiez, qu'il n'y procureroit rien, qui ne fût sellon la bonne amityé et les bons traictés que vous aviez avec elle. La dicte Dame, discourant là dessus plusieurs choses, de l'occasion que ceulx du chasteau de Lillebourg luy avoient donnée de ne s'entremettre plus de leur faict, et des divers rolles que le Sr de Ledington jouoit au monde, et des divers rapportz que Carcade avoit faictz, m'a enfin assez gracieusement respondu qu'elle vouloit, en tout et partout, observer les traictés. Et luy ayant, à l'heure mesmes, le dict Sr de Vérac baysé la mein, elle luy a libérallement accordé son passage; mais, le jour d'après, comme il est allé poursuyvre son passeport, milord de Burgley luy a respondu qu'il estoit cependant venu nouvelles d'Escoce, par lesquelles apparoissoit que le comte de Morthon ne vouloit que le dict Sr de Vérac allât par dellà, par ce mesmement que les lettres qu'il portoit n'estoient inscriptes avec le tiltre qu'il appartenoit à leur jeune Prince, et qu'il avoit résolu de n'admettre pas ung dans le royaulme qui ne l'advouhât, et ne s'addressât à luy, come à Roy; et de souffrir que le dict Sr de Vérac se tînt à Barvic jusques à ce qu'il eût démeslé tout ce différand avec le dict de Morthon, la Royne, sa Mestresse, ne le vouloit pas. A quoy nous avons répliqué que le dict Sr de Vérac n'ozeroit rebrousser chemin, ny délaysser, en façon du monde, son voyage, sinon que la dicte Dame luy déniât son passeport. Et, là dessus, le dict milord nous a offert que, si nous voulions sonder la volonté du dict comte de Morthon par lettres, qu'il les luy feroit apporter par la poste, et aurions sa responce dans six jours. De quoy ne nous contantantz, comme aussy milord de Leviston et le Sr de Molins, qui veulent aussy passer en Escoce, se trouvent icy arrestés et malcontantz, icelluy de Burgley nous a promis d'en conférer de rechef avec la dicte Dame pour, puis après, nous fère entendre sa volonté, mais j'entendz qu'il prolongera cella jusques à ce que la responce de ceulx du dict chasteau de Lillebourg soit arrivée; auxquelz, depuis mon audience, la dicte Dame a mandé qu'ilz ayent à se renger au party de la paix, comme les aultres, et remettre le dict chasteau ez meins du dict de Morthon, ou bien qu'elle luy envoyera gens, argent et monitions, pour les y forcer; et cepandant quelqu'ung m'a dict qu'elle a escript à Barvic de fère encores temporiser les soldats qui estoient pretz d'y aller. Je creins enfin qu'il faudra que le dict Sr de Vérac preigne son chemin par ailleurs. Au regard de l'accord des Pays Bas, ceulx cy ont desjà respondu à Guaras que la Royne, leur Mestresse, avoit très agréable la déclaration du duc d'Alve, et qu'aussytost que la ratiffication en serait venue d'Hespaigne, elle feroit publier la liberté du commerce et ouverture des portz, et mesmement, si le dict duc donnoit ordre que la rivyère d'Envers fût ouverte; qui sont des remises qui monstrent y avoyr encores quelque accrochement: et ne cessent pour cella les Angloys de passer en Holande et à la Brille comme prétandans, si les choses prospèrent au prince d'Orange, ainsy qu'ilz disent qu'elles font, de suyvre son party, et aussy, s'il accorde avec le Roy d'Espaigne, comme il en est quelque bruict, qu'ilz pourront encores mieulx que jamays uzer lors du commerce que le dict duc leur offre. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour d'apvril 1573. CCCXe DÉPESCHE --du VIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Forces de l'expédition du comte de Montgommery.--Opinion de l'ambassadeur qu'Élisabeth n'est pas résolue à abandonner l'alliance de France.--Négociation avec l'Espagne.--Affaires de la Rochelle et d'Écosse. AU ROY. Sire, je suis adverty que, après beaucoup de difficultez, qui ont esté faictes au comte de Montgommery pour traverser son entreprinse, il a enfin dressé ung assez beau appareil de mer, et que, dans le Xe de ce moys, au plus tard, il s'embarquera, et qu'il a de quoy mectre troys mil hommes bien armés en terre; que sa flote sera de plus de cinquante cinq vaysseaulx de toutes sortes, et qu'il en y aura envyron quarante de combat, dont les cinq sont aultant bien équippés qu'il y en y ayt en ceste mer, et qu'il est encores assez incertein où il dressera son entreprinse. D'ailleurs, Sire, il m'est venu ung aultre advis comme le Sr de Languillier, avec les nouvelles qu'il a rapportées de la Rochelle, presse si fort le dict de Montgommery de partir, qu'il luy faict anticiper son embarquement de quelques jours devant le dict dixiesme, et qu'il faict estat que, entre le XIIIIe et XXe de ce moys, il se pourra présenter avec son armée devant la ville; et que, à cause des empeschementz qu'on luy a rapporté qu'il trouvera à l'entrée du port et auprès de la place, il dellibère, s'il ne peult combattre l'armée de mer de Vostre Majesté, de prendre terre en l'isle de Rhé, ou en quelque aultre lieu voysin de là, que la cavallerye n'y puisse aller; et, de là en hors, tenant ses vaysseaulx les plus près qu'il pourra de ce qu'il aura mis en terre, s'esforcer par marées d'envoyer tout le secours et refraychissement qu'il luy sera possible aulx assiégés. J'entendz que le dict de Montgommery a descouvert que quelques ungs vouloient attempter à sa vye, dont a envoyé requérir icy commission pour les pouvoir fère mettre en arrest, et m'a l'on dict que Maysonfleur en est l'ung. J'attandray la procheyne dépesche de Vostre Majesté, premier que de parler à nul des françoys qui sont icy, et ne monstreray, lors, que vous vous soulciez guyères de tout l'effort du dict de Montgommery, comme aussy me semble, Sire, que n'en debvez fère trop de cas, ayant Monsieur ainsy bien pourveu, du costé de la Rochelle, et les gouverneurs, le long de la coste, comme me le mandez: qui ne seroit que encourager davantage le dict de Montgommery et ceulx qui le favorisent, si l'on l'alloit rechercher et luy fère maintenant de nouvelles offres, et mesmement que les affères de Vostre Majesté ne s'en porteront qu'avec plus de réputation, si donnez ordre, ayant desjà préveu son entreprinse, qu'elle ne puisse réuscyr à effet. Et, quand aulx souspeçons et deffiances que Vostre Majesté a quelque occasion de prendre de ceste princesse et des siens, sellon que très sagement il vous playst me le discourir en vostre dépesche du XXVe du passé, vous aurez, Sire, sellon mon jugement, receu quelque satisfaction là dessus par la dépesche du Sr de Vassal, vous suppliant très humblement de fère prendre bien garde du costé d'Allemagne et d'Espaigne. Néantmoins, quant aulx choses d'icy, je ne puis penser pour encores, Sire, que ceste princesse se vueille du tout alliéner de Vostre Majesté; et, bien que je la voye fort recherchée, du costé d'Espaigne, pour le mariage du filz de l'Empereur, et pour l'accord des différendz des Pays Bas, et pour le restablissement du commerce en Envers; et puis assez persuadée que Voz Majestez ayent juré la ruyne de ceulx de sa religion; et ung peu par trop prompte aulx choses d'Escoce; et aulcuns de ses conseillers soient menés, les ungz par présantz et les aultres par passion, à l'allienner, tant qu'ilz peuvent, de la France, si ne me veulx je encores du tout désespérer de la dicte Dame. Et avez, Sire, quand à son mariage, beaucoup meilleures erres d'elle pour Monseigneur le Duc, par la responce que vous ay naguyères envoyée, que n'en a peu tirer encores l'agent d'Espaigne pour le Roy de Hongrie; et, au regard de l'accord des Pays Bas, les choses en sont aux termes que le vous ay escript. Quant à la persuasion, en quoy la dicte Dame et les siens sont, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, soyez animés à la ruyne des Protestantz, je leur ay faict voyr combien les condicions qu'offrez à ceulx de la Rochelle, et aultres de leur opinyon en France, sont au contraire, ce qui les a assez remis; et donnent à cognoistre maintenant qu'ilz desirent la paix de vostre royaulme, avec quelque accommodement, à ceulx de leur religion, d'ung exercice ou d'une tollérance beaucoup moindre et plus modérée qu'ilz ne l'avoient auparavant. Et, touchant les choses d'Escoce, ce sont celles qui plus donnent de peur et de souspeçon à ceste princesse et à tout ce royaulme, et lesquelles elle voudroit, devant toutes aultres, accommoder à son repoz; dont sera bien difficille qu'on la puisse retenir de s'en mesler plus avant, possible, qu'elle ne debvroit. Toutesfoys j'ay mis et mettray toute la peyne, qu'il me sera possible, de luy représenter tousjours là dessus l'infraction des traictés, qui est chose qu'elle monstre en toute sorte de vouloir éviter. Elle demeure encores en cella de ne nous vouloir octroyer ny refuzer le passeport du Sr de Vérac, et les mesmes difficultés faict elle à milord de Leviston et au Sr de Molins; et néantmoins il faudra que bientost elle se résolve ou à l'ung ou à l'aultre, et possible n'aura elle avec tant de facillité rengé cependant les choses par dellà comme elle l'a espéré. Sur ce, etc. Ce VIe jour d'apvril 1573. CCCXIe DÉPESCHE --du XIIIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._) Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration de la reine-mère qu'elle ne peut accorder à l'entrevue sans avoir une assurance, au moins secrète, qu'Élisabeth consent au mariage.--Persistance de la reine d'Angleterre dans sa proposition.--Conférence de l'ambassadeur avec Leicester et Burleigh.--_Mémoire._ Détails de l'audience sur les affaires générales.--Demande faite à Élisabeth de déclarer ses véritables intentions à l'égard du roi.--Assurance d'amitié de la part de la reine.--Affaires d'Écosse.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle envoie des troupes en Écosse pour réduire Lislebourg.--Protestation de l'ambassadeur contre cette infraction au traité d'alliance.--Promesses qui lui sont faites par les seigneurs du conseil. A LA ROYNE. Madame, estant adverty que ceste princesse ne se trouvoit assez satisfaicte d'aulcunes choses, que le Sr de Vualsingam luy avoit escriptes, de la dernyère audience que luy aviez donnée à Fontènebleau, j'ay voulu voyr si, en ne m'esloignant poinct de la teneur de vostre lettre, du XXIXe de mars, je luy pourrois en quelque si honneste façon réciter ce que m'escripviez, de la dicte audience, qu'elle s'en peût contanter; mais, encor qu'elle ayt bien prins la pluspart de ce que je luy ay dict, si a elle monstré néanlmoins de santir bien fort celle portion où il luy semble qu'elle demeure refuzée. Mon parler a esté que, devant toutes choses, Vostre Majesté me commandoit de la saluer de voz meilleures et plus cordialles recommandations, et que le Roy, vostre filz, et Vous, aviez receu, de la meilleure et plus inthime affection de vostre cueur, ce que son ambassadeur vous avoit déduict, de l'intention d'elle vers le propos de Monseigneur le Duc; qui ne vouliez faillir de la remercyer infinyement de la faveur qu'elle portoit au dict propos, et de ce qu'elle ne rejectoit l'instance que le Roy, son frère, et Vostre Majesté, qui estiez sa mère, luy faysiez pour luy; et que le dict Sr de Walsingam vous avoit commancé son récit par celluy que j'avoys faict icy à elle, après le retour du comte de Wourcester, et vous avoit dict que, si l'entrevue se faisoit, il auroit espérance que la résolution de l'affère s'ensuyvroit, et que le poinct de la religion seroit accordé; duquel, s'estant, puis après, mis à discourir, il avoit dict que le desir d'elle seroit que Monseigneur le Duc se contentât de la liberté de conscience, sans avoyr aulcun exercice, privé ny externe, de sa religion en ce royaulme: ce qui vous avoit mis en peyne; et néantmoins aviez promptement esclarcy le dict Sr de Walsingam de la volonté du Roy et vostre: c'est que vous offriez, avec le plus d'honneur et de respect que vous pouviez, Monseigneur le Duc à la dicte Dame, et avecques luy vous mesmes, et toutz les moyens et commodictés de vostre couronne, et la priez, de la plus pure et droicte affection qui fût en vostre âme, qu'elle le voulût accepter comme entièrement sien, et qu'il se viendroit mettre en sa possession, toutes les foys qu'elle vouldroit, en ce qu'elle voulût avoyr esgard aulx choses qui pouvoient estre de l'honneur du Roy et vostre, et de celluy de vostre couronne, et de la réputation de vostre filz en cest endroict; qui, proposiez bien, toutz troys, de ne rechercher jamais d'elle, sinon ce qui seroit pour l'honneur sien, sa grandeur, sa satisfaction, et son perpétuel contantement et repoz, et que vous la priez aussy que, de sa part, elle fît en sorte que n'eussiez à sentir ny regret, ny offance, de vostre honneste pourchas; Que, quand à la religion, le Roy et Vous, vous estiez restreincts, et aviez faict restreindre avecques vous ceulx de vostre conseil, au plus extrême poinct qui se pouvoit requérir en cella, qui estoit d'avoyr l'exercice en privé, à huys clos, l'huyssier à la porte; ce que si elle n'octroyoit, c'estoit, à bon esciant, couper du tout le propos, et monstrer que non à la religion, mais à la volonté, estoit tout l'empeschement; Au regard de l'entrevue, que Voz Majestez ne la luy vouloient aulcunement refuser, et permettriez très volontiers à Monseigneur le Duc qu'il se satisfît soy mesmes du grand desir qu'il avoit de la voyr, aussytost qu'il pourroit apparoir de quelque seureté; que ce n'estoit pour le refuser, ains pour accepter les vertueux et généreulx desirs qui le faysoient aspirer à ses bonnes grâces, que son intention estoit qu'il vînt par deçà; et que vous vous contanteriez qu'elle vous en baillât l'assurance en telle et si secrette façon qu'elle voudroit, par articles signés entre Voz Majestez seulement, ou par une lettre qu'elle pourroit respondre à celles que Voz Majestez, à cest effect, luy en escriproient; et qu'elle pouvoit considérer que, oultre l'opinyon qu'on pourroit prendre que Voz Majestez fussent mal fondées en leurs consciences, et réputassent Monseigneur le Duc de l'estre mesmes, et peu révérantz toutz troys à Dieu, si l'envoyez doubteux et incertein de pouvoir avoyr sa religion par deçà, il y couroit encores le hazard du refus, lequel engendreroit ung perpétuel crèvecueur à luy et ung regret par trop grand à Voz Majestez, de luy avoyr veu recepvoyr ceste honte et ce déplaysir; Que vous confessiez bien que la grandeur d'elle et ses excellantes perfections méritoient bien que Monseigneur le Duc et ceulx qui pourchassoient pour luy la vinssent rechercher, et luy déférassent toutz les advantages qu'il seroit possible, et qu'elle le peût avoyr agréable, si elle le debvoit espouser, et, possible aussy, que luy, de son costé, monstrât qu'il se complésoit d'elle, parce que nul mariage peût estre bon sans correspondance d'amityé; mais que, pour le regard du premier, Voz Majestez y vouloient entièrement satisfère, aussytost qu'il vous pourroit apparoir quelque peu de seureté, et ne faudriez de fère incontinent passer Monseigneur le Duc, accompaigné des plus solennels ambassadeurs que vous pourriez, vers elle, pour la requérir et pour traicter du mariage, comme si jamays n'en eut esté parlé; quand à luy estre Monseigneur le Duc agréable, que vous espériez et vous assuriez fort qu'il le seroit, si prince desoubz le ciel le pouvoit estre; car il estoit bien nay, d'une très belle disposition et taille, et aultant accomply en excellentes et vertueuses qualités qu'il se pouvoit desirer; et, quand à se complère luy d'elle, elle mettoit en plusieurs sortes ce poinct hors de tout doubte, oultre qu'elle auroit les promesses de Voz Majestez et la sienne, et luy mesmes entre ses meins, dont ne tenoit plus qu'à elle seule qu'elle ne se rendît tout maintenant dame et mestresse de ce grand bien. La dicte Dame, après avoyr ung peu pensé, m'a, d'une fort bonne et modeste façon, respondu qu'elle vouloit tousjours remercyer le Roy et Vostre Majesté du bon desir que monstriez avoyr à son alliance, et de l'honnorable pourchas que continués d'en fère, et de ce que, toutz deux, aviez mis peyne de chercher ung expédiant sur la principalle difficulté, qui estoit celle de la religion; mais qu'il sembloit que, sur l'aultre, qui estoit de l'entrevue, vous y aviez, Madame, trouvé ce dont elle vous avoit tousjours requise, que ne la voulussiez consentir, si jugiez qu'il y eût tant soit peu de chose mal honnorable pour Monseigneur le Duc; et qu'il luy sembloit que Vostre Majesté avoit fort bien réduict l'affère au poinct où il la falloit proprement délaysser: car, après vous avoyr faict entendre qu'elle avoit résolu de ne s'obliger jamays à aulcun mariage qu'elle n'eût veu celluy qu'elle espouseroit, et Vostre Majesté estant résolue que Monseigneur le Duc ne passe icy, sans qu'elle vous ayt promis de l'espouser, c'estoient deux résolutions si contrayres l'une à l'aultre, qu'il ne luy restoit sinon de mander à son ambassadeur de n'en parler plus, et à moy de me prier que je vous voulusse assurer, de la part d'elle, qu'elle n'avoit esté si meschante ny si desloyalle, après vous avoyr faict déclairer qu'elle se vouloit résoluement marier d'ung bon et grand lieu sellon elle, qu'elle eût faict proposer à Voz Majestez l'entrevue de Monseigneur le Duc et d'elle, en intention de vous offancer toutz troys en le refuzant, ains de l'espouser de bon cueur, s'il eût pleu à Dieu qu'ilz se fussent compleus l'ung de l'aultre, et qu'elle verroit ce que, sur la dépesche du gentilhomme que je vous avoys naguyères envoyé, vous m'en respondriez; qui toutesfoys ne sçavoit si elle debvoit plus consentir la dicte entrevue, puisque Vostre Majesté y voyoit du danger; car avoit tousjours estimée que le poinct de la religion pourroit estre très honnorable à l'ung et à l'aultre, s'il advenoit, par quelque occasion, que le dict mariage ne peût succéder. Je n'ay fally de remonstrer à la dicte Dame combien vous aviez de justes occasions de requérir ceste secrette seureté, et de n'azarder le voyage de Mon dict Seigneur le Duc, sans plus de fondement de bonne espérance qu'elle ne vous en avoit encores donné, et qu'elle debvoit laysser conduyre ce mariage en la façon accoustumée des princes, par ambassadeurs et ministres; mais elle est demeurée ferme au poinct de l'entrevue, et d'attandre ce que me manderez par le Sr de Vassal. Sur quoy m'estant gracieusement licencié de la dicte Dame, Mr le comte de Lestre m'est venu demander où j'en estoys demeuré avec elle; et je le luy ay particullièrement récité: lequel m'a dict qu'il y avoit de la rayson des deux costés, et qu'il en vouloit aller, sur l'heure mesmes, parler avec elle, et que, le jour après, il viendroit à Londres, où milord trézorier estoit, pour en conférer toutz deux avecques moy; comme il a faict, bien que, après avoyr, eulx deux, esté quelque temps ensemble, il n'a heu loysir davantage d'attandre, et le propos a esté seulement entre le dict milord et moy. Lequel m'a dict que, sellon troys choses, que le Sr de Walsingam avoit recuillies de voz propos, la Royne, sa Mestresse, et eulx avoient prins quelque conjecture que Vostre Majesté ne vouloit poinct le dict mariage; la première estoit le refus de l'entrevue, après l'avoyr d'aultrefoys voulue, et après avoyr offert, Vostre Majesté mesmes, d'y venir, qui estoit ung trêt qu'il estimoit non guyères dissemblable à celluy du premier propos, pour fère que la dicte Dame se trouve tousjours refuzée; la segonde est le party que Vostre Majesté a dict avoyr en mein pour Monseigneur le Duc, si n'estiez bientost respondue d'estuy cy; et la troysiesme, la commémoration qu'avez faicte de la Royne d'Escoce, comme le Sr de Vérac avoit charge de relever son party en Escoce, bien que vous fussiez depuis corrigée, quand le dict Sr de Walsingam vous avoit dict que le traicté portoit qu'il ne seroit poinct parlé d'elle. Aulxquelles troys choses j'ay mis peyne de satisfère si bien au dict milord, qu'il a bien veu que la vérité surmontoit les dictz argumentz, et que le Roy et Vous, Madame, et Monseigneur le Duc, et toutz ceulx de vostre couronne, aviez une très droicte, très certayne et indubitable, bonne intention au dict mariage, et qu'il estoit desjà tout résolu de vostre costé, et le poinct de la religion entièrement esclarcy. Il m'a réplicqué que, puisque Monseigneur le Duc estoit de si belle disposition, et de belle taille, et avoit de si belles et vertueuses qualitez, comme je disoys, pourquoy est ce que Vostre Majesté creignoit l'entrevue, car me pouvoit jurer, devant Dieu, qu'il ne voyoit aultre dellibération en sa Mestresse que de se marier pour satisfère à ses subjectz, et servir à la nécessité du temps; et qu'elle ne s'arresteroit poinct à la couleur du visage; et le faict de la religion se pourroit assez bien accomoder entre eulx, sellon ce qui en estoit desjà proposé; mais qu'elle estoit entièrement résolue de voyr celluy qu'elle espouseroit, fût ce le plus grand prince de la terre, premier que de luy promectre mariage; et qu'il sçavoit bien certaynement que ce n'estoit en intention de refuzer Mon dict Seigneur le Duc, qu'elle demandoit l'entrevue, ains pour l'espouser, si Dieu vouloit qu'ilz se peussent complère. Et sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'apvril 1573. MÉMOIRE AU ROY. Sire, je suis allé trouver la Royne d'Angleterre, et, après l'avoir fort grandement mercyée, ainsy qu'il vous plaisoit me commander de le fère, de ce qu'elle avoit envoyé réprimer les pirates, et de ce qu'elle avoit faict rendre à voz subjectz ce qui avoit esté recoux d'eulx, qui leur appartenoit, et singullièrement de ce qu'elle n'avoit layssé au comte de Montgommery, ny à ceulx qu'il avoit praticqués par deçà, toute la faculté et les moyens d'exécuter leur maulvayse volonté et leurs maulvais desseings qu'ilz avoient contre Vostre Majesté; je luy ay dict que, par ung article d'une de voz lettres, vous vous esbahyssiez néantmoins comme j'osoys vous assurer si confidemment, comme je faysois, de la parfaicte amytié d'elle et de l'observance des traictés, là où vous aviez trois argumentz devant les yeulx qui vous donnoient occasion de creindre le contrayre. L'ung estoit ceste persévérance en laquelle le dict Montgommery continuoit de prendre icy les armes, pour s'aller esprouver sinon contre vostre personne, aulmoins contre celle de Messieurs voz frères, qui estoient campés devant la Rochelle, pour les empescher en la réduction de ceste place à vostre obéyssance, chose que vous ne pouviez en façon du monde bien gouster; le segond, qu'en mesmes temps les marchandz angloys, qui estoient à Roan et ez aultres villes de vostre royaulme, vendoient leurs biens et laissoient à vils prix leurs marchandises pour se retirer à grand haste deçà la mer, pour quelque advertissement qui leur estoit venu d'icy, ou bien du Sr de Walsingam, comme si elle avoit proposé de vous commancer bientost la guerre; et le troisiesme, que le Sr de Vérac, lequel vous envoyez en Escoce, estoit arresté par deçà, bien qu'il fût garny de vostre passeport, et de voz lettres et pacquetz; Qui estoient troys trêtz, sur lesquelz me commandiez de vous esclarcyr de l'intention d'elle, affin de ne vous trouver surprins de quelque mal, du costé que vous n'espériez que bien; car c'estoient tousjours les plus nuysans coups, ceulx qu'on n'avoit pas préveus: et que, de tant que vous luy renouvelliez et confirmiez de rechef devant Dieu, et sur l'obligation de vostre honneur et de vostre conscience, de luy garder invyolablement la confédération que luy aviez jurée, et d'empescher que vous, ny voz subjectz, ny pas un, vers qui vous eussiez moyen ou puissance, l'enfrennissent à jamais au préjudice d'elle, ny du repoz de sont estat, que vous la priez et l'adjuriez qu'elle voulût uzer de mesmes droictement vers vous; et que, suyvant cella, elle fît cesser l'apareil et les entreprinses du dict de Montgommery, et fît que les marchandz angloys, qui estoient en France, y continuassent doulcement leur commerce, comme ilz avoient accoustumé, et qu'au Sr de Vérac fût baillé son passeport pour continuer le voyage que luy aviez commandé en Escoce. A toutes lesquelles choses la dicte Dame m'a respondu que, devant toutes aultres, elle vous prioit de vivre en très parfaicte assurance d'elle, et qu'elle ne vous deffaudra ny d'amityé ny de ligue, ainsy qu'elle le vous a juré, tant qu'elle sera en ce monde, si premièrement vous ne la luy rompés: Et, quand au faict du comte de Montgommery, qu'elle m'y avoit desjà amplement respondu, et vous y avoit faict satisfère par son ambassadeur, et qu'elle y avoit uzé, du commancement, et continuoit d'y uzer encores, en façon que sa conscience l'assuroit fort que vous sentiés beaucoup plus d'obligation que d'offance d'elle en cest endroict; Qu'elle feroit commander aulx principaulx marchandz de Londres de continuer, par leurs facteurs, leur commerce en France, comme ilz avoient accoustumé, et de les advertir bien de ne fère, ny dire, chose qui ne soit sellon la bonne intelligence d'entre ces deux royaulmes; Et, quand au passeport du Sr de Vérac, que j'avoys bien veu, en ma précédante audience, la volonté qu'elle avoit eu de le luy octroyer, mais que, le soyr mêmes, estoit arrivé ung pacquet du comte de Morthon, par lequel il la prioit de ne le laysser poinct passer, estimant que cella pourroit renouveller quelque altération en la bonne paix, où le païs estoit à présent, et par ainsy que je l'excusasse; car, tant s'en falloit qu'elle voulût retarder la dicte paix, que au contrayre elle la vouloit advancer et establir, parce que celle de son royaulme en dépandoit; Et que, de tant qu'il n'y avoit rien plus que le chasteau de Lillebourg qui l'empeschât, elle me vouloit bien dire, et avoit mandé à son ambassadeur de le notiffier à Vostre Majesté, qu'elle permettoit à ses subjectz, qui sont vers la frontière d'Escosse, d'aller secourir le jeune Roy, son nepveu, à réduyre le dict chasteau à son obéyssance, ainsy que, jouxte les traictés, elle en avoit esté requise par luy et par les Estatz du pays. J'ay réplicqué, Sire, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prié le Sr de Walsingam de luy remonstrer qu'elle ne voulût plus estre vostre amye et bonne seur à demy, ains entièrement, comme vous luy vouliés estre vray frère et tout entier amy, à jamais; et que, déposantz toutz deux les jalousies et deffiances d'entre vous, il ne fût plus uzé d'aulcune sorte de simulation, ny de ces façons couvertes, et soubz mein, l'ung vers l'aultre, et que pourtant elle advisât si elle aymoit mieulx, à ceste heure, complayre au comte de Morthon, d'arrester icy le Sr de Vérac, que de satisfère à Vostre Majesté, de luy donner moyen de continuer son voyage; et que je pouvois jurer, suyvant ce que m'aviez escript, qu'il n'avoit commission de fère chose aulcune par dellà que sellon le traicté de la ligue, et de procéder en tout conjoinctement avec son ambassadeur; Et, quand à mander de ses forces en Escoce, que cella vous osteroit le moyen de vous pouvoir excuser d'y envoyer des vostres, qui aviez jusques icy respondu à ceulx qui vous en avoient pressé, que vous aviez une mutuelle promesse avec elle de n'y envoyer des françoys non plus qu'elle des angloys; et, quoy que soit, je la prioys d'attandre qu'est ce que Vostre Majesté respondroit là dessus à son ambassadeur; car je sçavoys bien que le dernier traicté portoit que, dans quarante jours, l'ung et l'aultre debviez retirer les gens de guerre que pouviez avoyr au dict païs, tant s'en falloit qu'elle y en deût envoyer, et que je ne pouvois fère de moins cepandant que de protester de l'infraction du traicté; mais que je la supplyois de me laysser débattre ce faict avec les seigneurs de son conseil, affin que je luy peusse tenir ung plus agréable propos. Et là dessus, Sire, je luy ay parlé amplement de l'audience que la Royne vostre mère avoit donné au Sr de Walsingam en vostre gallerie de Fontainebleau, à quoy elle s'est rendue fort attentive; et néantmoins m'a assez faict cognoistre que le dict de Walsingam luy en avoit mandé quelque particullarité qui ne l'avoit bien contantée. Et de tant, Sire, que j'ay mis le récit de cella en la lettre de la Royne, je adjouxteray seulement icy que, ayant depuis débatu les affères d'Escoce avec les dictz du conseil, il me semble les avoyr ramenés à quelque rayson; et m'a esté octroyé que le Sr de Vérac puisse envoyer son homme jusques au comte de Morthon, pour quérir son passeport, si, d'avanture, il le veult bailler. CCCXIIe DÉPESCHE --du XVIIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par le Sr Christofle Dumont._) Nouvelles de la Rochelle.--Reprise du commerce entre l'Angleterre et l'Espagne.--Conférence de l'ambassadeur et de Burleigh sur les affaires d'Écosse.--Fausse nouvelle de la prise de Lislebourg. AU ROY. Sire, de tant que le comte de Montgommery faict son embarquement à plus de cent soixante dix mil d'icy, et que celluy, que j'ay envoyé pour le recognoistre, ne revient poinct, ains m'a l'on dict qu'il a esté découvert et qu'on l'a arresté; et que le dict de Montgommery a envoyé se pleindre que je descouvrois beaucoup de ses affères, et les luy traversoys, qui creignoit que ce fût par le moyen du jeune Sr de Pardaillan, l'on m'a observé, et toutz les miens, beaucoup de plus près qu'on ne souloit. Dont ne vous puis mander, pour ceste heure, Sire, sinon la confirmation de ce qu'en avez veu par mes précédantes, du XIIIe de ce moys, auxquelles je vous supplie très humblement adjouxter foy. Et vous diray davantage que j'ay sceu que quelques ungs de la Rochelle, lesquelz s'institulent mayre, juratz et payrs de la ville, ont escript une lettre, du XVIe de mars, au dict de Montgommery, par laquelle ilz luy mandent que le Sr de La Noue, avec quelques aultres, les ont layssés, de quoy ilz sont fort ayses, pour ce qu'ilz ne pouvoient vivre sans quelque souspeçon de luy, puisqu'il avoit passé par la court, non qu'il ne se fût porté en fort vaillant gentilhomme et en homme de bien, tant qu'il avoit esté avec eulx. Au surplus, Sire, les articles de l'ouverture du commerce pour deux ans, entre les pays du Roy d'Espaigne et l'Angleterre, sont passés, et le duc d'Alve les a signés pour le Roy Catholique et milord trézorier pour la Royne sa Mestresse; à laquelle le dict Roy Catholique a mandé, de sa mein, qu'il vouloit de bon cueur que les choses passassent à l'honneur et advantage d'elle, comme de celle de qui, pour beaucoup de respectz, il desiroit conserver l'amityé; et elle luy a pareillement escript, de sa mein, qu'elle luy vouloit defférer le semblable, comme à celluy par qui elle recognoissoit que la vye et l'estat luy avoient esté conservés. Le Sr de Vérac et moy avons obtenu qu'il puisse dépescher, par la poste, son homme devers le comte de Morthon, en Escoce, pour aller quérir son passeport, affin de continuer son voyage, s'il le luy envoye, ou bien s'en retourner, s'il le luy refuze. Milord trézorier, quand je luy ay débatu que sa Mestresse ne pouvoit, sans enfreindre les traictés, envoyer des forces en Escoce, m'a dict qu'il ne falloit que Vostre Majesté eût opinyon qu'elle voulût entreprendre, ny en Escoce, ny en nulle part du monde, chose aulcune que pour la seule nécessité de sa seureté et pour le repos de son estat; et que, si elle pouvoit avoyr ces deux poinctz, avec vostre amityé, ne falloit doubter qu'elle ne vous gardât invyolablement la sienne avec aultant d'affection comme pour sa propre vye; mais que les choses luy estoient, en cest endroict, fort suspectes; dont voudroit, à ceste heure que ceulx de la noblesse du pays se trouvoient aulcunement unis à l'obéyssance du jeune Roy, que, à l'occasion du chasteau de Lillebourg et de ceulx qui sont dedans, l'on ne retournât plus aulx armes, et que pourtant le cappitaine Granges, milord de Humes et le Sr de Ledington, qui seuls maintenant excitoient le trouble, se voulussent contanter des seuretés qu'on leur vouloit bailler, toutes semblables à celles que le duc, le comte de Honteley et les principaulx, qui avoient suivy le party de la Royne d'Escoce, avoient prins pour eulx mesmes; et qu'ilz voulussent libérallement rendre le chasteau pour estre miz ez meins du comte de Rothes, ainsy que les Estatz du pays l'avoient ordonné; et qu'il tardoit à la Royne, sa Mestresse, que milord de Humes se fût rengé à l'obéyssance du dict jeune Roy, affin de luy rendre incontinent son chasteau, lequel elle avoit tout à plat refusé à ceste occasion au susdict de Morthon, affin de n'en frustrer le propriétayre, bien qu'elle n'eût promis de le rendre sinon en général aulx Escouçoys; et que le dict de Morthon s'estoit monstré fort modéré en cest accord de l'Escoce, car avoit rendu toutz les biens et estats qu'il tenoit, et le duc et ses enfants avoient recouvert leurs terres et les abbayes d'Arbret et de Peselay, et pareillement l'estat de chancellier avoit esté baillé au comte d'Arguil, et celluy d'admiral à ung aultre; et le comte de Honteley et luy estoient, à présent, grandz amys; qu'il me vouloit bien advertyr néantmoins de deux choses: l'une, qu'il avoit esté faict ung acte de parlement entre les Escouçoys pour requérir la Royne, sa Mestresse, de les recevoir en ligue avec elle, pour la deffance de leur commune religion, contre toutz ceulx qui se voudroient monstrer ennemys d'icelle; l'aultre, que madame de Levisthon avoit esté faicte prisonnyère, à cause d'une lettre de créance qu'elle avoit escripte à la comtesse de Mar; dont celluy qui la portoit avoit esté prins, et déposoit que c'estoit pour pratiquer, avec elle et avec Me Alexandre Asquin, de transporter le jeune Roy en France; et que, si Vostre Majesté avoit prins quelque souspeçon de la Royne, sa Mestresse, par les appretz du comte de Montgommory par deçà, et pour voyr retirer les marchandz anglois hors de France, et pour vouloir envoyer quelque secours aulx Estatz d'Escoce, qui le demandent, qu'elle avoit plus d'occasion de se craindre des dellibérations de Vostre Majesté parce qu'elles tendoient à la ruyne d'elle, estant mesmement guydées par les ennemys de sa couronne, là où elle ne prétandoit, par toutes ses entreprinses, qu'à se conserver. A quoy j'ay respondu fort court que nulle sorte de nouvelle ligue se pouvoit fère en Escoce, ny envoyer des forces dans le pays, sans contrevenir aulx traictés, et que c'estoit la Royne, sa Mestresse, qui tâchoit d'avoyr le Prince entre ses meins; mais que si, pour se mectre hors de toutes ces difficultés, elle vouloit s'esclarcyr avec Vostre Majesté du faict du chasteau de Lillebourg, et du dict Prince, et de l'entière paix du pays, et de toutes aultres choses qu'aviez à desmeller ensemble, que vous seriez prest de le fère. Ce qu'il a trouvé fort bon, mais je creins que, pour cella, le dict secours pour l'Escoce ne sera suspendu, tant ceulx cy ont à cueur la reddition du chasteau de Lillebourg, laquelle ilz font, à toute heure, presser davantage. Et sur ce, etc. Ce XVIIe jour d'apvril 1573. Ainsy que je signois la présante, l'on m'est venu dire qu'ung courrier arrivoit d'Escoce, qui disoit que le chasteau de Lillebourg s'étoit rendu par composition à l'obéyssance du jeune Roy. J'entendray mieulx comme il en va: car, dès hier, on m'avoit bien dict que le comte de Rothes avoit esté dedans, mais non rien davantage. CCCXIIIe DÉPESCHE --du XXIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Départ de l'expédition du comte de Montgommery.--Affaires d'Écosse. AU ROY. Sire, ung messager est venu, du quartier d'Ouest, qui assure que le comte de Montgommery s'est ambarqué, le XVIe du présent, à Plemmue. Il est allé par mer jusques à Falmue, qui est à la poincte de Cornoaille, pour, de là en hors, fère voyle à l'Isle Dieu, où il prétend de recueillir toutz ses vaysseaulx. Je n'ay aultres nouvelles d'Escoce, depuis mes précédantes, du XVIIe de ce moys, sinon que de la part de ceulx qui ont suivy le party de la Royne d'Escoce, qui mènent quelques praticques en faveur de ceulx du chasteau de Lillebourg pour les fère comprendre dans l'accord; que le comte de Rothes a esté devers eulx dans la place, et que le cappitaine Granges a offert de la luy remettre en ses meins, ou bien ez meins de celluy que ceulx de la noblesse nommeront, en luy baillant néantmoins, premier qu'il s'en descharge, une bonne somme de deniers contantz pour s'acquicter des grandz debtes qu'il a faictz pour la fournyr et conserver durant le temps qu'il en a esté cappitaine, en luy baillant aussy le chasteau de Blacnes pour sa seureté, et pour celle aussy de ceulx de son party. De quoy il n'y a encores rien de faict, et m'a l'on dict que les trèze centz harquebusiers, que la Royne d'Angleterre avoit faictz approcher vers ces quartiers là pour les envoyer au comte de Morthon, lesquelz, à la vérité, ont esté jusques sur la frontyère d'Escoce, s'en estoient retournés; ce que, si ainsy est, Sire, elle a voulu monstrer de n'aller poinct contre la protestation que je luy ay faicte, et à ceulx de son conseil, de n'y envoyer poinct de forces s'ilz ne vouloient enfraindre le traicté. Néantmoins l'on continue de m'advertyr qu'elle passera oultre à fère passer les dictz harquebousiers et l'artillerye pour forcer ou pour intimyder ceulx du dict chasteau, s'ilz ne viennent à composition. Et sur ce, etc. Ce XXIe jour d'apvril 1573. CCCXIVe DÉPESCHE --du XXVIe jour d'apvril 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Nouvelles du comte de Montgommery.--Affaires d'Écosse.--Mise en liberté de lord de Lumley et des sirs Thomas et Edouard de Stanley.--Le comte de Soutampton retenu à la Tour.--Nouvelles arrivées à Londres des succès remportés par les protestans de la Rochelle. AU ROY. Sire, jusques au XXIIe du présent, le partement du comte de Montgommery n'a esté bien sceu en ceste court, mais, ce matin là, il est arrivé ung courrier du Ouest qui assure de l'avoyr veu à la voylle, le XVIe auparavant, hors du port de Falammue, avec le nombre de vaysseaulx que je vous ay desjà mandé. Je sçay bien, Sire, que le Sr de Walsingam vous aura parlé de ceste expédition, sellon qu'on luy a escript d'icy ce qu'il auroit à vous en dire; dont je desire bien entendre la vertueuse et prudente responce que Voz Majestez luy auront faicte, affin que je la suive par deçà. Je voys bien que ceulx cy mettent à exécution les dellibérations qu'ilz avoient prinses en une leur assemblée de conseil, qui a esté tenue au commancement de ce moys; et, suivant icelles, ilz layssent aller ceste flotte du comte de Montgommery en France, et layssent couler en Flandres, nonobstant le dernier accord, le secours qu'ilz avoient promis au prince d'Orange: et ne fays aussy doubte qu'ilz n'envoyent en Escoce les trèze centz hommes et les douze pièces de batterie, que le comte de Morthon attand d'eulx; car j'entendz que le capitaine Granges demeure fermement opiniastre de ne quicter le chasteau de Lillebourg, que premièrement l'on ne luy ayt fourny contant vingt mille livres d'esterlin, qui sont soixante six mille sept centz soixante quinze escus, et qu'on l'ayt mis en possession du chasteau de Blacnes pour la seureté sienne et des siens. Le conseil, ces jours passez, a vacqué à l'examen de ces seigneurs catholicques, qui estoient dans la Tour, dont milord Lommeley, les sires Thomas Standley, Edouard Standley, Gérard, et aultres, sont remis en liberté, bien que encores soubz quelque guarde; mais le comte de Surthampton, ayant esté mené en la présence du dict conseil, après avoyr esté ouy, je ne sçay pour quelle occasion, plus que les aultres, a esté ramené dans la Tour. Sur ce, etc. Ce XXVIe jour d'apvril 1573. Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr que, de Roan, est arrivé ung advis en ceste court, comme la nuict, du VIIe de ce moys, ayant Monsieur voulu fère donner une camisade à ceulx de la Rochelle, les siens y ont esté repoulsés, avec la perte de troys centz gentilshommes, et que Mr de Guyse et le Sr Strossy y ont esté blessés à la mort, et pareillement y ont esté blessés Mr le marquis Du Mayne et Mr de Nevers, l'ung au bras, et l'aultre à la jambe; et que, à Bordeaux et en la Gascoigne, y a quelque révolte, que Vostre Majesté a esté contreincte d'y envoyer des forces. Qui sont nouvelles qui convyeroient les Angloys, si elles estoient vrayes, de favorizer encores davantage l'entreprinse du comte de Montgommery; dont je desire leur pouvoir fère bientost voyr tout le contrayre. CCCXVe DÉPESCHE --du premier jour de may 1573.-- (_Envoyée jusques à la court par Jacques Laurent._) Audience.--Détails sur l'expédition du comte de Montgommery.--Résolution des Anglais d'envoyer des troupes en Écosse pour réduire Lislebourg.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Perte essuyée par les troupes royales à l'assaut de la Rochelle.--Accord des Vénitiens avec les Turcs.--Vives plaintes du roi contre les secours donnés à la Rochelle, et la conduite tenue par Élisabeth, tant à l'égard de l'Écosse que de la négociation du mariage.--Explications données par la reine d'Angleterre. AU ROY. Sire, ainsy que Jacques, le courrier, est arrivé avec les lettres de Vostre Majesté, du XXIIIe du passé, j'estois tout prest d'aller trouver ceste princesse sur l'occasion de vostre précédante dépesche, du XXIe auparavant; et m'a semblé que je ne debvois, pour les segondes lettres, changer rien de ce que j'avoys à dire à la dicte Dame sur les premières, estant mesmement bien adverty qu'elle, et ceulx de son conseil, ne sçavoient comment prendre le contremandement de monsieur de Walsingam; et que, d'ailleurs, l'on leur faysoit accroyre que Monsieur, frère de Vostre Majesté, avoit perdu presque toute la noblesse, qu'il avoit avecques luy, en ung assault qu'il avoit faict donner à la Rochelle, le VIIe du dict moys: qui estoient deux choses, dont l'une pouvoit beaucoup irriter la dicte Dame, et l'aultre l'animer à quelque entreprinse. A l'occasion de quoy j'ay été trouver la dicte Dame, à laquelle j'ay tenu le propos que verrez dans un mémoire à part. Il y a plus de trois moys, Sire, que, jour par jour, je vous ay adverty comme cette entreprise du comte de Montgommery s'apprétoit; et vous ay faict sa flotte, et son armement, ung peu plus grandz et plus fortz qu'ilz ne sont, et que, entre le XIIIIe et XXe d'avril, il se présenteroit devant la Rochelle, dont j'espère qu'il n'aura trouvé à y gaigner que force coups et beaucoup de honte. Il luy arryvera encores dix ou douze petitz vaysseaulx, car son nombre, ainsy qu'on m'a rapporté, estoit de soixante et deux, et que, en tout, il y avoit quelque équippage de guerre, mais n'en y avoit que XXII ou XXIII qui fussent de combat, ny d'iceulx sinon cinq ou six qui fussent pour fère grand effort. Et pour le présent, ceste princesse ne faict aulcun aultre préparatif, par mer ny par terre, sauf qu'elle persévère, ainsy que je suis bien adverty, et son parler ne le contredict poinct, de vouloir mander au comte de Morthon le secours qu'elle luy a promis. Et j'entendz que à Barvic s'espéroient, ces jours passés, quelques seigneurs d'Escoce pour ostages et respondantz des canons et monitions qu'on luy envoyera. Si le dict de Montgommery est repoulsé, il y a grande aparance que ceulx cy ne remueront rien plus vers la France, mais, s'il luy succède bien, je creins assez qu'ilz se layssent facillement tirer à y fère quelque entreprinse davantage. Et sur ce, etc. Ce 1er jour de may 1573. MÉMOIRE. Sire, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que, par vostre dépesche du XXIe du passé, Vostre Majesté me commandoit de fère deux offices vers elle: l'ung, de luy donner compte d'aulcunes choses, et l'aultre, de luy fère pleincte de quelques aultres, et que, en l'une et en l'aultre, Vostre Majesté monstroit une si expresse signiffication d'amityé et de bienveillance vers elle, que je m'assurois qu'elle prendroit le tout de fort bonne part. Et là dessus je luy ay particullarisé le contantement que ses deux ambassadeurs, l'ung prenant son congé, et l'autre entrant en sa charge, vous avoient toutz deux donné des bons et honnorables propos qu'ilz vous avoient tenus, touchant l'observance des traictés et la continuation de la ligue; et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, leur aviez bien faict cognoistre que, en tout tant de princes qu'il y avoit au monde, elle ne trouveroit jamays tant de bonne correspondance comme en vous et en ceulx de vostre couronne: car vostre naturel estoit, encor que nul proufit vous deût jamays revenir de son amityé, de l'aymer tousjours néantmoins parfaictement, et que vous ne cesseriez de luy vouloir toutjour beaucoup de bien jusques à ce que vous apercevriez, à bon esciant, qu'elle vous voulût beaucoup de mal; Et me commandiez aussy de luy compter comme vous espériez de brief la réduction de la Rochelle, vous ayant Monsieur escript qu'il estoit dellibéré, après ce premier assault[18], lequel ne luy avoit du tout bien succédé, (et auquel, à la vérité, il avoit fait perte de quelques ungs, mais non en grand nombre, ny de gens de nom, sinon le jeune Sr de Clermont Tallard et le cappitaine Causeings,) d'y fère ung segond effort si bon et si grand, et presser si vifvement les assiégés qu'il en viendroit bientost à bout; et que Vostre Majesté luy avoit envoyé les Suysses qui pouvoient estre desjà arrivez au camp. [18] Ce premier assaut, dans lequel les catholiques perdirent plus de 300 hommes, fut donné le 6 avril 1573. Le jeune Clermont Tallard y reçut une blessure dont il mourut; Caussens fut tué, le 18, dans la tranchée. Et luy ay, après cella, touché quelque mot de l'accord des Vénitiens avecques le Turcq, pour luy fère voyr qu'elle avoit esté mal persuadée de croyre que fussiez intervenu en aulcun marché, au préjudice d'elle, dans la ligue qu'ilz avoient faicte avecques le Roy d'Espaigne et le Pape. Puis, luy ayant récité l'accidant du vaysseau angloys qui avoit esté combatu et mené à Fescamp, et l'ordre que Vostre Majesté avoit donné de le fère dellivrer et de satisfère à tout le dommage qu'il avait souffert, et que, jusques à ung poil, vous vouliez exactement observer le traicté de la ligue, j'ay finy en cest endroict mon premier propos. Et suis venu au segond, de la pleincte: sur lequel je luy ay dict que je me trouvois en peyne comme bien uzer sur tout ce que me commandiés de luy en dire, car m'appelliés à tesmoing, et je vouloys bien rendre ce tesmoignage à Vostre Majesté et à la Royne vostre mère, que, en tout ce que j'avoys jamays cogneu de vostre intention vers la dicte Dame, toutz deux l'aviez eue très bonne et droicte, et fondée en une perdurable amityé vers elle; mais que je ne sçavois par quel accidant elle ne s'estoit jamays entretenue ung moys entier, sans entrer en quelque souspeçon ou meffiance de Voz Majestez: ce qui avoit engardé et engardoit encores que, de son costé, ne se peût former une si assurée intelligence, entre vous et voz deux royaulmes, comme Voz Majestez Très Chrestiennes, et, possible, elle mesmes, le desireroient, et qu'elle vous avoit mis à ne sçavoyr que espérer de son intention; De tant que, en lieu de vous secourir sellon le traicté, et sellon son sèrement, et sellon la promesse qu'elle vous en avoit faicte de sa mein, vous voyez maintenant aller de son royaulme le secours à voz ennemys; et, en lieu de procurer conjoinctement, par voz communs ambassadeurs, la paix en Escoce, elle engardoit que celuy de Vostre Majesté n'y peût passer, et envoyoit des forces au dict pays, quand elle les debvoit dans quarante jours retirer, si elle en y avoit, ainsy qu'elle avoit juré de le fère; et, touchant le propos de Monseigneur le Duc, qu'elle avoit monstré de ne prendre de bonne part la bonne et vertueuse responce que la Royne, vostre mère, avoit faicte au Sr de Walsingam. Qui estoient trois inconvénientz que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient imaginé que pouvoient procéder de ce que la dicte Dame n'estoit parfaitement bien informée de vostre intention, et comme véritablement vous l'aviez bonne et entière vers elle, ny pareillement de celle de Monseigneur le Duc, lequel vous avoit supplyé, par ses lettres, d'en esclarcir Mr de Walsingam, premier qu'il s'en retournât. Sur quoy Vostre Majesté avoit bien voulu, pour ces troys occasions, mander au dict Sr de Walsingam, et pareillement au Sr docteur Dayl, de vous venir toutz deux retrouver, encor qu'il eût desjà prins congé. Et cepandant vous estoit arrivé la nouvelle comme le comte de Montgommery estoit venu, avec cinquante vaysseaulx, mouiller l'ancre à la portée du canon de vostre armée de mer devant la Rochelle, le XIXe du passé, à quatre heures du soyr, chose de quoy Monsieur ne s'estoit mis en peyne, car avoit pourveu que le dict de Montgommery n'en peût rapporter que honte et dommage; néantmoins que cella vous venoit à regret d'entendre que la Primeroze, et aultres vaysseaulx de la dicte Dame, et ceulx de Hacquens, et autres de ses subjectz, fussent en la flote, et eussent incontinent arboré les enseignes et les croix rouges, comme si elle vous eût dénoncé la guerre. De quoy, à mon advis, Vostre Majesté feroit une fort grande pleincte à ses ambassadeurs, et je la suppliois aussy de me dire qu'est ce que j'avoys à vous y respondre. La dicte Dame, se trouvant pour une partie du propos en assez de satisfaction, et en beaucoup de perplexité pour l'autre, m'a dict qu'elle vouloit joindre son contantement à celluy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez prins des propos qu'elle avoit commandé à ses ambassadeurs de vous tenir, et qu'elle vous confirmoit de rechef fort fermement tout ce qu'ilz vous avoient dict, de la persévérance de son amityé et de l'observance du traicté, et que vous ne verriez jamais rien sortir de son costé, d'où vous n'eussiez occasion de luy continuer à jamays vostre perpétuelle bienvueillance; qu'elle souhaytoit ung si bon succès à Monsieur, frère de Vostre Majesté, qu'il vous peût en brief recouvrer l'obéyssance de ceulx de la Rochelle, et leur fère voyr à eulx que vous leur vouliez estre prince débonnayre et clément, et qu'elle regrettoit bien fort que vous fussiez en ceste nécessité, de fère combatre ainsy voz subjectz les ungs contre les aultres, avec une si grande perte comme elle avoit entendu, en ce dernier assault, des meilleurs et plus vaillantz de vostre royaulme; dont desiroit que Vostre Majesté et la prudence de la Royne, vostre mère, y peussiez trouver quelque bon remède; qu'elle réputoit sages les Vénitiens, de s'estre mis en paix, bien creignoit que le Turc s'en prévalût davantage contre la Chrestienté, de quoy elle seroit marrye, mesmement s'il en advenoit quelque dommage à l'Empereur, et qu'à la vérité elle avoit eu occasion de tenir jusques icy assez suspecte la ligue qui avoit esté faicte pour ceste guerre, dont verroit, à ceste heure, ce qui en succèderoit; et qu'elle vous remercyoit grandement du soing, qu'aviez eu, de pourvoyr au faict de ce vaysseau anglois qui avoit esté mené à Fescamp; et qu'elle, de son costé, continueroit de pourvoir aussy à la conservation et indempnité de voz subjectz, aultant qu'il luy seroit possible: Et, quand aulx troys chefz de pleincte que je luy avoys déduictz, elle s'assuroit fort, pour le regard des deux premiers, que ses ambassadeurs vous y avoient très amplement satisfaict, si ses lettres là dessus n'avoient esté perdues, et qu'elle prenoit, sur l'obligation de sa conscience et de la foy qu'elle avoit à Dieu, de ne préjudicier, ny du costé de France, ny du costé d'Escoce, de la largeur d'une ongle, à la teneur du traicté et de la ligue qu'elle avoit avec Vostre Majesté; et que, si la creincte de Dieu et l'escrupulle de son sèrement, et l'amityé qu'elle porte aux princes ses voysins, n'eussent esté trop plus grandes, que les moyens et occasions de s'agrandir et de s'accroistre ne luy ont deffally, et pourroit estre comptée aujourdhuy au reng des plus grandz conquéreurs; Dont ne doubtoit que, pour vostre regard, Sire, vous ne l'eussiez bien cognu, et que ne la réputissiez pour vostre parfaictement bonne seur, dont ne desiroit sinon que, si ung semblable accidant, d'avanture, luy survenoit, qu'elle vous y peût expérimanter de mesmes son bon frère; que les jalousies ne deffailloient jamays à ceulx qui avoient à garder quelque estat, et qu'elle, qui n'avoit ny mary, ny lignée, ny aparant successeur, debvoit estre plus jalouse que nul autre du sien, mesmement qu'elle sçavoit que Vostre Majesté faysoit divers fondementz sur elle et sur la Royne d'Escoce, pour vous apuyer des deux costez, et garder, en tout évènement, l'intelligence de ce royaulme; mais c'estoit en vain, car ceulx de ce royaulme mettroient plustost en pièces la Royne d'Écosse que de la laisser régner sur eulx après elle: Qu'elle avoit beaucoup d'obligation à Voz Majestez, et à Monseigneur le Duc, pour vostre persévérance au propos du mariage, lequel sembloit néantmoins que l'aviez voulu terminer et finir par vostre dernière responce, et que si, pour les troys occasions susdictes, vous aviez contremandé le dict Sr de Walsingam, elle desiroit qu'il vous y peût bien satisfère. Au regard de l'arrivée du comte de Montgommery à la Rochelle, et de toutes ces choses que, par une partie de vostre lettre, laquelle je luy avoys leue, Vostre Majesté me commandoit de luy remonstrer, elle me promettoit et juroit, en foy et parolle de princesse chrestienne et véritable, que, en toute sa flote, il n'y avoit ung seul homme, ny ung seul vaysseau, ny pour ung escu d'aulcune sorte d'armement, qui fût provenu d'elle, ny de sa permission ou commandement; et que la Primeroze, plus d'ung an a, n'estoit du nombre de ses vaysseaulx, et qu'elle ne pensoit qu'ung seul gentilhomme angloys, si n'estoit, possible, son beau filz, fût avecques le dict de Montgommery; et qu'il avoit esté contreinct de ramasser ce qu'il avoit peu, de vaysseaulx et d'hommes, françoys et flammantz, pour exécuter son entreprinse; et qu'elle avoit veu des lettres que le dict de Montgommery avoit escriptes à quelques ungs de sa court, par où il se pleignoit amèrement d'avoyr esté mal traicté et fort trompé des Angloys; et, quand avoyr arboré les croix rouges, ce n'estoit chose que les navyres marchandz n'eussent accoustumé de fère en temps suspect; par ainsy qu'elle vous prioit de croyre que, en tout cella, il n'y avoit rien de sa coulpe, et que Vostre Majesté trouveroit estre véritable ce que son ambassadeur avoit eu charge de vous en dire. Je n'ay manqué de réplicquer, par le menu, à chacun poinct de son dire, et à toutes ces souspeçons; et luy ay dict, sur ce dernier, que vous la priez bien fort qu'elle mesmes voulût juger en son cueur si ung prince pouvoit estre si peu sensible que, en l'offançant, et luy faysant beaucoup de mal, l'on peût retenir et conserver son amityé. Elle est retournée, là dessus, à me parler en si expéciaulx termes de sa bonne intention, et de la certayne et indubitable bonne affection qu'elle avoit à Voz Majestez et à la conservation de vostre grandeur, et m'a tant conjuré de vous escripre de bonne sorte ce qu'elle m'avoit dict de sa justiffication en cest endroict, qu'elle a bien monstré de ne me vouloir renvoyer malcontant. CCCXVIe DÉPESCHE --du VIIIe jour de may 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Retraite du comte de Montgommery de devant la Rochelle.--Déclaration du roi touchant les affaires d'Écosse.--Consentement donné par le roi à l'entrevue avec le duc d'Alençon, qui desire passer en Angleterre après la réduction de la Rochelle.--Explications données par la reine sur sa conduite à l'égard de l'Écosse.--Satisfaction qu'elle éprouve de la résolution prise par le duc d'Alençon.--Nouvelle de la prise de Belle-Isle par le comte de Montgommery. AU ROY. Sire, si je n'eusse bien assuré à la Royne d'Angleterre que Vostre Majesté n'avoit contremandé son ambassadeur que pour davantage l'esclarcyr, premier qu'il repassât la mer, de tout ce qu'aviez à desmeller avecques elle, affin que, quand il seroit par deçà, il la peût parfaictement assurer de l'indubitable volonté de Voz Majestez Très Chrestiennes vers l'observance du traicté, et du desir qu'avez, plus grand que jamays, que le bon propos d'entre elle et Monseigneur le Duc s'effectue, elle eût facillement creu que ce n'estoit pour une si gracieuse occasion comme celle là qu'il eût esté arresté; et n'en a peu perdre du tout le doubte jusques à ce que le Sr de Vassal est arrivé, le premier de ce moys, avec vostre dépesche, du XXVIe du passé, et l'homme du dict sieur ambassadeur, troys jours après, avec celle du XXIXe. Sur lesquelles deux je suis allé dire à la dicte Dame que Vostre Majesté sçavoit ung bien fort bon gré à son dict ambassadeur de ce qu'il n'avoit refuzé la peyne de retourner tout incontinent et bien fort volontiers vers vous, et qu'il ne tarderoit guyères d'estre devers elle, et de luy apporter beaucoup de satisfaction des choses que luy aviez déduictes en ceste dernière conférance; de sorte qu'elle cognoistroit n'y avoyr princes en toute la Chrestienté, qui eussent mieulx mérité de l'amityé d'elle que Vostre Majesté, la Royne, vostre mère, et Messeigneurs voz deux frères, et qu'il ne se pourroit imaginer nul plus grand, ny plus énorme péché, que de la fère mal espérer de la vostre, et de l'induyre à permettre quelque effect qui vous peût offancer; et que cependant me commandiez de luy racompter ce qui avoit succédé de l'exploit du comte de Montgommery devant la Rochelle, et comme, par l'espace de deux jours, qu'il s'estoit tenu devant la ville, il avoit faict son effort de mettre du secours dedans, et d'atacher quelque combat de mer, mais, voyant que la prévoyance et pourvoyance de Monsieur avoient remédyé à son entreprinse, il s'estoit, l'aultre jour après, envyron la marée de minuit, getté au large, et avoit reprins la mesmes route qu'il estoit venu; et qu'aussytost que Vostre Majesté avoit sceu son départ, vous aviez mandé aulx gouverneurs de voz provinces que, nonobstant que des vaysseaulx et des enseignes d'Angleterre eussent été veues avecques luy, qu'on ne layssât pourtant de bien recepvoyr partout les Angloys, parce que vous demeuriez persuadé qu'elle n'avoit eu intelligence du faict du dict de Montgommery, ny n'avoit aulcune male volonté contre vous, ny contre voz subjectz; et la suplioys que, pour ce tant singullier tesmoignage de vostre bienvueillance vers elle, elle voulût, après cest acte d'hostillité du dict de Montgommery, juger ainsy de luy comme d'ung qui s'estoit efforcé de se déclarer ennemy et rebelle de Vostre Majesté; et que, de tant qu'il estoit allé contre le traicté de la ligue, et contre la seureté qu'elle avoit prins de luy qu'il n'y feroit poinct de préjudice, qu'elle voulût contremander ceulx de ses subjectz qu'il avoit avecques luy, et fère retirer les vaysseaulx angloys qu'il avoit à sa suyte, et deffandre que nulz aultres, dorsenavant, eussent à favorizer ses entreprinses; Et que Vostre Majesté me commandoit qu'avec ceste instance, je luy continuasse aussy celle que je luy avoys desjà par plusieurs fois faicte des choses d'Escoce, de vouloir la dicte Dame procéder, conjoinctement avec Vostre Majesté, à procurer la paix du dict pays sellon le traicté; et que, de tant que j'estois seurement adverty que, contre la teneur d'icelluy, elle avoit faict marcher son artillerye et ses gens de guerre, par dellà, pour forcer le chasteau de Lislebourg, je luy voulois renouveller ma précédante protestation de l'infraction du dict traicté, et la supplier qu'elle voulût fère cesser son exploit de guerre; néantmoins que je luy offrois, si elle vouloit s'esclarcyr avec vous de tout ce qu'elle pouvoit estre en deffiance du dict costé d'Escoce, que vous seriez prest de le fère avec tant d'advantage pour elle, et repos de ses subjectz, qu'elle et eulx n'en pourroient rester sinon bien fort contantz; et pourtant qu'elle voulût fère donner passeport au Sr de Vérac pour continuer son voyage, ou bien pour s'en retourner, esconduict, devers Vostre Majesté. La dicte Dame, considérant l'honnesteté du dict propos, conjoincte avec beaucoup de rayson, m'a respondu que Vostre Majesté, en ce que je luy avoys dict, luy faysoit toucher aulcuns poinctz qui estoient si honnorables pour elle, qu'elle ne vouloit fallir de bien fort grandement vous en remercyer, et se louer encores davantage de ce que, oultre les parolles, vous y adjouxtiez encore les effectz; qui vous prioit aussy de croyre, de sa part, que, touchant le comte de Montgommery, elle n'avoit esté aulcunement participante de ses dellibérations, et que son exploict, ainsy que Monsieur l'avoit bien esprouvé, ne procédoit d'une force royalle: et, touchant l'Escoce, qu'encores qu'elle eût presté de l'artillerye aulx seigneurs et Estats du pays, auxquelz, par rayson, elle ne l'avoit peu dénier, et eût faict marcher quelques gens pour la conduire; que néantmoins ce n'estoit pour y acquérir ung poulce de terre, ny pour y atempter rien contre le traicté, ny à la diminution de l'allience de France, et qu'elle me déclaroit que, à tout ce qui dépendoit de vostre mutuelle amityé, et qui concernoit la grandeur et réputation de Vostre Majesté, elle y vouloit moins préjudicier qu'à sa propre vye, et que, des instances que je luy avois sur ce faictes, elle en communicqueroit avec ceulx de son conseil pour, puis après, m'y satisfère. Je luy ay, de rechef, agravé mes dictes instances, le plus que j'ay peu, et luy ay monstré combien elles estoient raysonnables et justes, et combien c'estoit chose elloignée de bonne foy que, pendant qu'elle vous faysoit entretenir de bonnes parolles, et qu'elle retardoit icy soubz quelque excuse le Sr de Vérac, elle permît que, en faveur du comte de Montgommery, du costé de France, et du comte de Morthon, du costé d'Escoce, ung si grand et si royal amy, comme vous luy estiez, fût offancé, qui espérois qu'elle y auroit du regrect davantage, après qu'elle auroit ouy ce qui me restoit à luy dire de vostre part: C'estoit que Monseigneur le Duc, ayant envoyé remercyer Vostre Majesté de la communicquation que luy aviez voulu fère de la responce de la dicte Dame sur son faict, après l'avoyr bien considérée, et considéré le propos qui en avoit esté entre la Royne, vostre mère, et le Sr de Walsingam, et veu la lettre qu'elle luy avoit escripte à luy mesmes à la Rochelle par le Sr de Chasteauneuf, et entendu les honnorables rapportz que le dict Sr de Chasteauneuf luy avoit faictz de ce qu'il avoit veu et ouy en présence de la dicte Dame, il vous avoit fort honnorablement supplyé, et pareillement la Royne, vostre mère, par lettre de sa mein, du propre jour de la retraicte du comte de Montgommery, qu'il vous pleût ne luy tenir si restreinct le hault desir qui l'avoit faict aspirer aulx excellantes perfections de la dicte Dame, que luy en volussiez maintenant retrancher l'espérance; et que pourtant luy voulussiez permettre qu'il peût, incontinent après la réduction de la Rochelle, luy venyr bayser les meins, s'assurant qu'elle ne luy dénieroit ce qui seroit raysonnable de l'exercice de sa religion; et que, de sa part, il luy feroit cognoistre par luy mesmes, mieulx qu'il ne le pourroit fère par un tiers, ny par ses propres lettres, combien il avoit voué d'affection et de vray amour et de servitude à ses bonnes grâces: et que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, qui estiez très disposés vers elle et vers la perfection de ce propos, luy aviez entièrement accordé sa requeste; et me commandiez de luy dire qu'incontinent que la Rochelle seroit prinse, vous permettriez à ce jeune prince d'accomplir le vertueux et royal desir qu'il avoit de la venir voyr, et que Voz Majestez Très Chrestiennes la prioient de le recevoir pour ung éternel gage de vostre perdurable amityé vers elle, et de la perpétuelle confédération d'entre voz deux couronnes, ainsy qu'elle en trouveroit l'offre plus expresse par deux lettres que j'avoys à luy présenter de la Royne, vostre mère, et de luy; et que je la supliois de vouloir penser meintenant de sa seureté, affin qu'il fût aussy favorablement receu de ses subjectz, et en son royaulme, comme je m'assurois qu'il le seroit très honnorablement d'elle et des siens en sa court. La dicte Dame, d'ung visage contant et d'une façon bien modeste, m'a respondu qu'elle remercyoit infinyement Vostre Majesté de la perdurable et constante bonne volonté qu'aviez vers elle, et pareillement Monseigneur le Duc, qui l'obligeoit beaucoup plus qu'elle n'auroit jamays moyen de luy satisfère; mais elle remercyoit davantage la Royne, vostre mère, comme luy ayant plus d'obligation qu'à toutz deux, parce que, nonobstant qu'elle eût estimé l'entrevue pleine de danger et peu advantageuse pour son filz, elle avoit néantmoins condescendu qu'il y vînt; et que le plus mortel regret qu'elle pourroit avoyr au monde seroit si, ne se faysant poinct le mariage, il advenoit que Vostre Majesté et elle, et vostre frère, en restissiez mal contantz; dont n'estoit de merveille si elle se trouvoit en peyne. Et, après avoyr fort curieusement leue la lettre de la Royne, vostre mère, sans en perdre ung seul mot, elle m'a demandé si, depuis ceste vostre résolution, son ambassadeur avoit poinct eu conférance avec Voz Majestez. Et luy ayant dict que ouy, elle m'a prié trouver bon qu'elle peût attandre quelque jour, affin que, sur ce qu'elle entendroit de luy, elle sceût mieulx prendre l'expédiant qui luy seroit nécessayre. Je n'ay rien pressé davantage; ains, après luy avoir encores tenu quelques gracieux propos sur la lettre de Monseigneur le Duc, je me suis licencié d'elle. Il n'y avoit lors, Sire, en ceste court aulcunes nouvelles de la retrette du comte de Montgommery, sinon celles que j'avoys apportées, ny ne sçavoit on qu'il estoit devenu, mays, hier au soyr, arrivèrent deux des siens, l'ung qui dict luy avoyr esté envoyé de la Rochelle, pendant qu'il estoit à l'ancre devant la ville, et l'aultre se nomme le cappitaine Ber, lesquelz racomptent les choses non guyères aultrement que Vostre Majesté me les a escriptes; mais ilz adjouxtent que le dict de Montgommery est descendu depuis à Belle Isle, et que, le XXVIIIe du passé, il a prins par composition le chasteau, et qu'il dellibère de fortiffier toutz les portz et advenues du lieu, et que certeins navyres, qu'il avoit envoyé vers la coste d'Hespaigne, luy avoient desjà ramené deux ou trois prinses qui valoient plus de cinquante mille escus, et que bientost le Sr de Languillier viendroit icy affin solliciter de rechef ung plus notable et plus grand secours que le premier pour la Rochelle. Sur ce, etc. Ce VIIIe jour de may 1573. L'on a escript en ceste court qu'il a esté faict de rechef un grand massacre de ceulx de la nouvelle religion à Chasteaudun, de quoy les souspeçons renouvellent aulx Angloys que la conjuration, de les exterminer toutz, soit vraye, si, d'avanture, ilz n'entendent que Vostre majesté en face fère quelque punition. Je viens d'avoyr relation comme, depuis cinq ou six jours, dix jeunes gentilshommes escouçoys ont esté mandés ostages en Angleterre pour douze pièces d'artillerye, et pour les monitions que ceste princesse a prestées au prétendu régent et aulx Estatz d'Escoce, et que troys compagnies d'angloys, de trois centz hommes chacune, les sont allez conduyre par dellà, et que desjà l'on besoigne à une platte forme pour assoyr la dicte artillerye contre le chasteau de Lillebourg. CCCXVIIe DÉPESCHE --du XIIe jour de may 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Combes._) Retour de Walsingham en Angleterre.--Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh.--Offre de la médiation de l'Angleterre et des princes protestans d'Allemagne pour rétablir la paix en France.--Nouvelles d'Écosse.--Rupture de la négociation tendant à la capitulation de Lislebourg. AU ROY. Sire, le jour de la Panthecoste, le Sr de Walsingam est arrivé devers la Royne, sa Mestresse, à Grenvich, où elle et ses deux principaulx conseillers l'ont fort curieusement examiné, deux jours durant, à part, des choses de France, et puis ont mandé le reste du conseil pour l'ouyr aujourdhuy davantage; dont ne fault doubter que, du rapport qu'il fera, bon ou maulvais, n'ayt à dépendre ce qu'avez à espérer, de bien ou de mal, de ce costé. Et, de tant que milord trézorier m'a librement dict que, lors du premier congé du dict Sr de Walsingam, il s'en venoit persuadé que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, estiez plus animés que jamays contre voz subjectz de la nouvelle religion, et entièrement résolus à la ruyne des Protestantz, et que vous, ny elle, ne vouliez nullement le mariage de Monseigneur le Duc avec leur Mestresse, il ne fault doubter que, si ne l'avez, ceste segonde foys, renvoyé mieulx édiffié de voz bonnes intentions, qu'en lieu d'allience et confédération avec les Angloys, Vostre Majesté n'ayt à les compter pour ceulx qui ouvertement, ou soubz mein, seront ordinayrement en armes contre la France. Milord trézorier m'a fort conjuré de vouloir bien penser de la sincère volonté de la Royne, sa Mestresse, vers Vostre Majesté et vers la Royne, vostre mère, et pareillement de celle de luy vers l'entretènement de tout le traicté, mais qu'il n'estoit pas possible que la dicte Dame ni luy, avec toute l'ayde qu'il luy sçauroit fère, peussent surmonter l'universel consens, dont le conseil et toute la noblesse d'Angleterre convenoient à se bander contre les dellibérations de Voz Majestez Très Chrestiennes, en ce que vouliez poursuyvre à oultrance l'oppression de la religion protestante, et exterminer ceulx de voz subjectz qui en faysoient profession; et que, de tant qu'il me pouvoit fère clèrement voyr, s'il vouloit, mais vous l'expérimantiez assez, que l'entreprinse ne vous estoit nullement aysée, il vous vouloit, pour le debvoir de la ligue, très humblement supplier de ne vous y opiniastrer tant, que la Royne, sa Mestresse, et les princes protestantz fussent, à la fin, contreinctz de vous monstrer que vostre entreprinse ne leur seroit tollérable; et que s'il vous plésoit fère deviser avec elle, ou avec quelqu'ung des dictz princes, de remettre la paciffication en vostre royaulme, qu'il estoit très assuré qu'ilz seroient moyen qu'avec une bonne parolle, et avec quelque démonstration de clémence, Vostre Majesté regaigneroit plus d'authorité sur ses subjectz et recouvreroit mieulx l'obéyssance qu'ilz luy doibvent, et se soubsmettroient plus facillement à Monsieur que si vous y employez toutes les forces, et tout l'estat de vostre couronne; et qu'il desiroit grandement que la Royne, vostre mère, voulût prendre cest affère en sa mein. Je l'ay bien fort remercyé de la bonne affection qu'il avoit à la paix de vostre royaulme; mais je luy ay dict, sans toutesfoys rejetter son conseil, qu'il ne deffailloit ny bonnes parolles ny clémence de la part de Vostre Majesté, ny le bon office de la Royne, vostre mère, et de Messeigneurs voz frères, et aultres grandz princes de vostre royaulme, pour la réduction de voz subjectz, mais c'estoit l'habitude que quelques ungs s'estoit faicte, depuis douze ans en çà, de reprendre trop facillement les armes, qui rendoit tout le reste opiniastre: et n'ay point suivy plus avant. L'ung de ceulx que j'avoys secrettement envoyé en Escoce vient d'arriver, qui rapporte qu'encor qu'il n'ayt recouvert la responce de ceulx du chasteau de Lillebourg, que néantmoins il leur a fait tenir mon chiffre, et ilz luy ont fait signal de l'avoyr receu; et que cella est advenu sur le poinct que le comte de Rothes avoit esté desjà cinq foys parlemanter à eulx, et sur le poinct qu'ilz estoient prestz de livrer le dict chasteau au comte de Morthon, en, par luy, baillant celluy de Blacnes, garny de quatre pièces d'artillerye, en baillant aussy le revenu de Saint André pour le cappitaine Granges, mais que toute ceste praticque avoit esté lors rompue. Dont le dict de Morthon, à la persuasion du Sr de Quillegreu, avoit envoyé emprunter l'artillerye et les neuf centz harquebousiers de la Royne d'Angleterre; et que néantmoins l'on disoit que le dict chasteau n'estoit pour estre forcé, mais bien creignoit on qu'il y eût de l'intelligence dedans, ou bien que le cappitayne prétandoit de le rendre avec plus d'honneur quand il verroit le canon, et assuroit on qu'il y avoit vivres dedans jusques à la Saint Michel, et prou pouldre, mais peu de bouletz. Sur ce, etc. Ce XIIe jour de may 1573. CCCXVIIIe DÉPESCHE --du XXIIIe jour de may 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._) Audience.--Négociation du mariage.--Affaires de la Rochelle et d'Écosse.--Envoi de la réponse d'Élisabeth sur la demande de l'entrevue avec le duc d'Alençon. AU ROY. Sire, ayant la Royne d'Angleterre prins le loysir, durant toutes ces festes de Pantecoste, de dellibérer avec les seigneurs de son conseil de ce qu'elle avoit à me respondre sur l'offre de l'entrevue, et sur les aultres deux instances, que je luy avoys faictes, du comte de Montgommery et des choses d'Escoce; après qu'elle a eu bien examiné le Sr de Walsingam, de l'intention qu'il pouvoit avoyr cognue là dessus de Voz Majestez Très Chrestiennes, elle m'a faict, depuis troys jours en çà, et non plus tost, appeler devers elle pour me dire que, devant toutes choses, elle vous remercyoit infinyement de la favorable expédition que, par deux foys, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez donnée à son ambassadeur, qui le luy aviez renvoyé le plus satisfaict et le plus contant que nul aultre gentilhomme qu'elle eût jamays mandé en charge; et que, si, de ceste vostre faveur, la récompanse se pouvoit fère par une grande recognoissance d'elle, et par une très grande obligation de luy, vous ne vous plaindriés jamais du payement, mais qu'il luy deffailloit bien à elle le moyen, comme sur une aultre plus grande obligation qu'elle vous avoit pour la tant expresse déclaration, qu'il luy avoit apportée, de vostre parfaicte et perdurable amityé vers elle, elle vous y peût bien satisfère; néantmoins que là où les parolles propres, pour vous en rendre ung assez suffisant grand mercy, luy deffailloient, elle adjouxteroit davantage de la recognoissance dans son cueur pour vous produyre les bons effectz que pourriez desirer de sa correspondance: et a accompaigné cella d'une si bonne expression qu'elle a monstré de le dire de bon cueur: que, touchant l'octroy que luy aviez voulu defférer de l'entrevue, lequel elle recognoissoit procéder d'une singullière faveur et très grande grâce de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur le Duc, elle mettroit peyne de vous y fère la plus honnorable et cordialle responce, qu'elle pourroit, par ses lettres qu'elle vous feroit présenter, et avec quelques parolles de son intention par son ambassadeur: que, du comte de Montgommery, elle estoit bien assurée qu'il n'y avoit plus ny hommes ny vaysseaulx angloys en sa compagnie, s'estant toutz les navyres marchandz, qu'il cuydoit conduyre dans la Rochelle, retirés par deçà, et qu'il n'y en yroit poinct d'aultres, et que, si j'entendoys qu'il en allât aultrement, que je l'en advertisse; car me juroit qu'elle y mettroit bon remède, estant résolue de vous guarder, comment que ce fût, inviolablement l'amityé: que, des choses d'Escoce, l'entreprinse du chasteau de Lillebourg estoit bien advancée, en laquelle, ny en chose qui se traictât par dellà, vous ne trouveriez qu'il s'y fît rien à vostre préjudice; et puisque le comte de Morthon ne respondoit rien sur le voyage du Sr de Vérac, il monstroit bien qu'il ne vouloit pas qu'il y allât; néantmoins qu'elle remettoit en la liberté du dict Sr de Vérac de s'y acheminer ou de s'en retourner en France. Je luy ay réplicqué, Sire, sur les deux derniers poinctz que, de tant que, pour l'amour d'elle, vous aviez faict fère une publication, incontinent après la retraicte du dict de Montgommery, qu'on eût à bien recepvoir les Angloys en vostre royaulme, que je la supplioys de fère aussy, pour l'amour de vous, publier maintenant une deffence au sien que nul eût à suyvre les entreprinses du dict de Montgommery, puisqu'il avoit monstré acte d'hostillité contre vous; et, touchant l'Escoce, qu'elle me déclarât ouvertement si elle vouloit demeurer aulx termes du traicté, à procurer, conjoinctement avec Vostre Majesté, la paix du pays, ou bien si je vous manderois qu'elle délibéroit d'y poursuyvre les choses par les armes; et que je la supplioys de trouver bon que je débatisse plus amplement ces deux faictz avec les seigneurs de son conseil, affin que j'eusse tant plus de commodité de traicter avec elle de l'aultre principal, et plus agréable propos, sur lequel, de tant que la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc m'avoient commandé de recouvrer, le plus tost que je pourrois, la responce qu'elle voudroit fère à leurs lettres, et de procurer qu'elle la leur fît si clère, sur la réalité de leur offre, qu'il n'y peût rester aulcune ambiguyté, je la supplioys bien humblement me donner moyen de leur bien satisfère. Elle a respondu qu'elle trouvoit bon de me bailler ses lettres, et de me toucher encores quelque mot de ce qu'elle manderoit dedans; c'est qu'elle estoit en peyne de ce que la Royne, vostre mère, avoit estimé mal honnorable que Monseigneur le Duc vînt icy sans assurance de mariage, et que néantmoins, sans l'avoyr eu, elle offroit maintenant l'y laysser venir; dont desiroit estre satisfaicte de la diversité de l'occasion, et estre bien assurée que, au cas que le mariage ne peût succéder, que Mon dict Seigneur le Duc n'en sentiroit pourtant aulcune offance en son honneur, ny n'en viendroit aulcune diminution en vostre mutuelle amityé; et que, ce faict, s'il plaisoit à Mon dict Seigneur le Duc de passer en ce royaulme, il y seroit le très bien venu, et elle mettroit peyne de l'honnorer sellon sa grandeur et sellon celle de vostre couronne d'où il estoit, comme s'il fût ung empereur, et, aultant qu'il seroit en elle, et en toutz ses moyens, et de ceulx de son royaulme, de le pouvoir mieulx fère; et que, des seuretés, oultre que Voz Majestez n'en debvoient nullement doubter, elle les bailleroit si bonnes et si grandes comme je les voudroys demander; et qu'on luy avoit bien voulu fère remarquer, en ceste offre de l'entrevue, que ce n'estoit sinon après la prinse de la Rochelle, et que, si la Rochelle n'estoit prinse, l'on ne luy offroit rien, ou bien que, puis après, l'on se mocqueroit, possible, d'elle, mais qu'elle considéroit bien que cella estoit plus procédé de l'affection que Voz Majestez avoient à la réduction de ceste place, que non pour mettre, de vostre part, aulcung retardement au propos. Je luy ay répliqué, Sire, qu'à la vérité il n'avoit esté faict mencion de la Rochelle, sinon parce que Monseigneur le Duc n'avoit peu, avec son honneur, parler aultrement, ny laysser ceste entreprinse de guerre, qui touchoit grandement à voz affères et à la réputation de Monsieur, et à la sienne mesmes, pour venir à une aultre entreprinse, qui estoit pleyne de tout plésir et contentement; et, quand au doubte, dont elle desiroit estre satisfaicte, premier que déclarer sa volonté sur l'entrevue, qu'il n'estoit besoing d'attendre plus grand esclarcissement que celluy qui apparoissoit assez de ce qu'après une tant expresse protestation, qu'elle vous avoit faicte en cella, Voz Majestez n'avoient layssé de luy offrir l'entrevue; et qu'elle debvoit excuser l'affection maternelle qui avoit faict desirer à la Royne, premier que d'envoyer son filz, de pouvoir mettre ung peu plus de seureté en son affère que les difficultez, que le Sr de Walsingam luy avoit proposé de la religion, ne luy permettoient d'en prendre, lesquelles difficultez sembloient estre ung refus; et que je luy voulois dire tout librement que, si Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, sçaviez certaynement ou pensiez qu'elle deût refuzer Mon dict Seigneur le Duc, qu'en nulle façon du monde vous luy permettriez d'y venir, mais que, sur ce qu'elle m'avoit dict qu'elle n'estoit si maulvayse ny si desloyalle qu'elle eût voulu mettre en avant la dicte entrevue, en intention de le refuzer, ains pour l'épouser de bon cueur, s'il plaisoit à Dieu qu'ilz se peussent complayre, et qu'elle vouloit résoluement se marier, vous luy aviez consenty qu'il la peût venir voyr; et pourtant je la supplioys de remettre maintenant, sans aulcune condicion, à Voz Majestez Très Chrestiennes et à luy, d'accomplir son voyage, quand vous verriez qu'il luy seroit commode et honnorable de le fère. Sur cella elle m'a respondu qu'elle avoit bien cognu, par les propos de messire Walsingam, que la Royne, vostre mère, avoit prins pour chose arrestée ce qu'il luy avoit seulement dict par manyère de devis, du faict de la religion, de Monseigneur le Duc, qu'il se debvoit contenter de la liberté de conscience sans aulcung exercice privé ny externe de sa dicte religion, mais elle avoit tousjours prétandu que cella seroit réservé entre eulx deux; et que, de la déclaration que je vous avoys mandée, qu'elle se vouloit marier, et qu'elle n'avoit intention de refuzer Mon dict Seigneur le Duc, s'ilz se pouvoient complaire, qu'elle estoit très vraye, néantmoins qu'elle desiroit bien fort pouvoir estre esclarcye du doubte que la Royne, vostre mère, avoit eu de l'honneur de luy, bien que, sur les raysons que je venois de lui déduyre là dessus, lesquelles luy sembloient fort considérables, elle y penseroit encores, premier que d'escripre ses lettres, et que je pourrois, quand je traicterois avec ses conseillers des aultres deux poinctz, leur parler aussy de cestuy cy. Et me licenciant ainsy de la dicte Dame avec plusieurs aultres bien honnestes parolles, elle commanda à milord trézorier, au comte de Sussex et mestre Smith, qui estoient là présentz, de conférer à loysir avecques moy. De laquelle conférance, Sire, après que les choses ont esté débatues, de chacun costé, aultant avant qu'il s'est peu fère, et dont le Sr de Vérac est intervenu en celles qui concernoient l'Escoce, iceulx du conseil ont volu encores rapporter le tout à leur Mestresse. Et, depuis, s'en est ensuivy que la dicte Dame a faict, quand à l'entrevue, la responce qui est contenue ez lettres qu'elle escript à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, et qu'elle a mandé au pays d'Ouest de n'aller pas ung à la Rochelle, ou que ce sera à leur damp, et qu'elle a fait expédier passeport au Sr de Vérac jusqu'à Barvic, où luy et le Sr de Sabran se sont desjà acheminés, affin que, si l'on faict difficulté à l'ung, l'aultre puisse passer en Escoce. Et sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de may 1573. CCCXIXe DÉPESCHE --du XXVIIIe jour de may 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Motifs qui ont déterminé la réponse d'Élisabeth au sujet de l'entrevue demandée.--Nouvelles d'Écosse. AU ROY. Sire, quand la Royne d'Angleterre vous a deu rendre la responce, que je vous ay mandée par le Sr de Vassal, ceux de son conseil, qui ont esté appellés pour en dellibérer avec elle, luy ont trop curieusement interprété les circonstances de l'offre de l'entrevue, car luy ont donné entendre qu'elles monstroient plus d'artiffice pour contenir l'Angleterre pendant les troubles de vostre royaulme, qu'il n'aparoissoit en Voz Majestez, de volonté par après, de l'effectuer. De quoy ne les ayant le Sr de Walsingam, à son retour, peu assez bien esclarcyr, ou ne l'ayant ozé fère, ilz ont, à ce que j'entendz, induict la dicte Dame de respondre assez artificieusement aulx petites lettres de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur le Duc; de quoy les siennes vous auront faict foy de ce qui en est, car je vous ay seulement représanté les propos qu'elle m'en a tenus. Tant y a, Sire, qu'il se voyt clèrement que la matière est si affectée en ceste court que, ny ceulx, qui la desirent, veulent qu'on la délaysse, ny ceulx, qui la creignent, permettent qu'elle soit conclue; et m'a l'on assuré qu'on l'entretiendra toujours en cest incertein, jusques à ce que, par ung langage cler et non condicionné de vostre part, Voz Majestez Très Chrestiennes auront contreinct la dicte Dame de vous y respondre de mesmes. Tant y a que puisque ceste princesse monstre quelque modération procédante d'elle mesmes, il semble, Sire, qu'il sera expédiant, en ce temps, que la supportiez ung peu sur l'impétuosité de ses subjectz; et que néantmoins renforciez si bien vostre armée de mer et pourvoyez en si bonne sorte à vostre frontière, ainsy comme avez faict jusques icy, que ceulx, qui y voudront entreprendre, n'en puissent rapporter que beaucoup de honte et beaucoup de dommage. J'entendz que l'artillerye n'a encores faict grand effort contre le chasteau de Lillebourg, et que le comte de Morthon a commancé d'avoyr suspectz aulcuns des principaulx qui avoient suivy le party de la Royne d'Escoce, nonobstant l'accord qu'ilz ont faict avecques luy, dont demande davantage de forces de ce costé; et je creins assez qu'on luy en baillera. L'on m'a dict qu'il menoit un traicté de livrer le petit Prince d'Escoce aulx Angloys, et que ce qui est allé d'hommes, d'artillerye et de monitions, par dellà, et les ostages qu'on a prins de ce costé, a esté plus à ces fins qu'en intention d'espugner le chasteau; et que cella a esté aulcunement découvert, ou aulmoins l'on en a eu tant de souspeçon qu'il y a esté remédyé; et je sçay que la grand mère a dict icy que le petit Prince, son petit filz, estoit en très grand danger, dont prioit Dieu qu'elle le voulût préserver. Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de may 1573. CCCXXe DÉPESCHE --du IIIe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._) Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle ne livrera pas le comte de Montgommery au roi; protestation de sa part qu'elle ne lui donnera aucun secours.--Affaires d'Écosse.--Seconde audience.--Communication de la décision des états de Pologne, qui ont fait élection du duc d'Anjou pour leur roi.--Capitulation de Lislebourg.--Satisfaction de la reine sur l'élection du duc d'Anjou. AU ROY. Sire, avant que recepvoir vostre dépesche, du vingt quatriesme du passé, j'avoys esté parler du contenu en celle du dix huictiesme auparavant à ceste princesse pour, en premier lieu, la prier que si, sur le faict de l'entrevue, elle ne vous avoit par ses lettres et par son ambassadeur respondu si clèrement et sans condicion, comme le requéroit la réalité de l'offre que luy aviez faicte, elle me voulût dire maintenant quelque chose qui peût supléer à la satisfaction de ce que Voz Majestez Très Chrestiennes en desiroient; que s'estant le comte de Montgommery, ainsy qu'on vous l'avoit dict, retiré par deçà pour y recouvrer nouveaux secours, affin de tenter de rechef l'entreprinse, qu'il avoit une foys fallye, de mettre du refraychissement dans la Rochelle, que, non seulement elle ne voulût permettre qu'il en tirât pas ung de ce royaulme, mais qu'elle le feist saysir et ses complices, pour les remettre en voz meins, affin d'en fère justice, parce qu'ilz s'estoient desjà efforcés de vous fère la guerre, et de rompre la bonne confédération d'entre ces deux royaulmes; que Vostre Majesté avoit trouvé bien estrange qu'elle eût envoyé des forces et de l'artillerye en Escoce; et desiriez sçavoyr si elle vouloit demeurer aulx bons termes du traicté, de procurer conjoinctement une bonne paciffication dans le pays, ou bien y procéder par les armes, luy racomptant, au surplus, de l'estat du siège de la Rochelle, et des aultres exploictz qui se faysoient en vostre royaulme, sellon qu'il estoit contenu dans voz lettres. A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle espéroit que Voz Majestez, touchant l'entrevue, resteroient assez bien satisfaictes de ce qu'elle vous en avoit mandé par ses lettres, et faict dire par son ambassadeur, et qu'elle desiroit bien fort estre esclarcye si c'estoit par la seule importunité de Monseigneur le Duc, lequel elle estoit bien advertye, de plusieurs endroictz, qu'il avoit beaucoup d'honneste affection vers elle, ou bien si la volonté de la Royne, vostre mère, avoit concoru libérallement à ce que ceste offre se feist, attandu que auparavant elle l'avoit contredicte, sinon qu'elle veist le mariage tout assuré: dont attandoit là dessus une dépesche de son ambassadeur, après laquelle il n'y auroit plus de remises que celles que Voz Majestez Très Chrestiennes y voudroient mettre; qu'elle me pouvoit jurer, avec vérité, qu'elle ne sçavoit, en façon du monde, que le comte de Montgommery fût en ce royaulme, et, quand il y viendroit, elle vous respondroit de mesmes que feist le feu Roy, vostre père, à la feu Royne Marie, sa sœur,--«Qu'il ne vouloit estre le bourreau de la Royne d'Angleterre;»--Et ainsy, que Vostre Majesté l'excusât, si elle ne vouloit être le bourreau de ceulx de sa religion, non plus qu'il ne l'avoit voulu estre de ceulx qui n'estoient pas de la sienne, mais qu'elle vous promettoit qu'elle le guarderoit bien qu'il ne fît rien contre Vostre Majesté, et qu'il ne retournast plus à ce que, sans qu'elle le sceût, ny le consentît, il avoit une foys entreprins; et qu'il estoit bien vray, comme je le disoys, que la comtesse de Montgommery, accompaignée des parantz et amys de son mary, avoient esté vers elle pour la prier de beaucoup de choses, mais qu'elle leur avoit respondu qu'elle n'avoit esté du premier conseil du dict comte, et ne vouloit estre du segond; et avoit esté bien esbahie comme il n'avoit voulu accepter les bonnes offres de Vostre Majesté, et que la dicte comtesse luy avoit respondu qu'il s'estoit trop légièrement obligé, par promesse et par sèrement, à ceulx de la Rochelle, de leur admener le secours, non en intention que ce fût contre l'honneur et le service de Vostre Majesté, mais pour donner quelque respict aulx assiégés, et aulx aultres de leur party, de pouvoir impétrer aulcunes tollérables condicions, pour la seureté de leur vye et de leur religion, et qu'il avoit à se pleindre infinyement de ce que les Angloys ne luy avoient quasy rien tenu de ce qu'ils luy avoient promis: et que la dicte comtesse avoit exprimé cella, avec tant de larmes et avec tant d'humbles requestes, assistées de celles de ses amys, qu'ilz l'avoient assez esmue, mais néantmoins qu'elle ne leur avoit octroyé, ny octroyeroit, rien qui peût estre contre Vostre Majesté; Que, des choses d'Escoce, elle m'avoit naguyères respondu, ce qu'elle me confirmoit de rechef, qu'elle ne prétandoit qu'il y fût attempté par armes, ny par traicté, aulcune chose, au préjudice ou diminution de l'allience de France, et que seulement elle avoit satisfaict au desir des Estatz du pays, aulxquelz elle estimoit que Vostre Majesté avoit aussy intention de satisfère; et que le Sr de Vérac pourroit maintenant cognoistre comme elle y avoit procédé; que, quand au siège de la Rochelle, et les aultres exploictz de guerre de vostre royaulme, elle les déploroit en toutes sortes pour voyr que la clémence du prince vers les subjectz, et l'obéyssance des subjectz vers leur prince, et la socialle amityé d'entre les mesmes subjectz, estoient converties en aultres bien contrayres effectz de fureur, de désobéyssance, et d'une très violente inimityé, dont n'y avoit personne, soubz le ciel, qui desirât plus d'y voyr bientost quelque bon remède qu'elle faysoit. Et a terminé ceste audience en plusieurs semblables propos, pleins de grande bienvueillance vers Vostre Majesté. Depuys, aussytost que le courrier a esté arrivé avec la dépesche, du vingt quatriesme du présent, j'ay renvoyé supplier la dicte Dame de me vouloir ouyr sur aulcunes choses, que me commandiez de luy fère incontinent sçavoir. De quoy elle s'est assez esbahye que ce pouvoit estre, et m'a pryé que je luy concédasse ung jour pour satisfère à ses mèdecins, qui luy avoient ordonné quelque chose pour le mal de teste que j'avois veu qu'elle avoit. Cepandant, Sire, l'aultre courrier angloys, qui m'a apporté vostre aultre dépesche, du vingt cinquiesme du passé, est arrivé, sur laquelle, après avoyr, à meins joinctes, et les genoux en terre, loué et remercyé Dieu de l'élection de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, à la couronne de Pouloigne, j'en suis allé porter la nouvelle à la dicte Dame, et luy en ay faict l'expresse conjouyssance, que Voz Majestez me commandoient, avec le récit en quoy en sont les choses, sellon que voz ambassadeurs vous l'avoient escript; et que vous la priez de croyre que, tant plus vous viendroit d'augmentation de grandeur et de puissance, et plus d'accessions de biens et d'honneur à vostre couronne, plus Voz Majestez se confirmoient de vouloir honnorer et aymer la dicte Dame; et pourchassiez tousjours beaucoup plus instamment, en temps de voz prospéritez, que non en voz adversitez, l'accomplissement de son mariage avec Monseigneur le Duc, vostre frère, luy faysant là dessus une particullière mencion du grand desir que Mon dict Seigneur le Duc avoit de la venir bientost mettre en possession de l'entier et pur don qu'il luy avoit faict de luy mesmes. A quoy la dicte Dame, surprinse de quelque admiration d'une si grande nouvelle, comme est celle de l'élection de Mon dict Seigneur, m'a respondu qu'elle vous remercyoit infinyement de la bonne et prompte part, qu'il vous plaisoit luy fère, de la joye, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, en aviez reçue; qui estoit si grande en elle, qu'elle avoit de quoy mutuellement s'en resjouyr à non moindre mesure avec Voz Majestez; et qu'il y avoit plusieurs considérations de la concurrence des compéditeurs, de la rarité de l'acte, et de l'occasion des temps, qui rendoient ceste élection très ample et très honnorable pour vostre couronne, et bien heureuse pour voz meilleurs alliez, desquelz elle vous prioit de croyre que nul en sentiroit le plaisir plus parfaict et accomply qu'elle. Et s'estant eslargie en divers propos et en aulcunes assez curieuses demandes là dessus, sçavoyr: si l'Empereur se trouvoit offancé? si Mon dict Seigneur feroit maintenant la guerre aux Turcs? s'il l'auroit contre le Moscovite? s'il espouseroit la princesse de Pouloigne? quand il pourroit partir pour ce voyage? et s'il laysseroit le siège de la Rochelle pour y aller? Et luy ayant respondu à tout avec le plus de discrétion que j'ay peu, elle est venue, quand à Monseigneur le Duc, à me dire qu'elle luy restoit très obligée à jamais pour sa persévérance vers elle, laquelle toutesfoys elle pensoit bien que ne seroit semblable, ou aulmoins ne dureroit guyères, s'il l'avoit une foys veue ainsy passée d'aage comme elle est; et que les doubtes et difficultez, qu'elle voyoit en cest affère, et l'escrupulle que la Royne, vostre mère, avoit faict de l'honneur de Mon dict Seigneur le Duc, son filz, en cest endroict, joinct que deux ans s'estoient desjà écoulés depuis le propos encommancé, elle estoit quasy réduicte à ne debvoir plus penser de se maryer, ny donner la peyne à Monseigneur le Duc de venir. Sur quoy luy ayant faict et redoublé toutes les réplicques, que j'ay estimé opportunes, pour rejetter bien loing ceste sienne dellibération, elle m'a dict qu'elle attandroit ce que, sur sa dernière responce, il vous plairoit luy fère entendre. Et puis, d'elle mesmes, a adjouxté que, depuis vingt quatre heures, elle avoit entendu que le comte de Montgommery estoit arrivé à l'isle de With, et que soubdein elle luy avoit dépesché sir Artus Chambernan pour l'advertyr qu'elle ne tenoit en si peu vostre amityé, qu'elle luy voulût permettre de venir en sa court, au retour de telz exploictz qu'il venoit de faire, et qu'elle vous assuroit, Sire, qu'il ne tireroit aulcun moyen de ce royaulme pour vous nuyre; et, quand aulx choses d'Escoce, si le Sr de Vérac trouvoit maintenant sur le lieu qu'elles n'allassent sellon le traicté, qu'elle seroit preste de les redresser fort volontiers de sa part. Qui est, en substance, tout ce que, pour ceste foys, j'ay peu recueillir des propos de la dicte Dame. Et, au partir d'elle, j'ay conféré avec milord trézorier, avec milord de Lestre et Me Smith, les troys ensemble, et puis fort amplement avec chacun à part, pour voyr si, de leur propos, je pourrois tirer aulcune conjecture sur les choses de vostre segonde lettre que j'ay moy mesmes déchiffrée. Et, après qu'ilz ont eu, aussy bien que leur Mestresse, admiré l'élection de Monseigneur, ilz m'ont dict, touchant le propos de Monseigneur le Duc, que, quand Vostre Majesté voudroit remettre les choses au mesme trein qu'elles estoient auparavant l'évènement de Paris, ou aulmoins non tant hors de chemin comme elles vont maintenant, que vous retrouveriez leur Mestresse, et eulx, au mesme endroict que vous les aviez layssés. Et m'ont confirmé, au reste, ce que leur Mestresse m'avoit dict du comte de Montgommery et de l'Escoce, et qu'après qu'ilz auront plus amplement devisé avec la dicte Dame ilz traicteront, ung jour de ceste sepmayne, davantage avecques moy. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1573. Je suis en quelque traicté avec la comtesse de Montgommery, par interposées personnes, de fère retourner son mary à l'obéyssance de Vostre Majesté; et, s'il vous plaist, Sire, que je luy permette de venir parler à moy, l'on me donne espérance que je le pourray réduyre. L'on me vient d'advertyr que le comte de Morthon et les Angloys, qui sont devant le chasteau de Lillebourg[19], ont capitulé avec ceulx de dedans, et que le chasteau recognoit maintenant le jeune Prince à Roy. [19] Le château d'Édimbourg s'était en effet rendu par capitulation le 29 mai 1573, après trente-quatre jours de siège. A LA ROYNE. Madame, je n'allay jamais avec plus d'ayse, ny avec plus de parfaicte affection, porter aulcune nouvelle, en part du monde, que je feys, hier, à ceste princesse, celle de l'élection qu'ont faict les Estatz de Pouloigne de Monsieur, vostre filz, pour leur Roy, et vous prometz, Madame, que j'ay miz peyne de fère voyr à la dicte Dame combien il plaist à Dieu de bénire voz enfans; qui les ayantz faictz princes très royaulx d'extraction, les faict encores devenir Roys par élection, et qu'elle pouvoit cognoistre par là combien elle confirmeroit son vouloir avec celluy de Dieu, de fère aussy élection de Monseigneur le Duc, vostre troysiesme filz, pour la venir accompaigner à ceste couronne. Elle a monstré de réputer ceste nouvelle pour la plus grande et la plus honnorable pour le Roy, et la plus comble de félicité pour Vostre Majesté, et la plus pleyne d'esplandeur et de gloyre pour Monsieur, et encores la plus heureuse pour la France, que nulle aultre qui fût advenue, depuis que le royaulme est estably; et m'a dict que, oultre la part que luy aviez faicte de vostre joye, elle en prenoit ugne aultre en elle mesmes de celle qu'elle imaginoit estre si accomplye en vous, qu'elle surabondoit beaucoup pour elle, et pour toutz ceulx qui, comme elle, aymoient et honnoroient parfaictement Vostre Majesté. Et, bien qu'elle m'ayt faict, là dessus, quelques assez curieuses demandes, et m'ayt tenu des propos assez remis et froidz, touchant l'aultre faict de Monseigneur le Duc, si m'a elle dict que ceste nouvelle élection de Monsieur vous debvoit fère espérer l'accomplissement du reste de la prophétie, qu'on vous avoit donnée, que vous verriez toutz voz enfans Roys, et que mesmes ce ne seroit sellon la maulvayse interprétation que aulcuns en faysoient, que cella se debvoit entendre de la mesmes couronne de France, l'ung après l'aultre, car Dieu feroit que vous les verriez toutz troys, à la foys, roys de troys grandz royaumes, et a monstré la dicte Dame de fouyr d'un costé, et de se fère poursuyvre par ung aultre, sur le dict propos de Monseigneur le Duc. Dont est besoing, Madame, de la fère parler, ceste foys, si cler qu'il n'y puisse rester aulcune particulle d'ambiguyté. Et je trouve, Madame, que surtout il est expédiant que le comte de Lestre soit promptement gratiffié de quelque honneste présant, et pareillement milord trézorier, et toutz deux entretenuz de quelques gracieuses lettres de la mein de Vostre Majesté et de Monseigneur le Duc. Car l'on s'esforce, à grand pris, de les attirer à ung aultre party fort contrayre au vostre, et ne pourra ce qu'employerez en cest endroict estre perdu, car aulmoins retiendront ceulx cy ceste princesse, et ce royaulme, tousjours à vostre intelligence pour cepandant conduyre voz affères ailleurs. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juing 1573. CCCXXIe DÉPESCHE --du VIe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrétère._) Conseil tenu en Angleterre à l'occasion de l'élection du roi de Pologne.--Sollicitations de nouveaux secours pour le comte de Montgommery et la Rochelle.--Certitude de la reddition de Lislebourg.--Communication secrète faite au roi par le prince d'Orange. AU ROY. Sire, après avoyr, dimenche dernier, notiffié à la Royne d'Angleterre l'heureuse élection du Roy de Pouloigne, vostre frère, toutz ceulx de son conseil se sont, le lundy et mardy, assemblés à Grenvich pour prendre, sur ceste grande nouvelle, nouvelles résolutions ez choses de France; qui ne sçay encores quelles elles sont. Il est vray que s'estantz lors les amys du comte de Montgommery présentés, avec plus d'instance que jamays, pour luy impétrer ung nouveau renfort, ou quelques nouvelles provisions, ilz n'ont pas esté tant esconduictz des dictz du conseil comme ilz ont esté reboutés de la dicte Dame. J'ay sceu aussy, Sire, qu'après le dict conseil à Grenvich, un party de cent mille escus a esté conclud et arresté en ceste ville, pour en estre faict le payement, par tout ce moys de juing, à Noremberg, Hambourg et Couloigne, mais la pluspart à Noremberg, au mandement du duc de Cazimir ou du duc Christofle son frère, (dont vous plaira, Sire, fère prendre garde en Allemaigne;) et que, d'aultre costé, l'on a ordonné que le comte d'Essex, avec troys ou quatre mille angloys, et bonne provision d'argent et de monitions, passera en Irlande pour réprimer les saulvages qui commancent de rechef à tumultuer. L'on a aussi dépesché en Escoce pour advertyr le Sr de Quillegreu que, commant que ce soit, il y ayt à mettre l'accord; mais cepandant est arrivé l'advertissement comme le chasteau de Lillebourg est rendu au jeune Roy, bien qu'on ne publie encores à quelles condicions: dont je creins qu'il y ayt couru de l'argent, et que, pour la réputation, l'on a voulu que le canon ayt tiré, premier que parler de se rendre. Le Sr de Lumbres, en venant de Hollande, a esté prins sur mer par des pirates angloys, qui ne le cognoissoient poinct, et l'ont descendu par deçà. Il doibt aller trouver demein ceste princesse à Grenvich; et aujourdhui, bon matin, il a mandé secrettement quérir ung de mes plus confidans gentilshommes pour me communiquer chose qui importoit à vostre service, dont luy ay envoyé le Sr de Vassal; et il m'a mandé qu'il estoit dépesché vers Vostre Majesté par le prince d'Orange son mestre, et qu'il me prioit de vouloir envoyer quérir en dilligence son passeport par ung des miens, à qui il commettroit son pacquet pour luy passer la mer avec ung de ses gens qui l'yroit attandre à Abbeville, parce qu'on avoit aulcunement icy suspecte sa venue. Sur ce, etc. Ce VIe jour de juing 1573. CCCXXIIe DÉPESCHE --du IXe jour de juing 1573.-- (_Envoyée à la court par le Sr de Vérac._) Départ de Mr de Vérac pour retourner en France.--Son audience de congé.--Ses plaintes de n'avoir pu se rendre en Écosse.--Excuses données par la reine.--Ses protestations qu'elle n'a voulu porter aucune atteinte au traité.--Favorable disposition d'Élisabeth sur la négociation du mariage. AU ROY. Sire, n'ayant esté possible au Sr de Vérac, en façon du monde, de passer en Escoce, par l'empeschement que le comte de Morthon, ou bien ceulx cy, et, par advanture, eulx et luy tout ensemble, luy ont faict, il va retrouver maintenant Vostre Majesté pour luy compter le succès de son voyage, et comme (sur la pleincte que j'ay faicte à la Royne d'Angleterre que, ayant le dict Sr de Vérac couru tout ce royaulme, et veu les bords de celluy d'Escoce, il s'en retournoit sans s'estre apperceu que, en l'ung ny en l'aultre, luy eut esté uzé ce qui se debvoit à l'allience ancienne, ny ce qui s'espéroit de la rescente confédération avec Vostre Majesté,) la dicte Dame s'en est non petitement troublée. Laquelle a incontinent appelé ceulx de son conseil, en présence du dict Sr Vérac, pour se plaindre bien fort aygrement à eulx de ceste faulte, et a monstré, avec parolles et visage plein de courroux, qu'elle vouloit bien fort en demeurer excusée vers Vostre Majesté; et, m'ayant tiré à part, m'a juré que son intention avoit esté que le dict Sr de Vérac passât, ou bien, si le comte de Morthon ne le vouloit aulcunement permettre de luy, que ce fût aulmoins le Sr de Sabran; et que, quand il playroit à Vostre Majesté d'y envoyer quelqu'ung, elle offroit, dez à présent, le passage sans aulcune difficulté; et que, quand à ce qui estoit advenu du chasteau de Lillebourg, elle vous envoyeroit ung gentilhomme exprès pour vous en donner si bon compte, que Vostre Majesté cognoistroit qu'elle n'y avoit procédé sinon jouxte le traicté, pour ayder à réduyre a l'obéyssance du jeune Prince, son nepveu, ceulx qui tenoient fort dans le dict chasteau, et garder qu'ilz ne nuysissent à elle, sans y avoyr rien retenu en sa puissance, ny rien altéré de l'ancienne allience que Vostre Majesté a avec les Escouçoys. A quoy je luy ay respondu que le dict Sr de Vérac ne pouvoit fère qu'il ne vous racomptât au long ce qui luy estoit advenu, et ce qu'il avoit apprins en son voyage, et qu'à Vostre Majesté, puis après, seroit de juger si les articles du traicté avoient esté bien guardés, ou non, en ceste entreprinse d'Escoce; car, puisque j'étois l'un de ceulx, qui avoient été présentz, quand elle avoit levé la mein à Dieu pour les jurer, je ne voulois mal juger de sa conscience, ains voulois laysser ce propos pour luy fère entendre ce que Vostre Majesté me commandoit de luy dire de celluy de l'entrevue. Et ainsy ay passé à luy réciter, par le menu, tout le contenu de vostre lettre du XXXe du passé; et lui ay baillé celle que la Royne, vostre mère, luy escripvoit; qui me semble, Sire, qu'après qu'elle l'a eue leue fort distinctement, et qu'elle a eu fort bien prins les raysons que je luy ay déduictes, et celles que, sur les siennes, je luy ay réplicquées, elle est demeurée mieulx disposée vers l'entrevue et vers le mariage, que je ne l'y avoys vue de longtemps, et m'a promis de vous y mander bientost une si bonne responce, qu'elle espéroit qu'elle vous contanteroit. Or, Sire, le Sr de Vérac vous comptera en quoy en restent les choses, et qu'est ce qu'avons entendu de la capitulation du dict chasteau de Lillebourg, et du malcontantement qu'en ont eu les principaulx seigneurs d'Escoce, qui se sont départis, à ceste occasion, la pluspart, d'avec le dict Morthon, et ce qui nous semble qui pourroit estre maintenant uzé par dellà pour vostre service, ensemble d'aulcuns propos que j'ay esté d'advis qui fussent suivys avec ceulx de la Rochelle, qui sont icy. Sur ce, etc. Ce IXe jour de juing 1573. CCCXXIIIe DÉPESCHE --du XVIIe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._) Délibération des seigneurs du conseil sur la négociation du mariage.--Mission donnée au capitaine Orsey de passer en France. A LA ROYNE. Madame, ayant la Royne d'Angleterre trouvé en la lettre, que vostre Majesté luy a escripte, du XXe du passé, aultant de satisfaction comme elle en demandoit pour le faict de l'entrevue, et plus qu'elle n'en avoit espéré, je l'ay fort instamment priée que, puisque la volonté du Roy et celle de Vostre Majesté, et toutes celles qui sont dans le cueur de Monseigneur le Duc, avec sa mesmes personne, venoient estre si entièrement remises en sa mein qu'elle n'avoit rien plus que doubter de vostre costé, qu'elle voulût aussy du sien maintenant se résouldre si bien à la correspondance, laquelle vous aviez tousjours espéré d'elle, que n'eussiez aulcune occasion de vous en douloir; et que pourtant elle voulût accepter la dicte entrevue, et fère expédier les seuretés que je demandois. A quoy la dicte Dame a monstré, en plusieurs sortes, qu'elle y avoit si bonne disposition que j'ay espéré de pouvoir promptement tirer d'elle une responce du tout conforme à ma demande; mais milord de Burgley, qui n'a ozé procéder seul en cella, a trouvé moyen de fère assembler les seigneurs de ce conseil pour leur proposer le contenu de vostre dicte lettre, affin que, par l'honnesteté d'icelle, et de l'offre que Vostre Majesté y fesoit, ils fussent induictz d'approuver non seulement l'entrevue, mais tout ce qui se doibt espérer d'icelle. Dont est advenu que la dicte Dame m'a faict communicquer les argumentz qu'ilz ont débatus entre eulx, qui, encores que milord de Burgley ayt monstré de fère grand cas qu'il eût gaigné ung poinct, qu'il dict estre fort nécessayre à l'advancement du propos, (c'est de l'avoir faict de rechef approuver par le dict conseil;) si, luy ay je faict cognoistre qu'il ne pouvoit revenir à vostre satisfaction qu'en lieu que la Royne, sa Mestresse, et eulx debvoient accepter vostre offre, et vous envoyer incontinent les seuretés, elle et eulx ayent mis en termes quelque aultre chose. Et, à dire vray, Madame, encores que je trouve, en ceste princesse et en toutz les siens, une trop plus ouverte et meilleure disposition vers cest affère que, dix moys a, je ne les y avoys veus, et que le comte de Lestre semble s'y affectionner grandement, et le dict milord de Burgley aussy, à l'envy l'ung de l'aultre, et que le comte de Sussex, Me Smith et aultres monstrent d'y convenir, et allèguent toutz des occasions grandes et nécessayres du dict mariage pour leur Mestresse et son estat, si ne me peut nullement playre ceste leur responce; et j'ay tant de preuves de l'inconstance et changementz de leurs dellibérations que je ne puis prendre grande espérance, ny ne veulx fère guyères espérer à Vostre Majesté d'eulx, sinon aultant que j'en toucheray avec la mein, et que j'en verray par effect. Dont vous supplye très humblement, Madame, que, pendant que l'affère est fervant et chauld, il vous playse incister qu'il soit du tout accomply ou bien du tout délayssé. Et m'a quelqu'un adverty que toutes choses sont icy maintenant pour vous, et qu'il y a une occulte occasion dans ce royaulme qui vous dispose assez bien cest affère pour le rendre effectué avant le prochein septembre, s'il est bien vifvement mené, mais, s'il ne s'accomplit entre cy et là, il n'y a apparance qu'il se puisse jamays plus conduyre. Le cappitayne Orsey, lequel elle envoye maintenant par dellà, a esté pensionnayre du feu Roy, vostre mary, et monstre avoir bonne inclination à la France; il est tout entièrement du comte de Lestre; et la Royne faict cas de luy. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de juing 1573. CCCXXIVe DÉPESCHE --du XXe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Bouloigne par le Sr Cavalcanti._) Déclaration faite par Burleigh à l'ambassadeur que, si la paix n'est pas promptement rétablie en France, la reine d'Angleterre est décidée à prendre parti pour les protestans.--Efforts de l'ambassadeur pour s'opposer à cette résolution.--Affaires d'Écosse.--Mission du capitaine Orsey. AU ROY. Sire, le cappitayne Orsey partira dans bien peu d'heures, d'icy, pour aller trouver Voz Majestez, avec la responce que faict, de sa mein, la Royne, sa Mestresse, aulx lettres que la Royne, vostre mère, luy avoit escriptes. Sa dicte Mestresse et ceulx de ce conseil ont entendu les effortz qui ont esté faictz, ainsy qu'ilz disent, le XXVIIIe du passé et le Ve d'estuy cy, à la Rochelle; et m'a milord de Burgley mandé qu'elle et eulx sont fort esmeus de voyr que les choses vont à l'extrémité, et que Vostre Majesté ne veult entendre à la modération qui se pourroit bien trouver en cecy, s'il vous playsoit conférer avec les princes, intéressez en la cause de la religion, des moyens d'assurer une bonne et perdurable paix en vostre royaulme; et que la dicte Dame et eulx seroient enfin contreinctz de vous remonstrer que voz subjectz ne combattent pour vous dénier rien de ce qu'ilz vous doibvent, ny pour usurper rien qui appartienne à vostre grandeur, car recognoissent estre très obéyssantz subjectz de vostre Majesté, qui ne tiennent fermées leurs portes que pour ne souffrir la violence qu'on leur veult fère, d'abjurer leur religion, sans tenir ny ordre, ny forme, pour les instruyre, et persuader à une aultre, que seulement avec l'espée et la mort: chose qu'ilz sçavent bien que Vostre Majesté ne soufriroit qu'il se fît de mesmes, en Angleterre, vers ceulx qui sont réputez catholicques romains; et que le dict de Burgley m'avoit souvent remonstré, et remonstroit encores, que ceste cause touchoit de si près à la conscience et à la seureté de la Royne, sa Mestresse, et à la tranquillité de son estat, qu'il me vouloit librement dire que l'amityé ne pourroit aulcunement durer entre ces deux royaulmes, si Vostre Majesté continuoit de poursuyre l'extermination de leur religion, ainsy qu'il a commancé. Je ne luy ay encores rien respondu là dessus, réservant de le fère, en présence, quand j'iray parler à sa Mestresse. Je notte bien que c'est ung trêt qui m'advertit de prendre garde à leurs déportementz, et à ce qui pourra résulter de la conférance du comte de Montgommery avec ung gentilhomme de ceste court, qu'on a envoyé parler à luy, jusques en la mayson de madame Messen, à trente mille d'icy, et à ce aussy que je pourray descouvrir qui se résouldra avec ung agent du comte Palatin, duquel l'on attand, d'heure en heure, la venue en ceste court. Néantmoins j'espère que, sur la dépesche de Vostre Majesté, du Xe du présent, laquelle je viens de recepvoir, je pourray remectre les choses en quelques meilleurs termes, et plus conformes de vostre desir. Et desjà j'ay si bien imprimé à plusieurs de ceste court que Vostre Majesté mettroit, de bref, la paix en son royaulme, et ay trouvé moyen de le fère ainsy entendre au comte de Montgommery, que ny eulx ne parlent si fort de luy bailler nouveau renfort, ny luy inciste plus tant de l'avoyr comme il faysoit auparavant. Et desjà Lorges, son filz, et la plupart des françoys, qui sont revenus de devant la Rochelle, s'embarquent pour passer en Hollande et à Fleximgues, ensemble plusieurs angloys, de ceulx qui parlent françoys, et plusieurs walons avec eulx. Et, au regard des choses d'Escoce, l'on m'a confirmé encores aujourdhuy, Sire, qu'elles vont ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes; et m'a l'on dict davantage que le Sr de Ledington est mort, et que le comte de Morthon est après à fère tenir quelque assemblée d'Estatz, où ceulx cy s'attandent bien qu'il y fera proclamer la Royne d'Angleterre protectrice du jeune Roy, et du royaulme d'Escoce, durant sa minorité. J'ay mis peyne de disposer le cappitayne Orsey sur trois principalles particullaritez: sçavoir, celle de la ligue, du mariage et du faict du dict Escoce, le mieulx qu'il m'a esté possible; et je croy qu'il se portera, en l'acquit de sa légation, que sa Mestresse luy a donnée là dessus, comme homme qui desire de la voyr vivre en grande et bien estroicte amityé avec Vostre Majesté. Sur ce, etc. Ce XXe jour de juing 1573. Le cappitayne Orsey vous fera supplication pour le comte de Montgommery. CCCXXVe DÉPESCHE --du XXIIe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne._) Audience.--Négociation du mariage.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle a chargé le capitaine Orsey d'offrir sa médiation entre le roi et les protestans de la Rochelle.--Conditions sous lesquelles elle pense que se pourrait faire le traité. AU ROY. Sire, aussytost que j'ay faict sçavoir à la Royne d'Angleterre que je desiroys parler à elle, elle m'a incontinent mandé venir, et a faict différer d'aultant le partement du cappitayne Orsey, affin que, si de mes propos elle comprenoit qu'il y eût quelque changement ez dellibérations de Voz Majestez, elle peût aussy fère changer quelque chose en sa dépesche; mais les propos, que je luy ay tenus, sont ceulx de vostre lettre du Xe du présent, qui concernent le faict du mariage, l'entrevue de Monseigneur le Duc, la continuation du traicté, le présent estat des choses d'Escoce, la dilligence que le Roy de Pouloigne faict de réduyre, non moins par condicions honnestes, et pleines de vostre clémence, que par force d'armes, ceulx de la Rochelle à vostre obéyssance, l'approbation de l'élection du dict Roy de Pouloigne par le commun consens de toutz les Estatz bien unis du royaulme. Et après, je suis venu à luy débattre bien fort la responce de ceulx de son conseil, et que je la prenois comme une forme de deffecte, affin que la dicte Dame s'explicquât elle mesmes à quoy elle prétandoit de fère servir ce voyage du dict cappitayne Orsey, et en quelle sorte elle entendoit de s'employer à la paix de vostre royaulme. Et puis luy ayant dict, en passant, que j'estois adverty que les ennemys de son mariage, quand ilz avoient veu qu'on esclarcissoit bien fort les principalles difficultez, s'estoient desjà efforcés d'y susciter beaucoup d'escrupulles à Voz Majestez, je luy en ay faict prendre plusieurs à elle de ces négociations qui se font avec son ambassadeur, sans toutesfoys nommer ny luy, ny ceulx qui négocient avec luy; et n'ay rien obmis de ce que j'ay estimé qui pouvoit servir de tirer, sur ces particullaritez, quelque notice de l'intention de la dicte Dame. Et elle a monstré qu'elle estoit déjà toute préparée de ce qu'elle me debvoit dire, et m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, ne debviez prendre, sinon de bonne part, qu'elle eût communiqué à ceulx de son conseil l'offre que luy aviez faicte de l'entrevue, affin qu'elle ne procédât seule en ung affère, où toutz ceulx de son royaulme estoient avec elle intéressés; et qu'après avoyr ouy leurs advis, lesquelz, à dire vray, elle avoit trouvé fondés en de bien grandes considérations, elle n'avoit peu du tout leur contredire, ains avoit prins avec eulx cest honnorable expédient de fère précéder le voyage du cappitayne Orsey, affin que si Monseigneur le Duc avoit, puis après, à passer deçà, sa venue fût et plus agréable à tout ce royaulme, et plus utille à l'effaict pour quoy elle se faysoit; qu'elle avoit esleu le cappitayne Orsey, comme affectionné à vostre couronne, pour fère ceste légation, laquelle n'estoit dissemblable à celle que plusieurs aultres princes, de non meilleure qualité qu'elle, avoient bien envoyé fère, d'aultres foys, aulx feus Roys, vostre ayeul et père, en temps moins pressé qu'estui cy, qui ne s'en estoient retournés esconduictz: «C'est, dict elle, de vous prier que vueillez donner la paix à voz subjectz, et regaigner l'obéyssance, qu'ilz vous doibvent, par clémence, en préservant leurs vyes et leur religion; et qu'elle vous offre son office en cella pour servir, premièrement, comme Royne, à la réputation et grandeur de Vostre Majesté, et, puis, comme chrestienne, à la conservation de ceulx de sa religion; et que, s'il vous plaist que le gentilhomme, qu'elle envoye, passe jusques vers le Roy de Pouloigne, vostre frère, pour davantage manifester et rendre plus cognue ceste sienne bonne intention, et mesmes le fère entendre à ceulx de la Rochelle, qu'il sera prest de s'y acheminer; et qu'elle vous supplie de croyre qu'elle tient en tel compte l'offre et la déclaration de Voz Majestez vers elle, qu'elle sera infinyement bien ayse que vous recognoissiez et trouviez, par l'effect de ceste légation, qu'elle veut commander d'en avoyr recognoissance; car Dieu void dans son cueur qu'elle la vouhe et dédie toute à l'honneur et commodicté de Vostre Majesté et de vostre royaulme, sans qu'elle y cherche la valeur d'un festu pour elle; et, vous prie que vueillez recepvoir en ceste façon ce gentilhomme, et en ceste façon en uzer; et, si voyez que ne vous en puissiez ainsy accommoder, que vous le renvoyez ardiment comme il est allé; «Que par ceste mesmes légation, elle mande vous donner compte des choses d'Escoce, et vous fère voyr qu'il n'a esté faict préjudice, par dellà, d'ung travers d'un poil, à rien qui concerne l'allience de vostre couronne, et l'observance des traictés; qu'elle mande la responce, de sa mein, à la lettre de la Royne, Vostre mère, et se conjouyt infinyement avec elle de la prospérité du Roy de Pouloigne, son filz, et l'advertit de ne se laysser trop aller aulx persuasions de son aultre filz Monseigneur le Duc; qu'elle ne faict doubte que plusieurs ne facent de bien maulvayses sollicitations contre le propos du mariage; et qu'elle me vouloit bien dire que l'ambassadeur d'Espaigne a trouvé moyen de se rencontrer, une foys seulement, avec le sien, à Melun, pour luy en parler; et qu'après avoyr discouru des choses de Flandres, il luy a miz en avant le filz de l'Empereur, duquel luy a dict qu'encor qu'il n'ayt esté esleu Roy de Pouloigne, il ne layrra pourtant d'avoir ung beau et grand royaume.» Et s'est la dicte Dame arrestée assez longtemps à discourir de toutz les susdictz propos, sans que je l'aye interrompue; puis je luy ay réplicqué, en bref, que, puisqu'elle dressoit tout l'effect du voyage, du cappitayne Orsey, à l'honneur et commodicté de Vostre Majesté, je la supplioys de luy commander de suyvre entièrement ce qui luy viendroit, ordonné de vostre part, de celle de la Royne Mère, du Roy de Pouloigne et de vostre conseil, qui sçaviez mieux en quoy son office vous pourroit estre honnorable et utille que nulz aultres; et que, si elle me vouloit déclarer ung peu quelz moyens elle estimeroit bon que voz Majestez uzassent en cest endroict, je vous en advertiroys incontinent. Bien la voulois prier de considérer que les douze ans derniers monstroient estre très nécessayre que vous procédissiez avec grand caution vers ceulx de la nouvelle religion, et qu'ilz fussent, de leur costé, plus modérez, à l'advenir, qu'ilz ne l'avoient esté par le passé. Elle m'a respondu fort librement qu'elle voudroit qu'octroyssiez à voz subjectz leur religion, avec quelque exercice modéré, qui ne fût ny injurieulx, ny insolant, contre voz aultres subjectz de la religion catholicque; et qu'il vous pleût, après une si longue guerre, et après tant de troubles et de ruynes de vostre royaulme, incliner maintenant à cest expédiant par l'intermission d'elle, comme d'une princesse qui est en ligue avec Vostre Majesté, et qui a intérest à la conservation de voz forces, de vostre estat et grandeur; et que, de tant que aulcuns accidantz passés mettent voz subjectz en deffience, de ne pouvoir assez trouver de seureté ez édictz de la paciffication, parce qu'ilz disent que leurs ennemys uzent de beaucoup de moyens, et de beaucoup de conseils et d'effortz, pour tousjours les rompre, que veuillés déclarer à elle ce qu'il vous plerra leur offrir, et que, sur vostre parolle, elle leur en respondra; et a espérance qu'ilz s'y confirmeront, et se soubmettront franchement à vostre obéyssance, ou bien, si voyez que, par aultre chemin, vous vous puissiez mieulx servir de son office, elle est preste de s'y employer. En quoy, si faictes acheminer le dict cappitayne Orsey vers le Roy de Pouloigne, et à ceulx de la Rochelle, elle entend que luy baillés ung ou deux gentilhommes pour le dresser en ce qu'il aura à fère et dire, et pour estre présentz à tout ce qu'il négociera avec eulx. Et s'est fort esforcée, la dicte Dame, de me fère voyr qu'elle procédoit de la plus pure, et nette bonne volonté en cest endroict qu'il est possible, mais n'a trop dissimulé que le voyage du cappitayne Orsey ne fût aussy pour voyr quel est devenu, à ceste heure, Monseigneur le Duc. Et, après m'avoyr parlé du progrès qu'elle va fère ceste année vers Douvre, et du costé de France, elle m'a dict comme elle avoit eu advertissement que monsieur le comte de Retz avoit assemblé une armée de mer, pour se revencher de Belle Isle sur ses isles de Gersay et de Grènesay; mais elle ne pensoit pas qu'il se voulût prendre à elle des faultes du comte de Montgommery, ny que vous le luy voulussiez permettre, et qu'elle me prioit d'en fère ung article dans ma première dépesche. Je luy ay respondu que, par celle que j'avois naguyères receu de Vostre Majesté, vous ne monstriez d'avoyr aulcune semblable volonté, ny que Mr le comte de Retz eût dressé cest armement pour cest effect; et ainsy je me suis licencié d'elle. Sur ce, etc. Ce XXIIe jour de juing 1573. CCCXXVIe DÉPESCHE --du XXVIIe jour de juing 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Jehan Volet._) Fausse nouvelle de la capitulation de la Rochelle.--Assaut donné à la ville par le roi de Pologne.--Nouvelles d'Écosse et des Pays-Bas. AU ROY. Sire, sur une assés légière nouvelle, que le docteur Dailh a escripte à la Royne, sa Mestresse, le bruict a couru, deux jours durant, en ceste ville, et est allé bien loing dans ce royaulme, que ceulx de la Rochelle s'estoient rendus à Vostre Majesté ez meins du Roy de Pouloigne, vostre frère, le XVIIe du passé. De quoy ceste princesse, et les siens, entendant que c'estoit à des condicions qui n'estoient sinon assez tollérables, ilz ont faict semblant d'en estre bien ayses, et ont monstré de se disposer à quelque chose de mieulx qu'ilz n'estoient auparavant vers la France; mais, le troisiesme jour, il est arrivé ung second courrier du dict docteur Dailh, qui a porté nouvelles bien contrayres: c'est que le traicté de la composition estoit du tout rompu, parce que ceulx de dedans demandoient plus que ne portoit le dernier édict de Vostre Majesté; et que, pendant encores qu'on parlementoit avec eulx, le Roy de Pouloigne avoit faict donner feu à une mine, et, quand et quand, assault, et une escalade, dont il avoit esté repoussé et sa personne mesmes blessée, et que les choses tendoient, sans aulcun remède, à l'extrémité. De quoy les Angloys, et pareillement ce nombre de voz subjectz qui sont icy, ont commancé à penser de toute aultre chose que la paix, et croy que, sans le voyage du cappitayne Orsey, ilz l'eussent desjà plus manifesté qu'ilz n'ont. Et m'a l'on dict que celluy qui vint, sur la fin du mois de may, de la Rochelle, a dict que les assiégés estoient fermement résolus d'attandre le dernier poinct de la dicte extrémité, et mettre lors le feu en leur ville, pour fère une irruption et salie sur vostre armée de mer, ou sur celle de terre, affin d'essayer par les armes tout ce que peut le désespoir. L'on a retiré à Barvic les forces et l'artillerye, que la Royne d'Angleterre avoit prestées au comte de Morthon, et aulcuns gentilshommes, des pensionnayres de ceste princesse, qui estoient allez à l'entreprinse de Lillebourg, sont desjà de retour, en court. Guaras, agent du duc d'Alve, a tant faict vers ceulx de ce conseil que deux cappitaynes angloys, qui alloient en Ollande, ont esté arrestez, mais il en est allé d'aultres. Et sur ce, etc. Ce XXVIIe jour de juing 1573. CCCXXVIIe DÉPESCHE --du IIIe jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._) Blessure du roi de Pologne.--Nouvelles agitations en Irlande.--Desir du comte de Montgommery de travailler à la pacification.--Nouvelles d'Écosse.--Réclamation faite par Marie Stuart de ses diamans qui étaient à Lislebourg.--Mission de Mr Duverger, auprès de la reine d'Écosse. AU ROY. Sire, j'ay faict voyr à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil, par la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, du XVIIIe du passé, la vérité de ce qui est advenu de la blessure du Roy de Pouloigne[20], vostre frère, lesquelz ont monstré d'avoir beaucoup de playsir que le mal ne fût si grand, comme l'on le leur avoit escript. Et m'a, la dicte Dame, mandé qu'elle se conjouyssoit grandement avec Vostre Majesté, et avec la Royne, vostre mère, de ce que Dieu avoit retiré cestuy vostre frère et filz, du grand et non préveu péril, où il s'estoit trouvé; et de ce qu'il luy faysoit, de jour en jour, venir sa réputation de tant plus clère et illustre, qu'il luy donnoit à l'augmanter par de bien grandes et hazardeuses entreprinses; et qu'elle desiroit de bon cueur que les instances, qu'elle vous avoit envoyé fère par le cappitayne Orsey, vous vînssent à gré, affin que cella servît de divertir ce qui pouvoit rester encores de mal à venir de la fin de ceste guerre. [20] Le roi de Pologne, dans une reconnaissance faite le 14 juin, avec le duc d'Alençon, le roi de Navarre et quelques seigneurs, ayant été aperçu du haut des remparts, un soldat le mit en joue; mais de Vins, son écuyer, gentilhomme provençal, se jeta au-devant du coup, et tomba frappé d'une balle. Le roi reçut dans ses vêtemens les postes dont le fusil était chargé, mais il ne fut pas blessé. Les choses d'Irlande semblent de s'altérer, de jour en jour, davantage, non toutesfoys que la dicte Dame les répute beaucoup dangereuses, parce qu'elle voyt que Vostre Majesté et le Roy d'Espaigne estes tirés à d'aultres plus pressantz affères. Le sir Artus Chambernon m'est venu dire qu'il a esté voyr le comte de Montgommery, son beau frère, et l'a trouvé fort disposé au service de Vostre Majesté; et à desirer, plus que sa vye, la réunion de voz subjectz de sa religion à vostre obéyssance, soubz la protection et observance de vostre dernier édict de paciffication. Je n'ay, à présent, rien de particullier, d'Escoce, sinon qu'on dict qu'ung chacun y vit en paix, et que le cappitayne Granges est détenu encores soubz quelque garde en la ville de Lillebourg, où l'on luy faict fort bonne chère, et, qu'encor que la pluspart des principaulx de la noblesse soient de maulvayse intelligence avec le comte de Morthon, il n'y a toutesfoys que le milord Claude et Adam Gordon qui monstrent, plus extérieurement que les aultres, de n'approuver son authorité, et dellibèrent d'aller servir le roy de Suède, avec trois mil escoucoys, contre le Moscovite. La Royne d'Escoce m'a faict fère instance, icy, pour les bagues qu'elle a dedans le chasteau de Lillebourg, mais ne m'y a esté encores rien respondu. Monsieur le président de Tours est arrivé pour aller devers elle, auquel j'ay mis peyne, ainsy qu'il vous a pleu me le commander, de luy assister, aultant qu'il m'a esté possible, pour luy fère avoyr son passeport, et lettres des seigneurs de ce conseil au comte de Cherosbery, dont il s'y achemine demein. Sur ce, etc. Ce IIIe jour de juillet 1573. CCCXXVIIIe DÉPESCHE --du VIIe jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Instance d'Élisabeth pour la pacification.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Condoléances de la reine sur la blessure du roi de Pologne.--Etat de la négociation de la paix en France.--Négociation du mariage.--Nouvelles instructions qu'Élisabeth se propose de donner au capitaine Orsey. A LA ROYNE. Madame, oultre ce que je mande, dans le récit que j'ay mis à part, des propos que la Royne d'Angleterre m'a tenus sur la blesseure du Roy de Pouloigne, vostre filz, elle m'a dict qu'elle jugeoit bien que Vostre Majesté prenoit ung singullier contantement de voyr et ouyr les preuves de la valeur de voz enfans, mais qu'elle croyoit bien que nul plus mortel regret eut peu jamays saysir vostre cueur, ny advenir aulcun plus grand inconvénient au Roy, vostre filz, et à son royaulme, ny nul plus grand trouble aulx estatz de Pouloigne, ny rien de plus esmervueillable en la Chrestienté, que si ce jeune prince, plein de valeur et de grande espérance, et nouvellement Roy, se fût ainsy perdu en ceste misérable guerre, laquelle estoit lors assez tollérable, quand elle estoit menée par des cappitaynes du royaulme; mais, après que ceulx là ont esté mortz, et qu'il y fault maintenant employer si souvant les propres princes de la couronne, voz enfantz, elle vous prioit que la voulussiez, pour jamays, retrencher par une bonne et bien assurée paciffication. Je luy ay respondu que cella ne tenoit à Vostre Majesté, et qu'il falloit, puisqu'elle avoit crédit avec la partie plus opinyastre, qu'elle luy persuadât de se renger à l'obéyssance qu'elle debvoit, et de se contanter de ce que le Roy leur pouvoit tollérer de leur religion, sans troubler ny l'estat de la sienne, ny la tranquillité de son royaulme; ce que la dicte Dame a trouvé raysonnable. Et depuis, ceulx de son conseil me l'ont approuvé, et m'ont assuré que vous trouverez, par la légation du cappitayne Orsey, que telle estoit l'opinion de leur Mestresse et de toutz eulx. Sur ce, etc. Ce VIIe jour de juillet 1573. MÉMOIRE AU ROI. Sire, j'ay remercyé en la meilleure façon que j'ay peu la Royne d'Angleterre de l'honneste propos, et de la vertueuse démonstration, dont elle avoit uzé sur la nouvelle de la blesseure du Roy de Pouloigne, vostre frère, quand j'envoyay luy communicquer, par le comte de Lestre, ce que m'en avez mandé, le XVIIIe du passé, et luy ay dict davantage que, par nouvelles lettres du XXIIIIe, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, me commandiés de me conjouyr infinyement avec elle, de vostre part, de ce qu'il avoit pleu à Dieu de le vous préserver. Qui vous assuriés fort qu'elle auroit playsir de voyr que vous, et luy, et vostre aultre frère, qui toutz troiz l'aviez bien aymée, et luy portiés tousjours une singullière affection, allissiez estandant la réputation de vostre valeur, avec le danger de voz personnes, et, qu'au milieu de ces dangers, Dieu vous voulût conserver. Ce que la dicte Dame a monstré qu'elle avoit très agréable, et m'a confirmé, en parolles et démonstrations, cella mesmes que le comte de Lestre m'avoit desjà mandé: qu'elle avoit esté non moins troublée de l'accidant du Roy de Pouloigne, que si elle eut esté sa seur germayne. Et a adjouxté que, oultre les occasions expécialles qui l'obligeoient de se resjouyr du bien, et se douloir du mal, qui pourroit advenir à Vostre Majesté, et à toutz ceulx de vostre couronne, il y avoit des considérations, pour le général d'aucuns estatz de la Chrestienté, qui luy faysoient juger que ce eût esté par trop de malheur au monde, si ce prince fût ainsy péry en ceste entreprinse. Et m'a fort curieusement demandé comme cella luy estoit advenu, et s'il ne seroit pas, une aultre foys, aprins de fère mieulx recognoistre les lieux dangereulx, plustost que d'y aller? et si le troisiesme n'en deviendroit pas aussy plus advisé de son costé, lequel ne debvoit lors estre guyères loing de son frère? et s'il estoit vray que ung gentilhomme, ayant entreveu prendre feu à l'arquebouze, se fût mis devant pour couvrir son Mestre, et qu'il eût esté tué? A quoy je luy ay satisfaict de ce que je sçavois, de la vérité de ces choses, et luy ay discouru celles qui servoient à cellébrer la magnanimité de Vostre Majesté, et les gestes vertueux du Roy de Pouloigne, et comme Monseigneur le Duc se formoit près de luy, pour se rendre bientost ung grand et brave chef de guerre, de sorte qu'elle a monstré d'avoyr à plésir ce propos. Et puis a suyvy à dire qu'elle désireroit bien fort que la légation, qu'elle avoit maintenant envoyé vous fère, peût servir de destourner ce qui pouvoit rester à venir du malheur de ceste guerre, et qu'elle n'attandoit sinon que le cappitayne Orsey luy mandât que vous aviez eu agréable l'office qu'elle vous offroit, et que luy eussiez ordonné d'aller devers le Roy de Pouloigne et devers ceulx de la Rochelle, affin qu'elle luy enchargât de nouveau de fère toutes choses au contantement de voz Majestez Très Chrestiennes et du dict Roy de Pouloigne; et qu'on luy avoit bien dict que la paix ne tardoit plus que pour la deffiance, laquelle elle creignoit que fût ung peu rengrégée de ce qu'on avoit mis feu à une mine pour surprendre les dicts de la Rochelle, pendant qu'on parlementoit à eulx, ainsy que ung gentilhomme allemand, filz d'un angloys, qui estoit lors au camp, le luy avoit dict; ce qu'elle n'avoit peu aprouver, car n'estoit expédient que voulussiez, ny que monstrissiez de vouloir, la mort de voz subjectz de la nouvelle religion. Je luy ay respondu que la légation du cappitayne Orsey, venant de la part d'elle pour deux si honnorables effectz, comme pour la paix de vostre royaulme et pour le faict de l'entrevue, ne pourroit estre que bien receue de Voz Très Chrestiennes Majestez, et, possible, viendroit elle, quand au premier poinct, assez oportunément pour ayder la négociation que le Sr de La Noue menoit avec les dicts de la Rochelle et de Monthaulban, et des aultres de la nouvelle religion, pour les réduyre à ung bon et honnorable expédiant d'accord; et qu'il n'y avoit lieu d'alléguer plus la deffience, car eulx mesmes cognoissoient très bien qu'il ne leur manqueroit aulcune sorte de bonne seureté. Et touchant la mine, dont elle parloit, qui avoit esté essayée pendant le parlement, je n'en sçavois rien, mais aussy n'avoys je pas sceu qu'aulcune suspencion de guerre eût esté octroyée en ce siège, sinon pour ceulx seulement qui parlemantoient; et qu'au reste, Voz Majestez, et le Roy de Pouloigne, aviez clèrement monstré que vous desiriez la conservation générallement, et non la ruyne, de voz subjectz; Au regard de l'aultre poinct, qui concernoit l'entrevue, que je creignois qu'il vous restât, et à la Royne, vostre mère, de quoy vous vergoigner assez d'avoyr defféré à la dicte Dame tout ce qui se pouvoit imaginer d'honneur et d'advantage entre princes, et qu'elle l'eût néantmoins tenu en peu de compte, et quasy l'eût eu à mespris, et que Monseigneur le Duc n'en conceût ung très grand regret en son cueur; qui, s'estant proposé par l'abondance de son amityé et de la dévotion, et servitude, qu'il luy avoit vouée, qu'il auroit facille accès à ses bonnes grâces, il porteroit à ceste heure fort impaciemment ceste remise, car ne pensoit, en façon du monde, qu'il s'en peût trouver une seule, ny aulcune sorte de réplicque à son offre; ainsy qu'en ses lettres, que j'avoys freschement reçues, il me parloit comme un prince qui, ayant embrassé de toute son affection ceste espérance, avoit desjà le pied à l'estrier, et estoit comme de chemin pour s'en venir, et qui me commandoit qu'en luy présentant cependant une sienne lettre, je luy impétrasse tant de faveur d'elle que de luy bayser en son nom et très humblement ses belles meins, qu'il avoit tant de desir de venir luy mesmes et bayser, et toucher. La dicte Dame, qui ne s'attandoit d'avoyr à présent de ses lettres, s'estant composée de contenance, mais devenue vermeille au visage, les a prinses et leues incontinent d'affection, et les a trouvées fort pleynes d'honneur et d'honneste amityé; dont m'a respondu qu'elles l'arguoient d'une grande faulte, de n'avoir escript à Monseigneur le Duc, mais qu'elle rabilleroit cella, si elle pouvoit entendre que le dict cappitayne Orsey allât au camp, et qu'elle luy avoit par trop d'obligation pour ne manquer à ce debvoir, si elle ne vouloit estre trouvée ingrate. J'ay poursuivy à luy dire que, si, en la commission du dict cappitayne, il y avoit chose aulcune qui peût mettre en quelque suspens Voz Majestez et Monseigneur le Duc de la bonne intention d'elle, que je la priois de le vouloir promptement réparer, affin de ne deffallir de correspondance, de sa part, à la plus parfaicte et constante amityé, dont elle seroit jamays aymée, ny bien volue, de nulz aultres princes qui fussent au monde. Elle m'a soubdein mené en une fenestre assez loing, et m'a dict, que, s'il vous playsoit luy fère cest honneur de l'employer à la paciffication de vostre royaulme, qu'elle mettroit peyne de vous y complayre de tout son pouvoir, et de conserver ce qui seroit de l'honneur et authorité et grandeur de Vostre Majesté, pour vous rendre les subjectz très humbles et très obéyssantz, et les plus modérez qu'elle pourroit en ce qu'ilz demanderoient de l'exercice de leur religion, pour n'en avoyr que aultant, et en la forme que trouverez raysonnable de leur accorder, de vostre propre grâce, pour satisfaction de leurs consciences, sans troubler le repos de vostre estat: Et, quand à l'entrevue, que ceulx de son conseil avoient bien digéré la responce qu'elle vous y avoit faicte, laquelle vous ne trouveriez, à son advis, que desvoyât aulcunement l'affère, ains, possible, le remettroit en meilleur chemin qu'il n'estoit auparavant; et qu'elle estoit bien ayse de demeurer satisfaicte et de pouvoir satisfère aultruy de vostre persévérance vers elle, car vouloit, puisqu'elle estoit femme, me réveller ung secret: c'est que, depuis trois jours, sur quelques responces de grande importance qu'on luy faysoit attandre de quelque part du monde, l'on luy estoit venu dire que véritablement elles luy estoient mandées très bonnes et pleines de tout contantement, mais qu'en France l'on luy avoit, coup sur coup, tué trois courriers qui apportoient les dépesches, et qu'elle me layssoit juger que vouloit dire cella. Je n'ay uzé ny de réplicque, ny de curiosité, pour fère explicquer davantage la dicte Dame, ains, l'ayant seulement pryée de vouloir radresser la commission du cappitayne Orsey, si elle ne la luy avoit donnée parfaictement bonne, quand il partit; et de vouloir escripre à Monseigneur le Duc, elle m'a promis de fère l'ung et l'autre; et puis, m'ayant fort volontiers baillé la mein à bayser au nom de Monseigneur le Duc, je me suis licencié d'elle. Qui est, Sire, le sommayre de ce qui s'est passé en ceste audience. CCCXXIXe DÉPESCHE --du XIIe jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Communication officielle de la paix conclue en France.--Félicitations de la reine.--Demande de l'ambassadeur qu'Élisabeth consente à l'entrevue sollicitée par le duc d'Alençon.--Demande d'un délai pour donner la réponse.--Nouvelles d'Écosse.--Le lord de Hume et le lair de Granges retenus prisonniers. AU ROY. Sire, après que j'ay eu loué et remercyé Dieu de la bonne nouvelle de la paix[21], qu'il vous a pleu me mander, du premier de ce moys, je la suis allé porter à la Royne d'Angleterre, laquelle, d'un semblant fort joyeux et contant, m'a demandé, premier quasi que j'aye eu loysir de luy en entamer le propos, s'il estoit bien vray qu'elle fût faicte. Et je luy ay dict que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez estimé très raysonnable, aussytost que Dieu vous y avoit faict voyr quelque certitude, et premier quasy qu'elle fût du tout bien conclue, ou aulmoins devant qu'elle fût publiée en vostre court, d'en fère la première part à elle, affin de luy advancer, devant les aultres princes, voz alliez et confédérés, l'ayse et le plésir que vous vous assuriez qu'elle en recevroit, comme celle qui, plus que nul d'entre eulx, avoit monstré tousjours la desirer, et qui s'estoit offerte, par le cappitayne Orsey, de bien honnorablement et en très bonne façon s'employer de la fère. De quoy me commandiés de l'en remercyer de tout vostre cueur, et l'assurer que vostre résolution avoit tousjours esté, au cas qu'il fût besoing d'y appeller aulcun de voz alliez, d'y uzer les moyens et expédientz qui viendroient d'elle, sans vous ayder d'aulcun aultre prince; et qu'aussytost que le cappitayne Orsey estoit arrivé, vous l'eussiez volontiers faict acheminer au camp et à la Rochelle, pour ayder à la conclusion des articles, mais ilz estoient desjà toutz concludz; et néantmoins vous ne layssiez de vous sentir aultant obligé à elle, comme s'il en eût prins la peyne, et comme si le nom de la dicte Dame y fût intervenu; qui la priés de prendre ceste vostre dilligence, de luy avoyr faict la première communicquation de la dicte paix, et de l'avoyr notiffiée à ses ambassadeurs, premier qu'à toutz les aultres, qui résident près de Vostre Majesté, ung tesmoignage certein que vous n'aviez rien mis en oubly de ce que vous sçaviez luy en debvoir, et que vous lui promettiés, Sire, de luy approprier le bien, que vous en recepvriés, à l'utillité sienne, et aultant à la tranquillité de son royaulme, comme elle avoit tousjours monstré de desirer le repos du vostre. [21] Paix conclue le 24 juin 1573 par la capitulation de la Rochelle, et confirmée par l'édit rendu le 6 juillet suivant. Elle a monstré d'estre fort contante et de la nouvelle, et des propos que luy en fesiez tenir, et m'a dict que l'ayse et le playsir, que Voz Majestez en avoient, ne surmontoit en cest endroict le sien; et qu'aulmoins vous prioit elle de ne mettre aulcun aultre prince, de toutz voz alliés, au pareil reng qu'elle en cella, car elle sçavoit bien que vous luy feriez tort; et vous remercyoit infinyement qu'eussiez prins de bonne sorte l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère par le cappitayne Orsey, et qu'eussiez cognu qu'elle estoit pure, et pleine d'une singullière affection vers tout ce qui pouvoit concerner et l'honneur de Vostre Majesté et toutz les degrés de vostre souverayne authorité sur voz subjectz, comme si elle eût voulu procéder en cella pour sa cause propre, et pour celle de sa couronne. Et m'a curieusement demandé quelles estoient les conditions de la paix, et si vostre dernier édict estoit pas restably, et toutz voz subjectz rappellés, et si le comte de Montgommery pourroit pas aussy bien retourner, comme les aultres, en vostre bonne grâce? Je luy ay dict que je recuillerois le sommayre de ce que je trouverois, des dictes conditions de la paix, ez lettres de Vostre Majesté pour le luy envoyer, et que je ne pensois que voulussiez excepter le comte de Montgommery, s'il ne vous apparoissoit bien qu'il eût machiné quelque chose de plus que les aultres contre vostre propre personne. Et luy ay touché cepandant aulcuns poinctz des susdictes conditions pour voyr comme elle les prendroit, qui ne m'a faict semblant de les trouver sinon assez raysonnables. Et, après, j'ay adjouxté que, de tant qu'à ceste heure les ostacles, que ceulx de son conseil avoient mis au faict de l'entrevue, estoient ostés, et que la guerre contre ceulx de leur religion, en laquelle ilz les avoient fondés, s'estoit terminée en la façon, que eulx mesmes desiroient, d'une bonne paix et d'ung amyable accord; et que Monseigneur le Duc ne se trouveroit plus ny sanglant ny meurtrier des dicts de la nouvelle religion de devant la Rochelle, ains possible aultant leur amy et bienvueillant que prince de la Chrestienté; que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, me commandiés de luy incister qu'elle vous voulût rendre une responce bien entière à vostre offre, et me déclarer qu'elle l'acceptoit; et que me feist dellivrer les seuretés. La dicte Dame m'a respondu que ma demande estoit raysonnable, et qu'elle ne la vouloit différer, et manderoit venir milord trézorier, et les aultres de son conseil qui estoient absentz, pour en dellibérer avec eulx, affin que, devant le XVe du présent, auquel jour elle dellibéroit de commancer son progrès, elle me peût rendre sa responce; et que cepandant elle verroit ce que le cappitayne Orsey et son ambassadeur, résident, luy en escripvoient, desquelz le pacquet venoit tout présentement d'arriver, mais leurs lettres n'avoient esté encores lues. Et m'a demandé là dessus si je sçavois que le dict cappitayne Orsey s'en revînt. Je luy ay dict que je n'en sçavois rien, et que j'estimois qu'il feroit sellon qu'elle luy avoit commandé. A quoy, après avoyr esté ung peu pensive, elle m'a continué dire qu'il avoit charge de suivre ce qu'il verroit qui plus vous pourroit complère, et qu'il sçavoit bien la bonne et droicte intention qu'elle avoit à Voz Majestez. Et, après, je luy ay sommayrement touché les particullaritez, dont il avoit traicté avecques vous, et la satisfaction qu'il vous avoyt donnée, et que seulement vous restiez esbahys comme il ne vous avoit faict aulcune mencion des choses d'Escoce, bien que la lettre d'elle en parlât. A quoy soubdein elle m'a respondu qu'il avoit attendu qu'on luy en commançât le propos, mais qu'avant partir il vous en rendroit bon compte, et sommes passez à quelques aultres gracieux propos de son progrès, et des chasses qu'on dellibéroit de luy monstrer en chemin. Et puis, ay communicqué aulx seigneurs de son conseil la mesmes desirée nouvelle de la paix, qui ont monstré toutz de s'en resjouyr; et ainsy me suis desparty d'elle et d'eulx. Cepandant le Sr de Quillegreu est revenu d'Escoce, avec ung grand nombre de papiers et chiffres qui ont esté trouvés dedans le chasteau de Lillebourg. Le dict chasteau est gardé par James Douglas, frère bastard du comte de Morthon, et par le cappitaine Humes; milord de Humes a esté remis prisonnyer dans le mesmes chasteau, et le layr de Granges envoyé à Loclevin, et les aultres principaulx distribués en aultres lieux. Les soldatz, qui ont suivy le party du dict de Morthon, passent peu à peu en Ollande, et ceulx du party de la Royne s'en vont servir le roy de Suède, de sorte qu'il en sort envyron quatre mille du pays, ce qui fera davantage continuer la paix. Milord Claude ny Adam Gourdon ne bougent; le cappitayne Cauberon a suivy, icy, le dict de Quillegreu, et dict on qu'il a charge du comte de Morthon de requérir l'évesque de Roz comme rebelle. Sur ce, etc. Ce XIIe jour de juillet 1573. CCCXXXe DÉPESCHE --du XXe jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Groignet, mon secrettère._) Retour du capitaine Orsey à Londres.--Négociation du mariage.--Sollicitations du comte de Morton pour obtenir d'Élisabeth l'autorisation de mettre à mort les seigneurs écossais pris dans le château d'Édimbourg.--Soumissions faites par les Français réfugiés en Angleterre.--_Mémoire._ Détails d'audience.--Négociation du mariage.--Consentement d'Élisabeth à accorder les sûretés nécessaires pour l'entrevue.--Plaintes du roi au sujet des affaires d'Écosse.--Sollicitations de l'ambassadeur en faveur de l'évêque de Ross, qui est réclamé par le comte de Morton.--Déclaration de la reine qu'il ne sera pas livré.--_Avis à part à la Reine._ Mécontentement de Leicester. AU ROY. Sire, trois jours de reng, le conseil a esté tenu à Grenvich pour dellibérer de la responce qu'on avoit à me fère, où j'entendz que les choses ont esté merveilleusement débatues, non par contention de parolles, mais avec des argumentz pourpousés de si loing, et si artifficieusement recherchés, qu'on a mis ceste princesse à ne sçavoir à quoy se résouldre; et le cappitayne Orsey a esté dilligemment examiné de ce qu'il raportoit de vostre intention, et de celle de la Royne, vostre mère, et de l'estat des choses de France: dont me suis présenté au dict lieu, le XVe de ce moys, comme je y estois assigné, pour ouyr ce qu'on me voudroit dire, dont je mets le récit à part. J'adjouxteray, icy, que le comte de Morthon inciste fort que la Royne d'Angleterre ayt agréable qu'il puisse fère exécuter à mort ceulx qu'il a prins dans le chasteau de Lillebourg, à quoy semble qu'elle fermera les yeulx, pour d'autant confirmer son party; et j'entendz qu'elle a ordonné quelque nombre de gentilshommes ses pencionayres, au dict pays d'Escoce, desquelz je mettray peyne de sçavoir les noms. Le Sr de Villy s'en est retourné vers Vostre Majesté et le Sr Voysin, son compaignon, reste encores icy, qui ont toutz deux, ainsy qu'ilz disent, trouvé ez francoys, qui sont par deçà, une bonne disposition vers vostre service. Le comte de Montgommery, à ce que j'entendz, n'a attendu que le retour du cappitayne Orsey pour envoyer devers moy. Je orray ce qu'il me mandera. Le Sr de Languillier est venu très libérallement offrir sa personne, et sa vye, pour vostre service, et de vouloir vivre et mourir vostre très humble subject. Mr le vidame ne peut trouver qu'il soit suffizamment pourveu, par les articles de la paix, à la nécessité de leur religion; néantmoins que ce ne sera luy qui yra rien recalculer là dessus, et percistera à vouloir jouyr, en pacience, la paix et bonne grâce de Vostre Majesté. Et sur ce, etc. Ce XXe jour de juillet 1573. MÉMOIRE. Sire, après avoir grandement remercyé la Royne d'Angleterre de l'offre qu'elle vous avoit envoyé fère, de s'employer à la paix de vostre royaulme, et de persévérer en la ligue, je luy ay dict que, ayant Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ouy, par deux foys, le cappitayne Orsey, et vous estant, après l'assurance de la paix, bien fort explicqués à luy et à l'ambassadeur, résident, touchant le propos de Monseigneur le Duc et de l'entrevue, vous estiez restés fort esbahys qu'ilz vous avoient layssez aussy incertains et irrésolus de l'intention d'elle en cella, comme si le dict Orsey n'en eût eu nulle charge; et pourtant me commandiés d'incister à obtenir la responce qu'elle me voudroit donner sur la dicte entrevue, et d'impétrer les seuretés qui estoient pour cella nécessayres. A quoy la dicte Dame m'a respondu que c'estoit à elle et non à Vous, Sire, que touchoit de recognoistre tout l'effaict du voyage du cappitayne Orsey, car, en récompense de quelque petite courtoysie qu'elle vous avoit envoyé offrir par luy, Voz Majestez en avoient par luy mesmes remandé à elle au double, et de si bonnes que de meilleures ne les eussiez sceu fère à vostre propre seur germayne; et, quand à la responce que demandiés maintenant de l'entrevue, qu'elle vous prioit de croyre qu'elle avoit cherché de la vous fère, sellon vostre desir, et quoyque ses conseillers luy déduysissent des empeschements si extrêmes, qu'il leur sembloit qu'elle voulût, avec Voz Majestez Très Chrestiennes, conjurer la ruyne de ceulx de sa propre religion, si ne voulait elle monstrer d'estre si mal nourrye que de ne recognoistre l'obligation qu'elle vous avoit et à Monseigneur le Duc, pour tant d'honneur que luy aviez faict; et pourtant qu'elle ne vouloit différer d'accepter l'entrevue, et d'offrir les seuretés, sinon jusques à tant qu'elle vous eût encores escript à toutz troys, de sa mayn, comme les raysons qu'on luy avoit alléguées contre le mariage contrepesoient et mesmes sembloient si fort surbalancer celles qui font pour icelluy, qu'elle estimoit ne pouvoir procéder sincèrement avec Voz Majestez, si elle ne vous advertissoit que, venant Monseigneur le duc, elle creignoit bien fort que son intention ne peût réuscyr à l'effect qu'il voudroit. Dont, encor que, par ses propres lettres, et de la Royne, vostre mère, elle eut promesse qu'il en prendroit tout le hazard sur luy, si cognoissoit elle bien qu'il y courroit encores une bonne partie de hazard pour elle, d'altérer la bonne amityé, en quoy elle se trouvoit maintenant avec toutz troys, et que pourtant elle y vouloit obvier, aultant qu'il luy seroit possible, dont vous escriproit franchement tout ce qui en estoit, sans vous en rien dissimuler; et puis à Voz Majestez seroit d'en uzer comme bon vous sembleroit, car les seuretés se trouveroient incontinent toutes prestes, telles que je les voudrois demander. Je luy ay, pour réplicque, récapitullé tout ce qui avoit esté dict et faict, et escript, depuis le commancement du propos jusques à ceste heure, et comme la mesmes difficulté, qu'elle alléguoit maintenant, estoit desjà vuydée par les propres lettres de Voz Majestez et de Monseigneur le Duc, qu'elle avoit devers elle; et que vous vous estiez layssez mener à elle jusques au fin bout de ce que luy pouviez defférer d'honneur et d'avantage en cest endroict, de sorte que vous ne vous estiez réservez à y pouvoir fère ung pas davantage, et tout le parfayre et l'accomplyr estoit à ceste heure en la main d'elle; qui la priés de l'y mettre si bon et si honnorable, comme ses propos précédans, ses démonstrations, ses lettres et responces vous avoient tousjours faict croyre qu'elle y procédoit d'une pure et non feincte, ny simulée, sincérité. La dicte Dame m'a soubdein demandé si je voulois empescher qu'elle ne vous donnât cet advertissement, qu'elle vous vouloit escripre. Je luy ay respondu que non, ains la supliois de le vous exprimer le plus qu'elle pourroit, affin que n'envoyassiez, par mesgarde, ce vertueux prince à ung manifeste refus, comme je sçavois bien que vous en vouliés très bien garder, mais que, par ensemble, elle m'accordât l'entrevue et les seuretés; qui estoient deux choses que j'avois simplement charge de requérir; et puis Voz Majestez en uzeroient sellon leur bon plésir. Qui vous assuriez bien que si, ez perfections de prince qui fût en la Chrestienté, Dieu avoit laissé de quoy pouvoir agréer à celles de la dicte Dame, que Monseigneur le Duc luy complerroit entièrement. Elle, ne se pouvant assez bien démesler de ce poinct, a appellé milord trézorier et les quatre comtes, d'Arondel, de Sussex, de Betfort et de Lestre, commandant de chasser tout le reste de la chambre. Et ayant longtemps devisé avec eulx, en angloys, et avec réplicques, d'ung chacun costé, enfin par leurs advis, et eulx présentz, elle m'a respondu qu'elle accordoit que les seuretés fussent expédiées, et que j'en baillerois le mémoyre, quand je voudrois, mais que ne seroient envoyées qu'elle ne vous eût premièrement escript le susdict advertissement, et qu'elle en eût eu vostre responce. Je n'ay rien plus réplicqué là dessus, mais j'ay adjouxté que Voz Majestez demeuroient escandalisées de ce que le cappitayne Orsey ne vous avoit touché ung seul mot des choses d'Escoce, bien qu'elle vous eût escript qu'elle luy en avoit donné charge; dont je la priois de vous fère explicquer, par son ambassadeur résident, ce que c'estoit; et qu'elle me voulût octroyer ung passeport pour ung gentilhomme, que Vostre Majesté dellibéroit d'envoyer par dellà; et qu'au reste j'ozois bien employer le nom de Vostre Majesté pour incister qu'elle ne voulût bailler l'évesque de Roz au comte de Morthon, comme j'estois adverty qu'il pourchassoit de l'avoir en ses mains. Elle, en la mesmes présence de ses conseillers, m'a respondu que, à dire vray, le cappitayne Orsey n'avoit satisfaict à ce poinct, comme il luy avoit esté commandé, et seulement, en parlant de la conscience d'elle à la Royne, vostre mère, il luy avoit dict qu'encor qu'elle s'estoit peu saysir du chasteau de Lillebourg, elle néantmoins l'avoit entièrement délayssé aulx Escouçoys; et parce que la Royne, vostre mère, n'avoit lors suivy le propos, il n'y avoit sceu retourner une aultre foys, mais elle avoit desjà faict escripre à son ambassadeur qu'il ne faillît de le vous parachever; et qu'elle m'accordoit le passeport que je demandois, et commandoit, dès à présent, qu'il me fût dellivré, quand je le vouldrois; Quand à l'évesque de Roz, qu'elle me promectoit de le refuzer au comte de Morthon, et de procurer qu'il peût retourner en ses biens, ou, s'il ne pouvoit estre soufert d'en jouyr dans le païs, qu'il en peût aulmoins avoyr le revenu icy ou en France, s'il playsoit à sa Mestresse qu'il y passât, et, sur ce, estant la dicte Dame pressée de partir pour fère la première trette de son progrès, elle m'a licencié. ADVIS, A PART, A LA ROYNE. Madame, j'ay parlé, à part, au comte de Lestre, lequel m'a uzé de beaucoup de bonnes parolles, mais icelles conformes à la résolution du reste du conseil, et je me suis efforcé de fère que le malcontantement, que son secrettère, qui estoit avec le cappitayne Orsey, luy avoit imprimé, de ce que Voz Majestez n'avoient, sinon petitement et bien tard, faict mencion de luy au dict Orsey, fût rejecté sur ce que icelluy Orsey, lequel vous sçaviés bien qu'il estoit à luy, et par lequel aviez espéré d'avoir plusieurs advertissementz particulliers et expéciaulx, en l'affère de Monseigneur, vostre filz, ne vous y avoit jamays respondu une seule bonne parolle. De quoy je luy voulois bien dire que j'avois fort exprès commandement, de Vostre Majesté, de m'en pleindre à luy: qui m'a respondu que le dict Orsey estoit vrayement son bon amy, mais qu'il avoit esté dépesché par commandement plus hault, lequel il luy avoit convenu suyvre. Et, depuis, ayant par un tiers faict sonder bien avant le dict comte, il ne m'a raporté de luy que doubtes et difficultez touchant le mariage, et qu'il ne pouvoit, ny vouloit s'en mesler plus avant que les aultres du conseil. Et au regard de son particullier, il lui avoit discouru fort au long, mais avec charge de n'en parler jamays à personne, comme il se trouvoit fort déceu en ce qu'il avoit espéré de Voz Majestez Très Chrestiennes, pour lesquelles il disoit s'estre déclaré si avant qu'il ne sçavoit qu'est ce qu'il n'avoit faict pour la France, jusques avoyr mis sa Mestresse et son royaulme en voz meins, si l'eussiez voulu avoyr, abbatu la ligue d'Espaigne et relevé la vostre, saulvé la vye de la Royne d'Escoce, diverty toutes occasions de guerre entre ces deux royaulmes, et faict beaucoup de grandes despences pour honnorer et traicter les Françoys, et se porter, en toutes choses, très parcial pour la France: De quoy il n'avoit acquis que souspeçons et deffiences vers les siens, et non jamays ung seul bouton vaillant, ny une lettre, ny mesmes ung grand mercys de Voz Majestez, ny de nul aultre endroit de France, et qu'il ne se vouloit plus mettre à tel pris. Et, comme l'aultre luy a respondu que le temps ne vous donnoit loysir de luy pouvoir tesmoigner, à ceste heure, voz bonnes volontés, et qu'il ne failloit pour cella qu'il layssât de demeurer bon parcial françoys, et de pourchasser ce party de Monseigneur le Duc à sa Mestresse, sellon qu'elle avoit nécessayrement besoing d'avoyr ung mary ou ung déclaré successeur; Il a réplicqué soubdein que sa Mestresse avoit voyrement besoing de l'ung ou de l'aultre, et qu'il avoit peur qu'elle les laysseroit sans pas ung des deux, et tout son estat en grand confusion, néantmoins qu'il demeureroit, quand à luy, bien bon angloys, et n'est passé plus avant. Je fay, Madame, le mieulx que je puis, pour maintenir vostre affère, et conserver voz amys en ceste court, et y employe beaucoup de bonnes paroles; mais le torrent de deniers et de présantz qui viennent d'ailleurs les emportent, et c'est de là d'où je me sents le plus traversé. CCCXXXIe DÉPESCHE --du XXVIe jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Négociation du mariage.--Conférence de l'ambassadeur et de Burleigh sur cette négociation. AU ROY. Sire, en débatant naguyère avec la Royne d'Angleterre des poinctz de la responce qu'elle m'a faicte touchant l'entrevue, elle m'a bien donné à cognoistre qu'on luy avoit représenté de grandz inconvénientz et beaucoup de dangers de vostre costé, lesquelz elle a aulcunement comprins, parce que je luy en ay remonstré, qu'on les luy avoit plus fondez en imagination que sur apparance de vérité; car, après plusieurs réplicques d'entre nous, elle m'a enfin dict que, quelle impression, qu'on luy eût peu donner, qu'il luy adviendroit beaucoup de mal de vostre costé, si ne layrroit elle de remémorer le bien qu'elle en avoit desjà senty, et ce que, depuis son advènement à ceste couronne, elle n'avoit receu de Vostre Majesté ny de la Royne, vostre mère, ny de Messeigneurs voz frères, ny encores du feu Roy, vostre père, quand il vivoit, que beaucoup de faveurs et beaucoup de courtoysies et gratieusetés; et qu'elle ne se vouloit encores ayséement persuader que luy voulussiez nuyre, ny la tromper. Il est vray qu'elle pouvoit considérer que ce qu'on luy en disoit pourroit bien advenir, et qu'elle s'en garderoit le mieulx qu'elle pourroit, néantmoins que, de son costé, elle ne commanceroit poinct de changer de volonté vers Voz Très Chrestiennes Majestez; ains vous observeroit justement les promesses qu'elle vous avoit faictes. A quoy, Sire, il seroit long de vous racompter, icy, ce que je luy ay commémoré là dessus, qui ne pense estre demeuré nullement court. Mais j'ay bien depuis voulu aprofondir ce propos avec milord de Burgley, avec lequel, estant seul à seul, je luy ay dict que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, auriez eu juste occasion, quand vous auriez veu la responce que sa Mestresse vous avoit mandée, de vous en plaindre; car c'estoit elle qui avoit mis en avant l'entrevue, et qui avoit demandé de n'estre en rien obligée par la venue de Monseigneur le Duc, et qui néantmoins avoit déclaré qu'elle l'espouseroit, s'il playsoit à Dieu qu'en présence ilz se peussent complaire; et maintenant que Voz Majestez luy avoient concédé toutz les poinctz qui estoient à l'advantage d'elle, elle disoit que les raysons qui faysoient pour le propos estoient si contrepesées et surbalancées par celles qui faysoient au contrayre, qu'elle doubtoit fort que le mariage ne peût succéder. Ce que Voz Majestez prendroient pour ung fort nouvel accidant, de tant que les difficultés, qu'elle avoit jusques à ceste heure alléguées, n'avoient esté jamays que trois: sçavoir, celle du visage, pour laquelle l'entrevue se faysoit; celle de l'eage, laquelle estoit desjà vuydée; et celle de la religion, laquelle estoit remise entre eulx deux: et que, d'en proposer maintenant d'aultres, ou bien vous agraver celles là davantage, estoit vous monstrer que n'aviez esté correspondus de pareille sincérité, que vous aviez tousjours de vostre part procédé, et vous fère croyre qu'il n'y avoit jamays eu qu'une seule difficulté, c'estoit qu'elle n'avoit onques eu intention, ny volonté, au dict mariage. Le dict milord s'est trouvé fort perplex, et a voulu eschaper sur ce que j'avoys desjà une responce de sa Mestresse, et qu'elle mesmes escripvoit son intention à la Royne, vostre mère, dont ne luy estoit loysible de parler plus avant; mais, voyant que je ne cessois d'incister, et que j'ay de bon cueur juré que je ne le faysois qu'à très bonne fin, il m'a dict que, devant Dieu et en sa conscience, il avoit cognu sa Mestresse en intention de se marier, et ne voyoit pas qu'elle eût encores changé, et que, de sa part, il le desiroit, plus que chose du monde; que des trois difficultés qui avoient esté alléguées, celle de l'eage avoit esté véritablement vuydée, et n'en falloit plus parler; mais, quand aulx aultres deux, celle de la religion estoit beaucoup rengrégée depuis les évènementz de France, et ne s'en voyoit encores bien la purgation; et, de celle du visage, il me vouloit bien advertyr qu'ayant sa mestresse tousjours estimé que ce fust ung reste de la petite vérolle, qui se guériroit avec le temps, l'on escripvoit de France que le temps l'augmentoit, et qu'il luy restoit des enflures et grosseurs qui luy faysoient tant de tort au vysage qu'on croyoit qu'à peyne s'en pourroit elle jamays contanter; Que, quand à l'assurance que je demandois du dict milord, qu'il ne m'en pouvoit donner d'aultre sinon qu'il confirmeroit tousjours à sa Mestresse que le party de ce prince, quand à l'extraction et à la bonne réputation qui couroit de luy, et quand à l'appuy de la couronne de France, et aultres commodictés pour l'Angleterre, estoit très honnorable et fort à propos pour sa dicte Mestresse, et que, si elle ne luy disoit ou ne luy faysoit rien dire de l'empeschement du visage, après qu'elle l'auroit veu, si, d'avanture, il venoit par deçà, qu'indubitablement il la conseilleroit de l'épouser, mais si aussy il voyoit ou entendoit qu'elle ne s'en peût complayre, qu'ung chacun l'excusât, s'il mettoit peyne de segonder et d'affection, et de conseil, et par toutz les moyens qu'il pourroit, les justes et raysonnables desirs de sa Mestresse. Et nonobstant, Sire, que j'aye mis peyne de tirer plus grand esclarcissement de luy, je n'ay sceu rien obtenir de plus. Sur ce, etc. Ce XXVIe jour de juillet 1573. CCCXXXIIe DÉPESCHE --du dernier jour de juillet 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Expédition du comte d'Essex en Irlande.--Nouvelles d'Écosse.--Retard du comte de Montgommery à faire sa soumission.--Actes d'obéissance de la plupart des réfugiés.--Nouvelles d'Espagne. AU ROY. Sire, la Royne d'Angleterre a faict résouldre l'embarquement du comte d'Essex pour Irlande, au VIe du prochein, avec plus ample commission que nul aultre visroy qui ayt jamais passé dellà; et desjà plusieurs gentilhommes de bonne qualité s'y sont acheminés. Et discourent quelques ungs que ce qui l'incite davantage à ceste entreprinse est pour prendre plus de pied au pays d'Escoce, et réprimer par là ceulx du quartier du Nord, et les saulvages escouçoys qui recognoissent encores l'authorité de leur Royne, sans se vouloyr soubmestre à celle du comte de Morthon, et secourent souvant les Irlandoys, leur voysins, contre les garnisons d'Angleterre. Le vieulx Cauberon a esté renvoyé, depuys deux jours, avec une bien ample dépesche vers le comte de Morthon, sans qu'il me soit venu voyr, ny qu'il m'ayt rien faict sçavoyr de sa part, ains s'est fort caché de moy. Je ne sçay particullièrement qu'est ce qu'il emporte, tant y a que j'ay advis que ceste princesse a esté conseillée de remettre à l'arbitre du dict de Morthon qu'il puisse procéder comme il vouldra, par la rigueur des loix du pays, contre ceulx qui estoient dans le chasteau de Lillebourg; dont se présume qu'il en fera mourir la pluspart. Le dernier messager, que j'ay envoyé par dellà, n'est encores de retour; il regarde, possible, à se conduyre plus sagement que n'a faict l'aultre, que j'y avoys envoyé devant luy, qui a esté descouvert, et icelluy Morthon l'a faict pendre, à quoy j'ay ung très grand regrect. Le comte de Montgommery n'a encores envoyé devers moy à cause, à mon advis, que le cappitayne Orsey luy a escript la bonne responce, qu'il luy a rapportée de Vostre Majesté touchant son faict particullier; mais je sçay bien qu'il s'est fort resjouy de la paix, et pense qu'il fera bientost repasser sa femme et ses enfans en France. Les aultres gentilshommes françoys, qui sont icy, sont la pluspart venus, ung à ung, me offrir leurs vyes et personnes pour vostre service; et semble que toutz, en général, et chacun, en son particullier, veulent jouyr le bien de la paix et de la bonne grâce de Vostre Majesté, dont, depuis deux jours, le Sr de Boy de Bretaigne, le cappitayne Ber, le cappitayne La Fosse, le cappitayne Bernardyère, et aultres, m'en sont venus tesmoigner leur affection. Je ne sçay si le comte de Montgommery prétend d'aller trouver le prince d'Orange, tant y a qu'il faict faire des armes en ceste ville. Il semble qu'on ayt quelque souspeçon que le Roy d'Espaigne ne vueille ratiffier l'accord, du premier jour de may, car le temps, dans lequel l'on avoit promis de fournir de sa lettre et de sa responce là dessus, est passé de plus d'ung moys, bien qu'il s'entend que le dict accord a esté publié en Espaigne, et que les biens et navyres des Angloys y ont esté relaschés. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de juillet 1573. CCCXXXIIIe DÉPESCHE --du Ve jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Pierre Cahier._) Inquiétude causée en Angleterre par le voyage du roi sur les côtes de Normandie.--Crainte d'une entreprise contre l'Écosse concertée entre le roi et le roi d'Espagne. AU ROY. Sire, nonobstant la satisfaction, que j'ay donné à ceste princesse et aulx siens, de la venue de Vostre Majesté en Normandye, et de celle de la Royne, vostre mère, à Dieppe, ilz ne layssent, pour cella, d'avoyr suspect l'armement et appareil de mer, que Voz Majestez y ont commandé de dresser, leur estant rapporté, par ceulx qui viennent de dellà la mer, qu'il se parle ouvertement qu'une partie de cella se faict pour passer des forces en Escoce: dont ont escript en dilligence au comte de Morthon qu'il se tiegne sur ses gardes, et qu'il ayt à garnyr les chasteaus et places fortes, et les portz du pays, de gens de guerre, pour empescher la descente des Françoys; et au comte de Houtincthon, lequel préside en leur quartier du Nort, vers le dict royaulme d'Escoce, qu'il ayt à visiter la frontière, et y fère, de rechef, les monstres, et remplir bien les garnisons. Et s'est augmentée ceste leur souspeçon de ce qu'ilz ont sceu, ainsy qu'ilz disent, que Vostre Majesté a donné passage à ung milion et demy d'or, que le Roy d'Espaigne envoyoit en Flandres; qui jugent bien que vous ne tiendriés la mein à l'accomodement des affères du dict Roy d'Espagne et à l'establissement de sa grandeur, laquelle s'opose tousjours à la vostre, si quelques aultres conventions secrètes ne vous unissoient à ceste intelligence, laquelle ils creignent bien fort que soit contre eulx et contre le faict de leur religion. Dont sont bien fort après à se racointer eulx mesmes, s'ilz peulvent, avec le dict Roy d'Espaigne, et à fère que, des deux costés, l'altération cesse, et qu'ilz retournent à ceste mutuelle bienvueillance qu'il y a eu, de tout temps, entre leurs pays et estatz: ce que je croy ne leur sera difficille. Et la prinse d'Arlem[22] y convye ceulx icy davantage. [22] Harlem, après un siège de sept mois, s'était rendue à discrétion, dans les premiers jours d'août, à Frédéric de Tolède, fils du duc d'Albe. J'ay receu la dépesche de Vostre Majesté, du XXIIIIe du passé, avec les pleinctes de voz subjectz contre les pirates, et n'obmettray ung seul poinct de l'instance, que me commandés d'en fère à ceste princesse, à la première audience qu'elle me donra. Et sur ce, etc. Ce Ve jour d'aoust 1573. CCCXXXIVe DÉPESCHE --du IXe jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._) Préparatifs de défense faits en Angleterre.--Audience.--Satisfaction donnée à l'ambassadeur.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Demande afin d'obtenir la sûreté du passage par mer pour le roi de Pologne.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle consent à donner toute protection en Angleterre au roi de Pologne, mais qu'elle n'y veut pas recevoir les gens de guerre qu'il emmène avec lui.--Négociation du mariage.--Plaintes du roi au sujet des affaires d'Écosse et des exécutions faites par le comte de Morton. AU ROY. Sire, je m'estois bien aperceu que ceulx de ce conseil se donnoient beaucoup de peur, et en imprimoient beaucoup à leur Mestresse, de l'armement de mer qui se prépare en Normandye pour le voyage de Pouloigne: car, dès le XXVIe du passé, ilz avoient chauldement dépesché ung courrier en Escoce, pour de rechef advertyr le comte de Morthon de se tenir sur ses gardes, et de mettre le plus de soldatz qu'il pourroit ez places fortes, portz et advenues du pays, affin de ne laisser aborder aulcuns navyres de guerre, ny permettre d'aller et venir aulcuns estrangiers par dellà, et d'establir si bien son authorité et avoyr l'œil si ouvert, sur ceulx qui luy vouldroient remuer quelque chose, qu'il les peût facillement et bientost réprimer; et que, s'il luy survenoit quelque besoing de forces, qu'il seroit promptement secouru de deux mille harquebusiers angloys et huict centz chevaulx, et qu'on tiendroit une si bonne provision d'artillerye et de pouldres, et monitions, à Varvic, qu'il en pourroit recouvrer, du jour au lendemain, aultant qu'il luy seroit besoing. Et, par mesme dépesche, mandoient au sire Jehan Fauster, à milord Scrup, et aultres gardiens de la frontière du Nort, vers l'Escoce, de fère, de rechef, bien soigneusement les monstres des gens de guerre et une description expécialle de mille cinq centz harquebuziers pour estre prestz, à toutes les heures qu'on les manderoit; laquelle démonstration, Sire, avec celle qu'ilz ont faicte, quand le comte d'Essex est party pour Irlande, m'avoient desjà assez faict remarquer leur grande meffiance et leur souspeçon; mais la Royne mesmes, me les a ouvertement et plus à cler déclarées, comme verrez par un mémoire que je joins à ce pacquet. Après avoyr prins congé d'elle, je suis entré là où les dicts du conseil étoient assemblés, et leur ay faict voyr les pièces, qu'il vous avoit pleu m'envoyer, des déprédations, et plusieurs aultres que j'en avoys devers moy, qui m'en ont débatu quelques unes, et m'ont fort expressément remonstré, qu'encor qu'il apparût plus de pleinctes du costé des Françoys contre l'Angleterre, que du costé des Angloys contre la France, que néantmoins ilz avoient cest advantage de pouvoir fère foy d'ung fort grand nombre de restitutions qu'ilz avoient faictes aulx Françoys, là où, en France, n'en avoit esté faicte encores une seule aulx Angloys. Et après leur avoyr touché ung mot des escrupulles que la Royne, leur Mestresse, m'avoit faict sur la seureté du passage que je luy avoys demandé, je leur ay remonstré que si elle et eulx s'y arrestoient, ce seroit argument qu'ilz doubtoient par trop de vostre bonne intention, et qu'ilz ne l'avoient nullement bonne vers Vostre Majesté; et les ay priés de vous fère voyr, à bon escient, s'ilz vouloient demeurer en la bonne confédération du dernier traicté, ou bien s'ilz avoient intention de s'en départyr. Et les ayant ainsy layssez, ilz m'ont mandé, le jour après, que la dicte Dame m'avoit accordé le dict passage, et le saufconduict, sans aulcune difficulté. Et sur ce, etc. Ce IXe jour d'aoust 1573. MÉMOIRE. Sire, quand, avec les lettres de Vostre Majesté et du Roy de Pouloigne, vostre frère, je suis allé prier la Royne d'Angleterre de luy vouloir octroyer le bon, et seur, et libre passage que requiert la bonne intelligence d'entre voz deux royaulmes, et la promise et jurée amityé d'entre Voz Majestez, avec toutes les aultres honnestes cautions que luy offriez en voz dictes lettres, et avec les meilleures persuasions, dont je me suis peu adviser; Elle m'a respondu que, quand à la personne du Roy de Pouloigne, vostre frère, et des principaulx, d'auprès de luy, et de son trein ordinayre, sa suyte et meubles, elle l'octroyoit très volontiers, et que, sans saufconduict ou avec saufconduict, si le vent le jettoit par deçà, il y seroit aussy bien et honnorablement receu comme s'il abordoit en France, ou en son propre royaulme; mais, quand à ses gens de guerre, elle me vouloit dire librement qu'on luy avoit remis ce qui s'estoit passé, du propos d'entre elle et le Roy de Pouloigne, vostre frère, devant les yeux, et luy avoit on faict considérer que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et luy mesmes, aviez indubitablement eu une grande affection au mariage, mais que Mr le cardinal de Lorrayne, pour l'occasion de la Royne d'Escoce, sa niepce, avoit trouvé moyen de l'interrompre; dont, s'il avoit eu tant de crédit en cella, il le pourroit bien avoir encores plus grand, à ceste heure, en chose de moindre conséquence, pour, en faveur de sa mesmes niepce, entreprendre quelque nouveaulté dans ce royaulme, si tant de gens de guerre y abordoient. En quoy je luy ay réplicqué soubdein qu'elle me pardonnât, si je luy disois que c'estoit elle, et ceulx qui pour elle avoient manyé le dict propos de son mariage avec le Roy de Pouloigne, qui l'avoient à la fin interrompu, et non Mr le cardinal de Lorrayne; pour lequel je ozois et voulois bien respondre que, oultre qu'il avoit tousjours suivy les intentions de Leurs Majestez Très Chrestiennes, et conseillé les choses qui estoient pour la grandeur de leur couronne, comme estoit bien le dict mariage, qu'il avoit encores plus espéré par là de solagement ez affères et à la personne de la Royne d'Escoce, que par nul aultre moyen du monde; et que, si elle vouloit considérer que Vous, Sire, aviez maintenant à establir ung grand et nouveau royaulme, qui estoit advenu à vostre frère, et non luy venir troubler à elle le sien, et que vous ne mettiés, de gayeté de cueur, ce nombre de gens de guerre sur mer, après la perte et diminution de beaucoup de voz forces en ces guerres civilles de vostre royaulme; ains que vous le faysiez pour accomplir vostre promesse aulx Poulounois, elle jugeroit bien que sa difficulté estoit mal fondée. Et me suis eslargy en plusieurs clères démonstrations là dessus, qui ont faict confesser à la dicte Dame qu'elle avoit regret de débattre rien sur vostre raysonnable demande; mais que, pour satisfère à ceulx de son conseil, elle me prioit de luy donner temps, qu'elle la peût mettre en dellibération; car aussy sçavoit elle que l'affère n'estoit pressé, et qu'on luy avoit escript qu'il ne se mettoit plus tant de dilligence à l'embarquement, et sembloit que le voyage du Roy de Pouloigne fût, pour quelque occasion, retardé; néantmoins elle espéroit de vous satisfère de si bonne sorte en cest endroict, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et le Roy de Pouloigne, en resteriez contantz. J'ay poursuivy les aultres propos de voz lettres, du XVIIIe et XXIIIIe du passé, et mesmes de l'entrevue de Monseigneur le Duc, où elle s'est layssée fort facillement attirer; et a monstré que son ambassadeur luy en avoit escript, et que bientost j'auroys les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, pour luy en fère entendre vostre résolution, ne dissimulant poinct qu'elle ne voulût fort volontiers voyr Monseigneur le Duc par deçà; mais c'estoit tousjours avec la protestation de n'estre de rien obligée pour sa venue, et de n'encourir la diminution de vostre amityé, ny de celle de la Royne, vostre mère, ny de luy, s'il s'en retournoit sans la conclusion du dict mariage. Je luy ay respondu, en peu de motz, _que la sincérité seroit la règle de cella entre Voz Majestez_, et que l'affère estoit en toutes sortes si éminent qu'il n'y pouvoit enfin rester rien de caché. Et l'ay layssée amplement discourir de ce faict, sans l'interrompre nullement; qui, après ses accoustumez doubtes, a terminé son propos en plusieurs parolles de contantement. Et j'ay adjouxté que, par voz deux dernières dépesches, Vostre Majesté ne me faisoit poinct mention que son ambassadeur vous eût parlé des choses d'Escoce, ains me commandiez de vous mander des nouvelles de ce pays là, et que j'estimois que vous touveriez bien estrange si ce qu'on disoit à Londres estoit vray, que le comte de Morthon eut faict exécuter à mort ceulx qu'il avoit prins dans le chasteau de Lillebourg, qui s'estoient rendus à elle, et qu'il sembloit qu'ung régent ne debvoit entreprendre ung faict de telle conséquence, sans en advertyr les principaulx alliés de la couronne. A quoy elle m'a respondu qu'elle n'avoit rien entendu de la dicte exécution, et qu'elle avoit remis tout l'affère à ceulx du pays, et n'avoit accepté les personnes de ceulx du dict chasteau pour prisonnyers; et qu'elle sçavoit bien que son ambassadeur vous avoit donné compte de tout ce faict; dont pensoit que, par le premier pacquet que je recepvrois de Vostre Majesté, j'en serois amplement informé. Après, je luy ay touché, en termes bien exprès, tout ce que me commandiés luy dire à l'égard du faict des déprédations, et elle, après l'avoir ouy paciemment, et en avoyr longuement débatu avecques moy, m'a prié d'en communicquer avec ceulx de son conseil. CCCXXXVe DÉPESCHE --du XIIIIe jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer._) Disposition d'Élisabeth à accepter l'entrevue.--Nouvelles de Flandre.--Exécutions faites en Écosse par le comte de Morton.--Nouvelles de Marie Stuart.--Bruit répandu à Londres que les armes ont été reprises dans le Languedoc. AU ROY. Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne fût en peyne du retardement de vostre response, sur les lettres qu'elle a dernièrement escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur, frère de Vostre Majesté, je luy ay envoyé communicquer vostre dépesche du dernier du passé; laquelle contient ce qu'avez arresté, le dict jour, avec son ambassadeur: et semble bien, Sire, qu'elle s'attand à l'entrevue, car j'ay sceu qu'elle a faict advertyr toutz les officiers de sa mayson de ne s'esloigner, et de se tenir si prestz qu'ilz puissent estre devers elle, en la part qu'elle sera, dans vingt quatre heures, après qu'elle les aura mandés. Cependant elle m'a faict expédier le sauf conduict pour le voyage de Pouloigne, et m'a mandé qu'il est en la plus ample forme qu'il se peut fère. Il se cognoit desjà que l'estonnement, qu'on avoit prins, du succès d'Arlem est passé, car les flammantz, qui sont icy, se sont si bien encouragés, depuis la nouvelle de Ramequin, et ont encouragé Maysonfleur et aulcuns françoys, qui auparavant estoient comme toutz disposés d'aller trouver le prince d'Orange, qu'ilz s'embarquent, toutz de compaignye, aujourdhuy ou demein, pour passer à la Brille. Maistre Drury, mareschal de Barvic, est arryvé en ceste cour, qui apporte, comme l'on dict, la confirmation de la mort du cappitayne Granges, et de son frère milord de Humes, de Melvin, de Cadinguen, et aultres, qui estoient dans le chasteau de Lillebourg, lesquelz le comte de Morthon a faict exécuter; et qu'il a plusieurs réquisitions à fère pour le dict de Morthon, entre aultres, l'on creinct qu'il perciste à demander l'évesque de Roz, pour en fère aultant que des aultres. A quoy, Sire, j'ay desjà oposé, et oposeray encores davantage, le nom et l'authorité de Vostre Majesté. Monsieur le présidant de Tours, lequel a esté, plus d'ung moys, avec la Royne d'Escoce, vient d'arriver, ayant très bien et vertueusement accomply la charge, qu'il avoit vers elle, dont il en rendra bon compte à Vostre Majesté. L'on a, premier qu'il soit party, remué la dicte Dame en ung plus beau et meilleur logis qu'elle n'estoit, et luy a l'on ung peu amplyé sa liberté; et j'ay tant faict que la Royne d'Angleterre a mandé au comte de Cherosbery de la mener aulx beins de Boeston pour sa santé, par tout ce moys d'aoust. Il se parle icy diversement de l'estat des affères de vostre royaulme, et que, en Languedoc, ceulx de la religion, ne se contantantz des condicions de la paix, sellon les articles arrestés à la Rochelle, poursuyvent d'exécuter les armes avec plus de violence que jamays, et qu'ilz ont surprins Aygues Mortes et Bésiers, et sont les plus fortz en la campaigne. Ce qui esmeut assez les Angloys, et tient en grand suspens le reste des françoys, qui sont encores icy, qui avoient bien desir de se retirer. Néantmoins je ne sentz, pour ceste heure, qu'il se praticque rien par eulx contre vostre service. Le comte de Montgommery est vers le cap de Cornoaille avec son beau frère, et ne s'entend rien de luy par deçà. Je ne sçay s'il s'yra promener en Irlande avec le comte d'Essex; aulcuns ont présumé qu'il le feroit, dont je mettray peyne de le sçavoir, et de le fère observer. Sur ce, etc. Ce XIVe jour d'aoust 1573. CCCXXXVIe DÉPESCHE --du XXe jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Maladie du duc d'Alençon.--Projet d'Élisabeth de se rendre à Douvres.--Sollicitations adressées au roi par Marie Stuart.--Négociation du mariage.--Plaintes d'Élisabeth à raison des prises récemment faites sur les Anglais par les Bretons. AU ROY. Sire, à ce que j'avoys mandé dire à la Royne d'Angleterre, que l'occasion, pourquoy je n'avoys encores receu vostre responce, sur les lettres qu'elle avoit dernièrement escriptes à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, estoit pour la maladye survenue à Monseigneur le Duc; et que je creignois bien fort qu'elle mesmes, pour n'avoyr poinct monstré assez de correspondance à l'honneste affection de ce vertueux prince, ait causé ce mal, elle m'a faict respondre, par ung mot de lettre de milord de Burgley, qu'elle estoit bien marrie de l'indisposition de Mon dict Seigneur, vostre frère, laquelle elle espéroit que ne seroit de longue durée, veu que, par conjecture, la fiebvre luy pouvoit estre occasionnée du long siège, et du travail d'estre, par ce temps chault d'esté, retourné de la Rochelle vers vous, et qu'avec ung peu de repos, qu'il en seroit bientost quicte, et restitué en sa première santé, et qu'elle continuoit tousjours son progrès en intention de se rendre à Douvre, le XXVe du présent: et n'y a rien plus de ce propos en la dicte lettre. Cependant, Sire, je me suis approché, icy, à la suyte de la dicte Dame, pour satisfère à la Royne d'Escoce, laquelle, après avoyr licencié monsieur le présidant de Tours, au bout d'ung moys, ou cinq sepmaynes, qu'il a eu toute entière commodicté d'estre avec elle, elle m'a escript que, pour aulcuns affères qui concernent la personne d'elle et son traictement, nous voulussions toutz deux, de compagnie, en venir traicter avec la Royne d'Angleterre et avec les seigneurs de son conseil. A quoy je n'ay voulu deffallir de l'office que m'avez commandé fère tousjours icy pour elle; dont le dict sieur présidant rendra bon compte du tout à Vostre Majesté. Et seulement je adjouxteray, icy, quand à l'Escoce, que la dicte Dame desire fort qu'il vous playse prendre bientost la résolution que vous semblera plus expédiente pour conserver vostre ancienne allience avec le dict pays; car a esté advertye qu'il y a des secretz articles d'une aultre ligue avec l'Angleterre, desjà toutz dressés, qui préjudicient grandement à celle de Vostre Majesté, et qu'elle ne prendra sinon en très bonne part, et n'interprètera sinon à bien, tout ce que vouldrés adviser et résouldre en cella, encor qu'en apparance il y semble avoyr quelque chose qui puisse déroger au droict et authorité d'elle; car réputera que le ferez pour mieulx préserver elle, son filz et son royaulme, d'ung plus grand inconvénient. Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'aoust 1573. PAR POSTILLE. Depuis ce dessus, j'ay veu, par occasion, cette princesse, laquelle, après aulcunes siennes responces assez indifférantes sur le faict de la Royne d'Escosse, m'ayant tiré à part, m'a curieusement demandé de la santé de Monseigneur vostre frère, et du faict de l'entrevue. A quoy, pour luy satisfère, je luy ay dict cella mesmes que naguyères je luy en avois escript, et que je n'en sçavois aultre chose, dont s'est esbahye du retardement de mon secrettère; et puis a adjouxté qu'elle me vouloit fère une grande pleincte de voz navyres de guerre, lesquelz, estantz partis de la Rochelle, estoient venus prendre, la sepmayne passée, sur la coste de Bretaigne, six navyres marchandz angloys, bien riches, et les en avoient admenez fort maltraictés, et qu'elle vous demandoit réparation de ce tort, tout ainsy qu'elle vous offroit non seulement la réparation des tortz de ses propres navyres, si, d'avanture, vos subjectz se pleignoient de quelqu'un d'eux; mais avoit envoyé, à ses despens, prendre et réprimer, en faveur de voz dicts subjectz, les pirates, tout le long de la coste de deçà, pour leur assurer la navigation, et leur fère rendre leurs biens, ainsy que je l'avoys requis. Je luy ay fait la responce que j'ay estimé convenir à ung tel faict, sellon l'ample argument que j'en avoys, rejettant la coulpe de ce mal sur le désordre qui procédoit de son royaulme, et que j'en escriprois fort expressément à Vostre Majesté. Elle et ceulx de son conseil ont bien fort à cueur cest affère. CCCXXXVIIe DÉPESCHE --du XXVe jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr de Vassal._) Invitation faite à l'ambassadeur de se rendre à Douvres.--Négociation du duc d'Albe pour obtenir un secours de vaisseaux anglais.--Affaires d'Écosse.--Nouvelle qu'une mission a été donnée au maréchal de Retz pour passer en Angleterre. AU ROY. Sire, il semble que l'ambassadeur d'Angleterre ayt escript en ceste court que, premier que prendre nulle certeyne résolution, sur les lettres que la Royne d'Angleterre a dernièrement escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc vostre frère, Vostre Majesté veult envoyer icy, vers elle, un personnage de qualité pour avoyr, sur l'intention sienne touchant le mariage et l'entrevue, ung plus grand esclarcissement que n'en avez peu prendre par ses propres lettres. Et je sçay bien qu'elle et ses conseillers sont en grand suspens à quoy il tient que je n'aye desjà nouvelles de celluy qui doibt venir, et que ne me mandez de fère entendre quelque chose de ce faict à la dicte Dame. Et ont faict dire à mes gens, après que j'ay heu satisfaict aux affères de la Royne d'Escoce, que, si je voulois suivre le progrès jusques à Douvre, l'on me feroit bien accomoder de logis. Mais j'ay advisé, Sire, pour bonne occasion, de retourner jusques en ceste ville, où j'ay apprins que, nonobstant qu'on ayt faict prendre bonne espérance au duc d'Alve, qu'il pourroit estre accomodé d'ung nombre des grandz navyres de ceste princesse pour sa guerre de Hollande, et dont il y en avoit desjà quelques ungs sortis de la rivyère, elle les a néantmoins toutz faict rammener dedans leur arcenal accoustumé de Gelingam; et que, quand Guaras a cuydé estreindre bien cest affère, il s'en est trouvé du tout descheu, et mesmes il a mal employé ung nombre d'escus, vers des particulliers qui luy avoient promis de l'accomoder de leurs propres vaysseaulx. J'ay apprins que la dicte Dame faict préparer ce qui faict besoing pour renforcer l'entreprinse d'Irlande, et pour pourvoir fort soigneusement aulx choses d'Escoce, et que, pour mieulx fournyr aulx deux entreprinses, elle faict ung emprunct nouveau sur toutes les maysons de ceste ville, qui reviendra, ainsy qu'on dict, à quatre centz mil escus. J'ay sceu, du costé d'Escoce, qu'il s'est trouvé cent gentilshommes escouçoys, qui ont voulu pléger de soixante dix mille escus la vie du cappitayne Granges, et de servir de leurs personnes, tant qu'ilz vivroient, le party du comte de Morthon, s'il la luy vouloit saulver, mais le dict de Morthon n'y a voulu entendre et l'a faict mourir, ensemble son frère et trois aultres, et que Melvin est eschappé, parce qu'il a eu quelque bon amy en ceste court d'Angleterre, et que le comte de Honteley, milord de Ruven et Me Asquin ont tant pourchassé pour milord de Humes qu'ilz ont faict remettre son faict au prochain parlement, monstrant Me Asquin, qui a espousé sa seur, qu'il ne pourroit estre contant si l'on uzoit de rigueur vers son beau frère; dont, de tant qu'il a le Prince d'Escosse entre ses meins, et que ceulx, qui sont dedans Dombertrand, sont toutz à sa dévotion, l'on ne l'oze offancer. Tant y a que les meilleurs et les principaulx de la noblesse du pays creignent fort le dict prochein parlement; dont desirent qu'il s'y puisse trouver quelqu'ung, de la part de Vostre Majesté, pour y modérer les affères. Et sur ce, etc. Ce XXVe jour d'aoust 1573. _Par postille à la lettre précédente._ Ainsy que je mettois fin à ceste dépesche, mon secrettère est arrivé, avec les deux de Vostre Majesté, des XIIIIe et XVIIIe du présent; et incontinent j'ay faict venir des chevaulx pour m'acheminer là où est la Royne d'Angleterre, affin de l'advertyr de la venue de Mr le maréchal de Retz, et la disposer à luy fère une bonne et favorable réception. CCCXXXVIIIe DÉPESCHE --du dernier jour d'aoust 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Audience.--Communication officielle de l'envoi du maréchal de Retz en Angleterre pour la négociation du mariage.--Satisfaction d'Élisabeth. AU ROY. Sire, parce que j'avoys desjà déclaré à la Royne d'Angleterre que, de tant qu'elle ne s'estoit assez bien explicquée de son intention par les dernières lettres qu'elle avoit escriptes à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, frère de Vostre Majesté, qu'il ne vous avoit peu clèrement apparoir ce qu'elle y avoit voulu dire, sinon qu'elle n'y avoit pas dict ce que vous aviez desiré, ny ce qu'aviez justement espéré d'elle, vous aviez esté contreinct, avec l'accidant survenu de la maladye de Mon dict Seigneur, d'estre long et tardif de luy respondre, je n'ay eu maintenant, Sire, de quoy toucher guyères davantage de ce poinct à la dicte Dame; et, seulement, suis venu à luy dire que, de tant que, par les honnorables et vertueuses déclarations, qu'elle vous avoit souvant faictes, de son intention, elle vous avoit layssé prendre beaucoup de bonnes erres d'elle sur le propos de Mon dict Seigneur, vostre frère, vous ne pouviez, ny vouliez maintenant délaysser le dict propos sans le conduyre à l'extrême et dernier poinct de ce qui estoit requis, pour tesmoigner à elle et aulx siens, et rendre manifeste à toute la Chrestienté, que vous persévèreriez, jusques au bout, de pourchasser son allience par toutz les plus honnorables moyens qu'il vous seroit possible, jusques à ce qu'elle vous eût mis hors de tout chemin de la pouvoir plus espérer; et que pourtant Vostre Majesté luy dépeschoit maintenant Mr le mareschal de Retz, (personnage de telle élection, qu'elle sçavoit qui tenoit ung très grand lieu en vostre royaulme, et estoit singullièrement bien aymé et estimé de Voz Très Chrestiennes Majestez), pour deux effectz: l'ung, affin de defférer, par la qualité sienne, tousjours aultant d'honneur et d'avantage, que vous pourriez en cest endroict, à la dicte Dame; et l'aultre, pour nettier si bien par luy toutes difficultez et toutz escrupulles, qui pourroient rester en cest affère, qu'il ne s'y peût dorsenavant trouver autre chose que débatre, sinon à qui, de Voz Majestez et de toutz les meilleurs et plus dévotz serviteurs de voz couronnes, s'esforceroient, à l'envy les ungs des autres, d'advancer l'accomplissement de ceste heureuse allience, et de ce desiré parantage, lequel debvoit rendre voz amityez perpétuelles et indissolubles à jamays. Dont, de tant que la venue icy, de Mr le mareschal, luy estoit plus que mille et mille tesmoings de vostre parfaicte persévérance et de celle de la Royne, vostre mère, et encores plus expressément de celle de Monseigneur, vostre frère, vers elle, je la supplioys très humblement, et en vertu de ses mesmes promesses et des honnorables propos qu'elle vous avoit tant de foys faict tenir de ce faict, qu'elle voulût maintenant monstrer comme elle y avoit tousjours procédé d'une vraye et pure, et non feincte, ny simulée volonté; adjouxtant à cella, Sire, plusieurs aultres instances, que j'ay estimé convenir à bien disposer ceste princesse sur la favorable réception de mon dict sieur le mareschal, et sur les bons propos qu'il vient luy tenir. A quoy elle, d'une démonstration pleyne de grand contantement, m'a respondu que, par son ambassadeur, elle avoit desjà eu quelque notice comme Vostre Majesté dellibéroit d'envoyer quelqu'ung vers elle, mais n'espéroit tant de faveur que ce fût Mr le comte de Retz, et réputoit davantage à honneur que je l'appellois mareschal de France; et, encor qu'elle pensât d'avoyr escript ses lettres bien clères à la Royne, vostre mère, si estoit elle très ayse que en cherchissiez davantage l'esclarcissement par ung personnage qu'elle sçavoit vous estre très inthyme et très confident à toutz deux, me priant de vous fère ung article bien exprès, par mes premières, du grand et très cordial mercyement, qu'elle vous en rendoit; et, que, en nulle aultre façon, Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne luy eussiez peu donner tesmoignage de vostre entière et souveraynement bonne intention vers elle, ny qu'elle y eût plus donné de foy que par le dict sieur comte, lequel elle m'assuroit qu'il seroit le très bien venu, et que, quelle impression que se donnassent les aultres de voz divers prétextes en cest endroict, elle ne les interprèteroit dorsenavant que très bons et très sincères pour elle. Je luy ay merveilleusement agréé sa responce, et avons esté longtemps en ce propos, et à parler de la maladye de Mon dict Seigneur le Duc; lequel je luy ay assuré estre hors de tout danger, et que, dans dix ou douze jours, il pourroit sortir de la chambre. De quoy elle a monstré d'estre bien fort ayse. Et après, Sire, j'ay assemblé ceulx du conseil de la dicte Dame pour leur proposer la venue de Mr le mareschal, et fère expédier son saufconduict, et impétrer des navyres de ceste princesse pour l'aller quérir et assurer son passage, et pour les bien disposer à sa réception. Dont ayant obtenu le tout, j'ay dépesché, avec toutes ces provisions, le Sr de Vassal et ung de mes secrettères, qui parle angloys, devers luy; par lesquelz j'espère qu'il se trouvera bien satisfaict, et bien informé, de tout ce qu'il peut desirer pour son arrivée vers ceste princesse; laquelle il pourra encores trouver icy, mardy prochein, mais, s'il ne passe si tost, nous la suyvrons à Conthurbery, où elle fera quelque séjour. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour d'aoust 1573. CCCXXXIXe DÉPESCHE --du IIIIe jour de septembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Pierre Ridou._) Préparatifs pour recevoir le maréchal de Retz.--Soupçon contre le comte de Montgommery.--Nouvelles d'Écosse et de Marie Stuart. AU ROY. Sire, ayant la Royne d'Angleterre estimé que Mr le mareschal de Retz, à son désembarquement, seroit bien ayse d'avoyr quelque espace de se pouvoir ung peu refaire du travail de la mer, premier que de se présenter à elle, ny luy aller explicquer sa légation, elle a advisé, pour cella, de le recevoyr à Canturbery, quatre lieues dans le pays, ville bien commode et assez espacieuse, où plusieurs seigneurs et dames de sa court se rendront; et est partie de Douvre, quelques jours plus tost qu'elle n'eût faict, et a hasté d'autant son progrès pour luy laysser cette, commodicté, mais ce n'a esté sans avoyr premièrement commandé qu'il me fût largement pourveu à tout ce que j'avoys demandé pour les vaysseaulx de son passage, pour les navyres de conserve, pour sa réception au sortir de la mer, et pour les chevaulx qui luy feroient besoing; de sorte que je vous puys assurer, Sire, qu'il est maintenant attendu, icy, avecques desir, et qu'il sera le fort bien venu et fort honnorablement receu en ce royaulme. Le vidame de Chartres a envoyé prendre logis à Canturbery, qui ne sera sans que luy et les aultres gentilshommes françoys, qui sont par deçà, viennent saluer Mr le mareschal, et vueillent entendre curieusement de luy l'estat de la paix de vostre royaulme. Cependant j'ay, à toutes advantures, donné ordre que, pour les escrupulles qui me restent encores du comte de Montgommery, ung personnage que Vostre Majesté répute confident, soit, soubz aultre prétexte, allé à la Rochelle; lequel, après qu'il aura bien nothé toutes choses dans la ville, les vous yra dire, ou bien me les rapportera, icy, pour en advertyr Vostre Majesté. Je n'ay apprins rien de nouveau d'Escoce, depuis mes précédantes, sinon que je viens de sçavoyr que le vieux Cauberon est arryvé, depuis deux jours, en ceste court, et que le Sr de Quillegreu le y a admené; et que l'on dict que le comte de Morthon, pour quelque nouvelle souspeçon, a faict mourir milord de Humes, sans attandre le parlement. La Royne d'Escoce est encores aulx beings, d'où elle m'a escript que l'uzage d'iceulx a commancé de luy provocquer des sueurs, qui luy font grand solagement à son mal de costé. Sur ce, etc. Ce IVe jour de septembre 1573. CCCXLe DÉPESCHE --du XXe jour de septembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._) Bonne réception faite au maréchal de Retz.--Détails de sa négociation.--Entière justification de la conduite du roi dans les guerres civiles de France.--Heureux résultat de la mission du maréchal.--Honneurs qui lui sont rendus.--Résolution des seigneurs du conseil d'approuver le mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon. AU ROY. Sire, je sçay bien qu'estant, Mr le mareschal de Retz, de retour par dellà, Vostre Majesté aura eu le plésir d'entendre, de luy mesmes, le récit de son voyage; dont je n'entreprendray de vous en toucher, icy, les principalles particullaritez, parce qu'il n'aura pas obmis celles qui servent de vous donner bon compte de ce qu'il a peu traicter et résouldre avec ceste princesse. Et seulement je vous supplieray, Sire, de vouloir gratiffier, par quelque bonne parolle et par quelque démonstration, à l'ambassadeur de la dicte Dame, et me commander de gratifier de mesmes, icy, à elle, les honnestes faveurs et bon traictement qu'elle luy a faict recevoir en son royaulme; qui vous puis assurer, Sire, que, nonobstant les choses advenues, depuis ung an, en France, elle a voulu qu'on luy ayt uzé les mesmes sortes d'honneur et d'entretien qui furent faictz à Mr de Montmorency, quand luy et Mr de Foix vindrent jurer la ligue, sinon que, lors, les choses furent préparées de longtemps, et la court estoit à Londres, là où, à ceste heure, il est arrivé en temps de progrès, et sans qu'on ayt sceu, que de bien peu de jours, sa venue. En quoy l'opinion de plusieurs et ma propre expectation ont esté de beaucoup surmontées, et mesmes en ce qu'après qu'il a eu salué la dicte Dame, et qu'il luy a eu explicqué sa première charge, et faict les aultres honnestes et bien fort honnorables complimentz vers les principalles personnes de ceste court, il n'y a eu celluy qui n'ayt monstré de l'avoyr bien fort agréable; et surtout quand, le troysiesme jour, il a eu déduict, par ung bel ordre de peu de parolles, mais icelles de grande efficace et pleynes de tout ornament, en l'assemblée de ceulx de ce conseil, les choses advenues, depuis quatorze ans, en vostre royaulme, commançant dès l'entreprinse d'Amboyse jusques à la fin du siège de la Rochelle; et que, pour respondre aulx objections et difficultés que, pour tant de divers évènementz, l'on faysoit contre le propos du mariage, il leur a eu séparé la rébellion de la cause de la religion, et monstré fort clèrement que vous aviez bien, Sire, tousjours prétendu de réprimer l'une, mais non de vous porter jamays ennemy de l'aultre; avec tant de apparantes raysons de cella, qu'ilz n'ont peu contredire qu'il ne fût ainsy, et ont confessé, tout hault, que nul plus grand ny plus relevé service il eût peu fère à Vostre Majesté en ce royaulme, que de les avoyr renduz capables de ce faict; et qu'ilz desireroient que dix mille Angloys, des plus passionnez, eussent esté présentz à son discours. Ung chacun s'est efforcé, de là en avant, de l'honnorer et respecter davantage, et la dicte Dame a faict augmanter l'ordre de son entretien, et a depputé des gentilhommes de bien bonne qualité pour le servir, et des plus grandz de sa court pour l'accompaigner, de façon que, depuis le sortir du navyre jusques au rembarquement, il luy a esté, d'heure en heure, toujours uzé quelque chose de plus et de mieux. Comme luy aussy, de son costé, Sire, a continué, jusques au dire adieu, d'accomoder tousjours tout l'effect de sa négociation à leur honneur; et s'est conduict, en toutes choses, si sagement, et avec tant d'honneur, vers eulx, qu'il les a non seulement renduz bien édiffiez de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne, mais semble qu'il leur ayt faict perdre toute la malle impression que, depuis ung an, ilz avoient conceue de la France. Et luy a ceste princesse voulu donner ce tesmoignage, en la présence de ceulx de son conseil et de moy, que, depuis qu'elle est royne, elle n'a poinct traicté avec aulcun gentilhomme, d'où qu'il luy eut esté envoyé, de qui elle ayt mieulx receu, ny eu plus agréables les propos que de luy, parce que, si l'éloquence n'y a point deffally, elle a opinyon que la sincérité y a grandement abondé, et qu'elle le tient pour ung des plus dignes et acortz gentilshommes, qu'elle ayt veu jamays, pour porter très confidemment les secretz qui se mandent entre princes. Et, en ceste tant bonne opinyon, avec quelques honnestes présentz, qu'il a faictz à la dicte Dame et à ses plus expéciaulx conseillers, et avec la libéralité qu'il a largement uzée vers ceulx qui ont eu charge de le servir et traicter, et encores avec la modération dont il a sceu très bien contenir toute sa troupe, qui n'estoit petite, il a layssé, à son partement, ung fort grand contantement de luy et une très bonne satisfaction de toute sa légation, en ceste court. Or, Sire, après l'avoir reconduict jusques à la mer, je suis retourné fère ung commencement de mercyement à la dicte Dame de tant de bons traictementz et honnestes faveurs, et du présent que mon dict sieur le mareschal avoit receu d'elle; laquelle a monstré, en son absence, plus que quand il estoit présent, de l'avoir en grande estime, et de donner très grand foy aux choses qu'il luy a dictes de la part de Voz Très Chrestiennes Majestez, et que, suyvant icelles, elle tiendra l'ordre qui a esté arresté entre eulx, lequel elle et ceulx de son conseil m'ont, d'eux mesmes, déclaré; dont j'ay veu le Sr de Quillegreu tout prest à prendre la poste pour aller, à cest effect, trouver mon dict sieur le mareschal; mais la dicte Dame s'est depuis advisée qu'elle diffèreroit encores huict ou dix jours, affin d'attendre que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, fût mieulx remis de sa maladye. Et ses deux plus expéciaulx conseillers m'ont, sur leur foy et conscience, fort expressément assuré qu'elle estoit très bien disposée à cest honnorable party, et que la difficulté n'estoit plus que en ce qu'on avoit rapporté que l'accidant du visage de Mon dict Seigneur estoit beaucoup pire que ne monstroit le pourtraict qu'elle en avoit desjà veu; lequel, s'il se trouvoit qu'il ne feût poinct flaté, ilz s'assuroient que toutz aultres empeschementz seroient bientost ostés. Et ay comprins de leur discours, Sire, qu'ilz sont restés bien persuadés de la justiffication de Voz Majestez, et du Roy de Pouloigne, et de Monseigneur, sur les choses de France, par la déduction que Mr le mareschal leur en a faicte; et que, pourveu que Vostre Majesté observe bien le nouvel édict, qui a esté faict devant la Rochelle, ilz retourneront sans aulcun escrupulle à la mesmes confience qu'ilz avoient prinse de Vostre Majesté; mais aussy, s'ilz y voyoient la moindre infraction du monde, ilz jurent de jamais plus, en façon du monde, ne s'y fier. Et j'ay apprins, de fort bon lieu, que milord de Burgley, quand il est venu à oppiner devant la dicte Dame sur la résolution de ce bon propos de Monseigneur le Duc, il a dict que, succédant ou ne succédant poinct le dict propos, tousjours l'estat de leur religion demeuroit en danger, mais qu'il y avoit quelque espérance d'y remédier, si, d'avanture, le dict mariage s'effectuoit, là où, s'il ne s'effectuoit poinct, il demeuroit du tout sans remède, car l'on pouvoit fère entrer Mon dict Seigneur, par le contract du dict mariage, aulx mesmes obligations qu'estoit la Royne, sur l'observance des décretz du parlement touchant l'ordre de la dicte religion, et que cella tiendroit tout le temps de leur règne, et durant encores qu'ilz auroient l'administration de leurs enfans, si Dieu leur en donnoit, là où, si la couronne venoit à ung aultre, qui ne se trouvât obligé aulx dicts décretz, il les pourroit changer, quand il voudroit; et qu'ayant là dessus esté réplicqué au dict milord que l'exemple des choses de France monstroit que ce ne seroit se mettre seulement en danger, mais se précipiter en ung très manifeste péril, s'ilz se commettoient à Mon dict Seigneur, il a respondu que si, lors de l'excès et au milieu des armes, et quand il estoit environné de ceulx qui s'exaspéroient contre ceulx de leur religion, il avoit esté trouvé modeste, et n'avoit uzé une seule parolle, ny une démonstration, ny un seul maulvais effect contre eulx, il estoit bien à croyre que, quand il seroit icy, près de la Royne, leur Mestresse, et au milieu d'eulx, en un royaulme desjà estably à ceste forme de religion, qu'il s'y conduyroit encores avec plus de modération. Dont toutz ceulx du conseil, après l'avoir ouy, ont opiné pour le mariage, pourveu que la personne de Mon dict Seigneur puisse complère à leur Mestresse. J'ay bien ouy, Sire, par ci devant, plusieurs aultres choses aussy expresses que celles icy en ce mesme propos, lesquelles ne sont venues à pas une conclusion. Ce qui me tient tousjours en souspeçon qu'il y puisse encores avoyr de l'artiffice caché; mais Mr le mareschal vous apporte de quoy fère bientost venir en évidence ce qui en est. Et sur ce, etc. Ce XXe jour de septembre 1573. CCCXLIe DÉPESCHE --du XXVe jour de septembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Communication sur les affaires de Pologne.--Nouvelles méfiances des Anglais et des Français réfugiés sur les projets du roi contre les protestans.--Affaires d'Écosse.--Excès du comte de Morton. AU ROY. Sire, l'on avoit donné entendre, en ceste court, que les prélatz et palatins poulonnois, qui sont en la vostre, estoient si merveilleusement opiniastres que, pour ne vouloir rien rabattre de beaucoup de choses, qui mesmes apparoissent par trop extraordinayres et hors de moyen ez chapitres de leur demandes, leur légation s'alloit finir en ropture, au grand malcontantement d'eux, et peu de satisfaction de Vostre Majesté et du Roy, vostre frère, et desjà ceste princesse m'en avoit touché quelque mot, en passant. Dont j'ay esté infinyement bien ayse d'avoyr eu de quoy fère voyr à elle et aulx seigneurs de son conseil, par la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, du XIe du présent, que le tout estoit bien et gracieusement accordé, au mutuel contantement de Voz Majestez et des dicts prélats et palatins, et que les articles avoient esté desjà fort solennellement jurez, en la grande églyse de Nostre Dame de Paris, avec l'aclamation et publicque réjouyssance de ce nombre de grandz personnages, et d'une infinyté de peuple, qui y avoient assisté, et que Dieu qui n'avoit moins monstré sa divine faveur, ez actes qui avoient suivy l'élection que en l'élection mesmes, laquelle luy seul avoit conduicte, manifestoit encores clèrement qu'il vouloit mener tout l'affère à son heureuse perfection. A quoy la dicte Dame et iceulx de son dict conseil m'ont mandé de bien honnestes responces, du plésir qu'elle et eulx avoient que les choses, les unes après les aultres, succédassent toutes bien à establir ce grand estat en la personne du Roy de Pouloigne, vostre frère; et que l'Angleterre, aussy bien que la France, en desiroit le très ferme et perpétuel establissement; et qu'ilz ne mettoient en grand compte les démonstrations qu'aulcuns voysins faysoient, et mesmement le roy de Dannemarc, de ne vouloir laysser en paix les affères de dellà, tenant encores arrestés ung des ambassadeurs et le jeune Sr de Lansac: car ne faysoient aulcun doubte que l'arrivée du Roy, vostre frère, en son royaulme, ne réduyse incontinent tout le pays en ung aussy paysible et assuré estat qu'il le sçauroit desirer, et que, non seulement il ne seroit inquiété, ains ardemment recherché de bien estroicte amityé par toutz les princes chrestiens, qui seroient ses voysins. Et s'est la dicte Dame faicte enquérir soigneusement si j'avoys receu aulcunes nouvelles de Mr le mareschal de Retz, depuis qu'il estoit party; qui semble, Sire, qu'elle attande en grande dévotion la responce de la lettre qu'elle luy a escripte. Et se faict une généralle démonstration, en ceste court et en ce royaulme, que le voyage, que luy avez faict fère par deçà, et les propos que luy avez faict tenir, ont hasté ceulx cy de retourner en leur bonne première disposition vers Vostre Majesté; qui n'y cheminoient qu'à regret, et comme s'ilz eussent marché sur des épineuses et fort malaysées difficultez. Et se continue la résolution d'envoyer, sur le commancement de ce moys prochein, le Sr de Quillegreu par dellà, sellon que mon dict sieur le mareschal mandera qu'il se debvra fère. Il est vray qu'on a faict courir, icy, ung bruit qu'à Paris avoient esté tués quelques cappitaynes, qui avoient esté recognus estre de ceulx qui avoient soustenu le siège de la Rochelle, ce qui a cuydé renouveller les escrupules à ceulx cy, lesquelz sont naturellement deffiantz; qui m'ont faict fort curieusement examiner si j'en sçavois quelque chose, mais j'ay jetté cella bien loing, et ay fort réduict ung chacun à n'en croyre rien. Les Françoys, qui sont icy, en demeurent ung peu en suspens, lesquelz toutefoys je conforte fort de retourner toutz en leur mayson, et qu'ilz y vivront très assurez, soubz la protection de Vostre Majesté et observance de vostre dernier édict. Il y a dix ou douze jours que quatre centz cinquante harquebousiers escoussoys, de ceulx du comte de Morthon, estantz abordés en ung port de ce royaulme, aussytost qu'ilz ont eu le vent bien à propos, ils sont passez en Holande au service du prince d'Orange, et assure l'on qu'il en est allé plus de quatre mille aultres escouçoys au service du roy de Suède, et que, quand Vostre Majesté, ou le Roy de Pouloigne, en voudrez tirer quelque nombre, qu'ilz y yront trop plus volontiers que au service de nulz aultres princes du monde. Ceulx, qui sont ainsy sortis, sont cause qu'on vit en quelque façon tollérable dans le pays, sans guerre, bien que soubz la dominion du dict de Morthon, qui est violent et fort avare, et qui ne s'est réservé aulcun amy, et a imposé des subcides et empruntz sur la ville de Lillebourg, laquelle estoit franche de tout temps; et a transporté la fabricque de la monoye en sa mayson de Datquier, et enfin a uzurpé toutz les droictz royaulx. Il a retiré des bagues de la Royne d'Escoce, qui estoient en gages, et a exigé par menaces, de ceulx qui les avoient, aultant de somme qu'ilz avoient desjà presté sur icelles, par prétexte qu'ilz avoient fourny de l'argent à ceulx qu'il a déclarés rebelles; et a faict mettre prisonnier dans le chasteau de Lillebourg le Sr Craffort, qui est de voz gardes, parce qu'il avoit parlé à la Royne d'Escoce, en passant. Le comte d'Arguil, ayant répudié la bastarde d'Escosse, a espousé la fille d'ung milord, qui n'est amy du dict de Morthon, de quoy il est bien marry. Je ne puis assez, Sire, ramentevoir à Vostre Majesté, l'estat du dict pays, affin qu'il vous playse pourvoyr à ce qui faict besoing, pour la conservation de vostre alliance; et semble qu'on tienne icy en suspens le vieulx Cauberon de ne luy bailler sa dépesche vers le dict de Morthon, sur la tenue du prochein parlement d'Escoce, et sur l'affère de milord de Humes, de Cadinguen, et aultres qu'il tient encores prisonniers, jusques à ce qu'on verra comme la négociation, que Mr le mareschal de Retz a remise en termes, s'yra continuant. Sur ce, etc. Ce XXVe jour de septembre 1573. CCCXLIIe DÉPESCHE --du dernier jour de septembre 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par le beau fils de Cahier._) Secours donnés en Angleterre au prince d'Orange.--Convocation du parlement d'Écosse à Lislebourg.--Protestation de dévouement au roi faite par le député de la Rochelle. AU ROY. Sire, samedy dernier, ceste princesse est venue finir son progrès de ceste année au mesme lieu de Grenvich, d'où elle l'avoit commancé, et semble qu'elle y fera quelque séjour, attandant qu'il luy vienne des nouvelles de France, après le retour de Mr le mareschal de Retz, sur la disposition des propos qu'elle a eus avec luy; et que sellon cella, elle se puisse résouldre des moyens qu'elle y aura, puis après, à suyvre. Dont j'attandz aussy, Sire, quelque dépesche de Vostre Majesté, affin que j'aye occasion d'aller trouver la dicte Dame, et que je recognoisse si elle persévère en ce qu'elle et les siens principaulx nous ont faict espérer de sa bonne intention en cest endroict. L'on s'attandoit que les principaulx du royaulme deussent estre mandez, à la my octobre prochein, pour continuer le parlement, mais je pense comprendre que cella sera remis jusques après la chandelleur. J'ay curieusement recherché le faict dont l'on m'avoit donné advis du cappitayne Boychamp, et enfin j'ay trouvé que c'est le cappitayne Boysseau, à qui ceulx de la Rochelle, durant le siège, avoient donné charge de leurs vaysseaulx de guerre, parce qu'il est natif de leur ville, et que le comte de Montgommery luy avoit aussy baillé une commission de sa part, mais il ne m'appert encores qu'on luy ayt renouvellé son pouvoir depuis la paix; et si, d'avanture, l'on l'a faict, j'ay opinyon, Sire, que c'est pour servir au prince d'Orenge: car l'on faict, tous les jours, nouvelles dilligences, icy, en sa faveur, à recouvrer armes, monitions, hommes et vaysseaulx, pour luy envoyer; et mesmes l'on m'a dict que le Sr de Quillegreu, pendant qu'il a esté en Escoce, luy a praticqué mille cinq centz chevaulx escouçoys qui sont prestz à partir, pourveu que, d'icy, leur soit envoyé quelque commancement de paye et moyen de s'embarquer; ce qui ne sera trop difficille d'estre moyenné par les évesques et plus affectionnés protestantz de ce royaulme. Et croy que c'est ung des articles sur lequel l'on a faict temporiser quelque temps le vieulx Cauberon, lequel, à mon advis, sera renvoyé ceste sepmayne. Et m'a l'on dict que le parlement, que le comte de Morthon avoit mandé au premier d'octobre à Lillebourg, est remis jusques au XXVIIIe du dict moys, ce qui vous donra loysir, Sire, d'y pouvoir envoyer quelqu'ung pour y assister de vostre part; et souspeçonne l'on assés que le dict de Morthon vueille dresser une entreprinse pour courre sus au comte de Honteley, à cause de quelques jalousies qu'il a prinses de luy, bien qu'il escript, icy, d'avoyr donné si bon ordre par toutz les portz et advenues d'Escoce, qu'on ne doibt creindre que nulz estrangiers y puissent faire descente. L'agent, qui est encores icy, de la Rochelle, m'est venu confirmer, de la part de ceulx de sa ville, que, en nulle sorte, ilz n'attempteront, ny icy ny en nulle aultre part du monde, chose aulcune qui ne soit de très obéissantz et fort loyaulx et fidelles subjectz de Vostre Majesté, et qu'ilz ne desirent rien tant que de voyr qu'on leur continue la seureté qu'il vous a pleu leur donner, et que, sans aulcune aultre garde, ilz ayent à confier, du tout, leurs vyes, biens et personnes, à la seule protection de la parolle de Vostre Majesté, et qu'il estoit tout esbahy de ce qu'on disoit que les depputés de la Rochelle avoient nouvellement esté tués à Paris. A quoy je luy ay respondu, quand au premier, qu'il ne debvoit demeurer en aulcun doubte de vostre droicte intention vers les promesses qu'avez faictes à ceulx de sa ville, pourveu qu'ilz se continssent en celle loyalle obéyssance qu'il me disoit, et que je tenois le bruict de ce meurtre de Paris pour entièrement faulx, parce que j'avoys des lettres assez fresches de Vostre Majesté, qui n'en faysoient aulcune mencion. De quoy il a monstré de rester bien fort satisfaict. Sur ce, etc. Ce XXXe jour de septembre 1573. CCCXLIIIe DÉPESCHE --du VIe jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Anthoine de la Rue._) Audience.--Cérémonies faites à Paris à l'occasion de l'élection du roi de Pologne.--État de la négociation du mariage.--Mission du capitaine Cauberon en Écosse. AU ROY. Sire, j'ay faict part à la Royne d'Angleterre, ainsy qu'il vous a pleu me le commander par vostre lettre, du XVe et XVIIe du passé, de tout l'ordre qui a esté tenu, dimanche, tréziesme du dict moys, en la proposition et présentation, que les ambassadeurs de Pouloigne ont publicquement faicte à Vostre Majesté, des décretz des Estatz de leur pays, sur l'élection de vostre frère, et la déclaration que, par le bon consentement de Vostre Majesté, le Roy, vostre frère, leur a faicte d'accepter d'estre leur roy; et de l'entrée magnificque et honnorable qui, le jour après, luy a esté faicte, comme à Roy de Pouloigne, en vostre ville de Paris, avec le royal festin le soyr, en vostre grande salle du pallays, ensemble le somptueux festin, du lendemein, par la Royne, vostre mère, à son pallays des Tuilleryes; et comme le tout a esté conduict avec tant d'honneur et de bon ordre, et de dignité, qu'on peut compter cest acte, ainsy achevé, pour ung des plus excellantz qu'on ayt jamays veu en France, et l'ung des plus notables que Dieu ayt faict advenir, de beaucoup de siècles au monde; et que Voz Majestez me commandoient d'en fère une expresse conjouyssance avec elle, comme avec celle que vous sçaviez qui vouloit participer, de bon cueur, aulx choses qui vous estoient et à honneur et à contantement. A quoy la dicte Dame m'a respondu que, voyrement, elle participoit grandement à ceste vostre félicité, et à l'heur et bonne fortune du Roy de Pouloigne, vostre frère, et que Dieu ne permît pas qu'elle peût tant oublier le debvoir, auquel l'amityé, que luy avés tousjours monstrée, obligeoit la sienne entièrement vers vous, qu'elle ne se resjouyst de toutz les advantages et grandeurs qui vous advenoient, et qu'elle ne se douleût pareillement de ce qui ne vous viendroit bien, plus que nul aultre de toutz les princes de vostre allience; et que, de ces actes tant honnorables, qui s'estoient passez avec les ambassadeurs de Pouloigne, aulxquelz elle ne pouvoit qu'elle ne louât infinyement la royalle esplendeur et générosité de vostre cueur, et la singullière prudence de la Royne, vostre mère, et les desirables qualités du Roy, vostre frère, elle s'en estoit desjà beaucoup réjouye en elle mesmes; mais que sa joye en estoit devenue de beaucoup plus grande pour celle portion de la vostre que Voz Majestez luy en faisoient maintenant adjouxter, et qu'elle espéroit que, d' ung commancement et progrès si heureulx, qu'on avoit veu jusques icy es dicts affères de Pouloigne, la fin n'en pouvoit réuscyr sinon ainsy heureuze et honnorable, comme le desiriez, et comme elle en prioit Dieu, de bon cueur. Et m'a curieusement examiné de plusieurs particullaritez des dicts actes passez, et de ceulx d'advenir, et du voyage du Roy, vostre frère. A quoy je luy ay satisfaict le mieulx que j'ay peu, et luy ay promis de luy bailler le mémoyre qui m'en sera envoyé par escript, aussytost que je l'auray receu, ce qu'elle m'a pryé de n'oublier pas. Et j'ay adjouxté que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, me commandiez de luy dire que vous n'estiez meus de moins de desir, et n'aviez l'affection moindre au bon propos, que luy aviez faict refreschir par Mr le mareschal de Retz, que à ce mesmes affère de Pouloigne; et que c'estoit ce dont aujourdhuy vous desiriez l'accomplissement aultant de bon cueur, que de chose qui soit au monde, affin de la fère participante, comme vraye et germayne seur, non seulement de ceste nouvelle accession de Pouloigne, mais encores de toutes les aultres prospéritez et bonnes fortunes, que Dieu vous envoyera jamays. A quoy elle m'a respondu que Vostre Majesté, et la Royne, vostre mère, luy aviez faict voyr si avant, dedans vostre intention, et dedans les bons et vertueux desirs qu'avez vers elle, qu'elle ne vouloit, en façon du monde, vous deffallir de correspondance, et que pourtant elle attandoit de sçavoyr ce qui auroit succédé, après le retour de Mr le mareschal de Retz par dellà, pour incontinent y envoyer ung gentilhomme, sellon l'ordre qu'elle en avoit pris avecques luy. Et se sont passez plusieurs propos, qui seroient longs à mettre icy, entre elle et moy, là dessus; esquelz elle s'est efforcée d'excuser la longueur et les difficultez, que j'ay accusé procéder de son costé, et m'a assuré que Mr le mareschal avoit bien cognu qu'elles n'estoient ny légières ny vagues, et qu'il avoit assez comprins, sellon qu'il estoit bien expérimanté ez choses d'estat, que les dictes difficultez estoient fondées en grandes considérations; dont elle les vouloit réduyre à facillité, si elle pouvoit, affin de ne laysser venir aulcun dégoust ny une seulle apparance de malcontantement, cy après, à Voz Majestez et à Monseigneur, vostre frère, en ce faict, ou bien elle auroit une extrême regret de le laysser passer plus avant; et nous sommes remis, toutz deux, à ce qui nous en sera mandé par la procheyne dépesche de France. Et, sur la fin, je luy ay faict une expécialle salutation, de la part de Monseigneur, vostre frère, laquelle elle a monstré d'avoyr fort agréable, et m'a soigneusement enquis de sa santé, et qu'elle n'avoit peu comprendre, par la lettre que Mr le mareschal luy avoit escripte, s'il estoit encores du tout parfaictement guéry; mais qu'elle avoit biens comprins d'aultres choses de ce qu'il luy avoit escript, qui l'obligeoient grandement vers mon dict sieur le mareschal, et la confirmoient en la bonne et grande oppinyon qu'elle avoit conceue de luy. Les seigneurs de ce conseil, au partir d'elle, m'ont longuement entretenu de ce mesmes propos, et qu'ilz s'esbahyssoient comme il n'estoit venu aulcune dépesche, depuis l'arryvée de mon dict sieur le mareschal par dellà, et m'ont parlé aussy bien fort honnorablement des choses de Pouloigne; et mesmes a semblé que ce fût avec leur grand plésir d'entendre qu'elles succédoient ainsy, de bien en mieulx. Et ay trouvé que la dicte Dame et eulx estoient, en apparance, toutz bien contantz, sinon ung peu milord trézorier qui a prins plus à cueur, que ne font les aultres, certeins livres diffamatoires contre l'estat du gouvernement de ce royaulme, que ceulx de Rouen ont envoyé semer en ceste ville; de quoy a esté faict une proclamation fort rigoureuse contre ceulx qui apporteront, ny qui publieront, cy après, rien de semblable. Le vieulx Cauberon a esté cependant renvoyé, avec une fort ample dépesche, devers le comte de Morthon, et croy que c'est sur ce nombre d'escossoys qui doibvent passer en Hollande, et sur des conséquences qu'on faict icy, de la blessure d'Adan Gordon, plus grandes, à mon advis, que le cas ne le requiert. Et sur ce, etc. Ce VIe jour d'octobre 1573. CCCXLIVe DÉPESCHE --du XIIIIe jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._) Audience.--Réponse du roi sur la négociation du maréchal de Retz.--Satisfaction d'Élisabeth.--Sa résolution d'envoyer un ambassadeur en France pour cette négociation. AU ROY. Sire, parce que le courrier, qui m'a esté dépesché, le XXVIIe du passé, a esté contreinct de séjourner huict jours entiers à Callays, pour l'empeschement de la mer, (laquelle a bien esté la plus haulte, et pleyne de tourmante, qu'on l'ayt veue de fort longtemps, ayant apparu, tout au long de ces costes, force mastz et pièces de navyres rompus, et des corps mortz en grand nombre, signe de quelque grand naufrage advenu non guières loing d'icy), les lettres de Vostre Majesté, qu'il m'a apportées, ont esté retardées jusques au VIIIe du présent, non sans que j'aye bien senty qu'elles se faisoient aulcunement desirer en ceste court, et que les malintentionnés en commançoient desjà d'arguer quelque réfroydissement: ce qu'ilz eussent, possible, persuadé, si une lettre de Mr le mareschal de Retz ne fût auparavant arryvée à ceste princesse, laquelle l'a tousjours entretenue en bonne espérance. Et je vous puis assurer, Sire, que la dicte Dame a monstré de prendre maintenant à beaucoup de plésir les particullaritez, qu'il vous a pleu me commander de luy dire, de mercyement des faveurs et bon traictement, qu'elle avoit faictz à mon dict sieur le mareschal, et du desir que vous aviez de vous en revencher vers quelqu'ung des siens, qu'elle pourroit envoyer par dellà, de ceulx qu'elle ayme et estime beaucoup; et de la privée communicquation qu'elle vous avoit voulu fère par luy d'aulcunes de ses intentions, pareillement de vous avoyr, par luy mesmes, ouvert le fondz de son cueur; ensemble de l'assurance, qu'il vous avoit apportée, que non seulement elle persévèreroit constamment en vostre amityé, mais qu'elle estoit très bien disposée de l'estreindre et la rendre plus ferme par le mesmes moyen, dont vous la recherchiez, du propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté. En quoy, Sire, seroit trop long de vous discourir tout ce que je luy ay déduict, par le menu, sinon vous assurer que je ne luy ay rien obmis du contenu de voz lettres; ny rien de ce que j'ay estimé qui pouvoit servir en cest endroict; mais il seroit encores beaucoup plus long de vous racompter, une à une, toutes les honnestes responces qu'elle m'y a faictes: car, en lieu de recevoir de voz mercyementz, elle s'est efforcée de vous en rendre infinys, de son costé, pour avoyr, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, voulu prendre de si bonne part, comme elles ont, ce peu qu'elle a uzé de bon traictement vers Mr le mareschal, et ce qu'elle vous a mandé par luy. Et s'est ellargie à me discourir du contantement, que luy avez donné, de la forme de négocier qu'il a tenu avec elle, laquelle luy avoit esté singullièrement agréable, et de la foy que pouvez indubitablement adjouxter aulx choses qu'il vous avoit rapportées de sa part; lesquelles elle vous prioit que les voulussiez très fermement croyre. Mais, quand j'ay reprins le propos pour luy dire qu'elle trouveroit l'entière confirmation de tout ce que je venois de luy dire dans les lettres de la propre mein de Voz Majestez et de Monseigneur, lesquelles je luy ay soubdein présentées; et que je l'ay eue bien fort conjurée de ne vouloir plus laysser au hazard du temps, ny au danger de la longueur, ung si précieulx affère, comme estoit celluy de ce propos; et que vous la suplyiez de bon cueur qu'elle vous volût rendre maintenant certein de ce qu'elle avoit résolu d'en fère, il a apparu, Sire, en son visage et en ses contenances, une plus grande satisfaction que je ne la vous sçaurois exprimer, et a soubdein leu, à part elle, toutes les quatre lettres, et puis me les a releues fort distinctement, notant avec beaucoup de curiosité toutz les poinctz de chascune. Et a remis à plus de loysir de lire la cinquiesme, qui estoit de Mr le mareschal; duquel elle a suivy à dire qu'elle cognoissoit bien qu'il n'avoit pas réfroydy la matière, ainsy que quelques ungs l'avoient desjà pensé, et qu'elle voyoit Voz Majestez Très Chrestiennes, et les vostres, continuer tousjours d'une si honnorable façon au pourchas de son allience, qu'elle s'estimeroit par trop indigne d'honneur, si elle ne mettoit peyne de vous y bien voyr correspondre; et que, sans doubte, elle y avoit tousjours correspondu de bon cueur, mais que le temps et les occasions ne luy avoient servy qu'elle l'eût peu ainsy manifester, comme elle eût bien desiré de le fère; et qu'elle n'avoit jamays prins de dellay en cecy, que pour garder qu'il ne s'y en peût mettre, quand les choses en seroient venues à meilleure conclusion; et que, depuis le partement de Mr le mareschal, elle n'avoit pas perdu temps à bien disposer aulcuns des siens à ce propos, qui estoient des principaulx de son royaulme; car n'avoit à se soulcier de toutz, mais bien se vouloit elle fort soulcier que, venant Monseigneur par deçà, il y fût communément bien receu d'ung chacun, et aultant honnoré et bien veu, et y eût aultant de contantement comme elle mesmes; et que, quand elle verroit qu'il ne se pourroit fère ainsy, que jamays elle ne consentiroit sa venue, nonobstant l'advantage qui luy en pourroit rester à elle; et que sa déterminée résolution avoit esté de fère partir, ce soyr mesmes qu'elle parloit à moy, le gentilhomme qu'elle avoit promis à Mr le mareschal qu'elle envoyeroit par dellà; mais qu'il estoit tombé malade, ainsy que je le pouvois bien avoyr sceu: comme, Sire, cella est véritable; mais qu'elle en feroit apprester ung aultre qui partiroit indubitablement dans trois jours; et qu'elle avoit à fère une querelle à Mr le mareschal de ce qu'il vous avoit révellé, et à la Royne, vostre mère, le secret de ce message, car luy avoit promis que Voz Majestez, pareillement Monseigneur, vostre frère, n'en scauriés rien, toutesfoys qu'elle remettoit bien en luy d'en uzer comme il jugeroit estre bon, car le tenoit pour si advisé et accord, et d'une si bonne inclination en cest endroict, qu'il conduiroit le tout à bon port. Je luy ay réplicqué qu'elle trouveroit que la coulpe n'en estoit venue de luy, ny du costé de dellà, en façon du monde, ains de ce costé icy, et que ce seroit luy mesmes qui la rabilleroit. J'ay, incontinent après, parlé à milord trézorier et au comte de Sussex, et mestre Smith, estant le comte de Lestre encores absent en sa maison, et leur ay faict l'honneste compliment du postscript de la lettre de Vostre Majesté, qu'ilz ont receu à beaucoup de faveur, et m'ont parlé en très bonne façon et en beaucoup d'espérance de cest affère. Et le dict grand trézorier m'a confirmé ce qu'elle m'avoit dict de la maladye et empeschement du Sr de Quillegreu, et m'a adverty qu'elle avoit mandé Me Randolf pour le fère apprester, et l'avoit choisy elle mesmes bien qu'il luy en eût nommé ung aultre, lequel elle n'avoit voulu accepter, par ce, disoit elle, qu'il n'estoit bien affectionné à son mariage; ce que le dict grand trézorier avoit prins pour ung bon signe, et m'a assuré qu'il trouvoit la dicte Dame très bien disposée en ce propos; mais, de tant, Sire, que le dict Randolf ne me revient non plus, ny possible si bien, que faysoit Quillegreu, je suis après à fère changer l'élection. Et sur ce, etc. Ce XIVe jour d'octobre 1573. _Par postille à la lettre précédente._ Si Vostre Majesté trouvoit bon de fère venir icy quelques lettres de crédit, pour fère respondre, condicionellement, par des banquiers, en ceste ville, à ceulx qui peuvent ayder cest affère, que, au cas que le dict affère viegne à bonne conclusion, et que le dict mariage ensuyve, qu'il leur sera payé comptant telle et telle somme, l'on a opinyon que cella feroit un grand effect, car les simples promesses ne sont tenues en compte; et qu'on auroit plus à gré une telle somme de deniers contantz, que non pas une pension, ny ung revenu, ny ung estat en France; et si, ne courra rien de hazard, si l'affère demeuroit imparfaict, mais faudroit que ce fust de sommes assez notables. CCCXLVe DÉPESCHE --du XVIIIe jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Désignation de Me Randolf pour passer en France.--Remise de l'ouverture du parlement.--Menées du duc d'Albe.--Secours donnés par les Anglais au prince d'Orange.--Desir des réfugiés de rentrer en France. AU ROY. Sire, je vous ay renvoyé Jacques, le courier, le XIIIIe de ce moys, avec le récit de toutes les responces que la Royne d'Angleterre m'a faictes, quand je luy ay présenté les lettres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et le Roy de Pouloigne, et Monseigneur, luy avez, toutz quatre, escriptes de voz meins, ensemble ce que j'ay peu nother davantage des propos que les seigneurs de ce conseil m'ont tenu; qui n'en racompteray rien plus icy, et seulement vous diray, Sire, que Me Randolf, lequel la dicte Dame a mandé par la poste, parce qu'il estoit absent avec le comte de Lestre, est arryvé le deuxiesme jour après, et est allé descendre au logis de milord trézorier, où j'estime qu'il a esté fort soigneusement examiné; et ne se publie encores rien de son partement, ny ne s'en sçaura, à mon advis, le certein, jusques à demein au soyr, que le dict comte de Lestre doibt estre de retour. Et ne voy pas qu'il me puisse estre bien séant, Sire, de fère rien davantage, touchant l'élection du dict Randolf, plus que ce que j'ay desjà faict; car est besoing, en l'endroict de ceulx cy, sur une telle chose, après les avoyr bien advertys une foys seulement, les laysser, de là en avant, fère comme ilz l'entendent, aultrement ilz s'imagineroient des souspeçons qui seroient très difficilles de les leur oster. Je procèderay en cella, et en toute aultre chose, qui concernera icy l'advancement de cest affère, le plus accortement que je pourray. Le chancellier et le grand trézorier, et le grand chambelland, et plusieurs aultres seigneurs de ce conseil et de la noblesse de ceste court, se sont trouvés à l'ouverture de ce terme de la justice, le segond vendredy de ce moys, pour remettre encores plus loing la tenue du parlement, duquel la continuation estoit assignée au XVe de ce mesmes moys; et ilz l'ont prononcée au IIIIe de febvrier prochein: et ont fort dilligemment examiné la cause de ceste élévation, qui avoit apparu, vers Cambrich, à quarante mille d'icy, où ilz ont trouvé qu'il y avoit de la malice d'aulcuns et de la simplicité des aultres; et sont après à y donner quelque forme de chastiement, si discrète, qu'elle ne puisse effacer le lustre du repos, qu'on veut persuader à ung chacun qu'est bien estably en ce royaulme. Ces libelles, que les angloys, qui sont à Louvein, en avoient envoyé semer icy ung nombre, ont mis du trouble beaucoup en ceste court; car il y est remonstré aulcunes choses à ceste princesse, de ceulx à qui elle donne la principalle authorité, qu'il semble qu'elles soient très expresses et bien fort apparantes contre eulx, de sorte qu'ilz ne sçavent où ilz en sont, et creignent que leur crédit en demeure fort ravallé; et présuppose l'on que le duc d'Alve a tenu la mein à cella, et qu'il faict que les partisans de Bourgoigne, icy, monstrent eulx mesmes d'en estre offancés, affin que ces imputations soient esclayrées et espluchées davantage, et que, par une telle attacque, ceulx qu'il luy semble que tiennent icy les choses trop reddes contre le Roy, son Mestre, en soient d'aultant réprimés. J'entendz qu'il a esté proposé de fère bientost passer quelque personnage de bonne qualité, de la part du dict Roy d'Espaigne, vers ceste princesse, mais ne se parle plus que ce soit le duc de Medina Celly, soubz couleur de son retour, ains que ce sera ung aultre seigneur, tout exprès, et, possible, ung ambassadeur résident. Néantmoins le prince d'Orange ne laysse, pour cella, d'avoyr tousjours icy bien vifves ses praticques, et tire ordinayrement beaucoup de commodités de ce royaulme; et mesmes les Escossoys, qu'il a, qui sont bien douze centz cinquante en nombre, luy ont esté addressés d'icy; vray est qu'on assure que leur payement vient des deniers que le dict prince et le comte Ludovic, son frère, avoient faict dépositer, l'année passée, en France, pour une nouvelle levée de françoys, après la route de Genlis,[23] et m'a l'on confirmé, de rechef, qu'il se prépare encores mille escouçoys à cheval pour aller, à ce printemps, trouver le dict prince. [23] Voyez ci-dessus _note_, p. 44. J'ay baillé des passeportz à douze ou quinze soldatz françoys, qui sont naguyères venus de Ollande, pour eulx retirer en leurs maysons, qui sont les ungs de Languedoc et Provence, les aultres de la Guienne, les aultres de Bretaigne, et les aultres de Normandye, et plusieurs d'entre eulx catholicques, qui s'estoient layssés mener par diverses persuasions au dict pays, avant la défaicte ou peu après icelle du dict Sr de Genlis. Et toutz m'ont protesté, avecques sèrement, de vivre, sans contradiction aulcune, en bons et très humbles subjectz, soubz l'obéyssance de voz édictz. Je vous supplie très humblement, Sire, de m'envoyer les saufconduictz pour les Srs de Languillier, Du Refuge, Des Champs, La Meaulce, à chacun ung; et pareillement pour Moyssonnyère, car ceulx là feront si bien le chemin aulx aultres, qu'à peyne en restera il pas ung, après eulx, par deçà. Et desjà le cappitayne La Meaulce s'estoit confié sur ung passeport mien, mais, ainsy qu'il a voulu partir, il est tombé si extrêmement malade qu'on ne sçayt qu'espérer de luy. Les aultres françoys, qui sont de robbe longue, marchandz, artisantz, et leurs femmes, repassent toutz les jours de dellà, et en est repassé plus de cinq centz depuis ung moys. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour d'octobre 1573. CCCXLVIe DÉPESCHE --du XXIIIe jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Ratheau._) Mission de Me Randolf.--Nouvelles des Pays-Bas.--Sollicitations du comte de Montgommery pour être reçu par Élisabeth.--Protestation de dévouement du député de la Rochelle.--Nouvelles d'Écosse. AU ROY. Sire; aussytost que le comte de Lestre a esté de retour de Quilingourt, l'on a mis en dellibération du conseil le voyage de celluy qui doibt aller en France, et je n'ay oublyé d'envoyer, soubz mein, remonstrer, en la meilleure façon que j'ay peu, qu'il estoit fort expédient qu'ung gentilhomme, de bonne intention et bien choisy, y fût envoyé. En quoy, après que toutes choses ont esté bien débatues, la résolution a esté prinse de fère partir, dans la fin de ceste sepmayne, Me Randolf pour aller achever ceste commission. Et le dict comte ayant, avec une démonstration de très grand contantement, bien receu l'office, que m'avez commandé de luy fère par le postscript de vostre lettre, du XXIIIe du passé, m'a adverty que les ennemys de ce propos avoient uzé de beaucoup de malice, pendant qu'il estoit absent; et qu'ilz avoient supposé ung homme, comme venant de France, qui avoit parlé si peu à l'advantage de la personne de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, qu'il me vouloit dire, en général, que nul plus maulvais rapport l'on n'eût su fère de luy, et qu'il n'estoit pas besoing que j'en sceusse davantage les particullaritez, mais qu'il voudroit, de bon cueur, avoyr eu ce bien de voyr une foys Mon dict Seigneur, affin de conveincre les faulces inventions qu'on s'efforçoit de mettre ainsy en avant: et monstre le dict sieur comte de prendre bien à cueur cest affère. Le susdict Me Randolf dépend entièrement de luy; et est extrêmement passionné en sa religion. Il a esté ambassadeur devers le Moscovite, et souvant employé vers les Escossoys, et est reputé icy assez adversayre de la Royne d'Escoce. Il est mestre des postes de ce royaulme, qui est ung estat duquel l'on faict assez de compte. J'estime qu'il voudra conférer avecques moy, premier que de partir, dont je mettray peyne, s'il vient, de le disposer le mieulx qu'il me sera possible, et desjà il promect de se déporter fort droictement en sa dicte commission. Ceulx cy tiennent pour assez certein l'advertissement, qu'on leur a donné, du passage du Roy d'Espaigne en Flandres, à ce prochein printemps, et en font plusieurs discours, non sans y mesler des souspeçons et des deffiences beaucoup; et mesmes que ung docteur, de ce pays, et ung milord, qui sont toutz deux personnaiges de beaucoup d'estime vers les catholicques de ce royaulme, se sont, depuis ung moys, acheminés de Louvein vers le dict Roy d'Espaigne; ce qui faict que, d'icy, l'on fomante davantage le party du prince d'Orange, et qu'on ne prend plésir d'entendre qu'il se traicte d'accord ez Pays Bas, ce que néantmoins l'on se persuade; et creinct on assez qu'il se fera, bien que d'ailleurs l'agent du Roy d'Espaigne, qui est icy, semble avoyr découvert que troys centz harquebuziers françoys doibvent bientost aller trouver, de nouveau, les cappitaynes Poyet et Maysonfleur, en Hollande, et que les flammantz, qui sont icy, lèvent des deniers entre eulx pour les payer. L'on m'a rapporté que le comte de Montgommery a fort pourchassé de venir en ceste court, promettant de mettre en avant des choses à ceste princesse, qui seroient grandement pour son service; et que milord trézorier luy avoit escript qu'il eût ung peu de pacience, et que bientost il luy impètreroit cette permission; mais, voyant qu'elle tardoit trop, il a faict semblant de s'en vouloir retourner en France, de quoy son beau frère a donné incontinent, icy, advis, et luy mesmes a fort incisté qu'il peût venir, mais il luy a esté de rechef respondu que cella ne se pouvoit encores fère. Et, à la vérité, Sire, l'on a esté, l'espace de quinze jours, à attandre, en ung logis de ceste ville, que, d'heure en heure, le dict de Montgommery y arrivât, qui est signe qu'il a eu grande espérance d'y venir; mais enfin, les Srs de Lorges et Du Refuge, son filz et beau filz, sont partis, ceste sepmayne, pour l'aller trouver, non sans que le dict Du Refuge me soit venu dire adieu: et toutz deux monstrent d'estre fort desireux de repasser en France. L'agent de la Rochelle est venu, depuis deux jours, me prier que je ne voulusse interpréter, sinon à bien, sa demeure, pour encores, en ceste ville, et de fère que Vostre Majesté ne le prînt à mal, ny pensât que ceulx de sa ville y praticquassent rien, qui ne fût sellon le debvoir de très obéyssantz et très loyaulx subjectz; et que ce qui le détenoit icy, à ceste heure, estoit pour achever de payer ce qu'il avoit emprunté au nom de ses concitoyens, pour lesquelz il estoit comme en arrest, et qu'ilz supplioient très humblement Vostre Majesté de demeurer très assuré de leur fidellité et perpétuelle subjection; et à moy, de m'informer, aultant curieusement que je voudrois, de leurs déportementz, affin de n'en demeurer en doubte. Je luy ay respondu que luy et ceulx de sa ville n'avoient chose qui plus leur importât aujourdhuy, en ce monde, que d'imprimer une bonne et indubitable opinyon de leur foy et obéyssance à Vostre Majesté, et d'éviter toutes occasions qui vous pourroient fayre prendre tant soit peu de souspeçon d'eux; qui pourtant l'exortois de se retirer d'icy, le plus tost qu'il pourroit, attandu les choses passées, et que, puisqu'il m'estoit venu advertyr de la nécessayre occasion, qu'il avoit, d'y demeurer quelque peu de temps, que je le tesmoignerois à Vostre Majesté. Jacmes Levisthon, qui est de voz gardes, vient d'arriver, tout présentement, d'Escoce, il s'attand d'avoyr, demein ou après demein, son passeport, et de continuer, incontinent après, son chemin vers Vostre Majesté, à laquelle il donra bon compte de toutes nouvelles de son pays, et de la démonstration que faict la Royne d'Angleterre de vouloir remettre les deux chasteaulx, qu'elle tient par dellà, ez meins des Escouçoys, suyvant l'instance que, en vertu du dernier traicté, je luy en ay souvent faicte; mais je croy bien, si elle en vient à tant, que ce sera au comte de Morthon qu'elle s'en démettra. Et sur ce, etc. Ce XXIIIe jour d'octobre 1573. CCCXLVIIe DÉPESCHE --du XXVIe jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par ung serviteur de Me Randolf._) Conférence de l'ambassadeur avec Me Randolf.--Vives recommandations pour qu'il lui soit fait bon accueil en France. AU ROY. Sire, après que la Royne d'Angleterre a eu bien instruict Me Randolf sur les choses qu'elle luy vouloit commettre en France, elle luy a commandé de me venir trouver, pour me conférer le tout, et j'ay mis peyne de l'examiner bien curieusement de l'intention, avec laquelle il passoit de dellà; et il m'a monstré d'y apporter une très bonne affection vers le propos de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, et de desirer que son voyage soit si heureulx qu'il puisse servir à y fère venir quelque bonne conclusion; et qu'estant sa Mestresse fort judicieuse, qui a l'esprit fort rare, et à laquelle il a toute obligation de naturel subject de luy procurer son bien et contantement, qu'il mettroit peyne de s'acquicter droictement, et avec toute fidellité, et encores en conscience, de la charge qu'elle luy bailloit, et de luy en rapporter aultant de certitude et de vérité, comme il seroit en sa capacité de le pouvoir fère. Et m'ayant allégué là dessus plusieurs doubtes et creintes, ès quelles l'importance de ce faict le mettoient, pour estre de chose qu'il réputoit trop privée, et appartenir de trop près à la propre personne de très grandz princes, vers lesquelz il n'avoit jamais eu auparavant rien à traicter, je l'ay conforté de n'en estre en nulle peyne, et qu'il avoit son addresse à des princes qui estoient les plus courtois et humains, qui fussent en tout le reste du monde, et qu'il auroit, d'abondant, ung très bon directeur en Mr le mareschal de Retz, dont ne falloit qu'il doubtât de ne s'en retourner très contant de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne. Et luy ay, au reste, si particullièrement remonstré les très grandes utillités, qui procèderont de son voyage pour le bien public de son pays, et pour le sien particullier, qu'il me semble, Sire, qu'il s'en va bien disposé et en bonne volonté de bien fère. Dont, suyvant cella, je vous supplye très humblement de le fère bien et favorament recevoir, et de le fère honnorer et bien traicter, affin qu'il y ayt encores de l'inclination davantage. Il m'a dict qu'il emporte les mémoyres pour achever ce qui reste, de l'article du commerce, dans le traicté. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour d'octobre 1573. A LA ROYNE. Madame, après que j'ay eu faict ma sollicitation en ceste court, sur la dépesche de mestre Randolphe, j'ay mis peyne, quand il m'est venu voyr, par deux foys, et fère bonne chère en mon logis, de luy fère les démonstrations du général intérest des deux royaulmes, et de celluy de son particullier, qui dépendoient de son voyage, en si expresse façon que je ne pense qu'il ayt esté rien obmis de ce qui luy pouvoit estre remonstré en cest endroict; et il monstre de partir aultant bien édiffyé qu'il se peult dire vers tout ce qui y peut appartenir, et d'avoyr une singullière affection de l'advancer. Il est vray qu'il monstre de creindre bien fort la difficulté du jugement qu'il a à rapporter à sa Mestresse, et me semble qu'il part avec une opinyon préjugée de la debvoir, à son retour, conseiller que, sans donner foy ny à peintres, ny à rapporteurs, elle ne doibve croyre sinon à la présence, et qu'en toutes sortes, elle le doibve voyr; qui n'est le pire expédient qu'il pourroit choisir, pour se desmeller d'une commission qu'il répute dangereuse. Néantmoins il importe beaucoup qu'il parle, à son retour, en très bonne sorte des choses qu'il aura vues, et ouyes, par dellà, comme je sçay bien qu'il ne le pourra fère sinon ainsy, s'il ne veult laysser la vérité. Mais encores vous supplyè je très humblement, Madame, ne trouver maulvais que je vous recorde que ceste nation se gaigne, plus que nulle aultre du monde, par faveur et bonne chère, et par libérallité, et qu'il est expédient de luy en uzer ung peu largement; et qu'avec celle que Voz Majestez luy feront, il luy en viegne encores quelque aultre de Monseigneur, vostre filz, et n'oublier quelque promesse pour l'advenir, et de luy confirmer bien fort expressément celles plus grandes qu'avez faictes espérer au comte de Lestre et à milord de Burgley; car il dépend entièrement des deux. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour d'octobre 1573. CCCXLVIIIe DÉPESCHE --du dernier jour d'octobre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Détails de la conférence de l'ambassadeur avec Me Randolf.--Objections faites contre le mariage.--Mesures prises en Angleterre à l'égard des puritains.--Délibération au sujet de la prochaine arrivée du roi d'Espagne dans les Pays Bas. AU ROY. Sire, premier que Me Randolphe se soit acheminé devers Vostre Majesté, le XXVIe de ce moys, ainsy que je le vous ay escript, du dict jour, il m'est venu entretenir de plusieurs propos qui concernoient son voyage; dont les deux plus considérables ont esté de me dire que, si la Royne, sa Mestresse, n'avoit poinct voulu croyre à Mr le comte de Lincoln, ny à plusieurs milords qui estoient avecques luy, ny à Mr de Walsingam, ny à Mr de Quillegreu, touchant la disposition de la personne de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comment pourroit on penser qu'elle deût maintenant adjouxter plus de foy au rapport qu'il luy en feroit? et que pourtant son voyage avoit à estre, ou inutille, si elle ne s'arrestoit non plus à son opinyon qu'à celle de ceulx qui l'avoient veu devant luy, ou bien fort périlleux, si il en opinoit en aultre sorte qu'ilz n'avoient faict. A quoy je luy ay respondu que la seule vérité le mettroit hors de tout ce danger, car sa Mestresse ne vouloit sinon sçavoyr ce qui en estoit; et Voz Majestez desiroient infinyement qu'elle le sceût, sans qu'il luy en fût rien déguysé; et qu'estant davantage aydé par le portraict, il ne pouvoit nullement errer en sa commission. Il m'a réplicqué qu'il vous supplieroit donques, Sire, et la Royne, vostre mère, de ne trouver maulvais, au cas qu'il remarquât quelque chose au dict pourtraict, qui fût dissemblable de la vraye présence, qu'il vous requît de le fère rabiller. De quoy je l'ay assuré que, non seulement Voz Majestez ne seroient marryes d'estre advertyes de ce deffault, mais qu'elles auroient très grand plaisir de le fère réparer. Son aultre propos a esté que, advenant le cas que Monseigneur fût bien agréable à sa Mestresse, comme il le vouloit ainsy espérer, si je tenois pour cella que le mariage fût desjà faict. Je luy ay respondu que, du costé de Monseigneur, il n'y avoit nulle difficulté, et, du costé d'elle, l'on nous faysoit accroyre qu'il n'y en restoit plus que celle là. Il a réplicqué que de certeyne impression, qu'elle s'estoit donnée, que, à cause de son aage qui commançoit ung peu à passer, elle seroit bientost mesprisée de ce jeune prince, lequel ne faysoit qu'entrer en la fleur du sien; et de ne luy pouvoir poinct porter d'enfantz, ou bien, si elle luy en apportoit, que ce seroit avec le grand danger de sa personne, naystroient assez d'aultres difficultez, qui seroient bien mal aysées de veincre; mais encores, quand toutes celles là ne viendroient à produyre aulcun empeschement, j'avoys à rechercher si le peuple de ce royaulme resteroit bien contant du dict mariage, car mal volontiers vouloient souffrir les Angloys qu'un prince estranger régnât sur eulx, tesmoing ce qu'on avoit veu du Roy d'Espaigne; et que je ferois bien de m'esclarcyr de ce poinct, premier que de passer oultre, car me vouloit bien advertyr que beaucoup de ceulx, qui avoient desiré le mariage de leur princesse, ne vouloient plus, à ceste heure, qu'elle se maryât, et que, parmy ceux là, il y en avoit des plus grandz. Je luy ay respondu que ces particullaritez n'estoient de la considération présente, et ne touchoient en rien sa commission, car elles avoient desjà esté toutes débatues, et que je m'assurois qu'il n'y auroit ny deffault d'amityé, ny, Dieu aydant, de lygnée, ny de toute aultre bénédiction et bonheur en ce mariage; et que je n'estimoys pas qu'il y peût avoyr ung seul sy desloyal subject, en ce royaulme, qui ne voulût que la Royne, sa princesse, se maryât; et qu'elle ne pourroit proposer rien de plus digne, ny de plus honnorable, à son peuple, pour son mariage que Monseigneur, frère de Vostre Majesté, lequel ne viendroit icy estrangier, ains pour s'y porter comme naturel angloys, et que l'exemple du Roy d'Espaigne ne me mouvoit de rien, parce que la rayson estoit bien diverse. Et ainsy, Sire, je n'ay faict semblant au dict Me Randolphe que je m'arrestasse beaucoup à toutes ses considérations, lesquelles toutesfoys j'ay bien voulu mettre icy, affin que Vostre Majesté les ayt en tel compte comme elle jugera qu'elles le méritent; et cependant je mettray peyne d'aprofondir d'où elles peuvent derriver. Ces jours passez, les seigneurs de ce conseil ont esté fort occupés sur les remonstrances, que les évesques de ce royaulme sont venus fère à ceste princesse, des grandz désordres qui proviennent en leurs églises et diocèses, pour la multiplicité des religions, et mesmes pour la presse que les Puretains font de vouloir avoir l'exercice de la leur. Sur quoy, après plusieurs assemblées des plus grandz et notables du royaulme, et longue conférence avec les dicts évesques, par meure dellibération de conseil, a esté faicte une proclamation, mais aulcuns estiment que cella ne sera suffisant remède, parce que le nombre des Puretains est trop grand; tant y a que les Catholicques demeurent paysibles. Les dicts du conseil ont aussy longuement dellibéré sur la venue du Roy d'Espaigne en Flandres, laquelle ils tiennent pour fort certayne, et que ce sera, à ce prochein primptemps, avec huict mille Espaignolz de renfort et une fort grande provision de deniers, et qu'il fera son chemin par Gènes. Sur quoy j'entendz, Sire, qu'entre eulx celle opinyon a prévalu, laquelle a monstré de tendre à s'entretenir aulx bons termes, où l'on est avec le dict Roy d'Espaigne, et d'accomoder le faict des prinses, et les choses mal passées depuis cinq ans, et de retourner à l'ancienne confédération, dont luy mesmes recherche ceste princesse, et de conduyre dextrement, là dessus, et avec le plus qu'on pourra d'honneur pour ceste couronne, une bonne négociation, avec ceulx qu'il y vouldra commettre de sa part. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour d'octobre 1573. CCCXLIXe DÉPESCHE --du VIe jour de novembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par le Sr Vigier._) Conférence particulière de l'ambassadeur avec le lord garde des sceaux sur la négociation du mariage. AU ROY. Sire, il est advenu que milord Quipper et moy avons esté assis, l'ung auprès de l'aultre, en ce festin du mayre de Londres, où j'ay eu la commodicté de parler longuement à luy, et je l'ay principallement entretenu de l'honnorable légation qu'aviez dernièrement envoyé fère à la Royne, sa Mestresse, par Mr le mareschal de Retz, et comme Vostre Majesté avoit bien voulu tant defférer à la plus estroicte amityé et confédération qu'avez maintenant avec elle et avec sa couronne, que de luy mander cestuy tant expécial et confident ambassadeur pour luy donner compte des plus importantz évènementz de vostre royaulme, non seulement de ceulx du jour St Barthèlemy, et de ce qui avoit suivy après, mais encores de ceux qui avoient commancé, dès la première prinse des armes par voz subjectz, en l'an soixante ung, jusques à la fin du siège de la Rochelle, qui estoient douze ans d'ung continuel trouble, et d'ung merveilleux et bien fort dangereulx suspens de tout l'estat de vostre royaulme; et que j'avoys grand regret qu'il n'eust esté présent à ce récit, affin de ne demeurer moins bien édiffié des actions de Voz Majestez Très Chrestiennes et de toutz ceulx de vostre couronne, qu'avoient faict ceulx des aultres du conseil qui l'avoient ouy; et que je m'assuroys qu'il eût, avec eulx, facillement déposé ces escrupulles, qu'ilz en avoient auparavant conceu, et sur lesquelz ilz avoient, depuis quinze moys, tenu tousjours accroché le bon propos de Monseigneur le Duc, pour, dorsenavant, le laisser parvenir à quelque bonne conclusion, sellon que je sçavois bien qu'entre toutz les dicts du conseil il avoit tousjours, plus fermement que nul aultre, opiné pour cest honnorable party. Il m'a respondu, Sire, que, de très bon cueur, il eût veu Mr le mareschal, et eût fort volontiers ouy de luy la justiffication de Vostre Majesté sur les choses de Paris, et n'en eût resté moins bien persuadé, ny moins satisfaict, qu'avoient faict ceulx qui estoient présentz; et que, touchant le propos de Monseigneur, il confessoit de l'avoyr tousjours plus vifvement conseillé que nul aultre de ce royaulme; et qu'à la vérité les évènementz de France luy avoient bien faict suspendre, mais non jamays changer d'advis, ainsy que la Royne mesmes le sçavoit très bien; et qu'il avoit très grand plésir que ces nuées fussent ung peu haulcées, néantmoins aulcuns jugeoient que les plus grandes difficultez venoient maintenant de nostre costé. A quoy luy ayant soubdein réplicqué que je luy voulois respondre, sur le péril de ma vye, qu'il n'y en avoit nulle; il a suivy à dire que je ne sçavoys tout, ny ma vye ne pourroit respondre de tout, et que le temps mèneroit bientost cella à lumyère; dont, si les empeschementz cessoient, il conseilleroit aussy le mesmes, qu'il avoit tousjours faict, à sa Mestresse, d'accepter cest honnorable party du frère de Vostre Majesté: et c'est la substance de tout ce que j'ay peu tirer de luy. Puis, au sortir de table, milord trézorier s'est retiré, à part, avecques moy, pour me demander des nouvelles de France et de ces divers bruictz qu'on en faysoit courir par deçà, et si le Roy de Pouloigne, vostre frère, entreprendroit son voyage avant le primptemps. A quoy luy ayant très bien satisfaict, jouxte la dépesche de Vostre Majesté, du XVIIIe du passé, je l'ay, de propos en propos, tiré à parler des choses d'Allemaigne, parce que j'avoys sceu que Me Estrange estoit arryvé le jour précédant. Et il m'a confessé que la Royne, sa Mestresse, avoit eu des nouvelles bien fresches de l'Empereur, lequel se monstroit tousjours fort bien incliné vers elle, et que une des choses, à quoy il avoit prins le plus de plaisir, de toutes celles que celluy, qui venoit de dellà, avoit récitées, estoit que, des mesmes domesticques de ce prince, dont il y en avoit de catholicques et de protestantz, les ungs et les aultres convenoient très bien à l'accompaigner à la messe, et ceulx qui estoient de sa religion demeuroient avecques luy, et les aultres alloient au presche et à l'exercice de la religion protestante; et néantmoins tous concouroient fort paysiblement ensemble à son service, qui estoit ung exemple par lequel ce premier prince des Chrestiens monstroit, en embrassant les Catholicques, de n'estre poinct persécuteur des Protestantz, et de tollérer l'exercisse des deux religions en son estat. A quoy je luy ay respondu que l'Empereur servoit au temps; et qu'il avoit cy devant assez monstré de quel esprit il estoit meu en cest endroict, et que, quand à la France, je le priois de croyre fermement que ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict, de vostre dellibération là dessus, se trouvoit très ferme et très véritable, sellon que je luy en pouvois fère voyr une fort expresse confirmation par la dernière dépesche de Vostre Majesté. Et soubdain, je luy ay monstré l'article qui parloit fort dignement et en termes fort propres de ce poinct, lequel il a eu fort à gré de le voyr; et n'ay, pour ce regard, passé à rien davantage, comprenant en moy mesmes assez bien à quoy vouloit tendre tout ce qu'il me disoit, mais, après l'avoyr remercyé de la dilligence, dont je m'assurois qu'il avoit uzé à former l'intention de Me Randolphe, premier que de le dépescher en France, et de ce qu'il l'avoit faict venir conférer avecques moy, je luy ay particullarizé, Sire, les mesmes propos que je vous ay desjà escript que le dict Me Randolphe m'avoit tenus; et, nomméement, ceulx de ces nouvelles difficultez qu'il m'avoit alléguées, oultre celle pour laquelle il estoit maintenant envoyé; et que, si cella venoit de plus haut que de luy, je pryois le dict milord de considérer, combien, entre grandz princes, et sur ung affère si royal et si privilégié comme estoit cestuy cy, toute ceste façon de deffettes convenoit mal à la grande sincérité, dont Voz Majestez Très Chrestiennes, et Monseigneur, avoient uzé en leur honnorable pourchas; et que ce n'estoit propos que je vous peusse ny celler, ny dissimuler. A quoy il m'a respondu qu'il ne sçavoit sur quelle occasion Me Randolphe estoit venu si avant avecques moy, et néantmoins que c'estoient les mesmes difficultez qui avoient esté desjà assez souvent déduictes, et qu'il n'y pouvoit avoyr rien de mal qu'il me les eût de rechef renouvellées, néantmoins qu'il me pouvoit dire en vérité que, à présent, il ne voyoit, quand à luy, qu'il y eût aulcune aultre difficulté que celle de la personne de Monseigneur pour le contantement de sa Mestresse; et qu'il estoit bien ayse de m'ouyr parler si confidemment, comme je faysois, de luy et de sa belle disposition, et de ce qu'il sembloit que j'eusse, soubz mein, faict toucher à la dicte Dame que la Royne, vostre mère, m'en avoit de nouveau escript aulcunes particullaritez qui l'avoient fort contantée; et qu'il estoit bien d'advis que je conférasse de ces propos de Me Randolphe avec le comte de Lestre, comme, Sire, je suis après à le fère, le plus tost que je pourray. Et cepandant le dict comte m'a mandé qu'il avoit conjuré le dict Me Randolphe de se déporter bien et sagement en ceste commission, et de se donner bien garde que, par luy, le propos ne vînt en pires termes qu'il n'estoit à présent; car, par cy après, l'on luy feroit plus parfaictement cognoistre, qu'on ne faisoit maintenant, combien ce mariage estoit nécessayre. Et ainsy, Sire, comme je n'ay pas cogneu, pour ce coup, rien de contrayre à ce propos, par ces troys personnages, aussy n'ay je rien ouy d'eux, où je puisse mettre plus de fondement que devant; mais je mettray peyne de les approfondir tousjours davantage, affin que, d'heure en heure, je vous puisse donner plus de lumyère de leur intention. Cependant, Sire, l'on me veult faire accroyre que les deux chasteaulx, de Humes et de Fastcastel, en Escosse, ont esté remis ez meins des Escossoys; dont, pour en sçavoyr mieulx la vérité, et pour entendre de l'estat du reste du pays, duquel l'on m'a dict que les choses sont fort près de retourner à quelque altération, à cause que le comte de Morthon n'a voulu rendre les sceaulx et estat de chancellier au comte de Honteley, ains l'a baillé à ung aultre jeune milord son parant, j'ay dépesché, par mer, ung homme exprès par dellà, et ay escript à quatre seigneurs du pays, desquelz j'espère que j'auray bientost leur responce. Et sur ce, etc. Ce VIe jour de novembre 1573. CCCLe DÉPESCHE --du XIe jour de novembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Charles de Bouloigne._) Conférence particulière de l'ambassadeur avec Leicester sur la négociation du mariage. AU ROY. Sire, pour le desir que j'ay eu de parler au comte de Lestre, sur l'occasion que j'ay desjà escripte à Vostre Majesté, je l'ay envoyé prier de me donner la commodicté que je le peusse aller entretenir ugne heure en son logis, et il m'a uzé ceste courtoysie de me venir trouver fort privéement au mien; où, après que je luy ay eu donné compte des nouvelles de France, et de la ferme dellibération que Vostre Majesté a de fère observer l'édict de la paix, et comme toutz ces faulx bruictz, qui avoient couru, icy, qu'on eût maltraicté ceulx de la nouvelle religion, depuis la réduction de la Rochelle et de Sanserre, estoient faulx; et que je le pryois de garder la mémoyre de ce que Mr le mareschal de Retz luy avoit dict de vostre bonne intention à la paix et au repos de la Chrestienté, et de celle de Monseigneur à l'observance des loix et ordres de ce royaulme; et qu'il ne se trouveroit, pour chose qui peût jamays advenir, qu'il y eût manquement ez parolles et promesses de Vostre Majesté; et luy ayant, au reste, satisfaict à des particullarités, qu'il m'a demandées, du voyage du Roy de Pouloigne, vostre frère, je l'ay infinyement remercyé de trois bons offices que je sçavois qu'il avoit faictz: l'ung, d'avoyr confirmé, plus que nul aultre de ce royaulme, les remonstrances de Mr le mareschal de Retz touchant la justiffication de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et des vostres, sur les évènementz de St Barthèlemy, et avoyr osté, aultant qu'il a peu, à ceulx de ceste court et aulx principaulx de ce royaulme, la malle impression qu'ilz en avoient; le segond, de ce qu'il avoit instruict et bien informé Me Randolphe au faict de sa commission en France; et le troysiesme estoit d'aulcunes siennes, bonnes et favorables, démonstrations, vers la Royne d'Escosse; et qu'il s'assurât que, prenant ainsy à cueur, comme il faisoit, les choses qui concernoient, icy, Vostre Majesté, il fortiffieroit ung party, duquel, avec le bien et seureté de la Royne, sa Mestresse, et de ceste couronne, il s'acquerroit ung perpétuel refuge pour luy; oultre que, présentement, et à l'advenir, Vostre Majesté en auroit une non petite recognoissance. Et me suis de tant plus efforcé, Sire, de luy rallumer l'affection que, de longtemps, luy et les siens ont eu à la France, que je sçavoys qu'il estoit bien fort praticqué et très instamment sollicité d'ailleurs, et que l'homme, retourné d'Allemaigne, et ung adjoinct, qu'il a prins en Flandres, estoient ordinayrement après luy. Et puis je luy ay touché ces difficultez que Me Randolphe m'avoit déduictes, et comme j'avoys trouvé bon d'en conférer avecques luy, premier que de les escripre, affin que je ne les fisse prendre en plus de considération qu'il ne jugeroit que Vostre Majesté les deût avoyr. Et pense, Sire, n'avoyr rien obmis de ce qui a peu servir à bien fort encourager le dict comte vers la conclusion du bon propos, et à n'y admettre plus une seule sorte de longueur ny de remise. Et il m'a respondu, Sire, qu'il avoit ung très grand plésir d'entendre que ces nouvelles, qu'on avoit publiées, d'ung renouvellement de trouble et d'ung maulvais traictement en France, contre ceulx de la nouvelle religion, fussent faulces; et remercyoit Dieu qu'il se cognût, de plus en plus, que la dellibération de Vostre Majesté estoit très ferme à l'observance de son édict; et que, de sa part, il avoit receues pour très justes et légitimes les occasions que Mr le mareschal avoit déduictes de l'accidant de Paris, et pour telles les avoit imprimées à toutz ceulx qu'il avoit peu; et qu'il me pouvoit assurer, Sire, qu'il vous avoit regaigné ung grand nombre des plus notables de ce royaulme, qui estoient fort alliennés de Vostre Majesté; qu'il voudroit, de bon cueur, que ces aultres nouvelles qu'on avoit semées de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, comme il estoit sorty de sa dernière maladye aussy jaulne que cuyvre, tout bouffy, deffiguré, bien fort petit et mince, fussent pareillement faulces; et qu'il me vouloit bien dire que j'avoys faict ung service fort à propos, et qui avoit esté fort agréable à sa Mestresse, d'avoyr si confidemment assuré, comme j'avoys faict, tout le contrayre; et que j'eusse monstré des lettres de la Royne, vostre mère, à cest effect, lesquelles se rapportoient à ce que le docteur Dail en avoit aussy escript, qui en parloit bien en la plus advantageuse façon qui se pouvoit dire; et que c'estoit quelqu'ung, qui avoit naguères veu Mon dict Seigneur, qui avoit semé ce meschant bruict. Dont, en l'assurance de ce que Mr le mareschal avoit dict, sur son honneur, que la personne de Monseigneur se trouveroit d'une parfaicte et belle disposition, pour debvoir playre à quelque princesse que fût au monde, il avoit bien voulu soigneusement advertyr le dict Me Randolphe qu'il n'eût à rapporter que la vraye vérité de ce qu'il verroit; ce qu'il pensoit qu'il le feroit sans doubte, bien qu'à dire vray il eût desiré qu'ung mieulx incliné, que luy, eût faict le voyage; et que, pour le regard des difficultez qu'il m'avoit alléguées, que je creuse qu'elles procédoient de sa passion, et non qu'il les eût ouyes de Sa Majesté, icy, ny d'eulx de son conseil, ny d'aulcun des grandz, ny encores du commun de ce royaulme; car toutz universellement desiroient le mariage de leur princesse. Bien failloit que je me recordasse comme l'on avoit advisé de réserver toujours quelque difficulté, affin qu'on n'eût à toucher à celles de la personne, au cas que le mariage ne vînt à effect, mais il me promectoit, devant Dieu, qu'à présent il n'en sçavoit nulle aultre que celle là seule, et qu'il trouvoit que la dicte Dame estoit, plus qu'elle ne fut oncques, bien disposée à ce propos. Et me vouloit advertyr, en secret, que Me Randolphe, au prendre congé d'elle, luy avoit demandé s'il n'uzeroit pas de quelques termes froidz, en France, pour elloigner le dict propos, au cas qu'il trouvât que Mon dict Seigneur le Duc ne fût pour luy complayre; et qu'elle luy avoit respondu qu'elle l'avoit choysy comme son œil, en ceste commission, et qu'elle luy enchargoit, sur sa loyaulté, de luy rapporter le plus fidelle et certein pourtraict de Monseigneur qu'il luy seroit possible, et qu'il se gardât bien de dire ou fère chose, par où l'on peût arguer qu'elle voulût réfroidir ou elloigner le dict propos; et que le dict sieur comte, pour son regard, engagoit à Dieu et à Vostre Majesté sa foy et son honneur qu'il s'efforceroit, de tout son pouvoir, de conduyre cest affère au bon effect que desiriez, sellon qu'il cognoissoit que c'estoit le bien et conservation de sa Mestresse, et le repos de son royaulme; et que si, d'avanture, il ne le pouvoit fère, il supplyoit très humblement Vostre Majesté de croyre qu'il n'auroit tenu à luy, ny à nul office et bon debvoir, qu'il y auroit peu fère; et qu'en toutes sortes il avoit à rester le plus parcial françoys qui fût en ce royaulme. Et a confirmé cella, Sire, par le récit d'aulcuns aultres privés accidentz; desquelz, parce que je les sçay estre vrays, les ayant cy devant bien advérez, et que la façon du dict sieur comte a esté toujours de se monstrer froid, quand il a senty que l'affère alloit froydement, et chault quand il l'a veu aller bien, je prens opinyon qu'il m'a parlé ceste foys d'ung cueur fort ouvert, et bien fort déterminé à la conclusion du dict affère. Dont j'ay employé les meilleurs et les plus exprès termes, que j'ay peu, pour luy gratiffier bien fort sa bonne volonté; et l'ay assuré que, sur la confience de ce qu'il me venoit de dire, et de promettre, et, nonobstant les rescentes difficultez de Me Randolphe, je persuaderoys, aultant qu'il me seroit possible, Voz Majestez Très Chrestiennes de continuer vostre poursuyte, sellon l'honnorable façon qu'aviez commancé. Or, Sire, j'ay apprins d'ailleurs, et de fort bon lieu, que certeynement l'Empereur a escript, par Me Estrange, à ceste princesse, pour le mariage d'elle avec le prince Ernest, son segond filz; et que le duc d'Alve y a adjouxté une sienne lettre à la dicte Dame, et d'aultres lettres à aulcuns seigneurs de ce conseil, par où il inciste bien fort qu'on ne se haste de conclurre le party de Monseigneur, frère de Vostre Majesté, sans avoyr sceu qu'est ce qu'on veut proposer pour l'aultre; et que, du premier jour, s'il plaist à la dicte Dame, elle aura des ambassadeurs, de bien bonne qualité, vers elle, pour cest effect, qui luy feront cognoistre que le dict prince Ernest, sans comparaison, luy est, en toutes sortes, plus advantageus et sortable mary, que Mon dict Seigneur vostre frère. Sur ce, etc. Ce XIe jour de novembre 1573. CCCLIe DÉPESCHE --du XVIIIe jour de novembre 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Audience.--Maladie du roi.--Voyage du roi de Pologne.--Détails sur la mission de Me Randolf.--Nouvelles d'Écosse.--Maladie grave du prince d'Écosse, bruit de sa mort.--Crainte que les Anglais ne veuillent faire périr, par le poison, Marie Stuart et son fils. AU ROY. Sire, au retour du Sr de Vassal, je suis allé trouver la Royne d'Angleterre, à Grenvich, pour luy compter des nouvelles de Vostre Majesté, luy dire l'accidant qui vous estoit survenue de la petite vérolle, bien que l'eussiés eu une aultre foys, et que, pour cella, vous n'aviez point senty d'accès de fiebvre, et mesmes estiés desjà, grâces à Dieu, si advancé de guérir que vous espériez de n'avoyr à discontinuer vostre chemin de Metz, pour tousjours convoyer le Roy de Pouloigne, vostre frère, jusques à la frontyère. Et là dessus, Sire, et sur la résolution, que le Roy de Pouloigne a faicte, de partir en ce grand cueur d'hyver, et sur ce que l'Empereur et les Estatz et princes de l'Empire vous ont, par décret général, et encores ung chacun, à part, envoyé offrir aultant de seureté pour son passage comme vous en avez desiré, et plus encores et avec plus de faveur que ne le leur avez demandé, je l'ay longuement entretenue. Puis, suis venu à luy parler du faict de Monseigneur le Duc, vostre frère, et, après, des aultres poinctz, qui estoient amplement desduictz, et par ung bon ordre, en vostre lettre du premier de ce moys, de sorte qu'il ne luy en a esté rien obmis, ny mesmes de la satisfère de plusieurs aultres particullaritez de Voz trois Majestez Très Chrestiennes, et du Roy de Pouloigne, et de Monseigneur vostre frère, et encores des choses de vostre royaulme, sellon qu'elle m'en a interrogé, et sellon que je luy en ay peu donner compte par le rapport du dict Sr de Vassal. Elle m'a respondu, en premier lieu, qu'elle ne prenoit pour petite grâce de Dieu qu'elle n'eût sceu vostre mal, sinon après qu'il estoit desjà passé, ny à peu de faveur, de Vostre Majesté, que luy eussiez ainsy particullièrement faict entendre quel il estoit, et comme il vous estoit venu, car l'ung luy avoit espargné ung grand ennuy, et l'aultre luy tesmoignoit une vostre fort singullière bienvueillance, dont en vouloit à Dieu rendre sa louenge, et ung fort exprès grand mercys à Vostre Majesté; et qu'elle vous prioit de croyre qu'elle ne se santiroit jamays moins esmue à plésir pour vostre prospérité, ny à moins de déplaysir pour vostre mal, que si elle vous estoit germayne et vrayement naturelle seur; que c'estoit une maladye qui trompoit souvent le monde, car pensantz d'en estre quictes, pour l'avoyr eue une foys, ilz ne se donnoient de garde qu'elle les reprenoit encores deux et troys foys, quand ilz s'eschauffoient trop, ou pour une trop soubdeinne mutation de froid et de chault, et qu'elle mesmes l'avoit eue deux foys, et desiroit, de bon cueur, que vous en sortissiés aussy quicte comme elle avoit faict, car ne luy avoit layssé ung seul vestige au visage; et que, de ceste espèce de mal, revenoit ordinayrement ce bien, qu'il apportoit une grande purgation et ung grand advancement de santé à ceulx qui l'avoient; qu'elle estimoit que les mèdecins ne vous permettroient, de beaucoup de jours, de sortir de la chambre, parce que l'air froid vous seroit fort dangereulx; dont, à son advis, laysseriés au Roy de Pouloigne, vostre frère, de continuer seul son voyage, sans l'accompaigner plus avant, ou bien luy mesmes, pour attendre vostre parfaicte guérison, et pour laysser passer ce grand yver, diffèreroit son partement jusques à l'entrée du primptemps, bien que, ny le froid ny la longueur du chemin luy pourroient sembler griefz, allant prendre possession d'ung si grand royaulme, et qui luy estoit si heureusement advenu; qu'elle se resjouissoit de l'honneste debvoir, dont l'Empereur et les princes d'Allemaigne uzoient pour la seureté de son passage, et qu'en cella ilz simbolisoient toutz avec elle; que, pour le regard du propos de Monseigneur le Duc, elle voyoit bien qu'elle entroit, de jour en jour, en plus d'obligation vers Voz Majestez Très Chrestiennes, et vers luy, pour vostre persévérance vers elle, et qu'elle avoit envoyé Me Randolphe en France pour satisfère à toutz les poinctz qui avoient esté arrestez entre elle et Mr le mareschal de Retz; dont falloit attendre son retour, pour ne rien changer de ce bon ordre, et que, ny en la commission qu'elle luy avoit donnée par dellà, ny en chose qui peût ensuyvre après, Vostre Majesté ne trouveroit qu'elle uzât d'ung seul trêt de longueur ny de simulation. Et s'est eslargie en plusieurs propos, là dessus, pour protester de sa sincérité en cest endroict, et de vouloir bien pourvoir que, venant Mon dict Seigneur vostre frère par deçà, il n'y puisse voyr, ny ouyr, chose qui ne luy soit de satisfaction. Puis, s'estant enquise de l'occasion du retour de la Royne, vostre mère, et du Roy de Pouloigne, à Paris, et du renforcement des garnisons qu'avez faictes venir en Picardye, desquelles a monstré qu'on les luy faisoit avoyr suspectes; et m'ayant demandé des choses de Languedoc et Daulfiné, je luy ay respondu à tout, en la façon que je le pouvois sçavoir. Et, après cella, luy ayant faict voyr la lettre que Monseigneur, vostre frère, m'escripvoit, du dict premier de ce moys, avec quelques honnestes propos de sa dévotieuse affection vers elle, lesquelz elle a monstré d'avoyr bien fort agréables, je me suis licencié d'elle. Et me suis arresté encores, envyron demye heure, vers les seigneurs de son conseil, pour leur parler des mesmes choses que j'avoys faict à leur Mestresse; qui m'ont monstré, et espéciallement le grand trézorier et le comte de Lestre, qu'ilz demeuroient très affectionnés au bon propos de Monseigneur le Duc. Au surplus, Sire, entendant que, coup sur coup, estoient arrivés deux courriers d'Escoce, dont le premier apportoit nouvelles comme le petit Prince du pays estoit si extrêmement mallade qu'on espéroit peu de sa vye, et ne se publioit rien de la dépesche du segond, j'ay eu souspeçon qu'elle estoit faicte sur l'accidant de la mort; dont ay soubdein envoyé, de plusieurs costés, pour en apprendre la vérité, mais j'ay esté trois jours entiers sans qu'on m'en ayt rapporté que des conjectures semblables aulx miennes. Et, le quatriesme, envyron les dix heures de nuict, d'ung bon et notable lieu de ce royaulme, il m'a esté envoyé ung personnage de qualité pour me dire que, faulx ou vray que fût le bruict de la mort du dict Prince, je tînse pour chose certeyne qu'il se menoit, d'icy, une chaulde et très malheureuse praticque de le fère mourir, et qu'on s'en deschargoit à moy, comme ambassadeur de Vostre Majesté, pour y mettre le meilleur remède que je pourrois. Et, peu de jours auparavant, la Royne d'Escoce avoit trouvé moyen de m'advertyr, le plus secrettement qu'elle avoit peu, qu'on insidioit aussy à sa vye, et qu'elle me prioit de luy envoyer tout incontinent de bon mitridat et aultres préservatifz. Sur quoy, Sire, j'ay mis peyne de pourvoir, le plus promptement que j'ay peu, au besoing de la mère; et, quand au danger du filz, j'en ay mandé l'advertissement à Me Asquin par ung escousoys qui semble estre assez fidelle. Et depuis, j'ay seu, par advertissement de Lillebourg du VIe du présent, que le petit Prince se porte mieulx, et que le comte de Morthon s'efforce de persuader aulx seigneurs du pays qu'ils veuillent venir passer leur yver au dict Lillebourg, et qu'il dellibère d'aller, bientost après, vers le Nort, pour y réduyre le pays à son obéyssance; et que milord de Glames a esté faict chancellier du royaulme, et que milord de Humes traicte de rentrer dans ses deux chasteaulx, que les Angloys ont indubitablement rendus; ce qu'il espère d'obtenir, moyennant vingt quatre mille livres qu'il baillera au dict de Morthon; et que Melvin a été mis en liberté. Et j'entendz que le dict Morthon veult fère offrir à l'évesque de Roz de le remettre en toutz ses biens, pourveu qu'il quicte le party de sa Mestresse, ce que je ne puis croyre qu'il puisse jamays consentir. Icelluy de Roz a si bien sollicité, de son costé, et je luy ay tant assisté, de la faveur de Vostre Majesté, que sa liberté luy a esté enfin accordée, pour se retirer en France. Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de novembre 1573. CCCLIIe DÉPESCHE --du XXIIIe jour de novembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Suspension de la négociation du mariage jusqu'au retour de Me Randolf.--Affaires d'Écosse.--Délibérations sur le parti qu'il y aurait à prendre, en cas de mort du prince d'Écosse.--Nécessité d'envoyer de France un ambassadeur dans ce pays.--Sollicitations faites auprès de l'ambassadeur par l'agent de la Rochelle. AU ROY. Sire, par les deux dernières responces, que la Royne d'Angleterre et les seigneurs de ce conseil m'ont faictes, desquelles j'ay faict ample mencion à Vostre Majesté, le XVIIIe de ce moys, ilz m'ont bien faict cognoistre que leur résolution estoit de ne passer nullement oultre, en chose qui fût du propos du mariage, que Me Randolphe ne fût de retour; dont j'ay toujours esté, depuis, et seray encores, jusques à ce qu'il viegne, sans leur en toucher rien davantage. Et vous diray, icy, Sire, que, sur la nouvelle qui courut, il y a quinze jours, que le Prince d'Escoce estoit mort, ceulx icy prévoyantz que, d'ung tel accidant, se renouvelleroient de plus grandz troubles que jamays au dict pays, à cause de la compétence que les Amelthons et les Stuardz se font, les ungs aulx autres, sur la succession de la couronne, ilz s'assemblèrent en conseil pour ouvrir à leur mestresse des moyens et expédientz comme elle se pourroit entremettre bien avant en ce faict, sellon que, par quelque example, qu'ilz allèguent du passé, ilz veulent bien inférer que les roys d'Angleterre sont, encores aujourdhuy, au droict et possession de le pouvoir fère. Et y a danger, Sire, si le cas advenoit, qu'ilz se voulussent efforcer de fère tomber cest estat au jeune comte de Lenoz, oncle du dict petit Prince, au préjudice de la mère, qui est la vraye et naturelle princesse du pays. En quoy, pour l'importance que ce seroit à l'honneur et réputation de vostre couronne, qu'ung tel acte se passât, sans l'intervention du nom et de l'authorité de Vostre Majesté, j'estime, Sire, qu'il sera bon que faciez, de bonne heure, regarder en vostre conseil comme, en tout évènement, il auroit à y estre procédé de vostre part. Et tousjours semble il, Sire, qu'il est expédient qu'envoyez résider ung agent, ou ung ambassadeur, sur le lieu, sellon que je viens d'estre adverty que le Sr de Quillegreu s'appreste pour y aller, avec sa femme et toute sa famille, résider ambassadeur de la Royne d'Angleterre. Et croy qu'entre les occasions, pour lesquelles l'on haste sa dépesche, ceste cy, dont je viens de parler, est bien la principalle; mais aussy estimè je que son partement est aulcunement pressé pour aller pourvoyr au secours que le prince d'Orenge attend encores du dict pays, et pour y apporter de l'argent pour lever des gens de guerre, sellon que ung cappitayne escouçoys, qui se nomme Montgommery, lequel est, depuis huict jours, repassé icy de Ollande, de la part du dict prince, faict beaucoup de sollicitation et de dilligences pour luy en ceste court. L'agent de la Rochelle se trouve maintenant fort empesché de satisfère à ce qu'il avoit emprunté, icy, pour ceulx de sa ville, et pour les frays qu'à sa requeste aulcuns angloys disent avoyr faictz pour les secourir, durant le siège, de sorte qu'il en a esté plusieurs jours en arrest; et, enfin, ayant remis l'affère en arbitrage, le vidame de Chartres et le Sr de Languillier ont faict quelque difficulté d'en vouloir estre arbitres, si je ne le consentoys, creignant que je le fisse trouver maulvais à Vostre Majesté. Dont le dict agent m'est venu prier de le trouver bon, comme chose qui estoit conforme à vostre édict de paciffication, et qu'il ne pensoit estre tenu, envers les Angloys, pour toutes choses, que à quatorze ou quinze mille escus, mais que, s'ilz en demeuroient seulz les juges, il sçavoit bien qu'ilz feroient monter les frays à des sommes fort excessives et extraordinayres. Je luy ay respondu que je desiroys, de bon cueur, que ceulx de sa ville n'eussent jamays occasion d'emprunter ainsy de l'argent des Angloys, et que les Angloys ne leur en voulussent jamays plus prester, et que j'avoys faict tout ce que javoys peu pour empescher qu'il ne trouvât ceste somme, ny encores de beaucoup plus grandes que je sçavoys bien qu'il s'estoit efforcé d'emprunter; mais que, depuis l'édict de paciffication, Vostre Majesté ne m'avoit rien commandé de tout cella; dont je n'y adjouxteroys aussy ny mon consentement ny ma contradiction, si Vostre Majesté ne le me commandoit de nouveau. Et ainsy, je ne m'en suys pas plus avant entremis, et il pourvoit maintenant à son affère, comme il peut. Ceulx cy ont eu opinyon que Vostre Majesté n'avoit faict venir les compagnies de gens de pied, en Picardye, que pour quelque grand effect. Ils ont eu, depuis peu de jours, nouvelles d'Irlande comme le comte d'Essex y a receu une estrette, et que les naturelz du pays l'ont mis en beaucoup de nécessités. Sur ce, etc. Ce XXIIIe jour de novembre 1573. CCCLIIIe DÉPESCHE --du dernier jour de novembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._) Desir d'Élisabeth d'envoyer chercher des vins à Bordeaux.--Sollicitations faites auprès d'elle par le prince d'Orange.--Victoire remportée sur mer par les Gueux. AU ROY. Sire, ainsy que la Royne d'Angleterre estoit, mardy dernier, devisant avecques ses dames, en sa chambre privée, la gouvernante des filles devint soubdein mallade, et, à l'instant, mourut; de quoy s'estant la dicte Dame donnée peur, elle deslogea, dans une heure après, de Grenwich, avec bien peu de compagnye, et s'en vint en ceste ville de Londres, où elle est encores; et semble qu'elle y séjournera jusques à tant que Me Randolphe reviegne; duquel elle commence de s'esbahyr comme il tarde tant en son voyage, ou aulmoins que l'ambassadeur, et luy, ne luy font cepandant quelque dépesche, mais désormays elle a bien opinyon que ce sera luy, le premier, qui luy apportera des nouvelles: et jusques allors, Sire, il ne peult estre rien touché au propos, pour lequel il est passé par dellà. La dicte Dame m'a faict escripre, par Me Smith, qu'affin que, dorsenavant, elle puisse estre mieulx servie de vin de sa bouche, et pour sa mayson, qu'elle ne l'a esté, ces années passées, et aussy, pour soulager ses marchandz, elle dellibéroit de reprendre l'ordre que le feu Roy, son père, et ses prédécesseurs avoient accoustumé de tenir, c'est d'envoyer elle mesmes, de ses propres deniers, fère sa provision de vin à Bourdeaulx; dont elle me prioit de vouloyr bailler mon passeport à deux gentilshommes, officiers et serviteurs de sa maison, lesquels, à cest effect, elle y dépeschoit présentement par terre; et pareillement mes lettres au gouverneur, et à ceulx qui sont officiers pour Vostre Majesté à Bourdeaulx, pour les y fère bien recepvoyr, et pour y fère bien recepvoir aussy les navyres qu'elle y envoyera, qui auront les merques et enseignes d'Angleterre; affin que, tant à l'arryver, séjour, cargayson, que retour; ilz y puissent jouyr les anciennes libertés et privilèges accoustumés. Ce que ne luy ayant refuzé, j'ay, d'abondant, mandé au dict Me Smith que, par mes premières, j'advertirois Vostre Majesté d'escripre promptement et favorablement au dict Bourdeaulx, en recommandation de cest affère pour la dicte Dame. De quoy, Sire, je vous en supplye très humblement. Il semble qu'elle et ceulx de son conseil ayent quelque advertissement que le prince d'Orange commance d'estre abandonné de ses gens, de quoy ilz sont en bien fort grand peyne. Et ne sçay si le cappitayne Montgommery, escouçoys, qui est encores icy à solliciter les affères du dict prince, impètrera maintenant rien de troys poinctz, que principallement il y est venu réquérir: l'ung est que les Angloys vueillent cesser de tout traffic avec ceulx qui tiennent le party du dict duc d'Alve, et que le dict prince puisse déclarer de bonne prinse les navires, desquelz les chartes parties monstreront qu'ilz alloient ailleurs que là où l'on luy obéyt, sinon qu'ilz eussent congé et saufconduict de luy; l'aultre, que la dicte Dame et ceulx de son conseil vueillent fère haster les deniers, qu'ilz luy ont promis de fournir, pour fère une nouvelle levée de troys mille hommes de pied, et mille de cheval, en Escoce, affin qu'il les puisse avoyr toutz prestz du premier jour; et le troysiesme, qu'elle et iceulx de son conseil vueillent escripre au comte de Morthon de mettre en mer ung nombre de navyres, équippés en guerre, pour favorizer les affères du dict prince. Dont j'entendz que, pour ce dernyer, icelluy prince a desjà faict passer vingt mille florins en Escoce, mais, parce qu'on va temporisant, à ceste heure, icy, la dépesche de Me Quillegreu pour le dict pays d'Escoce, cella me faict accroyre que ceulx cy ne veulent se haster de rien qu'ilz ne voyent comme les choses succèderont en Flandres; joinct qu'il semble bien que, peu à peu, ilz sont venus à ne se trouver moins empeschés des Pureteins en ce royaulme, que en France des Huguenotz, et en Flandres des Gueulx; dont, vendredy dernier, s'est tenue une assemblée, en ceste ville, pour adviser des moyens expédientz comme les pouvoir contenir et réprimer. Et sur ce, etc. Ce XXXe jour de novembre 1573. Depuis ce dessus escript, est arrivé ung homme, qui dict venir de Fleximgues, lequel rapporte qu'il y avoit nouvelles comme les vaysseaulx du prince d'Orange avoient combatu la flotte, que le duc d'Alve envoyoit pour avitailler Middelbourg, et qu'ilz avoient eu du meilleur, et avoient prins vingt des meilleurs navyres de la dicte flote; ce que, si ainsy est, ne fault doubter que le dict prince n'impètre plus facillement les choses qu'il poursuivoit, icy, qu'il n'eût faict auparavant. CCCLIVe DÉPESCHE --du Ve jour de décembre 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par Nicolas de Malehape._) Audience.--Convalescence du roi.--Détails sur les adieux du roi et du roi de Pologne.--État de la négociation du mariage. AU ROY. Sire, j'ay, avec très grand plaisir, donné assurance à la Royne d'Angleterre, par vostre lettre du XIe du passé, que Vostre Majesté se portoit mieulx, et que desjà, grâces à Dieu, vous estiez quasy hors de vostre maladye, de quoy elle a faict une non petite démonstration d'estre infinyement bien ayse de ceste bonne nouvelle. Et soubdein, sans me laysser continuer davantage mon propos, m'a pryé de vous escripre que le bruict de vostre mal avoit couru plus grand jusques icy, et en nom, et qualité de plus dangereulx pour vostre personne, que je ne le luy avois premièrement dict, et qu'elle y avoit participé avec très grande douleur comme à ung accidant qu'elle estimeroit des plus malheureux qui luy peût advenir au monde; et que Dieu, qui voyoit son cueur, sçavoit qu'elle avoit pryé pour vostre convalescence, et que véritablement elle avoit pryé, et ne cesseroit de prier, avec le plus de dévotion qu'elle pourroit, pour icelle, jusques à ce qu'elle en eût plus de confirmation: car, à cause que Me Randolphe avoit escript qu'il vous avoit veu encores bien fort foyble, elle ne pouvoit que n'en fût beaucoup en peyne. De quoy je luy ay, de vostre part, Sire, gratiffié très grandement, et en la plus expresse façon que j'ay peu, ceste sienne bonne volonté. Et ay suivy à luy dire que je ne pouvois que bien espérer, et fère bien espérer à elle de vostre santé, parce que voz lettres m'en donnoient toute asseurance, bien que, à vray dire, elles me fesoient quelque mencion comme vous estiés encores ung peu foible, mais que c'estoit sans fiebvre, ny altération quelquonque; et néantmoins que, pour ne vous commettre si tost au vent et au froid, vous aviés esté contreinct vous despartir, plus tost que n'esperiés, du Roy de Pouloigne, vostre frère, et de laysser à la Royne, vostre mère, et à Monseigneur le Duc, vostre frère, et à la Royne de Navarre, d'accomplyr pour vous la dellibération qu'aviés faicte de l'aller convoyer jusques à la frontyère. Et me suis ung peu eslargy à luy racompter le congé qu'il a prins, et le poinct de l'adieu qu'avés dict à l'ung et à l'aultre, sellon la vifve expression que Mr Pinart m'en a faicte; qui, du profond regret et des larmes abondantes de Vostre Majesté, et de celles qu'il a veu jetter à ceulx qui estoient présentz, il a facillement provoqué non seulement les miennes, mais assez esmeu ceste princesse, en les oyant réciter. Laquelle a dict que cella monstroit combien toutz deux aviez le naturel bon et humein, et combien vostre norriture se manifestoit d'avoyr esté tousjours très louable et vertueuse; et qu'en son advis il ne s'estoit veu, de longtemps, en la Chrestienté, ung dire adieu plus royal et plus dolent, tout ensemble, ny qui plus eût layssé de regret à ceulx qui se despartoient; et néantmoins l'occasion estoit très honnorable et desirable au Roy de Pouloigne de s'en aller, et non moins honnorable à Vostre Majesté et à la Royne, sa mère, de le luy permettre; dont elle prioit Dieu qu'il peût rencontrer tant de bonnes fortunes par dellà, et Voz Majestez en ouyr bientost de si bonnes nouvelles, que toutz les regretz qu'il emportoit, et ceulx qu'il layssoit, en peussent estre oubliés. Puis, a suivy à dire que Me Randolphe, par ses lettres, s'efforçoit bien fort de s'excuser de ce qu'il n'estoit arryvé assez à temps, à Vitry, pour vous y trouver toutz quatre ensemble; néantmoins que Vostre Majesté l'avoit fort favorablement receu, et luy avoit mis à option d'aller suivre la Royne et Monseigneur le Duc à Metz, ou bien d'attandre leur retour, et qu'elle ne sçavoit lequel des deux il auroit faict; et qu'il n'avoit encores escript ung seul mot touchant le faict de sa principalle charge, où il y eût rien de substance, seulement qu'il creignoit de perdre la meilleure adresse qu'il eût en vostre court, si Mr le mareschal de Retz faisoit le voyage de Pouloigne, comme il s'apprestoit d'y aller. Et m'a la dicte Dame fort volontiers entretenu, plus d'une heure, en divers aultres propos de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de voz deux frères, et de se vouloyr, de plus en plus, confirmer en vostre amityé; et que, quoy qu'il adviegne du propos, dont vous la recherchiez, que vous la trouveriez, et toutz les vostres, très persévérante en l'amityé qu'elle vous avoit promise, et qu'elle la continueroit vers le Roy, vostre frère, plus parfaictement que ne l'avoit oncques eue, ny ses prédécesseurs aussy, avec nul aultre roy de Pouloigne. De quoy l'ayant bien fort remercyée, j'ay faict venir à propos de luy monstrer aulcuns poinctz des lettres, que toutz quatre m'aviez escriptes pour luy tesmoigner de mesmes vostre persévérance vers elle, et comme vous entendiés de procéder tousjours très sincèrement à vouloir qu'elle vît fort clèrement de vostre costé, et qu'elle fût entièrement satisfaicte de tout ce qu'elle desiroit de dellà; et que, s'il y restoit quelque chose à accomplyr, oultre le poinct qui estoit commis au dict Me Randolphe, que Vostre Majesté me commandoit de l'entendre d'elle et de ceulx de son conseil, affin qu'y peussiez pourvoyr avant son retour, comme aussy vous la pryez bien fort que, vous estant condescendu à toutz les poinctz qu'elle avoit desiré pour son advantage, elle ne voulût laysser plus aller vostre honneste pourchas en longueur, ny remises. Ce que, avec une fort agréable démonstration, elle m'a expressément promis qu'elle ne le feroit; et semble, Sire, que la disposition de ceste princesse ne sçauroit, à présent, estre meilleure qu'elle est vers la France. Il est vray qu'elle ne laysse d'estre instamment sollicitée, de l'autre costé, et luy a l'on faict tant de diverses remonstrances, sur l'arryvée du grand commandeur de Castille en Flandres, et sur la révocation que l'on estime qui s'ensuyvra bientost du duc d'Alve, et sur ce qu'il se continue que le Roy d'Espagne, avant peu de moys, pourra luy mesmes passer aulx Pays Bas, qu'elle a faict dépescher en Envers, le XXVIIe du passé, ung personnage d'assez bonne qualité, qui est mestre des marchandz de Londres, pour aller voyr comme les choses s'y passent. Sur ce, etc. Ce Ve jour de décembre 1573. CCCLVe DÉPESCHE --du XIIe jour de décembre 1573.-- (_Envoyée jusques à Calais par Odoard Paquentin._) Satisfaction montrée par Élisabeth de la convalescence du roi.--Nouvelles d'Écosse.--Exécutions faites en Suède et en Danemark des écossais auxiliaires.--Convocation d'une assemblée à Londres pour prendre une résolution à l'égard des puritains.--Nouvelles des progrès faits en Languedoc par les protestans qui ont repris les armes. AU ROY. Sire, j'ay mis la Royne d'Angleterre hors du doubte, où elle monstroit d'estre, de vostre convalescence, l'ayant assurée, par vostre lettre du XXIIIIe du passé, que vous estiés desjà remis en chemin, et venu à Chalon, pour vous rapprocher en çà, avec pleyne guérison, et avec une aultant bonne disposition, grâces à Dieu, de vostre santé que vous l'eussiez eue de longtemps; de quoy elle a monstré de se resjouyr bien fort, et de bon cueur, et en a loué et remercyé Dieu, comme dellivrée d'un pesant soulcy, où la peur de vostre mal l'avoit cy devant détenue. Elle a eu playsir de sçavoyr que son ambassadeur et Me Randolphe fussent arrivés à Nancy, et qu'ilz y eussent encores trouvé la Royne, vostre mère, de séjour, pour les ouyr, et pour se pouvoir, eulx, satisfère de ce qu'ilz desiroient voyr de sa compagnye. Dont la dicte Dame se promect maintenant qu'icelluy Me Randolphe sera bientost, icy, de retour. Le voyage de Me Quillegreu en Escoce est encores différé, et quasy ne s'en parle plus, parce que le Prince d'Escosse se porte bien; et le comte de Honteley ne monstre de prendre trop à cueur que milord Glames soit faict chancellier, ny n'apparoit qu'il y doibve pour cella avoyr d'altération au pays, s'y monstrant les choses assés tranquilles pour le présent. Il est vray qu'il est arrivé une malle fortune aulx Escouçoys, car aulcuns d'eulx qui alloient au service du roy de Dannemarc, ayantz, par temps contrayre, esté gettés en Suède, le roi de Suède les a faictz exécuter; et le roy de Dannemarc a faict le semblable de quelques aultres qui sont abordés en son pays, qui alloient servir le roi de Suède. L'on n'a peu encores prendre assez bon expédient sur le faict des Pureteins, et de ceulx qui troublent l'ordre de la religion receue en ce royaulme, seulement l'on en a mis quelques ungs des plus opinyastres en prison; mais, au quinziesme de ce moys, se doibt fère, de rechef, une grande assemblée, en ceste ville, pour y mettre une résolution. L'on a nouvelles, en ceste ville, du costé de la Rochelle, comme la paix y continue fort bien, mais que, en Languedoc, ceulx de la nouvelle religion sont si fortz qu'ilz ont assiégé Avignon. Le comte de Montgommery, depuis trois jours, s'est approché à quatre lieues d'icy, en ung lieu, où ses filles et petitz enfantz sont nourris avec la vefve du feu conseiller Fumer. Je ne sçay s'il s'approchera davantage. Je ne cesse d'assurer ceulx de voz subjectz de la dicte nouvelle religyon, qui sont encores par deçà, que vostre dellibération est d'establir fermement la paix en vostre royaulme, et d'y remettre les choses en ung estat tranquille et heureulx, pour le repos d'ung chacun, ainsy qu'elles l'ont esté du temps de voz prédécesseurs; de quoy ilz monstrent d'en estre bien fort ayses et d'en avoyr grande espérance. Et sur ce, etc. Ce XIIe jour de décembre 1573. CCCLVIe DÉPESCHE --du XVIIe jour de décembre 1573.-- (_Envoyée jusques à la court par Urbein Fougerel._) Audience.--Détails sur le voyage du roi de Pologne.--Mission de Me Randolf en France.--Négociation du mariage.--Soumission du comte de Montgommery. AU ROY. Sire, partant le postillon de Callays, d'icy, avec ma dépesche, du XIIe du présent, le courrier, qui m'a apporté celle de Vostre Majesté, du Ve, est arrivé; et, le deuxiesme jour après, je suis allé assurer, de rechef, la Royne d'Angleterre de vostre parfaicte et bien confirmée santé, et que vous la vouliés remercyer bien fort affectueusement du grand sentiment qu'elle avoit monstré avoyr de vostre mal. Et luy ay compté en quoy le Roy de Pouloigne estoit de son partement et voyage, et comme vous attandiez, de brief, le retour de la Royne, vostre mère, et de Monseigneur, vostre frère, vers vous; et que son ambassadeur et Me Randolphe avoient layssé une grande satisfaction de beaucoup de choses, de la part d'elle, à Voz Majestez, comme vous pensiés aussy qu'il n'en rapportoit pas de moindres à elle de la vostre; et que le séjour de Nancy avoit esté prolongé, de deux jours entiers, pour l'amour d'eux, et pour leur donner moyen qu'ilz veissent et ouyssent ce qu'ilz desiroient de la compagnye; et qu'à présent, ayant bien accomply leur commission, ilz estoient de retour à Paris, d'où bientost le dict Me Randolphe arriveroit vers elle, avec de si certeynes et vrayes enseignes de ce, pourquoy il estoit allé par dellà, qu'elle ne pourroit jamays plus doubter qu'il y deffaillît une seule de toutes les meilleures parties et perfections, qui se pouvoient souhayter en ung très accomply et bien fort desirable subject. Et ay estendu ces poinctz, ainsy restreinctz, en d'aultres propos beaucoup plus amples, sellon que j'en ay trouvé l'instruction très bonne et prudente ez lettres de Voz Majestez, et en celle, que Mr le mareschal de Retz m'a escripte, du XXVe du passé. A quoy la dicte Dame m'a respondu que nulle aultre nouvelle luy estoit plus agréable, aujourdhuy, au monde, que celle de vostre bon portement; et que, pour celuy là, n'espargneroit elle non plus ses meilleures et plus dévotes prières à Dieu qu'elle faysoit pour elle mesmes, comme chose, d'où elle vous supplioyt de croyre qu'il n'en venoit pas plus de soulagement à vous qu'elle en sentoit de repos en elle, et qu'elle vous supplioyt, Sire, d'avoyr vostre santé en singullière recommandation; que, pour le regard du Roy de Pouloigne, elle avoit grand plaisir qu'il trouvât maintenant, en Allemaigne, la faveur que l'Empereur et les Estats de l'Empire vous y avoient promise, pour la seureté de son passage; et que, sellon que toutes aultres choses luy avoient bien succédé jusques icy, elle jugeoit que son voyage seroit heureux, et que heureusement il seroit receu et estably en son royaulme; quand à Me Randolphe, qu'en une chose doncques se pourroit elle louer de luy, s'il avoit donné du contantement à Voz Très Chrestiennes Majestez, car c'estoit ce qu'elle luy avoit fort expressément commandé de fère, mais qu'en effect il ne s'estoit pas mis en beaucoup de debvoir de la contanter à elle, ayant tant faict le long, en chemin, qu'il n'avoit sceu arryver à Vitry, avant que la Royne, vostre mère, se départît de Vostre Majesté, et puis avoit failleu qu'il l'allât suyvre à Nancy, affin de publier davantage ce qui debvoit estre tenu secret, ny n'avoit, en deux moys qu'il avoit esté par dellà, jamays escript ung seul mot à elle, bien qu'il eût assez escript, à d'aultres de son conseil, tout ce qu'il luy avoit pleu; que, puisqu'il estoit si près d'arryver, qu'elle verroit ce qu'il apporteroit, et puis, elle et moy, en pourrions communicquer ensemble, et ne doubtoit nullement, veu les passées démonstrations, dont aviés tousjours uzé vers elle, qu'il ne luy apportât beaucoup de bonnes satisfactions de la part de Voz Majestez; que, pour le regard de Monseigneur le Duc, elle me vouloit bien renouveller ce que, d'aultrefoys, elle m'avoit dict, qu'elle n'estoit si curieuse de rechercher quelles perfections estoient en luy, bien qu'elle en fît quelque dilligence, comme elle creignoit qu'il trouvât trop d'ans, et trop d'aultres imperfections en elle; et qu'elle mettoit en grand compte qu'il couroit une très bonne réputation de sa vertu, et qu'il estoit de sang royal et d'une des plus illustres extractions de tout l'universel monde, car, avec ung, de telle qualité, avoit elle proposé de se maryer, si elle le debvoit jamays estre; et que le plus galant gentilhomme et le plus accomply, qui vive aujourdhuy entre les mortels, quand bien elle le pourroit avoyr, ne luy seroit jamays rien, s'il n'estoit de sang et mayson royalle. Et s'est mise à discourir, fort privéement et longuement, de toutz ces propos avecques moy, monstrant qu'après le retour du dict Randolphe, et, sellon les choses qu'elle entendroit de luy, elle se résouldroit de ce qu'elle debvroit fère en cest endroict. Néantmoins, Sire, pour obvier à toute longueur, et de tant qu'il fault tousjours que tout le pourchas viegne du costé des hommes, il vous plerra me commander si je incisteray maintenant à requérir le saufconduict de Monseigneur le Duc, et que la dicte Dame vous vueille fère une ouverte déclaration de son intention vers luy; ou bien au cas qu'y voyez plus intervenir aucune difficulté, ou bien quelque nouvelle remise, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, prendrés cella pour ung advertissement de ne debvoir plus donner, à elle, l'ennuy, ny à vous, la honte de jamays plus en parler. J'ay desjà communicqué avec milord trézorier de la bonne expédition qu'avez donnée à Me Randolphe, et ay disposé luy, et les aultres, que je cognoys bien affectionnés à ce propos, à l'observer et le fère si bien observer, à son arrivée, que j'espère qu'il n'ozera parler sinon ainsy qu'il doibt, et sellon la vérité des choses qu'il a vues et ouyes, et de celles qu'il rapporte de dellà. Le comte de Montgommery s'estant enfin approché en ceste ville, et, premier qu'il soit allé saluer ceste princesse, ny voyr pas ung des siens, il m'est venu trouver en mon logis; et, après s'estre fort curieusement enquis qu'est ce qu'il pouvoit espérer de vostre bonne grâce, et qu'il protestoit bien à Dieu de n'avoyr jamays eu aultre affection ny volonté que d'ung très loyal et fidelle subject vers le service de Vostre Majesté, il m'a allégué, pour la plus urgente occasion qui l'eût meu de prendre les armes en ces derniers troubles, et de n'avoyr voulu entendre à pas ung party qui luy eût esté offert pour son particullier, qu'il jugeoit bien ne luy pouvoir estre à honneur, ains qu'il luy fût tourné à estime du plus meschant homme, lasche et fally de cueur, qui fût au monde, s'il eût abandonné ceulx du party de sa religion, lorsqu'ilz se trouvoient les plus affligés et persécutés, et qu'ilz estoient poursuyvis et assiégés avec plus d'effort et de danger, et avec moins de secours qu'ilz eussent oncques eu; et que ce qu'il en avoit faict avoit esté seulement pour garantir soy et eulx, aultant qu'il pouvoit, jusques à ce qu'il eût pleu à Vostre Majesté prendre ung plus modéré expédient vers eulx; ce qu'estant depuis advenu, il me déclaroit qu'il vous vouloit entièrement rendre le debvoir d'obéyssance d'ung vray et naturel subject, et offrir sa vye et celle de ses enfantz, lesquelz, à cest effect, il m'avoit admenés, pour vostre service; et de desirer jouyr le bien et le béneffice de la paix, en vostre royaulme, soubz la protection et bonne grâce de Vostre Majesté. Je luy ay dict que j'avoys grand plaisir de le voyr en ceste bonne volonté, et que, si les choses estoient ainsy comme il disoit, qu'il n'eût attempté rien de plus extraordinayre contre la personne et l'estat de Vostre Majesté qu'avoient faict les aultres de sa religion, que je ne doubtois nullement qu'il ne peût jouyr, aussy bien qu'eulx, de la grâce et clémence de Vostre Majesté et du béneffice de vostre édict. Il m'a réplicqué qu'il vous supplyeroit doncques très humblement de luy en vouloir octroyer une déclaration particullière, sellon qu'il faysoit plus de besoing à luy qu'à ung aultre de l'avoyr; et m'en a baillé sa requête, laquelle je luy ay prié de la signer et de n'y mettre rien qui ne fût sellon l'édict; et luy ay promis de la vous fère tenir, et de luy en fère avoyr bientost la responce, comme je vous supplie très humblement, Sire, me la mander, et m'envoyer, par le premier, la provision et déclaration[24] qu'il vous plerra luy octroyer. Et sur ce, etc. Ce XVIIe jour de décembre 1573. [24] Cette déclaration, en date du 20 janvier 1574, est jointe aux _Mémoires de Castelnau_, t. III, p. 377. CCCLVIIe DÉPESCHE --du XXIVe jour de décembre 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._) Retour de Me Randolf à Londres.--Résolution du comte de Montgommery de se retirer à Gersey.--Inquiétudes causées en Angleterre par les puritains.--Affaires d'Irlande.--Nouvelle irritation d'Élisabeth contre Marie Stuart.--Autorisation donnée à l'évêque de Ross de passer en France. AU ROY. Sire, après avoyr faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre que Me Randolphe estoit licencié de Vostre Majesté, et s'estoit achemyné de Chalons, le Ve de ce moys, pour la venir retrouver, il s'est passé dix ou douze jours qu'elle n'a entendu aulcunes nouvelles de luy, de quoy elle n'a pas esté contante de son peu de dilligence. Et enfin il est arryvé, le jour de St Thomas, sur l'entrée de la nuict; et n'a poinct bougé, ce soyr, de son logis; mais, le bon matin, il est allé en court, où il a esté fort curieusement examiné sur le pourtraict; et puis m'est venu trouver pour me prier de remercyer très humblement Vostre Majesté du favorable traictement, qu'il vous avoit pleu luy fère recevoyr en France, trop meilleur qu'il ne l'avoit mérité, et plus grand qu'il ne l'eust sceu desirer, et que, ayant, pour cella, beaucoup d'obligation à vostre service, il satisferoit à son debvoir de rapporter fidellement à la Royne, sa Mestresse, et en ceste court, les choses qui résultoient de sa légation; car c'estoit ce en quoy il se pouvoit, à présent, monstrer vostre serviteur; et que desjà il y avoit donné tel commancement qu'il espéroit que son voyage ne réuscyroit, de toutes partz, inutille; et que, de tant qu'il n'avoit encores veu milord trézorier, à cause de son indisposition, il me prioit de l'excuser, s'il n'entroit plus avant en discours avecques moy, jusques à ce qu'il eût parlé à luy. Et ainsy m'a promis qu'il reviendroit une aultre foys. Cependant j'ay pourveu, Sire, par toutz les meilleurs moyens qu'il m'a esté possible, qu'il ne puisse, quand bien il le voudroit fère, rien changer ny déguyser de la vérité des choses; et ceulx qui le cognoissent m'assurent fort qu'il ne le fera pas, et qu'il dira franchement ce qu'il a veu, bien qu'il se soit assez faict remarquer pour ung de ceulx qui, depuis la St Barthèlemy, se sont plus formalizés et opposés à ce bon propos. Et suis bien marry que milord trézorier se trouve ainsy mallade maintenant, et si abbattu de la goutte et d'aultres indispositions, encores pires, dans son lict, qu'il ne peut donner ny le conseil, ny la conduicte à ce négoce, qu'il monstre bien qu'il voudroit fère. Je verray, le plus tost que je pourray, la dicte Dame pour, incontinent après, vous mander comme je l'auray trouvée satisfaicte de ce voyage de Randolphe. Le comte de Montgommery, avant partyr d'icy, m'est venu dire qu'elle l'avoit mis en propos de Monseigneur le Duc, et luy avoit semblé qu'elle avoit meilleure inclination vers luy qu'il ne cuydoit, dont luy avoit offert de rechercher, le pluz avant qu'il luy seroit possible, le fondz de l'intention qu'il pouvoit avoir vers elle, pour la luy fère sçavoyr, ce qu'elle avoit monstré d'avoyr fort à plaisir; et luy avoit dict qu'il estoit bien besoing que quelqu'ung le ramenteût, car bien peu, de ceulx d'auprès d'elle, parloient maintenant, icy, pour luy. Le dict de Montgommery, après avoir parlé deux foys à elle, et avoyr esté quatre jours en ceste court, il s'en est allé à Sion, une mayson de la dicte Dame, à huict mille d'icy, où il s'est retiré avec toute sa famille, et n'en bougera jusques à ce que je luy auray faict sçavoyr la responce de Vostre Majesté, après laquelle il dict avoyr obtenu de pouvoir aller habiter ez isles de Gersay et Grènesay; lesquelles ne sont qu'à sept ou huict lieues de sa mayson, d'où il pourra tirer ses commoditez, mais que ce a esté à très grand difficulté, que la dicte Dame et ceulx de son conseil le luy ont voulu concéder, tant ilz sont meffiantz depuis la paix; et n'a esté sans qu'il ayt desjà baillé son segond filz au comte de Lestre, pour estre nourry en l'escuyerye de la dicte Dame. Encores pensent aulcuns que ce a esté le cappitayne Leyton, gouverneur de Grènesay, qui luy a beaucoup aydé d'obtenir cette permission, parce qu'il prétend espouser une des filles du dict comte, qui est veufve, mais il semble qu'elle n'ayt aulcune volonté d'y entendre. Le faict des Pureteins est venu à tel poinct qu'on ne trouve voye ny moyen de les pouvoir bien accorder, et les évesques et curés crient que leurs églises vont, de plus en plus, en trouble, et en ung très grand désordre à cause d'eux, et ont defféré plus de mille cinq centz personnes de qualité, qui sont de ceste secte; mais, à cause de la maladye de milord trézorier et de Me Smith, l'on n'y touche rien. Chacun s'attand qu'à ce prochein parlement, de febvrier, il y sera mis bon ordre, avec punition exemplayre de quelqu'ung. Mr Walsingam a esté faict segond secrettayre d'estat et receu au conseil. L'on m'a dict qu'il est venu, de rechef, de fort maulvayses nouvelles à ceulx cy des choses d'Irlande, dont je ne sçay encores aultrement les particullaritez, sinon que le conseil a bien esté, ces troys jours passez, assemblé là dessus, et qu'on dict que, de nouveau, il sera bientost envoyé hommes, armes, argent et monitions, par dellà, pour renforcer l'entreprinse. Quelques ungs ont faict, en ceste court, de bien fort maulvais, et je croy que bien fort faulx, rapportz de la Royne d'Escoce, de façon qu'il y a danger que la Royne d'Angleterre, laquelle est tousjours en peur et en jalouzie de son estat, et plus de la Royne d'Escoce que de nulle aultre personne qui vive, se laysse aller à quelques maulvayses dellibérations contre elle, à ce prochein parlement; car, à ces fins, cognoys je bien que ses ennemys se sont meintenant resveillés contre ceste pouvre princesse; et ont si bien ulcéré le cueur de la dicte Royne d'Angleterre qu'elle n'a pas été plus picquée, ny offancée, des aultres choses les plus grandes, qui ont cy devant passé entre elles deux, qu'elle monstre de l'estre maintenant, encor que ce ne soit que pour parolles. Je mettray peyne de l'en advertyr en la meilleure façon que je le pourray fère, affin qu'elle, de son costé, et moy, d'icy, puissions divertyr, le mieulx que nous pourrons, le mal qui luy en pourroit advenir. L'évesque de Roz a obtenu pleynement son congé et passera du premier jour en France. Et sur ce, etc. Ce XXIVe jour de décembre 1573. CCCLVIIIe DÉPESCHE --du dernier jour de l'an 1573.-- (_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._) Audience.--Satisfaction montrée par Élisabeth de l'accueil fait à Me Randolf en France.--Instance de l'ambassadeur pour obtenir la réponse de la reine sur la négociation du mariage.--Nouvelle d'une entreprise tentée contre la Rochelle.--Autorisation donnée à l'évêque de Ross de passer en France. AU ROY. Sire, bien peu d'heures, après que Me Randolphe a eu faict son rapport et présenté le pourtraict à la Royne d'Angleterre, j'ay esté adverty qu'il avoit parlé à elle dignement, et en homme entier, des choses qu'il avoit veues et ouyes en France, sans en rien dissimuler, et l'avoit rendue beaucoup plus satisfaicte des principaulx poinctz de sa légation, et mesmement du plus principal, qu'elle ne l'espéroit; dont suis allé la trouver, avec l'argument de la lettre de Vostre Majesté que le dict Me Randolphe m'avoit apportée. Et, après aulcunes particullarités de la satisfaction, qu'il vous avoit donnée, de beaucoup de bons et honnestes propos que, par deux foys, à l'aller et au retour, il vous avoit tenus, de l'amityé que la dicte Dame vous portoit, et comme il vous avoit aussy trouvé d'une semblable et si entière affection vers elle que vous dellibériez manifester à toute la Chrestienté de n'avoyr moins à cueur son bien, son repos et sa grandeur, que la vostre propre, je suis venu à luy dire que je creignois bien fort que, pour le désordre où Me Randolphe avoit trouvé les choses, quand il estoit arrivé par dellà, à cause de l'indisposition de Vostre Majesté, et du partement du Roy de Pouloigne, vostre frère, et de ce voyage de Nancy, il n'eût veu rien d'assez bien préparé en vostre court, ny en la personne de Monseigneur le Duc, pour en pouvoir fère, icy, le rapport que Vostre Majesté desireroit; et mesmes que le pourtraict, lequel eût, possible, en quelque chose favorisé Mon dict Seigneur, s'il eût esté achevé à loysir, avec les colleurs et lustres qu'on y eût peu mettre, ne s'estoit trouvé à peyne commancé, dont estant apporté si frays faict, il estoit malaysé qu'il fût arryvé, icy, sans estre aulcunement gasté et mal condicionné; mais que sçavoys bien aussy que le desir de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, estoit qu'elle vît clèrement, et quasy à nud, en l'offre que luy aviez faicte de vostre frère, affin qu'elle s'assurât mieulx de ce qui en estoit, et ne trouvât rien que redire en vostre sincérité; dont la suppliois de prendre le tout de bonne part, et croyre que aulmoins n'y avoit il rien de feinct, ny de déguysé, de vostre costé. La dicte Dame, d'ung visage fort contant et joyeulx, m'a dict que, si jamays elle avoit eu besoing de l'office d'ung gentilhomme, qu'elle recouroit maintenant à moy, pour luy ayder à remercyer infinyement Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, des grandes et bien fort remarcables satisfactions qu'il vous avoit pleu luy mander par Me Randolphe; lesquelles elle recognoissoit qui partoient de la mesmes source d'honneur, dont aviés tousjours uzé vers elle, depuis qu'aviés commancé de pourchasser son allience, et que c'estoient des neudz bien serrés, par où vous l'attachiez, de plus en plus, à vostre obligation, et luy faysiez prendre tant de seureté de vostre amityé, qu'elle ne feroit nulle difficulté d'y assoyr dorsenavant sa meilleure confience; et qu'elle ne mettoit en petit compte ce qu'il vous avoit pleu renvoyer si honnoré et bien traicté, et si abondamment gratiffyé, comme vous aviez faict, le gentilhomme qu'elle vous avoit envoyé; lequel auroit à se louer, toute sa vye, de Vostre Majesté; et elle à vous en debvoir une grande obligation, car n'y avoit chose qui peût estre plus à son gré au monde, que de voyr fère quelque sorte de faveur aulx siens, pour l'amour d'elle; et qu'aulmoins me pouvoit elle assurer qu'en une chose s'estoit il efforcé bien fort de s'en monstrer recognoissant, c'est que, dès son arrivée, il avoit commancé et ne cessoit, ny pouvoit mettre fin de dire plusieurs choses à la grande louange et grande réputation de Voz Majestez Très Chrestiennes, et de Monseigneur, et qu'il n'estoit possible qu'on peût parler plus honnorablement de quelques aultres princes qui fussent au monde, qu'il faysoit de tous troys; et que, par une parcelle d'ung de ses propos, lequel elle me vouloit réciter, je pourrois juger quelz pouvoient estre les aultres: et que c'estoit touchant Monseigneur, duquel, après avoyr rapporté tout ce qui se peut de bien d'ung prince, il avoit adjouxté qu'il ne vouloit pas fère ung si hault jugement de dire qu'il fût digne d'estre mary et espoux de la dicte Dame, qui estoit sa Royne et sa Mestresse, mais qu'il vouloit bien assurer qu'il n'estoit indigne de l'estre de quelconque princesse que ce fût, et fût elle Dame du plus grand et plus riche estat de tout le monde; et qu'elle croyoit fort fermement qu'il estoit ainsy, sellon les bons et grandz tesmoignages qui estoient toutjour venus, et qui venoient ordinayrement, de luy; et lesquelz luy estoient, à présent, si notoyres, qu'elle ne pensoit avoyr à fère plus aulcune sorte de recherche en cella; et qu'à elle touchoit maintenant de respondre à l'entrevue et saufconduict que luy aviés demandé: dont y penseroit, durant ces fêtes, et en communicqueroit avec ceulx de son conseil, pour, incontinent après, m'en fère sçavoyr sa responce. J'ay réplicqué que cest affère avoit esté toujours prins par elle, avec aultant de loysir comme elle avoit voulu, et elle avoit eu du temps beaucoup pour la considérer, dont j'espéroys qu'elle ne voudroit remettre à ung aultre jour de m'y respondre, et qu'aulmoins la priois je de me dire si, ce pendant, je vous en pourrois escripre quelque mot de bonne espérance. Elle m'a respondu que le terme ne seroit long, et qu'elle m'useroit lors d'ung langage si cler que je verrois bien qu'il n'y auroit ny remise, ny ambiguyté, et que, ayant, Vostre Majesté, procédé d'ung très grand honneur vers elle, elle s'estimeroit n'en avoyr poinct, si elle n'uzoit de mesmes vers vous; et pourtant vous prioit de croyre que, quelle yssue que prînt l'affère, elle feroit qu'elle seroit très honnorable. Je pourchasseray doncques, Sire, le plus dilligemment que je pourray, la dicte responce, et travailleray, en tout ce qu'il me sera possible, qu'elle vous soit faicte bonne. Sur ce, etc. Ce XXXIe jour de décembre 1573. Depuis ce dessus, il est venu nouvelles de la Rochelle comme l'on y a descouvert une praticque qu'on y menoit pour surprendre la ville[25], ce qui a troublé ung peu ceulx de voz subjectz de la nouvelle religion qui sont icy; mais je mettray peyne de les rassurer, et de fère que ceste princesse et les siens ne s'en troublent, attandant de sçavoyr au vray ce qui en est par les procheynes lettres de Vostre Majesté. [25] Biron, Du Lude, Landereau et Puy-Gaillard ayant été chargés par Catherine de Médicis de surprendre la Rochelle, avaient traité avec Jacques Du Lyon, qui s'était engagé à leur livrer la ville. Le complot ayant été découvert, Du Lyon fut tué dans sa maison de campagne, et un grand nombre de ses complices, entre autres, La Zardonière, Planta, Turgier et Salis, tous capitaines de compagnies des grisons, furent condamnés et mis à mort. Guillaume Gui Le Taillon, qui avait été maire de la Rochelle, eut la tête tranchée. Biron et Puy-Gaillard retirèrent les troupes qu'ils avaient fait approcher. Cette entreprise fut le signal d'une nouvelle guerre civile. FIN DU CINQUIÈME VOLUME. TABLE DES MATIÈRES DU CINQUIÈME VOLUME. ANNÉE 1572.--SECONDE PARTIE. Pages 254e _Dépêche_.--3 juin.-- AU ROI. 1 Négociation de Mr du Croc en Ecosse. _Ib._ Proposition du parlement. 3 Succès des gueux; prise de Valenciennes. 4 255e _Dépêche_.--5 juin.-- AU ROI. 5 Assurance pour Marie Stuart. _Ib._ Exécution du duc de Norfolk. 6 Nouvelles d'Ecosse. 7 A LA REINE. 8 Détails sur Marie Stuart et le duc de Norfolk. _Ib._ 256e _Dépêche_.--9 juin.-- AU ROI. 10 Préparatifs pour recevoir Mrs de Montmorenci et de Foix. _Ib._ Résolution contre Marie Stuart. _Ib._ 257e _Dépêche_.--17 juin.-- AU ROI. 12 Arrivée de Mrs de Montmorenci et de Foix. _Ib._ AU ROI. 14 Détails de la Négociation de Mrs de Montmorenci et de Foix. _Ib._ 258e _Dépêche_.--22 juin.-- AU ROI. 19 Audience sur la négociation du mariage. _Ib._ A LA REINE. 22 Détails particuliers sur cette négociation. _Ib._ 259e _Dépêche_.--28 juin.-- Négociation de Mrs de Montmorenci, de Foix et de La Mothe Fénélon, touchant le mariage du duc d'Alençon. 24 260e _Dépêche_.--1er juillet.-- AU ROI. 25 Négociation de Mrs de Montmorenci et de Foix. _Ib._ A LA REINE. 29 Explication sur la négociation du mariage du duc d'Anjou. _Ib._ 261e _Dépêche_.--5 juillet.-- AU ROI. 30 Audience. _Ib._ A LA REINE. 38 Conférence avec Leicester. _Ib._ 262e _Dépêche_.--10 juillet.-- AU ROI. 40 Retour du comte de Lincoln et de Me Smith. _Ib._ Clôture du parlement. 42 Résolution sur Marie Stuart. _Ib._ Affaires des Pays-Bas. 43 A LA REINE. 44 Négociation du mariage. _Ib._ 263e _Dépêche_.--15 juillet.-- AU ROI. 47 Audience. _Ib._ A LA REINE. 54 Négociation du mariage. _Ib._ 264e _Dépêche_.--20 juillet.-- AU ROI. 57 Conférence avec le comte de Lincoln. _Ib._ Irrésolution d'Elisabeth. 59 Affaires des Pays-Bas. 60 A LA REINE. 61 Négociation du mariage. _Ib._ 265e _Dépêche_.--22 juillet.-- AU ROI. 62 Négociation du mariage. 63 266e _Dépêche_.--29 juillet.-- AU ROI. 65 Audience. _Ib._ A LA REINE. 72 Conférence avec Leicester et Burleigh. 73 267e _Dépêche_.--3 août.-- AU ROI. 76 Arrivée de Mr de La Mole. _Ib._ Nouvelles des Pays-Bas. 78 268e _Dépêche_.--7 août.-- AU ROI. 79 Audience. _Ib._ 269e _Dépêche_.--11 août.-- AU ROI. 83 Négociation de Mr de La Mole. 84 Audience. _Ib._ Nouvelles des Pays-Bas. 88 270e _Dépêche_.--13 août.-- AU ROI. 89 Nouvelles d'Ecosse. _Ib._ 271e _Dépêche_.--28 août.-- AU ROI. 91 Audience. 92 Détails de la négociation de Mr de La Mole sur le mariage. _Ib._ A LA REINE. 108 Nouveaux détails. _Ib._ 272e _Dépêche_.--30 août.-- AU ROI. 112 Première nouvelle de la Saint Barthèlemy. _Ib._ Irritation des Anglais. 113 A LA REINE. 114 Ignorance complète de l'ambassadeur sur les explications qu'il doit donner. _Ib._ 273e _Dépêche_.--2 septemb.-- AU ROI. 115 Premiers détails de la Saint-Barthèlemy. 116 Mort de Coligni. _Ib._ Interruption des négociations. _Ib._ Demande de nouvelles instructions. 117 Exécution du comte de Northumberland. 118 A LA REINE. _Ib._ Suspension du commerce. 119 274e _Dépêche_.--14 septemb.-- AU ROI. 120 Vive irritation des Anglais contre la France. 121 Audience. Déclaration des motifs qui doivent justifier la Saint-Barthèlemy. 122 Même communication faite au conseil. 128 Horreur, inspirée à Londres par cette exécution. _Ib._ A LA REINE. 131 Efforts pour empêcher une rupture. 132 Danger de Marie Stuart. 133 275e _Dépêche_.--18 septemb.-- AU ROI. _Ib._ Efforts du roi pour arrêter les exécutions. 134 Preuves de la conspiration. _Ib._ Le comte de Montgommery réfugié à Jersey. 135 Armemens en Angleterre. 136 A LA REINE. _Ib._ Insultes faites à l'ambassadeur. 137 Difficulté de renouer la négociation du mariage. _Ib._ 276e _Dépêche_.--29 septemb.-- AU ROI. 138 Massacres d'Orléans, Lyon et Rouen. _Ib._ Audience. 139 Correspondance de Coligni. 140 Justification de l'amiral par Elisabeth. 142 Consentement d'Elisabeth à l'entrevue, à Douvres, pour le mariage. 147 A LA REINE. 149 Négociation du mariage. _Ib._ 277e _Dépêche._--2 octobre.-- AU ROI. 152 Armemens en Angleterre. 153 Refus de livrer Montgommery. 155 Nouvelles d'Ecosse. 156 Reproche fait à Marie Stuart. 157 A LA REINE. _Ib._ Négociation du mariage. 158 278e _Dépêche_.--7 octobre.-- AU ROI. 160 Maladie d'Elisabeth. _Ib._ Irritation croissante des Anglais. 161 Efforts des partisans de l'Espagne. _Ib._ A LA REINE. 165 Négociation du mariage. _Ib._ 279e _Dépêche_.--13 octobre.-- AU ROI. 164 Conférence avec Sussex, Leicester et Burleigh. 165 A LA REINE. 171 Négociation du mariage. _Ib._ 280e _Dépêche_.--18 octobre.-- AU ROI. 173 Réponses d'Elisabeth aux demandes du roi. _Ib._ Intrigues des Espagnols. 174 Nouvelles de la Rochelle. 175 Affaires d'Ecosse. 176 A LA REINE. 177 Négociation du mariage. _Ib._ Demande par l'ambassadeur de son rappel. 179 281e _Dépêche_.--28 octobre.-- AU ROI. 180 Massacres de Bretagne. _Ib._ Retour de Mrs Du Croc et de Vérac, venant d'Ecosse. 181 Nouvelles de France et des Pays-Bas. 182 A LA REINE. 183 Effet produit en Ecosse par la nouvelle de la Saint-Barthèlemy. _Ib._ 282e _Dépêche_.--2 novemb.-- AU ROI. 184 Audience. _Ib._ A LA REINE. 191 Détails particuliers de l'audience. _Ib._ 283e _Dépêche_.--4 novemb.--AU AU ROI. 194 Accouchement de la reine de France. 193 Consentement d'Elisabeth à être marraine de là fille du roi. _Ib._ 284e _Dépêche_.--9 novemb.-- AU ROI. 196 Intrigues des Espagnols. _Ib._ Départ de la flotte pour Bordeaux. 198 Reprise d'armes à la Rochelle. _Ib._ Retraite du prince d'Orange. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse; mort du comte de Mar. 199 285e _Dépêche_.--15 novemb.-- AU ROI. 200 Négociation des Espagnols. _Ib._ Sollicitations des protestans de France. 201 Nouvelles d'Ecosse. 203 286e _Dépêche_.--23 novemb.-- AU ROI. _Ib._ Audience. 204 Exécution de Briquemaut et Cavagnes. 205 Affaires de la Rochelle. 207 Nouvelles d'Ecosse et des Pays-Bas. 209 287e _Dépêche_.--29 novemb.-- AU ROI. 210 Légation du cardinal Orsini. _Ib._ Résolution d'Elisabeth. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 211 Arrivée de Mr de Mauvissière. 213 288e _Dépêche_.--4 décembre.-- AU ROI. 214 Audience. _Ib._ Mission de Castelnau de Mauvissière pour le baptême. 214 289e _Dépêche_.--10 décemb.-- AU ROI. 217 Audience. 218 Acceptation par Élisabeth du titre de marraine. _Ib._ Négociation du mariage. 220 290e _Dépêche_.--16 décemb.-- AU ROI. 222 Audience de congé de Castelnau. _Ib._ Armemens pour la Rochelle. 223 Succès du duc d'Albe. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse; le comte de Morton régent. 224 291e _Dépêche_.--23 décemb.-- AU ROI. 225 Désignation du comte de Worcester pour assister au baptême. _Ib._ Et du docteur Dale pour remplacer Walsingham. 226 Interruption des armemens. _Ib._ Nouvelles des Pays-Bas et d'Ecosse. 227 292e _Dépêche_.--25 décemb.-- AU ROI. 228 Reprise des communications privées avec Leicester. _Ib._ Préparatifs du départ du comte de Worcester. _Ib._ ANNÉE 1573. 293e _Dépêche_.--2 janvier.-- AU ROI. 229 Audience. _Ib._ _Mémoire._ Détails de l'audience. 230 294e _Dépêche_.--9 janvier.-- AU ROI. 233 Audience. _Ib._ Conférence avec Burleigh, Sussex et Smith. 234 Préparatifs pour la Rochelle. _Ib._ _Mémoire._ Détails de l'audience. _Ib._ 295e _Dépêche_.--15 janvier.-- AU ROI. 238 Départ de Worcester. _Ib._ Négociation des Pays-Bas. _Ib._ _Mémoire._ Réclamation des réfugiés; nouvelles de la Rochelle. 239 296e _Dépêche_.--22 janvier-- AU ROI. 241 Négociation de Worcester. _Ib._ Armemens. 242 Dessein des Anglais de s'emparer du prince d'Ecosse. 243 297e _Dépêche_.--25 janvier.-- AU ROI. 245 Secours pour la Rochelle. _Ib._ 298e _Dépêche_.--2 février.-- AU ROI. 246 Audience. 247 Plaintes contre les pirates et les armemens pour la Rochelle. _Ib._ 299e _Dépêche_.--8 février.-- AU ROI. 251 Crainte d'une entreprise secrète contre la France. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 252 300e _Dépêche_.--13 février.-- AU ROI. 253 Négociation secrète avec Burleigh. 254 _Mémoire._ Détails de la négociation. Plaintes au sujet d'un traité qu'Elisabeth aurait fait avec les protestans de la Rochelle. 255 301e _Dépêche_.--16 février.-- AU ROI. 258 Secours pour la Rochelle. 259 Négociation des Pays-Bas. _Ib._ 302e _Dépêche_.--21 février.-- AU ROI. 260 Armemens et projets de Montgommery. _Ib._ 303e _Dépêche_.--27 février.-- AU ROI. 262 Préparatifs de Montgommery. 263 _Mémoire._ Audience. _Ib._ 304e _Dépêche_.--3 mars.-- AU ROI. 267 Efforts de l'ambassadeur pour arrêter les projets de Montgommery. _Ib._ 305e _Dépêche_.--9 mars.-- AU ROI. 270 Retour de Worcester. _Ib._ Suspension des armemens pour la Rochelle. 271 Accord conclu en Ecosse pour reconnaître Jacques VI. 272 306e _Dépêche_.--13 mars.-- AU ROI. 273 Audience. _Ib._ Expédition de Montgommery. _Ib._ _Mémoire._ Détails de l'audience. 275 307e _Dépêche_.--19 mars. AU ROI. 280 Expédition de Montgommery. _Ib._ Mission de Mr de Chateauneuf. 281 Audience. _Ib._ _Mémoire au roi._ Détails de l'audience. 282 _Mémoire à la reine._ Négociation de Mr de Chateauneuf sur le mariage. 284 308e _Dépêche_.--31 mars.-- AU ROI. 286 Réponse d'Elisabeth sur la négociation du mariage. _Ib._ 309e _Dépêche_.--3 avril.-- AU ROI. 289 Négociation au sujet du mariage, et de Montgommery. _Ib._ Audience. 290 Affaires d'Ecosse. 291 Négociation des Pays-Bas. 292 310e _Dépêche_.--6 avril.-- AU ROI. 293 Expédition de Montgommery. _Ib._ Affaires d'Ecosse. 296 311e _Dépêche_.--13 avril.-- A LA REINE. 297 Audience. Négociation du mariage. _Ib._ Conférence avec Leicester et Burleigh. 302 _Mémoire au roi._ Détails de l'audience sur les affaires générales. 303 312e _Dépêche_.--17 avril.-- AU ROI. 306 Nouvelles de la Rochelle. 307 Traité entre l'Angleterre et l'Espagne. _Ib._ Affaires d'Ecosse. 308 313e _Dépêche_.--21 avril.-- AU ROI. 310 Départ de l'expédition de Montgommery. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 311 314e _Dépêche_.--26 avril.-- AU ROI. 312 Expédition de Montgommery. _Ib._ Affaires d'Ecosse. _Ib._ Lord de Lumley et les sirs de Stanley mis en liberté. 313 Nouvelles de la Rochelle. _Ib._ 315e _Dépêche_.--1er mai.-- AU ROI. 314 Audience. _Ib._ Expédition de Montgommery. _Ib._ Secours envoyés en Ecosse. 315 _Mémoire._ Détails de l'audience. _Ib._ 316e _Dépêche_.--8 mai.-- AU ROI. 320 Audience. 321 Retraite de Montgommery. _Ib._ Déclaration touchant l'Ecosse. 322 Desir du duc d'Alençon de passer en Angleterre. 324 Prise de Belle-Isle par Montgommery. 326 317e _Dépêche_.--12 mai.-- AU ROI. 327 Retour de Walsingham. _Ib._ Conférence avec Burleigh. 328 Nouvelles d'Ecosse. 329 318e _Dépêche_.--23 mai.-- AU ROI. 330 Audience. _Ib._ 319e _Dépêche_.--28 mai.-- AU ROI. 336 Réponse d'Elisabeth sur l'entrevue. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 337 320e _Dépêche_.--3 juin.-- AU ROI. 338 Audience. _Ib._ Élection du duc d'Anjou comme roi de Pologne. 341 Prise de Lislebourg. 344 A LA REINE. _Ib._ Compliment sur l'élection du duc d'Anjou. _Ib._ 321e _Dépêche_.--6 juin.-- AU ROI. 346 Affaires de la Rochelle. 347 Communication du prince d'Orange. _Ib._ 322e _Dépêche_.--9 juin.-- AU ROI. 348 Audience de congé de Mr de Vérac. _Ib._ 323e _Dépêche_.--17 juin.-- A LA REINE 350 Négociation du mariage. _Ib._ Mission du capitaine Orsey. 352 324e _Dépêche_.--20 juin.-- AU ROI. 353 Déclaration de Burleigh sur les affaires de France. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 355 325e _Dépêche_.--22 juin.-- AU ROI. 356 Audience. _Ib._ Offre faite par la reine de sa médiation. 358 326e _Dépêche_.--27 juin.-- AU ROI. 361 Assaut donné à la Rochelle. 362 Nouvelles d'Ecosse et des Pays-Bas. _Ib._ 327e _Dépêche_.--3 juillet.-- AU ROI. 363 Blessure du roi de Pologne. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 364 Mission de Mr Duverger auprès de Marie Stuart. _Ib._ 328e _Dépêche_.--7 juillet.-- A LA REINE. 365 Audience. _Ib._ _Mémoire._ Détails de l'audience. 366 329e _Dépêche_.--12 juillet.-- AU ROI. 370 Audience. _Ib._ Paix conclue en France. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 373 330e _Dépêche_.--20 juillet.-- AU ROI. 374 Retour du capitaine Orsey. 375 Affaires d'Ecosse. _Ib._ _Mémoire._ Détails d'audience. 376 _Avis à la reine._ Mécontentement de Leicester. 378 331e _Dépêche_.--26 juillet.-- AU ROI. 380 Conférence avec Burleigh. _Ib._ 332e _Dépêche_.--31 juillet.-- AU ROI. 383 Expédition du comte d'Essex en Irlande. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. 384 333e _Dépêche_.--5 août.-- AU ROI. 385 Inquiétudes des Anglais. _Ib._ 334e _Dépêche_.--9 août.-- AU ROI. 387 Armemens à Londres. _Ib._ Audience. 388 _Mémoire._ Détails de l'audience. 389 335e _Dépêche_.--14 août.-- AU ROI. 391 Nouvelles de Flandre. 392 Exécutions en Ecosse. _Ib._ Mission près de Marie Stuart. _Ib._ 336e _Dépêche_.--20 août.-- AU ROI. 393 Négociation du mariage. 394 Sollicitations de Marie Stuart. _Ib._ 337e _Dépêche_.--25 août.-- AU ROI. 396 Négociation du duc d'Albe. _Ib._ Affaires d'Ecosse. 397 338e _Dépêche_.--31 août.-- AU ROI. 398 Audience. _Ib._ 339e _Dépêche_.--4 septemb.-- AU ROI. 401 Soupçon contre Montgommery. 402 Nouvelles d'Ecosse. _Ib._ 340e _Dépêche_.--20 septemb.-- AU ROI. 403 Négociation du maréchal de Retz. _Ib._ 341e _Dépêche_.--25 septemb.-- AU ROI. 408 Affaires de Pologne. _Ib._ Méfiance des Anglais. 410 Excès de Morton. _Ib._ 342e _Dépêche_.--30 septemb.-- AU ROI. 412 Secours pour le prince d'Orange. 413 Nouvelles d'Ecosse. _Ib._ 343e _Dépêche_.--6 octobre.-- AU ROI. 414 Audience. _Ib._ 344e _Dépêche_.--14 octobre.-- AU ROI. 418 Audience. 419 345e _Dépêche_.--18 octobre.-- AU ROI. 423 Affaires de Flandre. 425 Sollicitations des réfugiés. 426 346e _Dépêche_.--25 octobre.-- AU ROI. _Ib._ Mission de Randolf. 427 Nouvelles des Pays-Bas. 428 347e _Dépêche_.--26 octobre.-- AU ROI. 430 Conférence avec Randolf. _Ib._ A LA REINE. 431 Recommandation d'un bon accueil pour Randolf. 432 348e _Dépêche_.--31 octobre.-- AU ROI. 433 Conférence avec Randolf. _Ib._ Mesures contre les puritains. 435 349e _Dépêche_.--6 novembre.-- AU ROI. 436 Conférence avec le garde-des-sceaux. _Ib._ 350e _Dépêche_.--11 novemb.-- AU ROI. 441 Conférence avec Leicester. _Ib._ 351e _Dépêche_.--18 novemb.-- AU ROI. 446 Audience. _Ib._ Maladie du roi. _Ib._ Mission de Randolf. 449 Nouvelles d'Ecosse. _Ib._ Maladie du prince d'Ecosse. 450 352e _Dépêche_.--23 novemb.-- AU ROI. 451 Affaires d'Ecosse. _Ib._ Sollicitations pour la Rochelle. 453 353e _Dépêche_.--30 novemb.-- AU ROI. 454 Voyage de Bordeaux. _Ib._ Sollicitations du prince d'Orange. 455 Ses succès. 456 354e _Dépêche_.--5 décemb.-- AU ROI. 457 Audience. _Ib._ Adieux du roi et du roi de Pologne. 458 Négociation du mariage. _Ib._ 355e _Dépêche_.--12 décemb.-- AU ROI. 461 Convalescence du roi. _Ib._ Nouvelles d'Ecosse. _Ib._ Progrès des protestans en Languedoc. 462 356e _Dépêche_.--17 décemb.-- AU ROI. 463 Audience. _Ib._ Négociation du mariage. 465 Soumission de Montgommery. 466 357e _Dépêche_.--24 décemb.-- AU ROI. 468 Retour de Randolf. _Ib._ Montgommery à Jersey. 469 Plaintes contre les puritains. 470 Nouvelles d'Irlande. _Ib._ Irritation d'Elisabeth contre Marie Stuart. _Ib._ 358e _Dépêche_.--31 décemb.-- AU ROI. 472 Audience. _Ib._ Négociation du mariage. 474 Entreprise contre la Rochelle. 475 FIN DE LA TABLE DU CINQUIÈME VOLUME. *** End of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de La Mothe Fénélon, Tome Cinquième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.