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Title: De la cruauté religieuse
Author: Holbach, Paul Henri Thiry, baron d', 1723-1789
Language: French
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produced from scanned images of public domain material


DE LA

CRUAUTE

RELIGIEUSE.

[Marque d'imprimeur]

PARIS,

CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS.

1826.



TABLE.


  Introduction                                                      vij

  SECTION PREMIÈRE. Les hommes donnent toujours aux dieux qu'ils
    adorent les passions qu'ils ont eux-mêmes                         1

  SECT. II. Que les hommes devraient bien prendre garde aux idées
    qu'ils se font de la divinité                                    21

  SECT. III. Des Cruautés religieuses que les hommes exercent sur
    eux-mêmes                                                        31

  SECT. IV. Cruauté des Sacrifices sanglans. Des Sacrifices humains  40

  SECT. V. Des Traitements cruels que les hommes se font éprouver
    les uns aux autres, à cause de la différence de leurs opinions
    religieuses et de la diversité de leur culte                     58

  SECT. VI. En quoi consistent quelques-unes des querelles
    religieuses qui ont divisé les chrétiens, et combien les
    matières en dispute ont été inintelligibles pour les disputans   65

  SECT. VII. De plusieurs saints très orthodoxes et pères de
    l'église qui ont été de violens persécuteurs                     91

  SECT. VIII. De la puissance du clergé, et de la tyrannie de
    l'évêque de Rome                                                104

  SECT. IX. De l'inquisition et de ses cruautés                     126

  SECT. X. De l'exécution de ceux que l'inquisition a condamnés     147

  SECT. XI. Des persécutions excitées par les prêtres protestans    154

  SECT. XII. Recherches sur les causes de la cruauté et de
    l'esprit persécuteur que l'on remarque sur-tout dans les
    prêtres de l'église romaine                                     173

  SUPPLÉMENT à la Cruauté Religieuse                                187

  SECTION PREMIÈRE. Des opinions erronées et des cérémonies
    superstitieuses que l'on trouve dans les pères de l'église      189

  SECT. II. Exemples des opinions bizarres des pères de l'église    203

  SECT. III. Des interprétations absurdes que les plus anciens
    pères de l'église ont données de l'Écriture                     219

  SECT. IV. Questions odieuses, ridicules et indécentes qui
    ont été agitées.--De la théologie scholastique                  230

  RÉFLEXIONS sur les persécutions religieuses et sur les moyens
    de les prévenir.

  SECTION PREMIÈRE. De l'absurdité et de l'injustice de la
    persécution                                                     239

  SECT. II. Des sources de l'insolence et du pouvoir des
    prêtres de l'église romaine                                     248

  SECT. III. De la Crédulité. Les gens d'esprit sont souvent
    dupes des préjugés du vulgaire                                  256

  SECT. IV. Des moyens employés par le clergé pour exciter les
    princes à la persécution                                        271

  SECT. V. Des Remèdes que l'on peut opposer à la persécution       275

FIN DE LA TABLE.



INTRODUCTION.


Je vais examiner dans cet essai les différentes espèces de cruautés
religieuses. Je comprends également sous ce nom, soit les opinions
religieuses qui procèdent de la cruauté ou qui la font naître, soit les
actes de barbarie qu'impose la religion même, ou ceux dont ses zélateurs
se font un devoir pour son service et par amour pour elle.

La croyance en Dieu étant le fondement de toute religion, c'est en
général l'idée qu'on se fait de l'être suprême qui imprime un caractère
au culte qu'on lui rend: si les hommes se figurent un Dieu tyrannique,
capricieux ou méchant leur religion respirera l'esclavage,
l'inconséquence, la cruauté. Mais s'ils regardent sincèrement la
divinité comme un être infiniment sage et bon, l'on a droit d'en
conclure que leur religion sera pleine de raison et de bienveillance, et
déterminera à suivre une conduite honnête. Les adorateurs d'un seul Dieu
disent, sans doute, que cet être est doué d'une sagesse et d'une bonté
infinies; mais s'ils lui attribuent des actions de cruauté, s'ils
s'imaginent qu'on peut lui plaire par des pratiques vaines et puériles,
ou par des actions barbares; s'ils pensent que Dieu lui-même ait ordonné
de telles choses, alors l'idée qu'ils ont réellement de la divinité sera
directement opposée à ce qu'ils en disent, et ce sera cette idée qui
constituera l'essence de leur religion.

Bien des gens sans s'en douter croient à un Dieu cruel, et en
conséquence ils sont cruels en fait de religion. Ils en imposent
là-dessus à eux-mêmes et aux autres. Mais qu'ils s'interrogent eux-mêmes
de bonne foi et qu'ils se demandent comment ils s'imaginent au fond de
leur coeur que l'Être-Suprême traitera dans l'autre monde la plus grande
partie des hommes qu'il a créés et nommément les infidèles
quoiqu'inévitablement tels: qu'ils se demandent comment eux-mêmes, s'ils
en avaient le pouvoir, traiteraient en ce monde les gens qui ne
s'accordent pas avec eux sur le culte, ou sur les dogmes de la religion:
ces questions mûrement examinées et répondues avec candeur feront voir
l'opinion des hommes touchant la divinité, et leur religion dans un jour
très différent de celui sous lequel on les avait d'abord envisagées.

Quoique la plupart des hommes conviennent qu'il n'y a point d'opinions
plus importantes par les conséquences que celles qui ont Dieu et la
religion pour objet, cependant il n'y en a point qu'on prenne plus
communément sur parole. On apprend le symbole et le cathéchisme par
routine ainsi que des vaudevilles et des chansons; l'on ne raisonne pas
plus sur les uns que sur les autres.

Un grand nombre d'articles de foi sont embrassés avec chaleur, soutenus
obstinément, courageusement défendus, non parce qu'on les trouve
raisonnables, mais parce qu'on s'est accoutumé de bonne heure à les
respecter, ou parce qu'ils s'accordent soit avec le tempérament, soit
avec les intérêts qu'on peut avoir. Nous sommes disposés à penser que
les opinions dont on nous a pénétrés dans notre enfance et que
l'habitude a fait en quelque façon croître avec nous, sont des résultats
de nos propres raisonnemens quoique nous ne les ayons jamais examinées.
Il y en a quelques-unes qui sont si évidemment vraies qu'il importe peu
de savoir si elles ont été découvertes par nous-mêmes ou simplement
acquises; mais pour celles qui peuvent comporter le moindre doute, il
est très essentiel pour nous de ne les admettre qu'après le plus mûr
examen; cela seul peut nous donner le droit de les regarder comme
véritablement à nous.

Après ce petit nombre d'observations préliminaires, nous allons partager
notre sujet dans les trois chefs suivans. Nous examinerons:

_Premièrement_ les opinions que la plus grande partie du genre humain a
reçues et reçoit encore sur la cruauté des dieux qu'il adore.

_Secondement_ les dévotions barbares dont la pratique est ordinaire.

_Troisièmement_ les traitemens inhumains que les hommes se font
réciproquement éprouver à cause de la différence de leurs cultes et de
leurs opinions en matière de religion.



SECTION PREMIÈRE.

Les hommes donnent toujours aux dieux qu'ils adorent les passions qu'ils
ont eux-mêmes.


Nous ne savons rien de clair ni de satisfaisant sur la création de
l'homme[1]. Nous ignorons donc l'opinion première qu'il eut de son
créateur et quel fut au commencement l'objet de son adoration.

  [1] Les relations de tout les auteurs payens, concernant l'origine de
    l'homme, sont indubitablement des fables; et le récit qu'en fait le
    livre de la Génèse, attribué à Moïse, est regardé par plusieurs
    savans comme une pure allégorie; en effet, il ressemble plus à une
    allégorie qu'à une histoire; au moins est-il très sûr que ce récit
    est étranglé, obscur et peu satisfaisant.

Si nos premiers pères ont admis l'existence d'un être éternel,
invisible, tout puissant, d'une bonté infinie, créateur de l'univers, il
est vraisemblable que presque toute la postérité perdit bientôt et cette
connaissance et tout sentiment raisonnable sur la divinité[2]. Selon les
anciens témoignages que nous ayons de l'histoire, les hommes, dès les
premiers âges du monde, ont adoré les plus étranges dieux: rien de plus
ridicule que leurs différentes opinions sur cette multitude de
divinités; elles sont si absurdes que, si nous n'en avions pas des
preuves incontestables, il nous serait impossible de croire que l'homme,
doué d'abord de quelque intelligence, eût pu se dépraver à ce point et
tomber dans cet abîme de déraison; ces notions furent également absurdes
et changeantes, et cela devait nécessairement arriver; en effet si la
vérité est de sa nature circonscrite et toujours la même, l'erreur n'a
pas plus de forme fixe que de limites.

  [2] Suivant ce qu'on nous enseigne et l'opinion communément reçue,
    tous les hommes descendent d'un seul homme et de sa femme; mais
    cette opinion paraît insoutenable par plusieurs raisons, et surtout
    par l'impossibilité de faire sortir des mêmes parent les hommes
    blancs et noirs. Mais qu'il y ait eu d'abord un ou plusieurs couples
    d'hommes créés, cela ne fait rien à la question dont il s'agit.

Mais les hommes en s'écartant de la vérité par différentes routes se
sont généralement réunis en un point sur le compte de leurs dieux; ils
leur ont attribué les dispositions et les passions qu'ils éprouvaient
eux-mêmes, et souvent leur ressemblance corporelle. Car qu'y a-t-il eu
de plus commun dans la plupart des nations et des religions que de
représenter les dieux sous la figure humaine?[3]

  [3] Les Lacédémoniens, le peuple le plus belliqueux de la terre,
    représentaient toujours leurs dieux et même leurs déesses en habit
    de guerre. Pierre Kolbe, dans sa relation du cap de Bonne-Espérance,
    nous dit que quelques-uns des Hottentots, les hommes les plus
    malpropres qui existent, qui se barbouillent le corps avec de la
    suie incorporée dans de la graisse et ne se vétissent que de peaux
    de bêtes, soutiennent que Dieu ressemble, par sa couleur, sa figure
    et son habillement, aux plus beaux d'entr'eux.

Parmi les chrétiens même, et surtout parmi les moines d'Égypte, il y eut
autrefois une secte qui professait l'antropomorphisme; elle fondait ce
sentiment sur ce qu'il est dit que l'homme fut créé _à l'image de Dieu_.
L'opinion de ces moines fut portée jusqu'à un tel dégré de fureur,
qu'ils auraient assassiné Théophile, leur Évêque, qui avait écrit et
prêché contre elle, s'il n'avait eu l'adresse de les calmer en leur
disant: lorsque je vous vois je crois voir la face de Dieu[4].
Tertullien et Épiphane, ces deux grands antagonistes des hérésies, ont
été accusés de cette erreur. En effet qu'y a-t-il de plus commun parmi
ceux qu'on appelle chrétiens que de voir le tout-puissant,
l'incompréhensible, l'invisible créateur de l'univers représenté sous la
figure d'un faible mortel[5]?

  [4] _Voyez_ Sozomène de la traduction française de Cousin, ch. 11,
    page 472.

  [5] Les tableaux de Dieu le père sous la figure d'un vieillard, sont
    très communs dans les pays catholiques romains. L'auteur de cet
    essai a vu à Lyon un Dieu le père coiffé d'un chapeau à la mode, à
    trois côtés, apparemment pour représenter la Trinité.

Il est évident que la plupart des hommes se prennent eux-mêmes pour
modèles dans les idées qu'ils se font des dieux et même d'un seul dieu;
ils agrandissent seulement leurs propres dimensions; un dieu n'est pour
eux qu'un homme colossal, ou, si l'on veut, l'homme est un Dieu pigmée.
Il est vraisemblable que si d'autres animaux, soit reptiles, soit
insectes, étaient capables d'imaginer des dieux, ils leur donneraient
aussi leur propre ressemblance; ce seraient des dieux éléphans ou
fourmis, des dieux brebis ou lions.

Cette propension générale que les hommes ont de donner à leurs divinités
les dispositions et les passions qui les dominent eux-mêmes, nous rend
très-bien raison de la cruauté qu'ils ont toujours attribuée à leurs
dieux. Elle est en même temps une preuve très forte de la cruauté
naturelle du coeur humain.

Les hommes sentent, par leur propre expérience et par celle des autres,
combien le pouvoir est étroitement lié avec la tyrannie et la cruauté.
Ils ont là-dessus des exemples tirés de la conduite des maîtres avec
leurs serviteurs, des maris avec leurs femmes, des pères avec leurs
enfants, des précepteurs avec leurs pupilles, des monarques absolus avec
leurs esclaves, et comme ils ont attribué à leurs dieux un pouvoir
illimité, ils ne mettent aucunes bornes à leur tyrannie et à leur
cruauté[6].

  [6] Dans l'antiquité et dans les contrées payennes, la plupart des
    serviteurs étaient esclaves et traités avec une extrême barbarie. Le
    docteur Jortin, dans son excellent _Discours sur la religion
    chrétienne_, observe que le christianisme a proscrit un grand nombre
    d'usages atroces et surtout relativement au traitement des
    serviteurs. On aurait vraiment une grande obligation au
    christianisme s'il eût aboli toutes les barbaries dont le docteur
    nous parle et spécialement de celle-là. En Europe, où les serviteurs
    ne sont pas esclaves, où ils servent de plein gré, et sont sous la
    protection des lois, il n'est pas au pouvoir des maîtres de les
    traiter aussi cruellement qu'ils le voudraient; cependant il faut
    avouer que dans nos colonies en Amérique, beaucoup de chrétiens
    traitent leurs esclaves avec une barbarie inconnue aux payens mêmes.
    Le digne et savant auteur que je viens de citer, donne dans une note
    un exemple de la manière dont Sénèque, qui était un payen, plaide la
    cause des serviteurs. Son plaidoyer est si raisonnable et si humain
    que je ne puis que le transcrire ici. «Ils sont esclaves, mais ils
    sont aussi des hommes. Ils sont esclaves, mais vos commensaux. Ils
    sont esclaves, mais ce sont des amis malheureux. Ils sont esclaves,
    mais ils sont vos confrères, si vous pensez que la fortune pouvait
    vous traiter tout comme eux, etc.» Sénèque, épit. 47, au
    commencement.

    Nous devons cependant convenir qu'il y a bien peu de serviteurs
    assez fidèles, assez attachés, assez soigneux pour être justement
    regardés comme des amis malheureux. Il n'en est pas moins certain
    que leurs maîtres doivent toujours se souvenir qu'ils sont de la
    même espèce qu'eux, et par conséquent les traiter avec indulgence et
    humanité.

Il est évident, par des exemples sans nombre, que la plus grande partie
du genre humain, dans tous les temps, dans toutes les nations, dans
toutes les religions, a regardé cette cruauté comme un attribut de ses
dieux. Les payens ont généralement supposé que les leurs les châtiaient
par les plus grandes calamités, comme la famine ou la peste; et cela
communément pour l'omission de quelque cérémonie vaine et ridicule, ou
pour avoir méprisé quelque conte absurde de leurs devins ou de leurs
prêtres. S'ils croyaient leurs dieux capables de s'irriter pour des
sujets aussi frivoles, ils pensaient aussi pouvoir les apaiser par des
expiations du même genre. On n'employait souvent pour cela que quelques
chansons, quelques danses ou quelques jeux en leur honneur[7]. Les
Romains sur-tout, lorsqu'ils étaient affligés de quelque contagion, pour
expier leurs péchés et apaiser les dieux, nommaient un dictateur, dont
les fonctions se bornaient à attacher un clou au temple de Jupiter; il
abdiquait sa magistrature après cette belle cérémonie.

  [7] Le lecteur verra sans doute que dans ces sortes d'expiations,
    aussi bien que dans beaucoup d'autres pratiques religieuses, les
    payens ont été imités de bien près par un grand nombre de chrétiens.

Que des payens qui déifiaient souvent leurs semblables et
particulièrement leurs princes les plus odieux, attribuassent encore la
cruauté à des dieux fauteurs de leurs vices aussi bien que de leurs
vertus, il ne faut pas s'en étonner. Mais que les adorateurs d'un Dieu
infiniment bon lui fassent la même injure, cela est aussi absurde
qu'étonnant.

Cependant il est notoire que les juifs, les chrétiens et les mahométans,
qui tous prétendent croire un pareil Dieu, le représentent comme plus
cruel encore que les dieux payens. L'opinion enseignée par les juifs,
adoptée et propagée par les sages chrétiens, est qu'un Dieu
miséricordieux et bienfaisant, rempli de patience, riche en bonté, plein
d'une compassion tendre, prêt à pardonner l'iniquité, les
transgressions, les péchés, ne laisse pas de vouloir châtier cruellement
les coupables, venge les iniquités des pères sur les enfans, et sur les
enfant des enfans, jusqu'à la troisième et quatrième génération[8].

  [8] Les chrétiens ont encore porté cette opinion beaucoup plus loin
    que la troisième et quatrième génération. Ils ont étendu la
    vengeance divine depuis le premier homme jusqu'au dernier: pour le
    péché d'Adam toute la postérité se trouve punie.

L'ancien testament nous fournit beaucoup d'autres exemples de la
croyance où étaient les juifs que Dieu punissait l'innocent pour les
crimes du coupable. Un exemple inique, mais remarquable en ce genre peut
suffire. On lit dans le livre des chroniques, chap. 21, que le roi David
ordonna le dénombrement du peuple d'Israël. Il est vraisemblable que ce
fut par un motif de vanité; néanmoins ce n'était pas un crime d'une
profonde noirceur ni comparable pour l'atrocité à beaucoup d'autres
qu'avait commis _cet homme selon le coeur de Dieu_. Cependant Dieu en
fut tellement irrité qu'il frappa Israël de la peste, et fit périr
soixante-dix mille hommes. Si le dénombrement était un crime, c'était
celui de David et non celui du peuple: lui-même le sentit si bien que
voici quelle fut sa prière à Dieu: _N'est-ce pas moi qui ai ordonné le
dénombrement? C'est donc moi qui ai péché, mais pour ce troupeau
qu'a-t-il fait?_ Il est évident que le peuple ne pouvait pas plus
empêcher son dénombrement que le peut un troupeau de moutons et qu'il
n'était pas plus coupable. Cependant après que Dieu eût détruit par ce
motif jusqu'à soixante-dix mille hommes, _il se repentit du mal qu'il
avait fait et dit à l'Ange exterminateur: c'est assez, que ta main
s'arrête à présent_. Telle est l'opinion de la cruauté avec laquelle les
payens et les juifs s'imaginaient que leurs dieux les punissaient en ce
monde; cependant les plus fortes punitions temporelles ne sont que des
afflictions légères en comparaison des tourmens éternels réservés aux
pécheurs dans l'autre monde par le Dieu de bonté, si l'on en croit ceux
qui admettent le dogme de la vie future: en effet, selon le plus grand
nombre des chrétiens, un malheur éternel doit être le partage
non-seulement des scélérats atroces et opiniâtres, mais aussi des
pécheurs qui, toutes circonstances pesées, n'ont pu s'empêcher de tomber
dans quelques fautes, suites nécessaires de leur fragilité. Les mêmes
peines sont décernées pour l'omission, même absolument involontaire, de
certaines cérémonies qui ne peuvent assurément purifier ni le coeur ni
la conscience. C'est le cas des enfans qui meurent sans baptême.

Tous les infidèles et les incrédules sont encore également menacés de la
damnation éternelle; ainsi la croyance du vrai Dieu ayant été pendant un
grand nombre de siècles exclusivement accordée à un peuple obscur,
méprisable, méchant (comme le dépeignent ses propres historiens et ses
prophètes) vu que ce peuple habitait une petite contrée qui n'avait que
peu de commerce avec ses voisins, il s'ensuit que faute d'avoir la
connaissance du vrai Dieu tout le reste du genre humain a dû être
éternellement malheureux. Nous sommes obligés de croire que les
Aristides, les Phocion, les Timoléon, les Epaminondas, les Socrates, les
Platon, en un mot que les hommes les plus excellens du paganisme ont été
enveloppés dans cette cruelle sentence. Depuis la venue du Christ nous
devons damner et tous ceux qui n'ont point cru en lui quoiqu'ils n'en
aient jamais entendu parler, et ceux aussi qui le reconnaissant pour
Dieu n'ont pas admis le même genre de culte ou de doctrine enseigné par
quelque secte particulière; c'est ce qu'osent soutenir les catholiques
romains, et c'est au moins ce que présume un grand nombre de protestans:
voilà, si vous en croyez les mahométans, la façon dont Dieu traitera
tous les hommes qui n'auront point reconnu leur prophète, et qui
n'auront point regardé l'Alcoran et sa doctrine comme émanés du ciel.

«Vraiment, dit ce livre prétendu céleste, nous jetterons dans le feu de
l'enfer ceux qui méconnaîtront les signes de notre foi. A mesure qu'ils
seront bien grillés, nous leur donnerons des peaux nouvelles en échange,
afin qu'ils puissent goûter des tourmens plus aigus: car Dieu est
puissant et sage». Et ailleurs: «Ceux qui ne croiront pas seront
enveloppés de vêtemens de feu. Une eau bouillante tombera sur leurs
têtes; leurs entrailles et leur peau seront déchirées et ils seront
continuellement battus avec des masses de fer. Toutes les fois qu'ils
s'efforceront de sortir de l'enfer pour se soustraire à la rigueur des
tourmens, ils y seront entraînés et leurs bourreaux leur diront:
savourez le tourment du feu». En un mot plusieurs chrétiens ont cru et
enseigné que Dieu a condamné la plus grande partie du genre humain, des
millions de millions de ses propres créatures à souffrir dans un lieu où
toutes les facultés de l'âme et du corps seront tourmentées
continuellement et sans relâche. «C'est là, ô pécheur! que tu vivras
dans une éternelle prison de ténèbres extérieures, ou il n'y aura
d'ordre que la confusion et l'horreur; où l'on n'entendra que la voix
des hurlemens et des blasphèmes, d'autre bruit que le grincement des
dents; on l'on n'aura d'autre société que celle du diable et de ses
anges qui, tourmentés eux-mêmes, n'auront d'autre soulagement que de te
faire éprouver leur fureur, _St.-Mathieu, chap. 13, vs. 42, et chap. 25,
vers. 36, etc._ C'est là que la punition sera sans pitié, la misère sans
grâce, la douleur uns consolation, la méchanceté sans mesure, le
tourment sans repos. _Apocalypse, chap. 14, vers. 10, 11._ La colère de
Dieu pénétrera l'âme et le corps comme la flamme se saisit d'un bloc de
souffre ou de poix. _Daniel, ch. 7, v. 10._ Dans cette flamme tu seras
toujours brûlé, sans jamais consumer, toujours mourant sans jamais
mourir, toujours rugissant dans les angoisses de la mort sans jamais en
être délivré ni sans pouvoir espérer la fin de tes peines: de sorte
qu'après les avoir endurées autant de milliers d'années qu'il y a de
brins d'herbes sur la terre, de sable dans la mer, de cheveux sur la
tête de tous les enfans d'Adam nés ou à naître, tu ne seras pas plus
près de la fin de tes tourmens que tu n'étais le jour où tu y fus
précipité. Loin de finir, ils ne feront à chaque instant que commencer,
car ce serait quelque soulagement que d'envisager une fin possible à ton
malheur, après tant de milliers d'années; mais chaque fois que ton
esprit se rappellera ce mot, _jamais_, et il se le rappellera à tous les
instans, ton coeur sera déchiré par la rage, et par un affreux
désespoir; cette idée horrible aiguisera encore tes douleurs
insupportables qui excédaient déjà tout pouvoir d'exprimer ou
d'imaginer. Ce sera un nouvel enfer au milieu de l'enfer même»[9]. Avec
quelle surprise ne doit-on pas lire un récit si choquant, si terrible,
et qui, par les idées qu'il donne de la manière dont Dieu traitera ses
créatures, semble s'être proposé de le transformer en un Démon!

  [9] C'est ainsi que s'exprime un de nos docteurs dans une sérieuse et
    pathétique _description du ciel et de l'enfer crayonnée par le
    St.-Esprit selon les meilleurs interprètes, etc._, qui se trouve
    dans le livre intitulé: _Tous les devoirs du chrétien_, imprimé à
    Londres aux dépens de l'hôpital de Christ, 1723, p. 12, 13. L'on
    observera que tous les renvois à l'écriture sont de mon auteur,
    lequel par conséquent en demeure le garant.

Je ne peux pas quitter le sujet de Dieu, condamnant ainsi les hommes à
des tourmens éternels et inouïs, sans proposer une question à ceux qui
sont assez malheureux pour admettre une doctrine aussi blasphématoire et
aussi diabolique. Je la propose sur-tout à ceux qui, sans la croire,
sont assez lâches ou assez pervers pour l'enseigner et la répandre.

Je leur demanderai donc quelle peut être la fin légitime et avantageuse
de toute punition? N'est-ce pas en premier lieu de corriger les
coupables? ce qui certainement est très fort à désirer: en second lieu,
n'est-ce pas de détourner les hommes de commettre les crimes pour
lesquels ils en voyent d'autres punis? Enfin n'est-ce pas d'éloigner ou
de retrancher de la société des membres qui sont à craindre pour elle?
Telles sont les notions invariables que les hommes doivent se former du
but que les châtimens doivent se proposer; or des châtimens éternels ne
remplissent aucune de ces vues légitimes; le coupable ne peut pas être
corrigé; il le serait même inutilement, car, corrigé on non, il sera
toujours tourmenté. Son exemple ne peut pas en détourner d'autres du
crime; sa conduite ainsi que son destin sont irrévocablement déterminés.
Enfin l'on ne peut pas imaginer que parmi les damnés quelqu'un puisse
être dangereux pour la société.

Est-il possible que les hommes puissent tomber dans une contradiction
aussi manifeste que de représenter Dieu comme un Être d'une bonté
infinie, ou même de l'équité la plus ordinaire, et croire en même tems
ou enseigner qu'il punit ainsi ses créatures? ne devraient-ils pas
plutôt le représenter comme un démon barbare, comme un Être infiniment
injuste et cruel? Il crée l'homme par un acte de sa volonté pure, afin
de condamner ensuite l'ouvrage de ses mains à une éternelle misère!
Quelle est la cause de cette rigueur? Il est puni pour des choses qui
n'ont aucunement dépendu de lui! Est-il un seul homme assez féroce pour
vouloir de sang froid, pour quelque raison que ce fût, condamner à des
tourmens éternels ses propres enfans, ou même un ennemi déclaré? En
est-il un assez impitoyable pour ne pas épargner à quelque être que ce
fût des tourmens sans mesure? L'homme de bien ne voudrait-il pas au
contraire répandre le bonheur aussi loin qu'il pourrait s'étendre? Tout
son désir ne serait-il pas de procurer la félicité à tous les êtres
créés? Quoique ces notions indignes et absurdes sur la divinité soient
originairement émanées d'une disposition barbare que bien des gens
portent en eux-mêmes et qui est inspirée à d'autres par différens
moyens, on leur enseigne ces opinions et elles s'impriment plus ou moins
profondément dans leur âme selon que, par tempérament, ils sont plus ou
moins disposés à la cruauté. Mais on devrait faire attention que loin de
servir la religion en inculquant la doctrine des peines éternelles, l'on
fournit des armes à l'athéisme qui anéantit toute religion, et d'un
autre côté l'on jette dans le désespoir un grand nombre d'âmes honnêtes,
simples et timorées, sans contenir les méchans intrépides et endurcis,
dont des craintes éloignées ne peuvent, comme l'expérience le prouve,
réprimer les excès.



SECTION II.

Que les hommes devraient bien prendre garde aux idées qu'ils se font de
la divinité.


Je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement nier que les hommes en
général ne forment leur religion et ne réglent leur conduite sur les
idées qu'ils ont de la divinité: il est donc très important pour eux
d'examiner avec soin ces idées et de se former une juste opinion des
dieux qu'ils adorent. Le pieux auteur de _tous les devoirs de l'homme_ a
intitulé un de ses chapitres: _Des maux occasionnés par les erreurs sur
la divinité_. En effet c'est la source des plus grands maux. Si l'on
croit que Dieu soit partial, injuste, colère, vindicatif, tyrannique et
cruel, il faut bien, pour ressembler à son Dieu, ce qui est une ambition
naturelle et raisonnable, s'efforcer de réunir ces mêmes qualités: il
est bien vrai que, pour être méchans, les hommes n'ont pas besoin d'être
excités par cet exemple, mais il ne l'est pas moins que de telles
opinions sont un aiguillon de plus à la méchanceté naturelle.

Prétendre que Dieu ait pu faire choix de quelques personnes ou même d'un
peuple, de même que les hommes choisissent leurs favoris, c'est
attribuer à la divinité une partialité et une folie indignes de ses
perfections. Si par hasard ces prétendus favoris se trouvaient les plus
méchans et les plus vils des hommes, si l'on prétendait qu'en leur
faveur Dieu a exterminé d'autres nations, ce ne serait pas seulement lui
attribuer de la partialité et de la folie, mais encore ce serait
l'accuser d'injustice et de cruauté, ce serait blasphêmer. Quelle idée
doit-on se former de la divinité lorsqu'on voit un roi injuste, ingrat,
adultère, barbare, tyran et meurtrier[10] appelé _l'homme selon le coeur
de Dieu_?

  [10] Ce que l'on dit ici est amplement prouvé par tout ce que
    l'écriture rapporte de David. Sans s'arrêter au double crime
    d'adultère et de meurtres commis en la personne d'Urie et de
    Betsabée si énergiquement représenté par Nathan dans la parabole de
    l'agneau, on y trouve encore bien d'autres témoignages de barbarie.
    Quand il eut pris la ville de Rabbah, «il en fit sortir les
    habitans, il fit scier les uns, il mit les autres sous des herses de
    fer, en fit hacher d'autres, ou les fit jeter dans des fours à
    briques. Il traita ainsi toutes les villes des enfans d'Ammon.» Les
    Rabbins, loin de chercher à exténuer la cruauté attribuée à David,
    ne font aucune difficulté d'assurer que l'exécution des Ammonites
    fut accomplie avec la dernière barbarie: cependant après cet aveu
    ils s'efforcent de justifier David de cette rigueur qui, selon eux,
    était nécessaire pour frapper de terreur les nations voisines, afin
    qu'aucune ne méprisât à l'avenir les Israëlites, mais respectât
    plutôt le peuple que le Seigneur avait choisi. Voyez _Mém. de
    littérature, par de la Roche, vol. 2, art. 82, éd. in-8º_.

Il est vrai que si en beaucoup d'endroits d'un certain livre on
substituait le mot _prêtres_ au mot _Dieu_, cela servirait
merveilleusement à éclaircir un grand nombre de passages obscurs et à
leur donner un sens intelligible[11]. Un monarque ou tout autre homme,
quelque méchant et pervers qu'il soit, s'il favorise les prêtres et se
montre très soumis à remplir leurs pratiques et leurs cérémonies, peut
être justement appelé _un homme selon le coeur des prêtres_, et regardé
par eux comme un saint et comme vraiment religieux; mais l'appeller _un
homme selon le coeur de Dieu_, ou un homme religieux dans le vrai sens
du mot, c'est donner des idées très-désavantageuses et de Dieu et de la
religion. Rien ne peut être plus contraire à la vérité, plus outrageant
à la gloire de Dieu, plus préjudiciable à la vraie religion et à la
vertu, et par conséquent à la paix, au bon ordre et au bonheur du monde,
que de croire ou d'enseigner que Dieu commande aux hommes des actions
contraires aux régles naturelles, fondamentales, infaillibles de la
raison et de la morale, qu'il a écrites dans le coeur de chacun de nous,
et que tous reconnaissent quoique peu les pratiquent. Un excellent
abrégé de ces règles, que chacun devrait avoir continuellement sous les
yeux, dans la spéculation et dans la pratique, «c'est de ne faire à
autrui que ce que nous voudrions qu'il nous fît». Si les hommes
pouvaient se tromper eux-mêmes et les autres jusqu'au point de croire
que Dieu puisse quelquefois dispenser de ces régles et recommander des
choses qui leur seraient contraires, ce serait certainement ouvrir les
portes aux crimes les plus atroces.

  [11] On pourrait rapporter plusieurs exemples de ce genre: mais celui
    que nous allons donner suffira. David et tout le peuple d'Israël en
    grand concours accompagnaient l'Arche en chantant et jouant des
    instrumens; l'on avait placé cette Arche sur un chariot neuf: les
    boeufs qui la tiraient ayant bronché, l'Arche fut ébranlée, et Oza y
    porta la main pour la soutenir et l'empêcher de tomber; cette action
    paraît du moins innocente et peut-être méritoire: cependant on lit
    dans le chap. 2 du livre de Samuel que la colère du Seigneur
    s'alluma contre Oza, que Dieu le frappa pour son erreur et que
    l'attouchement de l'arche le fit mourir. Les critiques et les
    commentateurs sont priés de considérer si on ne pourrait pas lire
    ainsi ce passage: «La colère des prêtres s'alluma contre Oza, etc.»
    Ce qui suit prouve encore la nécessité d'entendre ainsi ce passage,
    car il est dit que _David se fâcha de ce que le Seigneur avait tué
    Oza_. Assurément David était trop dévot pour se fâcher de rien que
    le Seigneur eût pu faire. Mais il avait droit de se fâcher de cet
    acte s'il partait de la main des prêtres.

Cela n'est-il pas en effet arrivé? Des nations entières n'ont-elles pas
prétendu et cru, sans doute, que Dieu leur avait ordonné d'entreprendre
les guerres les plus injustes, de tourmenter, d'assassiner, jusqu'à
leurs propres enfans, de détruire des nations? Des barbaries de toute
espèce n'ont-elles pas été commises au saint nom du Seigneur?

Il n'est sans doute ni un livre, ni un homme, ni même un ange descendu
du ciel qui méritent aucune créance s'ils enseignent que Dieu soit cruel
ou commande aux hommes de l'être. Tant que les hommes croiront que tous
les actes d'injustice, de violence, de barbarie offensent la divinité et
sont contraires à sa loi, on pourra se flatter qu'ils seront détournés
de les commettre; mais à quoi ne doit-on pas s'attendre lorsqu'ils
seront dans l'opinion contraire? Que n'a-t-on pas à craindre sur-tout
des souverains et des nations qui ne peuvent être contenus par les loix
humaines? C'est une excuse bien faible et bien fausse que de dire que
nous ne connaissons point la profondeur des décrets de la divinité; il
n'est pas moins téméraire d'assurer que l'on puisse démontrer que Dieu
commande de pareilles actions.

La première de ces raisons ne prouve rien. Dieu dans ses décrets ne peut
point avoir résolu des crimes: il répugne à toute idée raisonnable de la
divinité qu'elle puisse ordonner des actions méchantes et criminelles,
et par conséquent la preuve de fait ne doit jamais être admise. Il est
impossible d'admettre comme révélation divine ce qui renverse la
certitude de tous les principes qui doivent être supposés précédemment à
toute révélation, car c'est détruire les seuls moyens par lesquels nous
puissions juger de la vérité d'une révélation divine.

Comment supposer que l'Être infiniment sage, juste et bon pût se plaire
à établir les loix les plus nécessaires pour ses créatures, telles que
sont celles de la morale, et leur ordonne ensuite d'enfreindre ces mêmes
loix en appuyant ses ordres par des miracles? Supposons une nation
méchante et dépravée (si jamais il y en a eu d'autres) pouvons-nous
imaginer que Dieu soit assez destitué de moyens de la punir pour être
obligé de charger à cet effet une autre nation de devenir encore plus
méchante et plus cruelle que la première? Pouvons nous croire qu'il
ordonne de n'épargner ni les boeufs, ni les ânes ni les troupeaux qui
n'ont point péché, et de massacrer indistinctement les hommes, les
femmes, les vieillards et les enfans à la mammelle? La vérité est que,
quand des enthousiastes, des fanatiques ou des hypocrites qui font
hautement profession d'être dévots, ont commis ou sont prêts à commettre
quelque action détestable, lorsqu'ils ont intérêt de la faire commettre
à d'autres, ils se couvrent du nom de la divinité et prétendent qu'elle
est ordonnée ou inspirée par elle; par ce moyen ils ajoutent à la
barbarie l'impiété et le blasphème.

Les règles naturelles, les limites de la vérité sont la morale et le bon
sens; ce sont là les loix de Dieu qui ne sont point écrites sur des
tables de pierre, mais qui sont profondément gravées dans les coeurs des
hommes. Mais si ces loix sont une fois écartées ou enfreintes, alors
l'erreur, l'enthousiasme et le fanatisme, semblables à un torrent,
renversent la vérité et entraînent avec elle tout ce qu'il y a de plus
sacré et de plus utile au genre humain. Quelles opinions extravagantes
et monstrueuses ne peuvent pas être débitées comme des révélations
divines! quelles actions, quelque atroces qu'elles soient, ne seront pas
sanctifiées sous le nom de devoirs religieux, et quand on les fera
passer pour des commandemens de Dieu! C'est assurément le comble de la
fourberie et de l'impudence dans quelques hommes d'oser dire que Dieu
leur ordonne de violer les lois sacrées de la nature et de la société en
commettant des actions atroces et barbares; c'est le dernier terme de la
folie et du délire fanatique que de devenir fauteur d'une imposture
aussi caractérisée. Prétendre que Dieu a fait des miracles pour
autoriser des ordres qui détruisent ses lois éternelles et inviolables,
c'est employer la fraude la plus indigne pour soutenir la fausseté la
plus manifeste.



SECTION III.

Des cruautés religieuses que les hommes exercent sur eux-mêmes.


Après avoir, en peu de mots, exposé les opinions fatales que la plupart
des hommes se font communément, soit des divinités, soit du Dieu qu'ils
adorent, nous allons passer au second point, et nous examinerons les
usages barbares et les rites cruels qu'ils ont souvent pratiqués dans
leurs cultes divers.

Les pratiques de ces cultes doivent naturellement se conformer aux idées
que les hommes se font de leurs divinités; d'ailleurs l'expérience le
prouve. En effet les peuples s'étant généralement persuadés que leurs
dieux, ou leur Dieu unique, étaient des Êtres cruels, leur culte s'est
presque toujours senti de ces notions dangereuses.

Ces pieuses cruautés ont été exercées par les hommes, tantôt sur
eux-mêmes, tantôt sur des animaux, tantôt sur les êtres de leur propre
espèce.

Tout le monde connaît les étonnantes barbaries que les idolâtres et les
payens, tant anciens que modernes, ont exercées sur eux-mêmes; le
lecteur, pour peu qu'il soit instruit, ne peut manquer de s'en rappeler
des exemples frappans, mais comme dans un autre ouvrage je me suis
étendu sur ce sujet, je ne rapporterai ici que quelques traits, afin de
passer à ceux que l'on rencontre parmi les chrétiens.

Il est vrai que les cruautés pratiquées par ces derniers ne paraissent
pas au premier coup d'oeil si révoltantes que celles des payens; on ne
voit pas les chrétiens se précipiter, comme les Japonnais, tout vivans
dans des abîmes; on ne voit pas des généraux chrétiens se dévouer à une
mort certaine en se jetant au milieu d'une armée ennemie; on ne voit
point parmi nous des hommes se briser contre des rochers, ou comme les
Indiens se faire écraser sous les roues d'un chariot qui porte les
dieux; cependant en regardant la chose de près nous trouverons les
pratiques des chrétiens à plusieurs égards plus pernicieuses que celles
des payens mêmes et dérivées comme les leurs des notions atroces qu'ils
se font de la divinité qu'ils honorent: en effet, si ces chrétiens ne
s'imaginaient pas que leur Dieu est très cruel, ils ne supposeraient pas
qu'il peut approuver et encore moins commander les tourmens rigoureux
qu'ils s'infligent à eux-mêmes.

Indépendamment des austérités pratiquées par un grand nombre de
chrétiens qui se sont fait un mérite de vivre dans des déserts, parmi
des rochers inaccessibles, dans des cavernes, de se refuser les besoins
de la vie, de se laisser mourir de faim, etc, combien ne voyons-nous pas
de gens des deux sexes s'enfermer pour la vie dans des monastères! Il
est vrai que quelques-uns y vivent dans l'aisance; mais d'autres
semblent s'être condamnés à une prison perpétuelle, et se trouvent
entièrement privés des douceurs de la société. Ces pauvres reclus se
soumettent à des austérités pénibles, à une mal-propreté brutale[12];
ils ne portent point de linge, ils gardent leurs habillemens jusqu'à
devenir des objets dégoûtans les uns pour les autres; ils s'imposent des
châtimens sévères, ils se donnent fréquemment la discipline; on les voit
dans de certains pays se flageller publiquement dans les rues; en un
mot, ils s'obligent par des sermens et des voeux à ne jamais travailler
à leur bonheur.

  [12] S. Athanase nous apprend, dans la vie de S. Antoine, l'un des
    premiers fondateurs du monachisme, que ce saint homme portait sur sa
    chair un cilice, ou une chemise de crin, par dessus laquelle il
    avait un habit de peau, qu'il porta toute sa vie. Il ajoute que
    jamais il ne se lavait les pieds, à moins qu'en voyageant il ne vînt
    par hasard à les mouiller. Quelle religion que celle qui fait un
    mérite de pareilles indignités! quelles idées doivent avoir de Dieu
    des hommes qui s'imaginent qu'il faut être malpropre pour lui
    plaire!

La vie monastique et le célibat forcé sont certainement très
préjudiciables à ceux qui les embrassent; ces institutions sont propres
à causer des maladies dangereuses et à nuire également à l'esprit et au
corps: elles sont très nuisibles à la société, pour qui elles rendent un
grand nombre de ses membres totalement inutiles, en mettant des
obstacles à la population. Bien plus, c'est un outrage à l'espèce
humaine et à la nature[13]; et, ce qui est encore plus terrible, ces
usages insensés sont souvent cause que des mères sont forcées de
détruire leurs enfans, et que les moines se livrent à des crimes contre
nature.

  [13] On compte qu'en France les prêtres, les moines et les religieuses
    montent à 500 mille, tandis que le nombre des habitans monte à 24
    millions. En y comptant 6 millions d'adultères, on trouvera que
    parmi ceux-ci un sixième est voué au célibat. Il y a tout lieu de
    croire qu'en Italie, en Espagne et en Portugal le nombre de ceux à
    qui le mariage est interdit, est encore proportionnellement plus
    grand qu'en France.

Nous terminerons ces réflexions en rapportant quelques exemples frappans
des cruautés exercées contre eux-mêmes par des chrétiens épris de l'idée
de se rendre agréables à un Dieu dont la bonté est infinie.

Cressy, dans son histoire de l'église, nous dit que S. Egwin se chargea
d'une chaîne de fer et fit dans cet équipage un pélerinage à Rome.

Acepsemas qui, selon Théodoret, fut un homme _au-dessus de tous les
éloges_, se tint pendant soixante ans dans une cellule sans voir
personne et sans parler à qui que ce soit.

Le même Théodoret rapporte qu'un moine, appelé Baradatus, imagina pour
son habitation une espèce de cage, formée d'un treillage si peu serré
qu'il pût demeurer exposé aux injures de l'air, et si basse qu'il ne
pouvait pas s'y tenir debout, de manière qu'il était obligé de rester
toujours courbé. Un autre moine, nommé Thalalcus, qui était d'une taille
fort grande, s'enferma dans une autre cage si étroite et si basse qu'il
était forcé d'avoir continuellement la tête entre ses genoux; il avait
été dix ans dans cette posture lorsque Théodoret le vit.

Le même auteur nous dit que Saint Siméon Stylite, très-grand personnage,
qui faisait des miracles sans nombre, qui guérissait les malades, qui
procurait des enfans aux femmes stériles, et qui avait converti des
milliers de payens au christianisme, s'était accoutumé à s'abstenir
totalement de nourriture pendant quarante jours consécutifs, à l'exemple
d'Élie et de Jésus-Christ. Au tems où Théodoret écrivait, il y avait
déjà vingt-huit ans qu'il observait ce jeune rigoureux chaque année;
durant les premiers jours il se tenait debout, et lorsque faute de
nourriture il ne pouvait plus se soutenir sur ses jambes il s'asseyait,
et à la fin il était forcé de se coucher, étant réduit à un épuisement
total: il se tenait sans cesse au haut d'une colonne, dont la
circonférence était à peine de trois pieds, et après avoir passé bien
des années dans cette posture semblable à une statue sur son piédestal,
il finit par monter sur une colonne de trente-six coudées, sur laquelle
il vécut durant trente ans.

Joignez à tous ces exemples ceux que le même Théodoret rapporte des
solitaires et des moines d'Egypte et des pays voisins: les uns se
nourrissaient de charognes, afin de n'éprouver aucun plaisir en
mangeant; d'autres s'accoutumaient à passer toute la nuit en prières;
d'autres marchaient pieds nuds sur des épines, pour se rappeller les
tourmens que Jésus-Christ avait soufferts de la part des cloux qui lui
avaient percé les pieds et les mains; d'autres enfin passaient des nuits
entières les bras étendus pour imiter la posture de Jésus-Christ.

Enfin de nos jours encore l'on rencontre dans les pays catholiques
romains un grand nombre de couvens des deux sexes qui renferment de
pieux frénétiques, ingénieux à se tourmenter eux-mêmes, et qui font à la
divinité l'outrage de penser qu'ils lui plaisent et qu'ils entrent dans
ses vues en s'infligeant à eux-mêmes des jeûnes, des macérations, des
supplices rigoureux; ce qui ne prouve rien, sinon que ces dévots
extravagans se sont fait des idées atroces de la divinité qu'ils
adorent, et que d'un autre côté ils supposent remplie de bonté[14].

  [14] Les moines appellés _Chartreux_, ne mangent jamais de viande et
    sont condamnés à un silence perpétuel. Les moines de l'abbaye de _la
    Trappe_ sont renommés en France par leurs extravagantes austérités,
    qui vont au point, dit-on, qu'ils peuvent rarement les soutenir
    pendant deux ou trois ans. Les _Capucins_ sont habillés d'une étoffe
    grossière et se distinguent par leur malpropreté. Mais les pauvres
    religieuses surtout, condamnées à une captivité perpétuelle,
    paraissent être de très malheureuses créatures quand la ferveur de
    l'imagination cesse de les soutenir.



SECTION IV.

Cruauté des sacrifices sanglans. Des sacrifices humains.


Nous venons de parler des cruautés que la piété religieuse a déterminé
les hommes à exercer contre eux-mêmes; examinons maintenant celles
qu'ils ont exercées sur d'autres créatures et sur les êtres de leur
propre espèce.

Les sacrifices sanglans ont fait de fort bonne heure et pendant très
long-tems partie du culte divin chez presque tous les peuples du monde;
ils nous fournissent une preuve indubitable de la cruauté des hommes; en
effet c'est visiblement à cette disposition fâcheuse que ces sacrifices
expiatoires ont dû leur origine. Il est vrai qu'en voyant l'antiquité et
l'universalité de cet usage répandu chez presque toutes les nations,
quelques personnes se sont imaginé que c'était une preuve que ces
sacrifices étaient d'institution divine; cependant ceux qui sont de
cette opinion devraient se souvenir que l'idolâtrie a été encore plus
universellement reçue que ces sacrifices, qu'elle n'est pas moins
ancienne qu'eux, et qu'aucun chrétien n'en conclura que l'idolâtrie ait
pu être d'institution divine. Le fait est que les hommes étant cruels et
superstitieux, et que leurs prêtres étant toujours prêts à tirer parti
des vices, des faiblesses, des passions du genre humain, pour les faire
tourner au profit du sacerdoce, il ne faut point chercher ailleurs que
dans ces vices et dans la superstition, qui s'est montrée sous des
formes très diverses dans les différens pays, les causes auxquelles l'on
peut attribuer l'universalité de ces sacrifices. Comme les hommes sont
communément vindicatifs, cruels, altérés de sang, ils ont imaginé que
leurs dieux étaient dans les mêmes dispositions. Il est difficile de
décider si c'est l'extravagance ou la cruauté qui l'ont emporté dans
l'institution de ces pratiques absurdes et barbares: en effet quoi de
plus insensé que d'imaginer qu'en égorgeant un tendre agneau on pouvait
expier les crimes d'un homme méchant! N'est-ce pas une cruauté
révoltante que de répandre ainsi du sang sans aucune nécessité?

On demandera, peut-être, quel mal ou quelle cruauté il pouvait y avoir à
tuer des animaux dans des sacrifices, puisqu'on en tue journellement
dans tout l'univers pour la nourriture des hommes? Je réponds que si la
chair des animaux est absolument nécessaire à la subsistance de l'homme,
il est autorisé à le tuer faute de pouvoir s'en passer; mais cela ne
peut point justifier l'usage de les tuer pour des pratiques
superstitieuses, qui bien loin d'être nécessaires sont infiniment
dangereuses: or il est évident que l'usage de tuer des animaux était une
pratique superstitieuse; l'écriture sainte des chrétiens et la raison
s'accordent à le prouver; tout ce qui est regardé comme un devoir
religieux sans pouvoir opérer l'effet qu'on se propose, doit être traité
de pratique superstitieuse, _il est impassible_, dit St.-Paul, _que le
sang des taureaux et des boucs ôte les péchés_. La raison est en cela
conforme à ce que dit l'apôtre.

Il est à remarquer que, quoique la religion des juifs fît tant de cas
des sacrifices sanglans, néanmoins plusieurs de leurs prophètes se sont,
ainsi que St.-Paul, déclarés contre cette pratique cruelle et ridicule,
et ont reconnu que Dieu ne l'exigeait nullement. Le Psalmiste dit à
Dieu: _vous n'avez point désiré le sacrifice ni l'offrande, vous n'avez
point exigé d'holocaustes_. Voyez _pseaume 46, vers. 6_. Jérémie parlant
au nom de Dieu dit aux juifs: _je n'ai point parlé avec vos pères, ni ne
leur ai point donné de commandemens touchant les holocaustes et les
sacrifices au jour où je les ai fait sortir d'Égypte_. Voyez _Jérémie,
chapitre VII, vers. 22_[15]. Isaïe fait dire à Dieu: _qu'ai-je besoin de
la multitude de vos sacrifices? chapitre 1, vers. 11_. Le même prophète
avertit les juifs qu'il vaudrait mieux cesser de faire le mal et
d'apprendre à faire le bien, de rechercher la droiture, etc. _Ibid.
vers. 16, 17._ Les payens ont senti la même vérité par les seules
lumières du bon sens. Cicéron dit que le culte le plus agréable aux
dieux est de les servir avec un coeur pur. _Cultus autem Deorum est
optimus, idemque castissimus, atque sanctissimus, plenissimusque
pietatis, ut eos semper pura, integra, incorrupta et mente et voce
veneremur. De Natur. Deor. Lib. II._ Perse s'est expliqué de la même
manière.

    _Compositum jus, fasque animi, sanctoque recessus
    Mentis, et incoctum generoso pectus honesto:
    Hæc cedo, ut admoveam templis, et farre litabo._

    SATYR. II. vers 73.

  [15] Il paraît difficile de concilier ces passages des pseaumes et des
    prophètes avec le lévitique de Moïse, c'est-à-dire Dieu lui-même
    paraît fort occupé des sacrifices du peuple d'Israël.

Mais continuons d'examiner l'absurdité et la barbarie de ces pratiques
religieuses, et les conséquences fatales qui en sont découlées. Il est
évident que l'usage de répandre le sang à grands flots dans les
sacrifices a dû contribuer à rendre les hommes cruels ou à fortifier en
eux la disposition naturelle qu'ils ont à la cruauté; en effet
n'était-ce pas les familiariser avec le sang? Quel déluge ne devait-on
pas en répandre lorsqu'on immolait à la fois vingt-deux mille boeufs et
cent vingt mille brebis! quel affreux carnage qu'un pareil
sacrifice[16]! si de semblables spectacles étaient propres à disposer à
la cruauté le peuple qui n'en était que le témoin, quel effet ces
sacrifices ne devaient-ils pas produire sur les prêtres, qui faisaient
les fonctions de bouchers, et qui jouaient le principal rôle dans cette
scène dégoûtante de carnage et d'horreurs!

  [16] Voyez _liv. I des rois, chap. 8, vers. 63_.

Quelque nécessaire qu'il soit d'avoir des hommes dont la profession soit
de tuer des animaux pour notre nourriture, l'expérience nous prouve
constamment que ce métier est très propre à les rendre bien plus cruels
que d'autres[17]. Notre législation s'en est aperçue, car elle ne veut
point que les bouchers soient admis à être juges en matière criminelle.
Au reste, il n'est pas douteux que bien des personnes s'en tiendraient
au régime Pythagoricien si elles ne pouvaient se procurer de la chair
qu'en tuant elles-mêmes des animaux. J'en appelle à tout lecteur
sensible; et je lui demande s'il n'a pas éprouvé un sentiment très
douloureux quand par hazard ses yeux se sont portés sur un innocent
agneau léchant la main de celui qui lui enfonçait le couteau dans la
gorge, ou même quand il a vu un boeuf succomber sous des coups de
massue, et montrer par ses mouvemens convulsifs qu'il luttait contre la
mort? Si des exemples de ce genre sont si propres à affecter une âme
sensible, à quel point n'eût-elle pas été touchée à la vue du carnage
inutile dont nous avons parlé plus haut, qui n'avait pour objet que des
pratiques superstitieuses?

  [17] Thomas Morus, dans son _Utopie_, liv. 2, dit que c'était la
    fonction des esclaves de tuer les animaux, qu'aucun citoyen ne
    pouvait le faire, vu que les _Utopiens_ croyaient cette profession
    propre à étouffer la pitié. Quoique ces _Utopiens_ soient un peuple
    imaginaire, ce passage sert à faire connaître la façon de penser de
    l'auteur.

Quelque révoltant que fût l'usage de sacrifier des animaux, il n'est pas
à beaucoup près le plus cruel de ceux que les hommes ont pratiqué dans
leurs cultes religieux; nous trouvons en effet que c'était une très
ancienne coutume chez plusieurs nations, telles que les Cananéens ou
Phéniciens, les Carthaginois, les Scythes, les Gaulois et même les Grecs
et les Romains plus civilisés, de sacrifier des êtres de leur espèce; et
même chez quelques peuples on immolait aux dieux ses propres enfans.

Bochart et quelques autres auteurs assurent que les Cananéens tenaient
cette coutume d'Abraham; mais l'évêque Cumberland croit que cet usage
était antérieur au déluge, et se pratiquait par les peuples de Canaan
long-tems ayant qu'Abraham vînt s'établir chez eux. En supposant la
raison du côté de l'évêque, qui paraît appuyer très bien son sentiment,
pourquoi n'imaginerions-nous pas qu'Abraham fut déterminé à immoler son
fils en conséquence de la coutume établie dans le pays où il vivait,
plutôt que de penser que ce fût Dieu qui l'engagea à commettre une
action, qu'humainement parlant l'on doit regarder comme un crime
abominable? En partant de cette supposition ne pourrait-on pas présumer
que l'ange qui mit obstacle à cette action n'était autre chose qu'un
sentiment de raison et d'humanité qui, s'élevant dans le coeur
d'Abraham, l'empêcha de commettre une cruauté familière aux Cananéens
stupides et cruels parmi lesquels il vivait? Ne put-il pas, en
réfléchissant à ce qu'il allait faire, imaginer qu'il était impossible
que Dieu pût ordonner un crime aussi affreux que le meurtre de son
fils[18]? Je n'insisterai point sur cette façon d'expliquer un passage,
qui a fort embarrassé les théologiens, quand ils ont voulu concilier cet
ordre de la divinité avec les opinions raisonnables que l'on doit s'en
former; j'observerai seulement que les Égyptiens furent si opiniâtrement
attachés à cet usage d'immoler des victimes humaines, que quand les
Phéniciens, de qui ils le tenaient, furent chassés d'Égypte par
_Tethmosis_ ou _Amois_, roi de Thèbes qui défendit cet usage, ce prince
fut obligé de céder à la coutume en substituant des hommes de cire à des
hommes réels.

  [18] Selon la Genèse Abraham était sur le point d'immoler son fils.
    Peut-être le lecteur ne sera-t-il par fâché de comparer avec la
    conduite d'Abraham celle d'un roi payen dans une circonstance
    à-peu-près pareille. Le Dieu tutélaire de Thèbes étant apparu à
    Sabbacon, l'un des rois pasteurs de l'Égypte, et lui ayant ordonné
    de mettre à mort tous les prêtres du pays, ce prince jugea que les
    dieux ne voulaient plus qu'il demeurât sur le trône, puisqu'il lui
    ordonnaient des actions contraires à leurs volontés ordinaires. En
    conséquence il se retira en Éthiopie. Voyez _Diodore de Sicile_,
    _lib._ II. Cependant il n'est pas douteux que ce prince n'eût agi
    d'une façon plus sensée s'il eût regardé l'apparition de son dieu
    comme une rêverie ou une illusion, comme elle était effectivement,
    et alors il n'aurait pas abandonné son trône et son pays.

César nous dit que les Gaulois étant très superstitieux, ceux qui se
sentaient attaqués de quelque maladie dangereuse, ou qui se voyaient
exposés aux dangers de la guerre, offraient des sacrifices humains, ou
bien s'immolaient eux-mêmes au pied des autels, croyant que les dieux
immortels ne pouvaient être appaisés que lorsqu'on leur sacrifiait la
vie d'un homme pour celle d'un autre. Les Druides étaient chargés de ces
sacrifices; ils préparaient pour cet effet de grandes figures d'osier
dans lesquelles ils renfermaient des hommes vivans; après quoi ils
mettaient le feu à ces figures: les malheureuses victimes périssaient
ainsi dans les flammes. Il est vrai que les Gaulois croyaient que les
voleurs et les malfaiteurs étaient les victimes les plus agréables à
leurs dieux, mais à leur défaut ils prenaient des hommes innocens[19].

  [19] Voyez _de Bello Gallico, lib. VI, § 16_. Ils avaient toujours
    pour maxime que la vie d'un homme devait être expié par la vie d'un
    autre homme; _quod pro vita hominis, nisi vita hominis redditur, non
    posse Deorum immortalium numen placari_. IBIDEM.

C'était l'usage à Tyr dans les grandes calamités que les rois
immolassent leurs fils pour appaiser la colère des dieux. Les
particuliers qui se piquaient de n'être pas moins dévots que leurs
souverains, sacrifiaient pareillement leurs enfans quand il leur
arrivait quelque grand malheur; lorsqu'ils n'avaient point d'enfans ils
achetaient ceux des pauvres, afin de ne pas perdre les avantages d'une
oeuvre si méritoire.

Voici la méthode pratiquée dans ces sortes de sacrifices; il y avait une
statue colossale de bronze représentant _Saturne_ qui est le même Dieu
que le _Moloch_ dont il est parlé dans l'écriture. Cette statue était
creuse, les enfans destinés aux sacrifices y étaient enfermés après
qu'elle avait été rougie au feu; d'où l'on voit que ces victimes
infortunées étaient consumées dans des tourmens affreux. Pour étouffer
leurs cris, on faisait un grand bruit de tambours et de trompettes; les
mères se faisaient un devoir religieux et un point d'honneur d'assister
à ces horribles spectacles sans verser des larmes ou sans pousser aucuns
soupirs; elles auraient craint que leurs regrets ne rendissent le
sacrifice moins agréable aux dieux et moins utile pour elles-mêmes.

Les Carthaginois avaient appris cette coutume des Tyriens leurs
ancêtres; quand il régnait chez eux quelque maladie contagieuse, ils
sacrifiaient sans pitié un grand nombre d'enfans; sans égard pour des
êtres infortunés dont l'âge tendre excite la compassion dans les âmes
les plus féroces, ces superstitieux abrutis cherchaient dans leurs
crimes des remèdes contre leurs malheurs; ils devenaient barbares pour
exciter la pitié des dieux.

Diodore de Sicile nous dit que lorsqu'Agatocle assiégeait Carthage, les
habitans de cette ville se voyant réduits à l'extrémité, imputèrent
leurs maux à la juste colère de Saturne, parce qu'au lieu d'immoler,
suivant l'usage, les enfans des personnes les plus distinguées, on leur
avait frauduleusement substitué des enfans d'étrangers et d'esclaves.
Pour réparer cette faute, ils sacrifièrent à leur dieu deux cents enfans
des familles les plus nobles et les plus qualifiées de Carthage; de
plus, trois cents citoyens qui se sentirent coupables de ce crime
imaginaire, firent à leur divinité le sacrifice de leur vie.

Les Mexicains semblent avoir surpassé toutes les autres nations dans
l'usage infernal de sacrifier des victimes humaines. L'auteur de
l'_histoire civile et morale des Indes-Occidentales_, dit que ces
peuples ne sacrifiaient jamais que les prisonniers qu'ils faisaient à la
guerre. Montézuma ne voulut point conquérir la province de Tlascala afin
qu'elle pût fournir constamment aux sacrifices. Ceux qui aidaient à
immoler les victimes étaient regardés comme des hommes sacrés, leurs
fonctions étaient considérées, elles étaient héréditaires. Leur chef
était un prélat, un évêque, ou un pape à qui seul était réservé le droit
de porter le coup fatal.

Les Mexicains avaient de plus un sacrifice particulier d'un esclave, que
l'on traitait pendant une année de la façon la plus honorable; il était
superbement vêtu, on lui donnait le nom de l'idole du pays, on lui
assignait un logement dans le temple, on lui servait les mets les plus
exquis qui lui étaient présentés par les principaux d'entre les prêtres;
il était gardé par les plus grands seigneurs, afin d'empêcher qu'il
n'échappât. Quand il passait dans les rues il était suivi par des
grands, le peuple sortait des maisons pour le voir, et les femmes lui
présentaient leurs enfans pour recevoir sa bénédiction. A la suite de
ces honneurs, ou plutôt de cette farce cruelle, lorsque le tems de la
fête était venu, on lui ouvrait l'estomac, dont on arrachait le coeur
que l'on offrait tout fumant au soleil et l'on mangeait son corps.

Acosta nous dit que les Mexicains sacrifiaient tous les ans à deux de
leurs idoles deux mille cinq cents hommes engraissés avec soin, et que
lorsque leurs prêtres les avertissaient de faire honneur à leurs dieux,
on leur disait que ces dieux _avaient faim_; ils envoyaient des armées
pour chercher des prisonniers destinés aux sacrifices, dont ils
mangeaient la chair ensuite. Le même auteur assure que Montézuma
sacrifiait communément vingt mille hommes par an, et que ce nombre
allait quelquefois jusqu'à cinquante mille.

Il paraît que les prêtres de ce peuple étaient si sanguinaires et
avaient un tel ascendant sur les princes, qu'ils leur persuadaient que
leurs dieux étaient en colère et ne s'appaiseraient qu'en cas qu'on leur
immolât quatre ou cinq mille hommes en un jour dans des tems marqués;
ainsi pour les satisfaire il fallait, à tort ou à raison, faire la
guerre aux voisins pour se procurer un nombre suffisant de victimes.

Telles ont été les cruautés que la religion a fait exercer; Les hommes
ont commis les plus grands crimes pour expier leurs péchés, pour
détourner la colère et se concilier la faveur de leurs dieux; mais sans
le penchant qu'ils ont naturellement à la cruauté et les impostures de
leurs prêtres, les hommes n'auraient jamais imaginé que la divinité
exigeât d'eux d'autre sacrifice que celui de leurs passions déréglées.
Un honnête payen a dit avec raison: si tu veux rendre les dieux
propices, sois vertueux. _Vis Deos propitiare? bonus esto._ Je
terminerai ce sujet si révoltant des sacrifices humains par les vers que
Racine met dans la bouche de Clytemnestre parlant à son époux Agamemnon
à l'occasion du sacrifice d'Iphigénie; les horribles cérémonies de ces
odieux sacrifices y sont décrites de la manière la plus forte.

    Un prêtre environné d'une foule cruelle,
    Portera sur ma fille une main criminelle,
    Déchirera son sein, et d'un oeil curieux
    Dans son coeur palpitant consultera les Dieux!



SECTION V.

Des traitemens cruels que les hommes se font éprouver les uns aux autres
à cause de la différence de leurs opinions religieuses et de la
diversité de leur culte.


Le troisième et le dernier point de vue sous lequel on se propose
d'envisager la cruauté religieuse, a pour objet les traitemens inhumains
que les hommes se font réciproquement éprouver à cause de leurs
différens sentimens en matière de religion, et des diverses formes de
leurs cultes. Toutes les religions qui n'avaient pas totalement la
superstition pour base, ou qui n'étaient pas de pures inventions
politiques, ou qui n'avaient pas pour objet de tromper le plus grand
nombre pour l'avantage du plus petit, ont dû se proposer le bien-être du
genre humain; elles ont dû surtout avoir pour but de leur apprendre à
réprimer quelques passions, d'en régler d'autres, de rendre les hommes
paisibles, humains, indulgens, bienfaisans, sensibles à la pitié; pour
qu'une religion fût bonne, on aurait droit de s'attendre à lui voir
produire ces fruits avantageux; une religion que l'on nous donne comme
instituée par la divinité même devrait surtout ne jamais perdre ces
grands objets de vue. Cependant dans le fait toutes les religions ont
produit des effets tout contraires; elles ont fait éclore des disputes,
des jalousies, des animosités, des guerres, des persécutions, des
meurtres et des carnages, et celle qui passe pour la meilleure de toutes
est précisément celle qui a produit les plus grands désordres; à en
juger par ses effets, il semblerait que la religion chrétienne, loin
d'apporter la paix sur la terre, n'est venue y apporter que le glaive et
la destruction.

«Un de nos théologiens reconnaît qu'il est aussi surprenant
qu'affligeant de considérer le peu de bien que le christianisme a
produit, quand on le compare avec celui qu'il aurait pu faire depuis son
établissement dans le monde»[20]. Il dit ailleurs... «à force d'abus et
de perversité il est arrivé que l'évangile, bien loin de produire les
bons effets que l'on pouvait en attendre, a produit des maux sans
nombre... au lieu d'éclairer les hommes, de les rendre indulgens et
bienfaisans, il n'a servi qu'à faire naître des querelles, des erreurs,
des opinions; il a produit des haines invétérées inconnues avant lui; il
a causé des tumultes et des désordres que l'autorité civile n'a pu
souvent ni réprimer ni calmer».

  [20] V. le livre intitulé: _a reply, etc., par Ralph Heathcoate_,
    pages 172 et 174.

Nous ferons voir par la suite les causes de ces maux. Depuis le meurtre
du juste Abel jusqu'à nous, l'histoire nous montre la façon cruelle dont
les hommes se sont traités réciproquement, en vue de la diversité de
leurs opinions religieuses et de leurs cultes; elle nous prouve que ces
choses ont en tout tems et en tous pays fait naître des persécutions
humaines.

M. Chandler a observé, dans l'excellente introduction qu'il a mise à la
tête de l'_histoire de l'inquisition_, par Limborch, que l'on a tout
lieu de conclure d'un passage du livre de _Judith_ que les anciens juifs
ont été persécutés pour cause de religion. «Ce peuple, dit Achior à
Holopherne, est descendu des Chaldéens, et il habitait ci-devant la
Mésopotamie, parce qu'il ne voulait pas suivre les dieux de ses pères
qui vivaient en Chaldée; car il quitta les voies de ses ancêtres, et
adora le Dieu du ciel, le Dieu qu'il connaissait: ainsi il s'est
détourné de la face de ces dieux, et il se sauva dans la Mésopotamie, où
il séjourna long-tems».

Les juifs furent encore cruellement persécutés par Antiochus Épiphane,
qui, quoiqu'il fût un prince très méchant, ne laissait pas, comme il
arrive très souvent, d'avoir beaucoup de zèle pour sa religion: ceux
d'entre les juifs qui ne voulaient pas renoncer au culte du vrai Dieu
pour adorer ses idoles, furent par les ordres de ce tyran cruellement
battus, tourmentés, mis en croix; il fit mourir les femmes qui contre
ses ordres circoncisaient leurs enfans, il fit attacher ceux-ci au col
de leurs parens crucifiés. Les supplices qu'il fit endurer à Éléazar et
aux frères Machabées, parce qu'ils refusèrent de renoncer à leur
religion et de sacrifier aux dieux des Grecs, sont des exemples affreux
de la cruauté religieuse de ce monarque pervers.

Socrate, l'un des hommes les plus sages et les plus vertueux qui aient
jamais existé, fut mis à mort par les Athéniens, ses compatriotes, à
cause de sa façon de penser sur la religion. Ce que Juvenal nous dit
dans sa XVe satire prouve que les Égyptiens étaient souvent en querelle,
en venaient même aux coups, se massacraient les uns et les autres à
l'occasion de leurs différentes divinités.

Lorsque la religion chrétienne fit son entrée dans le monde, les juifs
et les payens lui déclarèrent la guerre et se réunirent pour l'étouffer.
Les juifs soumis eux-mêmes à une nation étrangère, quoiqu'ils eussent la
volonté de l'extirper, n'en avaient pas le pouvoir; mais les Romains
persécutèrent les chrétiens pendant près de trois cents ans; ils usèrent
souvent contre eux de cruautés inouies, qui ne furent surpassées que par
celles que les chrétiens ont depuis exercées les uns contre les autres.

M. Chandler observe dans l'_introduction_ que nous avons déjà citée que
les chrétiens dès le berceau de l'église eurent des dissensions et des
querelles, et qu'il s'en éleva même entre les chefs des Apôtres.
St.-Paul nous apprend lui-même qu'il avait résisté en face à Céphas ou
St.-Pierre. Le même St.-Paul reproche aux Corinthiens leur esprit de
parti, vu que chez eux les uns se disaient adhérens de Paul, d'autres
d'Apollon, d'autres de Céphas, et d'autres de Jésus-Christ. V. _Épitre
aux Corinthiens, chap. I, vers. 11, 12_[21]. En conséquence de ces
querelles beaucoup de chrétiens en vinrent bientôt à s'injurier, à se
diffamer, et à se faire tout le mal dont ils furent capables: dès qu'ils
eurent du pouvoir, qu'ils virent un empereur de leur religion à leur
tête, dès que de riches évêchés et de grands revenus furent devenus les
objets de leur ambition et de leurs contentions, avec quelle inhumanité
ne se sont-ils pas traités les uns les autres! On ne voit alors que des
emprisonnemens, des exils, des combats, des meurtres, des persécutions;
et pour lors ils levèrent le masque et montrèrent à l'univers l'esprit
qui les animait.

  [21] Il est évident que ces Corinthiens regardaient _Paul_, _Apollo_
    et _Cephas_ comme des chefs de secte; mais ce qui est bien plus
    étrange, il semblerait que quelques-uns d'entr'eux ont regardé
    pareillement _Jésus_ comme un chef de secte.



SECTION VI.

En quoi consistent quelques-unes des querelles religieuses qui ont
divisé les chrétiens, et combien les matières en dispute ont été
inintelligibles pour les disputans.


Avant d'entrer dans l'examen de la manière dont un grand nombre de
chrétiens se sont traités les uns les autres à l'occasion de leurs
querelles religieuses, il est à propos de jetter un coup-d'oeil sur les
objets de leurs disputes et de montrer combien peu les questions
disputées étaient entendues par ceux qui se croyaient intéressés dans
ces démélés; en effet les choses qui n'étaient point regardées comme des
points essentiels ne méritaient pas qu'on y mît tant de chaleur; quant à
celles que l'on n'entendait pas, il était, sans doute, inutile et
ridicule d'en disputer[22].

  [22] Si les hommes ne disputaient que sur les matières qu'ils
    entendent, il est certain que les disputes sur la religion se
    réduiraient à bien peu de choses; si l'on venait à détruire tous les
    livres qui traitent des matières ou qui renferment les disputes dont
    les auteurs eux-mêmes n'ont point eu d'idées claires, on détruirait
    un bien plus grand nombre de livres que ceux qui furent consumés
    dans la bibliothèque d'Alexandrie, où néanmoins l'on comptait
    jusqu'à 500,000 volumes.

Une des premières disputes qui s'éleva parmi les chrétiens, fut pour
savoir s'il fallait pratiquer la circoncision et quelques autres
cérémonies judaïques que l'on voulait incorporer dans la religion
chrétienne. Il paraît que ce fut là l'occasion de la querelle qui divisa
les apôtres St.-Pierre et St.-Paul, et qui subsista dans l'église encore
long-tems après eux.

Dès les premiers tems du christianisme, et même du vivant de plusieurs
d'entre les apôtres, il y eut des disputes très vives relativement à la
personne du Christ. «Quelques-uns, dit Laurent Échard, niaient sa
divinité, le croyant simplement fils de Joseph et de Marie, et le
regardant comme un personnage éminent. D'autres enseignaient que comme
_Jésus_ n'était qu'un homme, le _Christ_ était descendu sur lui sous la
forme d'une colombe, et que ce fut alors que _Jésus-Christ_ fit
connaître le père, inconnu jusque-là; et qu'à la fin le _Christ_, qui
était impassible, quitta _Jésus_ et lui laissa souffrir la mort. Enfin
il y en avait qui pensaient que son royaume subséquent serait terrestre,
qu'il régnerait dans la ville de Jérusalem, où les hommes jouiraient
pendant mille ans de toutes sortes de plaisirs charnels.» Voyez
_Échard's ecclesiastic history, vol. II, page 391_.

Nous observerons en passant que cette doctrine des _Millenaires_, qui
prouve que les Saints de ce tems n'étaient occupés que de biens
temporels, ainsi que beaucoup d'autres opinions également absurdes,
furent avancées et soutenues par St.-Irénée «qui, selon M. Dodwell,
vivait dans un tems si proche des apôtres, qu'il pouvait avoir reçu
d'eux sa doctrine, et la transmettre d'une façon sûre à la
postérité»[23]. Cet Irénée ne fut pas le seul qui soutint ces opinions,
elles furent adoptées par les premiers pères, qui nous les ont
transmises comme venant des apôtres et de leurs successeurs immédiats.
St.-Irénée prétendait pareillement que les saintes écritures avaient été
entièrement détruites durant la captivité de Babylone, mais avaient été
restaurées par Esdras, que dieu avait inspiré pour cet effet. Le docteur
Middleton assure que ce sentiment fut suivi par tous les principaux
pères de l'église des siècles suivans.

  [23] Le docteur Middleton dans ses _recherches libres_ (free inquiry),
    pag. 36, 38 et 39, a recueilli les opinions monstrueuses adoptées et
    soutenues par les plus anciens pères et surtout par _St. Justin_ et
    _St. Irénée_. «Entre autres absurdités, ce dernier soutenait la
    doctrine des Millenaires, dans le sens le plus grossier, et cela sur
    l'autorité d'une tradition qu'il tenait de tous les vieillards qui
    avaient conversé avec St. Jean; ceux-ci avaient ouï dire à cet
    apôtre ce que notre Sauveur lui-même enseignait sur ce point.» Voici
    un passage qu'il se rappelait. «Il viendra un temps où il croîtra
    des vignes qui auront chacune dix mille ceps, chaque cep aura dix
    mille branches, chaque branche aura dix mille rameaux, et chaque
    rameau portera dix mille grappes composées de dix mille raisins, et
    chaque grappe pressée fournira vingt-cinq mesures de vin; et
    lorsqu'un des saints ira cueillir du raisin sur une grappe, une
    autre grappe criera: _je suis meilleure, prenez-moi, et bénissez le
    Seigneur_. De même un grain de froment fournira dix mille épis,
    etc., qui fourniront chacun dix mille grains, dont chacun produira
    dix mille livres de farine la plus pure, et ainsi des autres
    semences et fruits.» Le docteur Middleton nous apprend que St.
    Irénée confirme sa doctrine par le témoignage des prophètes Isaïe,
    Ézéchiel, Daniel, et par l'Apocalypse de St. Jean, et qu'il
    prétendait que toutes ces choses n'étaient point allégoriques, mais
    s'accompliraient à la lettre dans la Jérusalem terrestre.

Mais revenons à quelques-unes des opinions qui ont occasionné des
querelles et des persécutions atroces parmi les chrétiens. Dès le tems
de St.-Polycarpe qui était disciple de St.-Jean, il y eut une dispute
très vive renouvelée plusieurs fois depuis, et qui absorba pendant un
grand nombre d'années l'attention du monde chrétien: il s'agissait de
savoir si pour la célébration de la Pâque l'on se réglerait sur les
juifs qui suivaient la pleine lune, ou si l'on se réglerait sur la
résurrection de Jésus-Christ, ou si on la célébrerait un dimanche. Par
malheur dans le nouveau testament rien ne semble obliger les chrétiens à
observer la Pâque; cependant cette question ne laissa pas d'exciter
entre eux de furieuses querelles, et fit même répandre beaucoup de sang.

Il y eut encore une autre question très importante qui occasionna des
disputes, des meurtres, et qui fit convoquer le troisième concile
écuménique; il s'agissait de savoir si la vierge Marie devait être
appellée _mère de dieu_[24]. Nestorius, patriarche de Constantinople,
voulut s'y opposer, disant que Marie était une femme, et concluant de là
que Dieu n'avait pu naître d'elle; _car_, disait-il, _je ne puis
appeller Dieu un enfant qui dans un certain tems n'a eu que deux ou
trois mois_. A quoi Nestorius aurait pu ajouter qu'il était impossible
que le dieu suprême, le créateur de toutes choses, qui existe par
lui-même, pût avoir ni père ni mère. Cependant ce prélat prétendait que
c'était blasphémer que de dire que dieu fût né d'une femme, que Dieu eût
souffert, que dieu fût mort.

  [24] On a donné depuis le titre de _grande-mère de Dieu_ à Ste.-Anne,
    mère de la vierge. On sait les disputes qui se sont élevées dans
    l'église au sujet de _l'immaculée conception_ de la vierge. On sait
    aussi qu'environ vers l'an 400 il fut question de savoir si la
    vierge Marie ayant conçue sans le secours d'un homme, avait perdu sa
    virginité. Voyez _Bower, hist. des Papes, vol. I_. On voit à Naples
    une inscription en l'honneur de la vierge où elle est appelée _Nata,
    Soror, conjux, eadem genitrixque tonantis_. V. _Les voyages de
    Keysler_.

Sous le règne de l'empereur Héraclius et de Constance son petit-fils, il
s'éleva une violente dispute pour savoir si Jésus-Christ avait eu deux
volontés, l'une divine et l'autre humaine. A la sollicitation de Paul,
évêque de Constantinople, on persécuta avec fureur pour cet important
article; mais Martin, évêque de Rome, assembla un concile composé de
cent cinquante évêques, qui décida que quiconque refuserait de
reconnaître deux volontés, l'une divine et l'autre humaine, dans le même
Jésus-Christ, devait être anathématisé. Est-il rien au monde de plus
ridicule que de voir 150 graves prélats assemblés pour une pareille
question[25]?

  [25] Cette question nous fournit un exemple frappant du jargon
    métaphysique des théologiens. Les orthodoxes disaient: deux volontés
    annoncent deux personnes, par conséquent une seule volonté
    n'annoncerait qu'une personne; mais dans la Trinité il n'y a qu'une
    seule volonté, vu que le père n'a pas une volonté différente de
    celle du fils, ni le fils du Saint-Esprit. _Ergo_ dans la
    Sainte-Trinité il n'y aurait qu'une seule personne, ce qui serait
    impie, absurde, blasphématoire. Les orthodoxes ajoutaient que dans
    la Trinité le père voulait en tant que Dieu (_quatenus Deus_) et non
    comme père; sans cela comme il est une personne distinguée de celle
    du fils, sa volonté serait une volonté distinguée de celle du fils;
    d'où ils concluaient que la volonté appartenait à la nature et non à
    la personnalité; et par conséquent que lorsque la nature était la
    même il ne pouvait y avoir qu'une volonté, quel que fût le nombre
    des personnes, et qu'au contraire lorsqu'il y avait plus d'une
    nature il devait y avoir plus d'une volonté. Voyez _Bower, hist. des
    Papes_, vol. III, page 109.

Dans le sixième concile écuménique auquel assistèrent deux cent
quatre-vingt-neuf évêques, les pères du concile après avoir félicité
l'empereur Constantin le fils aîné de Constans, qui venait de faire
couper le nez à ses deux frères puînés, afin de les empêcher de prendre
part à l'empire, après l'avoir comparé à un autre David suscité par
Jésus-Christ, et avoir dit qu'il était _selon le coeur de Dieu_, pour
n'avoir point joui du repos jusqu'à ce qu'il les eût assemblés afin de
découvrir la vraie règle de la foi: après, dis-je, avoir ainsi
complimenté cet indigne empereur et avoir condamné l'hérésie des
_Monothélites_, c'est-à-dire de ceux qui n'admettaient qu'une seule
volonté en Jésus-Christ, ces prélats déclarèrent qu'ils reconnaissaient
deux volontés naturelles et deux opérations, qui se trouvaient
indivisiblement, inconvertiblement, sans confusion et inséparables dans
le même Jésus-Christ, c'est-à-dire qu'ils reconnaissaient en lui
l'opération divine et l'opération humaine.

Il eût été très heureux s'il n'y avait eu que des ecclésiastiques qui se
fussent mêlés dans ces absurdes querelles, mais malheureusement pour la
chrétienté les empereurs s'y intéressèrent très vivement et tandis que
les Sarrazins assaillaient l'empire de tous côtés et en arrachaient des
provinces les unes après les autres, les empereurs au lieu d'assembler
des armées pour les repousser, assemblaient des conciles et faisaient
faire des canons, des décrets, des ordonnances au sujet de spéculations
métaphysiques qui n'avaient aucun rapport avec la religion chrétienne.

Cette dispute mémorable en fit éclore une autre; il s'agissait de savoir
si Jésus-Christ était seulement de deux natures et non pas en deux
natures. Cette importante question partagea l'an 504 la ville d'Antioche
en deux factions: la populace des deux partis fut enivrée de rage et de
folie par ses guides spirituels; on se battit sans avoir aucuns égards
ni aux liens de l'amitié ni à ceux de la parenté; cependant les
orthodoxes, c'est-à-dire les plus entêtés et les plus forts
l'emportèrent, et la rivière d'Oronte fut arrêtée dans son cours par le
grand nombre de cadavres des Eutychiens qui furent égorgés sans pitié.

La même année il s'éleva une terrible sédition à Constantinople au sujet
d'une addition faite à une hymne appellée le _Trisagion_. Les
expressions primitives dont on se servait dans cette hymne, étaient
_Dieu saint, Dieu puissant, Dieu immortel, ayez pitié de nous_. Cette
hymne était destinée à exprimer la croyance de la Trinité. Tous les
troubles furent occasionnés parce qu'on y avait ajouté ces mots _qui a
été crucifié pour nous_. Après plusieurs combats qui se livrèrent non
seulement dans les rues, mais même dans les églises, la populace
orthodoxe, soutenue par une armée de moines, remporta la victoire sur
les Eutychiens, qui avaient pourtant les soldats et la cour de leur
côté. Alors les orthodoxes donnèrent des ordres pour massacrer, sans
distinction de sexe ou de rang, tous ceux qui avaient assisté l'empereur
dans la guerre qu'il avait faite _à la très sainte Trinité_. En
conséquence dans l'espace de trois jours on égorgea dix mille
Eutychiens, leurs maisons furent pillées et brûlées, ainsi qu'une grande
partie de la capitale.

Dans la querelle au sujet du culte des images, c'est-à-dire lorsqu'il
fut question de savoir si les chrétiens devaient être idolâtres ou non,
ceux qui soutenaient l'affirmative l'emportèrent, vû que c'est
ordinairement ceux qui ont tort qui se battent avec le plus de zèle et
de frénésie. Cette dispute se termina donc par l'établissement de
l'idolâtrie, qui subsiste encore aujourd'hui dans l'église romaine, au
grand scandale de la chrétienté.

On ne finirait point si l'on voulait entrer dans le détail de toutes les
contestations qui se sont élevées au sujet de la grace, des oeuvres, de
la justification, du libre arbitre, etc. L'on a disputé pour savoir si
l'on devait recevoir la communion debout ou à genoux; si le pain
sacramental devait être levé, ou non levé; si le vin devait être pur ou
mêlé avec de l'eau; si le baptême devait être administré aux enfans ou
aux adultes; si pour purifier l'âme il fallait plonger le corps dans
l'eau ou s'il suffisait de jetter de l'eau sur la face ou sur la tête.
L'on se battit pour savoir laquelle de ces deux méthodes était la plus
avantageuse au salut; si le surplis et quelques autres habillemens des
prêtres étaient décens, nécessaires et pieux, ou s'ils étaient indécens,
impies, anti-chrétiens, abominables. En un mot ce serait fatiguer la
patience du lecteur que de rapporter une infinité de contestations
également intelligibles et intéressantes, qui ont néanmoins occasionné
des débats très violens et des persécutions affreuses entre les
chrétiens. Je me bornerai donc à parler des querelles qui se sont
élevées au sujet du _péché originel_, sur l'élection et la réprobation,
sur la nature de l'eucharistie, enfin sur la Trinité; je tâcherai
cependant d'être le plus concis qu'il me sera possible.

L'on a beaucoup disputé pour savoir en quoi consistait le péché
originel, s'il fallait entendre à la lettre la manducation du fruit
défendu, ou s'il fallait entendre par là le commerce illicite entre les
deux sexes. Quoique le genre humain eût été créé mâle et femelle et
indubitablement avec ses passions naturelles, cependant on supposa qu'il
lui était défendu de jouir. L'on a de plus imaginé des opinions diverses
pour rendre compte de la façon dont le péché d'Adam s'est transmis à sa
postérité, si ce fut par _imputation_ ou par une sorte de contagion, de
corruption, de transfusion, d'infection, etc.

Il y eut de tout tems des disputes interminables, et il y en aura
toujours suivant les apparences au sujet de _l'élection_ et de la
_réprobation_; on a allégué un grand nombre de passages pour et contre,
et chacun a, comme de raison, prétendu qu'ils étaient clairs et décisifs
en sa faveur; mais comme mon dessein n'est point d'entrer dans ces
sortes de discussions, je me contenterai d'exposer ici en peu de mots
l'état de la question qui a la réprobation pour objet.

Dieu, qui sait et prévoit tout, a créé tous les hommes en conséquence
d'un acte de sa volonté; il les a forcés d'exister, quoique suivant
l'opinion de ceux qui soutiennent la réprobation, il sût ou prévît très
bien, et même eût ordonné que la plus grande partie des hommes serait
éternellement malheureuse. Tel est selon eux le décret d'un Dieu
infiniment juste, infiniment bon, infiniment miséricordieux. Il est
certain que si l'on voulait soumettre cette question au tribunal de la
raison, elle ne prêterait guère à la dispute, elle deviendrait plutôt un
objet d'horreur.

Le lecteur intelligent pourra probablement pousser où il voudra ses
réflexions là-dessus: mais il ne peut les pousser trop loin, s'il se
laisse uniquement guider par la vérité.

Dans les disputes sur l'eucharistie, il fut question de savoir si le
pain et le vin, administrés à ceux qui les reçoivent dignement et avec
foi, les font participer au corps et au sang de Jésus-Christ, ou si les
espèces ou élémens sont consubstanciés avec ce corps et ce sang, ou
enfin si, suivant la doctrine de l'église romaine qui est la plus
nombreuse des sectes chrétiennes, le pain et le vin sont
_transubstanciés_, c'est-à-dire changés dans le vrai corps et le vrai
sang de Jésus-Christ, dans le corps et le sang de Dieu, du créateur de
l'univers[26].

  [26] Il y a eu de grandes contestations dans l'église romaine pour
    savoir si le pain et le vin reçus dans le sacrement d'Eucharistie se
    changeaient par la digestion en excrémens comme les autres alimens;
    on donna le nom de _Stercoranistes_ à ceux qui soutenaient
    l'affirmative, mot qui vient de _Stercus_. Le cardinal Humbert, dans
    sa réponse à Nicetas Pectoratus, le traite de Stercoraniste pour
    avoir soutenu que l'Eucharistie rompait le jeûne.

Le dogme de la trinité, étant un des plus abstraits de la religion
chrétienne, et par conséquent celui qui est le moins intelligible, a
excité les plus grandes et les plus opiniâtres disputes. Il s'éleva deux
antagonistes qui se querellèrent sur cette matière; l'un fut _Alexandre_
évêque d'Alexandrie, et l'autre fut un prêtre nommé _Arius_. L'évêque
Alexandre, en parlant de la Trinité, avança que le fils était coéternel
et _consubstanciel_ avec le père et son égal en dignité. Arius lui
opposa cet argument; _si le père a engendré le fils, celui qui est
engendré doit avoir eu un commencement de son existence; d'où il suit
qu'il y eut un temps où le fils n'existait pas_. Arius en concluait que
le fils tenait sa substance de choses non existantes. D'un autre côté
Arius, au dire de l'évêque Alexandre, prétendait qu'il y avait eu un
tems où il n'y avait pas de fils de Dieu, et que celui qui n'existant
pas auparavant avait existé par la suite, devait être regardé sur le
pied des hommes ordinaires, et par conséquent était d'une nature
changeante et susceptible de vices ainsi que de vertus. Selon Arius la
doctrine d'Alexandre était que Dieu a toujours été et que son fils a
toujours été, que le père et le fils sont coéternels, que le fils
coexiste avec Dieu sans être engendré, ayant été engendré de toute
éternité, c'est-à-dire, engendré, sans être engendré; que Dieu n'était
point avant son fils, pas même en idée ou dans aucun point du tems,
étant toujours Dieu et toujours fils. V. _Chandler dans son
introduction, pag. 22 et 23_.

Cette dispute, également intelligible de part et d'autre, également
édifiante et instructive, fut l'occasion des violences, des
persécutions, des massacres les plus atroces, et fit verser des flots de
sang. De notre temps on a vu encore bien des combats au sujet de la
Trinité, mais les combattans, quoique très acharnés les uns contre les
autres, n'ayant point d'autres armes que leurs langues et leurs plumes,
n'ont guère pu se faire d'autre mal que de s'injurier, de se calomnier,
de s'outrager réciproquement.

Le lecteur pourra facilement imaginer combien les disputans pouvaient
être éclairés sur les matières pour lesquelles ils s'entrégorgeaient les
uns les autres. Cependant il est bon de faire voir combien leurs
disputes étaient entendues par le peuple qui y prenait un très vif
intérêt: il est pourtant à présumer que le vulgaire le plus grossier
était pour l'ordinaire autant au fait des questions que ses théologiens
les plus profonds.

Après que quelques évêques eurent pieusement condamné Dioscore, évêque
d'Alexandrie, ils s'occupèrent du soin d'établir la foi, conformément au
symbole de Nicée, aux opinions des pères, à la doctrine de Saint
Athanase, de Saint Cyrille, de Saint Basile, de Saint Grégoire, de Saint
Léon; en conséquence il fut décidé que «Jésus-Christ était vrai Dieu et
vrai homme, consubstanciel au père quant à sa divinité, et
consubstanciel à nous quant à son humanité; qu'il fallait reconnaître
qu'il était composé de deux natures sans mélange qui ne pouvaient se
convertir l'une dans l'autre, et pourtant indivisibles et inséparables;
qu'il n'était point permis à personne d'avancer, d'écrire, de penser,
d'enseigner aucune doctrine contraire; etc.» Cette décision fut suivie
des acclamations du peuple, qui cria «_que Dieu bénisse l'empereur, que
Dieu bénisse l'impératrice! Nous croyons ce que croit le pape Léon. Nous
condamnons et nous damnons ceux qui divisent ou qui confondent les deux
natures. Nous croyons comme Cyrille; que le nom de Cyrille soit
immortel. C'est ainsi que croient les Orthodoxes; anathême à quiconque
ne croit pas de même_». Voyez l'_introduction de M. Chandler, pag. 47_.

Il suffira de rapporter encore un exemple de cette nature que nous
fournit le commencement de ce siècle. Une portion du clergé de quelques
cantons de la Suisse ayant dressé les articles d'un formulaire appelé
_le Consensus_, il s'éleva de grands débats et des troubles à son sujet.
«Il est constant, dit l'auteur que je cite, que la plupart des fauteurs
ainsi que des ennemis de ce formulaire ne l'avaient ni vu ni lu, et que,
s'ils en eussent pris lecture, ils ne l'auraient point entendu;
cependant on en fut si allarmé dans le pays de Vaud que l'effroi n'eût
pas été plus grand si l'ennemi eût été sur la frontière. Le peuple
croyait que ce _Consensus_ était un homme de la Suisse Allemande qui
venait pour déposer les prédicans du pays de Vaud, et pour introduire
une nouvelle doctrine. Durant ce trouble on envoya quelques députés de
Berne à Lausanne pour rétablir la paix, et ceux-ci ayant pris pour
secrétaire un homme fort grand et fort maigre, on prit celui-ci pour le
_Consensus_, et il fut souvent en danger d'être assommé par la populace
des villages qui ne faisaient que le huer en disant, _voilà le
Consensus; c'est ce grand vilain-là qui est le Consensus_. Les femmes
pleuraient dans les rues, comme si elles eussent perdu tous leurs biens
et leur liberté. Dans la ville de Lausanne, la consternation fut aussi
grande que si tous les habitans eussent été condamnés à la mort.» Voy.
_l'état et les délices de la Suisse, tome IV, pag. 355 et suivantes_.

Quelque pitoyables ou ridicules que ces disputes doivent paraître à tout
lecteur sensé; quelque inintelligibles qu'elles paraissent à d'autres,
elles n'ont pas laissé ainsi que bien d'autres querelles tout aussi
obscures, de servir de prétextes à des cruautés atroces depuis la
fondation du christianisme. Pour peu que l'on soit au fait de l'histoire
ecclésiastique, l'on saura que les chefs de la dispute dans ces
controverses insensées, et que les principaux acteurs des sanglantes
tragédies qui se passèrent dans l'église primitive au sujet des opinions
religieuses et de la diversité des formes du culte, ont communément
mérité le titre de _Saints_ et de _Pères de l'église_. Si nous examinons
impartialement et sans préjugé la conduite de la plupart de ces grands
saints et bien d'autres qui ont passé pour des lumières de l'église,
tandis qu'on aurait dû les regarder comme les brandons de la discorde;
nous serons forcés de reconnaître qu'ils étaient des hommes très pervers
et très méchans à tous égards, et sur-tout des persécuteurs très
virulens; leur prétendu zèle pour la religion, loin d'amortir en eux
l'orgueil, l'avarice, l'ambition, l'envie, la noirceur et la cruauté, ne
faisait qu'enflammer ces passions en eux et les faire éclater sans
pudeur et sans retenue. Il y a tout lieu de croire que ces grands
hommes, ainsi que la plupart de leurs successeurs, ont plutôt regardé la
religion comme un moyen de satisfaire leur vanité et leur cupidité que
de se procurer la sainteté.

On nous dira peut-être que beaucoup de ces querelleurs ou de ces saints
ont souffert le martyre. Nous en conviendrons; mais il paraît évident
qu'ils manquaient de charité et de beaucoup d'autres vertus chrétiennes;
dans ce cas à quoi pouvait-il leur servir de laisser brûler leur corps?
Le martyre seul ne prouve point qu'ils aient été des gens de bien; il y
a tout lieu de croire que l'orgueil et le désir de passer pour des
saints ou d'acquérir une haute réputation furent les motifs de leur
conduite; ou bien peut-être espéraient-ils que leurs souffrances les
aideraient à expier les crimes dont ils se sentaient coupables et leur
vaudraient des récompenses. Il peut encore se faire que la chaleur de
leur tempéramment eût beaucoup de part à leur conduite; en effet
beaucoup d'hommes très méchans sont devenus martyrs, même pour des
bagatelles ou dans de mauvaises causes. L'athéisme lui-même eut ses
martyrs, et l'on rapporte de Philoxène que les menaces des tourmens les
plus rigoureux ne purent jamais l'engager à louer les mauvais vers d'un
tyran. M. de la Loubere nous apprend que lorsque le prince Tartare qui
régnait à la Chine en 1687, voulut forcer les Chinois à se raser la tête
à la façon des Tartares, un grand nombre de ces Chinois aima mieux
mourir que de se conformer à cet ordre. Les Bonzes de ce même pays
s'enferment dans des chaises à porteurs remplies de cloux dont la pointe
est tournée en dedans, et s'infligent beaucoup de tourmens semblables,
uniquement pour exciter l'admiration et la charité du vulgaire.

Des philosophes indiens se sont brûlés eux-mêmes pour acquérir de la
réputation; les femmes de l'Indostan vont avec la plus grande gaîté se
brûler vives sur les corps de leurs maris décédés, le tout parce que
c'est une coutume établie dans ces contrées.

Joignez à cela que nous ne devons pas supposer que tous les saints qui
furent mis à mort sous les empereurs romains aient été à proprement
parler des martyrs du christianisme; on sait très bien que plusieurs
d'entre eux ont été punis pour des attentats contre le gouvernement, et
que beaucoup d'autres le furent parce qu'ils avaient excité la populace
à démolir les temples des païens ou à commettre d'autres désordres très
contraires au repos de la société.



SECTION VII.

De plusieurs saints très orthodoxes et pères de l'église qui ont été de
violens persécuteurs.


Après avoir rapporté quelques-uns des articles sur lesquels les
chrétiens ont eu de violentes disputes; après avoir montré combien ces
articles ont été entendus par les disputeurs et par ceux qui se sont
crus intéressés dans ces querelles; après avoir fait voir quelle espèce
d'hommes étaient les chefs les plus zélés et les plus dévots qui les
excitaient, nous allons continuer à mettre sous les yeux du lecteur
quelques exemples des persécutions atroces et des cruautés révoltantes,
qu'un grand nombre de ceux qui s'appellent des chrétiens ont exercé les
uns contre les autres à l'occasion de leurs opinions diverses.

Si l'on voulait entrer dans le détail de ces infamies, on serait obligé
de transcrire des volumes immenses de martyrologes, l'histoire
ecclésiastique tout entière, les légendes, les vies des pères et des
saints, ouvrages remplis d'exemples de cruauté religieuse: on y
trouverait des traits qui feraient frémir les lecteurs en qui le
fanatisme n'a point totalement éteint les sentimens d'humanité.

On se bornera donc ici à rapporter en peu de mots quelques-uns de ces
actes de férocité. En effet, si l'on pouvait admettre l'hyperbole de
Saint Jean, l'on pourrait dire que le monde serait trop petit pour
contenir les livres où l'on raconterait fidèlement tous les détails des
cruautés exercées par ceux qui ont l'impudence de se dire les disciples
de Jésus-Christ.

On a déjà fait observer que les querelles et les disputes ont commencé
dès les premiers instans du christianisme, et que les apôtres eux-mêmes
ne furent point d'accord entr'eux; par la suite les chrétiens, à mesure
qu'ils eurent plus de pouvoir et de liberté, firent éclater plus
hardiment leur cupidité, leur orgueil, leur ambition, leur férocité, et
se permirent des violences qui font rougir la raison.

Jusqu'au tems de Constantin, qui fut le premier empereur chrétien, les
chrétiens étant sous le gouvernement des payens furent obligés de s'en
tenir à se maudire, s'injurier, se déchirer et même avec raison les uns
les autres; mais à peine eurent-ils obtenu la permission de se
persécuter d'une façon plus efficace, qu'ils profitèrent de cette fatale
liberté pour s'excommunier, se bannir, s'emprisonner, se tourmenter et
se mettre réciproquement à mort. Indépendamment des essaims d'hérétiques
qui s'élevèrent, qui soutinrent les opinions les plus absurdes, les plus
monstrueuses, qui se rendirent coupables des crimes les plus contraires
aux moeurs, l'église fut encore divisée en deux partis principaux,
distingués par les noms d'_Orthodoxes_ et d'_Ariens_; ceux-ci furent
déclarés hérétiques par les premiers[27].

  [27] L'on a observé au sujet des hérétiques et des sectaires en
    général que moins ils différaient entr'eux dans leurs opinions, plus
    ils avaient d'antipathie les uns pour les autres. C'est apparemment
    la même raison qui fait que quelques hommes ont une aversion plus
    marquée pour les singes que pour tous les autres animaux.

Selon que ces deux cabales jouirent alternativement du pouvoir ou eurent
les empereurs de leur côté, elles persécutèrent leurs adversaires avec
toute la fureur et la rage que le fanatisme peut exciter. Il est
sur-tout bon de remarquer que les Orthodoxes furent bien éloignés de
donner des exemples de douceur à leurs adversaires; quoiqu'ils se
plaignissent très amèrement de la cruauté des Ariens quand ceux-ci
prenaient le dessus, et quoique Saint Athanase assurât que la
persécution était une invention diabolique, cependant les Orthodoxes ne
mettaient aucunes bornes à leurs furies quand ils devenaient les plus
forts, et même ce furent eux qui les premiers décernèrent la peine de
mort contre ceux qui différaient de leurs opinions religieuses; enfin
les hommes les plus distingués des deux partis, furent communément les
persécuteurs les plus cruels.

Saint Athanase, qui occupait un rang très distingué dans l'église et qui
se fit remarquer par son zèle ardent pour la foi Orthodoxe, ne se
distingua pas moins par son esprit turbulent, persécuteur, et par ses
actions cruelles. Ce prélat remuant fut déposé plusieurs fois pour ses
crimes énormes et ses pratiques séditieuses; son rétablissement fut
communément accompagné de tumultes et de massacres, excités par lui-même
ou par ses adhérens.

Plusieurs évêques et prêtres, qui s'étaient déclarés pour le parti
orthodoxe, accusaient ce grand saint auprès de l'empereur, d'être par sa
conduite emportée, l'auteur de tous les troubles de l'église; on lui
imputait d'avoir fait fustiger, mettre dans les fers et même assassiner
quelques-uns de ses adversaires. Ce saint homme se rendit aussi coupable
de calomnie: il fut accusé d'avoir suborné de faux témoins pour détruire
ses ennemis, et entr'autres Eusèbe de Nicomédie; en effet il engagea une
femme à dire que ce prélat lui avait fait un enfant, fausseté qui fut
découverte au concile de Tyr. Ce grand docteur fut encore banni pour
avoir vendu le blé que l'empereur Constantin avait donné pour la
subsistance des pauvres d'Alexandrie, dont il était évêque. La conduite
de cet homme nous prouve qu'il est très possible de montrer beaucoup de
zèle, même pour la religion orthodoxe, de disputer avec beaucoup de
subtilité sur les points les plus abstraits de la théologie, de se
rendre fameux par un symbole, et d'être en même tems un scélérat décidé.

Si Dieu défendit à David de bâtir le temple des juifs, parce qu'il avait
versé le sang, à combien plus forte raison un persécuteur aussi
sanguinaire que Saint Athanase, était-il peu propre à édifier l'église
chrétienne?

Cependant ce Saint abominable ne fut pas à beaucoup près le seul qui
exerçât des persécutions sanguinaires. St. Chrysostôme, ainsi nommé à
cause de son éloquence extraordinaire, se fit remarquer par son humeur
turbulente. St. Cyrille, Dioscore et bien d'autres le secondèrent avec
chaleur dans ses excès et dans ses entreprises détestables. Le premier
(St. Jean Chrysostôme) fit éprouver de très-grandes violences aux
évêques ses confrères; il les déposait d'une façon purement arbitraire,
il en substituait d'autres en leur place contre le voeu des peuples; il
alla jusqu'à insulter l'impératrice Eudoxie. Il excita un soulèvement
contre les Goths dans la ville de Constantinople; l'on fut sur le point
de faire mettre le feu au palais impérial et d'assassiner l'empereur; ce
tumulte se termina par le massacre de tous les soldats Goths, dont on
brûla l'église avec un grand nombre de ceux qui s'y étaient rassemblés
pour y chercher un asile; on les y enferma pour les empêcher d'échapper.

Le second de ces saints, c'est-à-dire, St. Cyrille, évêque d'Alexandrie,
ne fut ni moins cruel ni moins tyran que le premier: il employa tout son
pouvoir pour écraser tous ceux qu'il nommait hérétiques, s'arrogeant une
autorité illégitime, et osant même insulter le gouverneur de la ville,
placé par l'empereur. Il commit par lui-même et fit commettre par
d'autres les violences les plus abominables; ses adhérens et son clergé
assassinèrent, de la façon la plus barbare, une femme vertueuse remplie
de science et de beauté, appellée _Hypatia_; ces forcenés l'ayant
rencontrée au sortir d'une visite, la saisirent, l'arrachèrent de sa
voiture, la traînèrent dans une église, la dépouillèrent toute nue,
l'écorchèrent toute vive, la déchirèrent ensuite en pièces, et finirent
par réduire son corps en cendres.

Dioscore, successeur de Cyrille, s'empara d'une grande somme d'argent
donnée par une femme de qualité aux hôpitaux et aux pauvres d'Égypte, et
fit transporter dans ses propres greniers le bled que l'empereur
accordait annuellement, pour la subsistance des pauvres chrétiens de
Lybie, où il ne venait point de grains, il le garda tandis que ces
malheureux mouraient de faim; il attendit une grande disette pour le
vendre à un prix exorbitant, sans en donner un grain aux pauvres. Il se
conduisit en vrai tyran à l'égard du peuple d'Alexandrie; sans aucun
scrupule il se saisissait des biens, il faisait brûler les maisons, il
faisait abatre les arbres et détruire les jardins; il tenait à sa solde
une troupe de spadassins dont il se servait pour faire assassiner,
tantôt publiquement et tantôt en secret, ceux qui avaient le malheur de
lui déplaire.

Les Ariens ne le cédèrent point en injustice et en cruauté aux vrais
croyans; leurs évêques furent aussi turbulens, aussi cruels, aussi
inhumains que les premiers. Un exemple suffira pour en convaincre;
l'auteur de la vie de l'empereur Julien, nous dit que George, évêque
d'Alexandrie, avait été tiré de la lie du peuple; il fit d'abord le
métier de parasyte, ensuite il fut placé dans les fermes de l'empereur,
où il s'appropria les sommes qui passèrent par ses mains; à la fin,
après beaucoup d'aventures, le parti des Ariens le jugea digne de
remplir le second siége de l'église; il ne possédait ni les vertus d'un
évêque, ni aucune bonne qualité; il était entreprenant, audacieux, sans
pudeur et sans pitié. Quand il fut en place, son faste, sa cruauté et sa
rapacité l'auraient fait prendre pour un payen, s'il n'eût pillé les
temples, car c'était dans cette dévotion lucrative que tout son
christianisme consistait. Les Orthodoxes le détestaient comme un ennemi
sanguinaire, et tout le monde comme un voleur, un oppresseur, un
scélérat; les gens en place étaient forcés de se rendre les ministres de
ses tyrannies de peur d'en devenir les victimes. Ce portrait est
confirmé par Ammien-Marcellin, et par les historiens ecclésiastiques
Sozomène, Socrate, Théodoret; ce dernier dit, en parlant de George, que
c'était un vrai loup, et qu'il dévorait ses brebis avec plus de cruauté
qu'un loup, un ours, ou un léopard n'aurait pu faire.

Plusieurs autres Ariens ont imité la conduite de ce prélat. Lorsqu'on
déposait des évêques Orthodoxes pour les remplacer par des Ariens, ces
changemens étaient pour l'ordinaire accompagnés d'une infinité de
massacres. L'empereur Julien n'avait-il donc pas raison de dire, qu'_il
n'y avait pas de bêtes féroces plus acharnées contre les hommes, que les
chrétiens l'étaient les uns contre les autres_? Il paraît que l'empereur
Jovien était au fait du caractère d'un grand nombre d'entre eux, et du
principal objet de leur dévotion, lorsqu'il disait _qu'ils n'adoraient
point Dieu, mais la pourpre_. Ammien-Marcellin, auteur payen, en
rapportant les combats sanglans qui se livraient à Rome, quand il
s'agissait de l'élection d'un évêque, s'appercevait bien du but que se
proposaient les candidats, lorsqu'il dit, _livre XXII, chap. V_, «qu'il
n'était pas surprenant que des hommes qui ne cherchaient que des
grandeurs humaines, combatissent avec autant de chaleur et d'animosité,
pour obtenir cette dignité, vû que quand ils l'avaient obtenu, ils
étaient sûrs de s'enrichir par les offrandes des dames, de pouvoir se
montrer avec éclat, de se faire admirer par la magnificence de leurs
équipages, de leurs festins somptueux, et par un luxe et une profusion
qui surpassaient ceux des princes souverains».

Grotius n'a-t-il donc pas raison de dire que celui qui lit l'histoire
ecclésiastique, n'y trouve rien que les vices et les crimes des évêques?
En effet comme cette histoire ne présente que les détails des disputes
insensées sur des points ridicules, inintelligibles et absurdes entre
les chefs de l'église, et des persécutions atroces qu'ils faisaient
réciproquement éprouver, on pourrait dire que la satyre la plus
sanglante qui ait jamais été faite contre l'église, c'est l'histoire de
l'église.



SECTION VIII.

De la puissance du clergé, et de la tyrannie de l'évêque de Rome.


Ce ne fut que lorsque l'empire romain, qui renfermait la plus grande
partie du monde, fut presqu'entièrement converti à la religion
chrétienne, que l'église qui avait été longtems militante parvint aux
honneurs du triomphe; cependant le clergé, et en particulier l'évêque de
Rome, n'arrivèrent point encore à ce degré de puissance dont ils ont
joui par la suite.

En effet, quoique peu de tems après l'établissement du christianisme
dans l'empire, plusieurs empereurs accordassent au clergé un pouvoir
très considérable, néanmoins celui-ci fut souvent contenu par la
puissance souveraine, qui l'empêcha de faire tout le mal dont il était
capable, et de donner un libre cours à son humeur cruelle et
intolérante. Cependant peu après l'évêque de Rome parvint à se faire
reconnaître évêque _universel_ ou _oecuménique_; pour lors il se mit
non-seulement au-dessus des princes, des rois, des empereurs, mais
au-dessus de Dieu lui-même[28]. Non-seulement il fit la loi aux
souverains, mais même il les déposa suivant son caprice, il s'en servit
comme de marche-pieds[29]; il leur imposa des châtimens ignominieux, il
les fit périr[30], lorsqu'ils refusèrent de plier sous ses volontés
tyranniques. Bien plus, autant qu'il dépendit de lui, il se mit
au-dessus de Dieu lui-même; il détrôna le tout-puissant en s'arrogeant
un pouvoir sur les consciences des hommes, sur lesquelles il n'y a que
Dieu seul qui ait des droits.

  [28] Hostiensis assure que la dignité sacerdotale est 7644 fois au
    dessus de la dignité royale, vu que c'est la proportion de grandeur
    qui se trouve entre le soleil et la lune.

  [29] En 1169, le pape Alexandre III mit le pied sur la gorge de
    Frédéric Barberousse, en citant en même tems ces paroles du pseaume,
    _super aspidem et basilicum ambulabis, etc._

  [30] Le pape Grégoire VII obligea l'empereur Henri IV, durant un froid
    très rigoureux, de rester pendant trois jours exposé aux frimats et
    aux injures de l'air dans la cour du château du Modénois, revêtu
    d'un sac et pieds nuds, sans boire ni manger; et en cette posture il
    fut forcé d'implorer sa miséricorde; ce ne fut qu'à ces conditions
    que le pape consentit à l'admettre dans le sein de l'église. Clément
    IV conseilla la mort du jeune Conradin. Clément V fit empoisonner
    l'empereur Henri VI dans une hostie. En 1249, Innocent VI avait
    suborné un assassin pour tuer Frédéric. Durant ces débats il n'y eut
    pas moins de 78 batailles livrées entre les partisans des papes et
    les empereurs, leurs légitimes souverains.

Ce despotisme insolemment usurpé par le pape ne servit qu'à répandre des
terreurs, des calamités, des cruautés religieuses, d'abord dans toute la
chrétienté, et ensuite jusqu'aux extrémités de la terre; les Indiens
sauvages furent eux-mêmes forcés de boire dans la coupe de la
persécution qui leur fut présentée par les chrétiens dévots.

Aussi tôt que quelques-uns des sujets d'un prince chrétien refusaient
d'admettre les dogmes absurdes et anti-chrétiens, ou d'adopter les
pratiques ridicules et idolâtres, imposées par ce pontife despotique ou
par ses ministres insolens, le prince recevait l'ordre de les forcer à
la soumission; quand les peuples demeuraient opiniâtres, c'est-à-dire,
quand ils persistaient à croire et à agir suivant leurs consciences, ces
princes étaient obligés, sous peine d'être excommuniés et privés de
leurs états, de se rendre les vils instrumens d'un prêtre, de devenir
les infâmes persécuteurs de leurs propres sujets, de venger l'église par
des bannissemens, des supplices, des assassinats, des croisades, etc.
Ainsi les princes furent réduits à la fâcheuse alternative d'affaiblir
leurs états, en bannissant ou détruisant un grand nombre des plus utiles
et peut-être des meilleurs de leurs sujets, et même d'agir souvent
contre leur propre conscience, ou bien ils coururent le risque d'être
châtiés eux-mêmes par un pontife cruel, d'être privés de leurs
couronnes, d'être assassinés par quelque sujet dévot et fanatique,
d'être détrônés par quelque prince étranger, animé par le pape à sa
destruction.

Lorsque des nations ou leurs chefs refusèrent de reconnaître la
suprémacie ou la souveraineté de ce _serviteur des serviteurs de Dieu_,
c'est-à-dire, de ce roi des rois; lorsque des princes et des peuples
furent assez impies pour refuser de se soumettre aux ordres de ce
pontife arrogant, ou de regarder ses décrets comme des oracles divins,
ils furent déclarés hérétiques, ils furent livrés à Satan, et leurs
états furent adjugés à quelque prince plus soumis au pape, à qui
celui-ci permit de s'en emparer par la force des armes.

C'est ainsi que le pape Sixte V en usa à l'égard de la reine Elisabeth
et de notre nation; il les déclara hérétiques, il les condamna aux
flammes éternelles, il excita et soudoya Philippe II, roi d'Espagne,
pour qu'il entreprît la conquête de ce royaume, et si le succès eût
répondu aux désirs du très saint père, il eût joui de la souveraineté de
notre île en récompense de ses peines.

Parmi les exemples sans nombre que l'on pourrait rapporter de la
conduite tyrannique et cruelle des papes à l'égard des souverains qui
résistaient à leurs ordres quand ces pontifes voulaient qu'ils
tourmentassent et égorgeassent leurs propres sujets, nous choisirons
l'exemple de Raymond, comte de Toulouse, et de son fils. Ce prince ayant
été pressé par le pape Innocent III de bannir les Albigeois de ses
états, où ils étaient en très grand nombre, sur le refus que fit le
comte de se priver d'une si grande quantité de sujets, ou même de les
tourmenter, le pape le fit excommunier et fit absoudre tous ses sujets
du serment de fidélité; de plus il autorisa tout prince catholique de
lui faire la guerre, de lui courir sus, et de s'emparer de ses terres.
Pour rendre ces dispositions plus efficaces, on leva une armée de
croisés, c'est-à-dire, d'une espèce de _janissaires_ de l'église, pour
marcher contre Raymond. St Dominique se mit à la tête de ces dévots
brigands. Le comte, effrayé de la sentence pontificale et de l'arrivée
des croisés, promit de se soumettre et tenta de se réconcilier avec
l'église; mais le pape ne voulut y consentir qu'a condition que le comte
serait mené à la porte de la cathédrale d'Agde, que là il jurerait
d'obéir aux ordres de la sainte église romaine; après quoi le légat du
pape lui ayant passé une étole au col le traîna dans l'église, et après
l'avoir rudement fustigé lui donna l'absolution; cependant le comte
avait été si maltraité et son corps était devenu si enflé, qu'il ne put
point sortir par la même porte par où il était entré; il fut obligé de
prendre une autre route pour aller subir le même traitement à Castres.

Nonobstant cette réconciliation du comte de Toulouse, l'armée des
croisés attaqua par-tout les hérétiques, s'empara de leurs villes, les
remplit de carnage et d'horreurs, et brûla le plus grand nombre des
prisonniers. En 1209, Béziers s'étant rendu, tous les habitants furent
passés au fil de l'épée, et la ville fut réduite en cendres; à la prise
de cette place, les croisés sachant qu'il y avait un grand nombre de
catholiques parmi les hérétiques, furent incertains de ce qu'ils
devaient faire. Mais Arnaud, un saint abbé de l'ordre de Cîteaux, leur
dit de _tuer tout le monde, vu que Dieu saurait bien démêler les siens_.
Sur l'ordre de ce moine, les soldats égorgèrent tout le monde sans
distinction.

Plusieurs villes du même pays subirent le même sort; il y eut des
milliers d'hommes qui furent pendus, brûlés, enterrés tout vivans. Dans
une ville des environs de Toulouse on en pendit cinquante, et quatre
cents furent consumés par le feu. On jetta dans un puits, que l'on
remplit ensuite de pierres, une dame d'une illustre maison, soeur du
gouverneur de Lavaur. A Castres de Termes, l'on jetta Raymond de Termes
en prison, et l'on brûla dans un grand feu sa femme, sa soeur et sa
fille, ainsi que plusieurs autres dames à qui l'on ne put faire
embrasser la religion catholique.

Après la mort du comte de Toulouse, son fils eut le courage de résister
à la tyrannie du pape, il se remit en possession des états de son père,
et les défendit avec beaucoup de valeur; mais le pontife romain ayant
fait prendre les armes au roi de France, celui-ci contraignit le comte
de se soumettre et de subir une punition aussi rigoureuse que son père.
Sur quoi St. Bernard s'écria «que c'était un saint spectacle de voir un
aussi grand personnage, qui avait pu si long-tems résister à tant de
nations puissantes, conduit dépouillé de ses vêtemens, et pieds nuds à
l'autel!»

Quoique ces princes osassent résister au pape et désobéir à ses ordres,
ce pontife insolent trouvait dans presque tous les autres souverains
catholiques des esclaves et des bourreaux, prêts à servir ses caprices
et son odieuse tyrannie. Les rois de France et d'Espagne, n'ont point
rougi de se prêter un grand nombre de fois à ses fureurs et se sont
distingués par le zèle imbécile avec lequel ils ont, par complaisance
pour un prêtre hautain, et pour un clergé ambitieux, banni, persécuté,
massacré une multitude de sujets utiles et vertueux.

Notre reine Marie, princesse en qui la superstition avait totalement
étouffé les sentimens de compassion et d'humanité si naturels à son
sexe, fit égorger avec la dernière barbarie une foule de ses sujets.
Ceux qui voudront s'instruire en détail des cruautés exercées sous le
règne de cette princesse sanguinaire, les trouveront dans _Fox_ et dans
d'autres écrivains, où ils liront des choses qui leur feront horreur.
Cette reine nous prouve les effets terribles que la dévotion peut
produire, lorsqu'elle se trouve combinée avec un tempéramment cruel.

Les rois de France ne l'ont cédé à personne dans l'obéissance qu'ils ont
eue pour les ordres du très saint père. On sait les guerres civiles que
l'intolérance des catholiques romains fit éclore dans ce royaume; on se
rappelle en frémissant l'horrible massacre que Charles IX fit faire dans
sa capitale, de près de cent mille de ses sujets, dont il avait attiré
plusieurs à sa cour sous prétexte de se reconcilier avec eux. Ce roi
superstitieux n'eut-il pas l'infamie de tremper ses propres mains dans
le sang des hérétiques, sur lesquels il tirait des fenêtres de son
palais? Le pontife des Romains, renonçant à toute pudeur, ne rendit-il
pas des actions de grâces solennelles au Dieu des miséricordes, pour le
massacre odieux commis par les ordres du fils aîné de l'église, qui
venait d'immoler tant de victimes à la férocité sacerdotale?

Cependant les rois ne trouvent grâce aux yeux de ce pontife hautain, que
quand ils se rendent ses esclaves et ses bourreaux. Nous voyons presque
dans le même tems Henri III assassiné par un moine; cet assassinat
préconisé comme une action louable, l'assassin regardé comme un martyr
par le pape. L'histoire de France nous montre pendant environ un
demi-siècle ce royaume inondé du sang des protestans, sur lesquels des
princes aveugles exerçaient les vengeances du très saint père, et la
cruauté religieuse dans toute son atrocité. Jusqu'au règne d'Henri IV,
il périt dans les guerres de religion plusieurs millions d'hommes, et
enfin ce monarque, justement chéri des Français, succomba lui-même sous
les coups d'un fanatique, armé par des jésuites qui prêchèrent de tout
tems la cruauté, la persécution et le massacre des rois.

Dans des tems postérieurs Louis XIV se montra le digne fils de l'église:
après avoir désolé toute l'Europe par ses conquêtes, ruiné son royaume
par ses folles entreprises et ses profusions, bravé le ciel et
scandalisé la terre par ses débauches et ses adultères, il crut tout
expier en persécutant, en bannissant, en faisant tourmenter des milliers
de protestans. On prétend que sa férocité religieuse força huit cent
mille âmes de s'expatrier pour échapper aux prisons, aux galères, aux
massacres que ce monarque très chrétien destinait aux plus consciencieux
de ses sujets. Tels ont été en France les effets de la cruauté envenimée
par la religion [31].

  [31] Je tiens de personnes très digne de foi que sous le ministère
    pacifique du cardinal de Fleuri, qui passait pour un homme très
    doux, la cour de France a fait expédier plus de quatre-vingt mille
    lettres de cachet, pour emprisonner et tourmenter la secte des
    _Jansénistes_.

Il paraît cependant que les rois catholiques d'Espagne l'ont emporté sur
tous les autres par l'obéissance servile qu'ils ont eue pour le pape et
par la cruauté dans laquelle ils ont surpassé tous les autres princes
chrétiens. En effet les Espagnols ont depuis long-tems mérité d'être
regardés comme la nation la plus dévote et la plus religieuse de
l'Europe, suivant le sens qu'on attache vulgairement a ces mots dans la
chrétienté: pour parler plus exactement, cette nation, autrefois
généreuse et libre, est devenue la plus abjecte, la plus stupide, la
plus ignorante, la plus superstitieuse, et conséquemment la plus
cruelle. Les rois d'Espagne ayant depuis long-tems formé le projet
d'extirper l'hérésie, c'est-à-dire, les opinions peu conformes à celles
de l'église romaine, s'y prirent d'une façon très courte pour y
parvenir; ils proposèrent à leurs sujets la religion catholique ou la
mort. Cette méthode leur a si bien réussi que les provinces-unies des
Pays-Bas se séparèrent entièrement de la monarchie espagnole; toute la
puissance de Philippe II fut forcée d'échouer contre les habitans de
quelques marais; ce profond politique épuisa ses trésors immenses sans
aucun fruit, sinon de maintenir la religion romaine bien pure,
c'est-à-dire, bien ignorante et bien absurde, dans ses états dépeuplés,
appauvris, dévorés par des prêtres et des moines, dont le crédit est
assez grand pour commettre impunément tous les crimes, et même pour
soulever les peuples à volonté contre l'autorité souveraine, si elle
manquait d'obéissance pour le clergé.

Philippe II trouva dans le duc d'Albe un fidèle ministre de ses fureurs.
Ce bourreau sanguinaire fit mourir des milliers d'hommes dans les
supplices, sans compter ceux qui périrent dans les combats. Sa
réputation était si bien établie, que dès qu'on sut qu'il devait venir
gouverner les Pays-Bas, plus de cent mille familles les abandonnèrent
pour se soustraire à la cruauté de ce dévot ministre des vengeances du
St.-Père. Dans la vue de réprimer des excès commis par les protestans
que la violence avait irrités, l'on érigea un tribunal que cet odieux
gouverneur nomma le _Conseil des troubles_. Un Espagnol, nommé Jean de
Vargas, en fut déclaré président; celui-ci, secondant merveilleusement
les vues du duc d'Albe, donna son opinion dans un latin digne d'un
superstitieux ignorant. _Hæretici fraxerunt templa, boni nihil fecerunt
contra, ergo debent omnes patibulari_: les hérétiques ont démoli les
églises, les bons ne s'y sont point opposés, il faut les pendre tous.

Dans une autre occasion, un homme ayant été accusé, fut condamné à la
mort sans avoir été ni entendu ni examiné. Peu de tems après on
découvrit l'innocence de ce malheureux, et les juges montrant du chagrin
de ce qui était arrivé, Vargas leur dit _qu'ils n'en devaient point être
fâchés, parce que l'innocence de cet homme tournerait au profit de son
âme_[32]. Un autre membre du même tribunal, nommé _Hessels_, avait
coutume de s'endormir pendant qu'on jugeait les accusés, et lorsqu'il se
réveillait, il criait, en se frottant les yeux, _au gibet, au gibet!_

  [32] V. Histoire des Provinces-Unies par Le Clerc, tom. I, pag. 14. En
    l'an 1562, J. Téroude, avocat protestant, fut décapité à Toulouse,
    en France, par arrêt du parlement, quoiqu'on ne le trouvât point
    coupable; et voici ce qu'on lui dit: _M. Téroude, la cour ne vous
    trouve aucunement coupable, cependant bien informé de l'intérieur de
    votre conscience, et sachant très bien que vous auriez été très
    charmé que ceux de votre malheureuse et réprouvée religion eussent
    remporté la victoire, elle vous condamne à avoir la tête tranchée et
    tous vos biens sans exception confisqués._ V. l'Histoire
    ecclésiastique des églises reformées du royaume de France. _Tome
    III, liv. 10, pag. 33 et 34_.

    Il paraît que le parlement de Toulouse actuel n'a point dégénéré de
    l'injustice, du fanatisme et de la férocité de ses prédécesseurs. Ce
    tribunal, vraiment digne de la ville où l'inquisition fut établie
    pour la première fois, condamna, comme toute l'Europe le sait, sans
    aucune preuve juridique, le malheureux _Jean Calas_, protestant, à
    être rompu vif, pour avoir été vaguement accusé d'avoir étranglé son
    fils. Le conseil d'état de France a depuis cassé cet infâme arrêt et
    réhabilité la mémoire de Calas. Mais ses juges exécrables et voués à
    l'indignation publique ont eu l'effronterie d'empêcher que l'arrêt
    du conseil ne sortît son execution. C'est aux soins, aux bienfaits
    et aux sollicitations de l'illustre Voltaire que la famille de Calas
    a été redevable de la justice qui lui a été rendue.

    _Note de l'éditeur_.

Telles étaient les procédures judiciaires des substituts du duc d'Albe;
quant à lui, il agissait d'une façon plus sommaire, plus arbitraire et
plus cruelle. Il envoyait sans forme de procès les accusés au supplice,
et suivant son caprice il les faisait ou pendre ou décapiter ou brûler;
il en faisait attacher quelques-uns à la queue d'un cheval, les mains
liées derrière le dos, pour les faire conduire au lieu de l'exécution;
d'autres furent écartelés. En un mot, ce scélérat se vantait d'avoir
fait périr dix-huit mille hommes par la main du bourreau. Parmi ceux-ci
se trouvent les noms célèbres des comtes d'_Egmont_ et de _Hoorn_, du
baron de _Batembourg_ et de beaucoup de personnes d'une très illustre
naissance. Le crime unique des deux premiers était d'avoir paru pencher
en faveur de la tolérance quoiqu'ils fussent catholiques eux-mêmes. Ce
monstre n'épargnait pas même les femmes: il fit périr sur l'échafaud une
dame de qualité, âgée de 84 ans. V. _Le Clerc, hist. des
Provinces-Unies, pag. 15, 17, 38,_ etc.

C'est ainsi que le St.-Père fut obéi et servi par les plus zélés et les
plus dévots de ses enfans ou de ses bourreaux; telles sont les cruautés
pieusement exercées par les chrétiens les uns contre les autres.
Cependant les lois les plus sanguinaires, les persécutions les plus
atroces pour des opinions, les guerres civiles les plus cruelles, n'ont
pu contenter la rage insatiable de quelques zélateurs, qui ne semblent
respirer qu'au milieu des flots de sang. Les prêtres furent toujours les
conseillers et les instigateurs des scènes les plus horribles que le
christianisme a fait jouer sur la terre. Ces hommes divins nous
apprennent eux-mêmes que, dans le fameux _Massacre d'Irlande_, il y eut
cent cinquante-quatre mille protestans d'égorgés par les catholiques; on
n'épargna ni les femmes, ni les vieillards, ni les enfans; et leur mort
fut souvent accompagnée de circonstances si cruelles, que la plume tombe
des mains quand on veut les rapporter. V. _Rushworth's collection, vol.
V. pag. 355_.

Quoique le massacre de la St.-Barthélemy, appellé communément le
_massacre de Paris_, n'ait pas coûté, peut-être, la vie à autant de
monde que celui d'Irlande, il fut pourtant accompagné de circonstances
qui doivent le rendre plus odieux que tous les autres[33]. Ce massacre
ne fut pas dû à un soulèvement subit de la populace, il fut prémédité de
sang froid; concerté dans le conseil d'un roi, assisté de sa mère, du
duc d'Anjou, qui depuis régna sous le nom d'Henri III, du cardinal de
Lorraine, du duc de Guise et du comte de Retz. Charles IX n'avait alors
que 22 ans, et son frère, le duc d'Anjou, était plus jeune que lui;
cependant l'on voit qu'à cet âge leur âme était déjà mûre à la cruauté
religieuse: l'on employa les plus indignes artifices et les plus infâmes
trahisons pour attirer à Paris le roi et la reine de Navarre, le prince
de Condé, l'amiral de Coligny et les chefs des protestans. En
conséquence, on proposa un mariage entre la soeur du roi et le prince de
Navarre; on parla d'une prétendue expédition dans les pays espagnols,
dans laquelle l'amiral devait commander en chef et avoir sous lui tous
les officiers protestans. Cette expédition n'eut pas lieu, mais le
mariage fut accompli, et l'on profita de cette solennité pour inonder
Paris de sang; celui de la plus haute noblesse coula dans toutes les
rues. Péréfixe, dans la vie de Henri-le-Grand, tout évêque qu'il était,
parle de cette journée qu'il appelle _action exécrable! qui n'avait
jamais eu et qui n'aura, s'il plaît à Dieu, jamais de pareille_. Mais
quoiqu'un prélat catholique condamne cette horrible action, le pape,
comme on l'a dit, n'en jugea pas de même; il fit publiquement l'éloge de
cet outrage fait à l'humanité en présence des cardinaux de la sainte
église romaine. Le roi de France lui ayant fait part de ce grand
événement, le très saint père lui en fit ses remercîmens, l'en félicita,
l'exhorta de continuer à extirper l'hérésie; ce qui prouve que sa
sainteté n'était point encore contente du nombre des victimes que l'on
venait d'immoler à sa fureur. Peut-être aussi le pape voulait-il faire
entendre par là qu'il était à propos d'établir en France le sacré
tribunal de l'inquisition, qui de toutes les inventions imaginées par la
cruauté sacerdotale, fut toujours la plus efficace pour tourmenter les
consciences des hommes. Nous allons donc parler de ce merveilleux
instrument de la cruauté religieuse.

  [33] Ce massacre abominable, ainsi que la révocation de l'édit de
    Nantes par Louis XIV, ont été depuis quelques années justifiés par
    un prêtre exécrable, nommé l'_abbé de Caveyrac_, qui par là a mérité
    la faveur de plusieurs membres illustres du clergé de France.

    _Note du traducteur._



SECTION IX.

De l'inquisition et de ses cruautés.


Jusqu'au commencement du treizième siècle les princes temporels furent
seuls en droit de faire des lois et des édits pour la suppression des
hérésies et contre les hérétiques; l'exécution de ces lois était confiée
aux magistrats civils et aux évêques; mais environ vers l'an 1200,
longtems avant les massacres dont nous venons de parler, le pape
Innocent III s'étant aperçu qu'il y avait un grand nombre d'hérétiques
en France, surtout à Toulouse et aux environs, et que la plus terrible
des hérésies, celle qui résistait à l'autorité des papes, était sur le
point de se répandre, il vit clairement la source de maux si dangereux
pour lui. Les princes séculiers, soit par une sage politique, soit par
humanité, négligeaient souvent de punir les hérétiques, de peur de
dépeupler et d'affaiblir leurs états en bannissant ou en détruisant de
bons et d'utiles sujets, les magistrats civils n'étaient pas toujours
disposés à se servir de leur pouvoir pour tourmenter et opprimer des
chrétiens leurs semblables, des évêques même craignirent quelquefois
d'aller trop loin dans les châtimens des hérétiques et d'en faire un
carnage, qui aurait diminué leurs troupeaux s'ils eussent voulu
totalement extirper les hérésies. En un mot ce pape, voyant que l'on ne
travaillait qu'avec tiédeur à _l'oeuvre du Seigneur_ (c'est ainsi que
l'impie appellait la persécution), tint conseil avec l'abbé de Cîteaux
et avec un moine espagnol, appellé _Dominique_, qui est devenu un saint
depuis, pour savoir ce qu'il fallait faire afin de prévenir le danger
qu'il craignait.

Ce triumvirat décida qu'il fallait ôter des mains des laïques le droit
de persécuter; l'arracher à tous ceux qui s'étaient conduits avec tant
de tiédeur, pour le donner à des ecclésiastiques qui par leur zèle se
montreraient dignes de la confiance de l'église et d'un emploi si saint.
En conséquence, on établit des _inquisiteurs_; Dominique, l'un des
monstres les plus sanguinaires qui aient jamais existé, en fut déclaré
le chef, et l'ordre de moines qu'il avait institué s'est depuis
fidèlement acquitté des fonctions odieuses imaginées par son pieux
fondateur.

Peu de tems après l'établissement de ces inquisiteurs on leur forma un
tribunal sous le nom d'_Inquisition_; par ce moyen la persécution fut
réduite en système. On éleva des édifices dans lesquels on ménagea des
appartemens somptueux pour les inquisiteurs, et l'on prépara des prisons
affreuses et des cachots terribles pour les malheureux qui tomberaient
entre leurs mains; on n'oublia pas des bourreaux et des hommes destinés
à leur donner la torture; enfin il y eut des hommes pieux qui, sous le
nom de _Familiers du Saint-Office_, se firent un honneur de devenir les
archers et les satellites des inquisiteurs, qui s'engagèrent par serment
à les défendre au péril même de leur vie. Non contens de cette noble
fonction, ceux-ci se rendirent encore les espions et les délateurs de
leurs saints maîtres, et quelque infâme que ce métier puisse paraître en
toute autre circonstance, il devint honorable quand il fut exercé en
faveur de la religion; les plus grands seigneurs, des princes mêmes
briguèrent cet emploi sublime, et s'en glorifièrent dans les pays où cet
infâme tribunal est établi.

Quoique dans ces pays tous les bons catholiques soient obligés
d'informer l'inquisition de tous les crimes dont elle prend
connaissance, cependant ce devoir est enjoint plus strictement encore
aux _Familiers_. C'est ainsi que ce monstre a plus d'yeux qu'_Argus_
pour veiller aux intérêts des prêtres, et pour s'opposer aux opinions
contraires à celles d'où viennent les trésors du clergé; celui-ci, par
là, comme Bryarée, a cent bras pour se défendre et pour faire une guerre
offensive à ses ennemis.

Outre cette troupe de gens et cet appareil de choses nécessaires pour
conduire à bien l'oeuvre infâme et sanguinaire de la persécution; pour
assurer encore plus l'église contre les attaques des hérétiques, ce
saint tribunal jouit du pouvoir le plus illimité. Par-tout où il est
établi, les rois et les princes mêmes sont soumis à sa juridiction et
ont quelquefois éprouvé des châtimens de sa part.

La rapacité, l'injustice et la cruauté de ce tribunal ecclésiastique
sont aussi illimités que son pouvoir. Lorsqu'un accusé est conduit à
l'inquisition, on commence à le dépouiller de tout et même de ses
habits; on s'informe ensuite exactement de ses biens tant meubles
qu'immeubles, et pour l'engager à ne rien céler, on lui promet
solennellement que tout lui sera rendu lorsqu'il sortira de la maison en
cas qu'il se trouve innocent; cependant il est rare qu'on lui tienne
parole, surtout s'il est opulent; il est aussi difficile pour un homme
bien riche de sortir de l'inquisition que pour un câble de passer par le
trou d'une aiguille. Si l'on ne tire pas de plein gré les aveux dont les
inquisiteurs ont besoin, ils emploient les menaces et ensuite les
tortures; quand on leur a découvert ce qu'on possède, les inquisiteurs
communément font vendre sur-le-champ les biens du prisonnier à l'encan,
parce que, suivant la remarque de M. Dellon, ces scélérats sont d'avance
très résolus à ne rien restituer.

Ce tribunal est si injuste que souvent des personnes demeurent plusieurs
mois dans ses prisons sans qu'on leur apprenne le crime dont elles sont
accusées; au lieu de les en instruire, le tribunal leur demande à
elles-mêmes si elles savent la cause de leur détention: comme souvent
les prisonniers l'ignorent, et par conséquent ne peuvent la dire, on les
avertit de tâcher de se rappeller les crimes dont connaît le tribunal du
Saint-Office, et dont ils peuvent s'être rendus coupables, et on les
conjure _par les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ_ (c'est la
formalité), d'en faire une confession pleine et entière, vu que c'est là
le seul moyen de recouvrer leur liberté et leur vie. Si par toutes ces
voies l'on ne peut déterminer le prisonnier à confesser ou à s'accuser
lui-même, l'on a recours aux menaces et aux tortures pour l'y forcer;
quand elles ont été employées sans succès, comme il arrive quelquefois,
on lui laisse entrevoir une partie de ce dont il est accusé dans
l'espérance de tirer quelque chose de plus; mais jamais on ne lui fait
connaître ses accusateurs, qui ne lui sont point confrontés; par là il
est souvent arrivé que des personnes parfaitement innocentes de ce dont
elles avaient été accusées, ont subi les châtimens les plus cruels et
les plus injustes, et même ont été mises à mort.

Une nouvelle preuve de l'iniquité de cet odieux tribunal, c'est que l'on
y reçoit le témoignage et les délations des personnes infâmes, et même
de celles qui ont été convaincues de parjure. En un mot telle est
l'indignité et la barbarie de l'inquisition, que non-seulement les maris
sont admis comme témoins contre leurs femmes dans le cas d'hérésie, mais
encore sont forcés de se rendre leurs délateurs; par la même raison les
femmes sont admises à déposer contre leurs maris, les parens contre
leurs enfans, les enfans contre leurs parens; et même pour y inviter les
enfans on leur promet souvent une portion des biens de leurs parens en
cas que ceux-ci soient convaincus. C'est ainsi que ce tribunal infernal
encourage le parricide, et soudoye les enfans pour les déterminer à
faire expirer leurs parens dans des tourmens affreux. D'où l'on voit
clairement que les crimes les plus atroces, quand on les commet pour le
bien de l'église, changent de nature, sont sanctifiés et deviennent des
actions légitimes et méritoires.

Les cruautés exercées par ce tribunal, que l'on a l'impiété de nommer
_saint_, sont aussi surprenantes que terribles. Il y en a, sans doute,
un grand nombre que l'on a soigneusement dérobées à la connaissance du
public; mais il faudrait des volumes pour décrire ceux que l'on connaît,
si l'on voulait en donner des détails; cependant on a beaucoup écrit
là-dessus; quelques ouvrages ont été publiés par ceux mêmes qui avaient
eu le bonheur de se tirer des mains de ces tigres altérés de sang; on ne
se propose donc ici que de donner une idée de la scélératesse et de la
barbarie de l'inquisition, en faveur des personnes qui n'auraient pas
été à portée de consulter les ouvrages qui traitent de cette matière,
tels que _l'histoire de l'inquisition par Limborch_, de laquelle nous
avons tiré la plupart des faits qui sont ici rapportés.

Lorsqu'un accusé est arrêté par ordre de l'inquisition, on le jette dans
un cachot obscur, où il demeure quelquefois pendant des années entières,
et pour l'ordinaire tout seul; on ne lui fournit aucun livre, pas même
de dévotion, ni rien de ce qui pourrait contribuer à adoucir ses peines;
au contraire, on s'étudie à les aggraver par tous les moyens
imaginables. Un silence profond règne dans cette région de la douleur;
si un prisonnier récite ses prières à haute voix, on a la témérité de se
plaindre, un géolier lui ordonne de se taire, et en cas de récidive il
est battu sans miséricorde. Un prisonnier incommodé d'une toux, eut
ordre de ne point tousser: comme il répondit qu'il ne pouvait faire
autrement, il fut tellement battu qu'il expira sous les coups.

Quoiqu'une pareille prison accompagnée de circonstances si désolantes
soit déjà un châtiment très rigoureux, suffise quelquefois pour faire
tourner la cervelle aux malheureux qui l'éprouvent, en fasse périr
d'autres, en détermine quelques-uns à se donner la mort[34], cependant
tout cela n'est encore qu'une très petite partie des souffrances
qu'endurent ceux qui tombent entre les mains des inquisiteurs. Ces
monstres infligent les tourmens les plus inouis aux malheureuses
victimes de leur rage: l'objet de ces tourmens est de forcer les
prisonniers à s'accuser eux-mêmes ou d'autres, et souvent ils s'accusent
eux-mêmes et les autres à faux.

  [34] M. Dellon, qui a écrit une _Relation de l'inquisition de Goa_,
    nous dit que durant son séjour dans les prisons de l'inquisition il
    pensa devenir fou, et que souvent il fut tenté de se donner la mort.

Dans le tems que l'inquisition était établie en Flandre, des femmes
accusées de sorcellerie et d'avoir commerce avec le diable, nièrent le
fait à l'interrogatoire: mais ayant été mises à la torture, elles
confessèrent tout ce dont on les accusait, et dirent entre autres choses
que le diable les avait connu charnellement: elles se rétractèrent
ensuite lorsqu'on les conduisait au lieu de l'exécution, et l'on pouvait
les en croire, disant que c'était la rigueur des tourmens qui leur avait
arraché cet aveu, ce qui ne les empêcha point d'être brûlées vives.

Les inquisiteurs n'omettent rien pour effrayer les prétendus criminels
qu'ils ont entre les mains, et se font un devoir d'aggraver toutes leurs
peines. L'endroit où l'on donne la torture est communément une chambre
obscure et souterraine, tendue de noir, et éclairée par des chandelles.
Le bourreau vêtu de noir, semblable à un démon, paraît devant le
prisonnier et lui montre les instrumens de la torture. Les accusés, soit
hommes, soit femmes ou filles, sans égard pour la pudeur, sont
dépouillés tout nuds, après quoi on les couvre d'un habillement fort
mince qui prend exactement les corps, ou bien on ne leur donne qu'un
calleçon de toile pour couvrir leur nudité.

Les tortures que l'on emploie sont de différentes espèces; il y en a un
très grand nombre et elles peuvent passer pour vraiment infernales.
L'une de ces tortures consiste à lier les mains de l'accusé derrière le
dos; on lui attache des poids énormes aux pieds, après quoi on l'élève à
l'aide d'une poulie à laquelle on fait toucher sa tête; on le tient
suspendu quelque tems de cette manière, afin de distendre tous ses
membres et ses jointures; pour lors on le laisse retomber tout d'un coup
de manière cependant que ses pieds ne touchent point la terre; par cette
secousse subite ses bras et ses jambes se trouvent disloqués: on réitère
la même chose deux ou trois fois, et suivant le rapport de Piazza, qui
avait été lui-même l'un des juges de l'inquisition, on fustige
cruellement ces malheureux pendant qu'ils sont ainsi suspendus.

Voici une autre méthode dont l'inquisition se sert pour donner la
question. On place un réchaud rempli de charbons ardens sous la plante
des pieds du malheureux que l'on applique à la torture; on les a
préalablement frottés de lard afin que la chaleur devienne plus
cuisante. Mais pour ne point trop nous arrêter sur un sujet si
révoltant, nous nous contenterons de rapporter encore un seul exemple de
la cruauté sacerdotale des infâmes suppôts de l'inquisition. Ils ont une
auge de bois creusé, assez ample pour contenir un homme couché dans
toute sa longueur; au fond de cette auge est une barre de fer fixée en
travers, sur laquelle on pose le prisonnier couché sur son dos, de
manière que ses pieds soient beaucoup plus élevés que sa tête. Quand il
est dans cette posture, ses cuisses et ses bras sont liés avec de
petites ficelles que l'on peut serrer par des tourniquets et que l'on
fait entrer jusqu'aux os au point de les faire disparaître. Cependant ce
n'est là que le commencement des tourmens qu'on fait subir à l'accusé;
on lui met sur la bouche et sur les narines une étoffe mince, et pour
lors on fait tomber de haut un petit filet d'eau sur la bouche du
malheureux, ce qui fait enfoncer le morceau d'étoffe jusqu'au fond de sa
gorge, ensorte qu'il lui est impossible de respirer, par là il semble
entrer en agonie: lorsqu'on a retiré le morceau d'étoffe, ce que l'on
fait pour qu'il puisse répondre à l'interrogatoire, il est ordinairement
rempli de sang, et ceux qui ont souffert ce genre de supplice disent
qu'il leur semblait qu'on leur faisait sortir les boyaux par la bouche.
La répétition de ces tortures semble être une mort multipliée, ou,
suivant l'expression de Shakespeare, _c'est mourir plusieurs fois avant
la mort_.

Telles sont les inventions infernales imaginées par les prêtres du Dieu
des miséricordes! en effet l'enfer, à l'exception de sa durée,
pourrait-il être pire que la sainte inquisition? Les démons les plus
pervers peuvent-ils être plus cruels et plus inhumains que ces
inquisiteurs religieux? Pour continuer d'inspirer contre ces hommes
exécrables l'indignation qu'ils méritent, je rapporterai quelques
exemples des supplices qu'ils ont fait souffrir à des personnes assez
malheureuses pour tomber entre leurs mains.

M. William Lithgow, Écossais, voyageant pour satisfaire sa curiosité,
eut le malheur d'être déféré à cet infâme tribunal. Après avoir souffert
des tourmens inouïs, il fut condamné à être brûlé vif comme hérétique,
mais les inquisiteurs, peu contens de le condamner à une mort si
douloureuse, voulurent encore lui faire éprouver onze tortures; en voici
une qu'il rapporte lui-même. On commença par le dépouiller nud, on le
fit mettre à genoux tandis que ses bras étaient tenus en l'air; on lui
ouvrit la bouche avec des outils de fer, et on lui fit avaler de l'eau
jusqu'à ce qu'elle découlât de sa bouche; alors on lui passa une corde
au col, et on le fit rouler sept fois la longueur de la chambre, ce qui
pensa l'étrangler. Pour lors on lui attacha une corde mince autour des
deux gros doigts des pieds, on le suspendit la tête en bas, et puis on
coupa la corde qu'il avait autour du col; on le laissa dans cet état
jusqu'à ce qu'il eût dégorgé toute l'eau qu'il avait bue, après quoi il
demeura long-tems à terre comme mort; ce fut alors que par un bonheur
imprévu il fut délivré de prison et revint en Angleterre.

Une dame très pieuse, accusée d'hérésie, fut mise à l'inquisition de
Séville avec ses deux filles vierges, et une nièce mariée. On employa
différentes tortures pour les engager à s'avouer coupables, pour
découvrir les personnes de leur secte, et sur-tout pour qu'elles
s'accusassent réciproquement; mais ce fut vainement. L'inquisiteur les
trouvant obstinées, fit venir devant lui une des filles, sous prétexte
de conférer avec elle en particulier; il lui dit qu'il prenait beaucoup
de part à ses peines et feignit de vouloir la consoler; après l'avoir
ainsi séduite, lui avoir fait croire qu'il prenait un intérêt très
sincère aux malheurs de sa famille, lui avoir fait espérer qu'il lui
rendrait de bons offices pour recouvrer la liberté, ce traître l'exhorta
d'avouer ce qui la regardait elle-même et de découvrir tout ce qu'elle
savait sur sa mère, ses soeurs, sa tante et quelques autres personnes
qui n'avaient point encore été arrêtées, promettant avec serment que, si
elle voulait lui parler avec franchise, il trouverait le moyen de faire
cesser leurs infortunes et de les remettre en liberté. Ces caresses
tirèrent de cette fille des aveux que les tourmens n'avaient pu lui
arracher; séduite par les promesses et les sermens réitérés de
l'inquisiteur, elle lui découvrit tout ce qu'il voulait savoir. Alors
cet infâme parjure, une fois parvenu à ses fins, fit appliquer cette
infortunée à la question la plus cruelle, elle chargea pour lors et sa
mère et ses soeurs, qui furent pareillement appliquées à la question, et
toutes furent brûlées vives sur le même bûcher.

Quelqu'horrible que soit l'exemple qui vient d'être rapporté, celui qui
suit ne lui cède en rien, et même il paraîtra plus cruel à de certains
égards. Une femme de qualité, nommée _Bohorquia_, épouse du seigneur
d'_Higuère_ en Espagne, quoique grosse de six mois, fut arrêtée par
l'inquisition, uniquement parce que sa soeur, qui avait été pareillement
arrêtée et qui fut ensuite brûlée, avait déclaré dans la torture qu'elle
l'avait entretenue de sa façon de penser. La dame Bohorquia accoucha
dans sa prison; au bout de quinze jours elle fut resserrée très
étroitement et traitée avec la même dureté que les autres prisonniers;
la seule consolation qu'elle avait, était due à une jeune fille qu'on
lui avait donnée pour compagne et qui fut par la suite brûlée pour sa
religion; mais cette consolation fut bientôt changée dans la plus
cruelle des afflictions, car cette malheureuse compagne fut arrachée
d'auprès d'elle pour subir la torture, et on ne la lui ramena qu'ayant
tous les membres disloqués, spectacle affreux, très propre à faire
sentir à la dame le traitement qu'elle devait attendre pour elle-même. A
peine la jeune fille eut-elle commencé à se rétablir, que l'on vint
prendre madame Bohorquia pour lui faire subir les mêmes tortures. Après
avoir souffert des tourmens qui pensèrent lui coûter la vie, elle fut
remise toute expirante dans sa prison où elle mourut en effet au bout de
huit jours. Pour combler la mesure de la perversité des inquisiteurs, il
se trouva par la suite que cette dame était parfaitement innocente de ce
dont on l'accusait; et les inquisiteurs, qui l'avaient cruellement
assassinée, la déclarèrent eux-mêmes telle.

On a déjà ci-devant observé que tous ceux ou celles à qui l'inquisition
fait donner la torture sont, sans distinction de sexes, dépouillés tout
nuds, au mépris des règles de la pudeur. Quelles réflexions ne fait pas
naître une conduite si étrange! quel mélange abominable de barbarie et
de lubricité! quelle doit être la situation d'une femme honnête, quand
elle se voit exposée aux regards avides de ces monstres sacrés, qui sans
égards pour la faiblesse de son sexe, pour ses charmes, pour ses pleurs,
assouvissent sur elle leur tyrannie et leur rage!

Non, les peuples les plus sauvages ne nous fournissent point d'exemples
d'une pareille barbarie exercée sur un sexe enchanteur. Cependant c'est
ainsi que les femmes ont été traitées au sein des nations qui se disent
chrétiennes et policées! C'est ainsi que des princes et des peuples
dévots permettent que l'on tourmente souvent l'innocence et la piété!
Des scélérats coupables de ces cruelles infamies, que l'on devrait
exterminer de dessus la surface de la terre, où ils sont un scandale
pour la religion en général et pour le christianisme en particulier,
jouissent non-seulement de la vie, mais encore sont comblés d'honneurs,
de richesses et de pouvoir.



SECTION X.

De l'exécution de ceux que l'inquisition a condamnés.


Pour terminer le tableau que l'on vient de tracer d'un tribunal qui
semble avoir transporté l'enfer sur notre globe, il paraît nécessaire de
décrire en peu de mots la façon dont on fait mourir les prétendus
criminels que les inquisiteurs jugent dignes de la mort.

Lorsque l'inquisition a indiqué un _auto da fe_, c'est-à-dire, un acte
de foi (c'est ainsi que l'on nomme les jours où l'on exécute les
malheureux accusés), ce jour est un jour de triomphe pour l'église et de
réjouissances pour le peuple d'Espagne et de Portugal. Les inquisiteurs
se montrent alors dans toute leur insolence ou leur gloire, et se
présentent à la vénération d'une populace qui applaudit à leurs
forfaits. Des rois et des reines accompagnés de toutes leurs cours ont
souvent assisté à cet horrible spectacle, et ont été les témoins des
tourmens que l'on fait subir en public à ces malheureuses victimes du
clergé. Un inquisiteur espagnol lui-même appelle cette solennité un
spectacle horrible et qui fait trembler. Les juges, un grand nombre de
nobles, d'officiers militaires, de pieux dévots, d'ecclésiastiques et de
moines marchent en procession pour accompagner les infortunés qui
doivent être immolés à la cruauté religieuse.

La façon dont on les exécute est d'une cruauté qui révolte, et qui
prouve, jusqu'à quel point le fanatisme et la superstition sont capables
d'étouffer dans des peuples entiers les sentimens de la nature. Les
femmes elles-mêmes vont prendre part à ce spectacle; loin d'en être
attendries, elles se font un mérite de contempler les tourmens affreux
de ceux que la religion proscrit. Que dis-je! elles se croiraient
coupables si elles ne donnaient des signes d'approbation et de plaisir.
Voici des détails que l'on tient de deux témoins oculaires.

Les malheureux, qui ont été condamnés à être brûlés vifs, sont placés
sur un banc ou sur une estrade de douze pieds de haut et attachés à des
poteaux qui soutiennent l'estrade. Deux jésuites montent à une échelle
pour s'approcher des juifs ou des hérétiques afin de les engager à se
réconcilier arec la sainte église romaine. Si après une exhortation
réitérée ils refusent de le faire, les jésuites leur disent que le
diable est prêt à s'emparer de leurs âmes pour les emporter en enfer.
Après cet avertissement charitable, le peuple demande à grands cris
qu'on les brûle, en disant que l'on fasse le poil à ces chiens[35]. Cela
s'exécute en leur poussant dans le visage des balais enflammés, ce que
l'on continue jusqu'à ce que les balais soient réduits en charbons.
Cette cérémonie est accompagnée d'acclamations que l'on n'entend dans
aucune autre occasion; en effet, il n'y a point de spectacle qui
paraisse plus amusant à un Espagnol ou un Portugais. Alors on met le feu
aux fagots dont le bûcher est composé; mais comme on a soin que la
flamme ne monte pas plus haut que les genoux, les malheureux sont plutôt
grillés que brûlés, et souvent l'on fait durer leurs tourmens pendant
deux heures entières.

  [35] L'on voit par là que les prêtres sont parvenus à dépraver
    tellement les coeurs de ces dévots catholiques, qu'un homme qui ne
    pense pas comme eux ne leur paraît être qu'un chien. C'est ainsi que
    les prêtres inspirent la charité à ceux qu'ils instruisent!

Je trouve dans l'auteur de qui j'emprunte ces détails, que durant une de
ces exécutions le feu roi de Portugal, accompagné de ses frères, était à
une fenêtre si proche du bûcher de l'un de ces malheureux qu'il fut à
portée d'entendre la harangue pathétique que celui-ci lui adressait,
tandis qu'on le brûlait à petit feu; quoiqu'il demandât pour toute grace
qu'on lui donnât un plus grand nombre de fagots afin de terminer ses
tourmens, il ne put obtenir cette grâce de sa majesté. Un témoin
oculaire de cette scène dit que pour lors son dos et sa partie
postérieure étaient déjà entièrement consumés, et que tandis qu'il
parlait encore son estomac s'ouvrit tout d'un coup. Telle est la dureté
de ces cannibales chrétiens!

Dans un de ces _actes de foi_ que l'on célébrait en Espagne, la reine,
qui était la fille du roi de France, se trouva présente, lorsqu'on
allait brûler une fille juive d'une très grande beauté et qui avait à
peine dix-sept ans. Cette pauvre infortunée s'adressant à la reine la
conjura d'être exemptée d'un si cruel supplice. «Grande reine! lui
dit-elle, votre présence n'apportera-t-elle point quelqu'adoucissement à
ma peine? considérez ma jeunesse; faites attention que je suis condamnée
pour une religion que j'ai sucée avec le lait de ma mère.» La reine
détourna les yeux en pleurant, et fit connaître qu'elle se sentait
vivement touchée du sort de cette infortunée, mais qu'elle n'osait
intercéder pour elle, ni dire un mot en sa faveur. On dit que Philippe
III ayant aperçu un juif condamné par l'inquisition, qui marchait en
chantant à son supplice, ne put s'empêcher de dire qu'il fallait que ce
malheureux fût bien persuadé de sa religion. Les inquisiteurs
scandalisés de ce propos lui en demandèrent une réparation solennelle:
on fit tirer une palette de sang au roi, et ce sang fut brûlé par la
main du bourreau.

Tels sont les effets de la cruauté religieuse; car c'est là vraiment le
nom que l'on doit donner à ces crimes commis sous le prétexte de servir
la religion. Mais il faut être ou bien stupide ou bien endurci dans ses
préjugés pour ne pas s'apercevoir que c'est uniquement les intérêts du
clergé que ces forfaits ont pour objet. En effet nous devons rester
convaincus que le zèle prétendu pour la religion, qui se montre par des
persécutions et des violences, n'est fondé que sur des vues temporelles;
ne se propose jamais que de satisfaire l'orgueil, l'avarice, l'ambition;
ne peut partir que d'un caractère cruel et corrompu.

Des misérables sans religion et sans moeurs, et privés des sentimens les
plus communs de la probité, ont inventé et répandu un grand nombre de
contes fabuleux et de dogmes absurdes, propres à faire prendre à un
petit nombre d'hommes pervers de l'ascendant sur le reste du genre
humain. A l'aide de ces inventions, ils tirent l'argent des peuples, ils
s'enrichissent eux-mêmes, ils se font craindre et respecter. C'est pour
conserver ces avantages usurpés qu'ils parviennent à briser les liens
les plus sacrés de l'humanité et à rendre les rois, les magistrats et
les peuples également imbécilles, les complices et les ministres de
leurs horribles, cruautés.



SECTION XI.

Des persécutions excitées par les prêtres protestans.


Les persécutions et les cruautés religieuses qui ont été rapportées
jusqu'ici comme exercées par les chrétiens, sont empruntées des
catholiques romains, et se sont pratiquées dans l'église depuis le tems
où le pape et son clergé ont obtenu un pouvoir sans bornes dans la
chrétienté. Si nous n'avions pas un si grand nombre de preuves
convaincantes de la barbarie exercée par des prêtres de Jésus-Christ,
comment aurait-on jamais pu s'imaginer que ceux qui s'étaient si fort
élevés contre la persécution et qui se donnaient pour les prédicateurs
d'un évangile de paix, dans le tems où ils étaient eux-mêmes persécutés,
deviendraient un jour des monstres de cruauté et les plus violens des
persécuteurs? Cependant la chose est souvent arrivée et elle arrivera
toujours. Il est évident que les plus distingués parmi les premiers
réformateurs sont devenus persécuteurs en théorie et dans la pratique
toutes les fois qu'ils ont eu le pouvoir en main; pour lors ils ont
enseigné de vive voix et par écrit que la persécution était une chose
louable et nécessaire; par là ils ont contredit tout ce qu'ils avaient
antérieurement dit en faveur de la tolérance, dans un tems où ils
étaient eux-mêmes les victimes de la persécution: on leur doit la
justice de convenir qu'ils ont très fidèlement pratiqué les maximes
violentes qu'ils ont enseignées.

Luther, Mélanchton, Zwingle, Bucer, Beze, Farel et sur-tout Calvin, se
sont montrés de très ardens persécuteurs. Ce dernier s'est distingué par
un infâme traité, qu'il écrivit en faveur de la persécution, et encore
plus par les persécutions qu'il suscita contre plusieurs hommes de
mérite. _Castillion_ ou _Castalion_, homme éminent par son savoir et ses
moeurs, fut injurié et persécuté par lui uniquement parce qu'il n'était
point de son avis sur la prédestination, le libre arbitre, l'élection,
le cantique des cantiques, et la descente de Jésus-Christ aux enfers. Ce
fut encore par les soins de Calvin, que Servet fut emprisonné et brûlé
comme hérétique[36]. Le pauvre Servet fut traité dans la ville
protestante de Genève, de la même manière qu'il eût pu l'être dans
l'inquisition romaine; on lui confisqua tous ses biens et une somme
considérable d'argent; on l'enferma dans un cachot où il fut en proie à
la vermine, et l'on finit par le faire périr sur un bûcher.

  [36] Quelques jours avant le jugement de Servet, Calvin écrivait à un
    ami qu'il espérait que sa sentence irait _au moins_ à la mort
    (_saltem fore capitalem_). Théodore de Beze écrivit un traité pour
    prouver la légitimité de punir les hérétiques. Pierre Dumoulin,
    fameux théologien protestant et pasteur de l'église réformée de
    Paris, publia en 1618 un livre intitulé _l'Anatomie de
    l'Arminianisme_, dans lequel il appelle les _remontrans_, des
    hérétiques, des sectaires, des novateurs, des monstres, des
    scélérats, des blasphémateurs, des insolens, etc. Il ajoute que
    quiconque ne croit pas en Jésus-Christ, n'est point un enfant de
    Dieu, et par conséquent n'a aucun droit à la possession des biens
    temporels, quand même il posséderait d'ailleurs toutes les vertus
    sociales. Voyez _Brandt. Histoire de la réform._.

Pour faire connaître l'esprit qui animait Calvin, je vais rapporter les
plaintes que Castalion faisait contre lui au sujet des traitemens qu'il
avait essuyés, de sa part. Il dit en parlant à Calvin: «Dans un libelle
écrit en français, vous m'appellez un blasphémateur, un calomniateur, un
méchant, un chien aboyant, un ignorant, une bête, un impudent, un
imposteur, un corrupteur impur de l'écriture sainte, un homme qui se
moque de Dieu, un contempteur de toute religion, un insolent, un chien
impur, un impie, un libertin, un esprit dépravé, un vagabond, un fripon,
etc.»

Nous ne devons point être surpris qu'un homme d'un caractère aussi
emporté que Calvin, ait pu enseigner que Dieu prédestinait un grand
nombre de ses créatures à la damnation éternelle. Une pareille opinion
me paraît devoir naturellement découler de la méchanceté du caractère de
cet homme; il y a tout lieu de soupçonner qu'en général les opinions des
hommes, dépendent bien plus qu'on ne pense de leurs dispositions
naturelles.

Cette cruelle persécution que Calvin fit éprouver à Castalion fut
approuvée par Mélanchton, par Bucer, par Farel. Le premier écrivait dans
une lettre à Bullinger que le sénat de Genève avait très bien fait de
mettre à mort l'hérétique, et qu'il était surpris qu'il y eût des gens
qui blâmassent une pareille sévérité. Le second dit charitablement et
pieusement dans un sermon public qu'on _aurait dû lui arracher les
boyaux et les déchirer en pièces_. Farel, le troisième, dit avec autant
de charité chrétienne qu'il _eût mérité de mourir de dix mille morts_.

Il n'est pas douteux que Calvin ne fût un homme de grands talens, très
savant, très zélé, très utile à la réformation; mais il ne se faisait
aucun scrupule d'accuser, de diffamer, de calomnier ses confrères; de
les traiter de prévaricateurs et d'hypocrites, d'aller jusqu'à prendre
Dieu à témoin de faussetés évidentes, de persécuter ses ennemis jusqu'à
la mort. C'est au lecteur à donner à ce sublime _réformateur_ les
qualifications qu'une pareille conduite semble mériter; au moins est-il
certain que sa façon d'agir, ainsi que celle des théologiens dont nous
venons de parler, confirme le jugement que nous avons ci-devant porté
des saints et des pères de l'église chrétienne; je veux dire qu'il y a
des hommes qui ont beaucoup de religion dans la tête et qui n'ont point
de vertu dans le coeur.

Cet esprit atroce et persécuteur qui animait ces merveilleux
réformateurs s'est assez généralement emparé des églises réformées. Il
serait difficile et même impossible de nommer une seule église ou secte
parmi les protestans, qui, ayant eu le pouvoir en main, n'ait point
persécuté. La Suisse, la Hollande et notre propre pays nous fournissent
une infinité d'exemples de persécutions protestantes.

Les églises de Bâle, de Berne, de Zurich, de Schaffhouse, dans les
lettres qu'elles écrivirent aux magistrats de Genève, applaudirent au
traitement odieux qu'ils avaient fait à Servet, et se rendirent
coupables elles-mêmes de semblables cruautés.

Valentin Gentilis, natif de Cozance en Italie, eut le malheur de tomber
dans quelques opinions erronées sur la trinité: il prétendait que le
père seul était dieu par lui-même, qu'il était incréé, _essentiateur_,
ou celui qui donne l'essence à tous les êtres, mais que le fils était
_essentié_, ou dérivait son essence du père, et par conséquent qu'il
n'était pas dieu par lui-même, quoique pourtant il le reconnût pour vrai
dieu. Il raisonnait à-peu-près de là même manière sur le compte du
saint-esprit; il faisait des trois personnes, trois esprits éternels
distingués par une subordination graduelle, en réservant la monarchie au
père qu'il appellait le seul dieu. Ce théologien, forcé de se sauver de
son pays à cause de sa religion, vint se réfugier à Genève, comme dans
un lieu d'asyle, mais il se trouva bien trompé; il fut obligé d'abjurer
ses opinions, condamné à une rude pénitence: on le conduisit dans les
rues en chemise, les pieds et la tête nuds, une torche au poing, et on
lui enjoignit de ne point sortir de la ville sans permission expresse.
Nonobstant ces défenses, il trouva le moyen de s'évader, et se retira
dans le canton de Berne, où il fut encore bien plus maltraité, car il y
fut arrêté, emprisonné, décapité[37].

  [37] M. Keysler dit dans ses voyages que la façon de penser des
    Genévois est maintenant bien changée relativement à la persécution;
    il assure que l'on n'y parle qu'avec horreur du supplice de Servet,
    et que les ecclésiastiques eux-mêmes désireraient que cette aventure
    fût mise en oubli. Tome I, p. 173.

    Cependant l'exemple du célèbre Jean-Jacques Rousseau qui, par ses
    écrits, s'est illustré lui-même, ainsi que sa patrie, prouve que le
    levain de la persécution est bien loin d'être éteint dans le coeur
    des Genevois. Ce philosophe a essuyé depuis des persécutions très
    vives de la part du clergé de la principauté de Neufchâtel, qui ne
    s'est point oublié dans cette occasion. On sait que ce clergé très
    insolent a, nonobstant la protection du roi de Prusse, son
    souverain, persécuté M. Petitpierre, pasteur réformé, pour avoir osé
    soutenir que Dieu était trop bon pour permettre que les peines de
    l'enfer fussent éternelles; mais le clergé pour ses intérêts en ce
    monde s'obstine à être éternellement damné dans l'autre.

    _Note de l'éditeur._

L'on pourrait encore citer un grand nombre d'exemples de persécutions
exercées par toutes les églises protestantes dont on vient de parler. On
publia à Zurich un édit très sévère contre les anabaptistes, ou contre
tous ceux qui se feraient baptiser de nouveau; plusieurs de ces
hérétiques furent punis de mort; l'un d'entr'eux fut condamné à être
noyé d'une façon très burlesque par Zwingle, qui dit en quatre mots _qui
iterum mergit, mergatur_; que celui qui se rebaptise soit noyé.

L'esprit d'intolérance et de persécution a long-tems régné en Hollande
parmi les réformés, et s'est fait sentir avec fureur dans ce pays. Les
animosités éclatèrent d'abord entre les Luthériens et les Calvinistes,
qui, selon la remarque de Chandler, dès l'enfance de la réformation
s'anathématisaient les uns les autres, à cause de la diversité de leurs
opinions au sujet de l'eucharistie, et qui regardaient la douceur et la
tolérance comme des choses intolérables. Par la suite ce zèle se porta
contre les anabaptistes dont plusieurs furent mis à l'amende,
emprisonnés, bannis. Enfin il s'éleva une querelle furieuse entre les
gomaristes ou vrais calvinistes et les arminiens; elle occasionna une
violente persécution, dont les derniers furent les victimes; ceux-ci
furent par la suite appellés _remontrans_.

Jacob Arminius, l'un des professeurs de théologie de l'université de
Leyde, disputant sur la doctrine de la prédestination, s'avisa de
s'écarter de l'opinion de Calvin à ce sujet; il trouva dans Gamarus, son
collègue, un puissant adversaire. Celui-ci soutenait que, par un décret
éternel, Dieu avait décidé ceux d'entre les hommes qui seraient sauvés
ou damnés. Comme ce dernier sentiment était celui de la plus grande
partie du clergé des provinces-unies, il s'efforça de décrier Arminius
et sa doctrine; on refusa tous les accommodemens, on excita les
magistrats, en leur montrant la nécessité d'extirper l'arminianisme et
de détruire les arminiens, que l'on traitait de peste, de diables, de
mamélukes. On disait hautement dans les chaires qu'il fallait tout
entreprendre, qu'il fallait en user comme Élie avec les prêtres de Baal;
lorsque le tems de l'élection des nouveaux magistrats fut arrivé, les
prédicans demandaient à Dieu des hommes dont le zèle allât jusqu'à
répandre le sang. En un mot le magistrat se conformant à l'humeur
massacrante de ses guides spirituels, de ses doux pasteurs, persécuta
cruellement les pauvres remontrans; plusieurs de leurs ministres furent
chassés du pays si subitement, qu'on ne leur laissa pas même le tems de
régler leurs affaires, ou de se pouvoir d'argent pour vivre dans le lieu
de leur bannissement. Beaucoup d'autres personnes furent obligées de
s'expatrier; le savant Grotius fut condamné à une prison perpétuelle,
dont il se tira par l'adresse de sa femme; le grand-pensionnaire
Barnevelt, pour avoir favorisé le parti des remontrans, eut la tête
tranchée.

Personne n'ignore avec quelle furie l'esprit persécuteur exerça ses
ravages en Angleterre immédiatement après la réformation, et cet esprit
s'y est depuis ranimé très vivement à plusieurs reprises. Sous le règne
de Henri VIII, ce prince fournit à la persécution une épée à deux
tranchans qui blessait également les protestans et les catholiques.
Édouard VI n'étant qu'un enfant, fut gouverné par son conseil et
sur-tout par Cranmer, qui engagea ce prince à faire périr plusieurs
personnes pour leurs opinions religieuses, mais il ne s'y prêta qu'avec
tant de répugnance, que, se trouvant, pour ainsi dire, contraint par cet
archevêque de signer un arrêt qui condamnait Jeanne Bocher à être brûlée
vive pour quelques opinions fanatiques au sujet du Christ, Édouard ne
put s'empêcher de verser des larmes, et dit que s'il faisait un péché ce
serait l'archevêque qui en répondrait devant Dieu. Comme Cranmer
lui-même devint martyr sous le règne suivant, nous avons tout lieu de
croire que plusieurs de ceux qui ont souffert le martyre ne manquaient
pas de la volonté, mais de la puissance nécessaire pour faire d'autres
martyrs.

La reine Élizabeth, quoiqu'à bien des égards elle fut très grande
princesse, avait dans son caractère beaucoup de la hauteur et de la
sévérité de son père, et quoique sous le règne de sa soeur Marie elle
eût vu et même eût éprouvé les effets cruels de la persécution au point
qu'elle eut assez de peine à sauver sa propre vie, elle ne laissa pas de
persécuter non-seulement ses propres sujets, mais encore des étrangers,
qui étaient venus se réfugier dans ses états pour échapper aux cruautés
qui s'exerçaient dans leurs pays; ils furent sans doute bien étonnés de
trouver en Angleterre les mêmes traitemens; en effet quelques-uns
d'entr'eux furent fouettés, emprisonnés, bannis, et d'autres furent mis
à mort, entr'autres deux dont l'un avait une femme et neuf enfans: ce
malheureux demandait pour toute grâce, qu'on lui permît de sortir du
royaume avec sa famille, mais ce fut vainement; tous deux anabaptistes
furent brûlés vifs à Smithfield.

Quoique le roi Jacques I eût été élevé dans le presbytérianisme, et
rendît graces à Dieu, lorsqu'il était en Écosse, d'être à la tête _d'une
église la plus pure qui fût au monde_; cependant quand il parvint à la
couronne d'Angleterre il persécuta les membres de son ancienne église,
ainsi que tous ceux qui n'adoptaient pas les opinions des épiscopaux
d'Angleterre. Quelques évêques avaient trouvé le secret de flatter sa
vanité; en reconnaissance il leur lâchait la bride contre ses sujets,
dont plusieurs furent traités par eux avec la barbarie familière aux
ministres du seigneur.

Son fils et son successeur Charles I marcha sur les traces de son père.
Laud, prélat hautain, turbulent et sans pitié, ne voulait que personne
eût l'audace de s'opposer à l'introduction des rites et des cérémonies
de l'église romaine dont il était fort épris; en conséquence il traita
d'une façon très cruelle plusieurs théologiens et gentilshommes
protestans qui ne voulaient pas se conformer à ses caprices; mais ce
prêtre fougueux fit tant par ses excès qu'il eut la tête tranchée, après
avoir été la cause du renversement total de l'église et de l'état. Quand
ceux qui avaient été si récemment persécutés furent parvenus à leurs
fins ils se comportèrent avec autant de douceur, d'indulgence et de
charité chrétienne que toutes les autres sectes quand ils ont eu le
pouvoir en main; ils persécutèrent tous ceux qui ne pensaient pas comme
eux; mais leur règne finit par le rétablissement de Charles II.

Ce prince n'avait lui-même que peu ou point de religion; cela n'empêcha
pas qu'il ne permît à ses évêques de tourmenter et d'opprimer ses sujets
de la façon la plus révoltante. Au lieu de consoler son peuple consterné
d'un incendie qui avait consumé la plus grande partie de la capitale, et
d'une peste qui avait emporté des milliers d'hommes, il aggrava les maux
de ses peuples par des confiscations, des amendes et par les
persécutions qu'il fit éprouver à un grand nombre de personnes
distinguées par leur mérite et leur savoir. Il est bon de remarquer que
les mêmes personnes qui pour leur religion furent bannies dans la
Nouvelle-Angleterre, où elles revinrent toutes puissantes et en
possession du pouvoir, persécutèrent dans ce pays et poursuivirent
jusqu'à la mort les pauvres _quakers_ ou _trembleurs_, qui de toutes les
sectes du christianisme sont la plus douce, la plus innocente, la plus
semblable aux premiers chrétiens.

Le roi Jacques II, en continuant à persécuter, suivit l'exemple de son
frère, et agit en cela conformément à son caractère cruel et aux
principes sanguinaires de sa religion. Cependant peu après son avènement
à la couronne, il publia une déclaration en faveur de la liberté de
conscience; mais par cette démarche il ne se proposait que d'introduire
la profession publique de la religion romaine, qu'il voulait à toutes
forces établir dans ses royaumes; s'il eût pu réussir, que pouvait-on
attendre d'un prince naturellement féroce, gouverné par un jésuite,
esclave du pape, enivré de dévotion, de fanatisme ou de zèle? Notre pays
serait bientôt devenu la proie des oiseaux de proie, des prêtres et des
moines, n'aurait été qu'une scène de carnage et d'horreurs. Mais une
heureuse révolution détourna ces maux de nous, et sauva la nation de la
destruction dont elle était menacée.

Durant le règne de Guillaume III, qui n'était nullement dévot, mais, qui
semblable à Guillaume I, prince d'Orange, favorisait les gens de mérite
de quelque religion qu'ils fussent, et qui d'ailleurs avait été placé
sur le trône de la Grande-Bretagne, par le consentement et les secours
de toutes les sectes protestantes qui sont parmi nous; durant ce règne,
dis-je, toute persécution fut assoupie jusqu'à ce que vers la fin du
règne suivant, un prêtre fanatique[38] avant semé la discorde, la
persécution protestante commença à se ranimer et montrer ses griffes;
mais la mort de la reine Anne mit fin aux projets sinistres du parti qui
gouvernait alors, et la persécution fut ensevelie dans le même tombeau
qu'elle. Puisse-t-elle n'en jamais sortir, et ne plus venir troubler cet
heureux pays!

  [38] Le docteur Sacheverell.

Nous voyons donc que les catholiques romains n'ont point été les seuls
qui ont persécuté, mais la persécution, cette déesse infernale, a été
adorée, fomentée, obéie par toutes les sectes des chrétiens dès qu'elles
ont eu le pouvoir d'exécuter ses volontés et ses caprices. Cependant il
faut convenir qu'elle a pour toujours fixé sa demeure, et établi son
trône dans l'église romaine; là elle règne avec un sceptre de fer, elle
est environnée de la terreur, elle tranche sans obstacle avec son glaive
meurtrier.



SECTION XII.

Recherches sur les causes de la cruauté et de l'esprit persécuteur que
l'on remarque surtout dans les prêtres de l'église romaine.


Si nous considérons les cruautés énormes exercées par les prêtres de
l'église romaine, même sans que rien parût les y engager, et souvent sur
des personnes pieuses, innocentes et vertueuses, dont tout le crime
était de vouloir honorer Dieu selon leurs consciences, nous demeurerons
convaincus que personne dans les nations civilisées n'a poussé aussi
loin la férocité, et n'a joué un rôle aussi barbare que le clergé du
pape.

L'on ne peut douter que dans l'espèce humaine il ne se trouve des
individus dont les uns sont naturellement durs et cruels, tandis que
d'autres sont tendres et compatissans; cependant on ne peut pas supposer
que la plupart de ceux qui se destinent au service des autels ne soient
tous choisis que parmi les hommes de la première espèce, et qu'il ne
s'en trouve que très peu qui aient des sentimens d'humanité. Il faut
néanmoins convenir que si les prêtres romains eussent tous été choisis
parmi les êtres les plus cruels, ils ne pourraient point agir autrement
qu'ils ne font.

Puis donc que la férocité par laquelle ces hommes se distinguent de tous
les autres, ne peut être attribuée à quelque qualité naturellement
inhérente en eux ou qui leur soit particulière, il faut en chercher la
cause ailleurs. Quoique l'éducation que reçoivent les ecclésiastiques de
l'église romaine ne diffère pas d'une façon bien marquée de celle des
autres personnes de leur religion qui étudient les lettres, cependant
nous trouvons dans l'éducation des membres de ce clergé, des
circonstances plus ou moins éloignées qui semblent de nature à leur
inspirer les dispositions barbares dont nous parlons.

L'on a sur-tout grand soin d'enseigner la logique et l'art de disputer
aux jeunes gens destinés aux fonctions ecclésiastiques; on leur remplit
la tête de questions métaphysiques, de subtilités, de théologie
scholastique; on leur fait étudier les pères de l'église; on leur fait
lire des légendes et des vies des saints.

La logique a sans doute de l'utilité, mais par la façon dont on
l'applique, dans les études du clergé, au lieu de mettre les hommes à
portée de découvrir et de défendre la vérité, elle n'apprend qu'à
l'obscurcir et à rendre l'erreur et l'imposture spécieuses et probables.
En un mot la logique que l'on enseigne aux jeunes ecclésiastiques ne
semble être que l'art de jetter de la poudre aux yeux des autres, mais
cette poudre revient souvent contre eux-mêmes et les aveugle pour la
vie. La métaphysique n'est propre qu'à leur remplir l'esprit de mots
vides de sens, d'idées vagues, de notions fausses, d'opinions
arbitraires. La scholastique n'est qu'un tissu de questions inutiles,
ridicules et souvent indécentes. Les ouvrages des pères, pour lesquels
on leur inspire la vénération la plus profonde, les infectent pour
l'ordinaire d'opinions erronées, leur inspirent un esprit de parti, des
idées superstitieuses, des maximes dangereuses; en un mot excitent en
eux des animosités, de la virulence, de l'intolérance, dont ces grands
personnages ont été eux-mêmes animés contre ceux qu'ils traitaient
d'hérétiques. Enfin les légendes et les vies des saints les confirment
dans toutes les idées fausses ou dangereuses qu'ils ont puisées dans les
pères, leur remplissent le cerveau de faux miracles et de faits
merveilleux, les accoutument à croire les romans les plus incroyables,
les mensonges les plus évidens, leur font prendre le fanatisme le plus
dangereux pour la religion la plus pure, et les écarts de l'extravagance
pour de la vraie dévotion[39].

  [39] L'on a déjà rapporté dans cet essai différens exemples qui
    prouvent l'orgueil, l'humeur turbulente, l'esprit cruel et
    persécuteur par lequel un grand nombre de pères de l'église s'est
    distingué; cependant pour rendre ce tableau plus complet nous
    joindrons encore un supplément à cet essai, dans lequel nous
    parlerons des maximes dangereuses, des opinions erronnées, des idées
    bizarres, des superstitions, de la crédulité, des interprétations
    ridicules des écritures que l'on trouve dans les ouvrages de ces
    grands hommes; nous y joindrons en peu de mots les questions
    indécentes et ridicules que l'on agite dans la théologie
    scholastique; nous parlerons encore d'une foule d'extravagances que
    les bons catholiques, ainsi que quelques autres chrétiens, ont
    regardé comme des effets de la plus sublime dévotion.

Ajoutez à tout cela que ceux qui sont chargés de l'instruction des
jeunes gens destinés à l'état ecclésiastique, étant des prêtres
eux-mêmes, n'épargnent rien pour inspirer à leurs élèves l'idée qu'ils
sont infiniment supérieurs aux laïques; et que ceux-ci doivent avoir
pour eux le respect le plus profond; ils leur inculquent de plus que
l'hérésie est le plus grand des crimes, que rien n'est plus nécessaire
et plus légitime que d'extirper les hérétiques; que l'on doit regarder
les incrédules comme les hommes les plus dangereux dans un état; que
l'on doit employer les moyens les plus cruels et les plus sanguinaires
pour les réprimer; que toutes les voies dont on se sert pour y parvenir
sont justes et très agréables à la divinité; que le clergé est destiné
par état à s'acquitter de la fonction la plus sublime de combattre les
ennemis de l'église.

Ainsi chargés de connaissances inutiles, remplis de zèle et de frénésie
pour des opinions fausses, pour des cérémonies absurdes; bouffis
d'orgueil et de vanité[40], empoisonnés de principes pernicieux, les
jeunes ecclésiastiques sortent des séminaires où ils ont été éduqués;
s'ils entrent ensuite dans quelqu'ordre monastique, ils y mènent une vie
récluse qui les rend sombres et mélancoliques, qui aigrit leur
caractère, qui les porte à la cruauté. En effet que peut-on attendre de
personnes séquestrées du monde, qui n'ont aucune occupation raisonnable,
qui sont privées de tout amusement et des plaisirs même les plus
innocens? Mais soit qu'ils embrassent la vie monastique, soit qu'ils
entrent dans le clergé séculier, les ecclésiastiques romains sont
obligés de garder le célibat; c'est aux médecins et aux naturalistes, à
examiner les effets physiques que l'observation exacte de cette loi peut
produire sur le tempéramment; ils décideront si elle n'est pas propre à
rendre quelques hommes chagrins et cruels: au moins est-il certain que
le célibat les isole, il anéantit pour eux les liens si doux du mariage,
de la paternité, de la parenté, qui sont sans doute, propres à nourrir
dans les hommes la bienfaisance, la sensibilité, la pitié. Comme un
grand nombre de moines et de prêtres de l'église romaine sont forcés de
s'interdire toute conversation avec le sexe, tandis qu'elle est permise
aux prêtres des autres pays, et qui sagement réglée tend à polir,
adoucir, humaniser les hommes: cette circonstance seule peut nous faire
deviner pourquoi les prêtres de l'église romaine sont plus durs et plus
féroces que les laïques. Il est bon d'observer en passant que l'on
rencontre plus de tristesse, de brutalité, de cruauté chez les
Mahométans, les Turcs et les Maures, ainsi que dans les autres nations
où la conversation et le commerce familier des deux sexes sont
interdits, que dans les pays où les hommes et les femmes sont confondus
et vivent en société.

  [40] Indépendamment de cette vanité que l'on inspire aux jeunes gens
    destinés à l'église, les personnes qui étudient les lettres sont
    déjà disposées par elles-mêmes à mépriser la partie ignorante du
    genre humain. Dans le temps où le peu de savoir qui existait dans le
    monde était exclusivement possédé par les prêtres, ceux-ci étaient
    très fiers, et cela fournit au clergé romain la facilité de tromper
    et de tyranniser les pauvres laïques.

Puisque cette conversation si agréable avec les femmes est d'une si
grande utilité pour les hommes, quel dommage n'est-ce pas pour les deux
sexes, que les femmes ne soient pas pour l'ordinaire élevées de manière
à rendre leur commerce plus utile, et pour nous et pour elles-mêmes! Si,
au lieu de leur remplir la tête de bagatelles ou de choses encore pires,
on leur inspirait de bonne heure le goût des objets vraiment estimables,
on ne les verrait pas continuellement occupées de futilités et courir
après des amusemens enfantins, ridicules, coûteux et souvent criminels;
leur conversation ne serait ni aussi insipide, ni aussi impertinente
qu'elle l'est trop communément; au contraire, si leur esprit était
cultivé et enrichi de connaissances, dont il n'est pas douteux qu'elles
ne fussent très susceptibles, quelle satisfaction et quelles ressources
ne trouveraient-elles pas en elles-mêmes, et à quel point ne se
rendraient-elles pas adorables à nos yeux! Quel pouvoir et quels charmes
n'aurait pas la beauté si elle était ornée de la bonté, de la raison, de
la science! Les attraits une fois flétris, ne resterait-il donc pas
encore aux femmes des qualités propres à leur mériter nos égards, notre
estime, notre attachement?

Mais revenons à notre sujet. L'on a fait remarquer au commencement de
cet ouvrage, que plusieurs des passions auxquelles la nature humaine est
sujette, finissent par se changer en cruauté quand elles vont à l'excès.
Il n'est point de passions qui prouvent mieux cette vérité que l'orgueil
et l'ambition; or il n'y a personne au monde qui soit plus sujet à ces
deux passions que le clergé de l'église romaine. L'on peut encore
ajouter à cela qu'une troupe nombreuse de brigands, est plus effrontée
et plus cruelle, que celle qui n'est composée que d'un petit nombre de
fripons; il en est de même des prêtres romains dont l'audace et la
méchanceté sont augmentées par leur nombre. Enfin il est bon d'observer
que les prêtres et les moines sont tirés pour la plupart de la lie du
peuple. L'on a vu des papes mêmes sortir de la fange pour monter sur le
trône pontifical, d'où ils ont insolemment donné des lois aux potentats
de l'Europe[41].

  [41] Grégoire VII était d'une naissance très obscure. Ce fut lui qui
    eut les démêlés les plus sanglants avec l'empereur, qu'il força,
    comme on a vu, de venir implorer sa clémence. Ce fut ce même pape
    qui sentit qu'il était de l'intérêt de l'église que les prêtres ne
    fussent point mariés. Alexandre V dans son enfance avait été
    mendiant. Pie V était fils d'un bouvier. Sixte V avait gardé les
    pourceaux. Presque tous les moines sont tirés de la plus vile
    populace, et n'ont jamais reçu une éducation honnête; d'ailleurs ils
    vivent dans des couvens, où règnent des cabales, des haines, des
    jalousies, des animosités peu propres à leur former un bon
    caractère.

Quoique l'orgueil et l'ambition excitent souvent les hommes à la
cruauté, cependant sans pouvoir ils ne peuvent l'exercer impunément au
gré de leurs désirs. Malheureusement pour la chrétienté, comme on l'a
fait observer ailleurs, les prêtres de l'église romaine ont joui d'un
grand pouvoir, et c'est là ce qui les a mis à portée de remplir
l'univers de leurs abominations, de leurs persécutions, de leurs
cruautés. D'ailleurs les souverains, aveuglés par la dévotion, ou par
une fausse politique, leur ont toujours prêté main forte, et se sont cru
en conscience obligés d'immoler les victimes désignées par leur fureur.
Dans presque tous les tems, les princes et les magistrats n'ont été,
pour ainsi dire, que les ministres des vengeances et des passions des
papes et du clergé. Les édits les plus sanguinaires ont été toujours
ceux qui ont eu pour objet de mettre à couvert les intérêts du
sacerdoce. Depuis la fondation du christianisme, nous voyons en tout
pays les rois presque uniquement occupés à tirer l'épée sur l'ordre de
leurs prêtres, et travailler contre leurs intérêts les plus chers pour
maintenir des hommes oisifs et turbulens dans la possession des droits
qu'ils ont visiblement usurpés sur leurs concitoyens: en un mot nous
voyons les princes s'avilir au point de se rendre les satellites et les
bourreaux de quelques spéculateurs ignorans et présomptueux, qui sont
parvenus, à faire regarder leurs futiles décisions comme nécessaires au
bien-être des nations, et comme des oracles du ciel. C'est ainsi que le
clergé romain, qui fait profession _d'abhorrer le sang_, a trouvé le
secret d'exterminer ses ennemis, et de remplir la terre de carnage en
écartant de lui l'apparence de la cruauté. Les chefs des nations ont
pris sur eux l'odieux fardeau de la persécution; ils se sont chargés de
la haine qui aurait dû retomber sur les prêtres odieux dont ils
n'étaient que les instrumens aveugles, et dont souvent ils sont les
premières victimes.

Quelque disposés que quelques hommes puissent être à la cruauté par leur
méchant naturel, il en est beaucoup qui n'osent lui donner un libre
cours par la crainte de Dieu et encore plus par celle des hommes; mais
lorsqu'ils peuvent exercer leurs fureurs par les mains des autres,
lorsqu'ils sont au-dessus de la crainte des hommes, lorsqu'ils sont
encouragés par leur nombre, par l'impunité, par l'aveuglement des
peuples, par les usages reçus par les lois, c'est alors que, sans
rougir, ils se permettent les plus grands excès; c'est alors qu'ils ont
le front de prétendre que Dieu exige que l'on trouble les consciences,
que l'on tourmente les hommes, que l'on porte partout le fer et le feu.
Il n'y a point de forfaits que l'on ne soit en droit d'attendre d'un
ordre d'hommes dont le coeur est ainsi dépravé.

Il semble que toutes ces circonstances attentivement pesées, suffisent
pour nous rendre raison de la conduite du clergé romain: ces reflexions
peuvent nous découvrir les vraies raisons qui font qu'il surpasse en
cruauté les laïques et les personnes qui ont reçu une éducation honnête.
D'ailleurs les plus grands imposteurs doivent être les plus défians, et
les hommes les plus défians sont toujours les plus cruels.



SUPPLÉMENT A L'ESSAI SUR LA CRUAUTÉ RELIGIEUSE.


Comme dans l'essai précédent l'on a déjà fait sentir les conséquences
fâcheuses qui résultent de la vénération qu'ont les chrétiens, et
sur-tout les catholiques romains que l'on destine à l'église, pour les
ouvrages des pères; comme on a dit que la théologie scholastique, dans
laquelle on exerce les jeunes ecclésiastiques, est remplie de questions
futiles, odieuses et même indécentes; comme on a montré que la lecture
des légendes romanesques, et des vies des saints disposait à une
crédulité ridicule et faisait ajouter foi à des contes dépourvus de
vraisemblance et de bon sens, et faisait regarder l'enthousiasme et la
superstition comme la dévotion la plus parfaite; je me crois obligé de
prouver mes assertions par des exemples. Je commencerai donc par
rapporter les opinions erronées, les cérémonies superstitieuses, les
faux miracles que l'on trouve dans les ouvrages de plusieurs des
premiers pères de l'église; j'y joindrai le récit de quelques miracles
racontés par les plus anciens historiens ecclésiastiques, et je parferai
de la vie de quelques saints illustres.



SECTION PREMIÈRE.

Des opinions erronées et des cérémonies superstitieuses que l'on trouve
dans les pères de l'église.


Barbeyrac, dans son _traité de la morale des pères de l'église_, a fait
voir clairement que plusieurs de ces docteurs, en déclamant contre le
mariage, et en faisant des éloges outrés du célibat, ont jeté les
fondemens de la vie monastique, et ont fait naître l'idée de ces voeux
contre nature, par lesquels une multitude d'hommes et de femmes
s'obligent à transgresser l'ordre formel de la divinité qui commande aux
êtres de l'espèce humaine _de croître et de multiplier_. Le même auteur
observe que les religieuses sont souvent qualifiées par les pères
_d'épouses de Jésus-Christ_; il remarque que saint Jérôme donne souvent
le titre de _madame_ à _Eustochie_ qui était religieuse, comme parlant à
l'épouse de Jésus-Christ, tandis qu'il donne à sa mère le titre de
_belle-mère de Dieu_.

Le même écrivain observe que c'est le jargon inintelligible dont St.
Cyrille se sert pour exalter le sacrement de l'Eucharistie, qui a
produit par dégrés la doctrine monstrueuse de la transubstantiation.

Il rapporte la maxime abominable de saint Augustin que _les justes ou
les croyans ont droit à tout, et que les mécréant n'ont droit à rien_.
Ce principe paraît être le fondement sur lequel l'église romaine a
depuis élevé ses prétentions illimitées sur l'autorité temporelle. Les
paroles de ce saint sont si remarquables, tant à l'égard du droit des
fidèles, que relativement au pouvoir qu'il attribue aux princes sur les
biens de leurs sujets, que je ne puis me dispenser de les rapporter ici.
Ce grand saint écrivant aux donatistes, leur dit: _Et quamvis res quæque
terrena non rectè à quoquam possideri possit, nisi vel jure divino, quo
cuncta justorum sunt, vel jure humano, quod in potestate regnum est
terræ, ideoque res vestras falso appelletis, quas nec justi possidetis,
et secundùm leges regum terrenorum amittere jussi estis; frustraque
dicatis, nos eis congregandis laboravimus, cùm scriptum legatis labores
impiorum justi edent, etc._

Le chevalier Isaac Newton, dans le quatorzième chapitre de ses remarques
sur les prophéties de Daniel, a recueilli dans les ouvrages des pères un
grand nombre de dogmes erronés, de cérémonies superstitieuses, de faux
miracles débités par ces saints personnages. Il cite sur-tout pour
exemples les deux SS. Grégoire de Nysse et de Nasianze, S. Cyprien, S.
Jérôme, S. Basile, S. Chrysostôme, S. Athanase. «Les payens, dit Newton,
trouvaient du plaisir et de l'amusement dans les fêtes de leurs dieux,
et n'étaient nullement disposés à s'en priver; en conséquence Grégoire,
pour faciliter leur conversion, institua des fêtes annuelles en
l'honneur des saints et des martyrs; ainsi les fêtes des chrétiens
furent inventées pour remplacer celles des payens. A la fête de Noël,
l'on imagina de porter des guirlandes de lierre, de se réjouir et de
faire bonne chère, pour que cette fête tînt lieu de _saturnales_ et de
_bacchanales_... L'amusement que fournissaient ces solennités augmenta
le nombre des chrétiens et les fit décroître en vertus. S. Athanase, qui
mourut en 373, écrivit un discours sur les religions des 40 martyrs
d'Antioche; et lorsque les ossemens de S. Jean-Baptiste, qui faisaient
tant de miracles, furent transférés en Égypte, S. Athanase les cacha
dans le mur d'une église, afin, disait-il, qu'ils procurassent des
avantages aux générations futures.»

S. Chrysostôme, dans une de ses homélies, exhorte les fidèles au culte
des saints. «Peut-être, leur dit-il, vous sentez-vous exhaussés d'un
grand amour pour ces martyrs; dans ce cas, tombons à genoux devant leurs
reliques, embrassons leurs cercueils, car les tombeaux des martyrs ont
un très grand pouvoir.»

En un mot cet illustre auteur prouve clairement que la plupart des
dogmes et des cérémonies idolâtres enseignés et pratiqués par l'église
romaine, ont été inventés et recommandés par les pères de l'église. Il
remarque de plus que ces saints ont eu l'adresse de répandre la croyance
aux prétendus miracles opérés par les reliques des martyrs et des
saints[42]. Il fait en particulier mention de celui qui s'opéra dans
Antioche, lorsque l'oracle d'Apollon fut réduit au silence, aussitôt que
le corps de S. Babylas, martyr, fut enterré près du temple où l'on
consultait ce Dieu. L'empereur Julien le pressant de satisfaire à ses
questions, ne put en tirer autre chose sinon qu'il ne pouvait répondre à
cause des ossemens du martyr Babylas, qui était enterré dans le
voisinage.

  [42] Quelques admirateurs des pères de l'église ont pris de l'humeur
    contre le chevalier Newton, parce qu'il avait dévoilé leur
    superstition, peut-être quelque chose de pire encore, que ces
    partisans ont voulu défendre: ceux qui ont lu ces apologies et les
    écrits des pères sans préjugé, sont en état de juger s'ils ont
    grandement réussi; quoiqu'il en soit, un homme d'esprit disait à ce
    sujet. «Qu'il n'avait point lu d'apologie pour les pères qui
    n'augmentât son aversion pour eux.»

S. Chrysostôme, qui rapporte ce dernier miracle, dit que Julien donna
des ordres pour qu'on ôtât les os de S. Babylas afin qu'ils
n'empêchassent plus Apollon de rendre ses oracles; mais qu'aussitôt que
ces précieuses reliques furent entrées du faubourg de Daphné dans la
ville d'Antioche, le tonnerre détruisit et la statue du Dieu et son
temple. S. Chrysostôme emploie une homélie entière, et un très long
discours qui la suit à haranguer au sujet de Babylas, et des miracles
qui s'opéraient journellement par le moyen des reliques des martyrs,
pour l'édification de l'église et pour confondre les incrédules, et il
assure que ces miracles prouvaient la certitude de la résurrection. Ce
qui vient d'être rapporté est dû au docteur Middleton, qui me fournit
encore deux miracles rapportés par deux autres pères de l'église.

St. Grégoire de Nysse rapporte que St. Grégoire, surnommé le
_Taumaturge_ ou le faiseur de miracles, étant en voyage, fut forcé de se
réfugier dans un temple payen fameux par les oracles qui s'y rendaient,
et où les démons se montraient visiblement aux prêtres: mais le saint
ayant invoqué le nom de Jésus, les mit tous en fuite; ayant fait un
signe de la croix, il purifia l'air pollué par la fumée des sacrifices.
Le matin du jour suivant, quand le prêtre vint pour remplir ses
fonctions ordinaires, les diables se montrèrent à lui et lui apprirent
que la nuit précédente ils avaient été chassés par un étranger et qu'il
ne leur était point permis de revenir; il ne fut point en état de les
rappeler, ni par ses enchantemens, ni par ses sacrifices. En conséquence
le prêtre en fureur se mit à courir après Grégoire, et l'ayant atteint
sur la route il le menaça de le maltraiter. Mais Grégoire méprisant ses
menaces lui fit entendre qu'il avait un pouvoir supérieur à celui des
démons, et qu'il pouvait les faire aller où il voulait. Le prêtre étonné
de ce discours lui demanda pour preuve de ce qu'il disait qu'il les fît
rentrer dans le temple d'où il les avait bannis. Grégoire le voulut bien
et se contenta d'écrire un billet très court en ces mots: _Grégoire à
Satan, rentre_. Le prêtre, chargé de ce billet, le plaça sur l'autel, et
les diables reprirent possession de leur ancienne demeure.

St. Jérôme, qui passe pour le père de l'église le plus distingué pour
son savoir et son jugement profond, nous dit, dans la vie de St.
Antoine, premier ermite, qu'allant faire visite à un autre ermite nommé
Paul, il rencontra d'abord un _Centaure_ qui lui montra le chemin, et
ensuite un satyre à pieds de chèvre dont le front était armé de cornes,
qui lui fit amitié et qui se recommanda à ses prières, ainsi que tous
ses confrères les satyres du pays.

St. Augustin dit positivement avoir vu en Éthiopie un peuple composé
d'hommes sans têtes, ayant deux gros yeux sur la poitrine, et faits
d'ailleurs comme les autres. Voyez, _August. Sermones ad fratres suos in
Eremo. Serm. 33, page 293._

Ou ces saints personnages ont cru les faits merveilleux qu'ils
rapportent, ou ils ne les ont point crus: s'il les ont crus, il faut
qu'ils aient été étrangement ridicules; s'ils ne les ont point crus,
c'est au lecteur à décider du nom qu'on doit leur donner, et à juger
combien on doit compter sur leurs récits. Cependant il n'est point
difficile de deviner ce qu'on doit penser de la bonne foi de St. Jérôme,
qui reconnaissant qu'un fait calomnieux débité sur les juifs par les
chrétiens de Jérusalem était totalement improbable, ajoute néanmoins que
l'on ne doit pas condamner une erreur qui a pour principe la haine pour
les juifs et un zèle pieux pour la foi. _Non condemnemus errorem qui de
odio Judæorum et fidei pietate descendet._ Dans un autre endroit, ce
père fait entendre que dans les disputes de controverse dans lesquelles
on se propose plutôt de remporter la victoire que de trouver la vérité,
il était permis de se servir de toutes les fraudes qui pouvaient
contribuer à vaincre son adversaire. On peut dire que l'exemple de ce
grand saint est fidèlement suivi par la plupart des théologiens; ils
semblent avoir très soigneusement banni la bonne foi de leurs disputes,
dans lesquelles on ne trouve pour l'ordinaire que des subtilités, des
sophismes et des pièges que ces querelleurs se tendent réciproquement.
Il paraît encore qu'un grand nombre d'entre eux se sont proposé St.
Jérôme pour modèle dans les invectives, les injures, les calomnies dont
ils ont soin de se charger les uns les autres. En effet rien de plus
atroce, de plus scandaleux, de plus opposé à la charité chrétienne que
la façon dont ce père traite le pauvre Rufin qui avait le malheur de
n'être pas de son avis; il lui prodigue les noms de _serpent_, de
_vipère_, de _démon_, etc.; il le dévoue à Satan. Il faut convenir que
de semblables modèles ne sont pas propres à inspirer ni la politesse, ni
la modération, ni la charité aux jeunes théologiens qui puiseront des
principes dans les ouvrages de ces docteurs.

An reste St. Jérôme se rend justice à lui-même; il ne rougit point
d'avouer et de vouloir justifier son caractère; il disait une chose et
s'en dédisait ensuite; il argumentait pour et contre suivant les
occasions et selon que la chose lui paraissait utile; il prétend
autoriser sa conduite par l'exemple de St. Paul et de Jésus-Christ
lui-même, qu'il représente comme se servant de toutes les armes qui se
présentaient à sa main, sans avoir aucun égard pour la sincérité et la
vérité, auxquelles il ne croit pas que l'on soit astreint dans la
dispute.

Le savant Mosheim, quoique partisan très zélé du christianisme, a raison
de craindre «que ceux qui iraient puiser des lumières dans les ouvrages
des plus grands et des plus saints docteurs du quatrième siècle, ne les
trouvassent tous sans exception disposés à tromper et à mentir, toutes
les fois qu'ils croyaient que l'intérêt de la religion l'exigeait.» Cet
auteur pouvait avoir assurément les mêmes craintes pour les docteurs des
autres siècles; il aurait pu dire avec notre gavant Middleton: «Si ces
pères plus récens déterminés par l'intérêt ou par un faux zèle ont pu
répandre des mensonges avérés, ou si avec tout leur savoir ils ont pu
être d'une crédulité assez honteuse pour croire eux-mêmes les contes
absurdes qu'ils attestent, nous aurons des raisons pour soupçonner que
les mêmes préjugés ont influé plus fortement sur les pères plus anciens,
qui aux mêmes intérêts joignent encore moins de savoir, moins de
jugement et plus de crédulité.» Voyez les _OEuvres du docteur
Middleton_, Tome IV, pag. 113, 128 et 130.

Quoiqu'il en soit, on ne finirait pas si l'on voulait copier tous les
miracles et les contes absurdes et ridicules rapportés gravement par
Eusèbe, Théodoret, Sozomène, Évagrius et les autres historiens
ecclésiastiques les plus accrédités. Ils nous prouvent ou la fourberie
ou la crédulité de ceux qui racontent de pareilles fables. Au reste ces
récits merveilleux se sont perpétués dans l'église romaine: pour s'en
convaincre l'on n'a qu'à lire entre autres les _conférences de Cassien_,
ouvrage rempli de prodiges et de miracles qui obligent d'admirer la
force du fanatisme et l'étonnante stupidité des moines, c'est-à-dire,
des plus parfaits chrétiens. On retrouve le même esprit dans la vie de
_St. François_, fondateur d'un ordre nombreux, écrite par St.
Bonaventure, qui l'a remplie de contes propres à faire rougir tous ceux
en qui l'enthousiasme n'a pas complètement éteint les lumières du bon
sens. Enfin nous trouvons le même fanatisme, la même crédulité, la même
fourberie dans un grand nombre d'ouvrages publiés par les jésuites, qui
depuis deux siècles ne semblent venus que pour plonger ou retenir les
catholiques dans l'ignorance et la barbarie dont nos ancêtres se sont
heureusement tirés. Telles sont les lectures dont on orne l'esprit des
jeunes gens destinés à servir l'église romaine sous les ordres du pape!
il ne faut point être surpris après cela si, à l'exemple des grands
saints qu'on leur propose pour modèles, ils se font un mérite d'être
fourbes, de mauvaise foi, intolérants et cruels; ou s'ils croient
atteindre la perfection la plus sublime à force de fanatisme,
d'extravagances et de crédulité. Voyons maintenant si les opinions
qu'ils puisent dans les pères de l'église sont propres à les rendre plus
sensés et plus vertueux.



SECTION II.

Exemples des opinions bizarres des pères de l'église.


Saint Justin, martyr, dans la vue de justifier le christianisme du
scandale de la croix, observe très judicieusement que rien ne se fait
dans le monde sans la croix; il cite pour exemple les mats des
vaisseaux, la forme des charrues, les coignées et beaucoup d'autres
outils des ouvriers: il ajoute que ce qui distingue l'homme d'une façon
marquée des bêtes, c'est que quand il est debout il a la faculté
d'étendre les bras et de former avec son corps la figure d'une croix, il
observe qu'il porte au milieu du visage un nez formant une croix, au
travers de laquelle il est forcé de respirer; il en conclut que le
crucifiement de Jésus-Christ a été prédit par ces mots du prophète
Jérémie, _le souffle de nos narines, l'oint de l'Éternel a été pris dans
leurs fosses._

Ce même père regardait le mariage comme une chose impure par sa nature.
_Nous voyons_, dit-il, _quelques personnes qui renoncent à l'usage
illégitime de se marier, par lequel nous satisfaisons le désir de la
chair_. Dans un autre endroit, il prétend que _le Christ a voulu naître
d'une vierge dans la vue d'abolir l'acte de la génération qui est
l'effet d'un désir vicieux et illicite, le seul désir charnel auquel le
sauveur n'ait pas succombé_.

Saint Irénée prétend que le serment est toujours une chose criminelle,
en cela il s'accorde avec Saint Justin, martyr, comme il fait aussi sur
l'article du mariage, qu'il assure n'avoir été permis par l'évangile
qu'en faveur _de la dureté des coeurs_. Ce saint établit pour une règle
générale que toutes les fois que l'écriture sainte rapporte une action
sans la condamner, nous ne devons point la blâmer ou y trouver à redire,
quelque odieuse qu'elle paraisse, mais qu'alors nous devons la regarder
comme un _type_, ou une figure. C'est d'après ce principe qu'il justifie
les incestes des filles de _Loth_ et de _Thamar_; car, dit-il, nous ne
devons pas prétendre être plus sages que Dieu. Rien de plus ridicule et
de plus fastidieux que les argumens dont il se sert pour justifier les
Israélites d'avoir volé les Égyptiens; il se fonde sur-tout sur le
passage étrange qui se trouve au chapitre XVI, vers. 9 de St. Luc, où
Jésus-Christ dit: _faites-vous des amis dans le Ciel avec les richesses
iniques, afin qu'ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels_.
«Car, dit St. Irénée, tout ce que nous acquérons, quoiqu'injustement,
étant payens, si après notre conversion nous l'employons au service du
Seigneur, nous sommes par là justifiés.» Conformément à cette doctrine
nous voyons qu'en 1497, le pape donna ordre à Jean Giglis, évêque de
Worcester «qu'il permît que l'on retînt les biens des autres de quelque
manière que l'on s'en fût emparé, pourvu que l'on en donnât une certaine
portion aux commissaires du pape ou à leurs substituts. V. _Wharton's
Anglia Sacra_.» Au reste le clergé de l'église romaine semble avoir
universellement adopté cette maxime; les prêtres et les moines ne font
aucune difficulté de réconcilier à Dieu les voleurs et ceux-qui se sont
enrichis par les rapines les plus criantes, pourvu qu'ils donnent une
portion des biens qu'ils ont injustement acquis à l'église ou aux
hôpitaux. Il paraît que c'est à cette belle doctrine qu'ont été dues
anciennement les fondations de la plupart des couvens et monastères,
faites par des seigneurs puissants et des princes, qui en mourant
donnaient au clergé et aux moines une portion plus ou moins considérable
de ce qu'ils avaient arraché aux hommes.

Voici comment saint Clément d'Alexandrie interprête l'aventure
d'Abimelech qui de sa fenêtre aperçut Isaac badinant avec Rebecca.
_Abimelech_, dit-il, _ce roi curieux, représente la sagesse, qui est
au-dessus de celle du monde. Rebecca représente la patience; or la
sagesse considéra attentivement le mystère du badinage. Ô badinage
divin! s'écrie-t-il. C'est le même que celui qu'Héraclite attribue à
Jupiter_, etc. Il dit encore qu'_Abimelech est Jésus-Christ notre roi,
qui du haut des cieux considère nos jeux, c'est-à-dire, nos actions de
graces, nos louanges, nos transports d'allégresse,_ etc. Si on lui
demande quelle est la fenêtre au travers de laquelle le Sauveur a
regardé, il nous dira que c'est _la chair_ par laquelle il s'est
manifesté.

Ce père prescrit très rigoureusement le jeûne et l'abstinence des
alimens, dont il assure que nous devrions nous servir que pour conserver
la vie et nullement un vue de satisfaire nos appétis. D'où l'on voit que
ces saints, ainsi que les moines leurs disciples, font consister en
grande partie la religion dans des actions contraires à ce que Dieu
prescrit à notre nature. Dieu commande au genre humain de croître et de
multiplier, mais ces grands saints nous apprennent que le mariage est
impur et illégitime; le créateur voulut attacher des désirs à notre
nature et nous a donné les moyens de les satisfaire, néanmoins en les
satisfaisant, même avec modération, il paraît que nous commettons un
crime affreux!

Continuons pourtant à examiner les opinions de St. Clément d'Alexandrie.
Nous ne devons pas, selon lui, nous livrer à la bonne chère, parce qu'il
y a un certain diable très gourmand qui préside à la table, et c'est un
des plus méchans démons. Il met au nombre des excès de manger du pain
blanc, dont l'usage lui paraît efféminé, et qui change un aliment
nécessaire en une volupté scandaleuse. Il ne permet pas aux jeunes gens
de boire du vin, et condamne tous ceux qui en font venir des pays
étrangers. Il proscrit la musique tant vocale qu'instrumentale, à moins
que l'on ne voulût chanter des hymnes accompagnés de la harpe ou du
luth. Il en veut sur-tout à la flûte, qu'il dit être plus convenable aux
bêtes qu'aux hommes, et cela pour une raison très singulière, c'est,
dit-il, parce que les biches en aiment le son, et parce que c'était
l'usage de jouer de la flûte pendant que les étalons couvraient les
jumens. Il blâme la mode de porter des guirlandes, et entre autres
bonnes raisons, il prétend que c'est insulter Jésus-Christ et se moquer
de sa passion, durant laquelle il portait une couronne d'épines. Il
croit que les chrétiens sont obligés d'imiter ce que Jacob fit par
nécessité lorsqu'il se servit d'une pierre comme d'un oreiller, action
qui, selon St. Clément, fut si méritoire qu'elle rendit ce patriarche
digne d'avoir une vision céleste. Il ne veut pas que l'on porte d'autre
couleur que le blanc, la seule qui convienne à la candeur que doit avoir
un chrétien, et dans laquelle Dieu, selon lui, s'est toujours montré.
Quelles idées grossières et ridicules un tel homme devait-il avoir de la
divinité! St. Clément déclame contre les miroirs, il prétend que c'est
une idolâtrie de s'en servir, vu que Moïse a défendu de se faire des
images. Il regarde l'usage de se faire raser la barbe comme un crime
détestable, parce que la barbe sert à distinguer les deux sexes, joint à
ce que tous les cheveux de notre tête sont comptés, et par conséquent
les poils de la barbe le sont ainsi que tous les autres poils du corps.
Il regarde les faux cheveux comme une impiété abominable; il n'eût pas
fait grâce aux perruques s'il y en avait eu de son temps; il prétend que
porter de faux cheveux c'est en imposer aux hommes et faire outrage à
Dieu, vu que c'est l'accuser de ne nous avoir pas donné de cheveux assez
beaux; il ajoute que lorsqu'un prêtre donne la bénédiction à une femme
qui porte de faux cheveux en lui imposant la main sur la tête, ce n'est
point elle qu'il bénit, parce que sa tête n'est point à elle. Il
attribue l'apathie des Stoïciens à son vrai _Gnostique_, ou parfait
chrétien, qu'il représente comme exempt de toute passion, comme
insensible également au plaisir et à la douleur; il prétend que
Jésus-Christ était ainsi, aussi bien que ses apôtres, après sa
résurrection. Jésus-Christ, dit-il, n'avait besoin ni de boire, ni de
manger pour nourrir son corps, et quand il le faisait, c'était
uniquement pour ne point passer pour un esprit.

St. Cyprien était de la même opinion que St. Clément sur l'importante
matière de la chevelure. Il assure qu'une femme qui colore ses cheveux
gâte et corrompt l'ouvrage de Dieu, et se rend par là plus coupable
qu'une adultère; il ajoute que c'est donner un démenti à Dieu qui a dit
que l'on ne pouvait rendre blanc un cheveu noir. Après avoir observé
qu'il est dit dans l'Apocalypse, que les cheveux du Sauveur étaient
blancs comme de la neige et comme de la laine, voici comme il parle au
femmes: «Quoi! dit-il, vous avez en horreur ces cheveux blancs qui vous
font ressembler au Sauveur? Ne craignez-vous donc pas que votre créateur
ne vous reconnaisse point au jour de la résurrection? Ne craignez-vous
pas qu'avec le visage sévère d'un censeur il ne vous dise: Ce n'est pas
là mon ouvrage, ce n'est pas là mon image? Vous avez pollué votre peau
avec un fard trompeur; vous avez teint vos cheveux avec des couleurs
adultères; vous avez détruit votre face par la fraude, votre figure est
corrompue, votre port est totalement altéré. Vous ne verrez point Dieu
puisque vous n'avez point les yeux que Dieu vous a faits, mais ceux que
le démon a gâtés.»

St. Cyprien prétend que les fidèles doivent obéir implicitement aux
ordres des évêques, choisis avec les formalités ordinaires, comme le
seul moyen de prévenir les hérésies; il dit que quiconque leur désobéit,
désobéit à Dieu lui-même, à moins que quelqu'un ne fût assez téméraire,
assez insensé, assez sacrilége pour imaginer qu'un évêque puisse être
établi sans l'approbation de Dieu, tandis que Dieu a dit lui-même qu'un
passereau ne tombe point à terre sans sa permission. Dans un autre
endroit il fait dépendre le salut du peuple de la validité de l'élection
de son évêque, qu'il fait dépendre des moeurs de cet évêque. Dans ce cas
les peuples ne sont-ils pas souvent en grand danger?

Tertullien condamne le métier de la guerre, tous les arts, tous les
offices, toutes les professions, le commerce de toutes les choses dont
les payens pouvaient faire un usage idolâtre. Il est encore bon
d'observer que ce même Tertullien suppose formellement que Dieu est
corporel. Qui est-ce, dit-il, qui niera que Dieu ne soit un corps,
quoique Dieu soit un esprit? _quis autem negabit Deum esse corpus, et si
Deus spiritus?..._ Origène a insinué la même chose. [Grec: ASÔMATOS],
selon lui, signifie quelque chose de plus subtil que les corps
grossiers. Beausobre, dans son _histoire du Manichéisme_, fait voir que
les premiers pères de l'église avaient des opinions qui passeraient
aujourd'hui pour très erronées sur la nature de la divinité, et
suivaient en cela les sentimens de la secte philosophique dans laquelle
chacun d'eux avait été élevé. Les uns en faisaient un _feu intelligent_;
d'autres lui donnaient une figure et un corps; d'autres, et sur-tout les
Platoniciens, en faisaient un être incorporel, dont tout était émané,
qui pénétrait tout, et dans lequel tout était forcé de rentrer.

Lactance regarde tout commerce comme un effet de l'avarice, et comme peu
convenable à la satisfaction, à la tranquillité, au mépris du monde qui
doit régner dans le coeur d'un bon chrétien. Il blâme de même ceux qui
placent leur argent à intérêt, quelque faible qu'il soit, ce qu'il
regarde comme une espèce de vol. St. Chrysostôme est de son sentiment
sur le commerce, il s'appuie d'un passage des pseaumes où David dit
_qu'il n'a point connu la marchandise_. Lactance prétend encore qu'il
n'est jamais permis d'ôter la vie à un homme, soit judiciairement, soit
à la guerre, soit à son corps défendant.

St. Bazile est aussi de cet avis; il croit que tout homme qui en tue un
autre, quelque juste raison qu'il ait de le faire, se rend coupable d'un
meurtre; que tout laïque qui se défend contre un voleur, doit être
excommunié, et qu'un prêtre doit être déposé; _car_, dit-il, suivant les
paroles du Sauveur, _celui qui se sert de l'épée périra par l'épée_.
Quoiqu'il soit très évident que ces docteurs ont été beaucoup trop loin,
il est pourtant certain que l'on fait en général trop peu cas de la vie
des hommes; les guerres si destructives et si peu nécessaires, les duels
et les combats, sont sans doute des actions abominables; il paraît même
qu'il y a de la cruauté à leur ôter la vie pour des vols: l'humanité ne
semblerait-elle pas exiger qu'il n'y eût que l'assassinat, et un petit
nombre d'autres crimes atroces, que l'on punît de mort? Un pareil
châtiment réservé à de tels forfaits seulement, ne serait-il pas très
propre à inspirer bien plus d'horreur pour eux?

St. Bazile pousse la patience chrétienne jusqu'à dire qu'il n'est point
permis de plaider pour défendre ses droits. Il se fonde sur un passage
de l'écriture où il est dit: si quelqu'un plaide contre vous pour avoir
votre habit, donnez lui encore votre manteau. Il proscrit de plus
l'usage du serment dans toute occasion. D'où l'on voit que les principes
des _Quakers_ ou _Trembleurs_ sont plus anciens qu'on ne pense;
cependant les hommes qui montrent la plus grande vénération pour les
pères, méprisent les _Quakers_, parce qu'ils ont les mêmes sentimens que
les pères?

Tertullien, que nous avons déjà cité, fait le procès à tous ceux qui
acceptent des emplois publics, sur-tout dans les tribunaux; il les
regarde comme incompatibles avec la profession du christianisme qui ne
permet point de prendre part à la condamnation ou au châtiment d'aucun
criminel, et cela parce que dans l'origine l'habillement des juges, la
_Prétexte_, le _Laticlave_, les Faisceaux, etc., étaient en usage chez
les idolâtres. Il fait de tous les magistrats les collègues des démons,
qui sont, selon lui, les magistrats de ce monde. Quoique les pères
fussent assez généralement de l'avis de Tertullien jusqu'au règne de
Constantin, ils ne tardèrent pas à changer de style, et ils employèrent
toute leur éloquence pour prouver que ce prince, étant chrétien, devait
être le souverain légitime de l'univers.

St. Chrysostôme fait de grands éloges de la prudence d'_Abraham_ et de
la force qu'il eut de vaincre sa propre jalousie au point d'exposer la
vertu de _Sarah_. Il exalte beaucoup la déférence et la complaisance de
celle-ci pour son mari en consentant à un adultère pour lui sauver la
vie. «Vous voyez, dit ce père, la proposition qu'il hasarde de lui faire
et de quelle manière elle l'accepta. Elle ne refuse point, elle ne
marque point de répugnance, elle se prête à son rôle admirablement dans
cette comédie... Comment assez la louer pour avoir consenti, après une
si longue continence et dans un âge si avancé, de livrer son corps à des
barbares afin de sauver son mari?» Cependant l'âge avancé de _Sarah_,
qui pouvait avoir alors soixante-cinq ans, devrait plutôt diminuer
qu'augmenter le mérite de son action; vu que parmi ces _barbares_ il
pouvait y en avoir probablement de jeunes. On peut lui appliquer ce
qu'un de nos poètes a dit plaisamment de Suzanne, dont la chasteté fut
attaquée par des vieillards: _Elle n'eût pas montré tant d'humeur s'ils
eussent été plus aimables_.



SECTION III.

Des interprétations absurdes que les plus anciens pères de l'église ont
données de l'écriture.


Je me suis étendu plus que je ne comptais d'abord dans la section
précédente, ainsi je vais tâcher d'être plus concis dans le présent
article; je me bornerai à rapporter deux exemples de la façon dont deux
des pères les plus distingués par leur savoir ont interprêté l'écriture.

St. Justin, martyr, nous apprend à plusieurs reprises que le talent
d'interprêter les écritures saintes lui avait été accordé par une grâce
spéciale de la divinité: voyons quelle preuve il nous fournira de cette
faveur divine. «Écoutez, dit-il, comment Jésus-Christ, après avoir été
crucifié, accomplit le symbole de l'arbre du paradis terrestre, et tout
ce qui devait ensuite arriver aux justes. Car Moïse fut envoyé avec une
verge pour délivrer son peuple; avec cette verge il partagea la mer, il
fit sortir l'eau du rocher, et avec un morceau de bois il rendit douces
les eaux qui étaient amères. Ce fut encore avec des bâtons que Jacob
parvint à faire que les brebis de son oncle Laban produisirent des
agneaux qui lui appartinrent à lui-même, etc.» Il continue sur le même
ton à faire des allusions et il trouve la croix de Jésus-Christ dans
tous les endroits de l'ancien testament où il s'agit de morceaux de
bois; en suivant le même plan dans un autre endroit où il décrit le
combat des Israélites avec Amalec, il dit «que lorsque _Jésus_, fils de
Nun, conduisit le peuple à l'ennemi, Moïse fut en prières, ayant ses
bras étendus en forme de croix; que tant qu'il demeurait dans cette
posture, Amalec avait du dessous; mais que lorsqu'il cessait, son peuple
avait le désavantage; car les Israélites ne remportèrent pas la victoire
parce que Moïse priait, mais parce que tandis que le nom de _Jésus_
était à la tête des troupes, Moïse représentait la figure de la croix.»

Origène, parlant des offrandes de paix, dit que la graisse est l'âme de
Jésus-Christ, qui est l'Église de ses amis pour lesquels il a souffert
la mort. Il est donc probable, selon lui, que quand on nous défend de
manger de la graisse on veut nous dire la même chose que lorsque le
Sauveur disait que nous ne devons point offenser le moindre de ceux qui
croient en lui. Selon le même docteur le croupion, étant à l'extrémité
du corps, est une figure de la perfection et de la persévérance dans les
bonnes oeuvres. L'estomac, qui appartenait aux prêtres, désigne un coeur
rempli de sagesse, d'intelligence et de science divine, ou plutôt rempli
de Dieu lui-même. Le prophète Jérémie prédisant la captivité de Babylone
et ses suites, dit au nom du Seigneur: «Je ferai venir un grand nombre
de chasseurs, et ils les chasseront de toutes les montagnes, de toutes
les collines, et des creux des rochers.» Par les rochers Origène entend
les prophètes, les apôtres et les saints anges. Pourquoi? parce que
Jésus-Christ est appelé le roc, et par conséquent tous ceux qui
l'imitent sont des rocs. Mais lorsque Dieu dit à Moïse: _je te placerai
dans la fente du rocher et tu me verras par derrière, mais tu ne verras
pas ma face_. Que croyez-vous, qu'Origène entende par cette fente? C'est
la venue de Jésus-Christ, à l'aide de laquelle nous voyons les parties
postérieures de la divinité.

Voilà la manière dont ce grand docteur interprète l'ancien testament: on
pourrait rapporter un grand nombre d'explications semblables qu'il donne
du nouveau testament, mais l'exemple suivant suffira pour en donner une
idée. Lorsque le Sauveur opéra le miracle des cinq pains, il fit asseoir
le peuple sur l'herbe. Devinerait-on qu'Origène dise qu'il le fit parce
qu'Isaïe avait dit que _toute chair n'est que de l'herbe_? Ce n'est pas
tout encore; en faisant asseoir le peuple sur l'herbe, le Sauveur voulut
indiquer que nous devons soumettre la chair, et subjuguer sa propre
sagesse, afin de participer au pain qu'il a béni. Le peuple fut rangé ou
par centaines, parce que cent est un nombre sacré et consacré à Dieu à
cause de son unité, ou par cinquantaines, parce que cinquante est le
symbole de la remission[43], suivant le mystère du jubilé qui se
célébrait tous les cinquante ans; ou enfin à cause de la Pentecôte. Les
douze corbeilles étaient les douze siéges sur lesquels les douze apôtres
devaient s'asseoir pour juger les douze tribus d'Israël.

  [43]  Voyez Barbeyrac, _Traité de la morale des pères_, chap. VII, §
    14 et suivans.

Il est bon d'observer qu'Origène a été durement censuré par plusieurs
des pères de l'église pour ces interprétations absurdes de l'écriture;
mais il faut remarquer en même tems que ceux qui l'ont le plus blâmé,
tels que St. Jérôme, St. Chrysostôme, St. Augustin, St. Hilaire, St.
Ambroise et St. Grégoire, sont souvent tombés dans les mêmes absurdités
qu'ils reprochent à ce docteur.

Cependant si Origène a souvent allégorisé des passages de l'Écriture qui
devaient être pris dans un sens littéral, il est certain qu'il en a pris
beaucoup d'autres à la lettre qui auraient dû s'entendre
allégoriquement. C'est ainsi que prenant à la lettre le passage de St.
Luc où il est dit de ne point songer à la vie, ni de ce que l'on
mangera, ni de ce dont on se vêtira, Eusèbe nous apprend qu'Origène
n'avait qu'un seul habit, allait toujours nuds pieds, et ne songeait
jamais au lendemain. Bien plus, ce pauvre homme prit à la lettre le
passage qui se trouve dans le chapitre XIX, vers. 12, de St. Mathieu, où
Jésus-Christ dit: _il y a des Eunuques gui se sont faits eux-mêmes
Eunuques pour le royaume des cieux_; en conséquence il se priva de sa
virilité.

Si à toutes ces interprétations ridicules des écritures que nous donnent
les pères de l'église, aux faux miracles qu'ils rapportent, aux opinions
extravagantes qu'ils débitent, nous joignons encore qu'ils ont presque
toujours enseigné ou pratiqué la persécution toutes les fois qu'ils en
ont eu le pouvoir et que les intérêts de leur parti l'exigeait, nous
sentirons pourquoi les prêtres de l'église romaine se font un devoir de
persécuter. Nous avons fait voir ci-devant jusqu'où les Athanases, les
Cyrilles, les Chrysostômes ont porté l'esprit d'intolérance, la cruauté
religieuse, la sédition. Dans certaines occasions St. Augustin s'est
montré humain et pacifique, il disait aux Manichéens: «que ceux-là
sévissent contre vous qui ignorent avec quelle difficulté l'on parvient
à guérir l'oeil intérieur de l'homme au point de pouvoir envisager son
soleil». Mais depuis, ce grand saint a bien changé de ton; il prit
l'esprit des évêques ses confrères et se déclara comme eux pour la
violence et la persécution; en conséquence, Barbeyrac le qualifie de
_patriarche des chrétiens persécuteurs_, vû qu'il fut le premier qui fit
l'apologie de la persécution, et qu'il est l'auteur de tous les
sophismes dont les théologiens se sont servis depuis pour défendre une
conduite et des sentimens si contraires aux lumières du bon sens, à
l'équité naturelle, à la charité chrétienne, à la bonne politique, à
l'esprit évangélique. Ainsi c'est avec raison que Barbeyrac dit des
saints pères, _à Dieu ne plaise que nous prenions de tels docteurs pour
nos maîtres et nos guides en matière de morale_.

Il est aisé de sentir les effets que doit produire l'étude des ouvrages
de ces hommes révérés sur les ecclésiastiques de la communion romaine et
sur d'autres qui ont le même respect pour leurs décisions. Ne soyons
point étonnés que ces pères soient regardés comme des oracles par les
adhérens du pape, c'est à eux que sont dus la plupart des dogmes
ridicules, des opinions abominables et des cérémonies superstitieuses
dont la religion romaine est remplie: l'on a donc lieu d'être surpris de
voir des théologiens protestans montrer pour eux la même déférence;
cette façon de penser peut à la longue faire adopter aux protestans les
mêmes illusions, les mêmes doctrines pernicieuses lorsqu'elles seront
inculquées par des hommes stupides ou fripons. En conséquence, nous
voyons que les protestans qui ont été les partisans les plus zélés des
pères et qui ont voulu que l'on eût la plus aveugle soumission pour leur
autorité, ont été généralement parlant les plus portés à la
superstition, à des dogmes inintelligibles, à la persécution.

Il est encore facile de voir combien ces pères si vantés sont propres à
étouffer, dans ceux qui les étudient, le goût de la vraie science, que
la plupart de ces saints ont fortement décriée. Les théologiens,
toujours animés du désir de dominer, n'ont en effet rien de mieux à
faire que de détourner les esprits des hommes des objets importans, dont
l'intérêt du clergé veut les occuper uniquement. Leur empire serait
bientôt détruit si les laïques venaient à s'éclairer. En conséquence,
nous voyons les plus grandes lumières de l'église s'élever avec force
contre les sciences mondaines; S. Jérôme, dans son commentaire sur
l'épître de S. Paul, montre un souverain mépris pour la géométrie,
l'arithmétique, la musique; il veut qu'on s'en tienne _à la science de
la piété_. S. Augustin dit pareillement que les bons chrétiens doivent
mépriser l'astronomie et la géométrie, parce que ces sciences ne
contribuent point au salut et ne servent qu'à jetter dans l'erreur. Ces
deux sciences ont encore le malheur de déplaire à S. Ambroise, elles
n'apprennent, selon lui, qu'à s'égarer. S. Grégoire, pape, s'est
sur-tout signalé par un zèle vraiment barbare contre les ouvrages des
anciens, qu'il a détruit, peut-être, plus encore que le calife Musulman,
qui fit brûler les livres de la fameuse bibliothèque d'Alexandrie. Enfin
le clergé romain, imbu des idées de ces pères, a suivi leurs traces, et
par-tout où il en eut le pouvoir, il éteignit toutes les sciences, les
arts et l'industrie, comme on peut sur-tout s'en convaincre en voyant la
situation de l'Espagne et du Portugal.



SECTION IV.

Questions odieuses, ridicules et indécentes qui ont été agitées.--De la
théologie scholastique.


Saint Thomas d'Aquin, communément nommé le docteur angélique, l'aigle de
la théologie, parmi une infinité de questions impertinentes, a proposé
les suivantes: _Pourquoi Jésus-Christ ne s'était pas fait hermaphrodite?
Pourquoi le Sauveur n'avait pas pris le sexe féminin? Si les saints
ressusciteraient avec leurs intestins? Si Jésus-Christ est ressuscité
avec la vésicule du fiel? S'il y aurait des excrémens en paradis?_

Albert-le-Grand, qui fut le maître de Saint Thomas d'Aquin, emploie dans
ses oeuvres vingt-quatre chapitres à discuter les questions suivantes
qui ont jadis grandement occupé les théologiens scholastiques: Si l'ange
Gabriel est apparu à la vierge Marie sous la forme d'un serpent, d'un
pigeon, d'un homme, ou d'une femme? Si cet ange se montra sous la forme
d'un jeune homme ou d'un vieillard? Comment il était vêtu? Si son
habillement était blanc ou de deux couleurs; si son linge était blanc ou
sale? En quel moment il s'est montré? Si c'était le matin, à midi, ou le
soir? Quelle était la couleur des cheveux de la vierge Marie? Si Marie
était versée dans les arts libéraux ou mécaniques? Si elle avait des
connaissances dans la grammaire, la réthorique, la logique, la musique,
l'astronomie? etc., etc., etc.

S. Antonin, autre théologien scholastique du premier ordre, se propose
les questions suivantes: Si la mère de Dieu, étant un homme, aurait pu
devenir le père naturel de Jésus-Christ? Si Marie, étant enceinte et
assise, Jésus-Christ était assis comme elle? S'il était couché
lorsqu'elle-même était couchée?

L'on peut joindre à ces questions un grand nombre d'autres qui ont
occupé les théologiens scholastiques; elles ne le cèdent point à celles
qui ont été rapportées, en impertinence et en indécence, au point que
nous nous croyons obligés de les rapporter en latin. Les voici:

_Utrum semen Christi potuerit generare?_

_Utrum verbum potuit hypostaticè uniri naturæ irrationali, puta equi,
asini, etc.?_

_Utrum potuit uniri hypostaticè naturæ diabolicæ, naturæ humanæ damnatæ
peccato, etc.?_

_In quo casu veræ essent hæ propositiones, Deus est equus, asinus,
diabolus, damnatus, peccatum?_

_Utrum Christus resurgendo resumpsit præputium, si porro resumpsit, quo
pacto, quove modo servatur in terris?_[44]

  [44] Le lecteur observera que Sainte Brigitte, au VIe livre de ses
    _révélations_ ou rêveries, dit que la vierge Marie lui a dit que peu
    de temps avant son assomption elle avait confié le saint prépuce de
    son fils à St. Jean. On dit que cette précieuse relique est
    actuellement gardée dans l'église de St. Jean de Latran, à Rome, où
    tout les ans, durant la semaine de Pâque, on l'expose à la
    vénération des fidèles. Cependant le cardinal Tolet assure que ce
    prépuce fut jadis volé de cette église et fut transporté à
    _Calcata_, en Italie, où il fit de grands miracles. Plusieurs villes
    d'Allemagne prétendent néanmoins le posséder, et le pape Innocent
    III n'osa pas décider cette importante question. Voyez _le IIe
    discours du docteur Stillingfleet_.

Telles sont les questions impudentes qui ont long-tems occupé les
théologiens!

Jettons maintenant un coup d'oeil sur les pieuses extravagances et les
notions fanatiques dont les personnages les plus dévôts de l'église
romaine ont rempli leurs ouvrages; je n'en rapporterai que quelques
exemples choisis, tirés du livre des _maximes des saints_, dont le
célèbre Fénélon, archevêque de Cambray, est l'auteur.

«La pureté de l'amour divin, selon S. François de Sales, consiste à ne
rien vouloir pour soi-même, à ne chercher que le bon plaisir de Dieu, au
point de préférer, si c'était son plaisir, les tourmens éternels à la
gloire.» Le même saint dit que, s'il savait que sa propre damnation plût
un peu plus à Dieu que son salut, il quitterait son salut pour courir à
la damnation... Il dit encore ailleurs: «Je n'ai presqu'aucuns désirs,
mais si j'avais à renaître, je voudrais n'en avoir point du tout. Si
Dieu venait à moi, j'irais aussi à lui, s'il ne voulait point venir à
moi, je me tiendrais tranquille et je n'irais point à lui».

Fénélon nous apprend que les ouvrages des saints les plus estimés des
derniers siècles se sont remplis de semblables expressions, qui toutes
se réduisent à dire que l'on ne doit plus avoir de désirs intéressés,
pas même pour le mérite, la perfection ni pour le salut éternel; il
ajoute qu'il n'y a point d'équivoques là-dessus, et que c'est le langage
des pères, des docteurs de l'école et de tous les saints.

Une âme désintéressée, dit S. François de Sales, n'aime point les
vertus, parce qu'elles sont belles et pures, ni parce qu'elles sont
aimables, ni parce qu'elles ornent et rendent aimables ceux qui les
pratiquent, ni parce qu'elles sont méritoires et rendent l'homme digne
des récompenses éternelles, mais uniquement parce qu'elles sont la
volonté de Dieu.

Le mariage spirituel, dit Fénélon, unit immédiatement l'épouse avec
l'époux, essence avec essence, substance avec substance, c'est-à-dire,
la volonté à la volonté à l'aide de cet amour pur dont il est question.
Alors Dieu et l'âme ne font qu'un même esprit, de même que dans le
mariage l'époux et l'épouse ne font qu'une même chair.

Les Soliloques de S. Augustin, sont remplis d'un pareil langage
enthousiaste et inintelligible que le fanatisme prend pour de la
dévotion, et qui n'est réellement qu'un galimathias extravagant. S.
Antoine, hermite, avait coutume de dire que _pour que la prière fût
parfaite, il fallait que celui qui prie ne s'entendît pas lui-même_.

Que dirons-nous des dévotions mystiques d'une sainte Thérèse, qui s'est
rendue fameuse par sa ferveur, ses visions et ses extases, ses amours
avec Jésus-Christ? Il est vrai que cette sainte nous apprend elle-même
la vraie cause de sa dévotion. Elle nous dit que ceux qui
l'environnaient, craignaient souvent qu'elle ne fût folle, tant était
grande sa mélancolie et ses vapeurs, qui l'empêchaient souvent de
prendre aucun repos, soit la nuit, soit le jour.

L'on peut en dire autant de la fameuse sainte Catherine de Sienne, et de
sainte Marie-Madelaine de Pazzi, qui toutes deux ont prétendu avoir eu
l'avantage d'épouser Jésus-Christ. Au reste, il est aisé de sentir de
quelle nature était le mal qui tourmentait ces malheureuses créatures.
L'état de vapeurs et de mélancolie où ces saintes se trouvaient
fréquemment était un effet très naturel de leurs austérités, de leurs
jeûnes, de la retraite où elles vivaient enfermées dans leurs couvens:
il n'en faut pas davantage pour rendre parfaitement insensées de pauvres
filles que la nature avait sans doute pourvues d'un tempéramment ardent
et d'une cervelle très faible, empoisonnée par des instructions
fanatiques et des exemples qui leur faisaient prendre l'enthousiasme le
plus insensé pour la vraie piété.

Quoiqu'il en soit, il faut avouer que, quand les hommes sont imbus de
maximes d'une religion fanatique, et veulent la professer, ils ne
peuvent se dispenser de devenir des fanatiques et des fous, et que la
lecture des vies des saints révérés par une religion absurde, cruelle et
persécutante, est très propre à corrompre et l'esprit et le coeur de
ceux qui s'en nourrissent. Tels sont les effets que doivent produire sur
les ecclésiastiques et les moines de l'église romaine, les légendes, la
lecture de l'histoire ecclésiastique, la théologie scholastique et les
ouvrages des pères.



RÉFLEXIONS SUR LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES ET SUR LES MOYENS DE LES
PRÉVENIR.



SECTION PREMIÈRE.

De l'absurdité et de l'injustice de la persécution.


On peut voir par tout ce qui a été dit précédemment de la cruauté
religieuse, que sur-tout les ecclésiastiques ont été continuellement les
boutefeux du christianisme, et ont allumé parmi les chrétiens les
bûchers de la persécution; l'histoire et l'expérience journalière
confirment suffisamment cette vérité; un grand nombre qui prétendaient
se dévouer entièrement au service de la religion, ont fait de ce qu'ils
appellent _la maison du Seigneur_ une caverne de voleurs et de
meurtriers; ils ont pillé et détruit les peuples; ils ont ravagé des
villes opulentes, ils ont changé des pays fertiles en de vastes déserts.

Il est vrai que les souverains et les magistrats, contre toutes les
règles du bon sens, de la saine politique, de l'humanité, de la religion
même, se sont laissés persuader, ou même, ce qui est plus honteux, se
sont trouvés forcés de leur prêter des secours pour opprimer, tourmenter
et détruire leurs propres sujets, des citoyens, des chrétiens. N'est-il
pas bien étrange que les princes et ceux qui exercent leur autorité, ne
voient pas que dans l'oeuvre infernal de la persécution, ils ne sont que
les vils instrumens des prêtres avides et sans pitié?

Quels motifs ont induit les gens d'église à jouer un rôle si fameux? Par
quels moyens sont-ils devenus assez nombreux pour prendre un si grand
ascendant dans le monde chrétien? Qu'est-ce qui les a mis en état de
persécuter et de tyranniser d'une façon si cruelle? C'est ce que nous
avons suffisamment développé ci-devant; cependant nous allons encore
analyser ces causes d'une façon plus particulière, dans l'espérance que
cet examen pourra conduire à la découverte des remèdes que l'on pourrait
opposer à un mal aussi terrible que la persécution pour cause de
religion.

Avant d'aller plus loin, il est bon de remarquer que comme le clergé
catholique romain s'est sur-tout distingué par ses persécutions atroces
et _anti-chrétiennes_, c'est lui que nous aurons principalement en vue
dans les choses que nous dirons par la suite.

Quant aux motifs qui excitent les prêtres à la persécution, il est très
nécessaire de distinguer les motifs fictifs et prétendus de ceux qui
sont réels: leurs motifs prétendus sont un grand amour pour le bien-être
du genre humain, qui les porte à contraindre tous ceux qu'ils ne peuvent
persuader d'entrer dans le giron de l'église, et de les forcer de croire
et de penser uniformément sur la religion, et de la pratiquer de la même
manière; projet bien sensé (sans doute), et dont il est très facile de
se promettre l'exécution! Les prêtres prétendent par là rendre les
hommes agréables à Dieu et les conduire au salut éternel.

Il est difficile de décider si ce projet ou ce système est plus absurde
et plus insensé, que tyrannique et méchant. En effet est-il rien de plus
extravagant que d'imaginer qu'il soit possible d'amener tous les hommes
à la même façon de penser sur des points abstraits, métaphysiques,
inintelligibles, tels que sont la plupart des dogmes de la religion, ou
telle qu'on s'est efforcé de la rendre? En supposant la chose possible,
la violence serait-elle donc un moyen d'y parvenir? La force et la
compulsion ne sont-elles donc pas propres à faire naître l'aversion
plutôt que la confiance? La violence peut bien faire et fait souvent des
hypocrites; mais a-t-elle jamais opéré des conversions sincères?
L'hypocrisie et la mauvaise loi peuvent-elles être agréables au Dieu de
la vérité?

D'un autre côté, en tourmentant les corps des hommes, en leur faisant
éprouver des supplices, peut-on se flatter de changer les sentimens de
leurs âmes? Voyons combien ces moyens sont admirablement adaptés à leur
fin. Si un homme doute d'un article de foi que l'église a jugé à propos
d'établir, son esprit sera-t-il plus éclairé quand on jettera son corps
dans un sombre cachot? Si ce premier moyen ne réussit pas, on n'aura
qu'à le mettre à la torture, et pour remédier au défaut de son
entendement, ne sera-t-on pas bien avancé en lui disloquant les membres?
Ne sera-ce pas une méthode sûre de le convaincre, que de lui distendre
tous les muscles et les nerfs, et de lui faire éprouver des douleurs
recherchées? Si malgré tout cela il continue à ne pas croire ce que vous
voulez, par compassion pour son âme, faites-lui souffrir la mort la plus
cruelle, par là vous empêcherez que jamais il ne puisse se convertir;
d'ailleurs, suivant les idées des inventeurs de ces beaux systèmes, des
persécuteurs, des assassins religieux eux-mêmes, vous les précipiterez
pour toujours dans des malheurs éternels.

Si ces prétendus moyens de convaincre l'esprit en tourmentant le corps
et de propager la religion en détruisant les hommes, sont d'une
extravagance et d'une absurdité démontrées, ils ne sont pas moins
tyranniques et abominables.

Les hommes ont des priviléges et des droits inhérens à leur nature, que
l'on ne peut leur ôter sans leur arracher la vie. Deux de ces principaux
droits sont de penser à leur manière en matière de religion et de suivre
leur conscience. S'il se trouve des gens qui pensent que d'autres se
trompent ou sont dans l'erreur là-dessus, c'est montrer de la charité
que de tâcher par ses conseils et ses raisons de les remettre dans le
bon chemin. Mais toutes les tentatives que l'on peut faire pour violer
ces priviléges sont absurdes, parce qu'elles sont impossibles; elles
sont tyranniques, parce qu'elles sont injustes: ni le souverain ni le
clergé ne peuvent avoir le droit de persécuter.

C'est une oppression très odieuse que d'emprisonner un homme à cause de
sa croyance religieuse, ou, pour parler exactement, personne n'a le
droit d'en user de cette manière; le condamner à l'amende ou confisquer
ses biens pour ce sujet, c'est un vol; le mettre à mort parce qu'il ne
veut point agir contre sa conscience, c'est commettre un assassinat.
Est-il rien de plus abominable que cette conduite? Cela posé, l'on voit
qu'il est très difficile de décider si la persécution pour cause de
religion est plus insensée que criminelle.

Il n'y a qu'une impudence effrénée qui puisse justifier une conduite si
criminelle, et la couvrir du prétexte de l'amour du genre humain, et de
procurer aux hommes le bien-être, et dans ce monde et dans l'autre.
Cette fourberie est si palpable, qu'elle n'est faite pour en imposer
qu'à des hommes aveuglés par l'ignorance et la superstition. Il est
évident que ces motifs ne peuvent être réels; voyons donc quels peuvent
être les motifs véritables.

Un tempéramment cruel et sombre, aigri et envenimé par les passions les
plus nuisibles, telles que la méchanceté, l'envie, l'avarice, l'orgueil,
l'ambition, le désir de dominer et de tyranniser les autres, auxquelles
on peut encore joindre les délires de l'enthousiasme et du fanatisme:
voilà les vrais motifs qui excitent à persécuter, et quand ils sont
combinés avec un grand fond d'hypocrisie, ils rendent complet le
portrait d'un persécuteur.

Il est évident que les plus violens persécuteurs ont été souvent les
hypocrites les plus consommés; plusieurs d'entr'eux n'avaient aucune
religion. Nous en avons des preuves dans un grand nombre de membres du
clergé romain: des papes, des cardinaux, des inquisiteurs et des
princes, ont visiblement persécuté pour une religion qu'ils ne croyaient
pas. Tout le monde sait le mot de Léon X au cardinal Bembo: _Combien
nous est profitable cette fable de Jésus-Christ!_ disait ce prince des
persécuteurs et ce vicaire du Christ; cependant de son temps l'on voyait
par-tout fumer les bûchers des hérétiques.



SECTION II.

Des sources de l'insolence et du pouvoir des prêtres de l'église
romaine.


Après avoir fait voir que les gens d'église ont toujours été les
promoteurs et les trompettes de la persécution parmi les chrétiens;
après avoir fait connaître les motifs réels qui les ont animés; nous
allons examiner les moyens par lesquels les ecclésiastiques sont devenus
si nombreux, et ont pris un si terrible ascendant dans la chrétienté.

Pour considérer la chose dans son vrai point de vue, il faut faire
attention que les chrétiens admettent d'une façon bien plus décidée que
ne faisaient les juifs le dogme de l'immortalité de l'âme, et celui des
peines et des récompenses de la vie future. Les payens sur-tout
n'avaient là-dessus que des notions traditionnelles et des idées vagues,
qui les laissaient dans une sorte d'incertitude sur ces dogmes obscurs.
Mais lorsque l'évangile eut promulgué le dogme de l'immortalité de
l'âme, et quand une grande partie du genre humain fut parvenue à croire
fermement que l'on pouvait être pour toujours heureux ou malheureux au
sortir de la vie présente; cette notion, comme de raison, produisit de
grandes inquiétudes dans tous ceux qui l'adoptèrent; pour lors les
ignorans s'adressèrent à ceux qu'ils crurent plus instruits
qu'eux-mêmes, et leur demandèrent ce qu'il fallait faire pour être
sauvés. Cela aurait pu fournir à ceux qui se voyaient consultés une
belle occasion de leur dire que ce monde n'était qu'un passage, un
séjour d'épreuves; que les hommes parviendraient à être heureux dans
l'autre monde s'ils pratiquaient la justice, la tempérance, la charité,
s'ils vivaient en paix les uns avec les autres, s'ils cultivaient leur
esprit par la réflexion, s'ils adoraient Dieu en esprit et en vérité,
mais qu'ils se rendraient éternellement malheureux s'ils vivaient dans
le crime, le désordre et la crapule.

Il est vrai que l'on dit quelque chose de semblable aux hommes, et qu'on
leur recommande la pratique de ces devoirs; mais au lieu de s'attacher
uniquement à cette religion naturelle, raisonnable, bienfaisante, des
fourbes et des pervers, après avoir gagné la confiance des peuples,
inventèrent des fables absurdes et improbables, imaginèrent des dogmes
incompréhensibles, qu'ils ordonnèrent de croire sous peine de la
damnation éternelle. Plus ces dogmes furent incroyables, et
incompréhensibles, plus on attacha de mérite à les croire: les mêmes
imposteurs y joignirent encore une multitude de rites, de pratiques, de
cérémonies, d'inventions dont ils prévirent très bien qu'ils pourraient
tirer un grand profit.

La plupart de ces dogmes obscurs, de ces cérémonies, de ces fraudes
datent des tems d'ignorance et de superstition. Ce fut alors qu'on
enseigna aux hommes des doctrines effrayantes propres à les soumettre
sans réserve à l'autorité de leurs prêtres. Ce fut alors qu'on leur
parla du _purgatoire_; mais on leur apprit en même temps que l'on
pouvait s'en racheter, et qu'en faisant des largesses à l'église,
celle-ci pouvait faire cesser les tourmens que la divinité faisait
éprouver aux âmes des parens et amis, et s'en délivrer soi-même. Ce fut
alors qu'on persuada aux hommes qu'il fallait se _confesser_ de ses
péchés à un homme pécheur, qui prétendit avoir reçu du ciel la faculté
de les remettre, en vertu du _pouvoir des clefs_ donné à l'église par
Jésus-Christ, qui s'est engagé à confirmer toutes ses sentences
lorsqu'il promit à ses apôtres que tout ce qu'ils auraient _lié_ ou
_délié_ sur la terre, serait _lié_ ou _délié_ dans les cieux. Enfin,
pour combler la mesure de l'insolence, de l'effronterie, de l'impiété
sacerdotale, ainsi que celle de l'extravagance, de l'imbécilité, de la
crédulité des laïques, le clergé imagina une absurdité religieuse qui
surpassa toutes celles du paganisme; il persuada à des hommes
raisonnables que les prêtres avaient le pouvoir de faire le
Tout-Puissant, de créer le créateur de l'Univers, de l'avaler eux-mêmes,
et de le donner à manger aux autres: et pour que les prêtres parussent
être de la plus grande utilité pour le genre humain, et par-là prendre
un grand ascendant sur lui, ces mêmes prêtres enseignèrent qu'à moins
que la bonne intention du prêtre ne fût jointe à ce repas céleste, il ne
pouvait procurer aucun avantage à ceux qui y participaient[45].

  [45] Si quelqu'un doutait que l'église de Rome enseigne réellement
    cette doctrine de la nécessité de l'intention du prêtre pour que le
    sacrement de l'Eucharistie sortisse son effet, il n'aura qu'à
    consulter _l'Histoire du concile de Trente, par Dupin_, tome I, page
    156, où l'on voit que cet article de foi fut établi aux conciles de
    Florence et de Trente. Cependant quelques catholiques français,
    ainsi que Dupin lui-même, ne sont point de cet avis.

Ces opinions, crues malheureusement par le vulgaire, subordonnèrent
entièrement les laïques au clergé dans tout ce qui concernait le salut
éternel[46]. Cette soumission des laïques pour les prêtres ne pouvait
manquer de rendre ceux-ci très orgueilleux et très insolens. Ne soyons
donc point surpris du propos qu'un jésuite espagnol tint au duc de
Lerme. _C'est vous_, lui dit-il, _qui me devez du respect, puisque j'ai
tout les jours votre Dieu dans mes mains, et votre reine à mes pieds_.
Un évêque, qui sans doute a le droit d'être plus insolent qu'un prêtre
du commun, fit savoir à une impératrice qu'il n'irait pas la voir à
moins qu'elle ne promît de se prosterner devant lui pour recevoir sa
bénédiction, de se tenir debout pendant qu'il serait assis, jusqu'à ce
qu'il lui eût donné la permission de s'asseoir elle-même. V. _les
remarques du Dr. Jortin sur l'histoire ecclésiastique, vol. I, pag.
234_. Nous trouvons encore que des prêtres ont osé dire qu'un évêque
_est un Dieu sur terre_, qu'il est un roi bien au-dessus des rois
temporels, auxquels il a le droit de commander. Nous voyons un pape
assurer «qu'il est lui-même juge de tous les hommes et qu'il ne peut
être jugé par personne; que les grands monarques ne sont que ses
esclaves, tandis qu'il est le roi des rois, le monarque du monde, le
seul, seigneur et gouverneur des choses temporelles et spirituelles;
qu'il est établi souverain de tous les royaumes et de toutes les
nations; que son pouvoir est au-dessus de tout pouvoir, qu'il fallait
indispensablement lui être soumis pour pouvoir être sauvé.» Voyez
_Bower, hist. des papes, vol. I, pag. 215_.

  [46] On fait croire aux Moscovites que, lorsqu'ils meurent, pour être
    admis dans le ciel, il est bon qu'ils prennent un certificat signé
    ou scellé par le patriarche ou l'évêque: en conséquence lorsqu'on
    enterre un mort on lui met entre les mains un passeport pour le
    ciel, dans lequel on atteste qu'il a vécu et qu'il est mort en bon
    chrétien de la religion grecque, qu'il s'est confessé, qu'il a été
    absous et a reçu le sacrement de l'Eucharistie; qu'il a rendu à Dieu
    et à ses saints le culte qui leur était dû. V. _la Religion ancienne
    et moderne des Moscovites_, page 139. Les jésuites et beaucoup
    d'autres moines de l'église romaine sont dans l'usage d'expédier de
    semblables passeports à ceux qui veulent bien les acheter.

Alain de la Roche, moine dominicain, ne fait pas difficulté de dire que
le pouvoir d'un prêtre surpasse celui de Dieu lui-même; il se fonde sur
ce que Dieu employa une semaine entière à la création du monde et à son
arrangement, tandis qu'un prêtre à chaque fois qu'il dit la messe à
l'aide de deux ou trois paroles peut produire non une créature, mais
l'être suprême et incréé qui est l'origine de toutes choses. Voyez son
traité _de dignitate et excellentiis sacerdotum_.



SECTION III.

De la crédulité.--Les gens d'esprit sont souvent dupes des préjugés du
vulgaire.


Quoique le dogme de la _Transubstantiation_ dont nous venons de parler,
ainsi que plusieurs autres articles de foi de la même trempe, ait pris
naissance dans des temps d'ignorance et de ténèbres[47], cependant le
monde en s'éclairant n'a pas renoncé à ses anciennes folies, et cette
doctrine est encore reçue par un très grand nombre d'hommes et même de
personnes savantes et raisonnables sur toute autre matière qui ne
cessent d'être les dupes de leurs honteux préjugés; ce qui nous prouve
combien peu l'on doit compter sur les hommes en matière d'opinions
religieuses.

  [47] Pascase Rabbert, abbé de Corbie en France, au commencement du
    neuvième siècle, fut le premier qui soutint le dogme de la
    _transubstantiation_. Mais ce ne fut que vers le milieu du onzième
    siècle que cette doctrine fut confirmée par l'autorité du pape, qui
    décida que ceux qui refusaient de l'admettre, étaient des hérétiques
    à brûler. Cette opinion fut vivement combattue par _Béranger_,
    archidiacre d'Angers: depuis elle est unanimement adoptée par tous
    les catholiques romains.

L'église romaine, outre le privilége de faire son Dieu, se vante aussi
de faire des miracles; mais le plus grand des miracles qu'elle ait
jamais opéré est celui d'être parvenue à faire croire aux hommes une
absurdité aussi palpable et aussi grossière que le dogme de la
_Transubstantiation_. Cependant essayons si l'on ne pourrait pas rendre
raison de ce phénomène surprenant sans recourir au miracle.

Rien n'agit si fortement sur l'esprit des hommes que l'éducation, le
fanatisme, le préjugé. La crainte de faire de mauvaises affaires en ce
monde et d'être damné dans l'autre, empêche souvent d'examiner ce qu'on
dit de croire, et même de douter des prétendues vérités que l'église
enseigne. En effet si des personnes, je ne dis pas éclairées, mais même
douées du bon sens le plus ordinaire, osaient réfléchir à cette doctrine
ainsi qu'à beaucoup d'autres impostures sacerdotales, elles ne
manqueraient pas d'en démêler la fausseté. Mais les gens qui ont les
yeux les plus perçans consentent souvent à fermer les yeux, et à les
laisser couvrir d'un bandeau, ils cessent de voir et ne distinguent pas
plus les objets que s'ils étaient aveugles-nés.

De plus ce serait bien peu connaître la nature humaine que d'imaginer
que les personnes les plus éclairées soient exemptes de faiblesses;
celles-ci ne se montrent jamais d'une façon plus marquée que dans la
cruauté religieuse, pour laquelle les hommes du plus grand génie ne sont
souvent que des insensés et des stupides. Que de preuves étonnantes de
science, de sagesse, de jugement, ne trouvons-nous pas dans un grand
nombre de payens? Cependant beaucoup d'entre eux étaient aussi esclaves
de la superstition que le peuple imbécille, et adoraient comme lui le
bois et la pierre, ils croyaient, comme lui, les fables les plus
ridicules; ils se soumettaient, comme lui, aux rites et aux cérémonies
les plus extravagantes de la religion.

Combien parmi les modernes d'hommes habiles, distingués par leurs
connaissances et leur savoir, ont-ils écrit et sonné le tocsin de la
persécution, pour forcer les nations à croire des doctrines opposées au
bon sens? Quel scandale ne résulte-t-il pas pour le christianisme qui
leur faisait ainsi renoncer aux lumières de la nature, de la raison, de
l'humanité! Nous avons fait voir que ce furent communément de très
grands saints qui furent les plus grands incendiaires; ce furent des
saints qui jouèrent dans l'église le rôle de la discorde et des furies.
Il est vrai que dans plusieurs de ces saints la plus grande preuve de
leur délire fut d'avoir voulu écrire; à moins qu'on ne supposât que des
fripons ont pris leurs noms pour faire passer des opinions absurdes et
détestables qu'ils avaient intérêt de faire croire aux hommes: dans ce
cas il faut convenir qu'ils ont parfaitement réussi.

Est-il donc surprenant que des hommes savans et de beaucoup d'esprit
puissent déraisonner comme les ignorans et les sots, quand ils
s'occupent de choses qui ne sont point fondées sur la nature, et dans
lesquelles la science ou la raison ne peuvent point les guider? Ou bien
si des gens sensés veulent bien se laisser guider par des fripons,
est-il bien étonnant de les voir s'égarer? En effet parmi les savans
théologiens nous en voyons beaucoup qui sont bien plus occupés de se
remplir la tête des opinions des autres, que du soin de penser par
eux-mêmes; les personnes qui ont beaucoup de science et d'érudition et
peu de jugement et d'esprit, se suivent communément les uns les autres
comme les bêtes de somme; et nous trouvons pour l'ordinaire qu'ils ne
savent tirer aucun fruit des connaissances dont ils se sont vainement
surchargés.

Comme les hommes qui ont le plus de talens et de lumières sont sujets à
des faiblesses, ne sont point exempts des préjugés dont les autres sont
imbus, tombent dans des erreurs grossières et les poussent même plus
loin, il est plus difficile de les remettre dans le bon chemin que les
ignorens eux-mêmes. Fontenelle dit avec raison, que «quand les
philosophes s'entêtent une fois d'un préjugé, ils sont plus incurables
que le peuple lui-même parce qu'ils s'entêtent également et du préjugé
et des fausses raisons dont ils le soutiennent.» Il rapporte à ce sujet
l'histoire connue de la _dent d'or_ d'un enfant de Silésie, sur laquelle
les savans disputèrent beaucoup, jusqu'à ce qu'un orfèvre eût découvert
que cette dent avait été, par fraude, recouverte d'une feuille d'or. V.
_l'histoire des oracles, chap. 4 et 8_. L'histoire de cette dent d'or
est celle de toutes les disputes de controverse qui s'élèvent dans la
religion.

Quel exemple plus frappant du pouvoir de l'illusion sur les hommes les
plus sensés que les oracles du Paganisme, et la croyance à la magie, qui
furent jadis adoptés également par les grands et les petits, les savans
et les ignorans, les philosophes et les femmelettes! Ces oracles
partaient de divinités qui n'avaient jamais existé que dans
l'imagination des poètes, et les opinions sur la magie dans
l'imagination des sots ou dans l'adresse des imposteurs. Les chrétiens
reconnaissent que les oracles des payens n'étaient point dus à la
divinité, mais plusieurs d'entre eux les attribuent au démon, tandis
qu'il est évident qu'ils étaient dus à la fourberie des prêtres.
Beaucoup de chrétiens dévots ont bien de la peine à se dégager du
préjugé des revenans, des esprits, des apparitions, des visions, etc.;
ils y voient des preuves de la résurrection, de l'existence d'un Dieu et
de la distinction des deux substances dans l'homme.

Que dirons-nous, en effet, d'un de nos grands théologiens (le dr.
Barrow), qui se sert de ces apparitions pour prouver l'existence de la
divinité et celle de l'âme distinguée du corps? «Ces choses, dit-il,
sont prouvées par les opinions et les témoignages du genre humain sur
les apparitions dont les anciens poètes et les historiens ont parlé si
souvent, et sur le pouvoir que l'on supposait aux charmes et aux
enchantemens, qui devaient être les effets de quelque puissance
invisible; c'est de là que sont venues toutes les idées sur la magie,
les sortiléges, sur les pactes avec les esprits malins; vouloir les
regarder comme des illusions, ce serait accuser le genre humain d'une
stupidité et d'une crédulité très extravagante pour lui. Ce serait
accuser la plupart des législateurs de fourberie et d'extravagance; ce
serait accuser un grand nombre de tribunaux de cruauté et de sottise;
enfin ce serait accuser un trop grand nombre de témoins ou de folie ou
d'une malice extrême». Voyez _Barrow's Works, vol. I, p. 398 et suiv._

D'où l'on voit que les théologiens ne sont pas difficiles sur le choix
des preuves dont ils se servent pour appuyer leurs opinions. En effet,
n'en déplaise au docteur Barrow, on pourrait légitimement et sans faire
tort aux personnes dont il cite le témoignage, les accuser ou de
friponnerie, ou de sottise, ou de malice, ou de mauvaise foi. On
pourrait lui dire que toutes les opinions et les témoignages en faveur
des conjurations, des enchantemens, des sortiléges, ne sont dus qu'à
l'ignorance, à une crédulité excessive, à des prestiges, à de mauvais
desseins. Ne voyons-nous pas qu'une multitude de créatures innocentes à
la honte des tribunaux qui les jugent et des souverains qui font des
loix, ont été injustement mises à mort pour des crimes prétendus dont il
était impossible qu'elles fussent coupables? Ces infamies n'ont-elles
pas continué même dans notre nation, jusqu'à ce que notre parlement, par
un acte récent, eût anéanti ces loix aussi folles que cruelles[48]?

  [48] Keyffler, dans ses _Voyages_, dit que ce sont les Génevois qui
    les premiers dans l'Europe ont aboli l'usage des procédures
    criminelles contre les sorciers; depuis 1652 personne n'a été chez
    eux condamné à la mort pour sorcellerie. Voyez tome I, p. 174.

A l'égard de la preuve que l'on tire des sortiléges pour prouver
l'influence des esprits malins sur les esprits des hommes; les
méchancetés que ceux-ci exercent, sur-tout en faveur de la religion,
prouvent qu'ils n'ont pas besoin du diable pour pousser le crime à
l'excès. L'on prétend encore que les contes d'apparitions et de revenans
servent à appuyer le dogme de la résurrection, de l'immortalité de
l'âme, etc.; mais nous répondrons à ceux qui se servent de pareilles
preuves, que c'est affaiblir une cause, quelque bonne qu'elle puisse
être, que de l'étayer par de semblables puérilités.

Si tant d'absurdités ont été presque universellement adoptées par le
genre humain et crues par des personnes sages, éclairées et sensées
d'ailleurs, nous ne devons trouver ni miraculeux ni surnaturel que des
dogmes tels que celui de la _Transubstantiation_, ainsi, que beaucoup
d'autres pareils, aient trouvé dans des génies profonds des défenseurs
ardens, et dans les peuples stupides, des adhérens aveugles, capables de
se prêter à toutes les extravagances et à toutes les cruautés qui leur
étaient conseillées par leurs prêtres, sans jamais entendre un mot du
fond de la question.

Quand on eut vu que les hommes embrassaient avec tant d'ardeur les
dogmes et les cérémonies, à l'aide desquelles on leur disait qu'ils
obtiendraient la félicité éternelle et se garantiraient des châtimens de
l'avenir; quand on vit le respect et la vénération profonde que
montraient aux inventeurs de ces doctrines et de ces pratiques les
souverains crédules autant que leurs sujets; quand on vit les priviléges
et les immunités accordés aux gens d'église; les honneurs et les
richesses que l'on accumulait sur leurs têtes; leur nombre dut
naturellement s'accroître: voilà sans doute pourquoi nous voyons les
prêtres si multipliés chez les chrétiens jusqu'à ce jour. Comme l'église
devenait si lucrative et procurait de si grands avantages, une foule
d'hommes paresseux, avides, orgueilleux s'empressa d'entrer à son
service; on entrevit des moyens de bien vivre sans rien faire,
d'acquérir des richesses sans aucun travail, des dignités et des
honneurs sans mérite ni talens. Une ruche remplie de miel ne peut
manquer d'attirer les guêpes et les frélons.

Un pareil corps d'hommes, ainsi séparés du reste du genre humain, devenu
si nombreux, eut des intérêts non-seulement distingués, mais encore très
opposés à ceux des nations; le clergé s'occupa donc uniquement du soin
de piller et de subjuguer le monde chrétien, et après avoir acquis des
biens immenses, il ne songea qu'à les augmenter encore[49]. En
conséquence dès que quelqu'un osait douter de la vérité des dogmes
enseignés par le clergé, ou de l'efficacité des pratiques et des
cérémonies qu'il avait ordonnées, l'église se trouvait en danger. Il
fallait donc absolument y remédier; quel moyen employer pour obliger les
hommes à croire les choses qu'il était de l'intérêt de l'église ou du
clergé que l'on crût? Leur dire qu'ils seraient damnés s'ils osaient en
douter, pouvait bien opérer quelque chose; mais ce moyen ne suffisait
pas encore; il y a toujours des gens qui doutent, même malgré eux, et
qui du doute peuvent passer à l'incrédulité, sans pouvoir s'en empêcher.
Il est donc impossible de venir à bout des hommes, sinon en joignant des
châtimens futurs, de former des doutes, et encore plus de faire
connaître leurs doutes et leur incrédulité; par là l'on parvient à les
forcer de professer ce qu'ils ne peuvent ni comprendre ni croire et de
se conformer extérieurement aux volontés du clergé.

  [49] Je crois devoir rapporter ici un exemple qui prouve le pouvoir
    tyrannique que le clergé romain posséda jadis dans notre nation, et
    les moyens qu'il mettait en usage pour conserver ce qu'il nommait
    les droits et les _immunités de l'église_. En conséquence, le
    lecteur trouvera ici la formule du serment que le roi Henri III fut
    obligé de prêter sur les évangiles, qui lui furent présentés par un
    archevêque, tandis que lui, ainsi que tous les évêques présens,
    tenaient des cierges allumés. Cette cérémonie est tirée de Mathieu
    Paris; la voici telle qu'elle est rapportée. _Par l'autorité du Dieu
    tout-puissant, du Fils et du Saint-Esprit, nous anathématisons et
    nous chassons des portes de notre Sainte Mère Église, tous ceux qui
    sciemment et malicieusement priveront les Église de leurs droits.
    Après cela, sur l'ordre de l'archevêque, on jetta les cierges à
    terre où ils s'éteignirent en répandant de la fumée; alors
    l'archevêque dit ces mots: qu'ainsi soient éteintes, périssent et
    fument les âmes damnées de tout ceux qui violeront ces règles ou qui
    les interpréteront d'une façon sinistre. Alors tout le monde
    s'écria, et le roi plus souvent et plus fortement que tous les
    autres _Amen_! _Amen_! _Amen_! Voilà ce qui se passa dans la
    chapelle de Sainte-Catherine à Westminster_. Voyez Mathieu Paris
    dans la vie de Henri III.

Cela peut servir à nous faire découvrir pourquoi les prêtres insistent
si fortement sur la nécessité de la foi et y attachent un si grand
mérite. Sans la foi, il est impossible de plaire au clergé ni d'avoir
pour lui la confiance aveugle dont il a besoin pour piller et tyranniser
les peuples: en effet que deviendraient les richesses, la grandeur, le
crédit, la puissance des fripons, sans la crédulité des sots?



SECTION IV.

Des moyens employés par le clergé pour exciter les princes à la
persécution.


C'est pour s'assurer les avantages résultant de la foi que le clergé
appella les princes à son secours, et les obligea d'infliger les
punitions les plus cruelles à tous ceux qui refusaient de croire; pour
convaincre ces princes, il se servit de deux argument très puissans;
l'un fut de leur dire que, quelque inhumains que fussent les moyens
qu'ils emploiraient pour convertir les hérétiques, ils rendraient à Dieu
un service très agréable, et qu'ils expieraient par là une multitude de
péchés; argument, qui, sans doute, dut faire une impression très forte
sur des superstitieux méchans et zélés. L'autre fut de leur dire que
ceux qui n'étaient point soumis à l'église catholique ne pouvaient être
des sujets fidèles d'un gouvernement catholique. Cette calomnie, malgré
sa fausseté, produisit son effet, et dans tous les états catholiques
romains elle fit de tous les princes des persécuteurs impitoyables de
l'hérésie.

Quand des argument si convaincans n'eûrent pas la force de persuader
quelques princes qui osèrent préférer les devoirs de l'humanité, les
règles de la saine politique et de la vraie religion aux ordres
sanguinaires du pape ou aux conseils abominables des prêtres, l'église
eut quelquefois recours aux excommunications, et souvent elle déposa ou
fit assassiner les souverains qui manquèrent de complaisance on de zèle
pour elle.

Par ces infâmes moyens et par d'autres semblables, la plupart de ces
princes qui auraient dû se déclarer les protecteurs de la liberté, des
biens et de la vie de leurs sujets, se crurent obligés de les opprimer
et même de les détruire, et devinrent, comme on a vu, les instrumens de
l'ambition, de l'avarice, de la cruauté des prêtres.

Cependant, quoique les gens d'église fussent parvenus à mettre la
puissance civile dans leurs intérêts et à lui faire tirer l'épée pour
eux, voyant que la persécution qu'ils avaient l'impiété de nommer
_l'oeuvre de Dieu_, ne se pratiquait pas assez vivement à leur gré, et
que les laïques n'y donnaient pas toute l'attention qu'ils désiraient,
ces ecclésiastiques tâchèrent de se faire donner un pouvoir indépendant
et illimité: ce pouvoir les mit en état d'exécuter tous leurs projets,
et l'on fut assez aveugle pour les leur accorder dans un grand nombre de
pays.

L'usage que firent les ecclésiastiques de ce présent fatal, de cette
boîte de Pandore, fut de répandre une infinité de maux sur la terre.
Non-seulement ils tyrannisèrent les gens du peuple, et traitèrent avec
la dernière fureur tous ceux que leur conscience empêchait de souscrire
à leurs dogmes, à leurs cérémonies, à leurs superstitions; mais encore
ils firent sentir leur pouvoir à ces princes qui avaient eu la faiblesse
et la mauvaise politique de le leur accorder. Par là les rois, les
empereurs, les princes furent obligés de plier sous le joug du sacerdoce
et de se soumettre eux-mêmes à la tyrannie du clergé.

Nous avons fait connaître d'abord qui sont ceux à qui sont dues les
persécutions parmi les chrétiens; nous avons montré en second lieu quels
ont été les motifs prétendus et réels de leurs cruautés inouies; nous
avons ensuite fait connaître ce qui a rendu le clergé si nombreux, et ce
qui lui a fait prendre un ascendant si marqué dans le monde chrétien;
enfin nous avons exposé les moyens qui les ont mis à portée de
tyranniser et de persécuter avec la dernière barbarie; nous allons
chercher les remèdes à ces maux.



SECTION V.

Des remèdes que l'on peut opposer à la persécution.


Les causes de la persécution religieuse ayant été si évidemment
exposées, il est aisé d'en découvrir les remèdes; il serait à souhaiter
que l'on voulût les appliquer aussi promptement qu'ils sont faciles à
connaître.

Les remèdes qui paraîtraient les plus efficaces et les plus naturels
seraient premièrement de ramener la religion à ses premiers principes,
de la dégager des superfluités dont des imposteurs l'ont surchargée, en
vue de leurs propres intérêts. En second lieu, il serait bon de réduire
les ecclésiastiques au revenu qui serait absolument nécessaire: l'état
en s'emparant de leurs biens énormes pourrait leur accorder une
subsistance honnête, sans souffrir jamais qu'ils vécussent dans le luxe
et la pompe, qui non-seulement sont peu convenables à leur profession,
mais encore qui sont les sources d'une infinité d'abus et de calamités.
En troisième lieu, le souverain devrait punir et réprimer avec sévérité
comme de vrais criminels, comme des perturbateurs du repos de la
société, tous les prêtres qui par leurs sermons ou leurs écrits
travailleraient à rendre les hommes odieux les uns aux autres pour leurs
opinions religieuses. En quatrième lieu, les princes ne devraient jamais
prendre parti dans les démêlés obscurs des théologiens; ils devraient
protéger également tous les citoyens utiles et honnêtes et ne jamais
s'occuper de leur façon de penser, dans laquelle, sans tyrannie, ils
n'ont pas le droit de fouiller; enfin ces princes devraient bien se
garder de confier jamais aucun pouvoir à des prêtres.

Nous ne doutons pas que la méthode que l'on propose ne déplaise au plus
grand nombre des membres du clergé, mais nous ne pouvons douter qu'elle
ne soit applaudie par tous ceux en qui l'intérêt et les passions
n'auront pas totalement éclipsé les sentimens de la raison et de
l'humanité. Il est certain que l'opposition de ceux qui méconnaissent
des sentimens si légitimes, ne servirait qu'à prouver de plus en plus la
nécessité de limiter leur pouvoir.

Une raison très forte semble encore devoir y déterminer, elle est dictée
par l'expérience. A-t-on jamais vu un corps de gens d'église jouir du
pouvoir sans en abuser? Il n'est pas douteux que dans le clergé
protestant de l'église anglicane il se trouve quelques hommes éminens
par le savoir et la piété; cependant ne voyons-nous pas que ce clergé
toutes les fois qu'il a joui du pouvoir en a fait un usage très
criminel? J'en appelle à ceux de ses membres qui ont de la bonne foi et
de l'humanité; ils rougiront pour leurs confrères des actes de tyrannie
qu'ils ont tant de fois évidemment exercés. Souvent ils ont persécuté
les hommes les plus distingués, par leurs vertus et leurs lumières; au
point que l'on aurait lieu de soupçonner que ce sont ces qualités mêmes
qui les rendaient odieux à leurs confrères.

Si un clergé aussi bien composé que celui-là s'est souvent rendu
coupable d'excès révoltans, n'est-il pas évident que le pouvoir n'est
nullement fait pour les prêtres? Une nation libre ne doit avoir des
tyrans d'aucune espèce; la tyrannie sacerdotale n'est faite que pour des
esclaves de la tyrannie politique; un citoyen honnête doit jouir de la
liberté de penser ainsi que de celle qui regarde sa personne et ses
biens. Dans un état bien constitué tout homme qui agit bien doit jouir
de la sûreté.

J'observerai encore qu'un excellent moyen d'empêcher la persécution
serait d'obliger les prêtres à prêcher la morale, l'humanité, la
charité, la concorde, au lieu d'entretenir les peuples de questions
obscures de théologie, qui, n'étant point comprises par ceux-mêmes qui
les débitent, le sont encore bien moins par ceux qui les entendent. Que
les ministres du Dieu de paix ne soient plus les trompettes de la
fureur, les organes de la discorde, qu'ils apportent _la paix sur la
terre_ et qu'il ne leur soit plus permis de sonner le tocsin de la
sédition, d'allumer des haines inextinguibles, d'apprendre aux hommes à
se détester pour des opinions inutiles aux moeurs et au bien-être des
nations. En un mot que les guides des peuples n'aient plus le droit de
les conduire à l'erreur, ni de leur persuader que pour plaire à la
divinité ils doivent violer les loix les plus saintes de l'humanité.

Quand nos prêtres se tenant dans les bornes du pouvoir spirituel se
conduiront d'une façon propre à servir d'exemple aux autres ils n'en
seront que plus respectés; on les regardera comme les bienfaiteurs du
genre humain; privés du pouvoir de nuire ils n'auront que celui de faire
du bien. Quel service plus essentiel et plus réel peut-on rendre au
genre humain que de lui persuader de renoncer pour toujours à ses
haines, à ses animosités, à la persécution, et de vivre dans l'union, la
concorde et la paix?


FIN.



NOTE SUR LA TRANSCRIPTION

On a conservé l'orthographe de l'original, incluant ses incohérences
(par exemple tems/temps, blé/bled, enfants/enfans).





*** End of this LibraryBlog Digital Book "De la cruauté religieuse" ***

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