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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575
Author: Fénélon, Bertrand de Salignac de la Motte
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Notes de transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
et n'a pas été harmonisée.

Une expression, en exposant dans l'original, et dont l'abrévation
n'est pas évidente, a été mise entre accolades dans cette version
électronique. Ainsi, le {c} après le chiffre romain signifie que ce
dernier doit être multiplié par cent. Le symbol {#}, qui suit, pourrait
représenter une «lire», car il est suivi du mot «d'esterling» et c'est
sous le nom de «lire» que le livre sterling était connu à l'époque en
France.



    CORRESPONDANCE
    DIPLOMATIQUE
    DE

    BERTRAND DE SALIGNAC
    DE LA MOTHE FÉNÉLON,

    AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
    DE 1568 A 1575,

    PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
    Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

    TOME SIXIÈME.

    ANNEÉS 1574-1575.

    PARIS ET LONDRES.
    1840.



    RECUEIL
    DES
    DÉPÊCHES, RAPPORTS,
    INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

    Des Ambassadeurs de France
    _EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE_
    PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

    Conservés aux Archives du Royaume,

    A la Bibliothèque du Roi,
    etc., etc.,
    ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS

    _Sous la Direction_
    DE M. CHARLES PURTON COOPER.

    PARIS ET LONDRES.
    1840.



    DÉPÊCHES, RAPPORTS,
    INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

    DES AMBASSADEURS DE FRANCE
    EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE

    PENDANT LE XVIe SIÈCLE.



LA MOTHE FÉNÉLON.



Imprimé par BÉTHUNE et PLON, à Paris.



    A
    MR HENRI HALLAM

    COMME TÉMOIGNAGE D'ADMIRATION
    POUR SES OUVRAGES HISTORIQUES

    ET COMME GAGE
    DE RECONNAISSANCE POUR DE NOMBREUX SERVICES PERSONNELS.

    CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ

    PAR
    SON TRÈS-FIDÈLE ET TRÈS-OBLIGÉ SERVITEUR
    CHARLES PURTON COOPER.



DÉPÊCHES

DE

LA MOTHE FÉNÉLON



CCCLIXe DÉPESCHE

--du Ve jour de janvier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques en la court par Jacques._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Desir d'Élisabeth de prendre
    l'avis des princes protestans d'Allemagne.--Demande de nouveaux
    délais.--Avis d'une entreprise projetée contre la
    France.--Nouvelles d'Écosse et d'Irlande.


    AU ROY.

Sire, le deuxiesme jour de ce moys de janvier, j'ay esté faire les
compliments du nouvel an à la Royne d'Angleterre, et luy dire que
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, le luy souhaitoient très bon,
voyr le meilleur qu'elle eût encores eu, depuis, ny auparavant estre
Royne; et que vous desiriés, de bon cueur, que ce fût, en cestuy cy,
auquel il pleût à Dieu de changer la solitude, où elle avoit tousjours
vescu, en ung soulas d'une très douce et desirée compagnye d'ung jeune
et vertueux prince, qui luy fît trouver les années à venir encores
plus heureuses et plaines de félicité que les passées; et que vous
n'aviez aujourdhuy aulcune chose au monde en plus grande affection que
de pouvoir bientost ouyr la responce, qu'après le retour de Me
Randolphe, elle vous voudroit faire; dont me commandiés d'incister,
aultant qu'il me seroit possible, de l'avoir, du premier jour, et de
l'avoyr ainsy bonne comme la desiriés, et comme l'honneste et
persévérant desir de Monseigneur vers elle le méritoit. Et ay adapté à
cella les aultres propos que j'ay trouvés ès lettres de Vostre
Majesté, du VIIIe et XXIIe du passé, sellon que j'ay veu qu'ilz y
pouvoient convenir.

A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle recevoit ces bons et
honnestes souhayts, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy
faisiés, pour la meilleure estrayne, et le plus précieulx et agréable
présent, qui luy pouvoit estre faict, à ce commancement d'année; dont
vous en remercyoit le plus qu'il luy estoit possible, et vous prioit,
toutz deux, de vouloir aussi accepter d'elle ung semblable présent
d'ung pur et parfaict desir qu'elle avoit à vostre bien et grandeur,
et à la continuation de vos félicités, et que, sortant cella de son
cueur, ainsy qu'elle s'assuroit que ce que luy aviés mandé partoit
aussy du cueur de Voz Très Chrestiennes Majestez, elle pensoit que
c'estoit chose à plus estimer, que si, de chascun costé, eussiés mis
la main au cabinet de voz meilleures bagues, pour vous entre envoyer
celles qui eussent esté de plus de pris; et qu'il estoit très
raysonnable qu'elle vous fît bientost sçavoir la responce qu'attandiés
maintenant d'elle, laquelle elle ne vous vouloit nullement différer,
et me prioit seulement de luy donner deux ou troys jours de terme pour
en dellibérer avec ses conseillers, desquelz l'absence des ungs, et la
maladye des aultres, estoit cause qu'elle n'y avoit peu vacquer,
durant ces festes, ainsy qu'elle me l'avoit promis; et qu'il pourroit
estre que cepandant arriveroient les ambassadeurs des princes
protestants d'Allemaigne, desquelz s'estoit entendu qu'ilz vouloient
envoyer vers elle intercéder pour le propos de Monseigneur; en quoy,
encor qu'elle ne voulût estre veue dépandre tant d'eux, qu'on cuydât
qu'elle fût en leur tutelle, si estimoit elle que leur office, en cest
endroict, ne pourroit estre sinon bien honnorable pour les deux
costés; et pourroit, en plusieurs choses, parce qu'ilz estoient de la
mesme religion de ce royaulme, beaucoup servir à rendre agréable, et
plus approuvé le mariage vers toutz ses subjects.

J'ay répliqué qu'après les aultres grands dellays qu'elle avoit desjà
prins en cest affaire, je craignois que celluy qu'elle demandoit
maintenant, encor que ne fût que de troys jours, vous semblât
intollérable; car pensiés qu'elle eût desjà sa responce toute preste,
pour la vous pouvoir incontinent mander, sans estre besoing qu'elle
l'allât rechercher d'aultruy; et qu'au moins la priois je que, dans
ceste feste des Roys, il luy pleût me la faire ainsy royalle comme il
convenoit à la Royne qui la feroit, et aulx Roys et princes à qui elle
seroit faicte; et qu'encor que rien du propos n'eût à dépendre d'ung
tiers, si, pensois je, vous n'auriés mal agréable que les princes
d'Allemaigne envoyassent icy leurs ambassadeurs, car les sentiés de si
bonne inclination vers vous qu'ilz n'y procureroient que l'effect de
ce que desiriés.

Elle m'a respondu que je cognoissois assez l'humeur de deçà, comme
rien ne s'y pouvoit expédier sans cérymonie; dont ne me debvois tenir
graivé qu'elle m'eût encores demandé ce peu de temps, et qu'elle ne
sçavoit de certain si les princes d'Allemaigne envoyeroient icy, mais
qu'elle sentoit bien qu'il ne seroit que bon qu'ilz le fissent.

Et est ung poinct, Sire, qu'elle a monstré qu'elle le desiroit bien
fort, et qu'elle auroit grand plaisir qu'en fissiés faire quelque
instance, soubz main, ainsi que le comte de Lestre me l'a confirmé; et
peut estre que c'est ce qui la faict ainsy temporiser maintenant, ou
bien pour entendre mieulx comme il va du faict de la Rochelle, car
ceulx de ce conseil en sont toutz en grand suspens, ou bien pour
attandre l'arrivée du gentilhomme que le nouveau gouverneur de
Flandres envoye vers elle, qui sera icy à la fin de ceste sepmayne, et
bientost après le suyvront, à ce que j'entends, le Sr de Forges et le
Sr de Sueveguen, conseillers d'estat du pays, pour venir radresser
l'entrecours, et accommoder les aultres différants d'entre les Angloys
et les subjects du Roy d'Espaigne. Or ay je, Sire, au partir de la
dicte Dame, bien estroictement conféré avec le garde des sceaulx, et
avec le comte de Sussex, avec l'admiral, et avec Mr Walsingam,
lesquelz m'ont uzé de beaucoup de bonnes parolles; et puis, suis allé
voyr, en passant, milord trésorier, en son lict, qui m'en a uzé
encores de meilleures. Mais il m'a bien donné à cognoistre que
l'accidant de la Rochelle venoit mal à propos, par ce, dict il, qu'il
ne falloit s'attandre que la conclusion du mariage se fît, sinon en
concluant une parfaicte union entre les deux royaumes, et faysant une
communication des conseils et des forces des deux, pour résister à
toutz ceulx qui voudroient nuyre ou à l'ung ou à l'aultre; et qu'il
n'estoit possible que cella se fît, si Vostre Majesté ne pourvoyoit
que ceulx de la nouvelle religion peussent vivre en France, non en la
licence que, possible, ilz voudroient, mais en la seureté de leurs
vies, et honneste liberté de leurs consciences, soubz la modération
que vos édicts leur ordonnoient. Je solliciteray, à toute heure, la
susdicte responce; et Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, y
ayderez s'il vous plait de dellà, sellon qu'aurez prins expédient de
le faire sur les advis que, par le Sr de Sabran, je vous ay mandés.

Voicy, Sire, ung advis qu'on me vient de donner. Il a esté mis en
dellibération, entre aulcuns passionnés de la nouvelle religion, que,
de tant que ceulx de la Rochelle s'apperçoyvent maintenant qu'il y a
de la division entre eulx, et qu'ilz sont en plus dangereux estat que
quand ilz estoient assiégés, l'hautorité du mayre n'estant pour y
tenir longuement les choses en modération, qu'ilz doibvent estre
persuadés de recevoyr en leur ville quelque force et garnison des
Angloys; et que, se trouvant les pays d'Aulnis, de Poictou, de
Saintonge, d'Angoulmoys, et aultres endroicts de la Guyenne,
intéressés en la même cause, qu'il sera facille de passer oultre en
pays, et y mettre si bien le pied qu'il ne sera aysé de l'oster,
accordant mesmement aulx habitans du pays de leur renouveller leurs
anciennes immunités et franchises; et que cella commançoit de se mener
bien à l'estroict, et bien fort secrettement, de peur qu'il n'en vînt
quelque chose à ma notice. Qui ne sçay encores, Sire, s'il a esté
ainsy proposé à ceste princesse, mais l'on m'a bien fort assuré qu'il
a esté mis en avant à aulcuns de son conseil, lesquels l'ont
grandement gousté; et pourtant semble expédient que Vostre Majesté
envoye promptement rassurer les dicts de la Rochelle en quelque si
bonne façon, qu'ilz n'ayent à desirer ny rechercher aulcune sorte de
nouvelleté en leur ville.

Quand à l'Escoce, le comte de Morthon a naguyères faict exécuter ung
hermestran qui a chargé le comte d'Honteley, Baffour, le feu comte
d'Arguil et le mesme Morthon, d'estre copables de la mort du feu Roy
d'Escosse; de quoy l'on soupçonne qu'il se pourra renouveller du
trouble au pays. Au regard de l'Irlande, le vray comte d'Esmond a
tant faict qu'il a mis des forces en campaigne, et a reprins presque
tout son estat sur le bastard qui le luy usurpoit, et qui estoit
maintenu par les Angloys, et a prins le mesme bastard et sa femme
prisonniers. Et ayant Fitz Maurice aussy soublevé ung aultre quartier
du pays, et prins quelques forts, il s'est joinct à luy avecques ses
troupes; et attandent du secours d'Espaigne, où le dict Fitz Maurice a
envoyé son filz pour ostage; et le comte d'Essex a esté bien mal
traicté au quartier où il est descendu. L'on traicte, en ce conseil,
d'y envoyer promptement quatre cappitaines avec les soldats qui sont
naguyères revenus d'Ollande, et d'y faire passer le comte d'Ormont,
bien que, pour estre naturel du pays, l'on l'a aulcunement suspect,
et, avec luy, milord Rich et Me Parait. Et m'a quelqu'ung faict sentir
que ceste princesse auroit grand playsir que vostre ambassadeur, qui
est en Espaigne, veillât ung peu sur les actions de Estuqueley et du
filz du dict Fitz Maurice, affin de l'esclarcyr en ce qui se brassera
par dellà contre elle. Sur ce, etc. Ce Ve jour de janvier 1574.



CCCLXe DÉPESCHE

--du XIIe jour de janvier 1574.--

(_Envoyée par le cappitaine Mazin d'Albène._)

  Explications sur l'entreprise tentée contre la
    Rochelle.--Assurances données par le roi que l'édit de
    pacification sera maintenu.--Négociation du
    mariage.--Protestation de dévouement de l'agent de la
    Rochelle.--Efforts de l'ambassadcur pour empêcher les Anglais
    de former une entreprise contre la France.


    AU ROY.

Sire, la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, laquelle le
cappitaine Mazin m'a rendue le VIIIe d'estui cy, m'a esté ung argument
tout à propos pour aller trouver ceste princesse, à laquelle j'ay
faict entendre que les choses de la Rochelle avoient passé et estoient
maintenant en l'estat que me l'avez mandé, et luy en ay faict voyr le
mémoire que j'en ay trouvé dans vostre pacquet, ensemble ung extraict
de celle partye de vostre lettre qui en parle en très bonne façon. Et
ay estimé, Sire, qu'il estoit expédient d'en uzer ainsy, parce que je
sçavoys bien que desjà l'on en avoit parlé, tout aultrement que de ce
qui est, à la dicte Dame; et que ceulx, qui craignent le succès du
propos de Monseigneur le Duc, luy avoient discouru que vostre
lieutenant en Poictou n'eût jamays ozé attempter à la surprinse de
ceste ville, ny à rompre vostre édict, ny n'eussent, deux ou trois des
compagnyes de voz ordonnances, marché jusques bien près du lieu, sans
commandement de Vostre Majesté; et avoient faict, de cella et de
l'armement qu'ilz disent qui s'appreste en Normandie, et de la prinse
de huict ou dix navyres angloys qui ont esté nouvellement combatus, à
leur retour de Bourdeaulx, par des navyres françoys qui les ont
ammenés, une grande déduction à la dicte Dame pour luy imprimer que,
en nulle sorte, se pourra jamays bien establir amityé, aulmoins qui
soit de durée, entre Vostre Majesté et les Protestants; dont, par les
arguments que je luy ay admenés au contrayre, qui ont esté les plus
vifs que j'ay peu, j'estime luy avoir beaucoup diminué ceste opynion.

Néantmoins, de ces accidants et de ce que, possible, son ambassadeur
luy a escript, elle a encores ceste foys différé de me faire sa
responce, bien que je l'en aye extrêmement pressée, et que mes
instances n'ont esté petites, et que je sçay bien que, dès devant
hier, ses conseillers luy avoient, là dessus, donné leur advis
conforme, ainsy que j'entends, à ce qu'ilz avoient tousjours
conseillé: qu'elle se debvoit marier et qu'elle debvoit entendre à
cest honnorable party de Monseigneur, pourveu qu'elle s'en peult
complayre. Mais elle m'a remis à Hamptoncourt, s'excusant que, à cause
que le souspeçon de peste la contreignoit de partir trop soubdain
d'icy, et qu'aulcuns de ses conseillers estoient absants, elle ne me
pouvoit résoudre, jusques à ce qu'elle fût au dict lieu, mais que,
sans aulcun doubte, elle me résoudroit, dans ceste procheyne sepmayne,
sans plus de remises. Et je vous supplye très humblement, Sire, de
croyre que je ne perds heure, ny momant, de la sollicitation qui se
peut mectre en cest affère; et, encor que la lettre de crédict ne soit
poinct arrivée, je n'ay layssé de faire valoir, le mieulx que j'ay
peu, l'assurance, que m'avez mandée, que me l'envoyeriés. Et ay dict à
milord trésorier et au comte de Lestre que vous ne vouliés prescripre
à l'ung ny à l'aultre ce qu'entendiés de fère pour eulx, car
dellibériés de commettre aultant que montoit la mesmes personne et la
grandeur et la fortune de Monseigneur, vostre frère, le tout en leurs
meins, et que leur loyer surmonteroit indubitablement et vos promesses
et leur espérance; mais qu'en l'endroict des personnes, ès quelles ilz
estimeroient estre bon d'uzer quelque présente libéralité, qu'ilz la
promissent ardiment pour vous, car vous y satisfferiés entièrement, et
me feriés venir jusques à cinquante et soixante, et cent mille escus
pour y fournir à leur discrétion, ce qui n'a esté prins que de très
bonne part. Et à quelques aultres propos, bien esloignés de cella,
j'ay sondé le Sr Acerbo s'il auroit moyen de fournir, icy, de
l'argent; qui m'a dict qu'il fournira tousjours, en ceste ville,
jusques à cent mille escus, sur la lettre du Sr Orace Russelin et sur
celle du sieur Jehan Baptiste Gondy, et qu'il ne fault sinon qu'on
accorde de quelque assignation par dellà avec l'ung d'eux pour estre
rembourcé, au cas que leur crédict soit employé icy, et que, s'il ne
l'est poinct, l'on leur rendra leur lettre. De quoy j'ay desjà prins
parolle du dict Sr Acerbo.

Et après, Sire, que j'ay eu communiqué à la Royne d'Angleterre et aulx
seigneurs de son conseil ce que m'avés mandé de la Rochelle, je l'ay
faict sçavoyr aulx gentilshommes et aultres vos subjects qui sont icy,
desquelz y en y a eu qui n'ont peu contenir les larmes du grand ayse,
qu'ilz ont receu, de la déclaration de Vostre Majesté, et de ce que
leur voulés maintenir vostre édict; ny pas ung d'eulx n'a dict, ny
monstré semblant aulcun, de vouloir devenir aultres que très humbles
et très obéissantz subjectz de Vostre Majesté. Et l'agent de la
Rochelle, sur toutz, s'est resjouy de la susdicte déclaration, et m'a
instamment requis de vous supplyer très humblement, Sire, qu'il vous
playse ne croyre que, de la part de ceulx de sa ville, ny en général,
ny en particullier, il soit venu aulcun advertissement, ny plaincte,
ny remonstrance de ce faict en ceste court; et que seulement ung homme
qui estoit présent, quand les choses furent descouvertes, estant,
d'avanture, arrivé icy pendant le premier bruict qui en couroit, il a
esté appellé devant le comte de Lestre pour dire ce qu'il en sçavoit;
et qu'il me promettoit, devant Dieu, qu'il ne s'estoit traicté ny se
traicteroit rien, icy, par ceulx de sa ville, qu'il ne m'en fît
participant, affin que je fusse tesmoing que leurs déportements
n'estoient que de loyaulx et fidelles subjects de Vostre Majesté. Par
quoy je luy ay permis de fère sçavoir à ceulx de sa ville la façon
dont Vostre Majesté avoit escript, par deçà, de ce faict.

J'ay mis toute la dilligence, qu'il m'a esté possible, et ne cesse
encores par les meilleurs moyens, que je puis, de destourner celle
dellibération, que je vous ay mandée qu'on mettoit en avant, touchant
la dicte ville de la Rochelle et ce quartier de la Guyenne qui est
entre la Loyre et la Garonne, et pense avoyr faict quelque
commancement de la divertyr. Néantmoins, parce que ceulx de la
nouvelle opinyon ne se peuvent encores bien rassurer de ces rescentes
souspeçons, et que ceulx cy arment et équippent navyres et font
quelque description de gens de guerre, pour envoyer, ainsy qu'ilz
disent, en Irlande, je supplye très humblement Vostre Majesté de fère
advertyr, secrettement, les gouverneurs, tout le long de vostre coste,
qui regarde la mer de deçà, qu'ilz ayent à se tenir sur leurs gardes,
bien qu'on ne m'a jamays annoncé icy plus de paix ny d'amityé qu'on
faict maintenant. Et sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de janvier 1574.



CCCLXIe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de janvier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Mission du baron d'Aubigny, envoyé en Angleterre par le roi
    d'Espagne.--Négociation des Pays-Bas.--Affaires
    d'Irlande.--Nouvelles de la Rochelle.--Inquiétudes causées à
    Londres par les armemens préparés en France et les nouvelles
    prises faites par les Bretons.--État de la négociation du
    mariage.


    AU ROY.

Sire, le baron d'Aubigny, de Bourgoigne, est ce gentilhomme que le
grand commandeur de Castille a envoyé devers ceste princesse, lequel
parle assez bien le langage de ce pays, car il a esté nourry page de
la feue Royne Marie d'Angleterre, et est arrivé, le XIIIIe de ce moys,
en ceste ville, et, le troysiesme jour après, il a passé oultre à
Hamptoncourt. Les deux commissayres des Pays Bas, qui estoient
avecques luy, sont encores, derrière, à Donquerque, parce qu'ils n'ont
voulu passer deçà sans ung saufconduict de la dicte Dame, laquelle le
leur dépescha hier; et ilz seront, de brief, icy, pour vacquer
quelques moys à radresser l'entrecours, et accorder les différants des
prinses, s'ils peuvent. Je ne sçay encores comme l'affère leur
succèdera.

Les quatre cappitaynes, qui doibvent aller en Irlande, ont faict la
monstre de leur huict centz hommes, et ont touché deniers. Ilz
s'achemineront dans deux ou trois jours; et j'entends qu'on les haste
ainsy de partir, parce qu'il est venu nouvelles que les Angloys ont
esté, de rechef, bien battus de dellà, et l'ung des filz du milord
Housdon tué, et que le comte d'Essex est asssiégé en ung destroit de
pays, où, s'il n'est secouru dedans ung moys, il sera contrainct de
se rendre; et a mandé que le comte d'Esmond a faict ligue avec trois
aultres comtes du pays, qui dellibèrent de mettre chacun dix mille
hommes en campaigne, à ce prochain printemps, oultre le secours qu'ilz
attandent de Mac O'Nel l'escossoys. Dont ceulx cy se trouvent assés
empeschés comme remédier à cest affère, et mesmement qu'on leur mande
que les Irlandoys, lesquels on disoit que s'enfouyeroient à la
première harquebouzade qu'ilz orroient, se monstrent aultant ou plus
assurés harquebouziers que les Angloys, dont souspeçonnent qu'il y ayt
des françoys et hespaignols parmy eulx, qui les dressent ainsy et qui
les conduysent.

Quand au faict de la Rochelle, ce qu'il vous a pleu, Sire,
dernièrement m'en escripre, a faict que, en ceste court, ny parmy les
Angloys, ny encores parmy voz subjects qui sont icy, l'on n'en parle
plus de la façon qu'on faysoit, et que chascun commance de se proposer
des considérations fort apparantes pour juger que l'entreprinse n'a
esté dressée, ny du sceu ny du commandement de Voz Majestez Très
Chrestiennes. Il est vray que, en l'endroict des ungs, ny en
l'endroict des aultres, parce qu'ilz sont touts assés ombrageux et
deffiants, je ne puis, pour encores, advancer guyères que de les fère
demeurer paysibles, et sans rien mouvoir, jusques à ce qu'ils voyent
comme les choses procèderont, et comme ceulx de Languedoc se
réduyront, et qu'est ce que résultera de ceste assemblée de conseil
que Vostre Majesté tient maintenant à St Germain en Laye, car
monstrent que, jusques allors, ilz ne pourront guyères bien déposer la
crainte et l'espouvantement où ilz sont. Et si, m'a t on, depuis deux
jours, Sire, confirmé cella mesmes, que je vous ay naguyères mandé,
touchant recevoir des forces d'Angleterre en ce quartier de la
Guyenne qui est entre Loyre et Garonne, et susciter là une grande
révolte contre Vostre Majesté. En quoy, encores que je n'espère estre
si endormy, si l'on en venoit à des actes prochains, que je ne vous en
puisse bien advertyr, si vous suppliè je très humblement, Sire, de
faire cepandant sonder, par vos lieutenants et gouverneurs, s'il y a
estincelle aulcune de telle impression ès cueurs de voz subjects au
dict pays; car je confesse que cest advis me vient d'ung endroict,
d'où, d'aultres foys, l'on m'a interpretté les actions de ceulx de la
nouvelle religion en tout aultre sens que je ne l'ay, puis après, peu
vériffier, ny qu'il ne s'est à la fin trouvé.

Tant y a que ceste princesse ne m'a peu dissimuler qu'on n'ayt mis
peyne de luy donner une malle impression de la prinse de ces dix
navyres, qui a esté faicte sur ses subjects, en allant et retournant
de Bourdeaulx, et de ce qu'on luy a dict que, dans la rivyère de
Bourdeaulx, Vostre Majesté faict tenir deux grands navyres de guerre
touts prets, et ung en Brouage, et quatre fort grands à Brest, quelque
autre nombre à St Mallo, cinq au Hâvre de Grâce, sept à Dieppe, et
vingt huict navires bretons, de cent et six vingts tonneaulx chacuns,
à Callays, qui y sont depuis deux moys, et les gens de guerre toutz
prets, en Picardye, pour les embarquer. A quoy, encor que je luy aye
abondamment satisfaict, je sents néantmoins qu'on la veult, par là,
mettre en allarme, affin que, de son costé, elle face aussy armer et
mettre hors aulcuns de ses grands navyres de guerre, comme je ne fay
doubte qu'on ne la conduyse facillement à cella; et que sir Artus
Chambernan et Me Hacquens qui ont esté, ces jours passés, fort
négociants en ceste court, n'obtiennent aussy commission d'armer des
vaisseaulx, vers le Ouest, pour courre ceste mer estroicte, ou pour
estre prets à toutes occasions. A quoy j'auray l'œil le plus ouvert,
que je pourray, pour en advertyr incontinent Vostre Majesté.

Au regard du propos de Monseigneur le Duc, j'attands, d'heure en
heure, Sire, que la dicte Dame me face appeller à Hamptoncourt pour me
bailler sa responce. Et le comte de Lestre m'a promis qu'il sera fort
dilligent et soigneux de luy recorder qu'elle ne me la vueille plus
prolonger; et encores, à toutes advantures, j'envoye le Sr de Vassal
présentement devers luy affin qu'il ne l'oublye. Cepandant j'ay visité
milord de Burgley, à son commancement de guérison, pour conférer de
cest affaire avecques luy, lequel m'a pryé de presser, le plus que je
pourray, icelluy affère, et que, nonobstant qu'il soit contredict de
plusieurs, que je n'en veuille encores mal espérer. Sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour de janvier 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, premier que la Royne d'Angleterre soit partie d'icy pour aller
à Hamptoncourt, encor que ce ayt esté bien soudaynement et à la haste,
je l'ay néantmoins fort pressée, et faicte bien fort instamment
presser, par milord trésorier et par le comte de Lestre, de me vouloyr
fère sçavoyr la responce qu'elle entend fère à Voz Majestez Très
Chrestiennes touchant le propos de Monseigneur le Duc, vostre filz;
mais il ne m'a esté possible de tirer aultre chose d'elle, sinon que,
dans peu de jours, elle me feroit appeler pour me la dire, et que, si
elle se trouvoit maintenant un peu longue à se résouldre en cella,
qu'elle vous prioit, Madame, de vous souvenir que vous aviés bien esté
six moys entiers sans luy mander rien de certain touchant l'entrevue;
à l'occasion de quoy elle vous supplioyt qu'à ceste heure vous
layssiés compenser la longueur de l'une avec celle de l'aultre. Et
bien, Madame, que je n'aye deffally de responce là dessus, elle m'a
néantmoins fort conjuré de ne me douloyr de ce petit dellay, qui luy
faysoit encores besoing, car m'assuroit qu'il ne seroit long. Et le
comte de Lestre a prins en luy de m'envoyer ung de ses gentilshommes
pour m'advertyr proprement du jour que j'iray trouver la dicte Dame;
mais, ne m'attendant du tout à cella, je viens de luy dépescher, tout
à ceste heure, ung des miens, affin de le luy recorder. Et semble
qu'elle ayt esté persuadée d'accomplir ce que le duc d'Alve desiroit
en cest affaire, qu'elle ne conclûd rien avec Monseigneur, vostre
filz, sans avoyr entendu quelz advantages l'on luy feroit proposer
pour le filz de l'Empereur; et, possible, aulcuns, en ceste court,
s'attendent que le baron d'Aubigny en mette quelque chose en avant, et
qu'il ayt charge d'en parler. Et il est bien certain que, toutes les
foys que Voz Majestez Très Chrestiennes ont faict attacher chaudement
ceste praticque, que, du costé d'Espaigne, l'on n'a fally, soubz
aultres prétextes, d'envoyer soubdain icy des ambassadeurs pour y
donner tout l'empeschement qu'on a peu; tant y a qu'on me faict
accroyre que debvés encores paciemment attandre ceste responce, sans
vous désespérer de vostre pourchas.

Et milord Trésorier, avec lequel j'en ay, depuis deux jours, fort
estroictement conféré, m'a dict que les adversayres du propos, encor
qu'ilz soient en grand nombre, n'ont, jusques à ceste heure, peu
prévaloyr contre la dellibération des principaulx du conseil, qui
sont fort bien résolus pour le mariage de leur Royne. Sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour de janvier 1574.



CCCLXIIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour de janvier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Nouveaux retards apportés à la négociation du
    mariage.--Mission du baron d'Aubigny.--Communication faite par
    l'agent de la Rochelle.--Assurance donnée par l'ambassadeur que
    le roi ne veut rien attenter contre cette ville.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, le XXe de ce moys, à Hamptoncourt, pour presser ceste
princesse de me vouloir fère sa responce sur le propos de Monseigneur
le Duc, et elle a monstré qu'elle estoit preste de le fère, et que
nulle difficulté, ny argument du passé, y donnoit plus d'empeschement,
s'en estant elle, avec ceulx de son conseil, entièrement bien résolue;
mais qu'il estoit survenu, de nouveau, aulcuns escrupules, aulxquels
elle pensoit que Vostre Majesté pourroit facillement satisfère,
lesquels iceulx de son dict conseil jugeoient estre expédient de les
oster, premier qu'elle peût bien respondre. Et me les a fort amplement
desduicts, et m'a dict qu'elle feroit promptement partir ung courrier,
devers son ambassadeur, pour vous faire entendre le tout, affin que
Vostre Majesté n'estimât que ceste remise fût sans beaucoup de
fondement.

J'ay respondu à toutz ces escrupulles de la dicte Dame, et plus à
ceulx dont j'estois adverty qu'elle estoit vifvement touchée dans son
cueur, qui estoient véritablement considérables, et desquels elle ne
me faisoit poinct de mencion, que à ceulx dont elle me parloit; et
l'ay fort adjurée de ne vouloir, pour cella, interposer plus de
longueur en sa responce, de peur que Vostre Majesté et la Royne,
vostre mère, et Monseigneur le Duc, ne l'interprétissiés à une manyère
de deffaicte; et qu'il n'estoit besoing qu'elle envoyât en France, ny
qu'elle attandît aulcune satisfaction de dellà, car ce que je venois
de luy respondre pouvoit suffire à elle, et aux seigneurs de son
conseil, pour demeurer bien esclarcys de toutz les dicts escrupulles.

Elle m'a réplicqué qu'elle me prioit donc de vouloir fère
communicquation, à quelques ungs de son dict conseil, des articles de
mes dépesches, que je luy venois de déduyre, affin qu'ilz en peussent
prendre aultant de satisfaction qu'elle: comme j'ay faict à milord
trésorier et au comte de Sussex. Et suys maintenant à poursuyvre,
comme devant, la susdicte responce, laquelle j'espère avoyr bientost.
Et pense, Sire, que, par le rapport, que le cappitaine Mazin vous aura
faict, de la rigueur qu'on luy a tenue, au repasser en France, Vostre
Majesté aura comprins d'où est procédé l'ung de leurs dicts
escrupules, qui n'a esté si petit qu'ilz n'en ayent faict tenir les
passages sérés, pour quelques jours, et faict surprendre beaucoup de
pacquetz; dont encores quelques ungs des miens en ont esté retardés.

Le baron d'Aubigny, après avoyr esté, cinq jours, en ceste court,
festoyé et caressé, et l'avoyr ceste princesse fort bénignement ouy,
par deux foys, et luy avoyr baillé responce aulx troys lettres, qu'il
luy a apportées, du duc d'Alve, du grand commandeur et des Estatz de
Flandres, car n'en avoit du Roy d'Espaigne, bien qu'on l'ayt voulu
publier aultrement, il a esté favorablement licencié d'elle, avec
présant d'une chayne de quatre centz escuz. Et aulcuns luy ont voulu
toucher, en passant, qu'elle se vouloit, plus estroictement que
jamays, confédérer avec le Roy d'Espaigne, et luy envoyer bientost ou
le vicomte de Montégu, ou milord Sideney, et que seulement elle
s'entretenoit avec Vostre Majesté pour gaigner temps. Néantmoins, le
jour d'après, ung estranger, qui est icy, lequel est fort du party
d'Espaigne et inthime amy de Gouaras, m'est venu chaudement rechercher
d'une praticque, de laquelle je résous faire cy après mencion à Vostre
Majesté; laquelle monstre bien qu'ilz procèdent entre eulx d'une
grande deffiance, et que, nonobstant la venue des deux depputés des
Pays Bas, qui semblent n'attandre que le retour du dict d'Aubigny à
Dounquerque, pour passer deçà, ilz ne s'attandent guyères, de pas ung
costé, qu'ilz puissent bien accomoder leurs différants.

Ceulx de la Rochelle, devers lesquels le comte de Montgommery avoit
dépesché ung sien secrettère, pour leur donner compte des frays du
secours qu'il leur avoit admené, durant ce siège, luy ont renvoyé en
dilligence le dict secrettère.

Et despuis, l'agent de la Rochelle m'est venu dire, que, suyvant la
promesse, qu'il m'avoit faicte, de me conférer tout ce qui
surviendroit, icy, concernant ceulx de sa ville, il me vouloit bien
advertyr qu'il avoit receu lettres d'eux, par lesquelles ilz luy
confirmoient la vérification de l'entreprinse, qui avoit esté faicte,
pour livrer eulx, et leur ville, à un misérable saccagement; non qu'on
luy mandât que ce fût, du sceu ny du commandement de Vostre Majesté,
mais qu'ilz avoient évité ung très grand et manifeste danger; et
estoient encores en quelque frayeur de ce que les garnisons,
d'alentour d'eux, se grossissoient et renforçoient, chacun jour, et
qu'ils entendoient qu'une nouvelle levée de Suisses avoit esté mandée,
et qu'en divers ports du royaulme s'équippoient en guerre beaucoup de
navyres. Ce qu'ayants les gentilshommes et aultres de la nouvelle
religion eu bien fort suspect, il s'en estoit retiré quelque nombre en
leur ville, non qu'ils les y eussent appellés, mais ilz y estoient
venus, de eulx mesmes, pour éviter le danger, et pour recognoistre
d'où procédoit le fonds de ceste entreprise; et que le dict agent
sçavoit bien que iceulx habitants n'avoient aultre affection que de
vivre en vrays et loyaulx subjects, sans exception quelconque, que de
ce, seulement, qu'il avoit pleu à Vostre Majesté leur octroyer par le
dernier édict; et qu'ilz ne cherchoient que la seule seureté, laquelle
si se pouvoit trouver, non seulement la ville seroit preste d'obéyr à
vostre vouloir, comme elle fera tousjours, mais au simple mandement du
moindre de voz officiers; et qu'il me prioit que, de ce costé, je
voulusse signiffier ceste leur dévotion et servitude à Vostre Majesté,
ainsy qu'il estimoit que, de dellà, ilz envoyeroient ung de leurs
habitans pour le vous dire.

J'ay respondu, Sire, que, sans escrupulle aulcun, il se pouvoit
assurer que Vostre Majesté garderoit inviolablement son édict à ceulx
de sa ville, et qu'ilz n'avoient à souspeçonner ny les garnisons, ny
les Suisses, ny les navyres dont ilz parloient: car, oultre que je
pensois qu'il n'en estoit rien; encore, par nulle rayson ny par
démonstration aulcune, il ne pouvoit estre ny vray ny vraysemblable
que les volussiez tourner assiéger, sinon qu'ils se missent tant hors
des termes de l'édict que eulx mesmes en fussent l'occasion; et que je
craignois assés que ceste tant chaude allarme, qu'ilz s'estoient
donnée, les eût desjà tant esmeus, et les fît passer si avant à des
exécutions, et à recevoir gens de guerre en leur ville, et, possible,
à d'aultres praticques ailleurs, qu'en lieu de se rendre, par iceulx
habitants, Vostre Majesté favorable, ilz la provoqueroient contre
eulx; et qu'icelluy agent avoit bien veu en quelle bonne sorte vous
m'aviés commandé de parler, icy, de leur affère, et comme vous aviés
approuvé l'exécution qu'ilz avoient faicte; et j'espérois que, par mes
premières, je luy pourrois encores donner si bon compte de toutes ces
choses, dont il monstroit d'estre en peyne, qu'à mon advis il en
resteroit consolé, et auroit de quoy en consoler ceulx de sa ville; et
qu'en ce que je me pourrois employer, vers Vostre Majesté, pour la
seureté qu'il m'avoit parlé, et pour leur procurer toute tranquillité,
que je le ferois de bon cueur. De quoy il m'a fort remercyé, et, de
rechef, m'a promis qu'il ne se traicteroit rien, icy, pour ses
habitans que je n'en fusse participant. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIe jour de janvier 1574.



CCCLXIIIe DÉPESCHE

--du IIIe jour de febvrier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Audience.--Réponse d'Élisabeth sur la négociation du
    mariage.--Consentement donné par elle à l'entrevue sous la
    condition qu'elle sera tenue secrète.


    AU ROY.

Sire, après que j'ay eu donné une si ample satisfaction à milord
trézorier, et au comte de Sussex, sur les escrupulles dont la Royne,
leur Mestraysse, m'avoit parlé, qu'elle et ceulx de son conseil ont
confessé que c'estoit assés, elle m'a mandé venir, le XXVIIe du passé,
à Hamptoncourt; où, d'arrivée, elle m'a grandement remercyé de la
franchise, dont j'avoys uzé, à communicquer le propre original de mes
lettres à ces deux milords, et qu'elle estoit fort ayse qu'ilz y
eussent trouvé cella mesmes que, sur ma parolle, elle leur avoit desjà
respondu de l'intention de Vostre Majesté, touchant les dicts
nouveaulx escrupulles; et qu'elle vous supplioit bien, Sire, ne
trouver maulvais si elle se rendoit ainsy soigneuse de complaire à ses
subjects, non à toutz, car ne se vouloit assubjectir à une si grande
extrémité, mais à quelques ungs des principaulx qui monstroient avoyr
leur fortune et leurs vies entièrement conjoinctes avec la personne,
la condicion et l'heureux règne d'elle; et que, de tant que le propos
de son mariage estoit principallement fondé sur le contentement de ses
dicts subjectz, lesquels se trouvoient, de rechef, escandalizés pour
la rumeur des choses qu'on rapportoit de France, elle jugeoit estre
fort expédient que Vostre Majesté monstrât, par quelque effect, ainsy
comme de parolle, contre ceulx qui machinoient la rupture de vostre
édict, que vous voulés surtout qu'il soit inviolablement observé;
tendant la dicte Dame, par là, à prolonger encores sa responce,
jusques à ce que quelque justice fût faicte de ceulx qui ont troublé
les choses de la Rochelle.

A quoy, prévenant son opinyon par des raysons qui seroient longues, à
mettre icy, mais auxquelles elle a esté contraincte d'acquiescer, je
luy ay faict voyr qu'il n'y avoit lieu aulcun d'uzer plus de remise.

Dont elle a suivy à dire qu'elle me feroit donc la meilleure et plus
clère responce qu'elle pourroit. Qui a esté, Sire, que Vostre Majesté
et la Royne, vostre mère, aviés si longuement persévéré à pourchasser
son alliance, et aviés uzé de si honnorables moyens vers elle, qu'avec
la déclaration qu'elle vous avoit desjà faicte de se vouloir marier,
elle vous déclaroit, de nouveau, que ce seroit de la mayson de France
plustost que de nulle aultre de la Chrestienté; bien que, depuis peu
de moys, il luy eût esté offert ung party bien grand et deulx aultres
non petitz, fort honnorables, et aulcuns d'iceux assés agréables en ce
royaulme, aulxquels elle n'avoit voulu respondre, et n'y respondroit
rien tant qu'elle auroit espérance que celluy de Monseigneur le Duc
peût réuscyr; lequel, oultre que, pour les grandes et royalles marques
de l'extraction d'ung tel prince, et pour les excellantes qualités
qu'on rapportoit de sa personne et de ses vertus, il estoit desirable,
encor se santoit elle luy avoyr de particulliers debvoirs, qui la
rendoient obligée de le préférer à quelque aultre party qui fût au
monde; et que pourtant, sur les dernières dellibérations qu'elle avoit
tenu de luy, (où l'on luy avoit, de rechef, par une si grande
expression qu'elle en estoit demeurée toute esbahye, voulu assurer que
la petite vérolle luy avoit layssé je ne sçay quoy de difformité en
quelque endroit du vysage, qu'elle ne s'en pourroit jamays contanter,
et qu'à ceste occasion l'entrevue avecques luy ne pourroit estre sinon
ung commancement de désordre et de beaucoup d'offance entre Voz
Majestés Très Chrestiennes et elle), elle avoit si bien débattu
l'affère, par le rapport de Me Randolphe, et par le pourtraict qu'il
luy avoit apporté, qu'on avoit bien cognu qu'elle vouloit conduyre le
propos au desir de Monseigneur le Duc, d'estre sienne, si, en façon du
monde, il se pouvoit honnestement faire; et, parce qu'elle ne se
pouvoit bien résouldre, ains estoit en très grande perplexité
d'accorder l'entreveue en public, pour des grandes raysons qu'on luy
avoit alléguées, elle me prioit d'envoyer sçavoyr de Vostre Majesté et
de la Royne, Vostre mère, et de Monseigneur le Duc, si vous pourriés
trouver bon que la dicte entreveue se fît en privé; auquel cas elle
l'accordoit, dès à présent, et me promettoit de me bailler telles
seuretés, de sa main propre, si besoing estoit, pour Mon dict
Seigneur, comme je les voudrois demander.

J'ay respondu, Sire, que plusieurs inconvénients adviendroient de
ceste façon d'entreveue, et luy en ay allégué les raysons qui seroient
longues à desduyre, la priant qu'en un acte si honnorable, et qui
avoit à se passer entre très grands princes, et lequel estoit
poursuyvi, de vostre costé, avecques tout honneur et grandeur, elle ne
voulût y fère intervenir des actes petits, bas et cachés, qui n'en
feroient que dimynuer la dignité; et pourtant qu'elle vous accordât
entièrement l'entreveue, avec l'assurance du mariage, puisque, du
contantement et félicité d'icelluy, elle pouvoit estre mieulx assurée
par Me Randolphe, et par le pourtraict qu'il luy avoit apporté, que
touts ces rapports contrayres, qui estoient notoyrement faulx, ne l'en
debvoient mettre en doubte.

Elle a réplicqué que je luy ferois tort, si je ne croyois fermement
qu'elle cherchoit de vous pouvoir complère, et de fère que Monseigneur
le Duc et elle peussent estre maryés ensemble, car c'estoit ce qu'elle
en avoit résolu, et son conseil en estoit bien d'accord avec elle. En
quoy elle cognoissoit bien que l'entreveue estoit tousjours fort
nécessayre, et, possible, plus pour luy que pour elle; mais que, de
la fère publicque, il fauldroit que Monseigneur le Duc y vînt en
magnifficence, pour estre tel prince comme il est, et que pareillement
elle en uzât beaucoup pour le recevoyr; en quoy concourroient non
seulement les yeulx de la France et de l'Angleterre, mais toutz ceulx
de la Chrestienté: et si, puis après, le mariage ne succédoit, il y
auroit de la matière de discours, et encores, possible, d'offance,
beaucoup plus que si elle et luy se voyoient privément, car s'assuroit
que si, après s'estre veus ainsy, il restoit aulcune occasion de se
plaindre de quelque costé, que ce seroit du sien.

Et, sans que je l'aye peu mouvoir de ceste opinyon, elle s'est, mise à
discourir des façons comme il pourroit venir incognu, et comme elle
s'approcheroit vers la mer pour estre plus à propos; dont, de ses
discours et de ceulx qu'aulcuns de ses conseillers m'ont faict depuis,
je laysse au sieur de Vassal à qui je les ay commis, de vous en rendre
compte. Et sur ce, etc.

    Ce IIIe jour de febvrier 1574.



CCCLXIVe DÉPESCHE

--du IXe jour de febvrier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Négociation du mariage.--Insistance d'Élisabeth,
    malgré les réclamations de l'ambassadeur, pour que l'entrevue
    ait lieu secrètement.


    AU ROY.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre sceu par milord trésorier, lequel,
après estre guéry, est, ces jours icy, retourné à la court, que je ne
me tenois assez bien satisfait de la responce qu'elle m'avoit faicte,
ny de la lettre qu'on m'avoit depuis escripte, elle a baillé charge à
Mr Walsingam, venant en ceste ville, de m'y donner quelque si bonne
interprétation que j'en peusse rester contant; mais, entendant que je
debvois aller retrouver la dicte Dame, il a mieulx aymé que ce fût
d'elle que je la receusse que non pas de luy. Et ainsy, après que j'ay
eu faict part à la dicte Dame de toutes les particullarités de vostre
lettre, du XVIIIe du passé, et mesmement de ce qu'aviés réduy les
princes et seigneurs de vostre conseil à procéder, dorsenavant, d'ung
bon accord aulx choses de vostre service; et du bon ordre qu'aviés
commancé restablyr en vostre royaulme; et de la paciffication
qu'espériés bientost du costé du Languedoc, sellon les bonnes
nouvelles qu'en aviés freschement receues; aussy de celle qui
continuoit vers la Rochelle, et comme l'alarme que s'estoient donnée
ceulx de la ville se trouvoit de peu de fondement, dont ceulx qui y
avoient accouru s'en estoient desjà retournés presque toutz en leurs
maisons; et que néantmoins vous y aviés dépesché Mr de Saint Suplice
pour examiner bien le faict, et y fère droictement observer l'édict;
luy touchant, à ce propos, ce qui s'estoit entendu, qu'on eût traicté
avec elle d'envoyer des forces par dellà, mais que vous n'en aviés
rien creu, comme aussy il n'en estoit besoing, veu l'honnesteté dont
me commandiés luy offrir beaucoup plus grand chose que cella; puis des
remonstrances que son ambassadeur vous avoit faictes pour le commerce
des Angloys en vostre royaulme, et pour y avoyr justice et pour leur y
estre les anciens privilèges restitués, et pour la satisfaction
d'aultres leurs pleinctes du présent, en quoy soubdain vous aviés
commandé fère des dépesches à Roanet et ez aultres endroicts pour y
pourvoir; je suis enfin venu à luy dire que, touchant le propos du
mariage, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le
Duc, vous estiés infinyement resjouys de deux choses que je vous avois
escriptes: l'une est que Me Randolphe luy eût, par son rapport et par
le pourtraict qu'il luy avoit apporté, donné pleyne satisfaction de ce
qu'elle avoit desiré sçavoyr, du visage et de la disposition de Mon
dict Seigneur, contre les faulx rapports qu'on en avoit faicts;
l'aultre, que, sellon les propos que j'avoys depuis ouys d'elle, et
sellon ceulx que ses deux conseillers m'en avoient tenus, je vous
avois faict espérer qu'elle vous feroit une bonne responce. Dont me
commandiés que je la conjurasse bien fort de la vous vouloir fère
bientost, ainsy bonne et favorable, comme vostre longue attante et
vostre persévérance, et les honnestes satisfactions que vous estiés
tousjours efforcée de luy donner, et la conjoincte et constante bonne
affection de toutz trois vers elle, la vous faisoient justement
mériter.

A quoy elle, monstrant ung singulier plaisir des susdictes
particullarités, lesquelles luy avoient osté les souspeçons, où l'on
l'avoit volue mettre de vostre costé, m'a respondu plusieurs
honnestetés, sellon sa coustume, de la confiance qu'elle prenoit, de
jour en jour, plus grande de vostre amityé, et de la parfaicte
assurance que vous vous deviés donner pour jamays de la sienne. Et
puis, sur le propos de Monseigneur le Duc, m'a dict qu'elle avoit esté
en peyne d'entendre que je n'eusse ainsy bien prins sa responce, comme
elle pensoit me l'avoyr faicte fort bonne, sellon que j'avoys bien
cognu que la perplexité, où l'avoient mise aulcuns, qui avoient
naguyères veu Monseigneur le Duc, (lesquels, pour l'acquit de leur
loyaulté, s'estoient venus descharger vers elle de ce qu'elle m'en
avoit desjà dict), ne portoit pas qu'elle me peût parler plus
ouvertement et plus cordiallement qu'elle avoit faict; car estimoit
toucher à son honneur, premier que Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, azardissiés la venue de Mon dict Seigneur par deçà, qu'elle vous
deût clèrement mander tout ce qu'on luy en proposoit, et ce qu'on luy
en faysoit craindre. Mais, affin que ne prinssiés argument qu'elle
n'eût procédé tousjours fort sincèrement en cest endroict, et qu'elle
ne desirât de bon cueur le mariage, s'il plaisoit à Dieu que eulx deux
se peussent complayre, et que ne tombissiés en aulcune malle
satisfaction d'elle, elle vous avoit bien voulu, de rechef, accorder
l'entrevue, en privé, pour estre néantmoins, premier, bien considéré
de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et entièrement réglé
par l'opinyon que pourriés avoyr que, nonobstant ceste nouvelle
confirmation de rapport, la présence seroit pour donner bon succès au
mariage: car si ne l'aviés telle, comme aussy, si elle ne s'en estoit
réservée une bien bonne espérance vers elle, elle vous supplieroit
fort franchement, et de la plus grande affection de son cueur, que
vous volussiés déporter entièrement de la dicte entrevue, affin de
n'azarder rien de ceste tant bien fondée amityé et confédération, où
elle se retrouvoit maintenant avec Vostre Majesté et avec vostre
royaulme.

Je luy ay, par ma réplicque, si clèrement remonstré le peu de
correspondance que sa responce apportoit à voz honnorables offres, et
aulx honnestes satisfactions que luy aviés données, qu'il sembloit que
mal volontiers, et à regret, elle accordât la dicte entrevue, et
qu'elle eût comme à mespris, et quasy à honte, ce en quoy vous
estimiés l'honnorer et defférer beaucoup à sa grandeur, et que je
m'esbahissois comme elle ne s'appercevoit que c'estoit une imposture,
par trop impudente, que de luy renouveller plus ce faulx rapport, qui
estoit convaincu par le tesmoignage de Randolphe et par le pourtraict,
et encores plus convaincu par l'offre de ce qu'on soubmettoit cella au
jugement que ses propres yeux en pourroient fère; qui luy engagoys ma
vye que, non seulement elle n'y verroit point de deffault, ains
qu'elle y trouveroit tant de perfections qu'elle se repputeroit bien
heureuse d'estre aymée d'un tel prince, et qu'indubitablement elle
viendroit amoureuse de luy. Dont la suppliay qu'elle voulût amander sa
responce, affin que vous en peussiés recevoyr plus de satisfaction.

Elle, soudain, appela les comtes de Lestre et de Sussex et les deux
secrettères, Mrs Smith et Walsingam, pour leur fère entendre mon
instance, sur laquelle, après qu'ilz eurent longuement débattu entre
eulx, je ne peus, de toute leur déduction, tirer rien de mieulx que
devant, parce que desjà elle avoit mandé à son ambassadeur de vous
dire le mesmes que je vous avois escript; sinon, quand au passeport,
qu'elle ne luy avoit donné aulcune charge de vous en parler, mais elle
me confirma, de rechef, qu'aussytost qu'auriés résolu la dicte
entrevue, ainsy en privé, qu'elle ne faudroit de me la fère bailler
très honnorable et bien seur, et qu'au reste elle vous rendoit
beaucoup de mercys de la tant ample satisfaction que luy avés donnée à
ses escrupulles, et de ce que n'en aviés voulu prendre d'elle; qui
vous prioit de croyre, Sire, qu'elle n'avoit presté, ny presteroit
jamays, l'oreille à praticque quelquonque qui se fît jamays contre
vostre estat, et qu'elle estoit très ayse qu'eussiés prins à cueur le
traffic de ses subjects en vostre royaulme, comme elle feroit le
semblable pour les vostres par deçà; et ne sçavoit à quoy il pouvoit
tenir qu'on n'eût desjà conclud ce faict entre les deux pays, comme il
estoit porté par le traicté; et ne vouloit, pour la fin, oublyer de
vous fayre ung très expécial mercyement pour Me Vuarcop son
pensyonnayre, pour lequel elle ne s'estimoit moins gratiffiée, en ce
que feriés pour luy, que si la plaincte touchoit à elle mesmes.

Et, après que je me fus ainsy licencié d'elle, j'entretins longuement
ses conseillers sur ce que vous trouveriés peu de satisfaction en la
responce qu'elle vous avoit ceste foys faicte; mais ilz me dirent
qu'il y avoit des considérations qui la contreignent de protester
ainsy ces choses premier que de passer plus avant, et qu'ilz ne
peuvent encores que fort bien espérer de tout l'affère, me déduysant
plusieurs raysons là dessus: lesquelles, pour estre trop longues, je
les remettray à une aultre foys, pour adjouxter seulement, icy, Sire,
que j'ay baillé à la comtesse de Montgommery les provisions qu'avés
octroyées à son mary, laquelle s'en est resjouye infinyement, et les
luy a envoyées incontinent, à Gerzé, d'où il en fera la responce et le
très humble mercyement à Vostre Majesté. Et sur ce, etc.

    Ce IXe jour de febvrier 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, après avoir debbatu à ceste princesse la forme de sa responce,
en la façon que je mande en la lettre du Roy, et trop plus amplement
et plus vifvement que je ne le puis pas mander, je l'ay curieusement
observée si, en aulcunes de ses parolles, ou de ses contenances, je
pourrois noter qu'elle se fût alliennée du propos de Monseigneur,
vostre filz; mais, ou soit qu'elle le sçache bien cacher ou bien
qu'il soit ainsy, je n'y ay peu cognoistre sinon la mesmes bonne
disposition qu'elle a tousjours monstrée vers luy. Dont luy ay touché,
en passant, si elle n'entendoit pas que les mesmes articles, qui
avoient esté desjà trouvés bons au propos du Roy de Pouloigne,
restassent entiers et accordés pour Monseigneur le Duc, et si elle luy
feroit pas l'honneur, au cas qu'il vînt par deçà, et qu'ilz se
peussent complère, de l'espouser, sans luy donner la peyne de repasser
la mer, attandu que ce ne seroit par procureur, ains en personne,
qu'il luy viendroit offrir son service. A quoy elle m'a respondu que
je ne demandois rien qui ne fût raysonnable, sinon en ce que je
pressois un peu trop l'affère, d'aultant qu'il failloit que le mariage
fût publicque et solennel, là où l'entrevue seroit privée, et, entre
peu, dans une salle. Dont j'estime, Madame, que, si Voz Majestez se
résolvent à la dicte entrevue, en privé, car je ne pense point qu'on
en puisse obtenir d'aultre, qu'il sera bon que vous réserviés de la
fère en la plus commode et honnorable façon que vous jugerés convenir
à vostre grandeur, et à la dignité de Mon dict Seigneur, vostre filz;
et que les deux pointz, dessus, soient gaignés, premier qu'il passe,
affin de prendre tousjours pied, et avoyr des arres, sur ceulx qui
artifficieusement subtilisent par trop les points de cest affère, et
qui espèrent par là le mener à rupture. Dont vous plerra en toucher
quelque mot à l'ambassadeur de la dicte Dame, et le disposer
d'escripre tousjours en bonne sorte par deçà, car ses lettres n'y
peuvent estre sinon utilles; et me commander, au reste, par le retour
du Sr de Vassal, l'ordre qu'il vous plerra que je preigne, car je ne
fauldray de bien entièrement l'observer. Et vous remercye très
humblement, Madame, de la favorable recordation qu'il vous a pleu
avoyr de moy, vers le Roy, pour me fère retenir de son privé conseil,
chose que je reçoys en plus grand heur que nulle aultre qui m'eût peu
venir de l'élection et bénefficence de Voz Majestez, et en laquelle je
regrette infinyement que mon insuffisanze m'en oste le mérite; mais
j'espère y apporter tant de dilligence et de fidellité que Vostre
Majesté ne se repantira de son bienfaict, pour lequel ce qui me reste
de vye sera pour jamays employé à vostre service, aydant le créateur
auquel je prye, etc.

    Ce IXe jour de febvrier 1574.



CCCLXVe DÉPESCHE

--du XVe jour de febvrier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Succès remporté par la flotte du prince d'Orange.--Négociation
    des Pays-Bas.--Affaires d'Écosse.--Excès du comte de Morton;
    mécontentement des Écossais.--Nouvelles de Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, il est venu icy nouvelles, le Xe de ce moys, comme les
vaysseaulx du prince d'Orenge avoient repoussé et rompu la flote, que
le grand commandeur envoyoit pour avitailler Meldelbourg, et que la
ville, à ceste occasion, estoit bien près de se rendre, de quoy l'on a
faict diverses démonstrations par deçà, les ungs d'estre marris, mais
le plus commun, et en public, l'on a monstré d'en estre fort ayse,
mesmement qu'il y avoit beaucoup de vaysseaulx, et de mariniers, et de
soldats, angloys, à l'entreprinse. Et le mesmes jour, les deux
depputés des Pays Bas, qui avoient attandu à Dounquerque le baron
d'Aubigny, sont arryvés, lesquels l'on n'a pas layssé, pour cela, de
bien recevoyr, ni eulx de monstrer bonne contenance; et est l'on après
à depputer des commyssayres pour vacquer avec eulx à l'accord de leurs
différentz. Et se continue la dellibération d'envoyer ou le vycomte de
Montégu, ou milord Sideney, en Espaigne, lesquels sont toutz deux à
présent en court; mais je ne voy pas qu'ilz soient encore si près de
partir, et croy que, si les affères d'Irlande ne pressoient, que l'ung
ny l'aultre n'y yroient poinct du tout.

Au regard de l'Escoce, les choses semblent s'y entretenir encores en
quelque forme de paix, soubz la prétendue régence du comte de Morthon,
bien que j'ay advis qu'il s'y déporte en homme avare, et violent, et
dissolu, et que, de toutz les principaulx de la noblesse, il n'a près
de luy, à ceste heure, qu'ung seul milord, duquel il entretient la
femme, et en entretient encores deux ou trois aultres, maryées, au
grand escandalle d'ung chascun; et que, entre aultres, le nouveau
comte d'Arguil est très malcontant de luy, de ce qu'ayant demandé de
succéder à l'estat de chancellier, ainsy que son frère, à son décès,
le possédoit, icelluy de Morthon l'a baillé à milord de Glames; dont
ung gentilhomme escouçoys, de bonne qualité, à qui j'ay eu tousjours
intelligence, oncle du dict d'Arguil, qui a résidé plus de huict moys
en ceste ville, parce qu'il ne pouvoit accorder avec le dict de
Morthon, estant, à présent, mandé par son nepveu, et estant peu
satisffaict de la façon dont les Angloys ont procédé vers luy, et
qu'il void qu'ilz procèdent vers sa nation, m'est venu dire qu'il s'en
alloit remonstrer clèrement, aulx principaulx de son pays, comme la
Royne d'Angleterre ne cherchoit que leur ruyne et le moyen de les
dominer, et qu'ilz se debvoient retirer de toute intelligence et
communicquation d'avec elle, s'ilz ne vouloient ung jour estre réputés
traistres à leur prince, et de se tenir plus fermes que jamays à
l'alliance de France, et qu'il sçavoit bien que les plus grands et les
meilleurs du royaulme estoient desjà tout persuadés de cella; dont,
s'il plaisoit à Vostre Majesté les assister, et mesmement le dict
comte d'Arguil, son nepveu, contre le dict de Morthon, qui estoit du
tout angloys, qu'indubitablement ilz le déchasseroient facillement de
toute son authorité, et pareillement toute sa faction, laquelle
n'estoit, à présent, guyères grande.

Je luy ay respondu qu'il pouvoit hardiment assurer le dict comte
d'Arguil; son nepveu, et ceulx de la noblesse, de son pays, que Vostre
Majesté, en toutes sortes, dellibéroit de bien soigneusement conserver
l'alliance de la couronne d'Escosse; et pourvoir, en tout ce qu'il
vous seroit possible, à la protection des princes du dict pays, et à
la deffance et repos de tout l'estat; et continuer aulx Escossoys les
mesmes entretènementz, pensions, privilèges et faveurs, qu'ilz
avoient, de tousjours, eu en France; et n'habandonner nullement ceulx
qui, comme gens de bien et bons escoussoys, voudroient suyvre cest
honnorable party, que leurs prédécesseurs avoient tousjours tenu.
Dont, après qu'il auroit parlé à eulx, s'il me faysoit sçavoyr leur
intention, je mettrois peyne de fère en sorte que Vostre Majesté leur
feroit santir l'effect et l'assurance de la sienne.

Or, attand le dict gentilhomme son saufconduit, et je desire, de bon
cueur, qu'il vous playse me mander ce que j'auray à luy dire ou
commettre davantage, pour vostre service par dellà. J'entendz
néantmoins que le susdict Morthon a remis milord de Humes, moyennant
dix mille livres, en la possession des deux chasteaulx que les
Angloys ont rendus, avec obligation qu'il tiendra le party contrayre à
la Royne d'Escosse.

J'ay parlé à milord trésorier, suyvant ce qu'il vous a pleu
m'escripre, le XIXe du passé, du passeport de madamoyselle de Rallay,
et de deux servitteurs, pour venir servir la dicte Royne d'Escosse, et
n'ay obmis aulcune sorte de persuasion dont je ne luy aye uzé là
dessus; mais il m'a pryé de me contanter, pour ceste heure, de sçavoyr
que la dicte Dame se portoit bien et estoit bien traictée, et que la
Royne d'Angleterre n'estoit plus si irritée, comme elle souloit,
contre elle, ni contre le comte de Cherosbery; et que je réservasse de
parler du dict saufconduict, après que je verrois le propos de
Monseigneur le Duc acheminé à quelque bonne conclusion. Duquel propos,
Sire, la négociation demeure suspendue jusques à la procheyne response
de Voz Majestez Très Chrestiennes. Et sur ce, etc.

    Ce XVe jour de febvrier 1574.



CCCLXVIe DÉPESCHE

--du XXe jour de febvrier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh et Walsingham sur la
    négociation du mariage.--Affaires d'Irlande.--Détails
    particuliers donnés par Walsingham.


    AU ROY.

Sire, quand la Royne d'Angleterre est partie d'Aptomcourt, pour aller
en la mayson du comte de Lincoln, ainsy que je le vous ay mandé par
mes précédantes, milord trésorier ne l'a point suivye, ains s'en est
retorné reposer en sa mayson de ceste ville, pour achever de se bien
guérir, et pour confirmer sa santé, et Mr Walsingam, avecques luy;
avec lesquels deux j'ay continué de négocier, aultant que j'ay peu,
l'advancement du propos de Monseigneur le Duc. Et le dict grand
trésorier m'a faict sçavoyr comme, le jour après que je fûs party
d'avec la dicte Dame, il parla longuement à elle, sur la forme de la
responce qu'elle m'avoit faicte, et que, sellon aulcunes
considérations qu'elle luy avoit sceu bien déduyre, il jugeoit, veu
l'estat du propos, qu'elle ne me l'eût peu fère meilleure; et
qu'indubitablement elle s'attandoit que Monseigneur le Duc ne
refuzeroit de venir ainsy, en privé, avec quelque honneste et
honnorable, mais petite compagnye, des mieulx choisis de vostre court,
et des siens; et qu'il se pouvoit assurer qu'elle luy feroit tout
l'honneur et bonne chère qu'elle pourroit; et que, si elle n'avoit
affection et bonne espérance du mariage, elle ne consentiroit, pour
chose du monde, que la dicte entrevue se fît, ny en une façon, ny en
une aultre; mais que, pour l'incertitude de l'évènement, elle avoit, à
toutes advantures, estimé estre trop plus expédient de la fère ainsy,
en privé, que non à la descouverte.

Et Mr Walsingam dict que c'est tout le mieulx que la dicte Dame eût
peu fère, en la présente disposition du dict propos, et que, si jamays
l'on avoit remarqué aulcun indice en elle d'y vouloir, à bon escient,
entendre, que c'estoit à présent; et qu'elle se persuadoit que Vostre
Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne refuzeriés, ny n'auriés
aulcunement mal agréable, que ceste privée entrevue se fît; et que,
luy, de sa part, espéroit que la présence de Monseigneur le Duc auroit
plus d'effect, à mener l'affère à sa conclusion, que nulle aultre
chose qu'on y peût applicquer, se persuadant qu'il satisferoit à
l'œil de la dicte Dame, ainsy qu'il sçavoit bien qu'elle avoit desjà
les aureilles très satisfaictes de la grande réputation de ses vertus;
et que deux choses seulement retenoient le dict Mr Walsingam en
doubte, l'une que la dicte Dame ne retournât trop facillement, d'elle
mesmes, à la naturelle inclination, qu'elle avoit, de ne se marier
poinct; et l'aultre, que ceulx, qui luy avoient faict passer beaucoup
d'années en ceste opinion, ne la luy temporisassent encores tout
exprès, pour enfin ne luy en laysser poinct prendre de meilleure, et
que c'estoit ce qui l'engardoit de ne s'ozer entremettre, sinon par
mesure, au dict affère. Auquel néantmoins, quand il viendroit à son
tour, il vous supplioit, Sire, et la Royne, vostre mère, de croyre
qu'il ne faudroit de s'y employer fermement et en homme de bien, comme
en chose qu'il réputoit utille et très honnorable à sa Maystresse, et
qu'il cognoissoit nécessayre à ces deux royaulmes.

Et c'est la substance de tout ce qui s'est peu tirer de la dernière
négociation d'avec les dicts deux personnages; qui pourra, possible,
après mes précédantes dépesches, assés servir de responce aulx poinctz
de celle de Vostre Majesté, du Ve du présent, que je viens maintenant
de recevoir, aulmoins jusques à ce que j'aye, de rechef, veu ceste
princesse, ou bien que m'ayés mandé d'aultres plus expresses nouvelles
là dessus.

La dicte Dame et ceulx de son conseil sont rentrés en quelque peu de
bonne espérance des choses d'Irlande, sur ce que le comte d'Essex a
escript qu'il s'estoit retiré, le mieulx qu'il avoit peu, du destroict
où l'on l'avoit enfermé; et que aulcuns, des principaulx du pays, luy
avoient mandé qu'ilz seroient prestz de se soubmettre à la dicte
Dame, si elle les vouloit tenir et traicter comme bons subjectz, et
leur laysser paysiblement jouyr de leurs terres, et qu'encores luy
payeroient ilz quelque petit tribut annuel, ainsy qu'il seroit advisé;
mais qu'il ne pouvoit encores assés bien juger s'ils luy avoient faict
tenir ce langage à feincte, ou bien à bon escient. Tant y a que cella
venoit d'aulcuns plus authorizés d'entre eulx; et que le comte de
Quildar, avec Me Gueret son frère, s'employent de grande affection à
réduyre tout le pays en quelque bonne tranquillité, soubz l'obéyssance
de la dicte Dame; néantmoins qu'il estoit bien d'advis qu'elle ne
layssât, pour cella, d'envoyer tousjours les hommes et les provisions,
qu'elle avoit ordonné pour la guerre de dellà, comme, à la vérité,
Sire, ceulx, qui cognoissent bien l'Irlande et les Irlandoys, disent
qu'elle y trouvera plus de difficulté et de résistance que jamays. Sur
ce, etc. Ce XXe jour de febvrier 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, oultre ce que je mande en la lettre du Roy, des propos de
milord trésorier et de Mr Walsingam, icelluy Walsingam a adjouxté
davantage qu'il supplioit Vostre Majesté vous souvenir de ce qu'il
vous avoit quelques foys dict, quand il estoit en France, qu'il vous
failloit réputer vostre poursuyte, touchant le mariage de la Royne, sa
Maistresse, comme l'expugnation d'une forte place, où y auroit de la
résistance et de la difficulté beaucoup, ainsy qu'il avoit bien
trouvé, estant icy, qu'il estoit fort malaysé de conduyre la dicte
Dame au poinct d'une ferme résolution de se maryer, et de l'y fère
persévérer; et n'estoit moindre la contradiction de recevoir ung
prince estranger en ce royaulme: toutesfoys plusieurs poinctz estoient
desjà vuydés là dessus qui rendoient, à présent, la matière plus
facille; et quand bien Monseigneur le Duc, enfin, ne pourroit venir à
bout d'une si haulte entreprinse, comme d'emporter la dicte Dame et ce
royaulme, qu'il ne s'en debvoit pourtant donner aulcune honte, non
plus que si l'on n'avoit pas prins la place forte qu'on auroit
assiégée, pourveu qu'on y eût bien faict son debvoir; et qu'icelluy de
Walsingam, voyant les deux principaulx et aulcuns aultres conseillers
de la dicte Dame marcher de très bon pied en cest affère, et y avoyr
ung très grand desir, il n'en vouloit avoyr ny moins de desir, ny
moins d'espérance, que eulx; bien qu'il me vouloit dire, tout
franchement, que, à son advis, ny les ungs ny les aultres ne s'en
pouvoient encores promettre l'yssue telle, ny si assurée, comme ilz la
desireroient.

De quoy, Madame, il se peut facillement comprendre qu'il y cognoit
encores des doubtes, lesquelz ne permettent qu'il puisse voyr bien
cler dans le fondz de l'affère. Dont estant encores à moy, qui suis
estrangyer, plus difficile d'y pénétrer, je suis contrainct d'en
demeurer en ung incertain sur le simple recueil, que je puis fère, de
la substance et des conjectures des parolles et des démonstrations de
la dicte Dame, et de ses dicts conseillers, comme je les vous ay desjà
escriptes et mandées, par le menu; et de supplier là dessus Voz
Majestez de prendre, de vous mesmes, et avec l'advis de vostre prudent
conseil, la résolution que jugerés meilleure et plus honnorable pour
Mon dict Seigneur, vostre filz. Et sur ce, etc.

    Ce XXe jour de febvrier 1574.



CCCLXVIIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour de febvrier 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Négociation du mariage.--Conférence de l'ambassadeur avec
    Leicester.--Assurance donnée par l'ambassadeur qu'il ne sera
    pas fourni de secours aux protestans de France.--Dénonciation
    contre Marie Stuart, et punition du dénonciateur.


    AU ROY.

Sire, tous ces jours de caresme prenant, la Royne d'Angleterre a esté
convyée par les seigneurs et gentilshommes, voysins de Hamptoncourt,
d'aller, de lieu en lieu, fort privément et à peu de compagnye, fère
bonne chère en leurs maysons, et n'a esté bien à propos que je la sois
allée trouver là; mais j'ay conféré en ceste ville, fort à loysir,
avec milord trésorier, des poinctz contenus en la dernière dépesche de
Vostre Majesté, et mesmement de celluy où est touché ce que dict
l'ambassadeur d'Angleterre à la Royne, vostre mère, le IIIIe du
présent, et, depuis, au Sr Géronyme Gondy. Sur quoy le dict grand
trésorier m'a respondu que Voz Majestez très Chrestiennes debvoient
prendre de très bonne part l'instance du dict ambassadeur, lequel
ayant senty, après le retour de Me Randolphe, que le mariage procédoit
très bien du costé de sa Mestresse, encor qu'il vît bien aussy que
vous y alliés de très grande affection et fort sincèrement du vostre,
et que me fissiés encores estre, icy, en mes sollicitations, plustost
pressant et importun vers elle que de luy garder la médiocrité; si
vouloit il, sellon qu'il voyoit la trempe bonne, vous éguilloner
encores davantage, affin de ne la laysser nullement réfroidir; et que
le dict grand trésorier me juroit, en sa conscience, qu'il avoit veu
la dicte Dame très bien dellibérée de me fère une bonne et bien
résolue responce, sans l'intervention d'ung, de qui il ne pouvoit
nullement approuver le zèle, lequel, pour l'acquit de sa loyaulté vers
elle, luy estoit venu remettre sus le premier escrupulle du visage; et
que, contre icelluy, il n'avoit pas craint, la dernière foys qu'il
l'avoit veue, de luy dire que j'avoys fermement remonstré qu'après le
rapport de Me Randolphe, et après le pourtraict envoyé, et qu'on
soubmettoit encores le jugement de ce poinct à l'œil d'elle, je ne
pouvois dire sinon que c'estoit une pure imposture et trop grande
impudence de révoquer plus maintenant cella en doubte; et que le comte
de Lestre, ny luy, ne m'avoient sceu que respondre, ainsy qu'elle
mesmes, après y avoyr bien pensé, avoit confessé que, voyrement, n'y
avoit il poinct de réplicque; néantmoins qu'il me prioit de supporter
ung peu sa Mestresse en cest endroit, veu qu'il n'estoit pas seulement
question de conclurre une simple amityé ou une ligue, d'où l'on se
peût, de chascun costé, puis après, départir, quand l'on ne s'en
trouveroit pas bien, car c'estoit une obligation pour toute la vye, en
laquelle n'y auroit jamays plus lieu de repantailles; et qu'il
trouvoit la dicte Dame en une très bonne, voyre, en la meilleure
disposition qu'il l'eût jamays vue vers le mariage, dont il n'en
vouloit sinon tousjours bien espérer; et que, sellon que Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, disposeriés Monseigneur le Duc à
ceste entrevue privée, le propos pourroit parvenir à sa conclusion.
Dont luy sembloit que, sans rien mouvoir, pour ceste heure, je debvois
attandre qu'est ce que, par vostre procheyne dépesche, il m'en seroit
escript.

Depuis, j'ay envoyé, devers le comte de Lestre, le prier de me mander
de la santé de la Royne, sa Mestresse, et de son portement, sellon que
j'avoys commandement de Voz Majestez, et de Monseigneur le Duc, de
vous en fère sçavoyr, le plus souvent que je pourrois. Et luy ay faict
toucher les mesmes poinctz que j'avoys déduictz à milord trésorier, et
qu'il voulût prendre occasion de fère voyr à la dicte Dame la lettre
que Monseigneur m'avoit escripte de sa main, affin qu'elle cogneût sa
persévérance vers elle. Lequel comte, après avoyr fort promptement et
très vollontiers satisffaict à cella, il m'a envoyé remercyer
infinyement de la négociation que je luy avoys commise à fère,
laquelle il me pouvoit assurer que la Royne, sa Mestresse, l'avoit eue
très agréable, et s'estoit resjouye, trop plus que ne le me sçauroit
exprimer, de la lettre de Monseigneur le Duc, et mesmes d'avoyr veu
qu'en termes exprès il y parloit du mariage d'entre eulx d'eux, ce
qu'elle avoit bien observé, qu'en nulle de ses aultres lettres il n'en
avoit uzé ainsy, et qu'elle ne s'estoit pas contanté de la lyre une et
deux foys, car l'avoit relue la troysiesme foys, et l'avoit interprété
au dict comte en très bonne signiffication; et qu'il me pouvoit
assurer de n'avoyr jamays veu la volonté de la dicte Dame mieulx
inclinée vers le mariage, et vers Monseigneur le Duc, que maintenant;
et qu'il cognoissoit bien qu'elle avoit grand desir de le voyr, mais
qu'elle ne diroit jamays ouvertement qu'il vînt; et que le dict comte,
de sa part, ne se présumoit pas tel qu'il ozât, de son costé, le luy
mander, car repputoit cella de trop d'importance vers luy, en
l'endroict d'ung si grand prince comme est Mon dict Seigneur le Duc;
néantmoins, comme son très dévot serviteur et partial de la France, il
desiroit et ne se pouvoit tenir de dire qu'il feroit très bien de
venir ainsy, privément, comme la dicte Dame l'avoit desjà consenty; et
que, demeurant le rapport, qu'on avoit faict de luy, convaincu par sa
présence, il ne faysoit doubte qu'il n'obtînt son desir.

Lesquels propos des dicts comte et milord trézorier j'ay bien voulu,
Sire, les vous représanter en propres termes, affin que puissiés
mieulx juger à quoy pourra réuscyr le voyage de Mon dict Seigneur le
Duc par deçà, si, d'avanture, il l'entreprend, sur la responce, que je
vous ay desjà mandée; sur laquelle néantmoins, telle qu'elle est, la
dicte Dame et les siens se persuadent que, s'il a bonne affection au
mariage, qu'il ne diffèrera de venir. Dont ceulx, qui le desirent, ne
cessent de me presser que je vous conseille de le haster, et ont
opinyon que, par ce moyen, elle et luy se trouveront plus tost maryés
que on ne l'aura pensé; et qu'il ne se pourra fère qu'il n'advienne
une de deux choses: ou que Mon dict Seigneur l'espousera, ou qu'il
emportera aulmoins parolle d'elle qu'elle n'en espousera jamays
d'aultre. Et de ma part, Sire, ne sachant à quel grand regret Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, pourriés avoyr ceste venue de Mon
dict Seigneur par deçà, et luy encores plus grand, s'il n'y obtenoit
son desir, je ne puis, en façon du monde, me contanter que ceulx cy
luy en veuillent ainsy laysser l'évènement trop incertain, et se
monstrer, en cest endroict, par trop inconstans et muables; dont je ne
sçay qu'en dire. Et ay opinion que Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, et Mon dict Seigneur le Duc, pourrés plus prudemment, et avec
plus de généreuses et hautes considérations, prendre l'expédient
honnorable qui conviendra à cestuy vostre péculier et vrayment royal
affère, que nuls aultres ne le vous sçauroient conseiller. Au regard
de ce que le susdict ambassadeur a touché, comme de luy mesmes, au Sr
Gondy, qu'il seroit bon que envoyssiés, de rechef, quelqu'ung par
deçà, ceulx ci n'en sont nullement d'advis; ains disent que, si
Monseigneur ne vient, que toutz aultres voyages et dilligences, pour
ce regard, seront entièrement innutilles. Disent davantage, quand au
commerce, qu'il n'a tenu à la Royne, leur Maystresse, ny à ma
sollicitation, qu'il ne soit desjà bien estably, car, à mon instance,
plusieurs assemblées ont esté desjà sur ce faictes en ceste ville,
mais les marchandz y ont tousjours résisté, et y résisteront jusques à
ce qu'ilz voyent une paix plus assurée et ung ordre mieulx estably en
France.

Au surplus, Sire, je ne sentz qu'il se face encores, icy, aulcune
propre dellibération de guerre pour rien entreprendre hors du
royaulme, bien qu'on envoye beaucoup d'artillerye, de toutz qualibres,
dans les grands navyres, comme pour en vouloir mettre quelque nombre
dehors, à ce prochain primptemps. Mais je ne voy pas haster
l'avitaillement, ni les aultres apprestz, pour vous debvoir mettre
encores en peyne; et difficilement pourra t on dresser ung armement,
aulmoins qui soit de quelque importance, que je n'aye quelque loysir
de vous en donner advis. Ces gens de guerre, dont vous a esté faict
rapport, sont seulement, ces huict centz soldatz que je vous ay desjà
mandé qu'on dépeschoit en Irlande, et cinq centz à Fleximgues. Bien a
l'on ordonné de fère bientost les monstres accoustumées du pays, et,
quand à ce qui a esté traicté, de jetter des forces de ce royaulme
dans le quartier de la Guyenne, qui est entre Loyre et Gironde, et
dans la Rochelle, cella a esté plus mis en avant par aulcuns angloys
qui sont extrêmes en leurs impressions, que non que la dicte Dame, ny
que ceulx de son conseil y ayent presté l'oreille, ny l'ayent trouvé
bon, ny que pas ung françoys y soit intervenu. Et croy que j'ay assés
suffizamment advéré, tant du costé des angloys que de voz subjectz,
qui sont icy, que la dellibération en demeure bien froide; bien que
ceulx cy m'ayent, de rechef, ramanteu leur escrupulle de certain
apprest de navyres, qu'on leur faict accroyre qui se poursuit fort
chaudement en Normandye et Bretaigne, et que Vostre Majesté est après
à fère levée d'allemans et suysses, et fère venir des italiens, ce que
je leur ay jetté bien loing.

Il y a ung chapellain protestant, qui servoit le comte de Cherosbery,
lequel, estant venu defférer icy la Royne d'Escosse, et ayant si fort
irrité la Royne d'Angleterre contre elle que sa vye en a esté en
extrême danger, il a esté dilligemment observé par ung bon amy, de
ceste court, qui l'a faict enfin convaincre d'imposture; dont a esté
condempné au pillory, et la dicte Royne d'Escosse demeure, pour ce
coup, dellivrée de ce grand danger, grâces à Nostre Seigneur, auquel
je prie, etc.

    Ce XXVIe jour de febvrier 1574.



CCCLXVIIIe DÉPESCHE

--du Ve jour de mars 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Raymond._)

  Conférence de l'ambassadeur avec les députés de Flandre.--Vives
    assurances de dévouement données par l'agent de la
    Rochelle.--Mesures prises à Londres contre les
    étrangers.--Nouvelles d'Irlande.


    AU ROY.

Sire, n'ayant, pour ceste heure, à fère sçavoir à Vostre Majesté rien
de nouveau, du propos de Monseigneur le Duc, ny d'aulcune aultre chose
que j'aye traictée avec ceulx cy depuis ung moys en çà, sinon cella
mesmes que je vous ay désjà escript par mes précédentes dépesches, je
viendray maintenant à vous dire que les deux depputés de Flandres,
après avoyr présenté leurs lettres et leur commission à la Royne
d'Angleterre, et luy avoyr exposé le sommayre de leur charge, ilz me
sont venus visiter, le jour ensuyvant, et je les ay conviés, pour le
lendemain, à vouloir prendre leur dîner en mon logis, où ilz ont uzé
assés privément avecques moy. Et, entre aultres choses, m'ont dict
qu'ilz espéroient, sellon la bonne démonstration que la dicte Dame
leur avoit faicte, et sellon le plaisir, qu'elle avoit eu, de recevoyr
de si bénignes lettres, comme ilz luy avoient apportées, du Roy
d'Espaigne, que, avant la fin de trois moys, qu'ilz avoient à estre
icy, ilz auroient accomodé les affères d'entre les deux pays, chose
qu'ilz réputoient estre de grande conséquence pour le Roy, leur
Maistre, et pour ses subjectz, et non moins utille et nécessayre à ce
royaulme; néantmoins qu'ilz me vouloient fort affectueusement prier
que, si je découvrois qu'il se menât quelque praticque, par ceulx cy,
en faveur du prince d'Orange, contre le Roy, leur Maistre, que je les
en voulusse advertyr, et qu'ilz me feroient le semblable, s'ilz
entendoient qu'on y fît rien contre Vostre Majesté; et que, de vostre
costé, non plus que du leur, ne se falloit attandre que, pour tous ces
bons propos de mariage, lesquels ne servoient que d'une forme
d'entretènement, ny pour nulles confédérations et ligues, vielles ou
rescentes, les Angloys se divertîssent des intelligences qu'ilz
avoient avec les aultres protestants, ny qu'ilz ne broillassent
tousjours, aultant qu'ilz pourroient, les affères dedans les estatz
de leurs voysins, car c'estoit ce de quoy ilz faysoient leur prouffit,
et de quoy ilz estimoient pouvoir mieulx entretenir leur repos. A
quoy, Sire, je leur ay fort volontiers acquiescé.

Or, Sire, pour vériffier davantage si l'advis, d'envoyer des forces,
d'icy, au quartier de la Guyenne, qui est à l'entour de la Rochelle,
et dans la ville mesmes, auroit fondement, j'ay curieusement examiné
là dessus, l'ung après l'aultre, toutz les principaulx de voz subjectz
qui sont par deçà; lesquels m'ont fort évidemment faict cognoistre que
c'estoit chose à quoy nul d'eux n'avoit jamays pensé, ains l'ont
détestée avec exécration. Et, entre aultres, le sire Bobineau, agent
de la Rochelle, s'est offert à moy de se mettre en lieu où l'on
pourroit fère justice de sa personne, au cas que, depuis le dernier
édict, il se soit traicté chose aulcune, ny en ayt esté proposé une
seule, petite ny grande, à ceulx cy, par ceulx de sa ville, qui puisse
estre au préjudice du dict édict, ny contre l'obéyssance et fidellité
qu'ilz doibvent à Vostre Majesté; et qu'il me prioit d'approfondir
bien cest advis, duquel je luy venois de parler, affin que, par la
vérité de ce que j'en trouverois, je vous peusse oster toute la
sinistre impression que pourriés avoyr conçue d'eux, car c'estoit ce
qu'ilz craignoient le plus au monde, que de vous mettre en quelque
souspeçon et deffiance, et que ceulx de sa ville se vouloient
maintenant monstrer plus fermes et loyaulx subjectz de Vostre Majesté
et de vostre couronne, qu'ilz n'avoient jamays faict; et qu'icelluy
agent n'estoit retenu, icy, que pour quelque somme, à quoy ilz
estoient obligés vers les Angloys, depuis le siège; et que, s'il vous
plaisoit leur fère expédier la commission, que leur avés, longtemps y
a, accordée, de pouvoir lever les deniers pour ce payement, que luy
se retireroit incontinent d'icy, et l'on verroit que les habitans de
la Rochelle n'auroient plus aulcune communicquation avec les Angloys;
et qu'il ne me vouloit pas celler qu'il estoit après, maintenant, à
achepter quelque quantité de poudre, sellon que, de tout temps, ceulx
de la Rochelle estoient tenus d'en avoyr ordinayrement quarante
milliers de provision dans leur ville; et, parce qu'après le siège il
n'en y estoit point resté, l'on luy avoit mandé d'y en fère venir. Je
luy ay respondu que je ferois entendre à Vostre Majesté tout ce qu'il
m'avoit dict, et qu'il se pouvoit assurer que vous maintiendriés
droictement à ceulx de la Rochelle vostre édict, s'ils se sçavoient
contenir de ne l'enfreindre de leur part.

Bientost après est arrivé, du dict lieu de la Rochelle, ung marchant
de ceste ville, nommé Landol, qui dict en estre party le Xe du passé;
et rapporte que Mr de St Suplice n'a esté qu'ung soyr dans la ville,
et que les habitans et ceulx de la nouvelle religion, qui sont aulx
envyrons, estoient après à fère leurs monstres et reveues, et que
ceulx de Languedoc leur avoient mandé de se mettre aulx champs. Ce qui
seroit, Sire, pour esmouvoir assés ceulx cy, si je n'assurois fort
fermement que le contrayre est toute la vérité.

L'on a descouvert, en ceste ville, que quelque nombre d'angloys,
promptz à la main, estoient toutz pretz de succiter une grande
sédicion, par tout ce royaulme, contre les estrangiers, mais il y a
esté dilligemment pourveu. Néantmoins, pour mieulx appayser les
mutins, il a esté faict une fort curieuse recherche sur les dicts
estrangyers, et, de trèze mille sept centz, qui s'en est trouvé en
ceste seule ville de Londres, l'on en a banny plus du tiers, presque
toutz flammantz, qui ne se rangeoient à nulle église, ny à celle des
Angloys, ny à celle des estrangiers. Et leur est commandé de vuyder le
royaulme, dans Nostre Dame de mars, sur peyne de prison; dont ilz
proposent de se retirer à ceste heure en Zélande, où ilz entendent que
Meldelbourg est rendu au prince d'Orange: et plusieurs aultres, en
grand nombre, de ceulx mesmes qu'on souffriroit bien de demeurer icy,
dellibèrent de s'y en aller.

Il n'est venu, longtemps y a, rien de nouveau d'Escosse, dont ne vous
en feray icy mencion; mais parce que je voy praticquer plus souvent Me
Quillegrey, en ceste court, depuis huict jours en çà, qu'il n'avoit
faict de longtemps auparavant, je souspeçonne que ce ne peult estre
que pour quelque voïage en Escoce, ou bien pour l'envoyer en
Allemaigne. Je mettray peyne d'en entendre la vérité.

Du costé d'Irlande, le comte d'Esmond va si bien prospérant en ses
entreprinses, qu'il a entièrement reprins tous les chasteaulx et lieux
forts de son estat, et tient à présent fort à l'estroict la ville de
Corc, dont ceulx cy hastent leurs dellibérations et apprestz pour y
remédyer; car l'ouverture d'accord qu'on avoit faict au comte d'Essex
demeure sans effect. Et sur ce, etc. Ce Ve jour de mars 1574.



CCCLXIXe DÉPESCHE

--du VIIe jour de mars 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._)

  Nouvelle reprise d'armes en France.--Efforts de l'ambassadeur
    pour empêcher les secours que pourraient donner les Anglais aux
    protestans de France.--Avis d'une entreprise qui doit être
    tentée contre Calais.


    AU ROY.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre veult prendre ung peu de temps à
dellibérer de ce qu'elle aura à respondre, sur les lettres que Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, luy avés
dernièrement escriptes, et sur la créance que m'avés faicte luy
exposer de vostre part, je ne vous diray rien de ce qui s'est passé
entre elle et moy là dessus, jusques à ce que je vous manderay du tout
sa responce. Et cepandant je vous donray advis, Sire, comme j'ay receu
vostre dépesche, du troysiesme du présent, et, avec icelle, la
confirmation de ce qu'à mon très grand regret j'avois desjà entendu de
la reprinse d'armes, par voz subjectz de la nouvelle relligyon, qui
disent estre intimidés de leurs vyes par des advertissementz, qu'on
leur donne, que vous les voulés exterminer; en quoy et ceulx qui leur
baillent ces allarmes, et, eulx, qui les prennent trop légèrement,
sont bien fort à blasmer.

Une entreprinse a esté publiée, icy, fort grande, d'une soublévation
générale, en ung mesme jour, de touts ceulx de la dicte nouvelle
religion, tant de pied que de cheval, en divers endroictz de vostre
royaulme, et qu'ilz avoient prins sept ou huict villes en Poictou,
Nantes et Vitry en Bretaigne, Péronne en Picardye, plusieurs lieux
d'importance en Languedoc et Daulfiné, failly à surprendre Bordeaulx
et Blaye, et que leur armée, près d'Avignon, se trouvoit fort
puissante; et estoient prestz d'en mettre une aultre aulx champs du
costé de la Rochelle, et que envyron douze centz chevaulx des leurs
s'estoient venus joindre à ung rendés vous, près St Germain en Laye,
qui avoient contreinct Vostre Majesté et toute la court de desloger,
de nuict, et fère une fort soubdayne retraicte à Paris. Il est vray
que, quand la dépesche de l'ambassadeur d'Angleterre est arrivée,
encore que le courrier ayt faict les choses bien grandes, le comte de
Lestre m'a néantmoins mandé que les lettres parloient fort modérément,
et ne disoient sinon que Vostre Majesté, estant advertye que ceulx de
la dicte nouvelle religyon s'assambloient assés près de St Germain,
vous vous en estiés venu à Paris pour y pourvoir.

Maintenant, Sire, je mettray peyne que ceste princesse et ceulx de son
conseil entendent mieulx comme le tout va, jouxte ce qu'il vous plaist
m'en escripre; et feray tout ce qu'il me sera possible qu'elle et eulx
ne se vueillent esmouvoir de rien, bien qu'il ne fault s'attandre,
Sire, encor que, par advanture, je pourray bien tirer beaucoup de
parolles et de démonstrations bonnes d'elle, que pourtant toutz les
siens demeurent paysibles, si les troubles s'eslèvent en vostre
royaulme; non plus qu'ilz ne se peuvent contenir qu'ilz ne
s'entremettent bien avant de ceulx de Flandres; oultre que la dicte
Dame leur en pourra dissimuler davantage sur ce qu'on luy a voulu fère
accroyre que ces vaysseaulx de Normandye s'équippoient en faveur
d'Adam Gourdon, pour le trajetter, avec de bonnes forces, en Escoce.
Ce que je luy ay néantmoins assuré, sur ma vye, que non, ains que
c'estoit pour Dantzic, ainsy que vostre dépesche, du XXe du passé, le
portoit; et me suis mocqué de ce qu'on luy vouloit imprimer que Vostre
Majesté, et le Roy d'Espaigne, aviés une entreprinse, pour ce
primptemps, sur l'Angleterre, comme de chose qu'elle debvoit estimer
ridicule et pleyne de vanité.

Et, quand à voz subjectz, qui sont par deçà, Sire, je leur feray
entendre vostre bonne intention, et mettray peyne de les retenir en la
dévotion, qu'ilz m'ont plusieurs foys assuré, qu'ilz avoient à vostre
service; et sçay bien que le comte de Montgommery estoit encore, n'y a
pas cinq jours, à Gerzé, et que luy, ny son filz, n'en ont point
bougé; et que mesmes ilz s'en reviennent, toutz deux, bientost trouver
la comtesse de Montgommery, à Hamptonne; d'où, s'il s'approche jusques
icy, je ne faudray de le confirmer, le plus qu'il me sera possible, à
vouloir demeurer en ce qu'il vous a promis, par l'escript, que je vous
ay naguyères envoyé, signé de sa main.

Au surplus, Sire, l'on me vient d'advertyr que environ quarante
navyres de guerre, qui sont prestz à sortir de Fleximgues, avec bon
nombre de soldatz, et le cappitaine Chestre, angloys, qui embarque
encores de nouveau, icy, quatre ou cinq centz hommes pour les passer,
à ce qu'il dict, en Hollande, ont une entreprinse sur Callays, par la
conduicte d'aulcuns françoys qui ont demeuré longtemps à la Rye, et
maintenant sont passés dellà. Dont, encor que l'advertissement ne me
viegne de grand lieu, je ne l'ay voulu mespriser, ains ay estimé que,
à cause d'icelluy, je debvois renvoyer promptement Jacques le
courrier, affin d'en donner advis, en passant, à Mr de Gourdan, et
pareillement à Mr de Caillac, à Bouloigne, comme, encores je suys
très ayse qu'ayés faict advertyr, tout le long de la coste, qu'on ayt
à s'y tenir sur ses gardes. Et sur ce, etc.

    Ce VIIe jour de mars 1574.



CCCLXXe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de mars 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère._)

  Audiences.--Consentement du roi à ce que l'entrevue se fasse en
    secret à Douvres.--Demande d'un délai pour donner la
    réponse.--Changement apporté dans les délibérations d'Élisabeth
    par la nouvelle de la reprise des armes en
    France.--Communication qui lui est faite à cet égard par
    l'ambassadeur.--Bonne disposition des réfugiés
    français.--Réponse d'Élisabeth qu'elle consent à l'entrevue,
    dans l'une de ses maisons, près de Douvres.


    AU ROY.

Sire, la Royne d'Angleterre a curieusement, et avec affection, leu les
trois lettres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et
Monseigneur le Duc, luy avés escriptes, de voz mains, et a esté fort
facille de cognoistre, à ses parolles et contenances, qu'elle prenoit
ung grand playsir de voyr que toutz troys persévériés, conjoinctement
et constamment, vers elle. Néantmoins elle m'a dict, en riant, qu'elle
craignoit que, par mes dépesches, je vous eusse parlé ung peu trop
licencieusement de l'affection, qu'elle m'avoit privément déclaré,
qu'elle avoit à l'establissement d'une mutuelle et perdurable amityé
avec Voz Majestez, et que je la vous eusse interprétée à quelque
aultre sorte d'affection vers le mariage et l'entrevue; en quoy, si je
ne luy avois réservé la modération, qui convenoit aulx filles, elle
auroit grande occasion de se pleindre de moy.

Je luy ay respondu que ce que je luy avoys à explicquer de ma créance
luy donroit assez à cognoistre de quelle façon je vous avoys escript
ses propos, et comme Vostre Majesté les avoit prins. Et encor, Sire,
qu'il m'est bien souvenu qu'ung de ses troys conseillers m'avoit desjà
admonesté que je debvois considérer les ennemys que j'avoys en ce
propos; (et que, si je venois, de rechef, à débattre ceste forme de
privée entrevue, qui m'estoit desjà accordée, qu'ilz m'y succiteroient
des labirintes nouveaulx, qui seroient très longs et très difficilles
à desmeller, et que, puisque je pouvois avoyr la dicte entrevue en
effect, qu'il ne falloit que je m'arrestasse à la formalité, car il
estoit très certain que le tout dépendoit maintenant de voyr
Monseigneur le Duc, et que, sans cella, le mariage ne succèderoit
jamays; et néantmoins, pour l'incertitude de l'évènement, la Royne, sa
Mestresse, estoit conseillée de monstrer tousjours qu'elle n'en
vouloit venir si avant; dont, de tant qu'il appartenoit à Monseigneur
le Duc, qui estoit l'homme, de fère toutes les instances du mariage,
c'estoit aussy à luy de monstrer quelque trêt extraordinayre de son
affection en la poursuyte de ceste entrevue, et qu'il ne debvoit
réputer qu'il luy peût jamays tourner à honte de venir voyr celle
qu'il nommoit sa maistresse, en la privée façon qu'elle le devisoit);
néantmoins, Sire, je me suis contenu dans les termes de l'instruction
que j'ay trouvée dans vostre lettre. Et par ainsy, ay dict à la dicte
Dame que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviés beaucoup
esmerveillé la forme de la responce qu'elle vous avoit faicte, et
mesmes de ce qu'elle vous y avoit représanté plus d'incertitude de sa
volonté que nulle bonne espérance de la vouloir effectuer; dont aviés
esté à ne sçavoyr que y fère, ny que dire davantage. Néantmoins, après
avoyr bien digéré le faict, voyant que le nouveau escrupulle n'estoit
sinon celluy mesmes qu'on avoit auparavant proposé, et que c'estoit
plustost une invention faicte, à poste, par les ennemys, pour
interrompre encores le propos, ceste foys, que non qu'ilz pensassent
dire vérité, car aviés l'object devant voz yeulx, qui vous assuroit du
contrayre, vous vous estiés mis toutz trois à dellibérer comme vous
pourriés, tout ensemble, contenter le desir de la dicte Dame, et
satisfère à vostre réputation, car pensiés bien qu'elle ne voudroit
que vînsiés à luy complayre, sinon avec la conservation de vostre
honneur; et que, là dessus, Sire, vous me commandiés de luy dire tout
franchement que vous ne croyriés jamays que, en vostre endroict, et de
la Royne, vostre mère, sur ung si cordial offre, comme vous luy aviés
faict, de Monseigneur le Duc, qui s'estoit encores luy mesmes tout
entièrement offert à elle, elle eût le cueur de vous vouloir tromper
ny uzer de simulation, ny qu'elle vous ait faict fère déclaration
qu'elle se vouloit marier, et vouloit préférer vostre alliance à
toutes celles de la Chrestienté, pour, puis après, se mocquer de vous,
ains que sincèrement elle correspondoit à vostre sincérité; et que,
sur ceste confiance, vous aviés résolu de surmonter encores, s'il vous
estoit possible, ceste renouvellée difficulté, en soubmettant la
décision d'icelle au parfaict jugement de ses yeulx. En quoy vous la
vouliés prier, de bon cueur, qu'elle considérât que Monseigneur le Duc
estoit nay grand, et tenoit ung très grand lieu au monde, et
commandoit aujourdhuy sur toutz les affères de Vostre Majesté, et que
pourtant il n'estoit pas possible que sa venue vers elle peult estre
collorée, ny couverte, soubz la légation de quelconque aultre
ambassadeur, que peussiés envoyer par deçà; mais vous aviés advisé
que, en venant en Picardye, où aviés desjà proposé de vous acheminer,
à ceste my caresme, pour changer d'air, sellon que voz mèdecins
disoient que cella ayderoit bien fort à vous mieulx reffère de la
fiebvre quarte, laquelle vous avoit layssé; que, pour l'amour d'elle,
et pour servir à ce bon effect, et pour mieulx couvrir le voyage de
Monseigneur le Duc, vous poursuivriés vostre chemin jusques à
Bouloigne, et que, si elle se vouloit aussy approcher, vers ce
quartier là, jusques à Douvres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, mettriés peyne de luy dresser si à propos, et privément, et
secrettement, la dicte entrevue, et sans y uzer aulcun apparat ou
despence, que vous espériés, en toutes sortes, de la rendre très
contante.

Elle, d'ung bon visage, et d'une fort bonne démonstration, m'a
respondu que, en voz lettres et en la créance d'icelles, il vous
plaisoit et à la Royne, vostre mère, continuer si honnorablement le
pourchas de son alliance, qu'elle voudroit de bon cueur vous pouvoir
bien complayre, et s'accommoder à ce que desiriés; et vous supplioit
de croyre qu'elle n'estoit si superbe de se vouloir excuser de
s'approcher vers Voz Majestez, car, pour servir à vostre honneur et
grandeur, elle entreprendroit bien ung plus long et plus malaysé
voyage que d'aller jusques à Douvres; mais que n'y ayant pas longtemps
qu'elle y avoit esté, et que son premier progrès estoit desjà dressé
d'ung aultre costé, vers Yorc, ung chascun diroit qu'elle alloit
chercher mary, non qu'elle voulût, pour cella, regarder tant à sa
qualité de Royne, veu que Monseigneur le Duc estoit aussy luy mesmes
royal, comme à ce qu'elle estoit fille. En quoy elle vous supplioit de
trouver bon qu'elle n'outrepassât rien des modestes respectz qu'elle
se debvoit réserver, bien que, par advanture, elle pourroit aller,
comme en chassant, jusques en une mayson de milord Coban, à vingt
milles de Grenvich, sur le chemin de Douvre, et rencontrer là
Monseigneur le Duc, qui s'y pourroit trouver avec douze ou quinze des
siens; ou bien, s'il se vouloit approcher à Gravesines, qui est ung
lieu sur la Tamise, que bien facillement une barge l'yroit prendre là,
et le porteroit fort secrettement avec les siens dans Grenvich, et
qu'elle estimoit que c'estoit bien tout le mieulx qui s'y pouvoit
fère.

Je luy ay réplicqué que, puisque Voz Majestez condescendoient de luy
envoyer Monseigneur le Duc, en la plus descente et convenable façon
que verriés le pouvoir fère, je la suppliois qu'elle se voulût, en
quelque partie, accomoder à vostre volonté de s'approcher vers
Douvres, et vous envoyer présentement le saufconduict, et que, de tout
le surplus, elle s'en reposât ardiment sur le bon ordre que Voz
Majestez y sçauroient bien donner.

A cella elle m'a respondu que la Royne, vostre mère, sçauroit très
bien dresser la finesse, quand elle vouldroit, mais qu'elle craignoit
qu'elle y voulût trop garder l'advantage de son filz; et que, de tant
que ses principaulx conseillers estoient absentz, lesquels elle
n'attandoit jusques au deuxiesme jour ensuyvant, elle me prioit,
premier que de rien résoudre en cella, de luy donner ung peu de loisir
d'en pouvoir conférer avec eulx.

Or ay je, Sire, distribué voz aultres lettres à iceulx conseillers,
aussytost qu'ilz ont esté arrivés, et n'ay obmis de leur fère les
instances et les offres, et leur déduyre les raysons, que j'ay cognu
les pouvoir anymer et encourager, non seulement au poinct de ceste
entrevue, ains aussy à résoudre la conclusion de tout l'affère.

Mais cepandant est survenu ceste nouvelle de la reprinse d'armes par
voz subjectz de la nouvelle religion, laquelle, du commancement, a
esté publiée fort grande, ainsy que je le vous ay mandé; mais, depuis,
l'ambassadeur d'Angleterre l'a escripte fort modérément. Et je la suis
allé représanter, en propres termes, à la dicte Dame et aulx siens,
comme je l'ay trouvée dans vostre lettre, du IIIe du présent, y
adjouxtant seulement que vous craigniés bien que les impacientz du
repos, lesquelz, par leurs faulx bruictz et par leurs faulces
subjections, s'efforçoient de ressuciter ce malheur dans vostre
royaulme, n'aspirassent oultre à fère tousjours leur profict de ceste
division, à deulx aultres encor plus maulvais effectz: l'ung estoit
d'imprimer une maulvaise opinyon de Vostre Majesté aulx princes
protestantz d'Allemaigne, pour les vous rendre ennemys, du costé de
deçà, et les fère aussy ennemys du Roy, vostre frère, du costé de
Pouloigne; et l'aultre, d'altérer la bonne amityé que vous aviés avec
la dicte Dame, et traverser le pourchas que faysiés de son alliance.
En quoy vous la supplyés, de bon cueur, de ne vouloir, pour tout cecy,
s'esmouvoir aulcunement de sa part, car debvoit croyre, avec toute
vérité, que ce qui estoit recommancé, et ce qui pourroit ensuyvre de
trouble en vostre royaulme, seroit contre vostre volonté, et contre
celle de la Royne, vostre mère, et celle de Monseigneur, vostre frère,
et sans aulcune coulpe qui fût procédée de nul de vous; et que touts
troys, quoy qui deût advenir, estiés tous résolus de persévérer, plus
constamment que jamays, vers elle; et attandiés maintenant, avec très
grand desir, sa responce sur ce que luy aviés naguyères faict
proposer.

La dicte Dame m'a respondu que, en nulle sorte du monde, vous luy
pouviés mieulx monstrer que vous l'aymiés et que vous vous fyiés
d'elle, que de luy fère ainsy part et communicquation de voz affères;
et qu'elle avoit ung merveilleux regret, que ceulx qui envyoient le
bien et la prospérité d'iceulx, eussent tant de moyen que de les
remettre en trouble, en quoy, si son advis estoit digne de venir
devant Vostre Majesté et devant l'expérimantée prudence de la Royne,
vostre mère, elle vous conseilleroit très volontiers toutz deux de
fère, de main en main, enquérir si avant, contre ces faulx
rapporteurs, que quelqu'ung en peult estre prins, pour le fère, en
terreur des aultres, très exemplayrement punir, et plus griefvement
que ceulx mesmes qui ont prins les armes, comme estant plus traistres
qu'eulx: car plus grand trahison, à son advis, ne vous pourroit estre
faicte que de vous distrayre et allyéner voz subjectz, et vous mettre
en nécessité d'esprouver que peut; en voz susdicts subjectz, le
désespoyr de vostre bonne grâce; et, quand à elle, que, en cest
accidant et toutz aultres, vous la trouveriés tousjours très constante
amye et très germayne bonne seur; et que, desjà une foys, elle avoit
assemblé ceulx de son conseil pour adviser de la responce qu'elle
auroit à me faire; vray est, qu'ayant depuis pensé que, à cause de ces
nouveaulx accidantz, vous pourriés, possible, m'avoyr mandé quelque
changement, elle avoit bien voulu attandre jusques à ce que j'eusse,
de rechef, parlé à elle, mais voyant que je ne luy disois rien au
contrayre, elle me feroit bientost sçavoyr ce qu'elle dellibéroit vous
respondre, qui ne vous seroit, à son advis, sinon bien agréable.

Or, attandant cella, Sire, j'ai communicqué la mesme lettre de Vostre
Majesté, du IIIe du présent, à ceulx de voz subjectz, plus
principaulx, qui sont encores icy; lesquelz m'ont respondu qu'ilz
estoient très marrys du renouvellement du trouble, et néantmoins
qu'ilz avoient beaucoup de consolation de voyr que Vostre Majesté le
détestoit et le vouloit remédier. Dont Mr le vydame, de sa part, a
monstré qu'il ne vouloit rien mouvoir, ains plustost servir, en tout
ce qu'il pourroit, à l'effect de la bonne intention qu'aviés à la
tranquillité de voz subjectz, et qu'il y employeroit très volontiers,
quand Vostre Majesté le luy commanderoit, les mesmes moyens qu'il
m'avoit autreffoys dict qu'il pensoit avoyr bien bons vers le comte
Palatin, aulmoins si les choses ne se trouvoient depuis bien fort
changées en luy. Et Mr de Languillier m'a fort expressément confirmé
sa résolution de vouloir jouyr du béneffice de l'édict, soubz la bonne
grâce de Vostre Majesté, et que, s'il vous plaisoit vous servir de luy
vers ceulx de la noblesse de Poictou, qu'il espéroit pouvoir beaucoup
vers eulx, à les rendre, par sa persuasion et par son exemple, bien
capables de vostre bonne intention, et que, plustost que de sa part il
repreigne les armes, sinon par vostre commandement, encor qu'il voye
ne pouvoir avoyr seur repos chés luy, qu'il s'en yra habiter en
Suysse. Et la comtesse de Montgommery, laquelle m'est venue dire
adieu, avec mademoiselle de Beaufort sa fille, quand elles sont allées
à Hamptonne, m'a assuré qu'elle feroit incontinent sçavoyr à son mary
ce que je luy avoys déclaré de vostre droicte intention, et le
persuaderoit bien fort de la suyvre. Lequel son mary, Sire, estoit
encores, le Ve de ce moys, à Gerzei, et n'en a poinct bougé; et a
descouvert, ce dit on, deux trettés qui se faysoient pour le tuer,
l'ung, par des soldatz qui, en guyse de marchandz et de marinniers,
estoient, à cest effect, passés en l'isle, et l'aultre, par son
secrettère, avec du poyson, dont le dict secrettère est prins, et dict
on qu'il sera mené icy, et que le dict comte retournera bientost par
deçà.

Je ne voy pas, Sire, que les Angloys, ny voz dictz subjectz, qui sont
icy, dressent, pour encores, rien contre le bien de voz affères, mais
il ne se fault pas attandre, si les choses vont plus avant, qu'ilz se
puissent garder d'avoyr intelligence, et porter toute la faveur et
support de forces et d'argent, qu'ilz pourront, à ceulx de leur
religion. Et depuis naguyères, ung personnage, de grande qualité,
allemand, a esté, icy, en nom et habit déguysés, lequel je sçay bien
que ceste princesse a eu opinion que ce fût ung prince; et il a
négocyé fort estroictement avec ceulx de son conseil. Dont je desire
de bon cueur que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, par vostre
vertu et prudence, pourvoyez que ce commancement de troubles, s'il est
possible, n'ayt poinct de suyte en vostre royaulme.

Cependant pour mieulx retenir ceulx cy, j'ay tousjours plus
instamment, que devant, sollicité la dicte Dame, leur Mestresse, de sa
responce, et de me la fère bonne; de laquelle j'ay enfin obtenu de
vous pouvoir mander, de sa part, que, puisque vostre dellibération
estoit de venir en Picardye, pour changer d'air, après la fiebvre
quarte, dont elle louoit et remercyoit Dieu qu'en fussiés bien guéry,
qu'elle se tiendroit de tant plus heureuse et contante que plus elle
se santiroit estre près de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère,
et que ne luy pouvant estre bien séant de retourner maintenant à
Douvre, pour les considérations qu'elle m'avoit desjà alléguées, que
aulmoins se pourroit elle, soubz colleur d'aller à l'esbat et à la
chasse, s'approcher en une de ses maysons, la moins esloignée du dict
Douvre que fère se pourroit, là où, s'il plaisoit à Monseigneur le Duc
prendre la peyne d'y venir privément, et sans cérymonie, ilz s'y
pourroient rencontrer toutz deux; et elle auroit grand plaisir de le
voyr; et, si Vostre Majesté se pouvoit contanter que l'entrevue se fît
en ceste privée façon, car ne pouvoit juger qu'il luy peût estre bon
de la consentyr aultrement, que son ambassadeur auroit charge de vous
dellivrer le saufconduict, lequel, à cest effect, elle luy envoyoit
présentement; et vous confirmeroit plus amplement ceste sienne
responce; laquelle elle mesmes ne pouvoit, à cause d'ung peu de mal
qui luy avoit prins à la main, la vous escripre, ainsy qu'elle avoit
bien dellibéré de le fère. Qui est, en substance, Sire, tout ce que
j'ay peu advancer en cest endroict. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour de mars 1574.



CCCLXXIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de mars 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calays par le Sr Cavalcanti._)

  Nécessité d'accepter l'entrevue.--Nouvelles des troubles de
    France.--Craintes inspirées par Montgommery.--Armemens faits en
    Angleterre.--Nouvelles des Pays-Bas et d'Écosse.--Meilleures
    dispositions d'Élisabeth envers Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, je n'ay, par ceste dépesche, à mettre ny oster rien de ce que,
par la précédante, du XVIIe du présent, je vous ay escript touchant
l'entrevue, sinon de vous confirmer qu'il est besoing que Vostre
Majesté se détermine à la consentir, ou bien laysser à tant le propos,
car ceste princesse est très fermement résolue de ne passer oultre,
sans voyr Monseigneur le Duc; et encores, si, en le voyant, l'on
pouvoit estre bien assuré qu'elle procèderoit incontinent à la
conclusion du mariage, le voyage ne seroit tant à regretter, mais, en
l'incertitude où elle vous en laysse, avec l'accoustumée instabilité
de deçà, je ne voy sinon que, pour parvenir là où Mon dict Seigneur le
Duc prétend, il fault, par nécessité, ou qu'il azarde de venir
incertain, ou qu'il quitte du tout son entreprinse. Et vous puis
assurer, Sire, que la dicte Dame s'attand, sans aulcun doubte, qu'il
viendra, et qu'elle sera preste de s'approcher, quand elle en aura
plus de certitude, vingt ou vingt cinq mille vers Douvre pour le
rencontrer.

La nouvelle s'augmante, de jour en jour, icy, des désordres et
troubles qui multiplient en vostre royaulme; qui est cause que
plusieurs angloys commancent de solliciter des moyens et des
provisions de ceste court, pour pouvoir aller par dellà se joindre à
ceulx de leur religion, et d'aultres praticquent d'avoyr des
commissions pour armer des vaysseaulx; et aulcuns en y a qui mettent
en avant qu'il seroit bon d'en accommoder de quelque nombre le comte
de Montgommery, ensemble de quelques hommes et deniers, affin qu'il
peût maystriser ceste mer estroicte, et entreprendre quelque descente
en France, là où il verroit le pouvoir mieulx fère à son advantage;
mais il semble qu'il ayt escript, de Gerzé, qu'encor qu'on ayt voulu
attempter à sa vye, qu'il ne remuera rien contre Vostre Majesté, qu'il
ne voye comme les choses yront plus avant, et comme il vous plerra
uzer vers luy; car veult estimer que cella n'est procédé aulcunement
de vostre commandement. Néantmoins, Sire, je l'observeray, le plus
qu'il me sera possible; car l'on m'a adverty qu'il a envoyé icy fère
quelque provision de pistollés et d'harquebouzes; et je voy bien que
ceulx cy, de leur costé, poursuyvent de garnyr d'artillerye, d'armes
et de tout aultre fourniement nécessayre, tous leurs grandz navyres de
guerre, réservé d'y mettre les vivres et le nombre d'hommes qui faict
besoing, car cella est remis à quand il sera temps. Et dellibèrent
cepandant de mettre la flotte en deux, pour en envoyer tenir la
moictyé à Portsemue, vis à vis du Hâvre de Grâce, et l'aultre moictié
restera à Gilingam, où, de présent, elle est. Et m'a l'on dict que,
depuis huict jours, il a esté dépesché, de ceste ville, une lettre de
crédict, de soixante mille escuz, pour Francfort.

Je viens d'entendre que sept ou huict bretons sont arrivés, desquelz
l'on présume que l'ung d'eux a charge d'aller devers le prince
d'Orange, pour emprunter des navyres de guerre, mais je n'ay encores
vériffyé cella. Bien m'a l'on dict que le susdict prince a mandé
comparoir, à certain prochain jour, en Hollande, où il s'en est
retourné, toutz les vaysseaulx qui s'advouent à luy, soubz prétexte de
leur vouloir bailler ung règlement sur le faict de la navigation et
sur les prinses, affin qu'ilz ne se portent plus en pirates, avec
intention de déclarer désavouez ceulx qui ne comparoistront. Je ne
sçay si, lors, il fera quelque autre dellibération. Les angloys qui
s'estoient embarqués, icy, pour luy, sont arrivés à Fleximgues, et s'y
en est trouvé le nombre de sept centz soldatz completz, quand ilz sont
descendus de dellà, qui incontinent ont receu paye; dont l'entreprinse
qu'on m'avoit adverty, sur Callays, est, pour ce regard, passée.

Les choses d'Escosse s'entretiennent encores en quelque repos, bien
que l'on m'a dict que les bourgoys et marchandz, et le commun du pays,
vont faysant une secrette ligue contre le comte de Morthon, pour les
grandes exactions qu'il faict sur eulx, et qu'ilz ne veulent plus
souffrir qu'il aille ainsy, de lieu en lieu, tenir la justice pour les
piller et ruyner, comme il faict, et que les principaulx de la
noblesse sont toutz retirés en leurs maysons. Milord trésorier a
observé, luy mesmes, le temps de pouvoir présenter, bien à propos, la
lettre de la Royne d'Escosse à la Royne, sa Mestresse; et m'a mandé
qu'il la luy avoit faicte lyre toute entièrement, et qu'elle l'avoit
trouvée en termes si honnestes, et escripte de si bonne façon, qu'il
me pouvoit assurer que cella avoit beaucoup regaigné le cueur de sa
Mestresse, et que les choses alloient, à présent, assés bien, et
espéroit qu'iroient encores mieulx, entre elles deux. Sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de mars 1574.



CCCLXXIIe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour de mars 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Projet du roi de retarder l'entrevue.--Bruit de la
    mésintelligence qui aurait éclaté entre le roi et le duc
    d'Alençon.--Craintes que les Anglais ne veuillent profiter des
    troubles de France.--Soupçons contre Montgommery.--Affaires
    d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, estimant qu'il sera bon qu'ayés veu et considéré, à loisyr, la
responce que la Royne d'Angleterre m'a faicte, laquelle je vous ay
mandée, le XVIIe de ce moys, et qu'ayés ouy son ambassadeur, et
retiré de luy le saufconduict qui luy a esté envoyé pour vous bailler,
et que j'aye receu, là dessus, nouveau commandement de Vostre Majesté,
premier que de changer ny débatre rien plus à la dicte Dame, j'ay
advisé de ne luy proposer, jusques allors, ce que m'avez escript, du
VIIe du présent, de luy prolonger l'entrevue; car semble qu'elle est
aulcunement persuadée qu'encores que voz affères vous apportent une
très suffizante occasion de ne vous esloigner, pour ceste heure, des
envyrons de Paris, que néantmoins vous ne voudrés que Mon dict
Seigneur le Duc laisse, pour cella, de venir fère, secrettement et
privément, une course jusques icy, comme s'il alloit à quelque autre
commission pour vostre service, joinct que le saufconduict, ainsy
qu'on m'a dict, s'estend jusques au XXe de may prochain. Et il est à
croyre, Sire, que, si le poinct de l'entrevue estoit cependant vuydé,
que vostre voyage, puys après, en Picardye, seroit pour donner grand
chaleur à tout le reste, et pour fère que le propos pourroit réuscyr à
une ou aultre conclusion, pendant que seriés si près d'icy; et,
possible, que le mariage se consommeroit, si, d'avanture, les
personnes venoient à se complayre. Mais, de tant que je tiens ceulx cy
ordinayrement pour très suspectz de mutation et de changement, je ne
vous puis promettre, Sire, rien de plus certain d'eux que une grande
incertitude; bien qu'à présent les choses monstrent de continuer, icy,
telles, comme je le vous ay mandé, et comme le Sr Cavalcanti vous
l'aura depuis confirmé, et encores, en apparance, semble quelles vont
de bien en mieulx.

Mesmes il m'a esté signiffié que ceste princesse et les principaulx,
d'auprès d'elle, ont esté très marrys d'ouyr publier par deçà qu'il y
eût mauvayse intelligence entre Vostre Majesté et Monseigneur le Duc,
et que vous eussiés, pour cella, faict quelques rigoureuses
démonstrations à luy, et au Roy de Navarre, à Monsieur le prince de
Condé et Monsieur de Montmorency; dont envoyèrent sçavoyr ce que j'en
entendoys, et qu'ilz ne pouvoient, ny vouloient, croyre qu'il en fût
rien, car les lettres de leur ambassadeur n'en parloient nullement; et
que cella estoit venu d'ung messager ordinayre, qui n'estoit poinct
angloys, lequel, estant party de Paris, le VIIIe du présent, avoit
semé ce bruict. Et à peyne, Sire, ay je eu déchiffré la vostre, du
VIIe du présent, laquelle a séjournée, pour l'occasion du temps, huict
jours entiers, à Callays, que milord trésorier et le comte de Lestre,
chacun de sa part, m'ont envoyé ung gentilhomme pour m'advertyr que,
par les plus rescentes du dict ambassadeur, lesquelles estoient du XVe
de ce moys, il apparoissoit que le susdict bruict estoit faulx, et
qu'il ne se pouvoit desirer plus de vraye et cordialle amityé, entre
deux frères, qu'il s'en voyoit entre Vostre Majesté et Monseigneur le
Duc, et que vous luy portiés plus de faveur que vous n'aviez jamais
faict, ensemble au Roy de Navarre et aulx aultres deux. Et ont
adjouxté qu'avec Mr de Turène, et Mr de Torcy, estoient venus vers
Vostre Majesté trois gentilshommes, de la nouvelle religyon, de ceulx
qui ont nouvellement prins les armes, pour se rendre plus assurés de
vostre bonne intention vers eulx, et qu'ilz s'en estoient retournés
bien fort satisfaictz; et que d'ailleurs vous aviés envoyé le Sr
Strossy à Mr de La Noue, en Poictou; dont se vouloient conjouyr,
avecques moy, de ce que les choses prenoient ung chemin pour retourner
à la paix, sans passer à plus d'altération. De quoy je les ay envoyés
infinyement remercyer par le Sr de Vassal, et que cella monstroit
combien l'affection de leur Mestresse, et la leur, estoient très
bonnes vers le bien de voz affères, et qu'ilz seroient marris qu'il
vous y succédât mal.

Or, est il bien certain, Sire, que, sur le renouvellement des présents
troubles de vostre royaulme, il a esté tenu, icy, diverses assemblées
de conseil; et plusieurs dellibérations y ont esté mises en avant,
ainsy que Vostre Majesté en a eu, comme je voy, quelque sentiment;
mais, encor qu'on y ayt procédé aulx opinions, et que tel peut avoyr
monstré d'incliner bien fort à la guerre ouverte, qui, possible, est
plus remis que nul des aultres, je ne puis toutesfoys descouvrir qu'on
en soit venu encores à quelque conclusion. Et je mettray peyne,
aultant qu'il me sera possible, s'il s'en faict aulcune, que l'effect
d'icelle ne passe oultre, sans que je vous en puisse donner quelque
advertissement; ne voulant toutesfoys mettre en doubte que, si ce
nouveau feu s'allume davantage, ceulx cy ne facent ouvertement, ou
soubz main, tout ce qu'ilz pourront pour le fomenter.

Le comte de Montgommery est si près de la coste de dellà, et si
esloigné d'icy, que Vostre Majesté peut avoyr, plus souvent et
ordinayrement, nouvelles de luy, que non pas moy; tant y a que je
souspeçonne fort, parce que le Sr de St Ouan, de Gersey, a faict, icy,
de nouveau, quelque provision d'harquebouzes et pistollés, que ce ne
soit pour en accomoder davantage le dict de Montgommery.

L'oncle du comte d'Arguil estoit desjà party pour Escosse, quand
vostre dépesche est arryvée, mais je l'ay, avant son partement, si
bien instruict des mesmes choses, que m'avez escriptes, que j'espère
qu'il les sçaura très bien représanter par dellà. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour de mars 1574.



CCCLXXIIIe DÉPESCHE

--du IIe jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée jusques à la court par Anthoyne Laguète._)

  Audience.--État des négociations en France pour rétablir la
    paix.--Réception faite au roi de Pologne dans ses
    états.--Nouvelle de la descente de. Montgommery en
    Normandie.--Protestation d'Élisabeth qu'elle a ignoré cette
    entreprise.--Doute sur la vérité de cette nouvelle.--Assurance
    donnée par l'ambassadeur qu'Élisabeth ne veut fournir aucun
    secours aux protestans de France.


    AU ROY.

Sire, je loue Dieu que ceulx, qui se sont eslevez en vostre royaulme,
ayent prins l'expédient d'envoyer sçavoyr, par le Sr de Guyteri, la
vérité de ce qu'on les mettoit en doubte, et qu'on les intimidoit de
la volonté qu'avez vers eulx, et qu'il ayt eu de quoy leur rapporter,
de la part de Vostre Majesté, qu'ilz ont esté trompés, et qu'ils
trouveront tousjours trop plus de bonne seureté, en la protection de
vostre parolle, qu'en tout l'effect des armes qu'ilz ont reprinses. Ce
que ayant faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre, et comme vous
attandiés, par Mr de Torcy et Mr de Turène, lesquels vous aviés
renvoyés, avec le dict de Guyteri, vers eulx, et par le Sr Strossy,
qui estoit allé devers le Sr de La Noue, en Poictou, et pareillement
du costé de Mr le mareschal d'Envylle, qui traictoit aussy de quelque
moyen de paix, avec ceulx de Languedoc, bientost quelque bonne
responce de leur modération, je l'ay assurée qu'incontinent après vous
aviés dellibéré de leur bailler ceste ampliation de vostre édict, dont
je luy avois parlé, qui les debvoit contanter; et, par ainsy que vous
ne doubtiés que, dans bien peu de jours, tout ce renouvellement de
troubles ne cessât. Et luy ay compté, Sire, la bonne et desirée
nouvelle qu'aviés receue du couronnement du Roy de Pouloigne, vostre
frère, et comme les Poulonnois, pour le grand contantement qu'ilz
avoient de le voyr, luy avoient remis beaucoup de ces condicions,
aulxquelles les ambassadeurs, qui luy avoient apporté les décrets de
son élection, l'avoient obligé, de sorte qu'il se trouvoit aussy
absolu prince, sur ce grand royaulme, que quelque aultre roy qui fût
en la Chrestienté; et que vous desiriés qu'elle participât à l'ayse,
que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le duc, en
santiés, ainsy que vous la feriés toujours participer aulx profictz et
advantages qui vous en viendroient, sellon la plus estroicte amityé et
confédération qu'elle avoit avecques Vostre Majesté; et que cella vous
faysoit davantage desirer que l'honneste pourchas, auquel vous
persévériés toujours de l'alliance d'elle avec Mon dict Seigneur le
Duc, vostre frère, peût réuscyr à bon effect, affin que l'union
indissoluble, d'entre ces trois grandes couronnes, fût plus craincte
et respectée par toute la Chrestienté; et que vous estiés bien marry
que ces nouveaulx désordres retardassent vostre venue en Picardye,
mais que vous espériés y avoir bientost pourveu, pour, incontinent
après, vous y acheminer. Dont m'assurois qu'aussytôst que vous auriés
veu la dernière responce, qu'elle vous avoit mandée, que vous
m'escripriés tout ce que pourriés fère en cella, affin de l'en
advertyr. Bien estois je en grande perplexité comme Vostre Majesté
pourroit prendre ce qui se publioit, icy, que, de l'isle de Gersey,
qui est à elle, le comte de Montgommery fût descendu, en armes, au
pays de Normandye, chose qui estoit toute contrayre à la promesse et
au sèrement, et à la teneur du dernier traicté de ligue, qu'elle
avoit faicte avec Vostre Majesté; et que je demeurois le plus infâme
gentilhomme du monde, et la parolle d'elle ne se pouvoit non plus
saulver, si elle n'y pourvoyoit, et ne vous en faysoit fère une bien
prompte réparation; car m'avoit fait vous escripre, encores depuis ung
moys, que vous la trouveriés, en touts ces nouveaulx accidantz, et en
l'occurrence de toutz voz affères, très bonne amye, et vrayement
germayne bonne seur.

La dicte Dame, premier que respondre à ces poinctz, m'a prié de luy
dire qu'est ce que je sçavoys de vostre santé, et si vous estiés bien
dellivré de la fiebvre quarte, et s'il y avoit apparance qu'eussiés eu
ce grand malcontantement, contre vostre frère et contre vostre beau
frère, comme on l'avoit publié par deçà.

Je luy ay respondu que, grâces à Dieu, la fiebvre vous avoit, il y a
longtemps, du tout layssé, et que vous estiés, à présent, aussy dispos
et gaillard que fûtes oncques, et qu'il ne se pouvoit imaginer une
plus parfaicte et cordialle amityé, entre deux frères, que celle qui
se voyoit entre Vostre Majesté et Monseigneur le Duc; et que vous
n'estiés moins assuré de sa volonté que de la vostre, ny n'aviés plus
de fiance en vous mesmes que en luy; et le semblable du Roy de
Navarre; et que ce faulx bruict estoit sorty de la malice de ceulx, à
qui il faysoit bien mal qu'il n'estoit vray, et qui voudroient bien
voyr de la division en ce premier lieu, ainsy qu'ilz l'entretiennent
ez aultres lieux, qui suyvent après.

Lors, elle a suivy à dire, qu'elle remercyoit Dieu, de très bon cueur,
que la disposition de vostre santé et celle de voz affères allassent
trop mieulx qu'on ne le disoit, car avoit entendu que vous estiés
encores bien fort maigre et foible; dont vous prioit de ne mesprizer
aulcun bon régyme, qu'on vous ordonnât, pour vous bien remettre du
tout; et qu'elle avoit bien rejetté cest aultre fascheux bruict, de
Mon dict Seigneur le Duc, et des aultres seigneurs, qu'on mestoit au
compte, comme du tout faulx; mais quiquonques l'eût inventé, c'estoit
bien tout le pis qu'il pouvoit fère contre vostre grandeur et contre
la réputation de voz affères, dont elle avoit ung très grand playsir
d'estre bien assurée qu'il n'en fût rien, et que vous eussiés, au
reste, ung si bon desir, conjoinct avec beaucoup d'espérance, que ces
nouveaulx troubles ne passeroient oultre, sellon que proposiés
d'adjouxter quelque déclaration à vostre édict pour contanter ceulx de
la nouvelle religion, affin de les mettre en plus de repos, en leurs
maysons; et que surtout elle se conjouyssoit avec Vostre Majesté, et
bien fort expéciallement avec la Royne, vostre mère, des bonnes
nouvelles qu'aviés reçues du Roy de Pouloigne, lesquelles elle vous
prioit de croyre qu'elle les santoit, aultant et nullement moins, que
si elle fût sa propre seur de sang, comme elle l'estoit d'estat; mais,
en ce que vous auriés veu, depuis, de la responce qu'elle vous avoit
faicte au propos de Monseigneur le Duc, elle croyoit bien que ce ne
seroit pour vous apporter ung si grand contantement comme du costé de
Pouloigne; aussy falloit il qu'il vous y survînt du tempérament, de
quelque aultre costé; bien pensoit que ne le jugeriés chose de
mespris, et qu'elle verroit maintenant à quelle dellibération Vostre
Majesté en voudroit venir.

Et, quand à la descente du comte de Montgommery en France, que
c'estoit chose qu'elle ne sçavoit, et ne la pouvoit aulcunement
croyre, veu ce qu'elle luy avoit deffandu, lorsqu'elle luy avoit
permis d'aller à Gersey, pour y sçavoyr nouvelles de ses affères:
qu'il se gardât bien de vous fère, de ce lieu là, non seulement ennuy,
mais de ne vous y donner aulcune souspeçon de luy; dont ne luy
pourroit avoyr faict une plus mortelle offance que d'avoyr attempté de
descendre en armes par dellà, et qu'elle désavoueroit le premier
angloys qui le rencontreroit, s'il ne le tuoit, desirant que vous
croyés et espériés d'elle, Sire, qu'elle, persévèrera droictement en
la vraye amityé, qu'elle vous a jurée, si vous ne commancés de luy
fallir de correspondance.

Et n'ay veu, ny peu nother chose aulcune, de la dicte Dame, qui m'ayt
semblé tendre, sinon à cella mesmes, que je vous ay mandé par mes
précédantes. Et, pour le regard de ce dernier poinct, du comte de
Montgommery, toutz les seigneurs de ce conseil m'ont fermement assuré
qu'ilz n'en sçavoient du tout rien, et ne le pouvoient croyre.
Néantmoins, puisque Mr de Matignon vous l'a mandé, il le peut mieulx
sçavoyr, estant voysin du lieu, que non pas nous, qui en sommes bien
loing, et d'où souvant il fault attandre beaucoup de jours le temps,
premier qu'il en viegne des nouvelles; et quoy que soit, ny en ceste
court, ny en ceste ville, l'on n'en a rien de certein.

Et, au regard de préparer icy une aultre descente de plus grand nombre
d'angloix par dellà, soubz colleur d'équipper en guerre plusieurs
navyres marchandz, je sçay qu'il s'en équippe voyrement quelques ungs,
pour aller en Hespaigne, et en Barbarye, et non ailleurs, bien que je
loue infinyement l'ordre que Vostre Majesté a donné de fère advertyr,
par toute la coste, qu'on ayt à s'y tenir sur ses gardes; car, en
nulle façon du monde, se pourroient garder les Angloys, si la guerre
de voz subjectz continue, qu'ilz ne s'en vueillent mesler, tout ainsy
qu'ilz font du costé de Flandres. Mais pourtant je vous supplye très
humblement, Sire, de ne vous esmouvoir, pour encores, des bruictz et
rapportz qu'on vous pourra donner des dellibérations de deçà, car ne
se pourra dresser aulcun appareil de guerre, qui soit d'importance,
sans que je vous en donne advis, de quelque temps devant. Et sur ce,
etc.

    Ce IIe jour d'apvril 1574.

   Il y a homme, en ceste ville, qui assure d'avoyr layssé le
   comte de Montgommery, le XVIe de mars, à Gerzé, et les
   seigneurs de ce conseil jurent qu'à tout le moins ne peut il
   estre vray qu'il ayt tiré ny poudres, ny amres, ny aulcune
   artillerye, de ce royaulme; et que, si luy mesmes est descendu
   en Normandye, il a si grandement mespris contre la Royne, leur
   Mestresse, et contre son estat, qu'on mettra peyne de l'en
   fère amèrement repantir.



CCCLXXIVe DÉPESCHE

--du VIe jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Meusnier._)

  Délibération des seigneurs du conseil sur l'entreprise de
    Montgommery.--Déclaration de la reine d'Angleterre que les
    armemens, faits à Londres, ont pour objet d'observer la flotte
    espagnole qui doit se rendre dans les Pays-Bas.--Nouvelles de
    Flandre et d'Écosse.--Disposition favorable d'Élisabeth à
    l'égard de Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, après que j'ay eu faict ma plaincte à la Royne d'Angleterre de
la descente du comte de Montgommery en Normandye, et de ce que, de
l'isle de Gersey, qui est à elle, il a dressé toute son entreprinse
par dellà, et en a tiré les poudres, les armes, l'artillerye et les
monitions qu'il a voulu, elle a proposé le faict en son conseil, avec
démonstration, sellon qu'on me l'a bien fort assuré, qu'elle en estoit
grandement offancée. Et Me Pollet, gouverneur de la dicte isle, qui,
plus d'ung moys auparavant, estoit icy, a esté appellé, lequel s'est
efforcé de monstrer qu'il ne pouvoit estre que cella fût vray, et
qu'aulmoins estoit il très certain que luy, ny son lieutenant, n'en
estoient nullement consentantz. Dont, sur ce doubte, l'on a envoyé
devers la comtesse de Montgommery, à Hamptonne, pour en avoyr la
certitude; laquelle a mandé qu'elle n'en sçavoit du tout rien, et que,
si son mary avoit faict ce voyage par dellà, qu'il le luy avoit
desrobbé, et qu'elle n'avoit eu nouvelles de luy, ny n'en estoient
venues aulcunes de Gersey, à cause du vent contrayre, plus de troys
sepmaynes avoit. Et, là dessus, le dict Pollet a esté renvoyé à sa
charge pour en donner promptement advis, et n'y a eu celluy, de tout
le dict conseil, qui n'ayt advoué à la dicte Dame que le comte auroit
bien fort mespris contre elle, s'il avoit entreprins la dicte
descente, et qu'elle la luy debvoit fère réparer. Et elle a déclaré
davantage qu'elle ne vouloit, en façon que ce fût, que hommes, armes,
vaysseaulx, ny nulle aultre assistance sortît de ce royaulme pour
ceulx qui s'estoient eslevez contre Vostre Majesté.

Dont je verray, Sire, comme cella s'observera; et en continuant ma
remonstrance du dict de Montgommery, quand la surprinse qu'on dict
qu'il a faicte de Carantan sera mieulx advérée par deçà, et allant
souvant à plaincte pour les aultres supportz, que j'entendray que les
dictz Angloys feront aulx dictz eslevez; qui, à mon advis, ne se
pourront tenir qu'ilz ne leur en facent quelques ungs, je mettray
peyne de vous destourner tout le mal, que je pourray, de ce costé; et
essayeray ce que m'avez mandé, de la susdicte comtesse de Montgommery,
ayant cepandant, Sire, prins parolle d'aulcuns principaulx de son
conseil, oultre celle de la dicte Dame, de vous pouvoir assurer,
qu'encor qu'elle prépare des forces, par mer et par terre, et qu'elle
en ayt desjà de prestes, que néantmoins sa présente dellibération
n'est de les employer nullement contre Vostre Majesté. Et je sçay
bien, Sire, que, par icelles, elle, en tout évènement, se veult
trouver pourveue, pour le passage de cette grande armée qui doibt
venir d'Espaigne, au secours des Pays Bas, quand elle arryvera en la
mer de deçà; et aussy que les choses d'Irlande la pressent assez, et
qu'elle ne se peut jamays tenir assez assurée de celles d'Escosse.
Néantmoins la naturelle inclination, que les Angloys ont contre la
France, et leur commune religyon avec ceulx qui ont prins les armes
par dellà, me faict vous supplyer très humblement, Sire, de ne laysser
rien de si exposé, de leur costé, que l'occasion les puisse convyer
d'entreprendre; car, encores qu'en toutes les parolles et
démonstrations de la dicte Dame, si elle n'est bien la plus faulce et
simulée princesse de la terre, elle face tout semblant d'avoyr bonne
intention vers Vostre Majesté, et mesmes d'estre bien inclinée au
party de Monseigneur le Duc, vostre frère, s'il advenoit que les
Angloys fissent quelque exploit en France, qui réuscyst, advantageux
pour les prétencions de ce royaulme, indubitablement elle
l'advoueroit; et quand bien elle n'auroit volonté de le fère, ses
subjectz l'y contreindroient; dont se fault tenir sur ses gardes.

Les depputez de Flandres continuent de vacquer tousjours à leur
commission, bien qu'à dire vray il semble qu'ilz y vont lentement, et
qu'ilz praticquent d'aultres choses d'importance en ceste court,
lesquelles je mettray peyne de sçavoyr au vray, affin de le vous
mander. Et ayant recherché, jusques au fondz, quelle estoit celle
entreprinse qu'on m'avoit adverty sur Callays, j'ay trouvé qu'elle
estoit sur l'Éscluse, et qu'avec les navyres qui partoient d'Ollande
et les angloys, qui s'embarquoient lors, icy, le dict prince d'Orange
prétandoit d'emporter le dict Éscluse, et se fère, incontinent après,
maistre de Bruges, pour y avoyr encores ung butin plus riche que
celluy de Meldelbourg.

J'ay, ces jours passés, escript, par deux diverses voyes, en Escosse,
et ay mandé au Sr de Quelsey la responce que m'avez commandé de luy
fère. J'espère que, dans peu de jours, j'auray responce des
principaulx seigneurs du pays. J'entendz que le comte de Morthon a
faict appeller le comte d'Arguil pour venir rendre compte d'aulcunes
bagues, qu'il prétend que la comtesse d'Arguil, sa femme, veufve du
feu comte de Mar, retient, de celles de la couronne; et l'a faict
venir au ban pour le fère déclarer forfaict, d'où l'on crainct, icy,
que les armes s'en repreignent par dellà. Et le susdict Quelsey m'a
layssé, par mémoyre, de supplyer très humblement Vostre Majesté qu'il
vous playse octroyer vostre ordre au dict d'Arguil, ainsy que son feu
père l'avoit.

J'ay supplyé, le plus humblement que j'ay peu, la Royne d'Angleterre
de vouloir fère responce à certaynes lettres, que la Royne d'Escosse
luy a escriptes, et l'ay sondée fort doulcement de quelle affection
elle estoit, à ceste heure, vers elle; qui m'a, en très bonne sorte,
respondu qu'elle luy escriproit, ou aulmoins escriproit au comte de
Cherosbery tout ce qu'elle avoit à luy respondre; et qu'elle vouloit
que je luy escripvisse ardiment qu'elle n'avoit, à présent, aulcune
aultre nouvelle offance contre elle, que la recordation de celles qui
estoient déjà passées; et a commandé de fère seurement conduyre à la
dicte Dame les coffres et besoignes, et lettres, qui luy estoient
freschement arrivées de France. Vray est qu'elle a voulu que ce ayt
esté par des serviteurs du dict Sr de Cherosbery, et non par ceulx qui
les avoient menés jusques icy. Sur ce, etc.

    Ce VIe jour d'apvril 1574.



CCCLXXVe DÉPESCHE

--du XVe jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Prise de Carentan par Montgommery.--Désaveu que font les Anglais
    de cette entreprise.--Desir d'Élisabeth que l'entrevue soit
    accordée.


    AU ROY.

Sire, le jeudy de la sepmayne saincte, et non plus tost, est arrivée à
ceulx cy la certitude de la descente du comte de Montgommery en
Normandye, et de la surprinse qu'il a faicte de Quarantan; et
j'entendz que le mesme advis porte qu'il estoit bien près d'avoyr
aussy Valoignes, et que Mr de Torcy avoit parlé à luy, le XXIIe du
passé, et luy avoit monstré des articles, de la part de Vostre
Majesté, aulxquelz il avoit faict la responce, qu'il a mandée par
deçà; et que son frère avoit été tué, de guet à pens, par le
commandement de la Royne. Dont vous puis assurer, Sire, que ceste
princesse et ceulx de son conseil ont faict grande démonstration
d'estre fort malcontantz du dict comte, et m'avoit esté donné
espérance qu'il luy seroit escript de s'en retourner, et d'amander la
faulte qu'il avoit faicte, ou aultrement, que la dicte Dame s'en
ressantiroit; dont suis attandant ce qu'elle y voudra fère, car n'a
encores bien résolu, en son conseil, comme y procéder. Et je vous
supplye très humblement, Sire, vous souvenir comme, dès le
commancement de janvyer, je vous advertys du voyage du dict de
Montgommery à Gersé, et comme il falloit que le fissiés observer de
dellà, parce qu'il estoit tout auprès de vostre coste, et bien fort
esloigné d'icy, et que mandissiés advertyr, tout au long des places de
la mer, de se tenir bien sur ses gardes; dont je fus infinyement ayse,
par une dépesche du moys de febvrier dernier, que Vostre Majesté me
mandoit d'y avoyr très bien pourveu.

Or, Sire, ce que j'estime pouvoir maintenant fère est de retenir ceste
princesse, et pareillement ceulx de voz subjectz, qui sont encores par
deçà, le plus que je pourray, en vostre dévotion, et garder qu'ilz ne
suyvent ny favorisent l'entreprinse du dict de Montgommery. En quoy
j'ay faict desjà, et continueray ordinayrement de fère, les plus
exprès et les plus ardentz offices qu'il me sera possible. Et, quand à
l'heure présente, je ne sçaurois desirer rien de mieulx, de ceste
princesse, que ce que sa parolle et tout son semblant monstrent de
vouloir fère bonnement pour vous, en l'occurrence de voz présentz
affères; et que, pourveu que luy faciés sçavoyr, ou bien qu'elle
puisse cognoistre ce que desirés d'elle, elle promet de très
volontiers s'y employer.

Ung de ses principaulx conseillers, sur une nostre privée
communicquation, m'a faict sçavoyr que la dicte Dame et ceulx de son
conseil ne furent oncques mieulx disposés qu'à présent au propos du
mariage, parce qu'ilz prévoyent, plus que jamays, par une occulte
nécessité qui est dans cest estat, qu'elle et toutz eulx sont ruynés,
si elle ne se marye. Et néantmoins il leur semble que le docteur Dayl
y a senty du réfroydissement, de vostre costé, non que les termes,
dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy avez uzé, en sa
dernière audience, n'ayent esté bons et fondés en rayson, mais il luy
a semblé n'y avoyr cognu la mesmes affection que devant; et qu'icelluy
conseiller desireroit, au cas que Voz Majestez ne peussent, pour
encores, s'approcher de ceste frontyère, qu'elles fissent aulmoins
venir Mon dict Seigneur le Duc à ceste entrevue privée; où il me
pouvoit assurer qu'il seroit receuilly et reçu de bon cueur; et que
desjà ceste princesse avoit préparé ce qui faysoit besoing pour aller
là où elle prétandoit de le rencontrer; et, quoy que ce soit, il me
vouloit assurer, sur son honneur et sur le péril de son âme, que la
dicte Dame ny ceulx de son conseil n'estoient consantz, ny sçavantz,
de l'entreprinse du dict de Montgonmery, ains se tenoient fort
offancés de ce qu'il l'avoit faicte; et que c'estoit chose très
assurée qu'il n'avoit admené ny hommes, ny monitions aulcunes, de ce
royaulme, et n'en tireroit la valeur d'ung soul; comme à la vérité,
Sire, sellon le rapport que j'ay de l'estat du pays d'Ouest, il ne s'y
prépare, pour encores, rien en faveur de luy. Et sur ce, etc.

    Ce XVe jour d'apvril 1574.



CCCLXXVIe DÉPESCHE

--du XIXe jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Motifs qui ont engagé Montgommery à reprendre les armes.--Ses
    instances pour obtenir des secours.--Nouvelle de la fuite du
    prince de Condé.--Négociation faite, au nom de La Noue, auprès
    des Anglais et du prince d'Orange, pour qu'ils portent des
    secours à la Rochelle.--Armemens des Anglais, qui se tiennent
    prêts à profiter des troubles de France.--Nécessité de
    reprendre la négociation du mariage.--Effet produit à Londres
    par la nouvelle de l'arrestation du duc d'Alençon et du roi de
    Navarre.


    AU ROY.

Sire, par des lettres, que le comte de Montgommery a escriptes en
ceste court, il s'est voulu justiffier, de sa descente en Normandye,
sur des advertissementz qu'il assure luy avoyr esté donnés, de bon
lieu, comme l'entreprinse estoit faicte de le tuer, de voye de faict
ou par poyson, dans Gersey, et que, d'ailleurs, la Royne d'Angleterre
avoit suspecte sa demeure au dict lieu; dont il avoit mieulx aymé
aller exposer sa vye, avec ceulx qui estoient en armes en France, que
demeurer en ceste peyne, entendant mesmement qu'ilz monstroient de ne
les avoyr prinses que pour deffandre leur religyon, et pour éviter une
généralle exécution qu'on avoit décrettée contre eulx; et supplioyt
ses amys et parantz de luy moyenner quelques forces, de icy, pour le
secourir, et des vaysseaulx pour courre la mer, en son nom, et pour
fère quelque surprinse par dellà, où il s'en trouveroit la commodicté.
A quoy il n'a esté encores respondu, et ne seroient ses instances pour
produyre de grandz effectz, n'estoit tant de choses qu'on publie, si
advantageuses pour les eslevez, que cella esmeut bien fort les
Angloys d'accourir à leur guerre; en quoy n'est de petit moment la
fuyte, qu'on assure estre vraye, du Prince de Condé, qui a layssé la
charge que luy aviez donnée en Picardye, pour se retirer ou en
Allemaigue, ou avec eulx. Et, d'ailleurs, Sire, Mr de La Noue a envoyé
icy son ministre, Textor, lequel il a faict passer à la Rochelle pour
y prendre mémoyres et instructions; et n'a esté sitost arryvé en ceste
ville, que le ministre Villiers, et Bobineau, agent de la Rochelle, et
avec eulx Calnar, agent du prince d'Orange, l'ont mené vers aulcuns
seigneurs de ce conseil, à la court, où il a négocié bien fort
privément avec eulx. Et luy a l'on eu de tant plus de foy qu'il a
apporté lettres de fort expresse recommandation du dict Sr de La Noue
à Mr de Walsingam; ensemble, ainsy que j'entendz, certayne moictyé de
quelques enseignes, que les susdicts de La Noue et de Valsingam
s'estoient d'autrefoys my parties entre eulx pour signe de crédict, à
celluy par qui ilz les envoyeroient l'ung à l'aultre.

Et je souspeçonne fort que la négociation n'est légère, ny de peu
d'importance; de laquelle ce que j'en descouvre, pour ce commancement,
est que icelluy Textor rejette bien loing toutz moyens et propos de
paix; et qu'il demande assistance d'armes, de poudres et de vivres,
offrant, en eschange, du sel et du vin, et aultres marchandises, et
pareillement demande quelques vaysseaulx armez. En quoy semble que,
pour ce poinct, des vaysseaulx, il traicte aussy avec le dict Calnar
d'en avoyr du prince d'Orange; et est en grande espérance qu'il en
impétrera d'icy, avec les aultres choses qu'il requiert, et que, de
ceulx du dict prince, il les a desjà toutz assurés.

Or, Sire, ayant descouvert ces choses, je m'efforce, par toutz les
meilleurs moyens que je puis, et m'efforceray, à toute heure, d'en
traverser les effectz, et, possible, en interrompray je la pluspart;
mais de ce qui en pourra eschaper, à la desrobée ou soubz aultres
prétextes, je me trouve aussy perplex que j'ay esté, les aultres foys,
de le pouvoir empescher; mesmement que je viens d'entendre que ceulx
cy ont faict résolution d'armer toutz leurs grands navyres, et de
mettre bientost les meilleures et les plus gaillardes forces, qu'ilz
ayent, en mer, soubz colleur d'assurer ceste coste contre le passage
de l'armée d'Espaigne, bien que le depputé de Flandres, qui m'est
venu, ces jours icy, visiter, m'ayt dict qu'il a eu une très bonne et
fort favorable responce de ceste princesse, quand il l'a priée de
vouloir concéder le passage libre et seur, ez rades et portz
d'Angleterre, pour l'armée d'Espaigne. Dont semble, Sire, suyvant
les précédantz advis que je vous ay mandés, qu'il ne sera que bon
qu'ayez aulcunement suspect, et pourvoyés, le mieulx que pourrés,
que cest armement ne vous puisse nuyre, non que je descouvre en ceste
princesse ny aulx siens, pour encores, aulcune sinistre intention
contre Voz Majestez. Et seulement je les voy un peu altérez de ce
resfroidissement, qu'il leur semble sentir en Voz Majestez Très
Chrestiennes et Monseigneur le Duc, vers le propos du mariage; duquel,
si ne mandez bientost quelque bonne responce, il y a grand danger
qu'ilz n'accordent du tout, et ne concluent de bien grandes et
estroictes intelligences avec le Roy d'Espaigne, m'ayant ung
personnage d'authorité, et bien fort principal de ceste court, mandé
que, si bientost le party de Mon dict Seigneur le Duc ne se résoult,
et l'entrevue ne se fait, qu'il n'en faudra jamays plus parler; car
ung aultre propos sera substitué en lieu d'icelluy. Et sur ce, etc.

    Ce XIXe jour d'apvril 1574.

   Comme je voulois clorre la présente, les seigneurs de ce
   conseil m'ont envoyé dire que le pacquet de leur ambassadeur
   estoit arryvé; par où ilz avoient sceu que la fiebvre quarte
   avoit reprins Vostre Majesté, et qu'il y avoit grand trouble
   en vostre court, à l'occasion de certaynes praticques qui
   s'estoient descouvertes; dont aulcuns gentilhommes avoient
   esté constitués prisonniers, et Monseigneur le Duc et le Roy
   de Navarre mis en arrest, et voz gardes renforcés, et logés
   dedans le chasteau de Vincennes, et que tout y estoit si
   resserré qu'à peyne avoit peu sçavoyr, le dict ambassadeur,
   qu'est ce que se faysoit dedans; dont iceulx du dict conseil
   déploroient le présent estat de voz affères. De laquelle
   nouvelle, Sire, ceste court, avec toute ceste ville, sont si
   pleines, et y faict on dessus tant de nouveaulx desseings que
   j'en suis en très grande peyne. Dieu veuille que ce qu'ilz
   disent, et ce qu'ilz proposent, se trouve, à la fin, tout
   vain.



CCCLXXVIIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Audience.--Retard apporté à la réponse du roi, sur l'entrevue,
    par les nouveaux évènemens de France.--Reproche adressé, en
    France, à la reine d'Angleterre d'avoir favorisé l'expédition
    de Montgommery, et trempé dans le complot de Saint-Germain.--Sa
    justification.--Demandes faites par l'ambassadeur de la
    confirmation de la ligue, du secours promis par le traité
    d'alliance, et du désistement de l'entreprise de Montgommery,
    ou de la remise au roi de sa femme et de ses
    enfans.--Protestation que l'on doit avoir confiance dans le
    desir du roi d'accommoder les affaires de la religion en
    France.--Consentement donné par Élisabeth à toutes ces
    demandes.--Délibération des seigneurs d'Angleterre.--Conseil
    donné par Élisabeth au roi d'user de rigueur contre les auteurs
    du complot de Saint--Germain.--_Mémoire._ État des forces de
    Montgommery et de La Noue: détails de leurs négociations en
    Angleterre.--Avis d'une entreprise projetée contre Dieppe.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, le XXe de ce moys, donner les bonnes pasques à la
Royne d'Angleterre, et luy ay dict que j'avoys expressément différé,
cinq ou six jours, de venir fère ce debvoir vers elle, pour attendre
qu'il m'arryvât quelque dépesche de France; car Vostre Majesté n'avoit
accoustumé, ny la Royne, vostre mère, ny pareillement Monseigneur le
Duc, d'estre tant longtemps sans me mander de voz nouvelles, affin
d'en fère tousjours part à la dicte Dame, ny sans me commander de vous
escripre souvant des siennes. Dont il pouvoit bien estre qu'il y eût
quelque chose de ce trouble qu'on publioit de vostre court, qui vous
retardoit ainsy; mais que je la supplioys bien de ne croyre que le
tout fût vray, car il se cognoissoit facillement que la pluspart de ce
qu'on en avoit escript estoit plus recueilly de la paillasse que prins
du cabinet; et que n'ayant de quoy traicter maintenant avec elle sur
des lettres fresches, je luy racompterois ce que me commandiés par voz
précédentes, du XXIIIe du passé: c'est que vous desiriés qu'elle ne
voulût interpréter, sinon à bien, qu'au partir de Saint Germain vous
n'eussiés prins le chemin de Picardye, comme vous luy aviez promis de
le fère, Car aviés esté contrainct de retourner vers Paris, pour
pourvoir aux affères qui vous estoient survenus; dont la supplyois
qu'elle vous voulût ung peu proroger le temps de l'entrevue, avec
promesse que vous la luy viendriés accomplyr, en la façon qu'elle la
vous accordoit, à la première sallie que feriés des environs de Paris,
après qu'auriés restably la paciffication de vostre royaulme. Et
cependant vous vouliés seulement impétrer d'elle que Mon dict Seigneur
le Duc peût mener quelques seigneurs et gentilshommes, non en grand
nombre, mais de bonne qualité, quand il passeroit de deçà, affin de
pouvoir plus honnorablement comparoir en sa présence.

Elle m'a respondu qu'elle me remercyoit infinyement des bonnes pasques
que j'estois venu luy donner, lesquelles luy seroient ung passage à
plus d'heur, puisque je le luy souhaytois, et qu'elle regrettoit, du
plus profond de son âme, que les vostres ne vous eussent esté ainsy
joyeuses et pleynes de repos comme elle les vous desiroit, et qu'elle
n'avoit peu contenir ses larmes, au récit, de ce qu'on luy avoit
escript, du trouble que vous aviés en voz affères publicques de vostre
royaulme, et aulx privés de vostre mayson; et que, sellon l'exemple,
non trop vieulx, mais bien fort calamiteux, qu'elle avoit en ses
cronicques, de la ruyne d'aulcuns roys et des frères des roys
d'Angleterre, ses prédécesseurs, par la division, en quoy aulcuns
ambicieux subjectz, et pleins de passion, les avoient entretenus,
lesquels en avoient esté eulx mesmes les premiers ruynés, elle vous
supplyoit, de tout son cueur, Sire, que voulussiés procéder sagement,
et par les prudentz advis de la Royne, vostre mère, et par meure
dellibération du conseil, sans aulcune perturbation d'esprit, à
l'examen de cest affère; et que, de vous proroger l'entrevue, elle ne
le vous voudroit pas refuzer; mais pensoit que les choses se
trouveroient changées, et qu'elle n'avoit garde de recevoyr vers elle
ce que vous jugeriés digne d'estre banny de vous.

Je luy ay réplicqué qu'elle se pouvoit promectre d'avoir aultres
nouvelles, et trop meilleures, par la procheyne dépesche qui viendroit
de Vostre Majesté, que celles qu'on luy avoit escriptes; et, comment
qu'il en fût, que je sçavoys bien que vous luy feriés part de la vraye
vérité du tout. Et ay adjouxté qu'elle voyoit bien comme il playsoit à
Dieu de vous succiter beaucoup d'affères, par la présumption et trop
grande licence d'aulcuns de voz subjectz, dont aviez besoing, plus
que jamays, d'estre consolé et assisté des princes de vostre alliance;
et que je la supplioys de ne vous vouloir maintenant deffalir, sellon
que, en telles grandes occasions, les bonnes et royalles, et
généreuses amityés, comme estoit la sienne, se sçavoient bien
monstrer; et qu'elle vous fît sentir, à bon esciant, qu'il ne vous
failloit recourir, pour tous ces accidantz, à nulle meilleure ny plus
certeyne confédération que celle qu'elle vous avoit jurée, affin que,
vous tenant ferme à icelle, vous n'eussiés occasion de vous unir, ny
vous obliger, à nul aultre nouveau party;

Et que j'avoys ung extrême regret que le comte de Montgommery eût
ainsy entreprins d'aller, de l'isle de Gersey, qui estoit à elle,
surprendre une de voz places en Normandye, sans considérer le tort
qu'il succitoit à la ligue d'entre Voz Majestez, et l'interromption
qu'il mettoit au commerce de voz deux royaulmes, et le préjudice qu'il
faysoit au bon propos du mariage. Dont je l'avoys desjà supplyée que,
pour tesmoigner du déplaysir qu'elle en avoit, elle luy voulût mander
de se départir de son entreprinse, et réparer sa faulte, ou
qu'aultrement elle vous mettroit sa femme et ses enfantz entre voz
mains; et qu'il y avoit deux personnages, de bonne qualité, en
Normandye, qui m'avoient escript que, par aulcuns propos du dict de
Montgommery, et aultres divers argumentz, il y avoit grande apparance
que la dicte Dame eût sceu et tenu la main à l'entreprinse du dict de
Montgommery, et davantage qu'elle eût adhéré à ceulx qui, peu
auparavant, avoient atiltré leur rendez vous près de St Germain, pour
surpendre Vostre Majesté.

Sur quoy, je l'assurois de vous avoyr escript, Sire, que, si rien de
semblable vous estoit rapporté, que je vous supplioys très humblement
de ne le croyre, car je me voulois soubmettre à telle punition de
mort, qu'il vous plerroit me condampner, qu'elle ny ceulx de son
conseil n'avoient esté consentz ny sçavantz de l'une ny de l'autre
entreprinse, cognoissant qu'elle avoit le cueur si royal et la
conscience si bonne, et avoit en si grande recommandation sa parolle,
son honneur et la droicture, qu'elle ne voudroit, pour chose du monde,
avoyr faulcé les promesses et les serrementz de vostre dernier
traicté, ny vous avoyr rendu, en eschange de la grande amityé que luy
portiés, et du pourchas que fesiés de son alliance, ung tel trêt
d'ingrate et d'ennemye princesse, oultre que les mutuelles lettres,
qu'aviez de la main l'ung de l'aultre, vous debvoient assurer de
toutes semblables souspeçons d'entre vous; et qu'elle jugoit assez que
ceste reprinse d'armes de voz subjectz estoit si inicque qu'elle ne
méritoit d'estre favorizée, ains d'estre mortellement poursuivye de
toutz les honnorables princes du monde, sellon que je la supplioys de
considérer qu'il ne pouvoit estre rien de plus injuste que de ne
vouloir avoyr esgard que Vostre Majesté, ayant ung royaulme composé de
beaucoup de grandz princes et seigneurs, et de beaucoup de noblesse,
et d'ung grand nombre de prélatz et gentz d'église, et de plusieurs
bonnes et puissantes villes, de sept ou huict parlementz, et d'une
infinité de subjectz toutz catholicques, lesquelz ne falloit doubter
que n'eussent en grande révérance l'église romaine, s'ilz voyoient
qu'advantagissiez par trop les Protestantz, il n'y eût danger qu'ilz
prînssent ung party tout contrayre à celle naturelle affection et vray
amour qu'ilz vous portoient. Dont falloit qu'ilz se contentassent de
ce que bonnement pouviez fère pour eulx, sans mettre vostre estat en
danger; et que, s'ilz n'eussent aulmoins fondé leur reprinse d'armes,
sinon sur l'instance d'estre mieulx accomodez de l'exercice de leur
religion, sellon que, par le dernier édict de la Rochelle, il ne leur
y estoit assez suffizamment pourveu, bien que, pour nulle occasion du
monde, les subjectz doibvent jamays recourir aulx armes en l'endroict
de leur prince, si seroient ilz encores plus tolérables que de
collorer leur grand meffaict, par ung aultre plus grand, de calompnier
vostre réputation, qu'ayez voulu, contre votre parolle, surprendre la
Rochelle, et décrété une généralle exécution contre eux; chose que la
dicte Dame pouvoit juger, par les aultres occasions et grandz
empeschementz où vous estiés lors occupé, tant de vostre malladye que
de l'expédition du Roy de Pouloigne, vostre frère, et de son passage
par l'Allemaigne, et de l'avoyr franchement commis à la foy des
Protestantz, et vous estre quasy du tout désarmé, là où ilz
demeuroient avec une puissante armée en Languedoc, et d'avoyr approuvé
l'exécution que ceulx de la Rochelle avoient faicte contre ceulx
qu'ilz accusoient de la conspiration, bien qu'ilz s'en soient purgez à
leur mort, et l'ayent prinse à leur dampnation au cas qu'il fût vray,
et d'avoyr, en mesme temps, poursuivy, avec plus d'affection que
jamays, le propos du mariage d'entre elle et Monseigneur le Duc,
combien leur prétexte avoit peu d'apparance de vérité:

Et que pourtant je la supplioys qu'elle me voulût accorder quatre
choses; esquelles le droict et l'honnesteté l'obligoyent vers Vostre
Majesté: l'une estoit de vous assurer, avec effect, de la confirmation
et entretènement de la ligue que vous aviez avec elle, affin que
n'eussiez occasion d'en chercher de nouvelle ailleurs; l'aultre,
qu'elle vous offrît l'assistance, en quoy la dicte ligue l'obligoit
vers vous, et la dényât du tout aulx eslevez, de sorte qu'en nulle
façon du monde, ny ouverte, ny dissimulée, ilz ne peussent tirer
aulcun secours d'elle ny de son royaulme; la tierce estoit de faire
despartir le comte de Montgommery de son entreprinse, ou bien remettre
sa femme et ses enfantz entre voz mains, et qu'à cest effect elle fît
arrester sa famille; et la quatriesme, qu'elle voulût ainsy juger de
Vostre Majesté, comme d'ung prince qui vouloit bien traicter toutz ses
subjectz, et accommoder, avec toute seureté, en l'exercice de leur
nouvelle religyon, ceulx qui en estoient, aultant que, sans altérer
l'estat de vostre couronne, vous le pourriez fère.

Qui a esté ung propos, Sire, que, sur aulcuns advis qu'on m'a donnés,
de bonne part, j'ay estimé estre nécessayre que je tînse à la dicte
Dame.

Et elle m'a respondu qu'elle réputoit à ung très bon office que je
vous eusse ainsy escript à la descharge d'elle et de ses conseillers,
et qu'elle appeloit Dieu à tesmoing, et le prioit de fère tomber sur
elle la punition de mort, à quoy je m'estois soubmis vers vous, au cas
qu'elle ny eulx eussent eu aulcune participation aulx entreprinses de
voz eslevez, et que les choses que je luy demandois estoient si
raysonnables qu'elle n'en vouloit refuzer pas une; mesmes elle avoit
pensé de vous envoyer ung gentilhomme pour les vous offrir; ou bien,
encores mieulx que cella: tant y a qu'elle considéroit de ne se
debvoir trop ingérer en ceste cause, laquelle sembloit aulcunement
appartenir à sa religyon, de peur que, possible, vous eussiés son
office plus suspect que agréable, néantmoins qu'elle vous prioit, de
tout son cueur, d'adviser qu'est ce qu'il vous plerroit qu'elle fît
pour vous, en la présente occasion de voz affères, et qu'elle vous
promectoit devant Dieu que, droictement et de bonne affection, elle
s'y employeroit.

Et, sur ce, m'a renvoyé aulx seigneurs de son conseil, en l'assemblée
desquelz j'ay proposé les mesmes choses que j'avoys faict à elle. Et
eulx, après aulcunes excuses de l'occasion que les eslevez avoient de
souspeçonner le danger de leurs vyes et de leur religyon, m'ont
protesté, avec grands sèrementz, d'estre innocentz de toutes leurs
entreprinses, et que, non seulement ilz estoient marris, mais qu'ilz
déploroient la désolation de vostre royaulme, et que, pour le bien de
leur Mestresse et de sa couronne, ilz voudroient éviter, de tout leur
pouvoir, la diminution de vostre grandeur; dont, en ce qu'ilz auroient
moyen de la relever et conserver, ilz seroient prestz de s'y employer
très volontiers, en la façon que leur Mestresse le leur commanderoit.

Et m'estant, le jour après, arryvée la petite dépesche, que Vostre
Majesté m'a faicte, du Xe du présent, laquelle a esté onze jours en
chemin, je n'ay eu, par icelle, que adjouxter à ma précédente
négociation, ny de quoy leur respondre rien de plus certain sur les
particullaritez dont ils m'interrogeoient, que auparavant. Dont j'ay
advisé de ne retourner vers elle jusques à la venue de mon secrettère,
mais bien leur ay envoyé comunicquer la plus petite des deux lettres
de Vostre Majesté, et celle de Monseigneur le Duc, affin qu'ilz
vissent que les choses n'alloient de la façon qu'on les leur avoit
escriptes. Sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour d'apvril 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, ez propos que la Royne d'Angleterre m'a ceste foys tenus, elle
a monstré, à bon escient, qu'elle portoit peyne du trouble de voz
affères, et plus de ceulx qu'on luy avoit mandé estre survenuz en
vostre court que des aultres du royaulme; dont m'a faict les honnestes
responces que je mectz en la lettre du Roy; et encores d'aultres,
touchant les grandes preuves, que Dieu faict voyr au monde, de vostre
grande prudence et de vostre vertu, mettant souvant l'une et l'aultre
à des essays si dangereux qu'ung chascun s'esmerveille comme il est
possible de vous en desmeller; et néantmoins qu'il vous en faict
tousjours venir au dessus. En quoy, si son opinyon vous pouvoit
sembler aussy bonne comme elle est loyalle et pleyne d'amityé, elle
vous conseilleroit que fissiés si sévèrement punir ceulx, que
trouveriés coupables de ces désordres, qu'il servît d'exemple aulx
aultres. Et le comte de Lestre, sellon qu'on m'a rapporté, a faict,
sur ces nouveaulx accidantz, de bien fort dignes offices vers la dicte
Dame et dans ce conseil; et a déclaré qu'il aymeroit mieulx avoyr
perdu vingt mille escuz du sien, que si Voz Majestez Très Chrestiennes
avoient reçeu de Monseigneur le Duc, ny du Roy de Navarre, le
déplaysir qu'on leur avoit escript. Si Vostre Majesté a agréable que
la dicte Dame envoye, vers le Roy, ung gentilhomme pour les
complimentz que pourriés desirer d'elle, en ce temps, il m'a semblé
avoyr comprins d'elle qu'elle le fera très volontiers. Sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour d'apvril 1574.


   OULTRE LES DEUX PRÉCÉDANTES LETTRES, le mémoyre, qui s'ensuit,
   a esté adjouxté à la dépêche:

   Que le comte de Montgommery a escript, du XIIe de ce moys, à la
   comtesse, sa femme, comme il luy envoyoit la femme de son filz,
   et qu'elle ne fût plus en peyne de l'ung ny de l'aultre, car
   leur entreprinse alloit très bien;

   Qu'il avoit deux mille cinq centz bons hommes de pied et
   envyron six centz chevaulx;

   Que La Noue luy avoyt escript qu'il mît peyne de le venir
   bientost joindre, par le passage qu'il sçavoit: et ne le
   nommoit pas.

   Lequel La Noue avoit de cinq à six mille hommes de pied, et
   envyron mille chevaulx, et assuroit que tout le Poictou, tant
   Papistes que Huguenotz, estoient unanimes avecques luy.

   Que le dict de Montgommery espéroit avoyr bientost prins le
   chasteau de Valongnes, parce que, par un garçon qui alloit
   haster le secours, il avoit sceu qu'il n'y avoit plus munition,
   ny de guerre, ny de bouche, dedans;

   Qu'il prioit la dicte comtesse de fère advertyr les soldats
   françoys, et aultres, de deçà, qui avoient intention de l'aller
   trouver, qu'ilz se hastassent, pendant qu'il estoit près de la
   mer, parce que, quand il auroit marché en pays, il seroit
   difficile de se pouvoir conduyre jusques à luy;

   Que, par des lettres de la Rochelle, du premier, de ce moys,
   lesquelles le Sr de La Mothe Fénélon a trouvé moyen de voyr,
   semble que le ministre Textor ayt esté seulement dépesché par
   deçà, de la part du dict La Noue; et que, passant au dict lieu
   de la Rochelle, il ne luy ayt esté donné aulcune instruction,
   ny mémoyres, par les habitans; lesquelz monstrent que ceste
   reprinse d'armes ne leur plaist; et ne s'y joignent qu'à
   regret, se contantantz de l'édict qui est favorable pour eulx,
   et qu'ilz sentent qu'il y a, je ne sçay quoy, de trop maulvais,
   et du désordre beaucoup dans le fondz de l'entreprinse, dont
   n'en espèrent bien.

   Néantmoins leur agent, qui est icy, s'est envoyé excuser, vers
   le dict Sr de La Mothe, s'il n'alloit plus le visiter comme
   auparavant, parce que les choses estoient changées, et qu'on
   s'estoit, de rechef, esmeu en France pour la cause généralle de
   la religion; de laquelle il pensoit que ceulx de sa ville ne se
   voudroient séparer.

   Celluy, que le dict de La Mothe a faict nommer à Leurs Majestez
   par le Sr de Vassal, assure fort qu'il a beaucoup de moyen en
   la dicte ville, et parmy toute la noblesse du Poictou, de leur
   fère accepter les honnestes conditions de paix qu'il playra au
   Roy leur offrir, et s'en faict fort, ne luy manquant émulation,
   ny compétence contre les aultres chefz, et promet de fère ung
   très grand et loyal service à Sa Majesté.

   Que le susdict ministre Textor, après avoyr négocyé en ceste
   court, est passé en Ollande, et va trouver le comte Ludovic, de
   la part du dict La Noue, ce qui monstre que les Allemans et
   Flammantz, et Angloys, protestantz, sont de mesmes intelligence
   avec les Huguenotz, et qu'il y a quelque secrette confédération
   entre toutz eulx; à laquelle l'on contrainct ceste princesse de
   secrettement y adhérer, sur l'impression qu'on luy donne que le
   Roy s'est de nouveau ligué, avec le Pape et le Roy d'Espaigne,
   contre les dicts Protestantz et contre elle;

   Qu'il n'y a chose que le dict Textor rejette plus loing que
   toutz propos de paix, et dict qu'on n'a garde de poser ceste
   foys les armes, sans avoyr bien accommodé et estably, avec
   toute seureté, le faict de leur religyon: dont semble que le
   Roy doibt préparer ses forces pour n'estre contrainct de ses
   subjectz, ains pour les contraindre, eulx, d'accepter, de luy,
   les condicions qu'il leur voudra bailler;

   Que plusieurs particulliers, icy, font provision d'armes et de
   monitions de guerre, que le dict de La Mothe souspeçonne estre
   pour en accomoder le dict de Montgommery; et se dict que
   envyron quatre centz gentilshommes, ou soldatz, anglois, se
   préparent pour l'aller trouver, à quoy icelluy de la Mothe
   s'opposera, le plus qu'il luy sera possible;

   Que le cappitaine Girons, de Dieppe, a une entreprinse d'aller,
   avec quelques siens navyres de guerre, brusler la Salamandre,
   et aultres vaisseaulx, qui sont dans le hâvre de Dieppe, et
   mettre le feu dans la ville, s'il peut, affin d'essayer si, par
   ce désordre, il pourroit surprendre le chasteau: à quoy le dict
   de La Mothe a mandé, par deux voyes, à Mr de Sigoignes, d'y
   prendre garde;

   Que le vidame de Chartres promect bien tousjours de ne
   s'entremettre de rien contre le service du Roy. Néantmoins il
   semble que la nécessité le contreigne de sortir d'icy, et qu'il
   dellibère d'aller trouver le prince d'Orange ou le comte
   Palatin; dont le dict de La Mothe l'a prié de ne vouloir
   partir, sans le fère sçavoyr au Roy: et il luy a dissimulé
   qu'il eût volonté de s'en aller.



CCCLXXVIIIe DÉPESCHE

--du dernier jour d'apvril 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Nouveaux détails de la précédente audience---Efforts de
    l'ambassadeur pour rassurer Élisabeth sur la crainte d'une
    ligue, formée contre elle, par le roi et le roi
    d'Espagne.--Grands armemens faits à Londres.--Nouvelles
    d'Irlande.--Secours préparé pour Montgommery.--Projet
    d'Élisabeth d'envoyer un député en France.


    AU ROY.

Sire, je vous ay mandé, par mes précédentes, comme, entre aulcuns
propos de ma dernière audience, la Royne d'Angleterre m'avoit touché,
en passant, qu'on avoit opinyon que Vostre Majesté s'estoit, de
nouveau, ligué avec le Roy d'Espaigne contre les Protestantz; et que,
sans la faveur et assistance qu'aviez promis de luy fère, il n'eût
poinct entreprins d'envoyer son armée de mer par deçà, parce qu'il n'y
avoit pas ung port qui fût à sa dévotion. A quoy ma responce a esté
que Vous, Sire, et luy, pareillement, aviez assez à fère, chascun en
vostre propre estat, sans vous obliger, ny vous entremettre, de celluy
de l'aultre, et que voz prétancions estoient diverses, tendans, les
vostres, principallement à troys choses: à bien assurer la paix en
vostre royaulme, bien establyr les affères du Roy de Pouloigne, vostre
frère, et conduyre à quelque bonne fin le propos que pourchassés
d'elle avec Monseigneur le Duc, vostre aultre frère; et qu'en tout
cella Vostre Majesté n'avoit besoing de se liguer contre les
Protestantz; et que le Roy d'Espaigne prétandoit, de son costé, de
saulver ses Pays Ras, et de soubstenir la guerre contre le Turc; dont
elle pouvoit voyr que vostre intérest et le sien n'avoient rien de
commun; et que vous estiés entré en ligue avec elle, en laquelle, si
elle vouloit bonnement et droictement persister, vous n'aviez garde
d'en chercher d'autre, mais, s'il vous apparoissoit qu'en lieu de vous
ayder, elle s'efforçât ouvertement, ou soubz main, de vous nuyre,
qu'elle vous donroit grande occasion de rechercher le Roy d'Espaigne,
et de prendre party avecques luy; néantmoins que je ne pensois qu'il y
eût, à présent, aultre chose, entre vous deux, sinon, possible, qu'il
vous avoit demandé le passaige libre pour son armée, comme j'estimois
qu'aussy avoit il faict à elle, et que, à mon advis, ny vous, ny elle,
ne voudriés, en une si juste entreprinse, comme sembloit estre la
sienne, le luy refuzer.

Elle m'a réplicqué que, voyrement, luy avoit, le Sr de Sueneguen,
depuis huict jours en çà, parlé du dict passage, et luy en avoit
baillé lettre de son Maistre; et qu'elle luy avoit respondu qu'elle
s'esbahyssoit par trop comme, en tant d'ouverte amityé, que le Roy
d'Espaigne luy monstroit, il luy portoit une si occulte inimytié que
d'entretenir et extipendier ses rebelles, en ses pays, et mesmes qu'il
les retiroit près de luy, ainsy comme, à présent, elle entendoit qu'il
avoit faict venir en Espaigne Wesmerland, Acres, Merley, et aultres,
leurs semblables; et qu'elle me vouloit dire, en ung mot, qu'elle ne
creignoit nullement le Roy d'Espaigne, et qu'elle avoit desjà pourveu
qu'il ne luy peût, avec sa grande armée qu'il préparoit, ny avec ses
nouvelles ligues, ny avec l'intelligence de ses rebelles, fère aulcun
dommage.

Dont j'entendz, Sire, qu'elle a mandé renforcer d'armes et
d'artillerye, d'hommes et de monitions, toutz les forts, qui sont le
long de la coste, et toutz les portz de ce royaulme, et ordonné de
mettre en mer toutz ses grandz navyres, excepté seulement quatre; et
qu'il en sortira six, devant le XVe de may, avitaillés pour deux moys,
ainsy que desjà l'on faict venir trois mille marinyers pour mettre
dessus; et, dans le Xe de juing, sortiront les aultres XVIII
avitaillés pour ung moys; mais toutz extrêmement bien pourveus de
toutes choses nécessayres pour ung combat. Néantmoins elle n'a ordonné
encores, pour toute ceste dépence, que trente cinq mille escus,
d'extraordinayre, là où il en fault quatre vingtz mille, si toutz les
navyres sortent, oultre le coust des poudres. Et plusieurs
particulliers, à la chaleur de cest armement, arment aussy en divers
endroictz de ce royaulme. Ce qui semble requérir, Sire, que, le long
de vostre coste, l'on soit adverty de mettre toutes choses en bon
estat et de s'y tenir sur ses gardes.

Au regard des choses d'Irlande, il semble que ceste princesse les
veuille terminer par accord, et, à cest effect, elle a envoyé, ez
archives de Windesor, fère chercher certaynes capitulations, faictes
envyron l'an quarante cinq, par aulcuns principaulx O'Nels du pays,
avec le feu Roy Henry, son père, affin de les renouveller avec eulx.

Et quand aulx choses de France, le jeune La Moyssonnyère, normand,
s'appreste, le plus secrettement qu'il peut, pour aller trouver le
comte de Montgommery, avec quarante ou cinquante françoys qu'il
ramasse par deçà. Et, au reste, il ne se remue rien, à présent, entre
les Angloys, de ceste matyère, attandant que les nouvelles, qui
viendront, tant de vostre court, que du costé des eslevez, leur
monstrent comme s'y gouverner; dont je prie Dieu qu'elles soient
sellon vostre desir. Et sur ce, etc.

    Ce XXXe jour d'apvril 1574.


   _Par postille à la lettre précédente._

   Je viens, tout à ceste heure, d'estre adverty que, sur une
   dépesche, qui est arryvée du docteur Dayl, ceste princesse a
   prins une soubdayne résolution de vous envoyer, dans deux ou
   trois jours, ung gentilhomme. Je mettray peyne d'entendre, le
   plus avant que je pourray, de sa légation, affin de la vous
   mander; et ne le lerray partir, s'il m'est possible, sans
   l'accompaigner de l'ung des miens, tant pour l'observer que
   pour le fère bien recevoyr.



CCCLXXIXe DÉPESCHE

--du IIIe jour de may 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Audience.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle a résolu d'envoyer le
    capitaine Leython en France pour s'informer de la santé du roi,
    connaître le véritable état des choses, offrir sa médiation, et
    savoir les causes de la mise en arrêt du duc
    d'Alençon.--Efforts de l'ambassadeur pour retarder le départ du
    capitaine Leython.--Crainte que lui inspire cette
    mission.--Prière pour qu'un bon accueil soit fait à l'envoyé
    d'Élisabeth.


    AU ROY.

Sire, suyvant ce que je vous ay mandé, par le postille de ma
précédente, du dernier du passé, que ceste princesse avoit dellibéré
d'envoyer ung gentilhomme devers Vostre Majesté, elle, premier que de
le dépescher, a bien voulu m'en parler, et m'a envoyé prier que je la
vînse trouver à Grenvich; auquel lieu, après aulcunes parolles de la
diverse façon de ceste audience, en laquelle elle se trouvoit
requérante, au lieu que j'avoys accoustumé tousjours de requérir, elle
m'a dict:

Qu'ayant considéré la diversité des choses qu'on mandoit de France,
elle avoit escript à son ambassadeur qu'il fît dilligence de sçavoyr,
le plus près qu'il pourroit, le vray estat d'icelles, affin qu'elle
peût uzer, là dessus, vers Vostre Majesté, du debvoir, en quoy vostre
commune confédération, et vostre mutuelle amityé, l'obligeoit; et
qu'il luy avoit freschement escript qu'il avoit eu deux audiences de
Voz Majestez Très Chrestiennes, et qu'encor que ne fussiés bien guéry
de la fiebvre quarte, que néantmoins vous n'aviez layssé de bien fort
bénignement l'ouyr, et pareillement la Royne, vostre mère, l'avoit
escouté, aultant qu'il avoit voulu, et luy avoit amplement respondu;
et que, de là et d'aulcuns aultres advertissementz, qu'on luy avoit
donné, d'ailleurs, il l'avoit maintenant esclarcye, le plus qu'il
avoit peu, comme le tout alloit, dont estimoit toucher maintenant à
elle de vous envoyer visiter sur trois occasions:

L'une, de vostre malladye, pour vous tesmoigner combien elle en avoit
de déplaysir, et combien, de bon cueur, elle desiroit vostre santé;
l'autre, sur les troubles de vostre royaulme, pour vous offrir ce
qu'estimeriés qu'elle peût fère pour la conservation de vostre
authorité, car elle seroit preste de vous y assister de toute sa
puissance; et la troysiesme, pour se condouloir de ceste plus privée
et domesticque calamité du souspeçon, qu'on vous avoit donné, de
Monseigneur le Duc, vostre frère;

Et que, sur ceste dernière, elle me vouloit dire librement que, si, en
nulle des deux entreprinses, de St Germain, ny du boys de Vincennes,
ny en nulle aultre occasion du monde, Mon dict Seigneur se trouvoit,
peu ny prou, coupable vers la personne ny l'estat de Vostre Majesté,
qu'elle protestoit de ne le voyr jamays, car elle n'avoit d'amityé
avecques luy, qu'aultant que Vous mesmes et la Royne, vostre mère, y
en aviez voulu mettre; et n'y en pouvoit jamays avoyr d'aultre que
celle que vous y establiriés, parce qu'elle faysoit principalement
estat de la vostre. Néantmoins, si les choses alloient ainsy, comme
aulcuns disoient, que Mon dict Seigneur eût esté adverty, par des
siens, de prendre garde à luy, parce qu'on vouloit attempter à sa
personne, et que, sur cella, il eût pensé de se retirer en quelque
lieu pour, de là en hors, fère entendre son faict à Vostre Majesté, et
à là Royne, vostre mère; et que, pour ceste occasion seulement, vous
fussiés entré en quelque deffiance de luy, qu'elle estimoit que, pour
chose si légière, Vostre Majesté luy debvoit avoyr espargné l'escorne
et l'escandalle de mettre en doubte qu'il ne vous ayt tousjours esté
très fidelle et très obéyssant frère et subject; et qu'elle vouloit
encores passer oultre, de tant que Vous et la Royne, vostre mère,
l'aviez tant honnorée que de la rechercher d'alliance pour luy, et que
luy mesmes s'estoit offert à elle, bien qu'ilz ne fussent, ny,
possible, seroient jamais l'ung à l'autre; néantmoins y ayant, elle,
faict desjà quelque responce, si, d'avanture, aulcuns particulliers
s'estoient cependant ingérés de mener une si pernicieuse trame que de
vous avoir faict mettre la main sur luy, en deffaveur du dict propos,
et pour l'interrompre, qu'elle estimoit toucher, par trop, à son
honneur, de s'en ressentir contre eulx, en toutes les façons qu'elle
pourroit, et qu'indubitablement elle se mettroit en son debvoir de le
fère; et que ces trois occasions l'avoient faicte résoudre de vous
envoyer promptement le cappitaine Leython, espérant qu'auriés
agréable, et prendriés de bonne part sa bonne et saincte intention;
laquelle ne tendoit qu'à vostre honneur, et à l'honneur des vostres,
et à vostre repos.

Je luy ay respondu que je ne pouvois sinon beaucoup louer, et la
remercyer infinyement du propos qu'elle me venoit de tenir, voyant la
grande considération, qu'elle y avoit, de la santé de Vostre Majesté,
du repos de vostre royaulme, et de l'union de Mon dict Seigneur le Duc
à vostre parfaicte intelligence; et que sa légation là dessus ne
pourroit estre sinon très honnorable pour, elle, et convenable au
besoing qu'aviez d'estre, en ce temps, visité, conseillé et assisté
des princes de vostre alliance; et que, pour le regard du dernier
poinct, je luy avoys faict voyr ce que Mon dict Seigneur le Duc
m'avoit luy mesme escript, du Xe du passé, comme il n'avoit eu, ny
n'auroit jamays, aultre volonté que de se conformer, en tout et par
tout, à la vostre; et que je la supplioys de ne vouloir penser
aultrement de luy qu'ainsy que Vostre Majesté et la Royne, vostre
mère, en avoient respondu à son ambassadeur; et que, si elle vouloit
avoyr pacience de dépescher le dict cappitaine Leython, jusques à ce
que j'eusse receu lettres de Vostre Majesté, je l'informerois si
clèrement de la vérité de ce qui en estoit, qu'elle le pourroit, puis
après, fère partir avec plus de fondement.

Elle m'a réplicqué que les advertissementz, qu'elle avoit, n'estoient
légiers, ny vains, et que pourtant elle ne vouloit plus temporiser là
dessus, et si, vouloit que le dict Leython fût plus tost par dellà,
qu'on ne sceût qu'elle le vous eût dépesché.

J'ay adjouxté que je la supplioys donc de deux choses: c'est que je le
peusse accompaigner d'ung mien gentilhomme, pour le fère traicter et
bien recevoyr partout, et qu'elle le voulût adresser seulement à Voz
Majestez, et le charger de ne fère, ny dire, ny uzer, en ce temps,
sinon ainsi que luy ordonneriez.

Elle m'a respondu qu'elle m'accordoit volontiers ce dernier, et mesmes
de ne voyr poinct Mon dict Seigneur le Duc; s'il ne vous playsoit,
mais qu'au reste il n'estoit poinct besoing de tant de traictement au
dict Leython, et qu'elle vouloit qu'il y allât fort secrettement. Et
puis a adjouxté certaynes plainctes d'aulcuns de leurs navyres
marchandz, qui ont esté nouvellement assallis par des françoys, et du
peu de justice qu'on leur administroit en France; ce qui animoit les
Angloys de s'en vouloir revencher.

A quoy je n'ay esté court de luy bien respondre que ceulx, qui
faysoient l'injure et la violence, se pleignoient. Dont, Sire, ayant
considéré le langage et les contenances de la dicte Dame, l'altération
en quoy son ambassadeur, qui est par dellà, semble l'avoyr mise,
l'estroite négociation que le Sr de Montleroy, venant de Ollande, a eu
avec aulcuns de son conseil, premier que de se rembarquer pour la
Rochelle, et l'advancement qui se met en l'accord des Pays Bas, je
suis tombé en de nouvelles souspeçons; lesquelles il vous plerra
entendre du Sr de Sabran, présent porteur, qui, pour en éviter encores
de plus grandes, je l'ay bien voulu joindre au voyage du dict
cappitaine Leython. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de may 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, encor que le prétexte, que la Royne d'Angleterre prend,
d'envoyer présentement Me Leython, cappitaine de Grènezay, devers Voz
Majestez, soit sur une occasion si honneste et pleyne d'honneur que je
n'ay ozé bonnement le luy contredire, si ay je essayé, par divers
moyens, de l'en divertyr; ou aulmoins qu'elle voulût prolonger son
partement, jusques à ce que j'aurois receu quelque pacquet de France,
par où elle peût donner plus de fondement à ce voyage; mais il semble
que le docteur Dayl la luy ayt baillée si chaude, qu'elle prend pour
ung grand poinct d'honneur de ne temporizer en cella une seulle heure.
Dont, de tant que plusieurs choses concourent maintenant avec ceste
cy, je fay aulcunes conjectures là dessus qui ont beaucoup de
vraysemblable; lesquelles le Sr de Sabran, qui va avec le dict
Leython, vous dira; et je supplie très humblement Vostre Majesté de
les considérer, et qu'au reste elle veuille fère bien recevoyr, et
fère bien traicter et gratiffier le dict Me Leython, parce qu'il est
tenu en quelque bon compte de sa Mestresse et en ceste court, et est
parant, et bien fort favory, du comte de Lestre.

J'ay admené beaucoup de raisons à la dicte Dame pour la persuader que,
sans s'arrester à l'apparence des choses, qu'aulcuns qui, possible, ne
les cognoissoient ny les entendoient, luy pourroient avoyr escripte,
elle voulût demeurer ferme au bon propos dont Voz Majestez Très
Chrestiennes l'avoient recherchée, et la recherchoient encores, plus
que jamays, pour Monseigneur le Duc. A quoy elle m'a respondu qu'il
falloit que le temps luy monstrât comme elle auroit à s'y conduyre, et
qu'elle avoit à vous fère une querelle de ce que vous aviez
aulcunement dissimulé à son ambassadeur la détention de Mon dict
Seigneur le Duc.

Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de may 1574.

   Je vous suplie très humblement, Madame, de monstrer au dict
   Leython que Voz Majestez ont très bonne opinyon et grande
   confiance du comte de Lestre; car il importe de tout ce que
   pouvez desirer de ce royaulme, que le reteigniés en vostre
   dévotion, et est nécessayre que le gratiffiés de quelque
   honneste présent.



CCCLXXXe DÉPESCHE

--du Xe jour de may 1574.--

(_Envoyée jusques à la court par l'homme de Mr Brullard._)

  Audience.--Complot de Saint-Germain.--Arrestation de Coconas et
    de La Mole.--Dispositions prises par le roi pour rétablir la
    paix.--Justification du duc d'Alençon et du roi de
    Navarre.--Intercession d'Élisabeth en faveur de La
    Mole.--Déclaration concernant Montgommery.--Assurance donnée
    par l'ambassadeur à Élisabeth, que Mr de Montmorenci n'a pas
    trempé dans le complot.--Plaintes d'Élisabeth au sujet des
    prises faites sur les Anglais.--Nouvelle de l'arrestation de
    Mrs de Montmorenci et de Cossé.


    AU ROY.

Sire, sur le retour de mon secrettère, je suis allé dire à la Royne
d'Angleterre, qu'après avoyr longuement desiré sçavoyr de voz
nouvelles et de celles de vostre santé, et de ce qui se faisoit près
de Voz Majestez Très Chrestiennes, il vous avoit pleu m'en mander bien
largement pour en fère bonne part à elle; et qu'en premier lieu, me
commandiés de l'assurer de vostre convalescence et bon portement, et,
après, de luy représanter fort expressément, le bien et consolation
que, par aulcunes de mes lettres, et par des propos de son
ambassadeur, vous aviez receu, ez présentz accidans de voz affères,
d'avoyr comprins qu'elle en portoit peyne, comme si elle santoit du
trouble aulx siens; et mesmement de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il
y avoit quelque chose meslé de Monseigneur, vostre frère, et
pareillement des honnorables responces qu'elle m'avoit rendues, sur le
faict du comte de Montgommery; qui estoient démonstrations que vous
recognoissiés procéder d'une très bonne affection qu'elle vous
portoit, et qui vous estoient si utilles et propres, en ce temps,
qu'en nulle aultre sayson du monde, elle vous pourroit mieulx fère
gouster le fruict, qui vous restoit, d'avoyr longuement entretenu une
pure et ferme amityé avecques elle: dont l'en vouliés remercyer de
tout vostre cueur, et la suppliés de croyre qu'elle n'employeroit
jamays aulcune sorte d'honnesteté, ny de courtoysie, vers prince du
monde, qui les receût avec plus de profonde recognoissance, que vous
fesiés; qui vous assuriés qu'elle les accompagneroit toujours de
semblables bons effectz, ainsy qu'elle ne debvoit fère aussy aulcun
doubte de ne trouver une parfaicte correspondance en Vostre Majesté,
sur toutz les affères et accidans qui luy pourroient jamays survenir;
et que, pour ne luy celler rien de ce qui vous estoit advenu, vous me
commandiés de luy en dire toutes les particullarités jusques à la plus
moindre.

Dont luy ay récité, Sire, le contenu de vostre lettre du XVIIe du
passé,[1] en ce qui concernoit l'entreprinse de St Germain en Laye,
qui avoit esté descouverte, et comme, depuis, l'on l'avoit volue
exécuter, ou bien une semblable, au boys de Vincennes; à quoy vous
aviez très bien remédyé, et comme aviez faict constituer prisonnier le
comte de Couconnas, La Mole, et aultres, qu'on souspeçonnoit y avoyr
tenu la main; lesquels aviés renvoyés à vostre parlement de Paris pour
en fère justice; la volontayre confession, qu'ilz avoient faicte,
d'avoyr voulu suborner Monseigneur le Duc, et le Roy de Navarre, et
d'avoyr faict atiltrer chevaulx, avec le rendés vous, pour les
substrère de court, et les desjoindre d'avec Voz Majestez Très
Chrestiennes; la déclaration que Mon dict Seigneur le Duc, et le Roy
de Navarre, s'appercevans de la tromperie qu'on leur avoit uzée, vous
estoient venus fère, où n'aviez trouvé qu'une très honneste
signiffication de n'avoyr, l'ung ny l'aultre, jamays eu aultre volonté
que de suyvre entièrement la vostre; le poinct de la déposition du
dict Couconnas, touchant le comte de Montgommery, et l'instance que
vous faysiés là dessus à la dicte Dame d'y pourvoir; la retraicte du
Prince de Condé vers Sedan, sur ung faulx donner entendre; et comme
vous aviez envoyé après luy pour le bien informer, et le rappeller en
la charge de son gouvernement; les nouvelles que Monsieur de
Montpensier et monsieur de La Vauguyon, du costé de Poictou, et
monsieur de Matignon, du costé de Normandye, et monsieur de La
Vallete, du costé de Gascogne, vous avoient mandées, touchant les bons
exploitz qu'ilz avoient exécutés contre les eslevez, lesquels vous
estimiés que bientost seroient réduictz à ne mespriser poinct la paix,
ainsy que vous dellibériés, plus que jamays, de la leur donner, et de
l'establir en vostre royaulme, sellon qu'aviés envoyé la traicter et
la conclurre près de monsieur le mareschal Danville, avec ceulx de
Languedoc, par Mr de St Suplice et de Villeroy, et avec ceulx de
Poictou et de la Rochelle par Mrs Strossy et Pinard; et que, à
deffault qu'ilz ne la voulussent accepter, que vous fesiés tenir
quatre mille reytres en vuartguelt, et une levée de six mille suysses
toute preste pour les y contraindre.

[1] Voir le _Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe
Fénélon_. Cette lettre est inédite, elle ne se trouve pas dans la
collection publiée par Le Laboureur.

Et puis ay adjouxté, Sire, qu'encor que toutz ces affères vous
pressassent beaucoup, et vous empêchassent de satisfère à ce qu'aviez
mandé à la dicte Dame, de vouloir venir en Picardye, pour conduyre
l'entrevue qu'elle vous avoit accordée, que néantmoins vous la
suppliés, de bon cueur, qu'elle ne voulût en rien changer sa bonne
dellibération, en cest endroict, tout ainsy que Vostre Majesté et la
Royne, vostre mère, demeuriés très constantz et immobiles en
l'affection d'estreindre, de plus en plus, par ce bon propos de
mariage, et par tous les bons moyens qui se pourroient trouver au
monde, une perdurable et inviolable amityé et alliance avec elle; et
qu'aussytost que sentiriés ung peu de relasche en voz dicts affères,
vous ne faudriés de vous acheminer à Bouloigne.

De toutz lesquelz propos, Sire, la dicte Dame a monstré, par des
parolles bien expresses, et par des contenances, qui m'ont semblé non
feinctes, ny pleines d'artiffice, qu'elle en recevoit beaucoup d'ayse
et de contantement; et m'a dict que de vostre convalescence, elle en
avoit eu desjà advis, et en avoit remercyé Dieu, ainsy dévotement,
comme elle debvoit, pour la conservation d'ung prince, à qui elle se
trouvoit, par plusieurs grandes et bien expresses obligations
d'amityé, fort estroictement unie; et que, de tant plus avoit elle
agréable la confirmation, que je luy en apportois maintenant, qu'on
luy avoit voulu imprimer beaucoup de doubtes de la qualité de vostre
malladye, dont elle vous supplioit, de toute son affection, que
voulussiez avoyr soing de vostre santé; qu'elle santoit ung très grand
playsir que vous jugiés ainsy bien de ses déportementz vers voz
affères, comme ilz estoient très parfaictement bons et droictz, et
qu'il luy seroit faict un très grand tort de les souspeçonner
aultrement, car juroit à Dieu qu'elle desiroit la conservation de
vostre estat, de vostre authorité et de vostre grandeur, comme la
sienne propre, ainsy qu'elle vous l'avoit envoyé tesmoigner par le
cappitaine Leython, duquel elle espéroit que prendriés de bonne part
tous les poinctz de sa légation;

Qu'elle vous remercyoit très grandement de la communicquation, qu'il
vous playsoit luy fère, de voz affères, laquelle elle prenoit pour ung
très certain gage de la bonne intelligence que vouliés continuer avec
elle; et qu'elle joignoit en cella les mouvementz de son affection à
ceulx de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, pour se douloir
de ce qui vous donroit affliction, et se resjouyr des choses qui
succèderoient à vostre advantage; qu'elle confessoit avoyr porté
beaucoup de peyne du bruict qu'on avoit faict courir de Monseigneur le
Duc, car desiroit qu'ung tel prince, de qui vous meniés ung propos
d'alliance avecques elle, fût exempt de toute apparance de chose qui
peût toucher à sa réputation; ce qu'elle, à dire vray, vouloit bien
examiner, car, non seulement le vouloit cognoistre exempt de coulpe,
mais encores de toute souspeçon d'en avoyr; et que si, d'avanture, la
chose alloit ainsy, qu'on l'eût adverty que quelques ungs vouloient
attempter à sa personne, et qu'à ceste occasion il eût pensé de se
retirer, non pour se joindre aulx eslevez, ny pour entreprendre rien
contre vostre intention, car cella seroit inexcusable, mais pour
pourvoir à luy, qu'il ne luy en debvoit estre rien imputé, non plus
qu'à La Molle, si sa dellibération n'avoit tendu qu'à saulver la vye
de son maistre, ainsy qu'elle le vous avoit faict remonstrer par son
ambassadeur; et qu'elle vous prioit, d'ung cueur de bonne seur, de ne
vouloir, à la persuasion et praticque de ceulx qui, possible, n'ont
bonne intention à vostre grandeur, laysser oprimer la réputation de
Mon dict Seigneur le Duc, ny la vye de son serviteur, si elle y
attouchoit en rien;

Et, quand à ce que le comte de Couconnas avoit dict du comte de
Montgommery, elle me pouvoit dire, avec vérité, de n'avoyr entendu ung
seul mot d'icelluy Montgommery, depuis sa folle entreprinse, et qu'il
sentoit bien, où qu'il fût, qu'il l'avoit offancée, et qu'il n'avoit à
demander ny espérer rien de ce royaulme; dont elle vous prioit, Sire,
de vous en mettre en tout repos; qu'elle auroit grand playsir que
donnissiés la paix, et ung honneste accommodement en la religion, à
voz subjectz, affin de satisfère à vostre parolle, et divertyr les
inconvénientz de ceste guerre, qui ne pourroient, sellon qu'elle les
comprenoit, estre sinon bien grands et dangereux; et, en cas qu'ilz ne
se voulusent contanter de la rayson, qu'elle louoit bien fort
qu'eussiés faict une bonne provision de forces pour les y contreindre;
en quoy elle vous offroit, de bon cueur, tout ce à quoy vous jugeriés
bon et honneste de l'employer.

J'ay mis peyne, Sire, de luy agréer, par toutes les bonnes parolles
que j'ay peu, sa bonne et vertueuse responce, et, après aulcunes
particullarités, je me suis arresté ung peu à luy dire, touchant
Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre, que Voz Majestez Très
Chrestiennes les avoient trouvés si esloignés de toutes malles
pensées, et avoyr l'intention et l'inclination si vertueuses et si
généreuses, à tout ce qui estoit de leur debvoir et de leur honneur,
envers Dieu et Vostre Majesté, que Vous, et la Royne, vostre mère, me
mandiés que, pour vostre singullier contantement, vous n'y sçauriés
desirer rien de plus, ny de mieulx, et qu'il n'y avoit jamays eu ung
plus naturel amour, ny une plus parfaicte intelligence, entre vous,
que mayntenant;

Et, pour le regard de La Molle, que je luy voulois bien monstrer ce
que la Royne m'en escripvoit, du XXVe du passé, dont luy ay leu la
lettre.

Et elle m'a dict qu'elle craignoit seulement le danger du serviteur,
pour la réputation de Monseigneur; et m'a demandé comme il alloit de
Monsieur de Montmorency.

Je luy ay dict qu'il continuoit tousjours le debvoir d'ung grand et
loyal, et très fidelle subject, vers Vostre Majesté, et que c'estoit
luy qui, ayant examiné le faict, et cognu la grande tromperie qu'on
avoit voulu uzer à Voz Majestez, et à ces jeunes princes, avoit jugé
qu'il estoit besoing de chastiement; dont il tenoit son lieu près de
Voz Majestez, avec plus de crédit et d'authorité que jamays.

Et, sur la fin, la dicte Dame m'a comentée la pleincte de ses
subjectz, touchant les prinses et otrages, que les Françoys leur
faysoient sur mer, et du peu de justice qu'ilz trouvoient en France;
et qu'elle vous supplyoit très cordiallement, Sire, d'y pourvoir,
affin de fermer la bouche à aulcuns des siens, qui prenoient occasion,
par là, de mal opiner sur l'entretènement de vostre mutuelle amityé.
Sur quoy, luy ayant déduict plusieurs choses pour rejecter la coulpe
sur elle, et sur les siens, ainsy qu'elle en a advoué une grande
partie, elle m'a fort gracieusement licencié. Et sur ce, etc. Ce Xe
jour de may 1574.

   Ce que dessus estoit bien advancé d'escripre, quand la
   dépesche de Vostre Majesté, du IIe du présent, est arrivée,
   laquelle satisfaict amplement, et par très bon ordre, à mes
   précédantes, et à plusieurs aultres choses qu'il estoit
   besoing que je sceusse; dont en iray entretenir, ung jour de
   ceste sepmayne, ceste princesse, et mettray peyne de la tenir
   tousjours la mieulx disposée, que je pourray, vers Vostre
   Majesté.

   Tout à ceste heure, me vient d'arryver une aultre dépesche, du
   IIIIe du présent, avec la nouvelle de la détention de
   messieurs de Montmorency et de Cossé. Je traicteray de l'une
   et de l'aultre avec la dicte Dame, et puis vous manderay ce
   qu'elle m'en aura dict.



CCCLXXXIe DÉPESCHE

--du XVIe jour de may 1574.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Changement apporté dans les bonnes dispositions des Anglais par
    les exécutions de Coconas et de La Mole, et l'arrestation de
    Mrs de Montmorenci et de Cossé.--Grands armemens faits en
    Angleterre, qui peuvent être dirigés contre la
    France.--Sollicitations de Montgommery pour avoir des
    secours.--Audience.--Mécontentement d'Élisabeth au sujet de
    l'exécution de La Mole.--Conseils qu'elle donne au
    roi.--Nouvelle proposition de l'entrevue, faite par
    l'ambassadeur.--Disposition d'Élisabeth à reprendre la
    négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, devant le dixiesme de ce moys, je n'avoys poinct cognu que les
Angloys eussent aulcune dellibération contre Vostre Majesté, ny pas
une contre le repos de vostre royaulme, en faveur des eslevez; ains
que toutz leurs appretz et appareils, tant par mer que par terre,
s'adressoient contre l'armée d'Espaigne, à laquelle, nonobstant qu'ilz
eussent accordé l'octroy du passage libre, et de pouvoir entrer dans
les portz, et toutes aultres faveurs et rafraychissementz qu'elle
voudroit demander, comme à flote d'amys et confédérez, la résolution
estoit néantmoins prinse de luy oposer une aultre gagliarde armée, de
toutz les grandz vaysseaulx de ceste princesse, et de plusieurs
aultres particulliers, jusques au nombre de cent; non sans quelque
secrette intelligence, avec le prince d'Orange et avec ceulx de la
Rochelle, que, au cas qu'avec cent aultres bons navyres qu'ilz
debvoient avoyr lors en mer (sçavoir le dict prince, soixante dix,
pour sa part, et iceulx de la Rochelle trente, équippés aulx despens
du contract de sel qu'ilz ont faict avec les Ollandoys), icelluy
prince attachât le combat, qu'indubitablement il seroit assisté des
Angloys. Et desjà estoit arresté que l'amyral mesmes d'Angleterre, et
plusieurs gentilshommes de court, et aultres principaulx personnages
du royaulme, yroient à l'entreprinse. Dont les six premiers
vaysseaulx, avec deux mille cinq centz hommes, debvoient sortir, le
XXe du présent, soubz la conduicte de milord Havart, et le reste de
l'armée s'aller dresser, en la plus grande dilligence que fère se
pourroit, à Porsemue, pour estre preste, ung peu avant la St Jehan.

Mais aussytost que les deux évènementz, de l'exécution du comte de
Couconnas et de La Molle, et puis de l'emprisonnement de MMrs les
mareschaulx de Montmorency et de Cossé, ont esté rapportés icy, le Xe
de ce moys, par le courrier de leur ambassadeur; à quoy ilz adjouxtent
davantage que Mr le mareschal Dampville a esté aussy faict prisonnier
à Narbonne, il n'est pas à croyre la mutation et changement de
volontés qu'on a incontinent veu en ceste court. Et n'ay peu encores
descouvrir, Sire, si, en leurs fréquentes et longues tenues de
conseil, ilz ont rien ordonné contre ce qu'ilz avoient dellibéré
auparavant, ny à quoy présentement ilz se résolvent; tant y a que je
supplye très humblement Vostre Majesté de donner tout le meilleur
ordre, qu'elle pourra, aulx portz et places qui regardent
l'Angleterre; car, là où auparavant je n'entendoys, de toutes partz,
icy, que bonnes parolles de paix avecques la France, maintenant l'on
m'en rapporte, à toute heure, de bien contrayres. Et je sçay bien que
ceulx cy n'ont faute d'inclination à la cause des eslevez, et si, sont
si picqués de l'exécution de ces deux gentilshommes, et de la
détention des aultres trois seigneurs, croyant fermement que cella a
esté conduict par la menée du party, qu'ilz estiment estre leur
adversayre, que je ne fay doubte que Vostre Majesté n'ayt à sentir, ou
ouvertement, ou soubz main, de la contradiction, de ce royaulme, avant
la fin de l'esté; bien que je m'y opposeray le plus qu'il me sera
possible.

Et suyvant ce qu'il vous a pleu me commander, Sire, que je advertisse
les gouverneurs, mes voysins, de ce que je pourrois descouvrir qui
leur importeroit, j'ay desjà escript, de ma main, à Mr de Calliac une
entreprinse qu'on avoit sur Bolloigne, laquelle a esté offerte au
prince d'Orange, qui, sellon qu'on m'a dict, l'a refuzée; et depuis,
celluy, qui l'a mené, a esté icy, et a parlé à ceulx de ce conseil.
Aussy a parlé à eulx ung, qu'on nomme Lelua, homme de peu d'apparance
et de petite qualité, qui dit estre envoyé de la part du Prince de
Condé, pour encourager à la guerre les françoys qui sont par deçà, et
les assurer que, dans le prochain moys de juillet, il sera avec une
armée bien près de Paris.

Et le comte de Montgommery a escript, de son costé, en ceste court,
conformément à ce que m'avez mandé de luy, qu'il estoit sorty de St
Lo; mais dict que c'est avec trois centz chevaulx, et ce, à deux fins:
l'une, pour soulager les vivres et monitions de la place, et l'autre
pour assembler des forces, affin d'aller lever Mr de Matignon de
devant le dict St Lo, ainsy qu'il l'a levé, luy, de devant Valoignes;
mais aulcuns présument qu'il l'a faict pour ne se vouloir enfermer, et
pour munir, le mieulx qu'il pourra, Quarantan, qui est ung lieu sur la
mer, affin de s'en pouvoir rettirer quand il voudra. Et cependant il
sollicite avec très grande instance ceulx qui ont, icy, affection à
son entreprinse, de l'aller trouver bientost, ou bien de luy envoyer
ung bien prompt secours, dont j'entendz que le jeune La Moyssonnyère,
qui se faict nommer le cappitaine Mondurant, s'est desjà secrettement
appresté, avec soixante ou quatre vingts françoys, pour s'y acheminer,
à la file.

Et d'ailleurs j'ay aulcunement suspect cest armement des Angloys,
parce que aulcuns des parans et amys du dict Montgommery vont dessus:
ce qui me faict, de rechef, suplier très humblement Vostre Majesté de
fère réytérer, tout le long de la coste, l'advertissement de s'y tenir
sur ses gardes, et envoyer ung peu de renfort de gens de guerre
partout; bien qu'à dire vray, Sire, ceste princesse ne m'a encores
faict démonstration, ny déclaration aulcune, que je puisse ny doibve
sinon interpréter en très bonne part; car m'ayant assigné l'audience à
jeudi dernier, et se trouvant, d'avanture, pressée de beaucoup
d'aultres affères, elle me dépescha ung de ses valletz de chambre pour
me pryer que je voulusse avoyr pacience jusques au deuxiesme jour
ensuyvant; mais, comme le messager me fallit, j'arrivay lorsqu'elle
n'y pensoit pas. Néantmoins elle ne voulut que je m'en retournasse
sans la voyr, dont supercéda ses aultres affères, et m'ouyt fort
volontiers.

A laquelle je récitay, par le menu, la teneur des deux dépesches de
Vostre Majesté, du IIe et IIIe du présent, sur lesquelles je confesse
librement qu'elle monstra de ne rester guyères contente, ny de
l'exécution des deux premiers, ny de la prison des deux seconds; mais
elle fit bien une grande allégresse de l'amandement qu'aviez senty en
vostre mal, et de l'espérance qu'aviez de vostre prochaine et
parfaicte guérison, pour laquelle elle vous prioit de croyre qu'elle
faysoit continuelles prières à Dieu, aussy dévotement comme pour la
conservation de sa propre vye.

Et s'est mise à discourir qu'elle creignoit bien fort que, par les
aguetz et artiffices d'aulcuns, qui avoient faict de grands dessings
sur vostre malladye, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ne vous
layssissiés conduyre à jouer vous mesmes, contre vostre propre repos,
et seureté, ces divers roolles qu'aviez commancé en vostre mayson, car
elle le conjecturoit ainsy sur aulcunes dilligences, qu'on luy avoit
mandé, qui s'estoient faictes en Allemaigne, et qu'elle desireroit, de
bon cueur, pouvoir estre quelques heures près de Voz Majestez, pour
vous dire librement ce que, possible, vous ne sçavez, ny nul vous
l'ozoit dire; et que, d'une chose avoit elle à se plaindre grandement
de vous deux, touchant l'exécution de La Molle, et en faysoit plus de
tort à la Royne que non pas à vous, car, principallement, elle s'en
estoit addressée à elle pour la prier qu'elle voulût considérer, en
cella, l'honneur de son filz, lequel elle luy proposoit pour mary;
dont elle pensoit avoyr aulmoins impétré que, quand le procès seroit
parachevé, la communicquation luy en seroit sommayrement faicte,
premier que de passer à l'exécution, ainsy que son ambassadeur le luy
avoit escript; et la lettre, que je luy avoys faicte voyr, de la
Royne, sembloit parler en ce sens; mais que toutes ses prières et
remonstrances n'avoient peu gaigner une heure de temps en cella, dont
elle voyoit bien que son crédit devers Voz Majestez estoit par trop
petit; et néantmoins qu'elle n'attandoit sinon une pareille
précipitation de jugement contre les aultres deux prisonniers, par la
dilligence de leurs adversayres, qui vous vouloient fère ruyner ce
party, affin que le leur se trouvât seul, et supérieur, et nullement
contredict en vostre royaulme; ce qu'elle n'estimoit estre la seureté
de Voz Majestez.

Néantmoins, puisque, ny ce qu'elle vous pourroit donner de conseil, ny
de consolation, ny d'assistance, en voz présentz affères, pouvoit
estre bien prins, ny tenu en grand compte, elle s'en déporteroit, et
recourroit à prier Dieu pour vous, qu'il voulût bien conduyre voz
affères, et donner à elle le sens de conduyre bien les siens par deçà
la mer, adjouxtant plusieurs aultres choses en termes fort exprès,
tant des personnes que des évènementz passés, et de ceulx qu'elle
crainct à l'advenir; et avec tant d'apparance d'affection que j'ay
esté contrainct de luy réplicquer:

Que je la supplioys de se souvenir que, en toutes grandes et
excellantes qualités de bonne seur, elle estoit germayne de Vostre
Majesté, et, comme telle, il falloit qu'elle jugeât ceste matière
d'estat, et non sellon le discours de ces passionnez, que je
cognoissois bien, qui avoient parlé à elle; et qu'elle debvoit penser
de ne pouvoir avoyr amityé en France qui luy sceût estre utile, ny
inimityé qui luy peût estre dommageable, que aultant qu'elle se feroit
proprement amye ou ennemye de Vostre Majesté, et non de quel qui fût
de voz subjectz; et que je ne voulois rien dire contre le comte de
Couconnas et La Molle, qu'aultant que Vostre Majesté m'en avoit
escript, suyvant leur condempnation par arrest de vostre parlement, ny
de MMrs les mareschaulx de Montmorency et de Cossé, sinon qu'ilz
avoient esté tenus, jusques icy, pour fort honnorables, fort prudentz
et fort loyaulx conseillers et subjectz; desquelz néantmoins la
réputation, sur l'examen de leurs faictz, ne pourroit estre aultre que
celle que vous en aurez; et que je la supplioys qu'en lieu de se
courroucer, elle se voulût condouloyr, avecques vous, de la violence
qu'elle jugeoit bien que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère,
aviez souffert en vous mesmes, premier que de la fère à ces deux
personnages, lorsqu'aviés esté contrainct de mettre la main sur eulx;
et que vous en souffriés encores plus, à ceste heure, en les gardant
en prison, que eulx d'y estre gardés;

Et qu'au reste, de plusieurs grands ennuys, qui vous venoient de ces
accidantz, celluy estoit très grand, que vous vous trouviés contrainct
de différer, pour quelques jours, vostre voyage de Bolloigne; lequel
néantmoins vous proposiés plus fermement que jamays d'accomplir,
aussytost qu'auriés ung peu accommodé voz affères, affin de conduyre
l'entrevue, puisque l'affère n'estoit plus accroché qu'à ceste seule
difficulté: qu'elle peût avoyr agréable la personne, sellon que ne
desiriés rien tant au monde que de vous conjoindre en une perpétuelle
confédération et alliance avec elle et avec sa couronne, par le moyen
de ce mariage;

Et sur ce qu'elle avoit craint que Monseigneur le Duc fût en maulvaise
intelligence avec Voz Majestez, auquel cas, elle disoit de ne pouvoir
jamays plus avoyr si bonne opinion de luy comme auparavant, que
j'avoys commandement de luy respondre, encores une foys, ce que la
Royne Mère en avoit respondu à son ambassadeur, et ce que je avoys eu
charge de luy en dire, icy, à elle: que vous l'aviez trouvé si
esloigné de cella, et avoyr l'inclination si droicte et si vertueuse,
à tout ce qui estoit de son debvoir vers Dieu et Vostre Majesté, et
vers la Royne, sa mère, que toutz deux n'y pouviés desirer rien de
plus, ny de mieulx, pour vostre parfaict contantement; et luy aviez
trouvé ung desir qui tendoit tant à acquérir honneur, avec dignité et
réputation, sans blasme, que vous pouviés dire qu'il avoit le cueur
aultant généreulx et royal que prince qui fût au monde.

Elle m'a respondu que je me gardasse bien d'avoyr si maulvayse opinion
d'elle, qu'elle eût emprunpté ce qu'elle m'avoit dict du discours de
pas ung des siens; ains qu'elle l'avoit prins de la vraye bonne
affection qu'elle portoit à Vostre Majesté, et qu'elle prioit Dieu
qu'elle eût veu plus de mal en ces accidantz, que vous n'en y eussiés,
puis après ce, trouvé; et que, de vostre voyage, de Bolloigne, elle
pouvoit bien présumer que les ennemys du propos, lesquelz vous
sçavoient bien tirer ailleurs, vous pourroient bien divertyr d'y
venir, mais qu'elle remettoit cella à Dieu; seulement me vouloit dire,
et me l'a dict en riant, qu'elle estoit d'assez bon lieu pour avoyr
ung prince libre à mary, et qu'elle n'en vouloit poinct de pire
condicion.

Et ainsy, après plusieurs devis, dont les aulcuns ont esté proférés
d'affection, et les aultres ont esté assez gracieulx, je me suis, pour
ceste foys, licencié d'elle.

Et sur ce, etc. Ce XVIe jour de may 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, en une partie de la lettre que je fay présentement au Roy, je
y mectz les advis que j'ay à mander à Voz Majestez, et, en l'aultre,
je y touche les propos que ceste princesse m'a ceste foys tenus,
laquelle m'a fort prié de vous représanter, le plus vifvement que je
pourrois, la juste occasion, qu'elle avoit, de se tenir pour offancée
que n'eussiés voulu avoyr quelque esgard à ce qu'elle vous avoit faict
dire et remonstrer pour La Molle et Couconnas, qui pourtant n'estoit
chose qui touchât à elle, ains proprement à l'honneur de vostre filz
et par conséquent au vostre. Sur quoy, après l'avoyr layssée ung peu
eslargir en sa collère, je me suis vifvement opposé à la pluspart de
son discours, et en sommes venus en une contestation non petite; mais
encor que je sçay bien que la rayson a esté de mon costé, elle, comme
grande Royne, ne s'est volue laysser vaincre, jusques à ce que je luy
ay dict que je m'assuroys que Vostre Majesté luy feroit cognoistre que
l'exécution, dont elle se pleignoit, de ces deux gentilshommes, estoit
très juste, et n'avoit peu estre plus longtemps différée; et qu'il
faudroit qu'elle prînt rayson en payement. Ce qu'elle, à la fin, a
accepté. Et puis, j'ay suivy à luy dire que je vous escriprois
ardiment que j'avoys facillement recueilly, du propos et des
contenances d'elle, qu'elle n'avoit nulle malle impression de
Monseigneur le Duc, vostre filz.

Elle m'a respondu qu'elle ne vouloit estre si ingrate que d'avoyr en
mauvayse estime ung prince, qui monstroit de l'avoyr bonne d'elle;
mais que je vous disse ardiment, et s'est mise à soubrire, qu'elle ne
prendroit poinct de mary, les fers aulx pieds. Et, pour ceste foys, je
n'ay peu tirer aultre chose d'elle sinon qu'elle verra ce que le
cappitaine Leython luy rapportera de la part de Voz Majestez.

Au surplus, Madame, je me suis beaucoup consolé de ce que, en me
commandant, par vostre lettre du IIe de ce moys, d'avoir encores ung
peu de pacience jusques à ce que ces présentz affères soient ung petit
remis, il vous plaist m'assurer, qu'aussytost qu'ils le seront, Vostre
Majesté mesmes me moyennera mon congé, et fera que le Roy, qui monstre
estre bien contant de mon service, m'uzera quelque digne récompense.
Je remercye très humblement Vostre Majesté de l'une et de l'aultre
promesse, et, comme ayant besoing de toutes les deux, je les accepte
et supplie très humblement Vostre Majesté les accomplir, et qu'il luy
playse se souvenir que nul gentilhomme, de toutz ceulx qui sont au
service de Voz Majestez, a esté plus longuement continué, et sollicité
au travail, que moy, ny plus longtemps oblié à la récompense; et que
beaucoup de nécessitez me pressent, à ceste heure, de ne pouvoir plus
attandre. Dont, entre aultres, je vous puis assurer, Madame, avecques
vérité, que la cherté est si extrême, icy, que, depuis ung an, toutes
provisions sont enchéries par moytié, et quelques unes excèdent le
double, de sorte qu'il s'en fault par trop que l'estat ordinayre
d'ambassadeur y puisse suffire. A quoy je supplye très humblement
Vostre Majesté y fère avoyr de l'esgard, et qu'il ne me soit faict
tant de tort que de me oster, ou retarder, les gages de la chambre et
la pension de douze centz livres: car, avec les autres pertes que j'ay
faictes, ce seroit me conduyre à mendicité, dont j'espère que Vostre
Majesté m'en préservera. Et sur ce, etc.

    Ce XVIe jour de may 1574.



CCCLXXXIIe DÉPESCHE

--du XXIIIe jour de may 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Plainte contre une expédition préparée par le
    capitaine Montdurant.--Assurance de la reine qu'elle en
    arrêtera le départ.--Continuation des armemens.--Nouvelles
    instructions données au capitaine Leython.--Nouvelles de Marie
    Stuart.--Plaintes des Anglais à raison des
    prises.--Sollicitations de l'ambassadeur pour obtenir la juste
    récompense de ses services.


    AU ROY.

Sire, estant adverty que le cappitaine Montdurant, avec envyron
quatrevingtz soldatz, qu'il a ramassez icy, s'en alloit trouver la
comtesse de Montgommery vers Hamptonne, en intention de s'embarquer au
dict lieu, pour passer aulx isles de Gerzey et de Grènesey, et, des
dictes isles, aller descendre en celle poincte de Normandye, qui est
près de Carantan, pour se joindre au comte de Montgommery, ou bien
pour tenter luy mesmes quelque entreprinse par dellà, je suis allé
remonstrer à la Royne d'Angleterre que, de tant que je ne résidois
près d'elle que pour y estre procureur et directeur du bien de
l'amityé qu'elle vous avoit jurée, et pour divertyr le mal qui
pourroit naystre de quelque altération si, d'avanture, elle y
survenoit, je la voulois bien supplyer de fère en sorte qu'on ne peût
dire que, de la ville capitalle de son royaulme, et de ses portz et
isles, fût party ung équipage pour vous aller fère la guerre; et
qu'elle deffendît que la folle entreprinse du comte de Montgommery
n'eust poinct de suite, d'icy, affin qu'on cognût, à bon escient,
qu'elle n'en avoit poinct prins le commancement; et qu'il ne pourroit
rien advenir de plus répugnant à la ligue et confédération, qu'elle
vous avoit jurée, ny rien de plus contrayre aulx promesses et offres
honnorables, qu'elle vous avoit rescentement faictes, que si elle
n'empeschoit le voyage du dict cappitayne Montdurant; et que pourtant
elle voulût, par ceste petite chose, esclarcyr le monde comme elle
dellibéroit procéder dorsenavant vers vous, et comme vous auriés à
juger, cy après, de ses intentions.

La dicte Dame, d'une fort franche volonté, et sans aulcune remise, m'a
respondu qu'elle le feroit, et a prins incontinent le nom du
cappitayne pour envoyer empescher son embarquement. Et m'a dict,
davantage, qu'ayant sceu que quelques ungs avoient achepté des
pouldres pour envoyer en France, qu'elle avoit mandé les retenir pour
elle, et les avoit payées et faictes mettre dans la Tour; et qu'elle
espéroit vous fère cognoistre qu'elle avoit Dieu et son sèrement, et
le debvoir de l'amityé, qu'elle vous avoit promise, devant les yeulx.
Et si, m'a touché, en termes couvertz, quelque particullarité de
l'armement de ses navyres pour me fère comprendre qu'elle les dressoit
contre l'armée d'Espaigne; mais je n'ay faict semblant de l'entendre,
car je m'attandz, Sire, que, sur l'advis que je vous en ay donné,
Vostre Majesté me commandera d'en parler ouvertement à la dicte Dame,
affin de tirer d'elle, là dessus, la plus expresse déclaration que je
pourray.

Les six premiers navyres de son dict armement sortiront à la fin de ce
moys, et non plus tost, et les aultres, puis après, s'yront
conduysant, tout à loysir, à Porsemmue, où desjà l'on prépare les
vivres, le biscuit, la cher, et aultres provisions, pour les
avitailler; et le comte de Bethfort part bientost pour aller donner
ordre, en Cornoialle et Dauncher, que les mariniers et gens de guerre,
qu'il faudra mettre dessus, se trouvent prestz. Néantmoins je sentz
bien que les évènementz de France font que ceulx cy traictent plus
gracieusement avec le Roy d'Espaigne qu'ilz ne faysoient auparavant,
et qu'il semble qu'ilz entreront en beaucoup de modération avecques
luy, ainsy que luy, de son costé, les en recherche; et que
difficillement se garderont ilz qu'ils n'employent, en une façon ou
aultre, quelque partie de leur armement en faveur des eslevez de
vostre royaulme, bien que je ne cesseray de m'y oposer tousjours,
autant qu'il me sera possible.

L'on a envoyé nouvelle instruction au cappitayne Leython, depuis
l'exécution du comte de Couconnas et de La Molle, et depuis
l'emprisonnement de messieurs les Mareschaulx; dont j'estime qu'il
parlera en toute aultre façon à Vostre Majesté qu'on ne le luy avoit
commandé, à son partement. Néantmoins je desire qu'il vous playse le
renvoyer bien contant, et mander, par luy, beaucoup d'honnestes
satisfactions à la Royne, sa Mestresse, et pareillement à ses deux
conseillers.

Elle est après à dépescher quelque personnage, et croy que ce sera
Quillegreu, eu Escosse, devers le comte de Morthon, par prétexte de
traicter de certains désordres qui sont nays en la frontyère; mais je
croy que c'est pour conférer avecques luy sur le passage de l'armée
d'Espaigne. Je ne vous toucheray rien, icy, des nouvelles du dict
pays, parce que le sieur de Molins, qui en vient tout freschement,
vous en aura donné bon compte. La Royne d'Escosse, vostre belle sœur,
se porte bien, et, hier, je présentay, de sa part, une basquinne de
satin incarnat, à ouvrage d'argent, fort menu, et tout tissu de sa
main, à la Royne d'Angleterre, laquelle a eu très agréable le présent,
et l'a trouvé fort beau, et l'a prisé beaucoup, et m'a semblé que je
l'ay trouvée fort modérée vers elle. J'ay, icy, des lettres que la
dicte Royne, vostre belle seur, escript à Voz Majestez, mais je n'ay
encores congé de les vous envoyer. Ce sera par Halley, son vallet de
chambre, qui est icy, l'ung de voz chevaulcheurs d'escuyerie, lequel
les attand. Et semble qu'il n'y aura rien de mal que Voz Majestez luy
respondent quelquefoys; car ceulx cy voyent bien passer ordinayrement
des lettres d'elle, qui vous vont provoquant et obligeant de luy
respondre.

J'ay tant faict que sir Artus Chambernon s'est contanté de me bailler
ses procurations pour les fère tenir à l'ambassadeur d'Angleterre, et
promect de se monstrer, en sa charge, aultant vostre serviteur qu'il
luy sera possible, n'ayant voulu permettre que son filz soit allé
trouver le comte de Montgommery, son beau père. Il vous plerra, Sire,
luy fère avoyr quelque bonne provision de justice sur les biens du
dict de Montgommery, pour la dot de sa belle fille.

Ceulx cy me rengrègent, plus que jamays, la pleincte des prinses, et
le manquement de justice en France; dont y en a aulcuns, dans ce
conseil, qui, par deux et trois foys, ont pressé ceste princesse de
permettre à ses subjectz d'armer pour en avoyr la revenche, et
mesmement contre deux navyres de Vostre Majesté, qui s'appellent,
l'ung le Prince et l'aultre l'Ours, lesquels, depuis naguyères, ont
faict plusieurs prinses, et icelles, avec grande violence et meurtre,
sur les Angloys; dont je vous supplie très humblement, Sire, y vouloir
pourvoir.

Et pour la fin, je remercyeray très humblement Vostre Majesté des
favorables responces qu'il vous a pleu fère à celluy des miens qui
vous a parlé de celle petite abbaye de Néelle, que ung mien frère, qui
naguyères a esté tué dans Sarlat, me tenoit, et qui vous a présenté
aussy ung placet pour mes gages de la chambre, et pour la petite
pencion de douze centz livres qu'il plaist à Vostre Majesté me donner;
qui sont choses raysonnables et sur lesquelles je ne veux sinon très
bien espérer de Vostre Majesté, parce qu'elle ne voudra jamays oublier
ny mon long service ny ma fidellité, ny me laysser tomber en l'extrême
pouvreté, où je serois réduict, si elle n'avoit souvenance, à ceste
procheyne distribution, de m'accomplir la libéralité de quelque
bienfaict, selon que, longtemps y a, il luy a pleu me la promettre,
et laquelle j'ay plus longuement attandue que nul aultre gentilhomme
qui soit à son service; et, tout ensemble, me récompenser de la perte
que je fay, estant icy, de celle petite abbaye de Néelle que
Monseigneur le Duc a donnée à ung de ses secrettères, qui m'estoit
venue, par résignation, d'ung de mes parantz; et avoyr esgard, Sire,
touchant ma pencion, et gages, que la cherté est si extrême et
insupportable en ce lieu, où Vostre Majesté me détient plus longtemps
et plus extraordinayrement qu'il n'a jamais faict nul aultre
ambassadeur, que l'estat qu'elle m'y donne n'y peut de beaucoup
suffire. Et sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de may 1574.



CCCLXXXIIIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de may 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Hallay._)

  Assurance que les armemens d'Angleterre sont dirigés contre
    l'Espagne.--Nécessité de se tenir cependant sur ses gardes en
    France.--Nouvelles d'Allemagne et d'Écosse.--Instances de
    Montgommerry auprès des Anglais.--Avis donné par l'ambassadeur
    aux gouverneurs des côtes de l'expédition du capitaine
    Montdurant.


    AU ROY.

Sire, je ne puis encores descouvrir que, en toutes ces longues
assemblées de conseil, que ceulx cy ont quasy toutz les jours tenues,
depuis ung moys en ça, il y ayt esté rien déterminé contre Vostre
Majesté; ains mes advis se rapportent qu'ilz ont dressé leurs
délibérations à ordonner, comme ils pourront, par leur appareil de
mer, lequel ilz préparent tousjours, bien résister à l'entreprinse
qu'ilz se persuadent que le Roy Catholique a sur ce royaulme ou bien
sur l'Irlande, et comme, sans commancer aulcune infraction de paix, de
leur costé, ilz rendront inutilles les efforts de l'armée qui s'attand
d'Espaigne, au cas qu'elle essaye rien sur eulx; et de faict, les
parolles de ceste princesse, et de ceulx qui guident plus ses
intentions, tendent à me fère bien espérer de leurs déportementz pour
Vostre Majesté; et mesmes ont escript aulx portz de ne laysser sortir,
avec armes, ceulx qui s'acheminoient vers le comte de Montgommery.
Néantmoins, pour la façon de laquelle j'entendz qu'ilz parlent des
évènementz de France, qui ne se peuvent tenir qu'ilz ne supportent
tousjours la cause des eslevez, et qu'ilz ne desirent bien fort qu'ilz
ne soient poinct opprimés, et admettent ordinayrement leurs agentz à
traicter de leurs affères avec eulx; et que, parmy aulcuns de ceulx
qui s'apprestent pour aller sur leurs grands navyres, il court ung
bruict sourt qu'ilz feront quelque descente en Normandye ou en
Guyenne; je me résouls, d'ung costé, Sire, de retenir ceste princesse,
aultant que je pourray, en vostre dévotion, et de divertyr, s'il est
possible, qu'il ne vous viegne nul mal d'elle ny des siens, ou le
moins que fère se pourra, et vous supplyer très humblement, de
l'aultre, que vous ne layssiés, pour cella, de vous pourvoir contre
leur armement, comme contre suspectz amys, ou bien contre couvertz
ennemys, affin qu'ilz ne vous puissent uzer de surprinse. Dont, de
jour en jour, je ne faudray de vous escripre ce que je pourray
approfondir davantage de leurs dellibérations, desquelles, sellon
qu'au retour du cappitayne Leython ilz se trouveront bien ou mal
satisfaictz de sa légation, j'en pourray, lors, plus certeynement
juger.

Il leur est arrivé, depuis trois jours, ung Courier d'Allemagne,
dépesché par ung, leur agent, qui se tient à Franckfort, et, soubdain
le conseil s'est assemblé là dessus; où j'entendz qu'il a esté résolu
que promptement seront envoyés cinquante mille escuz en Hambourg et à
Colloigne, pour estre remis à ung Jehan Lith, facteur de Me Grassen,
auquel sera mandé comme et à qui il les faudra distribuer. Et parce
qu'on y employe quelque forme de crédict d'Anvers, il semble que ce
soit plustost une provision pour le prince d'Orange, que non une
emplète contre Vostre Majesté; mais, de tant qu'on dict que Me
Randolphe sera bientost dépesché devers les princes protestantz, je
vous supplie très humblement, Sire, ordonner quelqu'ung qui le sache
bien observer de dellà.

Me Quillegreu est commandé de se tenir prest pour aller en Escosse, et
j'entendz que c'est pour une praticque qu'on a descouvert que quelques
seigneurs du pays menoient pour restablir l'authorité de la Royne
d'Escoce. Il va voyr ce qui en est, et va traicter avec le comte de
Morthon du passage de l'armée d'Espaigne, et comme il aura à s'en
gouverner.

Le comte de Montgommery avoit envoyé, icy, ung des siens, nommé
Lafouloyne, pour luy admener des soldatz, et luy procurer quelques
secours; mais il s'en est retourné aujourdhuy, fort mal accompaigné,
n'ayant peu praticquer, en ceste ville, que six ou sept hommes. J'ay
adverty Mr de Sigoignes de la dellibération, que le cappitayne
Montdurant a faicte, de descendre près de Carantan, avec les quatre
vingtz soldatz qu'il a ramassés par deçà; dont je m'assure qu'il en
advertyra Mr de Matignon pour y pourvoir, et pareillement Mr de la
Melleraye, au cas qu'il s'efforçât de descendre ailleurs. Sur ce, etc.

    Ce XXIXe jour de may 1574.



CCCLXXXIVe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Armemens maritimes faits par Me Grinvil.--Assurance qu'ils sont
    destinés pour l'Irlande et pour un voyage de
    découverte.--Résolution des Anglais de se joindre aux vaisseaux
    du prince d'Orange et de la Rochelle pour combattre la flotte
    d'Espagne.--Avis donné par l'ambassadeur d'un coup de main qui
    doit s'exécuter en France.--Nécessité d'exercer une active
    surveillance auprès du roi et des princes.


    AU ROY.

Sire, estant adverty que, oultre l'armement des grandz navyres de
ceste princesse, lequel va tousjours en avant, ung particullier de ce
royaulme, nommé Grinvil, gentilhomme tenu en très bon compte en ceste
court, et qui, dès l'entrée de l'hyver, a commancé de mettre sept bons
navyres en équippage de guerre, avecques voix de vouloir aller
descouvrir quelque destroict vers le North, ayant layssé passer la
sayson d'un tel voyage, ne laysse pourtant de se préparer, à ceste
heure, en toute dilligence, pour s'aller mettre sur mer avec les
susdictz sept navyres et encor trois davantage, qu'il y a joinctz de
nouveau; et qu'il s'est desja expédié de court pour aller fère son
embarquement, en divers endroictz, sellon que ses susdictz navyres
sont distribués en divers portz de ce royaulme, où plusieurs
gentilshommes vont estre de la partye, et des soldatz ou mariniers,
jusques au nombre de quinze centz hommes, en tout, j'ay eu le dict
appareil pour bien fort suspect; de tant mesmement qu'on m'a dict
qu'icelluy Grinvil a associé avecques luy le sir Artus Chambernon.
Dont j'ay incontinent envoyé rechercher bien curieusement, par toutz
mes advis, où se pouvoit addresser cette entreprinse. Et voicy, Sire,
ce qu'on m'en a rapporté:

Que le dict Grinvil, ayant longtemps sollicité la permission de
pouvoir aller fère ceste descouverte, qu'il a en main, et en ayant,
jusques à ceste heure, esté empesché par ceulx qui portent, icy, le
faict du Roy d'Espaigne et du Roy de Portugal, qu'il a sceu enfin si
bien remonstrer l'utillité qui adviendra de son voyage à tout ce
royaulme, si on le luy laysse parachever, qu'avec la faveur de ses
amys il a obtenu de le pouvoir fère, en ce toutesfoys que, devant
toute œuvre, il yra donner quelque forme de secours, qui luy a esté
prescripte, au comte d'Essex, en Irlande; et de là il prendra, puis
après, sa route où il prétend aller, sans luy estre néantmoins
loysible de descouvrir en endroict, où les Espaignols et Portugoys
ayent desjà actuellement descouvert, et sans qu'il puisse attempter
rien contre les amys de ce royaulme, spéciallement contre Vostre
Majesté. Et, par ainsy, mes advertissementz portent que je ne doibs
prendre allarme, ny vous en donner aulcune, de l'entreprinse du dict
Grinvil.

Et m'a l'on rapporté, davantage, Sire, que ceste princesse, jeudy
dernier, entre ses plus privés, a dict qu'elle estoit fort marrye
qu'on vous fît prendre, ny que vous vous imprimissiés, aulcune sorte
de deffiance, du costé de ce royaulme; car elle vous maintiendroit,
sans aulcun doubte, l'amityé qu'elle vous avoit promise, et qu'il n'y
auroit nul qui la vous ozât enfeindre. Et, de faict, encor que j'aye
des présumptions bien violentes contre les Angloys, à les avoyr
suspectz ez présentz troubles de vostre royaulme, si ne découvrè je
que, pour encores, ilz ayent aulcune entreprinse déterminée contre
Vostre Majesté, ains que l'ordre, qu'ilz ont proposé de tenir, quand
ilz auront mis leurs grandz navyres en mer, est, à ce que j'entendz,
qu'ilz n'entreront dans nulz portz; ains qu'ilz tiendront tousjours la
mer, et aussytost qu'ilz auront recognu l'armée d'Espaigne, qu'ilz
l'yront tousjours costoyant sur l'aile gauche, pour luy couvrir la
coste d'Ouest d'Angleterre et la routte d'Irlande, sans la laysser
nullement approcher de deçà; et, si aulcuns vaysseaulx d'icelle s'y
escartent, encor que ce soit par tourmente ou par aultre contraincte
nécessité, l'on ne layra de les investir et combattre. Et mesmes se
présume qu'ilz ont concerté avec le prince d'Orange, lequel doibt
avoyr, lors, cent bons navyres sur mer, comprins ceulx de la Rochelle,
qu'ilz chercheront les occasions de provoquer la dicte armée de venir
aulx mains, ayant faict équipper dix huict pataches, du port de vingt
cinq ou trente tonneaulx chascune, dans la rivière de Golchestre, en
forme de frégates à rames, bien garnies d'artillerye à fleur d'eau,
pour les oposer aulx gallères qu'on dict qui seront en la dicte armée.
Et n'y a que six jours que deux marchandz de Flandres, qui venoient
d'Espaigne par mer, ayantz esté contrainctz du vent à prendre port
vers le cap de Cornoaille, ont esté incontinent conduictz, avec toutes
les lettres qu'ilz portoient, devers les seigneurs de ce conseil, qui
les ont dilligemment examinés du faict de la dicte armée. Et il semble
qu'ilz leur ayent confirmé qu'elle sera bientost preste à se mettre à
la voylle; ce qui faict que ceulx cy hastent davantage leur armement.
Dont, de jour en jour, Sire, je vous donray advis de la dilligence
qu'ilz y mettront, affin que, nonobstant leurs bonnes parolles et
leurs démonstrations, vous vous pourvoyés tousjours, comme je vous en
supplie très humblement, que ne soyés surprins de leurs maulvais
effectz, si, d'avanture, ilz en avoient.

J'entendz qu'on a changé d'advis d'envoyer Me Randolphe en Allemaigne,
et que ce sera un agent, lequel partira bientost, qui est ung fort
dangereulx homme et de mauvayse intention. Il doibt passer devers le
prince d'Orange, duquel, depuis peu de jours, le ministre Textor est
retourné icy, avec beaucoup de mémoyres. Et de tant, Sire, qu'il est
eschappé à aulcuns des plus passionnés supposts de la nouvelle
religyon, qui soient par deçà, de dire que bientost adviendra, en
France, une chose grande et de grande importance, qui mettra toute la
Chrestienté en admiration; et qu'ilz monstrent qu'avec grand desir et
joye indubitablement ilz l'espèrent, je vous supplye très humblement,
en l'incertitude que ce peut estre, que vueillés fère uzer quelque
forme d'aguet et d'observance, plus grande que de coustume, entour les
personnes de Voz Majestez, et fère tenir quelque assemblée de Conseil
ung peu solennelle, pour leur fère penser que leur entreprinse est
descouverte, car pourra estre que peu de démonstration la leur
destournera et leur emportera toute leur attante. Et sur ce, etc. Ce
IVe jour de juing 1574.



CCCLXXXVe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Nouvelles de la maladie du roi.--Mission du capitaine
    Leython.--Explication donnée par l'ambassadeur sur la
    communication qu'il avait précédemment faite à l'égard de
    Coconas et de La Mole.--Plaintes du roi sur les armemens des
    Anglais qui lui ont été dénoncés comme devant être dirigés
    contre la Normandie et la Bretagne.--Satisfaction donnée en
    France au sujet des prises.--Succès remportés sur les
    protestans.--Mécontentement d'Élisabeth de ce que le roi n'a
    pas voulu, sur sa demande, faire surseoir à l'exécution de
    Coconas et de La Mole.--Sa déclaration que ses navires sont
    armés pour surveiller le passage de la flotte
    d'Espagne.--Protestation de sa part qu'elle n'a aucune
    intention d'attaquer la France.--Nouvelle de la mort du
    roi.--Condoléances de l'ambassadeur à la reine-mère.--Message
    d'Élisabeth sur la mort du roi.--Son desir de renouveler
    l'alliance avec le nouveau roi.--Avis d'une entreprise préparée
    contre les côtes de France.


    AU ROY.

Sire, suyvant ce qu'il vous a pleu m'escripre, du XXe du passé, j'ay
dict à la Royne d'Angleterre que vous aviés prins en fort bonne part,
et vous estiés bien fort resjouy de la venue du cappitaine Leython,
comme de celluy dont aviés trouvé que toutz les poinctz de la
légation, qu'il vous avoit explicquée, de par elle, estoient aultant
de tesmoignages de la vraye et indubitable amityé qu'elle vous
portoit, et qu'en premier lieu il vous avoit faict grand bien de voyr
le soing qu'elle prenoit de vostre santé; dont luy en aviez grande
obligation, et que vous la vouliés assurer que, grâces à Dieu, vous
alliés en amandant, et qu'ung accès de tierce double, qui vous avoit
prins le XVIIe du passé, avoit mis voz mèdecins en bonne espérance
qu'il retrancheroit les accidantz de la quarte, et que ce seroit une
parfaicte guérison, dont en sentirez desjà du solagement; et quand
aulx honnorables offres qu'elle vous avoit mandé fère de vous vouloir
assister, aultant qu'elle pourroit, en voz présentz affères, pour
maintenir et conserver vostre authorité, que c'estoit ung des vrays
fruictz que vous alliés recueillant de la longue persévérance en
laquelle vous vous estiés confirmé, depuis vostre règne, à ne vous
vouloir départir, pour occasion ou persuasion, ou instigation, qu'on
vous eût peu donner au contrayre, jamays de son amityé; et que vous
expérimantiés, à ceste heure, avec vostre grand contantement, combien
il vous venoit bien à propos d'avoyr sceu acquérir et conserver une si
grande et si parfaicte, et si constante amye, et bonne voysine, comme
elle vous estoit; et qu'elle pouvoit croyre et croyroit, avecques
vérité, que vous luy uzeriés, toute vostre vye, une semblable
correspondance, et vous porteriés, en toutes les choses qui
surviendroient au monde, très droictement et cordiallement, vers elle,
aultant qu'elle le pourroit desirer, et espérer, du plus entier et
esprouvé amy qu'elle eût en la Chrestienté; et puisqu'elle se
monstroit de ceste bonne disposition vers voz affères, qu'à la mesure
qu'ilz vous surviendroient, vous les luy feriés entendre, affin d'uzer
de son assistance et de son conseil, et de son bon secours, là où
verriés d'en avoyr besoing;

Et, au regard des propos que le dict cappitaine Leython avoit tenus,
de Monseigneur le Duc, en l'honneste et honnorable et très modeste
façon qu'elle luy avoit ordonné d'en parler à Vostre Majesté et à la
Royne, vostre mère, que toutz deux en aviés senty ung ayse et ung
contantement trop plus grands qu'il ne vous estoit possible de
l'exprimer, cognoissant, par là, la bonne affection qu'elle luy
portoit, et la bonne opinyon et estime en quoy elle le tenoit, sans
avoyr donné foy à plusieurs rapportz que vous pensiés bien qu'on luy
avoit faictz de luy; ce qui vous faysoit espérer, de bien en mieulx,
du bon propos dont vous la recherchiés plus que jamays, qu'elle voulût
accepter ce vertueux prince pour tout sien, et que vous ne faudriés,
ny la Royne, vostre mère, aussytost que la violence de voz affères
vous permettroit ung peu de respirer, de venir en çà, pour le luy
consigner; et qu'elle s'assurât qu'en toute vraye amour et
intelligence, Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre estoient très
unis avec Voz Majestez par ung lyen si estroictement attaché, que
nulle chose au monde le pourroit jamays rompre; que, de ce qu'elle
vous avoit faict parler du comte de Couconnas et de La Mole, et de
l'emprisonnement de Mrs de Montmorency et de Cossé, je layssois bien à
ses ambassadeurs de luy fère entendre les responces que Voz Majestez
Très Chrestiennes leur en avoient faictes, et comme elles leur avoient
faict voyr que la procédure de ceulx cy estoit la vraye justiffication
de Monseigneur le Duc et du Roy de Navarre;

Mais que j'avoys bien à me plaindre de ce que ses dicts ambassadeurs
vous avoient dict que j'avoys promis, de vostre part, aulcunes choses
en cella, icy, à elle, que, puis après, vous n'aviez pas accomplyes;
et que je la priois de se souvenir comme, par une lettre que je luy
avoys monstrée, là dessus, de la Royne, vostre mère, elle luy avoit
mandé qu'après que le procès seroit faict et parfaict aux dictz de
Couconnas et de La Molle, elle luy feroit entendre le tout, non
qu'elle luy eût promis de luy envoyer le dict procès, car ce n'estoit
chose digne de sa grandeur, ains c'estoient actes secretz de vostre
court de parlement, où, possible, plusieurs aultres se trouvoient
defférez, qui n'estoit loysible de les réveller; mais que, bientost
après, je luy estois allé dire comme iceulx Couconnas et La Molle
avoient librement confessé d'avoyr voulu suborner Monseigneur le Duc,
et le Roy de Navarre, pour les distrayre d'avec Voz Majestez, et
d'avoyr, à cest effect, faict atiltrer des chevaulx, et ordonné des
rendez vous, pour les transporter en quelque lieu, hors de la court;
et que eulx mesmes s'estoient jugés dignes de plus rigoureuse mort que
celle qu'on leur faysoit souffrir: qui estoit bien luy donner, à elle,
ung très ample compte de leur condampnation; mais que je layssois ce
propos pour luy dire que ses bonnes démonstrations vous rendoient si
parfaictement assuré de sa bonne et droicte intention vers vous, qu'il
faudroit bien qu'il vous advînt beaucoup de mal, du costé d'elle, et
qu'elle se déclarât, à bon escient, contre vous, premier que vous
peussiés croyre qu'elle se voulût déterminer de vous nuyre ou de vous
offancer;

Et pourtant que vous la priés de vous esclarcyr franchement d'ung
advertissement, qu'on vous avoit donné, qu'elle mettoit présentement
ses grands navyres de guerre dehors, avec les barques pour les suyvre,
soubz prétexte d'assurer sa coste, au passage de l'armée d'Espaigne,
et que, n'estant la dicte armée si preste à passer, l'on vouloit
inférer que son armement s'addressoit contre vous, en faveur des
eslevez de vostre royaulme;

Et qu'à cest effect elle avoit, depuis naguyères, envoyé secrettement
recognoistre et figurer les portz et advenues de Normandye et
Bretaigne, et que l'on vous vouloit mettre en grande souspeçon d'elle,
mais que vous ne le feriés pas, ains croyriés ce qu'elle vous en
manderoit, et vous en reposeriés en sa parolle.

Puis luy ay adjouxté ce qu'aviés ordonné pour les plainctes de ses
subjectz, et l'offre que faysiés d'aulcuns vaysseaulx de conserve avec
ceulx que, par commune intelligence, elle voudroit envoyer, de sa
part, pour tenir la navigation seure.

Et, pour la fin, luy ay compté des bons exploictz que voz cappitaines,
et chefz de guerre, alloient exécutant en la Gascoigne, Poictou et
Normandye, pour réprimer les eslevez, et pour réduyre aulcunes places,
qu'ilz avoient prinses, à vostre obéissance.

La dicte Dame, se trouvant très contante de tout le propos, m'a
respondu qu'elle avoit ung grand plésir que la légation du cappitaine
Leython vous fût agréable, et qu'à ceste intention l'avoit elle, d'ung
cueur pur et entier, très volontiers dépesché; et se donnoit honte
que, plus tost, elle ne vous eût envoyé visiter en vostre malladye,
attandu que, du succès d'icelle, venant Vostre Majesté à
convalescence, ce luy estoit le plus souverain contantement qu'elle
pouvoit desirer; et, au contrayre, s'il vous mésadvenoit, c'estoit le
plus grand ennuy et le plus grand trouble qu'elle pourroit sentir au
monde: dont pouviés croyre qu'elle prioit Dieu dévotement pour vostre
longue et heureuse vye, et juroit que nulle aultre personnage, de
toute la terre habitable, elle préféroit à vous à le desirer tenir la
couronne de France. Et s'est curieusement enquise des accidans de
vostre maladye, et qu'elle sera tousjours en frayeur jusques à ce
qu'elle entendît que vostre santé soit bien confirmée; que, au regard
de ses offres, elle les vous confirmoit, de rechef, en tout ce que
estimeriés estre bon et honneste de l'employer, pour la conservation
de vostre authorité.

Et, touchant les propos qu'elle vous avoit faict tenir, de Monseigneur
le Duc, elle espéroit que vous auriés bien cognu qu'ilz ne tendoient
qu'à l'honneur de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et à
celle de vostre mayson, et à garder bien entière la réputation de
vostre frère, dont nul justement en pouvoit fère sinon une bonne et
saincte interprétation; que de ce, qu'elle vous avoit faict toucher du
comte de Couconnas et de La Molle, que j'excusasse si ses ambassadeurs
en avoient ainsi parlé, car ce avoit esté de son commandement, et que
c'estoit pour ne pouvoir rester contante que, à son instance, Vostre
Majesté et la Royne, vostre mère, n'eussiés voulu supercéder, huict
jours, leur exécution, car, possible, eussiés vous apprins des choses
que vous ne sçavez pas, et qu'elle pense que vous ne les sçaurés
jamays;

Que, de l'armement de ses navyres de guerre, à la vérité, elle avoit
commandé d'en mettre douze dehors, à cause de l'armée du Roy
d'Espaigne; puis, que, sur les lettres qu'il luy en avoit escriptes,
elle luy avoit accordé le passage libre, et l'entrée et
refraychissement dans ses portz, dont ne se vouloit trouver désarmée à
un tel advènement, comme ce n'estoit pas aussy la coustume des
princes; et aussy qu'on disoit qu'ung de ses rebelles d'Irlande, nommé
Stuqueley, avoit la conduicte de six navyres de la dicte armée, mais
qu'elle espéroit bien que le Roy d'Espaigne seroit si sage qu'il ne
mouveroit rien contre elle; et qu'elle pensoit que ne fussiés bien
adverty du faict de la dicte armée, car entendoit qu'elle seroit
bientost à la voylle, et que mesmes, d'ung aultre costé, avant ne fût
dix jours, que don Johan d'Austria vous envoyeroit demander son
passage par la Bourgoigne, avec l'armée qu'il mène d'Italye, pour les
Pays Bas; et qu'elle vous promettoit, sur son honneur, qu'en ordonnant
de son appareil, elle n'avoit jamais pensé, ny n'avoit esté faicte une
seule mencion des choses de France, ny ce n'estoit qu'imposture et
faulceté de vous avoyr rapporté qu'elle eût envoyé recognoistre la
coste de Normandye et Bretaigne, car juroit qu'il n'en estoit rien; et
que pouviés croyre qu'elle aymeroit mieulx estre morte que si, ez
pleins termes d'amityé où elle estoit de présent avecques vous, elle
estoit trouvée de vous avoyr uzé ung tel trêt; mais, quand elle en
voudroit venir là, qu'elle chercheroit, premier, l'occasion de se
départir de l'amityé; et qu'elle vous vouloit bien confesser, tout
librement, qu'elle s'estoit mise en estat de pouvoir repoulcer le mal,
qu'on luy voudroit fère, plustost que d'estre contraincte de le
souffrir;

Que, de l'ordre qu'aviés prins pour les plainctes de ses subjectz,
elle vous en remercyoit grandement, et vous prioit qu'avec les
provisions de justice, il vous pleût pourvoyr à l'exécution d'icelles,
car c'estoit ce dont ses subjectz se plaignoient le plus; et que,
touchant les deux chefs de cest article, elle en communicqueroit avec
ceulx de son conseil pour, puis après, m'y fère avoyr responce; et
qu'au reste elle se resjouyssoit beaucoup des aultres nouvelles, dont
luy aviez faict part: que voz cappitaines alloient, avec les armées,
réduysant vos provinces, mais qu'elle desiroit plustost que, sans
armes, avec une bonne paciffication, vous peussiés réduyre, en union,
toutz voz subjectz à la parfaite obéyssance de vostre authorité.

Je luy ay respondu que ses responses estoient si vertueuses, et
pleynes d'honneur, que je ne y voulois uzer d'autre réplicque que de
l'en remercyer, le plus humblement qu'il m'estoit possible, et de
l'assurer que je mettrois peyne d'en contanter bien fort Voz Très
Chrestiennes Majestez.

Là dessus, elle m'a très expressément prié de vous présenter, et à la
Royne, vostre mère, ses très affectueuses et très cordialles
recommandations; et que vous croyés que, sans excepter ceulx mesmes
qui, de plus près, vous appartiennent, elle est une de celles, de ce
monde, qui plus desire vostre bon portement, et longue vye, et la
conservation de vostre grandeur, et la prospérité de voz affères. Et
s'estant encores longtemps arrestée à discourir de Vostre Majesté, et
des présentz évènementz de France, et des deux prisonniers, et de ce
qu'on dict de Mr le mareschal Danville, et aultres particullaritez,
auxquelles j'ay mis peyne de luy satisfère le mieulx que j'ay peu, je
me suis licencié d'elle. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour de juing 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, au retour de l'audience, en laquelle j'avoys recueilly les
propos que je mande en la lettre du Roy, j'ay trouvé que le Sr de
Vassal estoit arryvé, avec les deux dépesches, du XXVIIe et XXXe du
passé, en l'une desquelles, me faysant Vostre Majesté mencion de
l'ennuy qu'elle sentoit de l'extrémité du Roy, son filz, j'ay soubdain
demandé au Sr de Vassal comme il se portoit, et il m'a librement
confessé qu'avant qu'il partît, Sa Majesté avoit rendu l'esprit à
Dieu; de quoy j'ay esté très profondément attaint, jusques en l'âme,
d'ung très mortel regret, pour la perte que j'ay faicte de mon Roy et
bon Maistre, et de mon naturel Seigneur, et pour la calamité
publicque de son royaulme, qui ne pourra estre que n'en viegne plus
grande, et bien fort, pour l'extrême amertume que je sçay bien que
Vostre Majesté en sent dans son cueur. Dont, en ung si lamantable
accidant, j'ay eu mon recours à Dieu, pour dévotement le supplier que,
comme il a faict la mercy, à ce très chrestien prince, de très
chrestiennement mourir, qu'il luy playse, Madame, vous administrer une
très chrestienne consolation, et vous inspirer, d'en hault, les
remèdes qui font besoing, pour subvenir aux grands affères publicques
et privés qu'il a layssés en son royaulme.

Le courrier de l'ambassadeur d'Angleterre est bientost après arrivé,
qui a porté la confirmation de ceste dollante nouvelle; laquelle, tout
aussytost, a esté divulguée partout. Dont est besoing que j'attande,
maintenant, vostre procheyne dépesche, et que j'aye faict mon habit de
deuil, premier que de retourner vers ceste princesse; affin que, tout
par ung moyen, je luy face la condoléance de cest accidant, et que je
luy traicte du contenu ez dernières lettres de Voz Majestez, et de
celle mesmement que Vostre Majesté luy escript de sa main, ne voulant
vous ennuyer, icy, pour ceste heure, Madame, de plus long escript que
pour vous assurer que je n'obmettray rien, de tout ce qui se pourra
fère, pour retenir tousjours très soigneusement la dicte Dame en
vostre amityé. Et sur ce, etc.

    Ce VIIIe jour de juing 1574.

   Tout présentement, ceste princesse vient de m'envoyer visiter
   par ung gentilhomme de sa chambre, et dire que si, sur ma
   grande affliction du trespas du Roy, Monseigneur, elle peut
   quelque chose, pour mon bien et consolation, qu'elle me
   l'offre de très bon cueur; et que, de sa part, elle s'en
   trouve plus attaincte que de nulle aultre dolleur qu'elle ayt
   jamays sentye en sa vye, pour avoyr perdu le plus certain et
   le meilleur, et le plus grand, de toutz les amys qu'elle eût
   au monde, et qu'elle dellibère de vous envoyer promptement ung
   gentilhomme pour s'en condouloyr avec Vostre Majesté; et
   qu'aussytost que le Roy de Pouloigne sera arrivé, elle luy en
   envoyera encores ung aultre pour renouveller la ligue et
   l'amytié avecques luy.

   L'on me vient d'advertir qu'aulcuns murmurent, icy, d'une
   descente en Brouage, et que, par lettres, qui arryvèrent, hier
   au soyr, de Collogne, l'on escript qu'il a esté accordé une
   levée de quatre mille reytres au prince de Condé.



CCCLXXXVIe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer._)

  Retard apporté à l'audience demandée par
    l'ambassadeur.--Discontinuation des armemens.--Montgommery fait
    prisonnier.--Proposition des seigneurs anglais de renouer la
    ligue avec l'Espagne.--Nouvelles d'Écosse.--Délibération des
    seigneurs du conseil au sujet des prises.--Succès remporté en
    mer par le capitaine Montdurant.--Nouvelles de la flotte
    d'Espagne.--Crainte conçue en Angleterre.--Décision soudaine de
    reprendre les armemens.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, au pied de la lettre que je vous ay escripte, du VIIIe du
présent, je vous ay faict mencion de l'honneste office que, le jour
mesmes, ceste princesse avoit envoyé fère vers moy, sur le trespas du
feu Roy, vostre filz, pour me signiffier le deuil et le déplaysir
qu'elle en avoit; laquelle a continué, depuis, et continue de monstrer
qu'elle le regrette infinyement; et mesmes, ayant envoyé demander à la
dicte Dame quand il luy playroit que, sur une dépesche que j'avoys
receue de Vostre Majesté, je l'allasse trouver, elle m'a mandé qu'elle
me prioit de luy différer ung peu la dolleur, qu'elle sçayt bien qui
luy renouvellera de me voyr, et qu'elle sent son cueur si pressé de
la première appréhension de cette dolente nouvelle, qu'il ne luy
seroit pas possible de supporter, pour encores, celle segonde, qui luy
viendra, de la condoléance de Vostre Majesté; et qu'elle partoit
expressément de Grenvich, pour s'aller ung peu désennuyer, le mieulx
qu'elle pourroit, en une sienne mayson, aulx champs, nommée Avrin, où
je pourroys renvoyer, d'icy à troys jours, mon secrettère, et qu'elle
me manderoit, lors, quand elle me pourroit donner lieu de la venir
voyr. Par ainsy, je remetz, jusques à ce que j'aye parlé à elle, de
respondre aulx troys dernières dépesches de Vostre Majesté.

Et vous diray cependant, Madame, que ceste princesse a assemblé, par
plusieurs foys, ceulx de son conseil pour dellibérer de ce qu'elle
auroit à fère, et comme elle auroit à se comporter en ses présentz
affères, après ce grand accidant de la mort du Roy. Dont j'entendz que
les advis n'ont esté pareils, et que mesmes ilz sont tombés en deux
opinions, qui sont contraires l'une à l'aultre; desquelles, parce que
je n'en sçay encores bien au vray les particullaritez, je me
déporteray de vous en rien mander jusques à mes premières: Mais je
sçay bien qu'après la tenue du dict conseil, l'on a envoyé à Gelingam
supercéder l'apprest des navyres de guerre, et mandé à Portsemue de ne
brasser plus de vivres, ny cuyre de biscuyts, ny tuer la cher, ny
assembler les hommes; mais qu'on ayt à tenir ce qui est desjà préparé
de victuailles, et pareillement le roole des hommes, et la somme
ordonnée pour les frays de cest armement, en ung estat, tout prest,
pour s'en servir en ung soubdein besoing, si, d'avanture, il survient.
Ce que je présume bien, Madame, qu'a esté ordonné ainsy, en partye,
pour le changement des choses de France, et pour la prinse du comte de
Montgommery; mais principallement pour avoyr ceulx, qui portent icy le
faict du Roy d'Espaigne, remonstré à ceste princesse que la
confédération, qu'elle avoit avecques la France, reste maintenant
esteinte par le décès du feu Roy, vostre filz, et qu'ilz respondoient,
sur leur vye et sur leur honneur, que, si elle ne vouloit poinct
provocquer le dict Roy d'Espaigne, que luy aussy, de son costé, ne
mouveroit, en façon du monde, rien contre elle, ains entreroit
volontiers aulx termes d'amityé dont il la faisoit tousjours
rechercher, et qu'elle trouveroit en luy toute seureté et vérité. A
quoy la dicte Dame a monstré d'incliner. Et pensent aulcuns qu'elle
n'uzera d'aulcune plus ennemye démonstration à l'armée d'Espaigne,
quand elle passera, que de se tenir sur ses gardes, et qu'elle
layssera aller à quelque bonne conclusion le renouvellement d'amityé
qui se mène entre eulx. A quoy, Madame, il ne seroit honneste et ne
peut estre juste qu'on s'y aille opposer; mais j'ay bien regret que
aulcuns seigneurs de ce conseil n'ont esté, par Voz Majestez Très
Chrestiennes, ainsy que souvant je l'ay requis, aussy obligés de
s'affectionner à vostre party, comme le Roy d'Espaigne y a tousjours
bien tenu ceulx du sien bien estipendiés.

Me Quillegreu est party pour Escoce, où j'entendz qu'il fera quelque
résidence, y estant allé à ses journées. Aulcuns, qui sont icy, bien
affectionnés à la Royne d'Escoce, m'ont adverty que, vers le North
d'Escoce, l'on s'y est eslevé contre le comte de Morthon, en faveur de
leur Royne; et qu'avec quelque secours, qu'on leur pourroit envoyer de
France, d'hommes ou d'argent, ilz tiendroient en si grand suspens les
Angloys, qu'ilz les garderoient bien de rien entreprendre de notre
costé. Je ne sçay encores au vray si l'élévation des Escossoys est
certayne, mais je m'en informeray, le plus soigneusement que je
pourray, pour le vous mander.

La dépesche, qu'on faysoit, icy, pour Allemaigne, est différée pour
quelques jours; néantmoins celluy, qui doibt aller, est commandé de ne
s'esloigner, et de se tenir prest. Ceulx de ce conseil incistent que
l'ordre que Vostre Majesté a prins par dellà, pour pourvoyr aulx
plainctes des subjectz de ce royaulme, s'entende des plainctes du
passé, aussy bien que de celles de l'avenir; et mesmement de celle de
Me Warcop, gentilhomme, pensionnayre de ceste princesse, lequel estant
aymé et favorizé en ceste court, et m'ayant la dicte Dame cy devant
plus expressément recommandé sa cause que nulle aultre, dont elle
m'ayt jamays parlé, il presse bien fort de luy estre faict rayson. Et
m'a l'on adverty que, sur aulcunes aultres prinses qu'aulcuns navyres
françoys ont faictes, tout de nouveau, sur des angloys, encor que
ceste princesse n'ayt trouvé bon qu'on aye uzé d'aulcun arrest pour
cella sur les biens des Françoys, qu'il a esté, néantmoins, donné une
secrette permission de s'en revencher sur la mer; de quoy je me
pleindray bien fort, si je puis advizer qu'il soit vray.

Je croy que Vostre Majesté a bien sceu comme le cappitaine Montdurant,
à qui n'a esté permis d'aller aux isles de Gerzey et Grènesey,
s'estant mis sur mer, avec ung navyre d'ung des fuytifs de Dieppe, a
combatu le navyre du cappitayne St Martin, et a tué le dict
cappitaine, et mené prisonnier le reste des hommes, qui estoient
dedans, ensemble le dict navyre; dont entendant qu'il s'apprestoit,
de rechef, pour aller s'essayer de descendre à Carantan, j'ay mandé à
Mr de Sigoignes qu'il en advertît Mr de Matignon, affin de
l'empescher, mais l'on me vient de dire qu'il laysse maintenant ceste
entreprinse pour s'en aller à la Rochelle. Et sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de juing 1574.


   _Par postille à la lettre précédente._

   A peyne ay je eu signé la présente, qu'il m'est venu ung
   advis, de bon lieu, de ceste court, comme, hier au soyr, y
   estant arryvé le secrettayre du docteur Dayl, d'ung costé, et
   des nouvelles d'Espaigne, d'autre; par lesquelles l'on assure
   que l'armée d'Espaigne partira indubitablement, à la fin de ce
   moys, avec deux centz cinquante navyres armez, l'assurance que
   ceste princesse s'estoit cuidé donner de ses affères s'est
   soubdain convertye en nouvelles souspeçons. Et, nonobstant que
   le bagage fût desjà party pour aller à Avrin, elle l'a
   contremandé, et a différé ce voyage pour trois sepmaynes,
   assemblant incontinent son conseil; à l'yssue duquel l'on a
   commandé aulx officiers de la maryne d'aller en dilligence
   accomplir tout ce que, par la première ordonnance, leur avoit
   esté commandé; et dépesché le comte Dherby pour aller fère la
   levée d'hommes et maryniers, vers son quartier; et prins les
   marynniers de ceste rivyère, affin que, dans douze jours
   d'icy, au plus loing, les susdictz navyres, premiers prestz,
   puissent sortir; et à milord Sidney de passer promptement en
   Irlande, avec bonne provision d'argent et avec quelque nombre
   d'hommes.



CCCLXXXVIIe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Nouveau retard apporté à l'audience.--Hésitation des
    Anglais.--Craintes que l'on doit avoir en France de leurs
    armemens,--Détail des nouvelles données par l'ambassadeur
    d'Angleterre de ce qui s'est passé à la cour depuis la mort du
    roi.--Sollicitations du prince d'Orange auprès
    d'Élisabeth.--Projet du roi d'Espagne de se faire remettre le
    prince d'Écosse.--Avis d'une entreprise sur Calais et sur
    Boulogne.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, suyvant ce que la Royne d'Angleterre m'avoit faict prier,
ainsy que je le vous ay mandé par mes précédentes, de ne luy
renouveller si tost son extrême regret du trespas du feu Roy, vostre
filz, j'ay layssé couler cinq jours entiers sans renvoyer vers elle;
et, au sixiesme, luy ayant faict sçavoyr que j'avoys, depuis, receu
une segonde et troysiesme dépesches de Vostre Majesté pour luy fère,
avec le dict triste accidant, entendre d'aultres propos de
satisfaction et d'amityé, qu'elle auroit bien agréables, et dont elle
resteroit bien consolée et contante, elle a voulu prendre encores du
temps pour dellibérer si elle me debvoit admettre vers elle, ou non;
et m'a, de rechef, faict respondre, par le comte de Sussex, son grand
chamberlan, qu'elle luy avoit commandé de luy en fère souvenir le
matin ensuyvant, affin qu'elle me peût mander quand elle me pourroit
bailler son audience. En quoy elle a monstré, ou de se vouloyr
revencher du dellay que Vostre Majesté avoit prins d'ouyr son
ambassadeur, ou bien qu'elle vouloit attandre des nouvelles de France,
ainsy que, bientost après, elle en a receu par Me de Quillegreu; dont
ayant encores renvoyé vers elle, elle m'a, ceste troysième foys,
mandé que, après demain, je seray le très bien venu. Où, Madame, je
mettray peyne de ne luy obmettre rien de ce que, par vos six
dernières, du XXVIIe et trentiesme du passé, et du premier,
troysiesme, cinquiesme et huictiesme d'estuy cy, il vous a pleu me
commander de luy dire. Et noteray soigneusement les propos qu'elle me
tiendra, et la façon et substance d'iceulx, affin de vous pouvoir
représanter, aultant qu'il me sera possible, de quelle intention et
disposition je la trouveray vers Voz Majestez Très Chrestiennes, et
vers le présent estat de voz affères.

Et vous diray cependant, Madame, qu'elle et ceulx de son conseil sont,
chascun jour, depuis le matin jusques au soyr, à dellibérer qu'est ce
qu'ilz ont à fère, et comme ilz ont à se comporter au passage de
l'armée d'Espaigne, mesmes que le comte d'Esmond, par la challeur
d'icelle, monstre de renforcer ses entreprises et combatz en Irlande
avec plusieurs bons succès, et qu'on assure fort que Me Stuqueley a
charge de huict navyres en la dicte armée; ce qui faict que la dicte
Dame et les siens l'ont davantage suspecte, et la redoubtent beaucoup.
A l'occasion de quoy ont mandé en divers portz de ce royaulme d'armer,
en dilligence, grand nombre de navyres particulliers, oultre ceulx de
la dicte Dame, et commandé de fère la monstre généralle partout, et
encores des descriptions particullières de certain nombre de soldatz,
ez endroictz plus propres à fère les embarquementz, et pour estre
prestz à deffandre les descentes. En quoy, parce que, nonobstant le
grand souspeçon qu'ilz monstrent avoyr de la dicte armée, les agentz
du Roy d'Espaigne ne layssent de négocier ordinayrement avec eulx, et
d'estre fort bien et favorablement receus en ceste court, et qu'il ne
se voit ès parolles et démonstrations, de l'ung costé ny de l'aultre,
apparance quelconque que de toute amityé; aussy que je sçay bien que,
sur la résolution de leur armement, ilz ont mis en avant plusieurs
considérations des choses de France, et que les minystres françoys,
qui sont icy, et aulcuns, de la part des eslevez, ne cessent de
négocyer, toutz les jours, avec eulx; et que mesmes le cappitayne
Montdurant et ceulx de sa troupe ont envoyé offrir leur service à la
dicte Dame, je ne puis fère que je n'aye grande meffiance de leur
susdict armement. Dont je me suis bien fort resjouy, Madame, d'avoyr
veu, par vostre dépesche du IIIe du présent, qu'ayez envoyé, de bonne
heure, pourvoyr au long de la coste de dellà; et supplieray encores
très humblement Vostre Majesté qu'avec l'advis, que je pense bien que
y manderez, du passage de l'armée d'Espaigne, il vous playse y fère
refrayschir celluy de cest appareil d'Angleterre, affin qu'on ayt à
s'y tenir fort soigneusement sur ses gardes.

L'ambassadeur d'Angleterre a escript, du VIe du présent, beaucoup de
nouvelles, et entre aultres que le trouble et le souspeçon croyssoit
tousjours, de plus en plus, en vostre court, et que Vostre Majesté
s'en trouvoit en une fort grande perplexité, bien que, pour le
dissimuler, vous mandiés souvant aulx ambassadeurs, et principallement
à luy, et au cappitaine Leython, de bien honnestes et courtois
messages, et monstriés de desirer l'amityé de la Royne, leur
Mestresse, bien qu'à dire vray, ilz cognoissent que vous vous meffiez
assez d'elle; que, sur quelques parolles que le feu Roy avoit dictes à
son trépas, vous vous estiez attribué l'administration du royaulme, de
vostre propre authorité, et aviez faict sortir voix que le Roy de
Pouloigne seroit bientost de retour, mais que ceulx, qui entendoient
l'ordre du pays, et qui en estoient, n'a pas longtemps, revenus,
assuroient qu'on ne le layroit partir jusques après l'élection d'ung
nouveau Roy; que vous estiés plus rigoureuse, que jamays, à
Monseigneur, vostre filz, et au Roy de Navarre, leur ayant faict
redoubler les gardes, et faict boucher les fenestres de leurs
chambres, qui regardoient hors du logis, et aviez faict prendre
Bonacorsy, non pour faulte qu'il eût faicte, mais parce que Mon dict
Seigneur l'aymoit, et se fyoit de luy, affin d'intimyder ses aultres
serviteurs; que vous estiés après à dépescher Mr le jeune Lansac en
Allemaigne pour aller obtenir le saufconduict du passage du Roy de
Pouloigne; et que Mon dict Seigneur le Duc et le Roy de Navarre
avoient envoyé, l'ung Mr d'Estrée, et l'aultre Mr de Mioncens, saluer,
de leur part, le Roy de Pouloigne pour Roy; que le Sr de La Noue,
après avoyr receuilly deux mille harquebouziers de Gascoigne, avoit si
entièrement deffaict la troupe de Mr de Montpensier, qu'à peyne
s'estoit le dict seigneur peu saulver; et qu'on avoit admené le comte
de Montgommery devant St Lô et Carantan, pour fère rendre ces deux
places, mais que ceulx de dedans n'en avoient tenu compte, et
continuoient de se deffendre gaillardement.

Depuis cella, Madame, le jeune Quillegreu a apporté, ainsy que
j'entendz, que Mr le mareschal de Retz, après beaucoup de difficultez
qu'il avoit trouvé en Allemaigne, estoit enfin arryvé, et ne
s'entendoit encores quel effaict avoit prins sa négociation avec les
princes protestantz; que Mr de St Suplice et Mr de Villeroy estoient
revenus de Languedoc, avec peu ou poinct d'espérance de paciffication,
ce qui vous mettoit en grand peyne; et que, de rechef, vous aviez
renvoyé par dellà, ensemble une lettre, prétandue du comte Palatin au
Sr de La Noue, par l'abbé Gadaigne, et la carte blanche, aulx ungs et
aulx aultres, pour leur accorder tout ce qu'ilz demanderoient; et que,
pour couvrir ung peu l'estroicte garde que teniés sur Monseigneur le
Duc et le Roy de Navarre, vous les meniés en conseil, et quelquefoys
promener jusques aulx Tuylleries.

Je verray, Madame, de quelz termes et de quelles démonstrations ceste
princesse m'usera, affin de vous en advertyr incontinent, ensemble de
ce que je pourray descouvrir d'aulcunes allées et venues, qui se sont
faictes, et qui se continuent encores à présent, avec plus de
dilligence que jamays, du prince d'Orange à la Rochelle, et de la
Rochelle vers luy; et dont les messagers viennent rapporter et
conférer tousjours le tout avec aulcuns de ce conseil, comme, encores
de présent, ung gentilhomme de Liège, serviteur du dict prince, est,
depuis deux jours, arryvé du dict lieu, de la Rochelle; qui passera
vers luy, aussytost qu'il aura esté expédyé de ceste court. Et sur ce,
etc. Ce XVIIIe jour de juing 1574.

   Tout présentement, je viens d'estre adverty, de bon lieu et
   seur, que le Roy d'Espaigne mène chaudement la practique
   d'avoyr le Prince d'Escosse entre ses mains, et qu'en son
   armée y a charge, expressément commise, de tenter si cella se
   pourra effectuer. J'en esclarciray davantage Vostre Majesté
   par mes premières; mais cependant je la supplye très
   humblement de regarder comme y debvoir pourvoyr.

   Encore, depuis ce dessus, l'on me vient de dire qu'il y a une
   entreprinse sur Callays et sur Bolloigne; dont je mande aulx
   deux gouverneurs d'y prendre garde; et sera bon, Madame, que
   leur envoyez quelque renfort.



CCCLXXXVIIIe DÉPESCHE

--du XXIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer._)

  Audience.--Communication officielle de la mort du roi et de la
    régence de la reine-mère.--Offre faite au nom de Catherine de
    continuer la ligue.--Condoléance de la reine d'Angleterre.--Son
    desir de maintenir l'alliance.--Emportements d'Élisabeth au
    sujet des mesures prises en France après la mort du roi.--Sa
    déclaration qu'elle considère les pouvoirs de l'ambassadeur
    comme expirés.--Protestation de l'ambassadeur contre cette
    détermination.--Nouvel avis d'une entreprise formée contre
    l'une des villes de la côte de France.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, je viens de fère la condoléance de la mort du feu Roy, vostre
filz, à la Royne d'Angleterre, et de luy représanter toutes les
particullarités que, par plusieurs de voz dépesches, depuis cest
accidant, il vous a pleu me commander de luy dire; et l'ay infinyement
remercyé des honnorables et vertueux propos, et des vrayes
démonstrations, que desjà elle m'avoit envoyé signifier par ung de ses
gentilshommes; du grand regret qu'elle en avoit; qui l'ay assuré que
j'avoys creu et croyrois, et voulois bien croyre, sans aulcune
difficulté, qu'il estoit grand, parce qu'une princesse, ornée de tant
de vertu et d'humanité comme elle, ne pourroit pas fère qu'elle ne
sentît beaucoup le trespas de ce prince, qui luy estoit frère d'estat,
et de voysinance, et d'affection, et de toute perfection d'amityé,
aultant que s'il luy eût esté propre germain, ainsy que les quatorze
ans de son règne luy avoient donné bonne preuve que nulle occasion, ny
persuasion, ny instigation, l'avoient jamays peu mouvoyr de la vraye
amityé qu'il luy portoit; ains s'estoit tousjours confirmé à la
recherche du parantage, et de plus de confédération et d'intelligence
que nul de toutz les aultres princes de son alliance, et qu'en effet,
elle avoit perdu le plus certain et le meilleur, et le plus grand, de
toutz ses amys; et que Vostre Majesté qui, mieulx que nul aultre,
sçaviés ce qu'il en avoit dans le cueur, comme celle qui le luy aviez
dressé, et le luy teniez tousjours bien incliné à cella, et qui vous
trouviés maintenant outrée de ceste grande perte, jugiés bien que
vostre condoléance en estoit bien adressée à elle, et estoit très
convenable entre vous deux; dont m'aviés commandé de la luy fère trop
plus expresse, et plus grande, que n'aviés pas donné charge de la fère
semblable à nul autre prince ni princesse de la Chrestienté. Et, là
dessus, luy ayant racompté aulcunes choses de la qualité de son mal,
et comme le bon sens et la mémoyre, et la parolle, ne luy avoient
manqué jusques à l'extrême souspir, et qu'après avoyr satisfaict aulx
pitoyables offices de ce monde, d'avoyr demandé pardon à Vostre
Majesté, d'avoyr, avec grand amour et charité, recommandé la Royne, sa
femme, avoyr dict le dernier adieu à Monseigneur, son frère, à la
Royne de Navarre, sa seur, au Roy de Navarre et aultres Princes; et
avoyr fort dignement parlé de son estât, et du regret qu'il avoit
qu'il n'eût esté plus soulagé de son temps, et qu'il ne le pouvoit
laysser plus paysible, il avoit achevé ses derniers actes par des
parolles si sainctes, invoquant tousjours Dieu, et par des gestes si
paysibles et le visage si composé, avec ung si doulx trespassement,
que ceulx, qui y avoient assisté, pleins de larmes, voyantz une si
saincte et si chrestienne mort, n'avoient nullement doubté de son
salut, ny de sa vye plus heureuse et perdurable;

Et qu'avant trespasser, il vous avoit très instamment priée, et vous
avoit adjurée, de vouloir prendre l'administration du royaulme,
jusques au retour du Roy de Pouloigne, son frère, à qui, de droict, il
appartenoit; ce que Vostre Majesté, surprinse d'une très véhémente
appréhension de ceste perte présente et des grands désordres qui
pourroient multiplier dans le royaulme, n'aviés eu rien tant en
affection que de vous pouvoir retirer, en quelque lieu solitayre et
escarté, pour y passer le reste de voz jours à repos; et que vous en
fussiés excusée, sans la considération qu'aviés eue de ne debvoir, en
une si importante occasion, défallir à l'amityé que portiés au Roy de
Pouloigne, vostre filz, qui véritablement estoit grande, ny refuzer,
en ce temps, vostre peyne ny voz bons offices à la couronne de France,
à laquelle vous réputiés avoyr très grande obligation; et que,
pourtant, vous aviés accepté la dicte administration avec l'assistance
que Monseigneur le Duc, vostre filz, et le Roy de Navarre, avoient
très cordiallement offert de vous y fère, y concourantz les Princes du
sang, et les aultres princes et seigneurs du conseil de l'estat, et la
noblesse du royaulme, et les officiers principaulx de la couronne, les
gouverneurs des provinces, les parlementz, les bonnes villes, et
générallement toutz les meilleurs subjectz du royaulme, avec lesquelz
vous espériés conduyre toutes choses par si bon advis et modération
qu'il n'y surviendroit poinct de nouvelle altération ny de changement;
et de tant que vous sçaviés la bienvueillance qu'elle portoit à ceste
couronne, et à ceulx qui en estoient, vous luy aviés bien volu fère
toute ceste communicquation pour la prier de vous vouloir bien
assister des bons et fermes offices de bonne seur, qu'elle vous
pouvoit rendre en ce temps, et de vouloir constamment persévérer ez
termes de l'amityé et confédération qu'elle avoit jurée au feu Roy, et
au bon propos dont luy et Vostre Majesté l'aviez tousjours
pourchassée, sellon que vous sçaviez bien que le desir du Roy, à
présent, vostre filz, seroit de renouveller avec elle le dernier
traicté de ligue, et l'entretenir inviolablement; et que vous luy
promettiés de le luy rendre très ferme et perpétuel amy, et
pareillement Monseigneur le Duc très dévot serviteur, et de ne laysser
deffallir, tant que vous vivriés, l'amityé de dellà, si elle la
vouloit conserver du costé d'elle; et que Mon dict Seigneur le Duc
m'avoit commandé de fère aussy à la dicte Dame sa condoléance de la
perte qu'il avoit faicte, et luy signiffier l'administration de Vostre
Majesté, et l'assistance, et service, qu'il vous y vouloit rendre;
ensemble le Roy de Navarre, qui, toutz deux, m'en avoient escript, et
m'avoient mandé d'y conformer ma négociation en tout ce que j'auroys à
traicter, icy, avec la dicte Dame.

Elle, d'ung visage fort composé à la dolleur, après m'avoyr
paysiblement et fort attentivement escousté, m'a respondu qu'elle
estoit bien fort marrye que je fusse arryvé au bout de ma légation par
ung accidant si lamantable, comme estoit la mort du prince qui m'avoit
envoyé; et qu'elle en avoit receu ung ennuy qui surpassoit de beaucoup
toutz les aultres plus grands qu'elle eût senty depuis qu'elle estoit
royne, pour avoyr perdu ung frère, ung amy, et ung voysin qui luy
estoit plus estroictement confédéré que nul aultre prince de la
Chrestienté, et de la bienveillance duquel elle avoit la preuve, des
quatorze ans que je disois de son règne. Dont je pouvois ardimment
bien croyre que le regret, qu'elle m'en avoit envoyé tesmoigner par
son gentilhomme, et les larmes qu'elle n'avoit peu contenir, à mon
arryvée, me voyant en cest habit de deuil, et oyant mon piteux récit,
et celles qu'elle avoit encores aulx yeulx en me faysant ceste
responce, n'estoient nullement feinctes; ains procédoient d'une
aultant profonde dolleur de son cueur que nulz de ses plus prochains
en eussent point jetté; et que, oultre les privées conférances, et les
honnestes gratiffications, et familiers complimentz, dont ilz avoient
uzé l'ung vers l'aultre, aultant qu'il s'estoit peu fère entre princes
absentz, pour contracter une bien fort ferme amityé, elle s'estimoit
encor avoyr prins de si bonnes erres de luy qu'elle se tenoit très
assurée qu'il eût perpétuellement persévéré vers elle; chose qu'elle
ne sçavoit si elle s'en pouvoit promettre de semblable de quiconque
luy viendroit à succéder.

Par ainsy n'estoit de merveille si elle le pleignoit amèrement, et
que, voyrement, en estoit fort bien et proprement addressée à elle la
condoléance que Vostre Majesté luy en faysoit, qui vouloit aussy
mutuellement se condouloir avecques vous de ceste mesmes perte,
laquelle elle jugoit bien que ne la pouviés sentir petite, parce que
celluy que vous aviés perdu estoit très grand, et le premier de voz
troys enfans, et celluy qui, jusques à sa mort, vous avoit rendu toute
entière obéyssance;

Et, au regard de vostre administration, qu'elle ne sçavoit ce que les
loix du royaulme en ordonnoient, et n'en vouloit estre davantage
curieuse, s'assurant que Vostre Majesté estoit si vertueuse et
prudente que n'en vouldriés rien oultrepasser; et que, pour le bien
qu'elle vouloit à la France, elle ne pouvoit estre sinon bien ayse que
le manyement en fût venu en vostre main, parce que nul le pouvoit
conduyre avec plus d'amour et de foy, ny avec plus de droicture et
d'intégrité, que vous, qui estes la mère des deux, qui, l'ung après
l'autre, estoient appellés à y succéder, et qui en entendiés mieulx
les affères, pour les avoyr longuement manyés, que nul autre qui s'en
sceût mesler;

Et, quand à la continuation d'amityé, qu'il vous playsoit luy offrir,
qu'elle l'acceptoit de très bon cueur, et vous en remercyoit, aultant
qu'il luy estoit possible, et que son ferme propos estoit de ne s'en
départir nullement, si ne luy en donniés occasion; qu'elle espéroit,
dans troys ou quatre jours, vous dépescher ung gentilhomme pour aller
accomplir le debvoir de sa condoléance vers Vostre Majesté, et
qu'après que le Roy de Pouloigne seroit arryvé, elle y en envoyeroit
ung autre, pour procéder ainsy vers luy, comme elle verroit qu'il
procèderoit vers elle, bien qu'à dire vray, elle ne voyoit poinct
qu'il peût estre de retour encores de longtemps.

Et, quand à la condoléance de Monseigneur le Duc, elle la voyoit vraye
et certeyne, comme de celluy qui avoit faict une grande et fort
sensible perte; et que, touchant ung raport qu'on avoit faict, que le
Roy, son frère, ne luy avoit monstré si bon semblant, à son trespas,
comme au Roy de Navarre, qu'elle estoit très bien advertye que cella
estoit faulx, et qu'il ne l'avoit jamays réputé aultre que son très
loyal et très obéyssant frère, comme aussy elle l'estimeroit digne de
perdre le nom de prince, et de déchoir de tout degré d'honneur et de
réputation, s'il avoit non seulement tenté mais pensé jamays chose
contre luy, ny contre Vostre Majesté, ny contre le repos de voz
affères; et qu'elle louoit grandement l'assistance que luy et le Roy
de Navarre vous avoient offert en vostre administration; adjouxtant,
avec un soubzrire, que vous aviés bien donné ordre qu'ilz s'en
reposassent du tout sur vous; et qu'à ce propos elle me vouloit bien
dire qu'on luy avoit rapporté des choses bien estranges, desquelles
elle eût esté esbahye, et peu contante, si elle ne se fût tousjours
assurée qu'à nul pris Vostre Majesté voudroit jamays changer le
gracieux nom de bonne mère en celluy de cruelle marastre.

Et là dessus, Madame, je confesse qu'elle s'est eslargye en des propos
ung peu bien véhémentz, lesquelz m'ont rendu hardy de luy ozer aussy
uzer de véhémentes remonstrances; lesquelles m'ont semblé, avant que
je me soye départy d'avec elle, qu'elles l'ont ramenée à quelque
modération. Et je mettray peyne qu'elles produisent encores d'aultres
meilleures effectz, s'il m'est possible; bien qu'à dire vray, je
trouve la dicte Dame plus picquée et altérée que je ne pensois. Dont
de ce qui s'est passé, pour ce regard, entre elle et moy, et de
l'intention que j'ay peu nother qu'elle a vers le Roy, à présent,
vostre filz, je vous envoyeray bientost ung des miens pour vous en
donner compte, ensemble de ce qu'elle m'a respondu à la lettre que luy
avés escripte de vostre main, le XXVIIe du passé, et à vostre plaincte
des gens de ses ambassadeurs, et sur ce qu'elle vouloit monstrer de
tenir ma légation pour expirée: de quoy toutesfoys elle m'a pryé, à la
fin, de n'en vouloir rien escripre; et ce qu'elle m'a dict de son
armement, lequel véritablement est grand et formidable: qui sont toutz
poinctz desquelz elle s'est assez ouverte de parolle et de
démonstration.

L'on me confirme, de divers endroictz, ce que je vous ay mandé de
certayne praticque sur Callays, et que, quoy que ce soit, il y a
entreprinse projectée sur quelque endroict de la coste de dellà; dont
je supplye très humblement Vostre Majesté de fère renforcer la
garnison du dict Callays, celle de Bouloigne, de Dieppe, du Hâvre et
de Cherbourg, et refraychir l'advertissement ez aultres places, sur la
mer, qu'on ayt à s'y tenir bien sur ses gardes; car je trouve ceulx cy
changés et beaucoup eslevez pour cest armement qu'ilz vont avoyr tout
prest. Et sur ce, etc.

    Ce XXIe jour de juing 1574.



CCCLXXXIXe DÉPESCHE

--du XXVIIe jour de juing 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran._)

  Détails de la précédente audience.--Plaintes de l'ambassadeur
    contre les menées des Anglais attachés aux ambassadeurs en
    France.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle est prête à punir ceux
    qui seraient coupables.--Assurance donnée par la reine qu'elle
    n'a conservé aucune animosité contre le duc d'Anjou.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, après la condoléance faicte à ceste princesse, le XXe de ce
moys, ainsi que, par mes lettres du jour ensuyvant, je le vous ay
mandé, je luy présentay la lettre que, du vivant encores du feu Roy,
vostre filz, vous luy aviés, au nom de toutz deux, escripte, de vostre
main, laquelle elle leut bien curieusement, et se satisfit assés
d'aulcuns honnestes trêtz d'amityé qu'elle y trouva. Et me dict que ce
de quoy elle avoit desiré, lors, pouvoir privéement traicter avec Voz
Majestez, estoit pour vous fère ouvrir les yeulx sur aulcunes choses
qui vous travailloient; desquelles elle eût espéré vous mettre
facillement hors de payne, mais qu'estant, à présent, l'occasion
passée, cella ne pourroit plus servir de rien: seulement elle vous
prioit de croyre que, quand quelque advertissement luy viendroit,
concernant les personnes de Voz Très Chrestiennes Majestez et vostre
estat, qu'elle ne seroit paresseuse de le vous fère sçavoyr, ainsy
qu'elle s'assuroit que ne diffèreriés la semblable bonté vers elle,
quand l'occasion s'y offriroit.

Je luy parlay de ces menées, que les gens de ses ambassadeurs
s'efforcent de fère par dellà, qui tournoient bien fort à vostre
offance et mespris, et au préjudice du repos de l'estat; et lesquelles
vous la priés de les fère cesser, et de vouloir qu'entre Vos deux
Majestez se continuât et se nourrît tant de vraye et inthyme amityé
qu'il ne se peût praticquer rien, au nom d'elle, en France, ny
pareillement, au nom de Voz Majestez Très Chrestiennes, par deçà, sans
une mutuelle et privée communicquation d'entre vous deux.

A quoy, elle, après une longue digression, meslée d'ung peu d'aigreur
et de collère, m'ayant demandé si vous ne me mandiés pas à quoy
tendoit la fin des dictes menées, et luy ayant respondu que non; mais
que, de tant qu'on y alloit à vostre desceu, je jugeois bien que ce
n'estoit pour l'advancement ny grandeur de Messieurs voz enfans, ny
pour le bien de leur couronne, car l'on ne le vous celleroit pas; et
luy ayant réplicqué aussi aulx aultres poinctz de sa digression,
sellon que j'estimoys le debvoir fère; elle m'a respondu qu'elle vous
prioit d'approfondir bien la vérité des dictes menées, et, si trouviés
qu'elles fussent à vostre préjudice, ou de l'estat, qu'elle offroit
d'en fère telle punition que vous voudriés; et qu'elle ne voyoit pas
que ès grandes offres, dont je luy avoys touché en passant, il y peût
avoyr rien de vérité, ny nul aultre bien, sinon que, si Monseigneur
le Duc sçavoit et croyoit qu'elle eût voulu fère tout cella pour luy,
qu'il l'en aymeroit mieulx quand ilz seroient maryez ensemble. Et,
après avoyr riz là dessus, elle se mist à parler du retour du Roy,
vostre filz, comme si elle estimoit qu'il seroit retardé.

Et de propos en propos, elles mesmes m'a ouvert l'argument de luy dire
que je craignois assez que quelque peu de nuée, que j'avoys comprins
luy rester encores contre le nouveau Roy, ne la rendît trop facille à
se laysser persuader des choses de luy qui n'estoient point; et que je
la supplioys que, de ce qu'ilz auroient à desmeller ensemble, elle
n'en voulût prendre l'advis de ceulx qui estoient extrêmes, et sans
modération aulcune, sur le faict de la religion, ny de ceulx qui
prétandoient d'establir le fondement de son repos sur le travail de la
France; car ilz ne la conseilleroient jamays droictement, et la
conduyroient à des dellibérations, auxquelles je m'assurois qu'elle
auroit regret; mais qu'elle prînt le conseil ordonné de Dieu, et
celluy qui procèderoit de l'honneur et vertu qui estoient en elle, sur
les moyens d'amityé qu'elle debvoit tenir vers ceulx qui cherchoient
la sienne, et qui véritablement l'aymoient, ainsy qu'elle en avoit la
preuve, pour le regard de Vostre Majesté, de plus de quinze ans, et du
Roy, vostre filz, depuis son aage de discrétion; et que, si elle avoit
doubté, d'aultrefoys, de quelque sienne affection, lorsqu'il n'estoit
que Duc d'Anjou, qu'elle estimât qu'à présent toutes ses affections
seroient d'ung grand Roy de France, son voysin, qui, en restablissant
les ruynes de son royaulme par une perdurable paciffication de ses
subjects, chercheroit de confirmer avec elle la mesmes confédération
que le feu Roy, son frère, luy avoit jurée; et que Vous, Madame, luy
prométiés de le luy réserver très constant et parfaict amy, ainsy
qu'elle l'avoit eu quelquefoys serviteur.

Elle m'a respondu qu'elle espéroit qu'il n'uzeroit sinon
honnorablement vers elle, ainsy qu'elle ne luy avoit jamays donné
occasion de fère aultrement, et que, suyvant cella, elle procèderoit
aussy avec droicture et honneur vers luy; et qu'elle me prioit de
croyre que la nuée, que je craignois, estoit passée, car plusieurs
choses estoient depuis intervenues qui avoient faict oublier tout
cella; et que, le jour précédent, ung des siens luy avoit dict que,
possible, avoit elle faict difficulté de l'espouser, parce que lors il
n'estoit pas Roy, et qu'à présent, qu'il estoit double Roy, elle s'en
debvoit contanter: à quoy elle avoit respondu qu'il avoit esté
tousjours Royal, et qu'une chose, plus haute que les couronnes, y
avoit mis l'empeschement, c'estoit la religion, laquelle faysoit qu'on
layssoit le monde pour suyvre Dieu; et que l'ung ny l'autre n'y
debvoient avoyr regret. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIe jour de juing 1574.


    MÉMOIRE PARTICULIER,
    baillé au Sr de Sabran, pour dire, de vive voix, à la Royne.

   Le Sr de Sabran retiendra en mémoire les principaulx poincts
   de la dépesche pour en pouvoir satisfaire la Royne.

   Luy dira que les affections sont fort changées par deçà,
   qu'ils creignent à merveilles que le nouveau Roy soit mal
   incliné vers eulx, et qu'il se laysse du tout posséder à ceulx
   de son party, qu'ils réputent leurs ennemis; et qu'il
   opprimera ceulx qui conseilleroient l'intelligence et
   confédération d'entre ces deux royaulmes; et qu'il entrera
   facilement en quelque obligation avec le Pape et le Roy
   Catholique contre ce royaulme.

   Outre cella, ils le tiennent pour un irréconciliable ennemy de
   ceux de leur religion, dont les plus passionnés mettent peine
   de bander ceste princesse contre luy, et de la rendre, de
   jour en jour, plus piquée du mespris et reffus qu'ils luy
   représentent qu'il a faict d'elle, et de lui imprimer beaucoup
   de deffiance de la Royne Mère; de sorte qu'à très grande
   difficulté a l'on pu rompre, jusques icy, les délibérations, à
   quoy l'on l'a volue pousser, de se déclarer ouvertement pour
   les eslevés;

   Qu'il est bien certain que toutes les délibérations de ce
   conseil ont toujours esté de ne rompre jamais avecques le feu
   Roy, et elle ne le voulloit nullement faire, et a tenu la main
   que l'entreprinse de Montgommery n'a poinct eu de suitte; et
   monstre, par tous ses propos et démonstrations, qu'elle n'a
   esté, du vivant du feu Roy, jamais participante d'aucune
   pratique par delà, qui fût contre luy, ny contre la Royne, ny
   contre leurs affaires. A ceste heure, la mutation de règne a
   admené beaucoup d'escrupules et mutation de volonté.

   Et, quant aux pratiques avec Monseigneur le Duc, il n'est
   possible d'ouyr rien, plus esloigné de toute apparance de mal,
   que ce que ceste princesse monstre juger de ses délibérations;
   et parle en termes si exprès de la sincérité sienne, et
   d'avoir en exécration non seulement les actes, mais les
   pensées, s'il en avoit jamais eu pas une contre son frère, ny
   contre sa mère, ny tendant à troubler leurs affères, que non
   seulement elle le rend infiniment bien justiffié, mais monstre
   sentir bien fort qu'on l'ayt eu, ny qu'on l'ayt suspect; et ne
   dissimule sa collère et menasses là dessus, ains semble
   qu'elle y va un peu plus expressément que n'est accoustumé en
   affaires d'autruy;

   Qu'à ceste heure, les plus protestants monstrent de chercher
   la réconciliation de ceste princesse avec le Roy d'Espagne, et
   se rengent avec ceux, qui sont, icy, de ce party là; ce qui
   donne le plus d'obstacle aujourdhuy à ces choses de France, en
   ce Royaulme. Dont, sans quelque nouveau moyen, sera impossible
   de les y pouvoir plus maintenir à la réputation de ces six ans
   passés. Et pourtant faut incister à quelque honneste présent,
   dès ceste heure, pour le comte de Lestre et milord de Burgley,
   et pour quelque pension, à l'advenir; car c'est par là qu'on
   destournera les mauvaises intentions et délibérations de deçà;

   Que les advis continuent de venir, de divers bons lieux et
   asseurés, que le Roy d'Espaigne mène chaudement la praticque
   d'avoir le Prince d'Escosse entre ses mains; et que son armée
   a expressément charge de tenter si cela se pourra effectuer. A
   quoy il est nécessaire de voir de quelle façon il y faut
   pourvoir.



CCCXCe DÉPESCHE

--du premier jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Délibération des seigneurs du conseil.--Proposition de renouer
    l'alliance avec l'Espagne.--Interruption des
    armemens.--Plaintes des agens anglais, qui sont à Paris, des
    soupçons dirigés contre eux.--Mécontentement de Leicester à
    raison de la méfiance qui lui est témoignée.--Nécessité de
    dissimuler les sujets de plaintes que l'on peut avoir en France
    contre l'Angleterre.--Efforts de l'ambassadeur pour empêcher
    les représailles des Anglais sur mer.--Affaires d'Écosse.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, deux jours après que j'ay eu parlé à ceste princesse, elle a
rassemblé ceulx de son conseil pour leur proposer ce que je luy avoys
offert, de la part de Vostre Majesté, de la continuer en celle mesmes
bonne amityé et confédération du Roy, à présent, vostre filz, que le
feu Roy, son frère, luy avoit jurée; et, ayant ceulx du party
d'Espaigne concouru à l'assemblée, ilz n'ont failly de représanter
pareillement l'offre que le Roy Catholicque luy faysoit de renouveller
aussy, avec elle, l'ancienne allience de Bourgoigne; et mesmes ont
atiltré des lettres et adviz, qu'ilz disoient venir freschement
d'Espaigne, pour monstrer qu'il ne y avoit, en tout l'appareil de
dellà, rien de pourpensé ny de dellibéré contre l'Angleterre. Dont,
après plusieurs allées et veneues devers leur Mestresse, et de leur
Mestresse vers eulx, elle, enfin, par leur advis, a ordonné que son
armement ne passeroit plus oultre, et que la dépance cesseroit;
néantmoins que l'appareil demeureroit en l'estat qu'il est pour s'en
servir en ung soubdain besoing, si, d'avanture, il survenoit, et qu'on
ne mettroit, pour ceste heure, dehors que deux de ses grands navyres
pour garder l'embouchure de la Tamyse, de façon que, le jour d'après,
il a esté envoyé, de par elle, descharger les habitans de ceste ville
du nombre des marinyers et des quatre centz soldats qu'ilz estoient
cothisés de bailler, et mandé le semblable ez aultres lieux et villes
de ce royaulme; et de mettre en suspens tout ce qu'on leur pourroit
avoyr commandé d'extraordinayre, oultre les monstres généralles,
lesquelles, de nouveau, elle leur a enjoinct de les continuer, et les
parachever, en la plus grande dilligence que fère se pourra.

Et a la dicte Dame concédé au Sr de Sueneguen et à Goaras de pouvoir
aller attandre, à Porsemmue, le passage de l'armée pour pourvoir à ce
qu'ilz jugeroient, ou qui leur seroit mandé d'y préparer pour la
rafreschir, sans toutesfoys ottroyer aulcune descente, aulmoins qui
puisse excéder le nombre de cinquante personnes à la foys. De laquelle
nouvelle dellibération vous proviendra aulmoins ce soulagement,
Madame, que toute la frontière, de ce costé, sera moins travaillée, et
en plus de seureté, attandant le retour du Roy, vostre filz; et se fût
peu traicter d'aultres choses avec ceste princesse aussy utilles en ce
temps, si, de la mesme façon que m'aviés tousjours commandé de la
temporiser doulcement, et de luy interrompre de loin, sans l'offancer,
ce qu'elle pouvoit avoir de malle impression et de maulvaise praticque
contre le présent estat de voz affères, il vous eût pleu la manyer de
mesmes doulcement, et ne monstrer de l'avoyr si suspecte, et ses
ambassadeurs, et ne les fère si soigneusement observer, comme le jeune
Quillegreu s'en est plainct par deçà; ne layssant toutesfoys de luy
rompre ses menées en celle bonne façon et ouverte qu'envoyastes uzer
à ses dictz ambassadeurs par Mr Pinart, qui fut fort honnorable. Et
peut bien estre, Madame, que le dict Quillegreu s'est plainct icy à
tort.

Néantmoins, après son retour, le Sr de Walsingam m'a fait sçavoyr, par
le Sr de Vassal, lequel j'avoys envoyé vers luy, que sa Mestresse,
voyant que Vostre Majesté avoit prins ceste grande deffiance d'elle,
et que touts les siens estoient ouvertement remarqués pour très
suspects en vostre court, et n'y estoient nullement bien veus, qu'elle
avoit changé d'opinyon de vous envoyer le gentilhomme, qu'elle avoit
desjà faict apprester pour vous aller fère sa condoléance de la mort
du feu Roy, vostre filz, et qu'elle n'attandoit sinon l'arryvée du
cappitaine Leython pour, incontinent après, escripre à son ambassadeur
qu'il s'acquitât, le mieulx qu'il pourroit, de cest office.

Et le comte de Lestre, auquel j'avoys aussy, par le mesme Sr de
Vassal, envoyé communicquer l'honneste mencion, que Vostre Majesté
faysoit de luy, en la lettre que le dict Quillegreu m'avoit apportée,
après avoyr uzé d'ung très humble mercyement, monstrant d'avoyr le
cueur très élevé et plein de despit, m'a mandé qu'oncques n'avoit esté
faict ung plus grand tort, ny une plus grande injure à gentilhomme
qu'à luy, de l'avoyr eu suspect: car juroit à Dieu, le Créateur, qu'il
n'avoit jamays faict, ny pensé de fère, ny consenty à chose
quelconque, qui, près ny loing, peût mériter cella, ny pareillement
les siens; lesquels, et luy, à leur exemple, s'estoient toujours
monstrés parciaulx, jusques à exposer leurs vyes pour la couronne de
France; et qu'il sçavoit combien de grands ennemys, dans ce royaulme,
et quels plus grands, dehors, il s'estoit acquis, pour avoyr incliné
et faict incliner les choses de deçà à la dévotion de Voz Majestez
Très Chrestiennes; dont il en recevoit, à présent, ung très maulvais
loyer: et qu'il vous supplioit aulmoins de croyre, si estimiés qu'il y
eût d'honneur en luy, que pour chose du monde il n'eût envoyé
Quillegreu en France, s'il eût pensé qu'il y eût deu fère quelque
praticque, ny ung seul semblant d'y praticquer rien contre l'intention
et le playsir de Vostre Majesté; et qu'il chercheroit l'opportunité de
parler à moy, pour me déduyre davantage l'extrême marrisson, qu'il
sentoit dans son cueur, de la mauvèse opinyon que vous aviés prinse de
luy.

Sur quoy, Madame, si avez desir de conserver au Roy, vostre filz,
l'intelligence et confédération de ce royaulme, je vous supplye très
humblement de couvrir et modérer, aultant qu'il vous sera possible,
bien que non de déposer du tout, la grande meffiance qu'avez monstré
d'avoyr de ceste princesse, de peur que, la mettant en désespoir de
vostre amityé et de celle du Roy, elle n'entre ouvertement en ligue
avec les Protestantz et eslevez, et qu'elle ne se réunisse avec le Roy
Catholicque, comme elle en est infinyement recherchée; et pour le
regard du comte de Lestre, qu'il vous playse le gratiffier, ainsy que
je le vous ay naguyères escript, affin de conserver, icy, par son
moyen, et pareillement en Escoce, les choses qui appartiennent au
service de Voz Majestez, et espargner, possible, par ung petit
présent, l'occasion d'une très grande despence, qui vous pourroit
survenir, si ce royaulme se changeoit contre vous; à quoy il peut,
plus que nul aultre, obvier: et que, par quelques bonnes lettres, de
vostre main, à la dicte Dame, et au dict comte, et pareillement au
grand trézorier, il vous playse radoulcyr leurs espritz.

J'ay commancé et continueray de débatre fort vifvement la permission,
qu'ilz veulent octroyer, icy, à leurs subjectz, de se revancher, sur
mer, des violences et déprédations que les Françoys leur ont faictes;
mais le grand manquement, non de provisions de justice, mais
d'exécution d'icelles, qu'ilz disent que leurs dictz subjectz trouvent
en France, me mect souvant à ne sçavoyr que leur réplicquer; et je voy
bien qu'ilz vuellent, par là, entrer en occasion de noyse avecques
nous.

J'entendz que quinze ourques, chargées de vivres et de monitions, se
sont desrobbées de l'armée d'Espaigne pour se retirer par deçà,
lesquelles l'on n'a trouvé bon que restassent icy, et sont passées en
Ollande.

Me Quillegreu a escript, d'Escoce, que les choses s'y maintiennent
assez paysibles soubz le prétandu régent, lequel a affermy beaucoup
son authorité par le moyen d'aulcuns principaulx de la noblesse, qui
se sont racoinctés à luy, et mesmement du comte d'Hontelay, à qui il
mande qu'il est en termes de luy remettre les sceaulx et l'estat de
chancellier du royaulme. J'ay, par deux foys, adverty Vostre Majesté,
et ceste cy sera la troysième, comme il se praticque de mettre le
jeune Prince d'Escoce entre les mains du Roy d'Espaigne; et maintenant
l'on vient de me confirmer, de rechef, qu'il n'y a rien qui se mène
plus chaudement que cella. Et sur ce, etc.

    Ce Ier jour de juillet 1574.



CCCXCIe DÉPESCHE

--du IIIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Retour du capitaine Leython.--Prise de Saint-Lô par les
    catholiques.--Exécution de Montgommery.--Résolution arrêtée en
    Angleterre d'engager le prince de Condé à entrer en France avec
    une armée, et de lui fournir secrètement des
    secours.--Dispositions des réfugiés à passer en armes en
    France.--Reproche fait à Marie Stuart d'être en intelligence
    avec le roi d'Espagne.--Résolution des Anglais d'user de
    représailles sur mer; déclaration de sir Arthur Chambernon que,
    sur le refus de la reine régente de faire droit à ses
    réclamations, il a chargé son fils de se payer lui-même sur les
    navires français qu'il pourrait prendre.--Mandement donné à
    l'ambassadeur pour recevoir une communication des seigneurs du
    conseil.--Plaintes des Anglais au sujet des prises faites par
    les Français.--Demande d'audience.--Refus de la reine de
    recevoir l'ambassadeur en cette qualité.--Résolution de
    l'ambassadeur de ne plus paraître à la cour.--Vive instance
    pour qu'il lui soit envoyé un successeur.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, le dernier jour du passé, le cappitaine Leython est arryvé
devers la Royne d'Angleterre, à Grenvich, duquel lieu, dans bien peu
d'heures après, elle est partie pour aller à Richemont, où elle
séjournera six jours, et de là s'acheminera en son progrès vers
Bristo. J'espère la voyr demain, sur l'occasion de voz dernières
dépesches, du XXe et XXIIIIe du passé, et mettray peyne de bien notter
comme elle aura esté satisfaicte du rapport que le dict cappitaine
Leython luy a faict. Ceulx qui sont, icy, les principaulx entre les
Protestantz, ont fort senty, et sentent grandement la prinse de St Lô,
et l'exécution du comte de Montgommery. Et les ministres françoys,
mesmement Villiers, joinct à luy l'agent du comte palatin, et celluy
du Duc de Saxe, et celluy du prince d'Orange, ont esté, depuis cella,
fort fréquents en ceste court; mesmes, mardy dernier, XXVIIIe du
passé, ilz furent, cinq grosses heures, en estroicte conférance avec
quatre de ce conseil; et, le lendemain, l'on m'assura qu'il y avoit
esté déterminé que le Prince de Condé entreroit résolument en France
avecques forces; et qu'il seroit assisté, d'icy, soubz main, sans que
ceste princesse s'en meslât, et qu'on feroit en sorte qu'elle
n'empêcheroit poinct qu'on ne trouvât du crédict en ceste ville pour
la dicte entreprinse, pendant que la dicte Dame s'esloigneroit en son
progrès; et depuis, a esté depesché ung Labrosse devers le dict
Prince. J'entendz que, de ceste court, mais je ne sçay encores de
quelle main, luy sera envoyée une espée et une dague, fort richement
garnyes, pour l'encourager à la superintandance de ceste guerre pour
la cause de la religyon, ainsy que son feu père l'avoit.

L'agent du prince d'Orange est souvant avec le vydame de Chartres, et
luy faict ordinayrement tenir des lettres de son maistre, et semble
que le dict sieur vydame s'employe en ce qu'il peut pour luy. Les
cappitaines Barrache, Limons, La Roque, et quelques aultres françoys,
jusques à six ou sept vingts, naguyères revenus de Ollande, sont,
depuis quatre jours, allez vers l'Ouest en intention de s'embarquer où
ilz pourront, pour passer à Carantan. Il est vray que, parmy eulx, se
parloit de la difficulté et du danger qu'il y auroit à se jetter
dedans, dont la pluspart inclinoient de s'en aller à la Rochelle, et
je croy qu'ilz auront prins celle route. Néantmoins j'ay escript à Mr
de Sigoignes qu'il advertît Mr de Matignon de leur dellibération.

Me Quillegreu a escript qu'il avoit descouvert, en Escosse, comme le
Roy d'Espaigne avoit une fort secrette, et néantmoins fort grande
intelligence avec la Royne d'Escosse: ce que je pense qu'il a faict,
tout à poste, pour anymer la Royne d'Angleterre à parachever son
armement, affin de l'employer contre le dict Roy d'Espaigne, car il
est merveilleusement affectionné au dict prince d'Orange. Néantmoins
icelluy armement a cessé, et ne paroistra nullement en mer contre
l'armée d'Espaigne, bien que le Sr Boyssot, gouverneur de Fleximgues,
lequel est passé, depuis huict jours, avec sa femme par deçà, comme
pour s'y venir esbattre, ayt négocié plusieurs choses fort
secrettement avec les seigneurs de ce conseil; mais ne se sçait
encores ce qu'il a impétré. Goaras a trouvé moyen, soubz le nom de
quelque aultre, de le fère mettre en prison, pour certeynes pleinctes
et déprédations prétandues contre luy, mais il a esté incontinent
mandé de ceste court qu'on l'eût à relaxer, sans ung seul denier de
frayx; de quoy le dict Goaras se sent fort offancé. Néantmoins le dict
advertissement de Quillegreu a esté cause qu'on a envoyé quérir ung
Amelthon, précepteur des jeunes enfantz du comte de Cherosbery, pour
l'examiner sur ceste intelligence de la Royne d'Escoce avec le Roy
Catholicque, ny s'il sçayt qu'elle ayt receu, ny qu'elle reçoyve, de
nulle part, aulcuns chiffres.

Il semble que ceulx cy se résolvent d'envoyer trois ou quatre navyres
pour réprimer aulcuns vaysseaulx françoys, qui pillent, sur mer, les
subjectz de ce royaulme; et sir Artus Chambernon m'a escript que, vue
la froyde responce que Vostre Majesté avoit faicte sur son affère à
l'ambassadeur d'Angleterre, après celle tant bonne que le feu Roy,
vostre filz, luy en avoit mandée auparavant, qu'il a remis la debte du
comte de Montgommery à son filz, lequel adviseroit maintenant de s'en
payer le mieulx qu'il pourroit sur les Françoys. A quoi je
m'opposeray, Madame, aujourdhuy vers les seigneurs de ce conseil, qui
m'ont envoyé prier de me trouver, à troys heures après midy, en la
maison de milord Quipper, où ilz seront toutz assemblés pour me fère
entendre aulcunes choses que la Royne, leur Mestresse, leur a donné
charge de me déclarer; de quoy je suis bien en peyne que ce peut
estre; mais j'espère que Dieu me fera la grâce de leur respondre comme
il conviendra pour le service du Roy et vostre. Et sur ce, etc.

    Ce IIIIe jour de juillet 1574.


   PAR POSTILLE.

   Pendant que j'ay faict mettre au net la présente, j'ay esté
   devers les susdictz seigneurs du conseil, qui m'ont faict une
   assez rude déclaration touchant la pleincte de leurs subjectz;
   dont je vous manderay, Madame, par mes premières, comme le
   tout a passé entre nous. Et voulant desjà clorre le pacquet,
   le Sr du Vassal, qui estoit allé pour mon audience à la court,
   et à qui j'avoys donné charge de sçavoyr résoluement comme je
   y serois receu, m'a rapporté, de la part du comte de Lestre,
   que la Royne, sa Mestresse, me mandoit que je serois le bien
   venu quand il me playroit; et que je sçavoys bien ce qu'elle
   n'avoit dict dernièrement, qu'encor que ma légation fût
   expirée, qu'elle ne layrroit de traicter avecques moy comme
   avec ung gentilhomme françoys, ministre du Roy, mon Maistre,
   lequel, avoit bien agréable, mais qu'elle ne pouvoit, en façon
   du monde, me recevoyr plus comme ambassadeur, jusques à ce que
   j'eusse nouvelle commission du Roy, qui est à présent. Sur
   quoy je me suis arresté, et suis tout résolu, Madame, de ne
   fère tant de préjudice à la grandeur du Roy, vostre filz, et à
   la vostre, ny tant d'indignité à la charge qu'on m'a veu
   exercer, icy, les six ans passés, que d'y aller maintenant en
   aultre qualité, dont vous plerra adviser de quelque expédient.
   Et s'il vous playsoit fère venir mon successeur, pour estre
   quelques moys, icy, agent, pendant que les lettres du Roy,
   vostre filz, luy arryveroient pour estre ambassadeur, nous
   conduyrions, par ensemble, la négociation ung espace de temps;
   et puis je la luy layrroys, au partyr, si clère et nette,
   qu'il ne s'y sentiroit aulcune mutation, sinon possible en
   mieulx, en ce que, mieulx que moy, il pourroit fère. Et vous
   pléra, Madame, pourvoyr promptement à ce faict, de peur que
   les affères de Voz Majestez ne reçoyvent quelque détriment,
   par faulte de personnage qui les puisse aller négocier avec la
   dicte Dame.



CCCXCIIe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer_).

  Déclaration faite à l'ambassadeur, en conseil, que la reine a
    pris la résolution de permettre à ses sujets d'user de
    représailles sur mer contre les Français.--Protestation qu'elle
    ne veut pas pour cela abandonner l'alliance, ni faire acte
    d'hostilité.--Regret témoigné par l'ambassadeur de ce que des
    excès ont été commis sur mer, et par les Français et par les
    Anglais.--Son desir qu'il y soit remédié conformément au
    traité.--Ses plaintes contre les secours donnés, depuis le
    commencement des guerres civiles, aux révoltés de France.--Ses
    remontrances à raison des prises faites par les
    Anglais.--Protestation de sa part qu'il prendra toute
    autorisation de représailles comme une infraction au traité
    d'alliance.--Déclaration du conseil qu'il en sera référé à la
    reine.--Ordre donné de mettre tous les navires en mer.


    A LA ROYNE, MÈRE DU ROY, RÉGENTE.

Madame, ayant, jeudy dernier, esté appellé en la mayson de milord
Quipper par les principaulx de ce conseil, j'ay trouvé qu'il y en
avoit neuf des principaulx desjà assemblez et assis, lesquels m'ont
assez bien receu; et s'estantz remis, chascun en sa place, et
m'ayantz, ainsy que de coustume, donné celle du premier lieu, ilz ont
esté quelque temps en silence, comme s'ilz attandoient que j'ouvrisse
le propos; mais voyantz que je ne sonnois mot, milord Quiper et milord
trézorier m'ont dict que la Royne, leur Mestresse, avoit ordonné que
aulcunes choses, qui estoient d'assez d'importance, me seroient
déclarées en ceste assemblée; lesquelles ilz me prioient de les
vouloir ouyr de Me Smith.

Et tout aussytost, s'estant le dict Me Smith levé, il m'a, avec ung
peu d'apparat, dict que les grandes et fréquentes plainctes, qui,
depuis ung an, estoient venues, et venoient encores tous les jours à
la dicte Dame, des déprédations, volleries, meurtres et rançonnementz
que les subjectz de ce royaulme souffroient, en mer, par les Françoys,
et mesmes bien freschement de celles que deux navyres de guerre, qui
s'avouoient au Roy, l'ung nommé le _Prince_ et l'autre l'_Ours_,
exécutoient sur eulx, et le peu de justice qu'ilz trouvoient en France
ez officiers de sur les lieux; lesquelz, encor que le Roy et les
seigneurs de son conseil ordonnassent souvant de bonnes provisions,
ilz les mesprisoient, et ne tenoient compte de les exécuter, et
layssoient intimider devant eulx, injurier, battre, mutiller et
meurtrir ceulx qui en alloient fère la poursuyte, sans qu'on leur eût
encores jamays veu fère punition d'ung seul pirate, ny une seule
restitution, bien que la dicte Dame en eût faict addresser ses
pleinctes fort souvant par moy mesmes, et ordinayrement par ses
ambassadeurs, à Voz Très Chrestiennes Majestez, et se fût mise en tout
debvoir de punir, de son costé, ceulx de ses subjectz qui avoient
troublé la mer, et donné toute satisfaction aulx Françoys;

Et voyant, à ceste heure, le désordre continuer tousjours plus grand
sur les siens, et les remèdes de justice leur deffallyr du tout, ainsy
qu'il apparoissoit par le faict de Me Warcop, qui estoit fondé en très
grande équité; et par celluy de Guyllaume Rutheau, qui avoit obtenu
lettres patantes du grand sceau pour estre satisfaict en l'espargne,
sellon que ses biens avoient esté prins pour les exprès affères du feu
Roy, néantmoins le trésorier de l'espargne en refuzoit le payement;
ensemble de plusieurs aultres semblables accidantz de ses subjectz,
qui ne cessoyent d'inquiéter la dicte Dame, et ceulx de son conseil,
de leurs très lamentables doléances;

Elle, pour ne laysser dépérir le commerce, ny voyr cesser la
navigation en son royaulme, qui estoient les deux choses qui
principallement maintenoient son estat, avoit advisé que, sans plus
m'en parler, ny aller plus à pleincte à Voz Majestez Très
Chrestiennes, elle adviseroit des remèdes que, par l'advis de ceulx de
son conseil, elle avoit jugé les plus propres et les plus expédientz,
pour récompenser et desdomager ses dictz subjectz et leur assurer
leurs dictz navigation et commerce, sans, pour ce, altérer la bonne
paix qu'elle vouloit droictement garder au Roy, vostre filz, et à son
royaulme; et que ce qu'elle en faysoit estoit principallement pour
obvier que les choses ne passassent si avant que la dicte paix s'en
peût rompre; par ainsy, s'il advenoit que je vîsse ou ouysse parler de
quelque nouvel ordre sur la mer, que je n'en prinse poinct
d'esbahyssement.

Et, sans passer plus oultre, m'ayant lors exibé ung grand cahier de
pleinctes, qu'il disoit n'y avoir esté satisfaict, et ung role de
restitutions faictes aulx Françoys à mon instance, il s'est tourné
rassoyr.

Et les aultres s'estantz rendus fort attentifs à ce que je
respondrois, je leur ay dict, que le propos, qu'ilz m'avoient
maintenant faict tenir, venant de la Royne, leur Mestresse, et d'ung
si prudent et vertueux conseil, comme le sien, se trouveroit, à mon
advis, pour le regard de celle partie qui faysoit mencion de garder
droictement l'amityé, très conforme au desir du Roy, vostre filz, et
au vostre, de façon que je leur pouvois assurer que Voz Majestez, et
toutz ceulx de vostre couronne, l'auroient très agréable; et encores
ne pensois je que l'autre partye, qui monstroit avoyr de
l'altération, vous peût du tout desplayre, parce qu'elle tendoit à
descouvrir franchement les occasions qui avoient commancé de troubler,
et qui troubleroient davantage la clerté de ceste amityé, si elles
n'estoient remédiées; que le remède n'en seroit désormais difficile,
puisque les causes du mal estoient descouvertes, lesquelles ne me
sembloient ny si griefves, ny de tel poids, qu'elles peussent
esbranler la très solide et très ferme, et très sainctement jurée,
bonne amityé qui avoit, depuis quinze ans, prins son fondement sur la
mutuelle bonne inclination que Voz Majestez s'estoient réciproquement
portée;

Que, touchant les désordres de la mer, et manquement de justice, en
France, pour leurs subjectz, j'étois très marry qu'ilz eussent
occasion de s'en douloyr, et je m'en voulois douloir avec eulx,
n'estant du debvoir de la confédération qu'ilz receussent injure de
nous, ny qu'elle ne fût réparée, quand nous la leur aurions faicte,
car les trettés le portoient ainsy; mais la malice du temps avoit
assez privé en France et l'estranger et le subject de l'ancien ordre
de la justice; néantmoins je pouvois tant affirmer, de l'intention et
desir de Voz Majestez Très Chrestiennes et de vostre conseil, que les
provisions, qui avoient deu en cella procéder de très justes princes,
et très sévères et équitables conseillers, n'y avoient jamays
deffally; que eulx mesmes estoient ceulx, et je les supplyois de
n'estre offancés d'ouyr ceste vérité, qui avoient donné commancement à
ce mal: car, jusques en l'an 1568, encor que nos troubles eussent
desjà duré cinq ou six ans, les Angloys n'avoient toutesfoys senty de
nous, ny nous d'eux, aulcune injure sur la mer; mais, après qu'ilz
avoient eu admis, icy, Chastellier Portault comme visadmyral,
nonobstant qu'il fût un fuitif condampné à mort par justice, et qu'ilz
eurent donné lieu aulx commissions du Prince de Condé et du cardinal
de Chastillon et du prince d'Orange, et dernièrement à celles du comte
de Montgommery, et que, soubz icelles, ung grand nombre d'angloys, et
pareillement beaucoup de fuitifz françoys, escossoys et walons, eurent
entreprins, soubz la faveur de ce royaulme, sortantz de leurs portz et
y ayantz leur retrette, de piller les Catholicques, et de débiter par
deçà leurs prinses, la mer avoit esté incontinent remplye de très
grands désordres; et, encor que, depuis, ilz s'estoient efforcez de
les réprimer, et que la Royne, leur Mestresse, eût commandé de fère
justice, elle n'avoit esté faicte entière, ny à toutz, ny contre
toutz. Et bien souvant une partye du principal, avec les frays, ou
toutz les deux ensemble y estoient demeurés, de façon que le dommage
des Françoys restoit encores et en diminution de leurs biens, et en
injure et violence contre leurs personnes, et en perte de navyres, si
grande qu'il excédoit de dix mille pour cent celluy qu'ilz
m'alléguoyoient de leurs subjectz;

Que je ne voulois nyer qu'il n'y eût à desirer quelque chose de nostre
costé, mais beaucoup plus sans comparayson du leur; et, au pis aller,
les injures, qu'ils avoient reçues de nous, ne pouvoient estre sinon
semblables à celles qu'ils nous avoient faictes, ès quelles nous
n'avions jamays tenté aultre remède que de recourir à la Royne, leur
Mestresse, et à eulx, de nous fère justice sellon les traictés; et
nous estions contantés de celle qu'elle nous avoit administrée, ou
qu'elle avoit monstré de nous vouloir administrer, excusans le reste
sur la malice du temps; dont je la supplyois, et eulx aussy, qu'ilz
voulussent maintenant uzer le semblable, et ne chercher nulz remèdes
en cella hors des traictés; et que leurs ambassadeurs avoient
naguyères tretté de cest affère avec Voz Majestez Très Chrestiennes,
lesquelles avoient prins avec eulx l'ordre que je leur avoys desjà
déclaré; lequel, s'il ne leur satisfaysoit assez, qu'ilz en missent
quelque autre en avant, et je leur ozois bien promettre que, s'il
n'estoit bien malhonneste et inique, que Vostre Majesté le leur
accorderoit, et leur feroit voyr qu'elle desire soigneusement
conserver le commerce et intelligence de ce royaulme;

Que la Royne, leur Mestresse, ny eulx ne pouvoient, ny debvoient
procéder maintenant d'aultre façon; et, pour le debvoir de ma charge,
je ne pouvois fère de moins, en cas de quelque nouveaulté en cest
endroict, que de les requérir de la vous communicquer, et d'attandre
sur icelle vostre consentement, premier que de la mettre à exécution,
ou bien leur protester de l'infraction des traictés; que je les priois
de considérer que le feu Roy estoit mort leur bon allié et confédéré,
et que le Roy, à présent, son frère, selon le troysième article du
traicté, avoit succédé en la mesme ligue et confédération, et avoit
ung an de terme pour en déclarer sa volonté, et que Vostre Majesté
leur promettoit qu'il ne l'auroit poinct dissamblable au deffunct, et,
possible, beaucoup meilleure; et aulmoins ne pouvoient ilz, pour chose
qu'il eût faicte, depuis son règne, aulcunement juger qu'il la deût
avoyr aultre; et pourtant je les priois que la Royne, leur Mestresse,
et eulx se voulussent, en l'absence sienne, et à l'advènement sien à
ceste grande couronne de France, qui leur estoit voisine, et en
l'administration de ses présentz affères ez mains de Vostre Majesté,
se déporter en vrays bons alliez et confédérez, et luy ayder et
assister, comme à celluy qui debvoit estre, cy après, bien fort à
eulx; et de qui, pour estre ung prince nay à toute vertu, creignant
Dieu, fort esprouvé aulx armes et aulx affères, et dont la fortune ne
se monstroit petite, ny les augures de sa grandeur que très bons, ilz
pouvoient espérer et se promettre beaucoup plus que de nul aultre
prince de la Chrestienté.

Laquelle responce, qui a esté, en quelque endroict, plus ample et plus
expresse, milord trésorier l'a incontinent récapitulée en angloix, à
ceulx qui n'entendoient le françoys.

Et après qu'ilz ont eu assez longtemps débattu ensemble, luy mesmes
m'a respondu, que ce qu'ilz m'avoient auparavant déclaré de
l'intention de leur Mestresse estoit sellon la résollution qu'elle en
avoit prinse, à laquelle ne leur pouvoit estre loysible d'y rien oster
ou mettre; mais qu'ilz luy rapporteroient fidellement mon dire, lequel
leur avoit semblé à toutz honnorable et plein de beaucoup de
satisfaction; et que, puis après, elle m'y feroit entendre sa volonté.
Il s'est passé, là mesmes, d'autres choses lesquelles je réserve à la
prochayne dépesche, parce que cette lestre est desjà trop longue. Et
adjouxteray seulement que, samedy dernier, le comte d'Oxfort et milord
Edwart de Sommerset se sont desrobez d'icy pour passer en Flandres, de
quoy ceste court est assez troublée. Et sur ce, etc.

    Ce VIIIe jour de juillet 1574.

   L'on me vient d'advertyr, tout à ceste heure, que ceux cy ont,
   depuis hier au soyr, changé, encores un coup, de
   dellibération, et qu'indubitablement ilz mettront toutz leurs
   navyres dehors avant le XXIIIIe de ce moys. J'envoye de ce pas
   en vériffier l'advis, et incontinent après, je le vous
   escripray. Le pacquet de Vostre Majesté, du dernier du passé,
   vient d'arryver. Il est besoing de pourvoyr promptement à la
   difficulté que, par le postscripte de ma précédente, je vous
   ay mandé.



CCCXCIIIe DÉPESCHE

--du XIIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Reprise des armemens.--Intrigues des partisans de l'alliance de
    Bourgogne.--Suspension des lettres de marque contre les
    Français.--_Mémoire._ Conférence de l'ambassadeur avec
    Burleigh, Leicester et Walsingham, sur la déclaration des
    seigneurs du conseil.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, ce n'est sans rougir de honte qu'il fault que, par ceste cy,
je vous mande, touchant l'armement de ceste princesse, tout le
contrayre de ce que, par celle du premier de ce moys, je vous avoys
escript: qu'elle l'avoit desjà interrompu, et avoit faict licencier
les gens de guerre, et les marinyers, et les ouvriers, et officiers de
ses navyres, et faict cesser les provisions des victuaylles, et
révoqué toutes aultres commissions en cella, chose que j'ay veue de
mes yeulx. Et mesmes la dicte Dame estoit desjà entrée en marché avec
le Sr Boyssot, gouverneur de Fleximgues, qui estoit lors icy, pour luy
vendre les dictes victuailles. Mais estant, samedy dernier, survenu
des nouvelles de France à la dicte Dame, lesquelles j'entendz que ne
luy ont pleu; et, bientost après, d'autres, du costé de Biscaye, comme
l'armée d'Espaigne se debvoit mettre en mer le cinquiesme de ce moys
en nombre de troys centz voylles, toutes à double équippage de guerre;
et encores d'aultres fascheuses nouvelles, le mesmes soyr, comme les
deux milords, dont je vous ay cy devant escript, s'estoient desrobez
pour passer en Flandres, la peur et les souspeçons luy ont renouvellé
plus grandz que jamays. Dont soubdain elle a faict contremander ce qui
estoit licencyé, et envoyé argent de toutes partz pour haster les
soldatz et les maryniers; et maintenant elle faict fère une extrême
dilligence de pouvoir, avant le XXVe du présent, mettre ses grands
navyres dehors, en nombre de XXV, aultant bien équippés qu'il y en ayt
en ceste mer, avec les barques et aultres vayssaulx qui suyvront,
oultre les particulliers qui seront bien aultant. Et l'admyral mesmes
d'Angleterre se prépare, avec beaucoup de noblesse, pour y aller
commander; chose néantmoins qu'à mon advis ne pourra estre si tost
preste, et de laquelle j'espère, et desire de bon cueur, que je puisse
encores une foys changer les advis que j'auray à vous en mander, non
qu'on ne m'ayt donné beaucoup de bonnes parolles d'assurance que rien
de cest appareil n'est contre la France. Néantmoins je ne puis fère,
pour aulcunes considérations que j'ay, que je ne le souspeçonne
beaucoup, et que je ne le rende suspect à Vostre Majesté, veu
mesmement la déclaration assez rude que les seigneurs de ce conseil
m'ont naguyères faicte, comme je le vous ay mandé du VIIIe; et veu que
les ministres françoys de ceste ville, qui sont bien les plus
passionnez du monde, sont ceulx qui le sollicitent. Joinct que les
partisans de Bourgoigne, lesquelz sont trop plus ferventz, pour ceste
heure, que les nostres, et qui sont très bien estipendiés,
s'efforceroient de traverser cella, s'ilz sentoient qu'il y eût rien
au dommage du Roy Catholicque.

Et à propos des dictz partisans de Bourgoigne, je vous puis assurer,
Madame, qu'ilz ont faict tout ce qu'ilz ont peu pour induyre ceste
princesse de rompre avecque vous; et n'est sans apparance que, ez
praticques qu'avez descouvertes par dellà, il y ayt de leur artiffice
beaucoup, sans le sceu et oultre la volonté d'elle. Car desjà ilz
avoient tant faict, icy, à la sollicitation d'ung hespagnol,
naturalizé en ceste ville, lequel pourchassoit pour luy une lettre de
marque contre les Portugoys, que ce conseil avoit résolu qu'on en
octroyeroit aussy, avec toutes provisions de représailles, et
d'arrest, aulx marchantz angloys contre les Françoys. Et sans ce que
la dicte Dame, quand l'on luy en est allé parler, a dict qu'il falloit
qu'on m'en notiffiât la déclaration, et qu'on entendît là dessus ma
responce, premier qu'elle le consentît, l'on eût desjà passé oultre;
bien qu'elle n'a faict grand difficulté de passer la lettre contre les
Portugoys. Et c'est sur quoy iceulx de ce conseil m'ont tenu depuis le
propos que je vous ay mandé; sur quoy je leur ay faict, sur le champ,
la responce, et eulx leur réplicque que Vostre Majesté a veue par ma
dépesche du VIIIe de ce moys. Et je joins dans un mémoyre à part ce
qui s'en est ensuivy.

Et depuis, Madame, l'on m'a adverty que les dictes lettres de marque
ont esté suspendues. Je ne sçay si, à présent, l'on les remettra. Et
le Sr Artus Chambernon m'est venu dire que, puisqu'il vous playsoit
fère rayson à son fils du dot de sa femme, qu'il garderoit qu'il ne
l'allât pourchasser, sinon vers Vostre Majesté, par la voye que luy
permettriés de le fère. Et sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de juillet 1574.


   MÉMOIRE.

   Madame, après estre levez du conseil, milord trézorier et le
   comte de Lestre, m'ayantz retiré à part, m'ont remonstré en
   combien de deffiance de vostre amityé et de celle du Roy,
   vostre filz, vous aviez mis ceste princesse par les estranges
   façons dont aviez procédé vers ses ambassadeurs et leurs gens:
   de les avoir ainsi faict observer comme si vous la teniés
   desjà pour vostre déclarée et mortelle ennemye, et mesmes de
   ce tret, qu'aviez faict uzer, par le grand commandeur de
   Champaigne, au cappitaine Leython, le jour qu'il estoit party
   de Paris, bien qu'il luy eût dict que ce n'estoit de vostre
   part; et qu'ilz promettoient à Dieu qu'ilz ne voyoient ny
   sçavoient qu'il y eût eu, cy devant, ny qu'il y eût, à
   présent, en l'intention de leur Mestresse, chose aulcune qui
   vous deût raysonnablement esmouvoyr contre elle; et que, si
   elle avoit voulu monstrer quelque recognoissance vers
   Monseigneur vostre filz, de l'obligation, en quoy elle se
   sentoit estre, de ce que le feu Roy, son frère, et Vous, le
   luy aviés présenté, et que luy mesmes s'estoit offert à elle,
   que vous la debviés avoyr segondée en cella, si aviés nul
   desir de leur mariage, car pouviés croyre qu'elle ne tendoit
   qu'à fère tout ce qu'elle jugeoit bon pour le bien et
   contentement de Voz Majestez Très Chrestiennes et pour
   l'honneur de vostre couronne, et pour conserver et accroystre
   la réputation de Mon dict Seigneur, vostre filz; et qu'il
   falloit dire ou que vous estiés fort circonvenue en l'opinyon
   qu'on vous faisoit prendre de leur Mestresse, ou que vous luy
   portiés une fort maulvayse volonté.

   Je leur ay respondu qu'à dire vray, là où la meffiance
   pénétroit et pouvoit mettre racyne, qu'elle y suffocquoit
   facillement toutes les plantes d'amityé; mais que je les
   suplioys de considérer, par leurs prudences, si, en ung temps
   qu'il vous estoit advenu, Madame, de perdre le feu Roy, vostre
   filz ayné, et avoyr absent le Roy, son frère, vostre segond
   filz, en ung pays très loingtain; et que son royaulme, durant
   vostre administration, se trouvoit ombragé, en plusieurs
   endroictz, de diverses guerres intestines, où vous aviés six
   armées aulx champs pour luy, l'une en Normandye, une en
   Poictou, une en Gascoigne, une en Languedoc, une en Daulfiné
   et une aultre en Champaigne, et deux mareschaulz de France
   prisonnyers, et le Prince de Condé, qui se préparoit en
   Allemaigne, pour venir, avec nouvelles forces, troubler
   davantage voz affères; et que le comte de Montgonmery estoit
   par ce costé descendu en Normandye; et que les eslevez ne
   faysoient de rien tant d'estat que du secours d'Angleterre;
   et que plusieurs ministres, et aultres françoys fuityfs, ne
   cessoient de dellibérer icy, toutz les jours, des moyens
   d'entretenir la guerre par dellà; et que les gens de leur
   ambassadeur s'estoient efforcez de mener, jusques en vostre
   court, de très dangereuses praticques; si toutes ces choses là
   ne vous debvoient bien avoyr causé de la souspeçon;

   Et que je leur voulois librement dire que la Royne, leur
   Mestresse, et eulx vous debvoient sçavoyr grand gré de l'ordre
   que vous aviés tenu, là dessus, pour conserver l'amityé; car
   aviés envoyé Mr Pinart, secrettère des commandementz, devers
   leurs ambassadeurs pour les prier doulcement d'ouvrir les
   yeulx sur ces maulvais déportementz de leurs gens, et y
   vouloir pourvoyr; et m'aviez commandé de déclarer, icy, à leur
   dicte Mestresse, les poinctz et termes de la dicte pratique;
   et luy nommer les propres personnes qui la menoient, la priant
   qu'elle jugeât combien il vous debvoit estre grief, qu'au nom
   d'elle l'on entreprînt telles choses près de Vostre Majesté,
   en vostre mayson, et jusques dans vostre cabinet, sans vous en
   fère part;

   Et que vous promectiés à Dieu que vous aviés fermement creu
   que c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre sa volonté,
   qu'ilz le faysoient; et que cella procédoit de l'artiffice des
   eslevez, ou bien des ministres réfugiés par deçà: dont l'aviés
   priée qu'elle fît cesser ces choses, et qu'elle voulût
   entretenir et nourrir tant de vraye amityé avecques vous, que
   rien ne se peût traicter de par elle en France, comme vous luy
   promettiés bien que rien ne se traicteroit de par Voz Majestez
   Très Chrestiennes par deçà, sans une privée communicquation
   d'entre vous deux.

   En quoy ilz pouvoient voyr combien grande occasion l'on vous
   avoit donné de souspeçon, et combien vous aviés mis peyne de
   garder qu'elle ne vînt à altération; et qu'ilz debvoient ainsy
   juger de Vostre Majesté, comme d'une princesse qui leur aviez
   conservé, quinze ans durant, l'amityé du feu Roy, vostre filz,
   et qui luy conserveriés perpétuellement celle du Roy, son
   frère, et conduyriés à bon effect le propos de Monseigneur le
   Duc, si eulx mesmes ne vous donnoient occasion d'en uzer
   aultrement.

   Et les ayant layssez en cella, Mr Walsingam m'est venu ramener
   jusques hors du logis, qui m'a dict que, de tousjours, il
   avoit plus esté françois qu'espaignol, et pourtant qu'il
   s'advanceroit de me prier franchement que je me voulusse
   souvenir combien j'avoys tousjours trouvé sa Mestresse bien
   inclinée à la France; et combien elle méritoit que Voz
   Majestez Très Chrestiennes tînsiés en grand compte son amityé,
   et la traictissiés, en toutes choses, honnorablement et avec
   dignité, et respect; et que c'estoit une princesse très
   débonnayre, très vertueuse et paysible, à laquelle falloit
   donner de la satisfaction; et que pourtant, sur la déclaration
   qu'elle m'avoit faicte fère par ceulx de son conseil, il
   estoit nécessaire que Vostre Majesté la contantât
   honnestement, en faysant avoyr satisfaction, par justice, à
   ceulx de ses subjectz qui plus luy faysoient de presse.

   A quoy je luy ay respondu que, jusques icy, il s'estoit veu
   beaucoup de correspondance entre Voz Majestez et entre ces
   deux royaulmes, et que, de vostre costé, il ne s'y trouveroit
   ny resfroydissement ny diminution; dont luy pouvois promettre
   que la satisfaction seroit faicte par justice à leurs
   subjectz, s'il leur playsoit l'administrer de mesmes bonne
   aulx Françoys par deçà.



CCCXCIVe DÉPESCHE

--du XVIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Jacques._)

  Nouvelle suspension des armemens.--Assurances données par
    Leicester de son affection pour la France.--Avis qu'une
    audience est accordée à l'ambassadeur.--Affaires
    d'Écosse.--_Mémoire._ Communication entre l'ambassadeur et
    Leicester.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, en ce que, par ma dépesche, du XIIe de ce moys, j'avoys
présagé que j'auroys encores une foys à vous mander quelque changement
de la dellibération de ceulx cy touchant leur armement, je ne m'en
trouve nullement déceu, car, sellon que je l'ay dict, et comme je le
desirois, mais, certes, plus tost que je ne l'espérois, il est advenu
qu'ilz ont, de rechef, depuis peu d'heures en çà, entièrement cassé
tout l'appareil de leurs grands navyres. Et ne sçay d'où est procédé
ceste tant soubdeyne mutation, car don Bernardin de Mendossa, qui
vient de la part du grand commandeur de Castille, n'a point esté
encores ouy, et le secrettère de l'ambassadeur d'Angleterre ne fut pas
si tost arryvé, samedy au soyr, à Windsor, qu'on envoya icy redoubler
le commandement de haster la sortie des dictz grands navyres. Et si,
je sçay certaynement que aulcuns ministres furent, le dimanche
ensuyvant, appelez à la court, pour encourager ceste princesse à ces
deux guerres, de France et de Flandres, et pour luy remonstrer que le
salut de ce royaulme et la conservation de leur religion requéroit que
l'ordre de son armement ne se trouvât nullement diminué de ce qu'il
est, ains plustost augmenté, quand le Prince de Condé entreroit en
France, et quand l'armée d'Espaigne passeroit icy, au long, pour aller
en Flandres.

Il est bien vray, Madame, que j'avoys desjà eu, en cella, quelque
bonne parolle du comte de Lestre, dont je metz le propos à part, qui
pense bien que, de luy et de quelques ungs qui n'ont encores perdu
toute leur bonne affection vers la France, et de quelques amys du Roy
d'Espaigne, est venu maintenant ceste interrumption d'armement; et à
luy aussy, plus qu'à nul aultre, j'en rendray, samedy prochain, les
grandz mercys, quand j'iray à l'audience à Redinc, à quarante mille
d'icy, où ceste princesse m'a assigné. A laquelle je n'obmettray ung
seul poinct de toutz ceulx qui sont contenus en vostre dernière
dépesche du VIIe du présent, desquelles, en ce qui touche aulcunes
particullaritez, bien bonnes et bien desirées du Roy, vostre filz, je
m'en conjouys infinyement avec Vostre Majesté; et surtout j'ay bien
fort solennisé la nouvelle de son bref retour, car c'est ce qui
resjouyt, plus que je ne le sçauroys dire, les bons, et met en
terreur et confusion ceulx qui n'ont bonne intention.

Au regard de l'affère d'Escoce, je ne sçay comme bien y pourvoir, car,
de s'en adresser au comte de Morthon, ou à pas ung de sa faction, le
debvoir ny la rayson ne le peuvent requérir; et je ne sçay à quel, de
toutz ceulx de l'aultre party, j'en pourrois escripre, qui n'ayme,
possible, beaucoup mieulx que ce que je vous ay mandé succède, au cas
que n'y veuillés entendre pour vous, que d'en demeurer là où ilz sont.
Dont semble estre expédient que, soubz une colleur, fassiés passer
quelque escossoys confident jusques là, par mer, pour y aller manyer
ce négoce sellon vostre intention. Et sur ce, etc.

    Ce XVIe jour de juillet 1574.

   ADVIS, A PART.

   Madame, j'ay envoyé devers le comte de Lestre le Sr Acerbo
   pour le prier de troys choses: l'une, qu'il voulût oster,
   d'entre la Royne d'Angleterre et moy, cette difficulté qu'elle
   faysoit de ne me vouloir recevoyr comme ambassadeur, luy ayant
   à dire une chose fort expécialle et d'importance que Vostre
   Majesté luy mandoit; l'aultre, de m'advertyr en quelle
   disposition elle estoit demeurée vers Voz Majestez et vers la
   France, après qu'elle eût ouy le rapport de ceulx de son
   conseil, sur ce qui s'estoit passé naguyères entre eulx et
   moy; et la troysiesme, qu'il promît ardiment à la dicte Dame,
   sur la parolle de Vostre Majesté, que la confirmation de la
   ligue avec le Roy, vostre filz, s'en suyvroit, tout ainsy
   qu'elle l'avoit eue avec le deffunct, son frère, et que je luy
   en obligeoys ma vye; et plusieurs aultres bonnes parolles et
   promesses au dict comte pour l'eschaufer, plus que jamays, au
   party du Roy, et de ne se laysser surmonter ny aulx partisantz
   d'Espaigne, ny aulx passionnez protestans.

   A quoy, après avoyr conféré avec la dicte Dame, il m'avoit
   mandé, comme de luy mesmes, qu'il me prioit de n'estre point
   marry, si je ne pouvois estre receu comme ambassadeur, car, à
   la vérité, je ne l'estois poinct; et s'il advenoit que quelque
   chose se trettât avecques moy, en celle qualité, que tout
   cella seroit de nulle valeur; mais qu'il me respondoit, sur
   son honneur, si je venois trouver la dicte Dame, qu'elle ne me
   tiendroit en aultre lieu et rang que comme elle avoit
   accoustumé, bien que non d'ambassadeur;

   Et, au regard de ce qui s'estoit passé entre ceulx du dict
   conseil et moy, qu'après que luy et milord trézorier, et les
   deux secrettères, en avoient eu rendu compte en bien bonne
   sorte à la dicte Dame, elle avoit dict que ma responce luy
   sembloit telle que de plus honnorable ne s'en pouvoit fère, ny
   qui fût plus pleyne de satisfaction; et qu'elle avoit lors
   faict arrester, en son dict conseil, que, premier que
   d'innover rien aulx trettés d'entre le Roy et elle, ny
   attempter rien contre les Françoys, qu'on attandroit de voyr
   s'il sortiroit aulcun effect des bonnes parolles et
   déclarations que je leur avoys faictes; vray est que ceulx,
   qui nous estoient peu amys, avoient tant faict qu'il avoit
   esté réservé, au cas que les violences continuassent de nostre
   costé, et que les Anglois fussent maltraictés en France, et
   déprédés par les Françoys, et qu'on ne leur fît quelque
   satisfaction du passé, qu'on leur permettroit de se revencher
   sur mer, et prendre leur récompense sur les dictz Françoys,
   ainsy qu'ilz la pourroient avoyr: qui pouvois penser que leur
   seroit chose assez aysée, mais mal convenable à l'amytié;

   Et que la dicte Dame avoit dict, tout hault, que Vous, Madame,
   vous estiez trompée et circonvenue vous mesmes, d'avoyr prins
   tout aultrement l'intention d'elle qu'elle n'estoit; car
   prioit à Dieu de la punir très griefvement si elle avoit
   pensé, ny consenty jamays, à chose qui deût offancer le feu
   Roy, vostre filz, ny vous, ny troubler aulcunement voz
   affères; et que, s'il luy apparoyssoit que, quelz que ce
   soient en France, de ceulx que vous aviez suspectz, eussent
   vollu rien attempter contre la personne du feu Roy ny contre
   la vostre, ny contre l'estat, que ce seroit elle qui
   solliciteroit très instammant qu'on leur tranchât la teste;

   Que, quand à respondre, sur la parolle de Vostre Majesté, de
   la confirmation de la ligue à la dicte Dame, qu'il s'y
   employeroit très volontiers, car c'estoit chose qu'il desiroit
   infinyement, et espéroit qu'elle l'accepteroit, et ne s'en
   monstreroit ny refuzante ny dédaigneuse, pourveu qu'elle en
   fût honnestement recherchée;

   Et qu'au reste, il n'estoit besoing que, par nouvelles
   persuasions et promesses, je le sollicitasse au party du Roy,
   car il s'estoit desjà déclaré tant parcial françoys, en toutes
   les compétences d'entre les deux maysons de France et de
   Bourgoygne, qu'il sçavoit n'avoyr, aujourd'huy, ung plus
   capital ennemy au monde que le Roy d'Espaigne; et que les
   Protestantz n'avoient guyères meilleure opinyon de luy, en ce
   qui concernoit Voz Très Chrestiennes Majestez, car estoient
   bien advertys que, sur les diverses instances que j'avoys
   souvant faictes à la dicte Dame contre eulx, ce avoit esté luy
   qui l'avoit, en temps et lieu, tousjours faicte résouldre de
   ne les assister ny d'argent, ny d'hommes, ny de monitions, ny
   d'aultres moyens, pour soustenir la guerre; et que mesmes,
   aussytost que j'avoys eu dernièrement faict ma plaincte à elle
   du comte de Montgommery, qu'il l'avoit induyte de deffendre
   que, de quinze centz hommes, les mieulx choysis d'Angleterre,
   lesquelz estoient desjà secrettement enrollez pour aller
   trouver le dict comte en Normandye, il n'y en passât ung seul;
   dont luy reprochoient que la ruyne de ce pouvre gentilhomme,
   et de toutz ceulx de leur religyon au dict pays, s'en estoit
   ensuyvie; et, nonobstant que la France se monstrât très
   ingrate en son endroict, et que les meffiances et souspeçons,
   que Vostre Majesté avoit prinses de luy, fussent de très
   maulvayses récompanses de ses bons, voyre souveraynement bons,
   offices passez, qu'il ne layrroit pourtant de les continuer
   encores meilleurs et plus fervans que jamays; et qu'il me
   promettoit que bientost je m'en appercevroys.



CCCXCVe DÉPESCHE

ET PREMIÈRE AU ROY TRÈS CHRESTIEN HENRY IIIe

--du XXIIIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Remerciemens de l'ambassadeur au roi.--Heureux effet produit à
    Londres par la nouvelle que le roi a quitté la
    Pologne.--Audience.--Desir d'Élisabeth de continuer le traité
    d'alliance.--Détails de l'audience.--Communication d'une lettre
    écrite par la reine-mère.--Satisfaction
    d'Élisabeth.--Protestation qu'elle ne conserve aucun
    ressentiment au sujet des plaintes qu'elle a
    faites.--Réclamation des seigneurs du conseil à l'égard des
    prises.


    AU ROY.

Sire, j'ay, avec révérance et respect, très humblement baysé la
lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, de Cracovia, du XVe
du passé, laquelle m'a esté d'une souverayne consolation; et m'a
confirmé, quand au trespas du feu Roy, vostre frère, cella mesmes que
j'en avoys indubitablement veu, que la dolleur avoit d'aultant plus
faict d'impression dans vostre cueur que plus vous l'aviés magnanime,
généreulx et royal, sellon qu'à tels est tousjours la douleur plus
naturelle, et l'humanité plus familière, que n'est aulx aultres. Et
semble qu'avez voulu davantage augmenter vostre regret par la
recordation de l'amityé qu'il vous portoit, et des advantages que, de
son vivant, il s'estoit efforcé de vous donner en son royaulme; en
quoy vous avez bien fort honnoré la mémoyre de luy, et orné grandement
vostre réputation, et apporté beaucoup de soulagement au grand mal que
nous portions de sa mort. Qui vous promects bien, Sire, qu'il seroit
encores plus grand et insupportable, sans l'assurance, que nous
donnez, de vostre brief retour; dont je prie Dieu qu'il vous veuille
ramener sain et sauf, bientost, aulx vostres, et rendre vostre règne
très heureux, et très heureux le fère sentir à ceulx à qui venés
naturellement commander.

Il n'est pas à croyre combien d'inconvénientz et de désordres se
préparoient au monde pour l'opinyon, que quelques ungs avoient, qu'on
vous deût susciter des empeschementz et des difficultez non petites en
Pouloigne, pour ne vous en laysser partir de longtemps. Et est certain
que voz affères, et ceulx de la France, commançoient d'en venir, icy,
aussy bien qu'aillyeurs, à quelque mespris, et moy en assés de
défaveur; mais je vous puis dire que la seule nouvelle de vostre
arryvée en Autriche, les a, en l'endroict de ceste princesse, plus
relevez que jamays, laquelle, à dire vray, ne s'est jamays esloignée
de sa bonne inclination. Et ne se pourroit desirer une plus ouverte
signiffication de grand contantement que celluy, qu'elle a monstré
avoyr, de la lettre de Vostre Majesté, laquelle je luy ay présentée,
le XXe de ce moys, avec voz très affectueuses et très cordialles
recommandations à toutes ses bonnes grâces; et elle l'a fort
volontiers et attentivement leue.

Et, luy ayant, après, touché les poinctz de celle que Vostre Majesté
m'adressoit, desquels elle a fort gousté celluy qui l'assure de la
continuation de vostre amityé, et de vous trouver non moins entier et
persévérant vers elle que le feu Roy l'a tousjours esté jusques à son
trespas, elle m'a respondu qu'elle confessoit d'avoyr extrêmement
senty la mort du dict feu Roy, comme d'ung fort grand et fort esprouvé
amy, qu'elle avoit perdu; mais que, maintenant, le playsir ne luy
estoit moindre de voyr que, en la mesme place, elle avoit recouvert
ung aultre amy, qui n'estoit dissemblable, ny de rien inférieur au
premier; et que, de nulle part du monde, luy eût peu venir chose, en
ce temps, qui plus luy eût apporté de vray contantement que faysoit
vostre lettre, et l'assurance de vostre amytié, et la nouvelle de
vostre brief retour, et la confirmation de la régence de la Royne,
vostre mère, et la continuation de ma légation, icy, auprès d'elle:
qui estoient choses, desquelles elle me prioit de vous en rendre, de
par elle, le plus grand mercys que je pourrois, attendant qu'à vostre
arryvée en France elle vous en envoyât davantage, par ung de ses
milords, espéciallement remercyer: lequel satisferoit aussy aulx
aultres honnestes debvoirs qu'elle sçavoit estre tenue vous rendre,
sur le trespas du feu Roy, et sur vostre heureulx advènement à la
couronne, sellon qu'elle s'en vouloit dignement acquiter, le plus
qu'elle pourroit, pour l'honneur et grandeur de Vostre Majesté, et
pour vous donner une non moins assurée confirmation de son amityé,
qu'il vous playsoit l'assurer de la vostre; avec plusieurs aultres
parolles et plusieurs démonstrations qui ont semblé procéder d'une
vrayement bonne affection.

Mais je ne metz icy le tout, affin que je ne préocupe la légation de
celluy qu'elle vous doibt bientost envoyer; et adjouxteray seulement
que je remercye très humblement Vostre Majesté du favorable jugement,
que sa lettre faict de mon service passé, et de la bonne opinyon qu'il
luy plaist prendre de celluy de l'advenir. Qui vous promectz bien,
Sire, que je n'ay dressé, ny dresserai jamays, l'heur et la félicité
de ma vye à nul meilleur but, au monde, que de vous en pouvoir fère
qui vous soit agréable; et ay réputé à grand honneur qu'il vous ayt
pleu ainsy, de loing, me continuer en ceste charge jusques à vostre
retour, après lequel je vous supplie très humblement avoyr tant de
compassion de moy que de m'en retirer, et m'octroyer tant de grâce que
je puisse aller voyr la face de Vostre Majesté, et luy bayser très
humblement les mains, ainsy que très humblement je les luy bayse,
d'icy en hors, de toute l'affection de mon cueur; et prie le Créateur
qu'il vous doinct, etc. Ce XXIIIe jour de juillet 1574.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, la lettre du Roy, vostre fils, a esté singullièrement bien
receue de ceste princesse, et nonobstant qu'à l'ouverture d'icelle,
ainsy qu'elle a jetté l'œil sur le seing, elle ayt ung peu soupiré
de ne trouver plus _Charles_, elle n'a layssé de prononcer fort
gracieusement que c'estoit maintenant ung _Henry_ qu'elle y trouvoit.
Et a leu tout du long, avec son grand plésir, et bien curieusement, la
dicte lettre, et m'a très volontiers accepté en la continuation de
ceste charge, avec plus de faveur qu'elle ne m'avoit jamays faict,
dont je metz sommayrement en la lettre du Roy ce que, pour ce regard,
elle m'a respondu; ayant davantage recueilly de ses propos, qu'encor
qu'elle ne soit _lyonne_, elle ne layssoit d'estre yssue et tenir
beaucoup de la complexion du _lyon_, et que, sellon que le Roy la
traictera doulcement, il la trouvera doulce et traictable, aultant
qu'il le sçauroit desirer; et s'il luy est rude, elle mettra peyne de
luy estre le plus rude et nuysible qu'elle pourra. Et s'est eslargie
en aulcuns poinctz qui seroient longs à mettre icy; lesquels
néantmoins elle me les a bien voulu fère sonner: et m'a prié de vous
en mander ung entre aultres qu'elle estime le plus considérable, mais
je l'ay supliée qu'elles mesmes le vous voulût escripre.

Et ay suivy à luy dire que j'avoys à luy toucher d'ung aultre faict,
qui estoit de très grande importance, comme de celluy d'où avoit à
dépandre l'establissement ou la ruyne de toutz les fondementz de
l'amityé qui se pouvoit espérer pour jamays entre ce jeune prince,
nostre nouveau Roy, et elle; et lequel, s'il n'estoit remédié,
pourroit engendrer de la meffiance beaucoup entre eulx, pour les
conduyre à des discordes et malcontantements, qui, petit à petit, les
feroient, possible, tomber en ropture. Et de tant que cella estoit au
long fort bien déduict en une lettre de Vostre Majesté du XXe du
passé, en laquelle toute la conception de vostre cueur estoit
clèrement expliquée, il estoit expédient, ou qu'elle prînt la peyne
de la voyr, ou qu'elle eût la patience de l'ouyr lire.

Et, là dessus, s'estant rendue fort attentifve, avec quelque
esbahyssement que ce pouvoit estre, m'a prié que je luy voulusse lyre
la dicte lettre, ce que j'ay faict; et ayant layssé le premier
article, qui estoit en chiffre, j'ay commancé en l'endroict où est
dict: _J'ay sceu certaynement que aulcuns, qui sçavent beaucoup du
secret de la Royne d'Angleterre, se sont layssez entendre_, etc.,
jusques à la fin du propos, qui concerne le malcontantement qu'on vous
a dict qu'elle avoit du Roy, de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il
avoit mesdict d'elle. Et m'estant arresté là dessus, pour entendre ce
qu'elle me diroit, s'estant trouvée ung peu surprinse, et n'avoyr
encores bien preste sa responce, elle m'a prié d'achever le reste de
la lettre, s'il y avoit chose dont j'eusse à luy parler.

Et ainsy j'ay continué les aultres articles, qui estoient de
l'espérance de la paciffication, des exploicts qui se faysoient
cependant en la guerre, du faict de Mr le maréchal de Dampville, de la
maladye de Mr le maréchal de Cossé, de vostre bon desir à la
justiffication de Mr de Montmorency et du dict Sr de Cossé, de
l'exécution du comte de Montgommery et du faict des pleinctes des
marchandz; sur toutz lesquelz poinctz nous avons longuement discouru.
Mais j'ay ramené, le plus tost que j'ay peu, le discours à silence,
affin de retourner au premier article, dont elle m'a prié que je le
luy voulusse encor lyre ung coup.

Et puis m'a dict que, quand bien elle auroit esté cy devant offancée,
ceste lettre luy apportoit maintenant tant de satisfaction qu'elle
avoit occasion de demeurer contante, et qu'elle n'avoit point sceu
que le Roy eût mesdict d'elle, car elle ne luy en avoit jamays donné
occasion, ny il n'en avoit eu le subject, ny, comme elle pensoit,
aussy la volonté; mais qu'elle ozoit bien dire qu'il l'avoit peu
traicter plus honnorablement qu'il n'avoit faict, car indubitablement
elle avoit eu l'intention et la volonté très bonnes vers luy, de
l'espouser, de bon cueur, et n'avoit attandu autre chose sinon qu'il
fît quelque déclaration de se contanter de sa religyon en privé; et
que lorsqu'elle pensoit l'avoyr aulcunement eue, et qu'elle s'estoit
tant advancé que d'envoyer ung de ses conseillers, avec exprès
pouvoir, pour conclurre le propos par dellà, il s'estoit trouvé qu'il
avoit prins une aultre bien contrayre résolution. En quoy elle ne
vouloit pourtant ny pouvoit justement le blasmer d'avoyr évité le
mariage avec une vieille; mais elle me tournoit dire, de rechef, que
la bonne affection et la bonne façon, dont elle avoit procédé vers
luy, méritoit qu'il eût ung peu plus d'honneste respect à elle.

Je luy ay réplicqué ce que j'ay estimé propre pour luy ramantevoyr que
les difficultez avoient tousjours procédé d'elle, et de ceulx qui,
pour elle, avoient manyé le propos; et qu'il n'avoit tenu, sinon à
elle mesmes et à eulx, que ce prince n'eust esté tout sien. Et m'a
semblé, Madame, qu'elle a eu bien agréable la recordation d'aulcunes
choses qui avoient passé en cella; qui luy ont faict remettre sur
aulcuns gracieulx propos, qui ont donné une fort gracieuse fin à
cestuy cy.

Et lors je luy ay présentée la lettre que Vostre Majesté luy
escripvoit, laquelle, quand elle a veu qu'elle estoit toute de vostre
main, m'a demandé si je sçavoys de quoy ce pouvoit estre; et je luy ay
respondu que non, mais que, si c'estoit de chose qui procédât de mon
advertissement, j'estois là tout prest pour en respondre.

Elle m'a lors appellé à lyre avec elle la dicte lettre et n'en a perdu
ung seul mot, et s'est fort arresté sur ce que Monseigneur le Duc vous
avoit revellé la praticque, et sur le poinct du secrettère, et de ce
que vous affermiez qu'il ne parloit que de luy mesmes, et de la part
d'aulcuns turbulans qui y mestoient les noms des deux princes, affin
qu'elle y adjouxtât plus de foy, et de ce que vous luy aviez bien
voulu escripre fort confidemment toute ceste hystoyre, affin qu'elle
ne se layssât tromper d'une si meschante négociation. Et ayant
longuement poisé toutz ces poinctz, et iceulx releus plus de trois
foys, avec diverses contenances, elle a appellé le comte de Lestre qui
s'est venu mettre sur un genoul devant elle; dont je me suis levé.

Et, après qu'ilz ont eu conféré une petite espace de temps, s'en
estant retourné, elle m'a rappellé et m'a faict rassoyr. Puis m'a
dict, que c'estoit, à ce coup, que Vostre Majesté s'estoit portée en
vraye et naturelle mère vers elle, et luy avoit monstré ung très
expécial signe de grande amityé, dont elle vous en remercyoit de tout
son cueur; et ne s'esbahyssoit plus, si vous aviez eu de la souspeçon
beaucoup, bien que, pour ne la vous augmenter davantage, elle avoit
différé de vous envoyer ung gentilhomme, qui estoit tout prest, pour
vous aller fère la condoléance du feu Roy, vostre filz; et que, si
plus tost elle eût eu vostre lettre, indubitablement elle l'eût faict
partir, mais que désormays elle feroit de tout ung, d'envoyer ung
milord vers le Roy, vostre filz, et vers vous, aussytost qu'il seroit
arryvé; et qu'elle estoit bien ayse que Monseigneur le Duc se fust
ainsy acquitté du debvoir de bon filz à vous réveller ce qu'il
sçavoit, ainsy que nature l'obligeoit de le fère, et que c'estoit de
luy que vous pourriés sçavoyr si elle luy avoit faict proposer chose
aulcune qui fût contre Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le
repos de vos affères; et qu'elle ne cognoissoit le secrettère ny nul
de toutz les serviteurs de son ambassadeur, mais qu'elle s'enquerroit
qui il pouvoit estre, pour le fère bien chastier; et vous prioit
d'approfondir davantage le dict affère, affin de luy en pouvoir fère
plus grande communicquation; et que vous pouviés croyre qu'elle ne se
layrroit circonvenir à fère jamays chose qui vous peût offancer; et
vous respondroit plus amplement par une sienne lettre, affin de vous
donner aultant de satisfaction d'elle, en cest endroict, comme vous
luy en aviés faict recevoyr par celle que vous luy aviez escripte.

Je l'ay infinyement remercyé de sa bonne et vertueuse dellibération,
et n'ay rien oublyé de ce que j'ay estimé pouvoir servir pour luy fère
voyr que, non seulement elle debvoit sçavoyr gré, mais qu'elle se
debvoit réputer grandement attenue à Vostre Majesté de cest
advertissement.

Et, après ce propos, nous sommes entrés en devis de don Bernardin de
Mandossa, duquel elle m'a dict qu'encor qu'il l'eût bien fort faicte
presser de son audience, qu'elle la luy avoit néantmoins remise après
la mienne, et qu'elle pensoit qu'il ne venoit poinct pour parler pour
la France.

Je luy ay respondu que je ne faysois doubte qu'il ne vînt pour
remettre sur la parciallité de Bourgoigne, mais, de tant qu'elle
mesmes estoit le chef de la part françoyse par deça, que je la
supplyois de maintenir et deffendre bien ce party, duquel elle se
prévaudroit mieulx que de nul aultre de la Chrestienté.

Et, sur ce, m'estant licencié d'elle, les seigneurs du conseil m'ont
détenu quelque temps, sur la déclaration qu'ilz m'avoient auparavant
faicte en ceste ville, et dict qu'ilz verroient qu'est ce que
réuscyroit de la bonne et honnorable responce que je leur avoys
rendue, car entendoient que les désordres et injures continuent plus
grands que jamays sur leurs subjectz, et que freschement ung vaysseau
de guerre du Hâvre de Grâce avoit pillé ung navyre marchand anglois
qui venoit de Roan, quasy sur l'emboucheure de la rivyère de Seyne.
Dont le sieur de Walsingam m'a baillé une nothe de leurs pleinctes,
avec la marque, en marge, de celles où ilz desireroient estre
principallement pourveu. Dont je vous supplye très humblement, Madame,
mander en Picardye, Normandye, Bretaigne et la Guyenne, qu'on m'envoye
aussy ung rolle des pleinctes des subjectz du Roy, aulxquelles il n'a
esté satisfaict par deçà, et ung extrêt des jugementz donnés, depuis
dix ans en çà, au prouffit des Anglois, avec actuelle restitution,
parce qu'on exagère fort à ceste princesse que je ne luy en pourrois
fère apparoir d'une seule, et que ses subjectz sont mesprisez et très
maltraictés en France. Et sur ce, etc.

    Ce XXIIIe jour de juillet 1574.

   La dicte Dame m'a dict qu'elle a commandé de préparer les
   obsèques du feu Roy, vostre filz, dont Vostre Majesté me
   commandera si j'auray à m'y trouver, et si je assisteray au
   service, et à la cérimonye, qui s'y fera sellon la religyon
   receue en ce royaulme.



CCCXCVIe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour de juillet 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer._)

  Audience accordée à don Bernardin de Mendoce envoyé du roi
    d'Espagne.--Gracieux accueil qui lui est fait par la reine et
    par les seigneurs de la cour.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle
    ne mettra pas sa flotte en mer.--Promesse d'une satisfaction
    sur la plainte de la reine-mère contre le secrétaire de
    l'ambassadeur d'Angleterre en France.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, je n'ay si tost esté party d'avec la Royne d'Angleterre, de
Redinc, le XXe de ce moys, que don Bernardin de Mendossa y est arryvé,
lequel a esté honnorablement receu, et elle luy a donné fort bénigne
et fort favorable audience, aultant de foys et si longuement qu'il l'a
desiré. Et s'est sa légation explicquée, pour la pluspart, en la salle
de présance, où les principaulx de la court et ceulx du conseil sont
intervenus à voyr comme il a présenté les lettres du Roy, son Maistre,
et qu'il a requis la continuation de l'amityé, et qu'il a faict le
mercyement de la bonne responce qu'elle avoit rendue, touchant l'armée
d'Espaigne, d'en avoyr accordé le passage libre, et l'entrée, et
refraychissementz, dans les portz de ce royaulme; et comme il luy a
offert les angloys qui avoient esté prins en Flandres, ainsy que le
grand commandeur les avoit desjà faictz reconduyre par deçà; desquelz
il n'imputoit nullement à elle, mais à leur propre affection ce,
qu'ilz avoient suyvy le prince d'Orange, ainsy qu'il y avoit bien,
parmy leurs compagnies hespaignols, aussy des gentilshommes angloys,
vaillantz et de grand cueur; qui cherchoient, les ungs et les aultres,
de voyr la guerre; et que le Roy, son Maistre, ne desiroit rien tant
que de renouveller et confirmer plus estroictement que jamays avec
elle les anciennes amityés et alliances de Bourgoigne, sellon qu'il
avoit mandé aulx députés de Flandres, qui estoient icy, qu'ilz eussent
à composer, commant que ce fût, avec elle et avec ses subjectz, ces
derniers différends des prinses, en la façon qui plus la pourroit
contanter.

De toutz lesquelz propos elle a monstré de demeurer infinyement bien
satisfaicte, et a confirmé, tout hault, les mesmes seuretés et
resfraychissementz, qu'elle avoit octroyé pour l'armée d'Espaigne; et
a remercyé grandement le renvoy des anglois, non pour l'amour d'eux,
car estoient, disoit elle, sans adveu et dignes de chastiement, mais
pour le respect que le Roy d'Espaigne avoit voulu avoyr à elle; qui
luy avoit monstré en cella, et en plusieurs aultres choses, beaucoup
de vrays signes de l'amityé qu'il luy portoit; et qu'elle seroit par
trop ingrate, si elle ne luy rendoit pareils bons tesmoignages de la
sienne, sellon qu'elle se recognoissoit obligée à luy de la vye, et de
l'estat, et du lieu qu'elle tenoit; et que, pour luy fère foy de la
confiance qu'elle vouloit avoyr en luy, qu'elle ne métroit ung seul
navyre de guerre dehors; ains estimeroit que ce seroit luy, puisqu'il
avoit, à présent, des forces en mer, qui se trouveroit armé pour elle,
si quelqu'ung la vouloit offancer, monstrant cesser de son armement en
faveur du dict Roy Catolicque, bien qu'auparavant elle l'eût ainsy
résolu de fère.

Néantmoins, sur cette tant ouverte démonstration sienne, il n'y a eu
celluy de sa court qui n'ayt mis peyne de monstrer aussy quelque signe
de bonne affection, vers le dict Roy Catholicque, au dict don
Bernardin, et que la générale inclination de ce royaulme estoit à
l'alliance de Bourgoigne.

Or a il eu, depuis, une plus longue et plus privée communicquation
avec elle, et a praticqué bien fort estroictement avec milord
trézorier, mais beaucoup plus estroictement avec milord de Lestre, et
a esté, sellon qu'on m'a dict, bien instruict par Me Athon, qui ne l'a
layssé sans guyde et sans le bien addresser en tout ce qu'il a eu à
fère. Et après avoyr esté bien caressé, festoyé, entretenu, mené à la
chasse, mangé à la table de la dicte Dame, et honnoré d'une chayne de
huict centz escus, avec d'autres présentz d'hacquenées et de lévriers,
que les seigneurs luy ont donné, il a esté fort gracieusement
licencié. Et luy a esté ordonné deux navyres de guerre de la dicte
Dame pour le repasser dellà.

Je ne sçay encores sur quoy a esté sa secrette négociation, ny quelles
autres bonnes responces il emporta; mais je feray dilligence de vous
en pouvoir bientost mander quelque chose.

Cepandant j'ay travaillé de sçavoyr comme la dicte Dame demeuroit bien
satisfaicte de Vostre Majesté, depuis ma dernière audience; et il m'a
esté rapporté qu'elle avoit esté plusieurs foys en conseil avec les
deux milords trézorier et de Lestre, et avec Mr de Walsingam, sur ce
que je luy avoys dict et porté par escript; et qu'elle avoit fort
curieusement faict examiner le secrettère de son ambassadeur, duquel
ne se rapportant sa responce au contenu de vostre lettre, ilz
jugeoient que Vostre Majesté avoit plus procédé par conjecture, à
l'escripre, que par certeyne science. Et néantmoins le comte de Lestre
m'a depuis mandé que la dicte Dame ne vouloit, en façon du monde, que
vous demeurissiés sans satisfaction; dont vous escriproit, de sa main,
et vous renvoyeroit le secrettère, affin que, s'il ne se pouvoit bien
justiffier, vous le fissiez ainsy bien chastier comme sa témérité le
méritoit; et qu'elle le feroit passer devers moy, affin que je
l'interrogeasse davantage, et m'envoyeroit sa lettre pour Vostre
Majesté, ou bien la coppie d'icelle; et que le dict comte me prioit,
surtout, que je misse peyne d'oster et d'effacer de vostre opinion que
jamays il ayt esté rapporté à la dicte Dame que le Roy, vostre filz,
ait mesdit d'elle, car ne l'avoit jamays entendu, ny oncques n'avoit
eu peur ny souspeçon qu'il le deût fère.

Je me resjouys infinyement de ce qu'il plaist à Dieu favorizer et
facilliter le retour du Roy, vostre filz. C'est ung bien qui se sent
grand et universel en toute la Chrestienté, et qui est incomparable à
nous, ses subjectz; et m'aperçoy bien que ses affères et ceulx de son
royaulme se vont de tant plus relevans que la nouvelle continue qu'il
approche. Je vous envoye, de l'extrêt des pleinctes de ceulx cy,
celles qu'ilz desirent estre principallement satisfaictes; dont vous
plerra y fère pourvoir. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour de juillet 1574.



CCCXCVIIe DÉPESCHE

--du IIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Grognet, mon secrettère._)

  Arrêt fait à Rouen sur les navires et marchandises des
    Anglais.--Nouvelles plaintes à ce sujet.--Nécessité de révoquer
    promptement cette mesure.----Nouvelles d'Écosse et de Marie
    Stuart.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, jusques à ceste heure, j'ay tenu Vostre Majesté, la plus
soigneusement que j'ay peu, bien advertye de l'estat des choses de
deçà, et comme l'on a esté, deux et troys, et plusieurs foys, en
dellibération de mettre une armée de mer dehors; et comme ceste
princesse a esté fort sollicitée de se déclarer pour les eslevez de
France, et infinyement pressée, par ceulx qui voudroient bien qu'elle
eût desjà rompu avecques vous, qu'elle permît à ses subjectz de
prendre leur revenche sur mer des déprédations que les Françoys leur
ont faictes; et comme j'ay mis peyne de divertyr ces choses, et de
fère que la dicte Dame les ayt mises en suspens, sur l'assurance que
je luy ay donnée que Vostre Majesté la continuera en la mesme ligue et
confédération avec le Roy, vostre filz, qu'elle l'a eu avec le feu
Roy, son frère; de sorte que, nonobstant qu'elle ayt eu quelque peu
d'indignation, dans son cueur, de ce qu'il luy a semblé que vous
l'aviez tenue trop suspecte, et que, là dessus, l'on luy ayt faict
recevoyr, avec trop grande et par trop extraordinayre faveur, ceste
dernière légation du Roy d'Espaigne, néantmoins j'avoys desjà tiré
d'elle qu'elle persévèreroit très constamment en l'amityé de Voz
Majestez Très Chrestiennes, si vous ne vouliés poinct départir de la
sienne.

Maintenant j'ay à vous dire, Madame, que, depuis deux jours, les
seigneurs de ce conseil m'ont renvoyé une certeyne remonstrance que
les principaulx bourgeoys de Londres sont allez présenter à la dicte
Dame, et à eulx; et m'ont faict venir les mesmes bourgeoys pour m'en
signiffier l'occasion, laquelle est toute fondée sur l'arrest qui a
esté faict en Normandye de leurs biens, navyres, marchandises et
facteurs. Dont l'allarme en est grande en ceste ville, et n'en est pas
petite en ceste court, m'ayantz, des deux costés, faict de fort vifves
et fort grandes instances qu'ilz puissent estre promptement esclarcys
de l'intention de Vostre Majesté en cest endroict, affin de pourvoyr à
leurs affères.

A quoy je leur ay respondu, le plus gracieusement qu'il m'a esté
possible, que cest arrest, à mon advis, provenoit de l'ordre que
Vostre Majesté avoit auparavant mandé qu'on mît en la frontyère, pour
l'assurer à la venue de l'armée d'Espaigne, et au sortyr de celle qui
se préparoit, icy, et non pour innover chose aulcune contre les
traictez; et que de ce j'en avoys ung grand argument par une lettre de
Vostre Majesté, du XVIe du passé, par laquelle me mandiés d'avoyr
escript à Mr de La Meilleraye qu'il fît promptement rendre à un
angloys son navyre, et marchandises et biens, qui luy avoient esté
prins assez près du Hâvre de Grâce, avec toutz les dommages et
intéretz, chose qui monstroit bien qu'il n'y avoit aulcune innovation
contre ce royaulme: ce qui les a ung peu modérez. Néantmoins, parce
que aulcuns de leurs facteurs sont passez icy, toutz effrayez des
difficultez qu'on leur a faictes par dellà, ilz m'ont fort pryé
d'envoyer ung des miens, tout exprès, devers Vostre Majesté, affin de
sçavoyr comme il en va, et ne les en tenir en suspens. Dont, Madame,
si avez dezir que les choses s'entretiennent paysibles, de ce costé,
je vous supplye très humblement me commander de leur fère quelque
bonne responce, et qu'escripviés tout d'ung trein, en Normandye, qu'on
lève le dict arrest, et qu'on ouvre le passage aulx Angloys; ayant à
vous dire davantage que sur ceste nouveaulté, qu'on leur a faicte par
dellà, ilz ont incontinent mandé aulx officiers de la maryne, icy, de
fère nouvelles provisions pour leurs navyres, parce que le gouverneur
de Fleximgues a desjà achepté et enlevé celles qui estoient auparavant
faictes, et les a transportées en Hollande, à cause que l'armée du
grand commandeur empesche que nuls vivres puissent venir, du costé de
terre, dans les villes et places du dict pays. Et ainsy l'on a
commancé de tuer nouvelle cher; mais, à mesure que les choses yront en
avant, j'en donray advis à Vostre Majesté, ayant cepandant envoyé le
Sr de Vassal, jusques en ceste court, fère, pour ce regard, et sur
quelques aultres occasions, une particullière négociation avec aulcuns
qui sont de bonne intention. Et j'espère que je pourray contenir
encores les choses, et vous mander, dans bien peu de jours, à quoy
elles auront à devenir; qui cependant vous supplye très humblement,
Madame, de vouloir non seulement dissimuler que demeuriez plus en
souspeçon de ceulx cy, et que le Roy pareillement le dissimule, mais
que toutz deux monstriés de vouloir prendre de la confiance d'eux, ou
certaynement vous les vous acquerrez pour tout déclarez ennemys.

Le secrettère de leur ambassadeur vous sera bientost renvoyé, et la
dicte Dame vous escripra, de sa main; laquelle cepandant continue son
progrès vers Bristol, bien joyeuse de ce que le comte d'Oxfort est
retourné à son mandement, encor que milord Edwart soit demeuré.

Me Quillegreu est encores en Escoce, lequel assure fort que les choses
y continuent paysibles par dellà. Et, de faict, le comte d'Honteley
est venu à Lillebourg, et le comte de Morthon faict semblant de
s'estre fort racointé avecques luy, qui, en ceste confiance, s'en va
bientost visiter paysiblement le pays du North jusques à Abredin, car
aultrement il n'y fût point allé qu'avec des forces. Il faict réparer
le chasteau de Lillebourg. Et milord St Jehan, Escossoys, est venu,
depuis peu de temps, en ceste ville, lequel sollicite d'y pouvoir
demeurer sans souspeçon, ou bien qu'on luy baille passeport de se
pouvoir retirer en France ou bien en Italye. Le Prince d'Escoce se
porte fort bien, et la Royne d'Escoce, sa mère, aussy assez bien de sa
santé; laquelle envoye ung gros pacquet de lettres à Mr de Glasgo, son
ambassadeur, pour le distribuer à Voz Majestez Très Chrestiennes et à
ses aultres parantz par dellà. Sur ce, etc. Ce IIIe jour d'aoust 1574.



CCCXCVIIIe DÉPESCHE

--du VIIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Nouvelles plaintes à raison de prises nouvellement faites sur les
    Anglais.--Voyage du roi en Italie.--Présence de l'ambassadeur
    au service célébré à Londres en mémoire du feu roi.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, ce que j'ay respondu, sur la plaincte que les seigneurs de ce
conseil m'avoient renvoyée des bourgeoys de cette ville, et la
dilligence, qu'ilz ont veu que j'ay mise, de vous dépescher
promptement mon secrettère pour aller procurer leur satisfaction, a
esté cause qu'on a mandé de cesser la provision des navyres, et que
seulement l'on eût à tenir deux centz bœufs à l'herbe, et disposer
des aultres victuailles et des hommes et marinyers en façon que le
tout peût estre prest, le cinquiesme jour après que le premier
mandement leur en seroit faict. Mais, depuis, les mesmes bourgeoys me
sont venus crier qu'ung leur navyre, qui estoit de grand valleur,
avoit de nouveau esté prins et pillé, dans la rivyère de Seyne, par
troys navyres françoys, l'ung du Hâvre, l'autre de Fescamp, et
l'aultre de Bretaigne, et qu'ilz n'attandoient sinon l'heure qu'on
leur rapportât la perte d'aultres cinq de leurs vaysseaulx, qui ne
sont pas moindres, lesquelz on tenoit arrestez dedans la dicte
rivyère, et les pirates les attandoient à l'yssue pour les piller; et
qu'il n'estoit pas possible qu'ilz peussent plus supporter les grandes
injures et violences que les Françoys leur faysoient. A quoy je n'ay
eu que respondre, sinon d'assurer ces gens de bien que Vostre Majesté
estoit extrêmement marrye que la navigation n'estoit plus seure, et
qu'il n'avoit tenu à elle qu'il n'y eût desjà esté pourveu, ayant
faict offrir à la Royne, leur Mestresse, de mettre, par commune
intelligence avec elle, aultant de navyres de conserve, en mer, comme
elle y en voudroit mettre, de sa part, mais qu'elle ny ceulx de son
conseil n'y avoient encores voulu entendre; et que tout le désordre
provenoit du support qu'on faysoit, en ce royaulme, à ceulx de la
nouvelle religion, qui alloient piller les Catholicques. Ce que la
pluspart d'eux ont confessé estre vray, et ne l'ont moins détesté que
moy. Néantmoins, Madame, je supplye très humblement Vostre Majesté de
mander aulx gouverneurs de Normandye que, pour la réputation de la
couronne, et pour l'entretènement de la paix, ilz vueillent tenir le
faict du commerce et de la navigation en quelque meilleur estat qu'il
n'est.

Ceulx cy commencent de n'espérer plus, tant qu'ilz faysoient, l'accord
d'entre le grand commandeur de Castille et le prince d'Orange; et si,
se parle, entre eulx, que la venue du Prince de Condé est retardée,
mais ilz ont bien quelque opinyon que le Roy, à son retour, voudra
remettre la paix en son royaulme. Et n'est pas à croyre, Madame, en
quelle admiration ung chacung, icy, a ce qu'on escript, d'Italye des
grands appretz qui s'y font pour honnorer le passage du Roy, vostre
filz, et que toutz les potentats du pays concourent à luy aller au
devant. De quoy aulcuns sont aussy aises comme si c'estoit pour leur
propre prince; et les aultres en restent touts estonnés: et milord de
Windesor, qui est à Venise, en a mandé ung grand discours en ceste
court. Dont je verray ce que ceste princesse m'en dira, quand je
l'iray trouver, à la première occasion que Vostre Majesté m'en donra,
après ceste vostre dépesche, que je viens de recepvoyr, du XXIIIe du
passé, laquelle contient bien des matières d'importance, mais non
propres pour aller tretter d'icelles seules avec la dicte Dame; et
aussy que je me suis arresté icy pour les exèques, qu'on a faictes, le
VIIe de ce moys, du feu Roy, vostre filz, assez magnificques; où
milord trézorier est intervenu pour la Royne, sa Mestresse, avec
plusieurs aultres milords; par où l'on a bien voulu fère voyr qu'on
tenoit le deffunct pour ung grand amy et confédéré de ceste couronne,
qui est une démonstration qui tend à vouloir persévérer vers le Roy,
son frère, si, d'avanture, les choses sont gracieusement conduictes.
Je m'y suis trouvé, à l'instance de la dicte Dame et à la leur, avec
protestation que c'estoit seulement pour ne refuzer d'assister à
l'acte de gratitude de ceste princesse vers le feu Roy, et pour ne la
mettre en aulcun doubte que Voz Majestez Très Chrestiennes ne
vueilliés persévérer tousjours fort constamment vers elle; mais ce a
esté sans y fère ny dire chose qui n'ayt beaucoup plus monstré de
n'approuver que de donner tant soit peu d'aprobation à leurs
cérymonies. Et me suis excusé d'aller à l'offrande, bien qu'on m'y ayt
semond, et qu'on m'ayt remonstré que c'estoit la coustume.

Il y a, icy, encores quelque petit nombre de cappitaines et soldatz
françoys, de la nouvelle religyon, qui parlent entre eulx de la
surprinse de quelque place en France; mais je n'en puis si tost
descouvrir la particullarité. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour d'aoust
1574.

   Les choses d'Espaigne se vont fort accommodant avec ceulx cy,
   et faict on tenir prest un gentilhomme, pour l'envoyer devers
   le Roy Catholicque, ainsy qu'on faict aussy apprester ung
   milord, pour le dépescher devers le Roy, vostre filz.



CCCXCIXe DÉPESCHE

--du XIIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Irrésolution des Anglais.--Sollicitations des protestans de
    France pour obtenir des secours.--Instances de l'ambassadeur
    auprès des réfugiés afin de les engager à recourir au
    roi.--Nouvelles d'Écosse.--Négociation des Pays-Bas.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, je n'ay pas esté avec milord trézorier durant les exèques,
qu'il a célébrées, icy, au nom de la Royne, sa Mestresse, pour le feu
Roy, vostre fils, sans le mettre en propos de confirmer, à ce nouveau
règne, l'amityé qui a duré tout le règne passé, affin de sentir en
quelle disposition sa dicte Mestresse et eulx de son conseil en
estoient. Qui m'a respondu honnorablement plusieurs choses, les unes
généralles, les aultres particullières, et les aultres indifférentes,
lesquelles seroient bien longues à les mettre toutes, icy; mais, en
substance, il a esté facille de recueillyr, de son dire, que la dicte
Dame et eulx ont remis de prendre leur résolution, vers le Roy,
jusques à ce qu'ilz voyent comme il se déportera à cestuy sien
advènement à la couronne, et comme il commencera l'entrée de son
règne; en quoy ne fault doubter qu'ilz ne remarquent, de près, tout ce
qui s'y fera, et qu'ilz ne se forment une impression que la suyte en
doibve estre semblable. Bien m'a il dict que ce qu'il estimoit, à
présent, estre besoing de plus promptement pourvoyr, estoit celle
plaincte de leurs marchandz et subjectz qu'ilz m'avoient renvoyée, à
laquelle ils avoient à adjouxter plusieurs excès nouveaulx, qui
estoient par trop insupportables, et sur lesquels la Royne, sa
Mestresse, ne pouvoit plus dényer sa provision, si elle ne vouloit
renoncer à sa couronne; et mesmement que ses subjectz la supplioient
qu'aulmoins elle leur permît de se revencher sur les mesmes françoys
qui les avoient oultragés et endommagez.

A quoy je luy ay oposé plusieurs raysons, et allégué beaucoup
d'inconvénients, qui adviendroient de cella, et luy ay exibé des
plainctes, aussi récentes, des nostres, comme estoient celles dont il
me parloit des leurs; et qu'en effaict, il falloit que, par commune
intelligence, Voz Majestez Très Chrestiennes, et la Royne, Sa
Mestresse, fissiés cesser ces désordres, et qu'on ne donnât ny
retraicte, ny faveur, en ce royaulme, à ceulx de la nouvelle religyon
qui alloient piller les Catholicques, ce qu'il n'a nullement
contredict; ains m'a assuré que, sellon qu'il n'avoit jamays approuvé
telles choses, il en parleroit vifvement à la Royne, sa Mestresse,
laquelle il alloit trouver, le jour ensuyvant, pour luy ramener le
comte d'Oxfort, son beau fils. Lequel il espéroit qu'elle le verroit
très volontiers pour s'estre bien fort vertueusement acquité vers son
service, quand il a esté en Flandres, où non seulement il n'avoit
voulu fréquenter le comte de Vuestmerland ny la comtesse de
Northomberland, mais ne les avoit voulu ny voyr, ny ouyr, ny nul des
fuitifs de ce royaulme.

J'ay depuis receu la lettre de Vostre Majesté, du XXVIIe du passé,
laquelle j'ay envoyée communiquer au comte de Lestre par le Sr de
Vassal, affin d'en fère part à la Royne, sa Mestresse; et ay envoyé,
par mesme moyen, à Mr de Walsingam, une coppye de la patante qu'avez
faicte expédier en faveur des Angloix. Il est arryvé icy,
d'Allemaigne, ung françoys, qu'on m'a dict s'appeler, de son propre
surnom, Poutrin, mais il se faict nommer Dupin, lequel a esté négocier
en ceste court, et les ministres, avec aulcuns aultres principaulz
protestantz, le sont allez assister. Qui ont, toutz ensemble, ainsy
qu'on me l'a rapporté, fort instamment pressé d'avoir argent ou crédit
de ceste princesse pour fère la levée, en Allemaigne; mais, après
beaucoup de réplicques, d'ung costé et d'aultre, elle les a remis à
attandre ung peu que le temps luy appreigne ce qu'elle debvra fère; et
ainsy ilz sont temporisans, icy, ceste espérance.

J'ay faict admonester les principaulx françoys de la nouvelle
religyon, qui sont encores par deçà, d'aller au devant du Roy, vostre
filz, et qu'avec le debvoir de leur obéyssance ilz luy facent eulx
mesmes entendre leurs requestes, sur ce qu'ilz desirent de Sa Majesté
pour le repos et seureté de leurs personnes, biens et conscience, leur
assurant que Vostre Majesté leur assistera. Et ay faict presser le
vydame de Chartres, lequel semble s'apprester pour passer en
Allemaigne, le chassant d'icy la nécessité, qu'il vueille attandre la
déclaration de la bonne volonté et intention de Voz Majestez, à ce
commencement de ce nouveau règne.

Je ne sçay encores comme luy et les aultres en uzeront; tant y a qu'il
m'a mandé que Vous, Madame, sçavez bien qu'il vous est, et ne peut, ny
veult vous estre aultre que très bon et très humble serviteur, et
qu'il avoit fondé toute son espérance et la resource de toutz ses
affères, sur la bonne opinyon qu'il pensoit que Vostre Majesté eût de
luy; mais qu'il avoit bien senty tout le contrayre, en son procès de
Chavamoye, et qu'il croyoit estre vray, ce qu'on disoit: que Vostre
Majesté ne faysoit bien sinon à ceulx qui s'efforçoient de vous fère
du mal.

J'attands, d'heure en heure, le retour d'ung escossoys, lequel j'ay,
longtemps y a, faict acheminer à Lillebourg, pour observer Me
Quillegreu, et pour me rapporter, au vray, l'estat des choses de
dellà, et comme je y pourray escripre, et où adresser mes lettres. Il
m'a cependant adverty que la payx s'y entretient aulcunement, et que
le comte de Morthon et celuy d'Honteley sont, de vray, assez bien
ensemble; et qu'icelluy de Honteley demeure à Lillebourg, pendant que
l'autre va tenir la justice à Abredin, et vers le North, (comme
ostâges l'ung pour l'autre); et que toutz les grands d'Escosse ont
presté l'obéyssance au dict de Morthon, réservé le comte d'Arguil,
qui, pour ceste occasion, est mis au ban; et qu'on y parle
d'entretenir fermement la ligue avecques la France.

Les depputés, qui vacquent, icy, sur les différens des Pays Bas, sont
fort près de conduire l'accord, et m'a l'on dict qu'il se fait quelque
forme de récompense aulx mutuelz subjectz, de laquelle l'on pense
qu'encore que, de pas ung des costez, l'on ne s'en ayt bien à
contanter, néantmoins, parce que les princes ne veulent poinct de
différent, que nul ne s'y oposera. Et desjà la flotte des leynes est
partye de ceste rivyère pour aller à Bruges, et delà en Anvers, ainsy
qu'on avoit auparavant accoustumé de le fère.

Je loue Dieu, de bon cueur, de ce qu'il luy plaist donner toute
facillité et bon rencontre au voïage du Roy, vostre filz, et prie Dieu
qu'il le vous vueille rendre, bientost, bien sain et bien joyeulx. Et
sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour d'aoust 1574.



CCCCe DÉPESCHE

--du XVIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Nicolas de Malehape._)

  Préparatifs faits secrètement pour secourir la Rochelle.--État de
    la négociation des Pays-Bas.--Incertitude sur le départ de la
    flotte d'Espagne.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, ayant, le tréziesme du présent, receu la dépesche de Vostre
Majesté, du Ve, j'ay incontinent envoyé là, où j'ay quelque
intelligence, pour fère dilligemment observer les choses aulxquelles
me commandiés prendre garde. Et j'ay trouvé que, sur ung pacquet qui
est arryvé, à ceste princesse, le IXe de ce moys, de son ambassadeur
qui est en France, elle luy a incontinent renvoyé son secrettère
Thomas Wilx, celuy mesmes, à mon advis, dont Vostre Majesté m'a cy
devant faict mencion, lequel est party de ceste ville, le XIIe, mais
non en grande dilligence, car a emmené deux hacquenées, comme s'il
alloit à journées; et a esté conférer avec les ministres et aultres
principaulx françoys de la nouvelle religyon, qui sont encores icy,
sans passer nullement devers moy, bien qu'on m'eût assuré qu'il luy
seroit commandé de le fère. Et, bien peu d'heures après, ung allemant,
d'assez bonne apparance, qui estoit party de Paris, le Xe, est arrivé
icy, le tréziesme fort matin; et incontinent, a passé oultre vers
ceste court, à Bristo, où j'ay aussytost dépesché de mon costé, affin
d'estre adverty comme et avec qui il négocyera. Et n'est pas à croyre,
Madame, combien la venue du Roy, et les levées des reytres et suysses,
qui sont entrés, pour son service, en France, meuvent diversement les
affections de ceulx cy, et font diverses impressions en eulx, et en
ceulx des aultres nations, françoys, allemans, flammants, et encores
italiens et hespaignols, qui sont en ceste ville; dont se faict
plusieurs discours, et beaucoup de gageures, entre eulx, sur ce qui
debvra advenir. Et cependant ceulx de la nouvelle relligyon ont
envoyé, en Hambourg et Emdhem, fère provision d'armes et de poudre, et
de monitions de guerre, et en cherchent de toutes partz, secrettement,
en ce royaulme, pour envoyer à la Rochelle.

Les depputés qui vacquoient icy, pour le Roy d'Espaigne, sur les
différends des Pays Bas, se sont condescendus presque à tout ce que
les Angloix ont voulu, réservé à ung seul poinct, sur lequel eulx et
les principaulx marchands de ceste ville sont allez trouver les
seigneurs de ce conseil, à Bristo, qui les en mettront, ainsy que
chascun pense, fort facillement d'accord.

L'on commance fort à doubter de la venue de l'armée d'Espaigne,
s'entendant que celle du Turc va à Tuniz; et que desjà la sayson, pour
venir par deçà, s'en va passer. Néantmoins Goaras dict qu'il luy est
arryvé ung pacquet du Roy d'Espaigne, qui s'adresse à Péro Mélendès,
pour le luy dellivrer, au premier port que l'ung de ses vaysseaulx
abordera, en ce royaulme; par où il publie que l'armée estoit desjà
partye. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour d'aoust 1574.



CCCCIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Félicitation au roi sur son retour en France.--Demande par
    l'ambassadeur de son rappel.--_Mémoire général._ Détails de la
    négociation de don Bernardin de Mendoce.--Ses efforts pour
    renouer l'alliance de l'Angleterre et de l'Espagne.--Démarches
    de l'ambassadeur pour rompre ses projets.--Confidences de
    Leicester sur les offres qui lui avaient été faites par le roi
    d'Espagne lors de l'avènement d'Élisabeth.--Ses plaintes de
    l'abandon où le laisse la France.--Nécessité où il se trouve
    d'accepter les nouvelles offres des Espagnols.--Hésitation
    d'Élisabeth à se prononcer entre la France ou l'Espagne.--Vive
    recommandation de l'ambassadeur pour que la légation annoncée
    par Élisabeth soit bien reçue en France.


    AU ROY.

Sire, sellon le debvoir et servitude que j'ay à Vostre Majesté, je la
supplie très humblement avoyr agréable que je luy puisse, d'icy en
hors, par le Sr de Vassal, avec la présente, très humblement bayser
les mains, et me conjouyr, avec elle, ainsy de parolle et par escript,
comme je le fay infinyement du profond de mon cueur, de son heureulx
retour; sur lequel je fay ceste dévote prière à Dieu, que tout ainsy
qu'il luy a pleu de le guider, et le rendre favorizé des plus
souverains princes et potentatz de la terre et de toutz les peuples,
où elle a passé, et le rendre encores non moins desiré de ses bons et
naturels subjectz que leur propre vye, qu'ainsy sa divine providence
vous vueille maintenant, Sire, introduyre en ung règne qui soit d'une
continuelle félicité à Vostre Majesté, et d'ung bien assuré et
perdurable repos à voz subjectz; et qu'il vous face aussy contant de
la fidelle obéyssance qu'ilz vous doibvent, comme ilz vivront très
heureulx soubz vostre légitime et souverayne authorité. Il ne fault
pas qu'on juge autrement des extrêmes difficultez que Vostre Majesté,
par une grande magnanimité de cueur, en s'en venant, et la Royne,
vostre mère, par une singullière prudence, eu vous attandant, avez,
l'ung et l'autre, vertueusement surmontées, sinon que, par là, Dieu a
déterminé, sellon le grand soing qu'il a tousjours eu de la couronne
de France, de la restablir bientost en quelque meilleur estat et en
plus d'esplandeur qu'on ne l'a veue de longtemps. Et Dieu vueille que,
pour ce regard, Vostre Majesté me répute, en quelque endroict, digne
de son service; car je n'ay, pour nulle aultre occasion qui soit au
monde, plus cher le restant de mes jours que pour les dédyer toutz à
très humblement vous en fère.

Je desire bien que les choses d'icy vous soient entièrement cognues,
affin de prendre advis comme vous conduyre vers celles qui, en
l'endroict de ceste princesse et de son royaulme, peulvent concerner
le présent estat des vostres. Et s'il vous plaist, Sire, vous souvenir
des termes, où l'on en estoit, quand partistes pour vostre royaulme de
Pouloigne, sellon que, jusques allors, je vous en avoys tousjours
rendu bon compte; et entendre, à ceste heure, de la Royne, vostre
mère, ce que, depuis, du vivant encores du feu Roy, vostre frère, et,
après qu'elle a esté Régente, je luy en ay ordinairement mandé, joinct
l'ample instruction que, par le Sr de Vassal, présent porteur, je vous
en envoye, et ce que luy mesmes, par qui j'ay souvent négocyé avec des
principaulx de ce conseil vous en dira, il ne vous sera malaysé
d'eslire, entre plusieurs expédients là dessus, celluy qui plus
conviendra au bien de voz affères. Une chose vous supplyè je très
humblement, Sire, de considérer: qu'il y a ung grand nombre d'ans que
nulle entrée de règne n'a esté si curieusement observée, en la
Chrestienté, que sera la vostre, ny nuls actes de prince plus
dilligemment remarqués que ceulx que vous y ferés; que tant plus, sur
ce commancement, l'on les verra bien et sagement et sans précipitation
conduictz au seul but du bien et utillité de vostre couronne, tant
plus Vostre Majesté en demeurera redoubtée de ses voysins, et creincte
et révérée de ses subjectz, et son authorité en prendra, avec sa
grande réputation, ung très solide fondement pour tout le temps de son
règne; bien qu'à dire vray rien n'est advenu, du passé, que ceulx icy
ne monstrent desjà, comme je pense que feront ceulx des aultres
courts, de le vouloir tirer en argument de l'advenir, sellon qu'ilz
verront que les premiers déportements de Vostre Majesté procèderont.

J'ay commancé, par ma dépesche, du XXIIIe du passé, et continueray,
par ceste cy, de suplier très humblement Vostre Majesté de m'octroyer
tant de grâce qu'après une si longue résidance, de six ans continuels
que j'ay esté en ceste charge, avec la ruyne de mes meilleurs ans, et
de ma santé, et de mes affères; et avec la perte de ce peu de bien que
j'avoys, qui tout m'a esté osté, et ung de mes frères meurtry, et
troys aultres, pendant que j'ay esté icy, sont mortz; je puisse
maintenant, pour mon souverain bien et pour ma meilleure consolation,
aller voyr la face de Vostre Majesté; ayant la Royne, vostre mère,
pour diverses occasions qui sont survenues en vostre service,
tousjours différé, de temps en temps, de me retirer jusques à ceste
heure, que j'espère que Dieu l'aura voulu ainsy, affin que j'aye tant
plus d'heur d'estre rappellé et relevé de ma pouvreté, et récompensé
de mon tant long et très fidelle service, par la libéralle main de
Vostre Majesté, ainsy que, de rechef, pour une singullière estreyne à
cestuy sien très heureulx retour, très humblement, et au nom de Dieu,
je l'en requiers. Et je supplieray le Créateur, etc.

    Ce XXIVe jour d'aoust 1574.


   MÉMOIRE PRINCIPAL,

   baillé au Sr de Vassal de ce qui est expédiant que Leurs
   Majestez entendent de l'estat des choses d'Angleterre:

   Que, au mois de juing dernier, le cappitaine Leython et le
   jeune Quillegreu rendirent fort mal satisfaicte la Royne
   d'Angleterre des choses de France, et firent que le comte de
   Lestre, qui avoit tousjours entretenu la dicte Dame en
   l'intelligence du Roy, et luy mesmes, qui s'estoit toujours
   montré partial françois, demeura encores plus offencé qu'elle,
   de ce qu'ils luy rapportèrent qu'on se deffioit grandement de
   luy et qu'on l'avoit bien fort suspect par delà.

   De quoy s'estant les passionnés Protestants bien apperceus, et
   pareillement ceux qui portent, ici, le faict du Roy
   d'Espaigne, et se voullants, les uns et les autres, servir de
   l'occasion, ceux ici firent incontinent sçavoir au grand
   commandeur de Castille, qu'il estoit temps qu'il envoyât par
   deçà un personnage de qualité, pour renouveller l'amitié avec
   cette princesse, et avec ce royaulme; et que, si le Roy, son
   Maistre, y avoit tant d'affection, comme il en faisoit le
   semblant, qu'il y trouveroit, à ceste heure, de la facilité et
   disposition fort bonne. Dont, soubdain, il print espédiant d'y
   envoyer don Bernardin de Mendossa; mais, pour monstrer que
   l'occasion de sa légation n'estoit soubdaine, ains qu'elle
   provenoit de plus loing, il fit courir le bruict que, de
   certains blancs qu'il avoit rempli à cest effaict, c'estoient
   des lettres bien fresches du Roy, son Maistre, qui enfin luy
   estoient venues par la voye de Gènes, après que plusieurs
   aultres siens pacquets avoient esté volés, en France, par ceux
   de la nouvelle religion; et advertit ceux de son parti, ici,
   qu'ils commenceassent d'ainsi le publier.

   Lesquels ne faillirent pas de faire bien honneste cette
   nouvelle, comme très oportune, sur le doubte où l'on estoit de
   l'armée d'Espaigne, et se mirent à pratiquer des personnes
   plus principalles, hommes, et femmes de ceste cour, et
   proposer tout ouvertement, et avec grande expression, dans ce
   conseil, les choses que s'ensuivent, ainsi que le Sr de La
   Mothe Fénélon en a esté seurement adverti:

   Que l'intelligence du Roy d'Espaigne estoit nécessaire et de
   très grande utilité à l'Angleterre, considéré que le commerce
   et la navigation des Anglois, qui estoient les deux choses sur
   lesquelles se maintenoit principallement l'estat de ceste
   couronne, estoient si meslées et fondées avec l'Espaigne et
   Flandres, et pareillement celles des Espagnols et Flamans
   avecque l'Angleterre, qu'il n'estoit pas possible que les uns
   se pussent passer des aultres, ainsi que la preuve du suspens
   et intermission du traffiq, où ils en avoient esté, ces quatre
   ou cinq ans derniers, avoit faict sentir, de chasque costé,
   que les inconvénients en venoient si grands que les pays s'en
   estoient plusieurs fois cuidés rebeller;

   Et qu'on n'avoit jamais peu bien establir le commerce en ce
   royaulme de France, fust pour incompatibilité des deux
   nations, ou par faulte qu'il n'y eust de bons ports par delà,
   ou que les subsides y feussent trop grands, et les charrois
   trop chers et difficilles, et les chemins mal seurs: ou qu'on
   n'y trouvât à y faire la descharge, ni à charger ce qui
   faisoit besoin par deçà: ou bien d'aultres désordres et
   manquements de la police et de la justice du royaulme; de
   sorte qu'ils jugeoient n'y avoir propos ni apparence qu'ils
   deussent laisser leurs anciens entrecours, lesquels estoient
   faciles et aisés, pour en commencer des nouveaux qui n'avoient
   nulle aisance ni facilité;

   Qu'il ne s'estoit veu, ni ne se voyoit rien au Roy d'Espaigne,
   pour quoy la Royne, leur Mestresse, deubt rejetter son amitié
   ny luy dénier la sienne, puisqu'il la venoit rechercher; car
   il s'estoit tousjours monstré prince véritable et certain,
   plain de grande modération, et d'intégrité, qui n'avoit poinct
   meu de guerres injustes, ni qui ne feussent nécessaires; et
   n'avoit usé, en icelles, ni fraude, ni mauvaise foy, ni exercé
   aulcuns actes cruelz qui feussent hors du debvoir de la
   guerre, ni contre les termes de la justice;

   Qu'il s'estoit monstré si modéré qu'il n'avoit poinct refusé,
   pour la diversité de religion, de confirmer les anciens
   traictés avecques la Royne, leur Mestresse; et que, tant
   qu'elle avoit esté de bonne intelligence avecques luy, il
   avoit bien gardé que le Pape ni le concille n'avoient rien meu
   contre elle; qu'elle n'avoit poinct de particuliers ennemis
   auprès de luy, pour l'inciter à la fascher: et si le duc
   d'Alve l'avoit d'aultrefois esté, il falloit considérer qu'il
   en avoit esté aulcunement provoqué; et néantmoins son Maistre
   ne l'en avoit pas despuys advoué, et le tenoit encores, à
   cause de cella, assez recullé de luy;

   Que les précédents Roys, prédécesseurs de ceste couronne,
   avoient assez cognu que leurs affaires s'estoient tousjours
   très bien portés avec l'intelligence d'Espaigne, et non
   seullement ils en avoient maintenu leur estat en grande
   seurté, et enrichi leurs subjects, mais avoient exécuté, avec
   cet appuy, de grandes entreprinses ailleurs, et s'estoient
   rendus formidables à leurs ennemis; et qu'en effaict, de tous
   les aultres voysins, ils n'avoient jamais guières senti que
   mal, dommage et ennuy, et de cestuy ci toujours beaucoup de
   bien, faveur et support; et estoient pour en sentir plus que
   jamais, et pour estre bien secourus de luy, à leur besoin, là
   où les aultres estoient si ruinés et si empeschés, qu'ils ne
   se pouvoient secourir eux mesmes;

   Et que, si l'on venoit à l'occasion des derniers différents
   d'entre la Royne, leur Mestresse, et le dict Roy d'Espaigne,
   l'on trouveroit que c'estoit luy qui avoit à se plaindre; car
   il estoit l'offencé, et ses subjects avoient esté beaucoup
   plus pillez que les Anglois. Dont, puisque l'opportunité s'y
   offroit très bonne, de pouvoir esteindre maintenant ceste
   injure avec un tel prince, leur ancien ami et confédéré, et
   avecques ses dicts subjects, qu'ils ne la debvoient nullement
   laisser passer; et que eulx osoient bien respondre, sur leur
   vie, que, si la Royne, leur Mestresse, voulloit bien user vers
   luy, qu'elle ne sentiroit, par mer ni par terre, ny en nul
   endroit de ses pays, ni en chose qui appartienne à sa grandeur
   et couronne, ni en l'estat de sa relligion, aulcun
   empeschement, dommage ny desplaisir, de tout le temps de sa
   vie.

   A laquelle opinion un chascung monstra non seullement de
   consentir, mais d'y apporter quelque bonne parolle de
   confirmation; dont feut délibéré que le dict don Bernardin
   seroit bien et honnorablement receu, et seroit respondu avec
   toute faveur.

   D'autre costé, les principaux supposts de la nouvelle religion
   se assemblèrent, plusieurs foys, en conseil, et appellèrent
   souvant Villiers Calvart, et aultres ministres, et
   pareillement les agents des princes protestants et de la
   Rochelle; pour adviser, avec eux, de ce qui estoit à faire,
   après la mort du feu Roy, et en l'absance de cestuy ci. Et
   puis allèrent ressusciter, plus vifves que jamais, leurs
   poursuittes en ceste cour: où ils feurent mieux ouis qu'ils ne
   l'avoient encores esté, depuis ces nouveaux troubles: et
   feurent assistés des mesmes partisans d'Espaigne, soubs
   l'odeur de l'accord qui se menoit entre le grand commandeur de
   Castille et le prince d'Orange; et, bien qu'ils ne
   rapportassent pour lors l'espécialle promesse, qu'ils
   demandoient de la dicte Dame, d'estre assistés de somme
   désignée de deniers, et de nombre certain d'hommes et de
   vaisseaux, et de la faire entrer en ligue ouverte avec les
   princes protestantz, si eurent ilz beaucoup de bonnes
   parolles, et firent tant qu'elle retourna souvent à la
   délibération d'armer: et que un Orné, anglois, et un Labrosse,
   françois, feurent dépeschés en Allemagne, et qu'on fît au dict
   sieur de La Mothe Fénélon ceste déclaration qu'il a mandée
   touchant les déprédations; et obtîndrent aussy que, sellon
   qu'on verroit la disposition du temps et des choses le
   requérir, ils seroient, de jour en jour, mieux respondus et
   satisfaictz.

   De toutes lesquelles délibérations estant, le dict ambassadeur
   adverti, et craignant que la dicte Dame et les siens, non
   seulement se bandassent, mais qu'ils s'efforceassent aussy de
   bander, avec eulx, ceux de leur intelligence contre le Roy, il
   envoya soubdain devers milord trésorier et le comte de Lestre,
   et Mr de Walsingham, pour les reschaufer à la ligue de France;
   et leur en fist représenter les utilités, et la grande seurté
   qui en viendroit à tout ce royaulme. A quoy les deux
   respondirent aulcunes parolles indifférantes, sans se voulloir
   ouvrir de rien.

   Mais le comte de Lestre, avec lequel feut besoing d'estreindre
   un peu plus la négociation, parce qu'avecques luy plus qu'avec
   nul aultre ces supposts protestants et les partisans
   d'Espaigne s'efforçoient d'entrer en estroicte pratique, manda
   franchement à ce dict ambassadeur qu'il avoit le cœur oultré
   de despit et de regret, de ce qu'après avoir tant travaillé et
   tant despandu, comme il avoit faict, pour avancer en ce
   royaulme l'intelligence de France, il y avoit faict entrer la
   Royne, sa Mestresse, et tout son conseil, il se trouvoit
   maintenant de n'estre, en nulle part de la Chrestienté, tant
   haï ni tenu pour suspect, que là; et que, quand il se
   souvenoit qu'il s'estoit extrêmement formalisé pour la dicte
   couronne, au préjudice des aultres alliances, et d'Espaigne et
   d'Allemaigne, et de sa propre relligion; et qu'il n'estoit
   nulle sorte de bons et bien rellevez offices qu'il n'eût faict
   pour icelle, trop plus ouvertement que nul aultre estranger du
   monde ne l'eût osé entreprendre, espérant d'y trouver du
   refuge à son besoin, il ne pouvoit dire sinon que la France se
   portoit par trop ingratement vers luy; mais que, pour cella,
   il ne lairoit de conseiller à sa Mestresse de garder bien
   l'amitié au Roy, quand il viendroit en son rang d'en parler,
   ayant tousjour jugé que c'estoit le bien d'elle et de ses
   subjects, car aultrement il n'y eût eu tant d'affection; et ne
   falloit doubter que si le Roy la demandoit, et qu'il requist,
   de bonne sorte, la confirmation de la ligue; qu'il ne
   l'obtînt: mais qu'il craindroit par trop de s'en rendre
   désormais plus solliciteur, ni instiguant, comme il avoit
   faict, s'il ne voyoit bien procéder de meilleurs effaicts de
   delà.

   Comme aussy, il se délibéroit de conseiller, de mesmes,
   l'amitié d'Espaigne, puisqu'il estoit si humainement recerché
   de ne s'y opposer plus, et qu'à dire vray le Roy d'Espaigne ne
   luy avoit jamais donné occasion que de luy estre fort
   serviteur: car, quand il estoit entré en ce royaulme, il avoit
   tiré luy et ses deux frères de prison, et leur avoit faict
   rendre l'héritage de leur père, qui estoit confisqué; et quand
   l'armée d'Angleterre avoit esté à Sainct Quentin, soubz le
   comte de Pembrok, il luy avoit faict tenir le second lieu, et
   commander à l'artillerie; et puis, au retour, il n'avoit
   poinct escript, pour nul aultre, plus favorablement que pour
   luy, à la Royne Marie, sa femme; dont son premier avancement
   en estoit venu.

   Et, après la mort de la dicte Royne, il avoit à luy et non à
   pas un plus de ceste cour, escript de sa main, par le comte de
   Férie; et luy avoit offert une pension de quatre mille escuz,
   prévoyant bien qu'il estoit pour tenir quelque lieu
   d'authorité en ce royaulme, laquelle pension il avoit
   reffusée, bien que d'aultres en avoient accepté. Et depuis,
   par l'évesque d'Aquila, il luy avoit faict mestre en avant de
   s'ayder de luy pour espouser la Royne, sa Mestresse: et que,
   indubitablement, il luy conduiroit l'effaict de ses nopces au
   poinct qu'il le pourroit desirer, à ses propres despans, avec
   le concours de tous les amis qu'il avoit en ce royaulme, et
   avec la faveur des princes estrangers, jusques à luy offrir le
   consentement et l'authorisation du Pape; et que, mesmes, s'il
   voulloit incliner à la réduction de la religion catholique,
   que le Pape luy octroyeroit un chapeau de cardinal pour son
   frère, et d'establir luy et sa race, pour jamais, en ceste
   couronne, qui avoit esté un poinct de ce dernier qui l'avoit
   faict retirer de la praticque du dict d'Aquila; mais il ne
   laissoit pourtant d'en avoir grande obligation à son Maistre;

   Que, pour lors, il avoit eu plus d'inclination à la France, et
   trop meilleur opinion des François que des Espaignols, ce qui
   l'avoit, assez tost après, faict déclarer ouvertement pour le
   Roy, jusques à avoir accepté, pour très grand honneur et
   faveur, son ordre: dont le Roy d'Espaigne avoit commencé de
   désespérer des choses de ce royaulme; mais qu'à présent la
   preuve du temps et des personnes luy faisoit voir, et à tout
   ce royaulme, que l'alliance d'un tel prince n'estoit
   nullement à rejetter, et mesmes qu'il se conduisoit si bien
   vers eux, qu'ilz ne sçavoient desirer rien de mieux de luy;
   car, de tous les traictés, entrecours, et trafiqs de ses païs
   il offroit cella mesmes aux Anglois que ses prédécesseurs leur
   avoient, de tout temps, concédé, sans diminution quelconque;
   et encores avec des privilèges davantage, s'ils en
   demandoient; et, pour le regard des prinses, et aultres
   différants, d'en fère entièrement comme ils voudroient;
   touchant à son armée de mer et à ses forces, qu'elles seroient
   pour servir et non pour nuire, en façon que ce feust, à leur
   Mestresse, ny à son royaulme; et que, mesmes, le dict comte
   entendoit que don Bernardin avoit charge d'offrir parti à la
   dicte Dame, ne voullant poinct dissimuler au dict de La Mothe
   Fénélon, que indubitablement il seroit bien venu en ceste
   cour.

   Là dessus, il vint bien à propos au dict Sr de La Mothe
   Fénélon qu'il eût à demander audience, laquelle il n'obtint
   pas pourtant, sans que les partisants d'Espaigne débatissent
   assez qu'elle debvoit estre premièrement octroyée au susdict
   don Bernardin, lequel la demandoit en mesmes temps, par ce,
   disoient ils, qu'il venoit de loing. Néantmoins le dict de La
   Mothe Fénélon luy feust préféré, et mit peyne, avec une lettre
   du Roy, du XVe de juin, de Cracovia, et une aultre que la
   Royne, sa mère, escripvoit, de sa main, à ceste princesse, de
   la remestre en quelque bien bonne disposition vers eux; et ne
   cogneut le dict Sr de La Mothe Fénélon qu'elle se réservât que
   une seule chose: c'est que, si Leurs Majestez Très
   Chrestiennes se voulloient tant laisser posséder aux princes
   estrangers, ou bien à ceux des leurs, lesquels elle ne pouvoit
   avoir sinon fort suspects, se souvenant qu'ils avoient peu
   interrompre le mariage d'entre le Roy et elle, et qu'ils
   voulleussent tant deppendre de leurs advis et persuasions,
   qu'elle ne peût rien establir avec Leurs majestez mesmes, sans
   danger d'estre bientost renversée par les aultres,
   qu'indubitablement elle ne sçauroit se commettre à leur
   amitié. Sur laquelle audience le dict ambassadeur fit une bien
   ample dépesche à Leurs Majestez Très Chrestiennes, du XXIIIe
   du passé.

   Le jour ensuivant, le dict don Bernardin fust ainsi bien
   honnorablement receu, et bien ouï et festoyé, et puis
   favorablement licencié, comme le dict de La Mothe Fénélon l'a
   despuis mandé. Et oultre les particullarités, qu'il a desjà
   escriptes, de sa négociation, il a entendu, despuis, que
   celle, qu'il avoit faicte, en privé, avoit esté de dire à la
   dicte Dame que, puisqu'elle monstroit de se voulloir marier,
   le Roy, son Maistre, luy voulloit bien offrir un party très
   honnorable, et lequel il espéroit que seroit à son
   contentement, premièrement de son frère, don Joan, lequel il
   ne tenoit en aultre rang que de frère germain et utérin,
   estant fils du grand Empereur Charles cinquiesme, et prince,
   de soy mesmes, d'une telle vertu et singullière valleur, et de
   telle perfection de nature, que nul aultre prince se pouvoit
   justement préférer à luy, ou bien le prince Ernest, segond
   fils de l'Empereur, prince excellent et rare, entre tous ceux
   de la Chrestienté; et avec l'ung ou l'aultre luy faire des
   avantages trop meilleurs et plus grands qu'elle n'en sçauroit
   avoir de nul aultre party.

   Or, n'a pu encores bien au vray sçavoir le dict de La Mothe
   Fénélon quelle responce il a emportée; mais on l'a bien
   adverti que ceux de ce conseil avoient plus pressé, que onques
   ils n'avoient faict auparavant, la dicte Dame de se marier,
   sans toutesfois l'adstreindre à un party plus qu'à un aultre,
   mais d'en prendre quelqu'un qui luy peût plaire; et qu'elle
   leur avoit monstré de n'en estre pas esloignée; et qu'il
   sembloit que ses deux principaux conseillers inclinoient
   toujours plus à Monseigneur le Duc, puisque le propos en
   estoit si avant, que à tout aultre, pourveu que les choses,
   qu'on luy avoit mises sus, n'y donnassent d'empeschement, bien
   que je jugeois que, de ce costé, ni de l'aultre, on ne se
   debvoit plus attendre à ceste poursuitte.

   Néantmoins le dict don Bernardin manda au dict de la Mothe
   Fénélon, après pleusieurs honnestes parolles de merciement,
   sur une visitte qu'il luy envoya faire par le Sr de Vassal,
   qu'il l'excusât, s'il ne le pouvoit venir voir, parce qu'il
   estoit pressé de son retour devers le grand commandeur, et
   qu'il ne sçavoit s'il avoit à passer incontinent devers le
   Roy, son Maistre, sur certain incident de la présente
   légation.

   Cestuy ci ne feust plus tost party, que les Protestants et les
   ministres retournèrent, en cour, renouveller leurs premières
   instances, et en mectre encores d'aultres en avant, de ce
   qu'ils estimoient estre besoin de pourvoir, à l'arrivée du
   Roy.

   Sur quoy, le dict de La Mothe Fénélon, pour ne laisser aller
   les choses ni à leur poursuitte, ni à celle que le dict don
   Bernardin avoit faicte; il envoya incontinent le Sr de Vassal
   à la cour, parce que luy mesmes n'avoit argument assez propre
   d'y aller: et luy bailla des lettres au comte de Lestre et à
   Mr de Walsingam, pour avoir moyen, en négotiant avec eux, de
   leur faire bien gouster les choses qui estoient pour le
   service du Roy, et les divertir de l'opinion des aultres, qui
   pouvoient estre au contraire, et approfondir s'il y en avoit
   quelqu'une mauvaise, qui eût desjà passé en délibération.
   Dont il receuillit de leurs propos assez de quoy prendre une
   grande conjecture de l'intention de leur Mestresse, et de la
   résolution de son conseil; ainsi qu'il plairra à Leurs
   Majestez l'entendre de luy mesmes.

   Lesquelles, possible, fairont le mesme jugement que faict le
   dict de La Mothe Fénélon: c'est que, ne pouvant la Royne
   d'Angleterre s'asseurer assez de quelle vollonté sera le Roy
   vers elle, et se deffiant beaucoup de celle du Roy d'Espaigne,
   elle et son dict conseil demeurent en suspens; et tiennent,
   pour ceste occasion, suspendues leurs délibérations, donnant
   entendre aux Protestants qu'il n'est encore temps qu'elle se
   déclare, ni qu'elle attente rien contre les termes de la ligue
   qu'elle a avec le Roy, jusques à ce qu'elle voye comme il se
   déportera à son arrivée: et entretiennent ceux du party de
   Bourgoigne d'une espérance, d'envoyer bientost un gentilhomme
   devers le Roy Catholique, estant le jeune Coban desjà nommé
   pour cest effaict; et néantmoins que ces expresses
   démonstrations, qu'elle faict vers le dict Roy d'Espaigne et
   vers les dicts partisants, sont plus pour mettre le Roy en
   jalousie, que non qu'elle soit encores bien déterminée vers
   eux; vray est que d'autant, que les choses se pourroient bien
   disjoindre d'avecques le Roy, pour se réunir à l'un ou à
   l'aultre des aultres partis, ou aux deux ensemble, parce que
   tous deux sont fort appuyés et authorisés en ceste cour, il
   sera bon d'y pourvoir de bonne heure.

   Et le moyen plus aisé, en cella, semble estre que le Roy, à
   cestuy sien advennement, veuille bien et favorablement
   recevoir la légation, qui luy sera faicte de la part de ceste
   princesse, et qu'il luy en dépesche bientost une aultre bien
   honnorable, s'ouvrans, de chasque costé, à parler franchement
   entre eux, sans plus de deffience, et sans essayer de se
   convaincre l'un l'aultre sur ce qui a desjà passé, ains s'en
   donner toute la mutuelle satisfaction qu'ils pourront; et que
   le Roy face déclarer à la dicte Dame qu'il veut succéder à la
   ligue du feu Roy, son frère, avec elle, et qu'il en requiert
   la confirmation; et qu'au reste il face toute démonstration de
   voulloir establir si bien, et à conditions si raisonnables, la
   paix en son royaulme, que les eslevés soient convaincus de
   manifeste rébellion s'ils ne l'acceptent.



CCCCIIe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour d'aoust 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Voyage de la reine-mère pour aller recevoir le roi.--État des
    affaires en France.--Annonce d'une audience.--Nouvelles
    d'Écosse.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, premier que de parachever ma dépesche, par le Sr de Vassal,
lequel vous est allé trouver, le XXIIIIe de ce moys, Grougnet, mon
secrétaire, estoit desjà arryvé, avec celle de Vostre Majesté, du
VIIIe auparavant. Et je m'en vay, tout à ceste heure, trouver la Royne
d'Angleterre, à cent mille d'icy, pour luy dire vostre partement pour
Lyon, où espérés rencontrer le Roy, vostre filz; et que, pour fère
meilleure dilligence, vous avez layssé la Royne, vostre belle fille, à
Paris, ayant seulement admené Monseigneur, et le Roy et la Royne de
Navarre, voz enfans, avecques vous. Et luy toucheray les aultres
poinctz de voz troys ou quatre dernières dépesches, espéciallement
l'espérance qu'avez de la paix, et comme il ne tiendra à Voz deux
Majestés Très Chrestiennes qu'elle ne succède bonne et seure, et de
longue durée, en vostre royaulme; pareillement de la venue des
ambassadeurs des princes d'Allemaigue, et des depputez de ceulx de la
nouvelle relligyon qui sont allez au devant du Roy; aussy des deux
levées de reytres et suysses, pour pouvoir, avec plus d'authorité,
conclure la dicte paix, ou bien réprimer, par force, l'élévation de
voz subjectz; et puis du bon ordre qu'avez layssé à Paris, pour la
police, et pour, entre aultres choses, administrer, bien et
promptement, par le grand commandeur de Champaigne et le chancellier
de Navarre, qui sont deux personnages fort notables du conseil privé
du Roy, la justice aulx Angloix, sur les pleinctes que je vous ay
dernièrement envoyées. Et mettray peyne que, de tout ce qui se pourra
tirer de voz dictes dépesches, rien n'en soit obmis, qui puisse
apporter de la satisfaction à la dicte Dame, et luy fère bien espérer
de vostre intention, et luy disposer bien la sienne vers Voz Majestez
Très Chrestiennes.

En quoy je sentz bien, Madame, qu'il me vient de grandes traverses, du
costé des Protestantz, parce qu'ilz ont très suspect le passage que le
Roy a faict par l'Italye, et craignent qu'il y ait esté conseillé, ou
que, mesmes, on l'ayt expressément obligé, de promesse, avant qu'il en
soit sorty, qu'il poursuyvra, à oultrance, ce qu'avant estre Roy, il
avoit desjà commancé: d'exterminer ceulx de la nouvelle relligion. Et
non moins me traversent les partisans de Bourgoigne, lesquels, jaloux
du mesmes passage, allèguent à ceste princesse qu'il ne luy peult
venir ny proufit, ny secours, de continuer la ligue avec le Roy, parce
que, disent ilz, qu'il est si empesché qu'il ne se sçauroit ayder, ny
secourir, soy mesmes; et que, s'il se veult tirer d'empeschement, il
n'en a nul moyen sinon en cherchant de le fère d'une façon qui seroit
plus suspecte à ce royaume que s'il demeuroit bien empesché: et
pressent tousjours la dicte Dame d'envoyer une honneste ambassade vers
le Roy d'Espaigne.

Néantmoins je viens d'estre adverty qu'elle a desir que je l'aille
trouver, affin d'avoyr de quoy donner, aulx ungs et aulx aultres, des
bonnes parolles, de celles qu'elle entendra de moy, et de celles
qu'elle leur pourra adapter, pour les entretenir en quelque espérance,
sans qu'ilz la pressent, à ceste heure, par trop; et aussy qu'à dire
vray, elle se tient assez doubteuse de quelle intention le Roy sera
vers elle, et ne se peult garder qu'elle n'ayt aulcunement suspectes
les forces qu'il assemble; de tant mesmement que, oultre que, de la
part des eslevez de France, et des partisans d'Espaigne, l'on use de
toutz les artifices qu'on peult pour luy en donner peur.

Le comte de Morthon luy a, d'abondant, escript qu'il a descouvert, au
quartier du North d'Escosse, où il est de présent, qu'il y a
dellibération, en France, de fère bientost une descente par dellà;
mais je m'esforceray de luy oster ces impressions, et de luy persuader
qu'elle veuille, du premier jour, envoyer saluer le Roy, vostre filz,
et visiter Vostre Majesté, par ung personnage d'authorité, et ne
mouvoir rien cepandant jusques à son retour; comme, pour le présent,
Madame, je ne descouvre aultre chose de nouveau par deçà, sinon que
dix ou douze cappitaynes et soldatz, françoys, qui sont encores icy,
s'apprestent pour passer à la Rochelle, estant bruict, parmy eulx, que
le Roy, vostre filz, prétend d'addresser son premier exploict, de
ceste année, contre ceste ville. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour d'aoust 1574.

   Depuis ce dessus, ung de mes amys m'a adverty que Me
   Quillegreu, qui est en Escosse, a escript à ceste princesse
   qu'il est en grande espérance d'avoyr bientost ce qu'il a tant
   pourchassé; et que le dict amy souspeçonne que c'est la
   personne du Prince d'Escosse; et qu'il a opinyon que milord
   Housdon n'est allé, ces jours passez, à Barvic, que pour ceste
   occasion. Il vous plerra, Madame, adviser, avec ceulx de voz
   affectionnés serviteurs, escoussoys, qui sont en France, le
   moyen d'y pourvoir, et envoyer promptement sur le lieu pour
   cest effect. Qui, de mon costé, feray bien, d'icy en hors,
   tout, ce que je pourray; mais je ne voy pas comme, ny à qui,
   m'en pouvoir bien addresser en Escosse pour y mettre
   empeschement; et mesmes qu'on me veult fère souspeçonner que
   cella ne se conduyra sinon avec l'intelligence d'Espaigne.



CCCCIIIe DÉPESCHE

--du Xe jour de septembre 1574--

(_Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Félicitations d'Élisabeth sur le retour du
    roi.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--État des choses en
    France.--Déclaration qu'une armée est réunie par le roi pour
    forcer les protestans à faire la paix.--Protestations d'amitié
    d'Élisabeth.--Sa déclaration qu'elle doit considérer le projet
    de mariage comme rompu.--Conseil qu'elle donne au roi d'éviter
    la guerre.--Arrivée à Londres de Mr de Méru.--Sa conférence
    avec l'ambassadeur.--Sollicitation de Mr de Méru en faveur de
    Mr de Montmorenci, son frère.


    AU ROY.

Sire, estant allé trouver la Royne d'Angleterre, à soixante dix milles
d'icy, pour traicter avec elle du contenu ez quatre dernières
dépesches, que j'ay receues de la Royne, vostre mère, elle m'a
incontinent, devant toutes aultres choses, fort curieusement demandé
si j'avoys nouvelles que Vostre Majesté fût arryvée en France, et
qu'est ce que j'entendoys de vostre bon portement et santé, car on
faysoit courir le bruict que vous estiés bien fort malade en Italye.

Je luy ay respondu que la Royne, vostre mère, m'avoit escript, du
VIIIe d'aoust, qu'elle espéroit bien arryver, sur la fin du moys, à
Lyon, et qu'ung gentilhomme, que Vostre Majesté avoit dépesché vers
elle, vous avoit layssé sur le Pô, qui veniés, par eau, jusques à
Casal de Montferrat, bien sain et gaillard, et bien fort contant du
grand recueil, et des suprêmes honneurs, qu'on vous avoit faict par
toutz les lieux où aviés passé. De quoy elle a monstré d'estre bien
fort ayse; et sommes entrés en plusieurs honnestes devis de vostre
partement de Pouloigne, et de vostre long voyage.

Et m'a dict qu'elle regrettoit que son royaulme ne fût en quelque
climat, où vous eussiés eu à passer, car se fût mise en debvoir de
vous y fère toutes les sortes d'honneurs et de bonne chère qu'elle eût
peu, et, possible, que l'Empereur ny la Seigneurie de Venize ne
l'eussent, de guyères, surmontée; et que de cella estimoit elle son
païs moins heureulx que vous n'en aviés approché, ny à l'aller, ny au
retour, et qu'il n'estoit en endroict où peussiés jamays addresser
vostre chemin. Et m'a fort prié, Sire, de vous présenter, et à la
Royne, Vostre mère, ses très cordialles recommandations, et vous
assurer que, sellon qu'elle pourra cognoistre qu'aurés bonne intention
vers elle, qu'elle se disposera de nourrir une bien confidente amityé
avecques vous deux. Et remettant, Sire, de vous escripre plus
amplement par mes premières, estant le mémoire, que j'envoie à la
Royne, très ample sur tout ce qui présentement occourt par deçà, je
n'adjouxteray rien plus, icy, sinon une très dévote prière à Dieu,
etc.

    Ce Xe jour de septembre 1574.

   MÉMOIRE A LA ROYNE.

   Madame, m'ayant la Royne d'Angleterre donné toute la
   commodicté que j'ay desiré de pouvoir, à loysir, traicter avec
   elle en la mayson du comte de Pembrok, près de Salsbury, en
   une chasse où elle a voulu que je l'aye accompaignée; après
   que je luy ay eu faict le plus honnorable mercyement, qu'il
   m'a esté possible, pour l'exèque du feu Roy, vostre filz,
   qu'elle avoit faicte cellébrer à Londres, je luy ay touché,
   sellon l'ordre de voz quatre dépesches, du XXIIIe et XXVIIe de
   juillet, et Ve et VIIIe d'aoust, toutz les poinctz qu'elles
   contiennent; et mesmement de la condoléance que son
   ambassadeur vous avoit faicte de la mort du dict feu Roy,
   vostre filz, et de l'excuse, dont il vous avoit uzé, sur ce
   qu'elle ne vous avoit poinct dépesché de gentilhomme, exprès
   pour cella:

   Qui estoit, sellon son dire, pour ne vous augmenter davantage
   voz souspeçons, et qu'elle s'attendoit de fère, de tout ung,
   quand le Roy, vostre filz, seroit arryvé, lequel elle
   envoyeroit saluer, et envoyeroit pareillement visiter Vostre
   Majesté par ung personnage d'authorité, qui vous
   signiffieroit, à toutz deux, le desir qu'elle avoit de
   confirmer avecques luy l'amityé commancée avec le feu Roy, son
   frère, et estre assurée de la sienne; et de voyr qu'il fît
   bien administrer en son royaulme la justice aulx Angloys: qui
   estoient, en substance, les principaulx poinctz que son dict
   ambassadeur vous avoit lors déduictz;

   Et que Vostre Majesté l'avoit prié de la remercyer infinyement
   de la condoléance, et luy escripre hardiment que le personnage
   d'honneur, qu'elle eût envoyé pour la fère, n'eût pas
   augmanté, ains eût plustost dimynué vostre souspeçon; car
   estimiés qu'elle luy eût commandé, voyant ce que luy en aviés
   escript, de vostre main, de régler si bien les gens du dict
   ambassadeur qu'on ne les eût plus trouvés à vous en donner
   d'occasion; et que, de nouveau, vous vous estiés plaincte à
   luy de ce que, depuis le partement de son secrettère, son
   aultre serviteur, Jacomo, italyen, s'estoit esforcé de
   ressusciter, avec le Bastard de Bourbon, et avec une des dames
   de la Princesse de Navarre, les mesmes praticques qui avoient
   engendré les dictes souspeçons; de quoy vous ne pouviés rester
   sinon malcontante;

   Mais, quand à l'amityé du Roy, vostre filz, qu'il lui
   escripvît, d'assurance, que Vostre Majesté luy seroit caution
   qu'il la luy continueroit, aussy longuement qu'avoit faict le
   feu Roy, son frère, c'estoit jusques à la mort, si elle ne
   l'interrompoit, de son costé; et que Vostre Majesté ne voyoit
   chose plus convenable, pour la rendre perpétuelle, et pour
   déchasser toutes souspeçons d'entre vous, que de parachever le
   bon propos de Monseigneur le Duc, vostre filz;

   Que, touchant fère justice aulx Angloix, qu'il estoit très
   nécessayre qu'on l'administrât, bonne et prompte, aulx mutuels
   subjectz, en l'ung et l'aultre royaulme.

   Et là dessus je luy ay discouru l'ordre, que vous y aviés
   desjà mis, pour les siens, en France, et qu'elle voulût
   ordonner le semblable pour les Françoys, en Angleterre; et que
   Vostre Majesté avoit donné une bien prompte provision, par
   lettres patantes, à ses dicts subjectz, et, encores, pour
   l'amour d'eux à d'aultres, estrangers, pour avoir l'entrée et
   l'yssue libres par dellà, aussytost que aviez entendu que Mr
   de La Meilleraye leur y avoit mis de l'empeschement.

   Puis ay suivy à luy parler des ambassadeurs des princes
   protestantz, qui sont allez trouver le Roy, vostre filz, et
   des levées de reytres et de suysses, et aultres forces, que
   faysiés acheminer vers luy à Lyon, desquelles vous desiriés
   bien fort que la dicte Dame ne se voulût donner aulcune
   souspeçon; car estoient pour la servir, plus que pour luy
   nuyre; et que Voz Majestez prétendoient, par là, de fère la
   paix, avec authorité, ou bien terminer bientost la guerre, par
   la force; et qu'il ne tiendroit au Roy, vostre filz, ny à
   Vous, que la dicte paix ne s'en suivît, à condicions si bonnes
   et si seures, pour voz subjectz, que toutz les princes
   chrestiens les auroient à tenir pour manifestes rebelles,
   s'ilz ne s'en contantoient. Dont, en ce cas, vous la vouliés
   bien prier de se porter en bonne amye, et en confédérée bonne
   seur, vers le Roy, vostre filz, contre eulx.

   La dicte Dame, devant toutes choses, ayant prins, sur le
   mercyement de l'exèque, et sur l'office de la condoléance, un
   argument de dire plusieurs choses à la louenge du feu Roy, et
   du tort qu'elle se feroit, si elle n'en honnoroit la mémoyre,
   m'a, au reste, respondu, qu'elle vous avoit amplement escript
   de sa main tout ce qu'elle avoit eu sur le cueur, touchant les
   particullaritez qu'elle avoit veues dans voz dernières
   lettres, et touchant aulcunes aultres; lesquelles elle vous
   prioit bien fort de les prendre, et de les fère prendre, de
   très bonne part, au Roy, vostre filz, sellon qu'elles
   procédoient d'une grande franchise, qu'elle desiroit estre
   uzée entre vous; et vous ouvrir clèrement son estomac, affin
   de nourrir une plus parfaicte et plus pure amityé, avec Voz
   Majestez, si, d'avanture, vous ne vouliés mespriser la sienne;
   et qu'il seroit en vostre main de pouvoir aussy seurement
   respondre au Roy, vostre filz, pour elle, comme il vous
   playsoit d'estre respondante à elle, pour luy; car,
   indubitablement, vous, et luy, jouyriés de ce qu'elle avoit de
   moyen et de pouvoir, et aultant qu'il y en avoit en sa
   couronne, pour voz commodictés, si luy donniés bien à
   cognoistre qu'elle se peût confier à Voz Majestez; et qu'elle
   ne se souvenoit plus de la petite querelle qu'elle avoit eue
   avec le Duc d'Anjou, et n'en vouloit avoir nulle avec le Roy
   de France, ains luy ayder, en ce qu'elle pourroit, à establir
   sa grandeur et accomoder ses affères;

   Et, quant à parachever le propos de Monseigneur le Duc,
   qu'elle estimoit que c'estoit une chose du tout délayssée,
   laquelle auroit besoing d'ung esclarcissement de beaucoup de
   faictz d'autruy, là où il luy suffisoit assez qu'elle peût
   bien respondre des siens; qu'elle estoit infinyement marrye de
   la fascherye que l'italien Jacomo vous avoit donnée, lequel
   Vostre Majesté pouvoit fère bien chastier, si elle vouloit,
   car c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre son vouloir,
   qu'il faysoit ces meschantes praticques; et qu'elle commançoit
   d'avoyr cest homme là pour suspect, et pour ung qui trahissoit
   son maistre; et, que je serois trop esbahy d'entendre ce
   qu'elle avoit commancé de descouvrir, depuis ma dernière
   audience, comme bon nombre de ducatz avoient couru, en ceste
   menée, pour vous mettre l'une et l'aultre en peyne, et en
   mauvais mesnage, toutes deux; que d'administrer justice, en
   France, à ses subjectz, c'estoit ce, de quoy elle vous vouloit
   infinyement requérir, parce que ses dicts subjectz
   commançoient desjà d'uzer de parolles arrogantes contre elle,
   et contre ceulx de son conseil, de ce qu'elle ne prenoit
   aultrement à cueur leurs injures, pour leur en faire avoyr
   leur réparation et revenche; et qu'indubitablement c'estoit la
   chose qui pouvoit plustost admener une ropture entre vous,
   s'il n'y estoit bien remédyé;

   Qu'elle avoit grand playsir que les princes d'Allemaigne
   eussent desjà envoyé devers le Roy, vostre filz, ainsy qu'elle
   avoit aussy desjà faict élection d'ung de ses milords, pour le
   luy dépescher, incontinent qu'elle entendroit son arryvée à
   Lyon; et qu'il ne falloit doubter que toutz les Protestantz
   n'eussent assez suspect son passage, qu'il avoit faict par
   l'Italie; et que, s'ilz voyoient maintenant qu'il poursuivît
   ses subjects, qui sont de leur religyon, par les armes, qu'ilz
   ne jugeassent incontinent que les mesmes armes s'adresseroient
   à eulx, aussytost qu'il auroit faict en son royaulme; dont ilz
   pourvoyroient, de bonne heure, à leurs affères;

   Et, si elle n'estoit pas trop ignorante des affères du monde,
   elle pronosticquoit une plus obstinée et plus dangereuse
   guerre en France, que n'avoient esté toutes les précédentes,
   si le Roy et Vous, Madame, n'embrassiés la paix; ce qui luy
   faysoit grandement louer la dellibération qu'aviés prinse,
   qu'il ne tiendroit ny à luy, ny à Vostre Majesté, qu'elle ne
   se fît; et que, pour ce regard, approuvoit elle bien fort les
   levées des estrangers et les forces du royaulme, que faysiés
   acheminer au devant de luy, à Lyon, affin qu'elles luy
   peussent servir de meilleur moyen et de plus d'authorité en
   cella; desquelles forces, pour ceste occasion, elle ne se
   donnoit poinct de peur, ny n'en prenoit aulcune souspeçon,
   jugeant qu'elles luy faysoient bien besoing pour luy, et qu'il
   avoit assés où les employer, en son propre estat, sans en
   aller troubler ses voysins; et qu'elle vous prioit toutz deux
   de croyre fermement que, si voz subjectz ne se vouloient
   contanter de la rayson, ny accepter les honnestes condicions
   qu'il vous plerroit leur donner, et qu'il apparût tant soit
   peu de rébellion en eulx, que non seulement elle leur
   dényeroit toute retraicte et assistance en son royaulme, mais
   qu'ilz n'auroient nulle plus mortelle ny plus irréconciliable
   ennemye qu'elle, en tout ce monde universel;

   Et se sont faictes, Madame, plusieurs aultres honnestes
   déductions et plusieurs réplicques sur les susdicts propos,
   desquels, et de toutes ses démonstrations, et de plusieurs
   discours que j'ay eus avec ceulx de son conseil, je n'ay
   poinct comprins qu'elle et eulx ayent aultre intention que
   celle que je vous ay desjà mandée par mes précédentes, du
   XXIIIe du passé: c'est de persévérer en l'amytié du Roy,
   vostre filz, avec la considération toutesfoys et réserve de ce
   qu'elle vous a dernièrement escript, de sa main; qui espère
   encores que, sur cella mesmes, ce que je luy ay déduict de
   raysons luy tiendront modérée sa trop violente impression.

   Après estre de retour de la dicte Dame, j'ay trouvé que Mr de
   Méru estoit arryvé en ceste ville, lequel m'a incontinent
   envoyé ung des siens pour me dire qu'il me viendroit fère
   entendre l'occasion qui le menoit par deçà, quand je serois de
   loysir; dont soubdain, je luy ay renvoyé troys ou quatre des
   miens, pour le conduyre en mon logis; mais cependant aulcuns
   l'ont eu diverty de n'y venir poinct.

   Vray est qu'il m'est depuis venu trouver, aulx champs, où il
   m'a déclaré qu'il s'estoit retiré d'Allemaigne, pour éviter de
   ne donner aulcune souspeçon de luy à Voz Majestez, ayant receu
   une lettre de madame la connestable, laquelle il m'a monstrée,
   qui l'advertissoit de la détresse, où elle estoit, d'entendre
   le bruict, qui couroit de luy et de son frère, qu'ilz fussent
   pour dresser des praticques en Allemaigne, et pour mener des
   reytres en France; et qu'il advisât de s'oster de là: n'y
   ayant aultre chose, en substance, dans la dicte lettre, sinon
   qu'elle l'exortoit au reste de prier fort Nostre Seigneur et
   la Vierge Marie;

   Et que, suyvant le conseil de la dicte Dame, il estoit passé
   en ce royaulme, comme en pays allié et confédéré du Roy, où il
   ne pouvoit fère de moins que de bayser la main de la Royne
   d'Angleterre, et la prier d'intercéder pour monsieur de
   Montmorency, son frère, à ce qu'il playse à Voz Majestez Très
   Chrestiennes le recognoistre pour vostre très fidelle et loyal
   subject et serviteur, et pareillement luy, qui ne s'est jamays
   entremis plus avant que de très humblement obéyr à tout ce que
   luy aviez commandé; et que si, à ce retour du Roy, Voz
   Majestez vouloient uzer de clémence et de douceur, vers le
   dict Sr de Montmorency, et vers Mr le maréchal de Cossé, qu'il
   s'yroit jetter à voz piedz; et sçavoit que touts les siens le
   feroient de mesmes, pour n'entendre jamays à rien aultre chose
   qu'à bien employer leurs vies pour vostre service.

   Sur quoy l'ayant conforté de toute bonne espérance de Voz
   Majestez, aultant que je l'ay peu, et sceu fère, je l'ay fort
   admonesté d'accomoder tout son parler par deçà à la louange et
   réputation de Voz dictes Majestez et de Monseigneur le Duc et
   de la couronne de France, et n'uzer d'aulcun déportement qui
   puisse estre ny contre vostre intention, ny contre le présent
   estat de voz affères; et que, indubitablement, je le ferois
   observer, pour ne vous dissimuler rien de ce que j'entendrois
   de luy;

   Et, quand à l'intercession qu'il vouloit rechercher de la
   Royne d'Angleterre, qu'il pensât que la clémence et
   débonnayreté du Roy et la vostre n'avoient à se mouvoir tant,
   vers messieurs les mareschaulx, à l'entremise d'ung prince
   estranger, ny pareillement leur justiffication en estre tant
   advancée, comme elle le seroit par ung vray et naturel debvoyr
   de bons et fidelles subjectz, s'ilz mettent peyne de le fère
   eulx mesmes bien cognoistre à Voz Majestez.

   Sur quoy il m'a fort pryé d'octroyer ung passeport à ung sien
   argentier pour aller supplyer madame la connestable de luy
   fère tenir, icy, de l'argent pour sa despence, me donnant sa
   foy et son honneur qu'il n'auroit, ny par lettres, ny en
   parolles, aultre charge que celle là; ce que je luy ay promis
   de fère, pour ne l'estranger trop, et ne le laysser trop
   praticquer de ceulx qui le voudroient mal persuader.

   Avec Mr de Méru sont arryvés le cappitayne La Porte et le
   cappitaine Chat, desquelz je n'ay oublyé ce qui m'en a esté
   escript du vivant du feu Roy; dont je vous supplye très
   humblement, Madame, me mander, à ceste heure, comme j'en
   auray à uzer; et ce que j'auray à fère entendre, de la part de
   Voz Majestez, au dict Sr de Méru et à eulx. Mr le vydame
   monstre d'estre entièrement résolu de partyr, d'icy, bientost,
   pour se retirer en Allemaigne.



CCCCIVe DÉPESCHE

--du XVe jour de septembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounier._)

  Traité conclu entre l'Angleterre et l'Espagne.--Nouvelles de la
    Rochelle.--Négociation des protestans de France avec le prince
    d'Orange.--Affaires d'Écosse.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, j'ay receu, le treiziesme du présent, la dépesche de Vostre
Majesté, du XXVIIe du passé, et, avec icelle, une consolation, trop
plus grande que je ne le sçaurois exprimer, pour m'avoyr tiré hors
d'une incertitude, où, plus de douze jours durant, m'a détenu le faulx
bruict, qu'on a faict courir, de la maladye du Roy, vostre filz, et de
l'indisposition et retour de Vostre Majesté à Paris, à cause, ce
disoit on, de quelque désordre qui vous estoit survenu en chemin. Dont
je loue Dieu que, en son voyage et au vostre, toutes choses se sont
ainsy bien portées, comme Vostre Majesté me l'escript. Il est très
certain que la venue sienne faict craindre et faict espérer à divers
diverses choses; dont les affections se manifestent en ce que les ungs
s'en resjouyssent infinyement, et prient pour sa prospérité, et
desirent qu'il ayt soing de se conserver, et mesmes me sollicitent de
vous advertyr toutz deux bien expressément, et comme par chose
nécessayre, que vueillés prendre bien garde à voz personnes; les
aultres parlent et font toutes choses comme gens mal assurez, qui ont
beaucoup de meffiance. Et parce que ces segonds vont semant plusieurs
discours, et beaucoup de grands argumentz, à leur poste, en ceste
court, ceste princesse et ceulx de son conseil s'en layssent plus
facillement aller aux offres et persuasions d'Espaigne; de sorte que
l'accord des Pays Bas s'en est du tout ensuivy. Et le seul poinct qui
tenoit l'affère accroché, qui estoit pour cent mille escuz, que les
subjectz du Roy Catholicque demandoient pour récompence, a esté vuydé
à leur prouffict: sçavoyr est que les Angloys leur en payeront
soixante quinze mille. Et s'espère qu'il se renouvellera une fort
grande et estroicte amityé entre le dict Roy Catholicque et ceste
princesse, et que touts les anciens commerces et entrecours, d'entre
leurs pays et subjectz, seront remis; qui semble à ceulx cy d'avoyr
recouvert ung très ferme appuy de ce costé là. Et n'ont obmis aussy,
entendans qu'il se debvoit tenir une diette en Allemaigne, d'y envoyer
ung personnage de qualité, nommé le sir Henry Quenols, qui est assez
favorizé en ceste court, et l'ung des plus parciaulx protestantz de ce
royaulme, affin de se fortiffier de cest aultre endroict. Et je ne
despère pas qu'ilz ne recherchent de mesmes, et, possible, plus
ardemment que de nul aultre prince, l'amityé et intelligence du Roy,
vostre filz, estant le voyage du milord, que ceste princesse luy doibt
envoyer, desjà tout résolu, aussytost qu'on entendra son arryvée à
Lyon; qui pense que ce sera milord de North.

L'on m'a adverty que le Sr de La Noue a escript plusieurs lettres par
deçà, et que, par icelles, il monstre de desirer infinyement la paix,
et de vouloir rendre toute obéyssance au Roy; mais crainct que le Roy
ne vueille donner la dicte paix bien seure à ses subjectz, ny avec
les condicions qu'ilz demandent pour leur religyon et conscience, et
qu'en ce cas luy et touts ceulx qui ont prins les armes par dellà sont
résolus de souffrir, avec toutes les aultres extrémitez, la mort
mesmes, premier que de rien quicter de leur dicte religyon; et que
pourtant ilz supplyent la Royne d'Angleterre, et les seigneurs
d'auprès d'elle, de ne concevoyr aulcune sinistre opinyon qu'ilz
vueillent estre rebelles, encor qu'il soit rapporté qu'ilz n'ayent si
tost posé les armes. Et cependant, Madame, je suis adverty que ceulx
de la Rochelle se pourvoyent, en Hembourg, et à Hendem, et en Ollande,
et encores en ce royaulme, là où ilz peuvent, de grand nombre d'armes,
et de pouldres, et d'autres monitions de guerre, creignant que le Roy
les vueille assiéger. Et le ministre Textor est passé devers le prince
d'Orange, affin d'impétrer de luy un nombre de navyres armez, pour les
tenir en Brouage, et sur la coste de la Rochelle, chose qu'on asseure
desjà icy que le dict prince luy a accordée, tant pour se relever des
frays d'ung si grand nombre de vaysseaulx, qu'il a ordinayrement à
entretenir, veu que l'armée d'Espaigne ne faict plus semblant de
venir, que pour maintenir tousjours vifve la guerre par mer en France,
affin que le Roy n'ayt moyen, par la mesmes mer, de favorizer les
affères du Roy Catholicque, et que rien ne puisse venir d'Espaigne,
qui ne tombe en leurs mains. J'entendray plus avant du voyage du dict
Textor, quand il repassera par icy.

Les cappitaynes Barache, Limons et dix ou douze aultres soldatz
françoys se sont embarquez, depuis troys jours, pour aller à la
Rochelle. Mr de Méru n'est poinct encores allé trouver la Royne
d'Angleterre, et se tient retiré en son logis. Je luy feray part des
nouvelles de Mr de Dampville son frère, affin de le fère tousjours
mieulx espérer de son propre faict. Ung agent du comte Palatin vient
de passer, ce matin, par la poste, qui va trouver ceste princesse.
J'ay envoyé incontinent après pour le fère observer.

L'on me continue les advis que je vous ay cy devant mandez, comme il
se mène une bien chaude praticque de mettre le prince d'Escoce ez
mains des Angloix, et qu'à cest effect le comte de Houtinthon a esté
jusques à Barvic, dont j'ay dépesché exprès ung escoussoys vers les
seigneurs du pays, affin d'y donner tout l'empeschement qu'il sera
possible; et si j'entends que cella passe oultre, je m'y oposeray à
ceste princesse, mesmes au nom du Roy, vostre filz, tout ouvertement.
Et sur ce, etc.

    Ce XVe jour de septembre 1574.



CCCCVe DÉPESCHE

--du XIXe jour de septembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas._)

  Départ du secrétaire de l'ambassadeur
    d'Angleterre.--Sollicitations des protestans de France et des
    princes d'Allemagne.--Fabrique de fausse monnaie établie en
    Angleterre pour soutenir la guerre en France.--Nouvelles
    d'Écosse.--Audience accordée par Élisabeth à Mr de Méru.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, par la dépesche, que Vostre Majesté m'a faicte, de Lyon, le
dernier du passé, j'ay eu assez de quoy bien convaincre ceulx qui
disoient que le Roy, vostre filz, et Vostre Majesté avoient eu du
destourbis et empeschement en leurs voïages, et aussy de quoy bien
confirmer la bonne opinyon de ceulx qui avoient tousjours espéré, et
qui espèrent encores très bien des affères de Voz Majestez. Je ne
fauldray, à la première nouvelle, qui m'arrivera que le Roy soit entré
en son royaulme, d'aller retrouver ceste princesse, au retour de son
progrès, laquelle est encores assez loing, pour m'en conjouyr avec
elle, et pour haster le partement du millord qu'elle vous doibt
envoyer. Et cependant je vous diray, Madame, que le secrettère de
l'ambassadeur de la dicte Dame est assurément repassé en France, et
m'a mandé ses excuses, de Bouloigne, en hors, de ce qu'il n'estoit
passé devers moy, confessant qu'il luy avoit esté commandé de le fère,
mais que les aultres commissions, qu'on luy avoit baillées en ceste
ville, luy avoyent faict oublyer ceste cy.

Celluy Poutrin, qui se faict appeller Dupin, est encores icy, n'ayant
peu, avec toute l'assistance des ministres, impétrer rien de ceste
princesse par dessus ce que je vous ay desjà escript: qu'elle s'estoit
dellibérée d'attandre comment procèderoit le Roy, vostre fils, vers
elle, et vers l'entretènement de la ligue, qu'elle avoit avec le feu
Roy, son frère, premier que de rien attempter contre luy. Ce qui a
faict mettre en avant par les plus passionés ces faulx bruictz que je
vous ay desjà mandez, affin d'essayer s'ilz la pourroient mouvoir à
leurs affections; et ne m'ont espargné en leurs discours vers elle,
disantz que je la trompois de mensonges et de veynes persuasions, et
que je luy allois racomptant du faict du Roy, vostre filz, et de
Vostre Majesté, et de voz affères, tout au contraire de ce que j'en
sçavoys; tant y a que le dict Poutrin est encores icy, attendant sa
résolution. Et le ministre Textor n'a pas esté conseillé, arryvant de
la Rochelle, d'aller rien pourchasser en ceste court, car ont bien veu
que cella ne luy eût esté que temps perdu; dont, après qu'il a eu
faict assembler, par quatre ou cinq foys, le conseil des ministres, en
ceste ville, sur les moyens de pourvoyr au secours et deffance de la
Rochelle, et pour dresser des forces par mer par dellà, il est passé
devers le prince d'Orange en Hollande, et Du Lua a esté renvoyé en
Allemaigne. Et m'a quelqu'ung adverty que, sellon la négociation qu'a
faicte le dict Textor, il semble que ceulx de la nouvelle religyon, de
la Rochelle et du Poictou, se sentent pressés, et qu'ilz sont assez
effrayés; dont, si Brouage estoit reprins, je croy que les Angloix, à
très grande difficulté, se mouveroient jamays par mer pour eulx, par
faulte de retraicte; parce que celle là seule leur semble opportune,
puisque les Rochellois ne les veulent recevoyr dans leur ville, et
aussy que la commodicté du sel, du quel ilz font leurs contratz et
marchez, leur deffaudroit.

J'entends que cest agent du comte Palatin qui est freschement arryvé
en ceste court, et encores ung aultre allemant qu'on estime estre
agent du duc de Saxe, ont eu à fère deux sortes de légation à ceste
princesse: l'une, ouverte, pour la prier de conformer les instructions
du millord, qu'elle envoyera devers le Roy, à celles que leurs mestres
ont baillées à leurs ambassadeurs, qu'ils luy ont desjà dépeschées,
tendantes au soulagement de ceulx de leur religyon et à mettre ung
repos en la Chrestienté; et l'autre, secrette, pour luy remonstrer
qu'elle et les aultres princes protestantz doibvent avoyr une grande
considération sur le retour du Roy, vostre filz, et sur le passage
qu'il a faict par l'Italye, qui leur doibt estre grandement suspect,
et que la légation du cardinal Saint Sixte, nepveu du Pape, vers luy,
et les confidentes démonstrations que luy ont uzé ceulx qui
commandent pour le Roy d'Espagne en l'estat de Milan, leur debvoient
estre arguments irréfragables que l'intelligence et confédération de
ces deux puissants Roys avec le Pape est très certeyne. Dont l'ont
exortée qu'elle vueille, avec les aultres princes protestantz,
pourvoyr, de bonne heure, à leur seureté, et favorizer, en France et
en Flandres, ceulx qui ont prins les armes pour la deffence de leur
dicte religyon, pendant qu'ilz sont encores en pieds; et qu'il y
auroit bientost une levée de sept mille reytres et quatre mille
lansequenetz en estre, qui seroit preste de marcher en leur faveur,
s'il se pouvoit trouver moyen de leur fournyr deux centz mille escuz
pour leurs deux premiers payementz. Sur quoy je croy bien que,
touchant le premier poinct de leur légation, les dictz agentz seront
fort bien respondus: c'est que la dicte Dame fera par le dict milord
parler le mesme langage que leurs mestres à Voz Très Chrestiennes
Majestez; mais j'espère bien qu'ilz ne seront assez bons orateurs pour
impétrer si tost les deux centz mille escuz, bien que quelqu'ung m'a
dict que les évesques de ce royaulme offroient d'y contribuer et d'y
fère contribuer leurs diocèses: ce qui n'est pas matière bien preste.

Et ce que je crains le plus est ung aultre moyen de recouvrer deniers,
et qui est esmerveillable et bien frauduleux, c'est que certains
allemands et ollandoys, et encores, m'a l'on dict, quelques françoys,
ont entreprins de forger, en ung endroict de ce royaulme, jusques à
ung million d'escus, du coing de France, d'Espaigne et de Flandres,
pour soustenir ceste guerre; qui seront si bien faicts qu'on n'en
pourra, ny au poix, ny à la touche, cognoistre la différence dans les
bons; et que desjà ils ont si bien commancé d'y besoigner, avec la
secrette permission d'aulcuns de ce conseil, qu'ilz ont cinquante
mille escuz de France toutz pretz. A quoy, Madame, il est besoin de
pourvoyr, et mander à Paris, et aultres principalles villes, où la
première emplète s'yra fère, qu'on y prenne bien garde; et je ne
fauldray de vous mander, de jour à aultre, tout ce que j'en pourray
descouvrir davantage.

Me Quillegreu est revenu, depuis deux jours, en poste, d'Escosse, et
l'on continue toujours de m'advertyr qu'il mène la praticque d'avoyr
la personne du Prince d'Escosse par deçà, dont je suis bien en peyne
que cella se trame si secrettement que je ne le puis bien descouvrir.
Mr de Méru est allé trouver ceste princesse à Fernand Castel, où elle
luy a assigné l'audience à ce jourdhuy. Il faict toutes démonstrations
de se vouloyr comporter en très bon et fidelle subject du Roy, mais
tels que je voirray estre ses déportements, je ne fauldray de les vous
tesmoigner. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de septembre 1574.



CCCCVIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour de septembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Crainte des Anglais que le roi n'ait formé une ligue avec le pape
    pour détruire le protestantisme.--Leurs efforts pour s'emparer
    du prince d'Écosse.--Arrestation et mise en liberté de ceux qui
    fabriquaient la fausse monnaie.--Nouvelles d'Irlande.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, en attendant d'avoyr bientost la certitude de la bonne et
desirée nouvelle que le Roy, vostre filz, soit entré en son royaulme,
laquelle se faict desjà aulcunement confesser par ceulx qui plus
opinyastroient qu'elle n'adviendroit jamays, j'ay faict sçavoyr à la
Royne d'Angleterre ce que Vostre Majesté m'en avoit escript, du
dernier du passé, laquelle a monstré non seulement d'en estre bien
ayse, mais a faict grand signe d'allégresse de ce qu'il ne pouvoit
apparoir qu'il y deût plus avoyr de difficulté, ny de retardement, en
son voyage; et s'est efforcée de donner à cognoistre à ung chascun que
véritablement elle avoit grand playsir du retour de ce prince; et a eu
à dire plusieurs choses, de la vertu et du bonheur qui accompaignent
ses entreprinses, et du contentement qu'elle aura d'estreindre une
bonne amityé avecques luy, si, d'avanture, il ne veult point mespriser
la sienne. Et m'ont ceulx de ce conseil envoyé curieusement demander
si Voz Majestez s'achemineroient bientost vers Reims, ou bien si elles
prendroient aultre chemin, affin de pouvoir mieulx ordonner du
partement du millord qui vous doibt aller trouver. Je leur ay respondu
cella mesmes que j'ay veu, par vostre lettre, que en aviés desjà dict
à leur ambassadeur; et aulcuns d'eulx m'ont, d'abondant, faict part de
celle légation ouverte, que les agens des princes d'Allemaigne,
lesquelz sont encores à la suyte de ceste court, ont faicte à la dicte
Dame: qui m'ont mandé que c'estoit en la propre forme que je l'ay
desjà escript par mes précédentes, du XIXe du présent, mais ne m'ont
rien touché de leur aultre secrette négociation; dont a esté besoing
que je l'aye recherchée d'ailleurs.

Il est bien vray que touts mes advis se rapportent à ce que ceste
princesse conviendra sans doubte avec les dictz princes de fère
remonstrer au Roy, vostre filz, plusieurs choses, touchant le
soulagement des Protestantz, et d'establir, pour le regard de l'estat
de la religyon, une paix publicque en la Chrestienté; mais que, pour
encores, elle ne résouldra rien, ny de guerre, ny de paix, ny de
ligue, ny de contributions de deniers, là dessus, avec les dicts
princes, qu'elle ne voye plus avant comme le Roy se déportera vers
elle. Qui cognois bien, Madame, que quelle démonstration qu'elle face,
elle ne peut encores prendre assés de confiance de luy, tant pour les
choses qui ont passé au propos d'entre eulx deux, que pour se
représanter encores en l'esprit ce qu'elle a d'autrefoys creu, que la
Royne d'Escoce luy avoit cédé le droict et le tiltre qu'elle prétend
en ce royaulme, se persuadant la dicte Dame que le mesme conseil,
duquel il se conduysit lors, ez dicts deux affères, est en plus
d'authorité qu'il ne fut jamays près de luy. Sur quoy je n'ay obmis
une seule de toutes les démonstrations, dont j'ay peu user à elle et
aulx siens, que je ne les leur aye franchement déduictes, pour les
divertyr de ceste opinyon. Néantmoins ilz ne cessent, sur ce retour de
Me Quillegreu, sellon qu'on m'en a adverty, de dellibérer chaudement
comme ilz pourront avoyr le Prince d'Escosse par deçà, bien que la
dicte Dame tient cella aulcunement suspect pour elle, et n'y entend
qu'à regret. Mais il y a grand apparance que les persuasions des
Protestantz, lesquelz veulent fère nourrir ce petit prince à leur
mode, comme celluy qu'ilz réputent desjà aparant successeur de ce
royaulme, et qui remonstrent que c'est la principalle seureté de ceste
princesse, et de son estat, que d'avoyr la mère et le filz en ses
mains, la facent enfin condescendre à leur intention, mesmement s'ilz
trouvent que les choses ne soient trop difficiles, du costé d'Escosse.
Et y en y a aulcuns qui estiment qu'on essayera de tretter cella avec
la Royne d'Escoce mesme, avec promesse de luy amplyer sa liberté, si
elle le veult consentir; et que, pour le mieulx conduyre, l'on a
trouvé moyen de fère persuader, par la duchesse de Suffolc, laquelle
n'ayme poinct la Royne d'Escoce, au comte et comtesse de Cherosbery,
en faysant le mariage de leurs enfans, qu'ilz feront bien de remuer la
Royne d'Escoce au chasteau de Pontfroid, qui est l'une des maysons de
la Royne d'Angleterre; ce que je ne sçay encores bien au vray si tout
cella succèdera.

Tant y a qu'ayant desjà faict dire, en passant, au comte de Lestre que
j'en avois eu le vent, mesmement du faict du petit Prince, et que
c'estoit chose qui ne se pourroit conduyre sans offancer le Roy,
lequel estoit le principal alié de la couronne et des Princes
d'Escosse, il m'a seulement mandé que je réputois sa Mestresse et
ceulx de son conseil plus sages et plus pourvoyans qu'ilz n'estoient,
et que, pleût a Dieu, qu'ilz peussent avoyr le dict Prince, sans m'y
respondre rien davantage. Et me vient on de dire qu'on est après à
fère une dépesche pour renvoyer le dict Me Quillegreu, de rechef, par
dellà. Il sera bon, Madame, que, sur l'occasion de ce que Mr de Glasgo
remonstrera au Roy, en sa première audience, Voz dictes Majestez
parlent ung peu de bonne sorte à l'ambassadeur d'Angleterre des
affères d'Escoce, et de l'estat de la Royne et du Prince du dict pays,
affin d'arrester les instantes poursuites de ceulx cy: vous ayant à
dire au surplus, Madame, qu'on avoit trouvé moyen de fère constituer
prisonniers aulcuns de ceulx qui forgent par deçà celle faulce
monnoye, dont, par mes précédentes, je vous ay faict mencion, mais ilz
ont esté assez tost eslargis par secret mandement d'aulcuns de ce
conseil; ce qui me faict avoir davantage suspecte l'inique et
meschante provision de deniers qu'ilz font, laquelle j'entendz, quand
à ce qui s'en bat du coing de France, que c'est de celluy du feu Roy,
dernier décédé, dont je mettray peyne d'en recouvrer quelque pièce si
je puis, pour vous en envoyer la monstre. Et sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour de septembre 1574.

   Depuis ce dessus, j'ay eu advis de ceste court de deux choses:
   l'une est que la dépesche qui y est arryvée de Mr le docteur
   Dayl, du Ve du présent, y a suscité beaucoup d'escrupulles de
   la dellibération, qu'il mande que le roy aporte d'Italye
   contre les Protestantz; et l'aultre, que, en Irlande, le comte
   d'Esmond ayant esté attiré à parlementer, il a esté, soubz
   parolle de paix, détenu prisonnyer, et le conduict on
   maintenant soubz bonne garde par deçà. Je mettray peyne de
   vériffier l'une et l'autre nouvelle pour vous en mander plus
   de certitude par mes premières.



CCCCVIIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de septembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Nouvelles d'Écosse.--Disposition des Écossais à maintenir
    l'alliance avec la France.--Assurance donnée à l'ambassadeur
    que Mr de Méru ne sollicite de la reine rien autre chose que
    son intercession en faveur de Mrs de Montmorenci et de
    Cossé.--Nouvelle de l'arrivée du roi à Lyon.--Désignation de
    lord de North pour passer en France.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, celluy que j'avoys, il y a desjà assez longtemps, dépesché en
Escoce, quand Me Quillegreu y alla, est revenu depuis deux jours,
lequel m'a rapporté de plusieurs seigneurs, à qui il dict avoyr parlé,
et leur avoyr bayllé mes lettres, par dellà, leurs responces de
bouche, parce qu'ilz n'ont ozé m'escripre, ne m'ayant apporté que
celle seule du comte d'Arguil, et du laer de Quelseit, par escript.

Je m'assure que l'on ne veut souffrir au dict pays, en façon que ce
soit, qu'on y propose rien contre la ligue de France; et mesmes le
comte de Morthon monstre de ne le vouloyr essayer, par ce, possible,
qu'il sent qu'aussy bien il ne le pourroit mener à bout; et qu'encores
qu'il se laysse entretenir et poursuyvre par grande instance de Me
Quillegreu, sur la consignation de la personne du jeune Prince à la
Royne d'Angleterre, qu'il n'y a apparence quelconque, (quand bien
l'avarice l'aveugleroit de s'en obliger à elle moyennant quelque somme
d'angelotz, ainsy qu'on dict qu'on luy en promect beaucoup), qu'il le
puisse néantmoins, sans beaucoup de contradiction, ny sans beaucoup de
danger, effectuer; et mesmement, si Voz Majestez Très Chrestiennes
faictes voyr et entendre par dellà que vous ne le voulez, ny mesmes
n'estes pour souffrir qu'il se face.

Le mesmes messager m'a aussy apporté une lettre du duc de
Chastelleraut pour la Royne d'Escoce, et ung petit pourtraict du jeune
Prince, son filz. J'advizeray de le luy fère tenir par la plus seure
et commode voye qu'il me sera possible; et j'espère que, par cest
aultre messager, que j'ay dernièrement dépesché au dict pays, lequel
toutesfoys cestuy n'a pas rencontré, les seigneurs de dellà seront
davantage confirmés en leur bonne dellibération vers le Roy, vostre
filz, et vers sa couronne.

La femme du comte de Morthon est morte depuis quinze jours en çà, au
grand contantement de son mary, qui est après à choysir party; et
s'espère que, par le moyen de quelque alliance, il se réduyra à plus
de modération qu'il n'en a monstré jusques icy.

Mr de Méru est retourné, depuis deux jours, de devers ceste princesse,
avec laquelle il a esté huict jours entiers. Et j'entendz qu'il a esté
fort humaynement receu d'elle, et que les seigneurs de ceste court luy
ont faict beaucoup d'honneur et beaucoup de courtoysyes, l'ont traicté
et l'ont accompaigné à la chasse, et luy ont donné tout le playsir
qu'ilz ont peu. Et l'ung d'eux m'a mandé que je ne fusse poinct en
peyne de chose qu'il peût pourchasser vers elle, car m'assuroit que,
si elle n'eût esté bien certeyne qu'il n'avoit à luy parler qu'avec
grand honneur et respect de Voz Majestez Très Chrestiennes, et que
seulement il la vouloit requérir d'intercéder pour Mrs les
mareschaulx, ses frère et beau père, qu'elle ne l'eût aulcunement
admis en sa présence. Tant y a que je ne lairay, pour cella, de le
fère tousjours observer, affin de vous mander, le plus au vray que je
pourray, quelz seront ses déportementz.

J'ay sceu, à la vérité, que la dépesche de Mr le docteur Dayl, du Ve
du présent, a engendré assez d'escrupulles en ceste court, mais l'on
ne m'a encores sceu bien discerner sur quelles particularités ce peut
estre; tant y a que, depuis, est arryvé ung de ses secrettères, nommé
Devet, lequel est venu en dilligence, de qui les propos n'adoulcissent
pas beaucoup ce que son maistre avoit altéré. Et, auparavant le dict
Devet, estoit passé, icy, ung qui se dict serviteur de madame de
Ferrare, lequel ne s'est nullement addressé à moy, ains m'a l'on dict
qu'il a eu grande communicquation avecques Villiers et avec les
aultres ministres françoys qui sont en ceste ville.

Milord trézorier, estant encores le dict Sr de Méru à la court, s'est
retiré en une sienne mayson des champs, pour quelques jours, assez
près de ceste ville, où il a festoyé les agentz des princes
d'Allemaigne; desquelz j'entendz que celluy du comte Palatin est
escouçoys, frère de Me Robert Melvin, et les principaulx supostz et
entreméteurs de la nouvelle religyon s'y sont trouvez, qui m'ont rendu
davantage curieux de fère observer ce qui s'y feroit. Et l'on m'a
rapporté que la responce y a esté rendue aulx dictz agentz, et leur
dépesche bayllée pour s'en retourner; mais je n'ay encores peu sçavoyr
qu'est ce qu'elle contient, ny si Mr le vydame, qui a bien esté au
festin, l'a sceue, lequel s'est enfin entièrement résolu de passer
avec les dictz agentz en Allemaigne. Mais je croy que ce ne sera sans
me venir dire adieu, et je ne fauldray de l'exorter vifvement qu'il ne
vueille rien mouvoir par dellà qui puisse estre contre l'intention de
Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le desir qu'il a tousjours
montré avoyr à la tranquillité du royaulme. En cestuy mesmes festin du
dict grand trézorier m'a esté suscité ung aultre escrupulle, pour la
comtesse de Lenox qui s'y est trouvée, et pour avoyr icelluy grand
trézorier et Me Quillegreu, et le dict Melvin, agent du comte Palatin,
conféré longuement et fort estroictement avec elle; dont, depuis, j'ay
sceu qu'elle s'apreste d'aller jusques en une sienne mayson qui est
vers le North, et que, de là, elle passera en Escoce, pour visiter le
jeune Prince, son petit filz, ce que je juge n'estre à aultres fins
que pour essayer de l'avoyr entre ses mains, affin de le transporter
par deçà, et que ceulx cy veulent, en toutes sortes, tenter tous
moyens à eulx possibles pour surmonter les difficultez qui s'y
pourroient trouver. A quoy je vous supplye très humblement vouloir
pourvoyr du costé de dellà; car je crains bien fort que, nonobstant
ce que m'a rapporté le messager, qui naguères en est venu, je ne
pourray mettre assez de suffizans obstacles, du costé d'icy, pour les
empescher. Et sur ce, etc.

    Ce XXIXe jour de septembre 1574.

   Ainsy que je signois la présente, milord de North m'a envoyé
   dire, par ung sien gentilhomme, que la Royne, sa Mestresse,
   ayant eu advertissement par son ambassadeur, comme le Roy,
   vostre filz, estoit arryvé à Lyon, elle luy avoit incontinent
   commandé de haster son partement pour l'aller trouver, et
   qu'il dellibéroit de partir, le quatriesme ou cinquiesme
   d'octobre, mais que, devant cella, il me viendroit visiter,
   ainsy qu'il avoit commandement de le fère; et cependant me
   prioit de donner ordre qu'à Bouloigne, et sur les chemins, il
   peût trouver des chevaulx prestz pour fère meilleure
   dilligence. Dont présentement j'en fays ung mot de lettre à Mr
   de Calliac; et je vous suplye très humblement, Madame, de
   commander ce que Vostre Majesté sçayt estre expédient pour le
   fère honnorer et bien recevoyr, tant par les chemins
   qu'arryvant à la court, sellon que ce premier acte, de la
   confirmation d'amityé d'entre le Roy, vostre filz, et la
   Royne, sa Mestresse, semble infinyement le requérir.



CCCCVIIIe DÉPESCHE

--du Ve jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée jusques à Bouloigne par ung des gens de milord de North._)

  Desir d'Élisabeth de conserver l'alliance avec la France.--Départ
    de lord de North.--Négociations des princes
    d'Allemagne.--Pacification de l'Irlande.--Nouvelles d'Écosse.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, je n'ay receu les lettres de Vostre Majesté, du VIIIe de
septembre, jusques au vingt uniesme jour de leur dathe, à cause que la
mer a esté si haulte qu'on ne l'a peu passer, sinon envyron la fin du
moys; et, avec icelles, j'ay receu la coppie de la lettre que la
Royne d'Angleterre a escripte, de sa main, à Vostre Majesté; en
laquelle, encor qu'elle uze de beaucoup de digressions, et d'aulcunes
formes de parler qui n'expliquent qu'à demy ce qu'elle a voulu dire;
et, en d'autres endroictz, elle s'efforce d'en fère plus comprendre
qu'elle n'en veut exprimer, si descouvre elle bien avant de
l'intérieur de son cueur; et monstre de l'avoyr grandement esmeu, et
que diverses impressions la mettent à ne sçavoyr comme espérer de
l'amityé du Roy, vostre filz, ny si elle se doibt résoudre de
renouveller la ligue avecques luy, au cas qu'il le luy demande, ou
bien si elle doibt retourner à celle de Bourgoigne.

Et en cella, Madame, j'ay à dire à Vostre Majesté que, depuis le
passage du Roy, vostre filz, en Italye, et la bonne et grande opinyon
qu'on dict qu'ung chascun a conçue de luy, à voyr seulement sa
présence, et son maintien, et ses vertueux déportemens, partout où il
a passé, joinct sa précédente réputation, et la grandeur et bonne
fortune qui l'accompaignent, il n'est pas à croyre combien les agentz
du Roy d'Espaigne, icy, se sont imprimés une merveilleuse jalousie de
luy; lesquelz travaillent, plus qu'ilz ne firent jamays, de séparer
ceste princesse de son intelligence, et mettent toute la dilligence,
qu'ilz peuvent, d'entretenir par fréquentes sollicitations et par
promesses et présantz ceulx qui sont auprès d'elle, et de gaigner
nomméement ceulx qu'ilz estiment qui ont de l'affection à la France;
dont n'est sans difficulté qu'on peut maintenant tenir, icy, relevé le
nom du Roy et de sa couronne. Néantmoins je ne veux désespérer qu'il
n'y trouve encores de la correspondance, parce que ceste princesse, en
son cueur, ne le hayt poinct, ains l'ayme, et desire estre aymée de
luy, comme de celluy qu'elle estime et prise, sur toutz les princes
qui vivent; et si, n'a pas grande inclination à l'Espaigne, ny ne peut
encores prendre confiance de ce costé là. Dont se pourra fère, Madame,
que, par ceste nouvelle ambassade, qu'elle vous envoye maintenant, si,
d'avanture, Voz Majestez la reçoyvent favorablement, et en font ainsy
cas, comme elle monstre de l'espérer, que les choses se remettront
facillement aux mesmes bons termes qu'elles estoient.

D'une chose ne me puis je assés esbahyr, sur quoy elle s'est peu
fonder d'avoyr présupposé, en sa lettre, que Vostre Majesté eust
apprins de quelqu'ung de ses conseillers qu'elle se tenoit offancée du
Roy, car je luy fis voyr par voz propres lettres que c'estoit de la
depposition du comte de Montgommery que Vostre Majesté l'avoit tiré;
mais, à dire vray, elle se trouva lors si surprinse, quand je vins à
luy toucher ce poinct, qu'elle a bien voulu, depuis, prendre le
prétexte de ceste plaincte pour en esteindre si bien, si elle peut, la
mémoyre, qu'il n'en soit jamays, en peu ni en prou, aulcune nouvelle,
ny de vostre costé ny du sien.

La pluspart de ceulx, qui sont ordonnez pour accompaigner ceste
ambassade, sont desjà partis de ceste ville, et milord de North,
l'ambassadeur, partira demain. J'ay desjà adverty Mrs de Gourdan et de
Calliac, et Mr de Crèvecœur, de son voïage, affin de le fère bien
recevoyr, et le fère accomoder de chevaulx en Picardye. Et je vous
supplye très humblement, Madame, de commander qu'il soit bien receu et
accomodé au reste du chemin, et qu'il luy soit faict honneur et
faveur, quand il arryvera vers Voz Majestez; car l'on prendra, icy, un
grand argument de vostre intention, sellon qu'on verra que uzerés vers
luy. Il a charge, après les complimentz faictz, de parler vifvement à
Voz Majestez du faict des déprédations, et semble qu'on desire, icy,
que luy faciés avoyr conférance avec les deux du conseil qui sont
depputés là dessus.

Les agentz des princes d'Allemaigne viennent de partir, lesquelz, à ce
que j'entendz, n'emportent rien de contant, mais seulement une
promesse de deux centz mille escuz, qu'ilz ont demandé, qu'on les leur
fera fournir de ce royaulme, en espèces, ou par crédit, pour fère les
levées, au cas que la paix ne succède en France. Et en y a qui
présument que desjà il est allé en Hembourg une partie de ces escus
que je vous ay mandé qu'on a nouvellement forgez; dont sera bon d'en
fère éventer par dellà la faulceté, affin qu'ilz demeurent descriez.
Mr le vydame faict toutes les dilligences qu'il peut pour s'en aller
avec les dictz depputés, mais, comme aulcunes nécessitez le convient
de s'en aller, aussy il y en a d'aultres qui l'empeschent de partir.
Me Astafort, jeune gentilhomme de ceste court, s'est desjà embarqué
dans leur vaysseau, et s'en va jusques là où sont les dictz princes,
pour revenir bientost rapporter de leurs nouvelles.

Le comte d'Esmont n'a pas esté faict prisonnyer, en Irlande, comme
l'on me l'avoit rapporté, ains ceste princesse a si bien accommodé ses
affères au dict pays, par voye d'accord, avec présans et promesses, et
gracieuses condicions, que le dict comte, avec quatre mille hommes,
s'est remis au service d'elle, et Mac O'Nel est repassé en son païs du
North d'Escosse, avec quatre mille harquebouziers qu'il avoit admenez.
Et, à présent, les officiers et agentz de la dicte Dame vont reprenant
la possession des places, sans qu'on leur y face de résistance: vray
est qu'on crainct tousjours bien fort l'instabilité de ceste nation.

Ung de mes amys me vient d'advertyr qu'indubitablement la praticque de
livrer le Prince d'Escoce par deçà a esté bien fort en avant, et
qu'elle a esté sur le poinct d'estre exécutée, si le comte d'Honteley
et Me Alexandre Asquin ne l'eussent empeschée; et qu'on présume, en
ceste court, que cella est venu de mon advertissement, et qu'il fault
qu'on m'observe de plus près. Il y en a aussy qui pensent que, de tant
que ceste princesse n'a pas monstré d'en estre trop marrye, qu'elle
mesmes, soubz mein, les en a faictz advertyr; tant y a que le voïage,
dont je vous ay cy devant escript, de la comtesse de Lenox, pour aller
visiter le dict Prince, se poursuit; et je suis après à descouvrir sur
quelle intention elle y va.

Il y a icy desjà de longtemps un gentilhomme polounoys, de la mayson
d'Alasco, et y en est arryvé encores d'autres, depuis la venue du Roy,
qui ne m'ont, ny les ungs ny les aultres, visité; ains ilz sont
souvant visitez par les ministres françoys et flammans, qui sont icy;
et si, ont esté quelquefoys en ceste court, et de la court l'on a
envoyé vers eulx. Il vous plerra me mander si j'auray à fère aulcun
office en leur endroict. Sur ce, etc.

    Ce Ve jour d'octobre 1574.



CCCCIXe DÉPESCHE

--du Xe jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Conférence de l'ambassadeur avec lord de North.--Desir
    d'Élisabeth de connaître les intentions du roi.--Sa réponse aux
    envoyés des princes d'Allemagne.--Sollicitations pour Marie
    Stuart.


    A LA ROYNE, RÉGENTE.

Madame, premier que milord de North soit party, il m'est venu visiter,
et m'a discouru, en général, de la bonne intention que la Royne, sa
Mestresse, a vers le Roy, vostre filz, et comme elle desire
infyniement de se maintenir en bonne paix avecques luy, et garder
inviolablement avec Vostre Majesté la vraye amityé que vous vous
estes, longtemps y a, promise l'une à l'autre, et estreindre, s'il est
possible, plus fort que jamays, celle en quoy il vous a pleu nourrir
tousjours toutz Noz Seigneurs, voz enfantz, avecques elle; dont, s'il
peut vous bien explicquer sa commission, tout de mesmes que la dicte
Dame la luy a donnée là dessus, il ne faict aulcun doubte que n'en
demeuriez très assurée; et que, de sa part, il s'en va très dellibéré
de fère, en cest endroict, les meilleurs et plus exprès offices qu'il
pourra.

De quoy je l'ay bien fort remercyé, et, après luy avoyr faict aulcunes
remonstrances sur les escrupulles qu'on vous avoit suscités, de ce
costé, je l'ay exorté de se déporter en façon que, en France et icy,
l'on ayt à se louer de son élection à ceste charge. Et parce qu'ung
mien amy m'a adverty que, le propre jour que sa dicte Majesté l'a
licencié, elle a monstré d'estre aulcunement en peyne de ce que je ne
luy allois annoncer l'arryvée du Roy à Lyon, ny luy fère entendre
aulcune chose, de sa part; et qu'il y en y avoit, de ceulx qui
aspirent à la retirer de l'intelligence de France, qui s'efforçoient
de luy en fère une maulvayse interprétation; j'ay, soubz prétexte de
visite, envoyé dire à ses plus expéciaux conseillers que je
n'attandoys que l'heure qu'il m'arrivast une dépesche du Roy, vostre
filz, pour aller trouver la dicte Dame; et que Vostre Majesté m'avoit
escript, du VIIIe du passé, qu'il estoit desjà arryvé à Lyon, mais
qu'il estoit si empressé, à ce commancement, qu'il n'avoit encores peu
ouyr le gentilhomme que je luy avoys dépesché, néantmoins que, dans
deux jours, ou troys, il les ouyroit à loysir, et puis me manderoit,
par luy mesmes, ce qu'il voudroit que je fisse sçavoyr, de sa part, à
la dicte Dame; et que cependant je ne fallisse de vous escripre à
toutz deux du bon portement d'elle et de sa santé, dont les priois de
m'en vouloir mander.

Sur quoy, après avoyr conféré avec elle, ilz m'ont mandé, par mon
secrettère, qu'elle avoit eu très agréable ceste mienne dilligence, et
s'en estoit plus grandement resjouye qu'ils ne le me sçauroient dire,
et desiroit que j'eusse de quoy lui venir bientost compter des
nouvelles du Roy, vostre filz, et que je les luy peusse tesmoigner
aussy bonnes, comme elle les souhaytoit pour elles mesmes. Puis l'ung
d'eux m'a mandé qu'elle n'avoit, en chose de ce monde, aujourdhuy, le
cueur si tendu qu'à ouyr jusques aulx moindres particullaritez qui
venoient de luy; et qu'il me pouvoit assurer que, de beaucoup de
demandes qu'on luy avoit faictes depuis peu de temps en çà, elle
s'estoit tenue ferme à n'en vouloir accorder aulcune, au préjudice de
luy, que premièrement elle ne voye comme il se voudra déporter vers
elle.

Néantmoins, Madame, je mettray, icy, ceste digression qu'on m'a
adverty d'ailleurs qu'indubitablement les agentz des princes
d'Allemaigne s'en sont retournés bien contantz des bonnes parolles et
promesses qu'elle leur a données; et les dictz conseillers ont
davantage dict à mon dict secrettayre qu'ilz avoient entendu que le
Roy, vostre filz, desiroit bien fort la paix; néantmoins que les
grosses forces, qu'il faysoit marcher, leur faysoient souspeçonner la
guerre, et qu'on leur avoit dict qu'il se rendoit beaucoup plus assidu
en ses affères que n'avoient faict ses prédécesseurs; et néantmoins se
monstroit plus grave, et de difficile accès, que nul d'eux, et que
leur Mestresse et eulx estoient à regarder, avec le reste de la
Chrestienté, comme il formeroit ses affères, à ce commancement, affin
de fère une conséquence comme ilz auroient à procéder tout le reste de
son règne.

J'ay, à deux jours de là, renvoyé, encores une aultre foys, devers
eulx, pour impétrer aulcunes honnestes et bien raysonnables demandes,
que j'avoys à fère à leur dicte Mestresse et à eulx, pour la Royne
d'Escosse, vostre belle fille, et pour leur fère voyr ung cahier de
plainctes que Mr de La Melleraye m'a envoyé. Et sur ce, etc.

    Ce Xe jour d'octobre 1574.



CCCCXe DÉPESCHE

--du XVe jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Certitude de l'arrivée du roi en France.--Nouvelle répandue en
    Angleterre que le roi, à son passage en Italie, a formé une
    ligue avec le pape.--Assurance donnée à l'ambassadeur
    qu'Élisabeth, pour la combattre, est entrée en ligue avec les
    princes protestans d'Allemagne.--Efforts des Anglais pour
    renouer l'alliance avec le roi d'Espagne.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, par ung des gens de l'ambassadeur d'Angleterre, lequel est
arryvé icy, le Xe de ce moys, qui est le second courrier qu'il a
dépesché à la Royne, sa Mestresse, depuis vostre retour, il l'a
advertye comme Vostre Majesté, s'estant expédiée de ses plus pressans
affères à Lyon, elle s'acheminoit maintenant à Reyms, pour y fère
bientost son sacre et couronnement. De quoy la dicte Dame a estimé
qu'elle avoit très bien faict d'avoyr desjà dépesché milord de North
pour vous aller saluer de par elle, et estre l'une des premières qui
honnoreront et se conjouyront de vostre heureux advènement à la
couronne. Et par mesme moyen luy a escript que les depputés de ceulx,
qui se sont eslevez en Languedoc et Daulfiné, n'ayantz peu obtenir, ny
par leur requeste ny par l'intercession des agentz des princes
d'Allemaigne, aulcun exercice de leur religyon, ilz s'estoient
retirez, et les dictz agentz départis avec plus d'opinyon, les ungs et
les aultres, de la guerre que d'espérance de la paix; et que Vostre
Majesté avoit donné charge de parachever ceste guerre à Mr de Savoye,
comme pour le déclarer desjà, et l'introduyre par là, à estre
cappitaine général de la ligue qu'on présumoit estre entièrement
conclue entre le Pape et Vostre Majesté et le Roy d'Espaigne, avec les
aultres princes catholicques, contre les Protestantz et contre leur
religyon.

Sur lequel advertissement, Sire, la dicte Dame et ceulx d'auprès
d'elle se sont de nouveau restreinctz en conseil avec les principaulx
personnages de ce royaulme, et ont contremandé les agentz, qui
estoient desjà partis, des dictz princes protestantz pour, de rechef,
entrer en conférence avec eulx; mais je ne sçay encores s'ilz ont rien
changé de leurs précédentes dellibérations. Tant y a qu'ung de ce
conseil m'a mandé qu'ilz s'ébahyssoient toutz comme, à l'apétit de
troys centz mille escuz qu'on vous avoit offert de prest en Italye,
vous vous estiez layssé persuader à la continuation de ceste guerre,
laquelle vous ruyneroit de plus de vingt millions, et vous mettroit,
possible, en danger de ne pouvoir jamays heureusement jouyr
l'amplytude de vostre beau royaulme. A quoy je luy ay respondu que je
n'avoys rien entendu des dictz troys centz mille escus, et n'en
croyois rien, parce que vous n'estiés prince pour vous mouvoir de
cella; et qu'indubitablement vous vouliés la paix, et entendiés de la
donner, avec honnestes et raysonnables condicions, à voz subjectz,
mais que nul, soubz le ciel, sçavoit mieulx que vous et la Royne,
vostre mère, comme vous la leur debviez octroyer, et de quelle façon
elle pouvoit estre utille à vostre royaulme; qui vouliez, comment que
ce fût, comme chose très juste et très légytime, demeurer Roy et
Mestre, et surmonter toutes les désobéyssances et violentes
contradictions qu'on atempteroit contre vostre authorité, et ne
souffrir uzurper aulcune loy par voz subjectz, sinon celle qu'ilz
prendroient de vous, qui rechercheriés tousjours, aultant que vous
pourriez, leur solagement et le repoz de leurs consciences; et qu'ilz
ne debvoient vous presser de chose qui ne vous semblât loysible, et
qui ne vous fût à playsir de la leur concéder.

Et, depuis cella, l'on m'a voulu fère croyre que la dicte Dame avoit
passé oultre à se joindre formellement à la ligue, et à s'obliger aulx
chapitres d'icelle, pour la contribution et secours, avec les dictz
princes protestantz, et avec les dictz eslevez, de France et de
Flandres; mais je ne puis ny veulx croyre que, jusques à ce qu'elle
ayt entendu comme Vostre Majesté aura receu sa dernière ambassade, et
comme il vous plerra uzer vers elle, qu'elle s'oblige à nulle nouvelle
ligue, ny qu'elle conclue rien qui puisse directement tourner à vostre
préjudice: car j'ay parolle et promesse fort expresse d'elle, et qui
m'a semblé partir de son cueur, qu'elle ne le fera nullement. Vray est
que je me crains assez qu'on l'ayt persuadée de fermer les yeulx sur
les secretz moyenz que les susdictz agentz et les ministres, et
aultres plus aspres suppostz de la nouvelle religyon, s'efforcent
d'inventer, toutz les jours, pour cuyder maintenir et fortiffier
davantage leur cause, ainsy comme, de ceste nouvelle forge d'escuz,
dont j'ay cy devant escript, laquelle ilz poursuivent tousjours; et
les espèces en sont si belles, sellon qu'ung homme de bien, qui en a
veu, me l'a rapporté, et si parfaictement bien faictes au molinet,
qu'il ne s'y peut cognoistre, ny au son, ny au poix, ny à la touche,
rien de différent d'avecques les bons; et qu'il en est desjà allé, ce
m'a il assuré, ung bon nombre en Hembourg, de toutes les dictes
espèces, et nomméement cinquante mille, du coing de Vostre Majesté;
dont je fay extrême dilligence d'en recouvrer ung des dictz escuz
pour le vous fère voyr, et pour, avec telle monstre, me pleindre
infinyement à ceste princesse de la tollérance d'une si grande
faulceté.

Cependant elle travaille, aultant qu'elle peut, de se remettre en bons
termes avec le Roy d'Espaigne, et d'establir ung bien assuré commerce
entre leurs subjectz, ayant, dimanche dernier, licencyé ung des
commissayres des Pays Bas; qui s'en est retourné fort satisfaict de
l'accomplissement de leur commission, et du payement, que les Angloix
ont desjà bien advancé de fournir, de la somme de soixante quinze
mille escuz, pour la récompense des prinses faictes sur les subjectz
du Roy d'Espaigne. Et l'autre commissayre plus principal demeure
encores icy, comme agent, pour le dict Roy, son Mestre. Et m'a l'on
adverty que la dicte Dame faict apprester son premier mestre des
requestes pour l'envoyer bientost devers le grand commandeur, en
Flandres.

D'ailleurs, Sire, la comtesse de Lenox part, dans cinq ou six jours,
de ceste court, pour aller en sa mayson vers le North, avec celle
mesme dellibération, que j'ay cy devant escript, que, si les choses
d'Escosse apparoissent bien disposées pour son voyage, elle yra
jusques à Esterlin visiter le Prince d'Escosse, son petit fils; qui
est chose que j'ay fort suspecte, et laquelle je ne puis interpréter
que soit à aultres fins que pour pouvoir transporter ce jeune Prince
en ce royaulme. Mais, de ces choses là et de toutes celles qui se
praticqueront par deçà contre vostre service, tant du costé de France
que d'Escosse, et aussy de Flandres, je ne fauldray de vous en donner,
à toute heure, le plus d'esclarcissement, et d'y mettre de moy mesmes
le plus d'empeschement, qu'il me sera possible, attandant qu'il vous
playse m'envoyer mon successeur; comme j'espère que, sur la très
humble et très raysonnable requeste que je vous en ay faicte, et sur
l'occasion d'envoyer visiter ceste princesse, à vostre nouvel
advènement, il vous aura pleu, avant partir de Lyon, en nommer
quelqu'ung, et luy commander de se tenir prest pour passer, icy,
aussytost que milord de North aura accomply sa légation par dellà; et
qu'il vous aura aussy pleu, Sire, (et la Royne, vostre mère, vous
l'aura recordé), de vous souvenir de moy en la distribution de voz
bienfaictz, affin qu'en contemplation des bons et fidelles services,
où j'ay actuellement continué, durant les troys règnes passez, et
soubz celluy heureux, où nous sommes à présent, cella me soit ung
commancement de récompense à la perte et pouvreté qu'ung chascun sçayt
et void que j'ay souffertz pour les fère. Et sur ce, etc.

    Ce XVe jour d'octobre 1574.



CCCCXIe DÉPESCHE

--du XXe jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Instructions données à lord de North.--Négociations avec
    l'Espagne.--Sollicitations des protestans de France auprès des
    Anglais.--Efforts faits pour entraîner Élisabeth dans la ligue
    avec l'Espagne, et l'exciter à faire mourir Marie
    Stuart.--Démarches auprès du prince de Condé.--Disposition où
    paraît être ce prince de demander à rentrer en
    grâce.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, parce que milord de North, estant à Douvre, a trouvé que la mer
estoit bien haulte, il n'a ozé incontinent s'y commettre, ains a
temporisé jusques au XIIIIe du présent qu'il s'est embarqué, et toutes
ses gens, dans ung des navyres de la Royne, sa Mestresse, pour passer,
le mesmes jour, à Bouloigne. Et j'estime que, de présent, il est à
Paris, et que bientost il sera devers Vostre Majesté, là où il a
charge, ainsy qu'on m'a adverty, de bon lieu, d'avoyr principallement
le cueur à quatre choses: l'une est de nother fort curieusement, et
par toutes les circonstances et conjectures qu'il pourra, si, en
vostre desir, Sire, y a quelque inclination de retenir, à bon escient,
ceste princesse et son royaulme en vostre amityé; la segonde est
d'approfondir si avez nulle secrette intelligence avec le Roy
d'Espaigne contre elle; la troysiesme, s'il vous reste beaucoup
d'affection à la restitution de la Royne d'Escosse; et la quatriesme,
qui sont ceulx à qui donnés plus de crédict et d'authorité près de
vous: car, sellon qu'il rapportera le certain ou le vraysemblable de
ces choses à la dicte Dame, elle a proposé de se ranger à une ou
aultre disposition vers Vostre Majesté.

Et cepandant elle faict passer, sur le commancement de la prochaine
sepmayne, son premier maistre des requestes, Me Wilson, en Flandres,
pour y renouveller, le plus qu'il pourra, l'ancienne amityé d'entre le
Roy d'Espaigne et elle, et arrester avec le grand commandeur une
assemblée à Bruges d'aulcuns grands et notables personnages, de dellà
et d'icy, à ce prochain mars, pour vuyder le différent des entrecours.
Et m'a l'on dict qu'il y va avec commission, laquelle a esté
secrettement recherché par les agentz d'Espaigne, d'ayder, en ce qu'il
pourra, au nom de sa Mestresse, à la paciffication du pays, comme
aussy le dict milord de North vous doibt exorter à celle de vostre
royaulme.

Et, à ce propos, Sire, l'ung de ceulx que j'ay mis après pour
descouvrir, parmy les ministres et les suppostz de la nouvelle
religyon, qu'est ce qu'ilz espèrent de secours, d'icy, en leurs
affères, m'a rapporté qu'ilz ne s'assurent encores de rien, parce
qu'on les a remis de leur donner résolution, après le retour de ces
deux ambassadeurs; dont craignent bien fort, si le dict de North est
receu avecques faveur de Vostre Majesté, et que le renvoyés contant,
et mandiés, par luy, quelque assurance de vostre amityé à la dicte
Dame, que difficilement impètreront ilz rien de mieulx d'elle, pour
leurs dicts affères en France que par le passé, ny, possible, tant
qu'ilz ont faict jusques icy; sinon, par advanture, qu'à la persuasion
des évesques, d'icy, ilz pourront abstreindre, par escrupulle de
conscience, la dicte Dame à fère, soubz main, ou dissimuler aulcunes
secrettes et légières assistances de ce royaulme, en faveur de sa
religyon, par dellà, pour ne l'y laysser opprimer, ou n'estre veue de
l'avoyr du tout habandonnée; et n'espèrent qu'elle face guyères mieulx
pour la Ollande. Vray est qu'ilz sont après à dresser de bien vifves
remonstrances pour l'induyre, comment que ce soit, à la ligue avec les
princes d'Allemaigne et avec les eslevez, et de se debvoir joindre
ouvertement à eulx, si Vostre Majesté délaysse la voye de paix pour
venir à bout de cest affère par les armes, et ont des argumentz
préparez pour luy imprimer de très grandes deffiances de Vostre
Majesté, trop plus que du Roy d'Espaigne, comme redoubtans vostre
fortune et voz effectz plus que les siens, parce que, en personne,
vous vous trouvez aulx affères, et il s'en tient loing; avec ce,
qu'ilz l'estiment assez engagé à la guerre du Turc; et si, prétendent
de ressuciter les mesmes machinations qu'ilz avoient cy devant contre
la Royne d'Escoce, pour la fère mourir, alléguans que c'est le seul
moyen d'esteindre la querelle que pourriés dresser par deçà pour
l'amour d'elle, et pour mettre fin à toutes les maulvaises querelles
qui se pourroient eslever en ce royaulme à son occasion; et que mesmes
ilz aspirent de fère entrer le petit Prince d'Escosse avec le comte de
Morthon dans la dicte ligue, jusques avoyr escript naguyères au Prince
de Condé de les envoyer visiter toutz deux, de sa part: duquel prince
toutesfoys ilz monstrent de n'espérer plus tant qu'ilz faysoient au
commancement, par ce, possible, que les princes d'Allemaigne n'ont
trouvé ung tel subject en luy comme ilz le s'estoient promis, qui
l'avoient jugé tout semblable ou peu dissemblable de feu Monseigneur
le Prince, son père, et peut estre qu'ilz y voyent ung peu de
manquement pour la surdité, et qu'il a de l'inclination à retourner
vers Vostre Majesté; et creignent assez, ce dict le mesmes advis, que
luy et le Sr de Laval s'y layssent persuader, dont ne seroit, par
advanture, mal à propos que Vostre Majesté les fît fort instamment
praticquer toutz deux.

Les choses d'Escosse demeurent tousjours en ce suspens que j'ay cy
devant escript, soubz la violente et avare domination du comte de
Morthon; et m'a lon dict que, depuis quinze jours, il a faict
constituer prisonnyers deux honnestes personnages que Mr de Glasgo et
Mr de Roz avoient envoyez par delà, et qu'il les a faictz conduyre en
sa mayson de Datquier. Je ne sçay si ce qu'il tirera de leur
déposition l'aygrira davantage, ou si les seigneurs du pays s'en
voudront esmouvoir. Sur ce, etc.

    Ce XXe jour d'octobre 1574.



CCCCXIIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas._)

  Défiances inspirées à Élisabeth à l'égard des projets du roi
    contre les protestans et contre l'Angleterre.--Conférence de
    l'ambassadeur avec l'envoyé du roi d'Espagne.--Projet du prince
    de Condé de se jeter dans le Languedoc.--_Avis à la
    reine-mère_. Conférence de l'ambassadeur avec Mr de Méru.


    AU ROY.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne pensât que l'occasion de
n'avoyr heu de voz nouvelles, depuis vostre arryvée à Lyon, provînt
d'ailleurs que de voz grandes occupations, j'ay envoyé fère aulcuns
honnestes complimentz vers elle, et pour l'assurer que bientost il me
viendroit quelque dépesche de Vostre Majesté pour luy en fère sçavoyr
de bien bonnes, et pour luy donner toute honneste satisfaction de
vostre part; ce qu'elle a eu très agréable: et l'ung de ses expéciaulx
conseillers m'a mandé que cest office estoit venu bien à propos pour
luy oster une fâcheuse impression, qu'on luy donnoit, de Vostre
Majesté, et ne m'en a pas déclaré davantage. Mais j'estime que c'est
ce que ung aultre m'a descouvert que, ayant naguyères esté tenue une
assemblée de conseil, en ceste ville, par ceulx de la nouvelle
religyon, pour pourvoyr à leurs affères, ilz ont, incontinent après,
faict semer, en ceste court, que par des lettres qui leur estoient
venues de dellà la mer, l'on les avoit seurement advertys que les
dellibérations du concille de Trante, contre ceulx de leur dicte
religyon, avoient esté renouvellées et confirmées ez mains de Vostre
Majesté passant par Italye; et que vous vous estiés obligé, Sire, à
Nostre Saint Père, et aulx princes et estatz catholicques, par
sèrement solennel, qu'aussytost qu'auriés, avec leur secours, pourveu
aulx troubles de vostre royaulme, et recouvert l'obéyssance de voz
subjectz, que vous entreprendriés la guerre contre ceulx de voz
voysins qui refuzeroient d'obéyr à l'église romayne; et oultre cella,
vous aviez faict résouldre, en vostre conseil privé, depuis vostre
arryvée à Lyon, que l'Inquisition seroit reçue en France, mais qu'ilz
s'assuroient bien que les courtz de parlement et le peuple, et les
meilleurs de vostre royaulme, sinon, par advanture, quelques
éclésiastiques, s'y oposeroient, et qu'indubitablement il sourdiroit
de là une très grande et généralle révolte, par laquelle la pluspart
des Catholicques prendroient lors les armes, sans estre attainctz de
rébellion, et les Huguenotz continueroient de les exécuter sans estre
arguez de maulvayse conscience. Et se sont efforcez de fère bien
mordre dans ce dernier poinct la dicte Dame, et ceulx de son conseil,
qui, à ce que j'entendz, y ont prins goust, comme au meilleur remède
de la peur où les aultres deux les mettent, craignantz infinyement que
le premier esclat ne tombe sur eulx. Et ont adjouxté que, d'ung bon
endroict, ilz estoient aussy advertys que Vostre Majesté me donroit
bientost charge de ouvrir, en termes honnestes et bien gracieulx, un
propos à la dicte Dame pour mettre en liberté la Royne d'Escoce; et
que si, dans une ou deux foys, elle ne vous y faysoit quelque responce
de satisfaction, que vous me feriés, puis après, parler plus rudement
à elle, et la sommer ouvertement de sa dellivrance ou que Vostre
Majesté se mettroit en debvoir d'y pourvoyr.

Lesquelles choses j'ay bien mis ordre, Sire, aussytost que j'en ay
esté adverty, qu'elle ne les ayt receues pour vrayes; néantmoins ilz
luy ont mis de poignantz escrupulles dans le cueur, et luy ont fondé,
sur cestuy dernier, leurs principalles remonstrances: qu'elle se
debvoit dépescher de sa cousine. Néantmoins j'espère qu'elle ne se
layrra encores conduyre à nulle dellibération qui vous puisse estre
préjudiciable, ny qui puisse interrompre, de sa part, l'amityé, que
premièrement elle ne voye comme il luy succèdera de la vostre.

Le Sr de Sueneguen lequel est demeuré, icy, agent pour le Roy
d'Espaigne, m'est venu visiter, et m'a bien voulu fère sentir qu'il
avoit beaucoup de contantement de ceste court, et de la disposition,
qu'il y voyoit maintenant bien bonne vers le Roy, son Maistre, et
qu'il pensoit avoyr beaucoup faict, pour son service et pour la
conservation de ses Pays Bas, de luy avoyr reconfirmé l'amityé de
ceste princesse. Et néantmoins il semble que le dict Sr de Sueneguen
ne rejette de communicquer avec les flammantz, qui sont refouys par
deçà, ny laysse, pour la faveur et support qu'on leur y faict, de
procurer tousjours que les affères de son Maistre y soient
pareillement favorisés et supportés. Et estime que c'est beaucoup, en
ce temps, de garder que l'on ne s'y déclare ouvertement contre luy.

Mr le vidame de Chartres est encores icy, tout prest pour partir au
premier bon vent. L'on me vient de dire qu'il court une nouvelle,
parmy ceulx de la nouvelle religyon, que Mr le Prince de Condé est
approché vers Genève, et qu'il a intention, n'ayant peu tirer des
forces, ainsy qu'il prétendoit, d'Allemaigne, de pénétrer, s'il peut,
avec ce qu'il a des siens, jusques en Languedoc, pour employer là sa
personne, et azarder sa vye à la deffense de sa religyon. Sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour d'octobre 1574.

   ADVIS, A PART, A LA ROYNE.

   Madame, aussytost que Mr de Méru a esté de retour en ceste
   ville, j'ai trouvé moyen de parler à luy, en lieu escarté, aux
   champs, parce qu'il n'a ozé venir en mon logis, et, non
   seulement je luy ay dict, mais je luy ay baillé à lyre ce que
   me commandiez luy fère entendre par la vostre, du XXVIIIe du
   passé; et y ay adjouxté toutes les meilleures raysons et
   persuasions que j'ay peu, pour l'induyre à se bien disposer
   vers ce que luy commandiez, lequel a monstré qu'il sentoit une
   grande consolation de la bonne opinyon qu'il vous playsoit
   avoyr de luy.

   Et m'a respondu qu'il supplioit Vostre Majesté se souvenir
   qu'il ne s'estoit absenté pour faulte qu'il eût commise, et
   qu'il prenoit Dieu pour juge de son cueur, et le Roy, et
   Vostre Majesté pour arbitres de ses euvres, s'il avoit jamays
   faict, ny dict, ny pensé chose qui vous deût offancer;

   Et qu'il n'avoit jamays eu praticque ny intelligence avec pas
   ung qui portât les armes contre le Roy, ains leur avoit esté
   très adversayre, fussent ilz ses proches parantz, ou non, et
   avoit esté très esloigné, comme il estoit encores, et seroit
   toute sa vye, de leur religyon, n'y n'avoit esté meslé en
   toutes les menées que vous aviez eues suspectes à la court;
   mais que, en une si grande deffaveur et ruyne, qui estoit
   inopinèment, et, comme il espéroit que se trouveroit, sans
   juste cause, suscités contre toutz ceulx de sa mayson, et
   contre son beau père, qu'il avoit bien voulu éviter ce grand
   orage, le mieulx qu'il avoit peu, attandant que le temps et la
   clémence de Voz Majestez leur fît à toutz reluyre quelque plus
   beau jour;

   Et que, considéré ce dessus, et qu'il n'avoit aulcune privée
   cognoissance avec les eslevez, ny avec pas ung de ceulx qui
   ont l'authorité parmi eulx, et qu'il sçavoit qu'ilz s'estoient
   pleinctz que, quand Mr de Montmorency avoit esté cy devant
   employé à leur fère poser les armes, ilz avoient esté lors les
   plus maltraictez, qu'indubitablement, s'il leur escripvoit à
   ceste heure, ilz se mocqueroient de luy, et de ses lettres, et
   qu'il ne pensoit poinct qu'il vous peût estre utille en cest
   endroict;

   Néantmoins que Vostre Majesté advisât en quoy et comment il
   pourroit estre si heureulx que d'employer sa personne et sa
   vye, et toutz ses moyenz pour le service de Voz Majestez, et
   qu'il n'avoit aultre affection, ny dévotion, que de vous
   rendre toute la plus parfaicte et très humble obéyssance qu'il
   luy seroit possible, me priant de le vous fère ainsy entendre,
   et de vous tesmoigner qu'il protestoit à Dieu, et le prenoit
   en comdempnation de son âme, que toutz ses déportementz, icy,
   ne tendoient qu'à honnorer et révérer Voz Majestez, et de
   publier vostre louange, et la réputation de voz affères, le
   plus qu'il luy estoit possible, et n'y mouvoir rien, qui peût
   estre contre vostre service.

   Et a monstré que, si je luy pouvois fornir d'ung passeport du
   Roy, ou qu'il vous pleût luy escripre quelque mot de lettre,
   qu'il vous dépescheroit incontinent ung des siens pour aller
   mieux comprendre vostre intention: qui est tout ce que j'ay
   peu tirer, pour ceste foys, de luy.

   Et, sur les aultres remonstrances que je luy ay faictes,
   touchant les ministres qui le visitent souvant, il s'est
   efforcé de m'y satisfère, mais je verray comme il s'y
   conduyra.



CCCCXIIIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour d'octobre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Mécontentement d'Élisabeth à raison du silence que
    garde le roi à son égard.--Présentation des lettres du roi par
    l'ambassadeur.--Satisfaction montrée par la reine.--Son desir
    de continuer l'alliance avec la France.--Conseils qu'elle donne
    au roi.--Difficulté qu'elle fait d'admettre les messages
    adressés à Marie Stuart et en Écosse.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, le XXVIe de ce moys, à Hamptoncourt, où, d'arrivée,
la Royne d'Angleterre m'a bien donné à cognoistre, assez ouvertement,
et avec ung peu d'apparat non accoustumé de magnificence et de
grandeur, devant la pluspart des siens, en sa salle de présence,
qu'elle ne pouvoit interpréter à nul signe de vostre bonne volonté
vers elle que, depuis vostre retour, elle n'avoit eu une seule
nouvelle, ny une lettre, ny mesmes une recommandation, de Vostre
Majesté, comme si teniez en fort petit compte son amityé. Mais, après
que je l'ay eue fort cordiallement saluée de vostre part, et que je
luy ay heu présenté vostre lettre, et desduict l'occasion de ce
retardement, sur voz très grandes occupations, avec d'aultres choses,
que j'ay estimé bien à propos de luy dire, de vostre bonne disposition
vers elle; elle a, tout aussytost, sans bouger du lieu, et devant le
mesmes concours des siens, changé de façon; et, d'ung visage fort
riant, et d'une contenance bien fort joyeuse, m'a exprimé l'ayse,
qu'elle sentoit en son cueur, de vous voyr entrer en ce bon chemin
d'amityé et de bonne intelligence avec elle.

Et, encor qu'elle se soit eslargye à me déclarer là dessus, sellon
que, de propos en propos, je l'y ay attirée, comme l'on l'avoit volue
intimider de beaucoup d'entreprinses qu'on luy avoit dict que vous
aviez contre elle, tant par les promesses, à quoy l'on vous y avoit
obligé, passant par l'Italye, à cause de sa religyon, que par la
perpétuelle instigation qu'on vous y donnoit maintenant en France, à
cause de la Royne d'Escosse; ainsy qu'aulcuns se vantoient, sellon
qu'on le luy avoit rapporté, qu'ilz vengeroient, à ce coup, le tort
qu'elle luy avoit faict de la détenir par deçà; elle néantmoins m'a
déclaré qu'elle s'arresteroit à ce que vous luy diriez et luy
promettriez, et ne recevroit impression aulcune qui peût estre
contrayre à cella, sinon qu'elle vît bien que la vérité de voz paroles
fût convaincue par l'effaict de voz œuvres; ce qu'elle ne vouloit
présumer, pour rien du monde, pouvoir jamays procéder d'ung prince si
excellemment qualifyé en toute preuve de vertu comme vous; et qu'il
n'y avoit pas deux heures, sçachant que je debvois venir, qu'elle
avoit reveu le dernier traicté de ligue d'entre le feu Roy, vostre
frère, et elle, et que, par l'ordre d'icelluy, vous debviez parler le
premier; dont en la forme que vous commanceriez, elle vous
respondroit, et, si vous monstriez d'avoyr en estime l'intelligence
d'elle et de son royaulme, elle se mettroit en debvoir d'honnorer
beaucoup la vostre, et celle de vostre couronne; et prioit Dieu qu'il
vous mît au cueur de vous fère aultant aymer comme il vous avoit donné
de quoy fère beaucoup priser et estimer vostre amityé, me voulant bien
dire, touchant la bonne lettre que luy aviez escripte, qu'elle la
tiendroit bien fort précieuse comme estant la première marque de
vostre bonne démonstration vers elle, et qu'elle dellibéroit de se
mettre en pareille bonne disposition vers vous, et y persévérer aussy
constamment qu'elle avoit faict vers le feu Roy, vostre frère, pourveu
que, comme luy, vous ne vous en départissiez; adjouxtant tout bas, et
me l'est venu dire, quasy en l'oreille, qu'il la failloit prendre
présentement, car, si l'occasion se passoit, elle seroit, comme la
mesmes occasion, qui ne se laysseroit jamays prendre puis après, et
que je creusse qu'elle estoit très instamment et sans intermission
recherchée, avec de grandz advantages, d'ailleurs; dont verroit comme,
de l'ung costé et de l'autre, les choses procèderoient pour elle et
son estat, car c'estoit la règle par où elle se vouloit gouverner; et
remercyoit Dieu qu'elle se trouvoit pourveue, pour tout évènement de
paix ou de guerre qui pourroit arriver.

Et m'a encores là dessus, et sur aulcunes aultres particullaritez,
qu'elle dict avoyr entendues de vostre court, faict ung plus ample
discours, auquel il seroit trop long de mettre, icy, ce que je luy ay
respondu; dont suffira que je vous dye, Sire, qu'elle a monstré de
demeurer de ma réplicque beaucoup satisfaicte, et pleyne de toute
bonne espérance. Et m'a confirmé, avec grande expression, que, si vous
luy faictes bientost voyr quelque effect bien fondé de vostre amityé
vers elle, que vous pourrez fère entier et perpétuel estat de la
sienne vers vous.

Puis, sur ce que je luy ay touché de celle bonne intention que vous
avez vers ceulx de voz subjectz qui s'estoient eslevez, et, s'ilz se
monstroient tels comme ilz debvoient envers vous, que vous dellibériez
d'estre entièrement tel vers eulx comme ilz le sçauroient desirer,
elle m'a respondu que vous aviez peu cognoistre par son ambassadeur,
et le cognoistriés davantage par milord de North, qu'elle ne desiroit
nullement ny le mal ny le trouble de vostre royaulme, et qu'elle
prioit Dieu que vous peussiez bien prendre le conseil de ceulx qui
droictement desiroient le bien de vostre grandeur, et l'establissement
de voz affères; en quoy, encor que ce fût ung poinct bien fort
enveloppé d'aultres apparances persuasives, qui avoient tant de
vraysemblable qu'à peyne permettoient elles qu'on les peût discerner
du vray mesmes, si espéroit elle que l'expérience, que vous aviez du
passé, conjoincte avec vostre vertu et prudence, vous y feroient voyr
plus cler que n'avoit jamays faict le feu Roy, vostre frère; duquel le
règne, par faulte de cella, n'avoit esté, pour luy et pour vous, et
pour la Royne vostre mère, et pour toutz ceulx de vostre couronne, et
encores pour les plus vaillantz et les meilleurs de vostre royaulme,
qu'ung perpétuel tourment, ny qu'une mort et une incomparable ruyne de
tout vostre estat; m'enchargeant bien fort de vous supplier très
affectueusement, de sa part, que vous y voulussiez approcher l'œil
de bien près: ce que non seulement je luy ay promis que je ferois,
ains luy ay bien fort gratiffyé, en vostre nom, son bon conseil et sa
bonne volonté.

Mais, quand je suis venu à la prier, de vostre part, qu'elle voulût
octroyer passeport à ung des miens, pour porter à la Royne d'Escosse,
et puis, au Prince d'Escosse, son filz, et au comte de Morthon, des
lettres que Vostre Majesté leur escripvoit, elle s'est incontinent
esmeue: et m'a dict que vous la debviez tenir à elle, pour beaucoup de
respectz qui ne vous estoient pas incognus, en trop meilleur compte
que la Royne d'Escosse, laquelle, quand bien se trouveroit régner en
ceste isle, ne vous y seroit jamays si bonne amye, ny n'auroit en tant
d'affection la conservation de vostre grandeur, comme elle avoit; qui
sentiriés mieulx cella, quand il playroit à Dieu y ordonner de la
mutation, et qu'elle s'assuroit que, lors, vous regretteriez amèrement
la Royne Elizabeth.

Et m'a récapitulé aulcunes de ces mesmes choses qu'elle m'avoit dict
qu'on l'avoit menacé, de cest endroict; mais je luy ay réplicqué que
Vostre Majesté n'avait peu fère de moins, sur les instances de
l'ambassadeur d'Escoce, et sur les remonstrances, qu'il vous avoit
faictes, des très anciennes et très estroictes obligations d'entre les
princes et les couronnes de France et d'Escosse, que d'uzer de cest
honneste compliment de lettres vers ceste pouvre princesse, qui estoit
vostre belle seur, vostre parante et vostre principalle allyée, de
laquelle vous ne debviez, ny vouliés aulcunement impugner les droictz,
et pareillement vers le Prince, son filz, et vers les seigneurs du
païs, qui estoient toutz voz confédérés; et qu'en cella, vous n'aviez
voulu fère sinon aultant que m'aviez commandé de luy en communicquer,
ce qu'elle debvoit interpréter en meilleure part que toutes les
aultres impostures qu'on luy avoit rapportées, et ne debvoit différer
l'octroy de passeport que luy demandiez; en quoy, s'il luy playsoit
bailler ung adjoinct à celluy que j'envoyerois, affin qu'elle demeurât
sans escrupulle, je m'assuroys que Vostre Majesté en seroit très
contante.

Là dessus, la dicte Dame s'est ung peu modérée, et m'a prié que je luy
donnasse ung peu de temps pour en communicquer à son conseil, et que,
bientost après, elle m'y feroit responce. Et m'ayant, sur deux aultres
poinctz que je luy ay remonstrez, touchant le peu de justice que voz
subjectz trouvoient par deçà, et touchant la faulce monoye qu'on
battoit en ceste ville, assez faict cognoistre qu'elle vous vouloit
beaucoup satisfère, elle m'a bien fort gracieusement licencyé. Et sur
ce, etc.

    Ce XXIXe jour d'octobre 1574.



CCCCXIVe DÉPESCHE

--du IIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Déclaration de Burleigh et de Leicester sur les intentions
    d'Élisabeth de renouer l'alliance avec la France, pourvu que le
    roi lui donne la ferme assurance qu'il veut maintenir le
    traité.--État des affaires en Écosse.--Eclaircissements sur des
    projets d'attentats dirigés contre la personne du roi.--Départ
    du vidame de Chartres pour l'Allemagne.


    AU ROY.

Sire, pour davantage recognoistre si le fondz de l'intention de ceste
princesse estoit semblable aulx bonnes responces qu'elle m'avoit
dernièrement faictes, quand je luy présentay vostre lettre, j'ay mis
peyne, sur l'occasion des aultres deux lettres, qu'avez escriptes à
ses deux principaulx conseillers, de négocier et fère négocier bien
estroictement, avec eulx, en termes si clers que je les ay contreinctz
de parler clèrement.

Et, en substance, il s'est recueilly de leur dire qu'ilz estiment que
leur Mestresse et eulx ont très juste occasion d'avoyr les
dellibérations qui se font près de Vostre Majesté, et les entreprinses
à quoy ilz voyent que Vostre Majesté se prépare, pour bien fort
suspectes, tant pour la source d'où ilz disent que dérivent voz
conseilz, qui est du Pape et du Roy d'Espaigne, et d'aulcuns des
vostres desquelz ilz ont une merveilleuse deffiance, que pour les
objectz qu'il leur semble bien qu'ilz vous pourront mouvoir
d'entreprendre contre ce royaulme pour la cause de la religyon, et
pour la détention, qu'on y faict, de la Royne d'Escosse; et que, là
dessus, ilz ne me veulent nullement dissimuler qu'ilz ne veillent, et
qu'ilz ne consultent, dilligemment et souvant, comme ilz pourront fère
que ceulx de leur dicte religyon ne souffrent tant de détriment,
ailleurs, que l'orage en puisse, puis après, venir fondre, icy, sur
eulx; et comme ilz pourront pourvoyr que les grands dangers, qu'ilz
ont tousjours jugé très imminentz à la Royne, leur Mestresse, et à son
estat, si elle ne se tenoit bien assurée de la Royne d'Escosse, ne luy
survenoient; et qu'en cella ilz ont réputé nécessayre, touchant le
premier poinct, d'en entendre l'advis de ceulx qui sont en mesme
cause, et en pareille condicion que eulx, et, par ainsy, d'en conférer
avec les princes protestantz; et, quand au second, de adhérer à ceulx
des Escossoys qui conviennent, mieulx que les aultres, avec le repos
de l'Angleterre; et, pour toutz les deux poinctz ensemble, ilz ont
estimé bon de renouveller les anciennes amityés, et en fère de
nouvelles et regaigner les perdues, le plus tost et le mieulx qu'il
leur seroit possible; mesmement qu'ilz estoient incertains à quoy
inclineroit Vostre Majesté, à vouloir ou ne vouloir poinct
l'intelligence de ce royaulme. Et néantmoins, encor que desjà il y eût
de ces choses qui fussent beaucoup advancées ailleurs, il y en avoit
aussy, et de plus importantes, qui restoient en suspens, pour attandre
l'évidence de voz actions; et qu'ilz ne doubtoient nullement, si,
après ceste bonne lettre qu'avez escripte à leur Mestresse, il vous
plaisoit luy fère voyr une suyte de vostre bonne intention, et de voz
bons effectz vers elle, qu'elle ne se disposât en si bonne sorte, vers
voz affères, que vous la trouveriez, à toutes occasions, preste de les
segonder, et de procurer l'establissement et le progrès de vostre
grandeur; et que, sans difficulté, elle vous accorderoit la
confirmation de la ligue, si la luy envoyés ainsi honnorablement
demander, comme le traicté monstre qu'il touche à vous de le fère;
mais qu'ilz me vouloient bien advertir qu'ilz ne la pouvoient
conseiller de demeurer longuement sur l'incertain, parce que la sayson
ne portoit qu'on se deût arrester à simples parolles: dont failloit
que j'advisasse de haster, le plus que je pourrois, ce qui se debvoit
establir entre vous.

Qui sont propos, Sire, fort conformes à ceulx que la dicte Dame m'a
tenus, aulxquelz je n'ay deffailly de suffizante réplicque; car la
matière et les bonnes raysons ont abondé de mon costé: et pense
qu'elles ont esté de quelque moment, et mesmement à divertyr le voyage
de Me Wilson en Flandres, aulmoins l'ont elles retardé. Mais, sur les
dictz propos, j'ay à dire à Vostre Majesté que, au retour de milord
de North, il se doibt fère, icy, une grande résolution des choses
appartenantes à ceste présente guerre, qu'ilz appellent de la
religyon, sellon que je sçay qu'on a prié des personnages allemantz,
qui sont prestz de partir, qu'ilz vueillent attandre jusques allors.
Dont semble qu'il est expédient, Sire, que la légation de Vostre
Majesté vers ceste princesse suive bientost, et sans intervalle, celle
qu'elle a faicte vers vous. Et de tant qu'elle et les siens sont
merveilleusement tendus sur le faict de la Royne d'Escosse, et encor
plus sur le faict des Escossoys, et qu'ilz veulent pourvoyr, par toutz
les moyens qu'ilz pourront, que ny la personne d'elle, laquelle ilz
ont en leurs mains, ny l'intelligence d'eux, qu'ilz pensent encores
mieulx posséder, ne leur eschapent, sellon qu'à présant ilz ne vivent
en peyne de nul aultre endroict, ayantz réduict l'Irlande, que de ce
costé là; et qu'ilz prétendent d'avoyr, s'il leur est possible, ou le
Prince ou quelque aultre grande chose en gage, pour garder que le pays
ne se destourne de leur dicte intelligence; il sera bon, Sire, que
pourvoyés, le plus tost que pourrés, que celle ancienne alliance,
conjoincte avec authorité, que voz prédécesseurs y ont tousjours
conservée, et qui est deue à vostre couronne, ne vous y soit en rien
diminuée; et qu'à cest effect, en desmellant les aultres choses avec
la Royne d'Angleterre, vous vous esclarcissiés encores avec elle de
ceste cy.

J'ay bien escript, depuis naguyères, à aulcuns seigneurs du pays,
mais, parce que ce a esté par voye secrette, je ne sçay quand j'auray
responce d'eux. Et me vient on d'advertyr qu'il y a grande apparance
que les armes y seront bientost reprinses, parce que quelque mylord y
a esté tué, qu'on dict estre le comte d'Athol; et que c'est le comte
de Morthon qui l'a faict fère; mais je n'ay encores bien la
vériffication de cella. L'on m'a desjà promis le passeport, icy, pour
envoyer voz lettres au jeune Prince d'Escosse et au dict de Morthon;
mais je me trouve en celle mesmes difficulté, que j'ay cy devant
mandée, que le dict de Morthon ne voudra recepvoir, ny mesmes
souffrir, qu'aulcun entre au païs, qui ayt adressé au dict Prince,
sinon comme à Roy, ny à luy, sinon comme à régent, et les lettres de
Vostre Majesté n'ont pas celle intitulation.

Et, au regard de l'autre lettre, qu'avez escripte à la Royne
d'Escosse, parce qu'on avoit desjà octroyé passeport au frère de son
chancellier, présidant de Tours, pour luy aller porter quelques
besoignes, lequel est encores icy, l'on a desiré que je fisse fère,
par luy mesmes, le message. A quoy, pour n'augmenter les escrupulles
de ceste princesse, lesquelz, par occasion nouvelle, qui a procédé de
la duchesse de Suffolk, se sont, puis peu de jours, rengrégés, oultre
la générallité de ceulx qu'elle a tousjours non petitz de Vostre
Majesté, je m'y suis condescendu.

Et, quand à esclarcyr davantage Voz Majestez sur l'advertissement de
prendre garde à voz personnes, j'ay singullièrement recherché de
ceulx, d'où cella estoit venu, de m'en dire la particullarité. Et ilz
m'ont séparément confirmé, qu'après qu'il se sceut, icy, que les
empeschementz qu'on croyoit fermement qui deussent retarder vostre
retour estoient ostez, qu'il y eut de ceulx qu'ilz appellent
Puretains, qui tindrent des propos fort meschantz et malheureux,
disantz qu'il n'importoit pas beaucoup que vous fussiez venu, car
bientost l'on verroit ung semblable jugement sur vous, et sur la
Royne, vostre mère, qu'on avoit veu sur le feu Roy, vostre frère; et
qu'il ne falloit destendre le tabernacle qui avoit esté dressé pour
ses obsèques, parce que l'on y auroit bientost à cellébrer les
vostres, et aultres motz tendantz à mesmes effect; de façon que,
s'estantz eulx donnés une grande peur du danger de Voz Majestez, ilz
avoient bien volu fère en sorte que je vous advertisse d'y prendre
bien garde, et que, quand ilz en entendroient davantage, et de plus
expécial, qu'ilz me le feroient incontinent sçavoyr. A quoy pouvez
croyre, Sire, que je n'auray l'œil et le cueur moins tendus, que si
c'estoit pour ma vye et pour le mesmes salut de mon âme.

Mr le vidame de Chartres s'est enfin embarqué, le XXXe du passé, avec
la pluspart de toutz ces françoys qui restoient icy, et est passé à
Fleximgues devers le prince d'Orange. Il m'a promis qu'estant là, et
lorsqu'il sera près du comte Palatin, où il prétend d'aller, il
s'efforcera de vous fère cognoistre qu'il a toute dévotion à vostre
service et à la paix de vostre royaulme; et que, de Hollande en hors,
il dépeschera ung des siens devers Vostre Majesté. Néantmoins l'on m'a
adverty qu'ainsy qu'il entroit dans son navyre, celluy Rua, que j'ay
cy devant mandé, qui estoit allé en Allemaigne, est arryvé, et qu'il
s'en est retourné avecques luy en Zélande; mais qu'il doibt bientost
revenir, et qu'on a entendu qu'il a dict que les choses se portoient
très bien, là où il avoit esté, ce qu'on juge estre qu'il y a des
forces prestes en Allemaigne pour ceulx de leur religion. Sur ce, etc.

    Ce IIIe jour de novembre 1574.



CCCCXVe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Entreprises diverses projetées par les Anglais contre les villes
    maritimes de la France.--Découverte d'une entreprise sur le
    Hâvre.--Surveillance qu'il importe d'exercer.--Protestation des
    seigneurs du conseil qu'ils ignoraient entièrement le projet de
    s'emparer du Hâvre.--Demande faite par l'agent du roi d'Espagne
    de son passeport.


    AU ROY.

Sire, je supplye très humblement la Royne, vostre mère, de se vouloir
souvenir comme, dès qu'il fut sceu par deçà que le retour de Vostre
Majesté en France estoit par l'Italye, je luy donnay advis que les
entreméteurs de ceulx de la nouvelle religyon, se deffiantz de pouvoir
obtenir telles condicions de paix comme ilz desiroient, s'estoient mis
à dellibérer de la continuation de la guerre, et, entre aultres
choses, de surprendre des places en Picardye et Normandye, le long de
la mer; et desjà ilz faysoient estat d'en emporter quelques unes, dont
estimois estre besoing qu'on renforçât les garnisons de Callays, de
Bouloigne, de Dieppe, du Hâvre et de Cherbourg, et qu'on advertît les
gouverneurs d'estre vigilantz à la garde de ces cinq villes, et
touchoys encore quelques mots de Brouage; dont, à peu de jours de là,
je fus infinyement ayse que Sa Majesté m'escripvît qu'elle avoit très
bien pourveu, non seulement à ces cinq places, mais à toutes les
aultres le long de la mer, jusques à Bourdeaulx. Qui pense, Sire, que
ceste sienne dilligence d'allors a servi beaucoup maintenant contre la
praticque, qu'on dict qui s'est descouverte du Hâvre de Grâce, de
quoy je loue et remercye Dieu de tout mon cueur.

Néantmoins je retourne advertyr Vostre Majesté qu'il est expédient de
refraychir, de rechef, ce mesmes advertissement aulx mêmes
gouverneurs, et renforcer leurs garnisons, tant pour la conservation
de leurs places, et pour ne laysser occasion quelconque à ceulx de
dehors d'y entreprendre, que pour garder que, au dedans du pays, ne se
face aulcun mouvement; car voicy, Sire, ce que l'ung de ceulx, que
j'ay mis après à observer les ministres, m'a rapporté, que aulcuns
d'eulx se sont desbouchez de dire que Vostre Majesté seroit bientost
travaillé de plus d'endroictz qu'elle ne pensoit; et qu'ilz avoient de
leurs amys, gens de bonne mayson, et aultres, en Picardye, qui, du
premier jour, se déclareroient ouvertement pour eulx, et que les
restes de Normandye, qui n'estoient encores toutes mortes, ne
manqueroient pas de leur costé, et, possible, de telz d'où l'on
n'avoit encores ouy parler; et que ce ne seroit, sans qu'ilz se
fissent maystres de quelque bonne place d'importance, où ilz
pourroient recevoyr le secours, car c'estoit de quoy ilz se debvoient
principallement efforcer, pour induyre les Angloix de favorizer leurs
entreprinses. Et disoient davantage qu'il estoit résolu qu'on
tiendroit ung bon nombre des navyres de guerre angloix, et de ceulx de
Hollande, en Brouage, et qu'on recepvroit leurs gens dans le fort,
affin qu'ilz se peussent tenir plus assurez de leurs vaysseaulx; et
que les mesmes ministres avoient remonstré à ceste princesse, qu'en la
présente occasion, où elle voyoit bien qu'il y alloit de l'entière
extermination, ou de l'establissement, pour jamays, de sa religyon, et
le semblable de l'estat de sa couronne, elle ne debvoit refuzer d'y
mettre, à bon escient, la main, et se préparer à quelque belle
entreprinse par dellà, comme de s'impatronir de quelque bonne place,
et la bien pourvoyr, ou bien envoyer joindre ses forces à celles
qu'elle y verroit bientost en campaigne; car pouvoit considérer que
les vostres seroient bien fort retardées en Languedoc, et beaucoup
diminuées, avant que Nymes et Montaulban, après les aultres moindres
places, fussent prinses; et que la Rochelle, si vouliés entreprendre
de la forcer, vous ruyneroit plus d'hommes et vous consommeroit plus
d'argent et de monitions de guerre, que n'avoit faict l'aultre foys;
et que la trouveriez, à ceste heure, plus imprenable que ne fîtes au
premier siège, parce qu'ilz avoient mieulx pourveu de garder les
advantages de la mer, qu'ilz n'avoient eu, lors, ny le temps, ny le
moyen de le fère; et quand la dicte Dame n'en debvroit rapporter
aultre prouffict que d'entretenir la guerre par dellà, et garder
qu'elle ne passât, icy, en son royaulme, et ne laysser succomber, du
tout, sa religyon, ce luy seroit ung très grand bien et une réputation
immortelle.

Sur quoy, Sire, je retourne supplier très humblement Vostre Majesté de
pourvoir à ces deux coings, de Picardye et Normandye, qui regardent
ceste mer, et commander de fère quelque effort à reprendre Brouage,
pendant qu'il n'est encores ny si bien fortiffié, ny si bien muny, ny
en telle deffance, comme l'on prétend bientost de le mettre. Qui ay
opinyon que c'est la plus salutayre entreprinse qui se pourroit fère
du costé de la Guyenne; bien que je ne pense pas que, désormays, ceste
princesse se laysse aller à toutes les persuasions des dictz
ministres, et que mesmes nous leur pourrons rabattre une bonne partye
de leurs plus aspres dellibérations, si renvoyés aulcunement bien
satisfaict son milord de North, sellon que je l'ay remise, et les plus
authorisez de son conseil, en trein de renouveller et confirmer très
estroictement la ligue avec Vostre Majesté. Et ay convié iceulx
seigneurs du conseil à disner, le jour de St Martin, en mon logys,
pour y fère la conjouyssance de l'heureux retour de Vostre Majesté, et
pour aultres bons effectz; qui m'ont toutz promis d'y venir
volontiers, ayant bien voulu cependant toucher à aulcuns d'eulx que
Vostre Majesté sentiroit grandement ceste trame qu'on avoit menée sur
le Hâvre, laquelle on disoit procéder en partie de deçà, ce qu'ilz
m'ont aussytost très fermement contredict, et qu'elle n'en venoit
nullement. A tout le moins me vouloient ilz, et mesmement le comte de
Lestre, assurer, à peyne de reproche, et d'estre estymé, luy, le plus
infâme et desloyal gentilhomme qui vive, si la Royne, sa Mestresse, ny
pas ung de son conseil, ny de sa court, ny mesmes ung seul angloix, y
participoit; car, pour ceste heure, leurs dellibérations ne tendoient
à rien de semblable. Le Sr de Sueneguen, agent du Roy d'Espaigne,
voyant que le voyage de Me Wilson s'alloit retardant, et
réfroidissant, de jour à aultre, a faict semblant qu'il avoit obtenu
congé du grand commandeur de Castille pour se retirer, dont est allé à
Ampthoncourt se licencier de ceste princesse, en espérance qu'elle le
prieroit de demeurer. Je ne sçay ce qu'elle fera; tant y a qu'il m'est
venu dire adieu, avant d'aller au dict Ampthoncourt, comme pour
publier davantage sa retraicte. Sur ce, etc.

    Ce VIIIe jour de novembre 1574.



CCCCXVIe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.--Déclaration
    qu'Élisabeth est avertie que le roi a résolu de lui faire la
    guerre.--Complète réconciliation de la reine d'Angleterre avec
    le roi d'Espagne.--Affaires d'Écosse.--Nouvelles répandues à
    Londres des succès remportés par les protestans en
    France.--_Avis à la reine-mère._ Plainte d'Élisabeth de ce que
    le roi et la reine-mère lui auraient voué une haine
    implacable.--Justification faite par l'ambassadeur à raison de
    ce reproche.--Description d'un phénomène maritime survenu à
    Londres.


    AU ROY.

Sire, entendant que la Royne d'Angleterre avoit faict assembler ceulx
de son conseil, sur une dépesche qu'elle avoit receu d'Allemaigne, et
sur troys aultres qui luy estoient venues, coup sur coup, du costé de
France, les deux de son ambassadeur résidant, et la troysiesme de
milord de North, avant qu'il outrepassât Paris; et encores sur ce que
luy avoit rapporté ung courrier freschement retourné d'Escosse; et
que, là dessus, les ministres, et, incontinent après eulx, le Sr de
Sueneguen avoient esté devers elle; je n'ay peu demeurer longtemps
sans m'esclarcyr des escrupulles que tout cella m'avoit engendré. Qui,
pour ne vivre en plus de peyne, ay trouvé moyen de parler, à part, et
bien au long, avec le comte de Lestre, et l'ay curieusement examiné
si, de nul costé, estoit survenue occasion qui eût admené du
changement en la bonne dellibération où me sembloit naguyères avoyr
layssé la Royne, sa Mestresse, et eulx toutz, vers les présentz
affères de Vostre Majesté.

Lequel m'a respondu en somme que, de divers endroicz de la
Chrestienté, la dicte Dame estoit admonestée de se préparer à la
guerre, parce que vous aviez proposé de la luy fère, et que de cella
l'on luy admenoit tant d'argumentz et de raysons apparantes qu'il me
confessoit qu'elle ne sçavoit à quoy s'en tenir; et que ceulx, qui
mettoient peyne de ne la laysser aller à ceste persuasion, n'avoient
qu'y pouvoir opposer, sinon la seule parolle, que je leur avoys
donnée, de la bonne intention de Vostre Majesté vers elle; et que le
dict comte et quelques autres, qu'il ne me vouloit pas nommer,
s'estoient formalizés, pour moy, de dire qu'ilz ne m'avoient encores
jamays veu négocier à faulces enseignes, ny sans que j'eusse charge
bien expresse et bien fondée de tout ce que je disois, et qu'il
m'assuroit que la dicte Dame demeuroit encores fermement résolue
d'attendre l'évidence de voz effectz vers elle; et que, si elle les
cognoissoit bons et pleins d'une vraye et non feincte amityé,
qu'indubitablement elle vous uzeroit d'une très ferme correspondance,
et vous pourriez assurer d'avoyr en elle la plus entière et parfaicte
de toutes les amies, qu'ayez au monde; et, au contrayre, aussy, si
vous la provoquiez, que nulle, en toute la terre, vous seroit plus
mortelle, ny plus irréconciliable ennemye, qu'elle; et que, pour le
présant, il me pouvoit jurer que, non seulement des ouvertes
dellibérations de la dicte Dame, mais des plus secrettes, qui se
fissent dans son cabinet, Vostre Majesté avoit occasion d'en demeurer
très contant, et mesmes d'en sentir beaucoup d'obligation à elle; et
qu'il desiroit que, bientost après le retour de milord de North,
Vostre Majesté envoyât quelque personnage d'honneur et bien choisy par
deçà; car espéroit qu'il vous rapporteroit toute satisfaction, ne me
voulant toutesfoys dissimuler que sa Mestresse estoit en très bons
termes avec le Roy d'Espaigne, mais que cella n'empescheroit qu'elle
ne fût encores en meilleurs avec vous.

Et de ceste mesme substance ont esté les responces d'aulcuns aultres
de ce conseil avec lesquelz j'ay envoyé négocyer; ayant à vous dire,
Sire, touchant ce dernier poinct, que m'a touché le comte de Lestre,
de la réconciliation avec le Roy d'Espaigne, que le Sr de Sueneguen,
estant naguyères à Amptoncourt, a tant faict que, bien qu'on ne l'ayt
beaucoup prié de résider davantage par deçà, il a néantmoins obtenu
que la légation du mestre des requestes, laquelle avoit esté
interrompue, s'effectueroit présentement; et mesmes j'entendz qu'ilz
passent aujourdhuy la mer, de compagnye, pour aller trouver le grand
commandeur de Castille. A quoy a bien aydé certain advis, qui est
freschement arryvé, par chiffre, de Bruxelles, à Mr Walsingam, comme
la paix se va fère aulx Pays Bas.

J'ay retiré, avec assez de difficulté, ung passeport, signé de huict
de ce conseil, pour envoyer ung des miens porter les lettres de Vostre
Majesté en Escosse; mais je suis tousjours en peyne de ce que j'ay
mandé, par mes précédantes, que le comte de Morthon ne voudra, en
façon du monde, recepvoir personne qui n'ayt addresse au Prince
d'Escosse comme à Roy, et à luy comme à régent. Dont attandray encores
le segond commandement de Vostre Majesté là dessus. Et vous diray
cependant, Sire, que j'ay faict une négociation, depuis huict jours,
en quelque endroict de ce royaulme, par laquelle j'espère qu'il sera
mis assez d'empeschement à celle tant chaude praticque, qu'on menoit,
d'avoyr le dict jeune Prince d'Escosse par deçà, et que les picques,
qu'on nourrissoit entre ceste princesse et la Royne d'Escosse,
demeureroient pour la pluspart esteinctes. Du Rua n'a point encores
esté renvoyé par le vidame, et sont, toutz deux, avec le prince
d'Orange. Ce qu'il a publié, que les affères alloient bien, de là où
il venoit, semble avoyr esté plus dict à artiffice, pour le cuyder
ainsy fère acroyre, que pour la vérité. Car l'on a, depuis, remarqué
que les ministres ont esté fort troublés du peu d'espérance, qu'il
leur a donnée, que les forces d'Allemaigne vueillent marcher pour
eulx, s'il n'y a du contant, ou assurance de plus grand somme, qu'ilz
n'ont moyen, pour encores, de fournir, ny de bailler respondant. Et
vouloit le dict Rua destourner le vidame de n'aller poinct par dellà,
l'assurant qu'il n'y advanceroit rien. Néantmoins les ministres, pour
maintenir, par ung aultre endroict, leurs affères en réputation,
publient que Mr le maréchal Dampville s'est ouvertement déclaré pour
eulx, et qu'il s'est saysy de Beaucayre, Montpélier, Aygues Mortes et
Narbonne; et que le cappitaine Montbrun a deffaict sept enseignes de
gens de pied de Vostre Majesté, et qu'à Lusignan, ceulx de dedans ont
faict une si brave sallye, qu'ilz ont mis en roupte tout le camp de Mr
de Montpensier: et s'y mesle, je ne sçay quoy, de Mr de Savoye, ez
dictz propos, que je n'ay encores bien comprins. Sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de novembre 1574.

   ADVIS, A PART, A LA ROYNE.

   Madame, en ceste conférance, que j'ay eue avec le comte de
   Lestre, oultre les propos que je déduictz en la lettre du Roy,
   vostre filz, qu'il m'a tenuz, il m'a dict davantage que la
   Royne, sa Mestresse, ne se pouvoit donner, à ceste heure, tant
   de repos, du costé de France, comme elle avoit faict jusques
   icy, parce qu'on luy avoit révellé que Vostre Majesté ne
   l'aymoit nullement, et que toutes ces honnestes
   démonstrations, dont uziés vers elle, n'estoient que pour
   l'entretenir, pendant que le Roy, vostre filz, et Vous,
   estiés bien empeschés ailleurs; mais que, toutz deux, luy
   gardiés une dangereuse pensée, pour l'effectuer, quand le
   temps vous y pourroit servir;

   Néantmoins qu'elle résistoit fort à ceste persuasion, et
   desiroit, plus que chose du monde, qu'elle peût cognoistre
   qu'il en alloit aultrement, car, si elle se pouvoit bien
   assurer de vostre droicte amityé, encor qu'elle se sentît bien
   avoyr des ennemys près du Roy, néantmoins elle n'auroit plus à
   estre ny en difficulté, ny en doubte, d'aulcune chose de
   dellà.

   Sur quoy j'ay admené au dict sieur comte la pluspart des
   évènementz, qui ont apparu en la Chrestienté, depuis que
   Vostre Majesté manye les affères de France jusques à
   maintenant; et que l'ordre et succez d'iceulx avoit bien peu
   fère voyr à la Royne, sa Mestresse, que, oncques, il ne luy
   estoit advenu de rencontrer une si constante amye, ny sy
   persévérante, en toutes occasions, comme Vostre Majesté luy
   avoit toujours esté.

   Et l'ay pryé qu'il voulût bien remarquer cella pour en rendre
   capable sa Mestresse, et pour la mettre hors de ceste faulce
   et fascheuse impression qu'on luy avoit voulu donner. Ce qu'il
   a monstré de beaucoup gouster, et m'a promis de fère en sorte
   que sa Mestresse le gousteroit, et s'en contanteroit.


   Et me remettant, Madame, pour ceste foys, de toutes aultres
   choses au contenu de la lettre du Roy, vostre filz, je
   adjouxteray seulement, icy, une nouveaulté qui est arrivée, en
   ceste ville, le VIe de ce moys, qu'après la première marée du
   matin, ainsy que l'eau commançoit à baysser, une aultre marée
   est soubdain revenue, qui a remonté: et est venue si haulte
   qu'elle a inondé bien avant dans le pays, chose que ceulx cy
   ont prinse pour un grand présage et y donnent diverses
   interprétations.



CCCCXVIIe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet._)

  Conférence de l'ambassadeur avec les seigneurs du
    conseil.--Retour en Angleterre du frère de lord de
    North.--Nouvelles de la Rochelle.--Mécontentement d'Élisabeth
    contre la comtesse de Lennox, au sujet du mariage de son fils
    avec la fille du comte de Schrewsbury.--Défense qui lui est
    faite de continuer son voyage en Écosse.--Nouvelles de ce
    pays.--_Avis à la reine-mère._ Conférence de l'ambassadeur avec
    Walsingham.


    AU ROY.

Sire, les sept premiers et principaulx du conseil d'Angleterre, avec
d'autres seigneurs de ceste court, sont venuz, le jour de St Martin,
prendre leur dîner en mon logys, et Mr de Walsingam, qui estoit l'ung
d'eux, m'a dict qu'il avoit charge de me fère les recommandations de
la Royne, leur Mestresse, et m'assurer qu'encor qu'elle fût absente
elle desiroit de communicquer, aussy bien que eulx, qui estoient
présentz à ceste conjouyssance, que je cellébroys, de l'heureux retour
de Vostre Majesté; et que, non seulement elle leur avoit volontiers
donné licence d'y venir, ains avoit prins grand plésir de voyr que,
allègrement et fort vollontiers, ilz y venoient. Pour laquelle
honneste démonstration d'elle, j'ay pryé le Sr de Walsingam de luy
dire que, mille et mille foys, je luy baysois très humblement les
mains, et que je ne fauldroys de le signiffyer à Vostre Majesté. Et
vous puis dire, Sire, quand à iceulx seigneurs du conseil, qu'il n'y
en a eu pas ung qui n'ayt mis quelque honneste propos en avant pour
honnorer vostre valeur et vertu, et pour cellébrer les rares et
excellantes qualitez que Dieu a mis en vostre personne; monstrans ung
singullier desir que l'amityé puisse continuer, bonne et droicte,
entre Vostre Majesté et la Royne, leur Mestresse, avec une bonne et
parfaicte intelligence entre voz deux royaulmes.

Sur quoy je leur ay remonstré que c'estoit de eulx mesmes que
principallement avoit à dépendre le succez de ce grand bien, parce
qu'ilz guidoient les intentions de leur Mestresse, et régloient les
actions de ses subjectz; et que je les priois qu'à l'appétit et
persuasion d'aulcuns, qui se faisoient, à crédit, et sans aulcune
juste occasion, eulx mesmes malcontantz, ilz ne voulussent dellibérer
chose aulcune, ny en dissimuler nulle aultre, par deçà, qui peût
susciter de l'altération en ceste bonne amityé: car pouvoient penser
que ce ne seroit par injures et déplaysir, ains par honnestes
gratiffications, et mutuelles bénefficences, que la dicte amityé se
rendroit perdurable.

Ilz m'ont répliqué que pleût à Dieu que toutz ceulx de vostre conseil
fussent d'aussy bonne intention vers la dicte amityé, et aussy promptz
de la vous persuader, comme ilz la desiroient de leur part, et
estoient prestz de la conseiller toujours à leur Mestresse; et
qu'encor que, quelquefoys même, ilz ne le vouloient pas nyer, ilz
prêtassent l'oreille aulx malcontantz, sellon qu'il n'estoit pas
expédient de la leur fermer du tout, si me prioient ilz de croyre
qu'ilz sçavoient assez bien comme s'excuser, et se couvrir de leurs
importunitez, et qu'en effect vous ne trouveriez que toute bonne
correspondance en leur Mestresse, et en eulx, et en tout ce royaulme,
pour veu qu'ilz peussent cognoistre de la disposition bonne en Vostre
Majesté.

J'ay à eulx toutz, en général, et encores à quelques ungs, en
particulier, aprofondy davantage ce propos, parce que, le jour
précédant, estant la nouvelle, dont j'ay faict mencion en la fin de ma
dernière dépesche, arrivée, j'eus advertissement que Me Quillegreu,
lequel est assez dilligent de brouiller tousjours les affères, estoit
aussy allé trouver Mr de Méru, et avoit assemblé les plus aspres
ministres chez luy, et puis l'avoit mené à Amtoncourt. De quoy
m'estant imprimé beaucoup de souspeçon, j'ay bien voulu tout clèrement
la leur descouvrir, mais ilz m'ont pryé de n'estre en peyne, et n'en
vouloir encores donner, de cest endroict, à Vostre Majesté; car vous
estiez en très bons termes avec la Royne, leur Mestresse, pour
establir une mutuelle et très ferme assurance entre vous, et que
pourtant il se failloit bien garder de ne rien précipiter.

Et s'en estantz, le jour d'après, iceulx seigneurs tournez vers leur
Mestresse, ilz ont trouvé que le frère de milord de North estoit
arrivé, lequel, en passant, a tenu à ceulx de ses amys, qu'il a
rencontrez en ceste ville, plusieurs propos de fort grande
satisfaction, du lieu d'où il venoit. Et j'ay aussytost envoyé en
court, pour observer, au vray, le rapport qu'il y feroit.

Ceulx de la Rochelle ont faict une fort ample dépesche aulx ministres
et aultres de la nouvelle relligyon, qui sont icy, du XIIIIe du passé,
par où j'entendz qu'ilz monstrent de desirer la paix, et qu'ilz ont,
au retour de Roger, vostre valet de chambre, que leur aviez envoyé,
dépesché incontinent le Sr de Bessons vers Vostre Majesté; et
néantmoins, pour n'espérer telles condicions de seureté, ny tant
d'exercisse de leur religyon comme ilz desireroient, ilz remonstrent
qu'ils font cepandant grand dilligence de se munir, par terre et par
mer, et de pourvoyr leur ville, pour soubstenir la guerre; et
sollicitent ceulx de deçà de leur moyenner du secours pour le
besoing, et de leur envoyer des armes et des pouldres, et aultres
monitions. En quoy je mettray peyne de leur y estre le plus oposant
qu'il me sera possible. Les dictz ministres font un grandissime cas de
la conversion du Sr Dampville, et disent qu'il a de grandes forces
aulx champs, qui marchent pour eulx, et beaucoup de bonnes et fortes
places à sa dévotion. Et m'a l'on confirmé, qu'ilz continuent de
mesler Mr de Savoye fort avant au discours de ces choses; et que
bientost l'on me sçaura dire en quelz propres termes ilz en parlent,
dont je ne fauldray d'en advertyr incontinent Vostre Majesté.

Il est advenu que la comtesse de Lenox, faysant son voïage vers le
North, s'est rencontré avec la comtesse de Cherosbery, et a moyenné,
pour le jeune comte de Lenox, son filz, le mariage de la fille de la
dicte comtesse, bien qu'elle en fût en termes avec la duchesse de
Suffolk, pour le filz de la dicte duchesse; et ont passé oultre à fère
les nopces, sans attandre la volonté de la Royne d'Angleterre;
laquelle s'en trouve si offancée qu'elle a contremandé la dicte
comtesse de Lenox et son filz; et pense l'on qu'elle les fera mettre
dans la Tour. Duquel évènement je suis, d'ung costé, bien ayse, parce
que le voïage de la dicte comtesse demeure interrompu, et qu'elle
n'yra poinct en Escosse; et, d'ailleurs, je crains qu'ayant faict
amityé avec la comtesse de Cherosbery, elle la rende ennemye de la
Royne d'Escosse.

J'ay sceu que, en Escosse, les choses se maintiennent encores assez
paysibles, et que le comte d'Athol, qu'on disoit avoir esté tué, se
porte bien, et n'a eu nul mal; et que le comte de Morthon a esté fort
malade, mais qu'à présent il est guéry, et qu'encor qu'il continue de
se fère haïr, il se faict néantmoins tousjours craindre et obéyr. Sur
ce, etc. Ce XVIIe jour de novembre 1574.

   Je viens de recepvoyr vostre pacquet, du dernier du passé,
   sellon lequel Me North a grande occasion de bien cellébrer la
   faveur et bon traictement, que milord de North, son frère, a
   receu de Vostre Majesté.


   ADVIS A PART, A LA ROYNE.

   Madame, je racompte sommayrement, en la lettre du Roy, ce qui
   s'est passé avec les seigneurs de ce conseil, quand je les ay
   festoyés, le jour de St Martin, en mon logis; et adjouxteray
   davantage que, le mesmes jour, j'ay tiré, à part, Mr de
   Walsingam pour luy dire que Voz Majestez Très Chrestiennes
   avoient plus de plésir de son advancement, et de le voyr
   monter en authorité, en ceste court, que de gentilhomme qui
   fût en Angleterre, pour la bonne opinyon qu'aviez conceue de
   sa vertu et de sa suffisance; et n'y avoit qu'une seule chose
   qui vous mît en suspens de luy, c'est que vous l'aviez ung peu
   cognu extrême au faict de sa religyon, dont creigniez qu'il se
   formalizât, et qu'il se rendît plus parcial, qu'il n'estoit
   besoing, près de la Royne, sa Mestresse, pour ceulx qui
   s'estoient eslevez en vostre royaulme.

   En quoy j'estois bien ayse qu'il eût gousté, depuis qu'il
   estoit dans ce conseil, mieulx qu'il n'avoit faict auparavant,
   les poinctz qui appartiennent à la souverayne authorité d'ung
   prince, pour considérer qu'ayant le Roy, vostre filz, premier
   que de venir à la couronne, exposé mainte foys et azardé fort
   courageusement sa propre personne pour la religyon
   catholicque, c'estoit bien tout ce qu'avec sa réputation il
   pouvoit fère, pour ceulx de l'autre religyon contrayre, que de
   leur octroyer l'entière restitution de leurs biens, la seureté
   de leurs personnes, et la liberté de leurs consciences; et
   que, si, dorsenavant, sa Mestresse et ceulx de son conseil
   favorisoient leur opiniastreté, ny pareillement celle des
   malcontantz qui leur voudroient adhérer, qu'il failloit
   qu'elle et eulx confessassent de soustenir ung très maulvais
   exemple de rébellion, dans l'estat du Roy, qui seroit,
   possible, quelque jour, de très grand préjudice au leur.

   A quoy il m'a respondu qu'il baysoit très humblement les mains
   de Voz Majestez, et qu'en mettant toute la peyne, qu'il
   pourroit, d'honnestement s'employer près de la Royne, sa
   Mestresse, pour vostre service, il s'efforceroit d'esgaller
   ses actions à la bonne opinyon qu'il vous playsoit avoyr de
   luy; et qu'il ne voyoit pas que la dicte Dame ny les siens
   eussent à se formalizer beaucoup pour les eslevez de vostre
   royaulme, si leur octroyés, ou ne leur octroyés poinct, tout
   ce qu'ilz demandent de leur religyon; et que, sellon son
   advis, s'ilz obtenoient de leur prince l'entière liberté de
   leur conscience, qu'ilz debvoient, attandant mieulx, louer
   Dieu, et se contanter; mais qu'il y avoit bien aultre chose
   qui mouvoit sa Mestresse, c'estoit de voyr que toutes les
   dellibérations du Roy, vostre filz, s'alloient formant par ung
   conseil qu'elle avoyt très suspect, et que, si ne luy faisiés
   cognoistre qu'elle peût establir très confidemment une bonne
   intelligence avec Voz Majestez mesmes, sans danger d'estre
   interrompue par ceulx qu'elle a opinyon que ne la voudroient
   pas, qu'il me vouloit librement dire que vous ne trouveriez
   jamays que meffiances et difficultez, et très grandes
   escrupulles, du costé d'elle.

   Et bien que je me soys efforcé de luy rabatre ceste sienne
   impression, comme très mal fondée, il a monstré d'entendre si
   parfaictement tout ce qui dépandoit de ce poinct, et toutes
   les circonstances d'icelluy, que je n'en ay peu tirer aultre
   chose, sinon que, pour la fin, il m'a dict qu'il supplioyt
   très humblement Voz Majestez de croyre que, estant
   parfaictement angloix, nul seroit jamays meilleur françoys, en
   Angleterre, que luy; et que bientost il reviendroit en ceste
   ville, tout exprès, pour me visiter, et pour conférer
   privéement de toutes choses avecques moy.



CCCCXVIIIe DÉPESCHE

--du XXIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Satisfaction d'Élisabeth à raison de l'accueil fait en France à
    lord de North, son ambassadeur extraordinaire.--Desir des
    protestans du Poitou et de la Rochelle de faire la
    paix.--Description de phénomènes atmosphériques survenus en
    Angleterre.


    AU ROY.

Sire, j'entends que, de la lettre que milord de North a escripte, et
du rapport que son frère a faict, il demeure ung très grand et
souveraynement bon tesmoignage de Vostre Majesté en ceste court, et
que toutz deux ont loué bien fort à la Royne, leur Mestresse,
l'honnorable façon de laquelle il vous a pleu recepvoyr sa légation;
et vous ont attribué, sur ce qu'ilz ont peu comprendre de la gravité
de voz responces, et de la dignité de voz actions et de vostre royalle
personne, toutes les excellantes et plus belles parties qui se
pourroient desirer en ung prince. De quoy aulcuns eussent bien voulu
qu'ilz eussent moins dict, et moins escript, et qu'ilz eussent
espargné la vérité; mais ilz ont parlé droictement, et si, ont fort
assuré qu'aviez bonne inclination à la paix, et que néantmoins vous
n'obmettiez une de toutes les provisions qui estoient nécessayres pour
une bien forte guerre; en quoy toutes choses vous y alloient, de jour
en jour, succédant sellon vostre desir. Bien est vray qu'ilz avoient
opinyon que, de la déclaration de Mr Dampville vous pourroit survenir
des difficultez nouvelles, et non petites, en la dicte guerre, et du
retardement beaucoup en la paix, toutesfoys qu'ilz avoient cuydé
sentir que ceulx de la nouvelle religyon ne se fioient que bien à
point de luy, et qu'ilz creignoient que, pour retirer son frère aysné,
et fère revenir ses aultres frères, et accomoder ses affères, il
pourroit bien entreprendre de vous fère quelque extraordinaire service
à leurs despens.

Sur quoy il m'a esté mandé que la dicte Dame avoit seulement respondu
qu'elle s'estoit toujours bien attendue, que vous uzeriés de quelque
bonne démonstration vers elle, mais non de si grande et si pleyne
d'honneur et de faveur, comme aviez faict en l'endroict de son
ambassadeur, dont elle vous en avoit beaucoup d'obligation; et qu'elle
se resjouyssoit bien fort qu'eussiez la volonté d'amortir ces
émotions de vostre royaulme par la voye de douceur, sellon qu'elle
réputoit estre une chose trop plus heureuse que recouvrissiez de voz
subjectz, avec leur amour et bienveillance, en leur donnant la paix,
l'obéyssance naturelle et parfaicte qu'ilz vous doibvent, que si, par
une définition de guerre, vous ne regaignés sur eulx que une
domination pleyne de terreurs, d'espouvantement, et d'indignation
cachée dans leurs cueurs; et qu'au reste elle vouloit suspendre son
jugement du faict de Mr Dampville jusques à ce qu'elle en sceût mieulx
la vérité. Et j'estime, Sire, que les choses demeureront en cest estat
jusques au retour de milord de North, lequel l'on espère que pourra
estre icy à la fin de ce moys.

L'on m'a raporté que ceulx de Poictou et de la Rochelle, par le
discours de leurs lettres, qu'ilz ont escriptes par deçà, du XIIIIe et
XVIIIe du passé, monstrent, à bon escient, qu'ilz desirent la paix; et
que, regardans à plus de choses que ne font ceulx qui les incitent à
la guerre, mandent à leurs agentz que, s'ilz peuvent trouver de bonnes
et seures condicions vers Vostre Majesté, qu'ilz sont toutz résolus
d'y entendre; et que ce sont ceulx de la noblesse qui principallement
les y persuadent. De quoy les ministres de ceste ville, qui creignent
quelque diminution en leur religyon, s'en trouvent grandement
escandalizés, et s'en esmeuvent, plus que je ne le sçauroys dire, et
ne layssent nulle pierre à mouvoir pour interrompre ce bon euvre,
sollicitantz ung chascun, et veillantz, jour et nuict, pour dresser
des remonstrances et une longue responce par dellà, affin d'y divertyr
les gens de bien de ce bon et sainct propos, et les abuser d'une veyne
espérance de secours d'Angleterre, d'Allemaigne et de Flandres; et
font tenir prest ung Lachemaye, qui, naguyères, en est venu, pour le
renvoyer avec ceste ample dépesche. Dont je desireroys, Sire, que
fissiez uzer de quelque dilligence vers les dictz de Poictou et de la
Rochelle, pour prévenir vers eulx la malice des dictz ministres; et,
de ma part, j'essaye bien, par les meilleurs moyens que je puis, de
fère escripre l'agent de la Rochelle et les aultres, qui sont de ce
quartier là, tout au contrayre de leurs dictes dépesches. J'entendz
que, depuis deux jours, les dictz ministres font courir, de main en
main, une déclaration qu'ilz disent venir de Mr le Prince de Condé, et
quelques aultres escriptz que je n'ay peu encores recouvrer; mais je
feray dilligence de sçavoyr que c'est, pour en advertyr Vostre
Majesté.

Il semble que, sur ce malcontantement, que la Royne d'Angleterre a
conceu de la comtesse de Lenox, qu'elle dellibère de renvoyer Me
Quillegreu en Escosse. Je ne sçay à quelles fins; mais je feray
observer l'occasion pour quoy c'est, affin de pourvoyr, le mieulx que
je pourray, qu'il n'en viegne détriment à vostre service. Et sur ce,
etc.

    Ce XXIIe jour de novembre 1574.

   La dicte Dame et les siens sont aulcunement espouvantez des
   prodiges, qui apparoissent par deçà; et mesmes que, depuis la
   double marée, du VIe de ce moys, il a esté veu de grands
   brandons de feu, en l'ayr, qui ont rendu les deux nuicts, du
   XVe et XVIe du présent, aussi lumineuses et clères comme de
   plein jour, encor qu'il ne fît poinct de lune. Et ont continué
   les dictz feux, en diverses figures, depuis les deux heures
   après minuict, jusques envyron les huict heures du matin, que
   le soleil estoit desjà bien haut. Sur quoy, aulcuns
   astrologiens de ce royaulme ont esté mandez; mais ne sçay
   encore quelle signiffication ils y donnent.



CCCCXIXe DÉPESCHE

--du XXVIIe jour de novembre 1574.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Danger de la reine d'Écosse.--Prière de Marie Stuart au roi pour
    qu'il la prenne en sa protection.--Instances des protestans de
    France auprès de Mr de Méru.--Résolution des habitans de la
    Rochelle de se défendre jusqu'à la dernière
    extrémité.--Changement apporté dans les bonnes dispositions des
    Anglais par la violation de la capitulation de Fontenay.


    AU ROY.

Sire, j'ay addressé, en la meilleure et plus digne façon que j'ay peu,
à la Royne d'Escosse, vostre seur, la lettre que Vostre Majesté luy a
escripte, du VIIIe du passé; et elle m'a mandé qu'elle s'en est
resjouye, oultre mesure, et plus que de nulle autre chose, qui luy
eût, en ce temps, peu advenir, de quelle part qui soit au monde, et
m'a faict tenir la responce, qui est de sa main, laquelle j'ay
adjouxté à ce pacquet; et croy que la consolation et visite de vos
lettres, à ceste pouvre princesse, vous sera imputé à ung euvre de
grande charité devant Dieu, et ung office de singullière
recommandation envers les princes souverains, et envers les gens de
bien de toute la terre. La dicte Dame loue Dieu de vostre heureuse
arrivée, et le prie incessamment, pour le bon succès de voz affères,
et pour la grandeur et félicité de Vostre Majesté. Elle est si
subjecte à calompnies, et ses ennemys sont si promptz à luy attribuer
l'occasion de toutz les maux et désordres qui surviennent en ce
royaulme, qu'ilz ont voulu imprimer à la Royne, sa seur, qu'elle
estoit cause du mariage du comte de Lenox avec la fille de la comtesse
de Cherosbery, et qu'elle avoit ligué la duchesse de Suffolc et la
comtesse de Lenox avec la dicte comtesse de Cherosbery pour monopoler
plusieurs choses pour elle dans ce royaulme; là où, au contrayre, elle
crainct, plus que chose du monde, que de la racointance de ces troys
dames, desquelles les deux luy ont esté tousjours très ennemyes, ne
luy viegne beaucoup de traverse en ses affères et ung préjudice, par
trop grand, à sa propre liberté. Dont, de quelle part que puisse
procéder le mal, elle a senty qu'on faysoit, là dessoubz, une aspre
menée pour l'oster de la garde du comte de Cherosbery, et la mettre en
des mains qu'elle n'a moins suspectes que la mort. Sur quoy m'a
escript qu'elle recouroit, comme vostre belle seur, et vostre
principalle allyée, et de vostre sang, à la protection de Vostre
Majesté, et, qu'en cas qu'on la voulût mettre en mains suspectes,
qu'elle vous supplioyt de vous y oposer, et de protester de la
conservation de sa vye, et de vanger sa mort, et le tort et injure
qu'on luy feroit; et que c'est bien ce qu'elle doibt et peut justement
espérer de l'appuy de vostre couronne.

Je ne luy ay encores respondu, mais, ayant descouvert, premier
qu'elle, toute ceste trame, j'ay mis le plus de dilligence et de soing
que j'ay peu d'y remédier, et espère que les choses n'iront si mal,
comme ses ennemys le procurent, ny comme elle a eu juste occasion de
le craindre. Néantmoins il vous plerra me commander, là dessus, vostre
volonté, et me mander ce que j'auray à luy respondre.

Le Sr de Vassal est arryvé, avec vostre dépesche, du Xe du présent,
sur laquelle j'espère voyr bientost ceste princesse, et je satisferay,
puis après, à toutz les chefz de vos lettres, le plus tost et le
mieulx que ma santé, laquelle je sentz, de jour en jour, évidemment
empirer, en ce lieu, me le pourra permettre. Et vous diray cepandant
Sire, que, sur ce que j'ay faict cognoistre en ceste court, que les
allées et venues, que Mr de Méru y faisoit, m'estoient suspectes et
plus encores celles des ministres; il m'a esté respondu, quand aulx
ministres, qu'on ne pouvoit, en Dieu et conscience, refuzer d'ouyr ce
qu'ilz trouvoient nécessayre d'estre dict et remonstré, ou bien
proposé, pour la deffance de leur relygion, qu'ilz avoient commune
avec cest estat, et qu'à cella je m'oposeroys en vain; mais quand à
l'aultre, que je n'avoys à me plaindre de faveur qu'on luy fît, car
l'on n'avoit encores veu ny ouy parolle de luy, qui ne fût sellon
l'honneur et dignité de Vostre Majesté, et pour le repos de vostre
royaulme; et ne se cognoissoit rien en luy qui sentît la rébellion,
car, quand il en monstreroit le moindre signe du monde, il ne
trouveroit plus tel visage, en ceste princesse, ny aulx siens, comme
il avoit faict, ny n'auroit plus aucun accez à eulx.

Je ne puis, à dire vray, Sire, bien descouvrir s'il trame rien avec la
dicte Dame, mais je ne me puis contanter que le ministre Villiers, et
quelques aultres, ses semblables, soient ordinayrement, et trop
souvant, en secrette conférance avecques luy; et que je commance
d'entendre qu'il se parle, parmy les siens, de retourner bientost en
Allemaigne. Je travailleray de le réduyre au poinct que m'avez mandé
de vostre intention par toutz les moyens et plus vifves persuasions
qu'il me sera possible; et vous rendray compte de ce qu'il m'aura
dict.

Quelqu'ung m'a rapporté, du costé d'Ouest, là où la comtesse de
Montgommery et sa famille sont, que le jeune Lorges y est arrivé
secrettement, en habit incognu, pour voyr sa femme: et je le croy, en
partye, parce que Mr de Walsingam m'a mandé qu'il avoit receu des
lettres de la Rochelle, que je pense qu'il a apportées, et qu'on luy
mande qu'on se dellibéroit entièrement d'attandre l'extrémité, parce
que l'exemple de Fontenoy[2] leur monstroit qu'il ne leur seroit gardé
capitulation, ny promesse, qu'on leur fît. Sur ce, etc.

  [2] Après une vive résistance, les protestans qui occupaient
  Fontenay-le-Comte capitulèrent le 16 septembre 1574; mais,
  pendant que l'on discutait les dernières conditions, les
  catholiques furent introduits dans la ville par surprise. Les
  articles, déjà accordés, ne furent pas exécutés.

    Ce XXVIIe jour de novembre 1574.

   Le comte de Sussex, grand chambelland de ceste princesse, a
   prins des lettres de moy à Mr de Matignon et au cappitayne
   Lago, pour pouvoir tirer le nombre de cinq centz tonneaulx de
   pierre blanche, de Caen; dont il desire qu'il playse à Vostre
   Majesté leur escripre, à toutz deux, de tenir la main que,
   sans empeschement, ny destourbier, ny sans aulcun grief, ses
   gens puissent fère transporter librement la dicte pierre deçà
   la mer. De quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre
   Majesté le vouloir gratiffier.


    A LA ROYNE.

Madame, ayant mis peyne d'approfondir, en ceste court, l'occasion de
quoy il est advenu, qu'après avoyr faict retarder le voïage de Me
Wilson en Flandres, et l'avoyr si bien interrompu qu'on luy avoyt une
foys mandé de descharger ses gens, il y ayt depuis ung si soubdain
changement qu'en moins d'une heure l'on l'ayt dépesché et l'ayt on
faict incontinent partir; il m'a esté respondu à cella, que la grande
impression que j'avoys donnée à ceste princesse qu'elle pourroit
establir une ferme et perdurable amityé avecques le Roy, vostre filz,
et la grande réputation qui couroit, icy, de sa vertu, et surtout
qu'il estoit prince de parolle et de grande vérité, avoient faict
qu'elle s'estoit résolue de se commettre entyèrement à luy, et ne
passer plus oultre avec le Roy d'Espaigne; mais que, sur
l'advertissement que ceulx de la Rochelle avoient, depuis, mandé: que
la capitulation n'avoit esté gardée à ceulx de Fontenoy, il avoit esté
remonstré à la dicte Dame que, bien que le Roy se voulût rendre, en
toutes aultres choses, fort entier, il monstroit néantmoins desjà
qu'il estoit persuadé, jouxte le concile de Constance, de ne debvoir
tenir ny foy ny promesse à ceulx de la religyon dont elle estoit, et
que, pourtant, elle se hastât de renouveller, le plus tost qu'elle
pourroit, avec le Roy d'Espaigne, les anciennes amityés de Bourgoigne;
auxquelles, encor que, pour quelque occasion, il voulût bien suyvre le
concille de Constance, il n'entreprendroit toutesfoys, pour d'aultres
grandes utillitez, de préjudicier aulx dictes anciennes amityés,
oultre que, jusques icy, il n'avoit jamays démenty sa parolle.

Et par ce, Madame, que j'ay envoyé assurer que ce que ceulx de la
Rochelle avoient mandé de Fontenoy estoit faulx, aulcuns de ceulx qui
se monstrent mieulx inclinez à la France qu'à l'Espaigne, m'ont
secrettement adverty qu'on sçavoit trop bien ce qui en estoit, et que
je n'en parlasse plus; et m'ont pressé de vous fère ung article,
exprès, comme il est besoing qu'advertissiez le Roy, vostre filz, que,
en ceste cause, laquelle est aujourdhuy la plus grande de la
Chrestienté, et laquelle va bander toutes les armes et puissances des
Chrestiens les unes contre les aultres, il ne veuille laysser prendre
au monde ceste impression de luy, qu'il ne vueille bien garder la foy
et les promesses qu'il donnera, ou aultrement qu'il se prépare
ardiment de soubstenir, dans son royaulme, une guerre continuelle,
sans intermission, ny relasche aulcun, non seulement avec ses
subjectz, mais avec toutz les princes et estatz, et avec toutz les
intéressés en la dicte cause, jusques à ce que, par une deffinition et
une victoyre généralle, il ayt exterminé entyèrement tout aultant
qu'il y en a au monde.

J'ay respondu, sans promettre que je vous en escriprois, ce que j'ay
estimé digne de la grandeur du Roy et de sa couronne, et de la juste
cause, qu'il poursuyt, de recouvrer l'obéyssance de ses subjectz; et
feray, le mieulx que je pourray, pour effacer les aultres violentes
impressions, qu'on s'efforce de donner au monde, de vostre intention
et de celle du Roy. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIIe jour de novembre 1574.



CCCCXXe DÉPESCHE

--du IIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Nécessité de faire surveiller les protestans qui
    passent d'Angleterre en France.--Démarches faites par
    l'ambassadeur auprès de Mr de Méru.--Plaintes de l'ambassadeur
    à raison de l'oubli dans lequel on laisse ses
    services.--_Mémoire._ Détails de l'audience.--Réponse
    d'Élisabeth à la déclaration du roi qu'il veut maintenir
    l'alliance avec elle.--Protestation d'amitié de la part de la
    reine d'Angleterre.--Ses instances pour que la paix soit
    rétablie en France.--Conférence de l'ambassadeur avec les
    seigneurs du conseil.


    A LA ROYNE.

Madame, ce que j'ay recueilly des propos et responces de la
Royne d'Angleterre en ma dernière audience, je le metz assez
particullièrement en ung mémoire à part au Roy, vostre filz, et me
reste seulement de vous dire que la dicte Dame supplie Vostre Majesté
de se souvenir que, au premier an du règne du feu Roy, Françoys,
vostre filz, vous luy promistes l'amityé de voz enfantz; dont elle
vous prie tenir vostre parolle pour le Roy, qui est à présent, ainsy
qu'avez faict pour les deux passez; et qu'elle ne doubte nullement que
n'ayés encores l'affection très bonne au propos que luy aviez mis en
avant pour le quatriesme; mais l'on s'est bien fort escarté de la voye
de l'effaictuer, néantmoins qu'il ne sera jamays qu'elle ne luy
vueille beaucoup de bien, et qu'elle ne l'honnore et n'ayt une très
bonne opinyon de luy.

Je suys adverty, Madame, qu'il y a ung ministre, nommé Joys, homme de
lettres, nourry longtemps en Angleterre, lequel, partant d'icy, disoit
s'en aller en Constantinople, qui s'est arresté à Paris, et escript
souvent par deçà, et mande plusieurs choses à l'advantage des eslevez,
et qu'ilz obtiendront, ceste année, tout ce qu'ilz vouldront; dont, de
tant qu'il parle plusieurs langues, et que, soubz ombre de hanter les
collèges, pour l'occasion des lettres, il pourroit praticquer des
intelligences dans la ville contre le service de Voz Majestez, il sera
bon de le fère chasser ou aulmoins prendre garde à luy.

J'ay parlé à Mr de Méru, et n'ay rien obmis du postscripta de la
lettre du Roy ni des poinctz qu'il vous pleut toucher au Sr de Vassal.
Je l'ay trouvé en collère et malcontant; mais il a remis de me
respondre, dans ung jour ou deux, dont, par mes premières, je vous
feray entendre ce qu'il m'aura dict. Et persévérant plus que jamays,
Madame, à vous supplyer très humblement pour mon congé, sellon que je
sentz, de jour en jour, diminuer ma santé et me croystre plusieurs
manquementz en la continuation de ceste charge, je pryeray le
Créateur, etc.

    Ce IIIe jour de décembre 1574.

   Je ne sçay de quelz termes uzer pour me douloir, à Vostre
   Majesté, de m'avoyr, non oublyé, mais déjetté très
   honteusement de celle grande distribution de biens qui a esté
   faicte, à l'arryvée du Roy, vostre filz. Aulmoins me debvoit
   ce béneffice, qu'on m'a osté, qui estoit tout mon bien, estre
   rendu; et ne puis dire, Madame, sinon que je suis celluy, à
   qui il vous playst de fère porter la plus notable marque
   d'indignité et de défaveur, et de malcontantement, qu'à nul
   aultre gentilhomme, qui soit au service de Voz Majestez; et je
   laysse bien à Dieu, et elles, de juger si je l'ay mérité.


   MÉMOIRE AU ROY.

   Sire, il n'est besoing que je vous racompte les propos que
   j'ay tenus, ceste foys, à la Royne d'Angleterre, car je les ay
   prins de la lettre que Vostre Majesté m'a escripte, le Xe du
   passé, et il sera facille de comprendre quelz ilz ont esté par
   les responces que la dicte Dame m'a faictes, qui sont, en
   substance, comme s'ensuyt:

   Que jamays chose ne luy estoit mieulx advenue, sellon son
   desir, que l'effaict de la légation de milord de North,
   puisque, des lettres qu'elle vous a escriptes par luy, et des
   poinctz qu'il vous a explicqué de sa créance, il vous reste du
   contantement; et que toute l'ambassade et l'ambassadeur vous
   ont esté agréables, car la principalle intention qu'elle a
   eue, en le vous envoyant, a bien esté d'honnorer vostre
   grandeur, et donner ung évident tesmoignage au monde de
   l'affection qu'elle porte, très bonne et de très bonne seur, à
   Vostre Majesté, et à l'establissement de voz affères;

   Qu'elle a ung singullier playsir de voyr, par ce commancement,
   que vous voulez tenir en quelque bon compte son amityé, et luy
   donner à elle une très grande espérance de la vostre; que ce
   qu'elle desire maintenant, le plus au monde, est que les
   choses puissent ainsy procéder entre vous que vous ayez
   mutuellement à prendre une très assurée confiance l'ung de
   l'aultre;

   Que nulle meilleure ny plus honnorable nouvelle eust elle peu
   entendre de voz vertueuses dellibérations, que celle que je
   luy ay assurée que, de vostre propre naturel vous avez, de
   vouloir résoluement tenir voz promesses, et manquer plustost à
   la vye que à la parolle que vous aurez une foys donnée; que,
   sur le solide fondement de ceste vostre constante volonté,
   laquelle estoit vrayement royalle et digne de vous, qui estiez
   par extraction, et par élection, et par succession, le plus
   royal prince qui ayt esté, de longtemps, en la Chrestienté,
   elle se disposeroit en telle sorte vers vostre amityé que,
   s'il n'y deffailloit de correspondance, de vostre costé, vous
   pourriez fère estat d'avoyr en elle la plus entière et
   parfaicte bonne sœur, et bonne amye, qui fût au monde;

   Qu'elle ne vouloit nyer qu'on ne luy eût voulu donner quelque
   male impression des promesses, à quoy on vous pouvoit avoyr
   obligé, passant par l'Italie, contre elle, et contre le repos
   de son royaulme, ou contre sa religyon; dont se resjouyssoit
   bien fort de ce que luy donniés parolle qu'il n'en estoit
   rien, et que vous vous trouviez libre de toutes ligues et
   obligations, sinon des anciennes de vostre couronne, et de
   celle que pouviez avoyr avec elle, à cause du sèrement du feu
   Roy, vostre frère, et avec le royaulme de Pouloigne, à cause
   du vostre;

   Que, puisque vous estiez résolu de vivre en bonne intelligence
   avec les princes et estatz voz voisins, qui la voudroient
   avoyr bonne avecques vous, que vous la vous pouviez ardiment
   promectre très seure et perdurable, de son costé; car, tant
   qu'elle vivroit, vous en pourriés fère très certain estat;

   Que nulle chose au monde vous pouvoit elle plus louer, ny plus
   recommander, que celle voye de paix, que proposiez de suyvre,
   pour mettre le repoz en vostre royaulme, et que celluy vous
   seroit bien traistre et infidelle, voyre très cruel ennemy,
   qui vous ozeroit conseiller, ou dire, qu'il ne fût honnorable
   et utille, et mesmes très nécessayre de la fère;

   Que, pour le bien universel de la Chrestienté, elle se sentoit
   obligée, entendant le grand progrès des armées et victoires du
   Turc sur les Chrestiens, et des appareils qu'il faict pour
   entreprendre plus avant, de vous supplier que vueillez
   embrasser la paix publicque et unyon des dictz Chrestiens;
   mais encores plus, pour vostre bien et repos particullier,
   elle vous vouloit fort expressément exorter d'amortyr, en
   toutes sortes, ces guerres de vostre royaulme, et y employer
   si avant vostre clémence et doulceur, et l'authorité de vostre
   foy et parolle, que voz subjectz puissent seurement retourner
   à l'obéyssance et subjection qu'ilz vous doibvent;

   Qu'elle n'approuvoit nullement les armes des eslevez, en
   quelle façon, ny soubz quel prétexte, qu'ilz les eussent
   prinses, et mesmement en ce qui se faysoit hors de la
   considération de la religyon, et qu'elle s'esbahyssoit assés
   de Mr le maréchal Dampville, et n'avoit, depuis la nouvelle
   qui estoit venue de sa déclaration, veu Mr de Méru, son frère,
   ny ne le verroit, s'il apparoissoit en luy ung seul signe de
   rébellion;

   Néantmoins qu'elle entendoit que la craincte de mort et
   l'injustice faysoient renger un grand nombre de voz subjectz à
   la deffansive, et prendre voz villes et places pour lieu de
   refuge, et passer encores à l'offensive, et attirer troubles
   sur troubles, et susciter les estrangers dans vostre royaulme;

   Sur quoy, pour la singullière affection qu'elle avoit à la
   conservation de vostre grandeur, et de vostre couronne, elle
   vous prioit de rompre, le plus tost que vous pourriez, le
   cours de ce malheur, et prendre, de bonne part, si elle vous
   disoit librement que les choses, mal passées contre ceulx de
   la nouvelle religyon, requerroient que vous ne refusissiez ny
   trouvissiez mal honnorable, ny contre vostre réputation, de
   les accomoder maintenant de quelque honneste seureté.

   Ces responces de la dicte Dame, qui ont esté plus expresses et
   plus considérées que nulles aultres qu'elle m'eût guyères
   jamays faictes, m'ont baillé argument de luy mettre bien
   devant les yeux la conséquence de ceste cause, et combien
   ceulx, qui s'efforçoient de la luy desduyre pour bonne et
   soubstenable, bandoient desjà, et dressoient de semblables
   rébellions contre elle; et qu'elle considérât si, de Vostre
   Majesté, qui aviez, premier que d'estre Roy, combatu, l'espace
   de sept ans, très courageusement, et azardé souvant, et mis en
   manifeste danger vostre propre personne, pour la religyon
   catholicque, ce n'estoit pas assés, maintenant que estiez
   monté à la couronne, et que la somme de toutes choses estoit
   parvenue en voz mains, d'accorder, à iceulx de la dicte
   religyon, l'abolition du passé, la jouyssance de leurs biens,
   la demeure paysible de leurs maysons, et la liberté de leur
   conscience; et que, de demander davantage, c'estoit par trop
   forcer la volonté qu'ilz sçavoient bien que vous aviez, qui
   estiez leur Roy, et leur prince;

   Que néantmoins vous donniez ceste parolle à la dicte Dame
   qu'il n'y auroit aulcune honneste ny tollérable condicion,
   pourveu que n'offançât vostre honneur, que ne fût accordée à
   voz dictz subjectz, pour les fère revenir à leur debvoir; mais
   aussy que, quand vous auriez faict ainsy le vostre envers Dieu
   et les hommes, vous protestiez bien d'employer toutes les
   forces et moyens, que Dieu vous avoit donnez, et n'en laysser
   ung seul en arrière, de toutz ceulx que vous pourriés mouvoir
   en la Chrestienté, pour réprimer justement la présumption et
   témérité de ceulx qui, inicquement, persévèreroyent d'estre
   rebelles contre vous; et qu'en ce cas vous l'adjuriez, elle,
   de non seulement leur dénier la faveur et apuy de ce royaulme,
   mais de joindre ses forces aulx vostres pour extirper de la
   terre ung si pernicieux exemple que le leur.

   A quoy elle m'a respondu qu'elle se souvenoit tant d'estre
   Royne, et de vous estre, pour cella, conjoincte d'estat,
   qu'elle ne manqueroit jamays à nul debvoir de bien bonne seur
   vers Vostre Majesté, et qu'après que milord de North seroit
   arryvé, et qu'il luy auroit faict le récit des choses de
   dellà, nous pourrions lors poursuivre plus amplement ce
   propos; et qu'elle s'esbahyssoit comment il ne vous avoit
   parlé du faict de la navigation, et de l'administration de la
   justice à voz mutuelz subjectz, car il en avoit eu charge, et
   qu'elle ne desiroit rien tant que d'y pourvoyr, par bonne
   intelligence, avecques vous, et députer, pour cest effect,
   deux de son conseil, ainsy que Vostre Majesté en avoit depputé
   deux du sien; et que, quand le gentilhomme, que dellibériez
   envoyer vers elle, seroit icy, elle nous feroit rendre, par
   son admiral et par les officiers de la marine, ung si bon
   compte de leurs depportementz passez, en tout ce qui avoit
   concerné les Françoys, qu'elle espéroit que vous en
   demeureriez contant.

   Et, là dessus, m'estant licencyé de la dicte Dame, j'ay estimé
   bon de déduyre aulx seigneurs de son conseil ce que j'avoys
   dict à elle, affin de bailler à ceulx, à qui reste encores
   quelque affection vers Vostre Majesté, de quoy pouvoir fère
   incliner leurs dellibérations, le plus qu'il leur seroit
   possible, au bien de vostre service. Lesquelz ont monstré
   toutz d'estre bien fort ayses de l'assurance, que je leur ay
   donnée, de vostre bonne intention vers leur Mestresse, et vers
   eulx, et vers l'estat de ce royaulme. Et leurs responces m'ont
   assez contanté, sinon en ce que l'ung d'eux m'a dict fort
   rondement que, voyantz la profession, que Vostre Majesté avoit
   jusques icy faicte, de se monstrer adversayre de leur
   religyon, qu'ilz ne pouvoient interpréter l'effaict de voz
   armes, sinon qu'elles estoient dressées et s'exécutoient
   contre eulx, et que vous pouviez bien fère estat qu'ilz
   n'estoient pour se déjoindre aulcunement de la cause de leur
   dicte religion. Et ne m'estant pas, en toutes choses, si bien
   accordé avec eulx comme avec la dicte Dame, nous n'avons passé
   plus avant.



CCCCXXIe DÉPESCHE

--du VIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Négociation de l'ambassadeur avec Mr de Méru.--Nouvelles de Marie
    Stuart; crainte qu'elle ne soit commise à la garde de l'un de
    ses ennemis.--Sollicitations des réfugiés.--Retour de lord de
    North.--_Mémoire._ Détails de la négociation avec Mr de
    Méru.--Desir du roi qu'il serve d'intermédiaire pour procurer
    la paix.--Plainte de Mr de Méru contre la conduite tenue a
    l'égard des Montmorenci.--Leur justification.--Assurance de
    leur entier dévouement au roi.--Desir de Mr de Méru que Mr de
    Montmorenci, son frère, soit lui-même choisi par le roi comme
    négociateur.--Déclaration du capitaine La Porte.


    A LA ROYNE.

Madame, je pense que rien n'a esté obmis, comme verrez par le mémoire
au Roy que je joins à ce paquet, de ce qui se pouvoit déduyre à Mr de
Méru, pour le ramener au sentiment des choses que desiriez luy estre,
de moy mesmes, et encores aulcunement de la part de Voz Majestez,
déclarées touchant l'acheminement de la paix, et le divertissement des
forces estrangières, qui ne luy ayt esté vifvement remonstré; et
encores qu'il ayt, du commancement, déchargé ung peu sa collère, si
est il revenu, à la fin, à la modération et à la cognoissance de son
debvoir vers Voz Majestez, et monstré d'estre tout disposé à vous
rendre entière obéyssance. Il est bien vray qu'il demeure ferme en la
justiffication et innocence de ses deux frères, et de ne se vouloir
desjoindre de leur cause ny d'eux, mais il a opinyon que, sans
difficulté, ilz se réunyront toutz unanimement, et pareillement son
beau père, et ceulx qui pourroient dépendre d'eux, au poinct que Voz
Majestez desireront, s'il vous plaist les rendre assurez de vostre
bonne grâce.

Le milord de North n'est encores retourné, dont l'on s'esbahyt assés
qu'est ce qui le peut si longtemps retenir par dellà.

Ceste princesse se tient si offancée du mespris que la comtesse de
Lenox et le comte et la comtesse de Cherosbery ont tenu d'elle, en ce
mariage du jeune comte de Lenox, qui est parant de la couronne,
qu'elle dellibère de le leur fère bien sentir à toutz. Mais le pis est
qu'elle veut oster au dict comte la garde de la Royne d'Escosse, et
les ennemys de la dicte Dame l'en sollicitent instamment; de quoy je
sçay que la dicte Royne d'Escoce sera fort troublée et fort marrye, et
suis en grand peyne en quelles mains on la voudra mettre. Dont je
supplye très humblement Vostre Majesté de dire, ou fère dire à
l'ambassadeur d'Angleterre, que vous suppliez la Royne, sa Mestresse,
de ne la commettre à nul qu'elle ayt suspect, ny qui ne soit seigneur
de qualité pour respondre du traictement d'une telle princesse. L'on
m'a bien faict desjà une honnorable promesse là dessus, mais je crains
les artiffices et menées de ses ennemys. J'ay obtenu une lettre à
l'ambassadeur d'Angleterre, par laquelle luy ay mandé de bayller ung
passeport de luy à Nau, pour venir jusques icy, et il en prendra ung
aultre, icy, pour aller trouver la Royne d'Escosse.

J'ay octroyé des certifficatz à des habitants de Roen, et de
Normandye, de leurs paysibles déportementz par deçà, sur des bons
tesmoignages qu'on m'a rendus d'eux, affin d'obvier à la saysie de
leurs biens. Et y a ung ministre, lequel, entre les autres, est plus
modéré, et n'adhère poinct aulx violentz conseils de la guerre, ny
aulx invectives et praticques de ses compaignons, qui m'a faict aussy
demander ung certifficat pour luy; mais, à cause de sa qualité de
ministre, je ne luy ay poinct voulu octroyer sans en avoyr expresse
permission de Voz Majestez, dont vous plerra me commander comme
j'auray à en uzer: et semble que cella pourroit aulcunement servir de
tenir leurs opinyons parties et divisées, en ne dényant vostre faveur
à ceulx qui l'ont modérée et paysible.

Le cappitayne Janeton, après s'estre excusé de passer à la Rochelle,
ny d'aller trouver le Prince de Condé, s'est résolu de se retirer à
vostre service, ou en sa mayson; et persévérer là, toute sa vye, en
l'obéyssance de Voz Majestez, de laquelle il ne s'est jamays départy;
et qu'il aymeroit mieulx estre mort que d'avoyr porté les armes contre
vostre service. Il vous supplye très humblement de luy fère envoyer
ung passeport: et je vous promectz, Madame, que, par ce que j'ay veu
et ouy de luy par deçà, il mérite vostre faveur. Je suis contrainct de
vous ramantevoyr tousjours mon congé, et vous supplye de le vouloir
fère résoudre comme chose fondée en très grande nécessité. Et sur ce,
etc. Ce VIIe jour de décembre 1574.

   L'on me vient d'advertyr, toute à ceste heure, que milord de
   North arrive aujourd'huy à Douvre. Et je viens de fère une
   petite négociation avec ung seigneur de ce conseil, suyvant
   laquelle il sera bon que différiez de fère parler du faict de
   la Royne d'Escosse à l'ambassadeur d'Angleterre, jusques à ce
   que Vostre Majesté ayt aultres nouvelles de moy.


   MÉMOIRE AU ROY.

   Sire, après que Mr de Méru m'a heu fort volontiers escouté,
   sur tout ce que je luy ay voulu dire, conforme au postille de
   la lettre de Vostre Majesté, du Xe du passé, et suyvant ce
   que la Royne, vostre mère, m'en avoit mandé par le Sr de
   Vassal, avec plusieurs remonstrances que je luy ai faictes, de
   moy mesmes, de ne vouloir, ny luy ni ses frères, gaster une
   cause qu'ilz réputoient si bonne et juste comme la leur, et ne
   provoquer, en ce temps, l'indignation de Vostre Majesté, ny
   celle à jamays de la couronne de France, de laquelle eulx et
   feu Mr le connestable, leur père, et leurs prédécesseurs
   avoient mis peyne, jusques icy, de bien mériter d'icelle; et
   elle les avoyt plus obligés que nulz gentilzhommes du
   royaulme, dont luy monstreroient maintenant une horrible
   ingratitude, et la provoqueroient, durant tout vostre règne et
   de voz enfantz, et quiconque y vînt à régner après vous, à une
   très juste indignation contre eulx, pour les avoyr et toutz
   les leurs à l'advenir très suspectz, et ne cesser qu'elle n'en
   ait exterminé la race, s'ilz suyvoient le chemin qu'ilz
   avoient commancé;

   Et pourtant qu'il voulût embrasser l'honneste moyen qui luy
   estoit offert de pouvoir conserver, pour luy et ses frères,
   vostre bonne grâce, et maintenyr la mayson de Montmorency en
   l'honnorable degré qu'elle a esté jusques icy, et de pouvoir
   encores un jour recueillir à soy la succession d'icelle, et
   celle de son beau père, et, possible encores, l'estat que son
   dict beau père tient, s'il sçavoit bien uzer de la présente
   occasion; oultre que ce, en quoy il avoit à s'employer
   maintenant, non seulement luy éviteroit les dommages et
   dangers, et luy apporteroit les utillitez que je luy
   déduysois, mais luy acquerroit ung non petit mérite envers
   Dieu, et une grande faveur de Vostre Majesté, et une très
   grande louange par toute la France; et qu'il pouvoit espérer
   que sa dilligence et ses bons offices en cest endroict
   auroient tant d'heur qu'ilz nous produyroient une bonne et
   desirée paix, sellon que je luy jurois, devant Dieu, que tout
   ce qu'il vous avoit pleu me fère sentir et cognoistre de voz
   intentions estoit entièrement dressé à la paix et repos de voz
   subjectz; et qu'il pesât bien que luy ny ses frères ne
   pouvoient comparoistre en ceste guerre, parce qu'ilz
   n'estoient de la nouvelle religyon, sinon comme purs rebelles,
   et qu'ilz ne se donneroient la garde que les dictz de la
   nouvelle religyon auroient accepté l'accommodement que Vostre
   Majesté leur vouloit fère, et que luy et les siens
   demeureroient dehors, délayssés de toutz les Françoys et
   nullement soubstenus d'aulcun prince, ny estat estranger, et
   que la fin ne leur en seroit que honteuse et pleyne de
   confusion, et d'une grande ruyne de leurs biens, de leurs vyes
   et de leur honneur, à jamays.

   Il m'a respondu, en une certeyne façon, qu'il est venu à
   conclurre tout au contrayre de son narré, car m'a parlé en
   homme fort malcontant et tout oultré de courroux et de dheuil,
   de ce que son frère aysné et son beau père estoient trop long
   temps détenus prisonnyers, sans qu'on examinât leur cause, et
   de ce que, contre la promesse que Vostre Majesté avoit faicte
   à Mr de Dampville à Turin, l'on s'estoit efforcé de luy fère
   depuis son procès à Lyon, et l'avoit on contrainct, maugré
   luy, de prendre le party où il estoit à présent;

   Et pour le regard sien, du dict Sr de Méru, qu'on sçavoit
   assés qu'il ne s'estoit absenté pour offance qu'il eût faicte,
   ains pour éviter l'orage qu'il voyoit concité contre ceulx de
   sa mayson; et s'estoit retiré en Allemaigne, et depuis, pour
   ne donner souspeçon, passé icy, où il s'estoit comporté en bon
   et loyal subject de Vostre Majesté, et néantmoins ses biens
   estoient meintenant saysis, et deffanse faicte de luy apporter
   de l'argent par deçà.

   Ce qui les menoit, avec l'impression qu'on leur donnoit
   d'ailleurs que leur ruyne estoit desjà jurée, à ung si extrême
   désespoir que force leur estoit de chercher des remèdes pour
   ne périr du tout, soubz la violence de ceulx qui bandoient
   ainsy vostre authorité contre eulx; et que, sentans leur cause
   bonne et juste, et eulx munis de bonne conscience envers Dieu
   et Vostre Majesté, ilz dellibéroient de n'obmettre ung de
   toutz les moyens, dont ilz se pourroient prévaloyr, pour
   repousser plus courageusement ceste injure, que ceulx qui la
   leur procuroient, et qui les vouloient opprimer, ne pensoient
   qu'ilz le peussent fère;

   Adjouxtant plusieurs choses, de particullier, de luy et de ses
   frères, et plusieurs aultres, de général, du Royaulme, qui
   seroient par trop longues icy.

   Néantmoins le pressant de restreindre en brief ce que j'auroys
   à vous fère entendre de sa dellibération, il m'a dict, et
   encores, après y avoyr mieulx pensé, m'a mandé qu'il supplioyt
   très humblement Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, de le
   vouloir tenir pour vostre très obéyssant et très fidelle
   serviteur, et que ce qu'il vous plerroit luy commander, pour
   paix ou pour guerre, qu'il seroit tout prest de très
   humblement y obéyr;

   Que ses frères et luy ne desirent pas tant leur propre vye
   comme la bonne grâce de Vostre Majesté et la paix de vostre
   royaulme; que très volontiers, s'il se sentoit avoyr quelque
   moyen d'induyre voz subjectz à la dicte paix, ou bien de
   divertyr les forces estrangères qui se pourroient apprester de
   venir en France, qu'il le feroit, mais qu'il pouvoit si peu
   en l'ung ny en l'autre, estant mesmement si loing qu'il ne
   sçauroit par où y commencer;

   Que Mr Dampville estoit là, beaucoup plus près, à quy Vostre
   Majesté en pourroit fère parler, et que, si estimiez que ceulx
   de sa mayson peussent aulcunement servir à ces deux choses, ou
   à quelque autre de vostre intention, qu'à son adviz Mr de
   Montmorency estoit le plus capable de toutz, plein de
   persuasion et de conseil, et qui avoit son desir du tout à la
   paix et à l'establissement de voz affères, et que, s'il vous
   playsoit le fère parler à Mr de Dampville, sellon que vous le
   cognessiez homme entier et de grande sincérité, et aviez mille
   expériences et mille bonnes cautions de luy, il s'assuroit
   qu'il vous serviroit droictement et sincèrement, et avec
   honneur et conscience;

   Qu'il adjuroit la bonté et clémence de Vostre Majesté et de la
   Royne, vostre mère, de vouloir fère examiner par la règle de
   justice, devant les payrs de France, la cause du dict Sr de
   Montmorency et de Mr le maréchal de Cossé, et s'ilz estoient
   trouvez coupables, que luy mesmes les réputoit dignes de mort,
   voyre la plus cruelle que nulz aultres subjectz de la terre;
   mais, s'ilz estoient innocentz, qu'il vous supplioyt, au nom
   de Dieu, de les remettre en liberté;

   Que s'il vous playsoit de disposer des estats de ses deux
   frères et de son beau père, et du sien, et mesmes prendre de
   leur bien, si pensiez qu'ilz en eussent trop, et leur
   commander de demeurer comme privez gentilzhommes en leurs
   maysons, sans se mesler de rien, ou bien de vuyder le
   royaulme, qu'ilz seroient prestz d'obéyr à tout ce qu'il vous
   plerroit leur commander.

   Et c'est en substance tout ce que j'ay peu tirer de luy.


   Le cappitayne La Porte m'est venu dire qu'il juroit à Dieu de
   n'avoyr jamays pensé qu'à estre très obéyssant et très fidelle
   subject et serviteur de Vostre Majesté, et qu'il ne s'estoit
   absenté pour chose qu'il eût jamays dicte ny faicte au
   contrayre; mais, parce qu'il avoit esté cherché et suivy pour
   le fère prisonnyer, aussytost que Mr de Montmorency fût prins,
   il avoit bien voulu sortir hors du royaulme, non que très
   volontiers il ne fût allé présenter sa vye pour servir à la
   liberté de Mr de Montmorency, mais qu'il voyoit bien qu'on ne
   le vouloit que tourmenter et questionner, pour tirer, par
   violence, quelque déposition de luy, pour nuyre au dict
   seigneur, dont estoit résolu de ne retourner jamays en France
   qu'il ne fût hors de prison.



CCCCXXIIe DÉPESCHE

--du XIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Communication de l'ambassadeur avec Walsingham.--Instances de
    Walsingham pour que la paix soit rétablie en France.--Démarches
    de l'ambassadeur auprès de l'agent de la Rochelle afin de
    l'engager à rompre toute négociation avec les Anglais.--_Avis à
    la reine-mère._ Nouvelles de Marie Stuart.--Arrivée de la
    comtesse de Lennox à Londres.


    AU ROY.

Sire, estant milord de North arryvé en ceste ville de Londres, le Ve
du présent, il y a séjourné le VIe, et est allé, le VIIe, trouver la
Royne, sa Mestresse, à Hamptoncourt, où j'ay aussytost envoyé pour
sçavoyr en quelle disposition resteroit la dicte Dame, et ceulx de son
conseil, après qu'il aura faict son rapport. Il est encores là, et
croy que bientost il me viendra visiter, dont, de ce que je pourray
noter de ses propos, et de ce qui me sera rapporté de ceulx qu'il aura
tenus à la court, je ne fauldray de vous en mander incontinent toute
la particullarité. Aulcuns de ces cappitaynes, qui estoient allez en
Hollande avec le vidame de Chartres, voyantz qu'il passoit oultre en
Hambourg, et qu'il dellibéroit d'aller vivre, comme gentilhomme privé,
auprès du comte Palatin, sans s'entremettre trop avant de ceste
guerre, s'en sont retournez icy, et font semblant de vouloir passer à
la Rochelle.

Ceste princesse a bien mandé, ces jours icy, toutz ses officiers de la
marine pour luy venir rendre compte des frays qu'ilz avoient faict,
ceste année, pour l'apprest de ses navyres, et a révoqué toutz
mandementz et commissions, à celle fin de n'y employer rien plus que
l'ordinayre accoustumé à la garde et entretènement d'iceulx dans le
hâvre, jusques à ce qu'elle y ayt aultrement ordonné, mais elle a
commandé de les tenir en estat, pour estre prestz à ung soubdein
mandement.

Et m'a l'on adverty qu'il y a une secrette dellibération de les mettre
en mer, et de dresser un gros armement, à ce prochain printemps, si,
d'avanture, la guerre continue en France, bien que, ayant envoyé fère
par le Sr de Vassal une gracieuse négociation avec le Sr de Walsingam
sur la continuation de l'amityé et de la bonne intelligence d'entre
ces deux royaulmes, il m'a mandé, après plusieurs honnestetés de celle
dévotion qu'il dict avoyr plus grande vers vostre service et vostre
couronne, après celle d'Angleterre, que à nulle aultre de la
Chrestienté, qu'il s'employeroit de toute son affection à nourrir et
fomanter par deçà, tant qu'il pourroit, ceste bonne amityé, et
divertyr toutes occasions d'altération d'entre Voz Majestez; mais
qu'il vous supplioyt et adjuroit, au nom de Dieu, de commencer, en
l'endroict de voz subjectz, d'establyr, par tout le reste de la
Chrestienté, une bonne paix, sellon qu'il estoit plus en vostre main
de le pouvoir fère qu'en celle de toutz les aultres princes chrestiens
ensemble; et que ne voulussiez mespriser en cella ny le conseil
honneste ny les admonitions cordiales que la Royne, sa Mestresse, et
les princes d'Allemaigne vous en faisoient: car vous ne le pourriez
rejetter sans vous nuyre beaucoup à vous et les offancer grandement à
eulx, et les bander toutz entièrement contre voz entreprinses; et
qu'il sçavoit bien que, s'il vous playsoit octroyer quelques lieux de
refuge pour seureté à ceulx de vos subjectz qui sont en armes, et en
iceulx l'exercisse de leur religion, que la paix estoit faicte; et
qu'il avoit naguyères receu des lettres de Mr de La Noue qui ne
portoient en elles que le tesmoignage d'ung vray subject et serviteur.

Sur quoy, depuis, je luy ay mandé qu'il ne doubtât nullement de vostre
bonne intention, et de vostre desir à la paix, mais qu'il admonestât
ceulx de voz subjectz, qui estoient opinyastres, de se contanter des
honnestes condicions avec lesquelles vous la leur pourriez donner. Et
ay envoyé exorter le sire Bobineau, agent de la Rochelle, de ne
vouloir tromper ses citoyens soubz une feincte espérance de secours
d'Angleterre, car je luy obligeois ma vye que ceste princesse ne luy
en bailleroit nullement, ny mesmes, quand ilz luy consigneroient leur
vye entre ses mains, (ce que je m'assurois que, pour leur fidellité et
pour la recordation des anticques offances qu'ilz avoient faictes aulx
Angloys, avec l'exemple du Hâvre de Grâce, ilz ne le feroient jamays),
elle ne la voudroit pas accepter; et que, si ceulx cy monstroient au
dict Bobineau quelque disposition, en apparance, de faveur pour les
dictz de la Rochelle, que ce n'estoit que pour maintenir la division
et fère durer les troubles en France, d'où proviendroit, à la fin, la
ruyne de ses dictz citoyens et de leur ville, s'ilz ne se remettoient
bientost en l'obéyssance et bonne grâce de Vostre Majesté.

Sur quoy il m'a mandé, depuis, qu'il me remercyoit de mon
advertissement, et qu'il cognoissoit qu'il estoit véritable, dont
m'assuroit avoyr incontinent escript à ses dictz citoyens d'entendre
incontinent à la paix, et d'accepter les condicions que Vostre Majesté
leur voudroit offrir, pourveu qu'ilz vissent de la seureté pour leurs
vyes, et qu'ilz puissent obtenir quelque exercisse de leur religyon
pour leurs consciences.

Il y a ung gentilhomme de Normandye, nommé Des Troyspierres, qui est
depuis huict jours passé en ce royaulme. Il semble qu'il a crainct
que, à cause de ceste praticque du Hâvre, l'on ne voulût courre sus à
ceulx de sa religyon, dont est venu à refuge par deçà.

Je continueray, Sire, aultant qu'il me sera possible, de veiller icy,
et d'y estre soigneux de vostre service; mais le deffault de santé et
mes aultres nécessitez me contreignent de vous supplyer très
humblement pour mon congé, et en presser fort instamment Vostre
Majesté. Sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de décembre 1574.

   ADVIS A LA ROYNE.

   Madame, je suis bien en peyne pour la praticque, que je sentz
   qu'on mène tousjours pour fère changer de gardien à la Royne
   d'Escosse. Vray est que la résolution n'en est pas encores
   prinse, et je tiens le plus ferme que je puis qu'elle ne se
   face poinct. Dont j'espère que, si le comte de Cherosbery se
   rend ung peu difficile, de son costé, comme il y a grande
   apparance qu'il le fera, que les choses en demeureront à tant,
   et qu'on n'entreprendra poinct de la luy oster. La comtesse de
   Lenox vient d'arriver, laquelle yra demain en court. Elle
   crainct bien fort l'indignation de la Royne, sa Mestresse, et
   qu'elle ne la face remettre dans la Tour, à cause de ce
   mariage, mais elle s'appuye sur des amys qu'elle pense qui luy
   sauveront ce coup.



CCCCXXIIIe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Desir du roi de rétablir la paix en France.--Vive
    assurance donnée par l'ambassadeur que lord de North ne peut
    avoir qu'un compte favorable à rendre de sa
    légation.--Emportement d'Élisabeth contre la conduite tenue à
    son égard en France.--Ferme remontrance de l'ambassadeur sur
    les conséquences qu'aurait pour elle une rupture avec le
    roi.--Danger qu'elle doit craindre en s'unissant aux protestans
    de France.--Déclaration de la reine qu'elle ne veut pas s'unir
    à eux.--Entreprises formées sur Calais, Boulogne, Dieppe, Le
    Hâvre et Cherbourg.--Irritation d'Élisabeth à la suite des
    rapports faits par lord de North.--Efforts de quelques
    seigneurs anglais pour amener une déclaration de guerre.


    AU ROY.

Sire, ayant déduict à la Royne d'Angleterre, le XVe de ce moys, à
Ampthoncourt, les honnestes propos d'amityé que, par vostre lettre du
XXIIIe du passé, il vous playsoit me commander luy tenir, avec le
récit de vostre voïage en Avignon, et de l'espérance qu'aviez de
mettre la paix en vostre royaulme, si les depputez des eslevez,
lesquelz vous attandiez de brief, se monstroient raysonnables en leurs
demandes, et à recevoyr les honnestes condicions qu'entendiez leur
offrir; auquel cas, s'ilz ne se vouloient, puis après, réduyre à
vostre obéyssance, vous la vouliez bien prier que, en une si grande
opiniastreté et arrogance que seroit la leur, et en ce maulvais
debvoir qu'ilz uzeroient vers leur Roy et Prince, elle, Royne et
Princesse, ne voullût les assister, ny permettre qu'ilz fussent
assistez en rien de son royaulme, ainsy que Vostre Majesté luy
promettoit bien aussy qu'en tout ce qui concerneroit le bien et repos
d'elle et la tranquillité de son estat, elle ne sentiroit jamays que
faveur et support de vostre costé, et rien qui la peût ny ennuyer ny
fâcher.

J'ay, pour occasion bien nécessayre, suivy, puis après, à luy dire
que, de tant que c'estoit toute la gloyre et félicité de ma
négociation, qu'elle peût trouver en Vostre Majesté les poinctz de
bienveillance et de vraye affection dont m'aviez cy devant commandé de
luy porter parolle de vostre part, et que pareillement vous
trouvissiez en elle celle vraye correspondance qu'elle m'avoit fort
expressément enchargé vous escripre de la sienne, je venois maintenant
me conjouyr, avec elle, de ce que je vouloys croyre que milord de
North, s'il estoit gentilhomme d'honneur et de vérité, il luy avoit à
son retour rapporté: qu'il avoit trouvé en Vostre Majesté tout ce
qu'elle pouvoit desirer en cest endroict, et encores plus abondamment
que je ne le luy avoys jamays sceu expliquer ny ozé promettre; et que
je louoys Dieu que Vous, Sire, me randiez véritable vers elle, ainsy
que je la supplioys aussy, et l'adjurois aussy, sur l'honneur et
vérité de sa parolle, qu'elle ne me voulût rendre menteur vers vous,
sellon qu'il n'y avoit rien de plus expédient en toute la Chrestienté,
entre nulz aultres princes, qu'estoit le poinct de l'amityé entre vous
deux; et que les utillitez s'en manifestoient si grandes, conjoinctes
avec quelque nécessité du temps présent, pour le bien et repos de
touts deux, et la tranquillité de voz estatz, et encores pour
l'accomodement de la meilleure part de la Chrestienté, que je ne
pouvois assez louer ny assés desirer ce grand bien.

A quoy la dicte Dame, par sa responce, m'a récité aulcuns propos, que
milord de North luy avoit rapporté, bien fort honnorables de Vostre
Majesté et de la Royne, vostre mère, et telz qu'elle n'eût sceu
desirer rien de mieulx que ce que voz parolles luy avoient signiffyé
de vostre bonne intention vers elle; mais qu'il y avoit eu d'aultres
démonstrations entremeslées qui avoient entièrement monstré le
contrayre.

Et s'est lors la dicte Dame, en haussant la voix, affin d'estre mieulx
ouye de ses conseillers et des dames principalles qui estoient dans sa
chambre, licencyée en des parolles grosses, qui m'ont assez troublé,
et aulxquelles je n'ay voulu différer aussy, tout hault et en la mesme
présence, de promtement et bien fermement y respondre, ainsy que, par
mes premières, j'en feray le récit à Vostre Majesté.

Et après luy avoir remonstré le tort, qu'elle se faisoit, de se
laysser ainsy transporter à l'artificieuse persuasion, pleyne de
malice, de ceulx qui la vouloient brouiller avec Vostre Majesté, et de
leur vouloir tant complayre que, sur de petitz faulx rapportz, elle se
mît hors des honnorables termes qu'elle debvoit garder vers Voz Très
Chrestiennes Majestez, je luy ay dict qu'elle avoit assés de preuves
comme il ne manquoit de ceulx qui ne cherchoient rien tant que
d'empescher l'establissement de l'amityé d'entre vous et elle, et y
susciter tousjours de la meffiance; et qui estoient bien marrys qu'ilz
n'avoient de quoy vous pouvoir si bien picquer l'ung contre l'aultre
que vous en fussiez desjà aulx mains; et qu'elle jugeoit bien que ce
n'estoit pas pour vostre commun bien qu'ilz le faysoient, ains pour
leur intérest, ou pour leurs passions et vengences, et pour leurs
malcontantementz; et que, si c'estoient princes, ilz creignoient
l'unyon de voz forces, et, si c'estoient subjectz, leur prétention
n'estoit plus ny pure ny simple pour la considération de la religyon
ny pour la seureté de vyes, ains avoient relevé une aultre forme de
prétention, de laquelle nulle autre pouvoit estre ny plus odieuse, ny
plus adversayre à l'authorité des princes; et qu'elle pensât, si l'on
la dressoit contre Vostre Majesté, quelz aultres princes du monde s'en
pourroient saulver: car l'on ne pouvoit rien débattre contre les
qualitez de vostre extraction, estant encores la mémoyre du feu grand
Roy, Françoys, vostre ayeul, et de la Royne Claude, vostre ayeulle,
fille du Roy Loys douxiesme et de la Royne Anne, duchesse de
Bretaigne, et la mémoyre pareillement du feu Roy Henry, vostre père,
et de voz deux frères, Roys, et la présence de la Royne, vostre mère,
encores toutes fresches, et Vostre Majesté en fleur d'aage, garny de
toutes les plus excellantes qualitez pour régner, que prince qui, en
plusieurs siècles, ayt monté à ce degré, et lesquelles une nation
loingtayne de Pouloigne les avoit tant prisées qu'elle vous avoit
esleu pour son Roy; et aviez, en traversant l'Allemaigne pour y aller,
et puis l'Italye, à vostre retour, esté partout approuvé et recognu
pour ung si royal et accomply prince que ceulx, qui vous estoient
propres et mutuels subjectz, avoient maintenant ung trop malheureux
tort de ne se soubmettre de tout leur cueur à vostre obéyssance, et
mesmes qu'ils ne pouvoient prétendre que vous eussiez encores rien mal
administré, car ne faysiés que d'entrer au premier an de vostre règne;
et que je supplioys la dicte Dame de vouloir, dez maintenant, fère
voyr au monde qu'elle estoit pour favorizer et maintenir, de toutes
ses forces, la juste et royalle cause de Vostre Majesté, et réprimer
celle trop présomptueuse des eslevez.

Sur quoy, la dicte Dame m'ayant dilligemment enquis de la qualité de
ceste aultre cause et s'estant représanté en son esprit aulcunes
particullaritez, par lesquelles l'on s'estoit efforcé de la luy fère
trouver meilleure et plus espécieuse qu'elle n'estoit, m'a respondu,
pour la fin, qu'elle vous rendoit toutz les plus grandz mercys,
qu'elle pouvoit, pour l'honneur et bon traictement qu'aviez faict à
milord de North, et pour les bons propos que luy aviez enchargé de luy
apporter de vostre amityé et persévérance vers elle; lesquelz, encor
que ne les eussiez estendus en beaucoup de langage, vous les aviez
néantmoins si bien ordonnez et en parolles de telle efficace qu'elle
les vouloit indubitablement croyre, et tenir vostre amityé en tel priz
que vous réputeriez de ne l'avoyr mal colloquée, ny mise en lieu d'où
vous n'en tiriez toute l'honneste et utille correspondance que
pourriez desirer de la meilleure et plus germayne bonne seur qu'ayez
au monde; qu'elle n'avoit garde de laysser rien procéder d'elle, ny de
son royaulme, qui vous peût donner du trouble ez affères du vostre,
car se jugeroit elle mesmes digne d'estre troublée au sien, et qu'elle
ne boucheroit là dessus ses yeulx à doigtz ouvertz, ains seroit très
soigneuse d'empescher, partout où elle pourroit, qu'on n'y commît de
l'abus; et qu'elle vous tesmoigneroit davantage de sa bonne et droicte
intention par le gentilhomme que dellibériez envoyer vers elle.

J'ay monstré que je demeuroys bien fort satisfaict de ses derniers
propos, mais qu'il me restoit d'avoyr quelque satisfaction de ceulx
qu'elle m'avoit tenuz auparavant.

Et estant desjà bien fort tard je me suis licencyé, avec quelque
opinyon, Sire, d'avoyr beaucoup interrompu la trame qu'on avoit ordye
pour fère que ceste princesse rompît avecques vous. Et semble qu'il
sera bon que Vostre Majesté face haster les deux personnages qui sont
ordonnez pour venir par deçà: car, si la ligue peut estre une foys
renouvellée et bien confirmée, il y a grande apparance que les aultres
poursuyvans n'obtiendront sinon ce qu'on ne leur pourra honnestement
dényer.

Je suis contrainct pour des nouveaulx advis qu'on me vient de donner,
touchant les cinq places, dont vous ay cy devant faict mencion: de
Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg; de vous supplyer,
de rechef, très humblement, qu'il vous playse de renforcer les
garnisons et advertyr les gouverneurs de prendre bien garde à eulx,
car il y a entreprinse sur une chascune des dictes places.

Je remercye très humblement Vostre Majesté de la compassion, qu'il luy
a pleu avoyr enfin de moy, de m'ordonner ung successeur pour me
retirer de ce long exil. Je mettray peyne de laysser ceste négociation
à celluy qui viendra, en si bon ordre, qu'il ne s'y pourra cognoistre
de mutation sinon en mieulx, en ce que je ne doubte qu'il n'y apporte
plus de suffizance que je n'en ay heu; et je réserveray ce qui me
reste de vye pour le mettre et exposer à jamays pour vostre service.
Sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour de décembre 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, par ung de ceulx que j'avoys envoyé à Amthoncourt pour
observer ce que milord de North rapporteroit de France, et pour notter
quelle satisfaction il feroit prendre à la Royne, sa Mestresse, des
choses de dellà, j'ay sceu qu'il avoit meslé, parmy les bonnes choses
et bien honnorables qu'il avoit dictes de Voz Très Chrestiennes
Majestez, aulcuns si malplaysantz et si fascheux rapportz d'elle et de
la court, que la dicte Dame restoit extrêmement picquée et offancée.
Et, sur cella, l'estant allé trouver pour luy oster cette malle
impression, elle s'est advancée de descharger son cueur, et monstrer,
par des parolles qu'elle a dictes, desquelles je ne suis demeuré
contant, qu'elle l'avoit bien fort ulcéré, et que la partye estoit
toute dressée, et aulcuns de son conseil l'avoient tramée, pour fère
qu'elle passât à quelque poinct de ropture avec Voz Très Chrestiennes
Majestez.

Dont, après luy avoyr, tout franchement et hault, respondu, mot par
mot, à ce qu'elle m'avoit dict, sellon que par mes premières je feray
le discours du tout à Vostre Majesté, j'ay esté contrainct de luy uzer
de la remonstrance que je déduictz en la lettre du Roy, laquelle m'a
semblé que luy a ouvert les yeulx, et luy a faict comprendre qu'on
vouloit artifficieusement l'attirer à ceste guerre des eslevez; si
bien qu'avant que je soye bougé d'avec elle, j'ay emporté une assez
bonne espoyr et encores une plus expresse déclaration de son
intention: que très difficilement se layrra elle embrouiller en leurs
entreprinses, aulmoins elle y résistera le plus longtemps qu'elle
pourra; et, si envoyez bientost requérir la confirmation de la ligue,
j'ay grande espérance que toutz les aultres poursuyvantz demeureront
exclus. Dont, pour mon regard, Madame, je prépareray à ces deux
gentilzhommes qui viendront, l'ung pour la dicte confirmation, et
l'autre pour résider, tout ce qui se pourra fère pour obtenir l'effect
de ce qu'aurons à requérir pour le service de Voz Très Chrestiennes
Majestez, vous remercyant très humblement, Madame, de la souvenance
qu'il vous a pleu avoyr enfin de me fère ordonner ung successeur pour
me retirer d'icy. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIIe jour de décembre 1574.



CCCCXXIVe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Succès que l'ambassadeur espère de ses efforts pour détourner
    Élisabeth de déclarer la guerre.--Nécessité d'envoyer
    promptement les députés de France qui lui ont été
    annoncés.--Nouvelles d'Allemagne et d'Espagne.--Mise en arrêt
    de la comtesse de Lennox, de son fils et de sa bru.


    AU ROY.

Sire, je ne puis avoyr regret d'avoyr ung peu différé de vous escripre
la male satisfaction que j'avoys rapporté de ma dernière audience,
car, en lieu que les choses avoient commancé d'entrer en ung assés
maulvais train, et estoient en voye d'aller plus mal, elles ont,
grâces à Dieu, depuis, reprins ung beaucoup meilleur chemin; et s'en
vont desjà en termes que j'ay bien opinyon que vous n'aurez que
playsir de les entendre telles, comme, dans deux ou troys jours au
plus tard, j'espère que, par ung des miens, je les vous pourray bien
particullièrement mander, sellon que j'en ay desjà de bonnes erres. Et
j'espère de travailler encores si bien que je feray que la chose ne
parviendra qu'en bien bon estat et bien rabillée, devant Voz Très
Chrestiennes Majestez. Seulement je vous supplye très humblement,
Sire, de fère apprester les deux personnages qu'avez proposé d'envoyer
par deçà, affin que ceste princesse ayt par eulx, le plus tost que
fère se pourra, ung nouveau tesmoignage de vostre droicte persévérance
vers elle, car peu s'en faut que milord de North et les siens n'ayent
renversé tout celluy qu'elle en avoit auparavant.

J'entendz que, depuis cinq jours, ceulx cy ont dépesché ung personnage
de qualité en Allemaigne, sur le retour d'ung autre des leurs qui
n'en faysoit que d'arryver, avec ung nouvel agent du comte Palatin, et
avec ung Valfenyère, qui est encores icy; lequel on m'a dict qu'il
s'appreste pour passer à la Rochelle, et qu'il s'en va embarquer à
Hamptonne dans ung navyre du feu comte de Montgommery, et visiter la
comtesse, en passant, qui n'est sans qu'il ayt bien fort négocyé par
deçà.

Le ministre Calvart, agent du prince d'Orange, ayant esté, toutz ces
jours, à Amptoncourt, s'en va aussy bientost trouver son maistre en
Ollande; et m'a quelqu'ung adverty qu'il porte parolle de promettre
par dellà que, si ung nombre des meilleurs vaysseaulx du dict prince
se vuellent mettre en mer, comme advanturiés, et s'aller tenir en
Brouage, et vers la Rochelle, qu'on leur donra, soubz main, de
l'entretènement. Il peut estre qu'on est rentré en allarme du nouvel
armement qu'on dict que le Roy d'Espaigne appreste en Biscaye, et
qu'il a desjà désigné pour général celluy don Martin d'Alcandèle, qui
soustint le siège d'Oran, en l'an soixante ung.

Je n'ay, longtemps y a, aulcunes nouvelles d'Escosse, et Me
Quillegreu, qu'on faysoit apprester pour y retourner, est encores icy.
La comtesse de Lenox et son filz, et sa belle fille, sont commandés de
ne bouger de leur logys, et deffandu que nul ne parle à eulx que le
conseil ne les ayt ouys. La Royne d'Escosse a escript une bonne lettre
à la Royne, sa cousine, pour sa justiffication de ce qui est advenu,
touchant ce mariage du comte de Lenox; et m'a l'on dict qu'elle en
restoit assés satisfaicte, tant y a qu'on parle encores de remuer la
dicte Dame; mais je m'y oposeray aultant qu'il me sera possible. Sur
ce, etc.

    Ce XXIVe jour de décembre 1574.



CCCCXXVe DÉPESCHE

--du XXVIIIe jour de décembre 1574.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère._)

  Détails de la précédente audience.--Rapports faits par lord de
    North à son retour de France.--Ses plaintes contre le duc de
    Guise et les autres seigneurs de la cour.--Insulte qu'il
    déclare avoir été faite par la reine-mère a la reine
    d'Angleterre.--Vive irritation d'Élisabeth.--Ses
    emportemens.--Protestation de l'ambassadeur contre le reproche
    adressé à la reine-mère.--Ses plaintes contre les intrigues qui
    ont pu engager lord de North à dénaturer les intentions du
    roi.--Déclaration d'Élisabeth qu'elle n'a pas entendu faire
    injure à la reine-mère.--Nécessité de donner quelques
    explications sur le propos qui a été rapporté.--Bons offices de
    Walsingham dans cette affaire.--Rapport confidentiel des propos
    répandus par lord de North sur le mépris que l'on faisait
    d'Élisabeth à la cour de France.--Ressentiment
    d'Élisabeth.--Prière pour que la reine-mère fasse une
    déclaration écrite qui puisse satisfaire la reine
    d'Angleterre.--_Mémoire général._ Bonnes dispositions
    d'Élisabeth à l'avènement du roi.--Intrigues pour la détourner
    de l'alliance de France.--Projets de l'Espagne.--Avis donné à
    Élisabeth que le pape a fait cession de l'Angleterre au roi,
    qui a le projet d'envahir l'Écosse, d'épouser Marie Stuart et
    de conquérir l'Angleterre.--Mesures arrêtées par la reine pour
    former une ligue avec le prince d'Orange et les protestans de
    France.--Engagement pris à l'égard de Mr de Mèru de soutenir la
    ligue du bien public.--Projet d'une guerre générale.--Avis
    donné à l'ambassadeur d'un complot dirigé contre le
    roi.--_Lettre confidentielle au roi._ Détails particuliers sur
    la conspiration.


    AU ROY.

Sire, pour rendre compte à Vostre Majesté de ce que, par mes deux
précédentes dépesches, j'ay réservé de vous escripre en ceste cy, je
vous diray que la Royne d'Angleterre s'est trouvée extrêmement
offancée des maulvaiz rapportz que milord de North luy a faictz, qui,
à la vérité, luy touchent bien fort, sellon la façon qu'il les luy a
dictz, et la fascheuse interprétation qu'il leur a donnée; non, qu'au
partir de Lyon, à mon advis, il eust pensé d'en uzer ainsy, mais il en
a esté embousché, en passant en ceste ville, affin de provoquer, par
toutz les plus picquantz moyens qu'il pourroit, la dicte Dame de
rompre avecques vous. Et aulcuns de son conseil, qui sont de ceste
menée, quand ilz l'en ont veu bien altérée et en collère, l'ont
confortée d'en debvoir fère ung très grand ressentiment, de faict et
de parolle, se persuadans que l'amityé s'en pourroit bien rompre.

Dont la dicte Dame s'estant proposée que, aussytost qu'elle me
verroit, elle m'en feroit ouvertement, et en présence de ses dicts
conseillers, sentir son malcontantement, elle n'a pas failly (après
qu'elle m'a eu récité aulcuns bien bons et bien fort gracieux propos,
de ceulx que le dict de North luy avoit rapportez de Vostre Majesté et
de la Royne vostre mère, desquelz elle a dict estre très bien
satisfaicte), de me dire qu'elle avoit à me fère sçavoyr que, si on
luy avoit signiffyé, en France, quelque bonne volonté de parolle, l'on
avoit bien prins aultant de peyne de l'oltrager et de l'offancer par
effect; car, réservé le comte de Charny, duquel à la vérité elle avoit
à se louer, il ne s'estoit trouvé nul autre gentilhomme françoys, en
toute vostre court, qui eût daigné saluer ny entretenir, ny fère ung
seul bon semblant à pas ung des gentilzhommes angloix qui estoient
avec milord de North; et que Mr de Guyse, en mespris d'elle, et pour
fère honte aulx dictz gentilzhommes, leur avoit commandé, dans vostre
chambre, qu'ilz eussent à se descouvrir, bien que ce ne fût la
coustume de dellà, et avoit uzé d'aulcunes parolles et gestes vers
eulx, qui avoient bien monstré combien il avoit d'animosité vers elle;
de sorte que, s'il eust esté aultre part, il y en avoit là qui eussent
entreprins de luy bien respondre; et, qui pis est, que la Royne,
vostre mère, en sa chambre, ayant faict venir ung bouffon abillé à
l'angloyse, avoit dict, par dérision, à milord de North, que c'estoit
proprement le feu Roy Henry d'Angleterre; de quoy elle avoit le cueur
plus serré, et se tenoit plus outragée que de nulle aultre chose qu'on
luy eût dicte ny faicte, depuis qu'elle estoit au monde.

Et, là dessus, haussant sa voix, affin d'estre mieulx ouye de ses
conseillers et de ses dames, a poursuivy, en collère, le propos, avec
des parolles assez grosses, desquelles m'a semblé comprendre qu'elle a
dict que, s'il y eût eu de l'honneur en la Royne, vostre mère, elle
n'eût parlé ainsy mal honnorablement, et en dérision, d'ung si
honnorable prince qu'estoit le feu Roy, son père, et qu'elle seroit
très marrye d'avoyr faict ny dict rien de semblable d'elle, ny de
quelconque aultre prince que ce soit; et que le dict de North avoit
aulmoins respondu que les tailleurs de France avoient peu sçavoyr la
façon comme s'abilloit ce grand Roy, car quelques foys avoit il passé
la mer à bonnes enseignes, et avoit bien faict parler de luy par
dellà.

Sur quoy, Sire, estimant que je debvois commancer ma responce par ce
dernier poinct, qui touchoit la Royne, vostre mère, j'ay addressé,
présantz et oyantz les aultres, ma parolle en ceste sorte, à la dicte
Dame:

Que la Royne, ma Mestresse, mère du Roy, Mon Seigneur, estoit toute
pleyne d'honneur et aultant honnorable princesse qu'il y en ayt soubz
le ciel, sans rien réserver, et que je voulois dire, et maintenir
jusqu'au dernier souspir de ma vye, que milord de North n'avoit veu ny
ouy d'elle, ny de Vostre Majesté, ny mesmes de Mr de Guyse, ny de nul
autre prince ny seigneur de vostre court, chose aulcune, procédant de
l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, qui eût esté dicte ny
faicte, ny qu'on la peût interpréter, contre la dicte Dame, ny contre
l'honneur du feu Roy Henry, son père, ny contre la dignité de la
couronne d'Angleterre; et que, si milord de North, ou aultre, le luy
avoient aultrement raporté, qu'ilz ne l'avoient bien entendu, ny
n'avoient ainsy bien négocyé comme il convenoit de le fère entre
princes.

Et m'est venu, Sire, en l'esprit de sommer la dicte Dame qu'avant que
je sortisse de sa chambre, elle voulût rabiller ce qu'elle avoit dit
de la Royne, vostre mère, ou bien qu'elle me donnât congé de sortir de
tout hors de son royaulme; mais, considérant que le présent estat de
voz affères ne requéroit cella, et que c'estoit le poinct auquel les
adversaires tendoient le plus, j'ay suivy l'autre expédient, de
remonstrer à la dicte Dame ce qui est porté par ma précédante
dépesche. Et ay adjouxté que, puisqu'elle mesmes advouoyt que, de la
part de Vostre Majesté, qui faisiez exacte profession d'estre plus
soigneux de la vérité de voz parolles et promesses que de la propre
vye, milord de North luy en avoit apporté de très bonnes, avec la
confirmation d'icelles par une vostre lettre; et je les trouvois
encores très confirmées par celles qu'il vous avoit pleu m'escripre,
depuis qu'il estoit party d'avecques vous; joinct qu'elle sçavoit bien
que la Royne, vostre mère, l'avoit tousjours fort respectée, et luy
avoit uzé plus d'honnestes traictz d'amityé que princesse qui fût au
monde, et ne l'avoit jamays offancée; je m'esbahyssois par trop comme
elle, qui estoit prudente et advisée, s'estoit layssée mener à dire
d'elle rien qui la peût offancer, et qu'elle ne cognoissoit qu'on la
vouloit tromper, car j'ozois dire librement que, si milord de North et
ceulx de sa suyte, au sortir de vostre chambre, fussent saultez dans
la sienne, qu'ilz ne luy eussent apporté que tout contantement de Voz
Majestez; mais ilz avoient apprins ung aultre roollet par les chemins;
et qu'indubitablement la Royne, vostre mère, laquelle se souvenoit
très bien que le feu Roy Henry d'Angleterre avoit esté prince très
estimé de son temps, et aultant honnoré et bien voulu en la court de
France que en la sienne propre, n'avoit aulcunement parlé de luy,
sinon en la mesme façon qu'elle eût voulu parler des feus Roys, ses
beau père et mary; et que Mr de Guyse aussy estoit si modeste prince
qu'il n'avoit uzé de parolle ny de démonstration vers les Angloix,
dont elle eût occasion de se tenir offancée; car, oultre que ce
n'estoit son naturel, de dire ny fère choses semblables, il s'en fût
encores abstenu pour le respect du lieu et de la présence de Vostre
Majesté, bien que c'estoit son debvoir, comme grand maistre, de fère
advertyr les dictz gentilzhommes angloix de ne se couvrir, tant que
Monseigneur et le Roy de Navarre, et les aultres Princes et grands
seigneurs, qui assistoient à ceste cérémonie, seroient descouvertz,
encor que, au dict de North, quand il vous explicquoit sa créance,
vous luy fissiez tenir le bonnet à la teste, car c'estoit pour
davantage l'honnorer à elle; et que Mr de Guyse avoit justement peu
supplyr en cella la faute, que ses dictz ambassadeurs avoient faicte,
de n'avoyr adverty les gentilzhommes comme ilz debvoient uzer en
vostre chambre, et néantmoins j'entendoys qu'il s'estoit retenu de ne
le fère pas; et qu'au reste, quand elle vous eût bien dépesché le plus
grand de son royaulme, ou quand même l'Empereur vous eût envoyé
quelqu'ung de ses enfantz ou de ses frères, archiducz, ilz ne
pourroient justement se plaindre que ne les eussiez faictz fort
honnorablement recevoir par Mr le comte de Charny et les
gentilshommes qui avoient receu le dict de North et sa trouppe; et que
je sçavoys bien qu'il n'avoit pas esté faict davantage ny, possible,
tant, à ung comte que le Roy d'Espaigne vous avoit envoyé: dont je la
supplyois de ne se vouloyr laysser transporter en cest endroict.

La dicte Dame, ayant prins de bonne part ma remonstrance, s'est
incontinent, en tout le reste de son parler, bien fort composée; et
avec beaucoup de modération est venue à dire plusieurs choses en bien
fort bonne sorte de Voz Majestez, et du desir qu'elle avoit d'establyr
une ferme amityé avecques elles. Et depuis m'a mandé, par troys des
plus grands et principaulx seigneurs de son conseil, qui estoient
présentz, qu'elle n'avoit dict ny entendu dire de la Royne, vostre
mère, sinon que, si elle avoit dict ou faict, en mespris ou dérision
du Roy, son père, ce que le dict de North luy avoit rapporté, qu'elle
n'y pouvoit pas avoyr beaucoup d'honneur; et me prioyt d'en escripre à
Voz Majestez affin qu'elle en peût estre satisfaicte, et en peût
satisfère ceulx de ses subjectz qui en estoient escandalisez; et
qu'elle ne demeurât offancée par Voz Majestez, lesquelles elle ne
vouloit nullement offancer.

Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté me donner,
par voz premières, de quoy convaincre et ce que le dict de North a
dict, et la malice de ceulx qui le luy ont faict dire; et que ce qu'il
vous plerra m'en escripre soit en façon que je le puisse monstrer à la
dicte Dame. Et s'il plaist à la Royne, vostre mère, luy en escripre
ung bon mot de sa main, elle en restera extrêmement contante.

Mr Walsingam a faict en cest endroit ung très honneste office vers
elle. Il remercye très humblement Vostre Majesté de l'honneur que luy
avez faict de luy escripre, et promect qu'il employera tout son moyen
et pouvoir pour conserver droictement l'amityé et bonne intelligence
qu'avez avec ceste couronne.

Pardonnez moy, s'il vous playst, Sire, si je continue de vous
importuner pour la venue de mon successeur, car plusieurs nécessitez,
et mesmement celles de vostre service pour le deffaut de ma santé, m'y
contreignent, mais j'espère que je luy lairay ceste négociation en
très bon estat. Sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.


    A LA ROYNE.

Madame, il ne fut onc à princesse du monde faict ung si fascheux et
malplaysant rapport, que celluy, dont milord de North et ceulx de sa
trouppe ont uzé à leur Mestresse, sur la pluspart des choses qu'ilz
ont veues et ouyes en France; car, oultre les traictz que j'en récite
en la lettre du Roy, vostre filz, j'ay sceu qu'ilz ont, d'habondant,
dict à la dicte Dame que, en leur faysant Vostre Majesté voyr dans
vostre chambre deux petites neynes habillées comme elle, vous aviez,
et aulcunes de voz dames, jetté tout plein de motz qui ne pouvoient
estre prins qu'en dérision et mocquerie d'elle; et mesmes qu'il avoit
bien cognu, quand vous aviez faict semblant, en luy parlant de
Monseigneur le Duc, vostre filz, de luy louer la beauté et belles
qualitez d'elle, que ce n'avoit esté que pour vous en mocquer; et
s'est efforcé, par toutz les moyens qu'il a peu, de mettre au cueur de
la dicte Dame qu'elle estoit infinyement haïe et mesprisée de Voz Très
Chrestiennes Majestez, et la moins respectée en vostre court qu'en
nulle part de la Chrestienté; de sorte que, s'en trouvant elle bien
fort escandalizée et quasy oultrée d'une très juste dolleur, de se
voyr desprisée, injuryée et touchée en son honneur par ceulx qu'elle
s'esforçoit d'honnorer, et dont elle recherche l'amityé, elle ne s'est
peu tenir de respondre quelques mots pour revancher l'honneur et
dignité de son père, dissimulant ce qui touchoit particullièrement à
elle, non pour l'oublier, ains pour en réserver cachée en son cueur
une indignation et vengeance pour lorsqu'elle verroit le poinct de
vous pouvoir bien nuyre.

Mais, aussytost que je luy ay eu fermement assuré du contrayre, et que
je luy ay faict voyr qu'on la vouloit tromper, elle s'est ressouvenue
des tesmoignages d'amityé que Vostre Majesté luy avoit tousjours
monstré, qui l'ont, plus que nulle aultre chose, ramenée incontinent à
modération, et lui ont faict sentir que les choses n'estoient telles
qu'on les luy avoit données entendre; et a protesté que, si, par
collère, n'ayant bien la propriété de la langue françoyse, elle avoit
advancé quelque mot en deffance de l'honneur du feu Roy son père, elle
n'avoit toutesfoys dict ny entendu dire, sinon que, si Vostre Majesté
avoit ainsy faict ou parlé en mocquerye et dérision de luy, comme
milord de North luy avoit rapporté, que n'y pouviez avoyr beaucoup
d'honneur; et qu'elle desiroit qu'il vous pleût, Madame, luy fère voyr
que cella n'estoit auculnement advenu, et que aulmoins il n'avoit esté
faict en ceste mauvayse intention de dénigrer la mémoyre du dict feu
Roy, son père, affin qu'elle en peût satisferre ceulx des siens qui
avoient ouy le mesmes compte, et qui jugeoient que l'honneur d'elle,
et la dignité de sa couronne, et tout ce royaulme en estoient
grandement intéressez.

En quoy, Madame, estant ce qu'elle demande bien fort juste, et mesmes
qu'il semble qu'il y auroit de l'injustice de le luy refuzer, j'espère
que Vostre Majesté le luy accordera, jouxte la vraye vérité de ce qui
en est, qui m'assure qu'il ne y a rien eu de mal à propos contre elle
par dellà, et que milord de North et les siens resteront confuz de ce
qu'ilz en ont dict, mesmement s'il vous plaist en escripre une bonne
lettre, de vostre main, à la dicte Dame, comme très humblement je vous
en supplye.

Mr de Walsingam s'est monstré vertueux et honneste gentilhomme à
rejetter ces faulx rapportz; et a parlé, à son tour, très
honnorablement de Vostre Majesté, ainsy que je l'ay bien certeynement
sceu. Il vous remercye très humblement de l'honneur que luy avez faict
de luy escripre, et promect qu'il n'aura nul plus grand soing, en sa
charge, que de conserver l'amityé d'entre Voz Très Chrestiennes
Majestez et la Royne, sa Mestresse, et qu'il espère de voyr la dicte
amityé plus ferme que jamays, si la paix succède en France. Sur ce,
etc.

    Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.


   ADVERTISSEMENT D'AULCUNES CHOSES
   à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:

   Que ceste princesse, depuys l'advènement du Roy à la couronne,
   s'est rendue bien fort curieuse de monstrer que, pour chose
   qui ayt passé cy devant entre eulx, elle ne se tient offancée
   de luy, et n'a opinyon qu'il se tienne aussy en rien offancé
   d'elle, affin que le fondement ne deffaille entre eulx de
   pouvoir mutuellement renouveller les traictez de paix et
   d'amityé qu'ilz ont l'ung avecques l'aultre.

   En quoy, encor qu'il y ait ou y puisse avoyr, sellon aulcunes
   non légères conjectures, de l'artiffice autant que de vérité,
   si est il bien certain que la résolution a esté une foys
   prinse par la dicte Dame, au cas qu'elle peût trouver de la
   correspondance au Roy, qu'elle persévèreroit très constamment
   vers luy, ainsi qu'elle avoit persévéré vers le feu Roy, son
   frère;

   Mais l'on luy a suscité des escrupulles non petites pour la
   divertyr de ce bon propos, car, oultre la contrariété de la
   religyon et autres choses, que j'ay cy devant mandées, l'on
   luy a faict tomber ung advertissement entre meins, comme
   venant de Flandres, mais j'estime que quelque ministre l'ayt
   inventé, que le Roy adhérant soubz main à la guerre que le
   Turc mène si aspre au Roy d'Espaigne, il prétend, après
   l'avoyr bien travaillé par là, de luy courir sus au duché de
   Milan, et que desjà la jalousie en estoit si grande, en
   Italye, qu'on n'avoit voulu octroyer le passage aux forces de
   pied et de cheval que le Pape luy offroit pour la guerre de
   France;

   Et que Mr de Savoye avoit donné parolle au Roy d'Espaigne
   qu'il ne les permettroit aulcunement passer par ses terres;

   Et ont meslé, parmy le dict advertissement, que, par aulcuns
   mémoyres du dict duc de Savoye, l'on avoit descouvert que
   véritablement le Roy avoit accepté du Pape le droict de
   conqueste de ces isles de deçà, qui se sont substrettes de
   l'obéyssance de l'église rommayne, en la forme que le feu Pape
   et le consistoyre en avoient octroyé l'investiture au Roy
   d'Espaigne, avant qu'il entrât en ceste guerre du Turc;

   Et qu'indubitablement le Roy avoit promis, pour l'effet de
   cella, de fère descendre en Escosse six mille harquebuziers
   italiens, quatre mille françoys et quinze centz chevaulx,
   pour, avec plus grandes forces, après qu'il auroit avec celles
   icy réduict l'Escosse, passer plus avant, et entreprendre, en
   personne mesmes, la plus forte et la plus aspre guerre en
   Angleterre, avec l'ayde des Catholicques, qu'on y ayt jamays
   veu;

   Et que, pour s'attribuer, le Roy, plus de droict en cella, il
   prétandoit d'espouser la Royne d'Escosse et fère valoir le
   transport du tiltre d'Angleterre que, de longtemps, elle luy a
   faict, et de poursuyvre si vifvement ceste entreprinse qu'il
   l'eût menée à fin avant le bout de deux ans;

   Mais que le roy d'Espaigne se dellibéroit de luy susciter tant
   d'affères d'ailleurs, et luy tirer la guerre intestine de la
   France en telle longueur, sellon qu'il en avoit assez de
   moyenz par le Languedoc, et par diverses intelligences dans le
   royaulme, que, si la Royne d'Angleterre se vouloyt aider, de
   son costé, on feroit aysément escouter au Roy ses forces et
   ses finances, et ses bons hommes, et tout l'effaict de ceste
   grande fortune, qui lui ryoit si fort à ce commancement, pour
   avoyr assez que fère dans son royaulme, sans s'estendre ny en
   Italye, ny en Flandres, ny en Angleterre.

   Et, là dessus, est arryvé milord de North, qui a faict à la
   dicte Dame d'aussy fascheux et malplaysantz rapportz qu'il est
   possible, non du Roy, car il n'a ozé estre si impudent, mais
   de tout le reste de sa court; et qu'il n'y avoit rien veu qui
   ne luy eût signiffyé une manifeste déclaration d'hayne et de
   malveillance contre elle et contre ce royaulme, racomptant ce
   que j'ay plus au long desduict ez lettres de Leurs Majestez,
   n'obmettant rien de ce qui pouvoit irriter et picquer jusques
   en l'âme ceste princesse, et luy rendre très suspecte l'amytié
   de Leurs Très Chrestiennes Majestez.

   Sur quoy, elle, assez troublée et pleyne d'indignation, a
   mandé ses plus privés conseillers pour leur communicquer ce
   fascheux rapport, et le juste malcontantement, qu'elle avoyt,
   que le Roy et sa court luy eussent rendu honte pour l'honneur
   qu'elle luy avoit envoyé fère.

   Et là dessus se sont prinses des dellibérations que je n'ay
   peu toutes descouvrir; mais voicy ce qui en est venu à ma
   cognoissance:

   Que, en premier lieu, il a esté mandé à Me Wilson, à
   Bruxelles, de s'employer, le plus vifvement qu'il pourroit, et
   employer le nom et crédict de la dicte Dame, pour fère venir
   bientost les choses en accord avec le prince d'Orange, et de
   renouveller comment que ce soit, et le plus estroictement
   qu'il luy sera possible, les anciens entrecours d'entre ce
   royaulme et les Païs Bas;

   Que des cappitaynes angloix ont esté mandez à Ampthoncourt
   pour leur accorder quelque entretènement, et les assurer
   qu'ilz seront bientost employez, et qu'ils ayent cependant à
   advertyr leurs gens de se tenir prestz; et a l'on aussy creu
   la pencyon à quelques cappitaynes italyens qui sont en ceste
   ville;

   Qu'on a envoyé ung gentilhomme devers Mr de Méru, qui a
   longuement conféré avecques luy; et, après qu'il a esté
   départy, le dict Sr de Méru s'est trouvé si surprins d'ayse
   qu'il ne s'est peu tenir de dyre que la dicte Dame et ceulx de
   son conseil avoient envoyé luy fère la conjouyssance de ce que
   milord de North rapportoit: qu'ung grand nombre de seigneurs,
   et gens de bonne mayson et gentilzhommes de France, avoient
   commancé de manifester la bonne affection qu'ils portoient à
   la mayson de Montmorency, et que Mrs l'admiral de Turenne et
   de Ventadour, de Carses, de Limreilh et plusieurs autres
   s'estoient déclarez ouvertement pour eulx; et que le maréchal
   Dampville avoit troys mille chevaulx et dix huit mille
   harquebuziers en campagne, et que le mareschal de Retz, qui
   avoit voulu marcher vers ces quartiers là, s'estoit trouvé si
   foible qu'il avoit esté contreinct de se retirer, et mander au
   Roy qu'il le supplyoit de s'advancer pour renforcer son armée;
   que beaucoup de gens abandonnoient l'armée du Roy, et que
   Monsieur le Prince Daulfin s'estoit retiré fort malcontant,
   que Monsieur le Prince de Condé armoit et avoit espérance
   d'entrer bientost avec dix mille reytres en France; et que, en
   Provence, Daulfiné et Languedoc, ne restoit plus qu'une seule
   ville que toutes n'eussent adhéré aulx eslevez, ou pour la
   cause de la religyon ou pour l'autre prétendue du _bien
   public_.

   Et, à deux jours de là, le dict Sr de Méru est allé à
   Hamptoncourt, avec le cappitayne La Porte, et le cappitayne
   Chat, lesquels deux j'entendz qu'ont faict la cenne avec les
   Protestantz, mais luy demeure catholicque; et ont esté fort
   bien et fort privéement caressez;

   Que les ministres se sont assemblés en conseil pour dellibérer
   de ce qui estoit à fère sur ung concours de tant de nouvelles;
   et m'a l'on rapporté qu'il a esté résolu entre eulx qu'il sera
   dépesché ung homme exprès, vers ceulx qu'ils sentent estre de
   leur party et mesmement vers les principaulx et plus grands,
   pour les admonester de prendre, à ce coup, les armes, et que
   le poinct est venu qu'il n'y aura jamays plus envers Dieu et
   les hommes aulcune excuse pour eux, s'ilz ne se déclarent
   maintenant, et s'ilz ne sont dilligentz à susciter bientost
   les soublévations et révoltes qu'ils sçavent estre
   secrettement formées en divers endroictz du royaulme, de sorte
   qu'il n'y ayt province où il n'y en apparoysse quelqu'une;

   Que, par mesme moyen, ils ayent à se saysir du plus grand
   nombre de places qu'ilz pourront, et, par exprès, d'aulcunes
   sur la mer de deçà, le long de Picardye et de Normandye, affin
   d'attirer les Angloix à ceste guerre, car lors ils se
   déclareront indubitablement pour eulx;

   Que les praticques qui sont tramées, de longtemps, sur
   Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg, seront
   tantées; en quoy se parle qu'il y a des habitantz, aulxquelz
   on a promis cinq centz escus de rante à chascun, dans ce
   royaulme, pour introduyre les Angloix dans leurs villes; et
   qu'on doibt conduyre l'entreprinse par des navyres marchands,
   où y aura des harquebouziers et gens de guerre cachez,
   lesquelz, avec leurs intelligences, se rendront mestres des
   portes; et qu'en mesmes temps y aura partye faicte, dans les
   dictes villes, pour tuer les gouverneurs et cappitaynes;

   Et qu'en effect la guerre s'allumera par toutz les coings et
   endroictz du royaulme, pour obtenir ceste foys l'édict
   irrévocable de janvyer, avec de si bonnes places et lieux de
   seureté, qu'ilz n'auront jamays plus à creindre qu'on leur
   viegne forcer ny leurs vyes ny leurs consciences; et que le
   Roy et la Royne, sa mère, se trouveroient si perplex que, de
   la pluspart de ceulx qu'ilz se voudroient servir, ou qu'ilz
   voudroient retenir près d'eulx, ou bien les employer en
   légations et charges, ilz ne les réputeront fidelles; et, s'il
   est possible, ilz persuaderont ceulx de ce conseil de fère que
   ceste princesse monstre quelque ressentiment, de parolle ou
   d'effaict, sur les susdictz rapportz de milord de North, affin
   de venir en ropture avecques le Roy.

   Mais ce qui plus me griefve est que deux personnages
   catholicques, et bien fort vénérables, de ce royaulme, m'ont
   mandé, séparément l'ung de l'autre, sellon qu'ilz sont aussy
   séparez, que la conjuration a esté faicte contre la vye et la
   personne du Roy, et qu'à présent, plus que jamays, l'on la
   poursuyt; et qu'il faut que Sa Majesté face prendre
   soigneusement garde à son boyre, à son manger, à ses
   vestementz, à ce qu'il touchera, et nomméement au pommeau de
   la selle et aulx rènes du cheval qu'il montera.

   Et, depuis, les dessusdictz et ung autre personnage de bonne
   qualité, estranger, m'est venu confirmer le mesmes
   advertissement, par la relation d'aulcuns aultres, et comme il
   est ordonné d'employer de grands dons et présantz pour
   corrompre quelqu'ung de la cuysine, ou d'autre office de la
   bouche du Roy, ou bien de sa garderobbe, ou de l'escuyerye,
   pour exécuter l'entreprinse. Et n'ont deffally aussy aulcuns
   françoys de la nouvelle religyon qui m'ont adverty comme ilz
   avoient eu quelque sentiment de ceste détestable conjuration,
   et, qu'en toutes sortes j'en debvois donner advis au Roy.

   Et les ungs et les aultres, tant plus je les ay examinés des
   circonstances de ce faict, plus je les ay trouvez conformes et
   persévérantz en ce qu'ilz m'en avoient desjà dict. Et m'ont,
   d'abondant, confirmé qu'il y a secrette dellibération, entre
   les Angloix, d'armer et de tanter l'entreprinse des susdictes
   cinq places, ou de quelqu'une d'icelles; et que pareillement
   il y a grande conjuration contre la vye de la Royne d'Escosse,
   ce que la pouvre princesse a bien senty, ainsy qu'ung chiffre
   que j'ay dernièrement receu d'elle le tesmoigne.

   Et y a grande apparance, aussy, que, si les escrupulles qu'on
   a imprimé à la Royne d'Angleterre ne sont modérez, qu'elle
   tentera, de rechef, l'entreprinse d'avoyr le Prince d'Escosse,
   sellon qu'on m'a rapporté que, depuis quelques jours en çà,
   elle a dict qu'elle vouloit fère en sorte que le dict Prince
   et le château de Dombertrand fussent mis ez mains du comte de
   Morthon, parce qu'il réputoit Me Alexandre Asquin et ceulx qui
   gardent Dombertrand, et nomméement Droucastel, traystres. De
   quoy seroit bon les advertyr de l'opinyon que la dicte Dame a
   d'eux, car cella les feroit du tout jetter ez bras du Roy.

   Et n'ont deffally aulcuns, mesmement des partisans de
   Bourgoigne, qui ont mis en avant à ceste princesse que, sans
   plus s'amuzer aulx belles parolles du Roy et de la Royne, sa
   mère, lesquelles n'estoient que pour la tromper, elle voulût
   estroictement racoincter le Roy d'Espaygne; et avoyr agréable
   que Mr de Savoye envoyât la requérir de mariage, sellon que
   c'estoit ung prince d'âge compétant, qui avoit eu des enfans
   d'une princesse aussy advancée en l'aage comme elle, et qui
   estoit prince d'une esprouvée vertu, qui n'escandalizeroit
   rien par deçà, et qui sçavoyt supporter ceulx de la nouvelle
   religyon en ses terres, estant certain que le Roy d'Espaigne,
   en faveur de ce mariage, et pour paciffyer et saulver ses Pays
   Bas, comme indubitablement il le feroit avec la faveur de ce
   royaulme, il establiroit le dict Mr de Savoye gouverneur de
   Flandres, chose qu'il n'en pourroit advenir de plus heureuse,
   ny plus à propos, pour l'Angleterre que cella.

   Et m'est bien souvenu de ce que, par une dépesche du moys
   d'octobre dernier, Leurs Majestez m'avoient mandé, que je ne
   fusse, à présent, nullement endormy, parce que ce seroit le
   temps auquel l'on feroit les plus grands effortz de mettre la
   dicte Dame à la guerre; mais j'espère que Dieu fera la grâce
   au Roy d'establyr la paix en son royaulme, par le moyen de
   laquelle il rendra esteinctes aulx malins leurs males pensées
   dans leurs cueurs, et veynes toutes leurs entreprinses; et
   que, s'il luy playst d'envoyer requérir la continuation de la
   ligue avec ceste princesse, et la satisfère ung peu de ces
   impressions que milord de North luy a données, qu'il obtiendra
   tout ce qu'il voudra d'elle, et ne sentira de son royaulme que
   toutz offices d'amityé et de bonne intelligence.


   AUTRE LETTRE A PART.

   (_Escripte de la main du Sr de La Mothe Fénélon._)

   --du XXVIIIe jour de décembre  1574.--


    AU ROY.

Sire, il y a des personnes, à qui leur malice les presse si fort au
cueur qu'ilz ne l'y peuvent tenir cachée, et manifestent souvant des
pensées qu'ilz ont, qui sont plus malignes qu'il ne leur abonde le
moyen de les exécuter, ainsy que, sur ce que je viens de vous escripre
par ung mémoyre de ceste dathe, touchant la conjuration faicte contre
la personne de Vostre Majesté, j'ay envoyé remonstrer au vieux évesque
catholicque de Lincoln, et à ung autre grand docteur très catholicque,
qui sont toutz deux en arrest en ceste ville, et pareillement au Sr
Fogas, portugoys, et surtout au Sr de Languillier et au cappitayne
Bastian, provançal, et à quelques aultres françoys, (qui m'ont donné
le dict advertissement, et y ont meslé le danger de la Royne, vostre
mère, avecques le vostre), que je ne voulois légèrement, sur ung dire
si général et incertain que le leur, vous donner ceste tant fascheuse
impression, laquelle ne pourroit estre que ne vous esmeût bien fort,
et ne picquât estrangement les cueurs de Voz Majestez; et que pourtant
je les prioys de me désigner s'il y avoit, de présent, près de Voz
dictes Majestez, ou s'il y debvoit venir personne, de quelque qualité
que ce fût, qu'ilz l'eussent ouy nommer pour suspecte de cest acte,
affin que la puissiez fère mieulx observer et vous mieulx
contregarder.

Et ilz m'ont respondu le mesmes qu'ilz m'avoient desjà mandé, que,
par des propos qu'aulcuns, transportez de passion, avoient tenuz entre
eulx, il estoit évident que la dicte conjuration estoit faicte, et
qu'on poursuyvoit encores, à présent, plus qu'on n'avoit encores
faict, de l'effectuer. Et ont adjouxté qu'il falloit prendre bien
garde que quelqu'ung, ayant une baguette en la main, avec ung nœud,
ou ung petit boucquet au bout, ne vous touchât, feignant de le fère
par mégarde, car le bouquet seroit empoysonné; et aussy que, pour
éviter quelque malheureux coup de dague ou de pistollé par trahyson,
Vostre Majesté n'admît près de soy personnes incognues, et nomméement
nul escossoys, qui ne fût bien advoué.

Et m'ont, d'abondant, adverty que les ministres s'estant persuadez
qu'il n'y avoit bonne intelligence entre Vostre Majesté et Monseigneur
vostre frère, avoient proposé de mettre en avant que nouveau partage
luy fût baillé, avec tiltre de Roy, ou aulmoins de souverayneté, affin
que ses terres fussent ung lieu de refuge à ceulx de leur religyon,
qui estoit la plus honneste seureté qu'ilz vous sçauroyent demander;
mais qu'ilz ne sçavoient pas encores si Mon dict Seigneur le
trouveroit bon, car ce n'estoit chose qui fût provenue de luy. Qui
sont dellibérations, Sire, qui descouvrent plus de tourment en ceulx
qui les font, qu'il n'y a apparance qu'ilz les puissent ny ozent
jamays entreprendre, tant elles ont peu de fondement; dont n'en debvez
estre en peyne.

Et néantmoins je n'ay voullu fallir de les vous mander, puisqu'elles
concernent vostre personne, vous supplyant très humblement, Sire, que,
de tant que ces gens ne cessent de vous dresser, dedans vostre
royaulme et partout où ilz peuvent, dehors, tout plein de fâcheuses
praticques, sur l'apparance de ce qu'ilz imaginent debvoir estre ou
pouvoir advenir, qu'il vous playse, et à la Royne, vostre mère, pour
les rendre confus, unyr très intimement et très cordiallement
Monseigneur vostre frère à voz intentions, comme ung autre bras droict
de vostre force, et l'appuy de vostre authorité, et que faciez
paroistre qu'il est ainsy; et réputiez, au reste, très honnorable, et
encores plus heureuse, la paix avec voz subjectz, en quelle façon que
Dieu vous donnera de la pouvoir fère avec vostre réputation, car elle
vous mènera à bout de toutz voz affères; et qu'il soit vostre bon
playsir de me renvoyer la présente, qui est escripte de ma main: car
ceulx qui y sont nommez me l'ont ainsy faict jurer et promettre. Et
sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.



CCCCXXVIe DÉPESCHE

--du segond jour de l'an 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Assurances réciproques d'amitié.--Offre faite par
    Élisabeth de sa médiation pour procurer la paix en
    France.--Réponse évasive de l'ambassadeur.--État des forces que
    le roi peut opposer aux rebelles.--Explications sur les propos
    rapportés par lord de North.--Déclaration d'Élisabeth à ce
    sujet.--Instances de l'ambassadeur en faveur de Marie
    Stuart.--Meilleure disposition d'Élisabeth à l'égard de la
    reine d'Écosse.--Recommandation au roi en faveur de Me
    Warcop.--Prière à la reine-mère de faire une réponse à la
    déclaration d'Élisabeth.


    AU ROY.

Sire, estant, à l'occasion de vostre dépesche du Ve du passé,
allé donner, le premier d'estui cy, les bonnes festes et le bon
an à la Royne d'Angleterre, à Ampthoncourt, elle s'est trouvée
merveilleusement bien contante des propos que j'ay eus à luy tenir de
vostre part; et après qu'elle m'a eu, avec démonstration de beaucoup
d'affection, dict qu'elle vous faisoit, de bon cueur, les mesmes bons
et honnestes souhaitz que je luy faisois, icy, à elle, et qu'elle
desiroit que ce segond an de vostre règne fût en toutes sortes si
segond, et bien heureux, qu'il vous peût introduyre en plusieurs
aultres années après, qui vous fussent pleynes de félicité, elle m'a
prié de vous escripre qu'elle vous remercyoit infinyement de celle
forme d'excuse que luy faysiez de ne l'avoyr encores envoyé visiter,
laquelle luy estoit ung tesmoignage non petit que vostre intention
estoit de vous entretenir en bonne amityé avec elle, puisqu'au milieu
des grands et très urgentz affères de vostre royaulme, et mesmement de
ceulx où vous vous trouviez à présent enveloppé, ez confins d'icelluy,
vers le Languedoc, il vous playsoit d'avoyr en mémoyre ceste visite,
sur laquelle elle considéroit assez vos empeschementz; mais elle vous
promettoit bien qu'en quel temps qu'elle vînt, elle tesmoigneroit au
monde qu'elle l'acceptoit de bon cueur, et qu'elle la recepvoit à très
grand honneur, et pour une marque de la plus parfaicte intelligence
qu'elle desire avoyr avec quelconque aultre prince qui soit en la
Chrestienté; et puisque luy offriez de luy garder sincèrement les
droictz de vostre amityé, qu'elle vous prioit de croyre qu'elle vous
conserveroit perpétuelle et inviolable ceulx de la sienne, bien
qu'elle ne se pouvoit assurer qu'il n'y en eût, près de vous, qui vous
persuadoient aultrement, et qui desiroient vous voyr brouillez
ensemble, et la troubler à elle en son estat, mais qu'elle ne
layrroit, pour cella, de donner foy à ce que luy promettiez, et de
souhayter, de tout son cueur, l'establissement de voz affères et la
tranquillité de vostre estat; et que la mesmes offre, qu'elle avoit
faicte au feu Roy, vostre frère, aulx troubles de son temps, elle la
tournoit fère à Vostre Majesté en ceulx qui se sont ressucitez du
vostre:

C'est que, si voyez qu'elle puisse quelque chose pour les réduyre à de
bons termes de paix, avec la conservation de vostre authorité et
réputation, et avec toutz les advantaiges qui doibvent estre réservez
à ung roy et prince souverain, qu'elle est preste de s'y employer en
la mesme forme qu'elle desire demeurer establie sur ses propres
subjectz, et non à rien moins que cella. En quoy s'il luy pouvoit
apparoir que eussiez offert aulx vostres, non toutes les condicions
qu'ilz voudroient, mais quelques unes, honnestes et tollérables, pour
satisfère à leurs consciences, et d'autres pour les rendre aulcunement
assurez contre les justes meffiances que vous mesmes jugés bien qu'ilz
ont occasion d'avoyr, et qu'ilz ne s'en voulussent contanter, qu'elle
les réputeroit lors substretz de la droicte religyon pour entrer en
une manifeste rébellion contre Dieu et contre leur prince naturel, et
comme telz elle ayderoit, de tout son pouvoir, à les chastier et
réprimer.

De quoy l'ayant bien fort remercyé avecques une suyte de toutz les
honnestes propos que j'ay estimez convenir à l'expression de vostre
bon desir à la paix, sans m'arrester nullement à son offre, sinon de
l'assurer que je le vous signiffieroys le plus près que je pourrois
des mesmes termes qu'elle me l'avoit dicte, je luy ay satisfaict à ce
qu'au reste elle m'a demandé: s'il n'y avoit poinct cependant
suspencion d'armes? Que véritablement non, et que j'entendoys que Mr
de Bellegarde estoit devant Livron avec une bonne armée et vingt
canons; et Mr le maréchal de Retz devant Riez, en Provence, avec une
aultre armée et avec une aultre bonne bande d'artillerye; et le duc
d'Uzès avec d'autres bonnes forces vers l'autre part de Languedoc; et
Mr le maréchal de Monluc avec d'autres en la Guyenne; et Mr de
Montpensier continuoit le siège de Lusignan en Poictou: de sorte que
Vostre Majesté avoit cinq armées aulx champs, et estiez prest
d'introduyre encores bien d'autres grosses levées de reytres et de
suisses, et estrangers, et joindre de très grandes forces de voz
subjectz pour remédyer, par ce violent moyen, à la trop ostinée
opiniastreté à voz subjectz, si les remèdes de vostre clémence et
doulceur n'y pouvoient estre applicquez.

De quoy la dicte Dame s'est donnée beaucoup d'admiration, d'où, ny
commant, après tant de ruynes et de calamités de vostre royaulme, vous
pouvoient maintenant survenir tant de grands et esmerveillables
moyenz. Et a adjouxté qu'elle vous prioit, sur toutes choses, de ne
vouloir essayer l'extrémité, parce qu'après icelle n'y avoit plus, de
ressource. Et puis a faict venir à propos de me dire que, depuis huict
jours en çà, je l'avoys cuydé remettre en la mesme détresse qu'elle
estoit, lorsque la feue Royne, sa seur, luy faisoit fère son procès
dans la Tour sur des parolles qu'on avoit mal entendues d'elle; et
qu'elle me pouvoit dire qu'encores jamays elle n'avoit, à son escient,
intéressé l'honneur de gentilhomme ny de dame, qui fût au monde, et
que pourtant je pouvois croyre qu'elle n'avoit touché ny entendu
toucher, en façon que ce fût, à celluy d'une telle princesse comme la
Royne, vostre mère; mais qu'elle n'avoit peu fère de moins, pour
l'honneur et révérance du feu Roy, son père, que de dire qu'il n'avoit
esté honnorable à elle de se mocquer de luy, si, d'avanture, elle
l'avoit faict; et qu'elle verroit quelle interprétation elle y
voudroit donner.

Je luy ay respondu que, à dire vray, j'estois, l'autre foys, party
bien troublé de sa présence, ayant entendu des parolles qui tendoient,
d'ung costé, à blasmer la Royne, vostre mère, et par conséquent Vostre
Majesté mesmes, et, de l'autre, à mettre de l'altération en vostre
mutuelle amityé; et que pourtant j'avoys cherché quelque radresse en
cella, mais qu'à présent je demeuroys le plus satisfaict gentilhomme
du monde, et me soubscripvois à ce qu'elle m'en avoit mandé, et à ce
que présentement elle m'en disoit; dont espérois que bientost il luy
viendroit aussy à elle tant de satisfaction, de cest endroict, que les
mauvais rapportz en resteroient convaincus. Et suis passé à luy fère
une petite négociation pour la Royne d'Escoce, et luy présenter une
lettre qu'elle luy escripvoit, et une très belle coyfure de réseil,
qu'elle luy envoyoit, fort mignonement ouvrée de la main mesmes de la
Royne d'Escosse, avec le collet et manches, et aultres petites pièces
appartenantes à cella, que la dicte Dame a eu autant agréables qu'il
est possible. Et pense avoyr réduit les choses, entre elles, à
quelques bons termes, pour n'estre besoing, Sire, que touchiez rien à
l'ambassadeur d'Angleterre du changement qu'elle creignoit, jusques à
ce que je vous en auray autrement escript. Et sur ce, etc.

    Ce IIe jour de janvier 1575.


   _Par postille à la lettre précédente._

   Ceste princesse et les principaulx de son conseil m'ont si
   instamment pryé de remémorer à Vostre Majesté la promesse
   qu'avez faicte à milord de North, touchant l'affère de Me
   Warcop, que je vous supplie très humblement, Sire, d'y vouloir
   fère regarder, et luy pourvoyr; car, avec l'équité de sa
   cause, il est gentilhomme de mérite, et qui est fort bien veu
   et bien fort estimé de la Royne, sa Mestresse, et de toute sa
   court.


    A LA ROYNE.

Madame, je suis retourné, ceste foys, si satisfaict de la Royne
d'Angleterre, des honnestes et vertueux propos qu'elle m'a tenuz de
Vostre Majesté, et de l'obligation qu'elle dict avoyr de vous aymer et
respecter par dessus toutes les aultres princesses de la Chrestienté,
et de la ferme créance qu'elle veut avoyr, attandu les honnorables
offres d'amityé et d'alliance qu'elle a eues plus expresses de vous
que de nul autre prince ny princesse qui vivent, qu'il ne peut estre
que vous l'ayez volue offancer ny injurier, en vous mocquant et
faisant ceste dérision, qu'on luy a dict du feu Roy, son père. Et a si
bien rabillé ce que la collère et l'instigation d'autruy luy pouvoient
avoyr faict advancer quelque parolle, que j'estime, Madame, s'il vous
plaist luy escripre ung bon mot, de vostre main, sur l'interprétation
de ce qui peut avoyr esté faict en cella; et que Vostre Majesté
l'assure qu'il n'y a eu rien en dérision ny mocquerie d'elle ny du feu
Roy, son père, que toutes choses se réduyront entre vous deux en aussy
bons termes qu'elles ont esté jamays. Et de tant que cella ne peut
estre, en ce temps, ny pour quelles occasions qui puissent survenir,
sinon très commode et de beaucoup d'utillité aulx affères de Voz
Majestez Très Chrestiennes, et au bien de vostre royaulme, je vous
supplye très humblement, Madame, ne la vouloir mespriser. Et sur ce,
etc.

    Ce IIe jour de janvier 1575.



CCCCXXVIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour de janvyer 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer._)

  Nécessité d'envoyer promptement la légation annoncée pour
    complimenter Élisabeth de la part du roi.--Maladie de
    l'ambassadeur.--Ses instances pour obtenir son
    rappel.--Nouvelles des Pays-Bas, d'Irlande et de la Rochelle.


    AU ROY.

Sire, ayant, par ma précédante dépesche, donné ung bien entier compte
à Vostre Majesté des propos qui ont esté tenuz entre la Royne
d'Angleterre et moy, à ce nouvel an, j'ai depuis travaillé, et fais
tousjours tout ce que je puis pour entretenir la dicte Dame et ceulx
de son conseil aulx meilleurs et plus exprès termes de vostre amityé
qu'il m'est possible, affin qu'ilz ne se layssent conduyre,
d'ailleurs, à fère des dellibérations qui vous puissent estre
nuysibles, ny qui soient pour apporter de l'empeschement à
l'establissement de voz affères. Et bien qu'ilz s'assemblent assez
souvant pour traicter des entreprinses de l'année où nous entrons, si
ne descouvrè je qu'ilz se résolvent, pour encores, à rien de bien
certain, jusques à ce qu'ilz puissent voyr quelle yssue prendra le
pourparlé de paciffication que Vostre Majesté a commancé avec ceulx de
leur religion, car il semble bien, Sire, que la dicte Dame, avec
aulcuns des mieulx intentionnés de son conseil, vous desirent de bon
cueur la réduction de voz subjectz; mais il est bien certain qu'elle
ny pas ung d'eux ne voudroient, en façon du monde, qu'elle advînt par
une deffinition d'armes; et je crains par trop, si le dict pourparler
vient du tout à se rompre, que leurs dictes dellibérations, avec
celles des Allemantz, lesquels, par messagers ordinayres, confèrent
quasy toutes les sepmaynes ensemble, ne se résolvent, en faveur de voz
dictz subjectz, à vous susciter avec eulx une guerre plus longue et
plus pleyne de difficultez et de dangers que n'ont esté les
précédantes. Dont, affin, Sire, que, en tout évènement de paix ou de
guerre, l'on ne puisse ainsy facillement divertyr ceulx cy de vostre
intelligence, comme je voy bien que ceulx qui envyent vostre grandeur,
et ceulx qui la creignent, s'efforcent de le fère, je vous supplye
d'envoyer bientost visiter la dicte Dame, et la requérir de la
confirmation de la ligue; car j'espère, moyennant cella, que je
pourray bien, avec le gentilhomme qui viendra pour cest effect, et
avec celluy qu'envoyerez me succéder, fère en sorte que les aultres
poursuyvans, qui sont à présent icy, demeureront exclus de la pluspart
de leurs demandes; et que je pourray laysser à mon successeur les
choses de vostre service en très bonne disposition par deçà.

En quoy, Sire, pour l'occasion de mon indisposition, laquelle me
rengrège si fort, à toute heure, qu'à peyne ozè je plus habandonner la
chambre, je suis contrainct de presser, plus qu'autrement je ne
ferois, Vostre Majesté, de la venue des dictz deux gentilzhommes,
joinct que Me Wilson a naguyères escript de Bruxelles qu'il avoit
obtenu telle expédition qu'il avoit peu desirer sur toutz les poinctz
de sa légation, et que le commerce d'Anvers estoit réouvert aulx
Angloix, et l'amityé avec le Roy d'Espaigne s'alloit renouer plus
estroictement que jamays, se louant infinyement des bonnes chères et
des festins et accueils et bons trettementz que le grand commandeur et
le duc d'Ascot, et don Bernardin de Mendossa, et aultres seigneurs de
celle court luy avoient faict; ce que venant à estre mis en
comparayson des choses que milord de North a mal rapportées de France,
je sentz bien que quelques ungs s'efforcent d'en relever la part
d'Espaigne par dessus celle de Vostre Majesté, dont est besoing de
quelque ayde et de quelque prompt entretènement pour y remédyer.

Les choses d'Irlande succèdent, à ceste heure, assez heureusement à
ceste princesse depuis la réduction du comte d'Esmont, qui luy a remis
cinq fortz entre mains. Et le comte d'Essex en a gaigné deux ou troys,
et en faict réédiffyer quatre; dont demande, à présent, ung renfort de
soldatz, affin de les garnyr bien très toutz; et si, a prins, à ce que
j'entends, Briant Mac O'Nel, qui est escossoys, prisonnyer. Et le
susdict comte d'Esmont promect qu'il fera bientost réduyre tout le
païs à une bonne tranquillité soubz l'obéyssance de la Royne
d'Angleterre.

L'on dict qu'il est party de Flexingues une flote de dix huict bons
navyres de guerre pour aller courre la coste d'Espaigne, et se
retirer, puis après, en Brouage.

Il y a ung jeune homme, naguyères revenu de la Rochelle, qui rapporte
que Mr de La Noue en est party, avec quarante chevaulx, assez
malcontant des habitants; bien que les ministres font courir le bruict
qu'il est allé, avec troys centz chevaulx, recueillyr aultres troys ou
quatre centz chevaulx en Périgort, et six centz harquebouziers; et
qu'avec ces forces, et aultres qu'il pourra assembler, il dellibère
d'aller combatre Mr de Montpensier, et secourir ceulx qui sont dans
Lusignan. Et sur ce, etc.

    Ce VIIe jour de janvier 1575.



CCCCXXVIIIe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de janvyer 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Retards apportés à la négociation de la paix en
    France.--Démarches faites auprès de Mr de Méru par les
    protestans.--Mort du duc de Bouillon et du cardinal de
    Lorraine.--État de la négociation de la paix.


    AU ROY.

Sire, avec les honnestes propos d'amityé que j'ay tirés des deux
dépesches de Vostre Majesté, du Xe et XIIIIe du passé, qui me sont
arryvées le quatriesme et sixiesme d'estui cy, j'ay mis peyne
d'entretenir la Royne d'Angleterre, et ceulx qui guident ses
dellibérations, en la meilleure disposition que j'ay peu; et ay, par
là, assés faict suspendre les responces qu'aulcuns s'efforçoient
d'avoyr d'elle sur les présentz affères qui se débatent en vostre
royaulme; qui, avec bonnes parolles, les a remys jusques après que,
par la procheyne légation que luy envoyerés, elle aura pu cognoistre
comme vous entendez de vivre avec elle. Il est vray, Sire, que je
sentz bien que, sur les difficultez que l'ambassadeur d'Angleterre a
escript qui se trouvoient si grandes, en la paciffication de voz
subjectz, que Vostre Majesté perdoit quasy l'espérance de ne les
pouvoir plus réduyre sinon par la force, il a esté donné quelque
parolle là dessus, qui a beaucoup contanté les poursuyvans. Et a l'on
mis en avant je ne sçay encores bonnement quoy, sur la nouvelle qui
est arryvée de la mort de Mr de Boillon[3], touchant ses deux places
de Sedan et de Jamays.

  [3] Henri Robert de La Mark, duc de Bouillon, mort le 2 décembre
  1574.

Et le cinquiesme de ce moys est arryvé, en ceste ville, ung provençal,
nommé Pierre Garnier, de Marseille, qui monstre estre assés habille
homme et homme d'affères; lequel dict que, voyant la guerre en son
pays, il avoit volontiers prins l'occasion de s'en esloigner, soubz
prétexte de marchandise, et qu'il attandoit de bref ung navyre sien
qui luy estoit de grande importance. Et incontinent est allé trouver
Mr de Méru, feignant toutesfoys d'estre homme fort indifférent, et de
n'avoyr poinct sceu que Mr de Méru fût icy, mais que, pour avoyr esté
d'autresfoys fort cognu de Mr Dampville, il luy vouloit bien fère la
révérance, et luy a faict les forces de son dict frère fort grandes,
de vingt mille harquebusiers et troys mille chevaulx. Dont, bientost
après, le dict sieur de Méru est allé à Ampthoncourt négocier quelque
chose là dessus avec ceste princesse et avec ceulx de son conseil; et,
encores depuis, il y est retourné, quand l'homme du docteur Dayl a
esté arryvé, avec la dépesche de son maistre, du XXIXe du passé, par
la quelle il assure que Mr le cardinal de Lorrayne estoit trespassé le
jour de Noël, qui a esté une nouvelle à ceulx cy non mal agréable, à
cause de la Royne d'Escosse, mais j'assure fort que je n'en ay poinct
de confirmation. Et semble que le dict Sr de Méru se prépare pour
retourner de bref en Allemaigne, et m'a l'on dict qu'il emmeyne
avecques luy le jeune Montgommery, frère puyné de celluy qui s'en est
retourné à la Rochelle avecques sa femme.

Le susdict ambassadeur d'Angleterre avoit desjà escript, icy, du
deppart des depputez de Languedoc, en une certeyne façon qui faisoit
assés doubter que vous desirissiés la paix; mais j'ay faict voyr que
nul ne debvoit trouver estrange si aviez renvoyé les dictz depputez
sans leur accorder celle convoquation qu'ilz demandoient estre faicte
à Nismes; car, oultre qu'elle tiroit les choses en longueur, vous leur
avez proposé d'autres expédientz qu'ilz n'avoient poinct rejettez,
lesquelz ilz estoient allez conférer avec ceulx qui les avoient
depputez, en intention d'incontinent après vous venir retrouver, et
que cepandant vous dellibériez, avec les depputez de Monsieur le
Prince, lesquelz vous attendiez d'heure en heure, de disposer la
matière pour la fère venir à quelque bonne conclusion. Ce qui a, de
rechef, remis ceulx cy en l'opinyon de la paix. Et le mesmes
ambassadeur leur a escript que, depuis la mort de Mr le cardinal de
Lorrayne, l'on en avoit plus d'espérance. Et sur ce, etc. Ce XIIIe
jour de janvier 1575.



CCCCXXIXe DÉPESCHE

--du XIXe jour de janvyer 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet._)

  Injonction faite à l'ambassadeur d'intercéder vivement auprès
    d'Élisabeth pour Marie Stuart.--Crainte qu'une pareille
    démarche ne soit inopportune.--Espoir que la reine d'Écosse est
    pour le moment hors de danger.--État de la négociation de la
    paix en France.--Promesses faites par Élisabeth aux protestans
    de France et d'Allemagne.--Armemens préparés secrètement à
    Londres.--Nouvelles de la Rochelle.--Négociation de la paix
    dans les Pays-Bas.


    AU ROY.

Sire, à ce premier chef de vostre dépesche, du XXe du passé, que j'ay
receue le tréziesme d'estuy cy, par où Vostre Majesté me mande que je
m'opose au transport de la Royne d'Escosse, je ne fauldray d'y
satisfère, quand j'entendray, par elle, ou que je sentiray, icy, qu'il
en sera besoing, bien que nulle autre chose pourra estre prinse en
pire part, ny plus mal interprétée de la Royne d'Angleterre et des
siens, que l'instance que j'en pourray fère, parce qu'elle et eulx ne
sont de rien au monde si jaloux que de tout ce qui, au nom de Vostre
Majesté, vient estre dict ou faict en faveur de ceste princesse.
Néantmoins je n'obmettray rien de tout ce qu'il vous plaist m'en
commander avec la deue observance, toutesfoys, qu'y sera requise, pour
n'altérer rien de voz affères par deçà. Dont je loue Dieu que, pour
ceste heure, il n'y fault rien fère; car il est desjà pourveu, si plus
grand accidant ne survient, qu'elle ne sera poinct changée de la garde
du comte de Cherosbery.

Et pour l'autre segond chef de vostre dicte dépesche, j'ay mis peyne
de fère voyr, icy, de quelle bénignité vous avez commancé de tretter
avec les depputez du Prince de Condé, et combien vous desirez et avez
bonne espérance de mettre de bref la paciffication en vostre royaulme.
Qui vous promectz, Sire, que les aultres depputez des eslevez de
Languedoc ne furent pas plus tost départis d'Avignon, sans avoyr rien
faict, que les suppostz de la nouvelle religyon, qui sont icy,
n'allassent incontinent à Ampthoncourt, devers la Royne d'Angleterre
et devers ceulx de son conseil, y estant lors Mr de Méru, pour leur
donner entendre que, sur des difficultez non petites, et sur certeyne
forme d'articles qu'ilz leur monstreroient, toute l'espérance de la
paix estoit rompue, et que les eslevez se trouvoient sy gaillards
qu'ilz se mettroient bientost en campaigne; et que, dans peu de jours,
le Prince de Condé seroit prest de descendre, avec de grandes forces,
d'Allemaigne en France; dont supplyoient la dicte Dame de se vouloir,
à ce coup, bien résoudre de leur donner, sinon ouvertement du secours
d'hommes, aulmoins celle faveur de son royaulme, par mer et par
terre, que le temps et l'occasion leur pourroit admener d'en avoyr
besoing.

A quoy j'entends qu'elle leur a respondu qu'elle estoit en bonne
amityé et intelligence avec Vostre Majesté, et ne leur pouvoit, pour
ceste heure, rien promettre à vostre préjudice, mais qu'elle se
réservoit de leur fère une bien plus expresse responce dans bien peu
de moys, qu'elle auroit veu comme vous dellibèreriez de demeurer avec
elle, et comme vous entendriez de demeurer avec eulx; et que, si
cepandant elle pouvoit estre moyen de quelque réconciliation entre
Vostre Majesté et eulx, elle offroit de s'y employer de tout le
pouvoir et moyen qu'elle en auroit. Et les a ainsy renvoyez.

Néantmoins il se poursuyt tousjours une secrette dellibération d'armer
bon nombre de navyres, et de mettre jusques à huict mille hommes
dessus, par apparance d'en vouloir secourir le Roy d'Espaigne, et
Guoras s'en entremet aulcunement; mais ceulx qui considèrent l'affère
de près jugent que c'est toute aultre chose qu'on couvre là dessoubz.
Dont je mettray peyne d'y avoyr l'œil le plus ouvert qu'il me sera
possible.

Deux jeunes hommes partys de la Rochelle le segond de ce moys sont
arryvez, n'y a que troys jours, en ceste ville, avec quelque
commission de passer en Ollande; et ont apporté diverses dépesches à
plusieurs, expéciallement à Mr de Walsingam, lequel s'est retiré pour
ung moys en ceste ville, affin de se fère panser de son accoustumée
difficulté d'urine. Et j'entends qu'ilz rapportent que le Sr de La
Noue estoit retourné à la Rochelle, le XXIXe du passé, et pareillement
le baron de Miraubeau, et le lieutenant de Poictiers en Brouage,
ayantz fally à deux entreprinses, pour lesquelles ilz estoient partys:
l'une, de Zainctes, où leurs eschelles pour estre trop chargées
s'estoient rompues; et l'autre, de St Jehan d'Angely, où ceulx de
dedans, qui estoient de leur intelligence, pour l'espérance procheyne
de la paix n'avoient voulu interrompre leur repos, mais que, si la
guerre continuoit, ilz faysoient estat de s'en rendre facillement
maystres; et qu'ilz n'avoient, de plus près que Barbesieux, approché
Lusignan, estantz hors d'espérance de le pouvoir secourir, de quoy ilz
vouloient advertyr ceulx de dedans, affin de prendre party, lesquelz
estoient en extrême nécessité de toutes aultres choses, ormis de bled
et de farine qu'ilz en avoient encores pour longtemps. Et ont les
dictz deux rochelloys assés déclaré que ceulx de leur ville et les
aultres eslevez de tout ce quartier là inclineroient bien fort à la
paix.

Me Wilson a escript, de Flandres, que les choses s'y tournoient fort
disposées à la paix, s'estant le grand commandeur layssé entendre que
le Roy, son Mestre, pourroit condescendre de retirer les Hespaignols,
et laysser à ceulx de la nouvelle religyon la liberté de conscience
sans exercisse, et de remettre toutz les anciens privilèges du pays,
et confirmer le gouvernement de Ollande et Zélande au prince d'Orange,
et de luy rendre son filz qui est en Espaigne; et qu'à cest effect il
y avoit des depputés devers le dict prince tant de la part de
l'Empereur, comme entreméteur, que ung du conseil d'estat du Pays Bas,
pour en dresser des articles. Et sur ce, etc.

    Ce XIXe jour de janvier 1575.

   Je viens d'estre adverty que quelques cappitaynes et
   gentilzhommes angloys, où y a des françoys meslez,
   s'apprestent à grand haste, comme de eulx mesmes, d'aller
   tanter quelque entreprinse par dellà la mer. Dont je supplye
   très humblement Vostre Majesté d'envoyer tout promptement
   refrayschir aulx cappitaynes et gouverneurs de la frontière de
   deçà qu'ilz ayent à se tenir sur leurs gardes.



CCCCXXXe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour de janvyer 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Continuation des armemens pour une entreprise secrète.--Vive
    recommandation de l'ambassadeur en faveur du comte d'Oxfort qui
    passe en France.--Bruit répandu à Londres d'une défaite essuyée
    par les catholiques dans le Dauphiné.--Nouvelles des
    Pays-Bas.--Saisie de lettres qui paraissent concerner Marie
    Stuart.


    AU ROY.

Sire, suyvant l'advertissement dont, au pied de ma dépesche du XIXe du
présent, j'ay faict mencion à Vostre Majesté, comme aulcuns
gentilshommes et cappitaynes angloys s'apprestoient, comme d'eux
mesmes, de fère une entreprinse de par dellà la mer, j'ay mis peyne de
le fère sçavoyr aulx gouverneurs plus voysins d'icy, qui ont la charge
des places au long de la coste de deçà, lesquels j'espère que s'en
tiendront plus apperceus. Et en confirmation de cella, je suis adverty
que, toutes les nuictz, l'on tire secrettement des armes et des
monitions de guerre de la Tour de Londres pour les envoyer ez portz,
et les distribuer aulx cappitaynes et soldatz qui sont volontayres, et
aulx vaysseaulx de l'entreprinse qui sont toutz de particulliers.

Il sembloit que le comte d'Oxfort deût estre le chef de la dicte
entreprinse, mais il prend ung aultre chemin, ayant tant faict qu'il
a impétré de la Royne, sa Mestresse, son congé pour aller fère un
voïage en Italye; et dellibère partir dans huict jours, et passer par
France, faisant estat de séjourner ung moys à Paris; et monstre, Sire,
d'estre grandement dévot à Vostre Majesté, ayant voulu suplyer la
Royne, sa Mestresse, de trouver bon qu'il se peût offrir à vostre
service, mais l'on l'a adverty que, parce qu'il est notoyrement réputé
fort partial pour la Royne d'Escosse et nepveu du feu duc de Norfolc,
qu'elle tiendroit cella pour trop suspect; néantmoins il dellibère de
bayser très humblement les mains à Vostre Majesté, et ne refuser
d'obéyr à ce qu'il vous plerra luy commander. Et parce qu'il est quasy
le premier comte et grand chamberlan d'Angleterre, et comme le premier
de la noblesse du pays, et le mieulx suivy et de trop plus d'espérance
que nul aultre seigneur du royaulme, il vous plerra, Sire, commander
qu'il luy soit faict quelque honneur et luy soit porté faveur et
respect, en passant par vostre royaulme; car, oultre son mérite, toute
l'Angleterre et ceste court mesmement s'en sentiront infiniement
gratiffiez. Les partisans de Bourgoigne luy promettent qu'il aura
charge au service du Roy d'Espaigne, aussytost qu'il arryvera en
Italye, et le pressent d'aller trouver dom Johan d'Austria, ne luy
manquant lettres de banque et crédict, et deniers contantz, pour fère
une honneste despence par dellà; mais il monstre d'avoyr plus
d'inclination à vostre service qu'à celluy du dict Roy d'Espaigne.

L'on a faict courir, icy, le bruict qu'il y avoit eu ung gros
rencontre en Daulfiné, où avoit esté, de chascun costé, asprement
combatu, avec si divers évènementz que les vostres avoient eu du pire;
et néantmoins Monbrun estoit demeuré prisonnyer. Ceulx de ceste court
m'en ont envoyé demander des nouvelles, mais je leur ay respondu que
je n'en avoys poinct.

Le ministre Feugré est depuis quatre jours retourné de Hollande,
duquel je ne puis encores bien descouvrir qu'est ce qu'il rapporte de
dellà, sinon qu'il assure que, succédant ou ne succédant poinct la
paix en Flandres, ceulx de la Rochelle, premier que les gallères de
Vostre Majesté sortent de la rivière de Nantes, auront des navyres, de
Ollande et Zélande, assés pour suffire pour garder le hâvre de
Brouage, et leur rade de Chef de Boys.

Mr de Méru continue de s'apprester pour retourner en Allemaigne;
néantmoins quelques françoys qui le suyvent monstrent estre de
l'entreprinse des Angloix. Le provençal Pierre Grenier, de Marseille,
dont, cy devant, je vous ay faict de mencion, monstre de vouloir
passer en Ollande, et n'attend plus que le vent. Je ne sçay si c'est
pour y praticquer quelque chose ou pour y chercher son repoz; mais,
quoyqu'il se monstre personnage fort composé, il a néantmoins négocyé
avec ceulx qui s'entremettent des praticques.

J'entendz qu'il a esté surprinz à Barwyc des lettres en chiffre, qui
venoient ou à la Royne d'Escoce ou à moy; de quoy il y a ung peu
d'altération en ceste court: et a l'on prins quelques ungs en ceste
ville qui sont réputez serviteurs secretz de la Royne d'Escosse,
lesquelz l'on a mis dans la Tour. Je ne sçay si cella produyra quelque
autre chose plus rigoureuse contre elle, mais je y pourvoyray du
meilleur remède qu'il me sera possible. Sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour de janvier 1575.



CCCCXXXIe DÉPESCHE

--du XXIXe jour de janvyer 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Continuation des armemens.--Secours d'argent envoyé d'Angleterre
    aux protestans d'Allemagne.--Projets d'Élisabeth sur
    l'Écosse.--Réclamation faite par l'ambassadeur au roi, en
    faveur des réfugiés de Rouen, afin d'obtenir la restitution de
    leurs biens.--Instance auprès de la reine-mère pour l'engager à
    faire donner satisfaction à la reine d'Angleterre.


    AU ROY.

Sire, j'ay receu, le XXIIIIe de ce moys, deux dépesches de Vostre
Majesté, l'une du dernier du passé, et l'aultre du second d'estuy cy,
par lesquelles j'ay eu assés de quoy esclarcyr les derniers bruictz
qu'on faisoit courir du maulvais succez des choses de Languedoc, et du
peu d'espérance de la paix; de quoy j'espère que, demain, je rendrai
ceste princesse plus capable de la vérité de ce qui en est, et mieulx
édiffyée de vostre intention vers elle, et de vostre desir à la
tranquillité de voz subjectz, et repos universel de la Chrestienté, et
encores de la particullarité de Mr de Dampville, qu'on ne s'est
efforcé de le luy persuader; et n'obmettray de luy relever d'autant
plus la réputation et bon progrès de voz affères qu'on met peyne de
les luy représanter bien bas et en ung fort maulvais estat; et feray,
en somme, tout ce qui me sera possible vers elle, que les
dellibérations et apprestz, que je voy fère par les siens, demeureront
interrompus, ou aulmoins que l'effaict n'en aille que le moins que
fère se pourra contre le service de Voz Majestez.

L'armement, dont je vous ay cy devant escript, se continue toujours
sans aulcun doubte, et pareillement le transport des armes et des
monitions vers les portz; et est advenu que, depuis quatre jours, sous
colleur d'ung festin, l'on a mené essayer des armes dans la Tour de
Londres à plus de deux centz gentilshommes, comme pour une soubdeyne
et secrette entreprinse; de quoy j'ay prins ung peu d'allarme, et en
envoye présentement donner aulx gouverneurs de voz places, qui sont
plus voysins d'icy. Et d'ailleurs j'ay entendu qu'on dresse
secrettement ung party, avec aulcuns marchands de ceste ville, pour
fère remettre en Allemaigne trente mille angelotz en espèce; de quoy
j'ay mis gens après pour approfondir à qui et comment le payement s'en
fera. Et me vient on aussy d'advertyr que ceulx de ce conseil
dellibèrent de proposer, avec invincibles argumentz, à leur Mestresse,
qu'elle doibt effectuer les praticques qui souvent ont esté mises en
termes: de conclurre une ligue avec les Escossoys et s'attribuer la
protection du jeune Prince d'Escosse et de sa couronne, durant sa
minorité, et luy procurer le mariage d'une des filles d'Espaigne, en
le déclarant successeur de ce royaulme. Qui est cause, Sire, que je
supplye très humblement Vostre Majesté de fère passer promptement en
Escosse le gentilhomme qu'avez dellibéré d'y envoyer résider, affin
qu'il n'y laysse rien passer qui soit au préjudice de vostre ancienne
alliance de dellà. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.

   Aulcuns de voz subjectz de Normandye, qui sont icy, me sont
   venus remonstrer que la cour du parlement de Roan, sans avoyr
   esgard à la réservation portée par voz lettres patentes du
   XXVIIe jour de décembre dernier, ny aulx attestations que,
   suyvant icelles, je leur ay baillées de leurs paysibles
   déportementz, elle leur a faict saysir leurs biens; et sur la
   main levée que leurs procureurs ont demandée, elle les a
   renvoyez à Vostre Majesté. Dont je vous supplye très
   humblement, Sire, que, de tant qu'ilz ont la promesse de
   Vostre Majesté, et que voz lettres patantes contiennent
   nomméement leur réserve, qu'il vous playse mander, par seconde
   jussion, à vostre dict parlement de Roan, de ne leur saysir
   leurs biens, et, si saysis estoient, leur en fère la main
   levée. Et j'estime que cela reviendra au bien et réputation de
   vostre service.


    A LA ROYNE.

Madame, attandant les aultres choses que je pourray recueillyr plus
amples des propos que j'auray demain avec la Royne d'Angleterre, je
mande cepandant à Voz Majestez celles qui me sont venues à notice,
lesquelles je metz sommayrement en la lettre que j'escriptz au Roy,
vostre filz. Et ne veulx rien adjouxter, icy, davantage sinon vous
supplyer très humblement, Madame, que, sur la dépesche que mon
secrettère vous a apportée, du XXVIIIe du passé, il vous playse m'y
fère avoyr bientost quelque responce, par laquelle je puisse lever à
ceste princesse toute la male satisfaction que les fascheux rapportz,
qu'on s'est efforcé de luy fère de Voz Majestez, luy ont peu mettre en
l'opinyon.

Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.



CCCCXXXIIe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de febvrier 1575.--

(_Envoyée exprès jusque à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Questions faites par Élisabeth sur l'état des affaires
    de France.--Assurance donnée par l'ambassadeur qu'il n'a point
    été livré de bataille en Languedoc.--Nouvelles du siège de
    Livron.--Persévérance du roi à desirer la paix.--Confiance que
    le prince de Condé partage ce desir.--Ignorance de
    l'ambassadeur sur la déclaration attribuée au maréchal de
    Danville.--Volonté du roi de conserver l'alliance avec
    Élisabeth.--Instances pour qu'elle refuse les secours qui lui
    sont demandés par les rebelles.--Sollicitations d'Élisabeth
    pour engager le roi à accorder la paix.--Offre de sa
    médiation.--Nouvelles de la prise de Lusignan par Mr de
    Montpensier, et de divers assauts donnés à Livron.--_Avis à la
    reine-mère._ Plaintes de l'ambassadeur sur le retard mis à lui
    envoyer de l'argent.


    AU ROY.

Sire, il a esté facille, dimanche dernier, à Ampthoncourt, de juger
que je y venois desiré de la Royne d'Angleterre pour luy compter des
nouvelles de Vostre Majesté, et de celles de voz affères; car, de tout
le moys passé, elle n'en avoit poinct ouy de bien vrayes, et le bruict
en avoit semé de si incerteynes que, monstrant d'estre bien fort ayse
qu'elle peût, à ceste heure, sçavoyr ce qui en estoit, après s'estre
soigneusement enquise de vostre santé et du bon portement de la Royne,
vostre mère, elle m'a incontinent demandé de ces combatz et rencontres
qu'on disoit estre advenuz en Languedoc? Et des termes en quoy vous
estiez de la paix? Et où estoit Mr le Prince de Condé? Et si les
levées, qu'on bruyoit si fort qu'il avoit toutes prestes en
Allemaigne, commançoient poinct de marcher? S'il estoit vray que le
mareschal Dampville eût faict une déclaration qu'elle avoit naguyères
veue, ou bien si c'estoit chose supposée? Et si vous approchiez poinct
en çà, pour venir à vostre couronnation et sacre? Se pleignant bien
fort que son ambassadeur estoit paresseux, ou bien que ses dépesches
demeuroient en quelque part arrestées, car elle ne pouvoit rien
entendre de luy.

Je luy ay respondu que ce que j'avoys à luy dire, de la part de Vostre
Majesté, estoit proprement la satisfaction des choses qu'elle venoit
de me demander; et que, grâces à Dieu, Voz Majestez Très Chrestiennes
estoient en bonne santé; et que de rencontre ny combat il n'y en avoit
poinct eu, parce que les eslevez n'avoient poinct de forces en
campaigne, ny de quoy y en mettre pour s'opposer aulx vostres; et
seulement au siège de Livron, ayantz quelques gentilshommes de bonne
volonté voulu recognoistre la bresche, il y en avoit eu de ceulx du
dehors une vingtaine de blessez, mais beaucoup plus grand nombre de
ceulx de dedans; que, touchant la paciffication, vous persévériez en
ce qu'aviez faict cognoistre à voz subjectz, et l'aviez manifesté à
toute la Chrestienté, que c'estoit la chose que plus vous desiriez en
ce monde, luy particullarisant l'article, que me faisiez dans vostre
lettre, des allées et venues des depputez, et que vous luy promettiez
bien que vous condescendriez à de si bonnes et si honnestes condicions
vers voz subjectz, pour le faict de leurs consciences et pour leur
repos, et pour la seureté qu'ilz demandoient, qu'ilz ne les pourroient
refuzer, sinon qu'ilz voulussent du tout renoncer au respect et
révérance, et à la fidellité et subjection qu'ilz vous debvoient, sans
qu'il fût besoing pour cella d'assembler voz Estatz, ainsy que les
ministres, lesquelz ne cherchoient que d'alonger les matières, et
d'esjamber tousjours quelque chose sur l'authorité des princes,
monstroient que, indiscrètement et contre tout ordre, ilz les
vouloient requérir, car vous le feriez bien de vous mesmes;

Que Mr le Prince de Condé estoit à Basle, inclinant bien fort à la
dicte paciffication, et ne hastoit guyères les levées ny les forces
d'Allemaigne; desquelles je voulois dire librement à la dicte Dame que
j'avoys opinyon qu'elles ne bougeroient nullement, si elle, ou son
crédit ou ses deniers contantz, ne les faisoit marcher, comme je
sçavoys qu'elle en estoit fort pressée et fort sollicitée toutz les
jours, et que pourtant vous auriez occasion d'en imputer à elle tout
le mal, si, d'avanture, elles descendoient en France;

Que je n'avoys poinct encores veue celle déclaration, dont elle
m'avoit parlé, de Mr Dampville, laquelle pouvoit estre aussytost
supposée que vraye; mais, quoy qu'elle eût ouy dire de l'occasion de
son malcontantement, il estoit certein, et Vous, Sire, l'affirmiez
ainsy sur vostre honneur, que ne luy aviez rien promis à Turin que ne
luy eussiez depuis invyolablement tenu. Dont ay fait peser à la dicte
Dame ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, et qu'en effect il n'y
avoit, ny ez actions ny ez intentions de Vostre Majesté, rien que ce
que convenoit d'avoyr à ung magnanime et très excellent prince, et
autant orné de toute vertu qu'il y en eût jamays eu en France; et que
Dieu vous avoit faict si généreulx que vous ne pouviez estre vaincu
par force, et si clément qu'à peyne seriez vous jamays surmonté de
bénignité. Dont estant tel, et que d'autrefoys vous luy aviez esté à
elle dévot serviteur, et maintenant estiez devenu son frère, je la
supplyois qu'elle voulût nourrir une bien bonne et germeyne amityé
avecques vous, sellon que vous luy en rendriez une semblable très
constante et perdurable à jamays;

Et que desjà sur ce qu'elle m'avoit faict vous escripre, le troysiesme
de décembre, de la sincérité et droicture dont elle dellibéroit de
procéder vers vous, que vous veuillez tant honnorer sa parolle, et y
defférer si grandement, que ne feriez difficulté de vous y commettre
et vous y reposer sans escrupulle ny meffiance quelconque; et que
désormays vous vous promettiez d'elle toutz les bons tours, de
vrayement bonne seur et bonne amye, que vous proposiez de les luy
rendre semblables de très bon frère et de très bon amy, et de ne
deffallir d'aulcun bon et honnorable office que verriez pouvoir fère
pour elle, qui fût digne de sa grandeur et non indigne de la vostre,
ainsy qu'ung gentilhomme de bonne qualité que faysiez desjà préparer
pour l'envoyer visiter, aussytost que seriez, pour vostre sacre et
corronnation, arryvé à Reyms, envyron la my febvrier, le luy
tesmoigneroit davantage. Qui ay bien voulu, Sire, luy fère ceste
expression de vostre bonne intention vers elle, affin de m'oposer à
ceulx qui s'efforçoient de luy préoccuper et engager la sienne contre
vous.

A quoy elle m'a respondu qu'elle estoit de tant plus ayse d'entendre
la bonne disposition de Voz Très Chrestiennes Majestez qu'on luy avoit
rapporté que la Royne, vostre mère, estoit bien malade, dont elle
prioit Dieu de bon cueur pour le bon portement de toutz deux; qu'elle
avoit playsir que ceulx qui avoient publyé ces combatz et deffaictes
de Languedoc fussent trouvez menteurs, et voudroit de bon cueur qu'il
y eût desjà abstinence d'armes, affin que les nouvelles playes ne
rendissent celles du passé incurables;

Que, de plus en plus, elle louoit et approuvoit vostre saincte
dellibération de vouloir apayser les troubles de vostre royaulme par
la voye de douceur, et qu'en cella sentoit elle de vous porter tant
plus de bienvueillance par dessus toutz les aultres princes ny
princesses de vostre alliance, que plus que nul d'eulx elle desiroit
de bon cueur que, establissant très bien vostre règne, vous
espargnissiez le sang et la vye et la désolation de ceulx qui, de l'un
et de l'aultre costé; sont toutz vostres;

Que j'avoys tort de la vouloir tant sonder, comme je faisois, sur le
secours que les pouvres protestantz cherchoyent d'avoyr de leurs
frères d'Allemaigne, car elle ne me sondoit pas de celluy que vous y
pourchassiez; et qu'elle ne vouloit nyer qu'elle n'y eût du crédict
assez, mais que vous cognoistriez aussy bien qu'avoit faict le feu
Roy, vostre frère, que jamays les Roys de France n'avoient trouvé tant
d'amityé en la couronne d'Angleterre que quand elle l'avoit tenue; et
que, de tant auriez vous plus grand preuve d'elle, qu'elle estoit à
toute heure infinyement tentée et sollicitée contre vous;

Qu'elle ne doubtoit que les ministres ne demandassent la tenue des
Estatz, et que, possible, ilz n'eussent supposé celle déclaration de
Mr Dampville; car, puisqu'ilz s'eslevoient jusques à vouloir pénétrer
ez secretz de Dieu au ciel et en ses jugementz, ilz s'atribuoient
encores plus licentieusement de s'entremettre des trônes des princes
en terre, mais qu'il n'y avoit poinct de besoing d'Estatz, là où vous
mesmes pouviez bien pourvoir; et qu'elle tenoit le mareschal Dampville
pour ung si gentil chevalier et si loyal serviteur, à l'exemple de ses
prédécesseurs, à vostre couronne, et si expéciallement dévot à Vostre
propre Majesté qu'elle ne faysoit doubte qu'il ne se rengeast
facillement à tout ce que luy commanderiez, pourveu que ne
cherchissiez la ruyne de luy ny celle de ses frères.

Et puis est retournée aulx levées d'Allemaigne, et comme princesse
fort pressée de fournir deniers, ou d'employer son crédict, ou de fère
quelque aultre résolution, à son regret, contre Vostre Majesté, m'a
dict que, pour Dieu, elle vous prioit de fère la paix, car aultrement
vous ne pourriez éviter beaucoup de grands inconvénientz; et que, si
aviés besoing de quelque prince estrangyer, de vostre alliance, qui
s'en meslât, parce que maintesfoys les parties mesmes n'ozoient
proposer tout ce qu'elles desiroient, qu'elle ne vouloit pas
entreprendre de s'y offrir, mais que, si Vostre Majesté l'avoit
agréable, c'estoit bien l'œuvre aujourdhuy de ce monde à quoy elle
s'employeroit le plus volontiers, et pouviez estre très assuré qu'elle
vous y considèreroit en tout et partout ainsy Roy et Maistre comme
elle desiroit demeurer Royne et Mestresse sur ses subjectz; et que,
sur ce que je luy avoys déduyt de vostre bonne et constante amityé
vers elle, qui estoit ce qui l'avoit, plus que tout le reste,
souveraynement contantée, qu'elle vous en remercyoit de tout son
cueur, et sçavoit qu'entre les particulliers mesmes les loix de
l'amityé estoient vénérables et dignes de grande observance, mais
qu'elles l'estoient davantage sans comparayson entre les princes,
parce que, des bons effectz qui en provenoient, ilz en demeuroient
entre eulx très contantz, et si, leurs communs subjectz en sentoient
de très grandes commodictez; et que, s'il estoit intervenu là dessus
quelque première coulpe entre vous et elle, qu'elle ne l'avoit
nullement commise, et que sans doubte ce ne seroit aussy elle qui
commanceroit de commettre la segonde; et qu'elle avoit grand plaisir
que vous approchissiez à Reyms pour vostre coronnation et sacre, d'où
celluy que luy envoyeriez seroit le très bien venu, et qu'elle
mettroit peyne de le vous renvoyer contant.

Qui est en substance ce que, pour ceste foys, j'ay recueilly des
propos de la dicte Dame, remettant ce qu'il y pourroit avoyr de
surplus à la procheyne dépesche, parce que ceste cy est desjà trop
longue. Et sur ce, etc.

    Ce IVe jour de febvrier 1575.

   Mr de Walsingam me vient de mander la reddition de Lusignan à
   Mr de Montpensier par composition, moyennant ostages qu'il a
   baillez pour la tenir; et qu'il a esté donné trois assautz à
   Livron qui ont esté bravement soustenuz, où le cappitayne de
   la place est mort, mais que soubdain il y en a esté subrogé
   ung autre, et que deux centz soldatz de la part des eslevez y
   sont entrez.


   ADVIZ, A PART, A LA ROYNE MÈRE.

   Parce que c'est icy le VIIIe moys que je n'ay receu nul
   argent, et que je vis sur le crédit que me faict le Sr Acerbo
   avec gros intérest, et que le Sr Sardiny luy a escript qu'il
   ne peut acquitter les mandementz dont Mr le trésorier de
   l'espargne m'a dressé sur luy, parce qu'il ne reçoit, ce dict
   il, rien des assignations que Voz Majestez luy ont bayllées,
   je suys sur le poinct d'estre habandonné du dict Sr Acerbo, et
   d'estre pressé de ce que desjà je luy doibs; et que je seray
   contrainct de cesser ma mayson, avec beaucoup de honte et avec
   détriment du service de Voz Majestez. Dont je vous supplye
   très humblement, Madame, commander au dict trésorier de
   l'espargne qu'il me vueille fère payer d'iceulx mandementz
   qu'il m'a desjà bayllés, ou m'en assigner de meilleurs, et
   qu'il mande que mes deniers ne soient plus retardez, car
   Vostre Majesté sçayt que je suis par trop pauvre pour pouvoir
   advancer.



CCCCXXXIIIe DÉPESCHE

--du Xe jour de febvrier 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Favorable disposition d'Élisabeth à l'égard de la
    France.--Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.--Nécessité
    de faire en France quelque démonstration d'amitié.--Vive
    intercession pour qu'il soit satisfait à la plainte de Mr
    Warcop.--Bruits répandus par les protestans pour exciter
    Élisabeth à la guerre.--Nouvelles d'Écosse.--Mesures prises
    pour déchiffrer les lettres saisies, adressées à Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, les propos d'entre la Royne d'Angleterre et moy, desquelz j'ay
donné compte à Vostre Majesté par ma dépesche du IIIIe du présent, ont
esté de quelque moment à quiéter ung peu l'esprit de la dicte Dame
contre la violence des malcontantz et passionnez qui s'efforçoient de
l'agiter infinyement et de l'irriter contre vous: car, depuis ce
temps, elle a tousjours montré qu'elle avoit reprins nouvelle
confiance de vostre amityé, et qu'elle vouloit qu'il demeurât en elle
d'incliner ou de n'incliner pas à leurs instances, jusques à ce
qu'elle vît plus avant comme vous procèderiez vers elle. De quoy ceulx
de son conseil ont esté fort esbahys, et aulcuns d'eux bien
malcontantz; mais le comte de Lestre, qui monstre d'en avoyr plaisir,
m'a dict que ce ne m'estoit chose fort difficile en l'endroit de la
dicte Dame, laquelle avoit bonne opinyon de moy et croyoit que je ne
négocyois nullement faulx avec elle, de luy persuader ce qu'elle
desiroit le plus en ce monde: qui estoit de se réputer aymée et bien
volue de Voz Majestez Très Chrestiennes; et que, par les mesmes
raysons qu'elle avoit apprinses en cella de moy, elle s'estoit
efforcée de vaincre celles que son propre conseil luy avoit admenées
au contrayre, et de surmonter les argumentz desquels les princes
d'Allemaigne s'estoient efforcez de luy dessiller les yeulx sur les
dangereuses dellibérations qu'ilz disoient estre de longtemps faictes,
et se fère encores de présent, contre elle, en France, pour les
exécuter, aussytost que Vostre Majesté aura ung peu desmellé ses
affères; et qu'ilz luy reprochoyent que non seulement elle procédoit
avec peu d'advis, mais avec quelque forme d'injustice contre le bien
de sa couronne, de ne se prévaloyr du temps et de l'occasion, et des
advantages, que Dieu luy offroit, qui estoient si évidentz que, quand
Vous, Sire, seriez beaucoup plus fort, et elle moins puissante, que
l'ung et l'autre n'estes, qu'encor vous pourroit elle maintenant assez
nuyre; et que, voyant le dict comte que, nonobstant cella, elle se
rendoit de plus en plus confidente et toute assurée de vostre amityé,
qu'il vous supplioyt que volussiés adjouxter aulx bonnes parolles et
promesses, que luy faisiez donner, quelques bons effectz, qui fussent
semblables, affin que, par iceulx, luy et ceulx qui luy adhéroyent, en
la dévotion et servitude qu'il vous porte, peussent confirmer la dicte
Dame en sa bonne opinyon, et rabatre à aulcuns d'auprès d'elle celle
qu'ilz avoient au contrayre;

Et que, pour le présent, il me vouloit ramantevoyr ce qu'elle mesmes
m'avoit dict du faict de Me Warcop, gentilhomme singullièrement aymé
et bien voulu d'elle, que, suyvant la promesse qu'en aviez faicte à
milord de North, et l'ordonnance que le dict Warcop a devers luy,
signée de vostre main, dez qu'estiez devant la Rochelle, il vous
plaise luy fère avoyr rayson de ce navyre de bled qui luy fut lors
prins pour avitayller vostre camp; chose, Sire, qui, à la vérité, m'a
esté aultant expressément recommandée de la dicte Dame que nulle
aultre, depuis que je suis en ceste charge; et que je debvois
considérer que ceulx qui luy remettoyent en avant l'intelligence du
Roy d'Espaigne, pour la réfroidir de la vostre, avoient de quoy luy
représanter, toutz les jours, quelque nouvelle gratiffication du grand
commandeur de Castille vers elle et ses subjectz; et qu'il vous
supplioyt aussy, Sire, la fère esclarcyr d'ung advis qu'on luy avoit
donné qu'il y avoit mandement de Vostre Majesté, en Bretaigne, de fère
tenir des navyres prestz pour trajetter bientost des forces en
Escosse; et, au reste, que ne prolongissiez plus de l'envoyer visiter,
car l'on en arguoyt desjà une fort froide et mal fondée amityé de
vostre part.

Sur lesquelles choses j'ay mis peyne de rendre le dict comte bien
édiffyé, et de le remplyr de toute bonne espérance de Vostre Majesté,
s'estant nostre propos terminé par une fort expécialle recommandation,
que je luy ay faicte, des affères de la Royne d'Escosse; en quoy je ne
l'ay trouvé mal disposé. Et si, ay cognu qu'il n'y a pour le présent,
en cest courte, rien de mal ordonné contre elle.

Or, ayant ainsy ramené la Royne d'Angleterre à meilleure disposition
vers Vostre Majesté, et pareillement le dict comte, qui le lendemain
est allé, pour dix jours, en sa maison de Quilingourt; et ayant,
possible, par là, avec la nouvelle de la reddition de Lusignan,
accroché les meilleures et les plus procheynes espérances de ceulx qui
sont icy poursuyvantz, ilz se sont advisé de publier aussitost, affin
de ralumer le cueur à la dicte Dame et à ceulx de son conseil, qu'on
avoit descouvert que les propos de paix, du costé de Vostre Majesté,
estoient simulez et pleins de fraude, et que Mr le Prince de Condé
armoit à furie pour entrer bientost en France avec douze mille
chevaulx, et qu'après troys assautz soubstenus par ceulx de Livron,
Vostre Majesté en avoit faict lever le siège pour admener toutes ses
forces par deçà, et que deux cornettes de voz reytres s'estoient
tournées du costé des eslevez: auxquelles choses, lesquelles j'estime
pour la pluspart controuvées, je mettray peyne, par la première
dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, d'y oposer la vérité que
m'en manderez.

Il est naguyères arryvé ung courrier d'Escosse, par lequel le comte de
Morthon a envoyé certayne déposition, qu'il a tiré d'ung des gens de
Mr de Glasgo et d'ung autre de Mr de Roz, avec les chiffres qu'il leur
a surprins; et l'on a mis, icy, ung jeune homme, qui est réputé
serviteur secret de la Royne d'Escosse, dans la Tour de Londres, pour
le contraindre de les déchiffrer. Je ne sçay encores ce qui en
résultera. Sur ce, etc.

    Ce Xe jour de febvrier 1575.



CCCCXXXIVe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de febvrier 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Annonce d'audience.--Instances des protestans d'Allemagne auprès
    d'Élisabeth.--Continuation des armemens.--Explications
    transmises à l'ambassadcur sur les propos rapportés par lord de
    North.


    AU ROY.

Sire, demain, Dieu aydant, je verray la Royne d'Angleterre, à
Richemont, pour luy fère bien entendre les particullaritez de
l'honneste responce que Vostre Majesté, par la dépesche du XXIIIIe du
passé, m'a commandé de luy fère, touchant les fascheux rapportz de
milord de North, qui pense bien qu'elle jugera que les choses
n'eussent peu passer plus dignement de vostre costé, ny avec plus
d'honneur pour elle, ainsy que la sage déduction et bien ordonnée de
vostre lettre luy en manifestera la vraye vérité; et le tout y est si
bien et si proprement comprins, que je n'auray à y rien adjouxter du
mien, sinon que, possible, je y mette quelque mot, non pour plus
grande satisfaction de la dicte Dame, mais pour en tirer encores
quelqu'une d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez. Et après que
j'auray bien recueilly ce qu'elle m'aura dict là dessus et sur le
propos que je luy tiendray davantage de voz présentz affères, je vous
en feray, par mes premières, ung plus ample récit; ayant à vous dire
cependant, Sire, que, du costé d'Allemaigne, et de la part des eslevez
de vostre royaulme, se poursuyt, icy, avec plus vifve instance que
jamays, une prompte provision pour continuer et maintenir la guerre.
Et je sentz bien qu'on leur faict, peu à peu, filer les responces,
sans leur accorder ny leur refuser aussy ce qu'ilz demandent, mais
l'on les entretient en bonne espérance, et mesmes l'on leur propose
comme présant, et qui se trouvera bien prest au besoing, la pluspart
de ce qu'ilz pourchassent, attandant de voyr comme procèdera le propos
de paix, après que les depputez auront esté, de rechef, devers Vostre
Majesté, et ce qui résultera de la venue du gentilhomme qu'envoyerés
pour visiter la dicte Dame. Cepandant ce que je vous ay cy devant
mandé, de l'armement de deçà, se poursuyt tousjours avec la
description des hommes; et a l'on faict venir aulcuns cappitaynes, qui
estoient en Irlande, pour dresser, icy, des compagnyes affin d'aller
en ceste expédition, n'y ayant, à présent, au dict pays d'Irlande,
depuis la réduction du comte d'Esmont, guyères de contradiction à
l'obéyssance de ceste princesse; et mesmes que ung Artus Maurice,
qu'on avoit suspect, a esté naguyères resserré, et luy faict on son
procès.

Mr de Méru est encores icy, qui va quelquefoys en ceste court, et les
ministres traictent ordinayrement avecques luy et il se tient prest
pour retourner bientost en Allemaigne; mesmes il fût party plus d'ung
moys a, sans quelque advertissement qui luy vint de France, sur le
poinct de son partement, et aussy qu'il semble qu'il attande la
responce que ceste princesse va ainsy temporisant pour l'aller
apporter luy mesmes à Mr le Prince de Condé.

J'entendz que, depuis cinq ou six jours, l'admiral d'Angleterre a
envoyé des officiers de la marine visiter les grands navyres de la
dicte Dame, comme pour commancer de les apprester pour ce printemps.
J'auray l'œil à ce qui s'y fera. Et persévérantz ceulx, qui portent,
icy, le party de Bourgoigne, au renouvellement de l'amityé de ceste
princesse avec le Roy d'Espaigne, ilz sont fort après à pourchasser
que nouveaulx ambassadeurs soient envoyez pour résider près de l'ung
et de l'aultre prince. Sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour de febvrier 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, je mettray peyne d'exprimer bien à la Royne d'Angleterre, et
de ne luy obmettre ung tout seul poinct de ce que le Roy, vostre filz,
et Vostre Majesté, par voz lettres du XXIIIIe du passé, me commandés
de luy dire touchant les maulvais rapportz que milord de North luy a
faitz à son retour de France; et j'espère que la vérité du faict luy
fera avoyr regret de s'estre trop tost esmeue du mensonge, et qu'elle
se prendra à son ambassadeur de l'erreur qu'il a commis en matyère de
si grande conséquence et entre si grandes princesses, comme sont Voz
Majestez. Et encores, Madame, que n'ayez jugé d'estre aulcunement
expédient d'escripre à la dicte Dame de vostre main, affin de n'user
d'interprétation ny d'excuse, là où il n'en est besoing, si ne laysse
la satisfaction que luy donnez par les lettres qu'il vous a pleu
m'addresser, d'estre si ample, qu'elle aura occasion d'en avoyr tout
contantement; et je feray tout ce qu'il me sera possible qu'elle
viegne aussy, de son costé, à vous satisfère de ce qu'elle n'a mieulx
examiné le faict, plus tost que de s'en courroucer. Et sur ce, etc.

    Ce XVIIe jour de febvrier 1575.



CCCCXXXVe DÉPESCHE

--du XXIe jour de febvrier 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Satisfaction d'Élisabeth sur les explications qui lui
    ont été données au sujet des propos rapportés par lord de
    North.--Menées des protestans sur lesquelles l'ambassadeur
    attend de nouveaux renseignemens.--Affaires
    d'Écosse.--Nécessité d'envoyer promptement un agent français
    dans ce pays.--Nouvelle du sacre et du mariage du roi.


    AU ROY.

Sire, j'ay apporté de la satisfaction beaucoup de vostre lettre, du
XXIIIIe du passé, à la Royne d'Angleterre, et en ay aussy rapporté
beaucoup d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez, ainsy que ce qui
s'est passé entre elle et moy vous le pourra tesmoigner par mes
premières, ès quelles je vous en feray l'entier récit avec d'autres
choses que j'ay ung peu esclarcyes, que je suis après à les
recueillyr, sellon qu'il est expédiant qu'elles viennent à la notice
de Vostre Majesté, affin que puissiez mieulx juger comme elles
pourront, ou peu ou beaucoup, importer à vostre service. Et je feray
cependant, comme j'ay faict tousjours, tout ce qu'il me sera possible
pour traverser les affères de ceulx qui pourchassent, icy, les moyens
de traverser les vostres. Et j'estime de les leur avoyr desjà beaucoup
retardez; mais ilz y sentent je ne sçay quelle espérance (et je crains
bien, si la paix ne succède, qu'elle ne leur sera vayne), qui les y
faict instamment persévérer; dont les quatre ministres, qui sont
préposez en ceste ville, pour le conseil d'estat de ceulx de la
nouvelle religyon de France et de Flandres, ayant esté, par diverses
foys, en ceste court, et conféré avec Mr de Walsingam et avec Me
Randolphe et Me Quillegreu, et aultres de leur faction, sont, il y a
six jours, depuis le matin jusques au soyr, tousjours après à dresser
quatre grosses dépesches, qui sont, l'une pour France, l'autre pour
Ollande, la troysiesme pour Allemaigne et la quatriesme, de quoy je
suis fort esbahy, pour Escosse; et font tenir prestz des hommes
d'affères et propres à négotier, pour les aller porter; lesquelz
n'attandent plus, à ce que j'entendz, de partir, sinon que Mr de Méru,
avec lequel les dictz ministres communicquent ordinayrement, ayt esté
encores une foys devers ceste princesse, et soit de retour avec une
plus entière responce qu'ilz n'ont eu encores d'elle; mais l'audience
luy a esté desjà remise deux foys, et je ne sçay qu'est ce qu'il
impètrera à la troysiesme.

Le filz ayné de milord de Sethon est venu trouver le comte de Lestre à
Quilingourt avec des lettres de recommandation de son père, et
d'aultres lettres bien fort favorables du comte de Morthon, et monstre
qu'il veut suyvre quelque temps ceste court d'Angleterre; ce que je ne
puis avoyr sinon beaucoup suspect, considéré mesmement que son père a
tousjours esté tenu pour catholicque et très parcial serviteur de la
Royne d'Escosse, sa Mestresse; dont faut dire qu'il y a quelque
secrette praticque, qui se mène là dessoubs, depuis la mort du duc de
Chastellerault, lequel est naguyères décédé, et que milord Glaude son
filz se trouve à présent gendre du dict milord de Sethon. Ung messager
qui avoit apporté de mes lettres aulx seigneurs de dellà est revenu
sans me rapporter nulle responce par escript, mais il m'a dict, de
bouche, ce que je réserve de vous mander bientost par ung des miens
qui, de bouche aussy, le vous dira; car ilz me prient de ne le vous
poinct escrire. Tant y a qu'il me tarde beaucoup de sçavoyr que le
personnage qu'avez ordonné pour aller résider au dict pays y soit
arryvé, car il pourra obvier à plusieurs inconvénientz que la longue
absence de voz ambassadeurs y pourroit avoyr causez; estant, au reste,
Sire, merveilleusement en peyne du bruict qu'on faict courir, icy, de
vostre indisposition, laquelle ilz disent que vous a arresté en chemin
et vous a retardé de venir à vostre sacre. Je fay bien dévote prière à
Dieu qu'il en soit aultrement. Et sur ce, etc.

    Ce XXIe jour de febvrier 1575.

   Comme je fermoys la présente, l'on m'a adverty qu'ung courrier
   de Mr le docteur Dayl vient de passer vers Richemont, qui
   porte la nouvelle du sacre et couronnement, et du mariage de
   Vostre Majesté, de quoy je loue Dieu. Il y mesle je ne sçay
   quel rencontre en Languedoc, où Mr d'Uzez a heu du pire.
   J'espère qu'il ne sera ainsy.


    A LA ROYNE.

Madame, les choses n'eussent peu passer avec plus de satisfaction de
la Royne d'Angleterre, ny dont vous en eussiez peu tirer plus
largement d'elle, sur la faute que milord de North avoit commise entre
Voz deux Majestez, ainsy qu'elles ont esté conduictes par l'ordre que
m'avez commandé d'y tenir. Qui espère, Madame, que Vostre Majesté aura
plésir d'en entendre le discours, lequel, parce qu'il contient des
diversitez qui sont assez considérables, et qui conviennent avec
d'autres choses que je suis après à tirer d'aylleurs, je réserve de
vous mander le tout ensemble par mes premières, avec ung des miens qui
vous en récitera ce qui seroit ou malaysé ou trop long de le vous
mander par escript. Et cepandant je vivray en peyne du bruict qu'on
faict courir icy de l'indisposition du Roy jusques à ce qu'il plerra à
Dieu m'en fère ouyr de meilleures nouvelles, et aussy de quelque
différant qu'on publye estre advenu entre le Roy de Navarre et Mr de
Guyse, jusques avoyr mis la main a l'espée l'ung contre l'aultre; mais
j'espère que ces nouvelles seront semblables à plusieurs aultres,
yssues de mesme bouticque, qui se sont trouvées faulces, ainsy que
j'en prie Dieu de bon cueur. Et sur ce, etc.

    Ce XXIe jour de febvrier 1575.

   Ceste lettre estoit escripte et signée quand le courrier est
   passé qui porte l'heureuse nouvelle du sacre et couronnement
   et mariage du Roy, vostre filz, dont je loue Dieu de bon
   cueur.



CCCCXXXVIe DÉPESCHE

--du dernier jour de febvrier 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Détails de la précédente audience.--Déclaration du roi de la
    fausseté des propos rapportés par lord de North.--Satisfaction
    d'Élisabeth de cette déclaration.--Protestation de sa part
    qu'elle n'a voulu faire aucune offense à la reine.--Plainte
    d'Élisabeth du silence gardé par la reine-mère à ce
    sujet.--Communication de la lettre écrite par Catherine de
    Médicis à l'ambassadeur.--Explications données par
    Élisabeth.--Assurances qu'elle veut maintenir l'amitié avec la
    reine-mère et le roi.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté bénignement et fort bien ouy de la Royne d'Angleterre
sur ce que je luy ay dict que jamays chose n'estoit tant venue hors
l'opinyon, ny contre l'opinyon de Vostre Majesté et de la Royne,
vostre mère, que d'avoyr entendu que milord de North luy eût peu fère
ung tout seul maulvais rapport de vous deux; car pensiez luy avoyr
donné argument de luy en fère plusieurs bons de la droicte et
cordialle amityé que luy portiez, et de ce que, plus que nuls aultres
ses alliés, vous l'aviez, autant et possible plus en honneur et
respect que nul aultre prince ny princesse de vostre alliance; et que
cella vous avoit beaucoup troublez de voyr que voz bonnes euvres,
voyre les meilleures et les plus pures et les plus courtoyses, dont
vous estiez peu advizer vers son ambassadeur, pour honnorer la dicte
Dame et honnorer la ligue et confédération qu'aviez avec elle, et la
magniffyer devant tout le monde, avec, possible, la jalousye des
aultres princes chrestiens, fussent non seulement tenues en peu de
compte, mais eussent esté calompnyées et convertyes en une matière
d'offance et de courroux; à quoy ne se pouvoit fère que n'eussiez
beaucoup de regret, et que ne vous pleignissiez à elle d'elle mesmes,
d'avoyr voulu recepvoyr une si male impression de vous, voyre de
l'avoyr escoutée, ou mesme d'avoyr souffert qu'elle luy eût esté
rapportée; car, encor que toutz deux vouliez librement confesser que
vous mériteriez mille et mille indignitez contre vous, si vous aviez
faicte ceste cy, dont est question, contre elle, ny contre la mémoyre
du feu Roy, son père, si debvoit elle avoyr ainsy jugé de Voz
Majestez, comme de princes qui n'estiez ny si mal honnorables, ny si
mal nays, ny si imprudentz, que d'avoyr jamays commis une telle erreur
que celle là, qui eût esté par trop grande; et que ne sçaviez comme
penser de l'amityé qu'elle vous avoit promise, car vous trouveriez
très mal appuyez si elle s'esmouvoit ainsy de si légers rapportz, et
qu'il faudroit bien qu'allissiez chercher ailleurs d'autres amityez
qui fussent mieulx fondées et mieulx qualiffyées que la sienne; bien
avois je mis peyne, en vous tesmoignant son courroux, de vous mander,
par mesmes moyen, comme elle s'estoit modérée, et comme, enfin, elle
mesmes avoit parlé pour vous et pour la Royne, vostre mère, et avoit
faict là dessus une très honneste déclaration, qui m'avoit rendu le
plus satisfaict gentilhomme du monde, de quoy pareillement Voz
Majestez avoient receu de la satisfaction, et pourtant m'aviez
commandé de luy en donner à elle une très entière de laquelle
j'espéroys qu'elle se contanteroit; et faudroit aussy qu'après qu'elle
auroit cognu que trop tost elle s'estoit esmeue contre Voz Majestez,
qu'elle s'efforçât de vous donner de sa part quelque contantement.

La dicte Dame, avec un peu de colleur qui luy est montée au visage,
m'a soubdain respondu que ce que je venois de luy dire luy faisoit
craindre que, possible, j'auroys adjouxté une nouvelle faulte à celle
de milord de North, de vous avoyr représanté trop plus aigres les
choses qu'elles n'estoient.

Je luy ay réplicqué que, si j'avoys erré, ce n'avoit esté que pour
n'errer pas en une matière de si grande importance comme ceste cy, de
ne laysser ulcérer son cueur de chose qui procédât de Voz Très
Chrestiennes Majestez, ni pareillement les vostres de chose qui
procédât d'elle, et qu'elle verroit, par le contenu de ce qu'il vous
avoit pleu m'en escripre, que je n'avoys, de mon costé, rien gasté. Et
luy ayant là dessus faict lecture de vostre lettre, elle a
curieusement noté les particullaritez, qui y estoient, de l'honneste
faveur et des advantages qu'aviez faict au dict de North, plus qu'à
l'ambassadeur du Roy Catholicque, ny à celluy de l'Empereur. Et après
avoyr bien comprins le tout, elle m'a dict qu'elle seroit par trop
marrye, s'il vous restoit aulcune male satisfaction de chose qu'elle
eût dicte; et qu'elle vous suplyoit de considérer qu'elle n'avoit peu
fère de moins, sur le rapport que son ambassadeur luy avoit faict,
duquel ceulx de son conseil et de sa court estoient participans, que
de m'avoyr privéement déclaré ce qu'elle en avoit sur le cueur, non
qu'elle se fût dès lors formée nulle mauvayse impression de Voz
Majestez, mais pour l'oster à ceulx qui la pouvoient avoyr, et aussy
pour ne monstrer qu'elle ne prînt à cueur ce qui touchoit l'honneur et
mémoyre du feu Roy, son père; et qu'à ceste heure elle sentoit en son
cueur une singullière consolation de voyr, par l'évident tesmoignage
de vostre lettre, que vostre intention et celle de la Royne, vostre
mère, et voz actions vers elle estoient ainsy nettes et pleynes d'une
vraye et droicte amityé comme elle le pouvoit desirer, et comme elle
vous prioit bien de croyre que vous trouveriez les siennes vers vous
toutes semblables, sans qu'il y eût jamays de manquement; et vous
remercyoit, de tout son cueur, du soing qu'aviez eu de luy en mander
ceste tant pleyne et entière satisfaction, sur laquelle elle desiroit
que voulussiez demeurer ainsy bien persuadez d'elle, qu'il n'y avoit
que l'extrême desir qu'elle a tousjours eu de se voyr bien aymée de
toutz deux, et le regrect qu'elle avoit qu'elle ne le fût, qui
l'avoient ainsy troublée et esmeue de ce fascheux rapport; et que
néantmoins elle n'y avoit advancé ung mot ny entendu d'en dire ung
autre qui peût tourner à vostre offance, car elle en seroit
déplaysante jusques en l'âme, et qu'elle me promettoit bien qu'elle
parleroit à bon escient à milord de North; m'ayant la dicte Dame, en
toutes ses parolles et démonstrations, fort expressément monstré
qu'elle ne vouloit entrer en aulcune mauvayse intelligence avec Voz
Majestez Très Chrestiennes, si elle s'en pouvoit garder.

Dont je ne l'ay volue ny presser ny convaincre davantage de ce qui
estoit advenu, et sommes passez à ce que Vostre Majesté trouvera
déduict en la lettre que j'escriptz à la Royne. Et puis, je l'ay ainsy
remercyé de l'offre qu'elle vous avoit faicte de s'employer à la
paciffication de vostre royaulme, comme me le commandiez par le
postscripta de vostre dernière lettre. Sur quoy elle m'a respondu ce
que je vous supplye très humblement de vouloyr ouyr du Sr de Vassal,
et vouloir bénignement entendre à la très humble requeste qu'il
continuera de vous fère pour moy, à ce qu'il vous playse, et pour
l'importance de vostre service, et pour mon indisposition et
nécessité, accélérer le congé qu'il vous a desjà pleu m'octroyer. Et
sur ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, après avoyr faict lecture à la Royne d'Angleterre de la lettre
du Roy, vostre filz, du XXIIIIe du passé, et après m'avoyr, elle, dict
avec sa grande satisfaction qu'elle se sentoit fort atenue à luy de ce
bon office qu'il faisoit entre Vostre Majesté, qui estiez sa mère; et
elle qui estoit sa seur, et qui vous respondoit à fille, elle m'a prié
de luy vouloir librement dire qu'est ce que Vostre Majesté
particullièrement m'en mandoit.

Je luy ay respondu que, de tant que j'avoys addressé le récit du tout
au Roy, vostre filz, que vous luy aviez layssé fère toute la responce,
et que me commandiez d'en parler seullement sellon le contenu de sa
lettre.

Elle m'a réplicqué que cella seroit ung argument, ou que vous seriez
malcontante, ou que ne vous souciez pas beaucoup qu'elle le fût, et
qu'elle se trouvoit bien empeschée que vous debvoir mander sur ce que
le Roy luy faysoit dire, si je ne luy disoys aussy quelque chose de
vostre part; et m'a, de rechef, fort conjuré que je ne luy voulusse
rien dissimuler de ce que m'en escripviez.

J'ay tiré lors vostre lettre de ma pochète, et, après avoyr pryé la
dicte Dame, si, d'avanture, elle y trouvoit quelque marque de vostre
courroux, qu'elle voulût considérer que c'estoit l'offance que milord
de North vous avoit trop indiscrètement faicte, et celle que depuis,
elle mesmes, pour y avoyr trop tost creu, y avoit adjouxtée, qui vous
avoient touché le cueur de deux justes dolleurs, desquelles vous
demandiez avec rayson d'estre maintenant satisfaicte; dont failloit
qu'elle prînt de bonne part tout ce qu'elle y verroit. Et la luy ayant
ainsy tout franchement présentée, elle l'a incontinent et bien fort
curieusement toute leue jusques à la fin, ensemble l'addition qui
estoit au bas. Puis m'a dict qu'elle n'y trouvoit rien qui ne fût en
termes très honnorables, et desquels elle ne vouloit fallir de vous en
rendre le plus exprès grand mercys qu'elle pouvoit, et qu'elle voyoit
bien que la lettre du Roy et la vostre non seulement luy rendoient ung
très certain tesmoignage de la grande sincérité de toutz deux vers
elle, mais encores du grand soing que l'ung et l'aultre aviez qu'elle
demeurât bien esclarcye de tout ce qui y pourroit fère survenir du
doubte; et qu'elle ne se souvenoit pas bien si milord de North, en luy
faysant le compte du feu Roy Henry, son père, luy avoit aussy parlé du
feu grand Roy Françoys, mais que ce n'estoit pas aulmoins à elle, à
qui il avoit mal interprété le faict des deux neynes, car ne luy eût
layssé passer, ayant entendu qu'elles estoient fort jolyes et bien
fort proprement habillées, et qu'elle eût desiré de les pouvoir voyr,
et seroit chose qu'elle accepteroit, de bon cueur, s'il vous playsoit
luy en fère présant d'une;

Et que, de l'article de Mr de Guyse elle avoit ouy dire jusques
aujourdhuy que la coustume de France en estoit aultre, mais, comment
que ce fût, si je n'avoys sur ce qu'elle m'avoit dict icy, ny son
ambassadeur sur ce qu'elle luy avoit escript par dellà, bien
représanté au Roy, et à Vostre Majesté, l'obligation qu'elle
recognoissoit vous avoyr à toutz deux, pour la faveur et bon
traictement qu'avez faict au dict de North, que de nouveau elle vous
en remercyoit le plus grandement et du meilleur cueur qu'il luy estoit
possible; et que, de toute la faulte qui pouvoit estre advenue, depuis
son retour, elle s'en prendroit, ainsy qu'elle debvoit, entyèrement à
luy; et que, pour vostre satisfaction, elle vous prioit, Madame, de
demeurer très fermement persuadée qu'elle n'avoit entendu ny entendoit
avoyr dict, sinon qu'elle ne pouvoit estimer que fussiez si mal
honnorable princesse que d'avoyr voulu mal honnorablement parler d'ung
si honnorable prince comme estoit le feu Roy, son père; et que
c'estoit le moins qu'elle avoit peu ny deu dire, pour l'honneur de son
dict père, à celle qu'elle honnoroit comme sa mère, et de laquelle
elle desiroit estre plus singullièrement aymée et bien volue que de
princesse de tout le monde.

Et m'ayant fort prié de mesnager ainsy ce propos qu'il n'en peût
rester rien d'offance en vostre cueur, comme il n'en restoit ung seul
brin dans le sien, et après m'avoyr encores quelque temps entretenu
d'aulcunes aultres choses, dont le Sr de Vassal vous rendra compte,
elle m'a fort gracieusement licencyé. Et semble bien, Madame, que la
grande expression, dont elle m'a uzé sur la déclaration du propos
qu'elle avoit tenu de Vostre Majesté, monstre assés qu'elle ne se veut
aulcunement despartyr, si elle peut, de celle privée amityé et
honneste entretien dont avez de loing uzé l'une avec l'aultre. Et sur
ce, etc.

    Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.



CCCCXXXVIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Audience.--Excuse pour le retard apporté à la communication du
    mariage du roi.--Méfiance inspirée à Élisabeth par l'alliance
    du roi à la maison de Lorraine.--Desir qu'elle témoigne de
    recourir à des alliances hostiles à la France.--Remontrances de
    l'ambassadeur.--Assurance que le roi veut renouveler
    solennellement le traité de la ligue.--Plaintes à l'occasion de
    réjouissances faites à Londres par les réfugiés pour célébrer
    une victoire remportée par le maréchal de Danville.


    AU ROY.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne peût penser que ne luy
eussiez voulu communicquer le propos de vostre mariage, sinon après
l'évènement, je luy ay dict que ce n'estoit nullement par vostre
coulpe, ny de la Royne, vostre mère, mais par la négligence des
courriers, qu'elle recepvoit maintenant beaucoup plus tard ceste
nouvelle que Voz Très Chrestiennes Majestez ne l'eussent voulu, et
qu'il n'estoit raysonnable qu'on la luy deût tant différer. De quoy
elle ne vous en debvoit rien imputer, car n'aviez plus tost esté
vaincu des sages persuasions et remonstrances de la Royne, vostre
mère, à vous debvoir maryer, affin d'avoyr bientost lignée; et
aulmoins n'aviez vous prins plus tost la résolution de le fère
qu'incontinent, et devant le mander à nul aultre prince de la
Chrestienté, Vostre Majesté m'avoit escript, estant encores en chemin,
sur le retour d'Avignon, et deux journées devant qu'arriver à Reims,
que je ne faillisse de le notiffier à la dicte Dame; et que, pour la
grande et très bonne opinyon que vous aviez de la fille aynée de Mr de
Vaudémont, de la mayson de Lorrayne, princesse en toutes sortes bien
née et de très illustre extraction, appartenant aulx plus grands
princes de la Chrestienté, vous aviez bien voulu tant defférer à
vostre propre jugement et à celluy de la Royne, vostre mère, qui
l'aviez, l'ung et l'aultre, assez souvant veue et aviez soigneusement,
et à loysir, considéré la personne et les belles et excellantes
qualitez que Dieu avoit mis en elle, que de la préférer à toute aultre
grandeur de party. De quoy vous espériez que la dicte Royne
d'Angleterre, pour le debvoir de sa bonne et sincère amityé vers vous,
prendroit en elle mesmes ung double plésir de ce bien heureux mariage:
premièrement, pour le contantement que vous vous en promettiez; et
puis, pour les successeurs qu'elle vous verroit bientost naystre, qui,
de père en filz, et d'ayeul en petit filz, continueroient de luy
estre, à elle, bons alliez et parantz, et tousjours très bons
confédérés de sa couronne.

A quoy la dicte Dame m'a soubdain respondu qu'il y avoit desjà
plusieurs jours qu'elle avoit eu, et, possible, plus tost que moy,
quelque sentiment de ce propos, sur lequel l'on luy avoit donné de
bien diverses interprétations, dont les aulcunes estoient bien fort
subtilles, de l'occasion qui avoit meu la Royne, vostre mère, de se
pourchasser une telle belle fille; et les aultres estoient des
dellibérations que, en faveur de la Royne Très Chrestienne à présent
vostre femme, vous entreprendriez d'exécuter ez isles de deçà, pour la
restitution de la Royne d'Escosse, sa parante; et que néantmoins, tout
ainsy qu'elle ne debvoit nullement, aussy ne vouloit elle parler sinon
bien fort honnorablement de l'élection qu'il vous avoit pleu fère en
cella, et la louer et approuver de tout son pouvoir, et vous
remercyer infinyement, comme elle faisoit, de la communicquation que
luy en aviez faicte; et que, pour le regard des deux poinctz que je
luy avoys touché, de vostre contantement et de la postérité
qu'espériez bientost de ce mariage, que nul, soubz le ciel, en sentoit
plus de playsir qu'elle, ny nul vous y souhaytoit plus de faveur et de
bénédiction de Dieu, ny nul d'entre toutz voz alliez s'en conjouyroit
jamays plus cordiallement, qu'elle faysoit, avec Vostre Majesté; bien
me vouloit dire tout franchement, et sans dissimulation aulcune,
qu'encor que toutes les plus excellantes et plus desirables
perfections, qui se puissent souhayter en une grande Royne, soyent
entièrement, et, possible, plus habondamment en la Royne Très
Chrestienne qu'en nulle aultre princesse qui vive aujourdhuy au monde,
sellon que vous ne l'eussiez aultrement choysie, si desireroit elle,
de bon cueur, que vostre élection eust esté d'une aultre mayson, à
elle moins ennemye que celle de Lorrayne, et non tant prochayne
parante comme elle est de Messieurs de Guyse, lesquels avoient
tousjours faict expresse profession de vous pousser, et les feux Roys,
voz prédécesseurs, à la guerre contre elle et contre son royaulme; et
que aulcuns personnages de bon sens luy avoyent, par de bien sages et
bien vraysemblables considérations, évidemment monstré que ce mariage
luy debvoit estre à elle très suspect, comme estant ung article du
testament de feu Mr le cardinal de Lorrayne, où il ne l'avoit
nullement nommée pour l'ung de ses exécuteurs; et qu'ilz la
conseilloient que, tout ainsy que vous aviez faict ceste alliance,
sans aulcun esgard à elle ny à son estat, qu'ainsy en pouvoit et
debvoit elle fère maintenant, sans aulcun respect ny à vous ny au
vostre.

A quoy je luy ay réplicqué que je l'estimois princesse de trop bon
jugement pour croyre que nulle autre considération au monde vous eût
meu, en cest endroict, que la seule persuasion de la Royne, vostre
mère, et le beau et très desirable object de la Royne, vostre femme;
et que, de tant plus debvoit elle trouver bon ce party que, en le
prenant, vous vous estiez si bien senty et appuyé de l'amityé qu'elle
vous avoit promise, que vous n'aviez tant regardé à une alliance forte
et puissante comme à la fère très honneste et très honnorable; et que,
auparavant aussy bien qu'à ceste heure, les troys maysons, de
Lorrayne, de Vaudémont et de Guyse, estoient entièrement à vostre
dévotion, dont n'estoit depuis advenu chose aulcune de nouveau, d'où
elle se deût donner aulcun souspeçon; et qu'il avoit pleu à Dieu
joindre, de longtemps, de si bonnes et naturelles forces à vostre
couronne que vous n'aviez poinct besoing d'en aller mendier d'autres
par vostre mariage; et ne pensois fère tort à nulle aultre grandeur de
dire cella de la vostre, que tousjours les Roys de France avoient plus
esté appuy et reffuge aulx aultres princes de la Chrestienté qu'ilz ne
s'estoient appuyez ny fortiffiez d'eux; et quand à fère, elle, de son
costé, sans aulcun respect de Vostre Majesté, quelque aultre alliance
pour elle, que, si c'estoit par mariage, vous le luy desireriez
tousjours très honnorable et plein de très heureux contantement, mais
si c'estoit par ligue ou confédération, que j'espéroys que bientost
vous envoyeriez renouveller et confirmer si estroictement celle que
vous aviez avec elle, que je m'assurois qu'elle ne voudroit, comme
elle ne sçauroit aussy, jamays en desirer de meilleure; et que j'ozois
jurer que ceulx, qui avoient ainsy interprêté vostre mariage pour
dangereux à elle et à ses affères, n'estoient non plus vrays et purs
angloix qu'ilz se monstroient très maulvays françoys.

Elle m'a respondu que voyrement estoient ce des partisans espaignols,
qui avoient parlé à elle là dessus, lesquelz ne jugeoient ce qui
estoit advenu de vostre mariage estre moins suspect au Roy d'Espaigne
qu'ilz le remonstroient très suspect à elle; en quoy, possible, ilz
passoyent vers toutz deux trop plus avant qu'ilz ne debvoient; et
qu'elle, pour son regard, se reposeroit, pour ceste heure, sur ce que
je luy venois de dire de vostre part, attandant que Vostre Majesté
accomplyst par euvre ce que je luy avoys déduict de parolle.

Et m'estant là dessus plainct à elle des démonstrations et
conjouyssances publicques que les ministres de l'églyse françoyse de
Londres avoyent ozé fère d'une victoyre qu'ilz ont publyé que Mr
Dampville avoit gaignée en Languedoc, où il avoit deffaict toutes les
forces de pied et cheval que Vostre Majesté avoit au dict pays, et tué
le général et emmeyné l'artillerye, elle m'a dict que c'estoit chose
dont ilz ne luy avoient pas demandé congé de la fère, et qu'elle ne la
trouvoit nullement bonne; et que, puisque je m'en pleignoys, elle leur
en feroit fère une si bonne réprimande que, s'ilz ne se monstroient,
dorsenavant, plus modérez, elle les chasseroit de son royaulme.

Et ayant ainsy layssé la dicte Dame bien contante, je me suys pour
ceste foys retiré. Et sur ce, etc.

    Ce VIIe jour de mars 1575.



CCCCXXXVIIIe DÉPESCHE

--du XIe jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Désignation de Mr de La Châtre pour passer en Angleterre, afin de
    renouveler le traité d'alliance.--Refus du commandeur de
    Castille d'accepter le secours proposé par Élisabeth au roi
    d'Espagne contre les Turcs; demande que ce secours soit employé
    pour la guerre de Hollande.--Dispositions d'Élisabeth à l'égard
    de Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, j'espère que la venue de Mr de La Chastre confirmera grandement
ceste princesse vers Vostre Majesté, et la gardera d'obtempérer en
beaucoup de choses aulx tant instantes persuasions et vifves
poursuytes que luy renouvellent, à toute heure, ceulx qui s'efforcent
de la bander contre voz affères. Je luy ay desjà bien fort loué ceste
vostre élection comme très digne, et en toutes sortes très bien
faicte, sans rien obmettre des honnestes et bien fort bonne qualitez
de luy, qui espère qu'elle le recepvra avec toute faveur; et je
mettray encores peyne que, d'elle et des siens, sa légation soit la
plus honnorée, et qu'il en reviegne le plus d'utillité pour vostre
service qu'il me sera possible. Cella est bien à propos qu'il sera icy
plus tost que le conseiller de Flandres ny Me Wilson y arryvent,
lesquelz, à ce que j'entendz, apportent beaucoup d'ouvertures pour
remettre les anciennes entrecours et toutes aultres choses d'entre ces
deux pays en plus estroicte intelligence que jamays.

Je ne sçay toutefoys à quel prétexte ceulx cy pourront, à ceste heure,
poursuyvre davantage leur armement et appareil de mer, veu que le
commandeur de Castille a renvoyé le cappitayne, qui luy en estoit allé
apporter l'offre, avec une responce laquelle ne satisfaict ceste
princesse et encores moins ceulx de son conseil: car, en la remercyant
de sa bonne volonté et de la bonne et prompte disposition de ses
subjectz vers le Roy, son Mestre, et la priant et eulx d'y vouloir
persévérer, il s'excuse que, de tant que l'offre est faicte pour la
mer du Levant contre le Turc, où il n'a nulle charge, qu'il ne la peut
accepter, mais qu'il la fera entendre au dict Roy, son Mestre, le plus
tot qu'il luy sera possible, en quoy y pourra avoyr de la longueur, à
cause que les chemins sont, à présent, interrompus en France; mais
que, si c'estoit pour servir en la guerre des Pays Bas contre le
prince d'Orange, qu'il l'accepteroit incontinent, et appoincteroit
très bien les cappitaynes et soldatz et marinyers et vaysseaulx
angloix, qui viendroient à ceste entreprinse, laquelle seroit trop
plus agréable au Roy, son Mestre, et non moins honnorable et utille à
la dicte Dame et aulx siens que si c'estoit contre le Turc. Sur
laquelle responce j'entendz qu'elle et ceulx de son dict conseil se
trouvent fort empeschez quelle dellibération y prendre; et néantmoins
leur appareil va tousjours en avant.

Les deniers qui ont demeuré quelque temps ainsy dépositez, comme je
vous ay mandé, devers ung marchand de ceste ville ont esté, depuis
deux jours, apportez chez le grand trézoryer, montantz trente mille
escus, en angelotz; je ne sçay encores quel chemin ilz prendront.
J'entendz qu'on prépare une dépesche, icy, pour renvoyer Me Quillegreu
en Escosse, et qu'il y doibt apporter ung duplicata de celle que les
ministres ont esté plusieurs foys assemblez pour la dresser, de
laquelle ne se peult encores avoyr aulcune notice quelz chapitres elle
contient.

J'ay eu ces jours passez à présenter à ceste princesse, de la part de
la Royne d'Escosse, sa cousine, nonobstant la jalouzie que, sur vostre
mariage, elle a nouvellement reprins d'elle, troys petites coyfures de
nuict, ouvrées de sa main, avec une lettre fort gracieuse et aulcuns
propos qu'elle m'a escript, à part, pour luy dire; qui n'a esté sans
qu'il y ayt eu de la difficulté et de la contradiction beaucoup, car,
après m'avoyr ouy et avoyr uzé de quelque excuse tout haut de ne les
pouvoir accepter, elle m'a dict que je seroys trop esbahy, si je
sçavoys ce qu'on avoit composé sur les aultres petitz présantz qu'elle
avoit desjà receus d'elle par mes mains, et sur ce qu'elle avoit
dellibéré de luy en envoyer ung de sa part, comme si desjà la Royne
d'Escosse avoit tiré promesse d'elle qu'elle entreprendroit de la
restituer par force, et qu'elles en baillassent ainsy de mutuels gages
l'une de l'aultre; de quoy, encor qu'il n'en soit rien, l'on n'avoit
layssé de luy en escripre des lettres bien expresses d'Escosse et
qu'elle estoit en peyne comme en debvoir uzer.

Je luy ay réplicqué que ceulx qui luy escripvoient ainsy sellon leur
naturel barbare et meschant, ne sçavoient considérer qu'elle estoit
bonne et vertueuse et d'ung cueur si généreulx et royal qu'elle ne
pouvoit avoyr à mespris une aultre Royne et princesse, sa parante, en
quelle fortune qu'elle se trouvât, ny dédaigner les petitz ouvrages
qu'elle luy avoit faictz de sa main, vrays tesmoings de sa sincère
affection vers elle, qui n'en pouvoit estre offert de nulles
meilleures mains qu'ilz partoient ny receus de meilleures qu'ilz
alloient; et que les détracteurs de cella méritoyent tout le mal
qu'ilz creignoient leur en advenir et beaucoup davantage, sellon leurs
démérites.

A quoy elle m'a dict que, véritablement, ilz parloient sellon eulx,
mais qu'elle ne lairroit de fère sellon elle, et qu'elle acceptoit
doncques son présent; mais me prioit de ramantevoyr à la Royne
d'Escosse qu'elle avoit quelques ans plus qu'elle, et que celles qui
advancoient en l'âge, volontiers prenoient à deux mains, et ne
donnoient que d'ung doigt. Et ainsy je l'ay layssée assés bien
disposée vers sa cousine. Et sur ce, etc.

    Ce XIe jour de mars 1575.



CCCCXXXIXe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon._)

  Navires envoyés d'Angleterre pour recevoir Mr de La
    Châtre.--Méfiances inspirées à la reine contre sa
    légation.--Rapprochement entre Élisabeth et le roi
    d'Espagne.--Continuation des armemens.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, j'ay reçeu, le XIIe de ce moys, environ les quatre heures après
midy, la dépesche de Vostre Majesté du XXVIIe du passé et celle du IIe
d'estui cy, toutes deux, à la foys; et incontinent j'ay envoyé
demander en ceste court ung des navyres de guerre de la Royne
d'Angleterre pour aller prendre Mr de La Chastre à Bouloigne, affin de
le passer plus seurement, et qu'il ne prînt mal sur la mer en venant
par deçà. Dont l'on m'a libérallement accordé d'y envoyer deux
vaysseaulx passagers de Douvre, les mieulx équippez, sellon le temps
et la haste, que fère se pourra: de quoy je fay présentement un mot
de lettre au dict Sr de La Chastre affin qu'il temporise ung peu au
dict lieu de Bouloigne, attandant les deux vayssaulx, sans se
commettre à la discrétion de tant de pirates qui se tiennent
ordinayrement en ce destroict. Et sur ce, je vous diray, Sire, qu'il
n'a esté plus tost sceu, icy, que Vostre Majesté y dépeschoyt Mr de La
Chastre qu'incontinent ceulx qui se veulent formaliser contre voz
affères n'aient couru à la court, pour réfroydir ceste princesse et
ceulx de son conseil de la bonne réception qu'ilz préparoyent de luy
fère; et m'a l'on adverty qu'on y a faict de très maulvays offices
contre luy, et qu'on n'a bien parlé de luy. Je remédieray à cella, le
mieulx qu'il me sera possible, et, pour le moins, je m'efforceray
d'honnorer, autant que je pourray, et luy et la commission, qu'il
porte, de Vostre Majesté, et de fère qu'il vous rapporte le plus de
satisfaction qui se pourra tirer, de la dicte Dame et des siens, sur
les choses qu'il aura à leur dire et proposer de vostre part.

Il est certain que le conseiller de Bruxelles vient en la compagnye de
Me Wilson, et dict on que c'est pour résider, à bon escient,
ambassadeur, icy, pour le Roy d'Espaigne; ce qu'estant recherché de
luy, avec la soubmission qu'il promet de fère prester par les bannys
angloix à la dicte Dame, elle se laysse tirer assés de son costé, et
s'esloigne d'autant du vostre; et mesmes qu'on luy faict, ainsy que
j'en suys bien adverty, avoyr non moins suspect vostre mariage que
s'il estoit directement contre tout ce qu'elle pouvoit espérer de paix
et d'amityé de Vostre Majesté. L'on ne poursuyt plus, soubz celle
colleur de donner secours au dict Roy d'Espaigne contre le Turc, cest
armement qu'on avoit commancé, icy, depuis que le grand commandeur a
mandé sa response, mais l'on le continue avec aultre tiltre,
d'entreprendre un voïage au Cathay, ce qui ne m'est moins suspect que
le précédant; dont j'y auray l'œil le plus ouvert qu'il me sera
possible.

Me Quillegreu est desjà tout prest pour aller en Escosse avec une
dépesche de ce conseil, et bonne somme de deniers qu'il emporte
avecques luy. Je ne puis encores descouvrir à quel effect ce peut
estre. Il y apporte aussy une de ces quatre dépesches, que je vous ay
desjà escript que les ministres ont avec grande curiosité et
dilligence dressées: et me tarde beaucoup que le gentilhomme, qu'avez
ordonné pour aller résider ambassadeur par dellà, y soit arryvé; car
aultrement je crains bien fort qu'il ne s'y face quelque préjudice à
l'ancienne alliance qu'avez avec la couronne d'Escosse. Et sur ce,
etc.

    Ce XIVe jour de mars 1575.



CCCCXLe DÉPESCHE

--du XXe jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Efforts de l'ambassadeur pour dissiper les méfiances de la reine
    d'Angleterre.--Délibération des seigneurs du conseil sur les
    affaires d'Irlande.


    AU ROY.

Sire, j'ay pourveu le mieulx qu'il m'a esté possible à ce que le
réfroydissement, où l'on avoit voulu mettre ceste princesse et ceulx
de son conseil vers la venue de Mr de La Chastre, n'ayt poinct duré,
et m'a l'on desjà promis que le dict sieur sera bien et favorablement
receu. Je l'attandz à demain ou après demain, car il y a desjà six
jours que je luy ay redépesché son homme, avec l'ordonnance de prendre
deux vaysseaulx équippez en guerre à Douvre pour son passage; mais, de
tant plus qu'on le sent approcher, plus l'on s'efforce de presser, en
ceste court, les instances et sollicitations qui peuvent estre
contrayres à sa légation, et ne puis encores bien juger ce qui en
réuscyra.

Il est vray que, sellon qu'une chose qui est maintenant en
dellibération dans ce conseil se déterminera, l'on pourra lors
cognoistre si ceste princesse voudra proprement entendre à
l'establissement de ses affères dans ses pays, ou bien si elle
continuera de s'embrouyller aulx guerres et troubles de ses voysins;
car le comte d'Essex luy a dépesché, d'Irlande, ung sien gentilhomme
pour luy venir remonstrer qu'il a descouvert, en poursuyvant la guerre
par dellà, des moyens propres pour y establyr l'authorité d'elle, qui
sont beaucoup meilleurs et trop plus certains que ceulx qu'on y a
tenus jusques icy, mais qu'il a besoing, à ce commancement, de plus
grande provision de deniers et de plus grand nombre d'hommes qu'on ne
luy a encores ordonné, affin de mettre la chose promptement et bien à
entière exécution. Ce que ayant, en l'assemblée de plusieurs de ce
dict conseil, esté fort vifvement débatu, la dicte Dame n'a obmis de
leur mettre devant les yeulx que, par plusieurs foys et en maintes
façons, ceste entreprinse d'Irlande avoit esté, avec de grands frays,
mais tousjours en vain, diversement tantée; et qu'ilz examinassent, à
ceste heure, de bien près, si ce que le comte d'Essex mettoit en avant
avoit fondement ou non, et si la despence qu'il demandoit y estre
faicte seroit bien employée, ou bien si l'on le révoqueroit par deçà,
puisque les choses ne luy avoient ainsy succédé au dict pays comme il
l'espéroit, et luy ordonner, icy, des bienfaictz, pour le récompanser
des frays et dommages qu'il avoit souffertz en son expédition. Sur
quoy j'entendz que les opinyons ont esté contrayres, et mesmes qu'il y
en a de bien fort préoccupées, tant pour la jalouzye particullière des
conseillers, que pour ce, qu'aulcuns d'eux voudroient bien que, toutes
aultres choses délayssées, la dicte Dame entendît, pour ceste heure,
au seul secours des Protestantz comme à ceulx dont la victoyre, ainsy
qu'ilz disent, luy establiroit entièrement son repos, et luy
accommoderoit très bien ses affères, là où, aultrement elle ne pourra,
ce leur semble, estre, en l'ung ny en l'autre, jamays bien assurée.
Néantmoins il semble que l'advis des plus authorisez tend à
l'entreprinse d'Irlande, dont, dans bien peu de jours, se sentira la
résolution de l'ung ou de l'autre.

Et quand à ce que j'ay naguyères escript à Vostre Majesté, de la venue
du conseiller de Flandres, l'on attand icy, à toute heure, son
arryvée. Et, touchant l'armement, il se poursuyt tousjours; mais,
quand au voïage de Me Quillegreu en Escosse, il est ung peu suspendu.
Nous verrons comme les choses procèderont, et mettrons payne qu'en
soyez promptement adverty. Et sur ce, etc.

    Ce XXe jour de mars 1575.



CCCCXLIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Retard apporté au passage de Mr de La Châtre.--Nouvelles
    d'Ecosse.--Assurances de dévouement au roi données au nom des
    seigneurs écossais.--Recommandation pour les réfugiés de Rouen.


    AU ROY.

Sire, les deux vaysseaulx de Douvre, que la Royne d'Angleterre avait
faict ordonner pour Mr de La Chastre, ne fallirent de se rendre à
Bouloigne, le XVIe de ce moys, pour le passer deçà, mais il jugea
qu'ilz n'estoient suffisans ny assez bien équippés pour le saulver
devant les pirates qui l'attandoyent pour le piller: dont il renvoya,
le lendemain, ung sien gentilhomme, icy, pour obtenir d'aultres
vaysseaulx mieulx armez et plus fortz, ou bien quelque meilleur ordre
de ceste princesse pour assurer son passage. Sur quoy j'envoyay tout
aussytost fère ung mot de remonstrance là dessus à la dicte Dame, et
elle, sur l'heure mesmes, manda à milord Cobhan qu'il ne fallît de
dépescher son frère, ou quelque aultre gentilhomme de bonne qualité,
dellà la mer, avec les meilleurs vaysseaulx et les mieulx équippez
qui, en ceste grande haste, se pourroient trouver, affin de conduyre,
seurement et sans danger, le dict Sr de La Chastre et sa compagnye par
deçà: ce qui a esté incontinent exécuté. Et j'estime que, de présent,
toute la troupe ayt passé, et que, au plus tard, ilz arriveront demain
en ceste ville, où la dicte Dame s'en vient aussy avec toute sa court
pour y solenniser ces Pasques: ce qui fera que le dict Sr de La
Chastre aura le moyen d'accomplir plus commodément et plus tost sa
commission; et j'espère qu'il vous rapportera tout contantement.

J'ay tant faict que le filz de milord de Sethon, qui est icy, lequel
n'est pas l'ayné, comme on me l'avoit dict, ains est le segond, m'est
venu trouver fort secrettement et de nuict, affin d'éviter souspeçon;
et m'a assuré que son père et les principaulx seigneurs, et mesmes la
pluspart de la noblesse d'Escosse, persévèreront constamment vers
l'alliance de Vostre Majesté et en l'affection de bons subjectz vers
la Royne, leur Mestresse, mais qu'ilz gardent ceste bonne volonté
cachée dans leurs cueurs, pour ne l'ozer manifester que au besoing, et
lorsqu'ilz verront que les choses seront en estat que, sans danger,
ils se pourront déclarer; et que de sa part, il n'estoit venu, icy,
sinon pour n'avoyr peu obtenir du comte de Morthon qu'il s'en peût
retourner en France, et m'a donné parolle de gentilhomme qu'il vous
demeurera tousjours très dévot serviteur. Milord de St Jehan,
escossoys, lequel est depuis ung an en ceste ville, m'a faict aussy
secrettement remonstrer que, ayant trop plus agréable, pour la malice
du temps, d'estre hors de son pays que d'y habiter, et luy manquantz,
par la mort et par l'absence des deux Roynes, ses Mestresses, les
moyens qu'elles luy avoient donné en leur faysant service, il estoit
maintenant en sa viellesse contrainct de chercher nouveau mestre et
nouvelle protection; et que, pour la dévotion qu'il avoit tousjours
eue en vostre couronne, et les faveurs et grâces que luy et sa nation
en avoyent receu par le passé, il ne vouloit fallyr d'offrir sa bonne
volonté et son fidelle service à Vostre Majesté, réputant à plus
d'honneur la moindre faveur qu'il pourra recepvoir d'ung si grand Roy
que tout aultre bien que nul autre prince luy pourroit fère; en quoy
j'entendz qu'il desireroit estre advoué pour vostre domestique
serviteur, gentilhomme de vostre chambre, ce qui semble bien, Sire,
qu'il est personnage pour mériter que daignez le gratiffyer de cella.
Et sur ce, etc.

    Ce XXIVe jour de mars 1575.

   Ceulx de voz subjectz de la nouvelle religyon, qui vivent
   paysiblement icy, me viennent, tout maintenant, de prier que
   je rende très humbles grâces à Vostre Majesté pour les lettres
   qu'il vous a pleu escripre en leur faveur à vostre court du
   parlement de Roan; mais que, de tant que leurs parantz et
   procureurs, qu'ilz ont sur les lieux, leur ont mandé que la
   dicte court n'y veut avoyr esgard, parce que ne sont que
   lettres closes, qu'ilz supplyent très humblement Vostre
   Majesté de vouloir, par nouvelles lettres patantes, confirmer
   la première déclaration et octroy, qu'il vous a pleu leur
   fère, de ne poinct saysir leurs biens, en se déportant
   loyaulment vers vostre service. Sur quoy je vous supplye très
   humblement, Sire, de les fère jouyr de l'effaict de vostre
   promesse, sellon que ceulx, à qui j'ay donné mes certificatz,
   ont bon tesmoignage qu'ilz n'ont attempté ny attemptent par
   armes, par praticques ny par contribution, chose aulcune
   contre l'obéyssance et fidellité qu'ilz vous doibvent.



CCCCXLIIe DÉPESCHE

--du dernier jour de mars 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Arrivée de Mr de La Châtre à Londres.--Bonne réception qui lui
    est faite.--Arrivée de l'ambassadeur du roi d'Espagne.


    AU ROY.

Sire, il n'eût esté bien à propos que Mr de La Chastre fût passé la
mer plus tost qu'il a faict, car il eût trouvé, ici, des difficultez
non petites, lesquelles je n'avoys peu encores vaincre, et de la
froideur que je ne pouvoys encores reschauffer; qui eussent, par
advanture, desrogé assez à sa réception, et, possible, empesché le
meilleur effect de son voyage. Dont je loue Dieu qu'il m'a enfin esté
plus octroyé pour luy que je n'eusse ozé demander, car ayant la Royne
commandé au frère de milord Coban et aultres gentilshommes anglois de
l'aller quérir jusques à Callays, pour le passer deçà, elle l'a depuis
faict fort honnorablement recepvoyr à Douvre et à Conturbery, et
partout où il a passé, avec le concours de beaucoup de noblesse du
pays; et a envoyé le jeune Houdson, son parant, le rencontrer à une
journée d'icy, et ses propres barges le prendre à Gravesines pour le
porter en ceste ville, où la réception luy a esté faicte encores plus
grande et plus honnorable qu'aylleurs. Et luy, avec toute sa troupe, y
sont bien logez et fort bien traictez aulx dépens de la dicte Dame, et
visitez souvant par les seigneurs et gentilshommes de ceste court,
lesquelz nous ont déjà conduictz une foys, avec ordre et cérymonie,
vers elle; et elle, avec ordre et magnifficence, l'a fort
favorablement receu, et luy a donné une bien bénigne audience, en
laquelle elle a monstré qu'elle avoit la légation, et celluy qui la
luy portoit, fort agréable. Qui vous puis aussy très certaynement
assurer, Sire, que luy, de son costé a commancé, et qu'il poursuyt de
l'accomplyr avec beaucoup d'honneur et de dignité, et avec tant de
bonne façon qu'il ne s'y peut desirer rien de mieulx, et faict
comporter bien modestement sa troupe, de sorte que toute ceste court
en demeure bien édiffyée. Dont j'espère qu'avec beaucoup de sa
réputation il rapportera beaucoup de contantement de son voïage à
Vostre Majesté; et ne me reste qu'un seul escrupulle, c'est la
traverse que nous pourra donner l'ambassadeur du Roy d'Espagne, lequel
en dilligence est arryvé icy dans bien peu d'heures après que Mr de
La Chastre a esté descendu; mais nous n'obmettrons ung seul poinct du
soing et dilligence que debvons à vostre service, ainsy que par luy
mesmes qui pourra, dans quatre ou cinq jours, s'expédyer d'icy, aurez
l'entière relation du tout. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de mars
1575.



CCCCXLIIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour d'apvril 1575.--

(_Envoyée exprès par Mr de la Chastre._)

  Heureux résultat de la mission de Mr de La
    Châtre.--Renouvellement de la ligue entre la France et
    l'Angleterre.--Assurance que la confiance est pleinement
    rétablie.--Instance pour que Mr de Mauvissière, successeur
    désigné de l'ambassadeur, se rende sans retard à Londres.


    AU ROY.

Sire, la bonne et digne façon de laquelle Mr de La Chastre s'est
conduict à fère la visite que luy avez commandé vers ceste princesse,
et à luy présenter les lettres de Vostre Majesté et de la Royne,
vostre mère, (mesmement celles qui estoient escriptes de voz mains,
lesquelles, avec l'acte d'acceptation de la ligue, qui a esté trouvé
fort bien couché, ont esté de grand moment), et à luy bien explicquer
les poinctz de sa créance, et singulièrement à luy ouvrir clèrement la
droicte intention de Voz Très Chrestiennes Majestez, et aussy à luy
admener de bien vifves raysons pour luy oster tout escrupulle qu'il y
ayt aultre chose que toute sincérité, bien esloignée de faintise et de
dissimulation, en l'amityé que luy promettez, ont faict que la
confirmation de la dicte ligue, pour laquelle principallement l'aviez
dépesché par deçà, a heureusement succédé, ainsy que luy mesmes vous
en fera le récit, et vous en délivrera l'acte et les lettres, que la
dicte Dame vous en escript. Qui me semble, Sire, que les choses en
sont venues à si bons termes que de meilleurs ny de plus honnorables,
pour ce regard, n'en pourroient estre desirez pour Vostre Majesté. Et
j'en loue Dieu de bon cueur, car, avec l'utillité de vostre service,
je puis, à ceste heure, plus confidemment supplyer très humblement
Vostre Majesté de m'effectuer la promesse de mon congé, sans craindre
que le changement d'ambassadeur puisse rien altérer en la négociation
de deçà, et commander de rechef à Mr de Mauvissyère de se rendre, icy,
le XVe de ce moys, ou au plus tard à la fin d'icelluy, sellon que, par
la dépesche du XVIIe du passé, j'ay veu que desjà il en avoit receu
vostre commandement. Sur ce, etc.

    Ce VIIe jour d'apvril 1575.



CCCCXLIVe DÉPESCHE

--du XVe jour d'apvril 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer._)

  Audience.--Remerciemens de l'ambassadeur pour l'honorable accueil
    fait à Mr de La Châtre et le renouvellement de la
    ligue.--Demande d'Élisabeth que le roi prête serment pour la
    confirmation du traité.--Déclaration des armemens faits à
    Saint-Malo contre ceux de la Rochelle.--Adhésion de la reine à
    ces armemens qu'elle juge nécessaires pour réprimer les excès
    des protestans.--Affaires d'Irlande.--Réclamation de
    l'ambassadeur au sujet de son traitement.


    AU ROY.

Sire, je viens de dire à la Royne d'Angleterre que, quand il n'y eût
eu aultre argument que celluy de l'obligation, que je luy avoys, de
m'avoyr rendu si heureux qu'avant la fin de ma charge elle eût faict
réuscyr très honnorable et pleyne de contantement la première légation
que Vostre Majesté luy avoit envoyée, qu'encores n'avoys je, pour ce
regard, voullu fallir de luy en venir très humblement bayser les
mains, et la remercyer, d'abondant, de ce qu'elle avoit donné à Mr de
La Chastre, et aulx gentilshommes françoys de sa compagnye, de quoy
rapporter à Vostre Majesté que, en nulle aultre part du monde, ilz
eussent peu estre mieulx veus ny plus caressez qu'ilz avoyent esté,
icy, ny recepvoir tant d'honnestes gracieusetez qu'ilz avoient faict
d'elle, comme d'une des plus vertueuses et courtoises princesses que
le monde ayt, ny, possible, aura de longtemps; et que toutz ensemble
avions loué Dieu du prompt et franc desir dont elle avoit très
volontiers, et de bon cœur, accepté Vostre Majesté en la continuation
de la ligue, que le feu Roy, vostre frère, avoit avec elle; et que le
dict Sr de La Chastre la pryoit bien de croyre qu'il n'avoit layssé
tomber ung seul mot de tant d'honnestes propos qu'elle nous avoit
tenus de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx
de vostre couronne, ny de toutes les responces qu'elle nous avoit
faicte, ny des honnorables signiffications d'amityé qu'elle nous avoit
monstré vous porter, ny encores des aultres tant habondantes et
vrayement royalles faveurs que, pour l'honneur de vous, elle luy avoit
faictes, et à luy et à sa compagnye, qu'il n'eût soigneusement
recueilly le tout pour en pouvoir donner bon compte à Vostre Majesté;
et qu'il desiroit que quelque chose de ce qu'il avoit de plus cher au
monde, ou mesmes une partye de soy mesmes, se peût convertyr en
mercyement qui se trouvât digne de l'obligation qu'elle avoit gaignée
sur luy, et aulmoins luy layssoit il par deçà une très dévote
affection de luy fère, après Vostre Majesté et ce qu'il debvoit à
vostre couronne, plus de service qu'à nul prince ny princesse de la
Chrestienté;

Et que les aultres gentilhommes françoys, en leur disant adieu,
m'avoient prié, toutz d'une voix, que, en leur nom, je luy voulusse
aussy bayser ses royalles mains; et qu'ilz réputeroyent à grand heur
que, quelques jours, avec le bon congé de Vostre Majesté, ilz peussent
estre employez en chose qui fût pour l'honneur et service d'elle; car
ilz n'y espargneroyent ny leurs vies ny leurs personnes; et que, en
expécial, Mr de Beauvoys luy rendoit très humbles grâces de ce qu'elle
avoit deigné privément l'enquérir de plusieurs particullaritez de
Vostre Majesté et fort famylièrement l'en entretenir; et que celle
grande faveur, dont une si excellente princesse l'avoit voulu fère
digne, luy avoit réaulcé le cueur, pour espérer d'estre quelque chose
de meilleur à l'advenir qu'il ne s'estoit encores jamays ozé
promettre; et qu'il avoit faict un registre, en soy mesmes, de toutes
les vertueuses parolles et honnestes démonstrations de la dicte Dame,
et singullièrement de celle très expresse commission qu'elle luy avoit
donné pour ne faillir d'en entretenir, bien au long et à loysir,
Vostre Majesté.

Lesquelz propos je vous promectz, Sire, que la dicte Dame a eu
souveraynement agréables, et, nonobstant la dilligence d'aulcuns, qui
s'estoient cependant efforcez d'attiédyr nostre précédante
négociation, elle, d'une démonstration de playsir et de contantement,
plus que ordinayre, m'a respondu que, quoyqu'on luy eût voulu dire,
ny persuader de Vostre Majesté, elle avoit trouvé que, sur le voïage
de Mr de La Chastre, aussy bien qu'en aultres choses, j'estoys plus
véritable que ceulx qui en avoyent mal rapporté, et qu'elle ne se
souvenoit d'estre jamays demeurée plus pleynement satisfaicte de nulle
autre négociation qu'elle eût faict en sa vye, que de ceste cy; et que
pourtant, si j'avoys jamays rien faict à sa pryère, que je voulusse, à
ce coup, avec plus d'expression que jamays, infinyement remercyer
Vostre Majesté de sa part, pour l'effect de ceste ambassade, laquelle
vous luy aviez faicte fère en termes si honnorables qu'elle ne le
sçauroit desirer davantage; et qui estoyent très signifficatifs de la
droicte amityé que luy portés; et puis il sembloit que eussiez choysy
l'ambassadeur, garny de toutes les qualitez dignes et propres pour
l'honnorer beaucoup à elle et donner grand contantement à toutz les
siens, et qu'elle avoit desjà envoyé à son ambassadeur par dellà ung
pouvoir pour assister à vostre sèrement et requérir une plus ample
confirmation; jouxte le XXXIXe article du traité, et la lettre de
vostre main, affin de donner perfection à cest affère, duquel, si elle
voyoit que les choses se continuassent sellon ce bon commancement,
elle vous promettoit bien que vous auriez en elle une très loyalle et
perpétuelle confédérée pour tout le temps de sa vye.

Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté de satisfère
premièrement aulx deux premiers poinctz: du sèrement et confirmation,
et en fère dellivrer l'acte au dict sieur ambassadeur; mais, quand au
troysiesme, de la lettre de vostre main, il vous plerra me l'envoyer
pour la dellivrer à la dicte Dame, affin d'avoyr argument de parler
bien à elle et de tirer d'elle une bien expresse déclaration là
dessus.

J'entendz que la dellibération d'envoyer en Espaigne, et pareillement
de dépescher en Escosse, demeurent en quelque suspens jusques après
les prochaynes nouvelles qui viendront de France, après le retour de
Mr de La Chastre. Cependant j'ay communicqué à la dicte Dame une
lettre, que Mr de Boyllé m'a escripte, du XIIe de mars, touchant
l'apprest que font ceulx de St Malo pour se revencher contre ceulx de
la Rochelle; de quoy elle m'a dict qu'elle ne pourroit désormays
prendre meffiance d'aulcun appareil qui se fît en vostre royaulme, et
que les injures et larrecins, que font ces réformez, méritoient, à bon
escient, qu'on les aille bien réprimer.

Il est survenu en Irlande une grande altération entre le comte d'Essex
et Me Finguillien, présidant au dict pays, pour rayson de quoy l'ung
et l'aultre ont dépesché en ceste court; et le conseil s'en est
assemblé, par troys foys, devant la dicte Dame, laquelle, nonobstant
qu'elle porte grand faveur au dict d'Essex, qui a espousé une sienne
fort proche parante, si entendz je qu'elle ne l'a voulu supporter, et
m'a l'on dict qu'il est révoqué de sa charge. Et sur ce, etc. Ce XVe
jour d'apvril 1575.

   J'entendz que Mr le trésorier de l'espargne me veut roigner la
   moictyé du présent quartier, où nous sommes, de l'estat
   d'ambassadeur, bien que méshuy je ne pourray arryver vers
   Vostre Majesté, non que me conduyre en ma mayzon, que ne
   soyons à la fin du dict quartier. Dont vous supplye très
   humblement, Sire, luy commander de ne m'y fère de diminution,
   car le tout me faict bien besoing pour sortir d'icy.



CCCCXLVe DÉPESCHE

--du XXIe jour d'apvril 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Olyvier Champernon._)

  Emprunts et armemens faits par Élisabeth.--Confiance de
    l'ambassadeur qu'elle n'a aucun projet hostile contre la
    France.--Nouvelles d'Écosse.--État de la négociation de la paix
    dans les Pays-Bas.


    AU ROY.

Sire, je n'apperçoy encores, pour aulcun semblant de ceste princesse,
qu'elle vueille, en l'endroict de Vostre Majesté, ny du présent estat
de voz affères, suyvre aultre dellibération que celle bonne qu'elle
nous a déclarée, quand Mr de La Chastre estoit icy. Et, bien que
ceulx, à qui cella ne peut playre, n'obmettent aulcune dilligence pour
l'en cuyder divertyr, si espérè je qu'avec les gracieulx termes, dont
Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aurez desjà gratiffié à son
ambassadeur les honnorables démonstrations qu'elle a uzé en la
confirmation de la ligue, nous pourrons fère qu'elle se tiendra assez
ferme contre les menées et instigations des poursuyvans; en quoy je ne
faudray, à la première dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, de
l'aller encores, de plus en plus, confirmer en son bon propos. Il
m'est bien venu, Sire, d'ung mesmes lieu, et en une mesme heure, deux
et troys advis pour me fère assés doubter d'elle: l'ung est, qu'après
une assemblée de son conseil, à laquelle ont concouru les ministres et
aulcuns des plus apparantz suppostz de ceulx de la nouvelle religyon,
la dicte Dame a soubdain mis sus ung emprunt de soixante mille livres
esterlin, la moytié sur ceste ville de Londres, un sixiesme sur le
clergé et les aultres deux sixiesmes sur le commun du royaulme; qui
sont deux centz mille escus en tout à estre payez, le plus tost que
fère se pourra, par ses lettres qu'ilz appellent _Privez Selz_,
lesquelz l'on dépesche en grand dilligence. Et l'autre advis porte
que, en mesme temps, Mr de Méru a eu à dire à quelque personnage de
ceste court, que, ayant chascung de ses deux frères bien pourveu, là
où ilz sont, à leur faict, et que n'ayant luy moins heureusement
négocié, icy, de sa part, il dellibéroit de s'en retourner, à ceste
heure, en Allemaigne, puisque Mr de Turenne s'estoit desjà déclaré,
affin de haster Mr le Prince de Condé aulx entreprinses qu'il a entre
mains. Et le troysiesme advis est qu'on poursuyt, en ceste court, plus
chaudement qu'on n'a encores faict, une description de cappitaynes et
de soldatz, et ung apprest de navyres de guerre; ce que aulcuns
veulent interpréter que tout cella se faict en faveur des eslevez de
vostre royaulme.

De quoy, pour l'instabilité des Angloix et l'extrême passion qu'ilz
ont à leur religyon, et la peur qui les tient tousjours, de laquelle
ilz ne se peuvent jamays deffère, du faict de la Royne d'Escosse, je
ne me veulx trop persuader qu'il n'eu puisse estre quelque chose. Mais
je mezure bien aussy que tout cest appareil n'excède de guyères ce qui
faict besoing à la dicte Dame pour son entreprinse d'Irlande, à
laquelle elle est comme engagée, et faut qu'elle y pourvoye
promptement pour ne rien perdre de la sayson de l'esté; car les
aultres troys saysons de l'an sont inutiles à la guerre de delà. Et
puis je veulx présumer qu'elle ne voudra si tost aller contre ce
qu'elle vient tout freschement de vous promettre par la susdite
confirmation de la ligue. Et, au pis aller, il faudra avoyr l'œil
bien ouvert sur ce qu'elle entreprendra, affin que rien ne s'en puisse
addresser contre Vostre Majesté que n'en soyez auparavant apperceu.
Et, pour le présent, je vous, diray, Sire, qu'il y a, à la vérité,
deux navyres, de la dicte Dame dehors, lesquelz sont allez convoyer la
flotte de Hembourg, et il s'en appreste quatre aultres, et puis il en
doibt sortir promptement six des particulliers. Et j'entends que, en
Ollande, l'on prépare à furie d'en mettre quelque nombre dehors; en
quoy je crains bien que l'ambassadeur d'Angleterre, par le courrier
qui est arryvé, icy, le XVIe de ce moys, ayt escript que Vostre
Majesté a une secrette dellibération d'aller promptement assiéger par
mer et par terre la Rochelle, et qu'il ayt donné une grande allarme de
l'armement de Bretaigne. Dont, à toutes advantures, il sera bon, Sire,
que faciez promptement advertyr voz cappitaynes, qui sont sur mer, et
pareillement les gouverneurs, du long de la coste de deçà, qu'ilz se
donnent garde de ces deux appareils de Ollande et d'icy.

L'on m'a dict aussy que la dicte Dame a eu des lettres d'ung sien
serviteur secret, qui est en Escosse, lequel la mect en peyne des
choses de dellà comme si la part françoyse y estoit plus relevée que
jamays, et que le comte de Morthon soit pour s'y laysser ramener; ce
que j'estime luy avoyr esté escript à poste par la praticque d'aulcuns
d'auprès d'elle. Tant y a qu'elle a faict une prompte dépesche à
Barwyc, par laquelle elle mande qu'on en examine bien le faict, affin
d'envoyer, puis après, Me Quillegreu par dellà, s'il est cognu qu'il
en soit besoing.

L'ung des principaulx entreméteurs de la paix des Pays Bas a escript à
ung sien amy, en ceste ville, et j'ay veu la lettre, que, encor que
les choses semblent estre accrochées à des difficultez non petites,
et mesmement au poinct de la religyon, et à la tenue des Estatz, et à
fère sortyr les estrangers hors du pays, si voyoit il néantmoins qu'on
en viendroit, à la fin, en accord. Et semble bien à ceulx cy que la
nouvelle qu'ilz ont: comme l'Empereur s'en va conclurre le mariage du
roy de Hongrye, son filz ayné, avec la fille du duc de Saxe,
facilitera davantage le dict accord, et baillera ung grand moyen au
dict roy de Hongrye de parvenir à l'élection du roy des Romains. Et
sur ce, etc. Ce XXe jour d'apvril 1575.



CCCCXLVIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour d'apvril 1575.--

(_Envoyée jusques à Calais par le secrétère du président de
Toulouze._)

  État de la négociation de la paix en France.--Assurance que les
    préparatifs faits en Angleterre sont dirigés contre
    l'Irlande.--Conférence de l'ambassadeur avec l'envoyé du roi
    d'Espagne.


    AU ROY.

Sire, à l'occasion du retour du Sr de Vassal et de la dépesche qu'il
m'a apportée, de Vostre Majesté, du XIIIe de ce moys, j'ay estimé
qu'il estoit expédient d'informer ung peu mieulx ceste princesse et
les siens de voz nouvelles et de l'estat des choses de dellà, qu'il ne
sembloit que leur ambassadeur les leur eût ainsy proprement escript
comme elles sont: car ilz tenoient entre eulx que le traicté de
paciffication en vostre royaulme ne prenoit aulcun bon commancement;
et que Mr de Beauvoys La Nocle, qui estoit venu, jusques bien près de
Paris, pour vous apporter les articles de la demande des eslevez,
ayant eu advertissement qu'on luy vouloit fère ung très maulvais
tour, s'en estoit fouy en la plus grande haste qu'il avoit peu, et
qu'encor qu'on s'efforçât de traicter avec les aultres depputez, et
que l'on en corrompît quelques ungs, que néantmoins tout ce qu'ilz
feroient n'auroit point d'aucthorité, et qu'il estoit tout apparant
que, sans la liberté des deux mareschaulx et sans le consantement des
aultres troys frères de Montmorency, l'accord ne succèderoit jamays;
que cepandant la guerre continuoit tousjours, et qu'en la Guyenne au
comte Martinengue avoit esté deffaictes quatre ou cinq compagnies
d'arquebuziers, et luy contrainct se saulver dans ung prochain fort;
et que Vous, Sire, sentiez plus et estiez beaucoup plus fasché que Mr
de Turène eût prins les armes que de tout ce que Mr de Dampville, son
oncle, avoit faict jusques icy; et que ceulx de la Rochelle avoient
gaigné une victoyre sur mer contre les Bretons; que Vostre Majesté se
trouvoit en une extrême nécessité d'argent, et que mesme la Royne
Veufve, par faulte que ne luy en pouviez bailler, demeuroit d'aller
voyr sa fille jusques à Bloys, avec d'aultres particullaritez qui
n'estoient à l'advantage de voz affères.

A quoy, par le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'escripre, et de
ce que le dict Sr de Vassal m'avoit rapporté de parolle, il y a esté
satisfaict le mieulx que j'ay peu, de sorte que chascung demeure
maintenant plus capable de la vérité. Et ne sentz poinct, Sire, que
cella ayt faict, ny soit pour fère encores de mutation icy; ains
j'espère que, venant bientost, icy, l'acte de vostre sèrement et de
vostre plus ample confirmation du traicté de ligue, et la lettre de
déclaration que ceste princesse attand de vostre main, qu'elle
persévèrera plus constante que jamays vers Vostre Majesté, se
commançant desjà bien à cognoistre que l'emprunct des deniers et
l'apprest qu'elle a commandé de fère, ainsy que par ma précédante je
le vous ay escript, est principallement destiné pour l'Irlande.

J'ay, ces jours passez, pryé le docteur fiscal de Bruxelles à dîner en
mon logis, et l'ay honnoré comme ambassadeur d'Espaigne. Néantmoins il
m'a dict que ceste princesse, avec beaucoup de faveur, l'avoit bien
receu, non à dire vray pour ambassadeur, mais pour agent, sur les
lettres qu'il luy avoit apportées du Roy, son Mestre, par lesquelles
il promettoit d'observer et tenir ce que desjà avoit esté, et seroit,
après, négocyé par luy; et que, en attandant la détermination que le
dict Roy, son Mestre, et elle prendroient sur la mutuelle résidence
des ambassadeurs de l'ung auprès de l'autre (et qu'en cas qu'ilz s'en
accordassent que seroit luy ou bien don Bernardin de Mendossa qui
seroit ordonné en ceste place), il continueroit de mettre à effect les
aultres bons accords, qui estoyent desjà comme arrestez entre ces deux
pays pour leurs commerces et entrecours. Et en devisant avec luy, il
m'a discouru ce qui s'estoit passé jusques icy au traicté de la paix
de Flandres, et que, encor que les depputez se fussent retirez, et que
le comte de Sualsembourg s'en fût retourné vers l'Empereur, ce
n'estoit que pour en venir tant mieulx à une bonne conclusion; et que,
ce matin mesmes, il venoit de recepvoyr des lettres de dellà qui le
mettoient hors de tout doubte que la dicte paix ne deût bientost et
bien heureusement succéder, parce qu'on l'advertissoit qu'ung bien
honneste moyen de seureté avoit esté mis en avant, lequel le Roy
Catholicque ne refuzeroit nullement de bayller; et que le prince
d'Orange et les eslevez s'en tiendroient pour bien contantz. Et sur
ce, etc.

    Ce XXVIe jour d'apvril 1575.



CCCCXLVIIe DÉPESCHE

--du dernier jour d'apvril 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Négociation de l'ambassadeur pour Marie
    Stuart.--Arrivée à Londres des députés de Bâle, chargés de
    solliciter des secours pour les protestans de France.--Élection
    du roi comme chevalier de l'ordre de la Jarretière.


    AU ROY.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre avoit monstré de ne prendre en
bonne part la négociation que luy aviez faicte fère pour la Royne
d'Escosse, affin de mieulx cognoistre si ce qu'elle nous en avoit
respondu luy partoit, à bon esciant, de dedans du cueur, ou si
c'estoit artiffice, je luy suis allé dire que j'avoys à luy fère ung
peu de querelle de la rude responce, qu'elle vous avoit mandé, sur les
honnestes propos que luy aviez faict tenir par Mr de La Chastre en
faveur de ceste princesse.

A quoy soubdain, sans me laysser passer plus avant, elle m'a respondu
que je serois tout esbahy, si je sçavois ce qu'elle avoit faict
davantage, car, par la lettre qu'elle avoit escripte, de sa main, à la
Royne, vostre mère, elle luy avoit mandé qu'elle ne luy layrroit
passer ceste grande faute d'avoyr permis que Vostre Majesté fût entrée
en renouvellement de ligue avec elle par ung si mal considéré
commancement que celluy là; et mesmes s'estoit pleincte à elle que je
ne m'estois monstré, icy, guyères moins ambassadeur de la Royne
d'Escoce que le vostre.

A quoy aussy, en ryant, je luy ay dict que, en cuydant taxer d'erreur
Voz Très Chrestiennes Majestez, elle ne prenoit pas garde qu'elle
manifestoit proprement le sien de vous reprocher les honnestes offices
que faisiez pour vostre belle seur et parante, et pour vostre
principalle allyée; lesquels offices je sçavoys qu'elle mesmes jugeoit
assez que, sans grand reproche, vous ne les pouviez obmettre, et qu'il
failloit bien qu'elle pensât de ne vous avoyr jamays pour amy, si elle
ne vous vouloit aymer avec toutes les circonstances de vostre honneur
et dignité; et que, pour mon regard, je n'avoys jamays attainct de
fère, à beaucoup près, pour la dicte Dame, tout ce que Vostre Majesté
m'en avoit commandé, dont je ne creignoys d'estre blasmé de l'excez;
et que, de tant que je sçavoys qu'à présent elle n'avoit aulcune
matière d'offance ny de courroux contre elle, que je ne layrroys
pourtant cella de luy communicquer une sienne lettre que j'avoys
naguyères receue, laquelle luy feroit venir à regret que, pour son
regard, elle ne vous eût plus agréablement satisfaict.

Et, la luy ayant baillée, elle l'a fort volontiers serrée dans sa
pochette, et m'a pryé de la luy laysser pour la lyre à son loysir. Qui
ay bien cognu depuis, Sire, qu'elle y avoit trouvé des particullaritez
qui l'avoient contantée, dont elle a contanté aussy de quelques
aultres la dicte Dame; et a permis que Me Jehan de Compiègne, son
tailleur, avec plusieurs besoignes qu'il a apportées de Paris, la soit
allé trouver.

Ceste difficulté n'a esté sitost vuydée qu'il s'en est présenté
incontinent une aultre, plus grande, de troys gentilshommes, l'ung
françoys, l'autre allemand et l'autre flammand, lesquelz, ayant esté
naguyères dépeschés par l'assemblée qui a esté tenue à Basle, sont
venus incister à ceste princesse et au clergé de ce royaulme en des
demandes bien grandes pour ceulx qui ont prins les armes en faveur et
deffence de ceulx de la nouvelle religyon; lesquelles demandes je n'ay
peu encores bien approfondyr, à la vérité, quelles elles sont; tant y
a qu'il semble que les évesques d'icy y vont assez inclinant.
Néantmoins il a esté si bien pourveu au reste, que je ne descouvre
nullement que ceste princesse ny ceulx de son conseil ayent, pour
encores, aulcune dellibération de leur rien accorder.

Et, au contrayre, il est advenu, contre ce qu'ilz espéroyent, et au
regret de plusieurs aultres poursuyvantz en ceste court, que le jour
de St Georges, et tenant le chapitre de l'ordre de la Jarretyère, à
Grenvich, la dicte Dame a faict que Vostre Majesté y a esté esleu
chevalyer du dict ordre; dont le comte de Lestre s'en est incontinent
envoyé conjouyr avecques moy, avant qu'il en ayt esté rien divulgué.
Et, le jour ensuyvant, elle a envoyé troys honnestes gentilshommes de
sa court, du nombre de ses pensionnayres, dont l'ung est son parant,
devers moy, pour me notiffyer la dicte élection, et comme elle n'avoit
voulu permettre que ce chapitre se passât sans qu'elle se fît; et
qu'aussytost qu'elle entendroit que Vostre Majesté l'auroit agréable,
elle ne faudroit de vous dépescher ung personnage d'honneur et ung
seigneur de qualité pour vous aller apporter le dict ordre. Je l'ay
infinyement remercyée de ceste marque, et de l'évident tesmoignage
qu'elle vous rend, en cella, de son indubitable amityé, et que je ne
tarderoys de le vous fère bientost sçavoyr; luy osant desjà bien
advancer cella, en vostre nom, qu'elle n'eût peu fère eschoyr ceste
élection en l'endroict de nul autre prince de la Chrestienté qui mît
plus de peyne d'honnorer son ordre, et de l'accepter en très bon gré,
que Vostre Majesté feroit: dont vous supplye très humblement, Sire,
m'y fère promptement, et par voz premières, ung mot de responce. Sur
ce, etc. Ce XXXe jour d'apvril 1575.



CCCCXLVIIIe DÉPESCHE

--du VIe jour de may 1575.--

(_Envoyée à Callais expressément par le Sr Biscop._)

  Vives instances des députés de Bâle à l'effet d'obtenir des
    secours pour les protestans de la Rochelle.--Réclamations des
    Anglais pour que justice leur soit rendue en France.--Nouvelles
    d'Écosse.--Plaintes de l'ambassadeur à raison du dénuement où
    il se trouve.


    AU ROY.

Sire, comme ceste princesse estoit après à dellibérer, avec ceulx de
son conseil, si elle debvoit, ou si elle ne debvoit pas, fère
promptement mettre les douze navyres, dont je vous ay cy devant
escript, (sçavoyr est: six des siens, et les six aultres des
particulliers), en mer, il y en a qui sont expressément allez la
persuader que, pour occasion du monde, elle ne voulût laysser de les
fère sortir, attandu que, de Normandye et de Bretaigne, il y en avoit
desjà ung bon nombre sur mer dehors. Et s'en est bien peu failly, à
l'instance des depputez de Basle, et d'aulcuns venus de la Rochelle,
lesquelz se sont tout à poinct présentez là dessus en ceste court,
lorsque Mr de Méru y estoit, que la résolution n'en ayt esté prinse,
et mesmes que aulcuns de ce conseil, qui inclinoyent à cella,
opinoient que ce seroit chose fort à propos pour favoriser
l'entreprinse d'Irlande. Mais, quand j'ay eu, soubz main, remonstré
qu'il ne pourroit estre que Vostre Majesté n'en prînt de la jalousye,
attandu que vous aviez faict donner advis à la dicte Dame de tout ce
que vous aviez sur mer, et de ce qu'entendiez y mettre davantage,
ensemble de son armement; et que vous sçaviez assez que, pour
l'Irlande, il ne luy faisoit besoing d'aultres vaysseaulx que de
passagers pour y trajetter des hommes; et que je croy aussy que, en
mesmes temps, le conseiller fiscal de Bruxelles, (lequel est après à
renouveller les accords d'entre les pays du Roy d'Espaigne avec ce
royaulme, d'autant que leur trefve, qui n'avoit esté prinse que pour
deux ans, est expirée, à ce premier jour de may), a aussy remonstré
que son Mestre auroit cella pour suspect; il a esté résolu que, pour
ceste heure, cest armement ne passeroit plus oultre, et qu'il seroit
remis jusques à ce que la dicte Dame vît si, pour quelque occasion qui
luy peût cy après survenir, qui luy fût plus grande qu'elle n'en avoit
à présent, elle seroit meue de le parachever.

Et sur cella j'entends qu'il luy est arryvé, de son ambassadeur, ung
pacquet, lequel luy a donné assés de satisfaction du bon rapport qu'a
faict d'elle et des choses de deçà Mr de La Chastre, et comme il vous
a pleu commander à icelluy mesmes Sr de La Chastre, et à Mrs de
Limoges et de Chiverny, d'aller apporter beaucoup d'honnestes et
agréables mercyementz, de vostre part, à son dict ambassadeur; ce qui
l'a grandement contantée. Mais il semble bien qu'il ne luy ayt donné
guyères d'espérance que vueillés pourvoir aulx particullières demandes
qu'elle vous a mandé fère pour aulcuns de ses subjectz. De quoy elle
et ceulx de son conseil demeurent fort escandalizés, et disent qu'il
n'est pas possible que l'amityé se puisse conserver entre Voz deux
Majestez, si la justice n'est mutuellement, là et icy, administrée à
voz communs subjectz. Et pour ceste occasion, ilz m'ont faict tomber
une lettre entre mains que Me Chambernon m'a escripte pour fère que,
par la presse que cestuy faict de son affère, Vostre Majesté cognoisse
combien ceste princesse est pressée, de plusieurs aultres des siens,
de leur pourchasser quelque rayson et restitution en France.

J'ay faict recepvoyr en bonne part à milord de St Jehan, l'escossoys,
la responce que m'aviez commandé de luy fère, lequel se contantera
qu'il vous playse luy envoyer une vostre lettre de protection; car il
proteste que ce n'a esté pour gain ny pour ambition qu'il s'est
adressé à Vostre Majesté, ains pour la servitude qu'il vous porte, et
pour la naturelle affection qu'il porte à vostre couronne, et qu'il
espère bien de fère que ce tesmoignage de vostre faveur, que vous luy
donrez maintenant, servira de beaucoup à establir l'authorité de
vostre nom et celle de vostre alliance en Escosse, et qu'il vous y
regaignera cinq centz, voyre mille gentilshommes pour fère entièrement
ce que vous leur commanderez. L'on m'a dict que, au dict pays, la
noblesse et le peuple sont après à déposer, toutz d'ung accord, le
comte de Morthon de la régence pour la bailler à l'ung des enfans du
feu duc de Chastelleraut, ou bien au comte de Honteley: qui seroit
chose peu agréable en ceste court. Je mettray peyne d'en avoyr plus de
certitude, affin de le vous mander par mes premières. Et sur ce, etc.

    Ce VIe jour de may 1575.


   _Par postille à la lettre précédente._

   Sire, vostre service souffre icy du détriment beaucoup, et moy
   de la honte bien grande et une nécessité insupportable, pour
   le tort, que le Sr Scipion Sardiny me faict, de ne me vouloir
   payer les assignations que Mr le trézorier de l'espargne m'a,
   dez l'année passée, baillée sur luy; qui vous supplye très
   humblement luy commander qu'il ayt à les acquitter tout
   promptement aulx Srs Macey et Cevany pour le Sr Acerbo
   Velutelly; lequel prétend de me fère mettre en arrest, pour
   troys mille escus qu'il m'a desjà advancez, et pour l'intérest
   des troys foyres que le dict Sardiny a layssé passer sans le
   vouloyr contanter.



CCCCXLIXe DÉPESCHE

--du XIIe jour de may 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Intrigues pour forcer Élisabeth à prendre le parti des protestans
    de France.--Négociation du roi d'Espagne avec
    l'Angleterre.--Affaires d'Écosse.--Nouveau danger de Marie
    Stuart.--Poursuites faites à raison de lettres qui lui ont été
    adressées.--État de la négociation de la paix en France.


    AU ROY.

Sire, celluy secrettayre Wilx, angloys, qui accompaignoit le
secrettayre de Mr de Méru, quand il fut prins à Bouloigne, est
retourné, icy, depuis quatre ou cinq jours, avec plusieurs lettres et
dépesches qu'il a apportées d'Allemaigne et de Basle à ceste
princesse, et à ceulx de son conseil, et pareillement à Mr de Méru, et
aulx ministres françoys et flammantz qui sont en ceste ville. Et
soubdain, ceulx, qui sont superintendantz des affères de ceulx de la
nouvelle religyon, se sont assemblez pour dellibérer du contenu des
dictes dépesches; et, le lendemain, Mr de Méru, avec l'ung d'eux, est
allé à Grenvich, où il a estroictement conféré avec troys de ce
conseil: et y est convenu ung nommé le Sr de Martinez, agent de Mr de
Laval, et troys cappitaines ou gentilshommes françoys, de ceulx qui
souloyent suyvre le feu comte de Montgommery. Dont j'entendz qu'il y a
esté mis en avant beaucoup de propositions pour essayer de tirer
d'icy, en une façon ou aultre, des deniers et des hommes et des
vaysseaulx, et aultres moyens, en faveur des eslevez de vostre
royaulme; et mesmes de fère que ceste princesse se voulût déclarer
pour eulx en ce qui concerneroit la deffance de leur religyon, luy
assurant le dict Wilx, oultre la teneur des lettres, que, pour chose
très certayne, le Prince de Condé armoit bien grossement. Et celluy,
que j'ay mis après pour descouvrir ce qui résulteroit de toutes ces
dellibérations, m'a mandé qu'il n'estoit pas possible, pour encores,
de le sçavoyr, parce que nulle chose au monde estoit menée plus
secrettement ny plus à couvert que ceste cy; néantmoins, sellon qu'il
le pouvoit comprendre pour la démonstration que faisoyent les plus
passionnez, il sembloit bien qu'ilz ne peussent aysément mouvoyr la
dicte Dame à leurs desirs, mais qu'il estoit bien à craindre qu'enfin
ilz obtînsent d'elle qu'elle dissimuleroit ce que le clergé et les
particulliers de ce royaulme voudroient fère en cest endroict. Sur
quoy, Sire, au premier sentiment que j'auray de chose aulcune qui
puisse, tant soit peu, manifester leurs dictes dellibérations, je ne
faudray de vous en donner incontinent advis, vous voulant cependant
bien assurer que la dicte Dame n'a envoyé aulcun nouveau mandement à
ses navyres, et qu'elle a faict surçoyr, pour quelque temps,
l'emprunct des deux centz mille escus dont je vous avoys faict
mencion.

Les choses, que le docteur fiscal de Bruxelles avoit à négocyer en
ceste court, ne sont si facillement venues à conclusion comme il
espéroit; et semble qu'elles vont en longueur. Néantmoins il se
promect de fère que la mutuelle résidance des ambassadeurs sera
accordée entre le Roy, son Mestre, et ceste princesse; par le moyen de
quoy toutes les aultres difficultez seront bientost vuydées entre
eulx; et il en est entré en plus d'espérance, depuis troys jours qu'il
a eu à présenter à la dicte Dame une lettre, de la main de son dict
Mestre, qui la remercye sans fin de l'honneste offre qu'elle luy avoit
faicte de ses navyres et hommes contre le Turc; et y a adjouxté
beaucoup de bonnes et expresses parolles d'amityé qui l'ont grandement
contantée.

L'on a eu craincte, icy, de quelque altération vers le North, d'autant
que d'Escosse l'on avoit transporté en la frontyère de deçà, ez mains
de milord de Scrup, gardien d'icelle, une jeune hérityère, bien riche,
contre le vouloyr du comte de Morthon, qui prétandoit d'en avoyr la
garde noble, et de la maryer à quelqu'ung de ses parantz; mais la
Royne d'Angleterre a mandé qu'on la luy rendît, dont cella n'a passé
plus oultre.

Il se faict, icy, une grande recherche sur la Royne d'Escosse; et a
l'on mis desjà cinq personnages de qualité dans la Tour, et examiné
deux milords, et envoyé quérir troys serviteurs du comte de Cherosbery
pour vériffyer par qui et commant ont esté conduictz les pacquetz et
chiffres de la dicte Dame, et quelle négociation elle en a menée avec
Guoaras; agent du Roy d'Espaigne. Je fay tout ce que je puis pour
modérer cella, et ne discontinue poinct, pour toutes ces traverses,
les gracieuses négociations; et de fère ordinayrement tenyr de petitz
présentz et des lettres et aultres honnestes entretiens, de la part de
la dicte Dame, à la Royne, sa cousine, laquelle ne les a encore
rejettez; mais je crains fort que ses ennemys parviendront enfin à ce
qu'ilz prétandent: de la fère oster des mains du comte de Cherosbery.
En quoy je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour les en
garder.

L'on m'a dict que les ministres françoys, qui sont icy, ont receu
freschement une forme d'articles que les depputez, qui sont à Paris,
leur ont envoyé, avec les responces de Vostre Majesté; et qu'ilz
disent qu'ilz ne voyent pas, par là, que les choses aillent ainsy
clères et nettes, comme il seroit requis pour parvenir à une bonne
paciffication. Sur ce, etc. Ce XIIe jour de may 1575.



CCCCLe DÉPESCHE

--du XVIIIe jour de may 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Chevalyer._)

  Résistance d'Élisabeth aux sollicitations des protestans de
    l'Allemagne et de la Suisse.--Négociation des
    Pays-Bas.--Poursuites à raison des lettres adressées à Marie
    Stuart.--Nouvelles d'Écosse.


    AU ROY.

Sire, il a esté, à ce coup, bien difficile de résister à l'effort
qu'avec les dépesches d'Allemaigne et de Basle, et l'instante
sollicitation d'aulcuns, qui sont icy, l'on a faict à ceste princesse,
pour la cuyder tirer au contrayre party de voz présentz affères; et me
suys trouvé assez empesché comme y remédier, parce que je n'avoys de
quoy luy aller ouvrir aulcun propos, qui vînt de vostre part, pour
m'achemyner à ceulx qu'il y failloit oposer. Néantmoins il a pleu à
Dieu ne me deffaillyr en cest endroict par la bonne inclination que
la dicte Dame a de vous garder la paix, et de ne rompre d'amityé
avecques vous. J'entendz qu'elle a pryé aulcuns de ses plus expéciaulx
conseillers d'adviser des expédientz honnestes comme la descharger
elle, et se descharger à eulx, de ces tant grandes importunitez; et
que, en quelle sorte que les choses puissent aller pour ceulx qui
recherchent de la faveur et du secours de son royaulme, elle ne
vouloit estre meslée avec eulx en rien qui luy peût susciter de
l'altération avec Vostre Majesté ny avec le Roy d'Espaigne, jusques à
ce qu'elle vît mieulx comme, l'ung et l'autre, vous déporteriez vers
elle. Sur cella, l'on n'a pas ozé la presser davantage de l'armement
de ses navyres, lesquelz demeurent en ung demy appareil; et si, s'est
contantée, quand à l'emprunt de deux centz mil escuz, que ceulx de
Londres luy en ayent presté contant, pour ung an, soixante six mille,
affin de les employer en sa guerre d'Irlande.

Les négociations de Flandres ne s'advancent guyères, parce que le
docteur de Bruxelles est ung peu malade; et ceulx cy ne veulent
procéder à la publication contre les fuitifz des Pays Bas que le plus
tard qu'ilz pourront. Néantmoins aulcuns des principaulx de ceste
court monstrent de prendre bien à cueur que les choses demeurent
imparfaictes avec le Roy d'Espaigne.

L'examen se poursuyt vifvement et sans intermission contre ceulx qu'on
a mis dans la Tour par souspeçon de la Royne d'Escosse. L'on m'a dict
qu'on ne tire encores que choses légères et de peu de moment de leur
audition; néantmoins l'on est à dellibérer, dans ce conseil, si la
dicte Dame sera eschangée des mains du comte de Cherosbery, ou bien si
l'on luy ordonnera à luy de la fère observer de plus près qu'il n'a
faict jusques icy. Je ne sçay où en ira encores la résolution, tant y
a que je incisteray, aultant qu'il me sera possible, qu'elle aille
tousjours au mieulx.

Les choses d'Escosse se maintiennent encores assez paysibles, et a
esté tenu à Lislebourg une forme d'Estatz, où les principaulx de la
noblesse ont convenu, et s'en sont retournez assez contantz; et mesmes
le comte d'Arguil a satisfaict, en présence des Estatz, aux bagues de
la couronne, que le comte de Morthon demandoit à sa femme et en a
emporté son acquict. Il n'y a esté, à ce que j'entendz, rien dict,
faict, ny ordonné, au préjudice de vostre alliance; et Quillegreu, ny
nul aultre, pour la part d'Angleterre, n'y a assisté. Il semble que,
d'icy à quelques moys, l'on se doibt, de rechef, assembler au dict
Lislebourg pour adviser s'il sera bon que le jeune Prince commance de
prendre estat, et qu'il sorte d'Esterling, pour se monstrer au peuple,
et qu'il aylle se promener par le pays; en quoy ne se sçayt encores
comme l'on en dellibèrera, ny si l'on y peysera bien toutes les
circonstances et inconvénientz qui en pourroient advenir.

J'attandz avec grand desir mon successeur, et attandz avec très grande
dévotion de voz nouvelles, s'esbahyssant ceste princesse que, depuis
le retour de Mr de La Chastre, il ne m'est arryvé ung seul mot de
vostre part pour luy dire. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de may 1575.



CCCCLIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour de may 1575.--

(_Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Remerciement de l'ambassadeur pour l'élection du roi
    comme chevalier de la Jarretière.--Serment prêté par le roi sur
    la confirmation de la ligue.--Demande afin qu'Élisabeth
    remplisse les nouvelles formalités auxquelles le roi s'est
    soumis.--Son refus de prêter un nouveau serment motivé sur ce
    qu'elle a déjà juré le traité.--Renvoi au conseil de cette
    difficulté.--Déclaration de la reine que, par suite du retard
    mis à acquitter en France une créance due à un anglais, il lui
    a été donné autorisation de se payer par lui-même sur les biens
    des Français.--Vives réclamations de l'ambassadeur contre cette
    résolution.--Délibération du conseil.--Instance pour que la
    reine déclare formellement à son ambassadeur auprès du roi,
    qu'elle desire la pacification en France.


    AU ROY.

Sire, la veille de la Pantecoste, j'ay esté à Grenvich, où, d'arryvée,
la Royne d'Angleterre m'a reproché que je l'avoys quasy oublyée; et je
luy ay dict que je ne vouloys nullement excuser ma faulte d'avoyr esté
plus longtemps que je ne debvoys à l'aller trouver, et que je
cognoissoys très bien que ce que, depuis deux moys en çà, elle avoit
faict vers Vostre Majesté, aultant honnorablement qu'il se pouvoit
dire ny desirer au monde, méritoit bien que je luy usasse de plus
grand debvoir, mais que j'avoys différé de venir à elle pour attandre
qu'il me vînt quelqu'une de voz dépesches, après le retour de Mr de La
Chastre; et vous aviez si continuellement esté occupé à ouyr les
depputez de voz subjectz, que ne m'en aviez peu fère pas une, jusques
à celle de maintenant.

De laquelle, premier que de traicter rien de ce qu'elle contenoit, je
la vouloys bien fort humblement remercyer du soing qu'elle avoit eu,
au dernier chapitre de son ordre, de vous fère eslire ung des
chevalyers de la Jarretyère; qui estoit une suyte de ses bonnes
démonstrations vers vous, par lesquelles elle faisoyt foy, à toute la
Chrestienté, qu'elle vouloit avoyr beaucoup d'amityé et de bonne
intelligence avecques Vostre Majesté; et que les troys gentilshommes,
qu'elle m'avoit envoyez pour me le signiffier, n'avoyent rien, obmis
de ce qui pouvoit servir à l'ornement de ce propos, et de m'assurer
qu'aussytost qu'elle pourroit sçavoyr que vous l'auriez agréable,
qu'elle vous dépescheroit ung seigneur de qualité pour vous aller
apporter le dict ordre, ce que je vous avoys tout aussytost mandé;
qu'elle ne sçauroit avoyr faict eschoyr ceste élection sur prince de
la Chrestienté qui mette plus de peyne, que vous ferez, d'honnorer son
dict ordre, et de l'accepter de très bon cueur.

Elle m'a respondu que, voyrement, avoit elle voulu fère cecy pour ung
acte patant à ung chascung de la confirmation d'amityé et de plus
estroicte intelligence qu'elle avoit avec Vostre Majesté; et que, si
elle eût eu quelque aultre chose de plus présant et de plus grand en
sa puissance, elle eût mis peyne de vous en honnorer; et que elle
espéroit qu'ainsy que les feus Roys, voz bisayeul, ayeul, père et
frère, ne l'avoyent refuzé de la main des prédécesseurs Roys de ceste
couronne, qu'aussy Vostre Majesté ne dédaigneroit de l'accepter
maintenant de la sienne.

J'ay suivy à luy dire que vous me commandiez, par ceste vostre
dernière dépesche, de luy bien tesmoigner l'ayse et grand plésir
qu'aviez eu d'entendre, par Mr de La Chastre, qu'elle avoit bien et
agréablement receu la première négociation que luy aviez envoyée, avec
toutz les poinctz qu'elle contenoit, comme elle avoit grandement
caressé et bien traicté vostre ambassadeur et toutz les gentilshommes
françoys qui estoyent avecques luy; de quoy vous la vouliez, de tout
vostre cueur, infinyement remercyer, ensemble de la bonne et prompte
volonté dont elle vous avoit, sans excuse ny difficulté, ny sans
remise aulcune, accepté en la ligue commancée avec le feu Roy, vostre
frère, et de vous en avoyr expédyé ung acte en termes de grande amityé
et qui vous attribuoyent beaucoup d'honneur et de louange; et aussy
que, en beaucoup de sortes, et par plusieurs de ses propos, elle vous
avoit clèrement signiffyé son intention et la bonne affection qu'elle
vous portoit; mesmes, lorsque, voyant retirer ung dogue mort d'entre
les pattes de l'ours, elle avoit souhayté qu'_ainsy fussent toutz les
ennemys de Vostre Majesté_. Qui estoyent toutes démonstrations qui
vous avoyent extrêmement contanté, et vous la vouliez bien pryer de
croyre qu'elle les avoit colloquées en l'endroict du meilleur et plus
certain de ses amys, et du plus recognoissant prince, d'entre toutz
ceulx de son alliance; et que à nulle aultre promesse, que vous
eussiez jamays faicte, vous n'aviez plus allègrement ny plus
volontiers obligé vostre foy et sèrement, qu'à celle de son amityé et
de la confédération que vous aviez avec elle; et que, tout ainsy que
vous la luy aviez sollennellement jurée, qu'ainsy la luy garderiez
vous très sainctement et de bonne foy; et n'y auroit occasion du
monde, ny persuasion de personne vivante, qui vous en peût destourner.
En confirmation de quoy, vous luy envoyez la lettre, de vostre main,
qu'elle avoit demandée.

La dicte Dame, avec beaucoup de plésir, a soubdein prins, et leu, et
releu, fort curieusement, la dicte lettre, ensemble la soubscription
et la suscription d'icelle; et l'ayant trouvée entièrement sellon son
desir, elle m'a dict qu'elle avoit à se louer beaucoup de Mr de La
Chastre et de moy, des bons et honnorables raportz qu'elle cognoissoit
bien que nous avions faict et escript d'elle, et mesmes de ne vous
avoyr cellé la particullarité de l'ours, qui estoit ung compte qu'elle
me vouloit confirmer, de rechef, qui n'avoit nullement esté feinct, ny
prins d'aylleurs que de la vraye affection de son cueur; et qu'il vous
avoit pleu, de vostre costé, si parfaictement accomplyr tout ce à quoy
le traicté vous obligeoyt vers elle, qu'elle restoit, à ceste heure,
très estroictement obligée vers vous; de quoy elle avoit plus de
playsir que de nulle aultre bien qu'elle eût en ce monde, et mettroit
peyne de le conserver soigneusement, tant qu'elle vivroit, et de vous
donner occasion que n'en sentissiez moindre bien ny moins de
contantement de vostre part.

J'ay continué de luy dire que, oultre les quatre choses que vous aviez
très libérallement accomplies en cest endroict, s'il en restoit
encores quelqu'une à fère, de vostre costé, pour la rendre davantage
assurée de vous, que vous vous y offriez de bon cueur, et estiez prest
de l'accomplyr; et que, de mesmes, vous la priez qu'elle ne se grevât
de vous contanter de troys aultres choses qui estoyent bien
raysonnables, et d'une mutuelle satisfaction entre vous: la première
estoit de vous renouveller son sèrement; la segonde, de vous escripre
ung mot de sa main, au mesmes sens que vous aviez escript à elle; et
la troysiesme, de procéder à l'établissement du commerce entre voz
deux royaulmes, sellon la teneur du traicté.

Elle m'a respondu qu'elle, de son costé, ne mettroit nulle difficulté
en nulle de ces troys choses, mais on luy avoit remonstré, quand aulx
deux premières, que vous aviez desjà, devers vous, le sèrement qu'elle
avoit faict et la lettre qu'elle avoit escripte au feu Roy, vostre
frère, qui l'obligeoient tout de mesmes à vous qu'elle s'estoit
obligée à luy, et l'obligeroyent encores vers toutz les successeurs de
vostre couronne qui voudroyent continuer en la ligue avec elle, et,
par ainsy, qu'il n'estoit besoing de renouveller rien de cella; et
quand au commerce, qu'elle vouloit, de bon cueur, que les choses
s'effectuassent sellon le traicté.

J'ay réplicqué qu'encor qu'elle eût bien devers elle le sèrement et la
lettre du feu Roy, vous ne luy aviez pourtant dényé vostre propre
sèrement et vostre lettre, bien que le traicté ne vous obligeât qu'à
luy signiffier simplement vostre intention; et, que pour ne donner
lieu à nul escrupulles, je la supplyois qu'elle ne se voulût rendre
difficile vers vous de ces deux choses, parce que l'une et l'aultre ne
luy estoyent d'aulcun intérest à elle, et qu'après avoyr, Vostre
Majesté, ouy là dessus son ambassadeur, vous n'aviez layssé de me
mander de luy en continuer à elle mesmes vostre instance. Et n'ay rien
obmis, Sire, de ce que j'ay estymé la pouvoir mouvoyr à n'y fère
poinct de refus.

Sur quoy elle m'a pryé que j'en volusse conférer avec ceulx de son
conseil, lesquelz avoyent aussy à me parler d'ung aultre affère,
duquel elle leur avoit commandé me fère part, affin que je ne
l'interprétasse nullement mal à Vostre Majesté: c'estoit que, pour
satisfère ung de ses marchandz d'une certayne somme, de laquelle il
avoit l'ordonnance de vostre conseil et lettres de vostre grand sceau,
et vostre mandement au trézorier de vostre espargne pour en estre
payé, et n'en ayant, après une longue poursuyte et beaucoup de frays,
peu rien obtenir, elle luy avoit concédé de pouvoir arrester par deçà
du bien de quelque françoys jusques à la concourrance de la dicte
somme, en transportant son debte au dict françoys, qui en pourroit,
puis après, aller poursuyvre son rembourcement vers Vostre Majesté.

J'ay soubdain fermement incisté au contrayre de cella, et l'ay fort
conjurée de n'admettre telles ouvertes, et n'outrepasser les termes
des anciens traictés; mais je n'ay peu impétrer d'elle que le dellay
d'ung moys pour vous en advertyr, lequel passé, elle vous prioit de la
tenir pour fort excusée.

Les seigneurs de son conseil, qui estoyent assemblez en bon nombre,
m'ont, au partir d'elle, fort volontiers escouté sur les remonstrances
que je leur ay déduictes touchant ce dessus. Et, après les avoyr
débatues, ilz ont advisé, quant à celles de la ligue, qu'ilz les
yroient résouldre avec la dicte Dame pour, puis après, m'en fère avoyr
entière responce. Dont, depuis, Mr de Walsingam m'a adverty, par le Sr
de Vassal, qu'ilz s'opinyastroient, quand au sèrement, de ne se
debvoir poinct réytérer; et quand à la lettre, qu'ilz la
consentiroyent; et quand au commerce, qu'ilz le desiroient plus que
nous, néantmoins qu'il ne se pouvoit establyr parmy les armes, tant
que noz troubles dureront. Mais, pour le regard du faict du marchand,
ilz se sont toutz, en ma présence, escriez qu'il n'y avoit rayson
aulcune qu'après les grandes dilligences et poursuytes qu'il avoit
faictes, et après les promesses de Mr le mareschal de Retz et aultres
seigneurs, qui avoyent esté par deçà, lesquelles estoyent toutes
réuscyes vaynes, j'eusse maintenant extorqué de la dicte Dame ung
nouveau dellay contre luy; et que ny les démonstrations, ny les
œuvres, dont on usoit en France vers leur Mestresse, ne
correspondoyent en rien aulx bonnes parolles et persuasions dont je
l'entretenoys icy, ordinayrement; et que leur ambassadeur, après
avoyr, de temps en temps et de lieu en lieu, tousjours esté remis de
toutes ses demandes jusques à ce qu'on seroit à Paris, ne pouvoit
avoyr communicquation avec Mrs de Chiverny et de Bellyèvre, auxquelz
Vostre Majesté l'avoit renvoyé; et le renouvellement de la ligue
méritoit bien qu'on procédât d'une plus franche et meilleure affection
avecques luy.

Je verray ce que je pourray fère de mieulx en ma première audience;
mais, de tant que la dicte Dame, pour quelque souspeçon de peste, a
deslogé, dès lendemain de Penthecoste, de Grenvich, et s'achemine
desjà en son progrès, je vous supplye, Sire, commander bien
estroictement à Mr de Mauvissière que, sans excuse ny dellay
quelconque, il s'en vueille dilligemment venir, car, autrement, je
vous ay bien expressément escript qu'il en viendroit faulte et
manquement à vostre service. Et sur ce, etc.

    Ce XXVIe jour de may 1575.

    A LA ROYNE.

Madame, j'ay tesmoigné à ceste princesse le grand playsir qu'avez eu
de la continuation de la ligue d'entre le Roy, vostre filz, et elle,
et comme vous promettiez bien que vous la rendriez d'éternelle durée
tant que vous vivrés, du costé de dellà, si elle la sçayt et veut
maintenir bien droicte, du sien; qui a esté ung propos qu'elle a eu
fort agréable. Et m'a respondu qu'elle vouloit franchement
recognoistre de Vostre Majesté la conservation de la paix et de
l'amityé que, depuis son advènement à ceste couronne, elle avoit
tousjours eue avec la couronne de France, et qu'elle vous supplioyt de
ne vous lasser encores de ce commun bien, duquel elle mettroit peyne
que ne demeurissiez moins bien satisfaict d'elle qu'elle espéroit de
l'estre tousjours bien fort de Voz Très Chrestiennes Majestez.

J'ay suivy à luy dire que vous m'aviez commandé de la prier
confidemment, de vostre part, que, par la première dépesche qu'elle
feroit à son ambassadeur, elle luy voulût adjouxter ung mot de telle
expression qu'il cognût évidemment qu'elle vouloit et desiroit, sans
feincte ny simulation aulcune, que la paix succédât en France: car on
vous avoit rapporté que, ez secrettes conférances d'entre les depputez
et luy, il leur donnoit entendre le contrayre.

Elle m'a respondu qu'il ne se pouvoit fère qu'il eût commis ung si
meschant acte que celluy là, car c'estoit contre ce qu'elle luy avoit
commandé de fère, et qu'elle sçavoit bien que les depputés avoient
cherché d'avoyr communicquation avecques luy, mais qu'il s'en estoit
excusé, et estoit aulcunement souspeçonné d'estre papiste, et que
c'estoit luy mesmes qui l'avoit incitée de procurer la paix par dellà,
et de offrir à Voz Majestez ce qu'elle y pourroit fère, comme elle
l'avoit desjà faict; et qu'elle eût bien pensé de pouvoir mener ceulx
de la nouvelle religyon à se contanter de moins que, possible, ilz ne
feront; et qu'il y a quelque temps que le Roy d'Espaigne luy avoit
bien faict dire, soubz main, qu'il auroit grand playsir qu'elle se
voulût employer à luy moyenner une bonne paix en ses Pays Bas, après
toutesfoys qu'il auroit essayé de l'y fère luy mesmes, et que,
depuis, il l'avoit pourchassée, l'espace de deux ans, et si, ne
l'avoit pas encores; ny l'Empereur, lequel il y avoit employé, ne
l'avoit guyères advancée; et qu'elle ne vous pouvoit, pour ce regard,
prier de prendre ung plus salutayre conseil que de fère, commant que
ce soit, et le plus tost que pourrez, la paix, ny vous offrir rien de
mieulx en cella que ce qu'elle vous avoit desjà offert, qu'elle vous
offroit encores de bon cueur; et vous assurer, au reste, qu'elle
n'oublyeroit nullement l'article que demandiez, en la première lettre
qu'elle escriproit à son ambassadeur. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour de
may 1575.



CCCCLIIe DÉPESCHE

--du IIe jour de juing 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Guybon._)

  Bruit répandu à Londres que la négociation de la paix est
    entièrement rompue en France.--Affaires
    d'Écosse.--Sollicitations de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth
    en faveur de Marie Stuart.--Espoir qu'il pourra bientôt y avoir
    un rapprochement entre les deux reines.--Le comte de Killdare
    et sa famille conduits prisonniers à Londres.


    AU ROY.

Sire, parce que, à ce soubdain délogement que la Royne d'Angleterre a
faict, le lendemain de Panthecoste, de Grenvich, à cause de la peste,
la pluspart des seigneurs de sa court et les principaulx de son
conseil se sont escartez en divers lieux pour prendre l'ayr des
champs, je ne puis, jusques à ce qu'ilz soyent rassemblez près d'elle,
retirer la responce des choses que je luy proposay dernièrement; mais
j'espère que, bientost, ilz y seront toutz de retour, et
qu'incontinent après je la vous pourray mander, n'estant sans quelque
apparence que les suppostz de la nouvelle religyon, lesquels, ces
jours passez, ont esté en court, se soyent cepandant efforcez de m'y
susciter de la difficulté. Et mesmes sur ce que l'ambassadeur
d'Angleterre a escript, du XXIe du passé, que le traicté que Vostre
Majesté avoit commancé entre les depputez de ceulx de la nouvelle
religyon estoit entyèrement rompu, et eulx toutz retirez, sans aulcun
espoyr d'accord; et que, depuis ung moys, Vostre Majesté s'estoit fort
réfroidye de la paix contre ce qu'elle avoit auparavant monstré
d'infinyement la desirer, je ne cesseray pourtant de solliciter la
responce que j'attandz de la dicte Dame, et de m'oposer aulx pratiques
d'iceulx suppostz aultant qu'il me sera possible, attandant la venue
de mon successeur, duquel la longueur n'est plus excusable pour vostre
service.

J'entendz que, de nouveau, l'on remect en terme le voïage de Me
Quillegreu; et semble que ce soit pour deux occasions: l'une, pour
fère souscripre le comte de Morthon et le conseil de dellà à la ligue
de la nouvelle religyon, laquelle on tâche à renforcer plus que
jamays; et l'aultre, pour accommoder certein grand différent, que les
ministres et toute ceste sorte de clergé d'Escosse ont contre le dict
de Morthon, sur ce qu'il veut applicquer le tiers des bénéfices du
royaulme au revenu de la couronne. Je ne sçay si le dict Quillegreu se
déportera avec plus de modération vers le nom et l'alliance de Vostre
Majesté par dellà qu'il n'a faict, les aultres foys qu'il y est allé.

Il a esté besoing, pour la trop curieuse et aspre inquisition, qu'on
faisoit icy contre la Royne d'Escosse, de fère une honneste et
gracieuse mencion d'elle à la Royne, sa seur, et luy tesmoigner que sa
droicte et bonne intention vers elle méritoit, en toutes sortes,
qu'elle eût plus de respect à elle, et ne luy dényât le premier et
meilleur lieu que justement elle desiroit avoyr en sa bonne grâce. En
quoy m'a semblé qu'encor qu'elle m'ayt ramanteu aulcunes traverses et
empeschementz, que le susdict comte de Morthon, avec ses adhérentz,
s'efforçoit d'y mettre, néantmoins elle n'a tant couvert ny dissimulé
son cueur qu'elle ne m'ayt donné à cognoistre qu'elle n'estoit mal
disposée vers elle, et qu'encor que les ennemys puissent bien retarder
aulcunes de ses bonnes démonstrations vers elle, qu'ilz ne pourront
toutesfoys jamays tant rompre les liens, dont Dieu et nature les ont
conjoinctes ensemble, qu'elle ne luy rende tousjours ung honneste et
honnorable debvoir de bonne parante. De quoy j'ay mis peyne d'en
resjouyr et consoler, par ung mot de lettre, la dicte Dame, et luy
conseiller qu'elle ne vueille discontinuer vers elle ses honnestes
escriptz et ses gracieulx présantz; et j'espère que ceste aigreur,
aussy bien que les précédentes, se réduyra à modération. Et mesmes y
en a qui pensent qu'elles se pourront voyr en ce progrès: sur quoy se
faict de bonnes et maulvaises interprétations.

Le comte de Quildar a esté admené prisonnyer, d'Irlande, ensemble la
comtesse sa femme et ses enfans, et sont desjà mis soubz diverses
gardes en ceste ville, attandant qu'ilz soyent examinez. Je mettray
peyne d'entendre davantage de leur faict, ensemble de l'estat du pays
de dellà, pour vous en donner advis par mes premières. Et, sur ce,
etc. Ce IIe jour de juing 1575.



CCCCLIIIe DÉPESCHE

--du VIIe jour de juing 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Annonce d'une audience.--Négociation de Mr de Méru avec les
    seigneurs du conseil.--Affaires d'Irlande.--Nouvelles des
    Pays-Bas.


    AU ROY.

Sire, sur l'occasion de vostre dépesche, du XXIIIe du passé, laquelle
j'ay recue le deuxiesme d'estui cy, j'yray demain trouver la Royne
d'Angleterre à Athfeild, à dix huict mille d'icy, pour luy fère bien
particullièrement entendre tout ce qu'il vous plaist me commander de
luy dyre; qui espère qu'elle en recevra du contantement beaucoup, et
qu'elle cognoistra combien de plus en plus vous dellibérez de procéder
sincèrement vers elle, pour mériter qu'elle uze aussy de toute
sincérité vers vous. Et parce qu'il semble qu'on luy ayt donné
diverses interprétations d'aulcunes choses de Vostre Majesté, et
mesmement de celles ès quelles elle prétend d'avoyr quelque intérest,
et aussy des aultres qu'avez à desmeller avec voz subjectz, je mettray
peyne de luy toucher les principaulx poinctz des unes et des aultres,
affin que, des réponses qu'elle m'y fera, je puisse tirer tout ce
qu'il me sera possible de son intention pour vous en rendre, par mes
premières, bien informé, et que ne soyez sans cognoistre à quoy il
vous faudra préparer pour les dellibérations qu'elle y pourroit
prendre.

Mr de Méru a esté luy bayser la main depuis troys jours, non sans
avoyr eu de la communicquation longuement et privéement avec les
seigneurs de son conseil sur les advertissementz qui sont venuz de
l'ambassadeur d'Angleterre, et sur ceulx que les depputez luy ont
envoyé à luy mesmes, avant qu'ilz soyent partis de Paris, touchant les
difficultez de la paix; desquelles il semble qu'ilz les raportent
toutes à celles de la seureté. Le cappitayne La Porte et le cappitayne
Chat ont esté aussy bayser les mains de la dicte Dame; et, bien que le
dict Sr de Méru face semblant de ne bouger de ceste ville, je sentz
bien que l'ung des aultres deux ou toutz les deux prétandent de fère
bientost ung voïage en Allemaigne. Cepandant quelques cappitaynes
font, icy, semblant d'armer, et de lever des soldatz, et équipper des
vaysseaulx de guerre, se continuant la voix que c'est pour aller aulx
Pays Bas, les uns trouver le commandeur, les aultres le prince
d'Orange. Je feray curieusement observer s'il y a rien contre la
France.

Le comte de Quildar a esté ouy, et creignent, ses amys, qu'il sera mis
dans la Tour. L'on dict que, pour aultant qu'après qu'il a esté party,
le présidant d'Irlande a mis la main sur vingt ou trente aultres des
principaulx, qui habitent dans la Pallissade, le comte d'Esmond s'est
mis, quand et quand, aulx champs, creignant qu'on ne s'adressât aussy,
à la fin, à luy; dont les choses tournent se rebrouyller aulcunement
par dellà.

Me Quillegreu est commandé de suyvre le progrès, et se tenir prest
pour aller en Escosse. Je ne puis encores proprement descouvrir
l'occasion de son voïage, sinon ce que je vous en ay mandé par mes
précédantes; et, si j'en apprends davantage, je l'adjouxteray à mes
premières. Le docteur de Bruxelles continue toujours sa négociation,
et mesmement sur le poinct d'envoyer ses ambassadeurs près de l'ung et
l'autre prince, et m'a l'on dict qu'il a donné entendre que le Roy
d'Espaigne a nommé dom Loys de Sylva pour venir icy; mais ceste
princesse, encor qu'elle ait desjà nommé Me Henry Cobhan pour aller en
Espaigne, elle ne se haste toutesfoys de le dépescher, et pense l'on
que, d'icy à quelques jours, elle l'y pourra bien envoyer, mais non
avec commission d'y résider, sinon après que le Roy d'Espaigne l'aura
satisfaicte d'aulcuns poinctz qu'il aura charge, devant toutes aultres
choses, de luy demander.

Je feray entendre à ceulx de voz subjectz, qui sont encores icy, la
droicte et saincte intention que me mandez avoyr à la paix, et verray
quel contentement leur auront donné les depputez touchant les bonnes
responces que leur aviez faictes; et m'efforceray, au reste, en
attandant l'arryvée de mon successeur, qui faict par trop le long, de
pourvoir, le mieulx que je pourray, à ce qui surviendra, icy, pour
vostre service. Sur ce, etc.

    Ce VIIe jour de juing 1575.



CCCCLIVe DÉPESCHE

--du XIIe jour de juing 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Audience.--Acceptation par le roi de l'ordre de la
    Jarretière.--Instance de l'ambassadeur pour que Leicester soit
    envoyé en France à cette occasion.--Excuse donnée par la
    reine.--Mécontentement qu'elle témoigne à l'égard de la
    France.--Demande qu'elle fait de la communication des articles
    proposés pour la pacification.--Sollicitations dont elle est
    entourée afin de la forcer de se prononcer en faveur des
    protestans de France.--Sa déclaration qu'elle a toute confiance
    dans le roi et la reine-mère.


    AU ROY.

Sire, j'ay esté, ceste foys, assez favorablement receu de ceste
princesse, en la mayson de milord trésorier, où elle a séjourné huict
ou dix jours, et m'a faict invyter à ung festin qui s'y est faict
dimanche dernyer. Elle a esté fort contante de vostre acceptation de
son ordre, et m'a pryé que je vous en fisse ung singullier mercyement
de sa part, et que bientost elle vous dépeschera ung seigneur de bonne
qualité pour le vous apporter; qui aura la mesmes bonne affection à
l'entretènement de vostre mutuelle amityé que le comte de Lestre
pourroit avoyr, lequel elle ne refuzeroit pas de le vous envoyer, si
c'estoit pour occasion qui importât à vostre service; mais, parce que
c'est luy qui a la principalle charge de son progrès, et qu'elle
dellibère de l'aller fère bien loing vers le North, et mesmes passer,
à l'aller et au retour, en la mayson du dict comte, à Quilingourt,
elle vous supplye de l'excuser de ce voyage.

Je luy ay fort incisté qu'elle vous contantât de cella, et qu'il luy
rapporteroit, à son retour, de quoy estre plus contante et plus
joyeuse, et en plus de repos, toute sa vye; mais je ne l'ay peu
impétrer. Je ne sçays encores si elle se ravisera; néantmoins, Sire,
il est venu fort à propos que Vostre Majesté l'ayt ainsy demandé, car,
sans cella, je me trouvoys fort confus sur quelques poinctz que la
dicte Dame m'a touché, en passant, avec ung peu d'aygreur; desquels il
est besoing que je cherche de descouvrir, au vray, quel en est le
fondz, affin de le vous mander. Et je pense bien qu'une bonne partye a
procédé de la dernière dépesche de son ambassadeur, et de la créance
que me mandez que Jacomo, qui la luy a apportée, a eu à luy
explicquer; dont bientost j'en auray quelque esclarcissement, et vous
manderay, par mesmes moyen, Sire, ce qu'elle m'a discouru sur le faict
de la paix, avecques voz subjectz. Qui ay bien cognu qu'elle n'avoit
encores eu la relation de la vraye vérité de voz responces, dont m'a
fort pryé de luy vouloir bayller, par escript, le sommayre de ce que
vous accordés à voz subjectz pour l'exercice de leur religyon; ce que
je ne luy ay ozé promettre, et ne le luy ay pas refuzé, aussy, à cause
du postscript de vostre lettre.

Néantmoins je supplye très humblement Vostre Majesté de donner tant de
foy à ce que j'ay très soigneusement nothé, et bien curieusement
recueilly, des propos et démonstrations de la dicte Dame, qu'elle
desire, sans fiction ny ypochrisye quelconque, que puissiez mettre la
paix en vostre royaulme; et se trouve assez en peyne comme se
desmeller des violentes persuasions à quoy, de toutes partz, l'on la
sollicite contre vous, en cest endroict. Qui veulx bien confesser,
Sire, qu'elle ne m'a pas dissimulé que, pour aulcunes occasions, et
mesmes pour quelque griefve matière d'offance, elle ne soit
aulcunement provoquée à vous nuyre.

Mais, enfin, après luy avoyr admené des considérations qui sont venues
tout à temps, (et ne failloit pas qu'elles tardassent davantage), elle
m'a dict qu'elle ne deffaudra nullement à l'amityé qu'elle vous a
promise, si vous ne luy manquez de la vostre; et qu'elle vous prye de
ne donner légèrement foy aulx rapportz qu'on vous fera d'elle, comme
aussy elle n'en donra poinct à ceulx qu'on luy fera de vous; mais que
vous reportiez toutz deux aulx mutuelles actions l'ung de l'aultre,
sellon qu'elle ne refuze poinct que vous examiniez bien les siennes;
car elle examinera bien fort curieusement les vostres.

Et, pour ceste foys, Sire, je ne veulx mettre Vostre Majesté en
allarme d'aulcune chose apparante de ce costé, mais l'on m'a bien dict
qu'il s'y prépare quelques contributions de deniers d'aulcuns
particulliers protestantz pour envoyer en Allemaigne. Sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de juing 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, parce que, dès l'entrée des propos, où la Royne d'Angleterre
et moy, après ceulx des honnestes complimentz, sommes ceste foys venus
à ceulx de la négociation de deçà, j'ay bien cognu qu'elle estoit
esmeue, et avoit le cueur pressé et son esprit en perplexité
d'aulcunes choses de France, je l'ay temporisée longtemps sans luy
rien contredyre. Et, après, je luy ay faict aulcunes remonstrances, en
partye grâcieuses, et en partye avec quelque expression, pour la
conduyre peu à peu à parler de Vostre Majesté. Et enfin luy ay dict
qu'elle se pouvoit bien souvenir que vous aviez tousjours mis bon
ordre que nulz de ses ennemys fussent ouys ny jamays bien venus en
France, et qu'à présent ilz en estoient plus reboutez que jamays; dont
le Roy et Vostre Majesté la vouliez bien prier que ceulx, qui vous
estoyent malveillantz, ne fussent aussy ny bien receus d'elle, ny
escoutez de ceulx de son conseil, et qu'elle ne leur voulût donner ny
foy ny crédict contre vous.

A quoy elle, après plusieurs argumentz et réplicques, m'a enfin
confessé qu'elle ne pouvoit ny vouloit nyer qu'elle ne vous eût plus
d'obligations qu'à princesse de la Chrestienté, mais que vous
cognoissyez aussy qu'elle n'en estoit ny ingrate ny mescognoissante,
et que ses bons déportementz n'avoient esté moindres, ny de moins de
prouffit à Voz Très Chrestiennes Majestez que les vostres vers elle;
et qu'elle me prioit de vous saluer très cordiallement de toutes ses
meilleures recommandations, et de vous prier que voulussiez, à ceste
heure, plus que jamays, avoyr ung honneste respect à elle et à son
amityé, ainsy qu'elle en avoit tousjours eu, et vouloit de bon cueur
avoyr, à vous et à la vostre, et au Roy, vostre filz, et à la sienne,
et qu'elle ne m'en diroit pas, pour ce coup, davantage.

Je pense desjà avoyr comprins où cella va; dont par mes premières je
le vous manderay, ensemble ce que j'auray plus avant apprins d'aultres
choses. Et sur ce, etc.

    Ce XIIe jour de juing 1575.



CCCCLVe DÉPESCHE

--du XVIIe jour de juing 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau._)

  Secours d'argent donné par les Anglais aux protestans d'Allemagne
    et de France.--Refroidissement entre Élisabeth et le prince
    d'Orange.--Incertitude sur quelque évènement nouveau survenu en
    Écosse.


    AU ROY.

Sire, parce que j'attandz encores une responce de ceste princesse et
des seigneurs de son conseil sur ce que j'ay dernyèrement négocyé avec
elle et avec eulx, je remettray, jusques à mes premières, affin de
fère de tout ung, de vous mander les principaulx poinctz des choses
que je leur ay débatues, et de celles que, par aulcunes conjectures et
de leurs parolles, je puis avoyr comprinses; lesquelles je mettray
peyne, entre cy et là, d'approfondir davantage, affin de les vous
escripre plus fondées, pour pouvoir mieulx asseoyr vostre bon
jugement. Et vous diray cepandant, Sire, que Mr de Méru est retourné
trouver la dicte Dame et iceulx du conseil, le lendemain que j'en ay
esté party, sur l'occasion, à mon advis, d'ung qui est freschement
arryvé de Basle, qu'on dict estre le mèdecin du Prince de Condé.
J'espère qu'il ne m'y aura, quand il s'en sera bien essayé, guyères
peu altérer les choses; ny les aultres poursuivantz qui ont esté
depuis luy; et ce que je sentz qu'il a plus advancé, icy, est que, par
lettres de banque, et par le crédict qu'on luy donne de France et
d'Allemaigne, et encores de Flandres, aulx marchandz de Londres, il
pourra, avec la faveur d'aulcuns de ce dict conseil, trouver jusques à
neuf ou dix mille livres d'esterling, qui est envyron trente mille
escuz, à prester avec bon intérest. Et je sçay qu'il y a desjà dix
mille angelotz, en espèces, devers certains personnages de ceste
ville, que je crains y estre mis à cest effect; mais il n'y a ordre de
l'empescher, car la chose va fort secrette et entre personnages de
telle authorité et de tel commerce qu'elles peuvent facillement
coulorer et couvrir plus grand chose que cella. J'entendz que ceulx de
la Rochelle ont aussy faict quelque contract de sel avec ceulx de
Hembourg, pour quarante mille escuz, qui doibvent estre fournis en
Allemaigne; et disent les ministres que le Prince de Condé arrivera
sans doubte, sinon qu'il soit pourveu de plus amples seuretez, et pour
plus longtemps, aulx eslevez, que les responces de Vostre Majesté ne
leur en donnent; et qu'à ce seul poinct tient toute la difficulté de
la paix.

Le sire Philippes Sidney, nepveu et hérityer du comte de Lestre, est
revenu, ces jours cy, d'Allemaigne, où il a demeuré envyron deux ans,
en la court de l'Empereur, et aylleurs, pour voyr le pays; et a
apporté lettres de créance d'aulcuns princes protestantz à ceste
princesse. Elle est sur le poinct de redépescher le secrettère Wilx
par dellà; et seroit bon que Vostre Majesté fît observer par
quelqu'ung, à Strasbourg, le Sr Sturmius; car il est à présent agent
de ceste princesse en Allemaigne, depuis la mort du docteur Mont, qui
se tenoit à Francfort: et dict on que le dict Sturmius est bien savant
aulx lettres, mais qu'il est homme simple et peu entendu en affères
d'estat, et que, près de luy, se pourroit descouvrir la pluspart de
leurs dellibérations.

Le prince d'Orange est merveilleusement venu suspect aux Angloix
depuis la nouvelle de son mariage avec madame de Jouare, et mesmes
qu'il estoit desjà en quelque discord avec eulx sur ce qu'ilz
l'avoyent sommé de leur laysser la navygation et le commerce libres en
Anvers, non seulement des marchandises de ce royaulme et aultres à
eulx appartenantz, mais de celles qu'ilz prendroyent, à conduyre, des
Hespaignolz et Portugoys et des aultres qu'ilz voudroyent colorer et
advouer pour ligues. A quoy le dict prince, nonobstant leurs bravades
et menasses, n'a voulu condescendre, sinon seulement pour les
marchandises proprement appartenant à iceulx Angloix et pour celles
des marchandz advanturiers de Londres; dont y a desjà des lettres de
marque expédiées sur quelque occasion contre ceulx de Fleximgues. Et
par ce, aussy, que le dict sieur prince ne reçoit plus si volontiers
comme il souloit les soldatz angloix à sa soulde, il s'en appreste ung
nombre avec leurs cappitaynes pour aller au service du grand
commandeur de Castille contre luy. Vray est qu'à ce que j'entendz,
l'on propose d'envoyer bientost ung personnage de qualité de ceste
court vers le dict prince, en Ollande, pour accommoder toutz ces
différandz avecques luy.

Le voïage de Me Quillegreu en Escosse sembloit estre non seulement
différé mais interrompu du tout jusques à ce que, depuis deux jours,
l'on l'a contremandé en haste à la court, pour le dépescher par dellà,
et pour mener avecques luy certain aultre personnage, qu'on nomme Me
Davidson, qu'on estyme qui demeurera résidant près du comte de
Morthon; ce qui monstre qu'il y doibt avoyr quelque nouveaulté
suscitée au dict comte, ou qu'on commence de l'avoyr suspect. Et sur
ce, etc.

    Ce XVIIe jour de juing 1575.



CCCCLVIe DÉPESCHE

--du XXVIe jour de juing 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal._)

  Détails de la précédente audience.--Motifs qui engagent Élisabeth
    à refuser de prêter un nouveau serment.--Instances au nom du
    roi pour qu'il ne soit donné aucun refuge en Angleterre à ses
    sujets rebelles.--Satisfaction d'Élisabeth à raison de
    l'acceptation que le roi a faite de son ordre.


    AU ROY.

Sire, parmy les propos que j'ay dernièrement tenus à la Royne
d'Angleterre, j'ay estimé, pour aulcunes bonnes occasions, qu'il
estoit besoing de luy dire que Vostre Majesté se trouvoit de plus en
plus très contante de la ligue, naguyères renouvellée avec elle; et
que jamays, à quelconque aultre promesse qu'eussiez faicte en ce
monde, vous n'aviez plus volontiers adjouxté vostre foy et sèrement
qu'à celle de son amityé; et que, si elle desiroit encores quelque
aultre chose, pour s'assurer davantage de vous en cest endroict, que
vous la luy offriez de bon cueur et estiez prest de l'effectuer; et
que pareillement vous me commandiez de vous rendre responce des
particullaritez qui touchoient à elle de vous accomplyr, sellon que
j'en avoys baillé la nothe par escript à Mr de Walsingam, à qui
j'avoys aussy communicqué le pouvoir que m'aviez envoyé pour assister
à son sèrement; lequel sèrement je la pryois bien fort ne se grever de
vous renouveller, encor que possible le traicté ne l'y obligeât,
sellon que vous n'aviez différé de le luy prester à elle, oultre
l'obligation du dict traicté, affin qu'il ne demeurât aucun escrupulle
entre vous.

Elle m'a respondu qu'elle louoit Dieu de voyr que vostre contantement
correspondoit au sien sur la continuation de la ligue, et vostre desir
à celluy qu'elle avoit de la bien observer, chose qu'elle prioit Dieu,
et l'a dict ung peu en collère, qu'il vous fît quelquefoys cognoistre
combien elle vous estoit plus utille que vous ne le pensiez, et plus
qu'on ne s'efforçoit de le vous persuader; et qu'elle ne vous voudroit
pas différer son sèrement, n'estoit que ceulx de son conseil luy
remonstroyent qu'il estoit impertinent de le fère, et que cella seroit
remettre en doubte tout le passé, et que son ambassadeur luy avoit
aussy mandé que Vostre Majesté demeuroit bien capable et satisfaicte
de ce poinct; et qu'au reste je l'excusasse si elle ne vous avoit
encores envoyé la lettre qu'elle vous debvoit escripre, de sa main,
car, pour s'estre faict mal à un bras, en courant à la chasse, sur ung
cheval d'Espaigne, elle n'y avoit peu encores vacquer, mais que, dans
quatre ou cinq jours, je l'aurois sans aulcune difficulté.

J'ay suivy à luy dire que, pour ceste heure, doncques, je ne la
presserois plus du sèrement, et me contanteroys de vous escrypre sa
raison, et m'efforceroys, avec la lettre de sa main et ses aultres
honnestes responces, de vous donner le plus de satisfaction d'elle
qu'il me seroit possible, et qu'elle se pouvoit vanter d'avoyr acquis
en Vostre Majesté le plus grand et le meilleur de tous les amys
qu'elle eût peu rencontrer en la Chrestienté, et le plus ferme
confédéré que sa couronne ayt eu depuis qu'elle est establye, et que,
dorsenavant, nul de ses ennemys, ny nul de ses rebelles, ny nul qui
luy voulût mal, ne trouveroyent lieu ny place en France; et que de
mesmes vous desiriés, Sire, que nul aussy, qui pourchassât de vous
nuyre, en peût trouver près d'elle ny des seigneurs de son conseil, ny
faveur aulcune contre vous en ce royaulme; et que de cella vous l'en
priez très affectueusement comme chose très raysonnable, et sur
laquelle les parolles que me commandiez de luy en dire n'estoient ny
légères ny communes, ains d'une grande expression, qui déclaroyent
bien que vous aviez une singullière bonne volonté de persévérer à
jamays vers elle, et faisiez aussy estat qu'elle persévèreroit très
constamment vers vous; et que de cella vous aviez prins une plus
grande assurance par ce nouveau et très agréable tesmoignage, qu'elle
vous donnoit, de vous avoyr esleu chevalyer de son ordre; de quoy,
pour n'emprunpter rien hors de vostre lettre, de ce que me commandiez
luy dyre du grand contantement qu'en aviez receu, et de l'infiny
mercyement que luy en rendiez, et du debvoir où vous vous mettriez
d'honnorer son ordre avec le plus de dignité qu'il vous seroit
possible, et du playsir que vous auriez qu'elle le vous envoyât
bientost, qui seroit redoublé si elle vouloit que ce fût par le comte
de Lestre, je la supplyois qu'elle mesmes voulût lyre ce qu'il vous
playsoit m'en escripre, et elle trouveroit que son ordre estoit très
bien employé en Vostre Majesté, et que vous sçaviez honnorer
grandement ceulx qui vous honnoroyent et honnorer l'honneur qu'on
s'efforçoit de vous fère.

Elle a distinctement leu tout l'article de vostre lettre, qui faisoit
mencion de cella, et, après, comme toute resjouye et bien fort
contante, m'a faict la responce que je vous ay sommayrement comptée en
mes précédantes. Et, d'abondant, m'a dict qu'elle vous remercyoit, de
tout son cueur, du grand et remarquable honneur que Vostre Majesté
faisoit à elle et à son ordre de si favorablement l'accepter, et
qu'elle le vous envoyeroit bientost par ung personnage d'authorité,
bien incliné à vostre mutuelle amityé, que vous n'auriez moins
agréable que le comte de Lestre; duquel elle me manderoit le nom,
incontinent qu'elle en auroit faicte l'élection; et néantmoins qu'elle
avoit grand plésir qu'eussiez demandé le dict comte, car elle
cognoissoit par là que vous vouliez procéder de grande sincérité vers
elle.

Dont de ce propos et d'aulcuns aultres que nous avons continué,
l'espace de deux heures, Vostre Majesté en entendra davantage par le
Sr de Vassal, présent porteur. Et n'adjouxteray rien plus icy, Sire,
sinon qu'encor qu'on eût aulcunement altéré la dicte Dame contre vous,
j'ay bien cognu qu'elle n'estoit preste, pour cella, de se destourner
de vostre amityé s'il vous plaist continuer en la sienne. Je vous
envoye la lettre de sa main et la responce que ceulx de son conseil
m'ont faicte sur le reste de mes demandes. Et sur ce, etc. Ce XXVIe
jour de juing 1575.



CCCCLVIIe DÉPESCHE

--du premier jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Convalescence du roi.--Mort du maréchal de Danville.--Départ de
    Mr de Méru pour l'Allemagne.--Efforts de l'ambassadeur afin
    d'empêcher Élisabeth de donner des secours sérieux aux
    protestans de France.--Assurance qu'elle a formé la résolution
    de s'en tenir avec eux à de simples promesses.


    AU ROY.

Sire, l'on a parlé icy diversement de la qualité et de l'effect de
vostre maladye, et je loue Dieu, de bon cueur, et le remercye, bien
dévotement, qu'il vous en a bientost relevé, et qu'il n'a permis
qu'elle ayt esté si violente ni sy dangereuse comme on le disoit. Je
fay présentement ung mot de vostre parfaicte guérison à la Royne
d'Angleterre, attandant que, sur l'occasion de quelque aultre vostre
dépesche, je l'aille trouver pour m'en conjouyr davantage et plus
expressément avec elle.

La mort de Mr de Dampville[4] estoit desjà publiée, icy, sur ung
advertissement de l'ambassadeur d'Angleterre, premier que j'ay receu
celluy de Vostre Majesté, et n'a esté petite l'émotion qu'on s'est
donnée de cella, creignantz les ungs que le party duquel il estoit se
doibve trouver, à présent, beaucoup affoybly et débilité par son
manquement, et les aultres estiment que, de ce qu'il s'estoit joinct à
la cause de la nouvelle relligyon, elle en estoit devenue plus foible,
et en recepvoit quelque deffaveur vers aulcuns princes protestantz.
Comment que ce soit, s'il estoit occasion que ne peussiez donner la
paix à voz subjectz ny la recepvoyr d'eux, Dieu, de qui les jugementz
sont toujours très justes et sainctz, la luy vueille octroyer bonne
par dellà.

  [4] Cette nouvelle était fausse. Henri, maréchal de Danville,
  frère puîné du duc de Montmorenci, est mort à Agde, le 1er avril
  1614, âgé de soixante-dix ans.

Mr de Méru est desjà embarqué pour passer en Hemden ou bien en
Hanbourg, affin d'aller trouver le Prince de Condé à Basle. J'entendz
que ceste princesse, quand il a prins congé d'elle, luy a faict
présant d'envyron troys mille escus; et m'a l'on dict que Wilx va
avecques luy, dépesché par aulcuns particulliers de ce royaulme, avec
VII mille V{c} {#} d'esterling, qui sont vingt cinq mille escus, avec
quelque chayne d'assés grand pris pour fère présent par dellà: dont
quelqu'ung a comprins, de certain propos que le dict Sr de Méru a eu à
tenir, que ce seroit pour fère marcher bientost deux milles reytres et
quatre mille lansequenetz en France. Néantmoins il a faict
démonstration, en mon endroict, à son partement, qu'il avoit desir et
espérance de la paix; et a dict que, si son frère de Dampville estoit
mort, ce qu'il ne vouloit encores croyre, la plus grande perte en
seroit à Vostre Majesté, d'autant qu'il luy avoit naguyères escript
qu'il ne se trouvoit tant en peyne de combatre contre ceulx contre qui
il s'estoit mis, que de vaincre ceulx, avec qui il estoit, pour les
retenir en vostre dévotion.

Je rencontre, par toutz mes advis, qu'il n'a poinct obtenu aulcune
aultre provision de deniers, ny promesse d'hommes, ny de vaysseaulx,
de ceste princesse; et pour le moins ne me trouvè je si veufflé d'elle
que, quand aulx hommes et vaysseaulx, je n'aye faict que ouvertement
elle a refuzé aulx ministres et aultres poursuyvantz, qui sont icy,
d'en bailler; et, quand aulx deniers, si, d'avanture, elle consent,
soubz main, à quelque crédict de ses marchandz, ce ne peut estre de
grand somme. Et si, luy ay je protesté, il y a plus de six moys, et le
luy renouvelle toutz les jours, que vous vous plaindriez d'elle, si
les Allemantz marchoient en France, parce qu'on sçayt assez que le
Prince de Condé n'a de quoy les y fère marcher, si elle, de son argent
ou crédict, ne leur faict des jambes et des pieds. Et je vous supplye,
Sire, de ne donner trop de foy à ceulx qui vous cellèbrent la facilité
de la dicte Dame à bailler son argent contre vous, ny à vous rompre le
traicté; mais bien à ceulx qui la font libéralle de bonnes parolles et
de promesses vers ung chascung. Sur ce, etc.

    Ce Ier jour de juillet 1575.



CCCCLVIIIe DÉPESCHE

--du IIIIe jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer._)

  Prises faites sur les Anglais par les navires de St Malo.--Vives
    plaintes des Anglais, qui veulent considérer cet acte comme une
    déclaration de guerre.--Assurance de l'ambassadeur qu'il leur
    sera donné satisfaction.--Menace de guerre de la part
    d'Élisabeth contre ceux de Flessingue à raison de prises qu'ils
    ont faites.--Nouvelles des Pays-Bas.--Incertitude sur les
    affaires d'Écosse.--Instance de l'ambassadeur pour qu'il soit
    donné satisfaction relativement aux prises faites par ceux de
    St Malo.


    AU ROY.

Sire, aulcuns particulliers de ce royaulme, qui favorisoient les
pyrateries, entendantz que ceulx de St Malo s'estoient mis sur mer
pour garder que ceulx de la Rochelle n'en peussent plus fère et
n'empeschassent la navigation, avoyent secrettement entreprins d'armer
dix ou douze grandz navyres de guerre, en divers portz de ce
royaulme, pour courre sus à ceulx de St Malo; de quoy, aussytost que
j'en ay eu vent, j'ay faict cognoistre que j'avoys descouvert
l'entreprinse. Dont la Royne d'Angleterre a incontinent mandé aulx
justices du pays d'ung chascung endroict de fère incontinent cesser le
dict apprest, et garder qu'aulcun navyre ne sorte que pour faict de
marchandise; et si, d'avanture, il y en a quelqu'ung qui vueille
sortyr armé, à cause des pirates, qu'il donne caution de ne rien
attempter au préjudice des traités contre les amys et confédérez de ce
royaulme. Mais il n'a guyères tardé, après cella, qu'ung
advertissement est arryvé comme, depuis le XXe de may dernier, les
dictz de St Malo ont prins troys navyres marchands angloix, venant,
l'ung de la Rochelle, et les aultres deux d'Espaigne et du Portugal,
lesquels, aussytost qu'ilz les ont eus amenez en leur port, les ont
faict déclarer de bonne prinse et toute leur marchandise a esté
dissipée: de quoy l'on m'a faict une extrême plaincte, et que l'on
vouloit sçavoyr de moy si Vostre Majesté prétendoit par là d'ouvrir la
guerre à ce royaulme, car n'avoyent entendu qu'il fût prohibé aulx
Angloix de traffiquer avec ceulx de la Rochelle, ny aylleurs.

A quoy je leur ay respondu que c'estoit ung faict nouveau, sur lequel
je ne leur pouvoys dire aultre chose, sinon que je les assuroys de
vostre bonne et droicte intention vers la paix et amityé de ceste
couronne, et que, d'ouverture de guerre, il n'en y avoit poinct; dont
pourroyent fère leurs dilligences vers Vostre Majesté, et que je les
accompaigneroys de mes lettres, et en escriproys aussy aulx
gouverneurs de Bretaigne et de St Malo pour leur en fère avoyr rayson
et justice; ce qui les a remis en quelque espérance de recouvrer leurs
biens.

Néantmoins, parce qu'il y a une semblable querelle contre ceulx de
Flexingues, lesquelz ont aussy naguyères prins des navyres angloix
bien riches, et qu'à cause de cella ceste princesse les a envoyés
sommer, par le docteur Roger de ceste ville, de fère entière
restitution de tout ce que ses subjectz leur pourroyent duement
vériffyer qu'ilz ont prins depuis troys ans en çà, aultrement qu'elle
leur dénoncera la guerre; l'on est sur le poinct de dresser ung grand
équippage de mer contre eulx. Il sera bon d'y avoyr l'œil et de fère,
affin que cella ne s'addresse contre nous, que l'on sache au vrai, du
premier jour, comme aura passé le faict de la prinse de St Malo et en
donner quelque rayson par deçà.

Je croy bien que les nouvelles nopces du prince d'Orange, lesquelles
leur sont fort suspectes, font qu'ilz prennent plus à cueur qu'ilz
n'eussent pas faict les injures de ceulx de Flexingues. Et mesmes
j'entendz qu'il y a mille Angloix, près de Bruges, qui se vont
enroller au service du grand commandeur de Castille, et qu'il
recouvrera dorsenavant beaucoup plus de marinyers de ce royaulme
qu'ilz n'ont pas faict; et que Me Henry Cobhan partira bientost pour
aller résider ambassadeur de ceste princesse en Hespaigne.

Me Quillegreu n'est encores party pour Escosse, mais on le faict
suyvre pour le dépescher, d'heure en heure, et croy qu'on n'attand
plus sinon les nouvelles de la paix de vostre royaulme, si elle
succèdera ou non, pour le fère acheminer. Et sur ce, etc. Ce IVe jour
de juillet 1575.

   Il court bruict qu'il est survenu quelque nouveaulté au comte
   de Morthon en Escosse, et le faict on mort. J'en entendray
   davantage, affin de le vous mander par mes premières; mais il
   y doibt avoyr quelque chose, car l'on s'en esmeut assez.


    A LA ROYNE.

Madame, il n'y a, à présent, icy, aultre chose digne de Voz Majestez,
aulmoins qui soit encores venue à ma cognoissance, depuis mes
précédentes dépesches, du XXVIe du passé, et premier d'estui cy, que
ce qu'il vous plerra voyr en la lettre que j'escriptz, de ceste dathe,
au Roy, vostre filz; en laquelle je luy touche ung faict duquel l'on
m'est venu fère grande plaincte, et sur lequel j'estime, Madame, qu'il
est expédient d'y fère bien regarder, affin que le cas n'en aylle à
plus d'altération; et que, sur ce renouvellement de ligue, les
subjectz de ces deux royaulmes, non seulement trouvent une mutuelle
seureté, mais qu'ilz sentent beaucoup de faveur et de support les ungs
des aultres en leurs communs traffics: aultrement le sèrement du Roy
et celluy aussy que ceste princesse a faict seroyent violez, au grand
mespris de Dieu, à qui ilz ont esté sollennellement jurés, et à
l'offance des hommes, et mesmement des princes et gens de bien, qui en
demeureroyent fort scandalisez. Ce que je m'assure que le Roy, ny
Vous, Madame, ne voudriez pour aulcun pris que telle chose advînt. Et
sur ce, etc.

    Ce IVe jour de juillet 1575.



CCCCLIXe DÉPESCHE

--du VIIIe jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calays par Estienne Jumeau._)

  Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh.--Ses plaintes au sujet
    des secours accordés en Angleterre aux protestans de
    France.--Ferme assurance donnée par Burleigh qu'Élisabeth veut
    maintenir le traité.--Nouvelles d'Écosse.--Révolte à Édimbourg
    contre le comte de Morton.


    AU ROY.

Sire, premier que de recepvoyr vostre lettre, du XXIe du passé,
j'avoys visité milord trézorier pour retirer de luy aulcuns
accomplissementz qui restoient du traicté de la ligue, affin que je
les vous peusse envoyer, comme depuis je l'ay faict. Et, par mesme
moyen, j'estois entré bien avant avecques luy sur le peu d'observance,
qu'on faysoit icy, du dict traicté, luy déclarant ouvertement que
Vostre Majesté, par divers rencontres, trouvoit que la Royne, sa
Mestresse, en lieu de se trouver amye et bonne confédérée en voz
affères, portoit entièrement le party de ceulx qui estoient eslevez en
vostre royaulme, comme si elle avoit ligue et confédération avec eulx;
et que non seulement elle les admettoit favorablement à parler, icy, à
elle, et à ceulx de son conseil, et de s'accomoder de deniers, de
monitions et de beaucoup de moyens en son royaulme, mais que, jusques
en Languedoc, à la Rochelle et aultres lieux, où la guerre se faysoit,
et jusques à Basle, où le Prince de Condé estoit, et en Allemaigne, où
il pourchassoit des forces, elle leur faisoit sentir son support et
assistance; et que mesmes j'entendoys que Mr de Méru emportoit de
l'argent, ou du crédict, d'icy, pour fère marcher les reytres en
France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le Prince de Condé: ce
qui arguoit grandement l'intégrité d'elle et des seigneurs de son
conseil, et la rendoit et eulx inexcusables, devant Dieu et vers les
princes et gens de bien de la Chrestienté, pour sa foy et sèrement
violez; et mesmes qu'elle sçavoit bien que les responces qu'aviez
faites à voz subjectz, pour l'exercice de leur religyon, et pour leurs
seuretés, et pour tout aultre leur accomodement en vostre royaulme,
estoient si bénignes et amples, que je ne pouvois penser à quel aultre
tiltre, sinon de pure rébellion et infidellité, ilz vous pourroient
plus continuer la guerre; et que si, d'avanture, elle n'estimoit
beaucoup plus d'avoir une honneste et légitime confédération avec
vous, que non une intelligence malhonneste et de pernicieulx exemple
avec eulx, qu'elle le dict ardiment; car il vous seroit moins
dommageable de l'avoyr ouverte que non pas secrette ennemye, ou que
dissimulée amye.

Il m'a respondu que plusieurs choses du passé debvoient rendre bien
advertye la Royne, sa Mestresse, comme se conduyre sur celles du
présent, et comme pourvoyr à celles d'advenir, et que jamays princesse
ne s'estoit plus franchement commise à l'amityé de nul prince qu'elle
avoit faict à celle du feu Roy, vostre frère; duquel elle s'estoit
proposée une très grande seureté et un grand repos, soubz la bonne
opinyon qu'elle avoit de sa foy, et soubz la loyaulté qu'elle pensoit
estre ez promesses qu'il avoit faictes à ceulx de la nouvelle
religyon, avec lesquelz elle avoit sa propre tranquillité et celle de
son estat comme conjoinctes; et Dieu estoit tesmoing de ce qui estoit
depuis advenu, et en monstroit de grands jugementz, dont failloit
qu'ilz fussent, à ceste heure, bien soigneulx de fère leurs
descouvertes; et que, touchant les responces à voz subjectz, il ne
les vouloit débatre, car estimoit que les leur aviez rendues toutes
honnorables; bien luy sembloit, à cause des accidantz passez, qu'elles
seroient encores plus honnorables et plus utilles, si elles estoient
moindres en concession des choses particullières, et plus amples en
octroy des seuretez; néantmoins, comment que ce fût, la Royne, sa
Mestresse, vous garderoit invyolablement l'amityé et confédération
qu'elle vous avoit promise, si vous ne la rompiez de vostre costé;
auquel cas Dieu luy avoit donné et luy donroit les moyens et forces
pour se garder d'estre offancée, et mesme pour fère offance à ceulx
qui la voudroient offancer; mais que vous ne debviez légièrement
croyre les advis et maulvais rapportz qu'on vous feroit d'elle: car,
parce que voz subjectz, qui estoient en armes, sçavoient qu'elle
estoit de leur religyon, ilz se proposoyent plusieurs grands
advantages d'elle, et se vantoyent d'avoyr souvant impétré beaucoup de
ce qu'ilz n'avoyent rien, affin de tenir leurs affères en réputation,
et tirer, par ce moyen, les plus seures et meilleures condicions de
paix, qu'ils pourroyent, de Vostre Majesté; et qu'il ne pouvoit, ny
debvoit me réveller les secrettes dellibérations de sa Mestresse, mais
qu'il me promettoit bien qu'elle ne feroit, ny estoit pour fère chose
aulcune contre l'honneur et la grandeur, ny au préjudice de Vostre
Majesté. Et s'est mis là dessus à discourir de plusieurs choses, et
comme il sembloit que vous en eussiez aulcunes, lesquelles ne vous
touchoient guyères en plus de considération que celle de vostre propre
bien et prouffit, et que, par nécessité, il failloit ou que prinsiez
bien le poinct de ce temps, qui se offroit maintenant, et la présente
occasion pour establir ung ordre et ung règlement en voz affères, et
pour recueillyr toutz voz subjectz et esteindre leurs partialitez et
querelles, ou que fissiez estat de voyr vostre règne augmanter, de
jour en jour, en plus de troubles et de dangers, et Vostre Majesté
moins jouyssante, toute sa vye, de l'amplitude de son royaulme que nul
de ses prédécesseurs.

A quoy je luy ay satisfaict, sellon ce que j'ay estimé convenir à
vostre réputation et grandeur, et la bonne intention qu'avez vers voz
subjectz, le mieulx qu'il m'a esté possible. Et par ce, Sire, que,
dans ung jour ou deux, j'espère aller trouver ceste princesse pour
noter davantage comme elle persévère vers Vostre Majesté, et pour luy
toucher, avec le plus de discrétion que je pourray, les poinctz de voz
deux dépesches du XIIe et XXIIe du passé, et aussy pour continuer vers
elle une gracieuse négociation que je luy ay commancée pour la Royne
d'Escosse, qui sont desjà aulcunement racoinctées ensemble, je
remettray à vous mander, lors, tout ce que j'auray recueilly de ses
propos.

Et adjouxteray seulement icy, Sire, que le bruict continue de la mort
du comte de Morthon, et que c'est milord de Lentzay, prévost de
Lillebourg, qui, avec la commune de la ville, offancée de l'oppression
des impostz, luy a couru sus. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour de juillet
1575.

   Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr bien seurement que
   la commune de Lislebourg s'est véritablement eslevée contre le
   comte de Morthon à cause de la monoye, mais qu'il s'est saulvé
   dans le chasteau; et que ceste princesse, dans ung jour ou
   deux, faict acheminer Me Quillegreu par dellà. Je desireroys,
   de bon cueur, qu'il y eût quelqu'ung par dellà, de la part de
   Vostre Majesté.



CCCCLXe DÉPESCHE

--du XIIIe jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Audience.--Communication de la réception faite en France à sir
    Jacques Fitz Maurice.--Déclaration du roi qu'il ne veut pas
    soutenir les catholiques d'Irlande.--Conseil donné par le roi à
    sir Jacques de solliciter sa rentrée en grâce.--Satisfaction
    d'Élisabeth.--Remontrances de l'ambassadeur sur ce que l'on se
    conduit en Angleterre comme si la guerre était résolue contre
    le roi.--Déclaration qu'il a été fait droit en France à toutes
    les plaintes des Anglais.--Assurance donnée par la reine
    qu'elle arrête les secours, et qu'elle a formellement refusé de
    faire passer de l'argent en Allemagne.--Même assurance
    confirmée par les seigneurs du conseil.--Départ de Me
    Quillegrey pour l'Écosse.--Proposition secrètement faite de
    reprendre la négociation du mariage d'Élisabeth avec le duc
    d'Alençon.


    AU ROY.

Sire, m'estant approché, mardy dernier, à troys mille de ceste court,
la Royne d'Angleterre m'a incontinent mandé, par ung de ses
pensionnayres, que je la vînse trouver à la prochayne forest, où elle
estoit desjà, dès le grand matin, à la chasse, et qu'elle ne me
vouloit différer aylleurs, ny plus longtemps, mon audience, affin de
pouvoir tant plus tost ouyr des nouvelles de Vostre Majesté,
lesquelles elle espéroit et desiroit estre bonnes; et que, de là, elle
me mèneroit disner chez ung gentilhomme, là auprès, qui luy faisoit
ung festin, où elle vouloit que je mangeasse ce jour avec elle. A quoy
ayant obéy, et ayant, la dicte Dame, aussytost que je l'ay rencontrée
au boys, délayssé ung peu sa chasse pour s'enquérir soigneusement de
vostre santé, et l'en ayant amplement satisfaicte, sellon le contenu
de vostre lettre du XIIe du passé, de quoy elle a monstré avoyr grand
contantement, le surplus des propos ont esté remis jusques après la
dicte chasse, et jusques après le dîner, qui a esté somptueux; durant
lequel elle a tenu beaucoup de bien honnorables propos de Vostre
Majesté et des troys Roynes Très Chrestiennes; et après qu'elle a esté
hors de table, elle m'a retiré en ung coing de sale, où je luy ay
dict:

Que j'estoys venu luy signiffyer deux vrays tesmoignages de
l'indubitable affection que Vostre Majesté avoit de vivre en très bon
frère et très parfaict confédéré avec elle; l'ung estoit celle
communicquation, que je luy avoys desjà faicte, de vostre
convalescence et de la bonne disposition où, grâces à Dieu, vous vous
trouviez à présent, après ce petit sentiment de fiebvre qu'aviez eu,
au commancement de juing dernier, qui estoit une singullière privaulté
que vous luy communicquiez, et qui desiriez l'avoyr mutuelle avec
elle, affin qu'ordinayrement elle vous fît aussy sçavoyr comme elle se
portoit; et l'autre estoit touchant le sire Jacques Fitz Maurice,
l'ung de ses fuitifz d'Irlande, lequel estant passé en France, Vostre
Majesté ne luy avoit poinct aiguysé le cueur contre elle, et ne
l'avoit animé à luy continuer la guerre ny luy troubler son estat, et
ne luy aviez offert vaysseaulx, ny hommes, ny monitions, ny deniers
pour le fère, ains l'aviez exorté de retourner à son debvoir de bon
subject vers elle, et recourir à sa clémence et bonté, et se remettre,
luy et ses partisans, en son obéyssance et bonne grâce; de quoy ne
l'ayant trouvé aliéné, vous aviez bien voulu intercéder pour luy par
voz propres lettres, lesquelles, avec celles que m'aviez escriptes là
dessus, je luy apportoys, affin qu'elle vît comme, par ce bon office,
qui ne pouvoit estre ny meilleur ny plus cordial vers elle, ny vers
le repos de ses affères, vous desiriez qu'elle peût tout de mesmes
recueillyr ses subjectz, qui estoyent escartez, et leur oster
l'espouvantement où ilz estoyent, comme vous le desiriez des vostres
propres, ainsy que ce temps requéroit qu'on en uzât ainsy; et qu'elle
sçavoit assez que mesmement ceulx de la noblesse ne cessoyent jamays,
quand ilz estoient hors de leur pays, de praticquer tout ce qu'ilz
pouvoient, et de remuer aultant de besoigne qu'il leur estoit
possible, pour y estre remis; et quiconques le pensoit aultrement se
trompoit bien fort, et que pourtant vous aviez grand plésir de luy
fère regaigner ce gentilhomme avec ses partisans, aulx condicions
qu'il demandoit, qui estoient beaucoup plus facilles que celles que
vous offriez à voz propres subjectz.

La dicte Dame, avec une démonstration de grand ayse sur cest affère,
duquel elle estoit assez en peyne, et n'en attandoit pas de si bonnes
nouvelles comme celle cy, a tout incontinent prins sa lettre et la
mienne et les a curieusement leues. Et puis m'a dict qu'elle vous
avoit beaucoup d'obligations, pour l'honnorable déportement dont elle
voyoit qu'aviez usé en ce faict, tout aultrement qu'on ne le luy avoit
rapporté, et aultrement que le dict mesmes Fitz Maurice ne s'en estoit
vanté, et qu'il l'avoit escript à ceulx de son party, en Irlande, par
ses lettres de la fin de may dernier, où il les assuroit que Vostre
Majesté luy avoit accordé huict vaysseaulx de guerre et deux mille
harquebusiers, et luy avoit desjà donné troys mille escuz contantz; de
quoy elle avoit maintenant très grand playsir qu'elle vous peût
remercyer du contrayre, comme elle faysoit de bon cueur, et vouloit
bien que, du discours qu'elle m'avoit faict du dict Fitz Maurice,
lequel seroit trop long, je vous disse ceste particullarité: qu'il
s'estoit mis sur mer en intention d'aller trouver le Roy d'Espaigne,
mais que l'ayant le vent jetté à St Malo, le cappitayne La Roche, qui
est, à ce qu'elle dict, ung terrible gallant contre elle, l'avoit avec
beaucoup de grandes espérances admené vers vous, où, grâces à Dieu, il
avoit trouvé que la matière n'estoit sellon sa disposition; et bien
que, jusques icy, il ayt monstré de ne vouloyr poinct de pardon,
toutesfoys qu'elle feroit voyr, par son conseil, sur vostre lettre,
les condicions auxquelles maintenant il le demandoit, et qu'elle me
prioit de communicquer aulx comtes de Lestre et de Sussex, qui
estoyent là présantz, ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre.

J'ay suivy à luy dire que, le propre lendemain que Mr de Walsingam
m'estoit venu parler, de la part d'elle, du dict Fitz Maurice, j'avoys
receu ceste présente dépesche, et avoys esté infinyement ayse de voir
qu'avant que je vous en eusse escript, ny que l'ambassadeur d'elle
vous en eût rien touché par dellà, vous aviez desjà procédé de vous
mesme en cest endroict, comme prince d'honneur et de vertus, et comme
vray amy et bon confédéré d'elle, et que je ne voulois doubter qu'elle
n'eût la pareille intention vers vous, si toutz ceulx qui estoyent
auprès d'elle l'avoyent de mesmes, la priant de prendre de bonne part
si je luy disoys aulcunes choses qui l'argueroyent devant Dieu et les
hommes d'une grande coulpe, en vostre endroict, si, d'avanture, elle
les sçavoyt, ou bien d'une grande négligence vers vostre amityé, si,
d'avanture, elle en vouloit estre ignorante: c'estoit que, par divers
rencontres et par plusieurs advertissementz de diverses partz, Vostre
Majesté trouvoit que, du costé d'icy, en lieu de procéder droictement
vers voz affères sellon l'obligation de la ligue, c'estoyent les
eslevez de vostre royaulme qui estoient favorablement admis à parler à
elle et à ceulx de son conseil, et s'accomoder ordinayrement d'armes,
de vaysseaulx, de monitions de guerre, et aultres leurs provisions; et
que mesmes j'entendoys qu'il estoit freschement sorty quatre navyres
de guerre, et s'en apprestoit aultres quatre pour sortyr, du premier
jour, de divers portz de deçà, pour aller, en faveur des dictz
eslevez; et que, jusques aulx propres lieux, où ilz faisoyent la
guerre en France, et jusques en Allemaigne, où ilz procuroient d'avoyr
des forces, ilz sentoyent l'apuy et assistance de l'Angleterre; et
nommément, par aulcunes lettres, qui naguyères avoient esté
surprinses, il vous apparoissoit que Mr de Méru, au partir d'icy,
debvoit emporter des deniers contantz, ou bien du crédict, pour fère
marcher les reytres en France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le
Prince de Condé; ce que, pour estre ces actes par trop ennemys en
l'endroict mesmement d'un prince qui la cherchoit d'amityé, et par
trop contrayres à la foy et promesse que vous aviez d'elle, et qu'il
vous sembloit que ses conseillers n'oseroyent pas, de eulx mesmes,
attempter telles choses contre l'honneur de sa parolle, et mesmement,
à ceste heure, qu'ilz sçavoient combien vous aviez bénignement
respondu à voz subjectz touchant l'exercice de leur religyon, et
touchant leurs seuretez, et tout aultre accommodement en vostre
royaulme, pour ne pouvoir à nul aultre tiltre désormays, que de pure
rébellion et infidélité, vous continuer plus la guerre, vous ne
vouliez si mal juger d'elle que cella, ains penser, selon qu'elle
n'avoit le cueur bas, qu'elle vous déclareroit plustost la guerre tout
ouvertement que de se porter ainsy couverte ennemye ou dissimulée
amye vers vous, et que pourtant vous attandriez quelle preuve vous
auriez de ses effaictz, premier que d'adjouxter foy aulx lettres et
rapportz de ceulx qui vous vouloyent mettre en deffiance d'elle; et
que cepandant vous n'aviez layssé de fère pourvoyr, de vostre propre
espargne, au marchand d'Ampthonne, dont elle m'avoit dernièrement
parlé, et aviez mandé à vostre parlement de Paris d'expédyer
favorablement les librayres de Londres, et donné charge à Mr de
Chiverny de fère voyr toutes les aultres plainctes de son ambassadeur
en vostre conseil, affin d'y satisfère sellon l'obligation des
trettés; lesquelz vous vouliez que fussent droictement observez de
vostre costé, et desiriez aussy qu'elle les fît mieulx observer du
vostre, que jusques icy elle ne l'avoit pas faict.

La dicte Dame m'a respondu qu'elle vous remercyoit bien fort de ce que
ne la vouliez légyèrement arguer de parjure, et qu'elle vous
promettoit bien que l'intégrité de ses euvres vous rendroit assez
manifeste le mensonge de ceulx qui ozoient calompnier la foy et
promesse qu'elle vous avoit jurée, sans qu'elle se mît en peyne
d'aultrement les convaincre, mais qu'elle ne sçavoit ce qui
adviendroit, après le retour de Mr de Méru en Allemaigne, sinon
qu'elle s'assuroit bien qu'il n'auroit à se vanter de rien d'elle
contre vous, ny à vous fère douloir d'aulcune chose qu'elle eût uzée
vers luy, non plus que vous vers elle, en l'endroict du Fitz Maurice;
que vous sçaviez assez la résolution qui estoit prinse entre les
Protestantz d'Allemaigne de ne manquer de secours à ceulx de leur
religyon qui estoyent en armes en vostre royaulme, s'ilz ne pouvoyent
avoyr la paix, et qu'elle sçavoyt bien que les forces estoyent
prestes, et ne restoit, pour les fère marcher, que quelque argent, en
quoy ne me vouloit nyer qu'ung gentilhomme ne fût passé, depuis peu de
temps, en ce royaulme pour avoyr l'accomodement de la somme en deniers
contantz, ou bien par crédict; mais que, pour le respect de la ligue
qui estoit entre vous, quoy qu'on luy représentât l'obligation de la
religyon, et que ce n'estoit que pour contre cautionner aulcuns
seigneurs françoys bien riches, qui estoyent les premiers et les
principaulx obligez, elle ne l'avoit seulement volu ouyr; et, à dire
vray, ny la faulte de moyens, ny la faulte d'occasions, ny la faulte
de cueur, ne la retardoyent d'entreprendre contre vous, mais c'estoit
sa foy et son sèrement et l'amityé qu'elle vous portoit, qui luy
faisoyent sentyr qu'elle ne sçauroit, en honneur et conscience,
employer son pouvoir, ny mesmes se laysser venir la volonté de vous
nuyre, et qu'elle n'yroit jamays que de plein jour et ouvertement en
voz affères, ainsy qu'elle desiroit la mesmes clarté de vous vers les
siens; qu'elle estimoit que Mr de Méru se rendroit plus ministre de
paix que de querelle, quand il seroit avec le Prince de Condé, et
qu'elle voyoit bien que toute la difficulté resteroit aulx seuretez,
lesquelles elle ne pouvoit cesser de vous supplyer que ne vous
sentissiez grevé de les leur accorder bonnes; car ce vous seroit, puis
après, ung soulagement incomparable, et qui ne pourroit estre assez
prisé, en l'estat de vostre personne et en celluy de voz affères;
qu'elle avoit grand plésir qu'eussiez commandé de pourvoyr aulx
plainctes de ses subjectz, car c'estoit de là d'où l'on prenoit
ordinayrement les plus fortz argumentz pour luy rendre suspecte vostre
amityé, et pour bander tout ce royaulme contre voz affères; dont vous
supplioyt de n'en laysser la chose sans effect, ainsy que, de ce
costé, elle donroit ordre que voz subjectz demeurassent bien
satisfaictz et sans plaincte.

Au partyr de la dicte Dame, j'ay communicqué avec les comtes de Lestre
et de Sussex, lesquelz monstrans d'avoyr grand contantement que les
choses passassent bien, de vostre costé, vers leur Mestresse, m'ont
juré toutz deux que, du costé d'elle, elles estoyent pures et nettes
vers vous, et que les advis et rapportz qu'on vous avoit faict du
contrayre estoyent faulx, et que, de ces huict navyres dont je leur
avoys parlé, ilz me promettoyent, sur leur honneur, qu'il n'y avoit
rien contre vous.

Me Quillegreu est party pour Escosse, à cause de ce tumulte de
Lislebourg contre le comte de Morthon, ainsy que je le vous ay cy
devant escript. Sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de juillet 1575.

   Le cappitayne Morguen, qui est des plus estimez de deçà se
   offre à vostre service, et dict qu'il fera, s'il vous plaist,
   que quelques entreprinses, où l'on le veut employer, soubz
   main, contre vous, seront converties si à propos à vostre
   prouffit que vous le réputerez à grand service, soit sur mer
   ou dans la Rochelle: dont vous plerra me mander comme j'auray
   à luy en respondre.


    A LA ROYNE.

Madame, j'ay bien cognu que ceste princesse s'attendoit que je lui
deusse maintenant apporter quelque response du propos[5] que je vous
ay dernyèrement mandé par le Sr de Vassal; mais je luy ay touché, en
passant, que le gentilhomme, que j'avoys dépesché à cest effect vers
Voz Majestez, s'estoit, pour quelque accidant, retardé en chemin, et
j'espéroys qu'il seroit bientost de retour, icy, avec mon successeur;
dont je l'yrois retrouver à Quilingourt, au plus tost et aulx
meilleures journées que ma santé le pourroit permettre, affin de luy
fère entendre le tout. Et croy, Madame, que sur cella, quand je luy ay
demandé si elle avoit encores nommé le seigneur qu'elle dellibéroit
d'envoyer en France, et quand il partiroit, qu'elle m'a respondu que,
au dict Quilingourt, elle le nommeroit, et que, dans troys sepmaynes,
elle le feroit partyr. Dont depuis, le comte de Lestre m'a dict que,
si la response venoit bonne, il ne despéroit pas d'estre celluy qui
feroit le voïage en France. Et sur ce, etc.

    Ce XIIIe jour de juillet 1575.

  [5] Du mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon.



CCCCLXIe DÉPESCHE

--du XIXe jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Heureux effet produit sur les résolutions d'Élisabeth par la
    conduite du roi à l'égard de sir Jacques Fitz Maurice.--Arrêt
    mis sur tous les navires marchands armés en guerre.--Retard
    apporté au départ de sir Henri Coban désigné pour passer en
    Espagne.--Nouvelles transmises par l'ambassadeur
    d'Angleterre.--Confiance que l'on peut avoir dans les
    intentions d'Élisabeth.--Ses favorables dispositions à l'égard
    de Marie Stuart.


    AU ROY.

Sire, ceste princesse s'est trouvée si consolée des propos qu'il vous
a pleu luy mander du Fitz Maurice, et d'autres que je luy ay tenus de
vostre droicte intention vers le repoz de ses affères, que, depuis,
elle a changé d'aulcunes dellibérations, à quoy sembloit qu'on l'eût
desjà comme toute acheminée: de permettre à plusieurs gentilshommes
angloix de sortyr en ceste mer estroicte, avec leurs vaysseaulx
armez, pour maistriser la navigation, et se revencher des prinses que
les Françoys leur ont faictes, et, oultre cella, d'arrester les
navyres et biens des Françoys ez portz et endroictz où il s'en
pourroit trouver par deçà, y ayant encores là dessoubs d'aultres
choses cachées, aulxquelles quelques ungs de ceste court vouloient,
peu à peu, embarquer leur Mestresse, sans qu'elle en sentît quasy
rien, pour vous remuer de la besoigne en France et en Escosse, en
faveur des eslevez, si, d'avanture, ilz eussent esté creus; et
sembloit qu'à cause de cella ilz la fissent temporiser ez envyrons de
ceste ville, sans advancer son progrès, affin de donner chaleur à
l'entreprinse; mais elle a mandé que nul vaysseau ayt à sortyr, sans
donner caution de douze mille cinq centz escuz qu'il n'atemptera rien
contre les amyz et alliez de ceste couronne, et que, s'il y a quelques
navyres desjà prests, qu'ilz les envoyent en marchandise affin de ne
perdre leur affret; et que le marchand d'Ampthonne aille recepvoyr le
payement que Vostre Majesté luy a ordonné sans procéder, icy, à nul
arrest: qui sont deux choses qui ont esté incontinent exécutées.

Et la dicte Dame a continué son progrès, faisant encores temporiser Me
Henry Cobham sur la dépesche d'Espagne, bien qu'il faict tousjours
achemyner ses besoignes à Plemmue, pour s'y aller embarquer; car
dellibère de fère son voïage par mer, et croy qu'on luy fera encores
attandre la prochayne responce qui doibt venir de dellà, pendant
laquelle le docteur fescal de Bruxelles s'est allé promener vers la
contrée, parce que toute sa négociation demeure en suspens.

Et sont, à présent, toutes choses, icy, si paysibles qu'il n'y
apparoit mouvement ny nouveaulté aulcune, que ce que les nouvelles de
dellà la mer y apportent, qui semble que l'ambassadeur d'Angleterre y
ayt escript que Mourevert a failly de tuer le Prince de Condé d'ung
coup d'arquebouze et qu'il a esté prins; que Vostre Majesté dresse
deux grandes armées par terre, et une troysiesme par mer; que, en ung
rencontre en Daufiné Montbrun a eu du meilleur contre M. de Gorden; et
que, le Ve du présent, il a cuydé avoyr ung gros tumulte à Paris
contre les Italiens. Je ne sçay que pourra cella, ny les aultres
particullaritez qu'il peut avoyr escriptes davantage, produyre de
changement en ceste court; tant y a que j'espère qu'à l'arryvée de mon
successeur, lequel j'attendz en très grande dévotion, nous
retrouverons la dicte Dame, en quelle part qu'elle soit, tousjours
bien persévérante vers Vostre Majesté, sans qu'elle se laysse attirer
contre voz affères qu'aultant qu'elle ne le pourra dénier à sa
religyon.

Elle est sur le poinct d'envoyer visiter, par ung de ses
gentilshommes, la Royne d'Escosse, avec ung présent, de sa part, et
luy fère parler de vouloyr elle mesmes fère la despence de sa table,
et de ses serviteurs domesticques, du douayre qu'elle a de France. Je
ne sçay comme elles s'en accorderont; néantmoins j'ay grand plésir de
les voyr mieulx racoinctées qu'elles n'estoyent.

Je n'ay nulle nouvelle d'Escosse, depuis le partement de Me
Quillegreu, mais j'attandz de brief, le retour d'ung homme qui me
doibt apporter toutes nouvelles de dellà, et je ne fauldray tout
incontinent de les vous mander. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de
juillet 1575.



CCCCLXIIe DÉPESCHE

--du XXIIIIe jour de juillet 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet._)

  Demande présentée au nom d'Élisabeth d'une réparation à raison
    des prises faites par ceux de St-Malo.--Protestation de
    l'ambassadeur que la réparation sera accordée.--Prise faite par
    les Anglais d'un navire français.--Voyage de Me
    Quillegrey.--Entrée en Écosse de plusieurs seigneurs
    anglais.--Attaque faite contre eux par les Écossais.--Détails
    sur le séjour d'Élisabeth dans la maison de Leicester.


    AU ROY.

Sire, le XXe de ce moys, le juge de l'admiraulté de ceste ville m'est
venu communicquer une lettre, que la Royne, sa Mestresse, luy a
escripte, par laquelle elle luy mande de me signiffier l'extrême
plaincte que aulcuns de ses marchands luy ont faicte contre ceulx de
St Malo, qui les ont assaillys en mer, et les ayant combattus, blessez
et meurtris, les ont admenez, eulx, leurs vaysseaulx et marchandises,
à St Malo, où ne leur a esté uzé d'aulcuns termes de rayson, ny de
justice, ains procédé contre eulx comme contre ennemys, prins de bonne
guerre. De quoy la dicte Dame se sent très griefvement offancée, ou
bien de Vous, Sire, qui n'avez faict sçavoyr à voz subjectz la
confédération qu'aviez avec elle, ou bien d'eulx qui, la sachant, ne
la veulent observer; et que j'aye à remonstrer à Vostre Majesté que
cella, après plusieurs aultres injures, ne peut demeurer sans
réparation, et qu'il est expédient ou que Vostre Majesté la luy face
fère par ceulx de St Malo, ou que ne trouve maulvais qu'elle la
preigne, le mieulx qu'elle pourra, sur eulx.

J'ay respondu au dict juge que j'estoys marry, et sçavoys que Vostre
Majesté le seroit bien fort de quoy cest accidant estoit advenu, et
qu'il ne failloit que sa Mestresse se mît en peyne de la réparation,
car vous la luy feriez fère sans doubte, si ceulx de St Malo se
trouvoyent en coulpe, car leur aviez bien permis d'armer contre ceulx
de la Rochelle, affin d'assurer la navigation, et mesmes de se
revancher d'aulcunes prinses et violences qu'ilz leur avoyent faictes,
sellon que, de longtemps, j'avoys communicqué une lettre de Mr de
Bouyllé là dessus à la dicte Dame, mais non de passer plus avant; en
quoy, s'ilz avoyent excédé la permission contre quiconques eût paix et
amityé avecques vous, non que contre les Angloix, qui, oultre d'estre
amys, estoyent voz confédérez, que vous les en chastîriez bien; et que
desjà, ayant eu le vent de ceste plaincte, je vous en avoys escript,
et vous en escriproys, de rechef, sur la remonstrance de la Royne, sa
Mestresse, avec le plus d'efficasse que je pourroys, pour fère avoyr
rayson et restitution aulx dictz Angloix.

Le dict juge, se contantant assez de ma responce, m'a incontinant
introduyt iceulx marchandz, et les patrons des navyres qui, avec
beaucoup d'exclamations, m'ont bayllé leurs plainctes par escript. Et,
le jour d'après, j'ay receu la dépesche de Vostre Majesté du Xe du
présent, contenant une aultre plaincte d'ung navyre françoys qui
venoit de Naples, lequel les Angloix ont prins, et l'ont mené en
Irlande; dont je n'en agraveray moins à la dicte Dame le cas pour voz
subjectz qu'elle a faict à vous celluy des siens; et me comporteray
vers elle en toutz les aultres poinctz de la dépesche, sellon que
Vostre Majesté me le commande;

Ayant à vous dire, Sire, que, sur ce que j'avoys adverty voz
partisans, en Escosse, de l'allée de Me Quillegreu par dellà, et
qu'ilz l'observassent de bien près, car je sçavoys qu'on avoit envoyé
dix mille escuz devant luy, à Barwyc, pour quelque entreprinse, il est
advenu que le dict Quillegreu a temporisé, quelques jours, au dict
Barwic; et ayant là receu les deniers, il a dépesché ung de ses gens
en Escosse. Et incontinent le filz du comte de Béfort, avec d'aultres
gentilshommes angloiz, est entré, comme par manière d'esbat, oultre
les frontyères, dans le pays; et a l'on opinyon que c'estoit pour
avoyr la personne du jeune Prince; mais j'entendz que quelques
Escossoys luy ont couru sus, et à sa compagnye, et qu'ilz l'ont
blessé, et mené prisonnyer. De quoy je ne sçay qui en adviendra, et
mettray peyne de sçavoyr mieulx ce qui en est, affin de le vous
mander; mais je vis ordinayrement en grand peyne des choses de dellà,
parce qu'il n'y a nul, de vostre part, sur les lieux pour les
conduyre, et je ne les puis bien remédyer d'icy en hors. Et sur ce,
etc.

    Ce XXIVe jour de juillet 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, en la lettre que j'escriptz présentement au Roy, vostre filz,
Vostre Majesté trouvera tout ce qui me occourt de luy dire, pour ceste
heure, des choses d'icy; et, après que j'auray veu ce qu'il vous a
pleu à toutz deux me mander par vostre dépesche du Xe du présent,
laquelle je viens de recevoyr, et que j'auray pourveu au plus hasté,
je vous y feray plus ample responce. Et n'adjouxteray à la présente
sinon ce mot de la continuation du progrès de ceste princesse: c'est
qu'elle est arryvée le neufvième d'estui cy à Quilingourt, où elle a
esté fort honnorablement receue. Et le comte de Lestre l'a logé, elle
et ses dames, et quatorze comtes, et dix sept aultres principaulx
milords, toutz dans son chasteau, et deffrayé toute la court à cent
soixante platz d'assiette, l'espace de douze jours, et despendu, entre
aultres choses, sèze pièces de vin et quarante pièces de bierre et dix
beufs, chascung jour, avec une si grande abondance de toutes aultres
sortes de bons vivres et de fruictz et confitures, qu'on s'en est
esbahy; et quatre centz serviteurs habillez à neuf de livrées, oultre
les gentilzhommes, vestus de velours pour servir; et les chasses et
playsirs des champs, et puis les commédyes et les danses au logis,
ordonnées si à propos qu'on n'a veu, de longtemps, rien de plus
magnifique en ce royaulme.

Sur quoy l'on faict de diverses interprétations; mais je croy que
c'est pour recognoistre ung octroy, que la dicte Dame luy a faict,
ceste année, de quelques vaquanz, qu'on estime valoyr plus de deux
centz mille escus. Je me fusse trouvé là, ainsi que le dict sieur
comte m'en avoit fort pryé, mais je ne me suys estimé avoyr assez de
santé pour l'ozer employer, sinon là où l'exprès service de Voz
Majestez le requerra; qui vous supplye très humblement, Madame, à
ceste heure que Mr de Mauvissière s'est accommodé de ses affères, et
qu'il m'a faict estendre ma paciance oultre mon extrémité, qu'il vous
playse ne luy comporter plus une seulle heure de dellay, à me venir
soulager et relever. Et sur ce, etc. Ce XXIVe jour de juillet 1575.



CCCCLXIIIe DÉPESCHE

--du premier jour d'aoust 1575.--

(_Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Détails de la querelle survenue sur les frontières
    d'Écosse.--État des armemens faits en Angleterre.--Réclamations
    réciproques au sujet des prises.--Instances des protestans de
    France auprès d'Élisabeth.--Sa déclaration qu'elle ne peut
    accorder à sir Jacques Fitz Maurice rien de plus que ce qu'elle
    avait fait pour lui avant sa fuite.--Espoir que la paix sera
    bientôt conclue.--Projet attribué au prince d'Orange de vouloir
    pénétrer en France.--Assurance donnée par Leicester qu'il sera
    désigné pour se rendre auprès du roi si l'on reprend la
    négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, le différent, dont je vous ay naguyères escript, d'entre les
Angloix et les Escossoys, est advenu de ce que, en l'assemblée et
convention des gardiens des deux frontyères, ayant les Escossoys
demandé qu'ung gentilhomme des leurs, qui avoit esté admené par deçà,
fût là représanté sellon l'ordre des dictes frontyères, les Angloix
ont respondu qu'il estoit si malade qu'on ne l'y avoit peu admener, et
de cella ont exibé incontinent des tesmoings, qui l'ont ainsy affermé;
mais interpellés de l'assurer par sèrement, et y ayant faict
difficulté, ilz sont venus en grosses parolles, et des parolles aulx
mains et aulx armes: dont quatre Angloix ont esté tuez sur le lieu et
plusieurs blessez, et entre aultres le filz du comte de Béfort, qu'on
dict estre depuis mort. La Royne d'Angleterre a incontinent envoyé
milord de Housdon sur le lieu, affin de pourvoyr, le mieulx qu'il lui
seroit possible, à ce désordre. Il semble qu'il y eût, je ne sçay
quoy, de caché là dessoubz, qu'aulcuns personnaiges d'honneur de ceste
court ne sont pas marrys qu'il ayt esté ainsy descouvert, à la
confusion de ceulx qui l'avoient conseillé et de ceulx qui le
vouloyent fère exécuter.

Me Quillegreu a passé oultre jusques à Lislebourg. J'espère que
bientost j'auray quelque relation de ce qu'il faict par dellà. L'on
dict que la fille de la comtesse de Mar, laquelle le comte de Morthon
avoit faicte épouser au comte d'Angoux, son nepveu, est morte, et que
le dict Morthon pourchasse de le remaryer avec une fille des
Amelthons.

Quand à l'estat des choses d'icy, la Royne d'Angleterre est encore à
Quilingourt; et vous puis assurer, Sire, que ces cinq grands navyres
de guerre, dont l'on vous a parlé, ne sont poinct dehors. Il est vray
qu'il s'en appreste troys pour sortyr bientost, et dict on que c'est
pour aller contre les pirates françoys et flammantz, qui infestent
ceste mer; mais j'entendz que c'est pour se pourvoyr de bonne heure
contre les souspeçons, que ceulx cy se donnent, de l'armement que
Vostre Majesté faict fère en Normandye et en Bretaigne.

J'ay envoyé représanter la plaincte du navyre françoys, nommé le
_Saulveur_, qui a esté prins par les Angloix en revenant de Naples, à
la dicte Dame, sellon l'article que m'en avez faict en une lettre du
Xe du passé, et sellon une relation que ceulx de St Malo m'en ont
envoyée, avec la justiffication de leurs derniers exploitz qu'ilz ont
faict sur mer, lesquels je ne sçay comme je les pourray fère bien
prendre à ceulx qui s'en pleignent icy fort amèrement. J'estime, Sire,
qu'il est expédient de fère voyr cest affère à la justice, affin de
conserver la paix et entretenir le commerce d'entre ces deux
royaulmes.

Le voïage de Me Henry Cobhan pour Espaigne avoit esté réfroidy, mais
je viens de sçavoyr qu'il s'effectuera bientost, et qu'on l'a honnoré
de quelque tiltre affin de luy fère tenir meilleur lieu par dellà.
J'entendz que, le jour de la Madeleyne, un françoys, naguyères party
de Basle, est arryvé en ceste ville, feignant qu'il y venoit chercher
Mr de Méru, néantmoins il a incontinent passé oultre vers Mr de
Walsingam, à la court. Je ne sçay qu'il y praticquera, et croy bien
qu'il y trouvera assez de ceulx qui vouldroyent favoriser la guerre en
vostre royaulme; mais j'espère qu'il n'impètrera, pour tout cella, ny
les hommes, ny les vaysseaulx, ny tant d'argent de ceste princesse
comme il voudroit; laquelle m'a faict prier, touchant ce que luy aviez
escript pour James d'Esmont, dict Fitz Maurice, que je vous veuille
mander comme elle, ayant cy devant envoyé au gouverneur de la province
où il a commis la trahison contre elle, son pardon, et n'ayant, luy,
voulu ny daigné aller vers le dict gouverneur pour le demander et
l'accepter, elle ne peut, avec son honneur, luy en concéder ung
aultre, et que de cella elle remect à Vostre Majesté d'en estre juge.

Je me resjouys infinyement du retour du Sr de Misery et de
l'acheminement des depputez. Je croy qu'ilz ne viennent pas, sans
apporter une modération de leurs premières demandes, et sans ung
suffisant pouvoir d'accepter les bonnes responces que Vostre Majesté
leur a desjà faictes, ou bien celles, si besoing est, que voudrez
encores leur fère. Et depuis deux jours, est arryvé, icy, ung de la
Rochelle, qui assure avoyr veu partyr les Srs de Mirambeau et de
Bessons pour aller rencontrer les aultres depputés, portans bonne
instruction de ceulx de ce quartier là à la paix. Néantmoins il court,
icy, ung bruict sourd que, en Ollande, a esté mis en dellibération,
touchant la guerre de vostre royaulme, que, si le prince d'Orange veut
entreprendre d'y marcher en faveur des eslevez, et passer en armes par
le Brabant, Aynaut et Artoys, affin d'eslever ces peuples là, que
iceulx de Ollande le secourront de deux centz mille florins contantz;
mais parce que Vostre Majesté doibt avoyr notice de cella, s'il est
vray, par une plus seure voye que la mienne, je n'en toucheray, icy,
davantage. Sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, estimant qu'il n'y a poinct de mal que ceulx cy soyent détenus
en quelque suspens de ne pouvoir, du premier coup, descouvrir le fonds
de l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes touchant le propos
qu'ilz m'ont naguyères renouvellé, je leur allègue tousjours quelque
occasion du juste retardement de vostre responce; qui seray bien ayse
que je ne soys pressé de ne leur en dire rien davantage jusques à ce
que Voz Majestez m'ayent ung peu plus expressément respondu aux
particullaritez que je leur en ay depuis escripte, du XIIIe du passé,
et mesmement sur ce que le comte de Lestre m'a fort considérément dict
que, s'il venoit aulcune bonne response de dellà pour le dict propos,
il n'estoit pas hors d'espérance qu'il ne fût celluy qui iroyt
apporter la jarretyère au Roy, vostre filz. Et cependant je ne veulx
obmettre, Madame, de très humblement vous remercyer pour la tant
expresse déclaration, qu'il vous a pleu me fère, du contantement que
Voz Majestez ont de mon service, et de l'assurance que me donnez de la
venue de mon successeur, et de me fère avoyr quelque récompense: qui
sont troys choses que Vostre Majesté adaptera à la nécessité d'ung
gentilhomme qui en a plus de besoing que nul aultre qu'ayez jamays
employé au service du Roy ny au vostre, et qui, sans me confier par
trop de mes mérites passez, desire encores de le mériter davantage par
nouveaulx services que j'essayeray de vous fère à toutz deux, les
meilleurs et avec le plus de soing et de dilligence que mon aage et ma
santé le pourront porter, et tousjours avec une singullière fidellité:
et par exprès, Madame, j'auray à jamays, pour l'effet que me ferez
sentir de ces troys choses que j'ay dict cy dessus, une immortelle
obligation à Vostre Majesté. Et sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.



CCCCLXIVe DÉPESCHE

--du VIe jour d'aoust 1575.--

(_Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Communication confidentielle, faite par l'un des seigneurs du
    conseil à l'ambassadeur, de la bonne disposition d'Élisabeth au
    sujet de son mariage avec le duc d'Alençon.--Nécessité de faire
    une nouvelle proposition de l'entrevue, si le roi desire que ce
    mariage s'effectue.--Résolution prise en Angleterre d'attendre
    une réponse du roi à cet égard, avant de désigner le seigneur
    qui portera au roi l'ordre de la Jarretière.


    AU ROY.

Sire, par la dépesche que je vous ay faicte, du premier du présent,
j'ay réytéré en la lettre de la Royne, vostre mère, à ce que, du
tréziesme auparavant, je vous avoys escript, comme le comte de Lestre
m'avoit ouvertement déclaré que, s'il venoit quelque bonne nouvelle de
France, sur la reprinse du bon propos de sa Mestresse, qu'il espéroit
estre celluy qui vous yroit apporter la jarretyère. Sur quoy attandant
qu'il vous playse me mander ce que j'auray à luy respondre, je ne
m'advance pas de rendre encores l'autre responce que m'avez mandée du
Xe auparavant, touchant le principal du dict propos, parce qu'il
semble que voz présentz affères ne perdent rien de laysser cella en
quelque suspens, et aussy que l'on ne me presse beaucoup d'y
respondre. Néantmoins ung des premiers et fort principal personnage de
ce royaulme m'a secrettement adverty que la Royne, sa Mestresse, ayant
ung jour, à Quilingourt, faict appeller en sa chambre ceulx de son
conseil pour, entre autres choses, fère l'élection de celluy qui vous
apporteroit la dicte jarretyère, elle et eulx, par occasion, là
dessus, avoyent ramené en mémoyre l'estat de tout l'autre principal
propos, et que la matière en avoit esté si avant débatue qu'on avoit
jugé expédient de ne nommer encores pas ung pour ceste légation,
jusques à ce qu'on eût ung peu mieulx cognu de quelle intention Vostre
Majesté seroit vers le dict bon propos, affin que, sellon cella, elle
peût, de plusieurs seigneurs de sa court, eslyre lors celluy qu'ilz
estimeroyent le plus propre pour bien négocyer cest affère; et qu'il
me vouloit bien dire qu'il avoit fort profondément sondé le cueur de
sa Mestresse en cest endroict, et qu'il trouvoit, en somme:

Qu'elle ne sçavoit à quoy bonnement se tenir de l'intention de Vostre
Majesté; car, parce qu'elle m'avoit tousjours cognu d'une prompte et
grande affection à l'entretènement de vostre mutuelle amityé, et à
vouloyr, tout ainsy que Voz Majestez estoyent unis par la ligue, vous
unyr encores davantage par alliance; et que, toutes les foys que le
feu Roy, vostre frère, m'en avoit commandé quelque chose, je la luy
avoys non seulement fort volontiers communicquée, mais luy avoys
tousjours admené beaucoup de raysons pour l'y persuader, voyant, à
ceste heure, que je ne monstroys plus nulle challeur en cella, elle
creignoit que Vostre Majesté n'en y eût poinct aussy; néantmoins
qu'elle vouloit croyre fermement que le feu Roy, et la Royne, sa mère,
avoient jusques icy, ainsy que je l'avoys tousjours assuré, procédé
d'une fort droicte intention à vouloir, avec leur honneur et dignité,
fère tout ce qu'ilz pourroyent pour conduyre l'affère à bonne fin, et
qu'ilz avoient demandé ung saufconduict pour l'entreveue, lequel elle
leur avoit une foys accordé, et depuis n'en avoit jamays faict de
refus; dont restoit maintenant en Vostre Majesté d'y procéder sellon
ces dernières erres, sinon que, pour aulcuns respectz et accidantz, il
vous fût survenue nouvelle occasion de ne le vouloyr poinct;

Et que c'estoit tout ce qu'il avoit peu tirer de la dicte Dame, par où
je pouvois voyr qu'elle estimoit avoyr bien accomply, de son costé, ce
qui touchoit à cella, et qu'elle attandoit, à ceste heure, comme vous
entendiez d'y cheminer, du vostre; et que, là dessus, il me vouloit
privéement déclarer son opinyon, qui estoit: que, sans remémorer
l'amplitude de l'estat ny les excellantes grâces de sa Mestresse, qui
estoyent choses notoyres, ny la cognoissance que Vostre Majesté et la
Royne, vostre mère, aviez que celluy qui se vouloit rendre possesseur
d'une telle princesse, et posséder avec elle toute sa grandeur, la
debvoit, avec beaucoup de soing et avec beaucoup de respectz, très
dilligemment poursuyvre, il jugeoit nécessayre, puisque le poinct de
l'affère estoit maintenant tout en vostre main, si d'avanture je
pensoys que Vostre Majesté y eût encores de l'affection, que tout
promptement je vous escripvisse de demander encores l'entreveue, comme
chose avec laquelle le bon effaict s'en pourroit facillement
ensuyvre, et sans laquelle jamays ne s'ensuyvroit; et que, sellon la
dilligence que je vous ferois mettre en cella, se pourroit cognoistre
s'il restoit de la disposition, ou non, de vostre costé; car la
prolongation ne servoit que de confirmer aulx ennemys les argumentz
qu'ilz faisoient contre ce propos, et de mettre les amys en quelque
doubte de vostre sincérité; et confessoit estre l'ung de ceulx qui
avoient consulté la dicte Dame de ne nommer poinct le personnage
qu'elle vouloit envoyer en France jusques à ce qu'elle sceût
playnement le cueur de Vostre Majesté, affin de fère allors plus
seurement l'élection; car jugeoit n'estre aulcunement raysonnable
qu'elle fît partyr ung qui seroit pour résouldre cest affère, sinon à
bien bonnes enseignes; et, si elle perdoit la présente occasion de la
jarretyère, elle n'espéroit, de longtemps, d'en recouvrer une aultre
si honnorable, ny qui peût estre si à propos; et que, quand luy et
ceulx qui, comme luy, avoient grande dévotion à cest affère,
pourroient avoyr quelque cognoissance de la vraye et certayne
intention de Vostre Majesté, je ne fisse nul doubte qu'ilz n'y
employassent lors tous les bons moyens et addresses qui s'y pourroient
desirer; me priant d'uzer bien secrettement et avec discrétion, de
cestuy sien conseil, qui estoit sans le sceu de nul aultre de la
compagnye; et qu'il avoit congé d'aller estre quelques jours en sa
maison, mais qu'il seroit tout à temps de retour à la court pour
servir, aultant qu'il luy seroit possible, en cest endroict.

Voilà, Sire, la substance et les propres termes, en brief, de tout ce
qu'il m'a plus au long escript; qui ay retenu l'original de sa lettre
devers moy, et ne luy ay poinct faict de responce. Mesmes j'avoys une
foys dellibéré de n'en rien mander à Vostre Majesté, parce que celle
vostre aultre responce, du Xe du passé, sembloit assez y satisfère;
mais il ne faut rien tayre à son prince, comme je ne luy ay jamais
faict, ny suis pour jamays le fère. Sur ce, etc.

    Ce VIe jour d'aoust 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, ceste dépesche, que je fay présentement à Voz Majestez, est
pour leur fère entendre le contenu d'une lettre qu'ung des premiers et
principaulx milords de ce royaulme m'a escripte, à laquelle je ne luy
ay rien respondu, et si, ay esté en doubte si je la debvoys
entièrement réserver secrette devers moy, affin de ne remuer rien plus
en ung affère qui a esté plusieurs foys en vain essayé, et lequel je
ne sçay comme, à présent, il est agréable de vostre costé. Mais
considérant qu'il fault révéler toutes choses à Voz Majestez, et
elles, puis après, en ordonneront comme il leur plerra, et que
d'ailleurs, le personnage qui m'a escript est de tel poix et gravité,
et si retenu, qu'il ne dict rien à la volée ny sans bon fondement,
j'ay enfin prins ceste résolution qu'il ne vous en seroit rien
dissimulé. Et seulement je me suis abstenu de vous y adjouxter rien de
mon adviz parce que Vostre Majesté void tout à cler ce qui est de
dellà, et juge mieulx de ce qui est icy que je ne sçauroys fère; et ne
diray que ce mot que ceulx cy temporizeront indubitablement d'envoyer
l'ordre jusques à ce qu'ilz pourront avoyr eu quelque notice de
l'intention de Voz Majestez en cest endroict. Et sur ce, etc.

    Ce VIe jour d'aoust 1575.



CCCCLXVe DÉPESCHE

--du XIIIe jour d'aoust 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Nouveaux armemens faits en Angleterre.--Prochain départ de sir
    Henri Sidney pour l'Irlande.--Temporisation de Me Quillegrey à
    Barwich.--Maladie de sir Henri Coban.--Exécution à Londres de
    plusieurs Hollandais brûlés vifs pour cause
    d'hérésie.--Méfiance que doivent inspirer les nouveaux
    préparatifs des Anglais, et un envoi d'argent fait par
    Élisabeth en Allemagne.


    AU ROY.

Sire, ayant sceu que l'admyral d'Angleterre et le gardien des cinq
portz, avec les principaulx officiers de la marine, s'estoyent
assemblés, la sepmayne passée, à Rochester, où sont les grands navyres
de ceste princesse, comme pour y ordonner d'ung armement à fère
quelque entreprinse, j'ay envoyé sçavoyr ce qui en estoit; et m'a l'on
rapporté qu'on y avoit commandé de mettre promptement huict des grands
navyres en estat pour estre prestz de sortir dans dix jours, toutes
les foys que le commandement en seroit venu; mais qu'on n'avoit
encores rien ordonné de l'advytayllement, et que seulement le dict
admiral, estant au dict lieu, avoit envoyé surprendre, en l'embouchure
de la Tamise, deux vaysseaulx, où y avoit sept ou huict gentilhommes
de bonne qualité, angloix, qui pensoient se desrober de ce pays,
lesquelz il a ramenez et sont réservez soubz quelque garde; et qu'il
s'apprestoit bien envyron vingt quatre ou vingt cinq vaysseaulx, en
demy équippage de guerre, dans ceste rivyère, par des particulliers,
qui disoyent vouloir aller, les ungs en Hespaigne, les aultres en
Portugal, et les aultres en Barbarye, pour faict de marchandise; dont
nous verrons, de jour à l'aultre, ce qui s'en fera. Il semble que, de
ceste année, il n'y a pas grande flotte pour les vins à Bourdeaulx,
parce que ceste princesse a très rigoureusement deffendu qu'on ne
puisse vendre ny achapter en Angleterre, toutz frays et subsides
payez, plus haut de dix livres d'esterling la tonne de vin, qui sont
cent livres tournoys, là où, à présent, il se vent bien au double.

Le sire Henry Sidney s'en va, du premier jour, passer en Irlande, où
l'on pense qu'il y réduyra les choses, et qu'il remettra facillement
tout le pays en l'obéyssance de ceste couronne, et le comte d'Essex
s'en retournera.

Me Quillegreu a temporisé, plus longtemps qu'on ne m'avoit dict, à
Barwic, à cause de ce désordre naguyères survenu entre les gardiens
des deux frontyères, et s'il n'en est party depuis dix jours, il y est
encores. La Royne d'Escosse se porte bien et cuydoyent aulcuns que la
Royne d'Angleterre, sa cousine, s'estant approchée à une journée et
demye d'elle, la deût voyr; mais j'entendz que seulement elle l'a
envoyée visiter. Me Henry Cobhan, en attandant, icy, sa dépesche pour
Espaigne, est tombé malade; néantmoins il espère partyr, aussytost
qu'il se portera ung peu bien, et dellibère de fère son chemin par
France.

L'on a brullé, ces jours passez, en ceste ville, aulcuns Ollandoys
pour cause d'hérésye, parce qu'ilz ne se sont voulus desdire,
soubstenans, entre aultres erreurs, qu'il n'estoit loysible aulx
Chrestiens d'exercer magistrat.

Je ne veulx pas, Sire, après tant de bonnes parolles et de bonnes
démonstrations que j'ay naguyères eues de ceste princesse et des
siens, sur la continuation de la ligue, les souspeçonner légèrement;
néantmoins ayant sceu que, de trente mille livres d'esterling, que la
dicte Dame a dernyèrement empruntés de ceulx de Londres, en ayant
receu contant vingt mille, et icelles ordonnées pour la guerre
d'Irlande, je crains que des aultres dix mille, lesquelz elle a envoyé
remettre en Hambourg, que, si elles ne sont distribuées aulx
pensionnayres qu'elle a en Allemaigne, ou bien employées en l'acquit
de quelque vieulx partis qu'elle doibt encores par dellà, qu'elles ne
soyent convertyes à fère une levée de reytres en faveur des eslevez de
vostre royaulme; et que ceste somme soit celle partye de deniers qu'on
dict qu'elle est obligée de contribuer en la ligue des princes
protestantz pour la deffance de leur religyon, sellon qu'on m'a assuré
qu'il est convenu, par articles exprès, avec les dictz princes
protestantz que, toutes les foys et pour aultant de vingt mille escus
qu'on leur pourra fère fournir en deniers contantz, ilz seront tenus,
dans certains jours après, de fère marcher autant de troys mille
reytres ou en France ou en Flandres, là où le besoing en sera cognu
plus grand; dont Vostre Majesté pourra, par quelqu'ung de ses
serviteurs en Allemaigne, fère observer cella.

Je ne puis vériffyer que Mr de Méru ayt emporté plus grande somme de
ceste court que les douze centz angelotz que cette princesse luy a
donnez; et encores m'a l'on dict que le présent, à la fin, a esté
restreinct à six centz angelotz.

Je parachevoys cest article quand la dépesche de Vostre Majesté, du
XXIXe du passé, est arryvée, de laquelle j'uzeray en la façon qu'il
vous plaist me le commander, la première foys que j'iray retrouver
ceste princesse; et incontinent après, je vous manderay ce qu'elle
m'y aura respondu. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'aoust 1575.



CCCCLXVIe DÉPESCHE

--du XXe jour d'aoust 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo._)

  Arrivée de Mr de Mauvissière en Angleterre.--Refus du roi
    d'accepter les offres faites par le capitaine Bathe d'une
    entreprise contre l'Angleterre.--Préparatifs des Anglais pour
    se tenir prêts à une expédition.--Réclamations réciproques à
    raison des prises.--Sollicitations de l'ambassadeur afin qu'il
    lui soit envoyé de l'argent.--Mission qui lui est donnée de se
    rendre auprès de Marie Stuart et de passer en Écosse.


    AU ROY.

Sire, parce qu'il y a huict jours que je ne fay, d'heure à aultre, que
regarder si Mr de Mauvissyère arryvera, pour le conduyre incontinent
devers la Royne d'Angleterre, laquelle est encores bien loing en son
progrès, je temporise d'aller parler à elle du contenu de la dépesche
de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, jusques à ce qu'il soit icy,
affin de fère de tout ung; mais venant de sçavoyr par le Sr de Vassal,
lequel ne faict que d'arryver, que le dict Sr de Mauvissyère est desjà
en Angleterre, de quoy je loue Dieu de bon cueur, j'espère que, dans
ung jour ou deux, nous yrons toutz deux trouver la dicte Dame.

Cependant je ne puis sinon bien fort approuver ce que la Royne, vostre
mère, a prudemment advysé de rejetter les offres du cappitayne Bathe
comme malhonnestes, et louer infinyement vostre vertu de les avoyr de
mesmes mesprisées; car c'est sellon que voz promesses et l'obligation
de vostre foy et de vostre sèrement le requièrent, et je mettray peyne
de fère voyr à ceste princesse combien ces deux honnorables actes,
que luy avez uzé touchant le sire James Fitz Maurice et cestui cy,
méritent qu'elle s'acquite de mesmes honnorablement vers Vostre
Majesté. Et vous diray, Sire, que j'ay opinyon qu'il y avoit de
l'artiffice beaucoup ez offres du dict Bathe, et qu'il cherchoit comme
il pourroit trouver le moyen de provoquer sa Mestresse contre vous, et
non pas comme il pourroit nuyre à elle, sellon qu'il y en a assez, en
ceste court, qui luy en pouvoient avoyr bayllé l'instruction; car,
après s'estre eschappé des mains du grand commandeur de Castille, qui
l'avoit détenu dix huict moys en prison, à cause qu'il le
souspeçonnoit d'estre passé en Flandres pour tuer, de guet à pens, le
comte de Vesmerland, aussytost qu'il a esté de retour par deçà, l'on
l'a receu et favorizé en ceste court, et ceulx qui manyent les affères
ont persuadé à ceste princesse de luy ordonner une pencion de deux
centz escuz, l'an, pour toute sa vye, et il ne venoit que de recepvoyr
ce bienfaict d'elle quand il est passé en France, avec ce, que je ne
pense poinct qu'il ayt eu communicquation avec le comte de Quildar,
car l'on l'observe de trop près, ny le dict comte ne se fût jamays
commis à luy, car il n'est nullement léger. Mais, quand au cappitayne
Morguen, de tant que son offre ne tend à rien qui soit contre sa
Mestresse ny contre son pays, ains d'exécuter quelque entreprinse
qu'il dict estre d'importance, et laquelle il estime pouvoir conduyre
à bon effect pour le service de Vostre Majesté contre ceulx de la
Rochelle et les eslevez de vostre royaulme, elle semble avoyr plus
d'apparance que l'autre.

Néantmoins luy et les autres cappitaynes angloix, qui sont icy, sont à
présent retenus pour la guerre d'Irlande, de peur que le dict sire
James Fitz Maurice n'y repasse pour y brouyller les affères. Et puis
il semble qu'encor que ceste princesse et les siens ne monstrent pas
qu'ilz soyent beaucoup offancez de ce que les Escossoys ont faict en
l'assemblée des gardiens de la frontyère du North, ilz en réservent
néantmoins une vengeance dans le cueur contre eulx, et si, ont quelque
opinyon qu'ilz ayent esté meus à uzer de ceste audace par quelque
conseil de France; ce qui faict qu'ilz caressent davantage leurs
cappitaynes et leurs soldatz, estimantz qu'ilz en auront bientost à
fère. Et depuis troys jours, ilz ont faict sortir troys grands navyres
de guerre, de ceulx que je vous ay mandé qu'on apprestoit, et ont
envoyé revisiter les fortz qui sont le long de la coste d'Ouest, qui
regarde la France, affin de les mettre promptement en deffance, et les
garnyr d'artillerye et de monitions et de gens de guerre, ung peu
mieulx que de l'ordinayre, sur quelque souspeçon qu'ilz ont que ce,
que Vostre Majesté a commandé d'armer des vaysseaulx par dellà pour
assurer la mer contre les pirates, ayt quelque aultre chose de caché
là dessoubz; de quoy je les mettray bien hors de peyne sur l'assurance
de l'amityé que leur avez jurée, si, d'avanture, ilz daignent m'en
parler.

Mr de Walsingam me vient d'escripre, du XIIIe de ce moys, que je
vueille refraischir à Vostre Majesté la plaincte des marchandz de
Londres contre les habitans de St Malo, parce que la Royne, sa
Mestresse, en est pressée; et que, quand à la plaincte du sire
Lacheroy, de Roan, de laquelle Vostre Majesté m'a naguyères escript,
il me mande que la dicte Dame a commandé à son ambassadeur par dellà
d'y regarder, et d'en accommoder l'affère sellon que, par les preuves
et vériffications du procez, il cognoistra qu'il se debvra fère.

Au surplus, Sire, je reste le plus confus gentilhomme de toutz ceulx
qui sont à vostre service pour n'avoyr receu, par le Sr de Vassal,
aulcune provision d'ung seul denier de Vostre Majesté, pour me
désangager d'icy, qui suis en danger d'y souffrir une très grande
honte au préjudice de la réputation de voz affères, par la rigueur que
justement m'uzeront, à ceste heure, ceulx à qui je doibs; qui vous
supplye très humblement, Sire, y vouloir pourvoyr, et avec ce qui en
peut toucher à la dignité de vostre service, avoyr compassion de
l'extrême nécessité de vostre serviteur.

Je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour avoyr la permission
d'aller visiter la Royne d'Escosse et Monsieur le Prince, son filz, de
la part de Vostre Majesté, et vous y feray tout le service qu'il vous
plaist me commander, sans y espargner ma santé ny mesmes ma vye, s'il
est besoing; mais il n'est pas possible que, sans qu'il vous playse me
fère envoyer de l'argent, je puisse frayer au voïage. Et sur ce, etc.
Ce XXe jour d'aoust 1575.



CCCCLXVIIe DÉPESCHE

--du XXVIIe jour d'aoust 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Callays par la voye du Sr Acerbo._)

  Nouvelle répandue à Londres de l'entrée en France du prince de
    Condé avec une armée.--Secours d'argent donné aux protestans de
    France et d'Allemagne par les églises d'Angleterre.--Incursion
    des Anglais sur les frontières d'Écosse.--Craintes pour Marie
    Stuart.


    AU ROY.

Sire, depuis huict ou dix jours en çà, la Royne d'Angleterre n'a
poinct arresté en lieu de séjour, où nous ayons peu avoyr accez à
elle, et n'en y aurons jusques à mardy prochain, trentiesme de ce
moys, que nous l'yrons trouver à Wodstok, à cinquante mille d'icy, où
j'espère qu'elle acceptera agréablement Mr de Mauvissière en ma place,
ainsy que desjà il a bien cognu, par des démonstrations que mylord
trésorier luy a faictes, qu'il sera receu avecques toute faveur d'elle
et de ceulx de son conseil. Dont je juge bien que, sellon la
dilligence qu'il mect de s'instruyre et de se bien informer de toutes
choses d'icy, et pour la bonne affection qu'il monstre avoyr à vostre
service, qu'il vous en fera de très bon et très fidelle; en quoy de
tout ce que je sçay et que je cognoistray luy pouvoyr donner lumyère
en ceste charge que luy avez commise, je vous supplye très humblement,
Sire, de croire que je n'y manqueray nullement. Et après que nous
aurons parlé à la dicte Dame, nous vous ferons incontinent sçavoyr ce
que nous aurons apprins d'elle et des siens, sur les particullaritez
que nous avez commandé leur proposer.

Et vous diray cependant, Sire, que la nouvelle, qui court icy, que le
Prince de Condé est desjà entré en vostre royaulme avec ung nombre de
reystres, donne quelque chaleur à des particulliers de ce royaulme de
s'esmouvoyr; et est certain que, oultre les trois navires de ceste
princesse, que je vous ay dernièrement escript qui estoient sortis en
mer, il y en a cinq de Hacquens, de Thomas Cobhan, de Forbicher et de
quelques aultres cappitaynes de mer, qui, dans trois ou quatre jours,
doibvent sortir de ceste rivyère en équippage de guerre, et ne se
sçayt encores où s'addresse leur entreprinse; néantmoins nous en
donnons présentement advis aulx gouverneurs de dellà affin qu'ilz en
demeurent apperceus.

Il a esté faicte une secrette ceuillette de deniers par les églyses de
ce royaulme, qui monte envyron cinq mille livres esterling, c'est dix
huict mille escus, qui doibvent estre prestz en angelotz ez mains
d'ung marchant de ceste ville, le premier jour du moys prochain; et
présument aulcuns que c'est pour secourir le prince d'Orange, lequel
n'a renvoyé si malcontant le docteur Roger, naguyères envoyé d'icy
devers luy, comme l'on le publioit; ains j'ay naguyères comprins de
certains propos que le docteur fiscal de Bruxelles m'a tenus, lequel
j'ay convyé à dîner avec Mr de Mauvissière, que le dict Roger avoit
porté offre du dict prince de mettre des places de Hollande et Zélande
ez mains de ceste princesse, si elle vouloit prendre la protection du
pays, ou aultrement qu'il s'iroit getter ez mains de Vostre Majesté,
parce qu'il ne pouvoit plus supporter la guerre; mais, de tant que je
n'ay encores la certitude de ce faict, et que, s'il est vray, vous en
avez assez de certitude d'aylleurs, je ne m'en estendrai davantage.

Et adjouxteray seulement, icy, que les Angloix sont entrés en armes
dans la frontière d'Escoce, pour revencher l'injure que les Escossoys
leur avoient faicte; dont, pour accommoder cella, j'entendz que le
comte de Houtinthon, président du North d'Angleterre, et le comte de
Morthon se doibvent bientost assembler, ce que j'ay grandement suspect
pour la personne de la Royne d'Escosse; car ce sont les deux plus
viollantz ennemys qu'elle ayt en ces deux royaulmes. Me Quillegreu a
desjà veu le dict Morthon, et croy qu'il se trouvera à cest
abouchement; et m'a l'on dict qu'il praticque une nouvelle levée
d'Escossoys pour la fère passer du premier jour, en Hollande. Et sur
ce, etc.

    Ce XXVIIe jour d'aoust 1575.



CCCCLXVIIIe DÉPESCHE

--du Xe jour de septembre 1575, à Oxford.--

(_Envoyée exprès jusques à Callays par Jehan Mounyer._)

  Audience de présentation de Castelnau de Mauvissière.--Reprise de
    la négociation du mariage.


    AU ROY.

Sire, le dernier du moys passé, j'ay présenté en ce lieu, de Vuodstok,
Mr de Mauvissière à la Royne d'Angleterre, et luy ay dict que,
m'ayant, Vostre Majesté, octroyé mon congé, vous l'aviez envoyé pour
me succéder en ceste charge, et espériez que l'élection luy en
playroit, sellon que vous l'aviez ainsy expressément faicte, affin
qu'elle luy pleût en toutes sortes, et qu'elle cogneût que vous aviez
bien voulu mettre ung ambassadeur prez d'elle, duquel, oultre l'estime
que vous aviez de sa suffizance, pour estre ung gentilhomme de
longtemps versé en affères d'estat, qui avoit eu de bien honnorables
commissions, en paix et en guerre, et aulcunes vers elle, dont il
s'estoit tousjours dignement acquité, et oultre, aussy, que vous le
teniés pour très loyal serviteur, duquel vous aviez esprouvé le cueur
estre bon et droict vers vostre service, et bien incliné aulx choses
bonnes, voyre, à celles qui estoient meilleures, vous sçaviez qu'il
estoit bien affectionné et dévot aux rares et excellantes vertus qu'il
avoit cognues, et souvant publiées, de la dicte Dame; et que luy
ayant, Vostre Majesté, fort expressément commandé de la révérer, et de
luy complère en tout ce qu'il luy seroit possible, il estoit venu pour
nullement n'y faillyr;

Que, de ma part, je m'en retourneroys, avec son bon congé, retrouver
Vostre Majesté, et que, si je ne m'estois rendu indigne des grâces et
faveurs, dont elle m'avoit obligé, tout le temps que j'avoys résidé
par deçà, je la supplioys d'y obliger davantage le dict Sr de
Mauvissière.

Et là dessus, il luy a présenté voz lettres et recommandations, et luy
a, d'une fort bonne et fort agréable façon, expliqué la créance qu'il
avoit de Vostre Majesté pour la continuation de vostre commune amityé,
et pour la confirmation d'icelle, par le bon propos de Monseigneur
vostre frère, suyvant ce que la Royne, vostre mère, luy en escripvoit
de sa main. Et luy a déduict plusieurs raysons fort considérables pour
la mouvoir, et la rendre bien inclinée à vostre honneste desir.

A quoy, elle, après aulcunes parolles qu'il luy a pleu dire en quelque
recommandation de ma négociation passée, lesquelles ne me siéroient
bien de les escripre, elle en a dict plusieurs aultres bien bonnes du
gré, qu'elle vous sçavoit, de luy avoyr envoyé Mr de Mauvissière, et
qu'elle le recevoit aultant agréablement que gentilhomme qu'eussiez
sceu mettre en ce lieu. Ce qu'elle a davantage tesmoigné par des
caresses, faveurs et honnestes privautés, qu'elle luy a faictes.

Et sommes entrés en conférance des particullaritez du propos de Mon
dict Seigneur, vostre frère, avec la dicte Dame et avec les seigneurs
de son conseil; dont voicy la cinquiesme foys, aujourdhuy, que nous
sommes assemblez là dessus, avec elle et avec eulx, non sans beaucoup
d'oppositions et de difficultez qu'ilz nous font; lesquelles nous
essayerons d'oster, aultant qu'il nous sera possible, affin que nous
puissions tirer une bonne et aulmoins une clère résolution d'eux. Dont
Mr de Mauvissière la vous escripra et je la vous iray apporter; vous
voulant bien assurer, Sire, qu'il a si bien et si heureusement
commancé sa charge, et les choses d'icy monstrent de luy debvoir si
bien succéder que Vostre Majesté en peut espérer beaucoup de bon
service, et beaucoup de bon contantement; aydant le Créateur auquel,
etc. Ce Xe jour de septembre 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, vous entendrés par les lettres de Mr de Mauvissière, et par
celle que j'escriptz au Roy, les propos que nous avons eus avec ceste
princesse, le jour que je l'ay présenté, et que j'ay commancé de
prendre congé d'elle; qui, en substance, ont esté parolles de
courtoysie et d'honnesteté, qu'elle m'a uzé pour signiffier sa
satisfaction de ma négociation passée, et de quelque regrect de mon
partement, et d'aultres parolles non moins courtoyses ny moins
honnestes, ny de moindre faveur que celles là, à Mr de Mauvissière
pour luy dire qu'il fût le bien venu, et qu'elle avoit grand
contantement de l'élection que Voz Majestez ont faicte de luy; et que
très agréablement elle le recevoit vostre ambassadeur pour résider
prez d'elle. A quoy les principaulx seigneurs de ce conseil et toute
ceste court ont concouru d'une bonne démonstration d'affection vers
luy, et d'avoyr très bonne opinyon de luy. Il a expliqué fort
honnorablement sa créance à la dicte Dame, et luy a renouvellé le
propos de Monseigneur, vostre filz, aux plus exprès et approchans
termes qu'il s'est peu souvenir de ceux que Vostre Majesté a uzé en la
lettre qu'elle a escripte à la dicte Dame. Et elle les a prins de fort
bonne part. Et desjà nous avons, par quatre ou cinq foys, esté là
dessus en conférance avec elle et avec ceulx de son conseil; qui,
parmy des facillités, vous opposent tousjours des difficultez non
petites, lesquelles néantmoins regardent plus à vouloir éviter qu'à
vouloir fère le refus; et quand nous en aurons tiré quelque
résolution, Mr de Mauvissière la vous escripra, et je la vous iray
apporter. Et vous promectz, Madame, que je luy layrray l'entière
instruction de ce qui m'a escléré icy, et qui m'a guidé de vous fère,
en ce propos et aultres évènemens de deçà, le service dont monstrés
avoyr contantement: duquel je loue et remercye Dieu et le prye, etc.
Ce Xe jour de septembre 1575.



CCCCLXIXe DÉPESCHE

--du XXe jour de septembre 1575.--

(_Envoyée exprès jusques à Callais par Jehan Vollet._)

  Réponse d'Élisabeth sur la négociation du mariage.--Son refus de
    permettre à l'ambassadeur de visiter Marie Stuart et d'aller en
    Écosse.--Autorisation donnée aux neveux de La Mothe Fénélon de
    se rendre auprès de Marie Stuart.--Déclaration d'Élisabeth
    qu'elle n'a fourni aucun secours d'argent au prince de
    Condé.--Audience de congé accordée à
    l'ambassadeur.--Félicitations d'Élisabeth sur toutes les
    négociations dont il a été chargé.--Vif desir qu'ont les
    Anglais de recouvrer Calais, et de profiter des troubles de
    France pour s'en saisir.--État de la négociation du mariage qui
    peut être reprise pu abandonnée sans qu'il y ait à craindre une
    rupture avec l'Angleterre.


    AU ROY.

Sire, pendant que nous estions à négocyer, à Vuodstok, avec ceste
princesse et avec les seigneurs de son conseil, du propos de
Monseigneur, vostre frère, et de la visite que desiriés estre faicte,
de vostre part, à la Royne d'Escoce et au Prince, son filz, il nous
est arryvé deux dépesches de Vostre Majesté, l'une du XXe d'aoust,
par l'ordinère, et l'aultre, du dernier du dict moys, par le Sr
d'Assas, qui la nous a rendue le Xe d'estui cy. Et vous dirons, Sire,
que nous trouvons avoyr procédé, en toutes choses, ainsy proprement
que Vostre Majesté le desiroit; et avons enfin, au bout de dix sept
jours, rapporté de ceste princesse des responces, lesquelles, encor
que ne soient du tout telles que nous les demandions, elles ne
layssent d'estre bien honnorables et bien conformes à l'amityé, que
désirés continuer avec elle et ce royaulme; et si, vous mettent en
chemin de pouvoir estreindre davantage ceste amityé par le propos de
Monseigneur, si les choses sont bien prinses, et qu'on y aylle par les
moyens qu'ung si excellent acte le requiert.

Celluy de nous, qui demeurera, vous escripra dans quatre ou cinq
jours, bien au long, les termes où nous en sommes à présant; et
l'autre vous les yra apporter, et mettra peyne de vous représanter ce
que nous avons ensemblement veu et bien curieusement notté des
parolles et démonstrations de ceste princesse et de tous les siens,
pour y pouvoir, par Vostre Majesté, prendre une bien bonne et prompte
résolution.

La visite de la Royne d'Escosse a esté entyèrement dényée d'estre
faicte par vostre ambassadeur; mais il nous a esté octroyé que moy, La
Mothe, puisse envoyer mes nepveus porter les lettres de Vostre
Majesté, et satisfère en la meilleure et plus révérante façon qu'ilz
pourront à cestuy vostre compliment vers elle; dont ilz y sont desjà
allez, ensemble le Sr de Vassal, et ung des clercs de ce conseil qui
leur a esté baillé pour adjoinct; mais, quand au voïage d'Escoce,
après que nous l'avons eu aultant vifvement débattu qu'il nous a esté
possible, la dicte Dame nous a faict respondre qu'elle supplioit le
Roy de le vouloir fère différer pour ung peu de temps, à cause des
différents qui estoyent naguyères survenus en la frontyère, ezquels
elle estoit sur le poinct d'y mettre quelque accomodement, là où, par
ce dict voyage, ilz pourroient estre rendus plus difficiles.
Néantmoins, dans ung moys ou six sepmaynes, elle octroyeroit de bon
cueur le passeport pour tel gentilhomme qu'il playroit à Vostre
Majesté y envoyer.

Et touchant la remonstrance, que nous luy avons faicte, sur l'advis
qu'on vous avoit donné que le Prince de Condé commançoit de marcher
par les moyens qu'il avoit eus d'elle en deniers contantz, ou en
crédict, ce que vous ne pouviez ny vouliez si mal croyre de la foy et
promesse d'une telle princesse, elle nous a respondu qu'elle ne
pouvoit empescher qu'on ne feît courir tels bruictz, et qu'on ne se
vantât de beaucoup de choses d'elle, en parolles, et pour authoriser
les entreprinses qu'on faisoit là dessoubz, qui pourtant n'en estoit
rien en effect; et qu'elle promettoit à Dieu, et juroit, en sa
conscience, qu'elle n'avoit bayllé argent ny moyens, ny conseil
aulcun, contre Vostre Majesté, et n'avoit volonté, ny intention, de le
fère, tant que seriés en bonne intelligence et confédération avec
elle; mais qu'elle vous vouloit bien advertyr que d'aultres moyens
plus grands et meilleurs que les siens ne deffailloient à ceulx de la
nouvelle relligyon pour continuer la guerre; et, si les choses ne
venoient à la paix, que vous fissiez ardiment estat d'avoyr le plus
grand et le plus pesant affère, qui fût aujourdhuy au monde, sur les
bras, et qui estoit si appuyé en vostre propre royaulme, et ez aultres
partz de la Chrestienté, qu'il seroit pour affoiblir et miner le
propre empire romain, s'il estoit encores en estat; et que pourtant
elle ne pouvoit cesser de vous desirer la paix, et de vous prier qu'en
la prenant bonne et utille pour vous, vous la voulussiés donner seure
et stable à toute la Chrestienté, sellon qu'elle pensoit que vous le
pouviez fère.

Sur quoy, ayantz respondu à ung mot que nous sçavions certeynement que
Vostre Majesté n'avoit aulcun plus grand desir, en ce monde, qu'à la
paix, ny n'estiés en rien plus résolu, si ne la pouviés avoyr bien
honnorable, ny mieux préparé qu'à la guerre, nous avons couppé cella
bien court.

Et nous ayant, la dicte Dame et tous les siens, uzé de nouveau à toutz
deux beaucoup de courtoysie et bien honnestes faveurs pour la plus
ample réception de l'ung et le congé de l'autre, nous nous sommes fort
gracieusement licenciez d'elle. Et estans de retour en ce lieu, nous
avons eu aulcunement suspect ung payement de vingt mille livres
sterling, qui sont deux centz mille livres tournois, qu'on nous a
advertys qui se doibvent fournyr par lettres d'eschange, sur le
crédict de Me Grassen, facteur de ceste princesse, et d'aulcuns
aultres principaulx marchands de Londres, le premier jour d'octobre
prochain, en Anvers, ez mains d'ung Hervé, angloix; et creignons assés
que cella aylle en Allemaigne pour le payement des levées du Prince de
Condé, bien que aulcuns nous assurent que non, et que ces deniers vont
à aultre effect, et qu'il ne y a rien contre Vostre Majesté, mais nous
mettrons peyne de le mieux vériffier.

Il est bien vray que ceulx cy se monstrent, à ceste heure, sur ceste
descente des reystres en vostre royaulme, plus esmeus et eschauffés à
tenter quelque chose par dellà, qu'ilz ne faisoient; et nous a l'on
dict qu'ung des plus authorisés de ce conseil prétend de se signaler,
à ce coup, par des entreprinses qu'il pense si bien conduyre au
prouffit de ceste couronne que, pour le moins, Callays y demourera.
Dont y a des vaysseaulx de ceste princesse et d'aultres particulliers
en mer, mais nous n'estimons pas, attandu le petit et foible équippage
en quoy ilz sont, qu'ilz puissent fère grand effort, ny ne voyons,
pour encores, qu'il se prépare aulcun nouveau avitaillement de navyres
pour les suyvre, bien qu'à dire vray les navyres sont, de toutes
aultres choses, prestz. Néantmoins il sera tousjours bon que Vostre
Majesté face advertyr au dict Callays et à Boulogne, et au long de la
coste de dellà, qu'on s'y tienne bien sur ses gardes.

Tout le reste qu'aurions à vous escripre maintenant sera remis au
retour de moy, La Mothe, qui partiray aussytost que mes nepveus seront
de retour de devers la Royne d'Escoce, aydant le Créateur; auquel je
prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté
qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très
longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

    Ce XXe jour de septembre 1575.


    A LA ROYNE.

Madame, nous nous sommes conduictz en ceste négociation du propos de
Monseigneur, vostre filz, avec ceste princesse, par le meilleur ordre
et la plus grande pacience qu'il nous a esté possible; et avons esté
bien ferme ez poinctz que nous aviez commandez, jusques avoyr mené la
dicte Dame et ceulx de son conseil au fin bout de ceulx aulxquels ilz
sont résolus de demeurer; et sur lesquels la conclusion ou la ropture
s'en prendra; qui avons esté contans, pour aulcuns bons respects,
d'accepter les responces qu'elle mesme nous a faictes, qui sont bien
fort honnorables, et lesquelles, si on les considère bien, sont pour
vous apporter beaucoup de satisfaction et pour mettre en vostre main
de quoy parfère ou bien de quoy laysser ceste poursuite, sans
altération de l'amityé; ainsy que Vostre Majesté le verra par les
lettres que, moy, de Mauvissière, vous escripray, et que moy, de La
Mothe, vous iray apporter, et vous réciter toutes ces particullaritez
par le menu, aussytost que ceulx qui sont allez devers la Royne
d'Escosse seront de retour, qui sera bientost, Dieu aydant; auquel je
prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté
qu'il vous doinct, Madame, en parfaicte santé, très heureuse et très
longue vie et tout le bien et prospérité que vous desire.

    Ce XXe jour de septembre 1575.


    FIN DU SIXIÈME VOLUME ET DERNIER DES DÉPÊCHES
    DE LA MOTHE FÉNÉLON.



TABLE

DES MATIÈRES DU SIXIÈME VOLUME.


ANNÉE 1574.

                                                                  Pages
    359e _Dépêche._--5 janvier.--
      AU ROI.                                                        1
    Audience.                                                      _Ib._
    Négociation du mariage d'Elisabeth avec le duc d'Alençon.      _Ib._
    Avis d'une entreprise.                                           5
    Nouvelles d'Ecosse.                                            _Ib._
    Et d'Irlande.                                                    6

    360e _Dépêche._--12 janvier.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Nouvelles de la Rochelle.                                        7
    Négociation du mariage.                                        _Ib._

    361e _Dépêche._--18 janvier.--
      AU ROI.                                                       11
    Mission du baron d'Aubigny.                                    _Ib._
    Affaires d'Irlande.                                            _Ib._
    Nouvelles de la Rochelle.                                       12
      A LA REINE.                                                   14
    Négociation du mariage.                                        _Ib._

    362e _Dépêche._--26 janvier.--
      AU ROI.                                                       16
    Audience.                                                      _Ib._
    Conférence avec l'agent de la Rochelle.                         18

    363e _Dépêche._--3 février.--
      AU ROI.                                                       20
    Audience.                                                      _Ib._
    Négociation du mariage, consentement d'Elisabeth à une
    entrevue secrète.                                               22

    364e _Dépêche._--9 février.--
      AU ROI.                                                       24
    Audience.                                                       25
    Négociation sur l'entrevue.                                    _Ib._
      A LA REINE.                                                   29
    État de la négociation du mariage.                             _Ib._

    365e _Dépêche_.--15 février.--
      AU ROI.                                                       31
    Succès du prince d'Orange.                                     _Ib._
    Affaires d'Ecosse.                                              32
    Nouvelles de Marie Stuart.                                      34

    366e _Dépêche._--20 février.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Conférence avec Burleigh et Walsingham.                         35
    Affaires d'Irlande.                                             36
      A LA REINE.                                                   37
    Négociation du mariage.                                        _Ib._

    367e _Dépêche._--26 février.--
      AU ROI.                                                       39
    Conférence avec Leicester.                                     _Ib._
    Discontinuation des armemens.                                   43
    Dénonciation contre Marie Stuart.                               44

    368e _Dépêche._--5 mars.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Conférence avec les députés de Flandre.                         45
    Et avec l'agent de la Rochelle.                                 46
    Nouvelles d'Irlande.                                            48

    369e _Dépêche._--7 mars.--
      AU ROI.                                                       49
    Reprise d'armes en France.                                     _Ib._
    Avis d'une entreprise sur Calais.                               51

    370e _Dépêche._--17 mars.--
      AU ROI.                                                       52
    Audience.                                                      _Ib._
    Consentement du roi à l'entrevue.                               53
    Effet produit par la reprise d'armes en France.                 57
    Réponse d'Elisabeth sur l'entrevue.                            _Ib._

    371e _Dépêche._--23 mars.--
      AU ROI.                                                       61
    Troubles de France.                                             62
    Craintes inspirées par Montgommery.                            _Ib._
    Affaires d'Ecosse.                                              63
    Espoir pour Marie Stuart.                                       64

    372e _Dépêche._--28 mars.--
      AU ROI.                                                       61
    Mésintelligences à la cour de France.                           65
    Soupçons contre Montgommery.                                    67

    373e _Dépêche._--2 avril.--
      AU ROI.                                                       68
    Audience.                                                      _Ib._
    Descente de Montgommery en France.                              69
    Assurance d'amitié de la part d'Elisabeth.                      71

    374e _Dépêche._--6 avril.--
      AU ROI.                                                       73
    Protestation sur l'entreprise de Montgommery.                  _Ib._
    Armemens de Londres dirigés contre I'Espagne.                   75
    Nouvelles de Flandre et d'Ecosse.                              _Ib._
    Bonnes dispositions pour Marie Stuart.                          76

    375e _Dépêche._--15 avril.--
      AU ROI.                                                       77
    Prise de Carentan par Montgommery.                             _Ib._
    Négociation du mariage.                                         78

    376e _Dépêche._--19 avril.--
      AU ROI.                                                       80
    Motifs de Montgommery.                                         _Ib._
    Fuite du prince de Condé.                                       81
    Négociation faite par La Noue.                                 _Ib._
    Armemens des Anglais.                                           82
    Arrestation du duc d'Alençon et du roi de Navarre.              83

    377e _Dépêche._--24 avril.--
      AU ROI.                                                       83
    Audience.                                                       84
    Délibération du conseil.                                        90
      A LA REINE.                                                   91
    Désir d'Elisabeth de voir la paix succéder en France.          _Ib._
    _Mémoire._ Négociation de Montgommery et La Noue.               92

    378e _Dépêche._--30 avril.--
      AU ROI.                                                       94
    Nouveaux détails d'audience.                                   _Ib._
    Armemens faits à Londres.                                       95
    Nouvelles d'Irlande.                                            96

    379e _Dépêche._--3 mai.--
      AU ROI.                                                       97
    Audience.                                                      _Ib._
    Désignation du capitaine Leython pour passer en France.         99
      A LA REINE.                                                  101
    Recommandation d'un bon accueil pour le capitaine Leython.     102

    380e _Dépêche._--10 mai.--
      AU ROI.                                                      103
    Audience.                                                      _Ib._
    Complot de Saint-Germain, arrestation de Coconas et La Mole.   104
    Arrestation de Mrs de Montmorenci et de Cossé.                 109

    381e _Dépêche._--16 mai.--
      AU ROI.                                                      110
    Changement d'Elisabeth.                                        _Ib._
    Exécution de Coconas et La Mole.                               111
    Sollicitations de Montgommery.                                 112
    Audience.                                                      113
      A LA REINE.                                                  117
    Négociation du mariage.                                        _Ib._

    382e _Dépêche._--23 mai.--
      AU ROI.                                                      119
    Audience.                                                      120
    Continuation des armemens.                                     121
    Instructions de Leython.                                       _Ib._
    Nouvelles de Marie Stuart.                                     122

    383e _Dépêche._--29 mai.--
      AU ROI.                                                      124
    Armemens contre l'Espagne.                                     _Ib._
    Nouvelles d'Allemagne et d'Ecosse.                             125
    Expédition du capitaine Montdurant.                            126

    384e _Dépêche._--4 juin.--
      AU ROI.                                                      127
    Armemens de Me Grinvil.                                        _Ib._
    Résolution des Anglais de combattre la flotte d'Espagne.       129
    Avis d'un complot contre le roi.                               130

    385e _Dépêche._--8 juin.--
      AU ROI.                                                      131
    Audience.                                                      _Ib._
    Affaire de Coconas et La Mole.                                 133
      A LA REINE.                                                  138
    Nouvelle de la mort du roi.                                    _Ib._

    386e _Dépêche._--13 juin.--
    A LA REINE, RÉGENTE.                                           140
    Retard d'audience.                                             _Ib._
    Montgommery prisonnier.                                        142
    Succès de Montdurant.                                          143
    Reprise des armemens.                                          144

    387e _Dépêche._--18 juin.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         145
    Hésitation des Anglais.                                        146
    Nouvelles de France.                                           147
    Projet des Espagnols de s'emparer du prince d'Ecosse.          149

    388e _Dépêche._--21 juin.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         150
    Audience.                                                      _Ib._
    Communication de la mort du roi.                               _Ib._
    Projet sur Calais.                                             156

    389e _Dépêche._--27 juin.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         157
    Nouveaux détails d'audience.                                   _Ib._
    _Mémoire._ Changement dans la politique des Anglais.           160

    390e _Dépêche._--1er juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         162
    Proposition faite à Elisabeth de renouer
      l'alliance d'Espagne.                                        _Ib._
    Mécontentement de Leicester.                                   164
    Menaces de représailles sur mer.                               166
    Affaires d'Ecosse.                                             _Ib._

    391e _Dépêche._--3 juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         167
    Retour de Leython.                                             _Ib._
    Prise de Saint-Lô.                                             _Ib._
    Exécution de Montgommery.                                      _Ib._
    Intelligence de Marie Stuart et du roi d'Espagne.              168
    Plaintes des Anglais.                                          169
    Déclaration du conseil.                                        170

    392e _Dépêche._--8 juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         171
    Séance du conseil.                                             _Ib._
    Résolution d'user de représailles sur mer.                     172
    Réponse de l'ambassadeur.                                      175

    393e _Dépêche._--12 juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         178
    Reprise des armemens.                                          _Ib._
    Intrigues des Espagnols.                                       179
    _Mémoire._ Conférence avec Burleigh,
     Leicester et Walsingham.                                      181

    394e _Dépêche._--16 juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         183
    Suspension des armemens.                                       _Ib._
    Affaires d'Ecosse.                                             185
    _Mémoire._ Communication avec Leicester.                       _Ib._

    395e _Dépêche._--23 juillet.--
      AU ROI.                                                      187
    Félicitations sur le départ de Pologne.                        _Ib._
    Audience.                                                      189
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         190
    Nouveaux détails d'audience.                                   _Ib._
    Réclamations sur les prises.                                   196

    396e _Dépêche._--28 juillet.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         197
    Audience de Mendoce.                                           _Ib._
    Plaintes contre les Anglais attachés à
     l'ambassade en France.                                        199

    397e _Dépêche._--3 août.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         201
    Arrêt fait à Rouen.                                            202
    Nouvelles d'Ecosse et de Marie Stuart.                         204

    398e _Dépêche._--8 août.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         _Ib._
    Plaintes sur les prises.                                       _Ib._
    Voyage du roi en Italie.                                       206
    Service en mémoire du feu roi.                                 _Ib._

    399e _Dépêche._--13 août.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         208
    Irrésolution des Anglais.                                      _Ib._
    Dispositions des réfugiés.                                     210
    Nouvelles d'Ecosse.                                            211
    Négociation des Pays-Bas.                                      _Ib._

    400e _Dépêche._--17 août.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         212
    Préparatifs pour la Rochelle.                                  _Ib._
    Négociation des Pays-Bas.                                      213

    401e _Dépêche._--24 août.--
      AU ROI.                                                      214
    Retour du roi en France.                                       _Ib._
    Demande de rappel.                                             216
    _Mémoire général_. Détails de la
      négociation de Mendoce.                                      217

    402e _Dépêche._--28 août.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         225
    Voyage de la reine-mère au-devant du roi.                      _Ib._
    Annonce d'audience.                                            226
    Nouvelles d'Ecosse.                                            227

    403e _Dépêche._--10 septemb.--
      AU ROI.                                                      228
    Audience.                                                      _Ib._
    _Mémoire._ Détails de l'audience.
      --Etat des choses en France.
      --Arrivée de Mr de Méru.                                     229

    404e _Dépêche._--15 septemb.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         235
    Traité entre l'Angleterre et l'Espagne.                        _Ib._
    Nouvelles de la Rochelle.                                      237
    Affaires d'Ecosse.                                             238

    405e _Dépêche._--19 septemb.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         _Ib._
    Sollicitations des protestans.                                 239
    Fabrique de fausse monnaie.                                    241
    Nouvelles d'Ecosse.                                            242

    406e _Dépêche._--24 septemb.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         _Ib._
    Crainte des Anglais d'une ligue formée par le roi.             244
    Affaires d'Ecosse.                                             245
    Nouvelles d'Irlande.                                           246

    407e _Dépêche._--29 septemb.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            _Ib._
    Négociations de Mr de Méru.                                    248
    Arrivée du roi à Lyon.                                         250

    408e _Dépêche._--5 octobre.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         _Ib._
    Bonnes dispositions d'Elisabeth.                               251
    Prochain départ de lord de North.                              252
    Pacification de l'Irlande.                                     253
    Nouvelles d'Ecosse.                                            254

    409e _Dépêche._--10 octobre.--
      A LA REINE, RÉGENTE.                                         255
    Conférence avec lord de North.                                 _Ib._
    Négociation des princes d'Allemagne.                           257

    410e _Dépêche._--15 octobre.--
      AU ROI.                                                      258
    Inquiétude des Anglais sur le passage du roi en Italie.        _Ib._
    Leurs efforts pour renouer l'alliance d'Espagne.               260
    Nouvelles d'Ecosse.                                            261

    411e _Dépêche._--20 octobre.--
      AU ROI.                                                      262
    Instructions de lord de North.                                 263
    Négociations avec l'Espagne.                                   _Ib._
    Sollicitations des protestans.                                 264

    412e _Dépêche._--24 octobre.--
      AU ROI.                                                      266
    Défiances d'Elisabeth contre le roi.                           _Ib._
    Conférence avec l'envoyé d'Espagne.                            268
    _Avis à la reine._ Conférence avec Mr de Méru.                 269

    413e _Dépêche._--29 octobre.--
      AU ROI.                                                      270
    Audience.                                                      _Ib._
    Désir d'Elisabeth de conserver l'alliance de France.           272

    414e _Dépêche._--3 novemb.--
      AU ROI.                                                      275
    Déclaration de Burleigh et Leicester.                          276
    Affaires d'Ecosse.                                             278
    Complots contre le roi.                                        279

    415e _Dépêche._--8 novemb.--
      AU ROI.                                                      281
    Entreprises contre les ports de France.                        _Ib._
    Négociation de l'Espagne.                                      284

    416e _Dépêche._--13 novemb.--
      AU ROI.                                                      285
    Conférence avec Leicester.                                     _Ib._
    Affaires d'Ecosse.                                             287
    Succès remportés par les protestans en France.                 288
    _Avis à la reine._ Détails de la conférence.                   _Ib._
    Phénomène maritime.                                            289

    417e _Dépêche._--18 novemb.--
      AU ROI.                                                      290
    Conférence avec des seigneurs.                                 _Ib._
    Nouvelles de la Rochelle.                                      292
    Mécontentement d'Elisabeth contre la comtesse de Lennox.       293
    _Avis à la reine._ Conférence avec Walsingham.                 294

    418e _Dépêche._--22 novemb.--
      AU ROI.                                                      295
    Lord de North en France.                                       _Ib._
    Négociation de la paix.                                        297
    Phénomènes atmosphériques.                                     298

    419e _Dépêche._--27 novemb.--
      AU ROI.                                                      299
    Danger de Marie Stuart.                                        _Ib._
    Menée des protestans.                                          301
    Prise de Fontenay.                                             302
      A LA REINE.                                                  _Ib._
    Changement de résolution des Anglais.                          303

    420e _Dépêche._--3 décemb.--
      A LA REINE.                                                  304
    Audience.                                                      305
    _Mémoire._ Détails de l'audience.                              306
    Conférence avec le conseil.                                    309

    421e _Dépêche._--7 décemb.--
      A LA REINE.                                                  310
    Négociation avec Mr de Méru.                                   _Ib._
    Nouvelles de Marie Stuart.                                     311
    Retour de lord de North.                                       312
    _Mémoire._ Détails de la négociation avec Mr de Méru.          _Ib._

    422e _Dépêche._--12 décemb.--
      AU ROI.                                                      316
    Communication avec Walsingham.                                 _Ib._
    Et avec l'agent de la Rochelle.                                318
    _Avis à la reine._ Nouvelles de Marie Stuart.                  319

    423e _Dépêche._--18 décemb.--
      AU ROI.                                                      320
    Audience.                                                      _Ib._
    Propos rapportés par lord de North.                            321
    Emportement d'Elisabeth.                                       322
      A LA REINE.                                                  325
    Vive irritation d'Elisabeth après le retour de lord de North.  326

    424e _Dépêche._--24 décemb.--
      AU ROI.                                                      327
    Efforts pour empêcher la guerre.                               _Ib._
    Nouvelles d'Allemagne et d'Espagne.                            _Ib._
    Mise en arrêt de la comtesse de Lennox.                        328

    425e _Dépêche._--28 décemb.--
      AU ROI.                                                      329
    Détails de la précédente audience.                             _Ib._
    Demande d'explication.                                         334
      A LA REINE.                                                  335
    Confidences sur les rapports de lord de North.                 _Ib._
    _Mémoire._ Menace d'une guerre générale.                       337
    Complot contre le roi.                                         341
      AU ROI. (_lettre secrète_).                                  343
    Détails sur le complot.                                        _Ib._


ANNÉE 1575.


    426e _Dépêche._--2 janvier.--
      AU ROI.                                                      343
    Audience.                                                      _Ib._
      A LA REINE.                                                  350
    Demande d'une réponse pour Elisabeth.                          _Ib._

    427e _Dépêche._--7 janvier.--
      AU ROI.                                                      351
    Maladie de l'ambassadeur.                                      352
    Instances pour son rappel.                                     _Ib._
    Affaires d'Irlande.                                            353
    Nouvelles de la Rochelle.                                      _Ib._

    428e _Dépêche._--13 janvier.--
      AU ROI.                                                      354
    Négociation de la paix.                                        _Ib._
    Mort du duc de Bouillon.                                       _Ib._
    Et du cardinal de Lorraine.                                    355

    429e _Dépêche._--19 janvier.--
      AU ROI.                                                      356
    Affaires de Marie Stuart.                                      _Ib._
    Négociation de la paix.                                        357
    Nouvelles des Pays-Bas.                                        359

    430e _Dépêche._--24 janvier.--
      AU ROI.                                                      360
    Armemens.                                                      _Ib._
    Nouvelles des Pays-Bas.                                        362
    Saisie de lettres concernant Marie Stuart.                     _Ib._

    431e _Dépêche._--29 janvier.--
      AU ROI.                                                      363
    Secours pour les protestans.                                   _Ib._
    Projets sur l'Ecosse.                                          364
      A LA REINE.                                                  365
    Instances pour une réponse.                                    _Ib._

    432e _Dépêche._--4 février.--
      AU ROI.                                                      366
    Audience.                                                      _Ib._
    _Avis à la reine-mère._                                        372

    433e _Dépêche._--10 février.--
      AU ROI.                                                      373
    Conférence avec Leicester.                                     _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            375

    434e _Dépêche._--17 février.--
      AU ROI.                                                      376
    Continuation des armemens.                                     377
      A LA REINE.                                                  378
    Explications sur les rapports de lord de North.                _Ib._

    435e _Dépêche._--21 février.--
      AU ROI.                                                      379
    Audience.                                                      _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            381
    Sacre et mariage du roi.                                       _Ib._
      A LA REINE.                                                  382
    Satisfaction d'Elisabeth.                                      _Ib._

    436e _Dépêche._--28 février.--
      AU ROI.                                                      383
    Détails de la précédente audience.                             _Ib._
      A LA REINE.                                                  387
    Communication faite à Elisabeth.                               _Ib._

    437e _Dépêche._--7 mars.--
      AU ROI.                                                      390
    Audience.                                                      _Ib._
    Communication du mariage du roi.                               _Ib._

    438e _Dépêche._--11 mars.--
      AU ROI.                                                      395
    Mission de La Châtre.                                          _Ib._
    Offres d'Elisabeth au roi d'Espagne.                           396
    Dispositions pour Marie Stuart.                                397

    439e _Dépêche._--14 mars.--
      AU ROI.                                                      398
    Méfiances d'Elisabeth contre La Châtre.                        _Ib._
    Rapprochement avec l'Espagne.                                  399
    Nouvelles d'Ecosse.                                            400

    440e _Dépêche._--20 mars.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Meilleure disposition d'Elisabeth.                             _Ib._
    Affaires d'Irlande.                                            401

    441e _Dépêche._--24 mars.--
      AU ROI.                                                      403
    Nouvelles d'Ecosse.                                            404
    Recommandation pour les réfugiés de Rouen.                     405

    442e _Dépêche._--31 mars.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Arrivée de La Châtre.                                          _Ib._
    Sa bonne réception.                                            406

    443e _Dépêche._--7 avril.--
      AU ROI.                                                      407
    Négociation de La Châtre.                                      _Ib._
    Renouvellement de la ligue.                                    _Ib._

    444e _Dépêche._--15 avril.--
      AU ROI.                                                      408
    Audience.                                                      409
    Détails de la négociation de La Châtre.                        410
    Armemens faits à Saint-Malo.                                   412

    445e _Dépêche._--21 avril.--
      AU ROI.                                                      413
    Armemens et emprunts.                                          _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            415
    Négociation des Pays-Bas.                                      _Ib._

    446e _Dépêche._--26 avril.--
      AU ROI.                                                      416
    Négociation de la paix en France.                              _Ib._
    Conférence avec l'agent d'Espagne.                             418

    447e _Dépêche._--30 avril--
      AU ROI.                                                      419
    Audience.                                                      _Ib._
    Arrivée des députés de Bâle.                                   420
    Le roi élu chevalier de la Jarretière.                         421

    448e _Dépêche._--6 mai.--
      AU ROI.                                                      422
    Instances des députés de Bâle.                                 _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            424

    449e _Dépêche._--12 mai.--
      AU ROI.                                                      425
    Négociation des Espagnols.                                     426
    Danger de Marie Stuart.                                        427

    450e _Dépêche._--18 mai.--
      AU ROI.                                                      428
    Sollicitations des protestans.                                 _Ib._
    Poursuites au sujet de Marie Stuart.                           429
    Nouvelles d'Ecosse.                                            430

    451e _Dépêche._--26 mai.--
      AU ROI.                                                      431
    Audience.                                                      _Ib._
    Délibération du conseil.                                       436
      A LA REINE.                                                  437
    Détails de l'audience.                                         _Ib._

    452e _Dépêche._--2 juin.--
      AU ROI.                                                      439
    Affaires d'Ecosse.                                             440
    Sollicitations pour Marie Stuart.                              _Ib._
    Le comte de Killdar prisonnier.                                441

    453e _Dépêche._--7 juin.--
      AU ROI.                                                      442
    Négociation de Mr de Méru.                                     _Ib._
    Affaires d'Irlande.                                            443

    454e _Dépêche._--12 juin.--
      AU ROI.                                                      444
    Audience.                                                      445
      A LA REINE.                                                  447
    Détails de l'audience.                                         _Ib._

    455e _Dépêche._--17 juin.--
      AU ROI.                                                      448
    Secours envoyés aux protestans.                                _Ib._
    Refroidissement entre Elisabeth et le prince d'Orange.         450
    Nouvelles d'Ecosse.                                            451

    456e _Dépêche._--26 juin.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Détails de la précédente audience.                             _Ib._

    457e _Dépêche._--1er juillet.--
      AU ROI.                                                      455
    Convalescence du roi.                                          _Ib._
    Bruit de la mort de Danville.                                  _Ib._
    Départ de Mr de Méru.                                          456

    458e _Dépêche._--4 juillet.--
      AU ROI.                                                      457
    Prises faites sur les Anglais par ceux de Saint-Malo.          458
    Menaces de guerre contre Flessingue.                           459
    Nouvelles d'Ecosse.                                            _Ib._
      A LA REINE.                                                  460
    Nécessité de donner satisfaction sur les nouvelles prises.     _Ib._

    459e _Dépêche._--8 juillet.--
      AU ROI.                                                      461
    Conférence avec Burleigh.                                      _Ib._
    Nouvelles d'Ecosse.                                            464
    Révolte contre Morton.                                         _Ib._

    460e _Dépêche._--13 juillet.--
      AU ROI.                                                      465
    Audience.                                                      _Ib._
    Résolution du roi à l'égard de Fitz-Maurice.                   466
    Assurance d'amitié donnée par Elisabeth et le conseil.         472
      A LA REINE.                                                  _Ib._
    Proposition de reprendre la négociationdu mariage.             _Ib._

    461e _Dépêche._--19 juillet.--
      AU ROI.                                                      473
    Satisfaction d'Elisabeth.                                      _Ib._
    Nouvelles de France.                                           475
    Bonnes dispositions pour Marie Stuart.                         _Ib._

    462e _Dépêche._--24 juillet.--
      AU ROI.                                                      476
    Demande de réparation pour les prises de Saint-Malo.           _Ib._
    Combat sur les frontières d'Ecosse.                            478
      A LA REINE.                                                  _Ib._
    Séjour d'Elisabeth dans la maison de Leicester.                _Ib._

    463e _Dépêche._--1er août.--
      AU ROI.                                                      480
    Affaires d'Ecosse.                                             _Ib._
    Instances des protestans.                                      481
      A LA REINE.                                                  483
    Négociation du mariage.                                        _Ib._

    464e _Dépêche._--6 août.--
      AU ROI.                                                      484
    Communication confidentielle sur la négociation du mariage.    _Ib._
      A LA REINE.                                                  488
    Doute sur les intentions de la reine au sujet
     de cette négociation.                                         _Ib._

    465e _Dépêche._--13 août.--
      AU ROI.                                                      489
    Nouveaux armemens.                                             _Ib._
    Hollandais brûlés vifs pour crime d'hérésie.                   490
    Méfiance contre les Anglais.                                   491

    466e _Dépêche._--20 août.--
      AU ROI.                                                      492
    Arrivée de Castelnau.                                          _Ib._
    Affaires de l'Irlande.                                         _Ib._
    Armemens.                                                      494
    Mission donnée à l'ambassadeur de se rendre
      auprès de Marie Stuart et en Ecosse.                         495

    467e _Dépêche._--27 août.--
      AU ROI.                                                      _Ib._
    Nouvelles du prince de Condé.                                  496
    Secours pour les protestans.                                   497
    Incursion en Ecosse.                                           _Ib._
    Craintes pour Marie Stuart.                                    _Ib._

    468e _Dépêche._--10 septemb.--
      AU ROI.                                                      498
    Présentation de Castelnau.                                     _Ib._
    Négociation du mariage.                                        499
      A LA REINE.                                                  500
    Détails de l'audience.                                         _Ib._

    469e _Dépêche._--20 septemb.--
      AU ROI.                                                      501
    Réponse sur le mariage.                                        502
    Audience de congé.                                             503
    Méfiance contre les Anglais.                                   504
      A LA REINE.                                                  505
    Etat de la négociation du mariage.                             _Ib._


    FIN DE LA TABLE DU SIXIÈME VOLUME ET DERNIER DES
    DÉPÊCHES DE LA MOTHE FÉNÉLON.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième - Ambassadeur de France en Angleterre de 1568 à 1575" ***

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