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Title: Code galant, ou, Art de Conter fleurette
Author: Raisson, Horace
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Code galant, ou, Art de Conter fleurette" ***


    Note de transcription:

    L'orthographe d'origine a été conservée. Quelques erreurs
    clairement introduites par le typographe ont été corrigées. La
    liste de ces corrections est donnée à la fin du texte. La
    ponctuation a fait l'objet de quelques corrections mineures.

    Une typographie gothique pour certains titres est représentée
    par +Titre+. Les titres en gras sont représentés par =Titre=.



  CODE GALANT,
  OU
  ART DE CONTER FLEURETTE.



  DU MÊME AUTEUR.

    Code civil.
    Code épicurien.
    Code conjugal.
    Code de la toilette.
    Code des honnêtes gens.

    Histoire populaire de Napoléon, 10 vol.
    ---- de la Révolution française, 8 vol.
    ---- de la Garde Nationale, 1 v. in-8º.

    Marie Stuart, roman historique, 4 v. in-12.
    Une Blonde, 1 vol. in-8º.
    Vie et Aventures de Pigault-Lebrun, 1 vol. in-8º.

  SOUS PRESSE.

    Histoire pittoresque, anecdotique et biographique
      de la Police de Paris, 1 vol. in-8º.
    Procès historiques, 2 vol. in-8º.

  PARIS.--Imprimerie de GREGOIRE et Compagnie,
  rue du Croissant, n. 16.



  [Gravure par Alfred Johannot]



  CODE GALANT,

  OU

  ART DE CONTER FLEURETTE.

  PAR HORACE RAISSON,

  AUTEUR DU CODE CIVIL, DU CODE CONJUGAL, ETC.

  Nouvelle édition.

  Dans cette courte vie, tout est compte
  et mécompte.
             CHARRON. _De la Sagesse._

  [Vignette]

  PARIS.
  OLLIVIER, ÉDITEUR,
  QUAI DES AUGUSTINS, N. 37.
  DELAUNAY, AU PALAIS-ROYAL.

  1837.



PROLÉGOMÈNES.


Jeune ou vieux, bien ou mal, sot ou sage, une fois au moins l'homme doit
aimer; et du hasard d'un premier amour dépend trop souvent la somme de
bonheur de la vie entière.

Ce serait un livre précieux que celui où seraient enseignées toutes
les délicates théories de l'amour, où l'art de plaire se trouverait
réduit en principes: la jeunesse, l'inexpérience, y puiseraient de
précieuses leçons; malheureusement un tel ouvrage est impossible.

Un livre ne saurait donner qu'une idée bien pauvre de l'amour, de cet
amour qui occupe toute l'ame, la remplit d'images tour-à-tour heureuses
ou désespérantes, mais toujours sublimes, l'isole et la concentre dans
une série d'idées où se rattache le malheur ou la félicité. Comment
pouvoir rendre sensibles la simplicité de geste et de caractère, le
regard, peignant si juste et avec tant de candeur la nuance de chaque
sensation? Comment surtout exprimer cette aimable non-curance pour tout
ce qui n'est pas la personne aimée? Aussi, que de romans, que
d'histoires amoureuses, et combien peu d'observations simples et vraies
sur l'amour!

Au reste, par le temps qui court, l'amour n'est pas une des affaires
graves de la vie, et contre un fou qui se brûle la cervelle à
Montmorency, on compte vingt étourdis qui se ruinent dans les coulisses
de l'Opéra; notre temps est plutôt celui de la galanterie que celui de
l'amour, et l'on ne saurait, au vrai, trop dire s'il faut l'en
féliciter ou l'en plaindre.

_Le Code Galant_ que nous publions aujourd'hui est donc en quelque sorte
un livre de circonstance, et à ce titre du moins nous espérons pour lui,
de la part du lecteur, un bienveillant accueil: quant à son contenu,
nous avouons en toute humilité n'en être en quelque sorte que le
compilateur; un petit ouvrage de ce genre s'écrit beaucoup plus avec la
mémoire qu'avec l'esprit, et nous nous sommes avant tout appliqué à y
rassembler surtout ce qui se rattache _à l'art de conter fleurette_, les
idées vives, les aperçus ingénieux, les observations délicates, épars
dans une foule de bons ouvrages, et qui, ainsi réunis, forment en
quelque sorte un corps complet de doctrine, d'où l'on peut, à son gré,
déduire de faciles et précieux enseignemens.

Dans quelques parties de ce _Code_ nous avons eu à aborder de délicates
matières: nous nous sommes appliqué à les traiter avec beaucoup de
ménagemens, nous avons même parfois mieux aimé passer à côté de la
difficulté que de heurter de front les idées enracinées de l'usage reçu;
aussi espérons-nous que la pruderie nous saura gré de notre retenue.
Quant aux lecteurs dont les idées sympathisent avec les nôtres, nous
sommes assuré d'avance d'être compris par eux.

Peut-être nous reprochera-t-on, comme on a déjà fait pour quelques
bagatelles publiées antécédemment[1], la futilité de ce petit livre:
mais est-ce donc une obligation invariable d'employer un _style mâle_,
et n'est-il permis d'écrire que sur des sujets _collets-montés_? Il y a
cent façons de réformer et d'instruire, et les heures n'appartiennent
pas toutes aux pensers graves. On parle, à tout propos, du _positif_ de
la génération nouvelle et de la tendance sérieuse des esprits de la
_jeune France_. Grace au ciel, maintes gens, nos amis, qui ne sont pas
tombés encore à l'état caduc, aiment toujours la liberté, le plaisir,
peut-être un peu même la licence; mais leur gaîté, bien qu'elle ne se
pince pas les lèvres, est tout autant dans les moeurs constitutionnelles
que le _sérieux_ de nos philosophes frais émoulus du collége.

  [1] Code gourmand, Code civil, etc.

Il nous reste, en lançant ce livret dans le monde, à faire des voeux
pour sa fortune et à le recommander surtout à l'indulgence du
lecteur. Nous eussions dû sans doute le faire meilleur et plus hardi:
nous n'osons dire ce qui nous en a empêché. S'il ennuie, l'excuse ne
serait pas admise; s'il fait passer gaîment une heure, il est pardonné.

H. R.



En commençant ce petit livre, il y aurait, ce semble, ingratitude à ne
pas consacrer quelques pages à raconter l'histoire touchante de la
gentille enfant dont le nom a fourni à-la-fois le titre et le sujet.

L'origine et l'étymologie du vieux dicton _conter fleurette_ sont
d'ailleurs bien plus authentiques que celles consacrées chaque jour par
la docte Académie, et ce n'est pas sans quelque plaisir que l'on relit
la peinture naïve des premières amours de ce roi dont le nom seul
réveille déjà des souvenirs de noblesse et de galanterie.

Henri IV avait à peine quinze ans lorsque Charles IX vint à Nérac pour
visiter la cour de Navarre[2]. Le court séjour du roi fut marqué par des
jeux et des fêtes où le jeune Henri se fit surtout remarquer par son
élégance, son ardeur et sa dextérité.

  [2] En 1566.

Charles aimait à tirer de l'arc; on s'empressa de lui en donner le
divertissement, et l'on pense bien qu'aucun des courtisans, pas même le
duc de Guise, qui excellait à cet exercice, n'eut la maladresse de se
montrer plus adroit que le roi. Mais le tour d'Henri (que l'on appelait
encore Henriot) vient de tirer: il s'avance, et du premier coup enlève
avec sa flèche l'orange qui servait de but. Les lois de ce noble jeu
veulent qu'un second but soit immédiatement placé et que le vainqueur le
tire le premier: Henri s'apprête donc à tirer sa seconde flèche; mais
Charles s'y oppose et le repousse avec humeur; Henri s'indigne, recule
quelques pas, et, bandant son arc, dirige la pointe acérée contre la
poitrine de Charles. Le prudent monarque se mit bien vite à l'abri
derrière le plus gros des courtisans d'alors, et donna l'ordre qu'on
éloignât de sa personne ce dangereux petit-cousin.

La paix se fit: le tir de l'arc recommença le lendemain, mais Charles
trouva un prétexte pour n'y point paraître. Cette fois, le duc de Guise
enleva tout d'abord l'orange, qui se fendit en deux. On n'en trouvait
pas d'autre pour replacer au but; le jeune prince voit briller une rose
sur le sein d'une des jeunes filles qui entourent la barrière, il s'en
saisit et court la placer. Le duc tire le premier: son adresse est en
défaut, il n'atteint pas; Henri, qui lui succède, lance sa flèche au
milieu de la fleur, dont il se saisit galamment, puis il court la rendre
à la jolie villageoise, sans la détacher de la flèche qui lui sert de
tige.

Un trouble naïf et touchant se peint sur les traits charmans de la jeune
fille. Henri sent s'arrêter le battement de son coeur, un doux
regard s'échange rapidement entre eux.

Henri, en retournant au château, apprend que cette aimable enfant
s'appelle Fleurette et qu'elle habite avec son père, jardinier du
château, un petit pavillon qui se trouve à l'extrémité du bâtiment des
écuries[3].

  [3] Ce pavillon existe encore; il sert à renfermer des instrumens
  aratoires.

Dès le lendemain, le jardinage est devenu la passion dominante de Henri;
il choisit un terrain de quelques toises aux environs de la fontaine de
la Garenne, où il sait que Fleurette se rend plusieurs fois chaque
jour; il l'entoure d'un treillage, y fait des plantations et travaille
avec d'autant plus d'ardeur qu'il est aidé par le père de Fleurette et
qu'il a vingt fois par jour l'occasion ou le prétexte de la voir.

Si, comme madame de Genlis, j'écrivais un roman historique, j'aurais
beau jeu à arranger une série d'insignifians détails; mais je raconte
une anecdote, et, pour établir l'étymologie de mon vieux dicton, il
suffit, je pense, de rapporter les simples traditions du fait touchant
sur lesquelles elle repose.

Depuis près d'un mois, le sensible _Henriot en contait à Fleurette_;
tous deux s'aimaient éperdument, sans trop savoir encore ce qu'ils se
voulaient: ils l'apprirent un soir à la fontaine.

Fleurette s'y était rendue un peu tard; l'air était pur; le murmure de
la source, le chant plaintif du rossignol, enchantaient le silence de la
feuillée, et la lune éclairait de son jour touchant cette retraite où la
nature est déjà la volupté. Que se passa-t-il dans cette soirée à la
fontaine de la Garenne, entre le petit prince de quinze ans et la
bergerette de quatorze! plus est aisé de l'imaginer que de le dire;
toujours est-il qu'au retour de la fontaine, Fleurette avait pris le
bras du prince de Béarn et que celui-ci portait allègrement la cruche
sur sa tête. Ils se séparèrent à l'entrée du parc; l'un retourna gaîment
au château, l'autre pleurait en rentrant dans son modeste réduit.

Le père de Fleurette ne s'aperçut pas que sa fille, depuis ce jour,
allait plus tard à la fontaine; mais le précepteur du prince, le
vertueux Lagaucherie, remarqua que son royal élève avait toujours un
prétexte pour s'échapper durant la soirée, et que, par le plus beau
temps du monde, la forme de son chapeau se trouvait mouillée au
retour. Une fois sa prudence éveillée, il suivit de loin le jeune
prince; et, sans être vu, arriva assez tôt et assez près pour
s'apercevoir qu'il était venu trop tard. Convaincu de cette vérité que
la fuite est le seul remède à l'amour, il annonça au prince que le
lendemain ils se mettraient en route vers Pau, pour, de là, se rendre à
l'_entrevue de Baïonne_[4].

  [4] Où fut résolu le massacre des protestans.

L'instinct de la gloire, peut-être aussi celui de l'inconstance,
parlaient déjà au coeur de Henri; cette nécessité d'une première
séparation, qu'il courut en larmes annoncer à Fleurette, trouvait à son
insu quelque adoucissement au fond de son ame; mais comment peindre le
désespoir de la naïve et sensible Fleurette: dans les derniers instans
d'un bonheur près de lui échapper, elle pressentait tous les maux de
l'avenir.

«Vous me quittez, Henri, disait la tendre enfant, étouffée par ses
pleurs, vous me quittez, vous m'oublierez, et je n'aurai plus qu'à
mourir!» Henri la rassurait et lui faisait le serment d'un amour éternel
que Fleurette seule devait acquitter.

«Voyez-vous cette fontaine de la Garenne,» disait-elle au moment où la
cloche du château rappelait le prince pour le signal du départ: «absent,
présent, vous me trouverez là!....... toujours là!.......[5]»

  [5] Notice sur Nérac, par M. le comte de Villeneuve-Bargemont.

Les quinze mois qui s'écoulèrent jusqu'au retour d'Henri au château
d'Agen, avaient développé dans l'ame du jeune prince des vertus
incompatibles avec l'innocence des premières amours, et les filles
d'honneur de Catherine de Médicis s'étaient chargées du soin
d'effacer de son souvenir l'image de la pauvre petite Fleurette. Elle,
plus affligée que surprise d'un changement dont sa raison précoce
l'avait dès long-temps avertie, ne lutta pas contre un malheur prévu, et
ne songea qu'à s'y soustraire.

Plusieurs fois elle avait vu le prince de Béarn se promener dans les
bosquets de la Garenne avec mademoiselle d'Ayelle: elle n'avait pu
résister au désir de se trouver un jour sur leurs pas. La vue de
Fleurette, plus belle encore de sa tristesse et de sa pâleur, réveilla
dans le coeur du jeune Henri un tendre et cruel souvenir: il courut
le lendemain matin au pavillon, et la pria de se trouver encore une fois
du moins à la fontaine de la Garenne. «J'y serai à huit heures,»
répondit la jeune fille sans lever les yeux. Henri s'éloigna plein
d'espoir, et attendit avec cette impatience du premier amour, que
Fleurette d'un regard avait ranimée dans son sein, l'heure qui devait la
lui rendre. Huit heures sonnent: il s'esquive du château, il traverse le
taillis du parc et arrive à la fontaine. Fleurette ne s'y trouvait pas.
Il attend quelques minutes: le plus léger bruissement des feuilles
fait tressaillir son coeur; il va, vient, s'arrête..... Mais il
aperçoit près de la fontaine une petite baguette fichée sur l'endroit
même où tant de fois il s'est assis près de Fleurette. C'est une flèche:
il la reconnaît: la rose fanée y tient encore; un papier est attaché à
la pointe; il le prend, essaie de le lire; mais le jour s'est éteint.
Palpitant, troublé, il vole au château, ouvre le fatal billet... le
voici: «Je vous ai dit que vous me trouveriez à la fontaine: j'y suis.
Peut-être êtes-vous passé bien près de moi. Retournez-y, cherchez
mieux... Vous ne m'aimiez plus... il le fallait bien..... Mon Dieu!
pardonnez-moi!...»

Henri a compris le sens cruel de ce billet: des valets munis de
flambeaux courent sur ses pas à la Garenne.....

Le corps de l'adorable enfant fut retiré du fond du bassin où
s'épanchent les eaux de la fontaine, et déposé entre les deux arbres que
l'on y voit encore. Des regrets déchirans, une douleur poignante, furent
du moins la punition de Henri.

Fleurette fut, de toutes les maîtresses du _Béarnais_, la seule qui
l'ait aimé sincèrement, la seule qui lui resta fidèle. Mais la pauvre
petite ne fit pas des ministres, ne travailla pas avec des confesseurs,
ne donna à la France ni bâtards, ni légitimés; aussi l'histoire ne
fait-elle aucune mention de Fleurette, et nul éditeur ne s'avise
d'annoncer pompeusement ses Mémoires. Par une heureuse compensation
toutefois, la galanterie a pris son joli nom sous ses auspices et s'est
chargée de perpétuer la gracieuse mémoire de la jolie et tendre enfant,
à qui l'on ne saurait se défendre de donner un doux souvenir, chaque
fois que l'on tente de _conter fleurette_.



+Code Galant.+



TITRE PREMIER.

+Avant.+



=CHAPITRE PREMIER.=

+De l'Amour.+


ARTICLE PREMIER.

L'amour prend sa source dans les deux sentimens les plus purs,
l'admiration et l'espérance[6].

  [6] Qui s'avise de devenir amoureux d'une reine, à moins qu'elle
  ne fasse des avances?


ART. 2.

Il est difficile de définir l'amour: ce qu'on peut en dire est que dans
l'ame, c'est une passion de régner; dans l'esprit, c'est une sympathie,
et dans le corps, ce n'est qu'une envie cachée et délicate de posséder
ce que l'on aime, après beaucoup de mystères. (La Rochefoucauld.)


ART. 3.

L'amour est comme la fièvre, il naît et s'éteint sans que la volonté y
ait la moindre part. Aussi ne peut-on s'applaudir des belles qualités de
ce qu'on aime que comme d'un hasard heureux.


ART. 4.

Les grandes passions se trahissent surtout par des preuves ridicules,
l'extrême timidité, par exemple, et même la mauvaise honte.


ART. 5.

L'amant est bien près d'être heureux qui commence à douter du bonheur
qu'il se promettait et devient sévère sur les motifs d'espérer qu'il a
cru voir.


ART. 6.

Dans l'amour, au rebours de la plupart des autres passions, le souvenir
de ce que l'on a perdu paraît toujours au-dessus de ce qu'on peut
attendre de l'avenir.


ART. 7.

Le moment le plus déchirant de l'amour est celui où il s'aperçoit qu'il
s'est mépris et qu'il lui faut, de ses propres mains, détruire la
belle chimère de bonheur qu'il s'était bâtie à grand'peine.


ART. 8.

L'amour est de tous les âges: Horace Walpole inspira la passion la plus
vive à madame du Deffand, septuagénaire, et les belles personnes de la
cour du vieux roi Louis XIV étaient éprises de cette ombre.


ART. 9.

Avant la naissance de l'amour, la beauté est nécessaire comme enseigne;
elle prédispose à cette passion par les louanges que l'on entend donner
à celle que l'on aimera. Une admiration très vive rend la plus petite
espérance décisive.


ART. 10.

L'amant trouve dans l'objet de son adoration toutes les perfections,
même celles des genres les plus opposés. Voilà la raison morale pour
laquelle l'amour est la plus violente des passions. Dans les autres, les
désirs doivent s'accommoder aux froides réalités; dans celle-ci, ce sont
les réalités qui s'empressent de se modeler sur les désirs.


ART. 11.

Du moment qu'il aime, l'homme, même le plus sage, ne voit plus aucun
objet sous son jour vrai. Il s'exagère en moins ses propres avantages,
et en plus les moindres faveurs de l'objet aimé. La crainte, l'espoir,
donnent pour lui de la réalité aux fictions de son esprit; il perd
enfin le sentiment de la probabilité.


ART. 12.

Dans l'amour, les femmes ne pardonnent pas ce qu'elles appellent _un
manque de délicatesse_. Ce mot, inventé par l'orgueil, n'est pas très
clair; il a l'air d'exprimer quelque chose de semblable à ce que les
rois appellent lèse-majesté, crime d'autant plus dangereux qu'on y tombe
sans s'en douter.


[Cul-de-lampe]



=CHAPITRE II.=

+De l'Attachement.+


ARTICLE PREMIER.

L'attachement est une modification de l'amour et une nuance de l'amitié.


ART. 2.

Un rapport d'humeur, de caractère, de position, l'insouciance, le
hasard, forment parfois des liens qui durent sans trouble toute la vie.


ART. 3.

Dans l'attachement il faut plus d'abnégation que dans l'amour, car on y
est privé des douces compensations de l'amour-propre.


ART. 4.

Un attachement sincère prend nécessairement sa source dans un vrai
mérite et s'appuie sur quelque vertu. On blâme dans le monde de
semblables liaisons, et pourtant il y a mille à parier contre un que la
femme qui fait naître un durable attachement est plus estimable que
celle qui inspire un violent amour.


ART. 5.

Chez quelques hommes d'infiniment d'esprit, un attachement n'est le
résultat ni de la passion, ni de la convenance, ni du désoeuvrement:
c'est en quelque sorte un besoin de société passive. Cette situation se
peint très bien par le mot de M. de Talleyrand, qui venant de quitter la
femme la plus célèbre de France par son génie brillant et ses ouvrages
admirables, prit pour maîtresse une belle sotte: «Cela repose!»
disait-il, et il n'a jamais rompu cet attachement.



=CHAPITRE III.=

+Du Goût.+


ARTICLE PREMIER.

Le goût est à l'amour ce qu'une estampe est à un tableau: copie exacte,
moins la couleur.


ART. 2.

L'homme d'esprit prévoit d'avance toutes les phases d'une liaison de
goût; comme il y apporte plus de délicatesse que de passion, il s'y
montre constamment aimable.


ART. 3.

Les moralistes réprouvent l'amour-goût: ils ont tort. A quelque genre
d'affection en effet que l'on doive les plaisirs, dès qu'il y a
exaltation de l'ame, ils sont vifs, et leur souvenir doit être pur.


ART. 4.

Quelquefois le goût se change en amour durable. Il est alors plein de
charmes, car il est basé sur l'expérience, l'habitude et la certitude de
ne pouvoir trouver mieux.


ART. 5.

Le mal, c'est que dans l'amour-goût on tient plus de compte de la
manière dont les autres voient la personne à qui on s'attache que de la
manière dont on la voit soi-même.


ART. 6.

La grace de la nouveauté est à l'amour-goût ce que la fleur est sur les
fruits: elle y répand un lustre qui s'efface aisément et qui ne revient
jamais.


ART. 7.

Aussi une liaison de goût ne saurait-elle durer lorsque chez l'une des
deux parties seulement vient à naître l'amour-passion.



=CHAPITRE IV.=

+Du Caprice.+


ARTICLE PREMIER.

Le caprice est l'amour de ceux qui n'en ont pas.


ART. 2.

Les organisations trop faibles pour comprendre ou pour supporter les
délicieux tourmens de l'amour, se rejettent sur le caprice: là, s'ils ne
trouvent pas le bonheur, ils rencontrent du moins le plaisir.


ART. 3.

On confond trop communément le caprice avec l'inconstance; rien de
plus dissemblable pourtant: l'une est un vice du coeur, l'autre un
calcul de l'esprit.


ART. 4.

Le caprice est assurément la source de mille petites félicités: il
butine en amour sur tout ce qu'il y a de vif, de gracieux, de gai.
Malheureusement son règne est court, et s'il laisse quelques souvenirs,
il laisse encore plus de regrets.


ART. 5.

«Le caprice, dit La Bruyère, est dans les femmes tout proche de la
beauté pour être son contre-poison et afin qu'elle nuise moins aux
hommes, qui n'en guériraient pas sans ce remède.»



TITRE DEUXIÈME.

+Pendant.+



=CHAPITRE PREMIER.=

+Des Regards.+


ARTICLE PREMIER.

Les regards sont la monnaie courante de l'amour. Ils suppléent la
parole, et parfois même ont sur elle l'avantage d'une expression plus
fine et plus vive.


ART. 2.

Le regard est la grande arme de la coquetterie vertueuse. On peut tout
dire avec un regard, et cependant on peut toujours nier ce que l'oeil
a si bien exprimé; car le regard peut s'interpréter, non se traduire.


ART. 3.

L'oeil est, dit-on, le miroir de l'ame: il est aussi l'interprète du
coeur; et, bien qu'une coquette fasse dire à peu près ce qu'elle veut
à ses regards, il y a dans ceux de l'innocence et du véritable amour
quelque chose qu'elle ne saurait feindre.


ART. 4.

Le regard, pour être expressif, doit être, avant tout, naturel.
L'affectation est là, comme partout, le plus dangereux écueil; et ces
amans transis qui croient se rendre fort séduisans en jetant en coulisse
des regards langoureux, rencontrent juste le ridicule où ils espéraient
trouver la passion.



=CHAPITRE II.=

+Des Lettres.+


ARTICLE PREMIER.

C'est un si rare et si précieux talent que celui de bien écrire une
lettre d'amour, qu'à peine trouve-t-on dix parfaits modèles en ce genre
dans notre langue, si féconde en écrits.


ART. 2.

Heureux celui dont on reçoit les lettres! elles sont le plus puissant
parmi les moyens de plaire. Une pensée, un sentiment qui dans une
conversation eussent faiblement frappé l'imagination, s'y gravent au
moyen d'une lettre.


ART. 3.

«Les regards sont les premiers billets doux des amans.» (Ninon.) Il faut
que ceux qui succèdent aient autant de vivacité, d'expression et de
mystère.


ART. 4.

«Une lettre que l'amour a réellement dictée, une lettre d'un amant
vraiment passionné, sera lâche, diffuse, toute en langueur, en désordre,
en répétitions. Son coeur, plein d'un sentiment qui déborde, redit
toujours la même chose et n'a jamais achevé de dire, comme une source
vive qui coule toujours et ne s'épuise jamais. Rien de saillant, rien de
remarquable; on ne retient ni mots, ni tours, ni phrases; on n'admire
rien, et l'on n'est frappé de rien; cependant on se sent l'ame
attendrie, on se sent ému sans savoir pourquoi. Si la force du sentiment
ne nous frappe pas, sa vérité nous touche; et c'est ainsi que le coeur
sait parler au coeur.»

(J.-J. Rousseau.)


ART. 5.

Ces préceptes de l'auteur d'Héloïse ne peuvent-ils pas se résumer ainsi:
Pour qu'une lettre d'amour soit ce qu'elle doit être, il faut la
commencer sans savoir ce que l'on dira, et la finir sans savoir ce que
l'on a dit.



=CHAPITRE III.=

+Des Rendez-vous.+


ARTICLE PREMIER.

Le premier rendez-vous est le commencement du bonheur, en amour. C'est
là surtout qu'il faut être maître de soi pour paraître naturel. C'est le
triomphe de l'amour-goût et le désespoir de l'amour-passion. L'un,
brillant, fin, calculateur, y prend avantage de tout; l'autre,
démoralisé, interdit, reste court.


ART. 2.

Quel moment, en effet, pour l'homme vraiment épris! Dès l'abord, l'idée
de la fin de la visite est trop présente pour qu'il puisse trouver de
l'esprit et du plaisir. Il parle beaucoup sans s'écouter, souvent il
dit le contraire de ce qu'il pense. Il s'embarque dans de ridicules
discours, et s'il vient à couper court, l'effort qu'il fait pour
reprendre son assiette est si violent qu'il a l'air froid. L'amour se
perd là par son excès.


ART. 3.

Avant d'arriver au lieu de ce rendez-vous, cependant, l'imagination
était bercée par les plus charmans dialogues; on imaginait les
transports les plus tendres, les plus touchans, et tout ce bel apprêt
d'éloquence et d'audace disparaît sous l'impression d'un regard.


ART. 4.

Parler beaucoup de son amour, dire avec grace ce qui l'a fait naître,
attendre des réponses, ou plutôt les deviner, voilà la tactique la plus
simple et la plus sûre des rendez-vous.


ART. 5.

L'art de la femme est prodigieux pour donner le change à un amant. C'est
à lui d'être toujours sur ses gardes et de ne se pas laisser prendre
surtout à cette coquetterie qui à de l'amour oppose de l'indifférence,
de la froideur, jusqu'à de la colère. Une fois certain d'être aimé,
interprétez même l'ironie tout au rebours: vous déjouerez ainsi la
conscience, la prudence, et peut-être la coquetterie.


ART. 6.

Au reste, il y a autant de sortes de rendez-vous que de sortes d'amours
et de caractères. Là, comme en tout, le hasard fait plus que le calcul,
la passion et l'esprit.


[Cul-de-lampe]



=CHAPITRE IV.=

+Promesses et Sermens.+


ARTICLE PREMIER.

Les puritains en amour assurent qu'on ne doit rien promettre ni jurer à
sa maîtresse qu'on ne soit assuré de le tenir. Les tolérans répondent
que «promettre et tenir sont deux,» et que l'on doit toujours promettre,
quitte à tenir si l'on peut.


ART. 2.

Ainsi, entre gens de coeur, les protestations, les sermens, _à
jamais_, _pour la vie_, doivent aller, venir, s'échanger comme les
boulets sur un champ de bataille.


ART. 3.

Il est un genre de promesses en amour qui permet un peu de vanterie. Il
est bien peu de femmes avec qui il obtienne beaucoup de succès; mais
enfin, près des curieuses, des incrédules, des gourmandes, il est de
bonne guerre d'en faire usage, dussent-elles plus tard comprendre que
l'hyperbole est une innocente figure de rhétorique.


ART. 4.

Auprès d'une coquette, l'homme le plus dangereux est celui qui est
parvenu à ce point de probité et d'aplomb de n'oser pas promettre de
fidélité, et d'en exiger.


ART. 5.

Autrefois on jurait de mettre fin à ses jours, on jurait de fuir, de se
venger, et tous ces beaux sermens ont fléchi plus d'une cruelle. Cette
tactique a vieilli: on jure tout simplement aujourd'hui de se consoler,
d'offrir ses voeux à une ennemie de la dédaigneuse, et quelquefois on
obtient par la pique le prix refusé à l'amour.


[Cul-de-lampe]



=CHAPITRE V.=

+L'Accord parfait.+


ARTICLE PREMIER.

Le monde crie contre l'accord parfait. Qu'y faire? Ne serait-on pas
ridicule si l'on s'avisait de répondre: «Il est beaucoup plus contre la
pudeur de se mettre au lit avec un homme qu'on n'a vu que deux fois,
après trois mots latins dits par un prêtre, que de céder en dépit de soi
à un homme qu'on adore depuis deux ans[7]?»

  [7] Je viens de voir cette après-midi une cérémonie de famille,
  comme on dit, c'est-à-dire des hommes réputés honnêtes, une
  société respectable, applaudir au bonheur de mademoiselle de
  Marille, jeune personne belle, spirituelle, vertueuse, qui obtient
  l'avantage de devenir l'épouse de M. B., vieillard malsain,
  repoussant, malhonnête, imbécile, mais riche, et qu'elle a vu pour
  la troisième fois aujourd'hui, en signant le contrat.

  Si quelque chose caractérise un siècle infâme, c'est un pareil
  sujet de triomphe, c'est le ridicule d'une telle joie; et dans la
  perspective, la cruauté prude avec laquelle la même société
  versera le ridicule à pleines mains sur la moindre imprudence
  d'une pauvre jeune femme amoureuse.

  CHAMPFORT, 4. 155.


ART. 2.

Le naturel, l'intimité sincère, ne peuvent avoir lieu que dans l'accord
parfait, car, dans toutes les autres phases de l'amour, on doit
admettre la possibilité d'un rival favorisé.


ART. 3.

L'accord parfait a cet avantage sur l'amour simplement heureux, que
l'harmonie d'idées, d'affections, de résolution sur laquelle il repose
ne peut être troublée ni par la crainte ni par le regret. Il semble que
ce soit là seulement qu'on trouve l'union telle que la nature l'ordonne
et la veut, telle que l'abolition du divorce la rend nécessaire[8].

  [8] L'abolition du divorce est un des plus grands maux dont notre
  pays ait été affligé depuis vingt ans. La seule manière d'assurer
  la fidélité des femmes c'est de donner la liberté aux jeunes
  filles et le divorce aux gens mariés. Nos lois abolissent les
  voeux perpétuels et la servitude: qu'est-ce autre chose que le
  mariage sans divorce? Les prêtres nous disent: «Il ne faut pas de
  divorce, parce que le mariage est un _mystère_;» et quel mystère!
  l'emblème de l'union de Jésus-Christ avec son église, «_Tu es
  Petrus et super hanc petram ædificabo ecclesiam meam_.» Mais que
  devenait ce mystère si l'_Église_ se fût trouvée un nom du genre
  masculin. D'ailleurs ces mêmes prêtres qui ne veulent pas tolérer
  le divorce en 1829, ne montaient-ils pas en chaire, il y a une
  trentaine d'années, pour en faire l'apologie! et ceux qui se
  montrent si hostilement soumis à Rome ignorent-ils que Rome est la
  ville d'Europe où chaque année il se fasse le plus de divorces?

  Le vieux Milton, qui, pour beaucoup de gens, est une toute aussi
  bonne autorité que le _Tu es Petrus_, s'exprime ainsi dans son
  Traité du Divorce: «Le mariage n'a pas été institué pour la seule
  procréation de l'homme, mais aussi pour sa consolation; et comme
  il est rare que l'on puisse voir avant l'union si les caractères
  ne sont pas inconciliables, il est injuste d'exiger qu'on reste
  enchaîné; car si le mariage prévient des désordres, c'est
  seulement lorsque l'affection est réciproque. Il en est tout
  autrement lorsqu'on ne peut regarder ce lien que comme un joug.


ART. 4.

«Anthisthènes, dit Montaigne, permet au sage d'aimer et de faire à sa
mode ce qu'il trouve être opportun, sans s'attendre aux lois, d'autant
qu'il a meilleur avis qu'elles, et plus de connaissance de la vertu.»



TITRE TROISIÈME.

+Après.+



=CHAPITRE PREMIER.=

+De la Jalousie.+


ARTICLE PREMIER.

C'est une sotte chose que la jalousie, et qui fait perdre la tête le
plus souvent. Si nous la faisons figurer ici, c'est dans l'espérance que
les conseils que nous donnons à froid seront utiles à quelque pauvre
jaloux privé du loisir ou de la faculté de penser lui-même aux moyens
de s'en guérir.


ART. 2.

«La jalousie est de toutes les maladies d'esprit celle à qui le plus de
choses servent d'aliment et moins de choses de remède.» (Montaigne.)


ART. 3.

Dans l'amour on embellit sa maîtresse de toutes les perfections; chaque
pas de l'imagination est payé par un moment de délire. A l'instant où
naît la jalousie, la même habitude de l'ame reste, mais pour produire un
effet contraire. Chaque perfection que vous ajoutez à votre idole vous
blesse, vous tue: c'est pour un rival que vous la faites belle.


ART. 4.

Quel remède à cela? peut-être d'observer le bonheur de son rival, de le
voir s'endormir philosophiquement dans le même salon où se trouve cette
femme dont la vue seule arrête le battement de votre coeur.


ART. 5.

Ce qui rend la douleur de la jalousie si aiguë, c'est que la vanité ne
peut aider à la supporter.


ART. 6.

Très souvent le meilleur parti à prendre est d'attendre sans sourciller
que le rival, s'il vous est inférieur en mérite, se perde lui-même
auprès de l'objet aimé. A moins d'une grande et première passion, une
femme d'esprit n'aime pas long-temps un homme commun.


ART. 7.

Pour qu'une telle tactique réussisse, il faut surtout cacher son amour à
son rival. En lui montrant votre jalousie, vous auriez l'avantage de lui
apprendre le prix de la femme qui le préfère, et il vous devrait l'amour
qu'il prendrait pour elle.


ART. 8.

Dans le cas où la jalousie naît après l'intimité, il faut user de
l'indifférence apparente et de l'inconstance réelle, car beaucoup de
femmes offensées par un amant qu'elles aiment encore s'attachent à
l'homme pour lequel il a la maladresse de montrer de la jalousie. Le jeu
alors devient réalité.


ART. 9.

On ne saurait définir les effets de la jalousie d'un homme sur le
coeur de la femme qui l'aime; mais de la part d'un amoureux qui
ennuie, la jalousie doit inspirer un souverain dégoût, qui peut se
changer en haine si le jalousé est plus aimable que le jaloux.


ART. 10.

«On ne veut de la jalousie que de ceux dont on pourrait être jalouse,»
disait madame de Coulanges.


ART. 11.

La jalousie peut plaire aux femmes qui ont de la fierté comme une
manière nouvelle de leur montrer leur pouvoir; mais si le jaloux est
aimé, sans cependant avoir de droits, il risque fort de blesser cet
orgueil féminin, si difficile à ménager et à reconnaître.


ART. 12.

Une femme se sent avilie par la jalousie, elle a l'air de courir après
son amant: ce doit donc être pour les femmes un mal encore plus affreux
que pour les hommes; il doit y avoir un mélange de rage impuissante et
de mépris de soi-même.


ART. 13.

La Rochefoucauld dit: «On a honte d'avouer que l'on a de la jalousie, et
l'on se fait honneur d'en avoir eu et d'être capable d'en avoir.»


ART. 14.

«Donner des conseils aux femmes pour les dégoûter de la jalousie, ce
serait temps perdu: leur essence est si confite en soupçons, en
vanité, en curiosité, que de les guérir par voie légitime il ne faut pas
l'espérer.» (Montaigne.)


ART. 15.

Quant à la jalousie conjugale, la plus respectable de toutes, nous ne
saurions quels remèdes lui opposer. Un malencontreux époux cependant
peut s'amuser à chercher du soulagement en lisant _Othello_. Il y
apprendra à douter des apparences les plus concluantes, et c'est avec
délices qu'il arrêtera les yeux sur ces paroles.

              Trifles light as air
    Seem to the jealous, confirmations strong
    As proofs from holy writ.

    OTHELLO, Acte 3[9].

  [9] Des bagatelles légères comme l'air semblent à un jaloux des
  preuves aussi fortes que celles que l'on puise dans les promesses
  du saint Evangile.



=CHAPITRE II.=

+Brouille.+


ARTICLE PREMIER.

La brouille est un éperon qui avive et stimule l'amour.


ART. 2.

Elle se divise en une infinité de nuances, et rien ne se ressemble moins
que la brouille de jalousie et celle de vivacité, d'intérêt, de pique,
de désoeuvrement, de calcul, d'incompatibilité.


ART. 3.

La brouille vient presque toujours du côté de la femme. Elle se fâche
d'abord contre elle-même, ou parce que l'habitude commence à produire
l'ennui, ou parce qu'elle est trop sûre de vous. Au lieu de rendre
brouille pour brouille, il suffit, dans ce cas, d'occuper son
imagination, d'inquiéter son coeur, d'y faire naître les soupçons et
tous les petits doutes de l'amour heureux.


ART. 4.

Quand le sujet de brouille vient de la part de l'homme, et dans ce cas
il est en général plus grave, le raccommodement est toujours facile: la
différence de l'infidélité dans les deux sexes est si réelle qu'une
femme passionnée peut pardonner une infidélité et être encore heureuse,
ce qui est impossible à un homme.


ART. 5.

Pour la brouille d'amour-propre, le remède est assez difficile, car
alors la vanité de l'homme s'indigne de penser que l'on puisse lui
préférer quelqu'un; et la crainte d'être pris pour dupe met toutes les
passions en mouvement: le raccommodement en est plus doux.


ART. 6.

La brouille d'amour-propre fait le lien de beaucoup de mariages, et ce
sont les plus heureux, après ceux que l'amour a formés. Un mari s'assure
pour de longues années la fidélité de sa femme en lui donnant une rivale
dès le premier mois du mariage.


ART. 7.

La différence entre la brouille d'amour-propre et la brouille de
jalousie c'est que l'une veut la mort de l'objet qu'elle craint, tandis
que l'autre veut que le rival vive et soit témoin de son triomphe.


ART. 8.

En principe, dans une brouillerie, on ne doit jamais craindre de
paraître impétueux, véhément. On excuse même des injures lorsqu'elles
semblent dictées par un sentiment passionné; mais le ton calme, dans une
brouille, donnerait à croire que vous pensez tout ce que vous dites,
vous blesseriez l'amour-propre, et tout raccommodement deviendrait
impossible.



=CHAPITRE III.=

+Du Raccommodement.+


ARTICLE PREMIER.

«On pardonne, tant que l'on aime.» (La Rochefoucauld.)


ART. 2.

C'est une délicieuse chose que le raccommodement: il rend la fraîcheur
et l'attrait de la nouveauté, non seulement aux idées et aux sensations,
mais encore aux réalités.


ART. 3.

Aussi l'amour à querelles est-il le plus durable des amours[10].

  [10] Voir Duclos. Anecdotes relatives à la duchesse de Berry.


ART. 4.

C'est surtout lorsque l'on s'est brouillé, séparé, quitté _pour la vie_,
qu'il est doux de se raccommoder. Il faut alors recommencer le roman de
l'amour, chapitre par chapitre, et surtout fermer les yeux de peur de
voir trop tôt le dénoûment.


ART. 5.

Dans le raccommodement, l'homme fait les trois-quarts des frais, mais il
faut que la femme ait préparé les voies dès le moment de la brouille.
Ainsi une femme ne doit jamais dire _oui_ à l'amant qu'elle a
trompé.[11]

  [11] On connaît l'anecdote de mademoiselle de Sommery, qui;
  surprise en flagrant délit par son amant, lui nia hardiment le
  fait; et comme celui-ci se récriait: «Ah! je vois bien, lui
  dit-elle, que vous ne m'aimez plus: vous croyez plus ce que vous
  voyez que ce que je vous dis.»



=CHAPITRE IV.=

+De la Séparation.+


ARTICLE PREMIER.

Se réconcilier avec une maîtresse adorée qui vous a fait une infidélité,
c'est trop présumer de sa force: il faut que l'amour meure. Certes,
c'est une des combinaisons les plus malheureuses de cette passion et de
la vie; mais, réconcilié, on n'aurait pas un jour de calme ni de
plaisir; il ne faut pas penser à ne se voir que comme amis: la
séparation est le seul recours d'un coeur trahi.


ART. 2.

Une fois qu'on est bien convenu avec soi-même de la nécessité de la
séparation, c'est une lâcheté d'en différer le moment.


ART. 3.

Ce qui distingue la séparation de la brouille, ce qui la rend durable,
c'est la nécessité où l'on est d'oublier l'objet aimé et la facilité
avec laquelle on se résout à former un autre attachement.


ART. 4.

On vante à tort et à travers les charmes du premier amour; l'homme
cependant qui a été trompé une fois, et qui trouve dans une nouvelle
liaison tout le charme, toute l'idéalité qu'il n'avait pas rencontrés,
qu'il n'osait même plus espérer, cet homme nous semble bien plus heureux
et bien plus fait pour donner le bonheur.



+Applications.+



LA DÉCLARATION.


La charmante vignette de M. Alfred Johannot placée au frontispice de ce
volume expose, mieux que tout ce que nous pourrions dire, l'attitude et
l'effet de la déclaration. L'artiste a reproduit, avec cette élégance
spirituelle qui caractérise ses moindres ouvrages, le timide embarras de
la jeune fille, la modeste insistance de l'amant: on voit qu'il
enveloppe sous tout ce qu'il y a de formes délicates l'aveu d'un amour
vrai; qu'il attend un regard où son sort soit écrit. Elle,
tremblante, interdite, le front couvert d'une tendre rougeur, flotte
incertaine entre l'espérance et la crainte; le sentiment qui l'agite
semble mélangé de plaisir, de peine et d'anxiété.

Une déclaration peut être élégante, passionnée, spirituelle: elle doit
avant tout être vraie. Il y a dans la voix, dans le geste, dans l'action
de l'homme profondément épris un caractère et un attrait que tout l'art
du monde ne saurait imiter; et la plus simple jeune fille semble douée
d'une rectitude de jugement, d'une délicatesse de tact qui ne lui
permettent pas de se méprendre entre l'expression d'un amour vrai et
la feinte d'une grande passion.

Souvent une surveillance rigoureuse, des obstacles imprévus, une
invincible timidité, s'opposent à ce que l'on puisse déclarer son amour
à celle qui en est l'objet, et l'on a recours à une lettre pour lui
peindre l'état de son coeur.

Une lettre, en effet, écrite avec sentiment, avec adresse, avec ame,
exerce une telle puissance sur un coeur de femme que souvent elle
parvient à fléchir une longue rigueur, à triompher de cruelles
préventions.

Constance, sermens, promesses, rien ne saurait attendrir une femme
capricieuse et légère. Qu'elle lise une lettre: les pleurs d'un amant
l'ont baignée, la douleur et la tendresse en dictent les plaintes
touchantes, l'espérance a répandu son gracieux coloris sur le style, et
le respect s'unit au plus vif sentiment pour arriver jusqu'au coeur:
un changement soudain s'opérera en elle, et la légère feuille azurée
versera dans son ame cette vive passion dont l'esprit l'a en quelque
sorte imprégnée.

Une lettre d'amour est le complice le plus adroit que l'on puisse
placer entre ses sentimens et celle qui en est l'objet. Une femme la
consulte sans cesse, la lit, la relit en secret. Votre lettre vous rend
l'office d'un habile avocat, et, à chaque instant du jour, plaide
éloquemment votre cause.

Nous ne tenterons pas ici de tracer les règles de ce genre de lettres:
dictées par le coeur, elles semblent toujours éloquentes; imitées par
l'esprit, elles manqueraient de ce charme, de ce naturel qui en fait
tout le prix. Il faudrait la plume brûlante de Jean-Jacques pour écrire
des lettres amoureuses.

Quant à ceux qui empruntent leurs déclarations à M. Ducray-Duminil ou au
secrétaire des amans, qu'en dire? La plus charmante femme du monde est
exposée à recevoir de telles épîtres, si, à son insu, elle encourage
chez quelque sot une timidité qu'elle ne prend que pour de l'embarras.
Ce qu'elle a de mieux à faire en tel cas, c'est de remettre à sa femme
de chambre la galante missive: il y a nécessairement eu erreur dans
l'adresse.

On rencontre souvent aussi par le monde d'innocens Lovelaces ayant
toujours un compliment à la bouche et une déclaration en poche; cette
_classe_ tout aimable s'adresse indistinctement à l'innocente jeune
fille, à la douairière émérite, à la sémillante veuve; le mal n'est pas
grand jusque là; mais, pour se consoler de leurs constans revers, de
telles gens se vantent parfois des conquêtes qu'ils rêvent. Les femmes
d'esprit ne font justice de cet odieux travers que par le ridicule et le
mépris.

En général, les femmes répondent à la déclaration de l'homme qu'elles
détestent par une _déclaration de principes_; à celle de l'indifférent,
par une _déclaration de neutralité_; c'est pour l'homme qu'elles
aiment qu'elles réservent _la déclaration de guerre_.


[Cul-de-lampe]



DES FEMMES, FILLES ET VEUVES.


Jean-Jacques Rousseau, qui certes n'était pas un aigle en amour, était
du moins profond théoricien, et ses ouvrages sont aujourd'hui l'arsenal
où tout ce qu'il y a d'amans vulgaires puise de l'éloquence pour séduire
les pauvres femmes assez sottes pour se laisser prendre aux faux
semblans des grandes passions. La Nouvelle Héloïse présente une sorte de
cours de l'art de conter fleurette, et ceux que le ciel, à défaut
d'esprit, a du moins gratifiés de mémoire, y trouvent encore des élémens
de succès. Attaquent-ils une femme à grands sentimens: «Femmes! femmes!
objets chers et funestes que la nature orna pour notre suplice, qui
punissez quand on vous brave, qui poursuivez quand on vous craint, dont
l'amour et la haine sont également nuisibles, et que l'on ne peut
rechercher ni fuir impunément; beauté, attraits, sympathie, charme
inconcevable, abîme de douleurs et de voluptés, beauté plus terrible aux
mortels que l'élément où on l'a fait naître, malheureux qui se livre
à ton calme trompeur: c'est toi qui produis les tempêtes qui tourmentent
le genre humain.» Avec tout ce pathos, sur lequel enchérissent encore la
voix et le geste, on peut tromper un faible esprit; près d'une femme
fine et sémillante, on ne serait que ridicule; on est touchant près
d'une romanesque.

Avec la jeune fille, la tactique doit être différente; mais Jean-Jacques
vient encore au secours de l'imagination en défaut: «L'accord de l'amour
et de l'innocence semble être le paradis sur la terre: c'est le
bonheur le plus doux et l'état le plus délicieux de la vie!» Que cette
phrase ou quelque autre lieu commun aussi bien exprimé retentisse à
l'oreille de la jeune fille, aussitôt une teinte de pourpre se répand
sur ses joues timides, son coeur tressaille, ses longues paupières se
baissent lentement vers la terre, comme inclinées par un sentiment de
honte; un léger frémissement agite sa poitrine; il semble qu'alors son
esprit cherche à expliquer ce qu'éprouve son ame, qu'elle veuille
analyser un sentiment nouveau. Une jeune fille, en effet, tente toujours
d'étouffer cette voix intime qui la tourmente et qui a pour elle un
charme si puissant.

Mais si l'on fait habilement germer dans son coeur une tendre
confiance; si, moins timide, son oeil ose interroger le regard de
celui dont les paroles la torturent si doucement, l'amour viendra
bientôt, pour l'éclairer, se mettre de la partie.

Mais que de précautions minutieuses, quelle prudence extrême, sont
nécessaires à celui qui veut plaire à l'innocente jeune fille! Les
émotions naissent si faciles, si nombreuses dans un coeur novice!
L'homme qui cherche là le bonheur doit se garder de les hâter, de les
rendre trop vives. Le germe de la tendresse doit se développer
lentement, et c'est un faux calcul que d'anticiper sur le moment où il
doit éclore: près d'une jeune fille, l'homme même de vingt ans doit être
précepteur, plutôt qu'amant, et laisser à la nature, à l'imagination le
soin d'expliquer ses regards, de commenter ses vagues discours.

L'éducation que l'on donne par le temps qui court aux jeunes filles les
prédispose à recevoir toutes les impressions de l'amour; sous un vain
prétexte de décence, on ne leur apprend rien qui puisse les guider dans
des circonstances qui s'offrent à elles dès leur premier pas dans le
monde; on fait plus, on leur nie ces circonstances et l'on ajoute ainsi
à leur force. Espère-t-on donc qu'une fille de seize ans ignore
l'existence de l'amour? la plus indifférente circonstance ne lui en
révèle-t-elle pas le pouvoir? Avec une éducation forte, élevée, les
femmes seraient exposées à moins de fautes et d'erreurs; le charme
naturel de leur esprit prendrait plus de solidité, sans rien perdre de
son brillant, et les rapports sociaux deviendraient plus sûrs et plus
agréables. Depuis un siècle on réclame contre l'éducation actuelle des
femmes; mais une puissance suprême s'oppose à toute amélioration: c'est
la puissance des sots, des ignorans surtout. Ces messieurs sont
naturellement ennemis de l'éducation des femmes. Maintenant encore, en
effet, ils passent le temps avec elles et en sont même assez bien
traités. Que deviendraient-ils si les femmes s'avisaient d'apprendre
quelque chose? ils seraient ruinés de fond en comble.

Le pire de l'éducation actuelle, c'est qu'on n'apprend rien aux jeunes
filles qu'elles ne doivent oublier bien vite aussitôt qu'elles sont
mariées; avec leurs maîtres de harpe, d'aquarelle et de chant, elles
arrivent bien rarement à la médiocrité, et de là le proverbe si vrai:
«Qui dit amateur, dit ignorant.»

Ce qui est fait pour étonner, c'est qu'un mari qui a épousé une belle
demoiselle élevée dans un pensionnat, envoie plus tard, à son tour, ses
filles dans un pensionnat pour recevoir cette même plate éducation qui a
dérangé toute l'utopie de sa vie. Ignore-t-il donc, par exemple, que le
plus commun des hommes, s'il a vingt ans et des joues couleur de
rose, est dangereux pour une femme qui ne sait rien (car elle est toute
à l'instinct), tandis que le même homme, aux yeux d'une femme d'esprit,
fera juste autant d'effet qu'un beau laquais? Ignore-t-il aussi que les
intérêts domestiques, le bonheur de la famille, reposent sur les idées
inculquées dès la jeunesse?

Dans les deux sexes, c'est de la manière dont on a employé la jeunesse
que dépend le sort de l'extrême vieillesse: cela est vrai de meilleure
heure pour les femmes. Comment une femme de quarante-cinq ans
est-elle reçue dans le monde? d'une manière sévère ou plutôt inférieure
à son mérite: on les flatte à vingt ans, on les abandonne à quarante.

Une femme de quarante-cinq ans n'a d'importance que par ses enfans ou
par son amant.

Une mère excelle dans les beaux-arts: elle ne peut communiquer son
talent à son fils que dans le cas extrêmement rare où ce fils a reçu de
la nature précisément l'ame de ce talent. Une mère qui a l'esprit
cultivé donnera à son jeune fils une idée, non seulement de tous les
talens purement agréables, mais encore de tous les talens utiles à
l'homme en société, et il pourra choisir. Les jeunes gens nés à Paris
doivent à leurs mères l'incontestable supériorité qu'ils ont à seize ans
sur les jeunes provinciaux de leur âge.

D'après le système actuel de l'éducation des jeunes filles, tous les
génies qui naissent femmes sont perdus pour le public.

Quel est l'homme, dans l'amour ou dans le mariage, qui ait le bonheur de
communiquer ses pensées, telles qu'elles se présentent à lui, à la femme
avec laquelle il passe sa vie? Il trouve un bon coeur qui partage
ses peines, mais toujours il est obligé de mettre ses pensées en petite
monnaie s'il veut être entendu, et il serait ridicule d'attendre des
conseils raisonnables d'un esprit qui a besoin d'un tel régime pour
saisir les objets. La femme la plus parfaite, suivant les idées de
l'éducation actuelle, laisse son partner isolé dans les dangers de la
vie, heureux lorsqu'elle ne finit pas par l'accabler d'ennui.

Quel excellent conseiller un homme ne trouverait-il pas dans sa femme,
si elle savait penser! un conseiller dont, après tout, hors un seul
objet qui ne dure que le matin de la vie, les intérêts sont exactement
identiques avec les siens.

Une des plus belles prérogatives de l'esprit, c'est qu'il donne de la
considération à la vieillesse. L'arrivée de Voltaire à Paris fait pâlir
la majesté royale. Mais quant aux pauvres femmes, dès qu'elles n'ont
plus le brillant de la jeunesse, leur unique et triste bonheur est de
pouvoir se faire illusion sur le rôle qu'elles jouent dans le monde. Les
débris des talens de la jeunesse ne sont plus qu'un ridicule, et ce
serait un bonheur pour nos femmes actuelles de mourir à cinquante
ans[12].

  [12] M. de Stendhal.

Mais me voilà bien loin de Jean-Jacques, dont je voulais à toute force
faire un précepteur d'amour. Sur les pas d'un non moins bon modèle, je
me suis laissé entraîner à un sujet non moins intéressant, et force
m'est de revenir sur mes pas.

C'est un art difficile que de plaire à une veuve. Habile à profiter de
ses avantages, elle se tient toujours sur un _qui vive_ que justifie sa
hasardeuse position; placée au milieu d'ennemis cruels et charmans,
une veuve a toujours un grand empire sur elle-même et sur les autres;
son expérience la sert bien mieux que ne pourrait faire l'innocente
ignorance; et cette remarque vient encore à l'appui de notre opinion.

Au reste, il n'existe pas de femme capable de résister toujours aux
occasions, à la persévérance, aux séductions de l'esprit et de la
tendresse. Montaigne dit avec grande raison: «Oh! le furieux advantage
que l'opportunité!» C'est, en effet, le meilleur allié de l'amour. Jeune
ou vieille, belle ou laide, toute femme est charmée qu'on lui adresse
de délicats hommages; si l'orgueilleuse résiste quelquefois plus
long-temps qu'une chaste, elle est encore flattée dans sa vanité; elle
ne se courrouce pas toujours si on lui désobéit par un excès d'amour; ce
sentiment se justifie de lui-même; et, pardonné une fois, l'amant peut
tout oser: les femmes s'attachent par les faveurs.


[Cul-de-lampe]



THÉORIES PHYSIOGNOMONIQUES.

    «On nie la physionomie, et, en dépit de soi, on se trouve porté
    à croire qu'il y a quelque mérite sous un joli visage.»

    (BOISTE, Dict.)

        «Toi dont le coeur est fait pour la tendresse,
        Connais tout l'art du choix d'une maîtresse:
        Il veut des soins ingénieux, constans;
        Cherche, étudie et les lieux et les temps,
        Compare, oppose, et voit d'un oeil austère
        L'âge, les goûts, l'ame, le caractère....»

    (BERNARD.)


C'est une déplaisante chose que les grands mots, et il faut en vérité
compter un peu sur l'indulgence des lecteurs pour oser leur parler
_physionomie_ et _sympathie_; et cependant il n'est aucun de ceux à qui
ce petit ouvrage puisse tomber dans les mains, qui ne se livre chaque
jour, même à son insu, à des observations du genre de celles que nous
consignons ici. La jeune personne que l'on voit à la promenade, que l'on
admire de prime-abord, dont on remarque la tournure et la grace,
n'attire-t-elle pas par un charme sympathique? Et si, plus tard, on se
retrouve au spectacle placé près d'elle, l'attention que l'on met à
chercher son regard, à observer son geste, à écouter sa voix, à étudier
son sourire, cette attention mélangée d'espérance et de curiosité,
n'est-elle pas elle-même une étude physiognomonique?

Du moment où les hommes ont commencé de vivre en société réglée;
aussitôt que, dans le choix d'une compagne, la douceur et le calcul ont
chez eux remplacé la violence, un besoin nouveau a dû se faire sentir à
leur esprit: c'était celui de connaître et d'apprécier les femmes, de
deviner leur âge, leur caractère, leurs goûts, leurs qualités, leurs
passions, leurs faiblesses; de savoir enfin si une conformité d'idées,
d'habitudes et de moeurs pouvait assurer le bonheur d'une union
durable.

Pour y parvenir, il leur a fallu d'abord étudier avec soin l'ensemble de
la tournure et des traits, puis épier ensuite certains momens d'abandon,
l'effet des impressions imprévues, quelques gestes et les mouvemens
imprévus des affections diverses qui se retracent si vivement sur le
visage de la femme, miroir mobile et fidèle de son ame. De là est née
sans doute cette science, conjecturale d'abord, devenue certaine depuis,
à l'aide de laquelle l'homme, initié en quelque sorte au mécanisme des
passions, parvient à les combattre, à les démasquer, et souvent même
les fait tourner à son avantage.

Notre but ici n'est pas de faire un traité de science aride ou de sévère
morale: nous tracerons seulement quelques indications utiles et d'une
application de tous les instans, en réunissant la plus grande partie des
inductions à l'aide desquelles on peut se familiariser avec l'art si
difficile de connaître les femmes. L'application et l'expérience
modifieront sans doute pour chaque lecteur quelques unes de nos
opinions: mais y a-t-il rien de général? Les graves professeurs
disent que les règles se confirment par l'exception.

On tire des inductions physiognomoniques presque certaines des femmes
d'après leur tournure, leur mise, les couleurs qu'elles préfèrent, leur
marche, leurs mouvemens, les traits de leur visage, la texture des
chairs, la voix, les gestes, les goûts dominans, d'après l'ensemble et
enfin l'aspect de leur personne.

Les signes d'une seule partie du corps pris isolément n'ont beaucoup
d'importance qu'autant qu'ils sont en convenance avec ceux des autres
parties: en effet, tout le corps humain est un, et chaque symétrie a
sa propre nature et ses dispositions particulières; on est frappé du
rapport constant entre les divers membres, et la conformation d'un seul
peut faire préjuger à coup sûr de celle de plusieurs autres.

Les divers organes doubles chez la femme, correspondent entre eux d'une
manière frappante et exacte: ainsi, un joli pied dénote inévitablement
une main petite et délicate; une jambe bien faite est un indice presque
certain d'un joli bras, elle indique même l'élégance et l'harmonie de
toutes les parties du corps. Quant aux organes intermédiaires et
uniques, tels que le nez, la bouche, etc., il existe entre eux des
relations sympathiques dont l'expérience démontre la justesse et dont
les révélations piquantes ne sont pas un des moindres attraits de la
science physiognomonique.

Le plus précieux avantage dont la femme puisse être favorisée, celui qui
agit le plus puissamment sur l'imagination de l'homme, c'est la grace:
elle l'emporte même sur la beauté. Une femme qui n'est que belle et bien
faite excite l'admiration: le sentiment qu'inspire une gracieuse
élégance a bien plus de vivacité et de douceur. Parmi les inductions
physiognomoniques à l'étude desquelles il est bon de se livrer, nous
placerons donc au premier rang _la tournure_.


DE LA TOURNURE, DES MOUVEMENS DU CORPS, ET DE LA MARCHE.

La tournure et les divers mouvemens du corps chez les femmes,
lorsqu'elles marchent, présentent des signalemens certains pour la
double connaissance du physique et du moral.

Les jeunes femmes qui se courbent habituellement en marchant, et dont
les mouvemens sont contraints et ramassés, unissent à un caractère
dissimulé un fond d'égoïsme; celles, au contraire, qui marchent
franchement, dont les mouvemens sont larges et faciles, sont naturelles,
généreuses et sincères.

La femme modeste marche les yeux baissés; la femme à forte passion a le
pas délibéré, la tête haute. Les caractères tracassiers _trottent-menu_;
une marche nonchalante, des mouvemens alourdis révèlent un caractère
trompeur, un tempérament paresseux.

Des mouvemens brusques et fréquens sont le signe d'un caractère
inconstant, inquiet et soupçonneux; la constance, la bonne foi, la
discrétion, se trahissent par des mouvemens réguliers et posés, sans
nonchalance. En général, une marche prompte et des mouvemens vifs
annoncent chez une femme des passions fougueuses, de l'emportement dans
l'esprit. Les naturels modérés ont des mouvemens réfléchis et pleins
d'accord.


DE LA MISE ET DU CHOIX DES COULEURS.

On reconnaît encore au choix des vêtemens certaines parties du caractère
chez les femmes. Les jeunes personnes, il est vrai, préfèrent le blanc
et les nuances claires, tandis que les femmes d'un âge mûr
choisissent des teintes foncées: rien de plus naturel, la jeunesse,
au caractère gai, vif, sémillant, aime tout ce qui est brillant comme
son humeur, tandis que la froide vieillesse recherche les nuances
sombres et semble porter le deuil de l'énergie et du plaisir qui l'ont
fuie; mais d'autres raisons déterminent la coupe des vêtemens, la
manière de les porter, et ces raisons, on les trouve dans la tournure de
l'esprit et dans la nature du caractère.

Ainsi, les femmes du Midi, plus actives que celles du Nord, aiment les
vêtemens étroits et courts. Celles des départemens de l'Ouest, plus
graves, plus réfléchies, portent des vêtemens amples et longs; celles
de l'Est, qui pour la plupart mènent un genre de vie inactif et
sédentaire, ont un costume très long et d'une coupe toute particulière.
Cette différence notable de l'habillement des femmes dans les diverses
parties de la France prend nécessairement sa source dans la diversité
des caractères et des moeurs. En appliquant cette observation avec
discernement, on doit tirer des inductions précises, et quoique la
variété des costumes dans chaque ville soit bien légère, elle se trouve
encore assez sensible pour révéler quelque qualité, quelque travers.
Parmi vingt femmes on n'en voit jamais deux mises exactement de la même
manière, et lorsqu'on veut étudier un caractère aussi léger que celui de
la femme, il importe de ne rien négliger. La couleur d'une écharpe, la
forme d'une collerette, la manière de draper un châle, tout doit
préoccuper et fournir matière à observation dans la personne que l'on
veut deviner avant de chercher à lui plaire.


DU RANG ET DE LA FORTUNE.

A voir passer une pension de jeunes demoiselles, l'observateur doit
deviner le rang et la fortune de la famille à laquelle chaque jeune
fille appartient. Il y a dans la marche, dans le regard, dans la manière
quelque chose qui trahit la position sociale, indépendamment de la mise
et de la beauté.

Dès la plus tendre enfance, la vanité et la richesse contractent une
habitude de raideur, de protection qui demeure indélébile; la modeste
aisance, l'honorable médiocrité, impriment un cachet de bienveillance,
une allure d'honnêteté; la pauvreté, en rétrécissant les idées et les
sensations, donne une timidité, une réserve méticuleuse, que ne peuvent
effacer ni l'éducation ni le changement de situation. Il suffit d'une
bien légère dose d'observation pour distinguer à la tournure la fille du
banquier de celle du duc et pair, la femme du commis de celle de
l'artiste.


DE LA VOIX.

Une voix haute et grave dénote une certaine ardeur amoureuse; une voix
grêle et aiguë indique la froideur et l'égoïsme; une voix faible et
criarde annonce une humeur irascible; une voix molle caractérise un
naturel doux et sensible; la voix nasillarde, une mauvaise constitution;
enfin la voix cassée témoigne chez les femmes qu'elles sont privées
de la plus belle de leurs prérogatives, celle de devenir mères.

Un langage naturellement humble et tremblant, ou le parler arrogant et
haut, sont des signes également caractéristiques.

Une parole prompte, mais bégayante, est le propre des esprits étourdis,
précipités; l'excessive lenteur dans l'articulation des mots est une
conséquence de la pesanteur de l'esprit.

Une élocution simple annonce chez une femme la pureté de caractère;
celles qui grasseient sont ordinairement composées et mignardes;
celles qui prononcent fortement les sons âpres et gutturaux sont
égoïstes et intéressées.

On a dit avec esprit: «Parle afin que je te connaisse,» et Plutarque
trouvait plus d'indications du caractère moral dans quelques mots lâchés
sans réflexion, que dans les traits de la physionomie. Ces signes sont
en effet rarement trompeurs, et l'on doit d'ailleurs remarquer que le
sens des paroles d'une femme se trouve presque toujours en rapport avec
la voix dont elle les prononce.


DU CHANT.

Rien n'indique mieux la disposition intérieure de la femme et son
plus ou moins de penchant à la sensibilité que le genre de chant et le
rhythme musical auxquels elle accorde la préférence. Ainsi, celles
qui aiment les airs simples et graves annoncent un esprit réfléchi et
ont dans l'imagination quelque chose de fin et d'élevé.

Les airs compliqués, chromatiques, à rhythme vif et bigarré, décèlent,
dans la femme qui les chante de préférence un naturel ardent,
inconséquent, étourdi. Quelque grave censeur citera peut-être à l'appui
de cette observation la préférence que les grandes dames du noble
faubourg accordent à l'Académie Royale-de-Musique, et l'ardeur dont les
élégantes de la Chaussée-d'Antin et du quartier de la Bourse suivent les
représentations des Bouffes. Les premières, en effet, admirent Gluck,
vénèrent Sacchini; les autres raffolent de Rossini et de Weber.

Les femmes qui mettent le mode harmonique au-dessus de la mélodie
annoncent moins de sensibilité que celles qui préfèrent cette dernière;
au reste, il existe mille nuances révélatrices dans la manière dont
plusieurs femmes disent le même air: chacune l'embellit et l'empreint
de ses sensations et de ses sentimens.

La respiration, cette partie si importante de l'art du chant, mérite
aussi l'attention sérieuse de l'observateur. On juge à une respiration
faible, lente ou rare qu'une femme est délicate, timide ou froide; au
contraire, une respiration pleine, prompte, sonore est le signe d'un
tempérament sain et robuste.


DES GOUTS DIVERS.

Dans leurs affections, dans leurs préférences, dans leurs inimitiés, les
femmes décèlent également leur caractère et leur naturel. Les coeurs
simples aiment les enfans, tandis que les esprits sérieux se plaisent
avec les vieillards.

L'esprit léger, la délicatesse de sentiment, se montrent dans le goût de
la peinture et des fleurs.

Un vif amour pour de brillans spectacles, pour les ornemens de luxe, les
décorations futiles, appartient à un naturel vain et entiché de
préjugés.

Un esprit mâle s'annoncera dès l'enfance en préférant des jeux et des
occupations propres à développer la force et les passions; un esprit
faible ne fera jamais que des poupées.

De même que le diagnostic d'une complexion vigoureuse est d'aimer les
alimens âpres, secs et grossiers, la recherche des friandises est
l'indice d'un caractère tendre et d'une santé délicate. La femme qui
préfère une nourriture succulente doit avoir l'esprit lourd; celle qui
sera sensible et apte aux travaux de l'esprit recherchera les alimens
maigres et végétaux.

Le goût pour des substances épicées, piquantes, pour les liqueurs
spiritueuses, dénote un tempérament vif et violent; les alimens
farineux, les boissons douces, sont préférés des caractères lents et des
passions tendres.

L'usage des odeurs suaves annonce chez les femmes un penchant prononcé
vers la volupté.

On a remarqué chez les femmes dont le goût est prononcé pour les
liqueurs spiritueuses et les vins pétillans une grande franchise, de la
générosité, une sorte de témérité; l'extrême sobriété, au contraire, est
souvent le partage d'un caractère dissimulé et craintif. Les femmes qui,
dans les grandes villes, à Paris surtout, ne font en général usage que
d'eau pour boisson, fournissent rarement l'occasion de quelque remarque
de ce genre. Heureux toutefois celui qui peut les surprendre et les
juger dans ces momens où l'abandon fait percer le naturel et le
dégage de feinte et d'apprêts.


DU STYLE.

Buffon a dit avec esprit et justesse, «Le style est l'homme même.»[13]
On peut, en effet, se former une idée de ce qu'étaient nos grands
écrivains en lisant leurs pages immortelles. Pascal, mélancolique,
spirituel et profond, se peint dans ses écrits; à lire Fénélon, on
devine son ame douce, sa figure noble et bienveillante; l'héroïsme de
caractère, la sûreté du maintien, sont empreints dans P. Corneille et
dans Bossuet; en lisant la correspondance de Voltaire on voit à nu son
caractère, on saisit sa physionomie.

  [13] Quintilien, avant lui, exprime ainsi la même idée: «César
  écrivait du même style dont il combattait.»

On lit quelque part: «Une femme qui écrit une lettre envoie son
portrait.» Cela serait vrai si les femmes écrivaient toujours sans
prétention; mais la plupart s'étudient à mettre l'esprit à la place du
naturel: le sentiment ou l'abandon suffirait. Il faut être quelque peu
observateur pour reconnaître, au milieu des lieux communs des finesses,
des exagérations d'une lettre de femme, l'endroit où elle se trahit
et dévoile son caractère avec sa pensée.


DES MOEURS ET DES OCCUPATIONS FAMILIÈRES.

C'est surtout dans les actions ordinaires, dans les actions quotidiennes
de la vie que le naturel des femmes se décèle: alors, en effet, elles
n'ont pas le loisir de s'apprêter, de se contrefaire; observées à
l'improviste, elles se montrent vraies et telles qu'on voudrait toujours
les voir. La liberté d'un repas, quelque occupation de la vie
domestique, un élan subit d'obligeance ou de secours, témoignent les
goûts dominans; chaque soin, chaque geste alors fait reconnaître une
capacité.

La femme d'une humeur solitaire devient à la longue orgueilleuse ou
chagrine: elle se plaira dans les exercices de dévotion; celle, au
contraire, qui, fort jeune, aime déjà le monde, aimera plus tard la
dissipation.

Les moeurs, chez les femmes, déterminent trop rarement le choix des
études; leur éducation est soumise à trop de concessions, à trop de
convenances; mais, dès leur entrée dans le monde, les goûts, les
penchans qui ont été comprimés se développent. A ce moment, l'amour
des lettres et des beaux-arts annonce un esprit juste, noble et élevé;
celles qui préfèrent dans la musique l'harmonie à la mélodie; dans la
peinture, le coloris à la composition; dans la poésie, le style au
sujet, suivent plus l'impression de leurs sens que celle de leur ame.
Elles sont pour l'ordinaire vives, dissipées et inconstantes; elles ont
plus d'imagination que de jugement, plus d'esprit que d'instruction, car
les femmes dont les goûts sont diamétralement opposés sont tendres,
rangées, studieuses, naturellement réfléchies et concentrées en
elles-mêmes.

Celui qui n'a pas vu une jeune fille au milieu de sa famille ne peut
porter sur elle un jugement assuré; là seulement le naturel éclate sans
contrainte, les goûts et les penchans se montrent à découvert.


DU VISAGE ET DE SES DIVERS TRAITS.

La beauté du visage n'est pas chez les femmes tout-à-fait de convention,
ainsi qu'on le pense trop communément. Voltaire a dit: «Interrogez un
crapaud sur le beau, il vous répondra que c'est sa crapaude avec ses
gros yeux et sa peau gluante.» Le nègre doit faire son type de beauté
noir comme lui sans doute; mais n'y a-t-il pas un état positif de
perfection, de régularité, d'harmonie, d'organisation dans chaque
espèce? Chacune n'a-t-elle pas sa beauté propre, indépendante de nos
préférences et de nos préventions? La figure de la femme est le miroir
des affections de son ame, il y a long-temps qu'on l'a remarqué; mais on
n'a jamais assez insisté sur cette observation, que chacune des parties
du visage donne plus directement l'indication d'un genre particulier
d'affection.

Il serait utile de classer ces traits si révélateurs en trois régions,
savoir:

1º Les yeux et le front.

Ayant des rapports plus intimes avec le cerveau, ils expriment
principalement les sentimens de l'ame, de l'esprit et de la pensée.

2º Les joues et le nez.

Ils rendent les passions physiques et les émotions mimiques de la
douleur et de la volupté.

3º La bouche et le menton.

Ils correspondent spécialement aux affections les plus secrètes,
trahissent la pensée la plus déliée, le plus vague désir.

C'est par les yeux, ces lumières de l'ame, d'où jaillit l'éclair de la
pensée, que brillent l'intelligence et le feu du génie. C'est dans
l'expression des regards que se font lire les sentimens, que se
peignent les volontés, que se manifestent les sensations. Le plaisir
fait pétiller les yeux, le dépit les allume, la tristesse les abat,
l'étonnement les fixe, la crainte les agite, le respect les abaisse, la
tendresse les adoucit, la curiosité les ouvre, le courroux les enflamme
et l'ennui les appesantit. Chez les femmes surtout, les sourcils
ajoutent beaucoup à l'expression du caractère; on peut dire que la
tristesse, la jalousie et le dépit les habitent. Les rides du front,
heureusement si rares chez les femmes, marquent les agitations
auxquelles leur coeur est en proie.

Ce qu'on appelle ordinairement physionomie spirituelle ou sotte se peint
de préférence dans le haut du visage, les yeux, les sourcils et le
front.

Les douleurs du corps et les sensations physiques se peignent également,
quoique d'une manière bien diverse, par les mouvemens nerveux des joues
et des coins de la bouche.

Enfin, le coloris de la physionomie, la rougeur de la honte, l'animation
du désir, la pâleur de la crainte; le jeu des muscles gonflés dans la
colère, relâchés dans l'abattement, suspendus dans l'étonnement,
renversés dans le désespoir; le mouvement de la tête, penchée dans
l'amour, tombante dans la tristesse, tendue dans le désir, élevée dans
l'indignation: tout concourt, même par les traits les plus fugitifs, à
peindre au vif les affections de la femme.

Ainsi, une impression fréquente se change chez elles en une sorte de
nature, et les femmes qui sont souvent affectées par une passion vive
contractent dans leur tournure et leur physionomie certains traits
indicatifs de cette passion. Enclines qu'elles sont à quelque action
vertueuse ou vicieuse, elles en saisissent l'air sans y penser, et
cet air, en se modifiant dans toute leur personne, lui imprime un
caractère particulier. Pour reconnaître cette sorte d'indice, il faut
examiner les passions qui, le plus généralement, agitent le coeur
d'une femme, ainsi que la manière dont ces passions agissent
extérieurement sur elle.

Dans la joie ou le plaisir, le visage s'épanouit, la poitrine se
développe, s'élargit en quelque sorte, toutes les sensations sont
portées à l'extérieur.

Dans la tristesse ou le chagrin, tous les membres se retirent, le
visage se renfrogne et la poitrine semble se rétrécir.

Dans la colère ou même le mécontentement, l'ame s'échauffe, les membres
se raidissent, le sang bouillonne.

Dans la terreur ou la crainte, les membres semblent affaissés, le
coeur manque et se glace, les traits se décomposent entièrement.

Toutes les autres passions, chez les femmes, ne sont en quelque sorte
que des modifications ou des nuances de ces quatre primitives: l'amour
et l'aversion, n'étant, en effet, que des affections purement relatives
aux individus, ne peuvent être continuelles et sont inhérentes à
celles-ci.

Ainsi, chez les femmes, tout décèle le caractère, même les choses en soi
les plus indifférentes. Madame de Staël a dit: «Une sotte ne prend pas
son éventail et ne se tient pas debout comme une femme spirituelle.» De
là naissent les préférences involontaires, les sympathies imprévues.

La réflexion profonde, la constance, l'inspiration, se manifestent chez
les femmes dans un regard fixe, arrêté et d'une assurance modeste. Au
contraire, des regards vides, mobiles, douteux, appartiennent à un
esprit irréfléchi; de petits yeux enfoncés annoncent souvent une nature
envieuse et maligne; de gros yeux saillans et gris, un esprit simple et
vulgaire; un oeil noir, vif et animé indique un tempérament ardent et
irascible; des yeux bleus ou verts, au regard languissant, décèlent une
ame tendre, douce et craintive.

Ce sont donc les yeux qu'il faut étudier surtout dans la physionomie des
femmes, pour pénétrer leurs plus intimes pensées. Il est rare qu'une
femme coupable soutienne hardiment un mensonge sous les regards d'un
juge observateur et physionomiste. L'abbé de Mancy assure que «les
Chinois ne s'enquièrent pas autrement de la fidélité de leurs femmes;
l'épouse qui soutient avec assurance le regard du mari irrité triomphe
du soupçon et recouvre sa tendresse.» Une telle épreuve serait peut-être
moins décisive dans un pays encore plus civilisé que la Chine. Faut-il
s'en plaindre, doit-on s'en applaudir? nous laissons aux maris à décider
la question.

De ce petit traité, où nous avons rassemblé les principales observations
physiognomoniques consignées dans une foule d'épais in-quarto, le
lecteur retirera sans doute quelque fruit. Avant de s'aventurer à être
aimable ou même galant près d'une femme, il l'étudiera et raisonnera son
attaque d'après une théorie basée sur l'expérience et que le résultat
démentira bien rarement. L'art physiognomonique est assurément une des
principales branches accessoires du grand art de plaire; mais, en lui
accordant la confiance qu'il mérite, il ne faut pas non plus se trop
fier à son secours. C'est de l'ensemble des moyens que résulte seulement
le succès. En comparant l'art de conter fleurette à un jeu d'enfant,
on pourrait dire que la physiognomonie _donne barre_ sur le beau sexe,
mais il s'agit ensuite de bien courir pour l'attraper.


[Cul-de-lampe]



APOLOGIE

_De la Coquetterie_.


Mademoiselle de Scudéry, dans ses _Conversations morales_, après avoir
ingénieusement défini la coquetterie un déréglement de l'esprit, fait
venir le mot coquette de l'italien _civetta_, chouette: elle prétend que
la chouette attire la nuit quantité de petits oiseaux autour d'elle, et
que, par allusion, on a appelé de son nom les femmes qui s'attiraient
des adorateurs.

Ménage, en s'appuyant de Pasquier, trouve l'origine de coquette dans
le mot _coq_, et dit qu'on donna le nom de coquet et coquette aux hommes
et aux femmes qui eurent la prétention de plaire à plusieurs, comme les
coqs lorsqu'ils font l'amour à leurs poulettes.

Les Anciens n'ont point connu la coquetterie, sans doute parce que les
deux sexes étaient trop isolés chez eux, où on ne se réunissait guère
qu'en famille: dans les fêtes publiques, en effet, dans les cérémonies
religieuses, les hommes et les femmes étaient presque toujours séparés.
On ne connaissait point alors ce que nous appelons la société, ces
réunions où le désir de paraître aimable porte chacun à faire valoir
les agrémens de sa personne, les grâces de son esprit, le charme de ses
talens, les avantages de son rang ou de sa fortune. On chercherait en
vain dans leurs écrits quelque indice du caractère de la coquetterie:
les poètes n'ont peint que des femmes vertueuses et fidèles, des femmes
adultères et déréglées, et des courtisanes.

Jusqu'au seizième siècle, les peuples modernes ressemblèrent sous ce
rapport aux anciens, et ne laissèrent apercevoir dans leurs moeurs
aucune trace de coquetterie.

Ce fut sous Catherine de Médicis seulement que la coquetterie prit
naissance: c'était un caractère nouveau.

Le cercle que cette princesse établit à la cour inspira à la noblesse et
à la bourgeoisie le désir d'en former de semblables: ce fut en quelque
sorte une révélation que l'on pouvait trouver des agrémens et des
plaisirs hors des réunions dont l'amitié ou la parenté était l'ame. On
reçut dès-lors chez soi une personne pour son esprit, une autre pour sa
fortune, une troisième par déférence pour son rang; on consentit bien
encore à en voir quelques unes à cause de leurs qualités ou de leurs
vertus; mais le but, en se formant une société, étant de se divertir,
d'augmenter en quelque sorte la somme de plaisirs, dont chaque maître de
maison veut la plus grosse part, la frivolité présida au choix de ceux
qu'on y admit sans amitié, sans lien de parenté, sans amour. Les deux
sexes ainsi réunis n'auraient eu qu'une conversation froide et
insignifiante si le penchant naturel qui les harmonise l'un à l'autre
n'eût également agi sur les coeurs: il porta les hommes à ne pas voir
avec indifférence des femmes dont la bienveillance se colorait pour eux
des dehors de l'amitié; obligés à moins de retenue qu'elles, ils crurent
devoir donner à leur politesse toute l'apparence de l'amour. Le langage
des femmes, quoique réservé, fut aimable et piquant, parce que la grace
dont la nature les a douées perce toujours, même à leur insu, dans leurs
discours comme dans leurs actions; celui des hommes fut vif, spirituel,
parce que, ne pouvant dissimuler qu'ils connaissaient l'amour, ils se
seraient voués au ridicule en feignant la naïveté, pardonnable à peine à
l'ignorance. Cependant les femmes reconnurent qu'il y avait plus de
flatterie que de sentiment dans les hommages qu'on leur rendait; elles
sentirent le danger de se montrer sensibles à des adulations
intéressées; mais ces adulations leur plaisaient trop pour que leurs
belles résolutions de résistance pussent être de longue durée: alors
l'esprit, toujours fidèle à les servir, l'esprit, inné chez elles avec
la malice, vint à leur secours et leur offrit le plus puissant
auxiliaire, la coquetterie.

Par imitation de la cour, toutes les femmes devinrent bientôt coquettes.
Brantôme nous apprend dans le _Panégyrique de Catherine de Médicis_, que
cette reine avait à sa suite trois cents filles ou dames d'honneur,
dont la douce occupation était de séduire et de fixer près de leur
souveraine les seigneurs étrangers et nationaux. Suivant lui, habiles et
gracieuses comme les nymphes d'Armide, elles réussissaient si bien dans
leurs décevantes entreprises, que l'on disait de la cour de France:
«C'est le paradis de la terre.» Quelques auteurs ont prétendu que la
politique Catherine avait tiré parti de cette brillante et nouvelle
sorte de garde du corps; si l'on en croit leurs accusations, les dames
de la cour lui révélaient les secrets des captifs qu'elles tenaient
dans leurs fers: la chose est possible, mais, certes, la faute en est
plus à l'insidieuse princesse qu'à la complaisante coquetterie de ses
aimables agens diplomatiques.

Quoi qu'il en soit, nulle cour ne s'était, d'après les chroniqueurs,
montrée aussi brillante, aussi aimable que celle de Henri II; la cour de
Charlemagne même lui fut, disent-ils, inférieure: «Car cet empereur-roi
ne donnait à ses dames que deux ou trois tournois par an; et, après
chaque tournoi, comtes, chevaliers, paladins retournaient dans leurs
châteaux, Charles n'ayant pas près de lui, comme Catherine, un cercle
où la beauté, l'esprit et les graces fussent en rivalité pour dompter
les courages et soumettre les coeurs.»

Nous allons peut-être bien étonner les femmes en leur disant qu'il leur
est plus facile de demeurer fidèles que coquettes; leur surprise cessera
quand nous expliquerons ce que l'on doit entendre par la coquetterie
dans l'acception véritable du mot.

La coquetterie est le triomphe perpétuel de l'esprit sur les sens: une
coquette doit inspirer de l'amour sans jamais l'éprouver; il faut
qu'elle mette autant de soin à repousser loin d'elle ce sentiment qu'à
le faire naître chez les autres; elle contracte l'obligation d'éviter
jusqu'aux apparences d'aimer, de crainte que celui de ses adorateurs qui
passerait pour préféré ne fût regardé comme plus heureux par ses rivaux;
son art consiste à leur laisser continuellement concevoir de
l'espérance, sans leur en donner; une coquette, enfin, ne peut avoir que
des caprices d'esprit. Or, nous le demandons aux dames, est-ce donc
chose si facile que de soumettre les besoins du coeur aux jouissances
de l'esprit?

Un mari, s'il est répandu dans le monde, doit désirer que sa femme soit
coquette; ce caractère assure sa félicité; mais il faut, avant tout, que
ce mari ait assez de philosophie pour accorder à sa femme une confiance
illimitée. Un jaloux ne peut croire que sa femme reste insensible aux
efforts constans que l'on tente pour toucher son coeur; il ne voit
dans les sentimens qu'on lui porte qu'un larcin fait à sa tendresse pour
elle. De là beaucoup de femmes qui n'auraient été que coquettes, par
l'impossibilité de l'être, deviennent infidèles; car les femmes aiment
les hommages, les flatteries, les petits soins: le monde n'attache
pas un assez grand prix aux sacrifices qu'elles peuvent faire à leur
vertu pour qu'elles ne satisfassent pas ce goût de leur vanité.

A ceux qui crieraient au paradoxe et qui nieraient que la coquetterie
fût réellement une qualité de l'esprit imposant la chasteté aux sens,
nous citerons La Bruyère: «Une femme, dit-il, qui a un galant se croit
coquette; celle qui en a deux ne se croit que coquette.»

Abusons-nous moins du nom de coquette qu'on ne faisait du temps de
La Bruyère? Nous appelons coquette une jeune personne, une femme qui
aime la toilette pour s'embellir seulement aux yeux d'un mari, d'un
amant.

Nous appelons encore coquette une femme qui est soumise à la mode, sans
remarquer que souvent chez elle il n'y a aucune intention de plaire,
qu'elle obéit uniquement aux exigences de son rang et de sa fortune.

Enfin, nous appelons coquettes des femmes qui passent d'un attachement à
un autre; et, par un même abus de ce mot, on entend dire tous les jours
que Ninon était la reine des coquettes par des personnes qui ont ri
du billet à La Châtre. Boileau prétend que, de son vivant, Paris ne
comptait que trois femmes fidèles: le trait du satirique n'est ni de bon
goût ni de bon sens; il eût pu dire, avec plus de raison, qu'on n'y
pouvait citer trois femmes véritablement coquettes. Le dictionnaire
devrait substituer galanterie et galant à coquet et coquetterie.

Mais si la véritable, l'innocente coquetterie devient chaque jour plus
rare, la faute n'en est-elle pas aux hommes? Préférant aujourd'hui les
sensations aux sentimens, ils se lasseraient bientôt d'une coquette
qui ressemblerait à celles de Médicis ou à la Clarisse de mademoiselle
de Scudéry; on comprend à peine aujourd'hui, au théâtre, ces rôles de
coquettes que les auteurs comiques ont peints cependant d'après nature:
ce caractère n'est plus maintenant qu'une idéalité. Excusons, toutefois,
les femmes: il est naturel que, convaincues de l'impossibilité de se
faire un cercle de _chevaliers de l'espérance_, elles aient dédaigné un
caractère qui ne leur pouvait réussir.

Combien nous devons regretter la coquetterie! si elle venait à
s'emparer des femmes, quel changement précieux dans nos moeurs! Nos
petits-maîtres, que la facilité des succès rend suffisans au point de
négliger d'être aimables, s'étudieraient alors à le devenir; le ton, les
manières, les discours acquerraient un charme qu'ils ont à peu près
perdu; on verrait revenir ces brillantes réunions dont le désir mutuel
de plaire faisait le charme et l'essence; on reverrait cette fleur de
politesse, ce doux mensonge qui imite l'amour et la constance, dans la
crainte de l'insuccès; peut-être se trouverait-il de ces coquettes qui
brillèrent sous Louis XIII et son successeur, de ces femmes qui ne se
bornaient pas à s'efforcer de plaire et de se faire aimer par les
agrémens de leur personne et de leur esprit, mais qui avaient encore
l'ambition d'inspirer à leurs adorateurs des sentimens élevés: les
hommes alors écouteraient encore la raison en croyant ne prêter
l'oreille qu'à l'amour.

Eh quoi! va-t-on me dire, d'un vice, ou tout au moins d'un défaut,
voulez-vous faire une vertu? Je répondrai que, dans l'impossibilité
d'être parfaits, nous devons tâcher d'être aimables; si l'on peut
concilier l'esprit de société avec la fidélité en amour, il vaut mieux
combattre les progrès de l'inconstance avec la coquetterie, que de la
laisser dégénérer en galanterie.

La coquetterie arrête le temps pour les femmes, prolonge leur jeunesse
et rend durable la saison des hommages: c'est un juste calcul de
l'esprit.

La galanterie, au contraire, précipite la marche des ans, diminue le
prix des faveurs et hâte le jour où elles sont dédaignées. Résumons-nous
donc en exprimant ce voeu du plus profond de notre coeur: Puissent
les femmes devenir chaque jour plus coquettes!



MACÉDOINE D'APHORISMES,
_Pensées, Lieux Communs, etc._


Il est permis d'être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot.

                        *

Eprouve ton coeur avant de permettre à l'amour d'y pénétrer, disait
l'école de Pythagore: le miel le plus doux s'aigrit dans un vase qui
n'est pas net.

                        *

M. de Portalis, qu'il faut bien se garder de confondre avec S. Exc. le
ministre actuel des affaires étrangères, disait, dans la séance du 16
ventose an XVI: «Le mari et la femme doivent incontestablement être
fidèles à la foi promise; mais l'infidélité de la femme suppose plus de
corruption et a des effets plus dangereux que l'infidélité du mari:
aussi l'homme a toujours été jugé moins sévèrement que la femme. Toutes
les nations, éclairées sur ce point par l'expérience et par une sorte
d'instinct, se sont accordées...» Voilà une belle déclaration des droits
de l'homme: La Fontaine répond: «Ah! si les bêtes savaient peindre!»

_Remarque._ Les hommes qui ont perdu leur femme sont tristes; les
veuves, au contraire, gaies et heureuses. Il y a même un proverbe parmi
les femmes sur la félicité du veuvage. Il n'y a donc pas égalité dans le
contrat d'union.

                        *

Les enfans connaissent tout le prix des larmes: c'est par elles qu'ils
commandent, et quand on ne les écoute pas, ils se font mal exprès.--Les
jeunes femmes agissent de même: elles se _piquent_ d'amour-propre.

                        *

Le premier amour d'un jeune homme qui entre dans le monde est
ordinairement ambitieux. Il se déclare rarement pour une jeune fille
douce, aimable, innocente. Un adolescent a besoin d'aimer un être dont
les qualités l'élèvent à ses propres yeux. C'est au déclin de la vie
qu'on en revient à aimer le simple, le naturel, désespérant du sublime.
Entre ces deux périodes se place l'amour véritable, qui ne pense à rien
qu'à soi-même.

                        *

«Apprenons aux dames à se faire valoir, à s'estimer, à nous amuser et à
nous piper. Faisant filer leurs faveurs et les étalant en détail,
chacun, jusqu'à la vieillesse misérable, y trouve quelque bout de
lisière, selon son vaillant et son mérite.» (Montaigne.)

L'empire des femmes est beaucoup trop grand en France, l'empire de la
femme beaucoup trop restreint.

                        *

L'amour est la seule passion qui se paie d'une monnaie qu'elle fabrique
elle-même.

                        *

Quelle sotte chose que l'opinion publique! Un homme de trente ans séduit
une jeune personne de quinze: c'est elle qui est déshonorée!

                        *

En amour, quand on _divise_ de l'argent, on augmente l'amour; quand
on en _donne_, on le tue.

                        *

Une femme appartient de droit à l'homme qui l'aime et qu'elle aime _plus
que la vie_.

                        *

Mademoiselle de Scudéry, qui était, du reste, une fort respectable
demoiselle, assure que «La mesure du mérite se tire de l'étendue du
coeur et de la capacité d'aimer.»

                        *

Votre rival le plus dangereux est celui qui vous ressemble le moins.

                        *

Dans une société très avancée, _l'amour-passion_ est aussi naturel
que l'amour physique chez les sauvages.

                        *

«Si une femme ne me cède que par pitié, dit Montaigne, je préfère ne
vivre point que de vivre d'aumône.»

                        *

Il n'y a d'unions à jamais légitimes que celles qui sont commandées par
une grande passion.

                        *

«Si vous voulez déployer l'amour et le considérer un peu de près, à
découvert, à peine trouverez-vous une autre affection qui ait les
douleurs plus aiguës, ni les joies plus véhémentes, ni de plus
grandes extases et ravissemens d'esprit.»

C'est l'antique Plutarque qui s'exprime ainsi dans les _symposiaques_,
et, d'honneur, il n'est pas un écolier de rhétorique qui, en traduisant
ce passage, ne brûle de reconnaître l'exactitude de la définition du
philosophe.

                        *

Les hommes s'attachent moins à la réalité de l'objet qu'à l'image
arbitraire que la prévention y substitue. Aussi, l'objet des passions
n'est pas ce qui les dégrade ou ce qui les ennoblit, mais la manière
dont on envisage cet objet.

                        *

«J'appelle _plaisir_ toute perception que l'ame aime mieux éprouver que
de ne pas éprouver.

»J'appelle _peine_ toute perception que l'ame aime mieux ne pas éprouver
qu'éprouver.[14]»

  [14] Maupertuis.

Désiré-je m'endormir plutôt que de sentir ce que j'éprouve, nul doute,
c'est une _peine_: donc les désirs de l'amour ne sont pas des peines,
car l'amant quitte pour rêver à son aise les sociétés les plus
attrayantes.

                        *

«Il ne faut pas penser à gouverner un coeur tout d'un coup et sans
aucune préparation: il sentirait d'abord l'empire et l'ascendant qu'on
veut prendre sur lui, il secouerait le joug par honte ou par caprice. Il
sent toutes les petites choses; et de là le progrès jusqu'aux plus
grandes est immanquable.» (Labruyère.)

                        *

On finit toujours au dernier moment de la visite par traiter son amant
mieux qu'on ne voudrait.

                        *

La plupart des hommes, par vanité, par méfiance, par crainte du malheur,
ne se livrent à aimer une femme qu'après l'intimité.

                        *

Une femme croit entendre la voix du public dans le premier sot ou la
première amie perfide qui se déclare auprès d'elle l'interprète fidèle
du public.

                        *

Un homme parfois découvre que son rival est aimé, et celui-ci ne le voit
pas, à cause de sa passion.

                        *

Plus un homme est éperdument amoureux, plus grande est la violence qu'il
est obligé de se faire pour oser risquer de fâcher la femme qu'il aime
en lui prenant la main.

                        *

Il faut aussi parfois citer les génies positifs: osons donc invoquer
en faveur de la galanterie les paroles du grave Leibnitz. Ouvrez,
Lecteur, le chapitre vingt du titre deux, _sur les Progrès de
l'Entendement humain_: «Aimer, c'est être porté à prendre du plaisir
dans la perfection.» Nous n'aimons point proprement ce qui est incapable
de plaisir ou de bonheur. L'amour de bienveillance nous fait avoir en
vue le plaisir d'autrui, mais comme faisant ou plutôt constituant le
nôtre; car s'il ne rejaillissait pas sur nous en quelque façon, nous ne
pourrions pas nous y intéresser, puisqu'il est impossible, quoiqu'on
dise, d'être détaché du bien propre.

                        *

Madame de Genlis, qui a raffolé vingt ans du théâtral Louis XIV, dit
dans _Mademoiselle de Clermont_: «Par la suite, l'expérience lui apprit
que pour les femmes le véritable amour n'est qu'une amitié exaltée, et
que celui-là seul est durable: c'est pourquoi l'on peut citer tant de
femmes qui ont eu de grandes passions pour des hommes avancés en âge.»

                        *

La pruderie est une espèce d'avarice, la pire de toutes.

                        *

L'influence de l'éducation et des moeurs de l'enfance se fait
toujours sentir, même à travers le génie. Ainsi Rousseau tombe amoureux
de toutes les _dames_ qu'il rencontre, et pleure de ravissement parce
que le duc de L***, un des plus plats courtisans de l'époque, daigne se
promener à droite plutôt qu'à gauche pour accompagner un M. Coindet, ami
de Rousseau.

                        *

Combien un mari sage doit applaudir à ces paroles de Montaigne: «C'est
folie de vouloir s'éclaircir d'un mal auquel il n'y a point de remède,
auquel la honte s'augmente et se publie surtout par la jalousie,
duquel la vengeance blesse plus nos enfans qu'elle ne nous guérit.
Faites que votre vertu étouffe votre malheur, que les gens de bien en
maudissent l'occasion, que celui qui vous offense tremble seulement à le
penser.»

                        *

Pittacus disait que chacun a son défaut, que le sien était la mauvaise
tête de sa femme.

                        *

«Il ne faut point confier ses amours à aucune femme: elles sont toutes
nées jalouses et envieuses. Les femmes ne se plaisent point les unes aux
autres: mille manières qui allument dans les hommes de grandes passions
forment entre elles l'aversion et l'antipathie.» (Labruyère.)

                        *

Une femme galante veut qu'on l'aime: il suffit à la coquette d'être
trouvée belle. Celle-là cherche à engager, celle-ci se contente de
plaire. La première passe successivement d'un engagement à un autre, la
seconde a plusieurs amusemens à la fois. Ce qui domine dans l'une, c'est
la passion et le plaisir; dans l'autre, c'est la vanité et la légèreté.
La galanterie est un vice du coeur, la coquetterie un déréglement de
l'esprit. La femme galante se fait craindre, et la coquette se fait
haïr.

                        *

«Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours: elles
sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles; et
l'homme le plus simple qui a de la passion persuade plus que le plus
éloquent qui n'en a point.» (La Rochefoucauld.)

                        *

L'amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement
continuel, et il cesse de vivre dès qu'il cesse d'espérer ou de
craindre.

                        *

Que d'honnêtes femmes ressemblent à ces trésors cachés qui ne sont
en sûreté que parce qu'on ne les recherche pas.

                        *

Les coquettes se font honneur d'être jalouses de leurs amans, pour
cacher qu'elles sont envieuses des autres femmes.

                        *

Dans la vieillesse de l'amour, comme dans celle de l'âge, on vit encore
pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.

                        *

Dans les premières passions, les femmes aiment l'amant; dans les autres,
elles aiment l'amour.



Notre Code paraîtrait sans doute incomplet si l'on n'y trouvait, en
regard de l'esquisse de nos coutumes actuelles, un aperçu des moeurs
galantes si renommées du moyen-âge.

L'histoire des cours d'amour, que nous empruntons à l'excellent ouvrage
de M. de Stendhal, offrira au lecteur de piquans contrastes, de
singulières analogies et un piquant intérêt.



DES COURS D'AMOUR.

Il y a eu des cours d'amour en France, de l'an 1150 à 1200. Voilà ce qui
est prouvé. Probablement l'existence des cours d'amour remonte à une
époque beaucoup plus reculée.

Les dames réunies dans les cours d'amour rendaient des arrêts, soit sur
des questions de droit, par exemple: L'amour peut-il exister entre
mariés?

Soit sur des cas particuliers que les amans leur soumettaient[15].

  [15] André, le chapelain, Nostradamus, Raynouard, Crescinbeni,
  d'Arétin.

Autant que je puis me figurer la partie morale de cette jurisprudence,
cela devait ressembler à ce qu'aurait été la cour des maréchaux de
France, établie pour le point d'honneur par Louis XIV, si toutefois
l'opinion eût soutenu cette institution.

André, chapelain du roi de France, qui écrivait vers l'an 1170, cite les
cours d'amour

    Des dames de Gascogne,
    D'Ermengarde, vicomtesse de Narbonne (1144, 1194),
    De la reine Éléonore,
    De la comtesse de Flandre,
    De la comtesse de Champagne (1174).

André rapporte neuf jugemens prononcés par la comtesse de Champagne.

Il cite deux jugemens prononcés par la comtesse de Flandre.

Jean de Nostradamus, _Vie des poètes provençaux_, dit, page 15:

«Les tensons étaient disputes d'amours, qui se faisaient entre les
chevaliers et dames poètes entre-parlant ensemble de quelque belle et
subtile question d'amour; et où il ne s'en pouvaient accorder, il
les envoyaient, pour en avoir la définition, aux dames illustres
présidentes, qui tenaient cour d'amour ouverte et planière à _Signe_ et
_Pierrefeu_, ou à _Romanin_ ou à autres, et là-dessus en fesaient arrêts
qu'on nommait _lous arrêts d'amours_.»

Voici les noms de quelques unes des dames qui présidaient aux cours
d'amour de Pierrefeu et de Signe:

    Stephanette, dame de Baulx, fille du comte de Provence;
    Adalarie, vicomtesse d'Avignon;
    Alalète, dame d'Ongle;
    Hermyssende, dame de Posquières;
    Bertrane, dame d'Urgon;
    Mabille, dame d'Yères;
    La comtesse de Dye;
    Rostangue, dame de Pierrefeu;
    Bertrane, dame de Signe;
    Jausserande de Claustral[16].»

  [16] Nostradamus, page 27.

Il est vraisemblable que la même cour d'amour s'assemblait tantôt dans
le château de Pierrefeu, tantôt dans celui de Signe. Ces deux villages
sont très voisins l'un de l'autre, et situés à peu près à égale distance
de Toulon et de Brignoles.

Dans la _Vie de Bertrand d'Alamanon_, Nostradamus dit:

«Ce troubadour fut amoureux de Phanette ou Estephanette de Romanin,
dame dudit lieu, de la maison de Gantelmes, qui tenait de son temps cour
d'amour ouverte et planière en son château de Romanin, près la ville de
Saint-Remy, en Provence, tante de Laurette d'Avignon, de la maison de
Sado, tant célébrée par le poète Pétrarque.»

A l'article de Laurette, on lit que Laurette de Sade, célébrée par
Pétrarque, vivait à Avignon vers l'an 1341, qu'elle fut instruite par
Phanette de Gantelmes, sa tante, dame de Romanin; que «toutes deux
romansoyent promptement en toute sorte de rithme provensalle, suyvant
ce qu'en a escrit le monge des Isles d'Or, les oeuvres desquelles
rendent ample tesmoignage de leur doctrine.... Il est vray (dict le
monge) que Phanette ou Estephanette, comme très excellente en la poésie,
avait une fureur ou inspiration divine, laquelle fureur estait estimée
un vray don de Dieu; elles estoyent accompagnées de plusieurs..... dames
illustres et généreuses[17] de Provence, qui fleurissoyent de ce temps
en Avignon, lorsque la cour romaine y résidoit, qui s'adonnoyent à
l'estude des lettres tenans cour d'amour ouverte, et y deffinissoyent
les questions d'amour qui y estoyent proposées et envoyées.....

  [17] «Jehanne, dame de Baulx;
  »Huguette de Forcalquier, dame de Trects;
  »Briande d'Agoult, comtesse de la Lune;
  »Mabille de Villeneuve, dame de Vence;
  »Béatrix d'Agoult, dame de Sault;
  »Ysoarde de Roquefueilh, dame d'Ansoys;
  »Anne, vicomtesse de Tallard;
  »Blanche de Flassans, surnommée Blankaflour;
  »Doulce de Monstiers, dame Clumane;
  »Antonette de Cadenet, dame de Lambesc;
  »Magdalène de Sallon, dame dudict lieu;
  »Rixende de Puyverd, dame de Trans.»

  Nostradamus, page 217.

»Guillen et Pierre Balbz et Loys des Lascaris, comtes de Vintimille, de
Tende et de la Brigue, personnages de grand renom, estant venus de
ce temps en Avignon visiter Innocent VI du nom, pape, furent ouyr les
deffinitions et sentences d'amour prononcées par ces dames; lesquels,
esmerveillez et ravis de leurs beaultés et savoir, furent surpris de
leur amour.»

Les troubadours nommaient souvent, à la fin de leurs tensons, les dames
qui devaient prononcer sur les questions qu'ils agitaient entre eux.

Un arrêt de la cour des dames de Gascogne porte:

«La cour des dames, assemblée en Gascogne, a établi, du consentement de
_toute la cour_, cette constitution perpétuelle, etc., etc.»

La comtesse de Champagne, dans l'arrêt de 1174, dit:

«Ce jugement, que nous avons porté avec une extrême prudence, est appuyé
de l'avis d'un très grand nombre de dames.....»

On trouve dans un autre jugement:

«Le chevalier, pour la fraude qui lui avait été faite, dénonça toute
cette affaire à la comtesse de Champagne, demanda humblement que ce
délit fût soumis au jugement de la comtesse de Champagne et des autres
dames.

»La comtesse, ayant appelé auprès d'elle soixante dames, rendit ce
jugement, etc.»

ANDRÉ, le chapelain, duquel nous tirons ces renseignemens, rapporte que
le code d'amour avait été publié par une cour composée d'un grand nombre
de dames et de chevaliers.

André nous a conservé la supplique qui avait été adressée à la comtesse
de Champagne lorsqu'elle décida par la négative cette question: _Le
véritable amour peut-il exister entre époux?_

Mais quelle était la peine encourue lorsque l'on n'obéissait pas aux
arrêts des cours d'amour?

Nous voyons la cour de Gascogne ordonner que tel de ses jugemens serait
observé comme constitution perpétuelle, et que les dames qui n'y
obéiraient pas encourraient l'inimitié de toute dame honnête.

Jusqu'à quel point l'opinion sanctionnait-elle les arrêts des cours
d'amour?

Y avait-il autant de honte à s'y soustraire qu'aujourd'hui à une affaire
commandée par l'honneur?

Je ne trouve rien dans _André_ ou dans Nostradamus qui me mette à même
de résoudre cette question.

Deux troubadours, Simon Doria et Lanfranc Cigalla, agitèrent la
question: «Qui est plus digne d'être aimé, ou celui qui donne
libéralement, ou celui qui donne malgré soi, afin de passer pour
libéral?»

Cette question fut soumise aux dames de la cour d'amour de Pierrefeu et
de Signe; mais les deux troubadours ayant été mécontens du jugement,
recoururent à la cour d'amour souveraine des dames de Romanin[18].

  [18] Nostradamus, page 131.

La rédaction des jugemens est toute conforme à celle des tribunaux
judiciaires de cette époque.

Quelle que soit l'opinion du lecteur sur le degré d'importance
qu'obtenaient les cours d'amour dans l'attention des contemporains, je
le prie de considérer qu'elles sont aujourd'hui, en 1822, les sujets de
conversation des dames les plus considérées et les plus riches de Toulon
et de Marseille.

N'étaient-elles pas plus gaies, plus spirituelles, plus heureuses en
1174 qu'en 1822?

Presque tous les arrêts des cours d'amour ont des considérans fondés sur
les règles du code d'amour.

Ce code d'amour se trouve en entier dans l'ouvrage d'André, le
chapelain.

Il y a trente et un articles. Les voici:


CODE D'AMOUR

DU XIIe SIÈCLE.

1.

L'allégation de mariage n'est pas excuse légitime contre
l'amour.

2.

Qui ne sait céler ne sait aimer.

3.

Personne ne peut se donner à deux amours.

4.

L'amour peut toujours croître ou diminuer.

5.

N'a pas de saveur ce que l'amant prend de force à l'autre amant.

6.

Le mâle n'aime d'ordinaire qu'en pleine puberté.

7.

On prescrit à l'un des amans, pour la mort de l'autre, une
viduité de deux années.

8.

Personne, sans raison plus que suffisante, ne doit être privé
de son droit en amour.

9.

Personne ne peut aimer s'il n'est engagé par la persuasion
d'amour (par l'espoir d'être aimé).

10.

L'amour d'ordinaire est chassé de la maison par l'avarice.

11.

Il ne convient pas d'aimer celle qu'on aurait honte de désirer
en mariage.

12.

L'amour véritable n'a désir de caresses que venant de celle
qu'il aime.

13.

Amour divulgué est rarement de durée.

14.

Le succès trop facile ôte bientôt son charme à l'amour: les
obstacles lui donnent du prix.

15.

Toute personne qui aime pâlit à l'aspect de celle qu'elle aime.

16.

A la vue imprévue de ce qu'on aime, on tremble.

17.

Nouvel amour chasse l'ancien.

18.

Le mérite seul rend digne d'amour.

19.

L'amour qui s'éteint tombe rapidement, et rarement se ranime.

20.

L'amoureux est toujours craintif.

21.

Par jalousie véritable l'affection d'amour croît toujours.

22.

Du soupçon et de la jalousie qui en dérive croît l'affection
d'amour.

23.

Moins dort et moins mange celui qu'assiége pensée d'amour.

24.

Toute action de l'amant se termine par penser à ce qu'il aime.

25.

L'amour véritable ne trouve rien de bien que ce qu'il sait
plaire à ce qu'il aime.

26.

L'amour ne peut rien refuser à l'amour.

27.

L'amant ne peut se rassasier de la jouissance de ce qu'il aime.

28.

Une faible présomption fait que l'amant soupçonne des choses
sinistres de ce qu'il aime.

29.

L'habitude trop excessive des plaisirs empêche la naissance de
l'amour.

30.

Une personne qui aime est occupée par l'image de ce qu'elle
aime assidûment et sans interruption.

31.

Rien n'empêche qu'une femme ne soit aimée par deux hommes, et un
homme par deux femmes[19].

  [19] 1. Causa conjugii ad amorem non est excusatio recta.

  2. Qui non celat, amare non potest.

  3. Nemo duplici potest amore ligari.

  4. Semper amorem minui vel crescere constat.

  5. Non est sapidum quod amans ab invito sumit amante.

  6. Masculus non solet nisi in plenâ pubertate amare.

  7. Biennalis viduitas pro amante defuncto superstiti præscribitur
  amanti.

  8. Nemo, sinè rationis excessu, suo debet amore privari.

  9. Amare nemo potest, nisi qui amoris suasione compellitur.

  10. Amor semper ab avaritiæ consuevit domiciliis exulare.

  11. Non decet amare quarum pudor est nuptias affectare.

  12. Verus amans alterius nisi suæ coamantis ex affectu non cupit
  amplexus.

  13. Amor rarò consuevit durare vulgatus.

  14. Facilis perceptio contemptibilem reddit amorem, difficilis eum
  parùm facit haberi.

  15. Omnis consuevit amans in coamantis aspectu pallescere.

  16. In repentinâ coamantis visione, cor tremescit amentis.

  17. Novus amor veterem compellit abire.

  18. Probitas sola quemcumque dignum facit amore.

  19. Si amore minuatur, citò deficit et rarò convalescit.

  20. Amorosus semper est timorosus.

  21. Ex verâ zelotypiâ affectus semper crescit amandi.

  22. De coamante suspicione perceptâ zelus intereà et affectus
  crescit amandi.

  23. Minùs dormit et edit quem amoris cogitatio vexat.

  24. Quilibet amantis actus in coamantis cogitatione finitur.

  25. Verus amans nihil beatum credit, nisi quod cogitat amanti
  placere.

  26. Amor nihil posset amori denegare.

  27. Amans coamantis solatiis satiari non potest.

  28. Modica præsumptio cogit amantem de coamante suspicari sinistra.

  29. Non solet amare quem nimia voluptatis abundantia vexat.

  30. Verus amans assiduâ, sinè intermissione, coamantis imagine
  detinetur.

  31. Unam feminam nihil prohibet à duobus amari, et à duabus
  mulieribus unum.

  Fol. 103.

Voici le dispositif d'un jugement rendu par une cour d'amour.

QUESTION: «Le véritable amour peut-il exister entre personnes mariées?»

JUGEMENT de la comtesse de Champagne: «Nous disons et assurons, par la
teneur des présentes, que l'amour ne peut étendre ses droits sur deux
personnes mariées. En effet, les amans s'accordent tout, mutuellement et
gratuitement, sans être contraints par aucun motif de nécessité, tandis
que les époux sont tenus, par devoir, de subir réciproquement leurs
volontés et de ne se refuser rien les uns aux autres.....

»Que ce jugement, que nous avons rendu avec une extrême prudence, et
d'après l'avis d'un grand nombre d'autres dames, soit pour vous d'une
vérité constante et irréfragable. Ainsi jugé, l'an 1174, le 3e jour des
calendes de mai, indiction VIIe[20].»

  [20] «Utrum inter conjugatos amor possit habere locum?

  »Dicimus enim et stabilito tenore firmamus amorem non posse inter
  duos jugales suas extendere vires, nam amantes sibi invicem gratis
  omnia largiuntur, nullius necessitatis ratione cogente; jugales
  verò mutuis tenentur ex debito voluntatibus obedire et in nullo
  seipsos sibi ad invicem denegare...

  »Hoc igitur nostrum judicium, cum nimiâ moderatione prolatum, et
  aliarum quamplurium dominarum consilio roboratum, pro
  indubitabil vobis sit ac veritate constanti.

  »Ab anno M. C. LXXIV, tertio calend. maii, indictione VII,»

  Fol. 56.

  Ce jugement est conforme à la première règle du code d'amour:
  «Causa conjugii, non est ab amore excusatio recta.»


[Cul-de-lampe]



TABLE.


    Prolégomènes.                                          5
    Origine et étymologie du vieux dicton «Conter
      Fleurette».                                         13

  CODE GALANT.

  TITRE PREMIER.
  AVANT.

    --Chapitre premier.--_De l'Amour._                    33
    --Chapitre II.--_De l'Attachement._                   39
    --Chapitre III.--_Du Goût._                           41
    --Chapitre IV.--_Du Caprice._                         43

  TITRE DEUXIÈME.
  PENDANT.

    --Chapitre premier.--_Des Regards._                   45
    --Chapitre II.--_Des Lettres._                        47
    --Chapitre III.--_Des Rendez-vous._                   50
    --Chapitre IV.--_Promesses et Sermens._               53
    --Chapitre V.--_L'accord parfait._                    56

  TITRE TROISIÈME.
  APRÈS.

    --Chapitre premier.--_De la Jalousie._                61
    --Chapitre II.--_Brouille._                           68
    --Chapitre III.--_Du Raccommodement._                 72
    --Chapitre IV.--_De la Séparation._                   74

  APPLICATIONS.

    La déclaration.                                       79
    Des femmes, filles et veuves.                         87
    Théories physiognomoniques.                          104
    --De la tournure, des mouvemens du corps et de la
      marche.                                            112
    --De la mise et du choix des couleurs.               114
    --Du rang et de la fortune.                          117
    --De la voix.                                        119
    --Du chant.                                          121
    --Des goûts divers.                                  124
    --Du style.                                          128
    --Des moeurs et des occupations familières.          130
    --Du visage et de ses divers traits.                 133
    Apologie De la Coquetterie.                          146
    Macédoine d'Aphorismes, Pensées, Lieux Communs,
      etc.                                               165
    Des cours d'amour.                                   184
    --Code d'amour du XIIe siècle.                       198


FIN DE LA TABLE.


       *       *       *       *       *


    Corrections:

    Page   8: «é» inversé dans «idées» (les idées vives, les aperçus
              ingénieux).
    Page  29: «olie» remplacé par «jolie» (la gracieuse mémoire de
              la jolie et tendre enfant).
    Page  29: «j'on» par «l'on» (chaque fois que l'on tente de
              conter fleurette).
    Page  48: «qu» par «que» (Il faut que ceux qui succèdent).
    Page  62: «alousie» par «jalousie» (La jalousie est).
    Page  65: «emme» par «femme» (sur le coeur de la femme qu'il
              aime).
    Page 101 (note): «M. de Stendhald» par «M. de Stendhal».
    Page 112: «mouvevemens» par «mouvemens» (La tournure et les
              divers mouvemens).
    Page 113: «tempéramment» par «tempérament» (un caractère
              trompeur, un tempérament paresseux).
    Page 117: «colerette» par «collerette» (la forme d'une
              collerette).
    Page 122: «elle elle» par «elle» (auxquels elle accorde la
              préférence).
    Page 130: «quotidiens» par «quotidiennes» (dans les actions
              quotidiennes).
    Page 146: «Mademoiselle de Scudéri» par «Mademoiselle
              de Scudéry».
    Page 154: «qu'elle» par «qu'elles» (les secrets des captifs
              qu'elles tenaient).
    Page 159: «fortuue» par «fortune» (aux exigences de son rang et
              de sa fortune).
    Page 208: «ans» par «sans» (sans être contraints).





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