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Title: Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton — Vol I
Author: Houard, David, Littleton, Thomas
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "Anciennes loix des François, conservées dans les coutumes angloises, recueillies par Littleton — Vol I" ***


[Notes sur la transcription: Lorsque du texte ordinaire a été imprimé
en plusieurs colonnes, on a réuni ces colonnes multiples en une seule
colonne. On a indiqué entre signes * le texte de Littleton en Law French
et entre signes _ le texte accentué en italiques ou autre technique.
L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
Voyez la note sur la transcription à la fin avec les corrections
effectuées.--Transcriber's Note: Multiple columns have been changed to
one single column; Littleton's text has been marked by *asterisks*,
emphasis is shown by _underscores_. Original spelling variants have
not been standardized. See list of changes made by the transcriber at
the end.]

ANCIENNES

_LOIX_

DES FRANÇOIS,

_CONSERVÉES_

DANS LES COUTUMES ANGLOISES,

_RECUEILLIES PAR LITTLETON_;

Avec des Observations historiques & critiques, où l'on fait voir que les
Coutumes & les Usages suivis anciennement en Normandie, sont les mêmes
que ceux qui étoient en vigueur dans toute la France sous les deux
premieres Races de nos Rois.

_Ouvrage également utile pour l'étude de notre ancienne Histoire & pour
l'intelligence du Droit Coutumier de chaque Province._

Par M. HOUARD, Avocat en Parlement, Correspondant de l'Académie des
Inscriptions & Belles-Lettres.

      _Fabula fucato verborum ornetur amictu;_
      _Integritas legum simplicitate viget._

      Anonym. ad Sken.

NOUVELLE ÉDITION.

_TOME PREMIER._

_A ROUEN_,

Chez LE BOUCHER le jeune, Libraire, rue Ganterie.

_Et se trouve à Paris_,

Chez DURAND, Neveu, Libraire, rue Galande.

M. DCC. LXXIX.

_AVEC APPROBATION ET PRIVILEGE DU ROI._



_A MONSEIGNEUR_,

      MONSEIGNEUR
      _ARMAND-THOMAS HUE_,
      CHEVALIER
      _MARQUIS DE MIROMENIL_,

      CONSEILLER DU ROI EN TOUS SES CONSEILS,
      _PREMIER PRÉSIDENT_
      DE LA COUR DE PARLEMENT SÉANT A ROUEN.


_MONSEIGNEUR_,

_Vous me fîtes l'honneur de me dire, il y a quelques années, que_ les
Principes du Droit ne pouvoient être bien connus que par l'étude de
l'Histoire: _Vous ajoutâtes_, _MONSEIGNEUR_, que si cette maxime étoit
vraie à l'égard du Droit en général, elle ne l'étoit pas moins
relativement au Droit particulier de chaque Nation & de chaque Province.
_Cette idée a été le germe de l'Ouvrage que je prends la liberté de vous
offrir._

_Si les Observations qu'il contient ne suffisent pas pour dissiper tous
les nuages qui nous cachent l'origine de la plûpart des maximes de notre
Droit Coutumier, elles peuvent du moins exciter ceux qui ont plus de
capacité & de loisir à atteindre ce but. Quoi d'ailleurs de plus propre
à les encourager, que la liberté que vous me donnez de vous faire
hommage de cet essai, & de vous exprimer publiquement le respect &
l'attachement inviolable avec lesquels j'ai l'honneur d'être_,

  _MONSEIGNEUR_,

      _Votre très-humble & très-obéissant_
      _Serviteur, HOÜARD._



_PREFACE._


Tous les Amateurs de la Littérature conviennent de l'importance des
Actes recueillis par Rimer, & des secours que l'on peut tirer des Rôles
Gascons & Normands que M. CARTE a copiés sur les Registres de la Tour de
Londres, & qu'il a publiés en 1743.

Mais ces Recueils ne sont pas seulement utiles aux Littérateurs; les
Villes, les Communautés, les Seigneurs, les Particuliers mêmes,
Propriétaires de Droits, de Fiefs ou de Fonds situés dans celles de nos
Provinces qui ont autrefois été occupées par les Anglois, &
conséquemment ceux qui sont chargés par état de la défense de ces Droits
& de ces possessions, peuvent aussi en tirer de grands avantages.

On auroit cependant inutilement recours à ces précieuses sources, si
l'on ignoroit l'origine de la législation qui subsistoit en France & en
Angleterre au temps de la date des Pieces qui ont fixé l'attention des
deux Compilateurs Anglois.

Aucun François ne s'est appliqué jusqu'ici à rassembler les Traités qui
nous restent encore de cette ancienne Législation, & les Anglois, qui en
sont Dépositaires, les consultent rarement aujourd'hui. Ces Traités ne
sont déjà plus pour la plûpart d'entr'eux que des Ouvrages de pure
curiosité, leur étude semble se borner aux Statuts des Parlemens
postérieurs à la Conquête. La France se trouvant par-là exposée à voir
périr entre les mains des Anglois de ce temps les Ouvrages que leurs
Jurisconsultes des douze & treizieme siecles ont donnés sur les Coutumes
Anglo-Normandes, j'ai tâché de me procurer les principaux de ces
Ouvrages. Mon dessein étoit d'abord de les réunir & publier en un seul
Volume; mais après y avoir mûrement réfléchi, il m'a paru que ce projet
ne seroit que d'une utilité bornée, tant que les esprits n'auroient pas
été préparés d'avance à recueillir tout le fruit que son exécution doit
naturellement produire.

Les Coutumes Anglo-Normandes isolées n'offrent rien d'intéressant aux
personnes qui n'ont point fait une étude particuliere de notre ancienne
Histoire & de la Jurisprudence Françoise des neuf & dixieme siecles. Ce
n'est pas du premier coup d'œil que l'on apperçoit les facilités que
les Coutumes peuvent procurer, soit pour l'intelligence des Chartes &
des Diplômes de nos derniers Rois de la seconde Race, soit pour
découvrir le véritable esprit de notre Droit Coutumier actuel; elles ne
produiront jamais ce double effet, qu'autant qu'on les placera, pour
ainsi dire, entre l'époque où nos Capitulaires ont cessé & celle où nos
différentes Coutumes ont été réformées: c'est par ce moyen seul que l'on
peut suivre, sans effort, les changemens que nos Loix ont successivement
éprouvés depuis le commencement de la Monarchie jusqu'à nous; opération
bien intéressante, car les motifs de ces changemens étant une fois
apperçus, les principes fondamentaux des Loix ou des Coutumes, sous
l'empire desquelles chacunes de nos Provinces se trouvent placées, ne
peuvent plus être méconnus. Frapé de cette idée, j'ai choisi entre les
Jurisconsultes Anglo-Normands celui qui a le mieux approfondi les Loix
Françoises, telles qu'elles ont été données à sa Nation par Guillaume le
Conquérant. J'ai interprété le texte de Littleton, & j'y ai joint des
Remarques; l'explication du texte rendra familieres des expressions
barbares qui se rencontrent à chaque ligne dans les Ouvrages des autres
Ecrivains qui, comme lui, ont travaillé sur les Coutumes que
l'Angleterre tient des Ducs de Normandie.

Les Remarques ont un double but. 1er. Elles indiquent dans les
Procédures que les Coutumes Anglo-Normandes nous ont conservées, les
traces des Procédures qui étoient admises durant les cinq premiers
siecles de notre Monarchie, & le germe de la plûpart de celles que nous
suivons maintenant. 2e. Elles ouvrent une voie sûre pour rendre raison
de toutes les variations que la Législation françoise a successivement
éprouvées depuis Clovis jusqu'au regne de Saint Louis. Cette voie
s'écarte, il est vrai, quelquefois de celle que nos Historiens ou nos
Jurisconsultes les plus accrédités ont tracée; mais la célébrité des
Auteurs ne fit jamais autorité, elle doit seulement engager à ne les
contredire qu'après le plus sérieux examen. Au reste, je ne crains pas
le reproche d'avoir porté trop loin ma critique. On peut juger par un
seul exemple de la circonspection avec laquelle je me suis conduit. En
jettant un coup d'œil sur les premiers Volumes de l'élégante Histoire
de l'Abbé Vély, que de négligences n'y découvre-t'on pas!

1er. Il croit trouver l'origine de la Régale dans la nature du Droit
féodal. _Les gratifications du Souverain, dit-il, qui s'appelloient
Bénéfices sous les Mérovingiens, se nommerent Fiefs sous les
Carlovingiens: or ces bienfaits, toujours viagers, étoient réversibles à
la Couronne à la mort du Possesseur; ce qui avoit lieu, soit que ces
bienfaits fussent accordés à des Ecclésiastiques ou à des Laïcs. On peut
donc,_ continue-t'il, _regarder cette Coutume comme la base du Droit de
Régale, qui, avec le temps, s'est étendu sur tous les biens de l'Evêché;
& ce qui rend cette opinion certaine,_ ajoute cet Historien, _c'est
qu'il n'y avoit d'Eglises sujettes à la Régale que celles qui tenoient
des Fiefs du Roi._

Il n'est pas assurément nouveau d'attribuer l'établissement de la Régale
à celui de la Garde des Bénéfices Laïcs; M. de Marca, Van-Espen, &c. ont
embrassé ce sentiment: mais en même-temps ces Auteurs ont compris qu'il
seroit contradictoire de faire remonter d'un côté, comme l'a fait l'Abbé
Vély, l'institution de la Régale au temps de Grégoire de Tours; & d'un
autre côté, de la faire dépendre de la Garde des Bénéfices, laquelle n'a
pu avoir lieu que postérieurement à leur hérédité, c'est-à-dire, dans le
neuvieme siecle.

D'ailleurs on ne voit point d'Eglises donataires de Bénéfices de dignité
avant ce temps-là. Les Rois leur avoient quelquefois, il est vrai,
permis sous la premiere Race de choisir des Officiers pour
l'administration provisoire de la Police dans leur Diocèse, & pour l'y
maintenir par des peines Canoniques:[1] ils leur avoient aussi cédé,
sous la dénomination de Bénéfices, des terres, des droits dépendans du
Fisc; mais ces concessions n'attribuoient aux Eglises aucune
Jurisdiction civile proprement dite, & ces Eglises n'étoient point
tenues d'en faire hommage.

[Note 1: Voyez la Note sur une Charte de Guillaume le Conquérant, qui
suit les Loix d'Edouard le Confesseur, dans le second Volume de cet
Ouvrage.]

Le nom de _Bénéfices_ attribué à ces dons ne signifioit donc rien autre
chose dans les Actes où on l'employoit relativement aux Eglises avant
877, sinon que les objets donnés étoient inaliénables, comme les
Bénéfices de dignité dont nos Rois gratifioient les Leudes Laïcs. C'est
en ce sens que dans la neuvieme Formule de Marculphe, Liv. 2, les enfans
cedent à leur pere les aleux de leur mere _ad usum Beneficii, nec
vendere_, fait-on dire à ce pere, _nec alienare, nec minuere debeam_.
C'est encore par cette même raison que dans la sixieme Formule du même
Livre, un Laïc qui prend sous le titre de Bénéfice le fonds qu'il a
aumôné à une Eglise, s'oblige de le conserver & de le cultiver _absque
ullo præjudicio vel diminutione aliquâ_. Mais à la différence des
Bénéfices de dignité, ces dons, ces bienfaits obtenus, possédés par les
Eglises, étoient perpétuels, quoiqu'on ne pût les aliéner. Ainsi il
seroit ridicule d'admettre que tant que les Eglises n'ont eu aucuns
Bénéfices de dignité, nos Rois ayent considéré les revenus de ces
Eglises comme réversibles à leur Domaine par la mort des Titulaires.

Lorsque les Bénéfices de dignité ou les honneurs Laïcs, tels que les
Duchés ou les Comtés, étoient amovibles ou viagers, les Possesseurs n'en
avoient que l'usufruit, & il étoit de l'essence même de ces honneurs
qu'après eux cet usufruit retournât au Souverain. L'exercice de la
portion d'autorité qui constituoit ces Bénéfices n'étant qu'une
émanation de celle du Souverain, cette portion s'y trouvoit
naturellement réunie par le décès de ceux qui en avoient été décorés.
Mais les biens des Eglises ayant été donnés à perpétuité, _ipsum
Beneficium perenniter maneat inconvulsum_, la Jurisdiction qui y étoit
attachée étant purement domestique, & les Possesseurs de ces biens
n'ayant d'autre part à la justice civile qui s'exerçoit sur ceux qui
étoient domiciliés dans l'étendue de leurs terres, que la recette des
amendes prononcées contre ces derniers en la Cour du Roi ou en celles de
ses Officiers, le Fisc n'avoit aucun prétexte pour révoquer en quelque
cas que ce fût la jouissance de ces dons, _quidquid exinde fiscus noster
poterat sperare in luminaribus Ecclesiæ in perpetuum proficiat?_

Il y a plus: s'il étoit vrai, comme l'avance l'Abbé Vély, que le Droit
de Régale se fût étendu avec le temps, & non originairement, sur les
biens d'autre nature que les Bénéfices, il faudroit supposer qu'une
Eglise qui n'auroit possédé aucuns biens sujets au _Vasselage_ Royal,
auroit été exempte de la Régale: supposition contredite par les Auteurs
qui les premiers ont fourni des preuves de ce Droit. Tous, en effet,
désignent les biens sur lesquels la Régale s'exerçoit par les termes les
plus propres à faire entendre qu'aucuns biens n'en étoient exceptés.
Dans le cinquieme Concile de Paris, en 615, Canon 7, les Préceptions par
lesquelles le Prince accorde la régie des biens Ecclésiastiques durant
la Vacance, & dont ce Concile condamne l'usage, qui, dans la suite, fut
cependant approuvé par le Clergé, il s'agit de tous les fonds des
Eglises sans distinction, _Res Ecclesiæ_. Le Pape Adrien II, en écrivant
à Hincmar, Archevêque de Reims, pour lui recommander de veiller en
l'absence de son Neveu, sous le bon plaisir du Roi, à l'administration
de l'Evêché de Laon, parle de tout le temporel de cet Evêché,
_Episcopatum post Regem servandum committimus_.

Ces observations paroîtront, sans doute, de quelque poids; cependant
l'Abbé Vély n'a pas daigné faire pressentir au Public les raisons qu'il
avoit eues pour les négliger; il se contente d'indiquer dans une Note
marginale des autorités pour établir que nos Rois de la premiere Race
faisoient don de Bénéfices à des Laïcs, à la charge du Service
militaire: ce qui n'a jamais été contesté; & il n'en a pas allégué une
d'où on puisse induire que les Bénéfices Ecclésiastiques avoient été
sous la premiere Race administrés durant la Vacance au nom du Roi,
quoique ce fût là l'unique point de difficulté qu'il devoit
éclaircir.[2]

[Note 2: Voyez ma Remarque sur la Section 103. J'y fixe l'origine &
l'antiquité de la Régale.]

2e. Ces défauts d'exactitude se retrouvent en plusieurs autres endroits
de l'excellente Histoire de cet Ecrivain. Grégoire de Tours[3] a
l'attention de distinguer le _Morgageniba_ ou Présent du lendemain des
Nôces d'avec la Dot; & notre Auteur,[4] en le citant, s'exprime de
maniere à rendre communs à ces deux especes de dons les caracteres
différens que Grégoire de Tours leur attribue.

[Note 3: Livre 9, c. 20.]

[Note 4: Page 97, premier Volume, Hist. de France.]

3e. Dans la 21re Formule de Marculphe, Liv. 1, on trouve le modele d'un
Bref, par lequel le Roi donne permission à un de ses Sujets, _propter
simplicitatem suam_, de choisir un homme distingué par son mérite pour
défendre ses causes. Les Capitulaires parlent à chaque page de Gens de
Loi, d'Avoués, de Défenseurs, de Causeurs: le Concile de Vernon, en 755,
atteste que les Gens d'Eglise plaidoient pour d'autres que pour les
Eglises, les Veuves & les Orphelins; & l'Abbé Vély soutient que sous la
premiere Race on ne sçavoit ce que c'étoit que Gens de Robe.

4e. Tantôt il lui paroît probable que l'institution de la Chevalerie
date de la fin du regne de Charlemagne, & tantôt il donne pour certain
que la Chevalerie ne remonte gueres plus haut que le 11e siecle.

5e. Il traite de _Grace_ l'investiture que Louis VII donne en 1152 du
Comté de Vermandois à la Sœur du Prince Raoul; & dès le commencement du
dixieme siecle c'étoit un droit généralement reçu que les Filles
succédassent aux Bénéfices.

6e. Après avoir soutenu que les Nobles étoient les plus anciens hommes
libres, que l'antiquité faisoit seule la Noblesse,[5] il attribue la
Noblesse à la possession héréditaire des Bénéfices.[6]

[Note 5: Premier Volume, page 270.]

[Note 6: Second Volume, page 192.]

Ces traits pris au hazard dans notre dernier Historien, c'est-à-dire
dans l'Auteur qui, par le plan qu'il s'est tracé, a dû approfondir plus
qu'aucun autre nos anciens usages; ces traits, dis-je, suffiront, sans
doute, pour garantir le Lecteur des préventions peu favorables que la
nouveauté de quelques-unes de mes opinions auroit pu faire naître dans
son esprit.

Il verra qu'en puisant dans des sources trop négligées jusqu'ici, je me
suis trouvé dans la nécessité de parler différemment de ceux qui m'ont
précédé; il comprendra que si les fautes que je lui ai fait observer
dans des ouvrages importans sont en petit nombre, c'est que j'ai dû me
borner aux seuls points de notre Histoire & de notre Jurisprudence
anciennes, qui avoient quelque connexité avec les usages relatifs aux
Loix & à la forme de procéder établies en Angleterre par Guillaume le
Conquérant, & dont Littleton a parlé: mais en mettant au jour les autres
Compilateurs des Loix Anglo-Normandes, les observations sur les Ouvrages
modernes se multiplieroient; à l'art superficiel & frivole des
conjectures, succéderoit la science du vrai, toujours également solide &
féconde. Le vuide qui se trouve dans une des principales époques de
notre législation se trouveroit rempli; les causes de la révolution que
nos Coutumes ont éprouvées, sur-tout à la fin de la seconde Race, les
moyens presqu'insensibles par lesquels cette révolution s'est opérée, ne
seroient plus un mystere.

L'essai que j'offre aujourd'hui au Public doit le mettre à portée de
décider si, en continuant mes Remarques sur les Recueils des Loix
Anglo-Normandes, il en pourroit résulter tous les avantages que j'ose
lui promettre.

Les Remarques que j'ai faites sur Littleton ne sont pas, à beaucoup
près, des Traités complets; mais elles contiennent des matériaux, dont
ceux qui voudroient faire l'Histoire de notre Monarchie par les Loix,
pourroient, ce semble, tirer quelque secours; peut-être même ne
seront-elles pas inutiles aux Anglois: elles indiquent l'usage qu'ils
pourroient faire de nos premieres Loix pour s'assurer de l'esprit dans
lequel les Coutumes Normandes, d'où sont dérivées celles qui les
régissent encore, ont été originairement instituées.

Si l'on trouvoit que j'aurois dû être plus littéral en traduisant
Littleton, une seule réflexion me justifiera, je m'en flatte.

Je me suis plus attaché à faire entendre la pensée de l'Auteur, qu'à
faire sentir la valeur de ses expressions; parce qu'en facilitant la
lecture d'un texte barbare, il m'a paru essentiel de ne pas dispenser de
recourir à l'idiome dans lequel il étoit écrit; l'originalité des termes
dont Littleton fait usage, sert en effet souvent mieux que tous les
raisonnemens à la découverte des temps, des lieux, des circonstances où
la Loi est née; & d'ailleurs quelques tours de notre langue que j'eusse
empruntés, ils n'auroient pu faire sentir toute l'énergie du langage de
ce célebre Anglois: Coke, son plus habile Commentateur, a d'ailleurs
suivi cette méthode dans la traduction qu'il a faite des Institutes des
Coutumes de sa Nation.

Si mon Commentaire n'a pas le succès que celui de Coke a eu; j'aurai du
moins la satisfaction d'avoir publié le premier dans ma Patrie le Texte
de nos Coutumes les plus anciennes: Texte qui peut seul suppléer au
petit nombre & à l'obscurité des monumens qui nous restent des Loix &
des Usages reçus en France dans les dix & onzieme siecles.



_ELOGE HISTORIQUE_

DE LITTLETON:

_Extrait de la Préface de Coke._


_Littleton_ est le nom d'une très-noble & très-ancienne Famille
d'Angleterre. Thomas Littleton, Seigneur de Frankley,[7] n'ayant qu'une
fille, il la donna en mariage à Thomas _Wescote_, Ecuyer, & Officier du
Roi, à condition que l'aîné de leurs enfans s'appelleroit _Littleton_.
Cette Dame étoit belle, spirituelle & fort riche; ses ancêtres paternels
lui avoient laissé des possessions honorables & très-étendues, & elle
n'en avoit pas de moindres du côté de Richard _Quartemains_, son aïeul
maternel. Elle eut de _Wescote_ huit enfans, _Thomas_, _Nicolas_,
_Edmond_, _Guy_, & quatre filles. _Thomas_, l'aîné, Auteur des
Institutes, devint très-célebre par cet Ouvrage. _Cambden_ regarde les
maximes qui y sont rassemblées sur les Tenures, comme aussi essentielles
à ceux qui étudient les Coutumes Angloises, que les Institutes de
Justinien le sont à ceux qui se livrent à l'étude du Droit Romain.
Littleton se fit connoître d'abord par de sçavantes Remarques sur le
Statut de Guillaume II, _de Donis conditionalibus_, & Henri VI le
choisit pour être un des Nobles de la Cour Militaire, où le Connétable &
le Maréchal président. Edouard IV lui confia successivement la Justice
de l'Assise dans le Département du Nord, l'Office de Juge de la Cour des
communs Plaids pour le Département de Northampton, & le fit Chevalier du
Bain avec plusieurs Princes, Seigneurs & Gentilshommes de la premiere
distinction. Ce fut en 1475 qu'il compila les Coutumes Angloises; mais
il n'acheva cet Ouvrage précieux que peu d'années avant son décès.

[Note 7: Il portoit d'argent à un Chevron à Coquilles de Sable. Coke,
Préf.]

Il y avoit de son temps des Jurisconsultes très-renommés dans la Cour
des communs Plaids, tels que _Richard Newton_, _Jean Prisot_, _Robert
d'Ambi_, _Thomas Brian_, _Pierre Ardenne_, _Richard Choque_, _Gautier
Moyle_, _Guillaume Paston_, _Robert d'Amer_ qui fut son successeur,
_Guillaume Astugh_: Littleton, en s'aidant souvent de leur opinion, fait
voir combien il les estimoit. Les autres Jurisdictions n'étoient pas
moins célebres par les Sçavans qui en occupoient les premiers rangs.
_Jean June_, _Jean Hodi_, _Jean Fortescue_, _Jean Marshem_, _Thomas
Billing_, composoient la Cour du Banc royal. Dans la Chancellerie
étoient _Nicolas Bacon_, _Thomas Bramley_. Dans la Chambre de
l'Echiquier le _Lord Burley_, Trésorier d'Angleterre, & _Gautier
Mildmay_, Chancelier de l'Echiquier. La considération dont jouissoit
Littleton lui procura l'alliance de l'unique héritiere _de Guillaume
Burley_, dont il eut _Guillaume_, _Richard_ & _Thomas_; parvenu à un âge
fort avancé, il fit son Testament, en établit exécuteurs le Curé & le
Vicaire de sa Paroisse, sous la direction du fameux _Jean Alock_,
Docteur en l'Université de Cambridge, & Evêque de Worcester; cet homme,
d'une dévotion, d'une chasteté, d'une tempérance, d'une générosité
singulieres, étoit Fondateur du Collége de Jesus à Cambridge, & ami
particulier de Littleton.

Littleton mourut le 23 Août 1482, regretté des Grands; & sur-tout des
pauvres en faveur desquels il fit des legs si abondans, qu'il n'y en eut
point, en quelqu'état ou profession que ce fût, qui n'y eussent part. On
l'enterra dans la Cathédrale de Worcester, où on lui éleva un tombeau
de marbre, sur lequel on posa sa Statue, en relief, de grandeur
naturelle, avec ces mots qui sortoient de sa bouche: _Fili mi, miserere
mei_.

Son Portrait fut placé dans l'Eglise de Frankley; il y étoit représenté
tenant son Livre à la main. A en juger par ce tableau, sa contenance
étoit grave, sa taille haute; mais son esprit avoit encore plus de
noblesse & d'élévation. Quelle sagacité dans la liaison qu'il a sçu
donner à cette multitude de Coutumes qu'il a rassemblées! Quelle
profondeur de jugement! Quelle précision de raisonnement dans ses
définitions, ses divisions, ses étymologies! Que de clarté dans les
distinctions qu'il fait entre les opinions, l'autorité, la raison & la
Loi! Que d'exactitude dans les divers sens qu'il assigne à chaque Cause
particuliere, dans les moyens qu'il emploie pour concilier les
dispositions qui, en apparence, sont contradictoires entr'elles; dans
les époques qu'il donne aux restrictions que les Statuts des Parlemens
ont successivement opposées à certaines maximes que les circonstances
rendoient impraticables! Son Livre n'est que la premiere partie des
Institutes; mais elle est la plus essentielle & la clef des autres. La
Loi Angloise ne peut cependant être bien entendue qu'autant que l'on
joint à la connoissance des usages primitifs la connoissance de la
grande Charte & des Statuts postérieurs qui ont modifié ou interprété
ces usages, celle des Plaids civils, des Causes criminelles de la
compétence des Jurisdictions. Coke s'est attaché à donner des notions
exactes de ces divers objets, que Littleton n'a pas traités; mais dans
le Commentaire que Coke a fait des Institutes, ce dernier convient
qu'il n'est presque pas possible de bien saisir le sens de la Loi
Angloise, si l'on ne s'est pas mis auparavant au fait de la Langue & des
Coutumes anciennes de France.



DISCOURS

PRELIMINAIRE.


Charles, fils du second mariage de Louis le Débonnaire, succéda à son
pere au Royaume de France sous le nom de Charles le Chauve, & ne fut
d'abord paisible possesseur que de la portion de ce Royaume qui
s'appelloit _Neustrie_.

La division qui avoit long-temps régné entre ce Prince & ses freres lui
avoit fait négliger la défense des différens Ports de ses Etats; ensorte
que les Danois & les Norvégiens, qui, sous le regne de Charlemagne,
avoient fait des tentatives inutiles sur les côtes de ce pays,
profiterent de l'occasion pour s'y introduire par la Seine: ils
s'avancerent jusqu'aux portes de Paris, en brûlerent les Fauxbourgs;
mais Charles les repoussa jusqu'au-delà du Pont-de-l'Arche.

Louis le Begue, fils & unique héritier de Charles, monta sur le Trône
après son décès. Il ne vécut que deux ans; & Charles le Simple fut mis
sous la tutele de Carloman son oncle.

Pendant sa minorité, celui-ci fit avec les Normands une treve pour douze
années, avant l'expiration desquelles il mourut. Cet évenement fournit à
Godefroy, Roi de Dannemarck & de Norvege, un prétexte de rompre la
treve; il prétendit que la mort de celui avec qui il avoit traité
entraînoit après elle la dissolution d'un engagement réciproque.[8]

[Note 8: _Ad hæc illi Normani respondent se cum Carolomano Rege, non cum
alio aliquo fœdus pepigisse. Gest. Norman. ante Rollon. apud Duchesn.
de Scriptor. Norman. pag. 11._]

L'Empereur Charles le Gros vint s'opposer aux incursions des Troupes
Danoises en France; mais il fut battu. Paris fut assiégé; & pour sauver
la Capitale, on abandonna au Prince Danois une des Provinces
Neustriennes, qui, du nom de ses nouveaux maîtres _North-man_, homme du
Nord, fut appellée Normandie.

Après la mort de Godefroy Harout, son successeur, aidé par les François,
voulut chasser Régnier du Trône de Dannemarck dont il s'étoit emparé;
leurs querelles diviserent les Grands de ce Royaume en différens partis.

Raoul qui probablement avoit voulu profiter des troubles de l'Etat pour
s'en rendre maître,[9] n'ayant pu y réussir, se réfugia en Angleterre,
se ligua avec Alfred qui en étoit Roi,[10] vint ravager la Normandie, &
força, par des avantages multipliés, Charles le Simple à lui donner sa
fille en mariage, & à lui céder pour dot cette Province avec la Bretagne
qu'il érigea en Duché, & dont il ne se réserva que l'hommage.

[Note 9: _Guillem. Gemeticens, de Ducibus Normann. c. 1. Dudo Sancti
Quintini, de Moribus & Actis Norman. L. 2, pag. 82, apud Duchesn._ Hist.
des neuf Charles, par Belleforêt, ann. 887.]

[Note 10: _Walsing. Ypodigm. Neustr. pag. 416._]

Raoul gouverna avec beaucoup de sagesse. Il jugea seul d'abord les
contestations de ses sujets: il suffisoit de reclamer son nom pour
obliger les témoins de la violence qu'on éprouvoit à conduire le
plaintif & l'aggresseur devant ce Prince, qui, après les avoir entendus,
faisoit punir sévérement & sans délai le coupable. De-là vient la
Clameur de _Haro_, si respectée en Normandie. _Ha-ro_ ou _Ah-ro!_ ou
 _ah Raoul!_ paroissent, en effet, signifier la même chose.[11]

[Note 11: Les anciens Ecrivains écrivent _Rol_, _Ro_, _Rou_ pour
_Raoul_. Voyez ce que je dis du Haro, 2e Volume.]

Raoul s'apperçut bien-tôt qu'il ne pouvoit continuer de décider
personnellement tous les différends des particuliers, sans s'exposer à
négliger des opérations plus essentielles au bien général: il établit
donc, sous le nom d'Echiquier, un Tribunal souverain, sur le rapport de
personnes graves députées sur les lieux où les difficultés étoient nées;
les membres de cet Echiquier jugeoient au nom de Raoul en dernier
ressort.

Il n'est pas concevable que tant d'Officiers chargés d'administrer la
Justice eussent pu s'accorder entr'eux, s'il n'y eût point eu alors de
Loix écrites; aussi ferai-je voir bien-tôt qu'ils observoient celles de
la France Neustrienne.

Guillaume, fils de Raoul, fut couronné en 917, & promit à ses peuples de
ne rien changer aux Loix qui étoient en vigueur sous le regne de son
pere.[12]

[Note 12: Raoul, en faisant reconnoître Guillaume pour son Successeur,
dit: _Legibus & statutis nostris auxiliabitur._ Dudon, p. 91. Collect.
de Duchêne. Ce Duc distingue les Loix anciennes des Statuts particuliers
dont il avoit été l'Auteur.]

A Guillaume succéda Richard Sans-peur, & Hugues Capet lui donna sa sœur
en mariage.

Richard, surnommé le Bon, qui gouverna après lui, fut forcé de mettre
des bornes aux entreprises des Seigneurs sur leurs vassaux qui s'étoient
révoltés, & de céder la Bretagne à Eudes, Comte de Chartres.[13]

[Note 13: Invent. de Norm. par Danneville. Chron. de Normand. en 1589.]

Richard le Bon laissa deux fils; l'aîné, qui s'appelloit aussi Richard,
ne vécut que deux ans. Edouard le Confesseur, chassé par l'usurpateur
Canut, se réfugia auprès de Robert, frere puîné de Richard, & son
successeur.

Guillaume, bâtard de Robert, remit Edouard en possession de son Royaume:
celui-ci, par reconnoissance, l'institua son héritier.

Ce saint Roi étant mort, Guillaume descendit en Angleterre, & fut
couronné à Londres. Il y établit un Echiquier à l'_instar_ de celui de
Normandie, soumit ses nouveaux sujets aux Loix de cette Province, &
ordonna de plaider & de rédiger les Actes judiciaires en Langue
Normande,[14] ce qui a duré jusqu'en 1362, temps auquel Edouard III, Roi
d'Angleterre, rétablit par un Statut l'usage de la Langue Angloise dans
les Tribunaux.

[Note 14: Il ne faut pas confondre les _Actes judiciaires_ avec les
_Chartes_. Voyez nouveau Traité de Diplomatique, Tom. 4, Sect. 1, Ch. 1,
Art. 3, p. 513 & 514, & Fortescue, C. 48, fol. 59.]

Matthieu de Westminster, Huntindon & Rouillé ont pensé qu'Edouard le
Confesseur avoit composé les Loix données aux Anglois par le Duc
Guillaume; quelques autres[15] ont insinué qu'il les avoit empruntées de
celles de Malcolme, deuxieme Roi d'Ecosse: opinions également destituées
de vraisemblance.

[Note 15: M. Roupnel, Préface de ses Additions au Commentaire de
Pesnelle.]

1er. Les Neustriens, avant Raoul, étoient soumis à des Loix que ce
Prince conserva entieres en Normandie après son Traité avec Charles le
Simple.[16] Il ajouta, il est vrai, à ces Loix quelques dispositions
relatives aux circonstances particulieres où il se trouvoit; mais on
distingue encore aisément ces dispositions de celles des premieres Loix
auxquelles elles ont été substituées.

[Note 16: Basnage, p. 450, premier vol. Discours sur les Successions aux
Propres de Caux, observe que _le Duc Raoul LAISSA VIVRE CHACUN selon les
anciennes Coutumes_; & p. 4. du même Volume, premier Discours sur le
Chapitre de Jurisdiction, il dit qu'on peut conjecturer que Raoul est
l'Auteur des Coutumes de Normandie; puis page 6, il ajoute que _les
Coutumes Normandes n'ont aucune conformité avec les anciennes Loix
Françoises_. Si ce n'est point là se contredire, quand se
contredira-t'on?]

2e. Raoul eut des successeurs aussi attentifs qu'il l'avoit été à
prévenir les changemens qui auroient pu se glisser dans les usages
François qu'il avoit adoptés: ils les conserverent purs, ces usages,
dans le temps même où tout concouroit à les défigurer en France.

3e. Les Anglois les ayant reçus de Guillaume sans qu'ils eussent
éprouvé la plus légere altération, ils se retrouvent encore les mêmes
dans Littleton & dans l'ancien Coutumier de Normandie.

Développons ces faits, & nous serons convaincus que ces deux Ouvrages
sont les plus anciens monumens des Coutumes suivies sous les derniers
Rois de la seconde Race.

       *       *       *       *       *

Les Loix Saliques & Ripuaires furent d'abord les seules connues dans la
plus grande partie des Provinces qui composent actuellement le Royaume
de France, & auxquelles le nom de Neustrie étoit commun.[17]

[Note 17: _Chopin. De Domanio Franciæ_, p. 41, L. 1.]

Childebert, Pepin, Charlemagne & les Rois qui les suivirent jusqu'au
regne de Charles le Simple, augmenterent ces Loix de plusieurs
Constitutions;[18] mais comme ces Constitutions avoient des objets
particuliers, les maximes qui caractérisoient nos premieres Loix n'en
reçurent aucune atteinte. Les droits du Roi, la division des sujets en
différentes classes, l'ordre des successions, la forme de procéder, la
punition des crimes, avoient été, à de légeres différences près, les
mêmes durant les quatre premiers siecles de la Monarchie. Raoul, en
devenant maître de la Normandie, ne s'occupa que des moyens propres à
affermir sa domination, & à se concilier l'amour de son peuple; il n'en
trouva point de plus efficace que celui de conserver les Loix auxquelles
ses nouveaux sujets avoient toujours été soumis.[19]

[Note 18: Elles se trouvent toutes dans la collection des Capitulaires
par Baluse.]

[Note 19: Dom Pommeraye, Hist. des Archevêques de Rouen, année 910.]

Il fit donc _enquerir_ par des Commissaires quels étoient les usages
reçus dans les divers cantons du Duché. On recorda[20] les droits
attachés à la Souveraineté; ceux des _Fiefs_, de _Bataille_, de
_Mariage_; & lorsque sur ces différentes matieres, qui _appartiennent en
droit_, il avoit lieu de soupçonner le rapport des délégués, il
conféroit _avec moult saiges hommes par qui la verité étoit sue, ce qui
toujours avoit été dit ou fait_. Si Raoul avoit établi de nouvelles
Coutumes, ces précautions, de sa part, auroient été inutiles; ses
Ordonnances une fois promulguées, personne n'auroit osé les méconnoître.

[Note 20: Ancien Coutum. chap. 10, 53 & 121.]

D'ailleurs, est-il possible de concevoir que ce Prince eût réussi, dans
l'espace d'un regne de cinq ans,[21] à abolir les usages pratiqués de
tout temps en Normandie, si l'on ne suppose qu'au-paravant que Charles
le Simple eut cédé à Raoul cette Province, ce dernier avoit donné des
Loix si conformes au génie & aux moeurs des habitans, qu'elles réunirent
leurs suffrages aussi-tôt qu'il les leur eut présentées?

[Note 21: Quoique Raoul n'ait régné que 5 ans, il ne s'ensuit pas qu'il
n'ait vécu que 5 ans après son avénement au Duché. Il assista à la
Translation des Reliques de S. Ouen en 918. _Concil. Rothomag. Eccl. D.
Pommeraye._ Selon Flodoard, _anno 928. habebat obsidem Odonem Heriberti
filium_. Mais dès l'an 917 Raoul avoit fait reconnoître son fils Duc par
les Seigneurs de Normandie, & il ne se mêla plus dans la suite du
Gouvernement, à cause de son extrême vieillesse;[21a] aussi Flodoard,
dans sa Chronique & son Histoire de l'Eglise de Reims, ne fait mention
de Raoul en aucune expédition après cette époque. Ce n'est plus lui,
c'est son fils qui en 917 fait en la ville d'_Eu_ hommage à Charles le
Simple. _Filius Rollonis Carolo se committit._ Or il n'est pas étonnant
que des Ecrivains postérieurs à Flodoard, qui avoient vu divers Actes
faits sous le nom de Guillaume Longue-Epée dès 917, ayent confondu le
temps de l'abdication de Raoul avec l'époque véritable de son décès.]

[Note 21a: _Rollo jam fractis viribus laboribus & prœliis deliberare
cœpit de sui Ducatus dispositione; convocatisque totius Normanniæ
proceribus Guillelmum filium suum illis exponit, jubens ut eum sibi
Dominum eligerent, militiæque suæ principem præficerent; meum est,
inquit, mihi illum subrogare, vestrum est illi fidem servare. Et cunctos
suasibilibus verbis demulcens filio sub Sacramento fidei illos subegit.
Et ex post uno vivens lustro consumptus senio vivere desiit. Ypodigm.
Neustr. pag. 417._ Dudon, pag. 91, ibid, s'exprime dans les mêmes
termes; & il ajoute que Guillaume, en succédant à son pere, promit de
conserver les Coutumes & les Loix; Raoul n'auroit donc eu que cinq ans
pour les rédiger.]

Il faudroit admettre encore qu'au milieu du tumulte des armes Raoul
avoit conservé assez de tranquillité pour dresser[22] un corps de droit
municipal, & que malgré le désordre & la confusion où tout étoit en
Normandie après sa conquête, il obtint de tous les Ordres de son
Gouvernement une soumission plus prompte et plus étendue que celle dont
le Monarque le plus despotique ou le plus chéri n'oseroit maintenant se
flatter dans les circonstances de la paix la mieux cimentée: toutes
suppositions absurdes, & qui sont au reste démenties par ceux mêmes qui
paroissent favoriser le sentiment contraire à celui que je propose.

[Note 22: Les Danois n'avoient point encore de Loix écrites au douzieme
siecle. _Arthur Duck. Lib. 2, pag. 405._]

Lorsque Raoul fut reconnu Souverain de la Normandie en 912, il y avoit
incontestablement en cette Province des Seigneurs propriétaires de
Fiefs, puisque dès le commencement du neuvieme siecle les Fiefs étoient
communs en France, & que les Bénéfices, dont ces Fiefs dépendoient,
furent tous rendus héréditaires en 877.[23]

[Note 23: Capitul. de ladite année, Titr. 53, art. 9.]

Or aucuns Historiens n'ont avancé que Raoul ait dépouillé ces Seigneurs
de leurs Bénéfices ni de leurs Fiefs; au contraire, ils attestent que
les fonds abandonnés par les anciens habitans furent les seuls[24] dont
ce Duc disposa en faveur des Officiers qui avoient le plus contribué à
sa conquête: on en trouve même une preuve sans replique dans la conduite
que tint Guillaume Longue-Epée son fils lorsqu'il lui succéda; il
reconnut tous les Comtes & les Barons propriétaires de leurs Dignités, &
n'exigea d'eux que l'hommage.[25]

[Note 24: Basnage, Comment. art. 13, p. 57, & 143, premier Vol. Hist.
Universelle des Gaulois ou François, ch. 120, p. 846.]

[Note 25: Hist. de Norm. par Dumoulin, p. 52.]

Un des principaux droits attachés aux Fiefs en France étoit le Droit de
Garde. Par le Capitulaire de Charles le Chauve en 877,[26] il paroît que
nos Rois avoient déjà fait administrer les Fiefs pour les conserver aux
mineurs. Les Seigneurs obtinrent dans la suite cette administration; &
ce droit fut perpétué sous les Ducs Normands. On le vit pratiqué parmi
eux avant qu'il fût connu en Angleterre & en Ecosse;[27] le prétendu Roi
d'Yvetot est peut-être le seul Seigneur qui dans l'espace de plus de six
siecles ait tenté de s'y soustraire.[28]

[Note 26: _Filius noster..... cum ministerialibus Comitatus & cum
Episcopo ipsum Comitatum prævideant usquedum..... filium illius
(Comitis) de honoribus illius honoremus, p. 269. Collect. Balus. 1.
vol._]

[Note 27: Polyd. Vergil. L. 16, num. 20, p. 288. Terrien, c. 10, L. 5.
Chopin, _de Doman. Franc._ p. 257. de jur. Andegavens. p. 467.]

[Note 28: Servin, p. 470. Loisel, Instit. Cout. p. 228, premier vol.
Rouillé, p. 25. Terrien, p. 187.]

Le droit d'Aînesse avoit précédé en France celui des Gardes royales &
seigneuriales. Tiraqueau[29] lui donne la même origine que celle de
l'érection des Fiefs, _jus primogenituræ & feudum fraternisant_; mais
c'est trop peu dire.[30] Dagobert, en 628, succéda à tout l'Empire après
la mort de Clotaire II son pere; & si son frere Caribert obtint de lui
une partie de l'Aquitaine, ce fut plutôt _comme un appanage que comme un
partage_.[31] Après Clovis II, Clotaire III monta sur le Trône sans
faire part de ses domaines à Thierry son second puîné; & Childéric le
cadet, qui du vivant de Clovis s'étoit emparé du Royaume d'Austrasie, ne
forma aucunes prétentions ultérieures.

[Note 29: _Tiraquell. de jure Primogen._ p. 594, num. 59, p. 609.]

[Note 30: Voyez Remarque sur la Sect. 5 de Littleton.]

[Note 31: Chopin, _de Doman. Franc._ L. 2, p. 198, & Abregé Chronol. de
M. le Président Hesnault, p. 29, premier vol.]

Si dans la suite les successions des Rois furent partagées, ce fut sans
doute parce que les circonstances ne permirent pas aux aînés de s'y
opposer; car la Loi de l'aînesse étoit tellement tenue pour légitime
avant Charlemagne, que lorsque Louis le Débonnaire, son fils puîné,
voulut continuer de gouverner l'Empire auquel son pere l'avoit associé
de son vivant, Bernard, fils de Pepin, lequel étoit aîné de Louis, se
forma un parti,[32] & prit les armes contre son oncle; celui-ci, après
l'avoir vaincu, le fit enfermer dans une prison où on lui creva les
yeux. Cependant Louis le Débonnaire comprit que malgré cette précaution
le droit de Bernard avoit encore des appuis formidables, puisque pour ne
pas s'exposer à de nouveaux troubles, il se détermina à faire mourir ce
malheureux Prince.

[Note 32: _Tiraquell._ num. 16, p. 594.]

L'exemple des Souverains, les services qui leur étoient dûs par les
possesseurs des Fiefs, porterent naturellement ceux-ci à les céder à
l'enfant qui le premier étoit en état de s'en acquitter à leur décharge.
Ces cessions furent agréées, le Prince reçut l'hommage & les services
des aînés qui, après la mort de leurs peres, trouverent dans
l'_indivision_ de leurs services un titre pour exclure leurs cadets du
partage des fonds auxquels ces services étoient attachés.

D'ailleurs les François avoient dans tous les temps considéré les terres
& les dignités commes les récompenses de la bravoure, & de cette idée
s'étoit formée celle de la préférence due au sexe & à l'âge qui
pouvoient donner des preuves plus promptes ou moins équivoques de cette
vertu. De-là les filles, par la Loi Salique,[33] n'avoient rien en la
succession de l'ancien patrimoine; lorsqu'elles avoient des freres,
elles étoient réduites à ne participer qu'aux acquêts & aux meubles.
De-là encore dans la suite les aînés, qui étoient mineurs au décès de
leur pere, ne jouissoient des Fiefs qu'après être devenus capables de
suivre le Prince à la guerre.

[Note 33: _Leg. Salic._ Titr. 62.]

Le besoin ne permit d'abord de consulter que la disposition corporelle
du sujet, & la majorité varia; mais sous Charlemagne l'Etat devint plus
peuplé, & elle fut fixée à vingt-un an.

Avec les premieres notions des usages de Normandie, on fait aisément
l'application de ce qui vient d'être observé. On retrouve dans ces
usages la cession des Fiefs à la charge d'hommages & de services; on
voit les Rois ou les Ducs gardiens des pupilles, leurs tenans directs,
jusqu'à vingt-un an, ainsi que les Seigneurs, tels que Comtes, Barons,
&c. exercer le même droit sur leurs vassaux nobles. On voit les filles
n'avoir à répéter de leurs freres qu'une légitime médiocre qui, en
certains cantons,[34] ne se leve que sur les meubles; les cadets bornés
à une pension viagere, les aînés succéder seuls aux Fiefs, & les Fiefs
considérés comme indivisibles.

[Note 34: Par exemple, dans le Pays de Caux.]

Raoul avoit ajouté quelques dispositions à ces Coutumes; mais, comme je
l'ai déjà dit, ces additions ne portent aucun préjudice aux maximes des
Loix Françoises que son peuple suivoit avant qu'il eût conquis la
Normandie.

Par exemple, nos Rois de la seconde Race avoient communiqué aux Comtes
le droit de juger en dernier ressort les crimes commis dans les terres
enclavées dans leurs Honneurs; on ne pouvoit, sous aucun prétexte,
interjetter appel des Jugemens qu'ils donnoient en toutes matieres
civiles ou criminelles. Un Capitulaire de Charlemagne[35] prouve que les
Centeniers étoient les seuls dont on pouvoit faire infirmer les
Sentences par la voie de l'appel au Comte, à qui les causes d'Etat & le
pouvoir de prononcer des peines afflictives & capitales étoient
réservés.

[Note 35: L. 3. Tit. 19. _Collect. Anseg._]

Raoul comprenant le danger qu'il y auroit à diviser son pouvoir dans un
Etat aussi peu considérable que le sien, s'attribua _la cour de tous les
torts qui lui étoient faits en choses mouvables & non mouvables, & les
Chevaliers, Comtes, Barons, & autres Dignités fieffaux, & n'eurent plus
que la cour de leurs resséans ès simples querelles & ès legieres_:[36]
c'est ce qui fit appeller l'Echiquier l'_oeil du Prince_.[37] Il
veilloit, en effet, sur toutes les entreprises qu'on auroit pu former
directement ou indirectement contre l'autorité du Duc: par ce moyen
Raoul concentra en sa propre personne non-seulement le pouvoir
législatif, mais même l'exercice de ce pouvoir.

[Note 36: Anc. Coutum. Norm. ch. 53.]

[Note 37: _Ibid._]

Comme l'établissement de sa Jurisdiction souveraine lui avoit paru
propre à prévenir l'abus que les Seigneurs auroient pu faire de
l'exercice d'une Jurisdiction égale à la sienne, il ne jugea pas moins
important, pour empêcher ses Successeurs de gouverner arbitrairement, de
rendre aux anciennes Loix leur premiere vigueur.

Après les enquêtes faites dans toutes les parties de la Normandie par
ses _Justiciers_ des usages qui s'y pratiquoient, il assembla les
principaux Seigneurs, & de leur consentement fit publier ses Réglemens &
les Loix & les Coutumes Françoises, qu'il enjoignit d'observer
inviolablement à l'avenir.[38]

[Note 38: _Ceux de Rouen envoyerent vers Raoul leur Archevêque Franco,
pour lui présenter les Clefs de la Ville, &c. pourvu qu'il eût agréable
de gouverner selon les anciennes Coutumes du Pays... & ce Capitaine
accepta avec joie les offres que lui faisoit ce Prélat._ Hist. des Arch.
de Rouen, p. 235.]

Les Grands-Bénéficiers étant alors, en quelque sorte, les maîtres en
France de l'interprétation des Loix, leurs divers intérêts faisoient
varier les services de leurs hommes; & leurs véxations, à cet égard,
forçoient ceux-ci à ne plus reconnoître d'autre autorité que la leur.
De-là cet abus qui dura jusqu'au temps de Saint Louis, qu'_un
arriere-vassal devoit aider son suzerain contre le Roi même_.[39]

[Note 39: 50e Etablissement de Saint Louis, Recueil des Ordonnances, L.
1.]

Si l'usurpation des droits du Roi étoit portée à ce point, il est aisé
de juger combien peu ses volontés étoient respectées. Il en fut tout
autrement en Normandie. L'établissement de l'Echiquier, où toutes les
décisions des Délégués du Prince étoient confirmées ou réformées suivant
les Loix dont on avoit eu soin auparavant de constater les anciennes
dispositions, étoit une digue contre laquelle la corruption de ces
Délégués ou la trop grande puissance des Seigneurs venoit échouer; la
Loi mise comme en dépôt en la Cour du Souverain, le dernier des sujets y
avoit recours, & obligeoit ceux qui tentoient de l'opprimer à resserrer
leurs prétentions dans les bornes que cette Loi leur avoit prescrites.

Cet esprit d'équité passa de Raoul à ses descendans; & la formalité du
record dans les _Pleds particuliers ou généraux_ garantit les usages de
toute altération. D'ailleurs dans les Tribunaux de France il n'y eut de
Jugemens écrits que vers la fin du treizieme siecle; mais en Normandie
la pratique en étoit générale dès le commencement du douzieme.[40] Aussi
vit on insensiblement en France les Loix obscurcies par des
interprétations arbitraires, au point qu'au commencement de la troisieme
Race on n'en reconnut plus d'autre que _celle du combat_;[41] & lorsque
Saint Louis voulut rétablir les Loix en leur premier état, il fut forcé
de recourir aux Loix Romaines, & d'en emprunter des maximes qui pussent
se concilier avec l'ancienne Jurisprudence. Ce procédé ne servit qu'à
faire de plus en plus perdre de vue les principes qui, en liant les
dispositions des anciennes Coutumes entr'elles, avoient formé le corps
des Loix suivies dans les premiers temps de la Monarchie.

[Note 40: Lettr. Hist. sur les Parl. Tom. 2, p. 32 & 39.]

[Note 41: Espr. des Loix, Tom. 3, p. 318 & 383.]

Le droit Coutumier Normand ne fut point exposé à de semblables
révolutions; on ne le vit point défiguré par le mélange des maximes du
Droit Civil. La Jurisdiction des Ducs ne s'occupoit qu'à consulter les
usages, à les maintenir & à diminuer plutôt qu'à accréditer la puissance
des Seigneurs, qui seuls pouvoient desirer que ces usages fussent ou
changés ou abrogés.

Guillaume le Conquérant, après avoir affermi son autorité en Angleterre,
convaincu de l'avantage qu'il pouvoit retirer de l'introduction des Loix
Normandes en ce Royaume, considérant d'ailleurs que les Ducs Normands,
ses prédécesseurs, n'avoient été redevables de la subordination des
Seigneurs & de l'affection du peuple qu'à la fermeté avec laquelle ils
avoient maintenu ces Loix, défendit de suivre d'autres Coutumes que
celles de son premier domaine.

Il érigea des Fiefs, reçut l'hommage des personnes auxquelles il les
avoit distribués,[42] & fit dresser un rôle exact de toutes les terres.

[Note 42: _Traduxit Willelmus è suâ Normanniâ in Angliam Patrias Leges
cum populi Coloniâ. Matth. Paris. Renat. Chopin. de Doman. Franc. p.
332._--_Pene omnes leges à superioribus Sanctissimis latas abolevit._
Polyd. Verg. L. 9. p. 151.]

Ce Rôle, connu sous le nom de _Domesday_,[43] subsiste encore, &
contient un détail de ces terres & fiefs: c'est un répertoire curieux de
tous les termes Normands employés alors pour indiquer la nature, ainsi
que le motif des conventions, droits & services qui résultoient tant de
la succession aux différentes tenures que de leur mutation & de leur
division.

[Note 43: _Domes-day_, veut dire en Anglois jour du Jugement. On a donné
ce nom au Rôle que Guillaume fit dresser pour marquer la scrupuleuse
attention de ceux qui le rédigerent. _Districti & terribilis examinis
illa novissima Sententia, nullà tergiversationis arte valet eludi, &c.
Sic Sententia ejusdem libri inficiari non potest, vel impune acclinari:
ob hoc nos eumdem librum judiciarium nominamus._ Coke, Sect. 248, p.
168.]

Ce Prince, en attachant ainsi aux Actes & aux choses qui devoient être à
l'avenir les plus usuelles des noms inconnus en Angleterre jusqu'à lui,
rendoit ses nouveaux sujets plus attentifs à discerner la vraie
signification de ces noms, les excitoit à se familiariser avec eux, &
les nécessitoit d'oublier les expressions de leur propre Langue, qui de
tout temps avoient été consacrées à l'interprétation des Loix par
lesquelles jusqu'alors ils avoient été régis.

Sans cette précaution, les Anglois auroient pu transporter de leurs Loix
aux siennes des termes qui bientôt auroient anéanti ces dernieres, en
faisant oublier le motif de leur institution.

Mais comme le _Domesday_ auroit été inutile, si le Conquérant n'eût pas
fixé les droits Normands auxquels il vouloit que les tenures fussent à
l'avenir assujetties, il faut en conclure que les Coutumes de Normandie,
pouvant seules déterminer ces droits, furent aussi les seules auxquelles
ce Prince soumit son peuple.

Cette conséquence est démontrée, si l'on fait attention que les Loix de
Guillaume n'ont rien emprunté des Loix d'Edouard ni des Loix attribuées
à Malcolme: deux Loix que jusqu'ici on a prétendu être les sources dans
lesquelles les siennes avoient pu être puisées.

En effet, le Recueil de Loix que Selden nous a donné dans ses Notes sur
_Eadmer_, ne contient que les usages des Danois & des Merciens qui
étoient suivis en Angleterre sous les regnes qui avoient précédé celui
d'Edouard le Confesseur; ce pieux Monarque avoit rassemblé ces Loix &
les siennes en un seul corps. Guillaume, en montant sur le Trône
d'Angleterre après le décès de ce Prince, fut forcé de promettre de
maintenir ces usages;[44] mais bien-tôt, sous prétexte qu'ils avoient
été altérés en des points essentiels, il obtint qu'on travailleroit à
les rédiger avec plus d'exactitude.

[Note 44: _Rex, pro bono pacis, juravit super omnes Ecclesias Sancti
Albani, tactisque Evangeliis, minante juramentum Abbate Fretherico,
bonas & adprobatas antiquas leges quas sancti ac pii Angliæ Reges ejus
antecessores & maxime REX EDUARDUS statuit inviolabiliter observare.
Seld. Not. in Eadmerum, p. 126._]

Cette rédaction fut confiée, par son ordre, à deux Evêques
courtisans,[45] peu au fait de la Jurisprudence civile, & dont le
principal intérêt devoit être de conserver les immunités dont Edouard
avoit comblé le Clergé.

[Note 45: _Aldredus Eboracensis Archiepiscopus qui Regem Willelmum
coronaverat, & Hugo Londoniensis Episcopus per præceptum Regis
scripserunt. Selden. Not. in Eadmerum._]

Il ne fut donc pas difficile à ce Souverain de faire insérer dans les
Statuts d'Edouard quelques maximes relatives aux Coutumes de Normandie
qu'il avoit résolu de leur substituer; & la traduction qu'il fit faire
de ces Statuts en langue Normande, lui fournit un moyen aisé de parvenir
à ce but. Car, sous prétexte de rendre intelligibles certains droits
particuliers à l'Angleterre, on se servit de noms qui étoient consacrés
à désigner des droits Normands qui n'avoient avec les premiers que des
rapports fort éloignés; & insensiblement la conformité des noms fit
confondre ces différens droits auxquels on les avoit indistinctement
appliqués.

On ne tarda point cependant à s'appercevoir des additions & des
changemens que la Loi d'Edouard avoit éprouvés. Plusieurs articles[46]
des Recueils qui portoient le nom de ce saint Roi, n'avoient aucune
liaison avec ceux qui les précédoient ou qui les suivoient. Les plaintes
qui s'éleverent à cet égard[47] donnerent lieu à des corrections
successives qui mirent tant de différence entre les exemplaires de la
Loi, répandirent tant d'incertitudes sur leur date, ainsi que sur la
préférence qu'on devoit leur donner,[48] & multiplierent les erreurs des
Copistes au point que l'on a toujours tenu pour suspectes[49] en
Angleterre les compilations faites des Loix d'Edouard sous le regne du
Conquérant. Aussi Eadmer s'est-il imposé le plus profond silence sur ces
Loix.

[Note 46: Art. 63 des Loix recueillies par Selden, le Conquérant, en
recommandant d'observer les Statuts d'Edouard, avoue qu'il y a ajouté
plusieurs dispositions, _Adauctis his quas constituimus, &c._ Et on ne
peut douter que celle du 42e article ne soit de ce nombre. Il est
intitulé _De pignore quod namium vocant_. Le Gage connu sous le nom de
_Namps_ parmi les Normands, ne l'étoit pas des Anglois, puisqu'en leur
en imposant l'usage, le Législateur est obligé de leur en donner
l'interprétation.]

[Note 47: _Rex juravit..... & sic pacificati ad propria læti
recesserunt. Selden. in Eadmerum, pag. 126._]

[Note 48: _Cum tamen alias leges plurimùm dissidentes eodem lemmate,
eodemque nomine insignes circumlatas & pro genuinis ac solis quibus
Regis & ordinum authoritas accesserat habitas fuisse, si Ingulfo credas,
sit exploratissimum, &c. Selden. Not. in Eadmerum._]

[Note 49: Arthur. Duck. L. 2., Part. 2, no. 13, p. 307.]

Il se contente d'insinuer, à l'égard de celles qui ont été établies par
Guillaume pour le civil, qu'elles s'accréditerent par les mêmes moyens
dont ce Prince avoit fait usage pour soumettre le Clergé aux Loix
Ecclésiastiques qui avoient été pratiquées en Normandie sous son regne &
sous celui de ses ancêtres;[50] c'est-à-dire, qu'il parvint à anéantir
les Loix d'Edouard, & à faire respecter les siennes par autorité, par
l'attrait des récompenses: précautions qui auroient été de trop, si ces
deux sortes de Loix eussent été d'accord entr'elles sur des points
essentiels.

[Note 50: _Usus ergo atque leges quas Patres sui & ipse in Normanniâ
habere solebant, in Angliâ servare volens de hujusmodi personis
Episcopos, Abbates & alios Principes per totam terram instituit, de
quibus indignum judicaretur si per omnia suis legibus, post positâ
omni aliâ consideratione non obedirent, &c. Quæ autem in sæcularibus
promulgaverit eâ re litterarum memoriæ tradere supersedemus, quoniam ex
divinis quæ juxtâ quod delibavimus ordinavit, qualitas illorum, ut
reor, adverti poterit. Eadmer. Histor. Novorum. L. 1._]

Il y a plus: Polydore Vergile[51] détaille les principales Loix
instituées par Guillaume, & on ne remarque entr'elles & les Loix qui
sont attribuées à Edouard par Selden, aucune ressemblance.

[Note 51: Polyd. Vergil. Hist. Ang. L. 9.]

Selden a compris tout le poids du témoignage de cet Historien; il a
essayé de l'atténuer en observant que la plupart des Réglemens que
Vergile attribue à Guillaume avoient eu cours en Angleterre sous la
domination des Saxons;[52] mais Selden, sans doute, ne s'est pas
rappellé qu'à l'avenement de Guillaume au Trône, les Loix Saxonnes
étoient abrogées depuis longtemps en Angleterre. Celles d'Edouard, qui
ne conservoient aucunes traces de ces Loix, les avoient remplacées.
D'ailleurs comme la plupart des anciennes Loix Françoises, d'où sont
nées celles de Normandie, ont été, ainsi que les premieres Loix
Angloises, tirées des Usages Saxons, il en résulte (quoiqu'on retrouve
quelques Usages Saxons parmi les Coutumes instituées, selon Polydore
Vergile, par Guillaume le Conquérant) que Vergile n'a pas été pour cela
moins fondé à considérer ce Prince comme instituteur des Coutumes
Angloises qui sont sous son nom. Ce sont ces Loix de Guillaume qui,
étant les mêmes que les anciennes Loix Françoises, ont tiré de l'oubli
les Usages pratiqués chez les Anglois dès l'origine de leur Monarchie.

[Note 52: _Sed caveant interim lectores ne à Polydoro in hisce
fallantur; indiligentiâ enim suâ deceptus, quædam Guillelmo velut
authori tribuit quas vetustioribus Saxonici Imperii temporibus
certissimum est deberi. Selden. Not. in Eadmerum._]

Une des principales Loix de ce Prince est celle qui a privé la plupart
des terres Angloises de leurs franchises,[53] & qui a imposé aux
propriétaires l'obligation de les relever du Roi ou des Seigneurs qui
leur étoient désignés; or, cette Loi est comme l'ame de la Législation
de Guillaume, & tout-à-fait conforme à l'idée que nous en donne
Littleton. Toutes les maximes de ses Institutes se rapportent à
l'inféodation; ou ces maximes en supposent l'existence, ou elles en
développent les caracteres: on ne peut en bien concevoir aucunes sans
consulter toutes les autres, tant leur liaison est intime.

[Note 53: _Ac primùm omnium legem agrariam tulit quâ se possessionum
multarum Dominum dixit, quâ priores Domini eas postea redimerent, quarum
bonæ partis proprietatem retinuit, sic ut qui in posterum tempus
possiderent velut fructuarii in singulos annos aliquid vectigalis sibi &
post-modum successoribus, Dominii causà, persolverent; & id juris voluit
alios Dominos in suos habere fructuarios quos tenentes vocant, &c._
Polyd. Vergil. L. 8, p. 52.--Ducange, _verbo Chartâ_.]

Les Loix d'Edouard, au contraire, ne contiennent aucunes dispositions
qui ne puissent également se concilier avec la liberté comme avec la
servitude de la glebe. L'homme _franc_ n'y est pas ainsi appellé par
opposition à ceux qui sont assujettis au vasselage; mais parce qu'il a
des priviléges personnels, indépendamment desquels ses propriétés & sa
personne ne seroient pas moins libres.[54] Si chaque cultivateur y est
obligé de résider en la Province ou Canton où il est né, ce n'est point
pour l'avantage d'un Seigneur particulier, mais pour rendre plus facile
& plus sûre la manutention du bon ordre & de l'abondance dans toutes les
parties de l'Etat.[55] Enfin tout propriétaire, sans distinction, y a la
faculté de tester; les enfans y partagent également les terres de leur
pere; on n'y reconnoît de services personnels que ceux qui sont dûs par
une convention libre ou résultans de l'esclavage:[56] tout cela est-il
assorti aux principes d'où les Fiefs sont émanés?

[Note 54: L'article 3 distingue l'homme libre qui a le droit d'avoir des
esclaves, de leur distribuer des terres pour les cultiver, &c. d'avec
_altre home qui ces franchises non a_, mais, suivant les articles 27 &
33, la personne & les fonds de cet homme privé des _franchises_,
n'étoient pas pour cela moins indépendans. Il pouvoit traiter avec tel
Propriétaire qu'il vouloit pour la jouissance d'un fonds, s'il n'en
avoit pas de suffisans; & ni l'un ni l'autre ne pouvoient résoudre leurs
conventions respectives avant qu'elles fussent expirées.]

[Note 55: L'article 33 le prouve. Les _Seigneurages_ de chaque
_Hundred_, ou les Chefs de chaque centaine de familles, devoient veiller
à ce que toutes les terres de leur canton fussent cultivées; & quand le
Chef d'une famille particuliere quittoit l'Hundred, les _Seigneurages_,
ou à leur défaut la justice du Souverain, faisoit venir un Cultivateur
pour le remplacer. Les Seigneurages n'avoient donc aucun droit sur les
fonds de leur ressort quant a la propriété: c'étoit donc à l'_Hundred_ &
non à eux que le service étoit dû.]

[Note 56: Voyez art. 6.]

S'il est évident que les Statuts d'Edouard le Confesseur n'ont contribué
en aucune façon aux Etablissemens de Guillaume le Conquérant; il est
aisé de faire voir avec la même évidence que ces Etablissemens de
Guillaume ont précédé la compilation des Loix Ecossoises, en les
considérant dans l'état où Skénée nous les a conservées.

Le Recueil de Skénée comprend diverses Loix.

Celle connue sous ce titre: _Leges Malcolmi Mac-kenneth[57] ejus nominis
secundi_, & la Loi qui commence par ces mots: _Regiam Majestatem_, sont
les plus anciennes & les seules qu'on ait pu supposer avoir eu
quelqu'influence sur les Loix du Conquérant de l'Angleterre. Or en
examinant d'abord la Loi du _Mac-kenneth_, on trouve que si elle
s'accorde en quelques points avec les Coutumes Normandes, ce n'est que
parce que les Ecossois ont fait passer dans leurs anciennes Loix
postérieurement au temps où celles de Normandie sont devenues le droit
commun d'Angleterre, les expressions qui avoient de tout temps
caractérisé les Droits & les Usages particuliers des Normands.

[Note 57: _Mac_, en Anglois, veut dire Fils, & _Kenneth_ est le nom du
Pere de Malcolme II. Skénée a fait précéder la Loi _Regiam_ par celle du
_Mac-kenneth_. De-là M. Roupnel, en sa Préface de la nouvelle Edition de
Pesnelle, a cru que la Loi _Regiam_ étoit de Malcolme.]

En effet, Skénée, qui a mis en meilleur ordre la Loi de Malcolme II,
convient que les Manuscrits les plus autentiques dont il s'est servi
étoient mutilés, défigurés en tant d'endroits, qu'il y a trouvé des
additions si mal-adroites, si fréquentes, & des leçons si
contradictoires les unes aux autres, qu'il a été obligé non seulement de
changer l'intitulé & l'ordre des Chapitres, mais même de retrancher du
Texte un grand nombre de Gloses qu'on y avoit insérées; il ajoute que
quelquefois les Manuscrits différoient tellement entr'eux, que pour se
déterminer dans le choix des expressions & des divers sens que ces
Manuscrits lui offroient, il a eu recours au Droit Civil, au Droit
Canonique, au Droit Anglois ou _aux Coutumes de Normandie_.[58] Or de
ces aveux de Skénée il résulte que le droit Anglo-Normand a dirigé la
plupart des corrections que cet Editeur a faites dans le Texte & la
distribution des Loix d'Ecosse. Mais comment le droit d'Angleterre & de
Normandie, qui n'a de ressemblance, comme on va bien-tôt en être
convaincu, avec les Loix Ecossoises que dans les formes de la procédure
& dans les termes, a-t-il pu guider Skénée dans son travail? C'est ce
qu'il convient d'éclaircir.

[Note 58: _Et certe mirum est scriptorum malitiâ vel ignorantiâ tot
ineptias in his libris reperiri; tot locos corruptos, tot amissos, tot
distortos, depravatos, tot imperite additos quales in singulis paginis
inveniuntur, & cum in omnibus codicibus mira sit varietas, nulla est tam
depravata lectio quæ non habeat suo errori confirmando codicem. Emendavi
multa..... & si codices manuscripti alii ab aliis sunt varii, eam
lectionem secutus sum quæ..... Juris civilis, Canonici, Normannici,
Anglici authoritate firmatur..... Glossemata quæ in textum irrepserant
expunxi, &c. Præf. Skænei ad Leges Scotiæ._]

Avant que Skénée eut entrepris de rassembler en un seul corps les Loix
pratiquées en Ecosse de son temps, ceux qui avoient mis en Latin le
_Mac-kenneth_ n'avoient pu rendre en cette Langue les expressions dans
lesquelles cette Loi avoit été originairement promulguée; au-lieu que
ceux qui avoient écrit sur les Loix Angloises & Normandes, qui étoient
toutes féodales, avoient déjà latinisé les termes spécialement consacrés
à caractériser les différens droits résultans de la féodalité. Ces
termes parurent donc aux Traducteurs des Loix de Malcolme, les seuls
propres à rendre le sens du Texte original de ces Loix. De-là ils
désignerent par les noms de _garda_ & de _relevium_ un droit que
Malcolme s'étoit réservé sur la succession de tous ses sujets, & qui
n'avoit aucune analogie ni avec la _garde_ ni avec le _relief_ usités
dans les Coutumes féodales. De-là encore ces Ecrivains appellerent
_fiefs_ les _gages_ attachés aux Offices du _Chancelier_, du _Senéchal_,
_&c._[59] Cependant avant le douzieme siecle on n'avoit pas eu même
l'idée, dans les divers Royaumes où les Loix féodales s'étoient
introduites, de fiefs purement honorifiques sans domaine ni
jurisdiction. Ainsi le terme de _fief_ ne pouvoit raisonnablement être
appliqué à des Offices établis en Ecosse antérieurement à cette époque.
Les Traducteurs firent plus: ils donnerent des noms visiblement
François, mais qu'ils latiniserent, à tous les Officiers dont le
_Mac-kenneth_ fait le détail.

[Note 59: _Leg. Malcolm. II._ Chap. 2, 6 & 7.]

C'est un Clerc des Livraisons, _Clericus Liberationis_;[60] un
Pannetier, _Panitarius_; un Brasseur, _Brasiator_; un Lardier,
_Lardarius_; un faiseur de feu dans la cour, _factor ignis in aulâ_. Il
est donc visible que quand même tous ces Offices auroient existé en la
Cour de Malcolme II, les Loix de ce Prince, avant que d'être traduites,
avoient dû donner aux salaires & aux fonctions attachés à ces Offices
d'autres dénominations que celles qu'ils ont dans le Recueil de Skénée,
& que ce n'a été qu'après l'établissement des Loix Normandes en
Angleterre que ces dénominations Françoises ont pu passer dans le droit
Coutumier d'Ecosse. Aussi plus on approfondit les Loix de Malcolme, plus
la vérité de ce raisonnement acquiert de force & devient palpable. A
chaque ligne de cet Ouvrage le langage François ou Normand est employé
pour interpréter les Réglemens mêmes qui, n'étant point essentiellement
liés aux Loix féodales, ont pu subsister en Ecosse dans les temps les
plus reculés. Les amendes y sont appellées _amerciamenta_;[61] les
assassins, _murdratores_; les ravisseurs, _deforciatores_; les
querelles, _Melletæ_.[62] Certainement ces termes n'étoient point
connus des Ecossois sous le regne de Malcolme II. Recherchons donc le
moment où ils sont devenus familiers à leurs Jurisconsultes.

[Note 60: _Liberatio pro_ livraison _est Gallicum verbum._ Skénée, Not.
in Cap. 6. Leg. Malcolm. II.]

[Note 61: Du vieux mot François _mercy_.]

[Note 62: Du mot _mêlée_.]

Le Préambule de la Loi _Regiam Majestatem_ peut nous conduire à la
découverte de ce fait.

Le Rédacteur de cette Loi, qui a aussi traduit en Latin le _MacKenneth_,
déclare, dans la Préface de la Loi _Regiam_, qu'il a fait choix, pour la
rédiger, de termes imaginés & forgés pour l'usage du Barreau, _jura
redigere decrevi, verbis utens curialibus ex industria_.[63] Il ne se
seroit pas exprimé, sans doute, de cette façon, si le langage qu'il
avoit employé dans sa Rédaction eût été celui de la Loi dans son
origine. Aussi est-il constant que ce n'est point dans le Texte primitif
de cette Loi qu'il a puisé les expressions dont il s'est servi.

[Note 63: _Præfatio Legis Regiam Majestatem._ On trouve ces mêmes
expressions dans la Préface de Glanville.]

Cet Ecrivain vivoit sous David II, Roi d'Ecosse.[64] Le Livre de
Glanville, sur le Droit Anglois, qui commence par ces mots: _Regiam
Potestatem_, existoit. Il avoit été composé par les ordres de Henri II,
Roi d'Angleterre; & ce Livre servit de modele au Rédacteur Ecossois. Le
but de ce dernier étoit de mettre des bornes à l'ardeur excessive avec
laquelle on se livroit à l'étude du Droit Romain, de ranimer le goût
pour les Loix Nationales que l'on négligeoit dans les Tribunaux, & de
faire voir que ces Loix n'étoient pas moins conséquentes, ni moins
susceptibles de méthode que les Romaines; mais en exécutant un dessein
si essentiel à la conservation des anciennes Coutumes de son pays, il
tomba dans un inconvénient qui a eu pour ces Coutumes les suites les
plus funestes. Ceux qui voulurent, après ce Compilateur des Loix
d'Ecosse, interpréter la Collection & la Traduction qu'il en avoit
faite, Collection qu'à l'imitation de celle de Glanville, il avoit
intitulée _Regiam Majestatem_, séduits par l'application qu'il avoit
faite aux Loix Ecossoises des termes propres au droit Anglois,[65] se
sont imaginés que ces termes dans les deux Loix avoient eu la même
origine, & toujours le même sens. De-là ils ont cru ne devoir mettre
aucune différence entre le style judiciaire des Cours d'Ecosse & celui
des Cours d'Angleterre; les Procédures dans le Royaume d'Ecosse se sont
modelées sur celles de l'Etat voisin;[66] les Jurisdictions Ecossoises
se sont insensiblement persuadées être en droit de jouir des mêmes
prérogatives que les Tribunaux Anglois s'étoient attribuées; ceux qui en
ressortissoient ont reclamé les mêmes priviléges; en un mot, tout ce qui
dans les Loix Ecossoises a pu se plier aux maximes des Loix des Fiefs,
telles qu'elles subsistoient en Angleterre, y a été assujetti. Dès-lors
on n'a plus considéré en Ecosse que comme un Feudataire de la Couronne
chaque Gouverneur de Province; on a substitué à ce nom celui de _Comte_
ou de _Baron_.[67] Le Comte a regardé comme son vassal tout
propriétaire de fonds situés dans le ressort de son Gouvernement, &
toute Capitation dûe ou au Fisc ou aux Juges, comme une redevance
caractéristique de l'inféodation. Quelques maximes des anciennes Loix
d'Ecosse n'ont pu cependant en être effacées; mais les Ecrivains de
cette Nation n'ont pas hésité de conclure de ce que Kenneth ou Malcolme
avoient incontestablement été les Auteurs de ces Maximes, qu'ils
l'avoient aussi été de tous les autres Usages avec lesquels elles
saisoient corps de leur temps.

[Note 64: Skénée prétend que David Ier fit rassembler dans la Loi
_Regiam_, &c. le Droit Coutumier d'Ecosse; mais ce sentiment ne me
paroît pas fondé. Les Pandectes ne furent rétablies par l'Empereur
Lothaire qu'environ l'an 1128; & Vacarius ne commença à les enseigner à
Oxford qu'en 1149. Ce fut lui qui montra le premier aux Anglois la
maniere d'étudier les Loix Romaines.[64a] Les Ecossois ne connoissoient
point encore alors le Droit Civil. En supposant donc que ce Droit ait
été reçu en Ecosse sous le regne de David Ier, cet événement auroit
pour époque les 4 ou 5 dernieres années de ce regne. Or seroit-il
présumable que dans un intervalle de temps si borné, on eût pu traduire
toutes les Loix d'Ecosse, & les distribuer dans l'ordre que Justinien
avoit donné à ses Institutes, car cet ordre est suivi dans la division
de la Loi _Regiam_? J'ai donc, d'après cette réflexion, placé la
rédaction de la Loi _Regiam_ sous David II, & en cela j'ai l'avantage
d'avoir en ma faveur le témoignage de Spelman.[64b] Son habileté dans
les Antiquités Britanniques ne permet pas d'opposer à son sentiment
celui de Skénée. Les Notes de ce dernier, dans l'édition qu'il nous a
procurée des Loix d'Ecosse, décelent le Jurisconsulte, mais il n'y donne
pas une grande idée de ses connoissances sur l'ancienne Histoire.]

[Note 64a: Arthur. Duck. L. 2, Sect. 27, pag. 319.]

[Note 64b: _Spelman. Glossar. verbo Leg. Scot._]

[Note 65: Voyez Préface de Ducange, no. 21.]

[Note 66: On a copié mot à mot le Livre de Glanville dans la Loi
_Regiam_, &c. Il suffit de lire les Préfaces de ces deux Recueils & la
formule des Brefs que donne Glanville pour s'en convaincre.]

[Note 67: _Cognomina sibi nobilitatis imponentes, eaque Anglorum more
ostentantes, &c. Hinc illæ natæ sunt Ducum, Comitum ac reliquorum id
genus ad ostentationem confictæ appellationes quum antea ejusdem
potestatis esse solerent qui Thani, id est Quæstores Regii dicebantur,
&c. Bœtius, in Scotiæ descriptione. C. 4., p. 92._--_Nota._ Que Rapin
de Thoiras, d'après Polydore Vergile, L. 9, convient (malgré tout l'art
dont il use pour insinuer que la plus grande partie des Loix de
Guillaume le Conquérant ont été puisées dans celles de ses
Prédécesseurs) que ce Prince substitua aux _Aldermans_ & aux _Thanes_
des _Comtes_, des _Barons_, des _Vavasseurs_, des _Ecuyers_; & il avoue
_que tous ces Titres ont été tirés du langage Normand_. Hist. d'Anglet.
L. 6. Or ces Titres dans cette langue ne désignent pas tant le Droit de
gouverner un canton ou une portion de l'état, que celui d'avoir le
Domaine direct de toutes les terres comprises dans l'étendue d'une
Seigneurie décorée de l'un d'eux. En changeant en Angleterre & les Noms
& les Loix, on n'a donc rien fait que de raisonnable; mais on a tout
brouillé en Ecosse en changeant les noms, & en laissant subsister des
Loix auxquelles ils ne pouvoient convenir.]

Après cela est-il étonnant que Littleton n'ait point eu recours aux
Statuts d'Edouard le Confesseur, ni aux Loix d'Ecosse pour former sa
Compilation? Ces deux sortes de Loix, considérées dans leur rédaction
actuelle, étant postérieures au regne de Guillaume le Conquérant,[68]
Littleton n'avoit pas besoin de les consulter pour donner au Public le
Droit Normand tel que ce Prince l'avoit établi en Angleterre; & c'est
par cette raison qu'il ne les a jamais citées dans le cours de son
Ouvrage.

[Note 68: _Sunt in regno tuo natæ_, dit Skénée en parlant des Loix
d'Ecosse dans sa Dédicace à Jacques, sixieme Roi d'Angleterre; ce qui
s'accorde avec ce passage de Boëce, _de Scotorum priscis
recentioribusque moribus & institutis_. Ch. 4, p. 91. _Labentibus autem
sæculis idque maxime circa Malcolmi Cammoir tempora mutari cuncta
cœperunt..... ubi affinitate Anglis conjungi cœpimus, expanso, ut ita
dicam, gremio, quoque mores eorum amplexi imbibimus._--Ce Malcolme est
le troisieme de ce nom, mort en 1097. Il adopta le premier quelques
Coutumes Angloises, & David II, en les faisant rassembler & traduire,
acheva de défigurer les anciens usages de sa Nation. Cambden ne
s'exprime pas moins clairement que Boëce: _Inter nobiles, amplissimi &
honoratissimi olim erant Thani id est qui, si quid video, ex munere
solum modo quo defungebantur erant nobilitati; dictio enim in antiquâ
Anglo-Saxonum lingua Ministrum Regium denotat. Verum hæc nomina paulatim
exoleverunt ex quo Malcolmus tertius Comitum, & Baronum titulos ex
Anglia à Normanis acceptos nobilibus bene merentibus detulisset. Scot.
descrip. ch. 6, p. 102 & 103, de Regimine Scotiæ. Edit. Elzevir. ann.
1627._]

Littleton mit cet Ouvrage au jour sous Edouard IV, & il déclare l'avoir
tiré d'un ancien Traité des Tenures. Il ajoute, il est vrai, en
s'adressant à son fils auquel il consacre son travail, qu'il _n'ose
présumer que tout ce qu'il a écrit soit de Loi_;[69] mais Coke, son
Commentateur, attribue ces expressions à la modestie de l'Auteur.[70]
Selon lui, _le nom de Littleton désigne moins_, parmi les Jurisconsultes
Anglois, _un Ecrivain particulier que la Loi elle-même_;[71] & on est
forcé de souscrire à cet éloge, lorsqu'on réfléchit sur la méthode
suivie par Littleton. Il porte le scrupule jusqu'à distinguer en chaque
article de son Recueil ce qui est de la _commune Loi_; c'est-à-dire, de
la Loi établie par Guillaume le Conquérant[72] d'avec ce qui a été
institué par des Chartes, Statuts ou Edits postérieurs.

[Note 69: Section 749.]

[Note 70: Coke auroit pu donner une autre raison de la défiance que
Littleton témoigne pour ses propres opinions. C'est que Littleton
propose quelquefois les moyens qu'il croit les plus convenables pour
l'interprétation ou la pratique des Loix qui ne sont pas clairement
rédigées, & ces moyens ne sont pas toujours conformes à la doctrine des
autres Jurisconsultes de sa Nation.]

[Note 71: _Not the name of the author only but of the law it self._
Coke, au frontispice de son Commentaire.]

[Note 72: Les Loix d'Edouard s'appelloient aussi _Loix communes_; mais
c'étoit lorsqu'elles étoient en vigueur. Polydor. Verg. p. 139.]

Quelque répugnance qu'eût marqué, sous ce Monarque, la Nation Angloise
pour les Coutumes Normandes, elle s'y étoit cependant attachée
insensiblement. Plusieurs fois on lui avoit proposé, dans les Etats
tenus sous les regnes suivans, de les changer ou de les réformer sur le
Droit Romain; mais les Seigneurs avoient toujours résisté à ce projet.
Les Comtes & les Barons, sous Henri III, répondirent aux instances qu'il
leur faisoit à cet égard: _Nous ne voulons pas_ changer les Loix du
Royaume que l'usage a approuvées jusqu'à nous.[73] Il y eut une
reclamation aussi vigoureuse, en faveur de ces Loix, de la part de
Thomas, Duc de Glocestre, sous Richard II qui commença de régner en
1377. Le Livre des Tenures, pris pour modele par Littleton, ayant été
composé, selon Coke,[74] par ordre d'Edouard III, c'est-à-dire, plus de
cent ans au moins avant le regne de Richard II, il n'est pas naturel de
penser qu'il se fût glissé dans les maximes qu'il contenoit, rien qui ne
fût appuyé sur les pratiques les plus anciennes.

[Note 73: Arthur. Duck. L. 2, p. 334.]

[Note 74: Note derniere de son Comment. p. 394.]

Ni l'Ouvrage où Bracton[75] expliquoit les Coutumes Angloises environ
l'an 1260, ni celui de Britton, qui fut publié sous Edouard I'er,
n'ont point acquis en Angleterre le dégré d'autorité dont a joui jusqu'à
présent l'Ouvrage de Littleton. Ces Auteurs ont écrit avant lui; mais il
n'ont pas eu, comme lui, soin de recueillir le Texte des Coutumes
anciennes, & de les discerner des regles qui y avoient été substituées
par erreur ou par ignorance. Ils avoient négligé de rechercher
l'étymologie des noms donnés par le Conquérant, & de recourir à chaque
Coutume pour en rappeller l'origine & le but. Ils s'étoient plus
attachés à exposer ces Coutumes sous l'interprétation qu'on leur donnoit
de leur temps, qu'à les ramener au vrai sens des maximes sur lesquelles
le Législateur avoit cru devoir les établir, ou plutôt ils avoient
commenté ces maximes.

[Note 75: Je donnerai dans le second Volume une idée de l'Ouvrage de
Bracton & la notice de quelques autres Ouvrages de Jurisprudence
Anglo-Normande.]

Littleton a pris une méthode plus réguliere & plus satisfaisante. Il
nous présente ces Coutumes dans la simplicité des Actes qui avoient
suppléé sous le Conquérant au défaut de leur rédaction.[76]

[Note 76: Voyez les Notes sur le Code des anciennes Loix Angloises de
Spelman, a la fin du second Volume.]

Qu'on rapproche son Recueil du Livre Censier ou _Domesday_; leur
correspondance est sensible. Celui-ci donne le nom aux Tenures, à leurs
appartenances, soit honorifiques, soit utiles; l'autre indique les
formalités requises pour les partager, les aliéner, les acquerir, les
donner ou les conserver. Sans ces formalités la dénomination des choses
seroit inintelligible, & sans cette dénomination les formalités auroient
été impraticables.

Littleton & le vieux Coutumier Normand ne sont cependant point d'accord
sur tous les points.

1er. Les regles prescrites dans le Coutumier pour succéder aux Fiefs
sont relatives à la constitution des Fiefs qui étoit devenue uniforme
lors de sa rédaction; & les regles que donne Littleton se rapportent à
l'état des différens Fiefs qui étoient admis en Normandie lors de la
Conquête par le Duc Guillaume; mais cette différence redouble le prix de
ces deux Ouvrages: on n'a pas besoin, après les avoir consultés, de
recourir à d'autres sources pour suivre le progrès des Loix féodales
depuis l'érection de la Normandie en Duché jusqu'à sa réunion à la
Couronne.

2e. En Angleterre il n'y a point de Hautes-Justices, & l'ancien
Coutumier reconnoît que les Ducs en ont concédé par leurs Chartes; mais
il est d'observation que lorsque l'Auteur de cette Compilation dit[77]
que _le Duc a Court de tous torts, exceptés ceux à qui les Princes de
Normandie ont octroyé d'avoir Court de telles choses par Chartes, &c._
Ces expressions de _Princes de Normandie_ ne peuvent s'appliquer aux
Ducs de cette Province du sang _Normand & Angevin_. En effet, le premier
titre de concession de Justice en cette Province, qui nous soit connu,
n'est que de 1211, sous Philippe Auguste; & les autorités que cite
Basnage,[78] pour établir l'antiquité des Hautes-Justices en Normandie,
ne remontent pas au-delà de 1207.

[Note 77: C. 53 de Court.]

[Note 78: Basnage, sur l'article 13 de la Coutume, p. 38, premier
Volume, cite Orderic _Vital_, pour prouver que les Moines de Saint
Evroult avoient en 1055 fait le Procès à un Gentilhomme; mais ces termes
de Vital _justo judicio determinatum est, Monachis conquerentibus_,
signifient seulement que la condamnation fut poursuivie par les Moines,
& non pas qu'elle ait été prononcée en leur Jurisdiction.]

Si l'on met donc à part tout ce qui a été inséré dans l'ancien
Coutumier, soit à l'égard des regles générales que l'on suivoit quand il
fut composé, pour les successions aux Fiefs, soit relativement aux
Jurisdictions seigneuriales établies par les Princes François
postérieurement aux premiers Ducs de la race de Raoul; & si l'on ne
s'attache qu'à ce que dit Littleton pour reconnoître 1er quelles
étoient les diverses especes de Fiefs, ainsi que la maniere d'y succéder
lors de leur établissement primitif; 2e pour sçavoir comment la
Justice étoit exercée au temps du Duc Raoul: le Livre de cet Auteur &
l'ancien Coutumier pourront être considérés, sur toutes les autres
matieres, comme un seul & même dépôt des Loix Neustriennes[79] auquel
on doit par conséquent recourir par préférence à tous les Recueils des
anciennes Coutumes de France composées sous Saint Louis. C'est-là l'idée
que le Rédacteur du Style de procéder, imprimé en 1552, a voulu que l'on
conçût du vieux Coutumier. Les Loix contenues en ce Livre _sont_,
dit-il, _Etablissemens & Coutumes observées, tenues & gardées de toute
ancienneté au pays de Normandie, & au-devant que la Duché fût baillée
par Charles le Simple au Duc Raou_.

[Note 79: Basnage, article 13 de son Commentaire, Tom. 1, p. 57, pense
que _l'ancien Coutumier seroit l'ancien Droit Normand, s'il étoit
constant que l'Auteur de cette collection eût écrit avant Philippe
Auguste_. Mais la conformité de cet ancien Coutumier avec Littleton,
prouve beaucoup mieux qu'il contient l'ancien Droit Normand, que ne le
feroit la certitude de sa rédaction avant Philippe; car cette conformité
force de donner aux Coutumes recueillies dans ces deux Ouvrages une
origine antérieure au temps où les Anglois les ont connues &
adoptées.--Basnage, p. 55, premier Volume, dit encore que _l'on
chercheroit avec plus de raison l'explication de nos Coutumes dans les
anciennes Loix d'Angleterre que dans les Coutumes de France_: j'ai suivi
ce Conseil.]

Quoique celui qui a composé cet ancien Coutumier propose son travail aux
Lecteurs _pour qu'ils amendent ce qu'ils verront à amender, y mettent ce
qu'il y faudra, & en ôtent ce que lieu n'y tiendra_,[80] ce langage, de
pure bienséance, ne doit pas faire douter de la fidélité avec laquelle
celui qui le tient a procédé dans ses recherches.

[Note 80: Prologue de l'anc. Cout.]

Il y avoit, il est vrai, avant sa Compilation divers Recueils des
Coutumes Normandes. _Jacques Mango_, Maître des Comptes à Paris, en fit
voir un à l'Avocat-Général Servin;[81] & il le tenoit d'un Sieur de
Saint Just, Maître en la Chambre des Comptes de Rouen. Rouillé rapporte
des extraits d'autres Manuscrits[82] où ces Loix étoient en vers.
L'Auteur de l'ancien Coutumier se plaint lui-même[83] de ce que de son
temps les _Droits & Coutumes avoient été muées, en certains points, par
la force des puissans hommes; qu'elles n'étoient plus arrestées en
certains Sieges, ains qu'elles sailloient en diverses Langues, si que
nulle mémoire n'étoit des anciens établissemens_.[84]

[Note 81: Servin. 2. Vol. p. 467.]

[Note 82: Rouillé, p. 39. fol. vers. M. Lallemant a un de ces
Manuscrits.]

[Note 83: _Titre d'échéance & de brief de prochainneté d'Ancesseur._]

[Note 84: Prologue de l'anc. Cout.]

L'usage du Record, qui s'étoit d'abord opposé à ces variations du texte
de la Loi, n'avoit plus pour objet, depuis que l'écriture étoit devenue
familiere à gens de tout état, que l'interprétation des termes dans
lesquels les Jugemens avoient été prononcés. Leur mauvaise rédaction, &
l'obscurité des expressions dont on s'étoit servi, avoient fait oublier
les pratiques anciennes, ou les avoient rendues tellement équivoques
qu'on ne manquoit jamais de prétextes, soit pour supposer qu'elles
avoient été abrogées, soit pour nier leur existence.

L'Auteur du Coutumier, frapé de ces désordres, _rappella & éclaircit_
les anciens Statuts; _il s'enquit de ce qui étoit tenu pour Loi en
chaque territoire_;[85] il profita de ce qui avoit paru mériter ce nom
en l'_Assemblée des Prélats & Barons de la Province convoquée & tenue à
Lislebonne par Philippe le Bel_.[86] Aidé par les gens de l'Echiquier, &
autres Officiers de la Justice souveraine qui étoient obligés par
serment de _maintenir & garder_ les Coutumes, il publia son Livre. Les
Seigneurs & le Peuple y reconnurent leurs droits respectifs, & les Juges
y conformerent leurs décisions.

[Note 85: Prologue de l'anc. Cout.]

[Note 86: Ancien style de procéder, p. 86. ch. 110. Anc. Cout. & Rouillé
sur ce Chap.]

La Charte de Louis Hutin[87] ne fut donnée que parce que les _Prélats,
Chevaliers & menu peuple_ se plaignoient de ce qu'on enfreignoit leurs
droits; & ce Prince ne crut pas innover en les maintenant dans tous les
Priviléges contenus au Coutumier. Il fut enregistré au Parlement de
Paris, en l'Echiquier & en la Chambre des Comptes de Rouen.[88]

[Note 87: La Charte aux Normands.]

[Note 88: Arrêt pour la success. des Enfans condamnés, p. 121. Cout.
Réform. édit. de Lambert.]

L'ancien Coutumier n'a donc jamais cessé d'être considéré comme une
Collection autentique des premiers Usages de la Province: c'est donc
dans cet Ouvrage, & dans les Loix Angloises que se trouve notre ancien
Droit Municipal conservé par deux Nations différentes, & par des moyens
d'autant moins suspects qu'ils n'ont point été concertés.

On ne peut pas avoir la même opinion des Ouvrages de Jurisprudence des
12 & 13e siecles. De quelque utilité qu'ils ayent été au célebre
Montesquieu, il ne s'est pas aveuglé sur leurs défauts.

Desfontaines,[89] selon lui, est le _premier Auteur de Pratique que
nous ayons, mais il fait un grand usage des Loix Romaines; il mêle à la
Jurisprudence Françoise les Etablissemens de Saint Louis, & les maximes
du Droit Civil._

[Note 89: Espr. des Loix, L. 28. ch. 38 & suiv. p. 383 & 403.]

_Beaumanoir fait peu d'usage du Droit Romain; mais il concilie les
Réglemens du Saint Roi avec les anciens Usages de France._

_L'objet de ces deux Ecrivains,_ dit ailleurs M. de Montesquieu, _a
plutôt été de donner une Pratique judiciaire que les Usages de leur
temps sur la disposition des biens._

Ces Auteurs donc, sans s'arrêter aux anciennes Pratiques ou à celles qui
étoient en usage de leur temps, proposoient des regles qui ne pouvoient
réformer les abus & la diversité des Procédures, qu'autant qu'on se
seroit déterminé dans tout le Royaume ou à se fixer uniquement à ces
regles ou à reprendre les usages antérieurs à l'Anarchie où s'étoit
trouvé le Royaume sous nos derniers Rois de la deuxieme Race.

On apperçoit, au premier coup d'œil, combien des Ouvrages faits dans de
pareilles vues sont peu propres à nous apprendre en quoi les Coutumes
Françoises consistoient dans leur origine.

Au contraire, le principe, le but, les progrès, les variations de ces
Coutumes se développent naturellement par la comparaison des Loix
Angloises avec les Normandes qui nous restent. Ces Loix ne different en
rien d'important, ce qui oblige de leur assigner une source commune. Or,
cette source se manifeste dans l'introduction des Loix Normandes en
Angleterre. Guillaume le Conquérant les avoit reçues de ses
Prédécesseurs par une tradition que rien n'avoit interrompue depuis que
Raoul les avoit trouvées établies en Neustrie: le droit particulier des
François a donc incontestablement formé celui que les Anglois suivent
encore, & qui seul a été admis en Normandie jusqu'à la réformation de
ses Coutumes.[90]

[Note 90: En 1577.]

Mais inutilement faciliterois-je au Public la comparaison des Ouvrages
où les Loix Françoises Neustriennes se retrouvent, si je ne lui
indiquois pas les motifs qui les ont fait naître. C'est en
approfondissant l'esprit dans lequel elles ont été faites que l'on
découvre la source de la diversité des Usages suivis maintenant dans
les différentes Provinces de ce Royaume, & que l'on peut parvenir à
ramener ces Usages à des principes communs, au moins sur les principales
matieres, en supposant qu'on ne puisse les rappeller, sur toutes les
matieres, _à la conformité, raison & équité d'une seule Loi_.[91] Tel
est le double profit que je desire que l'on retire de ce Commentaire.

[Note 91: Loisel, introduct. à ses Instit. Coutum.]



_APPROBATION._


J'ai lu, par ordre de Monseigneur le Chancelier, cette _Traduction de
Littleton, avec des Notes & Observations critiques & historiques, par M.
Hoüard, Avocat, &c._ Je n'y ai rien trouvé qui en puisse empêcher
l'impression. Les lumieres qu'on peut tirer de Littleton pour
l'intelligence de différens points de notre Droit Coutumier & de nos
anciens Usages, & pour la décision de plusieurs Questions intéressantes
dans la Pratique, faisoient desirer depuis long-temps que quelque homme
sçavant & laborieux, également versé dans la connoissance des Loix & de
l'Histoire, voulût lever les difficultés qui privoient de la lecture de
cet Ouvrage ceux à qui il pouvoit être le plus utile. Cette Traduction
de M. Hoüard, & le docte Commentaire dont il l'a accompagnée, feront
aisément juger que personne n'étoit plus capable que lui de remplir ce
voeu, & de rendre un service si important à notre Jurisprudence.

    _GIBERT._



_PRIVILEGE DU ROI._


Louis, par la grace de Dieu, Roi de France & de Navarre, à nos amés &
féaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Maître des
Requêtes ordinaire de notre Hôtel, grand Conseil, Prevôt de Paris,
Baillifs, Senéchaux, leurs Lieutenans civils & autres nos Justiciers
qu'il appartiendra; SALUT. Notre amé, le Sieur RICHARD LALLEMANT, ancien
Consul, Conseiller-Echevin, & notre Imprimeur ordinaire à Rouen, nous a
fait exposer qu'il desireroit faire imprimer & donner au Public un
Ouvrage qui a pour titre: _Anciennes Loix des François, conservées dans
les Coutumes Angloises, recueillies par Littleton, avec des Observations
historiques & critiques, où l'on fait voir que les Coutumes & les Usages
suivis anciennement en Normandie sont les mêmes que ceux qui étoient en
vigueur sous les deux premieres Races de nos Rois_; s'il nous plaisoit
lui accorder nos Lettres de Privilége pour ce nécessaires. A CES CAUSES,
voulant favorablement traiter l'Exposant, nous lui avons permis, &
permettons par ces Presentes, de faire imprimer ledit Ouvrage autant de
fois que bon lui semblera, & de le faire vendre & débiter par-tout notre
Royaume pendant le temps de douze années consécutives, à compter du jour
de la date des Présentes. Faisons défenses à tous Imprimeurs, Libraires
& autres personnes, de quelque qualité & condition qu'elles soient, d'en
introduire d'impression étrangere dans aucun lieu de notre obéissance;
comme aussi d'imprimer ou faire imprimer, vendre, faire vendre, débiter
ni contrefaire ledit Ouvrage, ni d'en faire aucun extrait, sous quelque
prétexte que ce puisse être, sans la permission expresse & par écrit
dudit Exposant ou de ceux qui auront droit de lui, à peine de
Confiscation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d'amende
contre chacun des contrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à
l'Hôtel-Dieu de Paris, & l'autre tiers audit Exposant ou à celui qui
aura droit de lui, & de tous depens, dommages & intérêts: A la charge
que ces Présentes seront enregistrées tout au long sur le Registre de la
Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris dans trois mois de la
date d'icelles; que l'impréssion dudit Ouvrage sera faite dans notre
Royaume, & non ailleurs, en bon papier & beaux caracteres, conformément
à la feuille imprimée, attachée pour modele sous le contre-Scel des
Présentes; que l'Impétrant se conformera en tout aux Réglemens de la
Librairie, & notamment à celui du 10 Avril 1725; qu'avant de l'exposer
en vente, le Manuscrit qui aura servi de copie à l'impression dudit
Ouvrage sera remis, dans le même état où l'Approbation y aura été
donnée, ès mains de notre très-cher & féal Chevalier Chancelier de
France le Sieur de Lamoignon, & qu'il en sera ensuite remis deux
Exemplaires dans notre Bibliotheque publique, un dans celle de notre
Château du Louvre, un dans celle dudit Sieur de Lamoignon, & un dans
celle de notre très-cher & féal Chevalier Vice Chancelier & Garde des
Sceaux de France le Sieur de Maupeou, le tout à peine de nullité des
Présentes; du contenu desquelles vous mandons & enjoignons de faire
jouir ledit Exposant & ses Ayant-causes pleinement & paisiblement, sans
souffrir qu'il leur soit fait aucun trouble ou empêchement; voulons que
la copie des Présentes, qui sera imprimée tout au long au commencement
ou à la fin dudit Ouvrage, soit tenue pour duement signifiée,
& qu'aux copies collationnées par l'un de nos amés & féaux
Conseillers-Secretaires, foi soit ajoutée comme à l'original. Commandons
au premier notre Huissier ou Sergent fut ce requis de faire, pour
l'exécution d'icelles, tous Actes requis & nécessaires, sans demander
autre permission, & nonobstant Clameur de Haro, Charte Normande, Lettres
à ce contraites; CAR tel est notre plaisir. DONNÉ à Fontainebleau le
dix-septieme jour du mois d'Octobre l'an de grace mil sept cent
soixante-quatre, & de notre Regne le cinquantieme.

  PAR LE ROI, EN SON CONSEIL,

    LE BEGUE.

_Registré sur le Registre XVI de la Chambre Royale & Syndicale des
Libraires & Imprimeurs de Paris, no. 385 fol. 192, conformément au
Réglement de 1723, qui fait défenses, art. 41, à toutes personnes, de
quelque qualité & condition qu'elles soient, autres que les Libraires &
Imprimeurs, de vendre, débiter, faire afficher aucuns Livres pour les
vendre en leurs noms, soit qu'ils s'en disent les Auteurs ou autrement,
& à la charge de fournir à la susdit Chambre neuf Exemplaires prescrits
par l'art. 108 du même Réglement. A Paris ce 16 Novembre 1764._

    LE BRETON, Syndic.

_Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de
cette Ville, no. 182, conformément aux Réglemens. A Rouen le 7 Mai
1766._

    CHARLES FERRAND, Syndic.



_TABLE_ DES CHAPITRES

  _CONTENUS DANS LE PREMIER VOLUME._


  LIVRE PREMIER.

      CHAP. I. _De Fée simple_,                               page 1

      II. _De Fée Tail_,                                          32

      III. _Tenant en Tail après possibilitie d'issue extinct_,   48

      IV. _De la Courtoisie d'Angleterre_,                        51

      V. _De Douaire_,                                            54

      VI. _Tenure à terme de vie_,                                75

      VII. _Tenant à terme d'ans_,                                78

      VIII. _De Tenure à volonté_,                                87

      IX. _De Tenure par Copie, &c._                              91

      X. _De Tenure par la Verge_,                               100

  LIVRE SECOND.

      CHAP. I. _D'Homage_,                                 page 107

      II. _De Féauté_,                                           123

      III. _D'Escuage_,                                          127

      IV. _De Service de Chevalier_,                             145

      V. _De Socage_,                                            175

      VI. _De Tenure en Franche-aumône_,                         200

      VII. _D'Hommage d'Ancêtres_,                               218

      VIII. _De grande Sergenterie_,                             227

      IX. _De petite Sergenterie_,                               233

      X. _De Tenure en Bourgage_,                                234

      XI. _De Villenage_,                                        251

      XII. _De Rentes_,                                          291

  LIVRE TROISIEME.

      CHAP. I. _De Parceniers_,                             page 315

      II. _Des Parcenieres suivant la Coutume_,                  340

      III. _De Jointenans_,                                      351

      IV. _De Tenans en commun_,                                 365

      V. _D'Etats sous condition_,                               393

      VI. _De Discens_,                                          455

      VII. _Des Clameurs continuées_,                            479

      VIII. _De Délaissement_,                                   513

      IX. _De Confirmation_,                                     587

      X. _D'Attournement_,                                       613

      XI. _De Discontinuance ou Interruption_,                   642

      XII. _De Remitter ou de Restitution_,                      684

      XIII. _De Garantie_,                                       718



ANCIENNES _LOIX_ DES FRANÇOIS,

_OU_ INSTITUTES DE LITTLETON.

_LIVRE PREMIER._



CHAPITRE PREMIER.

_DE FÉE SIMPLE._


*SECTION PREMIERE.*

*Tenant en fée (a) simple est celuy qui ad terres ou tenements a tener a
luy & a ses heires a touts jours, & est appel en Latin _Feodum simplex,
quia feodum idem est quod hæreditas, & simplex idem est quod legitimum
vel purum, & sic feodum simplex idem est quod hæreditas legitima vel
hæreditas pura._ Car si home voile purchaser terres ou tenements en
fée simple, il covient de aver ceux parols en son purchase, _a aver
& tener a luy & a ses heires:_ car ceux parols _(ses heires)_ font
l'estate d'enhéritance. Car si home purchase terres per ceux parols _a
aver & tener a luy a touts jours,_ ou per tiels parols, _a aver & tener
a luy & a ses assignes a touts jours,_ en ceux deux cases il ny ad
estate forsque pur terme de vie, pur ceo que il fault ceux parols _(ses
heires)_ les queulx parols tantsolement font lestate denhéritance en
touts feoffements & grants.*

SECTION PREMIERE.--_TRADUCTION._

Le tenant en _fief simple_ se nomme ainsi, parce que ses terres sont
héréditaires à perpétuité; car en Latin _feodum simplex_ veut dire _un
fief héréditaire_; une hérédité légitime & absolue. Si on veut donc
acquérir un fonds, & le tenir à titre de _fief simple_, il est essentiel
que le Contrat d'acquisition porte cette clause, _à tenir par
l'acquéreur & ses hoirs_; car ces mots _ses hoirs_ constituent
l'hérédité; de sorte que si quelqu'un stipuloit seulement dans le
Contrat qu'il _auroit pour lui les fonds acquis à perpétuité_, ou _qu'il
les auroit pour lui & pour ceux qu'il designeroit à perpétuité_, en ces
deux cas son fief ne seroit qu'à vie, parce qu'en toutes inféodations ou
donations il n'y a que ces mots, _ses hoirs_, qui établissent leur
hérédité, qui les rendent successifs.

_ANCIEN COUTUMIER._

Un franc tenement est tenû sans hommage, sans parage, en fief lay.
Chapitre XXVIII _de Tenures_.

_REMARQUES._

(a) _Fée._

La méthode suivie par Littleton dans la distinction qu'il fait des
_Tenures_, ne peut convenir qu'aux différentes especes de Tenures
connues sous nos Rois de la seconde race. Pour rendre ceci sensible, il
convient de donner ici quelques notions de l'origine & de la nature des
Bénéfices. J'aurai occasion dans la suite de traiter successivement des
diverses regles établies pour y succeder, ainsi qu'aux Fiefs. Je
traiterai des droits que les aînés & les filles y ont eus, des
conditions dont leur cession pouvoit être susceptible, des formalités
requises pour en transmettre, en reprendre ou s'en assurer la
possession; je parlerai enfin de toutes les dépendances des Bénéfices &
des Fiefs dont il m'a paru que l'on avoit jusqu'à présent ignoré les
causes, ou auxquelles on en a assigné de fausses.

Deux choses m'ont presque empêché de me livrer à ces discussions, 1er
la crainte de passer pour plagiaire dans ce que je dirois de conforme au
sentiment du profond Auteur de l'Esprit des Loix, 2e celle de n'être
point écouté lorsque je m'écarterois de ses principes; mais en
même-temps plusieurs réflexions m'ont encouragé & rassuré.

Mr. de Montesquieu n'a lui même considéré son ouvrage sur les Loix
féodales que comme un systême; on y _trouvera_, dit-il,[92] _ces Loix
plutôt comme je les ai envisagées que comme je les ai traitées_. Il
n'a donc ajouté ses observations à celles des Auteurs qui ont écrit
des Fiefs avant lui, que pour la facilité de ceux qui, dans la suite,
voudroient approfondir davantage cette matiere. Son Traité des Fiefs
(car en terminant son ouvrage il lui donne ce nom[93] qu'il lui avoit
d'abord refusé) finit, de son propre aveu, où les autres Ecrivains
ont commencé. Or ce Traité, ainsi que les Capitulaires qui en sont
le principal appui, ne s'étendent point au delà du dixieme siecle; &
Brussel,[94] dont sans doute Mr. de Montesquieu a voulu parler sous
ces termes: _d'autres Ecrivains_; cite peu d'autorités qui remontent
au delà des dernieres années du onzieme siecle.[95] Il ne seroit donc
point étonnant que l'objet de mon travail ayant été de m'assurer de
l'état où les Fiefs se trouvoient dans les deux derniers siecles, dont
M. de Montesquieu n'a point parlé,[96] mes recherches à cet égard
m'eussent procuré sur ce qui a été pratiqué dans les temps précédens,
des connoissances qui lui auroient échappé.

[Note 92: Espr. des Loix, Liv. 30, Chap. 1, page 2.]

[Note 93: Espr. des Loix, Liv. 31, Chap. 34.]

[Note 94: Examen de l'usage des Fiefs.--Brussel est le seul qui ait
donné aux Bénéfices une origine aussi ancienne que celle que Mr de
Montesquieu leur attribue.]

[Note 95: Presque toujours il annonce comme du 11e siecle ce qui n'est
que du 12e. _Voyez_ Sect. 11e Chap. 1er.]

[Note 96: M. de Montesquieu passe souvent du 9e aux 12e, & 13e siecles,
& présente comme suite d'un usage établi dès le 9e ce qui n'a été
pratiqué que dans les deux autres. _Voyez_ Liv. 31, Chap. 30 & 33.]

On chercheroit, mais inutilement, le modèle des Bénéfices & des Fiefs
François dans ce que César & Tacite racontent des Germains & des
Gaulois.

Des jeunes gens courageux choisis par un Général, ou qui s'offrent à
lui pour le soutenir dans le combat, qui dans le temps de paix vont chez
d'autres Peuples chercher l'occasion de signaler leur bravoure,[97] ne
portent assurément aucun trait de ressemblance avec les Bénéficiers qui,
à raison de leurs dignités, étoient tenus au Service Militaire sous nos
premiers Rois.

[Note 97: _Si civitas in quâ orti sunt longâ pace & otio torpeat,
plerique nobilium adolescentium petunt ultrò eas nationes quæ tum bellum
aliquod gerunt. Tacit. de Morib. Germ._ pag. 454, in-folio, Commentaires
de César, pages 185 & 186, Liv. 6.]

Si l'on pouvoit assimiler les Bénéfices & les Fiefs aux _chevaux_, aux
_armes_, aux _repas_,[98] dont les chefs Germains ou Gaulois
récompensoient la Jeunesse qui les avoit suivis à l'Armée, on pourroit
avec autant de fondement en rappeller l'institution au don _que Dieu_
fit au Peuple d'Israël de la terre de Canaan,[99] & trouver dans les
conditions qu'il y apposa les Droits de _Suseraineté & de Commise_.

[Note 98: Espr. des Loix, pag. 6, Livr. 30, Chap. 3, 4e vol. in-12.]

[Note 99: Basnage, Commentaire sur la Coutume de Normandie, pag. 140, v.
1re.--De la Roque, Traité de la Noblesse, Chap. 18, pag. 43.]

Le Bénéfice a eu dans tous les temps des caracteres particuliers, qui ne
permettent pas de le confondre ni avec les présens faits à la Noblesse
Gauloise ni avec les Fiefs.

Les présens n'étoient que conséquens aux services; les services étoient
volontaires, ils n'étoient point spécialement dûs à un Chef
d'expédition, ni concentrés dans un certain ordre de personnes. Celui
auquel on promettoit ces services ne pouvoit pas les exiger lors même
qu'on s'y étoit engagé dans l'assemblée de la Nation;[100] mais si on se
rétractoit de cet engagement on perdoit tout crédit parmi ses
compatriotes: juste châtiment d'un homme sans parole, qui eût été trop
modéré pour le traître qui par état auroit été obligé de la donner.[101]
Il n'en étoit pas ainsi des Bénéficiers en France. Le Bénéfice y
imposoit la nécessité de rendre certains services, mais ils n'étoient
point bornés à la défense de la Patrie contre les ennemis du dehors; ils
avoient encore pour objet la manutention de la tranquillité publique, la
subsistance de la Maison du Souverain & celle de ses Officiers. Les
personnes distinguées par l'antiquité de leur origine pouvoient seules
obtenir ces Bénéfices, & en les acceptant ils s'assujettissoient à des
devoirs auxquels ils ne manquoient jamais, sans s'exposer ou à perdre la
vie ou à une dégradation flétrissante.[102]

[Note 100: Commentaires de César, Liv. 6, pag. 185 & 186.]

[Note 101: On massacroit celui qui se rendoit le dernier a l'assemblée
générale de la Milice.--Comment. de César, Liv. 5. _in fin._ pag. 165.
_Greg. Turon._ Liv. 7, pag. 342, Chap. 42.]

[Note 102: _Greg. Turon._ L. 5, c. 39.]

Le premier des Bénéfices dont les Historiens fassent mention, est celui
que Clovis donna à Aurélien, Romain de nation, son Chancelier qui avoit
épousé en son nom la Princesse Clotilde:[103] il consistoit au
Gouvernement de Melun. Si d'un côté Clovis devenu maître d'un Empire
étendu se trouvoit nécessité de confier une partie de l'administration à
des hommes capables par leur élévation d'en imposer aux Peuples, d'un
autre côté il ne devoit rien négliger pour prévenir les suites qu'auroit
eu leur infidélité. De-là les Bénéfices furent d'abord amovibles. Sous
Sigebert, Palladius est chassé du Gevaudan dont il etoit Gouverneur, &
Romanus lui succede; Jovinus est dépouillé du Gouvernement de Provence,
& le Prince le donne à Albinus.[104]

[Note 103: Aimoin, _Hist. Franc._ Liv. 1, Chap. 14. _Milidunum castrum
eidem Aureliano cum totius ducatu regionis, jure beneficii, concessit._]

[Note 104: _Greg. Turon._ Liv. 4, Chap. 33 & 34.]

Dans le même temps un Comte d'Auxerre envoie offrir de l'argent pour
être continué dans sa dignité;[105] Mummol son fils la sollicite &
l'obtient pour lui-même.

[Note 105: _Ibid._ Liv. 4, Chap. 36.]

Mais il ne faut pas confondre ces Bénéfices avec les Fiefs ni avec les
autres récompenses que nos premiers Rois accordoient aux Leudes,
auxquelles des Auteurs anciens & modernes ont aussi quelquefois donné le
nom de _Bénéfice_. En effet, jusqu'à Charlemagne, on voit dans les
Historiens contemporains & dans les Formules ou les Capitulaires tous
les Biens de l'Etat clairement distingués en honneurs ou présens, en
_Biens-fiscaux_, en _Bénéfices_ des _particuliers_ ou des _Eglises_, &
en _Aleux_.

Les honneurs ou présens[106] n'attribuoient aux Seigneurs qui les
possédoient aucune propriété, mais seulement la Jurisdiction & des
rétributions sur les propriétés qui en ressortissoient, & je les appelle
_grands Bénéfices_ ou _Bénéfices de dignité_.

[Note 106: _Greg. Turon._ Liv. 7, Chap. 33... Capitul. 69 & 71, Liv. 3.]

Les _Biens-fiscaux_ consistoient en Métairies[107] que le Roi s'étoit
réservées dans le ressort des honneurs ou des grands Bénéfices. Le Roi
les donnoit quelquefois à vie aux possesseurs des Bénéfices de dignité,
alors ils s'appelloient _Bénéfices du Roi_,[108] & des Sergens,
_Servientes_,[109] sur lesquels les grands Bénéficiers avoient
inspection, étoient préposés à leur régie; ou bien le Roi les donnoit en
propriété, & on les nommoit en ces deux derniers cas _propres du
Roi_,[110] _choses fiscales_ ou _terres du fisc_.[111]

[Note 107: Du Latin _medietas_, parce qu'on les tenoit pour moitié de
profit, & de là _medietarii_, Métayers.]

[Note 108: Capitul. 19 & 20, Liv. 3.]

[Note 109: On découvre ici l'origine du Service de Prévôté établi en
Normandie. Il n'y a que ceux qui possedent des masures qui le doivent.
Ces Sergens furent appellés ensuite _præpositi_, Prévôts. _Voyez_
Section 79, & le Titre de _grand & petit Serjeantie_.]

[Note 110: Capitul. 34, Liv. 4. _Si quis proprium nostrum quod
investiturâ genitoris nostri fuit alicui quærenti nostra jussione
reddiderit.... pro infideli teneatur, quia sacramentum fidelitatis, quod
nobis promisit, irritum fecit._]

[Note 111: Traité d'Andely. _Greg. Turon._ L. 9. _Si quid de agris
fiscalibus_, &c.]

Les _Bénéfices des Eglises ou des particuliers_ n'étoient que des
_jouissances cédées à vie_.

Sous les _Aleux_ étoient au contraire comprises toutes les possessions
que l'on avoit à titre de propriété ou d'hérédité, aussi ne les
désignoit-on souvent que par ces noms _hæreditates_, _proprietates_.

Les Sergens du Roi faisoient cultiver ces Métairies par des hommes
libres ou par des esclaves. Les esclaves payoient pour prix de leur
jouissance un cens ou impôt, & ils alloient à la Guerre.[112]

[Note 112: Espr. des Loix, L. 30, c. 15.]

Les hommes libres qui s'étoient chargés de l'exploitation d'une partie
des mêmes fonds étoient aussi obligés de marcher contre l'Ennemi
lorsqu'ils en étoient requis; mais au lieu de cens ils fournissoient aux
grands Bénéficiers des armes, dont le nombre & la qualité étoient
proportionnés à l'étendue des terres qu'ils faisoient valoir.

Les hommes libres qui étoient possesseurs d'Aleux, & ne tenoient rien du
Domaine du Roi, étoient seulement soumis à la jurisdiction des
Bénéficiers de dignité, & outre le Service Militaire ils étoient obligés
de fournir des chevaux & autres voitures aux Commissaires que le Roi
envoyoit en chaque Province quatre fois l'an[113] pour en connoître
l'état, & aux Ambassadeurs lorsqu'ils y passoient.[114] Les Ducs ou
Comtes, car l'on appelloit indifféremment ainsi les grands
Bénéficiers,[115] conduisoient ces deux especes de Milice à la guerre, &
décidoient de toutes les affaires civiles dans le district de leurs
honneurs.[116] Leurs décisions ne pouvoient être réformées que par le
Roi sur le rapport de ses Commissaires ou Envoyés.[117]

[Note 113: En Janvier, Avril, Juillet, Octobre.]

[Note 114: Capitul. de l'an 864.]

[Note 115: Greg. Turon. L. 8, c. 30, Marculph. Liv. 1. Form. 8.]

[Note 116: Cujas de Feudis. Col. 1800, Leg. Rip. Chap. 55. & 90.]

[Note 117: _Invenerunt missi innumeram multitudinem oppressorum quos
Comites per malum ingenium exercebant, & quia aliqui comitum in
repressione latronum segnis cogniti sunt, diversis sententiis eorum
segnitionem castigavit. Nitardus in Vit. Ludov.... Si comes pravus
inventus fuerit nobis nuncietur_, Capitul. 11, Liv. 3. Aimoin, Liv. 5,
Chap. 16. Ces passages prouvent contre M. de Montesquieu que si les
Envoyés du Roi n'avoient pas sur les Comtes droit de correction, ils
avoient celui d'inspection & de dénonciation.]

Dès 757 ces Seigneurs se substituoient des Officiers[118] qui
prononçoient pour eux dans toutes les affaires; mais leur pouvoir ne
duroit qu'autant que le Duc ou Comte étoit maintenu dans sa dignité, car
jusques-là il n'y avoit eu aucunes de ces dignités qui eussent été
rendues héréditaires.

[Note 118: On les appelloit _Vicarii_, _Vice-Comites_.]

On trouve bien, comme le remarque M. de Montesquieu,[119] dans le Traité
d'Andely entre Gontran & Childebert, que ces deux Princes s'engagent
réciproquement à conserver les libéralités faites aux Leudes & aux
Eglises par leurs Prédécesseurs; mais il n'est point question d'Honneurs
ou de Bénéfice de dignité ni de Biens-fiscaux donnés en Bénéfices dans
ce Traité.[120] Il concerne des Droits ou des fonds dépendans du fisc,
cédés par le Roi en propriété ou en Aleu. Marculphe, qui vivoit quarante
ou cinquante ans après le Traité, donne une Formule de ces sortes de
cessions.[121] D'ailleurs M. de Montesquieu observe _qu'en élevant
Childebert au Trône_, Gontran lui avoit secretement indiqué ceux qu'il
admettroit en son Conseil, & ceux qu'il en écarteroit; ceux à qui il
donneroit sa confiance; ceux dont il se défieroit; ceux enfin à qui il
accorderoit des récompenses, & ceux qu'il dépouilleroit des _honneurs_
dont ils avoient été gratifiés.[122] Si les libéralités _munificentiæ_,
mentionnées dans le Traité, & que ces deux Princes promettent de
conserver aux Leudes, eussent été de même espece que ces honneurs qui
avoient été l'objet de leur conférence secrete, Gontran auroit-il exigé
indéfiniment d'un côté qu'on les conservât à tous ceux qui en
jouissoient, & d'un autre côté qu'on en dépouillât quelques-uns? Il y a
plus, en même-temps que par le Traité les Princes garantissent aux
Eglises & aux Leudes les _libéralités_ des Rois précédens, ils stipulent
que les Reines, Filles ou Veuves de Rois, pourront à leur gré disposer
des Biens qui leur auront été abandonnés:[123] ce qui démontre que ce
Droit de disposer accordé aux Eglises & aux Leudes affectoit des objets
de même nature que ceux de ces Princesses, c'est à-dire, des portions
du Domaine Royal exemptes de la jurisdiction des grands
Bénéficiers.[124]

[Note 119: Espr. des Loix, L. 31, c. 7.]

[Note 120: En voici les termes: _Quidquid antefati Reges Ecclesiis aut
fidelibus suis contulerint..... stabiliter conservetur. Et quid quid
unicuique fidelium in utriusque regno per legem & justitiam redhibetur
nullum ei præjudicium patiatur, sed liceat res debitas possidere atque
recipere.... & de eo quod per munificentias præcedentium Regum
unusquisque possedit, cum securitate possideat_. Greg. Turon. L. 9, c.
20.]

[Note 121: _Ut ipse & posteriores teneant & possideant & cui voluerint
ad possidendum relinquant._ Marculph. Form. 17, Liv. 1.]

[Note 122: _Greg. Turon._ L. 7, c. 33.]

[Note 123: _Reginam.... & filias in suâ tuitione recipiat.... ut si quid
de rebus agris fiscalibus.... pro arbitrii sui voluntate facere aut
cuiquam conferre voluerint fixâ stabilitate in perpetuo conservetur._
Ibid, L. 9, c. 20. Les Reines avoient eu ce droit de tout temps. La
Reine Clotilde, dans le 5e siecle, avoit donné à Anastase, Prêtre de
l'Eglise de Tours, un fonds en propriété qui passa à ses Successeurs,
_Greg. Tur._ L. 4, c. 12.]

[Note 124: _Absque ullius introitu judicum._ Form. 17, L. 1. Marculph.]

Au reste, sous Charlemagne tous les Biens de l'Etat, à l'exception des
Aleux, changerent de nom & de nature. Cet Empereur joignit le premier
aux fonctions des Comtes l'administration de ses Domaines dont les
Sergens avoient toujours été chargés.[125] Cette confiance de la part de
ce Prince procura aux Seigneurs divers moyens de dégrader & d'usurper
les terres du fisc.

[Note 125: _Eis (Comitibus) commisit curam regni.... villarumque
regiarum ruralem provisionem._ _Nitar in vita. Lud. Pii._ pag. 162.]

Les Comtes avoient auparavant confié les Aleux qu'ils possédoient dans
l'étendue de leurs _honneurs_ ou Gouvernemens aux Sergens du Roi.
Ceux-ci avoient d'abord partagé leurs soins entre les terres fiscales &
celles des Comtes; mais bien-tôt après que les Sergens se virent
totalement dépendans des Seigneurs, pour se rendre plus agréables à ces
derniers, ils préfererent la culture de leurs Aleux à celle des
Métairies royales. Ces Métairies royales devinrent en peu de temps
incultes; les esclaves ou les hommes libres qui les exploitoient les
abandonnerent insensiblement pour s'établir sur celles des Seigneurs, &
pour les bonifier ils ruinoient les Aleux des particuliers qui en
étoient voisins.[126]

[Note 126: _Auditum habemus qualiter & Comites & alii homines qui nostra
beneficia habere videntur, faciunt servire ad ipsas proprietates,
servientes nostros, & Curtes nostræ manent desertæ; ipsi vicinantes
multa mala patiuntur._ Cap. 19, L. 3.]

Les Comtes pratiquoient encore d'autres fraudes; ils engageoient des
hommes libres à reclamer des Biens fiscaux dépendans de leurs honneurs,
comme s'ils avoient été usurpés à ces hommes libres, & les Comtes après
les leur avoir restitués,[127] comme des propriétés qui leur
appartenoient, se les faisoient vendre ensuite dans leurs Plaids à titre
d'Aleux.

[Note 127: Mr. de Montesquieu, Espr. des Loix, L. 31, c. 8, cite ce
Capitulaire pour prouver qu'il y avoit des gens qui donnoient leurs
Fiefs[127a] en propriété, & les rachetoient ensuite en propriété. Le
Capitulaire ne contient rien de semblable; il dit que les Bénéficiers
achetoient comme des Aleux des Bénéfices du Roi qu'ils avoient _rendus_
auparavant en propriété aux vendeurs: expression qui n'a pas été
comprise par Brussel;[127b] au lieu de _rendre_ il traduit _donner_;
mais le Capitulaire s'explique par le 34e L. 4e Collect. d'Ansegise,
qui s'exprime ainsi: _Si quis proprium nostrum alicui reddiderit sine
nostrâ jussione, tantum nobis de suo proprio cum suâ lege componat._ Les
Seigneurs ne _donnoient_ donc pas, mais restituoient les Bénéfices du
Roi a ceux qui prétendoient avoir droit de les révendiquer, & qui pour
cela demandoient jugement à ces Seigneurs.]

[Note 127a: Il appelle toujours _Fiefs_ les Bénéfices de dignité comme
les Bénéfices inférieurs.]

[Note 127b: C. 6, L. 2.]

L'Empereur informé de cette manœuvre, qui ne tendoit à rien moins qu'à
anéantir le fisc, rendit l'Ordonnance suivante.

_Audivimus quod aliqui reddant beneficium nostrum ad alios homines in
proprietatem & in ipso dato pretio sibi comparant ipsas res iterum
in alodem: quod omnino cavendum..... & ne in aliquâ infidelitate
inveniantur qui hoc faciunt caveant deinceps à talibus ne à propriis
honoribus, à proprio solo... Extorres fiant._[128]

[Note 128: Capitul. L. 3, c. 20.]

Ce Capitulaire[129] prouve 1er que les grands Bénéficiers du temps de
Charlemagne, indépendamment des Bénéfices royaux, pouvoient posséder des
_honneurs_ en propres, _propriis honoribus_; le don de ces honneurs, à
titre héréditaire, étoit cependant fort rare; 2e que les Terres
fiscales ou Bénéfices du Roi étoient très-distincts des honneurs qui ne
donnoient par eux-mêmes que le droit d'administration de ces fonds.

[Note 129: Capitul. 69, 71 & 73, L. 3, on trouve la preuve de ce que les
Honneurs & les Bénéfices étoient très-différens les uns des autres.]

Charlemagne érigeoit rarement les honneurs en hérédités. A l'exception
des Principautés de Toulouse, de Flandres, d'Orange, on en trouve peu
qui sous son regne ayent acquis cette prérogative. Cet Empereur, dans la
vue de réprimer l'abus que les Seigneurs faisoient de l'autorité qu'ils
tenoient des honneurs dont ils étoient décorés, soit pour véxer les
hommes libres, soit pour dégrader les Bénéfices royaux dont ils étoient
simples administrateurs, se détermina à attribuer aux Aleux des hommes
libres les priviléges des Bénéfices, & à leur permettre de se
recommander à lui pour obtenir l'administration des Bénéfices royaux.
Ceci s'infere des termes dans lesquels le testament[130] de ce Prince
est conçu: _Homines uniuscujusque eorum_ (il parle ici de ses enfans)
_accipiant Beneficia unusquisque in regno domini sui & non in
alterius.... hæreditatem autem suam habeat unusquisque illorum hominum
in quocumque regno... & unusquisque liber homo post mortem domini sui
licentiam habeat se commendandi ad quodcumque voluerit similiter & ille
qui nondum commendatus est._[131]

[Note 130: _Vita Carol. Magn._ in fin.]

[Note 131: Ces termes, _qui nondum_, &c. font entendre qu'il y avoit peu
d'hommes libres alors, du moins parmi ceux qui avoient beaucoup d'Aleux,
qui ne les eussent recommandés au Roi.]

Or ce double avantage qu'avoit l'homme libre de posséder des Bénéfices
du Roi ou des Biens du fisc à titre de Bénéfices, & de recommander au
Roi ses Aleux, dût diminuer considérablement la Jurisdiction des Comtes.
Elle ne pouvoit plus s'exercer sur ceux auxquels l'un ou l'autre de ces
priviléges étoit accordé. Il en résulta encore que le nom de Bénefice
étant également attribué aux concessions du fisc faites à ce titre & aux
Aleux recommandés ou avoués au Roi, ce nom ne fut plus essentiellement
opposé à celui de propriété ou d'hérédité. Les Aleux en effet, quoique
recommandés, ne cesserent pas pour cela d'être patrimoniaux.[132]

[Note 132: Dans la Formule 13 du L. 1er de Marculphe on voit un Aleu
recommandé conserver son hérédité; & une des Préceptions de Louis le
Débonnaire qui est à la fin de la vie de ce Prince, s'exprime clairement
sur l'hérédité des Aleux avoués au Roi. _Hi... qui aut Comitibus aut
vassis nostris se commendaverunt & ab eis terras ad habitandum
acceperunt sub tali forma eas in futurum, & ipsi possideant & suæ
posteritati derelinquant. Concess. Præcep. ad Hispan. in fin. Vit. Lud.
Pii._]

Louis le Débonnaire suivit d'abord les Réglemens de l'Empereur son pere.
Insensiblement il permit aux Comtes & aux Vassaux de la Couronne de
recevoir en son nom les recommandations des hommes libres,[133] & ces
Seigneurs recouvrerent en partie leur ancienne autorité sur ces
derniers. Jusques-là ils n'avoient osé donner aux hommes libres les
Bénéfices royaux enclavés dans leurs honneurs que pour le temps de leur
jouissance, puisqu'il n'y avoit eu encore aucune Loi qui eût réuni à
perpétuité à leurs honneurs les Bénéfices royaux qui en dépendoient, ni
qui eût rendu en leur faveur ces deux sortes de possessions
héréditaires.[134]

[Note 133: _Noverint idem Hispani sibi licentiam à nobis concessam ut se
in vassaticum Comitibus nostris more solito commendent, & si beneficium
aliquod quispiam eorum ab eo cui se commendavit fuerit consecutus sciat
de se illo tale obsequium seniori suo exhibere quale nostrates homines
de tali Beneficio senioribus suis exhibere solent. Prima Præcept. in
fin. vitæ Ludovici Pii_, pag. 291.]

[Note 134: Les Capitulaires 34, 45 & 54 du Livre 4 de la Collection
d'Ansegise, qui sont de Louis le Débonnaire, défendent aux Seigneurs la
dégradation des Biens-fiscaux, leur défend de restituer à qui que ce
soit les propres du Roi; ce qui prouve que ces Seigneurs n'en avoient
pas encore la propriété.]

Ils ne tarderent pas à obtenir une Loi qui leur procura ces avantages.
Les divisions qui s'éleverent après la mort de Louis le Débonnaire entre
ses trois enfans, fournirent à ces Seigneurs le moyen de faire ordonner
par ces Princes que tout homme libre pourroit reconnoître ou le Roi ou
les Leudes pour Seigneur. Les affaires de l'Etat avoient éprouvé trop de
révolutions pour que le choix des hommes libres ne tombât point sur ces
derniers.

Quoique ces hommes libres, en se recommandant au Roi, fussent exempts de
la Jurisdiction des Comtes, ceux-ci conservoient cependant le droit de
les conduire a la guerre, & ils étoient souvent exposés à être véxés. On
les condamnoit à de grosses amendes lorsqu'ils s'absentoient, on les
réduisoit en servitude faute de payement,[135] ou les Seigneurs les
laissoient exposés au ravage des Normands, & ne s'occupoient qu'à en
garantir leurs propres Vassaux. Les hommes libres en se mettant sous la
protection de ces Seigneurs se rédimoient donc de toutes ces véxations.
Ils obtenoient de plus des facilités pour le service & des secours
toujours présens pour la conservation de leurs biens.[136]

[Note 135: Capit. de l'an 812, Art. 1 & 3.]

[Note 136: Ecrits pour & contre les Immunités du Clergé, pag. 90 & 91,
Tom. 1. Je ne cite cet Ouvrage qu'a cause des expressions que j'en ai
empruntées.]

Ce premier succès des Seigneurs fut bien-tôt suivi d'un plus essentiel.
Le Traité de Mersen avoit bien rétabli leur droit de Jurisdiction sur la
plupart des hommes libres; mais leur propre dignité n'étant encore que
viagere, il y avoit lieu de craindre que les Aleux érigés en Bénéfices
par le Roi étant héréditaires, les Propriétaires de ces Bénéfices
alodiaux ne devinssent insensiblement plus puissans qu'eux. En effet
l'homme libre en démembrant son Aleu érigé en Bénéfice, acquéroit autant
& plus de vassaux parmi ses Pairs[137] que ces Seigneurs ne pouvoient
s'en procurer en sous-bénéficiant à usufruit. Ceux ci solliciterent en
conséquence l'hérédité des Biens-fiscaux ou des Bénéfices du ressort de
leurs honneurs; Charles le Chauve la leur accorda en 877.[138] A ce
moyen ils purent donner aux hommes libres, comme les Rois l'avoient
fait, des portions des Biens dépendans de leur dignité, & qui ne
faisoient plus qu'un avec elle. Tous ceux qui accepterent ces
concessions dépendirent dès-lors absolument des Seigneurs. C'est ce qui
a donné l'être à l'espece de Fiefs dont je parlerai sur la Section 13.
Les Aleux qui furent seulement avoués aux Seigneurs, & érigés en
Bénéfices par l'hommage qui leur en étoit fait, sans charge ni
redevance, & sans perdre le droit d'être patrimoniaux, furent la source
des Fiefs simples dont traite ce Chapitre.

[Note 137: _Si aut Comitibus aut vassis nostris aut paribus suis se
commendaverunt, &c._ _Præcep. Concess. ad Hispan._ pag. 295.]

[Note 138: Capitul. ann. 877, _apud Carisiacum_, Art. 9 & 10.]

Je crois que ces notions suffisent pour indiquer l'origine des Bénéfices
de dignité, celle des concessions faites des Terres du Fisc à titre de
Bénéfice par le Roi ou par les Seigneurs aux hommes libres, & l'époque
de l'érection des Aleux aux prérogatives des Bénéfices. Il est encore
nécessaire d'observer que ce ne sont que les Bénéfices de cette derniere
espece qui dans la suite ont été appellés _fiefs_[139] du mot _fœdus_,
alliance. En effet si les Seigneurs après l'hérédité des Bénéfices
enclavés dans leurs _honneurs_ en accordoient partie en Fief aux hommes
libres ou inféodoient leurs Aleux, c'étoit souvent moins en
considération du service qu'ils en pourroient tirer pour la défense de
l'Etat, que dans la vue de surpasser en puissance les autres Seigneurs,
& de se rendre par-là sinon redoutables du moins plus nécessaires au
Souverain.

[Note 139: Ceci commença sous Charles le Gros en 888. _Voyez_ la
Constitution de ce Prince dans Brussel, Tom. 1, L. 1, c. 4. Les mots
_feodum_ ou _beneficium_ y sont encore pris au même sens; ce qui fait
voir que la premiere dénomination n'étoit pas alors fort ancienne.]


*SECTION 2.*

*Et si home purchase terres en fée simple & devy sans issue, chescun qui
est son prochein cosin collateral del _entire sanke,_ (a) de quel pluis
long degrée qu'il soit, poet inhériter, & aver mesme la terre comme
heire a luy.*

SECTION 2.--_TRADUCTION._

Si un homme acquiert des terres en fief _simple_, & meurt sans enfans,
son plus prochain parent collatéral de _sang entier_, c'est-à-dire, de
pere & de mere, lui succedera jusqu'au dégré le plus éloigné.

_ANCIEN COUTUMIER._

Le conquest vient au plus prochain du lignage; en l'échéance d'héritage
qui ne vient pas droitement doit l'en toujours recoure à l'estoc, si que
le plus prochain du lignage ait l'héritage. Chap. 25.

_REMARQUES._

(a) _De l'entire sanke._

J'ai retranché du Texte de l'Ancien Coutumier cette phrase: _Il est à
savoir. Si aucuns enfans sont procréés d'un meme pere & de diverses
meres, se l'un d'eux se trépasse, sa succession retournera au frere
aîné, qui en fera aux autres portion comme il devra._

Rouillé[140] qui avoit consulté les plus anciens exemplaires du vieux
Coutumier de Normandie, n'y avoit point trouvé cette disposition.
Quelques Copistes ignorans l'avoient sans doute insérée dans leurs
manuscrits, sans faire attention qu'elle contredisoit ce qui précedoit &
ce qui suivoit.[141] Au moyen du retranchement de l'addition faite au
Coutumier depuis sa rédaction, son Texte s'accorde parfaitement avec
celui de Littleton: tous deux admettent en effet en succession
collatérale, quant aux acquêts, la préférence en faveur de la proximité
du lignage; mais le dernier explique seul les divers dégrés de cette
proximité. Il préfere à tous autres parens ceux qui le sont au défunt en
même temps par son pere & par sa mere, & cette préférence avoit lieu
chez les premiers François.[142] _Saxones[143] Germani fratris posteros
omnes ante ponunt descendentibus ab uterinis vel consanguineis
quibusque._ Ce n'a été que par abus qu'on a admis en Normandie les
consanguins & les utérins à concourir avec les Germains.[144] Du temps
de Terrien dernier Commentateur du vieux Coutumier, on regardoit encore
comme une nouveauté cette concurrence de la part des utérins;[145] &
Basnage, sur l'Art. 312 de la Coutume réformée, en vertu duquel seul le
droit des utérins subsiste, ne peut s'empêcher d'avouer que cet Article
a toujours fort déplu aux Normands.

[Note 140: Rouillé, fo 41, aux Notes sur ces mots, _il est à savoir_,
&c.]

[Note 141: _Additio nova ab incerto & forte suspecto authore inserta,
cum in antiquissimis verisimilibus exemplaribus quorum magnam copiam ad
hoc perquisivi, non inveniatur. Etenim prædicta verba non præsumuntur ex
vero & primo originali emanasse attentâ eorum ineptitudine ac tenebrosâ
materiâ quæ etiam videtur contradicere antecedentibus_, ibid.]

[Note 142: Chap. _de utili Doman. Andegav._ L. 3, pag. 282, _Leg.
Saxon._ Titr. 6, Sect. 7.]

[Note 143: _Nota_. Les Loix des Saxons ont été faites sur le plan de
celles des Ripuaires, Espr. des Loix 3e vol. pag. 298, & les Ripuaires
étoient principalement suivies en Neustrie, _Nempe Ripuaria vocata est
Neustria, nec miranda Ripuariæ ac Franciæ Legum similitudo_. Chap. _de
Doman. Franc._ L. 1, pag. 41.]

[Note 144: _Voyez_ Britton, c. 119, pag. 271.]

[Note 145: Terrien, c. 6, Départ. d'hérit. pag. 198.]


*SECTION 3.*

*Més si soit pier & fits, & le pier ad un frere qui est uncle a le fits,
& le fits purchase terres en fée simple, & mort sans issue, vivant son
pier; luncle avera la terre come heire al fits & nemy le pier, uncore le
pier est pluis prochein de sanke, pur ceo que est un _maxime en le
ley (a)_ que inhéritance poet linealment discender, mes nemy ascender.
Uncore si le fits en tiel case mort sans issue, & son uncle entra en la
terre come heire a le fits, (si come il devoit par la ley) & après
luncle dévia sans issue, vivant le pier, donques le pier avera la terre
come heire al uncle, & nemy come heire a son fits; pur ceo que il veigne
al terre per collatéral discent, & nemy per linéal ascention.*

SECTION 3.--_TRADUCTION._

Mais si un pere a un fils & un frere; que ce fils acquere des terres en
fief simple, & meure sans enfans du vivant de son pere, l'oncle
succédera à cet acquêt & non le pere, quoique plus proche; parce qu'il
est de maxime que tout héritage peut bien descendre en la ligne du
défunt, mais qu'il ne peut y remonter.

Si cependant l'oncle, après avoir succédé à son neveu, mouroit, son
frere vivant encore, ce frere, pere du neveu du décédé, auroit la terre
acquise par son fils, non comme héritier de ce fils, mais comme héritier
de l'oncle de son fils, parce qu'en ce cas l'héritage lui écheoit
collatéralement, & ne remonte point dans la ligne de celui auquel il
succede.

_ANCIEN COUTUMIER._

S'il n'y a aucun descendu de l'ayeul, l'héritage reviendra à lui, tant
ce qui descendit de lui, comme le conquêts que les enfants ont faits.
Chap. 25.

_REMARQUES._

(a) _Est un maxime en le Ley,_ &c.

Cette maxime est contraire à la Loi Salique,[146] où on lit que si un
fils meurt sans postérité, le pere ou la mere lui succéderont.
L'établissement des Fiefs a donc été la cause de la préférence des
descendans sur les ascendans. En effet, lorsqu'un Seigneur accordoit des
fonds à un vassal à titre de Fief, comme c'étoit sur-tout en vue du
Service Militaire, il étoit naturel qu'il exclût de la succession de ce
Fief les peres & les oncles,[147] qui par leur âge auroient été
incapables de s'acquitter des charges stipulées en l'Acte d'inféodation.
De-là vient cette regle que l'on a conservée dans le Livre des Fiefs
composé sous Frédéric Barberousse en 1152, que les ascendans ne devoient
point hériter des Fiefs,[148] _Successio feudi talis est quod
ascendentes non succedant_.

[Note 146: _Si quis mortuus fuerit & filios non habuerit, si pater aut
mater superfuerint ipsi in hæreditatem succedant._ L. Sal. Tit. 62, n'o.
1. _de Alod._]

[Note 147: Espr. des Loix, L. 31, c. 34, p. 216, 4e vol.]

[Note 148: L. de Feud. 2e. Tit. 5.]

Cette regle renfermoit cependant une injustice; car lorsque le Fief
étoit formé de l'Aleu du vassal, le fils qui avoit reçu de son pere cet
Aleu, le transmettoit par son décès à des collatéraux qui, si ce Fief
eût resté Aleu, n'auroient pu y succéder au préjudice du pere. Les
Jurisconsultes se trouverent donc partagés à cet égard, les uns excluant
les ascendans de la succession aux Fiefs acquis par leurs descendans, &
leur conservant seulement celle des Fiefs formés de leurs Aleux; les
autres au contraire étendant la préférence des collatéraux aux
avancemens même que les enfans avoient reçus de leurs peres. Cette
diversité d'opinions subsista jusqu'au temps où Beaumanoir écrivoit; &
pour réparer le tort fait aux peres par ceux qui les excluoient de la
succession aux Fiefs dont ils avoient avancé leurs enfans, il établit
la maxime que les peres devoient succéder par préférence aux
collatéraux, tant aux fiefs patrimoniaux qu'aux acquêts & aux
meubles.[149]

[Note 149: Beaumanoir, Cout. de Beauvoisis, c. 14, pag. 83, & _Che que
l'en dit que hiretage ne remonte point, che est à entendre. Si je ai
pere & ai enfans & je muirs, mes hiritages descendent à mes enfans & non
au pere; mes se il n'y a nul hoir oissu de moi nul qui me appartiegne de
costé n'emporte le mien, avant de mon pere ou de ma mere._]

Par ce nouvel ordre de succession qui fut presque généralement adopté,
les conditions, les restrictions employées par les Seigneurs dans les
Actes d'inféodation, se trouverent anéanties: une injustice fut donc
employée pour réparer une autre injustice.[150]

[Note 150: Il étoit tout naturel de distinguer la succession aux fonds
inféodés par des Seigneurs, de celle qui avoit pour objet des fonds
avoués aux Seigneurs quoique alodiaux.]

Les Loix Angloises n'éprouverent point ces variations; l'abus qui
subsistoit en Neustrie lorsque Raoul en prit possession s'y perpétua.
Les Fiefs créés par les Seigneurs, comme ceux qui étoient formés des
Aleux des vassaux, passerent aux descendans & aux collatéraux au
préjudice des peres & des meres.

L'ancien Coutumier ayant été rédigé peu de temps après la réforme de
cette Jurisprudence, admit au contraire le droit nouveau dans toute son
étendue. La plupart des Fiefs, lors de sa rédaction, n'étoient plus
régis en France par les conditions particulieres que les besoins ou le
caprice des Seigneurs avoient imposées à leurs vassaux. Il rappella donc
les Seigneurs & les vassaux aux Loix de Philippe Auguste, sous la
domination duquel la Province étoit rentrée, & aux Réglemens que Saint
Louis avoit établis pour les Fiefs que lui ou le Roi son ayeul avoient
démembrés du fisc.


*SECTION 4.*

*Et en tiel case lou le fits purchase terres en fée simple, & devie
sauns issue, _ceux de son sanke_ (a) de part son pier enhériteront come
heires a luy devant ascun de sanke de part sa mere; més sil nad ascun
heire de part son pier, donques la terre discendera a les heires de
part la mere. Més si home prent feme enhéritrix de terre en fée simple,
qu'eux ont issue fits & deviont, & le fits enter en les tenements, come
fits & heire a sa mere, & puis devie sans issue, les heires de part la
mere doyent enhériter les tenements & _jammés les heires de part le
pier_; (b) & sil ny ad ascun heire de part la mere, donques le Seignior
de que la terre est tenus avera la terre _per eschéat_. (c) En mesme
le maner est, si tenements discendont a le fits de part le pier, & il
enter & puis morust sans issue, cel terre discendra as heires de part
le pier, & nemy as heires de part la mere. Et sil ny ad ascun heire de
part le pier, donques le Seignior de que la terre est tenue avera la
terre per eschéat, & sic vide diversitatem: _lou le fits purchase terres
ou tenements en fée simple, & lou ils veyent eins a tiels terres ou
tenements per discent de part sa mere ou de part son pier._*

SECTION 4.--_TRADUCTION._

Et dans le cas où le fils après avoir acquis une terre en fief simple
décede sans enfans, ses parens paternels en hériteront préférablement
aux maternels. Si cependant il n'avoit aucuns parens paternels, les
maternels succéderoient à cet acquêt; mais si un homme épouse une femme
qui a des terres en fief simple, & s'il en a un enfant, le pere & la
mere mourans, après la mort de cet enfant qui aura possédé ces terres
comme héritier de sa mere, ses collatéraux maternels, dans le cas où il
ne laissera point d'enfans, lui succéderont & non les paternels; & s'il
n'a point d'héritiers maternels, le Seigneur de qui releve la terre s'en
emparera à droit de deshérance.

Il en est de même lorsque le fils meurt sans postérité saisi de fiefs
simples qui ont appartenu à son pere, car les héritiers maternels ne
peuvent y rien prétendre, & ces fiefs retournent au Seigneur. Ainsi il y
a une grande différence entre succéder à l'acquêt du fils ou à ses
propres paternels ou maternels.

_ANCIEN COUTUMIER._

Le frere que j'ai de par mon pere ne sera pas mon hoir du fief que je
tiens de par ma mere, & ainsi l'on doit entendre des cousins.

L'en doit sçavoir que se l'héritage descend à alcun de par son pere & il
a un frere oû un cousin de par sa mere tant seulement; cil frere ou cil
cousin n'aura point icelui héritage, ains remaindra au Seigneur du fief
dont les héritages ainsi succédés sont tenus & mouvans; il en est
autrement des conquêts qui vont toujours au plus prochain du lignage.

Echéance d'aventure est quand le fief retourne au Seigneur par défaut
d'hoir. Chap. 25.

_REMARQUES._

(a) _Ceux de son sanke._

La préférence du paternel sur le maternel, en fait des successions, tire
son origine de la Loi Ripuaire, Tit. 58 de _Alode_, elle fait hériter
les sœurs du pere du défunt avant la sœur de mere, à la différence de
la Loi Salique,[151] où la sœur de la mere du défunt est préférée à la
sœur du pere.

[Note 151: L. 62, Sect. 6. _Leg. Sal._]

(b) _Et jamés les heires de par le pier_, &c.

La maxime qui conserve à chaque ligne son patrimoine n'est connue que
depuis l'établissement des Fiefs héréditaires.[152]

[Note 152: La Loi Salique ne la reconnoissoit pas, puisqu'elle admettoit
le pere & la mere à succéder aux Aleux de leur fils sans distinction de
la ligne d'où provenoient ces Aleux. _Voyez_ la Remarque sur la Section
3, pag. 55, cette Loi y est citée.]

Nous avons vu dans la premiere Section de notre Auteur, que pour faire
passer la possession d'un Fief aux enfans de l'acquéreur, il falloit
employer en l'Acte d'acquisition _ceux parols (ses heires) parce que
ceux parols tantsolement faisoient l'état d'inhéritance en tous
féoffemens_.

Les termes dans lesquels les inféodations étoient connues
s'interprétoient donc en toute rigueur. Comme dans le cas où
l'inféodation portoit seulement à _tenir à lui_ (vassal) _à toujours_,
elle n'étoit point transmissible aux héritiers; de même lorsqu'on y
avoit stipulé qu'elle étoit en faveur du _tenant & de ses hoires_, il
falloit être nécessairement de sa ligne pour y succéder.

Ainsi les conditions des Actes déterminoient seules la maniere de
succéder aux Fiefs formés du domaine des Seigneurs, & de-là tant de
diversités entre nos Coutumes. Chaque pays a fait, des conditions les
plus usitées par les Seigneurs de son ressort, une regle générale de
succéder. Dans les lieux où les Seigneurs inféodoient plus fréquemment
sous la condition que les inféodations ne sortiroient point de la ligne
_du tenant_, on a donné comme l'ordre commun de succeder, la distinction
des lignes paternelles & maternelles. Ces deux lignes au contraire ont
concurremment & subsidiairement succédé aux Fiefs dans les Provinces où
les Seigneurs étoient dans l'usage de céder leurs Fiefs non-seulement à
l'homme & à sa femme, mais à leur postérité, sans distinction de ligne.

(c) _Per eschéat_, &c.

Ce mot est tiré du Latin, _excidere_, _accidere_.


*SECTION 5.*

*Item si soint trois freres, & le mulnes frere purchase terres en fée
simple & devie sauns issue, leigné frere avera la terre per discent, &
nemy le puisné, &c. Et auxy si soint trois freres & le puisné purchase
terres en fée simple & devie sauns issue, leigné frere avera la terre
per discent & nemy le mulnes, pur ceo que _leigné est pluis digne de
sanke._ (a)*

SECTION 5.--_TRADUCTION._

S'il y a trois freres, & si le dernier acquiert des terres en fief
simple, après la mort de celui-ci sans postérité, son frere aîné a cette
terre & non le puîné, &c. Si c'est ce puîné qui décede saisi de terres
de même nature, sans laisser d'enfans, l'aîné préférera encore le
dernier puîné, parce que l'aîné est de sang plus digne.

_REMARQUES._

(a) _Leigné est pluis digne de sanke._

L'aînesse est un droit qui a toujours subsisté en Normandie. Richard II
en 996 succéda à Richard sans Peur son pere, à l'exclusion de Robert son
puîné; mais comme ce droit a une origine plus ancienne que celle qu'on
lui a jusqu'ici attribuée, j'ajoute ici quelques preuves à celles que
j'ai déjà données de cette opinion.[153]

[Note 153: Discours prélimin. pag. 8.]

On peut me faire à cet égard plusieurs objections. Voici les trois
principales, auxquelles je réponds successivement.

1er. On dira, suivant Agathias,[154] que chez les premiers François les
fils succédoient au trône de leurs peres; que la succession de Clovis
fut partagée entre ses quatre fils.

[Note 154: _Agathias_, L. 1, Tacit. _de Morib. German._ _Hæredes tamen,
successoresque sui cuique liberi._]

Mais outre que cet Auteur _n'ose[155] assurer_ si ce partage fut égal;
en supposant même qu'il l'ait été, comme paroit le dire assez clairement
Greg. de Tours, L. 3, c. 1, Thierry étoit bâtard, mais l'aîné; la Nation
lui devoit les plus importantes conquêtes de son pere; la Souveraineté
avoit toujours été élective chez la plupart des Peuples qu'il avoit
vaincus, comme elle l'étoit chez ces Peuples du temps de César;[156] les
Soldats lui étoient dévoués. Il n'étoit donc pas surprenant que si d'un
côté il ne se prévaloit point des facilités que lui offroient
l'affection des Troupes, l'éclat de ses Victoires, les Loix
particulieres des Etats conquis, la jeunesse de ses freres, pour
s'emparer de la Couronne; ceux-ci, d'un autre côté, ne lui ayent point
objecté les défauts de sa naissance.[157]

[Note 155: _Quantum cognitione capere potui._ Le partage ne fut pas
égal; le bâtard se donna la suseraineté, Hist. de Fran. par Dan. ann.
511. En cela ce dernier Auteur est d'accord avec Coenalis, Fauchet, du
Haillan, qui n'entendent le partage dont parle Grégoire de Tours que
relativement au territoire.]

[Note 156: Comment. de César, L. 1, pag. 14 & 227.]

[Note 157: Du Tillet, pag. 15; du Haillan, de l'état de la Fran. L. 3,
pag. 78, & d'autres après lui _pensent que les bâtards succédoient au
Trône_; mais cette opinion n'a aucun fondement. Les Formules de
Marculphe[157a] nous apprennent que le pere pouvoit faire une donation
universelle à son fils naturel. D'où il suit que de droit, cette
donation cessante, les bâtards n'avoient rien en la succession de leurs
peres. S'il en eût été autrement, Saint Colomban auroit-il refusé de
benir les enfans que Thierry avoit eus de ses maîtresses? Auroit-il osé
dire à ce Prince qu'ils ne pouvoient prétendre jamais à porter le
Sceptre?[157b] Aimoin, c. 94 L. 3, p. 147. _Greg. Turonn. continuat.
Fredegarii_, L. 11, c. 36.]

[Note 157a: Formul. Art. 52.]

[Note 157b: Si l'on nie avec l'Abbé Vely que S. Colomban ait tenu ce
discours, du moins on doit avouer que c'est un Auteur bien ancien qui le
lui a fait tenir. _Les mensonges se rapportent aux moeurs du temps, & en
font preuve._ Espr. des Loix, L. 30, C. 21.]

Aussi après sa mort les considérations qu'ils avoient eu pour lui ne
s'étendirent point à son fils Théodebert; ce jeune Prince fut contraint
de prendre les armes contre ses oncles pour se conserver le Royaume de
son pere.

2e. On objectera encore que Théobalde, fils & successeur de Théodebert,
avoit pour héritier Childebert son oncle, & que cependant Clotaire,
frere de ce dernier, s'empara de la succession.

Mais en cela Clotaire fut favorisé par différentes circonstances qui ne
permettent pas de tirer de son exemple aucun argument contre ma façon de
penser. En effet, Childebert étoit vieux, infirme, & n'avoit que des
filles.[158] Clotaire étoit au contraire dans la force de l'âge, il
jouissoit d'une santé parfaite, ses quatre fils étoient courageux &
entreprenans; Childebert les redoutoit. Ce Prince aima mieux mourir
tranquille possesseur de ses anciens Etats que de sacrifier pour les
aggrandir un repos que ses petits neveux auroient infailliblement
troublé, & que sa vieillesse & ses infirmités lui rendoient de plus en
plus nécessaire.

[Note 158: Agathias, L. 1, _Childebertus jam senex, accedebat etiam
summa infirmitas, neque ulla ei erat proles mascula quæ succederet in
regnum; Chlotarius vero validus neque admodum senex, filios habebat
quatuor animosos, ad accendendum promtos, senex suâ sponte hæreditatem
cessit, veritus viri potentiam_, &c.]

3e. Le partage fait entre les enfans de Clotaire I n'est pas plus
décisif contre le droit d'aînesse. Caribert & Gontran étoient d'une
humeur très-pacifique; Chilpéric & Sigebert avoient le caractere opposé.
Dès l'instant de la mort de leur pere ceux-ci prirent les armes, &
s'autorisant du partage que Clovis avoit fait, ils forcerent leurs aînés
à s'y conformer.

D'ailleurs à ces faits on peut opposer qu'après la mort de Clotaire II,
Dagobert, son fils aîné, lui succéda seul, & qu'il ne donna à Caribert
l'Aquitaine avec le titre de Roi que pour sa vie seulement. Chilpéric
ayant voulu conserver ce titre après le décès de Caribert son pere,
Dagobert pour l'en punir le fit empoisonner, & Boggis, cadet de
Chilpéric, ne reçut de son oncle l'Acquitaine qu'à titre de Duché.

En 656 Clotaire III ne fit aucune part des Royaumes de Clovis II à ses
deux freres.

Thierry, en 670, s'étant emparé du Trône par les soins de son Ministre
Ebroin, Childeric l'en chassa & le confina dans un Monastere.

Sous nos Rois de la premiere race le droit d'aînesse a donc été connu.
D'abord enfraint par la force, on n'eut point toujours dans la suite
recours à la force pour le rétablir; ce qui ne seroit point arrivé si on
eût regardé ce droit comme nouveau ou comme opposé aux anciennes
Coutumes de la Nation.

Aussi ce droit y étoit-il conforme: c'étoit une maxime reçue parmi les
Gaulois du temps de César[159] que la souveraine autorité fût
indivisible, même dans les pays où il n'y avoit que des Magistrats élus
pour un temps.

[Note 159: Comment. de César, L. 2, pag. 51 & 58; L. 5, pag. 141, Tac.
_de Mor. German._]

Or comment, sans admettre la prérogative de l'aînesse, ces Peuples
auroient-ils pu concilier cette maxime de ne point diviser la
Souveraineté avec cette autre maxime par laquelle, selon Agathias, les
enfans des Rois étoient seuls admis à leur succession?[160]

[Note 160: _Filii patribus in regnum succedunt._ Agath. pag. 8.]

Dans les pays des Gaules, où la Royauté étoit héréditaire, on ne trouve
point, ni avant ni sous la domination Romaine, plusieurs Rois associés
au Gouvernement;[161] ce qui ne peut évidemment être que l'effet d'une
Loi de préférence établie dès ce temps-là entre ceux qui pouvoient y
prétendre. Cette Loi, violée par Thierry, fils de Clovis, & par
quelques-uns de ses Successeurs, reclamée ensuite par Dagobert, par
Clotaire III, par Childeric, cessa d'être suivie sous les Maires du
Palais, mais elle ne fut pas oubliée pour cela.

[Note 161: Duchesne, Hist. d'Anglet. & d'Irl. donne une liste des Rois
Gaulois, pag. 88 & 89, Liv. 2. Leurs aînés succédoient seuls, pag. 98 &
suivantes. _Archigalo_ ayant été détrôné par les grands de son Royaume,
& son frere _Elidurus_ pris pour Roi à sa place; celui-ci eut des
remords si vifs de ce qu'il portoit une Couronne qui n'appartenoit qu'à
son aîné, qu'il força la Nation de le rappeler & de le reconnoître pour
son Roi.]

Charlemagne sçut bien la faire valoir contre son frere Carloman;[162] &
lorsqu'il partagea ses Etats entre ses propres enfans pour prévenir les
dissensions auxquelles l'irrégularité de ce partage pouvoit donner
occasion, il requit l'approbation des grands du Royaume.

[Note 162: Charlemagne ne voulut pas exécuter le partage fait par Pepin;
il en fit un autre que bien-tôt apres il fit casser. Carloman étant
mort, il s'empara de sa succession au préjudice de ses neveux. _Daniel,
Hist. de France._]

Son fils Louis le Débonnaire prit la même précaution; mais moins rédouté
que Charlemagne, il eut le chagrin de voir ses aînés se révolter contre
lui,[163] & après son décès le dernier de ses enfans ne put obtenir
aucune part en sa succession. En un mot, en consultant l'Histoire avec
attention, on y observe que si l'on a porté des atteintes au droit
d'aînesse, ce n'a été que par violence, dans des temps de trouble,
ou lorsque la succession de nos Rois étoit composée de plusieurs
Royaumes, & que les différens Peuples nouvellement soumis refusoient de
reconnoître un même Souverain. Or c'est parce que ce droit étoit établi
pour la succession au Trône[164] qu'il a été étendu par les Seigneurs à
celle des Fiefs. Ces Fiefs, par leur premiere institution, n'étoient pas
plus partables que la Couronne. La division des services qui y étoient
affectés les auroit insensiblement anéantis, si le partage en eût été
toléré.

[Note 163: _De gestis Ludov. Pii in annal. Nitardi_, T. 2, capitul. de
816, T. 1. pag. 574. Collect. Balus.]

[Note 164: On ne peut tirer aucun argument contre cette opinion de
l'Art. 9 du Traité de Mersen en 847; car les oncles n'avoient pu
prétendre jusques là de préférence sur leurs neveux qu'à cause de
leur âge, & si la succession au Trône eût été élective entre tous les
Princes du sang indifféremment, comme le prétend l'Abbé Vély, Tom. 2,
pag. 76, il auroit été inutile de défendre aux oncles dans le Traité de
persister en leur prétention; puisqu'elle auroit été contraire à la Loi
subsistante alors. On ne peut pas citer avec plus d'avantage la Lettre
de Foulques, Archevêque de Rheims, à l'Empereur Arnoul, rapportée par
Flodoard, L. 3, _Hist. Ecclés. Remensis_, c. 5, puisqu'en supposant que
_la Couronne, toujours héréditaire à l'égard de la maison régnante_, eût
néanmoins été en même-temps élective par rapport aux différens Princes
de cette maison, Arnoul n'auroit pas eu prétexte de se plaindre de ce
qu'on auroit substitué Charles le Simple, sur la naissance duquel il
n'avoit que des doutes suggérés, à Eudes qui étoit _ab stirpe regiâ
alienus_; & si l'on admet qu'Eudes étoit du sang royal, il s'ensuivra
que ce n'étoit pas l'usage d'élire un parent, mais le plus proche,
puisqu'on déplaçoit Eudes pour couronner Charles le Simple.]


*SECTION 6.*

*Item est a savoir, que nul avera terre de fée simple per discent come
heire a ascun home, sinon que il soit son heire dentire sanke. Car si
home ad issue deux fits per divers venters, & leigné purchase terres en
fée simple & morust sauns issue, le puisné frere navera la terre, més
luncle leigné frere, ou auter son procheine cosin ceo avera, pur ceo que
le puisné frere est de _demi sanke_ (a) a leigné frere.*

SECTION 6.--_TRADUCTION._

Un collatéral ne peut hériter du fief simple acquis, à moins qu'il ne
soit parent de pere & de mere du défunt; ainsi qu'un homme ait deux
garçons de deux femmes, que celui de la premiere femme acquiere un fief
simple, & décede sans enfans, ce ne sera pas son frere de pere, mais son
oncle frere de pere & de mere de son pere qui lui succédera, ou les
descendans de cet oncle, parce que le frere de pere n'est que de
demi-sang.

_REMARQUES._

(a) _De demi sanke._

_Voyez_ la Remarque sur la deuxieme Section.


*SECTION 7.*

*Et si home ad issue fits & file per un venter, & fits per auter venter,
& le fits del primer venter purchase terres en fée, & morust sauns
issue, la soer avera la terre per discent come heire a sa frere, & nemy
le puisné frere, pur ceo que la soer est de le entire sanke a son eigné
frere.*

SECTION 7.--_TRADUCTION._

Si un homme a un fils & une fille sortis de la même mere, & un fils
d'une autre femme; que le fils de la premiere femme acquiere des terres
en fief simple; s'il meurt sans enfans, la sœur aura cette terre & non
le frere du second lit, parce que la sœur est de sang entier à son
frere aîné.


*SECTION 8.*

*Et auxy ou home est saisie de terres en fée simple & ad issue fits &
file per un venter, & fits per auter venter, & morust, & leigné fits
enter, & morust sauns issue, la file avera les tenements & nemy le
puisné fits, uncore le puisné fits est heire a le pier, més nemy a son
frere. Més si leigné fits ne entrast en la terre après la mort son pere,
més morust devant ascun entrie fait per luy, donques le puisné frere
poit enter, & avera la terre come heire a son pier. Més lou leigné fits
en la case avantdit entrast après la mort son pere & ad ent possession,
donques la soer avera la terre, _quia possessio fratris de feodo
simplici facit sororem esse hæredem_, (a) més si sont deux freres per
divers venters, & leigné est saisie de terres en fée & morust sauns
issue, & son uncle entrast come prochein heire a luy, quel auxy morust
sauns issue, ores le puisné frere puit aver la terre come heire al
uncle, pur ceo que il est de lentire sanke a luy, coment que il soit de
demi sanke a son eigné frere.*

SECTION 8.--_TRADUCTION._

Et encore si un pere a d'un premier mariage un fils & une fille, & d'un
second mariage un fils; dans le cas où le pere mourra saisi d'un fief
simple acquis, & où son fils aîné, après y avoir succédé, décedera sans
enfans, la fille aura le fief & non le frere de pere du défunt; car le
frere puîné auroit bien été l'héritier de son pere s'il n'eût pas eu de
frere, mais il n'est pas l'héritier de son frere de pere, tant que
celui-ci a une sœur de pere & de mere.

Si cependant le fils aîné n'avoit pas pris possession du fief de son
pere au temps de son décès, le puîné, à titre d'héritier de son pere,
auroit ce fief; mais si l'aîné a appréhendé la succession du pere, la
fille, quant au fief simple, préférera son frere cadet, parce que la
possession que le frere a eue du fief en rend sa sœur héritiere.
Cependant s'il y avoit dans une succession deux freres de pere, l'aîné
ayant succédé au fief simple, & l'ayant transmis par son décès à son
oncle frere de pere & de mere de son pere; après la mort de cet oncle
sans enfans, le cadet succéderoit au fief comme héritier de son oncle,
quoiqu'il ne fût que de demi-sang à son frere.

_REMARQUES._

(a) _Possessio fratris, &c. facit sororem hæredem._

Cette maxime est une suite de la Section 2 qui exclut les utérins
lorsqu'il y a des enfans de _sang entier_ ou germains du dernier
possesseur.[165] Cependant comme on concluroit peut-être de cette maxime
qui admet les filles à succéder aux Fiefs au préjudice des utérins ou
consanguins mâles, que les Loix recueillies par Littleton ne sont pas
aussi anciennes que je les prétends, parce que, selon Brussel, _les
filles n'ont été admises à succéder aux Fiefs[166] sous nos Rois de la
seconde & sous les premiers Rois de la troisieme race, qu'à défaut de
mâles, tant de la ligne directe que de la collatérale_. Je vais établir
que le droit des filles à la succession aux grands _Bénéfices_, à défaut
de mâles plus proches qu'elles, est bien antérieure aux époques qu'on a
jusques ici données à l'établissement de ce droit; & que la faculté
qu'ont eue les filles de succéder dans la suite _aux Fiefs_ ne
s'étendoit pas encore à tous les Fiefs indistinctement au commencement
du dixieme siecle.

[Note 165: Elle contient aussi le droit de représentation.]

[Note 166: Brussel, c. 7, Tome 1, pag. 89. Il est bon de se rappeller
que cet Auteur & M. de Montesquieu donnent toujours aux Bénéfices le nom
de _Fief_.]

Les Bénéfices de dignité n'ont été rendus héréditaires que sous Charles
le Chauve en 877;[167] & déjà les filles avoient succédé à des
Bénéfices: un seul exemple nous rendra raison de cet usage.

[Note 167: Espr. des Loix, L. 31, c. 25, pag. 187. _Capit. Carol. Calvi
apud Carisiacum._ Art. 3. Balus. 2e Vol.]

En 793 Charlemagne avoit investi Guillaume, surnommé Court-Nez,[168] de
la Principauté d'Orange à titre héréditaire, & Hélimbruge sa fille lui
succéda.[169] Il n'y avoit point alors d'autre Loi qui admît les filles
aux successions à défaut de mâles que la Loi Salique. Hélimbruge ne fut
donc admise à celle de son pere qu'en vertu de cette Loi.

[Note 168: Abregé des grands Fiefs.]

[Note 169: En l'an 860 ou environ.]

Cette conséquence paroît d'autant plus certaine que depuis le
commencement de la Monarchie jusqu'à Charlemagne, tous les dons faits
par les Rois à perpétuité avoient toujours suivi les regles prescrites
par la Loi Salique pour la succession aux Aleux,[170] & que depuis 877,
temps auquel les Bénéfices sont devenus patrimoniaux, il n'y a plus eu
une seule Province où les filles ayent été privées des successions aux
Bénéfices par des mâles d'un dégré plus éloigné.

[Note 170: On en trouve la preuve dans la Formule de Marculphe, citée
sur la Sect. 1re. _Ut ipse & posteriores_, &c.]

Il est vrai que Brussel[171] observe que la succession de Guillaume V,
Comte de Toulouse, échut à Raimond son frere, quoique le premier eût
laissé une fille; mais cet Auteur n'a pas fait attention, 1er que
Raimond succéda à Guillaume IV en 1091,[172] & non à Guillaume V, qui ne
mourut qu'en 1126, sans postérité; 2e. Le pays de Toulouse avoit
toujours suivi, avant sa réunion aux Domaines de nos Rois, la Loi des
Wisigoths, Loi qui faisoit succéder les femmes à la Couronne.[173]

[Note 171: Brussel, C. 7, L. 1, pag. 89. M. de Montesq. le copie, L. 31,
c. 33. Espr. des Loix, pag. 209.]

[Note 172: Abregé des grands Fiefs.]

[Note 173: Espr. des Loix, L. 18, c. 22, pag. 172, Tom. 2.]

Or il n'est pas possible de concevoir comment, après cette réunion, la
Loi des Wisigoths auroit été abrogée à l'égard du Gouvernement de
Toulouse, sur-tout après qu'il avoit été rendu héréditaire, puisqu'il
étoit alors d'un usage général en France que les filles succédassent à
tous les autres Bénéfices de pareille espece.

On voit, en effet, en 905[174] Attalane hériter du Comté de Mâcon,
quoiqu'elle eût deux cousins germains, Gisalbert Comte de Châlons, &
Manassez Comte de Dijon; Hermangarde succéder au Duché de Bourgogne en
952; Gerberge sa fille en 955; enfin Almodis devenir Comtesse de la
Marche en 1032 par le décès de son frere Bernard, par préférence à son
cousin fils d'Elie, Comte de Périgord.

[Note 174: Abregé Chronolog. des grands Fiefs.]

Si donc Philippie n'a point succédé au Bénéfice de Guillaume IV son
pere, il ne faut point l'attribuer à ce qu'elle n'en avoit point le
droit; mais plutôt à ce qu'étant mineure, Raimond son oncle, Prince
très-courageux, qui jouoit un grand rôle parmi les Croisés, trouva des
facilités pour s'emparer de ses Etats. Aussi après la mort de Raimond,
Philippie fit revivre son droit. Bertrand, fils de Raimond, ne succéda
point à son pere; & Bertrand, second du nom, à son retour de la
Terre-Sainte, n'obtint le Comté que parce que Guillaume V, veuf de
Philippie, n'avoit eu d'elle aucuns enfans.

Loin donc que Brussel dût s'appuyer sur ce qui s'étoit passé à l'égard
de Philippie pour prétendre que le même usage subsistoit en France pour
tous les autres Bénéfices; il auroit dû conclure, au contraire, de
l'exemple même de Philippie, que cette exclusion n'avoit pas lieu, & que
ce n'avoit été qu'en violant la Loi générale que Raimond avoit exclu
cette Princesse de la succession de son pere.

Du même principe qui appelloit les filles à la succession des Bénéfices
donnés en propriété (parce qu'en ce cas le fisc ne s'y étant rien
réservé, ils se trouvoient compris dans la classe des Aleux) il
s'ensuivit que dès que les hommes libres eurent fait ériger leurs Aleux
en Fiefs[175] par les Seigneurs, leurs filles en hériterent.

[Note 175: Ceci eut lieu après l'an 847. _Voyez_ deuxieme Remarque,
Sect. 1.]

Mais il n'en fut pas de même à l'égard des Fiefs créés par les
Seigneurs, & démembrés ou de leurs propres Aleux, ou de leurs Bénéfices.
Les filles ne furent admises à la succession des Fiefs de cette derniere
espece que lorsque la condition en étoit exprimée en l'Acte
d'inféodation, comme je le dirai sur le Chapitre _de Fée tail_. Ceci
fournit une nouvelle preuve de ce que les Loix Angloises viennent des
François: car si ces Loix fussent nées en Angleterre, elles ne se
seroient point écartées des moeurs anciennes au point d'exclure de la
succession aux Fiefs, en certains cas, les femmes qui de tout temps
avoient été jugées capables en Angleterre non-seulement de porter les
armes, mais même de commander les armées.[176]

[Note 176: Il y a apparence que les femmes n'ont eu droit au Trône
d'Angleterre que par abus. Les femmes des premiers Bretons, selon
Tacite, _Vie d'Agricola, & L. 12 & 14 de ses Annales_, obtenoient le
commandement des Troupes; mais cet Auteur ne dit pas qu'aucunes ayent eu
l'Empire, _Neque enim sexum in imperiis discernunt_, ne s'entend ici que
de l'office de Général pour lequel on ne faisoit point distinction de
sexe, _solitum quidem_, ajoute Tacite, _Britannis fæminarum ductu
bellare_. En effet, Bondouique, à l'occasion de laquelle il rapporte les
moeurs des Bretons, n'étoit pas leur Reine, comme Duchêne, Hist.
d'Angleterre, L. 3, p. 143, le suppose; elle étoit seulement issue de
sang royal, _generis regii_. Toutes les femmes de cette Nation étoient
exercées comme elle aux armes, & les femmes des Germains ne le cédoient
point en cela à celles des Bretons. Tacite rapporte plusieurs traits de
bravoure des premieres: elles assistoient aux combats; on les donnoit en
ôtage; on les consultoit sur les affaires d'Etat; mais à l'exception des
Peuples appellés _Sitones_, aucuns ne les élevoient au Trône.]

Au reste, par ce que je viens de dire, il est aisé de concevoir que
l'hérédité des Bénéfices n'a point été la source de la faculté que les
filles ont eu d'y succéder, mais que la Loi Salique leur ayant de tout
temps accordé cette prérogative à l'égard des Aleux à défaut de
successeurs mâles plus proches qu'elles du défunt,[177] tous Bénéfices,
dès qu'il y en a eu de patrimoniaux, ont dû être assimilés aux Aleux,
conséquemment soumis à la Loi qui régissoit cette sorte de Biens. Cette
Loi a dû conserver encore son empire sur les Fiefs formés de l'Aleu du
vassal; mais elle n'a pu avoir son application à des Fiefs dont
l'établissement n'avoit eu pour principe que la bienfaisance des
Seigneurs. Aussi Littleton, dans le Chapitre suivant, fait-il de la
distinction _entre le Fief simple ou absolu & le Fief conditionnel_.
Tous les enfans du possesseur héritent du premier quel que soit leur
sexe; le mâle n'y a de préférence qu'en dégré égal, & il ne peut être
privé de cette préférence que par un dérogatoire clairement exprimé lors
de la concession. Au second, ce n'est ni le mâle ni la femelle qui
succede par préférence, c'est le sexe que le Seigneur a désigné. La
succession du _Fief simple absolu_ n'est bornée que par l'extinction de
la ligne du vassal; _celle du Fief conditionnel_ ne va point au-delà du
dégré, ou de la ligne, ou du sexe fixé par le Seigneur.

[Note 177: Voltaire, Hist. Univers. _Usages du temps de Charlemagne_,
paroît ignorer que la Loi Salique admettoit les filles aux successions à
défaut de mâles, & en conséquence il dit qu'on ne pouvoit déroger à
cette Loi qu'en réservant les filles à partage de la maniere exprimée en
la Formule 2 de Marculphe. Cette Formule n'avoit lieu que lorsqu'il y
avoit des freres, elle étoit inutile quand il n'y en avoit pas; les
filles alors succédoient de droit. Ceci est démontré par la Formule 12
de Marculphe, L. 2, la 49e de l'Appendix de cet Auteur, & encore par ce
que Grég. de Tours, L. 9, c. 33, rapporte de la fille d'Ingeltrude, à
qui on ajugea la quatrieme partie des biens de son pere, sa mere & ses
neveux, fils de son frere, s'étant restrains aux trois autres parts.]

Si M. de Montesquieu avoit connu cette distinction _entre le Fief absolu
& le conditionnel_, ainsi que la différence de ces Fiefs avec le
Bénéfice, il n'auroit pas dit[178] _que les Fiefs ont passé aux enfans,
& par droit de succession, & par droit d'élection; que chaque Fief a été
comme la Couronne, électif & héréditaire_. Il auroit reconnu dans le
Fief absolu & héréditaire un Aleu qui, devenu Fief, avoit conservé le
droit d'hérédité de tous temps inhérent aux Aleux: il auroit reconnu
dans le Fief conditionnel qu'il a cru électif, un Fief qui
originairement faisoit partie du domaine d'un Seigneur, & dont il avoit
arbitrairement restraint ou étendu la succession. Il auroit vu que la
succession à la Couronne avoit commencée par être élective,[179] & que
son dernier état a été celui où elle est restée héréditaire, au lieu que
les Bénéfices n'ont jamais été électifs, mais d'abord amovibles,[180]
ensuite viagers, enfin patrimoniaux. Les Fiefs, au contraire, dès leur
premiere institution, furent ou héréditaires à perpétuité, ou
réversibles à défaut d'héritiers du sexe auquel les Seigneurs avoient
accordé la succession, selon que ces mêmes Fiefs étoient formés du
propre du vassal ou du propre du Seigneur.

[Note 178: Espr. des Loix, c. 29, 4e vol. pag. 198.]

[Note 179: Cette élection étoit une transgression du droit de l'aînesse.
_V_. Remarque sur la Sect. 5.]

[Note 180: Il est dangereux de comparer la succession à la Couronne avec
les successions aux Bénéfices; car en suivant cette comparaison, il
faudroit supposer que parce que les Bénéfices ont été _amovibles_, la
Couronne l'a aussi été, &c.]

L'économie des Fiefs, telle qu'elle se trouve dans les Loix Angloises
bien entendues, auroit encore indiqué à l'Auteur de l'Esprit des Loix la
raison de ce que _la perpétuité des Fiefs s'est établie plutôt en France
qu'en Allemagne_.[181]

[Note 181: Espr. des Loix, L. 30, pag. 199.]

En France, les Fiefs provenus d'Aleux ne cessoient point d'être soumis à
la Loi Salique. En Allemagne, cette Loi qui rendoit en France les Aleux
successifs à perpétuité, n'étoit point connue; tous les Fiefs y tiroient
donc leur existence de la concession du Seigneur, & les conditions de
cette concession étoit l'unique regle à consulter pour y succéder.
Enfin, si M. de Montesquieu eût eu sous les yeux les anciennes Coutumes
Neustriennes, que Littleton nous a conservées, il ne se seroit pas borné
à copier Brussel pour soutenir que la Loi générale qui appelloit les
filles à la succession des Bénéfices ne remontoit point au-delà du
douzieme siecle.[182]

[Note 182: Espr. des Loix, L. 30, c. 33, pag. 209.--M. de Montesquieu
dit que la fille de _Guillaume V, Comte de Toulouse, ne succéda pas à la
Comté_, & que dans la suite, c'est-à-dire en 1135, Mathilde succéda à la
Normandie; mais 1er Guillaume V mourut sans enfans; 2e si, au lieu de
Guillaume V, M. de Montesquieu a voulu parler de Guillaume IV, c'est une
autre erreur: il laissa une fille qui épousa Guillaume V, lequel, plus
de trente ans avant que Mathilde ait gouverné la Normandie, remit
Philippie en possession de la Comté dont Raimond IV son oncle s'étoit
emparé.]


*SECTION 9.*

*Et est a savoir que ce parol (enhéritance) nest pas tantsolement
entendue lou home ad terres ou tenements per discent denheritage; més
auxy chescun fée simple ou taile que home ad per son purchase puit estre
dit enhéritance, pur ceo que ses heires luy purront inhériter. Car en
brief de droit que home portera de terre que fuit de son _purchase
demesne_, le _brefe_ (a) dira: _quam clamat esse jus & hæreditatem
suam._ Et issint sera dit en divers auters briefs (b) ou home ou feme
portera de son purchase demesne; come appiert per le Regitre.*

SECTION 9.--_TRADUCTION._

Le terme d'_enhéritance_, ou d'hérédité, ne s'applique pas seulement aux
terres échues par succession, mais encore à tout fief simple ou
conditionnel qui a été acquis; c'est pourquoi dans _le Bref de droit_
qu'on obtient pour des terres qu'on a acquises, il est dit que le
possesseur _terram clamat, quasi jus & hæreditatem suam_. On trouve les
mêmes expressions dans plusieurs autres Brefs contenus dans les anciens
Registres de Chancellerie, où il est question d'acquêts.

_REMARQUES._

(a) _Le Brefe dira.... & hæreditatem suam._

Quand on acquéroit un Fief absolu, formé d'un Aleu, l'ordre d'y
succéder, établi dans la famille du vendeur, se perpétuoit en celle de
l'acquereur.[183] L'hérédité du fonds étoit donc l'objet de la vente
comme le fonds même, & on disoit alors que c'étoit une vente
_d'héritage_, pour la distinguer de la vente du simple usufruit.

[Note 183: Lib. _de Feudis_, tit. 89.]

(b) _Briefs._

C'étoit des Lettres du Prince, sans lesquelles on ne pouvoit intenter;
sous les Ducs de Normandie, aucunes actions. Littleton nous donnera[184]
dans la suite le modèle de plusieurs Brefs, dont la forme a été
conservée chez les Anglois dans les Registres de la Chancellerie, & qui
sont les mêmes que ceux qu'on trouve indiqués dans le Chap. 93 de
l'ancien Coutumier de Normandie, & dans ceux qui y traitent de _nouvelle
Dessaisine, de Surdemande, de Fief & de Ferme_, &c.

[Note 184: _Voyez_ Sect. 76.]


*SECTION 10.*

*Et de tiels choses de queulx home poit aver un manuel occupation,
(a) possession ou resceit, si come de terres, tenements, rents &
_hujusmodi_; la home dira en _count countant_, en _plée pledant_, (b)
que un tiel fuit seisie en son demesne come de fée. Més de tiels choses
que ne gisont en tiel manuel occupation, &c. Si come de _adwouson
d'Eglise_, (c) & _hujusmodi_, là il dira que il fuit seisie come de
fée, & en Latin il est en lun cas, _quod talis seisitus fuit, &c. in
dominico_, & en lauter, _quod talis seisitus fuit ut de feodo._*

SECTION 10.--_TRADUCTION._

Lorsqu'il s'agit de plaider ou de se présenter _en Court_ au sujet d'une
_occupation manuelle_, c'est-à-dire, pour Terres, Manoirs, Rentes ou
pour toute autre espece de Biens qui produisent des fruits, un revenu,
ou qu'on peut occuper; le demandeur doit dire qu'il en a le domaine
comme d'un fief; mais si l'objet en litige ne consiste ni en recette
ni en culture, mais en honneurs, tels qu'un patronage & autres choses
semblables, il dira qu'il en jouit _à titre de fief_ & non pas qu'il en
a le domaine: ce qui s'exprime ainsi en Latin pour le premier cas, _quod
talis seisitus fuit in dominico suo ut de feodo_; & pour le second, par
ces mots, _quod talis seisitus fuit ut de feodo_.

_REMARQUES._

(a) _Manuel occupation._

Les Seigneurs qui n'avoient pas autant de fonds que les autres à
inféoder, pour se procurer des Vassaux, donnoient à titre de _Fief des
honneurs_, des droits incorporels qui ne formoient point un _Manuel
occupation_; tels étoient le Patronage d'une Eglise, le droit de Chasse,
&c.[185] Or, pour distinguer ces Fiefs des autres qui avoient pour objet
un fonds ou une rente affectée sur un fonds; on disoit à l'égard des
premiers, dans les actes judiciaires, qu'un tel possédoit, _comme Fief_,
tel privilége, &c.; & en parlant des autres, que le tenant possédoit
_en son domaine à titre de Fief_, telle rente ou telle terre.

[Note 185: Brussel, pag. 42, 1er vol. _Cujas, de Feud. præm._ col. 1798.
_Gallis aliud est_ tenir Fiefs, _aliud_, tenir en Fiefs.]

(b) _Plée, pledant, counte, countant_, &c.

Les assemblées, où nos premiers Rois conféroient avec les Grands de
l'Etat sur les intérêts de la Nation, ont été long-temps appellés
Plaids, _placita_:[186] de-là ce nom a passé aux assemblées où les
Comtes rendoient la Justice,[187] & à la Jurisdiction exercée par les
_Avoués_ ou _Avocats_ des Monasteres.[188] Voyez ce que je dis des
_Plaideurs & Conteurs_, Section 196.

[Note 186: Flodoard, _in vitâ Ludovici Pii_. Aimoin, L. 4, c. 109.]

[Note 187: _Ut liberius possint fieri placita à Comitibus._ Leg.
Longobard. Tit. _de Feriis_.]

[Note 188: _Si in prædictâ villâ placitare voluerit advocatus, ut non
pluribus quam triginta equis ad placitandum veniat. Naucler, in Donat.
Monasterii Ulmensis._]

(c) _Advvouson d'Eglise._

_Advvouson d'Eglise_, signifie le Patronage d'une Eglise: il vient du
latin _Advocatio_, parce que anciennement les Avocats ou Avoués des
Eglises étoient chargés de défendre les Causes des Eglises aux Plaids du
Comte, dans le district duquel elles se trouvoient situées. Les Evêques
ou Abbés des Monasteres les chargerent dans la suite de rendre la
Justice à leurs Vassaux & de les conduire à la guerre. En reconnoissance
ils leur attribuerent certains droits sur leurs propres Domaines ou sur
les fonds qui relevoient d'eux. Dans une Donation citée par Naucler,
l'Avoué d'un Monastere pouvoit avoir trente chevaux lorsqu'il venoit y
tenir les Plaids;[189] l'Abbé étoit tenu de le traiter avec politesse &
décence, _decenter & honestè_, & de lui laisser le tiers de ce que les
Vassaux lui payoient durant les Plaids. Ces Avoués furent d'abord
choisis entre les plus puissans Seigneurs du canton, ensuite on donna
cet Office en _Fief_, enfin, il devint héréditaire: ce qui ne put avoir
lieu en Normandie, parce que toute justice s'y exerçoit au seul nom des
Ducs & par leurs propres Officiers.[190] Tout bienfaiteur d'une Eglise
retint donc en Normandie le nom d'_Avoué_, mais sans avoir le pouvoir de
Jurisdiction que les _Avoués_ avoient exercée sous la domination
Françoise.

[Note 189: D'Orléans, ouvert. des Parl. pag. 128.]

[Note 190: Brussel, page 814 & 815.]


*SECTION 11.*

*Et _nota_ que home ne poit aver auter pluis ample ou _pluis griender
estate_ (a) denhéritance que fée simple.*

SECTION 11.--_TRADUCTION._

Observez qu'on ne peut avoir d'hérédité plus assurée que celle du fief
simple.

_REMARQUES._

(a) _Pluis griender estate_, &c.

1er. Parce que le Fief simple absolu, est celui dont de droit la
succession est plus étendue.

2e. On ne peut l'aliéner sans le consentement du Seigneur.

3e. Il est exempt de redevances.


*SECTION 12.*

*Item purchase est appel la possession de terres ou tenements que home
ad per son fait ou per agréement, à quel possession il ne advient per
title de discent de nul de ses ancesters ou de ses cosins, més per son
fait de mesme.*

SECTION 12.--_TRADUCTION._

Le mot _purchase_ désigne tout fonds acquis ou substitué à l'acquéreur,
& auquel il n'a point succédé au droit de ses ancêtres ni d'autres
parens.



CHAPITRE II.

_DE FÉE TAIL._ (a)

_De Fief conditionnel, restraint ou abrégé._


*SECTION 13.*

*Tenant in fée tail est per force de le statude de West. 2, cap. 1. _car
devant l'dit statude touts enhéritances fuerent fée simple:_ (b) car
touts les _dones que sont spécifiés deins mesme le statude fuerent fée
simple conditional al common Ley_, (c) come apiert per le rehearsal de
mesme le statude, & ores per cel statude tenant en le tail est en deux
maners, cest a savoir tenant en tail général & tenant en tail spécial.*

SECTION 13.--_TRADUCTION._

On est tenant en Fief conditionnel depuis le deuxieme Statut de
Westminster, car avant ce Statut tous Fiefs étoient Fiefs simples. En
effet les Fiefs conditionnels, mentionnés dans ce Statut, y sont
appellés Fiefs simples suivant la commune Loi. On peut, pour s'en
convaincre, consulter le dispositif de ce Statut, où on distingue deux
sortes de tenures conditionnelles, l'une à condition générale & l'autre
à condition spéciale.

_ANCIEN COUTUMIER._

Echéance d'aventure par établissement, est quand le Fief revient à
aultres qu'aux hoirs de celui qui le tient par aulcun établissement qui
a été fait.

Echéance d'aventure par condition vient quand Fief est vendu ou baillé
par telle maniere que quand qui prend sera mort, il reviendra à celui
qui le baille ou à autre: si comme la condition est faite entre celui
qui le baille & celui qui le prend. Ce sont les Coutumes des échéances
qui anciennement ont été gardées en Normandie. C. 25.

_REMARQUES._

(a) _Tail_.

On trouve la définition de ce mot Sect. 18. Il vient du François
_tailler_, en Latin _scindere_, retrancher, restraindre, limiter.

(b) _Devant ledit Statude tous enhéritances fuerent Fée simple._

_Fée simple_ est ici pris dans un sens étendu,[191] comme le genre des
_Fiefs simples absolus_, dont il est traité dans le Chapitre précédent,
& des _Fiefs simples conditionnels_ qui sont l'objet de celui-ci.

[Note 191: _Here fée simple in takens in his large sense, including as
wel conditional, as absolute._ Coke, Comment. Sect. 9, 2e Remarq.]

Ces deux especes de Fiefs avant ce Statut, s'appelloient _Fiefs
simples_; parce qu'on donnoit ce nom à tous les Fiefs auxquels on
succédoit, quelque fût l'ordre & la maniere d'y succéder.

(c) _Car tous les dones que sont spécifiés deins mesme le Statude
fuerent Fée simple conditional al common ley._

Quoique le nom de _Fée simple_ fût commun tant aux Fiefs simples absolus
qui étoient héréditaires à perpétuité, qu'aux Fiefs dont la succession
étoit conditionnelle, il étoit cependant aisé de les distinguer
entr'eux. En effet, les premiers retenoient le nom de Fiefs simples, &
les autres joignoient à ce nom celui de conditionnels suivant la commune
Loi. Cette _commune Loi_ étoit celle que Guillaume le Conquérant
transmit aux Anglois, de donner en Fief, à telles conditions qu'on
vouloit, & de désigner dans la postérité du Tenant ceux qui
succéderoient à ce Fief. Elle étoit suivie en France avant Raoul à
l'égard de tous les Fiefs, autres que ceux qui étoient formés d'Aleux.
De-là chaque Seigneurie eut son droit particulier[192] jusqu'aux Regnes
de Philippe Auguste & de S. Louis, qui firent divers Réglemens pour
soumettre les Fiefs à des maximes uniformes: mais ces maximes ne
pénétrerent point en Angleterre, comme je l'ai dit sur la Section 3.
L'ancien usage de Normandie y fut toujours strictement observé; & le
Statut de Westminster loin de l'abroger ou de le changer, se borna à en
rendre la pratique plus aisée, en divisant en deux classes[193] toutes
les différentes conditions auxquelles on pouvoit inféoder, & en
déterminant le sens des clauses employées dans les précédentes
inféodations.

[Note 192: Brussel, L. 1, pag. 40, L. 2, c. 23, pag. 319, & L. 3, c. 13,
pag. 873.]

[Note 193: _Tail général_, _Tail spécial_.]

Selon le dispositif du Statut de Westminster.[194] _Voluntas donatoris
in Chartâ doni manifestè expressa observetur._ Ainsi il ne borne pas la
volonté des Seigneurs, mais il veut qu'elle soit claire, manifeste, sans
ambiguité.

[Note 194: Coke, Chap. _of Tail_, Sect. 16.]

Basnage[195] n'ayant point consulté ce Statut, a avancé qu'avant qu'il
eût lieu, _toutes enhéritances étoient Fées simples_, c'est-à-dire,
selon lui, _Fiefs héréditaires_, & qu'ainsi les Fiefs conditionnels ne
furent établis qu'après ce Statut. Mais outre que le texte de Littleton
porte au contraire que toutes _inhéritances spécifiées dans le Statut
étoient données auparavant en Fée simple conditionnelle_, & que dans les
Chapitres de _Tenure par copie_, on trouve des _Fiefs viagers ou à
volonté_, dont le Statut ne parle pas. Une réflexion toute naturelle
devoit faire appercevoir à Basnage son erreur, car si, suivant le
Statut, l'ordre des successions aux Fiefs eût été fixé, déterminé,
auroit-on fait une loi pour rendre l'ordre de succéder moins certain?
D'ailleurs en consultant l'histoire, ne voit-on pas qu'avant la conquête
de l'Angleterre par Guillaume, il y avoit en Normandie non-seulement des
Fiefs conditionnels, mais que tous ceux qui provenoient de Bénéfices
étoient réversibles aux Seigneurs par l'inexécution des clauses de la
Cession? Entr'autres exemples, il y en a un qui me paroît décisif, c'est
la Chartre donnée par Guillaume de _Talou_ ou d'Arques, frere du
Conquérant, en faveur de l'Abbaye de Fécamp en 1047.[196] _Porro_, y
est-il dit, _goselinus parvi-pendens convenientiam cum Abbate &
fratribus habitam; beneficium acceptum non solum non auxit, sed etiam ad
nihilum adegit & suis hominibus contra Statutam pactionem distribuit &
igitur reddens Deo Trino injustè subductam possessionem à
prædecessoribus collatam, possideatur a suis servis in sempiternum._

[Note 195: 1er Vol. pag. 144, édit. de 1709.--Basnage se trompe encore
lorsqu'il dit par l'Art. 337 que les Anglois donnoient le nom de _Fée
tail_ aux Fiefs dont l'aîné héritoit seul.]

[Note 196: On emploie dans cette Chartre le nom de _Bénéfice_, parce que
les Bénéfices Laïcs, comme les Biens aumônés aux Eglises, ne pouvoient
originairement être aliénés à perpétuité, & qu'on désignoit les uns &
les autres par le même nom: nom que les Biens Ecclésiastiques ont
conservé, même après qu'ils ont été distingués des Bénéfices Laïcs, par
le privilége accordé à ceux-ci de pouvoir être cédés à titre patrimonial
& héréditaire. _Voyez_ Formul. 6. de Marculph. L. 2, & _ibid._ 1er
Form.]

Cet usage de rappeller le Possesseur aux conditions qu'il avoit agréées
en acceptant le fonds, se concilioit parfaitement avec les motifs qui
avoient donné l'être aux Fiefs.

Charlemagne ayant, ainsi que je l'ai déjà dit, commencé vers la fin du
huitieme siecle à accorder des Bénéfices à quelques hommes libres, leur
permit à tous en 806, de se recommander pour en obtenir. Le Traité de
_Mersen_, comme je l'ai aussi observé, dans la vue de rétablir les
Seigneurs dans le droit de Jurisdiction qu'ils avoient exercé sur tous
les hommes libres au commencement de la Monarchie, permit en 847 à
ceux-ci de soumettre leurs Aleux ou à la Jurisdiction du Roi, ou à celle
des Seigneurs; mais cette Constitution n'ayant pas rempli les vues des
Seigneurs, ils parvinrent, en 877, à obtenir de Charles le Chauve une
Loi qui rendit tous les Bénéfices de dignité héréditaires. Dès lors les
Seigneurs purent donner à perpétuité les fonds du fisc attachés à leurs
Bénéfices, ou ne les donner qu'à vie, ou en limiter la succession à la
ligne des mâles, ou enfin inféoder à des conditions plus ou moins
avantageuses, selon les dispositions de ceux qui s'y assujettissoient.
Telle est la source de cette variété infinie qu'on trouve entre les
redevances stipulées dans les Chartres des dix & onzieme siecles. Ainsi
les grands Bénéfices devenus héréditaires, les Fiefs provenus d'Aleux &
assujettis aux Seigneurs par l'hommage seulement, ou ceux qu'ils
donnerent à perpétuité suivirent tous, quant à la maniere d'y succéder,
la Loi Salique, qui avoit toujours réglé la succession aux Aleux.[197]
Quant aux autres Fiefs, l'ordre de leur succession dépendit des
conventions faites lorsqu'on les avoit obtenus; ceci conduit
naturellement à observer une différence bien essentielle entre les
Bénéfices & les Fiefs. Les Bénéfices ont été tous amovibles, ou
tous viagers dans le même-temps, ou tous dans le même-temps
héréditaires;[198] au lieu que les Fiefs ont été en même-temps les uns
patrimoniaux, les autres bornés & restraints quant à l'hérédité: d'où il
faut conclure que si on partoit des regles établies à l'égard des
Bénéfices, comme si elles étoient relatives aux Fiefs, pour rendre
raison de certains évenemens de l'Histoire ou de la Jurisprudence des
neuf ou dixieme siecles, on attribueroit souvent à ces évenemens des
causes ou des motifs qui leur seroient absolument étrangers. Il n'y a
cependant pas un seul des Auteurs qui ait traité des Fiefs, auquel on ne
puisse reprocher cette faute, j'aurai plus d'une occasion d'en
convaincre.

[Note 197: On ne s'est écarté de la Loi Salique, comme je l'ai dit dans
ma Remarque sur la Sect. 3, qu'à l'égard du retour du Fief patrimonial
aux ascendans; aussi cela a-t'il été réformé dans la suite.]

[Note 198: _Dans les premiers temps plusieurs Fiefs étoient aliénés a
perpétuité, mais c'étoient des cas particuliers; les Fiefs en général
conservoient toujours leur propre nature._ M. de Montesquieu, Espr. des
Loix, L. 31, c. 28, pag. 193, L. 31. Cet Auteur, sous le nom de _Fiefs_,
parle ici des _Bénéfices_. Dans des temps où la puissance des Seigneurs
étoit redoutée du Souverain, il n'avoit garde de les traiter
inégalement, c'est-à-dire, de donner à l'un à vie ce qu'il auroit
accordé en propriété à d'autres. Au lieu que les Seigneurs en inféodant
ne risquoient rien à différencier les conditions. Un vassal auquel ils
donnoient à vie ou à temps étoit toujours plus avantagé qu'un homme
libre, qui, en faisant convertir son Aleu en Fief, n'en conservoit
l'hérédité qu'en cessant d'être libre.]

En prenant Littleton pour guide, on est à l'abri d'une semblable
méprise.

Si la France se trouve divisée en une infinité de petites Seigneuries
après le regne de Charles le Chauve; si chacune de ces Seigneuries a sa
Cour particuliere; si les Rois se privoient d'y envoyer des
_Commissaires_ pour examiner comment on y jugeoit; si les établissemens
de S. Louis ne furent point adoptés par les Seigneurs; si, en un mot, il
n'y avoit point alors deux Seigneuries gouvernées par la même loi,[199]
on n'a pas besoin, pour découvrir le motif de tout cela, de recourir _ni
aux divers évenemens des combats judiciaires_, ni à la diversité des
usages produits par le mélange des _Loix personnelles avec les Loix
territoriales_.[200] En consultant Littleton, on apperçoit tout d'un
coup, 1er. Que chaque Seigneur étant maître de la condition du Vassal,
auquel il accordoit en Fief une partie de son domaine, ce Seigneur étoit
nécessité d'avoir un dépôt particulier du titre de l'inféodation, dont
l'accès fût toujours libre au Vassal: 2e. Que les conditions une fois
agréées par le Seigneur & par le Vassal, elles devenoient une Loi que
les _Missi dominici_ n'auroient pu régulierement ni réformer ni
contredire: 3e. Que les établissemens de S. Louis contenant des maximes
générales, il y auroit eu une injustice criante à s'en servir pour
prononcer sur des conditions, que par des vues particulieres, & pour
leur profit réciproque le Seigneur & le Vassal s'étoient volontairement
& respectivement imposées.

[Note 199: Espr. des Loix, L. 28, c. 9, 3e Vol. pag. 288, c. 45, pag.
401, L. 28, c. 12, pag. 294.]

[Note 200: Espr. des Loix, _ut suprà_.]


*SECTION 14.*

*Tenant en tail général est lou terres ou tenements sont donés a un home
& a ses heires de son corps engendrés, en ceo case est dit général tail,
pur ceo que quelcunque feme que tiel tenant espousa (sil avoit plusieurs
femes per chescun de eux il ad issue) uncore chescun de les issues per
possibilitie, poit en hériter les tenements per force del done, pur ceo
que chescun tiel issue est de sa corps engendré.*

SECTION 14.--_TRADUCTION._

On entend par tenement _à tail_ ou condition générale celui auquel un
Seigneur a cédé des terres pour lui & pour les enfans sortis de lui. En
ce cas la condition est générale, parce que de quelques femmes qu'il ait
des enfans, ces enfans & tous leurs descendans, jusqu'à l'extinction de
leur ligne, succéderont auxdites terres.


*SECTION 15.*

*En mesme le maner est lou _terres ou tenements sont donés a un feme &
a ses heires de sa corps issuants_, (a) coment quel avoit divers barons,
uncore lissue que el poit aver per chescun baron poit en hériter come
issue en le taile, per force de tiel done, & pur ceo que tiels dones
sont appellés général taile.*

SECTION 15.--_TRADUCTION._

De même si l'on a cedé à une femme des terres pour elle & pour les
enfans qu'elle aura. Quoiqu'elle ait successivement plusieurs maris, les
enfans qui en naîtront & les descendans de ces enfans succéderont à leur
mere comme compris dans la condition; c'est pourquoi l'on appelle cette
condition, générale.

_REMARQUES._

(a) _Terres dones a un feme & a ses heires de sa corps_, &c.

Sous la premiere Race, & au commencement de la seconde, les Seigneurs
inféodoient seulement ou à des hommes nobles & revêtus d'emplois
militaires,[201] ou aux hommes libres, à la charge d'aller à l'armée en
personne. Ce ne fut qu'après qu'il fut permis à ces Seigneurs d'ériger
les Aleux en Fiefs; que les hommes libres, en dénaturant ainsi leurs
propriétés, obtinrent le privilége d'envoyer à l'armée des gens à leur
solde pour faire le service qu'ils devoient:[202] & dès-lors il n'y eut
plus de prétexte pour refuser aux femmes des _Fiefs_ avec la même
faculté.[203]

[Note 201: _Casu contigit Principes cum militibus acerbè contendere_,
&c. Const. de Charles le Gros en 888.]

[Note 202: Du Haillan, de l'état des Offi. de Fran. L. 3, pag. 125.]

[Note 203: _Fœminæ in feudum si sit muliebre, vel nisi ita convenerit
nominatim dando feudo_, Cujas, L. 1. _de Feudis._ col. 1818.]

Il n'en a pas été de même des _Bénéfices_: avant qu'ils eussent été
déclarés héréditaires, les femmes succédoient à défaut de mâles à ceux
que le Roi accordoit quelquefois à perpétuité; mais on n'a point
d'exemple de Bénéfices donnés directement par le Roi à des femmes, avant
ni même après le Capitulaire de[204] Charles le Chauve en 877.

[Note 204: C'est par ce Capitul. que l'hérédité des Bénéfices a été
rendue générale. _Voyez_ Remarques Sect. 13.]


*SECTION 16.*

*Tenant en tail spécial est lou terres ou tenements sont donés a un home
& a sa feme & a ses heires de touts deux corps engendrés; en tiel case
nul poet inhériter per force de ledit done, forsque ceux qui sont
engendrés per enter eux deux, & est appel le spécial tail, pur ceo que
si la feme devi & il prent auter feme & ad issue, lissue del second feme
ne sera jamais inhéritable per force de tiel done, ne auxy lissue del
second baron, si le primer baron devie.*

SECTION 16.--_TRADUCTION._

On tient _a tail_ ou condition spéciale lorsque les terres sont cédées
au mari, à la femme & aux enfans par eux engendrés, car il n'y a en ce
cas que les enfans sortis de leur mariage qui puissent leur succéder, &
on appelle cette cession _à condition ou tail spécial_, parce que si le
mari prend une autre femme, ou que la femme passe à de secondes nôces,
les enfans sortis de ces seconds mariages ne succedent point aux terres
données à la susdite condition.


*SECTION 17.*

*En mesme le maner est lou tenements sont donés per un home a un auter
oue un feme que est la file ou cousin _al donour en frank mariage_, (a)
lequel done ad un enhéritance per ceulx parols (en frank mariage) a ceo
annexe, coment que ne soit expressement dit, ou _reherce_ en le done,
c'est a savoir que les donées averont les tenements a eux & a lour
heires per enter eux deux engendrés. Et ceo est dit espécial taile, pur
ceo que lissue del second feme ne poit inhériter.*

SECTION 17.--_TRADUCTION._

 On doit encore entendre la tenure _a tail_ ou condition spéciale au cas
où quelqu'un donne en franc mariage à sa fille ou à sa parente une
terre; car alors les enfans sortis de l'homme & de la femme donataires
du franc mariage peuvent seuls en hériter. Il suffit que ces termes, _Je
donne en franc mariage_, soient employés dans le Contrat, afin que les
enfans qui proviendront des deux conjoints ayent droit de succéder seuls
aux fonds donnés. La clause que ces fonds passeront à ces enfans, à
titre d'hérédité, est inutile, le mot de _franc mariage_ y supplée.

_REMARQUES._

(a) _Al donour en frank mariage._

Bracton[205] & Glanville distinguent deux sortes de dons faits aux
filles en faveur de mariage: l'un exempt, l'autre chargé de services. Il
est question dans notre Texte _du frank mariage_, c'est-à-dire, du don
fait à une fille ou à une sœur pour sa dot, en exemption de toute
espece de services.

[Note 205: Bracton, L. 2, c. 34 & 39, & L. 2, c. 7, n. 3 & 4.
_Maritagium est aut liberum aut servitio obligatum._ Glanville, L. 7, c.
18.]

L'ancienne Loi des Allemands, Tit. 57, faisoit aussi distinction entre
le mariage franc & celui qui ne l'étoit pas: voici ce qu'elle
portoit.[206] Si un pere ne laisse que deux filles, elles partagent
également ses biens; mais si une de ces filles épouse un homme libre
comme elle, & l'autre un _Colon_ du Roi ou d'une Eglise, celle qui aura
contracté mariage avec son égal, succédera seule à l'Aleu de son pere, &
ne partagera avec sa sœur que les autres biens.

[Note 206: _Si duæ sorores absque fratre relictæ post mortem patris
fuerint; ad ipsas hæreditas paterna pertingat si una nupserit cœquali
libero, alia autem nupserit aut Colono Regis aut Colono Ecclesiæ; illa
quæ illi libero nupsit sibi cœquali teneat terram patris, res autem
alias equaliter dividant. Illa quæ Colono nupsit non intret in portionem
terræ, quia sibi non cœquali nupsit._ _Collect. Balusii_, Tom. 1, Col.
72.]

Après que l'homme libre eut eu la faculté de changer son Aleu en Fief,
on continua de reconnoître un mariage franc: mais au lieu que par la Loi
des Allemands, la franchise du mariage se rapportoit uniquement à l'état
de la personne qu'une fille épousoit; par celle des Fiefs, cette
franchise fut fondée tant sur la qualité de l'époux que sur celle des
biens dotaux de la femme.

Tout homme possesseur d'un Fief, se regardant comme de meilleure
condition que ceux qui n'en possédoient pas, ou qui n'avoient que des
fonds allodiaux; lorsque la fille d'un Propriétaire de Fief épousoit un
homme de cette derniere classe, le pere de la fille le chargeoit des
services auxquels il étoit lui-même tenu envers son Seigneur pour la
Terre qu'il donnoit en dot;[207] & l'homme sans Fief s'estimoit heureux
d'obtenir, par cet arrangement, la protection d'un Seigneur. Au
contraire, lorsque l'homme de Fief prenoit pour gendre un homme qui en
possédoit déjà, le pere l'affranchissoit de tout service dû par la Terre
cédée à titre de dot, & il restoit sujet à s'en acquiter, parce qu'il
n'auroit pas été juste que la condition de ce gendre eût empiré par son
mariage, ce qui seroit arrivé si les services qu'il devoit pour son
propre Fief eussent été doublés par ceux qui étoient attachés aux fonds
dont sa femme étoit dotée. Les Seigneurs étoient bien intéressés à
maintenir cet usage: si d'un côté il leur étoit indifférent d'être
servis par le pere ou par le gendre, lorsque celui-ci n'avoit point de
Fiefs en propre; leurs droits auroient pu d'un autre côté souffrir de ce
que le pere se seroit déchargé d'une partie de ses services sur un
gendre, qui lui-même Propriétaire de Fiefs, auroit peut-être réussi par
sa propre autorité, ou par celle de ses Seigneurs, à se soustraire aux
services dûs pour les biens de sa femme.

[Note 207: _V._ Sect. 20, le pere pouvoit donner en faveur de mariage
une portion de son fief sans congé du Seigneur.]


*SECTION 18.*

*Et nota _quod hoc verbum talliatum idem est quod ad quamdam
certitudinem ponere vel ad quoddam certum hæreditatem limitare_. Et pur
ceo que est limit & mis en certaine, quel issue en héritera per force de
tiels dones, & come longuement lenhéritance en durera; il est appel en
Latin _feodum talliatum, id est, hæreditas in quamdam certitudinem
limitata._ Car si tenant in général tail morust sans issue, l'donor ou
ses heires poient entrer come en lour reversion.*

SECTION 18.--_TRADUCTION._

Observez que _hoc verbum talliatum idem est quod ad quamdam certitudinem
ponere, vel ad quoddam certum hæreditamentum limitare_. Et parce que
l'hérédité est spécialement limitée & restrainte à tels descendans & à
telle ligne du donataire, elle est appellée en Latin _feodum talliatum,
c'est-à-dire, hæreditas in quamdam certitudinem limitata_; car si un
possesseur de fonds _à tail_ ou condition générale mouroit sans enfans,
ces fonds retourneroient au Seigneur ou à ses héritiers.


*SECTION 19.*

*En mesme le maner est del tenant in spécial tail, &c. car en chescun
donne en le taile sauns pluis ouster dire, le reversion del fée simple
est en le donor. Et les donées & lour issues ferront al donor & a ses
heires autels services come le donor fait a _son Seignior prochein a
luy paramount, (a) for prises les donées in frank mariage_, les queux
tiendront quietment de chescun manner de service, sinon que soit _per
féaltie_ (b) _tanque le quart degrée soit passé_. (c) Et après ceo que
le quart degrée soit passé, lissue en le cinquieme degrée & issint
ouster lauters des issues après luy, tiendront del done ou ses heires
come ils teignont ouster come il est avant dit.*

SECTION 19.--_TRADUCTION._

Il en est de même de la tenure _a tail_ ou condition spéciale, &c.
car en toute cession _à tail ou à condition_, où ces seuls mots sont
employés, le fief est sujet à réversion, dès que le terme de la
condition est expiré; & tant qu'il subsiste, le tenant ou le possesseur
du fonds cédé fait, ainsi que ceux qui lui succedent en vertu de la
condition au Seigneur dont il releve, les mêmes services que ce Seigneur
doit lui-même à son Seigneur suserain. Il en est autrement de celui
qui a reçu des fonds _en franc mariage_, car ces sortes de fonds sont
exempts de tous services, & ne doivent que féauté jusqu'au quatrieme
dégré: dégré après lequel ceux qui y succedent les tiennent du donateur
par les mêmes devoirs & services qu'ils auroient dûs, si leur tenure
dans l'origine ne leur eût pas appartenu à titre de franc mariage.


*SECTION 20.*

*Et les degrées en frank mariage seront accompts à tiel manner; savoir
de le donor a les donées en frank marriage, le primer degrée, pur ceo
que la feme que est un des donées covient être file, soer ou auter
cousin a le donor. Et de les donées tanque a leur issue il serra accompt
le second degrée, & de lour issue tanque a son issue le tierce degrée, &
issint ouster, &c. & la cause est pur ceo que après chescun tiel done
les issues queux veignont de le donor, & les issues queux veignont de
les donées après le quart degrée passé de ambideux parties en tiel forme
dester accompt, poyent enter eux par la ley de Saint Eglise enter
marrie. Et que le donée en frank mariage serra dit le prime degrée de
les quart degrées, home poit veyer en un plée sur un _Breve de droit de
Garde_, (d) pag. 31. Ed. 3. Lou le pleder counta, que son tresaïel fuit
seisie de certaine terre, &c. & ceo tennust dun auter per service de
chivaler, &c. quel dona la terre a _un Rafe Holland_ ovesque sa soer en
frank marriage, &c.*

SECTION 20.--_TRADUCTION._

On comptera les dégrés en mariage de maniere que le donataire & le
donateur forment le premier dégré, car il convient que la femme à
laquelle le don a été fait soit ou cousine ou sœur du donateur. Le
second dégré comprendra les enfans du donataire; les petits enfans de ce
dernier seront au troisieme dégré, & ainsi du reste. La raison pour
laquelle après le quatrieme dégré on ne considere plus le don comme
jouissant du privilége _de franc mariage_, se tire de ce qu'au cinquieme
dégré les descendans du donataire & ceux du donateur peuvent se marier
ensemble. On en voit un exemple dans un Plaidoyer fait sous Edouard III,
en vertu d'un Bref de droit de Garde, où le demandeur exposa que son
trisayeul ayant été saisi d'une terre par quelqu'un qui la tenoit en
chevalerie, l'avoit donnée en franc mariage à sa sœur, en lui faisant
épouser _Rafe Holland_, &c. _V._ Stat. d'Ed. III, pag. 31.

_REMARQUES._

(a) _Seigneur paramont_, Seigneur au degré le plus élevé, _ou_ le
Seigneur Suzerain.

(b) _Féaltie._ Voyez Section 91.

(c) _Tant que le quart degrée soit passé_.

Lorsque la fille d'un possesseur de Fief épousoit un homme d'égale
condition, il se formoit naturellement un _parage_ entre le pere & la
fille. Ce n'étoit point pour se procurer un Vassal que ce pere donnoit à
cette fille une portion de son Fief, mais uniquement dans la vue de lui
transmettre, & à ses enfans, la noblesse de sa condition, & par-là, de
se les rendre pairs ou égaux.[208] Il auroit donc été contraire à cette
intention du pere, que sa fille, après sa mort, eût été exposée à voir
sa condition dégradée. Cependant elle se seroit trouvée dans ce cas, si
elle n'eût pas été exempte de services pour cette dot, jusqu'à ce que sa
postérité eût atteint le quatrieme degré; car il n'est pas impossible
qu'une Ayeule survive à ses petits enfans, ou du moins qu'elle les
marie. Or, si en les mariant elle eût été privée de leur donner _sa dot_
au même titre, qu'elle même l'avoit reçue, elle se seroit vue
dépouillée, en quelque sorte en leur personne, du privilége le plus
honorable de cette dot. Par ce motif, tout Fief donné en franc mariage
demeuroit donc exempt de services jusqu'à ce que la lignée de la
donataire fût parvenue au cinquieme degré. Dans ce dégré il n'y avoit
plus de parité de condition entre ses descendans & ceux du pere ou du
parent qui l'avoit dotée. L'origine que l'on tiroit d'une Trisayeule
s'oublioit d'ailleurs par la liberté qu'on avoit, suivant les Canons, de
rentrer dans sa famille en y contractant mariage après le quatrieme
dégré; en un mot, on regardoit cette famille parvenue à ce dégré comme
celle d'un étranger.

[Note 208: Loi des deux Sicil. L. 2, t. 2.--Chop. _de Feud. Andeg. & de
Doman. Franc._ pag. 197.]

(d) _Breve de droit de Garde._ Je parle des _Brefs_, Section 76.


*SECTION 21.*

*Et touts ceux tailes avandits sont spécifiés en le dit statude de
Westm. 2. Auxy sont divers auters estates en le taile, coment que ne
sont spécifiés per expresse parols in ledit estatude, més ils sont
prises per le équitie de ledit statude. Si come terres sont donés a un
home & a ses heires males de son corps engendrés, en tiel case son issue
male inhéritera, & le issue femal ne unques enhérita pas, uncore mesme
les auters tailes avantdits auterment est.*

SECTION 21.--_TRADUCTION._

Tout ce qui a été ci-devant dit des fiefs _à tail_ ou conditionnels, est
tiré du 2e Statut de Westminster. Il y a cependant encore d'autres fiefs
_à tail_ dont ce Statut ne parle pas: par exemple, si un homme prenoit
un fief pour lui & ses enfans mâles, les femelles n'y succéderoient
point; ce qui n'a pas lieu à l'égard des fiefs _à tail_ dont nous avons
précédemment parlé.


*SECTION 22.*

*In mesme le manner est si terres ou tenements soint donés a un home & a
ses heires females de son corps engendrés, en tiel case son issue female
luy inhéritera per force & forme de le dit done, & nemy issue male, pur
ceo que en tiels cases de dones faits en le taile, queux doient
enhériter, & queux nemy la volunt del donor sera observé.*

SECTION 22.--_TRADUCTION._

Il en est de même si le fief est donné à condition que les femelles
héritent, car les mâles ne pourront y succéder, parce qu'en fait de
fiefs conditionnels on ne peut s'écarter de la volonté du vendeur ou du
donateur.


*SECTION 23.*

*Et en le case que terres ou tenements sont donés a un home & a ses
heires males de son corps issuants, & il ad issue deux fits & devy, &
leigné fits entra come heire male & ad issue file, & devy, son frere
avera la terre & nemy la file, pur ceo que le frere est heire male; més
auterment sera en auters tailes queux sont spécifiés en ledit statute.*

SECTION 23.--_TRADUCTION._

Ainsi dans le cas où la condition de succéder est restrainte aux mâles,
si le _tenant a deux fils_, après sa mort son aîné aura la terre; mais
après la mort de cet aîné, son frere préféreroit la fille qu'il auroit.
Ce qu'il ne faut pas étendre aux Fiefs à _tail_, à l'égard desquels la
succession ne seroit pas limitée aux mâles.


*SECTION 24.*

*Auxy si terres soient donés a un home & a les heires males de son corps
engendrés, & il ad issue file quel ad issue fits & devi, & puis après le
donée devi; en cest case le fits de la file ne inhéritera passe per
force de le taile, pur ceo que quecunque que serra inhéritrix per force
dun done en le taile fait as heires males, covient conveyer son discent
tout per les heires males. Més en tiel case le donor poet entrer, pur
ceo que le donée est mort sans issue male en la ley, entaunt que le
issue del file ne poet conveyer a luy mesme le discent per heire male.*

SECTION 24.--_TRADUCTION._

Par une suite de ce qui vient d'être dit, si une terre étant cédée à
un homme pour lui & pour ses enfans mâles, cet homme laisse une fille;
dans le cas où cette fille ayant un garçon décede avant son pere, cet
enfant ne succédera point à son ayeul, après le décès de ce dernier,
parce que l'hérédité ne vient point alors au petit-fils par un mâle. Le
vendeur ou donateur de la terre rentrera donc en possession du fonds au
préjudice du fils de la fille.


*SECTION 25.*

*En mesme le manner est lou tenemens sont donés a un home & a sa feme, &
a les heires males de lour deux corps engendrés, &c.*

SECTION 25.--_TRADUCTION._

On doit raisonner de même, lorsque les fonds sont cédés à un homme & à
une femme, & aux enfans qu'ils auront ensemble.


*SECTION 26.*

*_Item_, si tenements soient donés a un home & a sa feme, & a les heires
del corps del home engendrés, en ceo case le baron ad estate en le taile
général, & la feme forsque estate pur terme de vie.*

SECTION 26.--_TRADUCTION._

Il est d'observation que si les terres sont données à un homme & à une
femme, & aux enfans sortis du mari; celui-ci tient ces terres à _tail_
ou condition générale, & la femme seulement pour sa vie.


*SECTION 27.*

*_Item_, si terres soient donés a le baron & sa feme, & a les heires le
baron, queux il engendra de corps sa feme, en ceo case le baron ad
estate en le taile spécial, & la feme forsque pur terme de vie.*

SECTION 27.--_TRADUCTION._

Si au contraire ces terres sont cédées au mari & à sa femme, & aux
enfans que ce mari aura de cette femme; le mari ne tiendra les terres
qu'à _tail_ ou condition spéciale, & la femme pour sa vie.


*SECTION 28.*

*Et si le done soit fait a le baron & a sa feme, & a les heires la feme
de sa corps per le baron engendrés, donques la feme ad estate en
espécial taile, & le baron forsque pur terme de vie: més si terres sont
dones a le baron & a la feme, & a les heires que le baron engendra de
corps la feme, en ceo case ambideux ont estate en la taile, pur ceo que
cest parol (heires) nest limit a lun pluis que a lauter.*

SECTION 28.--_TRADUCTION._

Si la donation ou cession étoit faite au mari, à sa femme, & aux enfans
qu'elle auroit de lui, la femme, en ce cas, tiendroit par condition
spéciale, & le mari viagérement. Cependant si l'acte portoit que la
cession seroit pour le mari & la femme, & pour les enfans qu'ils
auroient ensemble; en ce cas, l'homme & la femme tiendroient également
_en tail_ ou condition, puisque cette condition les regarderoit
également l'un & l'autre.


*SECTION 29.*

*_Item_, si terre soit doné a un home & a ses heires quil engendra de
corps sa feme, en ceo case le baron ad estate en espécial taile, & la
feme nad riens.*

SECTION 29.--_TRADUCTION._

Si une terre est cédée à un homme & aux enfans qu'il aura de sa femme;
en ce cas, le mari tiendra la terre _en tail_ ou condition spéciale, &
la femme n'y aura rien.


*SECTION 30.*

*_Item_, si home ad issue fits & devie, & terre est doné a le fits & a
les heires de corps son pier engendrés, ceo est bone taile, & uncore le
pier fuit mort al temps de la done; & mults auters estates en taile y
sont per le equitie del dit estatute que icy ne sont spécifiés.*

SECTION 30.--_TRADUCTION._

Si un homme ayant un fils, décede, la cession que l'on feroit à ce fils
d'une terre, tant pour lui que pour les enfans de son pere, auroit son
effet, quoique ce pere fût défunt au temps de cette cession; il y a bien
d'autres dons ou cessions, sous condition dont la validité s'induit
naturellement du Statut; & par cette raison nous nous dispensons de les
spécifier.


*SECTION 31.*

*Més si home done terres ou tenements a un auter, a aver & tener a luy
& a ses heires males ou a ses heires females; il a que tiel done est
fait ad fée simple, _pur ceo que nest my limit per le done_ (a) de quel
corps lissue male ou female issera; & issint ne poit en ascun maner
estre prise par lequitie del dit estatute & pur ceo il ad fée simple.*

SECTION 31.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un donne ou cede une terre à un autre, tant pour lui que
pour ses enfans mâles ou ses enfans femelles, cette cession _est à
Fief simple absolu_, parce qu'elle ne détermine point le sexe auquel
l'hérédité est accordée; ainsi elle n'est point comprise dans l'espece
des cessions énoncées au Statut.

_REMARQUES._

(a) _Pur ceo que nest my limit per le done._

Ceci confirme ce que j'ai avancé sur la Section 8. Lorsque le Fief
simple étoit cédé sans restriction, c'est-à-dire, pour être toujours
tenu par le Vassal _& par ses Hoirs_, les mâles préféroient les filles,
& celles-ci ne succédoient qu'à leur défaut. Mais on limitoit
quelquefois la _succession du Fief simple absolu_[209] ou à la ligne des
mâles ou à celle des filles, & alors l'hérédité se perpétuoit dans la
ligne désignée, jusqu'à ce qu'elle fût éteinte. Au lieu que la
succession du _Fief à tail_ ou conditionnel étoit toujours bornée, soit
aux enfans de tel homme avec telle femme, soit à ceux de toutes les
femmes qu'il auroit, ou aux enfans d'une femme, soit qu'elle les eût
d'un ou de plusieurs maris.

[Note 209: C'est-à-dire, du Fief formé d'un Aleu.]

Cet usage de limiter les successions est plus ancien que les Fiefs. _Les
grands Seigneurs, dès le commencement de la Monarchie, convenoient
souvent dans les Contrats de leur mariage de ce qu'il n'y auroit que les
enfans de ce mariage, ou l'un de ces enfans, qui seroit leur héritier, &
on appelloit cette forme d'accord un mariage contracté selon la Loi
Salique._[210] Plus on approfondit les Loix que les Fiefs ont suivies;
plus on est assuré que si les Fiefs ont fait naître quelques regles
nouvelles pour la disposition des autres biens, ce n'a été que dans des
cas non prévus par les Loix établies pour les Aleux.

[Note 210: Plaid. 38 de le Maître, pag. 743.]



CHAPITRE III.

_TENANT EN TAIL APRÈS POSSIBILITIE D'ISSUE EXTINCT._

[_Spe prolis extinctâ._]


*SECTION 32.*

*Tenant en fée taile après possibilitie dissue extinct, est lou
tenements sont donés a un home & a sa feme en espécial taile, si lun de
eux devy sans issue, celui que survesquit est tenant en taile après
possibilitie dissue extinct. Et sils avoient issue & lun devy, coment
que durant la vie lissue celuy que survesquit ne serra dit tenant en
taile après possibilitie dissue extinct, uncore si lissue devy sans
issue, issint que ne soit ascun issue en vie que poit enhériter per
force de le taile, donque celuy que survesquit de les donées est tenant
en le taile après possibilitie dissue extinct.*

SECTION 32.--_TRADUCTION._

Le tenant _en tail après l'extinction de la ligne_, est celui auquel une
terre a été cédée & à sa femme à taile _spéciale_. Si cet homme ou cette
femme meurt sans enfans, le survivant tient la terre _en tail après
extinction de ligne_; & si cet homme & sa femme avoient un enfant, l'un
d'eux décédant avant cet enfant, on ne pourroit pas dire que le pere
ou la mere fussent _tenant en tail après possibilité d'issue étiente_.
Mais si cet enfant mouroit sans laisser de postérité, vu qu'en ce cas
personne, suivant la condition, ne lui succéderoit, le pere ou la mere
qui lui survivroit, ne tiendroit les terres _qu'après possibilité
d'issue éteinte_.


*SECTION 33.*

*_Item_, si tenements sont donées a un home & a ses heires qu'il
engendra de corps sa feme, en cest cas la feme n'ad rien en les
tenements, & le baron est seisie come donee en special taile, & en ceo
cas si la feme devy sans issue de son corps engendres per son baron,
donques le baron est tenant, en tail apres possibilitie dissue extinct.*

SECTION 33.--_TRADUCTION._

Cette même tenure a encore lieu, lorsqu'un fonds est cédé à un homme
& aux enfans qu'il aura de telle femme; car en ce cas, comme la femme
n'a rien au fonds cédé, & que le mari le tient à _tail_ ou condition
spéciale; si la femme meurt sans donner d'enfans à son mari il ne tient
plus les fonds qu'après possibilité d'issue éteinte.


*SECTION 34.*

*Et _nota_ que nul poit estre tenant en le taile apres possibilitie
dissue extinct, forsque un des donees ou le donee en le special taile.
Car le donee en general taile ne poit estre unques dit tenant en taile
apres possibilitie dissue extinct, pur ceo que en touts temps durant sa
vie, il poit per possibilitie aver issue que poit inheriter per force
de mesme le taile. Et issint en mesme le maner lissue que est heire a
les donees en un special taile, ne poit estre dit tenant en taile apres
possibilitie dissue extinct, _causâ quâ supra._*

Et _nota_ que tenant en taile apres possibilitie dissue extinct ne
serra unques puni _de Wast_, (a) pur lenheritance que fuit un foits en
luy, 10 Henr. 6. 1. mes cestuy en le reversion poit entrer sil alien en
fée. 45. Ed. 3. 22.

SECTION 34.--_TRADUCTION._

Il n'y a que le donataire ou cessionnaire du _fonds à tail spécial_ qui
puisse tenir ce _fonds après toute possibilité éteinte d'avoir des
enfans_. Car tout tenant à tail ou condition générale, peut, tant qu'il
vit, avoir des descendans capables de lui succéder, & par la même
raison, l'enfant d'un donataire _en tail spécial_ ne peut tenir par
_possibilité d'issue éteinte_; il y a toujours pour lui possibilité
d'avoir des successeurs, au lieu que l'enfant d'un donataire en tail
spécial étant décédé sans postérité, le pere ou la mere qui leur survit
n'a plus d'espoir d'avoir des enfans capables de lui succéder, puisque
la condition du Fief est qu'il ne passera qu'aux enfans du même homme
avec la même femme, ou _vice versâ_.

_Nota_. Que celui qui tient un fonds après extinction de ligne capable
d'y succéder, ne pourra être poursuivi pour dégradations; mais s'il
aliene, le Seigneur peut saisir le fonds & y rentrer.

_REMARQUE._

(a) _Wast_, du Latin _devastare_.



CHAPITRE IV.

_DE LA COURTOISIE D'ANGLETERRE._


*SECTION 35.*

*Tenant per la Curtesie de Angleterre est lou home prent feme seisie en
fée simple ou en fée taile general, ou seisie come heire de le taile
special & ad issue per mesme la feme male ou female, oyes ou vife, soit
lissue apres mort ou en vie, si la feme devie, le baron tiendra le terre
durant sa vie per la ley de Angleterre. Et est appel tenant per la
Curtesie de Angleterre, pur ceo que _ceo est use en nul auter realme_,
(a) forsque tantsolement en Angleterre.*

*Et ascuns ont dit, que il ne serra tenant per la Curtesie, sinon que
lenfant quil ad per sa feme soit oye crie, car per le crie est prouve
que le enfant fuit nee vife: _ideo quære._*

SECTION 35.--_TRADUCTION._

Quand un homme prend une femme qui possede des fonds à titre de _fief
simple_, _de taile général_ ou comme héritiere du fief _à taile_ ou
condition spéciale, & qu'il en a un fils ou une fille, si la femme
meurt avant ou après l'enfant, pourvu qu'il ait vécu & qu'on l'ait
seulement _entendu crier_, cet homme jouira viagérement de la terre par
la Courtoisie d'Angleterre. Et on appelle cette tenure, par Courtoisie
Angloise, attendu qu'elle n'a lieu que dans le Royaume d'Angleterre.
Plusieurs ont pensé que le mari ne jouissoit de cet avantage qu'autant
que les cris de l'enfant avoient été entendus, parce que les cris
prouvent qu'il a eu vie; il est cependant permis d'examiner cette
opinion.

_ANCIEN COUTUMIER._

Coutume est en Normandie de piecea que se ung homme a heu femme de qui
il ait eu enfant qui ait été nay vif, ja soit ce qu'il ne vive, mais
toute la terre qu'il tenoit de par sa femme au temps qu'elle mourut luy
remaindra tant comme il se tiendra de se marier.

Et se l'ennie qu'il n'eût onques enfant vif de sa femme, soit enquis par
les gens du voisiné où il dit que l'enfant fut nay.

_REMARQUES._

(a) _Ceo est use en nul auter realme_, &c.

Les Anglois ont essayé de ravir aux Normands la gloire de leur avoir
donné des Loix, & plusieurs de nos Ecrivains, séduits par les Loix
Angloises, ont été tentés de croire que le droit de viduité avoit pris
naissance chez eux. Mais le nom de _Courtoisie_, qui désigne encore à
présent ce droit dans les Coutumes d'Angleterre, décele son origine
Françoise. D'ailleurs les Anglois & les Ecossois ne l'ont connu que
depuis la conquête de Guillaume, puisqu'il n'en est fait aucune mention
dans les Loix qu'ils suivoient avant qu'ils eussent reçu celles de ce
Prince.

Il y a plus, ce droit subsistoit en France dès le septieme siecle. Comme
les hommes étoient alors dans l'usage de doter leurs femmes, les enfans
qu'elles laissoient en mourant, abandonnoient quelquefois l'usufruit de
la dot à leur pere pendant sa vie. C'est ce qui donna lieu à Marculphe,
comme on le voit en la neuvieme Formule de son deuxieme Livre, de
proposer comme un acte de Justice cette pratique qui déjà avoit acquis
ce caractere pour les Allemands, par le deuxieme Capitulaire de
Dagobert,[211] où on lit que si une femme a du patrimoine, & qu'après
son mariage elle mette au monde un enfant, quand même elle décéderoit
dans le moment de l'accouchement, le mari hériteroit de tout le bien,
pourvu que l'enfant eût vécu quelques instans. Cette Coutume pratiquée
d'abord à l'égard des Aleux, s'étendit naturellement dans la suite aux
Fiefs héréditaires. Dès que les femmes furent admises à y succéder ou
capables d'en obtenir, ces femmes furent assujetties à l'hommage envers
leurs Seigneurs; mais outre la prestation de la main, elles devoient
aussi la _bouche_,[212] suivant _la Courtoisie_ Françoise. Or, en se
mariant, leurs époux faisoient l'hommage en leur nom, & comme par-là
elles étoient exemptes de foi & de services, il étoit juste que les
maris eussent, par retour, quelques droits sur les biens de leurs femmes
décédées. Les Seigneurs admirent donc[213] le droit de viduité
non-seulement quant aux Fiefs héréditaires, mais même quant à ceux qui
n'étoient que viagers, & ce droit retint le nom de _Courtoisie_, qui
avoit toujours caractérisé l'hommage particulier dû par les femmes.

[Note 211: _Si qua mulier quæ hæreditatem paternam habet post nuptum
prægnans peperit filium & in ipsâ horâ mortua fuerit & infans vivus
remanserit aliquanto spatio vel unius horæ hæreditas materna ad patrem
pertineat_, &c. Cap. de Dag. en 630, Tit. 93, Leg. Alemann.]

[Note 212: Loisel, L. 4, Tit. 3, Sect. 10, Institut. Coutum.]

[Note 213: Les Seigneurs eurent encore un autre motif pour accorder le
droit de viduité. Il étoit rare que les enfans au temps du décès de
leurs meres, fuissent en état de s'acquitter des services des fiefs
qu'ils avoient possédés.]

Littleton ne contredit pas ce que j'avance, en observant que la
_Courtoisie_ n'étoit en usage que dans le Royaume d'Angleterre; parce
qu'en effet, lorsqu'elle y fut introduite par le Conquérant, on ne la
connoissoit ni en Irlande ni en Ecosse. Au reste, eût-il commis l'erreur
de penser que cette coutume étoit née dans sa patrie, elle seroit moins
grossiere que celle d'un Auteur François,[214] qui, tout récemment, a
prétendu que la _Courtoisie d'Angleterre_, s'entendoit du privilége qu'a
en ce Royaume la veuve d'un homme de condition de conserver sa qualité
après s'être remariée avec un homme d'un rang inférieur.

[Note 214: Etat abregé des Loix, Revenus, Usages, Productions de la
Grande-Bretagne.]



CHAPITRE V.

_DE DOUAIRE._


*SECTION 36.*

*Tenant en dower est lou home est seisie de certaines terres ou
tenements en fée simple, taile general, ou come heire de le taile
special, & prent feme & devie; la feme apres le decesse de la baron
_sera en dow de la tierce part_ (a) de tiels terres & tenements que
fueront a sa baron, en ascun temps durant le coverture a aver & tener a
mesme la feme en severaltie per metes & bounds pur terme de sa vie,
lequel el avoit issue per sa baron ou nemy, & dequel age que la feme
soit, issint que _el passe l'age de neuf ans_ al temps de la mort de sa
baron, car il _covient que el soit passe lage de neuf ans_ (b) al temps
del mort sa baron, ou auterment el ne serra my en dow.*

SECTION 36.--_TRADUCTION._

Tenure en douaire a lieu lorsqu'un homme, saisi d'un fief simple ou _à
tail_ général, ou comme héritier d'un fief _de tail_ spécial, épouse une
femme & la prédécede; car cette femme a en douaire le tiers de tous les
biens de son mari, pourvu qu'il les ait acquis ou possédés constant son
mariage. Cette femme n'en jouit cependant que durant sa vie, soit
qu'elle ait ou non des enfans, pourvu qu'elle ait passé l'âge de neuf
ans au temps du décès de son mari: avant cet âge elle ne peut, en effet,
exiger le douaire. Ce douaire se prend par la femme sur chaque espece de
biens en particulier par mesure.

_ANCIEN COUTUMIER._

Coutume est que la femme qui a son mari mort ait la tierce partie du
fief au temps qu'il l'épousa, Chap. 11.

Se l'homme meurt après ce qu'il a pris femme, ains qu'ils n'ayent
couché ensemble en un lict, la femme n'aura point de douaire, car au
coucher ensemble gagne femme son douaire, chap. 101.

_REMARQUES._

(a) _Elle sera en dovv de la tierce part._

Dans le Domesday. _Dos_, _maritagium_, dot, mariage sont pris
indifféremment pour Douaire.

Chez les anciens peuples des Gaules ou de l'Allemagne, c'étoit le mari
qui dotoit sa femme,[215] & tous les Auteurs Anglois qui parlent du
Douaire lui donnent le nom de dot.[216]

[Note 215: _Dotem non uxor marito, sed maritus uxori adfert._ Tacit. _de
morib. German._]

[Note 216: _Et hoc propriè dicitur dos mulieris secundùm consuetudinem
Anglicanam._ Lib. Rub. c. 75.]

Aucune Loi n'avoit fixé le douaire ou la dot chez les premiers François;
sa quotité dépendoit des conventions faites lors du mariage.[217] Il
paroît cependant que jusqu'à Philippe le Bel, le douaire avoit plus
communément consisté au tiers des propres du mari.[218] Notre Texte,
quant aux propres, conserve l'ancien usage, & à l'égard des acquêts, il
suit la disposition de la Loi Ripuaire,[219] qui accordoit de même un
tiers sur cette espece de biens. Il n'y avoit d'exceptions à ces droits
de la femme, que dans le cas où en la succession du mari, il se trouvoit
des Fiefs de dignité, des Offices: car le service dont ces Fiefs étoient
chargés, ou qui constituoit ces Offices étoit personnel, & le rang, les
priviléges résultans de ce service étoient indivisibles; la femme ne
pouvoit donc y prendre douaire. Ce droit avoit pour but de faire
subsister honorablement la femme, de la rendre plus attentive à
l'éducation de ses enfans, & par cette raison, il étoit borné au domaine
utile, _aux terres ou tenements_.

[Note 217: Loisel, Institut. Coutum. Tit. 3, n'o. 1.]

[Note 218: Louet, Lettre D, n'o. 1.]

[Note 219: _Lex Ripuar._ Tit. 39 _de Dot. mulier._]

Si cependant le bien du mari consistoit en un droit de Pêche, en la
garde d'un Château qui produisît quelques fruits ou revenus qu'on ne
pouvoit démembrer,[220] on indemnisoit alors la femme de la part qu'elle
ne pouvoit obtenir en essence sur ces sortes d'inféodations.[221]

[Note 220: _Non debent mulieribus assignare in dotem castra quæ fuerunt
virorum suorum & quæ de guerra existant vel etiam homagia._ Patent.
d'Edouard I.]

[Note 221: _De nullo quod est sua natura indivisibile nullam partem
habebit, sed satisfaciat ei ad valentiam._ Coke.]

(b) _Il covient quel soit passe lage de neuf ans._

Ceux qui ont pensé que ce douaire étoit le prix de la virginité,
donnent une raison[222] de ce qu'avant neuf ans les femmes n'avoient
point de douaire; mais cette raison cesse d'en être une, lorsque l'on
considere que le seul consentement des parties à se prendre pour époux,
forme l'essence du mariage; car selon cette maxime, si la femme méritoit
quelque récompense, c'étoit plutôt au consentement qu'elle donnoit à son
union, qu'à ce qui n'y étoit qu'accessoire, qu'il falloit l'attribuer.

[Note 222: _Quia junior non potest virum sustinere neque dotem
promereri._ Ibid, Sect. 36.]

Aussi Littleton accorde-t-il le douaire à la femme, _de quel âge qu'elle
soit_ au-dessus de neuf ans, & il n'en prive pas les veuves remariées.
Il faut donc rechercher un autre motif que celui que les Auteurs Anglois
donnent au refus que la Loi fait aux femmes du douaire, lorsqu'elles
n'ont point atteint _l'âge de neuf ans_; & on découvre ce motif dans ce
qui se pratiquoit anciennement en France.

Les filles y pouvoient agréer dès sept ans l'époux que leur famille leur
destinoit;[223] leur choix cependant pouvoit être rétracté jusqu'à ce
qu'elles eussent atteint l'âge de puberté. Avant cet âge on ne les
considéroit donc pas comme liées irrévocablement à leur affidé, &
conséquemment le douaire promis, en vue d'une alliance indissoluble, ne
leur étoit dû qu'après que cette alliance avoit acquis ce caractere.
S'il en eût été autrement, un pere de plusieurs filles auroit beaucoup
profité en les promettant dès l'âge le plus tendre; car en conservant la
liberté de résoudre leurs promesses, elles auroient pu acquérir le tiers
des biens de plusieurs époux.

[Note 223: Fevret, Traité de l'Abus, L. 5, c. 1, pag. 442.--Arret
138 de Montholon.--Vanespen, part. 2, Tit. 12. _De sponsalibus &
Matrimon._ pag. 485 & 487. _Impuberum sponsalia valida sunt & ad eorum
validitatem sufficit ætas septem annorum imo & minor si malitia suppleat
ætatem._--M. de Montesquieu a cru cette Coutume particuliere aux
Anglois. Espr. des Loix. L. 26, c. 3.]


*SECTION 37.*

*Et _nota_ que per le common ley la feme navera pur sa dower forsque la
tierce part des tenements que fueront a sa baron durant les epousels;
mes _per custome dascun pais el avera le moitie_, (a) & per le custome
en ascun ville & burgh el avera lentiertie & en touts tiels cases el
sera dit tenant en dower.*

SECTION 37.--_TRADUCTION._

Et remarquez que suivant la commune Loi, la femme n'a que le tiers en
douaire des biens possédés par son mari constant le mariage; mais par la
Coutume particuliere de certains cantons, elle y a moitié, & même en
quelques Villes & Bourgs la totalité lui appartient.

_ANCIEN COUTUMIER._

L'en doit savoir que femme ne peut avoir douaire ne partie en conquêt
que son mari ait fait puisqu'il l'épousa, fors en bourgage où elle aura
moitié, mais de douaire elle n'aura point. C. 31 & 101.

_REMARQUES._

(a) _Per custome dascuns pays el avera moitie._

Littleton appelle _Douaire_ ce que l'ancien Coutumier
nomme _Conquêt_ en
Bourgage, & en cela il est plus conforme que le Coutumier à la Loi
Ripuaire.

Cette Loi fixoit, à la vérité, au tiers la part de la femme dans les
acquisitions; mais elle ajoutoit que ce qui lui avoit été donné pour
présent de nôces, lui appartenoit en intégrité.[224] Ainsi le mari,
outre le tiers de ses propres, pouvoit encore accorder à sa femme, en
_dot_ ou douaire, tels avantages qu'il lui plaisoit sur ses meubles, &
on considéroit comme meubles les acquisitions en Bourgage.[225]

[Note 224: Leg. Rip. tit. _de Dot. Mulier._ _Vel quid quid ei (uxori) in
morgangeba traditum fuerat similiter faciat_, &c. La Loi des Allemands
fixe le présent de nôces, tit. 57, art. 3, à la valeur de douze sols;
celle des Lombards, tit. 4, à la quatrieme partie du mobilier. Le
_Morgangeba_ est le Paraphernal Normand.]

[Note 225: _De tenure par bourgage_, dit l'ancien Coutumier, _doit l'en
savoir qu'elles peuvent être vendues & acheptées comme meubles_. c. 31.]

La possession des fonds qu'on y acquéroit, n'attribuoit que des
priviléges également utiles à la femme & au mari, tels que des facilités
pour le commerce, qui, presque toujours étoit conduit par les femmes. Il
convenoit donc que le mari fît plutôt quelques dons en propriété sur
cette espece de bien, que de disposer à ce titre d'une portion de ses
Aleux ou de ses Fiefs. Par là, d'ailleurs, en conservant son patrimoine,
ou des possessions honorables à sa famille, il excitoit sa femme à
redoubler ses soins pour augmenter son mobilier. C'est par les mêmes
principes que l'ancien Coutumier ne donnoit rien à la femme sur les
biens du mari, acquis & situés hors Bourgage, parce que ces biens
étoient soumis à des Seigneurs & sujets à des services; & les
Réformateurs du Coutumier Normand, conduits par le même esprit, n'ont
accordé aux femmes, sur ces fonds, qu'un tiers ou moitié en usufruit.


*SECTION 38.*

*Auxy sont deux auters manners de dower, (a) cest ascavoir dower que
est appelle dowment, _ad ostium Ecclesiæ_, & dower appelle dowment, _ex
assensu patris._*

SECTION 38.--_TRADUCTION._

Il y a encore deux autres especes de douaire; l'un appellé douaire _ad
ostium Ecclesiæ_; l'autre appellé douaire _ex assensu patris_.


*SECTION 39.*

*Dowment, _ad ostium Ecclesiæ_, est lou home de plein age seisie en fée
simple que sera espouse a un feme quant il vient _al huis del
Monasterie_ (b) ou dEsglise destre espouse & la apres affiance enter eux
fait, il endowe la feme de sa entier terre ou de la moitie, ou dauter
meindre parcel, & la overtement declare le quantitie & la certainty de
la terre que el avera pur sa dower, en ceo case la feme apres le mort le
baron, poit entrer en ledit quantitie de terre dont le baron luy endowa
sans auter assignement de nulluy.*

SECTION 39.--_TRADUCTION._

Le douaire _ad ostium Ecclesiæ_ a lieu lorsqu'un homme vient à la porte
de l'Eglise pour épouser une femme, & qu'après les fiançailles il promet
à sa femme en douaire tout, moitié ou une moindre partie de ses biens,
en désignant publiquement la quotité qu'il donne; car en vertu de ce don
ou promesse, la femme, après la mort de son mari, entre de droit dans la
portion des fonds que son mari lui a assignée.

_ANCIEN COUTUMIER._

Moins que le tiers peut avoir la femme en douaire selon les convenances
des épousailles, car se la femme octroyast & consentist ès épousailles
quelle fût douée _de chastel, meubles_ ou d'une piece de terre qui fût
nommée, ce lui doit suffire après la mort de son mari.

_REMARQUES._

(a) _Auxy sont deux auters manners de dovver._

Trois especes de douaires: 1re. Selon la commune Loi; 2e. _Ad ostium
Ecclesiæ_; 3e. _Ex assensu patris_.

On a vu dans les Sections précédentes que le douaire de la premiere
espece ne pouvoit excéder le tiers, si ce n'étoit en quelques Bourgs ou
Villes, & que pour obtenir ce douaire, il n'étoit pas besoin de
convention, mais seulement que la femme eût atteint sa neuvieme année.
Il en étoit autrement du douaire que le mari fixoit à sa femme après
_l'Affiance_ ou les _Fiançailles_. Ce douaire _conventionnel_ ou préfix
pouvoit être de tout ou partie des biens dont le mari étoit actuellement
propriétaire, & il n'avoit lieu que dans le cas où les fiançailles
avoient été suivies du mariage, _quand lhome vient destre espouse_, dit
le Texte: ce qui fait voir que ce douaire n'étoit gagé que par un affidé
majeur, ou réputé tel,[226] à son affidée nubile.

[Note 226: _Voyez_ Sect. 47.]

Aussi la Loi n'admet aucunes circonstances où la femme puisse être
privée de ce douaire, à la différence de celui de la commune Loi, qui
cessoit d'être exigible quand le mari étoit décédé avant que sa femme
eût acquis ses ans de puberté.

(b) _A lhuis del Monasterie_, &c.

Les mariages clandestins ont, de tout temps, été réprouvés; leur nullité
entraînoit celle des promesses dont ils avoient été suivis.[227] Il y en
a un Capitulaire exprès parmi ceux de Charlemagne.[228]

[Note 227: _Non enim constitutio hæc valet facta in lecto mortali, vel
in camerâ, vel alibi ubi clandestina fuere conjugia._ Bracton. L. 2, c.
18.]

[Note 228: _Capitul. Carol. Magn._ L. 6, c. 131.]


*SECTION 40.*

*Dowment _ex assensu patris_, est lou le pier est saisie de tenements en
fée, & son fits heire apparent, quant il est espouse, endowe sa feme al
huis del monasterie ou del Eglise, de parcel de terres ou tenements son
pier, de assent son pier, & assigne la quantitie & les parcels. En ceo
case apres le mort le fits la feme entera en mesme le parcell sauns
auter assignement de nulluy. Mes il ad este dit en cest case que il
_covient a la feme daver un fait de le pier_ (a) prouvant son assent &
consent de cel endowment. M. 44, E. 3, fol. 45.*

SECTION 40.--_TRADUCTION._

Le douaire _ex assensu patris_, est celui qu'un fils accorde à sa femme
sur les biens de son pere auxquels il doit succéder, le fils en ayant
déterminé la valeur du consentement de son pere, sa femme jouit après sa
mort de la portion de bien qui lui a été assignée sans aucune formalité
judiciaire; mais il faut observer que la femme doit à cet effet avoir un
Acte en bonne forme qui constate le consentement du pere, suivant l'Edit
d'Edouard III, fol. 45.

_ANCIEN COUTUMIER._

Et se le mary n'étoit de rien saisy quand il épousa & que son pere ou
son aël tenoit encore le fief, s'ils furent présens au mariage ou le
pourchasserent ou consentirent, la femme aura après la mort de son mary
le tiers du fief que le pere ou aël son mary tenoit en temps que le
mariage fut fait, s'ils n'avoient autres hoirs; & s'ils avoient autres,
elle aura son douaire de la partie qui succéderoit à son mary s'il
vivoit. Se le pere ou l'aël ne s'accorderent pas au mariage, ains le
blasmerent, elle n'emportera après la mort de son mary point de douaire,
& enquête doit estre faite de la saisine que le pere ou l'aël au mary de
la femme avoit au temps des épousailles, & s'ils furent au mariage ou le
pourchasserent en ce record, ne peuvent estre saonés[229] les parents ne
les amis. C. 101.

[Note 229: Reprochés.]

_REMARQUES._

(a) _Il covient daver un fait de le pier._

Lorsque le Roi Guillaume donna cette Loi, l'usage de l'écriture étoit
rare, ce qui occasionnoit bien des contestations sur la portion de
l'héritage que la femme devoit avoir dans les biens de son beau-pere.
Mais Edouard III les fit cesser, en ordonnant que le douaire ne
s'étendroit sur les biens du pere de l'époux, que lorsqu'il seroit
littéralement prouvé. Avant cette Ordonnance, on constatoit, en
Angleterre, la promesse du douaire _ex assensu patris_ par le record.
Coke[230] assure avoir vu différentes Formules de ce record[231] dans
les anciens Livres de Jurisprudence de son pays.

[Note 230: Sect. 40, au mot _un fait_. _And this is the ancient
diversitie_, &c.]

[Note 231: _Voyez_ Sect. 48, & ce qui est dit du Record, Sect. 175.]


*SECTION 41.*

*Et si apres la mort le baron el enter & agree a ascun tiel dower de les
dits dowers, _ad ostium Ecclesiæ_, &c. donque el est conclude de claimer
ascun auter dower per le common ley dascuns terres ou tenements que
fuerent a sa dit baron. Mes si el voit, el poit refuser tiel dower _ad
ostium Ecclesiæ_, &c. & donques el poet estre en dow, solonque le cours
del common ley.*

SECTION 41.--_TRADUCTION._

Et si après le décès de son mari la femme opte son douaire, _ad ostium
Ecclesiæ_, ou _ex assensu patris_, elle ne peut plus demander son
douaire _de la commune Loi_; mais elle peut s'en tenir au douaire de la
commune Loi & refuser les autres douaires.


*SECTION 42.*

*Et _nota_ que nul feme serra endow _ex assensu patris_, en la forme
avantdit, mes lou sa baron est fits & heire apparent a son pier. _Quære_
(a) de ceux deux cases de dowment _ad ostium Ecclesiæ_, &c. si la feme
al temps del mort sa baron ne passe lage de neuf ans, si el avera dower
ou non.*

SECTION 42.--_TRADUCTION._

La femme n'aura douaire sur les biens du pere de son mari qu'aux
conditions ci-dessus. Mais c'est une question de sçavoir si la femme
aura douaire _ad ostium Ecclesiæ_ & _ex assensu patris_, si elle n'a pas
encore neuf ans lors du décès de son mari.

_REMARQUES._

(a) Quære _de ceux deux cases_.

Le douaire, selon _la commune Loi_, excluoit le douaire préfix, ou _ad
ostium Ecclesiæ_. Mais on pouvoit renoncer à celui-ci, & s'en tenir à
l'autre. Au contraire, le douaire fait _ad ostium Ecclesiæ_ par le fils,
concouroit avec celui _ex assensu patris_. Il ne reste qu'une difficulté
que Littleton ne décide point. Le douaire conventionnel étoit, dit-il,
accordé à la femme avant l'âge de neuf ans: par la Section 39, le mari
devoit être de _plein âge_ pour promettre ce douaire. On peut donc
assurer que la Loi qui exigeoit que le mari ne pût se dédire de sa
promesse, n'entendoit pas qu'elle fût faite à une femme qui auroit été
dans un âge dont elle auroit pu prendre prétexte pour renoncer à
l'alliance qu'elle avoit contractée.[232]

[Note 232: _Voyez_ Sect. 47.]

Au reste, le doute de Littleton prouve combien il craint d'ajouter à la
Loi. Il la propose telle qu'elle est, & s'arrête où elle n'a pas cru
devoir s'expliquer; à moins qu'il ne soit guidé, dans l'interprétation
qui lui est nécessaire, par quelqu'autorité qui en ait fixé le sens
irrévocablement.


*SECTION 43.*

*Et _nota_ que en touts cases lou le certaintie appiert queux terres ou
tenements feme avera pur sa dower, la le feme poit entrer apres la mort
sa baron sans assignement de nulluy. Mes lou le certaintie ne appiert,
si come destre en dow de la tierce part daver en severaltie, ou del
moytie solonque le custome de tener en severaltie, en tiels cases il
covient que sa dower soit a luy assigne apres le mort del baron, _pur
ceo que non constant_ (a) devant assignement quel part des terres ou
tenements el avera pur sa dower.*

SECTION 43.--_TRADUCTION._

Dans tous les cas où la quotité du douaire est constante, la veuve entre
de droit sur les fonds qui lui ont été désignés. Mais lorsque rien ne
constate si c'est le tiers, le tout ou la moitié, ni sur quelle partie
des terres le douaire doit être levé, alors la femme doit faire liquider
son douaire avant de se mettre en possession.

_REMARQUES._

(a) _Pur ceo que non constant_, &c.

Le douaire n'est encore accordé en Normandie que du jour de la demande,
s'il n'est autrement convenu par le contrat.


*SECTION 44.*

*Mes si soient deux jointenants de certaine terre en fée, & lun allien
ceo que a luy affiert a un auter en fée, que prent feme & puis devie;
en ceo cas la feme pur sa dower avera la tierce part de la moytie que sa
baron ad purchase, a tener en common (come sa part amountera) ovesque
lheire sa baron & ovesque lauter joyntenant que ne aliena pas, pur ceo
que en tiel cas sa dower ne poit estre assigne per metes & bounds.*

SECTION 44.--_TRADUCTION._

Si deux hommes tenans conjointement un Fief, l'un d'eux cede à un autre
sa part en cette tenure; après la mort du cessionnaire sa femme n'aura
pour douaire que le tiers de la moitié du Fief qu'il a acquis, & _elle
tiendra_ cette moitié en _commun_ avec l'héritier de son mari, & avec
celui qui tenoit conjointement avec le vendeur. Et la raison de ceci se
tire de ce que le douaire, en ce cas, n'a pour objet aucune portion de
terre dont la mesure ou la situation soit déterminée.


*SECTION 45.*

*Et est ascavoir que la feme ne sera my endow de terres ou tenements que
sa baron tient joyntment ovesque un auter a temps de son morant: _mes
lou il tient en common_, (a) auterment est, come en le case prochein
avantdit.*

SECTION 45.--_TRADUCTION._

Si le mari en mourant n'a point aliéné sa part au Fief qu'il tenoit
conjointement avec un autre, la femme n'aura point de douaire; il en
seroit autrement si la tenure étoit une tenure en commun.

_REMARQUES._

(a) _Mes lou il tient en common_, &c.

Ceci est fondé sur la différence qu'il y avoit entre tenir conjointement
& tenir en commun.

Les tenans conjointement, ou _jointenans_, possédoient au même titre un
Fief pour leur vie ou pour le temps de la vie de l'un d'entr'eux,[233] &
les survivans succédoient aux décédés au préjudice de leurs héritiers.

[Note 233: Sect. 277 & 280.]

Les tenans en _commun_, possédoient au contraire, à des titres
particuliers, une portion du Fief _tenu conjointement_. Si un des
_jointenans_ aliénoit son droit, l'acquéreur ou cessionnaire devenoit
tenant en commun,[234] avec les _jointenans_ qui n'avoient pas aliéné,
parce qu'il ne possédoit pas sa part du Fief au même titre qu'eux.

[Note 234: Sect. 292.]

Aussi la femme du _jointenant_ ne pouvoit avoir douaire sur sa part au
Fief, & cette part, après le décès de ce dernier, retournoit à ceux qui
tenoient conjointement avec lui; au lieu que la femme de celui qui avoit
acquis d'un _jointenant_, avoit, après la mort de son mari, douaire sur
cette acquisition, jusqu'au temps du décès du vendeur, parce que ce
décès, & non celui de son mari, étoit le terme de la jouissance acquise
par ce dernier.


*SECTION 46.*

*Et est ascavoir que si tenant en le taile endowa sa feme _ad ostium
Ecclesiæ_, (a) come est avantdit, ceo servera pur petit ou rien al feme,
pur ceo que apres la mort sa baron, lissue en le taile puit entrer sur
le possession la feme, & issent puit celuy en le reversion, si ne soit
issue en le taile en vie.*

SECTION 46.--_TRADUCTION._

Un tenant en _taile_ ou sous condition, accorderoit inutilement douaire
à sa femme sur son Fief, parce qu'après le décès du mari, l'héritier
désigné par la condition est seul saisi de droit du Fief, ou à défaut
d'héritier, le Seigneur rentre dans ce Fief.


*SECTION 47.*

*Auxy si home seisie en fée simple esteant deins age endowa sa feme al
huis del Monasterie ou dEglise, & devie, & sa feme enter, en ceo cas la
heire la baron luy puit ouster. Mes auterment est (come il semble) lou
la pier est seisie en fée & le fits deins age endow sa feme _ex assensu
patris_. Le _pier donque estant de pleinage_.*

SECTION 47.--_TRADUCTION._

Si un mineur accorde douaire à sa femme à la porte de l'Eglise, son
héritier peut refuser ce douaire; mais il ne le pourroit, si le pere du
mari avoit consenti ce douaire, car la majorité du pere suppléeroit à la
minorité du fils.

_REMARQUES._

(a) Ceci est une preuve de mes remarques sur les Sections 39 & 40. Le
douaire _ad ostium Ecclesiæ_ étoit irrévocable, parce que le mari, pour
le promettre, devoit être majeur.


*SECTION 48.*

*Auxy il y ad un auter endowment, que est appel dowment de la pluis
beale. Et ceo est come en tiel case que home seisie de quarante acres
de terre & il tient vint acres de lesdits quarante acres de terre dun
per service de chivalerie & les auters vint acres de terre dun auter
en socage, & prent feme & ount issue fits & morust, son fits estant
deins lage de quatorze ans. Et le Seigniour de que la terre est tenus
en chivalrie entre en les vint acres tenus de luy & eux ad come gardein
en _chivalrie_ (a) durant le nonage lenfant, & la mere de lenfant enter
en le remnant, & ceo occupie come gardein en _socage_: (b) si en tiel
case le feme port briefe de dower envers le gardein en chivalrie destre
endow de les tenements tenus per service de chivaler en le court le Roi,
ou en auter court, _le gardein_ (c) en chivalrie puit plede en tiel
case tout cest matter & monstre coment la feme est gardein en socage,
coment devant est dit, & prie que sera adjudge per la court que le feme
luy mesme endowera de _le pluis beale_ de les tenements que el ad come
gardein en socage, solon que le value de le tierce part que el claime
daver de les tenements tenus en chivalrie per _sa briefe de dower_; (d)
& si la feme ceo ne puit de dire, donques le judgement serra fait que le
gardein en chivalrie tiendra les terres tenus de luy durant le nonage
lenfant, quit de la feme, &c.*

SECTION 48.--_TRADUCTION._

Il y a encore une autre Douaire qui se nomme Douaire _de la plus belle_,
& il a lieu dans le cas où un homme a, par exemple, en fief quarante
acres de terre dont vingt acres lui sont inféodés par le service de
Chevalier, & vingt à titre de roture ou de socage; car si cet homme par
son décès laisse un fils qui ait moins de quatorze ans, le Seigneur
entrant, à titre de gardien noble, en jouissance des terres relevantes
de lui par le service de Chevalier, & la mere prenant la garde des
terres roturieres durant la minorité de son fils; si cette femme obtient
un bref de Douaire contre le gardien noble pour avoir son Douaire sur
les terres dont il jouit à ce titre, le gardien noble peut plaider ou
en la Cour du Roi ou dans toute autre Cour en laquelle il sera appellé,
& exposer que le Douaire de la femme peut être levé sur ce qu'elle
possede comme gardienne roturiere, pourquoi il demande que la Cour
autorise cette femme de prendre son Douaire dans les plus beaux ténemens
roturiers jusqu'à concurrence de la valeur du Douaire qu'elle prétend
exercer sur les terres nobles; & si la veuve ne peut nier que la roture
suffit pour lui fournir son Douaire, le Seigneur tiendra comme gardien
noble, durant la minorité, toutes les terres relevantes de lui en
exemption du Douaire.

_REMARQUES._

(a) _Chivalrie._ (b) _Socage._

Voyez Chapitre IV & V du Livre suivant.

(c) _Gardein._

Voyez la Section 50.

(d) _Briefe de dovver._

Outre la voie du record,[235] la femme avoit celle du bref pour obtenir
son douaire; ce qui est conforme à ce qui est dit en l'ancien Coutumier,
Chap. 101. _En deux manieres peut femme demander son douaire ou par
Briefs ou par record._ Voici la forme de ce Bref indiqué dans ce même
Chapitre du Coutumier. _Se M.... te donne plege de suyr sa clameur,
semond le reconnoissant du voisiné qu'il soit aux premieres assises du
Bailliage, à reconnoître, savoir le T.... son mari estoit saisy de une
terre quand il l'espousa, qui est située & assise à.... en telle maniere
qu'il en peut & deub douer, de quoi N.... lui defforce son douaire à
tort; si comme le dit: tiens, dedans la vue de la terre, & soit en
paix._

[Note 235: Sect. 40 & 175.]

Je parle des Brefs en la Remarque sur la Section 76, & sur celle que je
cite en cette même Remarque. Cependant je crois qu'il est à propos de
faire observer ici que le modele du Bref donné par l'ancien Coutumier,
conserve non-seulement pour la forme, mais même pour le fonds, les mêmes
dispositions que celles qui se trouvent dans les Brefs dont les Loix
Angloises font mention. Quant à la forme, on pourra en juger par celle
du Bref de nouvelle Dessaisine, prescrite par Littleton en la Section
234. Au fond, le Bref est adressé au Vicomte ou Bailli, afin que cet
Officier choisisse dans le voisinage des gens en état d'examiner les
lieux, d'attester ou de vérifier les faits; celui qui obtient le Bref
est obligé de donner _plege ou gage_. La situation, l'étendue de la
terre donnée en douaire, y doit être expressément désignée; & l'assise
est seule en droit de connoître de ce Bref.


*SECTION 49.*

*Et _nota_ que apres tiel judgement done, la feme puit prender ses
_vicines_, (a) & en lour presence endower luy mesme per metes & bonds,
de la pluis beale part de les tenements que el ad come _gardein en
socage_, daver & tener a luy pur terme de sa vie, & tiel dovver est
appel Dovver de la pluis beale.*

SECTION 49.--_TRADUCTION._

Après le jugement prononcé sur la question discutée en la maniere qui
est prescrite par la précédente Section, la femme peut prendre un
certain nombre de témoins parmi les voisines des terres sur lesquelles
elle reclame son Douaire, & en leur présence se mettre en possession des
meilleurs fonds ou de la plus belle partie des fonds qu'elle tient comme
gardienne en roture, desquels elle jouira sa vie durante sous le titre
de Douaire _de la plus belle_.

_REMARQUES._

(a) _Ses vicines._

Les femmes qui tenoient de leur chef des Fiefs de même nature que
l'étoit celui du vassal qu'il s'agissoit de juger, assistoient au
jugement comme pairs de ce vassal.[236] Du Haillan en cite plusieurs
exemples, L. 3. Etat des aff. de Fr. p. 61 & 104. Par les _voisines_,
Littleton entend ici les femmes qui avoient des tenures dans l'étendue
de la Seigneurie où étoient situées & d'où relevoient les terres
sujettes au douaire.

[Note 236: Brussel, L. 2, c. 14, pag. 262.]


*SECTION 50.*

*Et _nota_ que tiel dovvment ne puit este, mes lou le judgement est fait
en le court le Roi ou en auter court, &c. _& ceo est pur salvation_ (a)
del estate _del gardein in chivalrie_ (b) durant le nonage le enfant.*

SECTION 50.--_TRADUCTION._

Ce Douaire _de la plus belle_ peut être accordé à la femme en la Cour du
Roi ou en toute autre Cour, & il a été établi pour conserver au Seigneur
les services qui lui sont dûs pendant la minorité de son vassal.

_REMARQUES._

(a) _Et ceo est pur salvation._

La Garde noble étant instituée afin que durant la minorité le service dû
par le Fief ne fût point interrompu,[237] le douaire n'étoit point dû
tant que duroit la jouissance du gardien. Ce douaire auroit détourné une
partie du revenu à un usage auquel il n'étoit pas destiné par
l'inféodation; d'ailleurs le droit de la femme étant postérieur à celui
du Seigneur, pourquoi lui auroit-elle été préférée, sur-tout lorsqu'il y
avoit d'autres biens sur lesquels elle pouvoit exercer ce droit, ou en
obtenir la récompense?

[Note 237: _And the reason of this dower de la pluis beal to be all of
the socage land was for advancement of chivalry for the defence of de
realm._ Coke, Sect. 50.]

(b) _Gardein en chivalrie, & Gardein en socage._

_Il y eut chez les Francs_, selon M. de Montesquieu,[238] _une double
administration: l'une qui regardoit la personne du Roi pupille, &
l'autre qui regardoit le Royaume; & de-là_, ajoute-t-il, _il y eut aussi
dans les Fiefs une différence entre la tutelle & la baillie._ Mais pour
prouver que les Gardiens tuteurs, ou Baillis mineurs possesseurs de
Fiefs, avoient des fonctions dont la _Baillie_ ni la _Régence_ royale
n'ont pu fournir l'idée, il suffit d'examiner quels ont été les
caracteres des fonctions attachées à ces deux Offices sous la premiere
race de nos Rois.

[Note 238: Espr. des Loix, L. 18, c. 27.]

Le Régent gouvernoit l'Etat; il créoit ou supprimoit les impôts.[239]
Son autorité n'étoit bornée que par celle du Maire dans les seules
affaires de la guerre. L'élection du Maire se faisoit par la nation;
mais il ne pouvoit, sans l'approbation de celui ou de celle à qui la
Régence étoit accordée, exercer son emploi.[240]

[Note 239: Mézeray, sous l'an 639.]

[Note 240: _Ibid._, année 741.]

Le _Bail_ du Roi mineur étoit, au contraire, resserré dans les bornes de
son éducation domestique; il n'étoit considéré qu'à la Cour; subordonné
au Régent & au Maire, qui partageoient tout le pouvoir, il n'avoit
aucune influence sur le gouvernement de la Monarchie. Les finances
étoient en la disposition du Régent, les Troupes sous le commandement du
Maire. Former les mœurs du Prince, étoit l'importante fonction du
_Bail_, fonction qui n'avoit d'étendue que celle que le Régent vouloit
bien lui donner.[241]

[Note 241: Wandelinus meurt, & la mere de Childebert réunit à la Régence
les fonctions de Gouverneur de ce Prince, que Wandelinus avoit exercées.
_Greg. Turon._ L. 8, c. 22.]

Le Gardien d'un Fief, auquel des services honorables étoient affectés,
réunissoit en sa personne les différens emplois que le Régent, le Maire
& le _Bail_ des Rois partageoient entr'eux. Il veilloit à l'éducation de
son jeune vassal, il lui substituoit un homme pour faire le service; il
entretenoit les biens, en recueilloit les fruits, & jamais on ne
suppléoit par un _Bail_ aux fonctions du Seigneur durant la garde.[242]

[Note 242: Sect. 124, ci-après.]

Si un Bail ou _Baillive_, comme l'appelle Littleton, étoit donné à un
mineur, ce n'étoit qu'à l'égard des Fiefs dont les services n'étoient
point militaires, & toujours au défaut de parens[243] en état de régir
les biens, & de veiller à la subsistance & à l'instruction du vassal. Ce
_Bail_, à l'égard de ces sortes de Fiefs, étoit comptable comme l'auroit
été le parent qui auroit eu la garde ou la tutelle de ces Fiefs; la
raison de ceci étoit, comme nous le dirons plus loin, que ces Fiefs
provenoient d'Aleux, & que la tutelle de ces Aleux assujettissoit à ce
compte sous les premiers François.

[Note 243: _Ibid_, & Loisel, Institut. Cout. c. de Vourie.]

Les mineurs, propriétaires des Aleux, ne pouvoient d'abord être
poursuivis en jugement qu'après leur majorité, même pour leurs
possessions. Mais on s'apperçut bientôt que cette Loi étoit incompatible
avec les regles que l'institution des Fiefs avoit introduites. En effet,
les peres faisoient ériger leurs Aleux en Fief, & ensuite les cédoient à
leurs fils mineurs; & lorsqu'on les poursuivoit pour l'exécution des
conditions ou des redevances de l'inféodation, ils alléguoient le
privilége de la minorité. Louis le Débonnaire, par son Capitulaire de
829, fit cette distinction entre les biens patrimoniaux & les autres
biens, sans en excepter aucuns:[244] quant à la tutelle que pour
ceux-ci, le pere ou le plus proche parent seroit tenu de répondre aux
actions qui seroient intentées à leur sujet contre les mineurs; qu'à
l'égard des premiers,[245] les actions demeureroient suspendues jusques
à la majorité, comme on l'avoit de tout temps pratiqué.[246]

[Note 244: _Exceptâ suâ legitimâ hereditate_, &c. Capitul. 829. Baluse,
1 vol. pag. 670, addit. 4. _ibid_, c. 119.]

[Note 245: Les Fiefs y étoient compris, puisqu'on n'excepte que l'Aleu
échu en ligne directe. Les Fiefs ne portoient pas encore ce nom, ou du
moins ne le voit-on employé en aucuns Actes avant l'Edit de Charles le
Gros en 888.]

[Note 246: Cet usage a continué en Normandie jusqu'au 13e siecle.
_Voyez_ Brussel, L. 3, c. 15, pag. 932, aux notes.]

Les choses étoient en cet état en 877 à l'égard des Fiefs formés d'Aleux
qui étoient tous héréditaires, lorsque les Bénéfices acquirent aussi le
privilége de cette hérédité. Les Bénéfices n'avoient pas eu besoin
jusques-là de regles pour leur administration durant la minorité des
enfans de ceux qui les avoient possédés, puisqu'ils n'avoient pas encore
été successifs.[247] Les Seigneurs pour ne pas s'exposer, quant aux
Fiefs qu'ils démembroient de leurs Bénéfices sous la condition du
service militaire, à la fraude qui s'étoit commise à l'égard des Aleux
devenus Fiefs, s'attribuerent, à l'exemple du Souverain,[248] la tutelle
ou garde des vassaux possesseurs de Fiefs de la premiere espece, en
sorte que tout vassal, obligé par l'inféodation à suivre son Seigneur à
l'armée, cessa d'être sous la tutelle de ses parens, ou sous la Baillie
d'un étranger. Le Seigneur, non-seulement comme le tuteur & le _Bail_
des Fiefs provenus d'Aleux, prit soin de ces Fiefs militaires, mais même
de la personne[249] du mineur auquel ils appartenoient. Il n'y eut
d'exception qu'en faveur du pere à qui les Seigneurs confioient
quelquefois la portion de cette éducation qui étoit indépendante de
l'exercice des armes.[250] La Tutelle ou Baillie à l'égard des Fiefs
auxquels il n'y avoit point de dignités, d'honneurs, d'emplois
militaires attachés, subsista cependant telle qu'elle avoit toujours été
à l'égard des Aleux ou des Fiefs formés d'Aleux. Un tuteur en effet
pouvoit, sans inconvénient pour le Seigneur, recevoir les revenus du
pupille, à la charge de fournir au premier quelques armes, des grains,
des voitures; au lieu que le Seigneur auroit pu être préjudicié, si le
choix de celui qui devoit l'assister au combat en la place du mineur
n'eût pas dépendu de lui, ainsi que la régie des revenus destinés à son
entretien. La garde d'un possesseur de Fief militaire n'a donc pas pu
prendre pour modèle la Régence & la Baillie d'un Roi mineur, puisque
cette garde comprenoit & le soin de la personne & l'administration des
biens; & cette double administration, à l'égard de cette sorte de Fiefs,
n'a jamais été divisée. Elle ne l'a pas plus été à l'égard des mineurs
propriétaires d'Aleux érigés en Fiefs, puisque, comme le démontre la
Section 123, la Baillie ne concouroit pas avec la Tutelle, mais étoit
seulement établie pour y suppléer.

[Note 247: _Et pro hoc nullus irascatur si eumdem comitatum alteri qui
nobis placuerit dederimus quam illi qui eum hactenus prævidit._ Capitul.
Carol. Calv. apud Caris. art. 9, col. 263, 2e vol.]

[Note 248: Ibid, col. 268. _Et præcipimus ut tam Episcopi quam Abbates &
Comites seu etiam cæteri fideles nostri hoc erga homines suos studeant
conservare._]

[Note 249: Fortescue, c. 44. _Si hereditas non in socagio sed teneatur
per servitium militare, tunc per leges terræ illius infans ipse &
hereditas ejus per dominum feodi illius custodientur._]

[Note 250: Sect. 114, ci-après.]


*SECTION 51.*

*Et issint poyes veier cinque manners de dovver, savoir dovver per le
common ley, dovver per le custome, dovver _ad ostium Ecclesiæ_, dovver
_ex assensu patris_, & dovver _de la pluis beale_.*

SECTION 51.--_TRADUCTION._

Ainsi on peut admettre cinq sortes de Douaires, celui de la commune Loi,
le Coutumier, le Douaire _ad ostium Ecclesiæ_ ou _conventionnel_, celui
_ex assensu patris_, & le Douaire _de la plus belle_.


*SECTION 52.*

*Et _memorandum_ que en chescun case lou home prent feme seise de tiel
estate de tenements, &c. issint que lissue que il ad per son feme poit
per possibilitie enhériter mesmes les tenements de tiel estate que la
feme ad come heire al feme, en tiel case apres le mort la feme il avera
mesme les tenements _per le Curtesie de Angleterre_, (a) _& auterment
nemy_.*

SECTION 52.--_TRADUCTION._

En tous les cas où un homme épouse une veuve jouissante de l'un de ces
Douaires, le mari continue après le décès de cette femme d'en jouir dans
le cas seulement où il a acquis sur ses biens le droit de viduité; &
ainsi il peut arriver que l'enfant que cet homme aura de cette femme
douairiere succede aux fonds qu'elle possède à ce titre.

_REMARQUES._

(a) _Per le Curtesie de Angleterre._

Les douaires des femmes avoient été assujettis au droit de viduité dans
le temps où le douaire étant la dot, la femme en étoit propriétaire.
Mais dès que les femmes, au lieu d'être dotées par leurs époux, se sont
elles-mêmes dotées, le douaire ayant été restreint au simple usufruit,
le droit de viduité n'a pu s'étendre sur le douaire qui s'éteignoit par
le décès de celle à qui il étoit dû.


*SECTION 53.*

*Et auxy en chescun case lou le feme prent baron seise de tiel estate
des tenements, &c. Issint que si per possibilitie il puissoit happer que
si le feme avoit ascun issue per sa baron, & que mesme lissue puissoit
per possibilitie enheriter mesme les tenements de tiel estate que le
baron ad, come heire a le baron, de tiels tenements el avera sa dovver
& auterment nemy. Car si tenements sont dones a un home & a ses heires
que il ingendra de corps sa feme, en tiel case la feme nad riens en les
tenements, & le baron ad estate forsque come donee en especial taile;
uncore si le baron devy sans issue, mesme la feme sera endow de mesmes
les tenements, pur ceo que lissue que el per possibilitie puissoit
aver per mesme le baron, puissoit enheriter mesmes les tenements. Mes
si la feme deviast, vivant sa baron, & puis le baron prist auter feme
& morust, sa second feme ne serra my endow en cest case, _causâ quâ
supra_.*

SECTION 53.--_TRADUCTION._

Et en tous les cas où une femme épouse un homme saisi de tenures de
cette espece, comme il peut arriver qu'elle ait de lui un enfant, si cet
enfant hérite de ces tenures, elle peut y reclamer son Douaire, ce qui
n'auroit pas lieu dans le cas où le fief auroit été donné à l'homme &
aux enfans qu'il auroit de sa femme; car alors cette femme n'auroit
point Douaire sur ce fief, parce que le mari ne tiendroit son fief qu'à
tail spécial.

La femme auroit aussi Douaire, dans le cas de l'article précédent, lors
même qu'elle resteroit veuve sans enfans, pourvu qu'elle en eût eu. Ces
enfans en effet auroient hérité du droit de viduité de leur pere après
son décès, & le Douaire de la mere est antérieur à ce droit; mais si la
premiere femme décede du vivant de son mari, la seconde femme qu'il
prendra n'aura pas Douaire sur les biens dont il mourra saisi à droit de
viduité: cette décision résulte évidemment des regles précédentes.


*SECTION 54.*

*_Nota_ si un home soit saisie de certain terres, & prist un feme, &
puis aliena mesme la terre oue garranty, & puis le feoffor & le feoffée
deviont, & le feme de le feoffor port un action de dower envers le issue
le feoffée, & il _vouch lheire_ (a) le feoffor, & pendant le voucher &
nient termine, la feme le feoffée port son action de dower envers le
heire le feoffée, & demaunda la tierce part de ceo deque sa baron fuit
seisie, & ne voile demander le tierce part del eux deux parts de que sa
baron fuit seisie, fuit adjudge, que el navera judgement tantque lauter
plee fuit determine.*

SECTION 54.--_TRADUCTION._

Si un homme saisi d'un fief prend une femme & aliene la terre avec
garantie: s'il arrive que son mari & l'acquéreur décedent, cette femme
du vendeur peut intenter action pour son Douaire contre l'enfant de
l'acquéreur; mais alors si cet acquéreur agit en recours contre l'enfant
du vendeur, tant que l'action en recours ou en garantie restera
indécise, la femme ne pourra obtenir la délivrance de son Douaire du
fils de l'acquéreur. Il en seroit autrement, si elle eût formé sa
demande tant contre le fils de l'acquéreur que contre son propre fils
héritier du vendeur.

_REMARQUES._

(a) _Et il vouch lheire._

_Voucher_, _vocare_, appeller en garantie. Voyez le Chapitre de
Warantie, Sect. 697 & suivantes.


*SECTION 55.*

*Et _nota_ que _Vavisour_ dit, que si un home soit seisie de terre &
fait _felonie_, (a) & puis alien, & puis est attaint, la feme avera bone
action de dower envers le feoffée: mes si soit eschete al Roy, ou al
Seignior, el navera Bref de dower, _& sic vide diversitatem & quære inde
Legem_.*

SECTION 55.--_TRADUCTION._

_Nota_. Que Vavisour dit que si un homme de fief commet un crime
capital, & qu'après l'avoir commis il aliene le fief, la femme aura
action de Douaire contre l'acquéreur; mais que si le Roi ou le Seigneur
a confisqué avant l'aliénation, elle sera privée de son Douaire. A cet
égard il est bon de rechercher quel est l'esprit de la Loi.

_REMARQUES._

(a) _Felonie. Crimen felleo animo perpetratum._[251]

Selon le Jurisconsulte cité par Littleton, si un coupable d'un crime qui
emportoit la confiscation des biens, avoit vendu sa terre avant d'être
condamné, sa femme pouvoit revendiquer son douaire contre l'acquereur;
mais cette opinion n'est fondée sur aucune disposition précise de la
Loi Angloise, aussi n'a-t-elle jamais été suivie.[252] Les enfans,
comme on le verra dans la suite, étoient privés de tous droits sur les
biens de leurs peres homicides; pourquoi la femme y auroit-elle pris un
douaire? Ce droit de douaire étoit-il plus favorable que la légitime? ou
plutôt le droit du Seigneur n'étoit-il pas le premier affecté sur le
fonds? La _réversion_, dans le cas où un vassal seroit traître au Roi,
ou infidèle à ses engagemens, n'étoit elle pas une condition sans
laquelle le Seigneur n'auroit point inféodé? C'est d'après ces principes
que Britton[253] décide que _feme de felons ne tiengdra nul dovver de
tenemens que leur fuit assigné par ceux Barons_. Et Littleton, loin de
condamner cette décision, se contente d'indiquer celui qui l'a
contredite, & d'engager à scruter la Loi en elle-même, afin qu'on
n'adopte que le sentiment qui se trouvera le plus conforme à ses
dispositions.

[Note 251: _Voyez_ Sect. 745.]

[Note 252: _This is also of the new addition, & explosa est hæc opinio._
Coke, Sect. 55.]

[Note 253: Britton, c. 5. de l'Homicid. fol. 15.]



CHAPITRE VI.

_TENURE A TERME DE VIE._


*SECTION 56.*

*Tenant pur terme de vie est lou home lessa terres ou tenements a un
auter pur terme de vie le lessee, ou pur terme de vie dun auter home; en
tiel case le lessee est _tenant a terme de vie_. (a) Mes per common
parlance celuy que tient pur terme de sa vie demesne, est appel tenant
pur terme de sa vie, & cestuy que tient pur terme dauter vie est appel
tenant pur terme dauter vie.*

SECTION 56.--_TRADUCTION._

Celui qui tient pour le terme de vie peut exercer cette qualité en deux
manieres, en tenant ou pour le terme de sa propre vie, ou pour le terme
de la vie d'un autre.


*SECTION 57.*

*Et en ascavoir que il y ad le feoffor & le feoffée, le donor & le
donée, le lessor & le lessée. Le feoffor est properment lou home en
feoffa un auter en ascuns terres ou tenements en fée simple, celuy que
fist le feoffment est appel feoffour, & celuy a que le feoffment est
fait est appel feoffée; & le donour est properment lou un home done
certaines terres ou tenements a un auter en le taile. Celuy que fit le
done est appel le donor, & celuy a que le done est fait est appel le
donee; & le lessor est properment lou un home lessa a un auter terres
ou tements pur terme de vie ou pur terme des ans ou a tener a volunt.
Celuy que fist le leas est appel lessor, & celuy a que le leas est fait
est appel lessee. Et chescun que ad estate en ascun terres ou tenements
pur terme de sa vie ou pur terme dauter vie est appel tenant de
franktenement, & nul auter de meindre estate poit aver frank tenement,
mes ceux de greinder estate ont franktenement; car cestuy en fée simple
ad frank tenement, & celuy en le taile ad franktenement, &c.*

SECTION 57.--_TRADUCTION._

Il est essentiel de distinguer dans la Loi le _fieffeur_ & le
_fieffataire_, le _donateur_ & le _donataire_, le cé_dant_ & le
_cessionnaire_. Le _fieffeur_ est proprement celui qui donne à fief
simple un fonds, & le _fieffataire_ celui qui accepte l'inféodation;
le _donateur_ est celui qui donne, & le _donataire_ celui qui reçoit à
tail, c'est-à-dire, sous condition; le _cédant_ ou _lesseur_ est celui
qui cede, & le _cessionnaire_ celui qui accepte la cession d'un tenement
ou à la volonté du cédant ou pour le terme de sa vie, ou pour plusieurs
années. Tout tenant pour terme de sa vie ou de la vie d'un autre, est
appellé tenant de franc tenement; cela n'empêche pas que les tenemens
en tail & en fiefs simples ne soient aussi _francs tenemens_, mais d'un
ordre supérieur.

_REMARQUES._

(a) _Tenant a terme de vie._

L'homme qui avoit soumis son Aleu à un Seigneur, pouvoit en disposer à
son gré;[254] il n'étoit tenu d'en conserver en sa main qu'une portion
suffisante pour assurer le service dont cet Aleu, devenu Fief, avoit
été chargé.[255] Il n'en étoit pas de même de ceux en faveur desquels
le Seigneur avoit démembré une partie de son domaine; ils ne pouvoient
en aliéner rien sans son consentement. Mais comme les Seigneurs étoient
forcés de suivre le Prince à la guerre, & que les arrieres-vassaux se
trouvoient dans la même nécessité à l'égard de ceux qui leur avoient
sous-inféodé, les possessions particulieres des vassaux se trouvoient
sans défense contre les incursions des ennemis, lorsque ceux ci
pénétroient dans l'intérieur des Provinces: c'est ce qui engagea les
vassaux à donner à Fief, pendant leur vie, ou la vie du donataire, ou
seulement tant que la guerre dureroit, la portion du Fief qu'ils étoient
obligés de conserver en leur main; par là, les suzerains ne pouvoient
prétendre qu'ils avoient aliéné cette portion, & les vassaux trouvoient,
indépendamment du service dont leurs arrieres vassaux s'acquittoient
envers eux, & de celui dont eux-mêmes s'acquittoient personnellement
envers leurs Seigneurs, le moyen de préserver leurs fonds du pillage,
& des autres violences que l'ennemi pouvoit y commettre pendant leur
éloignement. Cette tenure, que les vassaux accordoient à temps dans ces
sortes de circonstances, ne fut pas établie d'abord sous le titre _de
Fief_; car ce nom ne désigna plus, après l'établissement de l'hérédité
des Bénéfices, que le Fief simple, c'est à-dire, celui qui étoit absolu,
ou auquel, quoique conditionnel, on succédoit à perpétuité. Les cessions
viageres d'un fonds ne prirent même en France ce nom de Fief que dans le
douzieme ou treizieme siecle. Nos Rois en ce temps l'attribuerent à de
simples _rentes_, ou à des _pensions_ qu'ils assignerent sur leur trésor
à des étrangers qui se reconnurent leurs vassaux; & les assisterent
dans les crises violentes[256] où se trouvoit alors le Royaume. Aussi
dans le Livre des Fiefs, est-il parlé des Fiefs auxquels les enfans ne
succedent point, comme d'un établissement peu conforme à la raison, mais
que l'usage du temps, auquel ce Livre fut écrit, autorisoit; ce qui
prouve que cet usage étoit encore récent[257] dans le douzieme siecle.
Si l'on confond les Bénéfices avec les Fiefs, comme le font Brussel
& M. de Montesquieu, il n'est pas possible de comprendre comment les
Auteurs du Livre des Fiefs auroient appellé déraisonnable une condition
qui n'auroit consisté qu'à exclure des enfans de la succession à un
Fief ou Bénéfice, qui, dans leur institution primitive, auroient été
amovibles: au lieu qu'il est évidemment contraire à la raison, _ratione
improbatur_, que des Seigneurs ayent établi des Fiefs, postérieurement
au temps où leurs Bénéfices étoient héréditaires, & après qu'ils avoient
admis l'hérédité à l'égard des Fiefs formés des Aleux de leurs vassaux,
& même à l'égard de certains Fiefs démembrés de leurs Bénéfices.

[Note 254: _Quod liceat unicuique libero homini terras suas, seu
tenementa sua, seu partem inde ad voluntatem suam vendere, ità quod
feoffatus teneat de capitali domino._ Mag. Chart. c. 32.]

[Note 255: _Nullus liber homo det de cætero ampliùs alicui de terrâ suâ
quam ut de residuo terræ suæ posset sufficienter fieri domino feodi
servitium & debitum quod pertinet ad feodum illud._ Ibid.]

[Note 256: Brussel, c. 1, pag. 45. premier vol.]

[Note 257: Liv. des Fiefs, tit. 16.]



CHAPITRE VII.

_TENANT A TERME D'ANS._


*SECTION 58.*

*Tenant pur terme dans est lou home lessa terres ou tenements a un auter
pur terme de certaine ans, solonque le number des ans que est accord per
enter de lessor & le lessée; & quant le lessee enter pur force del leas,
donque il est tenant pur terme des ans. Et si le lessor en tiel case
reserve a luy un annuall rent sur tiel leas il poit ester a distrainer
pur le rent en les tenements lesses, ou il poit aver _un action de
debt_ (a) pur les arrerages envers le lessee. Mes en tiel case il
covient que le lessour soit seisie de mesmes les tenements al temps del
leas, car il est bone plee pur le lessee a dire que le lessor navoit
riens en les tenements al temps de le leas, sinon que le leas soit fait
_per fait endent_, (b) en quel case tiel plée donque ne gist en le bouch
le lessee a pleader.*

SECTION 58.--_TRADUCTION._

Celui qui tient pour terme d'un certain nombre d'années déterminé entre
lui & le cédant, n'a son état certain qu'après la prise de possession.
Si par la cession le cessionnaire est chargé d'une rente annuelle, le
propriétaire peut rentrer dans le fonds ou intenter l'action de dette
pour les arrérages de cette rente qui ne lui sont point payés; mais en
ce cas il faut que le cessionnaire ne puisse pas soutenir que le cédant,
lors de la cession, n'avoit point la propriété du fonds: car ce
seroit-là un moyen sûr d'évincer le cédant de l'envoi en possession, à
moins que la cession n'eût été faite par un acte autentique, cet acte
pouvant seul ôter tout prétexte au cessionnaire de se soustraire à
l'action intentée contre lui.

_REMARQUES._

(a) _Action de debt._ Voyez Sect. 282, & anc. Cout. c. 88 & 89.

(b) _Fait endent. Acte dentelé, scellé, en bonne forme, exécutoire,
paré._

On rentroit en possession en vertu de cet acte sans être obligé
d'obtenir un bref de faire enquête, ou de faire d'autres procédures: on
conserve encore en Normandie des traces de cet usage. On y appelle
Fieffe les Baux à rente perpétuelle, & on y stipule presque toujours que
le Fieffeur se remettra en possession du fonds, sans qu'il soit besoin
de le faire juger, quoique cette clause ne soit plus que comminatoire.


*SECTION 59.*

*Et est ascavoir que en lease pur terme de ans per fait ou sans fait, il
ne besoygne ascun liverie de seisin destre fait al lessee, mes il poit
entrer quant il voit per force de mesme le lease. Mes des feoffments
faits en pais, ou dones en le tole ou lease pur terme de vie, en tiels
cases ou franktenement passera, si ceo soit per fait ou sans fait, il
vient aver _un liverie de seisin_. (a)*

SECTION 59.--_TRADUCTION._

Lorsque la cession n'est faite que pour quelques années, il n'est pas
besoin qu'elle soit suivie de la prise de possession, soit que cette
cession soit verbalement faite ou portée par écrit. La prise de
possession n'est essentielle que pour les inféodations faites pour la
vie ou _à tail_ ou de fonds sçis à la campagne.

_REMARQUES._

(a) _Liverie de seisin._

Je dirai, Chapitre 10 de ce Livre, Section 78, comment se faisoit la
tradition d'un _franc tenement_, ou plutôt la prise de possession. Elle
devoit être solemnelle & publique, lors même que la cession en avoit été
faite par écrit.


*SECTION 60.*

*Mes si home lessa terres ou tenements per fait, ou sans fait, a terme
des ans; le remainder ouster a un auter pur terme de vie, ou en taile ou
en fée, donque en tiel case il covient que le lessor fait un liverie de
seisin a le lessee pur terme de ans, ou auterment riens passa a eux en
le remainder, coment que le lessee enter en les tenements. Et si le
termor en tiel cas entra devant ascun liverie de seisin fait a luy,
donque est le franktenement & auxy le reversion en le lessor. Mes si il
fait liverie de seisin a le lessee, donque est le franktenement ove le
fée a eux en le remainder, solonque le forme del grant & le volunt del
lessor.*

SECTION 60.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un ayant cédé des terres pour plusieurs années, soit par
écrit, soit sans écrit, rétrocéde après le terme accompli, la jouissance
de ces terres à un autre pour terme de vie _à tail_, &c, ou la propriété
à fief simple, il convient que la prise de possession du cessionnaire
à terme _d'ans_ ou _à tail_, ou en fief simple, soit autentique. Sans
cela, quand même ce cessionnaire entreroit de fait en possession, sa
propriété ou sa jouissance pourroit être troublée par celui qui ne tient
la terre que pour quelques années, & le propriétaire, après l'expiration
des termes convenus avec le dernier, seroit en droit de la reprendre; au
lieu que la tradition ayant été faite en forme, l'inféodation subsiste
avec les conditions auxquelles elle a été faite.


*SECTION 61.*

*Et si home voile faire feoff per fait ou sans fait, de terres ou
tenements que il ad en plesors villes en un Countie, le liverie de
seisin fait en un parcel de les tenements en un ville en le nosme de
touts suffit pur touts les auters terres & tenements comprehendes deins
mesme le feoffment en touts les autres villes deins mesme le Countie.
Mes si home fait un fait de feoffment des terres ou tenements en divers
Counties, la _il covient en chescun Countie_ (a) aver un liverie de
seisin.*

SECTION 61.--_TRADUCTION._

Si cependant la cession que l'on fait par écrit ou sans écrit concerne
des fonds situés en différentes Villes d'un Comté, la tradition faite de
ces fonds en une des Villes pour toutes les autres du même Comté,
suffit; mais si ces fonds sont situés en différens Comtés, il faut que
la prise de possession ou la tradition s'en fasse dans chacun desdits
Comtés.

_REMARQUE._

(a) _Il covient en chescun Countie._

La Jurisprudence actuelle de Normandie[258] admet encore, comme
suffisante à l'égard des Fiefs, la lecture ou publication du contrat
d'acquisition au lieu où le principal manoir est assis. La Section 177
me donnera occasion de faire quelques observations sur la matiere des
Retraits que M. de Montesquieu _n'a pas eu le temps de développer_.[259]

[Note 258: Art. 459 Cout. réform.]

[Note 259: Espr. des Loix, c. 34, L. 31.]


*SECTION 62.*

*Et en ascun cas home avera per le grant dun auter fée simple, fée taile
ou franktenement sans liverie de seisin. Si come deux homes sont, &
chescun deux est seisie dun quantitie de terre deins un countie & lun
granta sa terre a lauter en eschange pur la terre que lauter ad, & en
mesme le manner lauter granta sa terre a le primer grantor en eschange
pur la terre que le primer grantor ad, en ceo cas chescun poit enter en
lauter terre issint mise en eschange _sans ascun liverie de seisin_, (a)
& tiel eschange fait per parolx de tenements deins mesme le Countie
sains escript, est assets bone.*

SECTION 62.--_TRADUCTION._

Il y a un cas où, sans prise de possession autentique, un homme peut
irrévocablement jouir d'un fief simple, d'un fief conditionnel ou d'un
franc ténement: c'est celui où deux particuliers possédant des terres en
un même Comté, les échangent les unes contre les autres; car dans cette
espece il n'est point besoin d'écrit ni de tradition, la possession
respective des échanges suffit.


*SECTION 63.*

*Et si les terres ou tenements soient en divers Counties, cest ascavoir
ceo que lun ad est un County, & ceo qua lauter ad est en auter countie,
la il covient de aver un fait indent desire fait enter ceux de tiel
eschange.*

SECTION 63.--_TRADUCTION._

Si les terres échangées sont en des Comtés différens; alors il est
indispensable d'avoir un acte autentique de l'échange.

_REMARQUES._

(a) _Sans ascun liverie de seisin._

La Coutume reformée de Normandie n'exige point de publication pour le
contrat d'échange, & ce contrat n'est point sujet au Retrait, quoiqu'il
n'ait point été publié: ceci vient de ce que ceux qui échangeoient,
dépendans du même Seigneur, ce Seigneur n'avoit aucun motif pour rentrer
dans le fonds échangé; car la réversion ne lui étoit accordée qu'au cas
où, par l'aliénation, on le priveroit des services qu'il avoit jugé que
son vassal pouvoit lui rendre. Or, quand deux de ses vassaux
échangeoient, il ne pouvoit refuser avec justice aucun des deux,
puisqu'il les avoit agréés également pour ses hommes.

Au reste, il est bon de consulter ma remarque sur la Section 177; si j'y
réunis les principes les plus propres à faciliter l'interprétation de
tous les Textes qui ont rapport aux Retraits, c'est pour mettre le
lecteur en état d'apprécier plus sûrement mes idées sur ce _mystere de
notre ancienne Jurisprudence_.[260]

[Note 260: Montes. Espr. des Loix, L. 31, c. 37.]


*SECTION 64.*

*Et _nota_ que en eschange il covient que les istates soient egales,
que ambideux tielx parties averont en les terres issint eschanges; car
si lun voit & grant que lauter averoit la terre en fée taile pur le
terre que il averoit del grant de le auter en fée simple, coment que
lauter soit agree a cel, cest eschange est voyde, pur ceo que les
estates ne sont my egales.*

SECTION 64.--_TRADUCTION._

Observez qu'en fait d'échange les fonds ou ténemens échangés doivent
être de pareille nature. Ainsi on ne peut échanger un fief simple contre
un fief _à tail_ ou conditionnel, & si on avoit fait un échange de cette
espece, il seroit nul.


*SECTION 65.*

*En mesme le manner est lou il est grant & agree enter eux que lun avera
en lun terre fée taile & lauter en lauter terre forsque a terme de vie,
ou si lun avera en lun terre fée taile general & lauter en lauter terre
en fée taile especial, &c. Issint touts foits il covient que en eschange
les _estates dambideux parties soient egales_ (a) cest ascavoir si
lun ad fée simple en lun terre que lauter avera tiel estate en lauter
terre, & si lun ad fée taile en lun terre, ell covient que lauter
avera semblable estate en lauter terre, &c. _& sic de aliis similibus
statibus_; mes nest my riens a charger del egal value des terres. Car
coment que la terre lun vault mult pluis que la terre de lauter ceo
nest riens a purpose: issint que les estates per leschange fait soient
egales; & issint en leschange sont deux grants, car chescun partie grant
son terre a lauter en eschange &c. & en chescun de lour grants mention
serra fait de leschange.*

SECTION 65.--_TRADUCTION._

Il en seroit de même si l'on donnoit un fief conditionnel en échange
d'un ténement à terme de vie, ou d'un fief _à tail_ ou condition
générale pour un fief _à tail_ ou condition spéciale. En un mot, pour
l'égalité sans laquelle l'échange ne peut subsister, il est essentiel
que le fief simple soit échangé contre un fief simple, un fief à tail
contre un fief à tail, &c; & il n'est d'aucune considération qu'une
des terres échangées vaille mieux que l'autre, dès que leur état,
leur essence est la même. L'échange se fait par deux Actes séparés de
concession, dans chacun desquels on fait mention cependant que cette
concession a été faite à titre d'échange.

_REMARQUES._

(a) _Que les estates dambideux soient egales._

On trouve dans le _Domesday_ l'exemple d'un échange où le contre-échange
vaut le double.[261]

[Note 261: _Hanc terram cambiavit Hugo Briecunio quod modò tenet Comes
Meriton, & ipsum scambium valet duplum._ Coke, Sect. 65.]

L'égalité de l'echange se régloit sur la dignité de la terre & non sur
son revenu; parce que s'il importoit peu au Seigneur que son vassal
diminuât son revenu pour en enrichir un autre, il ne lui étoit pas
indifférent que le choix qu'il avoit fait d'un vassal, à cause de sa
bravoure, de sa prudence, ou d'autres qualités personnelles, fût
invariable: autrement, à un homme sur le courage & la fidélité duquel il
auroit compté, on auroit pu en substituer un qu'il n'auroit jugé capable
que de lui tenir l'étrier.


*SECTION 66.*

*_Item_, si home lessa terres a un auter pur terme dans, coment que le
lessor morust devant que le lessee enter en les tenements, uncore il
poit enter en mesmes les tenements apres le mort le lessor, pur ceo que
le lessee per force de le lease ad droit maintenant daver les tenements
solonque le forme de le lease. Mes si home fait un fait de feoffment a
un auter, & un _letter dattorney_ (a) a un home a deliverer a luy seisin
per force de mesme le fait, uncore si liverie de seisin ne soit fait en
la vie celuy que fesoit le fait, ceo ne vault riens, pur ceo que lauter
nad pas ascun droit daver les tenements solonque le purport de ledit
fait, devant le liverie de seisin. Et si nul liverie de seisin soit
fait, donques apres le mort celuy que fist le fait, le droit de tiels
tenements est maintenant en son heire ou en ascun auter.*

SECTION 66.--_TRADUCTION._

Si un homme ayant cédé à un autre des terres pour certain nombre
d'années, le cédant meurt avant que le cessionnaire ait pris possession,
celui-ci peut y entrer; mais si quelqu'un a fait un Acte d'inféodation à
une personne, & s'il a fondé de procuration une autre personne pour
faire la tradition du fonds à la premiere; cette tradition ne
s'effectuant pas du vivant du fieffeur, le fieffataire ne peut jouir,
parce que dans les Actes d'inféodation c'est une clause ordinaire que
l'on ne sera vraiement possesseur que par l'ensaisinement ou la
tradition du fief. Ainsi après le décès du fieffeur, dont le préposé n'a
pas exécuté la volonté, l'exécution de cette volonté dépend de
l'héritier du défunt, qui conséquemment peut la rétracter.

_REMARQUE._

(a) _Attorney_.

Il ne faut pas confondre cet _Attorney_ avec ceux dont je parlerai dans
la suite.[262] Les _Attorneys_ ou Procureurs qui agissoient pour les
affaires litigieuses devoient être régnicoles, de condition libre,
vassaux du Roi, & non de Seigneurs particuliers; & quoiqu'on ne put en
prendre d'autres que ceux auxquels la Cour ou Jurisdiction à laquelle
ils étoient attachés avoit conféré le titre d'_Attourné_, cependant ils
ne pouvoient en certains cas exercer leurs Offices sans permission du
Prince ou sans Bref de la Chancellerie. Cette coutume avoit pris
naissance sous nos Rois de la premiere race, comme le prouve la
vingt-unieme Formule du premier Livre de Marculphe.[263] Les autres
Procureurs, qui n'étoient point _Attournés légaux_,[264] étoient ceux
que l'on se substituoit pour faire un achat, une vente ou tout autre
acte extrajudiciaire. Une femme, un étranger, un parent pouvoient être
choisis pour Attournés dans toutes les affaires de cette derniere
espece. Il y avoit peu de différence entre l'_Attourné_ & le _Conteur_
ou Avocat; mais elle étoit considérable entre l'_Attourné_ de loi & le
simple Attourné. La probité requise pour le premier ne l'étoit pas pour
le second; un banni, un infame, un excommunié exécutoit valablement une
procuration pour des intérêts particuliers: au lieu que le Procureur,
pour être admis dans les Cours ou Jurisdictions, devoit être d'une
origine & d'une conduite irréprochables; en un mot, le _Conteur_ étoit
ce qu'est actuellement l'Avocat. On le nomma aussi d'abord _Plaideur_,
mais ce nom dans la suite désigna ce que nous appellons maintenant
Procureurs en titre[265] ou _ad lites_. Cependant ces Procureurs
portoient plus ordinairement le nom d'_Attournés_ qui leur étoit commun
avec les _Attournés_ ou Porteurs de procuration volontaire; & il y a
apparence que c'est par ce qu'on a confondu ces deux sortes
d'_Attournés_ ou de Procureurs, que ceux qui sont à titre maintenant
n'ont pas conservé dans l'esprit de notre Nation la considération que
mérite l'importance de leurs fonctions.

[Note 262: Section 196, où je fais voir la différence des _Conteurs_,
_Plaideurs_, _Attournés_.]

[Note 263: _Fidelis propitio Deo ille ad nostram veniens præsentiam
suggessit nobis, quod propter simplicitatem suam causas suas minimè
possit prosequi.... petiit ut vir ille causas suas in vice ipsius
defendat_, &c.]

[Note 264: _As attorneys at laws._ Coke, Sect. 66.]

[Note 265: De-là on a cru que les fonctions des Procureurs & celles des
Avocats avoient été les mêmes en certain temps. Dolive, Quest. notables,
L. 1, c. 36. _Voyez_ Sect. 196, en quoi ces fonctions différoient &
convenoient entr'elles.]


*SECTION 67.*

*_Item_, si tenements soient lesses a un home pur terme de demy an, ou
pur le quarter de un an, &c. en tiel case si le lessee fait _Wast_, (a)
le lessor avera envers luy briefe de Wast, & le Briefe dirra, _quod
tenet ad terminum annorum_; (b) mes il avera un speciall declaration sur
le veritie de son matter, & le Count nabatera le briefe, pur ceo que il
puit aver nul auter Briefe sur le matter.*

SECTION 67.--_TRADUCTION._

Si la cession d'une terre n'est que pour _six mois_, _pour trois mois_
ou pour moindre temps, le cessionnaire ayant commis des dégradations,
le propriétaire pourra obtenir un Bref de _Wast_, & ce Bref portera que
la terre est tenue pour terme d'ans; mais on sera tenu de déclarer,
en présentant le Bref au Comte, le véritable terme de la cession, &
le Comte ne pourra taxer le Bref de faux énoncé, parce qu'on ne peut
obtenir d'autre Bref de _Wast_ que celui dressé pour les tenures à
termes d'ans.

_REMARQUES._

(a) _Wast_, du Latin _devastare_.

(b) _Il avera un speciall declaration sur le veritie de son matter._

Il y avoit deux sortes de Brefs, les uns de Chancellerie, dont la forme
avoit été déterminée par l'Echiquier, & cette forme ne changeoit jamais.
Les autres s'accordoient par les Juges des Seigneurs, & ils varioient
selon les cas pour lesquels on les requéroit.[266] Ainsi n'y ayant point
en la Chancellerie de Bref de _Wast_ pour un terme moindre que d'une
année; lorsque la cession n'étoit que pour quelques mois, on étoit forcé
de lever un Bref de _Wast à terme d'ans_; & pour empêcher que le Juge ne
fût induit par l'énonciation de ce terme à accorder au plaintif des
intérêts plus forts que ceux qu'il étoit en droit d'exiger, celui-ci
déclaroit, en présentant le Bref, le terme précis de la cession qu'il
avoit faite, & son indemnité étoit proportionnée à ce terme.

[Note 266: _Sunt quædam brevia formata in suis casibus & quædam de
cursu quæ concilio totius regni sunt approbata, quæ quidem mutari non
possunt. Magistralia autem sæpe variantur secundum varietatem casuum._
Bracton, L. 4, fol. 315 & suiv.]



CHAPITRE VIII.

_DE TENURE A VOLONTÉ._


*SECTION 68.*

*Tenant a volunt est ou terres ou tenements sont lesses per un home a
un auter a aver & tener a luy a la _volunt le Lessor_, (a) per force de
quel lease le lessee est en possession, en tiel cas le Lessee est appel
tenant a volunt, pur ceo que il nad ascun certaine ne sure estate, car
le lessor luy poit ouster a quel temps que il luy plerroit: uncore si
le lessee emblea la terre & le lessor apres lembleer, & devant que les
blees sont matures luy ousta, uncore le lessee avera les blees & avera
frank entrie, egres & regres a scier & de carier les blees, pur ceo que
il ne scavoit a quel temps le lessor voloit entre sur luy. Auterment
est si tenant pur terme dans qui conust le fine de son terme emblea sa
terre, & le terme est finy devant que les blees sont matures, en ceo
cas le lessor, ou celuy en la reversion avera les blees, pur ceo que le
termor conust le certaintie de son terme quant son terme serroit finy.*

SECTION 68.--_TRADUCTION._

Le tenant à volonté est celui auquel on a cédé des terres ou ténemens
pour ne les tenir qu'autant qu'il plairoit au propriétaire de lui en
laisser la jouissance. On appelle le tenant, en ce cas, tenant à
volonté, parce que son état n'a rien d'assuré, les fonds pouvant être
retirés de ses mains toutes fois & quantes. Cependant si ce tenant ayant
chargé les terres, le propriétaire avant que les bleds soient en
maturité veut que sa jouissance cesse, ce tenant aura la liberté de
récolter. Il n'en est pas de même du tenant à terme fixe & spécialement
convenu: car si avant ce terme les terres sont semées, la récolte
appartiendra au propriétaire de la terre, par la raison que le tenant a
connu le temps où son occupation devoit finir.

_REMARQUE._

(a) _A la volunt le Lessor._

Le Livre des Fiefs fait mention de ceux qui étoient amovibles à la
volonté du Seigneur,[267] & c'est sans doute à ces Fiefs qui, une fois
reçus par le vassal, l'assujettissoient pour toujours au Seigneur, que
l'on a donné le nom de _Fiefs en l'air_, non pas comme quelques-uns
l'ont dit, parce qu'on avoit inféodé jusqu'au droit _de respirer l'air
d'un lieu_;[268] mais parce que ces Fiefs n'avoient _ascun estate
certaine_. L'usage de ces sortes de Fiefs remonte à Charlemagne: le
vassal ne pouvoit plus désavouer un Seigneur de qui il avoir reçu la
valeur d'un sol.[269]

[Note 267: _De Feudis impropriis quæ aufferuntur dantis arbitrio._ Tit.
81.]

[Note 268: Brussel, L. 2, c. 31, pag. 397, 1er vol.]

[Note 269: Art. 16, Capitul. 813, pag 510, 1er vol. Collect. Balus.]


*SECTION 69.*

*_Item_, si un mese soit lesse a un home a tener a volunt per force de
quel le lessee enter en se mese, deins quel mese il porta ses utensils
de meason, & puis le lessor luy ousta, uncore il avera franke entre
egresse & regresse en mesme le mese per reasonable temps, de carrier ses
biens & utensils. Si come home seisie dun mese en fée simple, fée taile
ou pur terme de vie, lequel ad certaine biens deins mesme le mese, &
fait ses executors & devy, quecunque apres sa mort ad l'mese, uncore les
executors averont frank entry egresse & regres de carier hors de mesme
le mese les biens lour testator per reasonable temps.*

SECTION 69.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un tient à volonté, dans le cas ou celui de qui il tient,
reprend la tenure, ce tenant a le temps convenable pour le transport de
ses meubles & grains. Il en est de même des exécuteurs du testament d'un
tenant à titre de fief simple ou de fief _tail_, l'héritier doit leur
donner un délai convenable pour l'enlevement des meubles légués.


*SECTION 70.*

*_Item_, si un home fait un fait de feoffment a un auter de certaine
terre, & deliver a luy le fait, mes nemy liverie de seisin; en ceo case
celuy a que le fait est fait poit enter en le terre, & tener & occupier
a la volunt celuy que fist le fait, pur ceo que il est prove per les
parols del fait, que il est la volunt que le auter avera la terre, _mes
celuy que fit le fait luy poit ouste_ (a) quaunt luy pleist.*

SECTION 70.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un fait un acte d'inféodation, & délivre au cessionnaire cet
acte sans qu'il y ait eu tradition du fonds ou prise de possession, le
cessionnaire peut, en vertu de l'acte, se mettre en possession du fonds;
mais celui qui le lui a cédé peut, à sa volonté, rentrer en ce fonds.

_REMARQUE._

(a) _Mes celuy que fit le fait luy poit ouste._

La tradition étoit aussi essentielle que la lecture l'est encore en
Normandie pour assurer l'état de l'acquéreur; la lecture n'étant point
faite, le Contrat est clamable dans les trente ans.


*SECTION 71.*

*_Item_, si un mese soit lesse a tener a volunt, le lessee nest pas
tenus a susteiner ou repairer le meason, si come tenant a terme dans
est tenue. Mes si le lessee a volunt fait voluntarie wast, si come en
abatement des measons, ou en couper des arbres, il est dit que le lessor
avera de ceo envers luy _action de trespasse_. (a) Si come jeo bayle
a un home mes barbits a compester ses terres ou mes boefes a areer la
terre, & il occist mes avers, jeo puissoy bien aver un action envers luy
nient obstant l'bailement.*

SECTION 71.--_TRADUCTION._

Si une ferme est cédée pour être tenue à volonté, le cessionnaire n'est
pas obligé de réparer les bâtimens, comme le seroit celui qui tiendroit
pour une ou pour plusieurs années; cependant si le cessionnaire dégrade
le fonds en abattant les bâtimens ou les arbres, le propriétaire peut
intenter contre lui action _de trépasse_. Si le propriétaire ayant loué
à quelqu'un ses moutons pour les faire parquer sur ses terres, ou ses
bœufs pour les labourer, le locataire tue ces bestiaux, l'action de
trépasse a lieu contre le locataire.

_REMARQUE._

(a) _Action de trepasse._

_Trespasse_, du mot _outre-passer_, _excéder_, en
Latin _transgressio_.
C'est en se sens que l'ancien Coutumier appelle _trepassement_ le défaut
de payer une rente au terme.[270]

[Note 270: Anc. Cout. tit. de Justicement, c. 6.]


*SECTION 72.*

*_Nota_, si le lessor sur tiel lease a volunt reserve a luy un annuall
rent, il poit distrainer pur le rent arere, ou aver de ceo un _action de
debt_ (a) a son élection.*

SECTION 72.--_TRADUCTION._

Si le propriétaire donne son fonds pour être tenu tant qu'il lui plaira,
a la charge du payement d'une rente annuelle, il peut, si on ne le paye
pas, rentrer en possesion du fonds ou intenter l'action de debte.

_REMARQUE._

(a) _Action de debt._ _Voyez_ Section 282.



CHAPITRE IX.

_DE TENURE PAR COPIE, &c._


*SECTION 73.*

*_Tenant per copie_ (a) de court rol', est deins quel manor il y ad un
custome que ad este use de temps dont memorie ne court, que certain
tenants deins mesme le manor, ont use daver terres & tenements, a tener
a eux & la lour heires en fée simple, ou en fée taile, ou a terme de
vie, &c. a volunt le Seignior solonque le custome de mesme le manor.*

SECTION 73.--_TRADUCTION._

Le tenant _par copie de rôle de Cour_ est celui qui tient un fonds en
vertu de la coutume de la Seigneurie où ce fonds est situé; car si de
temps immémorial il est établi dans l'étendue de cette Seigneurie que
la tenure des vassaux sera _en fief simple_ ou à tail ou à vie, &c, ce
qu'on acquiert dans l'étendue du fief est de droit soumis à cet usage.

_REMARQUE._

(a) _Tenant per copie._

Quelques Seigneurs avoient soumis les concessions qu'ils faisoient à une
regle générale & à des conditions uniformes; ensorte qu'eux-mêmes
s'étant privés de fieffer à d'autres conditions, leurs vassaux ne
pouvoient aliéner sans leur consentement.[271] Il étoit donc inutile,
dans les Seigneuries où cet usage avoit lieu, d'avoir un acte de la
concession; le Rôle ou Registre des Coutumes anciennes qu'on y
observoit, & que l'on conservoit en _la Cour_ ou Jurisdiction du
Seigneur, suppléoit au titre particulier qui étoit nécessaire dans le
ressort des Fiefs où les conditions auxquelles on les cédoit varioient.
Cependant les tenures régies par ce Rôle n'étoient que _les basses
tenures_, telles que celles _en villenage_,[272] dont il est question
en la deuxieme Partie de cet Ouvrage, & c'est par cette raison que les
droits que les Seigneurs avoient imposés dans l'étendue de leur Fief sur
ces sortes de tenures ont retenu le nom de _Coutume_; car les Seigneurs
n'avoient d'autre titre que la pratique constante & ancienne de leur
Fief pour assujettir leurs vassaux au payement de ces droits.

[Note 271: _Lib. de Feudis_, L. 1, tit. 2, L. 4, tit. 53.]

[Note 272: _Terra quæ fuit ex scripto, erat libera atque immunis fundus;
sine scripto censum pensitabant annuum, priorem viri nobiles atque
ingenui, posteriorem rustici fere & pagani possidebant. Lamb. verbo,
Terra ex scripto._--_Ce nome tenant per copie, est nuove, car d'ancien
temps ils fuerent appellés tenants in villenage._--Ockam, ch. _Quid
murderium_, fol. 12.--Coke, Sect. 73.]


*SECTION 74.*

*Et tiel tenant ne puit alien sa terre per fait, car donques le Seignior
poit entre come en chose _forfeit a luy_; (a) mes sil voit adien sa
terre a un auter, il _covient_ solonque ascun custome de _surrender les
tenements_ (b) en ascun Court, &c. _en le main le Seignior_, al use
celuy que avera le state, en tiel feoffment ou a tiel effect.*

*Ad hanc Curiam venit A. de B. & sursum reddidit in eadem Curia,
unum mesuagium, &c. in manus Domini, ad usum C. de D. & hæredum
suorum, vel hæredum de corpore suo exeuntium vel pro termino vitæ suæ,
&c. Et super hoc venit prædictus C. de D. & cœpit de Domino in eâdem
Curiâ, mesuagium prædictum, &c. habendum & tenendum sibi & hæredibus
suis, vel sibi & hæredibus de corpore suo exeuntibus, vel sibi ad
terminum vitæ, &c. ad voluntatem Domini, secundum consuetudinem
manerii, faciendo & reddendo inde redditus, servitia, & consuetudines,
inde prius debita & consueta, &c. & dat Domino pro fine, &c. & fecit
Domino fidelitatem, &c.*

SECTION 74.--_TRADUCTION._

Un tenant de cette espece ne peut aliéner son fonds sans tomber en
_forfaiture_; mais s'il veut qu'un autre ait ce fonds, il est tenu du
moins, selon la pratique de certaines Seigneuries, de remettre en la
possession du Seigneur sa tenure pour être ensuite accordée par ce
Seigneur à celui qu'il lui désignera, & cette remise se fait en cette
forme:

Un tel... s'étant présenté en cette Cour, & ayant déclaré remettre ès
mains de son Seigneur pour tel... & ses héritiers ou pour sa vie
seulement, &c. sa masure ou sa terre, &c. tel autre, est intervenu,
lequel a reçu dudit Seigneur en cette Cour ladite terre ou masure qu'il
tiendra à terme de vie ou à perpétuité, &c. selon la volonté dudit
Seigneur, promettant d'acquitter les redevances, coutumes & services
d'usage, ce que ledit Seigneur a agréé, & après féaulté prêtée par
ledit... acquéreur, il a fait serment de fidélité, dont acte, &c.

_REMARQUES._

(a) _Forfeit a luy._

_Forfait_, du Latin _foris facere_. La _forfaiture_ est
le violement
d'une coutume, d'une convention.[273]

[Note 273: _Voyez_-en la Remarque, Sect. 745, sur le mot _félonie_, ce
que l'Ancien Coutumier entend par forfaiture.]

(b) _Il convient de surrender les tenements en le main le Seignior._

Brussel[274] _pense que le Fief de reprise procede de la soumission
faite d'un héritage alodial & noble à un Seigneur_, moyennant quelque
fonds de terre que ce Seigneur donnoit au Propriétaire de cet Aleu,
parce qu'après avoir acquis, par la cession de sa terre, l'Aleu en
propriété, le Seigneur la restituoit à celui qui le lui avoit vendu, à
la charge que ce dernier le tiendroit _de lui en Fief_. M. de
Montesquieu adopte cette idée,[275] cependant elle ne paroît avoir
aucune solidité.

[Note 274: Chap. 14, pag. 126, tom. 1.]

[Note 275: L. 31, c. 8.]

Dans la supposition de Brussel, ou le fonds de terre que le Seigneur
donnoit à celui qui lui soumettoit son Aleu étoit lui-même _un Aleu_, ou
c'étoit une portion du Fief ou du Bénéfice du Seigneur. Au premier cas,
la cession mutuelle _d'un Aleu_, entre le vassal & le Seigneur, étoit
superflue; car ce Seigneur, sans rien céder au vassal de ses fonds,
pouvoit ériger de suite l'Aleu de ce vassal en Fief, en recevant son
hommage. Au second cas, la cession d'une portion de Fief à un vassal
pour le reprendre & ensuite lui restituer, sous le titre de Fief, l'Aleu
que ce même vassal lui avoit auparavant cédé, auroit été une formalité
ridicule, puisque cette cession de la part du Seigneur ne pouvoit
influer en rien sur le privilége que le vassal desiroit qu'il attachât à
sa terre. D'ailleurs, _les Aleux_ érigés en Fiefs, par la seule
soumission que le Propriétaire en faisoit à un Seigneur, étoient des
ténemens libres, c'est-à-dire, qu'on pouvoit en disposer sans le
consentement des Seigneurs,[276] pourvu qu'il en restât en la main de
ce Propriétaire une partie suffisante pour garantir les services qui y
avoient été affectés lors de l'inféodation; à la différence des fonds
donnés _en Fief_ par le Roi, & démembrés du fisc, ou de ceux provenans
des domaines des Bénéfices, qui ne pouvoient, lors même qu'ils étoient
héréditaires, être aliénés sans leur permission.[277] Le recours au
Seigneur, pour faire passer son Fief à un autre, devenoit donc
nécessaire à l'égard des Fiefs de cette derniere espece seulement; &
comme dans le cas où le Seigneur auroit refusé d'agréer le nouveau
vassal, l'ancien auroit repris son Fief, il est tout naturel de croire
que le nom de _Fief de reprise_ n'a été donné qu'aux Fiefs qui, après
avoir été remis à un Seigneur pour qu'il les transportât à une personne
qu'on lui désignoit, étoient rentrés en la possession du vassal, par le
refus que ce Seigneur avoit fait d'approuver sa résignation.

[Note 276: Sect. 57, _suprà_.]

[Note 277: _Ne Countez, ne Barons, ne Chivaler, ne Sergents que
tiengniont en chiefe de nous ne puriont dimembrer nous fées sauns le
licence, que nous ne puissions par droit en gettre les purchassors._
Britton, fol. 28, 88, 186, &c. _Voyez_ Sect. 78, note 2, sur la
Remarque.]

Je ne crois pas qu'il soit déplacé d'observer ici que ces sortes de
résignations de Fiefs ont servi de modele à celle des Bénéfices
Ecclésiastiques.[278] Dans les premiers siecles de l'Eglise, on a vu des
Prélats se démettre de leurs Dignités, & désigner leurs successeurs;
mais cette désignation n'empêchoit point de procéder à l'élection, & de
recueillir les suffrages du peuple, selon les regles établies par les
canons. Ce n'a été que vers le dixieme siecle que la personne indiquée
par celui qui se démettoit, a été nécessairement son successeur,[279]
parce que cela se pratiquoit déjà ainsi à l'égard des Fiefs.

[Note 278: Cet usage de résigner les Fiefs, du consentement des
Seigneurs, s'établit à l'imitation de ce qui se pratiquoit sous nos
premiers Rois. Quelquefois ils permettoient aux Leudes de désigner ceux
qu'ils désiroient avoir pour successeurs aux fonds du fisc qu'ils
possédoient en Aleu, en s'en retenant l'usufruit, 13e _Formul. de
Marculph._ L. 1; & cette résignation se faisoit en la Cour du Roi, à la
différence de la donation des Aleux qui ne provenoient pas du fisc pour
laquelle la présence du Comte ou des autres Officiers du Roi suffisoit.]

[Note 279: Thomass. tom. 2, L. 2, c. 55.]


*SECTION 75.*

*Et tiels tenants sont appelles tenants per copie de Court rolle, pur
ceo que ils nont auter evidence concernant lours tenements forsque les
copies des roles de _Court_. (a)*

SECTION 75.--_TRADUCTION._

Et cette tenure est appellée tenure de _copie de rôle de Cour_, parce
que la seule preuve qu'ils puissent donner de leur possession se fait
par la copie des Rôles ou Registres de la Jurisdiction de leur Seigneur.

_REMARQUE._

(a) _Court_.

Les Seigneurs avoient des Officiers pour la manutention des droits &
usages particuliers de leurs Fiefs. Je ferai connoître dans la suite
quelle étoit la compétence de cette Cour, & la nature des fonctions des
divers Officiers qui la composoient.[280]

[Note 280: Sect. 78, 79, &c.]


*SECTION 76.*

*Et tiels tenants ne emplederont, ne serront empledes de lour tenements
per _Briefe_ (a) le Roy. Mes sils voilent empleder auters pur lour
tenements, ils averont un plaint fait en le Court le Seignior en tiel
forme, ou a tiel effect: _A. de B. queritur versus C. de D. de placito
terræ, videlicet, de uno mesuagio, quadraginta acris terræ, quatuor
acris prati, &c cum pertinentiis & facit protestationem sequi querelam
istam in naturâ brevis Domini Regis assisæ mortis antecessoris ad
communem Legem, vel brevis Domini Regis assisæ Novæ disseisinæ ad
communem Legem, aut in naturâ brevis de formâ donationis in discendere
ad communem Legem_, ou en nature dascun auter briefe, &c. _Plegii de
Prosequendo, F. G. &c._*

SECTION 76.--_TRADUCTION._

Les vassaux qui ont des tenures _par copie_, &c, ne seront point
obligés, pour intenter action ou pour se défendre à l'égard de leurs
fiefs, d'obtenir _un Bref du Roi_, mais ils donneront en la cour de leur
Seigneur leur plainte en cette forme:

A... revendiqué contre D... la possession d'une Métairie, contenant
_quarante acres_ de terre en labour, & _quatre acres_ en prairie; & il
déclare vouloir poursuivre la querelle ou le procès en la forme du Bref
du Roi, appellé Bref _d'assise de mort d'ancêtres_, selon la commune
Loi, ou en la forme du Bref du Roi _de nouvelle dessaisine_, ou en celle
du Bref de formedon, ou en telle autre forme, &c, offrant gages de
ladite poursuite.

_ANCIEN COUTUMIER._

Il y a un Brief de nouvelle dessaisine, aultre de mort d'ancesseur,
aultre, &c; & pource que ces querelles naissent de divers commencements,
& sont menées en diverses manieres, diverses Loix sont établies à les
terminer.

_REMARQUE._

(a) _Briefe_.

Les Ducs s'étoient réservés toute jurisdiction en Normandie. Mais les
conditions différentes auxquelles les Seigneurs y avoient inféodé, ayant
introduit différentes coutumes en chaque Fief, il fut permis aux
Seigneurs d'avoir des Officiers pour veiller à la conservation des actes
ou _rôles_ qui contenoient ces conditions; & lorsqu'il s'élevoit quelque
contestation au sujet de l'exécution de ces actes, ces Officiers ne
pouvoient les terminer qu'en vertu d'un bref ou lettre du Prince; ainsi
ils prononçoient moins comme Juges préposés par les Seigneurs, qu'en
qualité de Commissaires du Duc. La forme des brefs du Prince étoit
toujours la même,[281] comme l'est encore en France celles des Lettres
de Chancellerie. Les Ducs n'ayant d'abord établi des brefs que pour les
matieres les plus importantes, il en résulta qu'insensiblement on plaida
dans la Cour des Seigneurs sans recourir au Prince pour les matieres à
l'égard desquelles il n'y avoit point de brefs en la Chancellerie: les
Officiers des Seigneurs accorderent même une sorte de bref sur ces
matieres. Quelques Seigneurs porterent encore plus loin leurs
entreprises: ils empêcherent leurs vassaux d'avoir recours, en quelque
cas que ce fût, aux brefs du Prince; & au moyen que le vassal déclaroit
en la Cour du Seigneur qu'il entendoit suivre son action en la même
forme que s'il avoit obtenu tel bref de la Chancellerie, les Officiers
du Seigneur faisoient droit sur sa prétention, comme s'il eût été muni
de ce bref.

[Note 281: Sect. 67, _suprà_.]

Lorsque la Cour d'un Seigneur avoit réussi à se maintenir dans cet usage
abusif, ses jugemens n'étoient cependant pas pour cela souverains, ni en
dernier ressort; car si le vassal étoit lésé par le jugement qui étoit
intervenu, il prenoit en la Chancellerie un bref de faux jugement, où
ses[282] griefs étoient spécifiés. On étoit donc astreint en la Cour
d'un Fief, dont les vassaux tenoient par copie, &c. aux formalités
prescrites pour les autres Tribunaux, c'est-à-dire, d'y faire les
enquêtes, d'y recevoir les sermens, d'y gâger ou _ordonner les duels_
ou batailles, conformément à ce qui en sera dit dans la suite.
Conséquemment on peut regarder la formule de demande ou de plainte que
la Section 76 contient, comme la même que celles des brefs de _Douaire_,
de _Wast_ & autres, dont les Sections précédentes font mention, ou de
ceux qui font l'objet des Sections 145, 234, 383, 384 & 515, & par
lesquelles le Prince prescrivoit au Comte, ou autres Justiciers, la
procédure qu'ils devoient tenir; & c'étoit parce que ces brefs fixoient
la méthode d'instruire les différens procès, que la forme en étoit
invariable.

[Note 282: _For he cannot have the kings writ of false judgement and
there in assigne error._ Coke, Pres. Sect.]

Pour juger de la parfaite ressemblance des brefs usités en Angleterre
avec ceux de Normandie, je rapprocherai les formules des brefs conservés
dans l'ancien Coutumier, de chacune de celles indiquées par Littleton,
qui y auront rapport.


*SECTION 77.*

*Et coment que ascun tiels tenants ont inheritance solonque le custome
del manor, unque ils nont estate forsque a volunt le Seignior solonque
le course del common Ley. Car il est dit si le Seignior eux ousta, ils
nont auter remedy _forsque de suer a lour Seigniors per petition_, (a)
car sils averont auter remedy, ils ne serront dits tenants a volunt le
Seignior solonque le custome del manor, mes le Seignior ne voile
enfriender le custome qui est reasonable en tiels cases.*

*Mes _Brian_ chiefe Justice dit, que son opinion ad touts foits este,
& unques sera, si _tiel tenant per le custome payant ses services_ (b)
soit eject per le Seignior, que il avera action de trepasse vers luy.
_H. 21. Ed. 4._ Et issint fuit lopinion de _Danby_, chiefe Justice, _M.
7. Ed. 4._ Car il dit que le tenant per le custome est si bien inheriter
de aver son terre solonque le custome, come cestuy que ad franktenement
al common Ley.*

SECTION 77.--_TRADUCTION._

Quoique les tenures par _copie_, &c. soient héréditaires, selon la
coutume de certaines Seigneuries, cependant, selon la commune Loi, on
les répute _tenures à volonté_; parce qu'il est de principe que si un
Seigneur s'empare du fonds de son vassal, celui-ci n'a que la voie
de requête pour recouvrer sa tenure. D'ailleurs si le vassal pouvoit
obtenir un Bref pour déposséder son Seigneur, il ne seroit ni tenant
à volonté ni tenant selon la coutume de la Seigneurie. Il faudroit
cependant décider différemment, si un Seigneur enfraignoit sans motif, à
l'égard d'un vassal, la coutume établie & observée pour tous ses autres
vassaux; car, comme l'a fort bien remarqué _Brian_, chef de Justice,
quand un tenant _par copie_, &c. acquitte exactement ses redevances, il
a une action de _trépasse_ contre son Seigneur, dans le cas où celui-ci
voudroit s'emparer de son fonds. _Danby_ étoit aussi de cette opinion;
il vouloit même que la tenure par copie, &c. ne fut pas moins successive
selon l'ordre de succéder établi dans la Seigneurie, que la tenure en
franc ténement l'est, suivant la commune Loi.

_ANCIEN COUTUMIER._

Se le Seigneur fait tort à son homme par la raison de son fief, la Court
en appartient au Duc. C. 6.

_REMARQUES._

(a) _Forsque de suer a lour Seigniors per petition._

Les Requêtes que les Moines présentoient anciennement à leurs Abbés,
pour être admis à faire leurs vœux, s'appelloient aussi petitions.
_Nova collectio Balusii_, col. 575, 2e vol.

(b) _Si tiel tenant per le custome payant ses services._

L'état du tenant par _copie_, ou par coutume de Fief, quoique tenant à
volonté (en ce que ce n'étoit point la commune Loi, mais la volonté du
Seigneur qui régloit l'hérédité ou les conditions de la tenure) n'étoit
pas aussi incertain que l'état du vassal _tenant à volonté_, dont parle
le Chapitre 8 de ce premier Livre.

Car ce dernier ne devoit pas des droits ni des services qui eussent été
déterminés & rendus perpétuels pour tous les vassaux de la Seigneurie où
son Fief étoit enclavé: au lieu que le vassal dont il s'agit ici, en
s'acquittant des devoirs & des droits imposés sur tous les hommes du
Fief, son Seigneur ne pouvoit, sans injustice, l'évincer de sa tenure.
C'est ce que Britton[283] avoit dit avant les deux Jurisconsultes que
Littleton cite. _Et ceux vassaux sont priviledgiés en tiel manner que
nul ne les doit ouster de tiels tenements tant come ils font les
services que lours tenements appendent, ne nul ne poet lour service
acrestre ne changer, a faire autres services ou pluis._

[Note 283: Britt. fol. 165, c. 65.]



CHAPITRE X.

_DE TENURE PAR LA VERGE._


*SECTION 78.*

*Tenants per le Verge sont en tiel nature come tenants per le copy de
Court roll. Mes la cause pour que ils sont appelles tenants per la
Verge, est pur ceo que quant ils voylent surrender lour tenements en le
main lour Seignior al use dun auter, _ils averont un petite Verge_ (a)
(per le custome) en lour main, le quel ils bailera al Seneschal, ou
al Bailife solonque le custome & use del mannor, & celuy que avera la
terre prendra mesme la terre en le Court, & son prisel serra enter en le
roll, & le _Seneschal ou le Bailife_, (b) solonque le custome delivera a
celuy que prist la terre, mesme la verge ou un auter verge en nosme del
seisin, & pur cel cause ils sont appelles tenants per le verge, mes ils
nont auter evidence, sinon pur copie de Court roll.*

SECTION 78.--_TRADUCTION._

Les tenans par la Verge sont de même état que les tenans _par copie_;
mais on les appelle tenans par la Verge, parce que, lorsqu'ils veulent
remettre leurs fiefs en la main de leurs Seigneurs pour les faire passer
à un autre, ils ont une petite verge en main qu'ils donnent au Senéchal
ou au Baillif, selon qu'il est d'usage en la Seigneurie; & la remise
qu'ils font de cette verge & de la terre étant inscrite sur le Registre
de la Jurisdiction, le Senéchal ou Baillif donne la verge à celui que le
premier tenant a désigné, & en même temps le déclare vrai possesseur de
la terre.

Ces tenans, par la verge, n'ont d'autres preuves de leur propriété que
les Rôles ou Registres de la Court du Seigneur.

_REMARQUES._

(a) _Ils averont une petite verge._

On mettoit en possession un acquereur de Fief en lui laissant toucher
la porte du principal manoir,[284] ou en lui donnant une hache, un
anneau, un bâton, ou une petite verge, selon que la vente consistoit en
terres, rentes ou redevances; par la même raison, quand un vassal se
démettoit de la terre qui lui avoit été inféodée, afin qu'un autre en
fût investi, il rendoit au Seigneur, ou à ses Officiers, la verge ou le
bâton, &c. qu'il avoit reçu lors de l'inféodation, & le nouveau vassal
les recevoit d'eux.[285] Si le vassal étoit, par quelque crime ou délit,
privé de son Fief, on rompoit en la Cour une verge, pour marquer que le
contrat d'entre lui & le Seigneur ne subsistoit plus, ce qui s'appelloit
_exfestucare_, ou _exfusticare_, du mot _festuca_, qui signifie une
petite branche d'un jeune rameau,[286] ou de fustis verge, bâton; d'où
est venu ce proverbe des François, en parlant de deux amis qui cessoient
de l'être: _Ils ont rompu la paille_, parce que de _festuca_, on a formé
le mot _festu_, que l'on a approprié aux _brins de paille_.

[Note 284: _Per ostium, per hastam, per annulum, per fustem vel baculum,
per glebam, per herbam._ _Formulæ Incert. Author._ c. 19 & 43. Notæ
Bignon. Ad. L. 1. _Formul. Marculph._ pag. 273.]

[Note 285: Bract. L. 4, fol. 209, L. 2, c. 8 & 14.]

[Note 286: Pasquier, L. 7, c. 54, & _Lex Salica_, c. 48, 61 & 63.]

Je ne sçais où M. de Montesquieu[287] a trouvé que _la tradition des
Fiefs par le sceptre constatoit ces Fiefs, comme fait aujourd'hui
l'hommage_. Il est certain que dans le même-temps où la tradition par le
Sceptre avoit lieu pour les biens domaniaux, l'hommage étoit usité pour
les Bénéfices.

[Note 287: Esprit des Loix, c. 22, L. 30, & c. 33, L. 31.]

Lorsque le Roi donnoit une portion du domaine en Aleu à un Monastere ou
à des laïcs, les donataires ne pouvoient en rien aliéner à titre de
Fief, ni conséquemment s'en former de vassaux.[288] L'hommage qui
n'avoit été introduit que pour les cessions des Bénéfices, comme je le
prouverai bientôt, n'étoit donc point nécessaire en ce cas, & le
cessionnaire n'ajoutant point à la qualité de sujet celle de vassal, le
Souverain l'investissoit seulement de la jouissance du fonds par le
Sceptre.[289] De même quand un Seigneur accordoit un Fief, à condition
qu'on ne pourroit en disposer sans son consentement; comme ce Fief, à
proprement parler, n'en étoit point un, puisque ceux qui le possédoient
ne pouvoient en ériger aucune portion en Fief,[290] l'investiture s'en
faisoit par la verge, & il n'en étoit dû aucun hommage.

[Note 288: _Voyez_ Sect. 88.]

[Note 289: Thomass. tom. 2, L. 2, c. 27, 28 & suiv.]

[Note 290: _Nul ne peut demembrer fié, se le fié ne doit service de
pluis d'une chevalerie._ Assis. de Jerus. c. 192.]

(b) _Seneschal ou Bailife._

Le Senéchal étoit le premier officier du Seigneur: il tenoit sa Cour ou
ses Pleds, connoissoit des refus de services, du défaut de payement des
rentes, & autres droits dûs par les vassaux. Les Baillifs lui étoient
subordonnés;[291] ils lui devoient compte de leurs fonctions, qui
consistoient à veiller à ce que les vassaux cultivassent bien leurs
terres, conservassent leurs possessions, ne fissent aucunes
dégradations; elles consistoient aussi à faire leur rapport aux Pleds
des contraventions commises aux droits des Seigneurs.

[Note 291: _Senescalli officium subballivos est Domini in suis erroribus
& ambiguis instruere & docere; curias tenere manariorum &
substractionibus consuetudinum, servitiorum, reddituum, sectarum ad
curiam molendinorum aliarumque libertatum Domino pertinentium
inquirere._ Flet. L. 2, c. 66.--_Ballivus esse debet in verbo verax, &c.
clericus qui de communioribus legibus sufficienter se cognoscat & quod
sit ità justus quod ob vindictam ceu cupiditatem non quærat versus
tenentes_, &c. Ibid, c. 69.]


*SECTION 79.*

*Et auxy en divers Seigniories & Manors, il y ad tiel custome, si tiel
tenant que tient per custome voloit aliener ses terres ou tenements, il
poit surrender ses tenements a le Baily _ou a le Reeve_, (a) ou a deux
probes homes del Seigniorie, al use cestuy que avera le terre, daver en
fée simple, fée taile ou pur terme de vie, &c. Et tout ceo ils
presenteront al procheine Court, & donque celuy qui avera la terre per
copy de Court Rol, avera mesme la terre solonque lentent del surrender.*

SECTION 79.--_TRADUCTION._

En diverses Seigneuries il est aussi d'usage de remettre au Seigneur sa
tenure pour la faire passer à un autre, & la remise s'en fait ou au
Bailli ou au Réeve, ou Prevôt, ou à deux honnêtes gens de la Seigneurie,
afin que celui qui doit la posséder la tienne en fief simple, à tail ou
à terme de vie, &c. Et quoique dans ces Seigneuries la tenure ne soit
constante que par les Rôles de la Cour, & que conséquemment les tenans
ne le soient que _par copie_, cependant le nouveau possesseur du fief le
tiendra sous le titre auquel la cession lui en aura été faite.

_REMARQUE._

(a) _Ou a le Reeve._

_Reeve_, pour _préve_ ou _préfe_, _præfectus_, _præpositus_, en
François, Prevôt.[292]

[Note 292: _Præpositus tanquam cultor optimus Domino vel Seneschallo
debet præsentari, vel non sit piger aut somnolentus, sed efficaciter &
continuè commodum Domini adipisci nitatur exarare._ Flet. L. 2, c. 69.]

Cet Officier étoit choisi entre les plus considérés & les plus
intelligens des vassaux. Il devoit se bien connoître à la culture des
terres, être au fait des droits & coutumes de la Seigneurie, pour
prévenir plus efficacement les moyens que les vassaux employoient pour
s'y soustraire: il recevoit ces droits & dénonçoit aux Baillis ceux qui
les fraudoient & refusoient de les payer: en un mot, il étoit à l'égard
des Fiefs ce que les Sergens étoient à l'égard des Bénéfices.[293]

[Note 293: _Voyez_ Remarq. Sect. 1, pag. 42.]


*SECTION 80.*

*Et issint est ascavoire, que en divers Seigniories, & divers Manors,
sont plusors & divers customes en tielx cases, _quant a prender
tenements, & quant a pleader_ (a) & quant as auters choses & customes a
faire, & tout ceo que nest pas encounter reason, poit bien estre admitte
& allow.*

SECTION 80.--_TRADUCTION._

Les usages sont encore différens en d'autres Seigneuries, soit pour
remettre, soit pour reprendre, soit pour aliéner ses tenures, soit pour
plaider, & on ne peut se soustraire à un usage qui n'a en soi rien
d'injuste.


*SECTION 81.*

*Et tiels tenants que teignont solonque le custome dun Seignorie ou d'un
manor, coment que ils ont estate denheritance solonque le custome del
Seigniorie ou manor unc pur ceo quils nont _ascun franktenement_ (b) per
le cours del common Ley, ils sont appelles tenants per base tenure.*

SECTION 81.--_TRADUCTION._

Tous tenans, suivant la coutume ou l'usage d'une Seigneurie, n'ont
d'autre état que celui que cet usage leur donne, & comme ils ne sont
point _franc-tenans_ de la commune Loi, on les appelle tenans de basse
tenure.

_REMARQUES._

(a) _A prender tenements & quant a pleader._

Les formes différentes pour plaider ou pour transporter sa tenure à un
autre, admises dans certains Fiefs, n'étoient que des exceptions aux
regles généralement observées dans les autres Fiefs; & il y a lieu de
penser que vu que ces exceptions ne concernoient que des tenures en
_villenage_, c'est-à-dire, celles qui étoient les moins
importantes:[294] leur établissement n'étoit point un privilége. Le but
des Ducs de Normandie étoit d'arrêter les progrès de l'autorité des
Seigneurs, en empêchant leurs Officiers de ne rien décider que sous
l'autorité des Justiciers; mais qu'un Seigneur de vassaux, qui ne
devoient que des services totalement indifférens à l'ordre militaire, &
qui ne consistoient qu'en redevances d'argent ou de denrées, connût des
difficultés que l'exaction ou refus des services de cette espece
faisoient naître, le Souverain n'en devoit prendre aucun ombrage.

[Note 294: C. 2, second L. ci-après.]

(b) _Franktenement_, &c.

Il n'y avoit que le Prince & la Loi qui pussent légitimer une
possession. Les possessions fondées seulement sur l'usage d'une
Seigneurie n'étoient donc que tolérées: elles n'étoient point comprises
au nombre de celles que la commune Loi autorisoit, & elles n'avoient
acquis de stabilité _forsque par longe continuance de temps_. Britton,
chap. 47.


*SECTION 82.*

*En divers diversities y sont perenter tenant a volunt, que est eins
per lease son lessor per le course del common ley, & tenant solonque le
custome del manor en le forme avantdit. Car tenant a volunt solonque le
custome puit aver estate denheritance (come est avantdit) al volunt le
Seignior solonque le custome & usage del manor. Mes si home ad terre
ou tenements, queux ne sont deins tiel manor ou Seigniorie, on tiel
custome ad este use en le forme avantdit, & voile lesser tiels terres ou
tenements a un auter, a aver & tener a luy & a ses heires a le volunt le
Lessor, ceux parols (a les heires de le Lessee) sont voides. Car en cest
case si le lessee devie & son heire enter le Lessor avera bon action de
trespasse envers luy, mes nemy issint. Envers le heire le terre per le
custome en ascun cas, &c. pur ceo que _le custome de le manor en ascun
cas luy puit aide de barrer son Seignior en action de trespasse_, &c.
(a)*

SECTION 82.--_TRADUCTION._

Il y a encore cette différence entre la tenure à la volonté du Seigneur
dans la Seigneurie duquel la _commune Loi_ a cours, & la tenure à
volonté, selon l'usage particulier d'une Seigneurie. La tenure selon
_l'usage_ ou coutume d'une Seigneurie est héréditaire, suivant que cet
usage a reglé l'ordre de succéder; mais la tenure, qui n'est point
dépendante d'une Seigneurie où il y avoit une coutume particuliere,
peut être cédée à un autre tant pour lui que pour ses héritiers; parce
que cependant si dans l'acte de cession le propriétaire a employé que
la cession ne dureroit qu'à sa volonté, en ce cas quoique l'acte porte
(pour le cessionnaire ou ses héritiers) ce propriétaire peut, après la
mort de l'acquéreur, empêcher les enfans d'y succéder, & rentrer dans
le fonds. Ceci n'a pas généralement lieu à l'égard des tenures soumises
à la coutume particuliere d'une Seigneurie; car ces coutumes en certain
cas autorisent l'ancien propriétaire après la mort de celui à qui il a
cédé ses fonds, du consentement de son Seigneur, d'user de l'action en
excès ou _trépas_ contre le Seigneur, si celui-ci s'en empare.

_REMARQUE._

(a) _Le Custome luy puit aide de barrer son Seignior._

Les usages varioient à l'infini à l'égard des basses tenures: ou la
coutume de la Seigneurie étoit que les terres du vassal fussent
héréditaires, à la condition que ni lui ni ses héritiers ne pussent les
céder à un autre sans le consentement du Seigneur, & qu'après le décès
de ce cessionnaire sans postérité, le Seigneur rentreroit dans le fonds;
ou c'étoit le vassal qui, après la mort du cessionnaire, reprenoit la
jouissance de ce fonds. Dans ce dernier cas, si le Seigneur prétendoit
préférer le vassal, celui-ci devoit recourir au Bref de trépasse ou
excès. _Voyez_ Sect. 77 & 193.


*SECTION 83.*

*_Item_, lun tenant per le custome en ascuns lieux doit repairer &
sustemer ses measons, & lauter tenant a volunt nemy.*

SECTION 83.--_TRADUCTION._

En quelques lieux, le tenant par la Coutume doit réparer les bâtimens,
en d'autres il n'y est point obligé.


*SECTION 84.*

*_Item_, lun tenant per le custome _ferra fealtie_, (a) & lauter nemy.
Et plusors auters diversities y sont perenter eux.*

SECTION 84.--_TRADUCTION._

Certains tenans de cette espece font serment de fidélité, d'autres ne le
font pas. Il y a encore d'autres différences entre les usages suivis à
l'égard de cette sorte de tenure.

_REMARQUE._

(a) _Ferra fealtie_, &c.

On regardoit tellement comme fief de nom seulement celui pour lequel
l'investiture se faisoit par la verge ou bâton sans hommage, que
non-seulement on étoit quelquefois dispensé de cet hommage pour ces
sortes de fiefs, mais même de s'avouer sujet du Seigneur, & de lui faire
à ce titre serment de fidélité.



Fin du premier Livre.

ANCIENNES LOIX DES FRANÇOIS,

OU INSTITUTES DE LITTLETON.

LIVRE SECOND.



CHAPITRE I.

_D'HOMAGE._


*SECTION 85.*

*_Homage_ (a) est _le pluis honorable service_, (b) & pluis humble
service de reverence que franktenant puit faire à son Seignior. Car
quant le tenant ferra homage a son Seignior, il serra discinct, & son
test discover, & son Seignior seera, & le tenant genulera devant luy
sur ambideux genues, & tiendra ses maines extendes, & joyntes ensemble
enter les mains le Seignior, & issint dirra: Jeo deveigne vostre home de
cestiour en avant, de vie: & de member, & de terrene honour, & a vous
serra foyall & loyall, & foy a vous portera des tenements que jeo claime
de tener de vous, salve _la foy_ (c) que jeo doy a nostre Seignior le
Roy, & donques le Seignior issue seyant luy basera.*

SECTION 85.--_TRADUCTION._

L'hommage est le service le plus honorable & la plus grande marque de
respect que l'on puisse devoir à un Seigneur pour une franche tenure.
Lorsque le vassal fait hommage, il doit ôter sa ceinture, avoir la tête
découverte & se mettre à genoux devant son Seigneur. Après que celui-ci
s'est assis & a reçu les mains du vassal jointes & étendues dans les
siennes, le vassal doit lui dire: Je me rends votre homme de ce jour, &
à l'avenir; je vous consacre ma vie, mon corps, & je ne veux sur la
terre acquerir d'honneur qu'en vous étant fidele pour les terres que je
tiens de vous, sauf néanmoins la fidélité que je dois au Roi; après quoi
le Seigneur se leve & embrasse le vassal.

_ANCIEN COUTUMIER._

Aulcun ne doit recevoir d'alcun homage fors salue la féaulté au Prince,
& doit être dit quand l'on reçoit les homages & féaultés, Chap. 14.

Homage est promesse de garder foy des choses droiturieres & nécessaires,
& de donner conseil & aide, & cil qui fait homage doit estendre les
mains entre celles à celuy qui le reçoit & dire ces paroles: je deviens
votre home à vous porter foy contre tous, sauf la féaulté au Duc de
Normandie, Chap. 18.

_REMARQUES._

(a) _Homage_.

L'investiture, l'hommage, le serment de fidélité sont des cérémonies
aussi anciennes que la Monarchie. On peut même donner à la derniere une
origine plus reculée.

Les jeunes guerriers Germains, qui agréoient pour chef celui dont la
Nation avoit fait choix pour commander l'armée, s'obligeoient par
serment à sacrifier leur vie pour le succès de l'expédition qu'il
méditoit;[295] & de-là nos premiers Rois eurent auprès d'eux des
Fideles, Leudes ou Antrustions[296] qui, après avoir concerté avec eux
dans les assemblées générales de la Nation les opérations de la campagne
prochaine, leur prêtoient serment de fidélité, & les assistoient durant
le combat. Tout Leude, tenu par état à ces deux devoirs de conseiller le
Prince & de le suivre à la guerre, faisoit ce serment. Il exprimoit
l'assujettissement[297] au Souverain; mais comme indépendamment de la
qualité de sujet que les Leudes méritoient singulierement par la
nécessité où les mettoit la noblesse de leur extraction de sacrifier
leur vie pour conserver la personne des Rois,[298] ils étoient encore, à
raison de cette extraction, les seuls capables de posséder les grands
offices de la Couronne. Quand le Souverain les gratifioit de ces places
éminentes, ils en étoient investis avec des formalités qui
caractérisoient l'espece & la nature de l'autorité qui leur étoit
confiée.

[Note 295: _Principem suum deffendere, tueri, sua quoque fortia
facta gloriæ ejus assignare, præcipuum sacramentum est._ _Tacit. de
Mor. German._ Quand on violoit ce serment on étoit regardé comme
infâme;[295a] mais comme ce serment étoit volontaire, & concernoit
moins le service de la Nation que celui du Général, ceux qui le
transgressoient n'étoient pas exposés à perdre la vie: ce châtiment
étoit réservé à ceux qui, en retardant de se rendre aux assemblées
générales, péchoient contre une Loi de l'Etat.]

[Note 295a: _V._ ci-dessus Rem. Sect. 1.]

[Note 296: _Trew_, nom qui, chez les Allemands, signifioit protection,
_Antrustio Regis_, désigne donc un sujet plus particulierement protégé
par le Prince, _vir in truste Regis_.]

[Note 297: _Leudis_ ou _Leodes_ veut dire sujet. Varoch prête serment de
fidélité à Chilpéric en 580 comme Leude ou Sujet. Il n'avoit ni Office
ni Bénéfice, puisqu'il ne se révolta que parce qu'il n'avoit pu obtenir
le Gouvernement de Vannes. _Greg. Turon._ L. 5, c. 27.]

[Note 298: Clotaire fut maintenu sur le Trône par ses Leudes. _Greg.
Tur._ L. 3, c. 23.]

Ainsi on investissoit les Chanceliers ou Référendaires par
l'Anneau,[299] pour marquer l'attachement particulier dont le Roi les
honoroit en les rendant les dépositaires & les interpretes de ses
volontés.

[Note 299: Cujas _de Feudis_, L. 3, aux notes sur le tit. 3.]

Les Evêques recevoient aussi après leur sacre un Anneau; il étoit le
symbole de cette union, de cette concorde sans lesquelles l'Empire & le
Sacerdoce, qui doivent réciproquement se soutenir, s'entredétruisent.
Mais on joignoit à l'Anneau pour les Evêques une Crosse ou Verge; au
lieu que les Bénéficiers laïcs, autres que les Référendaires, recevoient
cette Crosse sans Anneau. Cette Verge étoit le gage de la possession qui
étoit accordée aux Bénéficiers laïcs des droits dépendans de leurs
Bénéfices, ou le signe de la jouissance que les Prélats acqueroient des
biens profanes aumônés à leurs Siéges.

Le Bâton, la Verge ou la Crosse (car ces expressions sont employées
indifféremment dans nos anciens Auteurs) étoient abandonnés à l'Evêque
ou aux Leudes qui obtenoient du Roi quelque Ville ou Province à
perpétuité,[300] à la différence de ce qui se pratiquoit à l'égard des
Eglises ou des Leudes laïcs, auxquels les dons n'étoient faits que pour
un temps ou à vie; car en ces deux cas la tradition se faisoit par le
Sceptre dont les donataires avoient seulement l'honneur d'être touchés.

[Note 300: Nos premiers Rois en montant sur le Trône recevoient des
Grands de l'Etat une hache ou un javelot; c'étoit le signe du pouvoir
qu'ils avoient de conserver ou d'étendre par les armes leur domination.
_Rex Gumtrannus datâ in manu Regis Childeberti hastâ, ait: hoc est
indicium[300a] quod tibi omne Regnum meum tradidi, ex hoc nunc vade &
omnes civitates meas tamquam tuas proprias sub tui juris dominationem
subjice._ _Greg. Turon._ L. 7, c. 33. Cet usage duroit encore au temps
de Charlemagne: _Ludovicus Carolimagni filius benedictione regnaturo
congruâ insignitus, occurrit ad patris præsentiam, missile manu ferens._
Aimoin. L. 5, c. 2, pag. 267. Mais dans la suite on joignit à la lance
ou hache le _bâton_ pour marque de l'administration que nos Rois avoient
du domaine. _Richildis attulit Ludovico (Carolicalui filio) spatham....
coronam ac fustem ex auro & gemmis._ _Id._ Aimoin. C. 36, L. 5, pag.
337. Ce n'a été que dans le 14e siecle qu'on a substitué à la lance la
Main de Justice. Louis Hutin la porta le premier. Nos Rois de la seconde
race n'ayant plus à redouter ces troubles qui avoient agité l'intérieur
de l'Etat, sous les Rois des deux premieres, crurent que cette Main à
demi-fermée & d'yvoire seroit un symbole propre à faire connoître à
leurs Peuples & aux Monarques leurs voisins qu'ils comptoient moins
établir la prospérité & la durée de leur regne par les armes que par la
sincérité, le secret, la persévérance avec lesquels ils se conduiroient
envers leurs Alliés. Chez les Romains, ceux qui sacrifioient à la Foi
avoient la main enveloppée jusqu'aux doigts, & le voile de leur main &
celui de la statue étoient blancs. Valer. pag. 362. Horace, Od. 35, L.
1.]

[Note 300a: Quelques exemplaires portent _judicium_. C'est une faute de
copiste.]

Outre le serment de fidélité & l'investiture, quand un Antrustion
recevoit du Souverain héréditairement un Duché, un Comté ou tout autre
Bénéfice de dignité, il en faisoit hommage; & comme le serment de
fidélité n'exemptoit point de l'investiture, de même l'hommage ne
dispensoit ni de l'investiture ni du serment de fidélité.

Chacune de ces choses avoit un motif qui lui étoit propre.

L'_investiture_, dans un temps où l'usage d'écrire étoit rare, fixoit
l'espece du droit qu'on devoit exercer sur le fonds dont la propriété ou
la possession étoit cédée.

La _prestation de foi_, quoique de droit étroit pour tous les sujets, se
faisoit plus solemnellement par ceux que leur état appelloit auprès du
Roi plus fréquemment, que les sujets d'un ordre inférieur.

L'_hommage_ étoit un acte de reconnoissance du don fait par le Prince
d'une portion du fisc ou d'une partie de son autorité, à la condition de
n'user jamais ni de l'une ni de l'autre contre l'intérêt des Peuples qui
ressortissoient du domaine cédé.

Ainsi l'_investiture_ constatoit la cession du domaine; l'_hommage_
prévenoit l'abus qu'on auroit pu faire, au préjudice de l'Etat, de
l'espece de Souveraineté inhérente à la cession; & le _serment de
fidélité_ exprimoit la dépendance particuliere où devoient être à
l'égard du Prince ceux d'entre ses sujets qu'il jugeoit dignes de
solliciter & d'obtenir par préférence des bienfaits d'un ordre si
relevé.

En parcourant l'Histoire des temps qui ont précédé l'établissement des
Fiefs, l'exactitude des caracteres que j'attribue à ces diverses
formalités devient sensible.[301]

[Note 301: Par exemple, on conçoit que l'on n'étoit touché du Sceptre
lorsqu'on obtenoit à vie ou à temps la cession d'une partie du fisc, que
parce que la propriété en restoit au Roi ou à l'Etat, & parce qu'on
n'étoit admis qu'à participer à la jouissance. Au contraire, le
Cessionnaire à perpétuité recevoit du Roi une _verge_ ou _bâton_, parce
qu'en ce cas le Roi ne se réservoit rien sur le fonds cédé.]

Dans le sixieme siecle, Désidérius, Evêque de Cahors, se dit
successivement le fidele & le sujet de deux de nos Rois.[302] Un siecle
après Saint Leger, Evêque d'Autun, refuse de rétracter le serment qu'il
avoit prêté à ces deux titres au Roi Théoderic.[303] En ce même-temps un
Concile frape d'anathême les Prélats transgresseurs de ce serment;[304]
& plusieurs Evêques en 680 & 693 subissent la peine fulminée par ce
Concile. Marculphe, qui vivoit dans ce même siecle, donne la Formule du
serment de fidélité des Antrustions;[305] & on en voit l'exécution dans
le recit que fait Aimoin de la maniere dont Tassillon fit ce serment au
Roi Pepin vers le milieu du huitieme siecle. Ce Duc joignit au serment
de fidélité l'hommage à cause de la Baviere: ce qui étoit usité avant
lui, à en juger par ces expressions de l'Historien: _More Francico in
manus Regis in vassaticum manibus suis semetipsum commendavit,
fidelitatemque jurejurando promisit_.[306]

[Note 302: Bibl. Patr. Ep. 3, 4, 5, tom. 3, pag 412 & 413.]

[Note 303: _Vit. 5, Leodeg._ Duchesne, tom. 1, pag. 607.]

[Note 304: Concil. Tolet. Can. 6, Dup. tom. 6, pag. 81.]

[Note 305: _Rectum est ut qui nobis fidem pollicitentur illæsam, nostro
tueantur auxilio_, &c. _Et quia ille fidelis noster veniens ibi in
palatio nostro unà cum Arimaniâ suâ in manu nostrâ trustem & fidelitatem
nobis visus est conjurasse, per præsens præceptum decernimus_, &c.
Marculphe, Formul. 18, L. 1.]

[Note 306: Aimoin, de Gest. Franc. L. 4, c. 64.]

C'étoit toujours le Roi qui recevoit les sermens de fidélité des
Leudes.[307] On réservoit ordinairement les prestations d'hommage aux
assemblées générales de l'Etat.[308]

[Note 307: Les Commissaires du Roi recevoient cependant les sermens de
fidélité des Villes conquises ou qui rentroient sous son obéissance.
Greg. de Tours en fournit différentes preuves. Capit. 88, L. 3, & le 8e
du même Liv.]

[Note 308: Le Roi envoyoit aussi des Commissaires pour faire rendre
hommage & prêter serment de fidélité à ses Enfans lorsqu'il leur donnoit
un Etat à gouverner. _Voyez_ Marculphe, L. 1, Formul. 40.]

Les Evêques ont, il est vrai, quelquefois fait le serment aux
Commissaires du Roi;[309] mais cela n'a eu lieu que lorsqu'il y a eu
contestation au sujet de leur élection. Il auroit été souvent dangereux
dans cette circonstance que le Prélat élu se fût absenté pour se rendre
à la Cour; au lieu que les _Missi Dominici_ venant, au nom du Souverain,
dans le lieu où l'élection s'étoit faite, recevoir le serment de
l'Evêque, dissipoient facilement les cabales. Les ordres dont ils
étoient porteurs faisoient perdre au Clergé & au Peuple l'espoir de
faire agréer au Roi tout autre sujet que celui désigné dans leur
commission.[310]

[Note 309: _Ob quam causam à Missis Dominicis non est plenâ benevolentiâ
susceptus_, &c. _Epist. Senon. Eccles._ Libert. de l'Egl. Gallic. tom.
1, c. 15, pag. 546.]

[Note 310: On voit dans Greg. de Tours nombre d'exemples de la nécessité
de l'approbation du Roi pour le choix des Evêques, L. 7, c. 31, L. 6, c.
15, L. 8, c. 39.]

On voit peu d'hommages faits par les Ecclésiastiques sous la premiere
race, parce qu'il n'y a eu de Bénéfices ou _Honneurs_ du domaine Royal
attachés avec leurs dignités aux Eglises que vers la fin du huitieme
siecle.[311]

[Note 311: Greg. de Tours parle, il est vrai, d'une Ville qui étoit sous
la protection d'une Eglise, mais ce passage doit être entendu du
privilége d'exemption de jurisdiction qui s'accordoit à quelques Eglises
non comme une dépendance des fonds qui leur étoient donnés, mais comme
une exception à la regle suivie dans les donations d'Aleux faites par le
Roi. _Urbs sub tuitione matris Ecclesiæ habebatur._ _Greg. Turon. de
Mirac. Sancti Martini._ Voyez ce que j'ai dit à cet égard dans ma
Préface, aux Notes; & l'interprétation que Thomassin donne à la
troisieme & quatrieme Formule du Liv. 1 de Marculphe, Discipl. Eccles.
part. 3, L. 1, c. 48.]

Jusques-là le Clergé n'avoit eu que la jouissance d'Aleux aumônés par
des Princes ou par des hommes libres, ou la propriété de biens ou de
droits fiscaux, qui, n'ayant de jurisdiction que par privilége, & non
par leur essence, n'obligeoient à l'hommage qu'autant que le Prince, en
les donnant, accordoit au donataire le rang de Noble ou
d'Antrustion:[312] titre que les Ecclésiastiques ambitionnoient d'autant
moins, sous la premiere race, que les Evêques étoient tous tirés du
corps de la noblesse.[313]

[Note 312: _Voyez_ Marc. L. 1, Form. 18.]

[Note 313: _Greg. Tur._ L. 4, c. 15.]

Mais les Leudes laïcs qui, à cette qualité, joignoient celle des
Bénéficiers, faisoient tellement l'hommage & le serment de fidélité pour
les Bénéfices héréditaires, même avant que l'hérédité des Bénéfices fût
généralement établie, que lorsqu'en 877, année en laquelle cet
établissement eut lieu, les Evêques promirent à Charles le Chauve de lui
être _fideles_ & de _l'aider de leurs conseils_; les vassaux du Roi,
Vassi Regii, après lui avoir fait le même serment, se recommanderent à
lui:[314] or le terme de _recommandation_ est le seul qui dans les plus
anciens Auteurs soit spécialement consacré pour désigner
l'hommage.[315]

D'ailleurs dès que les Evêques posséderent des Bénéfices, des honneurs,
non-seulement ils se soumirent à l'investiture, au serment de fidélité,
mais encore à l'hommage; & ils n'ont jamais cessé depuis de remplir ces
trois formalités immédiatement après leur consécration.[316]

[Note 314: Aimoin, L. 5, c. 36, ann. 877.]

[Note 315: _Greg. Turon._ L. 4, c. 41, pag. 163.--_Nota_. Thomassin, L.
2, part. 2, no. 11, c. 48, pag. 473, paroît n'avoir pas examiné avec
assez d'attention l'usage différent que l'on faisoit avant le neuvieme
siecle de ces expressions, _professio fidei & commendatio_. Elles ne
caractérisent, selon cet Auteur, ni _serment_ ni _hommage_. Cependant
dès le regne de Charlemagne la fidélité ne pouvoit être promise sans
serment, _per sacramentum fidelitas promittatur_, c'est une maxime du
huitieme Capitulaire de cet Empereur, L. 3; & avant son regne on
distinguoit tellement la profession de foi de la recommandation, qu'en
tous les endroits où cette derniere est mentionnée, ou elle est
distinguée de la premiere, ou cette premiere est passée sous silence.]

[Note 316: _Suger in vitâ Lud. Gross._ pag. 289. Cujas _de Feud._ tit.
7, col. 1840 & 1846, Marca. _de Concord._ L. 8, c. 19, n. 1.]

Si elles n'avoient point été usitées auparavant à l'égard des Leudes ou
des Seigneurs laïcs, le Clergé auroit il négligé de se récrier contre
leur nouveauté, & de rappeller les temps où les Laïcs en auroient été
exempts, pour s'y soustraire lui-même? Néanmoins lorsque les Evêques
tenterent de secouer le joug de ces formalités, & qu'ils faisoient les
plus grands efforts pour les faire envisager comme une servitude
tyrannique & sacrilége, ils n'eurent point recours à ce moyen. Ils
parurent toujours au contraire moins révoltés contre l'hommage & le
serment de fidélité que contre l'investiture; & aussi tôt qu'elle ne se
fit plus que par le Sceptre, & qu'ils ne reçurent plus du Prince ni la
Crosse ni l'Anneau, leurs plaintes cesserent. Au reste on eut raison de
faire droit sur ces plaintes; car c'étoit par le Sceptre seulement que
les Laïcs avoient de tout temps été investis des Bénéfices que les
Princes leur avoient cédés à vie. Les Bénéfices de cette espece
convenoient en ce point essentiel avec ceux possédés par les Eglises, en
ce qu'en aliénant les uns & les autres pour un temps, on ne pouvoit s'en
former ni fiefs ni vassaux nobles. Il n'y auroit donc eu aucun prétexte
fondé pour refuser de réduire à la même forme les cérémonies qui
accompagnoient la concession de ces deux différentes sortes de biens.

Je crois en avoir dit assez pour dissiper les doutes que forme M. de
Montesquieu[317] sur l'époque de la naissance de l'hommage, qu'il
suppose être postérieure à l'hérédité des Bénéfices. Je n'ajouterai à
cet article qu'une réflexion, que je prie le Lecteur de se rappeller
toutes les fois que je lui paroîtrai opposé au sentiment de l'Auteur de
l'Esprit des Loix.

[Note 317: Espr. des Loix, L. 31, c. 38. Chop. L. 2, _de Feud. Andeg._
pag. 18.]

Un Ecrivain habitué, comme M. de Montesquieu, à ne suivre que son génie,
à créer, est souvent exposé à s'égarer dans la discussion des faits; la
facilité avec laquelle il croit trouver dans son propre fonds des moyens
de les concilier ou de les éclaircir, lui fait souvent négliger de
puiser dans les sources où réside le vrai. Un esprit médiocre, au
contraire, ne manque jamais de recourir à toutes les sources, tant la
crainte de se tromper lui est naturelle; & s'il manque de discernement
au point de ne pouvoir faire un bon choix entre des autorités qui
semblent se contredire, du moins en développant sa marche il met le
Lecteur en état d'appercevoir & d'éviter les écueils dont il n'a sçu se
garantir lui-même.

(b) _Le pluis honorable service._

Comme l'hommage n'étoit dû au Roi que par les Seigneurs en faveur
desquels il avoit disposé d'une portion de son autorité; de même lorsque
ces Seigneurs eurent obtenu la faculté de sous-inféoder leurs honneurs,
le vassal qui participoit aux services honorables que leur rang leur
imposoit ou qui s'acquittoit en leur nom de ces services, leur faisoit
hommage. Les vassaux qui, au contraire, ne tenoient d'eux qu'à vie ou
qui n'avoient point obtenu la concession de leurs Fiefs par le service
militaire, ne faisoient que le serment de fidélité.

C'est ainsi que les Seigneurs copioient en tout le Souverain; les
devoirs auxquels ils étoient obligés envers le Roi étoient le modele de
ceux qu'ils imposoient à leurs sous-feudataires.

(c) _Salve la foy_, &c.

Cette réserve a toujours été d'usage en Normandie; il n'en a pas été de
même dans les autres Provinces de France. Les Bénéficiers, dès la fin du
regne de Charles le Simple, commencerent à regarder leurs vassaux comme
leurs propres sujets; étrangers[318] à la personne du Roi, ils les
obligeoient souvent à porter les armes contre les Princes qui se
disputoient la Couronne. Cet abus monstrueux subsistoit encore sous
Saint Louis, & il l'approuve dans le 49e Chapitre de ses Etablissemens,
_Cil poit semondre son hom d'aller gerroyer son chief Seigneur_.[319]
Aussi le _Sire_ de Joinville quelque dévoué qu'il fût à ce Prince, ayant
été convoqué par les Barons du Royaume, avant la premiere Croisade, pour
prêter serment de fidélité au Roi, s'y refusa, par la raison que ne
tenant aucune terre de la Couronne, il ne devoit ce serment qu'au Baron
qui étoit son Suserain. _Si me manda le Roi_, dit-il, _mais pour autant
que je n'étois pas de ses sujets, je ne voulus pas faire le
serment_.[320]

[Note 318: Bruss. L. 2, c. 5, pag. 161, M. le Présid. Hesn. sous l'an.
923, _le vassal du Roi avoit ses droits pour lui refuser l'obéissance_.]

[Note 319: Quelques Manuscrits portent _le Roi_, Laur. Rel. des Ord. 1er
vol.]

[Note 320: Mém. de Joinville, par Ducange.--Joinville relevoit du Comte
de Champagne, lequel relevoit du Roi; mais l'arriere-vassal ne devoit le
serment de fidélité qu'à son suserain immédiat.]


*SECTION 86.*

*Mes si _un Abbe_ ou _un Pryor_ (a) ou auter home de Religion ferra
homage a son Seignior, il ne dirra: Jeo deveigne vostre home, &c. pur
ceo que il ad luy professe pur estre tant solement le home de Dieu; mes
il dirra issint, jeo vous face homage & a vous serra foyal & loyal, &
foy a vous portera des tenements que jeo teigne de vous, salve la foy
que jeo doy a nostre Seignior le Roy.*

SECTION 86.--_TRADUCTION._

Si un Abbé, Prieur ou autre chef de Communauté Religieuse fait hommage à
son Seigneur, il ne dira pas, je deviens votre homme: sa profession est
d'être tout entier à Dieu; mais il dira seulement je vous fais hommage,
je vous serai fidele & loyal, & je reconnoîtrai toujours tenir de vous
seul les fonds dont vous êtes Seigneur, sauf la foi que je dois au Roi.

_REMARQUE._

(a) _Un Abbe ou un Pryor_, &c.

Sous Pepin & Charlemagne les Eglises jouissoient des droits & des fonds
du fisc à perpétuité, mais elles ne pouvoient les aliéner.[321] Les
Laïcs les obtenoient seulement à titre précaire, & les faisoient valoir
pour eux-mêmes au moyen d'une rétribution annuelle en argent ou en
grains qu'ils payoient aux Eglises.[322] Un Capitulaire de 793, c. 23,
prouve que les dons faits par Charlemagne ou ses Prédécesseurs aux
Eglises étoient exempts du service militaire personnel,[323] puisqu'il
fait mention d'hommes libres qui donnoient leurs Aleux aux Eglises,
desquelles ils les reprenoient ensuite pour en jouir, à charge de
cens[324] précairement, & pour se soustraire par-là aux services
militaires personnels auxquels seuls ces Aleux étoient assujettis
lorsque des Laïcs les possédoient. Mais si les Ecclésiastiques & leurs
tenans étoient dispensés de se trouver en personne à l'armée, ils n'en
étoient pas moins obligés de fournir au Roi des soldats.

[Note 321: Formul. Marculph. L. 2, c. 5, 39 & 40.--Un Concile de
Soissons, en 853, défend même d'échanger les esclaves des Eglises sans
permission du Roi.]

[Note 322: Conc. de Leptines, en 743, Dup. pag. 130, 6e vol.]

[Note 323: Les Eglises n'étoient dispensées que du service personnel &
non d'impôt. Théodebert, fils de Thierry, dans le 6e siecle, affranchit
les Eglises d'Auvergne des impôts qu'elles payoient au fisc. _Greg.
Turon._ L. 3, c. 25. Conc. d'Allem. en 742, 2e Can. Et Chilpéric, en
exigeant des amendes des domestiques des Eglises, parce qu'ils
n'auroient pas été à la guerre, fit une chose inouie jusqu'à lui, _non
erat consuetudo_, dit Greg. de Tours, L. 5, c. 26.]

[Note 324: En combinant les expressions de _Cens_, de _Tributs_
employées dans les Capitulaires quatre de 819 & dix de 812, avec le
vingt-huitieme de l'an 864, on est convaincu, d'un côté, que les Aleux
ne payoient point le _cens_ au Roi; & d'un autre côté que le _cens_
différoit des _tributs_, en ce que le _cens_ n'étoit dû que par les
serfs, & qu'il étoit perpétuel; & qu'au contraire les tributs ou impôts
étoient payés par les Ecclésiastiques, les hommes libres, les serfs
indistinctement & seulement pour un temps. Il est vrai que quelquefois
le nom de _tribut_ se donne au _cens_ dans les Capitulaires; mais alors
on reconnoit le _cens_ à la perpétuité qui lui est attribuée, comme on
discerne aisément le _cens_ dû aux Eglises par des hommes libres du
_cens_ dû par les serfs du Roi, au moyen des bornes de la jouissance
durant laquelle seule le premier cens subsistoit.]

Ils s'acquittoient sans scrupule de cette charge, parce qu'elle étoit
une condition que les donateurs leur avoient imposée. Ils ne devoient
donc en éprouver aucun pour rendre hommage aux Seigneurs des fonds qui
leur avoient été donnés, puisqu'il n'avoit pas été au pouvoir de leurs
bienfaiteurs de les affranchir de cette formalité à laquelle eux-mêmes
avoient toujours été assujettis. D'ailleurs il étoit moins contraire, ce
me semble, à la dignité & à la liberté Ecclésiastique de rendre hommage
au Roi & aux Seigneurs, que de stipendier des hommes pour faire la
guerre. Aussi le Clergé, dans le 8e siecle, & dans la plus grande
partie du neuvieme, s'acquitta exactement de l'hommage. Il fit plus, il
donna le dénombrement[325] de ses biens pour indiquer les différens
services qui devoient lui être imposés.

[Note 325: _Ut non solum Beneficia Episcoporum vel Abbatum, Abbatissarum
atque Comitum, sive vassorum nostrorum, sed etiam fisci nostri
describatur in breve: ut scire possimus quantum etiam de nostro in unius
cujusque legatione habeamus._ Capitul. 82, L. 3, ann. 812. Concil. de
Thionv. pag. 590. Collect. Balus. Flodoard, Hist. Eccles. Rem. L. 3, c.
28, pag. 304.]

Les Parlemens rangerent en plusieurs classes leurs redevances. Quelques
Eglises n'étoient obligées qu'à des prieres, parce qu'elles ne
jouissoient que de pensions en grains;[326] d'autres faisoient chaque
année des présens au Roi pour le défrayer de la dépense qu'exigeoit
l'assemblée des Etats.[327] Plusieurs étoient tenus de fournir des gens
de guerre[328] à cause des Aleux, des Fiefs ou des Bénéfices qui leur
avoient été aumônés par des Laïcs; enfin il y en avoit, mais en petit
nombre, qui jouissoient, du consentement de nos Rois, de l'exemption de
toute domination temporelle.[329] Mais les troubles qui agiterent le
Royaume vers la fin du 9e siecle ayant facilité aux Nobles l'usurpation
des biens Ecclésiastiques, les charges & les priviléges de ces biens se
trouverent dans une confusion dont le Clergé se prévalut pour se
dispenser de l'homage. Charles le Simple, en écrivant aux Evêques en
921, ne leur parle en conséquence que du serment de fidélité.[330]

[Note 326: Lupicinus, a qui le Roi Chilpéric offrit des fonds de terres,
préféra une rente annuelle en grains, en vin & en argent, à prendre sur
le fisc, parce que sans doute outre que la culture des terres auroit
détourné de l'oraison les Moines qui lui étoient soumis, la possession
de ces terres auroit assujetti son Monastere à des impôts dont une rente
sur le domaine ne pouvoit naturellement devenir susceptible. _Greg.
Turon. vit. Patr._ pag. 848.]

[Note 327: Ces présens ne se faisoient que lorsqu'on tenoit ces
assemblées. Conc. de Verneuil en 755, Can. 6, Capit. tom. 2, not. Sirm.
pag. 810 & _ibid_, ann. 833. Annal. Bénédict. L. 28, tom. 2, pag. 407,
no. 64, ann. 817.]

[Note 328: Conc. Gallic. tom. 2, pag. 685. _Voyez_ aussi dans les
Capitul. tom. 1, pag. 590, ann. 817. Le Role dressé au Parlement
d'Aix-la-Chapelle, _Notitia de Monasteriis quæ Regi militiam, vel dona
vel solas orationes debent_, &c.]

[Note 329: Guillaume, Comte d'Auvergne, avoit accordé une semblable
exemption à l'Abbaye de Cluny. L'Abbé Pierre, sous Innocent II, eut
recours à ce Pape pour l'abolir, parce qu'aucuns Princes ne vouloient
défendre les terres de l'Abbaye. Orig. des rev. Ecclésiast. par Jérôme
Acosta, pag. 66.]

[Note 330: Thomass. pag. 2, L. 2, c. 48, no. 12, pag. 1019.]

Le Duc Raoul, qui étoit redevable de la Souveraineté aux Evêques de
Normandie,[331] ne leur imposa point de nouveaux devoirs, & de-là le
Clergé de cette Province se crut en droit de décider dans un Concile
assemblé à Rouen en 1096, que les Prêtres ne devoient pas faire hommage
aux Seigneurs laïcs, mais seulement prêter serment de fidélité pour les
Fiefs qui appartiendroient à ces Prêtres héréditairement. D'où on peut
conclure que quoique les premiers Ducs Normands n'eussent pas exigé des
Evêques l'hommage, les Seigneurs n'avoient pas eu pour eux les mêmes
ménagemens. Il y a apparence que ces Ducs avoient approuvé tacitement la
conduite des Seigneurs sur ce point, & qu'ils avoient attendu une
occasion favorable pour l'autoriser ouvertement par la leur. A peine
Guillaume eut-il assuré sa domination en Angleterre, que les Evêques
furent obligés de lui rendre hommage, & Henry son petit-fils l'exigea de
Saint Anselme,[332] comme un droit ancien, & qui n'avoit éprouvé sous
ses Prédécesseurs aucune contradiction.[333] Ce Prélat, malgré ses
répugnances, se soumit, de l'avis du Pape même, aux ordres de son
Prince: ce qui fut imité par tout le Clergé d'Angleterre lors de
l'avénement de Guillaume, fils de Henry, au Trône.[334]

[Note 331: Polidore Virgile dit, pag. 99 de son Hist. que _Francon_,
Arch. de Rouen, qui fit le traité avec Charles le Simple, étoit _homo
Rolloni notus atque acceptus_.--Dudon de Saint Quentin s'exprime plus
fortement encore: _Karolus autem Rex audiens quod Rollo in opportunis
bellis attritum subjugasset Regi & sibi transmarinum regnum, consilio
Francorum rogat ad se venire Franconem Rothomagensem Episcopum jam
Rolloni attributum._ _Dud. de Moribus & actis Norman._ L. 2, pag. 79,
Collect. Duchesn.]

[Note 332: Brussel, tom. 2, L. 3, c. 7, pag. 825. Thomass. L. 2, c. 49,
pag. 2.]

[Note 333: Eadmer, _Hist. novor._ L. 1, col. 2, pag. 40, & L. 4, col. 2,
pag. 76, & L. 3, col. 2, pag. 57.]

[Note 334: Eadmer, _Histor. novor._ L. 5, 2e col. pag. 90.]

Le motif de la différence qui se rencontre dans Littleton entre les
termes employés pour exprimer l'hommage des Laïcs & ceux de la formule
d'hommage des Ecclésiastiques, se tire donc de ce qu'au temps de Raoul
les Eglises, dépouillées par les Grands de la plupart des Fiefs
qu'elles tenoient de la Couronne, se prétendoient exemptes de l'hommage
dû à cause de ces Fiefs. Mais comme elles tenterent d'étendre cette
exemption aux Fiefs que les Seigneurs leur avoient aumônés, & dans la
possession desquels elles n'avoient point été troublées, & que ces
Seigneurs résisterent toujours à cette prétention du Clergé; Guillaume
le Conquérant, pour concilier les droits anciens de ces Seigneurs avec
les répugnances des Ecclésiastiques, permit d'autant plus volontiers,
ainsi que ses Successeurs, à ceux-ci de ne point se reconnoître sujets à
l'hommage pour leurs personnes, que depuis Charlemagne ils n'avoient dû
en France, à cause de leurs inféodations, qu'une contribution en hommes
propres à faire le service militaire.[335]

[Note 335: _Voyez_ Remarque sur la Sect. 96.]


*SECTION 87.*

*_Item_, si feme sole ferra homage a son Seignior, el ne dirra: _Jeo
deveigne vostre feme_, (a) pur ceo que nest convenient que feme dirra
que el deviendra feme a ascun home forsque a sa baron quant el est
espouse; mes il dirra, jeo face a vous homage, & a vous serra foyall &
loyall, & foy a vous portera des tenements que jeo teigne de vous, salve
la foy que jeo doy a nostre Seignior le Roy.*

SECTION 87.--_TRADUCTION._

Si une femme fait hommage, elle ne dit pas au Seigneur: Je deviens votre
femme, il y auroit de l'indécence à se dire la femme d'un autre que de
son époux; mais elle dit seulement, je vous fais hommage, je vous serai
fidele & loyale, & je vous reconnoîtrai toujours comme Seigneur des
tenemens qui relevent de vous, sauf la foi que je dois au Roi notre
Seigneur.

_REMARQUE._

(a) _El ne dirra: jeo deveigne vostre feme_, &c.

La femme ne s'obligeoit point, par l'hommage, de s'acquitter en personne
des services militaires attachés au Fief auquel elle avoit succédé. Elle
ne pouvoit donc pas se dire la femme du Seigneur au même sens que le
vassal en devenoit l'homme; il suffisoit qu'elle se substituât
quelqu'un pour remplir les devoirs dont elle ne pouvoit décemment
s'acquitter elle-même. Il y avoit cependant des Fiefs créés spécialement
pour des femmes.[336] Tels étoient entr'autres ceux dont parle
Cujas,[337] qui obligeoient les femmes qui les obtenoient, ou de veiller
sur les domestiques de l'épouse d'un Seigneur, ou de l'accompagner,
comme amie, en tous ses voyages, &c. Ces fonctions n'étoient pas
ordinairement attachées à des terres, mais à des droits sur les denrées
que l'on exposoit en vente dans les marchés ressortissans de la
Seigneurie; au privilége exclusif de faire cueillir le miel de tout ou
de partie d'une forêt, &c.[338] Cette espece de Fiefs étoit tenue par
hommage, & presque toujours par hommage-lige,[339] parce qu'on étoit
obligé de s'acquitter en personne du service en considération duquel le
Fief avoit été érigé. C'est ce qui s'induit des exemples que Brussel en
fournit, exemples qui me font appercevoir, en même-temps, que cet
Auteur[340] s'est non-seulement trompé lorsqu'il a cru que
_l'hommage-lige n'avoit été établi que par rapport au service de
guerre_, mais encore plus, en avançant qu'on ne l'a connu que dans le
douzieme siecle; car on trouve ce terme employé dans une Chartre du Roi
Philippe de 1076, & dans une Lettre de Henri, Evêque de Soissons, en
1088.[341]

[Note 336: _Feudum muliebre, id est de quo fuerit à primo mulier
investita._ Cujas, _de Feud._ L. 1, tit. 1, col. 1802.]

[Note 337: _Si feudum datum sit ut fœmina iter uxoris Domini officiosè
comitetur, vel ut domi focique Dominæ ministret & rem ejus familiarem
accuret_, ibid, col. 1818.]

[Note 338: _Domicella Eramburgis de Cheruy ligia de medietate examinum
apum quæ inveniuntur in nemoribus_, &c.--_Isabellis de Castrovillani
ligia de quatuor stallis piscium & carnium apud Barrum._ Registr. de
Champagne en 1256, fo 13 & 44.]

[Note 339: On l'appelle lige, du mot _ligare_. Les vassaux qui devoient
cet hommage étoient par la nature de leurs services plus intimement liés
au Seigneur que les autres.]

[Note 340: Bruss. Exam. des Fiefs, L. 1, c. 11.]

[Note 341: Assis. de Jérus. aux Notes de la Taumass. pag. 255. C'est
aussi parce que les droits d'avoir _Garennes en Forêts_, _Quittances en
Foire_, emportoient _la ligence_, que l'Ancien Coutumier de Normandie,
c. 28, appelle les tenures de ces droits _tenures de dignité_.]


*SECTION 88.*

*_Item_, home puit veier un bone note in M. 15 E. 3. lou un home & sa
feme firent homage & fealtie en le common Bank, quil est escrie en
tiel forme. Nota que J. Leukner & Elizabeth sa feme, fierent homage a
W. Thorpe en cest maner; lun & lauter tiendront jointment lour mains
enter les mains W. T. & le baron dit en cest forme: Nous vous ferromus
homage, & foy a vous porterons, pur les tenements que nous teignomus de
A. vostre conusor que a vous ad graunter nostre services en B. & C. &
auters villes, &c. encounter touts gents, salve la foy que nous devons a
nostre Seignior le Roy, & a ses heires, & a nostre auters Seigniors, &
lun & lauter luy baseront. Et puis ils fierent fealtie, & lun & lauter
tiendront lour mains sur un lieux, & le baron dit les parolx, & ambideux
baseront le lieux.*

SECTION 88.--_TRADUCTION._

Dans le Recueil des Actes du regne d'Edouard III, on trouve cette note
au sujet d'un homme & de sa femme qui firent homage & féaulté en la Cour
du commun Banc.

Jean Leukner & Elizabeth son épouse ont fait hommage à Guillaume Thorpe
de cette maniere: L'un & l'autre ont mis leurs mains jointes dans celles
de Guillaume Thorpe, & le mari lui a dit: Nous vous faisons hommage, &
nous vous promettons fidélité pour les ténemens relevans de vous, que A.
nous a cédés, à charge de services en la Ville de B. en celle de C. & en
d'autres Villes, sauf la fidélité que nous devons au Roi & à ses hoirs,
& à nos autres Seigneurs, après quoi le mari & la femme ont embrassé
Thorpe; ensuite ils ont fait _féaulté_ en posant tous deux leurs mains
sur un lieu qui leur a été désigné, & le mari ayant prononcé la formule
d'usage, sa femme & lui ont baisé le lieu où leurs mains avoient été
posées.


*SECTION 89.*

*_Nota_, si un home ad severall tenancies queux il tient de severals
Seigniors, si chescun tenansiie per homage, donques quant il fait homage
a un des Seigniors, il dirra en le fine de son homage fait, salue la foy
que jeo doy a nostre Seignior le Roy, _& a mes outers Seigniors_. (a)*

SECTION 89.--_TRADUCTION._

Lorsqu'un vassal a différens fonds relevans de divers Seigneurs par
hommage, il doit toujours terminer sa prestation d'hommage par ces mots,
sauf la foi que je dois au Roi & à mes autres Seigneurs.

_REMARQUE._

(a) _Et a mes ousters Seigniors._

J'ai déjà dit que lors même qu'un vassal ne tenoit rien du Roi, il ne
faisoit, en Normandie, l'hommage qu'en réservant la foi qu'il devoit au
Souverain; mais cette réserve cessa d'être usitée en plusieurs Provinces
de France dès le regne du Roi Raoul, successeur de Charles le Simple.

Quand ce Prince parvint au Trône, l'autorité royale étoit dans la plus
extrême foiblesse;[342] _les Seigneurs étoient sans cesse en guerre les
uns contre les autres, pour des arrieres-vassaux qu'ils se disputoient
réciproquement_; & ils forçoient les Princes, qui avoient des
prétentions à la Couronne, & qui étoient toujours prêts d'en venir aux
mains, de leur faire des concessions, au moyen desquelles ils pussent
les aider d'un plus grand nombre de soldats. Ces Seigneurs embrassoient
le parti de celui qui se prêtoit plus volontiers à leurs instances, & le
Sous-Feudataire, forcé de combattre pour le Prince dont son Seigneur
avoit épousé la querelle, ne reconnoissoit plus que l'autorité de ce
Seigneur.

[Note 342: Mézeray, ann. 930.]

Cependant comme le vassal relevoit quelquefois de plusieurs Seigneurs
dont les engagemens étoient opposés, & que chacun d'eux exigeoit en même
temps les différens services qu'il leur devoit, la situation du vassal
étoit d'autant plus critique, qu'il étoit également dangereux pour lui
de refuser ou d'accorder les services qui lui étoient demandés; tout ce
qu'il pouvoit faire de plus prudent, étoit de temporiser jusqu'à ce que
la force eût décidé celui auquel de ses Seigneurs il devoit obéir.

La France étoit plongée dans ce désordre,[343] lorsque le Duc Raoul
devint maître de la Normandie.

[Note 343: Abregé chronol. de M. le Prés. Hesn. ann. 929, 930, 931.]

La Souveraineté ne pouvant alors lui être contestée par aucuns des
Grands de son Duché, ils n'eurent aucun prétexte d'étendre leur
puissance aux dépens de la sienne, ou de celle de leurs égaux.

Le Vasselage, avant ce Duc, avoit prescrit des distinctions entre les
devoirs dûs aux Rois par les Suzerains, & les services auxquels les
arrieres-vassaux étoient tenus envers leurs Seigneurs; & sous sa
domination, cet ancien ordre se rétablit comme de lui-même.

Les services des arrieres-vassaux n'étant plus dirigés par l'intérêt
personnel des Seigneurs, mais selon les vues du Souverain, on ne vit
plus, en la personne des Seigneurs & des vassaux, que des sujets soumis
& fidèles. Tandis qu'en France, où les Loix féodales étoient violées
dans leurs maximes fondamentales, tout se réunissoit à dépouiller le
Souverain du pouvoir qu'exerçoit le Seigneur le moins accrédité de son
Royaume; En Normandie, au contraire, ces Loix reprenant cette vigueur
qu'elles avoient eue sous Charlemagne, concentroient toute espece
d'autorité en celle du Duc, & le mettoient en état de se faire redouter
des plus puissans Monarques.


*SECTION 90.*

*_Nota_, que nul ferra homage, mes tiel que ad estate en fée simple ou
en fée taile en son droit de mesne, ou en droit dung auter. Car il est
un maxime en le ley que il qui ad estate forsque pur terme de vie ne
ferra homage, ne prendra homage: car si feme ad terres ou tenements en
fée simple ou en fée taile queulx ell tient de son Seignior per homage,
& prent baron & ont issue, donque le baron en la vie la feme ferra
homage, pur ceo que il ad title daver les tenements per le Curtesie de
Angleterre sil survesquist la feme, & auxy il tient en droit de sa feme.
Mes si la feme duy devant homage fait per le baron en la vie sa feme, &
le baron soy tient eins come tenant per le Curtesie, donques il ne ferra
homage a son Seignior, pur ceo que il adonque nad estate forsque pur
terme de vie.*

*Plus serra dit de homage en la tenure per homage ancestrel.*

SECTION 90.--_TRADUCTION._

Nul ne fait hommage, à moins qu'il ne possède à perpétuité ou
héréditairement, ou par acquisition, des Fiefs simples ou des Fiefs
conditionnels; car il est de maxime que l'hommage n'est point dû pour
les tenures à vie, ni aux Seigneurs qui ne sont qu'usufruitiers.

Ainsi lorsqu'une femme ayant des terres en Fief simple ou conditionnel,
sujettes à l'hommage, se marie, & a dans la suite des enfans, le mari
peut faire hommage pour sa femme, tant qu'elle est vivante, parce qu'il
la représente, & qu'il est réputé la représenter encore en vertu du
droit de la Courtoisie d'Angleterre. Mais si la femme décede avant que
son mari ait fait hommage, quoiqu'il jouisse au droit de la Courtoisie,
il ne sera point admis à le faire, parce que ce n'est plus au nom de sa
femme qu'il pourroit le faire en ce cas, & que comme simple usufruitier
il n'a pas la faculté de s'acquitter de ce devoir.

Au reste, il sera traité de l'Hommage avec plus d'étendue sous le titre
de Tenure par hommage d'Ancêtres.



CHAPITRE II.

_DE FÉAUTÉ._


*SECTION 91.*

*Fealty, _idem est quod Fidelitas_ (a) en Latin. Et quant franktenant
ferra fealty a son Seignior, il tiendra sa maine dexter sur un lieux, &
durra issint: Ceo oyes vous mon Seignior, que jeo a vous serra foyal &
loyal, & foy a vous portera des tenements que jeo claime a tener de
vous, & que loyalment a vous ferra les customes & services queux fair a
vous doy as termes assignes, si come moy aide Dieu & ses Saints, &
basera le lieux. Mes il ne genulera quant il fait fealty, ne ferra tiel
humble reverence come avant est dit en homage.*

SECTION 91.--_TRADUCTION._

_Féauté_ ou fidélité c'est la même chose. Lorsque le vassal rend ce
devoir à son Seigneur il pose, en se tenant debout, la main droite sur
un lieu qu'on lui indique, & il dit: Mon Seigneur, je vous serai fidele
& loyal, je vous payerai toujours, pour les ténemens que j'avoue relever
de vous, les coutumes & services auxquels je suis obligé, & dans les
termes prescrits. Que Dieu & ses Saints me soient en aide en l'exécution
de cette promesse; ensuite il baise le lieu où il a posé sa main.

_ANCIEN COUTUMIER._

Et doit estre dict quand l'en reçoit les homages & les féaultés: Entre
les Seigneurs & leurs hommes doit estre foy gardée en telle maniere que
l'un ne doit faire force à l'autre. Ch. 14.

_REMARQUE._

(a) _Fealty_.

Tant que les Bénéfices ne furent point héréditaires, le serment de
fidélité ne fut prêté qu'au Roi; mais les Bénéficiers, devenus
propriétaires de leurs Gouvernemens, s'étant procurés, en les
démembrant, des vassaux, leur autorité sur ces hommes de Fief s'accrut
par les troubles qui agiterent la Monarchie sous les derniers Rois de la
seconde Race, au point qu'ils obligerent ces hommes, indépendamment de
l'hommage dû à cause du Fief dont ils les avoient gratifiés, à leur
promettre la foi qu'ils ne devoient qu'au Souverain. Ces vassaux
devinrent donc, à proprement dire, les sujets des Seigneurs, puisqu'ils
n'étoient fidèles au Souverain, comme je l'ai déjà remarqué, qu'autant
que ces Seigneurs lui demeuroient soumis.

Mais non-seulement tout vassal qui possédoit un Fief sujet à l'hommage
devoit à son Seigneur le serment de fidélité, celui même qui n'avoit pas
de Fief faisoit ce serment.

La foi ou féauté _n'étoit donc pas de l'essence du Fief_;[344] c'étoit
un simple aveu de la Jurisdiction[345] de laquelle on dépendoit, des
qu'on avoit fixé son domicile dans l'étendue d'une Seigneurie.

[Note 344: Guyot, Instit. Féod. c. 1, soutient l'affirmative.]

[Note 345: _Non quod habeat feudum, sed quia de jurisdictione sit ejus._
Cuj. L. 2, tit. 5, _de Feudis_, c. 1845.]

Aussi ce n'étoit pas entre les mains du Seigneur que la foi se juroit,
mais sur un lieu désigné, pour marquer, sans doute, que le vassal ne
s'engageoit pas au Seigneur lui-même, & que sa soumission n'étoit
relative qu'à l'autorité confiée à ce Seigneur par le Prince.

En prêtant le serment de fidélité on se tenoit debout; on ne donnoit
point au Seigneur le baiser; le Senéchal ou le Bailli pouvoient même
recevoir la foi en l'absence du Seigneur, comme les _Missi Dominici_
avoient toujours reçu, au nom des Rois des deux premieres Races, le
serment des nouveaux sujets, ou celui des anciens sujets dont la
fidélité étoit suspecte. La fidélité n'étoit jurée aux Seigneurs, que
parce qu'ils s'étoient substitués, à l'égard de leurs vassaux, aux
délégués de nos Rois, sous le prétexte qu'ils conserveroient ou
restitueroient, pour ainsi dire, au Prince, la foi des sujets de leur
ressort, soit en lui prêtant eux-mêmes serment, soit en rappellant à ces
sujets leurs vassaux, dans les actes de prestation de foi, que la
promesse qu'ils en faisoient devoit toujours être restrainte par la
volonté & les intérêts du Souverain.

Il n'est donc pas étonnant de trouver plus d'attention de la part des
Seigneurs à exiger des hommes domiciliés en l'étendue de leur Fief, qui
en étoient _tenants_, le serment de fidélité en certaines circonstances,
qu'ils n'en ont eu en d'autres; ni de voir ces derniers, tantôt
dispensés de ce devoir, tantôt obligés à l'hommage & à la féauté
indistinctement ou divisément. Ces usages ont dû suivre le progrès ou le
déchet qu'ont successivement éprouvé en France, dans les dixieme,
onzieme & douzieme siecles, l'autorité Royale & le pouvoir des
Seigneurs.

Quand un Seigneur réussissoit à se faire redouter du Souverain, & qu'il
vouloit s'en choisir un entre deux Princes rivaux, il faisoit prêter le
serment de fidélité, sans réserver celle dûe au Roi. Sous des regnes
paisibles, où les droits du Monarque étoient respectés, les traces de
l'usurpation qu'en avoient faite les Seigneurs, & qui se manifestoient
dans les actes d'inféodation, disparoissoient bientôt, ou on omettoit,
dans les nouveaux actes, la prestation de foi, ou elle n'y étoit
présentée que comme identique avec les promesses indispensables pour
assurer les droits du Vasselage.[346] C'est ce dont on demeure
convaincu, en consultant les Chartres postérieures au regne de Charles
le Simple. Les formules d'hommage & de _féauté_ qu'on y emploie, sont
toujours analogues à la situation où étoient les affaires de l'Etat lors
de leur date; & en les comparant avec les actes par lesquels le Clergé a
refusé aux Seigneurs, en diverses occasions, le serment de fidélité, on
est naturellement porté à croire que son refus étoit moins fondé sur des
vues d'indépendance, que sur l'appréhension de participer à l'abus que
les Seigneurs faisoient des sermens qu'on leur prêtoit, au préjudice de
l'autorité Royale.

[Note 346: _Capitul. anni 865, apud Tusiacum._ Balus. col. 197.]


*SECTION 92.*

*Et graund diversity y ad per enter feasans de fealtie & de homage; car
homage ne poit estre fait forsque al Seignior mesme: mes le Seneschal de
court le Seignior ou Balife, puit prender fealtie pur le Seignior.*

SECTION 92.--_TRADUCTION._

Il y a une grande différence entre l'hommage & la féauté. L'hommage ne
se rend qu'au Seigneur lui-même, & on prête serment de fidélité au
Senéchal ou au Bailli en l'absence du Seigneur.


*SECTION 93.*

*_Item_, tenant a terme de vie ferra fealtie, & uncore il ne ferra
homage. Et divers auters diversities y sont perenter homage and
fealtie.*

SECTION 93.--_TRADUCTION._

D'ailleurs un usufruitier prête serment de fidélité, & il ne fait point
hommage.


*SECTION 94.*

*_Item_, home poit veir 15. Ed. 3. coment home & sa feme fieront homage
& fealtie en common banke, que lest escript devant en Tenure de homage.*

SECTION 94.--_TRADUCTION._

On a ci-devant vu comment, dans le 15e Record tenu sous Edouard III, un
homme & sa femme firent féauté & hommage en la Cour du commun Banc.



CHAPITRE III.

_D'ESCUAGE._


*SECTION 95.*

*Escuage est appell en Latine_ Scutagium_, cest ascavoir, _Servitium
Scuti_. Et tiel tenant que tient sa terre _per escuage_, (a) tient per
service de Chivaler. Et auxy il est communement dit, que ascun tient per
un fée de service de Chivaler, & ascun per le moitie dun fée de service
de Chivaler, &c. Et il est dit, que quant le Roy face voyage royal en
Escoce pur subduer les Scotes, donques il que tient per un fée de
service de Chivaler, _covient estre ove le Roy per 40 jours_, (b) bien &
convenablement array pur le guerre. Et celuy que tient sa terre per le
moitie dun fée de Chivaler covient estre ove le Roy per 20 jours. Et il
que tient son terre per le quart part dun fée de Chivaler covient estre
ove le Roy per 10 jours, & issint que pluis, pluis; & que meins, meins.*

SECTION 95.--_TRADUCTION._

Escuage, en Latin _Scutagium_ ou _Servitium Scuti_, s'entend du service
de Chevalier dû par un Fief. Or certains tiennent par un service de
Chevalier, d'autres par demi-service.

Tout tenant par service entier de Chevalier doit suivre, bien armé, le
Roi pendant quarante jours lorsqu'il va faire la guerre en Ecosse; &
celui qui ne tient que par demi-service ne doit être à l'armée que
pendant vingt jours. Il en est ainsi à proportion de ceux dont la tenure
est sujette à un plus grand ou un moindre service de Chevalier.

_ANCIEN COUTUMIER._

Il y a alcuns Fiefs de Hautbert qui doivent à leur Seigneur le service
de l'Ost qui doit estre fait au Prince; les aultres doivent l'aide de
l'Ost. Ch. 44.

Les Fiefs en chef sont comme les Comtés, les Baronnies; les Fiefs de
Hautbert, les franches Sergenteries & les aultres qui ne sont submis à
alcun Fief de Hautbert. Ch. 34.

L'en appelle membre de Hautbert la huitieme partie d'un Fief de
Hautbert, & toutes les aultres parties qui sont contenues sous moindre
nombre, si come la septieme, la sixieme & aultres. Ch. 33.

_REMARQUES._

(a) _Et tiel tenant per escuage_, &c.

Il y avoit[347] des Chevaliers chez les Gaulois: divers animaux étoient
représentés en broderie d'or sur leurs habits de pourpre. Tandis qu'ils
étoient à table, des Ecuyers se tenoient debout aupres d'eux, &
gardoient leurs armes. Pausanias[348] distingue ainsi les fonctions des
Chevaliers & de leurs Ecuyers. Chaque Chevalier, dit-il, étoit suivi de
deux autres qui lui étoient subordonnés; ceux-ci le secouroient ou le
remplaçoient dans la mêlée, selon le danger qu'il couroit, ou la
supériorité de l'ennemi qu'il avoit à combattre; si son cheval étoit tué
ils lui donnoient le leur. Procope[349] entre encore dans un plus grand
détail; il divise les Chevaliers en trois classes: les uns étoient armés
de haches; d'autres, couverts de boucliers, lançoient des javelots;
certains portoient les bannieres ou étendarts sous lesquels les
Chevaliers de chaque ordre devoient se rallier.

[Note 347: Athen. L. 5, pag. 97, no 50, édition de Basle en 1535, &
_Annotat. Leonic. In eund. Auth._]

[Note 348: _Ita Gallos equestrem pugnam instituisse ut singulos equites
selectos equis sequerentur, alii duo equites qui Domino occiso suum
submitterent; quique Domino & sibi invicem auxilio vel supplemento
essent._--Les Ecuyers remplaçoient le Chevalier, _Equitem Dominum_, dans
un combat général, ce qui ne leur étoit pas permis dans les duels ou
combats particuliers.]

[Note 349: _Talibus Belisarius adhortatus equites omnes præter
quingenarios eo die præmisit. Scutigeros verò ac signum quod bandum
vocant Joanni Armenio committens, ac si fuerit occasio jaculari
mandavit._ _Procop. de Bell. Wandal._ pag. 211.--_Aiganus & Rufinus,
ille inter equites hastatos, alter inter ordines Ducis ferre signum
consuevit, quem Bandophorum Romæ vocant; hi quum equitibus præessent_,
&c. _ibid_, pag. 221.]

La disposition de leur marche dépendoit du général, qui étoit tiré de
l'un des trois corps.

D'après ces témoignages on ne peut douter que les usages Gaulois n'ayent
été le germe des distinctions que l'on a depuis faites en France entre
les Chevaliers d'armes, les Bannerets, les Bacheliers, les Ecuyers, &
entre les services spécialement attachés à ces divers titres.

Autrefois, en France, on ne pouvoit s'asseoir à la table des Barons, si
l'on n'avoit été reconnu Chevalier.[350] Ces Barons étoient des
Chevaliers qui avoient été choisis par le Roi pour commander.[351] Ceux
qui n'avoient point encore mérité ce même honneur, avoient chacun leur
banniere, & ils étoient, ainsi que le Général, accompagnés d'un certain
nombre de militaires spécialement dévoués à les soutenir dans le combat,
ou à leur procurer des armes & des chevaux au besoin.

[Note 350: Loisel, Institut. Coutum. L. 1, Regl. 14, tit. 1, pag. 15.]

[Note 351: Ce choix étoit marqué par le baiser, le baudrier & l'épée.
Aimoin, L. 3, c. 4, pag. 81. _Id._ L. 3, c. 62, pag. 124, L. 5, c. 17,
pag. 301.--De-là les Rois ceignoient l'épée à leurs fils lorsqu'ils leur
confioient le commandement des Troupes: Charles reçut, de Louis le
Débonnaire son pere, l'épée & le commandement en 838. Ann. Bertin. Duch.
tom. 3, pag. 193.]

Les rangs & les services n'avoient d'abord été réglés, entre les
Chevaliers Gaulois ou François, que sur la bravoure & la naissance; mais
lorsque quelques Seigneurs furent devenus propriétaires des Bénéfices
que leurs exploits ou la noblesse de leur extraction leur avoient fait
accorder par le Souverain, le titre de Chevalier fut attaché à ces
Bénéfices, en assura irrévocablement la dignité, fixa l'espece des
devoirs dont ceux qui les possédoient étoient personnellement tenus.
De-là ces Seigneurs, au lieu de s'en acquitter avec ce zèle qu'ils
avoient toujours témoigné, tant que la récompense avoit été amovible, &
tant que leurs descendans n'avoient été admis à y succéder qu'en la
méritant eux-mêmes, ils ne négligerent rien pour se décharger sur
d'autres de ces devoirs.

Ils céderent aux Leudes, qui n'avoient point de Bénéfices, une portion
des leurs, à la condition qu'ils en acquitteroient en partie les
services. Le Duc ou Comte permit à ses vassaux, en faveur desquels il
avoit démembré son domaine, de lever bannière & de se former des
arrieres-vassaux; & ces Bannerets imposerent à ceux-ci le soin de
fournir des soldats, des armes. Les Ducs ou Comtes, par la distribution
qu'ils faisoient de leurs honneurs, s'acquéroient beaucoup d'autorité
sur les autres militaires, qui n'avoient ni Titres, ni Offices, ni
Bénéfices. On vit donc un nouvel ordre succéder à celui qui avoit été
jusqu'alors observé entr'eux.

Les Généraux avoient toujours été tirés des corps des Chevaliers, connus
sous les dénominations de _Loricati_, d'_Hastati_, de _Bandophori_, de
_Scutiferi_, _&c_; mais on ne les choisit plus dans la suite que parmi
les Ducs ou Comtes. Delà le titre de _Princes_ ou de _Barons_[352] du
Royaume qu'ils s'attribuerent exclusivement, en signe de la prééminence
qu'ils avoient sur les autres Chevaliers non Bénéficiers, auxquels ils
imposoient, en leur sous-inféodant, telles fonctions qu'il leur
plaisoit; & ces derniers, obligés de marcher sous la conduite de ces
Princes ou Barons en personne, retinrent les noms de _Chevaliers_ &
_d'Ecuyers_.

[Note 352: _Baron_ ou _Ber_ vient du Latin _Vir_. _Haut-Ber_ ou
_Haut-Baron_ désigne un homme élevé à la plus grande dignité. C'est par
cette raison que les Barons, en Allemagne sont _idem qui vassi Regii,
quo nomine etiam duces continentur_. Chop. _de Doman. Franc._ L. 3.
_Greg. Turon._ Append. c. 41 & 55. Et que Loiseau dit que _la Baronnie
est toute Seigneurie après la Souveraine, mouvante directement de la
Couronne_. Trait. des Seigneur. c. 6, n'o. 5 & 6.--L'Edit. de 888 de
Charles le Gros donne aux Ducs, Comtes ou Barons le titre de _Princes_:
_Casu contigit Principes cum militibus acerbè contendere, &c._ Ce titre
y est considéré comme supérieur à celui de Chevalier, puisque ceux que
ce Capitulaire appelle de ce nom _Milites_, étoient obligés de fournir
aux Princes un certain nombre de cuirasses, & que ces Princes usoient
de _contraintes_ à leur égard pour les obliger à faire ces fournitures,
_multos plures halspergas constringentes de Beneficiis suis ducere_, &c.
M. le Président Hesnault, pag. 117, Abregé Chronol. 1er vol. Remarq.
part. sur la 2e Race, paroît donc s'être trompé, lorsqu'il a fixé sous
cette Race _le commencement de la Chevalerie d'armes, & qu'il accorde
aux Chevaliers de ce temps un rang dans la milice indépendant de celui
que donnoient les charges militaires_.]

Quoique ces Ecuyers ne fussent point appellés _Chevaliers_, leurs
services étoient cependant des services de Chevalier, parce
qu'originairement ils avoient formé une classe de Chevaliers, ou parce
que ces services n'étoient dûs que par les Chevaliers; & par cette
raison, en Normandie & en Angleterre, _tenure par escuage_, ou Fief
d'Ecuyer, fut aussi nommée tenure ou _Fief à la charge du service de
Chevalerie_. Ainsi la différence que l'on admettoit en France dans les
neuvieme & dixieme siecles, entre les possesseurs de Bénéfices relevans
du Roi, & les Fiefs de leurs vassaux, s'est toujours conservée la même
entre les divers grades que la Noblesse Normande ou Angloise tenoit de
ses Bénéfices ou de ses Fiefs.[353] Le Fief de Normandie, appellé _Fief
de Chevalier_, y a toujours été placé le Fief par _service de
Chevalier_, c'est-à-dire, un membre de Fief de Chevalier, dont le
Chevalier, qui en avoit été le premier possesseur, avoit, en
l'inféodant, retenu la mouvance, & auquel il avoit imposé des fonctions
relatives aux services militaires qu'il devoit lui-même, pour la
totalité du Bénéfice dont il s'étoit réservé une partie.

[Note 353: Dans le Rôle de l'Ost de Foix en 1271, à l'exception des
Chevaliers de Normandie, dont le service est déterminé & toujours
proportionné à la dignité de leurs Fiefs, les Chevaliers des autres
Provinces ignorent le service qu'ils doivent & le titre auquel ils le
doivent.]

Sous les regnes de Charlemagne, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve,
on ne voit point de Chevaliers sans une portion de Fief de
Bénéfice.[354] Mais au temps de Louis le Begue, les Bénéfices de dignité
ayant été presque tous aliénés à perpétuité, l'état de décadence où se
trouvoit le Royaume força de multiplier les récompenses, sans faire
éprouver au fisc de nouveaux démembremens. La concession des titres
purement honorables prévint le danger qu'il y auroit eu à aliéner
quelque portion du foible domaine auquel le fisc étoit alors réduit. On
vit renaître des Chevaliers d'armes,[355] & leur ordre s'accrut au point
que les Chevaliers glébés eurent honte de ne tenir ce titre que de leurs
possessions; ils voulurent, & ne crurent le mériter, qu'en se soumettant
aux formalités qu'on prescrivit alors pour l'_admission_ à la
Chevalerie.

[Note 354: Aimoin, L. 5, c. 17, pag. 301: _Domnus Imperator filium suum
armis virilibus id est ense cinxit & Neustriam ei attribuit._]

[Note 355: Abrégé Chronolog. de M. le Prési. Hesn. sous l'an 877, & les
deux années suivantes.]

Ce préjugé ne fit pas d'aussi grands progrès en Normandie que dans les
autres parties de la France. Le Duc Raoul, & ses descendans,
n'accordèrent jamais le titre de Chevalier qu'à ceux qui avoient des
possessions suffisantes pour en soutenir l'éclat;[356] & lorsque les
Croisades eurent rendu cette qualité si commune, qu'il y eut lieu de
craindre que ceux qui l'avoient obtenue ne la prétendissent affectée aux
fonds qu'ils possédoient, les Seigneurs, de qui ces fonds étoient
mouvans, cesserent d'appeller leurs Fiefs, _Fiefs de Chevalier_, ils
leur donnerent le nom de _Haut-bert_.

[Note 356: _Voyez_ le Commentaire de Coke sur la Sect. 112, il y prouve
qu'avant la grande Chartre on ne connoissoit de Fiefs que les Comtés,
les Baronnies & les Fiefs de Chevalier ressortissans de ces Comtés. Car
à l'égard des autres Fiefs de pur honneur qui, selon Coke, ont été créés
depuis la grande Chartre avec une pension du Roi ou sans pension, ils
étoient si peu considérés comme Fiefs, qu'ils ne payoient aucun relief.]

Les Chevaliers sans Fiefs firent dès lors un ordre à part; ordre de peu
de distinction, qui n'attribuoit, à ceux qui y étoient admis, aucune
exemption de services,[357] ni aucune autorité relative à l'économie
militaire ou féodale; ordre personnel, à la dignité duquel les enfans
ne succédoient pas; ordre enfin qui se communiquoit au supérieur & à
l'inférieur, sans les rendre égaux.

[Note 357: Un Chevalier mineur n'étoit pas même exempt de la garde de
son Seigneur qui n'étoit point Chevalier. Quoique le Laboureur, cité par
M. de Ste Palaye, Mém. sur-l'anc. Cheval. 1er vol. & 27e note sur la 2e
part. pag. 300 ait avancé le contraire, il suffit, pour démontrer son
erreur, de consulter la Chartre d'Henry II, Roi d'Angl. en 1155, & celle
du Roi Jean en 1200, art. 4: _Si dum infra ætatem fuerit, fiat miles;
nihilominus terra remaneat in custodiâ Dominorum._]

Le Fief d'un Ecuyer, décoré de la Chevalerie, ne devenoit pas en effet
pour cela un Fief de Chevalier; mais sans que le possesseur d'un Fief
par escuage fût Chevalier, son Fief étoit tenu par service de
Chevalerie.

Ces notions sont très-importantes; sans elles il ne seroit pas possible
d'entendre la suite de mes Remarques, où je suis rarement d'accord avec
les Auteurs des Traités de Chevalerie qui ont été publiés jusqu'à
présent. Tous donnent à la Chevalerie d'Armes & à la Chevalerie de Fief
la même origine; ils confondent tous, les droits & les révolutions de
l'une & de l'autre, & par-là, ils jettent sur les usages les plus
curieux de l'ancienne Histoire de France, une obscurité impénétrable.

(b) _Covient estre ove le Roy per 40 jours._

_L'Ost_ dû par les Ecuyers aux Chevaliers glébés, tels que Barons &
autres Seigneurs du premier ordre, ne fut pas d'abord le même service
que celui du _Ban_.

Les Seigneurs pouvoient exiger l'Ost de leurs vassaux, même pour leur
querelles particulieres; au lieu que les Seigneurs de tous les ordres
devoient le Ban au Prince, & seulement pour la défense de l'Etat.[358]

[Note 358: Traité de Mersen en 847. Capitul. Balus. tit. 9, art. 5, col.
44.]

_L'Ost_ doit sa naissance aux Fiefs, mais le _Ban_ a précédé
l'établissement de la Monarchie.[359]

[Note 359: Le Ban étoit connu des Gaulois. _Voyez_ Abreg. Chronol. de M.
le Prési. Hesn. pag. 48.]

Les nobles, les roturiers, les esclaves, étoient sujets au _Ban_;
_l'Ost_ n'étoit dû aux Seigneurs que par ceux en faveur desquels ils
avoient démembré leurs Bénéfices. Le temps du service de _l'Ost_ varioit
suivant les stipulations faites lors de l'inféodation; le service du
_Ban_ n'excédoit pas quarante jours, _ex eo die super 40 noctes[360] sit
Bannus rescisus_. Ce n'a été qu'après que tous les Seigneurs se sont
accordés à imposer à leurs Sous-Feudataires l'obligation de les servir
durant le même nombre de jours auxquels ils étoient obligés envers le
Roi, que l'on a cessé de distinguer _l'Ost_ du _Ban_, & que _l'Ost_ a
pris le nom _d'Arriere-Ban_.

[Note 360: Capitul. add. 4, c. 82, on ne comptoit alors que par nuits.
Du Tillet, pag. 2.]

_Ost_ signifioit _montre_, _ostensio_,[361] parce que tout vassal
convoqué par son Seigneur, se présentoit en un endroit indiqué & choisi
par chaque Banneret pour faire la revue de la milice qu'il devoit
conduire.

[Note 361: La Section suivante fait courir le droit d'Escuage du jour
d'el _muster_ de _l'Ost_. _Muster_, du Latin _monstrare_.]

Quand on ne proclamoit que le _Ban_, les vassaux des Seigneurs ne les
suivoient pas; mais lorsque le Prince demandoit le _Ban_ &
_l'Arriere-Ban_, les Seigneurs faisoient publier _l'Ost_ ou l'aide du
_Ban_; & leurs vassaux ou s'en acquittoient en marchant en personne, ou
ils se substitoient quelqu'un, ou ils payoient aux Seigneurs une somme
suivant le taux auquel chaque aide de l'Ost ou du Ban étoit fixé par les
Parlemens ou par les titres d'inféodation.


*SECTION 96.*

*Mes il appiert per les plees & arguments faits en un bon plee sur
_Briefe de Detinue_, (a) de un escript obligatorie port per un _H. Gray.
T. 7. E. 3._ que ne besoigne a celuy qui tient per escuage de aler ove
le Roy luy mesme, sil voile trover un auter _person able_ (b) pur luy
convenablement array pur le guerre, de aler ove le Roy. Et ceo semble
estre bon reason, car poit estre que celuy que tient per tiels services
est _languishant_, (c) issint que il ne poit aler ne chivaucher. Et auxy
_un Abbe ou auter home de Religion_, (d) ou feme solen que tient per
tiels services, ne doit en tiels cas aler en proper person. Et Sir _W.
Herle_, adonque chiefe de Justice _du common Bank_, (e) disoit en tiel
plee, que escuage ne serra graunt, mes lou le Roy alast luy mesme en son
proper person. Et fuist demeurre en judgement en mesme le plee, le quel
les 40 jours serront accompts de le primer jour del muster de host le
Roy, fait per les Commons, & per commandement le Roy, ou de la jour que
le Roy primes entra en Escoce: _Ideo quære de hoc._*

SECTION 96.--_TRADUCTION._

On trouve dans le Recueil des Records du regne d'Edouard III, tom. 7, un
Jugement obtenu par Henry _Gray_, en vertu d'un Bref de _détenue_ ou de
_confirmation_ d'un Contrat dont il étoit porteur, par lequel il demeure
constant que le tenant par Escuage n'est point obligé de suivre en
personne le Roi à l'armée, pourvu qu'il fournisse en sa place une
personne de qualité convenable, bien & duement armée. Cela paroît
équitable; car le vassal peut être malade ou Religieux, ou bien le
service peut être dû par une femme. Guillaume Herle, chef de Justice du
commun Banc, est de sentiment qu'on ne doit l'Escuage que lorsque le Roi
marche en personne contre l'ennemi; & dans les Plaids où il fit
prononcer conformément à son opinion, on mit en question si les quarante
jours de l'Ost du Roi devoient courir du jour de la revue des Milices de
chaque Seigneur ou du premier jour de l'entrée du Roi en Ecosse; mais
n'y ayant point eu de décisions sur ce point, il est permis de prendre
le parti qui paroît le mieux appuyé en raisons ou en droit.

_ANCIEN COUTUMIER._

Mais s'aulcun est si malade qu'il ne puisse accomplir le service de
l'Ost, il doit envoyer homme suffisant en son bien qui bien fasse le
service. Ceux qui doivent le service sont tenus le faire en l'Ost ou
envoyer personne pour eux qui le fassent avénamment. Ch. 44.

_REMARQUES._

(a) _Briefe de detinue._ Voyez Section 498.

(b) _Sil voile trover un auter person able._

Ce que j'ai observé sur la Section précédente, a dû faire comprendre que
l'ordre de la Chevalerie d'honneur, d'armes, ou non glébée (car ces
dénominations sont les mêmes) a été la seule connue jusqu'à
l'établissement de l'hérédité des Bénéfices,[362] & qu'aussi-tôt que le
Domaine royal ne put plus fournir autant de Bénéfices qu'on étoit forcé
de créer de Chevaliers, l'ordre des Chevaliers d'armes sans glebe se
rétablit; d'où il arriva que ceux qui y furent admis suppléerent aux
services des possesseurs de Bénéfices, ou de Fiefs de _Haut-bert_, par
préférence aux autres Nobles, qui, possesseurs des démembremens de ces
Bénéfices ou Fiefs n'avoient point encore été décorés de la Chevalerie
d'armes.

[Note 362: Grég. de Tours, L. 7, c. 15, parle d'un Léonard à qui
Frédegonde fit ôter le baudrier dont Chilpéric l'avoit gratifié. Ce
Léonard étoit conséquemment Chevalier, cependant il ne possédoit pas de
Bénéfice; car l'Auteur ne le désigne que par son emploi dans la maison
de la Reine. La dégradation d'un Chevalier se faisoit par de grands
Seigneurs, comme Ducs, &c. _Ibid._ L. 5, c. 39, parce que c'étoit à ces
Ducs ou autres Seigneurs élevés en dignité que les Leudes sans titre se
recommandoient pour avoir de l'emploi. L. 4, c. 40. _Ibid._]

Les Hauts Seigneurs pouvoient bien alors sous-inféoder partie de leurs
Bénéfices, & charger leurs Sous-Feudataires de quelques-uns de leurs
devoirs; mais à raison de ce qui restoit de ces Bénéfices en leurs
mains, ils se réservoient aussi les fonctions les plus honorables. Or,
il auroit été dangereux pour eux de confier ces fonctions à quelques-uns
de leurs vassaux.

Comme elles consistoient principalement dans le commandement de tous les
hommes nobles de leur Seigneurie, ceux qu'ils auroient préférés pour les
représenter, auroient pu s'exempter de leurs propres services, au
préjudice des autres. Cet inconvénient ne se rencontroit pas dans le
choix que les Chevaliers glébés, ou les Hauts Seigneurs faisoient d'un
Chevalier d'armes qui ne possédoit point de Fiefs; & c'est ce qui fit
que ces Chevaliers d'armes parvinrent insensiblement à être les seuls
chargés de suppléer aux Barons, &c. L'ordre de ces Chevaliers d'armes
n'acquéroit cependant par-là aucune espece de supériorité sur celui des
Ecuyers; car on voit plusieurs de ces Chevaliers faire le service de
simples Ecuyers.[363] Il n'y a pas d'ailleurs d'exemple qu'un Ecuyer ait
fait, comme Chevalier d'armes, le service pour un Chevalier glébé; mais
il n'étoit point rare de voir un descendant d'Ecuyer obtenir la
Chevalerie d'armes, & devenir, par ce moyen, quant à l'exercice des
fonctions militaires, égal aux Seigneurs des Fiefs de la plus haute
dignité. Ainsi, on peut dire que le Chevalier d'armes n'avoit aucun rang
militaire déterminé, mais seulement la faculté d'occuper tous les rangs,
à la différence de l'Ecuyer, dont le titre supposoit toujours qu'il
devoit des services au Seigneur de qui il tenoit son Fief, ou qu'il
étoit subordonné à ceux que le Prince avoit gratifié d'un Fief plus
honorable. Les grands Seigneurs, en ne se faisant jamais remplacer par
un Ecuyer, conservoient donc, d'un côté, la dignité de leurs Pairs:
l'Ecuyer auroit, en effet, pu réussir à s'attribuer la Pairie avec eux,
en se perpétuant dans les fonctions d'un Baron, & en les supposant
annexées à son Fief; & d'un autre côté, ces Seigneurs empêchoient par-là
l'Ecuyer d'usurper sur ses covassaux des priviléges qui auroient
insensiblement altéré la nature & les conditions de l'inféodation de ces
derniers.

[Note 363: Rôle de l'Ost de Foix en 1271.]

Conséquemment quand les Loix Angloises enjoignent de se substituer
_person able_ pour faire les services de Chevalier, elles entendent que
cette personne soit ou décorée de la Chevalerie d'armes, ou de condition
égale à celle de l'Ecuyer qu'il est chargé de représenter.

(c) _Languishant._

Voyez le Chapitre 44 de l'ancien Coutumier, intitulé _de Langueur_. La
maladie étoit, pour les affaires civiles comme pour _les militaires_,
une excuse valable.

(d) _Abbe ou auter home de Religion ne doit aler en guerre en proper
person._

Les Ecclésiastiques furent d'abord exempts d'aller à la guerre. Un des
principaux crimes que Grégoire de Tours[364] reproche à Salonius, Evêque
d'Ambrun, & à Sagittaire, Evêque de Gap, qui vivoient au temps du Roi
Gontran, est qu'ils alloient au combat comme des laïcs. Cependant comme
les principaux emplois de l'armée étoient confiés aux Leudes, & que les
Rois leur accorderent au commencement, par préférence, les Dignités &
les Bénéfices Ecclésiastiques, on vit insensiblement les Evêques, qui
avoient exercé quelqu'office militaire, le conserver encore après leur
nouvel état. Cet usage fut presque général sous Charles Martel; les
Evêchés, les Abbayes étoient _la paye ordinaire de ses Capitaines_.[365]

[Note 364: Liv. 5, c. 20: _Tamquam unus ex laicis accincti arma plurimos
propriis manibus interfecerunt._]

[Note 365: Mézeray, année 733.]

Carloman & Charlemagne, frappés de ce désordre, défendirent à tous
Ecclésiastiques d'en venir aux mains avec l'ennemi, & de paroître même
armés dans le Camp.[366] Ils ne leur laisserent la liberté que de leur
amener, ou aux Officiers qu'ils leur désigneroient,[367] les milices
qu'ils étoient obligés de fournir à cause de leurs Bénéfices.

[Note 366: _Capitul. L. 5. Synod. Carlom. 11, Calend. Maïas, ann. 742_,
& Capitul. 91, L. 7, ann. 863 & 869.]

[Note 367: _Nec arma ferant, nec ad pugnam pergant... suos homines bene
armatos nobiscum aut cùm quibus jusserimus dirigant._ Balus. L. 7, Cap.
103, Miscell. tom. 3, pag. 129 & 174. Nos Rois ne croyoient donc point
déroger à leur _magnanimité_ ni dégrader leur _courage_ en marchant à la
tête de la _milice du Clergé_, comme le prétend l'Auteur de l'Espr. des
Loix, tom. 4, L. 30, c. 17, pag. 50.]

Charles le Chauve suivit les mêmes principes. Un Canon du Concile de
Verneuil, tenu en 845, n'exempte les Evêques de conduire leurs troupes
en personne, qu'à condition qu'ils les confieront à celui d'entre les
fidèles du Roi qu'ils voudront choisir.[368]

[Note 368: _Cuilibet fidelium vestrorum_, disent les Evêques du Concile
de Verneuil, _quem sibi utilem judicaverint Episcopi committant_, & le
Roi présent octroye leur demande.]

Il est vrai que l'on peut citer quelques exemples d'Evêques & d'Abbés
qui ont servi depuis en personne dans l'armée; mais cela n'est arrivé
que dans des cas extrêmes[369] ou par contrainte,[370] ou au mépris des
regles canoniques & civiles généralement suivies dans le Royaume.

[Note 369: Comme lorsque Bernard, fils de Pepin, se révolta. Aimoin, L.
4, c. 106, pag. 243.]

[Note 370: Ceci est prouvé par les Canons du Concile de Reims en 1049, &
par le Capit. 285, L. 6, & le 91 du L. 7.]

Si le Duc Raoul eût exigé du Clergé de Normandie le service militaire
personnel, il auroit conséquemment violé une Loi qui avoit été respectée
avant lui dans cette Province comme dans toutes les autres Provinces de
France; & l'on conçoit quel intérêt il avoit à maintenir, sur-tout ses
Sujets Ecclésiastiques, dans leurs anciens priviléges. Ces priviléges
leur furent donc conservés par ce Duc, & ils subsistoient encore, au
temps de Guillaume le Conquérant, les mêmes qu'ils avoient été sous les
Rois de la seconde race. L'Evêque de Bayeux son frere & l'Evêque de
Coutance suivirent l'armée lorsqu'il se rendit maître de
l'Angleterre;[371] mais ces deux Evêques ne l'aiderent que de leurs
conseils & de leurs prieres, _pugnabant precibus & consiliis_. Les
Eglises continuerent aussi durant le regne de Guillaume, d'avoir, comme
elles l'avoient eu sous Charles le Chauve, le choix des Commandans de
leurs troupes, & ce choix, tant en Normandie qu'en Angleterre, tomboit
toujours sur les Seigneurs les plus puissans.

[Note 371: Thomass. part. 3, L. 1, c. 45.]

La Chevalerie d'armes devenue en vogue, ces Seigneurs, pour grossir leur
Cour, & se procurer des personnes capables de les remplacer, ou de les
soutenir dans leurs guerres privées, usurperent le droit de créer, comme
les Souverains, des Chevaliers; & après avoir conféré cette qualité à
des vassaux des Eglises, ils leur confierent la conduite des milices
qu'elles étoient obligées de fournir. Ces vassaux élevés par-là
au-dessus de leurs co-vassaux, ou chargeoient ceux-ci de les défrayer de
leurs propres services, ou bien les excédoient par des amendes qu'ils
n'avoient point encourues. Comme ces procédés tendoient à dégoûter du
Vasselage des Eglises, les Evêques, les Abbés crurent ne devoir rien
négliger pour prévenir cet événement. Possesseurs de grands Fiefs, soit
de Baronnie, soit de _Haut-bert_, ils conférerent à ce titre, comme les
Seigneurs laïcs, le grade de Chevaliers aux Nobles qu'ils présumerent
leur être le plus affectionnés, ils leur permirent même de lever leur
banniere. Mais cet abus fut réprimé dès sa naissance;[372] & depuis le
commencement du douzieme siecle, les hommes de guerre, fournis par les
Ecclésiastiques, n'ont plus eu, comme cela s'étoit pratiqué en France
dès le neuvieme siecle, d'autres Commandans que ceux que les Ducs de
Normandie nommoient en cette Province & en Angleterre pour la conduite
de leurs propres vassaux.

[Note 372: Concil. de Londres en 1102, 17 Canon. Selden. Not. _in
Eadmer._ pag. 131.]

(e) _Common Bank._

La compétence que l'Echiquier de Normandie réunissoit, fut divisée par
le Conquérant, en Angleterre, entre trois Tribunaux souverains & en
dernier ressort. Le premier étoit le _Banc royal_, ou commun Banc, où on
jugeoit les causes civiles & criminelles dans lesquelles le Roi étoit
intéressé. Dans le second, qui s'appelloit _Cour des communs Plaids_, on
ne traitoit que des procès entre particuliers; & la Cour du Fisc, à
laquelle fut conservé le nom d'Echiquier, prononçoit sur les amendes,
les aliénations des Fiefs, les revenus du Roi, les tailles & autres
matieres qui concernoient le Domaine. La Cour du _commun Banc_ étoit
seule ambulatoire,[373] & du nombre des Juges de cette Cour, on tiroit
ceux qui devoient présider aux autres. C'est par cette raison que les
Jurisconsultes Anglois donnent indifféremment aux Juges de l'Echiquier
ou des communs Plaids, le nom de Juges du commun Banc.[374] Les
Commissaires du Roi, délégués dans les Provinces, faisoient leurs
rapports à ces trois sortes de Cours, & l'on y réformoit ou approuvoit
les décisions des Plaids particuliers dont les Seigneurs ou leurs
vassaux prétendoient avoir droit de se plaindre.[375] On y faisoit aussi
les Loix. Voyez Section 164.

[Note 373: _Magn. Ch._ art. 13.]

[Note 374: Coke, Sect. 96 de Littlet.]

[Note 375: _Magn. Ch._ art. 14.]


*SECTION 97.*

*Et apres tiel voyage royall en Escoce, il est communement dit, que _per
authoritie de Parliament l'Escuage serra assesse_ (a) & mis en certeine
summe dargent, quant chescun que tient per entire fée de service de
Chivaler, quil ne fuit per luy mesme, ne per un auter pur luy ove le
Roy, payera a son Seignior de que il tient la terre per escuage. Sicome
mittomus, que il fuit ordaine per authoritie de la Parliament, que
chescun que tient per entire fée de service de Chivaler, que ne fuit ove
le Roy, payera a son Seignior _40 s._, donque celuy que tient per
moitie dun fée de Chivaler ne payera a son Seignior forsque _20 s._ &
celuy que tient per le quart part de fée de Chivaler ne payera forsque
_10 s._ & sic que pluis, pluis; & que meins, meins.*

SECTION 97.--_TRADUCTION._

Après que le Roi est de retour d'Ecosse, le Parlement fixe ordinairement
l'_Escuage_, en l'évaluant à une certaine somme que chaque vassal,
lorsqu'il n'a point été en personne à l'armée ou qu'il ne s'est point
fait suppléer, est tenu de payer à son Seigneur.

La valeur de l'_Escuage_ a été fixée par divers Parlemens; sçavoir, pour
un plein Fief de Chevalier, à 40 s. pour un demi-Fief, à 20 s. pour le
quart de Fief, à 10 s. & pour les parts inférieures, à proportion.

_ANCIEN COUTUMIER._

Aulcun ne se peut excuser par exoine de l'aide de l'Ost à quoi il est
tenu du Fief qu'il tient; car il n'y peut avoir aulcun delayement: mais
s'aulcun est si malade qu'il ne puisse accomplir le service de l'Ost qui
doit estre fait au Prince, il doit envoyer homme suffisant en son lieu.

Ceux qui doivent l'aide, n'en doivent point rendre ne la lever devant
que le Prince leur avoit ottroyé la quantité de l'aide de Fief, mais
quand l'aide sera déterminé & ottroyé par le Prince, chacun sera tenu
se rendre à la semonce de 15 jours, si come il tient du Fief sans aulcun
délay. Et s'il fait gré de l'aide de son Fief, ainsi comme il fit à la
derniere fois, quand l'aide de l'Ost fut payé selon la quantité que le
Prince détermina & ottroya, il doit par ce remaindre en paix. Ch. 44.

_REMARQUE._

(a) _Per authoritie de Parliament lescuage serra assesse._

Tant que le service militaire avoit été dû personnellement en France,
c'est-à-dire, avant l'institution de l'hérédité des Bénéfices, tout
homme libre qui ne se présentoit pas au Ban, payoit une amende de
soixante sols,[376] & à faute de payement il perdoit sa liberté. Un
Officier commensal du Roi, pour la même faute, étoit privé de vin & de
viande;[377] & les grands Bénéficiers, qui ne se rendoient point au Camp
à la tête de leurs hommes, ou avec leurs Pairs, étoient dépouillés de
leurs _Honneurs_ ou Bénéfices. Mais les Bénéfices étant devenus
perpétuels & héréditaires, ainsi que les Fiefs qui en avoient été
démembrés, & les Seigneurs ayant inféodé à quelques-uns de leurs vassaux
en exemption de service personnel, au moyen de rentes ou autres
redevances; l'indemnité due par les Seigneurs au Roi, pour le défaut de
services de leurs Sous-Feudataires, ne dut pas être à la discrétion de
ces Seigneurs. Il fut donc nécessaire que le Prince seul déterminât
cette indemnité, selon l'espece du service dont il avoit été privé.
Cependant le Roi ne décidoit rien à cet égard que de l'avis des Princes
du Sang, des Barons & autres Grands du Royaume,[378] c'est-à-dire, du
Parlement. Voyez Section 164.

[Note 376: Capitul. L. 3, c. 67. L. Ripuair. tit. 68.]

[Note 377: Capitul. L. 3, c. 69.]

[Note 378: Ordonn. du 7 Août 1335. Bruss. L. 2, c. 6, pag. 168, la
rapporte.]


*SECTION 98.*

*Et ascun teignont per le custome que si lescuage courge per authoritie
de Parliament a ascun summe de money, que ils ne paieront forsque la
moitie de ceo, & ascuns teignont que ils ne paieront forsque le quart
part de ceo. Mes pur ceo que lescuage que ils paieront est non certain,
pur ceo que nest certain coment le Parliament assessera lescuage eux
teingnont per service de Chivaler. _Mes auterment est de lescuage
certaine_, (a) de que serra parle en le tenure de Socage.*

SECTION 98.--_TRADUCTION._

En certaines Seigneuries les vassaux sont dans l'usage de ne payer que
moitié ou le quart du taux de l'Escuage fixé par le Parlement. Mais
parce que le taux que le Parlement doit déterminer est incertain, & que
par conséquent les droits dûs par ces vassaux n'ont rien de fixe, ils
sont réputés tenir par service de Chevalier; au lieu que ceux qui
doivent pour droit d'Escuage une somme ou redevance invariable, ne sont
réputés tenir qu'en Socage, comme nous le dirons au Chapitre de Tenure
en Socage.

_REMARQUE._

(a) _Mes auterment est de lescuage certaine_, &c.

Ceux qui devoient une somme tous les ans, sous le titre de droit
d'escuage, n'étoient point assujettis, par leur inféodation, au service
personnel de Chevalier. Leurs Seigneurs, au contraire, s'étoient
réservés ce service, ou avoient inféodé à d'autres, à la condition de le
faire ou de préposer quelqu'un pour s'en acquitter. Ceux-ci
participoient donc seuls aux honneurs, à la dignité, à la noblesse que
le Fief avoit originairement reçu des services militaires qui y avoient
été spécialement attachés. Ils étoient donc seuls, à proprement parler,
tenans par service de Chevalerie; & enfin, ils étoient seuls assujettis
à indemniser les Seigneurs du défaut de ce service.

En effet, cette indemnité à leur égard étoit essentiellement
représentative de leur propre service; au lieu que le droit que les
autres payoient, sous la dénomination d'_Escuage_, n'étoit qu'une
redevance honorée de ce nom, à cause de l'usage auquel il avoit plu au
Seigneur de la destiner. Voyez Sect. 120.


*SECTION 99.*

*Et si home parle generalement descuage, il serra entendue per le common
parlance descuage noncertaine, que est service de Chivaler, & tel
escuage trait a luy homage, & homage trait a luy fealtie, car fealtie
est incident a chescun manner de service forsque a le tenure en
Frankalmoigne, come serra dit apres en le tenure de Frankalmoigne. Et
issint il que tient per escuage, tient per homage, fealtie & escuage.*

SECTION 99.--_TRADUCTION._

En général par le terme d'Escuage on entend le service de Chevalier,
dont la valeur n'a rien de certain. Or le tenant par ce service doit
_hommage_ & _féauté_; car la féaute a lieu dans tous les cas où on doit
quelque service. La Tenure en franche Aumône est seule exceptée de cette
regle. _Voyez_ Ch. 6 ci-après. Ainsi il est de principe que la Tenure
par Escuage est en même-temps Tenure par Hommage & Tenure par Féauté.


*SECTION 100.*

*Et est ascavoir, que quant escuage est tielment assesse per authoritie
de Parliament chescun Seignior de que la terre est tenus per escuage,
avera lescuage issint assesse per Parliament, pur ceo que il est
intendus per le Ley, que al commencement tiels tenements furent dones
per les Seigniors a les tenants de tener per tielx services a defender
lour Seigniors, auxy bien come le Roy, & mitter en quiet lour Seigniors
& le Roy, de les Scotes avantdits.*

SECTION 100.--_TRADUCTION._

Quand l'Escuage est fixé par le Parlement, chaque Seigneur peut l'exiger
des vassaux qu'il y avoit assujettis, parce que le but des Seigneurs en
inféodant a été que les vassaux sujets à l'Escuage combattissent les
Ecossois, autant pour eux que pour le Souverain.


*SECTION 101.*

Et pur ceo que tiels tenements deviendront primes des Seigniors, il est
reason que ils averont lescuage de lour tenants. Et les Seigniors en
tiel case purront distreiner pur lescuage issint assesse, ou ils en
ascuns cases purront avoir Briefe le Roy, direct as Vicomts de mesme
les Counties, &c. de levier tiel escuage pur eux, sicome appiert per le
_Register_. Mes de tiels tenants queux teignont per escuage de Roy,
queux ne fueront ove le Roy en Escoce, le Roy mesme avera lescuage.

SECTION 101.--_TRADUCTION._

Comme les tenans par _Escuage_ ne doivent leur origine qu'aux Seigneurs,
il est juste que ceux-ci puissent rentrer en possession du Fief quand
leurs tenans leur refusent le service, ou le payement de la somme à
laquelle le Parlement l'a évalué. Les Seigneurs, dans ces cas peuvent
donc obtenir un Bref du Roi adressé aux Vicomtes en la forme prescrite
aux Registres de Chancellerie.

_Nota._ Que lorsqu'on a dit que les ténemens par Escuage ont été établis
par les Seigneurs, ceci ne s'entend pas des Fiefs tenus du Roi par
Escuage, & pour lesquels le droit d'Escuage lui est dû par ses vassaux
qui ont manqué à le suivre à l'armée.


*SECTION 102.*

*_Item_, en tiel case avantdit, lou le Roy face un voyage royall en
Escoce, & lescuage est assesse per Parliament, si le Seignior distreine
son tenant que tient de luy per service dentire fée de Chivaler pur
lescuage issint assesse, &c. & le tenant plede, & voit averrer que il
fuit ove le Roy en Escoce, &c. per 40 jours, & le Seigneur voit averrer
le contrarie, il est dit, que il _serra trie per le certificat_ (a) del
_Marshall del Host_ (b) le Roy en escript south son seale que serra mis
a les Justices.*

SECTION 102.--_TRADUCTION._

Si le Roi ayant fait la guerre aux Ecossois, le Parlement regle la
valeur de l'Escuage, un Seigneur peut poursuivre son vassal tenant par
le service entier de Chevalier pour être payé de ce droit. Mais si le
vassal offre prouver qu'il a suivi l'armée durant 40 jours, il ne peut
faire cette preuve que par le certificat du Maréchal de l'Ost du Roi, &
la Justice dont le vassal ressortit ne peut prononcer rien de contraire
à ce certificat.

_REMARQUES._

(a) _Serra trie per le Certificat_, &c.

Les Justices subalternes, le Parlement même, ne pouvoient admettre de
preuve contraire à l'énoncé de ce certificat, parce que le Maréchal &
le Connétable étoient les seuls Juges de ce qui se passoit hors le
Royaume, même pour crimes ou contrats qui ne partoient point du fait de
la guerre. Le tribunal du Connétable & du Maréchal conserve encore en
Angleterre la même compétence.[379] _Si un Anglois blesse mortellement_
un autre Anglois en France, ce dernier mourant de cette blessure après
son retour en son pays, il appartient à la Chambre militaire de punir le
coupable. Elle connoît encore exclusivement des contrats civils faits
entre deux Anglois en un Royaume étranger, ce qui tire évidemment sa
source de l'usage où le Connétable & le Maréchal ont toujours été en
France, de prononcer en dernier ressort[380] sur tous les délits commis
non-seulement par tous les gens de guerre, mais encore par toutes
personnes non domiciliées. Aussi trouve-t'on, dans les Registres de la
Tour de Londres, nombre de Jugements rendus en pareilles circonstances,
sous les regnes des Ducs Normands en Angleterre.

[Note 379: Artur Duck, L. 2, 3e Part. no 17 & 18.]

[Note 380: _Voyez_ les anc. Ordonn. recueillies par Guénois.]

(b) _Marshall del Host._

Marshall, en Saxon _Marischalk_, _equitum magister_. Ce nom fut inconnu
aux Anglois jusqu'à la conquête du Duc Guillaume.[381] L'Officier qui
exerçoit auparavant, parmi eux, les fonctions de Maréchal, s'appelloit
_hérétoches_.[382]

[Note 381: Ce nom étoit en usage en France dès le 7e siecle. _Capitul.
Dagoberti_ II, tit. 79, no 4. _Voyez_ aussi le Capitulaire de 813, art.
10.]

[Note 382: Coke sur la prés. Sect.]

M. le Président Hesnault pense qu'_Albéric Clément a commencé de rendre
l'Office de Maréchal de France militaire en 1191_. Mézeray ne s'exprime
pas tout-à-fait de même: _Le pere d'Albéric avoit_, selon lui, _exercé
l'emploi de Maréchal avant son fils_, & étendu déjà son autorité sur les
gens de guerre.

Or, en s'en tenant à ce que dit cet Auteur, l'établissement de la
Jurisdiction militaire du Maréchal remonteroit au commencement du
douzieme siecle; mais le texte de Littleton donne à cet établissement
une époque antérieure, & elle paroît parfaitement d'accord avec les
accroissemens du pouvoir des offices de Maréchal & de Connétable, tant
en France qu'en Angleterre.

En effet, sous Charles le Simple, les Comtes de Paris avoient encore la
_Justice, Police, Finance, & le commandement des Armées_:[383] le
Connétable étoit restraint _au commandement de l'écurie_.[384] Hugues
Capet ayant supprimé la premiere de ces charges, la compétence qui y
étoit attachée, relativement à la discipline des troupes, fut dévolue au
Connétable. Cet Officier, dès ce moment, donna les ordres nécessaires
pour assembler & pour faire conduire l'Ost du Roi; & le Maréchal, qui
étoit comme le Lieutenant du Connétable, se trouvant chargé de faire
exécuter ces ordres, se rendit insensiblement, par l'activité de ses
fonctions, plus nécessaire au Prince & plus redoutable aux troupes que
le Connétable.

[Note 383: Prés. Hesn. remarq. sur les éven. sous Hugues Capet, vol. 1,
pag. 131.]

[Note 384: _Ibid_, ann. 1060, on voit Burchard avoir le commandement
d'une Flotte sous Charlemagne; mais c'étoit une exception à la regle.
Aimoin, L. 4, c. 95.]

Au temps de Guillaume le Conquérant, le Maréchal étoit déjà l'Officier
le plus important de _l'Ost le Roi_, & le Connétable n'étoit point
encore parvenu, en France, à être compté parmi _les grands Officiers de
la Couronne_,[385] ni à être placé, en Normandie, au nombre des
Officiers militaires. Littleton ne compte en conséquence,[386] parmi les
grands Officiers du Roi, que le _Porte-Etendard_, le _Porte-Lance_,
celui qui _conduit l'Ost_, le _Maréchal_; ce qui fait bien voir que la
conduite de l'Ost n'étoit point, lors de l'introduction des Loix
Normandes en Angleterre, spécialement affectée à un Office particulier.
En effet, les successeurs du Conquérant chargeoient ordinairement le
Maréchal de cette fonction. Guillaume, Duc de Glocestre en 1216, en
qualité de Maréchal, eut la garde de Henri III, la Lieutenance du
Royaume, la Surintendance de l'armée.[387] Ce n'a été qu'après la
révolte du Comte Richard, successeur du Duc de Glocestre, que l'office
de Connétable a repris, parmi les Anglois, la même supériorité dans les
opérations militaires qu'il avoit eue en France depuis Hugues Capet.
D'après ces observations on apperçoit, au premier coup-d'œil, ce qui a
induit à croire jusqu'ici que le Maréchal n'avoit obtenu, en France,
d'autorité sur les gens de guerre qu'à la fin du douzieme siecle.

[Note 385: Prés. Hesn. remarq. sur les éven. sous Hug. Cap.]

[Note 386: Sect. 153.]

[Note 387: Duchesne, Hist. d'Irl. & d'Angl.]

Les fonctions du Maréchal se sont étendues à proportion du pouvoir du
Connétable. Celui-ci n'ayant obtenu la qualité d'Officier de la Couronne
qu'après l'an 1060, & son autorité ayant cessé alors d'être bornée à
_l'Ost du Roi_, c'est-à-dire, aux gens de guerre relevans directement du
Roi; le Maréchal, comme Lieutenant de cet Officier, n'acquit aussi que
dans ce temps, sur toute l'armée, le même pouvoir qu'il avoit jusques-là
seulement exercé sur les vassaux du Roi. Or, nos Historiens antérieurs à
l'an 1060, ne se sont attachés qu'à transmettre à la postérité les
exploits de ceux qui avoient eu le commandement en chef de toutes les
troupes; d'où ceux qui les ont suivis ont tiré cette fausse conséquence,
que puisqu'ils n'avoient rien dit du Maréchal en particulier, il n'avoit
encore acquis, dans le onzieme siecle, aucun rang de distinction parmi
les Officiers militaires.



CHAPITRE IV.

_DE SERVICE DE CHEVALIER._


*SECTION 103.*

*Tenure par Homage, Fealtie, Escuage, est a tener per service de
Chivaler, & trait a luy_ Garde_, (a) _Mariage_ (b) & _Reliefe_. (c) Car
quant tiel tenant mourust, & son heire male est deins lage _de 21 ans_
(d), le Seignior avera la terre tenus de luy tanque al age del heire
de 21 ans, le quel est appel pleine age, pur ceo que tiel home per
entendement del Ley nest pas able de faire tiel service de Chivaler,
devant lage de 21 ans: Et auxy si tiel heire ne soit marie al temps de
mort de tiel Auncester, donque le Seignior avera le garde & le mariage
de luy. Mes si tiel tenant de vie, son heire female esteant dage de 14
ans, out de plus donque le Seignior navera my le garde del terre ne
de corps, pur ceo que feme de tiel age poit aver baron able de faire
service de Chivaler. Mes si tiel heire female soit deins lage de 14 ans,
& nient marie al temps de la mort son Auncester, donque le Seignior
avera le garde de la terre tenue de luy, tanque al age de tiel heire
female de 16 ans, pur ceo que il est done per le Statute de Westminster.
1. _Cap. 22._ Que per 2 ans procheine ensuant les dits 14 ans, le
Seignior poit tender convenable mariage sauns _disparagement_ (e) a
tiel heire female. Et si le Seignior deins les dits 2 ans ne luy tend
tiel mariage, &c. donque el al fine des dits 2 ans, poit enter & ouste
son Seignior. Mes si tiel heire female soy marie deins lage de 14 ans
en la vie son Auncester, & son Auncester devy e esteant deins lage de
14 ans, le Seignior navera forsque la garde de la terre, jesques a fine
de 14 ans, dage de tiel heire female, & donque son baron & luy poient
enter en la terre & ouste le Seignior; car ceo est hors de cas de le dit
estatute, entant que le Seignior ne poit tender mariage a luy que est
marie, &c. Car devant le dit Statute Westminster 1, tiel issue female
que fuit deins age de 14 ans, al temps de mort son Auncester, & puis
que el avoit accomplish lage de 14 ans, sans ascun tender de mariage
per le Seignior a luy, tiel heire female donque puissoit enter en le
terre, & ouste le Seignior sicome appiert per le rehersall & parolx de
le dit Statute, issint que le dit Statute fuit fait en tiel cas, tout
pur ladvantage de Seigniors come il semble. Mes uncore touts fois est
entendue per les parolx de mesme le Statute que le Seignior navera les
deux ans apres les 14 ans, come est avantdit, mes lou tiel heire female
soit deins lage de 14 ans, nient marie al temps de mort son Auncester.*

SECTION 103.--_TRADUCTION._

Tenir par Hommage, Féauté & Escuage, c'est tenir par service de
Chevalier; & cette tenure donne ouverture aux droits de _Garde_, de
_Mariage_ & de _Relief_. De-là lorsque le possesseur d'une tenure de
cette espece en décédant laisse un enfant mâle qui n'a point encore
atteint sa 21e année, le Seigneur jouit de la terre jusqu'à ce que le
mineur ait atteint cet âge qui est celui de la majorité parfaite, parce
qu'avant cet âge un homme n'est pas capable de faire le service de
Chevalier.

Si ce mineur n'est pas marié au temps de la mort de son pere, le
Seigneur en a la garde & le mariage. Il en est autrement d'une fille:
car dès qu'elle a 14 ans, le Seigneur n'a la garde ni de sa terre ni de
sa personne; une fille à cet âge peut, en effet, avoir un époux capable
de s'acquitter du service de Chevalier. Quand la fille a moins de 14
ans, lors du décès de son pere, le Seigneur a la garde de la terre qui
releve de lui jusqu'à ce qu'elle ait 16 ans; en conséquence le Statut du
premier Parlement, tenu à Westminster, chap. 22, porte que le Seigneur
peut, sans déparager la fille de son vassal, lui procurer un mariage
convenable dans les deux ans qui suivent sa 14e année; & que si le
Seigneur néglige de la marier pendant ces deux ans, cette fille peut se
mettre en possession de son Fief. Cependant au cas où elle auroit été
mariée par son pere avant 14 ans; après la mort de son pere le Seigneur
n'auroit la garde de la terre que jusqu'à sa 14e année, & alors l'époux
de cette fille pourroit prendre possession de son Fief. La disposition
du Statut ne peut s'entendre, en effet, de ce cas, puisque la fille
étant mariée, les deux ans accordés au Seigneur pour la pourvoir lui
seroient inutiles. D'ailleurs avant le Statut toute fille qui avoit
moins de 14 ans lors du décès de son pere, & à laquelle le Seigneur ne
procuroit aucun établissement avant cet âge accompli, pouvoit aussi-tôt
qu'elle avoit atteint sa 14e année, jouir de son Fief, comme le porte le
dispositif du Statut cité ci-devant; ce qui prouve bien que le Statut
n'a eu pour but que le profit des Seigneurs.

Il est d'observation cependant que le Seigneur n'a la garde pendant deux
ans après la 14e année, que lorsque la fille qui est mineure de 14 ans
n'a point été mariée du vivant de son pere.

_ANCIEN COUTUMIER._--CHAPITRE XXXIII.

Nous debvons savoir que le Prince de Normandie doit avoir la garde de
tous les orphelins qui sont de petit aage qui tiennent de luy par homage
alcun Fief ou membre de Hautbert. L'en doit savoir que ceulx sont dedens
aage qui n'ont pas accomplis 20 ans, & pour ce qu'ils doibvent estre
tenues en garde tant que les 20 ans soient accomplis, on leur donne un
an par l'usage de Normandie, en quoy ilz peuvent faire en court clameur,
& rappeller les saisines de leurs ancesseurs par enquestes.

Quand les hoirs sont issus de Garde, leurs Seigneurs n'auront aulcun
Relief d'eux de ce même Fief, car les issues de la Garde seront comptées
en lieu de relief, non pourtant ils prendront relief de leurs homes. Car
pour ce s'ilz & leurs terres furent en garde, ilz ne doibvent pas perdre
le relief de leurs homes quand ilz leur auront fait homage.

Se femme est en garde, quand elle sera en aage de marier, elle doit
estre mariée par le conseil & licence de son Seigneur, & par le conseil
& assentement de ses parents & amis, selon ce que la noblesse de son
lignage & la valeur de son Fief le requerra, & au mariage luy doit estre
rendu le Fief qui a été en garde.

Femme n'y est pas de garde fors par mariage, & ne dict l'en pas qu'elle
ait aage, s'elle n'a accompli vingt ans. Mais s'elle est mariée à temps
& à aage qui est établi à femme marier, le temps de mariage luy donne
aage & délivre son Fief de garde.

Les Fiefs de ceux qui sont en garde doibvent estre gardés entierement
par les Seigneurs qui reçoivent les fruits & les issues; & pour ce doibt
l'en savoir que le Seigneur doibt tenir en droit estat ancien les
Edifices, les Manoirs, Bois, Prairies, Jardins, Estangs, Moulins,
Pescheries, & les autres choses dont ils doibvent avoir les issues, & si
ne peuvent vendre, arracher ne remuer les bois, les maisons ne les
arbres.

S'aulcun Seigneur vend les maisons ou les bois qui sont en sa garde, ou
s'il les fait arracher ou mettre malicieusement hors du Fief qu'il a en
garde, il le doit griefvement amender & rendre pleinement ou perdre la
garde du tout, &c.

_ANCIEN COUTUMIER._--CHAPITRE XXXIV.

L'en doibt savoir que les Seigneurs du Fief doibvent avoir relief des
terres qui sont tenues d'eulx par homage, quand ceulx meurent de qu'ils
avoient homage. En deux manieres laissent les homes leurs héritages en
Normandie; une maniere est quand ils entrent en religion, & ils laissent
toute possession terrienne, & ainsi descendent leurs héritages à leurs
hoirs, & relief en doit estre payé & nouvel homage prins.

L'autre maniere est quand ils baillent à aultre le Fief, & n'y
retiennent rien, si come par vente, & d'illec vient relief & nouvel
homage, par ce appert-il que relief & homage sont aussi come conjoincts
ensemble; car partout où il y a relief il convient que homage y soit,
combien que partout où il y a homage, il ne convienne pas avoir relief;
car il y a en diverses parties de Normandie moult de Fiefs qui ne sont
pas tenus à payer relief, si come quittances, franchises & aultres
dignités ja soit ce qu'ils doibvent homage, & si doibt on savoir que par
toute Normandie relief est déterminé généralement en Fief de Hautbert
par 15 liv. en Baronie, par 100 liv. ès terres gaennables est fait
relief par 12 den. l'acre.

_REMARQUES._

(a) _Garde._

Par ce qui a été dit dans les Remarques sur la Section 50, on a dû
facilement comprendre la distinction qu'on doit faire entre la _Baillie_
du Roi mineur, la Tutelle des Aleux & la Garde des Bénéfices ou des
Fiefs. La premiere ne concernoit que la personne; la seconde comprenoit
le soin de la personne & la régie de tous les biens, mais le tuteur en
rendoit compte; & la Garde avoit pour objet l'éducation du mineur &
l'administration de ses biens, sans que le Gardien fût tenu de rendre
raison du revenu. Cette derniere prérogative étant la plus
caractéristique de la Garde féodale, elle conduit naturellement à
rechercher quelle en a pû être la source. Et après une légere attention,
il me semble qu'on la trouve dans le droit de Garde ou de _Régale_ sur
les biens Ecclésiastiques.

En effet, la Garde des Eglises a constamment précédé de plusieurs
siecles celle des Bénéfices laïcs. Sous la premiere Race, les Bénéfices
étoient ou amovibles ou viagers, & après être rentrés, par le décès des
titulaires, dans le domaine duquel ils avoient été démembrés, ou le Roi
ne les conféroit plus, ou bien il leur assignoit des revenus & des fonds
différens, soit pour la quotité, soit pour la situation de ceux dont ils
avoient été précédemment composés. Cela ne peut se concilier, en aucune
façon, avec l'idée que _le droit de Garde_ fait naturellement naître;
car ce droit suppose, en celui qui l'exerce, l'obligation de conserver
l'objet de la Garde; au lieu que nos Rois de la premiere Race n'avoient
pu s'imposer cette obligation à l'égard de bienfaits, qui n'ayant
essentiellement aucune existence légale ni de convention, ne
subsistoient qu'autant qu'il plaisoit au Souverain.

Il n'en étoit pas ainsi des Bénéfices Ecclésiastiques: les dons que les
Rois & les Sujets avoient faits aux Eglises, ne pouvoient être anéantis
sans injustice. Ces dons avoient une application spéciale: en changer
l'emploi, c'eût été priver la Religion de ses Ministres, & ceux-ci de
l'honneur que le Souverain leur avoit accordé de pouvoir seuls
distribuer ses libéralités aux Fidèles ses sujets, selon leurs besoins.
Aussi dès le premier instant où nos Rois ont cédé aux Eglises des fonds,
& aux Evêques des revenus, ils n'ont cessé de veiller à ce que ni les
uns ni les autres n'en fussent dépouillés, soit par la négligence des
Evêques eux-mêmes, soit par celle de leur Clergé après leur décès, soit
enfin par la violence ou la cupidité des Grands du Royaume. La preuve
d'une assertion aussi importante pourroit, sans doute, faire l'objet
d'un ouvrage particulier; mais borné par le plan que je me suis formé à
de simples Remarques, je tâcherai, dans le grand nombre d'autorités que
m'offrent les différens siecles que je dois parcourir, d'en choisir de
si décisives, que malgré leur petit nombre, elles suffiront, je m'en
flatte, à toutes personnes exemptes de préjugé.

Bien avant Clovis, on regardoit, comme une maxime incontestable, que
l'Etat n'étoit pas dans l'Eglise, mais l'Eglise dans l'Etat. _Non enim
Respublica est in Ecclesiâ, sed Ecclesia in Republicâ est._[388] Les
Empereurs avoient en conséquence, dans tous les temps, veillé au
maintien de la discipline du Clergé, & à l'administration de ses biens.
Clovis marcha sur leurs traces; & dans la position où il étoit, lors de
son avénement au Trône, il dut mieux comprendre qu'eux le danger qu'il
auroit couru en s'en écartant. En effet, soit qu'il ait conquis ses
Etats par la force ou par l'adresse, ou que les peuples se soient rangés
d'eux-mêmes sous sa domination, il a été de sa prudence de ne placer, à
la tête des Diocèses, que des sujets incapables de tramer quelque chose
contre son autorité, à l'ombre du crédit que leur dignité leur donnoit
sur l'esprit des peuples. D'ailleurs, borné dans les ressources que les
guerres qu'il avoit à soutenir lui rendoient nécessaires, ses
générosités envers les Eglises auroient été moins abondantes, s'il avoit
cru, en les faisant, se priver du droit de discerner, quand il lui
plairoit, entre ses sujets, ceux au soulagement desquels elles étoient
destinées. Aussi en scrutant les diverses Loix émanées de ce grand
Prince, on y voit de toutes parts son droit d'administration sur les
biens, & son autorité sur les personnes Ecclésiastiques également
conservés. Dans le Concile d'Orléans, tenu par son ordre en 511, Canon
6, _il fut défendu aux Prélats d'ordonner aucun vassal d'un Seigneur
sans son consentement_. L'emploi des revenus des Eglises fut fixé, Canon
7,[389] _à leur réparation, à l'entretien des Ministres, à la nourriture
des pauvres, au rachapt des captifs_; & si les Prélats furent chargés de
tenir la main à l'exécution de ces sages réglemens, ce fut de maniere
que, sous le prétexte de cette manutention, ils ne pussent disposer de
la propriété des biens dépendans de leur Siége.[390] Personne ne pouvoit
assurément mieux sçavoir que Clovis de quelle étendue les conditions,
apposées à ses dons, étoient susceptibles: Or, on _le voit accorder à
des laïcs la jouissance de certaines portions du temporel des Eglises_,
sans doute durant la vacance, puisqu'elle appartenoit aux Evêques
pendant leur vie, suivant le septieme Canon du Concile que je viens de
citer.[391] Plusieurs de ces laïcs, à la vérité, qui avoient obtenu de
ce Prince l'usufruit de différens fonds appartenans aux Eglises, les
laisserent, contre ses intentions, à leurs héritiers: mais le troisieme
Concile de Paris, qui nous transmet ce fait, Canon premier,[392] en
gémissant de l'abus, loin de blâmer le Prince qui avoit fait les
concessions, dit au contraire que sa mémoire est précieuse; il excuse
même du défaut de restitution ceux qui les avoient obtenus du Prince,
sur ce qu'ils avoient été surpris par une mort imprévue.

[Note 388: _Optatus Milevitanus, L. 3, ad Parmenion._ Il vivoit en 368.]

[Note 389: _Rex est deffensor & custos rerum Ecclesiasticarum divinitùs
datus._ _Concil. Mogunt. ann. 847._]

[Note 390: _Quidquid Deus in fructibus dare dignatus fuerit expendatur_,
&c. Can. 7.]

[Note 391: L'Abbé Vély, Hist. de Franc. 1er vol. pag. 64, ne voit
aucunes traces de la Régale dans le 1er Concile d'Orléans. M. le
Prés. Hesnault voit dans ce Concile les _vrais principes_ de ce
droit; l'extrait que je donne du Concile peut suffire pour confirmer
l'exactitude du célebre & profond Magistrat.]

[Note 392: En 557: _Accidit ut suprà promissionem bonæ memoriæ Domini
Clodovæi Regis, res Ecclesiarum aliqui competissent, ipsasque res
improvisâ morte collapsi, propriis hæredibus reliquissent.... placet_,
&c.]

Pour user du droit de disposer des revenus des biens Ecclésiastiques,
Clovis n'avoit pas cru être obligé de se le réserver expressément,
lorsqu'il les avoit donnés. Ses Successeurs furent contraints cependant
de prendre cette précaution; plusieurs Prélats[393] commençoient à
regarder les biens de leurs Eglises comme indépendans du Souverain, &
_les Economes, Diacres, Archidiacres, & autres qui avoient eu
jusqu'alors l'administration du temporel des Eglises du vivant des
Evêques, étoient si enflés de vaine gloire, qu'ils réduisoient ces
Evêques & les Prêtres qui leur résistoient en une extrême
nécessité_.[394] L'argent, dont ces Economes avoient le maniement, leur
servoit non-seulement à acheter les suffrages du Clergé après le décès
des Evêques, mais même pour se faire ordonner en leur place pendant leur
vie.[395] Il étoit donc essentiel, pour prévenir l'usurpation de la
dignité Episcopale, l'avilissement & la séduction du Peuple & du Clergé,
d'écarter les Ecclésiastiques de la régie des biens attachés aux
Evêchés, & d'exclure de l'Episcopat ceux qui s'y étoient introduits par
brigue & par argent: & la plus saine partie du Clergé ne trouva rien que
de louable dans ce Réglement. Par les deuxieme & cinquieme Conciles
d'Orléans, en réitérant la défense de consacrer aucuns Evêques sans
l'agrément du Roi,[396] on enjoignit de ne laisser le _pécule des
Evêques décédés en garde qu'à des personnes à qui l'on pût se
fier_:[397] termes qui font assez clairement entendre que les Eglises
n'avoient plus dès lors d'Economes Ecclésiastiques à titres, ni pour le
mobilier que les Evêques laissoient après leur mort, ni pour le revenu
des fonds des Eglises durant la vacance. Il est vrai que depuis ces deux
Conciles, à l'égard du mobilier resté en la maison du Prélat décédé, les
Evêques voisins choisirent, conjointement avec les Officiers du Roi, les
personnes qui en devoient être dépositaires; mais le Roi seul préposoit
des Administrateurs aux fonds qui étoient propres aux Eglises, & ces
Administrateurs, par forme de récompense, jouissoient, comme en avoient
anciennement joui les Economes Ecclésiastiques,[398] d'une partie du
patrimoine de ces Eglises, tant que duroit leur régie. Les plus sages
établissemens ne sont pas à l'abri d'être enfreints par ceux-mêmes, qui,
par état, devroient les respecter davantage; les Administrateurs laïcs
ne crurent pas trouver, dans le peu de durée des jouissances que les
Rois leur accordoient, une indemnité suffisante de leurs peines, & ils
parvinrent, à force d'importunités, à se les faire octroyer, à l'insçu
des Evêques, à perpétuité.[399] Les Prélats, assemblés à Orléans en
541,[400] proscrivirent cet abus, & les anathêmes fulminés par ce
Concile n'ayant pu arrêter le progrès du mal, le Concile de Rheims, dont
Flodoard[401] nous a conservé l'extrait, établit, vers l'an 625, des
regles pour empêcher que les personnes auxquelles les Rois avoient
concédé, à titre précaire, des biens Ecclésiastiques, ne les rendissent
héréditaires sous le prétexte de la durée de la possession qu'ils en
avoient eue: ces regles furent renouvellées viron cent ans après dans le
Parlement tenu à Leptines.[402] Il est d'observation qu'environ soixante
ans avant la tenue du Concile de Rheims, le troisieme Concile[403] de
Paris, Canon 8, avoit défendu aux Evêques de se faire _consacrer en
vertu des ordres du Roi_, & que par le Canon 7 du cinquieme Concile,
tenu en la même Ville en 615, on avoit regardé comme un attentat à la
liberté du Sacerdoce, & à l'immunité Ecclésiastique, les dons de biens
Ecclésiastiques faits par les Princes aux Laïcs. Mais Clotaire II, par
l'Edit confirmatif de ce Concile, rendit sans effet la double atteinte
que ces décisions pouvoient porter aux droits de sa Couronne;[404] & le
Concile de Rheims, que je viens de citer, approuva, sans restriction,
par le Canon 24,[405] cet Edit, qui n'a plus éprouvé de contradiction
jusqu'à ces derniers temps. En effet, les formules de Marculphe, comme
l'a observé Thomassin, _Disc. Eccles. tom. III._ p. 979. ne contiennent
aucun modèle de concessions faites de biens Ecclésiastiques de la part
du Roi durant la vacance; mais on ne peut nier que malgré le penchant
que ce Moine avoit pour l'augmentation des richesses des Eglises,
penchant qui se manifeste à chaque page de la deuxieme partie de son
Recueil, les maximes sur lesquelles les formules de la premiere partie
sont fondées,[406] ne partent nécessairement du droit de nos Rois sur le
patrimoine des Eglises en toutes circonstances. C'étoit de la main du
Roi que les Evêques en recevoient l'investiture; ils ne pouvoient en
disposer de leur vivant sans sa permission.

[Note 393: _Testam. S'ti Remigii._ Flodoard, L. 1, c. 18.]

[Note 394: Servin, Plaid. sur les Dép. 2e vol. pag. 676. _Greg. Tur.
vit. Patr._ c. 4.]

[Note 395: 1er Conc. de Lyon, Can. 5, en 517. Concile 5 d'Orléans, Canon
10. 2e Concile d'Orl. Can. 6. _Greg. Tur._ L. 2, c. 23. L. 4, c. 7, _id.
Vit. Patr._ c. 4.]

[Note 396: 5e Conc. d'Orl. Can. 8.]

[Note 397: 2e Conc. _Idem_, Can. 6.]

[Note 398: _Div. Greg. L. 3, Epist. 11._ Dupin, tom. 5, pag. 106.]

[Note 399: 3e Concile de Paris, Canon 1, déja cité.]

[Note 400: Canon 25 du 4e Conc. d'Orléans: _Si quis laicus sub potentum
Nomine atque Patrocinio res ad jus Ecclesiæ pertinentes petere seu
possidere præsumpserit, contempto pontifice; ab Ecclesiæ liminibus
arceatur._]

[Note 401: Hist. Ecclés. Rem. L. 2, c. 5: _De Sonnatio Episc._ pag. 103.
_Si diuturnitate temporis ab aliquibus in jus proprium usurpentur._]

[Note 402: Capitul. de Leptines de 743, tom. 1. pag. 149, n. 2: _Propter
imminentia bella sub censu & precario, aliquam partem Ecclesialis
pecuniæ in adjutorium exercitus aliquanto tempore retinemus_, &c.]

[Note 403: 3e Conc. de Paris en 557...... Dupin, tom. 5, pag. 48.]

[Note 404: Thomassin est forcé d'en convenir, tom. 3, part. 3, L. 2,
pag. 980.]

[Note 405: _Communione priventur Judices qui Edictum illud Dominicum,
quod Parisiis factum est, violaverint._ Flod. L. 2, _Hist. Eccles. Rem.
c. 5._]

[Note 406: Marculphe, dans la 1re Partie, a rassemblé les Formules des
Lettres ou Brefs du Prince; leur forme étoit trop autentique pour qu'il
pût l'altérer. Mais la seconde Partie ne contenant que des modèles
d'Actes entre des Particuliers, il y a inséré tout ce qui lui a paru de
plus propre à rendre irrévocables les dons faits aux Eglises, & à
accréditer ses opinions particulieres. _Voyez_ Préface, & Sect. 287,
ci-après.]

La Communauté d'une Ville s'adresse au Roi par la formule 7 du premier
Livre, pour le supplier d'agréer pour Evêque un sujet qu'elle a élu, &
en la formule 4, le Prince enjoint au Métropolitain de le consacrer.
Dans la cinquieme formule, le Roi, après avoir exposé qu'il a
l'administration de tous les biens du Royaume, déclare que _s'il confie_
au sujet élu la _dignité Episcopale_, c'est parce qu'il connoît ses
talens & ses vertus pour régir dignement l'Eglise, au gouvernement de
laquelle la divine Providence l'a appellé. Or, cette régie n'est
évidemment relative qu'au temporel de l'Eglise, puisque le Prince, dans
la formule, dit ne tirer le droit qu'il a de _confier_ la dignité & la
faculté de _régir & gouverner_, que du pouvoir que lui donne sa
souveraineté sur tout ce qui est soumis à sa domination. _Quamvis nos ad
administrandum gubernandumque rerum statum præcelsis occupationibus
regiæ sollicitudinis causâ constringat, decrevimus in ipsa urbe
illustrissimo illi pontificalem committere dignitatem, quatenùs dum
Ecclesiam sibi à dispensatione divinâ commissam strenuè regere atque
gubernare videtur, pro peccatorum nostrorum mole indesinenter debeat
deprecari_, &c.

Ainsi comme l'Evêque élu, cessant le consentement du Roi, n'auroit pu
s'immiscer dans l'administration du temporel de son Eglise, ni exercer
aucune sorte d'autorité sur les Fidèles, il s'ensuit que ni ceux-ci,
quant à leur personne, ni les biens de l'Eglise, quant à leur
administration, n'étoient au pouvoir du Clergé que subordonnément à la
volonté du Prince. C'est ce que confirme la formule 16 du même Auteur,
où l'on voit qu'un Evêque ne pouvoit faire aucun acte de jurisdiction
relatif au temporel, ni aliéner la moindre partie des fonds dépendans de
l'Eglise sans l'attache du Souverain. _Præcipientes ut præfatam villam
memoratæ Ecclesiæ possideant & successoribus relinquant, vel quidquid
exinde pro opportunitate ipsius sancti loci faciendum decreverint, ex
nostro permissu liberam habeant potestatem._ Mais en supposant que ces
conséquences ne fussent pas régulierement tirées des expressions des
formules de Marculphe, le silence de cet Ecrivain pourroit-il fournir le
moindre argument contre l'antiquité de la Régale? Quoique Marculphe
n'exprime pas, dans les préceptions données pour l'investiture d'un
Comté ou d'un Duché, qu'il est amovible ou viager, on n'a jamais douté
cependant que de son temps ces Bénéfices laïcs ne retournassent au Roi
après la mort des Titulaires. Pourquoi donc concluroit-on de son silence
à l'égard du droit de nos Rois sur les biens des Eglises, l'illégitimité
de ce droit, sur-tout quand on voit les Capitulaires, les Conciles,
faire tous, de concert, mention de l'exercice de ce droit sur toutes les
Eglises du Royaume, sans exception, dans les siecles qui ont
immédiatement suivi celui auquel Marculphe vivoit? Dans le Concile tenu
à Leptines[407] sous Carloman, toutes les Eglises approuvent la
distribution que le Prince faisoit de leurs trésors pour le soudoyement
de ses troupes. Comment le Clergé auroit-il trouvé en cela matiere à se
récrier? Il étoit alors pénétré de cette maxime, que les bienfaiteurs
des Eglises devoient trouver dans leurs propres bienfaits, des secours
lorsqu'ils étoient _dans la nécessité_.[408] Il pensoit encore que le
Roi pouvoit recommander les Eglises à des Laïcs, & il ne se plaignoit
que des vexations que ces Laïcs exerçoient sous le voile de
l'administration qui leur étoit confiée.[409] Ces sentimens des Prélats
qui vivoient sous Charlemagne, se retrouvent dans les Conciles tenus
sous Louis le Débonnaire. Le Concile de Paris de l'an 829, L. 1 Canon 15
& 18, décide expressément que les Ecclésiastiques ne sont point
propriétaires des biens de leurs Eglises; & il déclare L. 2, Canon 2 &
3, qu'il est spécialement du ministere royal de gouverner le Peuple de
Dieu, parce que le Roi est le défenseur des Eglises, des serviteurs de
Dieu, des veuves, des orphelins & de tous les indigens, & qu'il doit
récompenser ceux qui se conduisent bien, & réprimer la mauvaise conduite
des autres.

[Note 407: En 743.]

[Note 408: Canon 51 du 3e Conc. de Tours en 813.]

[Note 409: Canon 5 du Concile d'Arles en _idem_.]

Le Concile de Mayence en 847, sous l'Empereur Lothaire, emploie des
expressions plus fortes encore: il reconnoît que le Souverain _tient de
Dieu_ la garde des Eglises, & que _les Laïcs_, préposés pour
l'administration des biens qui en dépendent, ne doivent obéir aux
Evêques qu'en ce qui touche les dépenses relatives aux Eglises & au
soulagement des veuves & des orphelins. Jusques là nos Rois n'avoient
donc cessé d'exercer sur les Eglises le droit de Garde, & Charles le
Chauve est le premier qui en ait exempté quelques unes. Flodoard parle,
en effet, d'une semblable exemption accordée à l'Eglise de Reims, &
Hincmar,[410] de celle obtenue par l'Eglise de Beauvais, laquelle fut
souscrite par quatre Evêques. Mais outre que ces Ordonnances font voir
clairement qu'elles étoient particulieres à ces Eglises, & qu'en
recommandant les Eglises vacantes à ses Leudes,[411] ce Monarque n'avoit
fait que leur accorder des ressources nécessaires pour les exciter à
mieux servir l'Etat, comme il en avoit le pouvoir, selon les Conciles
précédemment cités; on ne peut disconvenir qu'il n'eût de justes motifs
pour ne pas multiplier les exemptions. La plupart des Evêques avoient
établi des monopoles odieuses dans leurs Diocèses;[412] ils vendoient
jusqu'aux Prébendes de leurs Eglises, en partageoient le prix avec leurs
Chanoines; ils achetoient des Cures, les donnoient à leurs sœurs.[413]
Comment, étant coupables de ces excès, ces Evêques ou leur Clergé
auroient-ils osé solliciter le Souverain de laisser le patrimoine des
fidèles à leur discrétion? Aussi les Auteurs qui ont cru voir sous ce
Prince l'administration des biens de l'Eglise confiée au Clergé, se sont
ils grossierement trompés, & voici d'où est venue leur erreur.

[Note 410: Hincmar, tom. 2, pag. 817.]

[Note 411: Flodoard: _Noverit omnium fidelium Dei ac nostrorum solertia
quia res ex Episcopatu Remensi quas dum à pastore sedes vacaret
fidelibus nostris ad tempus commendavimus_, &c.]

[Note 412: Conc. Roth. en 878, Can. 7.]

[Note 413: Analect. Mabillon, tom. 3, pag. 300.]

En parcourant les Conciles, ils ont trouvé[414] dans le Canon 6 du 2e
Concile d'Orléans une injonction aux Evêques voisins de se rendre sans
délai aux obseques de leurs confreres, d'y inventorier tout ce qui se
trouvoit appartenir aux Eglises, & d'y préposer des gardiens; & dans le
7e Canon du 5e Concile de Paris, sous Clotaire II, ils ont lu des
reproches faits avec véhémence aux Princes & aux Juges au sujet des
concessions qu'ils faisoient aux Laïcs de _choses_ appartenantes aux
Eglises, & de là ils ont conclu que le Clergé seul avoit eu, au
commencement de la Monarchie, la régie de tous les biens des Eglises
vacantes, & que le Roi ou ses Officiers ne s'y étoient immiscés depuis
que par usurpation. Ils n'ont pas fait attention que dans le 2e Concile
d'Orléans il n'est question que du mobilier: _Domum Ecclesiæ descriptam
idoneis personis custodiendam derelinquat_; & que le 5e Concile de
Paris suppose que le Prince & ses Juges n'étoient condamnables que dans
le cas où ils disposoient du revenu des Eglises ou de ceux provenans du
patrimoine des Prélats décédés avant d'avoir consulté leurs testamens &
connu leurs intentions sur l'usage que l'on devoir en faire. Or, c'est
aussi à ce seul sens que l'on doit ramener les termes du Canon 14 du
Concile de Pontyon, tenu sous Charles le Chauve en 876: les biens dont
ce Canon condamne l'usurpation doivent, en effet, être ou remis au
successeur ou distribués en œuvres pieuses, suivant l'intention du
défunt, ce qui ne peut s'appliquer qu'aux fruits échus avant le
décès.[415] C'est aussi contre cet usage, où étoient les Officiers
royaux ou les Seigneurs de s'emparer de ces fruits, que Hincmar,
Archevêque de Reims, s'éleve si souvent dans ses Lettres. Mais en
même-temps qu'il désire que ces fruits échus avant le décès soient
confiés à des économes, & conservés au successeur ou employés à l'acquit
des charges exprimées dans le testament du décédé,[416] il reconnoît que
le successeur ne peut obtenir que du Roi la jouissance des fonds
attachés à son Siége.[417] Cette jouissance appartenoit donc au Roi
durant la vacance; & de-là on ne voit nulle part qu'aucune personne
constituée en dignité Ecclésiastique s'y soit jamais immiscée en France,
si ce n'est en vertu d'un ordre exprès du Souverain. Hincmar, il est
vrai, ayant tout pouvoir sur l'esprit de Charles le Chauve, tâche, en
divers endroits de ses Lettres, d'inspirer à ce Roi des scrupules sur
l'exercice du droit de Régale; cependant toutes ses intentions
n'aboutirent, après qu'il en eut obtenu l'Archevêché de Reims, qu'à
porter le Roi à révoquer ou à soumettre à la dixme les concessions que
les Rois précédens avoient faites à des Laïcs des fonds de cette Eglise
à titre d'échange ou de bénéfice, & à faire reconnoître par ce Prince
que ses prédécesseurs avoient tenu un peu plus long temps qu'il ne
convenoit l'Evêché en vacance, & en avoient employé les revenus à leur
propre usage, tandis qu'ils n'avoient pas fourni aux Eglises qui en
dépendoient les secours dont elles avoient besoin:[418] _Pro remedio
animæ genitoris nostri atque prædecessorum nostrorum qui Episcopatum
aliquandiù tenuerant, & in suos usus res Ecclesiæ expenderant, & ob hoc
minùs quam debuerat utilitatis sacris locis in eodem Episcopatu
constitutis exinde provenerat_, &c.

[Note 414: Thomass. L. 2, part. 3, c. 52.]

[Note 415: _Ut quoties divinum judicium Ecclesiæ presulem à seculo
vocaverit, nullus ad suimet perditionem facultates ejus invadat,
Eleemosynariis Ecclesiasticis cum ipsius Ecclesiæ economo liberum sit
distribuere._ Can. 15. _Voyez_ l'art. 9 du Capitul. de l'an 877, col.
263. Collect. Balus. 2e vol.]

[Note 416: _Hincmar. op._ tom. 2, pag. 178.]

[Note 417: _Ibid_, pag. 189, 190 & 191.]

[Note 418: Flodoard, L. 2, c. 19.]

Aussi quoique les Successeurs de Charles le Chauve n'ayent pas cessé de
disposer des biens des Eglises vacantes, on ne trouve aucun monument de
la résistance du Clergé à cette pratique. Au contraire, au lieu
qu'originairement ce droit ne s'étendoit que sur les fonds & les revenus
des Eglises, le mobilier des Evêques y étoit devenu sujet dès le
commencement du 10e siecle.

Le Concile de Trosley, tenu en 909 par ordre de Charles le Simple,
atteste qu'on regardoit les revenus des fonds des Eglises comme faisant
partie du mobilier des Evêques décédés; & Louis le Jeune en 1147, par sa
Chartre à Barthelemy, Evêque de Châlons, en accordant à l'Eglise de
cette Ville l'exemption du droit de dépouille de ce mobilier, déclare
que ce droit étoit fondé sur une Coutume ancienne, _juxta vetustam
consuetudinem_.[419]

[Note 419: Brussel, L. 2, c. 22, pag. 316.]

Voilà donc une tradition constante & non interrompue de l'exercice du
droit de Régale sur les Eglises de France depuis Clovis jusqu'au temps
de la cession faite de la Normandie au Duc Raoul, & ce droit étoit fondé
sur un titre trop légitime pour que ce Prince permît de l'enfreindre.
Dès 989 Richard I son petit-fils nomme Robert Archevêque de Rouen, &
l'investit du temporel de cette Prélature. Guillaume le Conquérant
substitue Maurile à Mauger,[420] & jouit de l'Abbaye de Saint Albain
durant la vacance, & Henry II, Roi d'Angleterre, perçoit sans
contradiction les Régales lors de la promotion de Rotrou & de Gautier:
_Rex Henricus cepit in manu sua Andeliacum cum pertinentiis suis & omnia
Regalia tam apud Rothomagum quam alibi, & Senescalcus Normaniæ tradidit
illa custodienda ex parte Regis quibus voluit sine contradictione._[421]

[Note 420: _Cœnobium Sancti Albani vacans in manu suâ Guilellmus
tenuit._ Seld. Not. _In Eadmer._ pag. 126.]

[Note 421: _Ampliss. Collect._ Du P. Martêne, tom. 1, pag. 1081. Ceci
établit contre M. de Voltaire, Histoire universelle, que Henry Ier, Roi
d'Angleterre, n'avoit pas exempté les Eglises de la Régale; & d'ailleurs
ce Prince avoit eu la garde de l'Abbaye de Troarn.]

Henry fait plus, dans ses Lettres-Patentes de 1155, art. V, il rappelle
les gardes des Evêchés vacans au véritable esprit de leur institution
primitive, en enjoignant d'observer à l'égard de cette garde les mêmes
regles que l'on suivoit pour celle des Fiefs:[422] disposition d'autant
plus sensée que, quoique l'administration royale des Eglises durant la
vacance eût précédé la garde royale & seigneuriale des fonds inféodés, &
lui eût servi de modele, les Feudataires n'avoient point essayé, comme
le Clergé l'avoit tenté en quelques circonstances à l'égard de la
Régale, d'obscurcir les droits que le Roi ou leurs Seigneurs avoient sur
leurs Fiefs durant la minorité; & que d'ailleurs, malgré les efforts des
Ecclésiastiques, au premier coup-d'œil, il y avoit toujours eu entre la
garde féodale & celle des Eglises les rapports les plus frapans.

[Note 422: Capitul. en 877, _apud Caris._ éd. Balus. pag. 263.]

Les possesseurs d'Aleux n'étoient tenus originairement envers l'Etat &
le Souverain qu'à des devoirs généraux qui consistoient plus en
sentimens qu'en effets; leurs biens n'ayant point de destination
particuliere, les besoins du possesseur étoient la principale regle que
l'on consultoit pour la disposition de ces biens. Les biens des Eglises,
au contraire, formoient autant de dépôts consacrés par le Souverain à la
décence du culte religieux & au soulagement des fidèles, ces biens
devoient donc être en tous temps confiés à des personnes également
capables de conserver au service des Autels sa dignité, & de pourvoir
avec exactitude aux nécessités des Peuples. De-là s'il étoit indifférent
au Prince de s'assurer des qualités personnelles de l'administrateur des
Aleux, rien ne l'intéressoit tant que de bien choisir ceux auxquels il
confioit la régie des Eglises. Or après l'institution de l'hérédité des
Bénéfices laïcs, l'Etat n'eut pas un intérêt moins sensible à ce que
chaque Feudataire s'acquittât fidèlement des services qui étoient
affectés aux fonds dont il jouissoit; cette fidélité dépendoit non
seulement de l'expérience que celui qui les devoit avoit acquise dans
l'art militaire, mais encore de l'economie avec laquelle les biens qui
lui avoient été inféodés pour se perfectionner dans cet art, étoient
administrés.

L'homme de Fief devint donc alors, comme l'homme d'Eglise, plus
spécialement comptable au Souverain de ses actions que l'homme libre.
Ses fonctions, comme celles des Evêques, avoient pour but un avantage
public, & comme l'Etat auroit infailliblement souffert de leur
négligence à concourir chacun en droit foi au bien général, il étoit de
toute nécessité que le Souverain se réservât le pouvoir de nommer ceux
qui dévoient régir les biens attachés aux fonctions importantes dont
l'Etat auroit pu se trouver privé par leur décès ou par leur minorité.

Aussi ne trouve t'on nulle différence entre les effets de la garde des
Fiefs & ceux de la garde des Eglises. Si cette garde comprenoit tous les
biens des Evêques indistinctement, tous les biens des vassaux étoient
assujettis à l'autre.[423] On ne rendoit aucun compte de ces deux
administrations; nul Evêché, comme nul Fief, n'en étoit excepté: il
falloit un privilége particulier pour être exempt du droit de Régale,
comme pour se soustraire à la garde royale & seigneuriale des Bénéfices
laïcs ou des Fiefs. Ces deux gardes finissoient dès que l'Evêque ou le
vassal étoit en état, l'un par le serment de fidélité, l'autre par
l'hommage, de remplir les fonctions importantes attachées à leurs
dignités respectives. Au reste, on trouve les rapports qu'il y a entre
la Régale & la Garde féodale plus détaillés dans tous les Auteurs qui
ont traité du premier de ces droits. Tout mon dessein, en cette
Remarque, a été d'établir, contre leur opinion, que la Régale a précédé
l'hérédité des Fiefs, & que l'institution de leur garde n'a pu
conséquemment être la source de celle des Bénéfices Ecclésiastiques, &
je crois y avoir réussi.

[Note 423: _Capitul. ann. 877, suprà citat._ Ed. Balus. 2e vol.]

(b) _Mariage._

Les Princesses, filles de nos premiers Rois, n'avoient aucun droit sur
les biens du fisc; leurs époux les dotoient. Si le Roi ou les Etats leur
faisoient quelques dons, ce n'étoit qu'en mobilier, & plutôt par
affection qu'à titre d'établissement. Cependant ces Princesses ne
pouvoient se marier sans le consentement du Souverain, lors même
qu'elles n'avoient que des freres. Nos premiers Historiens nous en
fournissent divers exemples.

Dans le Traité d'Andely entre Gontran & Childebert II, ce dernier Prince
exige le consentement de Gontran pour le mariage de Clodosvinde sa
sœur,[424] & Gontran s'en rapporte à la volonté de son neveu sur
l'alliance projettée par cette Princesse. Charlemagne, en son Testament
rapporté par l'Auteur de sa vie, page 89, ordonne que ses filles seront
sous la tutelle & la garde des Princes leurs freres qui auront soin de
les marier convenablement; enfin dans l'annonciation de Charles le
Chauve à Louis son frere, Charles se plaint de ce que Baudouin, Comte de
Flandres, avoit épousé sa fille qui, quoique veuve, étoit sous sa garde
royale, _sub regio Mundeburde constitutam_. Rien de si naturel, sans
doute, que de rapporter à ces anciens usages l'établissement du droit
des Seigneurs sur le mariage des filles de leurs Feudataires. S'il eût
été contre la bienséance que des Princesses du sang eussent contracté
mariage avec des ennemis de l'Etat qui, sous le prétexte de cette
alliance, auroient pu y exciter des troubles, les Seigneurs de Fiefs
avoient un intérêt semblable à empêcher que les filles de leurs vassaux
ne fissent passer en une famille opposée aux intérêts de la leur des
fonds qui leur devoient le service militaire;[425] mais sous ce
prétexte, qui étoit équitable, les Seigneurs écartoient souvent les
alliances les plus avantageuses aux filles qui étoient sous leur garde;
& pour se rédimer de ces vexations, quelques vassaux assujettirent leurs
Fiefs à payer certains droits lorsque les Seigneurs consentiroient au
mariage des filles qui pourroient y succéder.

[Note 424: _Capitul. ann. 587_, Ed. Balus. tom. 1, col. 11.]

[Note 425: _Pur ceo que les heires females de nostre terre ne se
marieront a nous Enemies & dount il ne nous coviendroit lour homage
prendre si eux se puissent marier a lour volunt._ Bract. L. 2, c. 37.]

C'est de-là que sont nées tant de Coutumes bizarres que nous trouvons
établies dans les différentes Seigneuries des 11 & 12e siecles. Servin,
2e vol. pag. 166, fait mention d'une de ces Coutumes qui s'étoit
conservée dans le Fief de Soloire, & qu'il fit abolir comme contraire à
la liberté publique & aux bonnes mœurs. Le Seigneur prétendoit qu'à
chaque nôce son Sergent devoit y être convié huit jours avant, qu'il
pouvoit se présenter au festin avec deux chiens courans & un lévrier,
avoir séance auprès de la mariée, être servi avant elle, dire la
premiere chanson, & que les mariés donnassent eux-mêmes à boire & à
manger à ses chiens. Bouvot & Papon nous parlent d'usages aussi
singuliers; on en trouve encore dans _Bœrius_ & autres qui, à la
singularité, joignent l'indécence ou plutôt l'infamie; mais je
m'écarterois de mon but en les rapportant. Mes recherches doivent se
borner à faire connoître les usages François antérieurs au dixieme
siecle; on ne manque pas d'Ouvrages qui traitent des Coutumes ridicules
& abusives suivies dans les siecles postérieurs.[426]

[Note 426: _Bœrius._ Decr. 297, no 17. Brodeau, Cout. Par. pag. 273.]

(c) _Relief._

Il est constant qu'avant le regne de Guillaume le Conquérant, il n'y
avoit point de Fiefs en Angleterre.[427] L'usage du _Relief_,
c'est-à-dire, d'une redevance envers le Roi ou les Seigneurs, de la part
des héritiers d'un vassal, pour se conserver, après sa mort, les fonds
qui lui avoient été inféodés, ne pouvoit donc y être établi. Il y avoit
cependant eu, sous Edouard le Confesseur, un impôt sur tous les sujets,
proportionné à leur condition. Si les Communautés Ecclésiastiques ne
rachetoient plus, du temps de ce Prince religieux, le mobilier de leurs
Abbés ou Abbesses, comme cela s'étoit pratiqué avant le Roi Edgar,[428]
les Militaires avoient continué de lui restituer, en mourant, leurs
armes, & les Colons n'obtenoient de lui certains priviléges relatifs au
labourage, qu'en devenant assez riches pour pouvoir lui offrir le
meilleur de leurs bestiaux.[429] Mais ces différens droits n'affectoient
en rien les propriétés; ils n'imposoient à la glebe aucune servitude:
ils étoient purement personnels. Le Conquérant, en approuvant, au
commencement de son regne, les statuts d'Edouard, avoit conservé ces
diverses redevances; mais le changement qu'il fit de leur nom en celui
de _Relief_ lui donna lieu, dès qu'il eut réussi a assujettir
l'Angleterre aux Loix féodales suivies en Normandie, de confondre les
effets de ces redevances avec ceux du _Relief_ Normand; de maniere que
comme ce relief avoit pour motif, en Normandie, de conserver toujours
aux Seigneurs le domaine direct des fonds qu'ils avoient inféodés; au
moyen de la taxe que les fonds lui devoient, en vertu des Loix
d'Edouard, il se fit considérer comme seul propriétaire de tous ceux de
l'Etat.[430] A ce titre il ne voulut reconnoître de terres libres &
franches, que celles dont il n'avoit pas jugé à propos de disposer en
faveur de ses troupes;[431] toutes les autres possessions furent
amovibles, & au lieu qu'en Normandie le _Relief_ avoit toujours été fixé
& déterminé pour chaque espece de Fief, & que du temps d'Edouard,
_lhergate_ ou impôt qu'il levoit sur ses sujets, avoit été ou
volontaire, ou restraint à une légere portion de leur mobilier. La
quotité du Relief, sous Guillaume, dépendit uniquement de sa volonté, &
ce droit fut tellement une condition fonciere, que le Souverain
dépouilloit de la totalité de leurs terres ceux qui non-seulement
refusoient, mais ceux-mêmes qui négligeoient de l'exécuter.[432] Les
Seigneurs qui obtinrent de lui des Fiefs, & conséquemment la faculté de
les démembrer, suivirent son exemple. Toute la nation supportoit avec
impatience le joug d'une Loi aussi rigoureuse, qui étoit la source de
vexations sans nombre, lorsque Henri, fils du Conquérant, succéda à son
frere. Pour regagner le cœur de ses sujets, il rétablit la plupart des
Loix d'Edouard, & défendit aux héritiers de ses Barons de racheter leurs
terres, comme cela s'étoit pratiqué du vivant du Roi son pere.[433] Il
fit plus, il réduisit le Relief à un taux _juste_ & _légitime_, ou,
comme s'exprime la grande Chartre, au _Relief_ tel qu'il étoit établi
_par la Coutume des Fiefs_.[434] Les Seigneurs eurent ordre d'en user de
même envers leurs vassaux. Dès-lors les Aleux furent exempts de toute
servitude, la propriété des fonds inféodés demeura irrévocable, le taux
de leurs redevances, même en cas de mutation, ne varia plus, les taxes
personnelles furent distinguées des réelles dues au fisc; en un mot, le
Relief ne subsista qu'à l'égard des inféodations. Les biens patrimoniaux
qu'on ne tenoit ni de la libéralité du Prince, ni de celle des
Seigneurs, en furent exempts,[435] & les possesseurs des terres
anciennement libres, n'eurent plus à s'acquitter que des impôts
indispensables pour le soutien de l'Etat & de la majesté du Trône.

[Note 427: Math. Paris. année 1067. Polydor. Virg. L. 9, pag. 151.
Ducange, _Verbo charta_. Voyez Disc. Prélim.]

[Note 428: _Proemium regular. Concord. Monach. in not. Selden. in Eadm._
pag. 105.]

[Note 429: Art. 29. _Leg. Edwardi._]

[Note 430: _Polyd. Virg. loco suprà citat._]

[Note 431: _Commilitonibus Normannis terras Anglorum & possessiones,
ipsis expulsis, manu distribuebat affluenti, Willelmus, & modicum illud
quod eis remaneret sub jugo poneret perpetuæ servitutis._ Math. Paris.
ann. 1067, pag. 4.]

[Note 432: _Unde fit ut nihil hodie pene incertius sit ipsâ agrorum
possessione, nec aliunde plus litium existat_, &c. Polydor. Virg. L. 9,
pag. 151.]

[Note 433: _Si quis Baronum... qui de me tenent mortuus fuerit, hæres
suus non redimet terram suam sicut facere consueverat tempore patris
mei_, &c. _Chart. Henric. 1, Math. Par. Hist. Angl. ann. 1100._]

[Note 434: _Habeat hæreditatem suam per relevium antiquum & aliis
similiter per antiquam consuetudinem feudorum._ _Chart. Henric. II, anno
1155._]

[Note 435: _Et si quis aliquid pro hæreditate suâ pepigerat, illud
condono, & omnes relevationes qui pro rectis hæreditatibus pactæ erant._
_Ibid_, pag. 38.]

(d) _21 ans._

Les enfans mâles de nos Rois étoient, au commencement de la Monarchie,
réputés majeurs dès le berceau. Nous voyons Childebert II & Clotaire
III, âgés de cinq ans, monter sur le Trône. Clotaire II, fils de
Chilpéric, régner à quatre mois, Chilpéric, fils de Caribert, & Louis
le Débonnaire, Rois d'Aquitaine, dès l'âge le plus tendre.[436] C'est
donc contredire l'évidence que d'attribuer l'exclusion des enfans
de Clodomir, Roi d'Orléans, à l'incapacité où ils étoient, vu leur
enfance, de _se présenter aux assemblées de la Nation_.[437] Grégoire
de Tours[438] donne une autre cause au malheur de ces Princes.
"Childebert," _dit cet Historien_, "jaloux de ce que Clotilde sa mere
n'avoit d'affection que pour les enfans de Clodomir, & craignant que
cette Princesse, qui avoit fixé son séjour à Paris, ne réussît à les
faire mettre en possession du Royaume de leur pere, écrivit à Clotaire
pour concerter avec lui les moyens de s'emparer de cet Etat, & de le
partager entr'eux." Ce texte est trop clair, sans doute, pour exiger un
long Commentaire. Childebert n'auroit pas craint de voir la Couronne sur
la tête de ses neveux, _s'ils n'eussent pas été Rois de droit_, & si
ce titre eût été alors regardé comme essentiellement dépendant de leur
_capacité à porter les armes_?

[Note 436: Ceci prouve que la Couronne n'étoit point élective; car
auroit-on préféré des enfans aux autres Princes du sang si la Loi n'y
eût pas contraint?]

[Note 437: M. de Montesq. Espr. des Loix, L. 18, c. 27.]

[Note 438: Esp. des Loix, L. 3, c. 18.]

D'ailleurs le droit des enfans de Clodomir au Trône de leur pere
paroissoit si certain à leur oncle, qu'il crut ne pouvoir réussir à
empêcher le Peuple de les reconnoître pour Rois, qu'en lui faisant
accroire que l'alliance qu'il ne contractoit, en effet, avec Clotaire
que pour les dépouiller de leurs Etats, avoit pour but de les établir
malgré le Roi de Bourgogne qui, selon toute apparence, devoit s'y
opposer: _Jactaverat Childebertus verbum in populo ob hoc conjungi Reges
quasi parvulos illos elevaturos in regno_, &c.

La majorité, à l'égard des Fiefs, n'a donc point eu pour modèle celle
des Successeurs à la Couronne; mais on en découvre la source dans les
Loix Romaines, qui à quatorze ans, réputoient les enfans capables de se
marier. Comme il eût été contradictoire de permettre le mariage à
quatorze ans, & de ne pas procurer au marié tous les secours nécessaires
pour défendre son honneur, son bien, sa famille, la Loi des
Ripuaires[439] considérant que si à cet âge quelques-uns pouvoient
porter les armes, & se défendre par elles en jugement suivant la coutume
que l'on suivoit alors, d'autres n'auroient pas peut-être acquis la même
vigueur; elle laissa au choix du jeune homme âgé de 15 ans de répondre
lui-même en Justice, ou de se _choisir un champion_. Cette Loi ne
regardoit cependant que les hommes libres qui pouvoient se faire
suppléer[440] à l'armée lorsqu'ils étoient obligés de marcher; car à
l'égard des Leudes choisis par le Prince pour sa défense, & qui devoient
le service en personne, le Roi ne les admettoit auprès de lui qu'après
s'être assuré de leur valeur.[441]

[Note 439: _Leg. Rip. tit. 83_: _Aut ipse respondeat, aut defensorem
eligat similiter & filia._]

[Note 440: S'ils ne fournissoient pas un homme, ils en étoient quittes
pour une amende.]

[Note 441: La Loi des Lombards fixe l'âge de majorité à 18 ans, tit.
15, _de ætate legitimâ_, art. 1. _Addit. Lutprandi. Reg._; ce qui
revient à l'usage des Romains de ne permettre le port des armes qu'a 17
ans. Vegec. L. 1. _de re Milit._ & à ce que dit Aimoin des Leudes de
Charles Martel, L. 4, c. 53, il les appelle _Viros probatissimos_.]

Lorsque les Fiefs furent institués, il ne dut donc pas y avoir de
changement dans la majorité de l'homme libre, ou dans celle du
possesseur d'Aleux, il ne perdit point par le nouvel établissement la
faculté de fournir un homme pour aller à la guerre à sa place; mais
l'homme de fief, à _l'instar_ des Leudes, étant obligé personnellement
de faire le service, & les Seigneurs ayant intérêt qu'il ne se fît
remplacer que par des gens expérimentés, l'homme de fief, dis-je, ne dut
être majeur qu'à un âge où l'on pût compter sur sa bravoure & son
intelligence. La Loi ancienne subsista donc à l'égard des hommes libres;
mais il n'en fallut point de particulieres pour les feudataires. Chaque
Seigneur fixa dans son ressort la majorité à l'âge qui lui parut le plus
convenable à la rareté ou à l'abondance des hommes dépendans de son
Bénéfice, propres au service militaire; & de là dans nos Coutumes la
majorité, quant aux Fiefs chargés de ce service, est fixée tantôt à 18,
tantôt à 20, tantôt à 21 ans. La Normandie, dépeuplée par des guerres
fréquentes, a nécessairement dû donner à la majorité des bornes moins
étroites que les autres Provinces. Comme les hommes libres ne furent pas
moins fréquemment obligés en Normandie de porter les armes[442] sous
leurs premiers Ducs que les feudataires, parce que les guerres
entreprises par ces Princes avoient pour objet, non l'intérêt
particulier de quelques Seigneurs, mais la défense générale de la
Province; la majorité de ces hommes libres fut aussi fixée à 21 ans,
quant au service militaire, ce qui anéantit dans la suite des temps la
majorité de 14 ans à l'égard de l'administration des biens roturiers en
cette Province & en Angleterre.

[Note 442: _Statuimus ut omnes Comites, Barones, Milites, Servientes &
universi liberi homines totius regni nostri teneant se semper in armis &
in equis ut decet_, &c. Coke, Sect. 103.]

(e) _Disparagement_. Ce terme est expliqué Sect. 107 & 108.


*SECTION 104.*

*_Nota_, que le pleine age de male & female solonque le common
parlance, est dit lage de 21 ans. Et lage de discretion est dit lage de
14 ans, car a tiel age le enfant que est marie deins tiel age a un feme,
puit agreer a tiel mariage, ou disagreer.*

SECTION 104.--_TRADUCTION._

Observez que l'âge parfait pour les mâles & les femelles, suivant
l'usage ordinaire de parler, est 21 ans, & l'âge de discrétion est celui
de 14 ans, parce qu'à cet âge on peut consentir ou refuser avec
réflexion le mariage.


*SECTION 105.*

*Et si la gardein en Chivalrie marie un foits le garde deins lage de 14
ans, a un feme, & puis sil al age de 14 ans disagree a le mariage, il
est dit per ascuns, que lenfant nest pas tenus per le Ley destre
auterfoits marie per son gardeine, pur ceo que le gardeine avoit un
foits le mariage de luy, & pur ceo que il fuit hors de son garde, quant
al garde de son corps. Et quant il avoit un foits le mariage de luy, &
un foits fuit hors de son garde, il navera plus avant le mariage de
luy.*

SECTION 105.--_TRADUCTION._

Si le gardien en Chevalerie marie son vassal avant 14 ans, & si celui-ci
ayant atteint sa 14e année fait casser ce mariage, plusieurs pensent que
le vassal n'est plus tenu de suivre l'avis de son Seigneur, ni de rien
payer pour se marier de nouveau, attendu que le gardien ayant une fois
reçu de lui le droit de mariage, est réputé l'avoir mis hors de sa garde
quant à son corps seulement.


*SECTION 106.*

*Et mesme le maner est, si le gardein luy marie, & la feme devie esteant
lenfant deins lage de 14 ans ou 21.*

SECTION 106.--_TRADUCTION._

Le Seigneur ne peut encore exiger un 2e droit de mariage, lorsqu'il a
marié son vassal à une femme qui décede avant qu'il ait atteint ou l'âge
de 14 ans ou celui de 21 ans.


*SECTION 107.*

*Et que tiel enfant poit disagreer a tiel marriage, quant il vient al
age de 14 ans, il est prove par les parolx del Statute de Merton, cap.
6. que issint dit:*

*_De Dominis qui maritaverint illos quos habent in custodia sua,
villanis, vel aliis, sicut burgensibus ubi disparagentur, si talis hæres
fuerit infra 14 annos & talis ætatis quod matrimonio consentire non
possit, tunc si parentes illi conquerantur, Dominus amittat custodiam
illam usque ad ætatem hæredis, & omne commodum quod inde receptum fuerit
convertatur ad commodum hæredis infra ætatem existentis, secundum
dispositionem parentium propter dedecus ei impositum. Si autem fuerit
14_ ans _& ultra, quod consentire possit, & tali matrimonio consenserit
nulla sequatur pœna._*

*Et issint est prove per mesme le estatute que nul _disparagement_ (a)
est mes lou celuy que est en garde est marie deins lage de 14 ans.*

SECTION 107.--_TRADUCTION._

Quant à ce qui a été ci-devant dit que le mineur ayant 14 ans peut
rompre le mariage que son gardien lui a fait contracter avant cet âge,
on le trouve décidé dans le Statut de Merton, ch. 6, qui s'explique
ainsi:

Les Seigneurs qui font épouser à ceux qui sont sous leur garde des
vilains, des Bourgeois ou autres dont l'alliance les déparage avant
qu'ils ayent atteint l'âge de 14 ans, temps auquel seul ils peuvent
consentir valablement au mariage, pourront être poursuivis par les
parens du mineur; & en ce cas ils seront privés de la garde qu'ils
auroient eue de ce mineur jusqu'à sa majorité; tous les fruis qui leur
auroient appartenus vertiront au profit du jeune vassal sous la
direction de ses parens, & ce en haine du deshonneur que leur attire
l'inégalité de l'alliance. Mais si lorsque le vassal a été marié par son
Seigneur, il avoit plus de 14 ans, quoiqu'il soit déparagé, le Seigneur
ne sera sujet à aucune peine, parce que ce jeune homme à cet âge a la
connoissance requise pour refuser une alliance.

Ce Statut prouve aussi qu'il n'y a point de déparagement de la part du
Seigneur, à moins qu'il ne marie celui qui est sous sa garde avant 14
ans.

_REMARQUE._

(a) _Disparagement_.

Ce mot est composé de ces deux mots Latins, _disparitatis actio_. Si le
mari donné par le Seigneur à la fille mineure de son vassal avoit
l'entendement troublé, étoit frénétique, imbécile, ou que sa naissance
fût vile ou deshonorante, les parens de cette fille étoient également
interressés à ce que le mariage ne subsistât point. Les enfans
perdoient, en effet, leurs priviléges[443] quand leur mere noble
épousoit un roturier, & le Seigneur rentroit en possession du Fief
lorsque l'époux de sa vassalle ne pouvoit en acquitter les services.

[Note 443: Ceux qui tenoient par service de Chevalier ne payoient point
de Taille. _Charta Henr. I._]


*SECTION 108.*

*_Nota_, que il soloit estre question, coment ceux parolx serront
entendes: _Si parentes conquerantur_, &c. Et il semble a ascuns que
consideront le Statute de _Magna Charta_ que voit: _Quod hæredes
maritentur absque disparagatione_, &c. Sur quel cel Statute de Merton
sur tiel point est foundue, que nul action poit estre pris sur cel
Statute, entant que il ne fuit unques viewne oye, que ascun action fuit
port sur cel Statute de Merton pur cel disparagement envers le gardeine
pur est matter avandit, &c. Et si ascun action puissoit estre prise sur
tiel matter, il serra entendue ascun foits estre mise en vre.[444] _Et
nota_, que ceux parolx serront entendes: _Si parentes conquerantur, id
est, si parentes inter eos lamententur_, que est taunt, adire, que si
les cousins de tiel enfant ont cause de faire lamentation on complaint
enter eux pur le hont fait a lour cousin issint disparage, quel est en
maner un hont a eux, donques puit le prochein cousine a que lenheritage
ne puit discender, enter & ouster le gardeine en Chivalrie. Et sil ne
voile, un auter cousin del enfant poit ceo faire, & les issues & parents
prender al use del enfant, & de ceo render accompt al enfant, quant il
vient a son plein age, ou auterment lenfant deins age poit enter luy
mesme & ouster le gardein, &c. _Sed quære de hoc._*

[Note 444: Du mot _videri_, être proposé pour exemple. Etre _mis en
voir_ ou _vue_.]

SECTION 108.--_TRADUCTION._

Indépendamment de ce qui est dit en la Section précédente, il y a
eu bien des difficultés sur le sens de ces paroles: _Si parentes
conquerantur_, &c. Mais en consultant la grande Chartre, qui veut que
les enfans mineurs soient mariés sans déparagement, disposition que le
Statut de Merton en a emprunté, il semble que la Loi ne donne point
d'action aux parens pour déparagement d'un mariage contracté après 14
ans; car on n'a encore jamais vu ni entendu aucune poursuite judiciaire
pour pareille cause depuis ledit Statut; & s'il s'en offroit quelqu'une
de cette espece, elle seroit la premiere. Lorsque le Statut permet aux
parens de se plaindre du deshonneur que leur occasionne le déparagement,
il faut remarquer que sur cette plainte le plus proche parent, auquel
le Fief ne peut écheoir par succession, a le droit de faire priver le
Seigneur de la garde, & d'en exercer les fonctions; & si ce plus proche
parent ne veut point de la garde, un autre parent peut l'obtenir, & en
recevoir les fruits pour le mineur, à la charge de lui en rendre compte
lors de sa majorité, ou à défaut de parens, le vassal régira lui-même
ses biens. Il est bon cependant de ne suivre cette opinion qu'après
examen.


*SECTION 109.*

*_Item_, mults auters divers disparagements y sont, que ne sont
specifies en mesme le Statute. Come si lheire que est en gard est mary
a unque nad forsque un pee, ou forsque un maine, ou que est deforme,
decrepite, ou ayant horrible disease, ou graund & continual infirmitie:
Et (si soit heire male) si soit marry a feme que est passe large
denfanter. Et mults auters causes de disparagement sont: _Sed de illis
quære_, car il est bon matter dapprender.*

SECTION 109.--_TRADUCTION._

Il y a bien d'autres déparagemens détaillés dans le Statut de Merton,
comme: Si la mineure étant mariée par le Seigneur à un homme qui n'a
qu'un pied ou une main, à un vieillard décrépit, à un homme difforme ou
qui est sujet à des infirmités contagieuses ou habituelles; quand c'est
un mâle, il est déparagé si la femme qu'on lui donne est physiquement
incapable d'avoir des enfans. Au reste on peut juger d'après ces
exemples des autres infirmités qui donnent lieu à l'action en
déparagement.


*SECTION 110.*

*Et des heires males que sont deins lage de 21 ans apres le mort lour
ancester nient marries, en tiel cas le Seignior avera le mariage de tiel
heire, & avera temps & space de tender a luy convenable mariage sans
disparagement deins mesme le temps de 21 ans. Et est ascavoir que lheire
en tiel case poit eslier sil voit estre marry ou non, mes si le Seignior
que est appel gardein en Chivalry a tiel heire tender convenable mariage
deins lage de 21 ans sauns disparagement, & lheire ceo refuse, & ne soy
marie deyns le dit age, donques le gardeine avera le value del mariage
del tiel heire male, mes si tiel heire luy mesme marie deins lage de 21
ans encounter la volunt le gardeine en Chivalrie, donques le gardein
avera le double value del mariage per force de le Statute de _Merton_
avantdit come en mesme le Statute est comprise pluis a pleine.*

SECTION 110.--_TRADUCTION._

Le Seigneur a droit de mariage sur les mâles mineurs de 21 ans, & qui ne
sont point mariés lors du décès de leurs peres, & il peut prendre tel
temps qu'il lui plaît durant la garde jusqu'à 21 ans pour leur trouver
un parti convenable. Le mineur a cependant le droit d'agréer ou de
refuser le parti qui lui est offert; mais s'il refuse un mariage qui ne
le déparage point, & si après ce refus jusqu'à la fin de la garde il ne
se marie pas, le Seigneur ne sera point privé pour cela du droit de
mariage; & même dans le cas où après le refus le mineur de 21 ans se
marieroit contre le gré de son gardien, celui-ci auroit un double droit,
ainsi qu'il est expliqué plus au long par le Statut de Merton.


*SECTION 111.*

*_Item_, divers tenants teignont de lour Seigniors per service de
Chivaler, & uncore ils ne teignont per escuage, ne paieront escuage,
come ceux que teignont de lour Seigniors per castle garde, cest
ascavoir, a garder un tower del castle lour Seignior, ou un huis ou un
auter lieu del castle per reasonable garnishment quant lour Seigniors
oyont que enmies voylent vener ou sont venus en Angleterre. Et en
plusors auters cases home poit tener per service de Chivaler, & uncore
il ne tient per Escuage, ne payera Escuage, sicome serra dit en le
Tenure per Graund Serjeantie. Mes en touts cases ou home tient per
service de Chivaler, tiel service trait al Seignior Gard & Mariage.*

SECTION 111.--_TRADUCTION._

Il y en a qui tiennent par service de Chevalier, & qui cependant ne
tiennent point par Escuage ni ne payent point le droit d'Escuage. Tels
sont ceux qui tiennent par la garde d'un Château, d'une Tour ou d'une
Porte & autre dépendance du Château de leur Seigneur, & qui sont obligés
de placer à ces Postes des troupes quand les ennemis menacent de les
attaquer. Il y a bien d'autres cas où l'on tient par service de
Chevalier sans tenir par Escuage ni payer l'Escuage, comme on le verra
au Titre de Garde-Sergenterie; mais de quelqu'espece que soit le service
de Chevalier, il assujettit la tenure par laquelle ce service est dû aux
droits de Garde & de Mariage.


*SECTION 112.*

*Et si un tenant que tient de son Seignior per service de entire fée de
Chivaler morust, son heire donques esteant de plein age, scavoir, de 21
ans, donque le Seignior avera _cent sols_ (a) pur reliefe, & del heire
celuy que tient per le moitie dun fée de Chivaler, 50 s. & de celuy que
tient per l' quart part de fée dun Chivaler, 25 s. & sic que pluis,
pluis, & que meins, meins.*

SECTION 112.--_TRADUCTION._

Si un vassal qui tient par service d'un Fief entier de Chevalier
décede, son héritier doit payer au Seigneur, quand il a atteint sa 21e
année, cent sols pour relief; s'il ne tient que par service d'un
demi-Fief, il ne payera que 2 liv. 10 s.; s'il ne tient que par un quart
de ce service, 1 liv. 5 s., & ainsi à proportion de la qualité du
service de son Fief.

_REMARQUE._

(a) _Cent sols._

Par la Loi Angloise, le relief, pour les Fiefs militaires, étoit
ordinairement du quart de la valeur du service des Fiefs;[445] ainsi le
service du Fief de Chevalier étoit évalué à vingt livres, & il payoit
cinq livres. Le service d'une Baronnie qui comprenoit treize Fiefs de
Chevalier; & la troisieme partie d'un Fief de même espece étoit évaluée
à quatre cens livres, & payoit cent livres. Un Comté, composé de vingt
Fiefs, payoit aussi cent livres, parce qu'elles faisoient le quart de la
valeur de son service, & que le service du Comte, à l'armée, étoit le
même que celui du Baron,[446] quoique la Baronnie fût composée d'un
moindre nombre de Fiefs. Mais à l'égard des tenures qui ne devoient
point de services militaires, leur relief étoit de la valeur entiere de
leur revenu. Cette charge, en effet, n'en étoit pas, à proprement
parler, une pour l'héritier d'un cultivateur, puisque souvent il
trouvoit, dans la récolte laissée par celui auquel il succédoit, & pour
laquelle il n'étoit obligé de faire aucune dépense, une ressource facile
pour s'en acquitter; au lieu que le successeur d'un Baron, d'un Comte ou
d'un Chevalier n'auroit pu ni remplir ses fonctions, ni se substituer
quelqu'un pour l'en acquitter, si on l'eût privé, pendant un an, du
revenu d'un Fief, qui quelquefois étoit réduit, par les
sous-inféodations, à la valeur juste du service qui y étoit affecté.

[Note 445: Coke, Comment. sur la Sect. 112. Britton, c. 68, fo 171, vo.]

[Note 446: Les Comtes & les Barons étoient dans le 11e siecle
indépendans les uns des autres; ils commandoient avec la même étendue de
pouvoir les vassaux qu'ils menoient à la guerre; ils réunissoient
également la puissance militaire, civile & fiscale dans le ressort de
leur Seigneurie; & c'est par cette raison que sous le nom de _Barons_ on
comprenoit quelquefois les Comtes. Assises de Jérusalem, titre des
Barons. Et Chop. _de Jurisd. Andeg._ pag. 452. _Voyez_ aussi le Gloss.
qui est à la fin de l'Hist. de Matthieu, Paris. au mot _Barnagium_, &
Brussel, 1er vol. pag. 57.]


*SECTION 113.*

*_Item_, home voit tener son terre de son Seignior per le service de
deux fées de Chivaler, & donque lheire esteant de pleine age al temps de
mort son ancestre paiera a son Seignior 10 liv. pur reliefe.*

SECTION 113.--_TRADUCTION._

On peut tenir de son Seigneur par le service de deux Fiefs de Chevalier,
& l'héritier du tenant payera, pour relief à sa majorité, 10 liv.


*SECTION 114.*

*_Nota_, si soit ail, pier & fits, & sa mere morust vivant le pier de le
fits & puis laiel que tient sa terre per service de Chivaler morust
seisi, & sa terre descendist al fits la mere, come heire al aiel que est
deins age; en cest cas le Seignior avera le garde de la terre, _mes nemy
le garde del corps_ (a) del heire, pur ceo que nul serra en gard de son
corps a ascun Seignior vivant son pier, pur ceo que le pier durant son
vie avera le mariage de son heire apparant, & nemy le Seignior.
Auterment est ou le pier est mort vivant la mere, lou le terre tenus en
Chivalrie discendis al fits de part son pier, &c.*

SECTION 114.--_TRADUCTION._

Supposons un aïeul maternel, un pere & un fils, & que la mere de ce
dernier étant morte avant son mari, l'aïeul décede saisi d'une terre
tenue par service de Chevalier, la terre alors appartiendra au fils
mineur, comme héritier de son aïeul maternel; mais le Seigneur n'aura,
en ce cas, que la garde de la terre, & non la garde du corps du mineur:
parce qu'il est de maxime que nul n'entre en garde féodale, quant au
corps, tant que son pere est vivant, & d'ailleurs il appartient au pere
de décider le mariage de son fils par préférence au Seigneur. Il en
seroit autrement si le pere étoit mort du vivant de sa femme, & si le
Fief tenu par service de Chevalier eût passé au fils par le décès de son
aïeul paternel.

_REMARQUE._

(a) _Mes nemy le Garde del corps._

Je l'ai déjà observé sur la Section 50. Les Seigneurs avoient dérogé, en
certains cas, à leur droit de Garde sur leurs vassaux, & ce sont sans
doute, les exceptions admises par les Seigneurs qui ont donné lieu à M.
de Montesquieu[447] de prétendre qu'il y avoit _cette différence entre
la Tutelle & la Baillie_; _que l'une regardoit la personne, & l'autre
le Fief_. Mais on voit ici que le pere même n'avoit, dans le cas supposé
par la Loi, l'administration de la personne qu'à l'égard du mariage, &
que le Seigneur prenoit seul le soin de l'éducation militaire du mineur,
puisqu'il avoit seul la régie du bien destiné à lui procurer cette
éducation. Il étoit en effet de la gloire & de l'intérêt des Seigneurs
d'avoir des vassaux au fait de l'exercice des armes, & en état de les
soutenir efficacement dans l'occasion: talens pour lesquels des parens
auroient pu inspirer de l'indifférence. _Quis putas_, dit Fortescue,
_infantem talem in artibus bellicis quos facere ratione tenuræ suæ ipse
astringitur Domino feodi sui melius instruere poterit aut velit quam
Dominus ille cui ab eo tale servitium debetur, & qui majoris potentiæ &
honoris æstimatur quam sunt alii amici & propinqui tenentis sui.....
Rudes forsan & armorum inexperti, maxime si non magnum fuerit
patrimonium ejus._[448]

[Note 447: Espr. des Loix, L. 18, c. 27.]

[Note 448: Fortescue, c. 44, fo 56, vo.]


*SECTION 115.*

*_Nota_, si home soit seisie de terre que est tenus per service de
Chivaler, & fait feoffment en fée a son use, & morust seisie del use,
son heire deins age, & nul volunt per luy declare, le Seignior avera
_briefe de droit_ (a) de gard de corps, & del terre, sicome tenant ust
devie seisie del demesne. Et si le heire soit de pleine age al temps de
morant son ancestor, en tiel case il payera reliefe, sicome il fuissoit
seisie del demesne. Et cest per lestatute de _anno 4. H. 7. cap. 17._*

SECTION 115.--_TRADUCTION._

Observez que si un homme qui tient une terre par service de Chevalier,
& qui donne une partie de cette terre en fief pour son propre avantage
décede sans avoir cessé de jouir du fonds qu'il a sous-inféodé ni avoir
publié son aliénation, le Seigneur obtiendra un Bref de droit pour la
garde du fils de son vassal, s'il est mineur, & cette garde comprendra
la personne du mineur & la terre sous-inféodée, comme si le tenant en
eût encore été propriétaire lors de son décès; & si au temps de ce décès
le fils du tenant est majeur, il payera le même relief qu'il payeroit
pour le fonds s'il n'étoit pas aliéné. Ceci a été décidé par le Statut
de la quatrieme année d'Henri VII, c. 17.

_REMARQUE._

(a) _Briefe de droit._

Coke, sur cette Section, fait observer qu'elle a été ajoutée au texte de
Littleton, & qu'elle n'est fondée que sur une Chartre de Henri VII, qui
a été abrogée par celle de Henri VIII. Celle-ci exempte les Seigneurs de
la formalité du Bref de droit, parce que la possession actuelle du
vassal suffit pour le faire réputer propriétaire.


*SECTION 116.*

*_Nota_, il y ad gardein en droit en Chivalry, & gardein en fait en
Chivalrie. Gardein en droit en Chivalrie, est lou le Seigniour pur cause
de son Seigniory, est seisie de gard de terres & del heire, _ut suprà._
Gardein en fait en Chivalrie, est lou en tiel case le Seigniour apres
son seisin _graunt_ (a) per fait ou sauns fait le gard des terres, ou
del heire ou dambideux a un auter. Per force de quel grant le grauntee
est en possession, donque est le grauntee appell gardeine en fait.*

SECTION 116.--_TRADUCTION._

_Nota_. Qu'il y a en Chevalerie gardien en droit & gardien en fait. La
garde de droit est celle dont on a déjà parlé. L'autre consiste au don
que le Seigneur fait par écrit ou verbalement, après s'en être saisi, ou
de la garde du corps ou de celle des biens, ou de l'un & l'autre garde à
quelqu'un, au moyen duquel don le donataire exerce sur le mineur les
mêmes droits que le Seigneur.

_REMARQUE._

(a) _Graunt le gard a un auter._

Le droit de céder la garde n'appartenoit d'abord qu'au Souverain. _Si
vero Dominus Rex aliquam custodiam alicui commiserit, tunc distinguetur
utrum ei custodiam pleno jure commiserit, ita quod nullum eum inde
reddere compotum opporteat ad scacarium, aut aliter; si vere ita plene
ei custodiam commiserit, tunc poterit Ecclesias vacantes donare, & alia
negotia sicut sua recte disponere._[449] Les Seigneurs dans la suite
s'attribuerent la faculté d'aliéner la Garde de leurs vassaux; mais ils
ne pouvoient faire cette aliénation qu'au profit des personnes employées
au service militaire.[450]

[Note 449: Glanvill. L. 7, c. 10.]

[Note 450: Fortescue, c. 45, fo 57.]



CHAPITRE V.

_DE SOCAGE._


*SECTION 117.*

*Tenure en _Socage_ (a) est, lou le tenant tient de son Seignior son
tenement per certein service pur touts maners de services, issint que
les services ne sont pas services de Chivaler: Sicome lou home tient son
terre de son Seignior per fealty & pur certeine rent pur touts maners de
services, ou lou home tient per homage & fealtie, & certaine rent pur
touts manners de services, ou lou il tient per homage & fealty pur touts
maners de services, _car homage per soy_ (b) ne fait pas service de
Chivaler.*

SECTION 117.--_TRADUCTION._

La tenure en Socage est celle qui doit tout autre service que celui de
Chevalier. Par exemple, si un homme tient par féauté, à la charge d'une
rente, ou par hommage, féauté & rente, ou par hommage & féauté sans
rente, il tient en Socage; car l'hommage ne constitue point le service
de Chevalier.

_ANCIEN COUTUMIER._--CHAPITRES XXVIII & XXIX.

Savoir devons qu'homage est de fief, & autre de foy & de service. Homage
de foy & de service est quant aulcun reçoit aultre à homage, à luy faire
service de son corps, ou à combattre pour luy ou à faire aulcun tel
service, & s'il luy assigne rente pour ce, elle ne remaindra pas à ses
hoirs, s'il ne fust dit quant la condition fut faite.

Il y a tenure de rente si come aulcun tient rente qui luy est assignée
sur une piece de terre, & la terre remaint celuy qui la tient.

_REMARQUES._

(a) _Socage_.

La plupart ont confondu la tenure par Socage avec la tenure en Villenage
ou Vilaine, dont il est traité Chapitre II: la différence en est
cependant bien frapante.

Le Villenage, comme on le verra dans la suite, est une vraie servitude;
le Socage, au contraire, a tous les caracteres de la liberté & les
priviléges de la Noblesse.

Originairement, à l'exception des _Leudes_ ou _Antrustions_, qui étoient
uniquement livrés à la profession des armes, les hommes libres ou les
autres Leudes s'occupoient de l'agriculture.[451] Ceux qui d'entre ces
hommes libres profiterent, sous Charlemagne, de la faculté que leur
donna cet Empereur de se recommander, pour des Bénéfices ou pour des
biens fiscaux à titre de Bénéfices, ou, ce qui est la même chose, pour
faire ériger leurs Aleux en Bénéfices, ne ralentirent pas, après le
changement de l'espece de leurs possessions, le soin qu'ils avoient
toujours pris pour les mettre en valeur; au contraire, comme le
Souverain n'accordoit la qualité de Bénéfices qu'à ceux qui jouissoient
d'un certain nombre de terres, & que c'est sans doute delà que chaque
Fief de Chevalier devoit être composé d'autant de terres qu'il en
falloit pour occuper douze charrues:[452] l'ardeur pour étendre ses
propriétés, & conséquemment pour faire des défrichemens & perfectionner
la culture des fonds que l'on possédoit, dut redoubler par l'espoir de
la récompense.

[Note 451: Toutes les Formules de Marculphe le prouvent; les Testamens,
les Donations, les Echanges, qui en font l'objet, n'en ont d'autres que
des Métairies, des Prés, des Vignes, &c.]

[Note 452: _Ex duodecim carucatis constabat unum feodum militis._ Coke,
Sect. 95.]

Les Seigneurs, à l'imitation du Prince, ou plutôt pour n'être pas privés
de leurs vassaux par la facilité avec laquelle on étoit admis au
Vasselage royal, furent contraints, en donnant à titre de Bénéfices ou
de Fiefs des portions des leurs, ou en érigeant en Fief les Aleux des
hommes libres ressortissans de leurs honneurs, de n'imposer aucunes
charges à ces inféodations, ou de rendre ces charges presqu'insensibles.
Delà les tenures d'Aleux donnés ou érigés en Fiefs, ne furent sujettes
qu'à l'hommage, ou à la féaulté, ou à quelques rentes de peu de
conséquence, ou à la culture d'une partie des terres de la Seigneurie
dont le Fief avoit été démembré.

Les guerres fréquentes qui désolerent le Royaume vers la fin de la
seconde Race, sur-tout celles des Normands dévasterent les campagnes de
la plupart des Provinces du Royaume, & firent languir le labourage. Le
Duc Raoul, en prenant possession de la Normandie, comprit la nécessité
de réparer le mal dans l'étendue de sa domination. Il fit publier un
Edit[453] par lequel il engageoit les hommes libres à reprendre les
possessions que ses soldats les avoient forcés d'abandonner. Il
distribua même des terres à ceux de ses gens qui consentirent fixer leur
domicile en Normandie; ensuite il dressa des Réglemens pour la sureté
des cultivateurs. Il étoit bien difficile de faire perdre tout-d'un-coup
le goût de piller à ceux qui depuis si long-temps étoient habitués au
butin sous ses ordres. Mais la sévérité des peines qu'il imposa pour les
moindres vols, sur-tout dans les campagnes, fut si efficace, que les
charrues restoient dans les champs, sans que jamais, sous son regne,
personne, si l'on en excepte le Paysan de Longueville, dont l'histoire &
la fin malheureuse sont connues de tout le monde, ait éprouvé aucun
préjudice. Il falloit que les cultivateurs se fussent maintenus dans une
indépendance bien entiere du temps de ce Prince, puisqu'après son décès,
irrités de ce que le Duc Richard II, son petit-fils, n'admettoit dans sa
confiance que les possesseurs de Fiefs militaires, ils prirent les armes
contre ces derniers, & réussirent à intéresser dans leur querelle les
Bourgeois des Villes. Ceci se conçoit aisément, si l'on réfléchit sur
l'étendue des prérogatives que Raoul leur avoit attribuées, que les Loix
de Guillaume le Conquérant leur conserva, & dont il sera parlé dans les
Sections suivantes.

[Note 453: Hist. de Norm. par du Moulin, pag. 22, Somm. 8, & suiv.]

(b) _Car lhomage per soy ne fait pas service de Chivaler_, &c.

L'hommage constitue le _Fief_, mais n'en détermine pas l'espece; c'est
par leurs redevances que les Fiefs se distinguent entr'eux.


*SECTION 118.*

*_Item_, home poit tener de son Seignior per fealty solement, & tiel
tenure est tenure en Socage; car chescun _tenure que nest pas_ (a)
tenure in Chivalry, est tenure en Socage.*

SECTION 118.--_TRADUCTION._

Si l'on tient de son Seigneur par féauté seulement, on est tenant en
Socage; car toute tenure qui n'est pas de Chevalerie est de Socage.

_REMARQUES._

(a) _Tenure qui n'est pas_, &c.

Après le grade militaire on ne reconnoît point encore aujourd'hui, en
Angleterre, d'état plus honorable que celui du Laboureur. On trouve dans
Fleta,[454] _Ex donationibus, feoda militaria vel magnam serjentiam non
continentibus, oritur nobis quoddam nomen generale quod est Socagium_.
Ce qui conduit naturellement à penser que les Fiefs connus parmi nous
sous le nom de franches Vavassories, proviennent de cette espece de
tenure:[455] les Seigneurs se sont attribués par le laps du temps,[456]
sur ces Fiefs, le droit de Garde; ce qui a dû rencontrer d'autant moins
de difficulté, qu'en se soumettant à la Garde, ceux qui tenoient des
terres en Socage n'avoient presque plus rien qui les distinguât des
possesseurs de Fiefs par service de Chevalerie. La tutelle étoit, en
effet, la principale différence que la Loi eût mise entre ces Fiefs & le
Socage. Le Socage payoit comme eux le relief, & faisoit la foi &
hommage; & s'il ne devoit pas comme eux le service personnel d'étage ou
de guet aux Châteaux, il étoit taxé à certaines sommes destinées à ce
service; d'où il est arrivé que dès que les possesseurs de Fiefs
militaires n'ont plus été obligés de rendre ces services en personne à
leurs Seigneurs, ces Fiefs se sont nécessairement confondus avec les
franches Vavassories.

[Note 454: Fleta, L. 1, c. 8. L. 3, c. 14 & 16. _Voyez_ aussi Britton,
c. 66, pag. 164.]

[Note 455: _Tous les Fiefs_, dit Brussel, 1er vol. L. 2, c. 7, pag. 175:
_Tous les Fiefs anciens de Normandie étoient ou des Fiefs entiers de
Chevalier ou de Haubert, ou des portions de Fief de Haubert; & il n'y
avoit entre ces Fiefs & les Rotures aucune autre sorte de biens-fonds
que des Métairies tenues noblement en Arrieres-Fiefs sans aucune charge,
& auxquelles il n'y avoit point de mouvance attachée._]

[Note 456: _Voyez_ la Remarque sur la Section suivante, & sur-tout le
passage de Terrien, où il dit que les Seigneurs _font la vavassorie à
garde ou sans garde_.]

Ces Vavassories ont été appellées franches, parce que s'il y en avoit
qui ne devoient que l'hommage ou la féauté, d'autres étoient sujettes au
labour des terres du Seigneur, ou des rentes; mais cette différence
entre leurs services n'en mettoit aucune entre leur noblesse. Les
redevances qui étoient imposées sur toutes, quelque fût leur inégalité,
n'ayant eu pour motif que de conserver au Fief, dont ces Vavassories
étoient démembrées, le droit de se les réunir dès que ces redevances
cesseroient d'être acquittées, elles indiquoient perpétuellement les
priviléges du fonds, & la propriété qui en avoit été transférée au
vassal, propriété qui ne pouvoit être privée d'une portion de la dignité
du Fief duquel elle continuoit de dépendre.


*SECTION 119.*

*Et il est dit, que la cause pur que tiel tenure est dit & ad le nosme
de tenure in Socage, est ceo: _Quia socagium idem est quod servitium
socæ, & soca idem est quod caruca_, scavoir, un soke ou un carue. Et en
ancient temps devant le limitation de temps de memorie _grand part de
les tenants_ (a) que tyendront de lour Seigniors per socage, devoient
vener oue lour sokes, chescun de ses dits tenants pur certein jours per
an pur arer & semer les demesnes le Seignior, & pur ceo que tielx
averages, fueront fait pur le viver & sustenance de lour Seigniors, ils
fueront quits envers lour Seigniors de touts maners de services, &c. Et
pur ceo que tielx services fueront faits oue lour sokes tiel tenure fuit
appel tenure en socage. Et puis apres tiels services fueront changes en
denyers, per consent des tenants & per desire des Seigniors, scavoir, en
un annuell rent, &c. Mes uncore le nosme de Socage demurt, & en divers
lyeux les tenants uncore font tiels services oue lour sokes a lour
Seigniors, issint que touts maners de tenures que ne sont pas tenures
per service de Chivaler, sont appels tenures en Socage.*

SECTION 119.--_TRADUCTION._

On dit que la dénomination de tenure en Socage vient de ce que le
Socage est le service de la charrue, que les Latins appelloient
indifféremment _soca_ ou _caruca_. En effet, anciennement partie de ceux
qui tenoient en Socage étoient obligés de venir à certains jours semer &
labourer les terres du Seigneur; & comme ces services avoient pour objet
sa subsistance, ceux qui en étoient chargés étoient exempts de tout
autre service. Depuis, ces services ont été évalués en deniers ou rentes
du consentement des Seigneurs & des vassaux, & la tenure a conservé le
nom de _Socage_.

_REMARQUES._

(a) _Grand part de les tenants_, &c.

Tout tenant en Socage ne devoit donc pas le service de la charrue, &
cependant ceux qui le devoient n'étoient pas, comme je l'ai observé, de
pire condition que ceux qui ne s'y étoient point assujettis. Cependant
ce fut l'obligation de ce service pour les uns, & l'exemption des autres
qui fit naître, en France, dans les treizieme & quatorzieme siecles, la
confusion des tenures en Socage chargées de redevances, avec le
Villenage.

_La Vavassorie_, selon Terrien,[457] _est une partie de Fief noble qui,
par le Seigneur d'icelui Fief, est donnée par vendition, échange, &c. à
aulcun pour être son vassal, & n'est appellée membre de Fief, car elle
ne comprend aucune partie, comme moitié, tiers ou quart de Fief:_ or,
ajoute cet Auteur, _sont les aulcunes Vavassories greigneures, & les
autres meindres, & les unes plus nobles & plus franches que les autres;
car les unes ont Court, Usage, Colombier, Tor, Ver, Moulins & autres
noblesses, & sont tenues à foi & hommage, & se relevent par membre de
Fief; les autres ne sont pas nobles, & se relevent par acres ou par
aulcunes somes de deniers, rentes ou services; partant ne sont pas dites
franches, mais villain Fief. Et quand les Seigneurs veulent faire un
Vavasseur, ils font la Vavassorie noble ou non noble, à Garde ou sans
Garde, ainsi qu'ils le veulent; & peuvent donner une Vavassorie pour un
chapeau de roses, ou pour un gand, ou pour un éperon; & si la Vavassorie
a court, elle doit Garde._

[Note 457: Comment. du Droit Civil Norm. L. 5, pag. 172.]

Pour comprendre les erreurs de cette définition des Vavassories, il ne
faut, je crois, qu'un peu de réflexion sur le texte de Littleton. Si ce
que Terrien dit étoit vrai, il faudroit admettre que _la Garde, le droit
de Court, le Relief_ auroient originairement constitué les Fiefs; mais,
en ce cas, Littleton auroit-il mis au même rang les tenures en Socage,
soit qu'elles eussent ou non ces prérogatives? C'est donc à d'autres
marques que le Fief doit se reconnoître; & en effet, elles se
manifestent dans l'hommage & la foi prêtée à un Seigneur. Ces formalités
seules constatent que le fonds qui y oblige est d'un ordre distingué de
celui des autres fonds; & que si ce fonds n'a ni _Court_, ni mouvance, &
ne tombe point en garde, ce n'est pas qu'il soit, par sa nature
incompatible avec ces prérogatives, mais parce qu'elles n'ont point été
comprises dans les conditions de l'inféodation: inféodation, d'ailleurs,
qui ne conserve pas moins sa qualité de membre de Fief, en payant un
relief à raison de l'acre, en deniers ou rentes, qu'en le payant à un
taux plus généralement usité, puisque cessant le démembrement
originaire fait d'un Fief pour former cette inféodation, elle n'opéroit
aucun relief, qui n'est établi que pour perpétuer le privilége de
l'inféodation dans la famille du vassal. Terrien a donc évidemment
ignoré quels étoient les caracteres constitutifs du Fief, lorsqu'il a
donné le nom de _Fief villain_ aux Vavassories ou tenures en Socage qui
étoient obligées à des rentes, & qui se relevoient par des rentes, &c.
Il y a plus, l'idée du Villenage & cette inféodation sont exclusives
l'une de l'autre, si l'on s'attache à considérer leur essence primitive.
Car le _Villain_ ne l'étoit pas à cause de sa tenure, mais sa tenure
étoit villaine à cause de sa personne. Le _Villain_ n'étoit point
_relevant_ du Seigneur, mais il en dépendoit comme un esclave de son
maître. Il n'avoit nulle propriété du fonds qu'il cultivoit;[458] ne
pouvoit en disposer, ou plutôt ce fonds étoit une partie de Fief, mais
toujours inhérente au Fief, subsistante en la main du Seigneur, qui n'en
cédoit la jouissance que pour son profit & sans autre terme que celui de
sa volonté. Or, une jouissance de cette espece ne pouvoit se concilier
avec la foi & hommage, ni avec le relief, qui tous supposent & la
dignité originaire du fonds, & la libre disposition de ce fonds en la
personne de ceux qui s'acquittent de ces différens devoirs.[459]

[Note 458: _Le villain ne peut vendre, ne engager, ne donner la borde ou
terre qui luy est baillee pour faire les vils services de son Seigneur._
Anc. Cout. Chap. _de Tenures_.]

[Note 459: Sect. 172 ci-après, chap. du _Villenage_.]


*SECTION 120.*

*_Item_, si home tient de son Seignior per _Escuage certaine_, (a)
scavoir, en tiel forme quant lescuage curge, & est assesse per
Parliament a griender summe ou meinder summe, que le tenant paiera a
son Seignior forsque demy marke pur escuage, & nient pluis ne meins, a
quel graund summe, ou a quel petite summe que lescuage curge, &c. tiel
tenure en Socage, & nemy service de Chivalrie. Mes lou le summe que le
tenant paiera pur lescuage est non certaine, savoir, lou il poit estre
que l'summe que le tenant paiera pur lescuage a son Seignior poit estre
a un foits le greinder & a auter foits le meinder, solonque ceo que est
assesse, &c. donques tiel tenure est tenure per service de Chivaler.*

SECTION 120.--_TRADUCTION._

Si un homme tient de son Seigneur par un droit fixe pour l'_Escuage_, ou
s'il est dit dans l'acte de son inféodation que quelque soit la somme à
laquelle sera fixé l'Escuage par le Parlement, il ne payera qu'un
demi-marc pour l'Escuage; sa tenure en ce cas est tenure en Socage, &
n'est point une tenure par service de Chevalier; car la tenure par
service de Chevalier doit l'Escuage au taux réel auquel le Parlement
l'impose.

_REMARQUE._

(a) _Escuage certaine_, &c.

Cette Section indique une nouvelle distinction entre les Fiefs tenus par
service de Chevalier & le Socage.

La premiere tenure doit le service militaire personnel, & ce service ne
peut être apprécié qu'après l'expédition où on le rend, vu la diversité
des circonstances qui peuvent aggraver ou adoucir ce service. Le Socage
ne doit que des secours relatifs à ce service; mais ils sont déterminés.
D'où n'ait encore une différence bien sensible entre le Socage & les
tenures de Villenage; car celles-ci ne sont chargées que de corvées
incertaines _à la volunt le Seignior_.[460]

[Note 460: Sect. 172, ci-après.]


*SECTION 121.*

*_Item_, si home tient sa terre pur payer certaine rent a son Seignior
pur _Castle-garde_ (a) tiel tenure est tenure en socage. Mes lou l'
tenant doit paier luy mesme, ou per un auter faire Castle-garde, tiel
tenure est tenure per service de Chivaler.*

SECTION 121.--_TRADUCTION._

Ceux qui tiennent une terre à la charge de payer une rente pour la
garde d'un Château sont tenant en Socage. Si, au contraire, ils doivent
faire par eux-mêmes cette garde ou poser quelqu'un pour la faire, ils
tiennent par service de Chevalier.

_REMARQUE._

(a) _Castle-garde._

Nos anciennes Coutumes font aussi la distinction de la garde des
Châteaux personnelle d'avec celle qui est évaluée en argent. _Se aucuns
nobles homes doivent garde certaine, & il démembroit le fié, covient que
chacun qui tenra le fié paye autant de garde come cil payeroit qui
tenoit tout le fié._[461]

_Si li Sire fait semonre ses homes qui l'y doit sa garde, cil quil y
doit sa garde, y doit estre ô sa feme ou son sergent, & y gesir toutes
les nuits._[462]

Le premier de ces textes se rapporte à l'étage dû par les Vavassories, &
ceux qui doivent ce droit sont appellés _nobles homes_. Le second
concerne les Fiefs de Chevaliers.

[Note 461: Cout. Anc. de Champ, citée par Chop. _De Jurisd. Andeg._ L.
1, pag. 400.]

[Note 462: Etabliss. de S. Louis, tit. 15, de _Lige Etage_.]


*SECTION 122.*

*_Item_, en touts cases lou l' tenant tient del Seignior a paier a luy
ascun certain rent, cel rent est appelle rent service.*

SECTION 122.--_TRADUCTION._

En tous les cas où un tenant releve d'un Seigneur par une rente fixe,
cette rente s'appelle _rente de service_.


*SECTION 123.*

*_Item_, en tielx tenures en socage si l' tenant ad issue, & devie son
issue esteant deins lage de 14 ans, donques _le procheine amy del heire
a que lheritage ne poit discender avera la gard_ (a) de la terre & del
heir telque la age del heir de 14 ans, & tiel gardein est appelle
gardein en socage. Car si la terre descendist al heire de part le pier,
donques la mere, ou auter procheine cousen de part le mere avera la
garde. Et si le terre discendist al heire de part la mere, donques le
pier ou le prochein amy de part del pier avera le garde de tielx terres
ou tenements. Et quant lheire vient al age de 14 ans compleat, il poit
enter & oustre le gardein en Socage, & occupier la terre luy mesme sil
voit. Et tiel gardeine en socage ne prendra ascuns issues ou profits de
tielx terres ou tenements a son use demesne, mes tantsolement al use &
profit del heire, & del ceo il rendra accompt al heire quant pleast al
heire apres ceo que lheire accomplish lage de 14 ans. Mes tiel gardein
sur son accompt avera alowance de touts ses reasonable costs & expences
en touts choses, &c. Et si tiel gardein maria lheire deins 14 ans, il
accomptera al heire, ou a ses executors de value del mariage, coment que
il ne prist riens pur le value del mariage, pur ceo que il serra
rette[463] sa folly demesne, que il luy voiloit marier sans prender la
value del mariage, sinon que il luy maria a tiel mariage que est tant en
value come le mariage del heire, &c.*

[Note 463: _Rette_ pour _réputé_.]

SECTION 123.--_TRADUCTION._

En tenure par Socage, si le tenant meurt & laisse un enfant de 14 ans,
le plus proche parent de cet enfant, après son héritier présomptif, aura
la garde de la terre & de la personne du mineur jusqu'à ce qu'il ait
atteint sa 14e année, & ce gardien s'appelle gardien en Socage. Ainsi si
la terre écheoit au mineur du côté de son pere, la mere ou autre proche
parent du côté de la mere aura la garde; & si la terre vient du côté de
la mere, le pere ou le plus proche parent paternel aura cette garde.

Dès que le mineur aura atteint 14 ans, il entrera en possession de ses
biens, & la garde finira.

Le gardien ne peut avoir aucuns profits de la terre; il doit tenir
compte de tout le revenu à son mineur aussi-tôt la majorité acquise.
Mais dans son compte le gardien peut le faire allouer les dépenses &
débours raisonnables qu'il justifiera avoir faits; & s'il a marié le
mineur avant 14 ans, il comptera à ce mineur ou à ceux qui seront à son
droit de la valeur du mariage, parce qu'il sera réputé avoir consenti à
ce mariage sans vouloir en tirer aucun profit. Il en seroit cependant
autrement si la valeur de la dot de la femme du mineur étoit égale à
celle du mariage de ce dernier.

_REMARQUES._

(a) _Le procheine amy del heire a que lheritage ne puit discender avera
la gard._

Suivant un Capitulaire de l'an 819,[464] la personne & les biens des
pupilles étoient en la garde du Roi. Les Comtes ou autres Bénéficiers,
dans le ressort desquels ils se trouvoient situés, nommoient ceux qui
devoient défendre leurs intérêts en jugement; & c'est delà qu'est
dérivée cette maxime du droit Coutumier François: Toutes tutelles, quant
aux biens, sont datives.

[Note 464: Capitul. L. 4, c. 16. Collect. Balus. tom. 1er.]

Quand les hommes libres commencerent à faire ériger leurs Aleux en
Fiefs, les Seigneurs auroient pu s'attribuer la tutelle des enfans de
ces hommes libres après leur décès, ainsi qu'ils se réserverent, dans la
suite, la garde de leurs autres Sous-Feudataires mineurs. Mais
l'inféodation des Aleux ayant pour but de soustraire le vassal à toute
espece de service qui auroit pu le distraire de la culture de ses
héritages, parce qu'ils contribuoient à la subsistance du Seigneur;
ç'auroit été manquer ce but, que de laisser le Seigneur exposé, dans la
circonstance de la mort du vassal, à faire faire, pour les mineurs, des
travaux sur lesquels, par état, il lui auroit été impossible de veiller.
D'ailleurs, en substituant, aux parens du mineur, un étranger pour la
régie de ses biens, quelles dégradations n'auroient-ils pas éprouvé de
la part d'un régisseur négligent ou avide? Cette régie n'auroit pu être
gratuite, & la valeur des fonds auroit pu également diminuer par le
défaut comme par l'excès de la culture. Pour parer à ces inconvéniens,
les Seigneurs conserverent donc la garde aux parens, qui seuls
pouvoient, sans récompense & par pure affection, s'intéresser
efficacement à l'améliorissement des possessions du mineur. On
choisissoit, il est vrai, pour la garde, parmi ces parens, ceux qui
étoient du côté opposé à celui d'où provenoit l'héritage; mais outre que
ceci mettoit en sureté la fortune du mineur, en ce qu'un gardien
craignoit toujours d'autoriser, par sa mauvaise administration d'un bien
à la succession duquel il ne pouvoit rien prétendre, l'indifférence des
parens d'une autre ligne, pour les fonds auxquels il avoit droit de
succéder, & dont ils avoient l'administration, on prévenoit encore
par-là divers évenemens qui auroient pu préjudicier le pupille.[465] En
effet, si son héritier présomptif eût été nécessairement administrateur
de ses biens, il seroit souvent arrivé qu'il auroit eu des prétentions
sur ces biens, & la garde lui auroit procuré bien des moyens de se faire
à soi-même les restitutions qu'il se seroit imaginé légitimement dues,
sans que le mineur eut pût jamais s'en appercevoir. Quelquefois même,
_cil quil devroit aver le retor de la terre_, étant Gardien, auroit
désiré _pluis le mort des enfants que lour vie pour la terre quil y
escharroit_.[466] Cette Coutume, néanmoins, éprouva quelques changemens
sous S. Louis. La garde de la personne fut, de son temps, confiée au
parent, qui ne pouvoit rien reclamer en la succession du mineur, &
l'héritier eut la garde des biens. C'est sans doute là une des
exceptions au droit des Seigneurs qui a confirmé M. de Montesquieu dans
le systême d'une double administration: systême que j'ai ci devant
combattu.[467] Mais il doit paroître évident, 1er que cette double
administration, même du temps de S. Louis, n'avoit lieu que pour les
Aleux inféodés, puisque les Seigneurs avoient seuls la garde de la
personne & des biens des possesseurs des Fiefs militaires: 2e que les
établissemens de ce S. Roi sont d'une date trop récente pour qu'on
suppose qu'il y ait adopté des regles d'une institution aussi reculée
que celle de la _Baillie_ de nos Rois, sur-tout après que les Coutumes
subsistantes sous Guillaume le Conquérant, rédigées plus de deux siecles
avant les Etablissemens de S. Louis, avoient prescrit, à l'égard des
Aleux, ou des Fiefs formés d'Aleux, des regles contraires à celles de
cette _Baillie_. D'ailleurs suivant ces Coutumes, les Fiefs ou Aleux
tenus en Socage, & les mineurs auxquels ils appartenoient lors de la
conquête du Duc Guillaume, n'avoient ou qu'un même Gardien, ou que le
même étranger à défaut de parens pour _Bail_, suivant la disposition de
la Section suivante.

[Note 465: _Hæres sockmani sub custodiâ Dominorum non erit, sed sub
custodiâ consanguineorum qui conjuncti sunt jure sanguinis & non jure
successionis ex parte quorum non descendit hæreditas, quia numquam
remanebit in custodiâ alicujus de quo haberi possit suspicio, quod velit
jus clamare in ipsâ hæreditate; & unde si plures sint filiæ & hæredes
& tenere debeant in socagio, nulla debet esse in custodiâ alterius._
Bracton, L. 2, fo 87. Glanville, L. 7, c. 11.]

[Note 466: Etablis. c. 117.]

[Note 467: Remarq. sur la Sect. 50.]


*SECTION 124.*

*Et si ascun auter home que nest prochein amy, occupie les terres ou
tenements del heire come gardeine in Socage, il serra compell' de render
accompt al heire, auxi bien sicome il fuissoyt prochein amy: car il nest
pas plee pur luy en briefe daccompt adire, que il nest, procheine amie,
&c. mes il respondra l' quel il ad occupie les terres ou tenements come
gardeine en socage ou nemy. _Sed quære_, si apres ceo que le heire ad
accomplish lage de 14 ans, & gardeine en socage continualment occupia la
terre tanque lheire vient a plein age, scavoir, 21 ans, si le heire a
son pleine age avera action daccompt envers le gardein de temps que il
occupia apres les dits 14 ans, come envers gardeine en Socage, ou envers
luy come son Baylife.*

SECTION 124.--_TRADUCTION._

Si un autre qu'un parent tient les terres du mineur en sa garde, comme
gardien en Socage, il sera tenu de rendre compte à ce mineur comme
seroit un parent. Car le Bref accordé aux mineurs pour obtenir compte de
l'administration que leurs gardiens ont eue de leurs héritages ne
contient point d'exceptions en faveur du gardien qui ne seroit point
leur parent; sur ce Bref toute la cause se réduit à sçavoir si le
gardien assigné pour venir en Jugement a occupé les fonds comme gardien
en Socage ou a un autre titre.

Mais on peut faire cette difficulté, si le gardien occupoit la terre
après que le mineur auroit atteint 14 ans jusqu'à sa 21e année, ce
mineur, en ce cas, auroit-il une action contre le gardien qui ne seroit
pas son parent pour lui faire rendre compte depuis qu'il auroit acquis
la majorité de 14 ans? Peut-on dire que le gardien ait joui pendant ce
temps comme gardien en Socage ou comme Baillif du mineur? C'est ce qui
n'est pas décidé.


*SECTION 125.*

*_Item_, si gardein en Chivalry face ses executors & devy, le heire
esteant deins age, &c. les executors averont le garde durant le nonage,
&c. Mes si gardein en Socage face ses executors, & devy, le heire
esteant deins lage de 14 ans, ses executors naveront pas le garde, mes
un auter procheine amy, a que le heritage ne poyt my discend, avera la
garde, &c. Et la cause de divesity est, pur ceo que gardein en
Chivalrie ad le garde a son proper use, & gardein en Socage nad le garde
a son use, mes al use del heire. Et en cas lou le gardein en Socage devy
devant ascun accompt fait pur luy al heire, de ceo le heire est sans
remedie, pur ceo que nul briefe daccompt gist envers les executors, si
non _pur le Roy solement_. (a)*

SECTION 125.--_TRADUCTION._

Si un tenant en Chevalerie établit des exécuteurs de son testament, &
s'il laisse en mourant un enfant mineur, les exécuteurs en auront la
garde. Mais les exécuteurs du testament d'un tenant en Socage ne seront
pas gardiens de son mineur, cette garde appartient en ce cas au plus
proche parent, pourvu qu'il ne soit pas héritier présomptif des fonds
objets de la garde; la raison de cette différence vient de ce que le
gardien en Chevalerie fait les fruits siens, au lieu que le gardien en
Socage doit compte des fruits au mineur. Il est bon cependant de
remarquer que si ce parent gardien en Socage, dans le cas où il y a des
exécuteurs du testament du pere du mineur, décede sans avoir rendu
compte, ce mineur pourra agir en garantie contre les exécuteurs. Il n'y
a point de Bref accordé contre les exécuteurs, si ce n'est pour les
droits du Roi.

_REMARQUE._

(a) _Pur le Roy solement._

Cette exception est très-équitable. Les dispositions testamentaires d'un
pere étant une charge de sa succession, le mineur ne pouvoit rien
prétendre à cette succession qu'en consentant leur exécution; mais ces
dispositions ne pouvoient jamais préjudicier les droits du Souverain,
ou, ce qui est la même chose, ceux de l'Etat; parce que ces droits sont
de premiere nécessité, & c'est de leur exécution que dépend la sureté
des propriétés particulieres.


*SECTION 126.*

*_Item_, le Seignior de que la terre est tenus en Socage apres le mort
son tenant avera reliefe en tiel forme. Si le tenant tient per fealtie &
certain rent, a payer annualment, &c. si les termes de paiement sont a
payer per deux termes del an, ou per quater termes del an, le Seignior
avera del heire son tenant tant come le rent amount paya pur an. Sicome
le tenant tient de son Seignior per fealtie & 10 sols de rent, payable
a certaine termes del an; donques lheire payera al Seignior 10 sols pur
reliefe, ouster les 10 sols que il paiera pur le rent.*

*En mesme le manner est, si home soit seisie de certaine terre que est
tenus en Socage & feoffment en fée a son use, & morust seisie del use
(son heire del age de 14 ans ou pluis) & nul volunt per luy declare, le
Seignior avera reliefe del heire sicome avant est dit. Et cest per Le
Statute de _Ann 19 Hen. 7. cap. 15._*

SECTION 126.--_TRADUCTION._

Le Seigneur de qui releve une terre en Socage prend après le décès de
son vassal Relief en la proportion suivante:

Si le vassal tient par féauté & par une rente annuelle, quoique cette
rente se paye en deux termes, son Relief sera de l'année entiere de la
rente. Ainsi que la rente soit de 10 s. le Seigneur aura 10 s. pour
relief, outre les 10 s. qui lui sont dûs pour sa rente, aux termes
convenus. Si le vassal en Socage fieffe sa terre, & si avant d'avoir
rendu publique son aliénation il décede laissant un fils mineur de 14
ans, le Seigneur aura Relief du mineur, comme dans le cas posé en la
Section 115, & cela en vertu de l'Edit de la dix-neuvieme année de Henri
VII, Chap. 15.


*SECTION 127.*

*Et en tiel cas apres la mort le tenant, tiel reliefe est due al
Seignior maintenant, de quel age que le heire soit, pur ceo que tiel
Seignior ne poit aver le garde de corps ne de terre le heire. Et le
Seignior en tiel case ne droit attendre a le payment de son reliefe,
solonques les termes & jours de payment de rent, mes il doit aver son
reliefe maintenant, & pur ceo il poit incontinent distrain apres le mort
son tenant, pur reliefe.*

SECTION 127.--_TRADUCTION._

Dans le même cas où la tenure est à charge de rente, le Seigneur a
Relief dès l'instant du décès de son vassal quel que soit l'âge du
mineur; parce que le Seigneur n'a en Socage la garde ni de la personne
ni des terres du mineur, & que ne devant pas attendre l'échéance de sa
rente pour le payement du Relief, il s'empareroit du Fief immédiatement
après le décès de son vassal, si on négligeoit de le lui payer.


*SECTION 128.*

*En mesme le maner est lou le tenant tient de son Seignior per fealtie,
& un lib. de Pepper ou Cummin, & le tenant morust, le Seignior avera pur
reliefe un lib. de Cummin, ou un lib. de Pepper, ouster le common rent.
En mesme le maner est lou tenant tient a payer per an certaine number de
Capons, ou de Gallines, ou un paire de Gaunts, ou certaine bushels de
Frument, & _hujusmodi_.*

SECTION 128.--_TRADUCTION._

Il en faut dire autant du vassal qui tient par Féauté & par la redevance
d'une livre de Poivre ou de _Cumin_. Le Seigneur après le décès du
tenant a une livre de ces épiceries pour Relief, sans diminution de la
quantité qui lui en est dûe annuellement. La Loi est encore la même
quand il est dû un certain nombre de Chapons, de Poules, une paire de
Gants ou une mesure déterminée de Froment ou d'autres Grains.


*SECTION 129.*

*Mes en ascun case le Seignior doit demurrer a destreiner per son
reliefe jusque a certaine temps. Sicome le tenant tient de son Seignior
per un Rose, ou per un bushel de Roses, a paier al feast de Nativitie de
Saint _John Baptist_, si tiel tenant devie en yver, donque le Seignior
ne poit distrainer pur son reliefe tanque al temps que les Roses per le
course del an poient aver lour cresser, &c. _& sic de similibus_.*

SECTION 129.--_TRADUCTION._

On ne doit excepter de cette regle pour le payement du Relief que le cas
où il seroit dû au Seigneur une rose ou un bouquet de roses à la
Nativité de Saint Jean-Baptiste; car si le vassal décede en hiver, le
Seigneur doit différer le payement de son Relief jusqu'au temps où
naissent les roses.


*SECTION 130.*

*_Item_, si ascun voile demand, pur que home poit tener de son Seignior
per fealtie tantsolement pur touts manners des services, entant que
quant le tenant ferra fealtie, il jurera a son Seignior que il ferra a
son Seignior touts maners des services dues, & quant il ad fait fealtie
en tiel case nul auter service est due. A ceo il poit estre dit, que lou
un tenant tient sa terre de son Seignior, _il covient que il doit
faire_ (a) a son Seignior ascun service; car si le tenant ne ses heires
devoynt faire nul manner de service al Seignior ne a ses heires, donque
per long temps continue il serroit hors de memorie & de remembrance, le
quel la terre fuit tenus de le Seignior, ou de ses heires, ou nemy, &
donques pluis tost & pluis rediment voilont homes dire que la terre nest
pas tenus del Seignior ou de ses heires, que auterment: Et sur ceo le
Seignior perdra son escheat de la terre, ou per case auter forfeiture ou
profit que il poit aver de la terre. Issint il est reason que le
Seignior & ses heires ont ascun service fayt a eux, pur prover &
testifier que la terre est tenus de eux.*

SECTION 130.--_TRADUCTION._

On demande si un homme peut tenir de son Seigneur par féauté seulement,
ensorte qu'après avoir juré la féauté il ne soit plus tenu à aucuns
services. On peut répondre à cette question qu'il est essentiel au
Seigneur que tous ceux qui se reconnoissent ses vassaux soient obligés à
quelques services. Si le tenant n'en devoit aucuns, il pourroit, en
effet, arriver que par le laps du temps le Seigneur ne pourroit plus
reconnoître si la terre releveroit ou non de lui; & alors il vaudroit
autant dire que cette terre ne dépendroit d'aucune Seigneurie: d'où il
arriveroit que le Seigneur n'auroit plus le droit, à défaut d'hoirs, de
reprendre pour cause de forfaiture ou de deshérance la possession du
fonds. Ainsi il convient qu'un Seigneur ait toujours quelque service
affecté à la terre qu'il donne à fief pour prouver & justifier qu'elle
est mouvante de lui.

_REMARQUES._

(a) _Il covient que il doit faire_, &c.

Ce Texte est un des plus importans de la Loi Angloise. On y voit
clairement que l'état naturel des terres, sous Guillaume le Conquérant,
étoit le _Franc-Aleu_; qu'il ne falloit point de titre pour l'établir;
qu'au contraire, les Seigneurs avoient besoin d'un titre pour détruire
la présomption qui étoit de droit, en faveur de la franchise des fonds
situés dans le ressort de leur Seigneurie: d'où il suit que si depuis le
Duc Guillaume jusqu'à nous, il n'y a point eu de disposition dans les
Coutumes Normandes qui ayent dérogé à la franchise que l'Aleu avoit
toujours conservée depuis le commencement de la Monarchie Françoise
jusqu'à ce Duc, cette franchise doit encore subsister avec ses
prérogatives originales. Or, jamais une semblable disposition n'a
existé, ou plutôt par les Coutumes actuelles de Normandie comme par les
anciennes Coutumes de cette même Province, qui étoient celles de tout le
Royaume avant que la Normandie eût des Ducs indépendans, il est certain
que toute terre étoit libre tant que son inféodation n'étoit point
prouvée. Pour établir ceci, il faut remonter aux temps les plus
éloignés. Mon dessein n'est pas de faire un Traité du Franc-Aleu, mais
d'esquisser, en cette Remarque, les principaux moyens qu'on pourroit
employer au Traité que l'on désire sur cette matiere.

La Loi Salique[468] distingue tous les sujets du Roi en six différentes
classes. La premiere comprend les _Antrustions_, connus encore sous les
noms de _Fidèles_ ou _Leudes_: ensuite elle désigne le _Romain convive
du Roi_, les _Francs_ ou _Barbares_, les _Romains possesseurs_, les
_Ingénus_, les _Serfs_.

[Note 468: _Lex Salic._ tit. 43.]

L'Antrustion & le Romain commensal du Roi étoient ordinairement
gratifiés de terres du Fisc[469] pour un temps ou pour leur vie. Ils
pouvoient aussi posséder des Aleux qui, n'étant sujets à aucunes
redevances, ne dérogeoient point à la noblesse qui étoit spécialement
attribuée à ces deux ordres. Ceux qui les composoient étoient seuls les
_Hommes illustres_ ou _Grands_ de l'Etat; & en cette qualité, ils
exerçoient exclusivement les fonctions de _Ducs_, de _Comtes_ ou de
_Patrices_.[470]

[Note 469: _Dum et fidem & utilitatem tuam videmur & habere compertam_,
&c. Marc. L. 1, Form. 8.--_De vassis Dominicis qui adhuc intra casam
serviunt & tamen Beneficia habere noscuntur._ Capitul. L. 3, c. 73.]

[Note 470: Marculph. L. 1, Formul. 8, &c.]

Quelquefois le Roi changeoit les terres fiscales de ces Seigneurs en
Aleux, & par ce moyen, la noblesse obtenue par les services rendus au
Souverain, de personnelle devenoit héréditaire; car la conversion de ces
fonds en Aleux les rendoit indépendans de toute Jurisdiction: ceux qui
possédoient ces fonds avoient Jurisdiction sur tous ceux qui demeuroient
dans leur étendue.[471]

[Note 471: _Ibid_, L. 1, Formul. 14: _Vel quolibet genere hominum
ditioni fisci nostri subditorum qui ibidem commanent in integrâ
emunitate absque ullius introitu judicum.... perpetualiter habeat
concessam (villam illam_) &c.]

L'homme libre ou _Franc_, que l'on appelloit aussi _Barbare_,
c'est-à-dire, conquérant, possédoit des Aleux, & quoiqu'il ne fût pas
noble, il étoit capable de le devenir.[472] Si le Roi agréoit son
hommage, qu'il faisoit accompagné de tous ceux qui dépendoient de
lui,[473] il acqueroit le titre d'Antrustion, & le droit de Jurisdiction
sur ces derniers.

[Note 472: Formul. 18 de Marculph. L. 1: _Qui nobis fidem pollicentur
illæsam, nostro tueantur auxilio, & quia fidelis ille in manu nostrâ
trustem & fidelitatem nobis visus est conjurasse.... jubemus ut deinceps
in numero Antrustionum computetur._]

[Note 473: Ibid. _Veniens ibi... unà cum Arimaniâ suâ_, &c. _Arimani_,
selon Cujas, L. 5, col. 1915. _de Feudis_, _sunt illi qui Magistratibus
parent_; selon. M. Bignon, ce sont les enfans, _familia_. Mais je pense
que dans le cas de la Formule, ce sont les principaux habitans des
Bourgs ou Villages du nouvel Antrustion, & dont il acquéroit par
l'hommage la Seigneurie. L'ancien Coutumier appelle _meignie_ les
femmes, enfans & vassaux, Ch. 85.]

_Le Romain possesseur_ n'avoit pas les mêmes avantages que _l'Homme
libre_. Si on tuoit un homme libre on payoit deux cens sols; & on
composoit pour le meurtre d'un Romain possesseur par cent sols
seulement;[474] disproportion qui ne pouvoit être fondée que sur ce
qu'étant tous deux propriétaires d'Aleux, la personne & les Aleux de
l'un étoient susceptibles d'un dégré d'honneur, & conséquemment de
valeur, auquel ni les Aleux ni la personne de l'autre ne pouvoient
parvenir.

[Note 474: _Lex Salic._ tit. 43.]

L'Ingénu ou Affranchi possédoit des Aleux; mais quoiqu'ils ne payassent
point le _cens_ au Roi,[475] ils étoient toujours chargés de quelque
redevance envers celui dont ils avoient obtenu l'ingénuité; &
d'ailleurs, par la qualité d'Ingénu, on devenoit propriétaire des Aleux,
dont, en restant serf, on n'auroit pu disposer;[476] mais on ne pouvoit
devenir noble.[477]

[Note 475: Marculph. L. 1, Form. 19: _Bene ingenuus esse videtur in
puletico publico censitus non est._]

[Note 476: _Idem_, L. 2, Form. 34; Et _Annal. incert. Auth._ pag. 7.
_Greg. Tur._ L. 4, c. 12.]

[Note 477: _Rex fecit te liberum non nobilem, quod impossibile est post
libertatem._ _Vit. Lud. Pii._ Theg. pag. 125.]

Le Serf n'étoit ni maître de sa personne, ni d'aucuns fonds; il devoit
au Roi le cens pour sa personne, & il ne pouvoit abandonner le fonds
sans le congé du propriétaire.[478]

[Note 478: Marculph. L. 2, Formul. 28: _Ita ut ab hâc die de vestro
servitio penitus non discedam._ Et Capitul. 113, L. 1er L. 2, c. 41.]

Sous les noms _d'Optimates, Fidèles, Illustres_, nos anciens Auteurs ont
désigné les Antrustions ou les hommes libres parvenus à ce rang par une
grace spéciale du Souverain, ou les Romains admis à la Cour; & sous le
titre de _mediocres personæ_, les Francs ou hommes libres, & les Romains
ou François ingénus, simples propriétaires d'Aleux.[479]

[Note 479: _Lex Burgund._ tit. 2, art. 4.]

Telle étoit la distinction des personnes & la différence de leurs
possessions au commencement de la premiere Race; mais vers sa fin, &
dans le cours de la seconde, les Leudes, & les hommes libres devenus
Leudes, ayant réussi à rendre leurs biens du fisc héréditaires, ils
sous-inféoderent aux hommes libres des portions de leurs honneurs; ou
les hommes simples propriétaires d'Aleux les soumirent, par l'hommage, à
leurs Bénéfices, & les personnes ne se diviserent plus qu'en quatre
classes.

Les _Romains_ se trouvant alors confondus avec les François d'origine,
la premiere classe fut composée des _Possesseurs de Bénéfices de
dignité_, tels que Ducs, Comtes, &c; la seconde, de leurs
_Sous-Feudataires_; la troisieme, des _Hommes libres & Ingénus_,
indépendans des Seigneurs, quant à la propriété de la glebe; & la
quatrieme, des _Serfs_, _Villains_, ou _gens de pote_.

La classe des possesseurs d'Aleux n'étoit pas la moins considérable. En
842 ils se souleverent contre les Seigneurs sous la Jurisdiction
desquels ils vivoient; & Louis, Roi de Baviere, frere de Charles le
Chauve, ne put les contenir qu'à main armée.[480] Trois ans après ces
cultivateurs, _incolæ terræ_, réussirent à expulser les Normands des
environs de Paris & de la Neustrie, en leur donnant une somme
considérable en argent.[481] Il ne paroît pas que les Seigneurs ayent
entré pour rien dans cette contribution. Ces colons ne tenoient donc pas
leurs propriétés des Seigneurs; ils étoient libres. En effet, dans le
même siecle, en la troisieme année du regne de Louis le Débonnaire, ce
Prince, par l'une de ses Préceptions en faveur des Espagnols, fait
défenses aux Comtes & autres Bénéficiers, en faveur des hommes libres &
non nobles de cette nation, _minorum & infirmorum_, de les réduire en
servitude, de leur imposer des corvées, de les dépouiller des fonds
qu'ils cultivent; & il enjoint à ces Seigneurs de ne troubler ni eux ni
leurs descendans dans leurs possessions, mais seulement d'exiger d'eux
le service militaire, _nostrum servitium dumtaxat_: service, ajoute ce
Prince, auquel tout possesseur libre de son Royaume est tenu.[482] Enfin
dans le Concile tenu à Savonieres, sous Charles le Chauve en 859, on
voit que ce n'étoit que par usurpation que quelques hommes libres
étoient inquiétés par les Seigneurs dans leurs propriétés.

[Note 480: _Annal. incert. Auth. anno 842_, pag. 47.]

[Note 481: _Normani regnum Caroli vastantes tam ab ipso quam ab incolis
terræ acceptâ pecuniâ copiosâ cum pace discesserunt._ Ibid, ann. 845,
pag. 49.]

[Note 482: _Concess. Præcept._ pag. 295. _Collect. Histor. Franc. &
alterum Præcept._ pag. 288. _Ut sicut liberi homines cum Comite suo in
exercitum pergant, veredas donent, nec alius census ab eis exigatur._]

On reconnoissoit donc encore alors un état naturel de liberté pour les
terres, & il n'est pas vrai de dire[483] _qu'à la fin de la seconde Race
les laboureurs étoient serfs dans tout le Royaume_. D'ailleurs, comment
Guillaume le Conquérant auroit-il fait mention, dans un de ses premiers
Edits, des Comtes, Barons, Chevaliers, Sergens, & des _Hommes
libres_,[484] ou comment auroit-il érigé des _Francs-Aleux_ en
Angleterre, immédiatement après sa conquête, comme tous les Historiens
Anglois l'attestent,[485] s'il n'avoit point eu de ces sortes de
possessions dans les anciens Etats, & si la liberté de la glebe & de la
personne eût été totalement éteinte en Normandie au temps de la cession
qu'en fit Charles le Simple au Duc Raoul?

[Note 483: M. de Montesquieu, Espr. des Loix, Tom. 4. L. 30, c. 11.]

[Note 484: Coke, Sect. 103, pag. 76.]

[Note 485: Arth. Duck, L. 2, pag. 314.]

Il faut cependant convenir que si les inféodations de la part des
Seigneurs, ou la faculté qu'avoit l'homme libre de faire ériger son Aleu
en Fief, n'anéantit pas l'ordre des hommes qui ne s'étoient jamais
soumis au Vasselage, ces deux évenemens étendirent considérablement
l'ordre de la Noblesse.

On a dû voir, par ce que j'ai ci-dessus observé, que cette Noblesse ne
dépendoit ni de la naissance ni de l'antiquité des possessions, mais de
la seule volonté du Roi.[486] Cette volonté se manifestoit par l'hommage
que le Souverain ou recevoit lui-même, ou que les Seigneurs recevoient
pour lui.[487] Ainsi, comme tout homme libre qui avoit obtenu du Roi un
Bénéfice, lui devoit, outre le serment de fidélité, un hommage
particulier; de même ceux auxquels les Bénéficiers faisoient part de
leurs Bénéfices, ou dont ils associoient les Aleux à la dignité de ces
Bénéfices, rendoient au Roi, en la personne de ces Seigneurs, leurs
hommages, ou ces Bénéficiers, dont ils devenoient les vassaux, s'en
acquittoient pour eux. L'hérédité des Bénéfices ne fit donc pas naître
la Noblesse, mais elle autorisa les Nobles à communiquer leurs
priviléges. Après cela il n'est pas difficile de concevoir comment
l'Aleu noble & l'Aleu roturier se sont différenciés. Le premier étoit
relevé ou par l'hommage fait au Seigneur, ou par l'hommage que ce
Seigneur, qui l'avoit donné, ou auquel on l'avoit soumis, faisoit au
Roi; l'autre étoit celui qui n'avoit jamais été subordonné à aucun
Seigneur. Delà encore on parvient aisément à comprendre quelle a dû être
la cause de la diversité des Coutumes en France, sur l'inutilité ou la
nécessité d'un titre pour prouver la franchise des Aleux. Cette
diversité est, sans doute, née de ce que certaines Provinces ont été
divisées entre un plus grand ou un moindre nombre de Seigneurs, & que
les inféodations d'Aleux y ont été plus ou moins fréquentes. Dans celles
où elles ont été presque générales, il a été très difficile aux hommes
libres de conserver la franchise de leurs fonds, & très-aisé aux
Seigneurs de contraindre les propriétaires à les leur soumettre;[488]
mais la Normandie ne s'est point trouvée exposée à cette vexation.

[Note 486: L'Abbé Vély, tom. 2, pag. 256, ann. 986, attribue cette
opinion à l'_ignorance_ ou à l'_adulation_. Ne pourroit-on pas, avec
plus de vérité, trouver le principe de la sienne dans la fausseté de ses
idées sur la nature du Despotisme ou de la Monarchie? Un Roi peut donner
un Comté, & le Comte lui devoir cette dignité, sans que le Roi puisse
conclure de-là être aussi absolu que le Grand-Seigneur, ni que les biens
du Comte puissent lui être enlevés arbitrairement. Il y a bien loin du
don d'une dignité, du don des biens mêmes, au droit d'en dépouiller,
sans motif, ceux qu'on en a gratifiés. Voyez _Molin. ad Cons. Paris.
Titul. de Cens._ Sect. 73, n. 3. Coquill. _in respons. ad Consuet.
Franc._ c. 6.]

[Note 487: Précept. aux Espagnols, pag. 291: _Noverint Hispani sibi
licentiam à nobis concessam ut se in vassaticum Comitibus nostris more
solito commendent_, &c.]

[Note 488: Dès 588 on voit les Seigneurs exercer ces violences à l'égard
des hommes libres: _Hi qui lateri Regis adhærent non solum miseros de
agris, sed etiam de domibus propriis exulant._ Concil. de Mâcon, Can.
14.]

Quand le Duc Raoul en devint maître, les Seigneurs perdirent le droit
d'ériger en Fief les Aleux; & tandis qu'en France ils continuoient de
faire l'abus le plus criminel de ce droit, les hommes libres Normands
acqueroient, sous leur Prince, un état plus assuré qu'ils n'avoient eu
sous la foible domination des derniers Rois de la seconde Race.

Il falloit, dans les autres Provinces, une possession incontestable, &
plus que cela, la protection d'un Seigneur pour se garantir de la perte
de sa franchise, laquelle se trouvoit cependant fort souvent sacrifiée à
celui qui avoit accordé cette protection; & en Normandie, les Seigneurs
avoient besoin d'un titre pour établir que le Vasselage qu'ils
s'attribuoient n'étoit pas une usurpation.

De droit, en Normandie, tout homme, toute terre étoit libre, comme ils
l'avoient été dès la naissance de la Monarchie; & le Duc ayant seul la
Jurisdiction immédiate sur tous ses sujets, les Seigneurs n'avoient
aucun moyen pour changer l'état des hommes libres ni celui de leurs
possessions. Aussi la Loi donnée aux Anglois par Guillaume le Conquérant
est elle d'accord sur ce point avec les plus anciens usages de
Normandie. Par la Chartre aux Normands en 1314, le Roi reconnoît qu'il y
a parmi eux, _hommes qui ne sont tenus envers le Duc à aulcuns services,
& qu'on ne peut les contraindre à en faire, ou exiger d'eux finances,
fors en cas d'Arriere-Ban_. Terrien,[489] qui écrivoit avant la réforme
de l'ancien Coutumier, admet des _Aleux qui ne sont tenus d'aulcuns
Seigneurs, qui sont libres de toute sujettion, & qui ne reconnoissent
que le Roi pour Seigneur quant à la Jurisdiction_: maxime adoptée par la
Coutume réformée;[490] le Franc-Aleu n'y est point mis au nombre des
_tenures_. Cette maxime a été enfin approuvée par une Déclaration du 12
Avril 1674, où Sa Majesté reconnoît que le _Franc-Aleu_ de la Banlieue
de Rouen est une prérogative qui lui appartient, non _par grace_, mais
par _la force de la Coutume qui a toujours régi cette espece de biens_,
& par _leur propre nature_. C'est sans doute d'un droit aussi clairement
& aussi anciennement établi, que l'on peut dire que _l'adulation_ ou
_l'ignorance_ pourroient seules suggérer au Prince de l'abolir.[491]

[Note 489: L. 5, c. 6.]

[Note 490: Art. 102.]

[Note 491: L'Abbé Vély à l'endroit ci-devant cité. _Voyez_ Hist. de
France, tome 10, par M. Villaret, ann. 1378, pag. 425.]

Opposera-t'on à ceci qu'à l'arrivée du Duc Raoul, la Normandie étoit
totalement dépourvue de cultivateurs & d'habitans, _terra inculta,
vomere, pecudum & pecorum grege omninô privata, hominumque præsentiâ
frustrata_?[492] Mais comment peut-on se dissimuler que si Raoul
représentoit à Charles le Simple, avant son Traité, la Province que ce
Monarque lui cédoit, dans la plus extrême désolation, ce n'étoit que
pour forcer ce dernier à joindre la Bretagne à la Normandie? Raoul par
là comptoit rendre la communication de la France avec l'Angleterre plus
difficile, & donner, par conséquent, à sa conquête les plus solides
appuis.

[Note 492: _Dudo Sti Quintin._ L. 2.]

Aussi à peine le Traité fut-il conclu, que Raoul rappella les anciens
habitans;[493] il assigna à chacun de ses _Princes_ ou _Comtes_ une
égale portion de la Province où ils devoient faire exécuter ses
commandemens, _cœpit metiri terram veris suis Comitibus_. Il donna à
ses Fidèles, c'est à-dire, à ses moindres Officiers, en toute propriété,
des fonds de terres, _atque largitur fidelibus...... Funiculo divisit_,
&c. Mais ces dons ne comprenoient qu'une partie du territoire conquis &
les fonds abandonnés par les propriétaires; puisqu'après que le Duc eut
distribué ses récompenses à ceux de ses gens qui lui étoient restés
attachés, les étrangers qui se rendirent à ses invitations, obtinrent
des possessions capables de les fixer dans le pays.[494] Auroit-ce donc
été un moyen bien propre à hâter le retour des Neustriens vers leur
patrie, ou à engager les François à venir s'établir sous la domination
Normande, que de les soumettre à des Loix étrangeres? Non, sans doute.
D'ailleurs, indépendamment des promesses que Raoul avoit faites à Franco
de conserver les anciennes Loix, tout portoit ce Prince à ne faire aucun
changement dans les regles suivies avant lui pour la possession des
héritages. Il tenoit la Province, de la France, à foi & hommage; & comme
sous nos Rois la Neustrie avoit reconnu des terres franches & libres, il
étoit de sa convention que la franchise & la liberté de ces terres ne
fussent point dénaturées. Les plus grands domaines Neustriens, avant la
conquête, avoient relevé du Roi à titre de Fief; sous Raoul, ils
releverent de lui à ce même titre. Peu de fonds avoient conservé leur
allodialité, mais il y en avoit qui n'avoient point encore été
dépouillés de cet avantage, lorsque les Loix de Raoul furent portées en
Angleterre, puisque le Domesday parle du Franc Aleu,[495] & que Dudon
convient lui-même que Raoul avoit donné des terres sous ce titre: _In
fundum & alodum sempiternum._[496]

[Note 493: _Securitatem omnibus gentibus in suâ terrâ manere cupientibus
fecit... atque de suis militibus advenisque gentibus refertam
restruxit.... & pacificâ conversatione morari simul cœgit._ _Guillelm.
Gemitic._ c. 19.]

[Note 494: _Guillem. Gemiticens._ _De Ducib. Norm. Hist._ c. 19, pag.
618.]

[Note 495: Britton, c. 68, reconnoît aussi des fonds exempts de toute
féodalité, pag. 273, & pag. 164, Selden, à la vérité, dit qu'il n'a vu
aucunes traces de Franc-Aleu dans les Commentaires du Droit Anglois, _in
Eadmerum notæ_, pag. 129; mais il cite lui-même le Domesday, où l'on
trouve à l'article du dénombrement des terres de la Province de Kent un
grand nombre de Francs-Aleux, _ille qui tenuit terram istam liber homo
fuit & potuit ire cum terrâ suâ quo voluit_. Ibid, 1re col.]

[Note 496: _Dudo._ L. 2.]


*SECTION 131.*

*Et pur ceo que fealty est incident a touts manners de tenures, forspris
le tenure in frankalmoigne, (sicome serra dit en le tenu de
Frankalmoigne) & pur ceo que le Seignior ne voiloit al commencement del
tenure aver ascun auter service forsque Fealtie, il est reason que home
poet tener de son Seignior per Fealtie tantsolement, & quaunt il a fait
son Fealtie, il ad fait touts ses services.*

SECTION 131.--_TRADUCTION._

Comme la _Féauté_ a lieu en toute espece de tenure, si ce n'est en celle
de Franche-Aumône, dont on va parler; & comme dans l'origine le
Seigneur, en sous-inféodant, n'exigeoit souvent que la foi de ses
hommes; il est juste qu'un vassal puisse tenir seulement par _Féauté_.


*SECTION 132.*

*_Item_, si un home lesse a un auter pur terme de vie certaine terres ou
tenements sauns parler de ascun rent rend a le lessor, uncore il ferra
fealtie a le lessor, pur ceo que il tient de luy. Auxy si un lease soit
fait a un home pur terme de ans, il est dit que le lessee ferra fealtie
a le lessor, pur ceo que il tient de luy. Et ceo est prove bien per les
parols del briefe de Wast, quaunt le lessor ad cause de porter briefe de
Wast envers luy, le quel briefe dira, que le lessee tient les tenements
de le lessor pur terme de ans, issint le briefe prova un tenure enter
eux. Mes celuy que est tenant a volunt solonque le course del common ley
ne ferra fealtie, pur ceo que il nad ascun suer estate. Mes auterment
est de tenant a volunt solonque l' custome del mannor, pur ceo que il
est oblige pur faire fealtie a son Seignior pur deux causes; l'un est
pur cause del custome, & lauter est, pur ceo que il prist son estate en
tiel forme pur faire a son Seignior fealtie.*

SECTION 132.--_TRADUCTION._

Ainsi lorsqu'un homme tient un fonds à terme de vie, sans rentes ou à
terme d'ans, il fait _féauté_, comme le prouvent les Formules du Bref
de _Wast_; mais celui qui tient à volonté, selon la commune Loi, ne
fait point _féauté_, parce qu'il n'a point d'état certain. Il en est
autrement du tenant à volonté par la _Coutume_ de la Seigneurie; car
cette _Coutume_ assurant l'état des vassaux, ils doivent le serment de
fidélité à leur Seigneur.



CHAPITRE VI.

_DE TENURE EN FRANCHE AUMOSNE._


*SECTION 133.*

*Tenant en Frankalmoigne est lou un Abbe ou Prior ou un auter _home
de Religion_ (a) ou de Saint Eglise, tiant de son Seignior en
frankalmoigne, que est a dire en Latin _in liberam eleemosynam_. Et
tiel tenure commenca ad eprimes en auncient temps en tiel forme: Quant
un home en auncient temps fuit seisie de certain terres ou tenements
en son demesne come de fée, & de mesmes les terres ou tenements en
feoffa un Abbe & son Covent, ou un Prior, &c. a aver & tener a eux &
lour successors a touts jours en pure & perpetuall almoigne, ou en
frankalmoigne ou per tiels parols: A tener de le grantor, ou de le
feoffor, & de ses heires ed frankalmoigne: en tiels cases les tenements
sont tenus en frankalmoigne.*

SECTION 133.--_TRADUCTION._

On appelle tenant en Franche-aumône un Abbé ou Prieur, ou tout autre
homme consacré à l'état Religieux & Ecclésiastique qui a reçu un
fonds d'un Seigneur en pure aumône, sans aucune charge, _in liberam
eleemosynam_; & cette sorte de tenure est ainsi appellée, parce que dans
les premiers temps quelques hommes propriétaires de terres qu'ils
tenoient eux-mêmes en fief, les donnoient ou cédoient souvent à un Abbé
& à son Monastere, ou à toute autre personne Ecclésiastique, à la
condition de les tenir d'eux & de leurs hoirs en franche & perpétuelle
aumône.

_ANCIEN COUTUMIER._

L'en dict que ceulx tiennent par omosne qui tiennent terres donées en
pure aumosne à Dieu & à ceulx qui le servent: en quoy le doneur ne
retient aulcune droiture, fors la Seigneurie de Patronage, & tiennent
d'iceulx par omosne come de Patrons. Aulcun ne peut omosner aulcune
terre, fors ce qu'il y a; & pour ce l'en doit savoir que le Duc, ne les
Barons, ne les aultres qu'ils ont homes, ne doivent avoir aulcun
dommage, s'aulcuns de leurs homes omosnent aulcunes choses des terres
qu'ils tiennent d'eulx: car pour ce ne remaindront pas qu'ils n'y facent
leurs justices & qu'ils ne lievent leurs droitures des terres que leurs
homes ont omosnées. Ch. 32.

_REMARQUES._

(a) _Home de Religion_, &c.

Le Clergé a de tout temps tenu le premier rang dans l'Etat: la
composition d'un Prêtre étoit égale à celle d'un Antrustion;[497] &
celle d'un Evêque étoit plus forte d'un tiers. Mais en même-temps que
nos premiers Rois accordoient aux Ecclésiastiques les honneurs & les
prééminences les plus capables de leur concilier la vénération des
peuples, & de les garantir des vexations qui auroient pu dégrader la
dignité de leur ministere, ils étoient très-attentifs à prévenir l'abus
que le Clergé auroit pu faire de son élévation ou de ses prérogatives,
au détriment de l'autorité Souveraine & du repos des Sujets.

[Note 497: Capitul. 25, L. 1.]

Quelques efforts qu'ayent faits tour à tour les partisans outrés du
Clergé & les ennemis de cet Ordre respectable pour étendre les Loix
instituées à cet égard au delà de leurs bornes, ou même pour anéantir
ces Loix; lorsqu'on les approfondit sans partialité, elles fournissent
d'un côté les preuves les plus claires de ce que nos Rois ont toujours
pensé qu'il étoit essentiel à leur prospérité & à celle de leurs
peuples, qu'il y eût des personnes spécialement occupées à maintenir le
dogme & le culte sacré dans leur pureté, à veiller aux besoins des
indigens, & qui conséquemment eussent en leur disposition des revenus
suffisans, & fussent assurés d'une protection assez puissante pour
qu'aucun obstacle ne les détournât de ces importantes fonctions. Mais,
d'un autre côté, ces Loix indiquent les limites de ces fonctions, &
celles dans lesquelles le Souverain & les Sujets doivent resserrer leurs
libéralités, pour ne pas exposer les Ministres de la Religion à la
tentation délicate de substituer, au zèle qu'ils doivent avoir pour la
gloire de Dieu & le soulagement du prochain, le desir impie de dominer
seuls, & de déterminer seuls la proportion des secours qu'ils doivent
par état aux Fidèles.

Lorsque Clovis devint maître de la France, il donna des immeubles à
l'Eglise, mais elle ne pouvoit les aliéner: les revenus de ces fonds
devoient suffire à tous ses besoins & au soulagement des pauvres.[498] A
l'exemple de Clovis, non-seulement ses descendans, mais leurs sujets,
disposerent de leurs terres & d'autres fonds en faveur des Eglises. Le
peuple ne se conduisit pas toujours avec circonspection dans les
générosités. Il omettoit quelquefois les formalités prescrites pour
assurer l'exécution des volontés des donateurs; & les héritiers, après
le décès de ceux qui avoient fait le don, n'épargnoient rien pour s'en
procurer la restitution. Les Peres du quatrieme Concile d'Orléans
comprirent de quelles conséquences pourroient être ces reclamations; &
par le Canon 19 ils déciderent que dès que les donations seroient
prouvées, quoiqu'il n'y en eût point d'acte écrit, _etiam sine
scripturâ_, elles seroient valables.[499]

[Note 498: _Concil. 1. Aurelian._]

[Note 499: Ceci étoit conforme à la Loi de Constantin, rapportée par
Eusebe, L. 4, c. 26 de la vie de cet Empereur: _Moriens nudis verbis &
fortuitâ oratione voluntatem suam testetur, & quovis scripto sententiam
edat; aut si mallet sine scripto testaretur, adhibitis ad eam rem
idoneis testibus._--La Loi des Allemands exigeoit un écrit, & que le nom
de sept témoins y fût employé.--_Lex Alleman._ tit. 1, paragr. 1.]

Le but de ce Concile n'étoit certainement pas qu'au moyen de la facilité
de se procurer des témoins ou de faire serment, l'Eglise s'appropriât
des biens dont les Loix auroient interdit l'aliénation; car le cinquieme
Concile de la même Ville, tenu en 552, Canon 13, ne blâme que ceux qui
tentent d'enlever aux Eglises ce qui leur a été donné avec justice, _cum
justitiâ_; & si par le seizieme Canon ce Concile anathématise les Nobles
ou gens inférieurs qui veulent rétracter leurs dons, ou les héritiers
qui revendiquent ceux faits par leurs parens, ce n'est qu'autant que ces
dons ont été faits régulierement, _rationabiliter_,[500] en vue de Dieu,
_pro Dei contemplatione_, & non pour satisfaire la cupidité des
Ministres de l'Eglise donataire, ou par une dévotion mal-entendue: ce
que le Concile de Tours confirme, en excommuniant les Ecclésiastiques
qui abusent de la foiblesse d'esprit des Fidèles pour en extorquer des
aumônes.[501]

[Note 500: 3e Concile de Châlons.]

[Note 501: _Voyez_ aussi les 1er & 25e Canons du 3e Concile de Paris.]

Ainsi quand le quatrieme Concile d'Orléans, & dans la suite le deuxieme
Concile de Lyon, Canon 2, confirment les donations faites aux Eglises
sans formalités, ils n'entendent pas légitimer ce que ces donations
auroient pu contenir de contraire aux Loix, quant à la quotité ou à la
nature des biens donnés, mais seulement empêcher que l'on ne fît
révoquer le don de ces biens, sous prétexte d'omissions en la forme,
tandis qu'au fonds il auroit été fait avec liberté, & qu'il n'auroit pas
excédé la proportion réglée par les Loix pour la disposition des
immeubles en faveur des Eglises.

Les Ecclésiastiques vivoient en France sous la Loi Romaine;[502] & c'est
dans cette Loi que l'on découvre quelle étoit l'étendue de cette espece
de libéralités dans les premiers siecles de la Monarchie.

[Note 502: _Lex Ripuar._ c. 60, _de Tabulariis. Secundum Legem Romanam
quâ Ecclesia vivit_, &c.]

L'Empereur Constantin avoit distingué deux cas où les Eglises pouvoient
recevoir les biens des particuliers.

Le premier, quand ceux-ci entroient en la Cléricature, ou testoient au
profit des Eglises ayant des enfans ou des proches; dans cette double
circonstance, les deux tiers de leurs biens devoient rester à leurs
enfans ou à leurs héritiers.[503] Le second cas étoit celui d'un homme
qui n'ayant ni enfans ni parens, faisoit un testament en faveur de
l'Eglise, & le legs pouvoit alors être de la totalité du bien du
testateur:[504] si cependant après avoir fait ce legs universel il lui
survenoit des enfans, le don devenoit révocable.[505]

[Note 503: _Cod. Leg. Official. de Episcop. & Cler._ On trouve, il est
vrai, dans les Annales Bénédictines, 2e vol. L. 27, ann. 806, pag. 355,
une décision qui accorde moitié de l'immobilier au Monastere de Farfe;
mais il est d'observation, à cet égard, que le testateur, qui avoit
donné tous ses fonds à ce Monastere, avoit conservé à son fils tout son
mobilier dont il auroit pu le priver, & que par le Jugement on laissa à
ce mineur moitié de ce mobilier avec la moitié de l'immeuble.]

[Note 504: _Greg. Turon._ _de Miracul. Sti Mart._ L. 3, c. 15.]

[Note 505: _Greg. Turon._ Ibid, L. 4, c. 11.]

On retrouve ces mêmes regles dans les Capitulaires, avec cette seule
restriction, que les fonds dont on n'étoit que cultivateur ne pouvoient
être aliénés,[506] à la différence des hommes libres qui pouvoient
disposer des terres mêmes qu'ils tenoient à cens du fisc ou des
particuliers, pourvu qu'ils chargeassent l'Eglise donataire de payer au
Roi ou aux Bénéficiers les redevances qui y étoient affectées.

[Note 506: Capitul. 86, L. 3, 37 & 39, L. 4.]

Thomassin n'a donc point entendu les Capitulaires, lorsqu'il leur fait
dire[507] que les Séculiers ont la faculté de donner à l'Eglise par
testament, _sans borne & sans mesure_; car le cent huitieme Capitulaire
du Livre VI présente une idée toute différente. S'il décide qu'un homme
entré en Religion ne peut plus disposer, quoiqu'il ait des enfans, des
biens qu'il possédoit légitimement lorsqu'il a quitté le monde; il donne
en même-temps, pour motifs de cette maxime, que la profession Religieuse
fait passer, du Profès au Monastere, le droit de propriété &
d'administration. En effet, si chaque Religieux eût pu dépouiller sa
Communauté de ce qu'il lui auroit donné pour en gratifier ses enfans,
les possessions des Couvens auroient été dans une perpétuelle
incertitude. On voit d'ailleurs que ce Capitulaire suppose qu'il n'a
resté aux Religieux dont il parle, lors de leur entrée en Religion, que
les biens dont la possession ne pouvoit, avec justice, leur être
contestée, ce qui signifie assez clairement que la part des enfans de
ces Religieux avoit été distraite de leurs biens avant l'émission de
leurs vœux.

[Note 507: _Thomass._ _Discipl. Eccl. part. 3, L. 1, c. 24, p. 151._ Les
Capitulaires ont suivi des principes bien différens de la Loi des
Allemands & des Saxons, qui permettent aux peres de ne rien réserver à
leurs enfans. _Leg. Saxon. tit. 14._ _Leg. Alleman. tit. 1, paragr. 1._]

Au reste, quand ce Capitulaire seroit susceptible de quelque difficulté,
en lisant en entier le dix-neuvieme du Livre 4, dont Thomassin ne cite
que la premiere partie, on y trouve que si un homme s'est consacré à
Dieu, ou est décédé après avoir légué à l'Eglise ses biens sans en avoir
auparavant donné à ses cohéritiers la part qui leur en revenoit, ceux-ci
auront contre l'Eglise la même action pour le partage, que celle qu'ils
auroient eue contre leur parent durant sa vie, ou dans le temps qu'il
étoit encore dans le siecle: d'où il suit évidemment que l'intention de
nos Rois n'a jamais été que l'Eglise s'enrichît de la dépouille de la
famille de ses bienfaiteurs plutôt par les testamens que par toute autre
sorte de donations.

Le trente-unieme Capitulaire du Livre 2 est encore plus précis sur ce
point.[508] _Si alicubi_, ce sont ses termes, _inventi fuerint quos
patres vel matres propter traditiones illorum exhæredes fecerunt.....
omninò volumus atque decrevimus emendari_. Les quatre-vingt-neuvieme &
cent vingt-unieme du Livre premier, & le trente-neuvieme du Livre 4,
développent cette disposition. Les réserves portées par les Capitulaires
n'étoient cependant pas bornées aux enfans ou aux héritiers pauvres du
donateur, elles avoient aussi pour objet les nécessités de l'Etat.
Charlemagne instruit de ce que ses Sujets, pour s'exempter d'impôts & du
service militaire, donnoient, à titre précaire, leurs biens aux Eglises,
annulla ces dons.[509]

[Note 508: Vid. Leg. _Bojariorum_, tit. 1, parag. 1.]

[Note 509: Capitul. ann. 793.]

Le Capitulaire qui prononce cette nullité ne porte pas, comme Thomassin
se l'est imaginé,[510] la clause _sauf les immunités de l'Eglise_: comme
s'il pouvoit y avoir des immunités contre la fraude! Au contraire,
l'Empereur défend d'avoir égard à l'approbation qu'il auroit pu donner
par surprise à des actes dont cette fraude auroit été le germe, _nostra
non resistente emunitate_.

[Note 510: _Discipl. Eccles._ L. 1, c. 22, pag. 3.]

Il doit donc demeurer constant qu'avant l'établissement des Fiefs, on
pouvoit donner à l'Eglise tous les biens dont on étoit propriétaire, la
légitime des enfans ou la part des héritiers réservée ou prélevée; & que
si ces biens devoient, au fisc ou à l'ancien propriétaire, quelques
droits, l'Eglise étoit obligée de les acquitter. D'où est naturellement
née cette regle suivie depuis l'institution des Fiefs, qu'on n'a pu les
transporter aux Eglises qu'avec la charge de remplir les conditions de
leur inféodation, telles que l'hommage & l'assujettissement à la
Jurisdiction, &c. Ce qui doit être cependant entendu avec cette
exception, que les Aleux érigés en Fiefs, ou les Aleux qui n'avoient
point été dénaturés, pouvoient être donnés sans aucunes charges, & même
en exemption du devoir de féauté envers le donateur.


*SECTION 134.*

*En mesme le manner est, lou terres ou tenements fueront grant _en
ancient temps_ (a) a un Deane & Chapter, & a lour successors, ou ascun
parson dun Esglis, & a les successors, ou a ascun auter home de saint
Esglis, & a les successors en frankalmoigne _si il avoit capacity_ (b)
dapprender tiels grants ou feoffments, &c.*

SECTION 134.--_TRADUCTION._

Il en est de même des terres ou tenements donnés dans les premiers temps
à un Doyen, à son Chapitre & à leurs successeurs, ou à un Curé & à ses
successeurs, ou à tout autre chef d'une Eglise qui a la capacité de
recevoir ou de posséder des immeubles.

_REMARQUES._

(a) _En ancient temps_, &c.

Ces termes désignent toujours dans Littleton l'époque de l'introduction
des Loix Normandes en Angleterre.[511]

[Note 511: Coke, fo 94, vo.]

(b) _Si il avoit capacity_, &c.

Cette capacité dépendoit des conditions auxquelles les Communautés
Religieuses avoient obtenu leur établissement dans le Royaume. Il étoit
de maxime dès les premiers instans de la Monarchie Françoise que chaque
Ordre de Moines fît approuver sa Regle par le Souverain.[512] Le Roi
ayant droit de veiller sur leurs mœurs, & de déterminer leur
subsistance;[513] ils lui présentoient à chaque regne les actes de leur
fondation, & la ratification qu'ils en obtenoient ordinairement
démontre qu'on pouvoit, sans injustice, en resserrer ou en étendre les
conditions selon les besoins actuels de l'Ordre ou relativement aux
nécessités publiques. Aussi ces actes n'étoient appellés que des
priviléges.

[Note 512: Marculph. L. 1, Formul. 2 & 4: _Privilegium nobis præfatus
ille Pontifex protulit recensendum._]

[Note 513: _Ut in victu, vestitu, conversatione Abbatum qui Monachos
habere cernuntur, Dei voluntas & Domini Imperatoris impleatur._ _Concil.
Remens. ann. 813, Can. 23._]


*SECTION 135.*

*Et tiels que teignont en frankalmoigne sont oblige de droit devant
Dieu de faire orisons, praiers, mess & auters divine services pur les
almes de lour grantor ou feoffor, & pur les almes de lour heires queux
sont mortes, & pur le prosperitie & bone vie & bon salute de lour
heires que sont en vie. Et pur ceo ils ne ferront a nul temps ascun
fealtie a lour Seignior, pur ceo que tiel divine service est melior pur
eux devant Dieu que ascun leasans de fealtie, & auxi pur ceo que ceux
parolx _(frankalmoigne) exclude le Seignior_ (a) daver ascun terrein ou
temporall service, mes daver tantsolement divine & spirituall service
destre fait pur luy, &c.*

SECTION 135.--_TRADUCTION._

Ceux qui tiennent en franche-aumône sont obligés de droit, selon Dieu,
de faire des prieres, de célébrer des messes pour les ames de leurs
bienfaiteurs & de leurs descendans après leur mort, ou pour leur salut &
leur prospérité durant leur vie; & c'est par cette considération qu'ils
sont dispensés de la féauté envers leur Seigneur, les prieres étant plus
utiles que tout autre service. D'ailleurs ces mots (franche-aumône)
excluent toute idée de service terrestre & temporel.

_ANCIEN COUTUMIER._

Pure omône est en quoy le Prince ne retient rien de terrien, ne de
jurisdiction ne de dignité, & de ce la jurisdiction & dignité appartient
du tout à l'Eglise, _si la chose est mise en non savoir_. Ch. 115.

_REMARQUE._

(a) _Frankalmoigne exclude le Seignior_, &c.

C'est par cette raison que la franchise constitutive de l'aumône auroit
exclu le Seigneur de tous droits ou services, que le Prince pouvoit seul
donner des Fiefs en franche-aumône, & que les Sujets n'avoient la
faculté de les céder à l'Eglise qu'à charge de services, comme il est
décidé dans les Sections suivantes.


*SECTION 136.*

*Et si tiels que teignont lour tenements & frankalmoigne ne voilont ou
failont de faire tiel divine service (come est dit) le Seignior ne poit
eux distrainer pur cel non fesant, &c. pur ceo que _nest mis en
certaine_ (a) quelx services ils doient faire, mes l' Seignior de ceo
poit complaine a lour Ordinary ou Visitour, luy preyant que il voiloit
mitter punishment & correction de ceo, & auxy de provider que tiel
negligence ne soit pluis avant fait, &c. Et lordinary ou visitour de
droit ceo doit faire, &c.*

SECTION 136.--_TRADUCTION._

Si les Ecclésiastiques tenant en franche-aumône refusent de s'acquitter
des prieres ou offices qu'ils doivent, le Seigneur ne peut réunir à son
domaine les fonds qu'il a donnés, parce que ces prieres ou offices n'ont
rien de déterminé; mais il doit se plaindre à l'Ordinaire, contre les
corps Ecclésiastiques séculiers, & contre les réguliers à leurs
Visiteurs, afin que ceux-ci punissent la négligence de leurs inférieurs:
ce que l'Ordinaire ou les Visiteurs sont dès-lors & de droit tenus de
faire.

_REMARQUE._

(a) _Nest mis en certaine_, &c.

Tant que les obligations des Communautés Religieuses n'avoient rien de
fixe, les Seigneurs de qui ils tenoient leurs biens ne pouvoient pas se
dire propriétaires ni possesseurs d'aucuns droits _dont ils pussent
faire enquête_;[514] & les Supérieurs Ecclésiastiques étoient seuls
compétens en ce cas de prononcer sur l'étendue de ces obligations ou sur
la maniere dont on devoit s'en acquitter. Il en étoit autrement lorsque
ces obligations avoient un objet certain: alors elles rentroient dans la
classe des biens profanes, en ce que leur possession ou leur existence
pouvoit être constatée par des témoins. Il n'y a, en effet, rien qui
soit tant du ressort des Juges Laïcs que de décider si tel ou tel fait
résulte ou ne résulte pas d'une information, & de connoître les moyens
indiqués par les Loix pour écarter toute suspicion des témoignages.

[Note 514: Rouillé, Anc. Cout. c. 115.]


*SECTION 137.*

*Mes si un Abbe ou Prior tient de son Seignior per certaine divine
service en certaine destre fait, sicome a chaunter un messe chescun
Vendredie en le semaine pur les almes, _ut suprà_, ou chescun an a tiel
jour a chaunter _placebo & dirige_, &c. au de trover un Chapleine de
chanter messe, &c. ou de distributer en almoigne al cent pours homes
cent deniers a tiel jour, en tiel case, si tiel divine service ne soit
fayt, _le Seignior poit distreyner_, &c. (a) pur ceo que _le divine
service_ (b) est mise en certaine per lour tenure, que le Abbee ou Prior
devoit fait. Et en tiel case le Seignior avera fealtie, &c. come il
semble. Et tiel tenure nest passe dit tenure en Frankalmoigne, eins est
dit tenure per Divine Service, car en tenure en Frankalmoigne nul
mention est fait dascun manner de service, car nul poet tener en
Frankalmoigne, si soit expresse ascun manner certain service que il doit
faire, &c.*

SECTION 137.--_TRADUCTION._

Si un Abbé ou un Prieur tient d'un Seigneur par quelque Service Divin
qui soit spécifié, tel que celui de chanter une Messe chaque Vendredi
de la semaine pour les ames des donateurs, ou de dire un _Placebo_ ou
un _Dirige_ à certain jour de l'année, ou de fournir un Prêtre pour
chanter une Messe, &c. ou de distribuer cent deniers à cent pauvres en
un certain temps; en ces différens cas, lorsque le service imposé n'est
pas rempli, le Seigneur peut rentrer dans son fonds, &c. parce que ce
service est une condition dont la tenure avouée par l'Abbé ou le Prieur
est garante, & qu'ils doivent féauté au Seigneur pour cette tenure &
les autres devoirs stipulés lors de l'inféodation. Cette tenure n'est
donc pas en _Franche-Aumône_, mais tenure par _Service Divin_. Ainsi
dès que par la cession de quelque fonds l'Eglise est assujettie à un
service fixe & déterminé, cette cession ne constitue point une tenure en
Franche-Aumône.

_REMARQUES._

(a) _Le Seignior poit distreyner_, &c.

Les services dont parle cette Section sont spécifiés; conséquemment,
quoique spirituels, quant à leur fin; leur existence & leur possession
sont purement temporelles. L'action du Seigneur, pour empêcher que ces
services ne fussent anéantis, devoit donc ressortir de la Jurisdiction
laïque. Cette doctrine de la légitimité de la compétence du Juge laïc
sur le possessoire des droits, même spirituels, n'a jamais été contestée
en France que dans des temps de séduction & d'ignorance.

Les anciens Conciles, les Capitulaires, lors même qu'ils s'expriment le
plus fortement en faveur de la Jurisdiction Episcopale, la considerent
en effet comme restrainte à faire régner la paix, la charité entre les
Ecclésiastiques & les Fidèles par la voie de l'exhortation & des peines
purement canoniques,[515] & ils établissent unanimement la nécessité du
recours à la Jurisdiction séculiere, quand les remontrances de l'Evêque
ne touchent point le cœur, & que l'on refuse de se soumettre à ses
corrections paternelles. En un mot, ils disent bien que la Jurisdiction
Ecclésiastique s'étend de droit divin sur toutes les infractions de la
Loi de Dieu; mais ils avouent en même-temps que l'autorité du Prince,
pour constater & punir ces sortes d'infractions, en tant qu'elles
influent sur la manutention de l'ordre public & sur l'intérêt personnel
de chaque Sujet, n'en est pas pour cela moins entiere; & que si
quelquefois les Evêques ont décerné des punitions extérieures &
corporelles, ce n'a été qu'à la décharge du Prince, & en vertu d'une
Jurisdiction purement précaire. Ce qui se passa au Concile de Lillebonne
en 1080, sous Guillaume le Conquérant, en fournit la preuve. Ce Prince y
reprit toute la justice civile que les Evêques avoient exercée sous
plusieurs de ses Prédécesseurs, _quia eo tempore minùs quam convenisset
inde fecerant justitiam_; & il leur déclara qu'il ne la leur rendroit
que lorsqu'il les verroit mieux disposés à remplir les fonctions qu'elle
impose, _donec ipse eorum videns emendationem eis redderet pro
benefacto, quod tunc de manu eorum temporaliter tulerat pro
commisso_.[516] Paroles remarquables, par leur rapport avec celles du
Roi Gontran, dans son Edit confirmatif du second Concile de Mâcon en
585. _Convenit_, ce sont les termes employés en cet Edit, l'un des plus
précieux monumens de l'antiquité sur la distinction des Puissances
temporelles & spirituelles, _convenit ut justitiæ & æquitatis in omnibus
vigore servato distringat legalis ultio judicum, quos non corrigit
canonica prædicatio Sacerdotum.... Clericorum trangressiones, cum
adversario instigante, contigerint, quantum illis pro amore divino
reverentia major impenditur, tantum convenit ut acrius resecentur_.

[Note 515: 3e Conc. d'Orl. Canon 16.--_Nota_. Que le premier Concile
tenu au même lieu, Canon 4, ne dit rien de contraire. On n'y voit
pas, comme l'a prétendu Thomassin, que les enfans des Clercs étoient
indéfiniment soumis à la Jurisdiction de l'Eglise, mais seulement qu'ils
sont soumis à cette Jurisdiction en tant que _l'Evêque peut les ordonner
sans recourir aux Seigneurs ni au Roi, parce qu'ils ont leurs peres ou
leurs aieux dans le Clergé_; ce qui est juste: car les peres décidoient
du mariage de leurs enfans au préjudice des Seigneurs qui avoient la
garde de leurs personnes & de leurs Fiefs;[515a] par quelle raison
auroit-on privé ces peres du droit de prononcer par l'Eveque, auquel ils
étoient par état subordonnés en tout, sur l'entrée de leurs enfans en
Religion ou dans les Ordres sacrés?]

[Note 515a: _Vide suprà._ Sect. 114.]

[Note 516: _Concil. Norman. author._ P. Bessin, pag. 67.]

Le Clergé de ces temps si reculés ne trouvoit rien de répréhensible
dans ces maximes; & cependant jamais il n'a eu des idées si relevées du
Sacerdoce, & de l'honneur que les laïcs devoient lui rendre, qu'il en
avoit alors. Dans ce même Concile de Mâcon, qui ne fut promulgué qu'en
vertu de l'Edit que je viens de citer, les Evêques qui y assisterent
déciderent, _Spiritu Sancto dictante_, que si un laïc passant à cheval
dans un chemin, un Prêtre venoit à sa rencontre, ce laïc seroit tenu
de mettre pied à terre sur le champ, sous peine d'excommunication,
_illicò defluat..... Et qui hæc transgredi voluerit ab Ecclesiâ quam in
suis ministris deshonorat, suspendatur._ On peut donc, sans cesser de
conserver au caractere sacré, dont les Prêtres sont revêtus, le respect
qui lui est dû, penser qu'ils sont dépendans de la Justice séculiere,
quand ils violent les obligations de leur état & les devoirs qu'ils se
sont eux-mêmes imposés pour l'édification publique; à plus forte raison
peut-on dire, sans crime, qu'ils sont incompétens quand ils manquent aux
conditions sous lesquelles nos Rois, & leurs Sujets, ont consacré leurs
possessions aux Eglises, & sans l'exécution desquelles on ne leur auroit
pas confié l'administration de ces possessions.

(b) _Divine service._

Par un Jugement de l'Assise tenue à Caen en 1157, il fut décidé que du
moment qu'un particulier, en Normandie, avoit donné quelque chose en
aumône à une Abbaye, il n'y pouvoit retenir ni reclamer que des prieres,
à moins qu'il n'eût obtenu du Duc une Chartre qui spécifiât ce qu'il
avoit voulu retenir,[517] ce qui revient bien à la distinction que fait
notre Auteur entre tenure en Franche-aumône dont l'acte de cession ne
spécifie aucune charge, & la tenure par Divin service, qui ne peut avoir
lieu qu'autant que l'acte de donation exprime & spécifie les conditions
auxquelles elle a été faite.

[Note 517: _Ex quo aliquis in Normanniâ dat aliquam eleemosinam alicui
Abbatiæ nihil omninò ibi poterit retinere vel clamare præter orationes
nisi specialem habeat Chartam de hoc quod vult retinere._ Bruss. 2e vol.
L. 3, c. 6, pag. 813. Il n'est pas question d'un Fief dans ce Jugement,
mais d'un Aleu.]


*SECTION 138.*

*_Item_, si soit demande, si tenant en frankmariage ferra fealtie a le
donor ou a ses heires devant le quart degree passe, &c. il semble que
cy; car il nest pas semble quant a cel entent a tenant en frankalmoigne,
pur ceo que tenant en frankalmoigne ferra, pur cause de sa tenure,
divine service pur son Seignior, come devant est dit, & ceo il est
charge a faire per la ley del saint Esglise, & pur ceo il est excuse
& discharge de fealty, mes tenant en frankmariage ne ferra pur son
tenure tiel service, & sil ne ferra fealtie, donque il ne ferra a son
Seignior ascun maner de service, ne spirituall ne temporal, le quel
seroit inconvenient & encountre reason, que home serra tenant destate
denheritance, a un auter, & uncore le Seignior avera nul maner de
service de luy, & issint il semble que il ferra fealtie a son Seignior
_devant le quart degree passe_. (a) Et quant il ad fait fealty, il ad
fait touts ses services.*

SECTION 138.--_TRADUCTION._

Les descendans d'un tenant en Franc-Mariage doivent féauté au donateur &
à ses hoirs jusqu'à ce qu'il se soit écoulé quatre degrés de génération
entr'eux depuis le don, parce qu'il n'en est pas de la tenure en
Franc-Mariage comme de celle de pure Aumône. Cette derniere tenure est
exempte de féauté, à cause du Service Divin dont elle est chargée par la
Loi de la Sainte Eglise. Mais le tenant en Franc-Mariage ne devroit
aucun service temporel ni spirituel s'il n'étoit point obligé à la
feauté, ce qui auroit des inconvéniens. D'ailleurs le tenant en
Franc-Mariage est tenant à titre successif, puisque le don qui constitue
sa tenure est un avancement qui lui est fait d'une succession à laquelle
il a droit; il seroit donc absurde d'admettre qu'il ne dût rien ni à
celui qui lui a transmis l'hérédité ni à son Seigneur. Ainsi on doit
regarder comme maxime qu'un tenant en Franc-Mariage doit féauté, mais
qu'en s'acquittant de ce devoir il est exempt de tout autre.

_REMARQUES._

(a) _Devant le quart degree passe._

Le franc mariage dont j'ai parlé Section 17 & 20, opéroit un _parage_;
parce que toute portion d'hérédité, quelque peu considerable qu'elle
fût, étoit tenue avec les mêmes franchises & noblesses que le corps du
Fief d'où elle provenoit.

Cette Coutume s'étoit établie à l'exemple de ce qui s'étoit pratiqué
entre les fils de nos premiers Monarques:[518] quelques inégaux que
fussent les domaines que le successeur au Trône leur accordoit pour
appanage, ils en jouissoient à titre de Souveraineté, & ils portoient
même le titre de Rois. Ce titre, il est vrai, ne passoit pas aux
descendans, mais ceux-ci ne devoient qu'hommage au Roi, comme les
donataires de franc-mariage ne faisoient que féauté au donateur de la
portion de Fief dont ils joussoient sous cette dénomination.

[Note 518: Rouillé, c. 30.]

L'effet du parage a suivi les variations qu'a éprouvée la prohibition de
contracter mariage dans certains dégrés de parenté.

Sous les premiers Empereurs Chrétiens, elle se bornoit en ligne
collatérale au quatrieme degré; elle ne s'étendit point, en France,
au-delà avant le onzieme siecle, temps auquel l'usage s'introduisit de
ne plus contracter mariage qu'après le septieme dégré. Le Concile de
Latran, tenu sous Innocent III, rétablit l'ancienne regle,[519] dont les
Ducs de Normandie ne s'étoient point écartés.[520] Mais on ne conçoit
pas comment le Rédacteur de l'ancien Coutumier, qui écrivoit après ce
Concile, ne s'y est pas conformé.[521]

[Note 519: Canon 50, ce Concile fut tenu en 1215. Et Vanesp. Part. 2,
tit. 13, Sect. 15.]

[Note 520: Glanville, L. 7, c. 18.]

[Note 521: _Tenure par Parage est cil qu'il tient & cil de qu'il tient
doivent par raison de lignage être pers ès parties de l'héritage qui
descend de leurs ancesseurs; en cette maniere tient le puiné de l'aîné
jusques à ce qu'il vienne au sixte degré du lignage, mais d'illec en
avant sont tenus les puinés faire féaulte a l'aîné, & en septieme degré
& d'illec en avant sera tenu par homage ce qui devant étoit tenu par
Parage._ Anc. Cout. chap. 30.]


*SECTION 139.*

*Et si un Abbe tient de son Seignior en frankalmoigne, & Labbe & le
Covent south lour common seale alien mesmes les tenements a un seculer
home en fée simple, en ceo cas le seculer home ferra fealtie a le
Seignior, pur ceo que _il ne poit tener de son Seignior en
frankalmoigne_. (a) Car si le Seignior ne doit avoir de luy fealtie,
donque il avera nul maner de service, que serroit inconvenient, ou il
est Seignior, & le tenement est tenus de luy.*

SECTION 139.--_TRADUCTION._

Si un Abbé tenant des terres d'un Seigneur en pure aumône, le Monastere
ou l'Abbé en ont fait sous leur sceau ordinaire un acte de cession au
profit d'un laïc, à titre de Fief simple, en ce cas l'acquereur fera
féauté au Seigneur, parce que ce laïc ne peut tenir en pure aumône; car
si le Seigneur n'avoit pas de lui la féauté, il n'auroit aucune espece
de service, ce qui anéantiroit la mouvance.

_REMARQUE._

(a) _Il ne poit tener en frankalmoigne._

On a longtemps douté[522] si des fonds, donnés à une Communauté
Ecclésiastique à pure aumône rentrant en la possession de laïcs,
conservoient leur privilége; ce texte ne laisse plus subsister de doute
à cet égard.

[Note 522: Basnage, 1er vol. pag. 193.]


*SECTION 140.*

*_Item_, si home graunta a cel jour a un Abbe ou a un Prior terres ou
tenements en frankalmoigne, ceux parolx (frankalmoigne) sont voids, pur
ceo que il est ordeine per lestatute que est appelle, _quia emptores
terrarum_ (que lestatut fuit fait), _anno 18 Ed. I._ (a) que nul poit
aliener ne graunter terres ou tenements en fée simple, a tener de luy
mesme. Issint si home seisie de certain tenements queux il tient de son
Seignior per service de Chivaler, & a cel jour il, &c. graunta _per
licence_ (b) mesmes les tenements a un Abbe, &c. en frankalmoigne, Labbe
tiendra immediatement mesmes les tenements per service de Chivaler de
mesme le Seignior de que son grauntor tenoit, & ne tiendra my de son
grant en frankalmoigne, per cause de mesme lestatute, issint que nul
poit tener en frankalmoigne, si non que soit per title de prescription,
ou per force de graunt fait a ascun de ses predecessors, devant que
mesme le statute fuit fait Mes le Roy poit donner terres ou tenements en
fée simple, a tener en frankalmoigne, ou per auters services, car il est
hors de cas del estatute.*

SECTION 140.--_TRADUCTION._

Si un tenant donne à un Abbé ou Prieur ses tenemens en _pure aumône_,
ces termes pure aumône sont nuls; parce que, selon le Statut, _quia
emptores_, de la 28e année du regne d'Edouard premier, personne ne peut
aliéner ni donner les terres qu'il tient lui-même par inféodation, à
la charge de les relever de lui directement. Ainsi qu'un propriétaire
d'un Fief par service de Chevalier donne, même avec permission de son
Seigneur, sa terre à un Abbé, cet Abbé tiendra immédiatement du Seigneur
par service de Chevalier, & il ne le tiendra pas à pure aumône du
donateur, attendu que depuis ledit Statut il ne peut y avoir de tenure
en pure aumône que par prescription ou par un titre exprès & antérieur
au Statut; cependant le Roi peut donner des terres en Fief simple avec
faculté de les tenir en franche-aumône ou par autres services, car le
Roi est de droit excepté des dispositions du Statut.

_ANCIEN COUTUMIER._

Et pour ce l'en doit savoir que pour ce que le Duc a sa Justice & sa
droiture par-tout son Duché, ès terres sur tous ses soumis, luy seul
peut faire les omosnes franches & pures. Ch. 32.

L'en doit savoir qu'aulcun ne peut en Normandie faire de son Fief lay
pure omosne sans l'ottroy & spécial assentement du Prince; car le Prince
a sa Jurisdiction & Seigneurie sur tous les Fiefs lays de Normandie, &
tous les Fiefs qui par 30 ans ont été tenus comme omosne doivent estre
tenus pour omosne, _ibid_, Ch. 115.

_REMARQUES._

(a) _Edouard I._

Cet Edouard est le quatrieme du nom, le premier issu des Comtes d'Anjou.

(b) _Per licence_, &c.

Les Sous-feudataires n'avoient donc pas le droit d'amortir les terres
démembrées de leur Fief, & à plus forte raison le Suserain ne pouvoit
accorder cet amortissement sans le consentement du Roi.

L'Amortissement est un droit essentiellement inhérant à la Souveraineté
dont quelques Seigneurs n'ont pu jouir que par usurpation.

Quoique ce mot d'_amortissement désigne assez clairement la
signification_ qu'on doit lui donner,[523] quant à son effet; il
n'indique cependant pas l'origine de ce droit.

[Note 523: Continuat. de l'Hist. de Franc. par M. de Villaret, 1er vol.
ann. 1378.]

Cette origine est aussi ancienne que la Monarchie Françoise. Philippe le
Hardi a pu être le premier qui ait fait acheter le droit d'amortissement
aux Ecclésiastiques; mais tous les Rois ses prédécesseurs l'avoient
exercé sans contradiction. Le célebre Jérôme Bignon, dans ses Notes sur
la Formule troisieme du premier Livre de Marculphe, prouve ceci par les
autorités les plus péremptoires; il fait voir que les Eglises ne
jouissoient des terres fiscales que les Sujets leur avoient données
qu'en vertu de la permission que le Prince leur avoit accordée de les
posséder, _immunitate concessâ_.[524] Les Evêques étoient si intimement
convaincus de la nécessité du recours au Roi pour légitimer leurs
possessions, qu'ils ne manquoient jamais, après les avoir acceptées, de
lui en demander la confirmation;[525] & dans l'acte qui contenoit leur
agrément, nos Rois _usoient de telles restrictions ou modifications
qu'il leur plaisoit_.[526]

[Note 524: Premier Conc. d'Orl. Can. 7.]

[Note 525: _Form. Marculph._ L. 1, c. 35. _Appendix. Annal. Bened._ tom.
2.]

[Note 526: Thomass. Discip. Ecclés. L. 1, part. 3, c. 35.]

Ces graces de la part de nos Souverains, par le laps du temps, se
multiplierent au point que les Seigneurs, devenus propriétaires de leurs
Bénéfices ou qui possédoient des Aleux érigés en Fiefs, & qui ne
relevoient que du Roi, craignirent _qu'une famille qui ne pouvoit jamais
périr_,[527] _qui recevoit ou acquéroit toujours, & jamais ne
vendoit_,[528] n'absorbât insensiblement les fonds qu'ils avoient
sous-inféodés, & ne parvînt par-là à les priver des profits résultans du
violement des devoirs qu'ils avoient imposés à leurs vassaux, & ils
établirent le droit connu maintenant parmi nous sous le nom
d'_indemnité_.

[Note 527: Montesq. Espr. des Loix, tom. 3, L. 25, c. 5, pag. 172.]

[Note 528: Rouillé, Anc. Cout. c. 115.]


*SECTION 141.*

*Et _nota_ que nul poit tener terres ou tenements en frankalmoigne,
forsprise del grantor ou de ses heires. Et pur ceo il est dit, que si
soit Seignior, mesne & tenant, & le tenant est un Abbe que tient de sou
mesne en frankalmoigne, si le mesne devy sans heire, donque le mesnaltie
deviendra per escheate al dit Seignior paramount, & Labbe adonque tient
de luy immediate per fealtie tantum, & ferra a luy fealty, pur ceo que
il ne puit tener de luy en _frankalmoigne_, &c. (a)*

SECTION 141.--_TRADUCTION._

L'on ne peut tenir en pure aumône que de son donateur ou de ses hoirs,
& c'est par cette raison que lorsqu'il y a en même-temps un _Seigneur_
d'une terre, un _Propriétaire_ & un _Tenant_ de cette même terre, & que
le tenant est un Abbé qui tient du Propriétaire en pure aumône; si le
Propriétaire meurt sans enfans, la propriété retournante au Seigneur
suzerain à titre de deshérance, l'Abbé tient dès-lors du Suzerain
immédiatement par féauté, parce qu'il ne peut pas tenir de ce Seigneur
en franche-aumône la terre au droit de son donateur qui ne la possédoit
pas à ce titre.

_REMARQUE._

(a) _En frankalmoigne._

La maxime contenue en ce texte ne se rapporte qu'aux tenures antérieures
au Statut d'Edouard premier, & qui sont dans l'exception portée par la
Section précédente.


*SECTION 142.*

*Et _nota_ que lou tiel home de religion tient ses tenements de son
Seignior en frankalmoigne, son Seignior _est tenus per la ley de luy
acquiter_ (a) de chescun manner de service, que ascun Seignior paramount
de luy voet aver ou demander de mesmes les tenements, & sil ne luy
acquita pas, mes suffra luy destre distraine, &c. donque il avera envers
son Seignior un _Briefe de mesne_, (b) & recovera envers luy ses
dammages & ses costes de son suit, &c.*

SECTION 142.--_TRADUCTION._

Lorsqu'un Abbé tient d'un Seigneur en franche-aumône, ce Seigneur est
obligé de l'acquitter de tous services envers son Suzerain, & s'il ne
l'acquitte pas, ou si l'Abbé par la négligence de ce Seigneur est exposé
à la réunion ou à la saisie des fonds qui lui ont été donnés, il a le
droit d'obtenir un Bref de moyen, autrement appellé _Breve de medio_, en
vertu duquel il peut recourir contre son donateur pour ses dommages &
dépens.

_REMARQUES._

(a) _Est tenus per la ley de luy acquiter._

Littleton distingue trois sortes de cas où le possesseur d'un fonds
doit être acquitté de tous services par son donateur ou son vendeur;
il parle en divers endroits de _l'acquittement d'action_ & de
_prescription_; mais ici il est question de _l'acquittement_ de
tenure, & _l'acquittement_ de cette espece a lieu en la tenure par
_franc-mariage_, en celle _du douaire_, & en la _tenure en pure aumône_.

(b) _Briefe de mesne._

Ce Bref s'appelloit _Breve de medio_, par allusion à ce qu'il s'obtenoit
contre celui qui étoit entre le suzerain & le possesseur. La forme de
prononcer sur ce Bref étoit ainsi conçue:

_Quod T..... (medius) amittat servitia de A..... (tenente) de tenementis
prædictis, & quod omisso T..... R..... præfactus dominus capitalis modo
sit attendens & respondens per eadem servitia per quæ T..... tenuit._

C'étoit aussi une maxime en Normandie, qu'en tous les cas où le Seigneur
manquoit à la protection due à son vassal, _celui-ci cessoit de relever
de lui, & tenoit son Fief nuement du Seigneur qui étoit par-dessus, &
faisoit audit Chef Seigneur ce que son Seigneur immédiat lui en
faisoit_.[529]

[Note 529: Anc. Cout. ch. 84.]



CHAPITRE VII.

_D'HOMMAGE D'ANCÊTRES._


*SECTION 143.*

*Tenure per homage ancestrell est, lou un tenant tient sa terre de son
Seignior per homage, & mesme le tenaunt & ses auncesters que heire il
est ont tenus mesme le terre del dit Seignior, & de ses Auncestors que
heire le Seigniour est, de temps dont memorie ne court, per homage, &
ont fait a eux homage. Et ceo est appel Homage Auncestrel, per cause de
continuance _que ad este per title de prescription_ (a) en le tenancie
en le sanke le tenuant, & auxy en le Seigniorie en le sanke le Seignior.
Et tiel service de Homage Auncestrel trait luy garrantie, cest ascavoir,
que le Seignior que est en vie & ad receive le homage de tiel tenant,
doit garranter son tenant quant il est implede de la terre tenus de luy
per Homage Auncestrel.*

SECTION 143.--_TRADUCTION._

Tenure par Hommage d'Ancêtres a lieu quand un vassal tient d'un Seigneur
sa terre par hommage, & lorsque ce vassal & ses ancêtres, dont cette
terre lui est échue, en ont de temps immémorial dû & fait hommage à ce
Seigneur & à ses Ancêtres. On appelle cette tenure, _tenure par Hommage
d'Ancêtres_, parce qu'elle s'est perpétuée sans autre titre que celui de
prescription dans la famille des Seigneurs & celle des vassaux; or ce
service d'Hommage d'Ancêtres oblige le Seigneur qui le reçoit a garantir
son vassal de tous troubles faits à sa possession.

_REMARQUE._

(a) _Que ad este per title de prescription._

Suivant la Section 19, celui qui avoit en franc-mariage une terre étoit
exempt de tous services jusqu'au 4e degré. Ce degré arrivé, il étoit
dû pour cette terre les mêmes services auxquels ceux qui en avoient fait
don en franc-mariage avoient toujours été obligés. Tant que le
franc-mariage duroit, le donateur recevoit du donataire la féauté; mais
si avant le temps de l'expiration du franc-mariage le donataire de ce
privilége succédoit au Fief, le Seigneur n'avoit d'autre titre pour
exiger de lui l'hommage, que la prestation qui lui en avoit été faite
par le donateur du franc-mariage & ses successeurs. Or c'est parce que
le Seigneur n'avoit rien du fait du tenant en franc-mariage pour
l'assujettir à l'hommage, que la Loi Angloise appelle la tenure du
vassal, après l'expiration du franc-mariage, tenure par prescription.


*SECTION 144.*

*Et auxy tiel service per homage auncestrel trait a luy acquitall,
scavoir, que le Seignior doit acquieter le tenant envers touts auters
Seigniors paramont luy de chescun manner de service.*

SECTION 144.--_TRADUCTION._

Et aussi le service d'Hommage d'Ancêtres entraîne après lui l'obligation
pour le Seigneur d'acquitter son vassal de tous services envers le
Seigneur suzerain.


*SECTION 145.*

*Et il est dit, que si tiel tenant soit empled per un _Præcipe quod
reddat_, &c. (a) & il vouche a garrantie son Seignior que vient eins
per proces, & demanda del tenant que il ad de luy lier a garranty, & il
monster coment il & ses auncestors que heire il est, ount tenus sa terre
del vouchee & de ses auncesters, de temps dont memorie ne curt. Et si
l' Seignior que est vouche ne avoit resceive pas homage del tenant ne
dascun de ses auncesters, le Seignior (sil voit) poit disclaimer en le
Seigniory, & issint ouste le tenant de son garranty. Mes si le Seignior
que est vouche ad receive homage de le tenant ou de ascun de ses
auncesters, donques il ne disclaimera, mes il est oblige per la ley de
garranter le tenant, & donque si le tenant perd sa terre en default del
vouchee, il recovera en value envers le vouchee de terres & tenements
que le vouchee avoit al temps de le voucher, ou unques puis.*

SECTION 145.--_TRADUCTION._

Si un tenant par Hommage d'Ancêtres est troublé par un Bref, de
_præcipe quod reddat_, &c. & s'il appelle son Seigneur en garantie,
dans le cas où ce Seigneur demande en Jugement, à celui qui le force de
comparoître, la preuve de ce qu'il lui doit, cette garantie, & que ce
dernier ne puisse établir que ses ancêtres ayent fait hommage à ceux de
ce Seigneur; le Seigneur peut déclarer, s'il veut, qu'il renonce à la
Seigneurie, & dès-lors il cesse d'être garant. Mais si le vassal prouve
que ses ancêtres ont fait hommage, la Loi oblige le Seigneur à garantir
ce vassal; & si le tenant perd sa terre par le défaut de cette garantie,
il aura recours sur son Seigneur de la valeur de cette terre sur le pied
de son prix au temps de l'introduction de l'action en garantie.

_ANCIEN COUTUMIER._

Garant peut estre appellé en deux manieres, ou comme défenseur qui est
tenu à garantir le Fief, ou comme aisné du Fief de qui on doit pléder
principalement. Ch. 50.

_REMARQUES._

(a) _Præcipe quod reddat._

Les Brefs étoient tous adressés aux Juges des fonds litigieux au nom du
Roi, c'est pourquoi ils commençoient par ces mots, _præcipe_; les uns
enjoignoient de _faire telle chose_, de _permettre_ ou _d'empêcher telle
autre_; quelques-uns avoient pour objet de faire restituer, & il y en
avoit pour _remettre en possession_, ou pour _faire cesser les
possessions_ injustes. _Præcipe quod faciat, præcipe quod reddat,
præcipe quod permittat, præcipe quod non permittat_, &c. L'ancien
Coutumier de Normandie, Chapitre 93, donne un modèle du Bref dont il est
parlé en cette Section.

_Commande à R..... qu'à droit & sans délai il ressaisisse T..... d'une
terre qui est assise en la Paroisse de Marbœuf, dont il a dessaisi à
tort & sans jugement le dernier Aoust devant cestui; & s'il ne le fait,
semond le recognoissant du voisiné qu'il soit aux premieres assises de
la Baillie, & fais dedans ce veoir la terre, & être la chose en paix._

Ce Bref étoit envoyé au Sergent de l'épée, qui assignoit le plaintif &
l'accusé pour se trouver sur le lieu, objet du litige; vingt hommes
voisins du fonds & sans reproches, faisoient la vue, c'est-à-dire,
examinoient, après que le Sergent leur avoit lu le Bref, l'etendue & la
situation de ce fonds, l'espece & l'état de sa culture, & étoient
témoins que le Sergent en faisoit le sequestre en la main du Roi. Durant
la contestation, si l'une des parties faisoit quelqu'acte de possession
sur la terre sequestrée, on la condamnoit à une amende.

Au jour donné pour la visite ou vue de cette terre, quand une des
parties ne comparoissoit pas, ou ne faisoit point proposer d'excuse, on
la réassignoit à une autre assise que celle indiquée par le Bref; & au
cas d'un second défaut, la visite se faisoit comme si la partie
défaillante eût été présente.

La visite se faisoit ou _le matin_, ou à _primes_, ou à _nones_, ou aux
_vêpres_; quand on devoit y procéder le matin, le Sergent, les témoins &
les parties devoient se trouver au lieu désigné au Soleil levant, &
s'attendre réciproquement _jusqu'à primes_. Si l'heure étoit donnée pour
_primes_, on différoit la visite jusqu'à _nones_, de _nones_ le délai
étoit _jusqu'aux vêpres_, c'est-à-dire, jusqu'à la moitié du temps qui
est depuis _midi jusqu'au Soleil couchant_, instant qui terminoit le
délai de la visite annoncée pour vêpres.[530]

[Note 530: Anc. Cout. ch. 94.]

Lorsque le défendeur comparoissoit, le plaintif lui indiquoit les bornes
de la terre qu'il reclamoit, & le défendeur avoit la faculté d'empêcher
le sequestre en la main du Roi, en consentant que son adversaire en
jouît pendant le litige.

Le jour de l'assise, on donnoit de nouveau lecture du Bref, & le Juge
ayant ensuite demandé aux parties si elles reconnoissoient que l'objet
de la difficulté y fût bien exposé, sur leur réponse affirmative on
appelloit les témoins de la visite, & chacun d'eux prêtoit serment en
ces termes: _Oyez, Sire Bailly, que je vous dirai vérité, de cette
querelle ne pour rien ne laisserai, ainsi m'ayent Dieu & les Saints._

De ce moment personne ne pouvoit plus parler, ni en particulier, ni en
public, à ces témoins. Le Juge, après avoir interrogé chacun d'eux
séparément, maintenoit, dans la propriété ou jouissance de la terre,
celle des parties dont la justice de la prétention se trouvoit prouvée
par les dépositions.

Toutes querelles pour Fiefs se poursuivoient & se décidoient à peu près
de la même maniere en Normandie. Le combat judiciaire, dont j'aurai lieu
de parler dans la suite, n'étoit en usage que pour les plaintes en
crimes, comme _meurtres_.

On n'y pratiquoit point l'Ordalie[531] avant la conquête de
l'Angleterre par le Duc Guillaume. Raoul fit, il est vrai, subir, au
commencement de son regne, l'épreuve du fer chaud à la femme d'un paysan
de Longueville; mais sous les regnes de ses Successeurs, on ne trouve
point un seul exemple de cette superstitieuse procédure pour la décision
des contestations nées entre Laïcs.[532]

[Note 531: La preuve s'en tire du 62e art. des Loix de Guillaume,
rapportées par Selden dans ses Notes sur Eadmer; un Anglois peut se
défendre par l'épreuve du fer, & le François par le serment.]

[Note 532: _Voyez_ Sect. 189.]


*SECTION 146.*

*Et est ascavoir, que en chescun cas ou le Seignior poit disclaimer en
son Seigniorie per la Ley, & de ceo voit disclaimer_ en Court de
Record_ (a), son Seigniorie est extinct, & le tenant tiendra del
Seignior procheine paramont le Seignior que issint disclaime. Mes si un
Abbe ou Prior soit vouch per force de Homage Auncestrell, &c. comment
que il ne unque prist homage, &c. uncore il ne poit disclaimer en tiel
cas, ne en nul auter cas, car ils ne poient anienter ou divester chose
de fée que ad este vestue en lour meason.*

SECTION 146.--_TRADUCTION._

Dans tous les cas où un Seigneur peut renoncer par la Loi à sa
Seigneurie, si cette renonciation est faite _en Cour de Record_, le
vassal est délié de toute obligation envers lui, & il ne tient plus à
l'avenir que du Suserain d'où relevoit son Seigneur immédiat. Mais si
un Abbé ou Prieur sont appellés en garantie en vertu de l'hommage des
ancêtres de leur vassal, ils ne peuvent renoncer ni en ce cas ni en
d'autres, parce qu'il ne leur est pas permis d'anéantir ou de dénaturer
les appartenances des Fiefs dépendans de leurs Monasteres.

_REMARQUES._

(a) _Court de Record._

Cette Court étoit l'audience que le Roi, l'Echiquier, l'Assise tenoient
pour donner aux actes une autenticité qui ne permît pas d'en suspecter
les causes & les conditions.

Si l'acte étoit passé devant le Roi seul, on pouvoit en demander le
record, _parce que n'étoit pas chose avenante que le record au Prince
seul fût demandé_.[533]

[Note 533: Anc. Cout. ch. 102, & Rouillé, sur le dern. art.]

Mais si le Prince avoit été assisté de quelqu'un lors de la
certification de l'acte, quoiqu'il eût le pouvoir de refuser le record,
cependant il l'accordoit ordinairement; & alors le Roi & l'assistance
suffisoient pour recorder ce qui avoit été convenu ou arrêté.[534] Quand
le Roi ne vouloit pas faire le record lui-même, il falloit trois Juges
pour lui suppléer. Il en étoit autrement à l'égard des records d'actes
auxquels le Prince n'avoit pas été présent. Les _Juges recordeurs_
devoient, en ce cas, être au nombre de sept,[535] & il étoit permis de
les reprocher: reproches auxquels n'étoient point exposés les Juges qui
avoient assisté le Roi, puisqu'ils n'étoient pas même obligés au serment
en se recordant.

[Note 534: _Ibid_, ch. 102. Rouillé, sur le même ch.]

[Note 535: _Ibid_, ch. 104.]

Le record ne se pratiquoit point dans les matieres plaidables, mais
uniquement en celles où il n'étoit question que de constater un
fait;[536] & lorsqu'après ce fait constaté, on le contestoit encore,
_Le Roi, les Archevêques, Evêques, Abbés, Prieurs, Comtes, Barons,
Chevaliers, les principaux Justiciers de la Province, les Vicomtes, les
Sergens de l'Epée, en un mot, les personnes les mieux renommées pour
leur bonne vie, sens & honnêteté_, en nombre compétent, formoient la
Cour du record. Un seul des _Recordeurs_, dont la déclaration étoit
contraire à celle des autres, rendoit incertain le droit de celui qui
avoit demandé le record. Dans l'espece proposée par notre Auteur, il
indique donc le record en _la Cour_ comme le seul moyen de rendre la
renonciation du Seigneur irrévocable, parce qu'en effet, tout ce qui
avoit rapport aux Fiefs s'y recordoit par quatre Chevaliers, & qu'on ne
pouvoit les reprocher.[537]

[Note 536: Anc. Cout. ch. 121.]

[Note 537: _Record de vue de Fief doit estre fait par quatre Chevaliers
ou telles personnes qui ne puissent estre ostées de Jugement ne de
Record._ Anc. Cout. ch. 121.]


*SECTION 147.*

*_Item_, si home que tient son terre per Homage Ancestrel alien, un
auter en fée, le alienee ferra homage a son Seignior, mes il ne tient
de son Seigniour per Homage Auncestrel, pur ceo que le tenancie ne fuit
continue en le sanke de les auncesters lalienee, ne lalienee navera
jammes garrantie de la terre de son Seignior, pur ceo que le continuance
del tenancie en le tenant & a son sanke per lalienation est discontinue.
_Et sic vide_, que si le tenant que tient la terre per homage ancestrell
de son Seignior, alien en fée, coment que il reprist estate de lalienee
arrere en fée, il tient la terre per homage, mes nemy per Homage
Auncestrell.*

SECTION 147.--_TRADUCTION._

Si un tenant par Hommage d'Ancêtres cede sa terre à un autre à titre de
Fief, celui-ci fera hommage au Cessionnaire de la terre, mais sa tenure
ne sera point par Hommage d'Ancêtres, puisque c'est par vente, & non par
le sang qu'elle lui a été transmise, & par cette raison l'acquereur de
la terre n'aura point d'action en garantie contre son Seigneur. Il y a
plus, si le tenant par Hommage d'Ancêtres, après avoir aliéné sa terre,
la reprend de l'acquereur, il ne tiendra pas cette terre par hommage
d'ancêtres, mais par hommage ordinaire.


*SECTION 148.*

*_Item_, il est dit, que si home tient sa terre de son Seignior per
homage & fealty, & il ad fait homage & fealty a son Seignior, & le
Seignior ad issue fits, & devy, & le Seigniory discendist a le fits,
en ceo cas le tenant que fist homage al pere ne ferra homage al fits,
pur ceo que quant un tenant ad fait un foits homage a son Seignior il
est excuse pur terme de sa vie de faire homage a ascun auter heire del
Seignior, mes uncore il ferra fealtie al fits & heire le Seignior,
coment que il fist fealty a son pere.*

SECTION 148.--_TRADUCTION._

Si un tenant par hommage & féauté ayant fait ce double service à son
Seigneur, celui-ci décede, & laisse un fils; le tenant qui a fait
hommage au pere ne le fera point au fils; car on ne doit l'hommage
qu'une fois en sa vie. Il n'en est pas de même de la féauté, elle est
due au Seigneur, & à chacun de ses successeurs.


*SECTION 149.*

*_Item_, si le Seignior apres l'homage a luy fait per son tenant grant
le service de son tenant per le fait a un auter en fée, & le tenant
atturna,[538] &c. donque le tenant ne serra my compel de faire homage,
mes il ferra fealty, coment que il fist fealtie devant a le grauntor.
Car fealty est incident a chescun atturnement del tenant, quant le
Seigniory est graunt. Mes si ascun home soit seisie dun mannor, & un
auter home tient de luy la terre come del mannor avantdit per homage,
le quel tenant ad fait homage a son Seignior que est seisie del mannor,
si apres un estrange port _Præcipe quod reddat_ envers le Seignior del
mannor, & recovera le mannor envers luy, & suist execution, en cest case
le tenant ferra auterfoits homage a celuy que recovera le manor coment
que il fist homage devant, pur ceo que lestat celuy que receivoit le
primer homage, est defeate per l' recovery, & ne girra en le bouche le
tenant a fauxer ou defeater le recoverie que fuit envers son Seignior,
_Et sic vide diversitatem_, en ceo case lou home vient a le Seigniory
per recovery, & lou il vient per discent ou per graunt al Seigniory.*

[Note 538: _Ponit eum loco Senioris._]

SECTION 149.--_TRADUCTION._

Si un Seigneur après avoir reçu hommage de son vassal transporte le
service de ce vassal à un autre à titre de fief, & si le vassal agrée ce
transport, celui-ci ne fera pas hommage à son nouveau Seigneur, mais il
lui fera féauté, parce que ce devoir a lieu dans tous transports de
tenure.

Mais dans le cas où un tenant auroit fait hommage d'une terre à un
Seigneur qui seroit ensuite privé de sa Seigneurie en vertu du Bref
_Præcipe quod reddat_, ce tenant devroit, à celui qui auroit obtenu gain
de cause sur le Bref, un nouvel hommage; parce que le Seigneur qui
recouvre une Seigneurie prouve par-là que celui qu'il en dépouille n'y
avoit aucun droit, & que l'hommage fait à ce dernier étoit nul.

Ainsi il y a une grande difference entre le Seigneur qui recouvre une
Seigneurie par droit, & celui auquel un Seigneur la transporte
volontairement. Dans ce dernier cas, le vassal peut refuser de
reconnoître pour Seigneur le transportuaire: dans le premier cas, il ne
doit reconnoître pour Seigneur que celui auquel la Seigneurie a été
définitivement ajugée.


*SECTION 150.*

*_Item_, si un tenant que doit per son tenure faire a son Seignior
homage, vient a son Seignior, & dit a luy, Sir, jeo doy a vous faire
homage pur les tenements que jeo teigne de vous, & jeo sue icy prist a
vous faire homage pur mesmes les tenements, pur que jeo vous pry, que
ore ceo voiles receiver de moy.*

SECTION 150.--_TRADUCTION._

Si un tenant qui doit hommage se présente au Seigneur, & lui dit: Je
suis prêt de vous rendre ce devoir pour tous mes tenemens, je vous prie
de le recevoir.


*SECTION 151.*

*Et si le Seignior adonques refusa de ceo receiver, donque apres tiel
refusal le Seignior ne poet distreiner le tenant pur le homage aderere
devant que le Seignior requiroit le tenant de faire a luy homage, &
tenant a ceo faire refusa.*

SECTION 151.--_TRADUCTION._

Le Seigneur refusant de recevoir l'hommage qui lui est offert, il ne
peut plus déposséder son tenant, à moins qu'il n'exige l'hommage de
nouveau, & que le tenant le refuse.


*SECTION 152.*

*_Item_, home poit tener sa terre per Homage Auncestrel & per Escuage ou
per auter service de Chivaler, auxybien sicome il poyt tener sa terre
per Homage Ancestrel en Socage.*

SECTION 152.--_TRADUCTION._

On peut tenir par Hommage d'Ancêtres des Fiefs sujets à l'Escuage, au
service de Chevalier, & même au Socage.



CHAPITRE VIII.

_DE GRANDE SERGENTERIE._


*SECTION 153.*

*Tenure per graund Serjeantie est lou un home tient ses terres ou
tenements de nostre Seignior l' Roy per tiels services que il doit
en son prop person faire al Roy, come de porter l' banner de nostre
Seignior le Roy, ou sa lance, ou de amesner son hoste, ou destre son
Marshal, ou de porter son espee devant luy a son coronement, ou destre
son Sewer a son coronement, ou son Carver, ou son Butler, ou destre
un de ses Chamberlains, de le resceit de son Eschequer, ou de faire
auters tiels services, &c. Et la cause que tiel service est appell grand
Serjeanty est, pur ceo que il est _pluis grand & pluis digne service_
(a) que est le service en le tenure descuage. Car celuy que tyent per
Escuage nest pas limite per sa tenure de faire ascun pluis special
service que ascun auter que tyent per escuage doit faire. Mes celuy que
tient per grand Serjeanty doit faire un especial service al Roy, que il
tient per Escuage ne doit faire.*

SECTION 153.--_TRADUCTION._

Le tenant par grande Sergenterie releve du Roi, & doit au Roi des
services personnels, comme de porter sa banniere, sa lance ou de
conduire son armée, d'être son Maréchal, de porter devant lui son épée,
d'être son Ecuyer d'armes lors de son couronnement, son Ecuyer
tranchant, son Bouteiller, son Chambrier, le Trésorier de son Echiquier,
&c. On appelle ces différens Offices grande Sergenterie, parce que
_Serjeantia_ est la même chose que _Servitium_, & que les services dûs
personnellement au Roi sont plus honorables que les services d'Escuage,
en ce que ceux-ci ne sont pas spécialement dûs au Roi, & que ceux qui
tiennent par Escuage doivent tous le même service.

_REMARQUES._

(a) _Est pluis grand & pluis digne service_, &c.

La grande Sergenterie est un Fief supérieur à l'Escuage, mais il ne
n'est pas au Fief de Chevalier ou de Hautbert.

Si d'un côté la grande Sergenterie ne devoit pas comme le Fief de
Chevalier, service à pleines armes, d'un autre côté le Fief d'Escuage
étoit subordonné & incertain dans son service; au lieu que celui de
grande Sergenterie ne pouvoit être tenu que par les devoirs spéciaux &
constitutifs de sa dignité.

Il n'y avoit que le Roi qui eût des Sergens, suivant Littleton; leurs
fonctions n'étoient pas toujours relatives au service militaire; ils
étoient quelquefois chargés, comme sous nos premiers Rois, de régir les
revenus, & de veiller à l'exécution des ordres du Souverain.

Sous Raoul, & les Ducs de Normandie descendus de ce Prince, la justice
ne s'exerçoit qu'en leur nom; mais après l'extinction de sa postérité,
& la réunion de la Normandie à la Couronne de France, le droit de
Haute-Justice étant devenu une dépendance des grands Fiefs, outre
les Sergens du Roi, établis pour l'exécution des Jugemens de la Cour
du Roi, les Seigneurs érigerent des Sergenteries, les donnerent en
Fief. Les Sergens du Roi ou de _l'Epée_, comme les appelle l'ancien
Coutumier Normand, conserverent, pendant quelque-temps, une sorte de
prééminence sur les Sergens des Seigneurs; mais insensiblement ceux
dont les Sergenteries ne devoient que des services relatifs à la
personne du Roi ou à la guerre, dédaignerent de porter un nom qui les
confondoit avec ceux des Seigneurs, dont les fonctions étoient bornées
à maintenir l'ordre dans leurs Jurisdictions, & ce nom ne désigna plus
que ces derniers, qui ne devoient point de services militaires, & qui
seuls subsistoient lors de la rédaction de l'Ancien Coutumier:[539]
car dans ce Livre les services des Sergens sont détaillés & restrains
_à faire les vues, les semonces, les commandemens d'Assises, à faire
tenir ce qui y avoit été jugé, à justicier à l'épee & aux armes tous
malfaicteurs, les fuitifs_; & il est observé[540] qu'ils furent
principalement établis _afin que ceux qui sont paisibles fussent par
eux tenus en paix_. Il n'étoit guere possible que des hommes habitués
à vuider leurs querelles par les armes, ne conçussent pas une sorte de
mépris pour les exécuteurs de Loix, dont ils n'avoient peut-être jamais
bien compris ni la nécessité, ni les avantages. Les possesseurs des
Sergenteries Seigneuriales ne s'acquitterent donc plus eux-mêmes, par ce
préjugé, qu'avec répugnance de leurs fonctions; & s'en étant déchargés
sur des particuliers, auxquels cependant ils ne transmettoient pas les
priviléges du Fief dont ces fonctions dépendoient, ceux-ci acheverent
d'avilir ces fonctions par la cupidité & l'indécence avec laquelle ils
les exercerent.

[Note 539: En Angleterre, dans le 14e siecle les Officiers qui donnoient
les Assignations ne s'appelloient encore qu'_Attourné_s. _Stat. Robert
III, Reg. Scot. c. 18._]

[Note 540: Ancien Cout. c. 5.]


*SECTION 154.*

*_Item_, si tenant que tient per Escuage morust son heire esteant de
pleine age, sil tenoit per un fée de Chivaler, le heire ne paiera
forsque cent sols pur reliefe, come est ordeine per l' statute de _Magna
Charta, cap. 2_. Mes si celuy que tient de Roy per grand Serjeantie
morust, son heire esteant de plein age, le heire payera al Roy pur
reliefe le value de les terres ou tenements per an (ouster les charges &
reprises) queux il tient del Roy per grand Serjeantie. Et est ascavoir,
que _Serjeantia_en Latin, _idem est quod servitium, & sic Magna
Serjeantia, idem est quod magnum servitium_.*

SECTION 154.--_TRADUCTION._

Quand un tenant par Escuage meurt, & laisse un fils majeur, si sa tenure
est d'un Fief de Chevalier, l'héritier ne paye que cent sols pour
relief, comme le porte le chap. 2 de la grande Chartre; mais le tenant
du Roi par grande Sergenterie décédant son fils majeur doit au Roi pour
relief la valeur annuelle de sa terre outre les charges ordinaires de
son inféodation.


*SECTION 155.*

*_Item_, ceux que teignont per escuage doient faire lour service hors
de Roialme, mes ceux que teignont per grand Serjeantie, pur le greinder
part doient faire lour services deins le Roialme.*

SECTION 155.--_TRADUCTION._

Ceux qui tiennent par Escuage doivent faire leur service hors le
Royaume. Les tenans par grande Sergenterie pour la plupart ne font le
service que dans l'intérieur du Royaume.


*SECTION 156.*

*_Item_, il est dit, que en le Marches de _Scotland_, ascunes teignont
de Roy per Cornage, cest ascavoir, pur ventier un cornu, pur garner
homes de pais quant ils oyent que le _Scottes_, ou auters enemies
veignont ou voilent enter en _Engleterre_, quel service est graund
Serjeanty. Mes si ascun tenant tient dascun auter Seignior que de Roy
per tiel service de Cornage, ceo nest pas grand Serjeanty, mes est
service de Chivaler, & trait a luy garde & marriage, car nul poit tener
per grand Serjeanty, sinon de Roy tantsolement.*

SECTION 156.--_TRADUCTION._

Sur la frontière ou _marches_ d'Ecosse plusieurs tiennent par _Cornage_;
c'est-à-dire, à la charge d'avertir avec une corne les gens du pays de
se tenir sur leurs gardes lorsque les Ecossois ou autres Ennemis
paroissent pour entrer en Angleterre; ce service est de grande
Sergenterie, à moins que celui qui en est chargé n'y ait été assujetti
par un Seigneur particulier: car alors c'est un service de Chevalier qui
est sujet au Droit de Garde, de Mariage, &c. Personne ne peut tenir, en
effet, par grande Sergenterie que du Roi seulement.


*SECTION 157.*

*_Item_, home poit veier _Anno 11. H. 4._ que _Cokayne_, adonque chiefe
Baron deschequer, vient en le common bank, portant ovesques luy la copy
_dun recorde_ (a) _in hæc verba; Talis tenet tantam terram de Domino
rege per Serjeantiam, ad inveniendum unum hominem ad guerram ubicunque
infra quatuor maria, &c._ Et il demaunda sil fuit graund Serjeantie
ou petit Serjeantie. Et _Hanke_, adonques disoit, que il fuit graunde
Serjeantie, pur ceo que il ad service a faire per corps dun home, &
sil ne purra trover nul home a faire l' service pur luy, il mesme doit
faire. _Quod alii Justiciarii concesserunt. (Cokaine.)_ Donque doit le
tenant en ceo cas paier reliefe al value del terre per an. _Ad quod non
fuit responsum._*

SECTION 157.--_TRADUCTION._

On peut voir dans les Records de la 11e année du regne de Henri IV, _que
Cokaine_, premier Baron de l'Echiquier, vint en la Cour du Commun Banc,
portant avec lui la copie d'un ancien Record conçu en ces termes: _Talis
tenet tantam terram de Domino rege per Serjeantiam ad inveniendum unum
hominem ad guerram ubicunque infra quatuor maria_, &c. Et il demanda
si ce service étoit de grande ou de petite Sergenterie; & _Hanke_ dit
que c'étoit grande Sergenterie, parce que le service étoit tellement
personnel que celui qui le devoit seroit obligé, à défaut d'hommes,
d'aller lui-même à l'armée, & cet avis fut adopté par tous les autres
Justiciers; d'où _Cokaine_ tira cette conséquence, que le service dont
il s'agissoit devoit pour relief une année du revenu de sa terre; mais
on ne décida rien à cet égard.

_REMARQUES._

(a) _Recorde._

Il n'appartenoit naturellement qu'à la Cour du Prince de faire les
_records d'actes, de droits_, de Jugemens. Mais le Prince accordoit
quelquefois aux Cours subalternes ce privilége. En ce cas il falloit une
commission du Souverain; commission qui ne s'exécutoit qu'en présence
de l'un de ses Justiciers.[541] Lorsqu'après avoir, faute de preuves
d'un crime, remis au duel la décision d'une cause, & que la bataille
avoit été gagnée entre les contendans, il s'élevoit quelque doute sur
les termes dans lesquels la demande & la défense avoient été conçues, le
Record appartenoit à la Cour du Roi.[542] Mais si, après la bataille il
y avoit difficulté sur ce qui avoit été prononcé, le Record s'en faisoit
ordinairement en la Cour où le duel avoit été gagé, à moins que toute la
Cour ne fût récusée; car alors l'Assise du Roi pouvoit seule prononcer
sur la récusation.

Cette Section ne parle que d'un Record sur un droit à l'égard duquel il
n'y avoit point encore de Loi, & la Cour du Roi étoit seule compétente
de faire des Loix ou de les interpréter par le record des Juges qui la
composoient, & qui[543] en avoient ordonné l'exécution.

[Note 541: _Reg. Maj._ L. 3, c. 23.]

[Note 542: _Ibid._]

[Note 543: _Ibid._ L. 3, c. 24.]


*SECTION 158.*

*Et _nota_ que touts que teignont de Roy per grand Serjeanty, teignont
de Roy per service de Chivalrie, & le Roy pur ceo avera garde, mariage,
& reliefe, mes le Roy navera de eux Escuage, sils ne teignont de luy per
Escuage.*

SECTION 158.--_TRADUCTION._

Tous ceux qui tiennent du Roi par grande Sergenterie tiennent du Roi par
service de Chevalier, & doivent Garde, Mariage, Relief; mais le Roi ne
peut lever sur eux le droit d'Escuage qu'autant qu'ils ont, outre leur
Fief de grande Sergenterie, un Fief d'Escuage.



CHAPITRE IX.

_DE PETITE SERGENTERIE._


*SECTION 159.*

*Tenure per petit Serjeanty est lou home tient sa terre de nostre
Seignior le Roy, de render al Roy annualment un arke, ou un espee, ou un
dagger, ou un cuttel, ou un launce, ou un paire de gants de ferre, ou un
paire de spours dore, ou un sete, ou divers setes, ou de render auters
tiels petit choses touchants le guerre.*

SECTION 159.--_TRADUCTION._

Celui qui tient du Roi par petite Sergenterie lui doit annuellement ou
un arc ou une épée, ou un sabre ou un poignard, ou une lance ou une
paire de gantelets de fer, ou des éperons d'or, ou une ou plusieurs
fleches ou autres armes de médiocre valeur.


*SECTION 160.*

*Et tiel service nest forsque Socage en effect, pur ceo que tiel tenant
per son tenure ne doit aler ne fayre ascun chose en son proper person,
touchant le guerre, mes de render & payer annualment certain choses al
Roy, sicome home doit payer un rent.*

SECTION 160.--_TRADUCTION._

Et ces sortes de services ne sont, à proprement parler, que des services
en Socage, puisqu'ils n'affectent point la personne, & n'obligent point
au service militaire.


*SECTION 161.*

*Et _nota_, que home ne poit tener per graund Serjeanty, ne per petit
Serjeanty, sinon de Roy, &c.*

SECTION 161.--_TRADUCTION._

La petite Sergenterie, comme la grande, ne peut être tenue & mouvante
que du Roi.



CHAPITRE X.

_DE TENURE EN BOURGAGE._


*SECTION 162.*

*Tenure _en Burgage est lou_ (a) antient Burgh est, de que l' Roy est
Seignior, & ceux que ont tenements deins le Burgh teignont del Roy lour
tenements que chescun tenant pur son tenement doit payer al Roy un
certain rent per an, &c. & tiel tenure nest forsque tenure en Socage.*

SECTION 162.--_TRADUCTION._

Tenure en Bourgage s'entend d'une tenure de fonds situés en un ancien
Bourg dont le Roi est Seigneur, & pour laquelle chaque tenant paye au
Roi une rente annuelle. Or, une pareille tenure n'est autre chose qu'une
tenure en Socage.

_ANCIEN COUTUMIER._--CHAPITRES XXXI & CXXV.

De tenure par Bourgage doibt l'en savoir qu'elles peuvent estre vendues
& achetées comme meubles sans l'assentement aux Seigneurs, & les
Coutumes doibvent estre payées selon les usages des Bourgs; & si doibt
l'en savoir que les ventes faites d'aucuns héritages ou rentes ne
doibvent estre rappellées par les hoirs ne par le lignage aux vendeurs,
si dedans le jour naturel de l'Audience de la chose vendue la pétition
n'en est faite devant Justice avec la monnoye du prix de la vente.
Savoir, debvons que les femmes après la mort de leurs maris ont moitié
des achapts qui sont faits en leur temps, & les sœurs y doibvent avoir
semblable partie comme les freres, & si doibt-on savoir que tels
tenements ne doibvent Relief ne Aides coutumiers.

_REMARQUES._

(a) _Burgage est lou_, &c.

Presque tous ceux qui ont écrit du Droit Coutumier ont confondu _le
Bourgage_, _le Franc-Aleu_, _la Bourgeoisie_; cependant ces différentes
possessions n'ont ni la même origine, ni les mêmes prérogatives.

1er. _Le Franc-Aleu_ pouvoit exister dans les Villes comme dans les
campagnes; ce n'étoit point une _tenure_, parce qu'il ne devoit point
son être à l'inféodation; il n'étoit sujet à aucun Seigneur ni à aucuns
devoirs; il ne reconnoissoit que la Jurisdiction du Roi, avant que les
Seigneurs eussent acquis le droit d'exercer cette Jurisdiction en son
nom sur toutes les terres enclavées dans leurs Bénéfices.

2e. _Le Bourgage_ au contraire désignoit, dans son principe, une
_tenure_, & conséquemment relevoit féodalement d'un Seigneur à qui il
payoit des rentes ou autres redevances indicatives de la vassalité.

3e. _La Bourgeoisie_ étoit ou royale ou seigneuriale; elle ne
consistoit que dans l'affranchissement de la personne des serfs ou
villains d'une Seigneurie; & c'est à ces Bourgeoisies qu'on doit
rapporter l'établissement des priviléges des Villes.

Comme j'ai expliqué plus haut ce que j'entends par Franc-Aleu, il ne me
reste qu'à développer mon opinion sur l'origine de la Bourgeoisie & du
Bourgage, & à rendre raison des caracteres qui leur sont propres.

_DES BOURGEOISIES ROYALES._

Nos anciennes Loix nous représentent la France divisée en Comtés, & les
hommes libres de chaque Comté rassemblés au nombre de cent familles pour
former un Bourg, sous la conduite d'un Centenier. Cet établissement
remonte au moins à la fin du sixieme siecle.[544] Les Centeniers étoient
élus à la pluralité des voix par les habitans de chaque Bourg;[545] ils
pouvoient juger, sans appel, toutes les causes qui n'emportoient ni la
perte des biens, ni celle de la liberté ou de la vie;[546] ils étoient
assistés en leurs Jugemens par des Echevins ou Sénateurs, c'est-à-dire,
par les plus anciens & les plus expérimentés du Bourg.[547] Dans les
causes que le Centenier & les Echevins ne pouvoient décider en dernier
ressort, les Plaideurs étoient obligés, après le Jugement rendu, de
déclarer s'ils consentoient l'exécuter, ou s'ils avoient dessein de le
faire réformer; & jusqu'à ce qu'ils eussent pris l'un de ces deux
partis, celui auquel le Jugement étoit contraire étoit détenu en
prison.[548] On pouvoit faire recorder les Sentences des Echevins; mais
lorsque le record n'étoit pas favorable à celui qui l'avoit demandé, il
payoit une amende de quinze sols, ou recevoit quinze coups des Echevins
qui avoient rendu la Sentence.[549] Ces derniers étoient, ainsi que les
Avocats ou Notaires, choisis par les Commissaires du Roi, _Missi
Dominici_.[550] Quand les _Missi_ faisoient leurs _tournées_, les
Comtes, Vicomtes, les Centeniers, & trois ou quatre des principaux
Echevins, assistoient aux plaids qu'ils tenoient.[551] Enfin, dans
quelques plaids supérieurs ou inférieurs que ce fût, les _Bourgeois_ ou
habitans d'un Bourg ne pouvoient être jugés que sur le témoignage de
ceux qui vivoient sous _la même Loi_, c'est-à-dire, de leurs
concitoyens, de leurs Pairs.[552] Tels étoient encore les droits des
Bourgs ou Villes au temps de la cession de la Normandie faite au Duc
Raoul, & Guillaume le Conquérant les communiqua aux Bourgs & aux Villes
d'Angleterre, quand il se soumit ce Royaume.[553] C'est dans ces Loix
que l'Ecosse les a puisées,[554] & elle en conserve encore le Code
particulier qui en fut dressé dans le douzieme siecle.

[Note 544: Espr. des Loix, Tom. 4, L. 30, c. 17. _Capitul._ 19, L. 4. L.
2, c. 28.]

[Note 545: _Capitul._ L. 3, c. 11.]

[Note 546: _Ibid_, L. 3, c. 79, & L. 4, c. 26.]

[Note 547: L. 2, c. 28, & L. 4, c. 5, _ib. Not. Bignon, ad Formul. auth.
incert. pag. 334_.]

[Note 548: _Capitul._ L. 3, c. 7, _ibid._]

[Note 549: _Ibid_, L. 3, c. 31.]

[Note 550: _Ibid_, L. 3, c. 33.]

[Note 551: _Ibid_, L. 2, c. 29. L. 4, c. 5.]

[Note 552: _Capitul._ L. 4, c. 19.]

[Note 553: On voit, il est vrai, dans les Loix d'Edouard,
l'établissement de l'_Hundred_ ou Centaine; mais soit qu'il ait eu
pour auteur les Rois Saxons, ou qu'Edouard l'eut formé _à l'instar_ de
ce qu'il avoit vu pratiquer durant sa retraite en Normandie, il est
constant que c'est sur-tout à Guillaume que l'on doit le privilége,
que les Anglois conservent encore, d'être jugés par des personnes de
leur état & condition. Polidore Vergile, L. 9, pag. 152, no 10, avoit
consulté les Loix des Prédécesseurs d'Edouard, & il n'y avoit rien
trouvé de ce que Rapin de Thoyras a depuis osé leur faire dire de
contraire.]

[Note 554: L'Abbé Vély, Hist. de Franc. tom. 3, pag. 70, fixe sous Louis
VI l'établissement des priviléges des Villes, entr'autres celui d'_être
jugé par ses Pairs_. Il dit aussi que ce fut ce Prince qui _commença à
envoyer des Commissaires_, avec pouvoir d'informer de la conduite des
Comtes. Ces erreurs ne supposent pas dans cet Auteur une connoissance
bien profonde de nos anciennes Loix.]

On y voit que pour être reçu Bourgeois du Roi, il falloit posséder, dans
un des Bourgs de son Domaine, une perche de terre au moins,
c'est-à-dire, un terrein de dix-huit pieds en tous sens.[555] On payoit
au Fisc, par chaque perche, un leger impôt tous les ans. Chaque Bourg ou
Ville étoient gouvernés par un Magistrat que vingt-quatre des anciens de
la Communauté élisoient le jour de S. Michel. Il prêtoit serment de ne
rien décider sans son Conseil, qui étoit composé des personnes les plus
sages & les plus expérimentées du lieu où il exerçoit sa Jurisdiction.
Il tenoit ses plaids de quinzaine en quinzaine pour les affaires
provisoires; mais celles dont il ne pouvoit connoître en dernier
ressort, étoient réservées pour le temps où le Commissaire du Roi, qui
étoit ordinairement un Gentilhomme de sa Chambre, _Camérarius_,[556]
venoit tenir ses assises, ce qui arrivoit au moins trois fois par an, à
la Saint Michel, à Noël & à Pâques.

[Note 555: L'aune étoit de 37 pouces, chaque pouce de la longueur
de trois grains d'orge, _sine caudâ_, sans queue; la perche de six
aunes, _Assis. David. 1. Scot. Reg. Sken._ pag. 161, qui font dix-huit
pieds. L'acre contenoit quarante perches, & _la livrée_, _librata_,
cinquante-deux acres. On ne voit pas sur quoi M. de Lauriere se fonde
lorsqu'il dit que _cent livres de terre_ en revenu sont la même chose
que _cent livrées_ de terre. Rec. des Ordonn. c. 153. Des Etablis. de
Saint Louis. _Voyez_ Coke, pag. 5.]

[Note 556: Ce mot peut signifier aussi un Garde du Trésor. Zasius, part.
4, pag. 15.]

Tous les Bourgeois comparoissoient à ces assises, ou y faisoient
proposer leurs excuses.

Dans l'audience du Chef de Justice d'un Bourg, toute contestation
d'entre les Bourgeois & les Marchands Forains qui venoient y exposer en
vente leurs denrées, devoit se terminer dans l'espace de trente six
heures, soit que le Marchand fût demandeur ou défendeur; car tout
Bourgeois ne pouvoit être jugé que dans la Jurisdiction de son Bourg, en
demandant comme en défendant; il pouvoit même décliner la Cour du Roi
s'il y étoit traduit. Mais quand la contestation s'élevoit au sujet de
droits dûs au Roi, refusés ou contestés par un Bourgeois, l'assise seule
du Commissaire du Roi en étoit compétente; les procès s'y terminoient
sans frais en présence du Juge, Chef du Bourg, & de ses Assesseurs, &c
sur le témoignage ou le serment des Pairs de l'accusé.

Chaque Communauté d'artisans se présentoit, par Députés, en l'assise,
ainsi que les Officiers de Justice. Les habitans y portoient leurs
plaintes des malversations de ces derniers; on y vérifioit les rôles
dressés du nombre des habitans, celui des places construites ou vagues,
le tarif des droits à percevoir au profit du Roi, ou de ceux qui avoient
été perçus. Si les Juges faisoient commerce, s'ils avoient établi des
monopoles, toléré l'infraction des priviléges, négligé la Police; s'ils
avoient admis pour la dégustation des boissons des gens incapables d'en
discerner la bonne ou mauvaise qualité, _quod farciunt ventres suos ità
quod amittunt discretionem gustandi_; s'ils n'avoient pas réprimé les
friponneries des Meûniers ou des Boulangers, ni prévenu l'évasion des
ennemis de l'Etat, &c.

Le Commissaire informoit de tous ces faits, & prononçoit des peines
telles que de droit. Le Clerc du Commissaire, qui étoit gagé du Roi pour
l'accompagner dans toutes ses fonctions, mais qui ne pouvoit manger à sa
table ni loger avec lui, dressoit procès-verbal de tout ce qui avoit été
représenté aux assises, ou des délits qu'on lui avoit secrettement
dénoncés; & il déféroit à la Cour du Roi les injustices dont il croyoit
que le Commissaire s'étoit rendu coupable dans le cours de ses assises.
La facilité d'obtenir justice n'étoit pas le seul privilége de la
Bourgeoisie royale, elle entraînoit après elle des avantages plus
précieux encore. Un serf de Comte ou de Baron qui achetoit un fonds dans
un Bourg du Roi, & y demeuroit an & jour sans être réclamé par son
Seigneur ou son Bailli, devenoit libre & Bourgeois. Si le Bourgeois se
retiroit à la campagne, il conservoit son privilége; il avoit, comme les
habitans du Bourg, le droit d'obliger les Bourgeois des Abbés, des
Comtes & des Barons, à vuider leurs querelles par le duel; mais ceux-ci
ne pouvoient le forcer à se battre contr'eux.

Tout Bourgeois pouvoit aliéner ses acquêts après les avoir offerts à ses
proches, qui les conservoient, pourvu qu'ils se chargeassent de nourrir
& vêtir le possesseur durant sa vie. La disposition universelle des
meubles étoit permise dans les Bourgs, mais l'héritier ne pouvoit être
privé des principaux ustensiles du ménage, ni des outils propres à la
profession du testateur: le fils de famille demeurant avec son pere,
pouvoit vendre & acheter comme lui. Enfin tout Bourgeois pouvoit saisir
les marchandises que les étrangers introduisoient dans le Bourg, hors le
temps des Foires, parce que les Bourgeois avoient la faculté exclusive,
en tout autre temps, d'y vendre, & les étrangers ne pouvoient acheter
que d'eux.[557]

[Note 557: _Statuta Burgorum_, _Statuta Gildæ_, dans le Recueil de
Skénée.]

_DU BOURGAGE OU BOURGEOISIE SEIGNEURIALE._

Les villains ou serfs des Seigneurs attirés par l'appas de priviléges si
considérables, ne négligeoient aucuns moyens pour se les procurer.
L'impuissance où les Seigneurs étoient souvent de résider dans leurs
terres, la négligence ou la corruption de leurs Baillis, Senéchaux, ou
autres Officiers, concoururent également à soustraire, de leur
Jurisdiction, la plupart des Colons dont la personne étoit dépendante de
leurs Fiefs. Pour prévenir les émigrations qui rendoient leurs
Seigneuries desertes, ils établirent donc dans leurs Fiefs un droit de
Bourgeoisie; ils affranchirent leurs serfs,[558] leur accorderent la
propriété des terres qu'ils tenoient d'eux; ils leur permirent de tester
des meubles; ils autoriserent le partage égal de leurs fonds entre leurs
héritiers. On put venir s'établir sous leur Jurisdiction sans cesser
d'être libre. Mais ces droits n'étoient pas comparables à ceux des
Bourgeois du Roi: & delà les Bourgages ou Bourgeoisies Seigneuriales
tomberent insensiblement dans l'oubli; il n'y a eu que celles dont les
seigneurs, après avoir acquis du Roi le droit d'empêcher leurs vassaux
de se soumettre à la Bourgeoisie royale, furent assez puissans pour
former des Bourgs ou Villes, & y accréditer le commerce, qui ayent
subsisté jusqu'à présent.[559] Delà sont nés ces usages locaux de la
_Bourgeoisie_ ou _Bourgage_ des environs _d'Aumale, d'Arques,
d'Isigny, &c._ dont la Coutume réformée de Normandie fait mention; &
delà se tire aussi cette conséquence, que toute Bourgeoisie de Ville ou
Bourg en Normandie, a imprimé de tout temps, aux héritages qu'ils
comprenoient,[560] les caracteres du Franc-Aleu & du Bourgage, quant à
la maniere d'y succéder, de les partager, de les aliéner, de les tenir
francs & libres de tout service féodal; mais que ce qu'on nomme
actuellement _Bourgage_ ou Bourgeoisie en Normandie, & est dépendant
d'un Fief, & situé hors l'enceinte des Villes, n'a d'autre privilége que
celui qui lui a été concédé par le Seigneur dont il releve & dont il
existe des titres, ou dont on a une bonne & valable possession. Ainsi il
est aisé de voir que les Réformateurs de la Coutume Normande ont
confondu, sous le nom de _Bourgage_, les Bourgeoisies royales &
seigneuriales.

[Note 558: Loisel, Instit. Cout. L. 1, tit. 1, no 21.]

[Note 559: Usages Locaux de la Coutume réformée de Normandie.]

[Note 560: Les héritages mêmes dépendans des Seigneurs particuliers qui
étoient enclavés en une Ville participoient de droit à ses priviléges,
si le Roi par les Chartres constitutives de la Bourgeoisie d'une Ville
n'y avoit pas expressément reservé les droits des Seigneurs. Ceci étoit
fondé sur ce qu'il n'étoit plus du de féauté de ces héritages, en ce
qu'ils étoient sous la mouvance du Roi, dont toutes les Villes
dépendoient, & que toute redevance due sans féauté cessoit d'etre
seigneuriale. _Voyez_ Section 227.]


*SECTION 163.*

*Et mesme le manner est, lou un auter Seigniour esperitual ou temporall,
est Seignior de tiel Burgh, & ses tenants de tenements en tiel Burgh
teignont de lour Seignior a payer chescun de eux un annual rent.*

SECTION 163.--_TRADUCTION._

Il y a des Seigneurs Laïcs ou Ecclésiastiques qui ont des Bourgs; & ceux
qu'ils y reçoivent, & y tiennent d'eux des fonds, sont obligés de leur
payer une rente par chaque année pour toute redevance.


*SECTION 164.*

*Et est appel tenure en Burgage, pur ceo que les tenements deins l'
Burgh sont tenus del Seignior del Burgh per certaine rent, &c. Et est
ascavoire que les ancient Villes appel Burghs sont les pluis ancient
Villes que sont dans Engleterre; car ceux Villes, que ore sont cities ou
counties, en ancient temps fueront Burghes & appelles Burghes, car de
tielx ancient Villes, appelles Burghes, dou veignont les Burgesses al
Parliament quand le Roy ad summon _son Parliament_, &c. (a)*

SECTION 164.--_TRADUCTION._

On appelle cette tenure, tenure en Bourgage. Il est à remarquer que les
Bourgs sont les plus anciennes Villes d'Angleterre; & c'est de-là que
lorsque le Roi assemble son Parlement, ceux qui y viennent au nom des
Villes s'appellent Bourgeois.

_REMARQUES._

(a) _Parliament_, &c.

Il nous est indifférent de sçavoir si, en Angleterre, les Communes
avoient droit de suffrage au Parlement avant la conquête de Guillaume le
Bâtard; mais il ne l'est pas de connoître l'étendue du pouvoir accordé
par ce Prince à l'Echiquier, lors de son avénement au Trône.

Lorsque Raoul obtint la Normandie de Charles le Simple, il ne fit
d'autre changement dans l'administration de cette Province, que celui de
rappeller à sa personne le droit qu'avoient les grands Bénéficiers de
juger, en dernier ressort, certaines causes: c'est-à-dire, qu'il n'y eut
plus de Jugemens rendus par les Officiers de Justice institués par le
Prince dans les différentes parties de sa domination, qui ne fussent
sujets à l'appel en l'Echiquier. Ce Tribunal étoit composé des
principaux Officiers de Justice des Seigneurs, tant Laïcs
qu'Ecclésiastiques.[561] Il connoissoit non-seulement des malversations
commises contre les Justiciers inférieurs dans les causes des
particuliers, mais de tout ce qui concernoit les Domaines du Souverain,
& il prononçoit comme de la _bouche du Prince, sur toutes choses qui
appartenoient à sa dignité & honnêteté_.[562] C'étoit de l'Echiquier que
le Duc députoit le grand Senéchal, qui étoit le premier de tous les
Justiciers de la Province; & qui, sans plaids & sans assises, pouvoit,
en quelque lieu qu'il se trouvât, faire faire, dans l'ordre judiciaire &
politique, tout ce qu'il _trouvoit expédient_,[563] & réformer
provisoirement ce que les Justiciers subalternes avoient négligé ou
omis. Ce Senéchal ou Commissaire du Duc avoit le droit d'assembler les
assises de chaque canton, c'est-à-dire, les Seigneurs ou Juges qui en
avoient le gouvernement;[564] & l'objet de cette assemblée étoit de
corriger les abus qui s'étoient glissés dans les Cours inférieures, à
l'égard de la discussion des causes qui n'avoient aucun rapport ni aux
droits du Prince, ni à la police de l'Etat.

[Note 561: Basnage, 1er vol. art. 38, col. 2, pag. 2.]

[Note 562: Anc. Cout. chap. 56, d'_Echiquier_.]

[Note 563: _Ibid_, ch. 10.]

[Note 564: Anc. Cout. ch. 9.]

A ces traits on reconnoît sans peine l'ordre des Jurisdictions établies
sous nos Rois de la deuxieme Race.

      _On les voit en effet pour regne & du commencement,
      N'avoir aide sinon que de leur Parlement._[565]

[Note 565: Martial de Paris, 7e Vigile.]

Les Prélats & les Princes ou Chefs de Justice y avoient seuls
entrée.[566] Le Roi choisissoit entr'eux les Commissaires qu'il députoit
dans chaque Province[567] pour y élire les Centeniers, les Echevins, les
Avoués, les Notaires,[568] du nom desquels ces Commissaires dressoient
un rôle, qu'ils représentoient au Parlement. Ils tenoient aussi, en
chaque Province, leurs Plaids ou Etats, auxquels les Comtes ou
Hauts-Justiciers, les vassaux des Comtes ou Seigneurs Bas Justiciers,
les Echevins ou Maires & Consuls des Bourgs ou Villes élus par le Comte
& le peuple,[569] étoient obligés de se présenter; mais où l'homme libre
ne pouvoit être forcé de comparoître.[570] C'étoit dans ces assises que
les envoyés ou Commissaires du Roi, membres du Parlement, régloient les
affaires urgentes de chaque partie du Royaume dont l'inspection leur
étoit confiée, & se mettoient en état de connoître les besoins des
divers ordres de citoyens, & d'en rendre compte à l'assemblée générale
de la Nation[571] qui, à proprement parler, étoit la _Cour des Pairs_,
puisqu'il y avoit des Pairs de tous les ordres; car pour être Pair il
n'étoit pas toujours nécessaire d'être de condition égale, il suffisoit,
en certains cas, de vivre sous la même Loi.[572] En ce sens les Comtes
représentoient au Parlement le peuple soumis à leur Jurisdiction, comme
aux assises les Centeniers ou Echevins représentoient les hommes libres
de leur ressort, parce que dans ces deux circonstances, les Comtes & les
Centeniers parloient pour la cause commune.[573]

[Note 566: Aimoin, pag. 247, 250 & 340.]

[Note 567: _Eodem anno generalem conventum aquisgrani habuit, & per
universas regni sui partes fideles accreditarios à latere suo qui omnia
perversa corrigerent, &c._ Aimoin, L. 5, pag. 279.]

[Note 568: Capit. L. 3, c. 11 & 33.]

[Note 569: _Ibid_, L. 3, c. 56.]

[Note 570: _Ibid_, c. 40 & 51.]

[Note 571: Cap. L. 3, c. 84. Fauchet, pag. 410.]

[Note 572: Capitul. L. 4, c. 19.]

[Note 573: C'est par une suite de cette maxime que l'Anc. Cout. dit, ch.
122: _Que si aulcun plede en la Cour au Prince contre son home, ils sont
pers quant à ce._]

Or, telle fut l'économie de la Justice, ou plutôt des Justices que
Guillaume établit en Angleterre après sa conquête.

Son gouvernement ne fut pas, comme l'a avancé un Auteur récent,[574] _un
Gouvernement despotique_: il se regarda comme le chef & non pas comme le
propriétaire de l'Etat Anglois.[575] Obligé, pour affermir la Couronne
sur sa tête, d'introduire parmi les Anglois, des Normands, il comprit
l'inconvénient qu'il y auroit à laisser subsister, dans la même Nation,
deux Loix aussi opposées qu'étoient celles d'Edouard & celles de Raoul.
Mais en donnant la préférence à ces dernieres, il mit des entraves à sa
propre autorité, à laquelle il lui étoit cependant fort aisé de donner
la plus grande étendue; en suivant les Coutumes des Ducs ses Ancêtres,
il ne pouvoit, en effet, rien décider que dans l'Echiquier. Si pour
égaler les contributions de ses Sujets, & soulager les laboureurs qui,
accablés d'impôts, s'offrent à lui, _oblatis vomeribus, in signum
deficientis agriculturæ_, il ordonne un dénombrement des biens en
général; c'est dans une assemblée des Grands qu'il fait cette
Ordonnance, & qu'il choisit les plus prudens & les plus éclairés
d'entr'eux pour y procéder.[576] S'il fonde un Monastere en
reconnoissance du succès accordé à ses armes; il consulte les Evêques &
ses Barons.[577] Pour réformer les points sur lesquels la discipline
Ecclésiastique ne s'accordoit point avec les Canons, les Prélats, les
Seigneurs sont convoqués de toutes les Provinces du Royaume. Il n'érige
des Fiefs, il ne conserve les Aleux que dans le Conseil général de la
Nation, _per commune consilium totius regni_.[578] Deux Evêques ont des
difficultés sur les droits respectifs de leurs Siéges, les premiers
Juges, pendant trois jours, discutent ces droits, & en décident, &
Guillaume ne confirme cette décision que du consentement des Grands de
l'Etat.[579]

[Note 574: Abregé de l'Histoire d'Angleterre de Thoyras.]

[Note 575: _Subjectis humilis apparebat & facilis._ Matth. Paris. ann.
1086. _Voyez_ aussi le bel éloge qu'Orderic Vital fait de son
Gouvernement. Hist. Ecclés. L. 4.]

[Note 576: _Horum querelis inclinatus Rex definito magnatum Concilio
destinavit per Regnum quos ad id prudentiores & discretiores
cognoverat._ Selden, Not. _In Eadm. ad finem Leg. Willemi 1._]

[Note 577: _Ibid_.]

[Note 578: _Ibid_, Art. 5 & 8. Leg. Willemi.]

[Note 579: _Ibid_, pag. 1, 27.--_Matth. Paris. pag. 15, anno 1095._]

Cette assemblée générale, où le peuple n'avoit de voix que par ses
Comtes, se tenoit quatre fois par an; c'étoit elle qui notifioit les
Loix à la Nation. Elle étoit divisée en plusieurs classes ou Tribunaux:
dans l'un, les Sujets trouvoient des conciliateurs qui terminoient les
contestations sans procédure; on y choisissoit les Magistrats destinés à
veiller sur la conduite des Comtes & des Juges inférieurs: dans l'autre
étoit déposé le Trésor royal; on y recevoit les impôts, on y comptoit
de leur emploi; la dépense & la recette étoient écrites sur des rôles
exposés au public, & que l'on renouvelloit chaque année.[580] Dans tout
cela reconnoît-ton le despote? Il est vrai que l'on n'y apperçoit pas
cette foible condescendance de Henri I pour le Peuple qui, au préjudice
des droits que son pere lui avoit transmis, donna tant d'influence aux
Communes sur les affaires publiques, que le fort de ces affaires ne
dépendit plus, en quelque sorte, que de leur volonté. _Regum, populique
decretis, authoritate concilii sancitis jus constat proprium
gentis_;[581] mais en même-temps il faut convenir qu'il y a autant de
distance entre un Monarque qui, comme despote, écarte tout conseil, &
celui qui les croit tous également nécessaires, qu'il y en a entre ce
dernier & un Souverain qui ne se détermine, comme Guillaume, que par
l'avis des personnes les plus capables, par leur naissance ou par leur
élévation, de préférer l'intérêt de l'Etat à leur intérêt propre, & qui
n'accorde au peuple que le droit de faire ses représentations par la
bouche de Magistrats dont la noblesse, la dignité garantissent le zèle &
le désintéressement.

[Note 580: Polid. Vergil. L. 9, pag. 151, no 10, 20, 30: _Fecit
præfectos qui pecunias acceptas & expensas in tabulas publicas referrent
ac eas tabulas ab se in singulos annos confectas asservarent_, &c.]

[Note 581: _Ibid_, pag. 185, ann. 1111. En 1108, Henri avoit tenu un
Parlement où le Peuple n'avoit pas été convoqué. _Matth. Par._ pag. 43,
sous ladite année.]

Sous Guillaume, comme sous Raoul, il n'y avoit donc pas de Bourgeois qui
eussent droit de suffrages dans les assemblées générales du
Royaume.[582] Les Prélats, les Comtes & Barons, les Seigneurs, quelques
gens expérimentés y délibéroient seuls sur les affaires particulieres &
publiques.[583] Ainsi quand Littleton dit que les Bourgeois assistoient
aux Parlemens, il n'entend pas donner à ce privilége pour époque la
conquête de Guillaume, mais constater l'origine de celui dont les Bourgs
étoient en possession lorsqu'il écrivoit: il a voulu seulement faire
entendre par-là que les Bourgeois avoient droit de venir au Parlement
exposer les besoins de leur Communauté, mais non pas d'y délibérer.

[Note 582: _Reges ante tempora (Henrici primi) non consuevere populi
conventum consultandi causâ nisi perraro facere, adeo ut ab Henrico id
institutum jure manasse dici possit._ Polid. Verg. L. 11. pag. 185.]

[Note 583: _Habet Rex curiam suam in Concilio suo in Parliamentis
præsentibus Prælatis, Comitibus Baronibus & aliis viris peritis, ubi
novis injuriis emersis nova constituentur remedia._ Coke, Sect. 164.]


*SECTION 165.*

*_Item_, pur le greinder part tielx Burghes ont divers customes & usages
que nont pas auters Villes. Car ascuns Burghes ont tiel custome, que si
home ad issue plusors fits & morust, le puisne fits enheriter touts les
tenements que fuerent ason pere deins mesme le Burgh come heire a son
pere per force de custome. Et tiel custome est appel _Burgh English_.
(a)*

SECTION 165.--_TRADUCTION._

La plupart des Bourgs ont différentes Coutumes & usages. En certains
Bourgs si un homme a plusieurs garçons, c'est le puîné qui succede à
tous les tenemens dont il jouit lors de son décès; & cette Coutume se
nomme Bourgage Anglois.

_REMARQUES._

(a) _Burgh English._

Cette Coutume étoit fondée sur ce qu'à mesure que les aînés étoient en
état de faire commerce, ils sortoient de la maison paternelle avec une
certaine quantité de marchandises, & formoient une nouvelle habitation.
Si le dernier des mâles qui restoit avec son pere dans la maison, n'eût
pas été son seul héritier, l'aîné auroit été obligé de rapporter les
avances[584] qu'il auroit reçues; & la Loi, dans un temps où l'usage de
l'écriture étoit rare, avoit voulu éviter les difficultés qu'il y auroit
à fixer la quotité de ces avances.

[Note 584: C'étoit, en effet, l'usage ordinaire des Bourgs de rapporter
entre cohéritiers. _Leg. & consuetud. Burg. Sken. collect. chap. 124._
_Filius primogenitus habebit eamdem portionem quam alii nisi fuerit
foris familiatus à patre suo._]

Cette Loi subsistoit antérieurement à Guillaume dans les Bourgs du Comté
de Kent, & ce Prince la conserva en reconnoissance des facilités que
cette Province lui avoit données pour sa conquête.[585] On l'appelloit
_Bourgage Anglois_, par opposition au _Bourgage Normand_, qui forma le
droit commun des autres Villes du Royaume, après l'élévation du
Conquérant au Trône.

[Note 585: _Cantii incolæ Guillelmo ea lege se dederunt ut patrias
consuetudines illæsas retinerent illamque imprimis quam_ _gavel-kind_
_vocant._ _Johann. Barcl. collect. Edit. Elezevir 1641._]


*SECTION 166.*

*_Item_, en ascun Burghes per le custome feme avera pur sa dower touts
les tenements que fueront a sa Baron, &c.*

SECTION 166.--_TRADUCTION._

En quelques Bourgs, la femme jouit, à titre de douaire, de tous les
biens de son mari après sa mort.


*SECTION 167.*

*_Item_, en ascuns Burghes per le custome home poit deviser per son
testament ses terres & tenements que il ad en fée simple deins mesme le
Burgh al temps de sa morant, & per force de tiel devise, celuy a que
tiel devise est fait, apres le mort le devisor _poit entrer_ (a) en les
tenements issint a luy devises, a aver & tener a luy solonque la form &
effect del devise, sans ascun liverie de seisin destre fait a luy, &c.*

SECTION 167.--_TRADUCTION._

Dans d'autres, l'on peut disposer, par testament, en faveur de qui l'on
veut, d'une portion des tenemens qu'on possede dans le Bourg, & le
légataire entre en jouissance des fonds par le seul fait, sans autre
formalité.

_REMARQUE._

(a) _Poit entrer._

Commes les fonds tenus en Bourgage ne relevoient d'aucun Seigneur; qu'on
les acqueroit ou conservoit moins par succession que par son industrie;
la solemnité requise pour l'aliénation des autres biens n'étoit pas
jugée nécessaire à leur égard. Lorsqu'on vendoit tout ou partie du
fonds, le vendeur sortoit de sa maison, & l'acquereur y entroit en
présence du premier Juge & de douze témoins du Bourg, tous deux
donnoient un denier,[586] & cela suffisoit pour en transmettre la
propriété.

[Note 586: Ch. 56. _Consuetud. Burg._ Sken. Collect.]


*SECTION 168.*

*_Nota._ Coment que home ne poet granter ne doner les tenements a sa
feme, _durant le coverture_ (a), pur ceo que sa feme & luy ne sont
forsquun person en Ley, uncore pur tiel custome il poit deviser per
testament ses tenements a sa feme, a aver & tener a luy en Fée simple,
ou en Fée taile, pur terme de vie, ou pur terme des ans, pur ceo que
tiel devise ne prist effect forsque apres la mort le Devisor; car touts
devises ne preignont effect forsque apres la mort le devisor. Et si home
fait a divers temps divers testaments, & divers devises, &c. uncore le
darrein devise & volunt fait per luy estoiera, & lauters sont voides.*

SECTION 168.--_TRADUCTION._

Quoiqu'en Bourgage le mari ne puisse, durant le mariage, donner rien de
ses immeubles à sa femme, il peut cependant, par testament, lui en
léguer partie. Si un homme fait divers testamens, le dernier annulle
tous les précédens.

_REMARQUE._

(a) _Durant le coverture._

Voyez les articles 411 & 429 de la Coutume de Normandie. Par le premier,
cette Coutume défend au mari de faire concessions entre-vifs, au moyen
desquelles ses biens viendroient à sa femme en tout ou partie; mais par
l'autre article, il lui est permis de donner à sa femme de ses
immeubles, par _testament_, _jusqu'à concurrence du tiers de leur
valeur, s'il a des enfans, & jusqu'à concurrence de moitié, s'il n'en a
pas_: disposition qui doit sans doute sa naissance à ce
qu'originairement les Bourgeois, ayant peu de bien en campagne,
pouvoient tester de tout leur Bourgage ou meubles seulement; au lieu que
dans la suite ayant souvent transporté la plupart de leurs effets de
commerce sur les fonds qu'ils avoient acquis hors les Villes: pour
éviter les discussions sur la source d'où les effets restés au suppôt de
leur succession seroient provenus, on a évalué ceux que leur industrie
auroit pu leur procurer, à une certaine portion des immeubles dont ils
se trouvoient saisis lors de leur décès; & cette portion, pour l'homme
qui n'avoit pu être aidé que par sa femme, étoit réputé de la valeur de
la moitié de son immeuble, & du tiers, lorsqu'il avoit pu profiter des
travaux de sa femme & de ses enfans.


*SECTION 169.*

*_Item_, per tiel custome home poit diviser per son testament que ses
Executors poient aliener & vender ses tenements que il ad en Fée simple,
pur certaine summe de money a distributer pur son alme. En cest cas,
coment que le devisor devie seisie de les tenements, & les tenements
discendont a son heire, uncore les executors apres le mort lour
testator, poyent vender les tenements issint a eux devises, & ouste le
heire, & ent faire feoffment, alienation, & estate per fait, ou sans
fait a eux a queulx le vendition est fait. Et issint pois veier icy un
cas ou home poit faire loial estate, & uncor il navoit riens en les
Tenements al temps del estate fait. Et le causa est, pur ceo que la
custome & usage ad este tiel. _Quia consuetudo ex certa causa
rationabili usitata privat communem legem._*

SECTION 169.--_TRADUCTION._

Il y a tel Bourg où un homme peut autoriser les exécuteurs de son
testament à vendre, après son décès, ses tenemens acquis en Fief simple,
parce que le prix de la vente sera distribué pour le salut de son ame.
En ce cas, quoique le testateur meure saisi des tenemens dont il a
ordonné l'aliénation, les exécuteurs de sa derniere volonté peuvent
valablement vendre & mettre en possession l'acquereur, de fait ou par
écrit. Ainsi on peut dire qu'en certaines circonstances on a droit
d'aliéner un fonds sur lequel on n'a aucun droit de propriété; & la
raison qu'on en peut donner est que, _Consuetudo ex certa causa
rationabili usitata privat communem legem_.


*SECTION 170.*

*_Et nota_, que nul custome est alowable, mesque tiel custome que adeste
use per title de prescription scavoir de temps dont memorie ne curt.
Mes divers opinions ont este de temps dont memorie, &c. & de title per
prescription, que est tout un en Ley. Car ascuns ont dit que temps de
memorie serra dit de temps de limitation en un _Brief de droit_, (a)
_scilicet_ de temps le Roy R. le I. puis le conquest, come est done
per le statute de Westminster 1. pur ceo que le briefe de droit est le
pluis haut briefe en sa nature que poit estre, & per tiel briefe home
poit recover son droit de la possession son Auncestors de pluis auncient
temps que home purroit per ascun briefe per le ley, &c. Et entant que
il est done per le dit estatute que en briefe de droit nul soit oye a
demander de le seisin son Auncestors de pluis longe temps que de temps
le Roy R. avandit, issint ceo en prove que continuance de possession,
ou auters customes, & usages uses puit le dit temps, est le title de
prescription, &c. _& hoc certum est_. Et auters ont dit, que bien &
verity est que seisin & continuance puis le dit limitation est un title
de prescription, come est avantdit, & per cause avantdit. Mes ils ont
dit, que il y auxy un auter title de prescription, que fuit a la common
ley devant ascun estatute de limitation de briefe, &c. & ceo fuit lou un
custome, ou un usage, ou auter chose ad este use de temps dont memorie
des homes ne curt a le contrarie. Et ils ont dit, que il est prove per
le pleder, lou home voit pleder un title de prescription de custome il
dirra que tiel custom ad este use, _de tempore cujus contrarium memoria
hominum non existit_, & cest autant a dire quant tiel matter est plede,
que nul home adonque en vie ad oye ascun proofe al' contrary, ne avoit
ascun conusans al' contrary. Et entant que tiel title de prescription
fuit a le common ley, & nient ouste per ascun estatute, _ergo_ il
demurt come il fuit a le common ley, & le pluis tost, entant que la dit
limitation de briefe de droit est de cy long temps passe, _Ideo hoc
quære_. Et plusors auters customes & usages ont tiels ancient burges.*

SECTION 170.--_TRADUCTION._

On doit tenir pour maxime, que nulle Coutume n'est légitime qu'autant
qu'elle subsiste de temps immémorial. Il y a diverses opinions sur
l'étendue qu'on doit donner à ces termes, de temps immémorial. Les
uns ont dit qu'il falloit les rappeller au sens que le Bref de droit
semble leur avoir donné, en fixant la prescription des plus anciennes
possessions, au regne de Richard I; fixation cependant qui ne se
trouve dans ce Bref qu'en vertu du Statut du premier Parlement tenu à
Westminster. D'autres, au contraire, soutiennent qu'avant ce Statut,
toute Coutume ou Usage ne se prescrivoit qu'autant que personne n'auroit
connoissance de son établissement. Pour le prouver, ils alleguent la
forme de procéder observée pour constater une Coutume: car celui qui
la reclame, pose toujours en fait qu'elle subsiste _de tempore cujus
contrarium memoria hominum non existit_. Or, il est permis d'examiner
lequel de ces deux sentimens est préférable: l'un paroît fondé sur la
commune Loi, l'autre sur un Statut fort ancien.

_REMARQUES._

(a) _Briefe de droit_, &c.

Ce Bref étoit ainsi conçu:

_Rex præposito & Ballivis Burgi de A.... salutem: Mandamus vobis
quatenùs plenum rectum teneri faciatis de terrâ tali de tali loco quam
de nobis clamat tenere hæreditariè, quam terram talis ei justè deforciat
sicut dicit, tantum inde facientes quod pro vestro defectu amplius non
audiamus querelam._[587]

[Note 587: _Quoniam attachiam. In collect. Sken. c. 57._]

La procédure étoit la même pour l'exécution du Bref de droit, que celle
prescrite par le Bref _de medio_, dont j'ai parlé en ma Remarque sur la
Section 145. Le Bref de droit, dans l'origine, ne fixoit point le temps
de la jouissance de celui auquel il étoit accordé. Mais sous Edouard I,
dans le premier Parlement tenu à Westminster, on commença à enjoindre,
par le Bref, au Juge, de n'écouter aucuns reclamateurs des biens de
leurs ancêtres, à moins qu'ils n'offrissent prouver qu'ils avoient
possédé ces biens dès le temps du Roi Richard I. Cependant quelques
Jurisconsultes prétendirent que dès que le Statut du Parlement exigeoit,
à défaut de titre, une prescription qui remontât au moins au regne de
Richard I, il avoit, à plus forte raison, autorisé les Juges d'admettre
la preuve que le demandeur en Bref de droit, seroit fondé en _coutumes
ou usages_ antérieurs à ce Statut; & cette opinion donna lieu à la
vérification des usages par tourbes, abrogées par l'Article 1 du Tit.
XIII de l'Ordonnance de 1667.[588]

[Note 588: Voyez Loisel, tom. 2 Institut. Cout. p. 246.]


*SECTION 171.*

*_Item_, chescun Burg est un Ville; mes nemy _converso_. Plus serra dit
de custome en le tenure de Villenage.*

SECTION 171.--_TRADUCTION._

Chaque Bourg est Ville, mais toute Ville n'a pas le privilége des
Bourgs: c'est ce qui sera plus amplement prouvé dans le Chapitre de
Villenage.



CHAPITRE XI.

_DE VILLENAGE._


*SECTION 172.*

*Tenure en Villenage est plus properment quant un villein tient de son
Seignior, a que il est villeine, certaine terres ou tenements solonque
le custome del mannor, ou auterment a la volunt son Seignior, & de faire
a son Seignior villein service: come de porter & de carier le fime le
Seignior hors del city _ou del mannor_ (a) son Seignior jesques a le
terre son Seignior, en gisant ceo sur le terre, & _hujusmodi_. Et
ascuns franke homes teignont lour tenements solonque le custome del
certaine mannors per tiels services. Et lour tenure auxy est appel
Tenure en Villenage, & _uncore ils ne sont pas villeines_: (b) car nul
terre tenus in villenage, ou villeine terre, ne ascun custome surdant de
la terre, ne unques serra franke home villein. Mes un villein puit faire
franke terre deste villein terre a son Seignior. Sicome lou un villein
purchase terre en Fée simple, ou en Fée taile, le Seignior del villein
poet enter en la terre, & ouste le villein & ses heires, a touts jours,
& puis le Seignior (sil voloit) puit lesser mesme la terre a le Villein
a tener en Villenage.*

SECTION 172.--_TRADUCTION._

La tenure en Villenage est, à proprement parler, celle qu'un Seigneur
donne à son villain ou serf; cette tenure n'a d'autres regles que la
volonté du Seigneur, ou la Coutume de la Seigneurie; elle est toujours
chargée des services les plus vils, comme de porter & épartir le fumier
sur les terres du Seigneur qui sont hors de son Fief.

Quelques hommes libres tiennent aussi des terres à ces conditions, &
leur tenure s'appelle _Villenage_; mais ils ne sont pas pour cela serfs
ou villains; car ce n'est pas la tenure qui fait le villain, puisqu'un
villain peut tenir une terre libre de son Seigneur, sans cesser d'être
villain. Quand un villain acquiere une terre en Fief simple ou à Fief
conditionnel, le Seigneur peut s'en emparer, & la redonner ensuite au
villain à titre de Villenage.

_REMARQUES._

(a) _Del mannor._

_Sciendum est quod manerium poterit esse per se ex pluribus ædificiis
coadjuvatum sive villis & hamletis adjacentibus. Poterit etiam esse
manerium & per se & cum pluribus villis & cum pluribus hamletis
adjacentibus quorum nullum dici poterit manerium per se, sed villæ suæ,
hamletæ. Poterit etiam esse per se manerium capitale & plura continere
sub se maneria non capitalia, & plures villas, & plures hamletas quasi
sub uno capite aut Dominio uno._[589]

[Note 589: _Bracton_, L. 4, Fol. 212.]

Ainsi on entendoit par _manoir_, la terre du Seigneur de laquelle les
possessions des vassaux avoient été démembrées, & d'où elles
relevoient.[590]

[Note 590: _Glossar. in fin. Math. Paris._]

(b) _Et uncore ils ne sont pas villeines._

On appelloit, en Normandie, les _hommes francs_, qui tenoient des terres
en villenage, _gens de poote_; & notre Auteur les appelle, Chapitre 9 &
10, _tenans par copie_, ou _tenans par la verge_. Ils ne pouvoient
aliéner leurs terres, ils étoient donc totalement sous la puissance de
leurs Seigneurs à l'égard des fonds dépendans des Fiefs dont les
Seigneurs leur confioient la culture; mais leur personne étoit libre.

Car la servitude ou la liberté de la glebe n'influoit jamais sur la
servitude ou la liberté des personnes.[591] La différence entre l'homme
de _poote_ & le villain étoit considérable, puisque celui-ci ne pouvoit,
comme l'autre, abandonner sa tenure; que ses services n'avoient rien de
fixe ni de déterminé; _villains ne savoient les vesperes de quoi ils
serviront en la maison_, dit Bracton;[592] ils étoient tellement
dépendans de la Seigneurie, qu'un ancien Jurisconsulte ne craint pas de
les comparer _a beast en parkes_, _pissons en servors_, & _ouseaux en
cage_. Leurs acquêts, leurs meubles, leurs enfans mêmes appartenoient
aux Seigneurs: on les vendoit avec le Fief;[593] ils ne pouvoient se
racheter à prix d'argent, parce que le mobilier qu'ils épargnoient
n'étoit pas à eux.[594] On ne les admettoit ni pour témoins ni pour
arbitres; si le Seigneur les affranchissoit sans permission du Roi, ils
étoient libres à l'égard de ce Seigneur, mais ils ne pouvoient se
prévaloir de ce titre contre d'autres personnes. On distinguoit deux
sortes de villains, les uns l'étoient d'origine, d'autres
volontairement. Le villenage volontaire se formoit par la soumission
qu'un homme libre faisoit de sa personne à un Seigneur, en se faisant
couper une partie de ses cheveux en la Cour de ce Seigneur.[595] Jamais
cette sorte d'esclave ne pouvoit recouvrer sa liberté, & s'il nioit
qu'il l'eût engagée, & si son Seigneur réussissoit à prouver le
contraire, ce dernier avoit le droit de l'en châtier par l'amputation du
nez.[596]

[Note 591: _Villenagium vel servitium nihil detrahit libertati, nec
liberum tenementum mutat statum Villani._ _Bract._, L. 4, fol. 170.
_Capitul._ 150, L. 5.]

[Note 592: _Bract._ L. 1, fol. 7.]

[Note 593: _Reg. Majest._ L. 2, c. 12, 3.]

[Note 594: _Reg. Majest._ L. 2, c. 12 & 5. Britton, c. 66, p. 165.]

[Note 595: _Quoniam attachiamenta_, c. 5, 6, _Per crines anteriores
capitis sui_.]

[Note 596: _Ibid._ c. 56.]

Le Comte avoit seul la compétence de juger de l'état de celui qu'un
Seigneur prétendoit tenir de lui en villenage; le prétendu villain
prouvoit, par le record de la Cour du Comte, que ses parens, sortis de
la même souche, étoient libres, & dès-lors il étoit reconnu d'égale
condition. Mais il n'étoit pas permis au villain de prouver sa liberté
par le duel.[597] Il y avoit divers moyens de recouvrer sa liberté:
1er. Par la déclaration judiciaire du Seigneur qui l'accordoit: 2e.
Quand quelqu'un donnoit de l'argent au Seigneur pour racheter le
villain: 3e. Lorsque le Seigneur commettoit adultere avec la femme de
son tenant en villenage; car en ce cas c'étoit toute l'indemnité que ce
villain pouvoit obtenir:[598] 4e. Si le Seigneur avoit excédé son
villain au point de l'exposer à perdre la vie, celui-ci, en donnant &
prouvant sa plainte en la Cour du Roi, étoit affranchi.

[Note 597: _Reg. Majest._ L. 2, c. 11.]

[Note 598: _Ibid._ c. 12. _Nec aliud emendam habebit à Domino suo nisi
libertatis recuperationem._]


*SECTION 173.*

*Et _nota_, si feoffment soit fait a certaine person ou persons en fée
all use dun villeine, ou si un villeine, ou auters persons soient
enfeoffes al use le villeine, quel estate que le villeine ad en le use,
en fée taile pur terme de vie, ou dans, le Seignior del villein poit
entrer en touts ceux terres & tenements sicome le villein ust este sole
seisi del demesne. Et cest per Lestatute de _anno 19 H. 7. cap. 15._*

SECTION 173.--_TRADUCTION._

Remarquez que quelque soit la personne qui prend une terre à titre de
Villenage, ou quelle que soit la condition sous laquelle on l'afferme,
soit à bail, soit à terme d'ans, ou pour sa vie, le Seigneur a droit de
reprendre la possession du fonds, comme si un villain, né tel,
l'occupoit. Ceci a été décidé par le Statut de la dix-neuvieme année de
Henri VII, Chapitre 15.


*SECTION 174.*

*Mes si ascun franke home voile prender ascun terres ou tenements a
tener de son Seignior per tiel villeine service, a scavoir, payer un
fine a luy pur le mariage de ses fits ou files, donque il payera tiel
fine pur le mariage, & nient obstant que il est le follie de tiel franke
home de prender en tiel forme terres ou tenements a tener de le Seignior
per tiel bondage, uncore ceo ne fait le franke home villeine.*

SECTION 174.--_TRADUCTION._

Si un homme libre prend à ferme une terre, à la charge de la relever du
Seigneur par villains services, & s'oblige à payer une somme pour le
mariage de ses enfans, quelque répugnante que soit une servitude de
cette espece; cependant elle ne fait pas perdre, à celui qui la
contracte, sa liberté.


*SECTION 175.*

*_Item_, chescun villein, ou est un villein per title de prescription,
cest a scavoir que il & ses auncestors ont este villeins de temps dont
memorie ne curt, ou il est villein per son confession demesne en Court
de Record.*

SECTION 175.--_TRADUCTION._

Tout villain est tel, ou parce que ses ancêtres l'ont été de temps
immémorial, ou parce qu'il s'est lui-même asservi à un Seigneur par un
acte judiciaire.


*SECTION 176.*

*Mes si frank home ad divers issues, & puis il confesse luy mesme
destre villein a un auter en Court de Record, uncore les issues que il
avera devant le confession sont franks, mes les issues que il avera
apres le confession serront villeins.*

SECTION 176.--_TRADUCTION._

Si un homme libre a divers enfans, les uns nés avant qu'il ait engagé sa
personne à un Seigneur, les autres nés depuis, il n'y a que ces derniers
qui soient villains.


*SECTION 177.*

*_Item_, si le villein purchase terre & alien la terre a un auter devant
que le Seignior enter, donques le Seignior ne poit enter, car il serra
adiudge son follie que il nentra pas quant la terre fuit en le maine le
villeine. Et issint est des biens si le villein achate biens, & eux vend
ou done a un auter devant que le Seignior seisist les biens, adonques le
Seignior ne poit eux seiser. Mes si le Seignior devant ascun tiel vender
ou done, vient deins la ville la lou tielx biens sont, & la overtment
enter les vicines claima les biens & seisist parcel des biens en nosme
deseisin de tous les biens que le villein ad ou aver poit, &c. Ceo est
dit bon seisin en ley, & le occupation que le villeine _ad apres tiel
claim_ (a) en les biens, serra pris en le droit le Seignior.*

SECTION 177.--_TRADUCTION._

Si un villain acquiert une terre & l'aliene avant que son Seigneur s'en
soit mis en possession, le Seigneur n'aura pas droit de reclamer cette
terre, parce que c'étoit à lui de s'en saisir lorsque son villain la
possédoit encore. Il en est de même des autres biens acquis & revendus
par le villain, sans opposition de la part du Seigneur. Mais si ce
Seigneur, avant l'aliénation ou la cession fait par son villain, vient
dans la Ville où celui-ci a acquis des fonds, & là en présence des
voisins clame publiquement les fonds & s'en saisit d'une partie, pour
valoir de prise de possession de la totalité des biens que son villain a
ou peut avoir; cette prise de possession est légale, & le villain, après
la clameur de son Seigneur, n'a plus d'autres droits sur ses propres
biens que ceux que son Seigneur veut bien lui laisser.

_REMARQUES._

(a) _Apres tiel claim._

Dans les Loix de Guillaume le Conquérant, on ne voit d'autre Retrait
admis que le féodal ou le conventionnel. On peut donc assurer que le
lignager n'existoit point de son temps en France ni en Normandie. En
effet, quoique Charlemagne eût défendu, par la Loi des Saxons,[599]
d'aliéner son bien avant de l'avoir offert à ses proches; ni ses
Capitulaires, ni les Loix de ses Successeurs ne contiennent rien qui ait
rapport au droit de Retrait.[600] Marculphe même, dans différentes
Formules, dispense de la tradition des parens pour la validité des
donations.[601] Mais en consultant les Loix des Bourgs d'Ecosse,
lesquelles ont été tirées du Droit Coutumier Anglois, il me paroît qu'on
peut fixer l'époque & déterminer le motif de l'usage du Retrait
lignager, tel que nous le pratiquons encore. L'établissement des
Bourgeoisies a eu pour but, en France comme en Angleterre, d'étendre le
commerce, d'affoiblir l'autorité des Seigneurs. Il convenoit donc que
les possessions fussent, dans les Villes, plus stables & plus
indépendantes que celles que les Seigneurs donnoient en Fief. Les fonds
qu'un pere de famille acquéroit dans la Ville où il avoit obtenu le
droit de Bourgeoisie, étoient bâtis & distribués selon les besoins de la
profession qu'il exerçoit. Perpétuer ces fonds dans les familles,
c'étoit conséquemment le moyen le plus sûr d'engager ceux qui la
composoient à se livrer tous au même genre de travail; & comme, par une
suite de cette idée, un Bourgeois ne pouvoit disposer de son mobilier,
sans réserver à ses héritiers ou à ses enfans, les principaux outils &
ustensiles de son métier & du ménage;[602] de même, il n'avoit la
liberté d'aliéner sa maison que dans le cas de nécessité, & lorsqu'aucun
de ses parens ne vouloit lui procurer la subsistance[603] & l'entretien.
La loi du Retrait est donc une loi de Bourgage dans les pays Coutumiers
de France, & en particulier dans la Normandie, & à proportion de ce que
les Villes se sont multipliées dans une Province, cette Loi a dû avoir
plus de vogue.

[Note 599: _Tit. 16 de Exulibus._]

[Note 600: Au contraire, le 19e Capitulaire du Livre 4 prescrit, pour
les aliénations, des formalités inconciliables avec celles du Retrait ou
prélation.]

[Note 601: _Marc. Formul._ 6, 2e vol.]

[Note 602: C. 125. _Leg. Burg._ _De prædictis vasis & ustensilibus de
jure meliora pertinent ad hæredem._--_Nota_ que comme je l'ai dit, les
héritages en Bourgage étoient meubles. Ancien Coutumier, ch. 31.]

[Note 603: _Si contingat quod aliquis habens terras de hæreditate seu
conquestu, & ipse tantum dilexit filium suum hæredem quod ipse eidem
filio omnes terras suas in sua potestate dederit, & post ea
inexcusabilis necessitas patri evenerit & ostenderit filio suo inopiam &
ipse filius noluerit succurrere, pater potest easdem terras vendere
cuicumque voluerit._ _Leg. Burg._ c. 11.--_Debet hæreditatem ad tria
placita suis proximis offerre, & si proximi illam emere voluerint
inveniant sibi necessaria scilicet victum & vestitum sicut semetipsis, &
vestitum unius coloris grisei vel albi, &c._ _Ibid._ c. 45 & 96.]

Il n'est donc pas étonnant que Littleton n'ait parlé que du Retrait
féodal, ou plutôt du droit de retour des Fiefs donnés à condition, ou
tenus en Villenage, au cas de vente, & qu'il n'ait fait aucune mention
du Retrait lignager, puisque la Bourgeoisie, & conséquemment le droit
particulier des Villes n'ayant pris sa vraie consistance, en Angleterre
comme en France, qu'au milieu du douzieme siecle, ce droit n'entroit
pour rien dans l'économie des loix Normandes données en Angleterre par
le Conquérant: Loix que cet Auteur avoit seules en vue de faire
connoître.

Après que les Seigneurs eurent imaginé l'établissement des Bourgeoisies
dans leurs terres, pour prévenir le tort qu'apportoient à leurs droits
les priviléges que leurs vassaux obtenoient dans les Bourgeoisies
royales, ces Seigneurs dûrent nécessairement admettre le Retrait en
faveur des héritiers de leurs hommes, ne se réserver ce droit de Retrait
qu'au cas ou aucuns parens de leurs vassaux n'en voulussent user:[604] &
insensiblement ces prérogatives, qui d'abord n'avoient été accordées
qu'aux Bourgages, sont devenues communes à toutes les especes de fonds
inféodés à perpétuité. Les formalités des Retraits étoient anciennement
aussi simples qu'elles sont maintenant compliquées. Le propriétaire
déclaroit, dans trois des principaux plaids du Bourg qui se tenoient de
quinzaine en quinzaine, l'intention où il étoit de vendre son fonds; il
faisoit avertir ses parens de s'y trouver; s'ils ne comparoissoient pas,
la vente se faisoit. L'acquereur se mettoit en possession en présence de
douze Bourgeois & du Juge; & après l'an & jour expiré, sa propriété
étoit à l'abri de toute réclamation. Si cependant, postérieurement à ce
délai, quelque parent troubloit l'acquereur, sous le prétexte que
l'héritage n'avoit pas été proposé judiciairement à la famille avant la
vente, il incomboit à cet acquereur de prouver par le serment de douze
hommes & du Juge, qu'il avoit rempli cette formalité. Si le Juge qui
avoit procédé au record de l'offre faite aux parens, étoit décédé, ainsi
que ses Assesseurs, on ajoutoit foi au témoignage de douze hommes qui
attestoient qu'ils avoient eu connoissance du fait, ou par eux-mêmes, ou
par l'avoir entendu dire par leurs peres ou autres personnes
irréprochables. Dans ces douze témoins il y en avoit toujours quatre
choisis par chacune des parties, & quatre autres pris par le Juge dans
le nombre des voisins de la maison qui donnoit lieu à la
contestation.[605]

[Note 604: _Zazius de Feud. alienat. part. nonâ._ p. 93.]

[Note 605: Anc. Cout. ch. 115 & 127. _Leg. Burg. Sken. collect._]


*SECTION 178.*

*Mes si le Roy ad un villein que purchase terre, & alien devant que le
Roy entra, uncore le Roy poit enter en que maines que la terre
deviendra. Ou si le villein achata biens, & eux vendist devant que le
Roy seisist les biens, uncore le Roy poit seiser les biens en que maines
que les biens sont: _Quia nullum tempus occurrit Regi._*

SECTION 178.--_TRADUCTION._

Si un villain du Roi acquiert un fonds, & l'aliene avant que le Roi s'en
soit saisi, le Roi peut le revendiquer en quelques mains qu'il le
trouve, parce qu'il n'y a jamais de prescription contre le Roi.


*SECTION 179.*

*_Item_, si home lessa certaine terre a un auter pur term de vie savant
le reversion a luy, & un villeine purchase del lessor le reversion: en
cest cas il semble que le Seignior del villeine poit maintenant vener a
la terre, & claime le reversion come le Seignior le dit villein, & per
cel claime le reversion est maintenant en luy. Car en auter forme il ne
poit vener a le reversion. Car il ne poit enter sur le tenant a terme de
vie. Et sil doit demurrer tanque apres le mort le tenant a term de vie,
donques per cas il viendra trope tarde. Car peradventure le villeine
voile granter ou alien, le reversion a un auter en le vie le tenant a
terme de vie, &c.*

SECTION 179.--_TRADUCTION._

 Si un homme cede à un autre une terre pour le terme de sa vie en se
réservant le droit de réversion de cette terre, dans le cas où un
villain acquiert ce droit de réversion, le Seigneur du villain peut
clamer cette acquisition, & il ne doit pas attendre que le tenant à
terme de vie soit décédé pour user du retrait sur le fonds qu'il
possédoit, car le Seigneur pourroit alors être non recevable; son
villain auroit pu, en effet, vendre son droit de réversion pendant la
vie du possesseur.


*SECTION 180.*

*Et mesme le maner est, lou un villeine purchase un Advowson dun Esglise
plein dun incumbent le Seignior del villein poit vener al dit Esglise, &
claime le dit advowson, & per cel claime ladvowson est en luy. Car sil
doit attendre tanque apres le mort lincumbent, & adonque a presenter son
clerke a le dit Esglise, donque en le meane temps le villeine poit
aliener le advowson, & issint ouste le Seignior de son presentment.*

SECTION 180.--_TRADUCTION._

Il en est de même si un villain acquiert un Patronage d'Eglise tandis
que le pourvu du Bénéfice existe, le Seigneur peut clamer ce Patronage
au moment de la vente; car s'il attendoit le décès du bénéficier, le
villain auroit pu vendre son Patronage, & par-là priver le Seigneur de
son droit de clameur.


*SECTION 181.*

*_Item_, il y ad villeine regarde & villeine en gros, villeine regardant
est, sicome home est seisi dun manner a que un villeine est regardant, &
celuy que est seisie, del dit manner, ou ceux que esteant il ad en mesme
le mannor ount este seisies de le dit villein & de ses auncestors, come
villeins & niefs regardants a mesme le mannor de temps dont memorie ne
curt. Et villeine en grosse est, lou un home seisie dun mannor a que un
villeine est regardant, & il graunt mesme le villein per son fait a un
auter, donque il est _villein en grosse_ & nemy _regardant_. (a)*

SECTION 181.--_TRADUCTION._

On distingue deux sortes de villains, le villain _regardant_ & le
villain _en gros_.

Le villain _regardant_ est celui qui depuis un temps immémorial dépend,
ainsi que ses ancêtres, d'une Seigneurie comme serf.

Le villain _en gros_ est celui qui étant serf d'une Seigneurie est vendu
comme villain à un possesseur d'une autre Seigneurie.

_REMARQUE._

(a) _Villein regardant......... Et en grosse._

Le villain a été appellé _regardant_, parce qu'attaché à la glebe, sa
personne devoit être uniquement occupée à suivre les volontés de son
Seigneur. Il ne pouvoit s'écarter du Fief, & devoit être toujours prêt
de faire, au premier signal, les services dont on le jugeoit capable; il
étoit, en un mot, comme ces esclaves dont parle l'Ecriture, _oculi
servorum in manibus Dominorum suorum_. Le villain n'étoit qu'_en gros_,
lorsqu'il n'avoit point été vendu avec la glebe ou Fief duquel il étoit
originairement dépendant, parce qu'en ce cas, ne devant ses services
qu'à la personne & non aux Fiefs de son nouveau Seigneur, on ne pouvoit
précisément lui indiquer l'origine de sa servitude; on ne la
connoissoit, pour ainsi dire, qu'_en gros_.[606]

[Note 606: _Is that Wich belongs to the person of the Lord, and
belongeth not to any manor, lands_, &c, Coke, fo 120, vo.]


*SECTION 182.*

*_Item_, si un home & ses ancestors que heire il est, ount este seisies
dun villein & de ses ancestors, come des villeins en grosse de temps
dont memorie ne curt, tiels sont villeines en grosse.*

SECTION 182.--_TRADUCTION._

Si un villain _en gros_ a été sous la dépendance d'un Seigneur ou de ses
ancêtres de temps immémorial, il conserve toujours ce caractere.


*SECTION 183.*

*Et _hic nota_, que tiels choses que ne poient este grants, ne aliens
sans fait ou fine, home que voile aver tiels choses per prescription ne
poet auterment presciber forsque en luy, & en ses auncestors que heir il
est & nemy per ceux parols, en luy & en ceux que estate il ad, pur ceo
que il ne poet aver lour estate sans fait ou auter escripture, lequel
covient deste monstre a le court, si il voile aver ascun advantage de
ceo. Et pur ceo que le grant & alienation dun villein en gros ne gist
sans fait ou auter escripture home ne poit prescriber en un villein en
gros sans monstrans descripture, sinon en soy mesme que claim le
villeine, & en ses ancestors que heire il est. Mes de tiels choses que
sont regardants ou appendants a un mannor, ou a auters terres &
tenements, home poet prescriber que il & ceux que estate il ad, queux
fueront seisies de le manor, ou de tiels terres & tenements, &c. ont
este seisies _de tiels choses come regardants ou appendants_ (a) a le
manor, ou a tiels terres ou tenements, de temps dont memorie, &c. Et la
cause est, pur ceo que tiel manor, ou terres & tenements poyent passer
per alienation sans fait, &c.*

SECTION 183.--_TRADUCTION._

Observez qu'en toutes choses qui ne peuvent, selon la Loi, être vendues
qu'en vertu d'actes judiciaires ou de transactions à l'amiable, mais
écrites, on ne peut alléguer valablement d'autre prescription que celle
de la possession que l'on auroit eue tant par soi-même que par ses
ancêtres auxquels on auroit succédé, & on ne seroit pas recevable à
prouver une possession qu'on prétendroit n'avoir acquise que par
transport ou subrogation. Ainsi comme on ne peut acheter _un villain en
gros_ sans acte judiciaire ou sans écrit; si on est destitué d'actes de
cette espece, on n'a d'autre ressource pour assujettir ce villain à
l'être, au cas où il le méconnoîtroit, que celle de justifier de la
possession qu'on a eue tant par soi que par ses ancêtres.

Il n'en est pas de même de ce qui regarde une Seigneurie ou une Terre ou
de ce qui en dépend, comme du _villain en gros_ qui ne dépend d'aucune
Terre ni Seigneurie; car à l'égard de ces choses, il suffit pour s'en
conserver la possession de prouver que ceux qu'on représente ont possédé
tels manoirs ou tenemens, dont l'objet contesté a été une dépendance
depuis un temps immémorial, & la raison de ceci se tire de ce qu'on peut
acquerir des tenemens sans acte judiciaire ni écrit.

_REMARQUE._

(a) _De tiels choses comme regardants ou appendants._

Le Texte fait une distinction entre ce qui _regarde_ le Fief & ce _qui
en dépend_: tout ce qui entre dans la constitution primordiale du Fief,
_le regarde_; tout ce qui a été attaché à une terre, depuis son érection
en Fief, _en dépend_. Ainsi un villain _en gros_ dépendoit d'un Fief,
lorsqu'il étoit aliéné avec ce Fief, quoiqu'il n'en dépendît pas
originairement: le villain _regardoit_ le Fief quand il y avoit de tout
temps dû ses services.[607]

[Note 607: Brussel ne paroît pas avoir bien saisi le sens du mot
_dépendance de Fief_, tom. 1, pag. 17.]


*SECTION 184.*

*Et est ascavoir, que _nul chose est nosme regardant_ (a) a un mannor,
&c. forsque villeine, mes certaine auters choses come advowson & common
de pasture, &c. sont nosmes appendants al mannor ou al terres &
tenements, &c.*

SECTION 184.--_TRADUCTION._

Il n'y a que le villain dont on dise qu'il regarde le Fief, car le
Patronage de l'Eglise, le droit de commune Pâture, s'appellent
_dépendances_ de Fief.

_REMARQUE._

(a) _Nul chose est nosme regardant._

Il n'étoit pas de l'essence de tous Fiefs d'avoir des villains ou un
patronage, ou un droit de pâturage sur les terres qui appartenoient à un
canton en général; cependant comme ces prérogatives étoient inhérentes à
certains Fiefs, en ce cas, ou elles avoient rapport à la glebe, terre ou
corps de ce Fief, & on disoit qu'elles _regardoient_ le Fief; ou elles
n'avoient nul rapport à la glebe, ou elles s'exerçoient sur des fonds
qui ne faisoient point partie du Fief; ou enfin elles consistoient en
des droits _incorporels_, de pur honneur, & on les appelloit des
_dépendances_ de Fief.


*SECTION 185.*

*_Item_, si home voile en Court de record soy conuster destre villein,
que ne fuit villein adevant, tiel est villein en grosse.*

SECTION 185.--_TRADUCTION._

Si un homme libre vient en Cour de record s'avouer villain de quelque
Seigneurie, il n'est villain qu'en _gros_ ou personnel, & non villain
réel & foncier.


*SECTION 186.*

*_Item_, home que est villein est appelle villein, & feme que est
villeine est appelle _Nief_: (a) Sicome home que est utlage est dit
_utlage_, & feme que est utlage est dit _Waive_. (b)*

SECTION 186.--_TRADUCTION._

Le villain conserve toujours ce titre; mais la femme villaine s'appelle
_nief_ ou native, comme l'homme banni s'appelle _utlage_, & la femme
bannie est appellée _Waive_.

_REMARQUES._

(a) _Nief_.

On appelloit _native_ ou _nief_, la femme, parce que sa naissance seule
pouvoit lui imposer la servitude, à la différence de l'homme qui pouvoit
se rendre volontairement _serf_. Lorsqu'un Seigneur reclamoit un villain
qui s'étoit réfugié dans une autre Seigneurie que celle d'où il
dépendoit, il étoit obligé de prendre un Bref de Chancellerie, par
lequel il étoit enjoint aux Justiciers de toutes les Cours de faire
perquisition du villain dans leur Ressort, si ce n'étoit dans les
Domaines & Bourgs du Roi, & de faire restituer le fugitif à son Seigneur
ou à ses Envoyés. Si le villain nioit qu'il le fût; il étoit obligé de
donner caution pour obtenir la faculté de plaider: la caution admise, il
prouvoit sa liberté par le témoignage de sa famille.[608]

[Note 608: _Quon. Attachiam._ c. 5 & 7. _Et Reg. Majest._ c. 11.]

(b) _Waive_.

Les Ecossois appellent Waif les animaux vagabonds[609] qui n'ont plus de
maîtres. _Vaive, vadiata_.

[Note 609: _Glossar. in fin. Collect. Sken._]


*SECTION 187.*

*_Item_, si un villeine prent frank feme a feme, & ad issue enter eux,
lissues serront villeines. Mes si neife prent libre, franke home a sa
baron, lour issues serra franke.*

*Et cest contrarie a le Ley civil, car la est dit: _Partus sequitur
ventrem._*

SECTION 187.--_TRADUCTION._

Si un villain épouse une femme libre, ses enfans sont villains; mais
si une _Nief_ épouse un homme leurs enfans sont libres; ce qui est
contraire à la loi civile, selon laquelle: _Partus sequitur ventrem_.


*SECTION 188.*

*_Item_, nul bastard poet estre villeine, si non que il voyle soy
conusier estre villeine en court de record, car il est en ley _quasi
nullius filius_, pur ceo que il ne poit enheriter a nulluy.*

SECTION 188.--_TRADUCTION._

Nul bâtard ne peut être villain, à moins qu'il ne veuille s'avouer tel à
un Seigneur en Cour de record; car il n'est réputé l'enfant de personne,
puisqu'il ne peut succéder.


*SECTION 189.*

*_Item_, chescun villein est able & franke de suer touts manners
dactions envers chescun person forspris envers son Seignior a que il est
villeine. Et uncore en certain choses il poit aver action envers son
Seignior. Car il poit aver envers son Seignior un action _dappeale de
mort_, (a) ou dauters de les auncesters que heire il est.*

SECTION 189.--_TRADUCTION._

Tout villain peut poursuivre en Justice contre toutes personnes pour
toutes especes d'actions, si ce n'est contre son Seigneur, à moins que
ce ne soit pour obtenir réparation de la mort de ses pere & aïeux dont
il est héritier, car alors il peut appeller son Seigneur en duel.

_REMARQUES._

(a) _Appeale de mort._

Le combat avoit lieu: 1er pour tout crime qui emportent peine de
mort: 2e pour les délits commis clandestinement: 3e pour la
découverte de faits importans dont il ne pouvoit y avoir eu ni titres ni
témoins,[610] tels que la soustraction d'un trésor caché, &c. Les Nobles
& les hommes libres pouvoient se défendre par personnes interposées;
mais le villain étoit obligé de se battre en personne.[611] Si un
Seigneur demandoit à se battre contre son vassal, il étoit obligé de le
délier de l'hommage qu'il en avoit reçu;[612] & si le vassal étoit
vainqueur, il ne relevoit plus de son Seigneur direct, mais du Suzerain
ou du Roi.

On pouvoit s'excuser du duel pour minorité, vieillesse, ou parce qu'on
étoit privé d'un bras, d'un œil, ou de quelqu'autre membre.[613] Comme
Messieurs de Montesquieu, Vély & Brussel n'ont consulté, sur l'ordre de
procéder au duel, que les Loix Françoises du temps de Saint Louis; & que
les Coutumes Angloises & Normandes nous ont conservé cet usage dépouillé
de cet éclat & de ce faste qui l'ont défiguré depuis les Croisades: je
crois qu'on me sçaura gré de donner ici un précis de ces Coutumes dans
leur simplicité originelle.[614]

[Note 610: Statut. Robert. 3, Scot, Reg c. 16. Anc. Cout. ch. 75.]

[Note 611: _Quon. Attach._ c. 28.]

[Note 612: Anc. Cout. ch. 84.]

[Note 613: _Lib._ 4, c. 3. _Reg. Majest. Leg. Burg._ c. 24.]

[Note 614: La Loi du Combat fut établie par Gondebaud, Roi des
Bourgignons, qui vivoit vers la fin du 5e siecle. Recueil des
Ordonnances de la 3e Race, Préface, pag. 33.]

Pour se plaindre d'un meurtre on se présentoit en la Cour du Comte,
après avoit fait sommer celui qu'on accusoit d'y comparoître: là on lui
reprochoit d'avoir, au préjudice des Loix de Dieu & du Prince, tué ou
fait tuer telle personne, ce qu'on offroit prouver _à telle heure de
jour_ que la Cour voudroit fixer. Si l'accusé nioit le crime, & donnoit
caution de s'en défendre, on procédoit d'abord à la réception de sa
caution, & en suite à celle que le demandeur étoit dès lors tenu de
présenter. Après cette premiere opération, les deux contendans étoient
menés en prison sous la garde de personnes qui répondoient de les
représenter au jour de la bataille morts ou vifs, sous peine d'être
obligés de se battre en la place de celui qu'ils auroient laissé
échapper.

Le jour choisi par les Juges & indiqué aux _Champions_, on les amenoit
en l'Audience après midi, _tous appareillés en leurs cuirées ou en leurs
cotes, avec leurs écus & bâtons cornus, armés de drap, de cuir, de
laine & d'étoupes_. La laine ou les étoupes servoient à garantir les
jambes, & le cuir ou le drap à donner plus de facilité de tenir le
bâton, qui étoit la seule arme dont il étoit permis de faire usage.[615]

[Note 615: Une Constitution de Charlemagne, insérée dans le titre 5 de
la Loi des Lombards, ne permettoit aussi de faire usage que du bâton.
Espr. des Loix, Tom. 3, L. 28, c. 10, Abreg. Chronolog. du Présid. Hesn.
1er vol. pag. 6.]

Chaque combattant devoit avoir les cheveux coupés jusqu'au-dessus des
oreilles, & ils pouvoient s'oindre s'ils voulaient. En cet état on
recordoit hautement les faits qui faisoient l'objet de la querelle; &
après que l'exactitude des expressions, dont le demandeur & le défendeur
s'étoient servis en gageant ou donnant caution du duel, avoit été
reconnue, on les menoit tous deux au champ pour combattre.

Des Chevaliers élus par les Juges étoient préposés pour empêcher que
personne ne s'y introduisît, & que les champions ne pussent en sortir.
Aussi-tôt que les parties y étoient entrées, un Sergent déclaroit à
haute voix, _qu'aucuns des spectateurs, sur vie & membre, ne fût si
hardi que de donner aide ne nuisance par fait on par dict aux
champions_; & si quelqu'un violoit, en faisant quelque bruit, cette
défense, qu'on appelloit _la paix du Roi_ ou du Duc,[616] il payoit
_vingt vaches d'amende_.[617] Si on poussoit ou arrêtoit un des
combattans, on étoit puni corporellement.

[Note 616: C'est de-là que vient le _paix-la_ de nos Huissiers.]

[Note 617: _Quoniam attach._ c. 73.]

Avant d'en venir aux mains, les champions se mettoient à genoux en se
tenant par la main, le plaintif à droite, & l'accusé à gauche; & on leur
demandoit, tandis qu'ils étoient dans cette posture, leur nom de
baptême, s'ils croyoient _au Pere, au fils, au Saint-Esprit, & en
la Doctrine de l'Eglise_. Après qu'ils avoient fait leur profession de
foi, l'accusé faisoit le serment suivant: _Ecoute, home que je tiens par
la main gauche, & qui as été nommé lors de ton baptême N..... je n'ai
point commis la faute que tu m'imputes; j'en prends Dieu & les Saints
à témoins_. Le plaintif reprochoit ensuite, dans les mêmes termes & sous
le même serment, à l'accusé, qu'il venoit de se parjurer. Ces sermens
étoient suivis d'un autre que les deux parties faisoient, qu'ils
n'avoient sur eux aucun sortilége qui pût _ne les aider, ne nuire à leur
adversaire_. Alors on leur donnoit à chacun leur bâton, leur bouclier;
les Chevaliers préposés à la garde du champ de bataille se tenoient
entr'eux deux jusqu'à ce qu'ils se fussent mis en état de combattre, &
qu'on eût publié de nouveau la paix du Prince. Les combattans disposés,
les quatre Chevaliers se retiroient aux quatre coins du champ, & les
deux champions se joignoient.[618] Si le combat étoit gagé entre un
homme qui se plaignoit d'avoir été battu à outrance & jusqu'à effusion
de sang, ou de ce que l'on avoit deshonoré sa femme ou sa fille, & qu'il
ne se mît pas en devoir de repousser son adversaire quand celui-ci
s'avançoit vers lui, dès-lors l'accusé étoit réputé innocent: il l'étoit
aussi dans le cas où, poursuivi pour le meurtre de l'enfant de son
adversaire, les deux combattans étant aux prises, le fils de cet accusé
se plaçant entre leurs armes, le plaintif suspendoit ses coups.[619] On
ne pouvoit se battre en duel pour meurtre, à moins que le délit ne fût
constant. Quand après un homicide commis, personne ne poursuivoit celui
sur qui les soupçons du public se réunissoient, le Juge pouvoit le faire
arrêter & le retenir en prison pendant un an & jour, _s'il refusoit de
soutenir l'enquête du pays_. Mais lorsqu'il consentoit que cette enquête
fût faite, on faisoit venir en la Cour ordinaire du lieu, _soudainement
& dépourvument_, ceux que l'on présumoit instruits de quelques
circonstances du crime, afin qu'on n'eût pas le temps de les séduire ni
de les corrompre, & quatre Chevaliers procédoient à l'interrogatoire de
vingt-quatre témoins choisis parmi les personnes les plus renommées pour
leur probité dans le lieu où le crime avoit été commis.

[Note 618: De suite de Meurdre, Anc. Cout. ch. 68. _Reg. Maj._ L. 3, c.
23. _Quoniam attach._ c. 31.]

[Note 619: _Quoniam attachiament._ c. 73.]

J'ai dit [620] plus haut que les épreuves par le feu ou l'eau n'étoient
point en usage parmi les Normands avant que Guillaume eût conquis
l'Angleterre; cependant les Moines, dans leurs différends avec des
laïcs, ne manquoient jamais de prétendre qu'ils ne devoient point être
terminés par le combat, mais par l'épreuve du feu. Si l'_Ordalie_ leur
plaisoit davantage que le duel, c'étoit, sans doute, parce qu'ils
comptoient plus sur ce genre de procédure, en ce qu'elle étoit dirigée
par les Ministres Ecclésiastiques, que sur celle du duel, où la force &
l'adresse des combattans, moins susceptible de supercherie, déterminoit
seule les Sentences; mais les Juges rejettoient toujours l'offre que les
Moines faisoient de ces épreuves superstitieuses, & de-là il arrivoit
que le combat ordonné, les Moines, pour l'éviter, s'arrangeoient avec
leurs parties.[621]

[Note 620: _Vide supr._ Sect. 145.]

[Note 621: _Theodoricus Abbas Vice-Comitem adiit paratus aut calidi
ferri judicio secundum Legem Monachorum per suum hominem probare, aut
scuto & baculo secundum Legem Sæcularium deffendere. Duellum prætulit
Vice-Comes; verùm intercessere Comitis optimates .... injustam
consuetudinem opponentes_ (_Nota_. Que l'Abbé n'avoit pas considéré du
même œil cette Coutume, puisqu'il avoit offert de s'y soumettre)
_eisque Vice-Comes bene morigeratus acquievit_, _Annal. Benedict. L. 57,
n'o 74, anno 1036._ Quand il ne se trouvoit point parmi les Assesseurs
du Vicomte des gens assez favorables aux Religieux pour les exempter du
combat qu'ils avoient gagé, ils donnoient un Champion; mais ce n'étoit
pas sans beaucoup de répugnance, _licet repugnanter admisere pugnam
nobiliacenses_, ibid, L. 70, pag. 438. Souvent même ils avoient recours
au Prince pour s'y soustraire, quoiqu'ils eussent d'abord paru disposés
à l'accepter. _Ibid_, L. 64, no 79, ann. 1074. Les difficultés que les
Ecclésiastiques éprouverent de la part des Juges pour la conservation
des épreuves les anéantirent totalement. Les préventions du Clergé, à
cet égard, étoient cessées bien avant que l'Ancien Coutumier fut rédigé.
Anc. Cout. ch. 77.]


*SECTION 190.*

*Auxy un Niefe que est ravie per sa Seignior poit aver _un appeale de
rape_ (a) envers luy.*

SECTION 190.--_TRADUCTION._

Une femme née dans la servitude d'un Seigneur a le droit de l'appeller
en jugement s'il l'a deshonorée avec violence.

_REMARQUE._

(a) _Appeale de rape._

La femme qui avoit éprouvé des violences de la part de son Seigneur
ou d'autres, avant de se plaindre judiciairement étoit assujettie
à des formalités bien humiliantes. _Tenetur_, dit la Loi, _Reg.
Majestatem,[622] mox dum recens fuerit maleficium vicinam villam adire;
& ibi probis hominibus injuriam sibi illatam ostendere & cruorem si quis
fuerit effusus patefacere tam in facie quam in corpore, sub vestibus,
& vestium scissiones_. Après avoir fait cette premiere démarche, elle
devoit, dans l'espace de vingt-quatre heures,[623] donner sa plainte
en la principale Cour du Comte, dans le Ressort duquel elle avoit
reçu l'injure, & y faire de nouveau constater le délit, _& eandem
demonstrationem faciet_. Lors de la rédaction de l'ancien Coutumier, la
procédure à cet égard étoit moins indécente. _Veuë de femme_ dépucelée
étoit faite par _sept veuves, femmes ou mariées, bien créables, par qui
le dépucellement étoit recordé si besoin en étoit_.[624]

[Note 622: L. 4, c. 8.]

[Note 623: _Reg. Majest._ L. 4, c. 10.]

[Note 624: Anc. Cout. ch. 66.]


*SECTION 191.*

*Auxy si un villeine soit fait executor a un auter, & le Seignior del
villeine fuit en dette a le testator en un certaine summe dargent que
nest my paie, en ceo case le villeine come executor de le testator avera
action de det envers son Seignior, pur ceo que il ne recovera le det a
son use demesne, mes a use le testator.*

SECTION 191.--_TRADUCTION._

Si un villain est constitué par quelqu'un exécuteur d'un testament, il
peut poursuivre en cette qualité son Seigneur pour le payement de ce
qu'il doit au testateur, parce qu'en ce cas il ne poursuit pas comme
propriétaire de la dette, mais comme représentant le créancier.


*SECTION 192.*

*_Item_, le Seignior ne poit prender hors del possession de tiel villein
que est executor les biens le mort, & sil face, le villein come executor
avera action de trespasse de mesmes les biens issint prises envers son
Seignior, & recovera damages al use le testator. Mes en touts tielx
cases, il covient que le Seignior que est defendant en tielx actions
face protestation que le plaintife est son villeine, ou auterment le
villein serra enfranchise, coment que le matter soit trove pur le
Seignior, & encounter le villein, come est dit.*

SECTION 192.--_TRADUCTION._

Le Seigneur ne peut s'approprier les biens d'un défunt que son villain
ne possede qu'en qualité d'exécuteur testamentaire, & si le Seigneur
s'en emparoit, le villain auroit une action de _trépasse_ ou excès pour
obliger son Seigneur à restituer les fonds avec dommages & intérêts au
profit de la succession du testateur. Le Seigneur doit être attentif,
avant de se défendre sur cette action ou autres semblables, de protester
que par sa défense il n'entend pas reconnoître en son villain la
capacité personnelle de plaider contre lui; car s'il ne faisoit pas
cette protestation, le villain seroit affranchi, quand même celui-ci
perdroit sa cause.


*SECTION 193.*

*_Item_, si villeine suist un action de trespas, ou un auter action
envers son Seignior en un Countie, & le Seignior dit que il ne serra
respondus, pur ceo que il est son villein regardant a son manor en
auter Countie, & le plaintife dit que il est franke & de franke estate,
& nemy villein, ceo serra trie en le Countie lou le plaintife avoit
conceive son action, & nemy en le County lou le manor est, & ceo est
_in favorem libertatis_, & pur cel cause un estatute fuit fait, _an 9.
R. 2. cap. 2._ le tenor de quel ensuest en tiel forme. Item pur la ou
plusors villeins, & Niefes, sibien des graundes Seigniors, come des
auters gentes, sibien espirituals come temporals sensuent, deins cities,
villes, & lieux enfranchise, come en la citie de Londres, & auters
semblables, & feignont divers suits envers lour Seigniors a cause de eux
faits franks per le respons de lour Seigniors: Accorde est & assentus,
que les Seigniors, ne auters, ne soyent my forbarres de lour villeines
per cause de lour respons en ley. Perforce de quel estatute, si ascun
villeine voylloit suer ascun maner de action a son use demesne en
ascun Countie, ou il est fort a trier envers son Seignior, le Seignior
poyt estyer de pleader que le plaintife est son villein, ou de faire
protestation que il est son villein, & de pleder son auter matter en
barre. Et si ils sont a issue, & lissue soit trove pur le Seignior,
donque le villein est villeine come il fuit devant per force de mesme
lestatute. Mes si le issue soit trove pur le villeine, donque le
villeine est franke, pur ceo que le Seignior ne prist al commencement
pur son plee que le villeine fuit son villein, mes ceo prist per
protestation, &c.*

SECTION 193.--_TRADUCTION._

Tout villain qui intente une action en excès contre son Seigneur en un
Comté, n'est point obligé, lorsque ce Seigneur lui conteste sa liberté,
& prétend qu'il est dépendant d'un Fief situé en un autre Comté, de
suivre son action en la Cour du Comte d'où ce Fief releve; & on en donne
cette raison que la présomption est toujours en faveur de la liberté. Il
y a un Statut exprès sur ce point de la neuvieme année de Richard II, c.
2, dont voici la teneur:

Comme plusieurs villains ou femmes soumises servilement à une
Seigneurie, soit spirituelle, soit temporelle, se retirent dans des
Cités, Villes ou autres lieux de franchise, tels que la Cité de Londres,
& intentent diverses actions contre leurs Seigneurs pour avoir prétexte
de dire que ceux-ci en se défendant contr'eux en la Jurisdiction de ces
Villes ou Cités les ont reconnus libres, il a été accordé & convenu que
les Seigneurs ne perdront point leurs droits sur leurs villains, par la
seule raison qu'ils auront répondu à leurs demandes dans une
Jurisdiction que la loi les force de reconnoître. Mais si un villain
veut suivre une action en son propre nom en un Comté où il n'a pas droit
d'appeller son Seigneur, ce Seigneur a le choix d'opposer au demandeur
qu'il est villain, & qu'il ne peut plaider contre lui, ou de protester
seulement qu'il n'entend le reconnoître libre; mais dans le cas où après
cette protestation le Seigneur discute sa cause au fond dans la
Jurisdiction où le villain l'a traduit, si le Jugement est favorable au
villain, il acquiert sa liberté, parce que ce Seigneur ne la lui a pas
expressément contestée, mais a seulement protesté contre. Il en est
autrement quand dans ce même cas le villain perd sa cause; car il
continue d'être villain comme il l'étoit avant le Jugement, quoique le
Seigneur se contente d'une simple protestation.


*SECTION 194.*

*_Item_, le Seignior ne poet _mayhemer_ (a) son villeine. Car sil
mayhema son villein, il serra de ceo endite a le suit le Roy, & sil soit
de ceo attaint, il serra pur ceo un grievous fine & ransome al Roy. Mes
il semble que villeine navera pas per le ley un appeale de Mayhem envers
son Seignior, car en appeale de mayhem home recovera forsque dammages, &
si le villeine en ceo cas recovera dammages envers son Seignior, & ent
avoit execution, le Seignior poit prender ceo que le villeine avoit en
execution de le villeine, & issint le recoverie voide, &c.*

SECTION 194.--_TRADUCTION._

Un Seigneur ne peut outrager son villain jusqu'à le priver de l'usage de
quelques-uns de ses membres; car s'il exerce une violence de cette
espece, le villain peut se plaindre en la Cour du Roi, & si le délit est
prouvé, le Seigneur sera séverement puni, & en outre payera une forte
amende au Roi. La Loi ne donne point au villain dans ce cas une action
ordinaire en plainte contre son Seigneur, parce que cette sorte d'action
ne se résout qu'en dommages & intérêts, & que si on ajugeoit des
dommages & intérêts au villain, le Seigneur pourroit s'en emparer, &
l'action à ce moyen n'auroit aucun effet.

_REMARQUES._

(a) _Mayhemer_.

_Mahamium dicitur ossis cujuslibet fractio, vel testæ capitis incussio,
vel per abrasionem cutis attenuatio._ Le villain recouvroit sa liberté,
lorsque son Seigneur le maltraitoit jusqu'à effusion de sang, &
l'exposoit par-là à perdre la vie; & si par ses violences le Seigneur
avoit privé son villain de l'un de ses membres, non-seulement il perdoit
tout droit sur l'outragé, mais il étoit encore puni selon la taxe
imposée à chaque délit.

Cette taxe que Littleton appelle _grievous fine_, fin du grief, _finis
de transgressione_, n'avoit point lieu _pour simple bature qu'aulcun
faisoit à son servant, à son fils, à son neveu, à sa fille, à sa
femme, & à tout autre de sa mesgnie; car l'en doit entendre qu'il le
fait pour les châtier_.[625]

[Note 625: Anc. Cout. c. 85.]

Il falloit, pour l'obtenir, que les violences eussent été portées aux
derniers excès. Nos anciennes Loix[626] entrent dans un détail curieux
au sujet des différens outrages & des diverses peines pécuniaires dont
on devenoit susceptible en les commettant.

[Note 626: _Leg. Salic._ c. 19 & 22. _Leg. Rip._ tit. 3, 4, 5, 8 & 26.
_Leg. Alleman._ tit. 60 & suivans.]

Une plaie d'un homme libre à la tête, avec effusion de sang, coutoit
quinze sols, si la blessure occasionnoit l'extraction de trois os de la
tête, on payoit trente sols. _Si cerebrum aut cervella appareat_,
l'amende étoit de quarante-cinq sols: la mort d'un serf étoit taxée à
trente-six sols; la mutilation à dix-huit sols; & chaque coup qu'il
recevoit de tout autre que de son maître, valoit autant de sols de
composition. Avant l'avenement de Guillaume le Bâtard au Trône
d'Angleterre, les compositions, pour les crimes, se payoient en
bestiaux, mais il les réduisit en argent[627] lorsqu'il publia les Loix
d'Edouard: ces Loix portent aussi loin que la Loi Salique le scrupule
sur la distinction des délits, & sur celle des punitions qu'ils
méritoient chacun en particulier; chaque ossement tiré de la tête du
blessé, chaque doigt, chaque ongle, chaque dent y a sa valeur
déterminée.[628] On payoit soixante-dix sols pour avoir crevé un œil, &
lorsque la paupière étoit conservée, on ne devoit que moitié.

[Note 627: Au lieu d'un cheval il permit de donner 20 s. pour un bœuf
10, & 5 s. pour un porc. _Stat. David. I. in collect. Sken._]

[Note 628: _Vide Leg. Willelm. Selden. Collect. in not. in Eadm. & c. 39
& 40. Reg. Majest. L. 4._ La valeur de la composition ne se régloit pas
chez nos premiers François ou Normands sur la difformité, mais sur
l'incommodité que causoit la perte d'un membre. Le pouce étoit taxé à 12
s. & l'amputation du nez a 9 s. On ne pouvoir exiger que 5 s. pour la
lèvre supérieure, & il en coutoit 40 pour une oreille. En un mot quand
on étoit seulement défiguré par la blessure, le coupable en étoit quitte
pour 3 s. _Leg. Bojar._ tit. 11 & 14.]

Si la peine étoit proportionnée à l'offense,[629] elle l'étoit aussi à
la qualité de ceux qui l'avoient reçue. La famille d'un Comte pouvoit
exiger, de celui qui l'avoit tué, vingt livres, & il n'étoit dû que cent
sols pour le meurtre d'un villain.

[Note 629: Anc. Cout. ch. 85.]


*SECTION 195.*

*_Item_, si un villein soit demandant en action real, ou plaintife en
action personal envers son Seignior. Si le Seignior voile plede en
disabilitie de son person, il ne poit faire pleine defense, mes il
deffendera forsque tort & force, & demandera judgement sil serra
respondus, & monstre son matter maintenant. Come il est son mais
villein, & demandera judgement sil serra respondue.*

SECTION 195.--_TRADUCTION._

Lorsqu'un villain est demandeur en action réelle, ou qu'il intente une
action personnelle contre son Seigneur, & que le Seigneur le soutient
inhabile à plaider, à cause de la servitude où sa personne est réduite,
ce villain ne peut personnellement plaider la cause au fonds, à moins
qu'il n'y soit question de violences & d'injures; quoique villain, il
peut, par un répondant ou curateur qui lui sera donné, poursuivre le
Jugement, & obliger son Seigneur à se défendre.


*SECTION 196.*

*_Item_, 6 maners de homes y sont queux fils suont action, judgement
poit estre demands _sils serront respondus_, (a) &c. Un est, lou
villeine suist action envers son Seignior, come en le cas avantdit.*

SECTION 196.--_TRADUCTION._

Il y a six sortes de personnes contre lesquelles on n'est obligé de
plaider qu'autant qu'elles ont un répondant. Tel est 1er le villain qui
se trouve dans le cas de la Section précédente.

_REMARQUES._

(a) _Sils serront respondus._

Toute personne, sous les deux premieres Races de nos Rois, étoit obligée
de plaider elle-même sa cause; il falloit un Bref du Roi pour obtenir la
liberté de se substituer quelqu'un pour la défense de ses intérêts:[630]
ce Bref étoit quelquefois accordé pour toutes les causes d'un
particulier, & il n'avoit d'exécution qu'autant que le constituant & le
constitué le trouvoient bon. Celui-ci étoit choisi parmi les personnes
les plus respectables par leur naissance: le Bref lui donne le titre
_d'Illustre_. On ne le réputoit cependant chargé du soin des affaires de
l'autre, qu'après la tradition qui lui étoit publiquement faite d'une
baguette ou d'une paille, _per fistucam_.[631] Mais outre ces
_Défenseurs_ ou _Protecteurs_, les Capitulaires nous apprennent qu'il y
avoit des _Reclamateurs_, _Plaideurs_ ou _Causeurs_, dont les fonctions
différoient en ce que les uns, _causatores_, dirigeoient la procédure;
l'accusateur, par exemple, ne pouvoit seul, & en l'absence du _Causeur_,
choisir ses témoins;[632] & les autres _clamatores, & causidici_,
exposoient le sujet de la demande, les motifs de l'action.[633] Ainsi
quiconque avoit quelqu'incapacité de poursuivre ses affaires,[634] avoit
recours au Prince pour être autorisé de se choisir un Curateur, & dans
chaque Jurisdiction il y avoit des Avocats ou Défenseurs pour mettre la
cause sous le point de vue le plus facile à saisir, & des Procureurs
pour faire observer les formes établies pour l'instruction des procès.
Or, ces divers Offices se sont conservés dans les Tribunaux Anglois &
Normands.

[Note 630: _Bign. Not. ad Marculph._ Form. 21, L. 1.]

[Note 631: L. 3, des Capitul. ch. 40 & 51. _Voyez_ la Remarque sur la
Section 534.]

[Note 632: _Ibid_, c. 10.]

[Note 633: L. 3, c. 59.]

[Note 634: Marc. Formul. 21, L. 1: _Propter simplicitatem suam_, &c.]

J'ai parlé, sur la Section 66, des _Attournés_ volontaires & légaux,
c'étoit parmi ces derniers que l'on choisissoit les _Répondans_ ou
Curateurs dont il s'agit en la présente Section. Il leur suffisoit,
pour diriger une procédure, d'être admis à cette fonction en la Cour
où la cause devoit être discutée; mais pour représenter un villain, ou
autres personnes incapables d'ester personnellement en Jugement, il leur
falloit un Bref de la Chancellerie. Les diverses especes d'Attournés
sont très-clairement distinguées dans l'ancien Coutumier Normand: les
uns _menent les querelles en Cour en demandant & en défendant_,[635] &
sont appellés _Plaideurs_; les autres _parlent_ & _content pour aultrui
en Cour_,[636] & on les nomme _Conteurs_; & ceux-là enfin retiennent
le titre _d'Attournés_, qui sont _appellés en Cour_ pour se charger du
fait & cause d'un Demandeur ou d'un Défendeur.[637] Il y avoit outre
cela des _Attournés_ volontaires;[638] c'étoit de simples Porteurs de
procuration. Le _Conteur_ ou _Avocat_[639] ne pouvoit être désavoué par
son client dès que celui-ci l'avoit garanti; mais cette garantie ne se
devoit à l'Avocat qu'après son plaidoyer: _car aucun sage home ne doit
garantir les choses qui sont à dire, mais celles qui sont dictes, se il
voit que ce soit bien_.[640] Si les précautions prises pour resserrer
les discours des Avocats de ce temps là, dans les bornes les plus
étroites, s'opposoient au progrès de l'éloquence, le triomphe de la
vérité n'en étoit peut-être que plus assuré.

[Note 635: Anc. Cout. c. 63.]

[Note 636: _Ibid_, Ch. 64, & Sect. 10. _supr_.]

[Note 637: _Ibid_, ch. 65.]

[Note 638: Articles que doivent jurer les Avocats. Anc. Cout. fo 108.]

[Note 639: Rouillé, fo 85, vo.]

[Note 640: _Ibid_, c. 64.]


*SECTION 197.*

*Le 2. est, lou un home est _utlage_ (a) sur action de det, ou trespas,
ou sur auter action, ou indictment, le tenant ou defendant poit monstre
tout le matter de record, & lutlagarie, & demaunde judgement sil serra
respondue, pur ceo que il est hors de la ley de suent ascun action
durant le temps que il soit utlage.*

SECTION 197.--_TRADUCTION._

Le second cas où on a besoin d'un répondant pour plaider, est lorsqu'un
homme est _utlage_; car ceux qui ont droit de le poursuivre pour dette,
excès ou autre cause, peuvent représenter à la Cour le Jugement qui l'a
condamné par contumace, & demander qu'on lui nomme un curateur, parce
que tant que dure sa condamnation il ne peut ni intenter aucune action
ni se défendre contre celles qu'on lui intente.

_REMARQUES._

(a) _Utlage._

_Utlagatus & Vaiviata, capita gerunt lupina, quæ ab omnibus possunt
impunè amputari, merito enim sine lege perire debent qui secundum legem
vivere recusant._ Fleta, L. 2, c. 27. _Utlage teignie leu pur loup, pur
ceo que loupe est beast hay de tous gens, & de ceo en avant list_[641]
_a aulcun de le occir._ Aussi quiconque tuoit un loup ou un homme
condamné par contumace à une peine capitale, portoit leur tête _au
chiefe-lieu_ du Comté où le Jugement avoit été prononcé, & il levoit,
sur chaque habitation, une somme pour sa récompense.

[Note 641: Libre.]

La contumace contre un accusé de meurtre ou autre crime qui méritoit la
mort, ne pouvoit s'acquerir qu'après quatre délais de quarante jours
chacun;[642] ce temps passé le fugitif étoit déclaré _utlage_,[643]
c'est à dire, hors de la protection des Loix & de la paix du Prince, &
dès-lors ses biens étoient confisqués au Roi ou à son Seigneur;[644] &
lors même que le Roi lui accordoit sa grace, le Seigneur n'étoit point
pour cela privé de la confiscation, _nec enim aliena jura potest
infringere_.[645]

[Note 642: _Quoniam attach._ c. 59.]

[Note 643: _Exlagatus._]

[Note 644: Anc. Cout. c. 24 & 27. Capitul. L. 3, c. 49. _Ansegise,
Collect._ Quiconque recevoit un contumacé chez lui, sans l'arrêter,
payoit une amende.]

[Note 645: _Reg. Majest._ L. 2, c. 56.]


*SECTION 198.*

*Le 3. est, un alien que est nee hors de la _ligeance_ (a) nostre
Seignior le Roy, si tiel alien voile suer un action reall ou personall,
le tenant ou defendant poit dire que il fuit nee en tiels pais, que est
hors de la ligeance le Roy, & demaund judgement si il serra respondue.*

SECTION 198.--_TRADUCTION._

L'étranger né hors de la ligéance du Roi ne pouvoit plaider sans
répondant pour causes personnelles ou réelles.

_REMARQUES._

(a) _Ligeance_.

On distinguoit deux sortes de Ligeance à l'égard du Roi, l'une étoit
perpétuelle, l'autre momentanée. Tout homme né sujet d'un Etat, ou admis
par lettres du Prince au nombre des Sujets d'origine, ne pouvoit plus
s'expatrier sans crime.[646] Il n'en étoit pas de même des étrangers
qu'un Souverain recevoit sous sa protection, & auxquels il accordoit,
par grace ou par récompense, les priviléges de ses Sujets naturels; en
acceptant cet honneur, ils n'étoient pas réputés avoir renoncé à leur
patrie.

[Note 646: Quand on s'absentoit on étoit obligé d'obtenir la permission
du Roi, & d'établir des Attournés pour répondre aux actions pour
lesquelles on pourroit être poursuivi durant son absence; _car nul grand
Seignior ne Chivalier ne doit prendre chemin sans notre congé, car
issint poet le realme remainer disgarni de fort gente_. _Britt. fo
282._]

Les Lettres de naturalité,[647] en Angleterre & en Normandie,
s'appelloient aussi anciennement Lettres de _denization_. Tous les
priviléges dont celui qui les obtenoit devoit jouir y étoient détaillés,
_ille in omnibus tractetur, reputetur, habeatur, teneatur, gubernetur
tanquam ligens noster infra dictum regnum nostrum Angliæ oriundus_. Mais
la principale prérogative étoit d'ester en Jugement, _in curiis audiatur
ut Angli, non repellatur per illam exceptionem quod sit alienigena_.

[Note 647: Basnage, art. 235, Cout. Réform. 1er vol. pag. 341,
distinguent les Lettres de naturalité de celles de dénization. Coke,
pag. 129, les considere comme une seule & même chose; & en effet,
_dénizen_ est formé de ces deux anciens mots Normands, _deins née_,
parce que les Lettres qu'obtenoient l'Aubain le mettoient au rang de
ceux qui étoient nés dans le Royaume.]


*SECTION 199.*

*Le 4. est, un home que per judgement done envers lui sur un _Brief de
Præmunire facias_, &c. (a) est hors de protection le Roy, si il suist
ascun action, & le tenant ou le def. mettra tout le Record envers luy,
il poit demaund judgement sil serra respondu, car la ley le Roy, & les
briefes le Roy, sont les choses per queux home est protect & aide, &
issint durant l' temps que home en tiel cas est hors de la protection le
Roy, il est hors de estre aide ou protect per le ley le Roy, ou per
briefe le Roy.*

SECTION 199.--_TRADUCTION._

Quand sur un Bref de _Præmunire facias_ quelqu'un est déclaré indigne
de la protection du Roi, aussi-tôt qu'on lui justifie du _Record_ ou
Jugement portant sa condamnation, il ne peut plaider en personne; car le
sujet n'étant protégé que par la Loi & par les Brefs du Roi, il ne peut
plus reclamer cette protection après avoir encouru la disgrace de son
Souverain.

_REMARQUE._

(a) _Brief de præmunire._

On lit dans le Formulaire des Brefs Anglois, _præmonere_, au lieu de
_præmunire_. Le Bref dont il s'agit en cette Section étoit établi pour
avertir ceux qui avoient usurpé les droits, ou la Jurisdiction de la
Couronne, de comparoître en la Cour du Roi, _præmonere facias quod tunc
sit coram nobis_, &c. pour se purger du crime dont ils étoient
accusés.


*SECTION 200.*

*Le 5. est, un home qui est enter & profess en Religion: Si tiel suist
un action, le tenant ou defendant poit monstrer, que tiel est enter en
religion en tiel lieu, en lorder de Saint _Benet_, & la est moigne
professe, ou en lorder des Friers Preachers, ou Minors, & la est frere
professe, & issint des auters orders de religion, &c. & demaundera
judgement sil serra respondue. Et la cause est, pur ceo que quant un
home entra en religion, & est professe, il est mort en ley, & son fits
ou auter cousin maintenant luy inheritera auxy bien sicome il fuit mort
en fait. Et quant il entra en religion il poit fair son testament, & ses
executors, les queux executors averont un action de det due a luy
devant lentre en religion, ou auter action que executors poient aver
sicome il fuit mort en fait. Et sil ne fait ses executors quant il entra
en religion, donques Lordinarie poit committer ladministration de ses
biens a auters homes, sicome il fuit mort en fait.*

SECTION 200.--_TRADUCTION._

Tout homme qui a fait profession dans un Monastere, comme en l'Ordre de
Saint Benoît, ou des Freres Prêcheurs ou Mineurs, & autres, ne peut être
poursuivi en Jugement qu'autant qu'on lui a fait constituer un répondant
ou curateur, parce que tout Religieux après sa profession est réputé
mort civilement, & ses enfans ou collatéraux ont droit de succéder à
tous ses biens; il peut cependant, avant ses vœux, faire un testament,
& en ce cas ceux qu'il aura chargés d'en poursuivre l'exécution pourront
agir contre les débiteurs qu'il avoit avant sa profession, & au défaut
de testament, l'Ordinaire peut confier à qui il lui plaît
l'administration de ses biens.

_ANCIEN COUTUMIER._

Aulcun qui en religion a fait profession, est comme mort au monde. Ch.
27.


*SECTION 201.*

*Le 6 est, lou un home est excommenge per la ley de Saint Esglise, & il
suit un action real ou personal, le tenant ou defendant poit plede que
celuy que suit est _excommenge_ (a), & de ceo covient monstre lettre de
lEvesque south son seale, tesmoignant lexcommengement, demaundera
judgement sil serra respondue, &c. Mes en cest cas si le demandant ou
plaintife ceo ne poit dedire, le brefe nabatera my, mes le judgement
serra, que le tenant ou defendant alera quite sans jour, pur ceo que
quant le demandant ou plaintife ad purchase les letters de absolution, &
ceux sont monstres a le Court, il poit prender un resommons, ou
reattachment sur son original, solonque la nature de son Briefe. Mes en
les auters 5. cases le Briefe abatera, &c. si le matter monstre ne poit
estre dedit.*

SECTION 201.--_TRADUCTION._

On peut encore valablement refuser de plaider contre un excommunié par
lequel on est poursuivi, à moins qu'il n'ait un répondant; mais il faut
observer que si l'excommunication est constatée par la Sentence de
l'Evêque, duement scellée de son sceau ordinaire, & si ce demandeur
excommunié ne peut nier l'existence de l'excommunication, le défendeur
ne doit pas être renvoyé _sans jour_, ou sans retour déchargé de la
demande: car l'excommunication n'anéantit pas les Brefs que l'on obtient
tandis qu'on est dans ses biens, & ils reprennent leur force dès qu'on a
obtenu des Lettres d'absolution dans les cas des Sections précédentes.
Il en est autrement lorsque les exceptions dont elles font mention ne
peuvent être méconnues, l'action du demandeur, qui n'a pu obtenir de
curateur, tombe, & ne peut plus être réitérée.

_ANCIEN COUTUMIER._--CHAPITRE XXI.

Les _Chastels_[648] à ceulx qui s'occisent eulx mesmes, & qui meurent
excommuniés ou desespérés, doibvent estre au Prince de Normandie, & n'y
peut l'Eglise rien reclamer.

[Note 648: Meubles.]

Car aulcune priere que l'Eglise face ne leur peut valoir aux ames: & ce
doibt estre entendu sainement, car s'aulcun autre a accoustumé à avoir
tels Chastels par ancienne Coustume, par longue tenue ou par muniments,
il ne doibt pas estre dépouillé à tort.

Ceulx meurent desespérés qui par neuf jours ou plus ont esté griefvement
malades & de périlleuse maladie, & ont refusé à estre confessés &
communiés, jaçoit ce qu'il leur ait esté offert, & meurent en telle
maniere.

Mais pour icelle mort les hoirs ne perdront pas leurs terres; mais leurs
chastels doibvent demeurer au Prince. Se par adventure aulcun a esté
noyé, ars, tué, froissé en un fossé, ou aggravanté en une rive, pourtant
qu'il ne s'entendist pas à occire, il ne doibt pas estre osté de la
communie de l'Eglise, ne ses chastels ne doibvent pas demourer au
Prince.

_REMARQUES._

(a) _Excommenge._

Le pouvoir qu'ont les Evêques de retrancher les Fidèles de la communion
de l'Eglise, est peut-être celui dont ils ont le plus abusé. Les Canons
se réunissent tous à leur recommander de ne prononcer une Sentence aussi
terrible qu'après la plus mûre délibération, & jamais sur _des causes
légeres, par humeur pour leur propre intérêt_.[649] Cependant rien de
plus fréquent que les excommunications dans les quatre, cinq & six
premiers siecles de la fondation de l'Empire François. Le refus du
payement du plus foible droit appartenant à une Eglise suffisoit[650]
alors pour attirer ce châtiment. Les vrais principes sur la matiere des
excommunications s'obscurcissans de plus en plus par l'accroissement que
l'ignorance où le peuple étoit plongé à cet égard procuroit à l'autorité
des Evêques, ils ne se bornerent plus à priver de la participation des
Sacremens ceux qui contestoient à leurs Siéges des prérogatives, ou qui
revendiquoient quelque portion de leurs immenses possessions. Le refus
ou l'omission de tester,[651] devint encore l'objet de leurs anathêmes.
Delà cette Coutume, qu'après le décès d'un homme qui n'avoit pas fait
testament, & dont on instruisoit le procès en la Cour du Roi pour crime
d'usure, l'Evêque devoit être appellé, parce que si de l'enquête qui,
dans ce cas, se faisoit par le serment de trente-deux témoins, choisis
entre les voisins du défunt,[652] l'accusation ne résultoit pas
_appertement_, l'Evêque avoit seul _droit d'ordonner de ses
châtels_.[653] Les Evêques portoient encore les choses plus loin: un
homme excommunié pour une faute pouvoit l'être successivement pour
plusieurs autres, & il étoit obligé d'obtenir autant de Sentences
d'absolution qu'il y avoit eu d'excommunications prononcées contre
lui.[654] L'excommunication emportoit toujours après elle la privation
de toute consolation humaine, & même de toute possession ou action
civile. Il étoit défendu de boire, manger avec l'excommunié, de recevoir
de lui la plus foible marque de reconnoissance, de lui faire politesse,
de plaider & même de prier avec lui. Quelle défense! Dire que
l'excommunié _doit être regardé comme un payen ou un publicain_, est-ce
dire que les biens temporels qu'il possede cessent de lui appartenir?
S'il en étoit ainsi, il faudroit donc en conclure que les payens
n'auroient aucune propriété légitime: conséquence que le sçavant Bossuet
juge non-seulement ridicule & absurde, mais digne de l'anathême. _Quod
non tantum risu sed etiam anathemate dignum esset._[655]

[Note 649: _Greg. Magn._ L. 12, _Epist. 6. Ann. Bened._ L. 8, no 32,
pag. 204.]

[Note 650: Capitul. L. 5, c. 42.]

[Note 651: De Laur. c. 89. Etabliss. de Saint Louis.]

[Note 652: _Reg. Majest._ c. 54. Et Sken. Not. _ad hanc Leg._]

[Note 653: Anc. Cout. ch. De Usur, & ch. 21.]

[Note 654: _Si quis innodatus fuerit per diversas excommunicationes &
profert litteras absolutionis, de unâ sententiâ non erit absolutus
quousque de omnibus aliis absolvatur._ Coke, pag. 134.]

[Note 655: _Defens. Declarat. Cler. Gallic._ 2e Part. L. 5, c. 22,
pag. 159.]


*SECTION 202.*

*_Item_, si un villein est fait un Chapleine seculer, uncore son
Seignior poit luy seiser come son villein, & seisie les biens, &c. Mes
il semble que _si le villeine enter en religion_, (a) & est professe,
que le Seignior ne poit luy prender ne seiser, pur ceo que il est mort
en ley, nient plus que si un frank home prent un niefe a sa feme,
le Seignior ne poit prender ne seiser la feme de la baron. Mes ses
remedy est daver un action envers le baron, pur ceo que il prist sa
niefe a feme sans son licence & volunt, &c. & issint poit le Seignior
aver action envers le Soveraign del meason qui prist & admittast son
villein destre professe en mesme le meason sans licence & la volunt le
Seignior, & recovera ses damages a la value de le villein. Car celuy
que est professe Moigne serra un Moigne, & come un Moigne serra pris
pur terme de sa vie natural, sinon que il soit deraigne per la ley de
Saint Eglise. Et il est tenu pur son religion de gard son cloyster, &c.
& si le Seignior luy puissoit prender hors de sa meason, donques il ne
viveroit come un mort personne solonque son religion le quel serroit
inconvenient, &c.*

SECTION 202.--_TRADUCTION._

Si un villain entre dans une Congrégation Ecclésiastique séculiere, son
Seigneur peut le retenir comme son villain, & s'emparer de ses biens, ce
qu'il ne pourroit faire si son villain faisoit profession en un
Monastere, parce qu'il est par cette profession réputé mort civilement.
Il en est de même d'une femme de condition servile qu'un homme libre
épouse, le Seigneur ne peut retenir cette femme, & il n'a qu'une action
contre son mari pour avoir épousé une de ses _niefes_ ou natives sans sa
permission. Cette action appartient aussi au Seigneur contre le chef du
Monastere où son villain a fait ses vœux sans son consentement; le
Monastere en ce cas est tenu de lui payer la valeur d'un villain.

Tout Moine profès appartient à son Couvent pendant sa vie, à moins qu'il
ne soit dégradé. Si le Seigneur avoit droit de le tirer de son
Monastere, il cesseroit d'être Moine, d'être mort au monde, de tenir la
clôture & la regle qu'il avoit fait vœu de garder: ce qui ne seroit pas
juste.

_REMARQUES._

(a) _Si le villeine enter en Religion._

Il y a des rapports si parfaits entre les Coutumes Angloises & Normandes
& les anciennes Loix Françoises, que je me bornerois, en bien des
occasions, à les copier les unes & les autres, si je n'appréhendois
d'être trop monotone: défaut cependant que l'aridité de mon travail ne
m'a pas permis d'éviter autant que je l'aurois désiré.

On trouve dans les Capitulaires la maxime contenue en cette Section,
proposée dans les mêmes termes, avec les mêmes restrictions. Ils
défendent d'admettre les serfs aux Ordres sacrés ou à la profession
Monastique, sans la volonté & la permission de leurs Seigneurs.[656]
Lorsqu'un inconnu demande à être reçu dans une maison Religieuse, &
qu'on ignore son origine, on doit différer pendant trois ans à lui faire
prononcer ses vœux; & si le postulant a réussi à tromper l'Evêque ou le
Chef du Monastere par de faux témoins sur son état, il doit être dégradé
& restitué à son Seigneur, dès que la fraude est prouvée.[657] Les serfs
des Ecclésiastiques ne pouvoient pas être promûs à la dignité du
Sacerdoce, sans avoir été préalablement affranchis, & en avoir obtenu du
Roi, la permission.[658]

[Note 656: Capitul. L. 1. c. 23 & 57.]

[Note 657: _Ibid_, c. 88.]

[Note 658: _Formul. Veter. Addit. Formul. Marc._ L. 8. _Priùs eos
permissu Regis libertate donent, &c_. Capitul. L. 5, c. 227.]

Cependant les enfans des serfs, attachés à quelques terres d'une Eglise,
pouvoient être ordonnés comme les enfans des ingénus;[659] mais ce
n'étoit qu'en vertu de la Loi expresse que le Souverain avoit faite à
cet égard, que ces enfans jouissoient de ce privilége: tant il est vrai
que l'Eglise n'a jamais pensé avoir aucun pouvoir sur l'état des
personnes. Aussi voyons-nous qu'une Dame nommée Ermesinde, ayant reclamé
un Diacre ordonné par Hincmar, Archevêque de Rheims; ce Prélat lui
opposa une fin de non-recevoir fondée sur les Loix, qui n'accordoient
qu'un certain temps pour revendiquer un colon ou un esclave; & Hincmar
ajoute que si cette Dame s'opiniâtre à contester qu'après ce temps passé
l'ordination soit légitime, & que celui qui a été ordonné ait acquis sa
liberté par le silence de son Seigneur, il le fera décider en Justice,
_si hæc illa præsumeret, ipse hoc legaliter & regulariter vindicare
studeret_.[660] Le délai prescrit pour la reclamation d'un villain étoit
d'une année, à compter du jour qu'il avoit été admis ou dans le
Séminaire de l'Evêque ou dans le Monastere, ou du jour que le Seigneur
avoit eu connoissance que son villain s'y étoit retiré.[661] Pour
affranchir un esclave, selon la Loi Salique, le maître recevoit de lui,
en présence du Roi, un denier ou telle autre piece d'or ou d'argent
qu'il lui plaisoit,[662] parce que cet esclave étoit par-là présumé
avoir racheté sa liberté de ses propres deniers, & que le droit de
posséder quelque chose en propre constituoit sa liberté. On délivroit à
l'ingénu un Bref de son affranchissement, conforme au modele que
Marculphe nous en a conservé.[663] Mais si le serf appartenoit à une
Eglise ou à un Monastere; c'étoit devant l'autel, en présence des
Prêtres, du Clergé & du Peuple, que l'Evêque ou l'Abbé le déclaroient
libre:[664] déclaration dont on dressoit un acte, _tabulam aut chartam_;
d'où les Capitulaires distinguent deux sortes d'affranchis, _denariales,
chartularii seu tabularii_.[665] L'esclave ordonné Prêtre, à l'insçu de
son maître, mais sans avoir pratiqué aucunes fraudes pour se soustraire
à son autorité & se procurer l'ordination, n'étoit point sujet à la
dégradation, quoique son Seigneur le reclamât dans le temps de droit; il
étoit seulement obligé de lui continuer les corvées qu'il lui devoit, ou
de lui donner quelqu'un pour s'en acquitter. Ceci étoit conforme au
Droit Romain, par lequel se régissoit la Jurisdiction Ecclésiastique. Il
n'en étoit pas de même du Moine qui avoit fait profession, ni de la
femme qui avoit épousé un homme libre étant en servitude: car ayant
par-là perdu la liberté de leurs corps, comme on ne pouvoit les obliger
à remplir les devoirs de leur premier état, leurs supérieurs ou époux
les acquittoient de tous services envers leurs Seigneurs, au moyen d'un
dédommagement; & c'est delà d'où est né le droit de _for-mariage_, dont
quelques-unes de nos Coutumes font mention.

[Note 659: Capitul. 72, L. 1: _Non solum servilis conditionis infantes,
sed etiam ingenuorum filios aggregent sibique socient_, &c.]

[Note 660: _Hist. Ecclesiast. Rem._ L. 3, c. 27.]

[Note 661: _Reg. Majest._ L. 2, c. 13.]

[Note 662: _Lex Salic. tit. 28._]

[Note 663: Formul. 22, L. 1.]

[Note 664: _Ex Formul. Veter._ 8.]

[Note 665: _Pipin. Reg. Leg. tit. 10._]


*SECTION 203.*

*En mesme le maner est, si soit gardeine en Chivalrie de corps, & desire
dun enfant deins age, si lenfant quant il vient al age de 14 ans entra
en religion, & est professe, le gardein nad auter remedy (quant a le
garde de le corps) forsque breve de ravistment de garde envers le
soveraign de le meason. Et si ascun esteant de plein age, que est cosin
& heire del enfant enter en le terre, le gardein nad ascun remedie quant
al garde de le terre, pur ceo que lentrie del heire lenfant est
congeable en tiel case.*

SECTION 203.--_TRADUCTION._

Quand un Chevalier mineur à l'insçu du gardien de sa personne & de sa
terre fait, après 14 ans, profession dans un Monastere, ce gardien n'a
d'autre voie pour se faire restituer le jeune Profès que celle d'un Bref
de rapt & de séduction contre le Supérieur qui l'a reçu; mais ceci
n'empêche pas que l'héritier présomptif du mineur ne s'empare
valablement, étant majeur, de la terre, & par ce moyen ne mette fin à la
garde, parce qu'elle est de droit anéantie par l'entrée du mineur en
Religion.


*SECTION 204.*

*_Item_, en mults & divers cases le Seignior poit faire _manumission_
(a) & enfranchissement a son villeine. Manumission est properment,
quant le Seignior fait un fait a son villein de luy enfranchiser, _per
hoc verbum (manumittere) quod idem est, quod extra manum, vel extra
potestatem alterius ponere_. Et pur ceo que per tiel fait le villein est
mis hors de la maine & de la poir son Seignior il est appel manumission.
Et issint chescun maner de enfranchissement fait a un villein poit estre
dit manumission.*

SECTION 204.--_TRADUCTION._

Un Seigneur a divers moyens d'affranchir son villain.
L'affranchissement, à proprement dire, a lieu lorsque le Seigneur donne
à un villain qui lui appartient, un acte par lequel il le met hors de sa
main ou de sa puissance.

_REMARQUE._

(a) _Manumission._

Outre les formalités de l'affranchissement que nous avons ci-devant
détaillées, les Seigneurs en pratiquoient de plus solemnelles selon le
nouvel état auquel l'affranchi se destinoit. Comme celui qui vouloit se
faire ordonner Prêtre étoit déclaré libre dans l'Eglise; quand ses vues
étoient dirigées vers le commerce, c'étoit dans un marché que cette
déclaration se faisoit; s'il se consacroit au service des armes, on lui
ceignoit l'epée, & on lui mettoit en main les armes que les hommes
libres avoient droit de porter.[666]

[Note 666: Lib. Rub. c. 78.]


*SECTION 205.*

*Auxy si le Seignior a fait a son villein un obligation de certeine
somme dargent, ou graunt a luy per son fait un anvitie, ou lessa a luy
per son fait terres ou tenements pur terme de ans, le villein est en
franchise.*

SECTION 205.--_TRADUCTION._

Si un Seigneur fait à son villain une obligation ou se constitue en une
rente annuelle envers lui, ou lui donne des terres à bail pour quelques
années, le villain est affranchi.


*SECTION 206.*

*Auxy si le Seignior fait un feoffment a son villein dascun terres ou
tenements per fait ou sans fait, en fée simple, fée taile, ou pur terme
de vie, ou ans, & a luy livera seisin, ceo est un affranchissement.*

SECTION 206.--_TRADUCTION._

Il en est de même s'il cede à son villain des terres ou tenements, par
écrit ou en présence de témoins, à titre de fief simple, de fief
conditionnel pour sa vie ou pour un temps; car dès que le villain en a
pris possession, il est libre.


*SECTION 207.*

*Mes si le Seignior fait a luy un lease des terres ou tenements a tener
a volunt le Seignior, per fait ou sans fait, ceo nest ascun
enfranchissement, pur ceo que il nad ascun maner certaintie ne suertie
de son estate, mes le Seignior luy poit ouster quant il voilet.*

SECTION 207.--_TRADUCTION._

Mais si un Seigneur ne lui donne ses terres qu'à volonté, le villain
n'acquiert pas pour cela sa liberté.


*SECTION 208.*

*Auxy si le Seignior suist envers son villeine un _præcipe quod reddat_,
sil recover, ou soit nonsue apres appearance, cest un manumission, pur
ceo que il puissoit loyalment enter en la terre sans tiel suit. En mesme
le manner est, sil suist envers son villein un action d' debt, ou
dacount, ou d' covenant ou de trespasse, ou de _hujusmodi_, ceo est un
affranchissement, pur ceo que il puissoit emprison le villein, & prender
ses biens sans tiel suit. Mes si le Seignior suist son villeine per
appeale de felony, ou il suist endict de ceo devant, ceo ne
enfranchisera pas le villeine coment que le matter de lappelle soit
trove encounter le Seignior, pur ceo que le Seignior ne puissoit aver le
villeine destre pendue sans tiel suist. Mes si le villeine ne suit
endict de mesme le felony, devant lappeale sue envers luy, & puis est
acquite de cest felony, issint que il recovera dammages envers son
Seignior pur le faux appeale, donques le villeine est enfranchise, pur
la cause de le judgement de dammages a luy destre done envers son
Seignior. Et plusors auters cases & matters y sont, per queux un
villeine poit estre enfranchise envers son Seignior, &c. _Sed de illis
quære._*

SECTION 208.--_TRADUCTION._

Qu'un Seigneur intente une action à son villain, en vertu d'un Bref,
pour lui faire restituer quelque fonds, soit qu'il recouvre ce fonds,
soit qu'il se désiste de son action, l'affranchissement est acquis:
parce que tout Seigneur peut sans Bref s'emparer des possessions d'un
villain. Celui-ci ne peut posséder que pour son Seigneur. Il en faut
dire autant des villains que leurs Seigneurs actionnent pour dette,
compte, convention ou infraction de quelque convention. Tout Seigneur
peut, en effet, emprisonner son villain ou se saisir de ce qu'il possede
sans avoir recours à la Justice. Cependant lorsqu'un Seigneur poursuit
pour cause de félonie son villain qui auparavant en a été accusé,
celui-ci ne sera pas affranchi, quand même son Seigneur succomberoit
dans la poursuite, parce que le Seigneur ne peut de sa propre autorité
faire pendre son homme; mais si le Seigneur, sans avoir été provoqué
dans sa poursuite, a intenté l'action de félonie contre son villain,
dans le cas où celui-ci réussit à s'en justifier, il obtient des
dommages contre son Seigneur, & conséquemment la liberté. On peut juger
par ces exemples des différentes circonstances où un villain peut
devenir libre sans la formalité de l'affranchissement.


*SECTION 209.*

*_Item_, si le Seignior dun mannor voile prescriber, que il ad estre
custome deins son mannor de temps dont memory ne curt, que chescun
tenant deins mesme le mannor que maria sa file a ascun home sans licence
de le Seignior del mannor, fera fine, & ont faire fine al Seignior del
mannor de le temps esteant, cest prescription est void. Car nul doit
faire tiels fines forsque tantsolement villeins. Car chescun franke home
poit franchement marier sa file a que pleist a luy & a sa file. Et pur
ceo que cest prescription est en counter reason, tiel prescription est
void.*

SECTION 209.--_TRADUCTION._

Si un Seigneur prétend, sans autre titre que la prescription, que tous
ceux qui demeurent dans l'étendue de sa Seigneurie sont dans l'usage
depuis un temps immémorial de ne marier leurs filles que de son
consentement, & que ceci a été récemment exécuté & promis par écrit, sa
prétention est illusoire; car il n'y a que des villains qui puissent
contracter de pareils engagemens, tout homme libre ayant pour sa fille
le choix d'un époux, & d'ailleurs toute prescription devant être fondée
en raison.

_REMARQUE._

_Nota_. Il faut entendre cet Article avec la restriction de la Section
174.


*SECTION 210.*

*Mes en l' County de Kent, ou terres & tenements sont tenus en
_Gavel-kind_ (a), la ou per le custome est use de temps dont memory ne
curt, les fits males doient ovelment enheriter, ceo custome est
allovvable, pur ceo que il estoit ove ascun reason, pur ceo que chescun
fits est auxy graund gentle-home come leigne fits est; & per case a
pluis grande honor & valour cressera sil avoit rien per ses ancesters,
ou auterment per adventure il ne puissoit tielment cresser, &c.*

SECTION 210.--_TRADUCTION._

En la Comté de Kent, où quelques terres ou tenemens sont tenus à charge
de certaines redevances, il est d'usage immémorial que les mâles
partagent également lesdites terres entr'eux. Or cette Coutume est
raisonnable: car le défaut de fortune peut être un obstacle à des cadets
pour acquerir de la gloire, & s'élever à un état honorable.

_REMARQUE._

(a) _Gavel-kind._

Voyez ce qui a été dit des Bourgs de la Province de Kent, Section 165.
Ici il est question des tenemens hors Bourgage. _Gavel-kind_ signifie
sorte de rente; _Gavel_ se prend en ce sens dans le Domesday, & dans un
Statut de la vingtieme année d'Edouard II, de _gavilleto_, la Ville
d'Oxford doit _pour Gabelle_ vingt livres de miel, &c.


*SECTION 211.*

*Item, _lou per custome_ (a) appel _Burgh English_ en ascun Burgh, le
fits puisne heritera touts les tenements, &c. Ce custome estoit ove
ascun certaine reason, pur ceo que le fus puisne (sil fault pere & mere)
per cause de son juventute poit le pluis meins de touts ses ferres luy
meme aider, &c.*

SECTION 211.--_TRADUCTION._

Il y a encore une Coutume appellée Bourgage Anglois, où le fils puîné
hérite de tous les tenemens. Ceci n'a encore rien d'opposé à la raison,
car le puîné, après la mort de ses pere & mere, est par sa jeunesse
moins en état que tout autre de se procurer la subsistance.

_REMARQUE._

(a) _Lou per custome._

Ces dispositions contiennent les Coutumes _de terres des ancientes
Domeines_. En certains Bourgs elles subsistoient avant la conquête
faite de l'Angleterre par les Normands.[667]

[Note 667: Britt. 188, 6.]


*SECTION 212.*

*Mes si home voile prescriber que si ascuns auns fueront sur les
demesnes de son mannor la dammage feasants, que le Seignior del mannor
pur le temps estant, ad use eux de _distreyner_ (a), & le distresse
retaine tanque fine fuit fait a luy pur l' dammage a sa volunt, cest
prescription est void, pur ceo que il est encounter reason, que si tort
soit fait a un home, que il de ceo serra son Judge demesne: Car per tiel
voy sil avoit dammages forsque al value dun mail, il puissoit assesser &
aver pur ceo cent s. que serroit encounter reason. Et issint tiel
prescription, ou ascun auter prescription use (si ceo soit encounter
reason) ceo ne doit estre allow devant Judges: _Quia malus usus
abolendus est._*

SECTION 212.--_TRADUCTION._

Mais si quelqu'un allegue qu'il est en possession du droit de distrainer
ou dépouiller ceux qu'il prend en dommage sur les fonds jusqu'à ce qu'on
lui ait payé la somme à laquelle il estime ce dommage, cette prétention
doit être rejettée, parce qu'il est ridicule qu'on soit arbitre soi-même
du tort dont on se plaint.

Il pourroit, en effet, arriver de-là que si le dédommagement étoit de la
valeur d'une maille, on en exigeroit cent sols. Ainsi toute prescription
contraire à l'équité ne peut jamais être admise en Jugement, & si elle
subsiste, on doit l'abolir.

_REMARQUES._

(a) _Distreyner._

Ce mot indique le droit qu'avoit tout créancier de se saisir, en
présence de témoins & du consentement des Seigneurs du lieu, de meubles
ou de fonds appartenans à son débiteur jusqu'à concurrence de ce que ce
dernier lui devoit.

On ne pouvoit en général, & hors quelques cas d'exception, tel que celui
de dettes contractées par un Forain dans un Bourg, &c. user de ce droit
qu'en vertu d'un Pref qui, quant à la forme & à ses effets, étoit
semblable aux lettres de _Debitis_ que l'on obtient encore parmi nous en
la Chancellerie. Ce Bref étoit adressé au Juge en ces termes:

_Rex, &c. justiciario aut vice-comiti, &c. ad quos præsentes litteræ
pervenerint, salutem. Mandamus vobis quatenùs omnes illos in vestris
balliis seu burgis, &c. qui debent N..... ad eadem debita ei vel suo
certo attornato latori præsentium justè sine dilatione reddenda secundum
quod idem N...., vel dictus ejus attornatus dicta debita sibi deberi ab
iisdem rationabiliter probare poterit coram vobis, prout justum, fuerit
compellatus, &c._

Aussi-tôt que le Juge recevoit ce Bref, il le remettoit à un Officier
_Summonitori_, pour qu'il fût saisir chez le débiteur une quantité de
meubles à peu près égale à la dette, & l'assignât à un jour certain pour
venir la nier ou reconnoître. Après quarante jours écoulés, si le
défendeur nioit la dette, le demandeur faisoit sa preuve sur le champ,
ou sans cela son action tomboit. La preuve une fois acquise, il
intervenoit une Sentence qui condamnoit au payement sous quinze jours:
ce délai expiré, la somme n'étant pas payée, on faisoit porter les
meubles saisis au principal marché de la Jurisdiction, & on les vendoit.
Quand il ne se trouvoit point d'acheteurs, les meubles s'apprécioient
par d'honnêtes gens, contre lesquels il n'étoit pas permis de proposer
de reproches, & on en délivroit au créancier à proportion de son dû.

Si le débiteur étoit Seigneur de Fief, on commençoit par saisir les
meubles de ses colons. Enfin, dans la poursuite du Bref de détresse on
n'admettoit point _d'exoines_ ou excuses de comparoître, parce que tout
y étoit traité provisoirement.[668]

[Note 668: _Leg. Maj._ L. 1, c. 5. Et _Quoniam attach._ c. 49.]



CHAPITRE XII.

_DE RENTES._


*SECTION 213.*

*Troys maners de Rents y sont, cest ascavoir, Rent service, Rent charge,
& Rent secke: Rent service est lou le tenant tient sa terre de son
Seignior per fealty, & certain rent, ou per homage, fealty, & certain
rent, ou per auters services, & certaine rent. Et si rent service soit a
ascun jour (que doit estre pay) aderre, le Seignior poit distrainer pur
ceo de common droit.*

SECTION 213.--_TRADUCTION._

Il y a trois sortes de Rentes, la _Rente de Service_, la Rente appellée
_Rente-Charge_ & la _Rente Seche_. La Rente de Service est celle que
doit un vassal pour une tenure qu'il releve de son Seigneur par féauté
ou par hommage & féauté, avec l'obligation de payer une rente; si ce
vassal néglige de payer cette rente au jour fixé, le Seigneur peut, de
droit, saisir le fonds en sa main.


*SECTION 214.*

*Et si home voyloit doner terres ou tenements a un auter en taile,
rendant a luy certain Rent per an, il de common droit poit distreiner
pur le rent aderere, coment que tiel done fuit fait sauns fait, pur ceo
que tiel Rent est Rent service. En mesme le manner est, si leas soit
fait a un home pur terme de vie, ou dauter vie, rendant al lessor
certain rent, ou pur terme de ans rendant certaine rent.*

SECTION 214.--_TRADUCTION._

Ce sont encore des Rentes de service que celles auxquelles un possesseur
s'oblige pour les terres ou tenements qu'il tient en fief tail ou
conditionnel, ou pour sa vie ou pour un certain nombre d'années; car
soit que l'inféodation ait été portée ou non par écrit, le Seigneur peut
faire saisir le fonds pour les arrérages desdites Rentes.


*SECTION 215.*

*Mes en tiel cas ou home sur tiel done ou lease voile reserver a luy
rent service, il covient que le reversion de les terres & tenements soit
en le donor ou lessor, car si home voile faire feoffement en fée, ou
voile donor terres en taile, le remaindre oustre en fée simple sans
fait, reservant a luy certaine rent, tiel reservant est void,[669] pur
ceo que nul reversion remaine en le donor, & tiel tenant tient la terre
immediatment de le Seignior de que son donor tenoit, &c.*

[Note 669: Vacuum.]

SECTION 215.--_TRADUCTION._

Mais afin que la Rente réservée par un vendeur ou un donateur soit une
Rente de service, il faut qu'il se soit réservé le droit de retour du
fonds; car si après avoir fait don de partie de son fief, à titre de
fief conditionnel, il cede le résidu à pur fief, en ne se réservant
qu'une rente, cette rente n'est point une Rente de service, parce que le
vendeur ou donateur n'a plus aucun droit sur le fonds, & que l'acquereur
ou donataire releve immédiatement du suzerain dont le vendeur ou
donateur relevoit.


*SECTION 216.*

*Et ceo est per force de lestatute de _Quia emptores terrarum_ (a), car
devaunt le dit estatute si home fesoit un feoffement en fée simple, per
fait ou sans fait, rendant a luy & a ses heires certaine rent, ceo fuit
rent service, & pur ceo il puissoit _distreiner_ (b) de common droit, &
sil fuit nul reservation dascun rent ne dascun service, uncore le
feoffée tenust del feoffor per autiel service que le feoffor tenust
oustre de son Seignior procheine paramount.*

SECTION 216.--_TRADUCTION._

Ceci est fondé sur le Statut _Quia emptores terrarum_. Avant ce Statut,
si quelqu'un cédoit ou donnoit en fief simple, par écrit ou sans écrit,
le fief qu'il possédoit, à la charge de lui faire, & à ses héritiers,
une rente, cette rente étoit une Rente de Service pour laquelle il
pouvoit saisir le fonds de commun droit. Et si lors de la cession ou du
don du fief il n'étoit fait par le donateur aucune réserve de service
ni de rente, le donataire ne devoit au donateur en ce cas que les mêmes
services auxquels ce dernier étoit tenu envers son Seigneur suserain
avant son aliénation.

_REMARQUES._

(a) _Quia emptores._ Voyez ce qui est dit de ce Statut, Section 140.

(b) _Distrainer, distringere_, saisir, _in suum usum capere aliquid ad
debiti compensationem. Glossar. Willelmi Wast in fin. Matth. Paris._
Le Seigneur ne pouvoit saisir le fonds, _distringere, saisire, vel
recognoscere tenementum_, pour les arrérages du bail qu'il en avoit
fait; mais il avoit ce droit pour tous les services qui lui étoient dûs
par son vassal, ou pour tout ce qui représentoit les services relatifs
aux sous-inféodations qu'il avoit faites.[670]

[Note 670: _Quoniam attach._ c. 46 & 47.]


*SECTION 217.*

*Mes si home per fait endent a cel jour, fait tiel done en fée taile, l'
remainder ouster en fée, ou lease a terme de vie, le remainder ouster en
fée, ou un feoffment en fée & per mesme lendenture il reserve a luy, & a
ses heires un certaine rent, & que si le rent soit aderere, que bien
lirroit a luy & a ses heires a distreiner, &c. tiel rent est rent
charge, pur ceo que tielx terres ou tenements sont charges ove tiel
distresse per force de le scripture tantsolement, & nemy de common
droit. Et si tiel home sur fait endent reserva a luy, & a ses heires
certain rent sans ascun tiel clause mise en le fait, que il poit
distreine, donque tiel rent est rent secke, pur ceo que il ne poit vener
de aver le rent, si ceo soit deny per meane de distresse, & sil ne suit
unques en cest cas seisie de la rent, il est sans remedie, come serra
dit apres.*

SECTION 217.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un par un acte autentique donne une partie de ses fonds en
fief tail ou conditionnel, partie en fief à terme de vie, une autre
partie en fief simple: dans le cas où par ce même acte il se réserve, &
à ses successeurs, une rente & le droit de se saisir du fonds à défaut
de payement, cette rente est une _Rente-charge_; parce que c'est par
l'acte & non de droit que les fonds en sont chargés. Mais si la clause
qui exprime la faculté de saisir à défaut de payement n'est pas employée
dans l'acte, la rente s'appelle _Rente-seche_, parce qu'on ne peut
saisir le fonds pour les arrérages de cette rente, comme il sera dit
ci-après.


*SECTION 218.*

*Auxy si home seisie de certain terre graunt per un fait polle,[671] ou
per indenture un annual rent issuant hors de mesme la terre a un auter
en fée ou en fée taile, ou per terme de vie, &c. ovesque clause de
distresse, &c. donques ceo est rent charge, & si le grant soit sans
clause de distresse, donques il est rent seck. Et _nota_, que Rent
seck _idem est quod redditus siccus_, pur ceo que nul distresse est
incident a &c.*

[Note 671: Du mot _pollex_.]

SECTION 218.--_TRADUCTION._

Si un possesseur de fonds constitue sous seing ou par acte autentique
une rente sur ce fonds, soit en fief conditionnel ou en fief simple ou à
terme de vie, avec la clause que l'acquereur pourra user de saisie, &c.
cette rente, à l'égard de l'acquereur, n'est qu'une _Rente-charge_; & si
en l'acte de cession de la rente le vendeur de la rente a omis la clause
portant le droit de saisir, &c. la rente n'est qu'une _Rente-seche_ en
la main de l'acquereur, c'est-à-dire, qu'il ne peut saisir le fonds pour
le payement des arrérages.


*SECTION 219.*

*_Item_, si home granta per son fait un rent charge a un auter, & le
rent est arere,[672] le grantee poet eslier sil voet suer un Briefe de
Annuity de ceo envers l' grantor ou destreiner pur le rente arere, & l'
distresse retaine tanque il soit de ceo pay, mes il ne poit faire ne
aver ambideux ensemble, &c. Car sil recover per Briefe Dannuity, donques
la terre est discharge de le distresse, &c. Et sil ne suist Briefe
de Annuitie, mes distreine pur les arrerages, & le tenant suist son
_Replegiare_ (a), & donques le grantee avowa le prisel de le distresse
en le terre en Court de record, donques est la terre charge, & la person
del grantor discharge de action de Annuity.*

[Note 672: _Arere_, arréragée.]

SECTION 219.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un ayant vendu une _Rente-charge_ à un autre, cette rente
s'arrérage sans payement, l'acquereur peut opter entre un _Bref
d'Annuité_ envers le vendeur, comme son garant, ou saisir le débiteur,
& retenir en sa main ce qu'il a saisi jusqu'à ce qu'il soit payé; mais
il ne doit pas cumuler les deux procédures: car si le _Bref d'Annuité_ a
son effet, la terre est déchargée de la saisie, &c. Et si au contraire
cet acquereur use de saisie, & prouve contre son débiteur qui poursuit
la restitution des objets saisis en Cour de Record que ce droit d'user
de saisie sur la terre lui appartient, la terre reste dès-lors chargée
du payement; mais la personne du vendeur se trouve à l'abri de toute
poursuite.

_REMARQUES._

(a) _Replegiare._

_Replegiare_, c'est revendiquer ses meubles ou bestiaux saisis & déposés
en la main de Justice. Lorsque le débiteur saisi nioit la dette, on lui
restituoit les objets saisis, sous caution de les représenter après la
décision du procès. C'étoit ordinairement chez les Seigneurs du saisi
que les _Namps_ du créancier étoient déposés. Il arrivoit quelquefois
des difficultés de la part de ces Seigneurs sur la restitution qui leur
en étoit demandée sous caution; mais le propriétaire des Namps pouvoit
s'adresser aux Juges supérieurs de la Cour du Roi; & sur sa plainte, le
Sergent de cette Cour, après avoir sommé le dépositaire de rendre les
_Namps_, l'assignoit & l'obligeoit de donner lui-même caution de la
justice de son refus. Quand le Seigneur étoit assez inconsidéré pour
méconnoître qu'il eût reçu les objets réclamés, s'il résultoit de
l'enquête le contraire de ce qu'il avoit avancé, il étoit puni
sévérement; _car jaçoit ce que l'en ne die pas plainement que ce soit
larcin, si semble il qu'il y ait un pou de saveur de larçin_.

On ne pouvoit saisir le fonds, qu'au préalable on n'eût discuté les
meubles & _avoirs_, _averia_, comme bestiaux, grains, &c.


*SECTION 220.*

*_Item_, si home voile que un auter averoit un Rent charge issuant
hors de sa terre, mes il ne voile que sa person soit charge en ascun
maner per briefe dannuitie, donques il poit aver tiel clause en la
fine de son fait: _Proviso semper, quod præsens scriptum, nec aliquid
in eo specificatum, non aliqualiter se extendat ad onerandum personam
meam, per breve, vel actionem de annuitate, sed tantummodo ad onerandum
terras, & tenementa mea de annuali redditu prædicto_, &c. Donques la
terre est charge, & le person del grantor discharge.*

SECTION 220.--_TRADUCTION._

Un homme qui a une _Rente-charge_ sur un fonds démembré de son domaine,
& qui ne veut pas être personnellement appellé en garantie par _Bref
d'Annuité_, peut, en vendant cette rente, employer dans le Contrat cette
clause: _Etant observé que le présent acte ni ce qui y est spécifié ne
pourra donner aucune action contre moi, mais les terres chargées de
ladite rente seront seules responsables des arrérages qui en pourroient
être dues à l'avenir._


*SECTION 221.*

*_Item_, si home fait tiel fait en tiel manner que si _A._ de _B._ ne
soit annuelment pay al feast de Noel pur terme de sa vie xx s. de loyal
mony, que adonques bien lirroit a mesme cestuy _A._ de _B._ a distreiner
pur ceo en le mannor de _F._ &c. ceo est bone rent charge, pur ceo que
l' mannor est charge ove le rent per voy de distresse, & uncore la
person de celuy que fait tiel fait, est discharge en tiel case de action
dannuitie, pur ceo que il ne granta per son fait ascun annuitie a l' dit
_A._ de _B._ mes granta tantsolement, que il poit distrainer per tiel
annuitie, &c.*

SECTION 221.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un fait un acte par lequel il stipule que si A. n'est pas payé
par B. à Noël pendant sa vie de 20 s. d'argent monnoyé, A. pourra user
de saisie sur les fonds de F. ceci constitue une _Rente-charge_, & le
fonds est spécialement chargé de la rente, & sujet à la saisie; mais le
vendeur de la rente ne peut être attaqué personnellement, car il n'a pas
garanti le payement de B. il a seulement cédé un droit de saisir sur un
fonds, &c.


*SECTION 222.*

*_Item_, si home ad un rent, charge a luy & a ses heires issuant hors de
certein terre, sil purchase ascun parcel de cel a luy, & a ses heires,
tout le rent charge est extinct, & lannuitie auxy, pur ceo que rent
charge ne poit per tiel maner estre apportion. Mes si home que aver rent
service, purchase est issuant, ceo nextiendra tout, mes pur le parcel,
car rent service en tiel cas poit estre apportion solonque le value de
la terre. Mes si un tient sa terre de son Seignior per le service de
render a son Seignior annuelment a tiel feast un chival, ou un esperon
dor, ou un clove gylofer, & _hujusmodi_, si en tiel cas l' Seignior
purchase parcel de la terre, tiel service est ale,[673] pur ceo que tiel
service ne poit estre sever,[674] ne apportion.*

[Note 673: _Ale_, du mot _aller_.]

[Note 674: _Separari._]

SECTION 222.--_TRADUCTION._

Si un propriétaire de Rentes-charges affectées sur un fonds acquere
partie de ce fonds, le privilége de ces rentes qui lui étoient dues est
anéanti; car ce qui caractérise une Rente-charge, est qu'elle ne peut
être divisée.

Il en est autrement d'une Rente de Service: celui à qui elle
appartient peut acquerir partie de la terre qui y est sujette, sans
perdre sa rente, parce que cette sorte de rente se divise à proportion
du fonds qui y est affecté. Il faut cependant entendre ceci avec cette
restriction, que si au lieu d'une rente le Seigneur a sur une terre une
redevance annuelle d'un cheval qui doit lui être présenté à telle Fête,
ou d'un éperon d'or, ou d'un clou de géroffle, &c. en ce cas le Seigneur
qui acquiere une partie du fonds assujetti à cette redevance, est censé
l'avoir amortie, parce qu'elle ne peut être divisée.


*SECTION 223.*

*Mes si un home tient sa terre dun auter, per homage, fealtie & escuage,
& per certaine rent, si le Seignior purchase parcell de la terre, &c. en
tiel cas l' rent sera apportion, come est avantdit; mes uncore en cest
case l' homage & fealty demurront entier a le Seignior, car le Seignior
avera le homage & fealtie de son tenant pur le remnant de les terres &
tenements tenus de luy, come il avoit adevant, pur ceo que tiels
services ne sont passe annuals services, & ne poyent estre apportion,
mes lescuage poit, & serra apportion solonque lafferance & rate[675] de
la terre, &c.*

[Note 675: Rate, _ratio_.]

SECTION 223.--_TRADUCTION._

Qu'un vassal tienne une terre par Hommage, Féauté, Escuage & une Rente,
le Seigneur qui acquiert partie de la terre ne confond en sa personne
qu'une portion équivalente à son acquisition, & indépendamment de cela
l'hommage & la féauté lui sont dûs en entier par ses vendeurs; car
l'Hommage & la Féauté ne sont pas des services annuels, mais des devoirs
qui ne peuvent être divisés. Il n'en est pas de même de l'Escuage,
chaque portion du fonds en doit supporter sa part.


*SECTION 224.*

*_Item_, si home ad un rent charge, & son pier purchase parcel de les
tenements charges en fée, & morust, & cel parcel descend a son fits, que
ad l' rent charge, ore cel charge serra apportion solonque le value de
la terre, come en avantdit de Rent service, pur ceo que tiel portion de
la terre purchase per la piere, ne vient al fits per son fait demesn,
mes per discent & per course del Ley.*

SECTION 224.--_TRADUCTION._

Si un pere acquiere partie des tenemens sujets à une Rente-charge,
après son décès, son fils qui étoit propriétaire de cette rente avant
son acquisition, supportera partie de ladite rente à proportion de ce
qui lui en sera échu de la succession de son pere, parce que l'acquêt de
son pere n'est point de son fait.


*SECTION 225.*

*_Item_, si soit Seignior & tenant, & le tenant tient de son Seignior
per fealty & certaine rent, & le Seignior grant le rent per son fait a
un auter, &c. reservant a luy le fealty, & le tenant atturna al grantee
de l' rent, ore tiel rent est rent seck a le grantee, pur ceo que les
tenements ne sont tenus del grantor de le rent, mes sont tenus del
Seignior que reserve a luy fealty.*

SECTION 225.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un tient une terre d'un Seigneur par féauté & par une rente,
dans le cas où le Seigneur vend la rente à un autre, & se réserve la
féauté, quoique le possesseur de la terre agrée la cession de la rente,
cette rente cependant n'est plus qu'une _Rente-seche_; l'acquereur, en
effet, n'a acquis en ce cas, du consentement du possesseur, aucun droit
sur la tenure, puisque ce Seigneur s'est réservé la féauté.


*SECTION 226.*

*Et mesme le manner est lou home tient sa terre per homage, fealtie, &
certaine rent, si le Seignior grant la rent, savant a luy le homage,
tiel rent apres tiel grant est rent secke. Mes la ou terres sont tenus
per homage, fealty & certaine rent, si le Seignior voit granter per son
fait le homage de son tenant a un auter savant a luy le remnant de les
services, & le tenant atturna a luy, solonque le forme del graunt, en
cest case le tenant tiendra sa terre del grantee, & le Seignior que
grantast le homage navera forsque le rent come rent seck, & ne unques
distreynera pur le rent, pur ceo que homage ne fealtie, ne escuage ne
poit estre dit seck, car nul tiel service poit estre dit seck. Car celuy
que ad ou doit aver homage, ou fealty, ou escuage de sa terre poit per
common droit distreyner pur ceo sil soit aderere, car homage, fealtie &
escuage sont services, per queux terres ou tenements sont tenus, &c. &
sont tiels que en nul maner poient estre prises forsque come services,
&c.*

SECTION 226.--_TRADUCTION._

Il en est de même quand quelqu'un tient par hommage, féauté & une rente:
car si le Seigneur aliene sa rente, en se réservant l'hommage, cette
rente est une Rente-seche.

Mais si des terres étant tenues par hommage, féauté & rente, le Seigneur
aliene l'hommage de son tenant de son consentement, & se conserve ses
autres droits, en ce cas celui-ci releve sa terre de l'acquereur, & le
Seigneur qui a vendu l'hommage n'a sa rente que comme Rente-seche, pour
laquelle il ne peut _distrainer_ ou saisir; car c'est sur-tout à cause
du défaut de l'hommage, de la féauté, de l'escuage, qui ne sont pas des
redevances, mais des services, qu'une terre peut être de droit saisie.


*SECTION 227.*

*Mes auterment est de rent que fuit un foits rent service, pur ceo que
quant il est sever per le grant le Seignior de les auters services, il
ne poit estre dit rent service, pur ceo que il ne ad a ceo fealty, que
est incident a chescun manner de rent service, & pur ceo est dit rent
secke, si le Seignior ne poit grant tiel rent ove distresse, come est
dit.*

SECTION 227.--_TRADUCTION._

Quand un Seigneur vend, séparément des autres devoirs ou services qui
lui sont dûs, une _Rente de service_, cette rente perd sa qualité, parce
qu'elle n'est pas jointe à la féauté, sans laquelle on ne reconnoît
aucun service ou devoir Seigneurial; elle devient une Rente-seche, à
laquelle le Seigneur ne peut attribuer le droit de _détresse_ ou saisie.


*SECTION 228.*

*_Item_, si home lessa a un auter terres pur terme de vie, reservant a
luy certain rent, sil grant le rent a un auter per son fait, savant a
luy la reversion de la terre issint lesse, &c. tiel rent nest forsque
rent seck, pur ceo que l' grantee nad riens en le reversion del terre,
&c. Mes sil grant le reversion del terre a un auter pur terme de vie, &
le tenant atturne, &c. donques ad le grantee le rent come rent service,
pur ceo que il ad le reversion pur terme de vie.*

SECTION 228.--_TRADUCTION._

Quand un homme abandonne à un autre ses terres pour sa vie, & se réserve
seulement une rente, s'il vend la rente, sauf le retour de la terre à sa
personne, &c. telle rente n'est qu'une Rente-seche, parce que le
cessionnaire n'a pas à son profit ce droit de retour. Mais si celui qui
s'est réservé le droit de retour le vend pour la vie de l'acquereur, &
si le débiteur l'agrée, la rente est une Rente-service à l'égard de
l'acquereur tant qu'il est vivant.


*SECTION 229.*

*Et issint est a entendue que si home dona terres ou tenements en le
taile, rendant a luy & a ses heires certaine rent, ou lessa terre pur
terme de vie, rendant certaine rent, sil granta le reversion a un auter,
&c. & le tenant atturna, tout le rent & service passe per cest parol
(reversion) pur ceo que tiel rent & service en tiel cas sont incidents a
le reversion, & passont per le grant de le reversion. Mes coment que il
granta le rent a un auter, le reversion ne passa my pur tiel grant, &c.*

SECTION 229.--_TRADUCTION._

De la disposition précédente il faut conclure que si celui qui donne à
quelqu'un à condition ou à terme de vie ses terres ou tenements à charge
de rente, vend à un autre le droit de retour desdites terres, de
l'agrément de celui qui les possede, la rente & les devoirs seigneuriaux
passent, en vertu de ce seul mot (retour), à celui qui acquiert ce
droit; parce qu'on ne peut concevoir le retour d'une terre séparément de
celui des services dépendans de cette terre; mais quand on aliene
seulement une rente affectée sur des fonds, le droit de retour n'est pas
aliéné pour cela.


*SECTION 230.*

*Issint _nota_, le diversitie. Et issint est tenus, _P. 21, E. 4._ Mes
il est adjudge, _an. 26., lib. Assisarum_, ou les services del tenant
en taile fueront grants, que ceo suit bone grant, nient obstant que le
reversion demurt.*

SECTION 230.--_TRADUCTION._

On peut se convaincre de l'exactitude de ces décisions par les Actes du
21er Parlement tenu sous Edouard IV, en observant néanmoins, avec le 26e
Livre des Assises, que quand les services d'un tenant à condition sont
vendus, la vente est valable, quoiqu'on se soit réservé le retour des
tenemens après la condition expirée.


*SECTION 231.*

*_Item_, si soit Seignior, mesne, & tenant, & le tenant tient del mesne
per service de 5 sols & le mesne tient ouster per service de 12 deniers
si le Seignior paramount purchase le tenancie en fée, donques le service
de le mesnaltie est extinct, pur ceo que quant le Seignior paramount ad
le tenancie, il tient de son Seignior procheine paramount a luy, & sil
doit tener ceo de luy que fuit mesne, donques il ce vassal, tiendra un
mesme tenancie immediate de divers Seigniors, per divers services, que
serroit inconvenient, & la ley voit plus tost suffer un mischiefe que un
inconvenience, & pur ceo le Seigniory del mesnaltie est extinct.*

SECTION 231.--_TRADUCTION._

En supposant un Seigneur moyen qui a au dessus de lui un autre Seigneur,
et que le tenant du Seigneur moyen doive à celui-ci pour service 5 sols,
tandis que le Seigneur moyen devroit à son Seigneur, pour service, 12
deniers, si ce supérieur acquiert du tenant ses terres, le service dû
par ce dernier à son Seigneur moyen se trouve éteint: car lorsque le
Seigneur suzerain d'un vassal devient propriétaire de la tenure de ce
vassal releve du suzerain, son nouveau Seigneur, par la raison que s'il
relevoit de son premier Seigneur, vendeur de la tenure, il se trouveroit
soumis immédiatement à deux Seigneurs; ce qui ne conviendroit pas.

Or, la Loi préfere ce qui est équitable en général, à ce qui peut être
préjudiciable dans un cas particulier.


*SECTION 232.*

*Mes entant que le tenant tenust del mesne per 5 s. & le mesne tenust
forsque per 12 deniers, issint que il avoit pluis en advantage per 4 s.
que il payast a son Seignior, il avera les dits 4 s. come rent secke
annuelment de le Seignior que purchase le tenancie.*

SECTION 232.--_TRADUCTION._

Il est cependant à remarquer que dans la supposition qui vient d'être
faite, comme le tenant releveroit de son Seigneur moyen par 5 s. de
rente ou de service, & que ce Seigneur moyen ne devroit que 12 deniers,
celui-ci ne payeroit réellement au Seigneur qui auroit été avant
l'acquisition au-dessus de lui que 4 s.; & par cette raison il faut
tenir pour maxime que le Seigneur suzerain du tenant aura, dans le cas
exposé en la précédente Section, à payer au Seigneur moyen du tenant
dont il a acquis la tenure, 4 s. comme Rente-seche par chaque année.


*SECTION 233.*

*_Item_, si home que ad rent secke est un foits seisie dascun parcel
de le rent, & apres l' tenant ne voit payer l' rent aderere, ceo est
son remedie, il covient de aler per luy ou per auters, a les terres ou
tenements dont l' rent est issuant, & la demaunder les arerages del
rent, & si le tenant denia ceo de payer, cest denier est un disseisin
de le rent. Auxy si le tenant ne soit adonques prist a payer, ceo est
un denier que est un disseisin de rent. Auxy si l' tenant ne nul auter
home soit demurrant sur les terres ou les tenements, pur payer le rent
quaunt il demand les arrerages, ceo est un denier en ley & un disseisin
en fait, & de tiels disseisins il poit aver assise de _novel disseisin_
envers l' tenant, & recovera l' seisin del rent, & ses arrerages & ses
dammages, & les costages de son briefe & de son plee, &c. Et si apres
tiel recovry & execution ewe le rent soyt auter foits a luy denie,
donque il avera un redisseisin, & recovera ses double damages, &c.*

SECTION 233.--_TRADUCTION._

Si quelqu'un propriétaire d'une Rente-seche ne peut s'en faire payer, il
doit aller lui-même ou envoyer sur les terres qui sont affectées à cette
rente pour sommer le débiteur d'en payer les arrérages; si le débiteur
fait refus, c'est un trouble de la possession de la rente, & si ce
débiteur n'est pas en état de payer, ou s'il ne se trouve point sur le
fonds qui doit la rente lors de la sommation, ceci en droit équivaut à
un refus de fait: le créancier peut dès-lors obtenir un Bref de nouvelle
dessaisine contre le possesseur du fonds, à l'effet de recouvrer la
possession de sa rente, ses arrérages, dommages & coût du Bref & de la
Plaidoirie, &c. Si après avoir recouvré sa rente celui à qui elle est
dûe éprouve de nouvelles contestations sur le payement, il peut, par un
Bref de _redessaisine_, obtenir doubles dommages, &c.

_ANCIEN COUTUMIER._

L'en doibt savoir que des dessaisines les unes sont de terres, les
aultres de rentes, les aultres de faisances, les aultres de franchises,
les aultres de services, de quoi les Briefs se varient. Ch. 93.


*SECTION 234.*

*_Et memorandum_, que cest nosme _Assise_, (a) _est nomen æquivocum_,
car ascun foits est prise sur un jurie, car le commencement de le
record de Assise de novel disseisin issint commencera: _Assisa venit
recognitura, &c. quod idem est quod jurata venit recognitura_, &c. Et
la cause est, pur ceo que per le Briefe de Assise, il est command a
la Vicont, _quod faceret duodecim liberos & legales homines_ (b) _de
vicineto, &c. videre tenementum illud, & nomina illorum imbreviare, &
quod summoneat eos per bonos summonitores, quod sint coram Justiciariis,
&c. parati inde facere recognitionem_, &c. Et pur ceo que pur tiel
original, un panel per force de mesme le briefe devoit estre returne,
&c. il est dit en l' commencement del Record en le Assise, _Assisa venit
recognitura_, &c. Auxy en briefe de droit il est communement dit, que le
tenant luy poi mitter en Dieu & grand Assise, &c. Auxy il y ad un briefe
en le _Register_, que est appel briefe _de Magna Assisa eligenda_.
Issint est ceo bien prove que cest nosme Assise, _aliquando ponitur
pro Jurat_. Et ascun foits il est prise pur tout le briefe dassise, &
solonque cel entent il est pluis properment, & pluis communement prise,
sicome Assise de novel disseisin est prise pur tout l' breve de _Assise
de novel disseisin_. Et en mesme le manner Assise de common de pasture
est pris pur tout le briefe dassise de common de pasture, & Assise
de _mort dancester_ (c) est prise pur tout le briefe dassise de mort
dancester & assise de _darraine presentment_ (d) est prise pur tout le
breve dassise de darraine presentment. Mes il semble que le cause pur
que tiels briefes al commencement fueront appels Assises fuit pur ceo
que per chescun tiel briefe il est commande al Viscont, _Qd' summoneat
xii_, le quel est a tant adire, que doit summoner un Jurie. Et ascun
foits _assise est prise pur un ordinance_, (e) son pur mitter certaine
choses en certaine rule & disposition, sicome ordenance que est appel
_Assisa panis & cervisiæ_.*

SECTION 234.--_TRADUCTION._

Il est bon de se rappeller que le nom d'Assise est susceptible de
divers sens. On le prend quelquefois pour l'Audience où l'on procede
à la réception des Jureurs qui doivent faire la vue ou examen du lieu
en litige; c'est pour cela que le record de l'Assise commence par ces
mots: _Assisa venit recognitura, &c. quod idem est quod jurata venit
recognitura_; car le Bref d'Assise porte commandement au Vicomte de
choisir douze hommes irréprochables du voisinage qui ayent vu le fonds
contesté, & de joindre au Bref une liste de leurs noms, afin que les
Appariteurs pussent les sommer de comparoître devant les Justiciers, &c.
pour aller ensuite reconnoître la situation du fonds; & comme partie
de ceux employés sur la liste peut être récusée, le Record de l'Assise
s'intitule ainsi, _Assisa venit recognitura_. En second lieu, dans le
Bref de droit on dit ordinairement que le tenant met sa cause en la
volonté de Dieu & _de la grande Assise_, parce qu'en effet parmi les
Brefs de Chancellerie il y en a un de _Magnâ Assisâ eligendâ_.

Ainsi tantôt _Assise_ signifie _la Jurée_ ou l'Audience où les Jureurs
prêtent serment, tantôt il désigne toutes les Procédures qui se font en
l'Assise; mais plus communément ces expressions, _Assise de nouvelle
dessaisine_ s'entendent de tout ce qui se fait en conséquence du Bref de
nouvelle dessaisine. C'est aussi dans le même sens qu'on dit Assise de
commun pâturage, Assise de mort d'ancêtres, Assise de derniere
présentation. Ce nom d'Assise a été anciennement donné aux Brefs que
l'on obtient pour la suite de différentes causes, parce que tous Brefs
enjoignent aux Vicomtes de faire sommer douze voisins, ce qui est la
même chose que s'il leur étoit ordonné de faire assembler le Siége où
ils doivent être entendus. Quelquefois néanmoins _Assise_ signifie une
Ordonnance de Police, telles que celles qui reglent le prix & la qualité
du pain, de la bière, &c.

_ANCIEN COUTUMIER._

Assise est une Court en laquelle ce qui est faict doibt avoir perdurable
fermeté, car se l'en nye ce qui a esté fait ès Plets de la Vicomté on le
peut amender par une _desrene_;[676] mais ce qui est faict en Assise ne
reçoit aulcun desrene, ains est confermé à toujours par le record de
l'Assise, & doibt avoir 40 jours entre deux Assises. Ch. 55.

[Note 676: Du mot _disrationare_, parce que cette action étoit accordée
au défendeur pour _montrer_ par son serment & celui de 2 témoins, à
son pair, que celui-ci lui avoit imputé un fait dont il n'étoit pas
civilement responsable, Anc. Coutum. c. 123, & que conséquemment
l'action étoit _contre raison_, _desrénable_ pour déraisonnable.]

L'en doibt savoir que ceulx sont appellés Jureurs, qui par le serment
qu'ils ont fait en Court, sont tenus à dire vérité des querelles selon
ce qu'il leur sera enchargié par la Justice ou par cil qui sera en son
lieu. Quand contends doibt estre finé par le serment de Jureurs, il
convient qu'ils sachent les circonstances des contends, si come des
personnes entre qui le contends est, & de la chose de quoy il est, la
cause, le lieu, le temps & la maniere.

Les espéciaulx amis, ne les ennemis, ne les cousins, ne aulcun de qui
l'en puisse par certaine raison avoir soupçon d'amour ou de haine ou de
lignage, ne doibvent pas estre reçus au serment, ne ceulx qui sont
personiers de la querelle ou qui ont semblable querelle, ne ceulx qui
l'ont menée ou deffendue en Court, ne maintenue ou esté conseilleur, ne
ceulx qui rien ne savent de la chose de quoy le contends est, & qui ne
sont du temps ne du lieu de quoy ils en puissent rien savoir, ne
doibvent estre reçus en la Jurée, ne ceulx qui sont reprins de parjure
ou de porter faux témoins, ou vaincus en champ de bataille, ou ceulx qui
sont infames, & pour ce doibt l'en savoir que l'en doibt semondre aux
Jurées les plus prudhommes, & les plus loyaux & les plus prochains, &c.
Ch. 69.

_REMARQUES._

(a) _Assise._

Quand un particulier avoit obtenu du Prince un Bref portant permission
de poursuivre son droit en _assise_; si celui contre lequel le Bref
étoit accordé n'avoit aucune exception valable à proposer, soit contre
le porteur du Bref, soit contre sa forme; le Vicomte composoit un
Tribunal _assisam_ des personnes qu'il croyoit les plus capables de
prononcer sur la question.[677] Ces personnes au nombre de douze, en
présence des parties & de la Cour où la cause devoit s'instruire,
prêtoient serment qu'elles avoient la connoissance requise pour indiquer
le meilleur droit. Après que les reproches de parenté, inimitié, &c.
avoient été examinés, ceux que l'on substituoit aux suspects faisoient
_la vue_ ou examen du lieu, du fonds ou du fait contesté; & comme il
arrivoit ou que tous, ou que quelques-uns seulement n'avoient aucune
notion du fait en litige, on choisissoit douze autres jureurs, ou on
suppléoit par d'autres à ceux qui ne se trouvoient pas en état de
décider, de maniere que le nombre requis par le Bref fût complet.
Quelquefois cependant les uns étoient favorables au demandeur & d'autres
au défendeur, & alors on augmentoit le nombre des jureurs de part &
d'autre, jusqu'à ce qu'il y en eût douze d'avis uniforme. Cet avis
formoit la Sentence des Juges, & toute Sentence d'assise étoit sans
appel,[678] à moins que le condamné n'offrît prouver que toute l'assise,
ou plutôt les jureurs de l'assise, avoient fait un faux serment; car
cette preuve ne pouvoit être refusée. Elle se faisoit par vingt-quatre
hommes irréprochables; & les parjures duement convaincus, non-seulement
étoient punis par la confiscation de leurs biens, mais de plus ils
gardoient prison pendant un an, & étoient déclarés infames.[679]

[Note 677: _Reg. Maj._ L. 3, c. 28.]

[Note 678: _Ibid._ L. 1, c. 12.]

[Note 679: _Ibid._ c. 14, & _Quoniam attachiam._ ch. 53.]

(b) _Legales homines._

Il ne faut pas confondre ces hommes _loyaux_ ou jureurs avec les témoins
ordinaires. Les jureurs n'étoient point obligés d'attester qu'un fait
étoit tel qu'une des parties l'articuloit, mais seulement qu'ils avoient
lieu de penser, par des raisons d'équité ou de convenance, que ce fait
étoit ou n'étoit pas vrai. C'est pour cela que la Loi Salique[680]
n'exige de l'homicide insolvable, que le serment de douze jureurs en
état de déclarer qu'ils n'ont rien vu, ni sur la superficie, ni dans
l'intérieur de ses terres, d'équivalent à la composition qu'il doit; &
que dans les Capitulaires, les accusés de conspiration sont autorisés
d'administrer des jureurs pour attester que leurs assemblées n'ont eu
pour cause aucun projet pernicieux à l'Etat.[681] Les jureurs mettoient
la main sur les Evangiles ou sur des Reliques; & comme en certains cas
la Loi n'exigeoit que deux ou trois jureurs, & dans d'autres plus, ce
qui alloit quelquefois à trois cens: il y est ordonné que l'accusé
jurera par deux, trois, quatre, cinq mains, &c. suivant les
circonstances. Les laïcs avoient pour jureurs des laïcs, les
Ecclésiastiques des jureurs de leur ordre, les femmes des personnes de
leur sexe;[682] les Moines ne prêtoient jamais serment. Plût à Dieu
qu'ils vécussent encore d'une maniere à être crus, comme autrefois en
Jugement, sur leur simple parole.[683]

[Note 680: _Lex Salic._ c. 61: _De chrenechruda._]

[Note 681: Capitul. L. 3, c. 9.]

[Note 682: _Annal. Benedict. L. 14, ann. 659, tom. 1, pag. 417, & tom.
3, L. 37, pag. 270, ann. 274._]

[Note 683: _Ibid_, tom. 2, L. 28: _Felices! si tales se præstarent ut
iis simpliciter affirmantibus vel in propriâ causâ, ut olim, etiam nunc
crederentur_. Vid. ann. 887, ibid, tom. 3, pag. 245.]

(c) _Bref de mort d'ancester._

Voici le modele de ce Bref, tiré des Loix d'Ecosse & de l'ancien
Coutumier Normand.

*Rex justiciario salutem mandamus vobis quatenus per probos & fideles
homines justè & secundum assisam terræ recognosci faciatis, si quondam
A... pater B... latoris præsentium obiit vestitus & saisitus de terrâ
F... & si dictus B... filius dicti A... sit legitimus & propinquior
hæres ejusdem de eâdem terrâ, & si nihil sit, saisinam dictæ terræ de
jure recuperare non debeat; quod si ita esse inveneritis & talis
injustè terram detinet ut dicit, talem saisinam dicto B... justè habere
faciatis.*[684]

[Note 684: _Quoniam attachiam._ c. 52.]

Se T..... donne plége de suivir sa clameur, semond le recognoissant du
voisiné qu'il soit aux premieres assises du Bailliage, à reconnoître,
sçavoir, se N.... étoit saisi en cet an quand il morust de la terre que
T..... lui déforce, fise A.... & comment, & sçavoir se T.... est le plus
prochain hoir à avoir l'échéance de N.... la terre soit dedans le veue,
& soit en paix.[685]

[Note 685: Anc. Cout. c. 98, sur cette expression, _Mort d'ancêtres_,
qui se trouve dans l'article 22 de la grande Chartre, Rapin de Thomas,
Hist. d'Angl. L. 8, pag. 295, dit qu'elle signifie _la poursuite faite
par le fils ou un autre descendant d'un home tué_. On peut juger de
son erreur par les Textes des deux Loix que je mets sous les yeux du
Lecteur.]

(d) _Darraine presentment._

Ce Bref ne différoit des autres que par son objet:

_Si T.... donne plége de suivir sa clameur, semond le recognoissant du
voisiné, qu'il soit aux prochaines assises, &c. à reconnoître, savoir,
qui presenta la darreine parsonne à l'Eglise D.... que G... lui deforce
& fais dedans ce voir l'Eglise, & être en paix._

Telle est la Formule qu'en donne Glanville & le vieux Coutumier
Normand.[686] Le Coutumier fait cependant observer que le Juge qui a
reçu le Bref doit envoyer des _Lettres-Patentes_ à l'Evêque dont le
Bénéfice dépend, conçues en ces termes:

[Note 686: Anc. Cout. c. 109. Glanville, L. 4, c. 10, 11, 13 & 18.]

_Pour ce que T.... nous a montré sa clameur que jaçoit ce qu'il presenta
la darraine personne à l'Eglise D.... G.... lui deforce de son autorité
& y veut presenter nouvelle personne, nous vous défendons fermement de
par le Duc de Normandie, que vous ne receviez aulcunes personnes à celle
Eglise devant que le plaid soit finé._[687]

[Note 687: Art. 2 du Record des Droits des anciens Ducs Normands en
1205. _Vide_ Bruss. Chartr. 2e vol. pag. 24.]

Quand le procès n'étoit pas fini dedans six mois, l'Evêque pouvoit
nommer qui il vouloit. La procédure sur le Bref de patronage, ne
différoit en rien de celle usitée sur les Brefs en matiere profane. Mais
depuis Philippe le Bel, lorsque la contestation étoit entre un
Ecclésiastique & un Laïc, la vue de l'Eglise ordonnée par le Bref étoit
faite, en Normandie, par _quatre Prêtres & quatre Chevaliers des mieux
créables, & qui par aulcun saonnement ne pussent être ôtés hors de la
jurée_. Ces huit personnes examinoient les jureurs en présence de
l'Evêque & du Juge séculier, ou du Juge séculier seul, si l'Evêque étoit
absent: & comme il pouvoit arriver que l'Evêque refusât d'envoyer des
Prêtres pour assister à la _jurée_, le Juge, en ce cas, _recouroit à
l'ancienne Coutume & tenoit le reconnoissant par les lais_.[688]

[Note 688: _Voyez_ Remarque C, Sect. 528.]

Le droit de Patronage a eu diverses causes, auxquelles se rapportent
les différens noms[689] donnés aux Patrons par les anciennes Loix
Françoises, Angloises & Normandes. On trouve dans les Capitulaires que
les Eglises avoient droit de demander au Roi des Avocats ou Défenseurs,
_Advocatos_, _Defensores_, toutes les fois qu'elles avoient à redouter
l'oppression de quelque puissance.[690] On y voit aussi qu'outre les
Avocats ou Avoués les Eglises avoient des Seigneurs auxquels les Curés
devoient des honneurs dans leurs Eglises, _ut Episcopi provideant quem
honorem Presbiteri, pro Ecclesiis suis, senioribus tribuant_.[691] Ces
Seigneurs étoient ceux qui avoient doté & bâti sur leurs fonds une
Eglise paroissiale: l'Evêque y préposoit des Prêtres ou Curés pour y
exercer le Saint Ministere; mais ordinairement ils lui étoient présentés
par le Seigneur ou Patron. Dans la suite ces Patrons & les Avoués ont
été confondus, soit parce que les Evêques préférerent de mettre leur
Evêché sous la protection des Grands qui, dans leur Diocèse, par leurs
fondations, avoient donné plus de preuves de leur attachement pour le
culte Divin, soit parce que ceux que le Roi leur avoit choisi ou permis
de prendre pour protecteurs de leurs Evêchés, fonderent eux-mêmes des
Monasteres ou des Eglises, à condition qu'ils en nommeroient les
Ministres;[692] soit enfin parce que les Fondateurs d'Eglises apposerent
à leur générosité cette clause, qu'elles seroient à perpétuité sous la
protection de tel Seigneur & de ses descendans.[693] En sorte que le
Patronage, vers la fin de la deuxieme Race & dans la suite, a
non-seulement donné la faculté de présenter à l'Eglise un Ministre, mais
encore celle de soutenir les droits de l'Eglise en Justice, & même de
rendre justice aux vassaux de l'Eglise. Les Patrons Normands avoient les
mêmes prérogatives, à l'exception de la derniere, comme je l'ai déjà
observé, parce que toute Jurisdiction s'exerçoit, en Normandie, au nom
seul de ses Ducs.[694]

[Note 689: _Senior_, _Patronus_, _Advocatus_, _Defensor_.]

[Note 690: L. 5, c. 31 des Capitul. & L. 7, c. 308.]

[Note 691: Discipl. Ecclésias. 2e part. L. 1, pag. 172.]

[Note 692: Annal. Bénédict. L. 66, pag. 163, ann. 1081. Roger, Avoué de
Vignory, y construit & fonde une Eglise.]

[Note 693: _Ibid_, L. 68, ann, 1094, pag. 317.]

[Note 694: Sect. 10, _supr._]

(e) _Assise est prise pur un ordinance._

Skénée nous a conservé, dans son recueil, une assise de David premier
de ce nom, Roi d'Ecosse, sur les poids, mesures & monnoies. C'est dans
cette assise que le poids du _sterling_ est fixé à trente deux grains,
_boni & rotundi frumenti_.[695] On trouve aussi, dans la collection de
cet Auteur, une autre assise qui regle la police des moulins. Le droit
de moute y est fixé, pour l'homme libre, au seizieme, au vingtieme &
au trentieme, suivant la Coutume de la Seigneurie dans laquelle ces
terres inféodées se trouvent assises; mais le tenant par villenage doit
le treizieme. Il est encore décidé que quiconque ayant acheté du bled
dans un Fief, passe en un autre Fief, & pour se délasser dépose son sac
rempli de bled dans le grand chemin, ne doit rien au Seigneur; mais que
s'il entre dans une auberge du dernier Fief, & y décharge son grain,
il est sujet au droit de moute. Chaque Meûnier y est aussi assujetti à
avoir deux valets ou _Sergens_, _servientes_, qui, après avoir prêté
serment au Seigneur & aux vassaux, peuvent arrêter ceux qui fraudent
la moute. Le cheval du fraudeur, en ce cas, appartient au Seigneur, &
le bled & le sac aux domestiques ou Sergens. Il est défendu à ceux qui
portent leur grain au moulin de prendre les rangs les uns des autres, &
ce rang y est appellé _Rovum_, terme qui a encore la même signification
chez le menu peuple de Normandie.

[Note 695: Laur. Ord. tom. 1.]


*SECTION 235.*

*_Item_, si soit Seignior & tenant, & le Seignior granta le rent son
tenant per son fait a un auter, savant a luy les services, & l' tenant
atturna, ceo est un rent seck, come est dit adevant. Mes si le rent a
luy soit denie al prochein jour de payement, il ny ad ascun remedie, pur
ceo que il navoit de ceo ascun possession. Mes si l' tenant quaunt il
atturna al grantee, ou apres, voile doner al grantee un denier, ou un
maile, &c. en nosme de seisin de le rent, donques si apres a le
procheine jour de payment le rent a luy soit denie, il aver assise de
novel desseisin. Et issint est lou home granta per son fait un annual
rent issuant hors de sa terre a un auter, &c. si le grantor a donques
ou apres paya al grantée un denier, ou un mail en nosme de seisin de le
rent, donques si apres al procheine jour de payment le rent soit denie,
le grantee poet aver assise, ou auterment nemy, &c.*

SECTION 235.--_TRADUCTION._

Si un Seigneur aliene, du consentement de son tenant, la rente que
ce dernier lui doit, en se réservant néanmoins les services ou
devoirs seigneuriaux, la rente, en la main de l'acquereur, est une
Rente-seche, comme on l'a précédemment dit; & cet acquereur, dans le
cas où le payement lui seroit refusé, ne pourroit user de saisie sur
le fonds. Mais si le débiteur, en consentant le transport de la rente,
a seulement donné à cet acquereur un denier ou une maille, en signe
de ce qu'il le reconnoît saisi de la rente; à défaut de payement, le
nouveau propriétaire de cette rente peut se pourvoir en l'assise de
nouvelle dessaisine. Ainsi il est essentiel que le débiteur de la rente
_ensaisine_ l'acquereur de quelques sommes d'argent, afin que celui-ci
ait le droit de se pourvoir en l'assise.


*SECTION 236.*

*_Item_, de Rent seck, home poet aver Assise de mort dancester, ou Brife
de Apel, ou de Cosinage, & touts auters manners dactions Reals, come la
case gist, sicome il poet aver dascun auter rent.*

SECTION 236.--_TRADUCTION._

Quoique l'on n'ait pas la voie de l'assise de nouvelle dessaisine pour
une Rente-seche, cependant on peut obtenir, pour s'en faire payer,
l'assise de _mort d'ancêtres_, ou un Bref d'ayeul ou de parenté, ou tout
autre Bref établi pour l'introduction des actions réelles, ainsi que
l'on en use à l'égard de toutes les autres rentes.


*SECTION 237.*

*_Item_, sont trois causes de disseisin de Rent Service, _scavoir
Rescous, Replevin_ & _Enclosure: rescous_ est quaunt le Seignior en la
terre tenus de luy distrein per son rent arere si le distres de luy soit
rescous: ou si le Seignior vient sur la terre & voile distreyner, & le
tenant ou auter home ne luy voile suffer, &c. Replevin est, quant le
Seignior ad distreine, & Replevin soit fait de les distresse per Briefe,
ou per plaint. Enclosure est, si les terres ou les tenements sont issent
encloses, que le Seignior ne poyt vener deins les terres ou tenements
pur distreyne. Et la cause pur que tiels choses issint faits sont
disseisins al Seignior, est pur ceo que pur tiels choses le Seignior est
disturbe de le mean per que il doit avoire & vener a son rent, scavoir,
de le distresse.*

SECTION 237.--_TRADUCTION._

On est réputé dessaisi d'une Rente de service en trois cas; pour
_récousse_, _réplévine_ ou main-levée, _en closure_ ou opposition. La
récousse a lieu, quand le Seigneur saisit pour les arrérages de sa
rente, & quand un autre vient reclamer les effets saisis, ou s'opposer à
ce qu'il les enleve; la main-levée s'entend de celle qu'obtient le
Débiteur des choses saisies par Bref ou sur sa plainte judiciaire.
_L'enclosure_ signifie toute espece d'obstacles qui empêche le créancier
de la rente d'user de saisie sur les fonds qui y sont affectés. Or,
comme ces trois choses attaquent la propriété de la rente, elles sont
censées en dessaisir le propriétaire.


*SECTION 238.*

*Et sont 4 causes de disseisin de rent charge _scilicet, Rescous,
Replevin, Enclousure,_ & _Denier_, car Denier est un disseisin de Rent
charge, come est avantdit de Rent secke.*

SECTION 238.--_TRADUCTION._

Il y a quatre cas dans lesquels on est dessaisi de la _Rente-charge_,
sçavoir, celui de _recousse_, ceux de _main-levée_, _d'opposition_, de
_refus_; car refuser une Rente-seche, c'est en dessaisir celui à qui
elle appartient.


*SECTION 239.*

*Et deux sont causes de disseisin de Rent seck, cest ascavoir, _denier_
& _enclosure._*

SECTION 239.--_TRADUCTION._

On ne peut être dessaisi d'une Rente-seche que par le _refus_ &
_l'opposition_.


*SECTION 240.*

*Et il semble que il y ad un auter cause de disseisin de touts les trois
services avantdits, cest ascavoir, si l' Seignior soit en alant a la
terre tenus de luy pur distreyner pur le Rent arere, & le tenant ceo
oyant, luy encounter, & luy _forstala_ (a) la voy ovesque force & armes,
ou luy manace en tiel forme que il ne osast vener a sa terre pur
distreiner pur son rent arere pur doubt de mort, ou mutilation de ses
membres, ceo est un disseisin, pur ceo que le Seignior est disturbe de
le meane, pur que il doit vener a son rent. Et issint est si pur tiel
forstalement ou menace, celuy que ad un rent charge ou rent secke est
forstalle, ou ne osast vener a la terre a demaunder le rent arere, &c.*

SECTION 240.--_TRADUCTION._

Cependant il y a un autre cas de dessaisine des trois Rentes dont on
vient de parler: c'est celui où un Propriétaire de rente s'étant
transporté sur le fonds pour en distraire ou saisir jusqu'à concurrence
des arrérages qui lui sont dûs, on s'est opposé à son passage à main
armée, ou on lui a fait des menaces de mort ou de mutilation.

_REMARQUE._

(a) _Forstala_.

_Foristalamentum_: ce terme est ici pris _pro obstrusione viaæ, vel
transitûs impedimento_. Il s'entend en général, dans les anciennes
Loix Angloises, de tout empêchement causé à tel droit que ce soit.
Ainsi quiconque faisoit des amas de grains pour les vendre plus cher
dans un temps de stérilité, on vendoit sa marchandise clandestinement
sans l'exposer aux marchés, ou qui, sans être membre d'une communauté
d'artisans établie dans un Bourg, en exerçoit la profession, ou qui
violoit les statuts, _gildam_, de cette communauté. Par exemple, les
Cordonniers qui employoient du cuir de mauvaise qualité, _qui faciunt
calceos ex corio & pellibus animalium quorum cornua & aures sunt ejusdem
longitudinis_. Les Tailleurs qui coupoient les étoffes qu'on leur
confioit, de façon qu'il leur en restoit une partie considérable. Les
Brasseurs de biere qui ne lavoient point suffisamment l'orge qu'ils y
destinoient, _quod est ejus perfectionis impedimentum_, &c. En un mot,
tout contrevenant aux regles établies dans les Bourgs, étoit regardé
comme coupable d'avoir voulu mettre des bornes à ses franchises, & c'est
ce qu'on appelloit _foristallator_.[696] La vraie origine de ce mot
vient de ces deux, _forum_ & _stallum_. _Stallum in foro_, lieu où on
peut _étaler_ ou exposer sa marchandise dans un marché. _Stalli fori
violator_, celui _qui viole la liberté, le droit de détail; il n'y avoit
que les Bourgeois qui eussent ce droit_.[697]

[Note 696: _Iter camerar. c. 21, Statut. Willelm. Reg. Collect. Sken._]

[Note 697: _Stallagiator qui habet stallum, & locum in publicâ viâ
tempore fori. Sken. Leg. Burg. not. in cap. 40._]



_Fin du second Livre._

ANCIENNES _LOIX_ DES FRANÇOIS,

_OU_ INSTITUTES DE LITTLETON.

_LIVRE TROISIEME._



CHAPITRE I.

_DE PARCENIERS._


*SECTION 241.*

*Parceners sont en deux maners, cest ascavoir, Parceners solonque l'
course del common ley, & Parceners solonque le custome. Parceners
solonque le course del common ley sont, lou home ou feme seisie de
certaine terres ou tenements en fée simple, ou en taile, nad issue
forsque files & devie, & les tenements discendont a les issues, & les
files entront en les terres ou tenements issint discendus a eux, donques
els sont appels Parceners, _& quaunt a files els sont forsque un
heire_ (a) a lour ancestor. Et els sont appel Parceners, pur ceo que per
le briefe que est appel _Briefe de Participatione facienda_ (b) la ley
eux voet cohert que partition serra fait enter eux. Et si sont deux
files al queux les terres discendont, donque els sont appels deux
Parceners. Et si sont trois files, donque els sont appels trois
Parceners, & si quater files, quater Parceners, & issint ouster.*

SECTION 241.--_TRADUCTION._

On distingue deux sortes de Parceniers, les Parceniers selon la commune
Loi, & les Parceniers suivant la Coutume. On comprend dans la premiere
classe les filles qui succedent aux Fiefs simples ou conditionnels de
leurs peres & meres; & parce que la Loi considere ces filles comme
n'étant toutes ensemble qu'un seul héritier, & que par le Bref nommé _de
Participatione faciendâ_, il leur est enjoint de partager également la
succession entr'elles, on les nomme parcenieres. Ainsi qu'il n'y ait que
deux filles, on dit qu'elles sont deux Parcenieres; si elles sont trois
ou quatre, on dit que dans telle succession il y a trois ou quatre
Parcenieres, &c.

_ANCIEN COUTUMIER._

Quant à aulcun est eschu l'héritage de son pere, ou de son aël ou de son
bisaël, s'il a freres qui soient du lignage à celui de qui l'héritage
descend, le Fief doit estre laissé au puisné pour en faire autant de
parties comme ils sont de personiers principaulx, selon la Coustume du
pays.

Les uns sont _principaulx personiers_, les aultres _seconds_. Les
principaulx sont ceulx entre qui l'héritage doibt estre party
principalement; c'est quand l'un en doibt avoir autant comme l'aultre,
ainsi comme sont freres.

Les seconds personiers sont ceulx qui n'attendent pas telle partie en
l'héritage, mais y reclament aulcune chose, si come sont les enfans à un
des freres qui est mort qui doibvent partir entr'eux la partie qui
appartenoit à leur pere.

Le puisné doibt faire les parties en telle maniere qu'il ne départe pas
le Fief de Hautbert ne les aultres Fiefs où il y a garde, & mesme qu'il
ne mesle pas les héritages d'une Ville avec celle d'une aultre Ville, &
ainsi qu'il ne retaille pas les pieces de terres pourtant que les
parties puissent estre faites égales sans les retailler. Il doibt
joindre celles qui sont plus prochaines sans retailler les membres, mais
les _greigneures_[698] peut-il retailler pour joindre avec les membres
pour rendre les parties égales.

[Note 698: Plus considérables.]

Car si le puisné mettoit la moitié de tout l'héritage en un lot, afin
que l'aisné le print, en ce il empireroit les lots aux aultres freres, &
pour ce, se l'en y appercevoit malice ou tricherie, les parties doibvent
estre faites également, par le serment de douze hommes loyaux &
croyables. Se le puisné fait les parties, & il va contre les Coustumes
du pays, ils doibvent estre despécées & refaites, & il doibt amender la
faute, û[699], s'il ne le veut faire, il sera sans partie tant comme il
sera en ce; ou les aultres freres feront les parties avenants, si que la
part au _mendre_ n'en soit empirée. Quand l'héritage vient aux femmes
par défaut des hoirs masles, elles le partiront ainsi comme les freres
feroient, si que le Fief de Hautbert & _les Seigneuries sont partables
entre sœurs quant ils leur viennent_. Ch. 26.

[Note 699: Ou.]

_REMARQUES._

(a) _Et quaunt a files els sont forsque un heire._

Le service militaire dû par un Fief étant indivisible, il étoit naturel
que l'aîné des freres en fût chargé préférablement aux autres. Mais
l'aînée des filles, à qui un Fief sujet à un service de cette espece
échéoit, ne pouvant pas plus satisfaire personnellement à ce service
que ses puînées, elles étoient tenues solidairement à se substituer
une personne capable de s'en acquitter en leur nom. Le Seigneur
ordinairement ne s'adressoit qu'à l'aînée pour obtenir les services
que le Fief lui devoit, parce que cette aînée ayant le choix des lots,
elle préféroit presque toujours celui où le principal manoir étoit
compris. Or, c'étoit à ce manoir que l'on faisoit les sommations au
vassal de rendre les devoirs dont tout le Fief étoit chargé, & par
cette raison, les Parcenieres s'obligeoient de payer en ce lieu, qui
étoit regardé comme la principale portion, _le chef-lieu_ du Fief,
leurs contributions. Les sœurs cadettes ne devoient cependant pour
cela, à leur aînée, ni foi ni hommage:[700] car c'étoit uniquement pour
la commodité de toutes, & non à raison de supériorité, qu'une seule
d'entr'elles s'assujettissoit à veiller pour les autres à ce que le
service du Seigneur fût effectué. Ce qui d'abord ne fut fondé que sur
des raisons de convenance, devint dans la suite une Loi pour quelques
cantons. Le manoir, auquel chaque sœur avoit pu originairement prétendre
aussi-bien que l'aînée, fut réservé à celle-ci.[701] Souvent les
cadettes lui devoient leur premiere éducation, & il parut raisonnable
qu'elle pût leur continuer ses leçons dans la maison où ses peres &
meres lui en avoient confié le soin de leur vivant. Cette maison auroit
été souvent le domicile particulier de la puînée, si celle-ci en fût
devenue propriétaire; au lieu que l'affection d'une aînée pour des sœurs
qu'elle avoit élevées, étoit un gage assuré que sa maison ne cesseroit
point de leur être commune tant qu'elles le voudroient. L'union que
les Coutumes Normandes & Angloises avoient eu en vue d'établir entre
les sœurs se continuoit entre leurs enfans. Les descendans des puînées
s'acquittoient de leurs devoirs envers le Suzerain jusqu'au quatrieme
degré, par la médiation de leurs cousins, enfans de l'aînée. Ceux-ci
mêmes répondoient à toutes les actions relatives au Fief divisé
entr'eux.[702] Mais les représentans de la fille aînée pouvoient exiger
des puînés, parvenus au quatrieme degré, l'hommage, le relief & la
contribution aux autres services dûs au Suzerain.[703]

[Note 700: _Reg. Maj._ L. 2, c. 28 & 29.--Glanville, L. 7, ch. 3.]

[Note 701: Britton, c. 72.]

[Note 702: _I. Stat. Robert. 1, c. 3, Collect. Sken._]

[Note 703: Glanv. L. 7, c. 3, fo 46, vo.]

(b) _Briefe de_ participatione faciendâ.

La forme de ce Bref étoit semblable à celle des Brefs dont j'ai déjà
parlé, elle tiroit son origine des Capitulaires de nos premiers
Rois.[704] La Loi des Allemands[705] ne permettoit aux enfans de
disposer de leur part en la succession de leurs ancêtres, qu'après en
avoir fait des lots avec leurs cohéritiers. Si cependant on avoit joui
pendant quarante ans de quelques biens provenans de ses ayeul & pere, &
que l'on fût en état de prouver qu'on les avoit acquis d'eux, ou qu'ils
provenoient de quelque échange fait avec eux, on n'étoit pas obligé de
les partager avec ses freres ou cousins.[706]

[Note 704: _Coheres, si sponte noluerit (res suas cum hæredibus suis
divisas habere) aut per Comitem, aut per missum ejus destringatur ut
divisionem cum illo faciat ad quem defunctus hæreditatem suam voluit
pervenire.... & hoc observetur erga patrem & filium, & nepotem usque ad
annos legitimos_, &c. Capitul. L. 4, Can. 20, pag. 779, tom. I, Ed.
Balus.]

[Note 705: Tit. 89.]

[Note 706: _Leg. Longob._ t. 48.]


*SECTION 242.*

*Auxy si home seisie de tenements en fée simple ou en fée taile, devy
sauns issue de son corps engender, & les tenements discendont a ses
soers, els sont Parceners, come est avantdit. Et en mesn le manner, lou
il nad pas soers, mes les tenements discendont a ses aunts, els sont
Parceners, &c. Mes si home nad forsque un file, et ne poit estre dit
Parcener, mes el est appelle file & heire, &c.*

SECTION 242.--_TRADUCTION._

Si un homme saisi de Fiefs simples ou conditionnels décede sans enfans,
ses biens échéans à ses sœurs ou à ses tantes, celles-ci sont
parcenieres; mais si le défunt ne laisse qu'une fille, on l'appelle
héritiere.


*SECTION 243.*

*Et est ascavoir, que partition enter parceners poit estre fait en
divers manners. Un est _quant els agreeont_ (a) de faire partition, &
font partition de les tenements, sicome si soyent deux parceners a
devider enter eux les tenements en deux parts, lots, chescun part per
soy en severaltie, & de egal valu. Et si sont 3 parceners a devider les
tenements en trois parts per soy en severaltie, &c.*

SECTION 243.--_TRADUCTION._

On peut procéder différemment au partage des successions: 1er. Quand il
y a deux ou trois parcenieres, elles peuvent former elles-mêmes deux ou
trois lots de différens fonds, & se saisir mutuellement d'un desdits
pourvu qu'ils soient d'égale valeur.

_REMARQUE._

(a) _Quant els agreeont_, &c.

Marculphe[707] donne un modèle de partage amical entre cohéritiers: Il
observe d'abord que cette maniere de partager de gré à gré, est
préférable à celle qui se fait judiciairement; & il ajoute que l'acte en
doit être dressé par écrit. Les partageans, selon la Formule dressée par
Marculphe, s'investissoient réciproquement de leur lot par la tradition
d'une petite branche, _per fistucam_; & afin qu'ils ne pussent, à
l'avenir, prétendre rien au delà de ce qu'ils s'étoient mutuellement
cédés, ils s'écrivoient-chacun une lettre où les clauses arrêtées
entr'eux étoient exprimées.

[Note 707: L. 2, Formul. 14.]

En joignant à cette Formule la trente-neuvieme, _incerti authoris:
placuit atque convenit inter illum & Germanum suum illum de alode quæ
fuit genitoris sui ut inter se æqualentia dividere vel exequare
deberent; quod ita & fecerunt. Accepit ille de parte sua mansum de pago
illo, &c. è contra ad vicem accepit ille de parte sua mansum in pago
illo, &c. Et pars contra parem suum invicem tradidit & per eorum
fistucam pars contra parem suum se exinde exutos fecerunt_, &c. On a les
deux manieres dont on pouvoit, dans le septieme siecle, partager toutes
especes de successions, quand les _Pairs_ ou Parceniers y avoient un
intérêt égal; c'est-à-dire, par Lettres ou par Chartres.


*SECTION 244.*

*Un auter partition est, a eslier per agreement enter eux, certaine de
_lour amies_ (a) de faire partition des terres ou tenements en le forme
avantdit. Et en tiels cases apres tiel partition, le eigne file
prymerment esliera un des partes issint divides, que el voit aver pur sa
part, & donques le second file prochein apres luy auter part, & donques
l'tierce soer auter part, donques la 4 auter part, &c. si issint soit
que soit plusors soers, &c. si ne soit auterment agree enter eux. Car il
poit estre agree enter eux, que un avera tiels tenements, & un auter
tiels tenements, &c. sans ascun tiel primer election, &c.*

SECTION 244.--_TRADUCTION._

2e. Les Parcenieres peuvent encore choisir une amie pour faire leurs
partages, & en ce cas l'aînée prend le lot qui lui plaît; la premiere
puînée a ensuite le choix sur les lots qui restent, & les autres
prennent leur part selon l'ordre que l'âge leur donne; à moins que
toutes les sœurs ne conviennent entr'elles que l'une aura tel fonds,
une autre tel autre fonds, car en ce cas il n'y a plus ni choix ni
préférence.

_REMARQUE._

(a) _Lour amies._

Ce texte peut confirmer ce que j'ai dit déjà, qu'il s'est glissé dans
les Loix d'Ecosse, recueillies par Skénée, beaucoup de dispositions du
Droit Romain; car, à la différence des Loix Angloises, elles interdisent
aux femmes tout arbitrage.[708]

[Note 708: _Reg. Maj._ L. 2, c. 4.]


*SECTION 245.*

*Et la part que leigne soer ad est appelle en Latin _Enitia pars_. (a)
Mes si les parceners agreeont, que leigne soer ferra partition de les
tenements en le forme avantdit, & si ceo el fait, donques el est dit que
leigne soer esliera pluis darreine pur sa part, & apres chescun de ses
soers, &c.*

SECTION 245.--_TRADUCTION._

La part de la sœur aînée s'appelle en Latin _Enitia pars_. Mais si les
sœurs consentent que l'aînée fasse les lots, elle ne choisira pas, elle
se contentera de la part que ses sœurs n'auront pas choisie.

_REMARQUE._

(a) _Enitia pars._

Cette Section prouve qu'avant la conquête de Guillaume, l'aînesse ne
consistoit pas, pour la fille aînée, au principal manoir; mais que sa
part étoit seulement désignée par ce nom comme choisie la premiere.
_Enitia pars_;[709] d'autres écrivent, _eisnetia_ ou _aeisnetia_, de ces
deux mots François, _ains-née_, ains pour _ante_, _ante nata_, la
premiere née.[710]

[Note 709: Britt. c. 72.]

[Note 710: Rech. de Pasq. L. 8, c. 1.]


*SECTION 246.*

*Un auter partition ou allotment est, sicome soient quater parceners, &
apres le partition de les terres fait, chescun part del terre soit per
soy solement escript en un petit _escrovet_, & soit _covert tout en
cere_ (a) en le manner dun petit pile, issint que nul poit veir
lescrovet, & donque soient les 4 piles de cere mis en un bonnet, a
garder en les maines dun indifferent home, & donques leigne file
primerment mettra sa maine en le bonnet, quel prendra un pile de cere
ovesque lescrovet deins mesme le pile pur sa part, & donques le second
soer mettra sa maine en le bonnet, & prendra un auter, le tierce soer le
3 pile, & le quater soer le 4 pile, &c. & en ceo cas covient chescun de
eux luy tener a sa chance & allotment.*

SECTION 246.--_TRADUCTION._

Une autre façon de partager est de faire quatre lots des fonds, s'il y a
quatre parcenieres, & d'écrire sur quatre rouleaux de papier ce que
chaque lot doit contenir. Après avoir enfermé chaque rouleau dans une
boule de cire, de maniere qu'on ne puisse appercevoir ce qu'ils
contiennent, on les confie à quelqu'un qui les mêle dans son bonnet,
d'où l'aînée & les trois puînées tirent successivement une des boules:
celle qui leur écheoit regle irrévocablement quelle doit être leur part.

_REMARQUE._

(a) _Escrovet covert tout en cere_, &c.

La plus ancienne maniere de procéder aux partages étoit de faire mesurer
les terres, d'en composer autant de lots qu'il y avoit d'héritiers quand
ils devoient avoir part égale, & de jetter ces lots au sort.[711] Ce
n'étoit pas seulement dans les cas de partage qu'on avoit recours au
sort, il étoit usité dans toutes les circonstances où le droit de
plusieurs étant le même sur le même objet, un seul cependant pouvoit en
jouir.[712]

[Note 711: _Leg. Long._ c. 48.]

[Note 712: _Lex Allemann._ Tit. 8, art. 6.]


*SECTION 247.*

*_Item_, un auter partition il y ad sicome sont quater Parceners, & _ils
ne voilent agreer_ (a) a partition destre fait enter eux, donque lun
poit aver brief, _De partitione facienda_, envers les auters trois: ou
deux de eux poient aver brief _De partitione facienda_ envers les auters
deux, ou trois de eux poyent aver briefe _De partitione facienda_ envers
le quart, a lour election.*

SECTION 247.--_TRADUCTION._

En supposant que les parcenieres ne puissent s'accorder pour faire leurs
lots, l'une d'elles peut obtenir un Bref, _De partitione facienda_,
contre les trois autres. Deux ou trois auroient la même faculté contre
la seule qui seroit refusante.

_REMARQUE._

(a) _Et ils ne voilent agreer_, &c.

Il arrivoit quelquefois qu'après que le Juge auquel le Bref étoit
adressé avoit, de l'avis des douze hommes libres voisins des fonds
partables, fait la vue de ces fonds, & donné à chaque Parceniere son
lot, &c,[713] une des Parcenieres troubloit une ou plusieurs de ses
copartageantes en leur possession; en ce cas celles qui étoient
inquiétées pouvoient se pourvoir en l'Assise, y appeller toutes leurs
sœurs, & si le trouble se trouvoit fondé, toutes étoient obligées de
remettre en commun leurs parts, pour être procédé à un nouveau
partage.[714]

[Note 713: _Formul. brevis de partitione facienda._ Coke, Sect.
248.--Charlemagne fait assigner ses enfans au Parlement pour le partage
de sa succession, & le fait jurer aux Seigneurs & Pairs. Pasquier, L.
2, c. 2. Peut-être n'en avoit-on choisi que _douze_ pour faire serment,
puisque ce nombre de Pairs suffisoit dans les causes des particuliers,
& de-là le nombre des Pairs de France se sera insensiblement trouvé
_réduit à douze_.]

[Note 714: Britton, c. 73, fol. 191.]


*SECTION 248.*

*Et quant judgment serra done sur tiel brief, le judgment serra tiel,
que partition serra fait enter les parties, & que le Vicount en
son proper person alera a les terres & tenements, &c. & que il per
l' escrement de 12 loyalx homes de son _Bayliwicke_, &c. (a) ferra
partition enter les parties, & que lun part de mesmes les terres &
tenements soyent assignes al plaintif, ou a lun des plaintifs, &
un auter part a un auter Parcener, &c, nient feasant mention en le
judgement de leigne soer pluis que de puisne.*

SECTION 248.--_TRADUCTION._

Le Jugement sur ce Bref doit porter 1er que le partage sera fait entre
les Parties; 2e que le Vicomte ira en personne sur les terres, &c. &
que là, après serment prêté par douze loyaux hommes de son ressort, il
divisera les fonds entre la plaintive & ses coparcenieres. Mais il n'y
est pas fait une mention plus particuliere de l'aînée que des autres
sœurs.

_REMARQUES._

(a) _Vicount_...... _Baylivvicke_, &c.

Les Comtes, les Gouverneurs & les Juges supérieurs des Provinces étant
devenus propriétaires des Bénéfices dont nos Rois leur avoient confié
l'administration, se substituerent des _Vicaires_ ou Vicomtes qu'ils
envoyerent[715] tenir les plaids dans chaque Fief particulier dépendant
de leur gouvernement. Les Centeniers, chefs des Jurisdictions des Villes
ou des Bourgs, furent souvent honorés de cet emploi. Chaque Vicomte
avoit sous lui plusieurs Subdélégués ou Baillis, auxquels il attribuoit
l'inspection ou la garde des différentes Cours seigneuriales. Mais outre
les _défaultes_ en droit que les Seigneurs commettoient envers leurs
vassaux, & que les Vicomtes avoient seuls le pouvoir de réformer,[716]
l'inexécution des Sentences des Officiers de ces Seigneurs de la part
des condamnés, étoit aussi de leur compétence. Ils étoient d'ailleurs
spécialement chargés de faire exécuter les Brefs de Chancellerie dans
toute l'étendue des Seigneuries de leur district. Ainsi il ne restoit, à
proprement parler, aux Juges des Seigneuries particulieres, que la
connoissance des causes que les Vicomtes ne vouloient point juger.

[Note 715: L. 2, Capitul. 24 & 28.]

[Note 716: Glanville, L. 12., c. 9. _Regiam Maj._ L. 3, c. 22.]

Des pouvoirs aussi étendus, joints à l'indifférence des Comtes pour
l'admistration de la Justice, rendoient chaque Vicomte seul & unique
_Gardien_ ou _Baillif_ des Jurisdictions de tout un Comté. En
conséquence, ce titre de _Baillif_ devint particulier aux Vicomtes, &
celui de _Vicomte_ devint propre aux Baillifs.

On doit donc considérer les chefs des Jurisdictions qui étoient
inférieures à l'Echiquier, & dont l'établissement fut fait en
Angleterre postérieurement à la conquête, sous les dénominations
suivantes. 1er. Les _Vicomtes_ porterent d'abord ce nom: on les
appella _Hauts-Baillis_, _Baillis royaux_, _Baillis greigneures_, dès
que les Comtes eurent cessé d'exercer la Justice civile. 2e. Après
les Vicomtes il y avoit originairement les _Baillis des Fiefs_. Mais
lorsque les Vicomtes furent devenus chefs de Justices subalternes des
Provinces, ces Baillis s'étant trouvés remplir à peu près les mêmes
fonctions sous ces Vicomtes, que ceux-ci avoient originairement exercées
sous les Comtes, ils s'appellerent Vicomtes, ou _Baillis meindres_,
_Baillis seigneuriaux_.

Ainsi quand Littleton parle du _Baylivvicke_, ou _Bailliage du Vicomte_,
il donne à entendre que de son temps les Vicomtes avoient déjà donné à
leur Ressort le nom de Bailliage; & quand l'ancien Coutumier dit que les
_Justiciers plus hauts_ ou _Greigneurs_, s'appelloient _Baillis_, &
_qu'ils étoient établis par le Prince au-dessus des autres pour garder
les droitures au Duc_, &c. & que les Vicomtes _sont meindres Justiciers
établis sous les Justiciers greigneurs_, &c. il fait voir que les
Vicomtes ne portoient déjà plus, en Normandie ce titre, au temps de sa
rédaction, & qu'ils l'avoient abandonné à ceux qu'ils préposoient pour
maintenir, à leur décharge, les Coutumes des Seigneuries dont
l'inspection leur avoit été d'abord confiée.[717] Or, c'est par cette
raison que lorsque les Seigneurs sont parvenus à obtenir des Ducs de
Normandie ou des Rois d'Angleterre la Jurisdiction dans l'étendue de
leurs Fiefs, ils ont appellé _Baillis_ ou _Vicomtes_ leurs Officiers,
selon que ceux-ci avoient Haute ou Basse-Justice par le titre de leur
inféodation.

[Note 717: Anc. Cout. ch. 4 & 5, & Rouillé sur ledit chap.]


*SECTION 249.*

*Et de la partition que l' Vicount ad issint fait il ferra notice as
Justices south son _Seale_, (a) & les Seales, de chescun de les 12, &c.
Et issint en cest case poies veier que leigne soer navera my la primer
election, mes le Vicount luy assignera sa part que el avera, &c. Et poit
estre que le Vicount doit assigner primerment un part a le plus puisne,
&c. & darreinement al eigne, &c.*

SECTION 249.--_TRADUCTION._

Le Vicomte après le partage arrêté doit le faire notifier, par un acte
scellé de lui & des douze loyaux hommes, aux Justiciers inférieurs. Or,
il peut arriver que dans ce partage il ait assigné à la puînée le
premier lot, & à l'aînée le dernier; car l'aînée n'a point le droit de
choisir quand les lots se font en Justice: le Vicomte est maître en ce
cas de donner aux Parcenieres la part qu'il lui plaît.

_REMARQUE._

(a) _Seale_, &c.

On donnoit anciennement l'investiture des fonds, comme je l'ai observé,
avec un _brin de paille_; & pour anéantir la convention, cette paille
étoit rompue par les contractans. De-là vint que dans la suite,
lorsqu'on dressoit un acte par écrit de la cession d'une terre, on
attachoit à cet acte la paille dont les parties s'étoient servies, pour
désigner la translation de la propriété.[718] Si cette paille se
trouvoit rompue & perdue, l'acte étoit annullé,[719] parce qu'on
présumoit alors que la résiliation de ses clauses s'étoit faite entre
les intéressés, par la restitution mutuelle de moitié du signe ou sceau
qu'ils avoient apposé à leur traité. La fragilité d'un sceau de cette
espece, les inconvéniens fréquens qui en résultoient engagerent à donner
aux sceaux plus de consistance. Au lieu d'une paille, d'un rameau
d'arbre, &c. on abandonna aux donataires tout ou partie de sa
ceinture,[720] son couteau, une piece d'argent percée, son
portrait;[721] toutes ces choses étoient jointes à l'acte, & conservées
aussi précieusement que l'acte même; & de-là cette diversité dans la
forme des sceaux attachés aux Chartres concernant des concessions faites
par des particuliers. Les volontés des Rois étoient manifestées par des
signes plus uniformes; leurs Préceptions & leurs Chartres furent
souscrites d'abord de leur propre main[722] d'une simple croix, ensuite
elles ont été marquées comme tous les actes judiciaires l'avoient
toujours été dès les premiers temps de la Monarchie Françoise,[723] d'un
sceau dont les Officiers, chargés d'agir en leur nom, étoient
dépositaires,[724] & qui, par cette raison, ne varioit point durant leur
regne.[725]

[Note 718: _Annal. Bened._ tom. 2, pag. 223.]

[Note 719: Beauman. c. 35, pag. 189.]

[Note 720: Je dis _partie_, parce que quelquefois le signe de la
donation étoit divisé entre les deux intéressés à l'acte qui étoit en ce
cas fait double, & à chaque double on attachoit une portion du signe.]

[Note 721: C'étoit à sa ceinture qu'on attachoit son épée, ses clefs, sa
bourse, son couteau: ainsi en abandonnant sa ceinture, on faisoit
entendre qu'on se dépouilloit de tout en faveur du cessionnaire. C'étoit
encore pour marquer qu'on ne se réservoit rien que certains sceaux
représentoient le donateur presque nud: chaque signe du don étoit
toujours relatif aux bornes ou à l'étendue que le donateur lui avoit
prescrite. Pasquier, pag. 377. _Ann. Bened._ tom. 4 & 5, pag. 325, 454 &
459, &c. Ducange, au mot _Investiture_.]

[Note 722: Marculph. L. 1, Form. 4, 7 & 12, _Manu nostrâ decrevimus
roborare_, &c.]

[Note 723: Capitul. de Dagobert en 630, Sect. 23, no 5, Sect. 28, no 1,
2, 3 & 4.]

[Note 724: _Capitul. Caroli Calvi_, _ann._ 877, art. 17.]

[Note 725: _Lex Alleman._ tom. 4, tit. 28. Nouveau Traité de Diplom.
tom. 4, 2e part. Sect. 5, c. 3.]


*SECTION 250.*

*Et _nota_, que partition per agreement per enter parceners, poit estre
fait per la ley enter eux auxy bien per parol sans fait, come per fait.*

SECTION 250.--_TRADUCTION._

Il est d'observation que les parcenieres peuvent légalement faire des
lots entr'elles de parole.


*SECTION 251.*

*_Item_, si deux meases descendont a deux Parceners, & lun mease vault
per an 20 s. lauter forsque 10 s. per an, en cest cas partition poit
estre fait enter eux en tiel forme, cest ascavoir que un parcener avera
lun mease, & que lauter parcener avera lauter mease, & celuy que avera
le mease que est de value de 20 s. & ses heires, payeront un annual rent
de 5 s. issuant hors de mesme le mease a lauter parcener, & a ses heires
a touts jours, pur ceo que chescun de eux avoit owelty en value.*

SECTION 251.--_TRADUCTION._

S'il y a dans une succession deux masures, l'une de 20 s. l'autre de 10
s. & s'il n'y a que deux parcenieres, en ce cas on peut donner à chacune
d'elles une de ces masures, en chargeant la plus considérable d'une
rente annuelle de 5 s. envers celle à qui la masure qui n'est que de 10
s. écherra, parce que les lots doivent être égaux en valeur.


*SECTION 252.*

*Et tiel partition fait per parol est assis bone, & mesme le parcener
que avera le rent & ses heires, _purront distreiner de common droit_,
(a) pur le rent en le dit mease de le value de 20 s. si le rent de 5
s. soit aderere en ascun temps en quecunque mains que mesme le mease
deviendra, coment que ne fuit unques ascun escripture de ceo fait enter
eux de tiel rent.*

SECTION 252.--_TRADUCTION._

Cette sorte de partage, quoique fait verbalement, est valable, & celui à
qui la rente écheoit a le droit de _distreiner_ ou de saisir le fonds de
l'autre pour les arrérages de cette rente, quand même ce fonds passeront
en d'autres mains.

_REMARQUE._

(a) _Purront distreiner de commun droit._

La raison de cette maxime se tire de ce que si la rente étoit refusée,
le demandeur pouvoit obtenir un Bref de _mort d'ancêtres_, & demander
partage de la terre, en prouvant qu'elle provenoit de ses _ascendans_.
Or, il n'y avoit plus d'autre moyen, en ce cas, pour le faire évincer de
sa prétention, qu'en lui établissant que cette terre ne lui devoit
qu'une rente; mais en faisant cette preuve, on faisoit connoître que
cette rente tenoit lieu du fonds, & conséquemment la restitution de ce
fonds, faute de payement, devenoit incontestable. Cette faculté, qu'on
avoit anciennement d'obliger un possesseur à donner une part au fonds
dont il jouissoit, à celui qui lui prouvoit que ce fonds avoit fait
partie de ceux de ses peres, a donné lieu à cette disposition de la
Coutume Réformée de Normandie, _qu'il n'y a point de prescription entre
cohéritiers, tant qu'il ne paroît point qu'il y ait eu de
partages_.[726]

[Note 726: Coutume Réformée, Art. 529.]


*SECTION 253.*

*Et mesme l' maner est, de touts maners de terres & tenements, &c. lou
tiel rent est reserve a un, ou a divers parceners sur tiel partition,
&c. Mes tiel rent nest pas rent service, mes rent charge de common droit
ewe & reserve pur egaltie de partition.*

SECTION 253.--_TRADUCTION._

Il en faut dire autant de toutes terres ou tenemens affectés à des
rentes créées pour rendre des partages égaux; ces sortes de rentes ne
sont cependant pas des Rentes de service, mais des _Rentes-charges_;
leur privilége vient de ce qu'elles tiennent lieu d'une portion de
fonds.


*SECTION 254.*

*Et _nota_, que nulles sont appelles parceners per le common ley, mes
females, ou les heires de females que veignont a terres & tenements per
descent. Car si soers purchase terres ou tenements, de ceo ils sont
appelles _joyntenants_, (a) & nemy parceners.*

SECTION 254.--_TRADUCTION._

_Nota._ Qu'il n'y a que les filles & leurs enfans, lorsqu'ils succedent
au droit de leurs meres, qui soient appellées parcenieres, suivant
la commune Loi; car si des sœurs acquierent ensemble des terres ou
tenemens, elles ne sont point parcenieres, mais _jointenantes_.

_REMARQUE._

(a) _Joyntenants._

_Voyez_ Section 277, & suivantes, ce que l'on entend par _jointenants_.


*SECTION 255.*

*_Item_, si deux parceners de terre en fée simple, font partition enter
eux, & la part de un vault pluis que le part de lauter, si els fueront
al temps de la partition de pleine age, scavoir de 21 ans, donques la
partition, touts dits demurrera, & ne serra, unques defeat. Mes si les
tenements (dont els font partition) soyent a eux en fée taile, & le part
que lun ad est melieux en annual value, que est la part le lauter,
coment que els sont concludes durant lour vies a defeater la partition,
uncore si le parcener que ad le meinder part en value ad issue & devy,
lissue poit disagreer a la partition, & enter & occupier en common
lauter part que fuit allotte a sa Aunt, & issint lauter poit enter &
occupier en common lauter part allotte a sa soer, &c. sicome nul
partition ust este fait.*

SECTION 255.--_TRADUCTION._

_Item_, si deux parcenieres majeures de 21 ans font des lots entr'elles
de terres tenues en fief simple, quoique la part de l'une soit plus
forte que celle de l'autre, le partage ne peut cependant être annullé;
mais si les tenemens partagés étant en fief conditionnel le lot de l'une
est d'un revenu annuel plus fort que le revenu de l'autre lot, dans le
cas où après qu'elles seroient convenues de changer ces lots, l'une
d'elles décéderoit sans avoir exécuté cette convention, son héritier
pourroit forcer sa tante de s'y conformer, & d'occuper en commun avec
lui les fonds compris dans les deux lots.


*SECTION 256.*

*_Item_, si deux parceners de tenements en fée preigne barons, & els &
lour barons font partition enter eux, si la part lun est meinder en
annual value que la part lauter, durant les vies lour barons, la
partition estoyera en sa force. Mes coment que il estoyera durant les
vies les barons, uncore apres la mort le baron, celuy feme que ad le
meinder part poit enter en le part sa soer come est avantdit, &
defeatera la partition.*

SECTION 256.--_TRADUCTION._

Si deux parcenieres de terres en fief se marient, le partage fait par
leurs époux étant inégal, elles peuvent le rétracter après le décès de
leurs maris.


*SECTION 257.*

*Mes si l' partition fait perenter les barons suit tiel, que chescun
part al temps dallotment fait, fuit de egal annual value, donque _il ne
poit apres estre defeat en tielx cases_. (a)*

SECTION 257.--_TRADUCTION._

Si cependant les lots faits par les époux sont égaux en revenu annuel,
ils doivent subsister.

_ANCIEN COUTUMIER._

L'en doibt savoir que l'_homme ENCOMBRE_[727] _le mariage_ de sa femme,
quant il fait en quelque maniere que ce soit qu'elle en est dessaisie;
mesmement si elle le vendoit ou forjuroit, s'il n'est gagé vers elle par
la Loi de Bataille ou par recognoissant. Car se concorde en étoit faite
par son mary, la femme ne seroit pas tenue à la garder; car dès ce que
la femme est en la _poste_[728] de son mary, il peut faire à sa volonté
d'elle & de ses choses & de son héritage, & ne peut rien vendre tant
comme il vive, ne encombrer en derriere de lui qu'il ne puisse
rappeller; mais elle ne peut rappeller ce qu'il fait, ne estre ouye tant
qu'il vive en derriere de lui. Il y a un cas en quoy femme doibt estre
ouye en derriere de son mary, si come se son mary _la méhaigne_, ou luy
creve les yeux, ou luy brise les bras, ou il a accoustume de la traiter
vilainement, car ainsi ne doibt l'en pas chastier femme. Ch. 100.

[Note 727: Diminue, aliene ou détériore les biens dotaux de la femme.]

[Note 728: _In potestate._]

_REMARQUE._

(a) _Il ne poit apres estre defeat en tielx cases._

Pour acheter valablement le propre d'une femme, la Loi des Lombards
exigeoit le consentement du mari, & l'avis des plus proches parens de
cette femme. Si elle déclaroit, en leur présence, qu'elle ne concouroit
à l'aliénation que parce qu'elle y étoit forcée par les violences de son
mari, l'acquisition qu'on en faisoit étoit nulle.[729] Le mari étoit
donc seulement administrateur ou gardien des biens de sa femme, & il
n'en pouvoit disposer que pour l'avantage de celle-ci, ou dans une
nécessité pressante. Le pouvoir du mari sur la personne de son épouse
avoit aussi ses bornes; il ne pouvoit l'exposer au deshonneur, même de
son consentement: ce consentement de la part de la femme étoit, en ce
cas, puni de mort;[730] & le mari qui l'avoit induite à l'accorder,
payoit à ses parens la composition qu'il leur auroit due s'il lui eût
ôté la vie. Ces maximes Françoises paroissent avoir été copiées par les
Rédacteurs des anciennes Coutumes d'Angleterre & de Normandie; les biens
propres des femmes ne peuvent, suivant ces Coutumes, être aliénés par
leurs époux sans leur approbation & celle de leurs héritiers, à moins
que le mari lui-même n'ait des propres suffisans pour remplacer[731] la
valeur de l'aliénation. La vente subsiste cependant tant que le mari vit
avec sa femme; & ce n'est qu'après le décès du mari que le droit de
révoquer ses actes peut être exercé par son épouse & ses
successeurs.[732] D'après ces principes, Littleton considere le partage
fait par un mari des biens échus à sa femme par succession, quand il est
inégal, comme une sorte d'aliénation; & ceci est d'autant plus
raisonnable, que sous le prétexte de division de biens, le mari auroit
pu, de concert avec les cohéritiers de son épouse, ou au moyen d'une
certaine somme, leur céder une portion de la propriété qui auroit
appartenue à sa femme. Il falloit donc que les actes du mari, relatifs à
la régie des biens de sa femme, fussent au-dessus de tout soupçon pour
être irrévocables. Comme les hommes ne pouvoient obliger leurs épouses à
exécuter les obligations qu'ils avoient contractées pour elles, les
femmes, réciproquement, ne pouvoient par leur fait engager les biens de
leurs époux. Si une femme commettoit quelque crime, elle se défendoit
sans le consentement de son mari, pourvu qu'elle trouvât des cautions; &
quand elle succomboit, celui-ci ne pouvoit être obligé à payer pour elle
au-delà de la valeur de quatre deniers. Il y a plus: pour empêcher la
récidive, il étoit tenu de la châtier comme un jeune enfant, _tenetur,
sine consilio viri sui facientem, castigare quasi puerum infra
ætatem_.[733] Ce devoir de corriger sa femme étoit si essentiel, qu'en
certaines circonstances le mari ne pouvoit se garantir d'être
solidairement condamné avec elle, qu'autant qu'il s'en étoit fidèlement
acquité. _Si præsumitur quod vir sit fidelis & quod eam sæpius
castigabat in quantum potuit, non respondebit pro eâ._ Cette correction
n'étoit cependant pas illimitée; la femme qui y étoit exposée, parce
qu'elle refusoit d'obéir à son mari en quelques mauvaises actions,[734]
pouvoit se plaindre en Justice; ou si ses parens soupçonnoient le mari
de l'avoir fait périr par ses maltraitemens, ils avoient le droit de
l'accuser; mais les preuves, dans ces deux cas, dévoient être bien
claires. _In hoc exaudiri non debet actor, nisi notorium fuerit quod
vir ejus interfecerit eam, vel plagam ei dederit de quâ mortua fuit._
Les Loix d'Ecosse en donnent cette raison, qu'un honnête-homme qui avoit
une femme fort méchante lui ayant un jour donné un léger soufflet, mû de
zèle pour sa conversion, _bóno zelo eam castigando_; cette femme fiere &
peu docile conçut, dès ce moment, une si grande haine pour son époux,
qu'elle ne voulut plus boire ni manger, & se fit ainsi mourir. Le mari
ayant été appellé en Justice comme homicide de sa femme, auroit subi le
dernier supplice, si la douceur de la correction qu'il avoit exercée
envers elle, & la malignité de cette derniere à refuser toute espece
d'alimens pour exposer son mari à une peine capitale, n'eussent pas été
également prouvées. Il n'y a point à craindre que les femmes d'à présent
sacrifient ainsi leur vie pour se venger de leurs époux. _Leurs mœurs
sont naturellement bonnes, toutes leurs passions sont calmes, peu
actives, peu raffinées_; & graces, sans doute, au changement de notre
climat; au lieu des corrections dont nos anciennes Loix supposoient la
nécessité, _la moindre police_,[735] selon le célebre Auteur de l'Esprit
des Loix, _suffit maintenant pour les conduire_.

[Note 729: _Leg. Long._ tit. 17.]

[Note 730: _Ibid_, tit. 101.]

[Note 731: _Sken. Annot. in Reg. Maj._ L. 2, c. 29. Glanville, L. 6, c.
13.]

[Note 732: _Quoniam attachiam._ c. 20.]

[Note 733: _Sken. Leg. Burg._ c. 131.]

[Note 734: Il seroit sans doute bien étonnant que la Loi qui avoit
défendu, sous les plus grandes peines, aux femmes de souffrir leur
propre deshonneur, même du consentement de leurs maris, eût en
même-temps, en faveur des Seigneurs, établi un droit aussi contraire à
l'honneur que celui que Skénée a cru appercevoir sous le nom de
_Marcheta mulierum_. _Mark_, dit cet Auteur, _equum significat, hinc
deducta metaphora ab equitando; marcheta mulieris dicitur virginalis
pudicitiæ prima violatio & delibatio_. Aussi Skénée s'est-il trompé à
cet égard. Le ch. 31 du Livre 4 de la Loi _Reg. Majest._ fixe seulement
la composition des femmes & filles qui commettent quelque crime, &
n'offre rien qui caractérise un droit seigneurial, aussi infame que
celui dont Skénée attribue l'invention _à Ævenus_.]

[Note 735: Espr. des Loix, tom. 2, L. 16, c. 11, pag. 113.]


*SECTION 258.*

*_Item_, si deux parceners sont, & le puisne esteant deins lage de 21
ans, & partition est fait enter eux, issint que la purparty que est
allot al puisne est de meindre value que la purparty lauter, en cest
case le puisne durant l' temps de son nonage, & auxy quaunt el vient a
_pleine age_, (a) scavoir, de 21 ans, poit enter en la purparty a sa
soer allot & defeatera la partition. Mes bien soy gard tiel parcener
quant el vient a sa plein age, que el ne preign a son use demesne
touts les profits des terres ou tenements que a luy fuerent allots.
Car donques el soy agree a a le partition a tiel age, en quel case la
partition estoyera & demurra en sa force: Mes paraventure les profits de
la moitie el poit prender, relinquisant les profits de lauter moitie a
sa soer.*

SECTION 258.--_TRADUCTION._

Quand de deux parcenieres l'une n'est point majeure de 21 ans, le lot
qui échoit à la plus jeune étant inférieur en revenu à l'autre lot,
celle-ci peut demander un nouveau partage, soit avant, soit après sa
majorité; mais elle doit prendre garde de ne pas recevoir les fruits de
sa part étant majeure, car elle ratifieroit par-là le partage, & il
seroit dès-lors irrévocable. Ce ne seroit cependant pas approuver un
partage inégal fait en minorité que de ne toucher que la moitié du
revenu de son lot, en laissant l'autre moitié à sa cohéritiere.

_REMARQUE._

(a) _Pleine age._

Il y avoit deux sortes de majorités, le _plein age_ à vingt-un ans, &
_le meindre age_ à quatorze ans. A quatorze ans un mineur pouvoit ester
en Jugement, pour reclamer une possession qui lui étoit enlevée; mais il
étoit obligé d'attendre son âge parfait pour se faire ajuger
irrévocablement la propriété.[736] A quatorze ans on ne pouvoit être
témoin, on pouvoit seulement disposer de ses meubles, faire commerce. La
majorité de quatorze ans répondoit à notre émancipation: l'émancipé peut
disposer, en Normandie, de ses revenus; cependant il ne peut vendre,
aliéner, ni donner ses fonds. Le Titre LII de la Loi des Lombards[737] a
été la source de cette Jurisprudence.

[Note 736: Glanville, L. 13, c. 12 & 13. __Reg. Majest.__ L. 3, c. 32,
n'o 5. _Quoniam attachiam._ c. 99.]

[Note 737: _Addit. ad Leg. Longob. Lutprandi Regis de anno regni ejus
14._]


*SECTION 259.*

*Et est ascavoir que quant il est dit, que males ou females sont de
pleine age, ceo serra entendue de age de 21 ans, car si devant tiel age,
ascun fait ou feoffement, grant, release, confirmation, obligation ou
auter scripture soit fait per ascun de eux, &c. ou si ascun deins tiel
age, soit Baylife ou receiver a ascun home, &c. tout serve pur nient, &
poit estre avoyde. Auxy home devant le dit age, ne serra my jure en un
Enquest, &c.*

SECTION 259.--_TRADUCTION._

Quand on dit que mâles & femelles sont de _plein âge_, cela s'entend de
l'âge de 21 ans; car tous dons, inféodations, ratifications, obligations
& autres actes, ou toute acceptation d'Office, comme de Bailli, de
Receveur faite avant cet âge, peuvent être annullés; on ne peut même
avant 21 ans être reçu à prêter serment dans une Enquête.


*SECTION 260.*

*_Item_, si terres ou tenements soyent dones a un home en le taile, quel
ad tant des terres en fée simple, & ad issue deux files, & devie, & ses
deux files font partition enter eux, issint que la terre en fée simple
est allot a le file puisne en allowance des terres & tenements tailes
allottes a le file eigne, si apres tiel partition fait, la puisne file
alienast sa terre en fée simple a un auter en fée, & ad issue fits ou
file & devie, lissue poit bien entrer en les tenements tailes, & eux
tener & occupier en purparty ovesque son Aunt. Et ceo est pur deux
causes: un est, pur ceo que lissue ne poit aver ascun remedie de la
terre alien per sa mere, per ceo que la terre fuit a luy en fée simple,
& pur tant que il est un de les heires en taile, & nad my ascun
recompence de ceo que a luy affiert de les tenements tailes, il est
reason que el eit sa purparty de les tenements tailes, & nosmement quant
tiel partition ne fait ascun discontinuance.*

*Mes le contrary est tenus _M. 10. H. 6_, scavoir, que le heire ne poit
enter sur l' parcener que ad la terre taile, mes est mis a _Formedon_.
(a)*

SECTION 260.--_TRADUCTION._

Lorsqu'un donataire de terres ou tenemens, à titre de fief conditionnel,
possede propriétairement une égale quantité de terres en fief simple, &
qu'en mourant il laisse deux filles, si en faisant des lots entr'elles,
les terres en fief simple échéent à la cadette, & celles tenues en fief
conditionnel composent le lot de l'aînée, la cadette peut aliéner ses
fonds; mais les enfans qui lui survivent après cette aliénation pourront
jouir en commun des terres tenues en fief conditionnel, & possédées par
leur tante. Ceci est fondé sur deux motifs: le premier, parce que les
enfans de celle qui a vendu ne peuvent rétracter cette vente, attendu
que leur mere étoit propriétaire incommutable du fief simple, au lieu
qu'elle n'a pu les priver de la part qu'elle avoit aux fiefs, ou plutôt
aux terres tenues en fief _tail_ ou conditionnel, & il leur en est dû
récompense, sur-tout quand le fonds subsiste en la main d'un héritier
direct sans avoir changé de ligne.

Cette Jurisprudence a cependant été réformée sous Henri VI par le Statut
de la 10e année de son regne. L'héritier, dans l'espece dont on vient de
parler, n'a plus, depuis ce Statut, contre sa tante que l'action de
_Forme-don_.

_REMARQUE._

(a) _Formedon._

_Breve de formâ donationis_; c'étoit le nom du Bref qui s'obtenoit pour
reclamer la part que l'on avoit en un fonds cédé ou donné sous
condition. Britton, ch. 119, fol. 270, verso.


*SECTION 261.*

*Un auter cause est, pur ceo que il serra rete la folly del eign soer
que il voit suffer ou agree a tiel partition, ou el puissoit aver si el
voile, la moitie de la terre en fée simple, & son moitie des tenements
en le taile, pur sa purparty, & issint estre sur sans dammage.*

SECTION 261.--_TRADUCTION._

Une autre raison de la maxime contenue en la Section précédente se tire
de ce que la sœur aînée fait une faute lorsqu'elle consent à un partage
tel que celui dont parle cette même Section; car il ne tient qu'à elle,
pour se mettre à l'abri de toute inquiétude, de prendre moitié de la
terre en fief simple, & moitié de celle à fief conditionnel.


*SECTION 262.*

*Auxy si home soit seise en fée dun carve de terre per just title, &
disseisist un enfant deins age dun auter carve, & ad issue deux files, &
morust seisie dambideux carves, lenfant adonques esteant deins age, &
les files entront & font partition, issint que lun carve est allotte al
pur party lun, come per case al puisne en allowance dauter carve que est
alotte a le purparty de lauter, si puis lenfant enter en le carve dont
il fuit disseisist sur l' possession la parcener que ad mesme le carve,
donques mesme le parcener poit entrer en lauter carve que sa soer ad, &
tener en parcenary ovesque luy: Mes si le puisne aliena mesme la carve a
un auter en fée simple devant lentrie lenfant, & puis lenfant enter sur
le possession lalienee, donque el ne poit enter en lauter carve, pur ceo
que per son alienation el ad luy tout ousterment dismisse daver ascun
part de les tenements come parcener. Mes si le puisne devant lentrie
lenfant fait de ceo un lease pur terme dans, ou pur terme de vie ou en
fée tayle, savant la reversion a luy, & puis lenfant enter, la
pereventure auterment est, pur ceo que el ne soy dismisse de tout ceo
que fuit en luy, mes ad reserve a luy le reversion & le fée, &c.*

SECTION 262.--_TRADUCTION._

Quand un homme possesseur, à titre de fief, de quarante arpens de
terres, dessaisit un mineur de pareille quantité de terres tenues aussi
en fief, & ensuite meurt en laissant deux filles pour héritieres, que
ces deux filles partagent ces terres de maniere que l'aînée ait celles
dont leur pere étoit propriétaire, & la cadette les fonds dont il
s'étoit fait envoyer en possession. Si le mineur réussit ensuite à
prouver que cet envoi en possession a été injustement fait, & recouvre
sa terre; la cadette, à qui elle étoit échue, pourra demander à sa sœur
aînée moitié de la terre qui lui reste. Mais dans le cas où la puînée
auroit aliéné les fonds avant que le mineur les eût reclamés, & en eût
obtenu la restitution, elle ne pourra demander aucune récompense du
recours que son acquereur dépossédé par le mineur pourroit exercer
contr'elle, parce que par la vente elle est réputée avoir renoncé à tout
droit sur le lot échu à son aînée.

Il en seroit autrement si la cadette avoit, au lieu de vendre, donné
seulement à vie ou pour terme d'ans ou à condition, les fonds,
revendiqués par le mineur; cette sorte d'aliénation conserve toujours,
en effet, à celui qui l'a faite un droit de reversion, & ne le dépouille
pas absolument de sa propriété.


*SECTION 263.*

*_Item_, si soient trois ou quater parceners, &c. que font partition
enter eux, si le part dun parcener soit defeat per tiel loyal entrie, el
poit enter & occupier lauter terres ovesque touts les auters parceners,
& eux compellez de fair novel partition de lauters terres, enter eux,
&c.*

SECTION 263.--_TRADUCTION._

Si trois ou quatre parcenieres font partage entr'elles, l'une étant
ensuite valablement dépossédée, elle peut contraindre les autres de
faire de nouveaux partages.


*SECTION 264.*

*_Item_, si sont deux parceners, & lun prent baron, & le baron & sa
feme ont issue enter eux, & la feme devy, & le baron soy tient eins
en le moity come tenant per le curtesie, en ceo cas le parcener que
survesquist, & le tenant per le curtesie bien poient faire partition
enter eux, &c. Et si le tenant per le curtesie ne voit agreer al
partition destre fait, donques le parcener que survesquist poit aver
envers le tenant per le curtesie, briefe _De partitione facienda, &c._ &
luy compeller de faire partition. Mes si le tenant per le curtesie voile
aver partition enter eux destre fait, & le parcener que survesquist ne
voit ceo aver, donque le tenant per le curtesie navera ascun remedy pur
aver partition, &c. Car il ne poit aver briefe _De partitione facienda_,
pur ceo que _il nest parcener_, (a) car tiel briefe gist pur parceners
tantsolement. Et issint poyes veyer que briefe _De partitione facienda_
gist envers tenant per le curtesie, & uncore il mesme ne poit aver tiel
briefe.*

SECTION 264.--_TRADUCTION._

Si de deux parcenieres l'une prend un mari, en a des enfans, & décede;
son mari, jouissant à droit de viduité de ses biens, peut faire des lots
avec celle qui devoit partager avec sa femme; il peut même être
contraint de procéder au partage par un Bref _De partitione faciendâ_;
mais il n'a pas la faculté d'obtenir ce Bref, car il n'est établi que
pour ceux qui sont coparceniers.

_REMARQUE._

(a) _Il nest parcener_, &c.

Le mari, dans l'espece proposée, ne peut demander la division des fonds,
parce qu'il n'est point propriétaire; il n'a droit, comme usufruitier,
que de jouir des revenus en commun avec la sœur ou cohéritiere de sa
femme.



CHAPITRE II.

_DES PARCENIERS_

_suivant la Coutume._


*SECTION 265.*

*Parceners per le custome sont lou home seisie en fée simple, ou en fée
taile de terres ou tenements que sont de tenure appel Gavelkind deins l'
County de Kent, & ad issue divers fits, & devie, tielx terres ou
tenements discenderont a touts les fits per le custome & ovelment
enheriteront & ferront partition enter eux per le custome, sicome
females ferront, & briefe de _Partitione facienda_ gist en ceo cas,
sicome enter females, mes il covient en la declaration de faire mention
de l' custome. Auxy tiel custome est en auters lieux Dengleterre. Et
auxy tiel custome est _North Galles_, &c. (a)*

SECTION 265.--_TRADUCTION._

Parceniers suivant la Coutume sont ceux qui sont saisis, en fief simple
ou conditionnel, de terres ou tenemens chargés de redevances appellées
_Gabelles_ dans la Province de _Kent_. Leurs enfans mâles partagent
également entr'eux ces tenures, & ils ont, comme les filles ont dans les
autres lieux, droit de se pourvoir pour obtenir partage par la voie du
Bref _de Partitione faciendâ_. Mais afin que ce partage égal ait lieu
entre garçons, il faut que l'inféodation fasse mention de la Coutume du
lieu où les fonds sont assis: car cette Coutume est non-seulement
établie dans le Comté de Kent, mais encore dans la Principauté de
Galles.

_REMARQUE._

(a) _North Galles_, &c.

_Aliter usitatum est in Walliâ quam in Anglià quoad successionem
hæreditatis, & quod hæreditas partibilis est inter hæredes masculos à
tempore cujus non extitit memoria, partibilis extitit. Dominus Rex non
vult quod consuetudo illa abrogetur. Statut. VValliæ anno 12. Edovvard
II._


*SECTION 266 & 267.*

*_Item_, il y ad auter partition quel est dauter nature & dauter form
que ascuns des partitions avantdits sons. Sicome home seisie de certain
terres en fée simple, ad issue deux files & leigne est mary, & le piere
dona parcel de ses terres a le baron ove sa file en frankmariage, &
morust seisin de le remnant, le quel remnant est de pluis greinder value
per an, que sont les terres dones en frankmariage;*

*En cel case le baron ne le feme avera reins pur lour purpartie de
le dit remnant, sinon que ils voile mitter lour terres dones en
frankmariage en _Hotchpot_, (a) ovesque le remnant de la terre ovesque
sa soer. _Et si issint ils ne voilent fayre_, (b) donques puisne
poet tener & occupier mesme le remnande, & prendra a luy les profits
tantsolement. Et il semble que cest parol (_Hotchpot_) est en English,
_A Pudding_, car en tiel _Pudding_ nest communement mies un chose
tantsolement, mes un chose ovesques auters choses ensemble. Et pur ceo
il covient en tiel case de mitter les terres dones en frankmariage
ovesque les auters terres en _Hotchpot_, si le baron & sa feme voilent
aver ascun part en les auters terres.*

SECTION 266 & 267.--_TRADUCTION._

Il y a d'autres especes de partages. Par exemple, lorsqu'un propriétaire
de terres en fief simple a deux filles, & qu'en mariant l'aînée il lui a
donné partie de ses terres en _Franc-Mariage_: si cet homme décede saisi
du surplus de sa terre, dont la valeur est plus forte que celle des
terres données en Franc-Mariage;

Alors ni le mari de la fille aînée ni elle-même ne peuvent demander
sur ce surplus aucune part, à moins qu'ils ne rapportent leur
_Franc-Mariage_, & ne le mettent en _Hotchpot_ avec ce qui reste de la
terre au suppôt de la succession du défunt: car s'ils se refusent à
ce rapport, la cadette aura les fonds laissés par son pere à son seul
profit. Et il semble que ce terme, _Hotchpot_ en Anglois, dérive du mot
_Pudding_, qui signifie l'assemblage de divers ingrédiens qui entrent
dans la composition d'un mets très-connu.

_REMARQUES._

(a) _Hotchpot_, veut dire un _salmiguondis_; _Pudding_, _du Boudin_.

(b) _Et si issint ils ne voilent fayre._

Il étoit libre à la fille de s'en tenir à ce que son pere lui avoit
donné en la mariant. Cette Jurisprudence a encore lieu en Normandie,
quand le don promis à la fille est totalement acquitté; ceci a eu pour
principe d'assurer l'état des maris. S'ils étoient obligés de rapporter,
il arriveroit quelquefois qu'après avoir compté sur une fortune honnête
de la part de leurs femmes, ils s'en trouveroient dépouillés après le
décès de leurs beaux-peres. Mais pour être dispensée de rapporter, la
fille mariée n'étoit tenue qu'à la simple déclaration judiciaire qu'elle
n'entendoit mettre en partage son mariage, _nec vult maritagium in
partem ponere_:[738] la renonciation n'étoit usitée que dans le cas où,
en ne retenant rien, ni ne prétendant rien de la succession d'un parent,
pour n'être pas exposé à payer ses dettes, on se retranchoit de sa
famille: ce qui se faisoit en rompant sur sa tête quatre _fust_ ou
baguettes dont l'on jettoit les morceaux en présence du Juge en
l'Audience, en disant, que l'on n'entendoit plus être exposé à
poursuivre la vengeance des affronts que cette famille pourroit
éprouver, ni succéder à aucuns des membres dont elle seroit
composée.[739]

[Note 738: Coke, pag. 176.]

[Note 739: _Lex Sal. tit. 63_, les parens étoient de droit caution les
uns des autres. _Willelm. Wast Glossar._ _verbo plegium_.]


*SECTION 268.*

*Et cest terme (_Hotchpot_) nest forsque un terme similitudinarie, & est
a tant adire, cestascavoir, de mitter les terres en frankmariage, & les
auters terres en fée simple ensemble, & ceo est a tiel entent de
conuster le value de touts les terres, savoir, de les terres dones en
frankmariage, & de le remnant que ne fueront dones, & donque partition
serra fait en le form que ensuist. Sicome, mittomus que home soit
seisie de l' 30 acres de terre en fée simple, chescun acre de value de
12 deniers per an, & que il ad issue deux files, & lun est covert de
baron, & le pier dona 10 acres de les 30 acres a le baron, ove sa file
en frankmarriage, & morust seisie de remnant donques lauter soer entra
en le remnant, scavoir en les 20 acres, & eux occupier, a son use
demesn, si non que le baron & sa feme voil mitter les 10 acres dones en
frankmarriage, ove les 20 acres en Hotchpot, cestascavoir, ensemble, &
donque quant le value de chescun acre est conus, cest ascavoir que
chescun acre vault per an, & est assesse, ou enter eux agree, que
chescun acre vault per an 12 deniers, donques le partition serra fait en
tiel forme, cestascavoir le baron & sa feme averont oustre les 10 acres
dones a eux en frankmarriage 5 acres en severaltie de les 20 acres, &
lauter soer avera le remnant, scavoir 15 acres de les 20 acres pur sa
purpartie, issint que accomptant les 10 acres que le baron & sa feme
ount per le done en frankmarriage, & les auters 5 acres de les 20 acres,
le baron & sa feme ont autant en annual value, que lauter soer ad.*

SECTION 268.--_TRADUCTION._

Ce terme _Hotchpot_ est une expression symbolique, qui ne signifie rien
autre chose, sinon que l'on ne fait qu'une seule masse des terres
données en Franc-Mariage, & de celles restées en fief simple au défunt,
après cependant avoir fait faire estimation des unes & des autres, pour
les partager en la forme qui suit. En supposant un homme possesseur de
trente acres de terres en fief simple, chaque acre valant douze deniers
par an: si de deux filles qu'il laisse en mourant, la fille aînée qui
aura eu en Franc-Mariage dix acres, & qui peut, si elle le veut, laisser
en propriété à sa sœur les vingt acres restantes, exige des lots, &
joint ses dix acres aux vingt, ceci s'appelle mettre les dix acres en
_Hotchpot_; & en ce cas la valeur de chaque acre étant duement fixée, de
gré ou de rigueur, à douze deniers, la fille mariée prendra cinq acres
sur les vingt de la succession de son pere, ce qui avec les dix qu'elle
aura en Franc-Mariage, formera quinze acres, & conséquemment une part
égale à celle qui restera à sa sœur.


*SECTION 269.*

*Et issint tout soits sur tiel partition, les terres dones en
frankmarriage demurgent a les donees & a lour heires solonque le forme
de le done. Car si lauter parcener avoit riens de ceo que est done en
frankmarriage, de ceo ensueroit inconviens, & chose encounter raeson,
que la ley ne voit suffer. Et la cause pur que les terres dones en
frankmarriage serront mis en Hotchpot, est ceo, quant home done terres
ou tenements en frankmarriage ove sa file, ou ove auter cosin, il est
entendus per la ley que tiel done fait per tiel parol (frankmarriage)
est un avancement, & pur avancement de sa file, ou de son auter cosin, &
nosmement quant le donor & ses heyres naveront ascun rent ne service de
eux, sinon que soit fealty, tanque _le quart degree_ (a) soit passe, &c.
Et pur tiel cause la ley est que el avera riens de les auters terres ou
tenements discendus a lauter parcener, &c. sinon que el voile mitter les
terres dones en frankmariage en Hotchpot, come est dit. Et si il ne
voille mitter les terres dones en frankmariage en Hotchpot, donque el
navera riens del remnant, pur ceo que serra entendu pur la ley que el
est sufficientment avance, a que avancement el soy agree & luy tient
content.*

SECTION 269.--_TRADUCTION._

Toutes les fois qu'une donataire en Franc-Mariage fait des lots, elle
conserve ce qui lui a été donné; parce que si la copartageante lui en
retiroit partie, il en naîtroit des inconvéniens que la Loi a voulu
prévenir.

La donataire en Franc-Mariage, & ses hoirs, jusqu'au quatrieme degré,
sont exempts de tous services ou rente envers le donateur, & ne lui
doivent que la foi. D'où il suit qu'elle doit être libre de jouir
après la mort du donateur de cet avantage; mais en le conservant elle
ne doit avoir rien de plus que ce qui lui a été promis lorsqu'on le
lui a accordé: par cette raison elle est donc forcée, quand elle veut
partager de, mettre les fonds dont elle a été avancée en _Hotchpot_;
c'est-à-dire, de tenir compte de leur valeur.

_REMARQUE._

(a) _Le quart degree_, &c.

Voyez la réponse de Saint Grégoire au Moine Saint Augustin sur les
degrés dans lesquels les Anglois pouvoient contracter mariage. Il le
permet entre le troisieme & quatrieme degré de consanguinité.[740] Voyez
aussi Glanville, L. 7, ch. 18.

[Note 740: _Epist. divi Greg._]


*SECTION 270.*

*Mesme la ley est parenter les heires de les donees en frankmariage, &
les auters parceners, &c. si les donees en frankmariage deviont devant
lour auncester, ou devant tiel partition, &c. quant a mitter en
Hotchpot, &c.*

SECTION 270.--_TRADUCTION._

La même Loi a lieu entre les héritiers des donataires en Franc-Mariage,
& les autres parceniers, quant à la maniere de mettre en _Hotchpot_ les
fonds donnés en Franc-Mariage, pourvu que ces donataires décedent avant
leur ancêtre ou avant le partage, &c.


*SECTION 271.*

*Et _nota_, que dones en frankmariage fueront per le common ley devant
le Statute de Westminster second, & tout temps puis ad este use &
continue, &c.*

SECTION 271.--_TRADUCTION._

_Nota_. Que les dons en Franc-Mariage étoient de commune Loi avant le
deuxieme Statut de Westminster, & que depuis l'usage en a été conservé
sans altération.


*SECTION 272.*

*_Item_, si tiel mitter en Hotchpot, &c. est lou les auters terres ou
tenements que ne fueront dones en frankmariage descendont de les donors
frankmariage tantsolement, car si les terres descenderont a les files
per le pier le donor, ou per le mere le donor, ou per le frere l' donor,
ou auter ancestor, & nemy per le donor, &c. la auterment est, car en
tiel cas el a quel tiel done en frankmariage est fait avera sa part
sicome nul tiel done en frankmarriage ust este fait, pur ceo que el ne
fuit avance per eux, &c. eins per un auter, &c.*

SECTION 272.--_TRADUCTION._

La mise en _Hotchpot_ n'a lieu que lorsque les autres fonds qui ne sont
pas donnés en Franc-Mariage font partie de la succession des donateurs
en Franc-Mariage; car si ces fonds descendent aux fils du donateur par
le pere ou la mere, ou le frere ou autre parent de ce donateur en
Franc-Mariage, & non directement du donateur lui-même, le donataire en
Franc-Mariage, outre son don, prendra sa part sur lesdits fonds, parce
qu'il ne tient rien en ce cas du décédé.


*SECTION 273.*

*_Item_, si home seisie de 30 acres de terre chescun acre de ovel annual
value eiant issue deux files come est avantdit, & dona 15 acres de ceo a
le baron ove sa file en frankmariage, & morust seisie de les auters 15
acres, en cest case lauter soer avera les 15 acres issint descendus a
luy sole, & le baron & feme ne mitteront en tiel cas les 15 acres a eux
donnes en frankmarriage en _Hotchpot_, pur ceo que les tenements dones
en frankmarriage sont de auxy grand & de bone annual value come les
auters terres discendus, &c. Car si les terres dones en frankmarriage
sont de tant egal annual value, que le remnant sont, ou de pluis
value, _en vaine & a nul entent_ (a) tielx tenements dones en
frankmariage serra mis en _Hotchpot_, & pur ceo que el ne poit reins
aver de les auters terres discendus, &c. car si el avoit ascun parcel de
les tenements discendus, donques el avera pluis de annual value que sa
soer, &c. que la ley ne voit, &c. Et sicome est parley en les cases
avantdits de deux files ou de deux parceners en mesme le manner est en
semblabl' cas lou sont plusors soers ou plusors parceners, solonque ceo
que l' case & matter l' est, &c.*

SECTION 273.--_TRADUCTION._

Si un homme saisi de trente acres de terre, chaque acre étant d'un égal
revenu, laisse deux filles, celle qu'il aura mariée, & à qui il aura
donné en Franc-Mariage quinze acres, conservera ses quinze acres, & les
quinze autres resteront à sa sœur.

Il en seroit de même si ces terres données en Franc-Mariage étoient d'un
revenu supérieur à celui des terres existantes au suppôt de la
succession du pere; car alors si la fille mariée avoit droit de prendre
part sur ces terres, outre son Franc-Mariage qui doit lui rester, elle
auroit plus de revenu que sa sœur. On doit étendre cette maxime à tous
les cas semblables, où deux parcenieres peuvent se trouver.

_REMARQUE._

(a) _En vaine & a nul entent._

Pour entendre cet article, il faut observer que la fille étoit libre de
conserver son franc-mariage, & que lorsqu'elle le mettoit à _hotchpot_,
ce n'étoit pas pour le partager, mais pour obtenir un supplément au
revenu de son franc-mariage, proportionné à celui des terres restées au
suppôt de la succession: il étoit donc inutile de rapporter le
franc-mariage quand il excédoit la valeur des fonds restans, puisque le
donataire du franc-mariage pouvoit le garder en entier, sans en devoir à
sa sœur aucune indemnité. Le don en franc-mariage étoit une inféodation
en Fief simple; & il étoit de maxime que les dons en Fiefs simples
n'étoient sujets à rapport qu'autant que les donataires y
consentoient.[741]

[Note 741: Britton, c. 72: _Et si pere ou mere ou ambideux doynent à un
des parceners en mariage tout lour héritage, en tiel cas ne chiera mi le
héritage en devision._]


*SECTION 274.*

*Et est ascavoir, que terres ou tenements dones en frankmariage ne
serra mise en _Hotchpot_, forsque ou terres descende en fée simple,
_car de terres discendus en fée tail_ (a) partition serra fait, sicome
nul tiel done en frankmariage ust este fait.*

SECTION 274.--_TRADUCTION._

Toutes terres données en Franc-Mariage ne doivent pas être mises en
_Hotchpot_, il n'y a que celles qui sont échues par succession en fief
simple qui soient dans ce cas; car les terres tenues à condition, qui
viennent par succession, doivent être partagées comme si on ne les avoit
pas données en Franc-Mariage.

_REMARQUE._

(a) _Car de terres discendus en fée tail_, &c.

La raison en est palpable: après la condition de l'inféodation expirée,
l'une des Parcenieres, ou ses descendans, se seroit trouvée sans part en
la succession de son pere, tandis que sa copartageante & ses descendans
auroient possédé les Fiefs simples à perpétuité. D'ailleurs, le Fief
conditionnel devoit être garanti par tous les cohéritiers; & cette
garantie étant solidaire, la jouissance du Fief ne pouvoit être au
profit d'un seul.


*SECTION 275.*

*_Item_, nuls terres serra mise en _Hotchpot_ ove auters sinon terres
que fueront done en frankmariage tantsolement: Car si ascun feme ad
ascuns auters terres ou tenements per ascun auter done en le tayle, _el
ne unques mittera_ (a) tiel terre issint done en _Hotchpot_, mes il
avera sa purpaty de le remnant discendus, &c. scavoir, a tant que lauter
parcener avera de mesme le remnant.*

SECTION 275.--_TRADUCTION._

On ne met les terres en _Hotchpot_ que lorsqu'elles sont données en
_Franc-Mariage_; car tout don fait à une femme à condition ou autrement,
n'est pas sujet à rapport, & n'empêche pas qu'elle ne partage la
succession du donateur, en l'état qu'elle se trouve, sans que son don
entre en considération dans le partage.

_REMARQUE._

(a) _El ne unques mittera_, &c.

_Depuyr feffement ne tient jamais lieu devision. Car aussi estable
volons que tielxs dons de puyr feffement sauns faire mention de mariage,
soient tenus en les priviez du saung, come seroit en une estrange
persone._[742]

[Note 742: Britton, c. 72, fo 189.]


*SECTION 276.*

*_Item_, un auter partition poet ester fait enter parceners que variast
de les partitions avantdits. Sicome y sont trois parceners, & le puisne
voet aver partition, & les auters deux ne voillont, mes voilent tener en
parcenarie ceo que a eux affiert sans partition, en cest case si un part
soit alot en severalty, al puisne soer solonque ceo que el doit aver,
donques les auters poient tener le remnant en parcenary, & occupier en
common sans partition si els voilent, & tiel partition est assets bone.
Et si apres leign, ou le mulnes parceners voyle fayre partition inter
eux, pur ceo que ils teignont, ils poient ceo bien faire quant a eux
pleist. Mes lou partition serra fait per force de Briefe _de Partitione
facienda_, la auterment est, car la covient que chescun parcener avera
sa part en severaltie, &c.*

*Pluis serra dit des parceners en le Chapter de Joyntenants, & auxy en
le Chapter de Tenants in Common.*

SECTION 276.--_TRADUCTION._

Il y a encore une autre maniere de partager différente de celles dont on
vient de parler.

Par exemple, s'il y a trois parcenieres, que la puînée demande des lots,
& que les autres les refusent, & veuillent tenir ensemble les fonds sans
les partager; en ce cas on peut donner à la puînée son lot en
particulier, & les deux aînées tiendront en commun le surplus des fonds,
sauf à être fait des lots entr'elles dans la suite, sans y appeller leur
sœur. Il n'en seroit pas de même si la puînée avoit demandé sa part en
vertu d'un Bref _de Partitione faciendâ_, car chaque sœur auroit alors
son lot séparé. Au reste nous parlerons des Parcenieres avec plus
d'étendue dans les deux Chapitres suivans.



CHAPITRE III.

_DE JOINTENANS._


*SECTION 277.*

*Joyntenants sont, si come home seisie de certaine terres ou tenements,
&c. & enfeoffe deux, trois, quater ou plusors, a aver & tener a eux pur
term de lour vies, ou a terme dauter vie, per force de quel feoffement
ou lease ils sont seisies, tiels sont Joyntenants.*

SECTION 277.--_TRADUCTION._

On entend par Jointenans deux ou trois personnes, ou plus, auxquelles on
a inféodé des terres ou tenemens pour les posséder ou tenir pendant leur
vie, ou pendant la vie de quelqu'autre; car en vertu d'une inféodation
de cette espece, suivie d'ensaisinement ou de prise de possession, on
tient conjointement.


*SECTION 278.*

*_Item_, si deux ou trois, &c. disseisont un auter dascun terres ou
tenements a lour use demesne, donques les disseisours sont joyntenants.
Mes sils disseisont un auter al use dun de eux, donques ils ne sont
joyntenants, mes celuy a que use le disseisin est fait est sole tenant,
& les auters nont riens en le tenancie, mes sont appels coadjutors a le
disseisin, &c.*

SECTION 278.--_TRADUCTION._

Si deux ou trois personnes se font envoyer en possession d'un fonds,
elles sont aussi jointenantes; mais si l'envoi en possession n'est qu'au
profit de l'une d'elles, quoiqu'elles l'ayent conjointement poursuivi,
elles ne sont point jointenantes, on les nomme _Coadjutrices en
dessaisine_.


*SECTION 279.*

*Et _nota_, que disseisin est properment lou un home entra en ascun
terres ou tenements lou son entre nest pas congeable, & ousta celuy que
ad _franktenement_, &c. (a)*

SECTION 279.--_TRADUCTION._

_Nota._ Que _dessaisine_ est proprement l'expulsion d'un usufruitier de
terres ou tenemens, sur la propriété desquels celui qui l'expulse a un
droit incontestable.

_REMARQUE._

(a) _Frank-tenement._

Je traduis ici _franktenement_ par _usufruit_: _franktenement_, dit
Britton,[743] _est une possession de soil[744] que frankhome tient en
fée a luy & a ses heires ou au meins a terme de vie_.

[Note 743: C. 32, fo 83, vo.]

[Note 744: Soil. _Solum_, terre.]


*SECTION 280.*

*Et est ascavoir que la nature de joyntenancie est, que celuy que
survesquist avera solement lentier tenancie solonque tiel estate que il
ad, si le joynture soit continue, &c. Sicome si trois joyntenants sont
en fée simple, & lun ad issue & devie, uncore ceux que survesquont
averont les tenements entier, & lissue navera riens. Et si le 2
joyntenant ad issue & devie, uncore le tierce que survesquist avera les
tenements entier, & eux avera a luy & a ses heires a touts jours. Mes
auterment est de parceners. Car si trois parceners sont & devant ascun
partition fait, lun ad issue, & deve, ceo que a luy affiert discendra a
son issu. Et si tiel parcener morust sans issue, donques ceo que a luy
affiert discendra a ses coheirs issint que ils averont ceo per discent,
& nemy per survivor, come joyntenants averont, &c.*

SECTION 280.--_TRADUCTION._

L'effet de la _jointenancie_ est que celui qui survit à son coassocié en
la tenure ait le tenement entier, pourvu que dans l'inféodation il ait
été stipulé que leur tenure ne cessera point par le décès de l'un des
tenans. Ainsi que de trois personnes qui tiennent conjointement en fief
simple, un ou deux ayant des enfans, décedent, ce n'est point à leurs
enfans que leurs parts au fief retournent, mais à leurs jointenans,
& le dernier des survivans transmet la propriété de ce fief à ses
hoirs; ce qui fait voir la différence qu'il y a entre _Jointenans_ &
Parceniers: car si de trois parcenieres l'une ayant des enfans meurt
avant le partage, ses enfans succedent à ses droits; & en supposant
que la parceniere décédée n'ait pas d'enfans, sa part écheoit à ses
coparcenieres par succession, & non par survivance.


*SECTION 281.*

*Et come le survivor tient lieu enter joyntenants, en mesme le maner il
tient lieu enter eux queux ont joynt estate ou possession ove auter de
chattel real ou personal. Sicome si leas de terres ou tenements soit
fait a plusors pur terme des ans, celuy que survesquist de les lessees
avera les tenements a luy entier, durant l' terme, per force de mesme le
leas. Et si un chival ou un auter chattel personal sont done a plusors,
celuy que survesquist avera le chival solement.*

SECTION 281.--_TRADUCTION._

Comme le survivant des jointenans d'une terre succede à la tenure,
de même il succede à la jouissance qu'il avoit conjointement avec un
autre de _Châtels_ réels ou personnels. Si donc quelqu'un a abandonné à
plusieurs des terres pour en jouir durant un certain nombre d'années, le
survivant des cessionnaires aura le revenu _de ces terres_ (revenu qui
est un Châtel réel) en entier jusqu'à l'expiration du terme. Il en faut
dire autant à l'égard du survivant de plusieurs acheteurs d'un cheval
ou d'autres _Châtels personnels_; car ces sortes de meubles restent
toujours au dernier survivant des acheteurs.


*SECTION 282.*

*En mesme le manner est de debts & _duties, &c._ (a), car si un
obligation soit fait a plusors pur un debt, celuy que survesquist avera
tout le debt ou dutie. Et issint est dauters Covenants & Contracts, &c.*

SECTION 282.--_TRADUCTION._

La même maxime doit être practiquée en fait de _dettes_ ou de prêts. Si
une obligation est faite au profit de plusieurs, celui des créanciers
qui survit aux autres aura l'obligation à son seul bénéfice; on doit
dire la même chose de tous autres Contrats ou accords.

_REMARQUES._

(a) _Duties_, &c.

Les anciennes Loix Normandes admettoient la preuve d'une dette, dont il
n'y avoit point d'acte écrit, par deux témoins qui avoient vu compter
l'argent, ou entendu reconnoître le prêt; mais au-dessus de quarante
sols, on ne recevoit que des preuves[745] écrites, ou la reconnoissance
judiciaire du débiteur. On ne pouvoit, pour dettes mobiliaires, saisir
les fonds, tant que le débiteur avoit des meubles: s'il n'avoit pas
d'effets mobiliers suffisans, on l'assignoit en la Cour du Vicomte où le
Juge l'avertissoit qu'au défaut de payement en dedans quinze jours, ses
terres seroient vendues; ce délai passé, le Vicomte délivroit au
créancier partie de ces terres, jusqu'à concurrence du capital exigé, &
des frais, dépenses & intérêts. L'acquereur recevoit l'inféodation de
ces fonds par une Chartre du Roi, s'ils relevoient de la Couronne. Quand
ces fonds relevoient d'un Seigneur particulier, celui ci pouvoit
acquitter la dette & reprendre la propriété du fonds, par préférence au
créancier.[746]

[Note 745: _Sken. in Stat. Alex._ 2, c. 28.]

[Note 746: _Quoniam attach._ c. 81.]

La simplicité de ces formalités valoit bien, sans doute, la multiplicité
de celles observées maintenant dans les Decrets. Les exceptions qu'on
pouvoit faire valoir contre la demande du payement d'une obligation pour
dette, étoient: 1er l'absence du débiteur pour _pélerinages
solemnels_. Un pélerinage étoit solemnel, lorsqu'avant le départ on
s'étoit présenté à sa Paroisse, & qu'on avoit été conduit par le Clergé,
hors de son étendue, avec la croix & l'eau-benite. La deuxieme exception
étoit la _minorité_; _car l'en ne doit pas marchander à ceux qui sont en
nonage sans plége, & ils ne sont pas tenus à payer les dettes à leurs
ancesseurs en Cours laye, devant qu'ils soient venus en âge_.[747]

[Note 747: Anc. Cout. c. 90.]


*SECTION 283.*

*_Item_, ascuns joyntenants poient estre que poient aver joynt estate, &
estre joyntenants pur term de lour vies, & uncore ils ont severall
enhéritances. Sicome terres soient dones a deux homes & a les heires de
lour deux corps engendres, en cest case les donees ont joynt estates pur
terme de lour deux vies, & uncore ils ont severall inheritances, car si
un des donees ad issue, & devy, lauter que survesquist aver tout per le
survivor pur terme de sa vie, & si celuy que survesquist auxy ad issue &
devy, donques l'issue del un avera moitie, & lissue del auter avera
lauter moitie de la terre, & ils tiendront la terre enter eux en common,
& ne sont pas joyntenants, mes sont tenants en common. Et la cause pur
que tielx donees en tiel cas ont joynt estate pur terme de lour vies,
est pur ceo que al commencement les terres fueront donees a eux deux,
les queux parols sans pluis dire font joynt estate a eux pur terme de
lour vies. Car si home voit lesser terre a un auter per fait ou sans
fait, nient feasant mention que lestate il averoit, & de ceo fait
_liverie de seisin_, (a) en ceo case le lessee ad estate pur terme de sa
vie, & issint entant que les terres fueront dones a eux, ils ont joynt
estate pur terme de lour vies: & la cause pur que ils averont several
enhéritances est ceo, entant que ils ne poient aver per nul possibility
un heire enter eux engender, sicome home & feme poient aver, &c. donque
la ley voet que lour estate & lour enheritance soit tiel come reason
voet, solonque la forme & effect des parols del done, & ceo est a les
heires que lun engendra de son corps per ascun de ses femes, & a les
heirs que lauter engendra de son corps per ascun de ses femes, &c.
Issint il covient per necessitie de reason que ils averont severalx
inheritances. Et en tiel cas si lissue dun des donees apres la mort des
donees devie issint que il nad ascun issue en vie de son corps engendre,
donque le donor ou son heire poit enter en la moity come en son
reversion, &c. coment que lauter des donees ad issue en vie, &c. Et la
cause est que entant que les inheritances sont several, &c. le reversion
de eux en ley est several, &c. & le survivor del issue del auter ne
tiendra pas lieu daver lentier terre.*

SECTION 283.--_TRADUCTION._

Des jointenans peuvent tenir conjointement un fonds pour leur vie, &
avoir divers successeurs. Ceci arrive dans le cas où des terres sont
données à deux hommes & à leurs descendans; car ces donataires, tant
qu'ils vivent, tiennent conjointement, & après le décès de l'un d'eux,
le survivant jouit de tout: cependant si celui-ci laisse des enfans, ils
ont moitié du don, & l'autre moitié appartient aux enfans du premier
décédé; mais ils ne sont pas _jointenans_, ils sont tenans en commun.
Observez, 1er que les donataires, dont il est ici question, sont durant
leur vie _jointenans_, parce que le don n'a pas été fait à un seul, mais
à deux; & que cette clause dans les donations qu'elles sont faites à
deux personnes, sans autre modification, forme une _jointenancie_ pour
le terme de la vie des donataires.

En effet, que quelqu'un veuille laisser à un autre, par écrit ou sans
écrit, un fonds sans faire mention de la maniere dont celui-ci le
tiendra, si le cessionnaire prend possession de ce fonds, il ne peut en
jouir que tant qu'il vivra.

2e. Lesdits donataires ont divers successeurs, parce qu'il n'en est pas
d'eux comme d'un mari & de sa femme auxquels on fait un don, & dont
les enfans étant les mêmes doivent également hériter; les enfans des
_jointenans_ ayant différentes meres, la Loi & la raison exigent que
leurs descendans respectifs succedent à leur part séparément.

Aussi dès que l'un des jointenans ou son héritier tenant en commun
décède sans postérité, le donateur ou son héritier a la reversion de
moitié du fonds, quoique l'autre jointenant ait des enfans.

_REMARQUE._

(a) _Liverie de seisin._

On regardoit un don qui n'étoit pas suivi d'ensaisinement, ou de prise
de possession, plutôt comme une simple promesse que comme une donation
véritable.[748]

[Note 748: _Sken. Reg. Maj._ tit. 2, c. 18.--Et Britton, c. 40:
_Deseisines le graunter & le ottreer del donour ne suffit mye
generalement au purchassours si la possession ne sue._]


*SECTION 284.*

*Et sicome est dit de males, en mesme le manner est lou terre est done a
deux females, & a les heires de lour deux corps engendres.*

SECTION 284.--_TRADUCTION._

Ce qui vient d'être dit des mâles doit avoir lieu à l'égard des dons
faits à plusieurs filles, & aux enfans qu'elles pourroient avoir dans la
suite.


*SECTION 285.*

*_Item_, si terres soyent dones a deux & a les heirs de lun de eux, ceo
est bone joynture, & lun ad franktenement, & lauter ad fée simple: Et si
celuy que ad le fée devie, celuy que ad le franktenement avera
lentiertie per le survivor pur terme de sa vie. En mesm le manner est,
lou tenements sont dones a deux & les heirs del corps dun de eux
engendres, lun ad franktenement, & lauter ad fée taile, &c.*

SECTION 285.--_TRADUCTION._

Une donation faite de terres à deux personnes & aux hoirs de l'une
d'elles seulement, constitue une _jointenancie_; mais un des jointenans
n'a qu'une tenure en _franc-tenement_ ou à usufruit, & l'autre a sa
tenure en fief simple. Cependant si le tenant en fief simple meurt,
celui qui a le tenement viager ou le _franc-tenement_ a en totalité les
terres pour sa vie seulement. Il en est de même si des tenemens sont
donnés à deux & aux hoirs que l'un ou l'autre pourra avoir; car celui
des donataires qui n'aura point d'enfans n'aura qu'un tenement viager, &
l'autre qui aura des enfans aura un fief tail ou conditionnel.


*SECTION 286.*

*_Item_, si deux jointenants sont seisies destate en fée simple, & lun
graunt un rent charge pur son fait a un auter hors de ceo, que a luy
affiert, en cest case durant la vie le grantor, le rent charge est
effectuall: Mes apres son decesse l' grant de l' rent charge est void,
quant a charger la terre, car celuy que ad la terre per le survivor
tiendra tout la terre discharge. Et la cause est, pur ceo que celuy que
survesquist _clayma_, (a) & ad la terre per le survivor, & nemy ad ne
poet de ceo claymer rien per discent son compagnion, &c. Mes auterment
est de parceners, car si soyent deux parceners des tenements en fée
simple, & devant ascun partition fait, lun charge ceo que a luy affiert
per son fait, dun rent charge, &c. & puis morust sans issue, pur que
ceo, que a luy affiert discend a lauter parcener, en cest case lauter
parcener tiendra la terre charge, &c. pur ceo que il vient a cel moitie
per discent, come heire, &c.*

SECTION 286.--_TRADUCTION._

Si de deux jointenans saisis d'un fonds en fief simple l'un d'eux
constitue une _Rente-charge_ à quelqu'un sur la part qu'il a en ce fief,
la rente ne subsiste, en ce cas, que durant la vie de celui qui a
constitué la rente, & après son décès elle est éteinte, quant à son
affectation, sur le fief, de sorte que le survivant des _jointenans_
possede toute la terre sans charge; & on en donne cette raison, que ce
survivant _reclame_ & possede la terre par survivance, & non à titre
d'hérédité.

Il n'en est pas ainsi des parceniers; car si l'un de deux parceniers,
après avoir chargé d'une rente avant les partages la portion qui pourra
lui appartenir dans le fonds, décede sans enfans, son _coparcenier_ est
obligé à cette rente, parce qu'il succede à la part du défunt comme
héritier.

_REMARQUES._

(a) _Clayma_.

_Nota._ Que lorsqu'on succédoit comme jointenant, on n'étoit pas saisi
de droit, il falloit _clamer_ ou demander la saisine de la part qui
avoit appartenu au défunt; au lieu que l'héritier n'étoit point tenu de
_clamer_.


*SECTION 287.*

*_Item_, si sont deux joyntenants des terres en fée simple deins un
burgh, lou les terres & tenements sont devisables per _testament_, (a)
& si lun de les dits deux joyntenants devise ceo que a luy affiert pur
son testament, &c. & morust, ceo devise est voide. Et la cause est pur
ceo que nul devise poit prender effect, mes apres la mort le devisor, &
per sa mort tout la terre maintenant devient per la ley a son companion
que survesquist per le survivor, le quel il ne claim, ne ad riens en
la terre per my le devisor, mes en son droit de mesme per le survivor,
solonque le course del ley, &c. & pur cel cause tiel devise est voide.
Mes auterment est de parceners seisies des tenements devisables en tiel
case de devise, &c. _Causa qua supra._*

SECTION 287.--_TRADUCTION._

Quand deux jointenans ont des terres en fief simple dans un Bourg où les
tenemens peuvent être donnés par testament, si l'un de ces jointenans
meurt après avoir disposé de sa part, son testament est nul, parce que
le jointenant qui lui survit devient propriétaire de tous les fonds, &
qu'une disposition testamentaire ne peut déroger à un droit de
survivance. Les parceniers, au contraire, peuvent valablement tester de
leur part en la succession dont ils jouissent en commun.

_REMARQUES._

(a) _Testament._

On ne pouvoit disposer de ses propres par Testament; cette faculté
n'étoit accordée que pour les fonds que l'on possédoit dans un Bourg ou
une Ville, parce que tout Bourgage étoit réputé meuble.[749] Les
donations entre-vifs étoient cependant autorisées à l'égard des propres
pour l'établissement d'une fille, pour récompenses de services, ou pour
quelque pieuse fondation. Mais ces dons n'étoient pas réputés entre-vifs
lorsqu'on les avoit faits dans le cours de la maladie dont on décédoit,
_infirmitate positus quasi ad mortem_: on présumoit en effet alors que
l'on avoit agi _potius ex fervore animi quam ex mentis deliberatione_; &
si l'héritier ne confirmoit point la libéralité, elle ne pouvoit
subsister.[750] Hors les Bourgs, les Testamens ne pouvoient avoir pour
objet que le mobilier.

[Note 749: Anc. Cout. c. 31.]

[Note 750: _Reg. Maj._ L. 2, c. 18.]

Ces restrictions pour les biens, autres que ceux de Bourgage,
c'est-à-dire, pour les fonds dépendans des Seigneurs, & sujets à des
services relatifs à la guerre, n'étoient pas connues avant
l'établissement des Fiefs. Nous voyons en effet, dans les Formules de
Marculphe, qu'on avoit de son temps la liberté de tester indifféremment
de ses propriétés, de ses acquêts, de ses biens fiscaux, _quidquid ex
proprietate parentum vel proprio labore seu ex munificentia à piis
Principibus percipere meruimus_.[751] La forme des Testamens étoit des
plus solemnelles; les Loix Anglo-Normandes, comme les anciennes Loix
Françoises, la tenoient du Droit Romain, parce que les Testamens étoient
de la compétence[752] des Ecclésiastiques, qui ne suivoient que ce
Droit.

[Note 751: Form. 17, L. 2.]

[Note 752: _Reg. Maj._ L. 1, c. 2, L. 2, c. 83. Glanville, L. 7, c. 6.]

Le Testament étoit d'abord dressé par le Testateur, ensuite transcrit
par un Notaire, souscrit par plusieurs témoins, & enveloppé dans un
linge, auquel le Testateur apposoit son sceau. Quand on l'avoit remis en
cet état dans le dépôt des archives publiques, en présence des Officiers
Municipaux du lieu, si le Testateur décédoit, on coupoit l'enveloppe du
Testament, on procédoit à la reconnoissance des sceaux, après avoir
appellé les légataires au plutard dans les cinq jours qui suivoient le
décès du Testateur.[753] Les Testamens contenoient ordinairement, comme
les Donations, des anathêmes contre ceux qui en contesteroient l'effet;
mais c'étoit par un abus sur l'origine duquel le lecteur ne me sçaura
peut être pas mauvais gré que je lui expose mes conjectures.

[Note 753: _Not. Bign. ad Form. 17. L. 2. Marc._]

La plupart de nos Rois de la premiere race ne faisoient aucune
difficulté d'aliéner leur Domaine;[754] cependant les donataires des
biens du Fisc, dans la crainte que dans la suite les libéralités des
Rois, leurs bienfaiteurs, ne fussent révoquées, en demandoient à leurs
successeurs la confirmation.[755] Le Roi Gontran, après avoir ratifié
les dons faits aux Eglises par sa femme & sa fille, fit tenir à Valence
un Concile, afin que les Evêques concourussent aux Actes qu'il leur
adressoit de ces donations. Les Evêques les souscrivirent en
conséquence, & anathématiserent les Evêques, _les Rois mêmes_, qui
s'opposeroient à l'effet non-seulement de ces donations, mais même de
celles qui seroient faites à l'avenir par ce Prince & par ses
enfans.[756] C'est d'après cette décision que les Ecclésiastiques se
firent une habitude de terminer tous les Actes de leurs dons par les
imprécations les plus effrayantes. Les Princes qui regnerent en France
après Gontran ne suivirent point cet usage. Les modeles de concessions
faites de fonds démembrés du Domaine, & contenus dans le premier Livre
de Marculphe, ne font mention que de la signature de nos Rois. Il en est
de même des Chartres de Clotaire & de Louis II, de Dagobert, de
Childéric, de Théodoric. Ce n'a donc pas été sans fondement que quelques
critiques, contre lesquels s'éleve cependant le pieux & sçavant
Mabillon, ont tenu pour suspectes les Chartres émanées de l'autorité
royale ou des grands Seigneurs avant le huitieme siecle,[757]
lorsqu'elles contenoient la clause d'excommunication. Le Pere Mabillon
en cite lui-même quatorze de divers Seigneurs, confirmées par Pepin &
Charlemagne, où cette formalité ne se trouve pas;[758] d'où il suit, ce
semble, assez naturellement que si on en a fait usage dans les Actes de
donations de particuliers avant ce temps, ce n'a point été parce que
cette formalité étoit regardée alors comme essentielle: car s'il en eût
été ainsi, les Princes & les Grands s'y seroient soumis; mais ç'a été
seulement par la raison que le peuple recouroit ordinairement alors aux
Ecclésiastiques pour rédiger leurs intentions dans tout ce qui avoit
rapport aux Monasteres[759] ou aux lieux consacrés au culte Divin. Aussi
Marculphe, qui avoit rédigé ses Formules du premier volume pour les
Notaires du Palais, n'y a t'il pas inséré ces malédictions, qu'il
prodigue dans toutes celles du deuxieme Livre, où il avoit sur-tout en
vue d'instruire les Notaires des Eglises & des Maisons Religieuses. Mais
au lieu que les premieres ont toujours été regardées comme conformes aux
Loix & aux Coutumes de son siecle, les autres n'ont jamais eu
d'autorité qu'autant que quelque Loi postérieure les a ensuite
confirmées. Par une suite de l'excessive autorité que donnoit au Clergé
la compétence qu'il s'étoit attribuée sur les Testamens, il arriva que
les Evêques se prétendirent économes ou administrateurs nés de la
succession de tout homme mort _intestat_, si par cette mort l'ame du
défunt se trouvoit engagée à quelques dettes; car ils s'imaginoient que
personne ne pouvoit mieux entendre les intérêts de cette ame que des
Ecclésiastiques.[760]

[Note 754: Esprit des Loix. 4e vol. L. 31, c. 7.]

[Note 755: _Marc. Form. 16 & 17. Et not. Bignon. ad easd. Form._]

[Note 756: Ce Concile est de 583. Les Evêques y disent: _Quia tam
laudabili devotioni non solum Sacerdotalem, sed etiam divinam credimus
posse conniventiam conspirare, idcircò_, &c. ce qui prouve la nouveauté
de la Formule qu'ils devoient employer.]

[Note 757: La plus ancienne Chartre d'un Laïc où l'excommunication soit
employée, est celle du Comte _Wofald_ en 709.]

[Note 758: _Annal. Benedict. tom. 1, pag. 172, ann. 585, no 31. Et
Append. 2, ejusd. tom._]

[Note 759: Dans la Requête présentée à Charlemagne en 803, le Peuple dit
qu'il est dans l'usage de proférer des malédictions dans les actes de
leurs donations en faveur des Eglises, & il supplie cet Empereur de
confirmer cet usage. Jusque-là il n'avoit donc été que toléré. _Collect.
Balus._ 1er vol. pag. 407.]

[Note 760: _Statut. Edouard I, anno 13. Statut. Will. c. 22. Reg.
Scot._]


*SECTION 288.*

*_Item_, il est communement dit, que chescun joyntenant est seisie de la
terre que il tient joyntment, per my & per tout, & ceo est autant adire,
& il est seisie per chescun parcel, & per tout, &c. & ceo est voier, car
en chescun parcel, & per chescun parcel, & per touts les terres &
tenements il est joyntment seisie ovesque son companion.*

SECTION 288.--_TRADUCTION._

On dit communément que chaque jointenant n'a la propriété de rien, & est
propriétaire de tout, ce qui veut dire qu'il tient tout conjointement, &
ne tient rien en particulier. En effet, la terre, considérée en sa
totalité ou dans chacune de ses parties, ne lui appartient que
conjointement avec son associé.


*SECTION 289.*

*_Item_, si deux joyntenants sont seisies de certain terres en fée
simple, & lun lessa ceo que a luy affiert a un estranger pur terme de 40
ans, & devy devant le term commence, ou deins le terme en cest case
apres son decease le lessee poet enter & occupier la moitie a luy lesse
durant le term, &c. coment que le lessee navoit unques possession de ceo
en la vie lessor, per force de mesme l' lease, &c. Et le diversitie
perenter le case de grant de Rent-charge avantdit, & cest case est ceo,
car en grant de Rent-charge per joyntenant, &c. les tenements demurgent
touts foits come ils fueront adevant, sans ceo que ascun ad ascun droit
daver ascun parcell de les tenements forsque eux mesmes, & les tenements
sont en tiel plyte, come ils fueront devant le charge, &c. Mes ou lease
est fait tant pur un joyntenant a un auter pur term des ans, &c.
maintenant per force de le lease le lessee ad droit en mesme la terre,
cest ascavoir de tout ceo que a son lessour affiert & daver ceo per
force de mesme le lease durant son terme. Et ceo est la diversitie.*

SECTION 289.--_TRADUCTION._

Si de deux jointenans, saisis de terres en fief simple, l'un d'eux,
après avoir cédé à un étranger son droit pour quarante ans, meurt avant
ce terme commencé ou avant son expiration, le cessionnaire peut, durant
les quarante ans, avoir la possession des fonds; & la raison de la
différence qu'il y a de cette espece avec celle qui a été proposée en la
Section 286, est que lorsqu'un jointenant affecte la charge d'une rente
sur le fonds qu'il tient conjointement, il ne cede rien du fonds, car on
ne peut en posséder aucune partie qu'autant qu'on est jointenant. Or, la
rente ne changeant rien à la nature du fonds, il reste en l'état où il
étoit avant la constitution de cette rente; au lieu que le cessionnaire
du fonds, pour un temps, y a le même droit que le jointenant qui le lui
a cédé que dure le terme pour lequel la cession lui a été faite.


*SECTION 290.*

*_Item_, joyntenants (sils voilent) poient faire partition enter eux, &
la partition est assets bon, mes de ceo faire ils ne serront compels per
la ley. Mes sils voylent faire partition de lour proper volunt &
agreement, le partition estoiera en sa force.*

SECTION 290.--_TRADUCTION._

Les jointenans peuvent valablement faire à l'amiable des lots de leur
tenure, mais on ne peut les y contraindre.


*SECTION 291.*

*_Item_, si un joynt estate soit fait de terre a le baron & a sa feme &
a un tierce person, en ceo cas le baron & sa feme nont en ley en lour
droit forsque le moitie, &c. & le tierce person avera tant come le baron
& sa feme ont, scavoir, lauter moity, &c. Et la cause est, pur ceo que
le baron & sa feme ne sont forsque un person en ley, & sont en semblable
case, sicome estate soit fait a deux joyntenants, ou lun ad per force
de joynture un moity en ley, & lauter moity, &c. En mesme le manner est
lou estate est de Tenans fait a le baron & a sa feme, & as auters deux
homes, en tiel cas l' baron & sa feme nont forsque la tierce part, & les
auters deux homes les auters deux parts, &c. _Causa qua supra._*

*Pluis serra dit del matter touchant Joyntenancie en le Chapter de
Tenants en common, & _Tenant per Elegit_, (a) & _Tenant per Statute
Merchant_. (b)*

SECTION 291.--_TRADUCTION._

Si une terre est donnée à un mari, à sa femme & à une tierce personne,
l'homme & la femme n'y auront que moitié, parce que le mari & sa femme
ne sont considérés, suivant la Loi, que comme une seule personne. Il en
seroit de même si la terre étoit donnée à deux personnes & à un mari & à
sa femme, ceux-ci n'auroient en ce cas qu'un tiers.

Au reste nous traiterons plus au long des _Jointenans_ dans les
Chapitres de Tenans en commun, de Tenans par _Elegit_ ou par le Statut
des _Marchands_.

_REMARQUES._

(a) _Tenant per Elegit._

Tenure par _Elegit_, est une tenure volontaire, de choix. Voyez. Section
504.

(b) _Statute Merchant._

Acte de société entre Marchands.



CHAPITRE IV.

_DE TENANS EN COMMUN._


*SECTION 292.*

*Tenants en common sont ceux que ont terres ou tenements en fée simple,
fée taile, ou pur terme de vie, &c. les queux ont tielx terres ou
tenements per severall titles, & nemy per joynt title, & nul de eux
scavoit de ceo son severall, mes ils doient per la Ley occupier tiels
terres ou tenements en common & _pro indiviso_ a prender les profits en
common. Et le pur ceo que ils aviendront a tielx terres ou tenements per
severall titles & nemy per un joynt title, & lour occupation &
possession serra per la ley perenter eux en common, ils sont appels
Tenants en common. Sicome un home enfeoffa deux joyntenants en fée, &
lun de eux alien ceo que a luy affiert a un auter en fée, ore le alienee
& lauter joyntenant sont tenants en common, pur ceo que ils sont eins en
tiels tenements per severall titles, car lalienee vient eins en la
moitie per la feoffement dun des joyntenants, & lauter joyntenants ad
lauter moitie, per force de le primer feoffment fait a luy, & a son
compagnion, &c. Et issint ils sont eins per severall titles,
cestascavoir per severall feoffments, &c.*

SECTION 292.--_TRADUCTION._

Tenans en Commun sont ceux qui ayant des terres en fief simple, en fief
conditionnel ou en fief viager, &c par des titres séparés, les tiennent
cependant indivisément, & en reçoivent en commun les revenus. Ainsi
quand un homme ayant donné à titre d'inféodation un fonds à deux
jointenans, l'un aliene sa part à un autre, l'acquereur & jointenant qui
n'a point aliéné, sont tenans en commun, parce qu'ils jouissent à des
titres différens. L'acquereur, en effet, a moitié de l'inféodation par
rétrocession, & l'autre moitié en vertu de l'inféodation originaire.


*SECTION 293.*

*Et est ascavoir, que quant il est dit en ascun lieux, que home est
seisie en fée sauns pluis dire, il serra entendue en fée simple, car il
ne serra entendue per tiel paroll (en fée) que home est seisie en fée
taile, sinon que soit mis a ceo tiel addition, fée taile, &c.*

SECTION 293.--_TRADUCTION._

Il est essentiel de remarquer que quand on dit simplement qu'un homme
est saisi d'un _fief_, sans autre explication, on doit entendre le mot
_fief_ d'un fief simple, & non d'un fief conditionnel, &c.


*SECTION 294.*

*_Item_, si 3 joyntenants sont, & un de eux alien ceo que a luy affiert
a un auter home en fée, en cest cas lalienee est tenant en common
ovesque les auters 2 joyntenants, mes uncore les auters 2 joyntenants
sont seisies des deux parts joyntment que remain, & de ceux deux parts
le survivor enter eux deux tient lieu, &c.*

SECTION 294.--_TRADUCTION._

Quand de trois jointenants l'un vend sa part en fief, l'acheteur
est tenant en commun avec les deux autres, quoique ceux-ci soient
_jointenans_ entr'eux, & que le survivant de ces deux succede
exclusivement à l'autre.


*SECTION 295.*

*_Item_, si soient deux joyntenants en fée, & lun dona ceo que a luy
affiert a un auter en le tayl, & lauter done ceo que a luy affiert a un
auter en le tayl, les donees sont tenants en common, &c.*

SECTION 295.--_TRADUCTION._

Si deux jointenans alienent chacun leur droit en fief tail ou
conditionnel, les acquereurs tiennent en commun.


*SECTION 296.*

*Mes si terres sont dones a deux homes & a les heirs de lour deux corps
engendres, les donees ount joynt estate pur terme de lour vies, & si
chescun de eux ad issue & devy, lour issues tiendront en common, &c. Mes
si terres sont dones a deux Abbes, sicome al Abbe de Westminster, & al
Abbe de S. Albon, a aver & tener a eux & a lour successors, en cest cas
ils ont maintenant al commencement estate en common, & nemy joynt
estate. Et le cause est, pur ceo que chescun Abbe, ou auter Soveraign,
de meason de Religion, devant que il fuit fait Abbe ou Soveraign, &c. il
fuit forsque come mort person en ley, & quant il est fait Abbe, il est
come un home _personable_ en ley tantsolement _a purchaser_ & aver
terres ou tenements, ou auters choses _al use de sa meason, & nemy a son
proper use_, (a) come auter secular home poit, & pur ceo al commencement
de lour purchase ils sont tenants en common, & si lun de eux devie,
Labbe que survesquist navera my tout per le survivor, mes le successor
de Labbe que morust tiendra la moitie en common ove Labbe que
survesquist, &c.*

SECTION 296.--_TRADUCTION._

Si des terres étoient données à deux hommes, & à leurs enfans, les
donataires seroient jointenans pour le temps de leur vie; mais leurs
enfans, après eux, seroient tenans en commun. Quand un don de terres est
fait à deux Abbés, par exemple, à l'Abbé de Westminster & à l'Abbé de
Saint Albain, tant pour eux que pour leurs successeurs, ils n'ont qu'une
tenure commune, & ne sont pas jointenans, parce que tout Abbé ou chef de
Maison Religieuse, avant d'être élevé à cette dignité, est réputé mort
civilement, & lorsqu'il y est promû, il ne peut rien posséder ni
acquerir que pour sa Communauté; & par cette raison si l'un des deux
Abbés donataires décede, le survivant n'a point par survivance la
totalité du tenement, mais le successeur du défunt continue de jouir en
commun avec le survivant.

_REMARQUES._

(a) _Il est person able a purchaser, &c. al use de sa meason & nemy a
son proper use._

Les premiers Conciles François avoient établi cette regle à l'égard des
Evêques, que s'ils décédoient sans enfans nés avant leur promotion à
l'Episcopat, toutes les acquisitions qu'ils auroient faites durant leur
administration des biens de leur Eglise, appartiendroient à cette
Eglise; & que s'ils laissoient des enfans, ceux-ci succéderoient à leurs
acquisitions, parce que néanmoins après avoir rendu compte des revenus
de l'Eglise & des biens patrimoniaux du Prélat défunt, ils seroient
tenus d'indemniser l'Eglise des profits que ce dernier auroit tirés de
son administration.[761]

[Note 761: Conc. d'Agde, Canon 33. Conc. d'Epaone, Canon 51. _D. Gregor.
Epist._ 7, L. 7.]

Cette regle ne s'étendit point aux Abbés: _Probus_ obtient, il est vrai,
au commencement du septieme siecle, de S. Grégoire, la liberté de tester
en faveur de son fils, _ut obedientia sua nec sibi officiat, nec filio
pauperi damnosa esse possit_. Mais ce S. Abbé reconnoît en même-temps
qu'il n'étoit pas permis, après la profession Monastique, de disposer de
son patrimoine; il ne demande même d'être excepté de l'exécution de
cette maxime, que parce qu'ayant été élu contre son gré, il n'avoit pas
eu le temps de régler la part que la Loi accordoit à son fils sur ses
biens.[762] Dans la suite les Capitulaires restraignirent la liberté
qu'avoient les Evêques & les Curés de disposer de leurs acquêts, ces
acquêts devinrent propres à leurs Eglises, & leurs héritiers ne purent,
après leur décès, succéder qu'aux biens que les Evêques ou Curés avoient
possédés avant leur promotion: mais l'état des Moines, quant à la
disposition des biens, a toujours été le même. Un Concile tenu en 816
suppose qu'ils ne pouvoient rien posséder ni acquérir en leur propre
nom.[763]

[Note 762: _Annal. Bened._ 2e vol. L. 10, pag. 243.--Le Capitul. du L.
6, c. 110, pag. 942, édit. Balus. tom. 1, est sans doute cette Loi dont
parle Probus. Ce Capitulaire, en effet, ne dit pas, comme l'a cru le P.
Thomassin, Discipl. Ecclésiastique, Part. 3, L. 2, c. 45, que tous les
biens de ceux qui ont fait profession, sans tester, appartiendront à
leur Monastere, quoiqu'ils ayent des enfans; mais il dit, que quoiqu'ils
ayent des enfans, ils n'ont pas le pouvoir de disposer de leurs biens à
leur volonté: ce qui est juste. Le Monastere avoit seul, du moment de
leur entrée en Religion, l'administration de leurs droits, &
conséquemment celui de régler avec les enfans des Profès ou avec leurs
autres parens la part que ceux-ci pouvoient révendiquer sur leurs
possessions.]

[Note 763: Concil. d'Aix-la-Chapelle.]


*SECTION 297.*

*_Item_, si terres soient dones a un Abbe, & a un Secular home, a aver
& tener a eux, scavoir, al Abbe, & a ses successors, & al Secular home
a luy & a ses heires, donques ils ount estate en common, _Causa qua
supra._*

SECTION 297.--_TRADUCTION._

Si le don d'un tenement est fait, tant à un Abbé & à ses successeurs
qu'à un séculier & à ses enfans, leur tenure est en commun.


*SECTION 298.*

*_Item_, si terres soient dones a deux a aver & tener, scavoir, lun
moitie a lun & a ses heirs, & lauter moity a lauter & a ses heirs, ils
sont tenants en common.*

SECTION 298.--_TRADUCTION._

Si des terres sont données à deux personnes, à condition que l'une
d'elles & ses hoirs en auront moitié, que l'autre moitié appartiendra à
l'autre & à ses héritiers, ce don forme une tenure en commun.


*SECTION 299.*

*_Item_, si home seisie de certain terres enfeoffa un auter de le moity
de mesme la terre sans ascun parlance de assignement ou limitation de
mesme la moitie en severalty al temps del feoffment, donques le feoffée
& le feoffor tiendront lour parts de la terre en common.*

SECTION 299.--_TRADUCTION._

Quand un homme jouissant d'un fonds en cede moitié sans en spécifier
autrement les bornes, il tient ce fonds en commun avec le cessionnaire.


*SECTION 300.*

*Et est ascavoir, que en mesme e maner come est avantdit de tenants en
common, de terres ou tenements en fée simple, ou en fée taile, en mesme
le maner poit estre de tenants a term de vie. Sicome deux joyntenants
sont en fée, & lun lessa a un home ceo que a luy affiert pur term de
vie, & lauter joyntenant laissa ceo que a luy affiert a un auter pur
term de vie, &c. les deux lessees sont tenants en common pur lour vies,
&c.*

SECTION 300.--_TRADUCTION._

Ce qui a été ci-devant dit des tenemens en commun, à l'égard des fiefs
simples ou conditionnels, a aussi lieu pour les tenures viageres. Ainsi
que deux jointenans cedent chacun leur part à vie, les deux
cessionnaires sont tenans en commun.


*SECTION 301.*

*_Item_, si home lessa terres a deux homes pur terme de lour vies, &
lun granta tout son estate de ceo que a luy affiert a un auter, donques
lauter tenant a terme de vie, & celuy a que le graunt est fait son
tenants en common, durant le temps que ambideux les lessees sont en vie.

_Et memorandum_, que en touts auters tiels cases, coment que ne sont icy
expressement moves ou specifies, si sont en semblabl' reason, sont en
semblable ley.*

SECTION 301.--_TRADUCTION._

Il en est de même de ceux auxquels un propriétaire donne la jouissance
de ses terres pour le temps de leur vie seulement; car si l'un de ces
donataires transporte son droit à un autre, il tient viagérement en
commun avec celui dont le droit n'est point aliéné.

Les exemples précédens doivent servir de regle pour tous les cas qui s'y
rapportent.


*SECTION 302.*

*_Item_, si deux joyntenans en fée sont, & lun lessa ceo que a luy
affiert a un auter pur terme de sa vie, le tenant a term de vie durant
sa vie, & lauter joyntenant que ne lessa pas, sont tenants en common.
Et sur ceo case un question puit surder sicome en tiel case mittonus
que l' lessor ad issue & devie, vivant lauter joyntenant son companion,
& vivant l' tenant a term de vie, l' question poet estre tiel: Si le
reversion de la moity que le lessor avoit discendra al issue le lessor,
ou que lauter joyntenant avera cel reversion per le survivor. Ascuns
ont dit en cest case que lauter joyntenant avera cel reversion per le
survivor, & lour reason est tiel, scavoir, que quant les joyntenants
fueront joyntment seisies en fée simpl', &c. coment que lun de eux fist
estate de ceo que a luy affiert pur terme de sa vie, & coment que il
ad sever le franktenement de ceo que a luy affiert per l' lease uncore
il nad sever l' fée simple, mes le fée simple demurt a eux joyntment
come il fuit adevant. Et issint semble a eux, que lauter joyntenant que
survesquist, avera le reversion per l' survivour, &c. Et auters ont
dit le contrary, & ceo est lour reason, scavoir, que quaunt lun des
joyntenants lessa ceo que a luy affiert a un auter pur terme de sa vie,
per tiel lease le franktenement est sever de le joynture. Et per mesme
le reason le reversion que est dependont sur mesme le franktenement,
est sever de le joynture. Auxy si le lessour ust reserve a luy un
annuall rent sur le leas, le lessor solement averoit le rent, &c. le
quel est un proofe, que le reversion est solement en luy, & que lauter
nad riens en cel reversion, &c. Auxy si le tenant a terme de vie fuit
implead, &c. & _fist default apres default_, (a) donques le lessor
serroit de ceo solement receive a defender son droit, & son compagnion
en cest case en nul manner serroit receive, le quel prove le reversion
del moity destre tantsolement en le lessor: _Et sic per consequens_,
si le lessour morust, vivant le lessee per term de vie, l' reversion
discendra al heire de lessour, & nemy deviendra a lauter joyntenant per
le survivor, _Ideo quære._ Mes en cest case si celuy joyntenant que ad
l' franktenement ad issue & devie, vivant le lessor & lessee, donques
il semble, que mesme lissue avera cest moity en demesn, & en fée per
discent, pur ceo que un franktenement ne poet per nature de joynture
estre annexe a un reversion, &c. & il est certain, pur celuy que lessa
fuit seisie de le moity en son demesn come de fée, & nul avera ascun
joynture en son franktenement, _Ergo_, ceo discendra a son issue, &c.
_Sed quære._*

SECTION 302.--_TRADUCTION._

Si de deux jointenans l'un cede sa part à un étranger pour le terme de
sa vie seulement, le cessionnaire & le jointenant qui n'a pas aliéné,
sont tenans en commun.

Mais à cet égard on peut former cette question: dans le cas proposé, que
le vendeur décede, & laisse un enfant, son jointenant & l'acquereur
étant vivans; cet enfant aura-t-il, après le décès du cessionnaire à
vie, la moitié du fief à droit de reversion, ou cette moitié
écheoira-t-elle au jointenant survivant? Quelques-uns ont pensé que le
jointenant devoit succéder au fief, & la raison qu'ils ont donnée, est
que les jointenans ayant été saisis conjointement, quoique l'un d'eux
puisse valablement disposer de l'usufruit de sa moitié du fief pour le
temps de sa vie, cependant il ne peut disposer de la propriété du fief
qui est commune aux jointenans. D'autres, au contraire soutiennent que
l'enfant doit succéder au fief par préférence au jointenant de son pere,
& pour le prouver ils disent que par la cession que fait un jointenant
de l'usufruit de la moitié du fief, l'usufruit de ce fief cesse d'être
tenu conjointement. Or, selon eux, la reversion de ce fief, après le
terme de l'usufruit expiré, est une dépendance de cet usufruit qui,
comme l'usufruit, n'appartient qu'à celui qui a aliéné à cette
condition. En effet, si ce vendeur, au lieu d'aliéner à terme de vie,
eût aliéné à charge d'une rente annuelle, cette rente auroit été à son
seul profit. Ce qui prouve que la reversion du fief que l'on peut
assimiler à une rente ne peut appartenir au jointenant qui survit. Aussi
voit-on que lorsque l'acquereur à terme de vie est appellé en Justice,
&c. & fait deux défauts, son vendeur, & non le jointenant de ce dernier,
est seul recevable à prendre son fait & cause. Par conséquence si le
vendeur meurt, l'acquereur à terme de vie existant, le droit de
reversion du fief est tout entier au profit de l'héritier du vendeur, &
le jointenant survivant ne peut succéder à ce droit; mais malgré ces
raisons alléguées de part & d'autre, la question est restée indécise.
Cependant si le jointenant qui a conservé sa part en l'usufruit du fief
a un enfant, & décede, non-seulement pendant la vie de son jointenant
qui a aliéné l'usufruit de la moitié, mais du vivant de celui qui l'a
acquise, cet enfant aura la moitié du fief appartenant à son pere en
propriété, & à droit successif, parce que tout usufruit d'une portion de
fief ne peut jamais, en vertu de cela seulement que le fief est tenu
conjointement, se trouver réuni en la main de celui qui a sur une autre
partie de ce fief droit de reversion. Celui qui a aliéné son usufruit
n'est plus, en effet, dès-lors jointenant en cet usufruit, mais la
moitié qui lui reste du fief lui appartenant en propriété, son héritier
y doit seul succéder.

_REMARQUE._

(a) _Default apres default_, &c.

Un acquereur troublé en sa possession obtenoit un Bref de garantie; &
obligeoit son vendeur à le défendre. Quand l'acquereur ou le garant ne
comparoissoient pas après deux défauts, ou ne proposoient point
d'excuses, le demandeur gagnoit sa cause:[764] le défendeur ou son
garant n'avoient alors d'autre ressource, pour recouvrer le fonds, que
d'obtenir _un Bref de droit_.[765] Ce Bref devoit être présenté dans la
quinzaine du Jugement rendu par défaut,[766] la brieveté de ce délai, le
danger qu'il y avoit que l'acquereur ne le laissât expirer, engageoient
ordinairement le vendeur, qui s'étoit réservé le droit de réversion ou
quelque redevance sur le fonds, à ne point attendre que l'acquereur
l'appellât en garantie; il intervenoit donc en la cause par un Bref que
l'on appelloit Bref d'_admittatur_, parce qu'il enjoignoit au Juge
_d'admettre_ en Jugement celui auquel il étoit accordé.[767]

[Note 764: _Reg. Maj. L. 3, c. 35, art. 8. Quoniam attach. c. 6._
Glanville, L. 10, c. 15.]

[Note 765: _Quoniam attach._ c. 96.]

[Note 766: Statut. 2, Rob. 1, c. 16.]

[Note 767: _Statut. Westm. 3, c. 3._ Ann. 3, Edouard I.]


*SECTION 303.*

*Mes si issint soit que la ley en cest cas est tiel, que si le lessor
devie vivant le lessee, & vivant lauter joyntenant, que ad le
franktenement de lauter moity, que le reversion discendra al issue del
lessor, donque est le joynture & title que ascun de eux poit aver per le
survivor, & le droit de le joynture anient, & tout ousterment defeat a
touts jours. En mesme le maner est, si celuy joyntenant que ad le
franktenement devy, vivant le lessor, & le lessee, si la le soit tiel
que son franktenement & fée que il ad en le moity, discendra a son
issue, donques le joynture serra defeat a touts jours.*

SECTION 303.--_TRADUCTION._

Quand le jointenant qui a vendu sa moitié prédécede & celui qui a acquis
cette moitié à terme de vie, & l'autre jointenant qui est en jouissance
de l'autre moitié non aliénée; l'enfant du vendeur, après la mort de
l'acquéreur, succede à la portion aliénée, & de ce moment & à l'avenir
le fief n'est plus tenu conjointement. C'est la même chose si le
jointenant qui n'a point aliéné prédécede & celui qui a vendu, &
l'acquéreur; car la moitié du fief dont ce jointenant jouissoit
appartenant dès-lors à ses hoirs à titre successif, ils ne tiennent plus
comme jointenans.


*SECTION 304.*

*_Item_, si trois joyntenants sont, & lun relessa per son fait a un de
ces companions tout le droit que il avoit en le terre, donques ad celuy
a que le release est fait le tierce part de les terres per force de le
dit releas, & il & son companion, teignent les auters deux parts en
joynture. Et quant al tierce part, que il ad per force de releas, il
tient cel tierce part ove luy mesme & son companion en common.*

SECTION 304.--_TRADUCTION._

Si de trois jointenans l'un cede à un de ses coassociés tout le droit
qu'il a au fief, le cessionnaire sera jointenant pour les deux tiers du
fief, & tenant en commun pour le tiers qu'il aura acquis.


*SECTION 305.*

*Et est ascavoir, que ascun foits un releas prendra effect, & urera pur
mitter lestate de celuy que fist le releas, a celuy a que le releas est
fait, sicome en le cas avantdit, & auxy sicome joynt estate soit fait a
le baron & sa feme, & a le tierce person, & la tierce person relessa
tout son droit que il ad a le baron, adonque ad le baron la moitie que
le tierce avoit, & la feme de ceo nad riens. Et si en tiel case le
tierce relessa a la feme nient nosmant le baron en le releas, donques ad
la feme le moitie que le tierce avoit, &c. & le baron nad riens de ceo
forsque en droit sa feme, pur ceo que en tiel case le release urera de
fair estate a celuy a que le release est fait, de tout ceo que affiert a
celuy que fait le release, &c.*

SECTION 305.--_TRADUCTION._

Il y a des cas où une vente de fonds transporte à un acquereur, comme
dans l'espece proposée en la précédente Section, tout le droit du
vendeur, à l'exclusion de ceux qui sont tenans conjointement avec ce
même acquereur. Ceci arrive lorsqu'une cession est faite à un homme & à
sa femme, & à une autre personne, à condition de tenir conjointement le
fonds cédé; car si cette tierce personne abandonne son droit au mari, il
devient propriétaire de la moitié du fonds, & la femme n'y a rien, & si
l'abandon est fait au profit de la femme, le mari n'y peut rien
prétendre qu'au droit de sa femme.


*SECTION 306.*

*Et en ascun cas un releas urera de mitter tout le droit que il que fait
le releas ad a celuy a que le release est fait. Sicome home seisie de
certain tenements est disseisie per deux disseisors, si le disseisie per
son fait relessa tout son droit, &c. a un des disseisors, donques celuy
a que releas est fait avera & tiendra touts les tenements a luy
solement, & oustera son companion de chescun occupation de ceo. Et le
cause est, pur ceo que les deux disseisors fueront eins encounter la
ley, & quant un de eux happe le releas de celuy que ad droit dentre, &c.
cest droit en tiel cas vestera en celuy a que le releas est fait, & est
en tiel plyte, sicome il que avoit droit, avoit enter, & luy enfeoffa,
&c. Et la cause est, pur ceo que il que avoit a devant estate per tort,
scavoir per _disseisin_, &c. (a) ad ore per le releas un estate
droiturel.*

SECTION 306.--_TRADUCTION._

Voici encore un cas semblable aux deux précédens. Qu'un homme saisi de
certains tenemens en soit dépossédé par deux personnes, si le dessaisi
cede le droit qu'il a sur le fonds à l'une d'elles, ce droit appartient
tellement au cessionnaire qu'il peut exclure celui qui a dépossédé, en
même-temps que lui, de toutes les parties du fonds qu'il occupe; parce
que, selon la loi, deux personnes ne peuvent pas déposséder, & s'emparer
d'un même tenement en même-temps, & quand l'un des deux qui dépossede
peut obtenir un abandon du fonds de celui qui a le droit d'y entrer, il
est en même état comme si lui-même avoit ce droit, c'est-à-dire, qu'il
eût pris ce fonds à titre d'inféodation. La raison de cette maxime est
que celui qui n'avoit, avant l'abandon, droit sur la possession que par
violence, c'est-à-dire, par dessaisine, acquiert par cet abandon un
droit direct ou de propriété légitime sur le fonds.

_REMARQUE._

(a) _Disseisin._

Il y avoit différentes sortes de dessaisine: la premiere se faisoit par
la voie de fait, & elle appartenoit à ceux qui, comme les cohéritiers,
avoient quelque prétention sur la jouissance & la propriété d'un fonds;
l'autre se faisoit par le créancier pour le payement de sa dette. Je
parlerai dans la suite de la dessaisine du premier genre; quant à celle
qui se faisoit pour dettes, le créancier se transportoit en la maison ou
sur le fonds de son débiteur, & après l'avoir sommé de le payer, il
prenoit un morceau de la terre ou une pierre dépendante de la maison,
les présentoit au Juge qui les mettoit dans un sac sur lequel il
apposoit son cachet: on appelloit le débiteur à trois plaids ou
audiences; & s'il ne comparoissoit pas ou ne payoit point, des Jureurs
se transportoient sur le fonds, faisoient comparaison du sol avec la
portion renfermée dans le sac, que le Juge leur remettoit après cette
_vue_; car vue étoit le nom de cette formalité, & la jouissance du fonds
appartenoit dès-lors au créancier; mais il n'en étoit pas pour cela
propriétaire incommutable; le débiteur, dans l'an du jour de la
dessaisine ou prise de possession, pouvoit s'acquitter & rentrer dans
ses droits.[768]

[Note 768: _Leg. Burg._ c. 136.]


*SECTION 307.*

*Et en ascun cas un releas urera per voy dextinguishment, & en tiel case
tiel releas aydera la joyntenant a que le releas ne fuit fait, auxibien
come luy a que le releas fuit fait. Sicome un home soit disseisie, & le
disseisor fait feoffment a deux homes en fée, si le disseisee relessa
per son fait a un de les feoffées, donques cel release urera a ambideux
les feoffées, pur ceo que les feoffées ont estate pur le ley, scavoir
per feoffment, & _nemy per tort_ (a) fait nulluy, &c.*

SECTION 307.--_TRADUCTION._

Quelquefois l'abandon d'un fonds se fait à un jointenant par voie
d'_amortissement_, & alors l'autre jointenant, auquel cet abandon n'est
pas fait, en profite.

Par exemple, qu'un homme ait été dépossédé par un autre, celui qui l'a
dépossédé donnant ensuite la jouissance du fonds, à titre de fief, à
deux personnes, & le dépossédé faisant postérieurment l'abandon de son
droit de propriété sur le fonds à l'une d'elles, ces deux personnes
profiteront également de cet abandon, parce qu'elles tiennent toutes
deux leur état de la Loi, savoir, d'une inféodation, & non pas d'une
dépossession faite par violence.

_REMARQUE._

(a) _Et nemy per tort_, &c.

Il suffisoit à un cohéritier de _mettre_ seulement _le pied_ dans le
principal manoir d'un Fief, pourvu que personne ne l'occupât, pour en
acquerir la possession,[769] & ne pouvoir en être dépossédé que par un
Bref du Roi. Ce droit avoit été établi en considération de la propriété
qui appartenoit au cohéritier, & de la tendance que cette propriété
avoit naturellement pour se réunir à la possession. Mais lorsque
quelqu'un s'emparoit de la jouissance d'un fonds sur lequel il n'avoit
aucun droit de propriété, sa possession étoit tortionnaire, & on pouvoit
l'en dépouiller sans recourir au Bref du Prince. _Le premier remedie
étoit al disseisi de recoiller amis & force & sans délai faire engetter
les disseisours_;[770] & si celui qui avoit usurpé la possession étoit
le plus fort, on avoit recours à la petite assise, ou après que douze
Jureurs avoient examiné la qualité des Parties, on maintenoit en
possession celle qui avoit le droit le plus apparent.

[Note 769: Britton, c. 42.]

[Note 770: _Ibid_, c. 44. _Ibid_, c. 42.]


*SECTION 308.*

*En mesme le manner est, si le disseisor fait un lease a un home pur
terme de sa vie, le remainder ouster a un auter en fée, si le disseisee
relessa a le tenant a term de vie tout son droit, &c. cel release urera
auxibien a celuy a le remainder come a le tenant a term de vie. Et la
cause est, pur ceo que le tenant a terme de vie vient a son estate per
course de ley, & pur ceo cel release urera & prent effect pur voy
dextinguishment de droit de celuy que relessa, &c. Et per cel release le
tenant a term de vie nad pluis ample ne greinder estate, que il avoit
devant le release fait a luy, & le droit celuy que relessa est tout
ousterment extinct. Et entant que cest release ne poit enlarge le state
de le tenant a terme de vie, il est reason que cel release urera a celui
en le remainder, &c.*

Pluis serra dit de releases en le Chapiter de Releases.

SECTION 308.--_TRADUCTION._

Il faut dire la même chose d'un homme qui a dépossédé quelqu'un d'un
fonds, & qui en cede l'usufruit à une personne, & la propriété à un
autre.

Car si le dépossédé fait abandon de son droit sur le fonds à celui qui
en a l'usufruit, cet abandon sera également au profit du cessionnaire à
terme de vie, comme au profit du cessionnaire de la propriété, & ceci
est fondé sur ce que l'acquereur de l'usufruit a cet usufruit par un
titre légal, au moyen duquel tous les droits de son vendeur sont
amortis; & comme l'abandon fait par le dessaisi ne donne pas au tenant
viager plus de droits que ce dessaisi n'en avoit, de même le
cessionnaire de la propriété trouve dans cet abandon la sureté de son
état, c'est-à-dire, la faculté d'exercer son droit de reversion, & rien
de plus.

Au reste, voyez ce qui est dit des Abandons ou Délaissemens. Ch. 8 Sect.
444.


*SECTION 309.*

*_Item_, si soient deux parceceners, & lun alien ceo que a luy affiert a
un auter, donques lauter parcener & lalienee sont tenants en common.*

SECTION 309.--_TRADUCTION._

Quand de deux parceniers l'un vend sa part, l'acquéreur & le parcenier
qui n'a pas vendu sont tenans en commun.


*SECTION 310.*

*_Item nota_, que tenants en common poient estre per titl' de
prescription, sicome lun & ses auncestors, ou ceux que estate il ad en
un moity ont tenus en common mesme le moity, ove lauter tenant que ad
lauter moity & ove ses auncestors ou ove ceux que estate il ad _Pro
indiviso_, de temps dont memory ne curt, &c. Et divers auters manners
poyent faire & causer homes destre tenants en common, que ne sont ici
expresses, &c.*

SECTION 310.--_TRADUCTION._

_Nota._ Qu'on peut être par prescription tenant en commun. Ceci arrive
entre des personnes qui ont tenu par indivis un fonds chacune pour
moitié depuis un temps immémorial.


*SECTION 311.*

*_Item_, en ascun cas tenants en common doyent aver de lour possession
severalx actions, & en ascun cas ils joyndront en un action. Car si sont
deux tenants en common, & ils sont disseisies, ils doyent aver deux
Assises, & nemy un Assise, car chescun de eux covient aver un Assise de
son moity, &c. Et la cause est, pur ceo que tenants en common fueront
seisies, &c. per severalx titles. Mes auterment est de joyntenants, car
si soyent vint joyntenants, & ils sont disseisies, ils averont en touts
lour nosmes forsque un Assise, pur ceo que ils nont forsque un joynt
title.*

SECTION 311.--_TRADUCTION._

Les tenans en commun doivent quelquefois intenter leurs actions par
actes séparés, & quelquefois par un seul & même acte. Si deux tenans en
commun sont dépossédés, ils doivent chacun pour la moitié du fonds
demander une Assise de nouvelle dessaisine, parce qu'ils ont été saisis
de leur part au tenement par des titres différens. Il en est autrement
des jointenans, car leur titre de possession étant le même, ils n'ont
besoin que d'une même Assise pour la recouvrer.


*SECTION 312.*

*_Item_, si soient trois joyntenants, & un release a un de ses
companions tout l' droit que il ad, &c. & puis les auters deux sont
disseisies de lentiertie, &. en cest case les deux auters averont
severalx Assises, &c. en cest forme, scavoir, ils averont en lour
ambideux nosmes, un Assise de les deux parts, &c. pur ceo que les deux
parts ils teignont jointment al temps de le disseisin. Et quant a le
tierce part, celuy a que le release fuit fait, covient aver de ceo un
Assise en son nosme demesne, pur ceo que il (quant a mesme le tierce
part) est de ceo tenant en common, &c. pur ceo que il vient a cel tierce
part per force del release, & nemy tantsolement per force del joynture.*

SECTION 312.--_TRADUCTION._

Si de trois jointenans l'un transporte son droit à un de ses associés,
le cessionnaire & l'autre jointenant étant dépossédés, ils auront deux
Assises; sçavoir, l'une pour les deux tiers qu'ils tiennent comme
jointenans, & l'autre pour le tiers que le cessionnaire tient en commun
avec son jointenant. Ce tiers, en effet, appartient au cessionnaire en
vertu du rapport qui lui a été spécialement fait, & non en vertu du
titre qui lui est commun avec son jointenant.


*SECTION 313.*

*_Item_, quant a suer des actions que touchant l' realtie, y sont
diversities perenter parceners que sont eins per divers discents, &
tenaunts en common. Car si home seisie de certaine terre en fée ad issue
deux files & morust, & les files entront, &c. & chescun de eux ad issue
un fits, & devieront sauns partition fait enter eux, per que lun moity
discendist a le fits dun parcener, & lauter moitie discendist al fits
dauter parcener, & ils entront & occupiont en common, & sont disseisies,
en cest case ils averont en lour deux nosmes un Assise & nemy deux
Assises. Et la cause est, que coment que ils veignont eins per divers
discents, &c. uncore ils sont parceners & brief de _Partitione facienda_
gist enter eux. Et ils ne sont parceners eyant regard ou respect
tantsolement a le seisin & possession de lour meres, mes ils sont
parceners pluis eyant respect a lestate que discendist de lour ayel a
lour meres, car ils ne poyent estre parceners si lour meres ne fueront
parceners a devant, &c. Et issint a tiel respect & consideration,
scavoir, quant a le primer discent que fuit a lour meres ils ont un
title en parcenarie, le quel fait eux parceners. Et auxy ils ne sont
forsque comme un heire a lour common auncestors, scavoir, a lour ayel de
que la terre discendist a lour meres. Et pur ceux causes devant
partition enter eux, &c. ils averont un Assise coment que ils veignont
eins per severalx discents.*

SECTION 313.--_TRADUCTION._

Il y a diverses manieres de suivre les actions concernant la propriété
de fonds échus à des parcenieres par diverses successions, quoiqu'elles
tiennent en commun. Par exemple, si un homme saisi d'une terre en fief a
deux fils[TR: filles?], & décede, les filles entrent en possession du
fief; mais si elles décedent elles-mêmes ensuite en laissant chacune un
fils sans avoir fait des lots du fief, leurs enfans qui tiennent chacun
pour moitié le fief en commun, peuvent, en étant dépossédés, demander
une seule Assise, parce que quoiqu'ils soient possesseurs au titre
d'hérédités différentes, cependant ils sont parceniers, & ont comme
tels, respectivement l'un contre l'autre, le droit de se pourvoir par
bref de _Partitione faciendâ_. Et le titre de parceniers leur est moins
donné relativement à la possession que leurs meres ont eu du fief, que
parce que ce fief descend à leurs meres par leur aïeul; ils ne seroient
point, il est vrai, parceniers si leurs meres n'avoient pas été
parcenieres avant eux; mais on ne les considere & leurs meres que comme
un seul & même héritier de leurs communs ancêtres.


*SECTION 314.*

*_Item_, si sont deux tenants en common de certaine terre en fée, & ils
doneront cel terre a un home en le taile, ou lesseront a un home per
term de vie, rendant a eux annuelment un certain rent, & un liver de
Pepper, & un esperuer, ou un chival, & ils sont seisies de cest service,
& puis tout le rent est aderere, & ils distreigneront pur ceo, & le
tenant a eux fait rescous. En cest cas quant a le rent & liver de pepper
ils averont deux Assises, & quant a lesperuer, ou le chival forsque un
Assise. Et la cause pur que ils averont deux Assises quant a le rent &
liver de pepper, est ceo, entant que ils fueront tenants en common en
severall titles, & quant ils fieront un done en le taile ou leas pur
term de vie, savant a eux le reversion, & rendant a eux certaine rent,
&c. tiel reservation est incident a lour reversion, & pur ceo que lour
reversion est en common, & per severall titles, sicome lour possession
fuit devant, le rent, & auters choses que poient estre severes, &
fueront a eux reserves sur le done, ou sur le leas queux sont incidens
per le ley a lour reversion, tiels choses issint reserves fueront de la
nature del reversion. Et entant que l' reversion est a eux en common per
severall titles, il covient que le rent, & le liver de pepper, queux
poyent estre severs, soyent a eux en common, & per severall titles & de
ceo ils averont deux Assises, & chescun de eux en pleint de le moity, de
le rent, & de le moity del liver de pepper, mes de lesperver, ou de
chival que ne poyent estre severs, ils averont forsque un Assise, car
home ne poit faire un pleint en Assise de le moity dun esperver, ne de
le moity dun chival, &c. En mesme le maner est dauter rents & dauters
services que tenants en common ount en grosse per divers titles, &c.*

SECTION 314.--_TRADUCTION._

Si deux tenans en commun d'un fief l'ayant cédé en fief conditionnel ou
à terme de vie à quelqu'un, à la charge d'une rente annuelle d'une livre
de poivre ou d'un épervier, ou d'un cheval, sont obligés d'user de
saisie sur le fonds pour les arrérages de la rente, le cessionnaire
agissant ensuite en _rescousse_ ou opposition contr'eux, les tenans en
commun auront en ce cas chacun une Assise pour leur moitié de la rente
en poivre, & une seule pour l'épervier & le cheval. Le principe de cette
décision devient sensible, si l'on considere que chacun de ces tenans en
commun ont un titre qui leur est particulier: or, quand ils cedent le
fonds à terme ou à tail, & y affectent une rente jusqu'au moment où le
fonds leur retournera, cette réserve ne change rien à leur droit
originaire ni à leur jouissance. D'ailleurs la reversion & la rente sont
divisibles de leur nature comme la possession des tenans l'étoit avant
leur aliénation. Le poivre pouvant être partagé, ils en auront donc
aussi la rente en commun, & chacun une Assise pour reclamer la moitié
qui leur en appartient, au lieu que l'épervier & le cheval n'étant pas
susceptibles de partage, les tenans sont réputés avoir dérogé à leurs
titres, & ils ne pourront en poursuivre le payement que dans la même
Assise; il seroit au surplus absurde que l'un obtint une Assise pour
moitié d'un épervier ou d'un cheval. Telle est la regle que l'on doit
suivre quand il est question de services ou redevances tenues en commun,
& possédées en gros par des titres différens.


*SECTION 315.*

*_Item_, quant al actions personnels, tenants en common averont tiels
actions personals joyntment en touts lour nosms, sicome de trespas, ou
de offence que touche lour tenements en common, sicome de _bruler_ lour
_measons_, (a) de enfreinder de lour closes, de pasture, degaster, &
defouler des herbs, de couper lour bois, de pischer en lour piscary, &
_hujusmodi_. Et en cest cas tenants en common averont un action
joyntment, & recoveront joyntment lour damages, pur ceo que laction est
en le personaltie, & nemy en le realtie.*

SECTION 315.--_TRADUCTION._

A l'égard des actions personnelles, les tenans en commun les intenteront
conjointement, en tant qu'elles auront rapport à leur tenure, comme dans
les cas où on brûleroit leurs bâtimens, on renverseroit les clôtures de
leurs herbages, on s'y frayeroit des chemins, on couperoit leurs bois,
on pêcheroit dans leurs étangs, &c. Les dommages qui seroient accordés
pour tous ces délits aux copropriétaires leur appartiendroient en
commun, parce qu'alors les actions ont pour objet le revenu dont ils
jouissent conjointement, & non la propriété qui leur appartient à des
titres distincts & séparés.

_REMARQUE._

(a) _Bruler measons._

La punition des incendiaires étoit d'être brûlés. Les incendies arrivés
par accident donnoient action en répétition de dommages & intérêts; mais
si la maison par laquelle le feu avoit commencé & s'étoit communiqué à
celles des voisins étant totalement consommée, le propriétaire se
trouvoit insolvable; on ne pouvoit exercer contre lui aucune poursuite,
_quoniam satis dolore concutitur & tristitiâ_. C'étoit d'ailleurs une
maxime inviolable en toute cause civile, qu'on ne pouvoit jamais
condamner quelqu'un à payer rien au-delà de ses facultés.[771]

[Note 771: Britton, c. 9: _De arsons ceux que seront de ceo atteints
soient ars issint que eulx soient punis par cel chose dount ils
pécherent._--_Leg. Burg._ c. 54.]


*SECTION 316.*

*_Item_, si deux tenants en common font un lease de lour tenements a un
auter pur terme des ans, rendant a eux certaine rent annualment durant
l' terme si le rent soit aderere, &c. les tenants en common averont un
action de debt envers le lessee, & nemy divers actions, pur ceo que
laction est en la personalty.*

SECTION 316.--_TRADUCTION._

Si deux tenans en commun transportent leurs tenemens à un autre pour un
certain nombre d'années, à la charge d'une rente annuelle, ils auront
contre le détenteur du fonds une seule & même action de dette pour les
arrérages de cette rente, parce que cette action est personnelle.


*SECTION 317.*

*Mes en avowry pur l' dit rent ils covient sever, car ceo est en le
realty come le assise est _supra_.*

SECTION 317.--_TRADUCTION._

Mais quand il est question d'un patronage tenu en commun, les actions se
divisent entre les co-patrons, car elles ont pour objet la propriété.


*SECTION 318.*

*_Item_, tenants en common poyent bien faire partition enter eux sils
voilent, coment que ils ne serront compelles de fair partition per la
ley, mes sils font enter eux partition per lour agreement & consent,
tiel partition est assets bone, come est adjudge en le _Liver
dassises_. (a)*

SECTION 318.--_TRADUCTION._

Les tenans en commun peuvent, quoique la Loi ne les y oblige pas, faire
des lots à l'amiable, & ces lots sont valables, suivant diverses
Sentences recueillies dans le Livre des Assises.

_REMARQUE._

(a) _Liver dassises._

Ce Livre est d'une grande autorité parmi les Jurisconsultes Anglois; il
porte ce nom parce qu'il prescrit principalement les procédures que l'on
doit faire sur le Bref d'assise de nouvelle dessaisine, qui étoit le
Bref le plus ordinaire & le plus important de tous.


*SECTION 319.*

*_Item_, sicome y sont tenants en common de terres & tenements, &c. come
est avantdit en mesm le maner y sont de chattels reals & personals:
Sicome lease soit fait de certain terres a deux homes pur terme de 20
ans, & quant ils sont de ceo possesses un de les lessees grant ceo que a
luy affiert durant le terme a un auter, donques mesme celuy a que le
grant est fait, & lauter tiendront & occupieront en common.*

SECTION 319.--_TRADUCTION._

Les regles établies pour ceux qui tiennent en commun des terres, ont
lieu, comme on l'a observé, à l'égard de ceux qui possedent en commun
des Châtels réels ou personnels. Par exemple, si un fonds étant cédé par
vingt ans à deux personnes, l'une vend son intérêt en cette cession,
l'acquereur tient avec l'autre le fonds en commun.


*SECTION 320.*

*_Item_, si deux ont joyntment le garde de corps & de terre dun enfant
deins age, & lun de eux _granta a un auter ceo que a luy affiert de
mesme le garde_, (a) donque le grantee & lauter que ne granta pas,
averont & tiendront ceo en common, &c.*

SECTION 320.--_TRADUCTION._

Deux personnes ayant conjointement la garde de la personne & de la terre
d'un mineur, si l'une d'elles vend à quelqu'autre la part du Bénéfice
que cette garde doit lui rapporter, l'acquereur tient en commun avec le
jointenant qui n'a point aliéné.

_REMARQUE._

(a) _Granta a un auter ceo que a lui affiert de mesme le garde._

La garde étoit incessible, mais les fruits & émolumens qui en
résultoient pouvoient être aliénés ou transportés; à plus forte raison
le Seigneur avoit-il la faculté de faire remise au mineur ou à sa
famille, de ces fruits, & de confier aux exécuteurs de son testament
l'administration des biens de son vassal mineur.[772]

[Note 772: _Voyez_ Sect. 125.]


*SECTION 321.*

*En mesme le maner est de chateux personals: Sicome deux ont joyntment
per done ou per achate un chival ou boefe, &c. & lun grant ceo que a luy
affiert de mesm le chival ou boefe a un auter, donques le grantee, &
lauter que ne granta pas, averont & possideront tiels chateux personals
en common. Et en tiels cases, ou divers persons ont chateux reals ou
personals en common & per divers titles, si lun de eux morust les auters
que servesquont, navera ceo pur le survivor, mes les executors celuy que
morust tiendront & occupieront ceo ovesque eux que survesquont, sicome
lour testator fist ou devoit en sa vie, &c. pur ceo que lour titles &
droits en ceo fueront severals, &c.*

SECTION 321.--_TRADUCTION._

Il en est de même des Châtels personnels. Si de deux acheteurs en commun
d'un cheval ou d'un bœuf, &c, l'un transporte son droit sur ce cheval
ou ce bœuf à un autre, le transportuaire & le jointenant qui conserve
son droit auront en commun l'usage de ces animaux. Il est essentiel
d'observer qu'en tous les cas où diverses personnes possedent en commun
_des Châtels_ réels ou personnels, à des titres différens, elles ne
succedent point au droit les unes des autres par survivance, mais les
exécuteurs des dernieres volontés d'un défunt en jouiront, avec le
survivant, au même droit que le testateur y avoit durant sa vie.


*SECTION 322.*

*_Item_, en le case avantdit, sicome deux ont estate en common pur terme
dans, &c. lun occupier tout, & mist lauter hors de possession &
occupation, &c. donques celuy que est mise hors de occupation avera
envers lauter briefe _de ejectione firmæ_, (a) de la moity, &c.*

SECTION 322.--_TRADUCTION._

Nous avons parlé précédemment de deux tenans en commun _pour terme
d'ans_. Or, si l'un d'eux s'emparant de tout le fonds, l'autre trouve
des obstacles à en reprendre la possession, ce dernier obtiendra, pour
recouvrer sa moitié du tenement, un Bref de _ejectione firmæ_.

_ANCIEN COUTUMIER._

Le Bref de fief ou de ferme est fait en cette forme:

_Se N.... te done pleige de suyr sa clameur, semond le recognoissant du
voisiné qu'il soit aux premieres Assises du Bailliage à reconnoistre,
savoir, se la terre que P.... luy déforce est le fief à celuy qui le
tient ou ferme mouvable baillée par la main G.... depuis le couronnement
du Roy Richard, & à quel terme, & savoir se N.... est le plus prochain
hoir à celuy que luy bailla à ferme & soit la vue tenue dedans ce; & si
l'en doibt savoir que se celuy qui tient dit que cest son fief, & il nie
la ferme, il est prové par le serment aux Jureurs que ce soit ferme,
jaçoit ce qu'il ait encores à tenir quatre ans ou plus sa ferme, la
terre ne luy remaindra pas, pour ce qu'il disoit par Barat[773] que
c'étoit son fief, mais le Roy aura le prix des années qui sont avenir
pour tant que la ferme qu'on en doibt soit rendue qui remaindra à celuy
qui la bailla, & se les Jureurs dient que le terme de la ferme soit
passé à un an ou plus, celuy qui tient sera tenu à rendre le prix des
années qu'il a tenues oultre le terme._ Ch. 112.

[Note 773: _Barat_; friponerie, _Baraten_, en Espagnol, signifie un
imposteur, un charlatan. _Glos. Willelmi Wast. in. fin. Matth. Paris._]

_REMARQUE._

(a) _De ejectione firmæ._

On trouve dans Britton, chapitre 64, le Bref nécessaire pour se
maintenir dans la jouissance d'une ferme conçu dans la même forme du
Bref dont l'ancien Coutumier nous a conservé le modele. On étoit
anciennement dans l'usage de donner ses biens à ferme pour vingt &
trente ans; le fermier avoit la liberté de rétrocéder ou de vendre son
droit[774] en tout ou en partie: les rétrocessions donnoient des
facilités aux Seigneurs voisins du fonds, ou aux fermiers eux-mêmes, de
s'en emparer, d'en exiger des services par autorité ou de concert avec
le rétrocessionnaire. Delà on fit cette regle, que le fait du tenant à
ferme ne pourroit préjudicier le Seigneur direct.[775] Mais il falloit
prouver l'espece de cette tenure pour empêcher le fermier de s'y
perpétuer, & la trop grande étendue des baux ne permettoit pas toujours
de trouver des témoins de la convention par laquelle on s'étoit réservé
la propriété du fonds, ou un droit de communauté sur la jouissance. Les
Moines étant plus en état de veiller sur leurs terres, donnoient donc
plus volontiers à _ferme_ que les laïcs: les unes étoient chargées de
fournir la nourriture, & d'autres le vêtement aux Religieux. Sous Henri
I, Roi d'Angleterre, nous voyons une Abbaye qui avoit autant de fermes
qu'il y a de semaines en une année,[776] & qui avoient chacunes leurs
saisons, durant lesquelles elles fournissoient respectivement des
provisions au Monastere. Par exemple, les redevances fixées à Noël
consistoient en volailles & en porcs, à Pâques en œufs, en d'autres
termes en fromages ou en grains, &c. Les Souverains donnoient aussi à
ferme les fonds qu'ils avoient réunis à leurs Domaines par la forfaiture
ou la _deshérence_ de leurs vassaux; & ces fermes, en ce qu'elles
étoient perpétuelles, s'appelloient _Fief_-ferme; car le mot de _Fief_,
dans les Loix Angloises & Normandes, est ordinairement opposé à
_franktenement_, ou à la tenure à _terme_; ces _Fiefs fermes_
n'attribuoient cependant pas les priviléges des Fiefs, elles n'étoient
même sujettes à la garde qu'autant qu'elles étoient chargées de services
militaires.[777]

[Note 774: _Stat. Robert III_, c. 37.]

[Note 775: _Quoniam attach._ c. 44.]

[Note 776: _Vit. 23, Sti Albani Abbatum, p. 36, in fin. Matth. Paris._]

[Note 777: _Magn. Chart. Matth. Paris. pag. 179_: _Nec habebimus
custodiam illius feudi firmæ nisi ipsa feudi firma debeat servitium
militare._]


*SECTION 323.*

*En mesme le maner est lou deux teignont le gard des terres ou tenements
durant le nonage dun enfant, si lun ousta lauter de son possession, il
que est ouste avera briefe de ejectment de gard de le moitie, &c. pur
ceo que ceux choses sont chateux realx, & poyent estre apportions &
severs, &c. Mes nul action de trespas, cestascavoir, _Quare clausum suum
fregit, & herbam suam, &c. conculcavit & consumpsit, &c. & hujusmodi
actiones_, &c. lun ne poet aver envers lauter, pur ceo que chescun de
eux poet entrer & occupier en common, &c. per my & per tout, les terres
& tenements queux ils teignont en common. Mes si deux sont possesses de
chattels personalx en common per divers titles, sicome dun chival, ou
beof ou vache, &c. si lun prent ceo tout a luy hors de possession
dauter, lauter nad nul autre remedy, mes de prender ceo de luy que ad
fait luy le tort, pur occupier en common, &c. quant il poet veir son
temps, &c. En mesme le manner est de chattels realx, que ne poyent estre
severs, sicome en le case avantdit, que deux sont possesse dun gard de
corps dun enfant deins age, si lun prent lenfant hors de possession
dauter, lauter nad ascun remedie per ascun action per la ley, mes de
prender lenfant hors de le possession dauter, quaunt il veit son temps.*

SECTION 323.--_TRADUCTION._

On doit dire la même chose de deux personnes qui ont conjointement la
garde des terres ou tenemens d'un mineur; car si l'une en exclut l'autre
par voie de fait, celle-ci peut obtenir un bref d'_éviction_ de la
moitié de la garde, parce qu'il s'agit en cette espece de Châtels réels
qui peuvent se partager; mais elles n'ont pas entr'elles d'_action_
d'_excès_ ou _trépasse_, soit pour destruction de clôtures, dommages
d'herbes ou autres causes semblables, parce que leur jouissance commune
ne leur donne droit à rien en particulier, & cependant leur permet en
général l'usage de tous les fonds tenus en commun.

Si au contraire de deux possesseurs en commun de Châtels personnels,
tels que de chevaux, bœufs ou vaches, en vertu de différens titres,
l'un s'en empare seul, l'autre n'a de ressource pour se dédommager que
d'épier le moment où il peut se mettre en possession de l'objet dont on
le prive. Il en est de même des Châtels réels qui ne sont point
susceptibles de division. Ainsi lorsqu'un tenant en commun de la garde
de la personne d'un mineur le retient, son associé en la tenure est
autorisé par la Loi de se saisir de l'enfant quand l'occasion s'en
présente.


*SECTION 324.*

*_Item_, quant un home voile _montrer_ (a) un feoffment fait a luy ou un
done en le taile, ou un lease pur terme de vie dascun terres ou
tenements, la il dirra per force de quel feoffment, done, ou leas il
fuit seisie, &c. mes lou un voil plead si leas ou grant fait a luy de
chattiel real ou personal, la il dirra, per force de quel il fuit
possesse, &c.*

*Pluis serra dit de Tenants en common en le Chapter de Releases, &
Tenant per _Elegit_.*

SECTION 324.--_TRADUCTION._

Quand on veut faire procéder à la vue ou _montre_ d'un fief simple, ou
d'un fief conditionnel ou d'un fonds donné à terme de vie, il faut
exprimer la nature du titre de sa jouissance; mais lorsqu'il s'agit de
plaider pour Châtels réels ou personnels, il suffit d'articuler la
maniere dont on en a acquis la possession.

Nous parlerons plus amplement de la tenure en commun dans les Chapitres
de Délaissemens & de Tenures par _Elegit_.

_REMARQUE._

(a) _Montrer._

Notre Auteur distingue ici les procédures établies tant pour les
contestations concernant les immeubles, que pour les procès qui avoient
pour objet des meubles & des fruits procédans d'immeubles. A l'égard des
premiers, on n'entroit jamais en discussion sans que le fonds n'eût été
préalablement accédé, visité, ou vu: quant aux autres, il suffisoit d'en
articuler l'espece.

L'accession, la vue du fonds, n'étoit cependant point nécessaire lorsque
celui à qui on en contestoit la jouissance n'en possédoit pas
d'autres,[778] parce qu'il n'y avoit point alors lieu d'appréhender que
l'une des parties, dans le cours de la contestation, ou après le
jugement, supposât qu'elle avoit cru qu'il s'agissoit entr'elle & son
adversaire, d'autres terres que de celles spécifiées dans l'assignation
ou dans la Sentence. L'ancien Coutumier de Normandie n'admet aussi la
formalité des vues, en fait de possessions, que pour les Fiefs ou
_héritages_: il n'y est point question de meubles ni d'actions
_mobiliaires_; il en prescrit encore l'usage dans la poursuite des
délits. Par exemple, _s'aulcun estoit navré & ne monstroit sa playe, il
ne pouvoit suivir de félonie celuy qui lavoit navré_;[779] & en cela il
est d'accord avec les Loix Angloises.[780]

[Note 778: Glanville, L. 2, c. 1. _Reg. Maj. c. 9. Statut 2, Robert I,
nullus habebit visum terræ, nisi habeat duas terras._]

[Note 779: Anc. Cout. c. 66.]

[Note 780: _Voyez_ Remarque sur la Section 190.]



CHAPITRE V.

_D'ETATS SOUS CONDITION._


*SECTION 325.*

*Estates, que homes ount en en terres ou tenements sur condition sont
de deux maners, scilicet, ou ils ont _estate sur condition_ (a) en
fait ou sur condition en ley, &c. Sur condition en fait est, sicome un
home _per fait endent_ (b) enfeoffa un auter en fée simple, reservant
a luy & a ses heires annualment certaine rent payable a un feast, ou a
divers feasts per an, sur condition que si l' rent soit aderere, &c. que
bien list al feoffor & a ses heires en mesmes les terres ou tenements
de enter, &c. ou si terre soit alien a un home en fée rendant a luy
certaine rent, &c. & sil happa que le rent soit aderere per un semaigne
apres ascun jour de payment de ceo, ou per un mois apres ascun jour de
payment de ceo, ou per un demy, &c. & adonques bien lirroit a le feoffor
& a les heires dentrer, &c. En ceux cases si le rent ne soit paie a tiel
temps ou devant tiel temps limit & specifie deins le condition comprises
en lendenture, donques poit l' feoffor ou ses heires entrer en tielx
terres ou tenements, & eux en son primer estate aver & tener, & de ceo
ouste le feoffée tout net. Et est appelle estate sur condition, pur ceo
que lestate le feoffée est defeasible si le condition ne soit perform,
&c.*

SECTION 325.--_TRADUCTION._

On distingue deux sortes d'Etats sous condition: l'Etat est fondé ou
_sur la Loi_, ou _sur un fait_.

On dit qu'il est fondé en fait, lors, par exemple, qu'un homme par un
fait autentique donne à un autre un fief simple, & ne se réserve & à ses
hoirs sur ce fief qu'une rente annuelle, payable à une ou plusieurs
Fêtes, sous condition que s'il manque à payer la rente, le donateur ou
vendeur & ses successeurs pourront rentrer en possession du fonds; car
en vertu de cette clause, si l'obligé est un mois ou une semaine sans
payer après l'expiration du terme, il peut être expulsé de l'héritage
fieffé sans formalité.

Et c'est parce que l'état du tenant dépend de l'exécution de la
condition que l'on appelle sa tenure Etat sous condition.

_REMARQUES._

(a) _Estate sur condition._

Le Fief _à tail_ ou conditionnel differe de l'état _sous condition_, en
ce que l'exécution de la condition du Fief à tail ne dépend pas de la
volonté du possesseur.

(b) _Per fait endent._

Ces sortes d'actes se faisoient devant Notaires en présence de témoins.
Chaque Evêque, chaque Abbé, & tous les Comtes, avoient, du temps de
Charlemagne, des Notaires chargés de dresser les conventions de ceux qui
ressortissoient de leur Jurisdiction.[781] Les enfans des Diacres, des
Prêtres, des Evêques ne pouvoient être Notaires.[782] On choisissoit ces
Officiers parmi les laïcs les mieux instruits des Loix & les plus
renommés par leur probité. Ils prêtoient serment de ne commettre aucune
fausseté, de dresser leurs actes publiquement & dans l'étendue de la
Jurisdiction, de laquelle ils ne pouvoient s'écarter sans la permission
du Comte ou de l'Evêque. Lorsqu'on imputoit à un Notaire quelque
fausseté, le Notaire & les témoins étoient recordés sur les faits
contenus en l'acte, & la ratification qu'ils faisoient de leur premier
témoignage suffisoit. Mais si les témoins étoient décédés, le Notaire ne
pouvoit se justifier que par le serment de douze hommes, & quand ce
serment ne lui étoit pas favorable,[783] on lui coupoit le poing. Les
actes devoient être conservés avec soin, & écrits avec la plus grande
exactitude.[784] On payoit aux Notaires, pour les actes les plus
importans, une demie livre d'argent; les Juges fixoient leurs honoraires
pour ceux de moindre conséquence; mais il leur étoit défendu de rien
recevoir des pauvres.[785] En Angleterre il n'y a eu de Notaires pour
les affaires civiles que vers le milieu du treizieme siecle:[786] chaque
particulier y faisoit, avant ce temps, constater ses conventions par le
record de l'assise, ou par la preuve testimoniale. A l'égard des actes
où les Ecclésiastiques étoient intéressés, ils les dressoient eux-mêmes;
souvent les Clercs & même les Prélats supposoient que des témoins ou des
contractans avoient assisté non-seulement aux actes, mais même aux
audiences de leurs Jurisdictions, où ceux-ci n'avoient été ni cités ni
présens.[787] Les gens d'Eglise obtenoient aussi du Roi des Brefs pour
faire assigner devant eux des absens; & comme on saisissoit le moment où
ils ne pouvoient être en leur domicile, pour les sommer de
comparoître;[788] les trois témoins de la citation que les Moines & les
Ecclésiastiques choisissoient ordinairement pour cette opération, parmi
les jeunes gens les plus débauchés, déposoient ces Brefs sur l'Autel des
Eglises, d'où l'un de ces faux témoins les retiroit aussi-tôt, les deux
autres témoins appellés ensuite devant les Juges, se croyoient en droit
d'affirmer qu'ils avoient fait les sommations, & les avoient publiées en
la forme prescrite par les Loix; & à ce moyen, ils faisoient condamner
par contumace, ou excommunier les absens. Afin de couper pied à un
désordre qui entraînoit après lui les suites les plus funestes, on
établit donc l'usage d'un sceau particulier pour chaque Abbé, Prieur,
Doyen, Archidiacre, Collége ou Communauté, & on donna ces sceaux en
garde à des personnes publiques. Dans la suite, pour plus de sûreté, on
imagina de denteler les actes, c'est-à-dire, de faire ces actes doubles
sur une seule peau ou sur le même papier, & de diviser ces doubles en
les coupant en forme de dents ou festons, de maniere que chaque double
pût s'endenter l'un avec l'autre lorsqu'on les rapprochoit. Chacun de
ces doubles étoit signé & scellé par un des contractans & par ses
témoins, & chaque contractant prenoit pour lui le double qu'il n'avoit
pas signé.[789]

[Note 781: _Capitul. 1, ann. 805, Can. 3, 1. vol. Balus. col. 421._]

[Note 782: _Addit. ad Legem Longob. Lothario_, art. 48. Bal. 2e vol.
col. 342.]

[Note 783: _Ibid_, art. 31. _Et Addit. ad Leg. Longob. ann. 824, tit. 3,
art. 24, apud Olonam, col. 324._]

[Note 784: _Capitul. Ludov. Pii, ann. 828, col. 654. Balus._]

[Note 785: Tit. 3, art. 24: _Addit. ad Leg. Longob. apud Olonam_, 2e
vol. col. 324.]

[Note 786: Matth. Paris. sous l'an 1237: _Conc. Lond. à Legato Ottone_,
pag. 307.]

[Note 787: _Ibid._]

[Note 788: Matth. Paris. appelle ces tenans _garciones_, du mot François
_garçon_, qui signifioit autrefois ce que nous appellons maintenant un
_vaurien_, un _garnement_.]

[Note 789: _Voyez_ Sect. 371 & 372, ci-après.]


*SECTION 326.*

*En mesme le manner est si terres sont dones en le taile, ou lessees a
term de vie ou des ans, sur condition, &c.*

SECTION 326.--_TRADUCTION._

On a encore état sous condition si à la cession d'un fief à tail ou pour
terme de vie, ou pour plusieurs années, on a apposé une condition
semblable à celle indiquée par la précédente Section.


*SECTION 327.*

*Mes lou feoffement est fait de certaine terres reservant certain rent,
&c. sur tiel condition que si le rent soit aderere, que bien lirroit al
feoffor, & ses heires, dentrer, & la terre tener tanque ils soient
satisfies ou payes de le rent aderere, &c. En cest case si le rent soit
aderere, & le feoffor ou ses heires enter, le feoffée nest pas exclude
de ceo tout net, mes le feoffor avera & tiendra la terre & prendra ent
les profits tanque il soit satisfie de le rent aderere, & quant il est
satisfie, donque poyet le feoffée reenter en mesme la terre, & ceo tener
come il tenoit adevant. Car en tiel cas le feoffor avera la terre
forsque en maner come pur un distres, tanque il soit satisfie de le
rent, &c. comment que il prendre les profits en le meane temps a son use
demesne, &c.*

SECTION 327.--_TRADUCTION._

Si cependant l'acte d'inféodation porte seulement que la rente affectée
sur les terres données à fief n'étant pas payée, le donateur ou ses
hoirs pourront entrer en possession de la terre, & en jouir jusqu'à
ce qu'ils soient remplis de leur dû; en ce cas le donataire ne perd
point sa possession, il peut la reprendre aussi-tôt que le donateur est
acquitté. Ce donateur, en vertu de la clause de son Contrat, n'a, en
effet, que le droit de _distraire_ des fruits du fonds ce qui lui est
dû, & il ne peut s'approprier que le revenu tant que la dette subsiste.


*SECTION 328.*

*_Item_, divers parolx (enter auters) y sont, queux per vertue tenures
de eux mesmes sont estates sur condition, un est le parol _Sub
conditione_: Sicome A enfeoffa B de certaine terre, _habendum & tenendum
eidem B. & hæredibus suis, sub conditione, quod idem B & hæredes
sui solvant seu solvi faciant præfat' A & hæredibus annuatim talem
redditum_, &c. En cest case sans ascun pluis dire le feoffée ad estate
sur condition.*

SECTION 328.--_TRADUCTION._

Ce ne sont pas seulement ces _sub conditione_ qui constituent l'état
sous condition. Par exemple, si A donne à titre de fief à B certains
fonds pour les tenir & ses successeurs sous la condition que B ou ses
successeurs lui payeront annuellement une rente sans autre explication,
le donataire a son état _sous condition_.


*SECTION 329.*

*Auxy si les parols fueront tielx, _Proviso semper quod prædict' B.
solvat, seu solvi faciat præfato A. talem redditum_, &c. ou fueront
tielx, _Ita quod prædict' B. solvat seu solvi faciat præfato A. talem
redditum, &c._ Et ceux cases sauns pluis dire, le feoffée nad estate
forsque sur condition, issint que sil ne performast le condition, l'
feoffor & ses heires poyent entrer, &c.*

SECTION 329.--_TRADUCTION._

On n'a encore état que _sous condition_, & faute d'exécuter cette
condition, on perd la propriété du fonds, quand l'acte par lequel il a
été cédé porte ces mots: _en observant ou de maniere néanmoins que B
payera ou fera payer à A telle rente_.


*SECTION 330.*

*_Item_, auters parols sont en un fait queux causont les tenements estre
conditionals. Sicome sur tiel feoffment un rent est reserve al feoffor,
&c. & puis soit mitte en le fait cest parol, _Quod si contingat redditum
prædict' à retro fore in parte vel in toto, quod tunc benè licebit_ a le
feoffor & a ses heirs dentrer, &c. ceo est un fait sur condition.*

SECTION 330.--_TRADUCTION._

On emploie encore quelque-fois dans l'acte ces autres expressions: _s'il
arrive que tel ne paye tout ou partie de la rente, alors il sera libre
de l'expulser du fonds_, & cette clause constitue aussi l'état sous
condition.


*SECTION 331.*

*Mes il est diversity perenter cest parol (_si contingat, &c._) & les
parols procheine avantdits. Car ceux parolx (_Si contingat, &c._) ne
valent riens a tiel condition, si non que il ad ceux parolx subsequents,
que bien list al feoffor & a ses heires dentrer, &c. Mes en les cases
avantdits, il ne besoign per la Ley de mitter tiel clause (_scilicet_)
que le feoffor & ses heires poyent entrer, &c. pur ceo que ils poyent
faire ceo per force des parols avantdits, pur ceo que ils impreignont a
eux mesmes in Ley un condition, _scilicet_, que le feoffor & ses heires
poyent entrer, &c. Uncore il est communement use en touts tiels cases
avantdits de mitter les clauses en les faits, _scilicet_, si le rent
soit aderere, &c. que bien lirroit a le feoffor & a ses heires dentre,
&c. Et ceo est bien fait, a cel intent pur declarer & expresser a les
lays gents que ne sont apprises en la Ley, de le maner & le condition
de le feoffement, &c. Sicome home seise de terre, lessa mesme la terre
a un auter per fait indent pur terme des ans rendant a luy certaine
rent, il est use de mitter en le fait, que si le rent soit arere al jour
de payment, ou per un semaigne, ou per un mois, &c. que adonque bien
lirroit al lessor a distreyner, &c. uncore le lessor poit distreiner de
common droit pur le rent arere, &c. coment que tiels parols ne unque
fueront mises en le fait, &c.*

SECTION 331.--_TRADUCTION._

Il faut prendre garde que lorsque ces mots, _s'il arrive, &c._ sont
employés en un acte sans ceux-ci, _il sera libre, &c._ celui qui a
fait l'inféodation n'a pas droit de reprendre le fonds lorsque la
condition n'est pas exécutée; au contraire, en faisant l'acte avec
les deux clauses des Sections 328 & 329, il n'est pas nécessaire d'y
ajouter que le cessionnaire du fonds a le droit d'y rentrer, &c. & si
lesdites clauses sont ordinairement suivies de ces expressions, c'est
parce qu'elles indiquent aux Laïcs, qui sont peu au fait des Loix, la
nature de l'inféodation. Ainsi quoiqu'il soit d'usage qu'un homme en
cédant ses terres à un autre par un acte autentique pour plusieurs
années, à la charge de lui payer une rente par chaque année, stipule
que le cessionnaire prendra la possession s'il ne paye pas au terme, le
propriétaire pourroit cependant rentrer de droit en possession, quand
même ce droit n'auroit pas été exprimé en l'acte.


*SECTION 332.*

*_Item_, si feoffment soit fait sur tiel condition, que si le feoffor
paya al feoffée certaine jour, &c. 40 l. dargent, que adonque le
feoffor poit re-entrer, &c. en ceo cas le feoffée est appell tenant
en _mortgage_, (a) que est autant a dire en Francois come mortgage, &
en Latin _mortuum vadium_. Et il semble que la cause, pur que il est
appelle mortgage, est, pur ceo que il estoit en aweroust si le feoffor
voyt payer, al jour limitte tiel summe ou non: & sil ne paya pas, donque
le terre que il mitter en gage sur condition de payment de le money, est
ale de luy a touts jours, & issint mort a luy sur condition, &c. & sil
paya le money, donques est le gage mort quant a le tenant, &c.*

SECTION 332.--_TRADUCTION._

Si une inféodation est faite à condition que le fieffataire payera
à certain jour quarante livres d'argent, & que s'il ne paye pas,
le fieffeur pourra reprendre le fonds; ce fieffataire est appellé
_tenant en mort gage_: expression Françoise que l'on peut rendre par
celle-ci, _mortuum vadium_; & la raison de cette dénomination est que le
fieffataire devant au jour convenu payer réellement & de fait la somme
prescrite par son Contrat, soit qu'il soit ou non en état de faire ce
payement, sa terre est comme le gage du payement de cette somme, & il
perd pour toujours ce gage si la condition n'est pas remplie: comme
ce gage est aussi _mort ou perdu_ pour le vendeur du fonds lorsque le
tenant s'acquitte au terme.

_REMARQUES._

(a) _Mort gage._

Le cas exprimé en la Section 327 donne l'exemple _du vif gage_, _vivum
vadium_, en ce que le fieffeur ne prend, en l'acquit de sa créance, que
les fruits de la terre, laquelle est considérée, par cette raison, un
_gage_ toujours _vivant_ en la main du possesseur; au lieu que dans
l'espece de la présente Section, ce n'est pas de la jouissance, mais de
la propriété dont le possesseur est déchu au défaut de payement, ainsi
le gage, par ce défaut, cesse d'exister, il est _un gage mort_. Sur ces
deux textes, Loisel, d'après le vingtieme chapitre de l'ancien Coutumier
de Normandie, a établi cette maxime, _vif gage est qui s'acquitte de ses
issues, & mort gage qui de rien ne s'acquitte_.[790] Mais le sens que
cet Auteur, & l'ouvrage où il a puisé cette maxime, lui attribuent,
n'est pas aussi naturel que l'interprétation que notre Auteur en donne.

_Mort gaige_, selon l'ancien Coutumier, _est quand une terre est baillée
en gage pour cent sols par tel convenant que quand cil qui l'engaige la
voudra avoir, il rendra les cent sols_.

_Vif gaige est quand l'en baille une terre en gaige pour cent sols
jusqu'à trois ans qui doit estre rendue toute quitte en fin de terme, ou
quand terme est baillé jusqu'à tant que les deniers qui sont prestez
soient traits des issues de la terre._[791] Or, comment présumer qu'au
temps de l'ancien Coutumier la Jurisprudence Normande ait autorisé une
usure aussi criante que celle de tenir un fonds en gage, & en même-temps
d'en avoir les fruits & issues, _sans en rien compter à la dette_?
sur-tout lorsqu'on voit cette usure proscrite par l'ancien Coutumier
lui-même, de la maniere la plus expresse.[792] Il faut donc considérer
la définition du _mort gage_, contenue dans le Chapitre III de l'ancien
Coutumier Normand, plutôt comme définition d'un abus que comme
l'explication de la Coutume primordiale qui l'avoit occasionnée; & cette
confusion aura probablement pris sa source dans les termes trop vagues
dont les anciennes Loix se sont servies pour donner l'idée _du
mort-gage_.

[Note 790: Institut. Cout. 2e vol. L. 3, tit. 7.]

[Note 791: Anc. Cout. c. 111.]

[Note 792: Anc. Cout. c. 20, _de usuriers s'aulcun baille sa terre à
aultruy engaige pour 40 liv. tout ce que cil qui la tient reçoit des
issues de la terre dessus son Chatels, est tenu à usure_.]

_Dicitur mortuum vadium illud cujus fructus vel redditus percepti
interim in nullo se acquietant._[793]

[Note 793: _Reg. Maj._ L. 3, c. 2.]

Cette regle isolée paroît, en effet, au premier coup d'œil, s'appliquer
à toute espece de gage capable de produire quelque fruit, & qui est
donné à un créancier en payement d'une dette contractée par le
propriétaire du gage; au lieu que cette regle devoit être restrainte
uniquement aux redevances imposées à l'acheteur d'une terre, pour tenir
lieu au vendeur du prix qu'il ne recevoit pas lors de la vente. C'est ce
que les Rédacteurs des Loix Angloises & Ecossoises ont bien compris;
elles refusent toute action _pour le mort-gage_, pris dans le sens que
l'ancien Coutumier Normand lui donne, elles le déclarent usuraire; &
elles approuvent au contraire celui qui n'est fondé que sur une
condition qui tient lieu du prix[794] d'un fonds, telle que celle des
contrats de Fieffe à rente perpétuelle, qui sont encore usités en
Normandie.

[Note 794: _Quoniam attach._ c. 46 & 47.]


*SECTION 333.*

*_Item_, sicome home poit faire feoffement en fée Mortgage, issint home
poit faire done en taile en mortgage, & un leas pur terme de vie, ou pur
terme des ans en mortgage, & touts tiels tenants sont appels tenants en
Mortgage, solonque les estates, que ils ont en la terre, &c.*

SECTION 333.--_TRADUCTION._

De la même maniere qu'on peut vendre un fonds en _mort-gage_, on peut
aussi le donner à tail ou pour terme d'ans en _mort-gage_, & alors on
appelle les tenans Morts-Gagistes en tail ou _Mort-Gagistes à terme
d'ans_, selon l'état qu'ils ont en la jouissance de la terre.


*SECTION 334.*

*_Item_, si feoffement soit fait en mortgage sur condition que le
feoffor payera tiel summe a tiel jour, &c. come est enter eux per lour
fait endent accorde & limit, coment que le feoffor morust devant le
jour de payment, &c. uncore si le heir le feoffor paya mesme le summe
de mony a mesme le jour a le feoffée, ou tender a luy les deniers & le
feoffée ceo refusa de receiver, donque poit l' heire entrer en l' terre,
& uncore le condition est, que si le feoffour payera tiel summ a tiel
jour, &c. nient faisant mention en le condition dascun payment destre
fait per son heire, mes pur ceo que le heire ad interesse de droit en
le condition, &c. & lentent fuit forsque que les deniers serront paies
al jour assesse, &c. & le feoffée nad pluis dammage, si il soit pay per
l' heir, que sil fuit pay per le pier, &c. Et pur cest cause, si le
heire paya les deniers, ou tendera les deniers a le jour assesse, &c. &
lauter ceo refusa il poet entrer, &c. Mes si un estranger _de sa teste
demesne_, (a) que nad ascun interesse, &c. voile tender les avantdits
deniers al feoffée a le jour assesse, le feoffée nest pas tenus de ceo
receiver.*

SECTION 334.--_TRADUCTION._

Si une inféodation est faite en _mort-gage_, à condition que le
fieffataire payera telle somme à tel jour déterminé par l'acte
autentique arrêté entr'eux; quoique le fieffataire décede avant le jour
fixé pour le payement, dès que son héritier paye la somme convenue audit
jour, ou qu'il offre de la payer, quoique le vendeur la refuse; cet
héritier a le droit de se mettre en possession, parce que tout héritier
a les mêmes avantages que celui auquel il succede, quand même l'acte
d'inféodation ne feroit point mention que le payement de la rente
pourroit être acquitté par l'héritier du fieffataire. Il est d'ailleurs
indifférent au propriétaire du fonds que sa rente lui soit payée par le
pere ou par le fils. Mais si un étranger, qui n'a aucun intérêt à la
convention, offre de son propre mouvement le payement de la rente, le
vendeur du fonds peut refuser de le recevoir.

_REMARQUE._

(a) _De sa teste demesne._

_Demesne_ pour _propre_, du mot _domanium_.

Il en seroit autrement si le Fieffeur empruntoit d'un Etranger, & lui
donnoit pouvoir de payer pour lui.


*SECTION 335.*

*Et _memorandum_ que en tiel cas, lou tiel tender de le money est fait,
&c. & le feoffée de receiver ceo refusa, per que le feoffor ou ses
heires entront, &c. donque l' feoffée nad ascun remedy daver l' money
per le common ley, pur ceo que il serra rette sa folly que il refusa le
money quant un _loyal tendre_ (a) de ceo fuit fait a luy.*

SECTION 335.--_TRADUCTION._

Observez que lorsque l'argent est offert au terme, & que le créancier de
la rente refuse le payement, celui-ci n'a plus, après que le fieffeur ou
ses héritiers ont pris possession du fonds, d'action contr'eux, suivant
la commune Loi, pour exiger ce qui lui est dû, parce que c'est par sa
faute s'il n'a pas accepté une offre qui lui étoit faite conformément à
la Loi.

_REMARQUE._

(a) _Loyal tendre._

L'offre légale est opposée à l'offre qui n'est faite que verbalement.
Non-seulement la légalité de l'offre consistoit à compter les deniers,
mais à donner des especes de bon aloi. _Legalem monetam._[795]

[Note 795: Coke sur cette Section.]


*SECTION 336.*

*_Item_, si feoffment soit fait sur tiel condition, que si le feoffée
paya al feoffor tiel jour inter eux limit 20 l. adonques le feoffée
avera la terre a luy & a ses heires, & sil faile de payer les deniers
a le jour assesse, que adonque bien list a le feoffor ou a ses heires
dentrer, &c. & puis devant le jour assesse, le feoffée venda la terre
a un auter, & de ceo fait feoffment a luy, en cest case si l' second
feoffée voile tender le summe de les deniers a le jour assesse a le
feoffor, & le feoffor ceo refusa, &c. donque le second feoffée ad
estate en la terre clerement sans condition. Et la cause est pur ceo
que le second feoffée avoit interest en l' condition pur salvation de
son tenancy. Et en cest case il semble que si le primer feoffée apres
tiel vender de la terre voile tender l' mony a le jour assesse, &c. a
le feoffor, ceo serra assets bone pur salvation destate de le second
feoffée, pur ceo que le primer feoffée fuit privy a le condition, &
issint le tender de ascun de eux deux est assets bone, &c.*

SECTION 336.--_TRADUCTION._

Si une inféodation est faite à condition que le fieffataire, en payant
au fieffeur quarante livres tel jour, aura & ses successeurs tel fonds;
ce payement ne se faisant pas au jour marqué, le fieffeur & ses hoirs
peuvent reprendre ce fonds; mais si avant l'expiration du terme de
payement le fieffataire vend le fonds à un autre, ce rétrocessionnaire
offrant de payer les quarante livres au jour convenu, il a, quoique le
fieffeur refuse de recevoir son argent, état en la terre sans condition:
car en ce cas ce rétrocessionnaire a intérêt, pour sureté de sa tenure,
que la condition imposée au premier fieffeur soit remplie. Le premier
fieffataire peut aussi, après avoir rétrocédé sa tenure, payer le
fieffeur, parce que quoiqu'il ait vendu il est toujours intéressé, comme
garant de la vente, à ce que la condition soit exécutée.


*SECTION 337.*

*_Item_, si feoffement soit fait sur condition, que si le feoffor paya
certain summe dargent all feoffée, adonques bien lirroit a feoffor, & a
ses heirs dentrer: en cest case si le feoffor devie devant le payment
fait, & l' heire voile tender al feoffée les deniers, tiel tender est
voyd, pur ceo que le temps deins quel ceo doit estre fait est pass, car
quaunt le condition est, que si le feoffor paya les deniers al feoffée,
&c. ceo est tant adire, que si le feoffor durant sa vie paya les deniers
al feoffée, &c. & quant l' feoffor morust, donques le temps de le tender
est passe. Mes auterment est lou un jour de payment est limit, & le
feoffor devie devaunt le jour, donque poet le heire tender les deniers
come est avaun-dit, pur ceo que le temps de le tender ne fuit passe pur
le mort del feoffor. Auxy il semble que en tiel case lou le feoffor devy
devant le jour de payment si les executors de le feoffor tendront les
deniers al feoffée al jour de payment, cel tender est assets bone. Et si
le feoffée ceo refuse, les heires de feoffor poient entrer, &c. Et le
cause est, pur ceo que les executors representont l' person lour
testator, &c.*

SECTION 337.--_TRADUCTION._

Une inféodation étant faite à condition que si le fieffataire paye
certaine somme au fieffeur, il lui sera libre, & à ses successeurs, de
se mettre en possession du fonds. Dans le cas où ce fieffataire mourroit
avant le payement, son héritier ne seroit pas recevable à offrir la
somme convenue; le temps du payement seroit alors passé; car dire que le
fieffataire payera, c'est comme si on disoit qu'il fera ce payement de
son vivant. Il faudroit raisonner différemment s'il y avoit dans l'acte
un jour de payement déterminé; le décès du fieffataire, s'il précédoit
le terme, ne seroit point en effet fatal pour son successeur, il ne le
seroit pas plus pour les exécuteurs de son testament; si cependant ils
offroient la somme stipulée sans terme dans le contrat, après le décès
du testateur; les héritiers du décédé se mettroient valablement en
possession du fonds, ces exécuteurs ne pouvant avoir de plus grands
droits que le testateur qu'ils représentent.


*SECTION 338.*

*Et _nota_, que en touts cases de condition de payment de certain summe
en grosse, touchant terres ou tenements, si loyal tender soit un foits
refuse, celuy que duissoit tender l' money est de ceo assouth, &
pleinement discharge per touts temps apres.*

SECTION 338.--_TRADUCTION._

_Nota._ Que toutes les fois que la condition d'une inféodation consiste
au payement d'une somme en gros sans terme fixé, & que l'offre faite
du payement par l'obligé est refusée, il est pleinement déchargé de la
condition, cette condition devient dès-lors résolue pour toujours.


*SECTION 339.*

*_Item_, si le feoffée en mortgage, devant l' jour de payment que
serroit fait a luy face ses executours, & devie, & son heire enter en
le terre come il devoit, &c. il semble en cest cas que le feoffor doit
payer le money al jour assesse al executors, & nemy al heire le feoffée,
pur ceo que le money al commencement trenchast al feoffée en manner
come un duty, & serra entendue que lestate fuit fait per cause de le
prompter de le mony per le feoffée, ou pur cause dauter duty. Et pur
ceo le payment ne serra fait al heire, come il semble. Mes les parols
del condition poyent estre tiels, que le payment serra fait al heire,
come si le condition fuit, que si le feoffor paya al feoffée, ou a ses
heires, tiel summe a tiel jour, &c. la apres la mort le feoffée sil
morust devant l' jour limit, l' payment doit estre fait al heir al jour
assesse, &c.*

SECTION 339.--_TRADUCTION._

Si le fieffeur en _mort gage_ établit des exécuteurs de son testament, &
décede avant le jour du payement, quoique son fils ait le même droit que
lui sur le fonds, cependant le fieffataire ne doit pas acquitter la
somme promise entre les mains du fils, mais en celles des exécuteurs des
dernieres volontés du défunt, parce que cette somme est censée n'avoir
été promise lors de l'inféodation que comme une dette, & est réputée
conséquemment tenir nature de prêt ou d'autres redevances purement
mobiliaires qui, tant qu'il y a des exécuteurs, n'appartiennent point à
l'héritier.

Cependant lorsque les termes de la condition sont que le payement sera
fait au fieffeur & à son héritier; après le décès du fieffeur, arrivé
avant le terme du payement échu, le fieffataire doit s'acquitter entre
les mains de l'héritier au jour fixé.


*SECTION 340.*

*_Item_, sur tiel case de feoffment in mortgage, question ad este
demaunde en quel lieu le feoffour est tenus de tender les deniers a l'
feoffée al jour assesse, &c. Et ascuns ont dit, que sur la terre issint
tenus en mortgage pur ceo que l' condition est dependant sur le terre.
Et ont dit, que si le feoffor soit sur le terre le prest a paier le
money al feoffée a le jour assesse, & le feoffée adonque ne soit pas
la, adonque le feoffor est assouth, & excuse de payment de l' money,
pur ceo que nul default est en luy. Mes il semble a ascuns que la ley
est contrary, & que default est en luy. Car il est tenus de querer
le feoffée sil soit adonque en ascun auter lieu deins le Roialme de
Engleterre. Come si home soit oblige en un obligation de 20 liv. sur
condition endorce sur mesme lobligation, que sil paya a celuy a que
lobligation est fait a tiel jour 10 liv. adonque lobligation de 20 liv.
perdra sa force, & serra tenus per nul, en cest cas il covient a celuy
que fist obligation de querer celuy a que lobligation est fait, sil soit
deins Engleterre, & al jour assesse de tender a luy les dits 10 liv.
auterment il forfeitera la summe de 20 liv. comprise deins l'obligation,
&c. Et issint il semble en lauter cas, &c. Et coment que ascuns ont
dit, que le condition est dependant sur la terre, uncore ceo ne prove
que le feasans de le condition destre performe, covient estre fait
sur la terre, &c. nient plus que si le condition fuit que le feoffor
ferra a tiel jour, &c. un especiall corporall service al feoffée, nient
nosmant le lieu ou tiel corporall service serra fait, en tiel cas le
feoffor doit faire tiel corporal service al jour limitte al feoffée, en
quecunque lieu Dengleterre que le feoffée est, sil voile aver advantage
de le condition, &c. Issint il sembl' en lauter cas. Et il semble a
eux que il serroit pluis properment dit, que lestate de la terre est
dependant sur la condition, que adire, que le condition est dependant
sur la terre, &c. _Sed quære_, &c.*

SECTION 340.--_TRADUCTION._

On a fait cette question, en quel lieu le fieffataire doit faire le
payement de la somme promise en gros sans désignation de terme.

Quelques-uns ont pensé qu'on devoit le faire sur le fonds tenu en
_mort-gage_, vu que la condition y est affectée; & de-là ils ont conclu
que si au jour fixé le fieffataire se présentant pour payer, le fieffeur
ne s'y trouvoit pas; ce dernier seroit déchu de la condition.

Mais d'autres prétendent que le fieffataire doit faire le payement au
domicile du fieffeur, pourvu qu'il ne soit pas hors le Royaume
d'Angleterre, & ils citent cet exemple: Qu'une personne obligée de payer
vingt livres, sous la condition que si à tel jour il en paye dix livres,
il sera quitte; l'obligé est tenu de chercher le lieu où réside son
créancier dans le Royaume, & s'il ne trouve pas moyen de lui payer les
dix livres au terme convenu, l'obligation reprend sa force pour vingt
livres. Quant à ce que l'on dit que l'obligation est affectée sur le
fonds, ceci ne prouve pas qu'elle doive s'y acquitter; car lorsque pour
un fonds on s'oblige à un service de corps, ce service n'est pas
seulement dû au feiffeur sur le fonds, mais en quelque lieu du Royaume
où il voudra l'exiger, pourvu que ce soit au terme prescrit par le
Contrat. Il y a plus, dans l'espece d'une inféodation en _mort-gage_, on
peut dire également & que l'état de la terre dépend de la condition, &
que la condition dépend du fonds; au surplus cette difficulté mérite
examen.


*SECTION 341.*

*Mes si feoffment en fée soit fait reservant al feoffor un annual rent,
& pur default de payment un re-entry, &c. en cest case il ne besoigne le
tenant a tender le rent, quaunt il est arere forsque sur le terre pur
ceo que ceo est rent issuant hors de la terre, que est secke. Car si le
feoffor soit seisie un foits de cest rent, & puis il vient sur la terre,
&c. & le rent luy soit denie, il poet aver Assise de _Novel Disseisin_:
Car coment que il poet entre pur cause de le condition enfreint, &c.
uncore il poet eslier, scavoir, de relinquisher son entry ou de aver un
Assise, &c. Et issint est diversity quant al tender de le rent que est
issuant hors de la terre, & del tender dauter summe en grosse que ne
passe issuant hors dascun terre.*

SECTION 341.--_TRADUCTION._

Si une inféodation est faite avec réserve de la part du fieffeur
d'une rente annuelle, & du droit de reprendre le fonds au défaut
de payement; en ce cas le débiteur de la rente ne doit offrir
les arrérages échus de sa rente que sur le fonds auquel, comme
_Rente-seche_, elle est affectée; car dans le cas où le fieffeur
venant sur le fonds, & exigeant sa rente, elle lui est refusée, il
peut se pourvoir en l'Assise de nouvelle dessaisine, s'il ne veut pas
rentrer en possession du fonds inféodé: il a, en effet, le choix de
l'un de ces deux partis. Ainsi la formalité pour exiger les arrérages
d'une rente constituée sur un fonds est bien différente de celle que
l'on doit observer à l'égard d'une somme due en gros, sans terme ni
affectation sur aucun fonds particulier.


*SECTION 342.*

*Et pur ceo que il serra bone & sure chose pur celuy que voet faire tiel
feoffment en mortgage, de mitter un especial lieu lou les deniers
fueront pays, & le pluis especiall que est mis, le melior est pur le
feoffor. Sicome A infeoffe B aver a luy & a ses heirs, sur tiel
condition. Que si A paya a B en le Feast de Saint _Michael_ Larchangel
procheine a vener, en Esglise Cathedrall de Pauls en Londres, deins
quater heures procheine devant le heure de noone de mesme le feast a le
Rood loft de le Rood de le North doore deins mesme le Esglise, ou al
tombe de _Saint Erkenwald_, (a) al huis de tiel Chapell, ou a tiel
piller, deins mesme Lesglise que adonque bien list, al avantdit A & a
ses heires dentrer, &c. en tiel case il ne besoigne de querer le feoffée
en auter lieu; ne destre en auter lieu, forsque en le lieu comprise en
lendenture, ne destre la pluis longe temps, que le temps specifie en
mesme lendenture, pur tender ou payer le money a le feoffée, &c.*

SECTION 342.--_TRADUCTION._

C'est pourquoi le plus sûr pour celui qui fieffe en _mort-gage_ est de
désigner le lieu où on doit le payer, & plus la désignation est précise,
moins il y a matiere à difficultés.

Par exemple, que A prenne à titre de fief pour lui & ses hoirs un fonds
de B à condition que s'il paye à B une somme à la Fête prochaine de
Saint Michel l'Archange, en l'Eglise Cathédrale de Saint Paul à Londres,
dans les quatre heures précédentes l'heure de none, ou à la Chapelle de
la Croix qui est à la porte du Nord de la même Eglise, ou au tombeau de
_Saint Erkenwald_, ou à l'entrée de telle Chapelle ou à tel piller de
l'Eglise, A pourra ou ses héritiers, entrer en possession du fonds sans
être tenu de rechercher le domicile du fieffeur pour s'acquitter de la
somme promise, ni en faire le payement, ou ses offres en un autre lieu
que celui désigné par le Contrat.

_REMARQUE._

(a) _Saint Erkenwald._

Ce Saint vivoit à la fin du septieme siecle. Il fonda l'Abbaye de Saint
Paul en l'Isle de Jersey, en fut le premier Abbé, & ensuite Evêque de
Londres. On voit encore son tombeau dans son Abbaye: on ne sçait pas
précisément l'année de sa mort.[796]

[Note 796: Coke, pag. 212, fixe son décès en 680, & le Pere Mabillon le
suppose encore Evêque de Londres en 685. _Ann. Benedict._ tom. 1, L. 17,
pag. 534, no 50.]


*SECTION 343.*

*_Item_, en tiel case lou le lieu de payment est limitte, le feoffée
nest oblige de receiver le payment en nul auter lieu forsque en mesme le
lieu issint limit. Mes uncore si il receiust le payment en auter lieu,
ceo est assets bone, & auxy fort pur le feoffor, sicome le receite ust
este en mesme le lieu issint limit, &c.*

SECTION 343.--_TRADUCTION._

Quand le lieu du payement est désigné, le fieffeur n'est obligé de
recevoir son payement qu'en ce lieu-là; mais il peut, s'il veut, le
recevoir ailleurs, sans qu'il en soit préjudicié.


*SECTION 344.*

*_Item_, en tiel case de feoffment en mortgage, si l' feoffor paya al
feoffée un chival, ou hanap dargent, ou un annuel dor, ou auter tiel
chose en plein satisfaction del money, & lauter ceo receiust ceo en
assets bone, & auxy fort sicome il ust receive la summe del money,
coment que le chival, ou lauter chose ne fuit de vintisme part del value
de sum de le money, _pur ceo que lauter avoit ceo accept_ (a) en pleine
satisfaction.*

SECTION 344.--_TRADUCTION._

Si le fieffataire en mort-gage donne, au lieu de la somme convenue, un
cheval, une coupe d'argent, un anneau d'or ou autre chose de cette
espece, dès que le fieffeur l'a agréée il ne peut plus rien exiger
au-delà, quand même ce qu'il auroit eu seroit de moindre valeur que la
somme qui avoit été précédemment promise.

_REMARQUE._

(a) _Pur ceo que lauter avoit ceo accept._

C'est sans doute de là qu'est née cette maxime Normande, _que la
deception d'outre moitié n'a point lieu en Contrats ou Baux à
Fieffe_.[797]

[Note 797: Basnage, Comment. sur la Cout. Réformée, 1er vol. pag. 280,
éd. 1709.]


*SECTION 345.*

*Item, si home enfeoffa un auter sur condition, que il & ses heires
rendront a un estrange home & a ses heires un annuel rent de 20 s. &c. &
si il ou ses heires failont de payment de ceo que adonques lirroit al
feoffor & a ses heires de entrer, ceo est bon condition, & uncore en
cest cas coment que tiel annuall payment est appelle en lendenture un
annuall rent, ceo nest pas properment rent. Car il serroit rent, il
covient estre rent service, ou rent charge, ou rent secke, & il nest
ascun de eux. Car si lestrange fuit seisie de ceo, & puis il fuit a luy
denie, il navera unque assise de ceo, pur ceo que il nest pas issuant
hors dascun tenements & issint lestrange nad ascun remedie si tiel
annual rent soit aderere en cest cas, mes que le feoffor ou ses heires
poient entrer, &c. & uncore si le feoffor ou ses heires entront pur
default de payment, adonque tiel rent est ale a touts jours. Et issint
tiel rent nest forsque un peine assesse a le tenant & ses heires; que
sils ne voilent payer ceo solonque la forme del indenture, _ils perdront
lour terre_ (a) per lentry del feoffor ou ses heires pur default de
payment. Et en cest cas il sembl' que le feoffée & ses heires doyent
querer le estranger & heires sils sont deins Engleterre, pur ceo que nul
lieu est limit lou le payment serra fait, & pur ceo que tiel rent nest
pas issuant hors dascun terre, &c.*

SECTION 345.--_TRADUCTION._

Un fonds étant fieffé sous condition que le fieffataire & ses hoirs
payeront à un étranger & à ses successeurs vingt sols de rente
annuellement, le fieffeur & ses descendans ont droit de rentrer dans le
fonds, si la rente n'est pas payée, quoique cette rente n'en soit pas
proprement une, puisqu'elle n'est ni _Rente-service_, ni _Rente-charge_
ni _Rente-seche_, mais parce qu'elle est une condition à laquelle le
droit de retour du fonds est attaché. Cependant le refus de payement
fait au créancier d'une semblable rente ne lui donne point la faculté de
se pourvoir par Assise de nouvelle dessaisine; car cette rente n'a point
été dans son origine affectée sur le fonds, & d'ailleurs si le fieffeur
ou ses descendans rentrent en ce fonds, ce fonds est pour toujours
déchargé de cette rente.

 Une pareille rente n'est donc par sa nature qu'une condition imposée
au tenant, en vertu de son Contrat, & sans l'exécution de laquelle il
perd sa possession; d'où il suit que c'est au domicile du créancier de
la rente qu'on doit en faire le payement lorsqu'il n'y a point de lieu
déterminé pour le faire.

_REMARQUE._

(a) _Ils perdront lour terre._

De tous ces actes concernant la tenure _en mort-gage_, il résulte que le
Fieffataire sous condition étoit regardé comme _Bail_ ou _Gardien_ des
fonds qui lui avoient été fieffés, & que c'est pour cela qu'en Normandie
les Baux à fieffe n'ont jamais été sujets au Retrait féodal ni lignager,
à moins que le contrat par lequel ces baux étoient faits n'eût les
caracteres d'une véritable rente; c'est-à-dire, que la propriété n'en
parût irrévocablement aliénée. Ces textes prouvent encore que la
distinction entre les contrats de fieffe où il y a _soulte_ de deniers,
ou qui sont chargés d'une rente rachetable, est très moderne. Aussi
l'ancien Coutumier Normand n'en fait aucune mention.


*SECTION 346.*

*Et hic nota, _deux choses_, un est, que nul rent (que properment est
dit rent) poit estre reserve sur ascun feoffment, done, ou leas forsque
tantsolement al feoffor, ou al donor, ou al lessor, ou a lour heirs,
& en nul maner il poet estre reserve a ascun estrange person. Mes si
deux joyntenants font un leas per fait endent, reservant a un de eux
un certaine annual rent, ceo est assets bon a luy a que le rent est
reserve, pur ceo que il est privy a le lease & nemy estrange a le leas,
&c.*

SECTION 346.--_TRADUCTION._

1er. Il n'y a que le fieffeur, le donateur ou le cédant qui puissent
imposer sur un fonds une rente proprement dite; mais ils n'ont pas le
droit de la réserver à un étranger.

Cependant lorsque deux jointenans font un abandon par un acte
autentique, avec réserve d'une rente annuelle au profit de l'un d'eux,
cette réserve est valable, parce que le jointenant auquel la rente est
réservée a participé à l'abandon ou cession, & avoit droit sur le fonds.


*SECTION 347.*

*Le second chose est que nul entrie, ou re-entry (que est tout un) poit
estre reserve, ne done a ascun person forsque tantsolement al feoffor,
ou al donor, ou al lessor ou a lour heires: & tiel re-entrie ne poyt
estre grant a un auter person. Car si home lessa terre a un auter pur
terme de vie per indenture, rendant al lessor, & a ses heires certaine
rent, & pur default de payment un re-entry, &c. si apres le lessor per
un fait granta le reversion de la terre a un auter en fée & le tenant a
terme de vie atturna, &c. si le rent apres soit aderere, le grantee de
le reversion poit distreiner pur le rent, pur ceo que le rent est
incident a le reversion, mes il ne poit entrer en la terre, & ouste le
tenant, sicome l' lessor puissoit, ou ses heires, si le reversion ust
este continue en eux, &c. Et en cest case lentry est tolle a touts
temps. Car le grantee de le reversion ne poit entrer, _causa qua supra_.
Et le lessor, ne ses heires ne poyent enter. Car si le lessor puissoit
entrer, donques il covient que il serroit en son primer estate, &c. &
ceo ne poit estre, pur ceo que il ad alien de luy le reversion.*

SECTION 347.--_TRADUCTION._

2e. Nul droit d'envoi ou de renvoi en possession (ce qui est tout un)
ne peut être réservé ni donné qu'au fieffeur, au donateur ou au cédant &
à leurs successeurs, & ceux-ci ne peuvent le vendre.

En sorte que si quelqu'un, ayant cédé à un autre pour terme de vie un
fonds par acte autentique, à la charge par celui-ci de payer quelque
rente sous peine d'être dépouillé de la possession dudit fonds, vend à
un étranger le retour de la terre, ce ne peut être qu'autant que le
tenant à terme de vie agrée le transport du droit de reversion que
l'acquereur peut saisir sur le fonds pour le payement des arrérages de
la rente (car la rente est une dépendance de la reversion); mais cet
acquereur n'a pas droit de déposséder le détenteur du fonds. Il y a
plus, celui qui a vendu le droit de retour n'ayant plus droit d'user
d'envoi en possession, puisqu'il a aliéné ce droit, le fonds en est pour
toujours libéré.

_REMARQUE._

On découvre ici le germe de la faculté accordée en Normandie au Débiteur
de la rente fonciere d'en décharger son fonds lorsqu'elle passe en
d'autres mains qu'en celles du Seigneur du fonds, ou des héritiers du
propriétaire.[798]

[Note 798: Cout. Réform. art. 501.]


*SECTION 348.*

*_Item_, si soyt Seignior & tenant, & le tenant fait un tiel lease pur
terme de vie, rendant a lessor & a ses heires tiel annuel rent, & pur
default de payment un re-entry, &c. si apres le lessor morust sans heire
durant la vie le tenant a terme de vie, per que le reversion devient al
Seignior per voy _descheat_, (a) & puis le rent de le tenant a terme de
vie soit aderere, le Seignior poet distreiner l' tenaunt pur le rent
arere: mes il ne poet entrer en la terre per force del condition, &c.
pur ceo que il nest pas heire al lessor, &c.*

SECTION 348.--_TRADUCTION._

Supposons un Seigneur & un tenant, & que le tenant cede sa tenure pour
terme de vie, à condition que le cessionnaire lui payera une rente par
chacun an, sous peine d'être dépossédé: en ce cas si le tenant qui a
aliéné décede sans héritiers, le Seigneur a par _escheat_ le retour de
la terre après la mort du cessionnaire à terme de vie; mais il ne peut
qu'user de saisie sur le fonds pour les arrérages de la rente, & non
user du droit d'envoi en possession, parce qu'il n'est pas héritier de
celui au profit duquel cette condition a été réservée.

_REMARQUES._

(a) _Escheat._

Ce terme peut se rendre en général en François par celui _d'échéance_, &
dans le cas particulier de cette Section, par le mot _deshérence_.
_Droite échéance_, dit l'ancien Coutumier, _est si come le Seigneur a
l'héritage de son home par deffault d'hoir qui soit échu de luy ou de
son lignage_. Ailleurs, _échéance par deshérence_ y est appellée
_escheance d'avanture_, & elle a lieu quand le Fief retourne au Seigneur
_par deffault d'hoir_, ou quand _cil qui le tenoit est damné_. _Car le
Fief qu'il tenoit revient, l'an passé, au Seigneur de qui il est
tenu._[799]

[Note 799: C. 25.]

C'étoit donc une condition tacite, inhérente à toute inféodation, qu'au
cas de ligne éteinte, le Seigneur recouvroit la propriété du Fief; &
lorsque les terres étoient en Franc-Aleu, ou relevoient directement du
Roi elles étoient de droit réunies au Fisc, quand personne n'avoit droit
d'y succéder.[800] Il y avoit cette différence entre le vassal qui
décédoit sans successeurs & celui qui étoit privé de successeurs par une
condamnation capitale & afflictive, que dans ce dernier cas, le Roi
tenoit l'héritage du condamné en sa main pendant un an & jour, & le
Seigneur n'y avoit aucun droit, si durant ce délai le condamné obtenoit
sa grace: mais après l'an le droit du Seigneur lui étoit acquis si
irrévocablement, qu'il jouissoit des fonds à perpétuité & malgré les
Lettres d'abolition du crime[801] que le Souverain accordoit dans la
suite au coupable. La suspension du droit du Seigneur, pendant un an,
n'avoit lieu que dans les crimes qui intéressoient l'ordre public. Ainsi
quand une fille mineure, étant sous la garde de son Seigneur, souffroit
qu'on la deshonorât, ce délit la privoit de son Fief dès l'instant que
le Seigneur avoit acquis une preuve juridique de son inconduite.[802]
Souvent le Seigneur éprouvoit des obstacles en sa prise de possession du
Fief de son vassal mort sans postérité: des particuliers se supposoient
légitimes successeurs du défunt, obtenoient un Bref du Roi pour forcer
le Seigneur à les reconnoître sous cette qualité; mais jusqu'à ce qu'ils
eussent clairement établi leur droit, le Seigneur jouissoit de la terre,
_quotiescumque dubitaverit Dominus de petente hereditatem utrum sit
rectus, an non; terram ipsam tenere poterit donec hoc constiterit_.[803]
Ceci suppose cependant que celui qui reclamoit l'héritage n'en avoit
point pris possession.

[Note 800: _Quoniam attach._ c. 48. _Reg. Majest._ L. 2, c. 55.]

[Note 801: _Quoniam attach._ c. 18.]

[Note 802: La Loi _Reg. Maj._ c. 49. Glanville, L. 7, c. 17, caractérise
cette inconduite par le mot _putagium_.]

[Note 803: _Reg. Maj._ L. 2, c. 55.]


*SECTION 349.*

*_Item_, si terre soit graunt a un home pur term de deux ans sur tiel
condition, que sil payeroyt al grantor deins les dits deux ans 40
markes, adonques il averoit la terre a luy & a ses heires, &c. en cest
case si le Grantee enter per force de le Grant sans ascun liverie de
seisin fait a luy per le grantor, & puis il paya al grantor les 40
markes deins les deux ans, uncore il nad riens en la terre forsque pur
terme des deux ans, per ceo que nul liverie de seisin a luy fuit fait al
commencement. Car sil averoit franktenement & fée en cest case, pur ceo
que il ad performe le condition donque il averoit franktenement per
force del prime graunt, lou nul livery de seisin de ceo fuit fait, que
serroit inconvenient, &c. Mes si le grantor ust fait livery de seisin al
grantee per force de la grant donque averoyt le grantee le franktenement
& le fée sur mesme le condition.*

SECTION 349.--_TRADUCTION._

Si l'on cede à quelqu'un un fonds pour deux ans, à condition que s'il
paye dans les deux ans quarante marcs, il aura le fonds pour lui & ses
hoirs. Dans le cas où le cessionnaire se met en possession du fonds sans
ensaisinement de la part du cédant, il ne peut tenir le fonds que
pendant deux ans, quand même il payeroit les quarante marcs avant
l'expiration de ce terme, parce que l'ensaisinement est une formalité
essentielle pour transmettre la propriété; & d'ailleurs, s'il en étoit
autrement, il arriveroit que le cessionnaire auroit la jouissance du
fonds en vertu de l'exécution de la condition, & la propriété sans
ensaisinement, ce qui seroit absurde; car les formes prescrites pour
acquerir la propriété & la jouissance sont différentes, & afin que la
propriété & la jouissance soient une suite de la même condition, il faut
& que cette condition soit effectuée & que l'ensaisinement ait suivi le
Contrat.


*SECTION 350.*

*_Item_, si terre soyt grant a un home pur terme de 5 ans forsque
condition, que sil pay al grantor deins les deux primers ans, 40 markes,
que adonque il averoit fée ou auterment forsque pur term de les 5 ans, &
liverie de seisin est fait a luy per force de le graunt, ore il ad fée
simple conditionell, &c. Et si en ceo case le grauntee ne paia my al
grantor les 40 markes deins les primers deux ans, donques immediate
apres mesmes les deux ans passes, le fée & le franktenement est, & serra
adjudge en le grantor, pur ceo que le grantor ne poet apres les dits
deux ans maintenant enter sur le grauntee, pur ceo que le grauntee ad
uncore titl' per trois ans daver occupier la terre per force de mesme l'
grant. Et issint pur ceo que le condition del part le grantee est
enfreint, & le grauntor ne poet entrer, la Lay mittera l' fée & le
franktenement en le grantor. Car si le grantee en cest case fait Wast
donques apres le enfrender de le condition, &c. & apres les deux ans, le
grantor avera son briefe de Wast. Et ceo est bone proof adonque que le
reversion est en luy, &c.*

SECTION 350.--_TRADUCTION._

Si une terre est cédée à un homme pour cinq ans, sous la condition que
s'il paye quarante marcs dans les deux premieres années, il aura le fief
en propriété, & que s'il ne paye point dans ce terme, il n'aura que la
jouissance de ce fief pour cinq ans; la tenure du cessionnaire en ce cas
est en fief simple conditionnel, pourvu que l'ensaisinement ait suivi la
cession: & en conséquence si le cessionnaire ne paye point les quarante
marcs dans le délai convenu, celui qui a cédé le fonds peut s'en faire
ajuger, immédiatement après ce délai, la propriété & la jouissance; mais
cette jouissance ne peut lui appartenir qu'après trois ans, temps auquel
il a le droit d'entrer sur le fonds; l'infraction de la condition de
la part du cessionnaire ne lui imposant d'autre peine que celle d'être
privé de la faculté qu'il avoit de devenir propriétaire, sans annuller
la cession qui lui a été faite pour cinq ans de la jouissance. La preuve
que le défaut d'exécution de la convention opere le retour du fonds &
de la jouissance en faveur du propriétaire se manifeste par le Bref
de _Wast_, que ce dernier peut obtenir pour se plaindre & obtenir un
Jugement de degradations que le tenant auroit commises durant les deux
premieres années.


*SECTION 351.*

*Mes en tiels cases de feoffment sur condition lou le feoffor poit
loyalment entrer per le condition enfreint, &c. la le feoffor nad le
franktenement devant son entrie, &c.*

SECTION 351.--_TRADUCTION._

Ainsi c'est une maxime générale à l'égard des inféodations
conditionnelles, que lorsque ces sortes d'inféodations ne sont pas
effectuées, le fieffant a droit de rentrer dans le fonds, mais de
maniere qu'il n'a de vraie possession que du moment qu'il a dépossédé
son tenant.


*SECTION 352.*

*_Item_, si feoffment soit fait sur tiel condition, que l' feoffée
donera le terre al feoffor, & a la feme del feoffor, aver & tener a eux,
& a les heires de lour deux corps engendres, & pur default de tel issue,
le remainder al droit heires le feoffor. En ceo cas si l' baron devy
vivant la feme devant ascun estate en le taile fait a eux, &c. donques
doit le feoffée per la ley faire estate a la feme cy pres le condition,
& auxy cy pres lentent de le condition que il poit faire, cestascavoir,
de lesser la terre al feme pur terme de vie sans impeachment de wast,
l' remainder apres son decease a les heires de corps sa baron de luy
engendres, & pur default de tiel issue, le remainder as droit heires le
baron. Et la cause pur que le lease serra en cest cas a la feme sole
sans impeachment de wast, est pur ceo que le condition est, que lestate
serra fait al baron & a sa feme en taile. Et si tiel estate ust este
fait en le vie le baron, donques apres le mort le baron el ust ewe
estate ent en le taile: quel estate est sans impeachment de wast. Et
issint il est reason, que cy pres que home poit faire estate a lentent
de condition, &c que il serroit fait, &c. coment que el ne poit aver
estate en taile sicome el puissoit aver si le done en le taile ust estre
fait a sa baron & a luy en le vie sa baron.*

SECTION 352.--_TRADUCTION._

Si une inféodation est faite à cette condition que le fieffeur donnera
sa terre à un homme & à sa femme, ainsi qu'aux enfans qu'ils auront
ensemble, parce que s'ils n'ont pas d'enfans, les héritiers du mari
succéderont. Dès-lors le fieffataire décédant avant sa femme, sans
enfans sortis de l'un & de l'autre avant que l'acte de cession de la
terre ait été fait, le Seigneur doit faire Contrat à la femme le plus
conforme qu'il est possible à la condition, c'est-à-dire, pour sa vie,
sans réserver contr'elle aucune action pour dégradations; & après la
mort de cette femme, les enfans que son époux aura eus d'une autre, ou
à leur défaut les héritiers de ce dernier auront le fonds à titre de
_fief à tail_. La raison pour laquelle la cession à vie sera faite en
ce cas à la femme, sans réserve d'action de _Wast_ ou de dégradation,
c'est que la convention porte que le fieffeur donnera _état en tail_
à l'homme & à sa femme, & que si l'acte en eût été passé du vivant du
mari, la femme auroit tenu sa terre _en tail_ ou avec les priviléges des
fiefs conditionnels: or, un de ces priviléges consiste à n'être point
assujetti _au Bref de Wast_. Et ainsi il est raisonnable que la femme
ait un état le plus conforme qu'il est possible à celui que les Parties
ont eu en vue lors de la convention, quoiqu'elle ne puisse pas avoir
tous les avantages que la tenure à tail lui auroit procurés, si son mari
avant son décès avoit joui de la terre à ce titre.

_REMARQUE._

Cette disposition est une suite de la maxime contenue en la Section 28.


*SECTION 353.*

*_Item_, en cest case si le baron & la feme ont issue, & deviont devant
le done en le taile fait a eux, &c. donques le feoffée doit faire estate
al issue & a les heires de corps son pere & son mere engendres, & pur
default de tiel issue le remainder a les droit heires le baron, &c. Et
mesme la Ley est en auters cases semblables. Et si tiel feoffée ne voet
faire tiel estate, &c. quaunt il est reasonablement requise per eux
que devoyent aver estate per force de le condition, &c. donque poet le
feoffor ou ses heires entrer.*

SECTION 353.--_TRADUCTION._

Dans l'espece de convention dont on vient de parler, si l'homme & la
femme ont des enfans, & meurent avant que l'acte de cession de la terre
à tail ou condition soit faite, le fieffeur doit le passer au profit des
enfans du défunt ou des héritiers de ce dernier; s'il ne laisse pas
d'enfans, dans le cas de refus de la part du fieffeur de passer le
Contrat, après en avoir été régulierement requis, les héritiers du
fieffataire peuvent se mettre en possession du fonds.


*SECTION 354.*

*_Item_, si feoffment soit fait sur condition que le feoffée
re-infeoffera plusors homes a aver & tener a eux & a lour heires a touts
jours, & touts ceux que devoient aver estate moront devant ascun estate
fait a eux, donque doit l' feoffée faire estate al heire celuy que
survesquist de eux, a aver & tener a luy & a les heires celuy que
survesquist.*

SECTION 354.--_TRADUCTION._

Si l'inféodation est faite sous la condition que le fieffeur donne le
fonds à plusieurs, tant pour eux que pour leurs hoirs à perpétuité; dans
le cas où tous ceux qui auroient accepté cette condition décederoient
avant qu'elle fût exécutée, le fieffeur seroit obligé de passer son
Contrat à leurs héritiers, tant pour eux que pour leurs descendans.


*SECTION 355.*

*_Item_, si feoffment soit fait sur condition, denfeoffer un auter, ou
de doner en tail' a un auter, &c. si l' feoffée devant l' performance
del condition enfeoffa un estranger, ou fait un lease pur terme de vie,
donques poet l' feoffor & ses heires entrer, &c. pur ceo que il ad luy
mesme disable de performer le condition, entant que il ad fait estate a
un auter, &c.*

SECTION 355.--_TRADUCTION._

On fait quelquefois une inféodation sous la condition que l'on donnera
le fonds à fief simple à l'un, & _à tail_ à un autre. Si le fieffeur,
dans cette espece, donne avant la condition exécutée ce même fonds à un
étranger pour terme de vie ou en propriété, le fieffataire & ses hoirs
peuvent entrer sur la terre, &c. parce que le fieffeur s'est lui-même
mis dans l'incapacité de concourir à l'exécution de la condition,
puisqu'il a pris des engagemens avec un étranger: engagemens qu'il ne
peut lui-même rétracter.


*SECTION 356.*

*En mesme le manner est, si le feoffée davant le condition performe
lessa mesme la terre a un estranger pur terme des ans, en cest case le
feoffor & ses heires poyent entrer, &c. pur ceo que le feoffée ad luy
disable de faire estate de les tenements accordant a ceo que estoit en
les tenements, quant estate ent fuit fait a luy. Car sil voile faire
estate de les tenements accordant a le condition, &c. donques poit le
lessee pur terme dans enter & ouste mesme celuy a que lestate est fait,
&c. & occupier ceo durant son terme.*

SECTION 356.--_TRADUCTION._

Il en est de même si le fieffeur avant la condition exécutée laisse sa
terre à un étranger pour terme d'ans; à ce moyen, en effet, le
fieffataire & ses héritiers peuvent y entrer, &c. parce que le fieffeur
s'est mis hors d'état lui même d'investir le fieffataire des tenemens,
puisqu'il a transporté à un autre le droit qu'il y avoit, & que s'il
vouloit effectuer sa premiere convention, celui à qui il auroit donné sa
terre à terme d'ans auroit droit, ce qui seroit absurde, & d'en exclure
celui à qui la cession de la propriété ou de l'usufruit auroit été
promise auparavant, & d'en jouir pour le nombre d'années qui lui auroit
été prescrit par le Contrat.


*SECTION 357.*

*Et plusors ont dit que si tiel feoffement soit fait a un home sole sur
mesme le condition, & devant que il ad performe mesme la condition il
prent feme, donques le feoffor & ses heires maintenant poyent entrer,
pur ceo que sil fesoit estate accordant a la condition, & puis morust,
donques la feme serra endowe, & poit recover sa dower per briefe de
dower, &c. & issint per le prisel del feme les tenements sont mis en un
auter plist que ne fueront al temps del feoffment sur condition, pur ceo
que adonques nul tiel feme fuit dowable, ne serroit dowe per la ley,
&c.*

SECTION 357.--_TRADUCTION._

Plusieurs ont pensé que si quelqu'un se marioit après avoir fait une
inféodation semblable aux précédentes, c'est-à-dire, sous la même
condition, le fieffeur & ses hoirs pourroient se mettre eux-mêmes en
possession du fonds; parce que s'ils souffroient que le fieffeur les en
saisit étant marié, sa femme, s'il mouroit, auroit droit de demander, en
vertu d'un Bref, son douaire; mais comme le propriétaire en se mariant
donne au fonds un état différent de celui que ce fonds avoit lors de la
promesse d'inféoder, l'acquereur est autorisé par la Loi de priver la
femme de son douaire en entrant sur les fonds de sa propre autorité.


*SECTION 358.*

*En mesme le manner est, si le feoffée charge la terre per son fait
dun rent charge devant le performance del condition, ou soit oblige en
un estatute de le Staple, ou _statute Merchant_, (a) en tielx cases le
feoffor & ses heires poyent entrer, &c. _Causa qua supra._ Car quecunque
que venust a les tenements per le feoffment de le feoffée, eux covient
estre liables, & estre mis en execution per force de lestatute Merchant,
ou de statute del Staple, _Quære._ Mes quant le feoffor ou ses heires,
pur les causes avantdits, averont entrer, come ils devoyent, come il
semble, &c. donques touts tiels choses que devant tiel entrie puissent
troubler ou encumber les tenements issint dones sur condition, &c. quant
a mesmes les tenements sont ousterment defeats.*

SECTION 358.--_TRADUCTION._

Il en seroit de même si le fieffataire affectoit sur la terre une
Rente-charge avant d'exécuter la condition ou avant que de contracter
une société pour fait de Commerce; car le fieffeur & ses héritiers, en
ce cas, devroient eux-mêmes rentrer dans le fonds, parce que s'ils
attendoient que le fieffataire le leur rétrocédât, ils seroient tenus de
ses engagemens envers ses associés; au lieu que le fieffeur & ses
héritiers reprenant de leur propre autorité la terre, personne ne peut
les en dépouiller. Les obligations du fieffataire sous condition qui
auroient pu avant leur entrée sur le fonds leur être opposées,
deviennent, en effet, de ce moment, sans force à leur égard.

_REMARQUES._

(a) _Statute Merchant._

Il est présumable que l'usage des Sociétés pour fait de Marchandises
dont notre Auteur parle ici, ne s'est introduit, en Normandie & en
Angleterre, qu'après que les Loix civiles eurent pénétré dans ce dernier
Royaume, & que c'est delà que la plupart des différends qui s'y élevent
entre les Commerçans, y sont encore actuellement jugés par le Droit
Romain.[804] Pour connoître combien ces Sociétés ont contribué aux
progrès du commerce, jettons un coup d'œil sur son état dans les
premiers âges de ce Royaume, & au temps de la conquête de Guillaume le
Bâtard. L'usure étoit si odieuse sous nos Rois des deux premieres Races,
que tout ce qui en avoit l'apparence étoit proscrit avec la derniere
rigueur. Les Ecclésiastiques interdisoient, pour cette raison, le
commerce aux Pénitens, ils le croyoient incompatible avec une exacte
probité. Les Loix civiles étoient moins séveres: elles permettoient
d'acheter & de profiter sur la vente; mais elles vouloient en même temps
que la onzieme partie de ce gain fût consacrée au seul soulagement des
pauvres, & à l'entretien des Ministres de l'Eglise;[805] que toutes les
opérations de commerce cessassent le Dimanche.[806] Durant la récolte ou
les vendanges, il n'étoit permis d'acheter des grains & du vin que pour
ses besoins: par-là les Laboureurs indigens n'étoient point exposés à
céder aux Marchands, à vil prix, leurs fruits & leurs denrées, & les
riches ne pouvoient en faire des amas pour les revendre à un prix
excessif dans les temps de disette. Il n'étoit défendu qu'aux Colons des
Métairies royales de se distraire de leurs travaux pour transporter
leurs denrées dans différens marchés;[807] les autres sujets pouvoient
vendre & acheter dans ces marchés, pourvu que ce fût en plein jour & en
présence de témoins. Les principales Marchandises qu'on y exposoit
consistoient en Vases d'or & d'argent, en Esclaves, en Bestiaux, en
Fourages, en Vivres dont les voyageurs avoient besoin dans leur route.
Les denrées que l'on transportoit d'une maison en une autre pour la
subsistance des familles, n'étoient point considérées comme des objets
de commerce, en conséquence toutes ces choses n'étoient point
assujetties au droit de passage appellé _Tonlieu_.[808] Le Roi avoit des
Officiers préposés à la perception de ce droit; ils jouissoient de
priviléges honorables, tels que de l'exemption du service
militaire:[809] s'ils excédoient leurs commissions; ils étoient
condamnés en la restitution & en de fortes amendes.[810] Le _Tonlieu_,
dès le regne du Roi Gontran, ne pouvoit être exigé que pour le passage
des Ponts anciennement construits sur des Rivieres que l'on ne pouvoit
traverser sans leur secours.[811] Les Bateaux qui étoient assez peu
considérables pour passer sous ces Ponts, ou qui ne s'approchoient point
du rivage, & qui conséquemment n'y déchargeoient rien, & ne pouvoient
être soupçonnés d'y avoir déchargé aucunes de leurs Marchandises, ne
devoient point le _Tonlieu_.[812] Il n'étoit dû ni par les Pélerins ni
par les Gens de guerre. Les Receveurs de ce droit tendoient quelquefois
des cordes à travers les Rivieres, ou y construisoient des Ponts sans
nécessité pour augmenter les droits, en multipliant la difficulté des
transports; souvent aussi ils supposoient que des Marchandises achetées,
pour être consommées par l'acheteur, étoient destinées à être vendues.
Les contestations qui s'élevoient à cet égard se discutoient en la Cour
du Roi, & on faisoit enquête de la vérité des faits, comme dans les
causes de particulier à particulier; le titre de Receveur des droits du
Roi ne suffisoit point alors pour rendre celui qui en étoit décoré plus
croyable qu'un homme libre.[813] Outre le _Tonlieu_ il y avoit des
droits établis sur les voitures & _les pieds-poudreux_, ou Commerçans
étrangers, pour les réparations des chemins; mais ces droits furent
anéantis sous le regne de Charlemagne.[814] Il paroît qu'alors cet
Empereur désiroit donner au commerce François plus d'étendue. Il
renouvella les permissions que plusieurs de ses Prédécesseurs avoient
accordées aux Marchands des autres Royaumes de venir trafiquer en France
avec les mêmes facilités dont les naturels du pays jouissoient.[815] Il
les honora à certains égards d'une protection particuliere; leurs causes
devoient être jugées sans délai:[816] on payoit une double composition
pour les outrages qu'on leur faisoit.[817] Les Juifs eurent aussi la
liberté du commerce, quoiqu'ils n'en usoient ordinairement que pour
dépouiller les Eglises de leurs ornemens les plus précieux. Ils
trouvoient, en effet, des Evêques, des Abbés