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Title: L'oeuvre du comte de Mirabeau Author: Mirabeau, Honoré-Gabriel Riqueti Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'oeuvre du comte de Mirabeau" *** by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) [Note concernant la transcription On a conservé l’orthographe de l’original, pour le texte français. On a néanmoins corrigé les erreurs manifestes d’impression. Les citations latines et surtout grecques ont dû être abondamment rectifiées, l’original étant truffé d’erreurs au point d’en devenir inintelligible (par exemple "Ex alii tui senta" au lieu de "Ex animi tui sententia") voire imprononçable (par exemple δζαγομὸ ζφς pour τραγομόρφοι).] LES MAITRES DE L’AMOUR L’ŒUVRE du Comte de Mirabeau Erotika Biblion avec annotations du Chevalier de Pierrugues La Conversion, ou le Libertin de qualité Hic et Hec, ou l’art de varier les plaisirs de l’amour Le Rideau levé, ou l’Éducation de Laure Le Chien après les Moines.--Le Degré des âges du plaisir INTRODUCTION, ESSAI BIBLIOGRAPHIQUE ET NOTES PAR +GUILLAUME APOLLINAIRE+ _Ouvrage orné d’un Portrait et d’un autographe hors texte_ PARIS BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX 4, RUE DE FURSTENBERG, 4 MCMXXI L’ŒUVRE DU COMTE DE MIRABEAU ==_Il a été tiré de cet ouvrage_== 10 exemplaires sur Japon Impérial= ==============1 à 10============== ====25 exemplaires sur Hollande=== ==============11 à 35============= Droits de reproduction réservés pour tous pays, y compris la Suède, la Norvège et le Danemark. [Illustration: MIRABEAU.] INTRODUCTION Il ne sera question ici ni de la vie publique ni de la vie privée de Mirabeau. Tout cela est trop connu. Qu’il suffise de dire qu’Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, naquit le 9 mars 1749 au château du Bignon, dans le Gâtinais orléanais (aujourd’hui Le Bignon-Mirabeau, arr. de Montargis, Loiret). Il mourut le samedi 2 avril 1791. D’excellents historiens ont projeté un jour éclatant sur les amours du grand tribun et de Sophie de Ruffey, la marquise de Monnier. On a donné une très grande partie de la correspondance des deux amants[1]. On n’a pas encore osé livrer au public les détails libres qui abondent, paraît-il dans les lettres de Mme de Monnier. Bon nombre de détails aussi libres figurent dans celle de Mirabeau. Arrêté le 14 mai 1777, l’amant de Sophie fut enfermé à Vincennes le 8 juin 1777 et n’en sortit que le 17 novembre 1780. Le marquis de Sade était au donjon depuis le 14 janvier de la même année. Mais Mirabeau semble avoir ignoré ce détail à cette époque et la lettre adressée à M. Le Noir, le 1er janvier 1778, témoigne de cette ignorance. «... Faut-il citer un de mes parents[2]? Pourquoi des crimes horribles et pour qui une prison perpétuelle est une grâce que toute la bonté du souverain pour leurs familles a eu peine à leur accorder, plusieurs scélérats de cette espèce, dis-je, sont dans des forts où ils jouissent de toute leur fortune, où ils ont une société très agréable et toutes les ressources possibles contre le mal-être et l’ennui inséparable d’une vie renfermée................................................ ... Faut-il citer un de mes parents[2]? Pourquoi non? La honte n’est-elle pas personnelle? Le marquis de Sade, condamné deux fois au supplice, et la seconde fois à être rompu vif, le marquis de Sade exécuté en effigie; le marquis de Sade dont les complices subalternes sont morts sur la roue, dont les forfaits étonnent les scélérats même les plus consommés; le marquis de Sade est colonel, vit dans le monde, a recouvré sa liberté et en jouit, à moins que quelque nouvelle atrocité ne la lui ait ravie... Vous me blâmeriez, Monsieur, si je m’avilissais jusqu’à mettre en parallèle M. de Railli[3], M. de Sade et moi; mais je me ferais cette question simple... De quoi suis-je coupable? De beaucoup de fautes sans doute; mais qui osera attaquer mon honneur?... Mon père; parce qu’il est le seul que je ne puisse pas repousser et couvrir d’infamie. Qu’il articule des faits et que ces faits me soient communiqués. Je l’ai demandé cent fois, mais il a trop beau jeu lorsqu’il parle seul pour changer de partie... Cependant, quelle différence de la situation des monstres que j’ai cités à la mienne? Je suis dans la prison du royaume la plus triste et la plus cruelle, à la considérer sous tous les aspects (je parle de celle destinée aux gens de ma sorte); j’y suis dans la plus extrême pénurie; dans l’isolement le plus absolu, je dirais le plus affreux, si vous n’étiez venu à mon aide...» Mais le marquis de Sade devait lui révéler sa présence et, le 28 juin 1780, Mirabeau écrit au premier commis de la police, l’agent Boucher, qu’il appelait son bon ange[4]: «... Monsieur de Sade a mis hier en combustion le donjon et m’a fait l’honneur en se nommant et sans la moindre provocation de ma part, comme vous le croyez bien, de me dire les plus infâmes horreurs. J’étais, disait-il moins décemment, le giton de M. de R...[5] et c’était pour me donner la promenade qu’on la lui ôtait. Enfin, il m’a demandé mon nom afin d’avoir le plaisir _de me couper les oreilles à sa liberté_. La patience m’a échappé et je lui ai dit: Mon nom est celui d’un homme d’honneur qui n’a jamais disséqué ni empoisonné des femmes, qui vous l’écrira sur le dos, à coups de canne, si vous n’êtes pas roué auparavant, et qui n’a de crainte d’être mis par vous en deuil sur la grève[6]. Il s’est tu et n’a pas osé ouvrir la bouche depuis. Si vous me grondez, vous me gronderez, mais par Dieu, il est aisé de patienter de loin, et assez triste d’habiter la même maison qu’un tel monstre habite.» Ces deux prisonniers, qui s’estimaient si peu, l’un traitant de _giton_ l’autre qui le considérait comme un monstre, devaient jouer un rôle prépondérant dans l’histoire de l’émancipation sociale et morale de l’humanité. Tous les deux passaient le temps, en prison, à écrire surtout des ouvrages licencieux. Mirabeau a composé à Vincennes un grand nombre d’ouvrages: _Des lettres de cachet et des prisons d’Etat_, 2 vol., _à Hambourg_ (Neufchâtel), en 1782. _Elégies de Tibulle avec des notes et recherches de mythologie, d’histoire et de philosophie; suivies des baisers de Jean Second; traduction nouvelle adressée du Donjon de Vincennes par Mirabeau l’aîné, à Sophie Ruffey, avec quatre figures. A Tours, chez Letourmy jeune et Compagnie, et à Paris, chez Berry, rue S. Nicaise, l’an 3 de l’Ere Républicaine_, 2 tomes, in-8º[7]. Il y a un troisième volume sans tomaison indiquée, avec ce titre: _Contes et nouvelles adressés du Donjon de Vincennes, par Mirabeau, à Sophie Ruffey. A Tours, chez Letourmy le jeune et Compagnie. A Paris, chez Deroy, libraire, rue Cimetière-André, nº 15, l’an 4 de l’ère républicaine_, avec cette épigraphe: _Nec si quid olim lusit Anacreon delevit aetas_. «La Chabeaussière, dit la _Biographie Michaud_, élevé avec Mirabeau, lui avait fait don du manuscrit de cette traduction, à laquelle il n’attachait aucune importance. Mirabeau se l’appropria en l’enrichissant d’additions et remaniant le style. La Chabeaussière revendiqua l’ouvrage lorsqu’il en vit le succès.» M. Paul Cottin (_loc. cit._) dit que «La Chabeaussière paraît avoir indûment réclamé la paternité» de cette traduction de Tibulle. M. Gabriel Hanotaux possède, paraît-il, un important manuscrit d’ouvrages de Mirabeau, écrit à Vincennes et recopiés par Sophie: poèmes, traduction des _Métamorphoses d’Ovide_, _Essai sur la liberté des anciens et des modernes_, etc. Mirabeau écrivit aussi à Vincennes un traité de _l’Inoculation_, une _grammaire_ et une _mythologie_ destinés à l’éducation de Mme de Monnier. Il traduisit aussi les contes de Boccace qu’il jugeait ainsi (_Lettre à Sophie_ du 28 juillet 1780): «Je crois en général que Boccace a été trop vanté; il a cependant du naturel et du comique. Mais quand on a lu ce qu’a fait en ce genre Hamilton, soit dans ses contes, soit dans les mémoires de Gramont, on n’aime plus aucun conteur.» Enfin, il y écrivit son _Erotika Biblion_ et ces ouvrages hardis que M. Pierre Louys, dans sa préface d’_Aphrodite_, appelle _les romans de Mirabeau_, c’est-à-dire _le Libertin de qualité_ et peut-être _Hic et Haec_. _Ma Conversion_ parut en 1783. Cet ouvrage, d’un genre tout nouveau, fut bientôt remarqué[8]. C’était la première fois sans doute que l’on faisait un personnage romanesque de l’homme qui vit aux dépens des femmes. Le roman était animé; assez grossier, il contenait des termes empruntés à l’argot spécial des brelans et des tavernes. Le libertinage affectait à chaque page des allures conquérantes. Don Juan levait des impôts dans le pays de Tendre et blasphémait avec une liberté réaliste encore nouvelle dans la littérature. Les _Mémoires secrets_ ne manquèrent point de signaler un livre aussi scandaleux et la mention qui est faite des estampes qui enrichissent le livre suffira à donner idée de l’ouvrage qu’on ne peut guère résumer. «_5 janvier 1785. Ma Conversion_, par M. D. R. C. D. M. F., c’est-à-dire par M. de _Riquetti_, comte de _Mirabeau_ fils. Tel est le titre de cet ouvrage qui, quoique imprimé dès 1783, n’a commencé à percer que vers la fin de l’année dernière. Il est, en effet, de nature à ne se glisser que lentement et dans les ténèbres. Il est précédé d’une _Épître dédicatoire à Monsieur Satan_. On peut juger par ce début quel doit être le fond du livre. Le frontispice l’annonce également. On y voit l’auteur à son bureau. _L’Amour_ et les _Trois Grâces_, transformées en _trois Garces nues_, vers lesquelles il se retourne, semblent guider sa plume. On dirait que le _Diable_, en face, n’attend que le moment de recevoir l’hommage de cette production, et _Mercure_ se dispose à la publier. Au haut est un médaillon où l’on lit: _Ma Conversion_. Et au bas, pour légende: _Auri sacra fames_. Cinq autres estampes enrichissent et développent le sujet. La première roule sur le début du héros, qui commence par une financière payant bien. Il est peint l’excitant vigoureusement et ne voulant la satisfaire que lorsque l’or paraît. Au bas, on lit: _Voyez son cul, comme il bondit!_ La seconde a pour titre: _La dévote_, avec cette exclamation: _Ah! mon doux Jésus!_ C’est le plaisir qui la lui arrache, on le juge à son attitude avec son amant. Un crucifix devant elle, un tableau de la Vierge caractérisent une dévote. _Agnès_ est la troisième estampe, et le mot: _Je déchire la nue_. C’est une novice que le libertin introduit dans un couvent de débauche: en lui donnant une leçon de musique, elle se précipite elle-même tout en pleurs dans ses bras et est enf..... _Elle vit du pays_ sert de légende à la quatrième. C’est une _Baronne campagnarde_ qu’il éduque et à laquelle il apprend toutes les postures et toutes les manières de le faire. La dernière estampe peint une orgie effroyable, où brille un moine. Elle est couverte d’un rideau qu’entr’ouvre le _Roué_. Plus bas est une autre orgie fort enveloppée, qu’on suppose des tribades d’après sa description, et le tout est terminé par ces mots: _Le rideau cache les mœurs_. On ne sait si l’ouvrage est réellement de celui qu’indiquent les lettres initiales: mais malheureusement il est assez bien fait pour qu’on soit tenté de le croire.» _La Correspondance littéraire, philosophique et critique_, par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc., émettait aussi des doutes sur l’attribution qu’on faisait de _Ma Conversion_ à Mirabeau. «_Ma Conversion_, par M. D. R. C. D. M. F., avec figures en taille-douce, première édition, dédiée à Satan. Nous ne nous permettons de transcrire ici le titre de cet infâme livre que pour annoncer à nos lecteurs que, quoique attribué au fils de M. le marquis de Mirabeau, auteur de l’ouvrage sur _Les lettres de cachet et les prisons d’État_, nous ne pouvons nous résoudre à croire qu’il soit de lui. C’est un code de débauche dégoûtante, sans verve, sans imagination, et il ne paraît pas croyable qu’un homme d’esprit ait avili sa plume à cet excès sans laisser même soupçonner l’espèce d’attrait qui aurait pu séduire son talent.» Et M. Tourneux, qui a donné (Garnier, 1880) une édition de la _Correspondance littéraire_, ajoute en note: «Les initiales qui figurent sur l’une des éditions et que reproduit Meister signifient: M. de Riquetti, comte de Mirabeau fils. Néanmoins, il est très probable que le grand orateur n’a pas plus écrit _Ma Conversion_ que les autres romans obscènes qu’on lui a attribués. On ne peut porter à son actif que _l’Erotika Biblion_, dont il se déclare implicitement l’auteur dans une lettre à Sophie de Monnier.» Cependant, le doute n’est pas possible. Mirabeau a écrit aussi bien _Ma Conversion_ que _l’Erotika Biblion_. Les trois lettres du 21 février, du 5 et du 26 mars 1780 le démontrent assez. Le 21 février, Mirabeau écrit à Sophie: «Ce que je ne t’envoie pas, c’est un roman tout à fait fou que je fais et intitulé _Ma Conversion_. Le premier alinéa te donnera une idée du sujet et t’apprendra en même temps quelle fidélité je te prépare: Jusqu’ici, mon ami, j’ai été un vaurien; j’ai couru les beautés; j’ai fait le difficile; à présent, la vertu rentre dans mon cœur; je ne veux plus ..... que pour de l’argent; je vais m’afficher étalon juré des femmes sur le retour et je leur apprendrais à jouer du ... à tant par mois. Tu ne saurais croire combien ce cadre, qui ne semble rien, amène de portraits et de contrastes plaisants; toutes les sortes de femmes, tous les états y passent tour à tour; l’idée en est folle, mais les détails en sont charmants et je te le lirai quelque jour, au risque de me faire arracher les yeux. J’ai déjà passé en revue la financière, la prude, la dévote, la présidente, la négociante, les femmes de cour, la vieillesse. J’en suis aux filles; c’est une bonne charge et un vrai livre DE MORALE.» Le 5 mars, Mirabeau reparle avec complaisance de son roman: «Mon amie si bonne, nous sommes fort arriérés; mais je travaille tant que, j’espère, nous aurons bientôt de l’argent. _Tibulle_ va être livré, les _Contes_ et les _Baisers_ le sont; Boccace est entre mes mains, et _Ma Conversion_ avance. Je fais, pour ce roman qui est absolument neuf et qui, si j’étais libraire, ferait ma fortune, des sujets d’estampes qui ne ressembleront à aucunes et seront, je m’en flatte, très jolies. Comptez sur mes bontés, madame; je daignerai vous réserver toujours quelques bons moments, et si je fais beaucoup pour ma bourse, je ferai aussi _quelque chose_ pour mon cœur. Si tu veux passer sur des mots un peu fermes et sur des peintures très libres, mais très vraies de nos mœurs, de notre corruption, de notre libertinage, je t’enverrai ce roman, qui est moins frivole que l’on ne croirait au premier coup d’œil. Depuis les femmes de cour, qui y sont cavées à fond, j’ai fini les religieuses et les filles d’opéra; j’en suis, par occasion, aux moines; de là je me marierai, puis je ferai peut-être un petit tour aux enfers (où je coucherai avec Proserpine) pour y entendre de drôles de confessions..... Tout ce que je puis te dire, c’est que c’est une folie singulièrement neuve et que je ne puis relire sans rire.» Enfin, le 26 mars Mirabeau annonce à Sophie qu’il lui envoie _Ma Conversion_: «Quant au manuscrit que tu demandes, je l’envoie au bon ange, avec prière de te le faire passer. Garde-le le moins que tu pourras. Je ne puis y joindre ni la seconde partie, ni la feuille que j’ai retirée du corps de l’ouvrage. Ce sont des choses de nature à ce que M. B... ne puisse les passer. Hélas! mon amie, c’est en prison qu’on a besoin de se battre les flancs pour être gai et de se forcer à l’être. Sans cela, on serait bientôt découragé et mort ou fou. Au reste, _Ma Conversion_ est beaucoup plus plaisante que _Parapilla_[9]. C’est, sous une écorce très polissonne, une peinture vivante et même assez morale de nos mœurs et de celles de tous les États. Les femmes de cour, les religieuses et les moines y sont surtout traités à souhait.» P. Manuel, dans sa préface aux _Lettres de Mirabeau_ (_loc. cit._), dit emphatiquement que l’amant de Sophie «fut réduit à broyer les couleurs de l’Arétin. Et alors parut _Le Libertin de qualité_; on ne concevrait pas comment un apôtre de la volupté, le disciple le plus ingénieux qu’ait jamais eu Épicure, qui prêchait si bien que l’Amour perdrait tout à être nu s’il était sale, et que la pudeur doit survivre même à la chasteté, a pu employer les couleurs dégoûtantes du vice; si, dupe de son imagination qui montrait à sa philanthropie, à travers des sentiers fangeux, un but moral, il ne s’était pas persuadé à lui-même que pour peindre les vices, il fallait les saisir sur le fait et que pour apprendre à des courtisans et à des moines où était la gangrène, la putridité de leurs mœurs, il fallait, sous peine de n’être pas lu, parler le langage des bordels et des halles. _Ma Conversion_ est l’image des débauches de _l’Ile de Caprée_. Était-ce à lui de tenir le pinceau de Pétrone? Tout au plus devait-il se permettre _l’Erotika Biblion_. Là, du moins, avec toute l’érudition de l’Académie des sciences, il couvre des exemples sacrés de l’antiquité les parties honteuses de nos modernes Sardanapales.» La même année que _Ma Conversion_ parut _l’Erotika Biblion_. Mirabeau l’avait achevé en 1780. Le 21 octobre de cette année, il écrit à Sophie: «... Je comptais t’envoyer aujourd’hui, ma minette bonne, un nouveau manuscrit très singulier, qu’a fait ton infatigable ami, mais la copie que je destine au libraire de M. B... n’est pas finie; et t’ôter à l’avenir l’original, ce serait l’interrompre pour longtemps[10]. Ce sera pour la prochaine fois. Il t’amusera: ce sont des sujets bien plaisants, traités avec un sérieux non moins grotesque, mais très décent. Croirais-tu que l’on pourrait faire dans la Bible et l’antiquité des recherches sur l’onanisme, la tribaderie, etc., etc., enfin sur les matières les plus scabreuses qu’aient traitées les casuistes et rendre tout cela lisible, même au collet le plus monté et parsemé d’idées assez philosophiques?» Il faut noter en passant qu’_Errotika_ était une faute d’impression qui persiste dans un certain nombre d’éditions de l’ouvrage. Le manuscrit autographe de Mirabeau a appartenu à M. Solar et a été vendu 150 francs. Il était in-4º. _L’Erotika Biblion_ est un monument d’impiété très singulier. C’est le fruit des lectures de Mirabeau dans sa prison. Il y lisait avec curiosité et non sans plaisir des ouvrages d’érudition sacrée, d’exégèse biblique: «Avec les rognures des commentaires de Don Calmet, dit un biographe, il composa _l’Erotika Biblion_, recueil de gravelures, où sont signalés les écarts de l’amour physique chez les différents peuples anciens et particulièrement chez les Juifs et dans lequel, du moins, l’originalité compense l’obscénité de la matière.» La première édition parut à Neufchâtel selon les uns, à Paris selon d’autres. On a assuré qu’il ne se répandit que quatorze exemplaires de la première édition, saisie en presque totalité par la police. Il paraît que l’édition de 1792 fut également traquée, mais un certain nombre d’exemplaires passa à l’étranger. Il en vint même à Rome et le livre fut mis à l’index le 2 juillet 1794. Le décret qui condamne l’ouvrage en traduit agréablement en latin le titre grec: «Erotika Biblion, _id est_: Amatoria Bibliorum.» A propos de _l’Erotika Biblion_, Lemonnyer[11] cite cet _Article découpé d’un journal de l’époque_: «_20 août._ Il paraît un livre nouveau dont le titre seul est effrayant: il porte _Errotika Biblion_. A Rome, de l’imprimerie du Vatican, 1783, volume in-8º. Son objet est de prouver que, malgré la dissolution de nos mœurs, les anciens étaient beaucoup plus corrompus que nous, et l’auteur le fait méthodiquement et par une comparaison suivie, à commencer depuis les Juifs compris, ce qui s’établit à leur égard par des citations des livres saints qui ne sont pas fort édifiantes. De là une érudition immense et les tableaux les plus licencieux plus forts que ceux du _Portier des Chartreux_. Ce livre est fort rare: on prétend qu’il n’y en a eu que quatorze exemplaires distribués dans Paris, et que le reste a été saisi par la police.» Lemonnyer cite encore un _autre article_: «_28 novembre 1783._ _L’Errotika Biblion_ n’a qu’environ 18 feuilles d’impression in-8º et est subdivisé en dix titres d’un seul mot, qui ne sont pas plus intelligibles au commun des lecteurs. Ils formeront comme autant de chapitres séparés, dont la liaison a peine à se découvrir, mais dont le but général est assez celui indiqué de prouver que les anciens nous surpassaient infiniment du côté de la corruption des mœurs: ils sont, dans leur brièveté, remplis de recherches savantes et même infiniment curieuses, qui rendent l’ouvrage aussi érudit qu’agréable. L’auteur, outre le talent de posséder parfaitement les langues mortes, a celui d’écrire très bien la sienne, de plaisanter légèrement et de singer souvent Voltaire; dans les tableaux très sales qu’il présente parfois, il se sert toujours d’expressions honnêtes ou techniques; du reste, il paraît fort versé dans l’art des voluptés et en donne des leçons que lui envieraient les _Gourdans_ et les _Brissons_, en un mot les plus experts en ce genre. Les éditeurs annoncent dans un _avis_ qu’ils ont du même auteur d’autres manuscrits du même mérite et d’un intérêt non moins piquant, et ils promettent de les livrer incessamment au public; on ne peut que le désirer avec avidité.» La préface de l’édition de 1833, dite édition du chevalier de Pierrugues (v. Essai bibliographique), contient un excellent résumé de l’ouvrage. Ce résumé sous forme de commentaire ne saurait manquer d’intéresser les curieux et amateurs de lettres. Le voici: «Dans le chapitre par lequel il ouvre son écrit immortel, Mirabeau, avec cette finesse d’esprit et ce talent d’observation admirable, ridiculise le système absurde de tous les sectateurs qui, marchant sur les traces de Shackerley, prétendraient, comme le philosophe Maupertuis, soutenir que le phénomène étonnant, cette bande circulaire solide et lumineuse qui entoure à une certaine distance le globe ou l’anneau de Saturne dans le plan de son équateur, que découvrit Galilée en 1610, _était autrefois une mer; que cette mer s’est endurcie et qu’elle est devenue terre ou roche; qu’elle gravitait jadis vers deux centres et ne gravite plus aujourd’hui que vers un seul_. Il sape ainsi par leur base les vaines théories des hommes sur les lois de la nature, qu’ils nous présentent comme d’incontestables vérités et qui, dans le fond, ne sont que les extravagantes rêveries de leur cerveau. Passant ensuite au chapitre de _l’Anélytroïde_, après avoir résumé en peu de mots l’histoire merveilleuse de la création, dont il attaque la physique avec cette justesse d’esprit qui lui est propre, il fait ressortir, en critique judicieux, toutes les absurdités fabuleuses de nos théologiens qui prétendent tout expliquer, parce qu’ils raisonnent sur tout, et il démontre combien il est ridicule de soutenir, comme les canonistes de toutes les époques, que tous les moyens propres à faciliter la propagation de l’espèce humaine n’ont en eux-mêmes rien que d’honnête et de décent, dès qu’ils conduisent à cette destination. L’_Ischa_ nous étale avec pompe le chef-d’œuvre par lequel l’architecte de l’univers a clos son sublime ouvrage, cette âme de la reproduction, la femme, dont la faiblesse organique indique, il est bien vrai, combien elle est inférieure en puissance à l’homme, mais qu’une éducation virile et libérale, au lieu d’une instruction nécessairement superficielle qu’on lui donne aujourd’hui, assimilerait davantage à la nature de l’homme, qu’elle égale en perfectionnement, et lui ferait participer avec une parfaite égalité de droits à la jouissance de la vie civile. Plus énergique, mais non moins éloquent, c’est dans la _Tropoïde_ que le talent inimitable de Mirabeau prend un nouvel essor pour s’élever aux plus hautes pensées. Vivant dans un temps où la corruption d’une cour offrait à la méditation du philosophe le tableau le plus saillant et le plus hideux d’une dissolution sans exemple, il porte le flambeau de l’investigation sur celle d’un peuple d’une autre époque beaucoup plus reculée de nous, et les comparant ensemble, il démontre avec une admirable vérité que l’espèce humaine, dont les facultés morales ont une connexion si intime avec ses facultés physiques, est susceptible d’une perfectibilité qui se développe par les lumières de l’observation et de l’expérience et qui s’augmente successivement avec les progrès de la civilisation. Il prouve que si des nuances plus ou moins caractéristiques distinguent si diversement tous les peuples de la terre, il faut l’attribuer à l’influence du sol qu’ils habitent et aux institutions politiques qui leur sont imposées, soit par des despotes qui les gouvernent d’après leurs vices et leurs vertus, soit par des conquérants qui les modèlent sur leurs propres mœurs et les climats qu’ils ont quittés. Le _Thalaba_ nous fait voir l’homme dans toute la turpitude d’un vice infâme, lorsque, subjugué par son tempérament, il ne puise pas assez de forces dans son âme pour résister à un dérèglement qui non seulement le dégrade à ses propres yeux, mais brise entre ses mains la coupe de la vie, si pleine d’avenir, avant de l’avoir épuisée. _L’Anandryne_ sert de pendant au tableau heureux du Thalaba et nous représente, dans la femme, l’épouvantable vice qu’il a critiqué dans l’homme. Il nous fait voir dans quel degré d’abjection peut tomber un sexe aimable, si bien fait pour plaire, lorsqu’il a franchi les bornes de la pudeur[12]. Après avoir établi d’une manière admirable que l’influence de la reproduction de notre espèce étend ses droits sur tous les hommes en général, que la violence de l’amour sous un climat constamment brûlant n’est point la même que dans les pays septentrionaux, et que la nature procède à la reproduction _par des moyens particuliers et propres à chacun_, Mirabeau, par une transition heureusement amenée, critique, dans l’_Akropodie_, une des institutions les plus bizarres et les plus singulières que jamais tête d’homme ait enfantées, je veux dire la circoncision. En passant en revue les motifs qui l’ont pu établir chez les Orientaux, il démontre victorieusement qu’une observance religieuse quelconque qui n’aurait pas pour base les lois de la morale et de la nature ne peut servir qu’à tenir dans un avilissement perpétuel le peuple qui la pratiquerait. Le _Kadesch_ confirme ces réflexions et prouve avec évidence que l’homme, une fois livré à ses désirs immodérés, à ses seules passions, sans frein ni retenue, doit nécessairement s’avilir, au point de méconnaître entièrement les sentiments de la pudeur et sa propre dignité. Et conduisant comme dans un cloaque d’impuretés, il développe dans _Béhémah_ cette triste vérité que l’homme, n’écoutant plus la raison dont il est partagé, poussera bientôt ses folies jusqu’aux plus monstrueuses insanies, et ombragera la nature en faisant injure à la beauté, sans crainte de se ravaler au-dessous de la brute même. Dans un chapitre de _l’Anoscopie_, Mirabeau nous expose au grand jour l’homme, depuis le berceau du monde, toujours le jouet des adroits charlatans qui, abusant sans pitié de sa crédulité et établissant leur empire sur les qualités surnaturelles qu’ils affectent, mais ne possèdent pas, ont prétendu dévoiler les secrets de l’avenir et connaître ceux que le passé tient cachés dans son sein. Il en conclut que le peuple sera la dupe de ces jongleurs aussi longtemps que les yeux seront couverts du bandeau de l’ignorance et de la superstition. Il couronne enfin son immortel ouvrage par la peinture énergique du tableau hideux des mœurs de toute l’antiquité, et, les mettant en parallèle avec les nôtres, il prouve combien la morale a fait de progrès immenses aujourd’hui, par la raison infiniment simple que la dépravation de l’homme est en raison du peu de développement de ses qualités intellectuelles et que plus il sera éclairé sur la dignité de son être et l’excellence de sa nature, moins il s’abandonnera à ses funestes passions qui finissent par enfanter le malheur. Si _Hic et Hec_ est réellement de Mirabeau, il faut croire qu’après l’avoir confié à un libraire, l’amant de Sophie fit la défense qu’on le publiât. Le grand tribun n’avait plus besoin de sa plume pour vivre. Le libraire conserva sans doute une copie du manuscrit et le fit paraître après la mort de Mirabeau. Ce charmant ouvrage n’est point indigne de l’auteur de l’_Erotika Biblion_ et de _Ma Conversion_. Il s’agit des aventures d’un élève des jésuites d’Avignon, qui après la dispersion de l’ordre est placé comme précepteur dans une famille bourgeoise, mais riche et accueillante. Les personnages appartiennent au monde ecclésiastique, à la noblesse. On trouve quelques anecdotes charmantes. Ce petit roman licencieux a été écrit avec une grâce et un esprit qui sont rares. Il a été pillé par l’auteur de _Mylord Arsouille_[13] qui parut avant lui, mais une copie de _Hic et Hec_ a pu fort bien tomber entre les mains du pamphlétaire peu scrupuleux qui publia la médiocre relation des plaisirs de lord Seymour, dont Mylord Arsouille était le surnom populaire. _Le Rideau levé ou l’Éducation de Laure_ est une sorte d’_Emile_ concernant les demoiselles. Mirabeau n’est pas l’auteur de cet ouvrage, qui aurait été écrit par un gentilhomme bas-normand, nommé le marquis de Sentilly. L’auteur, qui avait sans doute décidé d’abord de faire l’apologie de l’inceste, fut retenu bientôt par des considérations qui n’ont point embarrassé certains romanciers modernes. Laure, dont l’éducation morale aussi bien que sexuelle, doit être achevée par son père, apprend bientôt que l’homme qu’elle appelle _mon papa_ n’a en réalité avec elle aucun lien de parenté. C’était beaucoup trop de pudeur. L’auteur le comprit vite et n’hésita pas à faire intervenir plus loin l’inceste encore, mais sous l’aspect qui paraît moins révoltant: l’inceste de frère et de sœur. _Le Rideau levé_ est un ouvrage au-dessus de sa réputation. _Le chien après les moines_ est une satire alertement versifiée, mais fort insignifiante. La notice qui se trouve en tête de la réimpression de 1869 contient ces lignes qui paraissent judicieuses: «L’épître à la Guimard[14], pour glorifier son caractère charitable, offre en tête une initiale qui ne s’applique pas trop bien au comte de Mirabeau: par M. M... Nous ne serions pas éloigné de chercher plutôt cet anonyme dans Mercier ou Théveneau de Morande.» Le _Degré des âges du plaisir_ renferme quelques renseignements anecdotiques. Cependant le titre laissait supposer quelque chose de plus voluptueux. Mirabeau n’est pour rien dans cette élucubration bizarre. G. A. ESSAI BIBLIOGRAPHIQUE sur les ouvrages qui font l’objet de ce recueil. _Errotika Biblion._--Εν Καιρο Εκατῆρον.--_Abstrusum excudit._--Ensuite se trouve une vignette formée de divers attributs artistiques et scientifiques. _A Rome, de l’Imprimerie du Vatican._--MDCCLXXXIII. In-8º, IV-192 pp. _Errotika Biblion._--Εν Καιρο Εκατῆρον.--_Abstrusum excudit._--Ensuite se trouve une vignette représentant deux amours ailés dont l’un tient une gerbe et l’autre une harpe, auprès d’une urne. _A Rome, de l’Imprimerie du Vatican._--MDCCLXXXIII. In-8º, IV-192 pp. _Errotika Biblion._--_Abstrusum excudit._--Ici se trouve un groupe d’ornements typographiques disposés de façon à former une vignette. _A Rome, de l’Imprimerie du Vatican._--MDCCLXXXIII. In-8º, IV-188 pp. Il paraît que cette contrefaçon fut faite à Mons par H. Hoyois. _Errotika Biblion._--_En Kairô Ékatèron, abstrusum excudit._--Dernière édition. A Paris, chez Le Jay, libraire, rue Neuve-des-Petits-Champs, près celle de Richelieu, du grand Corneille, nº 146, 1792. In-8º de 176 pp. _Errotika Biblion._--Εν Καιρο Εκατῆρον.--_Abstrusum excudit._--_Troisième édition. A Paris, chez tous les marchands de nouveautés._--_An IX-1801._ Petit in-12 de IV-248 pages, avec un portrait gravé par Mariage. (C’est celui qui a été reproduit dans le présent recueil). Cette édition de l’_Errotika Biblion_ est la plus jolie et la plus rare. On trouve des exemplaires portant: _par le comte de Mirabeau, nouvelle édition corrigée sur un exemplaire revu par l’auteur. Paris, Vatar-Jouannet, an IX_ (1801). _Erotika Biblion, par Mirabeau, nouvelle édition, revue et corrigée sur un exemplaire de l’an IX, et augmentée d’une préface et de notes pour l’intelligence du texte. Paris, chez les frères Girodet, rue Saint-Germain-l’Auxerrois._ MDCCCXXXIII; avec les épigraphes: Εν Καιρῶ ἐχάτηρον,--_Abstrusum excudit_, petit in-8º de XII-271 pp. Une vignette polytipée sur le titre représente Jupiter balançant ses carreaux. Edition très rare et estimée. Elle contient les notes dites du chevalier Pierrugues, auteur du _Glossarium eroticum linguæ latinæ_ (Paris, 1826), ouvrage mis en ordre par Eloi Johanneau et dû en partie à la collaboration du baron de Schonen, auteur de la _Dissertation sur l’Alcibiade fanciuello a scuola_ de Ferrante Pallavicini. Il y avait à Bordeaux un ingénieur du nom de Pierrugues, cependant il n’est pas certain qu’il soit l’auteur des notes, et il se pourrait que le nom véritable de celui-ci restât encore à dévoiler. En effet, les définitions qui ont été ajoutées aux notes de Mirabeau sont différentes et même moins précises que celles du _Glossarium_... Cette édition est devenue très rare, parce que, croit-on, la presque totalité des exemplaires fut brûlée pendant l’incendie de la rue du Pot-de-Fer, où, le 13 décembre 1835, un fonds très important de librairie fut détruit. _Errotika Biblion..._ Édition publiée en Allemagne vers 1860. _Erotika Biblion, par Mirabeau. Édition revue et corrigée sur l’édition originale de 1783 et sur l’édition de l’an IX avec les notes de l’édition de 1833 attribuées au Chevalier Perrugues. Bruxelles, chez tous les libraires._ 1783-1868 (Poulet-Malassis), in-12 de XV-220 pages, avec un portrait d’après Sicardi, gravé par Flameng. Il y a une introduction due sans doute à la plume de Brunet (de Bordeaux). _Erotika Biblion, par Mirabeau. Édition revue et corrigée sur l’édition originale de 1783 et sur l’édition de l’an IX, avec les notes de l’édition de 1833, attribuées au Chevalier de Pierrugues et un avant-propos par C. de Katrix. Bruxelles, Gay et Doucé, éditeurs, 1881._--Edition tirée à 500 exemplaires in-8º de XXIX-267 pages plus 2 ff. de table, avec une eau-forte de Chauvet, un portrait gravé par Flameng sur la gravure de Copia d’après Sicardi et le fac-similé d’un autographe de Mirabeau. _Erotika Biblion._ Une édition a paru à Bruxelles vers 1885. _Le Libertin de qualité, ou Ma conversion_ [par le Cte de Mirabeau] Londres [imprimé à l’imprimerie clandestine de Malassis, à Alençon], 1783, pet. in-8º. Très rare. _Le Libertin de qualité, ou Confidences d’un prisonnier de Vincennes_, Stamboul [Paris], 1784, in-8º, fig. _Le Libertin de qualité, par Mirabeau, nouvelle édition, ornée de huit figures. A Paris, MDCCXC._ In-18. _Vie privée, libertine et scandaleuse de feu H. G. R. ci-devant Cte de Mirabeau; à Paris, chez tous ses créanciers, rue de l’Echelle, en Suisse_, etc., 1791. In-8º de IV-192 pp. avec portrait, frontispice et 5 figures. Réimpression du _Libertin de qualité_. _Le Libertin de qualité..._ Amsterdam, 1774 [Paris, 1830] avec 6 ou 12 figures gravées en taille-douce ou 12 lithographies. 2 vol. in-18 de 139 et 142 pp. _Le Libertin de qualité ou Ma conversion, par le comte de Mirabeau. Avec figures en taille-douce. Nouvelle édition. A Paris_, 1801 [1830]. 2 tomes. in-12 avec 6 ou 12 figures gravées en taille-douce ou 12 lithographies. _Vie privée, libertine et scandaleuse de feu H. G. R. ci-devant Cte de Mirabeau; à Paris, chez tous ses créanciers, rue de l’Echelle, en Suisse_, etc. 1791, in-18 avec un portrait. VI-199 pp. Réimpression du _Libertin de qualité_. Ne pas confondre ces deux éditions avec certains pamphlets dont le titre n’est pas très différent de celui-ci. _Le Libertin de qualité ou Ma conversion, par M. D. R. C. D. M. F. (Le Comte de Mirabeau). Edition revue sur celle originale de 1783. Londres_, 1783-1866, in-18, figures libres. _Le Libertin de qualité ou Ma conversion, par M. D. R. C. D. M. F. (Le Comte de Mirabeau). Edition revue sur celle originale de 1783. Londres_, 1783-1888, avec une rose sur le titre. In-18, 208 pp. On a attribué à Mirabeau les ouvrages suivants: _Le Chien après les M..._--Fascicule in-8 de 32 pp., vers 1782. _Le Chien après les Moines, lu et approuvé par une bande de défroqués._ In-8º de format plus petit que le précédent. _Le Chien après les moines, satire attribuée à Mirabeau. Réimpression textuelle sur l’édition originale, sans lieu ni date (vers 1782), augmentée d’une notice bibliographique. Genève, chez J. Gay et fils, éditeurs, 1869._ On attribue aussi cette satire à Mercier ou à Théveneau de Morande. _Le Rideau levé ou l’Education de Laure_, avec cette épigraphe: _Retirez-vous, censeurs atrabilaires; Fuyez, dévots, hypocrites ou fous, Prudes, guenons, et vous, vieilles mégères, Nos doux transports ne sont pas faits pour vous._ Cythère (Alençon, Jean Zacharie Malassis), 1786. In-12 de VI-98 et 122 pages, avec 12 gravures, fleurons et culs-de-lampe, gravés par Godard père, d’Alençon. _Le Rideau levé, ou l’Education de Laure. Cythère_, MCCLXXXVIII, 2 vol. in-12. _Le Rideau levé, ou l’Education de Laure..._ 1790, 2 vol. 122 et 154 pp. _Le Rideau levé ou l’Education de Laure... an V._ _Le Rideau levé, ou l’Education de Laure..._ 1800. _Le Rideau levé ou l’Education de Laure_... Réimprimé sur l’édition de 1790 [vers 1830], 2 vol. in-18, chacun de 144 pp., 12 fig. libres. _Le Rideau levé ou l’Education de Laure... Londres_, 1788 [Paris, vers 1830], avec des lithographies. _Le Rideau levé ou l’Education de Laure, par Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau.--Edition revue sur celle originale de 1786 et ornée de six figures libres, gravées d’après celles qu’on ajouta aux éditions de 1786 et de 1790_; ici se trouve l’épigraphe de quatre vers (voir plus haut).--_A Cythère.--MDCCCLXIV._ Le titre est imprimé en deux couleurs (noir et rouge). In-18, 271 pp. _Le Rideau levé_ aurait en réalité pour auteur un certain marquis de Sentilly, gentilhomme bas-normand. _Le Degré des âges du plaisir ou Jouissances voluptueuses de deux personnes de sexes différents aux différentes époques de la vie, recueilli sur des mémoires véridiques, par Mirabeau, ami des plaisirs. A Paphos, de l’imprimerie de la Mère des amours._--1793, in-18, 8 figures. _Le Degré des âges du plaisir ou Jouissances voluptueuses de deux personnes de sexes différents, aux différentes époques de la vie. Recueilli sur des Mémoires véridiques par Mirabeau, Ami des plaisirs, suivi de l’Ecole des Filles ou la Philosophie des dames. Orné de gravures et de chansons. Au Palais-Royal, chez la Vve Girouard, très connue, 1798._ 2 vol. in-16, 10 figures libres, coloriées. Bruxelles, 1863. _Le Degré des âges du plaisir ou Jouissances voluptueuses de deux personnes de sexes différents aux différentes époques de la vie, recueilli sur des mémoires véridiques par Mirabeau, Ami des plaisirs. A Paphos. De l’Imprimerie de la Mère des amours, 1793._ Avec, sur le faux titre, l’indication qu’il s’agit d’une des _Réimpressions faites exclusivement pour les membres de la Société des Bibliophiles de Bâle, les Amis des Lettres et des Arts._ Vers 1870, in-18. On a aussi attribué à Mirabeau l’ouvrage suivant, qui pourrait fort bien être de lui. On reconnaît assez son style. _Hic et hæc, ou l’Elève des RR. PP. Jésuites d’Avignon, orné de figures. Berlin, 1798._ 2 tomes petit in-12. Les figures, assez bien faites, sont galantes et non pas libres. Il y a à la deuxième partie l’_anecdote reçue de Paris_ et lue par Mme Valbouillant (_Les chevaux neufs_) qui manque dans les autres éditions. _Hic et hec, ou l’Art de varier les plaisirs de l’Amour et de la volupté, enseigné par les R. P. Jésuites et leurs élèves. Douze gravures. Londres, les marchands de nouveautés, 1815._ 2 tomes in-16. Lithographies libres. _Hic et hæc, ou l’Art de varier les plaisirs de l’Amour... Londres_, 1788. Paris, 1830, 2 tomes in-18, 99 et 80 pp. avec 6 figures. _Hic et hæc ou l’Art de varier les plaisirs de l’Amour..._ Belgique, 1863. 2 tomes in-16 avec 12 figures. _Hic et Hec ou l’Art de varier les plaisirs de l’Amour... Au Palais-Royal, chez la Vve Girouard, très connue._ 2 tomes in-12, vers 1865. _Hic et Hec ou l’Art des_ (sic) _varier les plaisirs de l’Amour. Londres, chez tous les marchands de nouveautés_, 1870, avec sur la couverture un encadrement typographique. 2 tomes en 1 vol. in-12 de 121 pp. ÉROTIKA BIBLION AVIS DES ÉDITEURS _Le titre de cet ouvrage ne sera pas intelligible à tous les lecteurs, et plusieurs ne lui trouveront aucun rapport avec le sujet. Néanmoins un autre n’aurait pu lui convenir: et si nous l’avons laissé en grec, on en devinera aisément la raison._ _Les recherches savantes et infiniment curieuses de l’auteur rendent cet ouvrage aussi érudit qu’agréable, et nous ne doutons pas de l’accueil favorable qu’il recevra du public._ _Nous avons du même auteur deux autres manuscrits qui ont le même mérite et qui sont autant intéressans que celui-ci; ils seront achevés d’imprimer sous deux mois. Nous annoncerons à nos correspondans le moment où ils devront sortir de presse. Nous mettrons dans l’exécution typographique autant de correction et de goût que dans ce volume. Nous ne pouvons en annoncer les titres que lorsqu’ils seront prêts à paroître._ N. B.--La présente édition de l’_Erotika Biblion_ est la reproduction de la première édition de 1783, elle a été revue sur celle de l’an IX. Les chiffres romains entre parenthèses renvoient aux annotations dites du chevalier de Pierrugues. Elles ont été insérées à la suite de l’_Erotika Biblion_. L’_Avis des éditeurs_ a paru en tête de la première édition. ANAGOGIE On sait[15] que parmi les découvertes innombrables des antiquités d’Herculanum, les manuscrits ont épuisé la patience et la sagacité des artistes et des savans. La difficulté consiste à dérouler des volumes à demi consumés depuis deux mille ans par la lave du Vésuve. Tout tombe en poussière à mesure qu’on y touche. Cependant des minéralogistes hongrois, plus patiens que les Italiens, plus exercés à tirer parti des productions qu’offrent les entrailles de la terre, se sont offerts à la reine de Naples. Cette princesse, amie de tous les arts, et savante dans celui d’exciter l’émulation, a favorablement accueilli ces artistes: ils ont entrepris cet immense travail. D’abord ils collent une toile fine sur l’un des rouleaux; quand la toile est sèche, on la suspend, et l’on pose en même tems le rouleau sur un châssis mobile, pour le faire descendre imperceptiblement, à mesure que le développement s’opère. Pour le faciliter, on passe un filet d’eau gommée sur le volume avec la barbe d’une plume, et petit à petit les parties s’en détachent pour se coller immédiatement sur la toile tendue. Ce travail pénible est si long que dans l’espace d’une année, à peine peut-on dérouler quelques feuilles. Le désagrément de ne trouver le plus souvent que des manuscrits qui n’apprenoient rien, alloit faire renoncer à cette entreprise difficile et fastidieuse, lorsqu’enfin tant d’efforts ont été récompensés par la découverte d’un ouvrage qui a bientôt aiguisé le génie des cent cinquante académies de l’Italie[16]. C’est un manuscrit mozarabique, composé dans ces tems perdus ou Philippe fut enlevé à côté de l’eunuque de Candace[17]; où Habacuc, transporté par les cheveux[18], portoit à cinq cents lieues le dîner à Daniel, sans qu’il se refroidît; où les Philistins circoncis se faisoient des prépuces[19]; où des anus d’or guérissoient les hémorrhoïdes[20]... (I). Un nommé Jérémie Shackerley, vrai croyant, dit le manuscrit, profita de l’occasion. Il avoit voyagé, et de père en fils, rien ne s’étoit perdu dans cette famille, l’une des plus anciennes du monde, puisqu’elle conservoit des traditions non équivoques de l’époque où les éléphants habitoient les parties les plus froides de la Russie; où le Spitzberg produisoit d’excellentes oranges; où l’Angleterre n’étoit pas séparée de la France; où l’Espagne tenoit encore au continent du Canada, par cette grande terre nommée Atlantide, dont on retrouve à peine le nom chez les anciens, mais dont l’ingénieux M. Bailly fait si bien l’histoire. Shackerley voulut être transporté dans une des planètes les plus éloignées qui forment notre système[21], mais on ne le déposa pas dans la planète même, on le plaça dans l’anneau de Saturne. Cet orbe immense n’étoit point encore tranquille. Dans les parties basses, des mares profondes et orageuses, des courans rapides, des tournoiemens d’eau, des tremblemens de terre presque continuels, produits par l’affaissement des cavernes et par les fréquentes explosions des volcans; des tourbillons de vapeurs et de fumées, des tempêtes sans cesse excitées par les secousses de la terre, et ses chocs terribles contre les eaux de mer; des inondations, des débordemens, des déluges; des fleuves de lave, de bitume, de soufre, ravageant les montagnes et se précipitant dans les plaines, où ils empoisonnent les eaux; la lumière offusquée par des nuages aqueux, par des masses de cendres, par des jets de pierres enflammées que poussoient les volcans... Telle étoit la situation de cette planète encore informe. L’anneau seul étoit habitable. Beaucoup plus mince et déjà plutôt attiédi, il jouissoit depuis longtems des avantages de la nature perfectionnée, sensible, intelligente; mais on y appercevoit les terribles scènes dont Saturne étoit le théâtre. La forme et la construction de cet anneau parurent si singulières à Shackerley, que rien dans l’univers ne lui avoit semblé aussi étrange. D’abord notre soleil, qui est celui des habitans de ce pays, étoit pour eux à peine la trentième partie de ce qu’il nous paroît. Il formoit à leurs yeux l’effet que produit sur la terre l’étoile du berger, quand elle est dans son plein. Mercure, Vénus, la terre et Mars, n’y pouvoient point être discernés; on y doutoit de leur existence. Jupiter seul s’y montroit, à peu de chose près, comme nous le voyons; avec cette différence qu’il présentoit des phases comme la lune nous en montre. Il en étoit de même de ses satellites; et de ce concours de variétés uniformes, il résultoit des phénomènes curieux et utiles. _Curieux_ en ce que l’on voyoit Jupiter en croissant, et ses quatre petites lunes tantôt en croissant, tantôt en décours, ou les unes à droite, et les autres se confondant avec la planète elle-même; _utiles_, en ce que Jupiter passoit quelquefois sur le soleil avec tout son cortège; ce qui produisoit une multitude de points de contact, d’immersions et d’émersions successives, qui ne laissoient rien à désirer pour la régularité des observations. Ainsi la déduction des parallaxes étoit calculée rigoureusement; en sorte que, malgré l’éloignement de l’anneau, ou de Saturne ou du soleil, qui selon le docte Jérémie Shackerley, n’est guère moins de trois cent treize millions de lieues, on avoit fait plus de progrès en astronomie que sur la terre, depuis une infinité de siècles. Le soleil étoit faible, mais le défaut de sa chaleur, se compensoit par celle du globe de Saturne, qui n’étoit pas attiédi. Cet anneau recevoit de sa planète principale plus de lumière et de chaleur, que nous n’en avons ici-bas; car enfin cet anneau avoit en lui-même, dans son centre, ce globe de Saturne qui est neuf cents fois plus gros que la terre, et il en étoit éloigné de cinquante-cinq mille lieues, ce qui forme les trois quarts de la distance de la lune à la terre. Autour de l’anneau et à de grandes distances, on voyoit cinq lunes qui se levoient quelquefois toutes du même côté. Shackerley prétend qu’il est impossible de se former une idée assez magnifique de ce spectacle. Cet anneau si bien situé formoit comme un pont suspendu, un arc circulaire; on voyageoit dans tout son contour; ainsi l’on faisoit de loin le tour du globe de Saturne; mais de façon que le voyageur avoit toujours ce globe du même côté. La largeur de cet anneau n’est pas moindre que l’épaisseur de notre globe; mais en même tems il est assez mince pour que cette épaisseur disparoisse, quand il est vu de la terre. C’est ainsi que semble la lame d’un couteau, quand on la fixe de loin par le plan du tranchant. Shackerley n’ignoroit rien des phénomènes qu’on peut connoître ici-bas; mais il s’attendoit à pouvoir se porter au moins à califourchon sur la tranche de cet anneau. Quelle fut sa surprise en voyant que cette épaisseur si mince, qui disparoit à nos yeux, formoit une distance aussi grande que celle de Paris à Strasbourg; car cet exemple donnera plus vite et plus exactement l’idée de cette dimension, que les mesures itinéraires employées par Shackerley, lesquelles ont besoin de quelques milliers de commentaires in-folio, avant que d’être incontestablement évaluées. Ainsi il pouvoit y avoir de petits royaumes sur ce bord intérieur et concave, que les politiques de notre globe sauroient bien rendre un théatre sanglant et mémorable d’innombrables glorieuses intrigues s’il étoit à leur disposition. Les habitans de cette partie, que l’on peut appeler les antipodes du dos extérieur de l’anneau, les habitans de l’intérieur, dis-je, avoient ce globe énorme de Saturne suspendu sur leur tête; l’anneau repassoit par-dessus ce globe, et par-delà l’anneau gravitoient les cinq lunes. Enfin les habitants de l’intérieur voyoient leur droite et leur gauche, comme nous voyons les nôtres sur la terre; mais l’horizon de devant, ainsi que celui de derrière, étoient bien différens de ceux que nous appercevons ici-bas. A dix lieues, nous perdons un vaisseau de vue à cause de la courbure de notre globe; dans l’anneau de Saturne, cette courbure est en sens contraire: elle s’élève au lieu de s’abaisser; mais comme l’anneau entoure Saturne à la distance de cinquante mille lieues, il en résulte que cet anneau, en forme de bourrelet, a au moins cinq cent mille lieues de circonférence. Sa courbure s’élève donc imperceptiblement. L’horizon qui s’abaisse sur notre terre, paraît _plan_ à l’œil l’espace de quelques lieues; puis il s’élève un peu; les objets diminuent; distincts d’abord, ils finissent par se confondre: on n’apperçoit plus que les masses; enfin cette terre s’élève dans le lointain à des distances énormes toujours en se _menuisant_; au point que cet anneau, par les illusions de l’optique, finit en l’air, devient à l’œil de la largeur de notre lune, et s’apperçoit à peine dans la partie qui se trouve sur la tête de l’observateur; car elle est pour lui à plus du double de la distance de la lune à la terre, c’est-à-dire, à deux cent mille lieues à peu près. J’omets les phénomènes multipliés que produisent tous ces corps suspendus par leurs éclipses respectives; Shackerley les connoissoit sur la terre et les avoit bien jugés. Leur ciel étoit comme le nôtre, nulle différence pour toutes les constellations; mais un nombre infini de comètes remplissoit l’espace immense et incalculable qui se trouvoit entre Saturne et les étoiles qu’on soupçonnoit les plus voisines. Comme l’attraction du globe de Saturne balançoit en partie celle de l’anneau, la pesanteur y étoit très diminuée; on y marchoit sans effort et le moindre mouvement transportoit la masse; comme une personne qui se baigne et ne peut déplacer que le pareil volume d’eau qu’elle occupe, s’y meut par des impulsions insensibles. Ainsi les corps pour se joindre ne faisoient que s’effleurer; ils s’approchoient sans pression, tout y étoit presque aérien; les sensations les plus délicates se perpétuoient sans émousser les organes. On conçoit que cette manière d’être influoit beaucoup sur le moral des habitants de l’arc planétaire. Aussi l’une des merveilles qui surprit le plus Shackerley, ce fut la perfectibilité des êtres qui meubloient cet étrange anneau; ils jouissoient de beaucoup de sens qui nous sont inconnus; la nature avoit fait de trop grandes avances dans l’appareil de tous ces grands corps, pour s’arrêter à cinq sens dans la composition de ceux qu’elle avoit destinés à jouir de tous ces spectacles. Ici l’embarras de Shackerley devint énorme. Il avoit assez de connoissances pour saisir et tracer les grands effets de ces corps variés et suspendus; il échoua quand il voulut peindre des êtres animés. Aussi ne trouve-t-on point dans le manuscrit mozarabique toute la clarté, tous les détails que l’on conçoit à cet égard. Au moins les _Abbandonati_ de Bologne, les _Resvegliati_ de Gênes, les _Addormentati_ de Gubio, les _Disingannuti_ de Venise, les _Acagiati_ de Rimini, les _Furfurati_ de Florence, les _Lunatici_ de Naples, les _Caliginosi_ d’Ancône, les _Insipidi_ de Pérouse, les _Mélancholici_ de Rome, les _Extravaganti_ de Candie, les _Ebrii_ de Syracuse, etc., etc., qui tous ont été consultés, ont renoncé à rendre la traduction plus claire. Il est vrai que l’inquisition civile et religieuse entrent peut-être pour quelque chose dans leur embarras. Cependant il faut être juste: rien n’est plus difficile à donner que l’explication d’un sens qui nous est étranger. On a des exemples d’aveugles nés qui, par le secours des sens qui leur restoient, ont fait des miracles de cécité. Eh bien! l’un d’entr’eux, chimiste, musicien, apprenant à lire à son fils, ne peut pas trouver une autre définition du miroir que celle-ci: «_C’est une machine par laquelle les choses sont mises en relief hors d’elles-mêmes._» Voyez combien cette définition, que les philosophes qui l’ont approfondie trouvent très-subtile et même surprenante[22], est cependant absurde. Je ne connois point d’exemple plus propre à montrer l’impossibilité d’expliquer des sens dont on est dépourvu; et cependant toutes les affections et les qualités morales dérivent des sens; c’est par conséquent sur les observations qui leur sont relatives que l’on pourroit uniquement fonder ce qu’il y auroit à dire sur le moral de ces êtres d’une espèce si différente de la nôtre. Au reste, il faut espérer que l’habitude où nos voyageurs et nos historiens nous ont mis de leur voir négliger ou même omettre ce qui n’a trait qu’aux mœurs, aux lois, aux coutumes, rendra nos lecteurs indulgens pour Shackerley, qui du moins a le passeport d’une haute antiquité, sans lequel on ne voudroit peut-être pas croire un mot de ce qu’il a dit; car il étoit pour ses contemporains, et à bien des égards il est encore pour nous à peu près dans le cas d’un homme, qui n’auroit vu qu’un jour ou deux, et qui se trouveroit confondu chez un peuple d’aveugles; il faudroit certainement qu’il se tût, ou on le prendroit pour un fol puisqu’il annonceroit une foule de mystères, qui n’en seroient à la vérité que pour le peuple; mais tant d’hommes sont _peuple_, et si peu sont philosophes, qu’il n’y a pas de sûreté à n’agir, à ne penser, à n’écrire que pour ceux-ci. Shackerley a fait cependant quelques observations, dont voici les plus singulières. Il s’aperçut que la mémoire dans les êtres de Saturne ne s’effaçoit point. Les pensées se communiquoient parmi eux sans paroles et sans signes. Point d’idiome; par conséquent, rien d’écrit, rien de déposé; et combien de portes fermées aux mensonges, aux erreurs! Ces détails prodigieux, innombrables qui nous énervent, leur étoient inconnus. Ils avoient toutes les facilités possibles pour transmettre leurs idées, pour donner une rapidité inconcevable à leur exécution, pour hâter tous les progrès de leurs connoissances: il sembloit que dans cette espèce privilégiée tout s’exécutât par instinct et avec la célérité de l’éclair. La mémoire retenant tout, la tradition se perpétuoit avec infiniment plus de fidélité, d’exactitude et de précision que par les moyens compliqués et infinis que nous accumulons, sans pouvoir atteindre à aucun genre de certitude. Chaque corps a ses émanations; elles sont en pure perte sur la terre: dans l’anneau elles formoient une atmosphère toujours agissante à des distances considérables, et ces émanations dont Shackerley n’a pu donner une idée qu’en les comparant à ces atomes qu’on distingue à l’aide du rayon solaire introduit dans la chambre obscure, ces émanations, dis-je, répondoient à toutes les houppes nerveuses du sentiment de l’individu. Semblables aux étamines des plantes, aux affinités chimiques, elles _s’enlaçoient_ dans les émanations d’un autre individu, lorsque la sympathie s’y rencontroient; ce qui, comme on peut aisément le concevoir, multiplioit à l’infini des sensations dont nous ne pouvons nous former qu’une image très infidèle. Elles rendoient, par exemple, les jouissances de deux amans semblables à celles d’Alphée qui, pour jouir d’Aréthuse, que Diane venoit de changer en fontaine, se métamorphosa en fleuve, afin de s’unir plus intimement à son amante, en mêlant ses ondes avec les siennes. Cette cohésion vive et presque infinie de tant de molécules sensibles, produisoit nécessairement dans ces êtres un esprit de vie que Shackerley exprime par un mot mozarabe, que l’académie des _Innamorati_ a traduit par le mot _électrique_, quoique les phénomènes de l’électricité ne fussent point connus dans ces temps reculés. Tout dans ces contrées abondoit sans culture, et tellement, que les propriétés y seroient devenues à charge autant qu’inutiles. On sent qu’où il n’y a point de propriété, il y a bien peu d’occasions de disputes, d’inimitiés, et que la plus parfaite égalité politique règne, à supposer même qu’il faille à de tels êtres un système politique. Je ne conçois pas ce qui pourroit les troubler, puisque leurs besoins sont plutôt prévenus que satisfaits, si la saveur du désir ne leur manque point et qu’ils n’aient rien à craindre du poison de la satiété. Dans l’anneau de Saturne, les connoissances se transmettoient par l’air à des distances très considérables, par la même voie que se transmet la lumière du soleil, laquelle nous vient, comme on sait, en sept minutes. Une inspiration ou un souffle différemment modifié suffisoit pour communiquer une pensée. De là résultoit un concours admirable dans les populations infinies qui, par cette intelligence, cette harmonie universellement répandue dans tout l’anneau, ne s’occupoient que de leur bonheur commun, lequel n’étoit jamais en contradiction avec celui d’aucun individu. Ces êtres si surprenans, surtout pour les hommes, jouissoient ainsi d’une paix éternelle et d’un bien-être inaltérable. Les arts qui tendent au bonheur et à la conservation de l’espèce, étoient aussi perfectionnés qu’il soit possible de l’imaginer et même de le désirer; et l’on n’y avoit pas la moindre idée de ces arts destructeurs enfantés par la guerre. Ainsi les habitans de l’anneau n’avoient point passé par ces alternatives de raison et de démence, qui ont si prodigieusement mêlé nos sociétés de bien et de mal. Les grands talens dans la science funeste de faire celui-ci, loin d’être admirés chez eux, n’y étoient pas même connus. Les plaisirs stériles ou factices n’y régnoient pas plus que le faux honneur, et l’instinct de ces êtres fortunés leur avoit appris sans effort ce que la triste expérience de tant de siècles nous enseigne encore vainement, je veux dire que la véritable gloire d’un être intelligent est la science, et la paix son vrai bonheur. Voilà ce qu’une lecture rapide m’a permis de retenir du voyage de Shackerley, qu’Habacuc, à la fin de son voyage, reprit par les cheveux et déposa en Arabie d’où il l’avoit enlevé. Quand le développement et la traduction de ce précieux manuscrit seront achevés, je me propose d’en donner à l’Europe savante une édition non moins authentique que celle des livres sacrés des Brames, que M. Anquetil a incontestablement rapportés des bords du Gange; car j’ose me flatter de savoir presque aussi bien le _mozarabique qu’il sait le zend ou le pelhvi_. L’ANÉLYTROÏDE La Bible est sans contredit l’un des livres les plus anciens et les plus curieux qui existent sur la terre. La plupart des objections sur lesquelles se fondent les personnes qui ne peuvent croire que Moïse ait été un interprète divin, me paroissent très-insuffisantes. Rien n’a été, par exemple, plus tourné en ridicule que la physique des livres saints, laquelle en effet paroît très défectueuse. Mais on ne pense point à l’état de cette science dans les premiers âges, pour lesquels enfin il falloit que ce livre fût intelligible. La physique étoit alors ce qu’elle seroit encore si l’homme n’eût jamais étudié la nature. Il voit le ciel comme une voûte d’azur, dans laquelle le soleil et la lune semblent être les astres les plus considérables; le premier produit toujours la lumière du jour et le second celle de la nuit. Il les voit paroître ou se lever d’un côté, et disparoître ou se coucher de l’autre, après avoir fourni leur course et donné leur lumière pendant un certain espace de temps. La mer semble de même couleur que la voûte azurée, et l’on croit qu’elle touche au ciel lorsqu’on la regarde de loin. Toutes les idées du peuple ne portent et ne peuvent porter que sur ces trois ou quatre notions; et quelques fausses qu’elles soient, il falloit s’y conformer pour se mettre à sa portée. Puisque la mer paroît dans le lointain se réunir au ciel, il étoit naturel d’imaginer qu’il existoit des eaux supérieures et des eaux inférieures, dont les unes remplissoient le ciel et les autres la mer; et que pour soutenir les eaux supérieures, il existoit un firmament; c’est-à-dire, un appui, une voûte solide et transparente, au travers de laquelle on appercevoit l’azur des eaux supérieures. Voici maintenant ce que dit le texte de la Genèse: «Que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux; et Dieu fit le firmament et sépara les eaux qui étoient sous le firmament de celles qui étoient au-dessus du firmament, et Dieu donna au firmament le nom de ciel... Et à toutes les eaux rassemblées sous le firmament le nom de mer.» Il est évident que c’est à ces idées qu’il faut rapporter: 1º les cataractes du ciel, les portes, les fenêtres du firmament solide, qui s’ouvrirent lorsqu’il fallut laisser tomber les eaux supérieures pour noyer la terre. 2º L’origine commune des poissons et des oiseaux, les premiers produits par les eaux inférieures, les oiseaux par les eaux supérieures, parce qu’ils s’approchent dans leur vol de la voûte azurée, que le peuple n’imagine pas être élevée beaucoup plus que les nuages. De même, ce peuple croit que les étoiles sont attachées à la voûte céleste comme des clous: plus petites que la lune, infiniment plus petites que le soleil. Il ne distingue les planètes des étoiles fixes que par le nom d’_errantes_. C’est sans doute par cette raison qu’il n’est fait aucune mention des planètes dans tout le récit de la création. Tout y est représenté relativement à l’_homme vulgaire_, auquel il ne s’agissoit pas de démontrer le vrai système de la nature, et qu’il suffisoit d’instruire de ce qu’il devoit à l’Être suprême, en lui montrant ses productions comme bienfaits. Toutes les vérités sublimes de l’organisation du monde, si l’on peut parler ainsi, ne doivent paroître qu’avec le temps, et l’Être souverain se les réservoit peut-être, comme le plus sûr moyen de rappeller l’homme à lui, lorsque sa foi, déclinant de siècles en siècles, seroit timide, chancelante et presque nulle; lorsqu’éloigné de son origine, il finiroit par l’oublier; lorsqu’accoutumé au grand spectacle de l’univers, il cesseroit d’en être touché, et oseroit d’en méconnoître l’Auteur. Les grandes découvertes successives rafermissent, agrandissent l’idée de cet Être infini dans l’esprit de l’homme. Chaque pas qu’on fait dans la nature produit cet effet, en rapprochant du Créateur. Une vérité nouvelle devient un grand miracle, plus miracle, plus à la gloire du grand Être, que ceux qu’on nous cite, parce que ceux-ci, lors même qu’on les admet, ne sont que des coups d’éclat que Dieu frappe immédiatement et rarement; au lieu que dans les autres il se sert de l’homme même pour découvrir et manifester ces merveilles incompréhensibles de la nature, qui, opérées à _tout instant_, exposées _en tout temps et pour tous les temps_ à sa _contemplation_, doivent rappeler incessamment l’homme à son Créateur, non-seulement par le spectacle actuel, mais encore par ce développement successif. Voilà ce que nos théologiens ignorans et vains devroient nous apprendre. Le grand art est de lier toujours la science et la nature, avec celle de la théologie, et non de faire heurter sans cesse des choses saintes et la raison, les croyans fidèles et les philosophes. Une des sources du discrédit où les livres saints sont tombés (I), ce sont les interprétations forcées, que notre amour-propre, si orgueilleux, si absurde, si rapproché de notre misère a voulu donner à tous les passages que nous ne pouvons expliquer. De là sont nés les sens figurés, les idées singulières et indécentes, les pratiques superstitieuses, les coutumes bizarres, les décisions ridicules ou extravagantes dont nous sommes inondés. Toutes les folies humaines se sont étayées tour-à-tour des passages rebelles aux interprètes, qui s’évertuent, s’obstinent et ne doutent de rien; comme si l’Être suprême n’avoit pas pu donner à l’homme des vérités, qu’il ne devoit connoître, savoir, approfondir, que dans les _siècles à venir_. Du moment où vous admettez que la Bible est faite pour l’univers, songez que l’on fait aujourd’hui bien des choses que l’on ignoroit il y a quarante siècles et que dans quarante mille autres années, on saura des faits que nous ignorons. Pourquoi donc vouloir juger par anticipation? Les connoissances sont graduelles et ne se développent que par une marche insensible, que les révolutions des empires et de la nature retardent ou ralentissent. Or l’intelligence de la Bible, qui existe depuis un si grand nombre de siècles, qu’il y a bien peu de choses à citer d’une aussi haute antiquité, demande peut-être encore un long période d’efforts et de recherches. L’un des articles de la Genèse qui a singulièrement aiguisé l’esprit humain (II), c’est le verset 27 du chapitre I: «Dieu créa _l’homme_ à son image, il _les_ créa mâle et femelle.» Il est bien clair, il est bien évident que Dieu a créé Adam androgyne; car au verset suivant (verset 28), il dit à Adam: «Croissez et multipliez-vous; remplissez la terre.» Ceci fut opéré le sixième jour; ce n’est que le septième que Dieu créa la femme; ce que Dieu fit entre la création de l’homme et celle de la femme est immense. Il fit connoître à Adam tout ce qu’il avoit créé: animaux, plantes, etc. Tous les animaux comparurent devant Adam. «Adam les nomma tous: et le nom qu’Adam donna à chacun (III) des animaux est son nom véritable.»[23] «Adam appela donc tous les animaux d’un nom qui leur étoit propre, tant les oiseaux que les bêtes, etc.»[24] Jusqu’ici la femme n’a point paru; elle est incréée; Adam est toujours hermaphrodite. Il a pu croître seul et se multiplier. Et pour concevoir le temps pendant lequel Adam a pu réunir en lui les deux sexes, il suffit de réfléchir sur ce que peuvent être ces jours dont l’Écriture parle; ces six jours de la création, ce _septième jour_ du repos, etc. On ne peut être que véritablement affligé, que presque tous nos théologiens, tous nos mangeurs d’images abusent de ce grand, de ce saint nom de Dieu; on est blessé toutes les fois que l’homme le profane et qu’il prostitue l’idée du premier Être, en la substituant à celle du phantôme de ses opinions. Plus on pénètre dans le sein de la nature, et plus on respecte profondément son Auteur; mais un respect aveugle est superstition; un respect éclairé est le seul qui convienne à la vraie religion, et pour entendre sainement les premiers faits que l’interprète Divin nous a transmis, il faut, ainsi que l’observe l’éloquent Buffon, recueillir avec soin ces rayons échappés de la lumière céleste. Loin d’offusquer la vérité, ils ne peuvent qu’y ajouter un nouveau degré de splendeur. Cela posé, que peut-on entendre par les six jours que Moïse désigne si précisément, en les comptant les uns après les autres, sinon _six espaces de temps_, six _intervalles_ de durée? Ces espaces de temps indiqués par le nom de _jours_, faute d’autres expressions, ne peuvent avoir aucun rapport avec nos jours actuels, puisqu’il s’est passé successivement trois de _ces jours_ avant que le soleil ait été créé. Ces jours n’étoient donc pas semblables aux nôtres, et Moyse l’indique clairement en les comptant du _soir au matin_; au lieu que les jours solaires se comptent et doivent se compter du _matin au soir_. Ces six jours n’étoient donc ni semblables aux nôtres, ni égaux entr’eux; ils étoient proportionnés à l’ouvrage. Ce ne sont donc que _six espaces de tems_. Donc Adam ayant été créé hermaphrodite le sixième jour, et la femme n’ayant été produite qu’à _la fin du septième_, Adam a pu procréer en lui-même et par lui-même tout le tems qu’il a plu à Dieu de placer entre ces deux époques. Cet état d’androgénéité n’a pas été inconnu aux philosophes du paganisme, à ses mythologues, ni aux rabbins. Ceux-ci ont prétendu qu’Adam fut créé homme d’un côté, femme de l’autre; composé de deux corps que Dieu ne fit que séparer. Ceux-là, comme Platon, l’ont fait de figure ronde, d’une force extraordinaire; aussi la race qui en provint voulut déclarer la guerre aux dieux.--Jupiter, irrité, les voulut détruire.--Mais il se contenta d’affaiblir l’homme en le dédoublant, et Apollon étendit la peau qu’il noua au nombril... De là le penchant qui entraîne un sexe vers l’autre par l’ardeur qu’ont les deux moitiés pour se rejoindre et l’inconstance humaine, par la difficulté qu’a chaque moitié de rencontrer sa correspondante. Une femme nous paroît-elle aimable? nous la prenons pour cette moitié avec laquelle nous n’eussions fait qu’un tout; le cœur nous dit: la voilà, c’est elle; mais à l’épreuve, hélas! trop souvent ce ne l’est point. C’est sans doute d’après quelques-unes de ces idées que les Basilitiens et les Carpocratiens prétendirent que nous naissions dans l’état de nature innocente, tels qu’Adam au moment de la création, et par conséquent devant imiter sa nudité. Ils détestoient le mariage, soutenoient que l’union conjugale n’auroit jamais eu lieu sur la terre sans le péché; regardoient la jouissance des femmes en commun comme un privilège de leur rétablissement dans la justice originelle, et pratiquoient leurs dogmes dans un superbe temple souterrain, échauffé par des poëles, dans lequel ils entroient tout nus, hommes et femmes; là, tout leur étoit permis, jusqu’aux unions que nous nommons adultère et inceste, dès que l’ancien ou le chef de leur société avoit prononcé ces paroles de la Genèse: _Croissez et multipliez_. Tranchelin renouvela cette secte dans le douzième siècle; il prêchoit ouvertement que la fornication et l’adultère étoient des actions méritoires; et les plus fameux d’entre ces sectaires furent appellés les _Turlupins_ en Savoie. Plusieurs savans font remonter l’origine de ces sectes à Muacha mère d’Afa, roi de Juda, grande prêtresse de Priape: c’est dater de loin, comme on voit. Cette double vertu d’Adam paroît encore avoir été indiquée dans la fable de Narcisse qui, épris de l’amour de lui-même, veut jouir de son image, et finit par s’assoupir en échouant à l’ouvrage[25]. Tous ces doutes, toutes ces recherches sur les jouissances contre notre nature actuelle, ont donné lieu à une grande question; à savoir: _an imperforata mulier possit concipere?_ «Si une fille imperforée peut se marier?» On conçoit que les PP. Cucufe et Tournemine, savans jésuites, ont approfondi cette question, et qu’ils ont été pour l’affirmative; l’œuvre de Dieu, disent-ils, ne peut en aucun cas exister d’une manière contraire aux fins de la nature; une fille privée de la vulve en apparence, doit donc trouver dans l’anus des ressources pour remplir le vœu de la reproduction, la première et la plus inséparable des fonctions de notre existence. Cucufe et Tournemine ont été attaqués; cela devoit être; mais le savant Sanchez (IV), Espagnol, qui a étudié trente ans de sa vie ces questions _assis sur un siège de marbre_, qui ne mangeoit jamais ni poivre, ni sel, ni vinaigre, et qui, quand il étoit à table pour dîner, tenoit toujours ses pieds en l’air[26], Sanchez a défendu ses confrères avec une éloquence dont on ne croiroit pas une pareille matière susceptible. Néanmoins la jalousie contre les jésuites a été si puissante, que les papes ont fait un cas réservé aux jeunes filles qui tenteroient cette voie faute d’autres; jusqu’à ce que Benoît XIV, éclairé par les découvertes de la faculté de chirurgie de Paris, a levé le cas réservé, et permis l’usage de la _parte-poste_ dans le sens des pères Cucufe et Tournemine. En effet, M. Louis, secrétaire perpétuel de l’académie de chirurgie, a soutenu, en 1755, la question sur les bancs; il a prouvé que les anélytroïdes pouvoient concevoir, et des faits consignés dans sa thèse, imprimée avec privilège, le démontre. Malgré cette authenticité le parlement ne manqua pas de dénoncer la thèse de M. Louis, comme contraire aux bonnes mœurs. Il fallut que ce grand et non moins ingénieux et malin chirurgien recourût aux casuites à la Sorbonne; alors il montra facilement que le parlement prononçoit sur une question, qui n’est pas plus de sa compétence que l’émétique. Et le parlement ne donna aucune suite à la dénonciation. Il est résulté de tout cela une vérité très-importante pour la propagation de l’espèce humaine, et non moins singulière pour le commun des lecteurs: c’est que beaucoup de jeunes femmes stériles sont autorisées, et doivent même en conscience tenter les deux voies, jusqu’à ce qu’elles se soient assurées de la véritable route que le Créateur a mise en elles. L’ISCHA Marie Schurmann a proposé ce problême: _L’étude des lettres convient-elle à une femme?_ Schurmann soutient l’affirmative, veut que la femme n’excepte aucune science, pas même la théologie, et prétend que le beau sexe doit embrasser la science universelle, parce que l’étude donne une sagesse qu’on n’achète point par les secours dangereux de l’expérience; et que lors même qu’il en coûteroît quelque chose à l’innocence, il seroit à propos de passer pardessus de certaines réserves, en faveur de cette prudence précoce, qui d’ailleurs se trouvera fécondée par l’étude, dont les méditations affoiblissent ou redressent les penchans vicieux, et diminuent le danger des occasions. L’éducation des femmes est si négligée chez tous les peuples, même chez ceux qui passent pour les plus policés, qu’il est bien étonnant qu’on en compte un aussi grand nombre de célèbres par leur érudition et leurs ouvrages. Depuis le livre des femmes illustres de Boccace, jusqu’aux énormes _in-4º_ du minime Hilarion Coste, nous avons en ce genre un grand nombre de nomenclatures; et Wolf a donné un catalogue des femmes célèbres, à la suite des fragmens des illustres Grecques, qui ont écrit en prose[27]. Les Juifs, les Grecs, les Romains, tous les peuples de l’Europe moderne ont eu des femmes savantes. Il est donc étonnant que divers préjugés contre la perfectibilité des femmes se soient établis sur le prétendu rapport de _l’excellence de l’homme sur la femme_. Plus on approfondit ce fait si singulier (car il l’est infiniment que l’objet de l’adoration des hommes soit par-tout leur esclave), plus on remarque qu’il est principalement fondé sur le droit du plus fort, l’influence des systèmes politiques, et sur-tout celle des religions; car le christianisme est la seule qui conserve à la femme, d’une manière nette et précise, tous les droits de l’égalité. Je n’ai nulle envie de recommencer les discussions que Pozzo a peu galamment appelées paradoxes dans son ouvrage intitulé: _La femme meilleure que l’homme_. Mais il est si naturel, quand on considere le prix de ce don du ciel qu’on appelle la beauté, de se pénétrer de cette vive et touchante image, qu’on en devient bientôt enthousiaste: et lorsqu’on lit ensuite les livres saints, on n’est plus étonné que la femme soit le complément des œuvres de Dieu; qu’il ne l’ait produite qu’après tout ce qui existe; comme s’il avoit voulu annoncer qu’il alloit clore son ouvrage sublime par le chef-d’œuvre de la création. C’est dans ce point de vue, plus religieux que philosophique peut-être, que je veux considérer la femme. Ce n’est pas avec impétuosité que l’univers a été créé. Il a été fait à plusieurs fois, afin que son merveilleux ensemble prouvât que si la volonté seule du grand Être étoit la règle, il étoit le Maître de la matière, du temps, de l’action et de l’entreprise. L’éternel Géomètre agit sans nécessité, comme sans besoin; il n’est jamais ni contraint, ni embarrassé. On voit, pendant les six espaces de la création, qu’il tourne, façonne, meut la matiere sans peine, sans efforts; et quand une chose dépend d’une autre, quand, par exemple, la naissance et l’accroissement des plantes dépendent de la chaleur du soleil, ce n’est que pour indiquer la liaison de toutes les parties de l’univers, et développer sa sagesse par ce merveilleux enchaînement. Mais tout ce qu’enseigne la Bible sur la création de l’univers n’est rien en comparaison de ce qu’elle dit sur la production du premier être raisonnable. Jusqu’ici tout a été fait à commandement; mais quand il s’agit de créer l’homme, le système change, et le langage avec lui. Ce n’est plus cette parole impérieuse et subite; c’est une parole plus réfléchie et plus douce, quoique moins efficace; Dieu tient un conseil en lui-même, comme pour faire voir qu’il va produire un ouvrage qui surpassera tout ce qu’il a créé jusqu’alors. _Faisons l’homme_, dit-il. Il est évident que Dieu parle à lui-même. C’est une chose inouïe dans toute la Bible, qu’aucun autre que Dieu ait parlé de lui-même en nombre pluriel: _Faisons_. Dans toute l’écriture, Dieu ne parle ainsi que deux ou trois fois; et ce langage extraordinaire ne commence à paroître que lorsqu’il s’agit de l’homme. Cette création faite, il se passe un temps considérable avant que ce nouvel être, à double sexe, reçoive le souffe de vie; ce n’est qu’à la septième époque. Adam a existé longtemps dans l’état de pure nature, et n’ayant que l’instinct des animaux; mais quand le souffle lui fut inspiré, Adam se trouvant le roi de la terre, il usa de sa raison, et _nomma toutes choses_. Voilà donc deux créations bien distinctes: celle de l’homme, celle de son esprit; et c’est ici seulement que paroît la femme. Elle n’est pas créée du néant comme tout ce qui a précédé; elle sort de ce qui existoit de plus parfait; il ne restoit plus rien à créer; Dieu extrait d’Adam le plus pur de son essence, pour embellir la terre de l’être le plus parfait qui eut encore paru; de celui qui complétoit l’œuvre sublime de la création. Le mot dont le législateur hébreu se sert pour exprimer cet être, revient à _virago_[28], que le François ne peut pas traduire, que le mot _femme_ n’exprime point, et qui ne peut se sentir que par l’idée de _puissance de l’homme_. Car _vir_ signifie homme, et _ago_ j’agis. Autrefois on disoit _vira_[29], et non _virago_. Mais les Septante ont prétendu que par le mot _vira_ le sens de l’hébreu n’étoit pas rendu, ils ont ajouté _ago_[30]. Je ne m’étonne donc point que Schurmann relève autant la condition du beau sexe, et s’indigne contre les sectes qui la dépriment. La parabole dont l’écriture se sert en formant la femme de la côte d’Adam, n’a d’autre objet que celui de montrer que cette nouvelle créature ne fera qu’un avec la personne de son mari, qu’elle est son âme et son tout. La tyrannie du sexe fort a pu seule altérer ces notions d’égalité. Ces notions furent bien distinctes dans le paganisme, puisque les anciens associèrent les deux sexes à la divinité: voilà ce qui est bien constaté indépendamment de tout système sur la mythologie. Si les païens mettoient l’homme dès le moment de sa naissance sous la garde de la puissance, de la fortune, de l’amour et de la nécessité, car c’est là ce que veulent dire _Dynamis, Tyché, Eros et Ananché_, ce n’étoit probablement qu’une allégorie ingénieuse pour exprimer notre condition: car nous passons notre vie à commander, à obéir, à désirer et à poursuivre. Autrement, c’eût été confier l’homme à des guides bien extravagans; car la puissance est la mère des injustices, la fortune celle des caprices; la nécessité produit les forfaits, et l’amour est rarement d’accord avec la raison. Mais quelque enveloppés que puissent être les dogmes du paganisme, il n’y a point de doutes sur la réalité du culte des divinités principales, et celui de Junon, femme et sœur du maître des dieux, fut un des plus universels et des plus révérés. Cette épithete de _femme_ et de _sœur_ montre assez sa toute-puissance: celle qui donne les loix peut les enfreindre. Ce secret célèbre et non moins commode de recouvrer sa virginité en se baignant dans la fontaine Canathus au Péloponese, étoit une preuve des plus frappantes de ce pouvoir qui légitime tout chez les dieux, comme chez les hommes. Le tableau des vengeances de Junon, exposé sans cesse sur les théâtres, propageoit la terreur qu’inspiroit cette formidable déesse. L’Europe, l’Asie, l’Afrique, les peuples barbares[31] comme les policés, l’honorèrent et la craignirent à l’envi. On la regardoit comme une reine ambitieuse, fière, jalouse, partageant le gouvernement du monde avec son époux, assistant à tous ses conseils, et redoutée de lui-même. Un hommage si universel qui n’est pas sans doute le plus flatteur que l’on ait rendu à la beauté faite pour séduire et non pour effrayer, prouve du moins que dans les idées des premiers hommes le trône du monde fut partagé entre les deux sexes[32]. Un écrivain illustre, du siècle passé, a été plus loin; il n’a pas fait difficulté de dire que cette prééminence de Junon sur les autres dieux étoit la véritable force d’où provenoient les excès d’adoration où des chrétiens sont tombés envers la sainte Vierge. Erasme lui-même a prétendu que la coutume de saluer la Vierge en chaire, après l’exorde du sermon, venoit des anciens. En général, les hommes cherchent à joindre aux idées spirituelles du culte, des idées sensibles qui les flattent, et qui bientôt après étouffent les premières. Ils rapportent, et sont bien forcés de rapporter tout à leurs idées; puisqu’ils ne peuvent saisir qu’en raison de ces idées; or ils savent qu’en tout pays on ne tire de la boue et de l’affection des rois rien autre chose que ce qu’ont résolu leurs ministres; ils croient Dieu bon, mais mené, et envisagent la cour céleste sur le modèle des autres. De là le culte de la Vierge bien plus approprié à l’esprit humain que celui du grand Être; aussi inexplicable qu’incompréhensible. Aussi lorsque le peuple d’Éphese eut appris que les pères du concile avoient décidé que l’on pourroit appeler la Vierge _Sainte_, il fut transporté de joie. Dès-lors on rendit à la Mère de Dieu des hommages singuliers; toutes les aumônes furent pour elle, et J.-C. n’eut plus d’offrandes. Cette ferveur n’a jamais cessé entièrement. Il y a en France trente-trois cathédrales dédiées à la Vierge, et trois métropolitaines. Louis XIII lui consacra sa personne, sa famille, son royaume. A la naissance de Louis XIV il envoya le poids de l’enfant en or à Notre-Dame de Lorette, qu’on peut, sans impiété, croire s’être très-peu mêlée de la grossesse d’Anne d’Autriche. Quelque chose de plus singulier que tout cela, c’est que dans le second siècle de l’église, on fit le Saint-Esprit du sexe féminin. En effet, _rouats touach_, qui en hébreu veut dire _esprit_, est féminin, et ceux qui furent de ce sentiment s’appelèrent les _Eliésaïtes_. Sans donner aucun prix à cette opinion erronée, je remarquerai que les Juifs n’ont jamais eu d’idées du mystère de la Trinité. Les apôtres mêmes ont été fortement persuadés du dogme de l’unité de Dieu sans modifications; ce n’est que dans les derniers momens que J.-C. leur a révélé ce mystère. Or, quand Dieu a voulu envoyer sur la terre l’une des trois personnes de la Trinité, il pouvoit l’envoyer sans l’incarner; il pouvoit envoyer la personne du Père, ou du Saint-Esprit, comme du Fils; il pouvoit l’incarner dans un homme comme dans une fille. Le choix divin semble une sorte de préférence ou d’attention pour la femme. J.-C. a eu une mère, il n’a point eu de père. La première personne à qui il parla fut la Samaritaine; la première à laquelle il se montra après sa résurrection fut Marie-Madeleine, etc. (I). Enfin, le Sauveur a toujours eu pour les femmes une prédilection bien honorable à leur sexe. Mais l’hommage vraiment flatteur pour lui, l’invention vraiment utile pour les sociétés, seroit que l’on trouvât les moyens les plus propres à rendre la beauté, la récompense de la vertu, à l’en animer elle-même, pour que tous les hommes fussent excités à faire le bien de leurs frères, et par les plaisirs de l’âme et par ceux des sens, pour que toutes les facultés dont l’Être suprême a doué notre espèce, concourussent à nous faire aimer les justes et bienfaisantes loix. Il n’est pas absolument impossible d’arriver un jour à ce but, si vivement désiré par le patriotisme, par la sagesse, par la raison; mais Dieu, combien nous en sommes loin encore! LA TROPOÏDE La dépravation des mœurs, la corruption du cœur humain, les égaremens de l’esprit de l’homme sont des textes tellement rebattus par nos rigoristes, que l’on croiroit que le siècle actuel est l’abomination de la désolation; car la langue françoise ne fournit aucune expression énergique que nos sermoneurs ne nous prodiguent. Cependant si l’on veut jeter un coup-d’œil impartial sur les siècles passés, sur ceux-là même qu’on nous offre pour modèles, je doute que l’on trouve beaucoup à regretter. Nos manières et nos mœurs, par exemple, valent bien celles du peuple de Dieu; et je ne sais ce que diroient nos déclamateurs, s’ils voyoient parmi nous une corruption aussi sale que celle qui se rapproche du beau siècle des patriarches. Je veux que les loix de Moïse aient été sages, justes, bienfaisantes; mais ces loix assises sur le tabernacle et dont le but paroît avoir été de lier la société des Hébreux entr’eux par la société de l’homme avec Dieu, prouvent invinciblement que ce peuple élu, chéri, préféré, étoit bien plus infirme que tout autre, comme nous le montrerons dans la suite de cet article. On ne réfléchit point assez que tout est relatif. Aucun établissement ne peut marcher selon l’esprit de son institution, s’il n’est dirigé par la loi du devoir, qui n’est autre chose que le sentiment de ce devoir. Le véritable ressort de l’autorité est dans l’opinion et dans le cœur des sujets; d’où il suit que rien ne peut suppléer aux mœurs pour le maintien du gouvernement: il n’y a que les gens de bien qui sachent administrer les loix; mais il n’y a que les honnêtes gens qui sachent véritablement leur obéir. Car outre qu’il est très-facile de les éluder, outre que ceux dont elles sont l’unique conscience sont très loin de la vertu et même de la probité, celui qui brave les remords sait braver les supplices, châtimens bien moins longs que le premier, auquel on peut d’ailleurs toujours espérer d’échapper. Mais quand l’espoir de l’impunité suffit pour encourager à enfreindre la loi, ou quand on est content pourvu qu’on l’ait éludée, l’intérêt général n’est plus celui de personne, et tous les intérêts particuliers se réunissent contre lui; les vices ont alors infiniment plus de force pour énerver les loix, que les loix pour réprimer les vices. On finit par n’obéir au législateur qu’en apparence. A cette époque, les meilleures loix sont les plus funestes, puisque si elles n’existoient pas, elles seroient une ressource que l’on auroit encore. Foible ressource cependant! Car les loix plus multipliées sont plus méprisées et de nouveaux surveillans deviennent autant de nouveaux infracteurs. L’influence des loix est donc toujours proportionnelle à celle des mœurs; c’est une vérité connue et incontestable; mais ce mot de _mœurs_ est bien vague et demanderoit une définition. Les mœurs sont et doivent être très variables d’une contrée à l’autre, absolument relatives à l’esprit national et à la nature du gouvernement. Le caractère des administrateurs y influe beaucoup aussi, et c’est dans tous ces rapports qu’il faut les envisager. Si le prix de la vertu, par exemple, est celui du brigandage; si les hommes vils sont accrédités, les dignités prostituées, le pouvoir ravalé par ses dispensateurs, les honneurs déshonorés, il est certain que la contagion gagnera tous les jours, que le peuple s’écriera en gémissant: _mes maux ne viennent que de ceux que je paie pour m’en garantir_: et que pour s’étourdir il se précipitera dans la corruption que l’on provoquera de toutes parts pour étouffer ses murmures. Si au contraire les dépositaires de l’autorité dédaignent l’art ténébreux de la corruption et n’attendent leurs succès que de leurs efforts, et la faveur publique que de leurs succès, les mœurs seront bonnes et suppléeront au génie du chef; car plus _l’esprit public_ a de ressorts et moins les talens sont nécessaires. L’ambition même est mieux servie par le devoir que par l’usurpation, et le peuple, convaincu que ses chefs ne travaillent que pour son bonheur, les dispense par sa docilité de travailler à l’affermissement du pouvoir. J’ai dit que les mœurs devoient être relatives à la nature du gouvernement; c’est donc encore sous ce point de vue qu’il faut en juger. En effet, dans une république qui ne peut subsister que par l’économie, la simplicité, la frugalité, la tolérance, l’esprit d’ordre, d’intérêt, d’avarice même, doit dominer, et l’État sera en danger, lorsque le luxe viendra polir et corrompre les mœurs. Dans une monarchie limitée, au contraire, la liberté sera regardée comme un si grand bien, et comme un bien toujours si menacé que toute guerre, toute opération entreprise pour la soutenir, pour étendre ou défendre la gloire nationale, ne trouvera que peu de contradicteurs. Le peuple sera fier, généreux, opiniâtre; et la débauche et le luxe le plus effréné n’énerveront pas l’esprit public. Dans une monarchie très absolue, qui seroit le plus sévère, le plus complet des despotismes, si le beau sexe n’y donnoit pas le ton; la galanterie, le goût de tous les plaisirs, de toutes les frivolités est tout naturellement et sans danger le caractère national; et les déclamations vagues sur ces imperfections morales sont vides de sens. Ceci posé, examinons rapidement si nos mœurs et quelques-uns de nos usages comparés avec ceux de plusieurs grands peuples, doivent paroître si détestables[33]. On voit au premier coup d’œil dans le lévitique à quel degré le peuple juif étoit corrompu. On sait que ce mot _lévitique_ vient de _Lévi_, qui étoit le nom de la tribu séparée des autres, comme étant spécialement consacrée au culte; d’où sont venus les lévites ou prêtres, et l’habillement d’aujourd’hui qui porte ce nom, sans être un monument bien authentique de notre piété. Moïse traite dans ce livre des consécrations, des sacrifices, de l’impureté du peuple, du culte, des vœux, etc. J’observerai en passant que la forme de la consécration chez les Hébreux étoit singulière. Moïse fit son frère Aaron grand-prêtre. Pour cet effet il égorgea un bélier, trempa son doigt dans le sang, en mit sur l’extrémité de l’oreille droite d’Aaron et sur ses pouces droits. Si l’on voyoit aujourd’hui le cardinal de Rohan consacrer dans la chapelle l’évêque de Senlis, et lui porter avec le doigt du sang tout chaud sur le bout de l’oreille[34], on ne pourroit guère s’empêcher de se rappeler la gravure de l’abbé Dubois sous la régence; on le voyoit à genoux aux pieds d’une fille qui prenoit de ce sale écoulement qui affligent les femmes tous les mois, pour lui en rougir la calotte et le faire cardinal. Tout le chapitre XV du lévitique ne roule que sur la gonorrhée à laquelle les Hébreux étoient fort sujets. La gonorrhée et la lèpre n’étoient pas leurs moins désagréables impuretés: et ils en avoient assez de réelles, sans en créer tant d’imaginaires. Par exemple, une femme étoit plus impure pour avoir mis au monde une fille plutôt qu’un garçon[35]. Voilà une singularité aussi peu raisonnable que bizarre. Les Hébreux forniquoient avec les démons sous la forme des chèvres[36]; ces démons mal appris usoient là d’une vilaine métamorphose. Un fils couchoit avec sa mère et prêtoit _main-forte_ à son père[37]: nous ne portons pas encore à ce degré l’amour filial. Un frère voyoit sans scrupule sa sœur dans la plus profonde intimité[38]. Un grand-père habitoit avec sa petite-fille[39]. Ce qui n’étoit pas très-anacréontique. On couchoit avec sa tante[40], avec sa bru[41], avec sa belle-sœur[42], ce n’étoient là que peccadilles; enfin on jouissoit de sa propre fille[43]. Les hommes se polluoient devant la statue de Moloch[44], puis on trouva que cette semence inanimée n’étoit pas digne de la statue; on finit par lui offrir en sacrifice l’enfant tout venu. Les hommes se servoient de femmes entr’eux[45] comme les pages du régent. Ils usoient de toutes les bêtes[46] et le beau sexe se faisoit servir par les ânes, les mulets, etc.[47]. Ce qui étoit d’autant plus mal-honnête que l’on paroissoit avoir formé la tribu des prêtres de manière à intéresser les femmes mal pourvues. On ne recevoit point lévites les boiteux, les bossus, les chassieux, les lépreux; ceux qui avoient le nez trop petit, tors, etc., il falloit un beau nez[48]. On voit par cet échantillon ce qu’étoient les mœurs du peuple de Dieu; il est certain qu’on ne peut les comparer à nos manières. Mais il ne me paroît pas que d’après cette esquisse d’un parallèle, qu’on pourroit pousser beaucoup, plus loin, il y ait tant à se récrier sur ce qui se passe de nos jours. Les esprits forts ne sont guère moins exagérateurs en parlant de nos coutumes superstitieuses, que les prédicateurs en invectivant contre nos vices. Nous avons le triste avantage de n’avoir été surpassés par aucune nation dans les fureurs du fanatisme; mais les délires de la superstition ont été portés plus loin dans d’autres religions. On ne voit pas chez nous de contemplatifs, qui sur une natte attendent en l’air que la lumière céleste vienne investir leur ame. On ne voit point d’énergumenes prosternés qui frappent du front contre terre pour en faire sortir l’abondance; de pénitens immobiles et muets comme la statue devant laquelle ils s’humilient. On n’y voit point étaler ce que la pudeur cache, sous le prétexte que Dieu ne rougit pas de sa ressemblance; ou se voiler jusqu’au visage, comme si l’ouvrier avait horreur de son ouvrage; nous ne tournons point le dos au midi à cause du vent du démon; nous n’étendons pas les bras à l’orient pour y découvrir la face rayonnante de la divinité; nous n’appercevons pas, du moins en public, de jeunes filles en pleurs meurtrir leurs attraits innocens, pour appaiser la concupiscence, par des moyens qui le plus souvent la provoquent; d’autres étalant leurs plus secrets appas attendre et solliciter dans la posture la plus voluptueuse les approches de la divinité; de jeunes hommes pour amortir leurs sens s’attacher aux parties naturelles un anneau proportionné à leurs forces; quelques-uns arrêter la tentation par l’opération d’Origène, et suspendre à l’autel les dépouilles de cet horrible sacrifice... Nous sommes assurément bien éloignés de tous ces écarts. Que diroient nos déclamateurs, si des bois sacrés plantés auprès de nos églises comme autour de leurs temples, étoient le théatre de toutes les débauches? si l’on obligeoit nos femmes à se prostituer, au moins une fois, en l’honneur de la divinité? Et l’on peut juger si la dévotion naturelle au beau sexe lui permettoit, au tems ou c’étoit la coutume, de s’en tenir là. S. Augustin rapporte, dans sa Cité de Dieu[49], que l’on voyait au Capitole des femmes qui se destinoient aux plaisirs de la divinité dont elles devenoient communément enceintes; il se peut que chez nous aussi plus d’un prêtre desserve plus d’un autel; mais du moins il ne se déguise pas en dieu. L’illustre père de l’église que je viens de citer ajoute dans le même ouvrages plusieurs détails qui prouvent, que si la religion couvre chez les modernes bien des séductions, le culte des anciens n’étoit pas du moins aussi décent que le nôtre. En Italie, dit-il, et surtout à Lavinium, dans les fêtes de Bacchus, on portoit en procession des membres virils sur lesquels la matrone la plus respectable mettoit une couronne. Les fêtes d’Isis étoient tout aussi décentes. S. Augustin donne au même endroit une longue énumération des divinités qui présidoient au mariage. Quand la fille avoit engagé sa foi, les matrones la conduisoient au dieu Priape (I) dont on connoît les propriété surnaturelles: on faisoit asseoir la jeune mariée sur le membre énorme du dieu: là on ôtoit sa ceinture et l’on invoquoit la déesse _Virginiensis_. Le dieu _Subigus_ soumettoit la fille aux transports du mari. La déesse _Préma_ la contenoit sous lui pour empêcher qu’elle ne remuât trop. (On voit que tout étoit prévu, et que les filles romaines étoient bien disposées.) Enfin venoit la déesse _Pertunda_, ce qui revient à Perforatrice, dont l’emploi, dit S. Augustin, étoit d’ouvrir à l’homme le sentier de la volupté. Heureusement cette fonction étoit donnée à une divinité femelle; car, comme le remarque très judicieusement l’évêque d’Hippone, le mari n’auroit pas souffert volontiers qu’un dieu lui rendît ce service, et qu’il lui donnât du secours dans un endroit où trop souvent il n’en a pas besoin. Encore une fois, nos coutumes sont-elles moins décentes que celles-là? Et pourquoi exagérer nos torts et nos foiblesses? Pourquoi porter la terreur dans l’âme des jeunes filles, et la méfiance dans celle des maris? Ne vaut-il pas mieux tout adoucir, tout concilier? Ces bons casuistes sont plus accommodans que cela! Lisez entre tant d’autres le jésuite Filliutius, qui a discuté avec une extrême sagacité jusqu’à quel degré peuvent se porter les attouchements voluptueux, sans devenir criminels. Il décide, par exemple, qu’un mari a beaucoup moins à se plaindre, lorsque sa femme s’abandonne à un étranger d’une manière contraire à la nature, que quand elle commet simplement avec lui un adultère et fait le péché comme Dieu le commande; _parce que_, dit Filliutius, _de la premiere façon on ne touche pas au vase légitime, sur lequel seul l’époux a des droits exclusifs_... O qu’un esprit de paix est un précieux don du ciel! LE THALABA Un des plus beaux monumens de la sagesse des anciens, est leur gymnastique (I). C’est par-là sur-tout qu’ils paraissent avoir été plus curieux de prévenir que de punir. Grande science en politique! Les ennemis, disoient les Athéniens, sont faits pour punir les crimes, les citoyens, pour maintenir les mœurs. De là l’attention prévoyante et salutaire sur l’éducation de la jeunesse. La premiere explosion des passions et leur fougue donnent à cet âge impétueux les plus fortes secousses; il lui faut une éducation mâle, mais dont l’âpreté soit adoucie par de certains plaisirs, analogues au grand objet de former des hommes. Or, il n’y a que les exercices du corps, où se trouve cet heureux mélange de travail et d’agrément, dont la partie constante occupe, amuse, fortifie le corps et par conséquent l’âme. Dans les pays où les fortunes sont très-inégales, les dernières classes de la société sont toujours assez stimulées par le besoin, pour ne pas redouter l’engourdissement de l’oisiveté et la mollesse qui en est la suite. Mais les riches en sont presqu’inévitablement la proie, si une institution universelle et publique ne les soumet pas à une éducation active, qui soit un foyer continuel d’émulation, et une digue contre ce qui, dans les richesses, et leurs jouissance, et leurs abus, tend sans cesse à énerver. Les sentimens énergiques et généreux germent rarement dans des corps affoiblis, et l’âme d’un Spartiate seroit bien mal logée dans le corps d’un Sybarite. Aussi tous les peuples féconds en héros ont été ceux dont l’éducation martiale, les institutions fortes, la gymnastique perfectionnée et dirigée selon les vues politiques du gouvernement, aiguisoient l’émulation et la vigueur. Ces institutions précieuses sont presqu’oubliées aujourd’hui. A Paris, par exemple, il y a bien quarante mille filles enregistrées à la police pour éduquer la jeunesse; mais il n’y a pas dans cette immense capitale une seule bonne académie où l’on puisse apprendre à monter à cheval; aucun exercice, si ce n’est l’escrime, la danse et la paume, n’y sont pratiqués, et nous avons su rendre ceux-là assez nuisibles. Il suit de là et de bien d’autres causes, que je ne prétends point énumérer, que nos passions, ou plutôt nos désirs et nos goûts (car nous n’avons guère de passions) l’emportent, et de beaucoup, sur toute vertu morale. Parmi ces désirs, le plus violent sans doute est celui qui porte un sexe vers l’autre. Cet appétit nous est commun avec tout ce qui est créé, animé ou non animé. La nature a veillé en mère tendre et prévoyante, à la conservation de tout ce qui existe. Mais il est arrivé parmi les hommes, ces êtres par excellence, qui le plus souvent ne paroissent doués d’intelligence que pour en abuser, ce qu’on n’a jamais remarqué parmi les autres animaux: c’est de tromper la nature en jouissant du plaisir attaché à la propagation de l’espèce, et en négligeant le but de cet attrait: ainsi nous avons séparé la fin des moyens; et l’impulsion de la nature prolongée par les efforts de notre imagination, nous a pressés, sans égard pour les temps, les lieux, les circonstances, les usages, le culte, les coutumes, les lois, toutes les entraves enfin que l’homme s’est données; elle n’a pas consulté davantage le costume des états et des âges, car les vieillards deviennent continens, mais rarement chastes. Cette maniere d’éluder les fins de la nature a eu différens principes; la superstition qui, de son masque hideux, a couvert presque tous nos vices et nos folies; diverses causes morales; la philosophie même. Des hérétiques en Afrique s’abstenoient de leurs femmes et leur pratique distinctive étoit de n’avoir aucun commerce avec elles. Ils se fondoient, 1º sur ce qu’Abel étoit mort vierge, et prirent le nom d’Abéliens, 2º sur ce que S. Paul prêchoit qu’il falloit être avec sa femme comme si l’on n’en avoit point[50]. Aucun délire superstitieux ne sauroit étonner; mais l’abus de la philosophie à cet égard est bien singulier, c’est l’ouvrage des cyniques. Il est bizarre que des hommes instruits et d’une raison exercée, ayant voulu transporter dans la société les mœurs de l’état de nature, qu’ils n’aient point apperçu, ou qu’ils se soient peu souciés du ridicule qu’il y avoit à affecter parmi des hommes corrompus et délicats, la rusticité des siècles de l’animalité. Des femmes même séduites par une philosophie si grotesque, ou plutôt par l’amour qu’inspiroient les auteurs de cette doctrine[51] lui sacrifierent cette honte, cette pudeur mille fois plus enracinée dans le cœur des femmes que la chasteté même. Tant qu’il ne s’agissoit que du devoir conjugal, les cyniques avoient du moins quelques sophismes à alléguer. Mais quand Diogène, qui déraisonnoit avec beaucoup de raison, transporta cette morale au fond de son tonneau, quels purent être ses sophismes? L’orgueil de braver les préjugés et l’espèce de gloire que l’homme esclave en tout et toujours ami de l’indépendance, y attache, furent apparemment les vrais motifs. L’ombre du secret, de la honte, des ténèbres lui auroit attiré des dénominations injurieuses, des persécutions; son impudence l’en garantit. Comment imaginer qu’un homme pense qu’il y ait du mal à faire et à dire ce qu’il fait et dit au grand jour? Comment poursuivre un homme qui vous dit froidement: «C’est un besoin très impérieux; je suis heureux de trouver en moi-même ce qui porte les autres hommes à faire mille dépenses et mille crimes. Si tout le monde m’eût ressemblé, Troie n’aurait pas été prise, ni Priam égorgé sur l’autel de Jupiter.» Ces raisons et beaucoup d’autres paroissent avoir séduit quelques-uns de ses contemporains. Galien cherche plus à le justifier qu’à le condamner. Il est vrai que la mythologie avoit en quelque sorte consacré l’onanisme. On racontoit que Mercure ayant eu pitié de son fils Pan, qui couroit nuit et jour par les montagnes, éperdu d’amour pour une maîtresse[52] dont il ne pouvoit jouir, lui enseigna cet insipide soulagement que Pan apprit ensuite aux bergers. Ce qui est plus singulier que l’indulgence de Galien, c’est celle de la fameuse Laïs qui prodiguoit à Diogène, à ce Diogène souillé par tant de jouissances solitaires, les faveurs que toute la Grèce auroit payées au poids de l’or et qui trompa pour lui l’aimable et sage Aristippe. Peut-être s’il lui fût arrivé la même aventure qu’à cette fille qui, ayant trop long-temps fait attendre le cynique, trouva qu’il s’étoit passé d’elle et n’en avoit plus besoin, peut-être Laïs se seroit-elle montrée plus sévere contre l’onanisme? On sait d’où vient ce mot _onanisme_: _Onan_ dans l’Écriture sainte répandoit sa semence sur la terre[53]; mais ses raisons pouvoient être préférables à celles de Diogène. Juda eut de Sué trois fils: Her, Onan et Séla. Il voulut postérité; il s’y prit singulièrement, mais il en vint à bout. Il fit épouser son fils aîné Her à Thamar; Her étant mort sans enfants, Juda voulut qu’Onan couchât avec sa belle-sœur, à condition que ses enfants s’appelleroient Her du nom de l’aîné. Onan refusa, et pour éluder les fins de la nature, chaque fois qu’il couchoit avec Thamar, il commençoit par répandre de côté sa libation. Il mourut. Juda fit épouser à Thamar son troisième fils Séla, qui mourut encore sans enfans. Juda s’obstina et se chargea de la besogne dont il paroît avoir été très-digne, car il engrossa sa fille, de manière qu’elle conçut deux jumeaux. Le premier présenta sa main sur laquelle la sage-femme noua un ruban d’écarlate, comme devant être l’aîné, mais ce petit bras se retira et l’autre enfant parut le premier; d’où il fut appelé Pharès[54]. Les pères voient la figure de Noé dans Pharès; Noé, représentation de J.-C. qui a paru comme le petit bras, et dont le corps ne devoit naître que pour la nouvelle loi. Mais ce que les pères voient de plus clair à tout cela, c’est que par l’aventure de la semence qu’Onan déposoit de côté, J.-C. se trouve né de Ruth étrangère, Rahab courtisane, Bethsabée adultere et Thamar incestueuse du pere à la fille[55]. Mais revenons. On voit que l’onanisme est, sinon consacré, du moins étayé par de grands et antiques exemples. Les causes morales qui le provoquent le plus communément, sont ou la crainte de donner la vie à des êtres, qui par des circonstances particulières seroient malheureux, ou celle des contacts vénéneux; car on croit, sans que cela soit bien prouvé, que le virus ne fait aucune impression sur les parties du corps qui sont revêtues de la peau toute entiere; mais seulement sur celles qui en sont dépourvues. Ces circonstances et beaucoup d’autres poussant à ne céder à ce sentiment si vif, qui porte l’homme à la propagation de lui-même, qu’en négligeant le but de la nature, les moyens de la tromper sont devenus passion chez quelques-uns, besoin chez beaucoup d’autres. Le sommeil provoque aux célibataires les songes les plus voluptueux; l’imagination aiguisée et flattée par ces illusions décevantes, qui conduisent à une réalité mutilée, mais aussi dépourvue des inconvéniens qui rendent souvent si dangereux un bonheur plus complet, a embrassé avec ardeur cette manière de donner le change à ses désirs. Les deux sexes rompant en quelque sorte les liens de la société, ont imité ces plaisirs auxquels ils se refusoient à regret et les remplaçant par leurs propres efforts, ils ont appris à se suffire. Ces plaisirs isolés et forcés sont devenus une passion violente par la commodité de l’assouvir, qui a tourné à son profit la force de l’habitude, si puissante sur l’humanité. Alors ils sont devenus très-dangereux, tant qu’ils n’ont été déterminés que par le besoin, quand une imagination plus voluptueuse que bouillante les a produits. Aucun accident n’en a été la suite; il n’y a point eu de mal physique à ce penchant et la morale en certains cas auroit pu lui montrer quelque indulgence[56]. Les anciens juges, peut-être peu scrupuleux, mais juges philosophes, pensoient que lorsqu’on le contenoit dans ces bornes, on ne violoit pas la continence. Galien soutient, comme on a vu, que Diogène qui recouroit publiquement à ce secours, étoit fort chaste; il n’usoit de cette pratique, dit-il, que pour éviter les inconvéniens de la semence retenue. Mais il est bien rare que dans ce qu’on accorde aux sens on garde un juste milieu. Plus on se livre à ses désirs, plus on les aiguise; plus on leur obéit, plus on les irrite. Alors l’ame enivrée de molesse et continuellement absorbée dans des idées voluptueuses, détermine sans cesse les esprits animaux à se porter au siège de la jouissance. Les parties qui produisent le plaisir deviennent plus mobiles par les attouchemens répétés, plus dociles aux écarts de l’imagination; les érections deviennent continuelles, les pollutions fréquentes et la disperdition de la vie excessive. Il arrive trop souvent que la passion dégénere en fureur. Les objets qui lui sont analogues et l’alimentent se présentent sans cesse à l’esprit; or, on ne peut croire à quel point cette attention à un seul objet énerve, affoiblit. D’ailleurs cette situation des parties de la génération entraîne, même sans pollution, une très-grande dissipation des esprits animaux. Les érections sont trop rapprochées, lors même qu’elles ne sont pas suivies de l’évacuation de la semence, épuisent prodigieusement. Il y a en ce genre des exemples frappans et incontestables. Il faut encore observer que l’attitude des onanistes ne contribue pas peu à l’affoiblissement qui résulte de leurs opérations solitaires et à l’irritabilité des organes. La nature ne peut jamais perdre ses droits, ni laisser outrager impunément ses loix. Des jouissances partagées, même excessives, seront plutôt supportées par elle, qu’un stratagême stérile par lequel on s’efforce de la contraindre. La satisfaction de l’esprit et du cœur aide une prompte réparation des pertes que les délires de l’imagination occasionnent et ne peuvent jamais remplacer. Mais la morale est toujours foible contre la passion. Quand ce goût bizarre a été connu, on s’est beaucoup plus occupé à perfectionner ce qui pouvoit le satisfaire, qu’à réfléchir sur ce qui pourroit le réprimer; et l’on a senti que les deux sexes s’aidant mutuellement, devoient rapprocher davantage la jouissance isolée, des charmes d’une jouissance mutuelle. Cet art singulier fut cultivé de tout tems et l’est encore dans la Grèce. Il y est d’usage de s’assembler après les repas. On se couche en rond sur un grand tapis; tous les pieds sont dirigés vers le centre, où dans la maison froide on établit un trépied qui porte un brasier. Un second tapis vous recouvre jusqu’aux épaules: là les jeunes Grecques trouvent le moyen de se déchausser sans qu’on s’en aperçoive et rendent aux hommes, avec leurs pieds, un service dont beaucoup de femmes s’aquittent très-gauchement avec leurs mains. En effet, ce talent n’est pas donné à toutes. Quelques-unes en ont fait à Paris une étude particulière, après une expérience consommée et une multitude d’essais. Aussi les jeunes filles qui ont la noble émulation de prétendre à une réputation en ce genre, ont grand soin d’aller prendre des leçons; mais toutes n’y réussissent pas. Il est certain qu’il s’offre ici des difficultés de plus d’un genre. Il ne s’agit pas d’un sentiment que l’être de la fille transmette; elle ne fait que le provoquer. Ce n’est pas une sensation qu’elle communique par l’impulsion de son corps; c’est une sensation que l’homme doit goûter en lui-même par l’imagination de cette fille, et qui ne devient exquise qu’autant qu’elle peut par son art prolonger la jouissance. Ce plaisir s’éteint avec l’acte parce que l’homme jouit seul. Les délices du plaisir de la nature, au contraire, précedent et suivent l’union intime des amans. La fille qui préside à la jouissance partielle, ne doit donc s’occuper qu’à amener, exciter, entretenir une situation qui lui est étrangère, puis à la suspendre, à en retarder l’effet loin de l’accélérer, bien moins encore de le provoquer. Toutes ces caresses doivent être modifiées avec des nuances infiniment délicates; la complaisante prêtresse ne peut pas s’abandonner à ces transports bouillans qu’elle se permettroit si elle étoit unie au sacrificateur. On sent bien que ce procédé ne sauroit avoir lieu vis-à-vis de ces jeunes gens fougueux que leur impétuosité entraîne, et qui ne recherchent dans ces sortes de jouissances que la convulsion du plaisir; il ne peut servir qu’à ceux en qui, dans un âge mûr, le grand feu du tempéramment se trouve amorti et l’imagination plus exercée: ils veulent jouir du plaisir avec toutes les sensations et les nuances qu’offre ce genre de volupté. Il y a parmi les hommes, tout aussi bien que chez les femmes, une très grande variété de tempérament; quelques-uns sont d’une lasciveté que l’on ne sauroit exprimer. Ceux qui avec du tempérament savent se contenir et ont le gland recouvert, conservent une salacité digne des anciens satyres: la raison en est simple: le gland qui forme le siège de la volupté, s’entretient dans un état de sensibilité exquise, par le séjour continuel de la liqueur lymphatique qui le lubrifie, au lieu qu’il devient dur et calleux avec l’âge chez ceux qui l’ont découvert, qu’on a circoncis ou qui ont naturellement le prépuce plus court; car chez eux cette liqueur préparatoire qui s’échappe existe en pure perte. Or une fille instruite dans l’art du Thalaba, ne se conduira pas avec un homme de cette classe comme avec un autre. Figurez-vous les deux acteurs nus dans une alcove entourée de glaces et sur un lit à pente suivie; la fille adepte évite d’abord avec le plus grand soin de toucher les parties de la génération: ses approches sont lentes, ses embrassements doux, les baisers plus tendres que lascifs, les coups de langue mesurés, le regard voluptueux, les enlacements de ses membres pleins de grace et de molesse; elle excite des doigts un léger prurit sur les bouts des tetons; bientôt elle aperçoit que l’œil devient humide; elle sent que l’érection est par-tout établie; alors elle porte légèrement le pouce sur l’extrémité du gland qu’elle trouve baigné de sa liqueur lymphatique; de cette extrémité le pouce descend doucement sur la racine, revient, redescend, fait le tour de la couronne; elle suspend ensuite, si elle s’aperçoit que les sensations augmentent avec trop de rapidité; elle n’emploie alors que des titillations générales; et ce n’est qu’après les attouchements simultanés et immédiats de la main, puis des deux, et les approches de tout son corps, que l’érection devenant trop violente, elle juge l’instant dans lequel il faut laisser agir la nature ou l’aider, ou la provoquer pour arriver au but: parce que le spasme qui s’établit dans l’homme devient si vif et l’appétit sensitif si violent, qu’il tomberoit en syncope si l’on n’y mettoit fin. Mais pour atteindre à ce genre de perfection, à ce ton de jouissance, il faut que cette fille s’oublie pour étudier, suivre et saisir toutes les nuances de volupté que l’ame du Thalaba parcourt, pour user des raffinemens successifs qu’exigent ces accroissemens de jouissance qu’elle a fait naître. On ne parvient ordinairement à quelque degré de perfection dans cet art, que par un tact fin, par un toucher précis, qui dans ces occasions sont les seuls et véritables juges... Mais qui le fera du résultat de cette œuvre de volupté...? Sera-ce Martial, le licentieux Martial?... Je l’entends s’écrier: _Ipsam crede tibi naturam dicere rerum, Istud quod digitis, Pontice, perdis, homo est[57]._ La nature elle-même et t’arrête et te crie: Ce que répand ta main eût mérité la vie. Cela est beau et vrai: cependant les poëtes ne font pas autorité dans les choses qui doivent être décidées par la raison. Le principe général et peut-être unique de morale, est que _mal est ce qui nuit_. L’adultere n’est pas si loin de la nature, et est un beaucoup _plus grand mal_ que l’onanisme. Celui-ci ne sauroit être dangereux qu’à la jeunesse, quand il altere sa santé; mais il peut souvent être très-utile à la morale; la perte d’un peu de sperme n’est pas en soi un plus grand mal, n’en est pas même un si grand que celle d’un peu de fumier qui eût pu faire venir un chou. La plus grande partie en est destinée par la nature même à être perdue. Si tous les glands devenoient des chênes, le monde seroit une forêt où il seroit impossible de se remuer. Enfin, je dirois à Martial: _vous n’approcheriez donc pas de votre femme quand elle est grosse_; _car_ Istud quod vagina, pontice, perdis homo est. _Si vous la laissiez ainsi jeûner, vous seriez un grand sot et lui feriez beaucoup de peine, ce qui est un grand mal; et de plus vous seriez tout ce que peut être un mari avant qu’elle fut accouchée; ce qui en est un assez petit._ L’ANANDRINE Les plus fameux rabbins ont pensé que nos premiers peres avoient les deux sexes et naissoient hermaphrodites pour accélérer la propagation; mais qu’après un certain tems écoulé, la nature cessa d’être aussi féconde, à l’époque où les substances végétales ne suffirent plus à notre nourriture, et où les hommes commencèrent à user de la viande. Il est d’abord certain, et nous l’avons vu dans ces mélanges[58], qu’Adam fut créé avec les deux sexes. Dieu lui donna une compagne, mais l’écriture ne dit point si dans ce miracle Adam perdit l’un de ses attributs. La Genese ne s’expliquant donc point d’une maniere précise sur ce sujet, le systême des rabbins a conservé long-temps un grand nombre de sectateurs. On a soutenu un systême mitigé, qui a semblé à quelques-uns plus vraisemblable. C’est qu’il y avait trois sortes d’êtres dans le premier âge du monde: les uns mâles, les autres femelles; d’autres mâles et femelles tout ensemble; mais que tous les individus de ces trois especes avoient chacun quatre bras et quatre pieds, deux visages tournés l’un vers l’autre et posés sur un seul cou, quatre oreilles, deux parties génitales, etc. Ils marchoient droits; quand ils vouloient courir, ils faisoient la culbute. Leurs excès, leur insolence, leur audace les firent dédoubler, mais il en résulta un grand inconvénient; chaque moitié tâchoit sans cesse de se réunir à l’autre, et quand elles se rencontroient, elle s’embrassoient si étroitement, si tendrement, avec un plaisir si délicieux, qu’elles ne pouvoient plus se résoudre à se séparer; plutôt que de se quitter, elles se laissoient mourir de faim. Le genre humain alloit périr; Dieu fit un miracle: il sépara les sexes et voulut que le plaisir cessât après un court intervalle, afin que l’on fît autre chose que de rester collés l’un à l’autre. Il est arrivé de là, et rien n’est plus simple, que le sexe femelle, séparé du sexe mâle, a conservé un amour ardent pour les hommes, et que le sexe mâle aspire sans cesse à retrouver sa tendre et belle moitié. Mais il est des femmes qui aiment d’autres femmes? Rien de plus naturel encore; ce sont des moitiés de ces anciennes femelles qui étoient doubles. De même certains mâles, dédoublement d’autres mâles, ont conservé un goût exclusif pour leur sexe. Il n’y a rien là d’étrange, quoique ces couples d’hommes réunis et désunis paroissent bien moins intéressans. Voyez combien quelques connoissances de plus ou de moins doivent donner de plus ou de moins de tolérance! Je souhaite que ces idées en imposent aux moralistes déclamateurs. On peut leur citer des autorités graves; car ce systême dont la source est dans Moïse, a été très-étendu par le sublime Platon. Et Louis Leroi, professeur royal à Paris, a fait sur cette matière de vastes commentaires, auxquels ont travaillé avec succès _Mercerus_ et _Quinquebze_, lecteurs du roi en hébreu. On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici les vers originaux de Louis Leroi. Au premier âge que le monde vivoit, D’herbe, de gland, trois sortes y avoit D’hommes; les deux, tels qu’ils sont maintenant, Et l’autre double étoit; s’entretenant Ensemblement tant mâle que femelle. Il faut penser que la façon fut belle; Car le grand Dieu qui vivre les faisoit, Faits les avoit, et bien s’y connoissoit. De quatre bras, quatre pieds et deux têtes, Etoient formées ces raisonnables bêtes; Le reste vaut mieux pensée que dite, Et se verroit plutôt peinte qu’écrite. Chacun étoit de son corps tant aise, Qu’en se retournant il se trouvoit baisé; En étendant ses bras on l’embrassoit; Voulant penser on le contrepensoit. En soi voyoit tout ce qu’il vouloit voir, En soi trouvoit tout ce qu’il falloit avoir. Jamais en lieu, ses pieds porté ne l’eussent, Que quand et lui ses passe-tems ne fussent. Si de son bien lui plairoit mal user, Facile étoit envers soi s’excuser. De lui n’étoit fait ni rapport ni compte, Ne connoissoit honnesteté ni honte. Si de son cœur sortoient simples désirs, Il y entroit tant de doubles plaisirs; Qu’en y pensant chacun est incité A maintenir que la félicité Fut de tel temps, et le siecle doré. Antoinette Bourignon, dans sa préface du _Nouveau ciel_, adopte aussi ce systême, qui paroît de nature à être regretté du beau sexe. Elle attribue au péché ce triste dédoublement et dit qu’il a défiguré dans les hommes l’œuvre de Dieu; et qu’au lieu d’hommes qu’ils devroient être, ils sont devenus des monstres de nature, divisés en deux sexes imparfaits, impuissans à produire seuls leurs semblables, comme se reproduisent les plantes, qui sont bien plus favorisées et parfaites en cela que l’espèce humaine, condamnée à ne se propager que par la réunion momentanée de deux êtres qui, s’ils éprouvent alors quelques délices, ne peuvent achever ce grand œuvre de la reproduction qu’avec tant de douleurs. Quoi qu’il en soit de ces idées, on a vu encore de nos jours des phénomenes analogues qui portent à croire que la tradition de Moïse n’est pas une chimère. L’un des plus étonnans est celui d’un moine à Issoire, en Auvergne, où le cardinal de Fleury fit exiler, en 1735, le garde-des-sceaux Chauvelin. Ce moine avoit les deux sexes; on lit dans le couvent ces vers à son sujet: J’ai vu vif, sans fantôme, Un jeune moine avoir Membre de femme et d’homme, Et enfant concevoir. Par lui seul en lui-même, Engendrer, enfanter, Comme font autres femmes, Sans outils emprunter. Cependant les registres du couvent portent que ce moine ne s’engrossa point lui-même; il n’avoit pas été tout à la fois agent et patient. Il fut livré à la justice et détenu jusqu’à sa délivrance. Néanmoins le registre ajoute ces mots remarquables: «ce moine appartenoit à monseigneur le cardinal de Bourbon; il avoit les deux sexes, et de chacun d’iceux s’aida tellement, qu’il devint gros d’enfans.» Je sais que l’on peut insinuer une différence entre l’hermaphrodite proprement dit et l’androgyne. L’androgyne et l’hermaphrodite, pure invention des Grecs qui vouloient et savoient tout embellir, ont été célébrés ainsi à l’envi par tous les poëtes qui en faisoient des descriptions charmantes, tandis que les artistes les représentoient sous les formes les plus agréables et les plus propres à réveiller les sentimens de la volupté. Pandore ne réunissoit que les perfections de son sexe. L’hermaphrodite réunit toutes les perfections des deux sexes. C’est le fruit des amours de Mercure et de Vénus, comme l’indique l’étymologie du nom[59]. Or Vénus étoit la beauté par excellence. Mercure, à sa beauté personnelle, joignoit l’esprit, les connoissances et les talens. On se forme l’idée d’un individu en qui toutes ces qualités se trouvent rassemblées, et on aura celle de l’hermaphrodite, tels que les Grecs ont voulu le représenter. Les androgynes, au contraire, sous la véritable acception de leur nom, ne sont que des participans aux deux sexes, que l’on n’a nommés hermaphrodites que parce que les anciens avoient feint que le fils de Mercure et de Vénus avoit les deux sexes. Mais il n’en est pas moins vrai que comme il y a eu de tous tems des femmes qui ont tiré un grand parti de cette conformité androgyne, elles ont su la rendre précieuse. Lucien, dans un de ses dialogues, instruit deux courtisanes, dont l’une dit à l’autre: _J’ai tout ce qu’il faut pour contenter tes désirs_; à quoi celle-ci répond: _Tu es donc hermaphrodite[60]?_ S. Paul reproche ce vice aux femmes romaines[61]. On a peine à croire ce qu’on lit dans Athénée sur les excès de ce genre, commis par ces femmes[62]. Aristophane, Plaute, Phedre, Ovide, Martial, Tertullien et Clément d’Alexandrie les ont désignés d’une manière plus ou moins directe, et Sénèque les accable d’une effroyable imprécation[63]. Les hermaphrodites parfaits sont à présent très-rares; ainsi il paroît que la nature ne produit plus de ces hommes androgynes; mais il faut convenir que l’on remarque fréquemment des effets de ces dédoublemens que nous venons d’expliquer: de tout tems et dans l’antiquité la plus reculée, comme dans les siècles plus voisins de nos jours, on a vu la passion la plus décidée de femme à femme. Lycurgue, ce sévere Lycurgue, qui rêva des choses si bizarres et si sublimes, faisoit représenter publiquement des jeux qu’on appeloient _gymnopédies_, où les jeunes filles paroissoient nues: les danses, les attitudes, les approches, les enlacemens les plus lascifs leur étoient enseignés. La loi punissoit de mort les hommes qui auroient été assez téméraires pour les approcher. Ces filles habitoient entr’elles jusqu’à ce qu’elles se mariassent: le but du législateur étoit apparemment de leur apprendre l’art de sentir, qui embellit beaucoup celui d’aimer; de les instruire de toutes les nuances de sensations que la nature indique ou dont elle est susceptible; en un mot, de les exercer entre elles, de manière à tourner un jour au profit de l’espece humaine tous les raffinemens qu’elles s’enseignoient mutuellement. Enfin, on leur apprenoit à être amoureuses avant d’avoir un amant; car on est amoureuse sans amour, comme on assure quelquefois qu’on aime sans être amoureuse. N’a pas du tempérament qui veut; n’aime pas qui veut: c’est une morale de ce genre que Lycurgue a développée dans ses loix: c’est cette morale qu’Anacréon a éparpillée dans ses immortels badinages comme les feuilles de la rose. Qui se seroit attendu à trouver Anacréon et Lycurgue dans les mêmes principes? Sapho, avant le poëte de Theos, les avoit réduits en systême pratique et en avoit décrit les symptômes. O quelle peintre et quelle observatrice étoit cette belle dévorée de tous les feux de l’amour! Cette Sapho, qui n’est guere connue que par les fragmens de ses poésies brûlantes et ses amours infortunés, peut être regardée comme la plus illustre des tribades (I). On compte du nombre de ses tendres amies les plus belles personnes de la Grece[64], qui lui inspirèrent des vers. Anacréon assure qu’on y trouve tous les symptômes de la fureur amoureuse. Plutarque apporte un de ces morceaux de poésie en preuve que l’amour est une fureur divine qui cause des enthousiasmes plus violens que ne l’étoient ceux de la prêtresse de Delphes, des Bacchantes et des prêtres de Cybele; qu’on juge quelle flamme brûloit le cœur qui inspiroit ainsi[65]! Mais Sapho, longtemps amoureuse de ses compagnes, les sacrifia à l’ingrat Phaon qui la réduisit au désespoir. N’auroit-il pas mieux valu pour elle continuer à poursuivre des conquêtes que les familiarités facilitées par la conformité du sexe, les sûretés qu’il procure et l’ascendant de son esprit devoient lui rendre si aisées? D’autant qu’elle étoit douée de tous les avantages que l’on peut desirer dans cette passion, à laquelle la nature sembloit l’avoir destinée; car elle avoit un clitoris si beau, qu’Horace donnoit à cette femme célèbre l’épithete de _muscula_; c’est dire en françois, _femme hommesse_. Il paroît que le collège des _Vestales_ peut être regardé comme le plus fameux serrail de tribades qui ait jamais existé, et l’on peut dire que la secte Anandryne a reçu dans la personne de ces prêtresses les plus grands honneurs. Le sacerdoce n’étoit pas un de ces établissemens vulgaires, humbles et foibles dans leur commencemens, que la piété hasarde et qui ne doivent leur succès qu’au caprice. Il ne se montre à Rome qu’avec l’appareil le plus auguste: vœu de virginité, garde du palladium, dépôt et entretien du feu sacré[66], symbole de la conservation de l’empire, prérogatives les plus honorables, crédit immense, pouvoir sans bornes. Mais combien tout cela eût été payé cher par la privation absolue de ce bonheur, auquel la nature appelle tous les êtres, et les supplices affreux qui attendoient les vestales, si elles succomboient à sa voix! Jeunes et capables de toute la vivacité des passions, comment y seroient-elles échappées sans les ressources de Sapho, tandis qu’on leur laissoit la liberté la plus dangereuse, et que leur culte même les appelloit à des idées si voluptueuses? Car on sait que les vestales sacrifioient au dieu _Fascinus_, représenté sous la forme du _Thallum Égyptien_, il y avoit des cérémonies singulières, observées dans ces sacrifices: elles attachoient cette image du membre viril aux chars des triomphateurs. Ainsi le feu sacré qu’elles entretenoient étoit sensé se propager dans tout l’empire par les voies véritablement vivifiantes, mais qu’un tel objet de contemplation étoit peu nécessaire à exposer à la vue de jeunes filles vouées à la virginité! On voit que les tribades anciennes avoient d’illustres modeles. L’abbé Barthelemi, dans ses antiquités palmyreniennes, cite les habits qu’elles affectoient en public: c’étoient, selon lui[67], l’_enomide_ et la _callyptze_. L’_énomide_ serroit étroitement le corps et laissoit les épaules découvertes. Quant à la _callyptze_ on ne la connoît que par son nom, comme la _crocote_, la lobbe _tarentine_, l’_anobolé_, l’_encyclion_, la _cécriphale_ et les tuniques teintes en couleurs ondoyantes qui désignoient assez bien cette ardeur des tribades qui appetent sans cesse, comme les flots se succedent sans jamais se tarir. Elles arboroient ces vêtements suivant les situations dans lesquelles elles se trouvoient. La callyptze étoit pour le public extérieur; elles portoient l’énomide lorsqu’elles recevoient du monde dans leur intérieur; la tarentine servoit dans les voyages; la crocote étoit pour le boudoir, lorsqu’elles étoient dans un exercice solitaire; l’anobolé pour la tribaderie de tête-à-tête; la cécriphale pour les rendez-vous nocturnes; l’encyclion pour tenir cercle licentieux; les tuniques teintes pour les grandes confrairies, les orgies; et la couleur de la tunique annonçoit l’office dont la tribade qui la portoit étoit chargée pour ce jour. Chaque genre de secours avoit sa couleur ondoyante particuliere. Il est certain cas où la tribaderie a été conseillée par des physiciens très-savans. On sait que David ne recouvra sa chaleur que par des femmes qui tribadoient pardessus son corps. Quant à Salomon, il n’employoit, sans doute, ses trois milles concubines qu’à faire exécuter en sa présence des évolutions en grand. De nos jours la chaleur idiopathique se restitue dans le corps humain par les jeux d’une multitude de femmes, au milieu desquelles s’établit celui qui veut recouvrer ses forces. Ce remede étoit conseillé par Dumoulin toujours avec succès. On sait qu’aussi-tôt que le malade ressentoit les effets idiopathiques de la chaleur, il devoit se retirer pour laisser rasseoir et raffermir l’incandescence qui paroissoit se montrer; autrement il en seroit résulté un effet contraire. Ce systême est fondé sur ce que l’homme n’a besoin que de la présence de l’objet pour ressentir l’espece de chaleur dont il s’agit, laquelle le meut plus ou moins fortement, selon qu’il est plus ou moins débilité. En général, la fréquence des accès de cette chaleur vivifiante dure autant et plus que les forces de l’homme. C’est une des suites de la faculté de penser et de se rappeller subitement certaines sensations agréables à la seule inspection des objets qui les lui ont fait éprouver. Ainsi celle qui disoit _que si les animaux ne faisaient l’amour que par intervalles, c’est qu’ils étoient des bêtes_, disoit un mot bien plus philosophique qu’elle ne pensoit. Au reste, en tribaderie, comme en tout, les excès sont nuisibles; ils énervent au lieu d’exciter. Il arrive aussi quelquefois, à force de recherches, des aventures singulières et funestes dans ces sortes d’exercices. Il y a peu de temps qu’à Parme une fille accoutumée à tribader avec sa bonne amie, se servit d’une grosse aiguille à tête d’ivoire de la longueur d’un doigt, qui dans les secousses fit fausse route et tomba dans la vessie de Domenica. Elle n’osa déclarer son aventure, souffrit et patienta; elle urinoit goutte à goutte; au bout de cinq mois il s’étoit déjà formé une pierre autour de l’aiguille que l’on tira par les voies ordinaires. Dans les couvens, vastes théatres de tribaderie, il est arrivé beaucoup d’événements pareils; ici c’est un cure oreille, là un pessaire; dans un autre un affiquet, ou un canon de seringue; ailleurs une fiole d’eau de la reine d’Hongrie, pour la laisser distiller goutte à goutte; une petite navette de tisseran, un épis de bled qui monte de soi-même, qui chatouille le vagin, et que la pauvre nonnette ne peut plus retirer, etc. On feroit un volume de pareilles anecdotes. M. Poivre nous apprend dans ses voyages que les plus fameuses tribades de l’univers sont les Chinoises; et comme en ce pays les femmes de qualité marchent peu, elles tribadent à travers des hamacs suspendus. Ces hamacs sont faits de soie plate à mailles de deux pouces en quarré; le corps y est mollement étendu, les tribades se balancent et s’agitent sans avoir la peine de se remuer. C’est un grand luxe des Mandarins, que d’avoir dans une salle, au milieu des parfums, vingt tribades aériennes qui s’amusent sous ses yeux. Le serrail du grand-seigneur n’a pas d’autre but; car que feroit un seul homme de tant de beautés? Quand le sultan blasé se propose de passer la nuit avec une de ses femmes, il se fait apporter son sorbet au milieu de la pièce des Tours (All’hachi); c’est ainsi qu’on la nomme. Les murs sont couverts de peintures les plus lascives; à l’entrée de cette pièce on voit une colombe d’un côté et une chienne de l’autre, par où l’on sort; symbole de volupté et de lubricité. Au centre des peintures se lisent vingt vers turcs qui décrivent les trente beautés de la belle Hélène, et dont M. de Saint-Priest a envoyé dernièrement un fragment avec ces détails: ce fragment a été traduit par un François du quartier de Péra[68]. Je n’essayerai point de traduire ces vers en françois; ils n’ont pas été faits par un poëte. Ce calcul arithmétique, ces trente qualités coupées gravement trois à trois, glaceroient toute verve. On ne calcule point les charmes qu’on adore; on s’enivre, on brûle, on les couvre de baisers; ce n’est qu’alors qu’on est intéressant; la belle qui verroit compter par ses doigts les attraits dont elle est ornée, prendroit le calculateur pour un sot et feroit elle même une pauvre figure. Il y en a plus de trente; il y en a plus de mille. Quoi! lorsqu’on voit Hélène nue, a-t-on la tête si nette?[69]... Mais les Turcs ne sont pas galans. Le sultan arrive dans cette salle, où les muets ont tout fait préparer. Il s’accroupit dans un angle d’où il rase la terre pour voir les attitudes sous un angle favorable; il fume trois pipes et pendant le tems qu’il y emploie, ce que l’Asie produit de plus parfait paroît nu dans cette salle. Elles s’accouplent d’abord suivant le tableau de la belle Hélene, puis se mêlent et diversifient les groupes et les postures dont les murs leur offrent les modeles qu’elles surpassent par leur agilité. Il y a entre autres dans ce sallon voluptueux sept tableaux de Boucher, dont un représente des fictions d’après le Caravage; et le dernier sultan les faisoit exécuter en naturel d’après le peintre des graces. O, si l’on employoit autant d’efforts à former les mœurs qu’à les corrompre, à créer les vertus qu’à exciter les désirs, que l’homme auroit bientôt atteint le degré de perfection dont la nature est susceptible! L’AKROPODIE La nature travaille à la reproduction des êtres par des voies bien diverses; elle a voulu que l’espèce humaine se renouvellât par le concours de deux individus semblables par les traits les plus généraux de leur organisation et destinés à y coopérer par des moyens particuliers et propres à chacun. Aussi l’essence d’un sexe ne se borne point à un seul organe, mais s’étend par des nuances plus ou moins sensibles à toutes les parties. La femme, par exemple, n’est point femme par un seul endroit; elle l’est par toutes les faces sous lesquelles elle peut être envisagée; on diroit que la nature a tout fait en elle pour les graces et les agrémens, si l’on ne savoit qu’elle a un objet plus essentiel et plus noble. C’est ainsi que dans toutes les opérations de la nature, la beauté naît d’un ordre qui tend au loin; et qu’en voulant faire ce qui est bon, elle fait nécessairement en même temps ce qui plaît. Voilà la loi générale, à laquelle ne dérogent les modifications particulières, qu’autant que les passions, les goûts, les mœurs, soumis à un rapport direct avec les législations et les gouvernemens, mais toujours subordonnés à la constitution physique dominante dans tel ou tel climat, s’écartent plus ou moins de la nature contrariée par l’homme. Ainsi dans les pays chauds, des habitans rembrunis, petits, secs, vifs, spirituels, seront moins laborieux, moins vigoureux, plus précoces et moins beaux que ceux des pays froids. Les femmes y seront plus jolies et moins belles; l’amour y sera un désir aveugle, impétueux, une fièvre ardente, un besoin dévorant, un cri de la nature. Dans les pays froids cette passion, moins physique et plus morale, sera un besoin très-modéré, une affection réfléchie, méditée, analysée, systématique, un produit de l’éducation. La beauté et l’utilité, ou toutes les beautés et les utilités ne sont donc point connexes: leurs rapports s’éloignent, s’affoiblissent se dénaturent; la main de l’homme contrarie sans cesse l’activité de la nature; quelquefois aussi nos efforts hâtent sa marche. Par exemple, la loi respective de l’amour physique des pays septentrionaux et des méridionaux est très-atténuée par les institutions humaines. Nous nous sommes entassés en dépit de la nature dans des villes immenses; et nous avons ainsi changé les climats par des foyers de notre invention dont les effets continuels sont infiniment puissants. A Paris, dont la température est bien froide en comparaison même de nos provinces méridionales, les filles sont plutôt nubiles que dans les campagnes même voisines de Paris. Cette prérogative, plus nuisible qu’utile peut-être, annexée à cette monstrueuse capitale, tient à des causes morales, lesquelles commandent très-souvent aux causes physiques; la précocité corporelle est due à l’exercice précoce des facultés intellectuelles, qui ne s’aiguisent guère avec le temps qu’au détriment des mœurs. L’enfance est plus courte; l’adolescence hâtive devient héréditaire; les fonctions animales et l’aptitude à les exercer s’exaltent (car se perfectionnent ne seroit pas le mot) de génération en génération. Or les dispositions corporelles et les facultés de l’ame sont entr’elles dans un rapport qui peut être transmis par la génération. Grande vérité qui suffit pour faire sentir de quelle importance seroit pour les sociétés une éducation bien conçue! C’est sur-tout peut-être sur le sexe séduisant qu’il faudrait travailler; car chez presque toutes les nations policées, avec l’apparence de l’esclavage, il commande en effet au sexe dominateur. Il y a des femmes, et en très grand nombre, chez qui les effets de la sensibilité augmentent le ressort de chaque organe tant cet être, pour lequel la nature a fait des frais inconcevables, est perfectible! Les spasmes vénériens qui constituent l’essence des fonctions du sexe, les libations fécondes sont plus susceptibles encore d’être envisagés moralement que méchaniquement. Elles dépendent sans doute de la plus ou moins grande sensibilité de ce centre merveilleux[70] qui se réveille ou s’assoupit périodiquement. Mais quelle influence n’a-t-il pas aussi sur toutes les parties de l’être! Si le plaisir y existe, l’âme sensitive, agréablement émue, semble vouloir s’étendre, s’épanouir pour présenter plus de surface aux perceptions. Cette intumescence répand par-tout le sentiment délicieux d’un surcroît d’existence; les organes montés au ton de cette sensation s’embellissent, et l’individu entraîné par la douce violence faite aux bornes ordinaires de son être, ne veut plus, ne sait plus que sentir. Substituez le chagrin au plaisir, l’ame se retire dans un centre qui devient un noyau stérile, et laisse languir toutes les fonctions du corps; et de même que le bien-être et le contentement de l’esprit produisent la joie, l’épanouissement de l’âme, la vivacité, l’embellissement du corps, la satisfaction, le sourire, la gaieté, ou la douce et tendre joie de la sensibilité, et ses voluptueuses larmes et ses embrassemens énergiques, et ses transports brûlans ressemblans à l’ivresse; de même la peine d’esprit et ses inquiétudes rétrécissent l’âme, abattent le corps, enfantent les douleurs morales et physiques, et la langueur et l’accablement et l’inertie.--Il ne seroit donc ni fol ni coupable celui qui, à l’exemple d’un despote Asiatique, mais par d’autres motifs, proposeroit aux philosophes et aux législateurs la recherche de nouveaux plaisirs et crieroit: «_Epicure étoit le plus sage des hommes. La volupté est et doit être le mobile tout-puissant de notre espece._» Il y a des variétés dans les êtres créés, qui seroient incroyables si l’on pouvoit combattre les résultats d’observations suivies, réitérées, authentiques[71], mais la physique éclairée doit être le guide éternel de la morale. Et voilà pourquoi presque toutes les loix coercitives sont mauvaises. Voilà pourquoi la science de la législation ne peut être perfectionnée qu’après toutes les autres. Mais l’homme, qui est le plus grand ennemi et le plus grand partisan, le plus grand promoteur et la plus remarquable victime du despotisme, a voulu dans tous les tems tout diriger, tout conduire, tout réformer. De là cette foule de loix si injustes et si bizarres, ces institutions inexplicables, ces coutumes de tout genre. A leur place, en tel tems, dans telles circonstances, en tel lieu, mais que le tyran de la nature a voulu propager, prolonger sans égard aux lieux et aux circonstances. La circoncision est selon nous une des plus singulières qu’il ait imaginées. Plusieurs peuples l’ont pratiquée pour des fins utiles dans l’ordre de la nature, et cela est simple et sage. D’autres l’ont admise sans besoin, comme une observance religieuse, et cela paroît fol. Les Égyptiens l’ont regardée comme une affaire d’usage, de propreté, de raison, de santé, de nécessité physique. En effet, on prétend qu’il y a des hommes qui ont le prépuce si long, que le gland ne pourroit pas se découvrir de lui-même; d’où il résulteroit une éjaculation baveuse qui seroit un inconvénient considérable pour l’œuvre de la génération. Cette raison en est une assurément pour diminuer un prépuce de cette nature. Mais que ce prépuce ait été un objet en grande vénération chez le peuple choisi de Dieu, voilà ce qui me semble très singulier. En effet, le sceau de la réconciliation, le signe de l’alliance, le pacte entre le Créateur et son peuple, c’est le prépuce d’Abraham[72], prépuce qui devoit être racorni; car Abraham avoit quatre-vingt-dix-neuf ans quand il se fit cette coupure; il opéra de même sur son fils, sur tous les mâles, etc. La femme de Moïse circoncit aussi son fils; ce ne fut pas sans peine, et elle se brouilla avec son époux qui ne la revit plus[73]. Cette cérémonie n’étoit alors regardée que comme une figure; car on parle des fruits circoncis[74], de la circoncision du cœur, etc.[75]. Et elle fut suspendue pendant tout le temps que les Israélites furent dans le désert. Aussi Josué à la sortie du désert fit circoncire un beau jour tout le peuple. Il y avoit quarante ans qu’on n’avoit coupé de prépuces; on en eut deux tonnes tout d’un coup[76]. Quand le peuple de Dieu eut des rois, on fit bien plus, on maria pour des prépuces. Saül promit sa fille à David et demande cent prépuces de douaire[77]. David qui étoit héroïque et généreux ne voulut pas être borné dans ce magnifique don et apporta à Saül deux cents prépuces[78] puis il épousa Michol; on la lui voulut contester; mais il forma sa demande en règle, et l’obtint pour sa collection de prépuces[79]. Ils ont excité de grandes querelles ces prépuces. On ne regarda pas seulement la circoncision comme un sacrement de l’ancienne loi, en ce qu’elle étoit un signe de l’alliance de Dieu avec la postérité d’Abraham; on voulut que ce bout de peau qu’on retranchoit du membre génital, remît le péché originel aux enfans. Les pères ont été divisés à ce sujet. S. Augustin, qui soutenoit cette opinion, a contre lui tous ceux qui l’ont précédé, et depuis lui, S. Justin, Tertullien, S. Ambroise, etc. La grande raison de ceux-ci est fort plausible. Pourquoi, disent-ils, ne coupe-t-on rien aux femmes? Le péché originel les entache tout comme les hommes; on devroit même en bonne justice leur couper plus qu’à ceux-ci; car sans la curiosité d’Ève, Adam n’auroit pas péché. Les peres Conning et Coutu ont soutenu, d’après M. Huet, qu’il n’étoit rien moins qu’évident que l’on ne circoncit pas les femmes. En effet, Huet sur Origène, dit positivement qu’on circoncit presque toutes les Égyptiennes[80], on leur coupoit une partie du clitoris qui nuiroit à l’approche du mâle; d’autres subissent la même opération par principe de religion, pour réprimer les effets de la luxure, parce que les chatouillemens et l’irritation sont moins à craindre quand le clitoris est moins proéminent. Paul Jove et Munster assurent que la circoncision est en usage pour les femmes chez les Abyssins. C’est même dans ce pays et pour ce sexe une marque de noblesse; aussi ne la donne-t-on qu’à celles qui prétendent descendre de Nicaulis, reine de Saba. La circoncision des femmes est donc très indécise, et les érudits ne peuvent encore s’exercer. Une opération très-embarrassante devoit être quand il falloit couper, où il ne restoit rien à retrancher. Par exemple, comment opéroit-on sur les peuples qui, circoncis par propreté ou par nécessité, se faisoient Juifs, de sorte qu’il falloit les circoncire encore une fois pour l’alliance? Il paroît qu’alors on se contentoit de tirer de la verge quelques gouttes de sang à l’endroit où le prépuce avoit été découpé; et ce sang s’appeloit _le sang de l’alliance_; mais il falloit trois témoins pour que cette cérémonie fût authentique, parce qu’il n’y avoit plus de prépuce à montrer. Les Juifs apostats s’efforçoient, au contraire, d’effacer en eux les marques de la circoncision et de se faire des prépuces. Le texte des Macchabées y est formel. _Ils se sont fait des prépuces et ont trompé l’alliance[81]._ S. Paul, dans la première épître aux Corinthiens, semble craindre que les Juifs convertis au christianisme n’en usent de même! _Si dit-il, un circoncis est appelé à la nouvelle loi, qu’il ne se fasse point de prépuce[82]._ Saint Jérôme, Rupert et Haimon nient la possibilité du fait et croient que la trace de la circoncision est ineffaçable; mais les pères Conning et Coutu ont soutenu dans le droit et dans le fait que la chose étoit possible; dans le droit par l’infaillibilité de l’Écriture, dans le fait par les autorités de Galien et de Celse qui prétendent qu’on peut effacer les marques de la circoncision. Bartholin[83] cite Œgnielte et Fallope qui ont enseigné le secret de supprimer cette marque dans la chair d’un circoncis. Buxtorf le fils, dans sa lettre à Bartholin, confirme ce fait par l’autorité même des Juifs: de plus, la matiere étant trop grave pour que des hommes religieux voulussent y laisser quelques doutes, les PP. Conning et Coutu ont éprouvé sur eux-mêmes la pratique indiquée par les médecins que nous venons de citer. La peau est extensible par elle-même à un degré qu’on auroit peine à croire, si celle des femmes dans la grossesse et les vêtemens faits avec la tunique des êtres animés, n’en étoient des exemples journaliers. On voit souvent des paupieres se relâcher, ou s’alonger exorbitamment. Or la peau du prépuce est exactement semblable à celle des paupieres. Ceci bien reconnu, les PP. Conning et Coutu se firent d’abord légitimement circoncire, et quand la racine de leur prépuce fut consolidée, ils y attacheront un poids, tel qu’ils purent le supporter sans causer aucun éraillement. La tension imperceptible et les linimens d’huile rosat le long de la verge, faciliterent l’alongement de la peau, au point qu’en quarante-trois jours Conning gagna sept lignes un quart. Coutu qui avoit la peau plus calleuse n’en put donner que cinq lignes et demie. On leur avoit fait une boëte de fer-blanc doublée et attachée à la ceinture pour qu’ils pussent uriner et vaquer à leurs affaires. Tous les trois jours on visitoit l’extension, et les peres visiteurs, nommés commissaires _ad hoc_, dressoient registres de l’arrivée du nouveau prépuce de Conning, à peu près comme on fait au Pont-Royal pour la crûe de la Seine. Il est donc bien constaté que la Bible a dit vrai pour les hommes; mais Conning et Coutu n’ont pas eu la même satisfaction pour les femmes. Aucune ne voulut permettre qu’on lui attachât un poids au clitoris; en sorte qu’il n’en est point aujourd’hui qui s’en fasse couper, ni par crainte de l’approche de l’homme (car il y a des expédiens qui sauvent tout inconvénient, comme on comprend bien)[84] ni en signe d’alliance, parce qu’il est de fait qu’elles s’allient toutes sans avoir besoin d’aucune diminution. On est bien loin aujourd’hui de s’affliger de la proéminence d’un clitoris... O que ce progrès des arts est énorme en ce siècle! On sait que les Turcs coupent la peau et n’y touchent plus, au lieu que les Juifs la déchirent et guérissent plus facilement; au reste, les enfans de Mahomet mettent le plus grand cérémonial dans cette opération. En 1581 Amurat III voulant faire circoncire son fils aîné, âgé de quatorze ans, envoya un ambassadeur à Henri III, pour le prier d’assister à la cérémonie du prépuce qui devoit se célébrer à Constantinople au mois de mai de l’année suivante: les ligueurs et sur-tout leurs prédicateurs prirent occasion de cette ambassade pour appeler Henri III _le roi Turc_, et lui reprocher qu’il étoit le parrain du grand-seigneur. Les Persans circoncisent à l’âge de treize ans en l’honneur d’Ismaël; mais la méthode la plus singulière en ce genre est celle qui se pratique à Madagascar. On y coupe la chair à trois différentes reprises; les enfans souffrent beaucoup, et celui des parens qui se saisit le premier du prépuce coupé, l’avale. Herrera dit que chez les Mexicains, où d’ailleurs on ne trouve aucune connoissance du mahométisme ni du judaïsme, on coupe les oreilles et le prépuce aux enfans aussi-tôt après leur naissance, et que beaucoup en meurent. Voilà ce que l’on peut citer de plus remarquable sur cette matiere. On ignore si la crainte du frottement et l’irritation qui en est une suite, privoit les Juifs de la commodité de porter ce que nous appelons des culottes; mais il est sûr que les Israélites n’en portoient pas; en quoi nos capucins non réformés ont imité le peuple de Dieu. Cependant comme les érections auroient pu embarrasser dans certaines cérémonies, il étoit enjoint de se servir alors d’un chauffoir[85] pour contenir les parties génitales. Aaron en reçut l’ordre. Je m’apperçois, en finissant ce morceau, que l’histoire des prépuces n’est pas très-anacréontique; mais quand on veut s’instruire dans les livres saints, comme c’est assurément le devoir de tout chrétien, il faut avoir le goût robuste; car on y trouve des passages infiniment plus fermes qu’aucun de ceux que j’ai cités. Lorsque, par exemple, on voit le roi Saül poursuivant David venir décharger son ventre[86] dans une caverne au fond de laquelle ce dernier étoit caché, et celui-ci arriver bien doucement et couper avec la plus grande dextérité le derrière du vêtement de Saül, puis aussitôt que le roi est parti, courir après lui pour lui démontrer qu’il auroit pu l’empaler aisément, mais qu’il étoit trop brave pour le tuer par derrière; quand on voit cela, dis-je, on s’étonne. Mais lorsque passant d’étonnement en étonnement on voit tour-à-tour sur ce vaste et saint théâtre, des hommes qui se nourrissent de leurs excrémens[87] et boivent de leur urine[88]; Tobie que de la fiente d’hirondelle aveugle[89]; Esther qui se couvre la tête de tout ce qu’il y de plus sale au monde[90]; les paresseux qu’on lapide avec de la bouse de vache[91]; Isaïe réduit à manger les plus hideuses évacuations du corps humain[92]; des riches qui _embrassoient des immondices_[93], d’autres qu’on aspergeoit dans le temple même, avec cette matière fécale; enfin Ézéchiel qui étendoit sur son pain cet étrange ragoût[94], lequel, Dieu, par un miracle, qui ne paroît pas à tout le monde digne de sa bonté, convertit en fiente de bœuf[95]... Quand on voit tout cela, on ne s’étonne plus de rien. [Illustration: Cachet de Mirabeau] [Illustration: Autographe de MIRABEAU Lettre d’envoi de la suite de son travail sur la Prusse] KADHESCH La puissance des loix dépend presqu’uniquement de leur sagesse, et la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée. C’est pour cela que Platon regarde comme une précaution très-importante de mettre toujours à la tête des édits un préambule raisonné, qui en montre la justice en même temps qu’il en expose l’utilité. En effet, la première loi est de respecter les loix. La rigueur des châtiments n’est qu’une vaine et coupable ressource, imaginée par des esprits étroits et de mauvais cœurs, pour substituer la terreur au respect qu’ils ne peuvent obtenir. Aussi est-ce une remarque universelle et non démentie par la plus vaste expérience, que les supplices ne sont nulle part aussi fréquens que dans les pays où ils sont terribles; de sorte que la cruauté des peines désigne infailliblement la multitude des infracteurs, et qu’en punissant tout avec la même sévérité, l’on force les coupables qui le plus souvent ne sont que les foibles, à commettre des crimes pour échapper à la punition de leurs fautes. Le gouvernement n’est pas toujours maître de la loi; mais il en est toujours le garant, et que de moyens n’a-t-il pas pour la faire aimer! Le talent de régner n’est donc pas infiniment difficile à acquérir; car il ne consiste qu’en cela. J’entends bien qu’il est encore plus aisé de faire trembler tout le monde quand on a la force en main; mais il est très-facile aussi de gagner les cœurs; car le peuple a appris depuis bien longtemps de tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font point, à les adorer quand il n’en est pas haï. Quoi qu’il en soit, un imbécile obéi peut comme un autre punir les forfaits; le véritable homme d’État sait les prévenir. C’est sur les volontés plus que sur les actions qu’il cherche à étendre son empire. S’il pouvoit obtenir que tout le monde fît bien, que lui resteroit-il à faire? Le chef-d’œuvre de ses travaux seroit de parvenir à rester oisif. C’est donc une grande maladresse que la jactance et l’abus du pouvoir; le comble de l’art est de le déguiser (car tout pouvoir est désagréable à l’homme) et surtout de ne pas savoir seulement employer les hommes tels qu’ils sont, mais de parvenir à les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient. Cela est très possible; car les hommes sont à la longue tels que le gouvernement les fait; guerriers, citoyens, esclaves, il modele tout à son gré, et quand j’entends un homme d’État dire: _je méprise cette nation_, je lève les épaules et réponds en moi-même: _et toi, je te méprise de n’avoir pas su la rendre estimable_. C’est là le grand art des anciens qui paroissent nous avoir été aussi supérieurs dans les sciences morales que nous l’emportons sur eux dans les sciences physiques. Tout leur but étoit de diriger les mœurs, de former des caractères, d’obtenir de l’homme que pour faire ce qu’il doit, il lui suffit de songer qu’il le doit faire. O, quel mobile d’honneur, de vertu, de bien-être, seroit la législation perfectionnée ainsi sur un seul principe! Les loix anciennes étoient tellement le fruit de hautes pensées et de grands desseins, le produit du génie, en un mot, que leur influence a survécu aux mœurs des peuples pour qui elles étoient faites. Combien long-tems, par exemple, n’a pas duré le préjugé imprimé par les anciens législateurs sur les mariages stériles? Moïse ne laissa guère aux hommes la liberté de se marier ou non. Lycurgue nota d’infamie ceux qui ne se marioient pas. Il y avoit même une solemnité particulière à Lacédémone, où les femmes les produisoient tout nus aux pieds des autels, leur faisoient faire à la nature une amende honorable, qu’elles accompagnoient d’une correction très-sévère. Ces républicains si célèbres avoient poussé plus loin les précautions en publiant des réglemens contre ceux qui se marieroient trop tard[96] et contre les maris qui n’en usoient pas bien avec leurs femmes[97]. On sait quelle attention les Égyptiens et les Romains apportèrent à favoriser la fécondité des mariages. S’il est vrai qu’il y eut dans les premiers âges du monde des femmes qui affectoient la stérilité, comme il paroît par un prétendu fragment du prétendu livre d’Enoch, il peut y avoir eu aussi des hommes qui en fissent profession; mais les apparences n’y sont rien moins que favorables. Il étoit sur-tout alors nécessaire de peupler le monde. La loi de Dieu et celle de la nature imposoient à toutes sortes de personnes l’obligation de travailler à l’augmentation du genre humain; et il y a lieu de croire que les premiers hommes se faisoient une affaire principale d’obéir à ce précepte. Tout ce que la Bible nous apprend des patriarches, c’est qu’ils prenoient et donnoient des femmes, c’est qu’ils mirent au monde des fils et des filles, et puis moururent, comme s’ils n’avoient eu rien de plus important à faire. L’honneur, la noblesse, la puissance consistoient alors dans le nombre des enfans; on étoit sûr de s’attirer par la fécondité une grande considération, de se faire respecter de ses voisins, d’avoir même une place dans l’histoire. Celle des Juifs n’a pas oublié le nom de _Jaïr_, qui avoit trente fils au service de la patrie; ni celle des Grecs les noms de _Danaüs_ et d’_Égyptus_, célèbres par leurs cinquante fils et leurs cinquante filles. La stérilité passoit alors pour une infamie dans les deux sexes et pour une marque non équivoque de la malédiction de Dieu. On regardoit au contraire comme un témoignage authentique de sa bénédiction d’avoir autour de sa table un grand nombre d’enfans. Ceux qui ne se marioient pas étoient réputés _pécheurs contre nature_. Platon les tolère jusqu’à l’âge de trente-cinq ans; mais il leur interdit les emplois et ne leur assigne que le dernier rang dans les cérémonies publiques. Chez les Romains, les censeurs étoient spécialement chargés d’empêcher cette sorte de vie solitaire[98]. Les célibataires ne pouvoient ni tester ni rendre témoignage[99]: la religion aidoit en ceci la politique; les théologiens païens les soumettoient à des peines extraordinaires dans l’autre vie, et dans leur doctrine le plus grand des malheurs étoit de sortir de ce monde sans y laisser des enfans; car alors on devenoit la proie des plus cruels démons[100]. Mais il n’est point de loix qui puissent arrêter un désordre idéal; aussi malgré les injonctions des législateurs, on éludoit très-communément dans l’antiquité les fins de la nature. L’histoire ne dit point comment ni par qui commença l’amour des jeunes garçons, qui fut si universel. Mais un goût si particulier, et en apparence si bizarre, l’emporta sur les loix pénales, bursales, infamantes, etc., sur la morale, sur la saine physique. Il faut donc que cet attrait ait été très-impérieux. Mais cette passion bizarre a une origine qui m’a paru très-singulière: je crois que l’impuissance dont la nature frappe quelquefois, se confédéra avec des tempéramens effrénés pour l’affermir et la propager. Rien de plus simple. L’impuissance a toujours été une tache très-honteuse. Chez les Orientaux, les hommes marqués de ce sceau de réprobation eurent le titre flétrissant d’_eunuques du soleil_, d’_eunuques du ciel, faits par la main de Dieu_. Les Grecs les appelloient _invalides_. Les loix qui leur permettoient les femmes, permettoient aussi à ces femmes de les abandonner. Les hommes condamnés à cet état équivoque, qui dut être très-rare dans les commencemens, également méprisés des deux sexes, se trouvèrent exposés à plusieurs mortifications qui les réduisirent à une vie obscure et retirée; la nécessité leur suggéra différens moyens d’en sortir et de se rendre recommandables. Dégagés des mouvemens inquiets de l’amour étranger, et, au physique, de l’amour-propre, ils s’assujettirent aux volontés des autres, et furent trouvés si dévoués, si commodes, que tout le monde en voulut avoir. Le plus atroce des despotismes en augmenta bientôt le nombre; les pères, les maîtres, les souverains s’arrogèrent le droit de réduire leurs enfans, leurs esclaves, leurs sujets à cet état ambigu; et le monde entier, qui dans le commencement ne connoissoit que deux sexes, fut étonné de se trouver insensiblement partagé en trois portions à peu près égales. La bizarrerie, la satiété, le libertinage, l’habitude, des motifs particuliers, une philosophie affectée ou téméraire, la pauvreté, la cupidité, la jalousie, la superstition concoururent à cette révolution singulière; la superstition, dis-je, car les opérations les plus avilissantes, les plus ridicules, les plus cruelles ont été imaginées par des fanatiques atrabilaires, qui dictent des loix tristes, sombres, injustes, où la privation fait la vertu et la mutilation le mérite. Les Romains fourmilloient d’eunuques. En Asie et en Afrique on s’en sert encore aujourd’hui pour garder les femmes; en Italie cette atrocité n’a pour objet que la perfection d’un vain talent (I). Au Cap les Hottentots ne coupent qu’un testicule, pour éviter, disent-ils, les jumeaux. Dans beaucoup de pays les pauvres mutilent pour éteindre leur postérité, afin que leurs malheureux enfans n’éprouvent pas un jour la double misère et de périr de faim et de voir périr les leurs. Il y a bien des sortes d’eunuques! Quand on ne pense qu’à perfectionner la voix, on n’enlève que les testicules; mais la jalousie dans sa cruelle méfiance retranche toutes les parties de la génération: cette effroyable opération est très dangereuse; on ne peut la faire avec une sorte de succès qu’avant la puberté; encore y a-t-il beaucoup de danger: passé quinze ans, à peine en réchappe-t-il un quart. Aussi ces sortes d’impuissants se vendent cinq et six fois jusqu’à vingt-deux mille de ces infortunés. Quelle horrible plaie faite à l’humanité! Les plus fameux sont Éthiopiens; ils sont si hideux que les jaloux les paient au poids de l’or. Les impuissans absolus se qualifient d’_eunuques aqueducs_, parce qu’étant dépourvus de la verge qui porte le jet au-dehors, ils sont obligés de se servir d’un conduit de supplément, faute de ne pouvoir lancer le jet comme les femmes dont la vulve a tout son ressort. Ceux au contraire qui ne sont privés que des testicules, jouissent de toute l’irritation que donnent les désirs, et peuvent en un sens se dire très puissans (sur-tout lorsqu’ils n’ont été opérés qu’après que leur organe a reçu tout son développement[101] mais avec cette triste exception que, ne pouvant jamais se satisfaire, l’ardeur vénérienne dégénere chez eux en une espece de rage; ils mordent les femmes qu’ils liment avec une précieuse continuité. On voit que cette sorte d’eunuques a le double avantage de servir sans risque aux plaisirs des femmes et aux goûts dépravés des hommes. Autrefois tous les garçons de la Géorgie se vendoient aux Grecs, et les filles garnissoient les serrails. On comprend que l’on trouvoit dans ce beau climat autant de Ganymedes que de Vénus; et si quelque chose pouvoit excuser cette passion aux yeux de qui ne l’a pas, ce seroit sans doute l’incomparable beauté de ces modeles. On comprend aujourd’hui, comme on sait, par le mot de _péché contre nature_ tout ce qui a rapport à la non-propagation de l’espece, et cela n’est ni juste, ni bien vu. La sodomie, dans son rapport avec la ville de l’Ecriture, est bien différente, par exemple, d’une simple pollution. Quoique ce goût bizarre que l’on a compris avec tant d’autres dans le mot général _mollities_ ait été généralement répandu dans les pays les plus policés, l’histoire ne cite rien d’aussi fort que ce qui est rapporté dans l’Ecriture. Toutes les villes de la Pentapole en étoient tellement infestées qu’aucun étranger n’y pouvoit paraître qu’il ne fût en proie à leurs désirs. Les deux anges qui vinrent visiter Loth furent à l’instant assaillis par une multitude de peuple[102]. En vain Loth leur prostitua ses deux filles: ce singulier acte de vertu hospitalière ne lui réussit pas. Il falloit aux Sodomistes des derrières mâles[103]; et les anges n’échappèrent que grâce à cet aveuglement subit qui empêcha ces libertins de se reconnoître les uns les autres. Cet état ne dura pas longtemps; car en douze heures de tems tout fut consumé par la pluie de soufre, au point que Loth et ses filles, retirés dans une antre, crurent que le monde venoit de périr par le feu, comme il avoit lors du déluge péri par l’eau; et la crainte de ne plus avoir de postérité détermina ces filles, qui ne comptoient apparemment pas sur les fruits de leur prostitution récente, à en tirer au plus vite de leur pere. L’aînée se dévoua la première à ce piteux office; elle se coucha sur le bon homme Loth, qu’elle avoit enivré, lui épargna toute la peine de ce sacrifice offert à l’amour de l’humanité, et le consomma sans qu’il s’en aperçût[104]. La nuit suivante sa sœur en fit autant; et le bon Loth qui paroît avoir été facile à tromper et dur à réveiller, réussit si bien dans ces actes involontaires, que ses filles mirent au monde neuf mois après cette aventure, deux garçons, Moab, chef de la nation des Moabites[105], et Ammon, chef des Ammonites. On sait, indépendamment du témoignage formel de S. Paul[106], que les Romains porterent très-loin ces excès de la pédérastie; mais ce que ce grand apôtre dit de remarquable, c’est que les femmes préféroient de beaucoup le plaisir contre nature à celui qu’elles provoquent.--_Et fœminæ imitaverunt naturalem usum in eum usum qui est contra naturam_; c’est dans le vingt-sixième verset du chapitre cité au bas de la page qu’on lit ces paroles; et le verset suivant a fourni au Caravage l’idée de son _Rosaire_, qui est dans le Musæum du grand-duc de Toscane. On y voit une trentaine d’hommes étroitement liés (_turpiter ligati_) en rond, et s’embrassant avec cette ardeur lubrique que ce peintre sait répandre dans ses compositions libertines. Au reste, la pédérastie a été connue sur tout le globe; les voyageurs et les missionnaires en font foi. Ceux-ci rapportent même un cas de sodomie triple qui a embarrassé et aiguisé la sagacité du docteur Sanchez: le voici. Marc Paul avoit décrit, dans sa Description géographique, imprimée en 1566, les hommes à queue du royaume de Lambri. Struys avoit parlé de ceux de l’isle Formose et Gemelli Carreri de ceux de l’isle Mindors, voisine de Manille. Tant d’autorités se trouverent plus que suffisantes pour déterminer des missionnaires jésuites à entreprendre de préférence des conversions dans ce pays-là. Ils ramenèrent en effet de ces hommes à queue, qui par un prolongement du coccyx portaient vraiment des queues de sept, huit et dix pouces, susceptibles, quant à la mobilité, de tous les mouvemens que l’on aperçoit dans la trompe de l’éléphant. Or l’un de ces hommes à queue se coucha entre deux femmes, dont l’une ayant un clitoris considérable, se posta de la tête aux pieds et plaça en pédéraste son clitoris, tandis que la queue de l’insulaire fournissoit sept pouces au vase légitime: l’insulaire qui étoit complaisant se laissa faire, et pour occuper toutes ses facultés il approcha de l’autre femme et en jouit comme la nature y invite... Il y avoit là assurément de quoi exercer les talens du prince des casuistes. Sanchez distingua: «Pour la première, dit-il, sodomie double quoiqu’incomplete dans ses fins, parce que ni la queue ni le clitoris ne pouvant verser la libation, ils n’opèrent rien contre les voies de Dieu et le vœu de la nature; quant à la seconde, fornication simple.» J’imagine que de pareilles queues auroient plus d’un genre d’utilité à Paris, où le goût des pédérastes, quoique moins en vogue que du tems de Henri III, sous le règne duquel les hommes se provoquoient mutuellement sous les portiques du Louvre, fait des progrès considérables. On sait que cette ville est un chef-d’œuvre de police; en conséquence il y a des lieux publics autorisés à cet effet. Les jeunes gens qui se destinent à la profession sont soigneusement enclassés; car les systêmes réglementaires s’étendent jusques là. On les examine; ceux qui peuvent être agens et patiens, qui sont beaux, vermeils, bien faits, potelés, sont réservés pour les grands seigneurs, ou se font payer très-cher par les évêques et les financiers. Ceux qui sont privés de leurs testicules, ou en terme de l’art (car notre langue est plus chaste que nos mœurs) qui n’ont pas le _poids du tisserand_, mais qui donnent et reçoivent forment la seconde classe; ils sont encore chers parce que les femmes en usent, tandis qu’ils servent aux hommes. Ceux qui ne sont plus susceptibles d’érections tant ils sont usés, quoiqu’ils aient tous les organes nécessaires au plaisir, s’inscrivent comme _patiens purs_ et composent la troisième classe: mais celle qui préside à ces plaisirs, vérifie leur impuissance. Pour cet effet on les place tout nus sur un matelas ouvert par la moitié inférieure; deux filles le caressent de leur mieux, pendant qu’une troisième frappe doucement avec des orties naissantes le siège des désirs vénériens. Après un quart d’heure de cet essai, on leur introduit dans l’anus un poivre long rouge qui cause une irritation considérable; on pose sur les échauboulures produites par les orties de la moutarde fine de Caudebec, et l’on passe le gland au camphre. Ceux qui résistent à ces épreuves, et ne donnent aucun signe d’érection servent comme patiens à un tiers de paie seulement... O qu’on a bien raison de vanter le progrès des lumieres dans ce siecle philosophe! BÉHÉMAH DE LA BESTIALITÉ.--Ce titre répugne à l’esprit et flétrit l’ame. Comment imaginer sans horreur qu’un goût aussi dépravé puisse exister dans la nature humaine, lorsqu’on pense combien elle peut s’élever au-dessus de tous les êtres animés? Comment se figurer que l’homme ait pu se prostituer ainsi? Quoi, tous les charmes, tous les délices de l’amour, tous ses transports... il a pu les déposer aux pieds d’un vil animal! Et c’est au physique de cette passion, à cette fievre impétueuse qui peut pousser à de tels écarts, que des philosophes n’ont pas rougi de subordonner le moral de l’amour! _Le physique seul en est bon_[107], ont-ils dit.--Eh bien, lisez Tibulle et puis courez contempler ce physique dans les Pyrénées où chaque berger a sa chevre favorite; et quand vous aurez assez observé les hideux plaisirs du montagnard brutal, répétez encore: _en amour le physique seul est bon_. Un sentiment très philosophique peut engager à fixer un moment ses regards sur un sujet aussi étrange, parce que ce sentiment donnant la force d’écarter toutes les idées que l’éducation, les préjugés, et l’habitude nous inculquent tour à tour, indique plus d’une vue à diriger, plus d’une expérience à faire, dont les résultats pourroient être utiles et curieux. La forme particuliere par laquelle la nature a distingué l’homme et la femme, prouve que la différence des sexes ne tient pas à quelques variétés superficielles; mais que chaque sexe est le résultat peut-être d’autant de différences qu’il y a d’organes dans le corps humain, quoiqu’elles ne soient pas toutes également sensibles. Parmi celles qui sont assez frappantes pour se laisser appercevoir, il en est dont l’usage et la fin ne sont pas bien déterminés. Tiennent-elles au sexe essentiellement, ou sont-elles une suite nécessaire de la disposition des parties constituantes[108]? La vie s’attache à toutes les formes, mais elle se maintient plus dans les unes que dans les autres. Les productions monstrueuses humaines vivent plus ou moins; mais celles qui le sont extrêmement périssent bientôt. Ainsi l’anatomie, éclairée autant qu’il seroit possible, pourroit décider jusqu’à quel point on peut être monstre, c’est-à-dire, s’écarter de la conformation particuliere à son espece, sans perdre la faculté de se reproduire, et jusqu’à quel point on peut l’être sans perdre celle de se conserver. L’étude de l’anatomie n’a pas même encore été dirigée sur ce plan, pour lequel on pourroit mettre à profit cette erreur de la nature, ou plutôt cet abus de ses désirs et de ses facultés qui portent à la bestialité. Les productions monstrueuses d’animaux différens conservent une conformation particuliere aux deux especes, en perdant insensiblement la faculté de se reproduire. Les productions monstrueuses de l’humanité nous apprendroient en outre jusqu’à quel point l’ame raisonnable _se transmet ou se débrouille_, si l’on peut parler ainsi, d’avec l’ame sensitive. Il est singulier que la physique ait dédaigné ces recherches. La partie constitutive de notre être, qui nous différencie essentiellement de la brute, est ce que nous appellons l’ame. Son origine, sa nature, sa destinée, le lieu où elle réside sont une source intarissable de problêmes et d’opinions. Les uns l’anéantissent à la mort; les autres la séparent d’un tout auquel elle se réunit par réfusion, comme l’eau d’une bouteille qui nageroit et que l’on casseroit se réuniroit à la masse. Ces idées ont été modifiées à l’infini. Les Pythagoriciens n’admettoient la réfusion qu’après des transmigrations; les Platoniciens réunissoient les ames pures, et purifioient les autres dans des nouveaux corps. De là les deux especes de métempsycoses que professoient ces philosophes. Quant aux discussions sur la nature de l’ame, elles ont été le vaste champ des folies humaines, folies inintelligibles à leurs propres auteurs. Thalès prétendoit que l’ame se mouvoit en elle-même; Pithagore qu’elle étoit une ombre pourvue de cette faculté de se mouvoir en soi-même. Platon la définit une substance spirituelle se mouvant par un nombre harmonique. Aristote, armé de son mot barbare d’_entéléchie_, nous parle de l’accord des sentimens ensemble. Héraclite la croit une exhalaison; Pithagore un détachement de l’air; Empédocle un composé des élémens; Démocrite, Leucide, Epicure un mélange de je ne sais quoi de feu, de je ne sais quoi d’air, de je ne sais quoi de vent, et d’un autre quatrieme qui n’a point de nom. Anaxagore, Anaximene, Archelaüs la composoient d’air subtil; Hippone d’eau; Xénophon d’eau et de terre; Parménide de feu et de terre; Boëce de feu et d’air. Critius la plaçoit tout simplement dans le sang; Hippocrate ne voyoit en elle qu’un esprit répandu par tout le corps; Marc-Antonin la prenoit pour du vent; et Critolaüs, tranchant ce qu’il ne pouvoit dénouer, la supposoit une cinquième substance. Il faut convenir qu’une pareille nomenclature a l’air d’une parodie; et l’on croiroit presque que ces grands génies se jouoient de la majesté de leur sujet, en voyant que le résultat de leurs méditations étoient des définitions aussi ridicules, si en lisant les plus célèbres modernes, on étoit plus éclairé sur cette matiere que les rêveries des anciens. Ce qui résulte de plus remarquable de leurs opinions en ce genre, c’est que jamais on n’avoit eu jusqu’à nos dogmes modernes la moindre idée de la spiritualité de l’ame, quoiqu’on la composât de parties infiniment subtiles[109]. Tous les philosophes l’ont crue matérielle, et l’on sait ce que presque tous pensoient de sa destinée. Quoi qu’il en soit, les folies théoriques, les hypothèses même ingénieuses ne nous instruiront jamais autant que le pourroient des expériences physiques bien dirigées. Ce n’est pas que je croie qu’elles puissent nous apprendre, ni quelle est la nature de l’ame ni le lieu où elle réside; mais les nuances de ses dégradations peuvent être infiniment curieuses et c’est le seul chapitre de son histoire qui paroisse nous être abordable. Il seroit infiniment téméraire de décider que les brutes ne pensent point, bien que le corps ait indépendamment de ce qu’on appelle l’ame, le principe de la vie et du mouvement. L’homme lui-même est souvent machine: un danseur fait les mouvements les plus variés, les plus ordonnés dans leur ensemble, d’une manière très-exacte, sans donner la moindre attention à chacun de ces mouvements en particulier. Le musicien exécuteur est à peu près de même: l’acte de la volonté n’intervient que pour déterminer le choix de tel ou tel air. Le branle donné aux esprits animaux, le reste s’exécute sans qu’il y pense; les gens distraits, les somnambules sont souvent dans un véritable état d’automates. Les mouvemens qui tendent à conserver notre équilibre, sont ordinairement très-involontaires; les goûts et les antipathies précedent dans les enfans le discernement. L’effet des impressions du dehors sur nos passions, sans le secours d’aucune pensée, par la seule correspondance merveilleuse des nerfs et des muscles, n’est-il pas très-indépendant de nous? Et ces émotions toutes corporelles répandent cependant un caractère très-marqué sur la physionomie qui a une sympathie toute particulière avec l’ame. Les animaux considérés dans un simple point de vue mécanique, fourniroient donc déjà un grand nombre de solutions à ceux qui leur refusent le don de la pensée; et il ne seroit pas très-difficile de prouver qu’une grande partie de leurs opérations même les plus étonnantes ne la nécessitent pas. Mais comment concevoir que de simples automates s’entendent, agissent de concert, concourent à un même dessein, correspondent avec les hommes, soient susceptibles d’éducation? On les dresse, ils apprennent; on leur commande, ils obéissent; on les menace, ils craignent; on les flatte, ils caressent; enfin, les animaux nous offrent une foule d’actions spontanées, où paroissent les images de la raison et de la liberté; d’autant plus qu’elles sont moins uniformes, plus diversifiées, plus singulieres, moins prévues, accommodées sur le champ à l’occasion du moment; il en est de même qui ont un caractère déterminé, qui sont jaloux, vindicatifs, vicieux. Ou de deux choses l’une, ou Dieu a pris plaisir à former les bêtes vicieuses et à nous donner en elles des modèles très-odieux, ou elles ont comme l’homme un péché originel qui a perverti leur nature. La premiere proposition est contraire à la Bible, qui dit que tout ce qui est sorti des mains de Dieu étoit bon et fort bon. Mais si les bêtes étoient telles alors qu’elles sont aujourd’hui, comment pourroit-on dire qu’elles fussent bonnes et fort bonnes? Où est le bien qu’un singe soit malfaisant, un chien envieux, un chat perfide, un oiseau de proie cruel? Il faut recourir à la seconde proposition et leur supposer un péché originel; supposition gratuite et qui choque la raison et la religion. Ce n’est donc point encore une fois par des raisonnemens théoriques que l’on peut tracer la ligne de démarcation entre l’homme et la bête. Notre ame a trop peu de points de contact pour qu’il soit facile, même à la physique, de pénétrer jusqu’à elle, d’effleurer seulement sa substance et sa nature; on ne sait où fixer son siege. Les uns ont prétendu qu’elle est dans un lieu particulier d’où elle exerce son empire. Descartes a voulu la grande pinéale; Vicussens le centre ovale; Lancifi et M. de la Peyronie le corps calleux; d’autres les corps cannelés. Le climat, sa température, les alimens, un sang épais ou lent, mille causes purement physiques forment des obstructions qui influent sur sa manière d’être; ainsi en poussant les suppositions on varieroit les effets à l’infini, et l’on montreroit par les résultats, comme il suit assez de l’expérience, qu’il n’y a guere de tête, quelque saine qu’elle puisse être, qui n’ait quelque tuyau fort obstrué. Le curieux, l’intéressant, l’utile, seroient donc de savoir jusqu’à quel point un être dégradé de l’espece humaine par sa copulation avec la brute, peut être plus ou moins raisonnable; c’est peut être la seule manière d’assiéger la nature qui puisse en ce genre lui arracher une partie de son secret; mais pour y parvenir il auroit fallu suivre les produits, leur donner une éducation convenable et étudier avec soin ces sortes de phénomenes. On auroit probablement tiré de cette opération plus d’avantage pour le progrès des connoissances humaines que des efforts qui apprennent à parler aux sourds et aux muets, qui enseignent les mathématiques à un aveugle, etc.; car ceux-ci ne nous montrent qu’une même nature, un peu moins parfaite dans son principe, en ce que le sujet est privé d’un ou deux sens et qu’on a perfectionnée; au lieu que le fruit d’une copulation avec la brute, offrant, pour ainsi dire, une autre nature, mais entée sur la première, éclairciroit plusieurs des points dont le développement a tant occupé tous ces êtres pensans. Il est difficile de mettre en doute qu’il n’ait existé des produits de la nature humaine avec les animaux, et pourquoi n’y en auroit-il point? La bestialité étoit si commune parmi les Juifs qu’on ordonnoit de brûler le fruit avec les acteurs. Les Juives avoient commerce avec les animaux[110], et voilà ce qui, selon moi, est bien étrange; je conçois comment un homme rustique ou déréglé, emporté par la fougue d’un besoin ou les délires de l’imagination, essaie d’une chèvre, d’une jument, d’une vache même; mais rien ne peut m’apprivoiser avec l’idée d’une femme qui se fait éventrer par un âne. Cependant un verset du Lévitique[111] porte: _La bête quelle qu’elle soit_. D’où il résulte évidemment que les Juives se prostituoient _à toute espèce de bête indistinctement_; voilà ce qui est incompréhensible. Quoi qu’il en soit, il paroît certain qu’il a existé des produits de chevres avec l’espèce humaine. Les satyres, les faunes, les égypans, toutes ces fables en sont une tradition très-remarquable. _Satar_ en arabe signifie _bouc_; et le bouc expiatoire ne fut ordonné par Moyse que pour détourner les Israélites du goût qu’ils avoient pour cet animal lascif[112]. Comme il est dit dans l’Exode qu’on ne pouvoit voir la face des dieux, les Israélites étoient persuadés que les démons se faisoient voir sous cette forme[113], et c’est là le Φάσμα τραγου dont parle Jamblique. On trouve dans Homère de ces apparitions. Manethon, Denis d’Halicarnasse et beaucoup d’autres offrent des vestiges très remarquables de ces productions monstrueuses. On a ensuite confondu les incubes et les succubes avec les véritables produits. Jérémie parle de _faunes suffocans_[114] (I). Héraclite a décrit les satyres qui vivoient dans les bois[115] et jouissoient en commun des femmes dont ils s’emparoient. Edouard Tyson a traité dans le même genre des pigmées, des cynocéphales, des sphinx; ensuite il décrit les orang-outang et les aigo-pithecoi, qui sont les classes des singes qui se rapprochent absolument de l’espèce humaine; car un bel orang-outang, par exemple, est plus beau qu’un laid Hottentot. Munster sur la Genèse et le Lévitique a fait le τραγομόρφοι tous ces monstres et a trouvé des choses fort curieuses des rabbins. Enfin, Abraham Seba admet des ames à ces faunes[116], desquels il paroît qu’on ne peut guère contester l’existence. Nous n’avons rien d’aussi positif, il est vrai, sur les centaures et les minotaures; mais il n’y a pas plus d’impossibilité à ce qu’ils aient été qu’à l’existence des produits d’autres espèces[117]. Dans le siècle passé il fut beaucoup question de l’homme cornu que l’on présenta à la cour. On connoît l’histoire de la fille sauvage, religieuse à Châlons, qui vit encore, et qui pourroit très-bien avoir quelque affinité avec les habitans des bois. Feu M. le Duc avoit à Chantilly un orang-outang qui violoit les filles; il fallut le tuer. Tout le monde a lu ce que Voltaire a écrit sur les monstres d’Afrique. Il paroît que cette partie du monde que l’on ne connoît que bien peu, est le théâtre le plus ordinaire de ces copulations contre nature; il faut en chercher probablement la cause dans la chaleur, plus excessive dans ces contrées, qu’en aucun autre endroit du globe, parce que le centre de l’Afrique, qui est sous la ligne, est plus éloigné des mers que les terres des autres parties du monde situées dans des latitudes semblables. Les accouplements monstrueux y doivent donc être assez communs et ce seroit là la véritable école des altérations, des dégradations[118] et peut-être du _perfectionnement_ physique de l’espèce humaine. Je dis du _perfectionnement_; car qu’est-ce qu’il y auroit de plus beau dans les êtres animés que la forme du centaure, par exemple? Notre illustre Buffon a déjà fait en ce genre tout ce qu’un particulier, qui n’est pas riche, peut se permettre. Nous avons la suite de ces variétés dans les especes de chiens, les accouplemens de différentes especes d’animaux, l’histoire des produits de mulets, découverte entièrement neuve, etc. Mais ce grand homme ne nous a pas donné ses expériences sur les mélanges des hommes avec les bêtes, et c’est ce qu’il faudroit imprimer, afin qu’il fût possible de suivre ses grandes vues, et qu’en perdant un si beau génie, nous ne perdissions par la suite de ses idées. La bestialité existe plus communément qu’on ne croit en France, non par goût, heureusement, mais par besoin. Tous les pâtres des Pyrénées sont bestiaires. Une de leurs plus exquises jouissances est de se servir des narines d’un jeune veau qui leur lèche en même temps les testicules. Dans toutes ces montagnes peu fréquentées, chaque pâtre a sa chèvre favorite. On sait cela par les curés basques. On devroit, par la voie de ces curés, faire soigner ces chèvres engrossées et recueillir leurs produits. L’intendant d’Auch pourroit aisément parvenir à ce but, sans faire révéler des confessions[119] (abus de religion atroce dans tous les cas); il pourroit se procurer de ces produits monstrueux par ces curés; le curé demanderoit à son pénitent _sa maîtresse_ qu’il remettroit au subdélégué de l’endroit sans révéler le nom de l’_amant_. Je ne vois pas quel inconvénient il y auroit, à tourner au profit du progrès des connoissances humaines, un mal que l’on ne sauroit guère empêcher. L’ANOSCOPIE On sait que dans tous les siecles, les jongleurs, les charlatans, devins, médecins, politiques ou philosophes (car il en est de toutes ces sortes) ont eu plus ou moins d’influence. La nature de l’homme, sans cesse ballottée entre le désir et la crainte, offre tant d’hameçons à l’usage de ceux qui établissent leur crédit ou leur fortune sur la crédulité de leurs semblables, qu’il y a toujours pour eux quelque heureuse découverte à faire dans l’océan sans bornes des sottises humaines; et quand on se contenteroit de rajeunir les vieilles fascinations, les folies surannées, cet appât est si bien proportionné à l’avidité ignorante et grossière du peuple, auquel il est surtout destiné, que son effet est infaillible, quelqu’ignorans et mal-adroits que puissent être les professeurs de l’art si facile de tromper les hommes. La philosophie et la physique expérimentale plus cultivées, en détrompent sans doute un grand nombre; mais celui où le progrès des connoissances humaines peut pénétrer, sera toujours de beaucoup le plus petit. Le mot de _devin_ se trouve très-souvent dans la Bible; ce qui justifie l’ancienne remarque qu’il n’y a eu parmi les auteurs sacrés que peu ou point de philosophes. Moyse défend gravement de consulter les devins. «La personne, dit-il, qui se détournera après les devins et les sorcieres en _paillardant_ avec eux, je mettroi ma face contre la sienne[120].» Il y a plusieurs classes de sorciers indiquées dans l’Écriture. _Chaurnien_ en hébreu signifioit sages. Mais cette expression étoit fort équivoque et susceptible des diverses acceptions de _sagesse vraie, sagesse fausse, maligne, dangereuse, affectée_. Ainsi dans tous les tems il fut des hommes assez politiques, assez habiles pour faire servir les apparences de la sagesse à leurs intérêts, au succès de leurs passions, et pour détourner l’étude, la science et le talent du seul emploi qui les honore; je veux dire la recherche et la propagation de la vérité. Les _Mescuphins_ étoient ceux qui devinoient dans des choses écrites les secrets les plus cachés; les tireurs d’horoscopes, les interprètes des songes, les diseurs de bonne aventure manœuvroient ainsi. Les _Carthumiens_ étoient les enchanteurs; par leur art ils fascinoient les yeux et sembloient opérer des changemens fantastiques ou véritables dans les objets et dans les sens. Les _Asaphins_ usoient d’herbes, de drogues particulières et du sang des victimes pour leurs opérations superstitieuses. Les _Casdins_ lisoient dans l’avenir par l’inspection des astres: c’étoient les astrologues de ce tems-là. Ces honnêtes gens qui ne valoient assurément pas nos Comus étoient en fort grand nombre; ils avoient dans les cours des plus grands rois de la terre un crédit immense; car la superstition qui a si bien servi le despotisme, l’a toujours soumis à ses lois, et du sein de cette confédération terrible qui a ourdi tous les maux de l’humanité, le triomphe de la superstition a toujours jailli, les ministres de la religion étoient trop habiles pour se dessaisir d’aucune des parties de leur pouvoir: ils conservèrent avec soin tout ce qui avoit trait à la divination; ils se donnèrent en tout pour les confidens des dieux, et ceignirent aisément du bandeau de l’opinion des hommes qui ne savoient pas même douter, science qui est à peu près la dernière dont l’homme s’instruise. De tous les peuples qui ont rampé sous le joug de la superstition, nul n’y fut plus soumis que les Juifs; on recueilleroit dans leur histoire une infinité de détails sur leurs pratiques folles et coupables. La grace que Dieu leur faisoit en leur envoyant des prophètes pour les instruire de sa volonté, devenoit pour ces hommes grossiers et curieux un piège auquel ils n’échappoient pas. L’autorité des prophetes, leurs miracles, le libre accès qu’ils avoient auprès des rois, leur influence dans les délibérations et les affaires publiques, les faisoient tellement considérer par la multitude, que l’envie d’avoir part à ces distinctions, en s’arrogeant le don de prophétie devenoit une passion dévorante, en sorte que si l’on a dit de l’Égypte que tout y étoit _dieu_, il fut un tems où l’on pouvoit dire de la Palestine que tout y étoit _prophète_: il y en eut sans doute plus de faux que de vrais; on n’ignore pas même que les Juifs avoient des enchantemens et des philtres particuliers pour inspirer le don de prophétie dans lesquels ils faisoient usage de sperme humain, de sang menstruel, et de tout plein d’autres choses aussi inutiles que dégoûtantes à avaler; mais les miracles sont une chose si aisée à opérer aux yeux du peuple, et la pieuse obscurité des discours, le ton apocalyptique, l’accent enthousiaste sont si imposans, que les succès furent très-partagés entre les vrais et les faux-prophetes; ceux-ci eurent recours aux arts et aux sciences occultes; ils firent ressource de tout et parvinrent à élever autel contre autel. Moïse lui-même nous dit dans l’Exode que les enchanteurs de Pharaon ont opéré des miracles vrais ou faux; mais que lui, envoyé du Dieu vivant et soutenu de son pouvoir, en a fait de beaucoup plus considérables qui ont grièvement affligé l’Égypte, parce que le cœur de son roi était endurci. Nous devons le croire religieusement, et surtout nous applaudir de n’en avoir pas été spectateurs. Aujourd’hui que l’illusion des joueurs de gobelets, tout ce que la mécanique peut avoir de plus propre à surprendre, à induire en erreur, les étonnans secrets de la chimie, les prodiges sans nombre qu’ont opérés l’étude de la nature et les belles expériences qui chaque jour levent une petite partie du voile qui couvre ses opérations les plus secretes; aujourd’hui, dis-je, que nous sommes instruits de tout cela jusqu’à un certain point, il seroit à craindre que notre cœur ne s’endurcît comme celui de Pharaon; car nous connoissons infiniment moins le démon que les secrets de la physique; et, comme on l’a remarqué, il semble que, grace au goût de la philosophie qui nous investit et franchit peu à peu les barrières mêmes jusqu’ici les plus impénétrables, l’empire du démon va tous les jours en déclinant. Peut-être feroit-on un ouvrage assez curieux que l’histoire détaillée, autant qu’elle peut l’être, des augures, des artifices, des prophetes, de leurs manœuvres, des divinations de toute espèce, décrites ou dévoilées par l’œil sévère et perspicace d’un philosophe. Mais de toutes celles qu’il pourroit exposer aux yeux dessillés des nations, il n’en seroit pas de plus bizarre que celle qui sauva d’une triste catastrophe une société fameuse par son zèle pour la propagation de la foi, et qui, trop persuadée que cette foi suffisoit pour pénétrer dans les ténebres de l’avenir, contracta avec une légèreté fort imprudente un engagement qu’elle n’auroit pu remplir, sans le secours fortuit d’un horoscope très-étrange. Un essaim de Jésuites envoyé à la Chine y prêchoit la vraie religion, lorsqu’une sécheresse effroyable sembla destiner cet empire à n’être plus qu’un vaste tombeau; les Chinois alloient périr et avec eux les Jésuites, vainement invoqués par le despote, sans un miracle qu’ils pressentirent avec une merveilleuse sagacité, et qui a rendu à jamais cette société fameuse dans ces contrées désolées. Un poète moderne a raconté cette anecdote d’une manière plus piquante que nous ne le saurions faire, et nous nous bornerons à transcrire ses vers, sans approuver ses licences. Fiers rejetons du fameux Loyola, Dont Port-Royal a foudroyé l’école; Vous que jadis sans cesse harcela Le grand Pascal, étayé de Nicole; Vous qui, de Rome usant les arsenaux, Fîtes frapper du fatal anathème, Pour soutenir votre lâche système, Les Augustins, sous le nom des Arnaud. Vous, dont Quesnel, digne fils de Bérule, A tant de fois éprouvé la férule, Et qui voyant dans ses puissans écrits, Des Molina les sentimens proscrits; Contre son livre, au benin Clément onze, Fîtes pointer le redoutable bronze. Vous qui dans la Chine alliez à la fois, Confucius et Dieu mort sur la croix; Et dont le culte équivoque et commode, Rapporte à Dieu celui d’une pagode. De la morale éternels corrupteurs; Qui du salut élargissez la voie, Et qui, guidant par des chemins de fleurs, Les pénitens que le ciel vous envoie, Au champ de Dieu ne semez que l’ivroie. Des grands du siecle adroits adulateurs; Vils artisans de mensonge et de fourbe, De qui le dos sous l’iniquité courbe; Qui démasqués et par-tout reconnus, Etes pourtant par-tout les bien venus; (Car il n’est lieux de l’un à l’autre pôle, Où Dieu merci n’ayez le premier rôle.) Dites-nous donc, par quel puissant moyen, Vous trouvez l’art d’en imposer aux autres, Et de coëffer la mître des apôtres, Chez l’infidèle et le peuple chrétien? Si l’on en croit vos longs martyrologes, Où le mensonge a tracé vos éloges, L’Inde rougit du sang de nos martirs: Sur un trépied vous rendez des oracles; Et le païen avide de miracles, Les voit éclore au gré de ses desirs. L’aride mort au teint livide et blême, Lâche sa proie à votre voix suprême; Par vous le sang qu’elle a coagulé, Dans les vaisseaux a de nouveau coulé, A l’ordre seul d’un petit taumaturge, L’air de vapeurs ou se charge ou se purge; Et vous avez à vos commandemens, Le vent, la foudre et tous les élémens. A ce propos on m’a fait certain conte, Mes révérends, qu’il faut que je vous conte. A Lima, dans Golconde, où la terre en son sein, De ses sablons forme la riche pierre, Dont le poli réfléchit la lumiere En cent façons; étoit un jeune essaim D’Ignatiens, qui dans l’âme indienne, Alloient, Dieu sait, plantant la foi chrétienne. Tous les beaux fils qu’a l’Inde sur son bord, Etoient, par eux catéchisés d’abord. Les Cordeliers qu’ils avaient pour annexe, De leur côté baptisoient le beau sexe. Tout alloit bien; et leur apostolat Fructifioit, moyenant ce partage, Si, que de Dieu, le nouvel héritage Alloit croissant avec beaucoup d’éclat. Là le démon qu’en figure de bronze, Fait adorer l’ignorance du bonze; Graces aux fils d’Ignace et de François, Alloit perdant tous les jours de ses droits. L’Ignatien à ces nouvelles plantes, Distribuoit les graces suffisantes, Si largement que l’efficace là Glanoit après les fils de Loyola Petitement. Quoi qu’il en soit, les drôles, Par maints bons tours, maintes belles paroles, Passoient pour saints, se faisoient vénérer Du peuple Indien qu’ils savoient attirer. Le bruit en vint jusqu’au roi de Golconde: Ce prince étoit un vieux païen fieffé, Qui de son diable étoit si fort coëffé, Qu’il n’encensoit que cet esprit immonde, Il vouloit voir ces apôtres nouveaux, Que de son diable on disoit les rivaux. Bien croyoit-il entendre des oracles, Et comme Hérode aller voir des miracles. Nos révérends, le crucifix en main, Lui prêchent Dieu, mort pour le genre humain, En déclamant contre le simulacre De Satanus. Le roi dont la bile âcre Jà s’échauffoit à leurs beaux plaidoyers, Leur dit: messieurs, quand aux dieux on insulte, Et qu’on annonce un singulier culte; Encor faut-il de preuves l’étayer. Depuis six mois la sécheresse afflige Tout mon royaume; et votre zèle exige Que de ce Dieu vous obteniez de l’eau. Si dans trois jours vous n’en faites répandre, Comme imposteurs je vous ferai tous pendre: Pensez-y bien. Nos frocards eurent beau Représenter à l’absolu monarque, Que ce seroit tenter le Tout-Puissant: Nous connoîtrons, dit-il, à cette marque, S’il est le Dieu sur la terre agissant. Force fut donc aux moines d’en promettre, Sauf à tenter l’avis du baromètre, Qui consulté par eux tous les instans, Ne répondoit jamais que du beau tems. Tous de concert alloient plier bagage, Pour le martyre éprouvant peu d’attraits, Quand un frater qu’ils laissoient là pour gage, Et qui pour eux auroit payé les frais, D’un tel départ leur demanda la cause. Las! dirent-ils, le prince nous propose De décorer nos collets de la hard, S’il ne pleut pas dans trois jours au plus tard. Quoi, voilà tout? allez, reprit le frère, Par Loyola, patron du monastère, Dites au roi que dès demain matin Nous en aurons, ou j’y perds mon latin. Pas ne mentoit notre moderne Elie: Du sein des mers un nuage élevé, A point nommé de sa féconde pluie, Vit du pays chaque champ abreuvé. Et de crier en Golconde au miracle, Et de donner le bon frere en spectacle, Qui dit tout bas à nos moines joyeux: Mes révérends, si j’ai tenu parole, Vous le devez à certaine v....., Qu’exprès pour vous me conservent les cieux. Toutes les fois que l’atmosphere aride, Va condensant de nouvelles vapeurs, L’air surchargé de l’élément humide, Ne manque pas de doubler mes douleurs. On n’en dit mot à messieurs de Golconde, Dans le pays il resta constaté, Que ce n’étoit qu’un fruit de sainteté, Et non celui de cette peste immonde, Dont le pénard se trouvoit infecté. Puisque le bien naît ainsi du désordre, Que le bon Dieu la conserve à tout l’ordre. On voit, toute plaisanterie à part, combien cet étrange baromètre fut utile et à la Chine et aux missionnaires qui en ont rapporté leur fameuse querelle sur les lavemens. Les Chinois ne connoissent cette sorte d’injection qu’on porte dans les intestins par le fondement que depuis l’introduction des Jésuites dans leur empire; aussi ces peuples en s’en servant l’appellent-ils _le remède des barbares_. Les Jésuites qui voyoient que le mot ignoble de _lavement_, avoit succédé à celui de _clystere_ gagnerent l’abbé de S. Cyran, et employerent leur crédit auprès de Louis XIV, pour obtenir que le mot _lavement_ fut mis au nombre des expressions déshonnêtes: ensorte que l’abbé de S. Cyran les reprocha au pere Garasse, qu’on appeloit l’Hélène de la guerre des Jésuites et des Jansénistes; mais, disoit le pere _Garasse_, je n’entends par _lavement_ que _gargarisme_: «ce sont les apothicaires qui ont profané ce mot à un usage messéant.» On substitua donc le mot _remède_ à celui de _lavement_. Remède comme équivoque parut plus honnête, et c’est bien là notre genre de chasteté[121]. Louis XIV accorda cette grâce au père le Tellier. Ce prince ne demanda plus de _lavement_, il demandoit _son remède_; et l’académie fut chargée d’insérer ce mot avec l’acception nouvelle dans son dictionnaire... Digne objet d’une intrigue de cour! Il paroît que cette honteuse maladie, appelée _cristalline_, qui fut le _barometre jésuitique_ dans la patrie de Confucius, et qui, dit-on, se perpétuait dans l’ordre des Jésuites de père en frère, n’étoit autre chose que la maladie dont parle l’écriture: _le Seigneur frappa ceux de la ville et de la campagne dans le fondement_[122]. C’est pour la guérison de cette maladie que les Jésuites ont une messe imprimée dans un missel[123] à l’honneur de S. Job. Il n’y a rien là qui forme inconséquence avec leur morale; car il est certain que leurs casuistes encouragent à braver le danger de la cristalline, bien loin de l’improuver, quand ils croient que l’œuvre de Dieu peut y être intéressée. On lit dans le recueil du pere Jésuite Anufin un singulier fait arrivé à l’un de leurs novices qui s’amusoit avec un jeune homme, et qui fut surpris au milieu de ses débats par un de ses confreres. Celui-ci avoit eu la prudence d’observer à travers la serrure et de se taire; mais quand l’opération fut finie et le novice sorti, «malheureux, lui dit son camarade, que viens-tu de faire? J’ai tout vu; tu mériterois que je te dénonçasse; tu es encore tout enflammé de luxure... tu ne peux pas nier ton crime...--Eh, mon cher ami, répond le coupable d’un ton de confiance et d’affection, vous ne savez donc pas que c’est un Juif? je le convertirai, ou il restera l’ennemi de J.-C. Dans l’une ou l’autre supposition n’ai-je pas raison de le séduire, ou pour le sauver ou pour le rendre plus coupable?» A ces mots le novice observateur persuadé, convaincu, pénétré d’admiration, se prosterne, baise les pieds de son confrère, fait son rapport; et le novice agent est enregistré parmi les opérateurs des œuvres du Très-Haut. LA LINGUANMANIE Si l’on réduisoit toutes les passions de l’homme à ses affections primitives, tous ses idiômes à l’expression de ses pensées-meres, si je puis parler ainsi, en dépouillant celles-là de toutes les nuances dont il les a défigurées, et ceux-ci de toutes les acceptions dont il a surchargé leurs signes, les dictionnaires seroient moins volumineux et les sociétés moins corrompues. Par exemple, combien l’imagination n’a-t-elle pas brodé en amour le canevas de la nature? Si ses efforts se fussent bornées à l’embellir des illusions morales les plus touchantes, nous devrions nous en applaudir. Mais il y a beaucoup plus d’imaginations déréglées que d’imaginations sensibles; et voilà pourquoi il y a plus de libertinage que de tendresse parmi les hommes; voilà pourquoi il faut maintenant une foule d’épithètes pour retracer toutes les nuances d’un sentiment, qui tiède ou exalté, vicieux ou héroïque, généreux ou coupable, n’est après tout et ne sera jamais que le penchant plus ou moins vif d’un sexe vers l’autre. L’impudicité, la lubricité, la lasciveté, le libertinage, la mélancolie érotique sont des qualités très-distinctes, et ne sont cependant que des nuances plus ou moins fortes des mêmes sensations. La lubricité, la lasciveté, par exemple, sont des aptitudes purement naturelles au plaisir; car plusieurs especes d’animaux sont lascifs et lubriques; mais il n’en est point d’_impudiques_. L’impudicité est une qualité inhérente à la nature raisonnable et non pas à une propension naturelle, comme la lubricité. L’impudicité est dans les yeux, dans la contenance, dans les gestes, dans les discours: elle annonce un tempérament très-violent, sans en être la preuve bien certaine; mais elle promet beaucoup de plaisir dans la jouissance et tient sa promesse, parce que l’imagination est le véritable foyer de la jouissance que l’homme a variée, prolongée, étendue par l’étude et le raffinement des plaisirs. Mais enfin, ces dénominations et toutes les autres de cette espece, ne sont autre chose qu’un appétit violent qui porte à jouir sans mesure, à chercher sans cette retenue, peut-être plus naturelle qu’on ne croit, mais dans sa plus grande partie d’institution humaine; à chercher, dis-je, sans cette retenue que nous appelons _pudeur_, les moyens les plus variés, les plus industrieux, les plus sûrs de se satisfaire, d’éteindre des feux qui dévorent, mais dont la chaleur est si séduisante, qu’on les provoque après les avoir étreints. Cet état tient purement à la nature et à notre constitution. C’est la faim, le sentiment du besoin de prendre sa nourriture, lequel par excès de sensualité produit la gourmandise, et par la privation trop longue des moyens de se satisfaire, dégénere en rage. Le désir de la jouissance qui est un besoin tout aussi naturel, quoique moins fréquent et plus ou moins impérieux, selon la diversité des tempéramens, se porte quelquefois jusqu’à la manie, jusqu’aux plus grands excès physiques et moraux, qui tous tendent à la jouissance de l’objet par lequel peut être assouvie la passion ardente dont on est agité. Cette fievre dévorante s’appelle chez les femmes _nimphomanie_[124]; elle s’appelleroit chez les hommes _mentulomanie_, s’ils y étoient aussi sujets qu’elles; mais leur conformation s’y oppose, et plus encore leurs mœurs qui, exigeant moins de retenue et de contrainte, et ne comptant la pudeur qu’au nombre de ces raffinemens dont l’industrie humaine a su embellir ou nuancer les attraits de la nature, ne les exposent point aux ravages des désirs trop réprimés ou trop exaltés. D’ailleurs nos organes étant beaucoup plus susceptibles de mouvemens spontanés que ceux de l’autre sexe, l’intensité des désirs peut rarement être aussi dangereuse, bien que les hommes aussi bien que les femmes aient des maladies produites par une cause à peu près pareille[125]; mais dont une constitution mâle, plus aisée à détendre, ne sauroit être long-temps pénétrée. Il seroit triste, il seroit hideux de raconter les effets si bizarres de la nymphomanie. Peut-être le déréglement de l’imagination y contribue-t-il beaucoup plus que l’énergie vénérienne que le sujet qui en est attaqué a reçu de la nature. En effet, le prurit de la vulve n’est point du tout la nymphomanie. Le prurit peut être, à la vérité, une disposition à cette manie; mais il ne faut pas croire qu’il en soit toujours suivi. Il excite, il force à porter les doigts dans les conduits irrités; à les frotter pour se procurer du soulagement, comme il arrive dans toutes les parties du corps que l’on agace dans la même vue, pour y atténuer les causes irritantes. Ces titillations, ces attouchemens, quelque vifs et désirés qu’ils puissent être, se font du moins sans témoins; au lieu que ceux qu’occasionne la nymphomanie bravent les spectateurs et les circonstances. C’est que le prurit ne s’établit que dans la vulve, au lieu que la manie forcenée de la jouissance réside dans le cerveau. Mais la vulve lui transmet en outre l’impression qu’elle reçoit avec des modifications propres à investir l’ame d’une foule d’idées lascives. De là ce feu s’alimente lui-même; car la vulve est affectée à son tour par l’influence de l’ame avide de volupté, indépendamment de toute impression des sens, et réagit sur le cerveau. Ainsi l’ame est de plus en plus profondément pénétrée de sensations et d’idées lascives, qui, ne pouvant pas subsister trop longtems sans la fatiguer, détermine sa volonté à faire cesser cette inquiétude attachée à la prolongation de tout sentiment trop vif, à employer tous les moyens imaginables pour parvenir à ce but. Il est incroyable combien l’industrie humaine aiguisée par la passion a varié les moyens de donner du plaisir, ou plutôt les attitudes du plaisir; car il est toujours le même, et nous avons beau lutter contre la nature, nous ne dépasserons pas son but. Elle paroît avoir distribué à la vérité beaucoup de provoquans dans ses productions[126]. Mais il est certain que les fibres du cerveau s’étendent indépendamment d’aucune affection immédiate de la nature. Tout ce qui échauffe l’imagination, agace les sens ou plutôt la volonté à laquelle très-souvent les sens ne suffisent point, et ceux-ci sont au moins autant aidés par celle-là, que l’imagination peut jamais l’être par le tempérament le plus vif, le plus ardent, par les sens les mieux disposés, les mieux servis de l’âge et des circonstances. Ensuite comme c’est le propre de toutes les passions de l’ame de devenir plus violentes, en raison de la résistance et que la nymphomanie n’est pas facile à contenter, elle finit par être insatiable. Les femmes qui en sont atteintes ne gardent plus aucune mesure; et ce sexe si bien fait pour une molle résistance, pour étaler tous les charmes de la timide pudeur, déshonore dans cette affreuse maladie, ses attraits par les plus sales prostitutions; il demande, il recherche, il attaque; les désirs s’irritent par ce qui sembleroit devoir suffire pour les assouvir et qui suffiroit en effet, si le simple prurit de la vulve sollicitoit le plaisir. Mais quand le foyer du désir est le cerveau, il s’accroît sans cesse; et Messaline, plutôt lassée que rassasiée[127], court sans relâche après le plaisir et l’amour qui la fuit avec horreur. Il faut en convenir cependant: l’observation nous offre en ce genre quelques phénomenes qui semblent le simple ouvrage de la nature. M. de Buffon a vu une jeune fille de douze ans, très brune, d’un teint vif et très coloré, de petite taille, mais assez grasse, déjà formée et ornée d’une jolie gorge, qui faisoit les actions les plus indécentes au seul aspect d’un homme. La présence de ses parens, leurs remontrances, les plus rudes châtimens, rien ne la retenoit; elle ne perdoit cependant pas la raison et ses accès affreux cessoient quand elle étoit avec des femmes. Peut-on supposer que cet enfant avoit déjà beaucoup abusé de son instinct? En général, les filles brunes, de bonne santé, d’une complexion forte, qui sont vierges, et surtout celles qui, par leur état, semblent destinées à ne pouvoir cesser de l’être; les jeunes veuves, les femmes qui ont des maris peu vigoureux, ont le plus de disposition à la nymphomanie, et cela seul prouveroit que le principal foyer de cette maladie est dans une imagination trop aiguisée, trop impétueuse; mais que l’inaction, contre nature, des sens pourvus de force et de jeunesse en est aussi un des principaux mobiles. Il est donc juste que chaque individu consulte son instinct dont l’impulsion est toujours sûre. Quiconque est conformé de manière à procréer son semblable, a évidemment droit de le faire; c’est le cri de la nature qui est la souveraine universelle, et dont les loix méritent sans doute plus de respect que toutes ces idées factices d’ordre, de régularité, de principes dont nous décorons nos tyranniques chimères et auxquelles il est impossible de se soumettre servilement, qui ne font que d’infortunées victimes ou d’odieux hypocrites, et qui ne reglent rien pas plus au physique qu’au moral que les contrariétés faites à la nature ne peuvent jamais ordonner. Les habitudes physiques exercent un empire très-réel, très-despotique, souvent très-funeste, et exposent plus souvent à des maux cruels qu’elles n’arment contr’eux. La machine humaine ne doit pas être plus réglée que l’élément qui l’environne; il faut travailler, se fatiguer même, se reposer, être inactif, selon que le sentiment des forces l’indique. Ce seroit une prétention très-absurde et très-ridicule que de vouloir suivre la loi d’uniformité et se fixer à la même assiette, quand tous les êtres avec lesquels on a des rapports intimes sont dans une vicissitude continuelle. Le changement est nécessaire, ne fût-ce que pour nous préparer aux secousses violentes qui quelquefois ébranlent les fondemens de notre existence. Nos corps sont comme des plantes dont la tige se fortifie au milieu des orages par le choc des vents contraires. L’exercice, une gymnastique bien conçue seroit sans doute la ressource la plus efficace contre les suites dangereuses de la vie inactive; mais cette ressource n’est pas également à l’usage des deux sexes. L’équitation, par exemple, ne paroît pas très convenable aux femmes, qui ne peuvent guere en user qu’avec danger, ou avec des précautions qui la rendent presque inutile. Il est si vrai que la nature ne les a pas disposées pour cet exercice, que là seulement elles paroissent perdre les graces qui leur sont particulieres, sans prendre celles du sexe qu’elles veulent imiter. La danse paroît plus compatible aux agrémens propres aux femmes; mais la maniere dont elles s’y livrent est souvent plus capable d’énerver que de fortifier les organes. Les anciens qui ont eu le grand art de faire servir les plaisirs des sens au profit du corps, avoient fait de la danse une partie de leur gymnastique: ils employoient la musique pour calmer ou diriger les mouvemens de l’âme; ils embellissoient l’utile, ils rendoient salutaire la volupté. Mais si dans la naissance des corps politiques les amusemens furent assortis à la sévérité des institutions dont ces corps tiroient leur force, ils dégénérerent bien rapidement avec les mœurs,[128] et si les anciens s’occuperent d’abord à trouver tout ce qui pouvoit augmenter les forces et conserver la santé, ils en vinrent à ne chercher qu’à faciliter et étendre les jouissances; et c’est encore ici une occasion de remarquer combien nous les exaltons pour nous calomnier nous-mêmes. Quel parallèle y a-t-il à faire de nos mœurs avec l’esquisse que je vais tracer? Quand une femme avoit _coricobolé_ une demi-heure, de jeunes personnes, soit filles, soit garçons, selon le goût de l’actrice, l’essuyoient avec des peaux de cygne. Ces jeunes gens s’appelloient _Jatraliptæ_. Les _Unctores_ répandoient ensuite les essences. Les _Fricatores_ détergeoient la peau. Les _Alipari_ épiloient. Les _Dropacistæ_ enlevoient les cors et les durillons. Les _Paratiltriæ_ étoient des petits enfants qui nettoyoient toutes les ouvertures, les oreilles, l’anus, la vulve, etc. Les _Picatrices_ étoient de jeunes filles uniquement chargées du soin de peigner tous les cheveux que la nature a répandus sur le corps, pour éviter les croisements qui nuisent aux intromissions. Enfin, les _Tractatrices_ pétrissoient voluptueusement toutes les jointures pour les rendre plus souples. Une femme ainsi préparée se couvroit d’une de ces gazes, qui, selon l’expression d’un ancien, ressembloient à _du vent tissu_, et laissoit briller tout l’éclat de la beauté; elle passoit dans le cabinet des parfums, où au son des instrumens qui versoient une autre sorte de volupté dans son âme, elle se livroit aux transports de l’amour... Portons-nous les raffinemens de la jouissance jusqu’à cet excès de recherches[129]? Il seroit possible d’apporter en preuve de notre infériorité en fait de libertinage, par rapport aux anciens, une infinité de passages qui étonneroient nos satyres les plus déterminés. Nous avons déjà montré dans un morceau de ces mélanges très en raccourci, ce que le peuple de Dieu savoit faire[130]. Érasme a recueilli dans les auteurs Grecs et Romains une foule d’anecdotes et de proverbes qui supposent des faits dont l’imagination la plus hardie est effrayée: j’en citerai quelques-uns. Nous n’avons point, par exemple, de mauvais lieux qui puissent nous donner une idée de ce qu’on appelloit à Samos _le parterre de la nature_. C’étoient des maisons publiques où les hommes et les femmes pêle-mêle s’abandonnoient à tous les genres de libertinages (I): car ce seroit prostituer le mot volupté que de l’employer ici. Les deux sexes y offroient des modèles de beauté, et de là le titre de _parterre de la nature_[131]. Les vieilles mettoient encore à profit dans d’autres lieux les restes de leur lubricité. Elles étoient tellement impudiques qu’on les comparoit à des animaux qui avoient l’odeur, l’ardeur, la lasciveté des boucs[132]. _..... Verum noverat Anus caprissantis vocare viatica._ Dans l’île de Sardaigne qui n’a jamais été un pays très-florissant ni très-peuplé, le nom du lieu appelé _Ancon_ avoit pour étymologie celui de la reine Omphale, qui faisoit tribader ses femmes ensemble, puis les enfermoit indistinctement avec des hommes choisis pour briller dans ces sortes de combats.[133] On sait ce que le despotisme oriental a toujours coûté à l’humanité et à l’amour; il a dans tous les tems foulé celle-là et profané celui-ci. C’est de Sardanapale,[134] l’un des plus vils tyrans de ces contrées, que vient l’idée et l’usage d’unir la prostitution des filles et des garçons. Corinthe pouvoit le disputer à Samos pour la perfection de la prostitution publique; elle y étoit tellement révérée qu’il y avoit des temples où l’on adressoit sans cesse des prieres aux dieux pour augmenter le nombre des prostituées[135]. On prétendoit qu’elles avoient sauvé la ville. Mais en général les Corinthiens passoient pour posséder presque exclusivement l’art de la souplesse et des mouvements voluptueux[136]. On les reconnoissoit à une certaine tournure, à une coupe, à un galbe particuliers. Les Lesbiennes sont citées pour l’invention ou la coutume d’avoir rendu la bouche le plus fréquent organe de la volupté[137]. Différens peuples se distinguerent ainsi par des usages bien étranges et plus fréquens chez eux que chez tous les autres; de sorte que ce qui n’est aujourd’hui que le vice de tel ou tel individu, étoit alors le caractère distinctif de tout un peuple. Ainsi, de ces peuples de l’isle d’Eubœ qui n’aimoient que les enfans et qui les prostituoient de toutes manieres, vint le mot _chalcider_[138]. Ainsi l’on créa celui de _phicidisser_ pour indiquer une fantaisie bien dégoûtante[139]. On exprima l’habitude qu’avoient les habitans de Sylphos, l’une des Cyclades, d’aider les plaisirs naturels par ceux de l’anus, au moyen du mot _siphniasser_[140]. Ainsi l’on trouva des mots pour tout peindre dans des siècles de corruption où l’on éprouva de tout. De là, le _cleitoriazein_[141], ou contraction des deux clitoris; opération qu’Hesychius et Suida ont pris la peine de nous expliquer, en nous apprenant que ce travail se fait comme le frai de la carpe contre sa semblable; l’une s’agite quand l’autre s’arrête, et réciproquement (d’où le proverbe _non fatis liques_); de là l’expression de _cunnilangues_ que Sénèque définit ainsi: Les Phéniciens différoient des Lesbiens en ce que les premiers se rougissoient les lèvres pour imiter plus parfaitement l’entrée du vrai sanctuaire de l’amour; au lieu que les Lesbiens qui n’y mettoient d’autre fard que l’empreinte des libations amoureuses les avoient blanches[142], et ce n’est pas la maniere la plus singuliere dont on ait paré ses lèvres; car Suétone rapporte que le fils de Vitellius les enduisoit de miel pour sucer le gland de son giton de maniere à augmenter son plaisir, en lubrifiant ainsi la peau fine qui revêt cette partie, la salive de l’agent imprégnée de miel attiroit les flots d’amour. C’étoit[143] un aphrodisiaque connu et puissant pour les hommes usés. Mais Vitellius faisoit cette cérémonie tous les jours et publiquement sur tous ceux qui vouloient s’y prêter[144]; ce qui n’est guere plus bizarre que ces libations (_semen et menstruum_) que certaines femmes, selon Épiphane, offroient aux dieux, pour les avaler ensuite[145]. Je finis cette singuliere récapitulation par demander aux moralistes si les anciens alloient beaucoup mieux que nous, et aux érudits quel service ils croient avoir rendu aux hommes et aux lettres, quand ils ont déterré ces anecdotes et tant d’autres pareilles dans les archives de l’antiquité? ANNOTATIONS DITES DU CHEVALIER DE PIERRUGUES SUR L’ANAGOGIE _Anagogie_, recherche du sens mystique des Ecritures, ravissement ou élévation de l’esprit vers les choses divines; du grec Αναγωγη, formé de ανα, _en haut_, et de αγω, je conduis. «Le sens anagogique, dit le révérend père Lamy (_Introduction à l’Ecriture sainte_, liv. II, chap. II), explique de la félicité éternelle ce qui est dans l’Écriture de la Terre promise; c’est le ciel dans ce sens. La Jérusalem de la terre, c’est la Jérusalem céleste; l’homme formé d’abord de la terre, animé ensuite du souffle de Dieu, est l’image de l’homme revêtu d’un corps corruptible, qui ressuscitera un jour immortel. Il faut remarquer ici que les prophètes n’ont pas moins prédit ce qui devait arriver à Jésus-Christ et à son Eglise par leurs actions que par leurs paroles. Le prophète Osée, en épousant une femme de mauvaise vie, représente Jésus-Christ, qui, par son union avec l’Eglise, l’a purifiée de toutes ses taches. Le serpent d’airain élevé dans le désert, était la figure du Sauveur élevé en croix. La loi de la circoncision n’ordonnait à la lettre que de circoncire la chair, mais dans un sens spirituel elle signifie cette circoncision du cœur par laquelle les chrétiens doivent retrancher et réprimer en eux les désirs qui pourraient être contraires à la loi de Dieu.» D’après cette interprétation métaphorique, on doit s’apercevoir que tout l’Ancien Testament n’est qu’une figure, un clair-obscur: c’est pourquoi saint Augustin (_De Trin._, liv. I, chap. II) a fort bien remarqué que les auteurs sacrés recourent aux mots figurés lorsqu’ils ne trouvent pas des mots propres pour exprimer leurs idées. Ils s’en servent comme des voiles pour cacher ce que la pudeur défend quelquefois de nommer. C’est ainsi, dit ce saint, que sous le mot de _pied_, l’Écriture comprend toutes les parties inférieures du corps; témoin cet exemple: «Sephora prit une pierre tranchante; elle coupa le prépuce de son fils et toucha _ses pieds_.» «Tulit illico Sephora occultissimam petram, et circumcidit præputium filii sui, tetigitque pedes ejus.» (_Exod._, cap. IV, v. 25.) Dans ce passage l’Écriture prend un mot honnête au lieu d’un mot qui ne l’est pas. Mais n’importe! Son style si simple et si sublime, l’élévation de ses pensées et le brillant des métaphores dont Dieu fait partout un si digne et fréquent usage, conviennent d’autant plus aux hommes que, créés à sa ressemblance, il fallait, pour s’en faire comprendre, qu’il appropriât son langage à celui de son peuple, et qu’il se conformât à ses idées et à sa manière de concevoir. C’est là sans doute la raison pourquoi la Bible, en parlant de Dieu, nous le représente sans cesse comme s’il avait un corps tout semblable au nôtre, avec nos passions, nos vices et nos vertus. Si donc elle lui attribue de la colère, de la piété, de la fureur, et lui donne des yeux, une bouche, des mains et des pieds, il n’en suit pas qu’il faille le prendre au pied de la lettre, mais tel que notre imagination a l’habitude de se le figurer, malgré les lumières de notre faible raison et de la foi divine qui nous a été révélée de toute éternité. Si donc il est des personnes assez grossières pour se méprendre sur le sens anagogique de l’Écriture, il faut en avoir pitié et implorer pour elles l’infusion du Saint-Esprit. Mais le lecteur est suffisamment éclairé sur l’explication d’un titre que Mirabeau, on ne sait pas pourquoi, a jugé à propos de laisser en grec; et il comprendra sans doute la mysticité de cet ouvrage. I--«Des anus d’or guérissaient les hémorrhoïdes.» En l’an du monde 2860, Ophni et Phinées, deux fils du grand-prêtre Héli, couchaient avec toutes les femmes qui venaient à la porte du tabernacle: «dormiebant cum mulieribus quæ observabant ad ostium Tabernaculi.» (_Reg._, lib. I, cap. 2, v. 22.) Le vieillard instruit de ces désordres, réprimanda paternellement ses fils, et malgré les sages conseils qu’il leur donna sur les devoirs des prêtres qu’ils violaient, ils n’écoutèrent point la voix de leur père, «non audierunt vocem patris sui;» ce qui était inutile, ce me semble, puisque d’avance le Seigneur avait déjà résolu de les tuer, «quia voluit Dominus occidere eos.» (_Rois_, liv. I, ch. 2, v. 25.) Or, le Dieu d’Israël, colère et jaloux, se fâcha un beau matin du bloc de peccadilles qu’avaient commises ces fils, et pour les punir, voici ce qu’il imagina. Il engage son peuple, qu’il aime tant, dans une terrible bataille, où, vainqueurs par ses ordres, les Philistins passent au fil de l’épée 30,000 juifs qui n’avaient couché avec personne, prennent l’Arche d’alliance et tuent les deux fils d’Héli, pour apprendre aux autres, sans doute, qu’il est dangereux d’interpréter trop littéralement le précepte divin: «Croissez et multipliez.» Mais voyez cet enchaînement de justice divine: après ce bel exploit, marqué au coin de l’humanité, et les corrections toutes paternelles qu’il vient d’administrer à son peuple chéri, ne voilà-t-il pas que Dieu, si drôle dans ses lubies, cherche maintenant une querelle d’Allemand à ces pauvres Philistins, qu’il déteste, parce qu’ils retiennent son arche, qu’il n’a pas daigné défendre lui-même au jour du péril, et les punit d’affreuses hémorroïdes, dont il frappe les parties les plus secrètes et les plus honteuses de leur corps, et leur fait ainsi pourrir le derrière!!!... «Percutiebantur in secretiori parte natium.» (_Rois_, liv. I, ch. 5, v. 12.) Grande était certes la consternation de ces idolâtres! mais que font-ils, pensez-vous, pour se délivrer de cette horrible maladie?... Ils assemblent tout bonnement leurs prêtres et leurs prophètes, et, selon le conseil de ces devins, ils entrent en composition avec le Père Eternel, qui, moyennant le renvoi de la boîte carrée et d’un cadeau de cinq _anus d’or_, apaise son courroux et le délivre de ce fléau. «Hi sunt autem ani aurei, quos reddiderunt, Philistum pro delicto Domino; Azotus unum, Gaza unum, Ascalon unum, Greth unum, Accaron unum.» (_Rois_, liv. II, ch. 6, v. 17.) Grâce au progrès des sciences et à l’habileté de nos médecins, nous sommes dispensés, si pareil accident nous afflige, de recourir à ce coûteux, mais efficace moyen, comme chacun sait; mais si une offrande de cette espèce est tombée en désuétude aujourd’hui, nos Esculapes n’oublient cependant point de formuler quelquefois leurs mémoires sur le prix que peuvent valoir cinq anus d’or: _Auri sacra fames!..._ Cette anagogie doit nous apprendre, dit le prieur de Sombreval, qu’il ne suffit pas à un père d’être bon lui-même, s’il ne travaille encore à rendre bons ses enfants; que Dieu, par les voies les plus inconcevables, venge l’injure faite aux choses saintes par l’abandon même de ce qu’il y a de plus saint; que rien ne l’irrite tant que les péchés des prêtres; qu’il ne protège enfin que ceux qui l’honorent, et ne fait éclater sa gloire que pour ceux qui se rendent dignes de lui. II.--«La bête de l’Apocalypse, qui a 666... sur le front.» La science des nombres n’est point une rêverie. Ecoutez plutôt ce que dit saint Jean dans l’_Apocalypse_ (Αποκάλυψις, mot inventé par les Septantes suivant saint Jérôme pour désigner les _Révélations de saint Jean_) verset 18, nombre ignoble, chapitre 13, nombre fatal: «Qui habet intellectum computet numerum bestiæ; numerus enim hominis est, et numerus ejus sexcenti sexaginta sex.»--«Que celui qui a de l’intelligence suppute le nombre de la bête, car son nombre est le nombre d’un homme.» Les catholiques et les protestants, dit Voltaire (_Dictionnaire philosophique_, art. _Apocalypse_, sect. II), ont tous expliqué l’_Apocalypse_ en leur faveur; et chacun y a trouvé tout juste ce qui convenait à ses intérêts. Ils ont surtout fait de merveilleux commentaires sur la grande bête à sept têtes et à dix cornes, ayant le poil d’un léopard, les pieds d’un ours, et la gueule d’un lion, la force d’un dragon; et il fallait, pour vendre et acheter, avoir le caractère et le nombre de la bête, et ce nombre était 666. Bossuet trouve que cette bête était évidemment l’Empereur Dioclétien, en faisant un acrostiche de son nom. Crotius croyait que c’était Trajan. Un curé de Saint-Sulpice, nommé La Chétardie, connu par d’étranges aventures, prouve que la bête était Julien l’Apostat. Jurien prouve que la bête est le pape. Un prédicant a démontré que c’est Louis XIV. Un bon catholique a démontré que c’est le roi d’Angleterre, Guillaume. C’est ainsi que s’en explique le grand homme. Mais cela ne prouve rien contre ces messieurs, car un savant moderne a prétendu, dans le temps, que cette bête de l’Apocalypse n’était autre que Louis XVIII, en décomposant le nombre six cent soixante-six de la manière suivante: L 50 V 5 D 500 O 0 V 5 I 1 C 100 V 5 ----- SUMMA 666 Les chiffres romains forment, dit-il, un mot dont les chiffres arabes sont la désignation numérique et mystique; car additionnés, ils donnent le nombre 18, et de front, le nombre de la bête. SUR L’ANÉLYTROÏDE _L’Anélytroïde_, qui n’est couvert d’aucune enveloppe; du grec Ανελυτρος, formée par l’α privatif suivi de l’ν euphonique et du mot ελυτρος, dérivé de ελυτροω, _envelopper_, recouvrir, et par extension, _perforation_. I.--«Une des sources du discrédit où les livres saints sont tombés, ce sont les interprétations forcées que notre amour-propre, si orgueilleux, si absurde, si rapproché de notre misère, a voulu donner à tous les passages que nous ne pouvons expliquer.» Nous avons déjà fait remarquer que Dieu, en communiquant avec les hommes, emprunte toujours leur langage pour se mettre à portée de leur faible entendement. Aujourd’hui que ces temps heureux sont loin de nous, pour comprendre le mystérieux de la parole divine que Dieu a consignée dans le livre sacré, il faut de nécessité absolue recourir d’abord aux lumières du Saint-Esprit, en soumettant sa raison à l’autorité de ce livre sublime qui ne peut faillir; puis étudier avec soin, persévérance et humilité, le caractère, le tout, les propriétés et le génie d’une langue aussi ancienne que la nature, et dont les racines peu nombreuses expliquent si merveilleusement la signification de ses mots sonores, et leur liaison avec les choses qu’ils dépeignent avec tant de verve et de couleur; langue véritablement admirable, puisque Adam se servit de son abondante stérilité pour donner aux plantes et aux animaux qui venaient d’être tirés du néant, un nom qui marquait leur nature et leur propriété (_Gen._, chap. II, v. 19); langue renfermant ainsi un sens allégorique, anagogique et tropologique, et portant avec elle la preuve irrécusable et évidente qu’elle fut consacrée par la bouche de Dieu!... Or, pour éviter toute espèce d’interprétation forcée, confrontez avec l’original de ce livre divin, conservé dans l’arche de Noé, les versions des savants interprètes et les doctes élucubrations des commentateurs. Puis, consultez les Saints Pères qui nous ont légué ce précieux trésor; ensuite les canons de l’Église, les conciles et les explications lucides, les profondes méditations de nos théologiens vous guideront tout naturellement dans la connaissance parfaite d’une matière où il serait plus que téméraire de se fier à ses propres forces pour parvenir à l’intelligence des textes originaux. Si vous avez eu le courage de vous instruire dans la religion de ces docteurs, alors disparaîtront devant vos yeux les doutes illégitimes, les apparentes contradictions et les prétendues erreurs sur la physique, la chimie et l’astronomie, que des esprits audacieux croient trouver dans la Bible, mais qui, fort heureusement, n’existent que dans leur imagination déréglée et corrompue; alors soudainement inspiré par la _grâce agissante_, il vous sera donné de comprendre «la raison qui peut avoir obligé Dieu, après ces espaces infinis de l’éternité qui ont précédé la création du monde, à le créer dans le temps; que sans besoin comme sans nécessité, puisqu’il possède toutes choses et que seul il peut se suffire à lui-même, l’Éternel, en opérant cette merveille, n’a eu en vue que son Verbe divin, qu’il a prévu devoir s’incarner, et s’offrir lui-même en sacrifice, et que le monde n’a été formé que par le Verbe et pour le Verbe, qui devait un jour le réparer après sa chute et rendre à Dieu une gloire infinie et digne de lui.» (Lamy, _Introduction à l’Écriture sainte_, liv. I, chap. 2.) C’est alors, ami lecteur, que, nourrie de la parole divine et devenue «digne de porter les souliers de Jésus-Christ (saint Mathieu, chap. III, v. 11), et de délier la courroie de ses boucles» (saint Luc, chap. III, v. 16), votre âme en se dégageant de la misérable enveloppe qui la tenait enchaînée ici-bas, s’élancera toute joyeuse vers le brillant séjour de la céleste Jérusalem, où elle habitera avec les Chérubins, espèces d’animaux (Ezéchiel, chap. X, v. 15) qui servent de monture à Dieu quand il se met en voyage, «_ascendit super Cherubin et volavit_»; de ces Chérubins, à la face bouffie, dont l’un d’entre eux fut mis en sentinelle à la porte du Paradis terrestre avec une épée flamboyante, pour empêcher notre premier père et sa pétulante moitié de rentrer dans ce lieu de délices (_Genèse_, chap. III, v. 24) avec les Séraphins qui précédaient les roues mystérieuses qu’Ezéchiel vit sous le firmament (Ezéchiel, chap. I, v. 5 à 28); avec les Anges, les Archanges, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Potentats, les Principautés, les Forts, les Légers, les Souffles, les Flammes, les Étincelles; dans ce ciel où vous entendrez les Anges chanter _hosanna_ treize mille six cent trois fois, et ensuite s’endormir paisiblement sur les marches resplendissantes du trône immortel que soutiennent les Séraphins; où vous verrez des ballets entre les Saints et les Étoiles, les Chérubins et les Comètes; que sais-je? avec toute la milice céleste: ce qui sera un peu fade, il est bien vrai, mais du reste fort amusant. II.--«L’un des articles de la _Genèse_ qui a singulièrement aiguisé l’esprit humain, c’est le verset 27 du chapitre I «Dieu créa l’homme à son image; il le créa mâle et femelle.» --«Si Dieu ou les Dieux secondaires créèrent l’homme mâle et femelle à leur ressemblance, il semble en ce cas que les Juifs croyaient Dieu et les Dieux mâles et femelles. On a recherché si l’auteur veut dire que l’homme avait d’abord les deux sexes, ou s’il entend que Dieu fit Adam et Ève le même jour. Le sens le plus naturel est que Dieu forma Adam et Ève en même temps; mais ce sens contredirait absolument la formation de la femme faite d’une côte de l’homme longtemps après les sept jours.» (Voltaire, _Dictionnaire philosophique_, art. _Genèse_.) Malgré ce raisonnement si serré, si judicieux de Voltaire, comment ne point croire à la création d’Adam et d’Ève en même temps, au même jour, le sixième du monde, lorsque la _Vulgate_ et toutes les versions qui se sont faites sur le texte hébreu, disent si positivement au chap. I, v. 27, que Dieu les créa homme et femelle, _masculum et fœminam creavit EOS_? Cependant il est évidemment clair que par ce passage (La Bible anglaise l’interprète de la même manière: «_Male and female created HE THEM_») il faut entendre qu’Adam a dû être créé androgyne, puisque Dieu, jugeant qu’il n’était pas bon _que l’homme fût seul_, ne forma la femme qu’à la fin du septième jour, d’une des côtes qu’il tira d’Adam pendant le sommeil divin où il l’avait plongé. (_Gen._, chap. II, v. 18, 21, 22). Mais, si Adam avait le sexe double, comment a-t-il fait alors pour se faire des enfants à lui-même? Comment mettre en harmonie ce passage de la _Genèse_ avec la manifeste contradiction qu’il paraît impliquer? Cette question embarrassante a fait suer bien des pères de l’Église, mais saint Thomas d’Aquin (_Quæst._, cap. I et seq.) plus malin ou plus inspiré que ses confrères, l’a résolue sans difficulté, en assurant que les hommes se faisaient, dans l’état d’innocence, par l’intuition des idées ou d’une manière spirituelle, comme par l’endroit dont parle Agnès dans l’_École des Femmes_, en prétendant que les parties de la génération ne sont venues aux hommes qu’après le péché, comme les marques perpétuelles de la désobéissance du premier!!!... Et qu’on ne soupçonne pas l’ange de l’école de déraisonner! il était plus que personne à même de connaître la vérité qu’il avance, lui qui conversait dans la sainte familiarité de son Dieu; lui à qui, selon le trop hardi abbé Dulaurens (_Arétin moderne_, 2e partie, art. _Calendrier_), un crucifix de bois a fait un compliment académique, le jour sans doute qu’il prouva si heureusement et avec tant de clarté, dans sa soixante-quinzième question, que l’homme possède trois âmes _végétatives_; savoir, la _nutritive_, _l’augmentative_ et la _générative_! III.--«Le nom qu’Adam donna à chacun des animaux est son nom véritable.» Un philosophe déiste du dix-huitième siècle, dans ses _Commentaires sur la Bible_, s’est permis de calomnier ce passage de la Genèse, en disant que «cela supposait qu’il y avait déjà un langage très abondant, et qu’Adam, connaissant tout d’un coup les propriétés de chaque animal, exprima toutes les propriétés de chaque espèce par un seul mot, de sorte que chaque nom était une définition»; et s’armant de l’arme du ridicule, si mortelle entre ses mains, il ajouta dans son délire «qu’il était triste qu’une si belle langue fût entièrement perdue; que plusieurs savants s’occupaient à la retrouver et qu’ils y auraient de la peine.» Mais si cet orgueilleux eût été rempli de foi, il eût admiré le plus ce qu’il comprend le moins et se fût aisément convaincu que si notre premier père donna à chaque animal son vrai nom, c’est que, créé dans un état de pure innocence, il avait reçu de Dieu, au rapport de saint Thomas (_Quæst._, 94, art. 3), la science la plus parfaite et la connaissance de toutes les choses de la nature; que sur l’ordre de Dieu même, Adam avait imposé à tous les animaux le nom qui leur était propre; d’où il suit qu’il connaissait parfaitement la nature de ces animaux. En effet, les noms véritables doivent être en harmonie avec la nature des choses. (Saint Chrysost., _Hom._, 14, _in Gen._) Cependant, sans comprendre clairement et fixement l’essence divine, Adam, beaucoup plus que nous, en a eu une haute et parfaite connaissance. (Saint Thomas, _Quæst._, 94, art. 1). Voilà une explication lumineuse d’un passage de la Bible vraiment extraordinaire, qui doit confondre la raison de tous les incrédules. IV.--«Mais le savant Sanchez...» Pour donner un échantillon du profond savoir et de la délicatesse du révérend Sanchez, jésuite et casuiste très versé dans la controverse, voici quelques-unes de ces questions sur lesquelles il s’est sérieusement évertué et qu’il a proposées à résoudre pour l’édification de ses lecteurs et à la très grande gloire de Dieu. Il demande: _Utrum liceat extra vas naturale semen emittere?_ _De altera femina cogitare in coitu cum sua uxore?_ _Seminare consulto, separatim?_ _Congredi cum uxore sine spe seminandi?_ _Impotentiæ tactibus et illecebris opitulari?_ _Se retrahere quando mulier seminavit?_ _Virgam alibi intromittere dum in vase debito semen effundat?_ Il discute: _Utrum Virgo Maria semen emiserit in copulatione cum Spiritu Sancto?_ Et il assure: _Mariam et Spiritum Sanctum emisisse semen in copulatione et ex semine amborum natum esse Jesum._ Et cent autres questions de cette force et de cette décence, que ce théologien jésuite a agitées dans son fameux _Traité latin sur le mariage_, et dont la traduction en français blesserait trop les mœurs pour que nous ne la passions pas sous silence. Aussi, rien d’étonnant si Sanchez «ne mangeait jamais ni poivre, ni sel, ni vinaigre, et si, quand il était à table, il tenait toujours ses pieds en l’air, assis sur un siège de marbre.» SUR L’ISCHA I.--«La première personne à laquelle Jésus-Christ se montra après sa résurrection fut Marie-Madeleine.» Rien dans l’antiquité n’approcha jamais de cette consolante doctrine de ramener à l’honneur par le repentir. Régénérée par la pénitence, une chrétienne, quelque grande que soit la faute qu’elle a commise, si elle s’en repent, est aussitôt purifiée et rendue à sa première considération. Aussi, il y a au ciel, pour une brebis égarée qui revient au bercail de l’Église, beaucoup plus de joie que pour dix saints qui n’ont jamais péché. La vie de Marie-Madeleine nous en offre le plus frappant exemple et confirme nos réflexions. Après avoir mené une vie libertine et débauchée, et vendu, comme les vestales de l’Opéra, des cordons verts aux libertins de Jérusalem, un jour qu’elle savait que Jésus-Christ était allé dîner chez le Pharisien Simon, touchée sans doute par un mouvement de curiosité si naturelle à son sexe, ou peut-être par un caprice de vertu, ou, ce qui est plus probable, par le délabrement d’une santé usée dans les débauches, Madeleine pénètre dans la salle du repas et s’y jette, avec une sainte impudence, aux pieds du Sauveur, les embrasse, les baise, les parfume, les arrose de ses larmes et les essuie de ses cheveux. Alors, témoin de cette scène attendrissante et supposant, dans son orgueil, que les dérèglements de cette femme ne sont point connus à son convié, parce que, au lieu de rejeter, il accueille l’hommage impur de cette prostituée, l’incrédule Pharisien doute témérairement de la puissance du divin prophète et reste confondu lorsqu’il entend Jésus dire à cette courtisane qu’il préfère son ardent amour à la tiédeur de ceux qui ne l’aiment que du bout des lèvres et qu’il pardonne ses péchés parce qu’elle a beaucoup aimé. (Saint Luc, chap. VIII, v. 36 à 50.) Admirable et touchant modèle de conversion! Elle nous fait voir, disent les saints Pères, que la pécheresse la plus noire devient blanche comme neige devant Dieu, lorsque l’humilité sanctionne sa pénitence... et, comme dit quelque part l’impie Boufflers, se sauve ainsi du grand feu que Dieu a fait là-bas pour ceux qui ne vont pas là-haut..... SUR LA TROPOÏDE _Tropoïde_, du grec τρόπος, _mœurs_, _genre de vie_, _moralité d’un peuple_. Dans le tableau si vrai, si caractéristique de la législation et de la moralité du peuple hébreu qu’il dépeint avec la supériorité du talent d’un habile politique et d’un profond penseur, Mirabeau, qu’aucune considération n’arrête lorsqu’il s’agit d’agrandir les limites de notre intelligence par une vérité quelconque, imprime à ce chapitre le cachet de son génie, en y développant les observations les plus judicieuses et les plus profondes réflexions, il compare avec une étonnante sagacité les mœurs et les coutumes des Juifs du temps de Moïse avec nos habitudes, nos mœurs et nos libertés, que le despotisme des prêtres et des rois a si longtemps tenues courbées sous leur sceptre avilissant, mais dont la philosophie du dix-huitième siècle, par ses longs et constants efforts, a fait enfin justice à jamais. Depuis cette époque si mémorable, la civilisation est en marche: ses progrès peuvent être ralentis; mais ni les misérables intrigues du sacerdoce, qui menace de tout abrutir pour tout dominer, ni les actes impolitiques et imprudents des gouvernements actuels, dont la violence, l’astuce et l’intérêt sont les plus puissants mobiles, ne parviendront jamais à comprimer l’essor de la progressive émancipation de l’esprit humain. Une immense impulsion lui est donnée, et l’imprescriptible liberté, désormais circonscrite dans les bornes bien entendues du devoir social, fera insensiblement _le tour du monde_, triomphera de leurs vains efforts et anéantira quelque jour l’œuvre de l’iniquité et de la corruption. Mais revenons au sujet de ce titre. La _Tropoïde_, dit le révérend père Lamy, est tirée des instructions et des règles de morale de la lettre de l’Écriture. La loi juive défend de lier la bouche au bœuf qui bat le blé (_Deut._, chap. XXV, v. 4) et saint Paul se sert de ce précepte de Moïse pour établir l’obligation qu’ont les fidèles de fournir aux ministres de l’Évangile tout ce qui leur est nécessaire (_I. Corinth._, chap. IX, v. 9.--_I. à Timoth._, chap. V, v. 18), ce qui n’est pas mal entendre ses intérêts. D’après saint Jérôme (dans sa _lettre à Hedibia_), le sens tropologique est celui qui nous élève au-dessus du sens littéral et nous fait donner une explication morale et propre à nous faire connaître ce qui se passait parmi le peuple juif: récit qui n’est pas du tout à son avantage. I.--«Quand la fille avait engagé sa foi, les matrones la conduisaient au dieu Priape.» Si on voulait juger avec sévérité des mœurs et des habitudes du peuple romain par les expressions libres de quelques-uns de ses écrivains les plus célèbres; si l’on exposait au grand jour les tableaux obscènes de l’antiquité que l’on a découverts dans les fouilles d’Herculanum et de Pompéi, il faudrait en conclure nécessairement que la pudeur, loin d’être un sentiment naturel et indispensable à l’homme, n’est chez lui qu’une simple vertu de convention. Cependant, je ne saurais m’imaginer qu’il ait existé sur la terre un peuple assez impudent, assez dénaturé, assez ennemi de lui-même, pour établir, de gaîté de cœur, un culte contre la décence et les bonnes mœurs. Or, le culte de Priape, que je vais décrire, n’était point indécent chez les anciens; car ils regardaient la propagation comme un devoir trop sacré et trop sérieux pour voir dans la consécration du _Phallus_ et du _Kleis_ (ou des parties sexuelles de l’homme et de la femme dans leurs sanctuaires) autre chose qu’un emblème de la fécondité universelle, et ils le sculptaient jusque sur les portes de leurs temples, comme le symbole des premiers vœux de la nature. De là ce culte de _Priape_, qui passa à Rome de l’Étrurie, où l’apportèrent les Corybantes et les Cabires. (Virey, _Dissertation sur le libertinage_, art. III.) Au rapport de Strabon et d’autres écrivains de l’antiquité, ce dieu était fils de Bacchus et de Vénus. Il naquit à Lampsaque, ville de la Troade, non loin de l’Hellespont, où sa mère l’abandonna à cause de sa difformité. On dit que, toujours jalouse de Vénus, Junon, sous prétexte de l’aider dans ses couches, toucha l’enfant d’une main perfide, au moment qu’il vint au monde, et le rendit tellement monstrueux à certaine partie de son corps, que je ne puis mieux nommer qu’en ne la nommant pas, qu’il fit tourner la tête à toutes les jolies femmes de Lampsaque: c’était à qui l’enlèverait. Mais les maris ne se souciant guère de voir leurs fronts s’enrichir d’une coiffe que les dames distribuent si volontiers, le chassèrent de leur ville sur un décret du Sénat. Priape, piqué du procédé peu galant de ces jaloux, les frappa d’une espèce de maladie qui les rendait extravagants et dissolus dans leurs plaisirs. Ces malheureux époux, doublement punis, furent consulter l’oracle de Dordone, qui leur ordonna de rappeler Priape de son exil. Je passerai sous silence comme fastidieux ses attributions et son emploi qui le commettait à la garde des jardins, où il servait d’épouvantail aux oiseaux et aux voleurs qu’il menaçait de cette disposition pénale: _Fœmina si furtum faciet mihi, virque puerque, Hæc cunnum, caput hic, probeat ille nates._ Je dirai que ce dieu présidait à toutes les débauches du paganisme. Ses _Phallalogies_, ou ses fêtes, se célébraient particulièrement à Lampsaque. Les Égyptiens, selon certain auteur, le nommaient _Horus_ et le représentaient «jeune, ailé, avec un disque sous le pied, tenant un sceptre dans la main droite, et de la gauche soulevant son membre viril, qui égalait en grosseur tout le reste de son corps.» Festus rapporte que les Romains lui élevèrent un temple sous le nom de _Mutinus_, «où il était assis avec le membre en érection, sur lequel les jeunes épouses venaient s’asseoir avant de passer dans les bras de leurs maris, afin que ce Dieu eût les prémices de leur virginité. C’est pour cela que lui était dédiée la première nuit des noces, que présidaient, sous ses ordres, les dieux _Subigus_, _Jugatinus_, _Domitius_ et _Mutius_ (_Jugatinus_, qui unissait l’homme et la femme par le mariage. AUGUST., _De Civ._, IV, c. 8.--_Domitius_, qui protégeait la mariée dans la maison du mari. AUG., VI, c. 9.--_Mutinus_, dont la coutume religieuse était de faire asseoir la jeune mariée sur un _fascinum_, de dimension énorme et monstrueuse. AUG., IV, c. 11), et les déesses _Virginiensis_, _Prenia_, _Pertunda_, _Manturna_, _Cinxia_, _Matuta_, _Mena_, _Volupia_, _Strenua_, _Stimula_, etc. (_Manturna_, dont l’office était de faire en sorte que la femme restât avec le mari. AUG., IV, c. 9.--_Cinxia_, qui devait ôter la ceinture à la mariée. ARNOB., lib. III, p. 118.--_Matuta_, qui présidait aux caresses du réveil. PLUT., _in Camillo_.--_Mena_, qui présidait aux menstrues des femmes. AUG., c. 11.--_Volupia_, qui présidait à la volupté. ARNOB., lib. IV, p. 131.--_Strenua_, qui excitait au coït. AUG., IV, c. 11.--_Stimula_, qui faisait agir avec vivacité. AUG., IV, c. 11.--_Viripiaca_, qui présidait au raccommodement. VAL. MAX., lib. II, c. 1, n. 6.--_Prosa_, qui présidait aux accouchements. AUL. GELL., lib. XVI, c. 17.--_Egeria_, qui présidait à la délivrance. Voyez FESTUS.) Toutes divinités officieuses qu’on invoquait dans l’acte du coït, et qui avaient dans la cérémonie de l’hymen chacune un emploi particulier. La jeune mariée, au sortir de la couche nuptiale, allait offrir à Priape autant de branches de saule qu’elle avait essuyé d’assauts amoureux: _Quæ quot nocte viros peregit unâ, Tot vergas tibi dedicat salignas._ Ce dieu fut aussi surnommé _Phallus_, _Ityphallus_, _Triphallus_ et _Fascinus_ (Plutarque, dans ses _Commentaires_, περι τῆς φιλοπλουτίας, ou _Passion des Richesses_, et dans son livre sur _Isis et Osiris_; Columelle, dans son _Traité de l’Agriculture_, Pompéjus et Hérodote, liv. 2, en donne une ample description), symboles de la fécondité, que l’on voyait en tous lieux, sur les dieux Termes, dans les jardins, dans les gynécées des dames romaines, où, pour tribut de reconnaissance, elles appendaient à sa chapelle des tableaux votifs, et posaient publiquement des couronnes de fleurs sur son membre en érection. Ces dames portaient des phallus à leur cou, et en suspendaient à celui de leurs enfants. Ces bijoux précieux étaient ordinairement d’or, d’ivoire, de verre ou de bois; quelquefois elles en faisaient en étoffe de laine ou de soie pour amuser leur... libertinage et charger leur vaisseau (_ad suam onerandam navem_), comme le dit si plaisamment Pétrone. Quoique nos mœurs n’admettent pas d’honorer publiquement ce dieu, nous ne cessons cependant de lui dresser des autels en particulier: ce sont les boudoirs de nos petites maîtresses qui remplacent maintenant ces édicules. Au reste, saint Jérôme croit que ce dieu était le même que le dieu des Moabites et des Madianites, qu’ils invoquaient sous le nom de _Peor_, _Beelphegar_ ou _Phegor_. Mais toujours est-il que Priape était connu et même adoré des Juifs, puisqu’il est rapporté dans la Bible que «dans la vingtième année du règne de Jéroboam, roi d’Israël, Asa, roi de Yuda, chassa de son territoire tous les efféminés et purifia son royaume de toutes les souillures de l’idolâtrie que ses pères avaient établies. De plus, il défendit à sa mère Mahacham d’être désormais la prêtresse des sacrifices de Priape, dans le bois qui lui était consacré; puis il renversa sa statue et brûla cette image infâme dans le torrent de Cédron.» (_Rois_, chap. XV, v. 9 à 13.--_Paralipomènes_, liv. II, ch. XV, v. 16.) Le texte hébreu porte _miphletzet_, que les interprètes traduisent indifféremment par _caverne_, _assemblée_, _idole_, mots qui dans ce passage de la Bible expriment la même idée; car il est avéré que Mahacham, avec la confrérie qu’elle avait formée et dont elle était le chef, célébrait dans les bois ou lieux obscurs les sacrifices de Priape, qu’accompagnaient les crimes les plus honteux et les plus infâmes prostitutions. SUR LE THALABA Mot hébreu que l’on comprendra aisément quand on aura lu l’histoire des Jésuites, l’_Onanisme_ de Tissot et la _Nymphomanie_ de M. de Bienville. I.--«Un des plus beaux monuments de la sagesse des anciens est leur gymnastique.» L’homme par sa nature, destiné au travail, a souvent besoin de se reposer de ses fatigues. C’est dans ces intervalles de repos momentané qu’il aime à se livrer volontiers aux plaisirs du jeu qui récréent son esprit, en même temps qu’ils lui préparent de nouvelles forces pour reprendre ses travaux accoutumés. Mais si je parle de jeu, je n’entends nullement vanter ici ces dangereuses maisons qui engloutissent la santé, l’honneur et la fortune des gens crédules qui entretiennent avec elles de funestes rapports, que repousse la morale publique et qu’une politique bien entendue eût depuis longtemps supprimées, si, pour les maintenir, l’avidité du fisc n’usait de tout le pouvoir dont il est revêtu. Je ne signale donc les dangers de cette vile passion qui dégrade l’homme en le portant à tous les excès, que pour relever davantage ces jeux et ces exercices si utiles que les anciens avaient rangés parmi leurs cérémonies religieuses, dans le but de développer les forces et l’agilité du corps, et de disposer la jeunesse par une santé robuste, toujours si influente sur ses actions, à devenir d’utiles citoyens. Les théâtres consacrés à ces nobles gymnastiques (du grec γυμναστικὸς, lieu où les Grecs s’exerçaient à certains jeux; formé de γυμνος _nu_, parce qu’ils étaient nus ou presque nus pour s’y livrer plus librement), étaient des lieux spacieux, où les anciens s’assemblaient pour y disputer le prix de la lutte, du disque, du palet, de la course, du saut ou du pugilat. Leurs jeux les plus célèbres étaient au nombre de quatre, qu’ils désignaient sous le nom de _combat_ ἀγων, ainsi que le confirme ce vers d’Homère: Τεσσαρές εἰσιν αγῶνες Ελλαδα Les _Olympiques_ se célébraient au bout de quatre ans révolus, en l’honneur de Jupiter, à Pise, non loin d’Olympie, ville d’Élide, dans le Péloponèse. Ils duraient cinq jours et commençaient par un sacrifice solennel. Les _Pythiques_ avaient lieu à Delphes, en l’honneur d’Apollon, pour perpétuer sa victoire sur le serpent Python. Les _Isthmiques_, institués par Sisyphe, roi de Corinthe, en l’honneur de Neptune, se solennisaient tous les trois ans dans l’isthme de Corinthe, près du temple de ce dieu. Et les cérémonies des Néméens se consacraient à la même époque à Argos, en mémoire d’Archemor, fils de Lycurgue, roi de Némie, qui mourut de la morsure d’un serpent. Célébrés avec éclat et magnificence, sous les yeux des rois, des magistrats et d’une foule immense de spectateurs que le désir de la gloire y attirait de toutes parts, ces jeux enflammaient l’émulation en élevant l’âme aux grandes actions, et enfantaient des citoyens dévoués à la patrie. Le vainqueur était couronné de branches de pin, de laurier, de feuilles d’olivier sauvage ou de roses, aux yeux de tous les assistants et au bruit de leurs acclamations. Honoré dans sa patrie pour le reste de ses jours, son nom et sa victoire étaient chantés par les plus grands poètes. On lui érigeait des statues, et on poussa même les éloges du vainqueur jusqu’à l’élever au rang des dieux. C’est par ces nobles institutions que la Grèce remplit le monde de l’éclat de sa gloire et qu’elle parvint à transmettre son nom à l’immortalité. SUR L’ANANDRINE Formé ανανδρύνομαι, _devenir lâche_, _diminuer_, composé de l’α privatif et de l’ν euphonique: _efféminéité_. I.--«Sapho... peut être regardée comme la plus illustre des tribades.» Cette célèbre, mais trop infortunée Sapho, qui vécut du temps de Stésichore et d’Alcée, environ 600 ans avant l’ère chrétienne, se distingua non seulement par ses habitudes lesbiennes de κλειτοριάζειν. (Voyez la _Linguanmanie_.) C’est cette erreur lascive qui justifie la résection du clitoris dans les pays méridionaux, où les femmes, par le prolongement quelquefois prodigieux de cette portion externe des nymphes, ont propagé cette nouvelle manière d’aimer de Sapho. (Voyez l’_Akropodie_, que Sénèque et saint Augustin lui reprochent avec tant de véhémence, mais encore par son beau talent poétique, qui la fit surnommer la dixième Muse. Elle inventa deux sortes de rythmes, le saphique et l’éolique, et dans la faible partie de ses œuvres que l’ignorance et la barbarie ont laissé parvenir jusqu’à nous, son âme respire tout entière dans les vers brûlants d’amour, qu’elle soupirait pour le volage Phaon. L’ardeur, ou plutôt le feu de son tempérament, dit Virey, la fit accuser d’un vice... qui la rendit presque un homme: _Mascula Sapho_. Inspirée par l’amour et les dédains de Phaon, elle put transmettre à la postérité la peinture de ses ardeurs ou plutôt les transports de son érotomanie; elle les eût moins vivement représentés s’ils eussent été assouvis. Tout prouve donc que le génie ne s’allume que par la chaleur amoureuse, et celle-ci ne brille que dans les caractères virils, même chez les femmes de lettres les plus célèbres. (Virey, _Effets de l’Amour sur l’esprit_.) Voici la traduction, par Boileau, d’une des odes que Sapho adressa à une Lesbienne, et qui fera juger de son beau génie: _Heureux qui, près de toi, pour toi seule soupire, Qui jouit du plaisir de t’entendre parler, Qui te voit quelquefois doucement lui sourire. Les Dieux, dans son bonheur, pourraient-ils l’égaler?_ _Je sens de veine en veine une subtile flamme Courir par tout mon corps sitôt que je te vois; Et dans les doux transports où s’effare mon âme, Je ne saurais trouver de langue ni de voix._ _Un nuage confus se répand sur ma vue, Je n’entends plus, je tombe en de douces langueurs; Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue, Un frisson me saisit, je tombe, je me meurs!_ SUR L’AKROPODIE Du grec ακρος, _extrémité_, et πόδια, _chaussure_, et par extension, _retranchement du prépuce_. SUR LE KADESCH Du grec καθεσις, _introduction d’un instrument chirurgical_, _mutilation_. I.--«En Italie, cette atrocité n’a pour objet que le perfectionnement d’un vain talent.» La dissolution des mœurs, la défiance et le despotisme des Orientaux ont inventé la mutilation que la polygamie a perpétuée. C’est à _Spada_, village de Perse, que l’on commença à dépouiller les hommes des organes essentiels de la virilité. De là, sans doute, l’origine du mot latin _spado_, qui signifie eunuque, castrat. La plupart des peuples de l’antiquité ont pratiqué cet usage barbare. Sémiramis, si fameuse par son ambition, son courage et ses débauches, ordonna, au rapport d’Ammianus (Lib. IV, refert Semiramidem primam omnium mares castrasse), de châtrer les hommes faiblement constitués, pour leur ôter les moyens de propager des races débiles, et le législateur de Sparte, imitant cette cruelle politique, la consacrait par des lois. L’histoire nous a transmis le souvenir du fanatisme déplorable qui poussaient les prêtres de Cybèle (Lucian, De Dea Syria) et les Valésiens à altérer leur existence par la castration. Elle fait également mention d’Origène, qui, pour se détacher entièrement des choses de la terre et ne s’occuper que des choses célestes, mais interprétant trop rigoureusement le passage de saint Mathieu: «Il en est qui se sont châtrés pour acquérir le royaume des cieux (Cap. XIX, v. 12)», se soumit lui-même à la mutilation «et outrepassa le but, dit Virey, en retranchant la source de la force et le mérite de la résistance contre les tribulations de ce monde». Les motifs d’une excessive jalousie qu’ils portaient de leurs femmes, sans cesse exposées dans ces climats brûlants à devenir avec facilité la conquête de tous les hommes, ont pu seuls inspirer aux peuples de l’Orient l’affreuse idée de mutiler un sexe pour le commettre à la garde de l’autre. Et c’est particulièrement à ces raisons qu’il faut attribuer l’origine des eunuques (Du grec ευνη, _lit_, et εχω, _je garde_) et des sérails, où ces êtres dégradés sont investis de la surveillance des femmes destinées à leurs plaisirs, emploi qui a beaucoup d’analogie avec celui des duègnes, en Espagne, chargées de veiller sur la conduite des dames confiées à leurs soins. C’est dans la plus tendre enfance et jusqu’à l’âge viril que cette cruelle exécution s’exécute, au moyen de ligatures imbibées d’une liqueur caustique ou d’un cordon de soie que l’on serre autour de la verge et du scrotum; peu de jours suffisent à l’entier rétablissement de ces infortunés. Privés ainsi de tous les caractères de leur sexe, et n’inspirant plus de crainte par leur impuissance complète, ils sont reconnus capables de l’emploi d’eunuques, et dès lors ils ont le droit d’approcher des femmes renfermées dans les harems. Sans aucune sensibilité quelconque, pâles et d’une démarche traînante, imberbes et le corps flétri, bien que jeunes encore, ils portent sur un visage profondément sillonné de rides tous les signes d’une vieillesse prématurée; et l’on pourrait dire d’eux ce que saint Chrysostome disait de l’eunuque Eutrope: «Quand son fard est ôté, son visage paraît plus laid et plus ridé que celui d’une vieille femme.» Une fois revêtus de cet emploi, souples et sûrs ministres des plaisirs capricieux de leurs maîtres, de méprisables valets qu’ils étaient, ils parviennent quelquefois, en rampant adroitement, jusqu’à la plus haute faveur. Quelques eunuques, au sommet de la puissance, ont exécuté de grandes choses; mais comme la mutilation influe beaucoup sur le moral, leurs vices ont toujours dominé, et ils se sont souvent vengés sur le genre humain de la condition avilissante où ils étaient condamnés; c’est dans leur sein que l’on a vu s’amonceler des orages qui ont renversé des Etats. Une sorte d’eunuques, non moins fameux par leurs infâmes débauches que par leur dégradation, auxquels les Romains, du temps de l’Empire, extirpaient les testicules, sont de ces misérables qui faisaient le plus indigne abus de la verge qu’on leur avait conservée. Les dames romaines en raffolaient, et Juvénal en donne la raison lorsqu’il dit (Liv. II, sat. 6, v. 305 à 379): _Sunt quas eunuchi imbelles ac mollia semper Oscula delectent, ac desperatio barbæ. Et quod abortivo non est opus. Illa voluptas Summa tamen, quod jam calida matura jumenta, Inguina traduntur medicis, jam pectine nigro Ergo expectatos, ac jussos, crescere primum Testiculos, postquam cœperunt esse bilibres Tonsoris damno tamen rapit Heliodorus. Conspicuus longe, cunctisque notabilis intrat Balnea, nec dubie custodem vitis et horti Provocat, a domina factus spado. Dormiat ille Cum domina. Sed tu jam durum, Postume, jamque Tundendum eunucho Bromium committere noli._ (Il en est qui trouvent les baisers de l’eunuque efféminé d’autant plus délicieux qu’elles n’appréhendent point une barbe importune, et n’ont pas besoin de se faire avorter. Mais afin que la volupté n’y perde rien, elles ne les livrent au fer qu’après que leurs organes, bien développés, se sont ombragés des signes de la puberté; alors Heliodorus les opère, au seul préjudice du barbier. L’esclave ainsi traité par sa maîtresse, est sûr, dès qu’il entre dans nos bains, de s’attirer tous les regards; et même il pourrait hardiment défier le dieu des jardins. Laisse-le dormir auprès de ton épouse, mais garde-toi bien de lui confier ton Bromius, malgré sa barbe naissante, et tout robuste qu’il est déjà. (Trad. de J. Dussaulx. Bibliot. Panckoucke.) C’est pour empêcher sans doute qu’ils ne devinssent femmes eux-mêmes, et parce qu’ils conservaient quelque reste furtif de ce qui récèle l’élément de la vie, que les lois avaient accordé la faveur du mariage à ces Conculix, si différents de ceux de la _Pucelle_. Toutefois leurs femmes engagées dans un lien légalement inofficieux, puisqu’il était diamétralement opposé au but de la nature, jouissaient du privilège commode de se dispenser de la foi conjugale; mais quand le cœur leur en disait, elles allaient en cachette, pour tranquilliser l’esprit de leurs maris infirmes, prendre ailleurs leur supplément. Cependant la nature, cette admirable mère, dédommagerait-elle par des affections toutes particulières ces êtres dégradés, ou bien l’illusion toute-puissante, combinée avec les douces caresses et la jouissance des charmes d’une belle femme compatissante, ne se bornerait-elle pas aux seuls plaisir des yeux et à l’écorce des sens pour consoler ces malheureux de l’état honteux de leur demi-existence! C’est incontestablement contrarier la propagation que de permettre de tels mariages; c’est un véritable assassinat, une profanation, qui dérobe à la société la volupté productrice de la femme. Ces stériles liaisons ne devraient être approuvées par les lois d’aucun pays. Dans le second siècle de l’Église, le concile de Nicée (Canon IV), confirmé par le second concile d’Arles, a expressément défendu ces mutilations. Une loi de l’empereur Adrien, citée dans les _Digestes Ad leg. Corn._ de Sicariis (Lib. XLVIII, tit. VIII, leg. 4, § 5), punissait de mort les médecins qui faisaient des eunuques et ceux qui subissaient la castration; de plus on confisquait leurs biens. Une ordonnance de Louis XIV, du 4 septembre 1677, condamnait à mort tous ceux qui avaient mutilé leurs membres. L’article 316 du Code pénal prononce contre toute personne coupable de ce crime la peine des travaux forcés à perpétuité, et la peine capitale si la mort en est résultée avant l’expiration des quarante jours qui auront suivi le crime. L’article 325 ne déclare le crime de castration excusable que lorsqu’il a été immédiatement provoqué par un outrage violent à la pudeur. Et malgré des défenses si positives et des punitions si sévèrement exprimées par des lois civiles et canoniques, nous voyons de nos jours une pareille monstruosité exister encore, et cela dans la ville par excellence, dans cette Rome, le centre de la chrétienté!!! Voyez plutôt ces malheureux Italiens, pour qui le _farniente_ est le premier des besoins, entraînés par la superstition ou une cupidité barbare, se livrer au fatal couteau qui doit les priver des précieux trésors de la vie, pour se donner un misérable filet de voix!... Allez à la Chapelle Sixtine, aux deux grands jours de la Semaine Sainte, entendre ces admirables accords de voix choisies, cette sublime et céleste harmonie qui vous transporte, qui vous ravit, mais dont les sons divins cessent à l’instant de vibrer dans l’âme de tout être sensible qui les entend, et n’y laisse plus qu’une pénible impression, alors qu’on pense que ces voix si claires, si argentines, si mélodieuses, sont obtenues aux dépens de la postérité. Quel scandale odieux! il révolte la nature. Mais la magie d’une belle voix est-elle donc si puissante et le chant possède-t-il une tout autre vertu que la simple prière? On le croirait, puisque les sons de la musique délicieuse qui, dans la Chapelle Sixtine, enchantent l’oreille de mille amateurs, après avoir cessé, continuent à vibrer encore dans leurs âmes, tandis que les prières et les plaintes que profère le prophète en récitant le sublime _Miserere_, ne les touchent nullement. Et voilà pourquoi sans doute, pour apaiser la Divinité, on chante toujours à l’Église et à l’Opéra. SUR LE BÉHÉMAH Mot hébreu qui signifie _jumenta_, _quadrupedia_ et, par extension, _bestialité_. I.--«_Faunes suffoquants_, FAUNI FICARII.» Saint Jérôme, dans son commentaire sur Jérémie, ch. 50, v. 39, donne aux faunes l’épithète de _ficarii_, _qui avaient des figues_. Il faut conjecturer que, par ce mot, ce Père de l’Église a voulu dépeindre la laideur de ces faunes, dont le visage était couvert de pustules et de boutons; ce qui n’est pas sans apparence de vérité, car _ficus_, figue, figurément pris, désigne une tumeur, une sorte d’ulcère qui ressemble à ce fruit. Mais, n’en déplaise à saint Jérôme, le texte hébreu porte HM, qui signifie proprement _un spectre_, _une chose qui inspire la terreur_, d’où dérive le mot hébreu EIMA, qui veut dire _épouvante_. Et comme on représentait les faunes et les satyres, moitié hommes et moitié boucs, fort velus, violant femmes et filles, dont ils étaient la terreur; que, d’un autre côté, nul animal de sa nature n’est plus enclin à la lasciveté que le bouc, il est permis de croire que l’opinion de Berruyer, _qui rend ses faunes très actifs_, SICARII, doit prévaloir sur celle de saint Jérôme. En effet, le mot grec σάθη, en latin _veretrum_, d’où est formé celui de satyre, indique assez la lubricité des inclinations de ce vil animal. Au reste, le bouc est placé parmi les divinités de l’Égypte que l’on honorait le plus: il avait un culte tout particulier. Les femmes n’avaient point horreur à lui soumettre leurs corps, et les hommes ne dédaignaient pas de caresser leurs chèvres; dans leur délire superstitieux, ils allaient quelquefois jusqu’à se prosterner devant un bouc et à baiser le derrière de ce puant animal (Voyez la Bible de Voltaire, au chapitre du _Lévitique_): de là vient sans doute que la Bible, en parlant des idoles, les appelle les _vilus_, SAHIRIM, et lorsque le prophète Isaïe dit, ch. 13, v. 21, que _les velus danseront_, PILOSI SALTABUNT, il faut l’entendre, disent les interprètes, des démons qui emprunteraient quelquefois cette forme sauvage. Je ne me hasarderai pas à contester l’existence de ces hommes capripèdes; je me tiens respectueusement aux Saintes Ecritures et à ce qui en est rapporté par saint Jérôme, qui nous apprend que saint Antoine, dans son désert, fit la rencontre d’une espèce de nain, au front cornu, aux narines crochues, aux pieds de bouc, qui lui présenta des dattes et l’assura qu’il était un de ces habitants que les païens avaient honorés sous le nom de faunes et de satyres; qu’il était député vers lui, pour le conjurer d’intercéder pour eux près le Dieu commun, qu’ils savaient bien être venu en terre pour le salut du monde. (Inter saxosam convallem haud grandem homunculum vidit aduncis naribus, fronte cornibus, asperatâ, cujus extrema pars corporis in caprarum pedes desinebat, et responsum accepit Antonius: Mortalis ego sum unus ex accolis eremi, quos vario errore delusa gentilitas, faunos satyrosque vocans, colit. Precemur ut pro nobis communem Deum depreceris, quem pro salute mundi venisse cognovimus. S. HIERONYMUS, _in Vita S. Pauli_.) Preuve indubitable qu’il existe des démons sous la figure de boucs. Néanmoins le cardinal Baronius prétend témérairement que le satyre qui entra en colloque avec saint Antoine n’était qu’un singe, né probablement du commerce honteux de cet animal avec des filles, que Dieu doua de la parole, ainsi qu’il en avait fait autrefois pour le serpent et l’ânesse de Balaam, dont parlent la Genèse et les Nombres (Gen., cap. III, v. 1.--Num., cap. XXII, v. 28.) Mais qu’est-ce que l’opinion d’un cardinal contre celle d’un saint et de toute une antiquité qui déposent contre lui? SUR L’ANOSCOPIE Du grec ανα, _au-dessus_, et de σκοπιὰ, _action d’épier_, formé de σκοπεω, _je considère_, _je contemple_.--Astrologie judiciaire, jonglerie. SUR LA LINGUANMANIE Du latin _lingua_, langue, et du grec μανία, _fureur_, dérivé de μαινομαι, _rendre furieux_. I.--«C’étaient des maisons publiques où les hommes et les femmes pêle-mêle s’abandonnaient à tous les genres de libertinage.» La prostitution date de la plus haute antiquité. Les Orientaux l’admirent dans le culte de leur religion et ne la considèrent point comme un dérèglement de mœurs; ils la consacrèrent d’abord à célébrer le premier instant de l’existence de l’être auquel ils ouvraient le sentier de la vie. Elle fut ensuite un des moyens puissants d’accroître et de propager l’espèce humaine. Dans les temps patriarcaux, nous trouvons Ada et Selles, concubines de Lamech, père d’Abraham, se distinguer dans le métier, et leur progéniture bravement suivre leur exemple. (_Gen._, chap. IX, v. 19; V. et VI, 1, 2, 3, 4.) Aux petits soins avec Abraham, la jeune Sara, dont Dieu avait fermé le sein, _conclusit_, met dans le lit de son mari la fraîche et gentille Agar, sa servante (_Gen._, chap. XVI, v. 2, 3, 4.) Nous voyons Sodome et Gomorrhe et toutes les villes de la Pentapole dans la Palestine livrées à une souillure infâme. (_Gen._, chap. XIX, v. 4, 5, 6, 7, 8.) Pheiné, de connivence avec Thamma, deux filles de Loth, prennent goût à la bagatelle, et, commettant un inceste avec leur bonhomme de père, dans le dessein de repeupler la terre, se font engrosser par lui, après l’avoir enivré au sortir de Sodome, dont tous les habitants viennent d’être rôtis par un déluge de soufre, pour avoir pris saint Pierre pour saint Paul (_Gen._, ch. XIX, v. 24, 30 à 38.) Lia et Rachel, épouses de Jacob, lui prostituent leurs servantes (_Gen._, ch. XXIX, v. 22, 23 et 28) et Ruben séduit Bela, concubine de son père (_Gen._, ch. XXXV, v. 22.) Juda fait épouser Thamar, la veuve de son fils aîné Her, par son second fils Onan, qui élude le devoir conjugal au moyen de la masturbation (_Gen._, ch. XXXVIII, v. 8 et 9). Et cette même Thamar, sur un grand chemin, escamote avec adresse un enfant à son beau-père Juda, qui, en s’évertuant avec elle, croit être avec une femme publique (_Gen._, XXXVIII, v. 14, 15, 16.) De cette surprise incestueuse, si salutaire au genre humain, naquit Pharès, l’un des ancêtres de Jésus-Christ. L’amoureuse Nitiflis, femme de Putiphar, sollicite l’imbécile Joseph à de voluptueux ébats, mais il refuse obstinément de _s’unifier avec elle_ (_Gen._, ch. XXXIX, v. 7, 8, 9). La bestialité et la pédérastie étaient fort connues dans le pays de Chanaan (_Exod._, ch. XXII, v. 19). On s’y polluait devant la statue de Moloch (_Lévit._, ch. XVIII, v. 21). Parmi les femmes publiquement madianites qui, du temps de Moïse, _corrompirent_, à Setim, le corps et l’âme du peuple juif, se trouva la jolie prostituée Cozbi, fille de Jur, prince très noble des Madianites, avec laquelle était couché dans un b..... _in lupanar_, Zambri, fille de Salu, prince de la maison et lignée de Siméon, lorsque le pieux et fanatique Phinées, petit-fils du grand prêtre Aaron et fils d’Eléazar, tout transporté d’une sainte colère, entra dans le b....., une dague à la main, et transperça d’un seul coup les deux délinquants ensemble, vers les parties de la génération (_Num._, cap. XXV, v. 1, 2 à 28; Arrepto pugione ingressus est... in lupanar et perfodit ambos simul, virum scilicet et mulierem, in locis genitalibus.) Ce fut une femme publique nommée Rahab, qui mue par cette généreuse pitié si naturelle aux filles de son espèce, cacha au haut de sa maison, sous de la paille, les espions qui s’étaient délassés avec elle de leurs fatigues, et que Josué avait envoyés à Jéricho, pour reconnaître la ville avant de l’assiéger (_Jos._, cap. II, v. 1, 6). Passons maintenant au Livre des Juges. Le robuste Samson se rend un jour dans la ville de Gaza; il voit sur sa porte une courtisane, avec laquelle il couche jusqu’à minuit (_Jud._, cap. XVI, v. 1, 3). Ensuite il devint éperdument amoureux de Dalila, dans la vallée de Sorec, autre fille de joie. Dans un de ces moments de voluptueuse ivresse où le cœur nageant dans l’élément du plaisir, est incapable de rien refuser à l’être qui vous le procure, Samson, après avoir trompé trois fois son amante sur le secret de sa force, a enfin la faiblesse de lui dire, et comme il est impossible à la femme de porter loin un secret, elle le trahit à son tour en le faisant connaître aux Philistins, qui lui crèvent les yeux (_Jud._, cap. XVI, v. 4 à 22). Aimez-vous à consulter les Livres des Rois?... Eh bien! ouvrez celui de David, et vous verrez ce prophète-roi qui avait épousé Micho, fille de Saül, s’en donner avec l’impudique Abigaïl, femme de Narbal, qui lui inocula la v..... (_malum_) (I. _Reg._, cap. XXV, v. 35, 40). Le saint homme de roi accolait en même temps plusieurs autres concubines et femmes de Jérusalem, auxquelles il fabrique des enfants, ce qui ne l’empêche nullement d’enlever la sensible Bethsabée, femme du brave Urie, qu’il épouse après avoir fait assassiner son mari dans les combats (II. _Reg._, cap. XI, v. 2, 4, 17), afin sans doute qu’il n’y eût plus de vestige de fornication. Dans sa vieillesse, il se réchauffe, faute de bassinoire, dans les bras de la jeune Sunamite, et ne la déflore pas: _Non cognovit eam_ (III. _Reg._, cap. I, v. 4). _Tel père, tel fils_, dit le proverbe, et les enfants de David le justifient: son fils Ammon brûle d’une flamme incestueuse pour sa sœur Thamar, et sur le perfide conseil de son cousin germain Jonadab, il la viole au moment qu’elle lui présente un potage apprêté de sa propre main; puis il la renvoie fort brutalement. Absalon, irrité de l’outrage fait à sa sœur, saisit, deux ans après, l’occasion d’un splendide festin, au milieu duquel il immole Ammon, en présence de ses autres frères qui fuient épouvantés. (II. _Reg._, cap., XIII, v. 8 à 30). Ce fratricide met ensuite le comble à ses forfaits en couchant publiquement avec toutes les concubines de son père. (II, _Reg._, cap. XV, v. 22). Si nous descendons jusqu’au troisième Livre des Rois, nous voyons le type de la sagesse, le fils de l’adultère Bethsabée, Salomon enfin, dont la haute sapience avait acquis si haute renommée dans l’Orient, participer à l’humaine faiblesse et rouler dans son palais sur sept cents épouses et trois cents concubines, dont «les nez ressemblaient à la tour du mont Liban qui regarde du côté de Damas (_Cant._, VII, v. 4); les yeux à ceux des colombes (_Cant._, I, v. 14; IV, v. 1); les tétons à des faons de chevreuil (_Cant._, VII, v. 3)», et qui, en un mot, étaient «belles comme les tentes de Cédar et les peaux de Salomon (_Cant._, I, v. 1)». Les allures galantes des courtisanes de son temps ressemblent beaucoup au manège de nos femmes publiques, qui le soir, dans les rues, vont recueillant les passants, pour les engager «à parcourir avec elles les deux monts de la myrrhe, la colline de l’encens (Ad montem myrrhæ et ad collem thuris. _Cant._, IV, 6), embrasser ensuite le figuier, et monter dessus pour en recueillir les fruits» (_Cant._, VII, 8), qui sont quelquefois si amers!... Voici ce que ce roi en rapporte dans le livre des _Proverbes_, dont les uns renferment des erreurs, les autres de fastidieuses répétitions, et que l’Église cependant considère comme un petit chef-d’œuvre canonique, ouvrage du très Saint-Esprit: «De la fenêtre de ma maison, j’aperçois un jeune insensé qui, sur le soir, et lorsque la nuit devient obscure, passe dans le coin d’une rue près de la maison d’une..... fille.--Je la vois venir au-devant de lui, en sa parure de courtisane; elle prend ce jeune homme, le baise et le caresse effrontément, lui disant: «JE ME SUIS ACQUITTÉE DE MON VŒU AUJOURD’HUI. C’est pourquoi je suis venue au-devant de vous, désirant de vous caresser. J’ai parfumé mon lit de myrrhe, d’aloès et de cinnamone. Venez: enivrons-nous de volupté jusqu’à ce qu’il fasse jour, et jouissons de ce que nous avons tant désiré. Mon mari n’est point à la maison: il est allé faire un voyage qui sera très long; il a emporté avec lui un sac d’argent, et il ne doit revenir que lorsque la lune sera pleine. (_Cant._, VII, v. 3).» «Entraîné par de longs discours et les caresses de ses paroles, le jeune homme la suit comme un bœuf qu’on amène pour servir de victime et comme un agneau qui va à la mort en bondissant.» (_Prov._, chap. VII, v. 6 à 22). Il est à remarquer ici que cette prostituée sait mettre de l’ordre dans ses affaires. Dévote, avant de se livrer à ses impudiques plaisirs, qu’elle veut d’abord sanctifier par la prière, _hodie vota mea Deo reddidi_, elle aura tout le temps d’être amoureuse au lit. C’était aussi l’opinion de Wasselin, abbé de Liége, qui trouvait convenable de faire sa prière avant de se mettre à l’œuvre du coït. (_Epist._, _ad Florinum_ abbat., tome I, _Analect._, page 339.) Cette pratique est passée en usage jusqu’à nos jours, car presque toutes les filles de joie, celles qui font leur métier en honneur et conscience s’entend, ornent d’un crucifix la cheminée de leurs réceptacles, qu’elles tapissent souvent _d’images de l’Immaculée Conception, de saint Barnabas, de la Madone, mère de la pureté, avec son divin poupon sur les bras_; elles font de temps à autre dire des messes pour le salut de leurs âmes et pour que Dieu leur envoie des chalands; quelques-unes, par excès de dévotion, y ajoutent la confession les dimanches et les jours de fête, et, dans l’intention de se rendre le ciel propice, la plupart portent sur elles des scapulaires de la Vierge et se font consœurs du Saint-Rosaire, du Sacré-Cœur ou de la Congrégation. C’était un drôle de corps que ce roi Salomon: Piron d’un autre temps, à l’harmonie près, qu’il ne possède pas, bel esprit érotique, il composa les cantiques, que les belles voix de ses mille femmes et concubines exécutaient sans doute pendant les orgies de ses splendides festins, où 50 bœufs et 100 moutons faisaient à eux seuls les pièces de résistance, et dont je vous détaillerais, lecteur, toutes les substantielles et stimulantes friandises, si je ne craignais de devenir fastidieux; mais je reviens à ses Cantiques, dont voici la fidèle traduction: «Je chanterai mon bien-aimé, qui est pour moi une grappe de raisin de Chypre.» _Cant._, I, 13. «Car le roi m’a déjà fait entrer dans ses celliers, et je suis ivre.» _Cant._, I, 3. «Mon bien-aimé est pour moi comme un bouquet de myrrhe; il demeurera entre mes tétons.» _Cant._, I, 12. (On se sert ici du mot propre pour ne pas affaiblir la couleur du sujet dont Salomon était si plein.) «Qu’il me donne un baiser de sa bouche.» _Cant._, I, 1. «Fortifiez-moi avec des pommes odorantes, parce que je languis d’amour.» _Cant._, II, 5. «Je me reposerai sous celui que j’ai désiré.» _Cant._, II, 3. «Là je lui offrirai mes tétons.» _Cant._, VII, 12. «Mon bien-aimé mit la main au trou, et mon ventre a tressailli de ses attouchements.» _Cant._, V, 4. Au livre de Judith, chap. XIII, v. 8, 9 et 10, on voit la jolie veuve de Monassès, la fière Judith, aller dévotement en bonne fortune trouver dans sa tente l’Assyrien Holopherne, qui assiégeait Béthulie, et, à l’âge de 65 ans (c’est l’âge que lui donne le révérend P. Dom Calmet), inspirer à ce général une violente passion, auquel, hélas! et quatre fois hélas! pour vous plaire, ô mon Dieu! elle _coupa le cou d’un coup de son propre coutelas_, après avoir couché avec lui. Nous voyons au livre d’_Esther_, chap. I et II, v. 11 et 8, Assuérus, qui régnait de l’Inde à l’Éthiopie sur cent vingt-sept provinces, répudier la belle mais insolente Vasthi, qui refusait de montrer sa beauté _in naturalibus_ aux libertins de sa cour; et puis usant de son privilège de despote, parmi les trois cents belles vierges qui lui furent amenées pour être ses courtisanes, choisir l’aimable et mignonne Esther et l’admettre à l’honneur de partager sa couche royale. Le livre d’_Ézéchiel_ justifie par ses peintures hardies celles du _Portier des Chartreux_. Il vous offre, aux chapitres XVI et XXIII, le tableau des mœurs abominables dont étaient infectés Jérusalem et tout le pays d’Israël sous les rois successeurs de David. Les fameux emblèmes d’Ool et d’Oolibra nous font voir les femmes de ces contrées forniquer avec tous les passants, se bâtir des b....., se prostituer dans les rues (Cap. XVI, v. 15, 16, 31) et rechercher avec emportement les embrassements de ceux _quorum carnes sunt ut carnes asinorum; et sicut fluxus equorum, fluxus eorum_ (Cap. XXIII, v. 20). Le livre d’_Ozée_, dit Voltaire, est peut-être celui qui doit le plus étonner les lecteurs qui ne connaissent point les mœurs antiques. En effet, comment concevoir, à moins de faire le sacrifice de sa raison, que le Seigneur puisse ordonner si positivement à ce petit prophète _d’aller s’évertuer avec une femme de mauvaise vie et de lui faire des enfants de prostitution_, puis lui enjoindre _d’aller se gaudir avec une femme qui non seulement ait déjà un amant_, mais qui soit adultère (_Ozée_, cap. I, v. 2) et dont la jouissance coûte à Ozée _quinze pièces d’argent et une mesure et demie d’orge_?... (_Ozée_, cap. III, v. 1.) Je ne dirai, et seulement par liaison, que peu de chose de ce que nous rapporte le Nouveau Testament des galantes aventures de la Madeleine qui, pleurant sur les débauches et les désordres de sa vie passée, devint un modèle de vertu, comme elle avait été un scandale de prostitution, ainsi que Marie Égyptienne, une autre fille de joie, dont les débauches furent effacées par une vie pénitente de quarante ans, qu’elle passa dans le désert sans manger. Je borne ici le tableau des prostitutions et des turpitudes du peuple hébreu, que certes on ne doit point envisager conformément aux idées que nous avons reçues sur les lois de la décence et de la pudeur. Ces mœurs, si éloignées des nôtres, n’étaient point grossières dans ces temps reculés, et ne paraissent confondre notre faible raison que parce que nous ne pouvons sonder les profondeurs mystérieuses de ce peuple élu, manifestement conduit par le doigt de Dieu; profondeurs qui nous seront peut-être un jour dévoilées, alors que les _dies iræ_ seront arrivés, pendant lesquels les balances d’or de Monseigneur saint Michel pèseront nos futures destinées dans la vallée de Josaphat (Teste David cum Sybilla). La prostitution fut connue de tous les peuples de l’Orient, qui la pratiquaient sous l’emblème des divinités génératrices. Influencés par des climats constamment brûlants où le soufre, mêlé à tous les végétaux et les drogues les plus échauffantes, occasionne dans le sang et le cerveau de ces explosions qui mènent l’esprit jusqu’au délire, ces peuples les honorent par des actes de la plus révoltante impudicité, tribaderie, pédérastie, bestialité, sodomie, onanisme et jusqu’à la profanation des cadavres de femmes, tout y est mis en usage pour stimuler leurs désirs éhontés. Mais la volupté ne paraît avoir nulle part établi son empire avec plus de dépravation et de lubricité que dans la Grèce et chez les Romains. C’est Orphée, dit-on, qui le premier introduisit dans la Thrace l’amour infâme des hommes, παιδεραστια: (Ille etiam Thracum populis fuit auctor amorem In teneres transferre mares, citraque, juventam Ætatis breve ver et primos carpere flores. Ovide., _Metam._, lib. X, v. 84.) après la mort d’Eurydice, sa femme. Mais les Bacchantes, pour le punir de ce crime, le tuèrent et jetèrent sa tête dans le fleuve Hébrus. Philippe de Macédoine en fit ses délices avec Pausanias, dont il fut assassiné pour avoir souffert la violence que lui fit Atticus, son favori, en l’exposant, dans un banquet, à la lubricité de ses serviteurs. Le divin Platon ne pouvait se passer un moment de son Alexis ou de son Agathon, et le sage Socrate enseignait entre deux draps cette honteuse volupté à ses favoris Phédon et Alcibiade. Xénophon prenait souvent ce plaisir avec Callias et Antolicus, Pindare avec Amarico, Aristote avec son Herminas; Anacréon brûla pour Bathyle, et le grand mais bizarre Lycurgue soutenait qu’on ne pouvait être bon citoyen sans avoir un ami avec qui l’on couchât. Sapho se rendit célèbre, non moins par ses habitudes lesbiennes de κλειτοριαζειν, que par ses talents comme poète. Aspasie se prostitua à Périclès, et Glycère à Alcibiade. Laïs reçut dans ses bras le dégoûtant Diogène et le galant Aristippe, tandis que Phryné débaucha l’Aréopage entier. Thaïs, en sortant des bras d’Alexandre, se fit un doux plaisir de faire brûler le palais de Persépolis, et l’on érigea, dans Athènes, des autels à la danseuse Cotytto, sous le nom de _Vénus populaire_. Si nous examinons les mœurs des anciens Romains, nous les trouvons plus dissolues encore, surtout au temps des empereurs. Les _lupanaria_ d’alors étaient de ces endroits où l’on s’abandonnait à tous les genres d’abominations. Dans les quartiers séparés qu’habitaient les _meretrices_, on voyait sur la porte de la loge de chacune de ces courtisanes un écriteau qui portait le nom et le prix auquel étaient taxés ses charmes (In cellis autem nomina meretricum solebant præfigi, et superscribi simul et stupri. LUBINUS.) D’où vient que Juvénal, parlant de la débauche effrénée de Messaline, dans la loge de la fameuse Lysisca, dit si agréablement _titulum mentitur Lysiscæ_ (Juv., liv. II, sat. 6), donnant ainsi à connaître que malgré le nom supposé qu’empruntait l’impératrice pour cacher ses infamies, il ne se trompait pas sur la femme qui s’y prostituait. Apollonius de Tyr nous a conservé, dans son histoire, la forme d’un titre qui est trop plaisant pour ne point le rapporter ici: _Quicumque Tarsiam defloravit Mediam libram dabit Postea populo patebit, Ad singulas solidas._ Dans ces lieux de débauches, un règlement de police indiquait l’heure de se retirer, et le son d’une cloche avertissait le public du moment de l’entrée et de la sortie de ces _lupanaria_. (Tempus quando ad meretricem eundum erat, lenones indicabant tintinnabulo, et ante nonam fores erant clausæ vel ex more, vel ex lege aut edicto aliquo. Voyez Pitiscus.) Les courtisanes qui se distinguèrent le plus dans la prostitution furent Pyrallis, Gallia, Lysisca et Flora, qui, en mourant, nomma le Sénat romain pour son héritier, ce qui lui valut une apothéose, et Quartilla, dont Pétrone nous a dépeint la galante impudicité. (Traduit par l’auteur de _l’Origine des prostitutions_.) «Encolpe et Ascylte, dit-il, sont chez la courtisane Quartilla. Après que de vieux débauchés les eurent fatigués de caresses lascives et révoltantes, Psyché, suivante de Quartilla, s’approcha de l’oreille de sa maîtresse et lui dit en riant quelque chose; elle répondit:--Oui, oui, c’est fort bien avisé, pourquoi non? Voilà la plus belle occasion qu’on puisse trouver pour faire perdre le pucelage à Pannichis. On fit aussitôt venir cette petite fille, qui était fort jolie et ne paraissait pas avoir plus de sept ans; c’était la même qui, un peu auparavant, était entrée dans notre chambre avec Quartilla. Tous ceux qui étaient présents applaudirent à cette proposition; et pour satisfaire à l’empressement que chacun témoignait, on donna les ordres nécessaires pour le mariage. Pour moi (c’est Encolpe qui parle), je demeurai immobile d’étonnement et je les assurai que Giton avait trop de pudeur pour soutenir une telle épreuve et que la petite fille n’était pas aussi dans un âge à pouvoir endurer ce que les femmes souffrent dans ces occasions.--Quoi! repartit Quartilla, étais-je plus âgée lorsque je fis le premier sacrifice à Vénus? Je veux que Junon me punisse si je me souviens jamais d’avoir été vierge, car je n’étais encore qu’une enfant que je folâtrais avec ceux de mon âge; et à mesure que je croissais, je me divertissais avec de plus grands jusqu’à ce que je sois parvenue à l’âge où je suis.» Les femmes publiques n’étaient point mêlées avec les citoyens; et dans ces temps malheureux où l’on voyait à Rome la plus honteuse débauche régner sur le trône, à la cour et dans la haute classe de la société, les prostituées gardaient une sorte de décence et de pudeur que les dames ne connaissaient plus. On voyait Pompéia, femme de Jules-César, se laisser séduire par Clodius, pendant le sacrifice de la Bonne Déesse, et l’empereur, son époux, vivre en adultère avec la fameuse Cléopâtre, reine d’Égypte, après qu’il eut débauché Servilie, mère de Brutus, et les plus illustres Romaines (SUÉT., _in Jul. Cæs._, cap. L). César avait déjà commis, dans sa jeunesse, le péché contre nature avec Nicodème, roi de Bithynie (SUÉT., _in Jul. Cæs._, cap. XLIX). Il fut, pour ses nombreuses fredaines, appelé la femme de tous les maris et le mari de toutes les femmes, «Omnium mulierum virum, et omnium virorum mulierem». (SUÉT., _in Jul. Cæs._, cap. LII.) Auguste n’était point exempt de la _petite fantaisie_ de César: il la goûtait souvent avec son favori Mécène, dont la femme lui servait de concubine. Entremetteuse de son capricieux époux, l’impératrice Livie lui procurait des femmes de toutes parts et prêtait quelquefois une main complaisante à certain objet fort variable de sa nature (XIPHILIN., _in Aug. Dio_, lib. XLVIII), tandis que son volage époux se livrait à une flamme incestueuse avec sa propre fille Julie, si dissolue dans ses mœurs qu’elle osa publier ses turpitudes; ne recevant, disait-elle, des passagers dans sa barque que quand elle était pleine (Nunquam, nisi plena navi, tollo vectorem. MACROB., lib. II, cap. 5.) Les désordres de cette princesse furent si effroyables qu’elle admettait ses amants par compagnies (Admissos gregatim adulteros), avec lesquels elle parcourait, la nuit, toutes les rues de Rome, se prostituant dans toutes les places publiques (DIO, lib. LV, p. 555, A: Juliam filiam suam adeo lasciviæ progressam, ut in ipso etiam Foro et Rostris nocturnas comessationes ac comportationes ageret.--XIPHILIN., _in Aug._--Nihil quod facere aut pati turpiter posset fœmina, luxuria libidine infectum reliquit: magnitudinem que fortunæ suæ peccandi licentia metiebatur, quidquid liberet pro licito judicans.--VELL. PATER., lib. II, 100, 3) et jusque sur les Rostres, où son père Auguste avait lancé des décrets si foudroyants contre les adultères (VELL. PATER., _Hist._, lib. II.--SUÉT., _in Aug._, c. XXXIV). Elle combla la mesure de ses scandaleuses lubricités en faisant chaque jour couronner la statue de Marsyas autant de fois qu’elle avait, la nuit, soutenu de combats amoureux. La statue de Marsyas, ministre de Bacchus (_liber_) et fameux joueur de flûte de Phrygie, qu’Apollon écorcha tout vif, pour le punir d’avoir eu la témérité de se mesurer avec lui, fut placée dans le Forum, comme monument de la liberté de la ville ou de la victoire du dieu des chants. Les avocats de cette époque prirent l’habitude de faire couronner cette statue chaque fois qu’ils avaient gagné un procès. Ce fut pour imiter cette coutume que la princesse Julie _eam coronari jubebat ab iis quos, in illa nocturnâ palæstrâ, valentissimos colluctatores experta erat_. Voyez Muret, sur Sénèque, et les _Femmes des douze Césars_, par M. de Servies, chap. _Julie_, femme de Tibère. Tibère, ce monstre d’impudicité et de cruauté, se plongeait, en l’île de Caprée, dans les turpitudes les plus dégoûtantes et les plus horribles saletés. Non content d’exciter son imagination déréglée par les peintures les plus obscènes et les plus luxurieuses d’Éléphantis, il chercha à ranimer ses sens émoussés par les groupes les plus lascifs, qu’il faisait exécuter en sa présence par des _spintres_, qui _triplici serie connexi, invicem incestarent_. (SUÉT., _Vie de Tibère_, chap. XLIII); il allait jusqu’à abuser de la plus tendre enfance, dont il se faisait polluer dans ses bains de la plus infâme manière (SUÉT., cap. XLIV): quasi pueros primos teneritudinis, quos pisciculos vocabit, institueret, ut natanti sibi inter femina versarentur ac luderent, _lingua morsuque sensim appetentes_ (ejus genitalia cupientes), atque etiam quasi infantes firmiores, necdum tamen lacte depulsos, inguini ceu papillæ admoneret: pronior sane ad id genus libidinis et natura et aetate. Caligula jouit de toutes ses sœurs, en présence de sa femme, au milieu de ses lubriques festins, pendant lesquels il violait les plus illustres dames devant leurs maris (SUÉT., _in Calig._, cap. XXIV et XXXVI.--DIO, lib. LIX); et portant la dépravation de son cœur jusqu’à prostituer sa propre personne, il déshonore la fille qu’il avait eue de son commerce incestueux avec l’une de ses sœurs (EUTROP., _in Caj. Calig._). Il marque le plus fol amour pour l’une d’elles, Drusille, parce qu’il en avait eu les prémices, l’enlève à son époux, Cassius Longinus, et l’entretient publiquement; et quand il est fatigué de ses autres sœurs, Agrippine et Levilla, il les expose à la brutalité de ses gitons (SUÉT., _in Calig._, cap. XXIV). Ensuite il conçoit une furieuse passion pour la luxurieuse et lascive Césonie, l’habillant tantôt en guerrier et tantôt la faisant voir toute nue à ses amies (SUÉT., _in Calig._, cap. XXV). Tandis que le stupide et l’imbécile Claude, prince qui tenait plus de l’animal que de l’homme, se donnait tout entier aux plaisirs de la table et avait résolu, pour ne point incommoder ses conviés, de faire publier un édit par lequel il octroyait la permission de péter pendant les repas (SUÉT., _in Claud._, cap. XXXIII), Messaline, sa femme, se prostituait à tout venant et s’abandonnant aux vices les plus honteux, poussait l’impudeur jusqu’à se marier publiquement avec Silius, en l’absence de Claude, qui se divertissait à Ostie (SUÉT., _in Claud._, cap. XXVI.--TACIT., _Ann._, II. DIO, lib. LX, p. 686 B.), et donnant l’essor à toute la fougue effrénée de ses infâmes passions, elle se déguise en fille de joie pour aller, dans la loge de Lysisca, se prostituer aux vils embrassements de gladiateurs, d’esclaves et de soldats. (Voyez Juvénal, liv. II, sat. 6.--SUÉT., _in Claud._, cap. XXVI.) Digne fils de l’adultère et incestueux Domitius Ænobarbus (TACIT., _Ann._, IV.--SUÉT., _in Ner._, cap. VII) et d’une mère méchante et corrompue, qui datait son libertinage dès sa plus tendre enfance, Néron se livre à d’incestueuses privautés avec Agrippine, déjà souillée d’une familiarité criminelle avec son frère Caligula (TACIT., _Ann._, XIV.--SUÉT., _in Calig._ cap. XXIV). Il la fait ensuite massacrer, ainsi que son épouse Octavie, qu’il sacrifie à la jalousie de l’adultère Poppée, alors sa concubine, dont il se défait également par un coup de pied qu’il lui donne dans le ventre (TACIT., _Ann._, XVI.--SUÉT., _in Ner._, cap. XXXV). Méprisant toutes les lois de la décence et de la pudeur, il viole la vestale Rubria et prend pour femme, sous le nom de Sabine, le jeune et beau Sporus, après lui avoir fait extirper les testicules (SUÉT., _in Ner._, cap. XXVIII.--AUREL. VICTOR, _Epitom._--XIPHILIN., _in Ner._); puis se fait épouser par Doryphore, son intendant, pour donner une nouvelle volupté à son infâme lubricité (SUÉT., _in Ner._, cap. XXIX). Vitellius, envoyé fort jeune à Caprée, où Tibère, dans les ombres de cette île infâme, cachait ses monstrueuses saletés et ses horribles débordements, débute dans la carrière de la vie par une abominable prostitution de son corps (SUÉT., _in Vitell._, cap. II: Salivis melle commixtis, nec clam aut raro, sed quotidie ac palam arterias et fauces pro remedio fovebat. Voyez la _Linguanmanie_.--TAC., _Ann._, XI), puis devient l’assassin de sa mère Sextillia qu’il fait mourir de faim. Vespasien, passionnément amoureux de Cénis, affranchie d’Antoine, mère de Claude, entretient cette concubine dans son palais et la traite comme si elle eût été son épouse légitime (SUÉT., _in Vesp._, cap. III). Tite, pendant son expédition contre les Juifs, se passionne pour la reine Bérénice, sœur du roi Agrippa, qui lui accorde les dernières faveurs. De retour à Rome, où il s’est fait suivre de sa maîtresse, pour en avoir la tranquille jouissance, il répudie sa femme, Marcie Furnille, et mène ensuite une vie efféminée et dissolue, passant des nuits entières dans ses débauches de table et se livrant aux plus infâmes plaisirs (SUÉT., _in Tit._, cap. II). Puis il renvoie cette reine en Judée, quoique à contre-cœur (Ab urbe dimisit invitus invitam. SUÉT., _in Tit._, cap. II), après avoir fait massacrer brutalement le consul Cecinna au moment que celui-ci sortait de la salle du repas, sous le vain prétexte qu’il avait violé Bérénice (AUREL. VICTOR, _Epist._ X, § 4). Domitia Longina, fille de Domitius Corbulo, d’une beauté admirable, mais trop coquette pour ne pas franchir les bornes du devoir conjugal, devient une des plus débauchées courtisanes de Rome; elle livre ses charmes à Domicien, qui l’enlève brutalement à Œlius Lamia son mari (DIO, _Excerp._, per Vales.--DIO, lib. LVII.--SUÉT., _in Domit._, cap. L). Mais bientôt dégoûté d’une femme dont la possession lui avait coûté si peu de peine, il s’enflamme pour Julie Sabine, sa nièce (_Ibid._, cap. XXII), et pour la posséder librement il répudie son épouse Domitia, qui se prostitue publiquement à la populace et au comédien Paris, dont elle devient folle d’amour (_Ibid._, cap. III.--XIPHIL., LXVII, p. 759, E), et qu’il fait massacrer en pleine rue. Ensuite, rappelant son épouse, sous prétexte que le peuple lui demande cette grâce, il la fait rentrer dans son lit sacré (DIO, cap. XIII), après avoir donné la mort à son infâme concubine, par un breuvage qu’il lui fait prendre pour faire avorter le fruit de leurs incestueuses amours (_Ibid._, cap. XXII.--DIO, lib. XVI.--PLIN., _Epist._ II): homme profondément immoral, qui s’abandonna dans ses bains aux plus monstrueuses turpitudes avec les femmes les plus dissolues; qui se souilla par de sanglantes exécutions, et qui fut massacré dans sa chambre par sa propre femme et les grands de sa cour qu’il avait proscrits (SUÉT., cap. XXIII.--AUREL. VICT., _Epist._, II, 7.--DIO, lib. LXVIII). Sabine, femme de l’empereur Adrien, se livre aux embrassements adultères de plusieurs patriciens, et l’épouse de Marc Aurèle, Faustine, devient éperdument amoureuse d’un gladiateur. Commode, né de l’adultère Faustine, fille d’Antonin, ne dément point son origine, il se livre dans son palais à la lasciveté de trois cents concubines et assassine sa sœur Lucilla. Caracalla se souille du sang de son frère et épouse sa belle-mère Julie, dont la beauté égalait l’impudence (Cum Julia noverca Bassiani Caracallæ ei sinum nudasset: Vellem, inquit, si liceret. At illa: Si libet, licet. An nescis te imperatorem esse, et leges dare, non accipere?) Heliogabale aime son eunuque Hiéroclès avec un délire si effréné, «ut eidem inguino oscularetur, floralia sacra si asserens, celebrare (_Œt. Lamprid._, _in Heliog._, cap. V)». Mais énervé par le luxe et les débauches, incapable par lui-même d’assouvir ses exécrables lubricités, il prostitue toutes les parties de son corps aux turpitudes de ses courtisans et esclaves, se faisant donner le nom de _Bassiana_ et recherchant avec emportement les criminels plaisirs de la bestialité. (Per cuncta cava corporis libidinem recipiens et eum fructum vitæ præcipuum existimans, si dignus atque aptus libidini plurimorum videretur. _Ibid._) Le Libertin de Qualité Madame Honesta, la Présidente et l’Américaine Je me fais présenter chez Madame _Honesta_ (famille presque éteinte). Tout y respire la pudeur et l’honnêteté; tout prêche l’abstinence, jusqu’à son visage, dont la tournure, quoique assez piquante, n’a cependant aucun de ces détails qui inspirent la tendresse. Mais elle a des yeux, de la physionomie, une taille qui serait trop maigre, si toute l’habitude du corps ne s’y proportionnait pas. Je ne louerai pas sa gorge, quoiqu’une gaze qui s’est dérangée m’ait permis d’entrevoir du lointain; ses bras sont un peu longs, mais ils sont flexibles, on pourrait souhaiter une jambe plus régulière; telle qu’elle est, un joli pied la termine. Nous avons les _grands airs_, des _nerfs_, des _migraines_, un mari que l’on ne voit qu’à table, des gens discrets, de l’esprit bizarre, capricieux, mais vif, mais quelquefois ne ressemblant qu’à soi... Pardieu! allez-vous me dire, celle-là ne vous paiera pas... Oh! que si! parce qu’elle est vaniteuse, parce qu’elle se pique de générosité, parce qu’elle veut primer. D’abord, vous imaginez bien que nous faisons du respect, de l’esprit, des pointes, des calembours; que madame a raison, que tout chez elle est au mieux possible... Irai-je à sa toilette? Pourquoi non?... Je placerai une mouche; je donnerai à cette boucle tout le jeu dont elle est susceptible... Un chapeau arrive... Bon Dieu! les Grâces l’ont inventé; le dieu du goût lui-même en a placé les fleurs, et tous les zéphyrs jouent dans les plumes qui le couvrent. Comme cette gaze _prune-de-Monsieur_ coupe avec ce _vert anglais_... Mais qui l’a envoyé?... Vous sentez que je suis le coupable; et pourquoi un coupable ne rougirait-il pas?... Je me suis trahi, déconcerté, boudé... Victoire, que son emploi de femme de chambre, quelques baisers des plus vifs et un louis ont mise dans mes intérêts, les plaide en mon absence... Ah! madame, si vous saviez ce que l’on me dit de vous!... Combien ce monsieur est aimable! il vaut bien mieux que votre chevalier, et je suis sûre qu’il ne vous coûterait qu’une misère... Il n’est pas joueur, je le sais de son laquais; c’est un cœur tout neuf.--Mais, crois-tu que je sois assez aimable pour...--Ah! Dieu! madame, comme ce chapeau est tourné! Vous voilà à l’âge de vingt ans.--Tais-toi, folle; sais-tu que j’en ai trente, et passés?... (Pardieu, oui, _passés_ et il y a dix ans que cela est public...) Je reviens l’après-midi; on est seule: pourquoi ne le serait-on pas? Je demande pardon en offensant davantage; on s’attendrit, je me passionne; on se... (Foutre! attendez donc... Cette femme-là est d’une précipitation à me faire perdre les frais de mon chapeau.) Vous sentez bien que mon laquais n’est pas assez bête pour ne pas me faire avertir que le ministre (ah! pardieu! tout au moins) m’attend. Je jette un coup d’œil assassin; j’embrasse cette main qui tremble dans la mienne... Je me relève et je pars. Pendant ce temps-là, je fais connaissance avec une de ces femmes qui, blasées sur tout, cherchent des plaisirs à quelque prix que ce soit. Elle me fait des avances, parce que son honneur, sa réputation, la bienséance... Tout cela est aussi loin que sa jeunesse. Nous sommes bientôt arrangés; elle me paie, je la lime; car je ne veux, sacredieu! pas d......er... Mon infante le sait: les tracasseries viennent. Ah! doux argent! je sens que ton auguste présence!... Enfin, on se détermine; il y a déjà quinze mortels jours qu’on languit. Je fais entendre, modestement, que la reconnaissance m’attache, que j’ai des obligations d’un genre... N’est-ce que cela?... On me paie au double; et dès lors je suis quitte avec ma Messaline: je vole dans les bras qui m’ont comblé de bienfaits nouveaux, et je goûte... non pas du plaisir... mais la satisfaction de prouver que je ne suis pas ingrat. Las! que voulez-vous! Quand on a engraissé la poule, elle ne pond plus; les honoraires se ralentissent, et je dors.--Comment! tu dors?--Oui, la nuit, et qui plus est, le matin... ce matin chéri qui anime l’espérance, qui éclaire les combats amoureux. On se plaint, je me fâche; on me parle de procédés, d’ingratitude, et je démontre que l’on a tort, car je m’en vais. Dieu Plutus, inspire-moi!... Un dieu m’apparaît; mais il n’est point chargé de ses attributs heureux: c’est le dieu du conseil, le diligent Mercure, il me console et m’envoie chez M. Doucet. Vous ne le connaissez sûrement pas: or, écoutez. Une taille qu’une soutane et un manteau long font paraître dégagée; un visage qui rassemble la maturité de l’âge, l’embonpoint et la fraîcheur; des yeux de lynx, une perruque adonisée; _l’esprit_ en a tracé la coupe; sa physionomie ouverte, mais décente, répand l’éclat de la béatitude; il ne se permet qu’un sourire, mais ce sourire laisse voir de belles dents... Tel est le directeur à la mode: troupeaux de dévotes abondent, les consultations ne tarissent pas. Mais il existe des privilégiées, de ces femmes ensevelies dans un parfait quiétisme de conscience et dont la charnière n’en est que plus mobile. Le père en Dieu cache sous un maintien hypocrite une âme ardente et de très belles qualités occultes... Vous vous doutez bien que c’est à ces femmes qu’il faut parvenir. Je m’insinue donc dans la confiance du bonhomme, je lui découvre que je suis presque aussi tartuffe que lui: il m’éprouve; et quand toutes ses sûretés sont prises, il m’introduit chez madame.... C’est là que la sainteté embaume, que le luxe est solide et sans faste, que tout est commode, recherché sans affectation... Mais quoi, un jeune homme chez une femme de la plus haute vertu!... Eh! justement; c’est afin de ne pas perdre la mienne; car vous noterez que je dois en avoir, au moins autant que d’impudence. Mes visites s’accumulent, la familiarité s’en mêle, et voici une des conversations que nous aurons, j’en suis sûr. A la sortie d’un sermon (car j’irai, non pas avec elle, mais je serai placé tout auprès, les yeux baissés, jetant vers le ciel des regards qui ne sont pas pour lui), à la sortie d’un sermon duquel elle m’a ramené, je commencerai par la critique de toutes les femmes rassemblées autour de nous. Notez que les questions viennent de ma béate.--Comment avez-vous trouvé madame une telle?--Ah! bon Dieu! elle avait un pied de rouge.--Pourtant, elle est jolie.--Elle aurait de vos traits, si elle ne les défigurait pas; mais le rouge... Cependant, je lui pardonne; elle n’a ni votre teint, ni vos couleurs... (Croyez-vous qu’à ces mots elles n’augmenteront pas?)--Par exemple, la comtesse n’était pas habillée duement.--Du dernier ridicule, elle montre une gorge! et quelle gorge! Je ne connais qu’une femme qui eût le droit d’étaler de pareilles nudités. (Remarquez ce coup d’œil sur un mouchoir dont les plis laissaient passage à ma vue... Un autre coup d’œil me punit et je devins timide, décontenancé.)--Que pensez-vous du sermon?--Moi, je vous l’avouerai, j’ai été distrait, inattentif.--Cependant la morale était excellente.--J’en conviens; mais présentée d’une manière si froide! une belle bouche est bien plus persuasive. Par exemple, quel effet ne font pas sur moi vos exhortations! Je me sens plus animé, plus fort, plus courageux... Hélas! vous me faites aimer la vertu parce que je vous aime... (Ah! mon cher ami, voyez-moi tremblant, interdit; la pâleur couvre mon visage... Je demande pardon... Plus on me l’accorde, plus j’exagère ma faute, afin de ne pas être coupable à demi...) Ma dévote se remet plus promptement; cependant, elle est encore émue, elle me propose de lire et c’est un traité de l’amour de Dieu. Placé vis-à-vis d’elle, mon œil de feu la parcourt et l’épie: je paraphrase, je compose; ce n’est plus un sermon, c’est du Rousseau que je lui débite... Je saisis l’instant, un oratoire est mon boudoir, et je suis heureux. Mais l’argent! l’argent!--Foutre, un moment; laissez-nous d....er. Quelle jouissance qu’une dévote! Que de charmants riens! Comme cela vous retourne! Quel moelleux! Quels soupirs!... Ah! ma bonne Sainte Vierge!... Ah! mon doux Jésus!... Ami, sens-tu cela comme moi? Mais l’argent! Eh! me croyez-vous assez bête pour aller faire un mauvais marché? Nenni... quelque sot... Je revois mon cafard, je lui raconte le tout; il est discret; il perdrait trop à ne pas l’être, et c’est lui qui va me servir; bien entendu qu’il aura son droit de commission. Depuis trois jours, ma dévote, en abstinence, n’a eu pour ressource que son god...... Le père en Dieu arrive:--Hélas! ce pauvre jeune homme! il est encore retombé dans le vice! Des femmes perdues l’entraînent... (Quel coup de poignard!)--Ah! mon père, quel dommage! il a un bon fond!--Madame, ce n’est pas sa faute; il y a même en lui une espèce de vertu, car il est franc. «Monsieur, m’a-t-il dit, j’ai des dettes d’honneur, ma _conscience_ me tourmente; je vais me perdre peut-être, je serai la victime de mon devoir... Hélas! ce qui me perce l’âme, c’est de quitter madame... (Ici elle baisse les yeux.) Cette femme est adorable; elle possède mon cœur... N’importe, il faut la fuir... Étoile malheureuse! déplorable destin!» Voilà, madame, ce qu’il m’a dit les larmes aux yeux... On me plaint; on parle d’autre chose, on revient...--Mais à quoi montent ces dettes?--Trois cents louis... Et vous croyez qu’une femme qui connaît mes caresses et mes reins, qui est sûre du secret, qui ne me trouve pas un butor, qui aime surtout les variantes, ne me les enverra pas le lendemain? Je vous vois d’ici faire le moraliste: «_Mais cela est odieux; l’amour pur est généreux; vous êtes un fripon..._» Foutre! vous badinez, vous gâteriez le métier; elle a trente-six ans, j’en ai vingt-quatre; elle est encore bien, mais je suis mieux; elle met de son côté du tempérament et de l’argent, moi de la vigueur et du secret... Ne voilà-t-il pas compensation? D’ailleurs, voulez-vous que je m’acquitte? Je lui fais l’honneur de l’afficher. Elle quitte sa dévotion: je la rends à la société, à elle-même; elle change d’état, enfin... Non, je me trompe, elle ne change que de robe et de coiffure. Voilà ma dévote dans le monde, et par mes soins. --Mais il valait bien mieux la laisser dans son obscurité: vous allez la perdre, on vous l’enlèvera.--J’ai d’autres projets peut-être; son argent est consommé, ses diamants sont vendus, mon caprice est passé... Vous verrez cependant que, pour me faire enrager, elle s’avisera d’être fidèle: il faut que je prenne la peine d’avoir des torts avec elle.--Vous en aurez bientôt.--Non; car voici ma conclusion: «Madame, je ne rappellerai point vos bontés, elles me sont chères, et mon cœur aime à vous avoir des obligations que toute autre ne m’eût pas fait contracter; mais, plaignez-moi; c’est ma reconnaissance qui me coûtera la vie; c’est le soin de votre gloire qui va détruire mon bonheur. Je vous dois de cesser des visites qui vous compromettraient: hélas! je sais trop qu’en prononçant cette séparation funeste, je dicte mon arrêt.» Puissances du ciel! combien vous êtes attestées! A force de singeries, je parviens à m’attendrir; ma Dulcinée verse tour à tour les larmes de la douleur et celles du plaisir: ma fuite est combinée par des points d’arrêt sur tous les sophas des appartements, et c’est à sa dernière extase que je me sauve. Parbleu! voilà bien des façons.--Pauvre sot! tu ne vois donc pas que cette femme fait ma réputation pour l’éternité; je n’ai plus besoin de me vanter, je n’ai qu’à lui en laisser le soin, et je suis le phénix des oiseaux de ces bois. D’ailleurs, je n’ai pas perdu la tête; elle est l’amie intime de la présidente de..., et depuis longtemps je lorgne cette riche veuve; elle ne manquera pas d’être la confidente de ma délaissée, et me croyez-vous assez novice pour n’avoir pas persuadé à celle-ci que ce serait un moyen de nous voir encore; à l’autre, que je ne quitte madame une telle que pour ses beaux yeux. Tout réussit à mon gré... mais il faut que je les brouille... Allons, Discorde, vole à ma voix... On se pique, on se refroidit, les deux inséparables ne se voient plus; la présidente exige que j’embrasse son ressentiment; je me fais valoir, je deviens exigeant à mon tour. Que ne peut le désir de la vengeance! on se livre à moi pour faire pièce à sa bonne amie. La présidente a trente-cinq ans, et n’en paraît pas plus de vingt-huit; elle est bien conservée, mais sans affectation. Ce serait une petite maîtresse, si le jargon ne l’ennuyait pas. Elle a de l’esprit avec les femmes, de la gentillesse avec les hommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton de femme de qualité et des dehors imposants. Dans le particulier, je n’ai guère connu de tempérament plus vif, plus soutenu, et en même temps plus varié. Ses caresses sont séduisantes, parce qu’elles sont franches, et vingt fois j’ai été tenté de l’aimer. Au reste, elle n’est pas sans défauts: elle a une profonde vénération pour elle-même; ses décisions sont des oracles, ses préceptes des lois; je n’ai rien vu de si impérieux. Il est vrai qu’elle y joint l’adresse, et que souvent vous croyez faire votre volonté en ne suivant que la sienne. Sa société, qui nous devine, ne tarde pas à me fêter, je suis le saint du jour; elle a de la confiance en moi: rien n’est bien, si je ne l’ai conseillé. Nous passons ainsi six mortelles semaines. J’oubliais qu’elle veut être la confidente de mes affaires. Un jour j’arrive chez elle; mon œil est agité.--Mais, qu’as-tu donc, mon ami? Tu es bien sombre.--Quoi! dis-je (en m’efforçant de sourire), pourrais-je apporter chez vous de l’humeur?... On me persécute, je m’obstine à me taire, j’ai des distractions que le monde qui abonde pour le souper ne saurait détruire: on me propose une partie, je la refuse, et je sors à minuit en m’échappant. Voilà qui est bien simple, direz-vous, qui n’en ferait autant?... Je vous le donne en dix: écoutez seulement. Est-ce que mon laquais, qui est un Crispin des mieux dégourdis, n’a pas eu l’esprit de f..... la femme de chambre pour éviter l’ennui. Or, ce jour-là, il est presque aussi triste que moi; sa charmante le presse autant que la mienne, et comme il est d’un naturel confiant, il avoue que «_la nuit dernière j’ai soupé chez la duchesse une telle, que l’on m’a fait, malgré moi, tailler un pharaon_»; que le jeu était diabolique, que j’ai perdu énormément, et qu’étant peu riche, je suis étrangement incommodé; mais ce qui me tourmente, c’est d’avoir été obligé de mettre en gage le diamant que m’a donné la présidente. Hélas! cette bague n’a pas même été suffisante avec tous mes bijoux pour dégager ma parole et je suis sans un sou! Il retombe ensuite sur lui-même, car le drôle est presque aussi coquin que moi: on l’a forcé aussi de jouer, et sa montre est avec mes effets chez madame la Ressource. La pauvre Adélaïde, qui aime le pendard, tire de son armoire quarante écus, qui composent sa petite fortune et sont même le fruit de mes dons. Le scélérat les empoche; mais il y a bien un autre manège. J’ai aperçu des chuchotages de la présidente à sa femme de chambre, des allées, des venues: c’est que l’on a conté tout cela à madame; que madame a fait répéter tout cela à mon bandit, et que sur le champ elle lui a remis cinq cents louis.--Douze mille francs?--En or, vous dis-je, pour aller tout dégager et fournir le supplément... Quand je sors, je retrouve mon fourbe dans mon carrosse, et nous portons le magot en triomphe chez moi.--Comment! tout cela n’était donc pas vrai?--Mais d’où diable viens-tu donc? C’est incroyable! tu ne te formes point; mais, aiguise donc ton intelligence. Le lendemain, à sept heures, en déshabillé leste, je cours chez la présidente; une joie douce brille dans ses yeux; j’ai son diamant au doigt... je veux la faire parler (car vous noterez que, sous peine de la vie, mon laquais ne doit m’avoir rien avoué) elle me fait un mensonge avec toute l’adresse, toute la noblesse de la générosité; mais elle voit bien, à la vivacité de mes caresses, que la reconnaissance les enflamme et que je ne suis pas sa dupe. Un peu remis de mes transports, je parle de bienfaits; on m’impose silence, en me disant que si l’on avait été assez heureuse pour me rendre un service, j’en ôterais tout l’agrément. Dieu! comme ma voix est touchante! Comment, monstre! tant d’amour et de générosité ne te touche pas? Si fait, pardieu! et pour lui montrer ma gratitude (un peu aussi pour m’en débarrasser), je la marie avec un homme de ma connaissance qui la rend la femme la plus heureuse de Paris. D’amants que nous étions, nous devenons amis, et je vole, non pas à de nouveaux lauriers, mais à de nouvelles bourses. Dégoûté de l’amour parfait, de la jouissance méthodique de la dévote et de la présidente, je languissais tristement, quand mon bon ange me conduisit chez madame Saint-Just (fameuse maquerelle pour les parties fines, rue Tiquetonne); je lui annonce que je suis vacant, et surtout que le diable est dans ma bourse; elle me présente sa liste, parcourons-la. 1º Madame la baronne de Conbâille... Foutre! voilà un beau nom. Qu’est-ce que cette femme-là?---C’est une petite provinciale qui est venue à Paris dépenser cinquante ou soixante mille francs qu’elle amassait depuis dix ans.--En reste-t-il encore beaucoup?--Non.--Passons; pourquoi cette bougresse-là s’avise-t-elle de prendre un nom de cour? 2º Madame de Culsouple.--Combien donne-t-elle?--Vingt louis par séance.--Paie-t-elle d’avance?--Jamais, et puis ce n’est pas votre affaire: elle est trop large. 3º Madame de Fortendiable.--Tenez, voilà ce qu’il vous faut. C’est une Américaine, riche comme Crésus; et si vous la contentez, il n’y a rien qu’elle ne fasse pour vous.--Eh bien! tu me présenteras.--Demain, si vous voulez.--Ici?--Dans son hôtel même.--Ce nom-là a quelque chose d’infernal qui me divertit.--Je rends la liste, quand, d’un air de mystère, la bonne Saint-Just m’adresse cette exhortation: «Mon cher ami, vous avez beaucoup vu de jeunesses: qu’y avez-vous gagné? la vérole. Pourquoi ne pas écouter les conseils de la sagesse? J’ai dans ma maison une vraie fortune, une vieille.--Le diable te f....! Eh! que votre souhait s’accomplisse! encore mieux vaut lui que rien; mais il ne s’agit pas de cela, je vous parle d’un trésor: fiez-vous à moi, et nous la plumerons.--Allons, je le veux bien: je m’en rapporte à ta prudence.» En attendant, je me rends le lendemain, à sept heures du soir, chez mon Américaine. Je trouve de la magnificence, un gros luxe, beaucoup d’or placé sans goût, des ballots de café, des essais de sucre, des factures, enfin un goût de mariné que je n’ai, sacredieu! que trop reconnu dans mainte occasion. Ce qui me tourmentait était d’entendre, dans un cabinet voisin, une voix d’homme dont les gros éclats me mettaient en souci; enfin, la porte s’ouvre: qui serait-ce? Ma déesse... Mais, foutre! quelle femme! Imaginez-vous un colosse de cinq pieds six pouces; des cheveux noirs et crépus ombragent un front court, deux larges sourcils donnent plus de dureté à des yeux ardents, sa bouche est vaste; une espèce de moustache s’élève contre un nez barbouillé de tabac d’Espagne; ses bras, ses pieds, tout cela est d’une forme hommasse, et c’est sa voix que je prenais pour celle du mari. --Foutre! dit-elle à la Saint-Just, où as-tu pêché ce joli enfant? Il est tout jeune; mais qu’il est petit! N’importe, petit homme, belle q..... Pour faire connaissance, elle m’embrasse à m’étouffer... Sacredieu! il est timide!--Oh! c’est un garçon tout neuf.--Nous le ferons... Mais est-ce que tu es muet?--Madame, lui dis-je, le respect... (J’étais abasourdi.)--Eh! tu te fous de moi avec ton respect... Adieu, Saint-Just. Ça, ça, je garde mon f...eur; nous soupons et couchons ensemble. La Duchesse Me voilà donc libre; je m’introduis dans les différentes sociétés de la cour; je jette sur les femmes qui les composent un œil curieux et perçant. Du plus au moins je fais mainte application des peintures de la marquise. La saison des bals arrive, j’aime la danse à la fureur, mais, n’étant point talon rouge, elle m’était interdite chez les hautes puissances; l’observation m’offrit des dédommagements. J’avais obtenu la permission de me rendre chez une princesse qui joint à tout plein d’esprit le meilleur ton et le cœur le plus sensible. Je la jugeai faite pour inspirer un attachement durable, mais trop sage pour s’afficher ainsi. A son âge, avec tous les moyens de plaire, se fixer!... Eh! que dirait l’Amour? Lui a-t-il confié ses flèches pour les laisser oisives ou pour les ficher sur un seul cœur, comme les épingles sur la pelote de sa toilette? Je consultai mon grimoire, et je sus qu’on ne pouvait allier plus de générosité, de talents et d’adresse. Je sus encore qu’en prédicateur excellent, ses préceptes ne nuisaient pas à ses plaisirs, et je crus sentir qu’un peu de contrainte pouvait y ajouter du prix.--Mais qui est-ce donc?--Oh! vous en demandez trop; allez sur le grand théâtre, quand on jouera la _Gouvernante_, vous lui verrez remplir un rôle que son cœur lui rend cher et qui lui mérite tous les applaudissements. Confondus dans un groupe d’hommes, nous exercions notre critique sur les danseurs.--Eh! bon Dieu! quelle est cette petite personne, si folle, si extravagante? Elle est tout ébouriffée, son panier penche d’un côté, tout son ajustement est en désordre... Je ne l’en trouve, ma foi! que plus jolie; tous ses attraits sont animés, ses gestes sont violents, tout pétille en elle.--C’est la duchesse de..., me répond le comte de Rhédon; vous ne la connaissez pas? Je vous présenterai; elle aime la musique, vous l’amuserez. Le lendemain, je somme le comte de sa parole, et nous partons. A six heures du soir, la duchesse était en peignoir; de grands cheveux s’échappaient d’une baigneuse placée de travers sur sa tête. Embrasser le comte, me faire la révérence, me proposer vingt questions et me prendre pour répéter le pas de deux de _Roland_, ne fut l’affaire que d’un instant. Je fus froid les premiers pas: une passe très lascive, qu’elle rendit comme Guimard, m’enhardit, m’échauffa, me fit... (Ah! mon ami, la jolie chose qu’un pas de deux, quand on bande!) Le comte applaudit à tout rompre; elle s’écrie que je danse comme Vestris, que j’ai un jarret à la Dauberval, me fait promettre de venir répéter avec elle, et me donne carte blanche pour les heures; puis mon lutin sonne ses femmes. Le comte se sauve, je demeure; elle se coiffe à faire mourir de rire; me demande mon avis; je touche à l’ajustement, et je lui donne un petit air de grenadier qu’elle trouve unique... Elle s’habille, sort; je lui donne la main, et je me retire. Parbleu! dis-je en moi-même, celle-là n’a pas le temps d’être méchante. Je me couche; sa friponne de mine me tourmente toute la nuit. Je me lève en raffolant, et je cours chez la duchesse à dix heures du matin; elle sortait du bain, fraîche comme la rose. Une lévite la couvre des pieds à la tête; on apporte du chocolat; je suis barbouillé du haut en bas; elle saute à son clavecin; sa jolie menotte a toute la vélocité possible; elle a du goût, un filet de voix, des sons charmants, mais pour de l’âme... serviteur. Je vois cependant qu’elle est susceptible. Nous prenons un duo; je la presse, je l’attendris malgré elle; elle perd la tête, son cœur se serre; j’en arrache un soupir; la voix meurt, la main s’arrête; le sein palpite, mon œil enflammé saisit tous ses mouvements... Zeste! elle jette tout au diable; elle plante là le clavecin, me bat, me demande pardon, passe un entrechat, se jette en boudant sur un sopha, et se relève par un grand éclat de rire. Heureusement pour moi, Gardel arrive; nous dansons; je remarque cependant avec plaisir qu’elle prend de l’intérêt; elle me loue avec affectation. Gardel n’a garde de la contredire; avant que je sorte, elle me demande excuse, implore son pardon, me prie de lui imposer sa pénitence; vois donc d’ici, bourreau, cette mine hypocrite; je saisis une main que je couvre de baisers; l’autre me donne un soufflet qu’un baiser hardi répare à l’instant. Le lendemain, j’y vole sur les ailes du désir; elle m’avait demandé quelques ariettes nouvelles, je les lui portais; elle était au lit; une femme de chambre ouvre ses rideaux, je parais; un fauteuil placé à côté d’elle me tendait les bras... j’aime bien mieux m’appuyer contre une console qui me tient de niveau. Où es-tu, divin Carrache? prête-moi tes crayons pour esquisser cette enfant!... Un bonnet à la paysanne couvre sa tête à moitié; ses traits n’ont aucune proportion; ce sont de noirs yeux superbes, la plus jolie bouche, un nez retroussé, un front trop petit, mais ombragé délicieusement; deux ou trois petits signes noirs comme jais assassinent leur monde sans rémission; son teint est moins très blanc qu’animé, mais le carmin le plus pur n’égale pas le vermeil de ses joues et de ses lèvres. Après quelques folies débitées de part et d’autre, je lui montre ma musique; elle me prie de chanter... Je déployais toute la légèreté de ma voix, quand tout à coup un drap soulevé me découvre un sein de lis et de roses... _et la cadence chevrote_... Je continue: tantôt c’est un bras arrondi par l’amour, une cuisse fraîche rebondie, une jambe fine, un pied charmant qui, tour à tour, se promènent sur le lit et frappent tous mes sens... Je tremble; je ne sais plus ce que je chante...--Allons donc! me dit la duchesse, avec un sang-froid dont je ne la croyais pas capable. Je recommence et le manège d’aller son train; mon sang bouillonne, tous mes nerfs s’agacent et s’irritent; je palpite, mon visage s’inonde de sueur; la méchante, qui m’observe, sourit et cependant soupire... Un dernier bond la découvre tout entière... Sacredieu! mes yeux font feu; je jette la musique, je fais sauter les boutons qui me gênent, je m’élance dans ses bras; je crie, je mords, elle me le rend bien, et je ne quitte prise qu’après quatre reprises redoublées. La duchesse était évanouie, cela commença à m’inquiéter; j’employai un spécifique qui ne m’a jamais manqué; j’ai la langue d’une volubilité incroyable; j’applique ma bouche sur le bouton de rose qui termine un joli globe: un trémoussement presque subit me rassure sur son état...--Dieu! ô Dieu! me dit-elle en me sautant au cou, cher ami, tu l’as trouvé!--Eh, quoi? lui dis-je tout étonné...--Hélas! un tempérament que l’on m’avait persuadé que je n’avais pas... Et baisers d’entrer en jeu, et les pièces de mon habillement de couvrir le plancher. Enfin, nous nous trouvâmes, comme dit la précieuse ridicule, _l’un vis-à-vis de l’autre_; je vous jure que ma petite duchesse n’était point de ces prudes qui craignent un homme absolument nu. Elle avait des doutes; il fallut bien les éclaircir. Cette situation nouvelle me découvrait de nouveaux charmes. C’était bien le corps le mieux fait! Charnue sans être grasse, svelte sans maigreur, une souplesse de reins qui ne demandait que de l’usage... Eh! parbleu! je lui en donnai de toutes les façons. J’aime bien f....; mais comme le bon Dieu n’a pas voulu que nous trouvassions le mouvement perpétuel, il faut s’arrêter enfin, car ce _jeu lasse plus qu’il n’ennuie_. Or ma duchesse n’avait qu’un jargon, toujours le même; et comme j’avais ralenti son feu, ce n’était plus qu’un petit être plat, fort monotone. Que j’aime à voir sortir d’une bouche ces riens que rend si précieux une femme enivrée de volupté! qu’un mot placé à propos sait bien relever le prix d’une caresse et la rendre plus touchante! Otez les préludes de la jouissance et les paroles magiques qui, faisant sortir de l’extase, aident si souvent à s’y replonger... _l’ennui bâille avec nous sur le sein de nos belles_: l’amour fuit, l’essaim des plaisirs s’envole, et l’on s’endort pour ne jamais se réveiller. Voilà des dégradations que j’éprouvai chez la duchesse pendant quinze jours: nos commencements furent trop vifs et la satiété amena le dégoût. J’en étais là, quand, un soir, en entrant chez moi, on me remit un écrin et un petit billet. «Un instant me rendit votre amante, un instant a tout changé; mais j’ai, monsieur, de la reconnaissance de vos soins; je vous prie de conserver cet écrin: il vous représentera l’image d’une femme qui parut vous être chère, et qui se reproche de n’avoir pas pu faire plus longtemps votre bonheur.» Je vis sur-le-champ de quelle main partait ce billet: la duchesse était incapable de l’avoir dicté. J’y répondis: «Vos bienfaits, madame, ont droit de me toucher, si votre cœur a daigné apprécier le peu que je vaux. J’ai mis dans notre liaison des procédés dont l’énergie paraissait vous plaire; je n’ai ni dépit, ni colère. C’est bien assez pour moi d’avoir eu les honneurs du triomphe, sans aspirer à ceux de la retraite: depuis huit jours, j’attendais vos ordres, et la preuve de mon respect est de ne les avoir pas prévenus. Votre portrait sera pour moi le gage de l’estime que vous accordez à mes _talents_. Puisse, madame, le fortuné mortel qui me remplace vous en porter de _plus heureux_! Vous m’aurez tous deux dans une obligation plus douce: celle de vous avoir mis dans le cas d’en sentir tout le prix.» Mon successeur, homme d’esprit, n’a pu y tenir, comme moi, que peu de jours; elle l’a remplacé par _un prince_, et réellement, quant au moral, ils se convenaient; pour le physique, elle eut ses laquais: c’est le pain quotidien d’une duchesse. Mon billet écrit, j’ouvris l’écrin, j’y trouvai de fort beaux diamants et le portrait de la duchesse en baigneuse: il était frappant; je l’approchai machinalement de mes lèvres. Avouerai-je ma faiblesse? Je sacrifiai encore une fois à ce joli automate, et mon caprice s’écroula avec la libation que je venais de répandre en son honneur. Musique J’ai toujours aimé la musique; je fis le soir même connaissance avec la Guimard. Cette bougresse-là est laide et joue comme une cuisinière; mais sa voix est belle, et quand elle ne chante pas faux, elle fait plaisir; d’ailleurs elle f... comme une enragée. Ma réputation abrégea le cérémonial: je convins de six coups par jour; elle cassa aux gages son porteur d’eau qu’elle avait éreinté, laissa reposer ses laquais et son coiffeur, et nous nous accordâmes à faire bourse commune (bien entendu que je n’y mettrais rien). Elle donnait des concerts, recevait des compagnes qui la grugeaient en la détestant, des musiciens d’assez mauvaise compagnie et des gens de qualité amateurs qui n’ont pas même le mérite d’être bons. J’étais à causer un après souper avec un virtuose célèbre et charmant compositeur (_Cambini_); nous parlions de la révolution de la musique en France; je l’écoutais avec aridité et je m’instruisais; tout à coup un de ces messieurs nous aborde.--Quoi! vous parlez composition! Pardieu! sans me flatter, je suis d’une bonne force.--Je n’en doute point, lui dis-je en jetant un coup d’œil sur l’artiste, et je serais fort aise que vous nous donniez, à monsieur et à moi, quelques leçons.--Volontiers, volontiers; moi, je ne refuse jamais mes soins.--Par exemple, monsieur veut composer un opéra et il me demande le poème.--Sa musique est faite, apparemment?--Non pas.--Comment! Tant pis; jamais la musique ne va bien, quand on la compose pour des paroles; cela gêne un musicien et l’empêche de peindre; son imagination est refroidie. --Mais, monsieur, il me semble...--Il vous semble mal. Un orchestre, morbleu! un orchestre, voilà tout ce qu’il faut; suivez le Moline, cela s’appelle faire un opéra; les paroles ne sont jamais d’accord avec la musique; mais aussi cela n’arrête point les effets... Moi, je tiens pour les effets; ai-je raison, Cambini?--Monsieur le marquis, cependant, quand on veut exprimer un sentiment, l’amour, par exemple...--Oui, il faut du chromatique, beaucoup de fausses quintes; on relève cela par l’accord parfait; de là on passe dans le ton relatif par la tierce mineure; appuyez-moi une septième diminuée; si le mode est mineur, grimpez au majeur; semez-moi des bémols, accords de tierce, dominant, sexte et les doubles octaves... Pardieu! l’on module dans un tour de main... As-tu de la fureur, dans ton opéra?--Beaucoup, monsieur le marquis.--Ah! pardieu! tu vas voir: mesure à quatre temps, battue bien ferme; pour le récitatif, _ad libitum_, avec accompagnement obligé; ensuite un chœur en fugue, à deux sujets bien sortants l’un et l’autre, parce que cela marque la dispute, le conflit de juridiction; surtout que cela crie comme le diable (il faut que l’on entende un chœur peut-être), ensuite un grand silence; c’est imposant, ça, hein?... Un trois temps bien tendre, pour faire le contraste, tu m’entends bien? Il n’y aurait pas de mal d’y mettre des timbales; ensuite le héros se fâche en _allegro_, avec quatre bémols à la clef; il faut qu’il fasse une tenue de dix mesures pour lui rassurer la poitrine; pendant ce temps-là, l’orchestre va le diable; puis ton héros fait des roulades pour se reposer; il veut qu’on l’entende... Eh! non, morbleu! que l’orchestre l’écrase! et si ce diable de Legros perce encore, on y mettra du tonnerre... Ah! ce que je te recommande, c’est une basse bien ronflante; que tout cela marche...--Et mes airs de danse, monsieur le marquis?--Oh! pour cela il nous faut du noble: un beau grand morceau de flûte, avec des variations, pour la commodité de Salentin, et puis un point d’orgue avec des roulades; il serait long pour faire gigoter Gardel... Tu ne sais pas comment sortir de là!--Ma foi, non.--Un tambourin, mordieu! un tambourin; il n’y a que ça, pour qu’on s’en aille gaiement... Ah! çà! bonsoir... --Ah! cervelle du diable, maudit empoisonneur, _coglione, coglione_...--Là, là, tout doux, Cambini, lui dis-je... Eh bien! mon ami, voilà qui vous juge, et sans appel encore... Nous rejoignîmes la compagnie, à qui le marquis avait déjà fait confidence de ses bontés pour nous, en briguant des voix pour la première représentation, en cas que l’on suivît ses avis. Je passais ainsi ma vie au milieu des talents et des ridicules; mais ma bougresse m’ennuyait; elle jure comme un charretier; pas la moindre ressource avec elle. Mariage J’étais endetté; mes créanciers, honnêtes israélites, venaient m’offrir leur figure patibulaire. Je pris une résolution magnanime: je me décidai à me mettre la corde au cou, à me marier.--Ah! tu vas faire une fin.--Oui, une fin; c’est pardieu bien périr avant le temps! Je connaissais une vieille intrigante, doyenne des marquises, appareilleuse de sacrement: je fus lui conter mon affaire, en lui observant que j’étais pressé.--Oui, me dit-elle, la voulez-vous jolie?--Ma foi! cela m’est égal; c’est pour en faire ma femme; je ne m’en soucierai guère, et je ne la prends pas pour les curieux.--Il la faut riche?--Oh! cela, le plus possible.--De l’esprit?--Mais, oui, là, là.--Je tiens votre affaire. Connaissez-vous madame de l’Hermitage?--Non.--Je vous présenterai; c’est une de mes amies; sa fille a dix-huit ans, elle est très riche, et surtout son caractère est excellent.--(Ah! foutre! que cette bougresse-là est laide!...) Mon aimable duègne part sur-le-champ pour porter les premières paroles, manigancer mon affaire et me vanter; le soir elle m’écrit deux mots, et deux jours après nous nous rendons chez ma future belle-mère. Madame de l’Hermitage tient bureau de bel esprit; là, tous nos demi-dieux, tous nos Apollons modernes viennent chercher des dîners qu’ils paient en sornettes. Dès l’antichambre, je respirai une odeur d’antiquité qui me saisit l’odorat; la vieille m’avait prévenu qu’il fallait beaucoup admirer. J’entre dans un salon immense et carré; j’y trouve la maîtresse de la maison avec l’air d’une fée, le corps d’un squelette et le maintien d’une impératrice. Elle m’assomme de longs compliments; j’y réponds par des révérences sans nombre; je cherche des yeux la future... Ah! foutre! on vous en donnera! Diable! il faut que sa mère me juge auparavant, et la bienséance permet-elle qu’on expose une fille aux regards du premier occupant?... La duègne et la mère entamèrent les grands mots et les vieilles histoires. Pendant ce temps-là je toisai le salon. Des tapisseries d’antiques verdures en couvraient les murailles. Cassandre et Polixène y figuraient, aussi bien que le roi Priam, nombre de Troyens et perfides Grecs, avec chacun un rouleau qui leur sortait de la bouche pour la commodité de la conversation. Du plancher pendait une lampe immense, à sept branches, de bronze doré, qui avait servi aux festins de Nabuchodonosor, aux quatre coins, des trépieds de vieux laques surmontés d’urnes à l’antique et de pyramides tronquées trouvées dans les fossés de Ninive-la-Superbe. Des tables de marbre de Paros, portées sur des piliers de granit, chargées de bustes grecs et latins et d’un grand médaillier. La cheminée, élevée à huit bons pieds de hauteur et surmontée d’un miroir de métal, environné d’une bordure immense en filigrane; c’était, je crois, celui de la belle Hélène. Les fauteuils paraissaient modelés sur ceux de la reine de Saba, couverts de tapisserie, durement rembourrés pour éviter la mollesse, mais magnifiquement dorés... Voilà, mon cher, le mobilier qui frappa mes regards. Au reste, tout décelait à mes yeux exercés un fonds de richesse qui chatouillait mon âme, et je projetais déjà de changer toutes ces fadaises contre les belles inventions de notre luxe moderne. Je m’extasiai sur chaque objet, je tranchai du connaisseur pour applaudir; on accueillit mes éloges, et nous nous retirâmes, la duègne et moi. En sortant, elle me dit que ma figure, mon air sage et posé (car il ne m’était, pardieu! pas échappé un sourire), surtout mon excessive politesse avaient prévenu en ma faveur, que probablement je serais invité à dîner pour le jeudi, qui était le grand jour, et qu’alors je verrais mademoiselle Euterpe... Foutre! voilà un beau nom; j’ai diablement peur que ma charmante ne soit aussi quelque antiquaille. Je fus invité; le dîner répondait à l’ameublement et je vis mon Euterpe... Ah! sacredieu! la jolie future; elle est faite à coups de serpe, elle a été modelée, ou le diable m’emporte! sur quelque singe; aussi madame sa chère mère dit-elle que c’est le vivant portrait de M. de l’Hermitage. Ramassée dans sa courte épaisseur; un teint d’un jaune vert, des petits yeux enfoncés, battus jusqu’au milieu de deux joues bouffies; des cheveux à moitié du front, une bouche énorme et meublée de clous de girofle, un cou noir, et puis... serviteur! une gaze envieuse voilait un je ne sais quoi qui montait au diable. Eh! pardieu! que ne couvrait-elle aussi les deux plus laides des pattes que jamais servante ait lavées. Au reste, mademoiselle Euterpe fait la petite bouche, grimace avec complaisance et n’en est que plus laide... Ce fut bien pis quand elle eut parlé. Ah! Cathos n’est rien en comparaison... Jour de Dieu! épouser cela! me dis-je à moi-même. C’est bien dur!--Eh! fi donc! tu ne l’épouseras pas peut-être?--Eh! mon ami, quarante mille livres de rente d’entrée, autant de retour; cela n’est pas à négliger; elle a les beaux yeux de la cassette, et moi, je n’ai qu’un beau v.. dont elle ne tâtera guère. Mes créanciers me talonnent, il faut s’immoler. Après le dîner, mademoiselle Euterpe fut se camper auprès de sa chère mère; moi j’allai roucouler d’amoureux hoquets qui furent reçus avec humanité et condescendance: somme toute, au bout de quinze jours, on nous maria, en m’avantageant de vingt mille livres de rente par contrat. Me voilà donc époux d’Euterpe. La mère donna à sa bien-aimée sa bénédiction et le baiser de paix; ma chaste épouse fut se mettre entre deux draps, les talons dans le cul, comme cela se pratique par modestie. Une partie de la noce était dans les chambres voisines; les jeunes gens surtout, pour qui c’est une aubaine, me firent compliment sur mon bonheur futur, me souhaitèrent bonne chance et se mirent en embuscade. Je me campai à côté de ma charmante, qui versait de grosses larmes.--Madame, lui dis-je, le mariage où nous nous sommes engagés est un état _pénible_, une voie _étroite_, mais qui mène au bonheur; il n’est point de roses sans épines, et c’est moi, votre époux, qui doit les arracher. Le Créateur nous a réunis pour que nos deux moitiés ne fissent qu’un tout. Afin de mieux consolider son ouvrage, il a fait présent à l’homme, chef de son épouse, d’une cheville... Tâtez plutôt (je lui porte la main là, et la masque retire la patte comme si elle avait bien peur). Or, cet instrument doit trouver son trou: ce trou est en vous; permettez que je le cherche et que je le bouche... Alors, d’un bras vigoureux je prends ma chrétienne; elle serre les cuisses; j’y mets un genou comme un coin, elle me fout des coups de poing par manière de résistance; enfin, elle fait semblant de se trouver mal; elle allonge les jambes, lève le cul; je frappe à la porte... Ah! foutre! ah! sacredieu! mort de ma vie!--Quoi donc? Comment, bourreau! deux pieds de cornes... Je suis étranglé... Elle est ouverte à deux battants encore! ah! chienne! ah! carogne! et tu défendais la brèche... foutue garce!... Je la cogne; elle m’égratigne, elle hurle, je jure en frappant toujours; la mère arrive, écumant de rage; je saute à bas du lit et je me sauve. Mes amis, rangés en haie, me demandent, avec une maligne inquiétude, si je me trouve mal, si je veux un verre d’eau... Je veux le diable qui m’emporte loin d’ici!... Un instant après, ma belle-mère rentre, et d’un ton de sénateur: Mon gendre, je sais ce que c’est.--Comment, ventredieu! je le sais bien aussi, moi, et que trop.--Non, ce n’est rien; le premier jour de mes noces il m’en arriva tout autant.--Ah! la foutue famille!--Rassurez-vous, c’est une enfant qui ne sait pas ce que c’est, elle s’y fera; allez vous remettre auprès d’elle, et prenez-la par la douceur.--La rage qui m’étouffait m’avait empêché de l’interrompre, mais à cette douce invitation, je m’écrie: Moi y retourner! Que le jeanfoutre qui l’a commencée la rachève... Ah! foutre! c’est une ânesse ou une jument, tant elle est large.--(Madame de l’Hermitage fronce le sourcil.) Mon gendre, je comprends, c’est que vous ne pouvez pas.--Comment! foutre! madame, je ne peux pas! Eh! sacredieu! la besogne n’est pas dure, on y passerait en carrosse... La vieille fée se fâcha; je manquai la foutre par la fenêtre, et je sortis pour jamais de ce maudit lieu. O rage! ô désespoir! moi la terreur des maris, moi la perle des f......., me voilà coiffé d’un panache à la mode... Coa, coa! en herbe! Coa, coa! en herbe, ventre et dos, et par une guenon, une Maritorne!... Où fuir? où me cacher?... Les épigrammes vont m’assassiner. Ce n’est pas tout. Le lendemain, un homme en noir demande à me parler. Au milieu de beaucoup de révérences, il me signifie un petit papier...--Monsieur, vous vous trompez.--Non, monsieur, me dit le Normand.--Mais de qui cela vient-il?--De haute et puissante demoiselle Euterpe de l’Hermitage, votre légitime épouse.--Comment, ce coquin! foutre! si tu ne sors... il était déjà parti, et court encore... Eh bien! la bougresse me faisait sommation de la traiter maritalement, sans quoi l’on m’annonçait bénignement que l’on demanderait séparation. Je cours chez mon procureur; je consulte, nous plaidons pendant trois mois; on me tympanise; enfin je suis contraint d’abandonner dix mille livres de rentes de mes vingt constituées, et l’on me déclare père d’un individu (quelque sapajou sans doute) dont ma bougresse était grosse; encore n’était-ce pas le premier. Furieux, désespéré, je pars pour le pays étranger, et j’abandonne à jamais cette terre maudite où je pourrais rencontrer tant d’objets déplaisants. Sort, foutu sort plein de rigueur! Quoi, moi, j’éprouverai tes caprices, tes bizarrerie! Voilà donc le fruit de mes belles résolutions! Tous mes projets aboutiraient à la parure de Moïse! Fuyez, foutez le camp, rêves atrabilaires, songes creux de mon imagination bilieuse... Non, non, mesdames, vous ne tiendrez point mon chef dans vos cuisses maudites; jamais un c.. marital ne m’enverra de vapeurs corniférères. Au foutre la _conversion_! mais dans mon humeur de vengeance, je foutrai la nature entière, j’immolerai à mon priape jusqu’à des pucelages (si tant est qu’il en existe); par moi, légions de cocus peupleront les palais, les champs et les cités; j’usurperai jusqu’aux droits de notre bonne mère la sainte Église. Point de fouteuse de prélat, point de monture de curé que je n’enfile sur tous les sens (pour leur conserver l’habitude) jusqu’à ce que, rendant dans les bras paternels de M. Satan mon âme célibataire, j’aille foutre les morts! Hic et Hec Les Chevaux neufs Ad... des Italiens, célèbre par un joli pied et par des charmantes roueries, parvint à captiver le riche Ve..., il semait l’or avec profusion. Ad... en obtint une jolie maison à la barrière blanche; il la meubla avec tout le goût possible, lui prodigua les diamants et prévint tous ses désirs; mais il mettait toujours dans ses cadeaux un peu de gaucherie financière, et semait l’or sans grâce. Un jour il lui fit faire une voiture de la coupe la plus agréable, doublée de velours jonquille, enrichie de crépines d’argent, les panneaux étaient peints avec goût et vernis richement, il la fit conduire chez elle. Vous pensez bien que tous les parasites de la maison ne tarirent pas sur l’éloge du nouveau char qui devait faire le plus bel effet à Longchamps; mais Ad... observa que la voiture neuve ferait disparate avec ses vieux chevaux. Ve..., qui ne s’attendait pas à cette nouvelle dépense, en marqua de l’humeur: elle bouda, et elle finit par dire qu’on allât chercher Javard, le maquignon, et que, s’il était raisonnable, il changerait ses chevaux. La belle reprit sa gaîté, et trois quarts d’heures après Javard arriva avec deux chevaux bais à col de cygne, tête busquée, jambe fine, jarret large, coupe arrondie et avant-main superbe, etc. Les voir et les désirer fut l’ouvrage d’un moment. Ve..., d’un air indifférent, demanda ce qu’il les voulait vendre. Javard, avant de répondre, détailla leur figure, vanta leur vigueur, leur fit faire cent courbettes, mit dans leur éloge toute l’emphase d’un maquignon, et finit par dire que quand ce serait pour son père, il ne pourrait pas les donner à moins de deux mille francs de retour. VE..... Deux mille francs! Vous moquez-vous? JAVARD A tout autre, j’en aurais demandé cent louis; mais pour vous, monsieur, je n’ai qu’un mot: deux mille francs, et ils sont à Mademoiselle. VE..... Vous n’en voulez pas douze cents francs? JAVARD J’y perdrais plus de trente louis. VE..... Vous n’en voulez rien rabattre? JAVARD Je ne puis pas, en conscience. VE..... La conscience d’un maquignon!... Allons, ils seront pour un autre. AD..... Ils feraient pourtant bien à ma voiture, elle est si jolie! VE..... Jolie tant que vous voudrez; vous garderez vos vieux. Vous me ruineriez avec vos caprices. Elle insiste, il s’impatiente et sort, en prenant sa canne et son chapeau. AD..... Quelle lésine! il ne sait jamais rien faire qu’à demi. Il me donne une voiture délicieuse et me refuse les chevaux... Ils sont charmants... Quel dommage! JAVARD Je ne conçois pas qu’un homme aussi riche se fasse tirer l’oreille pour deux malheureux mille francs, quand il s’agit d’obliger une si belle personne qui veut bien faire son bonheur. Ah! si j’étais à sa place... AD..... Vous feriez peut-être comme lui, les hommes ne sont généreux que quand ils nous désirent. JAVARD Je ne suis qu’un marchand de chevaux; mais je ne vous refuserais certainement pas les miens, si je croyais, à ce prix, être traité cette nuit seulement comme monsieur de Ve... AD....., _souriant_ Vous seriez bien attrapé, si je vous prenais au mot. JAVARD Non, ma foi, j’en ferais le sacrifice de toute mon âme. AD..... Vous plaisantez... JAVARD Non, j’en jure, dites un mot et les chevaux entreront dans votre écurie. AD..... Quoi, tout de bon? JAVARD D’honneur. AD..... Savez-vous bien que vos chevaux me tentent beaucoup. JAVARD Vous me tentez bien davantage. AD..... Si j’allais accepter... JAVARD Je me flatte que vous seriez si contente de la nuit que vous m’en accorderiez quelque autre. AD..... Vous croyez... Eh bien? JAVARD Eh bien?... AD..... Puisque vous le voulez décidément... faites-les donc mettre dans mon écurie. Les chevaux entrèrent, Javard remonta: c’était un gaillard de bonne mine, l’épaule large, l’œil vif, le teint brun et taillé en payeur d’arrérages, il voulut procéder, sans délai, à se payer de ses chevaux. Ad... avait trop d’envie de briller à Longchamps pour faire des difficultés après la générosité du maquignon. Son boudoir, avant souper, fut trois fois la caisse où il toucha des à-comptes. Un repas fin et délicat, arrosé d’excellent vin, répara leurs forces, et son lit vit cinq fois l’ardent Javard travailler à toucher sa créance. Ve... ne l’avait pas accoutumée à de pareilles fêtes, elle s’y livra avec ivresse, mais le maquignon, ne perdant pas la tête, se leva de grand matin, courut chez Ve... et s’y fit introduire. JAVARD Mes chevaux sont, monsieur, chez mademoiselle Ad... il ne m’a pas été possible de la refuser. VE..... J’entends, et vous comptez que sans y avoir consenti, je ferai la sottise de vous payer deux mille francs. JAVARD Point du tout, j’ai pris des arrangements avec elle. VE..... Et quels arrangements? s’il vous plaît. JAVARD Elle a un anneau dont je me suis accommodé. VE..... Sa bague? JAVARD Oui, elle me convient fort... VE..... Parbleu, je le crois, elle m’a coûté deux mille écus, vous ne faites pas de mauvais rêves. Allons, faites votre quittance de deux mille livres; je vais vous les payer, mais qu’il ne soit plus question de l’anneau. JAVARD Mais, monsieur, le marché est fait... VE..... Et je le défais. Diable! comme vous y allez!... Allons, votre quittance, voilà votre argent. JAVARD Allons donc, puisque vous l’aimez mieux. Il fait la quittance, reçoit les deniers et se retire, content d’avoir si bien vendu ses chevaux et d’avoir passé gratis une si bonne nuit. Ve... prend alors sa redingote, sa canne et son chapeau et va chez Ad... La femme de chambre a beau lui représenter qu’elle dort, qu’elle a été toute la nuit fort agitée, il entre, en disant qu’il a de quoi guérir sa migraine. Ad... se réveille au bruit. AD..... Venez-vous encore me tourmenter après m’avoir désobligée comme vous avez fait hier? VE..... Non, friponne; tu sais bien que je finis toujours par faire ce que tu veux. Tiens, voilà la quittance de tes chevaux. AD..... Je n’en ai que faire, monsieur, je les ai payés. VE..... Oui, avec ton anneau! il me l’a dit; mais je n’entends pas cela; garde-le, voilà ta décharge en bonne forme, et il m’a promis de te laisser ta bague. Adeline devina sans peine l’équivoque, se mordit les lèvres pour n’en pas rire, et pour cacher sa confusion elle eut la complaisance de recevoir le financier dans la chapelle que le maquignon avait si bien fêtée. La Vieille Sara Après quelques moments de repos et quelques verres de punch, on demanda quelque anecdote à Valbouillant. --Je n’en sais point, dit-il, si ce n’est le désespoir de la vieille Sara.--Je ne la connais point, dit l’évêque.--Oh! que si, monseigneur, elle a la pratique de presque tout votre chapitre, c’est la grosse marchande de plaisir!--Elle vend du croquet?--Non, mais c’est la plus adroite pourvoyeuse du comtat; peu de femmes ont une famille aussi étendue, elle a toujours deux ou trois nièces qui l’accompagnent aux promenades, au spectacle, et quand elles sont un peu trop connues, elles se retirent vers Orange en Carpentras, où elles portent l’instruction qu’elles ont reçue chez Sara, qui les remplace par de nouvelles parentes qui lui viennent des villages d’alentour et qu’elle forme avec le même soin.--Oh! oui, je me rappelle, dit l’évêque, elle est grosse, courte, elle a le front étroit, l’œil en dessous, le crin roux et le nez un peu bourgeonné.--Précisément, et sûrement vous avez été plus d’une fois son neveu.--Je n’en disconviens pas; que lui est-il donc arrivé?--Hier, se promenant sur le rempart avec Justine, la nièce du moment, un négociant de Bâle est venu l’accoster, on a lié conversation, elle a d’abord été galante, puis elle s’est animée, et le bon Bâlois a proposé de lui donner à souper. Sara, toujours prête quand il s’agit d’un repas, s’accorde à tout, et l’on convient que le négociant partagerait ensuite le lit de Justine en déposant dix louis sur la table de nuit, dont il aurait droit d’en reprendre un à chaque politesse qu’il ferait à la gentille nièce. Sara, qui n’avait guère vécu qu’avec d’élégants Français ou de bons citadins, croyait que les Suisses ne pouvaient l’emporter en civilité sur ses compatriotes, et se hâta de conclure le marché. On a soupé gaîment, le bourgogne et le montrachet n’ont pas été ménagés, la vieille s’est bien repue, bien égayée, puis a présidé au coucher: on a vu poser l’or sur la table de nuit, et le Suisse a prétendu qu’elle lui devait deux louis. Justine, interrogée sur le fait des articles, a confirmé par son aveu les prétentions du Bâlois. Sara a redoublé ses cris, et l’Helvétien, pour l’apaiser, l’a renversée sur le lit et lui a fait cadeau du treizième; elle a pris son mal en patience, mais en jurant ses grands dieux qu’elle ne ferait plus de pareil marché qu’avec des Français.--La nièce, observa l’évêque, avait moins d’humeur que la tante. Mme Valbouillant remarqua que le bon Bâlois s’était sans doute ainsi comporté pour honorer les saints apôtres et avait réservé le judas pour Sara.--Quoi qu’il en soit, dis-je alors, je voudrais me faire naturaliser Suisse, si j’étais sûr que le droit de bourgeoisie chez eux me procurât d’aussi rares talents. La Belle Adèle Nous engageâmes Valbouillant à nous raconter quelqu’une de ses aventures, en attendant que l’heure du dîner nous rappelât au château[146]. --J’avais vingt ans, dit-il; j’étais capitaine de dragons, et mon régiment, cantonné dans la Lorraine, y goûtait toutes les douceurs dont ce charmant pays abonde; dans la petite ville où ma troupe était en quartier habitait la jeune épouse d’un vieil officier général qui était en tournée pour une inspection dont le gouvernement l’avait chargé; elle était musicienne, chantait bien, jouait agréablement la comédie, dansait avec grâce et légèreté; cette conformité de talents la disposait en ma faveur et me faisait désirer de me lier avec elle; je l’accompagnai avec mon violon dans une ariette italienne, et mes applaudissements parurent la flatter; je demandai et j’obtins la permission de lui faire ma cour chez elle, mais la présence d’une vieille belle-sœur, qui restait toujours au salon, me gênait dans l’aveu que je voulais lui faire de ma tendresse; elle s’en aperçut, sourit malicieusement, mais elle n’éloignait pas le témoin importun. Je lui donnai des billets, des vers passionnés, elle les recevait, en paraissait satisfaite, mais elle n’y répondais jamais. Vous savez que je suis ardent, et même impatient, et j’avais peine à supporter cet état; je m’ennuyais de rester toujours au même point. Pour en sortir et pouvoir m’expliquer librement sans la compromettre, je supposai un voyage à Nancy, où elle avait des parents; je m’offris de me charger de ses dépêches et je demandai qu’elle me permît de venir le lendemain les prendre à son lever.--Vous êtes bien obligeant, me dit-elle, mais je ne sais si j’y dois consentir, je suis extrêmement paresseuse et je fais ma toilette tard, et vous me verriez trop à mon désavantage.--Ah! madame, quand on doit tout à la nature, c’est l’art seul qui peut nuire, et je ne vous trouverai que trop charmante dans l’heureux désordre du matin.--Vous croyez?... Moi j’en doute et j’exige pour prix de ma complaisance que vous me disiez, sans déguisement, si je perds beaucoup à me laisser voir sans parure; venez sur les dix heures, mes lettres seront prêtes. Un coup d’œil d’intelligence dont elle accompagna ce propos remplit mon cœur de l’espoir le plus doux. Le lendemain, ponctuel au rendez-vous, j’arrive, je m’adresse à Marton, sa suivante, pour être introduit.--Madame, me dit-elle, n’a pas dormi de la nuit, elle a eu une migraine affreuse, elle est encore couchée.--Dieux! m’écriai-je, encore couchée, une migraine, quel contre-temps, je m’étais flatté du bonheur de la voir.--Elle s’en flattait aussi.--Et il faut que je me retire...--Je ne dis pas cela; si vous voulez monter, vous êtes le maître, mais ne faites pas de bruit, parlez bas, de peur d’ébranler sa tête. Alors elle sort, je la suis et je monte sur la pointe du pied; elle ouvre la chambre de sa maîtresse, m’introduit, se retire et emporte la clef. A la faible clarté que laissaient pénétrer les persiennes aux trois quarts fermées, j’aperçus la belle Adèle, mollement étendue sur un lit élégant; un corset négligemment noué par une échelle de rubans gris de lin renfermait à demi la neige élastique de son sein, son mouchoir transparent, dérangé par les mouvements de la nuit, laissait voir une fraise vermeille; des cheveux s’échappant de dessous un bonnet en dentelle tombaient en boucles flottantes sur son cou d’ivoire, avec lequel leur couleur d’ébène contrastait merveilleusement; une légère couverture de soie avec draps de Frise, se collant sur son beau corps, en dessinaient les agréables contours. Je m’approchai d’elle avec tout l’empressement de l’amour et de la timidité qu’inspire le respect (j’étais novice encore).--Ah! c’est vous, monsieur, me dit-elle d’une voix qu’elle s’efforçait de rendre faible; convenez que j’ai bien peu de coquetterie de vous recevoir dans l’état d’abattement où je me trouve.--Ah! madame, il ajoute le plus vif intérêt à l’ivresse que vos charmes sont sûrs d’inspirer.--Vous me flattez, voyez comme j’ai les yeux battus; je saisis sa main que je couvris de baisers, et fixant ses yeux soi-disant battus: Ce n’est pas le cas, lui dis-je, où les battus payent l’amende, mon cœur qu’ils ravissent en est la preuve, et je dérobai un baiser.--Finissez donc, monsieur, n’abusez pas de la confiance que j’ai dans votre sagesse, et elle se débattit avec une charmante maladresse qui me découvrit de nouveaux charmes.--Si quelqu’un entrait, qu’est-ce qu’on penserait. Marton! Marton! Comment, elle n’est pas là?... elle est redescendue! l’imprudente... mais si quelqu’autre... elle a emporté la clef. Ah! comme je la gronderai!... quelle idée lui a pris! en vérité, elle me met dans une position bien étrange.--Elle vous met à même de me rendre le plus heureux des hommes, si vous êtes sensible à l’amour le plus tendre; et je voulus prendre quelques libertés.--Ah! monsieur, il serait atroce d’abuser de la faiblesse où me jette ma migraine; je suis presque mourante, et vous... Laissez-moi donc, je sens bien votre main.--Oh! l’heureuse migraine! qu’elle vous sied bien! elle ajoute encore à votre fraîcheur.--Ah! quelle audace! je suis presque toute découverte... Non, monsieur, arrêtez... je ne suis pas femme à souffrir... Je n’écoutais plus rien et mes mains actives parcouraient les plus rares trésors; j’avais déjà un genou dans le lit et j’allais m’élancer pour le partager avec elle quand, me repoussant et se retournant vivement, elle saisit le cordon de la sonnette; effrayé et craignant de l’offenser, je fis un saut du lit à la cheminée pour réparer le désordre de ma toilette, en cas que ses gens arrivassent, et je proférai, selon l’usage, les mots d’ingrate, de cruelle, etc., quand, partant d’un éclat de rire, elle dit: Bon, je suis sauvée, il ne sait pas que ma sonnette est rompue. Je ne fis qu’un saut pour aller reprendre ma place dans le lit: elle ne fit plus de résistance que pour la forme. Aurore Nous applaudîmes au récit de Valbouillant, et ils exaltèrent sa valeur; la signora Magdalani lui demanda quelles limites il croyait qu’on devait fixer aux exploits amoureux.--Je ne puis les assigner avec précision, et des traits comme les vôtres sont bien faits pour les reculer.--Cela est bien honnête, mais quel est le plus grand effort que vous ayez fait?--C’est à Bruxelles, dit-il, je revenais de l’armée, j’avais fait une longue abstinence, et je m’adressai à un honnête domestique de louage, qui m’avait servi de bonneau, lors de mon dernier voyage; il me fit connaître une danseuse, nommée Aurore, qui ne pouvait pas me recevoir chez elle, étant entretenue par un vieil officier autrichien fort jaloux, mais qui vint souper avec moi chez un traiteur. Nous n’avions pour meuble qu’un grand fauteuil à crémaillère, comme il s’en trouve quelquefois dans les corps de garde; je convins de deux louis pour la soirée; nous fîmes un assez bon repas, on nous servit plat à plat et nous faisions un entr’acte sur le fauteuil à chaque mets qu’on nous enlevait, et en quatre heures et demie nous avions mangé neuf plats et aucun entr’acte n’avait manqué; aussi la généreuse fille voulait-elle me rendre mon argent. L’évêque s’écria: Voilà le désintéressement le plus marqué ou le triomphe du tempérament sur l’avarice; il contraste merveilleusement avec le désespoir de la vieille Sara.--La grosse marchande de plaisir? dit Valbouillant.--Précisément. Le Chien après les Moines ... Chacun se plaint, et c’est avec raison, Que vous allez de maison en maison Non pas pour exhorter à la gloire éternelle, Mais bien pour y guetter quelque jeune pucelle Douce, simple, innocente et parfaite à ces jeux Où brille tout l’éclat de vos célestes feux; Si par hasard un minois agréable S’offre à vos yeux sous un aspect aimable, Dieu! quels ressorts n’employez-vous donc pas, Pour conquêter tant de brillants appas? D’abord vous ne parlez que vertu, que sagesse, Vous traitez d’odieux le beau nom de tendresse; Vous ne savez prêchez que la gloire du ciel Et le détachement de tout bien temporel. En peu de temps, la jeune et tendre Élise Auprès de vous se familiarise. Parler toujours du ciel, l’insipide propos! A l’esprit il faut bien donner quelque repos. Après le ciel advient la bagatelle, Conte du jour, histoire ou bien nouvelles; Satan, la chair, sont un peu plus parlans, Et l’on en vient à des discours galans: On fait jouer un coup d’œil, un sourire, En silence on exprime un mutuel martyre: On gémit à l’envie, l’on dévoile ses feux, On n’a plus tant d’horreur pour un froc odieux. Élise dit tout bas: Dans le fond, c’est un homme, Tout aussi bien mâté qu’un cardinal de Rome; Que m’importe après tout? il paraît très charmant. Fin matois, vous savez bien connaître l’instant Et monter le cadran sur cette heure fatale Où Florinde perdit sa vertu de vestale. Oui, c’en est bien fait, Élise est donc perdue enfin; De sage qu’elle était, elle devint catin. Une famille en pleurs gémit et se désole; Et tandis qu’en secret le plaisir vous console, Vous savez vous moquer et du qu’en dira-t-on, De tous les bruits publics et du mauvais renom. Élise cependant met son poupon au monde, Tout prêt à recevoir la formule de l’onde; Ses larmes et ses cris marquent son repentir. Après la rose vient l’épine du plaisir. Parens, amis, voisins et toute la sequelle Sont bientôt informés de la triste nouvelle; On entend un bruit sourd; chacun se dit tout bas: Hélas! est-ce bien sûr? Qui donc a fait ce cas? Élise paraissait accomplie de sagesse Et même haïssait jusqu’au nom de tendresse; Assidue à l’église, aux offices divins, Elle portait au ciel des regards si bénins! Point d’amans fréquentés, point d’intrigante allure Capable à l’engager à ce fait de nature. Pauvre Élise, qui donc a pu vous culbuter? Attendez, dit quelqu’un: je m’en vais deviner. Ce gros père Lucas, à la joue boursouflée, Chez elle allait souvent passer une soirée. Oh! le fait est certain: c’est ce rusé frocard Qui son futur mari d’avance a fait cornard. Ne vous y frottez pas; car une robe noire En sait souvent plus long que son simple grimoire... Le Rideau levé ou l’Éducation de Laure L’Enfance de Laure Je sortais de ma dixième année; ma mère tomba dans un état de langueur qui, après huit mois, la conduisit au tombeau. Mon père, sur la perte duquel je verse tous les jours les larmes les plus amères, me chérissait: son affection, ses sentiments si doux pour moi se trouvaient payés, de ma part, du retour le plus vif. J’étais continuellement l’objet de ses caresses les plus tendres; il ne se passait point de jour qu’il ne me prît dans ses bras et que je ne fusse en proie à des baisers pleins de feu. Je me souviens que ma mère lui reprochant un jour la chaleur qu’il paraissait y mettre, il lui fit une réponse dont je ne sentis pas alors l’énergie, mais cette énigme me fut développée quelque temps après: «De quoi vous plaignez-vous, madame? Je n’ai point à en rougir: si c’était ma fille, le reproche serait fondé; je ne m’autoriserais pas même de l’exemple de Loth; mais il est heureux que j’aie pour elle la tendresse que vous me voyez: ce que les conventions et les lois ont établi, la nature ne l’a pas fait; ainsi, brisons là-dessus...» Cette réponse n’est jamais sortie de ma mémoire. Le silence de ma mère me donna dès cet instant beaucoup à penser sans parvenir au but; mais il résulta de cette discussion et de mes petites idées que je sentis la nécessité de m’attacher uniquement à lui, et je compris que je devais tout à son amitié. Cet homme, rempli de douceur, d’esprit, de connaissances et de talents, était formé pour inspirer le sentiment le plus tendre. J’avais été favorisée de la nature: j’étais sortie des mains de l’amour. Le portrait que je vais faire de moi, chère Eugénie, c’est d’après lui que je le trace. Combien de fois m’as-tu redit qu’il ne m’avait point flattée: douce illusion dans laquelle tu m’entraînes, et qui m’engage à répéter ce que je lui ai entendu dire souvent! Dès mon enfance, je promettais une figure régulière et prévenante; j’annonçais des grâces, des formes bien prises et dégagées, la taille noble et svelte; j’avais beaucoup d’éclat et de blancheur. L’inoculation avait sauvé mes traits des accidents qu’elle prévient ordinairement; mes yeux bruns, dont la vivacité était tempérée par un regard doux et tendre, et mes cheveux, d’un châtain cendré, se mariaient avantageusement. Mon humeur était gaie, mais mon caractère était porté, par une pente naturelle, à la réflexion. Mon père étudiait mes goûts et mes inclinations: il me jugea; aussi cultivait-il mes dispositions avec le plus grand soin. Son désir particulier était de me rendre vraie avec discrétion; il souhaitait que je n’eusse rien de caché pour lui: il y réussit aisément. Ce tendre père mettait tant de douceur dans ses manières affectueuses, qu’il n’était pas possible de s’en défendre. Ses punitions les plus sévères se réduisaient à ne me point faire de caresse, et je n’en trouvais point de plus mortifiantes. Quelque temps après la perte de ma mère, il me prit dans ses bras: «Laurette, ma chère enfant, votre onzième année est révolue; vos larmes doivent avoir diminué, je leur ai laissé un terme suffisant; vos occupations feront diversion à vos regrets: il est temps de les reprendre.» Tout ce qui pouvait former une éducation brillante et recherchée partageait les instants de mes jours. Je n’avais qu’un seul maître, et ce maître c’était mon père: dessin, danse, musique, science, tout lui était familier. Il m’avait paru facilement se consoler de la mort de ma mère: j’en étais surprise, et je ne pus enfin me refuser de lui en parler: «Ma fille, ton imagination se développe de bonne heure; je puis donc dès à présent te parler avec cette vérité et cette raison que tu es capable d’entendre. Apprends donc, ma chère Laure, que dans une société dont les caractères et les humeurs sont analogues, le moment qui la divise pour toujours est celui qui déchire le cœur des individus qui la composent et qui répand la douleur sur l’existence: il n’y a point de fermeté ni de philosophie, pour une âme sensible, qui puisse faire soutenir ce malheur sans chagrin, ni de temps qui en efface le regret; mais quand on n’a pas l’avantage de sympathiser les uns avec les autres, on ne voit plus la séparation que comme une loi despotique de la nature à laquelle tout être vivant est soumis. Il est d’un homme sensé, dans une circonstance pareille, de supporter comme il convient cet arrêt du sort, auquel rien ne peut le soustraire, et de recevoir avec sang-froid et une tranquillité modeste, absolument dégagée d’affection et de grimaces, tout ce qui le soustrait aux chaînes pesantes qu’il portait. «N’irai-je pas trop loin, ma chère fille, si dans l’âge où tu es, je t’en dis davantage? Non, non, apprends de bonne heure à réfléchir et à former ton jugement, en le dégageant des entraves du préjugé dont le retour journalier t’obligera sans cesse d’aplanir le sillon qu’il tâchera de tracer dans ton imagination. Représente-toi deux êtres opposés par leur humeur, mais unis intimement par un pouvoir ridicule, que des convenances d’état ou de fortune, que des circonstances qui promettaient en apparence le bonheur ont déterminés ou subjugués par un enchantement momentané, dont l’illusion se dissipe à mesure que l’un des deux laisse tomber le masque dont il couvrait son caractère naturel: conçois combien ils seraient heureux d’être séparés. Quel avantage pour eux s’il était possible de rompre une chaîne qui fait leur tourment et imprime sur leurs jours les chagrins les plus cuisants, pour se réunir à des caractères qui sympathisent avec eux! Car, ne t’y trompe pas, ma Laurette, telle humeur qui ne convient pas à tel individu s’allie très bien avec un autre, et l’on voit régner entre eux la meilleure intelligence, par l’analogie de leurs goûts et de leur génie; en un mot, c’est un certain rapport d’idées, de sentiments, d’humeur et de caractère qui fait l’aménité et la douceur des unions, tandis que l’opposition qui se trouve entre deux personnes, augmentée par l’impossibilité de se séparer, fait le malheur et aggrave le supplice de ces êtres enchaînés contre leur gré.--Quel tableau! quelles images! Cher papa, tu me dégoûtes d’avance du mariage. Est-ce là ton but?--Non, ma chère fille: mais j’ai tant d’exemples à ajouter au mien que j’en parle avec connaissance de cause, et pour appuyer ce sentiment si raisonnable, et même si naturel, lis ce que le président de Montesquieu en dit dans ses _Lettres persanes_, à la cent douzième. Si l’âge et des lumières acquises te mettaient dans le cas de le combattre par les prétendus inconvénients qu’on voudrait y trouver, il me serait facile de les lever et de donner les moyens de les parer; je pourrais donc te rendre compte de toutes les réflexions que j’ai faites à ce sujet, mais ta jeunesse ne me met pas à même de m’étendre sur un objet de cette nature.» Mon père termina là. C’est à présent, tendre amie, que tu vas voir changer la scène. Eugénie! chère Eugénie! passerai-je outre? Les cris que je crois entendre autour de moi soulèvent ma plume, mais l’amour et l’amitié l’appuient: je poursuis. Quoique mon père fût entièrement occupé de mon éducation, après deux ou trois mois je le trouvais rêveur, inquiet: il semblait qu’il manquât quelque chose à sa tranquillité. Il avait quitté, depuis la mort de ma mère, le séjour où nous demeurions, pour me conduire dans une grande ville et se livrer entièrement aux soins qu’il prenait de moi; peu dissipé, j’étais le centre où il réunissait toutes ses idées, son application et toute sa tendresse. Les caresses qu’il me faisait, et qu’il ne ménageait pas, paraissaient l’animer; ses yeux en étaient plus vifs, son teint plus coloré, ses lèvres plus brûlantes. Il prenait mes petites fesses, il les maniait, il passait un doigt entre mes cuisses, il baisait ma bouche et ma poitrine. Souvent il me mettait totalement nue, et me plongeait dans un bain: après m’avoir essuyée, après m’avoir frotté d’essences, il portait ses lèvres sur toutes les parties de mon corps, sans en excepter une seule; il me contemplait; son sein paraissait palpiter, et ses mains animées se reposaient partout: rien n’était oublié. Que j’aimais ce charmant badinage et le désordre où je le voyais! mais au milieu de ses plus vives caresses, il me quittait et courait s’enfoncer dans sa chambre. Un jour, entre autres, qu’il m’avait accablée des plus ardents baisers, que je lui avais rendu par mille et mille aussi tendres, où nos bouches s’étaient collées plusieurs fois, où sa langue même avait mouillé mes lèvres, je me sentis tout autre. Le feu de ses baisers s’était glissé dans mes veines; il m’échappa dans l’instant où je m’y attendais le moins; j’en ressentis du chagrin. Je voulus découvrir ce qui l’entraînait dans cette chambre, dont il avait poussé la porte vitrée, qui formait la seule séparation qu’il y avait entre elle et la mienne. Je m’en approchai, je portai les yeux sur tous les carreaux dont elle était garnie, mais le rideau qui était de son côté développé dans toute son étendue, ne me laissa rien apercevoir, et ma curiosité ne fit que s’en accroître. Éducation Philosophique «Peux-tu concevoir, ma Laure, et fixer un point d’arrêt sur l’immensité dont notre globe est environné? Pousse-le aussi loin que ton imagination puisse l’étendre: à quelle distance inconcevable seras-tu encore du but! Que penses-tu qui remplisse cet espace immense? Des éléments dont la nature et le nombre sont et seront toujours inconnus; il est impossible de savoir s’il n’y en a qu’un seul dont les modifications présentent à nos yeux et à notre pensée ceux que nous apercevons, ou si chacun de ces éléments a une racine absolument propre, qui ne puisse être convertie en une autre. Dans une ignorance si parfaite de la nature des choses dont nous faisons tous les jours usage, il paraît ridicule que les hommes aient fixé le nombre de ces éléments: rien n’est plus digne de la sphère étroite de leurs idées, et néanmoins, à les entendre, il semble qu’ils aient assisté aux dispositions de l’Ordonnateur éternel. Mais enfin, qu’ils soient un ou plusieurs, l’assemblage de leurs parties forme les corps et se trouve uni dans un nombre très multiplié de globules de feu et de matière qui paraît inerte aux yeux préoccupés. Que penses-tu donc de ces points de feu brillants, connus parmi nous sous le nom d’étoiles? Eh bien! ma fille, ce sont de vastes globes enflammés, semblables à notre soleil, établis pour éclairer, échauffer et donner la vie à une multitude de globes terrestres, peut-être chacun aussi peuplé que le nôtre. Quelques-uns ont cru qu’ils étaient placés là pour nous éclairer pendant la nuit; l’amour-propre leur fait rapporter tout à nous, afin que tout aille à eux. Et de quoi nous servent-ils, ces globes, quand l’air est obscurci par les nuages ou les vapeurs? La lune paraîtrait plutôt être destinée à cet office; elle nous éclaire dans l’absence du soleil, même à travers les parties nébuleuses qui couvrent souvent notre horizon, et cependant ce n’est pas là son unique destination: on ne peut même affirmer qu’elle n’est pas un monde dont les habitants doutent si nous existons et sont peut-être assez stupides pour se flatter de jouir seuls de la magnificence des cieux; peut-être aussi sont-ils plus pénétrants, plus ingénieux que nous, ou pourvus de meilleurs organes, et qu’ils savent juger plus sainement des choses. Les planètes sont des terres comme la nôtre, peuplées, sans doute, de végétaux et d’animaux différents de ceux que nous connaissons, car rien dans la nature n’est semblable. «Dans ce point de vue, et parmi cette infinité de boules de matières, que devient notre terre? un point qui fait nombre parmi les autres, et nous! fourmis répandues sur cette boule, que sommes-nous donc, pour être le type, le point central et le but où se rendent les prétendues vérités dont on berce l’enfance?» C’est à peu près ainsi que mon père tâchait chaque jour de tracer dans mon esprit des impressions de philosophie. Je lui demandais un jour: «Quel est cet Être créateur de tout, que je sentais mal défini dans les notions qu’on m’en avait données?» Il me dit: «Cet Être magnifique est incompréhensible: il est senti, sans être connu; c’est nos respects qu’il exige; il méprise nos spéculations. S’il existe plusieurs éléments, c’est de ses mains qu’ils sortent; il les a créés par la puissance de sa volonté, il est donc l’âme de l’univers; s’il n’existe qu’un élément, il ne peut être que lui-même. Connaissons-nous les bornes de son pouvoir? N’a-t-il pas pu dépendre de lui de se transformer dans la matière que nous voyons, dont nous ne connaissons ni la nature ni l’essence? Et ce qu’il a pu faire dans un temps, ne l’a-t-il pas pu de toute éternité? C’en est assez, ma chère enfant, pour le présent; quand tu seras dans un âge plus avancé j’écarterai de tout mon pouvoir les voiles qui couvrent la vérité.» Mon père se plaisait à me faire lire des livres de morale, dont nous examinions les principes, non sous la perspective vulgaire, mais sous celle de la nature. En effet, c’est sur les lois dictées par elle, et exprimées dans nos cœurs, qu’il faut la considérer. Il la réduisait à ce seul principe, auquel tout le reste est étranger, mais qui renferme une étendue considérable: _faire pour les autres ce que nous voudrions qu’on fît pour nous_, lorsque la possibilité s’y trouve, _et ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît_. Tu vois, ma chère, que cette science, dont on parle tant, n’est jamais relative qu’à l’espèce humaine, et si elle n’est rien en elle-même, au moins est-elle utile à son bonheur. Les romans étaient presque bannis de mes yeux, et il me faisait voir dans presque tous une ressemblance assez générale dans le tissu, les vues et le but, à la différence près du style, des événements et de certains caractères. Il y en avait cependant plusieurs qui étaient exceptés de cette règle; il me donnait volontiers ceux dont le sujet était moral. Peu des autres peignent les hommes et les femmes de leurs véritables couleurs: ils y sont présentés sous le plus bel aspect. Ah! ma chère, combien cette apparence est en général loin de la réalité: les uns et les autres, vus de près, quelle différence n’y trouve-t-on pas! Je puisais dans les voyageurs et dans les coutumes des nations un genre d’instruction qui me faisait mieux apprécier l’humanité en général, comme la société fait apercevoir les nuances des caractères. Les livres d’histoire, qui me rendaient compte des mœurs antiques et des préjugés différents qui tour à tour ont couvert la surface de la terre, étaient ma balance. Les ouvrages de nos meilleurs poètes formaient le genre amusant, pour lequel mon goût était le plus décidé et que j’inculquais avec empressement dans ma mémoire. Il me remit un jour entre les mains un livre qui venait de paraître, en me recommandant d’y réfléchir: «Lis, ma chère Laurette; cet ouvrage est la production d’un génie dont tu as lu presque tout ce qu’il a mis au jour et dont la mémoire possède plusieurs morceaux, qui unit un style élevé, élégant, agréable et facile, propre à lui seul, à des idées profondes. Zadig, paré de ses mains, t’apprendra, sous l’allégorie d’un conte, qu’il n’arrive point d’événements dans la vie qui soient à notre disposition. «De quelque aveuglement dont l’amour-propre et la vanité nous fascinent, sois assurée que pour un esprit attentif et réfléchi, il est d’une vérité palpable et constante que tout s’enchaîne afin de suivre un ordre fixé pour l’ensemble et pour chacun en particulier; des circonstances imprévues forcent les idées et les actions des humains; des raisons éloignées et souvent imperceptibles les entraînent dans une détermination qui, presque toujours, leur paraît volontaire; elle semble venir d’eux et de leur choix, tandis que tout les y porte sans qu’ils s’en aperçoivent. Ils tiennent même de la nature les formes, le caractère et le tempérament qui concourent à leur faire remplir le rôle qu’ils ont à jouer et dont toute la marche est dessinée d’avance dans les décrets du moteur éternel. «Si l’on peut prévoir quelques événements, ce n’est pas une perspicacité, une sagacité de vue sur la chaîne de ces circonstances qu’on ne peut cependant changer, et qui est d’une force irrésistible même pour ce qui constitue le malheur. Le plus sage est celui qui sait se prêter au cours naturel des choses. «Pour toi, ma chère Eugénie, ton esprit facile sait se plier à tout; ta docilité te rend heureuse et tu sais l’être malgré les entraves mises à ta liberté; tu savoures les plaisirs que tu inventes, sans t’inquiéter de ceux qui te manquent.» J’avançais en âge, et j’atteignis la fin de ma seizième année, lorsque ma situation prit une face nouvelle; les formes commençaient à se dessiner; mes tétons avaient acquis du volume; j’en admirais l’arrondissement journalier; j’en faisais voir tous les jours les progrès à Lucette et à mon papa; je les leur faisais baiser; je mettais leurs mains dessus et je leur faisais faire attention qu’ils les remplissaient déjà; enfin, je leur donnais mille marques de mon impatience: élevée sans préjugés, je n’écoutais, je ne suivais que la voix de la nature. Le Degré des Ages du Plaisir Tableau de Paris A mon arrivée dans la capitale, les suites funestes de la Révolution y avaient mis tout en désordre. Le peuple criait famine et les guinguettes étaient toujours remplies de la plus vile portion de la populace; les agioteurs et les infâmes vendeurs de la rue Vivienne rendaient le numéraire à un taux exorbitant, et des monceaux d’or roulaient sur des tapis verts dans les exécrables tripots que S. A. le duc d’Orléans tolérait dans l’enceinte du Palais-Royal. Les riches prélats ne respiraient que le sang et la vengeance, et les prêtres tartufes se faisaient un mérite d’obéir à la nécessité par intérêt. Les courtisanes publiques et les gourgandines, voyant baisser les actions, renchérissaient sur le luxe et n’en procédaient pas moins à vil prix à tous les actes de la lubricité. Enfin, Paris, lorsque j’y arrivai, était un mélange de bizarreries et de contradictions, un chaos qu’il était difficile de percer; tantôt ce monstre qu’on nomme aristocratie prenait le dessus, au moyen de quelques centaines d’hommes que la politique faisait égorger dans les garnisons du royaume; à son tour, le patriotisme prenait sa revanche en faisant décrocher les réverbères et en y substituant une victime pour éclairer la nation sur ses intérêts. Telle était la capitale lorsque j’y arrivai. Je m’y logeai rue Saint-Honoré, hôtel de Londres. Je ne connaissais pas encore cette espèce que l’on nomme raccrocheuse, et qui, le soir, dépouillées jusqu’à la ceinture, provoquent les passants en étalant aux yeux du public une volumineuse paire de tétons. Je me plaisais à examiner cette engeance maudite qui prostitue ses faveurs pour un morceau de pain; et cependant, tout en les blâmant, j’éprouvais des velléités; à leur air agaçant, je sentais que j’étais né pour le libertinage. J’avais quelques connaissances de jeunes militaires dans cette grande ville; après quelques visites de bienséance rendues, je ne m’occupai que de plaisirs, et mes nouveaux amis, tous aussi amateurs que je l’étais des orgies de Vénus impudique et de Bacchus, ne tardèrent pas à me proposer l’accomplissement de ce que je désirais avec tant d’ardeur, et me conduisirent au bordel. Je sentis d’abord quelque répugnance à me livrer aux caresses de ces prostituées messalines, mais bientôt ma honte s’évanouit et le plaisir l’emporta. J’y passais les jours et les nuits, tantôt dans les bras de l’une, tantôt dans les bras de l’autre. J’y appris beaucoup mieux que je ne l’avais fait avec Louison toutes les ressources de la lubricité, et je recevais ces leçons avec volupté. La Patronne Une des filles d’amour de la débauche fit un certain soir ma rencontre au Palais-Royal et me proposa de l’accompagner; je ne rebutai pas sa proposition et me laissai conduire dans le temple où les filles salariées par les libertins nationaux recueillaient l’argent des débauchés et leur donnaient à chacun de la marchandise pour leur offrande. Celle-ci, dont je me souviendrai jusqu’au dernier soupir de ma vie, avait, ainsi que la bien-aimée de mon cœur, le nom de Constance. Après avoir payé, suivant l’usage et le tarif du lieu, ma particulière me conduisit dans un appartement où je ne fus pas peu surpris de voir en relief le portrait de Mademoiselle d’Orléans actuelle. Je reculai de surprise et demandai à ma conductrice comment et par quel hasard le portrait de cette princesse figurait dans un bordel. «Tu t’en étonnes? me dit-elle; eh! c’est la plus ardente sectatrice de nos plaisirs, non pour la prostitution, sa belle âme en est incapable, mais depuis que Son Altesse lui a fait apprendre, par motif de récréation indigne du sang des Bourbons, à danser sur la corde, elle est devenue le modèle de toutes les femmes du haut style de la capitale; toutes ont voulu apprendre ce grand art que le fameux Placide enseigna au comte d’Artois, et nous autres, reléguées dans les classes des filles publiques, nous la regardons et la chérirons toujours comme notre patronne pour les tours de reins et sa souplesse des jarrets. Le fait est si certain qu’au moyen de l’écu de six francs que tu as donné à la révérende maquerelle de ce lieu, je vais, pour ton argent et tout réjouissant du souverain plaisir, t’apprendre à faire des tours de force.» Je conçus, à l’exposé de cette courtisane, qu’elle me réservait à de nouveaux passe-temps; je me laissai conduire sur le trône destiné à la célébration de ces plaisirs, dont le genre était inconnu pour moi, et je ne tardai pas à en faire l’épreuve. LES TROIS MÉTAMORPHOSES _Conte en vers et en prose pour servir de supplément au_ Degré des Ages PAR LE MÊME AUTEUR _Bagatelle à l’ordre des temps._ Je veux chanter dans ce conte gaillard Du plus affreux trio toute la turpitude, Et sans choisir mes portraits au hasard, Les peindre au naturel, en faire mon étude; Dévoiler les plaisirs de trois membres choisis. Dans ces sérails charmants du centre de Paris, Oui, c’est toi que j’invoque, ô mon aimable muse! Dans ce moment je te prends pour plastron; Et si ton art charmant à ma voix se refuse, Je t’appréhende et te saisis au c... Pardon, lecteurs scrupuleux, je n’écris pas pour vous, renfermés dans la classe des citoyens qui ne s’occupent qu’à méditer les prodiges étonnants de notre révolution française; vous n’accordez plus d’instants au plaisir; sourds à sa voix, vous voyez avec indifférence ces jeunes et jolies républicaines qui, rangées en haie sous les galeries et aux entresols du palais Égalité, qui, par maintes et maintes provocations lascives et libertines, veulent s’assurer de vos sens, de votre bourse et jouir du bénéfice du marché; le prix de leurs faveurs est le pot-de-vin de leurs grâces. Mais c’est à vous que je m’adresse, Charmants roués, grands libertins, Blâmerez-vous que mon cœur s’intéresse Au jeu plaisant d’une tendre catin? A ces transports d’un prélat d’Église, Aux faits galants d’un trop épais robin, Je ne le puis consultant ma franchise Tout y joignant l’anspessade _Jobin_. Je viens à mon fait et vais vous raconter comment la déesse de la lubricité elle-même sut punir, dans un de ces asiles consacrés aux tendres mystères, un prélat hypocrite, qui, interprétant les décrets du Ciel à sa guise, rangeait les courtisanes de la capitale au nombre des houris, que l’un de nos imposteurs en matière de religion, le sublime Mahomet, avait placées dans son paradis pour la joie des fidèles croyants. A ce tableau joindre mon militaire, Qui, toujours leste, alerte et bien fringant, Baisant partout et sans donner d’argent, Du doux plaisir faisait sa seule affaire. Au rabat empesé, vous connaîtrez le drille, Qui, dans ce lieu, pour un petit écu, Visitait le v...n d’une agréable fille, En se nommant le magistrat cocu. Mes trois personnages, travestis à qui mieux mieux, et désirant en eux les feux de la paillardise, un jour de calme et de tranquillité, se rendirent dans un temple devenu l’un des mieux famés de Paris en même temps que le mieux fourni; les brunes et les blondes s’y trouvaient rassemblées, tous les désirs s’y trouvaient satisfaits, depuis ceux de l’évêque mitré jusqu’à ceux de l’indigent et brave sans-culotte. Ce fut chez vous, ô digne pourvoyeuse, Belle _Desglands_[147], qu’une rage amoureuse Amena ce trio guidé par le plaisir Et dont un joli cul enchaînait le désir. A leur accoutrement, qui les aurait Pris d’abord, l’un pour _Machault_, Ci-devant évêque d’Amiens, et maintenant Aumônier du diable, moi seul sans Doute qui sait qu’il n’est pas étonnant Qu’un prêtre délivré de l’emploi, de l’autel, De l’église, n’ait fait qu’un saut jusqu’au bordel. L’autre était _Montesquiou_, bien mince général, Ce coquin renommé qui nous fit tant de mal, Et le tiers un rabat de chicane encroûtée, Tourment de la vertu souvent persécutée, C’était _Janson_, ce conseiller fameux, L’opprobre de la terre et l’effroi des neveux, Qui, du lâche produit de ses fortes épices, Du palais au boucan gagnait des chaudes-pisses; Muse! aide à ma prose, je t’ai dépeint mes Personnages; voyons comment ils se tireront Maintenant de leur équipée scandaleuse, Et comment ces trois gueux de crimes revêtus Ont pratiqué les vices en jouant les vertus. _Machault_, _Montesquiou_ et _Janson_ furent donc chez la _Desglands_ demander chacun une fille: Julie Desbois, Dorothée de Ginville et Elisabeth la Comtoise furent destinées à passer en campagne avec ses messieurs. _Janson_ parla procès et _Montesquiou_ combats, Mais pour bien terminer tous ces affreux débats, L’hypocrite _Machault_ obtient la préférence; On sait que d’un prélat c’est la prééminence. Julie Desbois lui appartient; mais ô triomphe de l’Eglise! au moment que le ci-devant évêque d’Amiens s’apprêtait à engainer son mou et flasque outil, il resta court, et ma Julie lui dit: Je salue maintenant votre sage Éminence; En très bonne putain j’offre ma révérence. Ginville présenta son énorme v...n A ce traître soldat, qui des bords d’outre-Rhin, De nos républicains n’embrassa point l’injure Et n’agit que d’après la plus lâche imposture. _Montesquiou_ resta là. Ce membre superbe, qui apaise la femme la plus acariâtre, fut sans effet; deux courtisanes délaissées, deux personnages _à quia_; que devint le troisième? C’est _Janson_ que je vous mets en scène: Je viens baiser, dit-il, au nom du Parlement, Et prends sur moi les frais de cet évènement. Si sur cet exposé un lâche peuple glose, J’en appelle au Sénat, et lui seul en impose. Souveraine protectrice de plaisirs, éloigne-toi du local de la _Desglands_; ta présence y serait outragée; un prêtre, un général y ont.....; un magistrat a couronné l’œuvre. Comment réparer cet outrage, consommé pour ton culte? Mais qu’entends-je? La paillasse s’agite, le ciel du lit s’écroule: Et le bidet casse en plus de mille éclats, Faire taire le robin et le dieu des combats. Le prélat s’agenouille et marmotte une excuse, Soutient qu’il n’a pas tort, que du lieu c’est la ruse, Que l’on peut enfin, fier du droit de l’autel, Bénir une putain, fût-ce même au bordel. Mais qui apparaît à mes regards? C’est la lubricité; elle fixe un œil de courroux sur le triumvirat. Calotte détestable, s’écrie-t-elle dans l’excès de sa rage, atome décoré d’un hausse-col, et toi, vil organe des lois, relégué dans la poussière des bancs de la grande salle, il est temps que ma vengeance éclate: Tous trois, rebut affreux des sinistres destins, Vous êtes dédaignés par de viles putains. Je saurai me venger de cet affront infâme, Je le dois à mon sexe, en un mot, je suis femme; Il est temps que l’amour vous donne une leçon, A la lubricité, reconnaissez mon c... A genoux et la bouche béante, les trois mirliflors se turent et la lubricité continua: Vous, prêtre, président; toi, lâche, reste là, Je vais me préparer à toute ma vengeance Sans que le moindre mot serve à votre défense. D’une tête de chien maintenant bien parés, De tous vos partisans vous serez exécrés, Et pour mieux vous punir, de tous vos attributs, Lâches profanateurs, vous serez revêtus. O merveille! de trois têtes je n’en vis plus qu’une, et les plus laids museaux remplacèrent les visages de _Machault_, de _Montesquiou_ et de _Janson_. Je m’écriai alors: _Ecce homines._ Tout confus et aboyants, ils abandonnèrent ce lieu de prostitution; mais leur nouvelle caricature, gravée et répandue dans le public, dira à l’amateur: Tels sont nos traits fidèles. NOTES [1] _Lettres originales de Mirabeau écrites du donjon de Vincennes pendant les années 1777-78-79-80, contenant tous les détails sur sa vie privée, ses malheurs et ses amours avec Sophie Ruffei, marquise de Monnier, recueillies par P. Manuel, citoyen français. A Paris, chez I. B. Garnery, 1793, an 3e de la liberté._ 4 tomes in-8º. PAUL COTTIN.--_Sophie de Monnier et Mirabeau, d’après leur correspondance secrète inédite (1775-1789), avec trois portraits, dont un en héliogravure d’après Heinsius, deux fac-similés d’autographes, une table déchiffrante et un plan du couvent des Saintes-Claires de Gien. Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1903._ CCLX-282 p. in-8º. [2] Ils étaient parents par les femmes. [3] M. de Railli était détenu à Pierre-Encize, près de Lyon. [4] Voir _l’Amateur d’autographes_, mars 1909. [5] M. de Rougemont, gouverneur du château de Vincennes. [6] A cause de leur parenté. [7] C’est au deuxième volume de cette publication que se trouve le portrait de Sophie. Elle était grande, forte, brune, aux yeux noirs. On ne connaît que deux portraits authentiques de la comtesse de Monnier; celui-ci et un autre qui la représente entre 30 et 35 ans. Il fut peint par Jean-Jules Heinsius. L’estampe d’Antoine Borel, dans le tome II de la traduction de Tibulle, est «comme celui d’Heinsius, dit M. Paul Cottin (_loc. cit._), conforme aux signalements remis à la police, et Mme Callier, fille du docteur Ysabeau, récemment décédée, tenait de son père qu’il offre exactement les traits de Sophie à vingt ans». [8] _Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres_, par Bachaumont, Pidanzat de Mairobert, Moufle d’Angerville et autres. T. XXVIII, p. 16. [9] Poème de Charles Borde tiré de la _Novella de l’Angelo Gabrielle_. [10] _Et t’ôter à l’avenir l’original, ce serait l’interrompre pour longtemps._ Cette phrase est obscure. Elle a toujours été supprimée par les commentateurs, qui ont souvent cité cette lettre d’après le recueil de _Lettres originales de Mirabeau_, publié par Manuel. [11] _Bibliographie des ouvrages relatifs à l’amour, aux femmes et au mariage, etc., par M. le Cte d’I... 4e édition revue par J. Lemonnyer._ Tome II, Lille, 1895. [12] La construction de cette phrase la rend équivoque, et sans doute à dessein. Quel qu’il pût être, le chevalier de Pierrugues en avait de bonnes. [13] Voici la bibliographie de cet ouvrage: _Mylord Arsouille ou les Bamboches d’un gentlemen._ Cologne, 1789. _Mylord Arsouille ou les bamboches d’un gentleman._ _A Bordel-Opolis, chez Pinard, rue de la Motte_, 1789 (Paris, après 1833), avec 5 gravures libres et l’épigraphe: _Vive le plaisir de la couille, Dit Mylord Arsouille. Je veux sagement, amis, filer mes jours Entre le vin, les chevaux, les amours; Je dois ces goûts à la nature; J’aime, je bois, je change de monture._ _Mylord Arsouille_, etc. Réimpression de l’édition précédente (vers 1855), avec 5 lithographies libres. _Mylord ou les Bamboches d’un gentleman, imprimé sur la copie de Cologne, 1789, à Lausanne, chez Quakermann cette présente année_ (vers 1870), avec sur le verso de la page de garde l’épigraphe un peu différente: _Vive le plaisir de la couille, Disait Mylord Arsouille. Je veux sagement, mes amis, filer mes jours Entre le vin, les chevaux, les amours: Je dois ces goûts à la nature; J’aime, je bois, je change de monture._ _Mylord Arsouille_, etc. Rotterdam, vers 1906, avec à la fin un important catalogue d’ouvrages libres. [14] Qui se trouve après la satire. [15] Le titre de cet ouvrage ne sera pas intelligible à tous les lecteurs, et plusieurs ne lui trouveront aucun rapport avec le sujet. Néanmoins un autre n’aurait pu lui convenir; et si nous l’avons laissé en grec, on en devinera aisément la raison. (Note de l’éd. de l’an IX.) [16] La nomenclature en est tout au moins curieuse. _Académiciens de Bologne._ Abbandonati, Ansiosi, Ociosi, Arcadi, Confusi, Difettuosi, Dubbiosi, Impatienti, Inabili, Indifferenti, Indomiti, Inquieti, Instabili, Della Notte Piacere, Sienti, Sollonenti, Torbidi, Vespertini. _De Gênes._ Accordati, Sopiti, Resvegliati. _De Gubio._ Addormentati. _De Venise._ Acuti, Allettati, Discordanti, Disgiunti, Disingannati, Dodonci, Filadelfici, Incruscabili, Instancabili. _De Rimini._ Adagiati, Eutrupeli. _De Pavie._ Affidati, Della Chiave. _De Ferma._ Raffrontati. _De Molise._ Agitati. _De Florence._ Alterati, Humidi, Furfurati, Della Crusca, Del Cimento, Infocati. _De Crémone._ Animosi. _De Naples._ Arditi, Infernati, Intronati, Lunatici, Secreti, Sirenes, Sicuri, Volanti. _D’Ancôme._ Argonauti, Caliginosi. _D’Urbin._ Assorditi. _De Pérouse._ Atomi, Eccentrici, Insensati, Insipidi, Unisoni. _De Tarente._ Audaci. _De Macerata._ Catenati, Imperfetti, Chimerici. _De Sienne._ Cortesi, Giovali, Prapussati. _De Rome._ Delfici, Humoristi, Lincei, Fantastici, Negletti, Illuminati, Incitati, Indispositi, Infecondi, Melancholici, Notti, Vaticane, Notturni, Ombrosi, Pelligrini, Sterili, Vigilanti. _De Padoue._ Delii, Immaturi, Orditi. _De Drepano._ Difficilli. _De Bresse._ Dispersi, Erranti. _De Modène._ Dissonanti. _De Syracuse._ Ebrii. _De Milan._ Eliconii, Faticosi, Fenici, Incerti, Miscosti. _De Recannati._ Disuguali. _De Candie._ Extravaganti. _De Pezzaro._ Eterocliti. _De Commachio._ Flattuanti. _D’Arezzo._ Forzati. _De Turin._ Fulminales. _De Reggio._ Fumosi, Muti. _De Cortone._ Humorosi. _De Bari._ Incogniti. _De Rossano._ Incuriosi. _De Brada._ Innominati, Tigri. _D’Acis._ Intricati. _De Mantoue._ Invaghiti. _D’Agrigente._ Mutabili, Offuscati. _De Verone._ Olympici, Unanii. _De Viterbe._ Ostinati, Vagabondi. Si quelque lecteur est curieux d’augmenter cette nomenclature, il n’a qu’à lire un ouvrage de Jarckius, imprimé à Leipsic en 1725. Cet auteur n’a écrit l’histoire que des académies de Piémont, Ferrare et Milan. Il en compte vingt-cinq dans cette dernière ville seulement. La liste des autres est sans fin, et leurs noms tous plus bizarres les uns que les autres. [17] Act. ap. 8, 39. _Spiritus Domini rapuit Philippum, et amplius non vidit eunuchus._ [18] Daniel, chap. XIV, v. 32. _Erat autem Habacuc prophæta in Judæa, et ipse coxerat pulmentum... Et ibat in campum ut ferret messoribus._ 33. _Dixit que angelus Domini ad Habacuc: fer prandium quod habes in Babylonem Danieli._ 35. _Et apprehendit eum angelus Domini in vertice ejus, et portavit eum_ capillo _capitis sui, posuit que eum in Babylone._ Isaac Le Maître de Saci a traduit _capillo_ par _les cheveux_. Luther met _oben beym schopff_; ce qui est la même faute. Car le miracle est plus grand d’avoir transporté Habacuc par _un cheveu_ que par _les cheveux_; mais dans tous les cas, le voyage est leste. [19] Maccab. l. I, c. I, v. 16. _Et fecerunt sibi præputia_,--Ce qu’Isaac Le Maître de Saci traduit: _Ils ôtèrent de dessus eux les marques de la circoncision._ Les Septante disent tout simplement: _Ils se sont fait des prépuces._ Les Pères ont ainsi traduit. Mais depuis que les Jansénistes ont paru, ils ont prétendu qu’on ne pouvoit pas mettre les prépuces dans la bouche de jeunes filles lorsqu’on leur faisoit réciter la Bible. Les Jésuites ont soutenu, au contraire, que c’étoit un crime que d’en altérer un seul mot. Le Maître de Saci a donc périphrasé, et le père Berrhuyer a accusé Saci d’hérésie, et prétendu qu’il avoit suivi la Bible de Luther. En effet, Luther dans sa Bible se sert du mot _beschneidung_. _Und hielten die beschneidung nicht mehr._ 1 2 3 4 5 6 Et ont gardé la coupure point davantage. 1 2 3 4 5 6 Luther, en effet, a mal interprété. Le miracle, de quelque manière que l’on traduise, étoit de se faire un prépuce. Or la chose est en vérité miraculeuse dans le texte des Septante, et ne l’est pas autant dans la version des jansénistes. [20] Rois, liv. VII, chap. VI, v. 17. _Hi sunt autem ani aurei quos reddiderunt pro dilecto domino._ [21] Je ne doute pas que quelque demi-savant, ou quelque critique obstiné, ne trouve, dans la suite de cette notice, Shackerley beaucoup plus savant en astronomie que ne le comporte le costume d’un ouvrage contemporain d’Herculanum. Mais je le prie d’observer: 1º que l’Anagogie est une révélation faite par Jérémie Shackerley, tout comme... Ah! oui: tout comme S. Jean a écrit l’Apocalypse dans l’isle de Pathmos. 2º Que personne dans Herculanum n’a pu rien comprendre à ce manuscrit, écrit bien avant la venue de J.-C. comme nous n’entendons rien à la bête de l’Apocalypse qui a 666... sur le front (II), ornement qui serait singulier même pour un mari françois; ce qui ne détruit point du tout l’authenticité de notre manuscrit. 3º Qu’on n’a qu’à lire l’histoire incontestable de l’astronomie antédiluvienne, par M. Bailly, pour se convaincre que Shackerley pouvoit savoir tout ce qu’il paroît avoir su..... Enfin je déclare que pour trente-six mille raisons, un peu trop longues à déduire, douter de Jérémie Shackerley, c’est mériter un auto-da-fé. [22] En effet, comme le remarque l’illustre M. d’Alembert, d’après l’ingénieux et quelquefois sublime Diderot, quelle finesse d’idées n’a-t-il pas fallu pour y parvenir? L’aveugle n’a de connoissance que par le tact; il sait qu’on ne peut voir son visage quoiqu’on puisse le toucher. «La vue, conclue-t-il, est donc une espèce de tact qui ne s’étend que sur les objets différens du visage et éloignés de nous.» Le tact ne lui donne en outre que l’idée du relief. Donc un miroir est _une machine qui nous met en relief hors de nous-mêmes_. Ces mots _en relief_ ne sont pas de trop. Si l’aveugle disoit, _nous met hors de nous-mêmes_, il diroit une absurdité de plus; car comment concevoir une machine qui puisse doubler un objet? Le mot _relief_ ne s’applique qu’à la surface; ainsi, nous mettre en relief hors de nous-mêmes, c’est mettre la représentation de la surface de notre corps hors de nous. Cette désignation est toujours une énigme pour l’aveugle; mais on voit qu’il a cherché à diminuer l’énigme le plus qu’il étoit possible. [23] Chap. II, v. 19. [24] Ibid., v. 20. [25] Telle est l’origine même du mot de narcisse, lequel vient de Ναρκὴ (narcè), _assoupissement_; de là le narcisse fut la fleur chérie des divinités infernales; de là vient aussi que l’on offroit anciennement les guirlandes de narcisse aux furies, parce qu’elles engourdissoient, _assoupissoient_ les scélérats. [26] _Salem, Piper, acorem respuebat. Mensæ vero accumbebat alternis semper pedibus sublatis._ Voyez _Elogium Thom. Sanchez_, imprimé à la tête de l’ouvrage _De matrimonio_. A Anvers, chez Murss, 1652, _in-folio_. Et si vous voulez avoir une idée des édifiantes questions qu’a agitées ce théologien, et bien d’autres, cherchez la vingt-unieme dispute de son second livre. [27] Il a publié séparément les fragments de Sapho, et les éloges qu’elle a reçus. [28] Gen., ch. II, v. 23. [29] Vira de vir. [30] L’allemand a conservé l’ancien rit dans _mannin_, qui vient de _mann_. _Mannin_ est le vira, et non le virago. _Man wird sie mannin heissen._ (Gen., II, v. 23.) [31] Elle étoit particulièrement honorée dans les Gaules et dans la Germanie sous le titre de Déesse-mere. [32] On retrouveroit dans l’antiquité beaucoup d’usages qui confirmeroient cette opinion. A Lacédémone, par exemple, quand on alloit consommer le mariage, la femme mettoit un habit d’homme, parce que c’est la femme qui met les hommes au monde. En Egypte, dans les contrats de mariages entre souverains, la femme avoit l’autorité du mari. (Diod. d. Sic., l. I, ch. XXVII), etc., etc. [33] On verra ci-après dans la _Linguanmanie_ des choses plus frappantes encore que les mœurs du peuple de Dieu que nous allons exposer. [34] Lév., ch. VIII, v. 24. [35] Ibid., ch. XII, v. 5. [36] Ibid., ch. XXII, v. 7. [37] Ibid., ch. XVIII, v. 7. [38] Idem, v. 9. [39] Id., v. 10. [40] Lév., chap. XVIII, v. 12. [41] Id., v. 15. [42] Id., v. 16. [43] Id., v. 17. [44] Id., v. 21. _De semine tuo non dabis idolo Moloch_, et ch. XX, v. 3: _Qui polluerit sanctuarium_. [45] Lév., ch. XVIII, v. 22. _Cum masculo coïtu fœmineo._ [46] Id., v, 23. _Omni pecore._ [47] _Mulier jumento._ Et l’on sait que dans l’Écriture sainte, _jumentum_ veut dire _bêtes d’aides_: _adjuvantes_: d’où jument. [48] Lévit., ch. XXI, v. 18. [49] Liv. VI, ch. IX. [50] Aux Cor., 6, 7, 8, 29. [51] Hypparchia, etc. [52] Écho. [53] Gen., ch. XXXVIII. [54] Celui qui avoit le ruban et sortit le second fut nommé Zara, qui veut dire Orient. [55] Saci, page 817, édit. in-8. [56] Le marquis de Santa-Crux, par exemple, commence son livre de l’Art de la guerre par dire: _que la première qualité indispensable à un grand général, c’est de savoir se br. le v._, parce que cela épargne dans une armée, et sur-tout dans une ville de guerre, tous les caquetages et perdre. [Il faut voir à propos de cette note la lettre à Sophie du 21 octobre 1780.] [57] Epig. 42, liv. IX. [58] Voyez l’Anélytroïde. [59] Lucian., t. I, dialog. deor. XV et 2. Diodor. Sic., l. IV, p. 352, éd. Westhling. [60] Dialog. Meret., V. [61] Ad Rom., cap. I. [62] Lib. IV, cap. XVI. [63] _Dii illas deæque male perdant! Adeo perversum commentæ genus impudicitiæ! Viros ineunt._ (Epist. XCV.) [64] Thelesyle, Amythone, Atthys, Anactorie, Cydno, Mégare, Pyrrine, Andromede, Mnaïs, Cyrine, etc. [65] On lisoit aux pieds de la statue de Sapho, par Silanion: _Sapho qui a chanté elle-même sa lubricité et qui fut amoureuse à la rage_. [66] _Vesta_ vient du grec et signifie _feu_. Les Chaldéens et les anciens Perses appelloient le feu _avesta_. Zoroastre a intitulé son fameux livre, _Avesta_, la garde du feu. La porte des maisons, l’entrée, s’est appellée _vestibule_, parce que chaque Romain avoit soin d’entretenir ce feu de vesta à la porte de sa maison. C’est de là sans doute que l’entrée du vagin s’appelle le vestibule du vagin, comme étant le lieu où s’entretient le premier feu de ce temple. [67] Je ne doute pas que quelque érudit ne me fasse ici plus d’une difficulté... Mais on n’auroit jamais fini s’il falloit répondre à tout. [68] On sent bien que la dignité de M. de Saint-Priest l’empêchera d’en convenir; et quelque littérateur encouragé par ce désaveu viendra me soutenir que ces vers sont tout simplement imités d’un passage de Sylva Nuptialis, de J. de Nevisan; et puis vite il citera le morceau. Le voici: _Triginta hæc habeat quæ vult formosa vocari Femina; sic Helenam fama fuisse refert, Alba tria et totidem nigra; et tria rubra puellæ, Tres habeat longas res totidem que breves, Tres crassas, totidem graciles, tria stricta, tot ampla, Sint ibidem huic formæ, sint quoque parva tria, Alba cutis, nivei dentes, albique capilli, Nigri oculi, cunnus, nigra supercilia. Labia, genæ atque ungues rubri. Sit corpore longa, Et longi crines, sit quoque longa manus, Sintque breves dentes, aures pes; pectora lata, Et clunes, distent ipsa supercilia. Cunnus et os strictum, stringunt ubi cingula stricta, Sint coxae et cullum vulvaque turgidula. Subtiles digiti, crines et labra puellis; Parvus sit nasus, parva mamilla, caput, Cum nullæ aut raro sint hæc formosa vocari, Nulla puella potest, rara puella potest._ Mais je le prie de me dire où est l’impossibilité que ces vers soient traduits en turc dans le serrail?... Enfin on ne dispute point contre les faits. [69] Et puis comment traduire en vers avec grace et noblesse, _cunnus_, _clunes_, _culus_, _vulva_? On auroit de la peine à s’en tirer dans un mauvais lieu. Mais l’amour veut être servi dans un temple. [70] La matrice. [71] Qui se douteroit, par exemple, que la chaleur de l’abeille est mille fois plus considérable que celle de l’éléphant? [72] Gen., XVII, 24. [73] Ex., IV, 25. [74] Lév., XIX, 23. [75] Deut., X. 13. [76] Josué, V, 3 et 7. [77] Reg., XVIII, 25. [78] Reg., XVIII, 27. [79] Reg., III, 14. [80] _Circumcisio fœminarum sit refectione τῆς νυμφῆς (imo clitoridis) quæ pars in australium mulieribus ita excrescit ut ferro sit coercenda._ [81] I Mac., ch. I, 16. _Fecerunt sibi preputia et recesserunt a testamento sancto._ [82] I Cor. VII, 18. [83] _De morb. biblic._ [84] La méthode en levrette. [85] Lév., ch. VI, 10. _Fœminalibus lineis._ [86] Reg., I, ch. XXIV, 4. _Erat quæ ibi spelunca quam impressus est Saül _ut purgeret ventrem_._ [87] Reg., 4, ch. XVIII, 27. _Comedant stercora sua et bibant urinam suam._ [88] Tobie, II, 11. [89] Esther, XIV, 2. [90] Ecc., XXII, 2. [91] Isaïe, XXXVII, 12. [92] Tren., IV, 5. _Amplexati sunt stercora._ [93] Mal., II, 3. [94] Ezéch., IV, 12. [95] Ibid., IV, 15. [96] Ὀψιγαμια. [97] Κακογαμία. [98] _Cœlibes esse prohibendos._ [99] _Ex animi tui sententia tu equum habes, tu uxorem habes? testa._ [100] _Extrema omnium calamitas et impietas accidit, illi qui absque filiis à vitâ discedit, et daemonibus maximas dat pœnas post obitum._ [101] _Ergo exspectatos: ac jussos crescere primum Testiculos, postquam cœperunt esse bilibres, Tonsoris decimo tantum capit Heliodorus._ (Juv., l. II, s. 6.) Lisez, sur la préférence que les dames romaines donnoient aux eunuques et le parti qu’elles en tiroient, depuis le 365e vers de cette satyre jusqu’au 379e. [102] Gen., XIX, 4. Avant que les anges se fussent couchés, le peuple accourut depuis les vieillards jusqu’aux enfants.--4.--_Ut cognoscamus eos._ [103] Les Sodomistes pensoient apparemment comme un grand seigneur moderne. Un valet-de-chambre de confiance lui observoit que du côté qu’il préféroit, ses maîtresses étoient conformées comme ses ganymèdes--qu’on ne pouvoit trouver au poids de l’or; qu’il pourroit..... des femmes. _Des femmes!_ s’écria le maître; _eh, c’est comme si tu me servais un gigot sans manche_. [104] Gen., XIX, 33. _Dormivit cum patre, at ille non sensit nec quando accubuit filia, nec quando surrexit._ [105] Moab fut le fils de la premiere; Ammon naquit de la seconde. [106] S. Paul aux Romains, ch. I, 27. _Masculi, delicto naturali usu fœminæ exarserunt in desideriis suis in invicem, masculi in masculos turpitudinem operantes et mercedem quam oportuit erroris sui in semetipsis recipientes._ [107] Buffon. [108] Par exemple, la courbure de l’épine du dos entraîne dans un bossu le dérangement des autres parties, ce qui leur donne à tous une sorte de ressemblance que l’on pourroit appeller un _air de famille_. [109] On sait combien les pères eux-mêmes ont été partagés et ambigus sur cette matiere. S. Irénée ne faisoit pas difficulté de dire que l’âme étoit un souffle analogue aux corps qu’elle a habités, et qu’elle n’étoit incorporelle que par rapport aux corps grossiers. Tertullien la déclare tout simplement corporelle. S. Bernard, par une distinction fort étrange, prétend qu’elle ne verra pas Dieu; mais qu’elle conversera avec J.-C. [110] Ex., XXII, 19. Lév., VII, 21, XVIII, 23. [111] XX, 15. [112] Maimonide dans le More Nevochin, p. III, c. XLVI, s’étend sur les cultes des boucs. [113] Lév., XVII, 7. Exod., XXXIII, 20 et 23. [114] Jérém., L., 39. _Faunis sicariis_ et non pas _ficariis_. Car _des faunes qui avoient des figues_ ne voudroit rien dire. Cependant Saci le traduit ainsi; car les Jansénistes affectent la plus grande pureté des mœurs; mais Berruyer soutient le _sicarii_ et rend ses faunes très-actifs. [115] Dans son traité Περι απιστων, c. XXV. [116] Dans son ouvrage intitulé _Tseror hammor_. (_Fasciculus myrrhæ_). [117] Cependant la vulve de la vache, par exemple, se proportionne moins au membre viril que celle de la chèvre ou de la guenon. Aussi les grands animaux retiennent-ils plus difficilement. [118] Le roi de Loango, en Afrique, quand il siège sur son trône, est entouré d’un grand nombre de nains remarquables par leur difformité. Ils sont assez communs dans ses états. Ils n’ont que la moitié de la taille ordinaire d’un homme; leur tête est fort large et ils ne sont vêtus que de peaux d’animaux. On les nomme _Mimos_ ou _Bakkebakke_. Lorsqu’ils sont auprès du roi, on les entre-mêle avec des nègres blancs pour faire un contraste. Cela doit former un spectacle fort bizarre et qui n’est bon à rien; mais si le roi de Loango mêloit ces races, on auroit peut-être des résultats très-curieux. [119] C’est dommage que les Romains n’aient pas eu comme nous la confession auriculaire; nous saurions tous leurs petits secrets domestiques comme on sait les nôtres. On sauroit si les Romains déshonoroient aussi brutalement le mariage que nous le faisons. Enfin, nous n’avons pas même de détails sur les conversations des bourgeois. Rien ne devoit être plus plaisant que les entretiens d’une famille qui avoit été le matin sacrifier à Priape; les jeunes filles et les jeunes garçons de la famille devoient avoir tout le reste de la journée de singulières idées. [120] Lév., XX, 16. [121] De nos jours on a pareillement substitué _avarie_ à _vérole_. [122] Rois, I, c. v. 26. [123] A Venise en 1542. [124] Νυμφομανη. [125] Le satyriasis, le priapisme, la salacité, etc. [126] Sennert cite une femme qui ayant bu un peu de borax dissous, tomba en nymphomanie; et Muller conseille le musc mêlé avec des huiles aromatiques, introduits d’une manière quelconque, pour lubrifier le vagin. [127] _Mox lenone suas jam dimittente puellas, Tristis abit. Sed quod potuit tamen ultima cellam, Clausit, ad huc ardens rigidæ tentigine vulvæ Et resupina jacens multorum absorbuit ictus Et lassata viris, necdum satiata recessit._ (Juv. l. II, sat. 6.) [128] Je doute, par exemple, que la _corycomachie_ ou la _coricobolie_, qui étoit la quatrieme sphéristique des Grecs, ait resté en usage chez eux, lorsqu’ils furent devenus le peuple le plus élégant de la terre. On suspendoit au plancher un sac rempli de corps lourds; on le prenoit à deux mains, et on le portoit aussi loin que la corde pouvoit s’étendre; après quoi lâchant le sac, ils le suivoient, et lorsqu’il revenoit vers eux, ils se reculoient pour céder à la violence du choc, puis le repoussoient avec force. (Voyez M. Burette sur la gymnastie des Grecs et des Romains.) Je ne crois pas qu’un tel exercice ait été du goût des petites maîtresses d’aucun siecle. [129] Une simple nomenclature d’une très-petite partie des mots de leur dictionnaire de volupté, si je puis parler ainsi, peut décider la question. La _coricobole_ étoit une tronchine. Les _Jatraliptes_, les essuyeurs en cygne. Les _unctores_, les parfumeuses. Les _fricatores_, les frotteuses. Les _tractatrices_, les pressureuses ou pétrisseuses. Les _dropacistæ_, les enleveuses de durillons. Les _alipsiaires_, les épilateurs. Les _paratiltres_, les vulvaires. Les _picatrices_, les parfileuses en vulves. La _samiane_, le parterre de la nature. (Voyez ci-après). L’_hircisse_, le bouquinage des vieilles. La _conrobole_, χοιροπωλῶ. (Pour peu qu’on sache le grec l’on m’entend). La _clitoride_, ou contraction du clitoris. La _corinthienne_, la mobilité des charnières. La _lesbienne_, les cunni-langues. La _siphnissidienne_, le postillon. La _phicidissienne_, la pollution de l’enfance. _Sardanapaliser_, vautrer entre les eunuques et les filles. _Chalcidisser_, le léchement des testicules. _Fellatricer_, sucer le gland. _Phœnicisser_, irrumer en miel, etc., etc. Une preuve qu’ils étoient plus aguerris que nous, c’est qu’il n’y a presque pas un de ces mots que nous ne soyons obligés de rendre par une périphrase. [130] Voyez la Tropoïde où j’aurois pu ajouter un très grand nombre d’autres passages tirés de la Bible. On trouve, par exemple, dans le livre de la Sagesse, (ch. XIV, v. 26) plusieurs reproches d’impureté, d’avortemens criminels, d’impudicités, d’adulteres, etc. Jérémie (ch. V, v. 13) déclame contre l’amour des jeunes garçons. Ezéchiel parle de mauvais lieux et des marques de prostitution à l’entrée des rues. (Ch. XXVI, v. 24, 25, 26, 27), etc., etc. [131] Erasme, p. 553.--_Samiorum flores.--Ubi extremam voluptatum decerperet.--Σαμίων ἄνθη, la samionante.--Puellæ veluti flores arridentes ad libidinem invitabant._ [132] _Ani hircassantes._ Γραῦς καπρῶσα. Eras., 269. _De juvene, cui anus libidinosa omnia suppeditabat, quo vicisim ab illo voluptatem auferret. Nota et hircorum libido, odorque qui et subantes consequitur._ [133] Γλυκὺν ἀγκῶνα. Ancon. Eras., 335. _Omphalem reginam per vim virgines dominorum cum eorum servis inclusisse ad stuprum, in sola haberetur impudica. Lydos autem eum locum, in quo fœminæ constuprabantur γλυκὺν ἀγκῶνα, appellasse, sceleris atrocitatem mitigantes verbo._ On voit que même en ce genre le despotisme n’a plus rien à inventer. [134] Σαρδανάπαλος. Eras., 723. _Cæterum deliciis usque adeo effœminatus, ut inter eunuchos et puellas ipse puellari cultu desidere sit sollitus._ [135] Eras., 827. _Ut dii augerent meretricum numerum._ Erasme ajoute que les Vénitiennes de son temps étoient les filles lubriques par excellence. _Nusquam uberior quam apud Venetos._ [136] Χοιροπώλης la canobole à χοῖρος. Eras., 737. _Corinthia videris corpore questum factura. In mulierem intempestivius libidinantem. De mulieribus Corinthi prostantibus dictum et alibi. Dictum et autem χοιροπωλῶ, novo quidem verbo quod nobis indicat quæstum facere corpore._ [137] Λεσβιάζειν. _Lesbiari._ La Lesbienne. _Antiquitus polluere dicebant._ Eras., 731. χοῖρος _enim cunnum significat (quæ combibones jam suos contaminet Aristophanes in Vespis.)_ Eras., 731. _Aiunt turpitudinem quæ per os agitur, fellationis opinor, aut irrumationis primum a Lesbiis auctoribus fuisse profectam: et apud illos primum omnium fœminam tale quiddam passam esse._--Ainsi le talent caractéristique des Lesbiennes étoit de gamahucher; d’où _mihi at videre labda juxta Lesbios_. _Aristoph._, λάβδα Λεσβίους _fellatrix_.) La fellatrice qui suce le gland, étoit encore une epithete des Lesbiennes où c’étoit la mode de commencer par cette cérémonie. Eras., 800. _Fellatriam indicat... quæ communis Lesbiis quod ei tribuitur genti_, etc. _N. B._--Il y avoit, il y a quelques années, à Paris, une fille charmante, née sans langue, qui parloit par signes avec une adresse étonnante, et s’étoit vouée à ce genre de prostitution. M. Louis l’a décrite sous le titre d’_aglossostomographie_. [138] Χαλκιδιζειν. _Chalcidissare._ Eras., _Gens (Chalcidicenses), male audisse ob fœdos puerorum amores_. [139] Φικιδίζειν. _Phicidissare._ Se faire lécher les testicules par de jeunes chiens. (Suétone.) [140] Σιφνιάζειν. _Siphniassare._ (Plein, liv. IV, 12). Eras., 690. _Pro eo quod et manum admovere postico, sumptum esse à moribus siphniorum._ [141] Κλειτοριαζειν. Eras., 619. _De immodica libidine. Unde natum proverbium, non satis liquet. Libidinosa contrectatio._ [142] _Phœnicissantes labra rubicunda sibi reddebant: sic Lesbiassantes alba labra semine._ Martial, lib. I.--_Cunnum carinus lingit et tamen pallet._ Catullus ad Gellicum.-- _Nescio quid certe est, an vere fama susurrat. Grandia te medii tenta, vorare viri. Sic certe est. Clamant virronis rupta miselli Ilia, demulso labra notata sero._ [143] _Hier. Mercurial._ [144] _Quotidie ac palam.--Arterias et fauces pro remedio fovebat._ [145] Hier. Merc., l. IV, p. 93.--_Scribit Epiphanius fœminas semen et menstruum libare Deo, et deinde potare solitas._ [146] Ce passage de _Hic et Hec_ a été pillé par l’auteur de _Mylord l’Arsouille_ (voir l’Introduction). [147] Maquerelle connue, rue Sainte-Anne, butte Saint-Roch. (_Note de l’auteur._) TABLE DES MATIÈRES Introduction 7 Essai bibliographique 29 EROTIKA BIBLION 35 Annotations dites du Chevalier de Pierrugues 171 LE LIBERTIN DE QUALITÉ Madame Honesta, la Présidente et l’Américaine 213 La Duchesse 226 Musique 233 Mariage 236 HIC ET HEC Les Chevaux neufs 245 La vieille Sara 251 Aurore 257 Le Chien après les Moines 261 LE RIDEAU LEVÉ OU L’ÉDUCATION DE LAURE L’Enfance de Laure 265 Éducation philosophique 271 LE DEGRÉ DES AGES DU PLAISIR Tableau de Paris 279 La Patronne 281 Les trois métamorphoses 283 BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX 4, rue de Furstenberg--PARIS _Extrait du Catalogue_ Les Maîtres de l’Amour Collection unique des œuvres les plus remarquables des littératures anciennes et modernes traitant des choses de l’amour. _L’Œuvre du Divin Arétin_ (2 vol.) chaq. vol. 12 fr. _L’Œuvre du Marquis de Sade_ 12 » _L’Œuvre du Comte de Mirabeau_ 12 » _L’Œuvre du Chevalier A. de Nerciat_ (3 vol.), chaque volume 12 » _L’Œuvre de Giorgio Baffo_ 12 » _L’Œuvre libertine de Nicolas Chorier_ 12 » _L’Œuvre libertine des poètes du XIXe siècle_ 12 » _Le Théâtre d’amour au XVIIIe siècle_ 12 » _Le Livre d’amour de l’Orient_ (I).--Ananga-Ranga 12 » _Le Livre d’amour de l’Orient_ (II).--Le Jardin parfumé 12 » _Le Livre d’amour de l’Orient_ (III).--Les Kama-Sutra 12 » _Le Livre d’Amour de l’Orient_ (IV).--Le Bréviaire de la Courtisane.--Les Leçons de l’Entremetteuse 12 » _L’Œuvre des Conteurs libertins de l’Italie_ (XVIIIe siècle) 12 » _L’Œuvre de John Cleland_ (Mémoires de Fanny Hill) 12 » _L’Œuvre de Restif de la Bretonne_ 12 » _L’Œuvre des Conteurs libertins de l’Italie_ (XVe siècle) 12 » _L’Œuvre libertine de l’Abbé de Voisenon_ 12 » _L’Œuvre libertine de Crébillon le fils_ 12 » _Le Livre d’amour des Anciens_ 12 » _L’Œuvre libertine des Conteurs russes_ 12 » _L’Œuvre libertine de Corneille Plessebois_ (Le Rut) 12 » _L’Œuvre de Choudart-Desforges_ (Le Poète libertin) 12 » _L’Œuvre de Fr. Delicado_ (La Lozana Andalusa) 12 » _L’Œuvre du Seigneur de Brantôme_ 12 » _L’Œuvre de Pigault-Lebrun_ 12 » _L’Œuvre de Pétrone_ 12 » _L’Œuvre de Casanova de Seingalt_ 12 » _L’Œuvre priapique des Anciens et des Modernes_ 12 » _L’Œuvre de Boccace Florentin_ (I) 12 » _L’Œuvre poétique de Charles Beaudelaire_ 12 » _L’Œuvre des Conteurs espagnols_ 12 » _L’Œuvre badine d’Alexis Piron_ 12 » _L’Œuvre badine de l’Abbé de Grécourt_ 12 » _L’Œuvre amoureuse de Lucien_ 12 » _L’Œuvre galante des Conteurs français_ 12 » _L’Œuvre de Choderlos de Laclos_ (Les Liaisons dangereuses) (épuisé) _L’Œuvre des Conteurs allemands_ (Mémoires d’une Chanteuse) 12 » _L’Œuvre des Conteurs anglais_ (La Vénus indienne) 12 » Le Coffret du Bibliophile Jolis volumes in-18 carré tirés sur papier d’Arches (exemplaires numérotés). _Les Anandrynes_ (Confession de Mlle Sapho) 9 fr. _Le Petit Neveu de Grécourt_ 9 » _Anecdotes pour l’histoire secrète des Ebugors_ 9 » _Julie philosophe_ (Histoire d’une citoyenne active et libertine), 2 vol. 18 » _Correspondance de Mme Gourdan, dite «la Comtesse»_ 9 » _Portefeuille d’un Talon Rouge.--La Journée amoureuse_ 9 » _Les Cannevas de la Pâris_ (Histoire de l’hôtel du Roule) 9 » _Souvenirs d’une cocodette_ (1870) 9 » _Le Zoppino._ Texte italien et traduction française 9 » _La Belle Alsacienne_ (1801) 9 » _Lettres amoureuses d’un Frère à son élève_ (1878) 9 » _Poèmes luxurieux du divin Arétin_ (Tariffa delle Puttane di Venegia) 9 » _Correspondance d’Eulalie_ ou _Tableau du Libertinage de Paris_ (1786), 2 vol. 18 » _Le Parnasse satyrique du XVIIIe siècle_ 9 » _La Galerie des femmes_, par J.-E. de Jouy. 9 » _Zoloé et ses deux Acolytes_, par le Marquis de Sade 9 » _De Sodomia_, par le P. Sinistrari d’Ameno. Texte latin et traduction française 9 » _Le Canapé couleur de feu_, par Fougeret de Montbron 9 » _Le Souper des Petits Maîtres_ 9 » _Cadenas et Ceintures de chasteté_ 9 » _Les Dévotions de Mme de Bethzamooth_ 9 » _La Raffaella_ 9 » _Contes de Jos. Vasselier_ 9 » _Histoire de Mlle Brion_ 9 » _La Philosophie des Courtisanes_ 9 » _Les Sonnettes_ 9 » _Nouvelles de Firenzuola_ 9 » _Lucina sine concubitu_ 9 » _Point de lendemain_ 9 » _Mémoires d’une Femme de chambre_ 9 » _Ma Vie de garçon_ 9 » _Anthologie érotique d’Amarou_ 9 » _La Beauté du Sein des Femmes_ 9 » _Tendres Epigrammes de Cydno la Lesbienne_ 9 » _Divan d’amour du Chérif Soliman_ 9 » Chroniques Libertines Recueil des «indiscrétions» les plus suggestives des chroniqueurs, des pamphlétaires, des libellistes, des chansonniers, à travers les siècles. _Les Demoiselles d’amour du Palais-Royal_, par H. Fleischmann 7 50 _La vie libertine de Mlle Clairon, dite «Frétillon»_ 7 50 _Les Amours de la Reine Margot_, par J. Hervez 7 50 _Mémoires libertins de la Comtesse Valois de la Mothe_ (Affaire du Collier) 7 50 _Marie-Antoinette libertine_, par H. Fleischmann 7 50 _Chronique scandaleuse et Chronique arétine au XVIIIe siècle_ 7 50 L’Histoire romanesque _La Rome des Borgia_, par Guillaume Apollinaire 9 » _La Fin de Babylone_, par Guillaume Apollinaire 9 » _Les Trois Don Juan_, par Guillaume Apollinaire 9 » Les Secrets du Second Empire _Napoléon III et les Femmes_, par H. Fleischmann 7 50 _Bâtard d’Empereur_, par H. Fleischmann 7 50 La France Galante _Mignons et Courtisanes au XVIe siècle_, par Jean Hervez (épuisé). _La Polygamie sacrée au XVIe siècle_ 15 » _Ruffians et Ribaudes_, par Jean Hervez 8 50 Chroniques du XVIIIe Siècle PAR JEAN HERVEZ D’après les Mémoires du temps, les Rapports de police, les Libelles, les Pamphlets, les Satires, les Chansons. I. _La Régence galante_ (épuisé). II. _Les Maîtresses de Louis XV_ 15 fr. III. _La Galanterie parisienne sous Louis XV_ (épuisé). IV. _Le Parc aux Cerfs et les Petites Maisons galantes de Paris_ (épuisé). V. _Les Galanteries à la Cour de Louis XVI_ 15 » VI. _Maisons d’amour et Filles de joie_ 15 » Le Catalogue illustré est envoyé franco sur demande *** End of this LibraryBlog Digital Book "L'oeuvre du comte de Mirabeau" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.