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Title: Lendemains de Guerre des Flandres à la Meuse Author: Gobillot, René Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Lendemains de Guerre des Flandres à la Meuse" *** produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Au lecteur Cette version électronique reproduit dans son intégralité la version originale. LENDEMAINS DE GUERRE DES FLANDRES A LA MEUSE DOUZE DESSINS REHAUSSÉS DE E. TATIN COMMENTAIRE DE RENÉ GOBILLOT D.-A. LONGUET IMPRIMEUR-ÉDITEUR A PARIS 1920 LENDEMAINS DE GUERRE DES FLANDRES A LA MEUSE La renaissance de la vie dans les villes martyres, telle est la très noble et réconfortante pensée que M. Tatin s'est proposé d'exprimer dans les douze dessins rehaussés qui font l'objet de ce recueil. Fantassin, puis artilleur après qu'une blessure l'eût obligé à un changement d'arme, il a pu au cours de sa campagne de cinquante mois accumuler croquis, documents, tableaux; mais, au milieu des amas sans nom où les pierres de France chantaient encore la chanson de tous les souvenirs qui dormaient en elles, M. Tatin a senti vibrer en lui une émotion profonde qui l'incitait à traduire en même temps que l'horreur matérielle des ruines, la forte espérance émanant des choses qui ne veulent pas mourir. Cette pensée, il l'a rendue avec la science et la conscience d'un talent qui cherche dans son intime sensibilité l'inspiration créatrice, et dont le faire original éclaire de larges teintes lumineuses un dessin ferme où la plume sait trouver souvent les accents du burin. Son œuvre, toutefois, n'eût été réservée qu'à quelques privilégiés, si M. Tatin n'avait eu la pensée de faire reproduire ses planches afin d'accroître le nombre de ceux qui seraient appelés à en jouir. * * * Parler de la barbarie germanique est presque devenu un lieu commun. En 1915 déjà, un rapport officiel stigmatisait ainsi les procédés de l'ennemi: «On peut dire que jamais une guerre entre nations civilisées n'a eu le caractère sauvage et féroce de celle qui est en ce moment portée sur notre sol par un adversaire implacable... Les faits qui nous ont été révélés accusent dans la mentalité allemande, depuis 1870, une étonnante régression.» Cette opinion fut confirmée par les trois années de guerre qui suivirent et au cours desquelles la marée allemande, dans ses mouvements de flux et de reflux, a porté de nouveau ses ravages, en certains points du front, avec une perfection destructrice qui n'avait jamais encore été atteinte. De la mer aux Vosges, aux champs de Flandre, d'Artois, de Picardie, de Champagne, de Lorraine, les cités meurtries se succèdent, jalonnant la voie douloureuse, sacrée par tant de morts, de sang, de souffrances et de ruines, au long de laquelle se disputèrent les destinées de la France. La justice voulait qu'hommage fût rendu aux vaillantes blessées qui portèrent si lourdement le poids de l'invasion et qui, par leur résistance, évitèrent que la souillure en fût portée plus avant. Leurs plaies béantes sont là pour affirmer qu'elles furent héroïques sous la mitraille autant qu'elles savaient être, aux jours heureux, maternelles, accueillantes et douces. Suivant les caprices du front, parcourons les douze stations de notre pèlerinage. Tout d'abord, voici Lens! véritable vision de cauchemar, où l'œuvre de destruction a atteint son maximum, où tout ce qui n'a pu être enlevé a été bombardé et miné, où les galeries ont été noyées et les installations rasées. Cette ville dont les origines se perdent dans le lointain des temps gallo-romains, avait été, à l'époque médiévale, le siège d'un comté florissant et devint, à la fin du XVe siècle, place forte entre les mains de l'Espagnol. Le 20 août 1648, elle assista à la belle victoire que Condé remporta sur l'armée de Sa Majesté Catholique, et, quelques années plus tard, la paix des Pyrénées la fit rentrer dans la communauté française. Elle ne comptait guère plus de 3.000 habitants quand, en 1850, fut entreprise l'exploitation des mines qui devait en faire, chez nous, la métropole de la houille. Aujourd'hui, elle est transformée en une solitude désolée digne de l'Enfer du Dante, en un inextricable chaos d'où surgissent partout, comme aux abords de la fosse nº 4, d'effrayants spectres de charpentes et de poutres brisées émergeant telles les épaves du plus sinistre des naufrages! Devant le cataclysme qui est passé là, balayant, soulevant, déchirant et écrasant tout, on serait tenté de croire la vie à jamais abolie de ces champs de ruines, si on ne voyait, par endroits, s'échapper du sein même de la terre des volutes de fumée, indice de la vie qui déjà reprend dans les caves des corons, où des mineurs se sont réinstallés, en attendant des abris moins précaires. Lens resta en pleine zone d'action pendant presque toute la durée de la guerre. Douai, au contraire, se trouvait au delà du front en pays occupé et si la ville eut moins à souffrir du feu de l'artillerie, le barbare, cependant, ne la voulut pas rendre intacte. Ce n'était pas la première fois, au cours de son histoire, qu'elle sentait s'appesantir sur elle les rigueurs de la guerre. En 1479, elle avait obligé le roi Louis XI, qui l'avait investie, à lever le blocus et sa joie se traduisit par une procession qui devint dans la suite la célèbre fête de _Gayant_. Dotée d'un Parlement, en 1709, par Louis XIV, elle tomba, un an plus tard, aux mains de l'ennemi, après cinquante-deux jours de tranchée ouverte et ne fut reconquise par Villars qu'en 1712. Elle vécut dès lors partagée entre les travaux de sa Cour de Justice et ceux de son Université qui subsista jusqu'en 1887. Malgré son activité militaire, elle était restée cité paisible aux rues calmes, bordées de vieux hôtels; et ainsi la trouva la guerre. Après l'avoir tenue, quatre années durant, en arrière de ses lignes, l'ennemi dut l'abandonner brusquement. Dans sa fuite, par bonheur trop hâtive, il n'a pu organiser ici la destruction aussi minutieusement qu'ailleurs. Bien malgré lui sans doute, les principaux monuments ont été à peu près épargnés. La place du Marché, elle, fut moins favorisée et les maisons qui formaient sa couronne sont pour la plupart réduites en poussière. Sous la garde du beffroi, symbole des libertés municipales, le marché s'organise. Le terre-plein central s'est garni de baraques improvisées, faites de quelques piquets et de lambeaux de bâches, sous lesquelles la foule afflue, tandis que, le long du trottoir, la voiture d'un messager des environs assure le ravitaillement de ces boutiques de fortune. Pas plus que la vieille ville parlementaire des Flandres, la cité archiépiscopale du doux Fénelon n'a été épargnée. A Cambrai, le saccage fut plus grand qu'à Douai et ne s'accomplit, là aussi, qu'au dernier instant; toutefois le souvenir de ses grandeurs passées lui est un gage de résurrection prochaine. Submergée par le flot des premières invasions, elle n'en fut atteinte ni dans son activité ni dans sa richesse. Plus tard, au lendemain de la lutte séculaire, à l'issue de laquelle lui furent octroyées ses chartes communales, un de ses artisans découvrait, dit-on, le fin tissu dont la fabrication assura la renommée des métiers cambrésiens et auquel on conserva le nom de «batiste» en souvenir de son inventeur. Chaudement disputée pendant les XVIe et XVIIe siècles, elle ne fit retour à la France qu'en 1677 après avoir été assiégée par Louis XIV en personne. Sa prospérité d'avant-guerre en faisait pour l'ennemi une proie souhaitable qu'il pressura, du reste, à merci et qu'il essaya de défigurer quand force lui fut de l'abandonner. La place d'Armes qui constitue le centre du mouvement et des affaires a été démolie. Tout ce bel ensemble n'est plus qu'une masse informe de décombres, au milieu desquels l'hôtel de ville, toujours debout, présente de multiples et graves blessures. La cathédrale, cœur de la vie spirituelle, a été, également, insultée. Son clocher, éventré à la hauteur du premier étage, se dresse encore comme par miracle, mais sa béante déchirure le voue à une prochaine ruine si l'on n'y porte bientôt remède. Parmi les villes meurtries, Arras se place au premier rang, et il faut remonter à la prise de la place par Louis XI en 1479 pour retrouver trace d'une désolation comparable à celle qui, aujourd'hui, s'offre, ici même aux yeux. Les sièges de 1640 et de 1654 l'avaient, en effet, laissée, pour ainsi dire, intacte et les siècles nous l'avaient transmise avec son cachet espagnol, ses places entourées d'arcades, ses maisons à pignons en escalier et son merveilleux hôtel de ville de la Renaissance, qui lui conservaient son allure noble de capitale provinciale. Qui reconnaîtrait ce charmant décor dans ces pierres effondrées et éparses, objets de nos respects et de notre admiration, dans ces façades déchiquetées où se lisent encore tant d'émouvantes beautés et de fières souffrances? La pensée de ces douleurs est cependant toute notre espérance, puisqu'elle nous apporte la certitude qu'en ces monuments réside toujours une vraie vie, impersonnelle sans doute, mais vie humaine pourtant en laquelle s'incarnent toutes les existences de la cité. En ces jours d'épreuves, plus encore qu'aux heures paisibles et prospères, l'hôtel de ville est la «maison commune», celle où tous, jadis, se réunissaient pour contribuer à rendre plus active cette vie municipale dont nos villes du Nord furent toujours si jalousement fières. Ici, une chose s'affirme: la volonté de renaître. Peu de localités même auront fait preuve d'une telle énergie. Déjà, en différentes rues, des maisons, de vraies maisons à étages ont été rebâties. Activement, on pousse les travaux de reconstruction et, afin de hâter les déblaiements qui en sont les préliminaires obligés, des voies Decauville ont été installées dont l'une arrive jusqu'au cœur de la grande place, où se poursuit, au milieu du sifflement et du halètement des locomotives, l'œuvre de reconstitution. Malgré les difficultés de la tâche, on sent qu'une invincible ténacité préside à ces restaurations et c'est le plus sûr gage du bel avenir qui attend demain la ville sortie de ses cendres. A mi-chemin d'Arras et d'Amiens, Albert vivait à l'ombre de son clocher. Célèbre par son sanctuaire vénéré dès le haut moyen âge, la petite ville constituait un fief qui fut, au temps de Marie de Médicis, acheté par le ministre Concini, puis transmis, en 1619, à Charles d'Albert, duc de Luynes. Agricole et industrielle, elle devait surtout son développement au pèlerinage très fréquenté de Notre-Dame de Brebières, qui attirait chaque année de pieuses foules. Ses habitants disaient d'elle non sans fierté: «C'est la Lourdes du Nord!» et la belle basilique bâtie de 1885 à 1895 dans le style romano-byzantin leur donnait, somme toute, raison. Avec l'obstination malfaisante qu'il mettait à saccager nos manifestations de beauté et de foi, l'Allemand s'est acharné sur ce sanctuaire béni où se trouvaient réunis à profusion marbres, vitraux, mosaïques. Toutes ces œuvres d'art sont réduites en cendres, ainsi que l'admirable Vierge dorée qui, du haut du clocher, offrait son Fils aux adorations. Longtemps, la statue mutilée par les obus resta penchée au-dessus du vide et comme pleurant sur la désolation de son temple; puis, un jour, une dernière rafale la fit s'effondrer au milieu des matériaux amoncelés où elle est encore enfouie. Albert ne fut pas la seule victime de la terre picarde. La vieille forteresse de Péronne, endormie dans la ceinture de ses remparts, se contemplait dans son passé, empanaché de nobles souvenirs et de grandes actions. Ville féodale et place de guerre, elle joua un rôle important au moyen âge. Deux rois de France, Charles le Simple et Louis XI, y furent retenus prisonniers et ses murailles assistèrent aux luttes acharnées que les armées du Roi livraient aux gens du duc de Bourgogne. En 1536, Charles-Quint l'assiégea et fut repoussé grâce à l'héroïne Catherine de Poix, dite Marie Fouré. Un peu moins d'un siècle plus tard, en 1631, Louis XIII y signa le traité qui préparait la réunion à la France de la Cerdagne et du Roussillon. Plus près de nous, en 1870, elle opposa à l'armée prussienne une résistance qui lui valut un bombardement de treize jours, la mutilation de son clocher et la destruction du huitième de ses maisons. En récompense de sa valeureuse conduite, le 12 juillet 1914, au cours de fêtes grandioses, la croix de la Légion d'honneur était remise à l'antique capitale du Vermandois. Six semaines plus tard, l'ennemi paraissait sous ses murs. Occupée dès le 28 août 1914, délivrée peu après, elle dut à sa proximité du front de connaître de dures heures. Du charmant hôtel de ville et de son porche voûté d'ogives, il ne reste qu'un informe squelette sur lequel s'est écrasé son élégant campanile. Sur ces décombres, l'ennemi avait placardé l'inscription suivante qui voulait sans doute être spirituelle: «Nicht ärgern. Nur wundern. (Ne pas s'irriter, mais seulement admirer.)» Or, bien plutôt que la manifestation de la force brutale, ce qu'il convient d'admirer ici, c'est le réveil de l'activité. Quelques habitants sont revenus que l'on voit s'approvisionnant aux boutiques improvisées en un coin de la place. Singulier contraste que celui de la vie qui s'acharne à se réimplanter dans cette désolation de mort, et que l'on retrouve partout aussi énergique et frappant! Sur une riante colline, dont la rivière des Trois-Doms baigne le pied, s'élevait Montdidier, serrée autour de ses deux églises, Saint-Sépulcre et Saint-Pierre, jolis monuments du style flamboyant et de la Renaissance que n'avait pas déflorés le siège victorieusement soutenu par la place en 1636. Au dire d'un combattant qui y entra à la suite des Allemands, il semble qu'un formidable tremblement sismique ait secoué le coteau. Ce ne sont que ruines accumulées que dominent quelques carcasses d'édifices lamentables, disjoints, ébranlés jusque dans leurs fondations, au milieu d'arbres hachés, brisés, déchiquetés. Paysage chaotique qui donne l'impression de l'anéantissement total! Par bonheur, l'œuvre de mort n'atteignit pas partout cette plénitude. Ainsi en fut-il à Saint-Quentin! Sa situation géographique valut à cette place dès sa fondation des alternatives de bonne et de mauvaise fortune. Siège d'un évêché créé au lendemain du martyre de l'apôtre Quintinius, elle fut réduite en cendres par les Barbares et dut sa résurrection à saint Éloi qui y institua une communauté de clercs avec mission de veiller sur le tombeau de saint Quentin. Commerce et industrie profitèrent de l'afflux des pèlerins, qui, dès le Xe siècle, y achetaient des draps très réputés. Son histoire militaire se résume en deux sièges mémorables: celui de 1557, où la ville, après avoir résisté héroïquement aux reîtres de Philippe II d'Espagne, connut les horreurs de la mise à sac et celui de 1870. Elle dut à sa position stratégique d'assister de 1914 à 1918 à un nouveau pillage, mais cette fois méthodique, systématique, organisé, puis lorsque furent réduites à néant ses plus florissantes industries et dévalisées ses maisons, de voir employer contre elle l'artillerie et la sape. Son hôtel de ville, bijou des XVe et XVIe siècles, avec ses arcades, ses trois pignons et son campanile, porte de nombreuses blessures. Meurtrie aussi et combien défigurée, l'antique collégiale gothique qui passe à tort ou à raison pour être au moins en partie l'œuvre de Vilard de Honnecourt! Sa masse émerge à l'extrémité de la rue Saint-André, elle-même bordée de décombres. Ici, les dégâts n'atteignent pas seulement la surface, mais encore les sous-sols et les importants souterrains aménagés sous la place dès le moyen âge en vue de sièges éventuels et qui, tous, furent reliés entre eux afin de permettre la circulation à l'abri des avions et des bombes. Plus pathétiques encore sont les ruines de Soissons, dont l'admirable cathédrale des XIIe et XIIIe siècles est de tous nos sanctuaires, le plus gravement touché. Sa nef n'existe plus, complètement détruite par le bombardement; charpente, voûte, murs, piliers se sont effondrés et forment à terre un monstrueux amas qui sépare le chœur du grand portail au-dessus duquel se dresse, tragique, le moignon de la tour du Sud, poignante silhouette de ruine qui crie vengeance pour la profanation de la Maison de Dieu! Autour de la cathédrale, même spectacle! Le cœur de la ville, cible des batteries allemandes, a été réduit en miettes. Les rues sont bordées de débris informes, sur lesquels on n'est pas peu étonné de voir plantée de loin en loin une pancarte indiquant que la boulangerie X, réinstallée dans tel autre endroit, se tient à la disposition des clients. L'humour, on le voit, ne perd pas ses droits et se manifeste en donnant un nouvel exemple de la force d'âme qui règne aux pays dévastés. A l'arrière-plan, et dominant à l'extrême horizon ce chaos, surgissent les deux flèches de Saint-Jean-des-Vignes que de nombreux projectiles ont atteint sans le défigurer, mais en lui laissant de ces cicatrices profondes qui sont la marque même du Germain. Placée sur la route des invasions, au milieu d'une plaine environnée de collines, Soissons eut, du XVe siècle à 1870, de nombreux sièges à soutenir, mais l'héroïsme de sa défense ne put que rarement contrebalancer sa trop défavorable topographie. Bien que ville épiscopale et malgré ses moutiers nombreux, elle formait un fief laïque qui ne fit retour à la couronne qu'en 1734. Elle était autrefois le siège d'une généralité dont dépendait Château-Thierry. La vassale, bien que n'ayant pas été constamment sous les feux de l'ennemi, a voulu partager le sort de son antique suzeraine. Témoin des deux «Marne», deux fois occupée et deux fois délivrée, cette bonne ville que l'on se représente assez bien comme douée de la même douce et quiète indolence qui était le propre de son fils le plus illustre, Jean de La Fontaine, a été successivement, à quatre années d'intervalle, tirée de sa paresseuse existence. Moins épargnée en 1918 qu'en 1914, elle a dû son salut à l'armée sœur de la Jeune Amérique qui fit là ses premières armes et eut la joie, malgré de lourdes pertes, de voir aussitôt la Victoire sourire à ses glorieux drapeaux. Bientôt la petite ville aura pansé ses plaies. Il n'en sera pas de même de la grande cité rémoise dont le martyre dura, sans un jour de répit, du début de septembre 1914 à la fin de septembre 1918, soit quarante-neuf mois pendant lesquels, sur 14.000 maisons ou édifices, le feu de l'ennemi en a détruit 12.000. D'abord occupée pendant que se disputait notre première grande victoire, Reims, le 13 septembre 1914, avait accueilli triomphalement le retour de l'armée française. Enthousiasme, hélas, sans lendemain! Le 14 septembre, en effet, les batteries allemandes, installées à Nogent-l'Abbesse, Berru et Brimont, envoyaient à la ville ses premiers obus et le tir alla croissant d'intensité jusqu'au 19 septembre, jour où fut incendiée la cathédrale. Cette rage qui, tour à tour, pendant plus de quatre ans se manifesta avec une extrême violence, puis se ralentit pour reprendre ensuite comme obéissant à quelque rythme mystérieux, marquait une volonté fermement arrêtée d'atteindre à la fois l'art et l'âme de la France, en détruisant le monument dans lequel s'incarnait notre génie et notre histoire, le sanctuaire même de la royauté et de la nation française, cri de beauté suprême jeté par le XIIIe siècle, où vibraient et palpitaient tant de nobles, de vivants, de triomphants souvenirs! On a pu dire de cet édifice avec raison qu'il est notre Parthénon puisqu'il est l'une des plus pures conceptions du style français, l'«opus francigenum» de nos Pères, en même temps que le témoin de nos Gestes. L'antique capitale des _Remi_ avait vu Clovis venir recevoir le baptême et l'onction des mains de saint Remi. La cathédrale vit Jeanne d'Arc, arrivée au terme de sa mission divine, réaliser le salut de notre race en faisant couronner sous ses voûtes celui qu'on avait surnommé le roi de Bourges et dont elle avait fait le roi de France. Vue des ruines de l'archevêché, la basilique des Sacres, auréolée du nimbe des martyrs paraît encore plus imposante et plus fière! A son ombre un pauvre arbre découronné par la mitraille achève de mourir et ses feuilles, avant que de tomber, jettent sur les dentelles de la pierre, un dernier rayon d'or, ultime hommage de la nature à la beauté! Les Rémois ont puisé dans le spectacle de leur cathédrale invaincue une énergie admirable. Après avoir longtemps bravé les bombes, vécu, jour et nuit, la vie souterraine et montré en toutes circonstances, un touchant attachement aux cendres de leurs foyers, ils durent par ordre supérieur quitter leur ville. Mais à peine la victoire eut-elle ébranlé le front de Champagne si longtemps inchangé qu'ils réapparurent aussitôt afin de reprendre possession de la terre aimée et meurtrie. Aujourd'hui, ils sont déjà 50.000! Ils vivent on se demande comment, mais les rues bordées de décombres présentent une animation de bon augure. Des baraques juchées sur les ruines abritent des magasins. Les grandes maisons de vins ont repris leurs affaires; les usines renaissent, des verreries ont rallumé leurs fours; des tissages recommencent à «tourner», près desquels on voit déjà quatre ou cinq teintureries. Merveilleux exemple de ce que peut sur la volonté d'un peuple l'amour du sol et la force des traditions! Reims avait été la charnière du front de Champagne, Verdun fut la charnière même de tout le front de France. Place forte au centre d'un pays sévère que sa situation aux Marches de Lorraine semble avoir prédestinée à être le champ clos où s'entrechoqueraient les races, Verdun, l'un des Trois-Évêchés de jadis, fut toujours très convoité. Sa réunion à la couronne par Henri II date de 1552. Par deux fois, elle vit l'invasion se heurter à ses murs; en 1792 d'abord, puis en 1870, où elle résista plus de trois mois et ne capitula qu'après avoir tenté, par de meurtrières sorties, de rompre l'investissement. Dès le lendemain de nos désastres, elle reprit sa garde sur les Côtes de Meuse au milieu de cet appareil guerrier qui lui donnait, dès le temps de paix, une physionomie très personnelle et vécut en se préparant à soutenir la première attaque de l'ennemi; mais elle l'attendait, sereine, parce que sûre d'elle-même et de ses défenseurs. L'avenir justifia sa confiance. Citadelle inviolée, au moment le plus tragique de la lutte, elle incarne en elle la patrie tout entière et son héroïque résistance est une épopée très pure dans la grande épopée française. Pendant la lutte d'une année qui se déroula autour d'elle, des forts de Douaumont et de Vaux à la cote 304 et au Mort-Homme, toutes nos armées participèrent à sa défense et la trouvèrent toujours inébranlable malgré ses brèches sans nombre. Sous ses murs, notre volonté de «tenir» triompha de la volonté de vaincre qui animait l'ennemi. Ce fut vraiment l'instant culminant de la guerre et la vieille citadelle en est sortie déchirée mais glorieuse après avoir assisté à la plus effroyable des batailles de la plus effroyable des guerres. Au milieu de ses villages tragiques, anéantis, pulvérisés, de ses bois rasés, de ses campagnes labourées, éventrées, houleuses, au sol ridé de petites vagues de terre, Verdun renaît. Bien que protégée maintenant par Metz, elle garde son âme militaire. Au printemps de 1919, son aspect évoquait encore les grands mouvements de troupes et les files de camions des heures graves de la bataille avec l'alternance de ses courants. Mais cette animation, gaie et de bon aloi, n'est plus dominée par l'épouvantable fracas de la lutte acharnée où la mort coupait à pleine faux. Bientôt elle aura recouvré sa vie d'autrefois et avec beaucoup d'autres sœurs blessées, elle pourra reprendre pour son compte la devise de Châteaudun, la ville martyre de 1870: _Extincta revivisco!_ * * * Anéanties, elles revivent! C'est bien là, en effet, le miracle qui s'accomplit tout au long de notre front martelé, où avec le poète on eût été tenté de répéter: _Sunt lacrymae rerum!_ Mais ces larmes, parce qu'elles sont une manifestation de souffrance, sont encore une preuve d'amour et portent en soi, par le fait même, des promesses de vie. Hindenburg avait dit: «On ne fait pas la guerre avec de la sensibilité.» Les ruines que sema son armée en sont la démonstration vivante; mais dans leur désarroi, nos pierres crieront plus encore que la barbarie de l'Allemand, la belle fidélité de nos populations du Nord et de l'Est qui, émues, elles aussi, de la grande pitié de la terre de France, reviennent dans leurs villes et dans leurs villages afin de réédifier, sur l'emplacement de leur foyer détruit, le nouveau foyer où elles entretiendront, durant une longue paix, le feu sacré de la vie. Ce 16e décembre 1919. RENÉ GOBILLOT. TABLE DES DESSINS 1. LENS.--La fosse nº 4. 2. DOUAI.--La place du marché. 3. CAMBRAI.--La cathédrale. 4. ARRAS.--La petite place, L'hôtel de ville et le beffroi. 5. ALBERT.--Les ruines de Notre-Dame de Brebières. 6. PÉRONNE.--Place de l'Hôtel-de-Ville. 7. MONTDIDIER.--Vue générale. 8. SAINT-QUENTIN.--La Collégiale vue de la rue Saint-André. 9. SOISSONS.--La cathédrale et la rue de la Buerie. 10. CHATEAU-THIERRY.--Rue du Maréchal-Pétain. 11. REIMS.--La cathédrale vue des ruines de l'archevêché. 12. VERDUN.--Rue Saint-Paul. TIRAGE LIMITÉ A 300 EXEMPLAIRES Exemplaire Nº : de dépôt légal MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS. ILLUSTRATIONS _Lens. - Fosse 4. - 26 Août 1919._ E. TATIN. 1919. _Douai. - Place de l'hôtel-de-Ville. - 26 Août 1919._ E. TATIN. 1919. _Cambrai. - Le Campanille vu de la rue St Nicolas. - Août 1919._ E. TATIN. 1919. _Arras. - La petite place, l'hôtel de ville et le beffroi._ E. TATIN. 1919. _Albert. Somme. - La Basilique. - Septembre 1919._ E. TATIN. 1919. _Péronne. Somme. - Place de l'hôtel de ville. - Septembre 1919._ E. TATIN. _Montdidier. - Septembre 1919._ E. TATIN. 1919. _Saint Quentin. - La Basilique et rue Saint-André. - Août 1919._ E. TATIN. 1919. _Soissons. - Rue de la Buerie et la Cathédrale. - Septembre 1919._ E. TATIN. _Chateau Thierry. - Rue du Maréchal Pétain. - Mai 1919._ E. TATIN. 1919. _Reims. - La Cathédrale. - Septembre 1919._ E. TATIN. _Verdun. - Place et rue Saint Paul. - mai 1919._ E. TATIN. _Verdun 1919._ *** End of this LibraryBlog Digital Book "Lendemains de Guerre des Flandres à la Meuse" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.