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Title: La Comtesse Mathieu de Noailles
Author: Gillouin, René
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "La Comtesse Mathieu de Noailles" ***


by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)



Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été
conservée et n'a pas été harmonisée.

Les mots et phrases imprimés en gras dans le texte d'origine sont
marqués =ainsi=.



COMTESSE DE NOAILLES



Il A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:


_Dix exemplaires sur Japon impérial, numérotés de 1 à 10 et douze
exemplaires sur Hollande, numérotés de 11 à 22._

No ****

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y
compris les pays scandinaves.


[Illustration: COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES]



    _LES CÉLÉBRITÉS D'AUJOURD'HUI_

    La Comtesse
    Mathieu de Noailles

    PAR
    RENÉ GILLOUIN

    BIOGRAPHIE CRITIQUE
    ILLUSTRÉE D'UN PORTRAIT-FRONTISPICE
    ET D'UN AUTOGRAPHE
    SUIVIE D'OPINIONS ET D'UNE BIBLIOGRAPHIE

    [Illustration]

    PARIS

    BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D'ÉDITION

    _E. SANSOT & Cie_
    7, RUE DE L'ÉPERON, 7.

    MCMVIII



[Illustration]



LA COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES


La comtesse Mathieu de Noailles descend par son père de la puissante
maison valaque des Bibesco, devenus Brancovan par adoption au milieu
du XIXe siècle. Son grand-père Georges Bibesco, hospodar de Valachie
de 1843 à 1848, avait épousé une princesse moldave de race grecque,
Zoé Mavrocordato, fille adoptive du dernier des princes Bassaraba de
Brancovan. Celui-ci vécut assez pour adopter également le fils aîné
de Georges Bibesco et de Zoé Mavrocordato, Grégoire, à qui furent
transférés tous les titres, privilèges et dignités de l'antique
famille des Brancovan. La princesse actuelle de Brancovan, sa veuve,
mère de Constantin de Brancovan que Paris a connu directeur de la
_Renaissance latine_, et de Mesdames la comtesse de Noailles et la
princesse de Chimay, appartient à la famille grecque orientale des
Musurus, où la haute culture est traditionnelle. Un cardinal Musurus
fut l'ami et le collaborateur d'Erasme, et l'auteur d'une recension
de Platon. Le père de Madame de Brancovan, Musurus Pacha,
ambassadeur de Turquie à Londres, a laissé une traduction de Dante
en grec ancien. On sait quelle admirable pianiste est la princesse
de Brancovan elle-même.. Le mélange en Madame de Noailles des sangs
des Bibesco, des Musurus et des Mavrocordato peut expliquer, ou au
moins symboliser, la diversité de son génie âpre et viril, mol,
pliant et passionné, amoureux pourtant de raison et de mesure.

       *       *       *       *       *

L'enfance de Madame de Noailles s'est partagée entre Paris où elle
est née et la Haute-Savoie où la princesse de Brancovan passe
plusieurs mois chaque année en son château d'Amphion, sur les bords
du lac de Genève. Cette région de la Haute-Savoie est un pays à deux
visages, l'un tendre et presque voluptueux, où déjà s'empreint la
mollesse italienne, l'autre, touché de la rudesse alpestre, où
l'expression de la passion se nuance de gravité, de concentration et
de profondeur. C'est celui-ci surtout qu'en ses jeunes années aimait
à contempler Madame de Noailles. Les souvenirs de Saint François de
Sales et de Jean-Jacques Rousseau en précisaient pour elle le sens
émouvant, et c'était toute une sensibilité catholique et romantique
dont s'imprégnait son cœur précoce:

    Un romanesque ardent émanait de cette eau
    Comme au temps de Byron, comme au temps de Rousseau...
    C'était une sublime, immense rêverie...
    --Soir des lacs, bercement des flots, rose coteau,
    Village qu'éveillait le remous d'un bateau,
    Petits couvents voilés par des aristoloches,
    Senteur des ronciers bleus, matin frais, voix des cloches
    Voix céleste au-dessus des troupeaux, voix qui dit:
    «Il est pour les agneaux de luisants paradis»...
    Barque passant le soir en croisant ses deux voiles
    Comme un ange attendri courbé sous les étoiles,
    C'est vous qui m'avez fait ce cœur triste et profond,
    Si sensible, si chaud que l'univers y fond.[1]

  [1] _Les Éblouissements_, p. 211.

Les jardins et la campagne d'Amphion sont à la source de ce qu'il y
a de plus pur et de plus pénétrant dans le sentiment de la nature de
Madame de Noailles.

       *       *       *       *       *

Ce sentiment se manifesta chez elle de bonne heure, non-seulement
avec une rare intensité, mais avec une qualité tout originale. Un
jour de sa toute enfance, au cours d'une promenade elle entendait
les grandes personnes causer de _décorations_. Ayant demandé qu'on
lui expliquât ce mot nouveau pour elle: «les décorations, lui fut-il
répondu, sont la récompense des belles actions». A ce moment les
promeneurs passaient sous un magnifique acacia qui embaumait: «Eh
bien! s'écria l'enfant, pourquoi ne décore-t-on pas cet acacia?»
Petite fille issue du panthéiste Orient, le premier mouvement de son
cœur en face de la nature est celui même de Xerxès chargeant de
bracelets et de colliers son fameux platane. «Tout ce qui vit ici,»
écrira-t-elle plus tard,

    Tout ce qui vit ici, la fontaine, le banc,
      La cloche du jardin qui sonne,
    Le délicat cerfeuil qui frise sous le vent
      _Sont pour moi de douces personnes_.[2]

  [2] _Les Eblouissements_, p. 253.

L'autre amour de Madame de Noailles enfant, ce fut la musique,
l'Art-Femme, synthèse obscure de tout idéalisme et de toute
sensualité. Des années, comme dans les jardins, elle a vécu dans la
musique sans savoir que c'était son plaisir, sa douleur, sa
plénitude. Cœur puéril et passionné que le désespoir solitaire,
tendu, sublime de Beethoven, l'ardeur molle et brisée de Chopin, ses
sonates

    Dont l'andante est si fort que la main sur son cœur
    On ne sait si l'on meurt de peur ou de bonheur,[3]

la nostalgie fiévreuse, la mortelle irritation de Wagner
contractaient jusqu'à l'oppression, exaltaient jusqu'au délire!

  [3] _Les Eblouissements_, p. 302.

    Mais quel vertige amer et quel trouble profond!
    Le livide plaisir s'emplit d'ombre et d'angoisse;
    Musique, qui nous tient, nous lie et nous terrasse,
    Que tes jeux sont aigus et quel mal ils nous font![4]

  [4] _L'Ombre des jours_, p. 120.

Et penchons-nous sur la rêverie de Sabine de Fontenay,--cette
héroïne de la _Nouvelle Espérance_ où Madame de Noailles a tant mis
d'elle--tandis qu'elle écoute chanter son cousin Jérôme: «Ah! la
musique, la musique! l'homme et la femme si misérables, l'amour si
impossible, tout si triste et si bas autour d'eux, et la musique qui
leur fait en rêve ces corps de lumière, ces bouches de larmes et de
suavité, ces regards plus déchiffrés et plus adhérents que les mains
autour des cous renversés... Mon Dieu! pensait-elle, comme cela fait
mal et pourquoi toujours cette vague attente du baiser?»[5]
Perçoit-on dans cette effusion lyrique le double aspect d'idéalisme
et de sensualité par quoi nous caractérisions la musique elle-même?
Au cours de cette étude se préciseront les analogies qui font de
Madame de Noailles le plus _musical_ de nos poètes.

  [5] _La Nouvelle Espérance_, p. 33.

A quinze ans, elle eut une crise de mysticité où ses lectures
favorites furent l'_Imitation_, et Pascal qu'elle ne comprenait
guère, mais qui l'émouvait puissamment. Elle n'en goûtait pas moins
d'ailleurs et Racine, et Hugo, et Musset, et Loti. C'est plus tard
seulement qu'elle connut et aima la Grèce, par les poètes
épigrammatiques et Anatole France.

Mais l'évènement intellectuel de son adolescence, ce fut la
découverte de la philosophie de Taine. Une après-midi de printemps
dont elle a gardé l'exacte mémoire, sur une colline près de
Monte-Carlo, dans le soleil et l'odeur des fleurs, quelqu'un en qui
elle avait mis sa confiance lui expliqua que le vice et la vertu
sont des produits comme le vitriol et le sucre, et tout ce qui
s'ensuit pour la morale et la métaphysique. Chaque parole de
l'initiateur écartait un voile, dissipait un rêve, ruinait un
espoir; mais de la mer étincelante sous le soleil éternel, de la
flûte d'un pâtre assis au bord du chemin et de son désespoir même
jaillissait pour elle un frénétique appel à jouir de cette vie si
courte... O indigente et basse philosophie! Que de jeunes esprits
n'a-t-elle pas vainement désolés, quand encore elle ne les a pas
pervertis! Et c'est assurément un problème de savoir comment et dans
quelle mesure l'erreur peut engendrer la vérité ou se revêtir de
beauté, mais le fait est que la philosophie de Taine, utile en son
temps à l'avancement des études psychologiques, s'étant infiltrée
d'autre part dans la sensibilité romantique, fond commun de tous les
poètes du siècle, y a formé la source encore aujourd'hui
jaillissante d'un pathétique nouveau et déchirant. Madame de
Noailles l'a elle-même finement noté, chez Musset, et on peut
étendre cette observation à tous les artistes de son époque, le
désespoir est sans âcreté, et le bonheur sans ironie. Or c'est
l'inévitable effet d'une telle philosophie, avec ses négations
brutales, et le divorce radical qu'elle accuse entre nos aspirations
et la réalité, d'introduire dans la sensibilité un principe, soit
d'âcreté, soit d'ironie. Barrès, qui excelle à cumuler les bénéfices
de positions contradictoires, a développé dans l'une et l'autre
direction son romantisme, et, pour tout dire, aggravé son mal
tellement, qu'il dut enfin se mettre en quête d'un remède. Dans
l'œuvre de Barrès qu'elle sait par cœur, Madame de Noailles a bu à
longs traits le poison,--et repoussé le remède, qui d'ailleurs, pour
des raisons aisées à saisir, ne lui convenait en effet nullement; de
sorte que sous son génie accablée elle défaille, sans qu'on voie
d'où lui viendrait le secours.

       *       *       *       *       *

Sa vocation s'affirma de très bonne heure. Vers sa dixième année
elle vit venir en visite à Amphion, à quelques jours d'intervalle,
un prince régnant et Frédéric Mistral. Elle vénéra, adora Mistral et
négligea le prince. Dès lors son choix était fait: déjà elle
s'essayait à versifier... Peu d'années plus tard, à Paris, sans
cesse elle entraînait sa gouvernante vers le lycée Janson, où
l'attirait invinciblement le visage de Pascal. Après avoir de 11 à
16 ans couvert de prose de volumineux cahiers, elle revint à la
poésie. C'est seulement en 1901, après son mariage, qu'elle publia
son premier livre, le _Cœur innombrable_, depuis assez longtemps
déjà achevé. Puis parurent l'_Ombre des Jours_ (1902), la _Nouvelle_
_Espérance_ (1903), le _Visage Emerveillé_ (1904), la _Domination_
(1905), les _Eblouissements_ (1907): trois romans, trois recueils de
poèmes. Dès son premier livre elle saisit l'opinion, ne fut
indifférente à personne. Elle eut des détracteurs passionnés qui
feignaient de croire que son nom, sa situation mondaine et sa beauté
constituaient l'essentiel de son génie; des adorateurs persuadés que
leur enthousiasme eût été le même si elle eût été pauvre, laide, et
se fût appelée Durand; des admirateurs mesurés, plus ou moins
sensibles à la nouveauté et à l'abondance de son inspiration, ou aux
imperfections de sa forme:--envie, admiration, amour, aube éclatante
de sa jeune gloire... Au vrai, pour tout esprit non prévenu, son
génie est incontestable; et c'est une question intéressante de
savoir si et en quoi sa situation mondaine a pu la servir ou lui
nuire.

Pour un homme, et plus encore pour une femme qui se voue à l'art, il
est trop clair qu'un grand nom, une belle fortune présentent des
avantages pratiques inappréciables. Encore ne vont-ils point sans
quelque inconvénient. La part qui est due à la mode dans un succès
s'épuise vite: le dernier livre de vers de Madame de Noailles, les
_Eblouissements_, ne semble pas avoir reçu, au moins dans la presse,
un accueil aussi chaud que le _Cœur innombrable_ et l'_Ombre des
Jours_, et pourtant il leur est aussi supérieur que l'est la
_Nouvelle Espérance_ au _Visage_ et à la _Domination_. Mais c'est
surtout au point de vue de son développement intérieur que
l'artiste dans des conditions extérieures trop favorables trouve de
graves périls. Surveillé et limité par son milieu il surveille et
limite à son tour ses sentiments, ou au moins leur expression; il
n'ose pas oser, perdre la pudeur, ce qui est la condition première
de tout art. Isolé d'ailleurs de la vie, il ne sait ou ne veut pas
se mettre en quête d'elle, et si parfois il la rencontre, il ne s'en
rend point le maître, ignorant du rude effort qu'il y faut. Or de ce
double péril Madame de Noailles a été préservée par la sincérité
entière, irréductible de sa nature et par sa prodigieuse
perméabilité à toutes les émotions. Sincérité, candeur, spontanéité,
naïveté, ingénuité, autant de mots qui d'eux-mêmes, qu'on la lise ou
l'écoute, vous viennent aux lèvres. «Sabine, écrit-elle, et on est
invinciblement tenté de lui appliquer à elle, la part faite à
beaucoup d'ironie, cette caractéristique de son héroïne, «Sabine
discutait, affirmait comme on fait un serment; elle avait toujours
l'air de dire à la suite de ce qu'elle énonçait: «Je vous jure que
c'est ainsi»; elle prononçait: «Cela est vrai...» sur le ton dont
elle aurait crié: «J'ai soif...» avec une assurance puisée au lieu
même de la certitude physique et du besoin...»[6]. Plus peut-être
qu'il n'eut fallu parfois pour son repos, Madame de Noailles a le
courage d'elle-même et de toute elle-même. Quant à sa sensibilité,
en fut-il jamais de plus aisément blessable, de plus continûment
frémissante? Je l'ai vue s'émouvoir jusqu'aux larmes à la soudaine
évocation d'un chagrin vieux de vingt ans. Sensible, comme Sabine
«jusqu'au trouble de l'esprit et jusqu'au malaise physique», Madame
de Noailles ignore la paix et le repos des nerfs, sinon du cœur:

    Je suis l'être que tout enivre et tout afflige...
    Et je vis étonnée, aveuglée, éblouie,
    Sachant bien que pourtant la détresse inouïe
    A depuis mon enfance exalté tous mes jours...
    Hélas! je vis, toujours errante et toujours ivre
    Je vis, pleine d'azur, de sanglots, de souhaits...

  [6] _Nouvelle Espérance_, p. 16.

Qu'avez-vous fait, demande-t-elle à ses vers

    De ces désirs, ces cris, ces éblouissements
    Si tendres, si joyeux, si tristes, si sensibles
    Qu'un autre être que moi ne les croit pas possibles,
    Et s'il portait mon cœur mourrait d'épuisement?

Remarque-t-on la force des expressions: enivrée, pâmée, exaltée,
éblouissements, détresse, épuisement? Chez Sabine, écrit encore
Madame de Noailles, «la flamme montait des profondeurs du sang,
faisait sur la pensée, sur la raison, danser son rouge incendie.
Nulle réserve, nul jugement en cet esprit que la première vague
emplissait...» La tendance ou la tentation du poète, c'est de faire
ou de laisser _donner_ en chaque occasion sa sensibilité tout
entière. Le péril, bien différent de celui qu'on eût pu craindre,
c'est dès lors que sous ce flot innombrable et monotone de
sensibilité les plans et les reliefs de son univers s'atténuent
jusqu'à disparaître, c'est que ses sentiments et leurs objets les
uns par rapport aux autres ne s'ordonnent ni ne se situent. Et sans
doute ce péril-là s'aggrave-t-il des conditions mêmes d'une vie trop
facile. A Madame de Noailles comme à ce Philippe l'Arabe que Barrès
nous montre réduit à une extrême ingéniosité pour satisfaire son
besoin de s'attendrir, les circonstances ont composé une solitude:
certaines expériences douloureuses, les unes inutiles, les autres
utiles, indispensables peut-être, lui sont suivant le point de vue,
épargnées ou interdites; elle s'enivre, elle _meurt_ d'émotions que
néglige l'ordinaire des malheureux:

    Si l'on t'avait appris qu'un cœur toujours malade
    Et blessé chaque soir d'ombre et de volupté
    Ne goûte qu'en mourant l'odeur des roses thé
    Dans l'air chaud remué par les cris des pintades...[7]

  [7] Les _Eblouissements_, p. 311.

Défaut charmant, trop charmant, mais défaut pour un poète accessible
d'ailleurs aux sentiments généraux et profonds, à ceux que suscitent
la Nature, l'Amour et la Mort, identiques dans toutes les conditions
humaines. La pente naturelle de Madame de Noailles est à une
certaine exagération, et les circonstances ont dû accentuer plutôt
qu'atténuer cette inclination, qu'une raison suffisamment ferme
n'est pas venue jusqu'ici réfréner. Mais cette réserve faite,
hâtons-nous de reconnaître que l'originalité profonde de Madame de
Noailles est indépendante de toute condition extérieure, s'il est
vrai qu'à aucun poète de sa génération il n'a été donné de reprendre
et de renouveler aussi puissamment quelques-uns des thèmes éternels
du lyrisme.

       *       *       *       *       *

Je ne sais qui a dit que s'il était une petite fille qui fût née
sous un chou, c'était certainement Madame de Noailles. Le mot est
joli, mais un peu injuste. Sans doute les jardins, même potagers,
ont leur part dans l'amour de Madame de Noailles; et ne faut-il pas
remercier le poète qui le premier sut dégager l'humble beauté de nos
légumes? Mais en vérité ce n'est pas assez dire que d'appeler Madame
de Noailles la Muse des Jardins. Que l'on considère son œuvre
d'ensemble: c'est bien à la Nature qu'elle est dédiée comme une
magnifique offrande, à la toute puissante, à l'universelle Nature, à
celle de Lamartine, de Vigny et de Hugo:

    Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent
    Nul n'aura comme moi si chaudement aimé
    La lumière des jours et la douceur des choses,
    L'eau luisante et la terre où la vie a germé...[8]

  [8] _Cœur_, p. 7.

Ce que Madame de Noailles apporte de nouveau, et par quoi elle se
manifeste bien de ce temps où Baudelaire et les naturalistes ont
joint leurs influences à celle des grands Romantiques, c'est une
sensualité inépuisable, unie à une extrême précision descriptive.
Elle jouit et souffre de la nature par tous les sens, par le goût
surtout, l'odorat et la vue, et par cette sensibilité générale et
profonde, particulièrement abondante chez la femme, jusqu'à former
comme un sixième sens, à la faveur duquel les sensations des autres
se mêlent, se confondent et se multiplient. Elle peut analyser en
huit strophes, étonnantes d'invention verbale, les _Saveurs de
l'air_:

    Mon Dieu! que j'ai goûté la douce odeur de l'air,
      De l'air charmant, glissant et clair
    Odeur simple au matin, et le soir si chargée
      De feu, de lueur orangée![9]

  [9] _Eblouissements_, p. 39.

Elle voudrait absorber l'univers comme une enivrante liqueur:

    Il n'est pas suffisant qu'on regarde et qu'on touche
            Les vergers odorants et verts;
    Je voudrais n'être plus qu'une amoureuse bouche
            Qui goûte et qui boit l'univers[10].

  [10] _Eblouissements_, p. 264.

A savourer les parfums elle apporte le même mélange de sensualité et
d'analyse:

    Mon cœur est un palais plein de parfums flottants
    Qui s'endorment parfois aux plis de ma mémoire...
    Parfum des fleurs d'avril, senteur des fenaisons,
    Odeur du premier feu dans les chambres humides,
    Aromes épandus dans les vieilles maisons...[11]

  [11] _Cœur_, p. 69, id. Sur les mains _Eblouissements_, p. 343.

Il n'est pas jusqu'à l'image visuelle elle-même, aussi nette, aussi
intense que chez Hugo, qui, au lieu de rester comme chez celui-ci et
conformément à son usage ordinaire, avant tout représentative, ne se
prolonge immédiatement, elle aussi, en sensualité:

    O pulpe lumineuse et moite du ciel tendre!
    Espace où mon regard se meurt de volupté,
    O gisement sans fin et sans bord de l'été,
    Azur qui sur l'azur vient reluire et s'étendre,
    Coulez, roulez en moi...[12]

  [12] _Eblouissements_, p. 162.

Après cela, on ne s'étonnera pas que Madame de Noailles soit de tous
ses nerfs accessible aux mille influences des saisons, du jour et de
l'heure. Avec une inlassable et subtile complaisance, elle a noté
les multiples aspects de la changeante nature, ses complicités et
ses désaccords avec la mobile humanité.

C'est le «printemps vert amer»:

    Un oiseau chante, l'air humide
    Tressaille d'un fécond bonheur,
    Un secret puissant et languide
    Traîne sa vapeur, sa moiteur...[13]

  [13] _Eblouissements_, p. 88.

C'est le languissant, le luxurieux été:

    C'est l'été, je meurs, c'est l'été...
    Un désir indéfinissable
    Est sur l'univers arrêté
    Ah! dans les plis légers du sable
    Le tendre groupe projeté
    D'un rosier blanc et d'un érable!
    Le cœur languit de volupté...[14]

  [14] _Eblouissements_, p. 67.

C'est l'automne:

    Comme toutes les voix de l'été se sont tues!
    Pourquoi ne met-on pas de mantes aux statues?
    Tout est transi, tout tremble et tout a peur; je crois
    Que la bise grelotte et que l'eau même a froid.

    Les feuilles dans le vent courent comme des folles...[15]

  [15] _Cœur_, p. 83.

Et c'est l'hiver enfin, le rude et consolant hiver,

    L'hiver sans volupté, sans chants et sans odeur[16]

  [16] _Ombre des Jours_, p. 53.

Voici la douceur du matin:

                                Candide, charmant
    Comme une fleur qui naît et comme un pépiement.
    Tout est plus jeune encor que l'enfance...[17]

  [17] _Eblouissements_, p. 100.

Voici Midi paisible:

    Midi glisse et languit, la vie est assoupie...
    Repos dans la nature ardente! Les demeures
    Ont laissé retomber les doux stores d'osier
    Rien ne bouge; on dirait que des insectes meurent
    Entre le sable chaud et l'ombre des rosiers.

    On n'a pas de regrets, pas de désir, pas d'âge[18]

  [18] _Eblouissements_, p. 28.

Voici un après-midi de juillet dans la maison:

    A l'ombre des volets la chambre s'acclimate;
    Le silence est heureux, calme, doux, attiédi,
    Pareil au lait qui dort dans une fraîche jatte;
    La pendule de bois fait un bruit lent, hardi,
    Semblable à quelque chat qui pousse avec sa patte
    Les instants, dont l'un chante et l'autre est assourdi.[19]

  [19] _Ibid._, p. 129.

Voici un Crépuscule au Jardin:

    O divin crépuscule, odeur de roses blanches!
    Le soir est du soleil arrêté dans les branches.
    Les arbres des jardins épandent leurs rameaux
    Et partagent la paix triste des animaux;
    Tout est pensif, chargé de désir et de rêve,
    Une vapeur descend, une autre se soulève...
    Le tilleul inquiet, l'érable faible et blanc
    Font un geste secret, désespéré, tremblant...[20]

  [20] _Eblouissements_, p. 307.

Voici une sensation d'avant l'orage:

    Ah! je ne savais pas ce que c'était, c'était
    La lente oppression qui précède l'orage...
    J'appuyais mes deux mains sur mon cœur; j'écoutais
    Frémir en moi la peur, la soif, la triste rage,
    Je me levais, j'allais, les doigts en éventail,
    Un sang rapide et chaud étourdissait ma tête...[21]

  [21] _Eblouissements_, p. 130.

Voici des impressions d'après l'ondée:

    Dieu merci la pluie est tombée
    En de fluides longues flèches,
    La rue est comme un bain d'eau fraîche,
    Toute fatigue est décourbée...

    Un parfum de verdure nage
    Dans toute cette eau renversée;
    A petites gouttes pressées
    L'été s'évade du naufrage.[22]

  [22] _Ombre des Jours_, p. 63.

Mais la sensibilité de Madame de Noailles se limite rarement à la
volupté passive de la sensation pure. Non contente de ressentir
l'univers, elle veut le posséder, s'abîmer en lui, l'abîmer en elle.
Voyez, s'écrie-t-elle,

    Voyez de quel désir, de quel amour charnel
    De quel besoin jaloux et vif, de quelle force
    Je respire le goût des champs et des écorces.
    Je vivrai désormais près de vous, contre vous,
    Laissant l'herbe couvrir mes mains et mes genoux,
    Et me vêtir ainsi qu'une fontaine en marbre...[23]

  [23] _Cœur_, p. 58.

Son vœu le plus cher, c'est d'

    Etre dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
    Etendre ses désirs comme un profond feuillage,
    Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
    La sève universelle affluer dans ses mains.[24]

  [24] _Cœur_, p. 73.

Saisit-on ce mélange perpétuel, cette constante fusion de l'homme et
de la nature?

    Rire, fraîcheur, candeur, idylle de l'été!
    Tout m'émeut, tout me plaît, une extase me noie,
    J'avance et je m'arrête; il semble que la joie
    Etait sur cet arbuste, et saute dans mon cœur!
    Je suis pleine d'élan, d'amour, de bonne odeur,
    Et l'azur à mon corps mêle si bien sa trame,
    Tout est si rapproché, si brodé sur mon âme,
    Qu'il semble brusquement à mon regard surpris
    Que ce n'est pas le pré, mais mon œil qui fleurit
    Et que, si je voulais, sous ma paupière close,
    Je pourrais voir encor le soleil et la rose[25]

  [25] _Eblouissements_, p. 268.

De tels accents sont très nouveaux dans notre littérature. Ils
différencient Madame de Noailles non seulement des naturalistes qui
décrivent la nature comme une réalité étrangère, mais d'un
Chateaubriand, d'un Hugo, que la nature émeut certes profondément,
mais qui devant elle n'en restent pas moins, si l'on peut dire,
intérieurs à eux-mêmes. D'un mot et dans tout le sens de ce mot, la
sensibilité de Madame de Noailles est panthéiste, jusque-là que la
certitude d'une union plus étroite avec la nature dans la mort
(étrange illusion, pour le dire en passant, de croire qu'on sera
plus proche de la nature mort que vivant) lui tient lieu des
espérances qu'on demande d'ordinaire à la religion:

    Je ne souhaite pas d'éternité plus douce
    Que d'être le fraisier arrondi sur la mousse...[26]
et encore:

    O mort, vraiment pourrez-vous faire,
    Ayant dissous mon cœur content,
    Que je sois ce que je préfère:
    Un éclat d'azur dans le temps?[27]

  [26] _Eblouissements_, p. 211.

  [27] _Eblouissements_, p. 289.

Telle est la puissance de cet amour qu'il empiète sur le domaine
ordinaire des autres amours, amour humain:

    Les forêts, les étangs et les plaines fécondes
    Ont plus touché mes yeux que les regards humains[28]

  [28] _Cœur_, p. 7.

Amour divin:

    Moi qui ne peux pas croire aux promesses des cieux,
    Je vous adore avec la part qu'on donne à Dieu[29]

  [29] _Eblouissements_, p. 211.

De fait, si Madame de Noailles prie, c'est vers le soleil que monte
sa prière:

    C'est ma prière unique et ma foi naturelle
    De plier mes genoux orgueilleux sur tes pas...[30]

  [30] _Eblouissements_, p. 141.

    Ma joie est un jardin dont vous êtes la rose,
    Enorme soleil d'or, flamme en corolle éclose,
    Héros, d'ardents regards et de flèches armé,
    Soleil, mille soleils en vous seul enfermés!...
    Moi seule, en vous voyant je prie et je chancelle...[31]

  [31] _Ibid._, p. 81-86.

Mais non plus que l'amour, l'adoration ne suffit encore à ce cœur
qui ne se satisfait que du délire. L'aurore d'un beau jour d'été,
lumière, azur, parfum, gazouillement d'oiseaux, bourdonnement
d'abeilles, la remplit d'une ivresse dionysiaque:

    Vivre! chanter la gloire et le plaisir de vivre!
    --Et puisqu'on n'entend plus, ô mon Bacchus voilé
    Frissonner ton sanglot et ton désir ailé,
    Puisqu'au moment luisant des chaudes promenades
    On ne voit plus jouer les bruyantes Ménades,
    Puisque nul cœur païen ne dit suffisamment
    La splendeur des flots bleus pressés au firmament,
    Puisqu'il semble que l'âpre et l'enivrante lyre
    Ait cessé sa folie, ait cessé son délire,
    Puisque dans les forêts jamais ne se répand
    L'appel rauque, touffu, farouche du dieu Pan
    Ah! qu'il monte de moi, dans le matin unique,
    Ce cri brûlant, joyeux, épouvanté, hardi,
    Plus fort que le plaisir, plus fort que la musique,
    Et qu'un instant l'espace en demeure étourdi...»[32]

  [32] _Eblouissements_, p. 91.

On le voit, l'attitude du poète en face de la nature correspond
assez exactement, sauf quelque excès de sensualité peut-être, à
l'image que nous pouvons nous former du Paganisme exalté des
Mystères. Ce n'est pas la Grèce de la tradition universitaire, mais
c'est une Grèce authentique. Une fois encore, par l'élan seul de son
génie, Madame de Noailles renoue la chaîne interrompue de ses
origines.

Cependant, cette sensibilité si merveilleusement abondante, le seul
amour de la nature suffira-t-il à l'absorber? Une âme moderne
peut-elle se reposer dans le pur naturalisme? Il y a au fond de
l'âme de Madame de Noailles, comme de tant d'âmes de son siècle, une
inquiétude essentielle, une douloureuse ardeur de changement et de
fuite, une fureur de toujours et de tout sentir:

    Qu'aucune flèche, aucune flamme,
    Aucune aride pâmoison
    Ne soit épargnée à cette âme
    Qui veut défaillir de frisson...
    Ah! goûter tout ce qui tourmente![33]

  [33] _Eblouissements_, p. 381.

Si instable et oscillante est cette sensibilité qu'à la rigueur les
extrêmes s'y touchent:

    Mon Dieu! mon Dieu! la paix touche au délire aussi![34],

et que sans cesse par des transitions rapides et insensibles s'y
transmuent l'une en l'autre la volupté et la douleur:

    Chère douleur, ô seul brisement délectable!...
    Vous par qui l'on sanglote et vous par qui l'on rit,
    Rire d'inconsolable et mortelle allégresse![35]

  [34] _Eblouissements_, p. 26.

  [35] _Eblouissements_, p. 311.

«Je n'ai pas le sens des degrés du plaisir, dit Sabine. Il n'y a
qu'un plaisir, c'est ce qui fait mal...»[36] Désordonnés mouvements
du cœur, dont la nature ne saurait être l'objet, non plus que la
cause! Aussi bien la nature elle-même suscite au cœur qu'elle ne
suffit point à combler la nostalgie d'un autre amour:

    Vaporeuse douceur de l'air tremblant et pur,
    Paysage d'été luisant sous ma fenêtre,
    Miel du soleil épars sur les coteaux d'azur,
    Allégresse du jour léger qui vient de naître...

    Vous dites: «Les splendeurs du matin clair sont là
    Pour que le jeune Adam et l'Eve langoureuse
    Reviennent habiter sous les larges lilas
    Prés de la source sourde, au fond de l'herbe creuse[37]

  [36] _Nouvelle Espérance_, p. 175.

  [37] _Eblouissements_, p. 359.

Madame de Noailles a brodé une variation originale sur le thème
romantique, qu'on eût pu croire usé, de la solitude de l'homme dans
la nature, après l'amour:

    ... Vous parlez, j'entends, vous me dites: «Pauvre âme,
    Tu ne pourras jamais être aussi bien en moi;
    Il faut que tu me voies comme l'étang me voit,
    Et que sans trop d'ardeur humaine tu t'emplisses
    De mes reflets dansants et de mes ombres lisses.
    Tu as trop de désir, trop d'espoir et d'orgueil...
    --Ah! nature, nature, épuisante nature
    Je vous entends; ainsi, je ne verrai jamais
    Vos sources, vos chemins, vos feuillures de mai,
    Sans qu'en mon cœur s'élance une blessure aiguë...
    Ah! le plaisir charmant et doux de la ciguë
    Qui balance sa fleur et son feuillage bas,
    Ah! cet oiseau qui chante et qui ne pense pas...[38]

  [38] _Ombre des Jours_, p. 124-125.

Qu'on lise tout le poème, et puis qu'on relise le _Lac_ et la
_Tristesse d'Olympio_; s'il n'a ni le sublime pathétique de l'un, ni
la magnificence de l'autre, il a sur tous les deux la supériorité de
la précision analytique. Ç'a été et c'est la tâche de quelques-uns
des meilleurs écrivains d'aujourd'hui de préciser par l'analyse le
vague constitutif de la sensibilité romantique.

       *       *       *       *       *

Sur sa façon de sentir l'amour, Madame de Noailles est beaucoup plus
brève que sur sa façon de sentir la nature. Dans ses trois volumes
de vers, on trouverait à peine une douzaine de pièces consacrées à
un sentiment qui remplit d'ordinaire les productions féminines, et
ces pièces, si ingénieusement qu'on les rapproche, ne forment pas
l'histoire d'un cœur. Trois ou quatre d'entre elles font allusion à
des déceptions répétées, déceptions ordinaires, inévitables, mais
particulièrement sensibles à ce cœur né pour souffrir.

    Je t'expliquais parfois cette peine que j'ai
    Quand le jour est trop tendre ou bien la nuit trop belle.
    Nous menions lentement nos deux âmes rebelles
    A la sournoise, amère et rude tentative
    D'être le corps en qui le cœur de l'autre vive;
    Et puis, un soir, sans voix, sans force et sans raison,
    Nous nous sommes quittés; ah! l'air de ma maison,
    L'air de ma maison morne et dolente sans toi,
    Et mon grand désespoir étonné sous son toit![39]

  [39] _Ombre des Jours_, p. 156.

Mais quoi! C'est la destinée commune de tous les cœurs qui ont trop
d'amour. Il y a de Saint-Paul un mot simple et profond: «Quoique,
écrit l'apôtre, en aimant davantage, je sois peut-être moins aimé».
Ainsi Madame de Noailles:

    Tu vas, toi que je vois, mon ombre, ô mon moi-même,
    Cherchant quelque épuisant et merveilleux bonheur,
    Mais l'espoir tremble, l'air est las, la vie a peur,
    Tu vas, ayant toujours plus aimé qu'on ne t'aime,

    Plus aimé, ou du moins plus âprement aimé,
    D'une plus imminente et guerrière détresse...[40]

  [40] _Ombre des Jours_, p. 149.

Alors, sous l'intolérable douleur de la récente blessure, c'est un
âpre, un ardent désir de silence, d'oubli, de mort:

    Ne plus aimer surtout, ah! c'est surtout cela!...
    Les yeux, les yeux, ne plus se souvenir des yeux
    Des yeux qu'on a aimés, mauvais comme des pierres!
    Ces yeux profonds, avec des flèches au milieu
    Ah! qu'ils ferment en nous leurs cils et leurs paupières!
    Amour, allez-vous-en pour qu'on puisse mourir...[41]

  [41] _Ibid._, p. 158.

C'est le retour à l'apaisante nature:

    Maintenant je le sens, moi dont le cœur est tel
    Qu'aucun désir n'y peut demeurer long et grave,
    Je garde pour vous seule un amour immortel
    O beauté des jardins, indolente et suave![42]

  [42] _Ibid._, p. 160.

Paix trompeuse, que viennent soudain traverser d'aigus, de
déchirants souvenirs:

    L'ombre d'un autre cœur a de plus noirs détours
    Que la nuit orageuse, impénétrable et sombre;
    Eclairs des faux regards, phare du faux amour
    Où menez-vous l'espoir, qui se brise et qui sombre!

    Le passé vit en moi ce soir, ce trop chaud soir...[43]

  [43] _Ombre des Jours_, p. 165-166.

O folie dont rien ne peut guérir! Ce cœur qui d'un si rude élan
s'est porté vers l'amour jamais ne se déprendra de l'amour:

    Enfants, regardez bien toutes les plaines rondes,
    La capucine avec ses abeilles autour,
    Regardez bien l'étang, les champs, avant l'amour,
    Car après on ne voit plus jamais rien du monde.

    Après l'on ne voit plus que son cœur devant soi,
    On ne voit plus qu'un peu de flamme sur sa route,
    On n'entend rien, on ne sait rien, et l'on écoute
    Les pieds du triste Amour qui court ou qui s'asseoit.[44]

  [44] _Ombre des Jours_, p. 165.

Qu'il vienne donc, le désirable et redoutable amour. Non seulement
on consent à l'accueillir, mais de tout son être on l'appelle. Par
une étrange fusion du caractère viril avec le féminin, l'amour dans
l'œuvre de Madame de Noailles n'est pas seulement passion, il est
_action_, recherche et presque provocation. Un poème de l'_Ombre des
Jours_ fait entendre cette curieuse plainte:

    Et je rentrais alors ivre du temps d'été,
    Lasse de tous cela, morte d'avoir été
    Moi le garçon hardi et vif, et toi la femme...

Sabine de Fontenay, à la fin d'une soirée passionnée de musique,
retient son cousin Jérôme. Ils sont là en face l'un de l'autre, elle
confuse et misérable, lui nerveux et pâle. L'homme se dérobe:
«Sabine, dit-il en tremblant, vous devriez aller vous reposer, il
est tard, vous partez demain.--Et puis il se passa la main sur le
front comme s'il voulait en arracher une pensée pesante, une
douleur, et Sabine crut qu'il pleurait. Alors _elle le pressa contre
elle d'une terrible tendresse_...»[45]. La même Sabine plus tard, la
première fois qu'elle voit chez lui Philippe Forbier, un ami de son
mari, éprouve une grande difficulté à partir, à le quitter, la
seconde fois, avec la sûreté de l'instinct, prend une syncope, et la
troisième se laisse tomber contre sa poitrine. La récente
émancipation de la femme ménage aux amateurs de complexités
psychologiques de précieux et neufs divertissements... Le miracle
c'est que, si contraire à l'idée ou à l'idéal, sans doute un peu
artificiels, que l'homme conçoit volontiers de l'amour féminin,
l'amour chez l'héroïne de Madame de Noailles n'en garde pas moins
une entière noblesse: il la doit avant tout à son courage, à l'élan
sans restriction ni réserve qui le jette vers la douleur. Ce n'est
pas Sabine de Fontenay qui, pareille à l'Homme libre de Barrès,
s'arrête jamais avant de se nuire, mais elle se précipite sur toutes
les pointes de la vie de façon à s'y déchirer.

  [45] _Nouvelle Espérance_, p. 92-93.

       *       *       *       *       *

Au reste, cette analyse est loin d'épuiser la signification du mot
amour chez Madame de Noailles. D'abord, et c'est un trait par où
elle se révèle de lettres, l'amour n'est pas seulement pour elle ce
sentiment étroit et tenace qui s'attache à un être particulier.
Sabine un soir avec Philippe entend passer sous ses fenêtres une
manifestation d'étudiants, et ce tumulte dans l'ombre l'enivre.
«Qu'est-ce qu'il vous faut, à vous, lui demande Philippe tristement,
qu'est-ce ce qu'il vous faut pour être heureuse»?--«Votre amour,
répond-elle, puis elle ajoute: Et la possibilité de l'amour de tous
les autres»[46]. Ainsi Madame de Noailles, dans l'exquis poème de
l'_Ombre des Jours_:

    J'ai dit ce que j'ai vu et ce que j'ai senti,
    D'un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi,
    Et j'ai eu cette ardeur par l'amour intimée
    Pour être après la mort parfois encore aimée,
    Et qu'un jeune homme alors lisant ce que j'écris,
    Sentant par moi son cœur ému, troublé, surpris,
    Ayant tout oublié des épouses réelles
    M'accueille dans son âme et me préfère à elles[47]

  [46] _Nouvelle Espérance_, p. 266.

  [47] _Ombre des Jours_, p. 170.

Sabine, nous dit-on encore, par moments «ne savait plus vers qui
allaient ses espoirs; cela s'étendait, devenait infini; elle
imaginait des horizons de soleil immense, des foules venues vers
elle, et elle la déesse de l'éternel désir»[48]. Etre la _déesse de
l'éternel désir_: telle est la forme que prend dans un cœur féminin
l'amour de la gloire.

  [48] _Nouvelle Espérance_, p. 314.

Ce n'est pas tout encore. Le mot désir, comme le mot amour, est
équivoque, ou plutôt multivoque, et la plupart des hommes n'usent de
ces mots que dans un seul de leurs sens, dès lors en chaque cas
aisément déterminable. Mais, selon une profonde remarque de Barrès,
à certaines âmes, aux plus complexes et aux plus sensitives, le
vocabulaire commun devient insuffisant; elles trouvent en elles une
puissance infinie d'expansion, de jaillissement, elles disent désir,
amour, et cela signifie, suivant le plan de leur vie intérieure sur
lequel cette puissance se réalise, désir d'aimer, désir d'être
aimée, amour de la nature, amour d'un être, amour de l'humanité,
amour de la gloire, héroïsme, désir sans nom, pur amour. Nous avons
parcouru déjà chez Madame de Noailles quelques-uns de ces sens du
mot amour; nous y trouvons la plupart des autres. Et d'abord il y a
en elle une immense pitié de la souffrance et de la misère humaines
qui l'eût sans doute dévoyée vers l'humanitarisme, si l'influence de
Barrès ne l'en eût heureusement détournée; je dis heureusement, car
dans l'ordre de l'activité morale l'amour n'est rien sans le
renoncement, le don de tout l'être, et c'est sans doute le vice
profond de l'humanitarisme philanthropique de méconnaître cette
vérité de principe; or Madame de Noailles ignore le renoncement.
Mais qu'on lise les poèmes intitulés: _Fraternité_[49], _La
Justice_,[50] _Les Malheureux_,[51] ou telles pages de la _Nouvelle
Espérance_[52] et du _Visage Emerveillé_[53] sur les criminels: on y
sentira palpiter une émotion sincère. «Quand j'étais petite, un
soir, je revenais en voiture avec mon père, et nous avons rencontré
sur la route un homme qui passait entre deux gendarmes. Mon père m'a
dit: «Vois, c'est sans doute un voleur». Ah! le mot voleur, comme il
m'avait fait peur, comme il est redoutable! et j'ai regardé.
C'était, entre deux gendarmes, un homme pauvre qui avait l'air
fatigué»!

  [49] _Cœur innombrable_, p. 167.

  [50]   --       --        p. 171.

  [51]   --       --        p. 174.

  [52] _Nouvelle Espérance_, p. 150-179.

  [53] _Visage_, p. 57.

Mais la société d'élection de Madame de Noailles, ce sont les héros;
la dernière et très belle pièce des _Eblouissements_ leur est
dédiée. L'héroïsme devait tenter Madame de Noailles, étant l'état le
plus élevé où atteignent les âmes qui unissent à une extrême
générosité un vif sentiment d'elles-mêmes.

    Que d'autres cherchent l'air des bois, de la montagne,
        Et la brise des Océans,
    Je m'enfonce dans l'ombre où nul ne m'accompagne,
        Je respire chez les géants![54]

  [54] _Eblouissements_, p. 408.
Et c'est une suite magnifique de virils accents, auxquels la
dernière strophe seule mêle un accent très féminin:

    Je viens, portant sur moi la douce ardeur des mondes
        Et tenant les fleurs de l'été,
    Accueillez-moi ce soir dans l'ombre où se confondent
        _L'héroïsme et la volupté_!

Ainsi Sabine de Fontenay s'écriait: «N'est-ce pas, l'héroïsme et la
sensualité sont la même chose, l'héroïsme est la plus âpre
sensualité?»[55] Et c'est assurément une question de savoir si
certains états élevés peuvent être ainsi sensualisés impunément...

  [55] _Nouvelle Espérance_, p. 164.

Tant de formes diverses de l'amour ont-elles enfin épuisé la source
où elles s'alimentent? Madame de Noailles a insisté à diverses
reprises, douloureusement, sur l'impuissance des mots ou des actes à
égaler l'abondance et l'ardeur de sa vie intérieure:

    Je ne pourrais jamais exprimer mon desir
        L'ardeur qui me terrasse,
    Ni si les monts d'argent me prêtaient leur soupir
        Soulevé dans l'espace,

    Ni si le lis brûlant me donnait son odeur
        Dans l'azur infusée
    Ni si toute la mer se groupait dans mon cœur
        Pour jaillir en fusée!...[56]

    Tant de rêve, d'amour, de désir, tant d'élans,
        C'est un si grand martyre;
    Hélas! mourir un soir, le cœur encor brûlant
        Sans avoir pu tout dire...[57]

  [56] _Eblouissements_, p. 57-58.

  [57] _Ibid._, page 27.

Avec cette angoisse parfois alterne cet état de plénitude supérieure
où l'amour, comme s'il répugnait à se limiter en se déterminant,
semble se prendre lui-même pour objet, et se reposer dans son
infinitude:

    Je ne sais ce que j'aime; j'aime[58]

  [58] _Ibid._, p. 300.

Mais l'amour ne saurait longtemps se soustraire à sa loi, qui est
de se répandre; s'il a paru se replier sur soi, c'était pour
s'accumuler; et s'il s'accumule, c'est pour plus puissamment
jaillir. Le poète peut se rendre justement ce magnifique témoignage:

    Nul cœur humain jamais n'eut autant de frissons;
    Mon rêve est un si vif et si ardent buisson
    Que si j'ouvre mes bras où la tendresse abonde,
    Il tombe malgré moi de l'amour sur le monde!

Amour d'artiste en dernière analyse, au moins pour la plus grande
part, suspect à tort et à raison à l'apôtre et à l'homme de bien.
Madame de Noailles en marque très exactement la qualité dans les
vers qui suivent:

    Amoureuse du vrai, du limpide et du beau,
    J'ai tenu contre moi si serré le flambeau,
    Que, le feu merveilleux ayant pris à mon âme,
    J'ai vécu exaltée et mourante de flammes![59]

  [59] _Eblouissements_, p. 85.

Et voilà, n'est-il pas vrai, un jour saisissant sur cet être
étrange, le poète, victime sans dévouement, qui du feu qui le
consume nous éclaire.

       *       *       *       *       *

Dans les poèmes qui ont été inspirés à Madame de Noailles par la
pensée de la mort, on retrouve le même mélange que nous avons déjà
signalé chez elle de féminité et de fermeté virile. Et d'abord,
Madame de Noailles redoute, plus que tout peut-être, cette mort
avant la mort qu'est pour la femme la vieillesse. Qui n'a dans la
mémoire le début de _Jeunesse_, avec sa seconde strophe dont on a le
cœur serré comme d'une étreinte physique:

    Pourtant tu t'en iras un jour de moi, Jeunesse,
    Tu t'en iras, tenant l'Amour entre tes bras,
    Tu t'en iras, je pleurerai, tu t'en iras
    Jusqu'à ce que plus rien de toi ne m'apparaisse.

    La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris
    Je te rappellerai d'une clameur si forte
    Que pour ne plus m'entendre appeler de la sorte
    La mort entre ses mains prendra mon cœur meurtri[60]

  [60] _Ombres des Jours_, p. 3.

La pièce qui ouvre les _Eblouissements_, d'une violence moins
tendue, atténuée de mélancolie, est peut-être plus pathétique
encore:

    Quelquefois, dans la nuit, on s'éveille en sursaut,
    Et, comme un choc qui brise et qui perce les os
    On songe au temps qui fuit, aux plus jeunes années,
    A l'aurore enflammant les vitres fortunées...[61]

  [61] _Eblouissements_, p. 3.

Conformément à son génie, Madame de Noailles éprouve de la mort une
horreur surtout physique:

    Et pourtant il faudra nous en aller d'ici
    Quitter les jours luisants, les jardins où nous sommes,
    Cesser d'être du sang, des yeux, des mains, des hommes,
    Descendre dans la nuit avec un front noirci,
    Descendre par l'étroite, horizontale porte,
    Où l'on passe étendu, voilé, silencieux,
    Ne plus jamais vous voir, ô lumière des cieux!
    Hélas! je n'étais pas faite pour être morte![62]

  [62] _Eblouissements_, p. 52.

Remarque-t-on l'accent attendri et humble de ce dernier vers? Seule
la pensée de la mort a ce pouvoir de fondre la violence et de briser
l'orgueil de Madame de Noailles. Deux ou trois des plus précieux
poèmes des _Eblouissements_ sont de cette veine, rare chez elle,
d'humilité tendre, entr'autres l'exquis _Nocturne_:

    Tu dormiras dans l'ombre et ta petite gloire
        Assise en ce tombeau
    Ne fera pas ta nuit moins secrète et moins noire
        Ne te tiendra pas chaud.

    Aucune fleur ne peut désennuyer les mortes,
        Leur bonheur est cessé...
    Celui qui les aimait n'a pas rouvert la porte
        Où elles ont passé.

    Il faudrait, pour qu'un peu de plaisir les rassure
        Que le plus cher amant
    Leur dise: Vois, je viens pour baiser ta chaussure
        Et tes deux pieds charmants

    Qu'il leur dise: Voyez, votre chambre creusée
        Plus qu'un autre me plaît;
    Ce lit étroit, ce plafond bas, ces mains usées
        Sont ce que je voulais...

Plainte discrète, faiblesse qui s'avoue, résignation touchante;
mais le poème ne finit pas, qu'un sursaut d'orgueil ne le soulève:

    Mais, ah! quelle rumeur trouble encor notre somme
          Et rend mon cœur jaloux?
    J'entends, dans l'ombre affreuse et glissante où nous sommes
          Les dieux parler de vous.[63]

  [63] _Les Eblouissements_, p. 362-364.

C'est en effet dans la certitude de sa gloire que Madame de Noailles
puise le secours le plus efficace contre la douleur de devoir
mourir:

    J'écris pour que le jour où je ne serai plus
    On sache comme l'air et le plaisir m'ont plu
    Et que mon livre porte à la foule future
    Comme j'aimais la vie et l'heureuse nature.[64]

  [64] _Ombre des Jours_, p. 169.

Son corps éternel comme la terre d'où il est sorti et où il
retourne, son âme éternelle dans la mémoire des hommes, telle est
l'idée ou plutôt l'image double, et peut-être tout de même un peu
simple, que se fait Madame de Noailles de sa vie future. C'est sans
doute une mauvaise condition pour philosopher que d'être avant tout
un être d'imagination comme sont les poètes, si le propre et la
définition même de la pensée spéculative est d'être une pensée sans
images. Supérieure ou extérieure au préjugé, à la foi imposée du
dehors, peu apte à la pensée métaphysique, Madame de Noailles flotte
dans un état d'indécision et de trouble, qui a du moins l'avantage
de prêter à d'émouvantes rêveries:

    Hélas! douleur d'aller s'effaçant tout entière,
    Désir de n'être pas de la cendre au tombeau,
    De voir encor le jour et le matin si beau,
    D'errer dans l'étendue heureuse et sensuelle,
    De boire à son calice et de s'enivrer d'elle!
    Ah! comme tout bonheur soudain semble terni
    Pour un cœur sans espoir qui conçoit l'infini...[65]

  [65] _Eblouissements_, p. 24.

Tout ce poème à Lamartine est courageux, pathétique, abondant en
beautés. Est-il _beau_ dans le sens absolu du terme? Là-dessus on
peut discuter. Mais là où n'est pas la vérité peut-il y avoir beauté
parfaite? Le plus somptueux manteau perd de sa splendeur, jeté sur
une ossature insuffisante.

       *       *       *       *       *

Les romans de Madame de Noailles doivent être considérés, sauf
certaines réserves que nous indiquerons, comme un complément de son
œuvre lyrique. Ce point de vue, en même temps qu'il nous inquiète
sur la légitimité d'un genre un peu hybride, nous rassure sur le
plaisir qu'en l'espèce nous y prenons.

Il n'y a rien de moins cohérent que l'intrigue de la _Domination_,
rien de moins consistant que le caractère d'Antoine Arnault, le
«dominateur». Ce jeune homme, qui nous est présenté aux premières
pages du livre comme un ambitieux de l'espèce des Alexandre et des
César, à la dernière meurt d'amour comme un nouveau Werther. Mais ne
meurt-il pas plutôt de ce que le livre a atteint la page 307? Quoi
qu'il en soit, une rupture, un flirt très poussé avec la fille d'un
écrivain illustre, deux liaisons élégantes et une passade, un siège
à la Chambre, un excellent mariage, l'amour chaste et brûlant de sa
belle-sœur, tel est, par ordre chronologique, le bilan de ses
succès; dans tout cela pas trace de plan, de persévérance, de
fourberie, d'aucune des vertus qui font l'ambitieux véritable...
D'une manière générale, les figures d'hommes qui apparaissent dans
les romans de Madame de Noailles sont pâles, sans relief, dénuées de
vérité objective. Exceptons-en toutefois deux ou trois silhouettes
de _grotesques_, Henri de Fontenay de la _Nouvelle Espérance_,
l'aumônier du _Visage_, exquissées à grands traits ironiques, fermes
et signifiants. Il y a là un aspect du talent de Madame de Noailles
que nous aimerions à voir se développer.

Les figures de femmes, au moins celles de premier plan, sont plus
vivantes, plus objectives, de cette objectivité particulière où
atteignent les lyriques par l'approfondissement d'eux-mêmes. Donna
Marie, la petite nonne, Sabine de Fontenay, autant de masques
fragiles sous lesquels perce à tout instant le visage ébloui,
émerveillé de l'auteur. De là les plus amusantes contradictions
entre la situation où on les place, le caractère qu'on leur prête,
et telles de leurs manières de penser ou de sentir. La petite nonne
du _Visage_ fait voir, en même temps que des ingénuités d'enfant
sage, des audaces, d'ailleurs charmantes, de Faunesse, et témoigne
ça et là d'une conscience d'elle-même et d'une science du cœur bien
rares dans un âge si tendre. «O Julien, dit-elle à son amant qui
vient de la rudoyer, laissez-moi vous dire, pendant que vous parliez
ainsi je ne vous en ai pas un instant voulu; la grande injustice des
hommes envers les femmes, elle est une part profonde de la
volupté».[66] Qu'elle vienne après cela nous faire accroire qu'elle
a rendu à Julien les _Fleurs du Mal_ sans les lire.[67] «Je sais
maintenant, dit-elle ailleurs, pourquoi l'expression de la douleur,
sur un visage, est si touchante et si troublante; c'est parce
qu'elle révèle que l'être n'a plus aucune défense personnelle. Une
âme malheureuse est toute prête pour la mort et pour la
volupté».[68] Rien n'est plus exact, mais est-ce bien la même
personne qui aux premières pages du livre ne rêve que pureté, et qui
quelques pages plus loin, parce que son ami l'a embrassée, déclare:
«Mon ami ne m'aime pas autant qu'il le dit, s'il m'aimait vraiment
il n'aurait pas fait ce qu'il a fait»? On sent l'artifice; Madame
de Noailles manque sans cesse à cette condition première de la
vraisemblance, qui est qu'un caractère demeure constant avec
lui-même. Seule peut-être la figure de Sabine de Fontenay est
exempte de ce défaut, parce qu'il y a une harmonie en somme
suffisante entre la donnée initiale du livre et la vie intérieure
_possible_ de Madame de Noailles, et que d'ailleurs Madame de
Noailles a l'imagination subjective, au contraire de l'objective,
très développée... Ainsi se précise pour nous le sens de l'œuvre
romanesque de Madame de Noailles: nous l'avons vu, Madame de
Noailles est avare de confidences sur sa façon de sentir l'amour;
l'intérêt de Sabine de Fontenay, et secondairement de ses autres
héroïnes, c'est de nous éclairer sur sa façon de le concevoir, ou
plus exactement de le _voir_.

  [66] _Visage_, p. 193.

  [67] _Ibid._, p. 109.

  [68] _Ibid._, p. 184.

Sabine de Fontenay c'est, pourrait-on dire, la petite-fille d'Emma
Bovary devenue, par une fortune inespérée, châtelaine de la
Vaubyessard. Née comme Emma pour les agitations du cœur, et plus
précocement avertie qu'elle, dès l'enfance elle a jugé que «les
élans et les rêves de la passion font l'emploi, l'orgueil et la
dignité de la destinée».[69] Mariée, comme elle encore, à un homme
bon, honnête et médiocre, elle essaie d'abord, elle aussi,
d'éveiller en lui un écho aux ardentes et confuses aspirations de
son cœur. Déçue bientôt dans son effort, elle se détourne, sinon
sans regrets du moins sans remords, conformément à l'immoralisme
contemporain, vers d'autres amours. Riche et d'un monde où la femme
est relativement libre d'elle-même, Sabine échappe aux embarras
d'argent, à M. Lheureux, aux mille difficultés extérieures qui font
de _Madame Bovary_, suivant le point de vue, un mélodrame, et c'en
est le défaut, ou bien, et c'en est la supériorité, une exacte et
forte étude sociologique; elle pourra développer sans entraves le
cours de ses expériences sentimentales. Plus cultivée qu'Emma,
nourrie de littératures autrement complexes, elle offre, et c'est là
son originalité et son charme, un curieux mélange de sensualité
violente et presque élémentaire, et d'intelligence raffinée: mélange
bien moderne, s'il pourrait servir à définir les œuvres les plus
caractéristiques de notre littérature depuis Baudelaire. Ce qu'elle
cherche dans l'amour, ce n'est ni le don ni l'abandon du cœur, elle
a un sentiment trop vif d'elle-même, elle entend posséder autant
qu'être possédée; ce n'est pas le plaisir, il n'est rien de plus
court et de plus vite épuisé que le plaisir; ce n'est pas le
bonheur, elle a toujours désiré pire; c'est l'émotion brute,
exaltante ou terrassante, c'est le bouleversement de tout l'être,
c'est ce que la vie peut offrir de plus fou, de plus trouble et de
plus amer. Ce qu'elle veut, c'est sentir, sentir toujours davantage
et se sentir sentir, fût-ce au prix des plus dures douleurs: la
douleur est infinie, pour peu qu'elle se complique d'intelligence.
Prodigieuse faculté de jouir et de souffrir! Philippe Forbier vient
de lui avouer son amour; ils sont là tous les deux, hagards, n'osant
pas se rapprocher l'un de l'autre. «Elle sentait une sensualité
grave s'élever autour d'elle, contre elle, comme une vague qui,
montant, l'obligeait à renverser un peu la tête, les narines
battantes, pour respirer, résister à cet étouffement. Elle avait les
yeux fixes et amincis, les lèvres un peu relevées sur les dents
qu'elle tenait serrées, et comme mordant sur une admirable sensation
de plaisir...»[70] Philippe la regarde, et elle se sent «mourir des
pieds jusqu'au cœur. Avec une violence rapide et complète, elle
souhaita qu'il n'eût plus ni ses yeux, ni son sourire, ni sa voix,
ni aucun de ses gestes, aucune de ses attitudes, plus rien de
lui-même qui la ravissait jusqu'à de telles douleurs».[71] Véritable
femme, en qui non seulement toute émotion, mais le souvenir et
l'imagination même de l'émotion aboutissent immédiatement au trouble
physique. Quand Philippe doit pour un temps s'éloigner d'elle, sa
raison consent à la séparation, mais son corps se révolte. Debout
contre lui, elle dit doucement, les yeux fermés: «Voilà, vous allez
partir, vous partez, j'imagine que c'est maintenant que vous partez,
je vais voir ce que cela me fait». Elle resta un moment
silencieuse, et rouvrant les yeux où de la terreur s'évaporait, elle
dit: «Ce n'est pas possible, cela fait mal dans les os... C'est dans
les épaules et dans les genoux que je ne peux pas vous quitter...»
Cependant, dans ses plus vives extases comme dans ses pires
angoisses, elle demeure lucide, maîtresse de sa pensée, elle
ironise, elle s'analyse, elle généralise. Au sortir des bras de
Philippe rentrée chez elle, elle parle, rit, ne trouve en elle que
repos et satisfaction. «_Seule l'absence d'Henri_ (son mari) _la
troublait un peu, sa présence lui eût donné plus de sécurité_».[72]
A Philippe absent, elle écrit: Ce n'est pas vous que j'aime; j'aime
aimer comme je vous aime... Je n'attends de vous que mon amour pour
vous».[73] «Les hommes ont de la conscience, lui écrit-elle encore.
Les femmes, mon ami, n'ont pas de conscience; elles ont une
épouvantable volonté de n'être pas plus malheureuses qu'elles ne
peuvent».[74] Mais une intelligence si pénétrante appliquée à une
émotivité si violente, loin de l'atténuer l'exacerbe, en multipliant
pour elle les occasions de sentir. De sa volupté, de ses douleurs et
de sa connaissance d'elle-même Sabine se compose un breuvage avec
quoi elle se tue. La morphine qu'elle prend un soir où l'absence de
Philippe lui est intolérable ne fait qu'achever l'œuvre de mort...
A dire le vrai ce suicide, pour vraisemblable qu'il soit,
n'apparaît pas comme nécessaire, dans le sens psychologique du
terme. On garde le sentiment qu'une cure d'altitude bien choisie,
surveillée par une tendre amitié rendrait l'équilibre à ce système
nerveux surmené, exténué. Si _Madame Bovary_, est un mélodrame, la
_Nouvelle Espérance_ n'est pas une tragédie. Il reste que Madame de
Noailles a créé en Sabine de Fontenay une figure intensément
vivante, hautement représentative à la fois et très neuve: oui d'une
originalité inoubliable vraiment avec son impudeur et sa noblesse,
son égotisme et son ardeur à souffrir, son tumulte, ses cris, ses
colères, ses ravissements, toute cette sensibilité où nulle
sentimentalité ne se mêle, ingénue et violente, trouble, âcre,
amère.

  [69] _Nouvelle Espérance_, p. 15.

  [70] _Nouvelle Espérance_, p. 229.

  [71] _Ibid._, p. 231.

  [72] _Ibid._, p. 234.

  [73] _Nouvelle Espérance_, p. 305.

  [74] _Ibid._, p. 320.

On peut cueillir çà et là dans les romans de Madame de Noailles de
fines ou fortes indications de psychologie féminine. La femme y
apparaît toujours incomplète, insatisfaite, penchante, achevée
seulement par les caresses des hommes, mais courbée sous tout
l'univers, esclave qui se fait une volupté de sa servitude. Osant
enfin être elle-même, elle dévoile hardiment que toute sa vie
intérieure est à base de sensualité et que tout ce qui émeut
pareillement sa sensualité est pour elle une seule et même chose.
«Voyez, mon Dieu, si M. l'aumônier, pour nous toucher, nous rappelle
notre petite enfance, nos jeux, notre père mort, nous pleurons;...
et si une de nos sœurs nous donne un bouquet à respirer, nous
respirons fort d'abord et nous soupirons après; et si notre ami met
son cœur près de notre cœur, nous ne savons plus rien que son
désir, et notre désir plus tendre encore que le sien. _Toutes ces
choses, mon Dieu, sont une seule chose, la même chose_».[75] Elle
nous révèle le goût singulier qu'elle trouve aux brutalités de la
jalousie masculine. «Ils croient nous offenser, ils ne peuvent que
nous émouvoir, notre orgueil est terrible en nous, mais aux instants
de la volupté, nous n'avons que de la volupté».[76] Voici une bien
spirituelle définition de la conscience: «La conscience, c'est une
tristesse qu'on éprouve après un acte qu'on vient de faire et qu'on
referait encore».[77] Voici une vue terriblement pénétrante sur ces
régions souterraines de l'âme où les sentiments, les instincts, les
désirs, non encore divisés et endigués par l'éducation, communiquent
et se mêlent selon de mystérieuses affinités. «Ah! dans la douleur
et la honte, dans le courage et l'héroïsme, dans le parfum
des tombeaux, qu'y a-t-il toujours de perfide, de sensuel,
d'inavouable?»[78]

  [75] _Visage_, p. 101.

  [76] _Ibid._, p. 156.

  [77] _Ibid._, p. 47.

  [78] _Domination_, p. 67.

On voit dans quelle mesure les romans de Madame de Noailles nous
peuvent instruire, sont riches de vérité objective. Quant à nous
charmer et à nous émouvoir, de la même façon exactement que sa
poésie, il n'est presque pas une page d'eux qui n'y réussisse. La
_Domination_ abonde en délicieuses impressions de voyage; le _Visage
émerveillé_ est l'hymne le plus frais à l'Amour et à la Nature; la
_Nouvelle Espérance_ est un poignant poème de l'Amour et de la Mort.

       *       *       *       *       *

Il faut le dire: l'art de Madame de Noailles n'est pas égal à son
génie; il pèche par défaut, par excès et par artifice.

Le défaut est de la pensée. Non pas que nous estimions avec certains
que l'intelligence de Madame de Noailles soit inférieure à sa
sensibilité, et de nombreuses pages de la _Nouvelle Espérance_
surtout témoignent surabondamment du contraire, mais trop souvent
cette intelligence fonctionne à côté de cette sensibilité, sans s'y
mêler suffisamment. Une sensibilité aussi mobile, aussi torrentielle
devrait être surveillée, réglée, distribuée par une raison ferme,
maîtresse d'elle-même et de toute l'âme; nous avons déjà touché ce
point. Il n'est pas permis d'appliquer indistinctement l'épithète de
_sublime_ à l'odeur de l'aubépine,[79] ou au plaisir qu'on prend à
Venise,[80] et à la musique de Beethoven ou en général à l'héroïsme;
du moins les deux premiers emplois du terme, en même temps qu'ils
font sourire, affaiblissent les deux autres, seuls justifiés. Si
Sabine à la moindre contrariété _s'affole_, nous la plaignons, mais
que va-t-il lui rester d'âme pour les grandes douleurs? Il ne suffit
pas d'une extrême hyperesthésie pour pénétrer le fond de la douleur
ni de la joie humaines; or Madame de Noailles n'a pas que cela, nous
l'avons assez montré, mais l'identité des expressions dont elle use
pour signifier de purs états nerveux et de véritables états d'âme
prête à de fâcheuses confusions. Il faut qu'elle introduise un ordre
plus strict, une mesure plus rigoureuse dans les mouvements de sa
merveilleuse sensibilité. C'est du perfectionnement intérieur de
l'artiste que dépend essentiellement le progrès de son art.

  [79] _Eblouissements_, p. 286.

  [80] _Eblouissements_, p. 16.

D'un point de vue plus technique, on peut relever chez Madame de
Noailles des artifices de composition et de style. Nous l'avons vu,
ses romans sont mal construits; mais ses poèmes eux-mêmes malgré
leur ordinaire brièveté, ne le sont pas toujours parfaitement. La
_Prière devant le Soleil_ se compose d'au moins trois poèmes
distincts. Il n'y a rien de plus artificiel que la transition du
second au troisième:

    Pourtant, Soleil, ayant oublié tout cela...[81]

  [81] _Eblouissements_, p. 385.

Une des plus belles pièces des _Eblouissements_, _Paganisme_, dans
sa première partie développe le conflit entre les deux âmes
romantique et classique de Madame de Noailles, et, malgré une
certaine surcharge d'images, le développement est conduit d'une
belle et ferme allure; la seconde partie célèbre la victoire
définitive de l'âme classique; le poète se tourne avec amour vers la
Grèce sa véritable patrie:

    Je viendrai, mes deux mains tenant la double flûte...
    Au-dessus des enclos luiront des figues bleues;
    Pour cueillir ces fruits chauds entr'ouverts dans l'azur
    Je presserai si bien mon corps contre le mur
    Que je serai semblable à ces nymphes des frises
    Dont la jambe et la main sont dans la pierre prises[82]

  [82] _Eblouissements_, p. 187.

On remarquera au passage ces trois derniers vers, pur joyau de grâce
hellénique... Jusqu'ici tout est bien; mais il s'agit de terminer le
poème; le poète sent qu'il serait beau de s'élever à une idée plus
générale, d'ouvrir à l'esprit une vaste perspective, d'élargir et
d'approfondir l'horizon, et pour ce faire il recourt à la pensée de
la mort, dont telle est effet la vertu ordinaire:

    Et désormais sans voix, sans effort, sans souhaits,
    Ayant touché l'immense et débordante paix,
    Voyageuse arrivant et qui baise la porte,
    Ne désirant plus rien je serai bientôt morte...

Mais la poète s'est trompé; comme il n'y a aucune raison de supposer
que le sol de la Grèce ou l'exaucement de ses désirs lui seront
réellement mortels, l'hypothèse de sa mort ne peut apparaître que
comme une gentillesse de conversation, déplacée en cette fin d'un
grave et émouvant débat. La grande idée de la mort ne saurait être
employée comme finale à tout faire... Et d'ailleurs il n'entre pas
un instant dans notre pensée de suspecter la sincérité de Madame de
Noailles, mais la sincérité elle-même a besoin d'art.

L'excès que nous trouvons chez Madame de Noailles est un excès de
sensations et d'images sous lequel parfois disparaît, ou plie à se
rompre, le fil ténu de la pensée. Le poète, au lieu de creuser en
profondeur, dans le monde de la vie intérieure, s'étend en largeur,
se répand dans le vaste univers. Au lieu de subordonner il
coordonne, quand il ne se contente pas de juxtaposer. Sans doute il
échappe à l'ennui des purs descriptifs, et il serait aussi injuste
qu'inexact de lui appliquer ce principe, vérifié par l'histoire de
tous les arts, que la nature envahit les domaines désertés par
l'âme: il n'est pas d'aspect de la nature qu'il transporte dans son
œuvre sans l'élaborer, sans y mêler de sa substance. Cependant il
ne peut éviter toujours la monotonie, ni encore une fois l'artifice.
Une énumération n'a d'autre raison de s'arrêter que le bon plaisir
de celui qui énumère; Madame de Noailles ne nous fait-elle pas
quelquefois attendre un peu son bon plaisir? D'autre part, on a
l'impression qu'elle ne distingue pas très exactement et ne connaît
pas de très près chacun des innombrables végétaux qui garnissent
son œuvre, et l'on constate non sans étonnement que les
descriptions de villes ou de paysages qu'elle n'a jamais vus ne sont
ni moins touffues, ni moins colorées, ni moins odorantes que celles
des lieux qui lui sont familiers. Bref Madame de Noailles a une
_manière_ à elle, très caractérisée, et de cette manière son
excessive facilité l'incline,--tel parmi les musiciens Massenet--à
se faire un _procédé_. Il n'est pas rare qu'un artiste s'imite ainsi
lui-même.

De ces faiblesses, au reste, aucune n'est constitutive. Elles
tiennent soit à une confiance exclusive, donc excessive, dans
la spontanéité de l'inspiration, soit à une sorte de nonchalance
trop complaisante aux suggestions de la virtuosité. Elles
n'en sont que plus regrettables, si elles empêchent des dons
merveilleux de prendre leur pleine valeur. Or quel artiste fut
plus merveilleusement doué que Madame de Noailles? De ses dons
je ne veux ici retenir que deux, qui la distinguent entre tous
les artistes de sa génération, le don d'expression et le don de
musicalité.

Il n'est pas vrai, malgré Boileau, que toujours «ce que l'on conçoit
bien s'énonce clairement»; la fonction de concevoir et la fonction
d'exprimer sont distinctes, à tel titre que la pathologie nous les
montre sans cesse dissociées. Mais ce qui dans la littérature et
surtout dans la poésie moderne rend particulièrement délicat le
problème de l'expression, c'est que les états qu'il s'agit de
traduire et de communiquer ne sont pas comme dans la poésie
classique des états relativement simples, à contours définis, objets
de perception claire, construits et reliés les uns aux autres selon
des rapports logiques, mais des états dont la complexité confuse,
enveloppée, indistincte, dont la fluidité et presque la liquidité
semblent invinciblement rebelles au morcellement et à l'immobilisation
qui sont l'opération propre et l'effet de la pensée logique, des états
qui émergent un instant des profondeurs obscures de l'être pour
l'instant d'après s'y replonger, qui enfin se composent, s'enchaînent
les uns aux autres et les uns dans les autres retentissent et se
prolongent selon de subtiles et fuyantes analogies. Ils faut donc à
l'artiste non-seulement une rare aptitude à briser ou à négliger les
associations conventionnelles que nous propose toutes formées, pour
notre plus grande commodité, le commun langage, non-seulement une
extraordinaire acuité et rapidité de vision dans les régions profondes
de la vie de l'âme, mais encore un don mystérieux et merveilleux de
choisir et de combiner les mots afin que, telles les génératrices
d'une courbe pour le géomètre, ils nous permettent de reconstruire,
ils évoquent en nous et nous suggèrent les mouvantes réalités
intérieures dont ils jalonnent les inflexions et les détours. A vrai
dire, dans la mesure où il met en œuvre un tel don, un artiste
divise les jugements des hommes; il irrite par son obscurité et par
une apparence d'arbitraire les sensibilités qui ne sont point
accordées à la sienne, mais aussi il enchante celles qui lui sont
harmoniques d'un plaisir autrement complet que les artistes
_classiques_, parce que ce qu'il leur fait entendre, mais plus ample,
plus pur, plus libre, c'est le chant même de leurs profondeurs. Pour
certains dont nous sommes, à cause d'un bonheur presque perpétuel dans
l'expression ou la suggestion d'une sensibilité profonde et toute
originale, l'œuvre de Madame de Noailles dégage un charme, un
enchantement. Dans les citations que nous avons faites en abondance,
le lecteur trouvera sans peine, suivant l'espèce à laquelle il
appartient, de quoi confirmer ou de quoi contester notre sentiment.
Nous nous contenterons de citer un fragment encore, particulièrement
caractéristique. Nous l'empruntons à la _Nouvelle Espérance_[83]. Chez
Sabine de Fontenay, le musicien Jérôme Hérelle chante. «Il chantait,
et la musique, mêlée aux mots, s'épanouissait, sensuelle et rose,
comme une fleur née du sang. Il chantait, et c'était comme une
déchirure légère de l'âme, d'où coulerait la sève limpide et sucrée:

    «Les roses d'Ispahan...

le soupir gonflait, s'exhalait, recommençait,

    «dans leurs gaines de mousse...
encore une fois toute l'angoisse délicieuse aspirée et rejetée,

    «les jasmins de Mossoul, les fleurs de l'oranger...

la note penchante et tenue troublait comme un doigt appuyé sur le
sanglot voluptueux... Quel parfum! quelle ivresse! quel flacon
d'odeur d'Orient cassé là; quelles fleurs de magnolia écrasées dont
l'arome à l'agonie fuyait et pleurait... Tout l'air de la chambre
tremblait...» Et l'on croit voir trembler le papier où s'inscrivent
les mouvements de cette sensualité véhémente. Les mots jaillissent
d'elle directement, sans passer par l'intelligence, et directement
vont toucher aux pointes les plus sensibles de nos nerfs. A vrai
dire ils touchent parfois à côté; la phrase: «quelles fleurs de
magnolia écrasées» est tout à fait manquée. Madame de Noailles, chez
qui les associations d'idées ou de sentiments sont foudroyantes, a
sauté ici trop d'intermédiaires; les termes qu'elle unit hurlent
d'un accouplement contre nature. Il lui arrive ainsi de violenter la
langue sans bénéfice. C'est là, si l'on peut dire, le revers de sa
méthode, ou de son absence de méthode. Son style est une invention
perpétuelle; mais, comme dans le choix et l'agencement des mots la
pensée logique a peu de part, lorsque l'expression n'est pas
parfaite, elle est mauvaise. Le cas est rare d'ailleurs, et de plus
en plus rare.

  [83] p. 32-33.

Il n'est guère de question d'esthétique plus difficile que celle du
rapport de la poésie et de la musique. Toutefois et en gros, il est
certain d'abord que par la mesure et le rythme qui lui sont
essentiels, la poésie, toute poésie s'apparente avec la musique.
C'est à peu près uniquement par le rythme que la poésie classique
peut être dite musicale; encore son rythme, à cause de la
prédominance qu'elle attribue à la pensée logique, à la raison,
est-il trop souvent dans sa régularité d'une monotonie qui contraste
désavantageusement avec la variété presque indéfinie des rythmes
musicaux. La poésie moderne, substituant dans une large mesure à la
logique de la raison la logique des sentiments, se rend par là plus
souple et plus libre, et capable d'occuper dans l'âme des espaces,
de couler dans des retraites que lui eût interdits une forme plus
rigide. Nous ne voyons guère de poète contemporain qui possède au
même degré que Madame de Noailles le don d'approprier étroitement
ses rythmes aux mouvements de sa vie intérieure, de les couler en
quelque sorte instantanément sur la courbe même de ses sensations,
de ses sentiments et de ses pensées. Ici encore nous laissons au
lecteur le soin facile de faire lui-même l'application. Mais la
grande nouveauté de la poésie moderne par rapport à la poésie
classique et l'endroit par où elle se rapproche le plus de la
musique, c'est l'importance qu'elle attache aux qualités musicales
des mots, au détriment parfois de leur vertu signifiante. On sait à
quels excès dans cette direction se portèrent les «décadents». De
leur tentative avortée les écrivains contemporains ont justement
retenu qu'en effet le choix et la combinaison des sonorités pouvait
être un efficace instrument de suggestion, mais ils ne recourent à
cette ressource que dans les limites des lois naturelles et
traditionnelles de la langue. Il y a là une conciliation délicate à
réaliser entre des exigences ordinairement différentes, souvent
opposées; Madame de Noailles y déploie un art spontané incomparable.
Et ainsi, renforçant le sens des mots par leur son, leur puissance
expressive par leur puissance suggestive, les enchaînant selon les
rythmes originaux de sa sensualité fiévreuse, ardente, innombrable,
elle compose une des musiques les plus éblouissantes, les plus
enivrantes et les plus déchirantes qu'il nous ait été donné
d'écouter.

[Illustration]



[Illustration]



OPINIONS


=De M. Maurice Barrès=

Les poèmes de Mme de Noailles ont obtenu à leur naissance un
prodigieux succès. O merveille, on y trouvait de la poésie! Mais
cette poésie, qu'avait-elle de singulier? Je crois que je pourrais
le dire. Nos grands romantiques sont mêlés de mort. Mme de Noailles
est toujours un chant qui s'élève, une flamme. On connaît un
terrible mot révélateur de Chateaubriand: «Quand je peignis René,
écrit-il, j'aurais dû demander à ses plaisirs le secret de ses
ennuis.» Dans la sombre poésie de nos grands romantiques, en effet,
il y a de la fatigue et de la dépression nerveuse. Au contraire,
chez l'auteur du _Visage émerveillé_ on voit au premier plan la
jeunesse qui s'étonne, qui appelle le choc de la vie et qui
s'impatiente de ne point recevoir l'univers dans son âme.

Cet infatigable élan vers toutes les promesses de bonheur, cet
infini besoin, ce courage à sentir, à désirer, à vivre nous sont
rendus intelligibles avec des ressources inépuisables d'invention
verbale et musicale. Je ne puis rien détacher d'un livre que toutes
les femmes et les jeunes gens commencent à se réciter. Ses
cantilènes frémissantes sont illustrées d'images rapides et
inoubliables. Mais derrière tous les battements de ce cœur
précipité j'entends un thème monotone. Il est tout le génie dont
nous la voyons douée ou, pour mieux dire, affligée. «Il faudra
vieillir et mourir, mais j'aurai été le cœur le plus gonflé et d'où
monta le plus haut cri. Jeunes hommes, sachez que, vivante, je fus
le point le plus sensible de l'univers...»

Quelle est cette voix qui se vante, si vaine et si attendrissante?
La femme vivra toujours dans le même cercle d'images. Ce n'est ici
qu'une variante géniale de l'éternel cantique féminin. C'est le
vieux _Cantique des cantiques_: «Je suis noire, mais je suis belle,
filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons
de Salomon.» Ainsi chantait la Sulamite. Cet appel qui fait
frissonner monte de tous les fameux jardins, du paradis où Eve
mentit, des harems de Salomon, du balcon fleuri de Juliette et des
arceaux d'un cloître, où la sainte discipline l'épure, l'apaise et
le transforme, mais aussi, en le comprimant, semble parfois
l'exacerber...

Un tel poète nous aide à comprendre ce que furent par exemple les
Hugo et les Lamartine. Celui-ci, à la campagne, sortait le matin
avec un exemplaire à grandes marges du Tasse ou de l'Arioste; il
lisait quelques strophes: sous leur action, sa source intérieure
jaillissait et il écrivait, sans que sa volonté y prît une part
discernable, ses magnifiques psalmodies. Hugo était le lieu d'un
pareil phénomène. De là l'étonnement qu'il ressentait de son génie,
jusqu'à se dire, à notre grand scandale: «Ne suis-je pas la bouche
de Dieu?»

Ces grands favorisés ont des âmes qui se mettent plus aisément en
branle que les nôtres. Le rythme de leurs paroles vient de celui de
leurs sentiments. D'où voulez-vous que naisse la noblesse des
expressions, sinon de la noblesse du cœur? Nul vrai poète qui ne
soit magnanime. D'ailleurs la faculté de se représenter clairement
et fortement un grand nombre d'êtres et de choses, c'est le don
divin par excellence, c'est la charité et la sympathie.

Mme de Noailles aime admirer. Elle en use avec les œuvres et avec
les gens comme avec les légumes, les fleurs, les arbres et les
paysages. Partout elle trouve à s'émerveiller, disons mieux, à être
humaine. Quand il y a tant de regards qui appauvrissent
nécessairement ce qu'ils considèrent, parce qu'ils sont des regards
d'hommes chétifs, voici qu'avec une admirable plénitude cette âme
royale enrichit et ennoblit, charge de richesse et vivifie tous les
objets vers quoi elle se tourne. Dans la dure vie positive, cette
générosité d'âme et cette spontanéité entraînant à des erreurs...
Mais, dans le domaine des arts, cette incompressible puissance de
charité est le premier moyen du génie.

    (_Le Figaro_, 9 juillet 1904).


=De M. Léon Blum= sur l'_OEuvre poétique de Madame de Noailles_:

... Le retour au Romantisme fut, il y a dix ans, le caractère du
mouvement poétique. Ce qu'on a nommé l'humanisme ne fut qu'un
romantisme rajeuni. Mais chez les plus distingués des humanistes
l'influence verlainienne restait sensible, et Madame de Noailles en
est restée, à ce que je crois, totalement exempte. Elle n'est guère
qu'une romantique, et c'est de Musset que je la verrais proche, un
Musset qui ne cherche pas l'esprit, un Musset sans sa grâce allante
et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans
toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus
fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir
dire un Musset barbare.

Il faut cependant marquer dès à présent quelques différences
essentielles. Sans doute le lyrisme de Lamartine, de Musset ou même
de Hugo est un lyrisme purement personnel. Mais si le poète se
chante lui-même, il ne chante pas pour lui seul. Le poème, sorti
d'un homme, vaut pour tous les hommes... Le rêve romantique, le
chant romantique, même en ce qu'ils eurent de plus spécial ou de
plus neuf, furent le rêve et le chant communs d'un moment de
l'humanité... Rien de pareil chez Madame de Noailles. Sa poésie sort
d'elle-même et retombe en elle, comme l'élan du jet d'eau dans le
bassin. Son éternel sujet, c'est sa personne, mais dans ce qu'elle a
de particulier, d'unique, non dans ce qu'elle a de commun et de
général...

L'inspiration lyrique s'est toujours ramenée à un nombre limité de
thèmes uniformes, et ce qu'il y a d'analogue entre tous ces thèmes,
c'est qu'ils posent soit l'accord, soit le conflit d'un des
sentiments généraux de l'âme avec une force ou avec un état
extérieur... Le poème lyrique apparaît d'ordinaire comme un
dialogue, dialogue avec l'être aimé, avec la vie, avec la mort,
avec le bonheur, avec les puissances naturelles. Et voici qu'en
trois volumes de vers Madame de Noailles exhale un long solo où l'on
n'entend jamais parler qu'une âme. Il y a là des vers d'amour, sans
doute, bien qu'assez rares, mais où il semble que la force du désir
s'élance seule, comme un cri sans écho à qui rien ne répond... Nul
poème ne traduisit plus intensément que ceux-là le sentiment de la
vie, mais c'est la vie d'un être à qui la conscience de sa propre
réalité suffit, qui ne vivrait pas moins s'il était seul vivant au
monde, et cette certitude, cette volonté d'être qui sort du plus
intime de sa substance gonfle sa personne sans jamais s'en
échapper...

Ce lyrisme sans humanité, sans religion,--au sens où l'entendaient
les romantiques,--où l'on ne trouve ni aspiration, ni besoin, ni
foi, ni doute dont les autres hommes aient leur part, qui ne connaît
ou ne touche hors de soi nulle raison de vivre, de souffrir ou
d'espérer, ce lyrisme d'une sorte unique tient-il à un vice où à une
vertu, représente-t-il une force ou une faiblesse, faut-il l'exalter
ou le condamner? Je ne sais trop, et l'avenir en décidera mieux que
nous. Mais je crois que là est la singularité, le don original, la
raison d'être du poète...

    (_La Revue de Paris_, 15 juin 1908).


=De M. Léon Daudet= sur l'_Ombre des Jours_:

Ce m'est une joie de constater ici la naissance et la formation d'un
tempérament lyrique de premier ordre, car ces genèses-là témoignent
généralement, dans les sociétés où elles se produisent, d'un effort
vers l'ordre et la lumière... Ce que nous demandions au poète
d'aujourd'hui et de demain, et ce que nous offre Madame de Noailles,
c'est un chant lancé comme un cri, par une nécessité irrésistible,
aux approches d'un doute qui envahit tout, d'une critique et d'une
analyse qui blessent incessamment la légende, d'un utile qui menace
le beau. Ce qu'elle nous apporte dans sa fine corbeille, tressée
selon la tradition pure, c'est la révolte de jeunesse et de
reviviscence, l'immortelle candeur irritée devant les tourments de
ce monde, l'immortelle allégresse du désir...

    (_Le Gaulois_, 2 juillet 1902).


=De M. Marcel Proust= sur les _Eblouissements_:

... J'aurais aimé m'attarder aux beautés de pure technique aussi
bien qu'aux autres, vous signaler au passage... tant de notations
d'une justesse délicieuse:

    Dans les taillis serrés où la pie en sifflant
    Roule sous les sapins comme un fruit noir et blanc.
    ... Près des flots de la Drance
    Où la truite glacée et fluide s'élance,
    Hirondelle d'argent aux ailerons mouillés...

Métaphores qui se composent et nous rendent le mensonge de notre
première impression, quand nous promenant dans un bois ou suivant
les bords d'une rivière nous avons pensé d'abord en entendant rouler
quelque chose que c'était quelque fruit et non un oiseau, ou quand
surpris par la vive fusée au-dessus des eaux d'un brusque essor,
nous avons cru au vol d'un oiseau avant d'avoir entendu la truite
retomber dans la rivière. Mais ces charmantes et toutes vives
comparaisons qui substituent à la constatation de ce qui est la
résurrection de ce que nous avons senti... disparaissent elles-mêmes
à côté d'images vraiment sublimes, toutes créées, dignes des plus
belles d'Hugo. Il faudrait avoir lu toute la pièce sur la splendeur,
l'ivresse, l'élan de ces matinées d'été où on renverse la tête afin
de suivre des yeux un oiseau lancé jusqu'au ciel, pour éprouver tout
le vertige, sentir tout le mystère de ces deux derniers vers:

    Tandis que détaché d'une invisible fronde
    Un doux oiseau jaillit jusqu'au sommet du monde

Connaissez-vous une image plus splendide et plus parfaite que
celle-ci: (il s'agit de ces admirables Eaux de Damas qui s'élancent
et montent dans le fût des fontaines, puis retombent, font passer
partout les linges mouillés de leur fraîcheur et l'odeur du melon et
des poires crassanes avec un parfum de rosier).

                    ..... Comme une jeune esclave
    Qui monte, qui descend, qui parfume et qui lave!

Là encore pour comprendre toute la noblesse, toute la pureté, tout
l'_inventé_ de cette image si soudaine et si achevée, qui naît
immédiate et complète, il faut relire la pièce, l'une des plus
_poussées_ en expression, des plus entièrement senties aussi de ce
volume, peinte du commencement jusqu'à la fin, en face, en présence
d'une sensation pourtant si fugace qu'on sent que l'artiste a dû
être obligé de la recréer mille fois en lui pour prolonger les
instants de la pose et pouvoir achever sa toile d'après nature,--une
des plus étonnantes réussites, le chef d'œuvre peut-être de
l'_impressionnisme_ littéraire.

    (_Le Figaro_, 15 juin 1907.)


=De M. Emile Faguet=, à propos de la _Nouvelle Espérance_:

Cette femme aura bien du talent. Elle est dans le train qui y mène.
Et sa station n'est pas très loin.

    (_La Revue latine_).


=De M. Emile Ripert=:

On ne sait si c'est artifice ou naïveté, sa façon d'assembler les
mots. On est étonné, on ne comprend pas trop. Pourtant on voit, on
sent, on entend... Dans une de ses dernières poésies elle parle
ainsi:

    Au cercle étroit d'un bassin rond et gris,
    L'eau s'endormait, petite eau qui se rouille.

«Petite eau qui se rouille...» Si vous comprenez, moi pas. Seulement
je _vois_ l'eau stagnante, un peu rouge, je sens l'odeur de l'eau
morte, et tout le calme inerte, l'ennui qui use et qui ronge... Les
images aussi sont nouvelles: Madame de Noailles se dit «lasse comme
un jardin sur lequel il a plu», et ce simple vers assimile si
parfaitement certaines journées d'accablement, de calme désespoir
après la crise violente des pleurs à l'aspect du feuillage lourd,
des fleurs froissées, des terres humides, qu'on admire ce génie
instinctif qui, du premier coup et sans tâtonnements, aboutit aux
effets que chercherait en vain l'art le plus profond...

    (_La Revue Hebdomadaire_).


=De M. Auguste Dorchain=:

On ne peut s'y méprendre; il y a ici plus que de talent, plus que de
l'art, plus que la réalisation patiente et achevée d'un beau rêve:
il y a la ferveur, il y a l'enthousiasme, il y a l'oubli total de
soi-même, ou plutôt, ce qui est la même chose, le don absolu de tout
son être, âme et corps, comme aux plus saintes minutes d'un grand
amour,--il y a le génie.

    (_Les Annales politiques et littéraires_).


=De M. Lucien Corpechot=:

Nul écrivain ne nous a jamais renseignés avec autant d'abondance et
de sincérité sur les mouvements secrets de la sensibilité féminine.
Il entre dans le génie de Madame de Noailles une franchise qui lui
donne le courage d'exprimer tout ce qu'elle sent. Elle ne s'abuse
point sur elle-même quand elle écrit:

    J'ai vu ce que j'ai vu et ce que j'ai senti
    D'un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi.

La _Nouvelle Espérance_, contenait de véritables révélations. Le
_Visage émerveillé_ nous livre toute une vie intérieure.

    (_Le Soleil_, 28 juin 1904).


=De M. Pierre Hepp=:

Le don prépondérant de Madame de Noailles, c'est une haute vertu de
suggestion. Son secret, c'est qu'à la rencontre de tout objet senti
se porte instantanément un représentant verbal, avant qu'intervienne
la moindre opération abstraite. Il en résulte une unité d'éclosion,
une adaptation de terminologie qui déjoue les reproches des
professeurs de syntaxe.

    (_La Grande Revue_).



BIBLIOGRAPHIE


L'OEUVRE

_Le Cœur innombrable_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1901,
in-12.--L'_Ombre des Jours_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1902,
in-12.--_La Nouvelle Espérance_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1903,
in-12.--_Le Visage émerveillé_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1904,
in-12.--_La Domination_, roman, Paris, Calmann-Lévy, 1905,
in-12.--_Les Eblouissements_, poésies, Paris, Calmann-Lévy, 1907.


A CONSULTER.

_Léon Daudet_, à propos de l'_Ombre des Jours_, Le Gaulois, 2
juillet 1902.--_Emile Faguet_, La Revue latine, juillet
1903.--_Lucien Corpechot_, Le Soleil, 28 juin 1904.--_Pierre Hepp_,
La Grande Revue, juin 1907.--_Emile Ripert_, la Revue Hebdomadaire,
13 juillet 1907.--_Auguste Dorchain_, les Annales politiques et
littéraires, mai 1906.--_Maurice Barrès_, Le Figaro, 9 juillet
1904.--_Marcel Proust_, sur les _Eblouissements_, Le Figaro, 15 juin
1907.--_Léon Blum_, l'_OEuvre poétique de Madame de Noailles_, Revue
de Paris, 15 janvier 1908.



TABLE


    TEXTE

                                                        Pages.

    BIOGRAPHIE DE LA COMTESSE DE NOAILLES, PAR
    RENÉ GILLOUIN                                            5


    OPINIONS:

    De M. Maurice Barrès                                    61

    De M. Léon Blum                                         63

    De M. Léon Daudet                                       65

    De M. Marcel Proust                                     66

    De M. Emile Faguet                                      68

    De M. Emile Ripert                                      68

    De M. Auguste Dorchain                                  69

    De M. Lucien Corpechot                                  69

    De M. Pierre Hepp                                       70

    BIBLIOGRAPHIE                                           71


    ILLUSTRATIONS:

    PORTRAIT DE LA COMTESSE DE NOAILLES, en frontispice.

    AUTOGRAPHE DE LA COMTESSE DE NOAILLES                   59


PRIVAS.--IMPRIMERIE LUCIEN VOLLE.





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