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Title: Mémoire sur les avantages qu'il y auroit à changer absolument la nourriture des gens de mer Author: Coudraye, François-Célestin de Loynes la, Poissonnier-Desperrières, Antoine Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Mémoire sur les avantages qu'il y auroit à changer absolument la nourriture des gens de mer" *** produced from images generously made available by The Internet Archive) MÉMOIRE SUR LES AVANTAGES _QU'IL Y AUROIT_ A CHANGER ABSOLUMENT _LA NOURRITURE_ DES GENS DE MER. _Par M. POISSONNIER DESPERRIÈRES, Chevalier de l'Ordre du Roi, l'un de ses Médecins ordinaires, Médecin de la Grande Chancellerie & de la Généralité de Paris, Inspecteur général des Hôpitaux de la Marine & des Colonies, de l'Académie des Sciences, Arts & Belles-Lettres de Dijon._ [Marque d'imprimeur] A VERSAILLES, DE L'IMPRIMERIE DE L'HÔTEL DE LA GUERRE. M. DCCLXXII. MÉMOIRE _Sur les avantages qu'il y auroit à changer absolument la nourriture des Gens de mer._ Je crois avoir prouvé, dans mon Traité des maladies des Gens de mer, que les salaisons dont les Matelots font usage, sont la principale cause du scorbut & des autres maladies qui les affligent. Les Médecins & les Chirurgiens sont pénétrés de cette vérité, & les Officiers de la marine en paroissent convaincus; mais ce n'est pas assez, il faut encore qu'elle frappe les personnes dont l'autorité peut seule opérer avec plein succès une réforme avantageuse à l'humanité, & par conséquent précieuse à l'État. Pour établir la nécessité de cette réforme, j'employerai plus de faits que de raisonnemens: les faits portent la conviction dans l'esprit, & terrassent le préjugé; les raisonnemens les plus solides, combattus par des raisonnemens spécieux présentés avec art, ne produisent plus que des doutes & des incertitudes. Il n'appartient qu'à l'expérience de les dissiper victorieusement. On convient généralement que les substances animales, quoique salées, sont susceptibles d'une dégénérescence visible, qui ne peut qu'accélérer la tendance qu'ont à la décomposition toutes les liqueurs du corps humain: ceux qui ne se nourrissent que de ces substances, sont nécessairement plus exposés que les autres hommes à ces maladies putrides, pour lesquelles j'ai tant recommandé le régime végétal. Il seroit donc essentiel d'introduire parmi les Matelots, l'usage ordinaire d'alimens propres à écarter le scorbut, maladie cruelle qui fait un si grand nombre de victimes. La Nature offre des substances d'une qualité, non-seulement plus salubre, mais même plus agréable que celles qui jusqu'ici ont obtenu la préférence, & qui méritent l'exclusion. Le régime végétal, enseigné par la raison, avoit déjà pour lui d'heureuses épreuves: mais de nouveaux faits viennent d'en constater la bonté d'une manière si frappante, qu'il n'est pas possible de se refuser à l'évidence, & qu'elle doit entraîner tous les suffrages pour changer la nourriture des Matelots. M. de Marnières, commandant en 1758 le vaisseau l'_Achille_; M. le Comte de Grasse, le _Zéphir_; & M. Dumas, la frégate la _Syrène_; ces bâtimens ayant tenu des croisières très-longues devant l'île Sainte-Hélène, tous leurs équipages furent attaqués de scorbut à un très-haut degré, les Maîtres même & quelques Officiers n'en furent pas exempts. On relâcha à la baie des Saints; mais ces vaisseaux ayant été obligés d'en partir, avant que les équipages fussent rétablis, & les viandes manquant entièrement, on fut obligé de s'approvisionner de riz pour retourner en France: cette seule nourriture rendit la santé aux équipages, malgré la longueur de la traversée, entreprise dans une saison avancée. En 1757, M. Hocquart, commandant la frégate la _Dryade_, fit plusieurs croisières très-longues sur les côtes de Salé: ce bâtiment resta près d'un an armé avec le même équipage; tous les malades, & ceux qui jouissoient d'une bonne santé, à l'exception néanmoins des premiers mois, furent presqu'entièrement nourris avec du riz, dont on s'étoit approvisionné en Espagne; & cette nourriture fut si salutaire, que le Commandant ne perdit pas un seul homme de ceux qui composoient l'équipage de son bâtiment. En 1764, M. le Comte de Braquemon commandant la frégate la _Therpsicore_, après avoir croisé fort long-temps sur les côtes de Salé, il se trouva dans son équipage plus de trente scorbutiques, qui furent guéris à la mer par l'usage du riz, des légumes secs, des pruneaux & d'un peu de miel: cet Officier eut la satisfaction de ramener son équipage en France bien portant, & sans avoir perdu un seul homme de près de trois cent, après une campagne de sept mois, dont six passés à la mer. M. de Braquemon & M. de Barassé l'aîné, furent tellement frappés des avantages qui pouvoient résulter de cette manière de nourrir les Matelots, qu'ils crurent devoir en informer la Cour. En 1759, l'escadre de M. le Comte d'Aché manquant de provision de toute espèce, tous les équipages ne subsistèrent, pendant près de trois mois, qu'avec du riz cuit à l'eau sans autre assaisonnement. Le vin, le biscuit, la farine & les salaisons manquoient absolument, & les Matelots furent réduits à l'eau & à une très-petite quantité d'eau-de-vie de riz: malgré cela, M. le Breton, Chirurgien-major, & plusieurs autres personnes de l'escadre, ont assuré que les équipages ne s'étoient point ressenti de cette disette apparente, & qu'à un peu de répugnance près que les Matelots avoient d'abord montrée pour cette nourriture fade, on ne pouvoit rien dire qui ne fût à son avantage. En 1764, M. de Linière commandant en retour le vaisseau le _Salomon_, armé à Rochefort, & destiné pour aller à la Nouvelle-France, son équipage fut attaqué, pendant la traversée, de diverses maladies, & principalement du scorbut. Les approvisionnemens ordinaires pour les malades ayant manqué, on fut obligé de les nourrir uniquement avec du riz: ils se rétablirent promptement & si bien, qu'ils reprirent tous le service du vaisseau jusqu'à leur arrivée à la Nouvelle-Orleans. Ajoutons à ces exemples des faits encore plus récens, & qui confirment tous les autres. M. Martel, de Nantes, ayant armé en 1767 le navire le _Doyard_ pour l'Inde, mit tout son équipage à l'usage du riz & des substances légumineuses dont il s'étoit abondamment pourvu par mon conseil; malgré les mauvais tems qu'il essuya à la mer pendant sept mois, il relâcha à l'île de France sans avoir perdu un seul homme, & même sans avoir eu aucun malade à son bord, quoique son équipage fût de cent vingt hommes; événement unique, & jusques-là sans exemple. Les vaisseaux de la Compagnie des Indes, le _Comte d'Argenson_ & le _Berryer_, arrivés le même mois dans la même île, & qui n'avoient tenu la mer que cinq mois, mirent cent quatre-vingt malades dans les Hôpitaux, & en perdirent quarante: telle fut l'extrême différence du sort de l'équipage du _Doyard_, & de ceux des deux autres vaisseaux. Peut-on l'attribuer à une autre cause, qu'aux salaisons dont les bâtimens de la Compagnie avoient été approvisionnés selon l'ancienne méthode, & au régime végétal que le Capitaine du _Doyard_ avoit fait observer sur son bord? On voit donc que ce régime est en même temps un des meilleurs remedes que l'on puisse employer dans les maladies des gens de mer. Nous en avons eu tout récemment une autre preuve à laquelle on ne sauroit ne pas se rendre: de trente Matelots attaqués de maladies graves & vives dans la frégate l'_Ecluse_, aucun n'a péri, & ils ont eu pour tisanne & pour nourriture, l'eau de riz ou de gruau, à laquelle on a joint seulement de tems à autre du miel & quelques aigrelets laxatifs, tels que les pruneaux. Or une substance aussi efficace dans la curation des maladies putrides des Matelots, n'en sera-t-elle pas visiblement le préservatif le plus assuré? Ce dernier fait vient à l'appui d'une vérité bien connue des Médecins, mais qui ne l'est pas assez du public; que le bouillon à la viande doit être proscrit dans tous les cas où l'alkalescence des humeurs est marquée. Un exemple, que nous avons sans cesse sous nos yeux, étayeroit encore cette proposition, si elle en avoit besoin. Plus de deux mille forçats condamnés dans le port de Brest aux travaux les plus pénibles, exposés toute l'année aux intempéries de l'air & aux pluies qui sont très-fréquentes dans ce pays, résistent à toutes leurs fatigues, quoiqu'ils ne soient nourris que de très-gros pain & de légumes secs qui ont souvent fait campagne; & ce qu'il y a d'important à observer, c'est qu'ils ne sont jamais attaqués du scorbut, que lorsqu'ils sortent des Hôpitaux où ils sont nourris avec de la viande fraîche. Que de motifs pour rendre sensible la nécessité d'une réforme dans la manière dont on nourrit les Matelots à la mer! Le plus puissant, sans doute, est la conservation d'une classe d'hommes si rare & si précieuse à l'Etat. Cette considération suffiroit seule pour déterminer le Gouvernement; mais il en est d'autres encore qui ne sont pas moins dignes de son attention. Tout le monde sait que nous sommes obligés de tirer les salaisons de l'Etranger; d'où naît le double inconvénient, de lui payer par-là une sorte de tribut, & de dépendre de lui dans une partie essentielle à la célérité des armemens. L'avantage qu'il trouve dans cette branche de son commerce avec nous, est d'autant plus fort, que les salaisons servent aussi à alimenter nos Colonies du Vent, où l'on n'a pas assez de boeufs pour fournir de la viande fraîche à tous les habitans. Quand les vues que je prends la liberté de proposer, n'auroient pour objet que de conserver dans le Royaume les sommes dont nous enrichissons nos rivaux, la politique ne balanceroit pas à les adopter. Mais l'utilité de ce projet patriotique & économique ne se borne pas là; une diminution dans la dépense des approvisionnemens sera le fruit de son exécution. Les prix des substances farineuses & légumineuses sont bien au-dessous de celui des viandes salées. Qu'une partie du produit de cette épargne soit employée à l'achat des ingrédiens propres à les assaisonner, on en fera des mets infiniment plus agréables au goût des équipages, que ceux que peuvent fournir les substances animales dont on les nourrit: nous en avons déjà des exemples, & il est facile de les multiplier. Les approvisionnemens en substances farineuses & légumineuses ont encore, sur les viandes salées, l'avantage de se conserver très-long-temps à la mer sans s'altérer: c'est sur-tout dans le service des Hôpitaux, que l'usage de ces substances se trouve lié à l'intérêt de l'État, par le prompt rétablissement des malades, & par leur conservation; un régime très-dispendieux, inutilement suivi, pour la curation d'un grand nombre de gens de mer, atteints de maladies putrides, va nous en donner un nouvelle preuve. En 1760, la dépense pour les hôpitaux de l'escadre de M. de Blénac à Saint-Domingue, pendant un séjour de quatre à cinq mois dans cette île, monta à plus de cinq cens mille livres: une dépense si forte démontre aux yeux de tous, que les intentions du Gouvernement sont pleines de bonté & d'humanité, & qu'elles tendent au plus grand bien, sans égard à la dépense: mais les moyens les plus coûteux, ne sont pas les plus efficaces. On ne négligea aucun de ceux dont une pratique plus charitable qu'éclairée crut pouvoir se servir pour le soulagement des malades & des convalescens: outre deux livres de viande fraîche pour chaque homme, on fournissoit journellement une volaille pour sept hommes, & ce régime si bon en apparence fut secondé par des soins assidus, & par ce qu'on appelle des douceurs de tous les genres: malgré cela il périt près d'un tiers des équipages; & ce qui fait clairement connoître, par un contraste frappant, qu'une si grande perte fut bien moins causée par la force & l'intensité du mal, que par la qualité des alimens & la nature des secours, c'est que vingt-six hommes de la même escadre, atteints de la même maladie, rembarqués à bord de la frégate la _Calipso_, commandée par M. de Rosnevet, se rétablirent parfaitement à la mer, par le traitement sagement raisonné de M. Herlin, Chirurgien de cette frégate. Au lieu de les fatiguer de remedes, il se contenta de les mettre au riz pour principale nourriture, de leur donner quelquefois des pruneaux, & de permettre aux convalescens quelques morceaux de volailles, dont ils furent redevables à la générosité du Capitaine, celles qu'on avoit destinées aux malades ayant été submergées. On leur donnoit aussi quelques verres de bon vin, & les convalescens avoient à leur déjeûné une orange douce, du vin, un peu de sucre & de bon pain. L'escadre de M. de l'Eguille, composée de trois vaisseaux de guerre, dépensa, pour les hôpitaux particuliers qui furent établis à Rio-Janeïro, sept cens mille livres en deux mois & demi, dans un pays où les substances animales ne sont pas à un prix bien haut: malgré cette dépense, on perdit beaucoup de monde, tandis que les malades qui étoient aussi nombreux dans l'escadre de M. de Marnières se rétablirent tous à la mer avec du riz, & à très-peu de frais. M. Meslier, Chirurgien de la marine, étant alors au service d'Espagne, conseilla à M. Duguain, commandant le vaisseau le _Jesus-Maria-Joseph_, qui partoit du Pérou pour revenir en Europe, de préférer aux viandes salées, un approvisionnement de légumes secs de toute espéce; cent quatre-vingt hommes d'équipage, & plusieurs passagers, n'eurent point d'autres nourritures; la traversée fut de six mois, & le Capitaine ne perdit pas un seul homme. On peut encore, sur cet objet, citer le témoignage de M. le Chevalier Fouquet. Il a vu un des vaisseaux de l'escadre de M. le Duc d'Anville, nommé le _Larisson_, sauvé par vingt soldats de Marine, qui s'étoient garantis du scorbut, si universel dans cette escadre, pour s'être privés, par économie autant que par goût, de toute salaison, & pour n'avoir vécu que de légumes secs, & de biscuit, avec la ration ordinaire de vin, & la soupe de l'équipage. Des faits si nombreux & si bien constatés, pourroient-ils laisser l'ombre de doute sur la nécessité de changer la nourriture des Matelots, & sur les grands avantages que présente la nourriture végétale? On ne sçauroit trop en étendre l'usage, non-seulement parmi les gens de mer, mais encore parmi les troupes de nos Colonies. Quoi de plus inconséquent que de nourrir des Soldats avec des viandes salées, dans des pays très-chauds, où toutes les humeurs tendent à l'alkalescence, & à une acrimonie putride! Ces sortes d'alimens n'ont-ils pas déjà atteint les premiers degrés d'une dépravation, qui ne peut que se continuer dans les vaisseaux de l'économie animale? Quel désordre n'y causent pas infailliblement des substances indigestes & viciées, quand on en fait sa nourriture ordinaire? Les farineux & les légumineux seront au contraire une ressource assurée contre les maladies qui enlèvent dans nos Colonies un si grand nombre d'hommes précieux: je n'ignore pas quelle est la force de l'habitude & du préjugé; mais peuvent-ils être de quelque poids, quand il s'agit du salut & de la conservation de l'espece humaine? Si l'on croyoit cependant devoir quelqu'égard au préjugé & à l'habitude; s'il sembloit plus convenable de les détruire pied à pied par la conviction, que de les renverser tout d'un coup par l'autorité, on peut ne pas exclure d'abord toutes salaisons de l'approvisionnement des Matelots, mais seulement en diminuer beaucoup l'usage; ils s'accoutumeront insensiblement, & même assez promptement, à une nourriture incomparablement plus saine, & finiront par préférer le régime végétal à tout autre, pourvu qu'en leur procurant les moyens de le varier par divers assaisonnemens, on prévienne une trop constante uniformité, qui pourroit produire la répugnance & le dégoût. Voici ce que je propose pour y parvenir. Le Dimanche & le Jeudi à dîner. La moitié de la ration ordinaire de lard, & quatre onces de riz pour chaque homme. Le Lundi & le Vendredi. Cinq onces de riz à dîner par chaque homme, assaisonné avec une demi-once de sucre & un peu de gingembre. Le Mardi, le Mercredi & le Samedi à dîner. Six onces de lentilles assaisonnées avec des oignons confits au vinaigre, le sel & une demi-once d'huile, ou six onces de féves blanches, ou six onces de pois. Les soupers seront composés comme à l'ordinaire, avec cette différence, qu'au lieu d'huile d'olive, on donnera, pour assaisonner la soupe, une once d'oseille préparée au beurre[1]. [1] _Nota._ Dans les cas où l'on ne pourra pas préparer l'oseille au beurre, on ajoutera à la soupe des oignons confits au vinaigre. Dans les cas où l'on ne pourra pas donner la soupe à l'équipage, on y substituera la ration de fromage, ou deux onces de miel. On voit que je supprime les trois repas de morue, & deux de viande salée. L'acquisition de ces denrées ne sera ni difficile, ni dispendieuse; leur plus grande consommation en augmentera la culture dans le Royaume, & rendra plus florissante cette branche du commerce intérieur: les assaisonnemens sont tellement combinés avec les alimens, qu'en flattant le goût, ils concourent au même but, & l'atteignent, par leur association, d'une manière tout-à-la-fois plus sûre & plus agréable, que par l'usage qu'on en feroit séparément. On ne peut douter que la Marine marchande ne saisisse avec empressement une pratique qui réunira les trois objets les plus importans pour la Navigation; une économie dans la dépense de leurs approvisionnemens, la facilité d'en prévenir l'altération, la conservation des forces, de la santé & de la vie des Matelots; & comme la Marine marchande est l'école où ils se forment pour la Marine royale, ils passeront dans les vaisseaux du Roi tout accoutumés à un régime dont ils auront éprouvé les plus heureux effets. OBSERVATIONS SUR LE MÉMOIRE DE M. POISSONNIER DESPERRIÈRES, _Par M. le Chevalier DE LA COUDRAYE, Enseigne de Vaisseau_. Tout le monde paroît convenir que rien n'influe plus puissamment & plus promptement sur le tempérament & la santé, que la qualité des vivres dont on se nourrit: mais plus cette vérité a de force, plus il importe d'examiner scrupuleusement toute nouveauté à cet égard, sur-tout dans les vaisseaux où les vivres toujours les mêmes ne donnent point de relâche à leur influence, & où l'on ne pourroit souvent, de plusieurs mois, corriger leur défectuosité, soit en les mêlangeant, soit en les changeant tout-à-fait. C'est cette réflexion qui me détermine à faire part à l'Académie de quelques observations sur une nouvelle nourriture proposée par M. Poissonnier Desperrières, pour les équipages des vaisseaux; nourriture éprouvée en 1770 par M. Herlin, Chirurgien-Major de la Marine, sur les malades seulement, dans la flûte l'_Écluse_, commandée par M. Gasquet, Officier de port, & enfin ordonnée en 1771 à tout l'équipage sur la frégate la _Belle-Poule_, commandée par M. Doives, Capitaine de frégate, sous les yeux de M. Metier, aussi Chirurgien de la Marine, & ami de M. Herlin. J'étois embarqué sur la _Belle-Poule_, & je me fais d'autant plus de plaisir de parler de ce qui s'est passé à cet égard, que j'ai suivi cette épreuve avec quelque attention, & qu'elle s'est faite de la part des Matelots d'un bout à l'autre de la campagne, avec dégoût, à la vérité, & desir de n'y être plus soumis, mais sans murmure & sans humeur. État des Vivres ordonnés par ordre de la Cour, pour la nourriture de l'équipage de la frégate la _Belle-Poule_. Dimanche & Jeudi à dîner. Trois onces de lard cuit avec quatre onces de riz par chaque homme. Lundi & Vendredi à dîner. Cinq onces de riz pour chaque homme, assaisonné avec une demi-once de sucre & un peu de gingembre. Mardi, Mercredi & Samedi à dîner. Six onces de lentilles, ou de féves blanches, ou de pois alternativement assaisonnés avec du sel, une demi-once d'huile pour chaque homme, & des oignons confits au vinaigre. Les soupers seront composés comme à l'ordinaire, avec cette différence, qu'au lieu d'huile d'olive, on donnera, pour assaisonner la soupe, une once d'oseille préparée au beurre. Dans le cas où l'on ne pourra pas donner la soupe à l'équipage, on y substituera la ration de bon fromage, ou deux onces de miel. * * * * * Nous nous conformâmes à l'ordre de la Cour, à quelques différences près, occasionnées par la nécessité. On ne donna de lentilles qu'aux malades; l'oseille fut préparée dans du saindoux, & le fromage ordinaire d'hollande fut celui que l'on embarqua: point de bouillon au reste, ni aucune viande fraîche destinée pour les malades; le gruau, les végétaux étoient pour eux, comme pour les autres, la seule nourriture. Nous partîmes le 4 Mai 1771. Cette nourriture, présentée par M. Desperrières, non-seulement comme propre à guérir le scorbut, mais aussi à l'écarter, à le prévenir & en détruire le germe, n'empêcha pas que, dès le 3 de Juin, un nommé Jean Dagorne, attaqué de cette maladie, ne fût obligé de cesser son service, & d'entrer au plat des malades; & qu'enfin, le mal empirant, on le débarqua au Cap François. Pendant le cours de la campagne, nous n'avons eu, à la vérité, que cinq autres scorbutiques; Jean le Doux, Soldat, Pierre Kerjean, Canotier du petit canot, Joseph Briant, Gardien de la fosse aux cables, Yves Bernard, Chaloupier, & Jean-Baptiste Moezan, Gabier. Mais quoique ce nombre paroisse être peu considérable, il suffit cependant pour réfuter le grand avantage que l'on prétend que l'on trouveroit à cet égard dans la nourriture proposée. En effet, il y a eu un grand nombre de campagnes semblables à la nôtre, où il ne s'est pas déclaré ce même nombre de scorbutiques, quoique l'équipage n'y fût point nourri au régime végétal. Notre sortie n'a été que de cinq mois; nous n'avons point eu une seule fois de la brume; nous avons navigué dans les plus beaux climats & pendant la saison la plus belle; nos plus longues traversées n'ont été que de trente-cinq jours; le tems n'a presque point refusé de faire faire branle-bas, & de parfumer; enfin nous n'avons point eu un seul jour que l'on puisse vraiment appeller un gros tems, & le nombre des mauvais a été très-petit. Ce sont autant de faits que le journal de la campagne peut certifier. Or, je le demande, dans une pareille campagne six scorbutiques ne sont-ils pas un nombre remarquable, & ne prouvent-ils pas dumoins que le nouveau régime n'est point capable de prévenir le germe du scorbut? M. Desperrières cite dans son mémoire, un grand nombre de faits, à l'appui desquels il prétend prouver cette importante assertion qui fait la base de son systême: mais ces faits ne contiennent que des choses vagues & des expériences détachées & peu sûres, & toutes n'ont pas même le degré d'exactitude nécessaire dans une affaire de cette espéce. Je n'ai été à même de questionner que deux Capitaines qu'il cite; & je tiens de l'un d'eux, M. Gasquet qui commandoit l'_Écluse_, que l'on ne peut rien conclure de ce qui se passa à son bord, parce que sa campagne n'avoit duré que quatre mois, & que l'épreuve n'avoit été faite que sur les malades seulement, qui furent en très-petit nombre, & fort legèrement attaqués. L'autre Capitaine, M. de Rosnevet, dont l'opinion auroit sans doute beaucoup de poids, m'écrivoit à ce sujet: »Je pense que le régime végétal peut être avantageux pour la nourriture des malades à la mer, lorsqu'on ne peut pas leur fournir de très-bonne viande fraîche; mais je suis très-éloigné de croire que cette nourriture puisse suffire pour les gens qui travaillent«. Et ce même M. de Rosnevet me disoit, dans une autre occasion, que les vingt-six hommes de l'éscadre de M. de Blenac, rembarqués sur la _Calipso_, & qui sont, au jugement de M. Desperrières, un corps de preuve complet de l'efficacité du nouveau régime, ne peuvent que prouver que l'on se rétablit plus facilement à la mer, que sur la terre mal-saine de Saint-Domingue. Mais c'est de notre épreuve dont il s'agit, & je reviens à ce qui s'est passé à bord de la _Belle-Poule_. Lorsqu'avant la campagne je lus, pour la première fois, le Mémoire de M. Desperrières, je fus séduit par les apparences plausibles du bien qui devoit en résulter. Cette nourriture me paroissoit plus saine, plus variée, & préférable à tous égards: les premiers dégoûts des Matelots me parurent déplacés; & ce n'est que la pratique & une inspection suivie qui m'ont enfin détrompé & ramené au point, qu'aujourd'hui je regarde cette nouvelle méthode, non-seulement comme n'attaquant point le germe du scorbut, mais même comme mal-saine & dangereuse à pratiquer, à cause des accidens qui accompagnent nécessairement l'embarquement des légumes. Dès les premiers jours de notre traversée, en effet, un grand nombre de Matelots fut attaqué d'aigreurs d'estomac, de cours de ventre, de coliques & de points de côté. Ils l'attribuèrent eux-mêmes au changement subit de manière de se nourrir; & ce ne fut qu'à la diminution de leurs forces, qu'ils commencèrent à se lasser & à s'inquiéter. J'allois souvent sur le gaillard d'avant voir & questionner, & j'eus lieu de me convaincre qu'il étoit vrai, & que la poulaine étoit très-fréquentée, & qu'au bout de quelques jours le dégoût & la crainte avoient déjà fait tant de progrès, que beaucoup ne se nourissoient plus que de leur pain trempé dans du vin, ou mangé avec une gousse d'ail & du sel. Cette diminution des forces de nos Matelots devint si sensible, que même un séjour de trente-sept jours à Malaga ne les leur rendit point, quoique nous y fussions dans la saison du raisin, que la pêche y fût abondante, & qu'ils se fussent presque tous endettés dans cette relâche, afin de faire un peu trêve au régime végétal. A notre arrivée à Brest, dix-neuf jours après avoir quitté les côtes d'Espagne, leur visage représentoit encore assez bien l'état de quelqu'un qui sort de faire un carême exact & rigoureux. Toujours en manoeuvrant, & surtout vers la fin de la campagne, avions-nous à nous plaindre de la lenteur de l'exécution: nous en cherchions la cause dans le frottement des vergues & des manoeuvres; mais ce frottement ne pouvoit point encore avoir augmenté depuis le départ, & je ne doute point, moi, qu'elle n'existât dans cette diminution de force chez chaque individu; diminution sans doute funeste, si nous avions été dans un climat rude & brumeux. Pour s'en convaincre, au reste, qu'on jette la vue sur l'état des malades dont j'ai ajouté une liste à la suite de ce Mémoire, on sera étonné, sans doute, de voir, pendant une campagne aussi douce & aussi courte, presque tous les gens de l'équipage passer successivement au poste des malades, de les voir tous attaqués d'une même fievre petite, & ne paroissant venir que de lassitude, qui diminuoit & se passoit au bout de quelques jours de cessation de travail: on sera étonné de voir qu'ils y étoient plus sujets, à mesure que la campagne devenoit plus longue. Et ne semble-t-il pas, d'après cet exemple, que l'on seroit menacé de voir tout l'équipage sans force, & réduit à un état d'inanition, s'il se trouvoit quelques jours de suite d'un travail forcé? Après un procès-verbal fait à bord pour constater la défectuosité d'une de nos soutes à légumes, nous débarquâmes au Port-au-Prince soixante-quatorze quintaux de pois tous échauffés, & occasionnant dans la soute une chaleur extraordinaire & violente que l'on sentoit au-travers de la cloison même. A l'ouverture de la soute, on trouva les pois qu'on y avoit mis, moisis par-dessus & adhérans les uns aux autres, tous dans une fermentation telle que la main n'en pouvoit soutenir la chaleur, & déjà tellement échauffés, que la moitié de ceux qui n'étoient point moisis, étoient ridés & changés de couleur. Ce même événement nous étoit déjà arrivé à des féves dans le port où nous avions séjourné long-tems, & il nous avoit fallu les débarquer. M. de Charitte, Lieutenant de vaisseau, commandant le senant l'_Hirondelle_, armé à Brest dans le même tems que nous, & approvisionné de semblables pois, éprouva comme nous une fermentation dans ses légumes, & lui & nous, nous étions assurés du bon état de nos soutes, & que le mal ne provenoit que des légumes mêmes. Il avoit des salaisons, & le mal n'étoit pas dangereux pour lui: mais nous, si nous n'eussions point été à même de changer nos légumes, si nous eussions été contraints de les consommer, quel effet cela auroit-il produit? On connoît le climat pluvieux de la Basse-Bretagne, les brumes & les pluies journalières de Brest. N'est-ce point une cause qui seule rende impraticable dans ce port le projet d'une nourriture végétale, & n'est-il point permis de soupçonner que peut-être les légumes portent dans eux un principe d'humidité qui les rend impropres à se conserver long-tems, soit parce qu'ils ont crû dans le sol, soit parce qu'il est nécessaire de les garder sur le lieu dans les magasins? Car il faut, après tout, une cause à ce qui est arrivé aux légumes fournis à la _Belle-Poule_ & à l'_Hirondelle_; & si l'on vouloit suivre cette conjecture, on pourroit s'appuyer de l'exemple des fruits qui, pour l'ordinaire, à Brest, sont sans saveur, n'ont goût que d'eau, & ne se conservent pas long-tems. Si cependant la nourriture végétale étoit approuvée, il faudroit nécessairement tirer des légumes de la province, sur-tout pendant la guerre, & en conserver à Brest même; & qu'on ne croye pas y remédier, en passant ces légumes au four: l'expérience assureroit que de pareils légumes seroient raccornis & incapables d'une parfaite cuisson. Ce qu'on dit ici des féves, des pois & des lentilles, est en partie applicable au riz, qui, en vieillissant d'ailleurs, contracte un mauvais goût & devient mal-sain. Dans l'Asie on en fait, il est vrai, une grande consommation, & c'est une nourriture ordinaire aux Gens de mer; mais il croît sur le lieu, & on le renouvelle quand on veut; mais il n'a point déjà souffert du transport dans un vaisseau; mais enfin c'est la nourriture ordinaire des hommes, tant à terre qu'à la mer, & il ne leur faut point une nouvelle habitude pour s'y accoutumer. Sans disputer donc à M. Desperrières que son régime ne puisse être administré avec beaucoup de succès à terre dans les hôpitaux, dans les prisons de forçats, &, s'il le veut même, dans les casernes, j'avancerai comme chose dont je suis fortement convaincu, qu'il ne peut être mis de même en exécution dans les vaisseaux où il peut y devenir très-dangereux. Le goût des hommes doit-il enfin être compté pour rien? La répugnance qu'ont eue généralement tous nos Matelots pour le régime végétal, doit-elle être absolument négligée? Cette nourriture leur est si peu familière, & quelque attention que l'on puisse avoir à la chaudière, il est si difficile que du riz & des légumes soient bien assaisonnés, qu'ils ne contractent point l'odeur & le goût de fumée, & qu'ils ne se ressentent point du cuisinier qui les prépare, que leur dégoût ne doit point surprendre. Deux fois, pendant la campagne, malgré toutes les précautions que l'on ne négligeoit point, on fut obligé de faire défendre de manger le riz déjà distribué, parce qu'il se trouva dans la chaudière du verd-de-gris. La seconde fois, à la vérité, la quantité en étoit si petite, que l'on jugea qu'elle ne pouvoit nuire: mais eût-elle été plus forte, elle n'eût pas au reste incommodé beaucoup de monde; plus du tiers de l'équipage n'en mangeoit point du tout, & le reste en mangeoit très-peu. Deux mois avant la fin de la campagne, on trouvoit déjà dans les oignons confits des vers d'une grosseur & d'une forme tout-à-fait dégoûtantes, & qui faisoient fort redouter d'avoir à la distribution le fond de la chaudière. Plusieurs quarts de ces oignons se sont trouvés gâtés en entier; & de tout le régime, l'oseille seule s'est bien conservée, & a fait le meilleur effet. On ne peut pas se flatter cependant que les fournitures seroient faites dans la suite avec le même soin qu'on apporta aux nôtres, qui étoient préparées pour un essai, & par une personne intéressée qui avoit eu à lui tout le tems nécessaire. Que l'on recueille tout ce que je viens de dire; qu'au lieu de naviguer vers les tropiques & aux côtes d'Espagne, on se transporte dans les brumes du Grand-banc, dans les glaces du Canada, & dans les pluies & les coups de vent de nos climats; que l'on imagine un vaisseau tenant la mer pendant long-tems, & sans relâcher; qu'on se représente sur-tout les fatigues d'une voie d'eau & les alertes continuelles qu'occasionnent, pendant la guerre, les branle-bas, &c. Croit-on alors que le régime végétal substantera suffisamment les Matelots, & peut-on de bonne foi n'appercevoir aucun inconvénient à ne fournir qu'une livre & demie de viande par mois à des gens accoutumés à se nourrir de viande? J'ajouterai encore un inconvénient résultant de cette nourriture; c'est l'encombrement. Il semble qu'on l'avoit bien senti, car au projet du régime végétal, on ajouta celui de cesser de fournir en nature la demi-ration de supplément que le Roi accorde aux Officiers Mariniers, & il fut résolu qu'on la leur payeroit en argent. Personne sans doute ne croit voir d'inconvénient à ce nouveau moyen; & c'est bien une preuve qu'il faut à tout l'approbation de l'expérience. Qu'on sache donc que la ration est payée par le Roi treize sols quatre deniers à la Compagnie des vivres, & que la demi-ration de supplément ne fut payée à notre équipage que sur le pied de quatre sols trois deniers, quoiqu'il eût été fait des représentations à cet égard, & que l'Intendant de Saint-Domingue, indigné de la prétention de la Compagnie des vivres qui s'étoit déjà déclarée par l'organe de notre Ecrivain, eût commencé par ordonner le paiement de deux mois de demi-ration à neuf livres par mois, ou six sols par jour. Après cela, pourroit-on, sans quelque peine, & à moins de voir un avantage décidé & complet dans la nouvelle nourriture, consentir à laisser soustraire à nos Maîtres une partie du fruit de leurs services & de leur mérite? Et qui pourroit répondre que l'on ne diminuât encore, & que l'on ne vînt peut-être à supprimer tout-à-fait cette prérogative qui leur donne de la considération, & qui seule détermine grand nombre de Matelots à s'attacher au service du Roi, & à s'efforcer d'obtenir le mérite d'Officier Marinier? Je n'étendrai point davantage ce Mémoire, & je ne chercherai point à prouver ce que j'ai dit plus haut, que la plupart des faits du Mémoire de M. Desperrières étoient exagérés: il me paroîtroit fort étonnant, qu'aussi loin des ports, il eût été plus fidèlement instruit. Excité cependant par l'intérêt particulier que tout Officier de la Marine doit à la conservation & à la santé des Matelots, je demande à l'Académie un examen; & cet examen est aujourd'hui d'autant plus nécessaire, que déjà la Cour envisage de bon oeil & croit avantageux le régime végétal sur les comptes qu'en a rendus notre Chirurgien, sur le silence de l'État-Major, bien convaincu, ainsi que moi, de ses inconvéniens, & sur quelques autres circonstances particulières qu'il est très-temps de combattre. État des Malades de la Frégate la _Belle-Poule_, commandée par M. DORVES, en 1771, pendant l'essai du Régime végétal. _Entrées._ _Sorties._ Jos. Chantaielle. 6 Mai. Fievre continue. 31 Mai. V. Toulet, _Canot._ 16 F. occ. par un clou. 23 P. A. Guiner, _Tim._ 16 Abcès au côté. 28 Juillet. Am. Gouarn, _Fus._ 16 Fievre. 19 Mai. Aug. David, _Pass._ 27 Point de côté. 31 L. Orlande, _Capor._ 1 Juin. Blessé aux bourses. 5 Juin. J. Dagorne, _Gab._ 3 Scorbut. 8 d. au C. Olivier Sept-sols. 5 Fievre. 8 Juin. Jac. Redis, _Soldat._ 10 Fievre. 30 Laurent Philippe. 12 Fievre, dissenterie. 14 Jean Madion. 12 Dissenterie. 16 Jos. Barice, _Fusil._ 12 Jaunisse. 18 Joseph Caen. 14 Fievre. 23 H. de Keciper, _Ti._ 15 Mal de tête, éblou. 25 Tangui Simonet. 16 Fievre. 18 Jean-Marie Louet. 18 Fievre. 13 Juillet. L. Orlando, _Capor._ 18 Fiev. point de côt. 25 Juin. F. Couloumant. 20 Fiev. point de côt. 27 G. Trotet, _Tinac._ 20 Fievre & colique. 12 Juillet. Thomas Cherot. 20 Fiev. point de côt. 24 Juin. Leprince, _de la cal._ 23 Fievre. 27 L. Foliart, _Soldat._ 23 Poitrinaire. 26 P. Gojet, _Tonnel._ 24 Fievre 30 Kerbrat, _Mousse._ 25 Fievre. 9 Juillet. J. Olivier, _p. Can._ 26 Fievre. 23 Août. F. Lourdet, _Charp._ 28 Fievre. 4 Juillet. Pinguer, _Timonier._ 28 Fievre. 8 R. Pomel, _Soldat._ 29 Fievre. 8 M. Sonnie, _Chal._ 29 Fievre. 23 Août. Yves Bodenes. 1 Juillet. Fievre. 8 Juillet. Bernard Canivat. 1 Fievre. 8 Y. Montagne, _Sol._ 2 Fievre 11 Juillet. Y. Duval, _Soldat._ 4 Fievre. 11 L. Mignon, _Mouss._ 4 Fievre. 8 François Corre. 4 Fievre. 9 J. le Recors, _Calf._ 3 Fievre. 8 A. Maljac, _Off. M._ 5 Fievre. 8 J. Ledoux, _Soldat._ 5 Scorbut. 16 Sept. F. Jamin, _Mousse._ 5 Fievre. 11 Juillet. M. Simier, _Mousse._ 5 Fievre. 9 N. Lemille, _Sold._ 6 Fievre. 13 Christop. Lonoré. 6 Fievre. 16 Ch. Legal, _Mousse._ 6 Fievre. 11 Y. Lerumeur, _G. C._ 9 Fievre. 13 Jean Madiou. 10 Cours de ventre. 23 O. Defloch, _G. C._ 10 Fievre. 20 P. Dalcourt, _Sold._ 11 Fievre. 23 F. Corre, _Mousse._ 11 Blessé. 23 Août. Bernard Canivet. 13 Fievre. 13 Sept. Y. Millon, _Mousse._ 15 Fievre. 23 Juillet. Pierre Haon. 16 Fievre. 25 F. Jamin, _Mousse._ 16 Fievre. 27 Jean Lelez, _G. C._ 20 Fievre. 22 Kerjean, _P. Can._ 22 Scorbut & ulcère. 28 N. Bodenes, _Ch._ 23 Fievre. 23 Août. J. R. Alenou. 23 Fievre. 30 Juillet. Al. l'Orphelin. 24 Fievre. 10 Août. J. Briant, _G. de la fosse aux cables._ 28 Scorbut. 24 Y. Bernard, _Chal._ 28 Scorbut. 19 J. B. Moesan. 30 Scorbut. 23 Gil. Gerol, _Timon._ 31 Fievre. 10 A. Janne, _Can. S._ 1 Août[2] Fievre. 8 G. Lemoine, _id._ 3 Fievre. 14 P. Belcourt, _Sold._ 5 Fievre. 14 Jos. Egaud, _Tim._ 9 Fievre. 16 S. Laurent, _Domes._ 9 Fievre. 17 J. B. Forbin, _Tim._ 16 Fievre. 31 F. Barbier, _Soldat._ 17 Fievre. 26 L. Folliand, _Sold._ 21 Août. Fievre. M. Piou, _Boulang._ 20 Fievre. Jean Sbirk, _Sold._ 21 Fievre. 28 Août. J. Legal, _Mousse._ 26 F. & point de côté. 31 Franç. le Glatin. 28 Fievre. 2 Sept. S. Georges, _Dom._ 28 Fievre. 4 J. le Rouge, _Sold._ 20 Fievre. 7 Henri Audigou. 4 Sept. Fievre. 13 J. le Roi, _Pilotin._ 4 Fievre. 8 N. le Roux, _Sold._ 4 Fievre. 16 Tangui Simonet. 6 Cours de ventre. 16 F. Blancart, _Sold._ 6 Fievre. 14 J. Sbire, _Soldat._ 6 Fievre. 16 Jac. Vadis, _Sold._ 7 Fievre. 16 Jean-Bap. Briscat. 9 Fievre. 16 F. Lefebvre, _Tam._ 9 Fievre. 14 H. de Rosselet, _Sol._ 9 Fievre. 16 L. Bevierre, _Sold._ 17 Fievre. 25 Vincent le Roi. 17 Fievre. 24 Yves le Rumeur. 17 Fievre. 24 Jean Madre. 17 Fievre. 23 R. Piric, _Pil. Cot._ 20 Fievre. 23 H. du Rosselet, _Sol._ 21 Fievre. 28 L. Flamand, _Pilot._ 21 Fievre. 24 Arm. Gouaran, S. 22 Fievre. 24 Pier. Jul. Torrés. 21 Fievre. 30 Jacques Rollin. 23 Fievre. 28 Pier. Boubin, _Cap._ 23 Fievre. 28 Y. Tangui, _Chal._ 23 Fievre. Th. Perrot, _Sold._ 23 Fievre. F. Bourbier, _Sold._ 23 Fievre. 25 J. Foucault, _Sold._ 23 Fievre. 25 J. le Roux, _Sold._ 23 Fievre. 24 Y. Grosset, _Mousse._ 23 Fievre. 28 P. Turpin, _Servant._ 24 Fievre. 2 Octob. F. Malejat, _Off. M._ 25 Fievre. 30 Sept. Deshayes, _Off. M._ 25 Fievre. 30 G. le Borgne, _Tim._ 26 Fievre. 5 Octob. Yves le Rumeur. 26 Fievre. Julien Riou. 26 Fievre. 30 Sept. Nicolas le Roux. 26 Fievre. 5 Octob. Yves Daniel, _Cap._ 26 Fievre. 2 Octob. Philip. Gar, _Cap._ 26 Fievre. F. Gallon, _Off. M._ 26 Fievre. Le Valois, _Timon._ 27 Fievre. L. Philippe, _G. C._ 27 Fievre. 30 Sept. Paul Legueneur. 27 Fievre. 30 F. Lasiou, _Off. M._ 27 Fievre. 29 F. Tartre, _Off. M._ 27 Fievre. J. Moezan, _Gabier._ 28 Fievre. 9 Octob. Vincent le Fur. 28 Fievre. 2 Nicolas Castros. 28 Fievre. Lebreton, _2. Chir._ 28 Fievre. Hervé, _Chirurgien._ 28 Fievre. J. B. Pie, _Soldat._ 29 Fievre. Yves Dorvalin. 29 Fievre. 2 J. Castres, _Chal._ 30 Fievre. F. Colomas, _G. C._ 30 Fievre. 9 L. Behir, _G. Can._ 30 Fievre. Gaubion, _M. Chir._ 2 Octob. Fievre. 5 L. Orlandino, _Cap._ 2 Fievre. Dan. Colin, _Can._ 4 Fievre. F. Duchesne, _Can._ 4 Fievre. M. Simier, _Mousse._ 4 Fievre. M. Dumas, _Sold._ 5 Fievre. F. le Fevre, _Tamb._ 5 Fievre. L. Minion, _A. C._ 6 Fievre. Blandin, _sec. Pilote._ 6 Fievre. Y. Tangui, _M. V._ 6 Fiev. & vomissem. J. Laporte, _sec. V._ 6 Fiev. & vomissem. [2] _Le mois d'Août fut passé dans les rades de Cadix & de Malaga._ MÉMOIRE _EN RÉPONSE_ A M. DE LA COUDRAYE, ENSEIGNE DE VAISSEAU, _Sur le Régime Végétal_, Par M. POISSONNIER DESPERRIÈRES. M. de la Coudraye, Enseigne sur la frégate la _Belle-Poule_, commandée par M. Dorves, nous a adressé un Mémoire qu'il a lu à l'Académie de Brest, dans lequel il lui communique ses observations sur le régime végétal suivi dans cette frégate faisant voile pour l'Amérique. Nous croyons devoir répondre à ce Mémoire, moins par amour propre d'auteur, que par zèle pour l'intérêt public. M. de la Coudraye, qui assure avoir suivi avec beaucoup d'attention les effets du régime végétal sur les individus qui y étoient assujettis, n'hésite pas de prononcer que ce régime est pernicieux, & que l'on doit mettre sur son compte le grand nombre de maladies qui ont régné dans l'équipage de la frégate. Il assure que ses observations sont impartiales, qu'il étoit même partisan du régime végétal, & que le bien seul de l'humanité est le motif qui lui fait élever la voix contre une nouveauté qu'il croit très-dangereuse. «Le Ministère persuadé, dit-il, d'après le Mémoire de M. Desperrières sur l'excellence du régime végétal, & d'après les faits que ce Médecin cite, que rien n'étoit plus avantageux pour les Gens de mer, que de leur indiquer ce régime, a ordonné en conséquence l'approvisionnement de la _Belle-Poule_, en légumes & en végétaux choisis. Le Chirurgien de cette frégate, partisan décidé de ce nouveau régime, a eu l'inspection de ces provisions; elles ont été de son choix, & à cet égard il a été très-rigoriste; l'on en a embarqué la quantité requise: il y a plus, nulle précaution n'a été oubliée pour les placer de façon qu'on n'eût pas à craindre leur altération; tout l'équipage étoit frais & sain; les Matelots se prêtoient sans répugnance à ce régime; tous les Officiers, dont je fais nombre, marquoient tout le zèle possible, afin d'écarter le dégoût que les Matelots pouvoient prendre pour une nourriture qui ne leur étoit pas ordinaire, &c. &c.[3] Malgré ces précautions prises pour un essai, & sur lesquelles il ne faudroit plus compter dans d'autres tems, je trouve, par la note que j'ai tenue, qu'il y a eu, pendant une campagne de sept mois, la plus douce qu'on puisse avoir, 125 malades sur deux cens quarante-cinq hommes, y compris l'État-Major, qui composoient l'équipage de cette frégate: parmi les malades, il y a même eu quatre ou cinq scorbutiques, quoique le régime végétal soit annoncé par M. Desperrières comme propre à préserver de cette maladie, & même à la guérir. Donc, conclut M. de la Coudraye, le régime végétal ne combat pas plus efficacement le scorbut, que le régime animal; & il ajoute à cette première conclusion, que le mauvais effet du régime végétal est évidemment prouvé par le grand nombre de malades qu'il y a eu sur la frégate la _Belle-Poule_.« [3] Qu'on est bien éloigné d'avoir pris de pareilles précautions! On a manqué à ce qu'il y avoit de plus essentiel. Pour croire ce que dit à cet égard M. de la Coudraye, il faudroit ignorer ce que peuvent & ce que font toujours les détracteurs des nouveautés utiles. Voilà comment raisonne M. de la Coudraye: mais, pour prouver son impartialité, il auroit dû dire que l'équipage de la _Belle-Poule_ fut employé, dès le mois d'Octobre 1770, à l'armement de la frégate la _Flore_, avant que de passer au sien; que cet équipage, outre un mois de rade, avoit séjourné pendant cinq mois à Brest; & que, pendant ce tems, on avoit employé, par brigades, & à diverses reprises, tout cet équipage aux travaux variés du port. Il auroit dû ajouter, que l'incertitude d'une déclaration de guerre avoit fait rassembler un nombre considérable de Matelots & de Troupes qui avoient surchargé la ville, au point que le Matelot ne savoit où coucher. Cette misère détermina M. Marchais à arranger un magasin, où l'on plaça des Hamaks; mais, avant cette précaution, les Matelots couchoient en grand nombre, sans draps ni couvertures, dans de petits appartemens: ce qui occasionna tant de maladies parmi eux, que l'on craignit une épidémie. Il est mort, depuis le commencement de l'armement de la frégate la _Belle-Poule_, jusqu'au tems où elle a mis à la voile, six hommes de l'équipage. M. de la Coudraye auroit dû se rappeller encore que la saison ayant été très-pluvieuse & très-froide, pendant tout le tems que les hommes de l'équipage ont travaillé dans le port, ils ont dû par la suite se ressentir de cette intempérie. Un observateur aussi exact n'auroit pas dû oublier de nous dire qu'ils n'avoient eu pour boisson, pendant tout le tems qu'ils ont travaillé dans le port, que de la bière de mauvaise qualité, dont ils se privoient souvent par cette raison, & qu'on avoit en outre négligé de joindre à la nourriture qui s'accorde aux journaliers, des légumes frais, reconnus de tous les tems pour nécessaires & salubres aux Marins. Auroit-il dû nous laisser ignorer que l'oseille préparée, qu'il nous dit avoir été fort du goût de l'équipage, n'avoit été embarquée qu'à la quantité de 360 livres, pendant que, suivant le projet, cette frégate auroit dû en être pourvue bien plus abondamment? Auroit-il dû taire les deux vérités importantes, que, excepté les pois qui avoient été mal choisis, & qu'on n'avoit pas fait passer au four, ainsi que je l'avois prescrit, tous les légumes embarqués se sont également bien conservés; & que le biscuit, cette nourriture si essentielle, s'est gâté fort promptement dans les soutes, parce qu'on avoit eu l'imprudence, pour ne rien dire de plus, de mêler de vieux biscuit à celui qui étoit frais & de bonne qualité, &c? De telles remarques auroient pu nuire à ses assertions: aussi les a-t-il dissimulées. M. de la Coudraye avance que l'oseille seule s'est bien conservée. Mais le riz, mais les lentilles, &c. ont-ils été trouvés gâtés? Il n'en dit rien: son silence seroit une preuve pour nous, si nous n'avions pas d'ailleurs le rapport de plusieurs personnes, dont le témoignage n'est pas suspect. »On ne peut pas se flatter, dit-il, que les fournitures seront faites par la suite avec le même soin qu'on apporta aux nôtres qui étoient préparées pour un essai, & par une personne intéressée qui avoit eu tout le tems nécessaire«. Le mauvais choix des pois & leur dessechement négligé, l'embarquement de vieux biscuit, attaqué sans doute déja d'une altération qui a entraîné celle du nouveau, la soustraction de l'oseille; nourriture aussi agréable que salutaire, &c. déposent contre ces soins avec lesquels il prétend qu'on avoit approvisionné la frégate la _Belle-Poule_. Mais passons sur tous ces objets pour en venir à des faits plus concluans. Comment peut-il se faire, dirons nous à M. de la Coudraye, que cette même nourriture végétale contre laquelle vous vous élevez si fortement, ait produit sur la _Belle-Poule_, les maladies dont vous avez été le témoin, & que le même régime continué les ait guerries? Nous autres Médecins, nous jugeons que la cause d'une maladie ne peut être combattue efficacement que par ses contraires, _contraria contrariis sanantur_. Vous dites: le régime végétal a produit toutes les maladies que j'ai observées parmi l'équipage de la _Belle-Poule_; & cependant vous convenez qu'on peut le suivre avec succès pour les malades, puisque, sans changer de régime, ils se sont tous rétablis, la plupart même en peu de jours, suivant le journal que vous avez tenu, & dans lequel vous n'avez pu citer un seul mort parmi le grand nombre de malades dont vous avez fourni la liste. Il falloit vous défier de deux assertions aussi contradictoires. Comment! des substances propres à donner naissance à une maladie ne l'aggraveroient pas, si on en continuoit l'usage, & ne la rendroient pas mortelle, pour peu qu'elle fût grave: cependant le contraire a lieu sous les yeux de M. de la Coudraye; & malgré cela, il dit dans son Mémoire, »qu'il regarde cette nourriture comme mal-saine & dangereuse«. Pour moi, je ne me serois jamais imaginé que des substances mal-saines & dangereuses, dont l'usage auroit été opiniâtre, pourroient guérir des maladies fâcheuses qu'elles auroient elles-mêmes produites: mais M. de la Coudraye l'a vu, il faut l'en croire. Mes perceptions, dira-t-il, ne vont pas plus loin; j'ai vu des individus se nourrir comme le prescrit M. Desperrières, & la moitié est devenue malade; donc leur manière de se nourrir en est la cause. M. de la Coudraye ajoutera: on a observé souvent que parmi des équipages aussi nombreux que celui de la _Belle-Poule_, nourris avec des salaisons, & qui ont fait des campagnes longues & difficiles, il y a eu six fois moins de malades que dans l'équipage de cette frégate. D'après cela, peut-on s'empêcher de conclure que la seule différence des alimens en a mis dans le nombre des malades? C'est par de tels argumens qu'il croit combattre l'efficacité du régime végétal; mais il est malheureux pour lui, qu'on puisse les rétorquer au très-grand désavantage de la cause qu'il soutient. On a vu, lui dira-t-on, & cela plus d'une fois, parmi des équipages nourris de salaisons, & à l'ancienne manière, la moitié des individus non-seulement être malades, mais même périr dans une campagne toute aussi douce & aussi courte que celle qu'a faite la frégate la _Belle-Poule_, pendant l'essai du régime végétal. Combien de fois n'est-il pas arrivé que les malades ont été si nombreux dans des vaisseaux, qu'à peine il restoit assez de Matelots bien portans pour faire les manoeuvres? Or, si on opposoit de pareils faits à ce que M. de la Coudraye a observé sur la _Belle-Poule_, tout ne seroit-il pas à l'avantage du régime végétal? Pour raisonner par comparaison, il faudroit que tout fût égal de part & d'autre, c'est-à-dire, qu'il faudroit que deux équipages également frais & nombreux, montant des vaisseaux de même grandeur, destinés l'un à se nourrir de salaisons, & l'autre à suivre le régime végétal; eussent séjourné ensemble le même espace de tems dans le même port, dans la même rade, eussent voyagés de conserve dans les mêmes parages, & eussent enfin été exposés aux mêmes fatigues & aux mêmes intempéries; puis comparer ensuite dans lequel de ces deux équipages, les maladies auroient été plus nombreuses & plus graves. Voilà le seul moyen de juger si le régime végétal doit être adopté ou proscrit. Mais la frégate la _Belle-Poule_, ne nous présente-t-elle pas le moyen de faire ce parrallèle, ne nous offre-t-elle pas deux espèces d'individus, les uns suivant l'ancien régime, & les autres soumis à la nourriture végétale? Examinons donc parmi laquelle des deux bandes, les maladies ont été plus graves & plus nombreuses. Nous voyons, d'un côté, vingt-cinq personnes faisant bonne chère, nourris de la cuisine du Capitaine, ne suivant pas le régime végétal, abondamment servies, non de salaisons, mais de viandes fraîches, ayant d'ailleurs des approvisionnemens de la meilleure qualité, & ne devant partager ni les travaux de l'équipage, ni les intempéries de l'air auxquelles celui ci est exposé, &c. De l'autre côté, nous voyons deux cens vingt Matelots destinés à suivre un nouveau régime pour lequel ils ont eu un dégoût marqué, contre l'opinion desquels il a fallu lutter en les assujettissant à une manière de vivre qu'ils croyoient mauvaise, parce qu'elle étoit nouvelle, pour laquelle leur répugnance augmentoit encore en proportion de ce qu'elle étoit plus excitée, & que quelques Officiers y applaudissoient davantage, soit ouvertement, soit en secret; des Matelots qui ont dû supporter à eux seuls tout le travail du bord, toutes les intempéries de l'air, qui ont dû être logés à l'étroit, & qui non-seulement ont vêcu de légumes, mais qui ont eu du biscuit altéré depuis le commencement de la campagne, &c. Tout ici étant à l'avantage de la première bande, on présume sans doute que M. de la Coudraye a prononcé affirmativement que le régime végétal étoit mal-sain & dangereux, parce que ceux qui ne l'ont pas suivi, ont été absolument, ou presque absolument exempts des maladies qui ont attaqué le reste de l'équipage; & cependant il n'est rien de tout cela. Parmi cent vingt-cinq hommes qui ont passé au poste des malades, dix-sept étoient nourris de la cuisine du Capitaine; & parmi les dix-sept, sept ont été attaqués assez gravement; trois sont même redevenus malades à deux & cinq mois de distance, ce qui n'étoit pas des rechûtes. Lorsqu'on voit vingt maladies sur vingt-cinq personnes qui ont été nourries de viande fraîche, peut-être même de pain frais, qui avoient pour elles les meilleurs approvisionnemens du vaisseau en tout genre, qui étoient bien logées & bien couvertes, qui n'ont partagé aucune des causes principales qui pouvoient influer sur leur santé, telles que le travail quelquefois forcé, l'assujettissement au quart, &c. lorsqu'on voit, dis-je, que, parmi les vingt maladies, sept ont été assez graves, doit-on être bien reçu à conclure que c'est le régime végétal suivi par le reste de l'équipage qui a causé les maladies dont il a été attaqué, sur-tout lorsqu'on sait que, parmi les deux cens vingt personnes qui ont vêcu de légumes & de biscuit altéré, qui ont été exposées à toutes les intempéries de l'air, sur qui ont roulé toutes les manoeuvres du vaisseau, &c. il y a eu seulement cent vingt-trois maladies & cent-dix malades[4], qui pour la plupart l'ont été assez peu pour n'avoir passé qu'un jour ou deux au poste[5]? Vingt font les quatre cinquièmes des vingt-cinq personnes nourries de la cuisine du Capitaine, & pour avoir de l'autre côté des maladies dans la même proportion, il auroit fallu qu'elles eussent été portées au nombre de cent soixante-seize, & non pas à celui de cent vingt-trois, qui ne nous donne que la moitié & un treizième de deux cens vingt. Quand on voit un avantage aussi frappant pour ceux qui ont suivi le régime blâmé, désapprouvé & reconnu pernicieux par M. de la Coudraye, de quel sentiment doit-on être affecté? [4] Je dis cent vingt-trois maladies, sur cent dix malades, parce que, dans le nombre, sept l'ont été deux fois, & trois, trois fois. [5] La preuve de cette assertion se tire de la propre note fournie par M. de la Coudraye; note que nous pourrions croire forcée, au moins quant au nombre des malades, vu qu'elle est en contradiction avec le journal du Chirurgien, qui dit n'avoir eu que cent trois malades à traiter. Au reste, M. Dorves, Capitaine de la _Belle-Poule_, n'a pas adopté les idées de son Enseigne. Voici ce qu'il dit touchant le régime végétal. »Je pense que la conservation des hommes s'y trouvera, ainsi que leur bien-être. Je ne m'en rapporte pas ici à tout ce que l'on dit à ce sujet: j'ai eu des malades, il est vrai, mais je n'ai eu aucune maladie, & tous mes gens qui ont été à la viande fraîche, ont été malades, & même plus que les autres. On ne sauroit donc mieux faire, que de retrancher le boeuf, la morue & la sardine, qui sont certainement la nourriture la plus mauvaise pour les Marins«. D'après un pareil témoignage, M. de la Coudraye sera-t-il admis à charger le régime végétal de toutes les maladies qui ont régné parmi l'équipage de la _Belle-Poule_? Si la droiture de M. de la Coudraye étoit moins connue, ne pourroit-on pas le soupçonner de n'avoir eu d'autres vues, que de justifier la répugnance des Matelots pour le régime végétal? Ne pourroit-on pas même penser qu'il la favorisoit cette répugnance? Au moins paroît-il fort éloigné de la blâmer. Mais non: il nous rassure sur ses motifs; l'amour du bien & du vrai a été son seul mobile. Il faut l'en croire, d'autant plus que ses observations mêmes fournissent un triomphe complet au régime végétal. Suivons M. de la Coudraye dans la liste qu'il nous a donnée, sans nous inquiéter de la partialité avec laquelle elle peut avoir été faite: quand on a plus que raison, on peut faire des sacrifices. Cette liste nous offre: Malades qui l'ont été depuis vingt-quatre heures, jusqu'à cinq jours, 40. Malades dont on n'a indiqué que le jour d'entrée au poste, & non celui de sortie, & qui n'y ont peut-être fait que paroître, puisque, parmi les quarante ci-dessus, plusieurs n'y ont passé que vingt-quatre & quarante-huit heures, 24. Malades qui sont restés à l'infirmerie, depuis cinq jours jusqu'à dix, 51. Malades qui l'ont été depuis dix jours jusqu'à quinze, 6. Scorbutiques[6] attaqués, soit légèrement, soit d'une manière plus grave, 5. Blessé pendant quarante-deux jours au poste des malades, 1. Malade attaqué d'un abcès, guéri après soixante-douze jours de traitement, 1. Malades attaqués de fievres continues putrides, dont la moitié ont été rétablis avant le vingt-cinquième jour, & les autres ayant été à l'infirmerie depuis trente jusqu'à soixante jours, 8. Ce qui nous donne un total, sur deux cens quarante-cinq individus, de cent trente-six maladies, ci 136. [6] _Nota._ Que tous les scorbutiques se sont rétablis à bord, & même assez promptement, en continuant le régime végétal, auquel on a eu seulement le soin de joindre les acidules, que j'ai recommandé contre le scorbut dans mon Traité des Maladies des Gens de mer. Mais parmi ce nombre, nous ne pouvons compter que huit maladies graves, qui sont les fievres continues dont nous venons de parler. Des fievres qui n'ont tenu les malades que quatre, huit ou dix jours à l'infirmerie, étoient plutôt des indispositions, que de vraies maladies. Rien donc de plus juste que la réflexion de M. Dorves, lorsqu'il dit; nous avons eu des malades, mais presque pas de maladies. Peut-on en douter, lorsqu'il est prouvé par le fait, que non-seulement il n'est mort personne sur la frégate la _Belle-Poule_, mais encore qu'il n'y a eu aucun malade dans un danger marqué? Et ce qu'il y a sur-tout à observer, c'est que tout le monde s'est rétabli à bord, & qu'à l'arrivée en France, tout l'équipage jouissoit d'une bonne santé, quoiqu'il eût continué le régime végétal. Après avoir démontré, par le nombre des maladies qui ont régné parmi les deux classes d'individus qui se trouvoient dans la _Belle-Poule_, le très-grand avantage du régime végétal, tout informe qu'il a été, non sur des salaisons souvent gâtées, mais sur la nourriture avec des viandes fraîches, il me reste à prouver la prééminence de ce nouveau régime, en opposant le retour complet de son équipage en France, avec la perte qu'ont essuyée, d'une partie du leur, quelques frégates, qui ont fait, comme la _Belle-Poule_, le voyage de l'Amérique, & dont la campagne n'a été qu'un peu plus longue, sans être plus difficile, mais dont l'approvisionnement étoit en viandes salées, en morue, en sardines, suivant l'ancien usage. C'est par de pareils faits que l'envie devroit être terrassée, si elle pouvoit l'être. Que l'on consulte le journal de M. la Ribe, Chirurgien-Major de la frégate le _Rossignol_, partie à peu près pour l'Amérique en Septembre 1770, & de retour en France en Juillet 1771, l'on verra qu'il a régné, parmi l'équipage de cette frégate, des maladies plus nombreuses & infiniment plus graves que celles dont a été attaqué l'équipage de la _Belle-Poule_; que les maladies n'étoient pas des lassitudes, des diarrhées, des fievres éphémères, des continues simples, mais des fievres putrides bien caractérisées, des dyssenteries, des fievres malignes si marquées, que, deux heures après la mort, les cadavres répandoient une infection insoutenable[7]: l'on verra que, pendant dix mois qu'a duré la campagne, on a perdu un nombre assez considérable de Matelots, & qu'il y a eu, dans le même tems à l'infirmerie, quarante malades attaqués assez vivement. Ce fait n'est-il pas suffisant pour faire tomber toutes les inductions que tire M. de la Coudraye, de la quantité de maladies qu'il a observées sur la frégate la _Belle-Poule_, pendant l'essai du régime végétal? [7] Au moins, M. de la Coudraye n'a-t-il pas eu de pareilles observations à faire sur la _Belle-Poule_. Consultons encore le journal des maladies qui ont régné dans la frégate la _Perle_, tenu par M. Anglas qui en étoit le Chirurgien, & nous trouverons que, malgré les soins assidus de M. de Nort, Commandant de cette frégate, pour diminuer l'influence des causes générales, il y a eu à son bord, depuis son départ au commencement d'Octobre, jusqu'à son retour à la fin de Juillet, sur cent quarante-deux hommes qui la montoient, plus de trente-six malades attaqués de maladies dangereuses; que, parmi ce nombre, il en est mort dix, soit à bord, soit à l'hôpital de Léogane; & que, si le Chirurgien eût voulu tenir liste, comme l'a fait M. de la Coudraye sur la _Belle-Poule_, de ceux qui, pendant la campagne, ont eu des lassitudes, des fluxions, des diarrhées, des fievres éphémères & des indispositions enfin, qui sans remèdes se dissipent en vingt-quatre ou quarante-huit heures, _le nombre des maladies sur la _Perle_ auroit peut-être excédé le nombre des hommes qui y étoient embarqués_. Donc, dirons-nous à M. de la Coudraye, le retour complet de l'équipage de la _Belle-Poule_, la moindre intensité des maladies qu'on y a observées, comparées à celles qui ont régné sur les frégates le _Rossignol_ & la _Perle_, sont dûs au régime végétal que vous blâmez. Sera-t-il possible d'en douter, lorsqu'on saura que le Chirurgien de la _Perle_ n'est venu à bout de combattre avec efficacité les maladies vives qu'il a eues à bord, qu'en substituant le régime végétal aux bouillons de viandes fraîches, &c.? M. de la Coudraye concluera peut-être encore de ces parallèles, que le régime végétal est mal-sain & pernicieux pour les Matelots en santé, & qu'il faut le réserver pour ceux qui sont malades. Voici encore une circonstance toute au désavantage de la _Belle-Poule_, que l'on doit observer dans le parallèle que nous faisons des maladies qui ont régné parmi son équipage, avec celles qui se sont montrées sur les frégates le _Rossignol_ & la _Perle_; c'est que, celles-ci étant parties de France à la fin de l'été 1770, les Matelots, en passant en Amérique, n'ont dû presque trouver qu'un été continué, & ont dû être par-là à l'abri des effets d'un passage brusque d'un pays froid dans un climat très-chaud: passage que l'on sait être une des causes les plus générales des maladies. Il s'en faut bien que le tems du départ de la _Belle-Poule_ l'ait mis dans le cas de jouir d'un pareil avantage. Partie le 4 Mai, à la sortie de l'hiver, pour ainsi dire, (le mois d'Avril ayant été pluvieux & froid), elle eut une traversée heureuse; c'est-à-dire qu'en 33 jours son équipage a passé d'un pays froid à Saint-Domingue, dans le tems où la chaleur est la plus considérable, précisément encore dans une année où les chaleurs y ont été si excessives, que, de mémoire d'homme, on n'y en avoit ressenti de pareilles. Qu'a fait son équipage de plus pendant son séjour au Cap & au Port-au-Prince? Son travail a été forcé, parce que, dans les courtes relâches qu'il y a faites, il falloit que tout s'exécutât à-la-fois, & presque en même tems. Un pareil travail n'a-t-il pas dû jetter les Matelots, par des transpirations excessives & forcées, dans un état d'épuisement qu'ont ressenti à un bien moindre degré l'Etat-Major & les Gens d'office? Cependant, malgré tous les contre-tems dont M. de la Coudraye n'a pas daigné faire mention, il n'y a eu que trois malades pendant la traversée, & un assez petit nombre pendant son séjour dans les deux ports de l'Isle. Mais la frégate étant partie le 20 Juin du Port-au-Prince, peu de jours après les vents devinrent frais, les nuits froides & d'autant plus mal-saines, qu'il règnoit en même temps un brouillard qui les rendoit humides, & par-là plus propres à supprimer encore chez les Matelots qui s'y trouvoient exposés, la transpiration, cette excrétion si salutaire: ils ont dû ressentir d'autant plus vivement cette intempérie, qu'ils venoient de quitter presque subitement une température excessivement chaude, & qu'en se relevant pour chaque quart, ils passoient tout-à-coup & sans précaution, de l'habitation chaude de l'entre-pont, à l'air libre, froid & humide qui règnoit sur le pont. Voilà la cause à laquelle auroit dû s'en prendre M. de la Coudraye, pour le grand nombre de maladies qu'il y eut à bord dans la traversée du Port-au-Prince à Cadix. Mais encore quelles maladies? Des indispositions, des petites fievres de quelques jours, quelques catarres, quelques diarrhées &c. qui ont cédé si promptement & si aisément au régime végétal, que tous les malades étoient rétablis ou convalescens avant leur arrivée en Espagne. Si pendant le reste de la campagne on a eu des instans où l'infirmerie s'est trouvée plus garnie que dans d'autres, la variation subite dans l'atmosphère a toujours été la principale cause des maladies qu'on a eu à traiter: mais ce que je répéte encore ici, & qui mérite la plus grande attention, c'est que tous les malades se sont rétablis à bord par l'usage du régime végétal, déclaré pernicieux par M. de la Coudraye, & que tout l'équipage a été ramené sain en France, sans avoir perdu un seul homme sur 125 malades, suivant son compte, & sur 103 seulement, suivant celui de M. Meslier, Chirurgien de la frégate. Voici encore, en saveur du régime végétal, une de ces preuves de fait d'autant plus propre à faire impression, que la corvette l'_Hirondelle_ sur laquelle l'essai s'en est fait comme à bord de la _Belle-Poule_, a séjourné dans les mêmes parages que les frégates le _Rossignol_ & la _Perle_[8]; & cela précisément dans le temps où celles-ci étoient infectées de maladies très-graves, sans que la corvette l'_Hirondelle_ ait eu beaucoup à souffrir de la part des maladies. M. de Charite qui la commandoit, en rendit dans le temps un compte très-favorable au Ministre; & voici ce que me manda à cet égard M. Chapotet, Chirurgien-major sur cette corvette, en date du Port-au-Prince le 26 Juin 1771. »Les Matelots ont montré dans les premiers jours un peu de répugnance pour le riz; mais en leur faisant varier l'assaisonnement, en consultant leur goût, ils s'en accommodent très-bien. J'ai eu, continue-t-il, jusqu'à présent peu de malades, parmi lesquels il y a eu quelques fievres putrides; je les ai heureusement guéries en ne m'écartant pas dans leur traitement des sages préceptes que vous nous donnez dans votre ouvrage. (Et il ajoute cette réflexion): Il est étonnant que les malades ne soient pas en plus grand nombre, vû l'incommodité & la petitesse du bâtiment; car il faut remarquer que sur une corvette de 16 canons, n'y ayant point d'entre-pont, nous sommes 142 hommes, & les Matelots sont obligés de coucher fort à l'étroit dans une cale qui est presque toujours humide, par la quantité d'eau qui passe continuellement sur le pont, même dans les plus belles mers.« [8] A voir le détail des précautions prises par M. de Nort, Capitaine, & par le Chirurgien de cette frégate, pour purifier & renouveller l'air, pour éviter les flations mal-saines, pour choisir les endroits de la côte les plus aérés, pour se soustraire aux causes communes des maladies dans ces climats, à voir enfin l'aisance & les commodités dont jouissoit cette frégate, comparées à la gêne qui étoit le partage de la corvette l'_Hirondelle_, on diroit que cet arrangement, qui n'est dû cependant qu'au hazard, avoit été fait pour mettre l'ancien régime dans le cas de lutter avec avantage contre le nouveau. Malgré tous ces désavantages qui sembleroient avoir été accumulés exprès sur cette corvette, pour faire échouer un essai important pour la conservation des Matelots, le régime végétal triomphe néanmoins encore ici de manière à devoir confondre ses détracteurs. On voit sur une corvette le même nombre d'hommes que sur la frégate la _Perle_; & malgré leur entassement & l'insalubrité de leur habitation dans une cale humide, circonstances qui ont dû donner beaucoup d'activité aux causes générales des maladies, il s'en faut infiniment que le nombre en ait été aussi grand que sur la _Perle_; & M. Chapotet n'annonce pas qu'il lui fût mort quelqu'un à la date du 26 Juin, pendant qu'à cette époque le _Rossignol_ & la _Perle_ avoient déjà perdu beaucoup de monde. L'effet que doit produire un pareil parallèle, ne sera sans doute pas perdu pour les hommes qui aiment le bien, & ils reconnoîtront là l'efficacité du régime végétal, qui prévaut contre tous les obstacles qu'on voudroit lui opposer. D'après tous ces faits, le régime végétal mérite d'autant plus d'encouragement & d'éloges, qu'on est fondé à croire que, sans la préférence donnée aux substances végétales pour l'approvisionnement de la _Belle-Poule_, la plupart des fievres simples qui y ont régné, de même que celles qui ont été plus sérieuses, eussent toutes pris un caractère plus fâcheux que celui sous lequel elles se sont montrées: vû que, si l'équipage eût été à la nourriture de viande & de poisson salés, les sucs à-demi altérés fournis par ces substances, n'auroient pas manqué de hâter la putréfaction des humeurs que le régime végétal a si efficacement combattue parmi les Matelots de la _Belle-Poule_, qu'aucun d'eux n'a succombé. Si M. de la Coudraye, si zélé pour le bien public, eût dit: le régime végétal proposé a besoin de réforme; tel légume par lui-même est moins susceptible de conservation que tel autre; celui-là inspire un dégoût presqu'insurmontable aux Matelots; celui-ci leur plaît davantage; la quantité de viande que vous accordez à chaque Matelot pour joindre au régime légumineux, n'est pas assez considérable; il faut sur-tout, dans les premiers tems d'une réforme, accorder quelque chose à l'habitude & au préjugé dans lequel sont pour l'ancien régime, des gens qui ne sont pas faits, ni pour sentir les inconvéniens, ni pour goûter tous les avantages de celui qu'on veut y substituer; si M. de la Coudraye eût tenu ce langage, on n'auroit pu que lui savoir gré de ses observations, & j'aurois cherché à les mettre à profit: mais elles me sont venues d'autre part[9], & je me fais un devoir de déclarer que, n'ayant pour objet que le bien, en proposant le régime végétal, l'essai qu'on en a fait, quoique tout à l'avantage de ce régime, malgré les assertions contraires de M. de la Coudraye, ne me trouvera pas assez indocile pour n'y rien changer: l'expérience doit être notre guide; il faut toujours tendre au mieux. [9] M. Dorves, Capitaine de cette frégate, &. M. Meslier qui en étoit le Chirurgien, m'ont donné sur cet important objet des observations utiles. Le riz préparé avec le sucre a paru inspirer un dégoût assez difficile à surmonter: il faudra en diminuer les rations, & changer son assaisonnement. Les pois ne se sont pas conservés comme les autres légumes: il faudra avoir la précaution de les bien choisir, de les faire passer au four avant de les embarquer, comme je l'avois recommandé, sans qu'on y ait eu égard, en faire un moindre approvisionnement, & leur substituer des féves gruées dont on peut faire une purée excellente & salutaire, avec du beurre, du sel, un peu de moutarde & de vinaigre. Le fromage de Hollande bien choisi, peut faire une partie de l'approvisionnement: il se conservera assez bien, pour n'avoir rien à craindre de son usage. Les lentilles, les haricots n'ont pas souffert d'altération: on s'en fournira d'une quantité suffisante, en observant de faire aussi passer au four ce dernier légume. L'oseille préparée a plu généralement à l'équipage; elle se conserve d'ailleurs à merveille: rien n'empêche que l'on en donne la quantité prescrite dans les repas. La quantité de lard associé à l'usage des légumineux ne paroît pas suffisante: on peut l'augmenter de façon que l'on fasse, avec ce lard, un repas de plus par semaine, &c. Les équipages paroissent avoir un peu de répugnance pour le nouveau régime: il faut s'y attendre, au moins pour les premiers momens; mais on doit espérer que MM. les Officiers, faits pour en sentir tous les avantages, parviendront à inspirer à cet égard aux Matelots la confiance qui leur manque, & qu'ils veilleront sur-tout à ce que l'assaisonnement de ces légumes soit fait avec assez de soin, pour ne leur pas donner le regret d'être privés des salaisons. Mais que l'on se garde bien de croire, que les substances animales méritent la préférence, en ce qu'elles sont seules capables d'entretenir la force & la vigueur des Matelots. Ce n'est pas ce que l'on mange qui nourrit, c'est ce que l'on digère. Quel chyle peut-on espérer d'une viande desséchée & salée? D'ailleurs, quand les salaisons ont porté dans le sang le germe de la corruption dont elles sont atteintes, la diminution & la prostration des forces en sont une suite nécessaire. Si M. de la Coudraye eût parcouru les montagnes de la Franche-Comté, de la Suisse, du Dauphiné, de la Savoie, qui équivalent bien aux climats froids & brumeux dont il parle, il y eût vu des hommes très-forts, très-robustes, occupés de travaux sans doute plus pénibles & plus continus que ceux des Matelots, qui ne mangent pas six fois dans l'année un morçeau de lard salé avec des choux & des pois, & qui ne vivent habituellement que de soupe faite avec quelques légumes employés avec épargne, d'un pain fait avec un mêlange d'orge, de vesce & de froment, de la farine desquels on ne retire aucun son[10], qui ne mangent avec ce pain, presque à tous leurs repas, que du fromage fait avec du lait exactement écrêmé, & qui ne connoissent d'autre boisson que l'eau; c'est beaucoup quand dans le courant d'une semaine, ils prennent un repas avec des oeufs ou des légumes: il s'en faut cependant bien que l'on s'apperçoive chez les montagnards, d'aucune prostration de forces; ils soutiennent au contraire, avec cette mince nourriture, des fatigues que l'on auroit peine à croire sans en avoir été le témoin. M. de la Coudraye peut donc se rassurer sur la perte des forces, & l'inaction qu'il craint pour les Matelots qui seront mis au régime végétal, surtout lorsqu'il sera accompagné d'une certaine quantité de boisson restaurante, comme du vin de Bordeaux, &c. & que le biscuit sera bon. Seroit-on d'ailleurs étonné que des Matelots qui répugnent à une manière de se nourrir, à laquelle ils ne sont point habitués, affectassent, pour la faire tomber en discrédit, un affoiblissement qu'ils n'éprouvent point? Qui pourroit même répondre qu'il n'y ait pas eu beaucoup d'indispositions feintes parmi ceux de la _Belle-Poule_? L'on sait par combien de petits moyens les hommes de cette espèce cherchent à venir à leur but. [10] Souvent même le pain n'est fait qu'avec la seule farine d'orge sans mêlange de froment. D'après les faits que j'ai exposés jusqu'ici, d'après les parallèles que j'ai fournis, où l'efficacité du régime végétal est démontrée de manière à dissiper les craintes que M. de la Coudraye auroit voulu faire naître sur son usage, il ne me reste plus qu'à finir cette réponse par quelques observations qui donneront encore plus de valeur à quelques-unes de celles que j'ai déjà faites. M. de la Coudraye jugeant sans doute qu'un examen plus réfléchi de ce qui s'est passé sur la _Belle-Poule_, pendant l'essai du régime végétal, pourroit conduire à une conclusion toute opposée à la sienne, s'est replié sur la difficulté de conserver les substances légumineuses; & pour l'exagérer cette difficulté, il ne manque pas de dire »que l'on ne devroit pas s'attendre à voir faire par la suite des approvisionnemens avec autant de soin qu'on l'a fait pour cet essai«. Je répondrai qu'il n'est rien moins que vrai qu'on ait veillé à l'approvisionnement de la _Belle-Poule_ avec toute l'exactitude qu'on auroit dû y apporter; & quant à la conservation des légumes, je dirai qu'il suffit d'en faire un certain choix, de les bien placer, & de leur faire subir à quelques-uns une préparation qui n'est ni difficile, ni dispendieuse. A entendre M. de la Coudraye se récrier sur la possibilité de la fermentation des substances végétales, ne diroit-on pas qu'il est persuadé que les viandes salées sont inaltérables, pendant que rien n'est si commun que leur dépravation? Et à supposer cette dépravation égale de la part des salaisons & des légumes, quel ravage plus considérable à craindre de la part des premières substances, que de la part des dernières? La bière est un produit d'orge fermenté, & cette boisson est salutaire. Tireroit-on de viandes corrompues, quelque produit qui ne fût pernicieux? Combien de fois n'arrive-t-il pas que l'on mange du pain fait avec du bled germé & échauffé, sans qu'il en arrive d'accidens fâcheux? Il ne faut pas pour cela négliger aucun des moyens propres à écarter la fermentation des légumes qu'on veut embarquer: j'en ai proposé un efficace, celui de faire passer au four ceux qui sont le plus susceptibles d'altération, afin de leur enlever leur humide surabondant, qui est le premier agent de la fermentation. Mais, dit M. de la Coudraye, les pois & les féves ainsi préparés se racornissent, & la cuisson en est impossible. Qui le lui a dit? D'où le sait-il? En a-t-il fait l'essai? Le biscuit ne doit-il pas sa conservation à cette opération poussée plus loin que je ne la demande pour les légumes? Et cependant il se réduit avec un peu plus de temps, il est vrai, en bouillie dans l'eau, comme le pain qui n'a été cuit qu'une fois. Il n'est pas même jusqu'au riz, qu'il ne croye susceptible de s'altérer aisément; &, à l'en croire, il faut en abandonner l'usage aux Asiastiques, dans les pays desquels il croît, & qui peuvent le renouveller quand il s'altère: mais il croît aussi en Italie, d'où nous le tirons; & la facilité avec laquelle il se conserve deux & trois années, quand il est bien choisi, & qu'on ne le place pas dans des endroits trop humides, démontre de reste que c'est une nourriture sur laquelle on peut compter pour les voyages de long cours: parmi ceux-ci, on peut ranger les voyages aux Indes Orientales, où le riz est commun, & où l'on peut le renouveller aisément. Quant aux oignons confits, dont plusieurs quarts se sont trouvés gâtés, selon M. de la Coudraye, il ne sera pas difficile de les rendre de la plus longue conservation: dès que le régime végétal sera adopté, on fera de ce légume un commerce assez considérable, pour qu'il soit fourni à bon compte, & préparé de manière à se conserver dans les voyages les plus longs. Combien de barriques de boeufs achetées chèrement en Irlande, se trouvent gâtées, même avant l'embarquement? Pourquoi M. de la Coudraye ne conclut-il pas qu'il faut se passer de salaisons? M. de la Coudraye qui a vu dans le régime végétal, des dangers qui n'y existent point, qui s'est appesanti sur quelques inconvéniens de ce régime qui ne lui sont pas essentiels, puisqu'il est aisé de s'en garantir, s'est bien gardé de faire voir aucun de ses avantages sur les salaisons: il m'en a laissé la tâche, & j'ai cherché jusqu'ici à la remplir. Mais voici encore un avantage de ce régime qui est fait pour être senti: c'est qu'en suivant le régime végétal, on n'est pas obligé de garder aussi long-tems que de coutume, les convalescens au poste, eu égard à la grande analogie qu'il y aura entre la nouvelle nourriture des gens sains, & les substances dont on s'approvisionne actuellement pour les malades. Il ne faut pas être de l'art, pour être convaincu du danger qu'il y auroit à faire passer des convalescens mal affermis, à la nourriture de viandes salées: c'est ce qui forçoit anciennement à les garder long-tems au poste, où, pour peu qu'il y eût de maladies, ils consommoient en peu de jours les approvisionnemens frais destinés pour plusieurs mois. De pareils inconvéniens, dont on sera à l'abri en suivant le nouveau régime, ont forcé, dans bien des cas, à des relâches imprévues, capables de faire manquer les expéditions les plus importantes & les mieux concertées. On pourroit peut-être bien prétexter contre la nourriture très-salubre que fournit l'oseille, la grande quantité qu'il en faudroit pour approvisionner chaque vaisseau; mais l'objection tombe d'elle-même, lorsque l'on sait que les seules bordures du jardin botanique ont fourni plus de trois mille livres d'oseille confite en moins d'un mois: d'ailleurs ce légume vient par-tout, exige peu de soins, se renouvelle promptement, & présente dans la belle saison de nouvelles coupes à faire tous les huit jours. On n'hérite pas à sacrifier beaucoup d'argent pour se procurer des salaisons: & craindroit-on d'affermer quelques journeaux de terre, qui seroient destinés à la culture de l'oseille? Deux ou trois journaliers suffiroient pour cela: les journaux une fois en rapport, seroient capables de fournir aux approvisionnemens les plus considérables en tems de guerre, & l'oseille ne reviendroit qu'à la moitié de ce qu'elle coûte pour les approvisionnemens actuels. Il suffiroit, pour le tems présent, d'employer à cette plantation quelques planches dans le jardin de l'hôpital; on pourroit aussi en garnir toutes les bordures, ainsi que le contours des houblonnières: par ce moyen, il y auroit assez de cette plante pour les armemens qui se font en tems de paix; les malades de l'hôpital en retireroient en même tems la plus grande utilité. »Il me paroîtroit fort étonnant, dit M. de la Coudraye, que M. Desperrières, aussi éloigné des ports, eût été plus fidèlement instruit«. Il ne faut pas vivre dans un port, pour savoir si les substances végétales méritent la préférence sur les viandes salées, souvent dépravées, ou toujours prêtes à l'être. Lorsque j'ai prononcé en faveur des végétaux, j'avois pour moi le raisonnement, l'expérience de tous les Médecins & Chirurgiens instruits qui ont navigué, & qui nous ont transmis leurs observations; j'avois enfin mon expérience propre. De pareils témoignages sur un point d'hygiène, ne sauroient-ils balancer celui d'un Officier de vaisseaux? La question étoit sans doute de la compétence de la Médecine, & je crois qu'elle est aujourd'hui à la portée de tout le monde. Je serois très-flatté d'avoir pu convaincre M. de la Coudraye: j'espère du moins que, s'il persiste dans son opinion, il n'aura point de partisans. *** End of this LibraryBlog Digital Book "Mémoire sur les avantages qu'il y auroit à changer absolument la nourriture des gens de mer" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.