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Title: L'Illustration, No. 0061, 27 Avril 1844
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0061, 27 Avril 1844" ***


L'ILLUSTRATION,
JOURNAL UNIVERSEL.

[Illustration.]

N° 61. Vol. III.--SAMEDI 27 AVRIL 1844
Bureaux, Rue de Seine 33.

Ab. pour Paris.--3 mois, 8 f.--6 mois. 16 f.--Un an, 30 f.
Prix chaque Nº 75 c.--La collection mensuelle br., 2 f. 75 c.

Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 f.--6 mois. 17 f.--Un an, 32 f.
Pour l'Étranger,            --  10          --     20           --   40



SOMMAIRE

Histoire de la semaine. _Chambre valaque; Vue des étangs près
Saint-Mitre; Portrait de lord Abinger._--Courrier de Paris.--Salon de
1844 (3e article) _Portraits de M. le baron Pasquier, chancelier de
France, président de la chambre des pairs, par M. Horace Vernet; de M.
le comte de Rambuteau, pair de France, par M Henry Scheffer; de M.
Valentin de La Pelouze directeur de l'ancien Courrier Français, par M.
Uzanne; Vue générale du Nazareth en Galilée, par M. Monfort, la Poste
aux Thoux, par M. Lepoittevin; l'arcade de Hunes, près de Florac
Cévennes, par M. Marandon de Moniyet_.--Académie des Sciences. Compte
rendu des travaux pendant le dernier trimestre de 1843 et du premier
trimestre 1844. _Trois gravures_.--De l'Administration des Postes, et de
la réforme postale. _Tri des lettres de Paris; tri des lettres pour les
départements et l'étranger; les chargements de la malle-poste; Intérieur
de la grande cour de l'Administration des Postes; facteur urbain et
facteur rural._--Le Dernier des Commis Voyageurs. Roman par M. ***.
Chap. V. Révélations.--Carthagène des Indes, souvenir de l'Expédition
dirigée par le contre-amiral de Mackau en 1834. (Suite et fin.)
_Portrait de don Hilario Lopez, gouverneur de Carthagène: Entrevue du
vice-amiral de Mackau et du général Lopez_. Nivellement de Paris. _Cinq
gravures_.--Le Juif errant. _Caricature par Cham_.--Modes. _Trois
Gravures_.--Rébus.



Histoire de la semaine.

[Illustration: Chambre des États de Valachie.]

[Illustration: Vue des Étangs d'Engrenier et de Pourra, près de
Saint-Mitre.]

Il semble vraiment que les Chambres s'en vont. Les curies portugaises
voient ajourner sans cesse la reprise de leur session; les cortès
espagnoles voient réglementer sans elles la liberté ou plutôt
l'esclavage de la presse, et attendent le jugement des chefs de leur
opposition constitutionnelle; et voilà que ce que nous n'avions pu
annoncer que comme au dire de la _Gazette d'Augsburg_, se trouve
aujourd'hui confirmé: la Chambre des états de Valachie a été brusquement
close. Un traité avait été passé entre le czar et le prince BiBesco pour
l'exploitation Générale des mines du pays. Le czar se chargeait de
fournir les trente mille ouvriers, c'est-à-dire les trente mille soldats
nécessaires à l'exécution de l'entreprise.--L'assemblée a vu là une
occupation consentie et déguisée, et a ficelé le traité comme
inconstitutionnel. Le prince Bibesco voulait recourir, dit-on, aux
moyens de rigueur. Après réflexion, il s'est borné à déclarer que les
travaux de l'Assemblée étaient terminés pour cette année, et à congédier
les membres des États.

[Illustration: Portrait de lord Abinger.]

Autant il est déplorable de voir les gouvernants s'insurger ainsi contre
les limites posées à l'exercice de leur pouvoir, et qu'eux mêmes avaient
reconnues, autant il est pénible, au point de vue de la légalité, de
voir des populations, que l'on est quelquefois disposé à absoudre, si
l'on ne consulte que les sentiments de l'humanité, amenées par la
misère, ou par un état de souffrance plus forte que leur résignation, à
entrer en collision avec l'autorité. Nous avons dit les tristes scènes
dont le bassin du Rive-de-Ger a été le théâtre. La justice informe; nous
n'avons pas, quant à présent, à en reparler. A Saint-Mitre, commune de
l'arrondissement d'Aix (Bouches-du-Rhône), un soulèvement général s'est
manifesté parmi la population. Voici les faits. Il y a trois ans que fut
fermée une galerie qui servait de communication entre un étang dit
l'étang d'Engrenier, et un autre dit l'étang du Pourra. Depuis ce
moment, des épidémies constantes, causées par l'émanation de miasmes
délétères, régnèrent dans le pays, et sur une population de douze cents
habitants, deux cents avaient déjà été moissonnés par la mort. En vain
le conseil de préfecture avait ordonné que la galerie fût ouverte: sa
décision était demeurée sans effet. Bien que la population aisée eût
émigré, le nombre des victimes croissait parmi ceux que leur peu de
ressources condamnait à vivre près de ce cloaque. Enfin, quand la mesure
de la résignation fut remplie, quand on eut vu qu'il n'y avait
qu'indifférence et lenteur à faire exécuter les ordres de l'autorité
compétente, le désespoir s'empara de ces pauvres gens; ils ont eux-mêmes
exécuté l'arrêt de la justice, sans violence aucune, mais avec ardeur.
«Qu'on nous juge maintenant, a écrit un d'eux au _Mémorial des
Pyrénées_, et qu'on nous juge tous, car nous avons tous mis la main à
l'oeuvre. Nous ne disions pas, nous n'avons jamais dit: Périsse
l'industrie plutôt que l'un de nous! notre courageuse longanimité l'a
prouvé de reste; nous disions: Secourez-nous, nous périssons! et sur
douze cents que nous étions, près de deux cents sont morts... Nous avons
bien besoin d'un prompt remède! Si l'on doit nous punir, nous courberons
la tête; car, dans notre emportement fébrile, nous avons commis, nous le
sentons, un acte coupable; mais, en nous punissant, nos juges ne
pourront s'empêcher de reconnaître qu'il y a parfois dans la vie de bien
fatales nécessités, de bien tristes exigences.» Cinq compagnies de la
garnison de Marseille ont été successivement dirigées vers les étangs,
et une vive anxiété régnait dans la ville, où la triste nouvelle d'une
collision entre la troupe et les malheureux habitants de Saint-Mitre eût
produit la plus triste sensation. Ceux-ci avaient établi une large
estrade sur laquelle ils avaient placé les femmes et les enfants,
attendant ainsi l'attaque de la force armée dont on les menaçait. Le
maire de la ville des Martiques, voisine des lieux, avait déclaré que si
la consigne des troupes était de sévir envers ces malheureux, ou de les
empêcher de se sauver de la mort, il donnerait sa démission plutôt que
de loger les troupes dans sa commune. Les femmes avaient déterminé ces
infortunés à la résistance; mais, le 16, on est venu annoncer que le
gouvernement permettait l'ouverture de la galerie jusqu'à nouvel ordre.
M. lu sous-préfet d'Aix a alors quitté Saint-Mitre, où la joie était
générale. Les troupes ont également quitté Les Martigues le 17, pour
retourner à Marseille.

Nous avons en terminant, la semaine dernière, mentionné rapidement la
discussion réengagée à la chambre des députés sur la l'affaire de Taïti,
et la suspension nouvelle de ce débat, sur l'annonce faite par M. le
ministre des affaires étrangères du dépôt sous les yeux de la Chambre de
documents nouveaux. Il avait été annoncé que le jour de la reprise de
ces interpellations serait fixé après qu'on aurait pu prendre
communication des pièces déposées. La lecture de celles-ci demandait peu
de temps, car le rapport du M. Bruat et certaines autres pièces, dont
l'existence et l'intérêt sont constatés, n'en font pas partie;
néanmoins, personne n'a encore songé à demander la fixation d'un jour
prochain pour reprendre cette discussion. Le ministère la recherche peu,
et l'opposition, qui sait que _la Ditugé_ a quitté le port de Papéiti en
même temps que _le Jonas_, qui a amené M. Reine, laisse au bâtiment de
l'État, marcheur un peu lent, le temps d'arriver, espérant que tous ses
officiers ne seront pas rendus aussi silencieux que l'aide du camp de M.
l'amiral Du Petit-Thouars.

Samedi dernier, un débat très-grave a été soulevé à la chambre des
députés par le rapport de quatre-vingt-dix pétitions de membres du
divers consistoires de l'Église réformée, demandant la liberté des
cultes. Dans l'état actuel de la législation, ou plutôt par suite de
l'application abusive qui est faite de l'art. 291 du Code pénal et de la
loi sur les associations, l'art, 5 de la Charte se trouve en quelque
sorte abrogé, ou du moins la liberté de culte qu'il garantit a besoin
encore de l'approbation du préfet, ou du commissaire de police. Il n'est
ni constitutionnel, ni, disons-le, décent qu'une restriction pratique de
cet ordre soit imposée à un droit aussi respectable et aussi
solennellement reconnu. S'il a besoin d'être réglementé, c'est par une
loi spéciale qu'il faut lu faire; et ce n'est point dans des réunions de
conspirateurs, ou d'hommes qui ont intérêt à se cacher, qu'il faut voir
des analogies aux inspirations et aux exercices de la foi. La
commission, à l'unanimité, par l'organe du son rapporteur, M.
d'Hersonville, après un exposé de faits qui justifiait les réclamations
des pétitionnaires, concluait au renvoi du leurs pétitions à M. le
ministre de la justice et des cultes. Le principe inscrit dans la Charte
a été énergiquement soutenu par M. de Gasparin, qui, à l'appui du son
argumentation, a cité des faits nombreux, des faits significatifs; et
par M. Odilon Barrot, dont la protestation éloquente contre une
interprétation qui subordonne constamment un droit garanti par la Charte
à l'autorisation préalable, c'est-à-dire au bon plaisir de la police, a
vivement impressionné l'assemblée. Nous avons entendu, avec regret, M.
Martin (du Nord) et M. Hébert s'efforcer de combattre ces conclusions,
et M. Dupin aîné amoindrir la question posée, sans doute dans l'espoir
bienveillant, mais mal entendu, de rendre moins rude l'échec au-devant
duquel le ministère était allé. Deux épreuves ont été déclarées
douteuses; mais, au scrutin, 107 voix contre 91 ont prononcé le renvoi
proposé par la commission, et combattu par M. le garde des sceaux.

Lundi, la chambre des députés a ouvert la discussion générale sur le
projet de loi relatif à la réforme des prisons. Chaque jour elle a
entendu plusieurs défenseurs et plusieurs adversaires du système
proposé. MM. Corne, Taillandier et Gustave de Beaumont, ont
successivement été écoutés avec intérêt par la Chambre, dans le
développement de leurs arguments en faveur du projet. Parmi les députés
qui l'ont attaqué, MM. de Sade et Carnot ont particulièrement su obtenir
l'attention de l'assemblée. M de Peyramont a également prononcé un
discours qui a occupé une grande partie de deux séances, et dans lequel
l'orateur a passé en revue les déclarations du jury qui peuvent, depuis
la loi de 1832, démontrer qu'à côté de ses immenses avantages, la
faculté de déclarer l'existence du circonstances atténuantes présente
bien quelques inconvénients. On voit qu'il n'y avait pas beaucoup
d'opportunité dans ce discours; il n'y avait pas non plus beaucoup de
logique, mais il y avait du talent, et la Chambre l'a écouté d'autant
plus volontiers sans doute que, comme il était en dehors de la question
dont elle était occupée depuis trois jours, il lui fournissait une
distraction agréable. La véritable discussion a ensuite repris son
cours. Ce qui nous a surpris dans le débat extérieur auquel la presse
s'est livrée de son côté, c'est l'acrimonie que quelques-uns de ses
organes y ont apportée. Nous qui croyons sincèrement à la bonne foi de
ceux qui combattent la loi comme de ceux qui la soutiennent, nous avons
vu avec étonnement qu'on accusait des hommes honorables qui se sont
prononcés en sa faveur d'employer les ressources de leur esprit à
dissimuler les vices d'un système qu'ils ne peuvent au fond, leur
dit-on, regarder comme bon; c'est-à-dire qu'on leur accorde tout le
talent qu'ils voudront, pourvu qu'ils conviennent qu'ils n'ont pas du
conscience. Il est difficile sans doute, pour tout le monde, de se
défendre de toute passion personnelle dans les discussions politiques,
mais en vérité il faut en avoir du reste pour en reporter autant dans
les discussions d'affaires.

Lundi, de son côté, la chambre des pairs a ouvert chez elle la
discussion sur la loi de la liberté de l'enseignement. Au Luxembourg,
les discours ont été des volumes. Le premier n'a pas été le moins
remarquable: il était l'oeuvre de M. Cousin. C'est une défense complète
et habilement présentée de l'Université; c'est en même temps une vive
critique de l'article 17 tout entier, tant du paragraphe inintelligible
et impraticable par lequel le ministre a terminé cet article, que du
seul dont la commission propose le maintien, et qui accorde aux écoles
secondaires ecclésiastiques une position trop favorablement
exceptionnelle pour ne pas rendre la concurrence avec celles-ci bien
difficile aux collèges de l'État et des villes, et aux établissements de
plein exercice qui sont tous soumis à des charges et à des conditions
lourdes et sévères. Dans les séances suivantes MM. de Saint-Priest et
Rossi ont également fixé l'attention de la Chambre. Ils ont fait, eux
aussi, l'éloge de l'Université; et le dernier s'est montré complètement
favorable au projet, même à l'art. 17, du moins par ses conclusions, en
contradiction, il est vrai, sur ce point avec bon nombre de ses
meilleurs arguments. Le projet a été combattu, au contraire, par
quelques orateurs, avec plus de réserve sans doute que n'en avait mis M.
de Montalembert dans son attaque d'avant-garde, mais dans un esprit qui
se rapproche de celui qui l'avait inspiré. M. Beugnot particulièrement a
prononcé dans ce sens un discours qui est l'exposé des motifs d'un
projet de loi en vingt-trois articles qu'il compte, dit-on, présenter de
concert avec MM. Séguier, Barthélémy et de Gabriac, en opposition au
projet dé loi du ministre et à celui de la commission. Tout annonce que
la chambre du Luxembourg est pour un long temps engagée dans cette
discussion.

Le bruit a généralement circulé cette semaine que le ministère, ayant la
conscience du danger que le désaveu de l'amiral Du Petit-Thouars lui
faisait courir auprès des hommes mêmes qui lui ont prêté jusqu'ici
l'appui le plus persévérant, négociait avec l'Angleterre pour que cette
puissance, à laquelle une compensation serait offerte, trouvât bon le
maintien de notre prise de possession des îles de la Société; on a dit
que l'île de Saint-Domingue pourrait faire les frais de cette entente
cordiale, et que l'ancienne partie française de l'île serait reprise par
nous, tandis que l'Espagne céderait à l'Angleterre ses droits sur ses
anciennes possessions, pour la couvrir de sommes qu'elle lui doit. Nous
savons bien que cette dernière puissance sait toujours obtenir
satisfaction de ses débiteurs, et nous devrions lui céder notre créance
sur l'Espagne pour l'expédition de 1823; mais il faut attendre pour
savoir ce qu'il y a de vrai dans ces incroyables arrangements
diplomatiques auxquels beaucoup de personnes ont cependant ajouté
foi.--Des interpellations ont été adressées dans le Parlement aux
ministres de la reine, pour savoir si le désaveu de l'Angleterre avait
été assez complet, à l'occasion de tous les actes révolutionnaires et de
tous les actes du barbarie dont les ministres et les agents du
gouvernement espagnol viennent de se rendre auteurs ou responsables.
Ceci semble être une critique amère des témoignages de sympathie
politique qui viennent d'être échangés en monnaie de décorations entre
le cabinet des Tuileries et celui de l'Escurial.--Le procès d'O'Connell
marche d'ajournements en ajournements. On pense, aujourd'hui que, si
tant est qu'on arrive à prononcer la condamnation, on rendra suspensif
l'effet de l'appel des condamnés, et qu'on s'arrangera ensuite pour que
l'époque à laquelle on devrait statuer sur cette requête nouvelle soit
indéfiniment reculée.--Le Parlement s'est occupé des moyens de poursuite
à mettre à la disposition des Anglais créanciers de ceux de leurs
compatriotes qui habitent la France. Si l'on en croit cette discussion,
tous les _gentlemen_ qui se trouvent à Paris n'y seraient pas uniquement
amenés par le désir libre et spontané de visiter la patrie des
beaux-arts et des belles manières. D'après un relevé statistique qui
vient d'être distribué tout récemment aux chambres anglaises, au mois de
janvier dernier, soixante-six mille Anglais avaient leur résidence en
France, sans compter à peu près 55,000 visiteurs accidentels. Leur
dépense chez nous était évaluée à 125 millions du francs,--Lord Ashley a
déclaré dans la chambre des communes que lorsque viendrait la troisième
lecture du bill des manufactures, il demanderait que la durée du travail
fût de onze heures par jour jusqu'en 1847 et qu'il espérait que cette
modification serait appuyée par le ministère. Sir Robert Peel n'a pas
contredit lord Ashley.--Un journal vient de faire le relevé des
traitements des grands fonctionnaires et dignitaires anglais. Sir Robert
Peel a, comme premier lord de la trésorerie, 150,000 fr.; quatre autres
membres du cabinet ont 125.000 fr. chacun; d'autres ne reçoivent que des
sommes moindres, mais fort rondes encore. Lord Abinger, premier baron de
l'échiquier, dont nous avons annoncé la mort dans notre avant-dernier
numéro, et dont nous donnons le portrait aujourd'hui, recevait 175,000
fr.; le lord premier juge de la cour du banc de la reine en touche
202,500; le lord grand chancelier d'Angleterre, 350,000, et le lord
lieutenant d'Irlande, 500,000.

Que dire de l'Espagne? Rien; car il faudrait apprendre à nos lecteurs
qu'on s'attendait à Madrid à la condamnation à mort de M. Madoz, député,
et que le défenseur choisi par lui a été arrêté pour avoir vivement
embrassé sa défense. Toutefois nous ne pouvons résister au désir de
transcrire les termes dans lesquels le journal _el Mundo_ a fait ses
adieux à ses abonnés: «Hier le gouvernement a publié un décret
concernant la liberté de la presse; en conséquence de ce décret, _el
Mundo_ cesse de paraître à partir d'aujourd'hui.»

Tous les gouvernements de l'Europe semblent devoir entrer avant nous
dans la voie de la réduction de l'intérêt de leur dette ou de son
remboursement. La Russie elle-même nous devance. On lit dans la _Gazette
officielle_ du royaume de Pologne, sous la date du Saint-Pétersbourg:
«Tous les fonds 5% du trésor seront retirés de la circulation, et il
sera réservé aux porteurs du ces titres la faculté de les échanger
contre les fonds 4%, ou d'en demander la valeur nominale en numéraire.
La banque de Pologne est chargée de la conversion des fonds 5% en 4%, et
la commission des finances et du trésor a émis, à partir du 20 mars (1er
avril), des fonds 4% au porteur jusqu'à concurrence de la valeur
correspondante au fonds d'amortissement.»

Depuis la suppression brusque et énergique des janissaires,
Constantinople n'avait jamais été le théâtre d'un coup d'État pareil à
celui qui vient d'y être exécuté. Tous les musulmans avaient été invités
à se réunir dans les diverses mosquées; à mesure qu'ils se rendaient à
cet appel, des officiers chargés du recrutement, et à la disposition
desquels la garnison avait été mise, faisaient saisir tous les hommes
jeunes qu'ils jugeaient propres au service militaire. Ceux-ci étaient
conduits à bord des bateaux à vapeur du gouvernement, qui les
transportaient à la caserne de l'île de Halki. Le lendemain, un conseil
formé à cet effet, a de nouveau fait un choix parmi ces prétendus
volontaires, et ceux qui avaient plus de trente ans, comme aussi ceux
qui étaient domiciliés à Constantinople, ont été mis en liberté. Les
autres, dont on évalue le nombre à 15,000, sont destinés à remplacer les
soldats qui ont fini leur temps de service et qu'on doit renvoyer chez
eux. Le soir même a été lu dans les mosquées un firinan par lequel il
est formellement défendu aux musulmans de s'entretenir de cette mesure,
avec menace de la punition la plus sévère. Pendant tout le temps que
cette presse a duré, le sultan est demeuré enfermé dans son palais,
défendu par une force imposante.

Le prince Maurice de Nassau, frère du duc régnant et officier au service
de l'Autriche dans un régiment de hussards, assistait à une partie de
chasse, en Hongrie, chez l'un des principaux magnats du pays. A la vue
de la brutalité presque féroce avec laquelle ce dernier maltraitait deux
pauvres rabatteurs, frappés à terre et demandant grâce, le jeune
officier, dans un mouvement d'indignation irréfléchie, leva sur le
magnat le fusil dont il était arme, et l'étendit lui-même à ses pieds.
Le prince Maurice est un jeune homme de vingt-quatre ans. On se demande
devant quel tribunal les lois de l'Autriche vont porter l'instruction de
cette malheureuse affaire.

Les obsèques du feu roi de Suède ont dû être célébrées le 20 à
Stockholm. Les États généraux se réuniront au mois de juillet. L'édit de
convocation paraîtra après les obsèques. L'on croit que le nouveau roi,
Oscar 1er, sera couronné à Stockholm dans le mois d'août, et à
Christiania vers la fin de septembre.--Le prince de Wasa vient d'écrire
de Darmstadt à tous les souverains de l'Europe, pour déclarer que, s'il
ne croit pas devoir, dans les circonstances actuelles, faire valoir ses
droits à la couronne de Suède, il n'entend pas néanmoins y renoncer, et
qu'il se réserve de les revendiquer dans telle autre occasion qu'il
jugera convenable.--Le nouveau canal de Trollhoata, qui complétera la
jonction des deux mers, sera ouvert le 20 du mois prochain.

Il vient d'être pourvu à la vacance de quelques sièges épiscopaux. M.
Manglard, curé de Saint-Eustache, à Paris, est nommé évêque de
Saint-Dié; monseigneur l'évêque de Gap, dont l'état de santé motive
cette translation, est nommé évêque de Verdun; M. Dépery, vicaire
général de M. l'évêque de Belley, est nommé au siège de Gap; M. Fabre
des Essarts, vicaire général capitulaire de Blois, est nommé évêque de
cette ville; enfin M. Ruissas, archiprêtre de la métropole de Toulouse,
est nommé évêque de Toulouse.

La mort ne perd pas son temps. Nous n'avions pas eu encore jusqu'à ce
jour autant de noms à inscrire sur nos tables funéraires. L'Institut de
France et le Conservatoire royal de musique ont perdu le célèbre auteur
d'_Aline_, du _Délire_, de _Montano et Stéphanie_, et de tant d'autres
oeuvres lyriques qui feront vivre le nom de Berton. Il avait puissamment
contribué à fonder cette belle école française dont le Conservatoire
perpétue les précieuses traditions.--M. de Compigny, ancien officier
général, qui siégea au côté droit de la chambre des députés, de 1815 à
1827, est mort également dans un âge avancé.--Madame la duchesse de
Lorges, née de Tourzel, vient, au contraire, d'être enlevée à sa famille
dans sa trente-huitième année.--Citons encore M. le lieutenant général
baron Ledru des Essarts;--monseigneur Diaz Perino, religieux de l'ordre
des dominicains, et évêque de [illisible] morque;--et M. le comte
d'Exéa, membre du conseil général de l'Aude.--M. Reynold, gouverneur du
Missouri, s'est tiré un coup de pistolet au coeur.--Enfin M. le comte de
Fossombroni, savant distingué et premier ministre du grand-duc de
Toscane, est mort à Florence à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, que peu
de premiers ministres atteignent dans l'exercice de leurs fonctions.



Courrier de Paris

La plus importante nouvelle, la nouvelle qu'on échange depuis trois ou
quatre jours en se donnant la main, la voici: Rachel est malade!» Cela
remplace le bonjour et le comment vous portez-vous, qui sont d'usage
éternel; c'est variation.

Mademoiselle Rachel est tombée malade, en effet, et dans une
circonstance qui a rendu le fait de sa maladie plus singulier et plus
grave. On était à la veille de la première représentation d'une tragédie
nouvelle: _Catherine II_, de M. Romand. L'illustre actrice devait jouer
le principal rôle; elle avait accepté avec ardeur, il y a six mois, des
mains de M. Romand lui-même. Pendant trois autres mois, les acteurs, et
mademoiselle Rachel à leur tête, s'étaient livrés à une étude laborieuse
et assidue de l'ouvrage de M. Romand. Le public était prévenu et
attendait avec impatience cette ronde tentative de sa tragédienne
favorite dans une pièce inédite. La _Judith_ de madame Girardin n'avait
point, comme on sait, prouvé sans réplique l'autorité de mademoiselle
Rachel de son succès dans les oeuvres de nouvelle fabrique. Que ce soit
faute de madame de Girardin, personne ne le conteste; mais enfin
l'épreuve n'avait pas tourné complètement à l'honneur de l'actrice. On
comptait donc sur _Catherine II_ pour une revanche, et la curiosité
était vivement excitée: le Théâtre-Français rêvait un grand succès; déjà
M. Romand se voyait front ceint du laurier triomphal. Tout à coup se
répand bruit sinistre: «Rachel ne jouera pas! Rachel est en danger!»
L'effroi gagne le théâtre, les acteurs se regardent d'un air atterré et
M. Romand est sur le point de s'évanouir; figurez-vous un homme auquel
on enlève un amour, un bonheur, une gloire qu'il touchait du doigt et
qu'il croyait tenir.

M. Romand a joué en tout ceci le rôle de Tantale, qui voit l'onde
échapper à sa lèvre altérée.

Il va sans dire qu'on a fait courir mille bruits sur cette subite
indisposition de mademoiselle Rachel. Il y en a de nature ne se pouvoir
être rapportés; il en est d'autres qui peuvent se dire tout haut, et au
besoin s'imprimer. Celui-ci est du nombre: mademoiselle Rachel aurait
une rancune contre le Théâtre-Français, qui lui a refusé de donner une
représentation au bénéfice de sa petite soeur Rébecca et de son frère
Raphaël.--Ou bien encore: mademoiselle Rachel, au moment suprême et sur
le point de livrer bataille, a eu peur d'une défaite et a reculé;
l'ombre de _Judith_ s'est dressée devant elle.

Il nous répugnerait de croire que mademoiselle Rachel a du céder à ce
point à des calculs personnels; ce serait de l'égoïsme tout pur, et du
plus condamnable; tenir, en effet, un pauvre auteur en haleine pendant
six mois, prendre à d'honnêtes comédiens leur temps et leur travail,
leurrer un théâtre, c'est-à-dire une entreprise importante, de l'espoir
d'un succès ou tout au moins d'un puissant appui pour l'obtenir, et tout
à coup lâcher prise, par une crainte pusillanime, par un ressentiment
puéril, par un caprice, ce serait plus qu'un coup de tête, ce serait une
mauvaise action, et nous n'oserions pas croire que mademoiselle Rachel
en fût capable. Mieux vaut donc s'en rapporter au bulletin de M. le
docteur en médecine; car la médecine affirme que mademoiselle Rachel est
très-positivement et très-sérieusement malade; il lui faut du repos et
un long repos; Hippocrate dit six mois, Quintillien un an; les mieux
informés se placent entre ces deux opinions.

Quoi qu'il en soit, cette catastrophe imprévue jette la désolation au
Théâtre-Français; s'il avait quelque autre bien pour prendre patience et
pour se consoler! mais tout lui manque à la fois; ce n'est pas seulement
_Catherine II_, ce n'est pas seulement mademoiselle Rachel, ce sont
toutes les branches, si on peut ainsi dire, sur lesquelles il avait mis
son espoir de salut pour cette saison de printemps et d'été; la censure
a pris le Théâtre Français à partie et lui fait, depuis un an, des
blessures profondes; il semble que ce soit un duel à mort. _Les Bâtons
flottants_, qui définitivement ne seront pas joués, _une Conspiration
sous le régent_, drame de M. Dumais, sont restés sur le champ de
bataille! La censure, sans cris de pitié, les a dévorés tout crus.

Dans cette extrémité, le Théâtre-Français crie à l'aide et sent dépérir
semaine par semaine, jour par jour, heure par heure: il meurt faute de
pièces nouvelles, il meurt faute d'auteurs heureux, il meurt par ce qui
n'est pas et par ce qui est en lui; et cette république délabrée demande
un roi; une main ferme peut la relever de ses ruines: le
Théâtre-Français est en si mauvais état que ce recours à un despotisme
ne pourrait pas rendre sa position pire, et qu'en demandant un roi, il
ne risque point de renouveler la fable des grenouilles.

Puisqu'il nous est permis de mêler le sacré au profane, parlons de
monseigneur Louis Belmas, mort récemment évêque de Cambrai. M. Belmas
était un homme d'esprit, un homme aimable, et un excellent homme; il
était en outre évêque tolérant et éclairé; l'Empereur l'estimait
particulièrement; il faisait plus encore, il l'aimait avec préférence
sur tous les autres grands dignitaires de l'Église. Pendant sa longue
carrière, le bon évêque ne démentit jamais, par aucune action, par
aucune parole, ce glorieux témoignage de l'affection du grand homme; son
diocèse lui voua un véritable culte, et Cambrai l'adorait. Un jour, en
1829, le bruit se répandit que M. Belmas avait le projet de quitter ses
ouailles et île se retirer dans le Haut-Languedoc, où il était né.
Aussitôt toute la ville inquiète alla le trouver, le suppliant de ne pas
causer cette douleur de sa retraite et de son départ à sa chère ville de
Cambrai; il y eut des supplications, il y eut des larmes; si bien que
l'excellent évêque ne put résister à ces témoignages unanimes d'une
affection cordiale, «Eh bien! dit-il, plein d'une vive émotion, je
mourrai au milieu de vous.» Il a tenu parole, et mourut dernièrement à
Cambrai, regretté et béni.

Une nièce de M. Belmas, mademoiselle Donat, a eu l'idée pieuse de
consacrer la mémoire de son oncle par une oeuvre d'art, qui pût être
acquise aisément par les nombreux amis qu'il possédait et par les
citoyens de Cambrai qui gardent chèrement le souvenir de ses vertus. Une
médaille vient d'être frappée dans cette intention; elle représente, sur
la face, le portrait de M. Belmas, tête fine et bienveillante; de
l'autre, les insignes de sa dignité. Mademoiselle Donat a commandé cette
médaille à ses frais; et, en femme distinguée, qui comprend combien la
beauté du travail donne du prit à un pareil hommage, elle a choisi pour
l'exécuter M. Depaulis, notre habile graveur, lequel y a mis toute la
conscience et toute la pureté de son rare talent.--Allons, artistes et
poètes, voilà qui est bien! Un grand homme est mort, ou bien un pieux
évêque descend dans la tombe; toi, monte ta lyre; loi, prends ton burin
ou ton pinceau; chantez la gloire et consacrez la vertu! Quel plus bel
usage peut-on faire de la corde harmonieuse et de l'éternel airain?

Il y a, au Gymnase, un acteur du nom de Delmas; l'évêque du Cambrai
était son oncle; toutefois, pour ne pas trop compromettre l'Évangile
avec le vaudeville, le comédien a changé la première lettre de son nom
et mis un D à la place du B. Delmas est un honnête homme et un honnête
acteur; il est probable que le jour où il aura rempli son dernier rôle
ici-bas pour aller, dans l'autre monde, rejoindre son brave oncle,
l'évêque de Cambrai ne fera pas le rigide, et que Belmas tendra la main
à Delmas et lui donnera sa bénédiction. Béranger est de cet avis.

Comment de Cambrai sommes-nous arrivés au Gymnase et d'un évêque à
comédien? Quoi qu'il en soit, nous y voici, et autant vaut profiter de
l'occasion pour annoncer l'abdication définitive de M. Delestre-Poirson,
directeur; les batailles livrées par M. Delestre-Poirson aux auteurs
dramatiques ont fait assez de bruit depuis longtemps, et le Gymnase a
payé trop rudement les frais de la guerre, pour qu'on n'apprenne pas
avec plaisir que cette retraite de M. Poirson va faire refleurir la
paix; ce n'est pas précisément une paix à tout prix, mais une paix du
prix de trois cent et quelques mille francs que M. Poirson-Delestre
recevra pour panser ses blessures; beaucoup se guérissent à moins.

Le successeur de M. Poirson s'appelle M. Montigny; il est directeur du
théâtre de la Gaieté, je crois, où il fait jouer force mélodrames; je ne
sais même si, de temps en temps, il n'en compose pas pour son propre
compte; c'est un homme complet, comme on voit. M. Montigny possède-t-il
une eau merveilleuse pour rendre la santé aux malades? a-t-il découvert
une pondre de Perlimpinpin pour ressusciter les morts? Cela est à
désirer, et lui servirait dans la circonstance; si le Gymnase n'est pas
tout à fait mort, en effet, en vérité il est bien malade. Mais il y a de
la ressource; les auteurs proscrits vont revenir au bercail, et M.
Scribe a promis de faire des vaudevilles pour féconder de nouveau le
terrain; et quel théâtre ne réunit pas quand M. Scribe s'en mêle? Il est
vrai que le Gymnase est le théâtre de ses premières amours, et que les
premières amours ne se recommencent guère ou se recommencent mal.

--Ce pauvre M. Kirsch ne s'est pas découragé; il a tenté une seconde
ascension; mais cette seconde aventure n'a pas mieux réussi que la
première; un coup de vent est survenu et a jeté le ballon à bas. M.
Kirsch s'est livré à un violent désespoir; c'était à faire pitié.
Pourquoi, en effet, un coup de vent, qui vient là tout exprès miner une
espérance? Jusque-là, le ciel s'était montré calme et clément; le jour
était magnifique; le soleil éclatait splendidement dans l'azur; il n'y a
eu qu'un seul coup de vent dans la journée, et c'est ce pauvre M. Kirsch
qui l'a reçu à bout portant, ce vent contraire n'aurait-il pas aussi
bien pu souffler un quart d'heure avant ou un quart d'heure après? Heur
et malheur! Tandis que M. Kirsch échouait, d'autres, peut-être au même
instant, lançaient leur ballon gonflé du vent de la vanité et de la
sottise, et allaient aux nues! Choisir le vent, avoir le vent pour soi,
c'est le secret de bien des ascensions et de bien des renommées, de
beaucoup de ballons et de fortunes.--Enfin la troisième tentative de M.
Kirsch a réussi; on annonce que le vent lui a été favorable mercredi
dernier.

--Mademoiselle Déjazet vient de perdre sa mère, âgée de quatre-vingt six
ans passés, ce qui n'annonce pas que Frétillon soit tout à fait dans son
printemps. Le convoi de cette bonne femme, qui avait eu l'honneur de
concevoir et de mettre au monde une des plus spirituelles, des plus
célèbres, des plus adorées, des plus populaires actrices de ce temps-ci,
avait attiré une foule considérable d'artistes de toute espèce, de
directeurs de théâtre et de comédiens. On dit mademoiselle Déjazet
très-profondément affligée de la mort de sa vieille mère; c'est que
Frétillon a du coeur, Frétillon est une bonne fille de toutes manières.

--On a fait grand bruit, ces jours derniers, d'un certain aigle noir qui
s'est montré tout à coup dans le ciel parisien. L'aigle, déployant ses
ailes, planait sur la ville immense; et tous les regards, surpris, de le
regarder. «D'où vient-il? Est-ce un présage?» On a fini par découvrir
que l'oiseau merveilleux s'était tout simplement échappé de la maison de
M. Vairmaire, rue de Grenelle-Saint-Honoré, où on le tenait en cage.
Cependant l'aigle ne s'est pas laissé reprendre il jouit de sa liberté,
il se nourrit aux frais de la ville du Paris. L'autre jour il s'est
abattu sur un chien, dans la rue Mouffetard, et en a fait son déjeuner,
ou peu s'en faut, à la barbe de la foule ébahie; et hier le
_Constitutionnel_ l'a découvert au dessus des tours de Notre-Dame,
soupant avec un corbeau. Sous l'empire, personne n'aurait fait attention
à cet aigle, nous en avions tant! Mais aujourd'hui que tant de poulets
d'Inde passent pour des aigles, on s'étonne de voir par hasard un aigle
véritable.

--L'Angleterre possède en ce moment un nain extraordinaire surnommé
Tom-Thumb ou Tom-Pouce. Ce nain se montre partout. Un journal anglais
prétend que Tom-Thumb fait dix mille francs de recette par semaine, tant
la curiosité publique est, en ce moment, excitée à son profit. Il est
vrai que la reine Victoria raffole de Tom-Thumb et s'en divertit
beaucoup. La ville prend l'exemple de la cour, les valets imitent le
maître, les sujets singent le souverain: de là le succès de Tom-Thumb.
Mais que demain S. M. Victoria se lasse du nain et s'amuse d'un géant,
adieu mon pauvre Tom-Thumb; Goliath aura la chance, et le nain sera
honni.--Tom-Thumb est attendu le mois prochain à Paris; nos nains
politiques et littéraires lui préparent une réception fraternelle et
digne de sa petitesse.

Duprez est revenu de Londres passablement chargé de bank-notes: il se
promenait triomphalement hier dans sa calèche, par le plus beau soleil
du monde.

--M. Raoul, célèbre fabricant de lunes, vient de mourir; c'était un
industriel très-ingénieux et d'un grand mérite; ses lunes avaient une
réputation européenne; le serpent de l'envie avait cherché vainement à y
mordre.

--L'Académie Royale de Musique prépare un opéra nouveau: _Richard en
Palestine_; la musique est de M. Adolphe Adam, qui voudrait bien être de
l'Institut, et fait, pour cela, claquer le fouet du _Postillon de
Longjumeau_. M. Adam finira par arriver au relais.

--Le bruit court de la prochaine ouverture, à la salle Ventadour, d'un
théâtre espagnol. On prétend qu'Espartero en est le directeur; mais on
prétend tant de choses!

Et cependant, allez au jardin des Plantes respirer le parfum des
amandiers en fleur.



Salon de 1844.

3e article.--Voir t. III, p. 33, 71, 84 et 103.

Notre collaborateur M. Bertall a fait sa revue pittoresque. Une petite
vacance a eu lieu pour le Salon, vacance chère à beaucoup d'artistes,
pendant laquelle ils écrivent à M. le directeur afin d'obtenir _une
meilleure place_, comme si la justice de leurs réclamations pouvait leur
donner droit à les voir accueillir. La vacances finie; quelques uns se
réjouissent; on les a mieux placés. D'autres se lamentent plus encore
que lors des premiers jours de l'exposition: on les a mis dans un jour
faux, on leur a donné une mauvaise travée; M. le directeur, par amitié,
leur a jeté le pavé de l'ours. Le public voyait peu leur oeuvre, et,
depuis qu'ils ont réclamé, le public ne la voit plus du tout.

Les changements récemment opérés dans la disposition des tableaux n'ont
fait que doubler notre tâche, à nous: une heure, au moins, nous avons
erré, cherchant nos noms bien connus, sans les trouver, cherchant, sans
les découvrir, des oeuvres qu'avaient signalées nos confrères. Pauvre
critique! quel désappointement n'a pas été le tien! Et cependant les
innovations sont peu nombreuses.

Le lecteur n'a pas besoin d'être éclairé à ce sujet, et s'il nous
prenait fantaisie de lui en faire part, sans doute il nous adresserait
la phrase terrible: Avocat, passez déluge;--critique, ne vous répétez
pas. Reprenez la promenade à l'endroit où nous nous sommes quittés. Rien
de moins, mais rien de plus. Or le public a tant d'erreurs, tant de
péchés, tant d'omissions à nous pardonner, que nous nous garderons bien,
pour si peu, de l'indisposer.

Avant d'aller rendre visite au portrait de M. Pasquier, arrêtons-nous
devant l'oeuvre de M. Jadin. Si nous considérions les peintures de M.
Jadin comme des tableaux, au lieu de voir en eux des panneaux
d'appartement, nous serions en droit d'être un peu sévère à l'égard de
ce peintre. Mais nous les prenons comme il nous les donne. Le panorama
d'une chasse se déroule devant nos yeux. D'abord voici le portrait
authentique et collectif de _la meute_, appartenant à M. le comte Henri
Greffullie; puis voici _le Rendez-vous_, auquel personne ne manque. _Le
Hallali_ est la mise en scène d'un fait récent; un sanglier forcé charge
le cheval de M. le prince de W.... Enfin, _la Course aux lévriers_ est
vive et très-mouvementée.

Cette série de panneaux, envoyés cette année au Salon par M. Jadin, a de
l'intérêt pour tout le monde: qu'on juge de la joie qu'éprouvent les
chasseurs en la regardant! Comme ils prennent avidement connaissance de
cette histoire peinte d'une chasse! Il y a tel épisode, reproduit par M.
Jadin, qui a le pouvoir de rappeler aux amateurs un débûché qui date de
vingt ans. _Ralph et Zeph_, lévriers à l'entraînement, sont deux
portraits fort ressemblants sans doute. Ce dont il faut savoir gré à M.
Jadin, c'est de sa facilité à grouper chasseurs, batteurs de bois,
chiens et gibier. Nous le répétons, son envoi se compose de panneaux, et
comme panneaux ils sont assez terminés.

Nous sommes maintenant devant l'oeuvre de M. Horace Vernet, devant le
portrait de M. le chancelier Pasquier, qui est, sans contredit, une des
plus remarquables oeuvres du Salon.

A quoi bon parler de l'habileté avec laquelle ce portrait est peint? M.
Horace Vernet à une réputation telle, qu'il suffit de nommer ses
tableaux pour que le public sache à quoi s'en tenir sur leur mérite. Le
portrait de M. Pasquier brille par la ressemblance, par le naturel de la
physionomie, par la dignité simple de la pose: le grand chancelier,
revêtu du son grand costume, est occupé à dépouiller le scrutin.

Non loin du portrait de M. le chancelier Pasquier, se trouve le portrait
d'une autre sommité parisienne peint par une autre sommité dans les
arts. Nous voulons parler du portrait de M. Rambuteau, préfet de la
Seine, par M. Henri Scheffer, oeuvre large, sévère et consciencieuse,
comme sait les faire l'auteur de _Charlotte Corday_. Le portrait de M.
Jourdan, par le même, a une valeur égale sous le rapport de l'art, et
plaît moins comme ressemblance.

Les trois portraits de M. Alexis Pérignon ont en, et devaient avoir un
immense succès, car il est difficile de peindre avec plus de charme et
plus de goût; celui d'un élève de l'École Polytechnique, par M. Pichon,
est un des meilleurs du Salon; ceux de M. Léon Viardot appartiennent à
la bonne école; ceux de M. Charlier prouvent chez l'auteur une grande
habileté et beaucoup de savoir-faire dans les ajustements. Quant au
portrait de M. V. de la Pelouze, par M. Uzanne, nous le reproduisons à
deux titres: il est bien peint, et fait connaître à nos lecteurs un
homme qui a tenu pendant vingt-cinq ans un rang honorable dans la
presse: l'ancien directeur du _Courrier français_, le collaborateur et
l'ami de Châtelain.

[Illustration: Portrait de M. Pasquier, chancelier de France, président
de la Chambre des Pairs, par M. Horace Vernet.]

Madame Eugénie Grün, dans son portrait de M. A... G... a déployé une
grande habileté de pinceau, ainsi que dans sa _Tête d'étude_, placée
sous le n° 863. Enfin, les onze portraits-miniatures de M. Maxime David
ont droit à l'attention des connaisseurs.

Il nous souvient de Montaigne visitant la tasse, qui obtint un grand
succès dans une des expositions précédentes; cette oeuvre fit jeter les
yeux depuis sur tout ce qui est sorti de l'atelier de M. Louis Gallait.
Eh bien! nous avons peine à le reconnaître cette année, tant son envoi
est inférieur à ce qu'on peut attendre d'un peintre qui a fait ses
preuves. La _Prise d'Antioche par les Croisés_ est une toile à effet, et
qui ressemble beaucoup trop à un cinquième acte d'opéra; au reste, rien
n'égale la verve avec laquelle elle est composée, le désordre est au
comble parmi les musulmans. Deux pendants, _Bonheur_ et _Malheur_, n'ont
pas un mérite égal. Le _Bonheur_, c'est-à-dire la mère heureuse
regardant jouer ses enfants et paraissant posséder tous les biens que la
fortune et la santé peuvent donner, est d'un coloris conventionnel, d'un
dessin faiblement étudié. Le _Malheur_, représenté par une jeune femme
presque en haillons mettant ses enfants à peine vêtus sous la protection
de la croix, est bien supérieur au pendant, quoique peint dans le même
genre; la tête de la mère a une expression poignante qui saisit. Dans le
salon carré, le portrait de M. Dubois est parfaitement peint. Que M.
Louis Gallait nous pardonne notre sévérité; nous savons quel est son
talent, et voilà pourquoi nous exigeons davantage.

Deux frères, MM. Achille et Léon Benonville, ont exposé, et obtiennent
un succès égal.

Le premier s'est inspiré de ces beaux vers d'André Chénier sur
l'infortune d'Homère:

                                         Et sur une pierre
        S'asseyait; trois pasteurs, enfants de cette terre,
        Le suivaient, accourus aux abois turbulents
        Des molosses; gardiens de leurs troupeaux bêlants.
        Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète,
        Protège du vieillard la faiblesse inquiète
        Ils l'écoutaient de loin, et s'approchant de lui...

Comme le poète, le peintre a été bien inspiré, et il a envoyé de Rome un
beau paysage historique, composé et rendu avec bonheur, notamment sur
les premiers plans; une certaine uniformité d'exécution fait seule tort
à l'ensemble du tableau. _Homère abandonné dans l'île de Sicos et
accueilli par des bergers_ est une oeuvre qui honore le jeune lauréat de
l'Institut. Le _Souvenir de la vallée de Narni_, par le même, seul
beaucoup moins l'école que le paysage d'_Homère_, et nous fait espérer
que M. Achille Renouville possède une véritable originalité.--Son frère,
M. Léon Renouville, a exposé une _Esther_ remarquable en tous points,
d'une couleur brillante, d'un dessin habile.

Un autre lauréat de l'Institut, M. Jean Murat, mérite nos éloges pour
ses _Lamentations de Jérémie_, tableau où se remarquent des qualités de
premier ordre et de malheureux défauts. Il est inutile de s'appesantir
sur ce tableau exposé déjà aux Beaux-Arts; c'est bien le peintre
d'_Agar_ qui l'a composé. Allez dans la galerie des gravures: _Agar dans
le désert_, gravé avec talent par M. Alexandre Manceau, vous prouvera
que M. Murat pèche sous le rapport de l'imagination, mais que son dessin
est d'une pureté extraordinaire.

Que reprocherons-nous à MM. Schopin, Émile Signol, Serrur et Gosse?

A M. Schopin, son _Don Quichotte et les Filles d'auberge_, qui manque de
caractère autant que sa _Virginie au bain_, autant que ses deux sujets
sur _Manon Lescaut_, autant que ses deux sujets sur _les Mystères de
Paris_. Certainement, M. Schopin a de l'habileté et du faire; mais il
ressemble à ces acteurs qui sont toujours les mêmes. Quel que soit le
sujet qu'il traite, ses moyens ne changent jamais. Les deux sujets de
Manon Lescaut, traités par M. Édouard Schwind, ont des qualité» plus
réelles que ceux de M. Schopin.

A M. Émile Signol, ses deux portraits historiques, qui ne nous
permettent pas de croire que son talent soit multiple et puisse briller,
notamment à peindre des chevaux. Le _Portrait équestre de Godefroy de
Bouillon_ et le _Portrait équestre de saint Louis_ sont des toiles de
genre, moins la grâce et l'agrément. Les deux autres portraits non
équestres de M. Émile Signol nous plaisent davantage!

A M. Serrur nous ne reprochons que l'insuffisance de verve, car son
_Dévouement d'un bourgeois d'Abbeville_ renferme d'excellentes parties.
Le fait qu'il a traduit sur la toile est une des plus belles pages de
l'histoire de la bourgeoisie en France. Les Anglais s'étaient emparés
d'Abbeville; un bourgeois, nommé Ringois, refusa de les aider à dominer
ses concitoyens: il fut enlevé et conduit, chargé de chaînes, à Douvres.
On le plaça sur le parapet d'une tour qui dominait la mer.
«Reconnaissez-vous pour votre maître Édouard III? lui cria-t-on.--Non,
répondit Ringois, je ne reconnais pour maître que Jean de Valois.» Il
fut jeté la mer. M. Serrur a rendu cet épisode avec talent; mais
pourquoi ses groupes ne sont-il pas posés avec plus d'assurance;
pourquoi sa couleur n'a-t-elle plus de brillant? La _Contemplation_ fait
honneur à M. Serrur.

A M. Gosse nous souhaiterions plus d'ampleur dans la manière, et on
pourrait alors l'appeler le Casimir Delavigne de la peinture. Les
oeuvres du poète ont souvent été par lui traduites en tableaux. Un jour,
nous avons aperçu les _Enfants d'Édouard_; un autre jour, à l'ouverture
du Salon de 1844, nous voyons Louis XI aux pieds de saint François de
Paule.

[Illustration: Portrait de M. de Rambuteau, par M. Henri Scheffer.]

[Illustration: Portrait de M. Valentin de la Pelouze, directeur de
l'ancien _Courrier Français_, par M. Uzanne.]

Ce dernier tableau est bien composé, et rempli de détails
consciencieusement peints. _Maître Adam et le prince de Gonzague_ est un
intéressant épisode agréablement rendu. La femme de maître Adam, en
introduisant le prince auprès de son mari, plus occupé de ses vers que
de son travail, lui dit: Voyez, monseigneur, à quoi mon paresseux de
mari s'amuse au lieu de travailler.--Ingénieuse moitié! Ton paresseux de
mari s'occupait à faire ses fameuses chevilles.» Le portrait exposé par
M. Gosse est remarquable; c'est tout ce que nous en pouvons dire.
Justice vient d'être rendue tardivement à M. Théophile Blanchard; un de
ses paysages vient d'être placé dans le Salon doré. Nul, plus que cet
artiste, ne sait donner une idée de la nature dans ses plus simples
comme dans ses plus merveilleux aspects. La _Vue prise sur les bords de
l'Oise_ a des qualités sans nombre qu'obscurcissent à peine des détails
parfois un peu négligés. La _Vue prise à Noisy_ est d'un effet
saisissant. M. Blanchard appartient à cette école de paysagistes qui ne
corrigent pas la nature par l'imagination, et qui ne manquent pas,
cependant, de la copier, en lui laissant sa poésie et sa vigueur. Il en
est de même de M. Eugène Lepoittevin pour les scènes animées. Jamais sa
verve ne s'épuisera, du moins tout nous porte à le croire. Avez-vous vu
une _Embarcation (dite la poste aux choux) venant approvisionner un
poste de flibustiers sur la côte_? Y a-t-il quelque chose de plus
habilement touché, de plus spirituellement fait? Et le _Renseignement_
donc! Ce tableau fait plaisir, tout placé qu'il est à côté des Marilhat
et d'un Tony Johannot; c'est qu'il est plein de bonhomie, et que les
accessoires en sont charmants. _Les Fruits d'automne_ ne sont pas le
moins agréable des tableaux de M. Eugène Lepoittevin, qui tous ont un
air de parenté que bien des gens appellent uniformité, et que nous
considérons comme le style. M. Lepoittevin a un talent fin, coquet et
facile; il fait un feuilleton en peinture, soit; mais qu'importe, s'il
amuse? Où s'arrêtera M. Achard? Personne ne le sait, et lui-même moins
que le public peut-être, tant ses études sont sérieuses et suivies. Quoi
qu'on puisse dire pour décourager les travailleurs, la réputation
récompense tôt ou tard les hommes dont les capacités sont réelles. En
1840, personne ne connaissait M. Achard; en 1844 M. Achard est, à bon
droit, regardé comme un excellent paysagiste. Trois vues et un paysage
forment son exposition. Les trois vues sont prises dans le Hameau de
Sainte-Égrève, ou aux environs. Il serait difficile de surpasser Achard
pour ce qui concerne les terrains et les collines rocailleuses, qu'il
peint avec une étonnante vérité. Une chose lui manque encore, c'est le
feuiller de ses arbres de premier ou second plan.

[Illustration: La Poste aux Choux, par M. Eugène Lepoittevin.]

Aucune vue n'a plus de charnu; que la _Vue générale du village de
Nazareth, en Galilée_, par M. Alphonse Montfort.

[Vue générale du village de Nazareth, en Galilée, par M. Alphonse
Montfort.]

Non-seulement la couleur en est bonne, mais encore le point de vue est
bien choisi. Le groupe d'hommes, de chameaux et de boeufs a du
mouvement, et, par-dessus tout, la légèreté des tons dans le ciel, la
grâce dans les lignes et la transparence de l'horizon font de ce tableau
une charmante page.

M. Marandon de Montyel a exposé cette année trois paysages, _Son
Souvenir du pays Vaud_ et son _Vieux château de Creceils_ sont de petite
toiles qui n'ajouteront rien à la réputation! de cet habile artiste,
mais la Cascade de Retie près de Florence attire à juste titre
l'attention des connaisseurs. Cette nature âpre et sauvage convenait
bien au talent énergique et austère de M. Marandon de Montyel. C'est un
tableau qui lui fait d'autant plus d'honneur qu'on y remarque encore des
progrès incontestables. M. Marandon de Montyel deviendra bientôt, s'il
continue à marcher du même pas, un de nos meilleurs peintres de
paysages.

Les Rives de l'_Albarine_, par M. Édouard Hostein, peuvent être
regardées comme le plus beau paysage qu'il ait exposé depuis longtemps,
soit pour la grandeur, soit pour le fini avec lequel il est fait. La
_Vallée de la Saône_, et les _Rives de la Saône_, du même peintre, sont
moins complets, sans être indignes de son talent.--_Le Paysage_ de M.
Troyon a beaucoup d'air; c'est un des plus pittoresques endroits de la
forêt de Fontainebleau. Le tableau appelé _Dessous de forêt_, et dans
lequel M. Troyon représente un chasseur tirant un canard sauvage, est
certainement rempli de beautés du premier ordre; mais la lumière n'est
pas lumineuse (qu'on nous pardonne ce pléonasme qui fait comprendre
notre pensée); le plan de gauche s'efface beaucoup trop.--_Un Village
des États romains_, peint dans un genre tout à fait opposé, par M.
Sabatier, a de la grandeur et de l'air, quoique petit et bien rempli; le
_Site des Pyrénées_, dont la couleur est tout à fait charmante, n'a que
le défaut d'avoir certains reflets roses qu'on ne s'explique pas.

On doit des éloges; à madame Louise Strubberg, pour son Lac de
Retournemer (Vosges); cette artiste a profité des leçons de M. Horace
Vernet, son illustre maître;--à mademoiselle Clémence Dimier, pour son
_Saint Jean écrivant l'Apocalypse dans l'île de Patmos_, tableau d'un
style élevé;--à M. Adrien Lainé, garçon de bureau au ministère de la
marine, pour ses _Naufragés_, sujet traité avec une vigueur remarquable,
et pour sa belle _Vue des environs de Marseille_. M. Lainé pourra
devenir un peintre de mérite reconnu;--à M. J.-J. Champin, pour ses
grandes et magnifiques aquarelles, qui laissent loin derrière elles une
foule de paysages peints à l'huile;--à M. Émile Lonele, pour son
Soutenir du lac de Guarda, plein de couleur, et où l'inexpérience du
peintre est le seul défaut;--à M. Paul Gourlier, pour ses deux paysages.
Son _Enfance de Bacchus_ est un beau tableau, où le feuillage est
seulement un peu trop découpé; son _Paysage_ est charmant et d'une
largeur de composition à la Corot.

[Illustration: Cascade de Rouves près de Florac (Cévennes), par M.
Marandon.]

Enfin, et pour ne pas oublier les aquarellistes et peintres de fleurs,
nous citerons des _Fruits_, jolie aquarelle de mademoiselle Amélie
Patal; le _Vase de fleurs et ananas_, de madame Élisa Champin; deux
cadres de _Fleurs_, de madame Clémentine Thierry. Des noms de femmes se
trouvent presque seuls sous notre plume, mais notre conscience de
critique est sauve; nous mettons en ceci plus de justice encore que de
galanterie.



Académie des Sciences.

COMPTE RENDU DES TRAVAUX PENDANT LE DERNIER
TRIMESTRE DE 1843 ET LE PREMIER TRIMESTRE DE 1844.

(Voir t. I, p. 217, 234, 238; t. II, p. 182, 198, 343 et 594: t. III, p. 26 et 58.)

I.--Sciences mathématiques pures.

Les communications relatives à la haute analyse deviennent chaque jour
plus nombreuses; nous ne pouvons même pas les indiquer toutes ici. Il
nous suffira du citer les noms de MM. Cauchy. Liouville. Lainé et
Chasles, comme ceux des membres ou des correspondants de l'Académie qui
ont contribué à enrichir les _Comptes rendus_ des résultats de leurs
travaux. Nous avons vu, avec un plaisir que partageront sans doute tous
les amateurs de l'élégance géométrique, M. Chasles poursuivre avec un
rare bonheur les incursions que ses méthodes lui permettent de faire sur
un terrain qui semblait n'être abordable que pour les analystes. Ce
savant a traité par des méthodes purement géométriques les questions
difficiles relatives aux périmètres des lignes courbes, et il est arrivé
à des résultats fort curieux sur les propriétés générales des arcs d'une
section conique dont la différence est rectifiable.

[Illustration.]

La _lemniscate_ est une courbe devenue célèbre dans la géométrie
moderne. Cette combe que nous représentons ici, a la figure d'un 8, et
est symétrique par rapport aux deux axes AH, CD. Elle est du quatrième
degré, et jouit de propriétés fort curieuses: elle est quarrable, et son
contour peut être partagé géométriquement en parties égales. Etudiée
successivement par le géomètre italien Fagnano, par Euler, et par MM.
Gauss, Abel, Jacobi, Lejeune-Dirichlet, etc., elle a été le sujet d'un
mémoire de M. Liouville, qui a démontré d'une manière générale que les
équations relatives à cette division du périmètre se résolvent par
radicaux.

Les académiciens peuvent être utiles aux progrès de la science par un
certain genre de travail qui est essentiellement dans leurs
attributions, et, où ils peuvent du reste montrer autant de talent et de
profondeur que dans des mémoires originaux. Nous voulons parler des
rapports qui leur sont demandés pour les communications faites à
l'Académie. Nous avons remarqué les rapports très favorables de M.
Cauchy, sur des mémoires de haute analyse par M. Laurent, officier du
génie, et par M. Cellérier. Nous avons trouvé moins d'intérêt, au point
de vue scientifique, dans le rapport du même savant sur un jeune
sourd-muet qui possède une connaissance très-étendue des sciences
physiques et mathématiques. M. Lamé a fait aussi un rapport
très-approbatif sur un mémoire de M. Bertrand, relatif aux surfaces
orthogonales.

Parmi les mémoires adressés à l'Académie, nous citerons ceux de MM.
Catalan sur les surfaces développables; de Saint-Venant sur une méthode
nouvelle d'interpolation applicable aux questions de physique et de
mécanique expérimentale; Bertrand, sur les surfaces orthogonales;
Wautzel, sur l'intégration des équations différentielles linéaires, etc.

II.--Sciences mathématiques appliquées.

_Mécanique moléculaire_.--Une note de M. Lamarle, ingénieur des ponts et
chaussées, sur la flexion des pièces chargées debout, sera, conformément
aux conclusions d'un rapport de M. Liouville, insérée dans le _Recueil
des Savants étrangers_.

Quant aux travaux extrêmement remarquables que M. de Saint-Venant, qui
est aussi ingénieur des ponts et chaussées, a soumis au jugement de
l'Académie, et qui ont pour but le perfectionnement des parties les plus
importantes de la mécanique moléculaire, en ce qui concerne leur
application à l'art des constructions, nous n'hésitons pas à les
regarder comme devant opérer une révolution dans l'enseignement de nos
écoles savantes. Il suffira du citer à l'appui de notre assertion les
conclusions suivantes du rapport de M. Cauchy:

«Les divers mémoires de M. de Saint-Venant nous paraissent justifier
pleinement la réputation que cet habile ingénieur, qui a toujours occupé
les premiers rangs dans les promotions à l'École Polytechnique, s'est
acquise depuis longtemps. Nous les croyons très-dignes d'être approuvés
par l'Académie, et insérés dans le _Recueil des Mémoires des Savants
étrangers._»

_Astronomie_.-Nous avons regretté que les _comptes rendus_ officiels
n'aient fait qu'une brève mention des intéressantes recherches
entreprises par M. Arago, dans le but de déterminer en nombres les
affaiblissements comparatifs qu'il faut faire subir au disque de Jupiter
et à ses satellites pour amener leur disparition, aussi bien que des
dernières observations faites à l'Observatoire relativement à
l'excentricité apparente du disque de Saturne, considéré dans la
direction du petit diamètre de l'anneau.

Nous avons à énumérer, parmi les communications astronomiques, celles
MM. Cauchy sur l'application du calcul des limites à l'astronomie; de M.
de Pontécoulant, sur la théorie de la lune; de M. Le Verrier, sur la
théorie de Mercure; de M. Bravais, sur la translation de notre système
planétaire à travers l'espace; de M. Largeteau, qui a dressé des tables
abrégées pour le calcul des équinoxes et des solstices; de M. Mauvais,
sur la comète télescopique découverte par lui, etc.

Notre système planétaire vient encore de faire l'acquisition d'un nouvel
astre, pour quelque temps au moins. Nous voulons parler de la comète
découverte, le 22 novembre dernier, par M. Faye, jeune astronome attaché
à l'Observatoire de Paris. Les premières observations n'étaient pas
favorables à la détermination de l'orbite, à cause de l'extrême lenteur
du mouvement apparent de la comète. Aussi remarquait-on de notables
différences entre les éléments paraboliques calculés par deux habiles
astronomes, M. Valz, directeur de l'Observatoire de Marseille, et M.
Plantamour, de Genève.

Cependant à mesure que les observations se multipliaient, M. Faye
reconnaissait que la parabole était complètement insuffisante pour
représenter la suite des positions que la comète avait occupées, et il
annonça qu'il déterminerait l'orbite elliptique, aussitôt que l'état du
ciel permettrait, de suivre le nouvel astre dans des légions
suffisamment éloignées de celles où on l'avait d'abord aperçu. M. Faye
s'attachait donc à multiplier des observations devenues extrêmement
difficiles par la faiblesse de la comète, lorsqu'on apprit qu'un élève
de M. Gauss, le docteur Goldschmidt, avait déjà calculé une orbite
elliptique en se servant d'une des observations de Paris et de celles du
1er et du 9 décembre, faites à Altona. Les résultats de ce calcul,
modifié d'abord par M. Faye, qui avait obtenu une plus grande
approximation, puis par M. Plantamour, et, en dernier résultat, par M.
Goldschmidt lui-même, sont les suivants, que nous avons essayé de
représenter sur la figure ci-jointe.

S est le soleil; E T E' est l'écliptique où l'orbite terrestre, et les
points E, E' sont les équinoxes, c'est-à-dire ceux où la terre se trouve
le 21 mars et le 22 septembre. La comète décrit autour du soleil une
ellipse A C B D, dont cet astre occupe un des foyers. Le plan de cette
ellipse ne coïncide pas avec celui de l'orbite terrestre: mais il ne
fait avec ce dernier plan qu'un angle de 11° 21' 28", 4. La rencontre des
deux plans a lieu suivant la ligne D C, C est le _noeud ascendant_, D le
noeud descendant. Le mouvement de la comète est _direct_, c'est-à-dire
qu'il s'opère, comme celui de toutes les planètes, d'occident en orient,
suivant la direction B D A. La partie D A C de l'orbite marquée en
pointillé est au-dessous du plan de l'écliptique; la partie C B D
marquée en trait plein est au-dessus.

[Illustration.]

La plus courte distance S A de la comète au soleil, ce que l'on appelle
la _distance périhélie_, a eu lieu le 17 octobre dernier. La longitude
du périhélie, où l'angle E S A, est de 49° 44' 57", 9; la longitude du
noeud ascendant C, comptée dans le sens D A C, est de 209° 26' 7", 8.

En prenant pour unité la moyenne distance S E du soleil à la terre, on
trouve que la distance périhélie S A est de 4,6923773; que la distance
aphélie S B est de 5,8986733. Le grand axe A B de l'ellipse décrite par
la comète est donc seulement 7 fois 6 dixièmes environ le rayon moyen de
l'orbite terrestre; le petit axe est G fois 5 dixièmes ce même rayon;
l'excentricité ou plutôt le rapport entre la distance du soleil au
centre de l'ellipse et le demi grand axe est de 0,5541125.

Le mouvement moyen sidéral diurne est de 479",8125; et la révolution
sidérale est de 2700°,884, ou de sept ans et cinq mois environ.

Ces divers éléments numériques sont parfaitement d'accord avec les
résultats des observations directes.

Nous avons tracé sur notre figure, en conservant leurs proportions, les
orbites _moyennes_ supposées circulaires des diverses planètes, Mercure
M, Vénus V, Mars M, les quatre planètes télescopique t, Jupiter J.
L'espace nous a manqué pour compléter l'orbite de Saturne S, et pour
tracer celle d'Uranus.

On voit que l'orbite de la comète est extrêmement voisine de celle du
Jupiter à une longitude qui diffère peu de celle du noeud ascendant C.
La plus petite distance des deux orbites qui, nous le répétons, ne sont
pas dans le même plan, est de 0.1199 en prenant toujours pour unité le
rayon moyen S E de l'orbite terrestre. Quoique Jupiter et la comète ne
se soient pas trouvés au même moment en ces points les plus rapprochés
de leurs orbites, celle-ci n'en a pas moins dû ressentir l'attraction
puissante de l'astre voisin, et on peut affirmer qu'elle a éprouvé du
graves perturbations qui ont altéré la régularité de sa marche
elliptique. On peut donc supposer que le nouvel astre présente un cas
analogue à celui du la fameuse comète de Lexell, dont l'orbite
parabolique fut transformée par l'attraction de Jupiter, en une orbite
elliptique, et redevint plus tard parabolique par l'action perturbatrice
de la même planète. C'est ce qui expliquerait comment on ne trouve, dans
les catalogues, aucune orbite qui ressemble complètement à celle de
cette comète à courte période. C'est aussi pour ces divers motifs que
nous avons élevé des doutes sur la durée de l'acquisition qu'a faite
notre système planétaire.

III.--Sciences physiques et chimiques.

_Thermomètre_.--On connaît les ingénieux instruments dont M. Walferdin a
enrichi la physique expérimentale depuis plusieurs années. Ses
thermomètres à déversement et son thermomètre métastatique sont des
appareils de haute précision qui ont déjà rendu des services notables
dans une foule de questions relatives à la physique du globe et à la
météorologie. M. Person a entamé, au sujet de la construction de ces
instruments, une discussion de principes et de priorité, qui nous paraît
n'avoir pas été close en sa faveur.

_Communications diverses_.--MM. Pinaud, Masson, Choiselat et Ratel,
Gandin, etc., ont fait de nouvelles recherches sur la photographie. M.
Biot a continué ses belles recherches de physique optique, et M.
Becquerel ses travaux sur l'électro-chimie.

_Héliostat de M. Silbermann_.--Le nouvel héliostat imaginé par M.
Silbermann aîné et exécuté dans les ateliers de M. Soleil, est un
instrument fort remarquable, d'une construction nouvelle, qui a été le
sujet d'un rapport très-approbatif de M. Régnault.

Rappelons d'abord que l'on nomme _héliostat_ un instrument au moyen
duquel on parvient à maintenir dans une direction sensiblement
constante, un rayon solaire réfléchi sur un miroir. Cette nécessité
d'obtenir un appareil mû par un mouvement d'horlogerie qui maintienne le
rayon réfléchi constamment dans la même direction, se manifeste dans la
plupart des expériences d'optique, où l'on introduit le rayon par une
petite ouverture pratiquée dans le volet d'une chambre noire.

Farenheit, S'Gravesande et M. Gambey ont été les inventeurs d'héliostats
de différents systèmes; et malgré la supériorité de celui qui est dû à
M. Gambey, l'appareil de S'Gravesande se trouve encore à peu près
exclusivement dans la plupart des cabinets de physique. Mais ce dernier
héliostat, même après les perfectionnements qui y ont été apportés par
Charles et par Malos, demande encore, dans son installation, des
tâtonnements assez longs ou quelques calculs.

[Illustration.]

Le nouvel héliostat de M. Silbermann présente les avantages de celui de
M. Gambey; mais la construction en est simplifiée, le prix
considérablement moindre, et les réparations, devenant beaucoup plus
faciles, sont à la portée du premier horloger venu.

La figure que nous en donnons est empruntée aux _Annales de Chimie et de
Physique_, numéro de mars 1844. mn est le miroir métallique plan qui
doit réfléchir dans une direction constante le rayon O H, tandis que la
position O I du rayon incident varie avec l'heure. On voit que ce miroir
est supporté suivant une ligne médiane, par deux fourchettes articulées
aux extrémités de cette ligue médiane elle-même. De dos, la queue af
normale au plan de ce miroir est percée d'une rainure dans laquelle se
meut constamment le sommet du quadrilatère articulé acfd, quadrilatère
dont les côtés dl, ac, pris sur les fourchettes de support, sont égaux.
Si donc on a orienté l'instrument de manière que son axe P P et la
direction L R soient dans le plan du méridien, ce qui sera facile
lorsque l'on aura tracé sur un plan horizontal la méridienne M M; que
l'axe P P soit dirigé suivant l'axe du monde, ce qui n'offre pas plus de
difficulté quand on connaît la latitude du lieu, et qu'on emploie le
tube gradué I F; et qu'enfin le cercle de déclinaison J J' ayant été
poussé sous la ramure ii jusqu'au degré égal à la déclinaison actuelle
du soleil, on fasse tourner autour de l'axe P P' le cercle, la rainure
et l'aiguille e qui y est attaché, jusqu'à ce que cette aiguille marque
sur son cadran l'heure vraie du lieu; il est clair que le mouvement
d'horlogerie, placé dans l'intérieur de la boîte H, fera tourner le plan
du miroir mn sans que la normale O N au centre O du miroir cesse de
diviser en deux parties égales l'angle I O R du rayon incident et du
rayon réfléchi, et par conséquent celui-ci aura bien la direction
constante L O R.

Un appendice, que nous n'avons pas indiqué sur notre figure pour ne pas
trop la compliquer, permet de vérifier favorablement si le rayon
incident a pris la direction convenable, il permet aussi de se passer de
la connaissance d'une des trois données; la direction du plan méridien,
l'heure vraie, la déclinaison.

En résumé, l'héliostat de M. Silbermann mérite de figurer dans tous les
cabinets de physique, et la modicité de son prix lui donnera accès dans
les collections des simples amateurs désireux de répéter les plus
curieuses expériences de l'optique.

Communications diverses relatives à la chimie.--Ces communications ont
été si nombreuses que nous devons renoncer même à les énumérer. Nous
citerons seulement MM. Biot, Margueritte, Lewy. Persoz, Deville,
Souberan, Beaudrimont, Leblanc, Favre, Boullay, Cahours, Remy, Auguste
Laurent, Madagoti, etc., comme les auteurs des travaux présentés à
l'Académie.

M. Dumas a lu des rapports très-favorables au sujet d'un travail de M.
Cahours sur l'huile volatile de _Gaultheria procumbens, et d'un mémoire
remarquable de M. Eugène Chevandier sur la composition de différents
bois et le rendement annuel d'un hectare de forêts.

IV.--Géologie et minéralogie.

On doit à M. Élie de Beaumont une comparaison fort curieuse des
montagnes de la terre avec celles de la lune. M. le baron de Strantz,
tout en s'applaudissant de voir ses idées en accord avec celles de M.
Élie de Beaumont, avait revendiqué la priorité pour une communication de
ce genre faite par lui à la Société silésienne, à Breslau, en 1844; mais
M. de Strantz ignorait que le premier travail de M. de Beaumont sur ce
sujet avait été communiqué, dès 1829, à la Société Philomatique.

M. E. Robert annonce qu'il a trouvé dans les falaises de Saint-Valery de
Caux une espèce d'ammonite. La présence de ce fossile dans la craie
blanche est un fait curieux, à côté duquel on peut ranger la découverte
d'une hamite dans la craie à Hellemmes de Meudon, découverte due aussi à
M. Robert.

M. Dufrénoy a lu un rapport approbatif sur un mémoire de M. Rozet,
concernant les volcans d'Auvergne.

Un mémoire de M. Fournet, sur l'influence de la pression dans les
phénomènes géologico-chimiques nous a paru un des travaux les plus
intéressants qui aient été présentés à l'Académie.

Nous citerons encore les Études sur les terrains de la Toscane, et sur
les gîtes métallifères qu'ils renferment, par M, Murat; une note sur le
terrain jurassique de l'Aube, par M. Leymerie; deux mémoires de M.
Collegno, l'un sur les terrains secondaires du revers méridional des
Alpes, l'autre sur les terrains diluviens du revers méridional des
Alpes.

M. Dufrénoy a communiqué, un fait fort curieux relatif à une obsidienne
de l'Inde, qui a éclaté avec détonation au moment où on la sciait. Il
est très-probable que cette substance vitreuse avait subi à l'extérieur
un refroidissement brusque qui lui avait fait subir une mollification
moléculaire analogue à celle des larmes bataviques.

(_La suite à un prochain numéro._)



De l'Administration des Postes et de la Réforme postale.

L'administration des postes offre dans son organisation et son mouvement
une des plus intéressantes études de la machine administrative de la
France. Les services que rend chaque jour cette administration, déjà
bien grands sans doute, seraient augmentés dans une proportion
incalculable, et offriraient aux affaires et aux relations privées un
accroissement considérable d'avantages et de facilités, si la France se
décidait enfin à entrer dans la voie, où l'ont précédée, non pas
seulement l'Angleterre, mais des puissances secondaires et des nations
que notre amour-propre national nous fait regarder comme à demi
barbares. De l'autre côté de la Manche, nous voyons ouvrir une
souscription en l'honneur et au profit de l'homme qui a eu le premier et
qui a su faire prévaloir l'idée de la réforme postale, qui créa un
journal pour en démontrer l'utilité; et cette souscription à dix
centimes va lui constituer une magnifique fortune. Pour nous, nous
regardons faire, nous discutons, et ce n'est que quand les autres
nations, par cette importante amélioration et par toutes celles dont
elles nous donnent l'exemple, auront imprimé tout son essor à leur
industrie, que nous nous déciderons peut-être à prendre un parti qui ne
nous offrira plus alors d'aussi complets avantages, parce que nos
concurrents auront pour eux et contre nous toute l'avance que le temps
leur aura assurée.

Prendra-t-on enfin cette année un parti pour les chemins de fer? Sans
être sceptiques, nombre de gens en doutent encore. En prendra-t-on un
pour la réforme postale? Une proposition qui pourrait être améliorée a
été prise en considération par la chambre des députés, néanmoins
personne ne se flatte de la voir aboutir. Qui peut donc s'y opposer?
L'apathie, les habitudes prises, la crainte d'une réorganisation et de
ses fatigues, intérêt privé, voilà les causes véritables, mais que l'on
tait;--l'intérêt du trésor, voilà la cause sans fondement, mais que l'on
donne.

En 1839, le nombre total des lettres dans ta royaume-uni de la
Grande-Bretagne et dans ses colonies était de 75,000,000. Malgré
l'augmentation des affaires commerciales et de la population, il était,
sinon dans cette dernière aimée, du moins dans la période d'un certain
nombre des années précédentes, demeure stationnaire. On pouvait
attribuer cette absence de progrès, qui équivalait, au milieu du
mouvement des affaires, à une véritable décroissance, à la fraude
presque toujours innocente et personnellement désintéressée que
commettent les voyageurs, dont le nombre, grâce aux chemin de fer,
s'était considérablement accru. La taxe d'une lettre était graduée en
Angleterre de 20 c. à 1 fr. 40 c. La moyenne était d'environ 90
centimes. On comprend qu'il y avait quelque intérêt à éviter un droit
aussi élevé.

M. Rowland-Hill n'hésita pas à penser que la substitution d'un droit
fixe à un droit variable et progressif, qu'un abaissement considérable
de la taxe, en même temps qu'ils simplifieraient essentiellement le
service, qu'ils redonneraient la comptabilité à une sorte de compagnie,
et qu'ils augmenteraient les distributions, auraient aussi pour
inévitable effet d'augmenter le nombre des lettres par une progression
sensible et rapide; et que les recettes, après avoir, sans nul doute,
subi une dépression considérable, se relèveraient successivement et
arriveraient sans beaucoup attendre, à rendre le même chiffre au budget,
ce dernier résultat obtenu resteront en bénéfices tout le produit de
l'augmentation considérable des transactions commerciales et profitable
pour l'État auxquelles aurait nécessairement donné lieu un énorme
accroissement de correspondance.

Le chiffre de 10 centimes fut adopté. Nous croyons savoir que M.
Rowland-Hill le trouvait trop bas; mais cette réduction radicale fut
défendue par des personnages influents que M. Rowland-Hill avait
convertis à son système, et qui l'avaient adopté avec tant de chaleur
qu'ils étaient portés à le pousser plus loin même que ne le demandait
l'auteur. Ainsi, moyennant 10 centimes, un lettre va de Londres dans les
possessions de l'Inde ou au comptoir de Chine et _vice versa_.

En 1840, première année de l'abaissement de la taxe, au lieu des
75,000,000 de lettres distribuées en 1839, sous le régime précédent, on
en compta immédiatement plus du double:

        en 1840. . .    . . . 168,000,000
        en 1841. . .    . . . 196,500,000
        en 1842. . .    . . . 208,500,000
        en 1843. . .    . . . 228,500,000

Ce qui est remarquable, 'est que cette progression suit exactement,
année par année, la marche ascendante et successive qu'avait prévue M.
Rowland-Hill.--On comprend que malgré l'augmentation des lettres, dont
le nombre se trouve aujourd'hui plus que triplé, il y a une différence
fort sensible encore entre le produit d'une taxe de 10 cent., et celui
d'une taxe de 90. Mais là également les prévisions et les calculs de M.
Rowland-Hill se trouvent complètement confirmés par les faits. Il y a
donc confiance à avoir dans la série de ses hypothèses; et le jour qu'il
a prévu et annoncé ne se passera probablement pas sans que l'équilibre
des chiffres ait été rétabli.

En France, la moyenne de la taxe des lettres est de 45 centimes;
celle-ci varie de 20 centimes à 1 franc 20 centimes, laissant de côté
les lettres de commune à commune dans le ressort du même bureau, taxées
à 10 centimes, et les lettres de Paris pour Paris, taxées à 15
centimes--. Souvent il faut y ajouter le décime rural droit fixe de 10
centimes, quelque soit le chiffre du port principal.--Le tarif actuel
pour le transport de lettres est calculé pour onze zones successives.
Jusqu'à 40 kilomètres, les lettres au-dessous du poids de 7 grammes et
demi paient 2 décimes; de 40 à 80 kilomètres, 3 décimes; de 80 à 150
kilomètres, 4 décimes, et ainsi de suite. Au-dessus de 200 kilomètres,
la taxe est de 12 décimes.--Quant au poids, la lettre au dessous de 7
grammes et demi paie port simple; de 7 grammes et demi à 10
exclusivement, une fois et demi le port; de 10 grammes jusqu'à 15, deux
fois le port; de 15 à 20 grammes, deux fois et demie le port, et ainsi
de suite, en procédant par une augmentation d'un demi-port par chaque
excédant de 5 grammes. La conséquence de ce système est d'exclure de la
circulation, par la poste du moins, les lettres lourdes, pour une
distance un peu considérable.

Avant d'exposer les motifs qui plaident pour la réforme postale, nous
allons donner une idée de la manière dont se fait le service de Paris.

Tous les habitants de Paris connaissent le bureau de la poste restante,
celui des chargements, et, pour les habitants des départements, ces
parties du service ne diffèrent de celles qu'ils ont sous les yeux que
par un mouvement plus grand, une animation continuelle. Mais il y a, à
la direction générale des postes, bon nombre de portes sur lesquelles on
lit: _Le public n'entre pas ici_; et ce sont précisément celles qui, en
s'entrouvrant, laisseraient voir le spectacle le plus digne d'attention,
le plus curieux. Elles se sont ouvertes pour nous, et nous allons
pouvoir faire assister notre lecteur aux opérations auxquelles donne
lieu, au mouvement que suit la lettre qu'il vient de jeter à la poste,
ou celle que le facteur va tout à l'heure lui apporter.

Toute lettre mise à une de ces nombreuses boîtes que l'administration a
réparties dans Paris, est, à l'heure de la levée, portée au bureau de
poste sur l'arrondissement duquel elle a été jetée. Là, sur toutes les
lettres apportées, à la destination de Paris et de la banlieue, est,
avant tout, apposé le timbre qui indique l'arrondissement et l'heure de
la levée; sur toutes les lettres destinées aux départements est apposé
un timbre indiquant l'arrondissement et la date. On fait ensuite trois
paquets différents des lettres pour Paris, pour la banlieue et pour les
départements, trois natures de dépêches sont au même moments expédiées
par tous les bureaux des arrondissements à l'administration centrale, et
transportées par les omnibus des facteurs.

A l'hôtel des postes, les dépêchés pour Paris reçoivent l'empreinte d'un
timbre portant _Paris_ et la date du jour, et d'un autre indiquant la
taxe de 15 centimes et l'heure de la distribution. La rapidité de cette
opération, dont la première partie s'étend également aux lettres
arrivées des départements et de la banlieue, est véritablement
prodigieuse; on n'a eu cependant encore jusqu'ici recours à aucun moyen
mécanique; l'agilité et la dextérité de quelques employés exercés ont
suffi aux besoins du service, et ont satisfait à la célérité qu'il
exige.--Les lettres sont ensuite soumise au triage. Les paquets que les
voitures des facteurs, comme ceux que les malles-postes ont apportés,
sont subdivisés, pour Paris, entre les neuf arrondissements que compte
la capitale; pour les départements et la banlieue, entre les diverses
routes que desservent les malles-postes, et les voitures de la
banlieue.--Vient ensuite la taxation, opération plus longue que toutes
les autres, et qui cependant doit être exécutée dans un temps si court
que l'on s'étonne de la rapidité avec laquelle elle s'accomplit, et du
petit nombre d'erreurs auxquelles elle donne lieu.

Pour les deux destinations de la banlieue et des départements, le
travail, arrivé à ce point, est complet et il ne reste plus, au moment
de l'expédition qu'à envelopper chacun des paquets écrire sa
destination. Pour les lettres de Paris, au contraire, reste encore à
effectuer une subdivision qui donne lieu à un des tableaux les plus
animés que l'intérieur d'une administration puisse offrir.

[Illustration: Triage des Lettres de Paris.]

Nous avons dit que lettres pour Paris avaient été déjà été classées
entre les neuf arrondissements de poste. Il reste à subdiviser le paquet
énorme de chacun de ces arrondissements entre les facteurs qui les
desservent. Ces dépêches sont à cet effet montées dans un vaste
[illisible] sur la cour principale de l'hôtel des postes et [illisible]
sur la cour du fond. Neuf tables immenses y sont dressées, un bureau, où
sont assis trois inspecteurs, les domine. A ces neuf vastes tables,
viennent prendre place les facteurs des neuf arrondissements; leur
nombre, pour chacune de ces subdivisions, est de quinze au maximum; ils
sont sous la direction de deux chefs de brigade. Les dépêches de
l'arrondissement entier sont remises à ceux-ci, qui en donnent
immédiatement une portion à classer à chacun des facteurs assis autour
de la table spéciale au bureau qu'ils desservent, et ayant devant eux un
casier non couvert; chacun dépose dans son casier toutes les lettres du
parcours dont il est chargé, et lance dans les casiers de ses camarades,
même les plus éloignés de lui, celles qu'en triant il reconnaît être
pour leur quartier. C'est un feu croisé de lettres qui parfois
s'entrechoquent, de paraboles contraires que ces projectiles décrivent
en même temps, c'est la pluie d'un bouquet de feu d'artifice par lequel
les facteurs ne sont pas un seul instant distraits, mais qui offre le
spectacle le plus mouvant et le plus curieux à qui ne le voit pas, comme
eux se reproduire plusieurs fois par jour entre deux courses de deux ou
trois heures faites parmi temps de neige ou de canicule.

[Illustration: Triage des Lettres pour les Départements et l'étranger.]

[Illustration: Le Chargement de la Malle-Poste.]

Dans le courant de la journée, Paris a six distributions; la banlieue en
compte, plusieurs, variant en nombre selon la classification de petite
et grande banlieue; les départements en dehors de ce dernier rayon, que
l'établissement des chemins d'Orléans et de Rouen a déjà étendu au loin,
n'ont qu'un départ. Un peu avant six heures du soir, les huit omnibus
destinés à transporter les facteurs dans leurs arrondissements et à les
descendre, les uns après les autres, sur leurs parcours respectifs; les
tilburys de la banlieue, qui sont au nombre de treize, et les seize
malles-postes des départements se disposent à rouler vers leurs
destinations. Les malles-postes, attelées dans une arrière-cour
latérale, y reçoivent, dans leurs caisses de dépêches, à l'aide d'un
long conduit appelé vomissoir, dont l'une des ouvertures est placée à
l'étage supérieur, les paquets qu'elles doivent emporter. Ceci fait, et
six heures sonnant à l'horloge de l'hôtel des postes, les hommes de
service annoncent à haute voix, dans la cour principale, où attendent
tous les voyageurs qui vont monter dans les malles, la venue d'une de
ces voitures, qui ne défilent que successivement. Aussitôt les derniers
adieux s'échangent; le voyageur est invité par les hommes de
l'administration à s'arracher lestement aux embrassements des siens, et
la sensibilité de ceux-ci est bientôt distraite par la nécessité où ils
se trouvent de s'écarter vivement pour faire place à une voiture de
facteurs ou à un tilbury de banlieue qui part en même temps que le
voyageur attendri et regretté.

[Illustration: Intérieur de la grande cour de l'administration des
Postes.]

Revenons à la réforme.

[Illustrateur: Facteur de Paris.]

Une proposition a été faite à la chambre des députés par un de ses
membres, M. de Saint-Priest; mais cette proposition, l'auteur l'a avoué
lui-même, n'est pas l'expression vraie de sa pensée, de l'opinion qu'il
s'est formée par son étude de la question: c'est un moyen d'entrer en
matière, et celui qui lui a semblé le plus propre à ne pas soulever
immédiatement contre lui les partisans assez nombreux du droit
progressif. M. de Saint-Priest a proposé deux zones et deux taxes, une
taxe de 20 centimes pour toutes les lettres qui ne franchiront pas un
espace de plus de quarante kilomètres, une taxe de 30 centimes pour
toutes les lettres qui auront une plus grande distance, quelle qu'elle
soit, à parcourir. Si nous voulions combattre cette proposition, nous ne
pourrions mieux faire que de puiser nos arguments dans le discours que
M. de Saint-Priest a prononcé, sous prétexte de la développer, et où il
n'a fait néanmoins que produire des considérations et fournir des
preuves en faveur d'un autre système, le seul bon, le seul simple, le
seul pratique à notre sens, le système de la taxe unique, qu'il s'est du
reste réservé de soutenir devant la commission chargée de faire un
rapport sur son projet de taxe progressive.

La question de la réforme postale, l'auteur de la proposition l'a dit,
chez, nous se présente comme question sociale, comme question de justice
en matière d'impôt, comme question purement fiscale.

Comme question sociale, elle est digne de tout intérêt. Nos soldats de
terre et de mer, en faveur desquels il existe un adoucissement de taxe
pour les lettres à eux adressées par leurs familles, en reçoivent ainsi
600,000. Ce nombre est bien peu considérable, parce que la taxe est
encore trop forte; mais il est énorme, si on le compare à celui des
lettres de la population ouvrière, bien autrement nombreuse cependant,
mais qui ne jouit pas de cette faveur. «Trop souvent, a dit M. de
Saint-Priest, un pauvre artisan, attendait avec impatience des nouvelles
d'un enfant éloigné, est obligé de laisser une lettre à la poste, faute
de pouvoir la payer; car le prix d'une lettre est souvent pour lui le
prix d'une journée de travail; et comme pour ce malheureux il n'est
point d'avances, le prix d'une journée étant distrait de son emploi
nécessaire, la journée du lendemain est une journée sans pain.» Les
familles plus aisées elles-mêmes, par suite de l'élévation de la taxe,
regardent souvent à correspondre; les rapports du fils avec le père, de
la mère avec la fille, en sont rendus plus rares, et l'absent n'a rien à
y gagner en moralisation, «Une société, dit un auteur anglais, qui
réserve le bagne ou la prison à des commis infidèles, et le déshonneur à
la fille qui a perdu le premier des biens, cette société doit à sa
justice de multiplier, de faciliter par tous les moyens possibles ces
correspondances préservatrices de bien des erreurs, de bien des chutes,
de bien des crimes...»

[Illustration: Facteur rural.]

Au point de vue de la répartition de l'impôt, la justice est violée par
la taxe actuelle, par toute taxe progressive. On a dit qu'il était juste
qu'une lettre payât en raison des frais que son transport occasionnait:
eh bien! nous déclarons que la taxe qui existe aujourd'hui n'a point ce
prix, en quelque sorte, de revient pour base, et qu'il serait impossible,
quintuplât-on le personnel de l'administration des postes, d'arriver
jamais à une appréciation de ce genre, sans avoir à changer le lendemain
le prix qu'on aurait fixé la veille, et qui se trouverait modifié par
une adjudication de tel ou tel service de transport faite à un prix plus
élevé ou plus bas que précédemment. Les zones établies par
l'administration à l'aide d'un compas promené sur la carte sont une base
détestable pour des calculs auxquels on n'en pourra jamais donner une
bonne. Vous avez d'abord ainsi des distances à vol d'oiseau qui ne vous
font pas tenir compte des courbes sans nombre qui sont décrites pour se
rendre, par les roules royales, d'un point à un autre. Et puis, que
prouvent vos distances? est-ce que les plus éloignées ne contient pas
souvent moins à desservir que des points très-rapprochés? est-ce que
Marseille, qui donne en droits de postes 1,161,000 fr. à l'État, ne lui
coûte pas en réalité moins que le département de l'Aube, qui ne produit,
que 235,000 fr.? Vous avez en France 1,800 entreprises de dépêches: ne
sont-elles pas toutes à des prix inégaux pour les mêmes distances, parce
que ces prix sont calculés sur les relations commerciales, sur le nombre
des voyageurs? Est-ce que vous n'avez pas, pour aller à
Brie-Comte-Robert, à six lieues de Paris, un service de dépêches qui
vous est si onéreux que si vous taxiez le petit nombre de lettres qu'il
transporte en raison de la dépense à laquelle elles vous entraînent, le
droit à payer pour elles serait à coup sûr beaucoup plus élevé que la
taxe que vous devriez, en prenant là même base, fixer pour les dépêches
d'Orléans et de Rouen? Votre base est donc mauvaise: mais nous vous le
reprochons sans amertume, parce que nous reconnaissons qu'il ne peut pas
y en avoir une bonne. Dans le port que paie une lettre, moins d'un
sixième assurément peut être regardé comme lui étant imposé pour sa
dépense propre. Tout le surplus est destiné à faire face aux dépenses du
personnel général, des paquebots, au transport de la correspondance
administrative, qui est pour plus des trois cinquièmes dans la
chargement des malles-postes. Or, est-il juste de payer plus pour être
administré à Marseille qu'à Chartres? Et, dans notre système de
centralisation administrative, judiciaire, qui rend tous les régnicoles
justiciables de la cour de cassation, du conseil d'État, comme en une
autre occasion l'a fait observer M. le ministre des finances lui-même,
est-il équitable que les frais d'un procès soient rendus plus
considérables parce que le plaideur sera plus distant du centre auquel
notre organisation a tout ramené?

Mais arrivons à la question fiscale. La perte, dit-on, que le trésor va
avoir immédiatement à subir est évidente, est facilement calculable,
tandis que la compensation que vous lui promettez est incertaine et
douteuse; or, en regard de cette compensation que vous ne sauriez
chiffrer, doit être portée cette diminution de produits que M. de
Saint-Priest convient devoir être de 8 à 9 millions, et que M. le
ministre des finances, lui, estime à 12.--Il faut commencer par dégager
la question de ses accessoires. On est d'abord porté à penser qu'un
accroissement considérable dans le nombre des lettres va amener une
augmentation correspondante dans le personnel et dans le matériel
roulant de l'administration des postes, et par conséquent engendrer des
frais nouveaux; il n'en est rien. Les lettres taxées entrent pour fort
peu dans le chargement des malles, et elles seraient quadruplées qu'il y
aurait tout au plus à restreindre les transports de complaisance qui y
sont aujourd'hui autorisés. Quant au personnel des directions, s'il
subissait un mouvement, ce serait plutôt pour être réduit que pour être
accru. Qu'on se rende bien compte de la simplification de la besogne et
des opérations. Supposons une taxe fixe de 20 cent, avec tolérance de 10
grammes. Plus d'employés à la taxation des lettres; un affranchissement
presque général et opéré presque constamment, à l'avance, sans le
concours d'employés, à l'aide de petites vignettes imprimées que
l'administration ferait vendre dans ses bureaux et qu'on achèterait
comme on achète du papier timbré, par provision et pour les besoins à
venir; moins de comptables, puisque les opérations seraient presque
toutes réduites à une simple numération; moins de facteurs, car ceux-ci
n'ayant presque plus de comptes à faire avec les destinataires, dont les
lettres seraient, pour la plupart, affranchies, pourraient procéder avec
beaucoup plus de rapidité à leur distribution.

L'augmentation porterait donc uniquement sur le nombre des lettres. Mais
elle est incertaine, nous dit-on, et si vous descendez à 20 centimes la
taxe de chaque lettre, dont la moyenne est aujourd'hui de 45, il vous
faudra arriver à un nombre une fois et un quart plus considérable pour
que le budget ne soit pas en perte.--Ceci est très-vrai, mais ce qui ne
nous le paraît pas moins, c'est qu'en bien peu de temps cet équilibre
sera rétabli, et que, bientôt après, le budget des recettes y trouvera
son profit, non pas seulement par les transactions de toute espèce qui
se convertissent pour lui en droits à percevoir et auxquelles une
correspondance commerciale plus active donnera lieu, mais par
l'augmentation même du produit des postes. Que se passe-t-il en effet
aujourd'hui? Une distance de vingt myriamètres donne 61 millions de
lettres, tandis qu'une distance de cent myriamètres, c'est-à-dire une
étendue qui forme les quatre cinquièmes du territoire, n'en donne que 19
millions. N'est-il pas évident que si les relations sont plus fréquentes
entre les départements plus rapprochés, il faut néanmoins chercher, pour
expliquer une disproportion aussi énorme, une autre cause, et qu'on la
trouve doits l'élévation des tarifs? C'est, comme on l'a déjà dit, une
sorte de douane prohibitive entre les départements éloignés; c'est une
barrière qu'il faut abaisser.

Avec une taxe fixe et modérée, les 61 millions de lettres seront bien
augmentés encore. Mais nous prédisons aux 19 millions une multiplication
immédiate et énorme. Le rapport de ces deux chiffres est la plus forte
preuve que cette confiance est bien fondée.--D'ailleurs l'administration
estime à 50 millions le nombre des lettres qui sont portées en fraude et
soustraites à la taxe; l'élévation du tarif n'en est-elle pas la seule
cause, et son abaissement ne ferait-il pas rentrer la presque totalité
de ces dépêches dans les boîtes des bureaux?

M. le ministre des finances, M. le directeur général des postes, se sont
fait délivrer des lettres par MM. les banquiers du Lavis, attestent
qu'ils écrivent aujourd'hui toutes les lettres qu'ils ont besoin
d'écrire, et que la taxe serait considérablement abaissée, qu'ils
n'écriraient pas une lettre de plus. Donc, a-t-on dit, les lettres
commerciales entrant dans la correspondance pour près des sept
huitièmes, si elles n'augmente pas, l'augmentation due aux rapports de
famille sera insensible, et improductive. MM. Lacave-Laplague et Conte
se sont-ils abusés ou ont-ils voulu l'être? C'est aux banquiers qu'ils
se sont adressés pour avoir ce bon billet. Ne savent-il donc pas que les
ports de lettres élevés sont une source de profit qui n'est pas sans
importance pour quelques-uns de ces messieurs? Si dix personnes donnent
chacune à tel banquier de Paris un effet à encaisser à Perpignan,
celui-ci expédie les dix effets à son correspondant par une seule et
même lettre, et n'en fait pas moins payer dix fois 2 fr. 20 c. pour
l'allée et le retour de la correspondance. En vérité, ce jeu n'en vaudra
plus la peine quand on ne pourra plus compter que des ports de 20
centimes. Les banquiers savent bien aussi que le jour où la réforme
s'introduira à la poste, les conditions écrasantes pour les envois
d'argent, établies à leur instigation et dans leur intérêt, seront
complètement changées. Les consulter sur des abus dont ils profitent,
c'est attendre d'eux une bien grande abnégation, si ce n'est pas en
espérer des témoignages en faveur d'un état de choses qu'on sait bien
être vicieux, mais qu'on ne se sent ni la force, ni le courage, ni même
le désir de modifier. Espérons que la Chambre, qui a repoussé les
conclusions du ministre, et qui a pris, malgré lui, en considération la
proposition de M. de Saint-Priest, se livrera à une enquête plus
sérieuse. Que le commerce de Paris, ville de fabrique, de Paris,
entrepôt, que la librairie, que les négociants commissionnaires soient
consultés, et nous sommes bien convaincus que tous seront unanimes à
dire qu'il est de l'intérêt des affaires, comme il est de l'honneur du
pays, que nous ne différions pas plus longtemps d'introduire chez nous
une amélioration dont déjà ont su profiter, à des degrés différents,
l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Russie, la Bavière, le
grand-duché de Bade, la Sardaigne et la Lombardie.



Le dernier des Commis Voyageurs.

(Voir t. III, p. 70, 86, 106 et 118.)


V.

RÉVÉLATIONS.

Dix jours après ce drame mêlé de mystère, Potard faisait son entrée à
Dijon, et en foulait le pavé d'un pas rêveur et mélancolique, comme un
être marqué du sceau de la fatalité. En apparence, il était, rendu aux
affaires; en réalité, il appartenait à des obsessions qu'il ne pouvait
vaincre. Le même voile pesait toujours sur son intérieur; il avait
quitté Lyon sans que rien fût éclairci; il avait dû fuir devant une
trahison impénétrable et un silence obstiné. Aussi eût-il été difficile
de reconnaître le joyeux troubadour dans cet homme affaissé, triste,
amaigri, qui se transportait de comptoir en comptoir, de magasin en
magasin, pour y faire machinalement des offres de service. Plus de
verve, plus d'ardeur: Potard allait en tournée comme un vieux soldat va
au feu, par devoir, mais sans élan, presque indifférent au succès ou aux
revers, en proie à un découragement, incurable. Il ne savait plus
prendre parti ni pour la cannelle ni pour le cacao, laissait insulter
ses propres échantillons et leur abandonnait le soin de se défendre.

Ce qui le jetait dans cet accablement, c'était le dépit de ne savoir à
quoi se rattacher, ni à qui s'en prendre. On a vu d'intrépides soldats,
qui avaient fait leurs preuves sur les champs de bataille, contenir mal
leur trouble en face d'ennemis invisibles et de dangers mystérieux.
Potard était dans ce cas: une catastrophe réelle l'eût affecté moins
profondément que le malheur insaisissable dont il semblait être le
jouet. Cette lutte avec des fantômes l'exaspérait; sa colère, sans objet
et sans issue, se retournait contre lui et le livrait aux désordres
d'une concentration violente. Faute de pouvoir dévorer quelqu'un, il se
sentait dévoré lui-même; il s'agitait, il se consumait peu à peu sous la
tunique ardente du soupçon, triste fruit de sa surveillance. Jusqu'à ce
que sa haine pût s'attaquer à un être vivant, il était obligé d'en
contenir l'essor et d'en essuyer les ravages.

Dans ses courses au sein de la ville, Potard avait à parcourir l'une des
rues qui conduisent à l'église de Sainte-Bénigne. Là, presqu'au tournant
de la place, le voyageur s'arrêtait parfois en face d'une maison avec
boutique au rez-de-chaussée. Un mercier l'occupait alors, et se
dérobait, par la nature de ses attributions, à la compétence de Potard;
mais, sur la façade extérieure, des vestiges mal effacés attestaient que
cette demeure n'avait pas toujours été livrée aux écheveaux et aux Y de
la mercerie. Deux pains de sucre très-distincts, quoique souillés par le
temps, et ces mots lisibles encore: _Fabrique de moutarde_, révélaient
une autre période d'exploitation et une existence antérieure où
l'épicerie et la droguerie avaient régné sans partage sur ce pignon.
Sans doute le voyageur se reportait à ces souvenirs, quand il adressait
à la vieille enseigne des regards attendris et douloureux. On eût dit
que dans cette contemplation muette il cherchait une diversion aux
combats du son âme et à l'amertume qui l'inondait. Ce fut là qu'un jour,
à la suite, d'une petite séance d'émotions, il rencontra Édouard
Beaupertuis, qui débouchait précisément de la place de Sainte-Bénigne.

Le troubadour ne nourrissait alors contre Édouard aucune espèce de
défiance. On a vu qu'à la suite de sa première aventure, il s'était
assuré de l'absence du jeune homme; il en fit autant après la seconde
apparition nocturne, et son ami Eustache s'empressa de lui fournir lu
preuve que Beaupertuis, encore en tournée, exploitait alors la ville de
Strasbourg. Devenu plus soupçonneux, Potard ne se contenta pas de
demi-preuves; il voulut voir les pièces, vérifia le timbre de la poste,
s'assura enfin de l'_alibi_ comme aurait pu le faire un juge
d'instruction. Édouard Beaupertuis sortit de cette enquête avec tous les
honneurs de la guerre et entièrement réhabilité dans l'esprit du père
Potard. Aussi, en le rencontrant dans une rue de Dijon, celui-ci
s'empressa-t-il de le prévenir.

«Tiens, c'est vous, Beaupertuis! s'écria-t-il en lui présentant la main;
toujours en route, comme le Juif errant.»

Le premier mouvement du jeune homme avait trahi quelque embarras; mais
l'accueil ouvert du troubadour le mit sur-le-champ à l'aise.

«Que voulez-vous, père Potard, on traîne le boulet; les affaires sont si
dures!

--C'est parler d'or, Beaupertuis. Le voyageur est fait pour rouler comme
l'eau pour aller à la mer. Mais que vois-je?... ajouta Potard en se
passant la main sur le front comme pour écarter un mauvais rêve; est-ce
possible!... Ah! mon Dieu!... Ciel!...»

Ces exclamations, se succédant coup sur coup, étaient accompagnées d'un
bouleversement complet dans la physionomie du voyageur. Les mots
sortaient avec peine de son gosier; un air sombre et farouche avait
remplacé ses premiers sourires; son regard, empreint d'égarement,
semblait chercher sur la personne d'Édouard le mot d'une énigme
affreuse; un tremblement, nerveux agitait ses membres, et la pâleur
était descendue sur ses joues, ordinairement si colorées. Par un
mouvement brusque, il rejeta la main du jeune homme qu'il avait
jusque-là tenue dans les siennes.

«Qu'avez-vons donc, père Potard? lui dit son interlocuteur avec un
sentiment visible d'inquiétude.

--Beaupertuis! répliqua le voyageur avec un ton solennel; Beaupertuis!»
poursuivit-il en élevant de plus en plus la voix.

Puis, comme s'il se fût soudainement ravisé, il ajouta sur un diapason
plus bas et plus calme:

«Ce n'est rien, jeune homme, des éblouissements... des vertiges...
Depuis quelque temps, j'y suis sujet. On ne vieillit pas impunément;
j'expie mes vieux péchés.»

Evidemment Potard cherchait à se rendre maître de son émotion, et il y
parvint. Voici ce qui avait opéré cette révolution subite dans ses
manières: en levant les yeux sur Édouard, machinalement il les avait
fixés sur l'une de ses oreilles, et une singulière circonstance l'avait
frappé en deux endroits, le lobe portait les traces d'une déchirure.
Potard examina les cicatrices, qui paraissaient fraîches encore, et
elles lui semblèrent provenir d'un corps menu et rond comme la
grenaille. A cette révélation, rapide comme la pensée, succéda un
rapprochement entre ces blessures et le coup de feu essuyé naguère par
un mystérieux séducteur. Potard calcula qu'en raison de la position de
la porte du jardin et de la croisée d'où il avait ajusté l'ennemi,
l'oreille gauche avait pu être seule atteinte; c'était à l'oreille
gauche que Beaupertuis portait ces cicatrices. Il n'y avait plus à en
douter, Édouard était le coupable; il y avait preuve du flagrant délit.

Ces impressions, cette découverte frappèrent l'esprit de Potard avec la
vitesse de l'éclair, et il arrêta aussitôt son plan de conduite. Dans le
premier moment, la colère fut sur le point de l'emporter; mais les
conjonctures étaient délicates et l'affaire demandait des ménagements.
Il fallait obtenir des aveux, et peut-être la violence était-elle un
mauvais moyen pour y parvenir. D'un autre côté. Potard n'avait pas une
position entièrement nette: avant d'exiger des explications, il lui
restait à faire la preuve des droits qu'il avait à cette confidence.
Depuis longtemps notre héros s'était prépare à cet événement; ce secret,
qu'il avait gardé jusque-là d'une manière si scrupuleuse, allait lui
échapper; l'heure était arrivée d'une confession complète. Pour que
l'interrogatoire d'Édouard Beaupertuis n'aboutit pas à un échange de
récriminations ou à des démentis systématiques, il fallait commencer par
faire preuve de franchise et prendre l'initiative de la sincérité.
Potard avait été joué, il le sentait; il aurait pu user de représailles,
mais ce jeu offrait trop de périls et le cas était trop grave pour le
réduire aux proportions d'une revanche d'amour-propre. Il résolut donc
d'y apporter de la prudence et de la grandeur, d'aller au-devant des
objections, de mettre tous les procédés de son côté. Ainsi s'expliquent
l'empire qu'il eut sur lui-même et ce passage soudain d'une irritation
involontaire à une modération calculée. Quand il reprit la parole, ce
fut presque avec un air d'enjouement.

«Beaupertuis, dit-il, excusez-moi; je tombe de temps à autre dans des
idées noires; c'est l'âge qui me vaut cela. Et puis, j'ai sur le coeur
quelque chose qui me pèse.

--Vous, père Potard? demanda le jeune homme, dont le trouble augmentait
à chaque instant.

--Oui, Édouard, moi-même. Et tenez, je cherchais un confident! Un
confident, cela soulage! Voyons, Beaupertuis, voulez-vous être le mien?»

Sans savoir au juste où Potard voulait en venir, et quel rôle
l'attendait lui-même, en tout ceci, le jeune homme essaya de se
défendre; il opposa des excuses, prétexta des affaires, se prétendit à
jeun, imagina des rendez-vous, enfin employa mille stratagèmes pour
couper brusquement l'entretien. Mais le troubadour avait fait ton plan,
et rien ne pouvait l'en détourner.

«Je le tiens, disait-il à part lui, tu ne m'échapperas qu'à bonnes
enseignes. A mon tour, maintenant.»

Édouard eut beau faire, il ne put se dégager. Potard trouvait réponse à
tout et se montrait inflexible.

«Voyons jeune homme, disait-il, pas de mauvaises défaites. On doit bien
une demi-journée de son temps à un ancien. Vous n'avez pas déjeuné: cela
se rencontre à merveille; je suis à jeun aussi. Ah! parbleu, ajouta-t-il
en montrant sur sa gauche un bouchon d'assez pauvre apparence, voici un
coin où l'on exécute avec un certain succès l'omelette au lard; il s'y
trouvera bien une longe de veau pour assortir l'omelette, et quelques
fioles de petit bourgogne pour arroser le tout. Allons, Beaupertuis,
emboîtez le pas et suivez votre chef de file:

        En avant, marchons,
        Contre les flacons.
        A travers le choc et le bruit des bouchons,
        Volons au réfectoire!

«Ohé! la fille! s'écria-t-il en entrant dans la taverne et en poussant
devant lui Édouard, qui se résignait en victime. Tout ce qu'il y a de
mieux dans l'établissement; c'est Potard qui régale!»

A ce nom connu, la maison entière s'empressa d'accourir. On vérifia les
existences, on inspecta le garde-manger, et, à force de recherches, on
trouva la base d'un déjeuner assez passable. Le troubadour désirant un
cabinet particulier, on mit la table dans une chambre à coucher du
premier étage, d'où l'oeil plongeait sur la rue et découvrait les trois
mots: _Fabrique de Moutarde_, qui semblaient agir sur le coeur de Potard
avec la puissance d'un révulsif. Quand le repas fut servi et
l'assortiment de liquides mis à la portée des convives, le troubadour
congédia la servante, et, sous l'empire d'un pomard du meilleur
millésime, il commença son histoire:

RÉCIT DE POTARD.

«Jeune Beaupertuis, dit-il, la philosophie enseigne à l'homme la
nécessité de dominer ses passions, et voilà pourquoi cette science ne
fait pas généralement fortune. C'est au point que les philosophes n'en
usent pas pour leur compte et se contentent de l'expliquer aux autres
humains avec la manière de s'en servir. De là il faut tirer deux
conclusions: la première c'est que tout fils d'Adam a quelque chose sur
la conscience; la seconde c'est qu'en raison de ses fautes il doit se
montrer indulgent pour celles du prochain.

«A ces deux vérités, claires comme de l'eau de roche, j'en ajoute une
troisième qui ne l'est pas moins, c'est qu'au nombre des sentiers que
parcourt l'homme ici-bas, il n'en est point qui soit plus glissant que
le sentier des voyages. Je ne veux pas remonter à Joconde ni à
Télémaque, parce que vous m'opposeriez peut-être le jeune Anacharsis.
Restons dans le dix-neuvième siècle, qui a tant amélioré le voyageur de
commerce, au point de vue de l'anatomie descriptive et de la physiologie
comparée. Le voyageur de commerce est une création de notre époque; non
que l'antiquité en ait ignoré les éléments, témoin le joaillier Chardin
qui enfonça, dans le dix-septième siècle de notre ère, le grand empereur
de Perse pour une partie d'émeraudes; témoin encore le marchand
d'orviétan Marco Polo, qui refit, au treizième siècle, le farouche khan
des Tartares, dans une affaire de thériaque; mais si l'on retrouve le
voyageur de commerce dans ces temps éloignés de nous, on peut dite que
c'est comme exception, comme théorie, presque comme mythe. Défiez-vous
donc, Beaupertuis, de ces rats d'érudition qui se servent des anciens
pour faire passer la vie dure aux modernes; méprisez leurs textes et
privez-vous avec délices de leurs opinions. Le voyageur de commerce
appartient au dix-neuvième siècle comme la vapeur, comme la navigation
aérienne, comme les pompes intimes en caoutchouc, comme les phalanstères
et autres inventions destinées au soulagement de l'humanité.

«Dès l'origine, jeune homme, l'institution a jeté tout son éclat, et je
crains quelle ne soit sur le chemin d'une décadence. Permettez-moi d'en
donner deux motifs, l'un matériel, l'autre moral. Motif matériel; le
chemin de fer. Vous le savez, le chemin de fer tend chaque jour à se
substituer aux routes ordinaires, et le wagon menace tous les véhicules
connus, depuis l'humble coucou jusqu'aux superbes messageries. Supposez
donc la France couverte d'un réseau de chemins de fer; du train dont on
les mène, c'est une supposition sans danger. Vous allez de Paris à Lyon
en cinq heures, de Marseille à Paris en dix, de Bayonne à Lille en
Flandre en dix-huit heures. Entre le lever et le coucher du soleil, vous
coupez la France dans sa plus longue diagonale. Très-bien! j'admire avec
vous le génie contemporain; il ne lui reste plus qu'à prendre la lune
d'assaut au moyen de ballons de siège. Mais, après cet hommage rendu à
l'esprit de découverte, j'ajoute:--Adieu le voyageur de commerce! Avec
le chemin de fer, son règne expire; que serait-ce avec le ballon? En
effet, grâce à la rapidité des communications, chaque négociant sera son
propre voyageur. Dans la même journée, on achètera à Marseille une
partie de poivre et on la revendra à Toulouse; on sera le matin sur les
quais de Bordeaux, le soir à la Bourse de Paris; on fera un tour de
France en une semaine. Le bourgeois même, moins épicier qu'en général on
ne le suppose, usera du chemin de fer dans l'intérêt de ses
approvisionnements; il ira acheter son beurre à Isigny, ses rillettes à
Tours, son saucisson à Arles, son miel à Narbonne, ses pieds de cochon à
Sainte-Menehould, ses haricots à Soissons, ses fromages au Mont-d'Or,
ses pâtés de foies à Strasbourg, ses poulardes au Mans, ses côtelettes à
Pressac, ses huîtres à Cancale. Or, je vous le demande, au milieu de ces
excès de la locomotion, que deviendra le voyageur de commerce? Il ne lui
restera plus qu'à se présenter sous la roue d'un wagon et à périr en
jetant l'ennemi hors de ses rails. Voilà le motif matériel qui pousse à
la décadence du voyageur.

«Le motif moral est plus grave encore. Le voyageur n'est plus national;
son coeur ne bat plus au mot magique de patrie. Beaupertuis, vous êtes
jeune, vous n'avez pas connu ce beau temps du voyage, ce temps où il fut
porté si haut et devint un quatrième pouvoir. C'est le voyageur de
commerce qui a fait la révolution de Juillet et expulsé la riche
[illisible] du territoire français. Ne riez pas, jeune homme, ce que je
vous dis est très sérieux. A cette époque, tout voyageur était une
puissance, un des mille conducteurs de ce patriotisme électrique qui
ruisselait dans toute la France. Que de Bérangers j'ai ainsi colporté
jusque dans les plus petits hameaux! que de portraits de Manuel, de
Lafayette et du général Foy j'ai répandus sur ma route! Il faut rendre
cette justice à l'institution, Beaupertuis, que nous étions tous alors
de chauds patriotes ennemis de la tonsure, tous, depuis le voyageur
soieries jusqu'au voyageur en peaux de lapins. Pas d'exceptions, pas la
moindre; la tiédeur n'était pas même permise. Pour ma part, j'ai fait
aux jésuites un tort dont ils ne se relèveront jamais, par la manière
dont je chantais _les Hommes Noirs_, avec tous les refrains et
embellissements dont la chose est susceptible. Vous connaissez sans
doute cette plaintive romance, Beaupertuis»?

--Qui ne la connaît pas, père Potard? répliqua le jeune homme.

--Eh bien! jugez de l'effet! Je l'ai filée deux mille fois au moins à
table d'hôte, sans compter les diligences et les sociétés particulières.
Comment voulez-vous qu'une congrégation résiste à de pareils moyens?
Aussi l'ai-je mise en poudre; et c'est votre faute, enfants, si elle
reparaît à l'horizon. Oh! le beau temps, Édouard, le beau temps! quel
enthousiasme! comme on s'entendait alors, et quelle intelligence dans
l'attaque! Rien ne se faisait sans nous: on nous voyait à la tête de
toutes les manifestations publiques. Nous avons créé le champ d'asile,
doté les fils du général Foy, renversé de Villèle, chassé de Polignac.
Pas d'invention qui ne passât par nos mains: les chapeaux à la Bolivar,
les tabatières Touquet, les écharpes à la Pluthellène. Et Napoléon, que
ne nous doit-il pas! Lui avons-nous prodigué les apothéoses! Je ne sais,
grand homme, si dans ta demeure dernière, tu es enchanté de tes anciens
aides de camp, généraux, maréchaux et fournisseurs du vivres; mais à
coup sûr tu n'es pas mécontent du voyageur de commerce. Il se peut même
que là-bas tu aies eu connaissance de la manière dont Potard lisait des
sons en ton honneur, et compté les larmes qu'il extirpait des yeux de la
multitude quand il chantait;

        Pauvre soldat, je reverrai la France,
        La main d'un fils me fermera les yeux;

ou bien:

        Parlez-nous de lui, grand'mère,
        Grand'mère, parlez-nous de lui.

«Napoléon, tu as balancé dans mon coeur l'épicerie et la droguette, et
je me flatte que c'est un beau succès.

«Mais pardon, Beaupertuis, je m'abandonne malgré moi à mes souvenirs.
Que voulez-vous! l'esprit de nationalité enflammait alors nos poitrines,
et il y avait de l'écho dans toutes les tables d'hôte quand on parlait
d'honneur et de patrie. Ce monde n'existe plus; la politique s'est
retirée de l'institution. Nous étions des citoyens alors, aujourd'hui
nous ne sommes que des carotteurs. Le marchand de chaînes de sûreté et de
pastilles du sérail est devenu notre égal: comme nous, il _allume_
l'acheteur et fait l'article avec succès. Le voyageur ne passe plus sur
les balances de nos destinées; les événements se succèdent sans qu'on
s'inquiète de ce qu'il en pense. N'est-ce pas là une chute morale des
plus affligeantes? Hélas! nous vivons en un siècle où tout s'en va,
dieux, rois, maîtres de poste, chapeaux de castor et réverbères: est-il
étonnant que le voyageur de commerce prenne le même chemin?»

XXX.

(_La suite à un prochain numéro.)



Carthagène des Indes

SOUVENIR DE L'EXPÉDITION DIRIGÉE PAR LE
CONTRE-AMIRAL DE MACKAU EN 1834.

(Suite et fin.--Voir tome III, pages 74 et 128)

Nous nous mîmes en quête, parcourant l'édifice du haut en bas, ouvrant,
heurtant toutes les portes, le tout inutilement. Tout un cheminant,
j'appris que ces chercheurs d'aventures étaient deux officiers de
_l'Héroïne_ et le second chirurgien de _l'Astrée_ qui, fort ennuyés de
la longueur du blocus, avaient tenté l'aventure de la montagne. Nous
inscrivîmes nos noms au plus haut du monastère, avec la pointe de nos
poignards; puis, après nous être désaltérés à la citerne, non sans
crainte d'avaler quelque crabe, nous nous préparâmes à regagner le
rivage.

Nous avions inutilement fureté partout sans réussir à rencontrer
quelqu'un, et certes il n'eut pas fallu un grand effort de superstition
pour attribuer notre apparition de la terrasse à quelque spectre d'abbé
mécontent de nos rires impies. Au moment d' entamer la descente, je
voulus faire les honneurs de ma mule à l'un de ces messieurs; il n'y
consentit qu'à condition de monter en croupe; mais nous avions compté
sans la Nubia. A peine eut-elle senti ce surcroît d'impôt sur son
échine, qu'elle mit à régimber de la plus rude façon.

Il fallut descendre sous peine d'être désarçonné, et une fois rendue à
son état normal, la mule redevint docile.

Nous descendîmes un à un, la mule en tête. Je recommandai à mes
compagnons d'emboîter scrupuleusement le pas avec la monture pour éviter
de s'enfoncer dans les fondrières. Nous cheminâmes avec beaucoup de
précaution lorsqu'un bruit croissant derrière nous, nous fit tourner la
tête. Nous aperçûmes alors un cavalier roulé dans un large manteau,
descendant à fond de train sur un petit cheval créole; le canon d'une
carabine en bandoulière brillait derrière son chapeau de paille à large
bords. Il approchait si rapidement que c'est à peine si les trois
officiers eurent le temps de se ranger sur le côte du chemin. Nous
avions la main sur nos armes, en garde contre quelque attaque
inattendue; mais l'inconnu passa, avec la promptitude de l'éclair, au
milieu de nous sans dire un mot. Il s'évanouit comme un fantôme au
détour d'un massif qui bordait le sentier.

«C'est le diable! s'écria l'un des jeunes gens.

--Eh! non, reprit un autre; c'est la garnison qui va se coucher.»

Je fis part alors à ces messieurs de la recommandation du général Lopez,
et Dieu sait combien de quolibets plurent sur ces malheureux Colombiens,
durant le temps que nous mîmes à descendre. Quelque généreuse que soit
la nation française, c'est rarement par le sarcasme qu'elle épargne les
vaincus.

Arrivés sur le rivage, mes compagnons, dont les navires étaient les plus
rapprochés de la côte, s'embarquèrent pour les rejoindre. Le dernier
canot de _l'Atalante_ était parti depuis longtemps, et, mouillée comme
elle l'était à plus d'une lieue de la ville, je ne pouvais songer à y
rentrer cette nuit. Je me rendis donc à l'hôtel du gouverneur, où je
savais qu'un lit m'attendait. Tout le monde était couché, j'en fis
autant, et la fatigue ne tarda pas à opérer sur mes sens un effet aussi
prompt que l'avait produit le matin la lecture du Camoens.

Le lendemain de grand matin je me rendis à bord de la frégate. A peine
rentré, l'amiral me fit mander; quand je me présentai à lui, je devinai,
à sa physionomie sévère, qu'il se préparait à me tancer d'avoir
contrevenu à ses ordres en demeurant à terre. Heureusement les détails
que je lui donnai le satisfirent: en effet, tout confirmait ses
espérances d'un dénouement pacifique. Peu de jours après, la réponse
désirée arriva enfin de Bogota: elle était conforme au voeu et à la
dignité de la France. Intimidé par le langage de l'amiral et l'attitude
menaçante des bâtiments français, le gouvernement grenadin avait enfin
compris qu'il était de son intérêt de céder. Voici quelles étaient les
conditions imposées: 1º des excuses sur ce qui s'est passé seront faites
à l'amiral à bord de la frégate portant son pavillon, en présence des
officiers du consul et des principaux habitants de Carthagène; 2° le
consul sera réinstallé et indemnise de ses pertes; 3º le pavillon
français, réarboré sur la maison consulaire, sera salué de vingt et un
coups de canon par les batteries du la place. Cet ultimatum fut accepté.
En conséquence, tout fut préparé à bord de _l'Atalante_ pour recevoir de
la manière la plus éclatante la satisfaction accordée par le
gouvernement de la Nouvelle-Grenade.

II faut avoir vu un navire de guerre de premier rang en grande toilette,
pour s'imaginer ce qu'il y a à la fois de brillant, de majestueux, de
coquet dans l'ensemble de ce pont éblouissant de blancheur, de ces
caronades luisantes comme des souliers de bal, de ces vergues
admirablement dressées, de ce gréement net et bien roidi sur les
passavants; dans la batterie sont rassemblés auprès des pièces, à leur
poste de combat, les cinq cents marins de l'équipage, vêtus de leurs
chemises blanches avec de petits collets bleus et des écharpes rouges; à
l'arrière, l'aspect sévère des uniformes des officiers contraste avec
l'éclat du costume des matelots. Les cuivres de l'habitacle et des
claires-voies, les faisceaux de piques et de haches d'abordage pétillent
au soleil. C'est une pompe militaire, et le pavillon semble dérouler ses
riches couleurs avec plus de majesté que de coutume. Chacun est plus
sérieux; on se parle à voix basse, mais une satisfaction contenue se
peint sur tous les visages, car la solennité de cette journée réveille
au fond du coeur le sentiment de la nationalité, et l'on est fier d'un
triompha noblement et justement acquis.

Dès le matin, tout ce qu'il y avait de Français habitant Carthagène,
ainsi que les état-majors des quatre autres bâtiments composant la
station, s'étaient réunis à bord de la frégate amirale. Le pont était
couvert de monde. A une heure, on signala la barge du général. En un
instant, tout le monde fut à son poste, et l'amiral attendit son hôte,
entouré des cinq commandants de la division et de la foule des curieux.

Quand don Hilario Lopez parut sur le pont, M. de Mackau fit quelques pas
au-devant de lui, l'accueillit et l'invita à descendre dans la galerie.
Nous les suivîmes, et ce fut là qu'au milieu d'un silence imposant, M.
de Mackau, ayant le consul M. Barrot à sa droite, écoula le discours du
général colombien, qui fut fait en espagnol, et traduit ensuite en
français. Le général témoigna dans les termes les plus explicites le
regret qu'éprouvait son gouvernement des offenses qui motivaient la
réclamation de la France, et exprima l'espoir que, par suite de la
démarche qu'il faisait en ce moment, une parfaite harmonie serait
rétablie entre les deux nations.

La réponse de l'amiral fut faite avec une rare dignité; en voici les
termes:

«J'accepte, monsieur le général, au nom de mon gouvernement, les excuses
et les regrets que vous avez reçu l'ordre de m'exprimer de la part du
gouvernement de la Nouvelle-Grenade, à l'occasion des événements
pénibles qui ont eu lieu à Carthagène les 27 juillet et 3 août 1833. Je
me plais à penser comme vous que le temps et le souvenir de la conduite
généreuse de la France en cette circonstance, ne feront que fortifier
les rapports de bonne intelligence et d'amitié qui vont se trouver
rétablis entre nos deux pays.»

Cette scène impressionna vivement tous les assistants. Quand le général
colombien prononça les paroles de soumission qui lui avaient été
dictées, une rongeur passagère colora son front pâle. C'était vraiment
pitié de voir ce brave mulâtre à la figure grave, sur la poitrine de qui
brillaient les médailles de toutes les batailles de l'indépendance,
ainsi contraint par le devoir à s'humilier pour effacer l'outrage commis
par un autre.

La réconciliation une fois scellée, la bonté naturelle de l'amiral, son
exquise affabilité, adoucirent l'amertume de cet abaissement momentané.
Il fit visiter _l'Atalante_ au général, et lui en expliqua lui-même tous
les détails. Celui-ci admira la belle tenue de l'équipage et du
bâtiment, et put se convaincre, en examinant de près ce formidable
armement, qu'en effet son gouvernement avait pris le parti le plus sage.
Quand don Hilario Lopez prit congé de l'amiral redescendit dans sa
barque, son départ fut suivi de la salve de coups de canon due à son
rang.

Durant toute cette scène, un respect religieux mêlé d'une vive émotion
nous avait tous tenus silencieux. Le bruit des conversations recommença
aussitôt avec les félicitations réciproques sur l'heureuse issue de
cette affaire. Bientôt après, une escadrille d'embarcations se prépara à
quitter le bord à la suite de l'amiral, qui allait réinstaller le consul
et rendre au gouverneur sa visite.

Les eaux bleues de la baie de Carthagène furent en un instant sillonnées
par une élégante flottille de canots. C'était plaisir de voir les tentes
blanches et les drapeaux tricolores ondoyer en glissant sous un ciel
étincelant de lumière. On jouta de vitesse, et nous ne tardâmes pas à
entrer dans la ville. Une foule nombreuse attendait au débarcadère; les
balcons étaient combles de dames parées, qui semblaient, elles aussi,
fort disposées à se réconcilier. Il est vrai que depuis longtemps la
solitaire Carthagène n'avait reçu dans son sein une telle multitude de
jeunes officiers à la tournure dégagée, à l'allure militaire, et ces
dames pensèrent sans doute qu'il serait de mauvaise politique
d'accueillir de si beaux garçons en ennemis.

A l'arrivée chez le consul, les couleurs françaises furent hissées sur
le balcon, en grande solennité, et saluées par les batteries de la
ville. Un quart-d'heure après, l'amiral se rendit, suivi de ses
officiers, chez le gouverneur, qui se montra en grand uniforme, assis
sous un dais, entouré, de son état-major. Les messieurs se levèrent
quand l'amiral entra; ils nous cédèrent leurs sièges avec de grandes
démonstrations d'amitié, et de nombreuses poignées de main furent
échangées. Très-peu savaient le français, ce qui tempéra beaucoup la
vivacité de la conversation; cependant, ceux qui possédaient notre
langue firent preuve d'une instruction variée; l'un d'eux semblait fort
au courant des fastes de notre marine: avec un raffinement de diplomatie
digne d'un plus grand théâtre, il nous rappela le brillant fait d'armes
d'un jeune aspirant français. S'étant trouvé appelé, par un concours de
circonstances assez ordinaire à la guerre, au commandement provisoire de
son brick, cet officier fut charge d'une mission importante. A peine
a-t-il repris la mer, après avoir rempli son devoir, qu'un navire
anglais est signalé. L'occasion était trop belle pour qu'un marin de
vingt et un ans, avide de gloire, la laissât échapper. Le brick anglais
est attaqué et pris au bout d'une heure d'un rude combat. Le brick
français se nommait _l'Abeille_, l'anglais amariné par lui s'appelait
_l'Alacrity_, et le précoce vainqueur était Armand de Mackau.

Un splendide repas fut offert à l'amiral, et de nombreux tostes à la
prospérité des deux nations furent portés en cette occasion. Le soir,
quand nous revînmes, par une belle unit calme, à bord de _l'Atalante_,
la frégate anglaise qui était venue surveiller l'affaire salua le
passage des embarcations par une sérénade en règle, où figuraient la
Marseillaise obligée et la Parisienne. Pour leur rendre la politesse,
nous entonnâmes de notre mieux le _God save the King_ avec des voix un
peu altérées par les libations de la journée. On sait que partout où
s'arrête un bâtiment de guerre français, on est sûr le lendemain de voir
flotter auprès de lui le pavillon de Saint-Georges. Les Anglais furent
prodigues de démonstrations amicales à Carthagène, et à la Jamaïque, où
l'amiral fit une ensuite courte visite, nous n'eûmes aussi qu'à nous
louer de leur accueil.

[Illustration: Don Hilario Lopez, gouverneur de Carthagène des Indes en
1834.]

Du jour de la réconciliation data pour toute la division une ère de
plaisir et d'indépendance; les huit jours qui s'écoulèrent jusqu'au
départ de la frégate furent une suite non interrompue de bals, de dîners
et de petites fêtes. Les gracieuses Colombiennes déployèrent toutes
leurs séductions pour garder aussi longtemps que possible des hôtes
aussi précieux. Outre les frais d'amabilité que faisaient nos officiers
dans la bonne compagnie, la facilité à dépenser, et l'insouciance
propres aux marins, avaient fait de la présence de tant d'hommes une
source de prospérité pour le peuple.

Ces dames avaient tellement réussi à enchaîner nos officiers que, s'ils
eussent été les maîtres, beaucoup d'entre eux eussent jeté l'ancre pour
longtemps dans cette Cythère du nouveau monde. Ce qui charmait le plus
nos jeunes gens, après l'attrayante familiarité des femmes, c'étaient
ces danses interminables, dont on ne peut jamais se lasser, parce qu'on
y trouve sans cesse un nouvel aliment à la volupté et au désir. La danse
espagnole ne ressemble en rien à la contredanse française, si froide et
si guindée, et cela s'explique facilement: le mobile de celle-ci est la
vanité; du moment où, à l'exemple du fameux Trénis, le danseur n'a plus
ambitionné la gloire du pas de zéphyr et du jeté-battu, la contredanse
est devenue le plus insignifiant des plaisirs. Au contraire, la
contredanse espagnole semble avoir été créée pour inspirer et favoriser
l'amour; le pas est toujours le même, mais très-simple; à chaque instant
les mains se joignent, les tailles s'enlacent; des balancés lents et
voluptueux préparent à l'ivresse de la valse, des pauses prolongées
vis-à-vis l'un de l'autre donnent un champ libre à l'éloquence des
regards; et, enfin, la danse terminée, le droit conquis par le cavalier
de conserver le bras de sa dame, donne l'occasion aux préférés ou aux
habiles d'accomplir en une soirée telle conquête qui à coûterait dans
nos réunions cérémonieuses tout un hiver de travaux.

Parmi les maisons où nous trouvâmes l'accueil le plus empressé, nous
comptions celle d'un vénérable sénateur de la république. Don Pedro
Nunez régala les officiers d'un grand bal et d'un concert dans lequel la
musique d'amateurs écorcha nos airs nationaux avec une rare intrépidité.
La senorita Teresa, dont les yeux noirs et la grosse dot firent une
assez vive impression sur quelques-uns, aborda la _Marseillaise_ en
français avec un aplomb et un accent qui faillirent plus d'une fois
compromettre notre gravité diplomatique. Nous n'avions garde de rire,
car le beau sexe se serait cette fois déclaré contre nous et la brouille
eut été sérieuse. Je ne dois pas omettre de dire que le senor Nunez
était un nègre pur sang et que la charmante Teresa avait le teint cuivre
rouge d'une franche mulâtresse.

[Illustration: Expédition de Carthagène des Indes, en 1834--Entrevue du
vice-amiral de Mackau et du général Lopez, à bord de la frégate
française _l'Atalante_.]

On conçoit que nos jeunes officiers, sevrés de plaisirs par leur vie de
reclus errants, s'échappassent vers la ville aussitôt que le permettait
le devoir. Quelques vieux loups de mer, de ceux qui prétendent que la
terre n'est bonne qu'à perdre les navires, murmuraient seuls de cette
dissipation passagère et s'obstinèrent à rester à bord. Les matelots, de
leur côté, couraient des bordées par bandes de quinze à vingt, semant
les piastres parmi cette population affamée, qui accueillait avidement
ses joyeux vainqueurs, comme une manne tombée du ciel. Parfois, le soir,
je les rencontrais, lorsqu'ils regagnaient leurs canots, se tenant par
le bras et occupant toute la largeur de la rue, battant les murs et
lançant aux voûtes désertes du palais de l'inquisition les hardis
refrains de Béranger. Les soldats colombiens les regardaient avec un
étonnement stupide; jamais le contact de nos hommes ne put les faire
sortir de leur sobriété habituelle. Des deux parts la discipline fut si
ponctuellement observée, qu'en une occasion seulement deux ou trois
matelots s'oublièrent jusqu'à rosser la patrouille qui voulait les
arrêter.

Il fallut cependant partir. M. de Mackau, durant les huit derniers
jours, avait pu s'assurer par lui-même de la bonne situation recouvrée
par le consul et les Français établis à Carthagène. Au moment du départ,
l'amiral reçut du général Lopez une lettre qui fait ressortir
honorablement la noblesse de caractère et l'estime mutuelle dont firent
preuve ces deux officiers supérieurs en cette difficile occasion. Cette
lettre est devenue un document historique, et nous cédons à l'envie de
la citer ici:

«Général,

«Il m'est très-agréable de vous offrir l'épée et le bâton de
commandement qui ont été les insignes de ma vie publique. Ils n'ont
d'autre mérite que d'être demeurés purs entre mes mains en tout temps et
dans toutes les circonstances, pendant la guerre comme en temps de paix,
et d'avoir appartenu à un soldat fidèle à sa patrie et à ses devoirs.
Veuillez, je vous prie, monsieur le baron, les accepter comme une preuve
de mon estime pour votre personne.

«Hilario Lopez»

Le 1er novembre, _l'Atalante_ appareilla pour la Jamaïque; bien des
soupirs se mêlèrent à la brise du départ; quelques aspirants au coeur
novice encore versèrent même des larmes. Par les belles nuits du
tropique, tandis que la frégate, légèrement inclinée, glissait paisible
et comme immobile sur une mer murmurante, sous le souffle égal de la
brise alisée, les jeunes gens couchés en groupes sur la dunette, les
yeux errants sur le dôme étoilé où fuyait à perte de vue l'immense
pyramide des voiles argentées du navire, échangèrent longtemps les
confidences et les récits de merveilleuses aventures. Chacun emportait
un souvenir de cette terre romantique. Chacun en particulier avait
promis de revenir, et pourtant tous se disaient maintenant que sans
doute nul d'entre eux ne remettrait le pied dans cette Carthagène
mélancolique, reléguée dans un coin solitaire du globe, reflet obscurci
du passé, tombeau dont l'inscription disparaît déjà sous les mangles du
rivage.

Le troisième jour de notre départ, j'étais appuyé sur les bastingages,
les yeux flottants sur l'Océan, qui nous enserrait de son immense
anneau. J'étais triste sans savoir ce que je regrettais; quand on est
jeune, l'âme prend racine partout où elle s'arrête. L'aide de camp de
l'amiral, qui cherchait depuis quelque temps à l'horizon avec la
lunette, me dit de lever les yeux. J'aperçus alors à une hauteur
prodigieuse, tranchant sur les tons argentés du matin, des plaques
blanchâtres étincelantes avec des reflets azurés. C'étaient les cimes de
Sainte-Marthe, couronnées sous l'équateur de neiges éternelles, que nous
découvrions à vingt lieues dans l'est. Ce fut notre dernier adieu à
l'Amérique du Sud.

Alexandre de Jonnès.



Nivellement de Paris et du département de la Seine.

TRAVAUX D'ASSAINISSEMENT EXIGÉS PAR LES
FORTIFICATIONS.

L'administration fait poser, dans les rues et les places de la capitale,
des plaques en fonte dont le dessin ne manque pas d'élégance, et qui
portent une inscription indiquant la hauteur du point où elles sont
fixées au-dessus du niveau de la Seine, et en même temps au-dessus du
niveau de la mer.

Voici le modèle d'une de ces inscriptions. Celle-ci est placée sur le
parapet du quai de la Mégisserie, en face de l'ancienne arche Marion.

[Illustration; Plaque (légende illisible).]

La pose de ces plaques, scellées dans les assises inférieures des
édifices dont la destination et la construction solide garantissent la
durée, est le résultat d'un travail considérable exécuté par les soins
de l'administration municipale pour établir le nivellement général et la
configuration du sol de Paris. Déjà, il y a quelques années, une
pareille opération avait en lieu; mais les plaques qui avaient été
apposées, dont les dimensions étaient plus exiguës et la forme beaucoup
plus simple, ne portaient aucune inscription compréhensible. Rien n'en
révélait l'usage ou le but. Utiles seulement pour les opérations
administratives, elles n'apprenaient rien à la population.

[Illustration: Plan général de relief des environs de Paris.]

[Illustration: Coupe du sol de Paris du nord au sud, de la plaine
Saint-Denis à la barrière de l'Enfer.]

[Illustration: Coupe du sol de Paris de l'ouest à l'est, de la plaine de
Passy à la barrière du Trône.]

[Illustration: Coupe du sol de Paris de la barrière de Vaugirard à
Belleville.]

Nous approuvons le nouveau modèle adopté. Sans doute, quelques personnes
s'étonneront peut-être qu'on apprenne ainsi aux passants et aux flâneurs
qui s'arrêtent sur les quais et les trottoirs, à quelle hauteur ils se
trouvent précisément au-dessus du niveau de la mer. Mais, sans parler de
l'utilité d'une semblable indication pour toutes les opérations
relatives à l'établissement des seuils, à la direction et à l'écoulement
des eaux, à l'assainissement de la ville, l'inscription intelligible à
tous, gravée sur ces plaques, a l'incontestable avantage d'en rendre
également intelligibles à tous l'usage et la destination. Elle servira
sans doute à les préserver de la destruction rapide qui a fait
disparaître la plus grande partie de leurs devancières, dont le public
ne comprenait pas le but. Ensuite, pourquoi hésiterait-on à faire
pénétrer dans le peuple quelques-unes des notions de la science devenues
usuelles, et mises désormais à son niveau? Loin de perdre à cette
diffusion, à cette vulgarisation, la science au contraire ne peut qu'y
gagner, Le sol de la ville de Paris, qui offre une configuration
générale très-régulière, présente cependant dans son nivellement des
variations partielles dont l'étude et la connaissance étaient
indispensables pour parvenir à une distribution régulière des eaux et
des ouvrages d'assainissement. Ce travail considérable est terminé,
grâce à la persévérance et aux lumières de l'administration municipale.
Mais ne serait-il pas d'une égale utilité qu'une opération semblable fût
exécutée hors de l'enceinte des barrières, qui peuvent bien être une
limite administrative, mais non une limite aux travaux utiles et aux
améliorations?

Nous appelons d'autant plus vivement l'attention sur ce point, que
l'exécution des fortifications rend indispensable, d'après la
configuration générale du sol, l'exécution très-prompte de travaux
considérables d'assainissement. L'élévation du département de la Seine
au-dessus du niveau de la mer est de 21 mètres 50 centimètres; la nature
du sol est la même que celui du vaste bassin de la Seine dont il fait
partie. La base est formée de calcaire marin grossier (pierre à bâtir)
dont les masses énormes s'étendent sous la plupart des communes
environnantes, principalement toutefois sur la rive gauche, et pénètrent
sous Paris jusqu'à la Seine. Sur les rives du fleuve se trouvent des
cailloux roulés, des terrains atterrissement et de transport, qui
forment les plaines des sablons et de Boulogne, tandis que du nord à
l'est s'élèvent les collines de Montmartre, Belleville et Ménilmontant,
entièrement composées de gypse (pierre à plâtre). Des terrains d'eau
douce forment les plaines de Saint-Denis et de Vincennes.

Le relief du sol, ainsi composé géologiquement, est remarquable. Paris
occupe le fond d'un bassin presque circulaire, entouré de collines: au
nord, les hauteurs de Belleville, de Chaumont, de Montmartre, du
Mont-Valérien, se relient avec les éminences de Passy, de Chaillot, de
l'Étoile, des Faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin; au sud, celles de
Meudon, Bagneux, Sceaux, Villejuif, s'abaissent pour former les plateaux
de Bicêtre, de Gentilly, de Montrouge, et pénètrent dans l'intérieur de
Paris pour y former la montagne Sainte-Geneviève.

[Illustration: Anciennes plaques indiquant la hauteur du sol à Paris]

Le plan que nous joignons ici, qui dessine le relief de Paris et de la
banlieue, fera mieux comprendre encore cette description sommaire. Pour
ne pas le surcharger inutilement aux yeux, nous n'y avons indiqué en
chiffres que la hauteur des points principaux qui accusent le plus
nettement la configuration du sol, sans inscrire le numéro des
différentes courbes de nivellement que nous y avons tracées. Nous les
avons rétablies sur les trois coupes transversales qui suivent. Nous
devons avertir que, pour rendre le relief plus sensible, nous avons dans
ces coupes calculé l'échelle de niveau décuple de l'échelle de longueur.

Dans le plan général ci-dessus, les chiffres indiquent la hauteur en
mètres, sans fractions de centimètres, des différentes élévations du sol
au-dessus du niveau de la Seine. Ce niveau, fixé par le 0 d'étiage du
pont de la Tournelle, est à 24 mètres 30 centimètres au-dessus du niveau
de la mer; deuxième chiffre qu'il faudrait ajouter au premier, pour
connaître l'élévation totale au-dessus de ce dernier niveau.
L'indication donnée est donc celle de la hauteur réelle. Mais, pour
donner une idée complète des formules employées dans les travaux de
nivellement, nous avons établi les coupes transversales d'après les
courbes de nivellement adoptées par l'administration municipale. Chaque
sonde de nivellement part d'une ligne fictive représentant un plan
horizontal au-dessus du sol, et le numéro de la sonde indique le plus ou
le moins de hauteur du point qu'elle rencontre; ainsi, contrairement au
chiffre porté sur le plan, plus le numéro de nivellement est élevé, plus
le sol est bas.

L'examen de ce plan et de ces coupes montre que les barrières actuelles
reposent, pour la plus grande partie, sur des éminences qui enferment
circulairement Paris, et vont en s'affaissant progressivement tant dans
l'intérieur qu'à l'extérieur; car, à l'exception des buttes des
faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin et de la montagne
Sainte-Geneviève, qui appartiennent à la charpente géologique du Sol
souterrain, les autres éminences intérieures, telles que celles de
Saint-Hyacinthe et de l'Estrapade sur la rive gauche, et sur la rive
droite, la butte des Moulins, de Bonne-Nouvelle, du Petit-Carreau, des
Petits-Pères, Meslay, etc., n'ont été formées que de terres rapportées.
Ce sont d'anciennes voiries, et elles doivent leur élévation aux gravois
et aux décombres qu'on y entassait sans cesse.

Sauf ces légers ressauts qui interrompent l'uniformité de son relief, le
sol de Paris forme donc un vaste bassin dont le mur d'enceinte actuel
couronne la crête. Au delà le sol s'incline de nouveau pour se relever
encore et former une seconde enceinte de collines, plus hautes
généralement que les premières.

C'est précisément entre ces deux ceintures qu'a été tracée l'enceinte
bastionnée qu'on exécute aujourd'hui, et dont la ligne ponctuée sur
notre plan représente le contour. Le fossé se trouve donc creusé dans
une partie basse relativement aux terrains environnants.

On conçoit aussitôt les conséquences de ce tracé. Les eaux des communes
et des villages compris entre le mur d'octroi actuel et l'enceinte
fortifiée ont leur écoulement naturel indiqué d'une manière
irrésistible. Elles se dirigent toutes vers les bastions, dont le fossé
se trouverait ainsi le réceptacle de tous les égouts de la banlieue.

Cet état de choses, dont nous ne pensons pas qu'on se soit encore
occupé, présente une haute gravité. Il est impossible que le fossé des
fortifications, qui manque déjà lui-même d'un écoulement suffisant, soit
inondé de ces eaux croupissantes qui le rendraient un foyer d'infection.
Cependant, emprisonnées comme elles le sont entre les hauteurs qui
forment les boulevards de Paris, et, qui leur barrent nécessairement le
chemin de la Seine, et le mur de fortification qui coupe la plaine, quel
sort attend les communes rurales, puisque la voie naturelle d'écoulement
leur est interceptée?

Il y a là une question d'une haute importance sur laquelle se fixera
sans doute l'attention du gouvernement. Nous ne savons quels travaux
d'assainissement il y aurait lieu d'exécuter; mais il semble au premier
aspect que dans la plus grande partie de la ligne il serait
indispensable d'établir un égout latéral qui conduise à la Seine les
eaux que les fossés de l'enceinte ne peuvent ni ne doivent recevoir.



[Illustration: Le Juif errant, Caricature par Cham.]



Modes.

Les premières toilettes du printemps semblent indiquer que les hautes
garnitures auront encore la vogue; dans les promenades, au bois, au
salon, nous voyons des robes de soie à deux grands volants, presque
posés à plat, brodés en soie au point de chaînette à dents découpées;
une seconde broderie semblable se trouve au-dessus, à un demi-doigt de
distance; le corsage, très-peu ouvert, en coeur devant, a un revers
brodé de même que les volants; les manches sont justes à jockeys en
biais brodés.

Pour petite toilette de campagne, nous avons vu chez mademoiselle
Clorinde Lelong cette robe en amazone fermée par une rangée de boutons.

[Illustration.]

Chez soi, pour les matinées qui sont encore fraîches, il faut avoir une
robe de chambre en cachemire garnie de passementerie.

[Illustration.]

Les écossais sont délicieux de fraîcheur, on en fait des robes de
promenade, soit à deux volants, couvrant presque entièrement la jupe,
soit garnies de rubans devant ou des côtes. Souvent aussi, et cela est
très-bien, on ne pose qu'un seul grand volant ayant au bas et à la tête
une ruche de ruban assorti à l'étoffe de la robe.

On porte beaucoup de chapeaux de paille à jour, ainsi que des capotes de
soie avec ornements de paille.

[Illustration.]

Les mantelets se portent toujours; mais jusqu'à présent leur coupe et
leur garniture diffèrent peu de celles de l'année dernière. Les taffetas
glacés sont préférés pour mantelet du matin; le mantelet du soir est
joli en mousseline, doublé de soie, entouré d'une dentelle posée à plat
en revers.

Les parures du soir n'offrent pas de grandes nouveautés, mais elles se
complètent par de petits détails qui leur donnent un aspect tout neuf.
La tunique, par exemple, emprunte tantôt une coupe à l'empire, tantôt
une coquetterie au siècle dernier quelquefois elle est en gaze légère,
relevée çà et là par des bouquets; une autre, à deux jupons fermés, aura
sa seconde jupe relevée de côte par une guirlande de roses trémières
variées de couleurs, qui viendra se terminer à la ceinture. Quant aux
tuniques de satin et de pékin, la dentelle est leur plus bel ornement
aussi est-elle souvent employée, et toujours avec succès; les dessins de
dentelles gothiques font toujours mieux s'ils sont posés à plat, car de
cette manière les yeux peuvent suivre la riche élégance d'une guirlande,
et les merveilleux jours dont elle est ornée.



Rébus.

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.

On assure que les forts qui entourent Paris auront, l'un portant
l'autre, trois cents pièces d'artillerie.

[Illustration: Nouveau rébus.]





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 0061, 27 Avril 1844" ***

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