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Title: L'Illustration, No. 1594, 13 Septembre 1873
Author: Various
Language: French
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*** Start of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 1594, 13 Septembre 1873" ***


L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL

[Illustration.]

REDACTION, ADMINISTRATION,
BUREAUX D'ABONNEMENTS
32, rue de Verneuil, Paris

31º Année.--VOL. LXII.--Nº 1594
SAMEDI 13 SEPTEMBRE 1873

SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
60, rue de Richelieu, Paris.

Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel,
broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.

Abonnements
Paris et départements: 3 mois, 9 fr.;--6 mois,
18 fr.;--un an, 36 fr.; Étranger, le port en sus.


[Illustration: PARIS.--Découverte de sépultures anciennes dans les
fouilles du boulevard Saint-Marcel.]



SOMMAIRE

Texte: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert
Audebrand.--La Cage d'or, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite).--Les
Théâtres.--Bulletin bibliographique. Histoire de la Colonne (cinquième
et dernier article).--Nos gravures.--Les mystères de la Bourse: le jeu
de la Bourse:--Monument commémoratif élevé dans la cour de l'École
forestière de Nancy.

Gravures: Paris: découverte de sépultures anciennes dans les fouilles du
boulevard Saint-Marcel.--Souvenirs de la captivité: les turcos.--Types
et physionomies d'Irlande: un intérieur irlandais.--Un marchand de
jouets à Pékin;--Un cordonnier ambulant à Pékin.--_Cendrillon_, d'après
le tableau de M. James Bertrand (Salon de 1873).--Les pasteurs de
Beni-Hassan (Haute-Égypte).--M. de Bourbon, se disant petit-fils de
Louis XVI.--L'expédition de Khiva: un cimetière kirgisse;--Le lac
Koundi.--Promenades archéologiques (3 gravures).--Monument commémoratif
de la guerre élevé dans la cour de l'École forestière de Nancy.--Rébus.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE

Nous ne savons s'il faut ranger dans la catégorie des nouvelles à
sensation dont l'imagination des journalistes s'est montrée si prodigue
depuis quelque temps, le bruit mis en circulation par un journal qui ne
publie d'ordinaire ses informations qu'à bon escient: «On nous donne,
dit le _Temps_, une nouvelle importante que les articles récents des
journaux légitimistes faisaient déjà pressentir: le cabinet du 24 mai,
reconnaissant que la restauration de la monarchie est impossible avec
les prétentions bien connues du comte de Chambord et les dispositions
également notoires de la majorité de l'Assemblée, serait résolu à
proposer soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de plusieurs
députés, une prorogation des pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon pour cinq
ans.

«Quant aux lois constitutionnelles, le gouvernement les examinerait et
les discuterait au même point de vue que MM. Thiers et Dufaure,
c'est-à-dire au point de vue du fait républicain à maintenir à
organiser.»

Malgré une note de l'agence Havas, datée de Versailles et déclarant que
jusqu'à présent le conseil des ministres n'avait pris aucune
détermination au sujet de la prorogation des pouvoirs du maréchal de
Mac-Mahon, le _Temps_ persiste dans ses affirmations; il ajoute même que
le maréchal-président, dont les dispositions avaient d'abord paru
douteuses, se serait déclaré prêt à accepter cette prorogation et que,
dans la pensée du gouvernement, l'Assemblée se séparerait après avoir
voté la loi électorale.

Nous n'avons pas besoin d'insister sur la gravité du fait que signale le
_Temps_, s'il est exact. Ce ne serait rien moins, en effet, que le
cabinet de Broglie reprenant pour son compte la politique de M. Thiers.
Resterait à savoir si la majorité suivrait le cabinet dans un pareil
changement de front et si elle n'y répondrait pas par un nouveau 24 mai.

En attendant, l'attention du conseil des ministres s'est portée sur les
élections complémentaires destinées à pourvoir aux sièges vacants à
l'Assemblée nationale et pour une partie desquelles les délais de
convocation légaux vont expirer. Les journaux de la droite voient avec
peine arriver cette échéance inévitable et s'efforcent de répondre par
avance aux suggestions des feuilles républicaines, qui en escomptent les
résultats.

Nous n'entreprendrons pas de résumer les subtilités de toutes sortes
auxquelles les journaux se laissent aller à ce sujet; qu'il nous suffise
de citer, comme une des plus curieuses, cette théorie émise par le
_Français_, et d'après laquelle il n'y aurait pas lieu de convoquer les
électeurs dans un département lorsqu'une seule vacance se serait
produite dans sa représentation.

Nous n'avons pas parlé, jusqu'à présent, des troubles survenus en
Algérie parce que leur importance avait été évidemment exagérée, et que
d'ailleurs les renseignements positifs faisaient défaut. Une
correspondance officieuse de l'agence Havas nous apprend qu'en effet, le
calme est complètement rétabli dans notre colonie, mais que le général
Chanzy, gouverneur général de l'Algérie, vient d'être appelé à
Versailles pour conférer avec le conseil des ministres sur les mesures à
prendre pour assurer le maintien de l'ordre, mesures parmi lesquelles il
serait question de faire figurer la mise en état de siège de la province
d'Alger. Des désordres d'une autre nature ont éclaté sur la frontière de
notre colonie, mais cette fois parmi des tribus marocaines, et le
général commandant la province d'Oran a dû prendre des mesures pour
assurer l'inviolabilité de notre territoire, tout en observant la plus
stricte neutralité dans un conflit qu'il n'appartient pas à l'autorité
française de faire cesser.


AUTRICHE.

La _Gazette de Vienne_ vient de publier un rescrit impérial en vertu
duquel la Chambre des députés est dissoute.

Le rescrit ordonne en même temps des élections nouvelles et convoque le
Reichsrath futur pour le 4 novembre. On sait qu'une loi votée il y a
quelque temps a remplacé l'ancien système électoral par celui des
élections à deux degrés au lieu de trois. Cette loi sera donc appliquée
aujourd'hui pour la première fois. Le parti fédéraliste s'est préparé de
longue date à la lutte qu'il va soutenir contre le parti
constitutionnel, et de nombreux indices tendent à faire supposer qu'il a
de grandes chances pour lui.


ESPAGNE.

La crise ministérielle que les nouvelles d'Espagne faisaient prévoir
depuis quelques jours n'a pu être conjurée. M. Salmeron a déclaré aux
Cortès qu'en présence du maintien par l'Assemblée de la peine de mort,
il croyait devoir donner sa démission. M. Castelar a été élu président
du pouvoir exécutif par 133 voix contre 67 données à M. Pi y Margall.

M. Castelar a inauguré son pouvoir par des actes dont la vigueur a
produit le meilleur effet, et les Cortès paraissent très-disposées à le
seconder dans sa pénible tâche. Elles viennent de voter à l'unanimité
l'urgence pour plusieurs mesures extraordinaires proposées par le
gouvernement: appel de toute la réserve, amende de 5,000 pesetas contre
les réfractaires, emprunt de 100 millions de pesetas (environ 108
millions de francs), et il n'est pas douteux que ces mesures ne soient
adoptées. Le nouveau président du pouvoir exécutif peut compter sur
l'appui de l'administration qui l'a précédé. M. Salmeron, qu'il remplace
et qui n'a quitté ses fonctions que pour un dissentiment sur une
question particulière, a accepté la présidence des Cortès qui ont été
unanimes sur son élection. On assure, d'autre part, que le maréchal
Serrano ne refusera pas le commandement de l'armée, du Nord qui lui est
destiné. L'opinion publique est d'ailleurs favorable au gouvernement qui
vient de se former, il peut compter sur l'appui de la nation.



COURRIER DE PARIS

Un jour, Lamennais agité par l'esprit prophétique annonçait quinze ans
d'avance la révolution de Février. Il disait dans un petit livre
éloquent et terrible «Posez la main sur la terre et dites-moi pourquoi
elle a tressailli.» Je ne suis pas prophète. Je ne viens pas, Dieu
merci! vous prédire une révolution nouvelle; c'est bien assez de celles
que nous avons déjà sur les bras. Pourtant j'ai à vous indiquer un grand
événement: «Enfin, voici le moment du retour!» comme chante ou à peu
près Eléazar dans la _Juive_, musique d'Halévy.

Septembre touche déjà à la moitié de son cours. Les hirondelles
commencent à se faire signe pour l'heure du départ. Tout mue dans le
paysage. Sur les bords de la Loire et du Rhône, les pampres
s'empourprent d'un rouge sang-de-boeuf. On reprend les pardessus ouatés,
en vue des rhumatismes. Ceux qui ont dépassé la soixantaine arborent le
cache-nez. Tout académicien ne se couche pas avant d'avoir, pris un lait
de poule. On voit les auteurs dramatiques se frotter les mains d'aise,
en ce que les recettes de théâtre sont sur le point de doubler. En
province et à l'étranger on n'entend plus qu'un choeur: «Rentrons à
Paris.»

Ceux ou celles qui font mine de demeurer au pied des monts ou dans le
creux d'un roc sont entraînés par l'exemple. Ne voyez-vous pas combien
le soleil s'est attiédi? Il est des endroits où l'on ne le prendrait
plus que pour un bec de gaz. Il est bien évident qu'on ne vit plus ou
plutôt qu'on ne va plus vivre qu'à la ville. Quittez les plages,
désertez les casinos. D'ailleurs les prévoyantes mamans sont là pour
dire:

--Ah! voilà l'automne qui nous touche déjà de ses _ailes humides_ (vieux
style) soir et matin, le ciel est couleur d'ardoise. N'avez-vous pas
ressenti le premier frisson de la mi-septembre? Voyez donc,
mesdemoiselles, voyez donc! Les petites dentelles des mantilles sont
remuées par le vent comme des feuilles jaunies. Partons, rentrons.

Ainsi, à l'heure où je vous parle, sur toutes les lignes de chemin de
fer, on ne rencontre que caravanes de revenants. Quatre mois de
villégiature ou d'hydrothérapie ont heureusement vermillonné les joues
des jeunes femmes. On a fait provision de santé. On s'est écarté pendant
cent vingt jours, je devrais dire cent vingt nuits, de l'atmosphère des
bals, des soupers, des thés, des concerts, des théâtres, des réceptions,
de tout ce qui surmène l'esprit, brûle le sang, rougit les yeux et met
des rides invisibles au coeur. On s'est rajeuni. On n'a plus voulu
penser. On s'est engraissé. On est presque redevenu jeune. Ce serait une
excellente métamorphose si l'on ne devait retomber dans la fournaise
d'où l'on s'était échappé en juin, mais on y revient, je vous l'ai dit,
et l'on y revient en toute hâte. Ah! ce Paris, toujours maudit, comme on
le revoit avec plaisir!

Mon Dieu, non, les déclamations à la J. J. Rousseau n'y feront rien.
Tout ce beau monde sera toujours heureux de retrouver, après le riant
exil des champs ou de la mer, la ville du bruit, du gaz, de la fumée, du
lucre, du jeu, des disputes, du plaisir, de la poussière, de la gloire,
de la mode, du scandale, du beau langage, de l'argot, du macadam, de
l'élégance, du sans-gêne, de la tromperie, des clubs, de l'esprit, de la
routine, de l'audace, des petites brochures et des petits bons mots.
Durant l'été, on a marché sur le sable de Pornie, sur les sentiers
creusés dans les Pyrénées, à Royan, à Vichy, à Trouville, sur les
escarpements du mont Dore. Comme il va être agréable de reposer
prosaïquement le pied sur cet asphalte des boulevards où l'on sait si
bien causer!--Qu'est-ce qu'il y a de neuf?--Le dernier mariage?--Le
dernier procès en séparation de corps?--La dernière faillite?--Le
dernier duel?--Le dernier roman?--La dernière fourberie de biche se
moquant d'un gommeux?--La dernière caricature?--Le dernier complot?--Le
dernier succès, prose, vers, musique ou peinture?--Le dernier coup de
sifflet?--Le dernier épisode du dernier bac?--Et puis, comme tout cela
ressemble à cette manne qui tombe du ciel pour nourrir Israël dans le
désert, fraîche le matin, déjà immangeable à midi; aussitôt que le
chapelet est épuisé, on passe à la brochette des nouvelles de demain.

Les bains de mer auront eu, cette année, un succès inusité; Bade, que
nous bouderons longtemps, ne reçoit plus de visiteurs français; Aix,
Ems, Spa, ne voient guère que nos têtes folles; mais je ne sais comment
cela se fait, la mer entre chaque jour un peu plus dans le mouvement
mondain. Il paraît qu'on y écorche un peu moins les baigneurs qu'on ne
le fait dans les stations thermales en renom, et c'est bien déjà quelque
chose. Nos médecins aussi y contribuent. C'est si vite fait d'écrire sur
une ordonnance: «Allez à la mer!»

Mais parlons de la rentrée dans Paris. Il y a une remarque à faire:
Villégiature, voyages, promenades, séjour dans les villes d'eau, bals
par-ci, concerts par-là, rencontres à la table d'hôte ou sur la marge
verte des vallées, tout cela ne compte pas. Pour les heureux du jour, ce
n'est qu'une échappée d'un instant dans la vie de bohème. Aussitôt qu'on
est de retour, on s'entend vite à reprendre le train de ses habitudes.
Une fois à la gare, on ne joue plus la comédie des politesses banales
avec le premier venu qu'on avait eu pour voisin de robinet à Cauterets
ou à Uriage. On ne salue plus personne, on ne donne plus de cigares à
personne; on ne mange plus en face de personne, on ne _voisine_ plus
avec le premier venu; on est redevenu soi. On reprend sa liberté tout
entière. On est à Paris.

Un grand sujet d'étonnement chez les imbéciles, c'est de voir, après le
rapatriement opéré, que ceux et celles qu'on avait rencontrés à cent
cinquante lieues du boulevard ne vous connaissent plus. Pendant un mois
et plus, on a vécu intimement sans doute, mais, que voulez-vous? C'était
dans les gorges des Pyrénées, dans un pays d'ours. On se rendait à la
source ensemble. On buvait presque dans le même verre. D'accord. On
était à tu et à toi. Eh bien, ici, tout à coup, ni vu, ni connu. On
jette à peine un regard embrouillé à cette silhouette à laquelle on se
frottait tous les jours, et l'on se dit à demi-voix: «Où diable ai-je
donc vu cette _binette_-là?--_Binette_ est un mot très-usité dans le
beau monde du présent. Il en est qui disent _trombine_. «N'est-ce pas
cette _trombine_ avec laquelle j'ai fait une partie d'ânes à la dernière
saison de Plombières?»

Quelques rencontres ont pourtant un contrecoup dans un certain
monde.--Un jour, on était à cinq ou six à voir tomber une cascade, comme
celle qu'on nomme, par exemple, le cirque de Gavarnie.--On ébranchait
des plantes de la montagne.--On se parla d'abord des yeux et puis par
gestes.--Et puis, en quelques minutes, à la dérobée, au détour du
sentier, on a échangé une promesse ou une fleur.--Ah! les fleurs, quels
complices des coups de canif dans le contrat!--Roses des haies,
pervenches, violettes, oeillets, gueules-de-loup, le grand Artisan qui
vous a fait est toujours pour quelque chose dans les aventures qu'on
vous reproche!--«Gardez cette églantine jusqu'au prochain bal de
l'ambassade ottomane.--Rapportez-moi ce volubilis à la sauterie que le
vieux général de N*** donne le samedi d'après la Toussaint.»

Si les échos des Alpes et du Canigou se mettaient à être indiscrets,
vous en entendriez de belles!

Tandis que les uns reviennent, les autres s'apprêtent à partir. C'est
ainsi que Pertuiset se dispose à nous quitter avec les deux cents
chevaliers couverts de cottes de maille à la tête desquels il va aller à
la conquête de la Terre-de-Feu. Heureux Pertuiset! L'intrépide tueur de
lions ne demandait qu'une quarantaine de coopérateurs; il s'en est
présenté douze cents. Il a fallu trier. Quand l'expédition arrivera au
détroit de Magellan, elle se composera de deux cents Européens, plus le
service de santé. Deux vapeurs chaufferont et l'on s'élancera sur l'île
des Feugiens. A la fin de l'aventure chacun des soldats sera
millionnaire ou mangé.

Avant Pertuiset, d'autres jeunes hommes, se trouvant à l'étroit dans
notre petite Europe, se sont jetés dans des entreprises de cette nature
et y ont réussi. Aux États-Unis, en Angleterre et en Espagne, on vous
racontera l'odyssée merveilleuse de MM. Arnous de Rivière et Diaz Gana.
Il y a cinq ans, ces deux autres Jasons avaient organisé une expédition
dans le désert d'Atacama, en Bolivie, pensant y rencontrer des mines
d'argent. Personne ne voulait croire au succès. On objectait qu'il n'y
avait par là ni eau, ni bois, ni fruits, ni gibier, ni poisson; que tout
y était aride et que les voyageurs y crèveraient de faim. Tout cela ne
découragea pas les organisateurs. Grâce à eux, quarante mineurs et
soixante mules chargées d'eau et de vivres prirent la route du désert.
Pendant trois mois, les explorateurs eurent à souffrir des fatigues et
des privations sans nombre, mais ils n'en découvrirent pas moins de
nombreux gisements argentifères. Quand ils revinrent on les croyait
morts et enterrés. Ils retournèrent avec des ingénieurs; Diaz Gana
vendit sa part de trouvailles un million et demi de piastres fortes
(7,500,000 francs); M. Arnous de Rivière a cédé la sienne pour près du
double. Mais que de misères ils avaient essuyées! Que de combats avec
les éléments, ou avec les bêtes fauves, ou avec les sauvages! Que de
privations! Jugez du fait par un seul détail. L'eau était plus rare que
ne l'est chez nous le chambertin. Une mule en buvait pour quinze francs
par jour. Les autres choses étaient à l'avenant. Mais voyez le résultat:
une double fortune de nabab, et ce coin des Amériques désormais ouvert
au commerce européen.

Pertuiset veut appliquer la même énergie dans la conquête de la
Terre-de-Feu. Là aussi il y a beaucoup de mines, du guano, du cobalt, du
plomb, du charbon de terre, des fourrures. Oui, mais l'essentiel est de
n'être pas mangé à la croque-au-sel par les naturels du pays, qui sont
la fleur des anthropophages. L'an dernier, ces autochtones se sont
emparés de deux jeunes officiers de la marine anglaise, ils les ont
scalpés, découpés, salés, afin d'en faire un régal pour leurs jours de
fête. Chacun des membres de la nouvelle expédition connaît ce détail. Il
n'y aura donc pas à biaiser avec les indigènes. Il paraît que les ours
de l'endroit ne sont pas non plus d'une bien vive tendresse. Il y a de
même des morses, dit lions de mer, qui ne se piquent point davantage
d'avoir la moindre mansuétude dans le caractère. Mais qui ne risque rien
n'a rien. La vie de conquérant a des risques. Tout _rifleman_ doit
mettre sa peau en jeu cent fois par jour.

Un sage ne manquera pas de traiter de folie au premier chef cet amour
immodéré de l'or, qui pousse au delà des mers, sur des blocs de glace ou
dans des déserts l'élégant qu'on a vu la veille, chez nous, se promener,
le cigare à la bouche, sur le boulevard des Italiens. Sans doute c'est
une folie, mais c'est celle de la fin de notre XIXe siècle. Ceux qui
entraient dans la vie active il y a quarante ans obéissaient à d'autres
tendances. Ils vivaient pour l'art, pour l'idéal, pour la gloire, trois
mots sonores, brillants, peut-être vides de sens, que nous sommes en
train d'expulser de notre vocabulaire usuel. Célestin Nanteuil était de
ceux-là. Avez-vous jamais vu de près ce grand garçon, blanchi par l'âge,
qui vient de mourir à Marlotte, en pleine forêt de Fontainebleau? Dès
1829, il suivait de près Victor Hugo et sa bande si hardie. Il fallait
voir avec quelle bravoure il dirigeait les jeunes barbes de bouc à la
première représentation d'_Hernani!_ Il a fait partie de ce cénacle
fantasque et si poétique de la rue du Doyenné, dont Gérard de Nerval a
raconté l'histoire dans la _Bohème galante_. Il y a aidé Théophile
Gautier à mettre en scène une pièce de Scudéry, Édouard Ourliac à faire
un costume de capitan et Arsène Houssaye a à faire cuire des oeufs sur
le plat, car ces demi-dieux mangeaient parfois de temps en temps comme
de simples mortels. Le beau temps! La belle vie! Les amusants
enfantillages! Mais ce n'étaient que des enfantillages.

Célestin Nanteuil, voyant déjà quelques fils d'argent se mêler à sa
barbe, comprit qu'il y avait pour l'homme social moderne autre chose que
de la rêverie, l'amour des beaux vers, le culte de la forme; et de son
crayon, qui n'avait jamais été remué que par le caprice, il fit un outil
utile, un gagne-pain. Commençant par l'illustration, par
l'approvisionnement de la boutique des imagiers, il dessina un peu plus
en grand un jour. Il exposa plusieurs belles pages, d'après les maîtres,
notamment le _Baiser de Judas_. Il y a quelques années, il était
directeur du musée de Dijon. La mort l'a frappé, ainsi que je l'ai dit,
en pleine forêt de Fontainebleau. Pour un artiste, c'était tomber sur le
champ de bataille.

Au reste, cette semaine a été plus nettement funèbre. Les deuils y sont
nombreux. Désiré, des Bouffes-Parisiens, a succombé aussi. Comment!
allez-vous dire, ce gros bonhomme si réjoui, toujours prêt à nous faire
rire?--Eh bien, oui, Désiré est tombé bien prématurément. Vous le
rappelez-vous dans le Jupiter d'_Orphée aux enfers?_ Ne l'avez-vous pas
entendu dans l'alcade des _Bavards?_ Rien qu'à sa vue la salle éclatait
dans une incroyable explosion d'hilarité. Il y a eu aussi un jeune
romancier, Louis Gondall, l'auteur du _Martyr des Chaumelles_ et de
quelques paysanneries. Il y a eu encore M. Charles Clément, auteur d'une
comédie en vers intitulée: l'_Oncle de Sycione_. (Celui-ci est mort
subitement, en mangeant une pêche, à peu près comme Anacréon en avalant
un grain de raisin.) Il y a eu enfin un suicide, celui d'un jeune
sculpteur, M. Hervé Desmonts, que la misère a effrayé, que l'insuccès a
découragé. Des chasseurs l'ont trouvé pendu à un arbre de la forêt de
Sénart, avec un billet dans lequel il disait «qu'il n'avait pas de place
au soleil». Il n'a pas dit vrai. Une place au soleil, on en trouve
toujours une quand on la mérite, quand on la gagne, quand on sait être
patient. Mais il faut, pour l'avoir, faire quelque chose de plus
difficile que de se tuer; il faut lutter, avoir foi en soi, endurer la
faim, la soif, l'injure, l'oubli, l'injustice, il faut endurer ces mille
morts qu'on appelle la vie d'artiste.

Par bonheur, pour nous faire oublier tant de faits lugubres, voici qu'on
annonce un livre tout plein de gaieté, d'esprit, de belle humeur. Ce
sont les _Mémoires de Paul de Kock_, 400 pages de confidences intimes du
plus joyeux des romanciers. Il m'a été donné de jeter un rapide coup
d'oeil sur cet ouvrage posthume de l'auteur de _Monsieur Dupont._--Toute
la vie de Paul de Kock est là, depuis la mort de son père, le banquier
hollandais, tué par Sanson sur l'échafaud parce qu'il était l'ami
d'Anacharsis Clootz, d'Hébert et aussi celui de Dumouriez, jusqu'à
l'éducation du futur écrivain; depuis l'histoire d'un premier roman
jusqu'à celle de son dernier conte. Je vous laisse à penser quels
charmants et intéressants chapitres vous trouverez là-dedans. Henry de
Kock, le fils de l'auteur, a ajouté vingt pages curieuses sur les
derniers moments de son père; l'éditeur, E. Dentu, a voulu aussi qu'un
beau portrait gravé sur un acier fût annexé à ce volume. Bref, les
_Mémoires de Paul de Kock_ ont tout ce qu'il faut pour piquer vivement
la curiosité.

C'est par le pauvre Célestin Nanteuil que nous avons entendu un soir, il
y a quinze uns de cela, la jolie histoire que voici:

En ce temps-là, c'était au commencement du second empire, Horace Vernet
habitait Versailles. Un matin, l'artiste voyait entrer dans son atelier
un marchand de tableaux. L'industriel portait sous le bras gauche un
sac, avec ces mots écrits sur la toile: mille francs.

On ne voyait alors que des pièces de cent sous ou à peu près.

L'homme avait l'air dégagé et vainqueur.

--Mon Dieu, monsieur, dit-il à l'auteur de la _Smalah d'Abd-el-Kader_ en
posant négligemment son sac, je viens vous demander un service, argent
comptant, bien entendu. Je voudrais absolument avoir quelque chose de
vous, la moindre pochade, moins que rien, ce que vous voudrez. Je vous
en donne mille francs.

--Mais je n'ai rien chez moi, monsieur, répondit le peintre.

--Tenez, dit l'autre, ce petit croquis?

Et il va décrocher une petite toile de quelques centimètres,
représentant une scène de la vie de troupier, sujet toujours cher à
Horace Vernet.

--Donnez-moi ça, ajouta-t-il. Ça fera mon affaire. Mais vous y ajouterez
quelques petites retouches.

--Attendez, répondit le peintre. Voulez-vous me rendre un service à
votre tour? Je n'ai personne chez moi et il faut que j'envoie deux mots
à un ami qui demeure à côté. Portez-moi la lettre que je vais faire et
vous me rapporterez la réponse.

--Volontiers, dit l'autre.

Quelque temps après, en effet, le marchand revint avec la suite du
message. Horace Vernet décachette la réponse à sa lettre. Il en retire
deux billets de mille francs; puis, les montrant au brocanteur:

--Tenez, lui dit-il, on me donne deux mille francs du tableau dont vous
me donniez mille seulement. J'ajoute qu'on ne me demande pas de
retouches.

Le marchand sortit furieux.

--Ces artistes! disait-il, du jour où ils ont de la réputation, ils sont
intraitables. Qu'il me tombe un jeune talent inconnu et il me paiera ça!

Philibert Audebrand.



[Illustration: SOUVENIRS DE LA CAPTIVITE.--Les turcos.]

[Illustration: TYPES ET PHYSIONOMIES D'IRLANDE.--Un intérieur
Irlandais.]



LA CAGE D'OR

NOUVELLE

(Suite)


C'était en vérité un peu trop d'audace à un homme à obrosk qui n'était
encore ni trop jeune, ni trop beau, de souhaiter la rose de la Tverskaïa
pour compagne; mais je l'aimais tant que j'espérais toujours que mon
amour me tiendrait lieu de ce qui me manquait. Je me suis trompé, et
bien que je t'en veuille un peu d'avoir dissimulé tes légitimes dédains
sous le vain prétexte de l'horreur que le servage t'inspirait pour les
enfants qui seraient venus de nous, je suis pour toi sans colère.

--Pauvre Nicolas, murmura Alexandra de plus en plus attendrie.

--Patiente donc davantage, continua le marchand, regagne ta demeure et
attends à demain; demain, je te le jure, tu pourras revenir dans cette
maison, sinon sans péché, du moins sans crime.

--Que voulez-vous dire?

--Je veux dire que si largement que Dieu m'ait mesuré la mansuétude et
la résignation, le fardeau dont il charge mes épaules est encore trop
lourd pour que je te supporte; je veux dire que si ma tendresse me donne
le courage de te pardonner, ma douleur ne me laisse pas sans haine
contre celui qui plus que toi l'a causée. L'amour dont je te parlais
tout à l'heure m'avait inspiré le mépris de tout ce qui n'était pas toi:
la liberté je ne la revendiquais que pour t'obéir. Mes richesses, si
péniblement, si laborieusement conquises,--celui qui t'attend te le
dira,--j'ai voulu les sacrifier tout à l'heure, peut-être avec quelque
regret, mais du moins sans hésiter. J'avais alors une idole et une foi
qui m'eussent tenu lieu de tout ce que j'aurais perdu. La foi est morte,
l'idole est dans la boue; n'ayant plus rien à attendre, rien à espérer
dans ce monde, je lui dirai adieu sans regret; mais avant de le quitter,
le vermisseau va se redresser, entends-tu, femme, et s'il ne peut
atteindre que le talon de celui qui l'écrase, il y laissera du moins
l'empreinte de ses dents.

--Il y a un mois, dit Alexandra avec amertume, votre résolution de
révolte embrassait davantage; Dieu veuille que celle qui vous anime soit
plus sincère que ne l'était celle-là.

Nicolas comprit le reproche; mais il reprit sans hésitation et sans
embarras:

--Oui, je t'ai trompé, je t'ai menti, femme, lorsque j'ai feint de
m'associer à des projets que condamnait ma raison. Je t'ai menti parce
qu'ayant mesuré le degré d'avilissement auquel l'esclavage a réduit les
nôtres, je savais que pour un bras qui m'eût promis son appui, j'aurais
trouvé cent bouches pour vendre mon secret. Je t'ai trompé parce que
j'avais conscience de l'impuissance du pauvre marchand dont tu avais
rêvé de faire le chef d'une aussi gigantesque entreprise. Aujourd'hui
encore, désespéré, disposé à faire bon marché de ma vie, je ne me
laisserai point tenter par cette tâche au-dessus de mes forces. Ce ne
sera point l'émancipation d'un peuple que je poursuivrai, ce sera ma
vengeance; le but n'est pas éclatant sans doute, mais il est sûr.
L'oppression séculaire dont j'aurai été une des victimes ne s'abîmera
pas avec moi, mais j'entraînerai un des oppresseurs dans la tombe. Un
noble m'a pris ton amour, tout à l'heure je le tuerai! Et maintenant,
femme, sache-le bien, l'heure où tu pouvais douter de mes paroles est
passée; quitte cette maison, pars, va-t'en sans prononcer une parole,
sans tourner la tête; n'essaye pas de prévenir ton amant du sort qui
l'attend, car le renard s'est changé en loup, et dans ce cas, deux
victimes ne seraient pas de trop pour sa rage!

Cette fois, il n'y avait plus à douter de la sincérité de Nicolas
Makovlof; elle s'imposait non moins par les mouvements de sa physionomie
que par l'accent qu'il avait mis dans ses menaces; cependant, loin
d'être effrayée, la jeune femme paraissait heureuse de l'entendre parler
de la sorte; elle l'écoutait avec une avidité singulière, et sans que
son visage, traduisit d'autre sentiment que celui d'une émotion
attendrie.

--Ah! s'écria-t-elle enfin, puisqu'il fallait ce suprême outrage pour
t'arracher à la lâche torpeur dans laquelle tu croupissais, Nicolas, je
bénis Dieu pour m'avoir infligé la douleur de le subir.

--Alexandra! je ne te comprends pas!

--Maintenant du moins, poursuivit la jeune femme, dont les grands yeux
devenus humides jetèrent un double éclair, s'il faut mourir, je
descendrai dans la tombe la main dans la main de celui auquel
j'appartiens, et sans être en reste avec lui d'estime et peut-être
d'amour.

--Tais-toi, tais-toi, par pitié! s'écria le marchand éperdu, de telles
paroles achèvent d'égarer ce qui me reste de raison. D'ailleurs,
pourquoi mentir? Cet ordre insolent que le seigneur a osé t'adresser et
auquel tu as mis tant d'empressement à obéir, je l'ai lu et tu es chez
lui.

--Qui te dis que comme toi en ce moment ce ne sont point la haine et la
vengeance qui m'y amènent. Oui, la haine, elle date de loin. Pour
détester ceux auxquels nous appartenons comme un vil bétail, je n'avais
pas attendu ce dernier témoignage du mépris dans lequel ils nous
tiennent, tu le sais bien. Oui, la vengeance, car je ne suis pas moins
jalouse de mon honneur que tu peux l'être de ma personne.

--Et que comptais-tu faire, pauvre femme?

--Frapper! répondit simplement Alexandra en montrant un couteau qu'elle
avait caché dans sa poitrine.

Le marchand tomba à genoux devant elle, lui prit les mains et les
couvrit de ses baisers et de ses larmes.

--Pardonne-moi d'avoir douté de toi, ma belle et noble Sacha, lui
disait-il.

Puis, cédant à une inspiration soudaine, il se releva, et saisissant sa
femme entre ses bras:

--Maintenant je ne veux plus mourir, s'écria-t-il; il faut fuir, ma
bien-aimée, fuir sans perdre une minute. Nous prendrons de l'or; nous
gagnerons la frontière, nous chercherons un asile sur quelque terre
étrangère. La patrie n'est-elle pas partout où l'on s'aime.

--On ne quitte point l'enfer sans la permission de celui qui y règne,
répondit la jeune femme avec un douloureux sourire; pars si tu veux,
ami; affronte le knout qui 'punit l'évasion de l'esclave, abandonne-moi,
mais je reste. Je reste parce que l'homme qui depuis trois années nous
torture m'a offensée et que la justice veut qu'il soit puni; je reste
parce que tu m'as soupçonnée, parce que tes soupçons, je le reconnais,
avaient une apparence de fondement, et que des paroles ne sont point à
mes yeux une justification suffisante.

Alexandra parlait avec une fermeté froide et calme qui devait faire
comprendre à son mari qu'elle était inébranlable; cependant il ne
renonça pas tout de suite à la ramener à des idées plus pacifiques et,
prenant sa corbeille qu'il avait déposée sur la table, et la montrant à
Alexandra:

--Pourtant, dit-il, le seigneur a engagé sa parole qu'il m'affranchirait
en échange de ce panier de fraises.

--Le panier de fraises n'est que l'appoint; le prix du marché, pauvre
fou, c'est l'honneur de ta femme.

Le marchand ne se rendait pas encore; il n'avait pas besoin d'autres
preuves pour rendre à la vertu de sa compagne le plus éclatant hommage;
c'était presque _in extremis_ que quelques paroles de tendresses étaient
tombées des lèvres de celle-ci; mais il y avait si longtemps qu'il les
attendait, qu'elles devaient avoir pour effet de le raccommoder quelque
peu avec l'existence.

--Pourquoi n'essaierais-je pas de le toucher, Sacha, lui dit-il; en y
mettant quelque adresse, et ce n'est pas ce qui me manque, je
parviendrai peut-être à lui arracher le mot qui nous ferait libres, et
nous permettrait de braver désormais ses entreprises?

Depuis quelques instants, la jeune femme subissait avec impatience la
tiédeur qui avait subitement succédé aux ardeurs de vengeance dont son
mari avait été animé; à ce dernier témoignage de son retour à des
dispositions pacifiques, son irritation, jusqu'alors contenue, éclata.

--Ah! s'écria-t-elle avec emportement, j'en étais sûre; et la
consolation de te voir enfin partager mon exécration pour nos tyrans ne
m'était point réservée! N'essaye plus de me tromper. Ta colère de tout à
l'heure n'était que la suite de la comédie que tu as jouée vis-à-vis de
moi pendant tant de mois; les résolutions de mort, d'implacable
vengeance, des mensonges semblables aux mensonges qui m'ont si longtemps
abusée. Insensible à l'ignominie de ta servitude, tu ne pouvais pas
ressentir l'injure qui ne l'atteint que dans celle qui porte ton nom. Un
homme a traité ta compagne comme une prostituée; qu'importe? Cet homme
est un noble, ton seigneur et ton maître; il n'a point outrepassé son
droit, et notre devoir nous commande de tendre le dos à de nouveaux
outrages. Puisque tu le veux, puisque tu le peux, vis de cette vie
d'opprobre! Quant à moi, c'est au-dessus de mes forces, et j'ai hâte de
m'y soustraire. Je te montrerai tout à l'heure comment une Russe châtie
celui qui s'attaque à son honneur, lorsque celui qui devait la protéger
est un lâche!

Alexandra s'était animée de plus en plus, et jusqu'à arriver à une
exaltation farouche; elle parlait avec tant de véhémence qu'il était à
craindre que les éclats de sa voix ne fussent entendus au dehors. Le
pauvre marchand était si bouleversé qu'il n'accorda pas la moindre
attention à ce détail. Il connaissait assez le caractère de sa femme
pour être certain que dans la disposition d'esprit que révélait ces
paroles, rien ne pouvait ébranler sa détermination; il renonçait à le
tenter. Cette mort à laquelle il la voyait marcher avec une volonté si
stoïque, il la redoutait bien plus pour elle que pour lui-même; ne
pouvant l'arracher à sa destinée, et bien que la certitude qu'Alexandra
n'avait pas manqué à ses devoirs eut dissipé ses rancunes, cette
destinée il se décidait à la partager.

--Tu te trompes, Sacha, lui dit-il d'une voix ferme, dans l'accent doux
et humble qu'il avait pris, ton mari est tout simplement un pauvre homme
qui a horreur de tout ce qui ressemble au meurtre et à la violence; mais
cet homme il t'aime éperdument, par-dessus tout, plus que sa vie, sa
raison et son salut éternel. Mais toi-même l'as dit, lorsque ce que l'on
affirme est l'objet d'un doute, ce n'est plus par des paroles qu'il faut
répondre, mais par des actes. Tu vas te cacher sous ce rideau où j'étais
lorsque tu es entrée; le reste me regarde; et je demanderai encore à
Dieu que le sang qui va couler ne retombe pas sur la tête de celle qui
aura voulu qu'il fut versé.

--Me cacher! s'écria Alexandra avec la fierté intrépide d'une Judith,
non; l'insulte est à moi, la vengeance m'appartient aussi.

--Sacha, mon adorée Sacha, songe aux dangers auxquels tu t'exposes; ton
bras peut faiblir...

--Quand le coeur est fort le bras l'est aussi. Non, tu ne me disputeras
pas l'âpre joie de punir l'injure qui, depuis hier, fait bondir mon
coeur et bouillonner mon sang dans mes veines. S'il est vrai que tu
m'aimes, tu resteras l'invisible témoin du châtiment.

En disant ces mots, Alexandra, de plus en plus sous l'influence de la
surexcitation que nous avons décrite, poussait son mari dans l'angle de
la fenêtre, et bon gré mal gré le recouvrait des draperies. Nicolas
avait bien pu se résigner au sort que lui imposait sa fière et
vindicative moitié, mais il ne lui était pas donné de pouvoir suivre
celle-ci sur les hauteurs vertigineuses où l'élevait son héroïsme; plus
mort que vif, perdant la faculté de la perception dans la confusion des
pensées qui affluaient dans son cerveau, dominé par intervalles par les
angoisses que lui causait le dénouement probable de cette scène étrange,
il obéissait passivement, sans résister, sans protester.

--Maintenant, dit la jeune femme en s'éloignant de la fenêtre,
maintenant, Nicolas, invoque le Dieu de justice, demande-lui qu'il me
fasse la grâce d'immoler d'un seul coup le vieillard immonde qui portera
devant lui la double responsabilité de nos malheurs et du crime que je
vais commettre.

--Le vieillard! le vieillard! balbutia Nicolas du fond de sa retraite...
Mais tu te trompes, Sacha. Le vieux comte...

--On vient, tais-toi, tais-toi s'écria Alexandra à demi-voix, et sans
avoir entendu ce que lui disait son mari.

Une porte qui s'ouvrait sur les appartements intérieurs venait, en
effet, de rouler sur ses gonds.

Si la belle Moscovite possédait l'âme virile et fortement trempée des
grandes meurtrières auxquelles nous la comparions tout à l'heure, elle
n'avait ni la dissimulation ni la fermeté patiente qui permirent à
celles-ci d'accomplir leurs célèbres attentats. Elle se tenait debout
dans une attitude fière et hautaine qui était déjà une menace; de plus,
ses yeux chargés d'éclairs, ses narines dilatées, sa bouche crispée
indiquaient un peu trop clairement à celui qui allait venir l'accueil
inattendu qui lui était réservé.

Nicolas qui, de son asile, palpitant d'angoisse, en proie à des anxiétés
beaucoup plus faciles à comprendre qu'à analyser, suivait avidement tous
les mouvements, tous les gestes de l'héroïne du drame futur, Nicolas fut
frappé de la maladresse de cette tenue; il eût voulu avertir Alexandra,
mais c'eût été précipiter le funeste dénouement qu'il pressentait, il
resta coi.

Tout à coup, sur le visage de la jeune femme, l'expression de la
surprise et du dépit succéda à celle de la reine irritée et menaçante
que sa physionomie avait conservée jusqu'alors.

Le jeune comte Laptioukine était entré.

G. de Cherville.

(La suite prochainement.)



LES THÉÂTRES

Théâtre de la Renaissance.--_La Permission de dix heures_, opérette en
un acte de MM. Carmouche et Mélesville, musique de M. Offenbach.--_Pomme
d'api_, opérette en un acte, paroles de MM. Ludovic Halévy et Busnach,
musique de M. Offenbach.

Théâtre du Palais-Royal.--_Potage à la bisque,_ un acte de M. Abraham
Dreyfus.

Bâti tout exprès pour le drame, le charmant théâtre de la Renaissance
chasse son premier locataire et fait un bail avec l'opérette. Le voici
devenu théâtre de musique. C'est une rage depuis quelque temps que cet
opéra-bouffe et cette opérette; cette innovation lyrique apportée depuis
tantôt dix ans est en train d'envahir tout. L'opéra-bouffe a pour le
moins dix scènes à lui sur le pavé de Paris. Comptez: et les _Variétés,_
et l'_Athénée,_ et les _Bouffes-Parisiens_, et les _Menus-Plaisirs_, les
_Folies-Dramatiques,_ les _Folies-Marigny_, la _Renaissance_, et la
_Gaîté_ qui se prépare à se mettre en musique; j'en passe évidemment. On
chante partout, et les _cafés-concerts_, ces antagonistes des théâtres,
regorgent de musiciens et de chanteurs. Et le grand art! qu'en disent
donc messieurs les critiques, qui se sont faits ses fervents adeptes et
qui ont réclamé à cor et à cris qu'une large part fut faîte dans nos
théâtres à la musique, cette muse abandonnée jusqu'à eux. On les a
écoutés. Ces musiciens si longtemps délaissés ont enfin pris leur place
au soleil, et voilà que Paris appartient à l'opérette. Il est vrai que
l'opéra et l'opéra-comique se meurent faute de compositeurs et de
chanteurs, mais l'opéra-bouffe règne sur toute la ligne. Il a pour
assurer sa vogue des maîtres du genre, et si les exécutants font défaut
à la salle Pelletier et à la salle Favart, l'état travaille pour
l'opérette. Savez-vous ce que notre conservatoire de musique, avec son
illustre chef et ses excellents professeurs, a produit cette année? Un
ténor, un seul; et ce ténor c'est l'Athénée qui l'a engagé.

Un talent s'élève à l'horizon musical; ne croyez pas que j'aie à vous
parler d'une _Valentine_, ou d'une _Fidés_, ou d'une _Marguerite_ nous
consolant des grandes chanteuses absentes de l'Opéra; non, il me faut
signaler Mlle Théo, que quelques journaux appellent la grande Théo. Or,
Mlle Théo est une étoile de l'Eldorado qui vient de faire son apparition
à la Renaissance, dans _Pomme d'api_, et qui nous était depuis longtemps
annoncée comme la rivale de Mlle Schneider et de Mlle Judie. Mlle Théo
est une jolie personne, d'un fort gracieux visage, dont le jeu a de
l'esprit, de la finesse même, mais dont la voix est loin d'être
agréable; elle s'est enrouée dans des concerts de café, elle s'est même
un peu faussée, et il était temps que la jolie chanteuse passât à des
exercices vocaux moins fatigants. On l'a fort applaudie dans cette
petite opérette de _Pomme d'api_, un sujet tout parisien, prestement et
vivement traité par MM. Busnach et Halévy, et sur lequel Offenbach a
écrit une gracieuse et aimable partition, qui nous a rappelé dans un duo
particulièrement, duo ému et touchant, cette heureuse _Chanson de
Fortuno_, une des plus fraîches inspirations du musicien. Un rondo:
«J'en prendrai un, deux, trois, quatre», est écrit avec une fougue
endiablée.

Ce joli petit acte de _Pomme d'api_ était précédé de la _Permission de
dix heures_, un acte taillé par Mélesville et Carmouche sur le patron de
l'opéra-comique. Cette bluette se joue à quatre personnages, le sergent
Lanternick et son camarade Larose, Mme Jobin et sa nièce Nicolle. Or, le
sergent et Larose sont amoureux de cette jeune Nicolle vouée au célibat,
si Mme Jobin, sa tante, ne trouve pas à se consoler de la perte de
défunt Jobin. Mais Larose, qui est un rusé malin, envoie à Mme Jobin un
billet adressé par Lanternick à Nicolle, poulet par lequel le sergent
sollicite de Nicolle un rendez-vous nocturne, Mme Jobin trompée prend la
place de sa nièce, et Nicolle libre de toute surveillance saute par la
fenêtre pour aller retrouver Larose. Si bien que le garde champêtre
découvre à travers les blés deux couples que couronnera bientôt un
double hymen. De jolis couplets, une valse, un duo, un charmant air de
Mme Jobin: _Non, monsieur, je n'irai pas_, ont assuré le succès de ce
petit acte fort bien joué par une ancienne danseuse de l'Opéra-Comique,
Mme Dartaux, par Mme Grivot, une transfuge du Vaudeville, et par MM.
Bonnet et Falchière.

_Le Potage à la bisque_, au Palais-Royal, est une de ces gaillardises de
cabinet particulier qui ont servi tant de fois de thème aux
vaudevillistes. Cette fois l'auteur, qui est un jeune homme, s'est lancé
dans le sujet sans trop savoir comment il arriverait à ses fins; aussi
l'attaque de la pièce a-t-elle une vivacité, un entrain qui sentent leur
homme d'esprit qui, pour ne pas se ménager au début, compromet un peu le
succès de la pièce. Mais le petit acte que jouent Gil-Perez et Lhéritier
est plein de promesses de l'avenir, et M. A. Dreyfus prendra
certainement un jour une excellente place au théâtre.

Le Théâtre-Français a convoqué la critique à la représentation de la
reprise du _Gendre de M. Poirier_. C'est dire toute l'importance que la
Comédie met aux débuts de M. Pierre Berton et à la rentrée de Mlle
Croizette dans cet ouvrage. Hélas! le temps a fait bien des vides dans
cette excellente troupe; le moment de la retraite arrivera bientôt pour
les artistes les plus en renom aujourd'hui; il faut y songer: il faut
penser à «ce jeune premier rôle», à cet amoureux introuvable comme un
ténor d'opéra. Voilà pourquoi le Théâtre-Français a demandé M. Pierre
Berton au Théâtre de l'Odéon, et pourquoi M. Pierre Berton jouait
l'autre soir le marquis de Presles du _Gendre de M. Poirier._

J'ai regret de le dire, le choix de ce rôle n'était pas des plus
heureux. Ce marquis veut de trop grands airs de gentilhomme, il a des
tons de souveraine impertinence, des allures de noblesse insolente un
peu trop marqués pour la nature de M. Berton; aussi le comédien, pour
les atteindre, s'est-il vu forcé de grossir son jeu, et d'arriver même
jusqu'à des éclats de voix en dehors de la justesse et de la vérité du
rôle.

Quant à Mlle Croizette, dont l'élégance et le charme font tout un succès
à l'entrée en scène de la jeune comédienne, elle est bien séduisante.
Elle a dit en quelques-unes de ses parties cet adorable rôle
d'Antoinette d'une voix des plus attendries; mais elle manque encore
d'autorité. Le personnage ne se dessine pas nettement dans ce jeu un peu
hésitant, qui ne résume pas ses effets et les abandonne au petit bonheur
de la grâce et de la beauté de l'actrice.

M. Savigny.



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Étude sur Moisant de Brieux (1614-1674), par M. René Delorme (Caen, 1
broc. in-octavo).--Moisant de Brieux, dont le nom paraîtra peut-être
nouveau à plus d'un lecteur, est le fondateur de l'Académie de Caen, et
il fut à son heure un poète de talent et un écrivain de valeur. Son
principal titre, pour la postérité, est peut-être sa vive amitié pour M.
de Montausier, le mari de Julie d'Argennes, et l'homme qui, dit-on,
servit de modèle à Molière pour le type d'Alceste. Mais, Molière n'avait
pas à chercher si loin un Misanthrope: il n'avait qu'à se regarder et à
se peindre lui-même.

«Ce sont les génies de premier ordre, dit M. René Delorme, l'auteur de
cette _Étude_, ce sont les grands écrivains surtout qui d'ordinaire ont
reçu ce don de représenter à eux seuls l'humanité tout entière.
Cependant ou trouve encore quelquefois, parmi les talents d'un ordre
plus modeste, cette même propriété appliquée à un cercle plus restreint.
Moisant de Brieux est de ces derniers.»

Et pour faire revivre ce personnage du XVIIe siècle de sa vie propre, M.
Delorme évoque aussitôt avec beaucoup d'art et de couleur la vie même à
cette époque de la ville de Caen, alors appelée l'Athènes normande.
Voici les salons de Mmes de Tilly et de Erosmesnil, femmes charmantes
sans _préciosité_; voici Ménage et Segrais, les conseillers Sevin et
Tibeuf, Moisant de Brieux, enfin, dont M. Delorme reconstitue la vie
avec une fidélité qui me faisait croire que le biographe de Brieux était
aussi son compatriote.

Peu d'écrivains ont parlé; de Moisant de Brieux, et il a fallu à M.
Delorme une singulière patience pour remettre en lumière cet auteur. Né
à Caen en 1614, dans l'ancien hôtel d'Ecoville, Moisant de Brieux mourut
en 1674, en répétant deux vers de ses _Méditations morales et
chrétiennes:_

        Mon âme, souviens-toi de ta haute noblesse;
        Quittons, quittons la terre et contemplons les cieux!

Bayle écrivait alors de Rouen: «L'Académie de Caen a perdu en la mort de
M. de Brieux, le plus grand poète latin qui fust en France et fort versé
dans les belles-lettres.»

L'Académie de Caen a couronné le travail de M. René Delorme sur son
fondateur. Cette oeuvre d'érudition, facile et d'un agrément tout à fait
complet, nous donne l'assurance que M. Delorme réussira également un
ouvrage qu'il prépare sur la _Critique au temps de Molière_. Ce sont de
ces travaux auxquels doit applaudir la critique et qui, pour leurs
auteurs, portent avec eux leur propre récompense, la satisfaction de la
découverte et le plaisir de la faire partager au public.

_Jules Claretie._


_Traité pratique des maladies des nouveau-nés, des enfants à la mamelle,
et de la seconde enfance_, par E. Bouchut.--On sait combien la mort est
implacable pour l'enfance. La statistique donnée par M. Bouchut nous
présente vingt-cinq décès sur cent naissances au bout d'une année, et
d'après les tables de mortalité de M. de Montferrand, sur dix mille
enfants, la mort, après dix années, en a déjà moissonné trois mille.
C'est assez dire combien est indispensable, dans notre premier âge,
l'action de la médecine.

Or, voici un livre que nous sommes heureux à ce sujet de pouvoir
signaler à l'attention de nos lecteurs, car en attestant le succès de
l'ouvrage, qui compte déjà six éditions, nous attestons en même temps
les bienfaits qu'il a rendus dans tous les pays. Et, en effet, ce livre,
qui représente vingt-huit années d'observations, d'études, de
recherches, de travaux scientifiques, peut être regardé à juste titre
comme l'exposition claire et méthodique de tous les progrès accomplis
par la médecine infantile.

M. Bouchut, disons-le hautement, peut revendiquer la plus large part des
progrès et des améliorations que nous signalons. Non-seulement tous les
travaux de ses confrères passent sous nos yeux, dans son livre, à la
lumière d'une savante analyse; mais à ce précieux contingent, M. Bouchut
ajoute lui-même l'ensemble de ses propres recherches, et c'est
incontestablement à lui que la science médicale doit, pour les maladies
des enfants, les observations les plus nombreuses et la thérapeutique la
plus précise et la plus sûre.

Ce livre, qui a été traduit en anglais, en allemand, en russe en
espagnol, est maintenant dans la bibliothèque de tous les médecins. M.
Bouchut dit modestement que c'est aux sympathies de plusieurs
générations d'élèves qu'il attribue la propagation et le succès de son
ouvrage. Les sympathies, nous n'en doutons pas, sont demeurées entières
entre le maître et ses élèves. Mais c'est aux vérités reconnues et
proclamées par ce livre qu'il faut attribuer l'autorité qu'il a
justement conquise. _Amicus Plato, magis amica veritas._

L'éminent praticien nous montre lui-même en excellents termes la
véritable valeur de son ouvrage: «_Cherchez et vous trouverez_, dit
l'Évangile. Depuis vingt-huit ans je n'ai cessé d'observer, de
chercher et d'enseigner à l'hôpital; il n'est pas surprenant, parmi tant
de choses offertes à mes regards, qu'il s'en soit rencontré de nouvelles
et dignes d'entrer définitivement dans la science. Ce que j'ai découvert
a été contrôlé par le public d'élèves et de médecins qui m'a entouré
dans mon enseignement clinique. J'ai su voir et comprendre ce que
d'autres regardaient sans voir. J'ai eu du bonheur à le chercher et à le
dire, une satisfaction non moins grande à l'écrire, et ce plaisir-là,
c'est la véritable et l'unique récompense du savant.»

Henri Cozic.


[Illustration: UN MARCHAND DE JOUETS A PÉKIN.]

[Illustration: UN CORDONNIER AMBULANT A PÉKIN.]

[Illustration: CENDRILLON. D'après le tableau de M. James Bertrand
(Salon de 1873).]

[Illustration: HAUTE-ÉGYPTE.--Les pasteurs de Beni-Hassan.]



HISTOIRE DE LA COLONNE
Cinquième et dernier article (1)

[Note 1: Voy. les numéros des 16,23, 30 août dernier et 6 courant.]

V.--LA STATUE DE CHAUDET (suite).

Launay se met donc en mesure d'exécuter l'ordre émanant de M. de
Rochechouart et confirmé par M. Pasquier. Mais le délai accordé est
évidemment trop court. On consent un sursis. Une seule chose importe, au
dire du préfet de police; c'est que toute trace de l'opération ait
disparu le 11 avril. Il faut bien laisser libre passage au cortège qui
doit aller, ce jour-là, recevoir S. A. R. Monsieur, nommé
lieutenant-général du royaume, en attendant l'arrivée de
Stanislas-Xavier, que le Sénat vient de proclamer roi de France!

Et le 8--un vendredi-saint--à six heures du soir, la statue de
l'empereur, descendue de son piédestal, était hissée dans un chariot
pour retourner aux ateliers d'où elle était sortie... Le fondeur avait,
en effet, obtenu de la garder en nantissement des quatre-vingt mille
francs qui lui restaient dus sur les travaux de la colonne.

Rendons à M. de Montbadon cette justice, que jusqu'à l'achèvement
complet de «ce grand oeuvre», il n'a pas quitté Launay d'une semelle.
C'est lui qui, de son ardeur, échauffait le zèle des ouvriers; lui qui
dirigea l'installation du grand drapeau blanc fleurdelisé sur le
stylobate délivré de la statue impériale; lui encore qui provoqua les
premiers cris de «_Vive le Roy! Vive Louis XVIII!_» dont fut saluée
cette substitution par la foule amassée sur la place...

Quant à M. C. de Geslin, son rôle fut plus modeste. Il se contenta de
solder, des deniers de l'État, la facture des frais de «descente», dont
ci-dessous copie:

Au charpentier                                     1790

Au serrurier                                           580

Au maçon                                             688

Pour le drapeau, la fleur de lis dorée, les cordages, les transports, le
chariot, les pavages et autres menus frais 600

                      Total.                             3658

--Comment! des deniers de l'État? dira-t-on; est-ce que M. de Montbadon
ne s'était pas engagé à supporter, seul, les dépenses qu'occasionnerait
cette décapitation de la colonne?--Sans doute! Et, qui sait? peut-être
les a-t-il ultérieurement remboursées.

Dans tous les cas, constatons une bizarre coïncidence: à peine avait-il
pris cet engagement que, de son côté, le gouvernement provisoire
décrétait, à l'instigation de M. de Talleyrand, la destruction immédiate
de tous les emblèmes et symboles impériaux!

Si nous avons particulièrement insisté sur la conduite de Launay dans
cette affaire, c'est que plusieurs brochures--échos des bruits
publics--l'ont accusé d'avoir offert spontanément ses services aux
rancunes des alliés. Or les faits, tels que nous les avons
relatés--d'après un _Mémoire justificatif_ écrit de la propre main du
fondeur--semblent, au premier abord, faire justice de cette «calomnie».
Mais, à bien réfléchir, l'exagération même de la peine qu'il devait
encourir en cas de refus ne rend-elle pas un peu suspecte, sinon
l'authenticité incontestable des documents officiels par nous
reproduits, au moins la sincérité de leur rédaction? Nous avons, quant à
nous, quelque peine à nous défendre d'admettre la possibilité d'une
connivence--peut-être tacite--entre la plume de celui qui donna l'ordre
et la pensée de celui qui le reçut.

Et, de fait, avant Launay, M. Lacasse, le charpentier de la colonne,
avait été requis, lui aussi, de descendre la statue. Or, non-seulement
il se récusa, mais il prit même la peine d'aller, en compagnie de M.
Gondoin, notifier son refus à l'état-major russe. Est-ce qu'on l'a passé
par les armes?

                                                   *
                                                  * *

Nous ne nous arrêterons pas aux monstrueuses palinodies qui marquèrent
cette époque. Toutefois, comment résister au désir d'en donner le
piquant spécimen ci-dessous? Il nous faut arriver aux _Cent jours_. Ce
sera notre transition.

Extraits du journal des _Débats:_

Numéro daté du 20 mars 1815.

«Si la France se laisse envahir, conquérir par un aventurier de l'île de
Corse, accompagné par une poignée de _brigands étrangers_ et par
quelques déserteurs le rétablissement de cette féodalité barbare, dont
la sage _philosophie_ et la _bonté paternelle des Bourbons_ avaient
détruit les derniers vestiges, voilà la libellé et le gouvernement que
Buonaparte nous réserve... Cette expédition ne serait que _le coup de
main d'un chef de voleurs hasardeux_ que la justice réclame et qui lui
sera rendu tôt ou tard.»

Numéro daté du 21 mars 1815.

«L'empereur est arrivé ce soir au palais des Tuileries, aux acclamations
unanimes... Ainsi s'est terminée, sans répandre une goutte de sang, sans
trouver aucun obstacle, cette _légitime_ entreprise qui a rétabli la
nation dans ses _droits_ et effacé la _souillure_ que la _trahison_ et
la _présence de l'étranger_ avaient répandu sur la capitale... La charte
constitutionnelle qu'on avait bien voulu nous octroyer était
_scandaleusement violée..._ Le retour de l'empereur assure le triomphe
des _idées libérales._»

Le jour même où, par ordre, sans doute, la feuille de M. Bertin saluait
ainsi le retour de l'Aigle, Launay écrivait au général Bertrand pour
obtenir de remettre la statue en place. Mais la «calomnie» dont nous
parlions tout à l'heure avait déjà fait son chemin: elle était reçue aux
Tuileries. Et Launay, malgré ses protestations, en dépit même de ses
résistances, était contraint, le 3 avril, de se dessaisir, au profit de
M. Denon, de l'oeuvre de Chaudet.--Là finit son rôle.

Quelques jours après, la garde impériale donnait un banquet à la garde
nationale de Paris. Ici se place un petit épisode dont nous empruntons
les détails à un ancien secrétaire de Napoléon, le baron
Fleury-Chaboulon:

Le repas achevé, une foule nombreuse de soldats, d'officiers et de
gardes nationaux se mirent en marche vers les Tuileries, portant le
buste de l'Empereur couronné de lauriers. Arrivés sous les fenêtres de
Sa Majesté, ils se rendirent ensuite à la place Vendôme et déposèrent
religieusement au pied du monument élevé à la gloire de nos armées,
l'image du héros qui les avait conduites à la victoire. L'Empereur,
aussitôt qu'il en fut informé, m'ordonna d'écrire au ministre de la
police de faire enlever le buste dans la nuit. «Ce n'est point à la
suite d'une orgie», dit-il avec fierté, «que mon effigie doit être
rétablie sur la colonne!»

Que devint le bronze de Chaudet?--A la seconde Restauration, M. de
Semalé obtint que cette statue, dont la main-d'oeuvre et la matière
seules pouvaient être évaluées à soixante mille francs environ, lui fût
remise pour être employée à la réédification de la statue équestre du
Pont-Neuf, abattue en 1793.--À ce propos, nous recommandons au lecteur
la lettre suivante, publiée par le _Journal des artistes_ du 14 avril
1831:

La statue de Napoléon qui ornait la colonne de la place Vendôme a été
déposée dans mon atelier de la foire Saint-Laurent, où je l'ai gardée
pendant plusieurs années, la cachant avec soin pour la soustraire à la
destruction, quoique j'eusse reçu plusieurs fois l'ordre de la briser.
Cet ordre, émané de la direction des Beaux-Arts du ministère de
l'intérieur, à la tête de laquelle se trouvait M. Héricart de Thury, dut
enfin recevoir son exécution lorsqu'on s'occupa de la statue équestre de
Henri IV qui est sur le Pont-Neuf. Je fus alors chargé du rachevage, de
la ciselure et de la mise en place de cette statue, et j'ai été
l'exécuteur forcé d'une mesure à laquelle tenait M. H. de Thury. Les
débris du Napoléon ont servi à la fonte du _cheval_ de Henri IV. J'ai
fait de vains efforts pour éviter cette destruction. J'offris même alors
20,000 de bronze qui furent refusés, et la statue de Napoléon n'en
fournissait que 6,000!--Permettez-moi d'ajouter quelques détails sur la
statue de Henri IV. On trouvera _dans le bras droit de cette statue un
petit Napoléon_ d'après le modèle de Tonu; _la tête contient un
procès-verbal du dépôt_ que j'ai fait moi-même du Napoléon dans le bras
de Henri IV.--_Dans le ventre du cheval_ se trouvent plusieurs bottes
renfermant divers papiers, tels que chansons, inscriptions, diatribes,
etc., monuments de l'esprit du temps que j'ai voulu ainsi conserver à
l'histoire. En une demi-journée je pourrais retirer de ce dépôt tous ces
objets sans endommager en aucune façon la statue.

J'ai l'honneur, etc.

Signé. Mesnel, fondeur.

Ajoutons, pour en finir avec la première statue de la colonne, que le
modèle en plâtre de cette oeuvre a été soigneusement conservé. Il était,
vers 1835, en la possession d'un peintre de Tournai, M.
Gaudry-la-Rivière. Depuis, qu'est-il devenu? Nous l'ignorons.

VI.--1831-1833.

La capitulation de Paris avait condamné la colonne aux fleurs de lis.
Quinze ans se passent. Et les _trois glorieuses_ la condamnent au coq
gaulois--pour peu de temps d'ailleurs.--Dès le 11 avril 1831, le
_Moniteur universel_ publiait le rapport ministériel suivant:

«Sire:

«La colonne de la place Vendôme, ce monument de victoires immortelles,
perdit, il y a quinze ans, la statue qui la couronnait. Cette mutilation
subsiste encore; elle est un triste vestige de l'invasion étrangère.

«Les monuments sont comme l'histoire: ils sont inviolables comme elle;
ils doivent conserver tous les souvenirs nationaux, et ne tomber que
sous les coups du temps.

«Certes l'histoire n'oubliera pas le nom du grand capitaine dont le
génie présida aux victoires de nos légions, du monarque habile qui fit
succéder l'ordre à l'anarchie, rendit aux cultes leurs autels, et donna
à la société ce Code immortel qui nous régit encore; heureux si sa
gloire n'eût rien coûté aux libertés de la patrie!

«Votre Majesté ne veut déchirer aucune des pages brillantes de notre
histoire, elle admire tout ce qu'admire la France, et elle est fière de
tout ce qui enorgueillit la nation. Je crois répondre à ses nobles
sentiments en lui proposant le rétablissement de la statue de Napoléon
sur la colonne de la place Vendôme.......... etc., etc.

«Le président du conseil et ministre secrétaire d'État de l'intérieur,

«Casimir Périer.»

Ce document est suivi d'une ordonnance royale, datée du 8, et
prescrivant le rétablissement de la statue.--Deux jours plus tard, on
décide qu'elle sera mise au concours; et, le lendemain, le ministre du
commerce et des travaux publics, comte d'Argout, prend un arrêté dont
voici l'article 5:

Les figures des bas-reliefs de la colonne étant en costume militaire
français, la statue devra être pareillement en habit militaire et avoir
comme l'ancienne statue 11 pieds 12 de hauteur.

Trente-six concurrents répondent à l'appel. Et le jury, en sa séance du
13 juin suivant, donne--par une majorité de 7 voix contre 5--la
préférence à l'esquisse envoyée par M. Émile Seurre, ex-pensionnaire du
roi, à Rome.

VII.--LA STATUE DE SEURRE.

Cette personnification du «petit Caporal» est devenue tellement
populaire que nous nous garderons de toute description. Rappelons
seulement que pour permettre à l'artiste de pousser à ses dernières
limites l'exactitude du costume, le général Bertrand avait mis à sa
disposition l'énorme «petit chapeau», le frac militaire, les épaulettes,
la redingote à revers, les bottes à l'écuyère, et jusqu'à la lorgnette
de l'Empereur. Quant à l'épée de la statue, elle a été copiée sur l'épée
que Napoléon portait à Austerlitz.

La nouvelle statue mesure 3m.90. Elle est donc plus haute que
l'ancienne. Elle est aussi plus légère. Celle-là pesait 2,937k.03;
celle-ci ne pèse que 1,713k.27.--Fondue d'un seul jet par M. Crozatier,
en ses ateliers du Roule, elle est pleine jusqu'à mi-jambes; au-dessus,
l'épaisseur du bronze va en diminuant jusqu'aux parties supérieures, où
elle n'est plus que de 7 à 8 millimètres.

Le bronze provenait de seize canons pris à l'ennemi en 1805 et conservés
à l'arsenal de Metz.

C'est le samedi 20 juillet 1833, à midi, que Napoléon reprit, de fait,
possession de son monument. La statue resta, suivant l'usage, voilée
jusqu'au jour de l'inauguration officielle, qui eut lieu le 28.

                                                   *
                                                  * *

Nous terminerons ici notre travail. Ce qu'il nous resterait à dire
encore appartient à l'histoire toute contemporaine. Et cela touche, par
beaucoup de points, à des faits, les uns trop connus et les autres trop
peu pour que nous entreprenions de nous en occuper dans un journal d'où
les controverses et les polémiques sont rigoureusement exclues.

Jules Dementhe.



NOS GRAVURES


Les fouilles du cloître Saint-Marcel

On sait que des travaux ont été entrepris par la ville de Paris rue de
la Montagne-Sainte-Geneviève. Par suite de tranchées pratiquées pour la
pose de conduites d'égouts et de gaz, dix-sept sarcophages ont été mis à
jour, presque tous de pierre et de dimensions diverses. La tête de l'un
d'eux a été creusée dans un chapiteau de colonne. Un autre est de plâtre
et porte à son extrémité le monogramme du Christ, en forme de roue. Le
couvercle d'un troisième, de petite dimension, et qu'on croit du XVe
siècle, est orné d'un cadre renfermant également un monogramme du
Christ, une croix dont le bras supérieur présente la lettre grecque
_rhô_; plus un _alpha_, un _oméga_, un soleil et une petite croix
pattée. Le morceau le plus intéressant est un très-grand sarcophage,
composé de deux pierres rapportées, dont la plus longue a été creusée
dans un bloc ayant fait partie d'un édifice. On y lit, en caractères de
19 centimètres de hauteur, ce fragment d'inscription: Fil sacer Pari....
On a cru d'abord voir dans ce dernier caractère la haste d'un E,
complétant le mot _parentibus_, ce qui semblait indiquer un fragment de
monument funéraire; mais après un second examen, on a cru pouvoir
affirmer que c'était certainement un I, complétant le nom des
_Parisiens_ ou d'un _Parisien_, ce qui ferait de ce fragment un des
très-rares monuments que nous possédions, portant le nom de la ville de
Paris ou du peuple parisien tracé à une époque remontant à l'ère
chrétienne.

Quoi qu'il en soit, la découverte de ces sarcophages confirme la
croyance que l'on avait depuis longtemps de l'existence d'un cimetière
commun dans ce quartier.

L. G.


Souvenirs de la captivité: les turcos

Le combat de Wissembourg est encore présent à toutes les mémoires..

On se rappelle avec quels transports de colère fut accueillie à Paris la
nouvelle de cette première et sanglante défaite qui devait, grâce à
l'imprévoyance ou à l'incapacité de nos chefs de guerre, être suivie de
tant d'autres! On s'en consolait cependant en se berçant de cette
illusion que ce n'était que le déplorable résultat d'une surprise qui ne
se renouvellerait plus. D'autre part, et c'était rassurant, le courage
de nos soldats, de cette poignée de braves gens qui composait la
division Douai, n'avait jamais brillé d'un plus vif éclat. Ils s'étaient
montrés merveilleusement beaux, les turcos surtout, «ce mur vivant et
mouvant de lions», d'une si terrible intrépidité. Mais que peut le
courage, même le plus brillant, quand manque la direction. Hélas! c'est
ce que la suite des événements n'a que trop éloquemment prouvé. Les uns
après les autres, nos soldais captifs, devaient aller rejoindre en
Allemagne les turcos, qui y avaient été conduits les premiers, malgré
leur héroïque bravoure.

Les scènes de la captivité sont poignantes, et elles ont été retracées
avec une saisissante vérité par le crayon de l'un de nos collaborateurs
qui y a pris part, ayant été lui-même prisonnier de guerre. Nous
comptons faire passer successivement ces dessins sous les yeux de nos
lecteurs, et nous commençons aujourd'hui par les premiers en date, les
turcos qui, emmenés au delà du Rhin, devaient y être, de la part des
populations, ces Germains épais et ces grasses Germaines, l'objet d'une
curiosité aussi vive que naturelle.

L. C.


Notes sur
LE «HOME LIFE» EN IRLANDE.

«Poor Ireland»--la «pauvre Irlande» revient à chaque instant dans les
discours du peuple irlandais. Tous ont l'air de réclamer pour la patrie
une prééminence dans la misère, le prestige sacré du malheur. Quoique un
peu trop larmoyantes, ces plaintes sont assez bien fondées. On a beau
connaître les quartiers populeux de Londres, on a beau se familiariser
avec la vie des pêcheurs bretons et visiter ces grands centres
industriels de Lancashire en temps de famine, rien ne vous donne une
idée du dénuement normal accepté des populations du nord et de l'ouest
de l'Irlande. Wicklow est loin d'être le comté le plus pauvre, et
cependant nous y avons remarqué des villages entiers où pas un habitant
ne possédait une paire de souliers. Au milieu d'une grande plaine nue et
stérile on voit de temps en temps la silhouette roide et angulaire d'une
caserne de police. Il n'y a que là-dedans que l'on porte des souliers,
il n'y a qu'entre ces quatre grands murs, sous ce solide toit d'ardoise,
que l'on mange trois fois par jour et que la viande de boucherie n'est
plus un mythe pour personne. Au dehors c'est un peuple de mendiants; en
dedans c'est une brigade de constables, bien nourris, qui--de
fait--maintiennent la mendicité--sans doute comme une des mille
institutions anglo-saxonnes auxquelles on ne peut toucher sans être
traité de fénian et de pétroleur. Il se peut qu'ailleurs cette
application constante de la maxime bismarckienne: la force prime le
droit, n'aurait que très-peu d'influence sur le développement des
ressources industrielles ni sur le progrès moral. Mais ici l'initiative
individuelle est nulle: c'est une race au sang chaud, à l'imagination
vive et pétulante; il lui faut un principe d'autorité; il lui faut
peut-être des tyrans féodaux--mais des tyrans qui la comprennent, qui
lui appartiennent. Ce n'est pas avec des gens de bureau venus de Londres
la plume derrière l'oreille, ce n'est pas avec quelques milliers de
gendarmes phlegmatiques que l'on fera sortir ces vaincus de leur torpeur
séculaire. Mais ceci soit dit en passant. Il s'agit pour le moment de
donner une idée de l'intérieur irlandais, du «home life,» des moyens et
des habitudes de ce peuple que les Anglais citent comme le plus
insouciant et le plus paresseux de l'univers.

Je suis allé voir un Français demeurant dans le comté Wicklow, et
propriétaire de vastes terrains au bord du lac Tay. Il n'a pu échapper à
la fatale influence celtique. La villa est jolie, meublée luxueusement,
entouré de jardins anglais bien ratissés, bien proprets, avec cet air
endimanché que les quakers admirent. Mais quel monde! quelle
valetaille--le trop plein d'un dépôt de mendicité, un campement de
bohémiens; une cour de workhouse le samedi soir! Quatre grands gaillards
se promenaient de long en large dans la cuisine. D'autres se tenaient
adossés aux portes des écuries. Des filles couraient ça et là, pieds
nus, sans but, sans mission. C'étaient les parasites de la maison,
c'étaient des clients à la façon romaine, des pauvres diables qui
vivaient des miettes tombées de la table du maître, qui gagnaient un
penny de temps en temps en tenant un cheval, en faisant une course, qui
n'avaient d'occupation que celle que le hasard leur fournissait. Toute
maison irlandaise est ainsi encombrée. Le propriétaire de la villa de
Lough Tay nous a dit que la sienne faisait vivre au moins une quinzaine
de ces vagabonds--en dehors du personnel régulier de
l'établissement--personnel qui est toujours assez considérable.

A mesure qu'on descend l'échelle sociale la plaie nationale devient plus
apparente. Nous sortions de la villa quand un ouvrier est venu nous
présenter un petit enfant, le fils du maître, qu'il tenait dans les
bras. Nous avons admiré l'enfant. L'ouvrier nous a immédiatement demandé
«un petit six-pence» (douze sous) pour régaler le bambin. Ce sont
partout les mêmes supplications: «Un penny s'il vous plaît», «donnez-moi
quelque chose, mon joli gentilhomme», «votre honneur ne me refusera pas
un morceau de pain», etc. Les véritables Irlandais sont fiers comme des
Hidalgos. Ils n'ôtent le chapeau que devant le curé et le squire. Mais
mendier ne leur semble pas déshonorant. Ils le font naturellement,
simplement, avec des gestes d'une dignité admirable Et ils ont une
excuse permanente, la misère, une misère réelle, sordide, affreuse. Nous
avons réussi à faire causer un petit garçon de neuf ans qui revenait de
l'école. Ce n'était pas l'école communale (on a peur de la propagande
protestante qui se fait dans la plupart de ces établissements), mais une
institution privée, où l'on payait. «Combien?» avons-nous demandé.
Était-ce un penny par semaine? Non. «Quelque chose au bout de
l'armée.»--«Un sac de farine, des pommes de terre?» Le petit n'en savait
rien, mais ce «quelque chose» qu'on donnait devait être bien maigre, car
c'était le quatrième fils d'une veuve, une pauvre femme qui gagnait deux
ou trois _pence_ par jour en filant le lin. L'enfant n'avait pas
d'ouvrage, disait-il, personne n'avait de l'ouvrage. Sa mère avait une
cabane, pas de terre, pas le plus petit champ de pommes de terre, rien
que la cabane. Comment vivaient-ils? Sa mère filait, tricotait des bas.
«Elle n'en porte pas elle-même», ajoutait-il en riant. Et lui vivait en
mendiant. Son frère, c'était le capitaliste de la famille, un
capitaliste de quatorze ans, gagnait sept shillings par semaine en
conduisant les _jaunting-cars_ (sorte de _dog-cart_ ayant des sièges
devant et derrière), pour les touristes. Et les cinq s'habillaient, se
nourrissaient, payaient le loyer et l'école avec douze shillings par
semaine! N'est-ce pas navrant? N'est-ce pas que cela explique bien des
erreurs, bien des défaillances, bien des crimes? J'aurais voulu mettre
quelques honorables membres de la Chambre du commerce en face de cette
misère. J'aurais voulu leur montrer cette cabane ouverte à tous les
vents, dont le chaume avait gardé toutes les pluies, comme une vieille
éponge. Les maigres cochons, dont la litière encombrait et empestait
l'unique chambre, eussent paru comme autant de preuves de «l'incurie
irlandaise» aux habitués des clubs du Pall-Mall; la franche nudité des
marmots eut choqué la pudeur puritaine des prédicateurs de Exeter-Hall.
Mais l'expérience n'eut pas été sans résultat. Nous eussions eu moins
d'optimistes pour déclarer que la «réconciliation de l'Irlande» est un
fait accompli, et pour soutenir que la domination anglaise dans l'île
soeur--à la mode de Caïn--est synonyme de progrès moral et matériel.

E. J.


Les petits métiers en Chine

Autrefois la Chine, comme le Japon, était fermée aux étrangers. De là
sur beaucoup de points l'infériorité de ce pays et les moeurs si
tranchées de ses habitants. Mais aujourd'hui que l'extrême Orient ouvre
toutes grandes ses portes au commerce, à la science, à la civilisation
de l'Occident, et montre qu'il est résolu à en faire son profit, cette
dissemblance ira chaque jour s'affaiblissant, et dans un avenir plus ou
moins rapproché cessera d'être sensible. Avant que ce moment soit venu,
il ne sera donc pas sans intérêt, croyons-nous, de photographier et de
consigner dans ce recueil quelques-uns de leurs types, ceux entre autres
qui nous semblent appelés à disparaître des premiers, et qui
appartiennent à cette classe des gagne-petit, classe en Chine si vive,
si laborieuse, si intelligente. Le Chinois, en effet, pratique également
bien tous les métiers, et, quelque durs qu'ils puissent être, il le fait
avec autant de prestesse que d'assiduité. Son tempérament d'ailleurs se
prête merveilleusement au travail, à la sobriété, à l'économie.
Malheureusement il est un peu voleur. On ne saurait être parfait.

Le premier type que nous offrons au lecteur est populaire à Pékin. C'est
le marchand de jouets d'enfants. D'un pied léger, on le voit, dès le
matin, avec le panier qui renferme sa fortune et sur lequel il saura
avec art disposer sa marchandise, gagner la rue où il stationnera,
attendant les clients. Car il n'est pas riche et ne peut se payer le
luxe d'une de ces boutiques à fond bleu et vert parsemé d'or qui font un
si bel effet dans les grandes rues de Pékin, tirées au cordeau et sans
cesse remplies d'une foule immense. Mais il ne compte pas non plus dans
sa clientèle beaucoup de mandarins. C'est aux petites gens qu'il
s'adresse, et c'est aux beaux yeux de leur modeste cassette qu'il fait
les doux yeux. Il vit tout de même et le plus souvent fait très-bien ses
affaires.

Notre second type, le cordonnier ambulant, est un nomade. Il ne plante
pas sa tente dans un lieu fixe. Il rayonne, et va de ville en village
indifféremment. Il porte son outillage tantôt sur l'épaule, aux deux
bouts d'un bâton, comme nos porteurs d'eau portent leurs seaux, tantôt
sur une brouette surmontée d'une voile pour s'aider du vent. Arrivé à
destination, il s'établit dans le premier coin venu et se met à
l'ouvrage. Il travaille pour homme et pour femme, fait le neuf, mais ne
dédaigne pas le vieux... surtout pour lui: Je ne sais si notre proverbe:
«Les cordonniers sont les plus mal chaussés,» a cours en Chine, mais à
le voir on le croirait.

L. C.


Une visite au petit-fils de Louis XVI

La Haye, 3 septembre 1873

AU DIRECTEUR.

Suivant votre désir, je me suis rendu auprès de M. Adelberth de Bourbon;
et j'ai d'autant plus de plaisir à raconter à vos lecteurs la courte
visite que j'ai faite au petit-fils de Louis XVI, que l'accueil que j'en
ai reçu a été des plus gracieux et des plus sympathiques.

Après m'être procuré une lettre d'introduction, car je ne voulais point
me présenter comme un intrus, je me suis rendu Anna Paulouwna straat.
C'est dans une maison de belle apparence, mais où rien n'est sacrifié au
luxe extérieur, que demeure le jeune lieutenant des grenadiers et
chasseurs de S. M. le roi de Hollande.

Je sonnai, je remis ma lettre à une domestique et je fus introduit dans
une petite pièce du rez-de-chaussée, espèce de cabinet de travail
sévèrement, simplement, je dirai presque sobrement meublé.

Un grand bureau, deux tables chargées de livres, quelques portraits
suspendus au mur, des armes, un sabre d'officier, le fusil Beaumont (le
modèle adopté pour l'armée, néerlandaise), tel était l'ameublement de ce
cabinet.

Quelques instants après M. de Bourbon entra.

--Pardon, me dit-il, de vous avoir fait attendre. J'étais avec mes
enfants. Les chers amours n'entendent rien à la politesse; ils m'ont
retenu. Vous m'êtes adressé par un de mes bons amis, homme de science et
d'étude; que puis-je faire pour vous être agréable?

Et en disant cela, M. de Bourbon me tendait la main de la façon la plus
cordiale qu'on put souhaiter.

C'eût été manquer à toutes les convenances que de ne pas répondre
loyalement et franchement à tant de loyale franchise. Je dis donc
hautement le but de ma visite, la mission dont j'étais chargé et que
j'avais à remplir. J'expliquais que le bruit qui se fait en France
autour de la revendication du fils de Louis XVII excitait au plus haut
point la curiosité publique, que votre devoir était de la satisfaire, et
que je venais en votre nom réclamer de son obligeance quelques instants
d'entretien.

--N'ayant aucune ambition politique, me répondit M. de Bourbon, ne
revendiquant qu'une fortune civile, que mon cousin M. de Chambord
détient indûment, je pourrais me refuser à ce que vous me demandez.

[Illustration: M. DE BOURBON SE DISANT PETIT-FILS DE LOUIS XVI.]

J'ai toujours désiré l'obscurité, et maintenant je la souhaite plus que
jamais. Mais ma vie est pure et chacun peut la fouiller, sans crainte
d'y trouver une mauvaise action ou un mauvais désir. C'est pourquoi je
veux vous initier à ce qu'elle l'enferme de souffrances et de
chagrins.--Le jeune lieutenant m'ayant fait monter dans un salon où nous
risquions moins d'être dérangé, reprit en ces termes:

--On vous aura dit sans doute que j'étais un ambitieux, et peut-être un
imposteur.

Je fis un mouvement.

--Ne vous en défendez pas, reprit-il avec un triste sourire; ma présence
ici-bas gêne trop de monde pour que ceux qui ont essayé d'assassiner mon
père ne tâchent pas de déshonorer ses enfants. La vérité est que je ne
suis pas un ambitieux; quant à être un imposteur, vous allez en juger
vous-même.

En 1845, mon père, méconnu, harcelé, poursuivi par des haines sans nom,
expira à Delft, en Hollande, et la conviction de tous ceux qui
assistèrent à ses derniers moments est qu'il mourut empoisonné.
Lorsqu'il fallut enregistrer son décès sur les livres de l'état-civil,
une difficulté se présenta. Les amis de mon père déclarèrent que celui
qui venait de mourir se nommait Charles-Louis de Bourbon, fils légitime
de Louis XVI, roi de France et de Navarre, et de S. A. I. et R.
Marie-Antoinette d'Autriche, morts tous deux à Paris. Ledit
Charles-Louis était né au château de Versailles, le 27 mars 1785.

Le secrétaire de la régence refusa d'inscrire une semblable mention. On
dût en référer au bourgmestre; mais celui-ci n'osant prendre sur lui de
décider un point aussi important, adressa notre requête au ministre de
l'intérieur, en le priant de vouloir bien trancher la difficulté..

S. E. le ministre prit connaissance des pièces qui étaient entre les
mains de nos amis, et après y avoir été autorisé par S. M. Guillaume II,
ordonna que l'inscription fut faite telle que nous en avions témoigné le
désir.

--Et cette inscription existe? demandai-je.

--Deux fois à Delft, monsieur. D'abord sur les registres de l'état
civil, et ensuite sur la tombe de mon père. Mais prêtez toute votre
attention à ce qui va suivre.

Plus tard, lorsque je résolus de me faire une carrière dans les armes,
il fallut me faire naturaliser. Vous savez combien les lettres de grande
naturalisation sont difficiles à obtenir en Hollande! Hé bien, ces
lettres, pour les avoir, il m'a suffi de les demander.



[Illustration: Un cimetière Khirgisse.]

L'EXPÉDITION DE KHIVA.

[Illustration: Le lac Koundi.]

[Illustration: Promenades Archéologiques.--Château-Landon.]

[Illustration: Ancien hôtel des Monnaies.]

[Illustration: Porte du monastère de Saint-Séverin.]

Les pièces que j'ai produites à ce moment furent examinées par le
ministre de l'intérieur, épluchées par les Chambres, et, sans
opposition, sans objections sérieuses, je fus fait citoyen néerlandais
sous mon nom de Bourbon, que le gouvernement considère comme mon
indiscutable propriété.

Mieux que cela encore, monsieur; lorsque j'épousai la petite-fille de
votre grand amiral Duquesne, l'excellent comte de la Barre, qui a été
mon conseil en tout ceci, et que nous appelons tous ici _vice-père_, car
c'est lui qui m'a élevé, M. de la Barre a tenu à ce que, contre toutes
régies, le nom de mes glorieux ancêtres figurât sur la mention de l'état
civil.

Pendant un mois l'affaire demeura en suspens. Impatienté par ces
retards, j'allais céder, quand enfin ordre arriva de La Haye de se
conformer à notre désir.

Or, notez que ce n'est point un seul et même ministre de l'intérieur qui
a pris cette triple décision. Ce sont trois ministres différents qui,
après avoir eu connaissance de mes titres, ont déclaré que j'avais droit
de me dire petit-fils de Louis XVI. Puis-je être suspecté de crédulité
banale (je ne dis pas de fraude, car la personne qui vous adresse à moi
vous a dit qui j'étais), en acceptant pour vrai ce que trois ministres
néerlandais ont affirmé? Et j'ai une raison de plus qu'eux pour croire à
la justice de ma cause, c'est la vénération que je ressens pour mon père
et le respect sans bornes que m'inspire sa mémoire.

Toute sa vie, monsieur, il a lutté pour cette revendication. Il a refusé
toute transaction. Dieu seul connaît les sommes qui lui furent offertes
et la misère que ma famille a endurée. Il s'est cependant montré
inflexible, et je croirais déserter la sainte cause qu'il a défendue
jusqu'à sa mort en ne la défendant pas à mon tour.

--Mais, ne pus-je m'empêcher de dire, c'est une grosse partie que vous
jouez là, et ne craignez-vous pas de la perdre?

--Pourquoi désespérer de la justice des hommes, quand on a le bon droit
de son côté?

--C'est vrai. Mais les hommes se trompent; et quelquefois de hautes
influences, des considérations d'un ordre spécial, que sais-je,
troublent leur entendement. La Justice, vous le savez, est aveugle...

--Vous avez raison, me répondit M. de Bourbon, j'ai pensé à tout cela.
J'ai tout prévu. Toutefois je n'ai pas hésité. Car si la piété filiale
me force à réclamer un nom qui m'est dû, il est encore une autre raison,
tout aussi élevée, qui m'oblige à épuiser tous les moyens qui sont en
mon pouvoir pour rentrer dans mes droits.

Cette autre raison, ce sont mes enfants. Certes, j'aime plus que vous ne
sauriez le croire le repos et la tranquillité. L'obscurité me plaît et
je n'ambitionne rien de plus que ce que je possède. Une femme que
j'adore, des enfants que je chéris, des amis que j'estime, une fortune
modeste, mais suffisante, un grade honorable dans le plus beau régiment
de l'armée néerlandaise! Il faudrait que je fusse bien exigeant pour
n'être point satisfait!

Mais, si par amour du repos, je renonçais à faire valoir mes droits, que
pourrais-je répondre à mes fils, le jour où devenus des hommes, ils me
diraient: «Vous pouviez faire constater la légitimité de notre nom, vous
ne l'avez pas voulu. Vous pouviez prouver à la France et à l'Europe que
ce nom que nous portons avec orgueil est notre bien indiscutable, et
vous ne l'avez pas fait. Et aujourd'hui il se peut qu'un homme dise
encore, en nous voyant passer; ceux-ci sont les petits-fils d'un
imposteur.»

Que leur répondrais-je s'ils m'adressaient cette question? Je vous le
demande, monsieur, que pourrais-je leur répondre?

À toutes ces raisons il s'en ajoute une autre qui, bien que moins
pressante, a cependant lourdement pesé sur mes décisions. C'est une
question de nationalité. Je suis Français de coeur plus que vous ne
sauriez croire, et pendant ces désastres de 1870 et 1871, nul ne saura
toutes les larmes que j'ai versées en suivant sur la carte de mon pays
bien-aimé la marche des envahisseurs.

Or admettre que je suis, comme le prétendent mes ennemis, le fils d'un
horloger berlinois du nom de Naundorff, c'est me chasser des rangs
français pour me placer dans ceux de leurs oppresseurs. A cette seule
pensée, monsieur, mon sang se met à bouillir. Je vois trouble, je ne me
connais plus. Et pourtant j'ai été élevé à Dresde. C'est là que j'ai
fait mes études. Ah! c'est pour moi une preuve bien certaine que je suis
Français, que cette indignation qui me saisit chaque fois que le nom de
vos vainqueurs est prononcé devant moi.

En disant ces dernières paroles, le jeune lieutenant s'était levé; sa
voix vibrante avait quelque chose d'ému et de passionné qui me faisait
tressaillir malgré moi. Je me levai à mon tour.

--Oui, monsieur, oui, vous êtes bien Français, lui dis-je, car il n'y a
que dans une âme française que de pareils sentiments peuvent se faire
jour avec tant de force.

Notre entretien était terminé; il ne me restait plus qu'à prendre congé.
Le petit-fils de Louis XVI m'accompagna jusqu'à la porte d'entrée.

Au moment de nous quitter il me tendit la main.

--Puisqu'il y a en France, me dit-il, des honnêtes gens qui se
préoccupent de moi et qui vous envoient pour me connaître, dites-leur
bien que le Bourbon que vous avez vu ici est avant tout un honnête
homme, qui croit, en revendiquant son nom, accomplir un devoir sacré.
Dites-leur bien que ce n'est point un ambitieux sans coeur ou un
intrigant déclassé qui voudrait, en spéculant sur la crédulité publique,
aggraver encore les malheurs de sa patrie.

C'est sur cette parole que je quittai M. de Bourbon, lui promettant de
vous rapporter fidèlement l'entretien que vous venez de lire. De son
procès, je n'ai point à vous en parler; dans quelques jours les
tribunaux en seront saisis. Et la justice française décidera ce qu'il y
a de fondé dans ses prétentions. De sa personne je ne puis rien vous
dire qui vaille le portrait que je vous envoie et qui est
très-ressemblant. Son esprit, vous le connaissez aussi bien que moi par
la conversation que je viens de vous répéter. Il ne me reste donc qu'à
clore cette lettre en vous disant qu'une chose en tout cela m'a surtout
frappé, c'est la profonde conviction que j'ai rencontrée ici chez tous
ceux à qui j'ai parlé de M. Adelberth de Bourbon. Tous l'estiment,
beaucoup l'aiment et personne n'oserait affirmer qu'il n'est pas le
petit-fils de Louis XVI.

Agréez, etc.

George Français.


Les pasteurs de Beni-Hassan

Beni-Hassan est un village de la Haute-Égypte, situé sur la rive droite
du Nil et au sud du Caire, dont il est distant d'environ deux degrés.
Village assez pauvre, peuplé de pauvres gens, dont les maisons, pour la
plupart faites en terre cuite au soleil, n'ont rien de confortable.
Cette population est en majeure partie composée d'Arabes paysans, mêlés
à un petit nombre de Coptes, confondus les uns et les autres sous la
même appellation de Fellahs. Cultivateurs et pasteurs, ils vivent des
produits de la terre et de leurs troupeaux que, dans la saison
favorable, ils vont faire paître au loin, près de quelque marabout
vénéré au dôme blanc, qu'ombragent les dattiers. Cet arbre est encore
une de leurs ressources. Ils mangent son fruit mélangé avec une bouillie
faite de farine et de graisse de mouton. Les pasteurs de Beni-Hassan ne
portent pas de burnous, mais une sorte de courte tunique que recouvre
mal un haïk attaché à la tête avec une pièce d'étoffe roulée en turban.

Dans le voisinage de Beni-Hassan se trouvent quelques hypogées qui sont,
comme le mot l'indique, des _souterrains_ creusés dans le flanc des
montagnes et servant de lieu de sépulture. «En général, dit M. René
Ménard, les hypogées s'annoncent par une façade taillée verticalement
dans le rocher et par une porte ouvrant sur un couloir qui s'enfonce
dans la montagne. Ces couloirs sont entrecoupés par des pièces carrées
ou rectangulaires dans lesquelles se trouvent les sarcophages.» A
Beni-Hassan ces pièces sont pleines d'anciennes peintures égyptiennes.

L. C.


L'expédition de Khiva

L'attention du public vient d'être appelée de nouveau sur l'expédition
entreprise par les Russes dans l'Asie centrale.

Un télégramme publié par le _Daily Telegraph_ de Londres annonçait il y
a quelques jours que les Khiviens s'étant révoltés contre les
conquérants, ceux-ci avaient dû sévir avec la dernière rigueur et que la
capitale du khanat avait été complètement détruite; cette nouvelle
était, heureusement, fort exagérée; mais des troubles avaient éclaté, et
il paraît certain que la Russie aura quelque peine à établir
définitivement son autorité au milieu de ces peuplades insoumises. On
sait que l'autorité militaire russe n'a voulu admettre dans l'état-major
du général Kaufmann aucune personne n'appartenant pas à l'armée, et
qu'il a été à peu près impossible d'obtenir d'autres renseignements sur
l'expédition que ceux que l'état-major lui-même a bien voulu livrer à la
publicité. C'est donc pour nous une véritable bonne fortune que de
pouvoir publier, d'après un journal illustré anglais, deux croquis dont
l'authenticité ne laisse rien à désirer et qui donneront à nos lecteurs
une idée du caractère sauvage du pays que la colonne expéditionnaire a
eu à traverser. L'un de ces croquis représente le lac Koundi, situé à
vingt milles de Kinderli, en pleine steppe, et dont l'eau a été une
précieuse ressource pour les troupes; l'autre dessin a pour sujet un
cimetière khirgise, sur la route d'Orenbourg.


Cendrillon, tableau de M. James Bertrand.

On se rappelle les succès obtenus, pendant ces dernières années, par la
_Virginie_ et l'_Ophélie_ du même auteur. M. James Bertrand se plaît, à
retracer les images de ces héroïnes de la poésie ou du conte, et son
gracieux talent se plie merveilleusement à la représentation des types
consacrés de la légende poétique ou enfantine. Voyez cette pauvre
_Cendrillon_, tristement assise auprès de l'âtre ou pétille le feu de la
cuisine; elle a interrompu sa besogne, ses mains sont retombées sur
l'assiette qu'elles tenaient, et son oeil mélancolique erre vaguement
dans les espaces mondains à peine entrevus, où ses orgueilleuses soeurs
étalent les charmes de leur insolente beauté; tous les détails sont
justes et appropriés au sujet, jusqu'à cette pantoufle tombée à terre
qui laisse voir à nu le petit pied que Perrault a rendu immortel. Il
semble que la fée bienfaisante va paraître et compléter l'illusion.


Château-Landon

Cette petite ville, bâtie sur une colline et sur la rive gauche du
Fusain, ruisseau qui se jette dans le Loing, offre un site aussi
pittoresque que varié. Ville aujourd'hui bien déchue, tombée depuis
longtemps du rang de capitale à celui de chef-lieu de canton! Pour
retrouver le temps de sa splendeur la plus certaine, sinon la plus
brillante, il faut en effet remonter au moyen âge et à l'époque
mérovingienne. Alors résidence royale et capitale du Gâtinais, elle
renfermait une nombreuse population dans de fortes murailles qui lui
permirent de soutenir avec succès plusieurs sièges. C'est dans les
guerres religieuses qu'elle devait trouver la fin de sa gloire. Prise et
reprise par les protestants, elle fut par eux presque entièrement
détruite en 1507, et jamais ne put se relever de ce coup.

On remarque à Château-Landon l'église Notre-Dame, avec ses trois
portails romans, un à chaque extrémité de la croix, son choeur roman et
son beau clocher du XIIIe siècle; puis la tour de l'ancienne église de
Sainte-Ugalde, dont les deux derniers étages sont percés de fenêtres
géminées; enfin une maison appelée la Monnaie, eu partie du XIIIe
siècle. Cette maison se trouve dans l'emplacement de l'ancien quartier
des Juifs, car, comme toutes les villes au moyen âge, Château-Landon
avait sa _Juiverie._ Les Juifs n'étaient pas aimés, on le sait, bien
loin de là, et leurs richesses excitaient de furieuses convoitises. On
les rançonnait sans merci, et volontiers on les chassait après les avoir
dépouillés. C'est ainsi que vers la fin du XIIe siècle, ils furent
chassés de Château-Landon et leurs maisons dévastées. Celle dite la
Monnaie, donnant sur la place au Change, est la seule qui reste, pour
témoigner de cette violence.

On remarque encore à Château-Landon de nombreuses ruines, qui font la
joie des archéologues: ruines d'un ancien château gothique, dont les
restes servent de mairie et de prison; ruines de l'église Saint-André,
du XIIe siècle; ruines d'un ancien hôpital, du XIIIe. Ce sont enfin les
ruines de la maison abbatiale de Saint-Séverin.

Cette abbaye avait été bâtie sur le tombeau de ce saint, mort à
Château-Landon, à son retour de Paris, où il avait été appelé par
Clovis. En temps de guerre, elle servait de citadelle. Ses ruines sont
très-imposantes et très-curieuses. Une portion toutefois en a été
conservée et même est habitée: la façade méridionale. On y voit de
vastes souterrains superposés comme les étages d'une maison, des
oubliettes, un puits de sauvetage, d'immenses salles éclairées du côté
de la vallée, et, surmontant le tout, une tourelle très-élevée, appelée
la _tour du guet._

L. C.



LES MYSTÈRES DE LA BOURSE

LE JEU DE LA BOURSE

Les opérations à primes, résiliables, ainsi que nous l'avons vu, au gré
de l'acheteur, représentent un jeu véritable, puisque chacune des sommes
placées sur ces opérations ressemble au billet de la loterie que l'on
achète et à l'enjeu que l'on met sur la roulette. Entre l'alea de la
loterie, l'alea de la roulette et l'alea de la hausse et de la baisse, y
a-t-il une différence? Nous n'en voyons aucune, et s'il y en avait une,
elle serait peut-être à l'avantage de la loterie qui fait un heureux
avec son gros lot, et de la roulette qui permet parfois de faire sauter
la banque, tandis qu'à la Bourse nous voyons toujours les haussiers et
les baissiers arriver au piteux résultat des deux plaideurs qui, après
s'être disputé l'huître, finissent par ne plus trouver que les deux
écailles.

Et l'huître, à qui donc revient-elle? Vous le devinez sans doute,
l'huître revient à la Bourse elle-même; nous voulons dire aux agents de
change, coulissiers, remisiers, courtiers qui servent d'intermédiaires
entre les acheteurs et les vendeurs. C'est le courtage, c'est la
cagnotte qui retire du jeu de la Bourse les meilleurs profits. Cette
cagnotte de la Bourse, grassement entretenue par le courtage, compte
aussi, comme celle du vaudeville du Palais-Royal, bien des boutons parmi
ses pièces d'or et d'argent. Ces boutons, ce sont les comptes débiteurs
des clients qui manquent à l'appel, le jour de la liquidation. Chaque
agent de change, chaque coulissier possède ainsi en caisse des montagnes
de bordereaux impayés. Mais en dépit de ces pertes sèches, le courtage
représente encore une cagnotte dorée sur tranches, et vous pouvez
apprécier sa valeur par les deux chiffres que nous allons donner.

Le prix moyen d'une charge d'agent de change est de 2 millions de
francs.

Le chiffre total de tous les courtages payés annuellement à la Bourse de
Paris n'est pas moindre de 100 MILLIONS DE FRANCS!

Retenez ces deux chiffres, et dites-vous bien que le courtage est le
Sacramento de la Bourse.

                                                   *
                                                  * *

Continuons.

Le marché des primes, avons-nous dit, n'est en réalité qu'un jeu, par
suite du droit que se réserve l'acheteur d'abandonner sa prime pour
renoncer à son achat. Mais ces primes qui tombent tous les jours comme
une grêle sur le marché ne représentent pourtant, malgré l'étendue de
leurs opérations, qu'une partie des affaires de la Bourse.

Le marché le plus ordinaire, le plus répandu, celui qui est l'âme de la
spéculation, c'est le marche _ferme_, ainsi appelé par opposition au
marché à _prime_, qui admet une résiliation au gré de l'acheteur, tandis
que le marché _ferme_ établit, pour l'acheteur comme pour le vendeur,
une opération définitive.

Le marché _ferme_ s'appelle aussi marché à _terme_, parce que toutes ces
opérations d'achats et de ventes se font réellement à terme. Le terme de
chaque liquidation va d'un mois à l'autre. Acheteurs et vendeurs
peuvent, tout le mois, effeuiller à volonté toutes les rentes du
Grand-Livre. Mais le dernier jour du mois arrivé, et la réponse des
primes achevée, acheteurs et vendeurs doivent se liquider, et la
liquidation peut se faire de deux manières:

Ou l'acheteur vend les rentes qu'il a achetées, et le vendeur achète les
rentes qu'il a vendues et les opérations sont closes; la liquidation est
terminée, il ne reste plus qu'à passer à la caisse pour régler les
différences à payer ou à recevoir.

Ou l'acheteur et le vendeur veulent continuer pour le mois suivant les
opérations d'achats et de ventes qu'ils ont faites dans le courant du
mois, et alors l'acheteur et le vendeur font passer leurs opérations
d'un mois à l'autre, au moyen d'une transaction qu'on appelle le
_report._ Encore un mot qu'il nous faut mettre en lumière.

L'acheteur à terme, qui veut conserver sa position et la faire reporter
d'un mois à l'autre, s'adresse à un capitaliste reporteur qui consent,
lui, à prendre livraison des titres achetés au lieu et place de
l'acheteur sans argent, et qui fait l'avance pendant un mois de la somme
nécessaire à cette opération, moyennant une rétribution qui représente
l'intérêt de cette avance et que l'on nomme le _report_. Le report est
plus ou moins cher, suivant l'abondance ou la rareté des capitaux
disponibles sur la place.

Mais le simple exposé de ces opérations démontre que le marché _ferme_,
comme le marché à _primes_, n'est, en fin de compte, qu'un jeu qui
s'étend sur la grande échelle. Achetez, vendez; vendez, achetez, pendant
tout le mois, toutes les rentes que vous voudrez, sans avoir ni le
capital, ni les titres, qu'importe? Pourvu que votre compte de
liquidation établi, vous soyez en mesure de payer à votre agent la
différence qui résulte de l'écart entre vos achats et vos ventes.

Le spéculateur n'a plus alors qu'à déposer chez un agent de change ou
chez un coulissier une couverture, c'est-à-dire une somme nécessaire
pour garantir le payement de ses différences. Inutile d'ajouter ici deux
choses: la première, c'est qu'il y a, bien entendu, des clients qui
n'ont pas besoin de donner une couverture, et ce sont les
meilleurs;--bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée;--la seconde,
c'est que les malheureux qui arrivent à la Bourse avec la pensée
d'arriver au million avec les quatre sous qu'ils ont dans leur poche et
qui leur servent de couverture sont bien certains de ne jamais décrocher
la timbale.

Une longue expérience a prouvé qu'il suffit de quelques liquidations
pour dévorer le pécule déposé, et c'est ainsi qu'on arrive à comprendre
comment les couches de spéculateurs se succèdent sans interruption
autour de la rente et comment la Bourse les balaie comme des jonchées de
feuilles mortes. Les spéculateurs s'en vont, mais les courtiers restent.
Nous l'avons dit plus haut: La cagnotte! La cagnotte! Le courtage! Le
courtage! tout est là!

Un gros tapissier de Paris qui avait fait d'énormes affaires à la
Bourse, disait à l'un de ses amis:

--Savez-vous où les couvertures s'usent le plus vite à Paris?

--Ma foi! non, répondit l'ami.

--C'est à la Bourse, mon cher, reprit le négociant avec un soupir.

Qu'on se le dise!

                                                   *
                                                  * *

Une bonne vérité, celle-là; mais qui n'a jamais eu et qui n'aura jamais
de prise sur la spéculation. C'est qu'en effet, le jeu de la Bourse est
le plus attrayant et le plus terrible des jeux et nous allons dire
pourquoi.

Quand Brid'hoison dit, en parlant des sots compliments, qu'on ne dit ces
choses-là qu'à soi-même, il se montre à mon avis d'un optimisme trop
favorable à notre pauvre nature. Nous sommes plus disposés à nous
flatter nous-mêmes qu'à mettre en relief nos défauts. La figure la plus
laide, dit un vieil adage, finit par trouver sur elle des grains de
beauté, et c'est en justifiant cette observation que Mme de Staël disait
de Mirabeau:--«Nos laideurs s'attirent!»

Nous sommes ainsi faits, et cette pensée ne trouvera certainement pas de
contradicteurs.

Eh bien! Appliquez ce penchant de l'espèce humaine aux opérations de
Bourse et vous comprendrez l'entraînement' universel qui pousse les
hommes de notre temps vers les milliards de notre fortune mobilière. La
maladie du million est la maladie du siècle, et pour apaiser cette soif
inextinguible, le spéculateur se fait avec complaisance à lui-même le
petit raisonnement qui suit:

--La Bourse n'est après tout qu'une question d'appréciation. La hausse
et la baisse dépendent des événements auxquels il faut donner leur
mesure exacte et leur véritable portée. Mon voisin de droite s'y est
noyé; mais ce voisin de droite n'a jamais inventé aucune espèce de
poudre, et le pauvre diable ne pouvait manquer de se fourvoyer. Pareille
mésaventure est arrivée à mon voisin de gauche; mais ce voisin de gauche
est encore un triste sire qui se noierait dans son crachat. Mais moi,
n'ai-je pas toujours vu clair dans l'imbroglio de la politique? N'ai-je
pas prédit la Révolution de 1848, le coup d'État, la chute de l'Empire?
Allons! Allons! Je ne suis pas plus manchot qu'un autre, et puisque le
million est là, devant moi, je serais vraiment fou de ne pas tendre la
main pour le cueillir!

Le lendemain, ce fier-à-bras qui regarde ses amis comme des crétins,
prend les quelques billets de mille francs qu'il a en portefeuille, et
il frappe à la porte d'un agent de change ou d'un coulissier.

Allez à la Bourse, mêlez-vous aux groupes, écoutez les discussions à
perte de vue qui se croisent comme des feux de file, regardez
attentivement la physionomie des interlocuteurs quand ils se séparent,
et sur leur figure vous verrez apparaître, en signes infaillibles, cette
imperturbable confiance qui fait de chacun d'eux un spéculateur sûr de
lui-même, un boursier qui ne se trompe jamais. Chacun jette sur le
groupe qui discute un regard superbe et semble dire: _Quos ego!_

Jactance fanfaronne qui ne profite à aucun d'eux, car le résultat est le
même pour tous, et chacun de nos joueurs infaillibles ne tarde pas à
sortir de la Bourse comme Candide du salon de Mme de Parolignac. Ils en
sont quittes, en se rencontrant plus tard, loin de la Bourse, pour se
renvoyer cette exclamation de tous les spéculateurs décavés:--Ah! si
nous avions fait l'opération contraire!

Léon Creil.



MONUMENT COMMÉMORATIF ÉLEVÉ DANS LA COUR DE
L'ÉCOLE FORESTIÈRE DE NANCY.

Un monument destiné à rappeler le souvenir des gardes généraux morts sur
le champ de bataille pendant la dernière guerre a été inauguré le 27
août dernier, en présence de plus de cent cinquante fonctionnaires du
corps forestier venus de divers points de la France pour assister à
cette patriotique cérémonie, présidée par M. le directeur général de
l'Administration des Forêts.

Ce monument, élevé au moyen d'une souscription ouverte spontanément dans
les rangs des agents forestiers, et à laquelle tous ont participé, a été
placé par les soins de M. le directeur de l'École forestière dans la
cour d'honneur de l'établissement. Il a été établi d'après les plans de
M. Morey, l'habite architecte de la ville de Nancy, et il consiste en
une fontaine dont la vasque est formée d'un seul bloc en syénite polie;
elle a la forme d'un sarcophage qui repose sur une marche en granit. La
vasque supporte une pyramide en marbre blanc, dont le socle porte pour
inscription la devise d'Horace:

DULCE ET
DECORUM EST
PRO PATRIA
MORI.

Sept couronnes étoilées, sculptées, se détachant en relief de la
pyramide, rappellent les sept gardes généraux tués pendant la guerre.

[Illustration: Monument commémoratif de la guerre élevé dans la cour de
l'École FORESTIÈRE DE NANCY.]

Le monument est appliqué à un mur, tapissé de vigne vierge, qui traverse
la cour dans toute sa longueur. Il est encadré dans un portique en
pierre calcaire, bordé par une guirlande en haut relief, composée de
feuilles de chêne et de glands aboutissant à une clef de voûte d'une
forme très-remarquable. Sur le fond, à droite et à gauche de la
pyramide, sont gravés les noms des sept victimes, et au-dessous de la
clef de voûte se trouve la dédicace: «A NOS CAMARADES.»

Après le service solennel célébré à la cathédrale, les assistants se
sont rendus à l'École forestière pour l'inauguration du monument.--M. le
directeur général a énuméré les services signalés de chaque défunt et
les circonstances dans lesquelles ils ont trouvé la mort sur le champ
d'honneur. Il a ensuite adressé des éloges mérités au personnel de
l'École pour les secours prodigués à nos malheureux soldats à
l'ambulance installée dans l'établissement. Puis, mentionnant les
pauvres gardes forestiers expulsés de leur pays pour ne pas perdre leur
qualité de Français, il a signalé le bel esprit de corps qui règne dans
la famille forestière, qui, à l'aide de souscriptions diverses, a permis
de recueillir et d'assister plus de cent cinquante familles se trouvant
par suite de ces funestes événements momentanément sans asile.

Les paroles éloquentes prononcées par M. le directeur général, dans un
langage noble et élevé, ont vivement impressionné tous les assistants.
Les accents émus qu'il a su trouver pour exalter les vertus des morts et
pour rendre justice aux qualités des vivants ont largement contribué à
imprimer le souvenir ineffaçable de cette touchante cérémonie dans la
mémoire de tous ceux qui y ont pris part.

J. Lévy



RÉBUS

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Sur les bateaux-mouches, tout est prévu en cas de danger.





*** End of this LibraryBlog Digital Book "L'Illustration, No. 1594, 13 Septembre 1873" ***

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