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Title: Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)
Author: Dino, Dorothée de
Language: French
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Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et
n'a pas été harmonisée.



    CHRONIQUE
    DE
    1831 A 1862



    DUCHESSE DE DINO
    (PUIS DUCHESSE DE TALLEYRAND ET DE SAGAN)

    CHRONIQUE
    DE
    1831 A 1862

    _Publiée avec des annotations et un Index biographique_
    PAR
    LA PRINCESSE RADZIWILL
    NÉE CASTELLANE

    II
    1836-1840

    Troisième édition

    [Logo]


    PARIS
    LIBRAIRIE PLON
    PLON-NOURRIT ET Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
    8, RUE GARANCIÈRE--6e

    1909



    Tous droits de reproduction et de traduction
    réservés pour tous pays.


    Published 21 April 1909.

    Privilege of copyright in the United States
    reserved under the Act approved March 3d 1905
    by Plon-Nourrit et Cie.



DUCHESSE DE DINO

CHRONIQUE



1836


_Paris, le 2 janvier 1836._--M. de Talleyrand prône beaucoup M. Molé,
pour le faire recevoir de l'Académie française; il est également appuyé
par M. Royer-Collard et par les ministres; c'est ce qui faisait dire,
hier au soir, à M. Villemain, que toutes les influences les plus
_diverses_ et les plus _inverses_ se réunissaient pour _porter_ ou
_exporter_ M. Molé à l'Académie, que lui, Villemain, l'y _importait_ de
toutes ses forces, puisque, d'ailleurs, le fauteuil académique
n'empêchait pas d'autres sièges. Les jeux de mots et les pointes ne
manquaient pas dans cette phrase, ni la malignité non plus!

On parlait beaucoup des différents discours tenus au Roi, à l'occasion
de la nouvelle année, entre autres de celui de M. Pasquier, remarquable
par le mot de _sujet_ qu'il a eu la témérité de reproduire, et que M.
Villemain appelait un mot _progressif_.

Le Roi est charmé du discours du comte Apponyi, et le Corps
diplomatique, de la réponse du Roi. Du reste, Fieschi et Mascara[1] ont
été de vraies bonnes fortunes pour tous les faiseurs de discours: on a
remarqué des émotions et des attendrissements infinis, et quant à M.
Dupin, c'étaient des sanglots!

A propos de M. Pasquier, on s'est amusé à mettre dans un mauvais journal
qu'il est tombé malade dernièrement pour avoir reconnu dans Fieschi un
fils naturel! La vieille comtesse de la Briche, qui commence à radoter,
a été, très sérieusement, et avec des «hélas!» incomparables, raconter
cette bêtise dans le salon archi-carliste de Mme de Chastellux.
Comprend-on quelque chose d'aussi stupide! Les rires ont été extrêmes!

  [1] Mascara, en Algérie, fut prise par les Français en 1835.


_Paris, 4 janvier 1836._--La seconde fille de Mme de Flahaut est au plus
mal. Son état m'a fourni, hier, l'occasion d'appliquer la parabole si
parfaitement vraie de la poutre et du brin de paille, en entendant Mme
de Lieven parler de la mère et me dire: «Comprenez-vous Mme de Flahaut
qui, dans un pareil moment, me parle politique et demande ses chevaux
pour aller chez Madame Adélaïde; qui quitte la chambre de sa fille pour
causer des affaires publiques avec les personnes qui sont dans son
salon, et qui m'invite à dîner pour demain, afin, dit-elle, de se
distraire et de ne pas rester seule avec son inquiétude?» Il est donc
vrai que personne de nous ne se voit passer! Cela fait faire des retours
effrayants sur soi-même.

Le fameux message du Président Jackson[2], si impatiemment attendu, est
arrivé par la voie d'Angleterre au duc de Broglie. Celui-ci, cinq heures
après, est allé chez le Roi lui dire qu'il l'avait reçu; le Roi a
demandé à le voir, M. de Broglie lui a dit qu'il était très insignifiant
et qu'il l'avait déjà envoyé aux journaux!... Il a dit la même chose à
son collègue, M. Thiers, qui, sur la foi de ce propos, a répété pendant
toute la soirée, à ceux qu'il rencontrait, que le message était de toute
nullité. Le lendemain, le Roi et M. Thiers lisent ce message dans le
journal et le trouvent très habilement fait, très rude pour M. de
Broglie personnellement, mais satisfaisant pour le pays, et précisément
ce qu'il fallait pour terminer le différend. Là-dessus, conseils sur
conseils, discussions vives, enfin triomphe de la volonté royale,
soutenue par M. Thiers, et par l'effet de laquelle on se tiendra pour
suffisamment satisfait du message. On déclinera la médiation de
l'Angleterre, en déclarant que la France est prête à payer les termes
échus de la somme de 25 millions. M. de Broglie a fini par céder, mais
avec toute la peine que son amour-propre personnel lui causait. Il
s'était d'abord refusé à montrer la note par laquelle il remerciait
l'Angleterre de ses offres de médiation, mais enfin elle a été soumise
hier au Roi. On dit qu'elle est trop longue, diffuse, métaphysique. Les
paroles ont été vives dans le Conseil des ministres, cependant tout a
fini, parce que le Roi a tendu la main au duc de Broglie en lui disant
une parole gracieuse. Cela n'empêche pas qu'au fond, l'humeur ne soit
grande, d'un côté et de l'autre. Au reste, cette guerre avec les
États-Unis déplaisait beaucoup au commerce français; ainsi ce résultat
définitif fera, probablement, bon effet dans le public.

  [2] On trouvera ce message aux pièces justificatives de ce
  volume.--En 1834, Jackson avait réclamé au gouvernement de
  Louis-Philippe, de façon très hautaine, une indemnité de 25
  millions, due aux États-Unis, pour les bâtiments saisis sous
  l'Empire, menaçant de confisquer, en cas de refus, les propriétés
  des Français établis sur le territoire de l'Union. Toute légitime
  que fût la réclamation, ses formes blessantes la firent longtemps
  repousser, jusqu'à une rétractation du président Jackson contenue
  dans le message dont il est ici question.


_Paris, 11 janvier 1836._--J'ai eu, hier matin, la visite de M.
Royer-Collard: il venait de voir M. Berryer, fort dégoûté et ennuyé, qui
lui avait parlé de Prague. Il lui a raconté qu'on y pensait et y disait
beaucoup de bien de lui, M. Royer; que Charles X avait répété plusieurs
fois qu'il craignait de n'avoir pas fait assez attention à différentes
choses qu'il lui avait dites dans un long entretien qu'ils eurent
ensemble à l'époque de la fameuse adresse[3] de 1830. Mais, ce qui est
curieux, c'est que le vieux Roi, ayant voulu chercher à retrouver ces
choses importantes dont il avait un vague souvenir, ne put y parvenir.
N'est-ce pas là tout l'homme? Bon cœur et insuffisance!

  [3] L'adresse des 221 (3 mars 1830).--C'était une réponse au
  discours du trône; et les 221 députés y exposaient nettement leur
  mécontentement de voir M. de Martignac remplacé, comme président,
  par le prince Jules de Polignac.


_Paris, 16 janvier 1836._--On a cru, hier, qu'après l'algarade de M.
Humann, le ministre des Finances, à la Chambre des Députés, où il a
abordé si imprudemment la question de la réduction des rentes, sans en
avoir prévenu ses collègues, il y aurait dissolution du Ministère, mais
cela s'est arrangé, et, pour le moment, tout reste au même point.

Le Roi a lui-même vu et calmé le comte de Pahlen, et on espère que le
discours du duc de Broglie, à la Chambre des Députés, n'amènera pas
d'orage[4].

  [4] Le discours auquel il est fait allusion se trouve aux pièces
  justificatives de ce volume.


_Paris, 24 janvier 1836._--La Chambre des Députés est restée émue et
hargneuse, et cette session, si anodine dans son début, donne assez de
tracas à ceux qui sont chargés de la gouverner. Son humeur est surtout
contre le duc de Broglie, dont le ton lui déplaît. Le «Est-ce clair?»
qu'il lui a dit l'autre jour, a bien de la peine à se faire
pardonner[5].

  [5] M. Humann ayant présenté à la Chambre, comme une mesure
  nécessaire, la conversion des rentes 5 pour 100 que M. de Villèle
  avait déjà vainement tentée en 1824, l'accueil de la Chambre fut
  plutôt favorable. Mais le Cabinet, qui n'avait pas connu à
  l'avance cette communication, se montra blessé, et M. Humann
  donna sa démission. Une interpellation sur cette question eut
  lieu à la Chambre le 18 janvier. Le duc de Broglie ouvrit la
  discussion: «On nous demande, dit-il, s'il est dans les
  intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette
  session. Je réponds: Non! Est-ce clair?» Ce dernier mot souleva
  une animosité unanime et fut aussitôt commenté défavorablement.


_Paris, 28 janvier 1836._--Nous dînions hier chez le maréchal Maison;
dîner curieux sous mille rapports, mais particulièrement sous celui des
histoires que contait la Maréchale; en voici une qui m'a fait rire
longtemps après que j'étais sortie. On parlait des bals nombreux et de
la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s'y
rendaient effectivement; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et
aigre voix: «J'ai un moyen parfait, que j'ai toujours employé avec
succès dans tous les bals que j'ai donnés: je place ma femme de chambre
derrière la porte, avec un sac de haricots près d'elle, et je lui dis:
«Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du
grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule». Alors, le compte
est exact, et c'est la bonne manière.» Le fou rire m'a si bien prise,
que j'ai pensé étouffer. Il en est arrivé autant de Mmes de Lieven, de
Werther, de Lœwenhielm, qui étaient là.


_Paris, 1er février 1836._--Si j'étais dans mon cher Rochecotte, comme
l'année dernière, je croirais, le 1er février, entrer dans le printemps,
au lieu qu'ici il n'en est rien! Depuis quelque temps, je reprends mes
déplaisances pour Paris, non pas que l'on y soit mal pour moi, au
contraire, mais parce que la vie y est trop fatigante, l'air trop aigre,
les intérêts trop divers et trop multipliés, sans être assez puissants;
aucun loisir, des sollicitudes infinies, avec un vide sensible.

A Londres, j'étais dans un monde grand et simple; j'y avais du succès et
du repos tout à la fois. M. de Talleyrand y jouissait d'une bonne santé,
il y faisait de grandes affaires. Les agitations que j'y ai éprouvées
valaient au moins leur enjeu; j'avais le temps de m'occuper, de lire, de
travailler, d'écrire, de réfléchir; je n'étais pas bousculée par tous
les désœuvrés. L'impôt des visites ne se prélève à Londres que sur une
voiture vide et sur des cartes; enfin, je prenais plaisir à vivre...
Voilà pourquoi il me prend de profonds et mélancoliques regrets, après
ces années qui ne reviendront plus; ou bien pour ce doux et tranquille
Rochecotte, cet horizon si vaste, ce ciel si pur, cette maison si
propre, ces voisins simples et bienveillants, mes ouvriers, mes fleurs,
mon gros chien, ma petite vache, la chevrette, le bon Abbé, le modeste
Vestier, le petit bois où nous allions ramasser des pommes de pin; pour
ce lieu où je vaux mieux qu'ailleurs, parce que j'ai le temps d'y faire
d'utiles retours sur moi-même, d'y éclaircir ma pensée, d'y pratiquer le
bien, d'éviter le mal, de me mêler, par la simplicité du cœur et de
l'esprit, à cette belle, forte et gracieuse nature qui m'abrite, me
rafraîchit et me repose... Mais trêve de gémissements sur moi-même,
inutiles et maussades!

J'ai vu le docteur Ferrus, hier, à son retour de Ham. Voici ce qui s'y
est passé. Les instructions des médecins étaient extrêmement
bienveillantes, et leurs dispositions aussi; mais il aurait fallu
trouver des motifs à faire valoir, et les deux ex-ministres vraiment
souffrants, MM. de Chantelauze et de Peyronnet, ont refusé insolemment
la visite des médecins, et les autres, MM. de Polignac et Guernon de
Ranville, fort doux, soumis et désireux de profiter de la bonne
disposition du gouvernement, n'ont, malheureusement, aucune infirmité à
faire valoir. Il faut donc ajourner des adoucissements qu'on désirait
leur accorder[6].

  [6] C'est toujours des anciens ministres de Charles X qu'il est
  question ici. Quelques personnes multipliaient les efforts, pour
  faire rendre la liberté à ces malheureux détenus politiques.


_Paris, 6 février 1836._--J'avais été, hier matin, avec la comtesse
Bretzenheim qui m'en avait priée, à la séance de la Chambre des Députés,
où j'ai entendu, pour la première fois, M. Thiers; il a admirablement
parlé contre la fameuse réduction des rentes, si imprudemment mise en
avant par M. Humann. J'avais cru remarquer, pendant que M. Thiers
parlait, qu'il avait plusieurs fois craché le sang; je lui avais écrit
pour lui demander comment il se portait; voici un passage extrait de la
réponse que j'ai reçue de lui: «Je suis exténué; je n'ai pas craché le
sang, mais j'ai dépensé, en quelques moments, bien des jours de ma vie;
je n'ai jamais trouvé tant de résistance dans les esprits, et il faut
une volonté de fer pour surmonter un entraînement aussi visible que
celui de la Chambre. Je suis désolé que vous m'ayez entendu, ces
chiffres doivent vous avoir ennuyée et vous avoir donné une triste idée
de la tribune. Il ne faut nous entendre et nous juger que dans nos jours
d'élan et non quand nous réglons nos comptes. Au surplus, je doute du
résultat, et, sauf le Roi, je fais plutôt des vœux pour la retraite du
Ministère. Lutter contre tant d'imprudence et de sottise est
insupportable.»

Ce billet m'a bien un peu préparée aux événements du soir; cependant, M.
Royer-Collard, qui est venu chez moi dans la matinée, croyait au
triomphe du Ministère par l'embarras dans lequel serait la Chambre
d'user du sien, si elle l'obtenait. Il était dans l'admiration du
discours de M. Thiers, et le lui avait dit à la Chambre; ils se sont
reparlés, à cette occasion, ce qui n'avait pas eu lieu depuis la
discussion des lois de Septembre.

Mon fils, M. de Valençay, est venu dîner chez nous, en sortant de la
séance de la Chambre des Députés. Il nous a raconté l'effarement de la
Chambre aux singulières conclusions de M. Humann, et celui des
ministres, au sujet de l'ajournement de la réduction des rentes, rejet
qui n'a eu lieu qu'à une majorité de deux voix.

Le _Journal de Paris_ nous a appris, plus tard, les démissions
ministérielles; et le général Alava, qui venait de voir le duc de
Broglie, nous a dit, à onze heures du soir, que le Roi avait accepté les
démissions et fait chercher MM. Humann et Molé.

Je reçois, à l'instant, le billet que voici de M. Thiers: «Nous sommes
sortis très franchement, très sérieusement. Le Roi savait d'avance, et
d'accord avec tous, d'accord, en particulier, avec moi, que ce résultat
découlait forcément de notre résolution de combattre la réduction. Nous
serions déshonorés si nous ne persistions pas pour faire composer un
nouveau Ministère: il sera chétif et misérable, peu importe; il faut que
le tiers-parti fasse ses preuves. Le Roi ne peut faire autrement, ni
nous non plus; le contraire serait une illusion à la Charles X.»


_Paris, 7 février 1836._--Il n'y a rien de fait, pour le Ministère, si
ce n'est la sortie des anciens Ministres, qui est positive. On croit que
M. de Broglie ne rentrera jamais dans aucun Cabinet; c'est surtout
contre lui qu'est l'humeur de la Chambre.

M. Thiers n'a fait aucune opposition à se retirer, plutôt par le désir
de sortir honorablement et de se débarrasser décemment de collègues
qu'il n'aimait pas, que par engouement pour la question, qu'il a
cependant défendue avec un grand talent.

Le Roi a fait appeler M. Humann qui a _refusé_, M. Molé qui a _décliné_,
M. Dupin qui a _battu la campagne_: les nuances méritent d'être
observées. Enfin, il n'y a rien du tout de fait, ni, vraiment, rien de
probable. Des amis de M. Molé disent qu'il ne veut plus se laisser
ballotter, prier, refuser, trimballer, comme au mois de novembre, et
qu'on se rangerait sous sa loi ou bien qu'il ne se mêlerait de rien.


_Paris, 8 février 1836._--J'ai eu, hier, la visite de M. Royer-Collard.
Voici comment il explique la conduite de la Chambre envers le dernier
Ministère. Il dit que le Ministère, qui durait depuis trois ans, y était
usé, surtout dans ses membres doctrinaires; que ce Cabinet avait fatigué
la Chambre en lui mettant trop souvent le marché à la main, en faisant
trop souvent de questions personnelles des questions de Cabinet; que la
Chambre avait fait au delà de ses forces pour l'ordre du jour motivé
lors des lois d'intimidation[7]; qu'on ne lui en avait pas su bien bon
gré dans les provinces; qu'enfin, la fatuité dédaigneuse de M. de
Broglie avait comblé la mesure, et que, du reste, le pays étant prospère
au dedans, tranquille au dehors, la Chambre avait cru le moment opportun
pour établir son droit et prouver au Ministère qu'il n'était pas
indispensable, et que, profitant d'une question populaire dans les
provinces, elle avait saisi l'occasion de prouver sa puissance, aidée,
du reste, par son ignorance politique qui ne lui permet pas de calculer
la durée de la crise. M. Royer-Collard a ajouté que les deux seuls
Ministres qui eussent conservé du crédit dans la Chambre étaient MM.
Thiers et Duchâtel, mais qu'encore, une petite _quarantaine_ leur
serait-elle nécessaire.

  [7] En 1835, et comme conséquence de l'attentat Fieschi, le
  Ministère avait présenté trois projets de loi très sévères, l'un
  portant sur le jury, l'autre sur le jugement des actes de
  rébellion, le troisième, de beaucoup le plus considérable, sur la
  presse. La discussion de ces lois, commencée à la Chambre dès le
  13 août 1834, s'y poursuivit jusqu'au 29 septembre, et se termina
  par le succès complet du gouvernement.

Nous avons dîné hier chez M. Thiers, d'après une ancienne invitation. Il
ne touchait pas terre, battait des ailes, comme quelqu'un qui est sûr de
rentrer en cage quand cela lui plaira. Il se propose de voyager; il veut
aller à Vienne, à Berlin, à Rome, à Naples, et partira au mois d'avril.
M. de Broglie, qui était aussi à ce dîner, avait l'air morne et abattu,
et cela avec une absence de dissimulation qui m'a étonnée: il portait
non pas le diable, mais la _doctrine_ en terre!

J'ai été, le soir, chez Mme de Lieven, chez laquelle j'ai fait la
connaissance de M. Berryer; le matin, M. Royer-Collard, qui le voit
souvent, m'avait dit qu'il était fort désireux de faire la mienne: nous
avons été fort polis, l'un et l'autre, et l'un pour l'autre. Il est
simple et doux dans la conversation.


_Paris, 9 février 1836._--Nous avons dîné, hier, chez l'ambassadeur de
Sardaigne[8]. Rien n'était encore décidé pour le Ministère, disait-on;
M. Molé, qui était près de moi à table, me l'a confirmé. Il n'a pas
voulu entrer avec le tiers-parti, quoique tout le monde le demande, les
uns comme les autres. Je crois qu'en désespoir de cause, ceci tournera
momentanément au profit de M. Dupin; mais comme le petit groupe à la
tête duquel il se trouve est très faible, il lui faudra, pour se
soutenir, prendre son point d'appui sur la gauche, qui le lui vendra
cher. Ce sera une position semblable à celle du Ministère whig anglais
vis-à-vis d'O'Connell. Je veux espérer que cela sera court, mais il faut
fort peu de temps pour faire faire bien des pas rétrogrades. On est
triste au Château, inquiet dans le monde diplomatique, agité dans le
public.

  [8] Le marquis de Brignole-Sale.

La jeune et belle Reine de Naples est morte le 31 janvier, peu de jours
après ses couches. La nouvelle en est arrivée hier[9].

  [9] Marie-Christine, princesse de Savoie, mourut eu donnant le
  jour à celui qui fut plus tard François II, dernier Roi de
  Naples.


_Paris, 10 février 1836._--Les juges et les auditeurs du procès Fieschi
prennent un intérêt singulier pour cet homme. C'est un caractère qui n'a
jamais eu son semblable; il a beaucoup d'esprit, et dans l'art
stratégique, du génie, une mémoire, un sang-froid, une précision que
son horrible situation n'obscurcit jamais; ses passions, surtout celle
pour les femmes, sont vives. Celle qu'il conserve pour cette Nina
Lassave est remarquable: il lui écrit sans cesse, et ayant su qu'elle ne
lui avait pas été fidèle, il lui a reproché de ne pas avoir attendu
quelques jours pour lui épargner cette dernière douleur, quand son
exécution allait la rendre libre, et tout cela a été écrit de la façon
la plus touchante. Ce qui l'est beaucoup, aussi, c'est que M. Ladvocat,
envoyant assez d'argent à Fieschi pour qu'il puisse se donner quelques
douceurs dans la prison, il n'en dépense rien et le fait remettre à
cette Nina. Celle-ci lui a écrit, pour le remercier, à peu près en ces
termes: «Je te remercie de te priver de tout pour moi; avec ce que tu
m'as envoyé, je me suis acheté des effets un peu propres pour te faire
honneur devant Messieurs tes juges; mais comme _bientôt tu ne pourras
plus rien m'envoyer_, je vais _économiser_, et me voilà _à la tête de
quarante francs_.»

Cette phrase sur l'économie est abominable. Du reste, elle a écrit à
Fieschi pour l'assurer qu'elle lui est restée fidèle, ce qui n'est pas
vrai. Tout le monde semble être beaucoup plus occupé de ces incidents
amoureux que du crime même de Fieschi. Quel singulier temps! La
correspondance de Fieschi passant par les mains de M. Decazes, il en
amuse la Chambre des Pairs; mais ce qui est vraiment étonnant, c'est la
vogue que toute cette histoire a donnée à Mlle Nina, habitante naguère
de la Salpêtrière. On assure qu'il lui a été fait des propositions
d'argent par de beaux messieurs; ce qui est certain, c'est qu'on entend
détailler ses beautés et ses imperfections d'une manière souvent
étrange; mais ce qui est positif, c'est qu'elle est borgne.

Si Fieschi est amoureux, il se montre aussi religieux: l'aumônier de la
Chambre des Pairs ayant demandé aux pensionnaires s'ils ne désiraient
pas entendre la messe, Fieschi a dit, seul, que oui, qu'il le désirait
beaucoup, qu'il n'était ni païen, ni athée; qu'à la vérité, il n'était
pas fort en théologie, mais qu'il avait lu Plutarque et Cicéron, et
qu'il croyait fermement à l'immortalité de l'âme; que l'âme, n'étant pas
divisible, ne pouvait être matérielle; qu'enfin, il était tout
spiritualiste: il a prié l'aumônier de venir le revoir et de ne pas le
quitter quand une fois sa sentence serait prononcée. Et, après de tels
contrastes, est-il encore permis de porter un jugement absolu sur les
hommes!

Voici le bulletin de la crise ministérielle, je le crois fort exact:
hier matin, le Roi a fait chercher Dupin, Sauzet et Passy et les a
chargés du Ministère, à deux seules conditions: 1º de ne s'adjoindre
personne ayant voté contre les lois de répression; 2º de ne prendre pour
ministre des Affaires étrangères qu'un homme qui rassurerait l'Europe et
lui conviendrait à lui-même. Ces trois messieurs ont répondu qu'ils
comprenaient les désirs du Roi, mais qu'ils ne pouvaient prendre aucun
engagement avant d'avoir consulté leurs amis, et, là-dessus, ils se sont
retirés. A la Chambre, ils ont fait circuler une liste à peu près comme
ceci: Dupin à la Justice avec la Présidence, Sauzet à l'Instruction
publique, Passy aux Finances, Flahaut aux Affaires étrangères, Molitor
à la Guerre, Montalivet à l'Intérieur. J'ai su, depuis, que Montalivet
refusait malgré les désirs du Roi, et que le Roi se refusait, lui, à
Flahaut. Le Roi désirait mettre, soit Rumigny, soit Baudrand, aux
Affaires étrangères, et serait même fixé sur ce dernier, si on ne
désirait le conserver pour suivre le Prince Royal dans ses voyages.
Celui-ci est fort content de la chute du dernier Ministère; je crois
qu'il a tort; les Flahaut sont ravis. Tous les amis des Ministres
comptent porter M. Guizot à la Présidence de la Chambre des Députés; le
parti opposé portera M. Martin du Nord.

J'ai été, avec M. de Talleyrand, dîner, le soir, chez M. de Montalivet:
MM. de Pahlen et Apponyi étaient pâles de terreur d'avoir vu le nom de
M. de Flahaut sur une liste ministérielle. Le maréchal Maison regrettait
son ambassade de Pétersbourg avec des cris de rage qui n'avaient pas
bien bonne grâce.

Nous avons été ensuite à la dernière réception ministérielle du duc de
Broglie. M. de Broglie se croit l'expression exacte des besoins de
l'époque; il ne se doute pas de ce qui est cependant l'exacte vérité,
c'est-à-dire que tout le grabuge actuel, c'est lui qui en est cause, que
c'est contre lui que tout s'est fait, que c'est lui que la Chambre
repousse, et que s'il voulait dire à ses collègues: «Je vois que je suis
seul la pierre d'achoppement: je me retire, mais je vous prie de
rester,» M. Molé entrerait à sa place et tout serait arrangé à la
satisfaction générale.


_Paris, 11 février 1836._--Mme de Rumford est morte hier matin, après
son déjeuner, ayant eu du monde à dîner la veille. Elle était fort
changée depuis quelque temps, mais s'était toujours refusée à se
constituer malade; elle est restée rude contre la mort, comme elle
l'avait été pour les vivants. Son salon manquera; c'était un point de
réunion, et il y en a si peu, au moins comme habitude. Chacun y
retrouvait un souvenir qui lui était particulier, de telle ou telle
époque de sa vie. Cette disparition m'a attristée. Il ne faut pas avoir
quatre-vingts ans cette année! Mais que dis-je? M. de Rigny en avait
cinquante, Clémentine de Flahaut seize, Yolande de Valençay deux! C'est
la vie à toutes les marches de l'échelle qui est menacée, maintenant
comme toujours! Il faut se tenir prêt!

Ce vieux chat de Sémonville, dont les griffes ne s'usent pas, est arrivé
hier au Luxembourg, annonçant qu'enfin le Ministère était constitué. On
l'entoure, on le questionne, et voici sa liste: «Président du Conseil,
Madame Adélaïde; Justice et Cultes, duchesse de Broglie; Affaires
étrangères, duchesse de Dino[10]; Intérieur, comtesse de Boigne; Guerre,
comtesse de Flahaut; Marine, duchesse de Massa; Finances, duchesse de
Montmorency; Commerce, marquise de Caraman...» Mme de Lieven, à qui j'ai
mandé cette plaisanterie, en réponse à un billet de questions, m'a
répliqué qu'au moins la condition du Roi était remplie, et que le
Ministre des Affaires étrangères n'inquiéterait pas l'Europe.

  [10] L'auteur de la _Chronique_.

Ce sont bien là des pauvretés, mais la pauvreté véritable, c'est
l'impossibilité de former un Ministère, sérieux ou autre.

J'ai été, hier, aux Tuileries; les Ministres sortants y étaient tous
réunis autour du Roi, mais, je crois, sans objet: c'est déplorable!


_Paris, 12 février 1836._--Rien de nouveau, ministériellement. Voici
tout ce que je sais d'hier: Dupin, Passy et Sauzet ont été à trois
heures chez le Roi, lui dire qu'ils ne pouvaient se charger de la
composition d'un Ministère que des intrigues diverses leur avaient rendu
impossible; que, du reste, ils étaient prêts à entrer, individuellement,
dans l'administration, si leurs services étaient agréables au Roi. Ils
se sont retirés là-dessus, et le Roi, dans la soirée, a fait chercher M.
Molé. J'ignore ce qui s'est passé dans cette entrevue.


_Paris, 13 février 1836._--Voici ce que je sais d'hier sur la crise
ministérielle. M. Molé déclare qu'il n'entrera pas sans M. Thiers,
celui-ci sans M. Guizot, qui, à son tour, n'entrera pas sans M. de
Broglie, à moins que M. de Broglie ne reconnaisse qu'étant le seul
obstacle véritable, il exige de ses collègues de rentrer sans lui, et
qu'il ne leur écrive, à cet effet, une lettre datée de Broglie. M. de
Salvandy a cherché à l'éclairer là-dessus, mais il a été très mal reçu.
On parle d'une scène vive entre MM. de Broglie et Guizot; ce qui est
certain, c'est que M. de Broglie est dans une agitation tellement
visible et de si mauvaise grâce, qu'il fait pitié à ses amis et hausser
les épaules aux autres. Il y a des gens qui croient que le Roi fera
venir Broglie et lui demandera, avec plus d'autorité que Salvandy, de
faire cesser un si déplorable état de choses, que lui seul prolonge.

Dupin est entièrement démoli. Dans les deux jours où on croyait que
Dupin serait ministre, Thiers et Guizot se sont, tous deux, mis sur les
rangs pour la Présidence; cela leur a fourni l'occasion de compter les
voix en leur faveur: M. Guizot en avait huit, M. Martin du Nord en avait
quinze; tout le reste du parti ministériel aurait porté M. Thiers et le
lui aurait fait offrir.


_Paris, 16 février 1836._--Voilà Fieschi condamné ainsi que ses
complices; M. de Mareuil est venu hier, à onze heures du soir, nous dire
l'arrêt[11].

  [11] L'arrêt condamnant à mort Fieschi, Pépin et Morey; ceux-ci
  furent exécutés le 19 février à la barrière Saint-Jacques.

Il paraît qu'il y a beaucoup de Pairs qui ont longuement motivé leurs
votes. Une fraction peu nombreuse de la Chambre trouvait les preuves
matérielles contre Pépin et Morey insuffisantes pour la peine capitale
et penchait pour les travaux forcés à perpétuité. C'est M. Barthe qui a
demandé qu'à la peine de mort unanimement votée contre Fieschi, on
joignît les détails du supplice qui s'appliquent aux parricides.

Les journaux annoncent la mort de Mme Bonaparte mère; sa double
petite-fille, c'est-à-dire la fille de Joseph qui a épousé le fils de
Lucien, était seule de sa nombreuse progéniture près d'elle. Le
cardinal Fesch l'a très bien soignée; elle lui laisse ses tableaux; on
croit, du reste, que sa succession va causer de nouvelles divisions
parmi ses enfants, qui ne sont déjà pas trop unis, car il paraît qu'elle
a, de son vivant, donné à Lucien, à Jérôme, à Mme Murat, des sommes
considérables, que ceux-ci ne veulent pas rapporter.


_Paris, 17 février 1836._--Hier, le Roi a réuni ses anciens Ministres et
leur a déclaré: 1º qu'il ne recevrait leur démission que quand un autre
Cabinet serait formé; 2º que la majorité de la Chambre n'ayant été
qu'accidentellement contre eux, et que leur système étant celui de la
Chambre, quand bien même tous les individus qui composent le Cabinet ne
plairaient pas à la Chambre, il serait, lui, charmé qu'ils restassent
tous, mais que, s'ils croyaient qu'il y avait parmi eux quelques membres
qui continueraient à tenir la Chambre en irritation, il les priait de se
consulter et de lui dire ensuite sur quoi il pouvait compter. M. de
Broglie a dit qu'il fallait que le Roi essayât du tiers-parti; à cela,
le Roi a répondu: «Il peut vous amuser, Monsieur, de constater une fois
de plus l'impuissance de ce tiers-parti, mais il ne m'amuse pas, moi,
d'en faire le pitoyable essai; j'en ai assez des Ministères de trois
jours: ce n'est ni dans le tiers-parti, ni dans la gauche qu'est la
majorité, c'est avec vous, Messieurs; si ce n'est avec tous, du moins
avec quelques-uns. Vos arrangements et engagements réciproques les uns
avec les autres doivent se rompre devant l'importance et la gravité des
circonstances, je l'attends de votre honnêteté, de votre désir du bien
général; quant à moi, Messieurs, je reste les bras croisés et je vais me
promener à Saint-Cloud.» MM. de Broglie et Guizot ont répliqué qu'aucun
des membres du Cabinet n'avait précisément des engagements, mais que
chacun avait des convenances personnelles auxquelles il était juste de
tenir. Cette réponse était fort déplacée dans un semblable moment,
surtout de la part du premier qui, par un mot, déliait le nœud gordien
et simplifiait la position! Personne ne sait comment cela finira, à
moins que ce ne soit comme M. Royer-Collard l'a prédit à M. Thiers,
vendredi dernier: «Vous n'êtes pas possible aujourd'hui; mais dans huit
jours, vous serez nécessaire, indispensable, absolu!»

M. de Talleyrand et moi avons été hier chez la Reine. Le deuil de la
Reine de Naples, le procès Fieschi, la crise ministérielle avaient
éloigné du Château tout plaisir du carnaval; on y était fort sérieux. Le
Roi, absorbé par la perspective du supplice des condamnés de la veille,
n'avait pas osé sortir, parce qu'il se savait guetté par Mme Pépin et
ses enfants. Le Château était vraiment lugubre et faisait un pénible
contraste avec la joie bruyante des rues. M. Pasquier est venu dire au
Roi que Pépin avait demandé à le voir ce matin, ce qui ferait remettre
l'exécution à demain.

Avant de rentrer, j'ai été passer une demi-heure chez Mme de Lieven, où
il n'y avait que lady Charlotte Granville et M. Berryer, qui disait que,
lorsqu'on ne savait rien, on était le maître de dire tout ce qu'on
voulait, et qu'il ne craignait pas d'affirmer que Thiers était la seule
combinaison possible et qui trouverait faveur dans la Chambre.


_Paris, 19 février 1836._--J'ai eu, hier matin, la visite de M. Thiers,
qui avait décidément accepté la mission de former un Ministère et de le
présider. Il comptait employer le reste de la journée à compléter le
Cabinet. Il a trop d'esprit pour ne pas sentir les difficultés de sa
nouvelle position, et trop de courage, ou d'aveuglement, pour en être
effrayé. M. Molé a manqué son élection académique; c'est une mauvaise
semaine pour lui.


_Paris, 20 février 1836._--Voici les paroles textuelles écrites par le
Roi au-dessus de la signature qu'il a été obligé d'apposer à l'arrêt de
mort de Fieschi, Pépin, Morey, etc.: «Ce n'est que le sentiment d'un
grand devoir qui me détermine à donner une approbation qui est un des
actes les plus pénibles de ma vie; cependant, j'entends qu'en
considération de la franchise des aveux de Fieschi, et de sa conduite
pendant le procès, il lui soit fait remise de la partie accessoire de la
peine, et je regrette profondément que plus ne me soit pas permis par ma
conscience.»


_Paris, 21 février 1836._--M. Thiers éprouve des difficultés dans la
combinaison du Ministère dont il est chargé; chacun veut bien aller avec
lui et sous lui, mais ils ne veulent pas aller ensemble les uns avec les
autres. Il faut cependant tenir à ce que la composition de ce Cabinet
soit un peu forte et ait bonne façon! Tout est difficile, même pour les
gens supérieurs.


_Paris, 22 février 1836._--M. de Talleyrand est de très mauvaise humeur:
tous les journaux, tout le public le chargent de la responsabilité du
nouveau Ministère, qui est enfin dans le _Moniteur_ de ce matin[12]. Il
n'y a cependant pris aucune part; et comme l'éclatante élévation de M.
Thiers ne plaît pas à tout le monde, et que les Anglais surtout jettent
feu et flammes, il en résulte que M. de Talleyrand est en grande humeur
de tout ce qui lui revient à ce sujet, qu'il a une reprise de colère
contre Paris, contre son âge, sa position, et des regrets plus vifs
d'avoir quitté Londres.

  [12] Voici la composition du Cabinet: M. Thiers, président du
  Conseil, ministre des Affaires étrangères; M. Sauzet, garde des
  Sceaux; M. de Montalivet, ministre de l'Intérieur; M. d'Argout,
  ministre des Finances; M. Passy, ministre du Commerce et des
  Travaux publics; M. Pelet de la Lozère, ministre de l'Instruction
  publique; le maréchal Maison, ministre de la Guerre; l'amiral
  Duperré, ministre de la Marine.


_Paris, 23 février 1836._--En rentrant, hier, chez moi, à la fin de la
matinée, j'ai trouvé à ma porte M. Berryer qui venait de la Chambre des
Députés où M. Thiers avait parlé. Berryer fait beaucoup de cas du
talent, de l'esprit et de la capacité de Thiers; il a, lui, Berryer,
l'esprit le plus libre, le plus impartial, le plus simple possible; il
n'a aucune recherche, aucune affectation, aucune violence; il n'est pas
à croire qu'il soit homme de parti; aussi, dans mon opinion, l'est-il
on ne saurait moins et ne demanderait-il peut-être pas mieux de ne plus
l'être du tout. La facilité, la rapidité, la douceur, la simplicité de
sa conversation ont un mérite d'autant plus grand qu'elles contrastent
avec sa profession et sa position. L'équité de ses jugements et la
bienveillance qui les caractérise le plus souvent, sont ce qui donne de
la confiance dans ses opinions et ses récits.

La Chambre a reçu, avec une froideur marquée, le discours de Thiers, et
je considère cela comme heureux pour lui, car il serait à craindre qu'il
ne se perdît par de l'enivrement, et ce qui l'en garera ne saurait que
lui être bon et utile.


_Paris, 24 février 1836._--M. Molé a dîné hier ici; il y a un peu de
froideur et de désappointement sur sa figure. Il n'a pas voulu marcher
ministériellement avec M. Dupin, c'est ce qui a fait que celui-ci, qui
dispose de quelques voix à l'Académie française, les lui a retirées et
a, ainsi, fait manquer son élection, disant à cette occasion: «M. Molé
n'ayant pas voulu être mon collègue, il ne me plaît pas d'être son
confrère.»

Paris va devenir de plus en plus difficile à habiter, car, outre les
deux grandes divisions dynastiques qui séparent la société, nous aurons
maintenant toutes les fractions que les ambitions déçues ont produites:
fraction Molé, fraction Broglie, fraction Guizot, fraction Dupin, et,
enfin, fraction Thiers. Et tout cela aussi aigre et aussi hostile les
uns contre les autres que le sont les légitimistes contre le juste
milieu au moins. Toutes ces fractions ne se confondent nullement dans un
centre commun, comme pourrait et devrait être le Château; au contraire,
les uns s'en prennent au Roi, les autres à notre maison. On se déteste,
on se déchire, personne ne fait de retour sur soi-même et ne s'aperçoit
que chacun a fait des fautes, et que ce n'est pas hors de soi qu'il faut
chercher des coupables. Quel étrange aveuglement et quelle mauvaise foi
ont les hommes, surtout ceux qui sont mêlés aux affaires et aux intérêts
du monde!


_Paris, 4 mars 1836._--M. Mignet racontait, hier, chez M. de Talleyrand,
que Marchand, l'ancien valet de chambre de l'Empereur, allait publier
des commentaires sur les _Commentaires_ de César, que Napoléon lui a
dictés dans les dernières semaines de sa vie à Sainte-Hélène. Marchand a
beaucoup parlé à M. Mignet des derniers moments de Napoléon, de son
isolement, du vide de sa vie, et il en donnait pour preuve qu'un soir,
l'Empereur, déjà fort souffrant, étant couché, lui dit en lui montrant
le pied de son lit: «Marchand, assieds-toi là et conte-moi quelque
chose.» Marchand lui dit: «Eh! mon Dieu, Sire, que puis-je vous dire, à
vous qui avez tant fait et tant vu?--Raconte-moi ta jeunesse, ce sera
simple, ce sera vrai, et cela m'intéressera», reprit l'Empereur... Ce
petit dialogue paraît bien pathétique! Et Bossuet, qui, dans son Oraison
funèbre de la Palatine, n'a pas dédaigné l'anecdote un peu triviale de
la poule, quel enseignement n'aurait-il pas trouvé dans ce peu de
paroles? Le plus grand hommage rendu à Bossuet n'est-il pas ce retour
que chaque grande infortune, chaque gloire triomphante ou déchue nous
fait faire vers l'aigle de Meaux, seul digne de les célébrer, de les
pleurer et de les perpétuer!

_Paris, 5 mars 1836._--Hier matin, MM. Berryer et Thiers se sont
rencontrés chez moi; je ne crois pas qu'on puisse avoir assisté à une
conversation plus animée, plus piquante, plus spirituelle, plus
inattendue, plus obligeante, plus sincère, plus libre, plus vraie, plus
dégagée de tout esprit de parti que celle qui s'est établie tout de
suite entre ces deux hommes, si bien et si différemment doués; mais
aussi j'ai cru qu'elle ne finirait plus! Ils ne sont partis qu'après six
heures.

_Paris, 7 mars 1836._--M. Royer-Collard m'a fait faire, hier, la
connaissance de M. de Tocqueville, l'auteur de _la Démocratie en
Amérique_; il m'a paru être un petit homme doux, simple, modeste, à la
mine spirituelle. Nous avons beaucoup causé de l'Angleterre, sur les
destinées de laquelle nous sommes parfaitement d'accord.

_Paris, 9 mars 1836._--J'avais, à plusieurs reprises, jeté les yeux sur
l'_Imitation de Jésus-Christ_, mais, soit que je ne connusse encore que
superficiellement les autres et moi-même, soit que mon esprit fût mal
préparé et ma pensée trop distraite, je ne faisais pas grande différence
entre ce bel ouvrage et la _Journée du Chrétien_ ou le _Petit
Paroissien_; je m'étais souvent étonnée de la grande réputation de ce
livre et je n'avais trouvé aucun goût à sa lecture. Le hasard me l'a
fait ouvrir l'autre jour chez Pauline, les premières lignes m'ont
frappée, et, depuis, je le lis avec une admiration toujours croissante.
Que d'esprit sous la forme la plus simple! Quelle profonde connaissance
du cœur humain dans ses plus profonds replis! Que c'est beau et
lumineux! Et c'est l'ouvrage d'un moine inconnu! Rien ne m'humilie
davantage que de l'avoir méconnu, et ne me prouve mieux à quel point
j'étais dans les ténèbres.


_Paris, 10 mars 1836._--J'ai été, hier, avec la duchesse de Montmorency,
au bal de Mme Salomon de Rothschild, la mère. C'est la maison la plus
magnifique que l'on puisse imaginer, aussi l'appelle-t-on le temple de
Salomon! C'est infiniment supérieur à la maison de sa belle-fille, parce
que les proportions sont plus élevées et plus grandes; le luxe y est
inouï, mais de bon goût, la Renaissance pure, sans mélange d'autres
styles; la galerie surtout est digne de Chenonceaux, et on aurait pu se
croire à une fête des Valois. Dans le salon principal, les fauteuils, au
lieu d'être en bois doré, sont en bronze doré, et coûtent mille francs
pièce! La salle à manger est comme une nef de cathédrale. Le tout bien
ordonné, admirablement éclairé, point de cohue et beaucoup de politesse.


_Paris, 11 mars 1836._--J'ai été, hier, entendre, à
Saint-Thomas-d'Aquin, l'abbé de Ravignan, jadis procureur du Roi, ami
de Berryer qui le vante beaucoup, beau-frère du général Exelmans, et que
j'ai connu dans les Pyrénées, où il m'avait frappée par la belle
expression de sa figure. Il prêche bien, son débit est excellent, son
style pur et élégant; il a plus de logique et d'argumentation que
d'onction et de chaleur. Aussi s'attache-t-il plus au dogme qu'à la
morale évangélique; il m'a paru être plutôt un homme de talent qu'un
grand prédicateur.


_Paris, 18 mars 1836._--Vous faites ma part trop belle[13] à l'occasion
de mes réflexions sur Bossuet. Parce que j'ai le goût du vrai, parce que
le monde et les hideuses misères qu'il couvre me frappent en dégoût;
parce que j'en suis arrivée à en craindre la contagion, que j'ai trop
longtemps subie; parce que je me recherche avec quelque sérieux, et que
je suis effrayée de me sentir plongée dans toutes les mauvaises et
tristes conditions qui sont le partage des gens du monde, et au milieu
desquelles l'esprit de paix, de charité et de pureté périt; parce que je
fais quelques efforts pour rompre tant d'entraves et pour m'élever vers
une région plus épurée, il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent,
mes efforts sont impuissants, mes essais inutiles, mes tentatives
vaines, et que je ne sais, habituellement, si l'excès de fatigue morale
qui m'accable tient au triste spectacle des déplorables agitations qui
m'entourent ou à celles, non moins déplorables, que j'éprouve moi-même.
Quand, après de longues années passées dans tous les embarras du siècle,
on veut changer de route, quelque détourné que soit le sentier qui
conduit de l'une à l'autre, on se trouve un lourd bagage: on ne sait ni
avancer avec son poids, ni s'en alléger tout d'un coup; on trébuche, on
revient sur ses pas; enfin, on est très mauvais marcheur, et le but
s'éloigne, à mesure qu'on a un désir plus sincère de l'atteindre. Voilà
où j'en suis...

  [13] Extrait d'une lettre.

J'ai eu, hier, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville,
qui me plaît assez; celle du duc de Noailles, qui, sans déplaire jamais,
ne plaît jamais trop; et, enfin, celle de Berryer, qui pourrait plaire
beaucoup, s'il ne portait, à travers son esprit et son agrément, une
certaine empreinte de mauvaise vie dont je suis frappée; du reste, la
conversation a très bien marché, entre l'un qui a si bien vu, le second
qui est sain dans son jugement, et le troisième qui a, dans l'esprit, le
mouvement rapide avec lequel on devine tout. Cette conversation d'hommes
distingués a porté uniquement sur les choses, point sur les hommes; pas
un nom propre, aucun commérage, ni violences, ni aigreurs; elle a été
telle que la conversation devrait toujours être conduite, surtout chez
une femme.


_Paris, 20 mars 1836._--Quelle profonde tristesse inspire un premier
beau jour de printemps quand il fait contraste avec la disposition dans
laquelle on se trouve!... Depuis quarante-huit heures, le beau temps
doux, léger et parfumé s'est emparé de l'atmosphère, tout est clair et
riant, tout respire la joie, tout renaît, tout se réchauffe et s'égaye;
eh bien! je me sens asphyxiée dans cette ville!... Des promenades
publiques ne sont pas la campagne et rien ne peut me rendre ce doux
printemps fleuri de l'année dernière, ce vaste horizon, cet air léger,
cette respiration facile! Qui le pourrait deviendrait l'objet de mon
culte... Au lieu de cela, aller, en voiture fermée, au bois de Boulogne
avec Mme de Lieven, quelle chute! C'est ce que j'ai fait hier, pendant
que M. de Talleyrand était à l'Académie des sciences morales et
politiques, donnant sa voix à M. de Tocqueville, qui a manqué son
élection.


_Paris, 24 mars 1836._--La princesse Belgiojoso a une figure
extraordinaire plutôt que belle; sa pâleur est extrême, ses yeux trop
écartés, sa tête trop carrée, sa bouche grande, et ses dents ternes;
mais elle a un beau nez, et une taille qui serait jolie si elle était
plus pleine, des cheveux très noirs, des costumes à effet, de l'esprit,
une mauvaise tête, des fantaisies artistes, du décousu, et un assez
habile mélange de naturel, qui trompe sur la prétention, et de
prétention qui corrige ce que le fond de la nature me paraît avoir de
vulgaire, et ce que les flatteurs appellent sauvage. Voilà ce que me
semble être cette personne, que je n'ai fait que rencontrer.

M. Royer-Collard m'ayant trouvé l'autre jour lisant l'_Imitation_, m'en
a apporté hier un joli petit exemplaire, qu'il possède depuis sa
jeunesse, et qu'il a presque toujours porté sur lui. Je ne puis dire
combien ce don m'a touchée, combien il m'est précieux: je ne trouve
qu'un seul tort à ce petit livre, c'est d'être en latin; je n'ai jamais
bien su cette langue, et je me trouve l'avoir oubliée... Je crois que je
vais la rapprendre.

M. Royer m'a demandé en échange un livre que j'eusse beaucoup lu. Je lui
ai donné cet exemplaire des _Oraisons funèbres_ de Bossuet, qui porte
fort mes marques, dont le signet est arraché et qui s'est trouvé, marqué
par une épingle à cheveux, à un des passages les plus applicables pour
moi de la princesse Palatine. M. Royer a reçu ce petit bouquin de bien
bonne grâce.

J'ai été, le soir, au Théâtre italien, où Berryer est venu me faire une
visite dans ma loge; il était fort occupé de la séance du matin à la
Chambre des Députés et du discours _formidable_ de M. Guizot. M. Thiers
se prépare à y répondre ce matin, et cela est indispensable, à moins de
laisser passer la Chambre sous le pouvoir de M. Guizot; enfin, nous
allons voir la lutte corps à corps engagée entre les vrais adversaires.
C'est un événement, et regardé comme tel. Berryer racontait et décrivait
tout cela à merveille, sans une parole âcre pour personne, sans un mot
de plus qu'il ne fallait pour l'intelligence des positions. En dix
minutes, il m'avait tout appris.


_Paris, 27 mars 1836._--Hier matin, j'ai eu l'honneur de voir le Roi
chez Madame Adélaïde; il a eu une conversation charmante. Il a eu la
bonté de me raconter son mariage, la Cour de Palerme, et la fameuse
Reine Caroline. J'ai su, aussi, que le prince Charles de Naples et miss
Pénélope arrivaient ici dans deux jours, pauvres comme des gueux. Cette
arrivée est un embarras, et une sorte de honte, surtout pour la
Reine[14].

  [14] Le prince Charles de Naples, frère de la duchesse de Berry,
  était le neveu de la Reine Marie-Amélie.

J'ai raison de croire que si Thiers n'a pas répondu immédiatement
l'autre jour au grand discours de Guizot, cela a été par mesure de
prudence, et par docilité à des ordres supérieurs; mais il ne perdra
rien pour attendre, et, à la prochaine occasion, nous verrons éclater
une grosse bombe. Il me paraît qu'on n'a pas voulu placer la question
comme un duel entre deux individus, et qu'on a préféré laisser éventer
un peu l'effet de l'un avant de le combattre. D'ailleurs, une énorme
majorité a répondu à l'effort du moment; il est seulement fâcheux qu'il
y ait autant de concessions dans le discours de M. Sauzet et j'ai vu des
mécontentements prononcés et élevés à ce sujet.

M. de Tocqueville, que M. Cousin avait, à son insu, présenté à
l'Académie des sciences morales et politiques, m'a dit avoir déclaré ne
pas vouloir qu'il fût question de lui sur de nouveaux frais. Il ne se
soucie pas, lui, petit-fils de M. de Malesherbes, de siéger à côté de
conventionnels, car cette Académie est, en général, fort mal composée.


_Paris, 29 mars 1836._--Il est certain que toute idée d'intervention en
Espagne est abandonnée par tous les divers degrés de la hiérarchie
gouvernementale; les uns ne l'ont jamais eue, les autres ne l'ont plus.
Je ne crois pas qu'il y ait la plus petite imprudence à craindre de ce
côté!

Il n'est bruit que d'une conversation entre le Roi et Guizot, dans
laquelle le Roi aurait, d'une manière très animée, montré son
mécontentement des dates auxquelles on s'efforce de rattacher le système
du bon ordre. Le Roi a dit que ce système n'était pas celui de tel ou
tel, mais le sien, et qu'il ne reconnaissait qu'une seule date, la
sienne, celle du 9 août. Il a ajouté que c'était mal agir que d'attaquer
le seul Cabinet qui, pour le moment, pouvait avoir la majorité. A quoi
Guizot a répliqué que si le Roi voulait en essayer, il verrait que la
majorité était ailleurs. «Non pas», a repris le Roi, «c'est vous,
Monsieur, qui êtes dans l'illusion, et qui ne sentez pas que la marche
que vous suivez vous éloigne des affaires plus qu'elle ne vous en
rapproche; vous arriverez peut-être, en la continuant, à me pousser à ce
qui me répugne, mais à ce qui, assurément, vous déplairait encore plus,
c'est à une dissolution de la Chambre, pensez-y bien.» Je crois que
cette conversation est textuelle et qu'elle fera un peu plus regarder à
ce qu'on dira ou fera, d'autant plus que les doctrinaires, sachant très
bien qu'ils n'ont pas de chances pour être réélus, trembleront devant la
dissolution.

M. de Chateaubriand a vendu ses œuvres, inédites et futures, 150 000
francs comptant, plus une rente viagère de 12 000 francs, réversible à
sa veuve. On dit qu'il est tout dérouté depuis qu'il a payé ses dettes;
son avenir, arrêté et limité d'avance, lui paraît un poids. Tout ce
qu'il écrira, même en dehors de ses _Mémoires_, appartiendra à ses
éditeurs, moyennant un prix réglé dès aujourd'hui. Tous les cahiers de
ses _Mémoires_ ont été solennellement renfermés, en sa présence, dans
une caisse de fer déposée chez un notaire. Il dit que ses pensées ont
été mises en prison pour dettes, à sa place.


_Paris, 30 mars 1836._--Il est bien vrai que j'ai plus entendu de
musique cette année que par le passé. Privée de toutes les jouissances
qui me sont chères, je me suis livrée, avec vivacité et sans scrupules,
à celles de la musique, recherchant les occasions de l'entendre et y
prenant plaisir. A mesure que le nombre des années ou les circonstances
diminuent le nombre des goûts, ceux qui restent s'accroissent de ceux
qui partent; les affections héritent de la coquetterie, la musique de la
danse; la lecture, la méditation, des conversations oiseuses, malignes
ou indiscrètes; la promenade des visites, et le repos de l'agitation.


_Paris, 10 avril 1836._--J'ai mené Pauline, hier au soir, à une loterie
de charité chez la duchesse de Montmorency, où il y avait foule; tout le
haut faubourg Saint-Germain, et jusqu'à la duchesse de Gontaut,
l'ancienne gouvernante du duc de Bordeaux, qui, du reste, s'est exécutée
et m'a saluée très poliment. Pauline s'est amusée comme on s'amuse à
quinze ans, c'est-à-dire de tout. Elle était fort en beauté, coiffée
bien simplement, mais enfin coiffée par le grand Édouard, une robe bleu
de ciel, fraîche comme une rose, avec un joli maintien, tranquille,
naturelle, sa petite mine bienveillante; enfin, elle a eu succès et
approbation. Cela m'a mise de très bonne humeur pour tout le monde;
toutes les petites blessures que tel ou tel m'a faites jadis s'effacent
par un mot agréable ou un regard bienveillant adressé à Pauline. Il vaut
assurément mieux ne s'être pas mis en hostilité avec le monde, mais
quand on a eu ce tort ou ce malheur, se réconcilier par sa fille est
parfaitement doux.

J'ai des lettres d'Angleterre qui me disent que la duchesse de
Gloucester est devenue la plus heureuse personne du monde: elle a lady
Georgiana Bathurst comme dame d'honneur, elle reçoit tous les soirs,
c'est le rendez-vous des High-Tories: il s'y dit toutes les nouvelles,
il s'y fait maints commérages dont la Duchesse régale le Roi chaque
matin. Le Roi d'Angleterre ne voit ses Ministres que pour affaires; il
n'a, avec eux, aucune communication sociale. Lord Melbourne n'y regarde
pas, ne se plaint pas, va son train sans fatiguer le Roi de ses
plaintes: c'est un assez bon plan, ce me semble.

J'ai été, hier matin, grâce à un billet privilégié que j'ai fait
demander à M. l'Archevêque, entendre la clôture des conférences de
l'abbé Lacordaire à Notre-Dame. Il part, aujourd'hui, pour Rome, et
restera deux ans absent. Il y avait, certainement, cinq mille personnes
dans l'église, presque tous jeunes gens des écoles. Parmi les hommes qui
sont arrivés avec l'Archevêque, et qui par faveur ont été placés dans le
banc de l'Œuvre, j'ai reconnu le marquis de Vérac, le duc de
Noailles, M. de Tocqueville. J'étais précisément derrière ce banc, avec
une cinquantaine de dames dont je ne connaissais pas une; j'étais en
face de la chaire et je n'ai rien perdu. Beaucoup d'imagination, de
verve, et une tout autre langue que celle des séminaires, distinguent
l'abbé Lacordaire, qui est jeune et qui a un bon débit; mais j'ai trouvé
du pêle-mêle, un peu trop de hardiesse dans les images, et une doctrine
dans laquelle la belle et humble théorie de la grâce n'avait nulle part
sa place. Il me semble que saint Augustin, ce grand apôtre de la grâce,
y aurait trouvé à redire. A tout prendre, j'ai été intéressée et frappée
de l'aspect attentif de l'auditoire. L'Archevêque a clos la conférence
par des remerciements et des adieux convenables au jeune prédicateur, et
par une bénédiction motivée, simple et douce, pour tout l'auditoire,
reçue avec un respect étonnant de la part de tous ces jeunes gens. Il
est vrai de dire que, quand l'Archevêque ne se lance pas dans les lieux
communs du séminaire, ni dans la politique, il peut, avec sa noble
figure, ses gestes et son ton affectueux, dans cette belle cathédrale,
sur ce siège exhaussé d'où il découvrait toute cette jeunesse, produire,
comme il l'a fait hier, un effet imposant et touchant. M. de
Tocqueville, qui est venu chez moi à la fin de la matinée, en était
encore tout ému.


_Paris, 13 avril 1836._--Il y a un grand départ pour Prague de MM. Hyde
de Neuville, de Jumilhac, de Cossé, Jacques de Fitz-James, de
Montbreton, allant demander M. le duc de Bordeaux à Charles X, et, sur
son refus, décidés à l'enlever; se flattant du concours du jeune
Prince, voulant l'établir en Suisse, l'y faire élever et le rapprocher
ainsi, de toutes manières, de la France; ce projet, fort peu sensé en
lui-même, est rendu plus absurde encore par les vanteries qui l'ont
précédé et le bruit qu'on en a fait. Un autre projet, dont la police est
informée, c'est celui d'enlever un des jeunes Princes de la famille
royale ici et de le garder pour otage. Le Ministre de l'Intérieur en est
assez en émoi.


_Paris, 21 avril 1836._--Un courrier, arrivé hier de Vienne, a apporté
une réponse conçue dans les termes les plus gracieux aux insinuations
faites sur le voyage que M. le due d'Orléans désire faire en Autriche.
Ce qui avait été évité sous M. de Broglie a été accueilli sous M. Thiers
pour lequel, personnellement, la réponse est fort aimable. On attend,
ces jours-ci, quelque chose d'analogue de Berlin. Le départ du Prince,
et de son frère M. le duc de Nemours, est fixé au 4 mai, mais cela ne
sera publié que dans cinq jours, c'est-à-dire au retour de Chantilly. On
doit revenir par Turin. La Cour de Sardaigne, qui sent bien qu'il lui
faut un appui, paraît disposée, après de longues hésitations, à le
chercher en France. Mon fils Valençay accompagnera les Princes: il sera
le seul, non attaché à leur maison, qui sera du voyage; on voulait lui
donner un titre, des fonctions, je n'en ai pas voulu, mon fils n'en
ayant pas besoin pour être bien traité partout.

Hier à dîner, chez M. de Talleyrand, il s'est établi une certaine lutte
entre M. Thiers et M. Bertin de Veaux, qui a juste, ce me semble,
tourné en sens inverse de ce qu'on souhaitait; au lieu d'une explication
douce, c'est devenu un duel. J'étais sur le gril, et enfin j'ai rompu,
presque brutalement, le combat, ce dont je crois que tout le monde m'a
su gré; je l'aurais fait plus tôt, si je n'avais pas trouvé que c'était
à M. de Talleyrand de le faire, mais il n'a pas même cherché à détourner
la conversation. Bertin de Veaux donnait des coups de boutoir; Thiers a
été longtemps doux comme un mouton, mais enfin, excité aussi, il a monté
le ton. On en est venu à se donner des défis politiques.


_Paris, 23 avril 1836._--Mrs Norton a écrit une lettre à M. Ellice qui
est une espèce de _factum_, qu'elle lui envoie avec mission de le
communiquer à ses compatriotes du Continent. Je l'ai lue; elle ressort,
de cette vilaine histoire, pure comme Desdemona, s'il faut l'en
croire[15]; je le veux bien, cela m'est égal. Le tout me paraît bien
vulgaire et de bien mauvais genre.

  [15] Il s'agit ici du procès en adultère intenté à Mrs Norton par
  son mari et qui fit grand bruit à cette époque en Angleterre. La
  liaison de Mrs Norton avec lord Melbourne était bien connue.
  Cependant, le jugement, prononcé au mois de juin suivant,
  acquitta lord Melbourne. Une séparation n'en eut pas moins lieu
  entre Mrs Norton et son mari.

La duchesse de Coigny, qui a toujours été accoucher en Angleterre pour
n'y mettre au monde que des filles, devait partir aujourd'hui pour faire
de nouvelles couches à Londres; mais, s'étant trompée dans ses calculs,
elle est accouchée hier d'un gros garçon... C'est un rude
désappointement.


_Paris, 26 avril 1836._--Les revenants de Chantilly ne tarissaient pas,
hier, sur la beauté du lieu, la quantité de monde, le mouvement des
courses, le brillant de la chasse, et, pour ceux qui étaient au Château,
sur la grâce du Prince Royal. Les Anglais disent que, si ce n'est sous
le rapport des courses en elles-mêmes, qui cependant sont fort bien,
sous tous les autres rapports, ces trois jours de Chantilly l'emportent
de beaucoup sur Ascot, Epsom et toutes les autres parties de ce genre en
Angleterre.

La chasse s'est faite avec l'équipage du prince de Wagram, elle a été
suivie par quatre cents jeunes gens, dont trente seulement sont arrivés
à la mort du cerf.

Le Prince Royal part le 3 ou le 4, et ira d'un trait à Metz pour visiter
l'École d'artillerie; il ne veut s'arrêter à aucune petite Cour, il les
évitera toutes avec soin, en prenant toutes sortes de routes peu
usitées, sous le prétexte qu'elles sont plus directes.

J'ai dîné, hier, chez Mme de la Redorte, avec quelques personnes, parmi
lesquelles se trouvait le général Alava, qui racontait le duel entre
Mendizabal et Isturitz, où ni l'un ni l'autre n'avait été touché.

Il avait l'air de croire à une crise ministérielle, à Madrid, qui
pourrait bien atteindre sa position diplomatique.

Alava est tellement extravagant, qu'étant chez M. Dupin à une des
réceptions de Députés, le maître de la maison lui demanda, en frappant
sur l'épaule de M. Berryer s'il connaissait ce Député, et Alava de
s'écrier: «Oui, certainement, je connais M. Berryer, et _je partage
toutes ses opinions_.»


_Paris, 27 avril 1836._--Le Prince Royal passe par Verdun, Metz, Trêves,
Dusseldorf, Hildesheim, Magdebourg, Potsdam et Berlin. Tous les
ministres de Saxe, de Hanovre, de Bavière sont venus lui faire des
invitations _pressantes_ de la part de leurs souverains pour qu'il
voulût bien s'arrêter chez eux. Cela a été décliné sous le prétexte du
manque de temps, mais, au fait, par un peu de rancune contre les longues
impertinences et injures de Munich; et, refusant l'un, il n'y avait pas
moyen, sans hostilité évidente, d'accepter les autres. On regrette
cependant de brûler Dresde, dont on a toujours eu à se louer. De Berlin,
on ira par Breslau et Brünn à Vienne.

J'ai eu entre les mains, il y a quelques jours, quelques volumes des
_Essais de morale_ de Nicole dont Mme de Sévigné nous donne la
curiosité. C'est, sans doute, excellent, mais je crois qu'il faut être
encore un peu plus avancé que je ne suis pour l'admirer vivement. J'y
trouve une certaine sécheresse austère, qui me repousse un peu. Au lieu
de tant de traités, j'aime mieux cette touchante parole de saint
Augustin: «Si vous avez peur de Dieu, jetez-vous dans les bras de Dieu.»
J'arriverai cependant peut-être à goûter Nicole, les goûts de l'esprit
changent avec les modifications d'âge et de position.


_Paris, 28 avril 1836._--Pozzo a reçu l'Ordre de Saint-André, en
diamants, mais en même temps, un congé _illimité_ pour voyager en
Italie! Je pense qu'il passera bientôt par ici.

Le voyage du Prince Royal est avancé d'un jour, il part le 2. On sera
dix jours pour arriver à Berlin, parce qu'on couchera chaque nuit, qu'on
ne fera pas de trop grandes journées, qu'on veut arriver frais et dispos
et d'humeur à affronter toutes les fatigues militaires, les manœuvres,
les fêtes et autres devoirs. Je trouve cela fort sage. Le Prince Royal a
été formellement invité aux manœuvres de Berlin. Sa réception ne peut
donc être que bonne. Cette invitation a bien été provoquée, mais enfin
c'est une invitation; dès lors on ne peut accuser ni d'importunité, ni
de témérité. M. le duc et Mme la duchesse d'Angoulême auront quitté
Vienne tout naturellement quand les deux Princes y arriveront.

J'ai été hier soir chez Mme la comtesse de Castellane à une lecture
faite par M. de Rémusat de scènes historiques dans le genre des
_Barricades_: la Saint-Barthélemy en est le sujet. Il y a de l'esprit,
de la verve, et, à ce que l'auteur assure, beaucoup de recherches
historiques, mais c'est tellement long qu'il a fallu remettre à mardi
pour entendre la seconde partie. C'est chose fatigante que d'assister à
une lecture...


_Paris, 1er mai 1836._--C'était hier le bal de Pauline, il était joli et
a supérieurement réussi: point de foule, beaucoup de lumières, de jeunes
et jolies personnes bien gaies, de jeunes messieurs polis et en train de
faire danser les demoiselles; très bon air, très bon ton, et un choix
exquis de beau monde; pas précisément d'exclusion, mais le faubourg
Saint-Germain dominait. Ma cousine de Chastellux, par exemple, s'est
exécutée; enfin, j'ai été très satisfaite de notre petit succès et de
la joie de Pauline.


_Paris, 2 mai 1836._--Il est arrivé hier des nouvelles de Berlin, qui
parlent de tous les préparatifs de réception qu'on fait pour les jeunes
Princes. Le Roi a dit qu'ils seraient reçus comme l'est l'Empereur son
gendre. Ils demeureront au Vieux Palais. Une heure après leur arrivée,
tous les Princes viendront leur faire la première visite; enfin, tout
cela se passera le mieux du monde. Les carlistes en sont écrasés, les
violents en sont malades, les modérés en jettent de tendres regards sur
le château des Tuileries, et hier, M. de Chabrol, l'ancien ministre de
la Marine, et M. Mounier ont été au Château. M. de Noailles en ferait
bien autant, sans sa femme, qu'il considère beaucoup, avec raison, car
c'est une personne d'un grand mérite, mais qui est très violente dans
ses opinions politiques.


_Paris, 4 mai 1836._--J'ai été hier entendre la fin de _la
Saint-Barthélemy_ par M. de Rémusat[16]. Il y a beaucoup d'esprit et de
talent, mais je le répète, le genre est faux et un beau récit historique
m'intéresserait davantage.

  [16] Cette œuvre fut publiée après la mort du comte de Rémusat,
  en 1878, par son fils Paul.

J'ai vu M. Royer-Collard, et ensuite M. Thiers. Le premier disait que
dans la querelle Dupin les doctrinaires sont décidément battus, la
Chambre s'étant prononcée contre eux. Le second est fort content,
notamment de ses rapports avec l'ambassadeur de Russie et la Cour de
Saint-Pétersbourg qui commence à s'amadouer. Je crois qu'il est en
train d'une autre réconciliation qu'il croit plus importante, celle avec
Bertin de Veaux; ceci est encore le secret des secrets.


_Paris, 6 mai 1836._--La mort du bon abbé Girolet m'affecte beaucoup. Il
a suivi le beau précepte de Bossuet, et la seule précaution qu'il ait
prise contre les atteintes de la mort a été l'innocence de sa vie; car
tous ses intérêts ont été tellement négligés qu'il me laisse des
affaires embrouillées, embarrassées, et qui exigent ma prompte arrivée à
Rochecotte. Je pars après-demain. On m'attend pour lever les scellés. Le
testament par lequel il me laisse tout a été trouvé, mais ce _tout_, où
est-il? Quel est-il? C'est ce qu'on ignore, et on craint qu'il n'y ait
plus de dettes que d'avoir, ce qui m'empêcherait d'établir les
fondations que je lui ai promis de faire, après sa mort. Je vais trouver
un vide bien sensible à Rochecotte; je n'y serai plus saluée par ce doux
regard qui se fixait si affectueusement sur moi. Puis quels tristes
détails!


_Rochecotte, 10 mai 1836._--Il ne faut rien me demander de bien
intéressant de ce petit coin retiré du globe, où je ne puis me vanter
que de repos, de silence et de solitude, trois bonnes conditions,
auxquelles je suis d'autant plus sensible que je sors, comme dit
l'_Imitation_, «de ce commerce tumultueux des hommes, qui engage la
vanité même, avec des intentions simples, et qui finit par asservir
l'âme».

J'ai passé ma soirée à faire, avec M. Vestier, mon bon architecte, des
plans et devis pour le tombeau de l'Abbé et pour le mien. Cela se fera
tout simplement dans le cimetière de la paroisse, en haut de la côte,
dans cette belle vue, dans ce bon air, regardant le soleil levant. Des
tombes bien simples, entourées d'arbustes, garanties par une grille en
fer; les noms et les dates, voilà tout. Sa dernière demeure sera simple,
comme était son âme, et comme le deviendra la mienne, je l'espère. Il
est si rare que les volontés des hommes soient exécutées après leur
mort, qu'il faut, de son vivant, prendre l'initiative le plus qu'on
peut. J'ai eu beaucoup de peine à décider Vestier à ce petit travail; il
dit que c'est horrible d'exiger qu'il creuse ma tombe, et le pauvre
garçon s'est mis à pleurer. Il a fini par céder, car il m'est
docile[17].

  [17] Ce projet n'a pas été exécuté en entier; l'Abbé seul est
  enterré à Saint-Patrice.


_Rochecotte, 13 mai 1836._--J'ai reçu, hier, une lettre fort longue de
mon fils Valençay, écrite de Coblence: les honneurs rendus aux Princes
étaient grands; M. le duc d'Orléans invitait, partout, à dîner, les
autorités chargées de lui faire accueil; il leur parle l'allemand avec
une facilité qui a beaucoup de succès. Dans chaque ville, la musique des
régiments joue constamment sous les fenêtres des Princes; enfin toutes
les attentions convenables.


_Valençay, 18 mai 1836._--Je suis ici depuis avant-hier. J'y attends M.
de Talleyrand et Pauline demain.

Je lis une relation des principales religieuses de Port-Royal sur leur
réforme, conduite par la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine
Arnauld et sur leur persécution du temps de leur célèbre Abbesse, la
mère Angélique de Saint-Jean Arnauld, nièce de la première et fille de
M. d'Andilly. C'étaient de grandes âmes et des esprits bien fermes; et
que de détails singuliers! Quelle race que ces Arnauld, et M. Nicole, et
l'abbé de Saint-Cyran! On retrouve tous ces noms dans Mme de Sévigné.
Son ami M. de Pomponne était Arnauld, fils de M. d'Andilly. Cette
famille était tout à part, même dans son propre temps, puisqu'on disait
que Pascal était tout petit devant Antoine Arnauld! Cela ne donne-t-il
pas l'idée de géants? Géants à leur époque, que paraissent-ils être
maintenant?

_Valençay, 22 mai 1836._--J'ai eu, hier, une lettre de mon fils
Valençay, de Berlin. Il est enchanté, et il a raison de l'être, car
outre la satisfaction générale du voyage, il est traité avec une bonté
particulière qui le touche et me pénètre, parce que c'est à mon
intention. Le Prince Royal lui a dit qu'il m'avait toujours regardée
comme sa sœur, qu'il le traiterait en neveu, que ma lettre était
charmante, mais qu'il lui reprochait de ne pas assez sentir _die
Kinderstube_[18]. La duchesse de Cumberland et ma marraine, la princesse
Louise[19], ont été maternelles, la Reine des Pays-Bas bien douce aussi;
M. Ancillon, M. de Humboldt, la comtesse de Redern, excellents. M. de
Valençay m'assure que le Prince Royal de Prusse n'a été ni froid ni
_répulsif_ dans son accueil à M. le duc d'Orléans, mais très obligeant
et cordial au contraire; la Princesse Royale charmante, ainsi que la
princesse Guillaume la jeune; toutes les autres très convenables; les
populations, tout le long des routes très bien, mais nos Princes d'une
prudence parfaite. On a eu quelque peine à faire quitter aux jeunes
Français militaires la décoration belge; Mgr le duc d'Orléans voulait
qu'ils ne la portassent pas du tout à Berlin, mais ils ont fait les
farouches, et, enfin, on s'est borné à obtenir qu'ils l'ôteraient devant
la Reine des Pays-Bas[20]. Il est arrivé à Berlin un courrier avec une
lettre pressante du Roi de Saxe pour inviter les Princes à passer par
Dresde. Je ne sais si cela changera l'itinéraire. Les deux Princes
voyageurs ont été le dimanche à l'église catholique de Berlin, ce qui
est très bien et d'un bon effet.

  [18] La chambre des enfants, la nursery.

  [19] La princesse Louise était la fille du prince Ferdinand de
  Prusse (le plus jeune frère de Frédéric le Grand). Elle avait
  épousé, en 1796, le prince Antoine Radziwill.

  [20] La Reine Wilhelmine des Pays-Bas était fille du Roi de
  Prusse Frédéric-Guillaume II, et sœur du Roi alors régnant,
  Frédéric-Guillaume III.


_Valençay, 23 mai 1836._--Voici comment s'est passée la journée d'hier,
qui était la Pentecôte. Elle donnera une idée de notre vie habituelle
ici. D'abord, la grand'messe à la paroisse; l'office a duré deux grandes
heures, grâce à un sermon de M. le Curé, d'autant plus soigné qu'il m'a
vue dans le banc du château. La chaleur était extrême, l'odeur
désagréable, l'encombrement presque comme à Saint-Roch. J'y ai pris un
grand mal de tête, qui s'est un peu dissipé pendant une longue promenade
en calèche, que j'ai faite avec M. de Talleyrand aux étangs de la forêt
de Gâtines.

Plusieurs personnes de la ville ont dîné chez nous. J'ai un peu marché
après dîner, pendant que Pauline faisait la promenade en calèche avec
son oncle, puis j'ai écrit jusqu'à neuf heures que part la poste et que
M. de Talleyrand est rentré. La lecture des journaux, le thé et le
piquet ont fini la journée.

Je les trouve bonnes quand je n'ai pas eu d'alerte pour la santé de M.
de Talleyrand, et, en me couchant, j'en rends grâces à Dieu. Le plus ou
moins d'amusement, d'intérêt, d'agrément, je n'en suis plus à y
regarder; tout cela reviendra peut-être un jour; maintenant que M. de
Talleyrand et mes enfants se portent bien, et que j'ai l'esprit assez
libre et l'humeur assez aimable pour rendre la vie douce et facile à ce
qui m'entoure, je n'en demande pas davantage. Le jour où on est arrivé à
faire très sincèrement abnégation totale de soi, on trouve tout léger,
et au lieu de ce vol bas et pesant de l'égoïsme, on s'élève d'un vol
rapide, à ailes étendues, et on y trouve du plaisir. Ce n'est que quand
je vois la maladie s'abattre et menacer les miens, que je perds le
courage et l'équilibre, car je ne suis qu'à ce début de la résignation
où on se porte en sacrifice soi-même, en tribut au ciel. Je doute que
j'y parvienne jamais! Mais quittons ce sujet, on me croirait dévote
comme une dame du faubourg Saint-Germain! Je suis bien loin de là; ce
n'est jamais ce que je serai précisément; j'ai une indépendance d'esprit
qui ne me permettra guère de suivre la route frayée, et de m'astreindre
à de certaines pratiques, allures et observances; mais il serait
difficile aussi qu'avec mon goût naturel pour les bons livres, avec la
disposition sérieuse de mon esprit, mon expérience de tant de choses, et
la sincérité de mes jugements sur moi-même, je ne finisse pas par puiser
à la seule source intarissable!

L'hôtel Carnavalet est à vendre; la mise à prix est de cent quarante
mille francs; si j'osais, je l'achèterais; réellement, j'en suis
extrêmement tentée.


_Valençay, 26 mai 1836._--La correspondance entre M. de Talleyrand et
Madame Adélaïde est toujours animée et très affectueuse, ce qui ne
laisse pas de me donner un peu de besogne.

Voici ce que les lettres d'hier, de Paris, ont fourni:

Alava est accablé, c'est Miraflorès qui s'annonce comme son successeur;
Alava dit que les affaires de son pays le mettent au désespoir. En
effet, les journaux mentionnent des choses singulières dans l'Assemblée
des Procuradores, et quelle confusion que toute cette affaire du
changement des Ministres! Il y a des personnes qui se disent bien
informées, et qui assurent qu'Isturitz, pour se tirer d'embarras, ne
serait pas éloigné de s'entendre avec don Carlos et de faire le mariage
de la Reine Isabelle avec son cousin.

Lady Jersey a donné ordre qu'on lui envoyât copie de sa correspondance
avec lady Pembroke. Il paraît que c'est au delà de tout ce qu'on peut
imaginer, en style de servante. Elle veut aussi que M. de Talleyrand
lise tous ces factums.

J'ai une lettre de la princesse Louise de Prusse, ma marraine,
extrêmement favorable pour les jeunes Princes français. La princesse
Louise est une femme d'esprit, et d'un jugement naturellement ironique
et sévère, ce qui donne encore plus de prix à son appréciation. M. de
Valençay m'écrit qu'il a été frappé de la beauté des Princesses, de
leurs pierreries et de l'élégance de leur toilette. M. de Humboldt avait
conduit les Princes et leur suite voir les musées et les ateliers
d'artistes. Le Prince Royal de Prusse, qui a le goût des arts, a donné,
à cet égard, un grand élan à Berlin. M. le duc d'Orléans a fait une
chose qui a plu beaucoup, c'est de commander une statue à Rauch, le
premier sculpteur de la Prusse et le protégé du Roi.

La timidité de la Reine des Pays-Bas est encore plus grande que celle du
duc de Nemours. Cette disposition semblable les a rapprochés, car on
assure que la Reine a pris le jeune Prince en amitié et qu'il y a, entre
eux, de longues conversations.


_Valençay, 29 mai 1836._--J'ai lu, hier, la nouvelle pièce de M. Casimir
Delavigne, _Une famille au temps de Luther_. Il y a de beaux vers, mais
rien n'est moins fait pour la scène, et plus froid que ces discussions
théologiques, même lorsqu'elles finissent par un crime; et puis, on est
un peu fatigué de ces formes de fanatisme, qui ne sont plus de notre
temps. Enfin, on est las même de l'horrible boucherie de la
Saint-Barthélemy, et la meilleure preuve qu'elle a perdu son horreur,
aussi bien que les atrocités des Atrides, c'est qu'on les chante et
qu'on les danse!

Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que la princesse Royale de
Prusse a écrit à sa mère, la Reine douairière de Bavière, qu'elle était
_forcée de convenir_ de la distinction des Princes français et que
c'était un bien bon ami du Roi Louis-Philippe qui leur avait donné le
conseil de se montrer.

Voilà le Roi de Naples parti de chez lui, les uns disent pour aller
épouser une princesse de Modène, d'autres, pour faire sa cour à la fille
de l'archiduc Charles, et d'autres enfin pour venir regarder les jeunes
Princesses à Paris.

Le Roi fait faire pour Valençay un portrait en pied de François Ier, qui
a bâti le château, et un autre de la Grande Mademoiselle, qui y est
venue, et qui l'a loué dans ses _Mémoires_. Le Roi envoie aussi à M. de
Talleyrand le fauteuil qui servait à rouler Louis XVIII et il nous a
fait dire par Madame que, s'il allait à Bordeaux, ce qui serait
possible, il passerait ici.


_Valençay, 31 mai 1836._--Il paraît que ni l'esprit ni l'âge ne mettent
à l'abri des folies: celle de M. Ancillon en épousant Mlle de
Verquignieulle en est une grande, d'après ce que l'on écrit de Berlin.
M. de Valençay me mande aussi que la fête donnée par M. Bresson[21] et à
laquelle le Roi de Prusse a assisté, a été fort brillante: tous les
valets étaient en grande livrée, bleu, rouge et or, et Bresson lui a
dit: «Ce sont mes couleurs.» Cela n'est-il pas amusant et digne du temps
actuel? «A la bonne heure!» comme dit M. de Talleyrand.

  [21] M. Bresson était alors ministre de France à Berlin.


_Valençay, 1er juin 1836._--Les jeunes Messieurs français qui étaient
allés à Prague sont revenus; ils y sont restés fort peu. Ce qui les a
frappés le plus, c'est l'atmosphère d'ennui au milieu de laquelle on
doit y vivre. Ils ont trouvé un très bon visage au duc de Bordeaux, mais
la taille peu agréable, l'esprit peu développé, comme celui d'un enfant
élevé au milieu de vieillards.

A un dîner, donné le 22 mai aux deux Princes français chez le Prince
Royal de Prusse, la princesse Albert[22], à la grande rage de Bresson,
au grand mécontentement du Roi et au grand effroi de tous les
assistants, avait paru avec une énorme guirlande de lys dans ses
cheveux; jusque-là, cependant, elle avait été convenable.

  [22] La princesse Albert de Prusse était une princesse des
  Pays-Bas.

Les cadeaux faits par M. le duc d'Orléans à Berlin ont été énormes; tant
en argent qu'en diamants, cela a été de plus de cent mille francs!...
plutôt trop que pas assez. Le prince Wittgenstein a reçu une boîte, non
seulement avec le portrait du Prince Royal, mais encore avec ceux du Roi
et de la Reine. Ceci est une attention très marquée. M. Ancillon, bardé
de la grande croix de la Légion d'honneur, se boursouflait et se
pavanait. Il avait l'air de vouloir marcher sur le corps de tout le
monde. Bourgeois et calviniste; cela s'explique.

On se quitte s'adorant, les uns aimant les Princes comme leurs fils, les
autres comme des frères, enfin, jamais succès n'a été plus complet;
toutes les femmes sont frappées de la beauté de M. le duc d'Orléans. Mes
autorités ne sont pas suspectes, car ce n'est pas seulement M. de
Valençay que je cite, mais encore d'autres lettres arrivées ici hier, et
de Berlinois même. L'accident, qui a failli arriver au duc d'Orléans à
la manœuvre, tenait à des politesses qu'il faisait aux Princesses, près
desquelles il caracolait, c'est dans ce moment-là qu'il a failli être
renversé, mais l'adresse avec laquelle il s'en est tiré lui a valu force
compliments, et, à ce sujet-là, voici ce que m'écrit la duchesse de
Cumberland: «Jugez ce que nous serions devenus, s'il lui était arrivé du
mal; je voudrais laisser mon corps malade dans mon lit, et me
transformer en ange gardien, pour planer sur eux pendant leur séjour à
Berlin, et répondre ainsi à la confiance de votre Reine, qui, dans une
lettre charmante, m'a priée de traiter ses fils comme les miens.»

Le jour où nos Princes ont reçu le Corps diplomatique, M. de
Ribeaupierre, le ministre de Russie, s'est fait excuser, sous prétexte
d'une joue enflée. Contre l'ancienne étiquette de Berlin, tout le Corps
diplomatique a été invité à un bal chez le prince Guillaume, frère du
Roi. Voici aussi ce qu'on m'écrit: «La fête donnée à la mission de
France, par ordre du Roi Louis-Philippe, a très bien réussi; les Princes
français ont eu le tact parfait d'en faire eux-mêmes les honneurs, et
ont reçu le Roi et les Princesses au bas de l'escalier.»


_Valençay, 2 juin 1836._--La princesse de Lieven est arrivée hier ici,
assez languissante. Elle est établie et soignée du mieux que nous
pouvons, mais j'ai déjà, vers le soir, cru sentir qu'elle avait le
pressentiment de s'ennuyer, et que si ce voyage était à refaire, elle
hésiterait. Je le conçois. Elle n'aura ici ni nouvelles, ni lanterne
magique humaine, deux choses de première nécessité dans sa vie. La
nouveauté des objets matériels, les souvenirs, les traditions
historiques, les beautés du site, la vie intérieure domestique, la
lecture, la réflexion, l'ouvrage, rien de tout cela n'est à son usage,
et Valençay n'a jamais été plus réduit, sous d'autres rapports, qu'en ce
moment.

Les vers que M. de Peyronnet m'a adressés ne sont pas bien bons, mais ce
point est insignifiant dans la question et la circonstance actuelles.
Pendant l'hiver, j'ai fait beaucoup de démarches pour ces pauvres gens,
et j'ai obtenu, pour le plus malade, M. de Peyronnet, des adoucissements
matériels qui lui ont été très agréables; j'espère mieux encore, tout de
suite après la session. C'est cette œuvre de charité qui m'a valu les
vers en question[23].

  [23] Il nous a été impossible de les retrouver.

Ma sœur m'écrit de Vienne pour me dire qu'on y fait les plus grands
préparatifs pour recevoir les Princes français, Paul Esterhazy surtout:
ils auront une fête chez lui à Eisenstadt. Malheureusement, il y a déjà
beaucoup de monde à la campagne, et beaucoup de deuils.


_Valençay, 4 juin 1836._--Le temps, qui était mauvais depuis deux
jours, s'est un peu remis, hier, avant midi, ce qui nous a heureusement
permis de promener Mme de Lieven dans la forêt, la garenne, les
carrières, etc. Mais le soir, M. de Talleyrand a eu une palpitation,
légère à la vérité, mais enfin l'ennemi se montre toujours. Mme de
Lieven bâillait, et quels bâillements!... La pauvre femme s'ennuie! Je
le comprends très bien et je le lui passe. Le fait est qu'il faudrait
une toute autre disposition d'esprit que la sienne, des habitudes toutes
différentes, pour se tirer de notre solitude actuelle et du grave et du
terne que l'état moral et physique de M. de Talleyrand donne à cette
maison-ci. Du reste, la Princesse n'est pas un hôte facile pour
l'établissement matériel: elle a déjà changé deux fois de chambre et
veut maintenant revenir à la première qu'elle a occupée et dans laquelle
se trouve le lit de Mme de Staël. Lady Holland ne nous aurait pas donné
plus de peine; aussi Pauline dit-elle que la Princesse _is rather
whimsical_![24].

  [24] Un peu fantasque.

Il a paru à Londres une caricature sur lord Melbourne et Mrs Norton, et
cela le jour même de l'éclipse; elle représente le soleil et Mrs Norton,
la lune qui passe sur lui, et au-dessous est écrit: _éclipse_. Cela
s'applique au procès scandaleux que M. Norton a intenté à sa femme, et
dans lequel lord Melbourne se trouve si désagréablement compromis.


_Valençay, 5 juin 1836._--La pauvre princesse de Lieven s'ennuie et est
singulièrement naïve à ce sujet, car elle m'a demandé hier, comme une
personne qui se parle à elle-même, pourquoi nous l'avions invitée dans
un moment où nous n'avions personne. Je me suis mise à rire, et lui ai
répondu fort doucement: «Mais, chère Princesse, c'est vous-même qui avez
eu la bonté de désirer venir; nous avons invité la terre entière, mais
la session n'étant pas finie, les Diplomates, les Pairs, les Députés, ne
peuvent quitter Paris.--C'est vrai,» a-t-elle répondu; puis, plus tard,
ayant vu que M. de Sercey venait d'arriver à Paris, elle a eu un grand
élan de regret de ne pas s'y être trouvée pour le questionner; elle a
dit aussi que son salon eût été bien intéressant, le soir, pendant la
discussion du budget des Affaires étrangères. J'aime les personnes
naïves, parce qu'avec elles, du moins, on sait exactement où l'on en
est.


_Valençay, 10 juin 1836._--La princesse de Lieven a reçu hier des
lettres de son mari qui lui disent qu'on lui a rendu, à elle, de très
mauvais offices auprès de l'Empereur Nicolas. On a transmis à
Saint-Pétersbourg des conversations et des discours entiers, soi-disant
tenus par la Princesse, qui sûrement sont faux; car elle est bien zélée
pour le service du maître; mais quand on parle beaucoup et qu'on voit
toute espèce de monde, on finit toujours par être compromis. Cela agite
beaucoup la Princesse.

Il est parfaitement certain que le Prince d'Orange donne des symptômes
de folie, et cela par une avarice tellement sordide que sa femme et ses
enfants manquent de nourriture à table; il a lui-même la clef du
garde-manger, et la Princesse se fait acheter en secret, par sa femme de
chambre, quelques côtelettes. On dit le fils ainé un vilain petit sujet:
à Londres, où il est maintenant, avec son frère cadet, on les appelle
_unripe oranges_[25]. Les Hollandais sont, dit-on, très effrayés de leur
avenir, et font des vœux pour la prolongation de la vie du Roi actuel.

  [25] Oranges vertes.


_Valençay, 13 juin 1836._--J'ai eu, hier, une longue lettre du Prince
Royal de Prusse, dans laquelle il y a une phrase fort bonne sur les
Princes français et sur le Roi leur père, avec un correctif
anti-révolutionnaire qui donne le cachet de ses véritables opinions.
Cette lettre est curieuse. J'en ai une aussi de M. Ancillon, sans
correctif, et la plus laudative, sur les voyageurs, sur l'union, sur la
paix, sur M. de Talleyrand. Elle est curieuse aussi. Enfin, j'en ai
deux, très longues, de M. de Valençay, écrites de Vienne; il s'était
arrêté à Günthersdorff, dont il me parle en détail[26]. A Vienne, il
avait vu, chez sa tante de Sagan, le comte de Clam, par lequel il avait
su qu'on avait été fort content de la première entrevue; que nos Princes
avaient dit tout ce qu'il convenait de dire. L'archiduchesse Sophie
s'est souvenue fort gracieusement de moi, et a très bien traité mon
fils. Il trouve que les Princesses autrichiennes n'ont pas la grâce et
la distinction qui sont si remarquables chez les Princesses de la
famille royale de Prusse. La princesse de Metternich était à la
première soirée de M. et Mme de Sainte-Aulaire: elle y a été fort
convenable et y est restée fort tard; M. le duc d'Orléans ne lui a parlé
que pendant cinq minutes, et de... l'homéopathie! Elle méritait une
petite leçon[27].

  [26] Propriété de la duchesse de Dino, en Silésie.

  [27] La princesse Metternich s'était exprimée en termes peu
  courtois sur la couronne que Louis-Philippe avait mise sur sa
  tête en 1830.

Il paraît que la grande réception diplomatique de la noblesse et de la
garnison a été superbe. Ce qui a surtout charmé M. de Valençay, c'est la
course à Bade, chez l'archiduc Charles, qui lui a parlé en très bons
termes de M. de Talleyrand. L'Archiduc a fait, à tous les Français,
l'accueil le plus cordial; on a dîné avec l'archiduchesse Thérèse, qui,
d'après M. de Valençay, a l'air agréable, de jolies manières, un visage
piquant; mais elle est très brune et fort petite. M. le duc d'Orléans
était près d'elle, à table, et la conversation n'a pas langui. M. de
Metternich était du dîner. Il est réconcilié, du moins en apparence,
avec l'Archiduc[28]. Celui-ci est retiré dans ce joli Bade où il cultive
des fleurs: il a dit à M. de Valençay que, comme tous les vieux soldats,
il aimait son jardin. M. le duc d'Orléans devait y retourner dîner tout
seul le surlendemain. L'Archiduc adore sa fille et la laissera libre
dans le choix de son époux: elle a refusé le Prince Royal de Bavière;
elle va voir défiler encore devant elle le Roi de Naples et celui de
Grèce. Son père ne redoute que l'alliance russe.

  [28] Les idées libérales de l'archiduc Charles avaient été, pour
  le prince de Metternich, l'occasion d'éloigner ce Prince de la
  Cour et de le rendre suspect. Ils étaient presque brouillés.

M. de Valençay a été aussi enchanté de la fête de Laxembourg et des
courses sur l'eau avec de la musique à tous les coins: cela lui a
rappelé Virginia Water[29]; toute la société de Vienne y était, en
bayeuse, et animait le coup d'œil.

  [29] Virginia Water est une pièce d'eau, dans le parc de
  Snow-Hill, entre Windsor et Chertsey, dans les environs de
  Londres. On y fait des courses sur l'eau et des régates.

Il est assez simple que tout cela blesse à Prague. Madame la Dauphine a
dit, à quelqu'un qui, la veille de son départ de Vienne, lui demandait
quand on aurait l'honneur de l'y revoir, que, lorsqu'on voudrait
dorénavant la voir, il faudrait venir la chercher. Une dame viennoise,
fort ennemie politique de la France, a dit, devant M. de Valençay, en
parlant de notre Prince Royal, qu'il était si aimable et si gracieux
qu'il fallait espérer qu'il n'était pas autre chose!

Les voyageurs devaient partir le 11, et se rendre à Milan par Vérone,
mettant dix jours pour ce trajet.

Le prince de Capoue et miss Pénélope sont à Paris; le premier a vu la
Reine. Il va à Rome, et, de là, négociera sa réconciliation avec Naples.

Tous les Cobourg, et les Majestés belges, viennent à Neuilly.


_Valençay, 17 juin 1836._--Il faut que chaque jour soit marqué par une
tribulation: hier au soir, nous avons eu une horrible frayeur dont les
conséquences auraient pu être des plus graves; elles paraissent devoir
être légères, cependant le docteur dit qu'il faut neuf jours pour être
certain qu'il n'y aura pas de choc intérieur. La rage de M. de
Talleyrand de rester tard dehors l'a fait rentrer hier dans sa petite
voiture à la nuit close; de plus, comme un enfant, il s'amuse à se faire
pousser à la course et à se diriger en zigzag, de sorte qu'il a mis la
roue de devant en travers; elle a, par conséquent, fait obstacle,
l'obscurité l'a empêché de s'en apercevoir, il a crié de pousser plus
fort par derrière, ce qu'a fait le domestique; il en est résulté un
cahot qui a été assez violent pour le faire sauter hors de la voiture et
pour le jeter, la tête la première et le visage par terre, sur le
gravier de la cour de l'orangerie, à l'entrée du donjon. Il a le visage
extrêmement meurtri, et a, heureusement, beaucoup saigné du nez; il n'a
pas perdu connaissance, et a voulu rester au salon et jouer au piquet. A
minuit, il a mis ses jambes dans de l'eau et de la moutarde, et
maintenant il dort encore; mais quelle secousse, quel ébranlement
nerveux, à son âge, avec son poids, et souffrant d'un mal pour lequel
chaque émotion, chaque trouble est si mauvais!


_Valençay, 18 juin 1836._--La figure de M. de Talleyrand est fort
endommagée, mais, du reste, il paraît devoir se tirer miraculeusement de
cette singulière chute!


_Valençay, 21 juin 1836_[30].--Vous souvenez-vous que c'est vous qui
décliniez toutes les conversations sur la religion? Ce n'est qu'une
fois, à Rochecotte, que vous m'avez un peu développé vos idées à cet
égard; vous étiez plus avancé que moi, alors, dans de certaines
croyances; les épreuves par lesquelles j'ai passé depuis m'ont fait
aller assez vite dans cette route, mais mon point de départ a été le
souvenir de cette conversation, dans laquelle j'ai vu que vous admettiez
quelques principes fondamentaux sur lesquels je n'étais pas fixée. Du
reste, je n'ai, spéculativement, pas été au delà: ce n'est que dans
l'application que j'ai cherché à me diriger d'après cette boussole; je
ne me suis en aucune façon occupée du dogme, ni des mystères, et si j'ai
une préférence pour la religion catholique, c'est que je la crois plus
utile à la société en général, aux États, car pour les individus, c'est
différent, et je crois que toute religion qui a l'Évangile pour base est
également bonne et divine. Depuis que je vois tous les appuis manquer
autour de moi, j'ai senti ma propre faiblesse et le besoin d'un soutien
et d'un guide: j'ai cherché et j'ai trouvé; j'ai frappé et il m'a été
ouvert, j'ai demandé et il m'a été accordé; tout cela cependant encore
fort incomplètement, parce qu'en marchant ainsi seule, et quand on y est
si peu préparée, il n'est pas possible de ne pas prendre souvent de faux
sentiers, de ne pas glisser dans les ornières et de ne pas trébucher à
chaque pas. Il n'aurait pas été sage, même, de m'exciter à trop de zèle
et de ferveur, c'eût été me préparer des rechutes et celles-ci peuvent
être mortelles; j'avance donc à tout petits pas, et quand je me demande
compte de mes progrès, je m'humilie en voyant à combien peu ils
s'élèvent: un peu plus de douceur, de patience, d'équilibre et d'empire
sur moi-même, voilà tout ce que j'ai acquis. J'ai encore même ardeur
pour les choses qui me plaisent, même répugnance pour celles qui
m'importunent; mes malveillances ne sont point éteintes; mes rancunes
restent assez vivaces, mes inquiétudes d'esprit aussi fatigantes, mon
activité aussi peu réglée, ma parole souvent trop prompte et mes
expressions pas assez mesurées; j'ai encore mille complaisances pour
moi-même, je me blesse du blâme, je me sens trop flattée de
l'approbation, je la recherche quelquefois, au besoin, même, je la
provoquerais; enfin, il n'y a rien d'aussi difficile, d'aussi long, qui
demande plus d'exercice et de persévérance que de mettre ordre à sa
conscience.

  [30] Extrait d'une lettre.

Outre le besoin pratique que j'ai senti de me servir d'un fil qui me
tirât du labyrinthe, j'y ai encore été portée par un grand sentiment de
reconnaissance. Il y a un jour, en Angleterre, où j'ai été tout à coup
frappée des grâces innombrables qui m'avaient été accordées, à moi qui
avais fait un si mauvais usage de mes facultés et de mes avantages. J'ai
admiré la patience de Dieu, la longanimité de la Providence à mon égard;
avoir trouvé ce que j'ai trouvé alors m'a semblé un bien si réel, si peu
mérité, qu'il m'a rempli le cœur de gratitude. Ce sentiment de
reconnaissance a toujours été en augmentant; c'est lui qui me soutient
en partie dans l'accomplissement des sacrifices que j'ai à faire. Les
grands enseignements que me donne la vieillesse de M. de Talleyrand
chaque jour, la mort de Marie Suchet[31], la douleur de sa mère, la
disparition successive de tant de personnes de ma connaissance, d'âges,
de sexes et de positions diverses, celle de cette petite-fille à qui
j'ai fermé les yeux[32] et qui m'a fait voir la mort de si près, la
lecture attentive de bons livres, les conversations élevées de M.
Royer-Collard qui voudrait bien se dépouiller du doute philosophique et
qui y arrive petit à petit, voilà ce qui m'a fait faire attention à
mille choses, inaperçues avant, ce qui me fait tendre vers un but élevé
et assuré. Voilà l'histoire de ce côté de ma vie. Du reste, mes allures
ne sont pas celles d'une dévote et je puis dire que je suis bien plus
avancée dans le fond que dans la forme; je doute même que je change
jamais grand'chose à celle-ci.

  [31] Fille de la maréchale d'Albuféra.

  [32] Yolande de Valençay.

Quelle longue réponse je fais là à une seule petite page de votre
lettre! Si elle vous paraît trop longue, dites-le, nous réserverons
toutes ces révélations pour les soirées de Rochecotte...

M. le duc d'Orléans a écrit des merveilles sur une conversation qu'il a
eue avec M. de Metternich et dont il a été ravi.

La princesse de Lieven vient de partir: c'est un soulagement général! Je
crois que la Princesse et sa superbe nièce[33] ont fini par sentir
qu'elles avaient été un peu ridicules ici, car elles ont fait bien des
frais le dernier jour, des remerciements sans nombre, des excuses des
embarras donnés, etc...

  [33] La baronne de Mengden, nièce de la princesse de Lieven,
  vécut plus tard à Carlsruhe où elle était abbesse d'un chapitre
  noble. Elle était fort grande, surtout de buste, ce qui obligeait
  le convive appelé à s'asseoir aux repas à côté d'elle à relever
  avec effort la tête, pour apercevoir la sienne. Très bonne
  personne, elle était un peu le souffre-douleur de sa tante, et, à
  Valençay, lors des séjours qu'y fit la princesse de Lieven,
  celle-ci lui confiait la garde de son coffre à bijoux durant la
  promenade, de sorte que la baronne de Mengden n'y pouvait prendre
  part que fort rarement.


_Valençay, 24 juin 1836._--Rien n'est plus bête que d'être mauvais! Mme
de Lieven a assez vilainement écrit à Paris pour gémir et se plaindre du
profond ennui qu'elle éprouvait ici; ses correspondants s'en sont, ou
moqués, ou servi contre nous; cela s'est donc beaucoup dit et su. Nos
amis en sont en grande colère en nous le mandant. Cette petite
ingratitude de Mme de Lieven qui, de plus, en cette occasion, devient du
manque de savoir-vivre, est une vraie bêtise. Du reste, je n'en suis pas
surprise. J'aurais parié qu'il en était ainsi: l'ennui était trop
profond pour être dissimulé, et j'ai vu, évidemment, que le besoin de
s'en venger se développait dans la correspondance. Le seul tort que je
lui reproche, ce n'est pas de s'être ennuyée, ni de l'avoir montré, ni
même de l'avoir écrit, c'est d'avoir prolongé son séjour ici, sous le
prétexte d'une maladie feinte. Elle avait peur de voyager seule, elle
redoutait l'isolement à Bade, elle n'osait pas se prolonger à Paris;
elle est donc restée ici à se mourir d'ennui et à nous faire enrager. Ce
qui ne l'a pas empêchée de pleurer comme une Madeleine en partant: ses
larmes étaient sincères, car elle les versait, non sur nous, mais sur
elle-même, sur sa vie errante, déracinée. Je ne m'y suis pas trompée.

J'ai eu hier une lettre de M. de Valençay, de Leoben. On était fort
satisfait de Vienne, et en tous points. Cependant, la famille Royale de
Prusse avait plu davantage que la famille Impériale. On avait trouvé les
Princesses de Prusse plus brillantes de jeunesse, de beauté et
d'élégance, et, malgré la guirlande de lys, qui paraît avoir été le
résultat d'une petite conversation moitié taquine, moitié coquette,
notre Prince Royal et la princesse Albert avaient été dans une
_flirtation_ marquée. L'Impératrice d'Autriche et la duchesse de Lucques
sa sœur sont très belles, mais ce sont des beautés froides, austères et
imposantes. Nos Princes ont fait les mêmes cadeaux à Vienne qu'à Berlin,
seulement au lieu de la grande croix de la Légion d'honneur, donnée à
Ancillon, on a offert, au prince de Metternich, qui a depuis longtemps
tous les ordres français, un magnifique service en porcelaine de Sèvres.


_Valençay, 25 juin 1836._--M. de Barante[34] m'écrit, de
Saint-Pétersbourg, qu'on y est furieux, contre Mme de Lieven, de son
séjour prolongé en France. On y a beaucoup d'humeur aussi contre les
succès du voyage de nos Princes, mais on n'en témoigne rien à notre
Ambassadeur, pour lequel, personnellement, on est fort poli.

  [34] Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg.

On dit que ce qui a déplu davantage à Mrs Norton dans cet étrange
procès dont le _Galignani_ rend un compte, hélas, trop détaillé, c'est
que les témoins domestiques ont déposé qu'elle mettait du rouge et se
teignait les sourcils!


_Valençay, 27 juin 1836._--Encore un nouvel attentat contre la vie du
Roi[35]! Quelle rage atroce! Sera-t-elle toujours impuissante? Voilà la
triste question qu'on est obligé de se faire... Nous ne savons rien
encore que ce que le télégraphe a transmis aux chefs-lieux des
départements voisins, d'où les Préfets nous ont envoyé des courriers
pour nous en faire part.

  [35] Dans la soirée du 25 juin 1836, un jeune homme de vingt-six
  ans, nommé Louis Alibaud, avait tiré sur le Roi dans la cour des
  Tuileries, au moment où Louis-Philippe passait devant la Garde
  nationale et pendant que les tambours battaient aux champs.


_Valençay, 28 juin 1836._--On a écrit à nos Princes de ne pas hâter leur
retour à cause de l'attentat. Ils doivent être aujourd'hui à Turin, on
les attend le 8 à Paris.

Il paraît que lord Ponsonby[36] est devenu fou. Il veut la destitution
du Reis-Effendi[37] et du chef de la garde. Il a écrit deux notes à la
Porte ottomane, dans lesquelles il va jusqu'à la menacer du
_démembrement de l'Empire ottoman_ si on lui refuse satisfaction.
L'amiral Roussin lui-même écrit que lord Ponsonby est fou. Tous les
Ministres, celui de Russie compris, s'entremettent pour empêcher une
rupture; la Cour de Vienne expose les faits au gouvernement anglais à
Londres, et on espère que lord Ponsonby sera rappelé.

  [36] Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople.

  [37] Le Reis-Effendi est le ministre des Affaires étrangères en
  Turquie.


_Valençay, 29 juin 1836._--J'ai reçu hier une lettre de nos voyageurs,
de Roveredo, où ils étaient retenus par une indisposition assez grave de
M. le duc de Nemours qu'on a fort atténuée dans les lettres à ses
parents, mais qui a beaucoup effrayé M. le duc d'Orléans. Il a été très
contrarié aussi du départ précipité du général Baudrand. Il paraît que
c'est moins le besoin de se rendre promptement aux eaux qui a provoqué
ce départ subit, qu'un peu d'humeur de ce que le Prince Royal ne lui
montrait pas assez de confiance.

Les Princes ont été sur le point d'aller à Florence, le grand-duc de
Toscane ayant mis une insistance particulière à le demander; la maladie
du duc de Nemours l'a empêché. Ils ont rencontré l'archiduchesse
Marie-Louise[38], cousine germaine de notre Prince Royal. Elle a demandé
de nos nouvelles à M. de Valençay dont elle est la marraine; il ne l'a
pas trouvée aussi vieillie qu'on la lui avait dépeinte. Ils ont aussi vu
la princesse de Salerne, puis le Roi de Naples. On dit que celui-ci a
une assez belle tête, mais une grosse vilaine tournure; il est au
désespoir de la mort de sa femme, avec laquelle il a très mal vécu,
jusqu'au jour où elle est devenue grosse de l'enfant, en couches duquel
elle est morte. On le dit très fantasque.

  [38] La veuve de Napoléon Ier.

L'Archevêque de Paris a été le jour de l'attentat, à onze heures du
soir, à Neuilly. Il est fâcheux qu'il ne paraisse jamais chez le Roi
qu'à la suite d'une tentative d'assassinat, aussi je ne pense pas qu'on
lui sache très bon gré de ses visites; elles sont à une condition qui
fait qu'on l'en dispenserait volontiers. Il a refusé la présentation à
l'église du corps de Sieyès qui a été droit au cimetière[39].

  [39] Sieyès était mort à Paris, le 20 juin 1836.

Ma plus vive peine, dans l'attentat du 25, c'est que ce coup de pistolet
a tué, je le crains, notre Princesse Royale!

On dit beaucoup qu'Alibaud est un nouveau Louvel, fanatique isolé, vrai
produit des excès de la presse et des mauvaises doctrines. Le Roi veut
faire grâce à l'assassin, mais on pense que le Cabinet ne le permettra
pas.

Le général Fagel[40] a été à Neuilly, malgré la présence des Majestés
belges; le Roi lui en a su fort bon gré.


_Valençay, 5 juillet 1836._--Une maladie grave de ma femme de chambre
m'oblige à me servir moi-même; j'y suis un peu empruntée, mais cela se
formera. Cela n'est pas toujours agréable, mais c'est très utile et je
ne m'en plains pas; ce n'est pas que je n'aie mes moments de
découragement, mais alors je me malmène et cela ne dure pas. Il en
résulte bien, quelquefois, une grande fatigue nerveuse, faute d'y être
assez exercée; tout cela disparaîtra, car, enfin, nous ne sommes pas
ici-bas pour nous amuser, nous reposer, nous bien porter et être heureux
et satisfaits. C'est là où est l'illusion. On se trompe sur le but, et
c'est alors qu'on se révolte de ne pas l'atteindre; en se disant bien
que le but est le travail, la lutte et le sacrifice, on évite les
mécomptes, et on échappe ainsi à ce qui est le plus pénible.

  [40] Le générai Fagel avait été ambassadeur du Roi des Pays-Bas
  en France, sous la Restauration.

Les interrogatoires d'Alibaud ne seront pas imprimés; tant mieux, car
tout cela est une mauvaise pâture pour le public. J'ai eu hier une
lettre du duc de Noailles, qui est un des juges, et qui me dit qu'il est
évident que c'est la misère qui a poussé au crime. Cet homme, n'ayant
pas un sou, a voulu se tuer, mais il a trouvé qu'il fallait rendre sa
mort intéressante et utile. Voilà où commence l'influence des mauvaises
doctrines du temps et des sociétés républicaines dans lesquelles il a
vécu... Ce n'est ni un sombre fanatique comme Louvel, ni un Erostrate
moderne, comme Fieschi, c'est un mendiant d'assez de sang-froid, nourri
de mauvais principes, voilà tout.

Tous les journaux, carlistes, radicaux et juste milieu, enfin _tutti
quanti_, sont très mécontents du mandement de l'Archevêque de Paris.
Paraître à Neuilly, est trop pour les uns; ne pas oser dire: _le Roi_,
dans ce mandement, est une platitude inutile auprès des autres,
irritante pour beaucoup; la phrase jésuitique et équivoquante de la fin,
bien pitoyable. Enfin, le tolle est général, et mérité. J'en suis
fâchée, car au fond, ce n'est pas un homme sans qualités, mais d'une
gaucherie déplorable.

J'ai eu une lettre de M. de Valençay, de Milan; les courses de chevaux,
dans les arènes où vingt-cinq mille personnes étaient réunies, et
l'illumination du théâtre de la Scala ont été admirables.

Le maire de Valençay est venu consulter M. de Talleyrand pour une
adresse au Roi sur le dernier attentat, et a prié M. de Talleyrand de la
lui faire. Celui-ci m'en a chargée. La voici telle qu'elle a été votée,
et telle qu'elle est partie hier, pour Paris. C'est une grande preuve de
déchéance que de tomber de la langue diplomatique dans la langue
municipale. Enfin, voilà ce que le petit Fontanes du Berry a produit:
c'est, assurément, de toutes celles qui ont été faites pour la
circonstance, la plus monarchique, dans le fond et dans la forme:

    «SIRE,

   «C'est avec la confiance des enfants, le respect des sujets et la
   reconnaissance des amis de la vraie liberté, que les habitants de
   Valençay viennent déposer, au pied du Trône, l'expression de leur
   joie, pour la miraculeuse conservation de la personne sacrée du
   Roi, et leurs vœux pour le bonheur durable de la famille Royale.
   Quelque modeste et retiré que soit le point de votre Royaume d'où
   les cœurs s'élancent avec amour vers Votre Majesté, sa bonté
   nous est garante de l'indulgence avec laquelle nos hommages
   seront reçus. Notre ville, d'ailleurs, n'est pas sans quelque
   titre à l'intérêt du Roi; celui de tous qu'il nous est le plus
   doux d'invoquer c'est l'honneur que nous avons eu d'y recevoir
   Son Altesse Royale Monseigneur le duc d'Orléans, et le souvenir
   des bienfaits qu'il a répandus parmi nous, etc., etc.»

Suivent les signatures du Conseil municipal, parmi lesquelles figure
celle de M. de Talleyrand.


_Valençay, 10 juillet 1836._--Mon fils Valençay nous est arrivé hier; il
ne nous a rien appris de nouveau sur ses voyages que la confirmation de
ses lettres. Nous avons aussi le prince de Laval, qui fatigue M. de
Talleyrand à la mort, et il y a de quoi! A Paris, passe encore; il est
même parfois amusant; mais à la campagne, ce manque de jugement, cette
sottise nobiliaire, qui lui fait dire, par exemple, que l'oranger
(taillé, rogné, encaissé) est _l'aristocratie de la nature_; cette façon
de questionner toujours, de bégayer sous le nez, de crachoter au visage,
et de toujours prendre le petit côté des choses, sont excédants!... Et
il ne parle pas de s'en aller!

M. le duc d'Orléans m'écrit que ce n'est que par raison qu'il
regretterait de ne pas épouser la fille de l'archiduc Charles, car elle
ne lui plaît que moralement; physiquement, il la trouve, non pas laide,
mais chétive; enfin, il n'est pas séduit. Du reste, le père et la fille
disent _oui_ de grand cœur au mariage; l'Empereur d'Autriche ne dit
_rien_, mais son frère, l'archiduc François-Charles, et sa belle-sœur,
l'archiduchesse Sophie, disent _non_.


_Valençay, 13 juillet 1836._--Nous avons eu hier soir la visite du duc
Decazes[41] et du comte de la Villegontier, qui, en se rendant à leurs
forges de l'Aveyron, se sont arrêtés ici pour y prendre le thé. M.
Decazes était triste et soucieux des dangers du Roi, des plaies qui
gangrènent la société et que révèle le procès d'Alibaud. Il se plaint
aussi, avec raison, de la manière dont la police est faite, ou, plutôt,
n'est pas faite. Il dit que le Roi, seul, a conservé du calme et de la
présence d'esprit, mais qu'autour de lui tout est triste, inquiet,
agité, que la Reine et Madame sont bien malheureuses. Le maréchal Lobau
a persuadé que la Garde nationale trouverait mauvais que le Roi ne
passât pas de revue le 28 de ce mois-ci. Il la passera donc, sous l'Arc
de triomphe de l'Étoile, la Garde nationale défilant devant lui; mais
c'est encore trop! Les fêtes de Juillet se borneront à l'inauguration de
l'Arc de triomphe et à celle de l'Obélisque de Luxor. Il ne faudrait, ce
me semble, plus du tout de commémoration.

  [41] M. Decazes remplissait alors les fonctions de grand
  référendaire à la Chambre des Pairs.

Alibaud a cédé aux exhortations de l'abbé Grivel. Il s'est confessé, et,
par conséquent, il s'est repenti. Sur l'échafaud, il a baisé, devant le
peuple, le crucifix, mais un des valets lui ayant arraché le voile noir,
cela l'a mis en colère; il s'est tourné, subitement, vers la multitude,
le rouge lui est monté au visage, et il a crié: «Je meurs pour la Patrie
et la Liberté», puis il a tendu la tête.

M. Decazes nous a dit aussi que chaque jour amenait des lettres
anonymes, des dénonciations, des révélations et qu'il était impossible
d'avoir un instant de repos. Il m'a laissée sous une profonde impression
de tristesse.


_Valençay, 16 juillet 1836._--Le prince de Laval, qui est encore ici, où
il admire tout et paraît se plaire fort, malgré nos divergences
politiques, a un certain esprit qui consiste à dire parfois des mots
piquants et drôles, mais cet esprit manque de justesse et de mesure. Sa
vanité nobiliaire rappelle celle de M. Saint-Simon, ses préjugés de
caste vont jusqu'au ridicule, sa curiosité et son commérage sont sans
exemple et son occupation de lui-même, de son importance, de son
agrément est inimaginable; il a toutes les prétentions, aussi est-il
insupportable quand on le prend au sérieux! Dans le cas contraire, il y
a un certain parti à en tirer, d'autant plus que, tout en étant taquin,
il n'est pas méchant, et que ses prétentions mêmes l'obligent à une
certaine élévation.

Quant au duc de Noailles, que nous attendons aujourd'hui même ici, c'est
tout autre chose: raisonnable, posé, mesuré, froid, doux, poli, contenu,
il n'est ni questionneur, ni bavard, ni fatigant, mais ses prétentions,
pour être _rentrées_, n'en sont pas moins réelles; celles de grand
seigneur avant tout, et d'homme politique ensuite, l'absorbent. Il fait
grâce de celle d'homme élégant et à bonnes fortunes dont Adrien de Laval
se pare dans le passé, à défaut du présent. Je dirais volontiers que si
M. de Laval est un ci-devant jeune homme, le duc de Noailles est un
vieillard prématuré. Il n'a que trente-quatre à trente-cinq ans, et par
sa figure, ses façons, et l'ensemble de sa vie, il en paraît cinquante.


_Paris, 21 juillet 1836._--Je fais cas, de plus en plus, du duc de
Noailles; il a du jugement, de la sûreté, du goût, de la droiture et
d'excellentes manières; c'est un homme grave, honorable et sensé, dont
la bienveillance a du prix, et dont la haute position peut être utile
dans le monde où il compte; mais le cas que je fais de ses qualités et
le prix que j'attache à mes très bonnes et amicales relations avec lui
ne m'empêchent pas de lui trouver des prétentions. L'ambition politique
est au premier rang, et elle n'est peut-être pas suffisamment soutenue
par un certain dégagé de caractère, absolument nécessaire dans le temps
actuel. Toute cette famille est restée ce qu'elle était il y a deux
cents ans. Les Noailles sont plus illustres qu'anciens, plus courtisans
que serviteurs, plus serviteurs que favoris, plus intrigants
qu'ambitieux, plus gens du monde que grands seigneurs, plus nobiliaires
qu'aristocrates, et avant tout, et plus que tout, _Noailles_! Je connais
tous ceux actuels; le plus capable et le meilleur est sans aucun doute
le Duc, que je juge peut-être un peu sévèrement, mais pour lequel j'ai
toutefois une véritable estime.

J'ai quitté Valençay avant-hier, à six heures du matin, y laissant
Paulinette fort triste de son abandon; j'ai couché à Jeurs, chez les
Mollien, où je suis arrivée à huit heures du soir; j'étais ici, hier,
d'assez bonne heure.

J'y ai trouvé M. de Talleyrand en assez bonne santé, mais fort préoccupé
de l'état des choses. Le Roi n'assistera pas à la revue de demain, et ce
qui y a fait renoncer, c'est la découverte du serment fait par
cinquante-six jeunes gens de tuer le Roi. Comme on n'a pu se rendre
maître de ces cinquante-six jeunes gens, on a, avec raison, jugé plus
prudent de renoncer à la revue... Dans quel temps vivons-nous?

La mort de Carrel[42] jette aussi du lugubre: il avait de grandes
erreurs dans l'esprit, mais cet esprit était distingué, et son talent
remarquable. Conçoit-on, pourtant, M. de Chateaubriand, l'auteur du
_Génie du Christianisme_, fondant en larmes au convoi d'un homme qui a
refusé de voir un prêtre, et qui a défendu qu'on le présente à l'église?
Le besoin de faire de l'effet est ce qui fait le plus souvent et le plus
essentiellement manquer de goût et de convenances.

  [42] A la suite d'une violente polémique dans les journaux, une
  rencontre devint inévitable entre Armand Carrel, directeur du
  _National_, et Émile de Girardin, directeur de _la Presse_. Un
  duel au pistolet eut lieu le 28 juillet, au bois de Vincennes,
  entre les deux journalistes. Grièvement blessé à l'abdomen,
  Armand Carrel succomba le lendemain, après avoir nettement
  manifesté sa volonté d'être transporté directement au cimetière,
  sans passer par l'église.

Les affaires d'Espagne vont très mal. Les amis de l'intervention
s'agitent fort, et il y en a de bien influents, et des premiers, mais la
volonté suprême y est toujours également opposée.

J'ai eu bien bonne compagnie, hier, pendant ma route: celle du cardinal
de Retz dont j'ai repris les _Mémoires_; il y avait bien des années que
je ne les avais lus, et c'était à un âge où on cherche les faits et les
anecdotes, mais où on fait peu attention au style et aux réflexions.
L'un est vif, original, ferme et gracieux tout à la fois; les autres
fines, judicieuses, élevées, piquantes, abondantes. Quelle ravissante
lecture! que d'esprit, et du meilleur, si ce n'est dans l'action, du
moins dans le jugement! C'est La Bruyère dans la politique.


_Paris, 28 juillet 1836._--M. le duc d'Orléans est venu me voir hier. Il
était très souffrant, assez sombre; il est obligé, lui aussi, à une
infinité de précautions qui rendent sa vie triste. Le Roi était bien
résolu à aller à la revue, mais, en même temps, si convaincu qu'il y
serait tué, qu'il avait fait son testament, et donné tous ses ordres,
toutes ses directions à son fils, pour l'avènement de celui-ci au trône.

J'ai eu aussi, à la fin de la matinée, la visite de M. Thiers, fort
satisfait des nouvelles d'Afrique qu'il venait de recevoir, de la
situation politique au dedans et au dehors, de tout enfin, excepté des
dangers continuels et immenses qui menacent la vie du Roi. Il devait y
avoir plusieurs attaques contre le Roi le jour de la revue, attaques
isolées et inconnues les unes des autres: l'une consistait dans un
groupe d'hommes déguisés en gardes nationaux, lequel aurait, en passant
devant le Roi, tiré sur lui simultanément; sur vingt coups,
infailliblement, il s'en serait rencontré un de fatal. Deux des jeunes
gens arrêtés (il y en a plus de cent), ont déjà fait des aveux
importants. Hier matin, on a arrêté un homme chez lequel on a trouvé une
machine semblable à celle de Fieschi, mais perfectionnée et réduite
comme volume, avec plus de justesse et d'infaillibilité dans le tir.


_Paris, 29 juillet 1836._--J'ai été hier soir chez la Reine; elle était,
en apparence, dans son état naturel, quoiqu'elle ait dit avec une grande
amertume: «Nous pouvons nous donner le témoignage d'être de bonnes gens,
et on nous force à vivre dans les terreurs, et dans les précautions des
tyrans.» Madame Adélaïde prend sur elle, afin de ne pas assombrir le
Roi. Celui-ci était avec ses Ministres et n'est venu que plus tard. Il
était, dans ses façons, comme de coutume, mais ses traits portaient
l'empreinte de sombres pensées: il a éprouvé la plus vive contrariété
qu'il ait eue dans sa vie, en n'allant pas à la revue. Du reste, il
croit que ses jours sont comptés, car, en embrassant avant-hier la Reine
des Belges, qui repartait pour Bruxelles, il lui a dit qu'il ne la
reverrait plus. La jeune Reine s'est trouvée mal et rien n'a été plus
déchirant que leurs adieux. Les pauvres gens!

Un fait remarquable, consigné par tous les chefs des légions de la Garde
nationale, c'est que, depuis quinze jours, une quantité de gens
inconnus, ou trop connus, tels que Bastide et autres, se sont fait
inscrire sur les rôles de la Garde nationale, et montent la garde: tout
cela, pour se trouver dans les rangs défilant devant le Roi, le jour de
la revue.

Rien de si triste que les Tuileries; j'y suis restée deux heures avec un
serrement de cœur inexprimable, une oppression et une envie de pleurer
que j'ai pu à peine contenir, surtout quand j'ai vu le Roi.

Je partirai demain matin de bonne heure pour Valençay.


_Chartres, 31 juillet 1836._--J'ai quitté Paris hier, mais beaucoup plus
tard que je ne croyais, M. le duc d'Orléans m'ayant fait savoir qu'il
désirait encore me parler. Je ne puis assez dire combien j'ai été
touchée de sa bonne grâce parfaite pour moi. Il est venu tous les jours
me voir et m'a témoigné me compter comme sa meilleure amie; certes, il
ne se trompe pas. Il a, sous tous les rapports, fait des progrès
remarquables; si le ciel nous le conserve, je suis sûre que son règne
sera brillant. J'espère qu'un bon mariage pour lui égaiera notre horizon
politique qui est bien sombre.

Quel sera ce mariage? C'est la question qui se décidera la semaine
prochaine, car je crois que mariage il y aura: les circonstances le
rendent tellement nécessaire pour consolider et fonder ce que le crime
menace et attaque chaque jour, que la lignée devient bien plus
importante que la grandeur de l'alliance. Celle-ci aurait son prix
cependant; on y cherche, mais si on ne réussit pas, on ne penserait plus
qu'à trouver une femme qui promît de beaux enfants, sans, pour cela,
tomber dans le morganatique, dont, avec beaucoup de sens, on ne veut
pas, pas plus que d'une alliance dans laquelle se trouverait mêlé le
sang de Bonaparte. La religion est indifférente. Il est absolument
nécessaire de tirer Paris du lugubre dans lequel il est jeté. Je connais
les Français: si on leur produit une jeune personne avec des façons
engageantes, ils seront ravis; et quant au dehors, il comptera peut-être
davantage avec nous, quand il n'aura plus un leurre matrimonial à nous
offrir.

Hier, je ne me suis arrêtée que quelques minutes chez Mme de Balbi à
Versailles, et autant à Maintenon, chez la duchesse de Noailles. Je pars
à l'instant pour Châteaudun, et de là pour Montigny où j'ai promis de
faire une visite au prince de Laval.


_Montigny, 1er août 1836._--J'ai quitté Chartres après y avoir entendu
la messe dans la cathédrale, qui, à l'œil, ne paraît pas avoir souffert
de l'incendie[43]; la charpente et les plombs manquent, mais la voûte
intérieure, en pierre, n'ayant pas souffert, on ne s'aperçoit de rien, à
l'intérieur du dôme de l'église. On travaille aux réparations.

  [43] Au mois de juin 1836, un incendie, attribué à l'imprudence
  d'ouvriers plombiers, détruisit complètement les charpentes de
  châtaignier de la cathédrale, qui faisaient l'admiration des
  visiteurs et auxquelles on donnait le nom de _forêt_. Un grand
  nombre de vitraux anciens furent brisés ou fondus, les clochers
  sérieusement endommagés. Pendant plusieurs heures, le feu menaça
  de se propager dans toute la basse ville. Les réparations, fort
  importantes, durèrent de longues années.

Je me suis arrêtée à Châteaudun, pour y visiter, en détail, tout le
vieux château, jusqu'aux cuisines et aux cachots; à travers une
dégradation presque complète, on trouve encore de belles parties, et la
vue en est jolie. Le prince de Laval est venu à ma rencontre et m'a
amenée ici dans sa calèche; il fait de ceci un lieu charmant, arrangé
avec goût, recherche et magnificence. Le site est beau, et la partie
gothique du château, bien conservée et habilement restaurée. Ce château,
pour qui ne connaîtrait pas le propriétaire, le représenterait fort en
beau. Je m'étonne, je l'avoue, que ce lieu, tel qu'il est, soit arrangé
par Adrien de Laval; à la vérité, il a un excellent architecte, puis,
c'est le baron de Montmorency qui a arrangé la cour, et il y a eu
quelques conseils de ma façon dans la réunion des salons, car ce n'est
pas la première fois que je viens ici; bref, c'est charmant, et
quoiqu'il y ait des choses beaucoup mieux à Rochecotte, il y en a de
fort supérieures ici. Ce sont deux endroits qui, par leurs dimensions
et leurs proportions, peuvent se comparer.


_Valençay, 2 août 1836._--Me voici rentrée au gîte, et charmée d'être
loin du brouhaha de Paris, mais il me faudrait le temps de bien me
reposer, au lieu que voici M. de Talleyrand également arrivé, et du
monde qui doit nous envahir, dès aujourd'hui! Si je devais prendre des
armes parlantes, je choisirais un cerf aux abois avec un hallali autour!

Il est impossible d'être plus hospitalier que ne l'a été M. de Laval, et
je me fais scrupule de la petite ingratitude que je vais commettre, en
racontant une des plus grandes ridiculités que je connaisse. Adrien a
l'ordre du Saint-Esprit et on ne le porte plus; il en avait plusieurs
plaques: qu'a-t-il imaginé d'en faire? Il les a fait coudre au beau
milieu des courtepointes en velours qui couvrent les principaux lits de
son château! Je n'ai jamais été plus surprise qu'en voyant à mon réveil
un large Saint-Esprit en travers sur ma personne!


_Valençay, 6 août 1836._--J'ai une lettre de M. de Sainte-Aulaire, du 22
juillet, de Vienne, qui débute ainsi: «Je vous écris de provision, pour
un courrier qui partira dans deux jours, et qui dira au Ministère, je ne
sais quoi en vérité. L'attentat d'Alibaud a provoqué ici des
manifestations non suspectes d'intérêt pour le Roi, et des vœux
également sincères, pour l'accomplissement du grand œuvre que lui a
confié la Providence; mais il ne faudrait pas s'étonner aussi qu'il eût
rendu beaucoup plus vives les terreurs qu'on éprouve ou qu'on cherche à
inspirer sur l'état de Paris. «Tout vient à point à qui sait attendre.»
A cette condition, j'aurais bien répondu du succès, mais il est des cas
où l'on ne veut pas attendre, et l'on peut avoir raison.» La lettre de
M. de Sainte-Aulaire ayant dû partir par le courrier porteur de
l'importante réponse sur la proposition de mariage entre M. le duc
d'Orléans et l'archiduchesse Thérèse, cette réponse doit être arrivée à
Paris, et je crois d'autant plus qu'elle y est parvenue, que Madame
Adélaïde mande à M. de Talleyrand que son neveu doit, lui-même, nous
écrire ce qui le touche. Ce n'est pas par curiosité, mais par le plus
vif désir de voir le sort du jeune Prince heureusement fixé, que
j'attends ses lettres avec impatience. Je voudrais bien aussi que le Roi
de Naples fît, d'une de nos Princesses, une Reine de Naples.


_Valençay, 7 août 1836._--Comme suite à la citation que je faisais hier
d'une lettre de M. de Sainte-Aulaire, je dirai que les réponses sont
arrivées, et qu'elles sont défavorables. J'en suis fâchée, pour nous,
mais je crois que si c'est un inconvénient pour notre Prince Royal,
c'est peut-être une faute politique de la part de ceux qui ont dit non.
On pourrait bien ne pas tarder à s'en repentir, car cela peut changer la
face du monde et remettre en présence les deux principes qui étaient
prêts à se confondre.


_Valençay, 9 août 1836._--Nous avons vu arriver hier, à l'heure du
déjeuner, nos cousins, le prince de Chalais et son frère[44]. Le premier
a, à mon gré, la plus charmante figure d'homme que je connaisse, une
belle taille, de nobles manières; j'ai beaucoup causé avec lui, car il
n'est reparti qu'après le dîner. Il a un bon jugement, l'âme simple, le
cœur droit, la curiosité des choses utiles, un intérêt sensé et
raisonnable pour tout ce qui peut affermir la bonne position de grand
propriétaire.

  [44] Le comte Paul de Périgord.

On m'écrit que l'ordonnance qui disperse les prisonniers de Ham est
signée; cela me fait un vrai plaisir, car j'y ai beaucoup contribué. Ce
n'est pas encore la liberté entière qu'on leur accorde, mais c'est un
changement de domicile avec adoucissement qui prépare à une plus grande
latitude et qui déjà permettra aux santés délabrées de se rétablir plus
aisément et sous de meilleures conditions.

On est fort content du Roi de Naples à Neuilly. On y tourmente beaucoup
notre Roi, pour l'entraîner, malgré lui, vers une intervention au delà
des Pyrénées, mais il y résiste puissamment, jusqu'à présent: cette
tourmente intérieure, jointe aux précautions auxquelles on veut
l'assujettir, pour sa sûreté, empoisonne sa vie.


_Valençay, 11 août 1836._--On mande à M. de Talleyrand que les questions
d'Espagne, qui s'enveniment de plus en plus, jettent, à Paris, une
grande aigreur là où il ne faudrait pas qu'il y en eût, c'est-à-dire
entre le Roi et son Ministre des Affaires étrangères[45], qui est
soutenu par le Prince Royal, ceux-ci voulant l'intervention. On se
demande qui sortira vainqueur de cette lutte intestine!

  [45] M. Thiers.

_Valençay, 22 août 1836._--Je comprends très bien les réflexions qu'on
fait sur la grande-duchesse Stéphanie de Bade: son manque de tact tient
à sa première éducation. Élevée dans une pension prétentieuse[46], elle
a pu acquérir beaucoup, excepté ce sentiment exquis des convenances, qui
se transmet, qui s'inocule dans l'enfance, mais qui ne s'enseigne pas.
Aussi invite-t-elle M. Berryer à un bal chez elle, sans qu'il lui ait
été présenté, ni qu'il ait même demandé à l'être! Puis, elle parle trop,
en général, et cherche à faire de l'effet, par une conversation
brillante qui n'est pas toujours suffisamment mesurée et adaptée à sa
situation. Les Princesses ne sont pas tenues à être aimables; ce qu'on
exige d'elles, c'est d'être obligeantes et dignes, mais pour comprendre
la mesure et ne pas la dépasser, il faut avoir pris de certaines
habitudes, dès l'enfance, qui ont manqué à la grande-duchesse Stéphanie,
et que Mme Campan ne pouvait pas lui donner. Je la crois, au fond, bonne
personne; il y a, dans sa vie, du dévouement, du courage, des malheurs
qu'elle a traversés très honorablement. Je crois que Mme de Lieven, qui
la critique si sévèrement, ne se serait pas tirée aussi purement qu'elle
des crises que lui créait sa situation délicate avec son mari. La
Grande-Duchesse avait de la gentillesse de manières, et une jolie mine,
éveillée et gracieuse; elle avait besoin de la jeunesse; en la perdant,
ce qui lui manque devient plus évident. Hélas! c'est le cas de chacun;
voilà pourquoi il est si faux de dire qu'on est trop vieux pour se
corriger; c'est, au contraire, quand les agréments passent, qu'il est si
essentiel de les remplacer par des qualités: les charmes de la jeunesse
disposent à une indulgence, font admettre des excuses, qui disparaissent
avec ces charmes et ces grâces, et font place à une sévérité qu'il est
nécessaire de devancer, par plus de maintien, plus d'abnégation et plus
de respect de soi-même.

  [46] L'institution de la célèbre Mme Campan, aujourd'hui école
  d'Écouen.

Voilà des nouvelles officielles: le refus de Vienne est poliment
exprimé, sans être motivé. On ne songe point du tout, comme on l'a dit,
à la princesse Sophie de Würtemberg. Notre Prince Royal est parti pour
le camp, maigri, changé, mais franchement convalescent.

De Madrid, on sait qu'Isturitz a donné sa démission. C'est M. Calatrava
qui le remplace comme Président du Conseil. Tout cela va au plus mal.

Le Roi de Naples part le 24 pour Toulon. Il part, comme il était venu,
sans mariage.

Les ex-ministres prisonniers sont encore à Ham, par suite d'une
difficulté qui s'est élevée entre les Ministres actuels: celui de
l'intérieur veut conserver les prisonniers sous sa surveillance; le
Président du Conseil veut qu'ils restent dans des forteresses, avec le
régime le plus doux, mais enfin dans des places de guerre; dès lors, le
ministre de la Guerre réclame la surveillance! Il est bien temps que ce
traitement finisse, car les malheureux sont malades.

Mme Murat a obtenu la permission de passer un mois à Paris; elle y
arrive dans huit jours; on dit qu'elle est hors des intrigues de ses
frères.

J'ai eu, hier, une lettre de Mme de Lieven, qui m'annonce son retour à
Paris comme positif. J'ai peur qu'elle ne fasse une grande faute. J'ai
lu hier une lettre de Pétersbourg, dans laquelle il est dit qu'elle est
fort mal en cour. En revanche, M. de Lœve-Weimar y est très bien traité
et y fait l'aristocrate. Horace Vernet aussi y est gâté et choyé d'une
façon inimaginable. Comprend-on, après cela, pourquoi on tracasse ainsi
Mme de Lieven? Serait-ce parce qu'on la soupçonne d'être un petit brin
intrigante? Mon Dieu, que les Anglais ont raison de mettre, au nombre
des meilleures qualités, celle _to be quiet_![47]

  [47] D'être calme.


_Valençay, 24 août 1836._--Ce qu'on m'écrit est comique et inattendu: M.
Berryer jouant le vaudeville à Bade, avec Mme de Rossi! Du reste,
quoique ce soit un peu étrange, de la part d'un homme politique, cela
lui vaut mieux que de se mal associer en Suisse.

Les journaux nous ont appris, hier, la mort de M. de Rayneval[48] à
Madrid. Ceci va augmenter les embarras d'une question dans laquelle tout
est embarras.

  [48] Ambassadeur de France en Espagne.


_Valençay, 27 août 1836._--Nous ne savons pas les détails de ce qui se
passe à Paris, mais il y a évidemment quelque crise qui se prépare dans
le Cabinet. En résumé, M. Thiers paraît avoir voulu engager le Roi,
malgré lui, dans les affaires d'Espagne, et avoir agi dans ce sens sans
consulter ses collègues. Tout cela a fort animé les uns et les autres
contre lui. Il en est résulté un choc difficile à apaiser, et qui, d'ici
à peu de jours, doit amener, ou une soumission de Thiers au Roi, ou un
nouveau Ministère qui contiendrait cependant quelques éléments du
Cabinet actuel, et notamment, je crois, M. de Montalivet. Tout ceci est
encore spéculatif, car nous ne savons rien de particulier.


_Valençay, 28 août 1836._--Voici ce qu'une lettre de Madame Adélaïde,
reçue hier par M. de Talleyrand, nous apprend: «Le Ministère s'est
dissous; j'en suis désolée. Je regrette beaucoup Thiers, mais sa tête
s'était montée sur cette question d'intervention en Espagne qui a tout
gâté. Le Roi voulait rompre, à l'instant, le nouveau corps qui se
formait à Bayonne, et exigeait un engagement formel de renoncer, pour
l'avenir, à l'intervention; Thiers s'y est refusé et a donné sa
démission. Une nouvelle crise ministérielle, en ce moment, est bien
fâcheuse; puis il ne nous reste qu'un si petit cercle dans lequel
choisir! Le Roi a fait appeler M. Molé, mais il était à la campagne. Il
faut le temps qu'il arrive; sans doute, il demandera Guizot. Tout est
bien triste; nous savons d'ailleurs, par expérience, à quel point un
nouveau Cabinet est long et difficile à former! Plaignez-nous,
plaignez-moi, car je suis navrée!» Voilà donc où on en était
avant-hier, dans le lieu où la crise se passait. Je la regrette
beaucoup; d'abord parce que j'ai un grand fond d'intérêt pour Thiers, et
que je regrette que ses instincts révolutionnaires l'aient emporté sur
son dévouement, sa reconnaissance, et sur la docilité qu'il devait à la
haute sagesse, à la prudence et à la grande expérience du Roi; puis, les
changements fréquents de ministère sont de mauvais accidents de
gouvernement, et donnent des secousses trop répétées à l'esprit public.
D'ailleurs, le talent souple, vif, prompt de Thiers, ses connaissances
et son esprit étaient utiles à l'État. Quel usage en fera-t-il, quand il
aura complètement son libre arbitre? Madame Adélaïde, comme le prouve
l'extrait de sa lettre, a peu de goût pour les Doctrinaires, mais il n'y
a pas à croire qu'on doive rappeler M. de Broglie, envers lequel M.
Guizot croit s'être acquitté à tout jamais. A travers tous ces mauvais
côtés, il me semble, pourtant, qu'il y a un avantage incontestable pour
le Roi à la nouvelle preuve qu'il vient de donner, que, dans les
occasions vraiment importantes, il ne se laisse pas ébranler, et ne
permet pas qu'on lui mette le marché à la main. C'est ainsi qu'au mois
de février il a résisté à l'arrogance des Doctrinaires, et que
maintenant il a brisé l'infatuation de Thiers. Ce sont là, je crois, de
bons avertissements pour les ministres futurs, à quelque couleur qu'ils
appartiennent, et une excellente garantie donnée à la partie sage de
l'Europe.


_Valençay, 29 août 1836._--M. de Talleyrand devrait trouver, dans tous
les accidents qui lui arrivent sans fâcheux résultats, la garantie que
son existence est solidement assurée; il me semble cependant que ces
avertissements me feraient, à sa place, songer à ce qu'ils annoncent, et
à rendre grâce à Dieu des délais qu'il accorde pour alléger le bagage.
Il fait bien, quelquefois, des réflexions sur la mort, mais c'est de
loin en loin. Hier au soir, il y a eu un gros orage qui menaçait le
Château. Après un coup de tonnerre très violent, il m'a demandé quelle
était la pensée qui m'avait saisie dans le moment; je lui ai répondu
immédiatement: «S'il y avait eu un prêtre dans la chambre, je me serais
confessée; j'ai peur des morts subites. Mourir sans préparation,
emporter mon lourd bagage de péchés m'effraye; et quelque soin que l'on
mette à bien vivre, on ne saurait se passer de réconciliation et de
pardon.» M. Cogny, notre médecin, qui était là, et qui a une peur
affreuse des orages, a ajouté, un peu niaisement, qu'à chaque éclair il
faisait un acte de contrition; M. de Talleyrand n'a rien dit du tout, et
nous avons continué le piquet. A chaque occasion, j'établis, quand je le
peux, mes croyances, et je cherche par là à réveiller les siennes; mais
je ne le fais jamais sans provocation. Il faut avoir, dans ce genre de
choses, la main si légère!

J'ai eu hier une longue et intéressante lettre de M. le duc d'Orléans;
je la trouve d'autant plus sage, qu'il est revenu à des opinions plus
raisonnables sur la question d'Espagne. Il juge la crise ministérielle
actuelle exactement dans le même sens que je le fais. J'ai reçu aussi
une lettre de M. Guizot, écrite de Broglie le 24 août. Il ne savait
encore rien alors de la retraite de Thiers qui n'est que du 25. Il
m'écrit qu'il vient d'acheter une petite propriété auprès de Lisieux[49]
et qu'il va se faire fermier. Depuis, je suppose qu'il aura quitté la
charrue pour reprendre la plume et la parole.

  [49] Cette propriété était le Val-Richer, où M. Guizot habita
  jusqu'à sa mort.


_Valençay, 1er septembre 1836._--Je suis fort disposée à partager
entièrement cette opinion sur l'Empereur Nicolas, qu'on ne peut guère
lui accorder qu'une seule qualité de souverain, c'est le courage
personnel. Ce qui me paraît lui manquer le plus absolument, c'est
l'esprit; je ne veux pas dire l'esprit de conversation et de rédaction
seulement, mais l'intelligence.

M. de Montessuy, qui a accompagné M. de Barante à une fête à Péterhof,
et qui y a couché, écrit qu'ayant, dans les jardins, vu de loin
l'Impératrice, il s'était, par respect, retiré, et que le soir elle lui
en avait fait des reproches, lui disant qu'elle était descendue pour lui
parler, que c'était mal à lui de l'avoir évitée. Toute cette histoire me
paraît bien invraisemblable!

Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était
encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM.
Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres
de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient
regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui
s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.


_Valençay, 3 septembre 1836._--J'ai appris hier une nouvelle qui me
cause une peine très vive et qui va me jeter dans de grands embarras:
c'est celle de la mort de mon homme d'affaires en Allemagne, M.
Hennenberg, qui a expiré le 23 août, à Berlin. Il s'agit pour moi de
remplacer un fort honnête homme, capable, considéré et imposant, qui
connaissait, depuis vingt-cinq ans, non seulement toutes mes affaires,
mais mes relations passées et présentes; qui s'était identifié à toutes
les conditions de mon existence, m'avait rendu des services immenses, et
à travers toutes les secousses pécuniaires que j'ai éprouvées, avait
rétabli ma fortune et l'avait fait prospérer à vue d'œil, souvent même
à mon propre étonnement; enfin, quelqu'un entre les mains de qui j'avais
complètement abdiqué le gouvernement de mes affaires, comme il est du
reste nécessaire de le faire, à la distance infinie où je suis du centre
de mes intérêts. Remplacer un tel homme ne peut pas se faire de loin, ni
par lettres, ni à l'aveugle; rester dans l'incertitude et le désordre
pendant un temps illimité ne se peut pas davantage sans apporter un
préjudice incalculable. Un voyage en Allemagne serait donc de toute
nécessité pour moi; mais d'un autre côté, comment laisser M. de
Talleyrand seul, dans son état actuel de santé? Je ne puis y songer! Je
fais des vœux pour que la Providence me tire de ce dédale
inextricable!...

Les lettres de Paris disent que les combinaisons ministérielles
manquent, les unes après les autres; que le Roi s'en ennuie, et que
Thiers commence à dire que l'Espagne est passée remède! Cela conduira
peut-être à un replâtrage, mais chacun aura reçu par là un choc, qui
affaiblira l'ensemble, sans compter le principe neutralisant de défiance
et de rancune qui subsistera. Tout cela est triste.


_Valençay, 4 septembre 1836._--On nous écrit, de Paris, chaque jour,
mais sans annoncer encore de solution. Hier, je croyais à un replâtrage;
j'y crois moins aujourd'hui. Il se pourrait même que le voyage de
Fontainebleau eût lieu avant la recomposition du Cabinet. M. Thiers
voudrait partir pour l'Italie; le Roi dit, à cela, qu'il n'aura accepté
sa démission que lorsqu'il lui aura nommé un successeur. Les chances
Molé et Guizot paraissaient épuisées, sans avoir abouti!


_Valençay, 7 septembre 1836._--On nous mande que le _Moniteur_
d'aujourd'hui contiendra un ministère Guizot-Molé, le reste uniquement
recruté parmi les Doctrinaires, sous l'influence et par l'exigence de M.
Guizot. J'ai reçu hier une lettre de M. Thiers. Je suis peinée d'y voir
une certaine humeur contre tous ceux qui n'ont pas partagé ses idées sur
cette vilaine Espagne. Il trouve, surtout, que les signataires de la
Quadruple Alliance devaient être dans ses idées. Ceci s'adresse à M. de
Talleyrand, qui veut répliquer que, si on relit le traité, on verra que,
du côté de la France, il a été rédigé de façon que celle-ci ne soit
_obligée_ à rien. M. Guizot ayant persisté à ne pas vouloir que M. de
Montalivet conservât le ministère de l'Intérieur, et celui-ci ne
trouvant pas de sa dignité de quitter ce Ministère pour en accepter un
autre, comme le proposait M. Guizot, il se retire, au grand regret du
Roi. Il va venir en Berry où il a des terres. Sauzet et d'Argout, vont,
dit-on, en Italie, jadis lieu de retraite des souverains détrônés,
maintenant promenade obligée des ex-ministres.

Voici un fait certain: le 4 de ce mois, il y a eu des avis que la
_Société des familles_, la plus nombreuse et la mieux organisée,
maintenant, des sociétés secrètes, voulait faire quelque tentative pour
troubler l'ordre. Leur intention n'était même pas douteuse; mais la
crainte, sans doute, d'être découverts les a empêchés d'aller jusqu'à un
commencement d'exécution. On devait se porter à la prison des détenus
politiques, les mettre en liberté, s'emparer ensuite de la Préfecture de
police, et, de là, se porter sur Neuilly. Les Ministres assurent que
c'était très sérieux.


_Valençay, 9 septembre 1836._--Les journaux déclarent déjà, au nouveau
Ministère[50], une guerre terrible qui se jugera devant les Chambres.
Les journaux de l'opposition prédisent une rupture du Cabinet, qui, en
effet, n'est pas hors de vraisemblance. On verrait peut-être alors M.
Thiers revenir aux affaires, mais avec des antécédents d'opposition,
après une certaine guerre faite au système qu'il avait longtemps
soutenu, avec des engagements pris envers des hommes touchant à la
gauche, et, alors, n'entraînerait-il pas le gouvernement dans des voies
dangereuses? Je ne sais, mais, en tout, les choses me semblent se
noircir. Du reste, il est juste de reconnaître que la nouvelle
combinaison ministérielle offre, au pays et au dehors, des noms
honorables, des talents distingués et des capacités reconnues; espérons
donc dans la durée de leur amalgame! Huit ou dix jours avant la dernière
crise, M. Molé a, après un assez long silence, écrit à M. Royer-Collard
une lettre très coquette pour lui et pour moi.

  [50] Voici la composition du ministère: M. Molé, président du
  Conseil et ministre des Affaires étrangères; M. Guizot, ministre
  de l'Instruction publique; M. Persil, ministre de la Justice; M.
  Duchâtel, ministre des Finances; M. de Gasparin, ministre de
  l'Intérieur, avec M. de Rémusat comme sous-secrétaire d'État; M.
  Martin du Nord, ministre du Commerce et des Travaux publics; le
  général Bernard, ministre de la Guerre; l'amiral Rosamel,
  ministre de la Marine.


_Valençay, 10 septembre 1836._--M. de Talleyrand a reçu, hier, un petit
mot fort aimable et déférent de M. Molé, à son avènement au Ministère.
Le trait de la lettre est celui-ci: que le nouveau Cabinet s'étant formé
sur une question et dans une pensée que M. de Talleyrand s'était comme
appropriée par ses sages prévisions, les nouveaux Ministres devaient se
flatter de son approbation; qu'en son particulier, il souhaitait
vivement qu'il en fût ainsi, et qu'il comptait sur ses conseils et ses
avis. M. de Talleyrand a répondu sur-le-champ. Il ne m'appartient pas de
louer la réponse, mais je crois qu'elle doit plaire à M. Molé, qui,
cependant, n'y trouvera rien de désagréable pour celui qu'il remplace.
M. de Talleyrand peut regretter l'aveuglement de M. Thiers dans cette
question d'Espagne, mais ce n'est pas à lui, qui, depuis longtemps,
s'est établi comme bienveillant pour M. Thiers et qui l'est, en effet, à
le blâmer hautement.


_Valençay, 11 septembre 1836._--Je ne citerai pas Mme de Lieven comme
appuyant de sa conviction l'exactitude du récit de M. de Montessuy[51],
mais j'avoue que je n'en reviens pas d'un fait aussi étrange. Si une de
nos Princesses ou notre souveraine s'en rendait coupable, cela serait
tout de suite interprété révolutionnairement à Saint-Pétersbourg, et si
l'Empereur Nicolas admet Horace Vernet et surtout M. de Lœve-Weimar
dans ses grâces, son intimité et sa confiance, je ne sais plus de quel
droit on reprocherait au Roi de dîner aux Tuileries avec des gardes
nationaux. A la vérité, Louis-Philippe n'a ni le knout, ni la Sibérie à
sa disposition, deux rudes correctifs contre la familiarité, mais dont
il est heureux pour chacun de nous que le Roi ne puisse pas faire usage;
en Russie, ni l'âge, ni le sexe, ni le rang, ni le mérite ne mettent en
sûreté.

  [51] Voir plus haut page 87.

J'ai reçu une lettre de M. Guizot, qui me fait part de son entrée au
Conseil. Elle est des plus coquettes. L'amitié du Roi pour M. de
Talleyrand, et la confiance dont il l'honore, font que pas un de ses
Ministres ne se soucie d'être dans de mauvais termes avec lui; nous ne
nous en soucions pas non plus, ainsi tout ira suffisamment bien entre
nous et ces Messieurs.

J'ai reçu une longue lettre de M. le comte Alexis de Saint-Priest, de
Lisbonne. Il m'écrit de temps en temps, je ne lui réponds que des petits
mots assez courts et secs, mais il paraît déterminé à les prendre pour
des preuves d'amitié. C'est un calcul comme un autre! Il sait que M. le
duc d'Orléans veut bien avoir quelque bonté pour moi, il se croit appelé
à jouer un rôle lorsque ce Prince régnera, et il part de là pour vouloir
bon gré mal gré être de mes amis; on dirait, d'après le début de sa
lettre, que je lui suis beaucoup, et qu'il m'est beaucoup... Cela
m'impatiente un peu.


_Valençay, 13 septembre 1836._--Comment se rencontre-t-il si souvent des
gens pour rapporter aux personnes intéressées le mal qu'on dit d'elles?
C'est une singulière et trop générale disposition de l'esprit. Elle
m'est tellement odieuse, qu'outre que je m'en crois incapable, je reçois
toujours très mal ceux qui viennent me faire des confidences de cette
nature. Il me semble que la première condition pour vivre en paix, c'est
de ne dire de mal que des choses, quand elles sont mauvaises, et le
moins possible des personnes; et que la seconde condition, c'est
d'ignorer le mal qu'on dit de vous, à moins qu'il ne s'agisse de vous
faire éviter un piège ou un danger véritable; mais c'est bien rarement à
cette bonne et salutaire intention qu'on doit de certains
avertissements. Toute cette morale vient à l'occasion du mal que lord de
Rosse aurait dit de Mme de Lieven, et de la connaissance qu'on a donnée
à celle-ci de ces méchants propos. Du reste, je vois que l'usage du
monde, le savoir-vivre, le besoin d'avoir des causeurs, enfin les mille
et une considérations qui font, de la dissimulation, une vertu, ou au
moins une disposition sociale, permettent à ces deux personnes de se
voir avec empressement. A la bonne heure! Dans ce cas-ci, mon système
m'importe peu, ou pas du tout!


_Valençay, 16 septembre 1836._--Voici l'extrait d'une lettre que M. de
Talleyrand a reçue hier; elle n'est pas de Madame Adélaïde, mais la
personne qui lui écrit est généralement très bien informée: «M. Molé est
malade. Il n'a pu encore faire aucune visite, ni recevoir celle d'aucun
ambassadeur; on n'a pu, même, tenir encore aucun conseil chez le Roi. On
pense que sa santé ne lui permettra pas de rester longtemps au
Ministère, où, d'ailleurs, il ne prendra jamais de très profondes
racines. On dit que s'il se retirait, ce ne serait pas une cause de la
dislocation entière du Ministère, et que ce pourrait bien être
Montalivet qui le remplacerait. On dit aussi que le Ministère aborde les
Chambres sans crainte, qu'il croit y trouver la majorité; qu'il est
décidé à se contenter d'une majorité faible, dans l'espoir de la voir
s'accroître, et qu'il ne compte pas faire, perpétuellement, de toutes
les questions des questions de Cabinet. Le maréchal Soult ne sera point
ministre de la Guerre. Il tenait à avoir la présidence du Conseil et on
n'a pas voulu la lui donner; ce sera, probablement, Molitor, Sébastiani
ou Bernard. Le Ministère est tout entier soumis à la politique du Roi
dans la question espagnole. On dissoudra le corps qui se rassemblait
sur la frontière des Pyrénées, on laissera la Légion étrangère ce
qu'elle est. Elle est, d'ailleurs, au service de l'Espagne et on n'a pas
le droit d'en disposer. On se tiendra dans les limites les plus étroites
possibles du traité de la Quadruple Alliance. Cependant, on nommera un
ambassadeur à Madrid, ce dont on aurait pu se dispenser dans la
circonstance de la mort de Rayneval; c'est par égard pour l'Angleterre
qu'on le fait. Le bruit a percé, mais c'est un grand secret, et ce n'est
pas fait encore, que cet ambassadeur sera le duc de Coigny. Le Roi est
un peu préoccupé de l'attitude que prendra Thiers, et il le redoute
assez. Du reste, il est fort mécontent de lui, et l'a exprimé plusieurs
fois. Il y a eu un instant où Thiers a fait quelques démarches pour
rentrer dans le Ministère, et où il en a été question. Il se soumettait
alors entièrement à l'opinion et à la volonté du Roi sur la question
espagnole; mais la manière dont celui-ci s'est expliqué a prouvé qu'il
était fort éloigné de lui rendre sa confiance, et que, s'il le reprenait
jamais, ce ne serait que forcément et dans une position fâcheuse et
dominée. La vraie cause de la retraite de Thiers est moins dans une
divergence d'opinions entre le Roi et lui, que dans les tromperies dans
lesquelles il a voulu engager le Roi malgré lui, dans l'intervention.
Depuis son départ, on a découvert plusieurs choses dont on ne se doutait
pas. Thiers est parti, en annonçant qu'il ne reviendrait, pour la
session prochaine, que dans le cas où il verrait que sa politique serait
attaquée. On dit qu'au fond il est abattu de sa chute. Il a d'autant
plus de motifs de l'être qu'il en est seul l'auteur. La manière dont il
a quitté a fort affaibli le premier éclat qu'il avait jeté et l'opinion
publique ne lui est pas favorable.»


_Valençay, 21 septembre 1836._--Nous avons appris hier que la
Constitution de 1820 avait été proclamée à Lisbonne. On assure que c'est
à Londres que cet événement s'est préparé. Le fait est que l'amiral
Gage, qui se trouvait dans le port avec trois vaisseaux de ligne, est
resté spectateur immobile. Les Reines du Midi ne sont pas destinées à
dormir tranquilles, car, à Lisbonne comme à Madrid, c'est à deux heures
du matin qu'on a fait signer à la Reine la nouvelle Constitution.
L'armée s'est rangée du côté du peuple et de la garde nationale. Ce
pauvre petit prince de Cobourg a fait là un bien triste mariage. S'il
reste dans la vie privée, avec un aussi lourd bagage que Doña Maria, il
y succombera. Il n'est pas possible de ne pas être effrayé de ces
réactions militaires, et de ne pas être doublement pressé de voir notre
Cabinet se compléter par un _vrai_ Ministre de la Guerre. Les dernières
chances étaient pour le général Bernard; ce serait ce qu'il y a de
mieux, le maréchal Soult persévérant dans son refus.


_Valençay, 23 septembre 1836._--Notre Saint-Maurice[52] d'hier a été
très brillante. Les voisins ont abondé; nos cousins sont venus de
Saint-Aignan. Le bouquet des gardes-chasses avec leurs fanfares le
matin, un beau temps, une longue promenade, le banquet du Château et le
dîner des petites filles de l'école, l'illumination des trois cours, et
enfin le spectacle qui a été très gai, très joli et parfaitement joué,
rien n'a manqué à la fête!

  [52] Saint Maurice était le patron du prince de Talleyrand.


_Valençay, 25 septembre 1836._--Un fait est certain, c'est que Charles
X, pour complaire à M. le duc de Bordeaux, a fait demander à Don Carlos
de recevoir son petit-fils dans son armée, ce que Don Carlos a, très
sagement, refusé. En effet, c'eût été la seule chose qui eût pu
déterminer la France à intervenir.

Tous les détails que me donne une lettre de Strasbourg sur l'abbé
Bautain, sur MM. Ratisbonne et de Bonnechose m'intéressent fort, car
c'est entre ces Messieurs qu'a eu lieu la correspondance de philosophie
religieuse que j'ai lue l'hiver dernier. Ce livre est précédé de leurs
biographies et de l'histoire de leur conversion, ce qui fait que je suis
fort au courant d'eux. M. Royer-Collard, auquel j'ai parlé plusieurs
fois de l'abbé Bautain, m'a dit que lorsqu'il était grand-maître de
l'Université, il avait connu cet Abbé, très jeune homme alors, qu'il
avait un esprit distingué et beaucoup d'imagination, mais que sa mère
était à Charenton, et qu'il avait en lui de quoi l'y suivre, ce qui ne
l'empêchait pas d'en faire grand cas, sous beaucoup de rapports.
J'espère que la mort de Mlle Humann ne relâchera pas le lien précieux
qui existe entre tous ces jeunes gens si bons et si convaincus. Le genre
de mort de Mlle Humann est analogue à celui de la Reine Anne d'Autriche,
dont je viens de lire la description dans les _Mémoires_ de Mme de
Motteville; cette Reine est morte aussi d'un cancer. Je connais peu de
choses aussi touchantes, aussi édifiantes, aussi curieuses et aussi bien
décrites que la mort de cette Princesse. J'ai fini ces _Mémoires_: ce
livre, comme couleur politique, est la contre-partie de celui du
cardinal de Retz. Je lis maintenant, pour me replacer dans le juste
milieu, les _Mémoires_ de la Grande Mademoiselle; je les ai lus avant
mon mariage, à une époque où je ne connaissais pas la France, ni, à plus
forte raison, la contrée que j'habite en ce moment, et que cette
Princesse a beaucoup habitée aussi; son livre a, par conséquent, un
mérite tout nouveau pour moi et m'amuse fort.


_Valençay, 28 septembre 1836._--Il y a quelques jours qu'un courrier
espagnol est arrivé de Madrid à Paris. Il avait été arrêté par les
carlistes qui lui ont pris toutes ses dépêches, excepté celles qui
étaient directement adressées au Roi Louis-Philippe. Par ces dépêches,
la Reine Christine annonce que son projet était de quitter Madrid en y
laissant les deux Princesses. Le lendemain est arrivée une dépêche
télégraphique qui annonce que la Reine doit quitter Madrid avec tout le
Ministère pour se retirer à Badajoz; cette ville est choisie comme étant
la plus proche du Portugal, et attendu que la Reine ne pourrait passer,
ni du côté de Cadix, ni du côté des Pyrénées, ni vers aucun port de mer.
Malheureuse créature!


_Valençay, 2 octobre 1836._--M. de Valençay, qui est au camp de
Compiègne avec M. le duc d'Orléans, m'écrit que tout s'y passe très bien
et que la visite du Roi y fait très bon effet. Les Ministres, qui ont
tous accompagné le Roi à Compiègne, l'ont suivi à cheval à la grande
revue, mais au bout de quelques instants, M. Molé s'y est trouvé mal à
l'aise, et il est monté dans la voiture de la Reine. On dit que le camp
est très beau; l'accueil que le Roi y a reçu est excellent, et les
jeunes Princes sont fort à leur avantage. Cela me fait d'autant plus de
plaisir, que c'est la première sortie de prison du Roi depuis l'affaire
Alibaud; il fallait que sa présence à ce camp ait été jugée bien
nécessaire pour que M. le duc d'Orléans ait répondu sur sa tête de la
sûreté du Roi, en suppliant qu'il vînt se montrer aux troupes; c'est
là-dessus que le Conseil, qui s'était d'abord opposé, a consenti au
voyage du Roi.


_Valençay, 5 octobre 1836._--Il faut que je copie le passage suivant,
sur le château de Valençay, que je trouve dans les _Mémoires_ de la
Grande Mademoiselle, page 411, tome II, année 1653: «Je continuai mon
chemin sur Valençay; j'y arrivai aux flambeaux: je crus entrer dans une
maison enchantée; il y a un corps de logis, le plus beau et le plus
magnifique du monde. Le degré y est très beau, et on y arrive par une
galerie à arcades qui a du magnifique. Cela était parfaitement éclairé;
il y avait beaucoup de monde, avec Mme de Valençay et quelques dames du
pays, parmi lesquelles étaient de belles filles; cela faisait le plus
bel effet du monde. L'appartement correspondait bien à la beauté du
degré par les embellissements et meubles. Il plut tout le jour que j'y
séjournai, et il semble que le temps était fait exprès, parce que les
promenoirs n'étaient que commencés.--J'allai de là à Selles; c'est une
belle maison.»

J'ai reçu une lettre d'Alexandre de Humboldt à l'occasion de la mort de
mon homme d'affaires, M. Hennenberg: il m'offre ses bons offices dans la
lettre la plus obligeante, la plus soignée, la plus flatteuse, la plus
spirituelle, la plus curieuse du monde, et que je garderai parmi mes
autographes précieux. Cette mort de M. Hennenberg a réveillé l'intérêt
de tous mes amis. Sans l'inquiétude d'esprit qui me suivrait si je
devais quitter M. de Talleyrand et ma fille, un voyage en Prusse serait
parfaitement satisfaisant pour mon cœur.


_Valençay, 18 octobre 1836._--J'ai reçu, hier, une lettre du prince de
Laval, écrite de Maintenon, où il se trouvait, avec M. de Chateaubriand
et Mme Récamier. Il me dit qu'il venait d'y arriver un courrier de la
princesse de Polignac, pour supplier le duc de Noailles de se rendre à
Paris, afin de chercher à lever la difficulté nouvelle qui retardait
l'exécution des promesses faites en faveur des prisonniers. Le prince de
Laval ajoute que le duc de Noailles allait partir, et que lui retournait
à Montigny d'où il viendrait nous faire une petite visite, pour nous
raconter tous les nouveaux embarras relatifs aux pauvres prisonniers de
Ham.


_Valençay, 20 octobre 1830._--Nous avons eu, hier, une bonne visite de
M. Royer-Collard, venu de Châteauvieux, malgré le déplorable état des
routes. Il était fort indigné qu'on marchandât avec les prisonniers de
Ham pour leur liberté. Il m'a laissé une lettre, qu'il avait reçue de M.
de Tocqueville, arrivant d'un voyage en Suisse; j'y trouve le passage
suivant: «J'ai vu de près la Suisse, pendant deux mois. Il est très
possible que les rigueurs actuelles de la France, contre elle, fassent
plier ce peuple désuni; mais, en tout cas, ce qui est certain, c'est que
nous nous sommes créé là des ennemis implacables. Nous avons fait un
prodige: nous avons réuni dans un sentiment commun contre nous des
partis jusque-là irréconciliables. Pour opérer ce miracle, il a suffi
des mesures violentes de M. Thiers, et, plus encore peut-être, des
manières vives et hautaines de notre ambassadeur, M. de Montebello, et
de la manie qui le possède de se mêler, à tout propos, des affaires
intérieures du pays.»

Je pense beaucoup, ces derniers jours, à ce que l'on fait ou ne fait pas
pour les prisonniers de Ham. Tous les journaux sont unanimes, les
_Débats_ exceptés, pour blâmer les dernières mesures, ces grâces
marchandées, ces conditions avilissantes, imposées à des prisonniers
d'un genre tout à part, et dont l'histoire même n'a pas offert
d'exemple. Ces malheureux ne demandaient d'ailleurs pas la liberté, et
ne sollicitaient qu'un adoucissement favorable à leurs santés. Il paraît
que nos Ministres actuels ne partagent pas l'opinion du cardinal de
Retz, qui dit: «Tout ce qui _paraît_ hasardeux et qui ne l'est pas est
presque toujours sage.» Il dit encore, quelque autre part, une chose
qui me semble bien applicable à ce qui vient de se passer: «Il n'y a
rien de plus beau que de faire des grâces à ceux qui nous manquent; il
n'y a rien, à mon sens, de plus faible que d'en recevoir! Le
christianisme, qui nous commande le premier, n'aurait pas manqué de nous
enjoindre le second, s'il était bon.» Voilà de l'esprit, à la façon du
beau temps dans lequel tout le monde, même les moins parfaits, avait du
grand. Je ne sais si, maintenant, on a des vices moindres, mais,
assurément, du grand, je n'en vois nulle part.


_Valençay, 23 octobre 1836._--Je me suis décidée à écrire une petite
notice sur le château de Valençay, sa fondation, son histoire, etc., et
je la dédierai à mon petit-fils Boson, avec la dédicace suivante[53]:

   _A mon petit-fils!_

   «Tout le monde convient qu'il est honteux d'ignorer l'histoire de
   son pays et qu'on court risque de se placer trop haut ou trop
   bas, lorsqu'on reste étranger à l'histoire de sa famille; mais
   peu de personnes savent combien le plaisir d'habiter un beau lieu
   est agrémenté par la connaissance des traditions de ce lieu. De
   ces trois sortes d'ignorance, la dernière est, sans doute, la
   moins importante, mais elle est aussi la plus commune; car si
   les professeurs corrigent la première, et les parents la seconde,
   ce n'est qu'un goût particulier qui porte à la recherche des
   dates et des faits qui se rapportent à des lieux sans célébrité
   généralement reconnue. Cette recherche peut sembler puérile,
   lorsqu'aucun souvenir intéressant ne la justifie, mais là où,
   comme à Valençay, plusieurs illustrations ont consacré
   l'habitation, il est d'autant moins permis d'ignorer ou de
   confondre, qu'on est particulièrement appelé, si ce n'est à
   perpétuer ces illustrations, du moins à les respecter.

   J'ai pris plaisir, mon enfant, à vous faciliter cette petite
   étude; puisse-t-elle vous encourager à rester aussi noble de
   cœur et de pensée que l'est, par sa date, ses splendeurs et sa
   tradition, le lieu dont je vais vous parler.»

  [53] Cette notice sur Valençay fut imprimée plus tard, en 1848,
  chez Crapelet, rue de Vaugirard, à Paris, avec la même dédicace
  dont parle ici l'auteur de la chronique.--Ce curieux opuscule est
  cité par LAROUSSE, dans son grand _Dictionnaire universel du
  dix-neuvième siècle_, à l'article «Valençay».--Il est devenu
  rare, mais il en reste encore plusieurs exemplaires.


_Valençay, 24 octobre 1836._--J'ai eu, hier, une lettre fort aimable de
M. le duc d'Orléans; il m'annonce le départ de son frère, M. le duc de
Nemours, pour Constantine; il lui envie cette entreprise hasardeuse.

M. le prince de Joinville était à Jérusalem.


_Valençay, 28 octobre 1836._--Toutes les lettres de Paris disent que
rien n'a été plus imposant que le placement de l'obélisque de Luxor[54].
La famille royale a été reçue avec transport: c'était la première fois
qu'elle paraissait à Paris en public, depuis Fieschi, et la population
lui en a su gré. Le Cabinet hésitait, comme pour Compiègne, mais la
volonté royale l'a emporté, et avec succès.

  [54] L'obélisque de Luxor fut donné au Roi Louis-Philippe par le
  pacha d'Égypte, Méhémet-Ali.--Il fut enlevé de devant le temple
  de Luxor, transporté à Paris, et placé, en 1836, sur la place de
  la Concorde.


_Valençay, 30 octobre 1836._--Je pars demain d'ici à huit heures du
matin, je déjeunerai à Beauregard[55], dînerai à Tours, et coucherai le
soir chez moi, à Rochecotte, où M. de Talleyrand et ma fille viendront
me rejoindre le 2 novembre.

  [55] Chez la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde.


_Rochecotte, 2 novembre 1836._--Je n'ai pas eu un instant de repos,
depuis mon arrivée ici, où j'avais à faire mettre tout en ordre pour les
hôtes que j'attends, et à visiter les changements faits en mon absence à
l'occasion du puits artésien; ces changements ont fort embelli
l'entourage immédiat du Château, pour lequel il me reste encore beaucoup
à faire.

Je suis disposée à croire que M. Thiers a tenu des propos fort déplacés
sur nous tous. L'humeur et les mécomptes, chez les personnes qui
manquent de première éducation, s'expriment en général sans mesure.
C'est la question d'Espagne qui a fait sortir M. Thiers du Ministère,
c'est sur celle-là qu'il était en divergence complète avec M. de
Talleyrand: de là tout le reste. Je ne lui en veux pas; il devait en
être ainsi. D'ailleurs, il y a très peu de personnes que j'aime assez
pour leur en vouloir beaucoup.


_Rochecotte, 4 novembre 1836._--Qu'est-ce que c'est que toute cette
ébouriffade de Strasbourg[56]? Ce qui me semble donner un caractère
assez sérieux à cette folle entreprise bonapartiste, c'est que le même
jour, il y en a eu une du même genre à Vendôme, ici près. Six sergents
ont commencé le mouvement, qui a été aussitôt étouffé; cependant, il y a
eu un homme tué. Je ne sais si les journaux parlent de cela, mais c'est
sûr, les deux Préfets de Tours et de Blois l'ayant dit à M. de
Talleyrand, qui me l'a raconté en arrivant. La grande-duchesse Stéphanie
sera mal à l'aise de l'expédition de son cousin Louis Bonaparte[57]. Je
plains la duchesse de Saint-Leu, quoique je ne la croie pas étrangère à
ce fait, et qu'elle soit aussi intrigante que comédienne; mais elle est
mère, elle a déjà perdu un fils aîné, et elle doit éprouver une terrible
angoisse, juste mais amère punition de ses pauvres intrigues.

  [56] Le 26 octobre 1836, le prince Louis Bonaparte, accompagné de
  son ami, M. de Persigny, et avec le concours du colonel Vaudrey,
  essaya de provoquer un mouvement militaire et de renverser le Roi
  Louis-Philippe.

  [57] Futur Napoléon III.


_Rochecotte, 7 novembre 1836._--J'ai eu hier une lettre de Mme de
Lieven, qui me parle d'une indisposition de l'empereur Nicolas. Il me
semble que pour qu'une Russe avoue que l'Empereur est indisposé, il faut
qu'il soit bien malade! Cette mort-là serait un tout autre événement que
l'échauffourée de Strasbourg. Je ne crois pas que les Français auraient
beaucoup à la déplorer!


_Rochecotte, 10 novembre 1836._--Madame Adélaïde mande à M. de
Talleyrand que le Roi est décidé à ne pas laisser juger le jeune
Bonaparte; il exigera seulement son prompt départ pour l'Amérique, et
l'engagement formel de ne jamais plus revenir en France. Mme de
Saint-Leu a écrit au Roi pour lui demander la vie de son fils. On sait
qu'elle est cachée à Paris où on ne veut pas qu'elle reste; on ne la
laissera pas non plus habiter la Suisse; il paraît qu'elle ira aux
États-Unis avec son fils. Quelle absurdité que celle qui fait aboutir à
un tel résultat!


_Rochecotte, 11 novembre 1836._--Mme de Lieven disait, dernièrement,
devant Pozzo, qu'elle irait peut-être passer l'hiver prochain à Rome:
«Eh! qu'iriez-vous faire en Italie?» s'écria Pozzo, «vous n'auriez que
l'Apollon du Belvédère à qui demander des nouvelles, et sur son refus,
vous lui diriez: «Vilain magot, va te promener!» Cette saillie de Pozzo
a fait rire tous les assistants, et même la Princesse; au fait, elle est
fort gaie.


_Rochecotte, 20 novembre 1836._--Les lettres d'hier chantent la
palinodie sur les affaires de Portugal. Il paraît que la
contre-révolution a échoué au moment où on la croyait assurée, et que
c'est la mésintelligence entre le petit Van de Weyer et lord Howard de
Walden qui en est cause; le gâchis est complet.

Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que, décidément, la Cour ne
prendra pas le deuil à l'occasion de la mort de Charles X[58], faute de
notification. Elle cite plusieurs exemples de deuils non portés pour ce
motif, quoiqu'il s'agît de très proches parents, entre autres, celui de
la feue Reine de Naples, tante et belle-mère de l'Empereur d'Autriche,
morte dans son château impérial auprès de Vienne, et dont la Cour
d'Autriche n'a pas pris le deuil, parce que le Roi de Naples, alors en
Sicile, n'a pas notifié la mort de sa femme. Il n'y a rien à opposer à
de pareils exemples.

  [58] Charles X venait de mourir, à Goritz, en Autriche, le 6
  novembre 1836.


_Rochecotte, 21 novembre 1836._--La mort de Charles X divise, à Paris,
sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la
couleur jusqu'à la laine noire, avec des gradations infinies, et des
aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe de moins. Puis, les uns disent
le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c'est la
tour de Babel; on n'est pas même d'accord sur la maladie dont Charles X
est mort! Nos lettres d'hier ne parlent pas d'autre chose, à part
cependant des affaires du Portugal. On assure que ce qui vient d'y être
gauchement tenté pourrait bien faire chavirer lord Palmerston[59].

  [59] La Reine de Portugal avait été forcée, après des émeutes,
  d'accepter la Constitution radicale de 1820.--Elle fit, en
  novembre, aidée de Palmella, Terceira et Saldanha, une
  contre-révolution, croyant, à l'instigation de l'Angleterre, que
  le peuple de Lisbonne la soutiendrait, et proposa de renvoyer ses
  Ministres: elle avait été mal renseignée sur le sentiment
  populaire et fut forcée d'abandonner la lutte.


_Rochecotte, 22 novembre 1836._--Le prince de Laval m'écrit que M. de
Ranville est chez lui à Montigny, et M. de Polignac sur la route de
Munich et de Goritz. Je ne sais pas du tout comment son affaire s'est
arrangée[60]. Je ne sais pas non plus ce que c'est que cette réunion des
curés de Paris, convoqués chez M. Guizot, ministre des Cultes. On dit
que Mgr. l'Archevêque prépare un mandement à cet égard, mais je n'ai pas
encore le mot de l'énigme.

  [60] M. de Polignac, prisonnier à Ham, avait réclamé de M. Molé
  sa translation dans une maison de santé.

Il faudrait l'abbé de Vertot pour raconter toutes les révolutions du
Portugal. Lord Palmerston n'en serait pas le héros, ni même lord Howard
de Walden! Que peut-on penser de toute la bassesse de cette diplomatie?


_Rochecotte, 28 novembre 1836._--Il y a eu division, sur la question du
deuil de Charles X, jusque dans la famille royale actuelle: la Reine,
qui l'avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le
Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse
des journaux et n'y a rien gagné, car toutes les gazettes rivalisent,
selon leur couleur, à qui mieux mieux. Je suis très embarrassée de
savoir à quelle nuance, du blanc, du gris ou du noir je me vouerai en
arrivant à Paris; en général, les dames du juste milieu, qui tiennent
aussi à la société, vont en noir dans le monde et en blanc à la Cour. La
position de nos diplomates, au dehors, sera très embarrassante!

M. de Balzac, qui est un Tourangeau, est venu dans la contrée pour y
acheter une petite propriété. Il s'est fait amener ici par un de mes
voisins. Malheureusement, il faisait un temps horrible, ce qui m'a
obligée à le retenir à dîner.

J'ai été polie, mais très réservée. Je crains horriblement tous les
publicistes, gens de lettres, faiseurs d'articles; j'ai tourné ma langue
sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j'ai été ravie
quand il a été parti. D'ailleurs, il ne m'a pas plu. Il est vulgaire de
figure, de ton, et, je crois, de sentiments; sans doute, il a de
l'esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il y
est même très lourd; il nous a tous examinés et observés de la manière
la plus minutieuse, M. de Talleyrand surtout.

Je me serais bien passée de cette visite, et, si j'avais pu l'éviter, je
l'aurais fait. Il vise à l'extraordinaire, et raconte de lui-même mille
choses auxquelles je ne crois nullement!

Le prince de Laval me mande que M. de Polignac n'a pas pu encore
profiter de la liberté qui lui a été accordée, s'étant trouvé trop
souffrant au moment du départ[61]. Il demande à être transporté à la
plus proche frontière, Mons ou Calais, pour éviter le plus possible de
route qu'il ne pourrait pas supporter.

  [61] Sa peine avait été commuée en un bannissement perpétuel.


_Rochecotte, 2 décembre 1836._--La lettre de Mgr. l'Archevêque sur la
fameuse convocation des curés est mauvaise, parce qu'elle est
captieuse, ce qui ne convient jamais à un pasteur dont le plus bel
attribut est la simplicité évangélique; mais convenons aussi que la
démarche directe auprès des curés a dû le choquer, et que cette
interdiction des prières instituées par l'Église sent un peu trop la
Révolution, dont je voudrais qu'on sortît plus nettement qu'on ne le
fait. C'est par peur qu'on reste dans cette voie, et cette peur, trop
marquée, isole du dehors, et encourage les ennemis du dedans.

M. le duc d'Angoulême s'appellera décidément Louis XIX et sa femme, la
Reine: c'est elle qui l'a voulu ainsi. Mais ils ont cependant, aussitôt
après la mort de Charles X, envoyé dans la chambre du duc de Bordeaux
tous les insignes de la Royauté, déclarant que même si les événements
devenaient favorables, ils ne voulaient jamais régner en France. Du
reste, les notifications ont été faites sous le titre incognito du comte
de Marnes. Le jeune Prince est appelé à Goritz _Monseigneur_; il reste,
avec sa sœur, chez son oncle et sa tante.

C'est sur une lettre de M. de Polignac à M. Molé, écrite après la mort
de Charles X, et qui dit positivement qu'il sera reconnaissant au Roi
des Français de le faire sortir de Ham, qu'il a obtenu d'en sortir. M.
de Peyronnet a écrit, au charbon, sur le mur de sa prison: «Je ne
demande merci qu'à Dieu», ce qu'il n'avait plus, ce me semble, le droit
de dire, puis il est sorti, fort guilleret, de sa prison. Il n'a pas
voulu revoir M. de Polignac, même au dernier moment.


_Rochecotte, 15 décembre 1836._--Je pars décidément demain soir d'ici,
et serai après-demain à Paris.

   Les deux correspondants dont les lettres ont alimenté cette
   _Chronique_ s'étant trouvés réunis à Paris, pendant quelques
   mois, la _Chronique_ a été interrompue, pour recommencer en 1837.



1837


_Paris, 17 avril 1837._--Le nouveau Ministère, qui s'est constitué
avant-hier, et qui est destiné à illustrer la date du 15 avril, puisque
c'est par des dates qu'on désigne les différentes administrations, le
nouveau Ministère, dis-je, aura une rude guerre à soutenir; je désire,
pour son chef, M. Molé, qu'il s'en tire honorablement. Le _Journal de
Paris_ fait de la franche opposition doctrinaire; le _Journal des
Débats_, après l'oraison funèbre des sortants, promet paix et secours
aux entrants; tout cela n'est ni sérieux, ni sincère, ni fidèle, ni
stable, et je ne sais plus ni à qui, ni à quoi il est raisonnable de se
fier dans les relations politiques. M. Royer-Collard est venu me voir ce
matin avant d'aller à la Chambre des Députés; il n'avait pas l'air de
croire que le nouveau Ministère pût traverser la session[62].

  [62] Voici la composition de ce Ministère: MM, Molé, président du
  Conseil et ministre des Affaires étrangères; Barthe, ministre de
  la Justice; de Montalivet, ministre de l'Intérieur;
  Lacave-Laplagne, ministre des Finances; de Salvandy, ministre de
  l'Instruction publique; le général Bernard, l'amiral de Rasamel
  et M. Martin du Nord gardaient leurs portefeuilles. M. de
  Rémusat, sous-secrétaire d'État, suivait son ministre dans sa
  retraite.

Nous avons eu parmi nos convives, à dîner, M. Thiers qui a beaucoup
causé, comme de coutume. Il venait de la Chambre où on avait vainement
attendu la communication officielle du nouveau Ministère qui avait été
annoncée. Le Roi devait mener l'Électrice[63], qui est à Paris en ce
moment sous le nom de Comtesse d'Arco, visiter Versailles; mais au lieu
de cela, le Conseil ayant duré de dix heures du matin à cinq heures de
l'après-midi, le Roi n'a pu sortir, ni les Ministres se rendre à la
Chambre. Cela y a fait un très mauvais effet; on la dit irritée et
méprisante.

  [63] Marianne-Léopoldine, archiduchesse d'Autriche-Este, née en
  1771, avait épousé l'électeur Charles-Théodore de Bavière. Après
  la mort de son mari, elle épousa le grand-maître de sa Cour, le
  comte Louis Arco. Cette princesse mourut en 1848.


_Paris, 19 avril 1837._--Mme de Castellane, qui est venue chez moi ce
matin, et qui était encore dans un état d'émotion très pénible de la
séance de la veille à la Chambre, m'a appris que l'extrême longueur du
Conseil d'hier avait tenu à une vive discussion sur le retrait absolu de
la _loi d'apanage_, et sur la convenance de laisser en blanc le chiffre
de l'apanage de Mgr le duc d'Orléans dans la loi qu'on va présenter à la
Chambre à l'occasion de son mariage avec la princesse Hélène de
Mecklembourg-Schwerin; M. le duc d'Orléans, qui assistait au Conseil,
voulait qu'on laissât le chiffre en blanc et il a fini par l'emporter.

A peine Mme de Castellane était-elle sortie de chez moi, que Mme de
Lieven est entrée; elle venait me demander à dîner pour aujourd'hui.
Elle m'a conté un mot qui court sur le nouveau Ministère, et qui est
pris d'une nouvelle invention: on l'appelle le _Ministère inodore_.

J'ai eu, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui
venait de la Chambre, où il avait assisté à l'entrée solennelle du
Ministère. Il dit que cette entrée s'est faite au milieu du silence le
plus absolu: pas une parole, pas un geste, comme si les banquettes
avaient été vides et comme si on eût été au milieu des glaces du lac
Ladoga, ainsi que le disait plus tard Mme de Lieven. Le même silence a
régné pendant le discours de M. Molé, mais, au moment où le Ministère
s'est retiré en masse pour aller à la Chambre des Pairs, il y a eu un
mauvais murmure qui a fait rebrousser chemin à MM. de Salvandy et de
Rosamel, qui sont venus se rasseoir sur le banc ministériel. Dans la
discussion qui a suivi, le maréchal Clauzel paraît avoir été pitoyable,
mais M. Jaubert très incisif; à son mot sur l'état _provisoire_ des
choses, les rires les plus désobligeants pour le Cabinet ont éclaté de
toutes parts. En somme, l'impression était fort décourageante pour le
nouveau Ministère.

Après notre dîner, le duc de Noailles est venu à son tour nous raconter
l'entrée ministérielle à la Chambre des Pairs. M. Molé a dit quelques
mots courts et troublés; M. de Brézé a dit qu'il les trouvait trop
vagues, et a demandé quelques explications sur les causes qui avaient
amené la rupture du dernier Cabinet. M. Molé a voulu y répondre sans
trop y parvenir, au point qu'en se trompant, sans doute, il a fini par
se servir du mot _catégorique_ pour désigner la netteté de ses paroles.
A ce mot de _catégorique_, M. Villemain a dit, méchamment, que le
discours du Président du Conseil était tout, excepté catégorique, et
qu'il désirait savoir ce que l'on ferait de _la loi de non-révélation_;
M. de Montalivet a parlé alors, et très bien, dit-on; il aurait laissé
la Chambre sur une très bonne impression, si M. Siméon, rapporteur de la
_loi de non-révélation_, n'était pas venu annoncer que son discours
était prêt, ce qui sera une grande gêne pour le Ministère, qui aurait
voulu laisser tomber ce projet de loi en oubli.


_Paris, 22 avril 1837._--J'ai eu, aujourd'hui, la visite de M. le duc
d'Orléans: il venait d'apprendre le vote de la Chambre sur sa dotation,
et le fond et la forme lui convenaient. Il m'a paru disposé à employer
la moitié du million de frais d'établissement en œuvres de
bienfaisance, aux ouvriers de Lyon, en livrets achetés pour des
malheureux aux différentes caisses d'épargne du pays, à vêtir un grand
nombre d'enfants dans les salles d'asile, enfin, en fort bonnes actions.
Il est fort heureux de son mariage et de belle humeur. La princesse
Hélène désire être escortée depuis Weimar par un envoyé de France; on
cherche quelqu'un pour cette mission. Je voudrais qu'on en chargeât le
baron de Montmorency. La Princesse verra le Roi de Prusse à Potsdam. Son
portrait n'est pas encore arrivé. On espère toujours que le mariage se
fera avant le 15 juin. La Princesse, n'étant pas mariée par procuration,
et n'étant pas encore, par conséquent, Duchesse d'Orléans, sa maison
n'ira pas la chercher à la frontière. Elle y trouvera seulement
quelqu'un de la maison du Roi, et, peut-être, une des Dames de la Reine;
elle vient, du reste, avec sa belle-mère, Mme la grande-duchesse
douairière de Mecklembourg.

Meunier[64] aura probablement sa grâce à l'occasion du mariage. Ce
procès Meunier n'a aucun intérêt par le caractère des individus, ni leur
langage rien de dramatique; c'est fort au-dessous de Fieschi, et même
d'Alibaud; du dégoût, voilà tout ce que cela produit. Cela vaut, du
reste, beaucoup mieux comme effet sur le public.

  [64] Le 27 décembre 1837, jour de l'ouverture de la session
  parlementaire, un nouvel attentat avait été commis contre le Roi
  Louis-Philippe, qui se rendait en voiture, avec trois de ses
  fils, au Palais-Bourbon. L'auteur du crime était Meunier, un
  jeune homme de vingt-deux ans. Il fut condamné à mort par la
  Chambre des Pairs, mais le Roi obtint, en effet, que sa peine fût
  commuée en bannissement perpétuel, à l'occasion du mariage de M.
  le duc d'Orléans.

Le ridicule compliment de M. Dupin au Prince Royal est fort bien relevé,
ce matin, dans le _Journal de Paris_. Le Roi n'a pas voulu que son fils
reçût, ailleurs qu'auprès de lui, les félicitations des Chambres, ce qui
faisait dire à M. de Sémonville qu'il aurait cru abdiquer en faisant
autrement.

J'ai dîné chez M. et Mme Mollien avec M. et Mme Bertin de Veaux, M.
Guizot, M. de Vandœuvre. On y a beaucoup parlé du discours embarrassé
de M. Barthe, à la fin duquel il est resté court; de l'extrême pâleur du
Ministère et de la presque infaillibilité d'un duel entre MM. Thiers et
Guizot dans le cours d'une session qui doit amener encore tant de
questions _palpitantes_, comme on dit maintenant; les deux champions se
battront sur le dos du Ministère, qui pourrait bien succomber sous leurs
coups. Ce dire est assez général et ne m'appartient pas en propre. Hier,
on n'a fait qu'escarmoucher.


_Paris, 26 avril 1837._--On me parle de discussions en Angleterre sur la
question espagnole. M. Thiers assurait, l'autre jour, que le Ministère
anglais était près d'abandonner l'Espagne à ses propres destinées; il en
tirait avec effroi, pour la dynastie française actuelle, la conclusion
du triomphe de Don Carlos. Il est vrai que cette question rentre dans
celle de l'intervention à laquelle il tenait tant.

La duchesse d'Albuféra a été fort troublée par ce duel de son gendre, M.
de La Redorte, qui s'est battu avec le gérant du _Corsaire_ pour un
article injurieux, paru il y a deux jours dans cette vilaine feuille, et
dans lequel la personne aussi bien que les opinions de M. de La Redorte
étaient violemment attaquées. On s'est battu au pistolet, le gérant a
été blessé à la main; on croit qu'il perdra le doigt. L'état social est
détruit par les excès de la presse!


_Paris, 27 avril 1837._--J'ai vu, ce matin, Madame Adélaïde, qui m'a dit
que le Roi venait de signer la commutation de peine de Meunier. J'ai
appris aussi, chez elle, que la princesse de Mecklembourg et sa
belle-mère seront le 25 mai à la frontière de France; le 28, jour de
Saint-Ferdinand, fête de M. le duc d'Orléans, à Fontainebleau; et que
le mariage aurait lieu le 31.

Nous avons eu à dîner la princesse de Lieven, le duc de Noailles,
Labouchère, M. Thiers et Matusiewicz, qui revient très vieilli, de
Naples, dont il parle très mal, comme climat et comme ressources
sociales. La composition de ce dîner était assez disparate, ce qui a
tenu aux distractions de M. de Talleyrand, mais enfin, cela s'est bien
passé, et la conversation a été vive, surtout entre M. Thiers et Mme de
Lieven. Elle est dans des coquetteries positives à son égard, et je me
sers du mot coquetterie parce qu'il est le seul qui dise bien le vrai.
M. Thiers a raconté la Chambre, en répétant sans cesse, d'un accent
particulier qui fait rire malgré soi: _ce pauvre Ministère!_ Il le
protège cependant, mais ne consentirait jamais, je pense, à être protégé
à ce prix! Il lui est commode de le faire vivre jusqu'à la session
prochaine, mais on doute qu'il y réussisse, car, comme il dit lui-même,
on peut faire vivre un malade, mais non pas un mort. Dans la séance
d'hier, le Ministère a tergiversé, comme de coutume; il a fini par se
décider contre le maréchal Soult, ce qui a donné beaucoup d'humeur à la
gauche, parce que les Doctrinaires criaient de toutes parts:
«Prononcez-vous; allons, prononcez-vous donc!» On dit que cela a été
fort scandaleux. Mme de Lieven partie, ces Messieurs sont restés encore
assez longtemps, et on a parlé des changements que le schisme, dans le
_juste milieu_ lui-même, avait apportés dans la société; de l'influence
des salons, et de celle des femmes qui les gouvernent. Voici comment M.
Thiers les a classés: le salon de Mme de Lieven, c'est l'observatoire de
l'Europe; celui de Mme de Ségur, c'est la Doctrine pure, sans
conciliation; la chambre de Mme de La Redorte est à M. Thiers sans
partage; chez Mme de Flahaut, on veut ce qui est commode à M. le duc
d'Orléans; chez M. de Talleyrand, ce qui est commode au Roi; la maison
de Mme de Broglie est au 11 octobre, à la conciliation, mais à la plus
aigre des conciliations; le cabinet de Mme de Dino est seul gouverné par
la plus parfaite indépendance de l'esprit et du jugement: ma part n'est
pas la plus mauvaise; à la vérité, elle est faite en ma présence!

Les journaux allemands annoncent la mort de M. Ancillon. Malade depuis
longtemps, le médecin lui ordonne une potion intérieure et un liniment;
il explique cela à Mme Ancillon, qui part pour un concert; en rentrant,
elle s'aperçoit qu'on s'est trompé et peu d'heures après, le malade
meurt! Le pauvre homme n'a pas eu le mariage heureux! Il avait d'abord
épousé une femme qui aurait pu être sa mère, puis une autre qui pouvait
être sa fille, et enfin cette beauté belge qui était, je crois, la pire
des trois.


_Paris, 29 avril 1837._--J'ai vu, ce matin, M. Royer-Collard, qui m'a
parlé de la séance de la veille à la Chambre des Députés, où on a voté
le million de la Reine des Belges. Le résultat, pour lequel lui aussi a
voté, a sans doute été bon, mais il paraît que la discussion a été
triste pour le gouvernement, et que M. de Cormenin, bien loin de
recevoir les étrivières, a eu le dessus. Cette même impression m'a été
rendue par deux autres personnes qui assistaient à la séance.


_Paris, 20 avril 1837._--M. Thiers est venu me voir, ce matin, avant la
séance de la Chambre: il m'a confirmé le dire général sur la séance du
million de la Reine des Belges; mais le but de sa visite était de se
plaindre de la princesse de Lieven. Il a très bien avisé ce que j'avais
prévu depuis longtemps, c'est qu'elle ne le prenait pas au sérieux,
qu'elle le produisait, le promettait et le mettait en scène comme
acteur; il a trop d'esprit pour n'en pas sentir le ridicule et même pour
ne pas le ressentir! Il m'a demandé si je m'en étais aperçue, et si
d'autres s'en étaient aperçus. Je lui ai répondu que personne ne m'en
avait fait la réflexion, mais que je croyais qu'un peu de réserve dans
son langage, dans un salon que lui-même appelait l'_observatoire de
l'Europe_, ne pourrait avoir que de l'avantage. Je l'ai engagé,
cependant, à rester en bons termes avec la Princesse à laquelle il plaît
au fond beaucoup, et dont l'esprit et la conversation facile et rapide
lui plaisent aussi. Je crois qu'il a déjà trouvé, l'autre jour,
l'occasion de lui glisser quelques mots qui l'ont fort effarouchée. Il
n'y a pas de mal, c'est une personne avec laquelle il faut rester bien,
mais qu'il faut contenir.


_Paris, 1er mai 1837._--Le duc de Broglie va au-devant de la princesse
de Mecklembourg, à Fulda, en deçà de Weimar, non pas pour épouser, mais
pour complimenter et escorter. C'est la maréchale Lobau qui sera Dame
d'honneur de la Princesse.

J'ai eu, hier, une lettre de l'Archevêque de Paris, qui m'envoie la
copie de la réponse de Rome, qu'il venait de recevoir, relativement à
ses dernières difficultés à l'occasion du terrain de l'Archevêché. Rome
approuve entièrement sa conduite, le laissant libre cependant de faire
telle transaction qui pourrait concilier tous les intérêts; cette
dernière phrase est très vague. J'irai, probablement après-demain,
remercier l'Archevêque et savoir quelques détails de plus; il ajoute,
dans sa lettre, qu'il est certain que le gouvernement a reçu une réponse
semblable à celle qu'il me communique.


_Paris, 2 mai 1837._--On assure que c'est le baron de Werther, le
Ministre de Prusse ici, qui remplacera M. Ancillon à Berlin; il fait
seulement quelques difficultés d'accepter, mais on croit qu'il finira
par là.

On a surnommé le marquis de Mornay, le Sosthène de la révolution de
Juillet: c'est très drôle et assez vrai.

J'ai vu M. Royer-Collard, qui croyait que la _loi sur les fonds secrets_
passerait, mais en blessant mortellement le Cabinet.

J'ai été, hier soir, à la réception de la Cour pour le 1er mai[65]. Il y
avait un monde énorme, du beau et du laid, du joli et du malpropre, de
tout enfin. M. le duc d'Orléans n'a pas paru, à cause d'un grand mal de
gorge auquel se joint une fluxion sur l'œil. Il fait bien de se
soigner, car il n'a plus que trois semaines pour cela.

  [65] Fête du Roi Louis-Philippe.

On m'a dit au Château que, dans la séance de la Chambre ce matin, M.
Jaubert avait écorché vif le Ministère et que la journée d'aujourd'hui
pourrait bien en amener le renversement; je ne le crois pas, parce que
personne n'est pressé de son héritage immédiat.

Le bruit circulait aussi d'une victoire importante qui aurait été
remportée par don Carlos.

Il me semble que je n'ai pas mandé ce que Matusiewicz m'a raconté de la
nouvelle Reine de Naples, sur laquelle je l'ai fort questionné; c'est
l'archiduchesse Thérèse dont il était tant question l'année dernière. Il
dit, donc, qu'elle est agréable, spirituelle, gracieuse, surtout
gentille; point de grand air, ni de belles manières; point du tout
Princesse. On dit que le Roi en est fort amoureux.


_Paris, 4 mai 1837._--J'ai été hier au Sacré-Cœur, voir Mgr
l'Archevêque; je l'ai trouvé enchanté des réponses de Rome, ne voulant
pas en faire publiquement parade, et désireux, pour peu que de l'autre
côté on y mette des formes, d'user de la latitude que lui laisse Rome
pour traiter tout à l'amiable; enfin, plus calme, plus doux que je ne
l'avais vu depuis longtemps.


_Paris, 5 mai 1837._--M. Molé, qui a dîné hier chez nous, disait que son
collègue, M. Martin du Nord, ferait, aujourd'hui même, une espèce
d'amende honorable à la Chambre pour son équipée d'avant-hier. M.
Thiers a harangué ses soldats et les a calmés.

Les ratifications du contrat de mariage de M. le duc d'Orléans sont
arrivées du Mecklembourg; la maladie de M. de Plessen, le ministre
mecklembourgeois, l'ayant empêché de se rendre à l'endroit où l'échange
des ratifications devait se faire, on a craint des retards qui auraient
été d'autant plus prolongés que M. de Plessen est mort depuis. M.
Bresson lui a, en conséquence, envoyé quelqu'un qui lui a porté l'acte;
il était presque agonisant quand il a signé; trois heures après, il est
mort.

M. de Lutteroth mande que le portrait du Prince Royal, qu'il était
chargé de porter à la princesse Hélène, a eu le plus grand succès. Deux
accès de grippe, dont la Princesse a été atteinte, ont empêché d'achever
le sien; à sa place, je n'en enverrais pas du tout! M. de Lutteroth ne
tarit pas sur les agréments de la Princesse, bien qu'il convienne
qu'elle ait un nez peu distingué et d'assez mauvaises dents. Le reste
est très bien, surtout la taille, qui est charmante. Le jour où il a
dîné avec elle, elle avait des gants trop larges et des souliers noirs
qui, évidemment, n'avaient point été faits à Paris. Ce qui est fâcheux,
c'est que M. le duc d'Orléans ait un échauffement de poitrine qui se
prolonge. Il tousse beaucoup et a une forte extinction de voix; il se
soigne, et il fait bien.

Les Princesses de Mecklembourg n'ont pas de dot, seulement, quand elles
se marient, les États votent deux ou trois cent mille francs de don
volontaire. M. le duc d'Orléans les a refusés, ce qui, dit-on, a fait
grand plaisir aux Mecklembourgeois. Le duc de Broglie sera accompagné,
dans sa mission, de M. le comte Foy, fils du général célèbre, du comte
d'Haussonville, de M. Léon de Laborde, de Philippe de Chabot, et de M.
Doudan, celui-ci avec le titre de premier secrétaire d'ambassade[66].

  [66] Cette ambassade d'honneur était envoyée au-devant de la
  royale fiancée; elle la rencontra à Fulda, le 22 mai 1837.


_Paris, 6 mai 1837._--Après une visite de M. Royer-Collard, et comme
contraste, je suis allée hier matin faire une assez longue station chez
Mme Baudrand, la célèbre marchande de modes. Je voulais choisir des
chiffons, pour les fêtes de Fontainebleau; je m'y suis amusée. D'abord,
les plus jolies choses du monde; puis une foule, qui attendait un tour
de faveur; des messages du Château qui appelaient en hâte ce grand
personnage. En vérité, on aurait pu se croire chez le chef de la
Doctrine ou du Tiers-parti!

J'ai eu, hier soir, un billet de Mme de Castellane; écrit après la
séance de la Chambre, et qui en fait le récit suivant: M. Martin du Nord
a donné quelques mots d'explication raisonnables; M. Augustin Giraud a
vivement attaqué M. Molé, qui lui a extrêmement bien répondu; M. Vatry a
appelé les grands athlètes dans l'arène, en proposant un amendement; M.
de Lamartine, dans un ennuyeux discours parfaitement étranger à la
question, a provoqué M. Odilon Barrot, qui, alors, a fait un de ses plus
beaux discours; M. Guizot, à son tour, lui a répondu admirablement.

On m'a éveillée tout à l'heure pour un billet de M. Molé qui me dit que
M. Thiers, ébranlé, retourné même par la séance d'hier, veut renverser
le Ministère pour forcer M. Guizot à se présenter, avec ses amis, et le
renverser à son tour; il ajoute que M. Dupin a rappelé à M. Thiers ses
engagements, en lui disant qu'en agissant comme il voulait le faire, il
ferait une mauvaise action. M. Thiers a paru de nouveau ébranlé et a
annoncé qu'il réunirait de nouveau ses amis. M. Molé me mande ces
nouvelles en me priant d'en causer avec M. Thiers dans le même sens que
Dupin. C'est se fort mal adresser, car chat échaudé craint l'eau froide,
et je me souviens trop bien des scènes de l'année dernière pour me jeter
dans un pareil guêpier; je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde
pas! Mais, enfin, la journée d'aujourd'hui sera décisive pour le
Ministère.


_Paris, 7 mai 1837._--Je ne suis pas sortie hier matin, et j'ai laissé
ma porte ouverte; cela m'a valu des visites: M. Jules d'Entraigues, le
duc de Noailles, la petite princesse Schœnbourg. Chacun arrivait encore
tout ému de la séance de la veille et du magnifique discours de M.
Guizot. Il est, en effet, admirable, et a occasionné la plus forte
émotion parlementaire au sein de la Chambre.

Vers cinq heures, M. de Tocqueville est arrivé. Il sortait de la séance
et venait d'entendre Thiers, qui avait répondu à Guizot. Il paraît que
jamais on n'a eu plus d'esprit: c'est lui qui a sauvé le Ministère et
fait passer la loi[67].

  [67] Il s'agissait d'une loi de crédit pour les dépenses secrètes
  de la police.
Il a ajouté que Thiers avait parlé bas, froidement, avec
l'affectation de montrer qu'il ne cherchait aucun effet de tribune,
et ne voulait rivaliser en rien sous le rapport dramatique, mais
porter coup, et on dit que c'est fait!

A dîner, nous avons eu la duchesse d'Albuféra, M. et Mme de La Redorte,
MM. Thiers et Mignet. M. Thiers était fort satisfait de sa journée,
rendant une éclatante justice à M. Guizot et établissant bien qu'il
n'aurait jamais fait la bêtise de chercher à l'éclipser, attendu que
cela ne se pouvait pas; mais qu'il avait cherché à le rendre impossible
et qu'il croyait y être parvenu. Il nous a _dit_ alors son discours: il
m'a paru d'une clarté, d'un bon sens et d'une application frappants. Il
m'a conté que M. Royer-Collard l'avait presque embrassé en lui disant:
«Vous les avez tués!»

J'ai été, le soir, chez Mme Molé, pour y payer le dîner que j'avais fait
dernièrement avec l'Électrice: il n'y était question que de la séance de
la Chambre. Le Ministère en jouissait comme d'un succès; assurément, il
n'y avait pas, pour lui, moyen d'en triompher. Je suis revenu par chez
Mme de Lieven: elle avait été entendre M. Guizot la veille, mais non pas
Thiers le matin; elle était donc restée toute Guizot, ce qui avait
d'autant plus d'à-propos, qu'il est arrivé lui-même, fort enchanté du
concert d'éloges qui l'a accueilli; mais, au fond, il était atteint.
Cela m'a paru sensible, à moi qui le connais bien!

Je suis tout étourdie, en écrivant, par le bruit du tambour qui bat sans
discontinuer, pour la grande revue de la Garde nationale que le Roi
doit passer aujourd'hui. Dieu veuille qu'elle se passe bien! J'en suis
dans une grande anxiété.

Je sais que MM. de Werther et Apponyi se montrent médiocrement
satisfaits des doctrines politiques exprimées par M. Guizot, dans son
discours d'avant-hier; ils s'attendaient à un système moins rétréci,
moins bourgeois! En cela, ils avaient tort, car le système social de M.
Guizot est le seul approprié au temps et au pays, tel qu'il est fait
maintenant!


_Paris, 8 mai 1837._--Je serais charmée si la nouvelle que j'ai apprise
se réalisait, et que la grande-duchesse Stéphanie mariât sa fille au duc
de Leuchtenberg; il n'y aurait plus de chances, alors, pour la marier à
un de nos Princes, et j'en serais également contente, parce que je ne me
soucie pas d'en voir un neveu du Préfet de Blois[68].

  [68] Le comte de Lezay-Marnesia.

Avant-hier soir, chez Mme de Lieven, j'ai rencontré le marquis de
Conyngham; il a raconté que la duchesse de Kent, qui ne manque jamais de
faire des gaucheries, a invité dernièrement à dîner lord Grey, en même
temps que lady Jersey. Leur rang réciproque indiquait que lord Grey
devait conduire lady Jersey à table; sir John Conroy est venu le dire à
lord Grey, qui s'y est positivement refusé, de façon que lady Jersey a
été conduite par un inférieur en rang. Cela a déplu vivement aux uns et
aux autres.

Il paraît certain que la duchesse de Saint-Leu se meurt. C'est le
chirurgien Lisfranc, revenu d'Arenenberg, qui l'a dit; la pauvre femme a
beau avoir mal gouverné sa vie et sa situation, l'expiation est trop
cruelle. Survivre à son fils aîné, mourir loin du second, dans un
isolement complet de tous les siens, c'est affreux! Et cela désarme tout
jugement sévère qu'on pourrait être tenté de porter sur elle.

Hier, à l'occasion de la grande revue, toutes mes chambres n'ont pas
désempli depuis onze heures du matin. On voyait parfaitement, de nos
fenêtres, la défilade, qui suivait toute la rue de Rivoli, et passait
ensuite devant l'Obélisque, où se trouvaient le Roi, la Reine, les
Princes et un très nombreux entourage. Les soixante mille gardes
nationaux, et vingt mille hommes de troupes de ligne ont défilé. Avant
cela, le Roi avait passé dans tous leurs rangs tant dans l'intérieur de
la cour du Carrousel que sur l'Esplanade des Invalides. La Garde
nationale a fort bien crié: «Vive le Roi!» et la troupe de ligne encore
mieux. Le vent était aigre et froid, mais le soleil brillant. Le Roi est
rentré au Château par le milieu du jardin des Tuileries. Voilà donc
enfin le Roi débloqué! C'est excellent. il faut espérer que, d'une part,
on ne se croira plus obligé de renouveler souvent ce genre de solennité,
et que, de l'autre, on pourra, peu à peu, se relâcher de cet excès de
précautions qui nuisent au bon effet, et qui, hier, étaient telles, que
je n'ai rien vu au monde de plus triste et de plus pénible: les quais,
la rue de Rivoli, la place, les Tuileries, ont été interdits à tout le
monde, excepté les uniformes; hommes, femmes, enfants, petits chiens,
enfin tout être vivant, repoussé, refoulé; un vide complet; chacun
bloqué dans sa maison; mon fils Valençay, pour venir de chez lui, rue de
l'Université, ici, obligé de passer par le pont d'Auteuil! Il en a été
ainsi jusqu'au moment où le Roi est rentré dans ses appartements. Toute
la police sur pied et les gardes nationaux doublés, de chaque côté, d'un
rang de sergents de ville et de gardes municipaux, dans toute la
longueur du groupe royal; on aurait dit une ville déserte, pestiférée,
et dans laquelle passait une armée conquérante, sans trouver ni arrêt,
ni habitants!

Après notre dîner, j'ai été savoir des nouvelles de la Reine et faire
mes adieux à Madame Adélaïde, qui part ce matin pour Bruxelles. Il y
avait eu un grand dîner militaire de deux cent soixante personnes, dans
la salle des Maréchaux: on était fort paré, fort content, fort animé.

J'ai fini ma soirée chez Mme de Castellane, où j'ai trouvé M. Molé, très
fier de l'issue de la revue.

J'ai recueilli, dans mes différentes courses, que le dernier discours de
M. Thiers pénétrait de plus en plus avant dans les esprits. On trouve
que, sans se perdre dans les théories générales, il ouvrait une route
pratique qui satisfait tous les esprits positifs; on lui sait gré de
s'être, dans ce discours, par deux fois isolé de la gauche, sans la
blesser; enfin, il a diminué, par ses habiles paroles, une partie des
craintes qu'il inspirait, et levé quelques-uns des obstacles qui se
plaçaient entre lui et le pouvoir. J'ai recueilli cette impression de
bien des côtés différents, et excepté la doctrine pure, et la pointe
gauche, tout le monde y arrive.


_Paris, 9 mai 1837._--J'ai eu, hier, une longue visite de M.
Royer-Collard, dont l'admiration pour le discours de M. Thiers est à son
comble: il en loue l'à-propos, la convenance et avant tout la vérité! Et
non seulement la vérité personnelle, c'est-à-dire la sincérité
individuelle, mais la vérité sur la situation réelle des esprits, que
lui seul a justement appréciée! Il dit que c'est un de ces discours
qu'on ne saurait assez méditer, qui pénètre de plus en plus, et dont
l'effet ira croissant. Il convient que la séance de MM. Odilon Barrot et
Guizot avait offert le spectacle le plus intéressant; que les deux
acteurs avaient supérieurement joué, mais qu'ils avaient joué; qu'ils
avaient été de bons orateurs, mais non pas des hommes d'État; que l'un
et l'autre s'étaient placés dans la vétusté de leurs opinions extrêmes;
que M. Guizot surtout n'était plus de son temps, que c'était un émigré,
et que c'était là ce que Thiers avait admirablement relevé. M. Royer
trouve le discours de Guizot imprudent et irritant, en quoi il dit qu'il
a obéi à son tempérament arrogant. Enfin, il dit bien des choses; il les
dit dans mon cabinet, mais il les répète à la Chambre, à l'Académie, à
chacun, à tous; il s'en fait une affaire! Cela est très utile à M.
Thiers, dans le discours duquel il y a quelque chose de trop fin, de
trop subtil, pour être saisi sans commentaires.

Je ne suis pas sortie après la visite de M. Royer et je suis restée à
lire la _Vie de Raphaël_, par M. Quatremère: cela manque de chaleur et
de vivacité, mais c'est bien écrit, et il y a un grand repos, par le
temps qui court, à se replacer dans l'art et dans l'art exquis d'une
époque où les hommes de génie étaient complets, parce qu'ils
possédaient toutes les nuances, pour ainsi dire, du génie. Ce genre de
lecture me donne des rages d'Italie inexprimables!

Le soir, j'ai été un moment à l'Ambassade d'Autriche, où Mme de Lieven
m'a raconté une quantité de commérages de Londres. En voici un; au
dernier Lever, le Roi, par le moyen d'un interprète, et à haute voix, a
remercié l'ambassadeur de Turquie d'avoir, à l'occasion de la mort de
lady de l'Isle, sa fille naturelle, remis un dîner qu'il comptait
donner, et de lui avoir ainsi témoigné des égards qui lui avaient été
refusés dans sa propre famille; ceci s'appliquait à la duchesse de Kent.
Au dernier «drawing-room» auquel la Reine, malade, n'a pas pu assister,
mais qui a été tenu par la princesse Auguste, la duchesse de Kent est
arrivée avec sa fille: le Roi a fort embrassé celle-ci, sans regarder la
mère, et voyant sir John Conroy dans la salle du Trône, il a ordonné à
son grand chambellan de l'en faire sortir. Enfin, le prince de Linange
étant arrivé chez sa mère, la duchesse de Kent, avec sa femme (qui n'est
pas _ebenbürtig_)[69], le Roi a envoyé lord Conyngham chez la Duchesse,
lui dire qu'il recevrait sa belle-fille, mais qu'il ne pouvait lui
accorder les entrées intérieures; la Duchesse n'a pas voulu recevoir
lord Conyngham, et lui a fait dire que s'il venait en particulier lui
rendre visite, elle le verrait avec plaisir, mais qu'elle ne le
recevrait pas comme envoyé du Roi, et qu'il n'avait qu'à mettre par
écrit ce qu'il avait à lui dire; à la lettre que lord Conyngham lui a,
alors, adressée, elle a répliqué par une épître de douze pages, dans
laquelle elle a énuméré tous les griefs qu'elle croit avoir contre le
Roi, et elle finit en disant que si sa belle-fille n'est pas reçue en
Princesse, elle ne mettra plus jamais le pied chez le Roi. Elle a fait
faire plusieurs copies de cette lettre, et les a adressées à tous les
membres du Cabinet. Lord Conyngham, qui a raconté tout cela à Mme de
Lieven, tout whig qu'il est, a encore dit que la position du Ministère
anglais était mauvaise, désagréable auprès du Roi et dépopularisée dans
le pays; que les embarras de la Banque et la tournure des affaires en
Espagne étaient des incidents extrêmement fâcheux pour le Cabinet.

  [69] Égale de naissance.

C'est décidément le duc de Coigny qui sera le Chevalier d'honneur de la
duchesse d'Orléans. Il est bien peu poli dans sa nature, sauvage dans
ses habitudes, et puis manchot, ce qui ne lui permettra pas d'offrir la
main à la Princesse. Un choix également arrêté, c'est celui de la
comtesse Anatole de Montesquiou, comme première Dame pour accompagner la
Princesse, et pour remplacer la Dame d'honneur[70], que sa santé
délicate empêchera souvent de faire son service. Ce choix est excellent:
Mme de Montesquiou a quarante-six ans, une réputation parfaite, elle a
été jolie, elle a encore un extérieur agréable, des manières convenables
et simples, reflet exact de sa vie et de son caractère; on ne pouvait
choisir personne de mieux et de plus approprié à cette situation.

  [70] La comtesse de Lobau.

J'ai vu, dans les journaux, qu'on colportait, à la Chambre des Députés,
une souscription pour la réimpression du discours de M. Guizot à
cinquante mille exemplaires. M. Martin du Nord, un des membres du
Cabinet actuel, a souscrit, ce qui a confirmé l'opinion, déjà
accréditée, qu'il était un doctrinaire caché, et un traître dans le
Cabinet. Là-dessus, M. Molé est allé chez le Roi, demander le maintien
de M. Martin du Nord, ou offrir sa démission. J'ignore encore la
conclusion de cette complication nouvelle.


_Paris, 10 mai 1837._--Lorsque j'écrivais, hier, je n'avais pas encore
lu le _Moniteur_, qui annonçait l'amnistie[71]. Je savais que depuis
longtemps M. Molé avait le désir de faire adopter cette mesure, mais je
crois que c'est le discours de Thiers qui en a encouragé et hâté
l'exécution. Toute la journée, je n'ai pas entendu parler d'autre chose;
cela occupe tous les esprits et empêche de faire attention à la Pairie
donnée à M. Bresson, et qui, d'ailleurs, s'explique par le mariage.
Quelle fortune que la sienne! Sans doute, il est capable, mais les
circonstances l'ont servi avec une rapidité et une constance qui se
rencontrent rarement dans la destinée humaine. Pour en revenir au grand
événement de l'amnistie, je dirai que le beau monde l'approuve fort, et
d'autant plus qu'elle est arrivée quand on ne s'y attendait pas,
qu'elle n'est donc pas arrachée par l'importunité des partis, qu'elle
est vraiment un acte de clémence et non pas de faiblesse. Les habiles y
voient bien plus un acte d'hostilité contre les Doctrinaires, que de
magnanimité pour les détenus politiques; en effet, c'est dire: la mesure
n'a pu s'effectuer tant que les Doctrinaires étaient dans les affaires,
mais séparés d'eux, nous nous hâtons de l'accorder. C'est, de plus en
plus, les isoler dans le pays. Je le répète, il y a des gens qui voient,
dans cette mesure, la suite du discours de M. Thiers et jusqu'à son
influence _ad hoc_! Les Doctrinaires en sont dans la plus violente
fureur, et les Pairs de leurs amis annoncent que tous les contumaces
vont se présenter pour se faire juger, et qu'alors eux, Pairs, au lieu
de siéger, ils iront à la campagne se reposer. Voici ce qui se racontait
beaucoup, hier. M. Jaubert, parlant de l'amnistie à M. Dupin, lui
disait: «Il est un peu dur qu'après nous avoir laissé tout l'odieux des
mesures de rigueur, que nous avons courageusement défendues pendant les
crises et les dangers, on nous ôte les mesures de clémence.» M. Dupin
lui a répondu: «En effet, c'est bien triste; mais vous avez une
consolation, c'est que c'est Persil qui fera frapper la médaille.» (M.
Persil est Doctrinaire et Directeur de la Monnaie.) Le mot est piquant.
Les approbateurs de l'amnistie disent encore, et non sans fondement,
qu'elle efface le mauvais effet qu'avait produit l'excès des
précautions, le jour de la revue.

  [71] A l'occasion du mariage du duc d'Orléans, une amnistie fut
  accordée, par ordonnance du 8 mai, à tous les individus détenus
  pour crimes ou délits politiques.

J'ai été hier à l'École des beaux-arts, où Sigalon, qui arrive de Rome,
venait de placer la superbe copie du _Jugement dernier_ de Michel-Ange,
ce chef-d'œuvre qui s'efface, comme toutes les fresques du Vatican. La
copie est dans les mêmes proportions que l'original et fait le fond
d'une salle à laquelle on a donné la forme et les dimensions de la
Chapelle Sixtine. C'est la plus belle et la plus surprenante chose qui
se puisse imaginer. J'en ai été tout étourdie; variété, richesse,
hardiesse de composition, tout s'y trouve réuni; on reste pétrifié
devant la puissance d'un tel génie. On a déposé, dans la même salle, des
plâtres des différentes statues de Michel-Ange, qui arrivent aussi
d'Italie, et qui complètent l'admiration pour ce grand homme. La statue
de Laurent de Médicis, celle du Jour et de la Nuit, sont d'admirables
figures. Nous avons vu ensuite le charmant portail du château d'Anet et
la ravissante porte de celui de Gaillon, deux chefs-d'œuvre de la
Renaissance; puis, la cour intérieure, ornée de bassins, de fragments
d'antiquité, et qui est très élégante. L'édifice, en lui-même, est d'un
fort bon style. Il contient, et contiendra de plus en plus, les beaux
modèles de tous les genres et de toutes les époques; c'est un ensemble
aussi curieux qu'intéressant, et une nouvelle richesse pour Paris.

De là, nous avons été à la nouvelle église de Notre-Dame de Lorette.
Elle m'a paru extrêmement lourde, bariolée d'ornements, et, sans
quelques très beaux tableaux que j'y ai vus, je n'y aurais eu aucun
plaisir. On dit qu'elle est dans le goût des églises d'Italie; je ne
connaissais pas ce genre, et, d'après cet échantillon, je sens que
j'aimerai toujours mieux prier Dieu sous les voûtes élevées, hardies,
austères, des pierres découpées et gothiques de Notre-Dame et de
Saint-Étienne-du-Mont, qu'au milieu du clinquant de cette imitation
méridionale. Nous avons terminé en visitant l'église de la Madeleine.
L'intérieur répond, jusqu'à présent, parfaitement au dehors, et il
semble que Calchas va y immoler Iphigénie, tant la mythologie paraît
seule en possession de ce beau monument. On commence déjà à dorer les
voûtes et les chapiteaux des colonnes, sous prétexte que la pierre
blanche, fort enrichie, d'ailleurs, de marbres divers, est trop froide à
l'œil. On prépare ainsi un contraste désagréable entre le dehors et le
dedans. Je n'y comprends pas bien, non plus, le culte chrétien.

Le soir, j'ai vu, chez Mme de Lieven, Berryer, qui, en fait d'admiration
pour le discours de M. Thiers, ne le cède pas à M. Royer. J'ai appris
que M. Martin du Nord avait reculé sur la souscription au discours
Guizot, comme sur le reste. Pour quelqu'un qui se dit dans la
résistance, il me semble qu'il ne résiste guère!


_Paris, 11 mai 1837._--J'ai eu, hier, la visite de l'excellent abbé
Dupanloup. Nous avions, réciproquement, le désir de nous voir, dans
l'intérêt de Pauline, avant l'éparpillement général pour la campagne.
Comme de coutume, j'ai été touchée et satisfaite de sa douce et
spirituelle raison. Nous avons parlé de notre espoir, que l'amnistie
donnera, au gouvernement, le courage de rouvrir l'église de
Saint-Germain-l'Auxerrois, dont la clôture est le plus grand scandale
de la révolution de Juillet; et quand la clémence s'étend depuis Ham
jusqu'à la République et la Vendée, bouder contre l'Église, et laisser
la croix brisée, me paraîtrait un vrai contre sens. On doit rouvrir
l'église, sans regarder aux difficultés que peut élever l'Archevêque, le
forcer ainsi à nommer un curé sage, et à aller ensuite remercier aux
Tuileries; mais il faut s'y prendre tout de suite, pendant que l'effet
de l'amnistie est encore tout-puissant; dans un semblable moment, il n'y
a pas d'émeute à craindre dans le quartier, et c'est donner, d'ailleurs,
la plus ferme réponse aux Doctrinaires, dont la tactique est de
représenter l'amnistie comme le prix du pacte fait avec la gauche.
Rouvrir Saint-Germain-l'Auxerrois, c'est retrouver l'équilibre. Je crois
que ce serait autant un coup politique qu'une réparation religieuse. Si
on tarde trop, les journaux religieux et les dévots vont crier, et avec
raison, à l'injustice, et ce que l'on fera plus tard aura l'air d'avoir
été concédé à leurs plaintes, ce dont les ennemis s'empareront pour
irriter contre la mesure. Il faut donc que tout soit spontané, la
réparation religieuse comme l'a été la clémence royale. Je pense qu'on
va s'en occuper. Il me semble que cela devrait déjà être fait.


_Paris, 14 mai 1837._--Le _Moniteur_ d'hier contenait, Dieu
en soit loué! l'ordonnance en vertu de laquelle l'église de
Saint-Germain-l'Auxerrois sera rendue au culte. J'en suis ravie. Le
baron de Montmorency, qui est venu chez moi ce matin, avait dîné hier au
Château, où la Reine en pleurait de joie.

J'ai été le soir faire mes adieux à l'hôtel de Broglie, où on est fort
monté contre l'amnistie, Mme de Broglie fort occupée de maintenir la
princesse Hélène dans le protestantisme.

J'ai été, de là, chez la duchesse de Montmorency, où l'on m'a donné de
fort mauvaises nouvelles du prince de Laval. Il a pris une petite
grippe, il ne s'est pas soigné, il a été aux courses de Chantilly par un
temps très aigre. Son mal a empiré, et donne maintenant de graves
inquiétudes. Je serais désolée qu'il lui arrivât mal, car avec toutes
ses manies et ses ridicules, il a un excellent cœur et c'est un très
bon ami.

J'ai fini ma soirée chez Mme de Castellane où est venu M. Molé, qui nous
a dit que Mgr. l'Archevêque, accompagné de deux de ses grands vicaires,
était venu ce soir-là même chez lui et chez le Garde des Sceaux, après
avoir été chez le Roi. Il paraît que cette apparition dans les salons
ministériels y a fait grande sensation. Avant sa visite, l'Archevêque
avait fait bénir l'église à petit bruit. On y dit la messe ce matin; la
semaine se passera en restaurations convenables, et dimanche prochain on
y installera le nouveau curé. M. Dupanloup ayant refusé cette cure, le
choix est tombé sur M. Demerson, curé de Saint-Séverin,
incontestablement l'ecclésiastique le plus distingué du diocèse; il est
le confesseur de Mme Andral, et l'ami de son père, M. Royer-Collard, qui
m'en a beaucoup parlé et en fait grand cas.


_Paris, 15 mai 1837._--J'ai été, hier au soir, aux Tuileries; j'ai
trouvé le Roi radieux d'une visite qu'il avait faite le matin au Jardin
des Plantes, pour y voir les nouvelles serres qui y sont établies. Il
avait été extrêmement applaudi sur son passage; enfin, il avait l'air de
renaître. On est fort satisfait auprès de lui. Il y avait été sans
escorte et s'est promené pendant deux grandes heures avec les Ministres
de l'Intérieur et de l'Instruction publique, le Préfet de police, et un
seul aide de camp. La foule a été toujours grossissant, et ces
Messieurs, qui voyaient toutes les abominables figures de la rue
Mouffetard et de ce quartier se presser autour du Roi, mouraient de
peur; mais il n'y a pas eu moyen de faire rentrer le Roi, qui était
ravi. Il a été applaudi, on ne saurait davantage, par tout ce peuple. Je
crois, cependant, qu'il vaudrait mieux ne pas trop souvent recommencer
de pareilles épreuves.


_Paris, 16 mai 1837._--Le prince de Laval ne va pas bien. On a été
obligé de le saigner une seconde fois; les médecins disent que son état
est grave.

Il se pourrait que M. Dupanloup fût ambitieux; je ne le connais pas
assez pour dire oui ou non. Douceur, sagesse, mesure, connaissance du
monde, bon langage, discrétion infinie, conversation fine, il réunit
tout ce qui est convenable pour diriger parfaitement une personne du
monde. Toutes ses pénitentes, toutes les mères de ses pénitentes en font
le plus grand cas. Cela n'exclut pas l'ambition! Je sais qu'il se tient
fort à l'écart de la politique, mais que, vis-à-vis de l'Archevêque, il
a le petit tort de le pousser à aller aux Tuileries, et d'y aller
lui-même, à la suite du curé de Saint-Roch dont il est le vicaire et
l'ami. Mais la robe de l'ambition est comme celle du caméléon, et on la
voit selon le reflet sous lequel on est placé. Je ne garantis donc rien,
si ce n'est qu'il a refusé deux cures considérables de Paris. Je sais
que l'Archevêque le destine _in petto_ à la cure de la Madeleine quand
elle deviendra vacante, et, en effet, c'est une paroisse de beau monde
qui lui va le mieux.


_Paris, 18 mai 1837._--J'ai été, hier, dans la matinée, chez Madame
Adélaïde, où j'ai vu le Roi. On est uniquement occupé, au Château, des
préparatifs du mariage, et du voyage de Fontainebleau qu'on veut rendre
splendide. J'en suis charmée. Je le serais encore plus, si je n'avais
appris qu'on comptait, non seulement sur les mères, mais aussi sur les
filles; j'ai fait tout au monde pour que la mienne fût dispensée, parce
que j'y vois des inconvénients infinis, mais M. de Talleyrand est arrivé
chez Madame, à travers tout cela, et, au lieu de me soutenir, il s'est
mis contre moi. Cela me paraît fâcheux.


_Paris, 19 mai 1837._--La mort de ce pauvre jeune comte Putbus est un
bien triste événement pour sa famille et pour la malheureuse comtesse
Buol. Elle me fait grande pitié, et son mari me semble manquer de cœur
et de délicatesse. Dans une position telle que la sienne avec sa femme,
on peut se séparer avec autant d'éclat qu'on veut, mais quand, par des
considérations d'argent, on ne le fait pas, il faut alors rester doux,
ou du moins humain. Du reste, je persiste à dire, pour ce qui la
concerne, qu'il vaut mieux pleurer son amant mort qu'infidèle, et que,
toute malheureuse qu'elle est, elle le serait bien davantage encore si
M. de Putbus l'avait abandonnée. Le danger, pour une femme, de trouver
son amant infidèle, c'est d'être portée à la vengeance, et de perdre les
illusions qui abritent, non contre une faute, mais contre la sécheresse
du cœur et la galanterie proprement dite. La mort laisse toutes les
illusions du cœur; elle les encourage même...


_Paris, 21 mai 1837._--Nous sommes invités, M. de Talleyrand, M. et Mme
de Valençay, Pauline et moi, pour toute la durée du séjour de
Fontainebleau, c'est-à-dire pour y arriver le 29 mai et y rester
jusqu'au 3 juin inclusivement. C'est une faveur, car presque tout le
monde est échelonné par vingt-quatre heures.

Une de mes amies d'Allemagne, chanoinesse, personne d'esprit et de
discernement[72], m'écrit ce qui suit, sur la princesse Hélène de
Mecklembourg: «La plus aimable, la plus instruite, la plus douce des
Princesses allemandes va orner le trône de France. Je suis sûre qu'elle
vous plaira beaucoup; elle est gaie comme une enfant de quinze ans, et
solide comme une personne de trente. Elle réunit le charme de tous les
âges.»

  [72] Mlle Sidonie de Dieskau, dont il sera parlé plus loin,
  pendant le voyage en Allemagne de la duchesse de Talleyrand.

Le marquis de Praslin et le duc de Trévise sont les deux chevaliers
d'honneur nommés comme adjoints au sauvage duc de Coigny qui sera leur
chef.


_Paris, 22 mai 1837._--M. le duc d'Orléans ira d'abord à Verdun, voir
sans être vu, et ensuite à Melun pour être vu. Henri IV, déguisé, fut à
la frontière voir souper Marie de Médicis, et Louis XIV en fit autant à
Fontarabie!

Parmi les personnes invitées à Fontainebleau, il y en a une qu'on a eu
bien raison, ce me semble, de ne pas oublier, c'est la grande
Mademoiselle Palmyre, la fameuse couturière! A la vérité, elle a
travaillé sur un modèle envoyé de Mecklembourg, mais il ne me paraît pas
certain que ce modèle soit bien bon, ni bien fait. Les quatre-vingts
robes de la corbeille pourraient donc fort mal aller, et on fait bien
d'avoir là quelqu'un tout prêt à rajuster ce qui pourrait en avoir
besoin. Du reste, les marchands, les ouvriers, les diligences, les
postes, tout cela ne sait où donner de la tête. C'est inouï tout ce qui
se dépense, se commande et s'emploie. On ne peut rien se procurer, et,
certes, le commerce n'a pas le droit de crier, car le mouvement est
énorme. Il arrive aussi une foule d'étrangers à Paris, surtout des
Anglais.

Les Werther partent décidément aussitôt après le mariage du Prince
Royal, sans même attendre les fêtes, car M. de Werther a accepté de
remplacer Ancillon. Ce sont de très braves gens, qu'on regrettera à
Paris, et qui, de leur côté, partent avec de sincères regrets.


_Paris, 25 mai 1837._--Pour le 29 et le 30, qui sont les jours d'arrivée
et de mariage, on a invité à Fontainebleau les Maréchaux, les bureaux
des deux Chambres, les Ministres du 11 octobre, du 22 février, du 6
septembre et tout le Cabinet actuel. J'ai toujours dit que Fontainebleau
était un Château chronologique! On n'a pas voulu remonter plus haut que
le 11 octobre pour éviter M. Laffitte. On a invité aussi tous les
premiers Présidents des Cours. En Corps diplomatique, M. et Mme de
Werther[73], M. et Mme Lehon[74]; le reste pour les autres jours, deux
par deux.

  [73] Le baron de Werther était, depuis 1824, ministre de Prusse à
  Paris.

  [74] Le comte Lehon était ministre de Belgique.

Il faut que je raconte un trait de Mme Molé, qui végète plus qu'elle ne
vit. L'autre soir, chez la duchesse de Montmorency, on parle de la
tristesse des Werther; elle demande pourquoi ils sont tristes: «Mais de
quitter Paris!» Elle reprend: «Mais aller à Fontainebleau n'est ni bien
triste, ni bien fatigant.--Mais, Madame, M. de Werther va à Berlin
remplacer M. Ancillon!--Ah! c'est donc M. Ancillon qui vient ici?» Je ne
pense pas qu'après un pareil trait on accuse M. Molé de livrer les
secrets de la diplomatie à sa femme!

La Reine d'Angleterre a écrit une lettre charmante à la Reine des
Français sur le mariage du Prince Royal, et, se prévalant de sa très
proche parenté avec la princesse Hélène, elle envoie à celle-ci un
magnifique châle des Indes, l'un des plus beaux qui soient jamais sortis
des magasins si riches de la Compagnie! On dit que c'est une merveille.
Je le verrai à Fontainebleau, où on exposera la corbeille.


_Paris, 26 mai 1837._--Le Roi d'Angleterre a tenu, assis, le dernier
«drawing-room». Depuis, il s'est senti encore plus mal; on en est
inquiet. Il aura voulu vivre juste assez pour jouer le mauvais tour à la
duchesse de Kent de ne pas lui laisser un seul jour de Régence, puisque
la princesse Victoria a atteint depuis deux jours sa majorité.

On dit que l'anarchie est à son comble à Madrid, mais qu'aussi Don
Carlos est à bout de voies.

Le duc de Broglie et les Messieurs de sa suite écrivent des lettres
transportées sur la princesse Hélène. Tous disent qu'elle est très
agréable d'extérieur; tous en ont l'air amoureux; puis ils ne tarissent
pas sur sa bonne grâce et disent qu'elle est très bien mise. Le
trousseau, commandé par ses ordres ici, est, dit-on, très magnifique.


_Fontainebleau, 30 mai 1837._--C'est un tour de force que d'écrire ici!
Le temps a été trop beau hier, de sorte qu'un gros orage s'en est suivi;
il a éclaté le matin et s'est dissipé dix minutes avant l'arrivée de la
Princesse, qui a été reçue par le plus beau soleil et par des cœurs
bien émus. L'arrivée a été fort belle; une scène de famille très intime
au milieu de la pompe la plus royale. La Princesse a eu beaucoup
d'émotion, aucun embarras, de la bonne grâce, de la noblesse, de
l'à-propos. Je ne sais pas si elle est jolie. On n'y regarde pas, tant
elle a d'obligeance. Elle rappelle un peu Mme de Marescalchi, mais avec
un type beaucoup plus allemand et un bas de visage un peu fuyant. Elle a
de beaux cheveux, de la couleur la plus correcte, enfin elle est fort
bien, et le Prince Royal très satisfait.

Pauline n'a pas quitté mon côté, pas même à dîner, où j'ai été conduite
par M. de Werther. Il était entre Mme la grande-duchesse de Mecklembourg
et moi. M. de Talleyrand était à bout hier, mais faisait bonne
contenance à force de volonté. J'en ai été tout le temps dans une grande
inquiétude.

Nous sommes, jusqu'à demain, deux cent quatre-vingts personnes à table.
Ma journée d'hier a commencé à cinq heures et demie du matin à Paris, et
a fini ici à une heure de la nuit. Il faut être tout habillée à dix
heures, à la messe de la Reine.


_Fontainebleau, 31 mai 1837._--Les deux journées les plus fatigantes
sont passées, et j'en bénis le ciel, car j'ai tremblé tout le temps pour
M. de Talleyrand, qui a traversé, avec une témérité incroyable, de si
rudes épreuves. Enfin, il a été témoin de tout, et, à un peu de fatigue
près, il s'en est tiré.

Les personnes correctes suivent ici la Reine à sa messe matinale et
particulière. Pauline vient de m'y conduire dans une petite chapelle
charmante, souvenir de Louis VII le Jeune.

On n'a pas vu hier les deux Princesses allemandes pendant toute la
matinée. Des promenades, pour ceux qui en ont été tentés (je n'étais pas
du nombre), l'inspection de la corbeille pour les autres (et j'étais de
ceux-ci) ont rempli l'avant-dîner. Les cadeaux, les chiffons, tout est
magnifique et élégant, surtout le meuble de Boule qui renfermait les
châles, et qui est une des plus belles choses que j'aie vues. Le tout
exposé dans l'appartement des Reines mères. Les diamants sont beaux, les
bijoux de fantaisie nombreux, mais pas une perle. M. le duc d'Orléans ne
les aime pas; la Princesse pourra, d'ailleurs, porter celles de la
Couronne.

La famille Royale a dîné en particulier. C'est Mme de Dolomieu et le
général Athalin qui tenaient la table de deux cent quatre-vingts
couverts, dans la galerie de Diane. Pauline a été encore près de moi à
dîner, et M. Thiers de l'autre coté.

A huit heures et demie, le mariage civil a eu lieu, dans la salle de
Henri II. C'était superbe; c'est le plus beau local imaginable, et il
était éclairé magnifiquement. Le Chancelier, nouvellement nommé à ce
poste, M. Pasquier, en simarre, était devant une immense table rouge et
or autour de laquelle étaient tous les assistants, et en face les
mariés. On s'y était rendu en cortège. De là, on s'est transporté à la
grande chapelle ornée des écussons de France et de Navarre. Le discours
de l'Évêque de Meaux[75] a été aussi court que mesuré. Malheureusement,
il y a obligation aux mariages mixtes de laisser de côté beaucoup de
cérémonies, qui auraient ajouté à l'éclat de la chose. Le curé de
Fontainebleau, qui est le fameux abbé Lieutard, et, jusqu'à présent, un
des grands opposants au gouvernement actuel, assistait l'Évêque, et
avait même réclamé cela comme un droit. La salle arrangée en temple
protestant nous contenait avec peine, on y suffoquait; le discours du
Pasteur, M. Cuvier, a été très long, très lourd, remontant à l'origine
de la création, et revenant sans cesse sur la progéniture. C'était le
puritain parfait! Avant la bénédiction, il a demandé à la mariée la
permission de s'acquitter de la mission dont il était chargé par la
Société Biblique, en lui offrant une Bible dans laquelle il l'a engagée
à lire souvent. J'ai trouvé cela bien déplacé dans un pareil moment, et
d'un grand manque de respect pour la Reine, qui, sous le rapport
religieux, fait un grand sacrifice.

  [75] Mgr Gallard.

La Princesse a été tout le temps d'un calme parfait. Je n'ai aperçu
aucun trouble et moins d'émotion qu'à son arrivée. Elle était
parfaitement bien arrangée; malheureusement elle n'a pas de couleur, ce
qui lui donne quelque chose de terne, mais, malgré sa maigreur, elle a
bien bonne grâce, et, de plus, une simplicité charmante. Son pied est
très long, mais bien fait, sa main blanche et fine; en tout, beaucoup de
choses agréables.

On s'est séparé après toutes ces cérémonies. J'ai encore été veiller
chez M. de Talleyrand dont j'étais inquiète, et que j'ai trouvé bien. M.
Molé y est venu. Il a de l'humeur. En effet, c'est singulier que dans
tout ceci il n'ait obtenu aucune grâce d'aucun genre.


_Fontainebleau, 1er juin 1837._--Il n'y a rien à savoir, ici, de la
politique. Les Princes sont absorbés en eux-mêmes; M. de Salvandy, le
seul Ministre resté de garde auprès du Roi, en fait autant. La curiosité
est ailleurs, et il y a beaucoup ici pour l'exciter et la satisfaire.

Voici le récit de la journée d'hier:

Après le déjeuner, une très longue promenade dans la forêt; vingt-six
voitures, attelées chacune de quatre chevaux, le grand char de la
famille Royale de huit chevaux, puis quatre-vingts chevaux de selle, le
tout conduit par la riche livrée d'Orléans, offraient, dans la grande
cour du Cheval blanc, des ressources de promenade pour tout le monde.
Chacun s'est empressé de suivre le Roi et de parcourir les plus beaux
points de la forêt. Beaucoup de curieux, qu'on voyait galoper fort
imprudemment dans les rochers, joints à tout le cortège royal, animaient
le bois et lui donnaient un aspect charmant.

J'oubliais de dire que le déjeuner avait été précédé d'une messe dite
par l'Évêque de Meaux dans la grande chapelle. Tout le monde y a
assisté, ainsi que la famille Royale, y compris Mme la duchesse
d'Orléans. J'aurais voulu qu'au moins hier, où il n'était plus question
de mariage mixte, et où c'était tout simplement la messe du Roi, le
culte fût splendide, et qu'il y eût de la musique religieuse. Au lieu de
cela, il n'y a rien eu du tout; pas de clergé, pas un son, on avait
oublié jusqu'à la sonnette pour l'élévation. Les méthodistes ont bien
plus de charlatanisme dans leur simplicité prétentieuse et leur parole
affectée et solennelle, mais aux messes où la parole ne s'entend pas,
il faut de la pompe extérieure, de l'encens, de la musique, des fleurs,
de l'or, des cloches, tout ce qui émeut en élevant l'âme à Dieu, sans
qu'on ait besoin d'entendre articuler des mots.

Il est parti beaucoup de monde, il en est venu d'autre; parmi les
nouveaux arrivés, l'Ambassadeur de Turquie[76], qui était, à table, à
côté de Pauline. La salle de spectacle n'est point encore restaurée;
elle a un air terne; l'orchestre, qui ne venait pas de Paris, était
abominable; Mlle Mars, vieillie, et ne détaillant plus ses rôles; les
autres acteurs fort médiocres, le choix des pièces peu heureux.
C'étaient _les Fausses confidences_ et _la Gageure imprévue_. La
Princesse Royale était en grande loge, au fond de la salle, entre le Roi
et la Reine. Elle écoutait avec attention, mais sa physionomie exprime
peu ce qu'elle éprouve et n'est pas variée: toujours douce et calme;
elle l'est jusqu'à l'immobilité, dans sa personne; elle ne fait pas de
gestes, ce qui est distingué; le grand repos donne beaucoup de dignité,
et quand elle marche ou qu'elle salue, elle a une grâce parfaite.

  [76] S. E. Mohamed-Nouri-Effendi.

M. Humann, en partant d'ici, hier, a été emporté, par les chevaux de
poste, à la descente de Chailly: il a voulu se jeter hors de la voiture,
il a eu le visage tout meurtri et l'épaule démise.


_Fontainebleau, 2 juin 1837._--La journée d'hier a été moins remplie que
les précédentes, puisque après la messe, le déjeuner et le cercle qui
l'a suivi, on s'est séparé avec quelques heures de liberté. Je les ai
passées, soit chez M. de Talleyrand, soit à une visite dans la ville. M.
de Talleyrand est allé voir Madame Adélaïde, à laquelle il voulait
donner une nouvelle, qui nous venait des Bauffremont, qu'elle intéresse,
et qui, à juste titre, a été amère ici: c'est celle du mariage du comte
de Syracuse, frère du Roi de Naples, avec Philiberte de Carignan; cette
jeune personne est la petite-fille du comte de Villefranche, Prince de
la maison de Carignan, qui, par un coup de tête, avait épousé, en 1789,
la fille d'un armateur de Saint-Malo, Mlle Magon-Laballue; la Cour de
Sardaigne n'avait consenti à reconnaître ce mariage qu'à la condition
que les enfants qui en naîtraient entreraient dans les ordres, mais la
Révolution ayant délié tous les engagements, le fils est entré au
service et a épousé Mlle de La Vauguyon, sœur de la duchesse douairière
actuelle de Bauffremont, et qui est morte brûlée en 1820. Ce n'est
qu'après sa mort, et à l'avènement du Roi de Sardaigne actuel, que ses
deux derniers enfants ont été reconnus Princes du sang et traités comme
tels. La fille aînée, mariée avant cette reconnaissance, a épousé un
particulier de grande maison, mais enfin un particulier, le prince
d'Arsoli, d'une famille de Rome. Philiberte, fille et petite-fille de
mariages contestés ou très ternes, devient ainsi Princesse de Naples: le
mariage par procuration a dû se faire avant-hier; on y met beaucoup de
hâte et de précipitation. On comprend l'espèce de déplaisir que cela
cause ici. C'est le Roi de Naples qui fait ce mariage.

Hier, après le dîner, on est allé entendre Duprez dans une partie de
l'opéra de _Guillaume Tell_, et les Essler ont dansé dans un joli
divertissement. J'ai été étonnée que le calme de la Princesse Royale ne
l'abandonnât pas, même dans les moments les plus entraînants de Duprez:
je n'ai surpris ni un mouvement de tête, ni un geste, ni une expression
plus animée. Il en a été de même au ballet, ce que je comprends
davantage.


_Fontainebleau, 3 juin 1837._--M. de Talleyrand est parti ce matin avec
Pauline; on veut me garder ici jusqu'à demain. Il est impossible d'avoir
été plus environné d'égards et d'attentions que ne l'a été M. de
Talleyrand: il en est parti tout ému. Le Roi et Madame Adélaïde ont
exigé son retour à Paris pour l'hiver prochain; je doute cependant qu'il
renonce à son projet de Nice.

Le séjour que Pauline a fait ici ne lui a pas nui. Elle y a été à
merveille, d'un maintien toujours parfait; j'étais contente d'elle; elle
était charmée d'habiter la même chambre que moi, ses toilettes étaient
de fort bon goût; elle est partie, ravie d'être venue, mais bien aise de
partir et nullement dissipée de cœur ni d'esprit.

Presque tout le monde est parti; il ne reste plus que le service strict
et les intimes. Je pars demain, en même temps que la Reine et avec la
duchesse d'Albuféra, qui est arrivée ici hier. La promenade dans le camp
a été fort jolie, très animée et très populaire. On a été ensuite dans
la plus belle partie de la forêt, appelée le Calvaire, d'où la vue est
admirable; du fond des ravins sur lesquels on était suspendu, des
chanteurs allemands, qu'on y avait placés, ont fait entendre leurs
chants; c'était charmant, et le temps, merveilleux donnait tant de
mérite à la promenade, qu'on a songé à l'allonger; on est enfin rentré
en longeant la grande treille et le canal.

Après dîner, on nous a donné un ennuyeux opéra-comique, _l'Éclair_,
suivi du _Calife de Bagdad_, que le Roi a demandé comme ancien souvenir.
Le tout a fini fort tard, et ma veillée, ensuite, chez M. de Talleyrand,
a fort abrégé mon sommeil, d'autant plus que son départ matinal m'a
forcée à être prête de très bonne heure. Le Roi et Madame sont venus lui
dire adieu dans sa chambre. Après le déjeuner, le Roi s'est amusé à
montrer le Château à trois ou quatre convives: j'ai été ravie du Château
et du cicerone.


_Paris, 5 juin 1837._--Je suis revenue hier de Fontainebleau. Nous
avions eu la messe à six heures du matin, puis le départ. Je me suis
trouvée comprise dans le cortège royal, aussi suis-je arrivée avec une
rapidité admirable, et je ne me suis séparée du cortège que lorsqu'il
s'est détourné pour prendre vers Saint-Cloud. La dernière journée de
Fontainebleau, celle d'avant-hier, a été remplie, fort à mon gré, par
une promenade historique; le soir, nous avons eu une représentation par
les acteurs du Gymnase. Le séjour entier de Fontainebleau a été fort
agréable pour moi, par les attentions et les bontés dont j'ai été
l'objet.

Aussitôt arrivée, hier, j'ai été aux Champs-Élysées, chez Mme de
Flahaut, qui m'y avait engagée de la manière la plus pressante, pour
voir l'entrée royale, qui a été servie par un temps superbe. Il y avait
un monde innombrable, le cortège était très brillant, la Princesse
saluait avec une grâce parfaite. Le coup d'œil, de la place Louis XV et
des Champs-Élysées, était magnifique. Tout était bien, mais pas assez de
cris; beaucoup plus de curiosité que d'enthousiasme; on ouvrait les
yeux, mais fort peu la bouche. Enfin, l'essentiel, c'est qu'il n'y a pas
eu de coup de pistolet, que le Roi a pu se montrer aux flots de la
population, sans aucune précaution _apparente_.


_Paris, 6 juin 1837._--J'ai vu, hier, M. Royer-Collard, qui était en
aigreur sur le mariage du Prince Royal, comme pourrait l'être un homme
du faubourg Saint-Germain. Cela m'a impatientée, et nous nous sommes un
peu querellés. Il a l'esprit partial et la conversation intolérante à un
point inimaginable.

Avant-hier, dans le jardin des Tuileries, où il y a eu plus de soixante
mille personnes, depuis onze heures du matin jusqu'à onze heures du
soir, il y a eu un enthousiasme réel, au point d'obliger le Roi à
quitter son grand dîner dans la salle des Maréchaux pour venir, avec sa
famille, sur le balcon, du haut duquel il a adressé quelques mots de
remerciements, qui ont été reçus avec des transports infinis. Depuis le
moment de l'entrée dans le jardin jusqu'à la défilade des troupes, la
famille Royale s'est tenue au Pavillon de l'Horloge, d'où le coup d'œil
était magnifique. Le soleil couchant dorait la cime de l'Obélisque et
le sommet de l'Arc de triomphe, et se reflétait sur les cuirasses et les
armes des troupes; les baïonnettes de la garde nationale étaient ornées
de bouquets. C'était, à ce que l'on m'a assuré, une vraie magie.

Il me semble qu'on penche beaucoup vers une dissolution de la Chambre,
du moins M. Molé; M. Royer-Collard l'y pousse vivement.

L'Ambassadeur turc ici dit quelques mots de français. C'est à moi que
cette découverte est due, car tout le monde avait si bien pris son
ignorance à la lettre, que personne ne lui adressait la parole; cela m'a
fait de la peine, il avait l'air si triste; je me suis risquée: il a un
peu répondu, et cela m'a valu de voir le portrait du Sultan Mahmoud, qui
paraît avoir un très beau visage.


_Paris, 7 juin 1837._--J'ai été, hier, chez la Reine, faire mes
remerciements pour Fontainebleau. Mme la duchesse d'Orléans était chez
sa belle-mère, gracieuse, embellie, aimable. C'est une vraie trouvaille
que cette Princesse, son succès est général. Elle a ravi le Conseil
d'État, les Pairs, les Députés, ajoutant une phrase aimable aux réponses
faites par son mari aux différentes harangues; elle a parlé à chaque
Pair individuellement, jamais de banalités; ils en sont tous enchantés.

Mon réveil ce matin est bien triste. On est entré chez moi avec la
nouvelle de la mort d'Adrien de Laval. C'était un ami sincère: ils sont
rares. Je le regrette vivement, pour lui-même, et aussi pour sa tante,
la bonne vicomtesse de Laval, qui n'est guère en état de supporter un
coup pareil, et si elle aussi s'en va, quel coup pour M. de Talleyrand!


_Paris, 8 juin 1837._--Les succès de la Princesse Royale vont toujours
croissant. Elle a parlé au général Neigre de l'artillerie d'Anvers! M.
le duc d'Orléans est d'une fierté et d'un bonheur extrêmes de tant de
distinction. Il est certain que sa femme lui donne, par sa valeur
personnelle, une importance excessive, et je vois déjà le Pavillon
Marsan s'élevant au-dessus du Pavillon de Flore[77]. Je ne suis pas sûre
que cela n'ait pas déjà jeté quelques semences de jalousie.

  [77] Au palais des Tuileries, le pavillon Marsan était habité par
  le duc et la duchesse d'Orléans, tandis que le pavillon de Flore
  était occupé par Madame Adélaïde, sœur du roi Louis-Philippe.

Voici une histoire que l'on raconte comme certaine: on prétend que Mme
la duchesse d'Orléans, ayant vu son mari lorgner longtemps du côté de
Mme Lehon, aurait été à lui, et, moitié jouant, moitié sérieusement, lui
aurait ôté le lorgnon, en disant: «Ce que vous faites là n'est pas
aimable pour moi, ni poli pour la personne que vous lorgnez.» Il se
serait laissé faire, tout doucement... Ceci mérite attention, si cela
est vrai.

M. de Flahaut est furieux de n'avoir pas eu le grand cordon de la Légion
d'honneur; il voulait donner sa démission de premier écuyer, mais il
s'est ravisé. On dit que le duc de Coigny ne lui laisse d'autorité que
sur l'écurie.


_Paris, 11 juin 1837._--Je ne puis donner beaucoup de détails sur la
fête de Versailles, hier. Je suis partie à une heure après midi, en
grande toilette, avec la duchesse d'Albuféra, et nous sommes revenues
ensemble à quatre heures du matin. Le temps était charmant, le lieu
admirable, les jardins pompeux, l'intérieur splendide, le spectacle
magnifique: il a duré cinq heures. J'ai les yeux brûlés de l'éclat des
lumières. Quinze cents personnes invitées, et cependant des mécontents!
J'avoue que j'aurais fait les listes autrement.

J'ai eu l'honneur de dîner à la table du Roi, dont c'était le plus beau
jour. A la dernière décoration, on a prodigieusement crié: «Vive le
Roi!» et on le devait bien.

Le comte de Rantzau, qui accompagne la grande-duchesse douairière de
Mecklembourg, a été fort touché de voir là, en honneur, le portrait du
maréchal de Rantzau, qui a servi sous Louis XIV et dont il est le
descendant. Il dînait à côté de moi, et je l'ai beaucoup fait causer sur
ses Princesses, dont j'ai chaque jour meilleure opinion.


_Paris, 12 juin 1837._--Je pars demain pour rejoindre M. de Talleyrand à
Valençay.

Le Roi d'Angleterre est au plus mal. On ne le soutient plus qu'avec du
curaçao et de la viande crue. Il sait qu'il meurt et appelle autour de
lui tous ses enfants, les Fitzclarence, même lord Munster. On assure que
M. Caradoc supplante sir John Conroy près de la duchesse de Kent, pour
laquelle il fait venir des cadeaux que paye la princesse Bagration. On
dit que si le Roi meurt, la duchesse de Kent appellera lord Moira à la
tête du Ministère: c'est un grand radical. D'autres disent que le Roi
Léopold conseille à sa nièce de prendre lord Palmerston, mais que la
petite Princesse penche pour lord Grey.


_Valençay, 14 juin 1837._--Je viens d'arriver ici, ayant fait ma route
assez péniblement, par une chaleur affreuse et deux gros orages.

M. de Talleyrand se porte à merveille, ainsi que Pauline.


_Valençay, 17 juin 1837._--Madame Adélaïde a mandé à M. de Talleyrand
les détails des accidents arrivés le jour du feu d'artifice: vingt-trois
personnes étouffées dans la foule, et trente-neuf blessés! Cela donne
naturellement beaucoup de tristesse. Mme la duchesse d'Orléans désirait
ne pas aller à la fête de l'Hôtel de Ville, et faire cesser les bals,
mais on a représenté que ce serait désappointer beaucoup de monde, et
faire perdre beaucoup de frais; on s'est donc borné à remettre les fêtes
après l'enterrement des victimes.

Il paraît que le feu d'artifice, les illuminations et surtout la petite
guerre ont été quelque chose de remarquablement beau. Il n'y a guère de
fêtes populaires sans accidents, c'est ce qui me les fait toujours
redouter. Les victimes appartenaient toutes à la classe ouvrière, ce qui
les rendait plus intéressantes encore, puisque quelques-unes laissent
leurs familles dans la misère.


_Valençay, 18 juin 1837._--Pauline a fait la conquête de l'Archevêque de
Bourges, Mgr de Villèle, qui s'est arrêté ici avant mon arrivée. On dit
qu'elle lui a fait merveilleusement bien les honneurs du Château, avec
une aisance, une grâce et une convenance remarquables. Je ne suis pas
fâchée qu'elle ait été obligée de s'essayer.

On fait des restaurations considérables dans notre grand château; on a
nettoyé la partie nord des fossés, on a détruit tous les mauvais petits
jardins qui les encombraient; la promenade règne maintenant tout autour.
Le clocher, sur l'église de la ville, fait un très joli effet. Tout me
paraît avoir gagné.

Les mauvais journaux s'efforcent de comparer les malheurs du feu
d'artifice aux tristes scènes du mariage de Louis XVI et à la
catastrophe du bal Schwarzenberg, lors du mariage de l'Empereur
Napoléon. Ils tirent de fâcheux augures de ces rapprochements. Mais
quels plus désastreux rapprochements pour la branche aînée des Bourbons,
que l'assassinat de M. le duc de Berry et la révolution de 1830? Et
cependant, aucun malheur n'était arrivé au mariage de ce Prince. Ce
n'est pas par des accidents particuliers que les Rois perdent leur
trône.

Le Conseil municipal de Paris a voté cent cinquante mille francs pour
les nouveaux frais de la fête. Tout est sur une si grande échelle, qu'il
y a pour quatre mille francs de location de verres et de carafes; pour
vingt mille francs de glaces et de rafraîchissements qui ont été
distribués, le jour où la fête a été remise, aux ouvriers et aux
hôpitaux. Les malades auront fait bombance: les bons mots ne manquent
pas sur les prétendues indigestions qu'on leur a données.


_Valençay, 19 juin 1837._--L'histoire d'un journal allemand sur la
vision qu'aurait eue Mme la duchesse d'Orléans et sur sa pensée de jouer
le rôle d'une seconde Jeanne d'Arc est, sans doute, stupide; cependant,
il est vrai qu'il y a eu quelque chose de mystique dans sa volonté de
venir en France, car M. Bresson lui-même, le prosaïque M. Bresson, m'a
répété plusieurs fois ceci: «Elle se croit une vocation, et a vu un
appel particulier de la Providence, dans le mariage qui lui a été
proposé; sa belle-mère, qui appartient un peu à la secte des piétistes,
a été dirigée par la même pensée.»

Voici encore ce qui m'a été dit par M. de Rantzau. Le jour où il lui a
appris l'attentat de Meunier sur la vie du Roi, les négociations de
mariage étaient déjà entamées; il n'a pas pu cacher à la Princesse son
effroi du sort vers lequel elle penchait; elle lui répondit:
«Arrêtez-vous, Monsieur; l'événement que vous m'apprenez, bien loin de
m'ébranler, me confirme plutôt dans ma volonté: la Providence m'a,
peut-être, destinée à recevoir le coup dirigé contre le Roi, et à lui
sauver ainsi la vie. Je ne reculerai pas devant ma mission.»

Il y a, en elle, beaucoup d'exaltation, ce qui ne nuit pas à l'extrême
simplicité de ses manières, ni au calme remarquable de son maintien;
c'est une combinaison si rare, que j'en ai été beaucoup plus frappée
encore que de tous ses autres avantages.


_Valençay, 22 juin 1837._--Madame Adélaïde a écrit une longue lettre
détaillée à M. de Talleyrand, sur la fête de l'Hôtel de Ville, qui
paraît avoir été la plus belle chose du monde, incomparablement plus
magnifique que tout ce qui avait été fait, jusqu'à présent, dans ce
genre. L'accueil fait partout au Roi, sur son passage et à l'Hôtel de
Ville, a été admirable. Il y avait cinq mille personnes à cette fête. La
princesse Hélène a trouvé le diorama de Ludwiglust[78] d'une
ressemblance parfaite.

  [78] Château du Mecklembourg où avait été élevée la Princesse.


_Valençay, 25 juin 1837._--Voilà donc le vieux Roi d'Angleterre mort.
J'ai lu, avec intérêt, la manière dont le règne de la jeune Reine a été
proclamé à Londres, en sa présence, du haut du balcon de Saint-James.
Cette scène, belle et touchante, a un caractère reculé qui me plaît.


_Valençay, 28 juin 1837._--On dit beaucoup, à Paris, que M. Caradoc veut
faire casser son mariage avec la princesse Bagration, chose très aisée;
qu'il serait fait Pair, et qu'il deviendrait le mari de la jeune Reine.
Il se prétend descendant des Rois d'Irlande! Tout cela est absurde, je
crois, mais, en attendant, la petite Reine est si charmée de lui qu'elle
ne fait et ne dit rien sans le consulter.

Voici un autre conte: Charles X avait donné au duc de Maillé un tableau
pour l'église de Lormois. La famille vient de le vendre pour
cinquante-trois mille francs à un marchand. Cela fait un procès avec la
Liste civile, qui dit que Charles X n'avait pas le droit de donner le
tableau. Il y a des mémoires imprimés pour et contre. Si le marchand est
obligé de rendre le tableau, il exigera de la famille de Maillé la
restitution des cinquante-trois mille francs qu'il a donnés; et la
famille n'a recueilli, excepté ce tableau, que des dettes dans la
succession du duc de Maillé! Il est certain que si le tableau provenait
d'un des Musées ou d'un des Châteaux royaux, Charles X n'avait pas le
droit de le donner!... Mais tout cela est désagréable.


_Valençay, 29 juin 1837._--M. de Sémonville ayant été présenté le soir,
à la table ronde, par la Reine elle-même, à Mme la duchesse d'Orléans,
il a dit à la Princesse qu'il fallait toute la bonté de la Reine pour
qu'il osât lui présenter une aussi vieille figure: «Vous voulez dire une
aussi vieille réputation,» a repris la Princesse. Le vieux chat a rentré
ses griffes, et a été content.


_Valençay, 1er juillet 1837._--On m'a écrit de Paris que la situation
publique est considérée comme bonne en ce moment, quoique les élections
municipales aient été généralement assez mauvaises. A Strasbourg,
Grenoble et Montpellier, elles ont été positivement républicaines.
Beaucoup de gens prétendent que le Ministère devrait dissoudre la
Chambre, qui est usée. Ils ajoutent que le mariage du Prince Royal et
l'amnistie rendent le moment favorable; que, plus tard, les
circonstances ne seront peut-être plus aussi avantageuses, mais que le
Roi s'y refuse. M. Royer-Collard m'écrit sur le même sujet: «Je crois
que M. Molé penche pour la dissolution, et le Roi lui-même, qui ne
l'accepte pas encore, y sera conduit par la force des choses; cette
Chambre est éreintée et ne peut plus marcher.» Et en post-scriptum, il
ajoute: «J'ai vu longuement M. Molé, et je dois le revoir: il est décidé
à proposer, et, par conséquent, à faire prévaloir la dissolution. Je ne
le presse point, mais je suis de son avis. Cette Chambre ne peut plus
marcher, et il suffit que la dissolution soit désirée et attendue pour
qu'elle soit nécessaire.»

Enfin, voici ce que Mme de Lieven m'écrit au moment de partir pour
l'Angleterre: «M. de Flahaut voulait la mission de compliment à Londres.
Il a fallu reculer devant le général Baudrand, ce qui ajoute à la
mauvaise humeur du mari et de la femme. Sébastiani est si malade qu'il
n'est plus bon à rien à Londres. Je ne sais, vraiment, qui tient votre
Cour informée. Mme de Flahaut travaille tant qu'elle peut à chasser
Granville de Paris et à y faire nommer lord Durham, par le double motif
de débarrasser Palmerston d'un compétiteur et d'avoir à Paris un
ambassadeur bien intrigant. Granville avait le mérite de ne pas l'être.
Dans mon opinion, il faudra contenter Durham, qui ne veut plus rester à
Pétersbourg, et qui veut mieux. On dit que vos Députés s'en vont
inquiets, mécontents; M. Molé dit qu'il veut la dissolution, mais que le
Roi ne la veut pas.

«La dernière soirée a été nombreuse chez M. Molé. A celle de M. Guizot,
il est venu cent cinquante Députés.

«Thiers a écrit, de Lucques, que la mer avait fait grand mal à sa
femme.»


_Valençay, 6 juillet 1837._--Voici un extrait d'une lettre de Mme de
Lieven, datée de Boulogne: «J'ai vu M. Molé et M. Guizot au dernier
moment. Le premier avait reçu une lettre de Barante: l'humeur de mon
souverain ne s'adoucissait pas; c'était même pire que jamais, et c'est
_a hopeless case_[79]; il y a de la folie. M. Molé est décidément jaloux
de Guizot: il y aurait des choses bien risibles à vous conter sur ce
sujet-là, et tout cela est nouveau depuis votre départ. Il y a de drôles
de caractères dans ce monde; et comme je suis rieuse, je ris.»

  [79] Un cas sans espoir.

J'aimerais assez à savoir les détails de cette rivalité, qui, je
l'avoue, à cause de l'objet, me paraît si invraisemblable, que je crois
la Princesse un peu égarée par de la vanité féminine. Elle confond la
jalousie avec ce qui n'est que la susceptibilité inhérente au caractère.

J'ai eu une lettre du baron de Montmorency, exécuteur testamentaire du
prince de Laval, qui m'annonce que celui-ci, par une note écrite au
crayon, la veille de sa mort, m'a laissé un souvenir qu'il m'envoie. Je
suis extrêmement touchée.


_Rochecotte, 11 juillet 1837._--Je suis arrivée hier ici, où je viens
faire une course pour mes affaires: la vallée de la Loire est superbe.
Les retards éprouvés, cette année, par la végétation, ont laissé une
fraîcheur inaccoutumée dans cette saison. Toutes mes plantations ont
fort bien poussé: les fleurs sont en abondance, les plantes grimpantes
très vivaces; j'ai tout trouvé à merveille.


_Rochecotte, 12 juillet 1837._--J'ai fait, hier, tout le tour de ma
maison. Les petits perfectionnements arrivent peu à peu.

Je suis très frappée de l'effet que produit, dans le salon, la _Vierge
Sixtine_, qui a remplacé la _Corinne_. Celle-ci a passé dans le salon de
la maison de l'Abbé. Ce changement est comme symbolique et montre la
différence entre ce qui a présidé à mon passé et ce qui domine
maintenant, ou, pour mieux dire, ce qui commence petit à petit à gagner
du terrain: les progrès sont bien peu rapides!


_Rochecotte, 13 juillet 1837._--Il n'a plu, hier, que pendant la moitié
de la journée; j'ai pu faire le tour de mon petit empire que j'ai trouvé
en très bon état. Je vais avoir du chagrin à m'en arracher tout à
l'heure. Je vais dîner et coucher à Tours, et serai demain soir de
retour à Valençay.

J'ai pu, enfin, visiter, hier, mes béliers hydrauliques[80]; rien ne
tient moins de place, ne fait moins de bruit et n'opère un meilleur
résultat. Beaucoup d'ouvriers viennent les visiter, plusieurs
propriétaires veulent les imiter; c'est vraiment une admirable
invention. J'ai maintenant de l'eau à la cuisine, aux écuries, partout,
et, l'année prochaine, je me donnerai une pompe à incendie.

  [80] Rochecotte était absolument dépourvu d'eau, et le coteau sur
  lequel le château était bâti, étant tout à fait dénudé, on eut
  recours aux béliers hydrauliques: ceux-ci furent les premiers
  importés en France; la duchesse de Dino les avait fait faire en
  Angleterre, et elle insistait toujours sur l'exactitude avec
  laquelle on avait traduit les mesures françaises en mesures
  anglaises, et inversement, sans qu'il y eût la moindre différence
  quand on les posa, à Rochecotte, où ils existent encore.


_Valençay, 15 juillet 1837._--J'ai quitté Tours hier matin; j'ai eu,
avant de partir, le triste spectacle d'un homme foudroyé par le
tonnerre; son compagnon n'avait que les jambes fracassées: on le portait
à l'hôpital pour les lui faire couper toutes deux.

J'ai déjeuné à Loches, où j'ai tout visité en détail; le tombeau d'Agnès
Sorel, l'oratoire d'Anne de Bretagne, une église curieuse, la prison de
Ludovico Sforza; j'ai admiré le panorama, qui, du haut des tours, se
déploie avec magnificence. Nous nous sommes arrêtés ensuite à Montrésor,
pour inspecter une des plus jolies églises de la Renaissance que j'aie
vues: elle est bâtie à côté d'un vieux castel, qui doit son origine au
fameux Foulques Nera, le plus grand bâtisseur avant Louis-Philippe.

Aux forges de Luçay[81], j'ai trouvé les chevaux de la maison, qui m'ont
amenée grand train ici.

  [81] Luçay-le-Mâle est une annexe à la seigneurie de Valençay.
  D'après son architecture, le château de Luçay paraît être de la
  même époque que celui de Valençay: sa position est très belle, il
  domine la Forge, le bel étang qui l'alimente, le bourg de Luçay
  et des ravins pittoresques.


_Valençay, 18 juillet 1837._--A propos du procès du général de Rigny, je
peux dire que le général, fort blessé, avec raison, que le gouvernement
voulût le punir, après son éclatant acquittement devant le Conseil de
guerre, a déclaré au Ministre de la Guerre que, si on choisissait le
moment actuel pour le priver du commandement de Lille, il attaquerait le
maréchal Clausel en calomnie devant les tribunaux civils, et sans aucun
des ménagements qu'il avait cru devoir garder à Marseille. Le Ministre
de la Guerre lui a dit que son avis avait été qu'on lui rendît le
commandement, mais que le Roi s'y opposait. M. Molé et tout le Conseil
tenant le même langage, le baron Louis, oncle du général de Rigny, s'est
trouvé fondé à aller à Neuilly et à demander une explication au Roi.
Celui-ci a dit qu'il restait prouvé que le général s'était rendu
coupable d'insubordination, à quoi le pauvre vieux oncle a répliqué:
«Mais Votre Majesté ne veut donc pas reconnaître la chose jugée; car le
Conseil de guerre a reconnu que les propos attribués à mon neveu étaient
calomnieux; il ne nous reste donc qu'à poursuivre le Maréchal à
outrance.» Le Roi, alors, a dit: «Ah! je ne savais pas cela; je vais me
faire soumettre les détails de la procédure, puis nous verrons[82].»

  [82] En 1836, le maréchal Clausel, alors gouverneur de l'Algérie,
  attaqua sans succès le bey de Constantine: ayant échoué, l'armée,
  affaiblie, fut obligée de lever le siège de la ville et de battre
  en retraite, à marches forcées, au milieu des attaques
  continuelles des tribus arabes. Le général de Rigny, placé à
  l'arrière-garde, supporta, en quelque sorte, tout le poids de
  cette désastreuse retraite: il se vit, malgré ses efforts,
  l'objet, de la part du général en chef, d'un ordre du jour où il
  était formellement accusé d'insinuations perfides, de conseils
  coupables, et déclaré rebelle et indigne. Envoyé, sur sa demande,
  devant un Conseil de guerre, le général de Rigny obtint, en sa
  faveur, un jugement de non-culpabilité, rendu à l'unanimité, en
  1837.

Le fait est qu'on a toujours été mal, au Château, pour tout ce qui
s'appelle Rigny, par la raison inverse de celle qui a fait la fortune de
M. Bresson. Il ne suffit pas d'être serviteur dévoué du gouvernement; il
faut, avant tout, être et avoir été toujours orléaniste.

J'ai reçu la première lettre de Mme de Lieven de Londres: elle me paraît
enchantée de la magnificence de ses hôtes, le duc et la duchesse de
Sutherland, et aussi de l'empressement de ses amis. Elle dit que la
jeune Reine est une merveille de dignité et d'application; qu'elle n'est
point menée, pas même par sa mère. Elle règle toute sa Cour elle-même,
et la Princesse voit, chez la duchesse de Sutherland, qui est _mistress
of the robes_, des notes que la Reine lui écrit à l'occasion de ses
fonctions, et qui sont pleines d'ordre et de convenance. La duchesse de
Sutherland est chargée de tous les arrangements, placée au-dessus même
du grand chambellan; il ne tiendra qu'à elle, à ce qu'il paraît, d'être
une seconde duchesse de Marlborough. Quand la Reine reçoit des adresses,
sur son trône, la duchesse de Sutherland est debout à sa droite, et la
duchesse de Kent, mère de la Reine, est assise au bas du degré. La Reine
veut passer les troupes en revue, et cela à cheval; et ce qu'elle veut,
elle le fait. Lord Melbourne est tout-puissant, et les whigs triomphent.
Les élections seront vivement disputées; c'est la dernière chance des
tories. Lord Durham a repris sa domination sur les radicaux, qui
l'encensent: la Reine n'a pas le goût de sa mère pour lui.

La couronne d'Angleterre n'a pas de diamants; ceux, très beaux, de la
Reine douairière, lui appartenaient en propre, et lui viennent de sa
belle-mère, la vieille Reine Charlotte, qui les a légués à la couronne
de Hanovre. Celle-ci se trouvant, maintenant, séparée de la couronne
d'Angleterre, le duc de Cumberland réclame les diamants, comme Roi de
Hanovre. La Reine Victoria se trouve donc n'en point avoir, et
quoiqu'elle ne se presse pas de renvoyer ces bijoux, elle ne veut pas,
néanmoins, les porter.

C'est le comte Orloff qui est envoyé à Londres pour complimenter la
Reine. Mme de Lieven compte savoir, par lui, jusqu'à quel point elle
peut braver l'Empereur, son maître.

M. Thiers lui écrivait, de Florence, qu'il était mécontent du traité
qu'on avait fait avec Abd-el-Kader.


_Valençay, 20 juillet 1837._--D'après les lettres que nous avons reçues
hier, il paraît qu'on est revenu sur la résolution de dissoudre la
Chambre, ou, du moins, qu'on est rentré, à cet égard, dans l'hésitation.
La téméraire déclaration du Roi de Hanovre, les succès de Don Carlos, et
la crainte de voir les élections anglaises tourner au radicalisme,
voilà, dit-on, ce qui fait craindre ici des mandats impératifs et des
tendances républicaines, dans de nouvelles élections générales.

La Cour est à la ville d'Eu et ira de là à Saint-Cloud. La
grande-duchesse douairière de Mecklembourg est de tous ces voyages. On
l'aime et on la respecte; et elle-même, qui sent que sa position ne sera
pas agréable en Allemagne, n'est pas pressée d'y retourner, et redoute
un peu la solitude qui l'y attend.

J'ai eu, hier, de Paris, une lettre de M. Royer-Collard dont voici un
extrait: «La dissolution retentit dans toutes les correspondances, même
dans celles qui viennent du Ministère de l'Intérieur. On y fait
cependant des réserves: si don Carlos n'arrive point à Madrid, si le Roi
de Hanovre n'est point culbuté, si les élections anglaises n'effrayent
pas. Ces réserves sont dans le caractère et la politique du Roi, qui
n'aime point les hasards, et qui a eu, pour les doctrinaires, le
ménagement de leur laisser l'espérance. La décision est à M. Molé, qui
ne veut rien leur laisser; il ne s'agit, de part ni d'autre, de la
mesure en elle-même, comme bonne ou mauvaise: «Cela passe par-dessus les
têtes»; pour moi, s'il m'est permis d'avoir un avis, c'est précisément
dans les cas qu'on regarde comme des cas d'ajournement, que je
n'ajournerais pas. Je ne sais ce que sera la Chambre renouvelée, et je
n'attends pas d'elle des miracles, mais je tiens la vieille Chambre
comme insuffisante, et hautement incapable, s'il y a quelque résolution
importante à prendre.»

J'ai aussi une lettre de Florence, de M. Thiers, qui paraît inquiet et
triste de l'état de sa femme; il en parle avec une vive et tendre
sollicitude; il dit que c'est son seul chagrin et qu'il défie la
politique de lui en donner désormais. Il ajoute: «Je suis redevenu homme
de lettres et philosophe dans l'âme. Je me donne, comme dit le classique
Bossuet, je me donne le spectacle des choses humaines par les monuments
et les livres, c'est-à-dire par tout ce qui reste des hommes
d'autrefois. J'ai la prétention de savoir deviner ce qu'on ne me dit
qu'à demi, et comme c'est là la manière de l'histoire, je crois savoir
et comprendre le passé très bien. Grâce à cette vanité, qui ne fait de
mal à personne, ni à M. Guizot, ni au Roi Louis-Philippe, ni au prince
de Metternich, je vivrais très content, très occupé, et vraiment très
heureux, si mes chagrins de famille ne venaient me troubler. Je ferai
donc tout ce que je pourrai pour rester ce que je suis; je veux devenir
mieux que je ne suis; je veux agrandir mon esprit, élever mon âme; on
fait tout cela dans la retraite beaucoup mieux que partout ailleurs,
parce qu'on y réfléchit, on y étudie et on y est désintéressé. Si, quand
je vaudrai ce que je puis valoir, un beau rôle se présente un jour, à la
bonne heure; mais passer sa vie entre le Roi qui demande l'apanage et la
Chambre qui le refuse, être tiraillé sans cesse entre les Tuileries et
le Palais-Bourbon, entre gens qui ne vous savent gré de rien et qui vous
imputent leurs torts réciproques, sans le seul dédommagement des peines
du pouvoir, celui de faire du bien, cela n'en vaut pas la peine. Je dis
ceci du fond de mon âme, et comme j'ai le bonheur de voir ces sentiments
partagés par ceux qui m'entourent, je persiste; ainsi donc, vous me
verrez bien libre cet hiver.»


_Valençay, 1er août 1837._--M. de Vandœuvre nous est arrivé hier. Il
racontait fort drôlement que Mme de Boigne, ayant été invitée à dîner
chez M. et Mme de Salvandy, y arrive, ne trouve que la femme, qui lui
fait des excuses sur ce que son mari, malade, ne peut se mettre à
table; on y va sans lui; mais, en rentrant dans le salon, on y trouve le
_jeune ministre_, ainsi qu'il s'intitule, étendu nonchalamment sur une
chaise longue, en pantoufles turques, en belle robe de chambre à
ramages, et, sur l'oreille, un bonnet grec, brodé par des mains
féminines. On dit que la figure prude et pincée de Mme de Boigne, à ce
moment-là, était impayable!

La fille de la duchesse de Plaisance est morte à Beyrouth, en Syrie,
d'une fièvre typhoïde: son père me l'annonce. Le sort de la malheureuse
mère, dont j'ignore la destinée actuelle, m'afflige et m'inquiète. Elle
m'a été une très bonne amie, dans un temps où je n'en avais guère: c'est
ce que je ne saurais oublier.


_Valençay, 4 août 1837._--J'ai lu, dans la _Revue des Deux Mondes_,
l'article sur Mme de Krüdener. Elle était Courlandaise, et je l'ai vue
chez ma mère, avec laquelle elle eut un commencement d'amitié. Ma mère
se croyait d'ailleurs, avec raison, obligée de protéger tous ses
compatriotes. Mme de Krüdener avait une vraie nature d'aventurière, et
si elle n'avait pas été de si bonne naissance, elle n'aurait pas attendu
d'être arrivée à ses dernières extravagances pour être reconnue comme
telle. Depuis 1814 jusqu'à sa mort, elle a vécu entourée d'un tas de
vagabonds qu'elle traînait à sa suite dans toute l'Europe, et qui
donnaient, partout, un fort vilain spectacle, rien moins qu'évangélique.
C'étaient de singuliers apôtres.

Les gens prompts à s'exalter, à s'animer, à changer, également prêts à
tout, séduits par les choses les plus opposées, passent souvent pour
hypocrites, uniquement parce qu'ils sont mobiles: on est toujours tenté
de douter de leur sincérité. C'est le cas de M. Thiers. Je suis sûre
qu'il est très heureux, comme il l'écrit, à la villa Careggi[83], au
milieu des souvenirs des Médicis, et qu'il est aussi fort dégoûté de
Paris. Le malheur des natures ardentes, impétueuses, et également
propres à toutes choses, c'est d'être généralement mal interprétées par
les natures qui conservent un plus heureux équilibre; j'en sais quelque
chose par ma propre expérience! Sûrement, nous reverrons M. Thiers dans
la politique et l'ambition, mais, aujourd'hui, c'est très sincèrement
qu'il croit en être séparé pour toujours. L'avantage des natures comme
la sienne (comme la mienne peut-être), c'est de n'être presque jamais
mortellement accablées, et d'être, au contraire, si élastiques et si
souples, qu'elles tirent parti de toutes les différentes conditions
humaines; mais leurs inconvénients sont graves, cela est vrai: elles
arrivent, trop vite, au bout des choses et des personnes; les
découvertes sont trop rapides, la part de chacun et de chaque chose trop
promptement, trop complètement faite. A force de gravir rocher sur
rocher, on est toujours prêt à perdre l'équilibre, on le perd même
quelquefois; on tombe alors dans un abîme dans lequel les personnes qui
ont su se maintenir à une hauteur fixe vous trouvent parfaitement à
votre place, ne sont pas même fâchées de vous voir, et se montrent
toutes disposées à vous laisser. Que j'ai vu et éprouvé de cela! Et le
pis, ce n'est pas d'être accusé de folie, mais d'hypocrisie. Il y a,
d'ailleurs, pour ces natures, une ressource infaillible quand on a la
force d'y avoir recours: c'est de se forcer à retrouver de l'équilibre
et à s'imposer de la mesure; c'est un long travail, qui dure,
nécessairement, autant que soi; c'est là précisément son mérite,
puisqu'on n'en peut jamais voir le bout.

  [83] Careggi est une fraction de la ville de Fiesole, près de
  Florence. Plusieurs villas ornent ses environs: la plus célèbre
  est celle qui fut bâtie par les Médicis, et qui contient
  plusieurs chefs-d'œuvre de la Renaissance. Les grands ducs de
  Toscane en offraient le séjour aux étrangers de distinction qui
  s'arrêtaient à Florence; M. Thiers l'habita, à ce titre, en 1837.
  En 1848, la princesse de Parme, fuyant les révolutions, vint y
  chercher un asile. Cette villa appartient encore à la maison de
  Lorraine.

Le duc de Noailles m'écrit que son oncle est mort en quelques heures
avec tous les symptômes du choléra. Je ne sais si je me trompe, mais
tout est, pour moi, sous un voile noir et très noir, et j'ai comme une
appréhension instinctive d'une catastrophe. Pourvu qu'elle ne frappe ni
M. de Talleyrand, ni mes enfants! Quant à moi, à la volonté de Dieu; je
me prépare du mieux que je puis! Mais que d'arriérés à solder, et que
j'en serais effrayée sans ma confiance parfaite dans la miséricorde
divine!


_Valençay, 5 août 1837._--M. de Montrond mande, de Paris, à M. de
Talleyrand, que chez les Flahaut, on racontait ceci de la jeune Reine
Victoria: la duchesse de Sutherland s'étant fait attendre, la Reine fut
à elle lorsqu'elle arriva et lui dit: «Ma chère Duchesse, je vous en
prie, que ceci ne se renouvelle pas, car nous ne devons, ni vous, ni
moi, faire attendre personne.» Cela n'est-il pas très bien dit?


_Valençay, 8 août 1837._--J'ai reçu, hier, une lettre de Mme de Lieven,
commencée en Angleterre, finie en France, en route vers Paris. Elle a vu
Orloff à Londres, et elle croit, par lui, avoir assez bien arrangé ses
affaires, pour pouvoir risquer de revenir à Paris. Elle m'écrit des
choses curieuses sur la jeune Reine: «Tout le monde a été sa dupe; elle
s'est préparée en secret, depuis longtemps, au rôle qui lui était
destiné. Aujourd'hui, elle déverse son cœur tout entier dans celui de
lord Melbourne. Sa mère voulait lui faire prendre des engagements
politiques vis-à-vis des radicaux, et personnels à l'égard de Conroy; il
paraît que, dominant la mère, Conroy avait de très brutales façons
vis-à-vis de sa fille, jusqu'à la menacer, trois jours avant son
avènement, de l'enfermer si elle ne lui promettait pas la Pairie et la
place de sir Herbert Taylor. Elle lui a donné trois mille louis de
pension et lui a défendu le Palais! La mère n'entre chez sa fille que
lorsqu'elle est demandée. La duchesse de Kent se plaint beaucoup, et on
voit que le chagrin la dévore: Caradoc, qui s'était, par faux calcul,
attaché à cette fortune-là, a partagé la disgrâce et quitté
l'Angleterre. La jeune Reine a beaucoup d'affection et d'égards pour son
oncle, le Roi Léopold, qui n'aimait pas Conroy, et protégeait la jeune
fille contre sa mère. Melbourne est tout-puissant. Il adore sa jeune
souveraine. Elle a un aplomb incroyable. On en a une peur extrême; elle
tient tout le monde _in order_, et je vous assure que cela a une tout
autre tournure que sous le feu Roi. La Reine porte toute la journée
l'Ordre de la Jarretière en plaque sur l'épaule et le motto au bras.
Elle est restée très petite, ce qui fait qu'elle a adopté, même le
matin, les robes à queue. Elle a l'air distingué, sa physionomie est
charmante, et ses épaules superbes. Elle ordonne en Reine; sa volonté
doit être obéie sur-le-champ et sans contradiction. Tous les courtisans
ont l'air ahuri!»


_Valençay, 15 août 1837._--Je connaissais le goût de Mme de Lieven pour
s'incruster à Paris, mais je ne croyais pas qu'il allât jusqu'à vouloir
confisquer l'ambassade de Russie à son profit. C'est, de toutes façons,
un mauvais calcul, car autant elle trouve de bienveillance dans sa
situation actuelle, qu'on regarde comme neutre et sans conséquence,
autant une position officielle lui attirerait d'embarras inextricables.


_Valençay, 17 août 1837._--Voici un extrait d'une lettre de Mme de
Lieven, reçue hier: «Pour le moment, le conservatisme est très à la mode
en Angleterre: la nouvelle Chambre des Communes sera de bien meilleure
compagnie que les dernières. Tout cela amènera, je l'espère et je le
crois, un rapprochement avec les tories modérés. Ceux-ci y sont
préparés; je peux parler de sir Robert Peel et du duc de Wellington: ils
s'engagent à appuyer, à soutenir, et cela gratis, pour le moment. En
acceptant, lord Melbourne perd l'appui du parti radical, et se verra,
dans peu de temps, forcé de faire entrer des tories dans le Cabinet;
mais c'est cependant le meilleur marché à conclure, et lord Melbourne y
est disposé plus que ses collègues. Nous verrons s'il aura du courage;
je l'ai laissé dans la disposition d'en avoir. La Reine ne se mariera
pas, et n'y songera pas, d'au moins un an ou deux. Vous pouvez compter
sur ce que je vous dis là. La duchesse de Kent est complètement nulle,
et même un peu trop mise de côté par sa fille; Conroy n'ose pas paraître
devant la Reine. La Reine! La Reine! Elle est étonnante, trop étonnante!
A dix-huit ans, avec tant de volonté. Qu'est-ce que ce sera à quarante?

«Les Clanricarde sont brouillés avec le Ministère: elle est heureuse de
pouvoir être tory bien à son aise.

«La diplomatie est pitoyable à Londres, depuis que nous n'y sommes plus,
vous et moi. Ah! mon Dieu, qu'ils ont l'air «shabby»[84]! Ils n'ont
l'air de rien: ils n'ont ni considération, ni position, ne savent pas
une nouvelle, les demandent à tout le monde, viennent vous raconter à
l'oreille une affaire de Cour, quinze jours après qu'elle est oubliée.
J'en ai rougi pour feu mon métier.

  [84] Râpés.

Esterhazy a pris par Bruxelles. Cela fait effet à Londres; c'est un
premier hommage à la Royauté belge, mais, aussi, la politique de la
Reine Victoria vient de là.»


_Valençay, 20 août 1837._--On mande, de Paris, que M. le duc d'Orléans a
du rhume, qu'il maigrit; on craint pour sa poitrine, et on prétend
qu'il fait trop d'exercice. On craint la fatigue du camp de Compiègne.
Sa femme est, à la lettre, adorée par la famille Royale et par tout ce
qui rapproche.

J'ai une charmante lettre de la duchesse de Gloucester; il paraît que,
pour ces vieilles Princesses, la mort du dernier Roi est fort triste.


_Valençay, 25 août 1837._--Le Roi et la Reine des Belges seront à
Londres le 26 de ce mois, c'est-à-dire demain. On croit que lui régnera
auprès de sa nièce, mais qu'il ne rétablira pas les relations de la
duchesse de Kent avec la Reine, et qu'il ne l'épargnera même pas,
trouvant assez sa convenance de cette désunion.

La princesse de Lieven est fort en colère contre son mari, qui ne veut
pas accepter le rendez-vous qu'elle lui avait donné au Havre. Elle fait
des pieds et des mains à Pétersbourg pour qu'on remette l'esprit de son
mari, auquel, d'après ses propres expressions, «il en reste fort peu».
Elle répète qu'elle ne peut quitter Paris sans risquer sa vie. Je lui
crois une très médiocre envie de revoir le pauvre Prince. Elle me dit
que M. Guizot est à Paris, qu'il la vient voir chaque jour, et qu'il
fait déserter M. Molé dès qu'il entre. M. Molé est prié au camp de
Compiègne du 1er au 4 septembre, M. Guizot du 5 au 8. Toute la France y
sera conviée à tour de rôle.


_Valençay, 29 août 1837._--J'ai eu hier une journée pénible: Mme de
Sainte-Aldegonde nous est arrivée, amenant ses filles et M.
Cuvillier-Fleury, précepteur de M. le duc d'Aumale et écrivain au
_Journal des Débats_. Il a fallu faire des frais, tout montrer; aussi
j'ai été ravie quand, à neuf heures du soir, ils sont repartis pour
Beauregard. M. Fleury a quitté momentanément son élève, pour venir faire
un voyage de six semaines. Il envoie au _Journal des Débats_ des
articles sur les châteaux qu'il visite. Je ne connais rien de si
désagréable que ce genre-là. Il lui a été fort indiqué, ici, qu'on
n'aimerait pas à se voir imprimé.

Mme de Sainte-Aldegonde dit Mme la duchesse d'Orléans positivement
grosse; elle dit aussi que la princesse Marie doit épouser le duc
Alexandre de Würtemberg au mois d'octobre prochain, et aura son
établissement en France.

M. Mignet, qui est ici depuis deux jours, ne dit aucune nouvelle. Il se
borne à de longues dissertations historiques, quelquefois intéressantes,
le plus souvent assez pédantes.

Mme de Jaucourt mande que le baron Louis, frappé d'apoplexie, se meurt.
Le chagrin de l'affaire de son neveu de Rigny est pour beaucoup dans
cette mort[85].

  [85] Voir plus haut, page 166.


_Valençay, 2 septembre 1837._--J'ai reçu une lettre du duc de Noailles,
qui me donne quelques petites nouvelles. Je n'ai jamais vu quelqu'un de
grave savoir moins tenir chez lui. A Paris, il fait des visites
quotidiennes, matin et soir, qui prennent tout son temps; jamais il ne
refuse une invitation à dîner. L'été, il court les châteaux, les eaux,
et profite sans cesse du voisinage de son château et de Paris, pour
faire des courses en ville. Les natures stériles, quand d'ailleurs elles
sont intelligentes, ont un bien plus grand besoin de changer de lieux
que les autres. Du reste, cela fait, ainsi, qu'il sait toujours des
nouvelles. A Paris, il les garde pour lui, et questionne plus qu'il ne
dit; mais en écrivant, il dit tout ce qu'il sait, ce qui fait que ses
lettres sont toujours agréables.

J'ai eu aussi une lettre de M. Thiers, de Cauterets; il y court la
chasse aux isards avec les Basques, dont il raffole, quoique les
Pyrénées lui paraissent mesquines en venant du lac de Côme. Il est plus
satisfait de la santé de sa femme et s'annonce ici pour la fin du mois,
mais avec armes et bagages, ne pouvant quitter ces dames, qu'il escorte.
Cela me plaît médiocrement, mais comment refuser?

Il paraît que vraiment l'expédition de Constantine va avoir lieu, et que
le Prince Royal la dirigera. Cette campagne, pour le Prince Royal, me
semble bien étourdie.

Je viens de lire de prétendus _Mémoires_ du chevalier d'Éon qui sont
ennuyeux, invraisemblables, absurdes. La supposition, surtout, qu'il
aurait été en galanterie avec la vieille reine d'Angleterre, la femme la
plus laide, la plus prude et la plus sévère de son temps, est de trop
grossière invention!


_Valençay, 6 septembre 1837._--Les journaux disent maintenant que c'est
M. le duc de Nemours, et non pas le Prince Royal, qui commandera
l'expédition de Constantine. Je trouve que c'est un bien meilleur
arrangement.

La princesse de Lieven m'écrit ceci: «Il est question d'un double
mariage: la princesse Marie avec le duc Alexandre de Würtemberg, et la
princesse Clémentine avec le fils aîné du duc régnant de
Saxe-Cobourg-Gotha. Mais ici se présente l'embarras. Les enfants à venir
doivent être luthériens, ce que ne veut pas la Reine, et au premier
mariage, il y aurait peut-être l'embarras que le Roi de Würtemberg ne
consentirait pas. On dit que les négociations ne sont ni avancées, ni
rompues.--J'ai eu une lettre de mon frère, qui me prouve qu'Orloff a
tenu parole. Il dit qu'il n'y a que Paris qui me convienne, et personne
ne proteste contre. Maintenant, donc, je n'ai plus à faire qu'à mon
mari, et comment puis-je penser qu'il ait des objections, la Cour n'en
ayant pas? Tout cela doit se débrouiller, mais pas avant un mois ou six
semaines, car il faut à mon mari des avis de l'Empereur, et toute cette
tracasserie fait le tour de l'Europe. De Paris à Odessa, et d'Odessa à
Ischel, et d'Ischel à Paris. Imaginez!» Voilà ce que dit ce grand et
vieux enfant gâté.


_Valençay, 8 septembre 1837._--Les nouvelles que Mme de Sainte-Aldegonde
nous avait données étaient prématurées. Madame Adélaïde écrit à M. de
Talleyrand que Mme la duchesse d'Orléans n'est pas grosse; que le Roi ne
viendra pas à Amboise cette année et que le mariage de la princesse
Marie avec le duc Alexandre de Würtemberg est à espérer, mais non pas
absolument arrêté, quoiqu'en bon train.


_Valençay, 9 septembre 1837._--J'arrive d'une course que j'ai faite à
Châteauvieux et à Saint-Aignan, et qui a employé toute la journée d'hier
et celle d'aujourd'hui. J'étais merveilleusement bien et _in spirits_
chez M. Royer-Collard, aujourd'hui je suis brisée, morte, abîmée. Tout
cela n'a pas le sens commun! Je ne sais plus ce qui me fait du bien, ni
ce qui me fait du mal; je souffre de ce que je crois salutaire, je
triomphe de ce qui devrait m'abattre; je suis un petit animal fort
étrange, le médecin me répète chaque jour que c'est un état nerveux,
fantasque, capricieux; ce qui est sûr, c'est que j'ai des entrains, des
gaietés, des tristesses par accès; que je me gouverne fort mal, ou
plutôt que mes nerfs me gouvernent, que je suis prodigieusement ennuyée
de moi-même, et pas mal des autres.


_Valençay, 11 septembre 1837._--Que dire du mandement de l'Archevêque de
Paris, et de l'article qui le suit dans le _Journal des Débats_! La
profanation de Sainte-Geneviève est évidente, et le scandale du fronton
affligeant pour tous les honnêtes gens[86]. Il était difficile, il
aurait été, à mon sens, blâmable, que devant une telle énormité, la voix
plaintive du premier pasteur ne fît pas entendre un cri de douleur, mais
ce cri est poussé avec violence, amertume, et sans aucun de ces
ménagements évangéliques qu'il est toujours bon et habile d'observer.
On retrouvera, en toute occasion, dans M. de Quélen un excellent prêtre,
courageux et dévoué à ses convictions, mais la gaucherie ne le quittera
jamais, et gâtera éternellement son rôle, sa parole et son action. J'en
ai du chagrin, pour lui auquel je m'intéresse, et pour la religion, qui
est encore plus offensée par ces tristesses et par ces _scandales
gouvernementaux_! La légèreté avec laquelle on a laissé faire ce
fronton, l'hésitation évidente du Ministère pour savoir si ce fronton
serait découvert ou non, la faiblesse qui l'expose aux yeux du public,
et le petit ton dégagé dont les journaux en parlent, sont autant de
démentis donnés à ce système d'ordre et de résistance qu'on a la
prétention de faire sien. Après le pillage de l'Archevêché, la
destruction des croix et le reniement des fleurs de lys, rien ne me
paraît plus bourbeusement révolutionnaire que ce hideux fronton. Cela
fait fuir les honnêtes gens bien plus que l'usurpation.

  [86] On avait voulu ériger sur le Panthéon une statue colossale
  de la Renommée, pour remplacer la croix enlevée en 1831 de ce qui
  était alors l'église de Sainte-Geneviève. Cortot fut chargé de ce
  travail, et fit placer un modèle en carton-pierre. La critique en
  condamna unanimement l'effet, et la statue fut descendue au bout
  de quelque temps.


_Valençay, 12 septembre 1837._--On a grand tort, dans le parti carliste,
d'accuser le duc de Noailles de vouloir se rallier au gouvernement
actuel. Il en est très éloigné. Je lui en ai vu la tentation pendant
trois ou quatre mois, pendant le voyage des deux Princes en Allemagne,
et lorsqu'on pouvait croire à un mariage avec l'archiduchesse Thérèse.
Depuis le coup de pistolet d'Alibaud et le refus de l'Autriche, il n'y a
plus songé, et je le crois plus déterminé que jamais dans sa ligne
actuelle, quoique la justesse de son esprit et la mesure de son langage
l'empêchent toujours d'être parmi les aboyeurs de son parti.

Voici un extrait d'une lettre de Mme de Lieven: «Mon mari m'écrit, me
propose la rive droite du Rhin, et affirme qu'il ne lui est pas possible
de le passer. Nous verrons cela! J'espère, et je crois, qu'il changera
de résolution. M. Molé et M. Guizot se rencontrent chez moi. Ils
commencent à se parler! Le consentement du roi de Würtemberg au mariage
de son cousin est arrivé. M. Guizot est revenu de Compiègne, enchanté de
l'esprit et de l'instruction de la duchesse d'Orléans. Mme de Flahaut
est tenue très éloignée de la Princesse. Elle en a de l'humeur. Elle a
eu ses quatre jours de Château comme les autres invités, puis elle est
retournée à son appartement, dans la ville de Compiègne. Lady Jersey
écrit qu'elle viendra passer l'hiver à Paris pour y voir le prince de
Talleyrand. Mon mari a vu les Majestés Hanovriennes à Carlsbad. Il a
trouvé un redoublement de grand air.»


_Valençay, 18 septembre 1837._--J'ai reçu, hier, une lettre fort
gracieuse de M. Molé. Il me dit qu'il est obligé d'ajourner le mouvement
diplomatique. Il veut faire des Pairs, mais il est assez gêné par les
stupides catégories. Il parle avec aigreur des soins extrêmes de M.
Guizot pour Mme de Lieven, acceptés avec empressement par celle-ci.

Alava, qui est ici depuis hier, nous a dit que la fille, bossue, du duc
de Frias, épousait le prince d'Anglona. Mlle Auguste de Rigny est
décidément l'unique héritière du baron Louis, qui laisse soixante-dix
mille livres de rente. Elle a, à elle, dix-huit mille livres de rente.
Le testament est si simple et si péremptoire qu'il est inattaquable[87].

  [87] Le baron Louis était mort à Bry-sur-Marne, près Paris, le 26
  août 1837.


_Valençay, 19 septembre 1837._--M. de Salvandy, que M. de Talleyrand
avait invité à venir ici, nous est apparu hier, à l'heure du dîner. Il
repart ce soir, ayant placé cette course, élégamment, entre deux
Conseils. Je me suis épuisée en gracieusetés, et en conversation, qui
n'est pas très aisée, avec quelqu'un de spirituel, sans aucun doute,
mais dont l'emphase est extrême et le besoin de faire de l'effet
continuel. Il est, du reste, d'une obligeance très grande pour moi. Il
m'a dit que le duc Alexandre de Würtemberg n'avait que cinquante mille
livres de rente. Le roi de Würtemberg a mis beaucoup de politesse et
d'empressement dans toute cette affaire, qui est bien médiocre pour
notre jeune Princesse; ce n'est absolument _qu'un mari_. Il n'est pas
vrai qu'elle restera en France. Elle habitera, l'été, un château de son
mari, à quinze lieues de Cobourg, et, l'hiver, un petit palais à Gotha;
quand ils viendront à Paris, en visite, on les logera à l'Élysée. Ils
vont en Allemagne aussitôt après le mariage, qui se fera dans la
première quinzaine d'octobre.

Les élections en France auront lieu le 15 novembre, et la Chambre se
réunira le 5 décembre.

M. de Salvandy m'a beaucoup parlé, aussi, de la duchesse d'Orléans,
qu'il croit, et je pense avec raison, être éminemment une personne
_habile_, et qui, pour gouverner un jour trente-deux millions d'âmes,
s'applique, chaque jour, à les gagner une à une.


_Valençay, 20 septembre 1837._--M. de Salvandy nous a quittés hier,
après dîner. Dans la matinée, il m'a cité, tout en causant, une preuve
du crédit naissant de Mme la duchesse d'Orléans sur son mari. Celui-ci,
avant son mariage, faisait si peu de cas de la messe, qu'au mois de mai
dernier, c'est-à-dire quelques semaines avant de se marier, étant aux
courses de Chantilly le jour de la Pentecôte, il n'avait pas même songé
à y aller. Dernièrement, à Saint-Quentin, il y a été _in fiocchi_,
faisant dire à la Garde nationale qu'on était libre de l'y suivre ou
non. Elle s'y est rendue en totalité. Saint-Quentin, cependant, comme
toutes les villes manufacturières, est très peu dévote.

Le Pape est très vivement blessé de l'affaire du fronton de
Sainte-Geneviève. Il a fait faire des représentations sévères par Mgr
Garibaldi. Le Roi, qui avait beaucoup de répugnance à ce scandale, a été
très embarrassé, vis-à-vis de Rome, d'avoir cédé à M. de Montalivet,
qui, malheureusement, a pour entourage le vilain monde des mauvais
journaux, avec lequel il compte trop. M. Molé, qui était contre le
fronton, a cédé aussi! M. de Salvandy fulmine, lui aussi, mais je
m'imagine que, quand il a fait une phrase redondante, il croit s'être
acquitté.


_Valençay, 22 septembre 1837._--M. de Salvandy a écrit du Conseil même,
en arrivant à Paris, à M. de Talleyrand, qu'il avait trouvé tout le
monde ému des nouvelles d'Espagne. On s'attend à apprendre l'entrée de
don Carlos à Madrid. Je ne sais si cela ne troublera pas un peu la
dissolution de la Chambre et les élections.


_Valençay, 28 septembre 1837._--Madame Adélaïde mande que le mariage de
sa nièce avec le duc Alexandre de Würtemberg aura lieu à Trianon, le 12
octobre. Mme de Castellane m'écrit que rien n'égale les coquetteries
Lieven-Guizot; il lui fait lire Dante, le Tasse, et ne bouge de chez
elle. Depuis qu'il est à la campagne, il lui écrit des lettres de dix
pages. En son absence, la Princesse est allée chez lui, s'est fait
ouvrir les portes, a examiné avec soin tout son appartement, sur lequel
elle fait des morceaux sensibles et assez étranges. Il a paru, sur tout
cela, un article dans le journal _le Temps_, dont elle a été furieuse,
et à propos duquel elle a fait une scène très vive à M. Molé, parce
qu'on dit que _le Temps_ est assez sous l'influence ministérielle. Il en
est résulté un peu de froid entre le premier Ministre et elle. Tout cela
est fort ridicule, et je suis charmée de ne pas être à Paris, au milieu
de tout ce commérage.

Je suis d'ailleurs ravie de vivre retirée; on se gaspille trop dans la
vie du monde. Au lieu d'amasser de bonnes provisions pour le _grand
voyage_, on les éparpille, et quand il faut se mettre en route, on se
trouve au dépourvu. Terrible dépourvu! Honteuse nudité! J'entre
quelquefois dans de grandes terreurs de mon misérable état.

J'ai appris, hier, une mort qui m'a fait de la peine, celle de cette
jeune princesse d'Arsoli, fille de feu Mme de Carignan, que le choléra a
enlevée, à Rome, dans la même semaine que sa belle-mère, la princesse
Massimo. Je l'avais vue naître!...


_Valençay, 29 septembre 1837._--Le baron de Montmorency, qui est arrivé
hier ici, croit qu'il y a quelque anicroche au mariage würtembergeois.
Il paraît que le Roi de Würtemberg a, tout à coup, refusé de consentir,
si on ne stipulait pas que _tous_ les enfants seraient protestants,
tandis que notre Reine veut qu'ils soient _tous_ catholiques. Si le duc
Alexandre cède à la Reine, ce sera encore un mariage pour lequel il
faudra se passer du chef de la famille, ce qui a toujours très mauvaise
grâce; si la France cède au Roi de Würtemberg, il faudra que la
Princesse aille se marier sur la frontière, comme Mlle de Broglie, car
le clergé catholique français ne permet les mariages mixtes qu'à la
condition que tous les enfants seront catholiques. Il est vraiment
inconcevable qu'une question aussi importante n'ait pas été décidée
avant la publication du mariage; cela va encore prêter à mille fâcheuses
interprétations, et prouver à quel point tout est difficile à notre
Cour.

On dit que M. de Hügel, le chargé d'affaires d'Autriche à Paris, devient
fou.


_Valençay, 1er octobre 1837._--Nous avons eu, hier, notre représentation
dramatique, pour laquelle on répétait depuis quinze jours; j'ai joué
tout à travers la migraine. On a bien voulu trouver que je dissimulais
complètement mon mal sur la scène, mais une fois hors des planches, j'ai
été obligée de me coucher tout de suite. Notre spectacle a parfaitement
réussi, et quant à Pauline, elle a joué si admirablement dans deux rôles
tout différents, que je me demande si je dois lui laisser continuer cet
amusement. Notre scène des _Femmes savantes_ était très bien, et M. de
la Besnardière, qui est un ancien habitué de la Comédie-Française,
prétend que jamais il ne l'a vue si bien jouée; je crois, en effet,
qu'elle a été dite avec un nerf, un ensemble et une justesse
remarquables. M. de Talleyrand était ravi. On a soupé et dansé après le
spectacle, mais je n'y étais plus.


_Valençay, 2 octobre 1837._--Tout le voisinage que nous avions ici s'est
envolé hier après la messe, mais dans la journée nous est arrivé un
certain M. Hamilton, Américain, fils du colonel Hamilton, célèbre dans
la guerre de l'Indépendance des États-Unis, dont M. de Talleyrand parle
souvent, et avec lequel il avait été très lié en Amérique. Le fils n'a
pas voulu quitter le vieux monde, où il vient de faire un voyage
d'agrément, sans avoir vu l'ami de son père. Il avait amené son propre
fils, jeune homme de vingt et un ans; ni l'un ni l'autre ne parlait
français, je me suis épuisée en conversation anglaise; ils repartent ce
matin. Ce M. Hamilton appartient, dans son pays, au parti de la
résistance; il est homme de bon sens, mais avec ce fond américain qui,
chez les meilleurs, est encore assez déplaisant.


_Valençay, 7 octobre 1837._--On mande de Paris que, décidément, les
difficultés sont aplanies avec le Würtemberg. Le mariage se fait le 14,
et tout se passe à la satisfaction générale. Notre Princesse est invitée
à Stuttgart. On dit que M. le duc d'Orléans est le seul de la famille
peu satisfait de cette union, et qu'il a traité son futur beau-frère
plus que légèrement à Compiègne.


_Valençay, 9 octobre 1837._--Le duc Decazes nous est arrivé inopinément,
hier, à dîner. Il venait de Libourne, tout plein de son charivari
bordelais, qu'il me paraît résolu à revaloir au Préfet, M. de Pressac.
Il est reparti, après le dîner, pour Paris, où l'appelle le mariage de
la princesse Marie. Il avait laissé M. Thiers et tout son monde à Tours;
nous les attendons aujourd'hui.


_Valençay, 10 octobre 1837._--M. et Mme Thiers, Mme Dosne et sa jeune
fille, nous sont arrivés, hier, une heure avant le dîner; ayant pris par
la traverse de Montrichard, ils étaient tous brisés et moulus. Mme
Thiers ne porte pas sur son visage le moindre signe de souffrance; elle
est, peut-être, un peu maigre, mais voilà tout; je crois qu'il y a bien
des nerfs dans son état, et que, si elle était de bonne humeur, le mal
disparaîtrait vite. Du reste, pour elle, telle qu'elle est, je la trouve
assez gracieuse, mais elle a, ainsi que sa mère, un son de voix
vulgaire, et des expressions triviales auxquelles je ne puis
m'accoutumer. La soirée a été lourde et pesante, malgré tous les
enthousiasmes de M. Thiers sur l'Italie. Il m'a paru très frappé de la
beauté de Valençay, et je les crois tous fort aises d'y être.
Heureusement, le temps est beau; je n'ai jamais tant invoqué le soleil!


_Valençay, 11 octobre 1837._--Mme Thiers s'étant trouvée très fatiguée,
hier, est remontée après le déjeuner, et n'a reparu que pour le dîner.
Elle n'a pas voulu se promener; sa mère lui a tenu compagnie. Nous avons
promené le mari; il est de très belle humeur, point aigre, point
hostile, voulant aller d'ici à Lille sans passer par Paris, où il ne
veut arriver que juste pour les Chambres; mais aussi, il est très
moqueur sur les propositions itératives qui lui ont été faites des _plus
grandes_ ambassades.


_Valençay, 12 octobre 1837._--M. de Talleyrand a mené, hier, M. Thiers
chez M. Royer-Collard; ils sont revenus tous deux fort satisfaits de
leur course, ce qui me fait penser qu'ils ont laissé leur hôte également
content. Je n'ai pas grande peine avec les dames; la jeune femme paraît
aux repas, reste étendue dans un fauteuil au salon pendant une
demi-heure après le déjeuner, pendant une heure après le dîner, puis
elle remonte chez elle, ne veut pas se promener, et désire qu'on la
laisse seule. La mère est beaucoup avec elle, le mari est des plus
empressés; c'est la jeune femme qui les gouverne tous, mais elle
gouverne en enfant gâté et à coups de caprices, et je crois que le
pauvre mari trouve le mariage assez épineux.


_Valençay, 13 octobre 1837._--Voilà donc la duchesse de Saint-Leu
morte! Que va devenir son fils? Le laissera-t-on sur nos frontières?

Mme Murat est toujours à Paris; on s'étonne que la mort du général
Macdonald[88], à Florence, qu'on croyait son mari, et qui, dans tous les
cas, lui était extrêmement dévoué, l'ait assez peu émue pour lui
permettre d'aller au spectacle, et ne pas montrer les regrets qu'on doit
lui supposer.

  [88] Francis Macdonald avait été, en 1814, nommé ministre de la
  Guerre à Naples par le Roi Murat.

Ici, il n'est question que des élections qui approchent: elles
paraissent être encore très incertaines, et défier tous les calculs.
J'ai toujours vu qu'il en était ainsi à toutes les dissolutions de la
Chambre. Les instructions ministérielles sont fort capricieuses: en
général, proscription des doctrinaires et des gens du mouvement, mais
avec tant et tant d'exceptions pour les uns et pour les autres, que nous
avons d'étranges rapprochements. M. Thiers est fort calme, de belle et
douce humeur politique; il parle beaucoup de ses quarante ans, et des
glaces de l'âge; cependant, je ne m'y fierais pas, et si on le
provoquait, il pourrait bien croiser le fer très vertement. Il est tout
à fait revenu, non pas pour le passé, mais pour le présent, de ses idées
d'intervention en Espagne. Je ne l'ai jamais vu si sage et si modéré, ce
qui n'arrive qu'à ceux qui ont des goûts assez vifs, et assez de
satisfaction d'amour-propre pour ne pas être pressés du pouvoir. Sa
femme se déride un peu; elle a valsé hier soir de fort bonne humeur.


_Valençay, 15 octobre 1837._--Toute la famille Thiers est partie hier.
Quoique la mère ait été fort en frais, la jeune femme gracieuse à sa
façon, et le mari, comme toujours, animé, spirituel et bon enfant, je ne
suis pas fâchée de ce départ.


_Valençay, 22 octobre 1837._--Nous allons avoir une seconde
représentation dramatique; j'ai répété mon rôle, hier, avec M. de
Valençay, pendant que tout le reste de la société était à la promenade.

J'ai reçu une lettre très soignée de Mme Dosne. En voici un passage
intéressant: «Depuis notre arrivée, la maison a été prise d'assaut par
des amis, des curieux, des gens intéressés à connaître les dispositions
de M. Thiers. Il a vu M. Molé et M. de Montalivet, qui se disputent son
amitié, puis il a été reçu, avec effusion, par la famille Royale; vous
savez mieux que personne, Madame, à qui il le doit. Enfin, son passage à
Paris a été très favorable et très politique. Il veut rester le
défenseur du Ministère, tant que celui-ci vivra, et l'aider de son
mieux, mais on lui doit réciprocité pour les élections. Demain, nous
partons pour Lille où nous resterons autant que ma fille le voudra.»


_Valençay, 26 octobre 1837._--Mme de Lieven m'écrit que son mari lui a
envoyé son fils Alexandre pour l'emmener, morte ou vive, qu'elle s'y est
refusée, que son fils est reparti, muni, du reste, de tous les
certificats possibles, des médecins et de l'ambassade, pour constater
son impossibilité de mouvoir. Elle se loue fort du comte Pahlen et de
mon cousin Paul Medem. Il paraît que l'Autocrate a dit à M. de Lieven
qu'il broierait la Princesse si elle s'obstinait à rester en France. Je
lui crois quelque argent à elle, hors d'atteinte, qui l'aide à la
résistance, mais quelle situation! Cela va devenir tout à l'heure un
vrai drame.

J'ai reçu une longue lettre de M. le duc d'Orléans, dans laquelle il me
dit que sa sœur, la duchesse de Würtemberg, n'a pas été tout droit à
Stuttgart, en quittant Paris, qu'elle commence par Cobourg et ne doit
aller en Würtemberg que plus tard. M. le duc d'Orléans me parle à
merveille de sa femme, et il me paraît qu'il la considère comme une
_amie parfaite_, ce qui est, ce me semble, le meilleur titre pour une
femme, auprès de son mari, et celui qui lui assure l'avenir le plus
désirable.


_Valençay, 2 novembre 1837._--Je partirai tout à l'heure, pour aller
dîner et coucher à Beauregard; je traverserai Tours demain, et serai
chez moi, à Rochecotte, pour l'heure du dîner.

J'ai reçu une lettre aimable de M. Guizot, qui me dit que la Chambre
nouvelle ressemblera à la précédente, et que, s'il y a différence, elle
sera au profit de sa couleur, à lui.

M. Thiers me mande, de Lille, que le cri général des élections est: «A
bas les doctrinaires!» et qu'on le sollicite, de cinq départements
différents, d'accepter la députation, mais qu'il veut rester fidèle à
Aix. Enfin, M. Royer-Collard m'écrit, de Paris, que M. Molé a été joué
dans les élections; qu'il ne s'ensuit pas, cependant, que les élections
appartiendront aux doctrinaires, mais que ce ne sera pas l'appui
ministériel qui manquera à ceux-ci. De ces trois versions, quelle est la
plus croyable? Je tiens, moi, pour l'exactitude de la dernière.


_Rochecotte, 4 novembre 1837._--Me voici, depuis hier, dans mes propres
foyers. J'ai trouvé, le matin, en traversant Tours, le pauvre Préfet aux
prises avec la fièvre électorale.

Rien n'est comparable à la confusion des instructions, sans cesse
modifiées ou contredites par les intrigues de Paris, selon qu'elles y
subissent l'influence Guizot ou Thiers. Aussi le résultat sera-t-il loin
de répondre, je crois, au but qu'on s'était proposé en dissolvant la
Chambre. Heureusement que le pays est fort calme, que la mesure de la
dissolution n'a pas été prise en raison des nécessités du pays, mais
uniquement dans des calculs d'intérêts personnels, et que là le mécompte
est indifférent. Il est fâcheux, cependant, de remuer inutilement les
mille et une petites passions locales, qui, sans s'élever aux dangers et
à la violence des passions politiques, nuisent à l'esprit public, en
fractionnant de plus en plus le pays.


_Rochecotte, 5 novembre 1837._--Les comédies jouées à Valençay ont
apporté du mouvement dans ce grand château, qui en a prodigieusement
manqué pendant les mois de juin, juillet et août. J'avoue, à ma honte,
que, pour la première fois de ma vie, dès que j'ai été reposée des
fatigues de Fontainebleau et de Versailles, je me suis fort ennuyée! Les
maladies qui nous ont tous visités, les uns après les autres, ont fait
succéder la tristesse à l'ennui, aussi n'étais-je pas fâchée de quelques
petites secousses et diversions.


_Rochecotte, 11 novembre 1837._--Il est arrivé, hier, une lettre de
Madame Adélaïde, qui se montre assez contente des élections, et qui le
serait encore plus sans _l'infâme alliance_ des légitimistes et des
républicains, qui, dans plusieurs lieux, a fait triompher ces derniers:
je me sers de ses propres termes. Elle dit aussi que la Princesse Marie
est ravie de son mari, de son voyage, de l'Allemagne et de l'accueil
qu'elle y reçoit jusqu'à présent.


_Rochecotte, 24 novembre 1837._--Je plains la grande-duchesse Stéphanie
des torts ou des malheurs de sa fille, la princesse Wasa[89]. Je n'ai
jamais eu de goût pour celle-ci, et j'ai été frappée de son mauvais
maintien, quand je l'ai vue à Paris, avec sa mère, en 1827; du reste,
son mari, que je connais aussi, est fort médiocre, et nullement fait
pour diriger une jeune femme.

  [89] La princesse Louise de Bade, fille aînée de la
  grande-duchesse Stéphanie de Bade, avait épousé un prince Wasa;
  son ménage était constamment troublé par des querelles, que la
  Grande-Duchesse cherchait sans cesse à apaiser, sans y parvenir
  jamais pour longtemps.

La duchesse de Massa célèbre, dans ses lettres, les bonnes réceptions et
le bel air de la Cour de Cobourg, et le bonheur de la princesse Marie.
On me dit aussi que M. le duc d'Orléans parle beaucoup de son bonheur
intérieur dans lequel il vit entièrement. Il doit donner une fête, pour
le retour de son frère, le duc de Nemours, le vainqueur de Constantine.

Je suis de plus en plus ravie de la _Vie de Bossuet_, par le cardinal de
Bausset. Quelle bonne fortune que d'avoir conservé cette lecture pour un
temps ou le goût de lire m'avait passé et où il se ranime par cet
excellent ouvrage. Je fais venir la belle gravure de Bossuet: je veux
l'avoir. Je trouve ridicule qu'il n'ait pas sa place ici avec mes autres
amis du grand siècle, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon, le cardinal de
Retz et Arnauld d'Andilly. Quoique j'admire tous et chacun de cette
grande époque, j'ai mes préférences. Il me faudrait un portrait de la
Palatine pour compléter ma collection.


_Rochecotte, 30 novembre 1837._--Ma sœur, la duchesse de Sagan, annonce
sa très prochaine arrivée ici. Je ne sais si, cette fois, elle réalisera
ce projet. Ce n'est pas qu'au fond j'eusse beaucoup de regrets à le voir
manquer, car je ne suis pas tout à fait à mon aise avec elle; j'ai été
habituée à la craindre dans mon enfance, et il m'en reste encore quelque
intimidation. Mais, enfin, les choses annoncées, arrangées, c'est
vraiment mieux qu'elle vienne.


_Rochecotte, 2 décembre 1837._--J'ai lu, hier, dans le _Journal des
Débats_, le grand factum du gouvernement prussien contre l'Archevêque
de Cologne[90]. Il faudrait, maintenant, connaître la défense de
celui-ci, pour se permettre un jugement. Ce qui reste certain, c'est
qu'une mesure aussi rigoureuse que celle d'enlever un Archevêque de son
siège et de l'enfermer, est bien fâcheuse de la part d'un souverain
protestant, vis-à-vis d'un prélat catholique, dans un pays catholique:
cela sent trop la persécution, même si, au fond, ce n'est que justice.
Je suis très curieuse de connaître la fin de cette affaire, dont la
portée me semble devoir être grave.

  [90] C'est au sujet des mariages mixtes que le différend entre
  l'Archevêque de Cologne et le gouvernement prussien éclata.
  L'Archevêque voulant en appeler au Pape, le gouvernement le fit
  arrêter le 20 novembre 1837. Il resta quatre années prisonnier à
  Minden, et ne rentra plus dans son diocèse où son coadjuteur le
  remplaça après sa mort, en 1845. Le baron Droste de Vischering,
  archevêque de Cologne, était né en 1773.

M. de Montrond mande à M. de Talleyrand que toute la maison Thiers
professe, depuis son séjour à Valençay, un tel redoublement
d'attachement pour nous, qu'on nous tiendra pour responsables et
solidaires des faits et gestes de M. Thiers pendant la prochaine
session. J'ai bien fait valoir cet argument auprès de M. de Talleyrand,
afin de rester ici le plus longtemps possible; avec quel succès? Je
l'ignore!

On trouve matin et soir M. Guizot chez Mme de Lieven, et on s'en amuse!

Les lettres de Madame Adélaïde deviennent pressantes pour notre rentrée
en ville, précisément par le motif qui me fait désirer n'y pas rentrer.


_Rochecotte, 4 décembre 1837._--M. de Sainte-Aulaire m'a mandé que la
grande-duchesse Stéphanie avait rajusté l'intérieur de sa fille Wasa: je
crains que ce ne soit que partie remise.


_Rochecotte, 6 décembre 1837._--J'ai accompli, hier, une entreprise que
je voulais exécuter depuis longtemps. J'ai été, avec mon fils Valençay,
voir le comte d'Héliaud et Mme de Champchevrier. Nous sommes partis par
une belle gelée, nous avons déjeuné chez M. d'Héliaud, et, en revenant,
nous avons passé une heure à Champchevrier, chez les meilleures gens du
monde, dans un grand vieux château à larges fossés et à grandes avenues,
dans un pays de bois et de chasse. De vieilles tapisseries, des bois de
cerfs et des cors de chasse suspendus aux murailles composent le
principal ornement de ce noble, mais peu élégant manoir. Il est habité
par une famille simple, honorable, estimée, qui y vit avec abondance,
mais sans aucune recherche, chassant et défrichant toute l'année. A de
certaines époques, quarante ou cinquante familles du pays s'y réunissent
et s'y amusent. Tout cet établissement mériterait le pinceau de Walter
Scott, surtout une vieille grand'mère de quatre-vingt-deux ans, droite,
vive, grande, imposante, polie, et dans un costume suranné qui y fait
merveille. Nous y avons été très bien reçus. Au retour, j'étais gelée,
mais fort aise d'avoir payé mes dettes et rempli ce devoir de bon
voisinage.

Le duc de Noailles m'écrit qu'il a rencontré M. Thiers un matin chez Mme
de Lieven et qu'il y a parlé comme un petit saint et comme un grand
philosophe.


_Rochecotte, 10 décembre 1837._--Ma sœur et mon fils Alexandre sont
enfin arrivés, hier, d'un voyage long et pénible. Ma sœur est fort
engraissée, son visage a vieilli; elle n'en reste pas moins étonnamment
conservée pour cinquante-sept ans. Elle parle beaucoup et haut: la
Viennoise domine!


_Rochecotte, 11 décembre 1837._--J'ai beaucoup promené ma sœur hier;
elle trouve ce lieu-ci joli, et ainsi que d'autres personnes me
l'avaient déjà dit, elle assure que rien ne lui rappelle autant _la
bella Italia_. A peine étions-nous rentrées de notre grande course, que
je l'ai recommencée pour M. de Salvandy, qui nous est tombé ici, fort à
l'improviste. Il y a dîné, et après un bout de soirée il a continué sa
route vers Nogent-le-Rotrou, où il se rendait à un banquet électoral. Il
nous a appris l'arrivée de M. le duc de Nemours au Havre, mais avec le
bras cassé, ce qui lui est arrivé à bord d'un mauvais bateau à vapeur.
Il a voulu passer par Gibraltar pour éviter un grand bal que la ville de
Marseille lui destinait et pour lequel elle s'était mise en grands
frais. Le Roi est très mécontent de cette équipée.


_Rochecotte, 19 décembre 1837._--Quand, au printemps dernier, j'ai
consulté Lisfranc et Cruveilhier, ils m'ont dit, tous deux, que j'étais
menacée d'un état inflammatoire. Tout mon régime, depuis ce temps-là, a
été calculé pour l'éviter, et j'y étais parvenue; mais, depuis
l'arrivée de ma sœur ici, je me suis senti une grande agitation
nerveuse qui a toujours été en augmentant, si bien qu'hier
l'inflammation s'est prononcée, avec une fièvre très violente. Je suis
très abattue, et je crois bien que me voilà pour plusieurs jours dans
mon lit ou sur mon canapé.


_Rochecotte, 20 décembre 1837._--Le docteur dit que je suis mieux
aujourd'hui. Je ne me souviens pas d'avoir jamais été dans un état aussi
pénible qu'avant-hier. Je ne quitte toujours pas ma chambre. Je me sens
_very poorly_[91]; mais le docteur répète qu'il n'y a plus aucun danger,
et qu'avec quelques jours de soins, ce sera une affaire finie.

  [91] Très souffrante.


_Rochecotte, 25 décembre 1837._--La douleur au côté droit s'adoucit et
ma faiblesse est moindre. Quand je serai plus en force, je dirai ce qui
s'est passé en moi durant les jours si graves que je viens de traverser.
La vie intérieure s'éclaircit d'autant plus que l'œil extérieur se
voile et se trouble[92].

  [92] La duchesse de Dino fit une grosse maladie, beaucoup plus
  grave qu'elle ne le dit ici. C'est une époque à laquelle elle
  rattachait toujours le travail intérieur qui se fit alors chez M.
  de Talleyrand et le ramena peu à peu à finir chrétiennement.


_Rochecotte, 26 décembre 1837._--Je suis mieux. J'en suis fort
reconnaissante envers la Providence, qui m'a tirée d'un très mauvais
pas, mais je resterai longtemps sous le coup de ce choc. J'ai été très
touchée d'apprendre qu'hier, au prône, on m'avait recommandée aux
prières des fidèles; tous mes voisins et tout le pays ont été parfaits
pour moi; mes domestiques m'ont veillée et servie avec un zèle infini;
les deux médecins, MM. Cogny et Orie, ont été très attentifs.


_Rochecotte, 28 décembre 1837._--Le temps est magnifique, et à midi on
me roulera un moment sur la terrasse.

On ne me mande rien de nouveau de Paris, et je suis dans une grande
ignorance des choses d'ici-bas. Il m'a semblé, pendant les deux jours
que j'étais le plus malade, que j'entrevoyais quelque chose de celles
d'en haut, et qu'il n'était pas si difficile qu'on le croyait de
remonter vers son Créateur; que, même, il y avait une certaine douceur à
penser qu'on allait enfin se reposer de toutes les agitations de la vie.
La Providence sait adoucir toutes les épreuves qu'elle nous envoie, en
nous donnant la force de les supporter, et on ne saurait trop pénétrer
son âme pour toutes ses grâces.


_Rochecotte, 31 décembre 1837._--Ce dernier jour d'une année qui, à tout
prendre, ne m'a pas été bien agréable, fait jeter sur la vie un long
regard rétrospectif, qui n'apporte rien de bien doux avec lui.
Cependant, il serait mal de me plaindre; si les mauvaises conditions ne
manquent pas pour moi, il y en a de bonnes, aussi, qu'il y aurait
ingratitude à ne pas reconnaître, et on peut se trouver abattue et
sérieuse, sans avoir le droit, pour cela, de se sentir ou de se dire
malheureuse. Que Dieu conserve, à ceux que j'aime et à moi-même,
l'honneur, la santé, et cette paix de l'âme qui la maintient en
équilibre, et je n'aurai que des grâces à rendre!



1838


_Rochecotte, 1er janvier 1838._--Malgré ma faiblesse, je suis restée
jusqu'à minuit au salon pour embrasser M. de Talleyrand, mes enfants et
ma sœur, au passage d'une année sur l'autre.

Je dois sortir en voiture aujourd'hui, puis dîner à table, enfin rentrer
peu à peu dans la vie.


_Rochecotte, 2 janvier 1838._--Toute la contrée a passé ici hier;
j'avais encore du monde le soir; je ne suis pas plus mal ce matin, au
contraire, et si ce temps merveilleux veut bien durer encore quelques
jours, j'espère redevenir bientôt _quite myself_[93]. M. de Talleyrand,
malheureusement, parle déjà de retourner à Paris.

  [93] Tout à fait moi-même.


_Rochecotte, 5 janvier 1838._--Je n'ai pas trop bonne opinion politique
de l'année dans laquelle nous sommes entrés. En tout, j'ai l'esprit
noirci, l'âme triste, les nerfs malades, le cœur gros, et, pour parler
comme les femmes de chambre, je me donnerais bien _pour deux sols_. Nous
sommes plongés dans les brouillards depuis deux jours. J'ai cependant
été faire mes adieux dans mon voisinage immédiat.


_Rochecotte, 6 janvier 1838._--M. de Talleyrand et Pauline viennent de
partir pour Paris. Il ne reste plus dans la maison que ma sœur, mon
fils Alexandre et moi. Je vais me livrer à mes comptes et à mes
préparatifs de départ: nous partons tous trois après-demain. Malgré les
tristes souvenirs de maladie qui ont assombri mes dernières semaines
d'ici, je ne me sépare de ce bon petit lieu qu'avec regret.


_Paris, 11 janvier 1838._--Je suis arrivée hier ici, à dix heures du
soir, après une route que neuf degrés de froid et une neige continuelle
ont rendue extrêmement pénible. Cependant, nous n'avons pas éprouvé
d'accident, et le changement d'air, quelque rude qu'il ait été, m'a
plutôt fortifiée et rendu un peu d'appétit.

J'ai dîné, hier, à Versailles, chez Mme de Balbi, que j'ai trouvée fort
vieillie; ma sœur, pendant ce temps-là, mangeait un poulet chez Mme de
Trogoff, qu'elle a beaucoup connue jadis.

Nous avons trouvé M. de Talleyrand en bonne santé, mais inquiet de notre
route. Il m'a dit que le Ministère était dans le coup de feu de
l'Adresse; ainsi, on n'en aperçoit aucun des membres pour le moment.


_Paris, 12 janvier 1838._--J'ai été fort occupée, hier matin, des
toilettes de ma sœur, des miennes et de celles de Pauline; nous
sommes, toutes trois, arrivées déguenillées. Puis j'ai été voir Mme de
Laval, qui est fort changée. Le soir, j'ai conduit ma sœur entendre
_les Puritains_, dans cette même loge du Théâtre-Italien que j'avais
l'année dernière. Rubini a bien perdu un peu sa voix, et Mme Grisi s'est
mise à crier!

Je crois bien qu'on est fort agité dans le monde politique mais je ne
fais pas une question, je ne lis pas un journal et je conserve ma chère
ignorance, par paresse et par habileté.


_Paris, 13 janvier 1838._--Ma sœur voulait aller une fois à la Chambre
des députés, spectacle tout nouveau pour elle. L'ambassadeur de Russie
nous a donné ses billets, et nous avons passé, hier, notre matinée au
Palais-Bourbon. M. Molé a dépassé mon attente, il a ravi ma sœur et m'a
charmée. Rien de plus digne, de plus clair, de mieux pensé, de mieux dit
que son discours. Aussi son succès a-t-il été complet. J'ai vu Mme de
Lieven, à la Chambre. Ma sœur et elle ont évité de se regarder; elles
se détestent sans se connaître; cela ne m'est pas commode[94]. M. Guizot
est monté dans notre tribune, je l'ai trouvé fort changé.

  [94] On a pu voir dans un livre récemment publié par M. Jean
  HANOTEAU, _Lettres du prince de Metternich à la comtesse de
  Lieven_ (1818-1819), que c'était le prince de Metternich qui
  avait animé ces deux dames l'une contre l'autre.

Je suis tout ahurie d'une manière de vivre si différente de celle des
derniers six mois!


_Paris, 14 janvier 1838._--J'ai eu, hier, une très longue et très
aimable visite du Prince Royal, que j'ai trouvé fort calme, et dans une
disposition d'esprit très sage et très douce.

J'ai été, ensuite, chez la princesse de Lieven, qui m'a initiée à tous
les détails de sa situation intérieure, ce qui a eu l'avantage d'exclure
toute autre conversation et de me réduire au rôle d'auditeur. Elle se
croit sûre de pouvoir rester ici _ad vitam æternam_, sans y être
molestée. Je le désire pour elle.

J'ai été le soir aux Tuileries, faire ma cour à la Reine.


_Paris, 15 janvier 1838._--Les grands incendies sont bien à la mode.
Celui de la Bourse de Londres vient faire le pendant à celui du Palais
d'Hiver à Saint-Pétersbourg, avec cette différence qu'en Russie cent
personnes ont péri, tandis qu'en Angleterre, on n'a rien eu de semblable
à déplorer. Paul Medem m'a dit que le Palais d'Hiver était trois fois
grand comme le Louvre, que six mille personnes y demeuraient; que la
pharmacie impériale était située au milieu du Château, et qu'une
explosion, à la suite d'une expérience chimique qu'on y avait faite,
avait causé l'incendie.

Je ne suis pas sortie hier. M. de Sainte-Aulaire est venu déjeuner avec
ma sœur et moi. Plus tard, j'ai eu une visite de M. Royer-Collard, qui
se porte bien mieux cette année. J'ai vu MM. Thiers et Guizot chez M. de
Talleyrand. Nous avions un ennuyeux et grand dîner de famille, après
lequel ma sœur et moi n'avons rien trouvé de mieux à faire que de nous
coucher à neuf heures et demie. Je ne suis pas en force. Une
conversation avec le docteur Cruveilhier, trop semblable à celle que
j'ai eue, à Tours, avec le docteur Bretonneau, a fort contribué à me
rejeter dans une disposition sombre et découragée.


_Paris, 16 janvier 1838._--Lorsque j'écrivais, hier, je ne savais encore
rien de l'incendie qui avait dévoré, la nuit précédente, le Théâtre
italien. Le sous-directeur et quatre pompiers ont péri. C'est une perte,
c'est une catastrophe; puis c'est consternant pour les pauvres gens dont
le seul plaisir était l'opéra italien, comme c'est mon cas. J'y suis
tout particulièrement sensible.

Lady Clanricarde est venue, hier, déjeuner avec moi, et je l'ai revue
avec un grand plaisir, c'est une très aimable personne. Nous avons
repassé _dear, ever dear England_, et c'est un sujet inépuisable pour
moi.

J'ai mené le soir Pauline chez M. le duc d'Orléans, à un bal qui était
charmant et arrangé à merveille. Nous sommes parties, en sortant du
souper, à deux heures du matin, ce qui était beaucoup pour moi. Du
reste, à un fort mal de tête près, je n'ai pas trop à me plaindre de la
manière dont j'ai traversé cette corvée; malheureusement, j'en ai
d'autres, semblables, en perspective et leur multiplicité m'effraye.
Rien ne m'a frappée à ce bal, si ce n'est l'air délicat de Mme la
duchesse d'Orléans, qui, malheureusement, ne s'explique pas par une
grossesse. Je trouve, aussi, notre excellente Reine vieillie, et M. le
duc de Nemours terriblement maigri. Il se fait pousser une barbe
moderne, mais tellement blonde que c'est affreux.


_Paris, 17 janvier 1838._--J'ai passé, hier, avec ma sœur, ma matinée à
faire ce que je déteste le plus au monde, une tournée effective de
visites indispensables. Le soir je l'ai conduite aux Tuileries. Elle
était très noblement et très magnifiquement arrangée. Elle a été un peu
étonnée de la forme de présentation ici. Cela m'a frappée, moi-même,
plus que de coutume.


_Paris, 23 janvier 1838._--Je me suis enrhumée, par un affreux courant
d'air, qui m'a coupé le dos, hier, à un concert chez M. le duc
d'Orléans. C'était le seul tort de cette soirée peu nombreuse, et où la
musique a été divine, bien choisie, et pas trop prolongée.

M. de Talleyrand se porte très bien, à ses jambes près; leur faiblesse
m'est indifférente, mais elles deviennent douloureuses, surtout les
doigts d'un pied, dont la couleur n'est pas toujours naturelle. C'est
une triste menace. Je m'en trouble extrêmement et lui aussi. En somme,
je suis profondément triste, et tout pèse lourdement sur mon cœur.


_Paris, 28 janvier 1838._--M. de Talleyrand n'est pas malade, mais sa
rage de dîner en ville lui a mal réussi. Hier, chez lord Granville,
donnant le bras à la princesse de Lieven, il s'est pris le pied dans les
plis de sa robe, et a failli tomber. Il n'a pas fait de chute, mais son
genou a ployé, le pied déjà malade a tourné et il s'est donné une
entorse du gros orteil. J'ai été fort effrayée, en le voyant rapporter
ainsi. Quelle triste année que celle-ci! Le fait est que, depuis le mois
d'avril dernier, rien n'a bien marché, et que, si je ne voyais dans tout
ceci les épreuves et les préparations à un meilleur monde, je serais
bien dégoûtée de celui-ci.


_Paris, 30 janvier 1838._--Le pied de M. de Talleyrand le fait souffrir,
et ce qu'il y a de pire, c'est qu'il est difficile de découvrir si la
douleur tient à la foulure ou à l'état général de ce pauvre pied. Du
reste, M. de Talleyrand est calme, toujours entouré, et il fait sa
partie de whist chaque soir.

J'ai été, ce soir, chez la Reine, qui avait reçu ce matin la triste
nouvelle de l'incendie de ce palais de Gotha dans lequel habitait sa
fille, la princesse Marie. La Princesse a failli périr, et elle a perdu
beaucoup de choses précieuses, des albums, des portraits, des livres,
des journaux de toute sa vie, tout enfin; ses diamants sont fondus dans
les montures qui ne sont plus que des lingots, les grosses pierres
seules ont résisté et il faut les repolir; et puis, tous les objets
chers à son cœur et que l'argent ne peut rendre! Ce premier nuage qui
obscurcit un jeune bonheur a quelque chose de cruel parce qu'il met en
défiance et rompt la sécurité pour l'avenir. C'est une véritable peine
de cœur pour la Reine, d'autant plus que la Princesse étant grosse, le
saisissement peut lui avoir fait mal.


_Paris, 1er février 1838._--M. de Talleyrand s'inquiète de l'état de sa
jambe et du changement que cela porte dans ses habitudes. Je voudrais
bien qu'il reprît assez de force, dans ce pied, pour pouvoir remonter en
voiture, mais il ne peut pas encore s'appuyer assez pour prendre l'élan
nécessaire. L'absence d'air et de mouvement, si cela devait continuer,
aurait de graves conséquences. En attendant, il n'est pas seul une
minute depuis dix heures du matin jusqu'à une heure après minuit.

Lady Clanricarde est venue déjeuner avec moi hier; elle retourne, sous
peu de jours, dans cette chère Angleterre, à laquelle je pense chaque
jour avec plus de regrets. Je savais bien tout ce que je perdais en la
quittant, et j'ai, du moins, bien mesuré le sacrifice.


_Paris, 2 février 1838._--L'état de la jambe de M. de Talleyrand reste à
peu près le même quoiqu'elle fût un peu moins enflée hier. Il s'en
attriste, et je le crois trop perspicace pour n'en pas mesurer tous les
mauvais résultats possibles. Je ne puis dire combien j'ai le cœur et
l'esprit en angoisse, quels poids m'oppresse!


_Paris, 3 février 1838._--C'était, hier, l'anniversaire de la naissance
de M. de Talleyrand, qui a accompli ses quatre-vingt-quatre ans.
Heureusement que sa jambe avait un beaucoup meilleur aspect que ces
jours derniers. C'était le plus beau bouquet de fête à lui offrir, et à
moi aussi.


_Paris, 5 février 1838._--Ma sœur avait réuni chez elle, hier soir,
des Autrichiens et des Italiens, et avait fait venir un groupe de
musiciens napolitains qui se trouvent ici. Elle leur a fait chanter des
airs nationaux fort jolis. On a porté M. de Talleyrand en haut, dans
l'appartement de ma sœur, et il y a fait sa partie. L'aspect de sa
jambe continue à être meilleur, mais son pied foulé reste faible et
douloureux. Je ne sais s'il pourra jamais marcher encore. Si, du moins,
il pouvait monter en voiture! Car l'absence d'air m'inquiète.

Il est triste et se tourmente! Une chose très remarquable, c'est qu'il a
désiré faire la connaissance de l'Abbé Dupanloup, et m'a chargée de
l'inviter à dîner pour le jour de ma fête. Je me suis hâtée de le faire,
l'Abbé a accepté d'abord, refusé ensuite; je soupçonne l'Archevêque
d'être là-dessous. Je le verrai demain, je veux en avoir le cœur net.
M. de Talleyrand, en apprenant le refus de l'Abbé, m'a dit: «Il a moins
d'esprit que je ne croyais, car il devait désirer pour lui et pour moi
venir ici.» Ces paroles m'ont frappée, et ont augmenté mon impatience du
refus de l'Abbé.


_Paris, 7 février 1838._--J'ai été, hier, malgré un froid très vif, chez
l'Archevêque, que j'ai trouvé fort gracieux. Il m'a donné, pour la
Sainte-Dorothée, ma fête, qui était hier, un superbe exemplaire de
l'_Imitation de Jésus-Christ_; pour M. de Talleyrand, le même; pour ma
sœur, un portrait de Léon XII, le Pape qui avait reçu son abjuration;
pour Pauline, un beau livre de piété. Il a été très surpris et affligé
du refus de dîner que nous a fait l'abbé Dupanloup; enfin, j'en ai été
très satisfaite.

Je l'ai été encore plus de la manière dont M. de Talleyrand a reçu le
cadeau de l'Archevêque et de la façon dont il a écouté le récit de mon
entretien avec lui. Il désire que l'Archevêque use de son autorité pour
décider l'abbé Dupanloup à venir ici. Je ne puis m'empêcher de rattacher
ses bonnes dispositions à celles que j'ai pu témoigner dans ma dernière
maladie, et aux paroles qu'à cette occasion j'ai pu lui adresser. Je
bénis Dieu de l'épreuve que, dans ses voies cachées et toujours
admirables, il lui a plu de m'envoyer! Et si, pour achever cette grande
œuvre, il me fallait porter un sacrifice encore plus complet, je suis
joyeusement prête.


_Paris, 9 février 1838._--M. de Talleyrand est sorti en voiture, hier,
pour la première fois, uniquement pour se promener, et cela lui a fait
du bien, ou, pour mieux dire, du plaisir. Les effets de la foulure
disparaissent vite, mais il n'en est pas de même de l'état général du
pied, qui reste assez mauvais. On l'a porté jusque dans sa voiture, et
retiré à bras; cela a été moins difficile que je ne pensais, mais ces
démonstrations d'infirmité me sont douloureuses à regarder, plus que je
ne puis le dire.

On commence à ajouter foi aux bruits de grossesse de Mme la duchesse
d'Orléans. Je crois, cependant, qu'il faut encore attendre un peu pour
être parfaitement assuré de ce fait.


_Paris, 10 février 1838_.--On dit que le différend entre les Flahaut et
le général Baudrand s'arrangera[95], mais je ne pense pas que cela dure.
Mme de Flahaut vient, le soir, voir M. de Talleyrand, et le mari chaque
matin; ils sont doux et gracieux comme des _menacés_.

  [95] Une rivalité constante animait M. de Flahaut et le général
  Baudrand l'un contre l'autre; ils se disputaient souvent des
  fonctions auprès du duc d'Orléans, et, en février 1838, ils
  intriguaient déjà pour être envoyés au couronnement de la reine
  Victoria.

M. Royer-Collard, que j'ai vu un instant, hier, était enchanté d'avoir,
par ses discours de l'autre jour, déchiré le costume que l'on voulait
faire reprendre aux Députés. Nous nous sommes un peu querellés à cette
occasion. Il y a, dans son âme, une goutte trop forte d'amertume, qui le
rend quelquefois, et à son insu, bien _mischievous_.


_Paris, 11 février 1838._--M. de Talleyrand a pu aller, hier, chez
Madame Adélaïde; c'était le grand événement de sa journée, par
conséquent de la mienne. Celui d'aujourd'hui est la neige, qui tombe à
gros flocons, sans discontinuer, et qui nous replonge dans l'hiver.

L'abbé Dupanloup est venu me faire, hier, une longue visite, dont je
suis parfaitement satisfaite. Il dînera chez nous dans huit jours.

Nous avons eu aussi du monde à dîner, toute la famille d'Albuféra, les
Thiers, les Flahaut, et il vient chaque soir quelques personnes.


_Paris, 15 février 1838._--M. de Talleyrand s'occupe fort d'un petit
éloge de M. Reinhard, qu'il veut prononcer, au commencement du mois
prochain, à l'Académie des Sciences morales et politiques. Il y met du
soin et cela nous a pris quelques heures hier.

L'affaire Baudrand et Flahaut n'est point encore terminée. Ce sont des
prétentions, des hésitations, des tergiversations de tous côtés, qui
finissent par donner un ridicule amer aux deux rivaux, et qui pis est,
au Prince Royal.


_Paris, 23 février 1838._--Nous vivons toujours dans le froid et dans la
neige.

M. le duc de Nemours a eu un mal de gorge qui a menacé de tourner en
esquinancie, mais cette indisposition n'a empêché aucune fête de Cour,
et il assistait avant-hier au bal que donnait la Reine.

M. de Talleyrand a du rhume, les jambes faibles. Voilà deux points par
lesquels il est atteint: le premier n'est que très passager; l'autre,
grave dans ses conséquences éloignées, n'a rien d'imminent. Voilà le
vrai.


_Paris, 25 février 1838._--J'ai été avertie, de grand matin, que M. de
Talleyrand éprouvait une espèce de suffocation. Cette suffocation était
purement mécanique, et tenait à ce qu'il a glissé au fond de son lit,
qu'il s'est trouvé comme enseveli sous ses énormes couvertures, et qu'il
en est résulté une sorte de cauchemar. Je viens de le quitter, dormant
paisiblement dans un fauteuil. Ce que je n'aime point, c'est que, depuis
deux jours, il a toujours plus ou moins de fièvre, et que, ne voulant
rien, ou presque rien manger, de peur de l'augmenter, il est très
faible. L'absence du docteur Cruveilhier, qui est à Limoges, est aussi
une mauvaise condition; enfin, sans inquiétude immédiate, je suis loin
cependant d'être rassurée sur l'issue de cet état morbide, qui prouve
l'ébranlement général de la machine.


_Paris, 3 mars 1838._--C'est dans deux heures que M. de Talleyrand va à
l'Académie, par une pluie froide qui est très déplaisante. Je crains
aussi beaucoup l'émotion pour lui. Il y aura un grand concours de monde;
pas de femmes, cette Académie n'en admet pas. J'espère que la journée se
passera bien, mais je voudrais être à demain.


_Paris, 4 mars 1838._--M. de Talleyrand est très agité et très faible ce
matin. C'est que l'effort a été bien grand, et quelque succès qu'il ait
eu, je crains que ce dernier éclat n'ait été payé bien cher. Ce succès a
dépassé mon attente; les rapports de cinquante personnes qui ont
assailli ma chambre après la séance ne me laissent aucun doute à cet
égard. Il avait retrouvé toute sa voix, il a lu à merveille, il a
marché, il était jeune, il était tout entier. Mais deux heures après, il
était terrassé, et hors d'état de lutter. Je ne sais ce que diront les
journaux de ce discours, mais si quelque chose pouvait désarmer, il me
semble que ce devrait être un si grand âge, un passé si riche, une telle
énergie employée à adresser au public des adieux si nobles, si pleins de
droiture et de bonnes doctrines[96].

  [96] Le discours du prince de Talleyrand se trouve aux pièces
  justificatives de ce volume.


_Paris, 5 mars 1838._--La journée s'est mieux passée que je ne
l'espérais, pour M. de Talleyrand. Le _Journal général de France_, qui
appartient aux Doctrinaires, contenait le meilleur, le plus spirituel et
le plus agréable article, sur le discours de M. de Talleyrand. Les uns
l'attribuent à M. Doudan, les autres à M. Villemain. Celui des _Débats_
est obligeant, mais lourd; celui du _Journal de Paris_, bien; celui de
la _Charte_, bête et mal écrit; la _Gazette de France_, suffisamment
bien; le _Siècle_ et la _Presse_, insignifiants; le _National_, nul.
Contre mon habitude, qui, depuis mon retour de la campagne, a été de ne
pas ouvrir un seul journal, je les ai tous lus hier, j'en ferai encore
autant aujourd'hui, puis je reprendrai le cours de mon ignorance.


_Paris, 6 mars 1838._--M. de Talleyrand a eu une défaillance, hier,
avant le dîner. Je crois qu'elle tient à sa diète trop rigoureuse;
celle-ci, à l'embarras glaireux de la poitrine et de l'estomac, qui lui
ôte l'appétit. Le vésicatoire qu'on va lui mettre le délivrera, je
l'espère. Les journaux d'hier n'étaient pas tous également satisfaisants
sur son discours, mais cela ne l'a pas ému, car son succès a été
véritable auprès du public sain et honnête. La maison ne désemplit pas,
des gens qui viennent le féliciter. M. Royer-Collard me disait hier: «M.
de Talleyrand a été solennellement amnistié de ce qu'il y a eu de
fâcheux dans sa vie, et publiquement glorifié de ce qu'elle a eu de bon
et de grandement utile.»


_Paris, 7 mars 1838._--M. de Talleyrand n'a pas eu de défaillance hier,
mais il a mauvais visage, et je le trouve très changé. J'apprends que
son frère, le duc de Talleyrand, mon beau-père, est aussi dans le plus
triste état. La vicomtesse de Laval a de la fièvre, un catarrhe, de
l'insomnie. Tout cela est sombre, et ces images de destruction me
retombent bien lourdement sur le cœur.


_Paris, 8 mars 1838._--M. de Talleyrand a mieux passé la journée d'hier;
on le soigne beaucoup, et quand je suis rentrée d'un dîner donné à ma
sœur par les Stackelberg, et de chez la Reine, où j'avais été ensuite,
je l'ai trouvé entouré de belles dames, et d'assez bonne humeur.

Le matin, j'avais mené Pauline quêter M. l'Archevêque. Ma sœur avait
voulu nous accompagner, ce qui fait que je n'ai pas pu causer avec M. de
Quélen.

Les Flahaut n'ont plus rien de commun avec le Pavillon Marsan, excepté
les bonnes grâces du Prince Royal qu'ils paraissent emporter. Au
Pavillon de Flore, malgré beaucoup de belles phrases, on est ravi de
leur départ. Les Flahaut ne croient pas au vrai, et s'en prennent à une
intrigue doctrinaire à laquelle se serait joint le duc de Coigny. Ils
partent, bientôt, pour l'Angleterre, où ils feront, je crois, un assez
long séjour.


_Paris, 10 mars 1838._--L'abbé Dupanloup est venu me voir hier; il a
demandé ensuite à voir M. de Talleyrand, pour le remercier de
l'exemplaire de son discours qu'il lui avait envoyé; Pauline l'y a
conduit. Il est resté seul pendant vingt minutes avec M. de Talleyrand,
sans qu'il se soit rien dit de direct; mais il y a eu de bonnes paroles
jetées, et quand l'Abbé est remonté chez moi, il m'a paru concevoir
quelques bonnes espérances. Il y a mis, d'ailleurs, une grande
discrétion et une mesure parfaite, et je le trouve d'une raison extrême;
c'est lui qui s'est retiré le premier, et on lui a dit qu'on espérait
qu'il reviendrait. Tout cela est bon, mais pourvu que nous ayons le
temps! Car je trouve non plus de la maladie, mais un grand abattement,
une altération sensible des traits, et il n'y a rien à brusquer avec un
tel esprit! Mon Dieu, quelle tâche! Et que j'en serais effrayée, si je
ne me disais que l'instrument le plus indigne, quand il plaît à Dieu de
le choisir, peut devenir plus puissant que le plus grand saint, s'il
n'entre pas dans les voies de Dieu de s'en servir!


_Paris, 11 mars 1838._--Voilà le Ministère anglais sorti victorieux
d'une épreuve qu'on annonçait devoir lui être fatale. Le nôtre se
tirera-t-il aussi bien de l'épreuve de la semaine prochaine, celle des
fonds secrets? Il y a bien des batteries dressées contre lui, des
agitations sourdes de tous les côtés; on dit que de tous les bouts de la
Chambre, on tirera des feux convergents sur les bancs ministériels,
quitte, après, je suppose, à s'entre-tirailler sur le champ de bataille.
Tout cela est pitoyable!


_Paris, 14 mars 1838._--J'ai passé hier deux heures avec Mgr
l'Archevêque. J'ai été plus contente de ses sentiments que de ses
décisions; cependant tout est resté livré à ses méditations. Il m'a dit
de lui écrire mes idées, et j'espère, avec la grâce de Dieu, qui jettera
la lumière ici et là-bas, arriver à une fin consolante, et pour ceux qui
partiront, et pour ceux destinés à continuer leur pèlerinage.

En quittant l'Archevêque, j'ai été chez la vicomtesse de Laval, toujours
faible et vacillante de corps, toujours vive de cœur et d'esprit.

Je suis revenue et j'ai trouvé M. de Talleyrand triste et mal à l'aise;
il s'est remonté en causant avec moi. Il a mangé un peu mieux que ces
jours passés; le soir, il était moins faible et je viens d'apprendre que
sa nuit a été fort tranquille. Je passe sans cesse par les hauts et les
bas les plus agitants. Je suis soutenue par le sentiment d'être utile,
peut-être même nécessaire, et j'espère que les forces, si elles doivent
me manquer, me resteront jusqu'au bout de ma tâche; après quoi, le
sacrifice est fait, je l'ai fait pendant ma maladie à Rochecotte.


_Paris, 15 mars 1838._--J'ai accompagné, hier, ma sœur, qui voulait
aller encore une fois, avant son départ, à la Chambre des députés. J'y
ai éprouvé beaucoup d'ennui. Les paroles de M. Molé ont été fort bonnes;
M. Barthe a parlé avec une trivialité insupportable, M. Guizot a fait le
plus ennuyeux de tous les sermons, M. Passy a été grossier sans être
piquant, M. Odilon Barrot a été très habile, très spirituel, il n'a rien
laissé à dire, ni à Thiers ni à Berryer, mais son débit est si
déclamatoire et si peu soutenu, que c'est une grande fatigue de
l'écouter. A tout prendre, les honneurs de la séance sont restés à M.
Molé, ou, pour mieux dire, si le Ministère n'a rien gagné, ses
adversaires ont perdu beaucoup, ce qui, comme résultat momentané,
revient au même.


_Paris, 16 mars 1838._--J'ai mené Pauline hier à la messe, au sermon, et
au salut, après lequel elle a quêté. Deux enterrements ont interrompu
cette quête, en empêchant la moindre sortie, et une pluie battante les a
encore retardés, ce qui fait que nous sommes restées éternellement sur
nos jambes, à la porte de l'église. Du reste, le sermon de l'abbé de
Ravignan[97], sur l'indifférence en matière de religion, et sur ses
différentes causes, m'a fait un grand plaisir, et si ce n'est pas le
plus beau des sermons que j'aie lus, c'est du moins le meilleur que
j'aie jamais entendu.

  [97] L'abbé de Ravignan avait remplacé Lacordaire dans la chaire
  de Notre-Dame.

M. Molé, qui dînait ici, disait que ce matin, à la Chambre, dans la
formation des bureaux, l'alliance entre les hommes ennemis il y a
quelques mois encore était flagrante.


_Paris, 17 mars 1838._--J'ai passé longtemps hier matin, au séminaire de
Saint-Nicolas du Chardonnet, dont l'abbé Dupanloup est supérieur. J'y ai
été fort contente de ce bon Abbé, qui a bien voulu être aussi satisfait
du petit écrit que je lui ai montré[98].

  [98] Il s'agit de la lettre que le prince de Talleyrand écrivit à
  Rome, en rétractation des erreurs de sa vie qui avaient encouru
  les censures de l'Église.

D'ici à un mois, nous aurons un nouveau poème de M. de Lamartine,
intitulé _l'Ange déchu_[99], puis des _Mélanges littéraires_, de M.
Villemain, et un ouvrage de M. de Chateaubriand sur le _Congrès de
Vérone_. Enfin, des provisions de lecture pour l'été!

  [99] Plus connu sous le nom _la Chute d'un ange_, début du poème
  appelé _Jocelyn_.

M. de Talleyrand dit qu'il ira le 1er mai à sa terre de Pont-de-Sains en
Flandre, qu'il y restera tout l'été, qu'il en partira le 1er septembre
pour Nice, en voyageant lentement, et qu'il reviendra au mois de mai
1839 à Valençay. Il y a quelque chose de bien hardi dans des projets si
étendus et de peu raisonnable à affronter l'humidité flamande dès le 1er
mai; je laisse dire, et me confie au grand Régulateur.

Je trouve bien jolie la devise, ou plutôt la fin de lettre que je viens
de trouver dans un vieux livre: «A Dieu soyez.» Je l'adopte.


_Paris, 22 mars 1838._--La princesse Marie, qui est ici depuis le 19, a
failli faire une fausse couche, hier, à la suite d'une trop longue
promenade, et Mme la duchesse d'Orléans n'en évite une qu'en ne quittant
pas sa chaise longue.

M. de Rumigny, notre ambassadeur à Turin, s'y est fait une mauvaise
querelle. Querelle personnelle avec le Roi, pour une question
d'étiquette; il est arrivé des plaintes sur lui. Cette histoire est la
plus sotte du monde, car il s'agit des barbes blanches ou noires portées
par les femmes. L'étiquette sarde ne les permet qu'à la Reine. Comme
cela est bête!

Une alliance paraît flagrante entre MM. Thiers et Guizot, mais le récri
contre ce rapprochement est tel, dans le public, que chacun en est
embarrassé, et qu'il avortera probablement avant d'avoir porté ses
fruits. M. Guizot, surtout, en éprouve du malaise, parce que sa
considération en souffre cruellement, et que c'était dans cette
considération, plus que dans son talent, qu'il cherchait et qu'il
trouvait son importance. Le fait est qu'après tout ce que, des deux
côtés, on s'est dit, après les discours qui ont clos la session
dernière, et les propos qui en ont rempli l'intervalle, il y a quelque
chose de trop cru dans cette alliance que M. Royer-Collard appelle une
_union impie_.

Il est fort question d'un voyage du Roi à Nantes et à Bordeaux pour le
mois de juin, ce qui nous ramènerait en Berry et vers la Touraine. M. de
Talleyrand avait, jusqu'ici, uniquement en vue le Pont-de-Sains, ce qui
était calamiteux.


_Paris, 25 mars 1838._--J'ai bravé, hier, une tempête équinoxiale pour
aller voir Mgr. l'Archevêque. Nous nous rapprochons, peu à peu, dans les
termes de la lettre, et j'espère que nous arriverons à quelque chose de
bien; mais il nous faut du temps, et que les circonstances extérieures
nous aident, ce qui ne dépend pas de nous, et ce qu'il faut demander à
plus puissant que nous. Au reste, si là-haut on peut être importuné par
les prières d'ici-bas, on doit l'être pour celles qui y sont adressées à
ce sujet.


_Paris, 28 mars 1838._--J'ai eu, hier, la plus importante des
conversations avec M. de Talleyrand, et j'ai trouvé, en lui, des accès
ouverts qui me paraissent miraculeux. J'espère marcher maintenant dans
une voie assurée, et, quoique le but soit encore éloigné, j'espère
qu'aucun précipice ne se placera entre lui et mes efforts.

On meurt ici d'une façon effrayante. Voici M. Alexis de Rougé qui a
disparu en douze heures, foudroyé par l'apoplexie. Cela jette beaucoup
de monde dans un très grand deuil.

J'ai été chez Madame Adélaïde où j'ai su tout le bien que disait la
duchesse de Würtemberg de l'Allemagne. Mme la duchesse d'Orléans sent
remuer son enfant, et je crois que d'ici à quelques jours, sa grossesse
sera officiellement publiée.

On dit que la jeune Reine d'Angleterre galope, à travers les omnibus et
les cabriolets, dans les rues de Londres, ce que ses vieilles tantes
trouvent très choquant, et ce qui l'est en effet.

Il y a, dans le Parlement anglais, une alliance non moins étonnante que
celle de chez nous entre MM. Thiers et Guizot: c'est celle de lord
Brougham et de lord Lyndhurst.


_Paris, 1er avril 1838._--J'ai été, hier, avec ma sœur, voir, dans la
cour du Louvre où elle est momentanément exposée, une statue en
bronze, qui part dans quelques jours pour Turin. C'est celle
d'Emmanuel-Philibert de Savoie, à l'issue de la bataille de
Saint-Quentin, arrêtant son cheval et remettant son épée dans le
fourreau; elle est faite par Marochetti; c'est une admirable chose,
pleine de grâce, de noblesse et de mouvement. J'en ai été ravie, et il
me semble qu'en général elle est fort approuvée.


_Paris, 3 avril 1838._--J'ai remis hier à M. de Talleyrand le petit
écrit que j'avais préparé pour lui. La remise s'est faite sans
bourrasque. Je suppose qu'hier au soir, il en aura fait une lecture
approfondie, et je vais voir, aujourd'hui, si l'horizon ne s'est pas
obscurci.


_Paris, 4 avril 1838._--Mon petit écrit a eu plein succès.

J'ai mené ma sœur, hier, à Saint-Roch, pour y entendre prêcher l'abbé
de Ravignan. Il nous a fait grand plaisir; il a une belle figure, un
beau son de voix, une excellente prononciation, de la foi, de la
conviction, de la chaleur, de l'autorité, une argumentation vive et
serrée, de la clarté, un langage noble, une parole ferme; il n'est pas
prolixe et jamais diffus; il manque d'onction, ce qui le rend plus
doctrinal qu'évangélique, aussi était-il dans la parfaite liberté de son
talent, hier, en prêchant sur l'infaillibilité de l'Église.

M. de Pimodan, grand légitimiste, qui donnait le bras à une des
quêteuses, a, insolemment, barré le passage à la Reine; le curé, l'abbé
Olivier, qui l'accompagnait à la sortie, et qui est un petit homme trapu
et fort comme un Turc, a donné un coup de coude si raide à M. de
Pimodan, pour le faire se ranger, que celui-ci est entré en fureur et a
fort rudement demandé au curé ce qu'il avait prétendu par ce coup de
coude; l'abbé lui a répondu tranquillement: «J'ai entendu, Monsieur,
faire faire place à la Reine.» Sur quoi le monsieur a tenu de très
insolents propos entre ses dents, qu'on a fait semblant de ne pas
entendre.

La princesse de Bauffremont, qui devait être une des quêteuses, ayant
appris, la veille, que Mme de Vatry devait aussi quêter (elles étaient
six quêteuses, prises dans les différentes sociétés de Paris, afin de
faire délier le plus de bourses possible), a fait dire qu'elle ne
voulait pas se trouver en compagnie de la fille de M. Hainguerlot, et
s'est retirée. Comprend-on quelque chose de si impertinent et de si peu
charitable?


_Paris, 8 avril 1838._--La séance à la Chambre des Pairs occupait fort
tout le monde hier. Le discours de M. de Brigode, prononcé la veille,
avait donné l'éveil; la part active que le duc de Broglie a prise dans
cette discussion paraît un événement, et se lie au mouvement hostile et
à l'alliance _impie_ de la Chambre des Députés. Le Ministère a très bien
répondu aux attaques de MM. de Broglie et Villemain; M. Pasquier, qui a
de l'humeur qu'on veuille borner ses attributions, a fort mal présidé.
Le Ministère est inquiet de la semaine de Pâques.

   Le duc de Talleyrand, frère cadet du prince de Talleyrand, mourut
   le 28 avril 1838: le duc et la duchesse de Dino héritèrent alors
   de son titre, qu'ils portèrent depuis. Le 17 mai suivant, le
   prince de Talleyrand expirait à son tour, des suites d'un
   anthrax, après quatre jours de maladie.

       *       *       *       *       *

   La lettre qui suit a été écrite le 10 mai 1839, mais elle a été
   placée à cet endroit de la Chronique par l'auteur même.

   _Lettre adressée par Mme la duchesse de Talleyrand à M. l'abbé
   Dupanloup, à l'occasion du récit fait par celui-ci des derniers
   instants de M. le prince de Talleyrand._

«J'ai lu, vous n'en doutez pas, avec une profonde émotion, Monsieur
l'Abbé, le précieux manuscrit[100] que j'ai l'honneur de vous renvoyer.

  [100] Le manuscrit dont il est ici question est un récit des
  derniers moments du prince de Talleyrand, écrit par M. l'abbé
  Dupanloup (plus tard évêque d'Orléans). L'auteur ne l'a jamais
  fait imprimer, et l'a légué, avec tous ses papiers relatifs au
  prince de Talleyrand, à M. Hilaire de Lacombe qui les communiqua
  à M. l'abbé Lagrange, devenu ensuite évêque de Chartres. Celui-ci
  ne s'en est servi que pour en tirer de nombreuses citations, dans
  la _Vie de Mgr Dupanloup_ qu'il a écrite, il y a quelques années,
  et dont deux chapitres sont consacrés à M. de Talleyrand. Ces
  papiers sont actuellement en la possession de M. Bernard de
  Lacombe.

  La lettre de la duchesse de Talleyrand, transcrite dans ce volume,
  est redonnée ici, quoiqu'elle ait déjà paru, par mes soins, dans
  le journal _le Temps_, du 30 avril 1908.

«Il dit tout avec une vérité et une simplicité qui me paraissent devoir
toucher les plus indifférents, convaincre les plus incrédules. Il ne me
reste rien à ajouter à votre récit, car il retrace parfaitement toutes
les circonstances de l'événement douloureux qui s'est, si
miséricordieusement, accompli sous nos yeux. Mais peut-être suis-je,
seule, en mesure d'indiquer le travail intérieur qui, depuis quelques
années, avait certainement commencé à modifier les dispositions de M. de
Talleyrand; travail gradué, et qu'il n'est pas sans intérêt de suivre,
dans la marche lente, mais sincère, qui l'a conduit, enfin, au terme,
d'une manière si consolante.

«Je vais donc essayer de retrouver mes souvenirs à cet égard, et je ne
pense pas remonter trop loin, en les reprenant à la première communion
de ma fille, qui eut lieu à Londres, le 31 mars 1834. Elle vint, ce
jour-là, demander la bénédiction de M. de Talleyrand, qu'elle appelait
_son bon oncle_. Il la lui donna avec attendrissement et me dit ensuite:
«Que c'est touchant, la piété d'une jeune fille, et que l'incrédulité,
chez les femmes surtout, est une chose contre nature!» Cependant, peu
après notre retour en France, M. de Talleyrand s'alarma de la piété vive
de ma fille; il craignit qu'on ne lui apprit à se défier de lui, à le
juger avec sévérité; il me demanda même de savoir dans quel sens le
confesseur de Pauline lui parlait à son sujet. J'en fis tout simplement
la question à ma fille, qui me répondit, avec la candeur que vous lui
connaissez, que son oncle n'étant pas un péché pour elle, jamais elle
n'en parlait à son confesseur, qui, de son côté, ne le lui nommait que
pour l'engager à beaucoup prier Dieu pour lui. M. de Talleyrand fut
touché de cette réponse, et me dit: «Cette conduite est d'un homme
d'esprit et de mérite.»

«Il voulut, dès lors, que Pauline eût encore plus de facilité à se
rendre à l'église, et à aller jusque dans un quartier éloigné chercher
vos sages directions; il lui offrait sa voiture, et je l'ai vu, parfois,
se gêner dans ses sorties, pour la plus grande commodité de la _petite_.

«Il avait fini par tirer une certaine vanité personnelle de la piété de
Pauline; il se montrait flatté que, sous ses yeux, elle eut été aussi
religieusement élevée; et souvent il disait, en parlant de Pauline:
«C'est l'ange de la maison.» Il trouvait un plaisir extrême (celui des
belles âmes), à mettre en lumière le mérite des autres; personne ne
louait avec plus de grâce, plus de mesure, plus utilement, plus à
propos. On valait tout ce qu'on pouvait valoir, quand on était raconté,
cité par lui. Il lui arrivait sûrement de blâmer quelquefois, mais
c'était rare, et il ne s'y appliquait pas comme à la louange. Il
ménageait surtout les ecclésiastiques, et quand il les désapprouvait, ce
n'était guère que sous des rapports politiques, jamais dans l'exercice
de leur ministère, et toujours avec beaucoup de mesure. Il respectait,
il admirait l'ancienne Église de France, dont il parlait comme d'une
grande, belle et éclatante chose! J'ai vu, dans sa maison, des
Cardinaux, des Évêques, de simples curés de village; tous y étaient
reçus avec des égards infinis, et entourés de soins délicats. Jamais un
mot déplacé ne s'est prononcé devant eux; M. de Talleyrand ne l'eût pas
souffert. J'ai vu l'Évêque de Rennes (l'abbé Mannay) passer des mois à
Valençay; l'Évêque d'Évreux (l'abbé Bourlier) demeurer à l'hôtel
Talleyrand, à Paris, et y vivre avec la même sainteté, avec la même
liberté, y recevoir les mêmes égards que dans leur diocèse. M. de
Talleyrand fut, pour son oncle, feu M. le Cardinal de Périgord, un neveu
soigneux, tendre et déférent. On le voyait souvent, à l'Archevêché, où
il causait de préférence avec M. l'abbé Desjardins, dont il aimait la
conversation douce, fine et variée.

«Je me suis souvent étonnée de l'extrême aisance de mon oncle dans la
société des ecclésiastiques, et je ne me la suis expliquée que par
l'illusion, étrange mais réelle cependant, dans laquelle il est resté
longtemps sur sa véritable position vis-à-vis de l'Église. Il savait
bien qu'il avait affligé l'Église, mais il croyait que sa
sécularisation, à laquelle il donnait une trop grande portée, avait,
sinon tout effacé, du moins tout simplifié[101]. Sa situation lui
apparaissait donc comme à peu près nette, et, par conséquent, facile.
Cette erreur a duré autant que sa vie politique, et ce n'est qu'après
s'être retiré des affaires qu'il a songé à éclaircir plus exactement ses
rapports avec le Saint-Siège. Mais avant cette époque, un instinct vague
lui faisait sentir que si, dans son opinion, il ne devait pas
précisément une réparation, il devait, du moins, quelques consolations à
ceux qu'il avait contristés. Aussi se montrait-il, en toutes
circonstances, favorable aux intérêts du clergé, et jamais il n'a refusé
l'aumône, ni à un prêtre malheureux, ni à un boiteux; il se
reconnaissait, tacitement, dans l'un comme dans l'autre. Sa charité
était grande, et je lui fis beaucoup de plaisir en lui rapportant un mot
dit sur lui par une personne de grande vertu. Le voici: «Soyez
tranquille, M. de Talleyrand finira bien, car il est charitable.» J'eus
occasion de lui rappeler ce mot à l'heure la plus solennelle de sa vie;
vous pouvez vous en souvenir Monsieur l'Abbé, et vous souvenir avec
quelle consolation il l'entendit. Sa reconnaissance a toujours été vive
pour ceux qui, retirés du monde, au fond des couvents, priaient pour
lui. Il ne l'oubliait pas, et disait: «J'ai des amies parmi les bonnes
âmes.» Son cœur en était touché, parce qu'il était bon, oui, très bon;
lui-même en avait la conscience, lorsqu'il me disait: «N'est-ce pas que
je suis meilleur qu'on ne le croit?» Assurément, il était meilleur qu'on
ne le savait; ses proches, ses amis, ses serviteurs pouvaient seuls
mesurer cette bonté simple, attentive, aimable, fidèle. Vous avez vu nos
larmes! Les bons seuls sont pleurés ainsi!

  [101] M. de Talleyrand avait fortement plaidé en faveur du
  Concordat; le Pape le savait, et lui adressa, le 10 mars 1802, un
  Bref qui, tout en restant dans des termes assez vagues, lui
  donnait l'autorisation de rentrer dans la vie civile.

«Il reçut successivement, depuis son retour d'Angleterre en France, deux
impressions vives et salutaires, par la mort chrétienne du duc de
Dalberg, et par les habitudes religieuses qui marquèrent les derniers
temps de la vie du docteur Bourdois, son contemporain, son ami et son
médecin. Il sut gré à M. Bourdois de l'avoir confié aux mains habiles de
M. Cruveilhier; il se fiait à son talent et s'honorait d'être si bien
soigné par un homme aussi religieux: il semblait puiser, dans la piété
de son médecin, une sécurité de plus.

«Pie VII fut, de tout temps, l'objet de sa grande vénération. Il a
consacré plusieurs pages de ses _Mémoires_ à la lutte de ce Pape avec
l'Empereur Napoléon; son récit est tout entier à l'avantage du
Souverain-Pontife. Il prisait fort la politique du Saint-Siège, comme
habile, lente, douce et toujours égale, qualités qu'il mettait au
premier rang en affaires.

«Pendant tout le temps du pontificat de Pie VII, mon oncle s'est cru
assez bien en cour de Rome. Souvent, il m'a cité, à l'appui de cette
conviction, un mot dit par le Saint-Père à son occasion; le Pape se
trouvait alors à Fontainebleau, où s'adressant à Mme la marquise de
Brignole, amie de M. de Talleyrand, et lui parlant de mon oncle, il lui
dit: «Que Dieu veuille avoir son âme, mais, moi, je l'aime beaucoup.»

«M. de Talleyrand n'ignorait pas que j'avais assez souvent l'honneur de
voir Mgr l'Archevêque de Paris, et il avait fort bien deviné que ces
relations avaient pour motif principal, du côté de M. de Quélen, le
désir de conserver quelques relations avec mon oncle. M. de Talleyrand
n'en était nullement importuné, au contraire, et quoique plusieurs
lettres, adressées par Mgr de Paris à M. de Talleyrand eussent, à
différentes époques, manqué leur but, il ne s'en montrait pas moins
touché, d'avoir inspiré un intérêt aussi persévérant à un Prélat dont il
honorait le caractère, et dont il appréciait le zèle sincère, ainsi que
la généreuse charité. Lui-même portait beaucoup d'intérêt à M. de
Quélen, à sa position politique qu'il aurait désiré pouvoir simplifier.
Je l'ai vu, dans plusieurs circonstances, chercher à lui être utile,
soit par des conseils qu'il croyait bons, soit en lui rendant, en toute
occasion, les témoignages les plus honorables. Il le faisait non
seulement par amour pour la vérité, mais aussi comme un hommage rendu à
la mémoire de feu M. le Cardinal de Périgord. Il disait souvent: «Je
regarde M. de Quélen comme nous ayant été légué par mon oncle le
Cardinal; il nous aime, il aime notre nom, et tout ce qui se rattache au
Cardinal.» Au jour de l'an, il me chargeait de le faire écrire chez Mgr
l'Archevêque, et me disait: «Nous devons toujours le traiter en grand
parent.» Jamais il ne me voyait partir pour Saint-Michel ou pour le
Sacré-Cœur[102], qu'il ne me chargeât d'offrir ses hommages à Mgr
l'Archevêque. Quand je rentrais, il me demandait de ses nouvelles,
voulait savoir s'il avait été question de lui, et ce que M. de Quélen en
avait dit. Il écoutait mes réponses avec attention, souriait et
finissait par dire: «Oui, oui, je sais qu'il a bien envie de gagner mon
âme et de l'offrir à M. le Cardinal.» Tout cela, jusque dans la dernière
année, se disait sans grand sérieux, mais avec une grande bienveillance.

  [102] Peu sympathique au gouvernement de 1830, Mgr de Quélen fut
  menacé, en 1831, par une insurrection qui saccagea l'Archevêché
  de Paris. N'ayant plus de demeure officielle, il se réfugia
  d'abord dans le couvent des Dames de Saint-Michel, de Paris, puis
  dans celui des Dames du Sacré-Cœur, à Conflans, un peu hors de
  la ville.

«Le 10 décembre 1835, on vint de très bonne heure me dire la mort de la
princesse de Talleyrand. Il fallut l'annoncer à mon oncle: je ne le fis
qu'avec une extrême répugnance, car c'était précisément à l'époque où il
fut atteint de violentes palpitations, qui nous faisaient redouter une
mort subite. Les émotions surtout devaient lui être évitées, et je
pouvais craindre que cette nouvelle ne lui causât un certain trouble. Il
n'en fut rien et il me répondit sur-le-champ, avec calme, ces mots qui
ne laissèrent pas de me surprendre: «Ceci simplifie beaucoup ma
position.» Au même moment, il tira, de la poche de son gilet de nuit,
plusieurs lettres, et me dit de les lire. La première était écrite par
une dame religieuse au Sacré-Cœur. M. de Talleyrand l'avait beaucoup
connue jadis, lui avait rendu quelques services, et l'appelait toujours
sa _vieille amie_, Mme de Marbœuf. Dans cette lettre, elle lui parlait
de Dieu, et lui envoyait la médaille que toujours il a portée depuis, et
qui, aujourd'hui, est à vous, Monsieur.

«La seconde lettre lui était adressée par un curé des environs de Gap,
qui lui était parfaitement inconnu. Lui aussi parlait de Dieu, avec une
admirable et touchante simplicité.

«La troisième lettre enfin, dictée par la foi la plus vive, la charité,
la raison, et un intérêt sincère, abordait courageusement la position
religieuse de mon oncle. Il écrivit quelques lignes à Mme la duchesse
Mathieu de Montmorency pour l'en remercier. Il a constamment porté cette
lettre sur lui, dans un petit portefeuille de poche, dans lequel je l'ai
retrouvée après sa mort. Souvent, il reparlait de cette lettre, et de la
noble et malheureuse personne qui la lui avait écrite, et toujours avec
un tendre respect!

«Il sut aussi qu'une de mes cousines, Mme de Chabannes, religieuse aux
grandes Carmélites de Paris, priait sans cesse pour lui. Il en fut
touché et me disait en parlant de toutes ces saintes personnes: «Les
bonnes âmes ne veulent pas désespérer de moi». Je ne connais rien de si
doux, de si aimable que cette sainte parole. Elle prouvait bien qu'il ne
fallait pas craindre que Dieu l'abandonnât!

«Pour qui le connaissait aussi bien que moi, il y aurait eu de la
maladresse à le pousser trop virement dans cette voie. Il fallait, au
contraire, laisser à ces différentes impressions le temps de se
développer, et rien ne se faisait vite chez lui. Il avait une confiance
infinie dans le temps, qui, en effet, lui a été fidèle jusque dans la
mort.

«Chaque fois que j'avais parlé à mon oncle de son mariage, et cela
m'était arrivé souvent, je ne craignais pas de lui montrer ma surprise
d'une faute aussi inexplicable aux yeux des hommes qu'elle était fatale
aux yeux de Dieu. Il me répondit alors: «Je ne puis, en vérité, vous en
donner aucune explication suffisante; cela s'est fait dans un temps de
désordre général; on n'attachait alors grande importance à rien, ni à
soi, ni aux autres. On était sans société, sans famille, tout se faisait
avec la plus parfaite insouciance, à travers la guerre et la chute des
Empires. Vous ne savez pas jusqu'où les hommes peuvent s'égarer aux
grandes époques de décomposition sociale.» Cette même pensée se retrouve
dans son projet de déclaration au Pape, dont l'original est resté entre
mes mains, quand il écrit: «Cette révolution qui a tout entraîné et qui
dure depuis cinquante ans.»

«Vous voyez que, non seulement il ne cherchait pas à justifier son
mariage, mais qu'en vérité, il n'essayait pas même de l'expliquer. Il en
avait été très malheureux dans sa vie domestique. Sous l'Empire, sous la
Restauration, depuis encore, je l'ai toujours vu embarrassé, honteux de
cet étrange lien, dont il ne voulait plus porter, et dont il ne pouvait
entièrement rompre la pénible chaîne. Aussi, quand la mort vint la
briser, il sentit pleinement sa délivrance.

«Quelque temps après, au mois de mars 1836, un de ses domestiques fut
atteint d'une maladie qui bientôt fut déclarée mortelle. Ma fille décida
cet homme à voir un prêtre et à recevoir les sacrements. M. de
Talleyrand le sut et s'en montra satisfait. Il me dit à cette occasion:
«Le contraire, dans cette maison, eût été un scandale qu'on n'eût pas
manqué de relever désagréablement; je suis charmé que Pauline l'ait
empêché.» Le soir même, il raconta ce fait à Mme de Laval, et s'étendit
avec complaisance sur l'empire que la piété modeste et ferme de Pauline
exerçait sur toute la maison.

«Au printemps de 1837, mon oncle voulut quitter Fontainebleau (où le
mariage de Mgr le duc d'Orléans nous avait conduits), avant même la fin
du séjour de la Cour. Il me dit d'y rester et même d'assister à la
grande fête donnée, quelques jours plus tard, par le Roi à Versailles.
Je le rejoignis plus tard en Berry, où il avait voulu arriver à temps
pour recevoir, à Valençay, Mgr l'Archevêque de Bourges, qu'une tournée
épiscopale y amenait. J'appris, par Pauline, que M. de Talleyrand avait
été tout particulièrement attentif pour le Prélat, au point de changer
ses habitudes personnelles; il ne permit, le vendredi et le samedi,
aucun mélange de gras et de maigre sur sa table. Tous les repas furent
servis au maigre seulement.

«Dans le courant de l'été de cette même année 1837, le supérieur des
sœurs de Saint-André établies à Valençay, par les soins de M. de
Talleyrand, vint inspecter cette communauté. Il fit une visite au
Château, où il fut prié à dîner. En sortant de table, M. de Talleyrand
me dit: «J'ai dans l'esprit que l'abbé Taury est Sulpicien; allez le lui
demander.» Je lui rapportai une réponse affirmative: «J'en étais sûr,»
reprit-il avec satisfaction, «il y a une réserve, une douceur, une
convenance dans MM. de Saint-Sulpice (il les nommait souvent ainsi), qui
ne me permet pas de m'y tromper.»

«Les jours de dimanche et de grandes fêtes, M. de Talleyrand ne manquait
jamais la messe quand il était à Valençay; à ses deux fêtes, la
Saint-Charles et la Saint-Maurice, il n'y manquait pas davantage, et
aurait été blessé que le Curé ne fût pas venu la dire au Château. Son
maintien, à la chapelle, était fort convenable, et malgré ses
infirmités, il se mettait à genoux dans les moments indiqués. Si on se
dispensait de la messe, si on y arrivait tard, ou qu'on y fit du bruit,
il le remarquait comme une inconvenance. Pendant la messe, il lisait
attentivement, soit les _Oraisons funèbres_ de Bossuet, soit le
_Discours sur l'Histoire universelle_. Un dimanche, cependant, au mois
de novembre 1837, ayant oublié son livre, il en prit un des deux que
Pauline avait apportés pour elle-même: c'était l'_Imitation de
Jésus-Christ_. En le lui rendant, il se tourna vers moi, et me pria de
lui donner un exemplaire de cet admirable livre; je lui offris le mien,
qu'il a, depuis, porté préférablement à tout autre, à la messe.

«Il tenait à ce que le Curé officiât convenablement, et lui citait
souvent Mgr l'Archevêque de Paris comme l'ecclésiastique qui, à son gré,
officiait le mieux, et avec le plus de dignité. Je me hasardai, un
dimanche, à lui dire que, pendant la messe, j'avais eu des distractions
à son sujet. Il voulut les connaître, et je me permis alors de lui dire
que je m'étais demandé quelles pouvaient être ses pensées, en se
souvenant qu'il avait été, lui aussi, revêtu du même caractère que le
prêtre officiant devant lui. Sa réponse me parut être une preuve
évidente des illusions dans lesquelles il était sur sa véritable
position ecclésiastique; la voici: «Mais pourquoi voulez-vous donc que
ce soit une chose étrange que de me voir à la messe? J'y vais comme
vous, comme tout le monde; vous oubliez toujours ma sécularisation, qui
rend ma position fort simple.» Il voulut même, alors, me montrer le bref
de sécularisation, mais il était resté à Paris; je l'ai retrouvé, depuis
sa mort, avec toutes les pièces relatives à cette affaire, et qui sont
fort curieuses. Je les ai examinées avec soin; elles m'ont prouvé que
son mariage, seul, était resté le grand obstacle à sa réconciliation
avec l'Église; les autres offenses avaient été pardonnées, et les
censures ecclésiastiques levées, à Paris, par le cardinal Caprara au nom
du Pape.

«J'ai parlé, plus haut, de l'attention avec laquelle M. de Talleyrand
lisait le _Discours sur l'Histoire universelle_ de Bossuet. A ce sujet,
il me revient à l'esprit une circonstance qui me paraît remarquable. Un
jour, à Valençay, je crois dans l'année 1835, il me fit dire d'entrer
dans sa chambre; je l'y trouvai lisant. «Venez,» dit-il, «je veux vous
montrer de quelle manière il faut parler des mystères; lisez, lisez tout
haut, et lisez lentement.» Je lus ce qui suit: «L'an quatre mille du
monde, Jésus-Christ, fils d'Abraham, dans le temps, fils de Dieu dans
l'éternité, naquit d'une vierge.»--«Apprenez ce passage par cœur», me
dit-il, «et voyez avec quelle autorité, quelle simplicité, tous les
mystères se trouvent concentrés dans ce peu de lignes. C'est ainsi, ce
n'est qu'ainsi qu'il convient de parler des choses saintes. On les
impose, on ne les explique pas; cela seul les fait accepter; toute autre
forme ne vaut rien, car le doute arrive dès que l'autorité manque, et
l'autorité, la tradition, le maître ne se révèlent suffisamment que dans
l'Église catholique.» Il trouvait toujours quelque chose de désagréable
à dire sur le protestantisme. Il l'avait vu de près en Amérique, et lui
avait conservé mauvais souvenir.

«Je tombai gravement malade, au mois de décembre 1837. Nous nous
trouvions alors chez moi à Rochecotte, où, malheureusement, il y a peu
de ressources spirituelles. Cependant, me sentant en quelque danger, je
voulus appeler le Curé. Mon oncle le sut, et, dans ma convalescence, il
m'en témoigna quelque surprise: «Vous en êtes donc là?» me dit-il, «et
par où êtes-vous arrivée?» Je le lui dis avec simplicité; il m'écoutait
avec intérêt, et, lorsqu'en finissant j'ajoutai, qu'au milieu de
beaucoup de considérations sérieuses, je n'avais pas omis celle de ma
situation sociale, qui m'obligeait d'autant plus qu'elle était plus
élevée, il m'interrompit vivement et dit: «En effet, il n'y a rien de
moins aristocratique que l'incrédulité.» Deux jours après, il reprit, de
lui-même, une conversation semblable, me fit répéter les mêmes détails,
puis me regardant fixement, il dit: «Vous croyez donc?--Oui, Monsieur,
fermement.»

«C'est pendant ce dernier séjour que nous fîmes ensemble à Rochecotte
qu'il apprit l'arrestation de l'Archevêque de Cologne. Il en fut frappé,
comme d'un événement important: «Voilà qui peut nous rendre la ligne du
Rhin», dit-il aussitôt; «en tous cas, c'est de la graine catholique
jetée en Europe; vous la verrez lever et pousser vivement.»

«Je lus, à cette époque, un morceau sur les limites du pouvoir spirituel
et du pouvoir temporel, qui se trouve dans le discours prononcé par
Fénelon au sacre d'un Archevêque de Cologne. Je portai ce beau passage à
mon oncle qui en fut ravi et me dit: «Il faut le copier et l'envoyer au
Roi de Prusse.»

«Revenu à Paris au mois de janvier 1838, M. de Talleyrand fut bientôt
privé du peu d'exercice dont, jusque-là, il avait gardé la possibilité.
Il se foula le pied chez l'ambassadeur d'Angleterre, où il dînait le 27
janvier. L'hiver était très froid; les douches qu'on lui fit prendre sur
le pied malade, pour lui rendre de la force, l'enrhumèrent. Ce rhume
devint un catarrhe, il perdit bientôt le sommeil et l'appétit. Chaque
matin il se plaignait de ses fatigantes insomnies, «pendant lesquelles»,
disait-il, «on pense à terriblement de choses». Une fois il ajouta:
«Durant ces longues nuits, je repasse dans mon souvenir bien des
événements de ma vie.--Vous les expliquez-vous tous?» lui
demandai-je.--«Non, en vérité, il y en a que je ne comprends plus du
tout; d'autres que j'explique, que j'excuse; mais d'autres aussi que je
blâme, d'autant plus sévèrement que c'est avec une extrême légèreté que
j'ai fait les choses qui, depuis, m'ont été le plus reprochées. Si
j'avais agi dans un système, par principe, à la bonne heure, je
comprendrais. Mais non, tout s'est fait sans y regarder, avec
l'insouciance de ce temps-là, comme nous faisions à peu près toutes
choses dans notre jeunesse.» Je lui dis que j'aimais mieux qu'il en fût
ainsi que s'il avait agi par suite de mauvaises doctrines. Il convint
que j'avais raison.

«C'est à la fin d'une de ces conversations qu'arriva votre lettre,
Monsieur l'Abbé, celle que vous citez dans votre intéressante narration.
Après me l'avoir fait lire, il me dit assez brusquement: «Si je tombais
sérieusement malade, je demanderais un prêtre; pensez-vous que l'abbé
Dupanloup viendrait avec plaisir?--Je n'en doute pas», lui dis-je, «mais
pour qu'il pût vous être utile, il faudrait que vous fussiez rentré dans
l'ordre commun, dont vous êtes malheureusement sorti.--Oui, oui,»
reprit-il, «j'ai quelque chose à faire vis-à-vis de Rome, je le sais, il
y a même assez longtemps que j'y songe.--Et depuis quand?» lui
demandais-je, surprise, je l'avoue, de cette ouverture inattendue:
«Depuis la dernière visite de l'Archevêque de Bourges à Valençay, et
depuis, encore, que l'abbé Taury y est venu. Je me suis demandé, alors,
pourquoi l'Archevêque, qui, là, était plus directement mon pasteur ne me
provoquait pas? Pourquoi ce bon Sulpicien ne me parlait de rien?--Hélas,
Monsieur,» repris-je, «ils n'auraient pas osé.--«Je les eusse,
cependant, fort bien reçus.» Vivement émue d'aussi bonnes paroles, je
lui pris les mains, et, me plaçant devant lui, les larmes aux yeux, je
lui dis: «Mais pourquoi attendre une provocation? Pourquoi ne pas faire
spontanément, librement, généreusement, la démarche la plus honorable
pour vous-même, la plus consolante pour l'Église et pour les honnêtes
gens? Vous trouveriez Rome bien disposée, je le sais; Mgr l'Archevêque
de Paris vous est fort attaché, essayez...» Il me laissa dire, et je pus
entrer plus avant dans le fond de cette question délicate, épineuse
même, mais que je savais bien, puisqu'elle m'avait été expliquée à
plusieurs reprises par M. de Quélen, qui avait tenu à me la faire bien
comprendre. Nous fûmes interrompus avant que j'eusse pu tout dire, mais,
remontée chez moi, j'écrivis à M. de Talleyrand une longue lettre dictée
par mon profond dévouement. Il la lut avec cette confiance qu'il voulait
bien accorder à mes instincts quand il s'agissait de sa renommée et de
ses véritables intérêts. Ma lettre lui fit donc impression, quoiqu'il ne
me le dît que quelque temps après, en me remettant, pour M. de Quélen,
un papier dont je parlerai plus tard.

«Au mois de mars 1838, il lut, à l'Académie des Sciences morales et
politiques, un éloge de M. Reinhard. Son médecin craignait, pour lui, la
fatigue d'une telle entreprise. Nos instances pour l'en détourner
furent vaines: «Ce sont mes adieux au public,» dit-il, «rien ne
m'empêchera de les lui faire.» Il tenait à saisir cette occasion de
développer ses doctrines politiques, et à montrer que c'étaitent celles
d'un honnête homme. Il espérait, même, être, ainsi, de quelque utilité
encore à ceux qui suivaient la carrière diplomatique. La veille de la
séance, parcourant avec moi son discours, il me dit ces mots: «La
religion du devoir, voilà qui plaira à l'abbé Dupanloup.» Quand nous
arrivâmes au passage sur les études théologiques, je l'interrompis pour
lui dire: «Convenez que ceci est bien plus à votre adresse qu'à celle de
ce bon M. Reinhard.--Mais sûrement,» reprit-il, «il n'y a pas de mal à
ramener le public à mon point de départ.--Je suis ravie,» lui dis-je
alors, «de vous voir placer la fin de votre vie à l'ombre des souvenirs
et des traditions de votre première jeunesse.--J'étais sûr que cela vous
plairait,» fut sa bonne et gracieuse réponse.

«M. de Talleyrand supporta singulièrement bien cette fatigante séance,
où il eut tous les genres de succès: succès littéraire, succès
politique, succès de grand seigneur et d'honnête homme. Rentré chez lui,
il envoya, sur-le-champ, les premières épreuves de son discours à M. de
Quélen, et à vous, Monsieur. Il espérait votre approbation et y fut
sensible.

«Sa santé, alors, parut se remettre; il reprit ses forces, fit des
projets de voyage, parla de Nice pour l'hiver suivant; il se sentait
renaître, et s'en rendait compte avec plaisir. Cependant, en apprenant,
le 28 avril, la mort de son frère, plus jeune que lui de huit ans, il
mit les mains sur ses yeux, et me dit: «Encore un avertissement, ma
chère enfant; savez-vous si mon frère a retrouvé sa mémoire avant de
mourir?--Non, Monsieur, malheureusement.» Il reprit alors, avec une
extrême tristesse: «Savez-vous que c'est affreux de tomber ainsi, de la
vie la plus mondaine dans l'enfance, et de l'enfance dans la mort?»

«Cette pénible secousse ne ralentit pas les progrès de sa santé, et nous
pûmes le croire rendu à la vie. Je le remarque avec d'autant plus de
soin, que ce fut le moment où toute idée de fin prochaine s'était
éloignée, qu'il choisit pour s'occuper sérieusement de sa soumission au
Pape; il rédigea un projet de déclaration, sans m'en parler; c'était
comme une agréable surprise qu'il voulait me ménager. Un jour où il me
vit prête à aller à Conflans, chez M. de Quélen, il tira du tiroir de
son bureau, celui-là même sur lequel j'écris en ce moment, une feuille
de papier, écrite des deux côtés, et raturée, même, en plusieurs
endroits. «Tenez», me dit-il, «voici quelque chose qui vous fera bien
recevoir là où vous allez, vous me direz ce qu'en pensera M.
l'Archevêque.» A mon retour, je lui dis que ce papier avait vivement
touché M. de Quélen; mais qu'il désirait que les sentiments qui y
étaient exprimés fussent présentés sous une forme plus canonique, et
qu'il comptait lui envoyer dans peu de jours la formule ecclésiastique.

«Vous savez, mieux que personne, Monsieur, que c'est en effet ainsi que
les choses se sont accomplies. M. de Talleyrand me parla aussi, le même
jour, de son intention d'écrire une lettre explicative au Pape, en lui
adressant sa déclaration. Il entra dans beaucoup de détails, et appuya
sur sa volonté de parler de Pauline dans cette lettre. Il finit par un
mot, qui a, ce me semble, une grande portée: «Ce que je ferai devra être
daté de la semaine de mon discours à l'Académie; je ne veux pas qu'on
puisse dire que j'étais en enfance.» Cette pensée s'est reproduite sur
son lit de mort, et a reçu son exécution, comme il le désirait.

«Mais je m'arrête ici. Quelque riche que soit le sujet, votre récit en
contient tous les détails; d'ailleurs, dans la maladie de mon oncle, je
n'ai été que sa garde-malade, et mon action s'est bornée, du reste, à
réclamer votre consolante présence, Monsieur l'Abbé, et à obéir à mon
oncle, en lui lisant les deux pièces pour Rome, avant qu'il y mît sa
signature. J'ai eu la force de faire cette lecture, avec lenteur et
gravité, parce que je ne voulais, ni ne devais rien ôter au mérite de
son action. Il fallait qu'il pût se rendre parfaitement compte de ce
qu'il allait accomplir. Ses facultés étaient, Dieu en soit loué, trop
intactes, son attention trop présente, pour qu'une lecture troublée,
précipitée eût pu le satisfaire; je devais justifier sa touchante
confiance, qui lui avait fait désirer que ce fût moi qui lui fisse cette
lecture importante; je ne le pouvais que par la fermeté et la clarté de
mon accent. C'était lui laisser, jusqu'à la dernière minute, avec la
connaissance exacte de la chose, pleinement son _libre arbitre_. C'est
dans cet effort difficile que j'ai puisé la parfaite indifférence que
j'ai opposée, depuis, aux doutes, aux attaques et aux calomnies dont
j'ai été l'objet.

«Non, je puis le dire devant Dieu, il n'y a eu ni ignorance, ni
faiblesse de la part de M. de Talleyrand; ni obsession, ni abus de
confiance de la mienne. Sa généreuse nature, les souvenirs de sa
première jeunesse, les traditions de sa famille, les nombreux
enseignements d'une longue carrière, les exemples de Pauline, quelques
éclaircissements que je fus chargée de lui donner, la confiance que vous
sûtes lui inspirer, la révélation que chacun trouve à la porte du
tombeau, et, avant tout, les grâces infinies d'une miséricordieuse
Providence, voilà ce qui nous a permis de l'honorer aussi sincèrement
dans la mort que nous l'aimions dans la vie.

«Entraînée par un sujet qui m'est cher, j'ai dépassé les limites que,
d'abord, je m'étais tracées; mais je ne crains pas de vous avoir
fatigué, en ramenant votre attention sur des souvenirs, qui, je le sais,
vous sont précieux, et qui ont, à mes yeux, le mérite particulier
d'avoir établi, Monsieur l'Abbé, entre vous et moi, un lien que rien ne
saurait rompre ni affaiblir.»

    «Duchesse DE TALLEYRAND,
    princesse DE COURLANDE.»


_Heidelberg, 27 août 1838._--Je suis ici depuis hier soir avec ma fille.
Ma sœur, la duchesse de Sagan, y était depuis la veille. Ce matin, à
six heures, fidèle à mes habitudes de Bade, je suis sortie, pendant que
ma sœur et ma fille dormaient encore, et, cherchant à retrouver mes
souvenirs, j'ai gagné le pont, je me suis arrêtée devant la statue de
l'Électeur Charles-Théodore, j'ai été sur l'autre rive et me suis
promenée sur les bords du Neckar pendant trois quarts d'heure, ayant, à
ma droite, la ville dominée par le vieux château. Ce joli paysage qui,
par le cours de l'eau, la situation de la ville, et même la nature de la
culture, m'a rappelé les coteaux d'Amboise et ma chère Loire, était fort
gracieusement éclairé par les rayons brisés du soleil, qui luttait
contre de légers nuages.

Je sais, maintenant, qui est l'auteur de l'article sur M. de Talleyrand,
paru dans la _Gazette d'Augsbourg_. Ma sœur l'a lu en manuscrit. C'est
le ministre Schulenbourg, qui est homme d'esprit, qui a beaucoup connu
jadis M. de Talleyrand; il est l'ami de la vicomtesse de Laval, et a
revu, chez elle, M. de Talleyrand, lorsqu'il est venu à Paris, il y a
dix-huit mois. Il tient à ce qu'on ne sache pas qu'il a écrit cet
article.


_Paris, 6 septembre 1838._--Je suis ici depuis avant-hier. J'y ai trouvé
une lettre qui me dit que, sur le refus de M. Molé de faire alliance
avec M. Guizot, celui-ci avait fait son traité avec M. Thiers: le
premier arriverait à la présidence de la Chambre des Députés, l'autre
serait premier Ministre; tout cela devrait éclater et s'arranger à la
discussion de l'Adresse. Je ne garantis pas ma version. Le Roi est à la
ville d'Eu et je ne verrai la Cour qu'à mon retour.

Je suis à la fin du dernier ouvrage de Villemain[103]. Le premier
chapitre du second volume est sur Montesquieu, le deuxième est une
analyse détaillée de l'_Esprit des lois_, fort au-dessus de ma portée;
les chapitres suivants sont consacrés à passer en revue toute la
mauvaise philosophie du dix-huitième siècle, dans ses prophètes, ses
sectateurs et ses prôneurs; la fin du volume est consacré à Rousseau, au
charme duquel Villemain me paraît trop visiblement soumis. Je n'ai
aucune indulgence pour Rousseau, car c'était un hypocrite; le cynisme de
M. de Voltaire est, peut-être, moins révoltant. Ce qui est sûr, c'est
qu'il y a moins de mauvaises actions positives à citer de Voltaire que
de Rousseau, et le talent, à lui seul, ne doit pas plus justifier l'un
que l'autre.

  [103] _Le Dix-huitième siècle._

Mes enfants m'écrivent, de Valençay, que le concours, pour la cérémonie
des funérailles, est prodigieux[104]: depuis Blois, le convoi a trouvé
partout les populations sur pied, dans un grand recueillement, et, à la
nuit, tous les habitants des villages avec des torches. Sur la voiture
contenant le cercueil de M. de Talleyrand et celui de ma petite-fille
Yolande, étaient Hélie et Péan[105]: dans une calèche de suite, mon fils
Alexandre; tout le clergé des environs offrait ses services. Mon fils
Valençay m'envoie le programme de la cérémonie même, qui me paraît fort
bien entendu. J'approuve, surtout, une très large distribution de
secours aux pauvres; il ne faut jamais les oublier, ni dans les peines,
ni dans les plaisirs.

  [104] Les funérailles du prince de Talleyrand, de son frère, le
  duc de Talleyrand, et de la petite Yolande de Périgord, fille du
  duc et de la duchesse de Valençay, morte en bas âge, furent
  célébrées le 6 septembre 1838, à Valençay. Les trois cercueils
  furent déposés dans le caveau que le prince de Talleyrand y avait
  fait ériger de son vivant.

  [105] Valets de chambre du prince de Talleyrand.

Avant de partir d'ici, on a fait garnir le cercueil de M. de Talleyrand
de velours noir, avec des clous d'argent; il portait un écusson avec ses
armoiries, ses noms et ses titres; le cercueil de Yolande a été couvert
de velours blanc. On dit que rien n'était plus imposant que l'arrivée du
char funéraire dans la cour du château de Valençay, à dix heures du
soir, éclairée par le plus magnifique clair de lune. Un silence profond,
pas un bruit qui interrompît le seul bruit du char, passant, au pas, sur
le pont-levis. Les corps ont passé la nuit dans l'église, entourés des
prières du clergé. Le cercueil du duc de Talleyrand, accompagné du
médecin qui l'a soigné, était arrivé deux heures plus tard.


_Paris, 7 septembre 1838._--La princesse de Lieven, que j'ai vue hier,
m'a dit qu'elle ne recevait plus du tout de lettres de son mari. Elle
m'a fort questionnée sur ce que j'aurais pu apprendre en Allemagne, de
son Empereur, qu'elle hait, je crois, au fond, autant que peuvent le
haïr les habitants de Varsovie, mais si elle se retrouvait sous sa
griffe, ou seulement hors de France, elle ferait le plongeon à l'égal
d'une vieille barbe moscovite. Elle m'a dit qu'à Münich, l'Empereur
Nicolas avait fait une sortie violente au Ministre de Russie, sur les
frais énormes que celui-ci avait faits pour la réception de
l'Impératrice, disant: «Vous voulez donc encore augmenter notre
impopularité?» Elle a beaucoup insisté sur le peu de ménagements
physiques du père pour le fils, ajoutant, à la rapidité du voyage et au
peu de nourriture qu'il lui laisse prendre en route, de faire tenir, au
Grand Duc, ses jambes constamment _hors_ de la calèche, par quelque
temps qu'il fasse, pour ne pas gêner celles de son père!

On m'assure que la Reine Victoria, qui s'est montrée si désireuse
d'échapper au joug maternel, tend à se soustraire aussi maintenant à
l'influence de son oncle, le Roi Léopold.

Les Flahaut ont tenu les plus vilains propos, à Londres, sur les
Tuileries, et les Tuileries le savent.

La France a abandonné la Belgique, dans la négociation qui se suit à
Londres, et la force à céder sur toutes les dispositions territoriales,
mais elle la soutient sur celle d'argent, et il y a, entre le chiffre de
Léopold et celui du Roi Guillaume, une différence de seize millions! Les
puissances veulent faire une cote mal taillée, Léopold s'y refuse et ne
lâchera son Limbourg que contre des écus.

En Espagne, la Reine Christine trafique de tout et se fait donner de
l'argent pour chaque place qu'elle accorde. Elle ne songe qu'à amasser
de l'argent, et à le dépenser tranquillement, hors d'Espagne, ce qui
pourrait bien lui arriver promptement; sa sœur qui, par son esprit
pratique, a déjà pris un certain ascendant ici, et qui pourrait bien
marier la plus jolie de ses filles à M. le duc de Nemours, est en pleine
intrigue contre elle.

M. Thiers a passé trois heures avec M. de Metternich, près de Côme, et,
dans cet entretien, s'est montré fort détaché de l'Espagne. Néanmoins,
on ne s'est pas pris, et les préventions sont restées les mêmes.


_Bonnétable, 17 septembre 1838._--Je suis arrivée, hier, dans ce lieu
singulier, une heure avant le dîner; le pays est très joli, mais le
château au bout d'une petite ville, sans autre vue que celle de la
grande route qui longe les fossés. C'est un vieux manoir à grosses
tourelles, à murs épais, à fenêtres rares et étroites; peu meublé, point
orné, mais solide, propre, et où le nécessaire en tout genre se trouve,
depuis l'aumônier jusqu'à une bassinoire. La maîtresse de la maison,
active, agissante, de bonne humeur, répandant autour d'elle avec grande
intelligence les œuvres les plus utilement charitables, menant
réellement la vie des veuves chrétiennes, dont parle saint Jérôme.
Enfin, il est permis de se croire ici dans un pays bien loin de la
France, et dans un tout autre siècle que le dix-neuvième. La prière du
soir, qui se fait en commun, à neuf heures, dans la chapelle, et qui est
dite, à haute voix, par la duchesse Mathieu de Montmorency elle-même,
m'a fort touchée; la prière, surtout, pour le repos des trépassés,
prononcée par une personne qui a survécu à tous ses parents, plus âgés,
contemporains et plus jeunes qu'elle, qui reste seule, sans ascendants,
ni descendants, avait quelque chose de bien triste. Cet autre être
isolé, la pauvre Zoé[106], répondant aux litanies, complétait le tableau
et l'impression, qui m'ont été au cœur. Tous les domestiques y
assistent. Il est impossible d'avoir sous les yeux un spectacle plus
édifiant que celui qu'offre cette vieille et grande maison. Son origine
est fort noble: elle est venue à la duchesse par les Luynes, qui, par
mariage, en avaient hérité de la duchesse de Nemours, dont l'un d'entre
eux avait épousé la nièce.

  [106] Zoé était une négresse entrée au service de la vicomtesse
  de Laval, à laquelle elle donna les plus grandes preuves de
  dévouement. En 1838, après la mort de la Vicomtesse, Zoé fut
  recueillie par la duchesse Mathieu de Montmorency, belle-fille de
  Mme de Laval, qui vivait dans cette terre de Bonnétable, où Zoé
  termina tranquillement ses jours.


_Bonnétable, 18 septembre 1838._--Si le temps n'était pas très humide,
je ne me déplairais pas dans ce lieu, qui ne ressemble à aucun autre; la
messe réunit toute la maison chaque matin à dix heures; on ne déjeune
qu'à onze, il reste une demi-heure pour se promener dans les fossés
desséchés et plantés par les soins de la Duchesse, qui, de plus, nous a
promenées dans ses potagers et dans tout son singulier manoir. Après le
déjeuner, nous avons travaillé autour d'une table, à un tapis d'autel.
M. le Prieur a fait la lecture des journaux. A une heure, nous avons été
visiter le très bel hospice et les écoles fondées par la Duchesse: tout
y est parfaitement entendu, et beaucoup plus soigné qu'au Château; six
lits d'hommes, six lits de femmes, un pensionnat interne de douze jeunes
filles, des classes d'externes et d'indigentes; une grande pharmacie;
tout y est réuni avec les dépendances nécessaires. Huit Sœurs
desservent l'établissement; c'est vraiment très beau. La Duchesse nous a
fait monter, ensuite, dans une vieille voiture dont la doublure était
mangée aux vers, mais qui était traînée par quatre jolis chevaux menés à
grandes guides, fort adroitement, par un des cochers de Charles X. Tout
est contraste dans Mme de Montmorency. Elle a hérité de sa mère le goût
des chevaux, et ne se refuse pas de le satisfaire; elle n'a pas celui
des voitures et il lui est égal que le carrosse dépare les chevaux.
Traînées ainsi, nous avons atteint, par de fort mauvais chemins, une
magnifique forêt, toute en futaies, dont les beaux arbres ne se coupent
que tous les cent ans; c'est vraiment superbe. Au centre de cette forêt,
où six routes aboutissent à un carrefour, il y a une immense clairière.
La Duchesse y a fait construire une faïencerie, avec toutes les
dépendances nécessaires; c'est presque un village. Elle y a dépensé
beaucoup d'argent, et convient elle-même qu'il n'est pas très
lucrativement placé, mais elle y occupe soixante-huit personnes, et
s'est créé là un joli but de promenade et une occupation de plus. J'ai
fait quelques emplettes et Pauline s'est amusée à voir mouler, chauffer,
peindre et émailler cette faïence.

Après dîner, il est venu des Curés en visite, pendant que nous brodions,
comme après le déjeuner, la conversation roulant sur les intérêts de
localité; puis la prière, le bonsoir et le sommeil.


_Bonnétable, 19 septembre 1838._--Il a plu, hier, pendant tout le jour;
personne n'est sorti que les Curés allant à la retraite du Mans, et qui
s'étaient arrêtés ici _pour saluer Mme la Duchesse_; les Sœurs sont
aussi venues prendre ses ordres. La Duchesse est de très bonne humeur;
elle a le don de raconter, et a très bien soutenu la conversation,
pendant une longue journée, sans que jamais la moindre médisance se
fasse jour dans son entretien. Quand je suis descendue chez moi, elle
m'a prêté le livre manuscrit de ses pensées: elle écrit à merveille, et,
dans ses écrits, il y a une richesse et une diversité de formes
étonnantes; les épanchements de son cœur, depuis la mort de son mari,
sont particulièrement touchants, et révèlent une tendresse que son
aspect extérieur ne laisserait pas deviner. Je vais la quitter, pénétrée
de son bon accueil, de ses vertus, et du bel exemple qu'elle donne ici.


_Rochecotte, 27 septembre 1838._--J'ai reçu, hier, la nouvelle la plus
inattendue, et qui m'a profondément touchée: Mme de Broglie, morte d'une
fièvre cérébrale; elle, si jeune encore, du moins pour mourir; un an de
moins que moi! si belle, si saine, si heureuse, si utile, si distinguée,
si comptée! Enlevée en une petite semaine, mais préparée par sa
persévérante vertu. La surprise n'a pas été pour elle!

Presqu'au même jour mourait, non moins vite, au milieu des dissipations
d'une vie trop mondaine, lady Élisabeth Harcourt, du même âge, belle
aussi, et, je crois, nullement préparée au terrible passage.

Avec la mort de mon beau-frère, le prince de Hohenzollern-Hechingen,
cela en fait trois que j'apprends depuis huit jours que je suis ici. Le
mois dernier, Anatole de Talleyrand; au mois de juillet, Mme de Laval;
le 17 mai, M. de Talleyrand; le 28 avril, mon beau-père; au mois de
mars, mon oncle Medem. En moins de sept mois, huit personnes qui
disparaissent, de celles qui me tenaient par les liens du sang, de
l'amitié ou des relations du monde! La mort me cerne de toutes parts, et
je ne sais plus me fier, ni à la fraîcheur de ma fille, ni aux soins que
prennent les autres. Il n'y a que la bonté de Dieu qu'on puisse croire
infaillible, et c'est à sa miséricorde infinie qu'il faut se remettre,
et confier ce qu'on aime.

Les deux derniers jours de sa vie, Mme de Broglie a eu le délire,
pendant lequel elle chantait des psaumes, à si haute voix qu'on
l'entendait d'un bout du château de Broglie à l'autre; et quand elle ne
chantait pas, elle parlait à son frère et à sa fille, morts depuis des
années.


_Valençay, 3 octobre 1838._--Me voici dans ce beau lieu, si riche de
souvenirs, si dépouillé de vie et de mouvement. J'y suis arrivé hier,
par le clair de lune qui lui sied si bien, et que M. de Talleyrand nous
faisait toujours tant admirer. Nous n'avons pas fait trop bon voyage:
des voitures cassées, des chevaux abattus, de mauvais postillons, des
harnais déchirés, des routes abominables, précisément parce qu'on les
répare ou qu'elles sont en construction, enfin, une série de petits
accidents qui nous a inquiétés, contrariés et retardés. Carlos, le vieux
chien de M. de Talleyrand, était d'une agitation inexprimable à notre
arrivée, tirant Mlle Henriette par sa robe, ayant l'air de dire: «Venez
chercher avec moi celui qui manque.»


_Paris, 9 octobre 1838._--Me voici rentrée dans Paris, dont je ne puis
dissimuler que le séjour m'accable de tristesse plus que jamais. Que je
regrette mes ouvriers, mon jardin, le doux ciel de Touraine, la quiétude
de la campagne, le repos des champs, le loisir des pensées et du
recueillement, dont mille affaires et tracas me privent incessamment
ici!


_Paris, 12 octobre 1838._--J'ai été, hier, au couvent du Sacré-Cœur, où
je suis restée longtemps avec M. l'Archevêque de Paris: il m'a donné la
traduction exacte du bref de sécularisation de Pie VII à M. de
Talleyrand. Il est curieux, et prouve que si M. de Talleyrand, avec la
nonchalance qui lui était naturelle, avait égaré le texte, le sens
général lui était resté présent, et qu'il avait des motifs pour dire que
Rome, sans se mettre en contradiction avec elle-même, ne pouvait pas se
montrer trop exigeante. Cependant, ce bref ayant précédé le mariage de
M. de Talleyrand, et l'Église ne l'autorisant pas, il y avait réellement
nécessité d'une rétractation: elle s'est faite, _in verba generalia_,
comme l'admettait Rome; ainsi chacun doit être satisfait.

Rentrée chez moi, j'ai fait fermer ma porte, pendant la soirée, et je me
suis occupée à mettre quelque ordre dans les papiers que j'ai trouvés
chez M. de Talleyrand: je ferai cela peu à peu, car j'ai senti que cela
me causait une très vive émotion. Je suis tombée, par exemple, sur un
billet que M. de Talleyrand m'écrivait, de sa chambre à la mienne, le 6
février 1837[107], et où il me dit qu'à son heure suprême, sa seule
inquiétude sera mon avenir et mon bonheur. On ne saurait croire combien
ce petit chiffon de papier m'a troublée!


_Paris, 13 octobre 1838._--M. de Montrond est venu me voir hier. Il a
fait le câlin et le gentil d'une manière marquée; cependant, comme il
faut toujours que le bout de l'oreille passe, vers la fin de sa visite,
pendant laquelle il n'avait été question que de ses regrets pour M. de
Talleyrand, il m'a fait une phrase qui voulait dire ceci: «Allez-vous
vous faire une dame du faubourg Saint-Germain?» J'ai pu répondre que je
n'avais pas besoin de me faire telle chose, ou telle autre; que j'étais
ce que j'étais, grande dame, indépendante, ne sacrifiant ni mes opinions
aux uns, ni ma position aux autres; trop attachée à la mémoire de M. de
Talleyrand pour ne pas l'être aux Tuileries, de trop bonne compagnie
pour ne pas bien vivre avec ma famille et avec les gens de ma sorte. Il
a répliqué que je n'avais pas oublié de rédiger comme M. de Talleyrand
lui-même; puis, il s'est levé, m'a demandé, en me prenant la main, si je
ne voulais pas être bonne pour lui, disant qu'il était seul au monde,
qu'il avait bien envie de pouvoir me parler quelquefois de M. de
Talleyrand, et puis il s'est mis à pleurer, à pleurer comme un enfant.
Je lui ai dit qu'il me trouverait toujours disposée à l'écouter et à lui
répondre, quand il me parlerait de M. de Talleyrand; que c'était un
sujet inépuisable et précieux pour moi. C'est singulier, la nature
humaine, dans son extrême diversité et ses étonnants contrastes.

  [107] Le 6 février est le jour de la Sainte-Dorothée, patronne de
  la duchesse de Talleyrand.


_Paris, 17 octobre 1838._--Je n'ai encore eu que deux satisfactions
depuis mon retour ici: celle de l'arrivée de mon fils, M. de Valençay,
qui est si bon enfant pour moi, et une longue conversation avec l'abbé
Dupanloup, qui a passé, hier, deux heures chez moi. Nos esprits se
comprennent, et, ce qui mieux est, se devinent merveilleusement; nous en
avons fait tous deux la remarque, par la coïncidence singulière et
rapide de nos expressions. Il a un de ces esprits qui vont vite, et
c'est en cela qu'il devait si bien convenir à M. de Talleyrand; c'est
qu'avec lui, on ne s'embarrasse, on ne s'embourbe, on ne se ralentit
jamais dans les idées intermédiaires; cette clarté de l'esprit n'est
jamais accompagnée de sécheresse, parce qu'il a une âme très douce et
extrêmement affectueuse. Mon long commerce avec M. de Talleyrand m'a
rendue difficile pour celui de tout le reste du monde. Les esprits que
je rencontre me semblent lents, diffus, arrêtés par les petits côtés;
ils enrayent toujours, comme des gens qui descendent; j'ai passé ma vie
à sentir qu'on poussait à la roue, comme des gens qui montaient. Du
vivant de M. de Talleyrand, je n'étais pas si difficile pour l'esprit et
la conversation des autres, parce que j'étais, d'une part, en pleine
jouissance du mien avec lui, et peut-être aussi parce que j'avais,
quelquefois, besoin de me reposer dans quelque chose de plus terne; mais
aujourd'hui, je me sens, moralement, gagnée par ce que les Anglais
appellent _creasing palsy_. Enfin, hier, j'ai un peu secoué mes ailes,
et cela m'a fait du bien: je me suis plainte à lui du décousu de mon
existence, de la langueur et de l'ennui qui succédaient en moi à une
tension excessive. Il m'a parlé de mes lectures, et m'a dit qu'il
croyait que je prendrais un goût infini aux Pères de l'Église. Il m'a
promis de m'en faire faire un petit cours, en m'indiquant ce qui pouvait
être à ma portée. Il n'est pas un convertisseur prêcheur, inquisitif,
indiscret; c'est un homme aimable, de beaucoup d'esprit, et d'une âme
pure et élevée, plein de mesure et de discrétion, qui ne peut avoir
qu'une influence sage, douce, sans excès.


_Paris, 18 octobre 1838._--La princesse Chrétien de Danemark, qui est en
ce moment à Carlsruhe, n'est plus jeune; mais il y a quinze ans,
lorsqu'elle vint à Paris, elle était encore fort bien, surtout un teint,
des cheveux et des épaules admirables; les traits étaient moins
frappants, et c'est ce qui reste le plus longtemps. Je sais qu'elle et
son mari sont restés très bienveillants pour la famille Royale actuelle
de France. La princesse Chrétien est la petite-fille de la malheureuse
reine Mathilde de Danemark. La première femme du prince Chrétien[108]
était une folle dont les mœurs sont horribles. Elle a été se réfugier
et se faire catholique à Rome, où elle s'est jetée dans les plus
ridicules momeries. Son mari l'adorait, et si le roi de Danemark n'avait
pas exigé son éloignement, le prince Chrétien serait resté sous le joug;
il est même en correspondance avec elle, et n'a jamais cessé de la
regretter. La princesse Chrétien actuelle, quoique plus belle, est
parfaitement sage, mais n'a jamais eu de crédit sur son mari, ce qui
tient, dit-on, à ce qu'elle n'a point d'enfants. La première femme est
mère de ce prince Frédéric, exilé en Jutland.

  [108] La première femme du prince Chrétien de Danemark était une
  princesse Charlotte de Mecklembourg-Schwerin. Coupable
  d'infidélité à son mari, elle s'en sépara en 1809, et sur l'ordre
  du Roi le divorce fut prononcé en 1810. Elle mourut en 1840 à
  Rome, où elle avait vécu après s'être faite catholique. Elle
  était née en 1784 et s'était mariée en 1806.


_Paris, 20 octobre 1838._--J'ai été, hier, avec Pauline, à la
Comédie-Française, pour entendre Mlle Rachel, qui fait tant de bruit en
ce moment. Je n'ai pas du tout été enchantée: ils jouent tous très mal,
Mlle Rachel moins mal que les autres, voilà tout. On donnait
_Andromaque_, elle jouait le rôle d'Hermione; l'ironie, le dépit et le
dédain! Elle s'en est tirée avec justesse et intelligence, mais elle n'a
point de tendresse, point d'entraînement; son son de voix est grêle,
elle n'est ni laide ni belle, elle est fort jeune, et pourrait devenir
très bonne, si elle avait de bons modèles. Le reste est trop pitoyable!
Je me suis ennuyée, et suis rentrée fort engourdie.


_Paris, 21 octobre 1838._--La duchesse de Palmella, que j'ai vue hier,
m'a dit une chose singulière. C'est que le duc de Leuchtenberg, premier
mari de la reine doña Maria, n'avait jamais été son mari, et que le
scorbut dont il était atteint en arrivant en Portugal le rendait infect,
et dégoûtait fort sa femme, qui adore le petit Cobourg: elle est grosse
et au moment d'accoucher.

J'ai été, avec Pauline, chez Mme la duchesse d'Orléans, qui m'a paru
très bien remise de ses couches et dont l'enfant, qu'elle a eu la bonté
de nous montrer, est vraiment charmant. Elle en est fière et elle a
raison.

Nous sommes revenues chez nous pour une audience que me donnait
l'infante Carlotta, la femme de don Francisco; ils demeurent tous deux,
comme moi, dans l'hôtel Galliffet[109]. Par exemple, cette audience
était curieuse: l'Infante est beaucoup plus forte que Mme de Zea, à la
vérité plus grande, très blonde, avec une figure fade et cependant dure,
avec un parler rude; je me suis sentie très mal à l'aise à côté d'elle,
quoiqu'elle ait été très polie. Son mari a l'air d'une chenille rousse,
et la cohorte de petits Infants et de petites Infantes, plus abominables
les uns que les autres. L'aînée des Princesses est bien élevée,
causante, et s'est gracieusement occupée de Pauline. Mon Dieu que cette
Infante serait, ce me semble, une incommode souveraine!

  [109] Après la mort du prince de Talleyrand, la duchesse de
  Talleyrand vendit aux Rothschild l'hôtel de la rue
  Saint-Florentin, qu'il lui avait légué, et elle s'établit dans un
  grand appartement de la maison du marquis de Galliffet, rue de
  Grenelle.


_Paris, 31 octobre 1838._--J'ai beaucoup vu, dans ces derniers jours,
la comtesse de Castellane; elle ne me parle que d'une seule chose,
qu'elle désire, et pour laquelle elle se remue d'une manière incroyable!
Je ne saurais m'en plaindre, puisque cela prouve le cas qu'on fait de ma
fille, qu'elle veut marier avec le jeune Henri de Castellane. J'ai été,
hier, consulter à cet égard Mgr l'Archevêque, qui, ainsi que l'abbé
Dupanloup, me paraît trouver que, de tout ce dont il a été question
jusqu'à présent, Henri de Castellane offrirait, par son mérite
personnel, le plus de chances de bonheur intérieur. Ils disent, tous
deux, que Pauline doit seule choisir, et cela après examen. Pour
examiner, il faut connaître; pour connaître, il faut voir; pour voir, il
faut se rencontrer; et me voici arrivée à cette nouvelle phase de la
vie, où il me faut admettre dans mon intérieur un jeune homme, afin de
voir ce qu'il vaut. Je connais personnellement M. de Castellane depuis
de longues années, mais je l'ai longtemps perdu de vue; d'ailleurs, ce
n'est pas moi qui l'épouserai, c'est Pauline. Il a de l'esprit et de
l'instruction, il est laborieux, je le crois ambitieux; il est très
rangé, fort poli; vit assez retiré, mais quand il va dans le monde, ce
n'est que dans la meilleure compagnie; il est bon fils et bon frère; il
a un beau nom, très beau même, mais ni titre présent, ni avenir; peu
d'entourage de famille, et désirant (avec un ménage séparé) demeurer
cependant à Paris dans la même maison que moi; respectueux pour sa mère,
mais sans confiance avec elle; désirant une femme dévote, sans être
pratiquant lui-même: vingt mille livres de rente en se mariant, trente
de plus après sa grand'mère et sa mère; avec un oncle sans enfants,
possesseur de quarante-deux millions: cet oncle ne veut ni donner, ni
promettre, ni assurer rien en ce moment, mais il désire très vivement ce
mariage, et, comme il est la bizarrerie même, il peut, un jour, faire
dans une proportion énorme. L'abbé Dupanloup m'a conseillé d'en parler à
Pauline tout naturellement, ainsi que des autres propositions qu'on m'a
faites pour elle. Jules de Clermont-Tonnerre lui déplaît, elle trouve
qu'il a l'air commun. Le duc de Saulx-Tavannes lui fait horreur; en
effet, il a la tournure d'un éléphant, et, de plus, il y a de tous côtés
folie dans sa famille. Le duc de Guiche n'a pas dix-neuf ans, il est
absolument sans fortune, avec une quantité de frères et sœurs, une mère
assez sotte, et des parents toujours aux expédients. Le marquis de
Biron, très riche, bon sujet, veuf sans enfant, mais bête, archi-bête,
et carliste exagéré. Pauline qui a vu, dernièrement, deux fois, M. de
Castellane, le trouve très bien; mais elle dit qu'elle veut le connaître
davantage et s'assurer de ses principes et de sa foi. Je lui dis qu'il
ne faut pas se presser, qu'elle peut très bien attendre, et que,
d'ailleurs, je ne consentirai à l'accomplissement d'aucun mariage que
les affaires ne soient terminées, les comptes de succession rendus et
l'anniversaire du 17 mai passé. On comprend cela, mais on voudrait que,
sans accomplir le mariage, les paroles fussent données avant. Je
comprends aussi qu'on veuille s'assurer de Pauline, mais je ne trouve
pas qu'il faille nous laisser juguler ainsi. Madame Adélaïde, qui a très
peur que Pauline cesse, par son mariage, d'aller aux Tuileries, désire
beaucoup celui de M. Castellane; elle m'a fait dire qu'elle savait que
M. de Talleyrand y avait pensé, ce qui est vrai, moins vivement
cependant qu'à celui de M. de Mérode, que leurs arrangements de famille
rend impossible. D'ailleurs, M. de Castellane plaît beaucoup mieux à
Pauline que M. de Mérode. On m'a parlé aussi d'Elie de Gontaut, frère
cadet du marquis de Saint-Blancard, mais c'est un jeune éventé, et qui,
quoique riche, a excessivement l'attitude d'un cadet, ce qui ne plairait
pas à Pauline. Enfin, c'est une rage d'épouseurs, et je ne sais auquel
entendre. Ce qui, du reste, est vrai, et que j'établis beaucoup, c'est
que c'est elle-même qui choisira[110].

  [110] Mlle Pauline de Périgord épousa, en effet, le 11 avril
  1839, M. de Castellane, qui prit alors le titre de marquis, de
  son grand-père qui venait de mourir. Son père, le général de
  Castellane (plus tard maréchal de France), le lui abandonna à
  l'occasion de ce mariage, et ne le porta jamais lui-même.--M. de
  Castellane reçut, en dot, de sa grand'mère (qui l'avait élevé),
  la vieille marquise de Castellane, née Rohan-Chabot, très riche
  par la fortune que lui avait laissée son premier mari, le duc de
  La Rochefoucauld, la terre d'Aubijou, en Auvergne, dans le
  département du Cantal, dont il sera souvent question dans cette
  _Chronique_.



1840

   La duchesse de Sagan, sœur aînée de la duchesse de Talleyrand,
   étant morte durant l'hiver de 1840, et sa succession offrant une
   suite de difficultés d'affaires, la duchesse de Talleyrand se
   décida à se rendre en Prusse, où elle n'était plus revenue depuis
   son mariage. Elle y fut accompagnée par son fils aîné, M. de
   Valençay, tandis que son correspondant, M. de Bacourt, nommé
   ministre de France aux États-Unis, allait prendre possession de
   son nouveau poste, à Washington, où il resta plusieurs années.


_Amiens, 16 mai 1840._--Je ne puis dire avec quel effroi je me rends
compte de mon départ de Paris, ce matin, et de la réalité de l'épreuve
que nous allons entreprendre. Me voici courant vers l'Allemagne, pendant
que vous allez vous embarquer pour l'Amérique!...[111]. Mais parlons de
mon voyage d'aujourd'hui. Les chemins sont tirants, les postillons nous
ont assez mal conduits, et nous ne sommes arrivés ici qu'à neuf heures
du soir. J'ai beaucoup lu dans la _Vie du cardinal Ximénès_. C'est un
livre sérieusement et sagement fait, correctement écrit, mais froid, et
dans lequel on a quelque peine à avancer; cette peine, je ne la
regrette cependant pas, car je ne savais que très peu de choses de ce
grand caractère, et il vaut la peine d'être étudié.

  [111] Extrait d'une lettre à M. de Bacourt.

La campagne est belle, verte, fraîche; la végétation touffue et
veloutée; nous avons eu un temps agréable, malgré quelques petites
ondées. Je me suis dit, cependant, vingt fois, que le plus sot des
métiers était celui de voyageur, emporté le long de ces interminables
routes, secoué sur ce rude pavé, livré au bon plaisir des postillons,
enfin, fuyant ceux que l'on aime, allant, le plus vite qu'on peut, vers
des choses et des personnes qui ne sont rien au cœur, usant ainsi la
vie, comme si elle devait être éternelle, et n'en comprenant la brièveté
que lorsqu'elle est close.


_Lille, 17 mai 1840._--Ce matin, avant de quitter Amiens, nous avons été
à la messe dans la belle Cathédrale. C'est une date particulièrement
grave pour moi que celle du 17 mai! J'ai eu quelque mérite à aller
chercher la messe si loin de la demeure du recteur de l'Académie, M.
Martin, chez lequel nous étions descendus; puis, il pleuvait beaucoup,
les rues picardes sont bien sales et le pavé détestable!

La Cathédrale est vraiment superbe: conservation, élégance, hardiesse,
tout s'y trouve réuni. Il n'y manque que des vitraux de couleur, le jour
y est trop blanc. J'ai prié de tout mon cœur, pour les morts et pour
les vivants, pour les voyageurs, pour ceux qui vont se confier à la mer,
et parcourir des terres inconnues.

Pendant la route d'Amiens ici, j'ai lu le _Diable boiteux_, au mérite
duquel je suis restée parfaitement insensible; les histoires y sont
monotones et dépourvues d'intérêt, et ce ton habituel de moquerie et de
satire, qui n'est pas soutenu par les beaux vers de Boileau, m'a été
tout à fait déplaisant; enfin, c'est lu, et j'en suis bien aise. Je sais
ce qu'est cet ouvrage, qui a eu une certaine réputation.

Nous avons été mieux menés qu'hier. On est allé aux informations pour
organiser notre journée de demain, qui se compliquera du chemin de fer
belge. Après la médiocrité d'Amiens et d'Arras, où j'ai pris un bouillon
ce matin, Lille frappe comme une grosse, si ce n'est une grande ville;
mais je dois avouer qu'en ce moment, ma curiosité de voyageuse est fort
amortie, mon intérêt singulièrement éteint.


_Liège, 18 mai 1840._--Nous avons été quatorze mortelles heures en
route, de Lille ici, malgré le chemin de fer. A la vérité, pour en
profiter, il faut faire un détour de vingt lieues, qui en diminue fort
les avantages. De Courtrai, il faut remonter à Gand, rejoindre Malines
et, par Louvain et Tirlemont, rejoindre Liège. On perd un temps énorme
aux innombrables stations où on dépose et où on reprend des voyageurs.
D'ailleurs, quand on a sa propre voiture, il faut encore beaucoup de
temps pour la hisser et la redescendre, et il faut payer si cher, pour
les voitures, que l'économie du chemin de fer est nulle. Sûrement, c'est
une merveilleuse invention, et le mécanisme en est curieux à observer.
Tout s'y fait avec une justesse et un ordre parfaits; néanmoins, c'est,
à mon gré, une maussade manière de voyager: on n'a le temps de rien
voir; ainsi, nous avons dû longer les murs extérieurs de plusieurs
villes que j'aurais eu du plaisir à regarder; on ne traverse même pas
des villages, on va toujours tout droit à travers champs, sans autre
événement que des _tunnels_ froids et humides, dans lesquels la fumée de
la locomotive s'engouffre de façon à vous étouffer. Pour peu que le vent
ramène cette fumée, vous pouvez, en y joignant l'ébranlement de la
machine, vous croire sur un bateau à vapeur. L'illusion a été d'autant
plus grande pour moi que le mal de cœur et un certain étourdissement ne
m'ont jamais quittée. Bref, j'arrive moulue, et de plus en plus en
déplaisance des fatigues et ennuis de mon entreprise. A Menin, on nous a
fait descendre de voiture, par une bise fort aigre, pour nous fouiller;
ce n'est que l'examen à moitié achevé qu'on a demandé nos passeports. A
l'inspection de nos _qualités_, comme a dit le douanier, il a arrêté
l'ardeur de ses commis, et on nous a laissés partir. A propos de Menin,
c'est la forteresse la plus soignée, la plus proprette et la mieux
restaurée possible. Je croyais cependant que nos protocoles l'avaient
condamnée à la destruction, me suis-je trompée?

Je suis fort en admiration de la richesse et de la culture de toute
cette Belgique, et si j'avais pu satisfaire mon goût pour les vieux
édifices, en visitant Gand, Malines, etc., cela m'aurait consolée.


_Bergheim, 19 mai 1840._--La journée, de Liège à Cologne, eût été trop
longue; aussi nous couchons ici, dans une petite auberge bien propre,
mais où, cependant, il n'y a pas moyen de se chauffer, quoiqu'il souffle
une bise glaciale. C'est un peu dur de devoir se passer de feu, à moins
de s'asphyxier par des poêles de fonte. Je suis, sans doute, une fille
bien ingrate de l'Allemagne, car j'y découvre mille inconvénients
matériels dont je ne me doutais pas jadis, et qui me déplaisent fort.

J'ai été bien frappée du ravissant pays qui conduit de Liège à
Aix-la-Chapelle, par Verviers; le point de Chaudfontaine surtout est
charmant. La route directe aurait été de prendre par Battice, mais elle
est dégradée et abandonnée, et, de Liège, on nous a dirigés sur
Verviers. La richesse, la grâce du paysage, le mouvement des usines, le
cours des rivières, tout est particulièrement animé et agréable. Cette
Belgique est _matériellement_ un charmant petit royaume.

J'ai été frappée des changements d'Aix-la-Chapelle: quoique la saison
des eaux n'y soit point encore commencée, tout y est animé au possible;
beaucoup de belles boutiques, des maisons neuves; avec cela, je
n'aimerais pas à y prendre les eaux, le lieu n'a rien de champêtre et
les promenades sont trop éloignées. J'ai lu une grande partie,
aujourd'hui, de _l'Italie d'il y a cent ans_, par le Président de
Brosses. C'est écrit avec mouvement, gaieté, drôlerie, esprit, mais de
l'esprit du dix-huitième siècle, et le cynisme qui lui est propre éclate
à chaque page.


_Cologne, 20 mai 1840._--Nous arrivons de si bonne heure ici que nous
nous décidons à faire encore une dizaine de lieues aujourd'hui, après
que nous aurons vu Mme de Binzer, changé notre argent et acheté de l'eau
de Cologne. Comme il fait froid ici! La différence du climat devient de
plus en plus sensible.


_Elberfeld, 20 mai 1840._--Mme de Binzer est une personne fort laide,
mais courageuse, spirituelle, pleine de talents et très dévouée. Elle
avait passé la dernière année avec ma sœur, la duchesse de Sagan, et ne
l'avait quittée que depuis six semaines lorsqu'elle a été frappée par la
mort. Elle a beaucoup pleuré, en me parlant de ma sœur, et m'a assurée
qu'il était heureux qu'elle eût terminé sa carrière, qu'elle était si
triste, si ennuyée, si irritée, si dégoûtée de tout, que son humeur même
s'était visiblement altérée; il paraît qu'elle avait des accès de vrai
désespoir; elle a beaucoup souffert pendant les dernières semaines, et
elle avait plus d'un pressentiment de sa fin. Elle a fait son testament,
la veille de son dernier départ pour l'Italie, en cinq minutes, pendant
qu'elle avait du monde chez elle, qui prenait le thé: elle l'a dit, au
moment même, à Mme de Binzer, qui en est restée stupéfaite. Son
intention était de le refaire, quand la mort est arrivée, pour se venger
de n'avoir point été comptée en temps utile. Mme de Binzer était si
peinée de notre rapide passage par Cologne, que je n'ai pas pu refuser
de déjeuner chez elle. Elle demeure fort loin de l'auberge où j'étais
descendue, ce qui m'a fait faire beaucoup de chemin à pied, pour aller
et venir, prolongé encore par des détours qu'elle a voulu me faire
faire, pour me montrer la Bourse, ancienne et curieuse maison des
Templiers; l'Hôtel de Ville, dont la tour et le portail sont curieux; la
Cathédrale, que le Prince Royal de Prusse a prise sous sa protection,
qu'on restaure, qu'on veut achever, et qui sera admirable. Nous nous
sommes arrêtées un instant devant Sainte-Marie du Capitole, où Alpaïde,
mère de Charles Martel, est enterrée; nous avons encore regardé deux
maisons d'anciennes familles patriciennes du temps de la Hanse, et qui
sont dans le style byzantin. Tout cela n'empêche pas que Cologne ne soit
fort laid, et le Rhin pas beau du tout à l'endroit où nous l'avons
traversé.

Nous sommes ici à douze lieues de Cologne, dans la plus jolie ville
possible. Elle rappelle Verviers; le pays qui y conduit est joli aussi
et tient un peu de la Belgique. Tout est propre, soigné, les routes
prussiennes vraiment admirables; les postillons vont beaucoup mieux, les
chevaux sont très bien tenus. Sous ce rapport, et sous beaucoup
d'autres, ce pays-ci s'est métamorphosé remarquablement. Seulement les
poêles de fonte, les lits et la nourriture me font du chagrin. On
continue le chemin de fer, et on prétend le faire aller jusqu'à Berlin.
On le poursuit avec une extrême activité, et, depuis Liège, on ne voit
que terrassiers, travaux d'art, et, enfin, préparatifs pour ce
sortilège.


_Mersheden, 21 mai 1840._--Nous sommes arrivés à cinq heures à Arnberg;
cela nous a semblé d'un peu trop bonne heure pour finir notre étape,
nous avons poussé six lieues plus loin, et nous voici dans une auberge,
de village à la vérité, mais assez propre, et chez des gens obligeants.
Nous aurions peut-être été plus grandement au relais suivant, mais je me
suis fait conscience d'exposer plus longtemps les gens à l'horreur du
temps; je n'en ai guère vu de plus déplorable: grêle, pluie, bourrasque,
tempête, rien n'y manque. Malgré cela, j'ai remarqué que nous
traversions un pays presque aussi joli que celui d'hier. Il m'a, par
moments, rappelé la vallée de Bade, et celle, plus étroite, de Wildbad.
Je lis toujours _l'Italie_ du Président de Brosses, c'est assez amusant,
mais cela n'attache pas. J'en vais copier deux passages, qui me
paraissent convenir assez bien à notre vie actuelle: «En général, on a
tant de mal et de sujets d'impatience dans un long voyage, qu'il ne faut
pas, encore, se donner l'embarras des petites économies. Il est dur, à
la vérité, d'être dupe; mais, pour le soulagement de l'amour-propre, il
faut se dire qu'on ne l'est que volontairement et par paresse de se
mettre en colère.» C'est là de la morale que je mets peut-être trop
souvent en pratique! Voilà le second passage qui est aussi fait pour
moi: «Il faut s'attendre, en pays étrangers, à avoir les yeux satisfaits
et le cœur ennuyé; de l'amusement de curiosité tant qu'il vous plaira,
mais des ressources de société, aucune; vous ne vivez qu'avec des gens
pour qui vous êtes sans intérêt, comme ils le sont pour vous, et quelque
aimables qu'ils soient, d'ailleurs, le moyen de se donner réciproquement
la peine d'en prendre, quand on songe qu'on est prêt à se quitter pour
ne se revoir jamais!»


_Cassel, 22 mai 1840._--Le temps a été, aujourd'hui, tout aussi laid
qu'il était hier, et le pays moins joli. Cassel est une aussi petite
ville que Carlsruhe, et ayant encore moins l'air d'une résidence; les
abords, surtout, sont très pauvres. Je n'ai admiré qu'une montagne
couverte de chênes magnifiques, que nous avons été longtemps à monter et
à descendre. Je souffre du froid à pleurer. Tout est si en retard, ici,
que les lilas commencent à peine à fleurir.

En arrivant, je me suis fait donner les journaux, dans lesquels j'ai
appris la tardive visite du Grand-Duc héréditaire de Russie, à Mannheim.
Pauvre grande-duchesse Stéphanie! Il y a un an que pareille visite eût
été un événement; aujourd'hui, ce n'est qu'une vaine politesse, qu'il
aura fallu faire un effort pour recevoir gracieusement. La seule chose,
importante pour moi, que j'ai apprise par la gazette, c'est la façon
ouverte dont on parle du triste état de santé du Roi de Prusse. Cette
maladie de langueur doit changer toutes les habitudes de la famille
Royale, et de la société de Berlin. Je ne regretterai sûrement pas les
fêtes, mais je serai peinée de ne pouvoir faire ma cour au Roi, qui a,
jadis, été très bon pour mon enfance.


_Nordhausen, 23 mai 1840._--Il n'a pas plu aujourd'hui, mais il fait
aigre, et froid à croire qu'il va geler. Nous avons demain quarante et
une lieues à faire jusqu'à Wittenberg; c'est rude et me paraît
impraticable. Heureusement que nous sommes quittes des routes et des
postillons de la Hesse, restés fidèles aux anciens errements
germaniques. En Prusse, postes et routes, tout est excellent; les
villages, les populations, tout a un meilleur aspect; mais le pays,
depuis vingt-quatre heures, sans être précisément laid, n'a plus l'air
de richesse, ni l'agrément du paysage, qui m'avaient frappée de Lille à
Arnberg.


_Wittenberg, 24 mai 1840._--Quarante-deux lieues faites en vingt-quatre
heures, dans un pays où on ne sait pas ce que c'est que de faire courir
en avant, c'est vraiment fort bien aller!

Cette ville-ci est une ancienne connaissance de mon enfance; quand nous
allions de Berlin en Saxe, et de Saxe à Berlin, Wittenberg était
toujours la seconde couchée, car, à cette époque, les chaussées
n'existaient pas, et on allait au petit pas, enfonçant dans des sables
profonds; les vingt-sept lieues que j'espère faire, demain, en neuf ou
dix heures, on employait deux journées à les parcourir. De Nordhausen
ici le pays est laid, et les certaines forêts de sapins ont reparu. J'ai
eu, décidément, un assez vilain berceau!

J'étais assez curieuse d'Eisleben et de Halle, que nous avons
traversées. La première de ces villes est le lieu de naissance de
Luther; sa maison est bien conservée, et on y a fait un petit musée de
toutes sortes de choses se rapportant à lui et à la Réforme. Je n'ai vu
que le dehors de cette maison, qui n'a pas de caractère, mais j'ai
acheté à la porte une petite description d'Eisleben et de ses
curiosités, qui m'a rendue fort érudite.

Halle est fort laid, malgré quelques gothicités devant lesquelles j'ai
passé en voiture; d'ailleurs, ces villes à Université ont toujours un
caractère particulier que leur donne cette foule de vilains étudiants
bruyants et malappris, qui, de longues pipes à la bouche, font les
badauds autour des voitures, et ont l'air tout prêts à donner des
charivaris.


_Berlin, 25 mai 1840._--La pluie a fait des siennes, pendant toute la
journée; ce n'est pas rentrer dans sa ville natale sous d'agréables
auspices. Heureusement qu'il n'y avait pas à regretter que le paysage ne
fût pas bien éclairé, car, de Wittenberg ici, il est affreux. J'avais un
peu oublié ma patrie, et j'ai été saisie de la trouver si laide!
Cependant, je dois excepter le point de Potsdam qui est réellement joli.
La rivière de la Havel y est vive et gracieuse, les coteaux boisés qui
l'encaissent, couverts de fort jolies maisons de campagne. Potsdam même,
qui n'est qu'une résidence d'été, a bien plus l'air d'une capitale que
Cassel, Stuttgart ou Carlsruhe. Mais, à une demi-lieue de là, on retombe
dans toutes les aridités et tristesses possibles, jusqu'à ce que l'on
ait regagné les faubourgs de Berlin, qui, du côté par lequel nous sommes
arrivés, m'ont vraiment surpris. C'est précisément un quartier anglais,
avec des grilles en fer devant les maisons, et une multitude de jardins
entre les grilles et les maisons, jardins petits, mais très soignés.

Berlin même est fort beau, mais si peu peuplé, et en fait de voitures,
les fiacres y sont si dominants, que la tristesse y est le caractère
principal. Je demeure à l'Hôtel de Russie. En face est le Château, un
joli pont, et le Musée à gauche; à droite, des quais. La vue est gaie;
l'appartement, au premier, presque trop magnifique.

J'ai appris par M. de Wolff, mon homme d'affaires, que le Roi était dans
un état qu'on regardait comme désespéré; qu'hier, il a demandé son fils
aîné et lui a remis les affaires du gouvernement, ce qui a été une scène
très touchante, assure-t-on. Le mal du Roi est un empâtement glaireux
que rien ne peut vaincre. On dit aussi qu'à Berlin, où les médecins sont
excellents, il a le déplorable privilège d'en avoir de très mauvais. Il
ne peut plus se nourrir et dépérit visiblement, cependant on ne pense
pas que sa mort soit imminente. Avant-hier, il a été jusqu'à sa fenêtre
voir défiler la parade. Ceux qui l'ont aperçu ont été effrayés de son
changement.

Toute la ville est dans la tristesse, et la famille Royale consternée.
La princesse de Liegnitz est au moins aussi malade que le Roi, d'une
gastrite intense, et on la croit fort menacée.

M. Bresson, qui vient de passer une heure chez moi, est consterné de
l'état du Roi. Celui-ci ne veut voir que la princesse de Liegnitz, ses
médecins et le prince de Wittgenstein. Il a vu le Prince Royal une
minute, point ses autres enfants; il se sent, ou se dit trop faible pour
voir plus de monde. On vient d'expédier un courrier à l'impératrice de
Russie, pour l'empêcher de dépasser Varsovie, où elle doit arriver
demain. Le Roi ne serait pas en état de supporter cette entrevue, encore
moins les grandes scènes d'attendrissement que ne manquerait pas de
faire l'Empereur Nicolas; on dit, du reste, l'Impératrice dans le plus
triste état. Ce sera un gros coup de cloche que cette mort qui approche,
et il aura un bien grand retentissement de loin et de près.


_Berlin, 26 mai 1840._--J'ai assez bien dormi; mon lit est un peu moins
étroit et moins singulier que ceux que j'ai trouvés, depuis Cologne
jusqu'ici. A moins de consentir à ne coucher que dans la plume
uniquement, on ne trouve guère que des matelas minces et durs, cloués
sur une planchette en sapin; la partie des couvertures est aussi
singulière, et quant aux draps, ce sont des espèces de serviettes. J'en
ai fait coudre plusieurs ensemble, et je suis ainsi parvenue à border
mon lit. Mais, pour les couchers, on est décidément encore à l'état
sauvage; c'est pire que pour la nourriture, qui a, cependant, ses
bizarreries, mais qui, ici, au dire même de M. de Valençay, est bonne;
quant à la propreté, elle est extrême; le mobilier est élégant, il y a
des tapis partout, et les poêles de fonte sont remplacés par de bons
poêles en faïence qui ne donnent aucune odeur et chauffent parfaitement.
Il est seulement fâcheux de s'en servir le 26 mai. M. Bresson gémit
terriblement contre le climat.

N'est-il pas singulier que je n'aie éprouvé aucune émotion en rentrant
dans cette ville où je suis née, et où j'ai été, en grande partie,
élevée? J'ai regardé avec la même curiosité qu'en passant par Cologne ou
Cassel et voilà tout. Je ne me sens pour rien cette partialité
patriotique, que j'ai si longtemps éprouvée pour l'Allemagne. Je me
sens absolument étrangère aux choses, aux personnes; complètement
déracinée, parlant la langue avec une certaine hésitation, enfin, pas du
tout _at home_; plutôt mal à l'aise, et honteuse de cette disposition.
Il me semble que si je rentrais à Londres, il n'en serait pas de même.
Je ne pense pas que j'y aurais de la joie, probablement j'y fondrais en
larmes; mais enfin je serais émue, à peu près comme je le suis à
Valençay. Je redoute moins ce qui me fait pleurer que ce qui me glace.

Tout se passe de si bonne heure, ici, qu'il faut être prête dès
l'aurore; éveillée n'est rien, mais levée! J'en suis extrêmement
fatiguée, plus qu'en voyage, parce qu'une fois casée dans ma voiture,
qui est bien douce, je puis m'y reposer dans le silence, l'inaction et
le sommeil; au lieu qu'ici, c'est différent.

Mon homme d'affaires de Silésie était à neuf heures chez moi. Il part ce
soir, pour tout préparer pour mon arrivée. A onze heures, M. et Mme de
Wolff sont venus. Ils m'ont dit que le duc de Cobourg était en marché,
pour acheter au prince Pückler la terre de Muskau, pour sa sœur, la
grande-duchesse Constantin, On dit que le jardin de Muskau est le plus
beau de l'Allemagne. Ce n'est qu'à dix lieues de chez moi.

M. Bresson est venu, à midi, me dire qu'il y avait du mieux dans l'état
du Roi, qui avait pu prendre un potage et faire le tour de sa chambre.
Il m'a, en même temps, engagée à ne pas différer mes visites chez les
grandes-maîtresses des Princesses.

Midi est l'heure élégante des visites ici! Je suis donc partie, avec M.
de Valençay. D'abord, chez la comtesse de Reede, au Château. Elle est la
grande-maîtresse de la Princesse Royale et était l'amie intime de ma
mère. Elle n'était point chez elle, non plus que la baronne de Lestocq,
grande-maîtresse de la princesse Guillaume, belle-sœur du Roi. Nous
sommes aussi allés chez la comtesse de Wincke, au palais du Roi, pour la
princesse de Liegnitz. C'est une vieille Dame du palais de la feue
Reine, dont il m'était resté, de mon enfance, quelque idée confuse. Elle
nous a reçus; elle a un air de vieille grande dame qui m'a plu. La
comtesse de Schweinitz, au nouveau palais du prince Guillaume, fils du
Roi, nous a aussi reçus. La comtesse Kuhneim, au palais Teutonique, où
demeure la princesse Charles de Prusse, était sortie.

Mme de Schweinitz m'a dit que le prince Guillaume devait partir demain
pour aller au-devant de sa sœur, l'impératrice de Russie, et l'empêcher
de venir ici. Nous avons aussi passé chez les Werther, ravis de parler
de Paris, puis chez Mme de Perponcher, avec laquelle j'ai tant joué dans
notre enfance. Elle n'y était pas.

Berlin est vraiment une fort belle ville. Les rues sont larges et
alignées; les maisons grandes et régulières, force palais et beaux
édifices; de belles places plantées, des jardins, des promenades; et
cependant, c'est triste. On voit que la richesse manque, pour bien
habiter et remplir le cadre. Les voitures des particuliers ressemblent à
des fiacres, si bien que je m'y suis trompée: les chevaux, les livrées,
tout cela est horriblement tenu.

Nous avons dîné, hier, chez M. Bresson, qui est parfaitement logé, dans
une maison qu'habitait jadis ma sœur, la duchesse d'Acerenza.
L'appartement est beau, et fort bien meublé pour Berlin, mais absolument
gâté par un horrible portrait du Roi des Français, dont la main est
étendue sur une immense Charte: c'est une horreur! Les convives étaient
M. de Humboldt, lord William Russell, et un M. de Loyère, attaché à la
légation de France. M. de Humboldt, selon son usage, a parlé de toutes
les rivières, de toutes les montagnes, de toutes les planètes, de
l'univers enfin! Il n'a pas oublié le prochain, qu'il n'a pas traité
avec une surabondante charité: la princesse Albert surtout m'a paru être
fort mal dans ses papiers; elle n'est pas trop bien, non plus, dans ceux
de M. Bresson. Lord William Russell est toujours aussi taciturne qu'un
Russell doit l'être; il prétend ne pas se déplaire ici; ce qui le sépare
de lady William lui convient toujours. Quant à M. Bresson, il s'ennuie à
cœur ouvert: les neuf ans passés ici ont absolument épuisé sa patience.
Je crois qu'il redoute beaucoup, pour sa position personnelle, la mort
prochaine du Roi; il se plaint de l'action du climat, enfin il est tout
à fait battu de l'oiseau.

Au milieu du dîner Bresson, la princesse Guillaume, belle-fille du Roi,
m'a fait prier d'être à six heures et demie chez elle. Je m'y suis
rendue; elle habite un charmant palais, admirablement bien arrangé; des
serres ornées de marbres, des parquets magnifiques, de beaux meubles;
enfin, c'est beau, et de fort bon goût. La Princesse était seule, et m'a
reçue avec mille bonnes grâces. J'y suis restée très longtemps.

La façon dont on redoute, ici, les visites Impériales russes, est très
curieuse. La famille Royale n'est occupée qu'à les éviter, et on prend
mille biais pour cela; on en a peur comme d'un torrent dévastateur!

Je viens d'avoir la visite de Mme de Perponcher. Son bel air de reine et
ses traits réguliers ont survécu à la jeunesse; elle a de l'esprit et
une conversation animée.


_Berlin, 27 mai 1840._--Un luxe charmant de Berlin, dans toutes les
maisons neuves qui appartiennent à des gens considérables, ce sont les
carreaux-glaces aux fenêtres; cela jette une clarté extrême dans les
appartements, et donne, même au dehors, quelque chose de brillant aux
façades.

J'ai été, ce matin, en audience particulière chez la Princesse Royale,
qui habite une partie du Château proprement dit: son grand cabinet est
beau et curieux. La Princesse est fort polie, un peu froide et timide,
de beaux yeux bleus, un teint plombé, des traits forts et pas gracieux;
elle boite un peu. La conversation s'est animée quand le Prince Royal
est arrivé: il a été très cordial pour moi; il venait de chez le Roi,
qu'il a trouvé sensiblement mieux, ce qui ranime tous les cœurs; le
fond, cependant, reste grave.

J'ai dîné chez la princesse Guillaume, belle-fille du Roi; son mari a
retardé son départ. Il y avait à dîner le Prince Royal et la Princesse,
les deux princes de Würtemberg, fils du prince Paul, qui partent demain,
pour aller à Hambourg, à la rencontre de leur sœur, la grande-duchesse
Hélène (celle-ci va à Ems, et puis en Italie); en outre, le prince
Georges de Hesse, frère de la duchesse de Cambridge; un général russe et
un officier anglais, venus assister aux manœuvres; Werther, sa femme et
son fils, qui va à Paris faire l'intérim d'Arnim; le comte et la
comtesse de Redern: elle est une héritière de Hambourg, parfaitement
laide; elle a l'air d'une _juive blonde_, ce qui est doublement laid.

J'étais assise auprès du Prince Royal, qui m'a beaucoup questionnée sur
Versailles, et s'est ensuite complu dans tous les souvenirs de notre
enfance. Il est bien grossi et vieilli.

A sept heures du soir, j'étais commandée pour me rendre chez la
princesse Albert, avec invitation d'y rester pour le thé et le souper.
On ne saurait rien imaginer de si envahissant que la vie de Cour ici. Il
n'y a qu'une très bonne condition, c'est qu'avant dix heures du soir,
chacun est retiré; mais aussi, à dix heures, on est plus épuisé qu'on ne
le serait à deux heures du matin à Paris!

Il me semble que de toutes les personnes d'ici que j'ai vues, celle qui
m'inspire le plus de curiosité ou d'intérêt est la princesse Albert:
dans la première minute, j'ai trouvé son visage long et étroit, sa
bouche grande, le bas de son visage, quand elle rit, comme l'absence de
sourcils, fort laid; mais, peu à peu, je m'y suis accoutumée, jusqu'à la
trouver agréable; ses dents sont blanches, son rire gai et ses yeux
vifs; sa taille est jolie; elle est grande comme moi; seulement, il est
trop évident qu'elle se serre extrêmement, et cela se remarque d'autant
plus qu'elle est dans un mouvement perpétuel. Elle remue, gesticule,
rit, s'agite, parle (et un peu à tort et à travers); elle ne traverse
les salons qu'en courant et sautillant; ce n'est pas par la tenue et par
la dignité qu'elle brille, mais à tout prendre, elle n'est pas
déplaisante, et je crois, même, qu'elle doit plaire assez aux hommes.
Elle a été très obligeante pour moi, mais avec un sans-gêne et une
naïveté de questions, comme si elle m'avait toujours connue, donnant son
petit coup de patte à droite et à gauche, à commencer par sa propre
famille; elle m'a fort étonnée. Le fait est que c'est une enfant gâtée,
accoutumée à tout faire, à tout dire, qui est, et qui passe ici, pour
parfaitement ingouvernable: elle part pour La Haye, quand on aimerait à
la voir rester ici, revient quand on la croit pour longtemps en
Hollande; enfin, elle est étrange. Son mari est fort gringalet. Leur
palais, joli à l'extérieur, m'a paru médiocre à l'intérieur. Il n'y
avait, chez elle, que les princes de Würtemberg, Mme de Perponcher (elle
ne peut, à cause de l'étiquette, recevoir M. de Perponcher, le Corps
diplomatique étant banni de chez les Princes), M. de Liebermann,
ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg, et le Prince et la Princesse
Guillaume, fils du Roi, qui sont arrivés tard.

Je ne puis qu'être reconnaissante de l'accueil que je reçois ici, mais
le besoin de repos l'emporte sur toute autre considération, et je
voudrais être déjà rentrée dans mon cher Rochecotte!


_Berlin, 28 mai 1840._--J'ai été, ce matin, à l'audience de la
princesse Charles: elle a des traits charmants, une belle taille, le
teint échauffé, les yeux battus, de belles manières, un langage doux et
obligeant, le tout assez insignifiant, mais avec beaucoup de
bienveillance. Son mari est tout simplement commun; il a en ce moment la
rage des opérations, et assiste à toutes les nouvelles tentatives de la
chirurgie: ce qui préoccupe tout Berlin, c'est le redressement des yeux
par Dieffenbach. Sur deux cents cas, un seul a manqué, et par
l'imprudence du patient. C'est fort ingénieux, et on afflue, de toutes
parts, pour, de laid, devenir beau.

Ici, tout le monde se dit frappé de la ressemblance entre Mme de
Lazareff et moi!

J'ai passé chez la princesse Pückler, la femme du voyageur; c'est une
grande dame que la Cour soutient beaucoup; elle était sortie. Dans
l'après-midi, j'ai été reçue par la princesse Guillaume, belle-sœur du
Roi, qui a eu mille bontés pour moi: elle a été très belle, il lui reste
encore grand air; elle est très avant dans la secte des _Piétistes_.
Elle m'a fait connaître sa fille non mariée, jolie princesse de quinze
ans, dont la physionomie m'a plu beaucoup[112].

  [112] La fille de la princesse Guillaume de Prusse, dont il est
  ici question, épousa, peu de temps après, le Roi de Bavière.

La princesse Guillaume est la propre sœur de la grande-duchesse
douairière de Mecklembourg, belle-mère de Mme la duchesse d'Orléans.

Je vais aller au théâtre, pour y voir un ballet, dans la loge de la
comtesse de Redern, qui a insisté pour que j'y fusse, puis je
terminerai ma journée chez les Werther, qui donnent une soirée pour moi.
Je suis absolument ahurie de la vie que je mène et qui est si
parfaitement différente de la vie paresseuse que j'ai menée depuis deux
ans.


_Berlin, 29 mai 1840._--Le ballet est fort bon ici; le Roi y a pris
grand intérêt, et donne, annuellement, cent vingt mille écus à l'Opéra,
ce qui est beaucoup pour ce pays; il y a beaucoup de jolies danseuses;
la salle est belle, l'orchestre excellent; je n'ai pu juger les
chanteuses, n'étant arrivée qu'après l'opéra.

Chez les Werther, c'était un raout, comme tous les raouts; j'ai trouvé
les femmes bien mises, peu jolies; le ton de la société un peu froid;
l'uniforme, que les hommes au service militaire ne quittent pas, leur
donne quelque chose d'un peu raide.

On était moins content de l'état du Roi hier; il avait eu une
défaillance, après avoir montré une fantaisie de harengs qu'on s'était
hâté de satisfaire. Cependant, les Princes étaient au spectacle. Les
médecins disent toujours que ce n'est pas un état désespéré: c'est,
entre autres, l'avis d'un docteur Schœnlein, qui vient d'être nommé,
ici, professeur à l'Université. Il arrive de Zürich, précédé d'une très
grande réputation; on a obtenu du Roi qu'il le vît en consultation. La
princesse Frédéric des Pays-Bas est attendue: son père, dont elle est la
favorite, désire autant la voir qu'il redoute les visites russes. La
princesse Guillaume, belle-sœur du Roi, dont la fille aînée est mariée
à Darmstadt, m'a dit que le grand-duc héréditaire de Russie était fort
épris de la princesse Marie, sa future, et qu'elle _commençait_, aussi,
à l'être de lui.

Je devais dîner, aujourd'hui, chez le Prince Royal, mais le Roi ayant
éprouvé une nouvelle défaillance, le Grand-Maréchal est venu me dire que
le dîner n'aurait pas lieu. On est fort agité de cet état précaire du
Roi; les uns par affection, les autres par respect ou par considérations
politiques, personne, pas même le successeur, n'avait songé à se
préparer à cette crise, et à la tristesse, se joint de l'embarras et de
l'hésitation.


_Berlin, 30 mai 1840._--J'ai fait, hier, dans la matinée, une promenade
en voiture au Thiergarten, le Bois de Boulogne de Berlin; j'ai revu ce
lieu, où pendant mon enfance, j'allais journellement faire une promenade
de santé. C'est un fort joli bois, touchant aux portes de la ville, bien
planté, en partie jardin anglais, bordé par la Sprée, rempli de jolies
maisons de campagne. C'est la grande ressource de Berlin.

J'ai dîné chez lord William Russell, où j'ai entendu dire qu'il y avait
une petite émotion ministérielle à Londres; mais cela ne signifie rien.
Le Cabinet actuel est accoutumé aux échecs, comme Mithridate aux
poisons.

Aujourd'hui, dans la matinée, M. de Humboldt est venu nous chercher, et
nous a conduites, sa nièce, Mme de Bülow et moi, au Musée: il avait mis
tous les directeurs, professeurs et artistes sous les armes. J'ai donc
tout vu dans le plus grand détail; l'édifice est beau et bien entendu,
les classifications parfaites et habiles, les lumières très bien
ménagées. Le Roi a fait, dans tous les genres, de fort belles
acquisitions: un buste antique en basalte verdet, de Jules César, est
une des plus belles choses que je connaisse. Le Musée est très riche en
tableaux de l'ancienne école allemande; les vases étrusques sont de
premier ordre; les faïences du quinzième siècle très curieuses; les
pierres gravées, les médailles, dans un ordre parfait et dans un
arrangement plein de goût. Ces messieurs, gens d'esprit et d'érudition
artistique, m'en ont fait les honneurs avec une extrême politesse. J'y
ai répondu par beaucoup de questions, et d'attention aux réponses; mais
cela a duré trois heures, toujours debout; à la fin, je rendais l'âme.

J'ai été ensuite à un grand dîner chez M. Bresson. Au moment où je
sortais pour me rendre à ce dîner, j'ai vu arriver le prince de
Wittgenstein, chargé, par le Roi et la princesse de Liegnitz, de
m'exprimer, en termes pleins de bonté, leurs regrets de ne pouvoir me
voir. Le Roi était un peu moins mal, il avait pu voir la princesse
Frédéric des Pays-Bas, sa fille chérie, qu'il avait fait demander par le
télégraphe, et qui s'est hâtée d'accourir. Le prince de Wittgenstein a
été des plus obligeants. C'est un gros personnage, mais bien accablé
dans ce moment, car le danger du Roi le navre. Il est très bienveillant
pour la France, et fort des amis de la princesse Guillaume, belle-fille
du Roi, qui me comble de bontés.

Au dîner de M. Bresson, M. de Humboldt, comme de coutume, a dispensé les
autres de parler, ce qui est très commode pour les paresseux comme moi.


_Berlin, 31 mai 1840._--C'est aujourd'hui une journée très marquante
dans le pays, et dont le Roi attend l'issue avec impatience. Le
Grand-Électeur est monté sur le trône le 31 mai 1640; le Grand Frédéric
le 31 mai 1740, et on assure qu'il y a une prédiction qui dit que le
Prince Royal montera sur le trône le 31 mai 1840...

J'ai été à la messe, dans une église qui n'en est pas une; c'est un
grand salon rond, voûté en une seule coupole, entouré de colonnes, et
entre chaque colonne, une grande croisée. Rien n'est moins recueilli,
moins catholique.

J'ai dîné chez le prince Radziwill, qui, après le dîner, m'a menée en
haut, dans l'appartement de feu sa mère, où j'ai tant été dans mon
enfance. On ne l'habite plus; il est exactement tel que je l'avais
toujours connu. Il est impossible d'être plus affectueux que tous les
Radziwill l'ont été pour moi. La fille de feu la Princesse a épousé le
neveu du prince Adam Czartoryski; elle est déjà à la campagne. Les deux
princes Radziwill ont épousé les deux sœurs, filles du prince Clary.
Tout cela a force enfants, et vit, très heureusement réuni, dans la même
maison.

J'étais rentrée chez moi, après le dîner, lorsque j'ai reçu un message
de la princesse Guillaume (belle-fille du Roi) pour me prier de passer
chez elle. J'y ai été; elle était seule, et m'a retenue à causer pendant
une heure. Les nouvelles du Roi étaient assez tristes; il a dit à son
premier valet de chambre qu'il était parfaitement sûr de n'en pas
revenir, mais qu'il ne voulait plus parler de sa fin, pour ne pas
affliger ses entours. On dit qu'il insiste pour être porté, demain, à la
fenêtre de son appartement au moment d'une grande solennité, fort
annoncée, et dont il dirige, du fond de son lit, tous les préparatifs.
Le Prince Royal, au nom du Roi, doit poser, à l'entrée de la promenade
des Tilleuls, la première pierre d'un monument en l'honneur de Frédéric
II. Toute la garnison, tous les corps de l'État, tout Berlin, doivent
assister à cette cérémonie. Il y a des gradins élevés pour le public;
mon fils et moi devons y assister du balcon de la princesse Guillaume,
où se trouveront les Princesses.

Il y avait, hier soir, chez le prince de Wittgenstein où je suis allée,
cette Mme de Krüdener, née Lerchenfeld, fille naturelle du feu comte de
Lerchenfeld, et de la princesse de la Tour et Taxis; c'est elle qui, à
Pétersbourg, était d'abord une favorite de l'Impératrice, et, après, fut
un peu écartée, parce que l'Empereur paraissait la distinguer. Elle
ressemble beaucoup à la feue Reine de Prusse, ce qui peut s'expliquer
par la parenté, mais elle n'a pas son grand air; cependant, c'est une
belle femme.

On m'écrit de Paris qu'on veut reconstituer la maison de l'Empereur
Napoléon pour l'envoyer chercher ses cendres à Sainte-Hélène. On a
demandé à Marchand, son valet de chambre, s'il voulait accompagner la
mission. Il a d'abord hésité, puis a accepté, à la condition de manger à
la table du prince de Joinville; pour le satisfaire, on l'a nommé
capitaine d'état-major de la Garde nationale, et il part, et il mangera
à la table du Prince! Je m'abstiens de réflexions!


_Berlin, 1er juin 1840._--Je reviens de la cérémonie: c'était,
vraiment, très beau et très imposant. La pensée intime du danger du Roi,
que chacun avait au fond du cœur, donnait quelque chose de
singulièrement touchant et solennel à cette fête nationale, la dernière
à laquelle le pauvre Roi assistait. Et encore, comment y assistait-il?
Couché devant sa fenêtre. Heureusement qu'il faisait un temps moins
désagréable que ces jours passés! Le Prince Royal a posé la première
pierre du monument qui doit porter la statue équestre du Grand Frédéric.
N'est-il pas singulier qu'il n'en existât encore aucune de lui à Berlin?
L'anniversaire séculaire de son avènement était hier, mais comme c'était
un dimanche, on en a remis la célébration à aujourd'hui. Chaque régiment
de l'armée était représenté par un détachement. Vraiment, l'armée est
superbe et d'une tenue admirable! En outre, les corps de l'État, les
autorités, le Consistoire, un détachement de la Landwehr, des
députations des corporations des arts et métiers, avec leur musique,
entouraient la place qui est magnifique, et qu'on avait parfaitement
décorée. Autour du monument, on voyait tous ceux qui avaient encore
servi sous Frédéric II, dans leurs habits de l'époque, portant les
drapeaux pris pendant la guerre de Sept ans. Le Roi s'était occupé
lui-même de tous les détails de cette belle cérémonie et avait donné les
ordres les plus positifs pour interdire toute manifestation qui lui fut
personnelle, mais le respect silencieux et recueilli, l'ordre parfait et
l'air triste des spectateurs, étaient assez significatifs et touchants.
Au moment où on a descendu la première pierre, les canons ont tiré, les
cloches ont sonné, les tambours ont battu aux champs, et les vieux
drapeaux, à moitié détruits, se sont inclinés. A ce moment, la majorité
des spectateurs a fondu en larmes. Il ne faut rien chercher de tout cela
dans l'hémisphère républicain, ni dans nos régions révolutionnaires!

J'ai vu, sur le balcon où j'étais, le prince Frédéric des Pays-Bas, qui
m'a présentée à sa femme. Elle était dans un état vraiment
attendrissant; elle n'est pas jolie, mais elle a l'air bien bon et
naturel. Le jeune Grand-Duc héréditaire de Russie, qui est arrivé ce
matin, était présent. Le Prince Royal de Prusse me l'a amené. On prétend
qu'il est fort engraissé. En effet, je m'attendais à trouver un jeune
homme très chétif, et il est le contraire; seulement, je n'aime pas son
teint.


_Berlin, 2 juin 1840._--Hier soir, j'ai été prendre le thé chez Mme de
Perponcher, dont le salon est, à mon gré, le plus agréable de Berlin.
Elle a beaucoup de conversation et de belles manières; avec cela, de la
simplicité, de la mesure. Tout le monde s'empresse autour d'elle; la
position de sa mère auprès de la Princesse Royale lui a été fort utile.
J'ai su, là, que le Roi n'avait éprouvé aucun nouvel accident, ce qu'on
redoutait beaucoup, à cause de l'émotion de la journée.

La suite du Grand-Duc héréditaire de Russie est logée dans le même hôtel
que moi, aux frais du Roi; ils y font un vacarme effroyable et d'autant
plus de consommation que cela ne leur coûte rien. Les Russes sont plus
détestés, ici, qu'on ne saurait dire.


_Berlin, 3 juin 1840._--Nous avons eu un grand dîner hier chez les
Werther. On y disait le Roi mieux: il avait dormi, et se trouvait,
moralement, soulagé d'avoir dépassé les dates fatales. Pendant le dîner,
j'ai reçu un message de la jeune princesse Guillaume, pour m'inviter à
passer chez elle après dîner, en toilette de promenade. Je m'y suis
rendue, et nous sommes montées en calèche; elle m'a menée à
Charlottenburg, qu'elle m'a montré en détail, en particulier le Pavillon
que le Roi s'est fait construire et où il demeure de préférence. J'y ai
vu, avec plaisir, les portraits des ducs d'Orléans et de Nemours,
dessinés ici lors de leur passage, et que le Roi a acquis pour les
placer dans son cabinet particulier. En revenant, la Princesse m'a
retenue pour prendre le thé, j'ai été tout le temps seule avec elle.

Ce matin, au moment où je finissais de déjeuner, M. Bresson est venu
nous annoncer que le Roi était à toute extrémité. Dans l'après-midi, je
me suis arrêtée devant son palais. Il vivait encore, et même il avait
repris assez de connaissance pour demander qu'on lui lût les journaux.
La foule entoure le palais, beaucoup de gens fondent en larmes, le
mouvement de la population est parfait.


_Berlin, 4 juin 1840._--J'ai dîné, hier, chez M. Bresson avec la
princesse Pückler qui part pour Muskau à la rencontre de son mari; il
revient de Vienne, après six ans d'absence. Elle parle de lui avec
admiration. C'est une petite vieille qui a de l'esprit, de
l'intelligence, du tact; elle a fait beaucoup parler d'elle dans
différents genres.

Ce n'est que d'hier qu'on a publié des bulletins de la santé du Roi, qui
doit être mort à l'heure où j'écris; jusque-là, il l'avait défendu. Je
pense qu'il n'en a rien su hier. Il avait conservé toute sa tête,
beaucoup de calme, de simplicité et de dignité.

       *       *       *       *       *

Le Roi est encore, depuis la nuit dernière, dans une sorte d'agonie d'où
il se tire quelquefois par quelques gouttes de café; il parle encore
quelque peu, mais pas un seul mot de son état, dont il mesure cependant
bien toute la gravité. Toute sa famille, même les petits-enfants sont
réunis au palais; les Ministres également... Toujours même foule sur la
place et même intérêt de la part de la population.


_Berlin, 5 juin 1840._--Hier, à huit heures du soir, le Roi vivait
encore. Il avait pris congé de ses enfants et remis solennellement son
testament à ses Ministres, puis déclaré qu'il en avait fini avec le
monde, qu'il ne voulait plus voir personne que la princesse de Liegnitz
et le Pasteur, qu'il a fait demander, et ne plus s'occuper que des
intérêts de sa conscience, et de la vie à venir.


_Berlin, 6 juin 1840._--M. de Humboldt sort de chez moi; le Roi a eu une
fièvre très violente cette nuit; il ne parle presque plus et paraît
désintéressé de toutes choses. Mais quelle longue lutte chez un homme de
soixante-dix ans! Tous les Mecklembourg arrivent; on frémit de voir
apparaître le duc de Cumberland, et l'Empereur Nicolas, malgré toutes
les démarches faites pour l'éviter, sera ici demain. On veut, c'est
évident, circonvenir le nouveau souverain, dès le début de son règne:
c'est ce qui peut le plus lui nuire dans le public, qui, déjà, ne laisse
pas d'avoir des appréhensions et de les manifester. Le moment est
curieux à observer, et j'assiste peut-être aux semences de bien grands
résultats.

J'ai voulu, tantôt, remplir ma promesse d'aller voir Mme de Bülow à
Tegel. C'est à trois lieues de Berlin. J'ai d'abord trouvé le vent fort
déplaisant, mais une fois dans une forêt qui commence à moitié chemin,
je me suis sentie doucement abritée, et l'air gommeux des sapins m'a été
agréable. Au sortir de ces sapins, on trouve un superbe lac dont les
bords sont boisés d'arbres à feuilles, ce qui est rare ici. A un des
bouts du lac, se trouve la forteresse de Spandau; à l'autre, le parc, le
château de Tegel, et le monument élevé par feu M. Guillaume de Humboldt
à sa femme: c'est très joli. Le château n'est pas grand'chose, mais il
contient quelques beaux objets d'art apportés d'Italie, et un beau
portrait d'Alexandre de Humboldt par Gérard. Le monument est une colonne
de porphyre sur une base de granit, le chapiteau est en marbre blanc:
cette colonne supporte une statue en marbre blanc de l'Espérance, par
Thorwaldsen; la colonne est à moitié entourée d'une grille en fonte, et
à moitié d'un grand banc en pierre. Le tout est de bon goût; la seule
chose qui ne le soit pas à mes yeux, c'est que Mme de Humboldt, son
mari, sa fille aînée, et un des enfants de Mme de Bülow, sont
réellement enterrés au pied de cette colonne. Je ne puis souffrir les
tombeaux dans les jardins; il faut, à mes croyances, ou le cimetière
commun, ou bien un caveau d'église ou de chapelle, bref, un lieu
consacré à la prière, au recueillement, et qu'aucun bruit profane ne
trouble.

J'ai fait le tour du lac en calèche, puis j'ai repris la route de
Berlin. Aux portes de la ville, j'ai rencontré lord William Russell, qui
m'a dit que le Roi était au dernier période, et qu'on venait de donner
l'ordre de fermer les spectacles. Mon fils, que j'ai trouvé à notre
auberge, en rentrant, m'a dit la même chose. Il venait d'assister à
l'opération pratiquée sur des yeux louches: il était dans l'admiration
de M. Dieffenbach, de sa dextérité et du résultat de l'opération. Sur
les deux opérées (jeunes filles toutes deux), l'une n'a pas dit un mot,
l'autre a beaucoup crié; la démonstration seule m'aurait donné envie de
hurler! Le tout dure soixante-dix à quatre-vingts secondes. L'opérateur
se fait aider par trois élèves: l'un relève la paupière supérieure, le
second baisse la paupière inférieure, et le troisième, dans l'intervalle
des deux incisions, éponge le sang. La première incision fend la partie
inférieure du blanc de l'œil, puis, par un petit crochet, Dieffenbach
tire à lui le muscle que la partie fendue recouvrait, il coupe le muscle
et l'opération est faite. Ce muscle, chez les gens qui louchent, est
trop court, il rapproche trop l'œil du nez: une fois fendue, la
prunelle se replace.


_Berlin, 7 juin 1840._--Hier, au soir, le Roi était au plus mal; le
râle de la mort s'était établi, et il avait ce certain mouvement dans
les mains, mouvement machinal, mais si terriblement symptomatique, ce
que les gens du peuple appellent _ramasser pour faire son paquet_: il ne
parlait plus et paraissait n'avoir plus sa connaissance.

Je suis extrêmement sur mes gardes ici, politiquement et religieusement:
on me dit beaucoup de choses, et j'écoute avec intérêt ce qu'on
m'apprend sur l'état de ce pays, mais je ne suis pas imprudente dans mes
réponses. Cela est plus aisé qu'en France, où il est presque impossible
de ne pas être gagné par la contagion.

On me dit à l'instant que l'Empereur Nicolas vient d'arriver: je doute
qu'il voie le Roi, chez lequel on n'entre plus; il vit cependant encore.


_Berlin, 8 juin 1840._--Le Roi est mort hier, à trois heures vingt-deux
minutes de l'après-midi, entouré de tous les siens auxquels il a serré
la main sans parler; il est mort, soutenu par la princesse de Liegnitz,
pour laquelle la famille Royale et le public se montrent pleins
d'égards: elle a parfaitement rempli tous ses devoirs. Le Prince Royal
est tombé évanoui, au moment où le Roi a expiré. L'affliction est
générale et extrême. L'Empereur Nicolas a, dit-on, une douleur très
éclatante et très importune; il est arrivé en trente-sept heures de
Varsovie, seul avec le général de Benkendorff.

Hier au soir, les troupes ont prêté serment au nouveau souverain; le
gouvernement a fait afficher partout une proclamation pour annoncer la
mort; elle est touchante, simple et parfaitement convenable.

J'ai été chez Mme de Schweinitz, savoir des nouvelles de la princesse
Guillaume, qui prend le titre de Princesse de Prusse, son mari étant
héritier présomptif, sans être Prince Royal, puisqu'il est le frère, et
non le fils aîné du nouveau Roi. Le testament avait été ouvert: le feu
Roi ordonnait un enterrement militaire. Il sera déposé de jour à la
Cathédrale, et, d'après ses désirs, porté dans la nuit à Charlottenburg,
pour être déposé dans le même caveau que la feue Reine, sa femme. J'ai
été précisément visiter ce monument dans le parc de Charlottenburg, hier
après-midi: il se trouve renfermé dans un temple antique, au bout d'une
longue allée de sapins et de cyprès. Dans l'intérieur du temple, entre
deux candélabres de marbre blanc, fort élégants, se trouve, sur une
estrade, un lit en marbre blanc sur lequel la statue de la Reine est
gracieusement et simplement couchée, enveloppée d'une longue robe dont
les manches sont fendues; les bras, nus, sont croisés sur la poitrine,
le col est nu, la tête ne porte que le bandeau royal. C'est un
chef-d'œuvre, surtout à cause des linges de marbre, qui sont d'une
vérité singulière: c'est l'œuvre capitale de Rauch, le sculpteur
prussien que la feue Reine avait fait élever à Rome. Le tout est d'un
bel effet, mais c'est trop mythologique; le caractère religieux manque,
et la mort le réclame cependant impérieusement.

Le Roi sera exposé, demain et après-demain, dans son habit militaire,
point embaumé, puis enterré jeudi; tout cela d'après ses ordres. Il a
ordonné aussi que le Pasteur vînt prier près de son lit, aussitôt après
sa mort, à haute voix, au milieu de toute sa famille réunie, pour
exhorter à l'union et à la concorde, ce qui a eu lieu. Il faut espérer
que cette prière sera exaucée, quoiqu'on ne paraisse pas trop s'y
attendre. On s'attendait à la retraite immédiate du prince de
Wittgenstein et de M. de Lottum, mais le nouveau Roi les a priés de ne
pas le quitter, au moins dès le début. Le public voit avec plaisir ces
vieux serviteurs du père rester auprès du fils, et on en est d'autant
plus aise que leurs rapports n'étaient pas agréables avec le Prince
Royal et qu'on attendait un changement plus prompt: il serait désirable
qu'il n'eût pas lieu du tout. Tel est le résumé d'une conversation que
j'ai eue avec M. Bresson et lord William Russell, après laquelle je suis
allée voir la collection de tableaux du comte Raczynski, la meilleure
collection particulière de Berlin: un grand carton, d'un élève de
Cornelius de Münich, et qui représente une des grandes batailles
d'Attila, est ce qui s'y trouve de mieux; la tradition rapporte que
cette bataille se continua dans le ciel, et que ceux qui avaient péri se
combattaient encore, comme des ombres, dans les nuages, à certains temps
de l'année: on voit, sur le carton, les deux batailles; le dessin est
admirable, et l'ordonnance fort belle; le reste de la collection n'a pas
trop excité mon admiration.

Mme de Lieven m'écrit de Paris: «Nous avons eu, ici, une drôle de
semaine; le Ministère, battu à la Chambre, pour la loi sur les
funérailles de Napoléon, a essayé de se venger, en mettant la Chambre
aux prises avec le pays; après plus mûre réflexion, et surtout après
que l'essai de la souscription avait un peu échoué, on a mis un arrêt à
l'affaire, et la lettre d'Odilon Barrot l'a enterrée.

«M. le duc d'Orléans a eu, en Afrique, une nouvelle attaque de
dysenterie, qui a été fort dangereuse pendant vingt-quatre heures.»

Voici, maintenant, l'extrait d'une lettre du duc de Noailles: «Malgré le
fiasco complet au sujet des cendres impériales, Thiers est fort; il
deviendra tout à fait le maître. La proposition Remilly[113], qui était
à l'horizon, ne sera pas discutée cette année. Il n'y aura pas de
dissolution entre les deux sessions: après la prochaine session, la
dissolution est certaine; la nouvelle Chambre reviendra, modérément,
mais nettement plus gauche. Thiers est décidé à ne pousser ni à retenir
dans cette voie; à modérer le mouvement, mais à le suivre, parce qu'il
croit que la force et la majorité sont là: il espère pouvoir contenir
cette gauche, mais au cas contraire, il est décidé à lui obéir plutôt
qu'à quitter le pouvoir. Nous sommes donc très sérieusement engagés dans
cette voie; c'est le grand événement qui s'est accompli cet hiver: on
peut en calculer les conséquences, mais non en mesurer la vitesse.»

  [113] A la suite du vote des fonds secrets, en mars 1840, un
  député, M. Remilly, pour embarrasser le Ministère, avait déposé
  un projet de réforme parlementaire, aux termes duquel les députés
  ne pourraient être promus à des fonctions salariées, ni obtenir
  d'avancement pendant le cours de la législature et de l'année qui
  suivrait.


_Berlin, juin 1840._--Hier, après dîner, j'ai été chez la comtesse de
Reede, grande-maîtresse de la Cour de la nouvelle Reine: j'y ai vu le
Grand-Duc régnant de Mecklembourg-Strélitz, frère de la feue Reine de
Prusse et de feu la princesse de la Tour et Taxis, grande amie de M. de
Talleyrand. Il m'a parlé, dans les meilleurs termes, de mon oncle, et
cela m'a touchée, me disant qu'il en avait reçu de bien bons offices
sous l'Empire. On m'a conté, là, qu'outre le testament proprement dit du
Roi, qui est de 1827 et dont je ne sais rien, il y a un codicille, pour
ordonner tout ce qui est relatif à l'enterrement, et cela dans un tel
détail, que la position des troupes dans les rues y est indiquée; puis,
il s'est trouvé une lettre au successeur, pleine, dit-on, des plus sages
avis, et dans laquelle, tout en encourageant son fils à ne pas entrer
légèrement dans la route des innovations, le Roi l'engage, cependant, à
éviter soigneusement toute marche rétrograde en dissonance avec l'esprit
du siècle. On prétend que cette lettre sera rendue publique.

Au moment où je rentrais, M. de Humboldt est venu me voir, et m'a fait
veiller, en racontant beaucoup d'histoires, curieuses sans doute, et qui
m'auraient intéressée, sans son débit qui est assommant. Il est, du
reste, fort au courant de tout ce qui se passe ici, très fureteur.

La Cour de Russie et les autres Cours partent vendredi, lendemain de
l'enterrement du Roi. Je crois que le Roi et la Reine ne seront pas
fâchés de respirer un peu librement.


_Berlin, 10 juin 1840._--Hier, le directeur du Musée est venu me
prendre, et m'a conduite, avec mon fils, à l'atelier de Rauch, très
habile sculpteur et très aimable homme. Nous avons vu, chez lui,
plusieurs statues destinées à la Walhalla de Bavière, le modèle de la
statue de Frédéric II dont j'ai vu poser la première pierre, et une
Danaé pour Saint-Pétersbourg; puis, une petite statue, demi-nature.
C'est une jeune fille vêtue, tenant entre ses bras un petit agneau;
c'est très joli. Je m'en suis passé la fantaisie. Avant de rentrer, on
m'a menée voir le Musée égyptien, qui est dans un édifice particulier.
Quoi qu'on dise cette collection admirable, je n'ai pu prendre plaisir à
regarder tous ces vilains colosses et toutes ces momies.

Revenue chez moi, j'ai eu la visite du prince Radziwill, qui venait du
Château, où, avec tous les officiers supérieurs de la garnison, il avait
passé devant le lit de parade du feu Roi. Il était là déposé à visage
découvert, enveloppé dans son manteau militaire, sa petite casquette sur
la tête, comme il l'a ordonné dans son codicille.

Le Roi a laissé, par testament, cent mille écus de Prusse, c'est-à-dire
trois cent cinquante-cinq mille francs, à la ville de Berlin, et
différentes sommes à Kœnigsberg, Breslau et Potsdam, comme aux quatre
villes de son Royaume dans lesquelles il a résidé. Il a laissé le petit
palais qu'il habitait comme Prince Royal, que Roi il n'avait pas voulu
quitter et dans lequel il est mort, à son petit-fils, fils du prince
Guillaume, celui qui, probablement, sera Roi un jour. La princesse de
Liegnitz garde le palais à côté, dans lequel elle demeurait; la
seigneurie d'Erdmansdorff en Silésie, et quarante mille écus de revenu
payés par l'État. Il paraît que le Roi laisse de quatorze à vingt
millions d'écus dans sa cassette. Il ordonne qu'un écu soit donné à
chaque soldat assistant à ses funérailles, et deux écus à chaque
sous-officier présent. Il ordonne également que son corps soit suivi,
non seulement par tout le clergé de Berlin, mais, encore, par tout celui
des environs. Il en arrive de Stettin, de Magdebourg, de tous les points
du Royaume.

M. Bresson, que la mort du Roi avait fort abattu, est tout remonté,
depuis qu'il voit que le prince de Wittgenstein reste, du moins
momentanément, à la Cour. Le nouveau Roi traite ce vieux serviteur de
son père à merveille.

Une chose étrange, et qui déplaît beaucoup, c'est de voir des officiers
russes de la suite de l'Empereur Nicolas, faire le service auprès du
corps du feu Roi, simultanément avec les officiers prussiens. L'Empereur
l'a demandé, on n'a pas osé dire non, mais on en a de l'humeur, et le
goût, très léger, qu'on a pour les Russes, en est fort affaibli.


_Berlin, 11 juin 1840._--J'ai passé toute la journée d'hier à faire des
visites de congé. Chez Mme de Schweinitz où j'étais entrée, la Princesse
de Prusse m'a fait demander; je l'ai vue ainsi que le Prince de Prusse,
ils ont été excellents, tous les deux.

Le Roi m'a fait dire par la comtesse de Reede, qu'il espérait me voir
plus tard (à mon retour), à Sans-Souci. Il a ordonné à son
Grand-Maréchal de me très bien placer à la cérémonie de ce matin.
L'Empereur de Russie part ce soir pour Weimar et Francfort où il veut
voir sa future belle-fille.

Ce matin, j'ai été à la cérémonie; au moment où j'allais partir pour m'y
rendre, le Roi m'a fait dire de passer par le Château, et la Princesse
de Prusse m'a envoyé sa livrée pour me faire faire place. Je suis donc
arrivée à l'église par l'intérieur des appartements. J'étais dans une
tribune en face de celle de la princesse de Liegnitz, qui a eu la force
d'assister à la cérémonie. Elle avait, ainsi que toutes les dames, sa
coiffe baissée, ce qui ne m'a pas permis de distinguer ses traits.
L'église n'était pas tendue, ce qui, par parenthèse, y laissait entrer
trop de clarté. Le recueillement en souffrait. L'orgue, les chants, le
discours du Pasteur, l'extrême émotion des vieux serviteurs et des
enfants du défunt, la terrible décharge des canons et le beau son de
toutes les cloches, étaient imposants. Avant de s'éloigner, le nouveau
Roi a fait une assez longue prière à voix basse, agenouillé près du
cercueil. Toute la famille a suivi cet exemple, après quoi, le Roi a
embrassé tous ses frères, sa femme, ses sœurs, ses neveux, ses oncles;
bref, toute sa famille. L'Empereur de Russie, qui a une belle, mais
terrible figure, a voulu en faire autant. C'était beaucoup d'embrassades
dans une église; il me semble que, dans la maison de Dieu, on ne devrait
être occupé que de l'adorer, mais c'est qu'il y a une grande différence
entre un _temple protestant_ et _l'église_.

Le Roi de Hanovre, arrivé une heure avant la cérémonie, s'y trouvait.
Quoiqu'il soit vieux, et qu'assurément il ait l'air assez rude, il me
faisait l'effet d'un vieux agneau, à côté d'un jeune tigre, quand je le
regardais à côté de l'Empereur de Russie.

Je compte partir demain pour la Silésie.


_Crossen, 12 juin 1840._--Je suis partie ce matin de Berlin, à sept
heures et demie, par un temps couvert et assez doux. Grâce à l'admirable
état des routes, aux bons chevaux, et au service excellent des postes,
nous avons fait trente-six lieues en treize heures et demie, ce qui, en
tous pays, est bien aller. Jusqu'à Francfort-sur-l'Oder, que nous avons
traversé dans le milieu du jour, le pays est frappant de tristesse et
d'aridité; une fois arrivé dans le bassin de l'Oder, il est moins plat,
plus vert et plus riant. Francfort est une grosse ville de trente-deux
mille âmes, à laquelle trois grandes foires dans l'année donnent du
mouvement; mais hors ce temps-là, c'est fort désert. La ville,
d'ailleurs, n'a aucun caractère. Crossen, où je suis en ce moment,
également sur l'Oder, est moins considérable, mais plus agréablement
situé. Je ne suis plus qu'à quelques heures de chez moi; j'y arriverai
demain, d'assez bonne heure.


_Günthersdorf, 13 juin 1840._--Me voici dans mes États. C'est une
impression très singulière que de trouver un chez soi, à une distance si
grande des lieux où on passe habituellement sa vie, et de trouver ce
chez soi tout aussi propre et bien tenu, quoique excessivement simple,
que si on y habitait toujours!

Ce matin, quand je suis partie de Crossen, il pleuvait, et la pluie a
continué jusqu'à Grünberg, gros bourg où j'ai trouvé M. et Mme de Wurmb,
qui y étaient venus à ma rencontre. Mme de Wurmb est la fille de M. de
Gœking, conseiller d'État au service de Prusse, auquel le feu Roi avait
spécialement délégué ma tutelle. Elle a épousé un gentilhomme
westphalien, M. de Wurmb, qui, autrefois, a servi dans les armées
prussiennes, que sa santé délicate a forcé à la retraite, qui depuis
beaucoup d'années habite Wartenberg, petite ville qui m'appartient, et
qui, de là, gouvernait, sous la direction de Hennenberg d'abord, et,
depuis la mort de celui-ci, seul, mes terres, forêts, etc. Mme de Wurmb,
comme fille de mon tuteur, était beaucoup avec moi dans mon enfance.
Elle a été très bien élevée. Les gens comme il faut ne craignent pas, en
Allemagne, de se mêler des affaires de ceux qu'ils regardent comme de
grands seigneurs. C'est ainsi que le cousin du baron Gersdorff, ministre
de Saxe à Londres, gouverne maintenant la fortune de mes sœurs.

M. et Mme de Wurmb m'ont précédée ici. Les dernières lieues se font dans
le sable et à travers des forêts de sapins, mais à l'entrée du petit
hameau qui ne mérite pas le nom de village, il y a une assez belle
avenue, qui mène à la cour plantée, au milieu de laquelle est une grosse
maison. De beaux arbres cachent la vue, toujours peu gracieuse, des
basses-cours. Le revers de la maison a une vue agréable; c'est celle
d'un jardin, très bien planté, extrêmement bien tenu, très riche en
fleurs, et même en fleurs rares; le jardin est très habilement réuni à
une prairie, au bout de laquelle est un très joli bois. Le ruisseau qui
traverse le jardin lui donne de la fraîcheur. La maison est double en
profondeur: c'est un carré long avec treize croisées de face. Ce qui la
gâte, c'est son énorme toit, que les longues neiges d'hiver rendent
indispensable, et la couleur jaune orange dont on a peint la brique.
L'intérieur n'est pas mal. Au milieu un vestibule voûté, qui est doublé
par l'escalier; à droite du vestibule, un grand salon de trois croisées,
plus loin un petit salon-bibliothèque de deux croisées, ouvrant sur une
très jolie serre, qui, elle-même, se lie à l'orangerie. J'ai, ici,
cinquante orangers, moyens. A gauche du vestibule, ma chambre à coucher,
un grand cabinet de toilette, garde-robes, salle de bain, et femme de
chambre. Voici ce qui double ces pièces: la bibliothèque est doublée par
une pièce qui contient les dépendances de la salle à manger; le salon
est doublé par la salle à manger, et mon appartement, avec ce qui y
tient, par l'office des gens, une chambre à coucher et un grand cabinet
de toilette. Au premier étage, quatre chambres de maîtres, avec
cabinets, dont deux seulement sont meublées, et une grande salle de
billard. Dans les mansardes, six chambres de domestiques, et un grenier
avec un garde-meuble. Les salons et mon appartement sont au midi, ce qui
les prive de la vue du jardin, mais je préfère ne voir que la cour et
avoir du soleil, surtout dans une maison qui est sans cave. Cependant,
elle ne porte aucune trace d'humidité. Le rez-de-chaussée est fort bien
meublé, et les parquets, de différents bois, étonnamment jolis pour
avoir été faits ici. Au premier étage, il n'y a que l'appartement occupé
en ce moment par M. de Valençay qui soit meublé, et encore l'est-il
maigrement. L'état de maison contient le très strict nécessaire; je ne
suis pas fâchée d'avoir apporté de l'argenterie, et M. de Wurmb me prête
beaucoup de choses. Enfin, cela ira, et je me trouve mieux ici que
depuis longtemps cela ne m'est arrivé, parce que, du moins, j'ai du
silence, du repos autour de moi. Ceci est la franche et très franche
campagne, je ne le regrette pas et j'éprouve un certain plaisir au bruit
des vaches et au mouvement de la fanaison, ce qui me prouve, une fois de
plus, que je suis réellement, sincèrement, très champêtre de nature.

Il y a un assez bon petit portrait de ma mère dans le salon, ainsi qu'un
fort mauvais de moi, et, dans le petit salon, des lithographies de la
famille Royale de Prusse. Le corps de bibliothèque, qui est assez court,
contient cinq cents fort bons livres, en anglais, français et allemand.
J'ai déjà fait le tour du jardin, qui est très joli. Le jardinier vient
des jardins du Roi à Charlottenburg, et a été se perfectionner à Münich
et à Vienne.


_Günthersdorf, 14 juin 1840._--Je suis partie, ce matin, dès huit
heures, malgré le vent froid et aigre qui me paraît être l'hôte constant
de la Prusse, pour aller en calèche à quatre lieues d'ici, chercher une
messe, et grand'messe s'il vous plaît. Wartenberg est aux deux tiers
catholique, tandis que Günthersdorf est entièrement protestant. L'église
catholique est à l'entrée de Wartenberg qui est une ville sur laquelle
j'ai quelques droits seigneuriaux. Chaque maison me paye une petite
redevance. La route qui y mène traverse pendant deux lieues mes bois,
jusqu'à ce qu'on reprenne la chaussée. L'église était pleine, le Curé
était à l'entrée avec de l'eau bénite et une belle harangue, ma tribune
jonchée de fleurs des champs; rien n'y a manqué: procession, bénédiction
du Saint-Sacrement, sermon, prières pour la famille Royale et pour moi,
un très beau jeu d'orgue, les enfants de l'école catholique chantant
fort juste. Je crois bien que le tout a duré près de trois heures. Mme
de Wurmb, qui habite une maison à moi, un peu hors de la ville, entourée
d'un gentil jardin, m'attendait pour déjeuner. Il n'y avait que sa
famille, qui est assez nombreuse.

Après le déjeuner, M. de Wurmb m'a priée de recevoir tous les employés
de mes propriétés, qui, de différents points, s'étaient réunis pour me
saluer. Alors a commencé une longue défilade. C'est un véritable
état-major, tout cela à ma nomination, et recevant des traitements de ma
bourse. C'est ainsi que cela se pratique ici dans les grandes
propriétés. Un architecte, un médecin, deux baillis, deux fermiers
généraux, un régisseur en chef, le caissier, le garde général, quatre
curés catholiques, trois pasteurs protestants, le maire de la ville,
mais tous de vrais messieurs, très bien élevés, parlant et se présentant
parfaitement. J'ai fait de mon mieux pour que chacun fût content de moi.
J'ai surtout fait la conquête du Curé de Wartenberg, auquel j'ai promis
un ornement complet de mon ouvrage. Quand je suis partie, M. de Wurmb
m'a reconduite un bout de chemin, jusqu'à une très jolie enceinte; ce
sont des arpents de bois, entourés de palissades, coupés d'allées, avec
une petite pièce d'eau, une bonne maison de garde, et c'est là qu'on
élève des faisans avec de grands soins. Nous avons vu les poules
couveuses et les petits faisans éclos, ainsi que les grands, qui se
tenaient près de l'eau, ou voltigeaient dans les arbres; on en vend, à
peu près, six cents par an. Les chevreuils et les lièvres abondent
aussi.

Il était cinq heures quand je suis revenue ici. Après le dîner, je me
suis endormie de fatigue, car la journée avait été rude; le froid ajoute
à l'engourdissement que le grand air produit toujours.

Je suis ici sans journaux, sans lettres, cela m'est assez égal.
J'attends, patiemment, qu'il plaise à la poste de trouver son chemin
jusque dans ce coin reculé du monde. Je me suis déjà dit que ce pays
offrirait une fort bonne retraite contre les secousses dont l'ouest de
l'Europe est toujours plus ou moins menacée, et, en temps de révolution,
on finirait par ne pas trop regarder aux rudesses du climat.


_Günthersdorf, 15 juin 1840._--Pour moi qui aime la vie des champs, je
suis assurément servie à souhait ici, car, avec la volonté de tout voir
en peu de temps, je n'ai pas un moment à perdre. Aujourd'hui donc, je
suis partie à neuf heures du matin, et je suis retournée à Wartenberg, à
l'ancien couvent de Jésuites, qu'on appelle le Château. C'est un assez
gros édifice avec des cloîtres; c'est là que demeurent, dans les
cellules des moines, qu'on a transformées en jolis logements, le
caissier, le bailli, un des régisseurs principaux, le médecin, le
pasteur protestant, l'école protestante et, enfin, une très belle
chapelle catholique, qui a des peintures à fresques et une image
miraculeuse, qui, chaque année, attire le 2 juillet beaucoup de
pèlerins. Elle a un trésor assez riche en beaux ornements et vases
sacrés. Une petite armoire vitrée contient des pièces de monnaie et des
médailles offertes en _ex-voto_; j'ai détaché, de mon chapelet, la
petite médaille en argent à l'effigie de M. de Quélen, et je l'ai mise à
la suite des autres offrandes.

Après cette visite, qui a été longue, et que j'ai terminée en faisant
exhumer d'un lieu poudreux les portraits des anciens propriétaires, qui,
par leur testament, avaient laissé cette possession aux Jésuites, et en
ordonnant la restauration de ces portraits, j'ai été voir la brasserie,
la distillerie et l'établissement du bétail destiné à être vendu aux
bouchers de Berlin. Tout cela est sur une très grande échelle. J'ai même
un pressoir, car je recueille du vin qui est assez bon. J'ai aussi une
grande plantation de mûriers; on élève des vers à soie, on file
celle-ci, et elle est aussi envoyée à Berlin où on la fabrique.

Après toutes ces inspections nous avons été visiter deux fermes qui
tiennent à Wartenberg, et enfin, par une route très agréable, entre des
plantations fort belles, toutes faites depuis _mon règne_, et qui
s'étendent pendant deux lieues, nous sommes arrivés au sommet d'une
montagne toute boisée, du haut de laquelle il y a une superbe vue sur
l'Oder, chose rare dans cette partie de la Silésie. On a, chemin
faisant, fait tirer des chevreuils à Louis, mon fils. Je suis revenue
ici à six heures du soir. Heureusement que le temps était assez
passable.

Je viens d'ouvrir, tout à l'heure, un vieux secrétaire, dans lequel j'ai
retrouvé des papiers de mon enfance, des lettres de l'abbé Piatoli et
beaucoup de choses de ce genre qui m'ont touchée, comme le cadeau de
noce que m'avait fait le Prince Primat: C'est un oiseau, dans une cage
d'or, qui chante et qui bat des ailes; puis des gravures, des ouvrages
de tapisserie. Ce sont autant d'ombres évoquées! Cela a quelque chose de
singulièrement solennel, que ce passé ressuscité tout à coup, avec une
si grande vérité de détails.


_Günthersdorf, 17 juin 1840._--Je suis partie hier à dix heures du
matin, pour rentrer à huit heures du soir. J'ai d'abord visité deux
fermes dépendantes de la seigneurie de Wartenberg; j'ai déjeuné dans la
seconde, et j'ai aussi visité une église, car, dans ce pays, les
églises, comme les curés, dépendent du seigneur.

Après notre déjeuner, nous avons passé l'Oder en bac, et nous avons été
jusqu'à Carolath, qui vaut bien la peine d'être vu. C'est un très grand
château, sur une forte élévation, construit à différentes époques; la
plus ancienne remonte à l'Empereur Charles IV. Il est sans élégance et
sans soins, au dedans comme au dehors, mais l'ensemble a de la grandeur.
Il n'y a, en fait de jardins, que des terrasses plantées, qui conduisent
jusqu'à l'Oder. La vue est admirable, d'autant plus que les rives
opposées sont très bien boisées par de vieux chênes magnifiques, jetés
sur une pelouse couverte de bestiaux et de chevaux élevés dans les
haras du Prince. La ville de Beuthen et la forteresse de Glogau font un
bon effet dans ce riche paysage. Le village est joli, plusieurs
fabriques et une bonne auberge l'animent et lui donnent de la grâce. Les
seigneurs du château, mari et femme, avec leur fille cadette, étaient
partis pour affaires. La fille aînée, jeune et jolie personne, était au
château avec une jeune cousine, et un vieil intendant du Prince. J'ai
été très bien reçue; on a fait mettre des chevaux à trois droschki, et,
après avoir traversé l'Oder à un gué, nous nous sommes promenés, dans
les grands chênes dont je parlais tout à l'heure, au milieu desquels la
Princesse a fait construire un ravissant cottage, dans lequel on nous a
servi un goûter. Malheureusement, j'ai été dévorée par des cousins. Je
suis revenue avec un visage tout enflé, et un coup de soleil, qui s'y
est joint, a achevé de m'abîmer. Dans ce singulier climat, la chaleur
succède si instantanément au froid, qu'on est toujours pris par
surprise. Je suis cependant bien aise d'avoir vu Carolath. C'est un lieu
curieux; Chaumont, sur les bords de la Loire, en donne assez bien
l'idée.

Ce matin, nous sommes repartis à neuf heures, mon fils et moi, pour
aller visiter quelques-unes de mes propriétés, de l'autre côté de
l'Oder. C'est une terre qui s'appelle Schwarmitz, et celle, de toutes,
la plus exposée aux inondations. C'est un neveu de feu M. Hennenberg qui
l'a affermée. Il habite à Kleinitz, une autre de mes propriétés, mais il
était venu m'attendre aux digues dont j'ai visité les laborieux
travaux. Sa femme, les curés des deux confessions, le garde général et
une foule de monde nous attendaient à la ferme, ainsi qu'un très bon
déjeuner. Après le repas, nous avons visité en détail la ferme, deux
métairies et une très belle portion de bois de chênes, puis nous sommes
revenus, en nous arrêtant à Saabor. C'est une terre qui appartient au
frère cadet du prince Carolath; le château, s'il était bien tenu, le
parc, s'il était bien soigné, seraient préférables au château et au parc
de Carolath, mais la situation est fort inférieure; c'est noble
cependant, et l'avant-cour très belle. Le propriétaire est ruiné, et
voudrait fort que j'achetasse Saabor, qui se trouve précisément enclavé
dans mes propriétés, mais les convenances topographiques ne suffisent
pas pour conclure une pareille affaire.

Voici maintenant ce que me disent mes lettres de Paris, qui se sont
égarées jusqu'ici: Les correspondances particulières d'Afrique donnent
les détails les plus affligeants sur ce malencontreux pays; le maréchal
Valée demande encore des troupes et de l'argent.

Le préfet de Tours, M. d'Entraigues, est sauvé de la bagarre
préfectorale qui le menaçait. Le sous-préfet de Loches est la seule
victime immolée aux exigences de M. Taschereau, le député. Le neveu de
Mme Mollien passe de la préfecture de l'Ariège à celle du Cantal, et
devient le préfet des Castellane. M. Royer-Collard me mande avoir sauvé
M. de Lezay, le préfet de Blois, et M. Bourlon[114]. Il a demandé, pour
cela, à M. Thiers, une entrevue, dont il me paraît avoir été très
satisfait.

  [114] M. Bourlon de Sarty était Préfet de la Marne.

Voilà M. de La Redorte ambassadeur à Madrid; sa femme est trop malade
pour l'accompagner. Cela s'appelle être prime-sautier dans la carrière;
c'est une irruption qui doit plaire médiocrement à tous ceux qui
croient, par là, leur avancement retardé. Je suppose que c'est comme
dédommagement de la non-intervention en Espagne que le Roi aura fait
cette concession à son premier ministre, dont M. de La Redorte est l'ami
dévoué.

Mgr le duc d'Orléans, à son retour d'Afrique, aura trouvé Mme la
duchesse d'Orléans en très bon état: La rougeole qu'elle a eue, en
déplaçant l'irritation, lui a rendu la faculté de digérer, et, par
conséquent, celle de se nourrir et de se fortifier. J'en suis charmée.


_Günthersdorf, 18 juin 1840._--Il a plu toute la journée aujourd'hui;
j'ai donc été obligée de renoncer à aller visiter une petite terre à moi
qui est à une demi-lieue d'ici, et qui s'appelle _Drentkau_. J'ai donné
à dîner à douze personnes, pasteurs et autorités locales; j'en ai deux
autres encore à donner, pour avoir fait les politesses convenables: mon
ménage ici est monté pour douze personnes, je ne puis aller au delà.

Louis, mon fils, baragouine l'allemand avec une telle hardiesse qu'il y
fait des progrès; j'ai eu la visite du prince Frédéric de Carolath, le
propriétaire de Saabor. Il est, dans la province, ce que sont les
Lords-Lieutenants des comtés en Angleterre.


_Günthersdorf, 19 juin 1840._--J'ai visité deux écoles qui sont sous ma
juridiction; ce sont des écoles catholiques, et admirablement tenues.
L'instruction des enfants m'a surprise; j'ai été ravie et édifiée au
plus haut degré. J'ai fait quelques distributions encourageantes, et je
me suis chargée de l'avenir d'un jeune garçon de douze ans, vraiment
merveilleux d'intelligence et de savoir, mais trop pauvre pour entrer au
séminaire, pour lequel il se sent une vocation particulière.


_Sagan, 21 juin 1840._--J'ai reçu avant-hier, à Günthersdorf, une lettre
qui m'a décidée à venir ici. M. de Wolff m'écrivait de Berlin qu'il se
passait ici des choses très irrégulières et opposées à l'intérêt de mes
enfants; qu'il allait s'y rendre pour les faire rectifier, et qu'il
m'engageait à y aller de mon côté. Je suis donc partie hier matin de
Günthersdorf avec M. de Valençay; nous avons mis six heures pour venir.
Je suis descendue à l'auberge; dans l'état actuel des choses, je
n'aurais pas jugé convenable de descendre au château. Mais quelle
impression singulière cela me cause! Ici, où ont demeuré mon père, ma
sœur, où j'ai tant été dans mon enfance, être à l'auberge!

Après une heure de conversation avec M. de Wolff, nous avons été au
château. J'y ai tout reconnu, excepté ce qu'on s'est un peu empressé
d'enlever et qu'on sera peut-être obligé d'y rapporter. Le vieux homme
d'affaires de ma sœur aînée pleurait à chaudes larmes. Il est au plus
mal avec celui de ma sœur, la princesse de Hohenzollern, M. de
Gersdorff, que j'ai vu. Je ne lui ai point parlé d'affaires, d'abord
parce que ce sont celles de mes fils, et non les miennes, puis parce que
je voulais éviter les aigreurs directes.

Sagan est vraiment beau, c'est-à-dire le château et le parc sont beaux,
car le pays est inférieur à celui dans lequel se trouvent mes
propriétés. Mais l'habitation est grandiose; j'y ai retrouvé quelques
vieilles figures du temps de mon père qui m'ont touchée. Des portraits
de famille m'ont fait plaisir.

Il y a ici une comtesse Dohna, qui a été élevée, d'abord chez ma mère,
puis chez ma sœur aînée, mariée, dans le pays, à un homme très comme il
faut. Cette jeune femme était comme l'enfant de la maison. Elle est
venue, hier, prendre le thé avec moi, et j'ai eu plaisir à la voir, et à
causer avec elle de ma pauvre sœur, la duchesse de Sagan, et du dernier
séjour qu'elle a fait ici, peu de temps avant sa mort.

Ce matin, j'ai été à la messe dans la charmante église des Augustins, où
mon père repose depuis trente-neuf ans! J'ai été fort remuée par tout
l'office, par la musique qui était excellente.

En sortant de là, j'ai été voir la comtesse Dohna. Elle est venue avec
moi au château, dont je voulais visiter les dépendances, que je n'avais
pas parcourues hier. J'ai trouvé, dans les remises, une ancienne voiture
dorée et doublée de velours rouge, ressemblant, à peu de chose près, à
celle des Princes d'Espagne, à Valençay. C'est celle dans laquelle mon
père a quitté la Courlande et est venu ici. L'homme d'affaires de ma
sœur de Hohenzollern, qui vend tout ce qui n'appartient pas au fief, a
mis cette voiture en vente; je l'ai achetée sur-le-champ, à la criée:
trente-cinq écus!

A deux heures, selon l'usage de la ville, nous avons dîné. En sortant de
table, nous avons été, au bout du parc, visiter une ancienne petite
église, où ma sœur de Sagan m'avait dit qu'elle voulait faire inhumer
mon père, se faire enterrer elle-même. Il faut restaurer cette petite
église, ce qui sera aisé. On peut en faire un lieu de sépulture fort
convenable et recueilli.


_Günthersdorf, le 22 juin 1840._--Me voici rentrée dans mes bons petits
foyers, que je prends fort à gré. J'ai, avant de quitter Sagan, ce
matin, reçu des visites de beaucoup d'habitants, et traversé une longue
conférence d'affaires. Toute cette question de Sagan se complique de
telle sorte que cela durera fort longtemps. Wolff, Wurmb et l'ancien
homme d'affaires de ma sœur aînée m'engagent, pour simplifier la
question, à demander à ma sœur, qui me doit encore de l'argent sur
Nachod[115], de me céder les bois allodiaux de Sagan, que mes fils
retrouveraient ainsi un jour. Je ne dis pas non, car ces bois sont
superbes, mais ce ne sont là que des questions subséquentes; il y en a
de préalables, qui doivent être vidées avant, et qui ne le seront pas de
sitôt. Les gens d'affaires me pressent beaucoup de passer l'année
entière en Allemagne. Je ne veux pas de l'hiver dans un climat aussi
froid, mais je veux bien revenir au printemps prochain, pour la belle
saison. Je crois que mon fils a raison, quand il dit que c'est un grand
bonheur pour lui de débuter dans ce pays-ci avec moi.

  [115] Nachod, terre en Bohême avec beau château, bâti par les
  Piccolomini, avait été acheté par le duc de Courlande. Sa fille
  aînée, la duchesse Wilhelmine de Sagan, en avait hérité et y
  mourut en 1839. Nachod fut ensuite vendu aux princes de
  Schaumburg-Lippe, qui le possèdent encore.

En revenant ici, je me suis arrêtée deux heures à Neusalz, qui est une
ville curieuse à visiter. Elle est habitée, à moitié, par une colonie
des frères Moraves, dont les usages sont à peu près ceux des Quakers;
c'est assez particulier, surtout ce qu'ils appellent le _repas d'amour_.
Dans leur église ils chantent, ils prient, et prennent du café avec des
gâteaux, dans le plus grand silence et avec la plus parfaite
gourmandise. Ils sont fort industrieux, très avides, pas mal hypocrites,
prodigieusement propres; ils se tutoient entre eux. Ils ont des
missionnaires et des ramifications dans le monde entier. Outre l'église
des Moraves, il y a à Neusalz une église catholique et une église
protestante toute neuve, fort jolie, que j'ai visitée pour y voir un
cadeau du Roi de Prusse actuel: c'est un fort beau Christ, d'après
Annibal Carrache. J'ai aussi examiné, dans le plus grand détail, une
superbe forge, où on fabrique surtout de la fonte.


_Günthersdorf, 23 juin 1840._--Il fait joli temps ce soir: mon jardin
est vert, parfumé et frais. Il y a des heures, des dispositions de ciel
et de nature, d'air et d'âme, qui font tout particulièrement saigner un
cœur qui regrette, et, malgré l'agrément matériel de ce qui m'entoure,
je suis aujourd'hui dans cette triste disposition. J'ai paperassé toute
la matinée avec mon homme d'affaires, avec lequel j'ai été ensuite
inspecter l'école protestante de ce village-ci.


_Günthersdorf, 25 juin 1840._--J'ai employé ma journée d'hier, depuis
dix heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, à aller visiter la
partie la plus éloignée de mes propriétés, qui se compose d'une ville,
de trois fermes, et d'une petite forêt. Dans une des fermes, on a
transformé les restes d'un vieux château gothique en magasin. J'ai
déjeuné chez un lieutenant en retraite, qui s'est marié et a affermé mes
fermes, dont l'une a une bonne maison d'habitation; les fermes ont
toujours été affermées ensemble, d'abord au grand-père, puis au père du
fermier actuel; la femme de celui-ci est sur le point d'accoucher et ils
comptent bien que le bail se renouvellera pour la quatrième génération.
Dans la ville, qui est aux trois quarts catholique, j'ai été visiter
l'église. J'y ai reçu une bonne réception. La situation de grand
seigneur est, ici, bien différente de ce qu'elle est en France; mon fils
en a la tête tournée.


_Günthersdorf, 26 juin 1840._--Je dois retourner demain à Berlin,
pendant que mon fils s'acheminera vers Marienbad. Mes forces se sont
retrouvées dans la vie forestière et campagnarde que j'ai menée ici.
J'ai été, hier, voir la plus mauvaise de mes propriétés. Cela s'appelle
_Heydau_; c'est une ferme disputée au sable.

J'ai eu, à dîner, mon voisin, le prince Carolath de Saabor, gros homme
entre cinquante et soixante ans, très poli et très bon.


_Francfort-sur-l'Oder, 28 juin 1840._--J'ai passé toute la journée
d'hier dehors, à travers la pluie et la grêle. J'aurais désiré un
meilleur temps, pour les bonnes gens qui m'avaient préparé des
réceptions, et pour moi-même, qui n'ai pu que fort mal juger deux fermes
de nouvelle création: l'une s'appelle _Peter-Hof_, d'après mon père,
l'autre _Dorotheenaue_, d'après moi. Ces fermes ont été établies sur les
terrains à l'aide desquels les paysans de Kleinitz se sont rachetés de
leurs corvées. De beaux bois environnent ces terres. Le garde général
qui y demeure est d'une famille courlandaise qui a suivi mon père en
Silésie. Un portrait frappant de mon père, qui en avait fait cadeau au
sien, orne son salon. Il le tient en grand honneur, ce qui m'a empêchée
de lui demander de me le vendre, comme j'en étais tentée.

En arrivant ici, j'y ai trouvé une lettre de Mgr le duc d'Orléans, fort
obligeante pour moi, et fort convenable sur la mort du Roi de Prusse et
sur son successeur. Voici le passage relatif à la France: «L'agitation
de la surface a disparu; mais il y a encore des nuages à l'horizon, et
l'orage, pour avoir été habilement éloigné, n'a pas été absolument
dissipé. Cependant, l'intervalle des sessions se passera bien. Le Roi
seul et M. Thiers sont sur la scène; aucun des deux ne veut embarrasser
l'autre; tous deux veulent se faciliter leur tâche; aucune question ne
surgira pour les diviser. Pour ma part, je souhaite tout succès à notre
grand petit Ministre, qui peut faire un bien immense à ce pays.»

J'ai dit adieu à mon fils, ce qui m'a fait de la peine. Il est bon
enfant, naturel, facile et doux; je lui sais gré de s'être plu en
Silésie, et d'y avoir, à tous les égards, montré un bon esprit. Et puis
c'était quelqu'un à moi, et je commence à sentir la grande différence
qu'il y a entre la solitude et l'isolement. J'ai longtemps confondu ces
deux états, qui semblent si analogues, et qui sont si différents: je
porte très bien l'une; l'autre me fait peur.


_Berlin, 29 juin 1840._--Je suis arrivée ici hier, à trois heures après
midi. J'y ai trouvé beaucoup de lettres, mais pas bien intéressantes;
cependant, Mme Mollien mande la grossesse de Mme la duchesse d'Orléans
et ajoute qu'elle est retombée dans les souffrances d'estomac dont la
rougeole semblait l'avoir tirée. Madame Adélaïde, qui m'écrit aussi,
paraît fort satisfaite de la manière dont la revue de la Garde nationale
s'est passée, et surtout de la façon dont M. le duc d'Orléans a été
reçu, à son retour d'Afrique. Quelques-uns de ses officiers d'ordonnance
sont morts, et beaucoup sont restés, au blessés ou malades, en arrière;
lui-même est fort maigri.

Ici, à Berlin, d'après ce que j'ai entendu des diverses personnes que
j'ai vues, hier dans la soirée, on est très content de la bonté, de la
mesure, de la sagesse du nouveau Roi. Il travaille beaucoup, accueille
tout le monde, se montre plein d'égards pour les amis et pour les
directions de son père. M. de Humboldt m'a rapporté toutes sortes de
paroles gracieuses de Sans-Souci. Le Prince et la Princesse de Prusse
m'en ont transmis autant. Mme de Perponcher m'a prévenue qu'il y aurait
grande Cour de condoléance vendredi prochain, ici, et m'a indiqué le
oicstme.

Le seul changement qui se soit encore fait depuis le nouveau règne,
c'est que le Roi travaille avec chacun de ses Ministres en particulier,
tandis que le feu Roi ne causait qu'avec le Prince de Wittgenstein, et
ne travaillait qu'avec le comte Lottum. M. d'Altenstein, qui était
ministre des Cultes et de l'Instruction publique, était mort trois
semaines avant le feu Roi et n'avait point encore été remplacé. On
attend, avec impatience, de savoir par qui cette place importante sera
remplie; on verra, dans ce choix, une indication sur l'esprit qui
dirigera le règne actuel. Cette nomination est, par cela même, le
premier embarras du Roi.


_Berlin, 1er juillet 1840._--Mon grand grief contre les villes, ce sont
les visites à faire et à recevoir. J'ai beau n'être ici qu'un oiseau de
passage, je suis victime de cet inconvénient. J'ai donc fait et reçu
prodigieusement de visites hier, matin et soir. Le Prince de Prusse, qui
est parti ce matin pour Ems, a été longuement chez moi. Il m'a dit que
l'Impératrice de Russie était fort satisfaite de sa future belle-fille.
C'est avec l'Impératrice elle-même que la jeune Princesse se rendra en
Russie.

Lord William Russell est aussi venu me voir; il m'a dit que lady
Granville avait _ordonné_ à M. Heneage, qui est attaché à l'ambassade de
son mari, à Paris, d'accompagner Mme de Lieven en Angleterre.

Je suis allée, avec Wolff, voir l'atelier de Begas, peintre allemand,
élevé à Paris, sous les yeux de Gros. Il a beaucoup de talent.

Il y a eu un tremblement de terre dans le département d'Indre-et-Loire!
On l'a ressenti à Tours; à Candes, à quatre lieues de Rochecotte,
plusieurs maisons ont été renversées. Rien, Dieu merci, à Rochecotte,
mais cette visite souterraine m'effraye: cela pourrait bien, en se
renouvelant, faire crouler toutes mes constructions et tarir mon puits
artésien.


_Potsdam, 2 juillet 1840._--J'ai quitté hier Berlin à onze heures du
matin, par le chemin de fer. Je me suis trouvée dans le même wagon que
le prince Adalbert de Prusse, cousin du Roi, lord William Russell, et le
Prince Georges de Hesse. A la descente du chemin de fer, qui, en moins
d'une heure mène à Potsdam, j'ai trouvé la voiture et les gens de la
Princesse de Prusse, avec l'invitation de me rendre tout de suite chez
elle au Babelsberg, joli castel gothique qu'elle a fait bâtir sur une
hauteur boisée qui domine le cours de la Havel: c'est petit, mais très
bien arrangé et en très belle vue. Nous sommes restées à causer pendant
une heure. Sa voiture est restée à ma disposition à Potsdam, après m'y
avoir ramenée. Ma toilette faite, j'ai été à Sans-Souci, où le Roi dîne
à trois heures. Il a été parfaitement bon et aimable ainsi que la Reine.
Après le dîner, il m'a menée voir la chambre où Frédéric II est mort,
et la bibliothèque de ce Prince. Il a voulu que je le suivisse sur la
terrasse, qui est une très belle chose; puis, on m'a confiée à la
comtesse de Reede, grande-maîtresse de la Reine, et à Humboldt, et on
m'a conduite, en calèche, au Palais de marbre qui renferme quelques
beaux objets d'art, et au Nouveau Palais où se donnent les grandes fêtes
d'été. La Princesse de Prusse y est venue à notre rencontre, et m'a
menée à Charlottenhof, création du Roi actuel, sur les modèles, plans et
dessins d'une villa de Pline: c'est charmant, plein de belles choses
rapportées d'Italie, qui se marient admirablement à une inconcevable
profusion de fleurs, des peintures à fresque comme à Pompéi, des
fontaines, des bains antiques, tout cela du meilleur goût. Le Roi et la
Reine y étaient: on y a pris le thé; après quoi, le Roi m'a fait monter
à côté de lui dans un _poney-chaise_ et m'a menée, par des allées
superbes de vieux chênes, jusqu'à Sans-Souci, où il a voulu que je
restasse souper. Ce souper se sert dans un petit salon, sans apparat; on
cause plus qu'on ne mange. Cela s'est prolongé agréablement et
facilement jusqu'à onze heures. Le Roi m'a promis son portrait, et a
été, à tous égards, parfait pour moi. Il m'a fait promettre de revenir
le voir à Berlin, et a été, comme on dit ici, très _herzlich_[116].

  [116] Cordial.

Ce matin, Humboldt est venu de sa part me proposer, avant d'aller
déjeuner chez la Princesse de Prusse, de voir l'île des Paons, avec les
admirables serres qui s'y trouvent, et une curieuse ménagerie. Les
bateliers du Roi et les directeurs des établissements botaniques
m'attendaient, et j'ai rapporté des fleurs superbes. Nous sommes arrivés
un peu tard chez la Princesse de Prusse, qui, après le déjeuner, m'a
menée, en poney-chaise, voir Glinicke, la très jolie villa du Prince
Charles, qui est en ce moment, avec sa femme, aux bains de Kreuznach. De
là, j'ai regagné Potsdam, le chemin de fer, et Berlin.


_Berlin, 3 juillet 1840._--Mme de Perponcher est venue me prendre à
quatre heures aujourd'hui, et en me faisant passer par les appartements
de sa mère, la comtesse de Reede, au château, m'a fait éviter la file,
et la foule; nous nous sommes ainsi trouvées des premières à la Cour de
condoléance que la Reine a reçue à Berlin, assise sur son trône, dans
une chambre tendue de noir, les volets fermés, et la pièce uniquement
éclairée par quatre grands cierges d'après l'ancienne étiquette. La
Reine avait un double voile, l'un flottant en arrière, l'autre baissé
devant, et toutes les dames de même, ce qui fait qu'on ne se distinguait
pas. Une révérence silencieuse devant le trône, et voilà tout. C'était
singulièrement grave et lugubre, mais très noble et imposant. Les
hommes, qui ont défilé après nous, étaient en uniforme, et à visage
découvert, mais tout ce qui, dans leurs uniformes, était en or ou en
argent, recouvert de crêpe noir.


_Berlin, 5 juillet 1840._--Voilà mon séjour à Berlin terminé. J'ai été,
ce matin, à la grand'messe, ce qui est moins méritoire ici qu'ailleurs,
à cause de l'excellente musique qu'on y entend.


_Herzberg, 6 juillet._--Je suis partie ce matin de Berlin par le chemin
de fer jusqu'à Potsdam, où je me suis arrêtée pour déjeuner. A la
descente du train, j'ai trouvé le valet de chambre de la Princesse de
Prusse avec une lettre d'adieu très affectueuse; j'ai été gâtée jusqu'au
dernier moment. Je suis pénétrée de reconnaissance, car tout le monde
m'a témoigné un empressement, une bienveillance, une cordialité, que
l'Angleterre seule m'avait offertes jusqu'ici.

J'ai fini les _Récits des temps mérovingiens_, par M. Augustin Thierry:
cela ne manque pas d'intérêt, ni surtout d'originalité; comme tableau de
mœurs étranges et inconnues, cela a de la valeur. J'ai commencé les
_Dialogues_ de Fénelon sur le Jansénisme, livre peu connu, fort oublié,
admirablement bien écrit, et parfois aussi piquant que les
_Provinciales_.


_Kœnigsbruck, 8 juillet 1840._--Je suis arrivée hier ici, à six heures
du soir, chez ma nièce la comtesse de Hohenthal. La dame du lieu est
plus grande, plus blonde, plus spirituelle, aussi bonne, et, à mon gré,
plus jolie et plus aimable que sa sœur, Mme de Lazareff. Son autre
sœur, Fanny, joint un excellent caractère à de la gaieté d'esprit; si
sa santé était meilleure, elle serait jolie. Le comte de Hohenthal est
un homme comme il faut, qui admire et adore sa femme. Miss Harrison,
l'ancienne gouvernante de ces dames, est une personne mesurée et
dévouée, qui leur a tenu lieu de mère, et qui est respectée comme telle
dans la maison. Kœnigsbruck est une grande maison plus vaste que belle,
à l'entrée d'un petit bourg; la position serait pittoresque et la vue
agréable, si elle n'était pas comme étouffée par les communs et les
basses-cours, qui, à la mode allemande, se trouvent beaucoup trop
rapprochés du château. Le pays offre la transition de la Prusse stérile
et plate, à la Saxe productive et coupée.

Voici l'extrait d'une lettre de M. Royer-Collard, écrite de Paris au
moment où il allait partir pour le Blésois: «Thiers est venu,
aujourd'hui même, s'asseoir ici avec M. Cousin silencieux, qui
représentait le frère compagnon du Jésuite. Thiers parle fort
dédaigneusement des Ministères qui ont précédé le sien, modestement de
ses succès à l'intérieur; du reste, fort aimable pour moi.»


_Kœnigsbruck, 9 juillet 1840._--J'ai visité aujourd'hui le château en
détail. Il y aurait de quoi faire d'assez belles choses, mais ce n'est
pas trop le goût du pays, où les seigneurs, faisant généralement valoir
leurs propriétés eux-mêmes, préfèrent l'utile à l'agréable.

Ma nièce m'ayant dit que le Roi et la Reine de Saxe lui avaient témoigné
le désir de me voir, j'ai écrit hier à Pillnitz où se trouve la Cour,
pour demander à voir Leurs Majestés; quand j'aurai la réponse, je
fixerai le moment de mon départ.

Mes nièces, qui passent habituellement leurs hivers à Dresde, m'ont dit
que le ministre de France, M. de Bussières, y était fort mal vu. On lui
trouve un mauvais esprit et un mauvais ton; il y a introduit d'assez
désagréables façons, et a fort blessé la Reine, par des propos au moins
déplacés sur son compte. On souhaite beaucoup qu'il obtienne une autre
mission diplomatique.


_Dresde, 11 juillet 1840._--J'ai quitté Kœnigsbruck ce matin. J'ai revu
avec plaisir les jolis environs de Dresde. Je vais faire ma toilette et
partir pour Pillnitz.


_Dresde, 12 juillet 1840._--Le château de Pillnitz n'est ni très beau,
ni très curieux; les jardins sont médiocres, mais la position aux bords
de l'Elbe est charmante, et toute la contrée gracieuse et riche. Toute
la famille Royale de Saxe y était réunie hier. La Reine, que j'ai connue
jadis à Bade, avant son mariage, est la femme la plus grande que je
connaisse; elle a beaucoup de bonté, d'instruction et de bienveillante
simplicité. Le Roi, qui avait dîné plusieurs fois à Paris, chez M. de
Talleyrand, est naturel, ouvert, surtout quand le premier moment,
toujours dominé par la timidité, est passé. La Princesse Jean, sœur de
la Reine, et sœur jumelle de la Reine de Prusse, ressemble d'une
manière frappante à cette dernière, mais elle est tellement éteinte par
ses fréquentes couches qu'elle semble avoir à peine la force de se
mouvoir et d'articuler quelques paroles. Je l'avais aussi connue à Bade,
fort jolie et agréable. Son mari, le Prince Jean, est un des princes les
plus instruits du temps, fort occupé de choses sérieuses; sa tournure et
toute sa personne sont fort négligées: il a quelque chose du professeur
allemand. La princesse Auguste, cousine du Roi, a été successivement
recherchée, il y a trente ans, par tous les souverains de l'Europe.
Napoléon avait discuté son nom, dans le Conseil où son mariage fut
décidé; elle n'en est pas moins restée fille, et, qui plus est, très
douce vieille fille. Elle n'a jamais été jolie, mais elle était blanche
et fraîche avec quelques jolis détails. L'expression de sa physionomie
est restée bonne et prévenante. Enfin, j'ai fait la conquête de la
Princesse Amélie, sœur du Roi, celle qui écrit des comédies. Elle a de
l'esprit, de l'imagination, une conversation vive et piquante, de la
bonté, et elle a été remarquablement aimable pour moi.

Après le dîner, on m'a menée, pour changer ma toilette, dans un très bel
appartement, que j'étais tentée de dévaliser, tant il y avait de belles
porcelaines de vieux Saxe. La Reine m'a fait chercher. On m'a conduite
dans son cabinet, où elle m'a questionnée, à la façon des Princesses.
Tout le monde s'est bientôt rassemblé, en toilette de promenade, et on
est parti, en calèches, pour une assez longue course. On cultive
beaucoup la vigne dans les environs de Dresde. Au sommet des vignes
royales, le Roi a fait construire un petit pavillon, qui m'a rappelé
celui de la grande-duchesse Stéphanie à Bade. C'était le but de la
promenade; la vue y est superbe: à droite, Dresde; en face, l'Elbe et
ses riantes rives; à gauche, la chaîne de montagnes qu'on appelle la
Suisse saxonne. On a pris le thé dans le pavillon, on a causé assez
agréablement, puis on m'a dit adieu, avec toutes sortes de bonnes et
aimables paroles. Ma voiture avait suivi, je l'ai reprise, et suis
revenue à Dresde à dix heures du soir.


_Dresde, 13 juillet 1840._--J'ai été, hier matin dimanche, à la messe
dans la chapelle du Château, dont la musique est célèbre dans toute
l'Allemagne. C'est le seul lieu où l'on entende encore des chanteurs à
la façon de Crescentini et de Marchesi. Cette musique si fameuse ne m'a
pas satisfaite; elle était beaucoup trop musique d'opéra, bruyante et
dramatique au lieu d'être recueillie. D'ailleurs, ces voix mutilées,
malgré leur éclat, ont quelque chose d'aigre et de criard qui me
déplaît. Je n'ai jamais pu goûter celle de Crescentini, aux grands
succès duquel j'ai assisté, à la Cour de Napoléon.

Après la messe, nous avons visité l'intérieur du Château, où Bendemann,
un des artistes les plus distingués de Dusseldorf, peint maintenant à
fresque la grande salle dans laquelle le Roi fait l'ouverture et la
clôture des États. Ce sera une belle chose, comme composition et comme
exécution, mais à laquelle il manquera toujours la clarté que l'Italie
seule peut répandre sur ce genre de peinture, qui en réclame beaucoup.
Les appartements de l'Électeur Auguste le Fort, meublés dans le goût de
l'époque, et qui, depuis, n'ont été habités que par l'Empereur Napoléon,
m'ont fort intéressée; il s'y trouve une grande richesse en meubles de
Boule, laques, cuivres dorés, vieilles porcelaines, bois incrustés, mais
le tout est mal tenu, mal rangé, et ne fait pas le quart de l'effet que
cela devrait produire. Le Château, en lui-même, au dehors, a l'air d'un
vieux couvent, mais dans les cours intérieures, il y a des détails
d'architecture curieux, et qui rappellent le château de Blois, sans
l'égaler. Rien n'est comparable, pour donner de la légèreté, de la
grâce, de l'élégance aux constructions, à cette pierre éternellement
blanche, qui est si exclusivement particulière au centre de la France.
Ici, la pierre est très noire.

J'ai eu, le soir, la visite du baron de Lindenau, Ministre de
l'Instruction publique et Directeur des musées. Il a joué un rôle
politique important dans les affaires de Saxe, lors de la co-Régence du
Roi actuel. Je l'avais connu, autrefois, chez feu ma tante, la comtesse
de Recke; c'est un homme distingué, et j'ai été fort aise de le revoir.

Mon neveu nous a conduits, ce matin, visiter le Palais japonais, qui
contient la Bibliothèque Royale, les manuscrits, les pierres gravées,
les médailles et les gravures. J'ai parcouru vingt chambres voûtées qui
contiennent toutes les porcelaines connues, de toutes les époques et de
tous les pays. Il y a des choses fort curieuses et fort belles. Cette
collection est surtout fort riche en chinoiseries. En sortant de là,
nous avons été à la Manufacture Royale de porcelaines, qui a conservé la
belle pâte si fort admirée dans le vieux Saxe que vendent les marchands
de curiosités.

Après dîner, j'ai été au Musée historique, qu'on appelle ici le
_Zwinger_, et qui est arrangé dans le goût de la Tour de Londres. M. de
Lindenau avait averti les Directeurs en chef, qui sont de vrais savants
et qui nous ont tout expliqué à ravir. Je connaissais, d'autrefois, la
Galerie de tableaux et le Trésor, je n'y suis donc pas retournée.


_Téplitz, 14 juillet 1840._--La journée, de Dresde ici, n'est pas forte:
huit petites heures, voilà tout, à travers un pays charmant. On ne va
pas vite, à cause des montagnes, mais la variété et l'agrément des sites
dédommagent de ces retards. Il y en a, de ces sites, qui rappellent le
Murgthal, d'autres Wildbad. L'Erzgebirge, au pied duquel se trouve
Téplitz, sans être une chaîne de montagnes imposante, sert pourtant de
fond de tableau. D'ailleurs, ce sont des montagnes fort boisées, les
villages sont jolis, les fleurs cultivées, les routes, partout, très
belles. Aussitôt après mon arrivée, j'ai eu la visite de ma nièce, la
princesse Biron, celle qui a épousé l'aîné de mes neveux. Elle m'a fait
monter dans sa calèche, nous avons été voir la ville qui n'est pas mal,
les promenades qui sont jolies, et le village de Schœnau, qui touche à
la ville et où se trouvent les principaux établissements de bains. Tout
cela est très bien, et élégamment bâti. Téplitz a beau être très joli,
il ne vaut pas le cher Bade. Il y a aussi une grande différence pour le
mouvement, qui me paraît être assez médiocre ici. On dit que la mort du
Roi de Prusse fera beaucoup de tort, car il y venait chaque année.

La princesse Biron est une douce personne, qui, sans être jolie, a l'air
très noble, et qui est fort aimée et respectée dans la famille de son
mari.


_Téplitz, 15 juillet 1840._--Je vais partir pour Carlsbad où je reverrai
ce soir mes deux sœurs, dont je suis séparée depuis seize ans. Une trop
longue absence a rompu mes habitudes et m'a laissée étrangère aux
intérêts des uns et des autres... Aussi, je commence cette journée avec
émotion.


_Carlsbad, 16 juillet 1840._--La journée a été de quinze heures, pendant
lesquelles je ne me suis pas arrêtée une minute: vingt-six lieues à
faire, toujours en montant et en descendant. La sortie de Téplitz est
jolie encore jusqu'à Dux, ce château du comte Wallenstein où Casanova a
écrit ses _Mémoires_; mais, plus loin, commence une aridité fatigante.
Il était dix heures quand je suis arrivée. Mes sœurs étaient encore en
face l'une de l'autre, à faire des patiences. Jeanne, la duchesse
d'Acerenza, m'a reçue fort naturellement; Pauline, la princesse de
Hohenzollern, avec une certaine gêne qui m'a aussitôt gagnée. Nous
n'avons parlé que de choses indifférentes; elles m'ont offert du thé, et
je suis allée ensuite dans la maison en face, où ma sœur Jeanne a loué
un appartement pour moi.


_Carlsbad, 17 juillet 1840._--Le duc de Noailles m'écrit, de Paris,
qu'il a dîné chez l'ambassadeur de Sardaigne[117] avec M. Thiers, et
qu'il a beaucoup causé avec lui. Il l'a trouvé tout entier à l'Afrique,
voulant y dépenser des sommes immenses, y faire une grande guerre, y
avoir une armée de quatre-vingt mille hommes, faire l'enceinte continue
dont on a déjà tant parlé, pour entourer toute la plaine de la
Mitidja[118]. Il tâche de prouver qu'il résultera de tout cela des
merveilles dans deux ou trois ans, c'est-à-dire la vraie possession de
l'Afrique, une grande colonisation, et un port magnifique sur la
Méditerranée. Le duc de Noailles me dit aussi que Mme de Lieven est à
Londres, où elle s'applaudit beaucoup de l'accueil qu'on lui fait.

  [117] Le marquis de Brignole-Sale.

  [118] La vaste plaine de la Mitidja est située au sud d'Alger et
  s'étend entre les deux zones montagneuses de l'Atlas et du Sahel.
  Elle est célèbre par sa fertilité, qui l'a fait surnommer par les
  Arabes _la mère du pauvre_.

Un autre correspondant m'écrit ceci: «Le Roi ne paraît pas s'être
rapproché de son Ministère, quoique étant, dit-on, dans les meilleurs
termes, avec les personnes qui le composent. Le Roi a une partie à
regagner, et il attend patiemment que le jeu soit beau à jouer. M.
Guizot est, paraît-il, toujours à la mode en Angleterre[119]. Il parie
aux courses, et a gagné deux cents louis; avouez que M. Guizot sur le
turf est une des plus curieuses anomalies de l'époque!»

  [119] M. Guizot était alors ambassadeur à Londres.

Mes sœurs m'ont menée, hier, voir les différentes sources et les
boutiques qui sont très jolies. J'ai dîné, ensuite, chez elles, à trois
heures, avec mon ancien beau-frère, le comte Schulenbourg[120]; puis,
nous avons été faire une promenade le long de la vallée, qui ressemble
beaucoup à celle de Wildbad. J'y ai retrouvé, en fait de connaissances,
le prince et la princesse Reuss-Schleiz; le comte et la comtesse de
Solms, fils du premier mariage de la vieille Ompteda; la comtesse
Karolyi, celle qu'on appelle Nandine; le vieux Lœvenhieln avec sa
femme, qui se nommait Mme de Düben en premières noces; Liebermann et
une vieille princesse Lichtenstein. Je suis rentrée chez moi à dix
heures, un peu fatiguée de cette lanterne magique.

  [120] Troisième mari de la sœur aînée de la duchesse de
  Talleyrand.


_Carlsbad, 18 juillet 1840._--J'ai été, hier, faire une visite à la
comtesse de Bjœrnstjerna, qui demeure dans la même maison que moi. Elle
part ce matin pour Hamburg, où elle saura si elle doit rejoindre son
mari à Stockolm ou à Londres. Son fils aîné épouse la fille unique de sa
sœur, la comtesse Ugglas, morte il y a quelques années. J'ai eu quelque
plaisir à retrouver un souvenir vivant de Londres, du meilleur temps de
ma vie, même sous cette forme de cette petite Bjœrnstjerna. J'ai été
aussi chez un vieux octogénaire, qui demeurait toujours chez ma tante,
la comtesse de Recke, et que j'avais manqué à Dresde où je comptais le
trouver. Il y demeure habituellement, dans une maison dont ma tante lui
a légué l'usufruit, et sur laquelle j'ai des droits, après la mort de ce
pauvre vieux bonhomme. Nous nous sommes attendris ensemble au souvenir
de ma bonne tante.

Après avoir dîné chez mes sœurs, nous avons été nous promener, en
calèche, par un joli chemin taillé dans la montagne, et visiter une
fabrique de porcelaines, où il y a d'assez jolies choses. C'est une
industrie qui s'est généralement répandue en Bohême depuis quelque
temps, mais qui reste fort en arrière de ce qu'elle est en Saxe.


_Carlsbad, 19 juillet 1840._--Ma journée d'hier s'est passée à peu près
comme la précédente, et comme, probablement, se passeront toutes celles
de mon séjour ici. Je m'éveille toujours de bonne heure, j'écris jusqu'à
neuf heures, je me lève, je m'habille; à dix heures, je vais chez mes
sœurs, je reste avec elles à causer jusqu'à midi; je fais alors des
visites d'obligation ou je rentre pour lire. Je retourne chez mes sœurs
à trois heures, pour dîner; puis je les mène se promener dans la calèche
que j'ai louée ici; à six heures, elles s'établissent devant leur porte
à voir passer le monde; j'y reste un peu, puis je rentre chez moi;
enfin, je retourne chez elles à huit heures pour le thé.

Ma sœur Hohenzollern a apporté ici toutes les lettres curieuses qui
avaient appartenu à ma mère, et dont ma sœur, la duchesse de Sagan,
s'était emparée, elle m'a proposé d'en prendre le tiers, et nous en
avons fait le partage. Ma part contient des lettres du feu Roi de
Pologne[121], de l'Empereur Alexandre, des frères et sœurs du grand
Frédéric, de Gœthe, de l'Empereur Napoléon à l'Impératrice Joséphine,
du grand Condé, de Louis XIV, et par-dessus tout, une lettre de Fénelon
à son petit-neveu, celui qu'il appelait Fanfan[122]. Elle est renfermée
dans un papier, sur lequel l'Evêque d'Alais, M. de Bausset, a écrit une
note signée, constatant l'authenticité de cette lettre, ce qui fait un
double autographe.

  [121] Stanislas-Auguste Poniatowski, dernier Roi de Pologne.

  [122] M. Léon de Beaumont, fils d'une sœur de Fénelon.


_Carlsbad, 20 juillet 1840._--J'ai été, hier, à la messe, au milieu
d'une foule énorme, car ce pays-ci est essentiellement catholique. Les
petites chapelles, les grands crucifix, les _ex-voto_, répandus dans la
montagne, sont tous visités, les dimanches, par le peuple, qui y dépose
de petites bougies et des fleurs. J'ai été visiter deux de ces petits
lieux de dévotion, qui, outre la pensée religieuse, font un très joli
effet dans le paysage.

J'ai, ensuite, retrouvé mes sœurs à leur place habituelle. La comtesse
Léon Razumowski et la princesse Palfy étaient avec elles; j'ai fait leur
connaissance, sans y trouver grand intérêt. Cette comtesse Razumowski
est ici à la tête des plaisirs; ce sont tous les jours des thés, des
goûters, etc., à la mode des dames russes à Bade.

M. de Tatitcheff est aussi ici. Il est venu dire qu'un jeune Russe,
arrivant droit de Rome, dit y avoir laissé le Pape dans un état
désespéré.

Le soir, une Mrs Austin, bel esprit anglais, apportant des lettres de
recommandation à mes sœurs, est venue les voir. Elle voit beaucoup M.
Guizot, à Londres, le cite à tout propos, et se vante fort de connaître
lady Lansdowne.


_Carlsbad, 22 juillet 1840._--J'ai reçu, hier, une lettre fort touchante
de l'abbé Dupanloup. Il a été se rafraîchir, se recueillir et se reposer
à la Grande Chartreuse, d'où il m'écrit. Il comptait retourner
promptement à Paris, pour assister, d'office, au sacre du nouvel
Archevêque[123], à propos duquel il me montre un grand souci sur l'état
du clergé français, dont il dépeint l'irritation comme très grande.

  [123] Mgr Affre.

J'ai aussi une lettre de la princesse de Lieven, de Londres. Elle me
dit: «Grande débilité dans le Ministère, mais certitude de vivre
toujours, à la condition d'une chétive santé. La popularité de la Reine
est revenue tout entière depuis l'attentat contre sa personne[124]. Elle
s'est vraiment conduite avec un grand courage et un grand calme, très
honorable et très rare à son âge; elle aime beaucoup son mari, qu'elle
traite en petit garçon. Il a moins d'esprit qu'elle, mais beaucoup de
calme et de tenue. M. Guizot a une excellente position ici; il est fort
honoré par tous et parfaitement content. M. de Brunnow est bien petit;
on les trouve, lui et sa femme, bien ridicules et parfaitement déplacés.
La petite Chreptowicz, fille du comte Nesselrode, qui est ici, en est
bien honteuse et triste. Alava n'a plus sa gaieté. Lady Jersey a des
cheveux gris. Lord Grey a fort bonne mine, mais il est bien grognon.»

  [124] Le 6 juin 1840, un jeune homme du nom d'Oxford, considéré,
  depuis, comme mentalement malade, avait tiré deux coups de
  pistolet sur la Reine Victoria, qui passait, en voiture, dans les
  rues de Londres, accompagnée de son mari, le prince Albert.

On dit ici que Matusiewicz est dangereusement malade de la goutte à
Stockholm, et que M. de Potemkin est devenu fou furieux à Rome. Cela va
donner du revirement diplomatique à la Russie, et tirera peut-être mon
cousin Paul Medem de Stuttgart.


_Carlsbad, 27 juillet 1840._--Je compte partir après-demain pour Bade.
Il est arrivé hier un M. de Hübner, Autrichien[125], employé dans les
bureaux du prince de Metternich. Il m'a apporté une invitation pressante
du Prince à aller le voir à Kœnigswarth, qui n'est qu'à six heures de
chemin d'ici. Je me suis excusée en termes très affectueux, mais j'ai
refusé. Il ne serait pas obligeant pour mes sœurs d'abréger d'un jour
ou deux mon séjour auprès d'elles, après une si longue séparation, et,
surtout, j'ai une grande peur des interprétations stupides de nos
gazettes. Frédéric Lamb, Esterhazy, Tatitcheff, Fiquelmont, Maltzan et
d'autres diplomates se réunissent à Kœnigswarth; cela fixerait
l'attention, et je ne me soucie pas du tout que mon nom, qui n'est point
encore assez tombé dans l'oubli, figure dans les agréables commentaires
des journaux.

  [125] M. de Hübner fut ambassadeur d'Autriche en France sous le
  second Empire, avant la guerre d'Italie.


_Carlsbad, 30 juillet 1840._--Je quitte Carlsbad aujourd'hui à midi. Je
me rends avec ma sœur Acerenza, à Lœbichau, en Saxe, terre qui lui
appartient et où ma mère est enterrée. Elle ira ensuite rejoindre ma
sœur de Hohenzollern à Ischel où celle-ci se rend aussi aujourd'hui.
Nous nous quittons dans les meilleurs termes, et j'ai promis d'aller les
voir à Vienne, au prochain voyage que je ferai en Allemagne.


_Lœbichau, 31 juillet 1840._--Je suis arrivée hier soir. J'ai traversé
un pays de montagnes pittoresques, boisé, arrosé. J'ai voyagé dans ce
joli duché de Saxe-Altenbourg, si fertile, si riant, si habité, où j'ai
passé tous les étés jusqu'à l'époque de mon mariage. J'y suis revenue
plusieurs fois depuis; beaucoup de souvenirs m'y font prendre intérêt,
et les émotions ne m'ont pas manqué. Quelques vieilles figures de
l'ancien temps m'ont encore saluée. Je suis entrée dans la chambre où ma
mère est morte, et que ma sœur habite maintenant, et nous avons été au
bout du parc visiter son tombeau. J'ai voulu aller au presbytère voir la
femme du Pasteur, qui était ma très fidèle compagne d'enfance. Une de
ses filles est ma filleule; c'est une jolie personne.


_Lœbichau, 1er août 1840._--Il a plu pendant toute la journée d'hier,
il n'y a pas eu moyen de sortir. Je me suis bornée à parcourir la maison
et à revoir les chambres que j'ai habitées à différentes époques.
Quelques personnes de l'endroit et des environs sont venues nous voir,
entre autres une chanoinesse, Mlle Sidonie de Dieskau, grande amie de ma
mère, chez laquelle j'allais beaucoup dans mon enfance, qui est une
personne fort spirituelle, animée, et qui porte ses soixante-douze ans
admirablement.

J'ai trouvé ici une lettre de la duchesse d'Albuféra, qui me mande ce
qui suit: «Il y a eu, dernièrement, une soirée chez lady Sandwich. Vous
ne devineriez jamais qui s'y trouvait, pour amuser la compagnie... Un
magnétiseur! On a entendu la marquise de Caraman dire au jeune duc de
Vicence: «Si nous étions seuls, que j'aimerais à me faire magnétiser,
mais je n'oserais devant du monde... je craindrais trop de me trahir par
mon émotion!»--Le maréchal Valée continuera à commander en Afrique,
malgré les diatribes dont il est l'objet, à cause de la difficulté de
lui trouver un remplaçant.--Les Flahaut sont revenus, fort adoucis, très
gouvernementaux, et vont très souvent à Auteuil, où M. Thiers est
établi.--Le mariage de lady Acton avec lord Leveson est décidé, et fixé
à ce mois-ci. Il se fera en Angleterre, où les Granville ont été appelés
par la maladie grave de leur fille, lady Rivers. Lord Granville ne se
souciait nullement de ce mariage. Il a fallu bien des instances pour
obtenir son consentement; la grande passion du fils a renversé tous les
obstacles.»


_Lœbichau, 2 août 1840._--J'ai été hier, avec ma sœur, à une petite
demi-lieue d'ici, visiter un pavillon, au milieu d'un parc, dans lequel
j'ai demeuré pendant plusieurs étés. C'était un cadeau que ma mère
m'avait fait, et que je lui ai rendu, au moment de mon mariage. Il est
en assez mauvais état maintenant, mais je l'ai revu avec plaisir. En
revenant, j'ai été dans le village rechercher encore quelques anciens
souvenirs.


_Schleitz, 3 août 1840._--Cette ville est la résidence du prince de
Reuss LXIV. Elle a brûlé, il y a trois ans. Le Château est tout neuf,
rebâti dans le genre caserne, avec deux tours fort mesquines. C'est
dommage, car le pays est joli, surtout vers le point de Gera, où j'ai
dîné, chez cette chanoinesse de Dieskau, dont j'ai parlé plus haut, et
que j'aime des meilleurs souvenirs de mon enfance. Elle est très bien
établie.


_Nüremberg, 4 août 1840._--Je suis arrivée tard, hier soir, à Bayreuth,
et j'en suis repartie aujourd'hui, de grand matin.

Il suffit de traverser les rues de Nüremberg pour être frappé de son
aspect particulier. Les balcons octogones, et formant des tourelles en
saillie, soit au milieu, soit au coin des maisons, presque toutes, avec
pignon sur rue, ont un cachet à part. La multitude de niches avec des
statues de saints, ferait croire qu'on est en pays catholique, et
cependant la ville est entièrement protestante; mais la Réforme n'y a
pas, comme ailleurs, exercé son vandalisme, et les habitants ont eu le
bon goût de conserver, par respect pour les arts, ce qu'ils
n'appréciaient plus par piété.

Hier au soir, au dernier relais, avant Bayreuth, j'ai rencontré des
voyageurs inconnus, mais qui avaient l'air considérable. Le mari s'est
approché de ma voiture et m'a demandé si je savais des nouvelles. J'ai
dit que non; alors, il m'a conté qu'il était Genevois, qu'il menait sa
femme malade à Marienbad; qu'en quittant Genève, il y avait vu arriver
un de ses amis de Paris qui disait que, sur la nouvelle qu'une
convention entre l'Autriche, la Prusse, la Russie et l'Angleterre,
hostile au Pacha d'Égypte, avait été signée à Londres, le Roi des
Français avait été furieux; que M. Thiers avait, immédiatement, ordonné
une levée extraordinaire de deux cent mille hommes, pour se porter aux
frontières du Nord, et de dix mille matelots[126]. Comme je ne vois plus
de journaux, je suis dans une grande incertitude sur la valeur de ces
nouvelles; je ne sais que penser et que croire de tous ces démêlés...

  [126] Les complications de la question d'Orient faillirent, à
  cette époque, précipiter la France dans une guerre. La Syrie
  s'était soulevée, et les Anglais, qui voyaient d'un mauvais œil
  la puissance du vice-roi d'Égypte, Méhémet-Ali, s'unirent à la
  Prusse, l'Autriche et la Russie (en excluant la France que lord
  Palmerston savait trop favorable à l'Égypte), pour signer
  secrètement, à Londres, le 15 juillet 1840, un traité qui rendait
  la Syrie au Sultan.

On m'a dit qu'il y aurait ici au 1er septembre un camp de plaisance qui
durerait quinze jours: vingt mille hommes de troupes, toute la Cour de
Bavière et d'autres Princes, le rendront fort brillant.

J'ai lu, dans le _Galignani_, la mort de lord Durham, il me semble qu'il
sera peu regretté.

       *       *       *       *       *

Je reviens de mes courses. L'église de Saint-Sebald manque de
proportions, et les ornements en sont plus que médiocres, mais elle
contient un beau monument. C'est une grande châsse en argent, recouverte
de bandes dorées, placée dans un monument de fonte à jour, d'une
délicatesse et d'une élégance remarquables; les ornements en sont d'une
extrême richesse, et d'un dessin admirable. Dans l'Hôtel de Ville, la
grande salle peinte à fresques par Albrecht Dürer, et où se sont tenues
plusieurs diètes impériales, mérite d'être vue, ainsi que celle où se
trouvent les portraits des citoyens de Nüremberg qui, par des
fondations pieuses, ont été les bienfaiteurs de leur ville natale. La
chapelle de Saint-Maurice, transformée en Musée, contient des tableaux
intéressants de l'ancienne école allemande. La statue en bronze de
Dürer, sur une des places, modelée par Rauch, de Berlin, et fondue ici,
a de la noblesse, et produit un bel effet. Le vieux Château, qui, planté
sur une élévation, domine la ville, en fait voir le panorama, ainsi que
celui de toute la contrée. Ce vieux castel, tout chétif qu'il est, a le
mérite d'une incontestable ancienneté; le Roi et la Reine de Bavière y
demeurent quand ils sont ici. Un vieux tilleul, planté au milieu de la
cour par l'Impératrice Cunégonde, aurait huit cents ans, s'il faut en
croire la chronique. Il est permis de douter d'une date si reculée, mais
non pas que cet arbre ait été témoin de bien des événements.

L'église de Saint-Laurent est très belle, très imposante; le tabernacle
et la chaire sont des chefs-d'œuvre. Deux fontaines, l'une en fonte,
l'autre en pierre, sur deux places, sont très remarquables par de
curieux détails de sculpture, mais les petits filets d'eau qui en
découlent leur donnent plutôt l'air d'_ex-voto_ que de fontaines. La
maison de l'Empereur Adolphe de Nassau, celle des Hohenzollern,
longtemps Burgraves de Nüremberg, et plusieurs autres encore,
appartenant à des particuliers, sont curieuses. La manie des
restaurations a gagné Nüremberg. Ce serait fort louable, si on ne
peignait pas à l'huile, en couleurs très voyantes, ces maisons qui,
toutes sculptées et découpées, auraient surtout besoin de rester couleur
pierre. Le cimetière de Saint-Jean contient les tombes de tous les
hommes qui ont illustré la ville. La Rosenau, promenade publique dont
les habitants sont très fiers, est humide et mal tenue.

J'ai fini ma tournée en visitant le magasin de jouets, célèbre depuis
des siècles. On y fait toutes sortes de figures et de drôleries en bois
parfaitement découpées.


_Bade, 7 août 1840._--Me voici donc à Bade, qui m'a fait éprouver un vif
serrement de cœur, en y rentrant seule tout à l'heure. La vue du
Jagd-Haus, de la petite chapelle, des peupliers sur la route, je
retrouvais à chaque pas un souvenir, un regret! Je demeure dans une
petite maison fort propre, sur le Graben, en face de l'Hôtel de la ville
de Strasbourg. On bâtit de tous les côtés; Bade sera bientôt une grosse
ville, et me plaira beaucoup moins. En lisant les lettres que vous
m'écrivez d'Amérique[127], je me dis souvent qu'elles auraient bien
intéressé M. de Talleyrand; cela lui aurait rappelé tant de choses! Mais
si ce pauvre cher M. de Talleyrand eût vécu, je doute qu'il vous eût
laissé exiler si loin de nous, quoiqu'il ait souvent dit que, pour
compléter l'éducation d'un homme politique, il fallait qu'il allât en
Amérique, pour bien juger, de là, la vieille Europe.

  [127] Extrait d'une lettre.


_Bade, 8 août 1840._--M. de Blittersdorf, que j'ai vu chez sa femme, m'a
appris une nouvelle tentative folle de Louis Bonaparte, qui avait
débarqué à Boulogne-sur-Mer, et avait essayé d'y exciter un
soulèvement[128]. La nouvelle est venue par le télégraphe, ce qui fait
qu'on n'a point de détails.

  [128] Le 6 août 1840, le prince Louis Bonaparte, profitant de
  l'effervescence produite par le retour prochain des cendres de
  Napoléon Ier à Paris, fit, à Boulogne-sur-Mer, une nouvelle
  tentative pour rétablir la dynastie napoléonienne sur le trône de
  France. Le Prince fut, cette fois, arrêté et traduit devant la
  Chambre des Pairs; défendu par Berryer, il fut condamné à la
  prison perpétuelle, et enfermé au château de Ham, d'où il parvint
  à s'évader en 1846. Il passa d'abord en Belgique, et, de là, en
  Angleterre.

Le Roi de Würtemberg est ici, venant des eaux d'Aix-en-Savoie. Sa fille,
et son gendre, le comte de Neipperg, sont venus le rejoindre; tout cela
va beaucoup à la redoute, fait des parties, etc. M. de Blittersdorf m'a
dit, aussi, que les nouvelles de Paris étaient fort à la guerre; que,
pour sa part, il ne comprenait, ni comment elle pourrait avoir lieu,
avec les raisons importantes que chacun avait pour l'éviter, ni comment
on pourrait l'empêcher, après les mesures prises par lord Palmerston,
ratifiées par les puissances du Nord[129], et avec l'élan donné à
l'opinion, en France, qui se prononce unanimement, et surtout avec les
succès du Pacha d'Égypte, dont les revers auraient, seuls, pu arrêter
les mesures coercitives stipulées dans la Convention. On dit que, dans
cette question, le Roi des Français est absolument d'accord avec M.
Thiers, et qu'il a dit qu'il préférait la guerre à la révolution. On
reproche à M. Guizot de n'avoir pas averti à temps pour empêcher la
signature de la Convention. Il se justifie, en disant qu'il a averti,
mais qu'on l'a laissé sans instructions; je rapporte là ce que m'a dit
M. de Blittersdorf. Il est très soucieux de l'état des choses, et
notamment de la position limitrophe du Grand-Duché de Bade, qui ne
serait pas commode en temps de guerre. Il dit que cette position est
rendue bien plus difficile par l'absence de cette forteresse, dont,
depuis vingt-huit ans, il sollicite la création, de l'Autriche, sans
pouvoir l'obtenir. Je suis revenue toute soucieuse de ces probabilités
de guerre.

  [129] Lord Palmerston avait fait signer une convention par
  laquelle les quatre puissances s'engageaient à donner à la Porte
  l'appui dont elle aurait besoin pour réduire le pacha et pour
  protéger au besoin Constantinople contre les entreprises de ce
  dernier.

_Bade, 9 août 1840._--Je suis rentrée, aujourd'hui, dans mes habitudes
de la source. J'y ai retrouvé des figures des années précédentes; mon
fils, M. de Valençay, est arrivé dans la journée de Marienbad. J'ai eu
la visite du comte Woronzoff-Daschkoff, qui vient d'Ems. Il paraît que
les eaux ont fait le plus grand bien à l'Impératrice de Russie, que le
duc de Nassau s'est montré très froid pour la grande-duchesse Olga, et
que la princesse Marie de Hesse a fort bien réussi auprès des grandeurs
moscovites. Le comte Woronzoff dit qu'elle a de mauvaises dents, et ne
vante pas trop sa beauté.

J'ai vu ensuite M. de Blittersdorf, qui prétend que le Roi de
Würtemberg, la princesse Marie, sa fille, et même le comte de Neipperg,
se repentent du mariage, qui les met dans une fausse position. On dit la
Princesse en très mauvaise santé, fort peu riche, enfin, tout cela n'a
pas le sens commun, d'autant plus que le comte de Neipperg n'a aucune
distinction personnelle.

Le duc de Rohan est venu aussi: il m'a appris la mort de Mme de La
Rovère (Élisabeth de Stackelberg), jeune et belle personne, heureuse,
aimée; une amie de ma fille Pauline. Pauvre Mme de Stackelberg! Elle
perd ainsi trois enfants, grands et aimables, en moins de six mois!
C'est être bien rudement frappée! Elle est un ange véritable, et qui,
toute sa vie, a été victime.


_Bade, 10 août 1840._--J'ai reçu une lettre de la duchesse d'Albuféra,
qui s'inquiète fort de son gendre, M. de La Redorte, ambassadeur en
Espagne. Il est arrivé à Barcelone dans de fort tristes conjonctures;
elle dit qu'il s'est montré à merveille, et qu'on est fort satisfait, à
Paris, de l'attitude qu'il a prise, dès le début.

Toutes mes correspondances sont à la guerre, d'une façon qui me désole.
C'est Mme de Lieven, qui, par un cri triomphal, a été la première à
donner, dans une lettre à Mme de Flahaut, la nouvelle, à Paris, de la
fameuse Convention des quatre Puissances. Cette Princesse moscovite
s'est montrée dans la joie, ravie d'avoir des émotions dignes d'elle.
Mais comment arrange-t-elle cela avec M. Guizot? Il paraît que ces
bruits de guerre désolent Mme de Flahaut, qui s'est reprise de passion
pour les Tuileries.

Le duc de Noailles est très fier, m'écrit-il, d'avoir prédit tous les
conflits actuels. Je n'ai pas ses discours assez présents pour me
souvenir de ses prédictions; en tout cas, c'est une triste consolation
pour les malheurs qui menacent la société européenne.


_Bade, 12 août 1840._--J'ai dîné chez les Wellesley, où se trouvaient la
princesse Marie et le comte de Neipperg. Depuis que j'ai vu celui-ci, je
conçois encore moins le mariage; on dit que le Roi de Würtemberg est
mécontent de son gendre, qui fait le dédaigneux; celui-ci est
susceptible et exigeant, la pauvre Princesse embarrassée entre son père
et son mari, la société embarrassée entre le mari et la femme, enfin
c'est une fausse et sotte position, pour les uns et pour les autres. La
Princesse fait des frais, et, sans être jolie, elle est agréable;
seulement, je ne sais ce qu'elle a dans la taille; elle n'a les
mouvements ni libres ni faciles.

J'ai été, le soir, à un concert chez la comtesse Strogonoff, où se
trouvaient aussi la princesse Marie, et le grand-duc de Bade. J'ai vu,
là, la société élégante. Je n'ai été frappée de rien de particulier, et
je n'ai fait, heureusement, aucune nouvelle connaissance.


_Bade, 13 août 1840._--J'ai lu, hier, le mandement du nouvel Archevêque
de Paris, Mgr Affre, à l'occasion de son installation. J'y trouve deux
grandes affectations: l'une, de rassurer le gouvernement sur sa douceur
politique; et l'autre, de ne pas dire un seul mot de son prédécesseur,
ce qui est contraire à tous les usages et à tout savoir-vivre. S'il ne
voulait parler, ni de son administration, ni de sa personne, il devait,
au moins, louer sa charité, qui, assurément, ne peut être contestée;
cela ne le compromettait pas, et, par là, il évitait la platitude du
silence.

M. de Blittersdorf m'a dit, chez sa femme, qu'il était effrayé de
l'irritation produite, en France, par le silence absolu de la Reine
d'Angleterre sur la France, dans son discours de clôture du Parlement.
Il m'a dit, aussi, que ce qui avait décidé l'Angleterre à se séparer de
la France dans la question d'Orient, était la certitude, acquise
dernièrement, des intrigues de M. de Pontois, pour empêcher toute
conciliation entre le Sultan[130] et le Pacha, et les assurances données
à celui-ci de ne pas s'alarmer des rigueurs des Puissances et de
continuer ses entreprises, en se fiant au secours de la France. Lord
Palmerston se plaint de cette duplicité. D'un autre côté, on prétend que
c'est lord Ponsonby qui a empêché la paix entre la Porte et l'Égypte.
Bref, c'est un gâchis à n'y plus rien comprendre. Puisse-t-il ne pas
s'éclaircir à coups de canon!

  [130] En 1840, le sultan était Abdoul-Medjed, monté sur le trône
  l'année précédente.

Voici l'extrait d'une lettre de M. Bresson, de Berlin, que je reçois à
l'instant: «Il m'est survenu, tout à coup, bien de la besogne, et pas
des plus agréables. Le mal est grand, et ne sera pas entièrement réparé.
Combien de fois je me suis dit: «Si M. de Talleyrand vivait, et qu'il
fût à Londres, cela ne serait pas arrivé!» Il serait bien bon aussi
qu'il pût être à Berlin, et partout, car je ne réussis que bien
imparfaitement à faire entendre raison. C'est cependant la plus sotte
transaction des temps modernes, et bien digne de porter les noms de lord
Palmerston et de MM. de Bülow et de Neumann. M. de Bülow a agi sans
autorisation. On a crié «haro!» sur lui, et puis, pour ne pas faire
différemment du plus grand nombre, avec lequel on veut toujours
bravement marcher, on a fini par ratifier, à quelque restriction près,
son beau chef-d'œuvre. Les quatre Cours m'en diront des nouvelles dans
six mois. Méhémet-Ali les enverra promener et attendra leur blocus, qui
sera plus ridicule, s'il est possible, que celui de La Plata[131], et
qui coûtera plus cher. J'espère bien, pour faire pièce à nos amis de
Pétersbourg, qu'il ne passera pas le Taurus. Les grands politiques
comptaient sur un double effet moral: 1º sur la France; 2º sur
Méhémet-Ali, grâce à l'insurrection de Syrie! Voyez comme ils ont bien
calculé! Ajoutez à cela l'indignité de la négociation clandestine et de
la notification d'_un acte signé_ à M. Guizot, quarante-huit heures
après conclusion, et lorsqu'il rêvait tout autre chose, et demandez-vous
ce qu'il y a au fond de nos cœurs. Si le bon vieux Roi de Prusse vivait
encore, nous n'aurions pas vu ces étourderies. M. de Bülow eût eu la
tête lavée; ou, plutôt, M. de Bülow n'eût pas tout pris sur lui. Il a
cru flatter et captiver les hommes et les passions qu'a réveillés
l'héritage d'un Prince que la Prusse regrettera de jour en jour
davantage. Enfin, je suis de fort mauvaise humeur, et je ne prends pas
soin de le cacher. Nous savons maintenant, au juste, ce qu'il y a
derrière les paroles et les protestations. On saura, j'espère, aussi, ce
que vaut le ressentiment de la France.» On retrouve, dans cette sortie,
l'impétuosité naturelle de M. Bresson, mais il me semble qu'on peut y
voir aussi qu'il y a plus de mauvaise grâce que d'hostilité réelle dans
l'action des Puissances, et y puiser quelques espérances pacifiques.

  [131] Rosas s'étant fait nommer en 1829 gouverneur de
  Buenos-Ayres, ce dictateur eut en 1835 de graves démêlés avec la
  France, pour avoir refusé de satisfaire aux réclamations des
  résidents français. Après un long blocus, ces contestations
  avaient été heureusement terminées, en 1840, par l'amiral de
  Mackau.


_Bade, 19 août 1840._--J'ai reçu, hier, une invitation si pressante de
Mme la grande-duchesse Stéphanie d'aller la voir à sa terre
d'Umkirch-en-Brisgau, où elle est maintenant, que je me décide à lui
faire cette visite, après avoir fini ma cure ici.

J'ai vu mon cousin Paul Medem, qui arrivait de Stuttgart, où il vient de
présenter ses lettres de créance, comme ministre de Russie. Il ne croit
pas à la guerre, et il le prouve, car il vient de placer deux cent mille
francs dans les fonds français.


_Bade, 20 août 1840._--J'ai eu une très agréable surprise, en recevant
le portrait du Roi de Prusse, accompagné d'une aimable lettre de sa
main. Le portrait est d'une parfaite et spirituelle ressemblance, et
peint par Krüger.

Mme de Nesselrode m'a amené son fils, qui arrive de Londres. Il a laissé
Mme de Lieven absorbée par le grabuge européen, brouillée avec Brunnow,
très froide avec lady Palmerston, furieuse de n'avoir pas été mise dans
le secret de la signature de la fameuse Convention. C'est elle qui, sans
le savoir, a aidé à la mystification de M. Guizot, en lui soutenant
qu'il ne pouvait rien y avoir de fait, puisqu'elle l'aurait su. Elle
appartient à l'ambassade de France. On la tient et la traite pour
telle; les moqueries vont leur train; elle reçoit à l'heure du lunch; au
moment où M. Guizot paraît, la porte se ferme, on ne laisse plus entrer
personne, et ceux qui sont chez elle s'en vont. Il paraît que sa
position est, réellement, ridicule et déplacée, et qu'elle n'est
soutenue que par les Sutherland, chez lesquels elle demeure.

J'ai reçu une lettre de Paris, de la duchesse d'Albuféra, qui m'écrit:
«Que puis-je vous dire de la guerre? La presse y pousse par tous moyens.
Chaque jour, les articles belliqueux, qui remplissent les journaux,
exaltent les têtes; on assure, cependant, que le Roi est fort
tranquille, et ne croit pas qu'elle aura lieu; mais pourra-t-on contenir
le mouvement de l'opinion? On annonce une Ordonnance pour mobiliser la
Garde nationale en France. Il faut s'attendre à voir préparer tous les
moyens de défense; on n'a pas assez de calme pour juger que c'est ainsi
qu'on excite à la guerre; chaque mesure nouvelle augmente l'agitation.

Du reste, je suis convaincue que le gouvernement lui-même ne sait pas ce
qui en arrivera. Puisse la diplomatie nous éviter des coups de canon!
J'ai été voir Mme la duchesse d'Orléans à Saint-Cloud; elle est bien
maigre, mais ne se plaint pas de sa santé. On la rencontre souvent en
calèche, dans le bois, Mgr le duc d'Orléans à cheval, à la portière. Mme
de Flahaut est à Dieppe, son mari à Paris, dînant souvent chez le Prince
Royal. Sa position va être embarrassante dans le procès de Louis
Bonaparte.»


_Bade, 22 août 1840._--Mon fils, M. de Valençay, qui est retourné à
Paris, me mande y avoir vu M. le duc d'Orléans, qui lui a dit: «Il
paraît que Thiers et Guizot sont fort en méfiance l'un de l'autre;
Guizot, supposant que Thiers voudrait rejeter sur lui la crise actuelle,
en laissant soupçonner qu'il n'avait pas bien informé son gouvernement,
a envoyé les copies de ses dépêches à ses amis de Paris, qui menacent
d'en faire usage, si l'Ambassadeur est attaqué. Le dire de ces amis est
donc, que Guizot informait exactement Thiers, mais que celui-ci ne
voulait donner ni instructions, ni réponses, avant d'avoir consulté
Méhémet-Ali. Il se bornait à mander, à Londres, de ne dire ni oui, ni
non. Palmerston, au contraire, voulait mettre Thiers au pied du mur.
Thiers, de son côté, disait: «Palmerston veut jouer au fin; je
l'enfoncerai» (expression qui paraît avoir passé dans le langage
diplomatique!). Enfin, Palmerston, fatigué et impatienté, aurait conclu.
On est fort à la guerre. Cependant, Guizot croit encore à la paix, mais
il écrit qu'en effet, il suffit d'une étincelle, d'un matelot heurté,
pour faire éclater la plus terrible guerre du monde.»


_Umkirch, 26 août 1840._--Hier, à moitié chemin de Bade ici, un orage
formidable a éclaté, il a fallu nous mettre à l'abri dans une grange;
les grêlons tombaient, gros comme des noix; malgré ce retard, je suis
arrivée ici à six heures du soir. La Grande-Duchesse avait obligeamment
envoyé ses chevaux à ma rencontre à Fribourg. En arrivant ici, M. de
Schreckenstein m'a prévenue que j'allais la trouver au lit, où, depuis
la veille, elle était retenue par un refroidissement.

La nouvelle grande-maîtresse, Mme de Sturmfeder, une veuve qui paraît
avoir cinquante ans, et qui a bonne façon, m'a menée dans sa chambre. Je
l'ai trouvée, en effet, assez fiévreuse, mais non moins causante que de
coutume, fort contrariée d'être souffrante, et au moins autant de
l'arrivée du duc Bernard de Saxe-Weimar, qui lui faisait une visite à
l'improviste. Au bout d'une demi-heure, la princesse Marie m'a menée
dîner. Le grand salon et la salle à manger sont dans un bâtiment à cent
pas du château; rien n'est si incommode; après la pluie, et sans les
galoches, il n'y aurait pas eu moyen de s'en tirer.

Je connaissais Umkirch. Il ne me plaisait guère; et il ne me plaît pas
davantage maintenant. La maison principale est petite, les chambres sont
basses; la mienne, qui est au premier, a cependant une belle vue sur les
montagnes.

A dîner, tous les hôtes étaient rassemblés, c'est-à-dire la princesse
Marie, le duc Bernard avec son aide de camp, la vieille Walsh, qui,
quoique hors de fonctions, est ici en visite, son fils et sa
belle-fille, la baronne de Sturmfeder, M. de Schreckenstein, Mlle Bilz,
la petite maîtresse de piano bossue, et M. Mathieu, peintre français,
qui donne des leçons à la princesse Marie. Après le dîner, je suis
rentrée chez la malade et j'y suis restée jusqu'au thé. Elle paraissait
vraiment ravie de me voir. Elle est toujours fort _anxious_ de marier sa
fille. Elle vient de lui être demandée par le prince de Hohenlohe, mais
cela lui paraît trop peu de chose, et il a été refusé. Le vieux
grand-duc de Darmstadt voudrait aussi épouser, mais on le trouve trop
vieux et trop laid. Enfin, on croit que le prince Frédéric de Prusse,
celui de Dusseldorf, ennuyé, fatigué des extravagances de sa femme, va
demander le divorce, et qu'il songera alors à la princesse Marie, qui en
serait bien aise. Voilà le vœu du moment. On voudrait que j'écrive du
bien de la Princesse à Berlin.

On s'intéresse fort peu à Louis Bonaparte, qu'on souhaiterait voir
enfermer dans une forteresse.

Mme de Walsh, qui est une amie de l'abbé Bautain, m'a dit qu'il venait
d'être appelé à Paris, par M. Cousin et par le nouvel Archevêque. Il
paraît qu'on veut créer une Faculté de hautes études théologiques, et
mettre M. Bautain à la tête. C'est, assurément, un homme de beaucoup
d'esprit et de talent, mais il est à peine réconcilié avec Rome; il a la
tête ardente, c'est un esprit ambitieux, longtemps en querelle avec son
Évêque; il n'a pas cette soumission de doctrine, si inhérente au
catholicisme, et qui en a fondé si essentiellement la durée. Ce choix
soulèverait donc quelque défiance dans le clergé, et peut-être pas sans
raison. Je saurai le vrai dans tout cela, à Paris, par l'abbé Dupanloup.

Le duc de Saxe-Weimar, sous une enveloppe assez lourde, ne manque ni de
bon sens, ni de savoir; à mon grand étonnement, je l'ai trouvé fort
orléaniste, professant un attachement extrême pour Mme la duchesse
d'Orléans, sa nièce, pour laquelle il m'a confié une lettre. Il est
très anti-russe et anti-anglais, au point de dire que si la guerre
éclate, le Roi des Pays-Bas doit faire cause commune avec la France. Il
est, en ce moment, en disponibilité, et s'est provisoirement établi à
Mannheim, d'où il a grande envie de faire un voyage à Paris.

La Grande-Duchesse et la princesse Marie étaient fort au courant des
cadeaux et de la corbeille donnés par la Russie à la princesse Marie de
Hesse. L'Empereur lui a donné deux rangs de perles fermés par un saphir,
estimés deux cent mille francs; l'Impératrice un bracelet analogue; le
Grand-Duc, son fiancé, son portrait entouré de diamants, et un parasol
incrusté d'émeraudes et de perles, les cartes de l'Empire de Russie et
les vues de Pétersbourg, bien reliées; et enfin le cadeau laissé par le
testament de feu l'Impératrice Marie à la femme à venir de son
petit-fils, une Sévigné de trois pièces, chacune si énorme que c'est
comme une cuirasse.


_Lunéville, 27 août 1840._--J'ai quitté Umkirch ce matin. J'ai mis
quatorze heures pour faire un assez long chemin que le passage des
montagnes allonge beaucoup. J'ai traversé les Vosges au col du Bonhomme.
Beaucoup de fabriques et d'usines donnent de la vie et du mouvement à la
contrée qui est, parfois, très gracieuse et animée. La végétation est
mesquine et les montagnes trop uniformes dans leurs contours.


_Vitry-sur-Marne, 28 août 1840._--Partie ce matin à sept heures de
Lunéville, je me suis arrêtée deux heures et demie à Nancy, et j'arrive
encore ici à dix heures du soir, cela s'appelle bien aller!


_Ay, 30 août 1840._--Hier, en venant ici, je me suis arrêtée à Châlons
où j'ai rencontré M. de La Boulaye qui s'y trouvait pour la session du
Conseil général. J'ai été bien aise de le voir. C'est un homme aimable,
par le caractère autant que par l'esprit, et chaque jour je fais encore
plus de cas de l'un que de l'autre. Il m'a raconté Paris, qu'il venait
d'apprendre par M. Roy, arrivant tout droit de la grande Babylone pour
présider le Conseil général de la Marne. La veille de son départ de
Paris, il avait vu le Roi, qui, en lui parlant des questions du jour,
lui avait dit: «Thiers me pousse à la guerre, je lui réponds: Je veux
bien, mais il faut pour cela convoquer les Chambres. A cela, il
réplique: Nous ne tirerons rien de cette Chambre-ci, il faut la
casser.--Oh! quant à cela, mon cher Ministre, non, je prends la Chambre
telle qu'elle est, et je m'en arrange.»

M. Roy a dit encore que la nouvelle des ratifications du traité de
Londres était arrivée à Paris le 22, et n'avait été publiée que le 24.
Pendant ce temps, le terrible jeu de Bourse a fait faire faillite à plus
d'un agent de change, mis en fuite M. Barbet de Jouy, enrichi M. Dosne,
beau-père de M. Thiers, de dix-sept cent mille francs, et M. Fould de
plusieurs millions; ce dernier a remplacé M. de Rothschild dans la
confiance ministérielle. Le récri public a été tel que le Garde des
sceaux, M. Vivien, a été obligé d'ordonner qu'on informât. Cette
information ne produira rien, comme de raison, mais elle indique que le
scandale a été poussé fort loin. Il paraît que, de tout cela, le
principal personnage ministériel a beaucoup perdu dans l'opinion. On
trouve qu'il a très légèrement gouverné la diplomatie, et fort
étrangement caché des nouvelles intéressantes pour le public. On dit
encore que tout le monde industriel et spéculateur tremble de la guerre
et exerce une action très vive dans le public.

Je suis arrivée ici vers trois heures après midi, par une chaleur
d'Afrique. Je retrouve avec plaisir un climat chaud, ses fleurs, ses
fruits, ses belles nuits et son ciel bleu!

J'ai trouvé une lettre de la princesse de Lieven, écrite de Londres le
22 août. Elle me dit: «Il commence à se manifester ici une grande
inquiétude de la situation. Tout est bel et bon, ou plutôt on ne
s'inquiète de rien quand il s'agit de politique extérieure, de
complications, quelque graves qu'elles soient; on traite avec dédain les
journaux français, voire même les armements français, mais enfin on se
frotte les yeux un peu. On s'étonne de trouver que ce qu'on appelle
_humbug_ français peut devenir quelque chose, que ce quelque chose ne
serait ni plus ni moins qu'une guerre générale, et faite, de la part de
la France, avec des armes épouvantables, des armes qu'elle avait
sagement déposées depuis dix ans et qu'on la forcerait peut-être à
reprendre. Enfin, l'inquiétude se répand, et je ne puis m'empêcher d'y
voir un acheminement à une entente, malgré les embarras que les
amours-propres peuvent rencontrer sur le chemin. Voilà mon point de
vue. Ma politique, à moi, c'est mon entresol[132]; il me plaît, j'y veux
rester. Le duc de Wellington dit, bien haut, qu'il est Turc, et plus
Turc que tout le monde, mais que la Turquie ne veut pas la paix avec la
France, et qu'il faut, avant tout, conserver celle-là. Léopold se donne
beaucoup de mouvement. Il y est plus intéressé que qui que ce soit. Il
va repartir pour la Belgique. M. Guizot a été à Eu; il a été à Windsor;
sa vie actuelle lui convient. Il a fort bonne mine.»

  [132] La princesse de Lieven avait loué, dans la maison achetée
  récemment par M. de Rothschild, rue Saint-Florentin, l'entresol
  qui avait été habité par le prince de Talleyrand pendant les
  longues années où il fut en possession de cet hôtel. La Princesse
  s'imaginait y revivre dans des traditions politiques qui
  convenaient à ses goûts. Elle y demeura jusqu'à sa mort, en 1857.

Ma nièce, la comtesse de Hohenthal, qui avait été à Dresde voir son
oncle Maltzan, quand il y est venu de Kœnigswarth, me mande ceci sur le
séjour de l'Impératrice de Russie en Saxe: «L'Impératrice de Russie a
été si peu aimable pour la Cour de Saxe, que le Roi et la Reine de
Prusse, qui, eux, ont enchanté tout le monde, en ont été au désespoir.
Elle n'a pas voulu demeurer à Pillnitz où on avait fait beaucoup de
préparatifs pour la bien loger; elle a refusé de se servir des voitures
de la Cour, et a couru les boutiques et les promenades comme une
pensionnaire, et sans observer le moindre décorum. Elle n'a pas voulu
dîner à la Cour, et a seulement paru un instant à un concert préparé
pour elle.--Le Roi de Prusse a voulu donner le portefeuille des Affaires
étrangères à mon oncle Maltzan, mais celui-ci a préféré garder son poste
à Vienne. On prétend que ce refus tient à ce qu'il est amoureux fou de
la princesse Metternich.


_Paris, 31 août 1840._--Me voici revenue dans ce grand Paris, si peuplé
sans doute, et cependant si vide pour moi. Je suis arrivée ce matin, à
dix heures, dans ma petite maison[133], qui me fait l'effet d'une bonne
petite auberge, seulement cette exiguïté dans les proportions m'étonne
et va si peu à mes habitudes et à mes goûts qu'assurément je ne pouvais
rien choisir de mieux calculé pour réaliser le projet de n'être à Paris
que par nécessité.

  [133] La duchesse de Talleyrand avait fait, à Paris, en 1840,
  l'acquisition d'une petite maison entre cour et jardin, située
  rue de Lille, no 73. Cette maison, qui n'avait guère que les
  proportions d'un pied-à-terre, fut achetée, en 1862, par la
  comtesse de Bagneux.


_Paris, 3 septembre 1840._--J'ai eu, hier, une longue visite de M. Molé.
Il blâme M. Guizot dont il conte des ridicules infinis avec grande
complaisance; il blâme M. Thiers, dont il dépeint vivement la légèreté,
la présomption, ainsi de suite; le Roi reçoit aussi son coup de patte.
Son opinion sur la crise du moment, qui absorbe ici tous les esprits au
plus haut degré, c'est que «les plus bravaches meurent de peur de la
guerre»; qu'on est, au fond, honteux et embarrassé de s'être laissé
égarer à faire fausse route, à tenir pour impossible ce qui s'est
cependant effectué, et de se trouver tout seul, quand on se pavanait de
solides alliances; mais, au milieu de la panique, on exalte tellement
de certaines cordes par les conversations et les publications
perpétuelles, qu'il devient chaque jour plus difficile de dénouer la
difficulté, et qu'on est forcé d'admettre qu'il faudra la couper. Le
commerce a été tout à coup frappé de stupeur. Tous les intérêts
matériels sont déjà dans une grande souffrance; Rothschild, brouillé
avec M. Thiers, a perdu encore plus de millions que M. Fould n'en a
gagné. M. Molé met tout cela très complaisamment en lumière.

J'ai été dîner chez la maréchale d'Albuféra; la pauvre femme était
désolée d'avoir vu partir le matin même, pour l'Espagne, sa fille qui
est dans le plus déplorable état de santé. La Maréchale a gardé un de
ses petits-enfants. Elle a vraiment un cœur d'or. Son langage sur les
événements politiques du moment est tout différent de celui de M. Molé;
non pas moins effrayé de la gravité des circonstances, mais les
attribuant à d'autres causes; ne tarissant pas sur la capacité, activité
et habileté de M. Thiers, sur ses inépuisables ressources, et sur
l'union intime qui règne entre le Roi et lui. Elle m'a dit un fait qui
ne plairait guère à M. Bresson: c'est qu'il n'a tenu qu'à M. de La
Redorte d'aller à Berlin, au lieu d'aller à Madrid. Elle dit que M. de
La Redorte a de grands succès en Espagne et que Roi et Ministres ne
tarissent pas en éloges sur la distinction de sa correspondance.

A neuf heures, j'ai été chez Mme de Castellane. Là, il a été question de
l'éloge de feu M. de Quélen; cela a amené à parler du nouvel Archevêque,
M. Affre. C'est M. de Montalembert qui a fait faire ce choix et voici
comment: M. de Montalembert s'est fait ministériel violent, et M.
Thiers croit, par lui, tenir tout le clergé distingué, tandis que M. de
Montalembert n'est uni qu'avec la partie du jeune clergé démocrate, qui
fait bande à part, et qui se compose des abbés Cœur, Combalot,
Lacordaire, Bautain, et qui n'est pas tenu pour orthodoxe dans l'esprit
de l'ancien clergé. Celui-ci compte aussi dans son sein de jeunes
prêtres distingués comme l'abbé Dupanloup, l'abbé Petetot, curé de
Saint-Louis d'Antin, et d'autres encore; bref, il y a une scission très
vive.

En rentrant chez moi, j'y ai trouvé une lettre de M. Bresson, dont voici
un passage intéressant: «La position est très grave; le début, en
politique étrangère, du Roi de Prusse, n'est pas heureux. Il n'y a ni
franchise, ni noblesse à faire suivre toutes ces belles protestations
d'un acte de provocation et d'injustice, envers nous qui n'avons pas eu
un seul mauvais procédé envers la Prusse. Cela crie vengeance, et je
n'ai pas assez d'humilité chrétienne pour ne pas en avoir soif. Je sais
bien qu'on regrette ce qu'on a fait, et qu'on en est embarrassé; qu'on a
été emporté par ce gros bouffi de Bülow, après une mauvaise digestion de
son estomac vorace, plus loin qu'on ne voulait aller; mais enfin le mal
est fait, et il n'est pas réparable. Le fond des cœurs s'est dévoilé;
quelle confiance pourrions-nous avoir à l'avenir? Tant il y a que je
suis dégoûté, et que je veux quitter cette mission. Je suis, d'ailleurs,
malade et triste; j'ai envie de Rome. Il faut que je mette mon esprit en
jachère et que je réchauffe mon corps à un vrai soleil. Voilà
vingt-quatre ans d'exil et de travail d'arrache-pied. Je n'y puis plus
suffire; l'ennui m'accable et me tue; et puis, je ne veux pas que les
bonnes relations que j'ai réussi à établir ici périssent entre mes
mains, et elles sont en bon chemin d'y aboutir. Une faute entraîne dans
une autre; un premier tort en engendre un second. D'ailleurs, je suis
personnellement blessé. J'ai été loyal, et on ne l'a pas été; mon
ressentiment éclaterait, qu'il y ait Roi ou Ministre en cause, cela me
serait égal; je les ferais repentir d'avoir manqué de reconnaissance et
de procédé envers notre Roi, après l'avoir appelé le Palladium de
l'Europe, en parlant à moi et à M. de Ségur.» On reconnaît, dans ce
style véhément, la fougue de M. Bresson, mais le fait est que je crois
les choses venues au point de devoir lui faire désirer un autre poste.

C'est demain que se fait la liquidation à la Bourse de Paris. On évalue
les pertes probables à vingt-quatre ou vingt-cinq millions. C'est un
gros désastre.


_Paris, 4 septembre 1840._--J'ai été hier aux Tuileries, chez Madame
Adélaïde qui m'y avait donné rendez-vous. J'y ai aussi vu le Roi, se
portant bien, gai, en pleine sécurité, convaincu qu'il n'y aura pas de
guerre, ne la désirant assurément pas, se flattant que les quatre
Puissances, bientôt persuadées de leur mauvaise direction, seront
obligées d'avoir recours à sa médiation, et qu'il sera ainsi appelé à
jouer le rôle de protecteur, etc.; du reste, très blessé d'avoir été
planté là par les grandes Puissances, mais trop sage pour approuver les
invectives et les aboiements de la presse ministérielle; n'ayant pas
plus de goût pour M. Thiers que par le passé, mais comprenant
l'impossibilité de s'en séparer maintenant, et espérant s'en servir pour
faire faire par lui aux Puissances certaines concessions, que lui seul
pourrait faire accepter au pays. Il y a du vrai, de l'habile, mais aussi
une part d'illusion dans cette pensée. Quant à Madame, elle a les mêmes
idées que le Roi, en y joignant une rancune extrême contre M. Guizot,
qu'elle accuse d'avoir été d'une niaiserie diplomatique complète. Elle a
répété plus de vingt fois: «Ah! si notre cher prince de Talleyrand
vivait, si seulement notre bon général Sébastiani était resté à Londres,
nous n'en serions pas là!»

A peine étais-je rentrée de chez elle, que M. le duc d'Orléans est
arrivé chez moi: il y est resté très longtemps. Il est infiniment plus
soucieux, et, en même temps, infiniment plus décidé que son père;
profondément ulcéré contre les Puissances, surtout à cause de la manière
dont les choses se sont passées: le 16 juillet, Guizot mandait ici qu'il
n'y avait rien de fait, qu'il ne se ferait rien; et le 17, il reçoit une
lettre de lord Palmerston qui l'engage à passer chez lui: il y arrive,
et pour toute communication, lord Palmerston lui lit le fameux
Memorandum. Guizot pâlit, se trouble, ne trouve pas autre chose à dire,
si ce n'est qu'il va en faire part à son gouvernement, et sort de chez
lord Palmerston comme un homme anéanti. Maintenant, lui et ses amis
jettent tous les torts sur Thiers. Celui-ci les lui renvoie avec
empressement et détails; ils sont donc fort mal ensemble. M. Thiers est
effrayé de la guerre, mais, au lieu de calmer ses journalistes, il est
tellement dominé par eux, que non seulement il ne saurait les arrêter,
mais qu'il se croit obligé de tout leur communiquer, ce qui rend tout
secret impossible, blesse le Corps diplomatique, et embarrasse toutes
choses. En attendant, tous les préparatifs annoncés par les journaux
sont faits, et même doublés. C'est M. le duc d'Orléans qui y met
lui-même la main. Trente-quatre millions sont déjà dépensés. On est en
mesure de rappeler tout ce qui est en Algérie, et le parti est pris
d'abandonner cette colonie sans regrets, en se disant qu'elle a eu
l'avantage d'exercer des soldats et de former des officiers. On ne
rassemblera les Chambres que quand les chances pacifiques seront toutes
épuisées, et on se croit certain de faire approuver alors toutes les
dépenses. La Reine est, de toute la famille Royale, la plus guerrière;
le sang de Marie-Thérèse s'est éveillé. Elle est indignée de la conduite
des Puissances: elle dit que si la guerre éclate, elle veut faire bénir
les épées de ses cinq fils par l'Archevêque de Paris, et leur faire
jurer, devant le Saint-Sacrement, qu'ils ne les remettront pas dans le
fourreau, que la France et leur dynastie ne soient remises en tête de
l'Europe. Comme, en général, elle ne se mêle de rien, cette vivacité
étonne et embarrasse le Roi.

Pour en revenir à M. Guizot, il est l'objet des moqueries du Château,
surtout depuis le retour de M. le duc de Nemours de Londres, car il fait
des récits infinis des ridicules du petit Ambassadeur: il demande
l'adresse des tailleurs, veut que ses pantalons collent, parie aux
courses, se croit connaisseur en chevaux, ne songe qu'à ses équipages,
sa table, se frivolise à plaisir, et pour achever le ridicule, fait le
fanfaron auprès de Mme Stanley, et cherche à inspirer de la jalousie à
Mme de Lieven, qui, dit-on, n'en serait pas absolument exempte: bref,
tout ce terrain est exploité à belles mains.

Après le départ de M. le duc d'Orléans, j'ai eu la visite de l'abbé
Dupanloup: il m'a donné de fort curieux détails sur le clergé de Paris,
dans lequel il se forme une opposition, très sourde encore, mais très
réelle, contre Mgr Affre. La vulgarité et la rudesse de ses formes
sèment, journellement, des rancunes infinies contre lui. Il a voué une
haine extrême à la mémoire et aux amis de feu Mgr de Quélen; moi-même,
pauvre moi, lui suis un objet désagréable; quant au Sacré-Cœur, c'est
de la persécution. L'Abbé s'est mis à rire, quand je lui ai dit: «Nous
voilà donc devenu le Port-Royal des Jésuites!» Mgr Affre n'ose toucher,
ni à l'abbé Dupanloup, ni à son petit séminaire, il le ménage même, à
cause des rapports divers de l'Abbé, qui est aussi bien avec M. Jaubert,
ministre des Travaux publics, qu'avec la princesse de Beauffremont,
carliste prononcée; avec Mme de La Redorte qu'avec Mme de Gramont du
Sacré-Cœur, et qui, enfin, dans la semaine qui a précédé la nomination
de l'Archevêque, a été appelé par M. Thiers, pour lui dire son opinion
sur l'état du clergé. M. Thiers, avec son étourderie accoutumée, avait,
à la même heure, donné rendez-vous à M. de Montalembert, qui lui amenait
M. Affre! Chacun arrive là au même moment et est assez étonné de se
rencontrer! Pendant qu'ainsi, surpris, on attend le Ministre, celui-ci
était enfermé avec M. Royer-Collard. Enfin, tous les quatre se sont
trouvés en regard les uns des autres, pendant quelques instants: c'est
une jolie scène de Mémoires!

L'abbé Dupanloup m'a renouvelé sa promesse de venir me voir au mois
d'octobre à Rochecotte: il ne m'a pas caché, cependant, qu'il serait
peut-être obligé d'y manquer, s'il voyait l'Archevêque, qu'il doit
ménager à cause de son petit séminaire, s'en trop inquiéter.

Dans les papiers pris chez Louis Bonaparte, on a trouvé les preuves de
l'argent russe, de la connivence carliste, Berryer en tête, et le nom de
M. Thiers s'y trouve trop souvent. Le Roi a défendu au chancelier de
suivre le procès dans cette direction, et cela pour deux motifs: le
premier, c'est que M. Thiers eût été obligé de déposer, ce qui eût rendu
la position générale plus fâcheuse et compliquée qu'elle ne l'est déjà,
et le second, que le Roi trouve inutile de montrer à ses ennemis du
dedans à quel point ils peuvent compter sur des encouragements effectifs
de la part de la Russie. Où tout ce désordre des esprits et cette
complication des intérêts mèneront-ils?


_Paris, 5 septembre 1840._--Paris a été très agité avant-hier et hier
par les nombreux attroupements et excès des ouvriers: les journaux en
donnent les détails. On trouve beaucoup d'argent sur ceux qu'on arrête
et on croit qu'il provient des _russo-bonapartistes_; c'est, du moins,
l'opinion du gouvernement. Chaque jour révèle une nouvelle plaie
sociale, et l'époque est travaillée par de cruelles maladies!

J'ai été hier au Sacré-Cœur, causer longuement avec Mme de Gramont que
j'ai trouvée inquiète et agitée: elle m'a raconté, en détail, toutes les
vexations que le nouvel Archevêque lui fait éprouver, et aussi la
nouvelle façon dont il gouverne le clergé de Paris, à laquelle MM. les
curés n'étaient guère accoutumés. Ainsi, il a été faire une scène au
pauvre vieux curé de Saint-Thomas-d'Aquin, sur ce que, dans sa paroisse,
on disait du mal de lui l'Archevêque, et qu'il l'en rendait responsable.
Ayant vu, dans une sacristie, que de jeunes prêtres riaient de ses
façons communes, il les a apostrophés avec des invectives. Il veut
forcer quelques-uns des curés à donner leur démission. Enfin, c'est une
perturbation générale dans le diocèse.

J'ai été aussi chez Mme de Jaucourt, que j'ai trouvée seule, vieillie,
isolée, mais animée. Elle m'a conté un fait qu'il y a quelques jours
j'aurais regardé comme impossible, mais qu'à présent, je suis moins
éloignée d'admettre: c'est que la Reine et Madame donnent soixante mille
francs au journal de M. de Montalembert, l'_Univers catholique_. On
remarque, depuis quelque temps, dans ce journal, des récits de
conversation du Roi avec les ambassadeurs étrangers.

Mme de Castellane est venue me demander à dîner pour aujourd'hui, avec
M. Molé, qui nous lira son discours de réception à l'Académie française,
où il succède à M. de Quélen.

J'ai vu, ce matin, M. Hottinger, le banquier, qui est inquiet de la
situation des choses. Il voit, avec effroi, que les efforts de la
diplomatie peuvent être d'un instant à l'autre annulés par le bon
plaisir du pacha d'Égypte, entre les mains duquel il est bien clair
qu'est aujourd'hui la question de la paix ou de la guerre. Les
conspirations et mouvements, à Constantinople, ne laissent pas que de
compliquer toujours pour le pire toutes les questions. Il n'y a
véritablement plus qu'une Providence miraculeuse qui puisse dissiper
d'aussi gros nuages. A Marseille, tout le commerce se liquide, on met
ses fonds en cave, on ne met plus un seul navire en mer, et on attend
avec anxiété les premiers événements.

J'ai été, à une heure, à Saint-Cloud, voir Madame Adélaïde; puis j'ai
été chez la Reine, et enfin chez Mme la duchesse d'Orléans; elle est
vraiment charmante, distinguée, spirituelle, mesurée, gracieuse: sa
conversation est tout à fait agréable et attachante. Madame Adélaïde me
paraissait croire à la paix. Dieu veuille qu'elle pense juste!


_Paris, 7 septembre 1840._--Voilà l'émeute relevant la tête avec une
nouvelle audace; les canons des Invalides galopent vers le faubourg
Saint-Antoine, le rappel ne cesse de battre, la troupe marche, la Garde
nationale est réunie aux différentes mairies. Enfin, c'est la bataille.
Jusqu'à présent, notre faubourg Saint-Germain est tranquille, mais on ne
saurait se dissimuler que si le combat ne se terminait pas promptement,
la rive gauche de la Seine ne vaudrait bientôt pas mieux que la rive
droite. On me dit que les groupes répandus dans Paris sont remplis
d'étrangers, notamment de Polonais et d'Italiens, gens de sac et de
corde, sans domicile fixe, ne couchant pas deux nuits de suite dans la
même maison, par conséquent difficiles à saisir, depuis hier menaçant,
pour simplifier la chose, de mettre le feu dans Paris. Les chefs
d'ateliers, avertis depuis longtemps du mouvement qui se préparait, en
avaient averti le Préfet de police, qui n'avait pu trouver dans la loi
de moyens préventifs suffisants. On n'a pu, même, empêcher le terrible
banquet d'hier; aujourd'hui, on est dans l'effroi, et les troupes et les
canons sont chargés de faire la police: encore s'ils s'en acquittaient
avec fermeté!


_Paris, 8 septembre 1840._--J'ai su, hier soir, à huit heures, que la
troupe avait refoulé les perturbateurs hors Paris, et que la ville était
tranquille, seulement les monuments publics étaient gardés, à cause des
menaces de feu. Dans la soirée, j'ai vu M. Molé, qui paraissait fort
bouleversé des quatre francs de baisse à la Bourse. Il m'a appris aussi
la rupture éclatante des doctrinaires avec M. Thiers, dont le manifeste,
inséré dans un journal de Rouen, a été cité par le journal _la Presse_
qui appartient à M. Molé! On dit que cette guerre est très vive.

Le _Journal des Débats_ devient aussi assez amer contre M. Thiers. Le
commerce et la Bourse crient contre lui, et sa position devient très
difficile. Mais ce qui devient d'un intérêt plus pressant, c'est cette
autre guerre dont la première démonstration paraît déjà avoir eu lieu
en Syrie par le fait de l'amiral Napier. On dit bien que cet amiral a un
cerveau brûlé, et que, doublé par l'extravagant lord Ponsonby, cette
démonstration n'origine pas du gouvernement anglais, mais ce
gouvernement la désavouera-t-il?


_Paris, 10 septembre 1840._--La tranquillité est, en apparence du moins,
bien rétablie dans Paris. J'ai dîné hier à Saint-Cloud, qui, restauré et
meublé par le Roi, est vraiment magnifique. Il s'y trouve des Gobelins
admirables, copiés d'après Rubens, représentant la vie de Marie de
Médicis. Le Roi m'a menée voir en détail les appartements, et alors il a
causé un peu de tout, répétant beaucoup qu'il veut la paix, qu'il fera
tout ce qui dépendra de lui pour la conserver, mais qu'il faudrait qu'on
lui rendît la tâche possible, ce qui n'est pas le cas, ni au dedans, ni
au dehors; sa haine contre les Russes, son amertume contre l'Angleterre
sont extrêmes. Il en veut beaucoup, et avec raison, à cette dernière, de
ce qui se passe maintenant en Espagne. La Reine Christine, convaincue
qu'en voyant Espartero elle agirait sur lui de façon à se l'attacher
personnellement, l'avait invité à se rendre à Madrid. Sur son refus,
elle a entrepris le voyage qui l'a perdue. En son absence, on a
travaillé la Capitale; elle est maintenant obligée d'y rentrer, et sous
les plus funestes auspices. On va probablement commencer par lui ôter sa
fille, puis, que fera-t-on d'elle? C'est ce que le Roi se demandait avec
inquiétude, répétant: «Je crains que la pauvre femme ne soit
perdue[134].» Il dit que c'est l'Angleterre qui soudoie et encourage
tout le mouvement anarchiste; qu'Espartero est tout Anglais, et que si
la guerre générale éclate, il faut s'attendre à le voir entrer
hostilement en France comme auxiliaire de l'Angleterre.

  [134] Après avoir mis fin à la guerre civile (allumée par don
  Carlos à la mort de son frère Ferdinand VII) par la capitulation
  de Bergara, Marie-Christine voulut entrer dans la voie de la
  réaction. Elle fit présenter aux Cortès, en 1840, la loi des
  _ayuntamientos_, destinée à restreindre les libertés municipales.
  Aussitôt, une insurrection, qui éclata à Barcelone, s'étendit
  bien vite à Madrid et dans un grand nombre d'autres villes,
  trouvant son appui dans Espartero. La Reine régente l'appela et
  le chargea de former un Ministère le 16 septembre 1840, mais il
  lui imposa des conditions si dures qu'elle ne crut pas pouvoir
  les accepter; le 2 octobre suivant, elle se démit de la Régence.

Le Roi avait reçu la nouvelle que le Roi de Prusse avait rendu à
l'Archevêque de Cologne la liberté et l'autorisation de rentrer à
Cologne, mais que l'Archevêque ne voulait profiter de cette permission
qu'après de nouvelles instructions de Rome.

Mme la duchesse de Nemours a une absence totale de physionomie, et une
niaiserie dans le son de sa voix qui efface un peu l'éclat de sa
brillante jeunesse. Mgr le duc de Nemours est toujours de bois. Mgr le
duc d'Aumale est traité en homme; il paraît animé et causeur. La
princesse Clémentine se fane et fait beaucoup moins de frais. La Reine
et Mme la duchesse d'Orléans sont les deux perles. M. Dupin, qui dînait
aussi à Saint-Cloud, grognait tout haut et faisait des morceaux
d'éloquence sur la faiblesse du gouvernement dans la question des
émeutiers, disant que tant qu'on s'adresserait à eux en les appelant
_Messeigneurs les Ouvriers_, on pouvait s'attendre au feu et au pillage.
Ces ouvriers, avant-hier, dans la nuit, ont désarmé deux postes de la
rue Mauconseil, qui, à la vérité, ne se sont pas défendus. Avec cela, il
y eut, hier, une nouvelle dégringolade à la Bourse. On ne peut imaginer
la terreur, le chagrin et la ruine d'une quantité de gens.

L'autre jour, M. de Montrond parlait du désir qu'avait M. de Flahaut,
d'aller à Londres comme ambassadeur, mais on est trop aise de se
débarrasser de Guizot pour le rappeler ici, malgré tous les
mécontentements qu'il donne là-bas.


_Paris, 11 septembre 1840._--Je pars décidément à la fin de la matinée,
pour aller coucher à Jeurs, chez la comtesse Mollien.

Hier, en rentrant, le soir, chez moi, j'ai repris le procès de Mme
Lafarge, sur lequel j'étais en retard[135]. Tant mieux pour sa parenté
si elle est innocente du crime, mais j'avoue cependant que, vu la
discussion des premiers et seconds experts, ces énormes achats
d'arsenic, et, surtout, cette transition si subite d'une horrible
répugnance à des tendresses excessives pour son mari, elle me restera
toujours assez suspecte pour désirer une autre garde-malade si j'avais
des tisanes à faire faire.

  [135] Mme Lafarge, compromise avec plusieurs personnes de la
  société parisienne, fut accusée, d'abord, d'un vol de diamants,
  et ensuite, d'avoir empoisonné son mari. La première accusation
  ne fut jamais bien éclaircie, mais il n'en fut pas de même de la
  seconde. La Cour d'assises condamna Mme Lafarge aux travaux
  forcés, et elle resta douze années captive, au bout desquelles, à
  moitié mourante, elle fut graciée. Elle mourut effectivement
  quelques mois après, en 1852.

Une chose qui me choque tout particulièrement de la part de Mme Lafarge,
ce sont ces rires inextinguibles pendant la déposition emphatique, et, à
la vérité, ridicule, d'un des témoins à charge. J'avoue que je vois,
dans cette gaîté, bien plus d'impudence que d'innocence. Plus une
personne, sous le coup d'une pareille accusation, serait innocente, plus
elle devrait souffrir, et tout en conservant le calme d'une bonne
conscience, elle devrait être occupée d'autres idées que de se livrer à
de pareils éclats d'hilarité. Il y a là un manque choquant de
délicatesse, et de tout sentiment de sa position, car enfin, quand il
s'agit d'un mari empoisonné, qu'on soit accusatrice ou accusée, l'envie
de rire ne saurait, ce me semble, se manifester. A tout prendre,
empoisonneuse ou non, cette personne reste une mauvaise aventurière.


_Courtalin, 14 septembre 1840._--Je suis partie, hier, de très bonne
heure, de Jeurs, où j'ai reçu, comme à l'ordinaire, une bonne et aimable
hospitalité. J'avais fait, avant-hier, avec Mme Mollien, une tournée
dans la vallée de la Juine, qui s'étend d'Étampes à Corbeil; elle est
très arrosée, assez plantée, fort habitée; de grosses roches disputent
le terrain aux arbres, comme dans certaines parties de la forêt de
Fontainebleau. Gravelles à M. de Perregeaux, Chamarande à M. de Talaru
et Ménilvoisin à M. de Choiseul-Praslin sont les trois habitations
principales de cette vallée. Je connaissais les deux premières, Mme
Mollien m'a menée voir la troisième: c'est noble, spacieux; les
avant-cours, le parc, tout cela a bel air, mais tout cela est triste.
C'est le défaut à reprocher à toutes les habitations de cette contrée:
elles n'ont pas de vue, encaissées qu'elles sont dans cette étroite
vallée; elles manquent d'air et d'horizon, mais elles ne manquent pas
d'eau, et l'abondance en est telle que l'humidité est inévitable. La
rivière de la Juine fait marcher une quantité de moulins; il y en a de
si considérables qu'ils font l'effet de châteaux.

Je suis arrivée hier soir ici, où se trouve réunie toute la famille de
Montmorency, et un M. de Roothe, vieillard de soixante-dix-huit ans,
fils de la dernière femme du maréchal de Richelieu.

Il n'a été question, hier soir, au salon, que de Mme Lafarge; on est,
ici comme partout, fort divisé d'opinions sur son compte. Ceux qui la
croient innocente disent que le mari n'est pas mort empoisonné, qu'il
est mort de l'usage des mouches cantharides qu'il prenait pour être un
vaillant mari, et que c'est à cette vaillance qu'il faut attribuer le
prompt changement des dispositions de sa femme, et le plaisir qu'elle
trouvait à le voir entrer chez elle par la fenêtre, quand il n'y entrait
pas par la porte. Ceux qui persistent à croire Mme Lafarge coupable
disent qu'il faut plutôt croire les premiers experts qui ont opéré sur
les matières fraîches, que ceux qui ont analysé des matières
incomplètes, décomposées; ils s'appuient sur les mauvaises tendances,
hier avérées, de l'accusée, sur ses lettres, ses habitudes de mensonge
et de comédie, sa mauvaise réputation dès sa première jeunesse, la hâte
que sa famille avait de la marier pour s'en défaire, au point d'avoir eu
recours à un bureau matrimonial. Elle est petite-fille d'une Mme
Collard, qui, avant son mariage, n'avait pas d'autre nom que celui
d'Hermine, élève de Mme de Genlis, et assez généralement supposée être
sa fille et celle de M. le duc d'Orléans, père du Roi des Français
actuel. C'est à cette filiation qu'on attribue l'intérêt très vif qu'on
prend aux Tuileries pour Mme Lafarge. Dans son affaire des diamants, on
la juge selon le monde et l'opinion auxquels on appartient: Mmes de
Léautaud, de Montbreton, les Nicolaï appartiennent au faubourg
Saint-Germain; tout ce bord-là la croit coupable de vol et
d'empoisonnement. Toute la démocratie, charmée de trouver en faute une
femme du beau monde, tient la fable inventée par Mme Lafarge contre Mme
de Léautaud pour véritable. L'esprit de parti se mêle à toutes choses,
et détruit tout sentiment d'équité et de justice.

Je reçois, à l'instant, une lettre de la duchesse d'Albuféra, dont voici
l'extrait: «J'ai été avant-hier soir à Auteuil, chez Mme Thiers; j'y ai
trouvé bien de la préoccupation sur tout ce qui se passe. Les événements
se pressent et s'embrouillent; la décision de fortifier Paris avait
porté le trouble à la Bourse; cette mesure, dont l'exécution est
énormément chère, va beaucoup effrayer. M. Thiers disait que tous ses
efforts tendent à gagner du temps, pour achever les préparatifs; il
ajoutait que, s'il peut prolonger les choses jusqu'au mois d'avril, nous
serons en mesure de nous défendre. Il dit qu'on ne saurait être plus
animé dans cette question que le Roi et la Reine. Quant à l'Espagne, il
paraît très inquiet et ne prévoit plus d'issue. Il reçoit tous les jours
des dépêches télégraphiques; la Reine régente était encore, le 7, à
Valence, et il pense qu'il faudra peut-être qu'elle livre une bataille
pour rentrer dans sa Capitale. La municipalité de Madrid nomme chaque
jour de nouveaux Ministres; c'est, enfin, le comble de l'anarchie.»


_Courtalin, 15 septembre 1840._--Il y a eu, hier, deux nouveaux
arrivants ici, à l'heure du dîner: le duc de Rohan et son fils, le
prince de Léon. Ces messieurs ont apporté la nouvelle certaine du
mariage de M. Anatole Demidoff avec la princesse Mathilde de Montfort,
moyennant le paiement des dettes du père par M. Demidoff. Pour celui-ci,
c'est une question de vanité: c'est pour devenir l'allié du Roi de
Würtemberg et de l'Empereur de Russie, mais cette alliance est, dit-on,
assez mal vue par les deux souverains pour ne pas lui préparer beaucoup
d'agréments.


_Bonnétable, 17 septembre 1840._--Avant-hier soir, après tous les
commérages habituels du salon de Courtalin, nous avons eu des anecdotes
amusantes, que M. de Roothe conte assez bien sur son beau-père, le
maréchal de Richelieu[136]. Celui-ci a été marié sous trois règnes
différents. Le premier mariage s'est fait par ordre de Louis XIV, qui
avait trouvé le chapeau parfumé du jeune étourdi trop près du lit de Mme
la duchesse de Bourgogne.

  [136] A l'âge de quatorze ans, le duc de Richelieu, alors duc de
  Fronsac, épousa Mlle de Noailles, par ordre du Roi Louis XIV. En
  1734, après les sièges de Kehl et de Philippsbourg où il s'était
  fort distingué, Richelieu se remaria avec Mlle de Guise,
  princesse de Lorraine, et, à quatre-vingt-deux ans, il épousa, en
  troisièmes noces, Mme de Roothe. On raconte qu'après la cérémonie
  de ce mariage, il rentra chez lui pour changer ses vêtements, et
  que, jetant son cordon bleu sur son lit, il dit à son valet de
  chambre: «Va, le Saint-Esprit fera le reste!»

Je me suis émerveillée de l'idée d'avoir dîné en face d'un homme dont le
beau-père avait été aux pieds de cette charmante Princesse, et grondé
par Mme de Maintenon. M. de Roothe nous disait que le maréchal de
Richelieu était resté si galant, qu'une heure avant d'expirer, sa
belle-fille s'étant approchée de son lit, et lui ayant dit qu'elle le
trouvait mieux, qu'il avait meilleur visage, il lui répondit: «Ah! c'est
que vous me voyez à travers vos beaux yeux!» Voici comment M. de Roothe
nous a conté que s'était fait le mariage de sa mère avec le maréchal de
Richelieu: quelques années avant, et quand son premier mari vivait
encore, se trouvant en voiture avec lui, ils passèrent, sur le
Pont-Neuf, devant un carrosse versé et cassé: ils s'arrêtèrent pour
savoir à qui l'accident était arrivé et s'ils pourraient être utiles à
la personne versée. C'était le maréchal de Richelieu, qu'ils
recueillirent dans leur voiture et ramenèrent chez lui. Le lendemain, M.
de Richelieu alla remercier M. et Mme de Roothe, et, frappé de la beauté
de cette dernière, il renouvela cette visite si souvent qu'on en fit la
remarque à Mme de Roothe, en lui disant que la réputation du Maréchal
était telle, malgré ses quatre-vingts ans, qu'il pouvait être dangereux
de le recevoir familièrement. Mme de Roothe évita donc de le recevoir.
Elle devint veuve quelque temps après, et resta, avec quatre enfants,
dans une position assez gênée pour l'obliger à vendre ses chevaux; le
maréchal de Richelieu, déguisé en maquignon, se présente pour les
acheter, dit qu'il ne saurait s'entendre avec les gens de Mme de Roothe,
demande à lui parler à elle-même; introduit et reconnu, elle lui dit
aussitôt, pour couper court aux explications, qu'elle a changé d'avis et
ne veut plus vendre ses chevaux. M. de Richelieu se retire, mais pour
être utile à la belle veuve, il obtient du Roi, à son insu, un
appartement pour elle aux Tuileries, celui-là même où nous avons vu la
vicomtesse d'Agoult et Madame Adélaïde. Mme de Roothe accepte le
bienfait du Roi. Quelques mois après, elle apprend qu'elle le doit au
Maréchal, et croit devoir lui écrire pour l'en remercier. Il vient chez
elle, tombe à ses pieds, et lui dit: «Madame, si vous vous trouvez bien
dans cet appartement, permettez-moi de trouver qu'il n'est pas digne de
vous et que l'hôtel de Richelieu vous conviendrait mieux.» La
proposition fut acceptée et le mariage se fit: Mme de Roothe devint
grosse, mais le duc de Fronsac, furieux du tort que cette grossesse
pouvait lui faire, gagna la femme de chambre de sa belle-mère, et
celle-ci lui fit avaler, dans une tisane, une drogue qui provoqua une
fausse couche.

J'ai voyagé très vite, hier, grâce à de belles routes, de bons chevaux,
et de bons postillons, grâce surtout à un affreux ouragan qui nous
soufflait du dos et emportait voiture, gens et chevaux dans ses
tourbillons. J'ai trouvé la duchesse Mathieu de Montmorency en bonne
santé, mais un peu sourde; son aumônier est malade, ce qui a changé les
habitudes de la maison.

J'ai une lettre de M. Bresson. Voici ce qu'il me dit sur la politique:
«Nous sommes ici un peu plus au calme; c'est une affaire qui s'usera,
mais il restera des ressentiments et des défiances. On ne s'abordera
plus avec la même cordialité, on sera longtemps sur le qui-vive; enfin
le terrain n'est plus aussi _net_, et c'est ce que M. de Talleyrand
n'aimait pas. Mais je crois que le gros orage est détourné, et que si
vous avez formé des projets de voyage en Prusse pour l'année prochaine,
vous n'aurez aucun motif d'y renoncer en ce qui concerne la guerre. M.
de Werther a été assez sérieusement malade. Le prince de Wittgenstein
revient après-demain de Kissingen. Mme de Reede, avec ses
soixante-quatorze ans, trône et dirige toutes choses à Kœnigsberg. Nous
aurons des fêtes splendides pour le Huldigung[137]. La noblesse de la
seule Marche de Brandebourg a souscrit pour vingt mille écus. Toute
cette brillante perspective ne me remet pas en belle humeur. Ma santé
est décidément altérée par le climat, et mon caractère par l'isolement
et l'exil. Je suis arrivé à une de ces périodes de la vie, et de ces
dispositions d'esprit, où il faut un changement à tout prix, et c'est à
quoi j'aspire. Mes meilleurs jours sont passés, ce qui me reste de
liens en ce monde va bientôt se briser, je dois chercher à me rattacher
à mon pays. Quel service vous me rendriez en intéressant ma protectrice,
Madame Adélaïde, à me faciliter cette retraite!»

  [137] Le Roi Frédéric-Guillaume IV n'eut pas précisément de
  couronnement, mais il se rendit à Kœnigsberg, pour y recevoir
  l'hommage (_die Huldigung_) de ses sujets qui, par l'entremise de
  leurs députés, lui prêtèrent, le 10 septembre 1840, le serment de
  fidélité.

J'ai dans mon idée que M. Thiers aura bientôt, par beaucoup de
démissions volontaires, la facilité de remplir par ses amis les grands
postes diplomatiques.


_Valençay, 19 septembre 1840._--Me voici à Valençay, ce lieu si rempli
de souvenirs, et qui me fait l'effet d'une patrie. M. et Mme de Valençay
sont seuls ici avec leurs enfants. Ils me paraissent tous deux assez
aises de m'y voir arriver. Je le suis toujours de me retrouver à
Valençay. Je suis ici, moins séparée d'un passé bien riche, et les morts
y sont moins absents que partout ailleurs.


_Valençay, 22 septembre 1840._--M. et Mme de Castellane sont arrivés
hier ici, venant de leur Auvergne, qui me paraît être peu agréable à
habiter. Il n'y a point de routes pour arriver chez eux; ce sont de
mauvais chemins dans lesquels on ne peut aller qu'en litière ou à
cheval. Il neige déjà dans leurs montagnes, qui sont sans arbres et sans
culture, rien que des herbages pour le bétail; ni fruits, ni légumes, ni
gibier; aucun secours médical immédiat. Pauline est maigrie, hâlée; son
mari est fort maigre aussi, j'espère qu'ils se referont, à Rochecotte où
nous allons tous nous rendre. Mais qui est charmante, c'est Marie, leur
petite fille, blanche, grasse, fraîche, de bonne humeur, douce, riant,
gigotant; un bon petit ange, que j'ai eu le cœur fort touché de revoir,
ainsi que sa mère.

C'est aujourd'hui le jour de Saint-Maurice, autrefois le plus animé et
le plus brillant de Valençay. Il ne sera célébré cette fois que par une
messe, pour le repos de l'âme de notre pauvre cher M. de Talleyrand, qui
sera célébrée dans la chapelle sous laquelle il repose.


_Valençay, 24 septembre 1840._--Voilà donc le grand drame Lafarge
terminé. Elle est condamnée. La réflexion qui m'est venue en lisant
l'arrêt infamant, c'est qu'il faut que cette femme par son aspect, que
l'action des débats, les gestes, les physionomies, aient produit un
effet bien frappant, pour amener cette conviction, qui résulte d'autre
chose que des faits et qui a provoqué sa condamnation; car elle a montré
longtemps une rare présence d'esprit, ses avocats de grands talents, et
l'accusateur public, une gaucherie pleine de rudesse; il y avait grand
partage de sympathie et d'antipathie dans le public; Mme Lafarge était
soutenue par une famille puissante. Ce qu'il y a de singulier et de rare
dans ce procès, c'est que je n'y vois personne, pas même la victime, qui
inspire de l'intérêt. Outre la condamnée, il y a ce Denis qui me paraît
être un très mauvais homme; la mère Lafarge, trop occupée du testament;
le défunt, bien peu délicat en affaires commerciales; Mme de Léautaud,
bien légère; Mme de Montbreton, trop magnétiseuse; Mme de Nicolaï,
surveillant bien mal ses filles. Avec si peu de personnes à estimer dans
les accusateurs de Mme Lafarge, il faut qu'elle ait fortement
impressionné le jury de sa culpabilité pour être condamnée.


_Valençay, 25 septembre 1840._--Voici ce que le duc de Noailles me mande
de Paris, où il avait été faire une visite à Mme de Lieven revenue de
Londres. «J'ai trouvé la Princesse fort changée. On espère toujours la
paix, et le gouvernement y tend. Le Roi est toujours rassuré. Les
propositions de Méhémet-Ali sont une nouvelle phase de l'affaire, qui
peut empêcher la guerre, mais rien n'est fini, si cela traîne jusqu'au
printemps, Thiers sera alors plus belliqueux qu'aujourd'hui, parce que
nous aurons une armée, qui, dans ce moment-ci, nous manque. On est plus
en adoucissement avec la Prusse qu'avec les trois autres Puissances. Il
paraît qu'à Berlin on en a déjà par-dessus les oreilles de la
Convention, et que l'on y maudit M. de Bülow de sa présomption et de son
aveuglement.»

On m'écrit d'autre part ceci: «A Londres, l'inquiétude gagne toutes les
classes. Le Ministère anglais se dit étonné des mesures prises en
France, et de l'activité que déploie le Roi. Je crois lord Palmerston
très agité. La princesse de Lieven a lu à M. de Montrond une lettre de
lady Cowper, qui ne cache pas les inquiétudes et les incertitudes de son
monde. On a dit que lord Holland est en dehors de tout ce qui se passe.
Je suis certain du contraire; il écrit des lettres de six pages, à M.
Bulwer, sur les affaires, et s'y montre vif comme un jeune homme. On le
dit même très avancé dans les opinions anti-françaises. Les récoltes
sont mauvaises en Angleterre et en Écosse, autre embarras pour le
Cabinet anglais. En attendant, quoiqu'on soit rassuré à Saint-Cloud, il
semble cependant que la brèche s'élargit, par l'échange de notes fort
aigres; tout cela est fort confus, et des prévisions un peu fondées sont
impossibles.»

Nous avons ici, depuis hier, M. de Maussion, qui arrive de Paris, ou
plutôt de chez M. Thiers où il passe sa vie. Il raconte que Mme de
Lieven est traitée d'espionne chez M. Thiers, qu'on l'y accuse de toutes
sortes de trahisons. Il dit aussi que M. de Flahaut arrive chaque matin,
chez M. Thiers, avec force lettres d'Angleterre, qu'il fait l'important,
et que ses intrigues et celles de sa femme sont plus vives que jamais.
Il ajoute que M. de Flahaut part pour l'Angleterre, afin de ne pas se
trouver au procès de Louis Bonaparte, mais que sa femme répand partout
que c'est avec une mission secrète et importante près du Cabinet anglais
pour réparer les gaucheries de M. Guizot. On voudrait bien supplanter
celui-ci, mais M. Thiers ne veut pas qu'il soit à Paris pour l'époque
des Chambres; alors M. de Flahaut s'est rabattu sur l'ambassade de
Vienne, et on croit qu'il l'obtiendra.


_Valençay, 25 septembre 1840._--Mme de Wolff m'écrit, de Berlin, en date
du 10 de ce mois: «Notre ville est en grand mouvement pour les
préparatifs des solennités qui auront lieu après-demain, à l'entrée du
Roi et de la Reine, et plus encore pour les fêtes qui seront données à
l'occasion de la prestation d'hommage. La quantité d'étrangers qui
arrivent de toutes parts est énorme. Vous aurez vu, dans les journaux
allemands, avec quel enthousiasme le Roi a été reçu à Kœnigsberg, et
avec quelle dignité toute royale il s'est assis sur le trône de ses
ancêtres. Il paraît, au dire général de tous les spectateurs, que
l'effet du discours spontané du Roi, après le serment, a dépassé toutes
choses, comme profonde émotion. Ce discours était si peu préparé, que la
Reine est restée comme frappée d'étonnement, en voyant le Roi se lever
subitement et s'approcher de la balustrade. Là, il s'est arrêté, et
levant la main vers le ciel, il a prononcé, d'une voix ferme et sonore
qui a retenti jusqu'au fond des cœurs et a été entendue jusqu'à
l'extrémité de l'enceinte, ces paroles si simples, qui contiennent tout
son avenir. Il a fait couler bien des larmes, et il en a versé lui-même.
Tout ce qu'il faut demander au ciel, c'est de nous conserver les
bienfaits de la paix. Jusqu'ici, les apparences de guerre n'ont pas
troublé la sécurité générale. On ne saurait rien comparer à l'activité
énergique du gouvernement du Roi. A en juger d'après ses débuts, la
Prusse fera, sous ce règne, des pas de géants, mais, je le répète, pour
jouir de l'âge d'or qui semble nous sourire, il nous faut conserver la
paix.»


_Valençay, 28 septembre 1840._--Nous nous sommes distraits, hier, par
une petite représentation dramatique, qui a eu lieu dans la soirée. Elle
a commencé par le dialogue d'Agrippine et de Néron[138], joué, en
costumes, par M. de Montenon, qui faisait Néron, et mon gendre en
Agrippine, véritable monstruosité féminine. Ensuite _le Mari de la
veuve_ a été joué, avec beaucoup d'entrain, d'ensemble et d'intelligence
par mon fils Louis, ma fille Pauline, Mlle Clément de Ris et Mlle de
Weizel. Puis deux scènes du _Dépit amoureux_, par Mlle Clément de Ris,
M. de Montenon, M. et Mme d'Entraigues. Et enfin, _Passé minuit_, par
MM. de Maussion et de Biron, qui a fort diverti les bonnets ronds du
parterre. On a soupé et dansé après le spectacle. Tout s'est passé
gaiement et très bien.

  [138] Dans la tragédie de Racine, _Britannicus_, acte IV, scène
  II.


_Valençay, 29 septembre 1840._--J'ai reçu plusieurs lettres. L'une dit
ceci: «On a convoqué un conseil de Cabinet à Londres pour le lundi 7. On
doute beaucoup que lord Palmerston fasse prévaloir son opinion près de
ses collègues, et on dit que ses ministres sont loin d'être unanimes.
C'est pourquoi on conserve encore quelque espoir que la paix soit
maintenue. D'un autre côté, on ne sait rien sur la nature des
instructions qui ont été envoyées dans la Méditerranée. Il règne, en
tout, une grande incertitude sur tout.»

Voici maintenant les dires de Mme de Lieven. D'abord, de graves plaintes
sur sa santé, qu'elle conclut: «Je ne suis pas si mal, cependant, que
l'Europe. Quelle dégringolade partout! Ce qu'il y a de vraisemblable,
c'est la guerre. Imaginez, d'avoir laissé venir les choses à ce point!
Et pas un homme en Europe pour se saisir d'une affaire, pour la
conduire! M. de Metternich me paraît mort! Tout le monde veut la paix,
la veut passionnément, et voilà où cet amour enragé de la paix a amené
l'Europe! Vraiment, tout le monde est fou. La crise doit se décider dans
peu de semaines. On assure que Vienne fait de grands efforts, mais
Palmerston est bien obstiné. En France, on a fait du bruit, et beaucoup
et plus que du bruit. Quels sont les amours-propres qui se prêteront à
une reculade? J'aimerais bien à causer avec vous. Nous avons vu de
meilleurs temps; et que de choses j'aurais à vous conter sur Londres,
qui vous étonneraient. Ma chère Duchesse, si la guerre éclate, je dois
être la première à quitter Paris, et la France; où irai-je? C'est
abominable!»


_Valençay, 30 septembre 1840._--M. Molé me mande ceci: «M. le Comte de
Paris a été bien malade, tout simplement dans le plus grand danger. Il
est mieux, sans être guéri. Vous savez sans doute Mme de Lieven de
retour. Son ami, M. Guizot, la chose est certaine, ne tardera pas à
rompre avec son maître et supérieur, M. Thiers. La discussion de
l'Adresse sera le terme le plus éloigné pour l'accomplissement de ce
grand événement.»

Voici maintenant ce que dit la duchesse d'Albuféra: «Il y a toujours ici
bien de l'inquiétude sur les événements. On se demande ce qui va être
répondu aux propositions de Méhémet-Ali, mais bien du monde pense que la
foudre leur succédera. En France, les armements se font sur une très
grande échelle.--La duchesse de Massa est arrivée à temps pour fermer
les yeux au Maréchal Macdonald, son père; on pense que le bâton de
maréchal de celui-ci ira au général Sébastiani.--La princesse de Lieven
reçoit chaque jour une longue dépêche de notre Ambassadeur à Londres.»


_Tours, 2 octobre 1840._--Je trouve ici une lettre de M. de
Sainte-Aulaire, qui m'écrit de Vienne, le 23 septembre: «Les affaires
iraient bien, si elles se faisaient ici; mais on cause à Vienne et à
Berlin, c'est à Londres qu'on négocie, et les dispositions y sont,
malheureusement, fort différentes, je crois.»


_Rochecotte, 4 octobre 1840._--Les journaux d'hier contiennent la grande
note explicative de lord Palmerston, adressée au ministre d'Angleterre à
Paris, M. Bulwer, et qui établit la question d'Orient sous un jour fort
différent des récits français[139], puis, la nouvelle de la prise de
Beyrouth[140], qui est un début assez vif des mesures coercitives. Que
va-t-il produire?

  [139] Le mémorandum adressé par lord Palmerston au gouvernement
  français se trouve aux pièces justificatives de ce volume.

  [140] Beyrouth avait été conquise sur la Turquie par
  Ibrahim-Pacha, qui, par ses victoires, avait soumis toute la
  Syrie au vice-roi d'Égypte. C'est à la suite de cette expédition,
  si menaçante pour l'Empire ottoman, et qui faillit amener une
  guerre européenne, que la ville de Beyrouth fut bombardée et
  reprise sur Méhémet-Ali, par l'escadre anglo-autrichienne, en
  1840.


_Rochecotte, 5 octobre 1840._--Mon gendre a reçu une lettre de Paris
dans laquelle on lui mande que le salon de M. Thiers, le jour où on y a
appris la nouvelle de la prise de Beyrouth, était guerroyant, fulminant
à incendier le monde. Cependant j'ai vu, dans le _Journal des Débats_
du 3, un petit article à ce sujet qui prêche le calme et la modération,
et, en songeant aux hautes inspirations que reçoit ce journal, je me
suis un peu tranquillisée.

Je m'attendais à ce que le plaidoyer de M. Berryer pour le prince Louis
Bonaparte serait d'une portée séditieuse, éclatante, foudroyante,
insolente, téméraire: bref, un volcan! J'ai été fort surprise, en le
lisant, de n'en pas recevoir la moindre émotion, mais j'ai souvent
remarqué que lorsqu'on lit les discours de Berryer, ils ne produisent
nullement un effet en rapport avec sa réputation, et que c'est
l'entendre qu'il faut pour être ébloui et entraîné, tant il a, à un haut
degré, les qualités extérieures et séduisantes d'un orateur.


_Rochecotte, 6 octobre 1840._--La duchesse d'Albuféra m'écrit de Paris:
«Les événements, en Orient, sont d'une nature bien alarmante; ce qui ne
l'est pas moins, c'est le langage des journaux ministériels, faiblement
compensé par celui, très modéré, du journal de Saint-Cloud[141]. Les
premiers menacent M. Thiers de se séparer de lui, s'il ne commence pas
la guerre. La Prusse et l'Autriche paraissent, décidément, ne pas
vouloir la faire contre nous, ni contre personne. On n'y comprend plus
rien. M. de Flahaut est à Londres, logé chez lord Holland; il voit tous
les jours les Ministres, et mande à sa femme qu'il cherche à leur ouvrir
les yeux sur notre véritable position, mais cette mission officieuse
n'aura, probablement, pas grand résultat, car le parti semble pris à
Londres, et bien pris. J'ai vu lady Granville, qui est fort triste,
ainsi que son mari; ils espèrent toujours que la guerre n'éclatera pas
et je sais que lord Granville fait tout ce qu'il peut pour adoucir les
esprits. On ne voit ici que gens inquiets, agités; on ne parle que de
mémorandum, de Beyrouth, d'Espartero, de fortifications; on se couche
avec l'esprit bouleversé, on se réveille avec une pénible attente, vous
êtes bien heureuse d'être loin d'un pareil brasier. Le procès de Louis
Bonaparte n'occupe personne: M. d'Alton-Shée, après un discours violent,
a seul voté pour _la mort_. Cela a été mal pris par le reste de la
Chambre.»

  [141] Sous ce nom de journal de Saint-Cloud, on désignait le
  _Journal des Débats_.


_Rochecotte, 7 octobre 1840._--J'ai appris, hier, une nouvelle qui m'a
affligée, celle de la mort de ma pauvre amie la comtesse Batthyàny, à
Richmond, le 2; elle avait, dans ces derniers jours, éprouvé un mieux
qui lui avait fait faire le projet de venir s'établir à Paris.

On m'écrit, de Paris: «M. Molé est à Paris, pour le procès de Louis
Bonaparte, dans lequel M. Berryer a fait fiasco. Ce qui absorbe tout,
c'est le bombardement de Beyrouth; quelles en seront les conséquences?
Il n'y a qu'un cri de réprobation contre M. Thiers. Mme de Lieven est
assez malade. Elle a la fièvre, et reçoit sur sa chaise longue; elle
joue très serré sur M. Guizot, mais on dit qu'elle se laisse deviner
moins tendre!»


_Rochecotte, 8 octobre 1840._--J'ai reçu, hier, une lettre de Mme de
Lieven, commencée le 5 et finie le 6; en voici l'extrait: Du 5: «En
Angleterre, on n'a rien décidé; les ministres ne sont pas d'accord;
cependant, le parti pacifique domine, et Palmerston lui-même prétend en
être, sans, cependant, qu'il offre d'expédients pour une solution
satisfaisante pour la France; et puis ses mouvements ne sont plus
libres, il lui faut demander l'assentiment de la Russie sur tout. Depuis
le bombardement de Beyrouth, Thiers paraît ne plus trouver sa place
tenable, s'il ne fait quelque coup hardi; ses collègues ne sont pas tous
de son avis, et le Roi ne veut pas d'extrémités. Cependant, il faut se
décider. Lord Granville est très soucieux. Les choses sont poussées à un
point qui ne saurait se prolonger ainsi. On allait jusqu'à dire, hier,
que Thiers voulait envoyer deux cent mille hommes sur le Rhin, et la
flotte française à Alexandrie pour s'opposer aux Anglais. Ce serait fou!
La situation est très périlleuse, et, en supposant que Thiers se sépare
du Roi, où trouver des gens assez résolus pour se charger de la lourde
besogne du moment?»

Du 6: «Les trois ou quatre Conseils tenus dans ces deux jours ont fait
prendre la résolution d'adresser une protestation au gouvernement
anglais, dans laquelle on établira le _casus belli_, et je crois
qu'Alexandrie et Saint-Jean d'Acre seraient ce cas-là. Mais si, en ce
moment, une de ces villes se trouvait déjà attaquée, que deviendrait la
protestation? Le gouvernement anglais a, de son côté, adressé des
observations à ses alliés pour modifier le traité. On négocie donc, et
assez franchement; mais, en attendant, les opérations militaires vont
leur train. On dit que le Roi n'est pas tout à fait d'accord avec M.
Thiers sur le _casus belli_. On dit aussi qu'il est particulièrement
content de M. Cousin qui est à la paix avec l'amiral Roussin et M.
Gouin. On me dit, de bonne source, que la convocation des Chambres est
décidée pour les premiers jours de novembre, et que la note en
protestation dont je vous parle sera arrêtée ce matin. Saint-Jean d'Acre
n'y sera pas nommé.»

Cette lettre intéressante a fort alimenté notre conversation. Le duc de
Noailles, qui est ici, et qui a apporté son manuscrit, nous a lu son
morceau sur le quiétisme[142]. Il est fait avec clarté, en bon langage,
sans longueurs, et avec des citations bien choisies, qui y donnent du
mouvement.

  [142] Ce morceau se trouve contenu dans l'_Histoire de Mme de
  Maintenon et des principaux évènements du règne de Louis XIV_,
  dont la première partie devait paraître en 1848.


_Rochecotte, 11 octobre 1840._--Nous avons appris, hier, la mort
violente d'Arthur de Mortemart[143], excellent sujet, destiné à hériter
de la superbe fortune de ses parents, et destiné aussi, ce que
j'ignorais, à épouser la fille du duc de Noailles, que cette triste
nouvelle a fait partir immédiatement. Arthur de Mortemart avait
vingt-sept ans et était fils unique. Sa mort est un malheur affreux pour
sa famille.

  [143] Fils unique du duc de Mortemart; il mourut des suites d'une
  chute de voiture.

M. Molé me mande ceci: «Voilà les Chambres convoquées pour le 28, et
mes amis exigent que je sois établi à Paris du 13 au 20; j'y consens,
mais ce sera assurément pour l'unique et stérile plaisir d'échanger nos
doléances. Nous marchons, fatalement, vers le gouvernement
révolutionnaire. Il pourrait même bien être plus sanglant que la
première fois. Ce qu'il durera, et ce qui le remplacera, Dieu seul le
sait! et personne d'autre. Eh bien! si les journaux n'avaient pas égaré,
divisé les esprits honnêtes, avec du courage on s'en tirerait; c'est
notre intérieur qui rend la position sans remède. Le dehors
s'arrangerait, et facilement, si le dedans lui inspirait quelque
confiance. Au surplus, c'est la Chambre qui va tout décider. Comment
espérer qu'elle sera à la hauteur de sa destinée? Je ne sais ce que
deviendra ma réception académique au milieu de tout cela. Je suis prêt,
et malgré les dires de Villemain, qui me paraît intimidé, je n'effacerai
rien de mon éloge de Mgr de Quélen, et j'appelle le grand jour.»


_Rochecotte, 12 octobre 1840._--Une lettre de M. de Barante, de
Saint-Pétersbourg, me dit ceci: «J'attends, ici, qu'il y vienne des
nouvelles d'ailleurs, car, à Saint-Pétersbourg, on ne décide rien, et,
au fond, on y est assez indifférent. La paix serait, peut-être, plus
sage, mais la guerre est plus conforme aux sentiments qu'on professe
depuis dix ans; donc, on ne fera que ce que voudra l'Angleterre. D'après
cela, faites vos conjectures. Vous connaissez lord Palmerston et tout ce
théâtre politique, et moi je n'en ai nulle idée.»


_Rochecotte, 14 octobre 1840._--Mme de Montmorency m'écrit que M.
Demidoff a écrit à M. Thiers, pour obtenir l'autorisation d'annoncer sa
femme, à Paris, _Son Altesse Royale Mme la princesse de Montfort_. Mme
Demidoff a écrit, à ce sujet, directement à Mme Thiers, qu'elle a connue
en Italie. Le Roi y a consenti.


_Rochecotte, 17 octobre 1840._--La duchesse d'Albuféra m'écrit: «On est
un peu plus à la paix dans le moment. Les négociations ont été reprises,
et on s'accorde à dire que si la guerre doit éclater, ce ne sera que
dans un assez long temps; qu'on échangera bien des notes diplomatiques
avant d'en venir à cette extrémité. Le général de Cubières, le Ministre
de la Guerre, avait donné sa démission, parce qu'il voyait la majorité
du Conseil trop guerroyante, son avis étant que nous ne sommes pas en
état de soutenir la guerre contre les Puissances, et qu'il faut
absolument l'éviter; mais cette démission n'a pas été acceptée, les
négociations et les idées de paix ayant repris le dessus, pour le moment
du moins. Le mémorandum français a ramené beaucoup d'esprits à M.
Thiers. On est déjà fort occupé de la Présidence de la Chambre. Les avis
se partagent entre M. Odilon Barrot et M. Sauzet. Le comte de Paris est
retombé fort malade, et ses parents en sont très inquiets.»


_Rochecotte, 19 octobre 1840._--Mme de Lieven me mande ceci: «Le Cabinet
anglais a fait bon accueil à la note française. Le parti pacifique y
trouve de la force, mais tout n'est pas là. Il faut consulter à
Saint-Pétersbourg, qui est loin, et pendant ces délais les journaux
interviennent. Le mémorandum de Thiers plaît beaucoup à Paris, gêne lord
Palmerston; à Saint-Pétersbourg, on trouvera qu'il dit tout haut ce
qu'on s'était contenté, jusqu'ici, de murmurer tout bas. Quant à
l'Autriche, Apponyi prétend que le récit, en ce qui la regarde, n'est
pas exact. Du reste, le dénouement est imminent, et au 15 novembre, tout
devra être décidé. Les quatre Puissances ne se soucient pas de la guerre
et la France, où et sur quoi la commencera-t-elle? Malheureusement, on
dit beaucoup que la paix ne peut pas faire ménage avec M. Thiers; ceci
serait bien dangereux, car les esprits sont fort montés; et Thiers dans
la balance, c'est plus que la guerre.»


_Rochecotte, 20 octobre 1840._--Nous apprenons, par les journaux, la
nouvelle tentative d'assassinat sur la personne du Roi par un nommé
Darmès[144]. Ces tentatives, répétées si souvent, font frémir, et ne
laissent plus la moindre sécurité.

  [144] Le 15 octobre 1840, vers six heures du soir, Louis-Philippe
  retournait de Paris à Saint-Cloud avec la Reine et Madame
  Adélaïde; la voiture suivait le quai des Tuileries; elle arrivait
  ainsi au poste du Lion, lorsqu'une détonation se fit entendre.
  Mais l'arme dont l'assassin Darmès venait de se servir contre le
  Roi avait éclaté, et le coup s'était tout entier retourné contre
  lui. Arrêté, incarcéré dans la prison, il fallut aussitôt lui
  faire l'amputation de la main gauche, qui était absolument
  mutilée.

Mon gendre a reçu hier des lettres de Paris, dans lesquelles on lui dit
que le vent semble tourner à la guerre; qu'on assure que lord Palmerston
veut l'exécution entière du traité; que notre Ministère se croit sûr de
la majorité, ce qui tiendrait plutôt à la terreur qu'auraient les
opposants de prendre le pouvoir, dans les circonstances actuelles, qu'à
la confiance qu'inspire le Cabinet. Mgr le duc d'Orléans aurait dit,
après l'attentat de Darmès, qu'il était décidément pour la guerre,
préférant être tué sur les bords du Rhin, à être égorgé dans un ruisseau
de Paris. Toutes les lettres s'accordent à représenter les esprits bien
agités et les circonstances aussi compliquées que graves.


_Rochecotte, 21 octobre 1840._--Le journal annonçait, hier, l'abdication
de la Reine Christine. Il faut convenir que ce fait ne marquera pas
agréablement l'ambassade de M. de La Redorte en Espagne.

Le duc de Noailles m'écrit ceci: «On parle beaucoup de la démission de
Thiers; plusieurs le disent perplexe à ce sujet; il ne sait comment
paraître devant les Chambres. Il voudrait se ménager une retraite qui le
fît retomber à la tête d'un parti, en faisant croire qu'il n'a pu
obtenir du Roi les décisions énergiques que l'honneur national réclame.
D'un autre côté, s'éclipser ainsi, laisser tout le monde dans
l'embarras, après avoir soulevé et provoqué tant de choses, fuir la
discussion et la responsabilité devant les Chambres, est un parti qui
aurait sa honte; cependant, les mieux informés croient à la démission.
Le discours de la Couronne est le seul point, maintenant, sur lequel il
puisse se mettre en dissentiment et demander sa retraite.

«La Prusse refuse, décidément, de laisser sortir des chevaux de son
territoire: on espère en trouver en Normandie et en Hollande. On est, de
fait, fort embarrassé, car on n'est nullement prêt à la guerre; on ne
saurait l'être avant le printemps, et déjà on est arrivé à quatre cent
cinquante millions de crédits extraordinaires. Les finances vont être un
gouffre: si la rente tombe à 99 (l'amortissement devant alors agir et
acheter pour seize millions par mois) et si on retire l'argent des
caisses d'épargne, le Trésor ne saura plus comment s'en tirer.
L'expédition de Syrie ne paraît point avoir de résultat prochain.
Ibrahim laisse les alliés s'emparer du littoral séparé du reste par une
chaîne de montagnes qui suit la mer et que les troupes débarquées ne
peuvent pas franchir; il contient tout ce pays qui, comprimé par son
armée, n'ose et ne peut pas se révolter, et il attend que les vents
chassent la flotte, qui ne pourrait y revenir qu'au printemps. J'ai vu
une lettre de lady Palmerston assez pacifique. Guizot écrit aussi qu'à
Downing-Street, on est plus calme.

«Le Roi est très abattu de cette reprise d'assassinat, et Thiers sent le
tort que cela fait au Ministère. On dit que les Députés qui sont ici et
qui arrivent sont plutôt pacifiques, et que la Chambre des Pairs est
tentée, si elle en a le courage, ce dont je doute, de prendre une
attitude imposante et gênante pour le Ministère.»


_Rochecotte, 23 octobre 1840._--Madame Adélaïde me mande ceci, dans une
très aimable réponse à une lettre que je lui avais écrite, à l'occasion
de l'attentat de Darmès: «La première parole du Roi, après l'explosion,
a été, en s'adressant à la Reine et à moi: «Eh! qu'il faille que vous
soyez toujours dans cette fatale voiture!» Ce mot est vraiment touchant.

Voici ce que dit Mme de Lieven: «Granville a remis, hier, la réponse de
lord Palmerston à la note du 8. Cette réponse promet, je crois, de
s'employer à faire révoquer la déchéance du Pacha, si celui-ci se
soumet; vous voyez que cela n'avance guère l'affaire. Tout ce qu'on peut
dire, aujourd'hui, c'est que les manières et le langage, de part et
d'autre, sont devenus plus doux, et que cela _peut_ amener à s'entendre.
Lord Palmerston ne s'explique pas plus clairement, parce qu'il attend
toujours les brillants succès de Syrie! Jusqu'ici il les a attendus en
vain. Le ton du Ministère français est moins guerroyant; il dit: «La
guerre pourrait arriver au printemps, si l'hiver ne règle pas tout.»
Vous voyez que voilà une modification et la diplomatie, à Paris, est
disposée à croire à la paix. Nous allons voir les Chambres; voilà ce qui
sera important pour les choses et pour les hommes.

«Le Roi n'est plus venu en ville, depuis le coup de carabine, sur lequel
les journaux étrangers s'expriment plus convenablement que les journaux
français.

«On dit fort que la division du Cabinet anglais est devenue beaucoup
plus patente, et que la minorité est du côté Palmerston; M. de Flahaut,
qui arrive demain, nous édifiera sur ce sujet. Aujourd'hui, Mme de
Flahaut est fort anti-Palmerston, parce qu'elle craint, naturellement,
la guerre entre les deux patries[145]. Lord John Russell a passé à la
majorité, contre lord Palmerston, et c'est une grosse pièce, tout frêle
qu'il est. Il y a une confusion incroyable par le monde et on ne sait
plus où on en est, mais vraiment je commence à espérer un peu plus la
paix qu'il y a quelques jours.»

  [145] Mme de Flahaut était Anglaise, fille de l'amiral Keith
  (lord Elphinstone), qui fut chargé de notifier à Napoléon Ier,
  venu sur les côtes anglaises pour y chercher l'hospitalité, en
  1815, qu'il était prisonnier de la Sainte-Alliance. Ce fut lui
  qui reçut la mission de préparer l'embarquement du captif pour
  Sainte-Hélène.


_Rochecotte, 24 octobre 1840._--Mon gendre a reçu, hier, la nouvelle de
la démission du Ministère français, qui se retire à l'occasion du
discours de la Couronne, qu'il voulait faire remplir de _casus belli_,
ce que le Roi ne veut pas[146].

  [146] Thiers tomba définitivement, avec son Ministère, pour faire
  place à M. Guizot, le 29 octobre 1840. Il ne devait plus remonter
  au pouvoir sous le règne de Louis-Philippe.

Mon fils, M. de Dino, m'écrit que le grand-duc de Toscane a fait M.
Demidoff prince de San-Donato, du nom de sa manufacture de soieries, et
lui a donné l'Excellence. Le Pape[147] a envoyé les dispenses pour le
mariage. Le douaire de la jeune Princesse est fixé à deux cent cinquante
mille francs, et ses épingles à vingt-cinq mille francs.

  [147] Le Pape était alors Grégoire XVI.


_Rochecotte, 25 octobre 1840._--Il paraît que la Reine Christine va se
fixer à Florence, où sont ses intérêts de cœur. Elle a deux enfants de
Muñoz, qu'elle adore; elle a mis quinze cent mille francs de rente à
l'abri.

Le petit comte de Paris est bien mal; il a une fièvre continue qui le
fait tomber en consomption. Le duc d'Orléans est désolé; la Duchesse est
au lit, bien faible, bien malheureuse; on lui défend de bouger, on
craint qu'elle n'accouche avant terme: elle est à huit mois. Les
chagrins frappent cette pauvre famille Royale.


_Rochecotte, 2 novembre 1840._--La Reine Christine ne va pas en Italie:
Nice, Paris, et ensuite Bordeaux, voilà, dit-on, sa marche; elle veut
rester près de l'Espagne pour guetter les mouvements.

Voici ce que dit Mme de Lieven, en date d'avant-hier: «Vous voyez ce qui
se passe ici: cela va devenir bien orageux. Il faut que M. Guizot ait
bien du courage pour s'embarquer dans un pareil navire. A Londres, on
est devenu bien doux, et on est disposé à le devenir davantage encore,
en faveur du nouveau Ministère, mais il faudrait faire immensément pour
satisfaire ici les enragés, et les complaisances anglaises elles-mêmes
seront mal interprétées pour le nouveau Cabinet. Tout cela est bien
difficile, bien loin de se dénouer. La Chambre sera à l'état de tempête
perpétuelle; le spectacle sera curieux, mais au point de devenir
effrayant. On dit le Roi tout joyeux d'être débarrassé de Thiers, et
ravi de ses nouveaux Ministres[148]; je voudrais pouvoir croire que sa
joie aura de la durée. Thiers dit qu'il ne fera pas d'opposition à
Guizot. Chansons!... Le comte de Paris va mieux. Le duc d'Orléans n'est
pas satisfait du changement de Ministère, mais le Roi Léopold l'est
beaucoup.»

  [148] Le nouveau Cabinet était ainsi composé: Ministre de la
  Guerre et Président du Conseil, Maréchal Soult; Affaires
  étrangères, M. Guizot; Travaux publics, M. Teste; Intérieur, M.
  Duchâtel; Finances, M. Humann; Instruction publique, M.
  Villemain; Justice, M. Martin du Nord; Commerce, M.
  Cunin-Gridaine; Marine, amiral Duperré.


_Rochecotte, 4 novembre 1840._--Je trouve ceci dans une lettre que je
viens de recevoir de M. Molé: «Le Ministère qui se retire perdait tout,
et, avant trois mois, nous donnait la guerre avec l'Europe entière, et
le gouvernement révolutionnaire au dedans. Que fera celui qui arrive? Je
l'ignore; mais plus de mal, même autant de mal, je l'en défie. Il s'est
formé de manière à ce qu'il ne me reste, à son égard, qu'à m'abstenir;
c'est un rôle facile, et que, le plus souvent, je préfère, d'autant plus
que quand je _participe_, ce n'est jamais à demi.»


_Rochecotte, 5 novembre 1840._--Mon fils, M. de Dino, m'écrit, de Paris,
qu'on y fait de grands préparatifs, pour orner la route par où passera
le cortège ramenant les cendres de Napoléon de Sainte-Hélène, et qu'on a
eu la singulière idée d'y aligner, en haie, les effigies de tous les
Rois de France: seront-ils là pour porter les armes à l'usurpateur?
Vraiment, on est fou de notre temps! Du reste, cette belle invention
appartient au Cabinet de M. Thiers, et non au Ministère actuel.

Voici ce que contient une lettre de Mme Mollien: «Hier au soir, en
plein spectacle, Bergeron, le premier en date de tous les assassins du
Roi, est entré dans une loge où était M. Émile de Girardin, le rédacteur
de _la Presse_, et, sans mot dire, lui a donné un soufflet; celui-ci de
se lever comme un furieux; sa femme, deux fois grande et forte comme
lui, de le retenir par le collet de son habit, en criant: «Ne sortez
pas, vous ne sortirez pas; c'est un assassin.» Cela a fait, dit-on, une
scène inconcevable; tous les hommes s'en sont mêlés; l'esprit querelleur
a chauffé toutes les têtes, et on dit que dans le foyer et dans les
couloirs, on n'entendait, de toutes parts, que défis et rendez-vous.»

Voici, pour changer de ton, l'extrait d'une autre lettre: «M. Guizot et
Mme de Lieven sont Ministres des Affaires étrangères, et je crains que
M. de Broglie n'ait plus que le sort de la Sultane Validé. M. Molé n'a
pas été appelé. Le Roi répète beaucoup que M. Molé ne voulait se mêler
de rien; cela n'est pas. Les temps sont trop graves pour qu'un homme de
cœur comme lui pût tenir un semblable langage; mais l'interprétation
est plus commode ainsi. Depuis, le _Journal des Débats_ a eu soin de
mettre en jeu les scrupules de M. Molé et de lui dire: «Si vous vous
abstenez de soutenir le Cabinet, qui est conservateur, nous aurons la
gauche, et ce sera votre faute; c'est un crime envers le pays, etc...»
Cela ne vous semble-t-il pas comme ces parents qui, voyant un fils bien
malade, disent à une jeune fille: «Si vous ne lui accordez pas un
rendez-vous, il mourra et vous serez cause de sa mort!» Si j'étais jeune
fille, je vous assure que je resterais rudement honnête femme! Mon
conseil est que M. Molé reste académicien, et rien qu'académicien;
d'ailleurs, il n'en sera pas pour cela plus mal placé. Savez-vous que
Maurice de Noailles se fait prêtre? On dit que Barante sera ambassadeur
à Londres. Je le souhaite.»

On a mandé à mon gendre que c'était par désespoir de ne pouvoir épouser
la fille du duc de Noailles, que Maurice de Noailles se faisait prêtre;
j'avoue que je ne crois pas encore à toute cette histoire, et que j'en
attends la confirmation.


_Rochecotte, 6 novembre 1840._--Le courrier d'hier m'a apporté une
longue lettre de M. de Salvandy: «Nous sortons d'une crise
ministérielle. Elle a eu peu d'incidents; il est arrivé que M. Molé est
resté au dehors de la combinaison; il éprouve, avec une irritation
profonde, la conviction que c'est une influence suprême qui a fait son
exclusion. M. de Montalivet, à l'origine de la crise, s'est donné une
peine énorme pour que M. Molé fît partie du Cabinet nouveau; il allait,
venait, déclarait cet élément indispensable, le déclarait partout,
surtout à M. Molé. Je ne pouvais m'empêcher de dire à M. Molé que tant
de zèle m'était suspect, et qu'il m'était impossible de n'en pas
conclure que cela finirait mal. En effet, il n'a pas été question un
seul instant de M. Molé. On n'a pas même songé à employer, à son égard,
des formes, qui l'auraient _extérieurement_ désintéressé. On n'a guère
tenu plus de compte de tous les hommes qui avaient composé le Ministère
du 15 avril. Ce n'est que le dernier jour qu'on y a quelque peu songé.
La combinaison a été faite avec tant de légèreté, qu'on n'a pas même
fait d'efforts pour entraîner M. Passy, disposé à entrer sans condition,
mais attaché à M. Dufaure, qui a fondé ses refus, moins sur des motifs
politiques que sur une répulsion toute personnelle contre M. Martin du
Nord. M. Passy et M. Dufaure n'avaient aucune objection, ni contre moi,
ni contre M. Laplagne. On pouvait donc, avec moins de précipitation,
réunir au maréchal Soult et à M. Guizot quelques Ministres du 15 avril
et du 12 mai; il y aurait eu là des éléments considérables de majorité,
d'une majorité compacte et permanente. Au lieu de cela, on s'est
constitué à l'aventure, en comptant sur les périls amassés par M.
Thiers, pour donner des votes le premier jour, sans s'inquiéter du
lendemain; cependant, le Cabinet formé, on a réfléchi qu'on n'avait ni
le centre gauche, ni même le parti conservateur. Alors, on s'est mis en
course pour les acquérir: tous les Ministres me sont arrivés. M. Guizot,
que je n'avais pas vu depuis la coalition, est venu, la plaque à
l'habit, me demander solennellement mon concours. Je ne lui ai pas
dissimulé que c'était bien tard; que cette constitution du Ministère,
sans voir ni entendre personne, sans honorer M. Molé et son parti par
des procédés honnêtes, amassait des difficultés sur une situation qui en
était chargée. En écoutant M. Guizot, je me rappelais ce que je disais à
M. le duc d'Orléans, il y a quelques jours: c'est que, des deux rivaux,
je ne saurais dire lequel est le plus léger; que Thiers a la légèreté en
dehors, et Guizot en dedans; en effet, chez celui-ci, pas une vue des
dangers intérieurs, des obstacles parlementaires, du péril que crée
l'abstention de MM. Passy et Dufaure, qui, avec Lamartine et moi,
laissent un Cabinet possible entre celui d'aujourd'hui et celui de M.
Odilon Barrot, soit qu'on nous donne M. Molé, M. de Broglie ou même M.
Thiers pour chef. Bref, la confiance et la présomption la plus
ineffable, et un parfait oubli de l'apostasie de 1839, que ce nouveau
changement de foi et de drapeau aggrave encore; la conviction qu'on peut
reprendre ses doctrines où on les avait laissées, parler de nouveau
conservation, ordre, résistance, avec la même autorité; imprévoyance des
fureurs que ce langage va soulever chez les adversaires, en nous
trouvant nous-mêmes froids et mécontents. Cependant, nous appuierons,
car nous sommes, avant tout, d'honnêtes gens; il me paraît également
certain qu'il y aura, dans le principe, une majorité. Thiers a mené les
choses à un tel point, que le réintégrer, ce serait à la fois la
révolution et la guerre. Mais l'humiliation extérieure à laquelle le
Cabinet Guizot vient présider pèsera sur lui de manière à l'écraser. Les
honnêtes gens ne pardonnent pas à Thiers d'avoir rendu cette humiliation
inévitable; dans trois mois, personne ne pardonnera à Guizot de l'avoir
acceptée. Dans ma pensée, il devra prochainement succomber, mais s'il
rend le double service de nous faire traverser sans encombre une
situation redoutable, et de préparer la reconstruction de la majorité
conservatrice, il aura beaucoup fait. Je ne désespère pas, et pour mon
compte, assurément, je l'y aiderai. En me quittant, il allait faire une
démarche conciliante auprès de M. Molé.

«La cause immédiate de la rupture du Roi avec Thiers est celle-ci: dans
le discours, Thiers demandait des _mesures nouvelles_, c'est-à-dire cent
cinquante mille hommes de plus, en tout six cent cinquante mille
hommes,--la mobilisation de la Garde nationale,--des camps sur le Rhin
et sur les Alpes; c'était la guerre. Le Roi offrait, par accommodement,
de dire que ses Ministres exposeraient ce qu'ils avaient fait, et ce
qu'ils comptaient faire. Thiers refusa: selon toute apparence, on
n'était sincère ni d'un côté ni de l'autre. M. Thiers sentait que la
position n'était plus tenable: la gauche était frémissante; les
conservateurs avaient peur jusqu'à tout oser; ses folies ne soutenaient
pas la discussion. Le Roi, de son côté, avait le courage de trouver,
dans l'attentat de Darmès, un point d'appui suffisant pour attirer à lui
la lutte et renverser son cardinal de Retz, en ne courant pas de risques
pour son pouvoir, mais en en courant beaucoup, d'énormes même, pour sa
vie.

«Tandis que le parti conservateur semble se reconstruire par le retour
de la grande majorité des Doctrinaires et le vote probable des centres
gauches effrayés, les Doctrinaires se divisent: M. Duvergier de Hauranne
et M. Piscatory suivent M. de Rémusat et M. Jaubert de la gauche; M. de
Broglie est déchiré entre les deux camps; M. Thiers compte toujours sur
lui, et se flatte d'être hautement défendu par lui à la Chambre des
Pairs; M. Guizot, au contraire, se croit sûr de son acceptation de
l'ambassade de Londres. Il y met une grande importance, quoique M. de
Broglie ne pourra pas lui apporter, il s'en faut, toutes les forces
qu'il ôtera à Thiers, mais enfin, il ne lui en ôterait pas, et c'est
quelque chose. A son défaut, Mmes de Barante et de Sainte-Aulaire se
disputent Londres.--On ne doute pas de la démission de M. de La Redorte,
qui a joué un triste rôle dans la Péninsule: ce serait un mouvement dans
le Corps diplomatique; je sais qu'il est question de m'offrir une
ambassade, je ne me suis pas encore demandé quelle serait ma réponse. M.
Guizot n'apporte rien de Londres; on pourrait obtenir quelque chose de
lord Melbourne, rien de lord Palmerston, et il n'est pas bien sûr que
l'Europe soit plus loin des dispositions du premier que du second.--On
reste alarmé pour le comte de Paris. Chomel, auquel j'ai parlé, mais
qui, à la vérité, voit en noir, n'espère rien, sinon que le pauvre jeune
Prince vivra assez pour ne pas mêler une effroyable douleur aux couches
de Mme la duchesse d'Orléans.»


_Rochecotte, 8 novembre 1840._--M. d'Entraigues, notre Préfet, qui est
ici depuis avant-hier soir, a reçu, hier, par une estafette, la nouvelle
télégraphique arrivée pour lui à Tours, et portant la nomination du
Président, des vice-Présidents et des bureaux de la Chambre des Députés.
Ces choix sont, Dieu merci, favorables au Cabinet, et faits par une
bonne majorité. Ce début est un peu réconfortant. Tant mieux si la peur
inspire la sagesse!

J'ai eu une lettre du duc de Noailles, qui me dit qu'il n'y a rien de
vrai dans la prêtrise de M. Maurice son cousin. Vraiment, on est
merveilleux pour inventer et propager des histoires, et leur donner tant
d'accessoires de détails qu'on finit par ajouter foi à ce qui n'a pas
le moindre fondement. Le duc de Noailles me mande en outre ceci: «La
séance royale[149] a eu, m'a-t-on dit, un aspect lugubre. D'un côté des
cris très vifs et avec une intention marquée, et, du côté de la gauche,
un silence menaçant; au milieu, le Roi, versant des larmes à un certain
passage de son discours. Le discours manque de noblesse: il pourrait
être plus noblement pacifique. C'est Guizot qui l'a fait. Le désir de la
paix y tient trop de place; il n'a pas réussi. La majorité est assurée
au Ministère pour quelque temps: à mesure que les craintes de guerre
s'éloigneront, il la perdra.--On a fait, dans le gouvernement, son deuil
de la Syrie. Si le Pacha se soumet, tout sera fini; s'il résiste et
qu'on l'attaque en Égypte, il est difficile que la bombe n'éclate pas
ici.--Thiers a dit à Guizot, à son arrivée: «A votre tour; il n'y a que
deux hommes en France, vous et moi; je suis le ministre de la
Révolution, vous êtes celui de la Conservation; quand ce n'est pas l'un,
c'est l'autre; nous ne pouvons pas marcher ensemble, mais nous pouvons
bien vivre ensemble; je ne vous ferai pas obstacle; je ne vous serai pas
incommode.» Néanmoins, il intrigue déjà beaucoup dans la Chambre, et on
s'agitera pour lui.»

  [149] Séance d'ouverture de la Chambre des Députés.


_Rochecotte, 12 novembre 1840._--L'abbé Dupanloup est arrivé hier ici,
pour bénir ma chapelle. La cérémonie va se faire tout à l'heure.

Le courrier d'hier nous a apporté la nouvelle des couches de Mme la
duchesse d'Orléans. Je suis charmée de la naissance de ce second
fils[150].

  [150] Le duc de Chartres.

Mme de Lieven m'écrit; elle est fort satisfaite des débuts du Ministère.


_Rochecotte, 14 novembre 1840._--J'avais désiré que la première messe
qui se dirait dans ma chapelle le fût pour le repos de l'âme de M. de
Talleyrand, mais une messe d'inauguration ne pouvant être une messe
noire, celle d'avant-hier avait été dite en couleur et en l'honneur de
saint Martin. Celle d'hier a été pour notre cher défunt. L'autel est
précisément à la place où était son lit, dans la chambre que la chapelle
a remplacée. Cela m'a fort émue...


_Rochecotte, 17 novembre 1840._--M. de Salvandy, qui, très obligeamment,
s'est mis à m'envoyer un petit bulletin hebdomadaire, me dit que le
Corps diplomatique à Paris s'est trouvé presque aussi vivement ému de la
dernière note de lord Palmerston[151] que la Chambre elle-même.

  [151] Lord Palmerston ne voulait faire aucune concession.

Il paraît que le comte Apponyi a écrit partout, pour représenter le
danger de pousser la France à la révolution et à la guerre, quand elle
fait effort pour secouer le joug de l'anarchie. Lord Granville et M. de
Bülow désavouent lord Palmerston. S'il voulait décidément pousser la
France à bout, on peut croire que ni l'Autriche ni la Prusse ne le
seconderaient. Le langage même de la Russie semble modifié.

Mon gendre m'écrit de Paris, le 15: «Tout m'a paru, ici, fort confus en
apparence. La transition, de la provocation révolutionnaire à
l'humilité, ne peut se faire qu'au milieu du bruit, pour mettre la
pudeur en défaut. C'est à quoi tout le monde concourt; on braille des
bravades du côté de la paix et du côté de l'ancien Ministère; on crie
généralement contre la lâcheté et l'avilissement du pouvoir, sans dire
exactement ce qu'on aurait fait. Ces attaques, non spécifiées, ne
mettent jamais dans une position vraiment embarrassante, et comme elles
font du bruit sans faire de mal, elles donnent, à ceux auxquels elles
s'adressent sans les atteindre, l'apparence d'un succès. Il me paraît
donc généralement admis que le Ministère aura la majorité. Aussi M.
Guizot disait-il, avant-hier, dans son salon (d'un air héroïque auquel
se reconnaît aisément le général Guizot): «Messieurs, nous venons
d'entrer en campagne; la guerre sera longue et rude, mais j'espère que
nous remporterons la victoire.» Ce n'est pas que la Chambre, tout en
voulant la paix à tout prix, soit commode: plus elle craint, plus elle
crie, sauf à tomber, sans regret, de toute la hauteur à laquelle elle
s'élèvera, comme le Roi. Ainsi, l'Adresse, dont le rédacteur sera,
dit-on, M. Passy, ou M. de Salvandy, sera fort belliqueuse, au point de
vue d'embarrasser le gouvernement, quoiqu'il soit décidé à s'embarrasser
peu de ces choses-là.

«Vous avez lu la réponse de lord Palmerston au Mémorandum du 8 octobre:
c'est une grosse affaire. Le mépris pour nous y est évident; il n'est
pas même accompagné de formes. Il paraît, du reste, que ce sentiment à
notre égard s'est singulièrement accru depuis quelque temps. La note a,
cependant, beaucoup embarrassé M. Guizot, qui avait dit à tout le monde
que, depuis son Ministère, les choses avaient changé de face en
Angleterre, et lord Palmerston de caractère, ce qu'il résumait par ces
mots: «J'apporte la paix dans ma poche.» Voici comment il a expliqué la
note de lord Palmerston, chez le Président de la Chambre[152], il y a
deux jours: «Lord Palmerston est un _esprit théologique_; il a le goût
de ne laisser aucune objection sans réponse; c'est pourquoi ceci ne veut
rien dire: _ce n'est qu'une question de principes_.» M. Dubois (de la
Loire-Inférieure), qui est un homme d'esprit, et fort ami du nouveau
Ministère, a pris là-dessus M. Guizot à part, et lui a dit qu'il se
ferait tort, s'il répétait cela à la Chambre. L'autre, pour toute
réponse, a répété sa proposition, dont il était si charmé, qu'il l'a
fait insérer le soir même dans son journal, _le Messager_, sous la forme
d'une note, au bas du Mémorandum, en supprimant seulement le
_théologique_. Cela a fait, néanmoins, une petite affaire, qui dure même
encore, et qui imprimerait un cachet de ridicule sur M. Guizot, si
quelque chose faisait quelque chose dans ce pays-ci. Le Ministère va
faire la paix, tout le monde croit qu'il y réussira. Après, il périra,
sans savoir pourquoi, dans une bourrasque; c'est ce qu'on me paraît
aussi croire assez généralement. Puis, viendra M. Molé, qui reste seul,
et qui sera reçu par tout le monde peut-être, non qu'il soit plus
favorisé à la Chambre qu'il n'était, mais l'énergie de tout le monde est
fort usée, et le Roi est le maître; cela dépendra du Roi, lequel est mal
disposé pour M. Molé dans ce moment-ci, et a dit sur lui un mot, que
d'autres attribuent à M. Guizot, et qui ne mérite pas d'avoir deux
pères: «M. Molé est un excellent spectateur, mais c'est un mauvais
acteur.» Il me semble que le mot est de moi, et que quelqu'un me l'a
volé, il y a cinq ans!

  [152] M. Sauzet.

«La campagne de Syrie est décidément très bonne pour les alliés. Les
Anglais s'y conduisent avec énergie; ils mènent les Turcs se battre à
coups de bâton et tout plie: la force d'Ibrahim était un fantôme. On
s'attend, à tout moment, à recevoir la nouvelle de la prise de
Saint-Jean d'Acre, ce qui sera une grosse affaire là-bas et ici. Ce
qu'il y a de plus triste, c'est qu'il n'est pas du tout sûr qu'on sauve
l'Égypte. Déjà, il court des bruits d'une révolte probable à Alexandrie,
de l'assassinat, de l'empoisonnement du Pacha, et vous avez vu que lord
Palmerston, avec son esprit théologique, ne parle plus de la déchéance
du Pacha, comme il en parlait il y a trois semaines. Il n'est nullement
sûr que l'on ne cède, ici, sur cela même, ce qui serait une énorme
reculade.

«Voilà le présent, parlons un peu du passé. Thiers a diminué aux yeux de
tout le monde; sa timidité a été, tout le temps, aussi grande que son
imprudence, et sa légèreté aussi. Il a destitué le Consul de France à
Beyrouth, parce qu'il avait voulu servir le Pacha en Syrie, en calmant
la révolte, et jamais on n'a pu le décider à envoyer en Syrie des agents
sûrs, pour connaître exactement la force de résistance d'Ibrahim, ce qui
fait qu'on a été trompé, et que toute la conduite de la France a été
réglée dans l'attente d'un résultat qui n'est pas arrivé. M. de Broglie
pense que le Roi a eu grand tort de renvoyer le Ministère de M. Thiers,
parce que, sans cela, il tomberait dans ce moment-ci, au bruit de la
dérision publique; opinion basée sur ceci: que quand on joue gros jeu
sur une carte et qu'elle ne sort pas, tout le monde se moque de vous. La
personne à laquelle il le disait hier soir pensait, au contraire, que la
Chambre, tout en redoutant la guerre, n'aurait pas eu l'énergie de
renverser le Cabinet.

«Le discours rédigé par Thiers ne proposait pas une levée nouvelle de
cent cinquante mille hommes, mais seulement d'avancer de trois mois la
levée nouvelle, de paix ou de guerre, qui se fait ordinairement au
printemps; du reste, il était modéré; mais, au total, ni lui, ni le Roi
n'étaient sincères, et c'était, des deux côtés, un prétexte.

«Il y a eu une crise ministérielle, sans que nous nous en doutions,
après la prise de Beyrouth: le Ministère voulait, comme démonstration,
envoyer la flotte devant Alexandrie; le Roi, non. M. de Broglie a été
nommé médiateur par les deux parties et les a raccommodées, sur cette
idée, qu'il était impossible, dans le moment donné, sur cette retraite
ainsi motivée, de nommer un Ministère durable; et il n'a pas voulu que
la flotte fût envoyée à Alexandrie, sur cette autre idée, que la mesure
était bonne en soi, comme propre à inquiéter les alliés, sans leur
donner aucun droit de se plaindre, et qu'un gouvernement absolu aurait
bien fait de l'exécuter, mais qu'en pratique française, la presse, sur
cette mesure, aurait, bon gré mal gré, fait battre la flotte, et que
c'eût été la guerre. Tout ce raisonnement, du reste, est basé sur ce que
cette mesure, ou toute autre du même genre, ne pouvait s'obtenir que par
des moyens violents, et nécessairement publics, comme démission, crise,
etc.; car, si on l'avait arrangée à l'amiable, et en secret avec le Roi,
il en eût été tout autrement. Aussi, la bienveillance de M. de Broglie
pour le Roi n'est pas grande. Il dit, au reste, que tout lui est devenu
égal, sauf le trouble matériel; qu'il appuiera tous les Ministères
possibles; que non seulement il ne fera rien pour les renverser, mais
pas même pour les ébranler, attendu qu'un Ministère, quel qu'il soit,
aura toujours plus raison que la Chambre; qu'il se déclare enfin du
bagage ministériel, ce que personne n'avait encore osé avouer, et qu'il
vous envie beaucoup de passer l'hiver à la campagne. Il est d'une
sérénité olympique, saupoudrée d'une ironie amère et perçante.

«M. Guizot dit, en confidence, à ses amis, qu'il a décidé M. de Broglie
à accepter l'ambassade de Londres. Je n'en crois absolument rien, mais
j'ai oublié de le demander à celui-ci, hier au soir.

«M. Molé m'a paru au dernier degré de l'abattement. Il met Jérémie en
madrigaux; il est fort changé.»


_Rochecotte, 22 novembre 1840._--Mon gendre a mandé hier, à sa femme,
que la lecture des pièces diplomatiques faite dans le sein de la
Commission de l'Adresse, à la Chambre des Députés, fait de M. Thiers un
ministre incapable et impossible; de M. Guizot, un ambassadeur sagace et
un auxiliaire périlleux, et de lord Palmerston l'esprit ferme et résolu
de la situation... que Thiers a voulu leurrer, berner, attraper tout le
monde, et qu'on s'est moqué de lui... et de la France. Il écrit aussi
que M. le duc d'Orléans a dit sa petite improvisation à la Chambre des
Pairs, avec un à-propos, une bonne grâce, une élévation admirables.

Il est arrivé une nouvelle note de lord Palmerston, plus bienveillante
dans la forme, mais qui inquiète toujours sur l'Égypte.

On envoie M. Mounier, officieusement, à Londres, pour tâcher d'y obtenir
quelque chose.

Mon fils Valençay m'écrit que Mme de Nesselrode est à Paris pour six
semaines, qu'elle n'ira pas à la Cour, et, par conséquent, pas dans le
grand monde, mais elle vivra en garçon, et est ravie de son coup de
tête. Je ne sais pas si le comte de Nesselrode en sera également
enchanté.


_Rochecotte, 23 novembre 1840._--Mon gendre écrit que M. Walewski, qui
avait été envoyé en Égypte auprès d'Ibrahim, croyant encore adresser ses
dépêches au Ministère du 1er mars, avait écrit que, malgré tous ses
efforts, il n'avait pu décider Ibrahim à passer _le Taurus_. Il paraît
que cette dépêche fait grand scandale.

_Rochecotte, 24 novembre 1840._--Voici ce que mon gendre m'écrit: «Il y
a un bruit vague qu'il va se faire un arrangement en Syrie et en Égypte,
qui ne sera pas la destruction du Pacha. Cela est dû à sa soumission
absolue aux Puissances, mais nous nous en vanterons ici, et la majorité
fera semblant d'y croire. Pour quelque temps, la discussion va être
terrible entre Thiers et Guizot, personnellement, et, ce qu'il y a de
plus triste pour tous deux, c'est que les assistants donneront raison à
chacun contre l'autre. En résultat, ils creuseront le trou dans lequel
ils tomberont l'un et l'autre; Thiers est à peu près complètement perdu,
et Guizot le sera au printemps, après qu'il se sera épuisé à refaire le
lit de M. Molé, qui entrera sûrement _si le Roi le veut_.»


_Rochecotte, 25 novembre 1840._--J'ai lu, avec admiration, les nobles
adieux de la Reine Christine à la nation espagnole[153]. Il me paraît
que c'est d'un autre temps, et d'un siècle où le langage des Rois était
encore celui de Dieu. On dit que c'est M. d'Offalia (qui, lui aussi, a
quitté l'Espagne) qui a rédigé ce touchant manifeste.

  [153] Ce manifeste de la Reine Christine au peuple espagnol se
  trouve aux pièces justificatives de ce volume.


_Rochecotte, 26 novembre 1840._--Quel discours que celui de M. Dupin!
Certes, je suis la créature la plus pacifique de France, mais je ne
comprends pas qu'on puisse aller jusqu'à une telle platitude; platitude
si inutile, si gauche, si maladroite, qu'en vérité, cela semblerait une
gageure!

La maréchale d'Albuféra me mande que la comtesse de Nesselrode a
rencontré, chez elle, M. Thiers, qui a fait feu des quatre pieds, et qui
a _charmé_ la comtesse. Avec les engouements de Mme de Nesselrode, elle
peut arriver à de l'exaltation, même pour M. Thiers!

Les Anglais ont pris Saint-Jean d'Acre. Leur petite Reine est accouchée
d'une fille[154].

  [154] Victoria, princesse royale de Grande-Bretagne et d'Irlande,
  naquit le 21 novembre 1840. Par son mariage avec le prince
  Frédéric-Guillaume de Prusse, elle devint, plus tard, Impératrice
  d'Allemagne. Elle fut la mère de l'Empereur Guillaume II.


_Rochecotte, 28 novembre 1840._--Le duc de Noailles m'écrit: «Vous
verrez, par la lecture de la séance d'hier, à la Chambre des Députés,
toute l'agitation de l'Assemblée. Tout cela établit et confirme la paix
dans la honte. Ce qui se passe pèsera sur l'avenir de la dynastie
actuelle. La conséquence intérieure me paraît devoir être une quasi
réforme dans la Chambre, qui amènera une dissolution, et cette
dissolution, une Chambre avec laquelle on sera obligé de subir un
Ministère de gauche avec Thiers à la tête.»

Mme Mollien me mande: «La Reine Christine est jolie; son teint est
superbe, sa peau fine et blanche, son regard très doux, son sourire
gracieux et fin; mais il ne faut pas, pour la trouver charmante, que
les yeux qui l'examinent descendent plus bas que la tête; en détaillé,
c'est quelque chose de monstrueux, et qui ne le cède en rien à sa sœur
l'Infante. Elle est venue en France sans Dames, quoique les journaux
s'amusent à parler de je ne sais quelle Doña, qui, si elle existe,
n'est, vraisemblablement, qu'une femme de chambre. Il y a, à Paris, des
dames espagnoles qui feront une espèce de service auprès d'elle; dans ce
moment, c'est la duchesse de Berwick. La suite ne se compose que de deux
hommes, tous deux jeunes: l'un surtout, le comte de Raquena, n'a pas
l'air d'avoir plus de vingt ans; c'est un petit blondin à moustaches,
vraie tournure de lieutenant de comédie. Je ne sais quand la Reine
partira: elle dit qu'elle se plaît beaucoup ici. J'ai peur qu'elle ne
s'y plaise trop, et n'y reste trop longtemps; ces visites royales sont
toujours des dérangements dont on est bien vite fatigué aux Tuileries.
Elle y dîne tous les jours, bien qu'elle demeure au Palais Royal. Son
entrevue avec sa sœur a été très froide, mais, enfin, elle a eu lieu
sans scène, c'était tout ce que l'on demandait.»

La duchesse de Bauffremont me mande le mariage de son petit-fils Gontran
avec la seconde Mlle d'Aubusson; l'aînée épouse le prince Marc de
Beauvau. Le mariage de Gontran n'aura lieu que dans un an, la jeune
personne n'ayant pas quinze ans. Elle sera énormément riche; sa mère est
Mlle de Boissy, son père est malade depuis dix ans, et sa fortune en
tutelle. Gontran n'a pas dix-neuf ans, il est fort joli garçon.


_Rochecotte, 29 novembre 1840._--Le _Journal des Débats_, d'avant-hier,
était fort curieusement rempli par le discours de M. Passy et par celui
de M. Guizot, au milieu desquels M. Thiers n'a pas dû se trouver fort à
l'aise. A tout prendre, ces explications ne font grand honneur à
l'habileté de personne, si ce n'est à celle de lord Palmerston, et à sa
hautaine ténacité. Il me paraît que, jusqu'au petit Bourqueney, il y a
éclaboussures pour tous les acteurs français dans tout ceci.


_Rochecotte, 30 novembre 1840._--Les discussions de la Chambre me
décident à lire le journal _in extenso_, et je n'y ai pas regret, car
c'est un drame curieux, mais dans lequel, cependant, on s'attache bien
plus à la situation qu'aux personnages, qui vont toujours en se
rapetissant, par ce qui dégrade toujours le plus infailliblement: manque
de netteté, de simplicité, de vérité dans la conduite. Du reste, cette
discussion est comme le Jugement dernier: bon gré mal gré, chacun s'y
trouve dépouillé de tout ajustement, et la vérité y est forcément
provoquée. Jusqu'à présent, M. Villemain est celui qui me paraît la dire
en termes les plus propres et les plus frappants; seulement, il n'est en
position de la dire qu'à un seul côté, qui, d'ailleurs, est, à mon avis,
certainement le plus coupable.


_Rochecotte, 1er décembre 1840._--Voici ce que dit le duc de Noailles:
«J'ai causé longtemps, hier, avec M. Guizot, et je lui ai dit que les
derniers événements, et tout ce que la discussion a révélé, pèseront
longtemps sur l'ordre des choses actuel. Lui croit, au contraire, que ce
n'est qu'un moment difficile à passer, et qu'il en sera, de l'émotion
publique, sur ce sujet, comme de l'émotion qui s'est manifestée lors de
la guerre de la Pologne, il y a huit ans[155].--J'ai aussi beaucoup
causé avec Berryer de son discours. Il y pense et a de bonnes idées; il
terminera par une conclusion qui pourrait bien amener un échec au
Ministère. Il dira que la guerre est évidemment impossible à cette
heure, mais que la paix, telle que la formule le Ministère, n'est pas
acceptable par la Chambre, et qu'il faut renvoyer l'Adresse à une
nouvelle Commission. Odilon Barrot et M. Dufaure ont déjà mis en avant
cette idée qui pourrait bien prendre faveur.--J'ai aussi rencontré
Thiers à la Chambre; je me suis promené dix minutes avec lui, et lui ai
rappelé que je lui avais prédit ce qui est arrivé, parce que, dans cette
grande affaire, on ne pouvait rien sans alliances, et que la France
s'était unie à une alliée qui était l'ennemie de ses intérêts, et qui
devait, évidemment, l'abandonner. Il m'a répondu que la France, même
seule, aurait pu empêcher, mais en montrant une grande énergie, et un
grand déploiement de forces. Il rejette tout sur le Roi. Il dit que
c'est _l'Inertie couronnée_, et qu'avec cette inertie en haut, et
toutes les inerties naturelles, en bas, dans la nation, il n'y a moyen
de rien faire; que si M. le duc d'Orléans eût été Roi, cela ne se serait
pas passé de même; qu'il y aurait péri peut-être, mais qu'il y aurait
péri avec dignité, et qu'il n'aurait pas laissé la France dans
l'humiliation et l'impuissance où elle est pour longtemps. Du reste, il
s'est, tout entier, livré à la gauche, et M. Odilon Barrot a resserré le
lien hier.--Mme de Lieven est décidément, je crois, sincèrement attachée
à Guizot, car elle ne va plus aux séances de la Chambre, et elle se
borne à en demander, avec anxiété, des nouvelles.»

  [155] Un conflit, né de la révolution de Juillet 1830, s'était
  élevé en Pologne, où les Russes et les insurgés se livraient,
  sous les murs de Varsovie, des batailles terribles. Le 7
  septembre 1831, Varsovie dut capituler, malgré une résistance
  désespérée qui eut en France un immense et douloureux
  retentissement. Une émeute faillit soulever Paris, et renverser
  le ministère Casimir-Perier, qui avait reconnu impossible de
  soutenir la Pologne révoltée.

Voici maintenant un extrait de ce que m'écrit la princesse de Lieven
elle-même: «Thiers semble avoir pris son parti de ne plus servir le Roi;
il dit qu'il attendra le duc d'Orléans.--La Syrie est perdue pour le
Pacha. On espère, et on croit, qu'il se soumettra à la sommation de
l'amiral anglais Stopford. Je suppose que le gouvernement français l'y
engage. Alors, la chose sera terminée, pas brillamment pour la France,
il faut en convenir, et à la plus grande gloire de Lord Palmerston. Il y
a bien des gens auxquels cette dernière conséquence déplaît beaucoup.
Les Ministres d'ici espèrent une majorité convenable, pour l'Adresse, de
cinquante à soixante voix, et puis on vivra comme on pourra. M. Guizot a
l'air bien fatigué, mais courageux. A Vienne, on est ravi du changement
de Ministère, et plein de confiance dans celui-ci. Je ne sais pas encore
ce qu'on en dit à Saint-Pétersbourg. Je suis un peu curieuse d'apprendre
ce que nous (public russe) nous dirons de cette grande affaire, réglée
sans que nous nous en soyons mêlés activement. Cela nous étonnera un
peu. Vous allez me demander, peut-être, s'il y a un public russe? C'est
vrai, à peine... mais cependant, pour l'Orient, oui. Je m'étais permis,
lorsque j'étais à Londres (Ambassadrice), d'appeler la Turquie _notre
Portugal_. Ma Cour a fort goûté ce mot; les Anglais, très peu.--On ne se
presse pas, ici, de nommer un Ambassadeur à Londres. Je crois qu'on
voudrait que l'affaire égyptienne fût d'abord réglée; il faudra bien
attendre jusqu'à la mi-décembre. Mme de Flahaut ne sait que faire, entre
les bouderies opposantes qui lui sont naturelles, et l'envie démesurée
qu'a son mari d'avoir un poste diplomatique.--Le Roi a beaucoup désiré
que les Ambassadeurs fussent, en corps, chez la Reine Christine; il y a
eu de grands scrupules, mais, enfin, on s'est décidé à y aller, en ne la
regardant que comme veuve de Ferdinand VII. Au fait, elle n'est plus que
cela maintenant. La Reine d'Angleterre est, dit-on, accouchée trop
aisément. Elle aura dix-sept enfants, comme sa grand'mère.--Mme de
Nesselrode vit à la Chambre des Députés. Elle est éprise de Thiers, et
se place dans la plus vive opposition. Elle s'amuse parfaitement ici. Je
la vois peu, tant elle est occupée des débats de la Chambre et des
spectacles. Mon Ambassadeur croule sous le poids de toutes les grandes
dames russes amoncelées à Paris. Je le plains, car je crois que c'est
très ennuyeux!»

J'aurais parié que Mme de Nesselrode s'engouerait de Thiers, ne fût-ce
que pour fronder l'engouement de Mme de Lieven pour Guizot.--En lisant
le discours de M. Barrot, et la série d'invectives adressées, par lui, à
bout portant à M. Guizot, je me suis demandé hier comment il se peut
faire que de pareilles choses se disent et s'écoutent, sans qu'il en
résulte des explications armées.


_Rochecotte, 3 décembre 1840._--Voici les principaux passages du
bulletin que m'envoie M. de Salvandy. En date du 1er décembre, avant et
pendant la séance de la Chambre: Sait-on, à Rochecotte, un mot très joli
de Garnier-Pagès, qui doit parler aujourd'hui? «Je les mettrai tout nus,
tous deux, et on verra comme ils sont laids.» Ce mot résume très bien la
situation. M. Thiers conserve une position révolutionnaire, mais voilà
tout; il reste, pour beaucoup, incapable, pour tous, impossible. M.
Guizot est loin d'avoir gagné tout ce que M. Thiers a perdu. Un immense
talent, une force d'esprit et d'âme admirable dans la tempête, le don
d'imposer à toutes les révoltes hostiles dans l'Assemblée, et l'art
d'élever son auditoire en élevant la question de prime abord à un point
de vue plus général, voilà les avantages qui lui sont propres, et dont
il ne s'était jamais prévalu à ce degré; et, avec tout cela, il grandit
sans se fortifier, il pose sur la majorité sans s'y établir. Le sol est
rebelle. M. Thiers est comme une fille entretenue, à laquelle on ne
demandait que d'être bonne fille; on lui passait tout; sa considération
ne souffrait de rien. M. Guizot est la femme austère qui a failli; tout
lui est compté. Cette lutte de l'Ambassadeur et du Ministre, malgré les
ménagements qu'il y a mis, blesse la Chambre et l'opinion. On ne lui
pardonne même pas son abandon résolu des maximes de la coalition; il
semble qu'on aurait voulu le voir fidèle à l'infidélité même. Le
discours de Dufaure paraît, à beaucoup de gens, un drapeau placé entre
le Cabinet et M. Thiers. On s'inquiète de l'action de Passy et de Dupin
en ce sens. On m'y associe, parce qu'on n'imagine pas que les Ministres
en disponibilité ne soient pas des mécontents en activité. On fait
planer M. Molé sur tout cela, quoiqu'il n'ait, avec la zone du Ministère
du 12 mai, aucun rapport, et qu'elle mette son honneur, je crois, à
rester conséquente en éloignant M. Molé, comme Jaubert croit le rester
en continuant à siéger au milieu des autres, qu'il blesse et désole par
ses perpétuels cris de fureur contre le Roi, et ses enthousiasmes pour
M. Barrot. Voilà où nous en sommes. On sent déjà la position craquer.
Pauvre pays, qui veut être fort, et qui n'est pas gouvernable! Notre
Chambre est vraiment l'Œil-de-bœuf de la démocratie[156]. Les
favoris et même les favorites troublent tout par leurs intrigues, et
passent le temps à se renverser, ce qui fait que tout s'écroule avec
eux.--Je vais à la Chambre où MM. de Lamartine et Berryer croiseront le
fer. J'y fermerai cette lettre.»

  [156] Allusion à l'Œil-de-bœuf du château de Versailles, où
  se nouaient les intrigues de Cour.

«_P.-S._--Berryer vient de parler. Il a fait un discours habile,
éclatant, perfide. Il a couvert Thiers, en allant droit aux Tuileries.
Il a promené là la foudre et envoyé sur M. Guizot, Ambassadeur, des
anathèmes qu'un tiers de l'Assemblée a matériellement applaudis trois
fois. M. de Lamartine monte à la tribune pour répondre.»


_Rochecotte, 4 décembre 1840._--Le discours de M. Berryer révèle l'état
du pays dans un sens, et celui de M. de Lamartine dans un autre. Ces
deux discours me paraissent être, jusqu'à présent, ce qu'il y a de plus
brillant pour l'un, de plus élevé pour l'autre, dans toute cette
discussion de l'Adresse. M. de Lamartine, qu'en général j'admire
médiocrement, m'a fait grand plaisir dans sa réponse. Je la trouve sage,
pleine de faits, bien pensée, bien dite, avec de beaux mouvements et un
sentiment honnête prévalant dans l'ensemble.

On assure que la mission de M. Mounier à Londres a pour but d'obtenir le
concours de l'Angleterre en faveur du mariage de l'innocente Isabelle
avec son cousin Carlos, prince des Asturies.

Voilà les cendres de Napoléon à Cherbourg. A Paris, rien n'est prêt
encore, dit-on, pour cette cérémonie qui, à mon sens, sera fort
ridicule._Rochecotte, 5 décembre 1840._--J'ai eu hier une lettre de M.
Royer-Collard, dont voici un piquant extrait: «Il y a huit jours,
Madame, que je suis enfermé à la Chambre suivant avec application et
intérêt le grand débat de l'Adresse. Les assistants ont donné,
alternativement, tort aux deux principaux acteurs, mais ce n'est pas le
même tort. Les fautes de Thiers sont du Ministre, celles de Guizot de
l'homme. Je ne sais si vous avez remarqué, dans les journaux, que j'ai
été conduit à rendre à Guizot, dans un moment difficile, un témoignage
dont il avait grand besoin, car on ne croyait pas un mot de ce qu'il
disait, bien que ce fût la vérité. Il est venu m'en remercier, le
lendemain, à ma place, en traversant courageusement toute la Chambre. Je
n'ai point accepté le remerciement. Je lui ai répondu que je n'avais
rien fait pour lui, que je n'avais pensé qu'à moi. Il m'a abordé,
depuis, dans un couloir. Je lui ai tenu même rigueur, et refusé la
conversation. Il y a cette différence entre les deux hommes, que Dieu
n'a pas donné à Thiers le discernement du bien et du mal; mais Guizot,
qui a ce discernement, passe outre. Il est donc plus coupable, mais il
n'est peut-être pas le plus dangereux. Si on pouvait regarder quelque
chose comme irrévocablement accompli aujourd'hui, je dirais qu'ils sont
tous deux perdus sans retour. Je le voudrais bien, mais je n'en suis pas
sûr.»

On mande à mon gendre que l'effet du discours de Berryer a été immense.
Il paraît qu'il a tué M. Guizot et porté un rude coup plus haut. Les
Carlistes en sont dans l'enivrement. Je suis tentée de croire qu'ils
donnent à cet effet une portée plus profonde que la réalité. Thiers
encense Berryer, et dit à qui veut l'entendre, que, comme art, rien
n'est au-dessus et qu'en 1789, on ne faisait pas mieux.

La princesse de Lieven, à laquelle quelqu'un ne dissimulait pas le coup
porté à Guizot, a répondu qu'il n'en était pas atteint.

On dit que c'est le 15 de ce mois qu'aura lieu la cérémonie pour les
cendres de Napoléon. Comme son ombre arrive à propos!


_Rochecotte, 6 décembre 1840._--On m'écrit ceci: «Je n'ai pas entendu
confirmer la mort de Demidoff, mais je sais, de source certaine, qu'il a
fait un fort désagréable voyage à Rome, où il a eu des scènes fâcheuses
avec le Cardinal secrétaire d'État, et avec le Ministre de Russie, après
lesquelles il a dû quitter, par ordre, les États du Pape. L'émotion
qu'il a éprouvée lui a donné un de ses plus terribles accès. Il paraît
qu'il aurait dit au prêtre grec que ses enfants seraient tous élevés
dans la religion grecque, et à l'autorité catholique, qu'ils le seraient
catholiquement. De plus, il a dit, avec son assurance habituelle,
qu'avec de l'argent, on obtenait tout de la Cour de Rome, et qu'il avait
envoyé cent mille francs au Pape pour les dispenses qu'il a obtenues. Le
cardinal Lambruschini, indigné de ce bruit, a fait insérer, dans la
_Gazette romaine_, un article, que partout on répète, et qui dément le
fait, en établissant très positivement que M. Demidoff n'avait payé,
pour ses dispenses, que la somme de quatre-vingt-dix francs, pour frais
d'expédition. Le Ministre de Russie ayant refusé de traiter, pour le
côté Demidoff, avec la Cour de Rome, M. Demidoff a été lui dire des
injures; et, après toutes ces belles équipées, il lui a fallu quitter
Rome, et s'il n'est pas mort de rage, il n'en est pas moins embarrassé.»


_Rochecotte, 7 décembre 1840._--La grande nouvelle du jour est le rejet
de l'amendement de M. Odilon Barrot, à plus de cent voix de majorité.

Voici plusieurs bons mots qui se disent à Paris: On appelle MM. Jaubert,
Duvergier de Hauranne, enfin le groupe détaché des Doctrinaires passés à
gauche, les _schismatiques effrénés de la Doctrine_. Dans un autre ordre
de choses, on appelle les partisans de Mgr Affre, Archevêque de Paris,
les _affreux_. Il faut toujours que les plaisanteries aillent leur
train._Rochecotte, 9 décembre 1840._--Mme Mollien me mande que la
préoccupation des esprits, maintenant que l'Adresse est votée, commence
à se tourner vers la _Fête des cendres_, comme dit le peuple à Paris. La
cérémonie coûtera un million. Des milliers d'ouvriers sont occupés aux
préparatifs jour et nuit, et des milliers de badauds les regardent, tant
que le jour dure. Quelle sottise que toute cette comédie! Arrivant à
quel moment! Dans quelles conjonctures! Il me semble que le rocher de
Sainte-Hélène était une tombe plus touchante, et peut-être même un asile
plus sûr, que l'orageux et révolutionnaire Paris.


_Rochecotte, 10 décembre 1840._--M. Raullin m'écrit qu'à la séance de la
Chambre où on a traité des tripotages de Bourse, M. Thiers _pleurait_.
Il me dit aussi qu'on n'a rien vu de pareil aux haines et aux violences
qui agitent tout ce monde, que l'on ne peut plus causer avec personne,
à moins d'entrer dans leur folie. Thiers voulait se battre avec M. de
Givré; Rémusat l'en a empêché. M. Jaubert est, aussi, un peu piqué par
la tarentule. Mme Dosne est dans son lit, à la suite de la dernière
séance de la Chambre, à laquelle elle assistait. Les révélations sur les
tripotages de Bourse l'ont bouleversée.

M. de Sainte-Aulaire m'écrit, de Vienne, qu'il va se présenter pour
l'Académie française. Il se montre fort dégoûté des affaires. Il est
impossible, en effet, que ce dégoût ne devienne pas général.


_Rochecotte, 13 décembre 1840._--Hier, dans ma solitude, plus complète
que de coutume, je me suis replongée, ce que je fais d'ailleurs sans
cesse, dans mes souvenirs du passé, et il m'est venu d'écrire quelques
lignes sur un des côtés de l'esprit et de la nature de M. de Talleyrand;
les voici:

Son esprit était ferme, mais sa conscience était faible, car elle
manquait de lumières. Son époque, son éducation, sa position forcée
étaient ennemies des réflexions qui éclairent l'âme. Son insouciance
naturelle le détournait, d'ailleurs, du travail sérieux de la
conscience, et le laissait dans les ténèbres. Aussi n'appliquait-il
guère sa rare intelligence qu'aux intérêts de la politique. Entraîné par
le terrible mouvement de son siècle, il lui réservait toute l'activité
dont il était capable. Au besoin, cette activité était grande. Il savait
vivre sans repos, sans loisirs; il en privait alors les autres et
lui-même; mais, le but atteint, il retombait pour longtemps dans une
nonchalance dont il défendait habilement les abords; il s'y
barricadait, et rendait sa paresse si gracieuse qu'on se serait reproché
de la troubler. Son coup d'œil était rapide, juste et fin; son _démêlé_
pénétrant, son esprit fortement trempé dans un admirable bon sens; son
action rare, lente au début, mais vive et précipitée vers le dénouement.
L'état habituel d'incurie, dont il ne sortait que le moins possible, a
été très nuisible à sa vie privée, car il y poussait cet état à l'excès.
De là, cette porte toujours ouverte, cette chambre toujours envahie, et
cette déplorable indifférence sur la sûreté et la valeur morale de ceux
qui s'y introduisaient. Et néanmoins, avec l'œil demi-fermé, il voyait
tout; mais il prenait à peine le soin de juger, encore moins d'écarter
ceux-là même dont il faisait le moins de cas. Pourvu que, dans la
conversation, il n'eût rien de direct à repousser, il laissait dire, ou
faire; mais s'il se sentait touché, le réveil était immédiat, et la
leçon un coup de massue. Il terrassait sur place, sans, du reste, garder
la moindre rancune. Il retombait bientôt dans son insouciance et
oubliait aussi facilement l'inconvenance, qu'il pardonnait sincèrement
l'injure. Il était, d'ailleurs, bien rarement appelé à se défendre. Sa
dignité était si naturelle, si simple, si bien protégée par sa
réputation, par sa grande existence, et par ce demi-sommeil même dont on
sentait bien qu'il fallait se méfier, que je n'ai guère vu les plus mal
élevés, risquer de l'être avec lui. Je lui ai souvent entendu dire ceci,
avec une véritable satisfaction: «J'ai été ministre du Directoire;
toutes les bottes ferrées de la Révolution ont traversé ma chambre, sans
que jamais personne ait imaginé d'être _familier_ avec moi.» Il disait
vrai: chacun, même les plus proches, les plus intimes, ne l'abordait
qu'avec une respectueuse déférence. Je suis, d'ailleurs, restée
convaincue, que ce qui aidait à le rendre si imposant, c'était un trait
de sa nature, qui se sentait à travers son indolence. C'était ce courage
plein de sang-froid et de présence d'esprit, ce tempérament hardi, cette
bravoure instinctive, qui inspire un goût irrésistible pour le danger
sous toutes ses formes, qui rend le péril séduisant, et donne tant de
charme aux hasards. Il y avait, sous la noblesse de ses traits, la
lenteur de ses mouvements, le sybaritisme de ses habitudes, un fond de
témérité audacieuse, qui étincelait par moments, révélait tout un ordre
nouveau de facultés, et le rendait, par le contraste même, une des plus
originales et des plus attachantes créatures.


_Rochecotte, 14 décembre 1840._--Dans les lettres que j'ai reçues, hier,
il y en avait une de Berlin, de M. Bresson, qui dit ceci: «Francfort
n'est pas une disgrâce pour M. de Bülow, qui l'a beaucoup désiré, dans
les intérêts privés; le rang de ce poste est au moins égal à celui de
Londres. La singulière issue des affaires d'Orient a relevé les
négociateurs dans l'opinion; ceux qui criaient le plus _haro et
anathème_, contre Bülow, sont aujourd'hui ceux qui le louent le plus.
Nous faisons si beau jeu à ceux qui osent, que je suis, moi-même, tenté
de leur donner raison.--Humboldt n'a aucune influence politique sur le
Roi de Prusse. Personne, jusqu'à présent, n'en exerce, et on ne saurait
dire encore, au juste, où il se placera. Quelques nominations récentes
parmi les Piétistes ont porté quelque atteinte à sa popularité; son
penchant pour eux n'est pas partagé par le pays.--Lord William Russell
étend, de plus en plus, ses distractions; il est partagé entre trois
dames, dont l'une le conduit même assez souvent en Mecklembourg.--Le
prince Wittgenstein ne participe plus en rien aux affaires; il a des
attaques répétées et ne vivra pas longtemps.--Je n'ai pas besoin de vous
parler de ce que la discussion de l'Adresse m'a fait souffrir; les
conditions actuelles rendent le séjour à l'étranger odieux. Est-il vrai
que Flahaut aille à Vienne, remplacer Sainte-Aulaire? Si le fait est
exact, il est clair qu'on me laissera ici. Je n'ai pas le vent de la
faveur: certaine rue, certaine maison, que vous avez tant connues, ne me
sont pas aussi favorables qu'autrefois.» Ce dernier passage fait
allusion à l'hôtel Talleyrand, rue Saint-Florentin, où demeure
maintenant Mme de Lieven.

On me mande la mort de la jeune Marie de La Rochefoucauld, fille de
Sosthène, et petite-fille de la duchesse Mathieu de Montmorency: cette
pauvre femme survit à ses contemporains, à ses enfants, à ses
petits-enfants. Dieu éprouve rudement le grand courage et la foi
profonde dont elle est douée!

On m'écrit aussi qu'à la fameuse cérémonie des _Cendres_, la Reine et
les Princesses seront en mante de deuil comme pour Louis XVIII. Tout le
monde est donc fou! Les journaux ne parlent que de la marche funèbre ou
plutôt triomphale, et des honneurs religieux que les restes de
l'Empereur reçoivent partout. Après tout, Napoléon, deux fois en
quarante ans, aura rendu le même service aux Français: il les aura
réconciliés avec la religion; car il paraît que c'est quelque chose de
curieux, de voir les populations s'agenouiller, entourer le clergé qui
bénit cette dépouille; vouloir, partout, pour leur héros, les
bénédictions de l'Église. Singulier peuple, qui, au milieu d'une
véritable anarchie, accepte l'ordre lui-même, pour la cause d'une idée
révolutionnaire! Car il me semble évident qu'il n'y a pas autre chose
sous ces hommages: ce n'est pas le législateur qu'on exalte, ce n'est
que l'usurpateur et le conquérant.


_Rochecotte, 15 décembre 1840._--J'ai eu, hier, des nouvelles de Mme de
Lieven dont je vais transcrire le principal: «Voilà l'Égypte finie:
Napier a été un peu rude, et il n'avait pas mission de l'être; c'est
égal, il a réussi. Napier a voulu être érudit, et il invite le Pacha à
renouveler le règne des Ptolémées. Pour un vassal, ce serait drôle!
C'est égal aussi. A Constantinople, on va reconnaître l'hérédité dans sa
famille, et il rendra la flotte après. A Londres, ce sont des joies
immenses, et lord Palmerston ne touche pas terre. La situation entre les
deux pays reste bien tendue; ce n'est pas la guerre, mais ce n'est pas
absolument la paix.--On ne parle plus de la discussion de l'Adresse;
elle est oubliée pour les funérailles de Napoléon. Elles seront
superbes; j'espère qu'elles ne seront pas autre chose.

«La reine Christine est partie, ayant fait la conquête de votre Roi.
Elle ira jusqu'à Rome, mais point à Naples où on n'a pas reconnu sa
fille.--Toute la Russie féminine est ici: cinq dames du Palais à Paris.
Il n'en reste que quatre à Saint-Pétersbourg!--Les Ambassadeurs ont
déclaré qu'ils n'assisteraient pas aux funérailles. Pour la plupart
d'entre eux, je sais que c'est de leur propre tête; lord Granville a
demandé des ordres. Après un peu d'hésitation, on lui a dit de faire
comme les autres.--La Reine d'Angleterre est accouchée comme les poules
pondent, tout aussi facilement.»


_Rochecotte, 17 décembre 1840._--Nous ne savons pas encore comment les
funérailles se sont passées avant-hier à Paris. On n'y était pas sans
inquiétudes. La duchesse de Montmorency me mandait ceci: «On sait qu'on
a le projet de se porter à l'Ambassade d'Angleterre, et de démolir la
maison; aussi a-t-on enfermé de la troupe dans l'hôtel et lady Granville
a-t-elle déménagé. On estime qu'il y aura 800 000 personnes en
mouvement. Mes enfants ont été au Pecq, et ont tout trouvé fort
convenable: grand silence à l'arrivée du bateau, tous les chapeaux bas;
le général Bertrand à droite du cercueil, le général Gourgaud à gauche,
M. de Chabot devant; le prince de Joinville allant et venant pour donner
des ordres, ayant fait ôter tous les ornements qui n'étaient pas
religieux; des prêtres, des surplis, beaucoup de cierges, mais rien de
mondain ni de mythologique.»

Les journaux indiquent une grande fermentation. Je serai charmée quand
la poste de ce soir nous aura dit comment tout s'est terminé.

J'ai écrit pour qu'on fît voir ce spectacle à Boson, mon petit-fils;
quelque mal conçue, incohérente, contradictoire et ridicule, par les
circonstances, que soit cette cérémonie, l'arrivée solennelle de ce
cercueil, revenant de Sainte-Hélène, sera une chose très imposante, et
dont il sera curieux, un jour, d'avoir été témoin. Malheureusement, à
son âge, il se bornera à être saisi du spectacle, sans pouvoir faire
tous les rapprochements étranges qu'il inspire: l'oubli complet de
l'oppression, de la malédiction générale dont l'Europe retentissait il y
a vingt-six ans; et, aujourd'hui, ce souvenir unique de ses victoires,
rendant sa mémoire si populaire. Paris se disant avide de liberté, la
France humiliée devant l'étranger, célébrant à l'envi celui qui a le
plus enchaîné cette liberté, et qui a été le plus terrible des
conquérants.

Nous lisons, dans les journaux, la description des décorations des
Champs-Élysées, avec cette haie de Rois et de grands hommes. On aurait
dû, au moins, n'y point placer le Grand Condé! Condé offrant une
couronne à l'assassin de son petit-fils!--Ce qui me paraît devoir être
beau, c'est le char. J'aime Napoléon rapporté en France sur un
bouclier...


_Rochecotte, 18 décembre 1840._--Nous attendions hier le courrier avec
impatience, et par une espèce de fatalité, la malle a cassé, et il a
fallu nous coucher sans lettres. Heureusement que mon fils Dino, qui
avait été à Tours, nous a rapporté la copie d'une dépêche télégraphique
reçue par le Préfet, et qui dit que tout s'est bien passé, à l'exception
d'une petite démonstration, faite par une cinquantaine d'hommes en
blouse, qui, sur la place Louis XV, ont voulu forcer la ligne, mais qui
ont été repoussés.


_Rochecotte, 19 décembre 1840._--Nous avons donc enfin nos lettres! Mme
Mollien, qui était à l'église des Invalides à la suite de la Reine, me
dit ceci: «Autant cette fête était populaire dans les rues de Paris,
autant elle l'était peu, là où je me trouvais; pour toutes sortes de
raisons, on est enchanté d'être au lendemain d'hier.--Avant d'entrer
dans l'église, on s'est réuni dans une espèce de salon, ou plutôt de
chapelle sans autel, qui avait déjà servi au même usage, lors de la
cérémonie funèbre des victimes de Fieschi. La famille Royale, le
Chancelier, les Ministres, les Maisons et jusqu'aux précepteurs, tout
cela réuni a attendu deux heures. La grande occupation était de
conjecturer la marche du cortège, et surtout, sans se priver du feu de
deux énormes cheminées pratiquées à la hâte, de conjurer l'effroyable
fumée qu'elles vomissaient à flots. Le souvenir de l'Empereur n'était
dans la pensée de personne. On causait de tout, excepté de lui. Le
Chancelier[157] se faisait remarquer par sa jovialité et ses comiques
impatiences contre la fumée. La Reine avait la fièvre; rien n'a pu
l'empêcher d'accompagner le Roi; elle est rentrée vraiment malade des
Invalides.--Je ne vous parlerai pas de la scène de l'église; j'étais
tellement renfermée dans la tribune que je n'ai rien vu, et à peine
entendu l'admirable messe de Mozart, divinement chantée.»

  [157] Le duc Pasquier.

Voici un autre récit: «Ce que j'ai trouvé de vraiment admirable, c'est
le char. Rien de plus magnifique et de plus imposant: les étendards de
chaque département portés par des sous-officiers faisaient très bien;
les trompettes qui poussaient à l'unisson un chant simple et funèbre
m'ont saisi. J'ai aimé aussi les cinq cents marins de _la Belle Poule_,
qui, par leur tenue austère, contrastaient avec la splendeur du reste.
Mais ce qui était ridicule, c'étaient les vieux costumes de l'Empire,
qui avaient l'air de venir de chez Franconi. La marche du char n'était
pas assez promptement suivie par la foule, de sorte que le peuple se
précipitait d'une façon trop bruyante. Il y a eu de mauvais cris de: «A
bas Guizot! Mort aux hommes de Gand!» On a aussi vu quelques drapeaux
rouges et entendu quelques chants de _la Marseillaise_, mais cela a été
réprimé et étouffé. Le Prince de Joinville est bruni et maigri, mais
beau et fort approuvé. Il a eu grand succès, hier, tout le long du
cortège.»

La duchesse d'Albuféra a vu passer le cortège de chez Mme de Flahaut,
qui avait invité les vieux restes féminins de l'Empire, la maréchale
Ney, la duchesse de Rovigo, etc., mêlés au monde actuel ou à des
étrangers. Les quatre-vingt mille hommes de troupes donnaient, dit-elle,
l'aspect d'une revue, plutôt que d'un enterrement. La Maréchale
regrette, avec raison, l'attitude du peuple, qui n'était ni religieuse,
ni recueillie, ni touchante.

J'ai aussi une lettre de M. Royer-Collard, qui, lui, ne parle pas de la
cérémonie à laquelle il n'a pas assisté, mais qui me dit ceci en réponse
à ce que je m'étonnais qu'il ne m'eût point parlé de l'effet du
discours de Berryer: «Si je vous parlais sans nul déguisement de ce que
je pense des acteurs principaux de l'Adresse, je serais jeté dans des
paroles qui tiendraient de l'outrage. Quant à Berryer, il soutient la
cause du bien par le mal, et d'un bien chimérique par un mal certain, la
cause de l'ordre par le désordre. Il a l'extérieur de l'orateur, il n'en
a pas la réalité; il ne pénètre pas dans les esprits, il n'y laisse
point de traces, il ne restera de lui que son nom.--Vous me demandez ce
que je fais de M. de Tocqueville? Il a un fond d'honnêteté qui ne lui
suffit pas, qu'il dépense imprudemment, mais dont il lui restera
toujours quelque chose; je crains que, par impatience d'arriver, il ne
s'égare dans des voies impraticables, voulant concilier ce qui est
inconciliable. Il se sert à la fois de ses deux mains, donnant la droite
à la gauche, la gauche à nous, regrettant de ne pas en avoir une
troisième par derrière, qu'il donnerait invisiblement. Il va se
présenter à l'Académie française, à la place de M. de Bonald; il n'aura
pas ma première voix, que je dois à Ballanche, mais il aura ma seconde.
Ses adversaires, et il en a, disent qu'il a déjà tiré, de ses succès
littéraires, l'Institut, la Chambre, et un fauteuil chez Barrot,
qu'ainsi il peut attendre.» Notre solitaire de la rue d'Enfer a un grand
fond de malice à travers toute sa vertu. La troisième main en fait foi;
je trouve l'image piquante!


_Rochecotte, 20 décembre 1840._--Le duc de Noailles, qui me fait aussi
un petit compte rendu des funérailles, me dit que la masse curieuse
regardait passer le cortège à peu près comme celui du Bœuf-Gras, et que
dans l'église, on n'était occupé que du froid et de s'en garantir; que
l'office religieux a été confus, et que personne ne pensait à autre
chose qu'à un spectacle mondain. Il me semble que ce que tout cela
prouve, c'est qu'il n'y a plus de bonapartistes en France; c'est, qu'en
vérité, il n'y a plus rien, dans ce pays, que des articles de journaux.

On mande, à mon gendre, qu'il est question de faire, à la Chambre, une
proposition. Celle d'effacer l'effigie de Henri IV de l'étoile de la
Légion d'honneur, et d'y remettre celle de Napoléon. Au fait, il ne sera
pas plus extraordinaire d'effacer son aïeul que de barbouiller ses
propres armes[158].

  [158] Allusion à l'acte auquel le Roi Louis-Philippe avait apposé
  sa signature en février 1831, au lendemain de la démolition de
  l'Archevêché et du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois. Trop porté à
  considérer toute résistance impossible devant la sédition, M.
  Laffitte imposa au Souverain la publication du décret suivant: «A
  l'avenir, le sceau de l'État représentera un livre ouvert,
  portant ces mots: «Charte de 1830,» surmontés d'une couronne
  fermée, avec le sceptre et la main de justice en sautoir, et des
  drapeaux tricolores derrière l'écusson, et pour exergue:
  «Louis-Philippe, Roi des Français.» C'est ainsi que disparurent
  les fleurs de lis qui figuraient jusqu'alors sur le sceau de
  l'État, dans le Royaume.

_Rochecotte, 23 décembre 1840._--J'ai reçu une lettre de M. de Salvandy,
dont voici l'essentiel, dégagé des phrases redondantes: Il est arrivé
une note de lord Palmerston, qui déclare ratifier la convention de
Napier, et s'en porter garant au nom de l'Angleterre.

M. Thiers sera président et rapporteur de la Commission des
fortifications à la Chambre. Il tiendra ainsi le Cabinet sur la
sellette et la Chambre en échec. Il sort, de là, que M. Thiers est moins
démoli qu'on ne pensait, M. Guizot peu, ou mal affermi; tout précaire,
dès lors tout possible; au dedans, la Chambre en est ébranlée; l'Europe
pourrait l'être. L'Autriche avait passé une note fort modérée sur les
armements, mais l'Allemagne ne désarmera pas.

M. de Salvandy dit la même chose que mes autres correspondants sur les
funérailles. Il se plaint qu'il y avait trop d'or, de l'or partout et
toujours; il paraît que les ordonnateurs de la fête ont cru que c'était
ce qui ressemblait le plus à la gloire. Il dit aussi que rien n'était
moins religieux que la cérémonie religieuse, ce qui se comprend, avec un
Archevêque qui ne sait ni marcher, ni prier, ni encenser. J'ai remarqué,
dans le _Moniteur_, une phrase que je trouve incomparable: «Le _De
profundis_ a été chanté par Duprez, et l'_Oraison_ par l'Archevêque!»

M. de Salvandy prétend qu'à la cérémonie, M. Thiers était remarquable
d'espérance au commencement, de colère à la fin, de préoccupation
toujours. Il paraît qu'il comptait sur une _journée_, qui, Dieu merci, a
manqué. Dans l'église même, il a recherché une discussion avec M. Molé
sur les pensées et les chances de Napoléon pendant les Cent-Jours...

Voici maintenant l'extrait d'une lettre que Mme de Wolff m'écrit de
Berlin: «Jusqu'à présent, rien n'a troublé la parfaite harmonie entre le
Souverain et son peuple. Pour les opinions politiques, il n'y a guère de
différend chez nous. Nous sommes presque tous orthodoxes à cet égard;
mais les opinions religieuses se partagent et s'agitent, et c'est à ce
point de vue surtout qu'on observe, avec une sorte d'inquiétude, les
premières démarches du Roi. On espère que le Roi ne sacrifiera jamais le
vrai mérite à des préventions de sectes. Quant à cette nouvelle noblesse
que le Roi vient de créer, il me serait difficile de vous en donner une
explication précise, car cette institution paraît être encore vague. Le
Roi a cru prévenir les inconvénients d'une noblesse pauvre, comme l'est,
généralement, la noblesse prussienne, en attachant les nouveaux titres
de noblesse qu'il a donnés, aux propriétés territoriales, de manière que
le titre ne passe qu'à ceux des enfants ou descendants qui héritent des
terres, et qu'il s'éteigne dès que celles-ci sortiront de la famille.
Cette idée n'a pas été fort appréciée jusqu'à présent; on craint qu'il
n'en résulte des embarras, des complications, et que cette institution,
si peu en harmonie avec les coutumes germaniques, ne puisse pas se
soutenir.»


_Rochecotte, 27 décembre 1840._--Le duc de Noailles me mande que M. de
Tocqueville retire sa candidature académique. Le Duc venait de dîner
avec Mgr Affre, chez M. Pasquier. Il dit que c'est un vrai paysan. Tout
le monde, même les ennemis de Mgr de Quélen, a remarqué la différence, à
la cérémonie des Invalides. C'était Mgr de Quélen qui avait officié pour
les victimes de Fieschi. Mgr Affre est vraiment le Prélat de cette
vilaine époque, si dénuée de dignité, quelque part qu'on veuille la
chercher.


_Rochecotte, 30 décembre 1840._--On me mande de Paris qu'il était arrivé
une dépêche de Russie, avec ordre de la communiquer au gouvernement,
assez douce et assez amicale, disant que c'est avec peine que l'on voit
l'isolement de la France, et qu'on est prêt à entrer dans les mesures
qu'on pourrait imaginer, pour faire rentrer la France dans les
négociations communes, puisqu'on a rétabli à Paris un Ministère
conservateur. La dépêche a été lue à M. Guizot, et ensuite au Roi.
Serait-ce le témoignage d'un désir de rapprochement particulier? Je ne
le crois pas, mais ce que je crois, c'est qu'on veut partout éviter la
guerre, la Russie autant que les autres Puissances; qu'on désire calmer
la France pour qu'elle désarme et qu'on puisse ensuite désarmer
ailleurs, car ces armements généraux ruinent l'Europe.


FIN DU TOME II.



PIÈCES JUSTIFICATIVES


I

_Message du Président des États-Unis, Jackson._

Depuis la dernière session du Congrès, la validité de nos réclamations
contre la France, telles qu'elles ont été liquidées par le traité de
1831, a été reconnue par les deux branches de sa législature, et
l'argent a été voté pour les acquitter, mais je regrette d'avoir à vous
faire connaître que le paiement n'a pas encore eu lieu.

Une courte récapitulation des incidents les plus importants de cette
controverse prolongée montrera combien les motifs par lesquels on
cherche à justifier cette marche sont absolument insoutenables.

Lorsque j'entrai en fonctions, je trouvai les États-Unis s'adressant en
vain à la justice de la France, pour qu'il fût satisfait à des
réclamations dont la validité n'a jamais été douteuse, et a maintenant
été admise par la France elle-même de la manière la plus solennelle.
L'ancienneté de ces réclamations, leur haute justice, et les
circonstances aggravantes qui leur ont donné naissance, sont trop
connues du peuple américain, pour qu'il soit nécessaire de les décrire.
Il suffit de dire que, pendant une période de dix années et plus, notre
commerce a été, à de courtes interruptions près, l'objet d'agressions
constantes de la part de la France, agressions dont les formes
ordinaires étaient la condamnation de navires et de cargaisons, en vertu
de décrets arbitraires adoptés en contravention, tant au droit des gens
qu'aux stipulations des traités, l'incendie en pleine mer, les saisies
et les confiscations, en vertu de rescrits impériaux particuliers, dans
les ports d'autres nations occupés par les armées françaises ou sous le
contrôle de la France.

Tel est, et ceci est maintenant concédé, le caractère des griefs que
nous avons soufferts; griefs, en beaucoup de cas, tellement flagrants,
que même leurs auteurs n'ont jamais dénié notre droit à des réparations.
On peut se former quelque idée de l'étendue de ces pertes par ce fait
que, avec l'incendie en mer, les propriétés américaines ainsi saisies et
sacrifiées dans des ventes forcées, ont produit au Trésor français, sans
compter ce qui a été adjugé à des corsaires, avant ou sans condamnation,
près de vingt-quatre millions de francs, en outre de droits de douane
considérables.

L'affaire avait déjà été, pendant vingt ans, l'objet de négociations non
interrompues, excepté pendant la courte période où la France était
accablée par la puissance militaire de l'Europe unie. Pendant cette
période, alors que d'autres nations extorquaient d'elle le paiement de
leurs réclamations à la pointe de leurs baïonnettes, les États-Unis
suspendirent leur demande par égard pour l'état d'oppression d'un
vaillant peuple envers lequel ils se sentaient obligés, pour
l'assistance fraternelle qu'ils en avaient reçue dans leurs propres
jours de souffrances et de périls. Les fâcheux effets de ces discussions
prolongées et sans résultat, tant par rapport à nos relations avec la
France que par rapport à notre caractère national, étaient évidents, et
la ligne de mon devoir ne l'était pas moins à mon esprit. Il consistait,
soit à insister sur le règlement de nos réclamations, dans un délai
raisonnable, soit à les abandonner tout à fait. Je ne pouvais douter que
cette marche était la plus conforme aux intérêts et à l'honneur des deux
pays.

Des instructions furent données, en conséquence, dans cet esprit, au
Ministre qui fut envoyé encore une fois demander des réparations. Lors
de la réunion du Congrès, le 10 octobre 1829, je jugeai de mon devoir de
parler de ces réclamations et des délais de la France, en termes propres
à appeler l'attention sérieuse des deux pays sur l'affaire. Le Ministère
français d'alors s'offensa du Message, par le motif qu'il contenait une
menace, sous laquelle il n'était pas agréable au gouvernement français
de négocier. Le Ministère américain réfuta l'interprétation que l'on
avait cherché à donner au Message, et rappela au souvenir du Ministère
français que le Message du Président était une communication adressée,
non à des gouvernements étrangers, mais au Congrès des États-Unis, et
dans laquelle il lui était enjoint, par la Constitution, de fournir à ce
corps des informations sur l'état de l'Union, comprenant ses relations
étrangères aussi bien que ses relations domestiques, et que si, dans
l'accomplissement de ce devoir, il se croyait obligé d'appeler
l'attention du Congrès sur les conséquences qui pourraient résulter des
difficultés existantes avec un gouvernement étranger, on pouvait,
équitablement, supposer qu'il le faisait par suite du sentiment de ce
qu'on devait attendre de lui, dans une communication franche avec une
autre branche de son gouvernement, et non par l'intention de menacer une
Puissance étrangère. Le gouvernement français fut satisfait, et la
négociation fut continuée. Elle se termina par le traité du 4 juillet
1831, qui reconnut, en partie, la justice de nos réclamations, et en
promit le paiement, jusqu'à concurrence de vingt-cinq millions de
francs, en six termes annuels. Les ratifications du traité furent
échangées à Washington, le 2 février 1832, et cinq jours après, il fut
présenté au Congrès, qui passa immédiatement les actes nécessaires pour
assurer à la France les avantages commerciaux qui lui étaient concédés
par l'arrangement. Le traité avait été préalablement ratifié d'une
manière solennelle par le Roi des Français, en termes qui, certainement,
ne sont pas une simple affaire de forme: «Nous, ayant pour agréable la
susdite convention, en toutes et chacune des dispositions qui y sont
contenues, déclarons, tant pour nous que pour nos héritiers et
successeurs, qu'elle est acceptée, approuvée, ratifiée et confirmée, et
par ces présentes, signées de notre main, nous l'acceptons, approuvons,
ratifions et confirmons, promettant, en foi et parole de Roi, de
l'observer et de la faire observer inviolablement, sans jamais y
contrevenir, et permettre qu'il y soit contrevenu, directement ni
indirectement, pour quelque cause ou quelque prétexte que ce soit.»
L'avis officiel de l'échange des ratifications aux États-Unis est
parvenu à Paris pendant que les Chambres étaient en session. Les délais
extraordinaires, et préjudiciables pour nous, apportés par le
gouvernement français, à agir pour assurer l'exécution du traité, ont
été précédemment exposés au Congrès; il suffit de faire observer qu'on
laissa passer la session alors ouverte, sans même faire un effort pour
obtenir les fonds nécessaires; qu'on laissa également passer les deux
sessions suivantes, sans rien faire qui ressemblât à une tentative
sérieuse pour obtenir une décision sur l'affaire, et que ce ne fut pas
avant la quatrième session, près de quatre ans après la conclusion du
traité, et plus de deux après l'échange des ratifications, que la loi
relative à l'exécution du traité, fut poursuivie jusqu'à un vote et
rejetée.

En attendant, le gouvernement des États-Unis, ayant la pleine confiance
qu'un traité conclu serait exécuté de bonne foi, et ne doutant pas que
des mesures seraient prises pour le paiement du premier terme, qui
devait échoir le 2 février 1833, négocia une traite pour le montant, par
l'intermédiaire de la Banque des États-Unis. Lorsque cette traite fut
présentée par le porteur, le gouvernement français la laissa protester.
Outre le dommage de non-paiement, les États-Unis furent exposés à une
forte réclamation de la part de la Banque, sous prétexte de
dommages-intérêts, en paiement desquels cette institution saisit, et
retient encore, un montant égal des deniers de l'État.

Le Congrès était en session lorsque la décision des Chambres parvint à
Washington, et une communication immédiate de cette décision de la
France était la marche que l'on devait naturellement attendre du
Président. Le mécontentement profond manifesté par l'opinion publique et
l'excitation analogue produite dans le Congrès rendaient plus que
probable qu'un recours à des mesures immédiates de redressement serait
la conséquence d'un appel fait, à ce sujet, à l'attention du Congrès.

Désirant sincèrement conserver les relations pacifiques qui avaient si
longtemps existé entre les deux pays, je voulais éviter cette démarche,
si je pouvais être convaincu qu'en agissant ainsi, ni l'intérêt, ni
l'honneur de mon pays ne seraient compromis. Sans les assurances les
plus complètes sur ce point, je ne pouvais point espérer de me décharger
de la responsabilité que j'encourais en laissant le Congrès s'ajourner
sans lui rendre compte de l'affaire. Ce caractère semblait appartenir
aux assurances qui me furent données.

Le gouvernement français avait prévu que les sentiments produits aux
États-Unis, par la nouvelle du rejet du crédit, seraient tels que je les
ai décrits, et de promptes mesures avaient été prises par lui pour
prévenir les conséquences. Le Roi, en personne, exprima, par
l'intermédiaire de notre Ministre à Paris, son profond regret de la
décision des Chambres, et promit d'envoyer sur-le-champ un bâtiment de
guerre avec des dépêches pour son Ministre ici, à l'effet de l'autoriser
à donner des assurances propres à convaincre le gouvernement et le
peuple des États-Unis que le traité serait néanmoins fidèlement exécuté
par la France. Le bâtiment de guerre arriva, et le Ministre reçut ses
instructions. Prétendant agir en vertu de l'autorisation qu'elles lui
conféraient, il donna les assurances les plus solennelles qu'aussitôt
après les nouvelles élections, et le plus promptement que la Chambre le
permettrait, les Chambres françaises seraient convoquées, et que la
tentative, à l'effet d'obtenir le crédit nécessaire, serait renouvelée;
que tous les pouvoirs constitutionnels du Roi et de ses Ministres
seraient mis en action pour obtenir cet objet; on comprit qu'il
contractait l'engagement, et ce gouvernement l'en informa expressément,
que la question serait poussée à une décision, à une époque suffisamment
rapprochée pour que l'avis du résultat pût être communiqué au Congrès au
commencement de la session.

Me reposant sur ces assurances, j'encourus la responsabilité de laisser
le Congrès se séparer sans lui faire aucune communication sur l'affaire.

L'attente, justement fondée sur les promesses ainsi solennellement
faites, ne fut point réalisée. Les Chambres françaises se rassemblèrent
le 31 juillet 1834, et quoique notre Ministre à Paris pressât les
Ministres français de porter l'affaire devant elles, ils s'y refusèrent.
Il insista ensuite pour que les Chambres, si elles étaient prorogées
sans avoir pris de décision sur l'affaire, fussent convoquées de
nouveau, à une époque assez rapprochée pour que leur vote pût être connu
à Washington avant la réunion du Congrès. Cette demande raisonnable fut
non seulement refusée, mais les Chambres furent prorogées au 29
décembre, jour tellement éloigné que leur décision ne pouvait, selon
toutes probabilités, être obtenue à temps pour parvenir à Washington
avant l'ajournement forcé du Congrès, aux termes de la Constitution. Les
raisons données par le Ministère pour refuser de convoquer les Chambres
à une époque plus rapprochée, furent, plus tard, démontrées n'avoir pas
été insurmontables, par la convocation effective des Chambres au 1er
décembre, en vertu de l'appel spécial dans l'intérêt d'affaires
domestiques, ce qui, cependant, ne parvint à la connaissance de ce
gouvernement qu'après la dernière session du Congrès. Ainsi trompés dans
notre juste attente, mon devoir impératif m'obligea à consulter le
Congrès sur la convenance d'un recours à des mesures de rétorsion, dans
le cas où les stipulations du traité ne seraient pas promptement
exécutées. A cet effet, une communication devint indispensable. Avoir
reculé, en la faisant, devant l'exposé de tout ce qui était nécessaire
pour la comprendre exactement, et de ce qui était conforme à la vérité
par crainte de donner offense à d'autres, eût été indigne de nous. Avoir
été, d'un autre côté, un pas au delà, dans le but de blesser la fierté
d'un gouvernement et d'un peuple avec lesquels nous avions tant de
motifs de cultiver des relations amicales, et d'un avantage réciproque,
eût été imprudent et inconvenant.

Averti, par le passé, de la difficulté de faire même le plus simple
exposé de nos griefs, sans affecter la sensibilité de ceux qui étaient,
par leur position, devenus responsables de leur redressement, je fis ce
que je pus pour rendre impossible toute interprétation du Message, par
laquelle la recommandation, faite au Congrès, pût être considérée comme
une menace pour la France, en désavouant un tel dessein, et en
déclarant, encore, que sa fierté et sa puissance étaient trop bien
connues pour rien attendre d'elle par la crainte. Le Message ne parvint
à Paris que plus d'un mois après la réunion des Chambres, et telle était
l'insensibilité du Ministère à l'égard de nos légitimes réclamations,
que notre Ministre avait été informé que l'affaire, lorsqu'elle serait
présentée, ne serait point poursuivie comme mesure de Cabinet.

Bien que le Message n'eut pas été communiqué officiellement au
gouvernement, et nonobstant les déclarations contraires qui y étaient
énoncées, les Ministres français résolurent de considérer la proposition
conditionnelle de représailles comme une menace et une insulte que
l'honneur national leur faisait un devoir de repousser.

Les mesures auxquelles ils eurent recours, pour montrer combien ils
avaient ressenti cette prétendue offense, furent le rappel immédiat de
leur Ministre à Washington, l'offre de ses passeports au Ministre
américain à Paris, et la déclaration, aux Chambres législatives, de la
suspension de tous rapports diplomatiques avec le gouvernement des
États-Unis.

Après avoir, de cette manière, vengé la dignité de la France, ils
s'occupèrent de faire ressortir sa justice. Dans ce but, un projet de
loi fut immédiatement présenté à la Chambre des Députés, pour demander
les fonds nécessaires à l'exécution du traité. Comme ce projet est
devenu plus tard une loi dont les dispositions forment aujourd'hui le
sujet principal des discussions qui subsistent entre les deux nations,
je dois retracer l'histoire de cette loi.

Le Ministre des Finances, dans son exposé des motifs, fait allusion aux
mesures qui avaient été prises pour repousser l'offense prétendue, et il
représente l'exécution du traité comme réclamée par l'honneur et la
justice de la France. En sa qualité d'organe du Ministère, il déclare
que le Message, aussi longtemps qu'il n'avait pas reçu la sanction du
Congrès, n'était que la simple expression des opinions personnelles du
Président, et, d'un autre côté, il déclare que l'on avait pris des
engagements à l'exécution desquels l'honneur de la France était engagé.
Conformément à cette manière de voir, la seule condition à laquelle le
Ministère français proposait de soumettre le paiement de l'argent, était
de différer ce paiement, jusqu'à ce qu'on eût acquis la certitude que le
gouvernement des États-Unis n'avait rien fait qui pût nuire aux intérêts
de la France, ou, en d'autres termes, que le Congrès n'avait autorisé
aucune mesure hostile envers la France.

Le Cabinet français ignorait, à cette époque, quelles pourraient être
les dispositions ou les décisions du Congrès; mais le 14 janvier, le
Sénat décida qu'il n'y aurait lieu à adopter, pour le moment, aucune
mesure législative, par rapport à l'état des affaires entre les
États-Unis et la France, et aucune décision à ce sujet n'était
intervenue dans la Chambre des Représentants. Ces faits étaient connus à
Paris avant le 28 mars 1835, au moment où la Commission à laquelle le
_Bill d'indemnité_ avait été soumis, présenta son rapport à la Chambre
des Députés. Cette Commission reproduisit les opinions du Ministre,
déclara que le Congrès avait écarté les propositions du Président, et
proposa l'adoption du projet de loi, sans autre restriction que celle
originairement proposée. Le Ministère français et les Chambres savaient
donc que si la position qu'ils avaient prise, et qui avait été si
fréquemment annoncée comme la seule compatible avec l'honneur de la
France, était maintenue, et si la loi était adoptée telle qu'elle avait
été originairement proposée, l'argent serait payé, et cette malheureuse
discussion serait terminée. Mais cette flatteuse espérance fut bientôt
détruite par un amendement, introduit dans la loi au moment de son
adoption, et portant que l'argent ne serait pas payé jusqu'à ce que le
gouvernement ait reçu des explications satisfaisantes sur le Message du
Président du 2 décembre 1834; et, ce qui est encore plus extraordinaire,
le Président du Conseil des Ministres[159] adopta cet amendement, et
consentit à son insertion dans la loi. Quant à la prétendue insulte dont
ils s'étaient prévalu pour rappeler leur Ministre, et pour offrir des
passeports au nôtre, ils proposèrent alors, pour la première fois, de
demander des explications. Des propositions et des opinions qu'ils
avaient déclaré ne pouvoir être, avec fondement, imputées au
gouvernement ou au peuple américain, sont mises en avant comme des
obstacles à l'accomplissement d'un acte rendant justice à ce
gouvernement et à ce peuple. Ils avaient déclaré que l'honneur de la
France exigeait l'exécution d'un engagement pris par le Roi, à moins que
le Congrès n'adoptât les propositions du Message. Ils avaient la
certitude que le Congrès ne les avait pas adoptées, et néanmoins
l'exécution est refusée, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu du Président des
explications sur une opinion caractérisée par eux-mêmes comme
personnelle et sans effet. La supposition que j'avais l'intention de
menacer ou d'insulter le gouvernement français est aussi peu fondée,
qu'une tentative pour extorquer des craintes de cette nation ce que ses
sentiments de justice devaient lui faire refuser, eût été vaine et
ridicule. Mais la Constitution des États-Unis impose au Président le
devoir d'exposer au Congrès la situation du pays, et le peuple américain
ne saurait admettre l'intervention d'un gouvernement quelconque du
globe, dans le libre accomplissement des devoirs domestiques que la
Constitution a imposés à ses fonctionnaires publics. Les discussions qui
interviennent entre les diverses branches de notre gouvernement nous
regardent seuls, et pour toutes les paroles qu'ils prononcent, nos
mandataires ne sont responsables qu'envers leurs propres constituants,
ou les uns envers les autres. Si, dans le cours de leurs discussions,
des faits sont inexactement rapportés, ou que l'on en ait tiré
d'injustes déductions, ils n'ont besoin pour les corriger, lorsqu'ils
reconnaissent leurs erreurs, que de leur amour de la justice, et du
sentiment de ce qu'ils doivent à leur caractère, mais ils ne peuvent
jamais se soumettre à être interrogés à ce sujet, comme une chose de
droit, par une Puissance étrangère. Quand ces discussions se terminent
par des actes, alors commence notre responsabilité envers les Puissances
étrangères, mais elle n'est plus individuelle, elle devient nationale.
Le principe sur lequel on se fonde pour demander des explications sur
les termes de mon Message, justifierait également la prétention
qu'élèverait une Puissance étrangère, à demander des explications sur
les termes employés dans le rapport d'une commission, ou dans le
discours d'un membre du Congrès.

  [159] Alors le duc de Broglie.

Ce n'est pas la première fois que le gouvernement français a pris
offense des Messages des Présidents américains. Le Président Washington
et le Président Adams, dans l'accomplissement de leurs devoirs envers le
peuple américain, ont encouru l'animadversion du Directoire français. Le
grief élevé par le Ministère de Charles X, et écarté par les
explications données par notre Ministre à Paris, a déjà été mentionné,
lorsqu'on eut appris que le Ministère du Roi actuel prenait offense de
mon Message de l'année dernière, en lui donnant une interprétation que
ses termes mêmes désavouaient; notre dernier Ministre à Paris, en
réponse à la dernière note qui témoigna du mécontentement au sujet du
langage dont on s'était servi dans le Message, adressa au gouvernement
français, sous la date du 28 janvier 1835, une communication de nature à
écarter toutes les impressions qu'avait pu produire une injuste
susceptibilité. Il réitéra et rappela à l'attention du gouvernement
français, le désaveu, contenu dans le Message même, de toute intention
d'intimider par la menace. Il déclara, en toute vérité, que le Message
ne contenait, ni de fait ni d'intention, aucune accusation de mauvaise
foi contre le Roi des Français, et établit une distinction très juste
entre le droit de se plaindre, en termes très mesurés, de la
non-exécution d'une convention, et une imputation de mauvais motifs, en
suspendant cette exécution; enfin, il démontra que l'exercice nécessaire
de ce droit ne devait pas être envisagé comme une imputation offensante.
Quoique cette communication ait été faite par notre Ministre, sans
instructions, et entièrement sous sa propre responsabilité, elle est
devenue, depuis, un acte de ce gouvernement par ma complète approbation,
et cette approbation a été notifiée officiellement au gouvernement
français, le 25 avril 1835. Cependant, elle a manqué son effet. La loi a
passé, avec le fâcheux amendement soutenu par les Ministres du Roi, et
elle a été définitivement approuvée par le Roi.

Le peuple des États-Unis est justement attaché à un système pacifique
dans ses relations avec les nations étrangères; il est donc convenable
qu'il sache si son gouvernement y a été fidèle. Dans la circonstance
actuelle, il a été poussé jusqu'aux dernières limites compatibles avec
un juste respect de soi-même. La note du 28 janvier n'est pas la seule
que notre Ministre ait pris sous sa responsabilité de présenter, sur le
même sujet et dans le même esprit. Trouvant qu'on avait l'intention de
rendre le paiement d'une juste dette dépendant de l'accomplissement
d'une condition qu'il savait ne pouvoir jamais être exécutée, il jugea
de son devoir de faire une nouvelle tentative, pour convaincre le
gouvernement français que, si le respect de nous-mêmes et nos égards
pour la dignité des autres nations nous empêcheraient toujours de nous
servir d'un langage qui pourrait offenser, cependant nous ne
reconnaîtrions jamais à un gouvernement étranger le droit de demander
des explications sur les communications faites par une branche de nos
conseils publics à l'autre; et, pour prévenir tout malentendu, il
rappela les termes employés dans une note précédente, ajoutant que, par
conséquent, toute explication qui pourrait raisonnablement être demandée
ou honorablement donnée, avait déjà été fournie, et était non seulement
inutile, mais pourrait même être jugée offensante, et ne serait
certainement pas accomplie, si elle était annexée à la loi comme
condition.

Lorsque cette dernière communication, sur laquelle j'appelle
spécialement l'attention du Congrès, me fut soumise, je conçus l'espoir
que le moyen qu'elle avait évidemment pour objet d'arriver à un
règlement prompt et honorable des difficultés existant entre les deux
nations, aurait été accepté, et je n'hésitai donc pas à lui donner ma
sanction et mon entière approbation. Je devais cela au Ministre qui
s'était rendu responsable de l'acte; le peuple des États-Unis en a été
publiquement informé, et j'en fais part, en ce moment, à ses
représentants, pour montrer jusqu'où le pouvoir exécutif a porté ses
efforts pour rétablir la bonne intelligence entre les deux pays. Mon
approbation aurait été communiquée au gouvernement français, si elle eût
été officiellement réclamée.

Le gouvernement français ayant reçu toutes les explications que
l'honneur et les principes permettaient, on espérait qu'il n'hésiterait
pas plus longtemps à payer les termes échus. L'agent autorisé à recevoir
l'argent fut invité à informer le gouvernement français qu'il était prêt
à le toucher. En réponse à cet avis, il fut prévenu que l'argent ne
pouvait alors être payé, parce que les formalités requises par l'acte
des Chambres n'avaient point été accomplies.

N'ayant reçu aucune communication officielle sur les intentions du
gouvernement français, et désireux de conduire cette désagréable affaire
à un terme avant la réunion du Congrès, j'ai fait donner à notre chargé
d'affaires à Paris l'instruction de s'enquérir de la détermination
finale du gouvernement français, et, dans le cas où il refuserait les
termes échus, de revenir sans autres explications aux États-Unis.

Le résultat de cette dernière démarche ne nous est pas encore parvenu,
mais nous l'attendons journellement. Je désire sincèrement qu'il soit
favorable. Lorsque ses différents pouvoirs ont reconnu la justice de nos
droits, les obligations que leur impose le traité de 1831, et lorsqu'il
n'existe réellement aucune cause qui puisse motiver de nouveaux délais,
la France adoptera enfin, on doit l'espérer, la marche que les intérêts
des deux nations n'exigent pas moins impérieusement que les principes de
la justice. Une fois le traité exécuté par la France, il restera peu de
causes de désaccord entre les deux pays, rien, au fond, qui ne puisse
céder aux conseils d'une politique pacifique et éclairée, et à
l'influence de cette bienveillance mutuelle et de ces généreux
souvenirs, qui, nous devons l'espérer, se ranimeront alors dans toute
leur force première. Dans tous les cas, cependant, la question de
principe soulevée par la nouvelle face qu'a prise la discussion est
d'une importance tellement vitale à l'action indépendante du
gouvernement, qu'elle ne peut être, de notre part, l'objet d'un abandon
ou d'une transaction, sans déshonneur pour la nation. Je n'ai pas besoin
de dire que ce ne sera jamais par mon organe que se fera un pareil
sacrifice. Je ne souillerai jamais l'honneur de mon pays, en m'excusant
d'avoir dit la vérité et d'avoir accompli mon devoir, et je ne puis
donner d'autres explications de mes actes officiels que celles que
commandent l'honneur et la justice. Cette détermination, j'en ai la
confiance, recevra l'approbation de mes constituants. Je connais bien
mal, en effet, leur caractère, si la somme de vingt-cinq millions de
francs balance un instant, à leurs yeux, une question qui se rattache à
leur indépendance nationale, et si, malheureusement, une impression
différente venait à prévaloir, ils se rallieront, j'en suis sûr, autour
du gouvernement de leur choix, avec empressement et unanimité, et feront
taire à jamais cette imputation dégradante.

Ayant ainsi franchement soumis au Congrès les circonstances qui, depuis
sa dernière session, sont survenues dans cette intéressante et
importante affaire, ainsi que les vues du pouvoir exécutif y relatives,
il ne me reste qu'à ajouter, que dès que les avis attendus de la part de
notre chargé d'affaires auront été reçus, ils deviendront l'objet d'une
communication spéciale.

   (Nous reproduisons cette pièce d'après le _Journal des Débats_ du
   1er janvier 1836.)


II

   _Discours prononcé par le duc de Broglie, président du Conseil, à
   la Chambre des Députés, dans la séance du 6 janvier 1836, au
   sujet de la Pologne._

    MESSIEURS,

Je rends justice aux grandes idées, aux passions généreuses qui ont
inspiré le premier orateur que vous avez entendu[160]; mais je prendrai
la liberté de lui rappeler qu'il n'a pas rendu une entière justice au
gouvernement et au Ministère qui existait en 1831, lorsqu'il a paru
croire que les embarras de cette époque avaient interdit à notre Cabinet
de prendre, à la nation polonaise, l'intérêt qu'elle inspirera toujours
à un gouvernement français.

  [160] M. Odilon Barrot.

A cette époque même, à cette époque si difficile et si périlleuse, où
les circonstances intérieures de la France étaient si embarrassantes, le
gouvernement français a fait pour la nation polonaise tout ce qu'il
dépendait de lui de faire. Il a fait plus que toute autre nation, et si
jamais l'histoire révèle la correspondance diplomatique du gouvernement
français à cette époque, j'ose croire que l'on rendra alors justice à
l'homme illustre[161] qui présidait le Cabinet.

  [161] M. Casimir Perier.

Ce qui a été fait à cette époque, dans l'intérêt de l'humanité, dans
l'intérêt de la justice, le gouvernement n'a jamais cessé de le faire,
tant qu'il a dû croire que son intervention serait utile à la population
de la Pologne.

Ce n'est pas, en effet, en présence d'une Chambre aussi éclairée, que
j'ai besoin de rappeler combien l'intervention d'une Puissance
étrangère, dans l'administration intérieure d'un autre État, doit être
conduite avec égards et ménagements; combien, souvent, il est à redouter
que cette intervention, loin de calmer les irritations, les excitations,
loin d'affaiblir les animosités politiques, les irrite davantage;
combien, en un mot, il faut prendre de soins et de précautions, en
remplissant une pareille tâche.

La Chambre me comprendra, je l'espère, si je lui dis que le gouvernement
français n'a négligé, dans une circonstance quelconque, son intervention
dans l'humanité; mais la Chambre comprendra que, peut-être, ce n'est pas
un bon moment de servir l'humanité, que c'est même aller contre
l'intention de la Chambre, que de venir presser, à cette tribune, le
gouvernement d'en faire davantage. Il est à craindre, souvent, que des
paroles dictées par un sentiment généreux ne produisent, en réalité, un
effet tout contraire au sentiment qui les inspire, qu'elles ne se
traduisent, au dehors, en animosités plus grandes; enfin, que la cause
de l'humanité, qu'on a voulu servir, ne soit trahie, à l'insu même de
ceux qui ont voulu la défendre. (_De toutes parts: Très bien!_)

Je n'en dirai pas davantage. L'orateur qui descend de cette tribune a
lui-même remarqué quelle différence doit exister entre les paroles qui y
sont prononcées par l'organe du gouvernement, et celles qu'y peut
prononcer un membre isolé de la Chambre.

La Chambre comprendra certainement qu'il ne m'appartient point de
répondre, une à une, aux observations qui vous ont été soumises, parce
que ma réponse à ces observations aurait dans ma bouche une tout autre
gravité.

Quant à l'autre branche de la question, quant à l'existence des traités
dont le premier orateur a parlé, et dont le second[162] a dit aussi
quelque chose, je la traiterai, et j'essaierai d'être court. Personne,
que je sache, en Europe, personne sans exception, ne conteste que les
traités ne doivent être exécutés fidèlement, selon leur lettre et selon
leur esprit; mais dans l'article du traité auquel les deux orateurs ont
fait allusion, se trouvent des principes différents, des principes qui
ne sont point inconciliables, et qui ont, cependant, besoin d'être
conciliés; à savoir, l'indépendance de la Pologne, d'une part, et, de
l'autre, l'union de la Pologne avec la Russie. On a, dans cet article,
posé le principe d'une représentation et de diverses institutions
nationales, mais on a abandonné à l'exécution, de savoir quelles seront
ces institutions, et sous quelle forme elles seront établies.

  [162] M. Saint-Marc Girardin.

Cet article n'est pas rédigé avec autant de clarté, peut-être, que cela
serait à désirer; il laisse par conséquent la possibilité, aux diverses
Puissances qui ont signé le traité de 1815, de lui donner des
interprétations différentes, de pousser plus ou moins loin les principes
dont il se compose. Il se peut (je ne parle ici que par hypothèse) que
les diverses Puissances ne se trouvèrent pas d'accord sur l'application
de ces mêmes principes, et sur ce qu'il y a à faire. Est-ce à dire que,
dès l'instant où il y aurait divergence entre les Puissances, il fallût
aussitôt même recourir aux armes? La Chambre ne saurait avoir cette
pensée. Il en est du maintien des relations entre les Puissances, comme
de l'harmonie entre les pouvoirs publics. Par cela seul qu'il y aurait
divergence d'opinions, ce n'est pas un motif pour faire un appel à la
force; c'est à la discussion, à la raison, au temps, à faire prévaloir
la vérité.

Eh bien! Messieurs, j'en ai la confiance, la Chambre comprendra, sans en
dire davantage sur la question qui l'occupe en ce moment, qu'il existe,
sur certains points, divergence d'opinions entre diverses Puissances;
nous avons pensé que c'était aux négociations, à la raison et au temps,
de faire triompher la vérité. Nous espérons que vous serez sur ce point
d'accord avec nous. (_Vive approbation._)

   (Nous reproduisons ce discours d'après le texte donné par le
   _Journal des Débats_ du 7 janvier 1836.)


III

   _Éloge du Comte Reinhart, prononcé à l'Académie des Sciences
   morales et politiques, par le prince de Talleyrand, dans la
   séance du 3 mars 1838._

    MESSIEURS,

J'étais en Amérique, lorsque l'on eut la bonté de me nommer membre de
l'Institut, et de m'attacher à la classe des Sciences morales et
politiques, à laquelle j'ai, depuis son origine, l'honneur d'appartenir.

A mon retour en France, mon premier soin fut de me rendre à ses séances,
et de témoigner aux personnes qui la composaient alors, et dont
plusieurs nous ont laissé de justes regrets, le plaisir que j'avais de
me trouver un de leurs collègues. A la première séance à laquelle
j'assistai, on renouvelait le bureau, et on me fit l'honneur de me
nommer secrétaire. Le procès-verbal que je rédigeai pendant six mois,
avec autant de soin que je le pouvais, portait, peut-être un peu trop,
le caractère de ma déférence, car j'y rendais compte d'un travail qui
m'était fort étranger. Ce travail, qui, sans doute, avait coûté bien des
recherches, bien des veilles à un de nos plus savants collègues, avait
pour titre: _Dissertations sur les lois ripuaires_. Je fis aussi, à la
même époque, dans nos assemblées publiques, quelques lectures que
l'indulgence qui m'était accordée alors a fait insérer dans les Mémoires
de l'Institut. Depuis cette époque, quarante années se sont écoulées,
durant lesquelles cette tribune m'a été comme interdite, d'abord par
beaucoup d'absences, ensuite par des fonctions auxquelles mon devoir
était d'appartenir tout entier; je dois dire aussi, par la discrétion
que les temps difficiles exigent d'un homme livré aux affaires; et
enfin, plus tard, par les infirmités que la vieillesse amène d'ordinaire
avec elle, ou du moins qu'elle aggrave toujours.

Mais aujourd'hui j'éprouve le besoin et je regarde comme un devoir de
m'y présenter une dernière fois, pour que la mémoire d'un homme connu
dans toute l'Europe, d'un homme que j'aimais, et qui, depuis la
formation de l'Institut, était notre collègue, reçoive ici un témoignage
public de notre estime et de nos regrets. Sa position et la mienne me
mettent dans le cas de révéler plusieurs de ses mérites. Son principal,
je ne dis pas son unique titre de gloire, consiste dans une
correspondance de quarante années, nécessairement ignorée du public,
qui, très probablement, n'en aura jamais connaissance. Je me suis dit:
Qui en parlera dans cette enceinte? Qui sera surtout dans l'obligation
d'en parler, si ce n'est moi, qui en ai reçu la plus grande part, à qui
elle fut toujours si agréable, et souvent si utile dans les fonctions
ministérielles que j'ai eues à remplir sous trois règnes... très
différents?

Le comte Reinhart avait trente ans et j'en avais trente-sept, quand je
le vis pour la première fois. Il entrait aux affaires avec un grand
fonds de connaissances acquises. Il savait bien cinq ou six langues,
dont les littératures lui étaient familières. Il eût pu se rendre
célèbre comme poète, comme historien, comme géographe; et c'est en cette
qualité qu'il fut membre de l'Institut, dès que l'Institut fut créé.

Il était déjà, à cette époque, membre de l'Académie des sciences de
Gœttingue. Né et élevé en Allemagne, il avait publié, dans sa jeunesse,
quelques pièces de vers qui l'avaient fait remarquer par Gesner, par
Wieland, par Schiller. Plus tard, obligé pour sa santé de prendre les
eaux de Carlsbad, il eut le bonheur d'y trouver et d'y voir souvent le
célèbre Gœthe, qui apprécia assez son goût et ses connaissances pour
désirer d'être averti par lui de tout ce qui faisait quelque sensation
dans la littérature française. M. Reinhart le lui promit: les
engagements de ce genre, entre les hommes d'un ordre supérieur, sont
toujours réciproques, et deviennent bientôt des liens d'amitié; ceux qui
se formèrent entre M. Reinhard et Gœthe donnèrent lieu à une
correspondance que l'on imprime aujourd'hui en Allemagne.

On y verra qu'arrivé à cette époque de la vie où il faut définitivement
choisir l'état auquel on se croit le plus propre, M. Reinhart fit, sur
lui-même, sur ses goûts, sur sa position et sur celle de sa famille, un
retour sérieux qui précéda sa détermination; et alors, chose remarquable
pour le temps, à des carrières où il eût pu être indépendant, il en
préféra une où il ne pouvait l'être. C'est à la carrière diplomatique
qu'il donna la préférence, et il fit bien: Propre à tous les emplois de
cette carrière, il les a successivement tous remplis, et tous avec
distinction.

Je hasarderai de dire ici que ses études premières l'y avaient
heureusement préparé. Celle de la théologie surtout, où il se fit
remarquer dans le séminaire de Denkendorf, et dans celui de la Faculté
protestante de Tubingue, lui avait donné une force, et en même temps une
souplesse de raisonnement que l'on retrouve dans toutes les pièces qui
sont sorties de sa plume. Et pour m'ôter à moi-même la crainte de me
laisser aller à une idée qui pourrait paraître paradoxale, je me sens
obligé de rappeler ici les noms de plusieurs de nos grands négociateurs,
tous théologiens, et tous remarqués par l'histoire comme ayant conduit
les affaires politiques les plus importantes de leur temps: le cardinal
chancelier Duprat, aussi versé dans le droit canon que dans le droit
civil, et qui fixa avec Léon X les bases du Concordat, dont plusieurs
dispositions subsistent encore aujourd'hui.--Le cardinal d'Ossat, qui,
malgré les efforts de plusieurs grandes Puissances, parvint à
réconcilier Henri IV avec la Cour de Rome. Le recueil de lettres qu'il a
laissé est encore prescrit aujourd'hui aux jeunes gens qui se destinent
à la carrière politique.--Le cardinal de Polignac, théologien, poète et
négociateur, qui, après tant de guerres malheureuses, sut conserver à la
France, par le traité d'Utrecht, les conquêtes de Louis XIV.

C'est aussi au milieu de livres de théologie qu'avait été commencée par
son père, devenu évêque de Gap, l'éducation de M. de Lionne, dont le nom
vient de recevoir un nouveau lustre par une récente et importante
publication.

Les noms que je viens de citer me paraissent suffire pour justifier
l'influence qu'eurent, dans mon opinion, sur les habitudes d'esprit de
M. Reinhart, les premières études vers lesquelles l'avait dirigé
l'éducation paternelle.

Les connaissances à la fois solides et variées qu'il y avait acquises,
l'avaient fait appeler à Bordeaux pour remplir les honorables et
modestes fonctions de précepteur dans une famille protestante de cette
ville. Là, il se trouva naturellement en relation avec plusieurs des
hommes dont le talent, les erreurs et la mort jetèrent tant d'éclat sur
notre première Assemblée législative. M. Reinhart se laissa facilement
entraîner par eux à s'attacher au service de la France.

Je ne m'astreindrai point à le suivre pas à pas à travers les
vicissitudes dont fut remplie la longue carrière qu'il a parcourue. Dans
les nombreux emplois qui lui furent confiés, tantôt d'un ordre élevé,
tantôt d'un ordre inférieur, il semblerait y avoir une sorte
d'incohérence, et comme une absence de hiérarchie que nous aurions
aujourd'hui quelque peine à comprendre. Mais à cette époque, il n'y
avait pas plus de préjugés pour les places qu'il n'y en avait pour les
personnes. Dans d'autres temps, la faveur, quelquefois le discernement,
appelaient à toutes les situations éminentes. Dans le temps dont je
parle, bien ou mal, toutes les situations étaient conquises. Un pareil
état de choses mène bien vite à la confusion.

Aussi, nous voyons M. Reinhart, premier secrétaire de la
légation à Londres.--Occupant le même emploi à Naples.--Ministre
plénipotentiaire auprès des villes hanséatiques, Hambourg, Bremen
et Lübeck.--Chef  de la 3e division au département des Affaires
étrangères.--Ministre plénipotentiaire à Florence.--Ministre des
relations extérieures.--Ministre plénipotentiaire en Helvétie.--Consul
général à Milan.--Ministre plénipotentiaire près le cercle de
Basse-Saxe.--Résident dans les provinces turques au delà du Danube et
commissaire général des relations commerciales en Moldavie.--Ministre
plénipotentiaire auprès du Roi de Westphalie.--Directeur de la
chancellerie du département des Affaires étrangères.--Ministre
plénipotentiaire auprès de la Diète germanique et de la ville libre de
Francfort, et, enfin, ministre plénipotentiaire à Dresde.

Que de places, que d'emplois, que d'intérêts confiés à un seul homme, et
cela, à une époque où les talents paraissaient devoir être d'autant
moins appréciés que la guerre semblait, à elle seule, se charger de
toutes les affaires!

Vous n'attendez donc pas de moi, Messieurs, qu'ici je vous rende compte
en détail, et date par date, de tous les travaux de M. Reinhart dans les
différents emplois dont vous venez d'entendre l'énumération. Il faudrait
faire un livre.

Je ne dois parler devant vous que de la manière dont il comprenait les
fonctions qu'il avait à remplir, qu'il fût Chef de division, Ministre ou
Consul.

Quoique M. Reinhart n'eût point alors l'avantage qu'il aurait eu
quelques années plus tard, de trouver sous ses yeux d'excellents
modèles, il savait déjà combien de qualités, et de qualités diverses,
devaient distinguer un Chef de division des Affaires étrangères. Un tact
délicat lui avait fait sentir que les mœurs d'un Chef de division
devaient être simples, régulières, retirées; qu'étranger au tumulte du
monde, il devait vivre uniquement pour les affaires et leur vouer un
secret impénétrable; que toujours prêt à répondre sur les faits et sur
les hommes, il devait avoir sans cesse présents à la mémoire tous les
traités, connaître historiquement leurs dates, apprécier avec justesse
leurs côtés forts et leurs côtés faibles, leurs antécédents et leurs
conséquences; savoir enfin les noms des principaux négociateurs, et même
leurs relations de famille; que tout en faisant usage de ces
connaissances, il devait prendre garde à inquiéter l'amour-propre
toujours si clairvoyant du Ministre, et qu'alors même qu'il l'entraînait
à son opinion, son succès devait rester dans l'ombre; car il savait
qu'il ne devait briller que d'un éclat réfléchi; mais il savait aussi
que beaucoup de considération s'attachait naturellement à une vie aussi
pure et aussi modeste.

L'esprit d'observation de M. Reinhart ne s'arrêtait point là; il l'avait
conduit à comprendre combien la réunion des qualités nécessaires à un
ministre des Affaires étrangères est rare. Il faut, en effet, qu'un
ministre des Affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct, qui,
l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute discussion, de jamais
se compromettre. Il lui faut la faculté de se montrer ouvert en restant
impénétrable; d'être réservé avec les formes de l'abandon, d'être habile
jusque dans le choix de ses distractions; il faut que sa conversation
soit simple, variée, inattendue, toujours naturelle et parfois naïve; en
un mot, il ne doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre heures,
d'être ministre des Affaires étrangères.

Cependant, toutes ces qualités, quelque rares qu'elles soient,
pourraient n'être pas suffisantes, si la bonne foi ne leur donnait une
garantie dont elles ont presque toujours besoin. Je dois le rappeler
ici, pour détruire un préjugé assez généralement répandu:--Non, la
diplomatie n'est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne
foi est nécessaire quelque part, c'est surtout dans les transactions
politiques, car c'est elle qui les rend solides et durables. On a voulu
confondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n'autorise jamais la
ruse, mais elle admet la réserve; et la réserve a cela de particulier,
c'est qu'elle ajoute à la confiance.

Dominé par l'honneur et l'intérêt de son pays, par l'honneur et
l'intérêt du Prince, par l'amour de la liberté, fondé sur l'ordre et sur
les droits de tous, un ministre des Affaires étrangères, quand il sait
l'être, se trouve ainsi placé dans la plus belle situation à laquelle un
esprit élevé puisse prétendre.

Après avoir été un Ministre habile, que de choses il faut encore savoir
pour être un bon Consul! Car les attributions d'un Consul sont variées à
l'infini; elles sont d'un genre tout différent de celles des autres
employés des Affaires étrangères. Elles exigent une foule de
connaissances pratiques pour lesquelles une éducation particulière est
nécessaire. Les Consuls sont dans le cas d'exercer dans l'étendue de
leur arrondissement, vis-à-vis de leurs compatriotes, les fonctions de
juges, d'arbitres, de conciliateurs; souvent ils sont officiers de
l'état civil; ils remplissent l'état de notaires, quelquefois celui
d'administrateurs de la marine; ils surveillent et constatent l'état
sanitaire; ce sont eux qui, par leurs relations habituelles, peuvent
donner une idée juste et complète de la situation du commerce, de la
navigation et de l'industrie particulière au pays de leur résidence.
Aussi, M. Reinhart, qui ne négligeait rien pour s'assurer de la
justesse des informations qu'il était dans le cas de donner à son
gouvernement, et des décisions qu'il devait prendre comme agent
politique, comme agent consulaire, comme administrateur de la marine,
avait-il fait une étude approfondie du droit des gens et du droit
maritime. Cette étude l'avait conduit à croire qu'il arriverait un temps
où, par des combinaisons habilement préparées, il s'établirait un
système général de commerce et de navigation dans lequel les intérêts de
toutes les nations seraient respectés, et dont les bases fussent telles
que la guerre elle-même n'en pût altérer le principe, dût-elle suspendre
quelques-unes de ses conséquences. Il était aussi parvenu à résoudre
avec sûreté et promptitude toutes les questions de change, d'arbitrage,
de conversion des monnaies, de poids et mesures, et tout cela sans que
jamais aucune réclamation se soit élevée contre les informations qu'il
avait données et contre les jugements qu'il avait rendus. Il est vrai
aussi que la considération personnelle qui l'a suivi dans toute sa
carrière donnait du poids à son intervention dans toutes les affaires
dont il se mêlait, et à tous les arbitrages sur lesquels il avait à
prononcer.

Mais, quelque étendues que soient les connaissances d'un homme, quelque
vaste que soit sa capacité, être un diplomate complet est bien rare; et
cependant M. Reinhart l'aurait peut-être été, s'il eût eu une qualité de
plus; il voyait bien, il entendait bien; la plume à la main, il rendait
admirablement compte de ce qu'il avait vu, de ce qui lui avait été dit;
sa parole écrite était abondante, facile, spirituelle, piquante; aussi,
de toutes les correspondances diplomatiques de mon temps, il n'y en
avait aucune à laquelle l'Empereur Napoléon, qui avait le droit et le
besoin d'être difficile, ne préférât celle du comte Reinhart;--mais ce
même homme qui écrivait à merveille s'exprimait avec difficulté. Pour
accomplir ses actes, son intelligence demandait plus de temps qu'elle
n'en pouvait obtenir dans la conversation. Pour que sa parole interne
pût se reproduire facilement, il fallait qu'il fût seul et sans
intermédiaire.

Malgré cet inconvénient réel, M. Reinhart réussit toujours à faire, et
bien faire, tout ce dont il était chargé. Où donc trouvait-il ses moyens
de réussir, où prenait-il ses inspirations?

Il les prenait, Messieurs, dans un sentiment vrai et profond qui
gouvernait toutes ses actions, dans le sentiment du devoir.--On ne sait
pas assez tout ce qu'il y a de puissance dans ce sentiment. Une vie tout
entière au devoir est bien aisément dégagée d'ambition. La vie de M.
Reinhart était uniquement employée aux fonctions qu'il avait à remplir,
sans que jamais, chez lui, il y eût trace de calcul personnel ni de
prétention à quelque avancement précipité.

Cette religion du devoir, à laquelle M. Reinhart fut fidèle toute sa
vie, consistait en une soumission exacte aux instructions et aux ordres
de ses chefs; dans une vigilance de tous les moments, qui, jointe à
beaucoup de perspicacité, ne les laissait jamais dans l'ignorance de ce
qu'il leur importait de savoir; en une rigoureuse véracité dans tous ses
rapports, qu'ils dussent être agréables ou déplaisants; dans une
discrétion impénétrable, dans une régularité de vie qui appelait la
confiance et l'estime; dans une représentation décente; enfin dans un
soin constant à donner aux actes de son gouvernement la couleur et les
explications que réclamait l'intérêt des affaires qu'il avait à régler.

Quoique l'âge eût marqué pour M. Reinhart le temps du repos, il n'aurait
jamais demandé sa retraite, tant il aurait craint de montrer de la
tiédeur à servir dans une carrière qui avait été celle de toute sa vie.
Il a fallu que la bienveillance royale, toujours si attentive, fût
prévoyante pour lui, et donnât à ce grand serviteur de la France la
situation la plus honorable en l'appelant à la Chambre des Pairs.

M. le comte Reinhart n'a pas joui assez longtemps de cet honneur, et il
est mort presque subitement le 25 décembre 1837.

M. Reinhart s'était marié deux fois. Il a laissé du premier lit un fils
qui est aujourd'hui dans la carrière politique. Au fils d'un tel père,
tout ce qu'on peut souhaiter de mieux, c'est de lui ressembler.


IV

   _Mémorandum adressé par lord Palmerston au gouvernement français,
   et remis à M. Thiers par M. Bulwer au commencement du mois de
   septembre 1840._

    Foreign Office, 31 août 1840.

    Monsieur,

Différentes circonstances m'ont empêché de vous transmettre plus tôt,
et, par votre entremise au gouvernement français, quelques observations
que le gouvernement de Sa Majesté désire faire sur le Mémorandum qui m'a
été remis le 24 juillet par l'Ambassadeur de France à cette Cour, en
réponse au Mémorandum que j'avais remis à Son Excellence le 17 du même
mois; mais actuellement je viens remplir cette tâche.

C'est avec une grande satisfaction que le gouvernement de Sa Majesté a
remarqué le ton amical du Mémorandum français, et les assurances qu'il
contient du vif désir de maintenir la paix et l'équilibre des Puissances
en Europe. Le Mémorandum du 17 juillet a été conçu dans un esprit tout
aussi amical envers la France, et le gouvernement de Sa Majesté est tout
aussi empressé (_anxious_) que la France peut l'être de conserver la
paix de l'Europe et de prévenir le moindre dérangement dans l'équilibre
existant entre les Puissances.

Le gouvernement de Sa Majesté a également vu avec plaisir les
déclarations contenues dans le Mémorandum français, portant que la
France désire agir de concert avec les quatre autres Puissances en ce
qui concerne les affaires du Levant.

Les sentiments du gouvernement de Sa Majesté sont sur ces points à tous
égards semblables à ceux du gouvernement français et y correspondent
entièrement, car, en premier lieu, dans tout le cours des négociations
ouvertes sur cette question pendant plus de douze mois, le désir
empressé du gouvernement britannique a été constamment qu'un concert fût
établi entre les cinq Puissances, et que toutes cinq elles accédassent à
une ligne de conduite commune, et le gouvernement de Sa Majesté, sans
devoir s'en déférer, pour preuve de ce désir, aux différentes
propositions qui ont été faites de temps en temps au gouvernement
français, et auxquelles il est fait allusion dans le Mémorandum de la
France, peut affirmer sans crainte qu'aucune Puissance de l'Europe ne
peut être moins influencée que ne l'est la Grande-Bretagne par des vues
particulières ou par tout désir et espérances d'avantages exclusifs qui
naîtraient, pour elle, de la conclusion des affaires du Levant: bien au
contraire, l'intérêt de la Grande-Bretagne, dans ces affaires,
s'identifie avec celui de l'Europe en général, et se trouve placé dans
le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire ottoman,
comme étant une sécurité pour la conservation de la paix, et un élément
essentiel de l'équilibre général des Puissances.

C'est à ces principes que le gouvernement français a promis son plein
concours, et qu'il l'a offert dans plus d'une circonstance, et
spécialement dans une dépêche du maréchal Soult, en date du 17 juillet
1839; dépêche qui a été communiquée officiellement aux quatre
Puissances; il l'a encore offert dans une note collective du 27 juillet
1839, et dans le discours du Roi des Français aux Chambres, en décembre
1839.

Dans ces documents, le gouvernement français fait connaître sa
détermination de maintenir l'intégrité et l'indépendance de l'Empire
ottoman sous la dynastie actuelle comme un élément essentiel de
l'équilibre des Puissances, comme une sûreté pour la conservation de la
paix, et dans une dépêche du maréchal Soult, il a également assuré que
sa résolution était de repousser par tous ses moyens d'action et
d'influence toute combinaison qui pourrait être hostile au maintien de
cette intégrité et de cette indépendance.

En conséquence, les gouvernements de Grande-Bretagne et de France sont
parfaitement d'accord, quant aux objets vers lesquels leur politique
doit être guidée; la seule différence qui existe entre les deux
gouvernements est une différence d'opinion quant aux moyens qu'ils
jugent les plus propres pour atteindre cette fin commune: point sur
lequel, ainsi que l'observe le Mémorandum français, on peut
naturellement s'attendre à voir se rencontrer différentes opinions.

Sur ce point, il s'est élevé une grande différence d'opinion entre les
deux gouvernements, différence qui semble être devenue plus forte et
plus prononcée à mesure que les deux gouvernements ont plus
complètement expliqué leurs vues respectives, ce qui, pour le moment, a
empêché les deux gouvernements d'agir de concert pour atteindre le but
commun. D'un côté, le gouvernement de Sa Majesté a manifesté, à diverses
reprises, l'opinion qu'il serait impossible de maintenir l'intégrité de
l'Empire turc, et de conserver l'indépendance du trône du Sultan, si
Méhémet-Ali devait être laissé en possession de la Syrie, comme la clef
militaire de la Turquie asiatique, et que si Méhémet-Ali devait
continuer à occuper cette province, outre l'Égypte, il pourrait, en tous
temps, menacer Bagdad du côté du Midi, Diarbekir et Erzeroum du côté de
l'Est, Koniah, Brousse et Constantinople du côté du Nord; que le même
esprit ambitieux qui a poussé Méhémet-Ali en d'autres circonstances à se
révolter contre son Souverain, le porterait bientôt derechef à prendre
les armes pour de nouveaux envahissements, et que, dans ce but, il
conserverait toujours une grande armée sur pied; que le Sultan, d'un
autre côté, devrait être continuellement en garde contre le danger qui
le menacerait, et serait également obligé de rester armé, qu'ainsi le
Sultan et Méhémet-Ali continueraient d'entretenir de fortes armées pour
s'observer l'un l'autre; qu'une collision devrait nécessairement
éclater, par suite de ces continuels soupçons et de ces alarmes
mutuelles; quand même il n'y aurait, d'aucun côté, une agression
préméditée, que toute collision de ce genre devrait nécessairement
conduire à une intervention étrangère dans l'intérieur de l'Empire turc,
et qu'une telle intervention, ainsi provoquée, conduirait aux plus
sérieux dissentiments entre les Puissances de l'Europe.

Le gouvernement de Sa Majesté a signalé comme probable, sinon comme
certain, un danger plus grand que celui-ci, en conséquence de
l'occupation continue de la Syrie par Méhémet-Ali, à savoir que le
Pacha, se fiant sur sa force militaire et fatigué de sa position
politique de sujet, exécuterait une intention qu'il a franchement avouée
aux Puissances d'Europe, qu'il n'abandonnerait jamais, et se déclarerait
lui-même indépendant. Une pareille déclaration de sa part serait
incontestablement le démembrement de l'Empire ottoman, et, ce qui plus
est, ce démembrement pourrait arriver dans des circonstances telles,
qu'elles rendraient plus difficile aux Puissances d'Europe d'agir
ensemble pour forcer le Pacha à rétracter une pareille déclaration,
qu'il ne l'est aujourd'hui de combiner leurs efforts pour le contraindre
à évacuer la Syrie.

Le gouvernement de Sa Majesté a, en conséquence, invariablement prétendu
que toutes les Puissances qui désireraient conserver l'intégrité de
l'Empire turc et maintenir l'indépendance du trône du Sultan, devaient
s'unir pour aider ce dernier à rétablir son autorité directe en Syrie.

Le gouvernement français, d'un autre côté, a avancé que Méhémet-Ali, une
fois assuré de l'occupation permanente de l'Égypte et de la Syrie,
resterait un fidèle sujet, et deviendrait le plus ferme soutien du
Sultan; que le Sultan ne pourrait gouverner si le Pacha n'était en
possession de cette province, dont les ressources militaires et
financières lui seraient alors d'une plus grande utilité que si elles
étaient entre les mains du Sultan lui-même; qu'on peut avoir une
confiance entière dans la sincérité du renoncement de Méhémet-Ali à
toute vue ultérieure d'ambition, et dans ses protestations de dévouement
fidèle à son Souverain; que le Pacha est un vieillard, et qu'à sa mort,
en dépit de tout son héréditaire fait à sa famille, l'ensemble de
puissance qu'il a acquise retournerait au Sultan, parce que toute
possession des pays mahométans, quelle que soit leur constitution, ne
sont réellement autre chose que des possessions à vie.

Le gouvernement français a, en outre, soutenu que Méhémet-Ali ne voudra
jamais librement consentir à évacuer la Syrie, et que les seuls moyens
dont les Puissances d'Europe peuvent user pour le contraindre, seraient,
ou bien des opérations sur mer, ce qui serait insuffisant, ou bien des
opérations sur terre, ce qui serait dangereux; que des opérations sur
mer n'expulseraient pas les Égyptiens de la Syrie et exciteraient
seulement Méhémet-Ali à diriger une attaque sur Constantinople, et que
les mesures auxquelles on pourrait avoir recours, en pareil cas, pour
défendre la capitale, mais bien plus encore toute opération sur terre,
par les troupes des Puissances alliées, pour expulser l'armée de
Méhémet-Ali de la Syrie, deviendraient plus fatale à l'Empire turc que
ne pouvait l'être l'état de choses auquel ces mesures seraient destinées
à remédier.

A ces objections, le gouvernement de Sa Majesté répliqua qu'on ne
pouvait faire aucun fond sur les protestations actuelles de
Méhémet-Ali; que son ambition est insatiable et ne fait que s'accroître
par le succès, et que lui donner la faculté d'envahir et laisser à sa
portée des objets de convoitise, ce serait semer des germes certains de
nouvelles collisions; que la Syrie n'est pas plus éloignée de
Constantinople qu'un grand nombre de provinces bien administrées le
sont, dans d'autres États, de leur capitale, et qu'elle peut être
gouvernée de Constantinople tout aussi bien que d'Alexandrie; qu'il est
impossible que les ressources de cette province puissent être aussi
utiles au Sultan entre les mains d'un chef, qui peut, à tout moment,
tourner ces ressources contre ce dernier, qu'elles le seraient si elles
étaient dans les mains et à la disposition du Sultan lui-même;
qu'Ibrahim ayant une armée sous ses ordres, avait le moyen d'assurer sa
propre succession, lors du décès de Méhémet-Ali, à tout pouvoir dont
celui-ci serait en possession à sa mort; qu'il ne serait pas convenable
que les grandes Puissances conseillassent au Sultan de conclure un
arrangement public avec Méhémet-Ali, avec l'intention secrète et
éventuelle de rompre cet arrangement à la première occasion où cela
pourrait être opportun.

Néanmoins, le gouvernement français maintint son opinion et refusa de
prendre part à l'arrangement qui supposait (_included_) l'emploi de
mesures coërcitives.

Mais le Mémorandum français établit que: Dans les dernières
circonstances, il n'a pas été fait à la France de proposition positive
sur laquelle elle fût appelée à s'expliquer, et que, conséquemment, la
détermination que l'Angleterre lui a communiquée dans le Mémorandum du
17 juillet, sans doute au nom des quatre Puissances, ne devait pas être
imputée à des refus que la France n'avait pas faits.

Ce passage me force à vous rappeler, en peu de mots, le cours général de
la négociation.

La première (_original_) opinion conçue par le gouvernement de Sa
Majesté et dont il fut donné connaissance aux cinq Puissances, la France
comprise, en 1839, était, que les arrangements entre le Sultan et
Méhémet-Ali, qui pourraient assurer un état de paix permanent dans le
Levant, seraient ceux qui borneraient le pouvoir délégué à Méhémet-Ali à
l'Égypte seule, et rétabliraient l'autorité directe du Sultan dans
toute la Syrie, aussi bien à Candie que dans toutes les villes saintes,
en interposant ainsi le désert entre la puissance directe du Sultan et
la province dont l'administration resterait au Pacha. Et le gouvernement
de Sa Majesté proposa qu'en compensation de l'évacuation de la Syrie,
Méhémet-Ali reçût l'assurance que ses descendants mâles lui
succéderaient comme gouverneurs de l'Égypte, sous la souveraineté du
Sultan.

A cette proposition, le gouvernement français fit des objections, en
disant qu'un tel arrangement serait, sans doute, le meilleur, s'il y
avait moyen de le mettre à exécution, mais que Méhémet-Ali résisterait,
et que toute mesure de violence que les alliés pourraient employer pour
le faire céder, produirait des effets qui pourraient être plus dangereux
pour la paix de l'Europe, et pour l'indépendance de la Porte, que ne
pourrait l'être l'état actuel des choses entre le Sultan et Méhémet-Ali.
Mais quoique le gouvernement français refusât ainsi d'accéder au plan de
l'Angleterre, cependant, durant un long espace de temps qui s'écoula
ensuite, il n'eut pas à proposer de plan qui lui fût propre. Cependant,
en septembre 1839, le comte Sébastiani, ambassadeur français à la Cour
de Londres, proposa de tracer une ligne, de l'Est à l'Ouest de la mer, à
peu près de Beyrouth au désert près de Damas, et de déclarer que tout ce
qui serait au midi de cette ligne serait administré par Méhémet-Ali, et
que tout ce qui serait au nord, le serait par l'autorité immédiate du
Sultan; et l'ambassadeur de France donna à entendre au gouvernement de
Sa Majesté que, si un pareil arrangement était admis par les cinq
Puissances, la France s'unirait, en cas de besoin, aux quatre
Puissances, pour l'emploi de mesures coërcitives, ayant pour but de
forcer Méhémet-Ali à s'y soumettre.

Mais je fis remarquer au comte Sébastiani qu'un pareil arrangement
serait sujet, quoiqu'à un moindre degré, à toutes les objections qui
s'appliquent à la position actuelle et relative des deux partis, et que,
par suite, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait y accéder.
J'observai qu'il paraissait inconséquent, de la part de la France, de
vouloir employer, pour forcer Méhémet-Ali à souscrire à un arrangement
qui serait évidemment incomplet et insuffisant pour le but qu'on se
proposait, des mesures coërcitives auxquelles elle se refusait pour le
contraindre à consentir à l'arrangement proposé par Sa Majesté, dont,
aux vœux de la France même, l'exécution atteindrait entièrement le but
proposé.

A ce raisonnement, le comte Sébastiani répliqua que les objections
avancées par le gouvernement français pour employer les mesures
coërcitives contre Méhémet-Ali, étaient fondées sur des considérations
de régime intérieur, et que ces objections seraient écartées si le
gouvernement français était en mesure de prouver, à la nation et aux
Chambres, qu'il avait obtenu pour Méhémet-Ali les meilleures conditions
possibles, et que celui-ci avait refusé d'accepter ces conditions.

Cette insinuation n'ayant pas été admise par le gouvernement de Sa
Majesté, le gouvernement français communiqua le 27 septembre 1839, et
officiellement, son propre plan, qui était que Méhémet-Ali serait fait
gouverneur héréditaire d'Égypte et de toute la Syrie, et gouverneur à
vie de Candie en ne donnant autre chose que l'Arabie et le district
d'Adana.

Le gouvernement français ne dit même pas, au reste, s'il savait que
Méhémet-Ali voulût adhérer à cet arrangement, et il ne déclara pas non
plus que, s'il refusait d'y accéder, la France prendrait des mesures
coërcitives pour l'y contraindre.

Évidemment, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait consentir à ce
plan, qui était susceptible de plus d'objections que l'état de choses
actuel, d'autant plus que donner à Méhémet-Ali un titre légal et
héréditaire au tiers de l'Empire ottoman, qu'il n'occupe maintenant que
par la force, c'eût été tout d'abord introduire un démembrement réel de
l'Empire.

Mais le gouvernement de Sa Majesté pour prouver son désir empressé d'en
venir, sur ces questions, à une entente avec la France, établit qu'il
ferait céder son objection bien fondée à toute extension de pouvoir de
Méhémet-Ali au delà de l'Égypte, et qu'il se joindrait au gouvernement
français pour recommander au Sultan d accorder à Méhémet-Ali, outre le
Pachalik d'Égypte, l'administration de la partie basse de la Syrie,
bornée au Mord par une ligne tirée du cap Carmel à l'extrémité
méridionale du lac de Tibérias, et par une ligne de ce point au golfe
d'Akaba, pourvu que la France voulût s'engager à coopérer avec les
quatre Puissances aux mesures coërcitives, si Méhémet-Ali refusait cette
offre.

Mais cette proposition ne fut pas agréée par le gouvernement français,
qui déclare maintenant ne pouvoir coopérer aux mesures coërcitives, ni
participer à un arrangement auquel Méhémet-Ali ne voudrait pas
consentir.

Pendant le temps que ces discussions avaient lieu avec la France, une
négociation séparée avait lieu entre l'Angleterre et la Russie, dont
tous les détails et les transactions ont été portés à la connaissance de
la France. La négociation avec la France fut suspendue pendant quelque
temps au commencement de cette année: 1º parce qu'on s'attendait à un
changement de ministère, et 2º parce que ce changement eut lieu.

Mais au mois de mai, le baron de Neumann et moi-même, nous résolûmes,
sur l'avis de nos gouvernements respectifs, de faire un dernier effort,
afin d'engager la France à entrer dans le traité à conclure avec les
quatre autres Puissances, et nous soumîmes au gouvernement français, par
l'entremise de M. Guizot, une autre proposition d'arrangement à
intervenir entre le Sultan et Méhémet-Ali. Une objection mise en avant
par le gouvernement français, aux dernières propositions de
l'Angleterre, fut que, bien qu'on voulût donner à Méhémet-Ali la forte
position qui s'étend du Mont Carmel au Mont Thabor, on le priverait de
la forteresse d'Acre.

Pour détruire cette objection, le baron de Neumann et moi, nous
proposâmes que les frontières du Nord de cette partie de la Syrie, qui
serait administrée par le Pacha, s'étendraient depuis le cap Nakhora
jusqu'au dernier point Nord du lac de Tibérias, de manière à renfermer
dans les limites la forteresse d'Acre, et que les frontières de l'Est
s'étendraient le long de la côte Ouest du lac de Tibérias, et ensuite
jusqu'au golfe Akaba; nous déclarâmes que le gouvernement de cette
partie de la Syrie ne pourrait être donné à Méhémet-Ali que sa vie
durant, et que ni l'Angleterre, ni l'Autriche ne pouvait consentir à
accorder l'hérédité à Méhémet-Ali, pour aucune partie de la Syrie. Je
déclarai, de plus, à M. Guizot, que je ne pouvais aller plus loin, en
fait de concessions, dans la vue d'obtenir la coopération de la France,
et que c'était notre dernière proposition. Le baron de Neumann et moi
nous fîmes séparément cette communication à M. Guizot, M. de Neumann
d'abord, et moi le lendemain. M. Guizot me répondit qu'il ferait
connaître cette proposition à son gouvernement, ainsi que les
circonstances que je lui avais exposées, et qu'il me ferait savoir la
réponse, dès qu'il l'aurait reçue. Peu de temps après, les
plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie m'informèrent
qu'ils avaient tout lieu de croire que le gouvernement français, au lieu
de décider cette proposition lui-même, l'avait transmise à Alexandrie,
pour connaître la décision de Méhémet-Ali; que c'était placer les quatre
Puissances qui s'occupaient de cette affaire, non pas en face de la
France, mais en face de Méhémet-Ali; que, sans parler du délai qui en
résultait, c'était ce que leurs Cours respectives n'avaient jamais eu
l'intention de faire, et ce à quoi elles n'avaient non plus l'intention
de consentir, et que le gouvernement français avait ainsi placé les
plénipotentiaires dans une situation fort embarrassante. Je convins avec
eux que leurs objections étaient justes à l'égard de la conduite qu'ils
attribuaient au gouvernement français, mais que M. Guizot ne m'avait
rien dit sur ce que l'on ferait. On avait fait connaître à Méhémet-Ali
que le gouvernement français était, en ce moment, tout occupé de
questions parlementaires, et pouvait naturellement demander quelque
temps pour faire une réponse à nos propositions; qu'il ne pouvait,
d'ailleurs, y avoir un grand mal dans un délai. Vers le 27 juin, M.
Guizot vint chez moi et me lut une lettre qui lui avait été adressée par
M. Thiers, contenant la réponse du gouvernement français à notre
proposition. Cette réponse était un refus formel. M. Thiers disait _que
le gouvernement français savait d'une manière positive que Méhémet-Ali
ne consentirait pas à la division de la Syrie, à moins qu'il n'y fût
forcé; que la France ne pouvait coopérer aux mesures à prendre contre
Méhémet-Ali dans cette circonstance et que, par conséquent, elle ne
pouvait participer à l'arrangement projeté_.

La France ayant refusé d'accéder à l'ultimatum de l'Angleterre, les
plénipotentiaires durent examiner quelle serait la marche à adopter par
leur gouvernement. La position des cinq Puissances était celle-ci:
toutes cinq avaient déclaré être convaincues qu'il était essentiel, dans
des intérêts d'équilibre, et pour préserver la paix de l'Europe, de
conserver l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman sous la
dynastie actuelle; toutes cinq, elles avaient déclaré qu'elles
emploieraient tous leurs moyens d'influence à maintenir cette intégrité
et cette indépendance; mais la France, d'un côté, soutint que le
meilleur moyen pour arriver à ce résultat était d'abandonner le Sultan à
la merci de Méhémet-Ali, et de lui conseiller de se soumettre aux
conditions que Méhémet lui imposerait, afin de conserver la paix _sine
qua non_; tandis que, d'un autre côté, les quatre Puissances regardèrent
une plus longue occupation militaire des provinces du Sultan par
Méhémet-Ali comme devant détruire l'intégrité de l'Empire turc et être
fatales à son indépendance; elles crurent donc qu'il était nécessaire de
renfermer Méhémet-Ali dans une limite plus étroite.

Après environ deux mois de délibérations, la France, non seulement
refusa de consentir au plan proposé par les quatre Puissances, comme un
ultimatum de leur part, mais elle déclara de nouveau qu'elle ne pourrait
s'associer à aucun engagement auquel Méhémet-Ali ne consentirait pas de
son propre mouvement et sans qu'on l'y forçât. Il ne resta donc, aux
quatre grandes Puissances, d'autre alternative que d'adopter le principe
posé par la France, qui consistait dans la soumission entière du Sultan
aux demandes de Méhémet-Ali, ou d'agir d'après leurs principes, qui
consistaient à contraindre Méhémet-Ali à accepter un arrangement
compatible, quant à la forme, avec les droits du Sultan, et, quant au
fond, avec l'intégrité de l'Empire ottoman. Dans la première hypothèse,
on aurait obtenu la coopération de la France; dans la seconde, on devait
s'en passer.

Le vif désir des quatre Puissances d'obtenir la coopération de la France
a été manifesté par les efforts qu'elles ont faits pendant plusieurs
mois de négociations. Elles en connaissaient bien la valeur, non
seulement par rapport à l'objet qu'elles ont actuellement en vue, mais
encore par rapport aux intérêts généraux et permanents de l'Europe. Mais
ce qui leur manquait et ce qu'elles estimaient, c'était la coopération
de la France pour maintenir la paix, pour obtenir la sécurité future de
l'Europe, pour arriver à l'exécution pratique des principes auxquels les
cinq Puissances avaient déclaré vouloir concourir. Elles estimaient la
coopération de la France, non seulement pour elles-mêmes, pour
l'avantage et l'opportunité du moment, mais pour le bien qu'elle devait
procurer et pour les conséquences futures qui devaient en résulter.
Elles désiraient coopérer avec la France pour faire le bien, mais elles
n'étaient pas préparées à coopérer avec elle pour faire le mal.

Croyant donc que la politique conseillée par la France était injuste et
nullement judicieuse envers le Sultan, qu'elle pouvait occasionner des
malheurs en Europe, qu'elle ne se coordonnait pas avec les engagements
publics des cinq Puissances, et qu'elle était incompatible avec les
principes qu'elles avaient mis sagement en avant, les quatre Puissances
sentirent qu'elles ne pouvaient faire le sacrifice qu'on exigeait
d'elles et mettre ce prix à la coopération de la France, si, en effet,
on peut appeler coopération ce qui devait consister à laisser suivre aux
événements leur cours naturel. Ne pouvant donc adopter les vues de la
France, les quatre Puissances se sont déterminées à accomplir leur
mission.

Mais cette détermination n'avait pas été imprévue, et les éventualités
qui devaient s'ensuivre n'avaient pas été cachées à la France. Au
contraire, à diverses reprises, pendant la négociation, et pas plus tard
que le 1er octobre dernier, j'avais déclaré à l'Ambassadeur français que
notre désir de rester unis avec la France devait avoir une limite, que
nous désirions marcher en avant avec la France, mais que nous n'étions
pas disposés à nous arrêter avec elle, et que, si elle ne pouvait
trouver moyen d'entrer en accommodement avec les quatre Puissances, elle
ne pouvait pas être étonnée de voir celles-ci s'entendre entre elles et
agir sans la France.

Le comte Sébastiani me répondit qu'il prévoyait que nous en agirions
ainsi, et qu'il pouvait prédire le résultat; que nous devions tâcher de
terminer nos arrangements sans la participation de la France, et que
nous trouverions que nos moyens étaient insuffisants; que la France
serait spectatrice passive des événements; qu'après une année ou une
année et demie d'efforts inutiles, nous reconnaîtrions que nous nous
étions trompés et que nous nous adresserions alors à la France, et que
cette Puissance coopérerait à arranger ces affaires aussi amicalement
après que nous aurions échoué, qu'elle l'aurait fait avant notre
tentative, et qu'alors elle nous persuaderait probablement d'accéder à
des choses auxquelles nous refusions de consentir pour le moment.

De semblables significations furent également faites à M. Guizot,
relativement à la ligne que suivraient probablement les quatre
Puissances, si elles ne réussissaient pas à en venir à un arrangement
avec la France. C'est pourquoi le gouvernement français ayant refusé
l'ultimatum des quatre Puissances, et ayant, en le refusant, posé de
nouveau un principe de conduite qu'il savait ne pouvoir être adopté par
les quatre Puissances, principe qui consistait, notamment, en ce qu'il
ne pourrait se faire aucun règlement de difficultés entre le Sultan et
son sujet, si ce n'est aux conditions que le sujet ne pourrait accepter
spontanément, ou, en d'autres termes, dicter, le gouvernement français
dut s'être préparé à voir les quatre Puissances déterminées à agir sans
la France, et les quatre Puissances ainsi déterminées ne pouvaient être
représentées comme se séparant elles-mêmes de la France, ou comme
excluant la France de l'arrangement d'une guerre européenne. Ce fut au
contraire la France qui se sépara des quatre Puissances, car ce fut la
France qui se posa pour elle-même un principe d'action qui rendit
impossible sa coopération avec les autres Puissances.

Et ici, sans chercher à m'étendre sur des observations de controverse
relativement au passé, je trouve tout à fait nécessaire de remarquer que
cette séparation volontaire de la France n'était pas purement produite
par le cours des négociations à Londres, mais que, à moins que le
gouvernement de Sa Majesté n'eût été étrangement induit en erreur, elle
avait encore eu lieu d'une manière plus décidée dans le cours des
négociations à Constantinople. Les cinq Puissances ont déclaré au
Sultan, par la note collective qui a été remise à la Porte, le 27
juillet 1839, par leurs représentants à Constantinople, que leur union
était assurée, et ceux-ci lui avaient demandé de s'abstenir de toute
négociation directe avec Méhémet-Ali, et de ne faire aucun arrangement
avec le Pacha sans le concours des cinq Puissances. Mais cependant, le
gouvernement de Sa Majesté a de bonnes raisons de croire que, depuis
quelques mois, le représentant français à Constantinople a isolé la
France d'une manière tranchée des quatre autres Puissances, et a pressé
vivement et à plusieurs reprises la Porte de négocier directement avec
Méhémet-Ali, et de conclure un arrangement avec le Pacha, non seulement
sans le concours des quatre grandes Puissances, mais encore sous la
seule médiation de la France, et conformément aux vues particulières du
gouvernement français.

En ce qui concerne la ligne de conduite suivie par la Grande-Bretagne,
le gouvernement français doit reconnaître que les vues et les opinions
du gouvernement de Sa Majesté n'ont jamais varié depuis le commencement
de ces négociations, excepté en ce que le gouvernement de Sa Majesté a
offert de modifier ses vues dans l'intention d'obtenir la coopération de
la France. Ces vues ont été de tous temps exprimées franchement au
gouvernement français et ont été constamment appuyées de la manière la
plus pressante par des arguments qui paraissaient concluants au
gouvernement de Sa Majesté. Dès les premiers pas de la négociation, des
déclarations de principe, faites par le gouvernement français, portèrent
le gouvernement de Sa Majesté à croire que les deux gouvernements ne
pourraient qu'accéder au moyen de mettre à exécution leurs principes
communs. Si les intentions du gouvernement français sur les moyens
d'exécution différaient, même dès le commencement des négociations, la
France n'a certainement pas le droit de qualifier la dissidence
inattendue entre la France et l'Angleterre, celle que le gouvernement
français reconnaît avoir existé depuis longtemps. Si les intentions du
gouvernement français sur les moyens d'exécution ont subi un changement
depuis l'ouverture des négociations, la France n'a certainement pas le
droit d'imputer à la Grande-Bretagne une divergence de politique qui
provient d'un changement de la part de la France, et nullement de
l'Angleterre.

Mais, de toutes manières, quand, de cinq Puissances, quatre se sont
trouvées d'accord sur une ligne de conduite, et que la cinquième a
résolu de poursuivre une politique entièrement différente, il ne serait
pas raisonnable d'exiger que les quatre abandonnassent, par déférence
pour la cinquième, les opinions dans lesquelles elles se confirment de
jour en jour davantage, et qui ont trait à une question d'une importance
vitale pour les intérêts majeurs et futurs de l'Europe.

Mais comme la France continue à s'en tenir aux principes généraux dont
elle a fait déclaration au commencement et qu'elle continue à considérer
le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire turc comme
nécessaire, pour la conservation de l'équilibre des Puissances; comme la
France n'a jamais méconnu que l'arrangement que les quatre Puissances
ont l'intention d'amener entre le Sultan et le Pacha fût, s'il pouvait
être exécuté, le meilleur; et comme les objections de la France
s'appliquent, non sur la fin qu'on se propose, mais sur les moyens par
lesquels on doit arriver à cette fin, son opinion étant que cette fin
est bonne, mais que les moyens sont insuffisants et dangereux, le
gouvernement de Sa Majesté a la confiance que l'isolement de la France,
isolement que le gouvernement de Sa Majesté regrette on ne peut plus
vivement, ne peut pas être de longue durée.

Car, lorsque les quatre Puissances réunies au Sultan seront parvenues à
amener un pareil arrangement entre la Porte et ses sujets, il ne restera
plus aucun point de dissidence entre la France et ses alliés, et il ne
peut rien y avoir qui puisse empêcher la France de concevoir, avec les
autres Puissances, tels autres engagements pour l'avenir qui puissent
paraître nécessaires pour donner une stabilité convenable aux bons
effets de l'intervention des quatre Puissances en faveur du Sultan, et
pour préserver l'Empire ottoman de tout retour de danger.

Le gouvernement de Sa Majesté attend avec impatience le moment où la
France sera en position de reprendre sa place dans l'union des
Puissances, et espère que ce moment sera hâté, pour l'entier
développement de l'influence morale de la France. Quoique le
gouvernement français ait, pour des raisons qui lui sont propres, refusé
de prendre part aux mesures de coërcition contre Méhémet-Ali,
certainement ce gouvernement ne peut rien objecter à l'emploi de ces
moyens de persuasion, pour porter le Pacha à se soumettre aux
arrangements qui doivent lui être proposés, et il est évident que plus
d'un argument peut être mis en avant, et que plus d'une considération de
prudence peut être appuyée auprès du Pacha, avec plus d'efficacité, par
la France, comme Puissance neutre ne prenant aucune part à ces affaires,
que par les quatre Puissances qui sont activement engagées à l'exécution
des mesures de contrainte.

Quoi qu'il en soit, le gouvernement de Sa Majesté a la confiance que
l'Europe reconnaîtra la moralité du projet qui a été mis en avant par
les quatre Puissances, car leur but est désintéresse et juste; elles ne
cherchent pas à recueillir quelques avantages particuliers; elles ne
cherchent à établir aucune influence exclusive, ni à faire aucune
acquisition de territoire, et le but auquel elles tendent doit être
aussi profitable à la France qu'à elles-mêmes, parce que la France,
ainsi qu'elles-mêmes, est intéressée au maintien de l'équilibre des
Puissances, et à la conservation de la paix générale.

Vous transmettrez officiellement à M. Thiers une copie de cette dépêche.

    Je suis, etc.

    _Signé_: PALMERSTON.

   (Ce document est reproduit d'après le _Journal des Débats_ du 2
   octobre 1840.)


V

_Manifeste à la nation espagnole._

    Espagnols!

En m'éloignant du sol espagnol, en un jour, pour moi, plein de deuil et
d'amertume, mes yeux baignés de larmes se tournèrent vers le Ciel, pour
supplier le Dieu des miséricordes de répandre sur vous sa grâce et ses
bénédictions.

Arrivée sur une terre étrangère, le premier besoin de mon âme, le
premier mouvement de mon cœur, a été d'élever une voix amie, cette voix
que je vous ai toujours fait entendre avec un sentiment d'ineffable
tendresse, aussi bien dans la bonne que dans la mauvaise fortune.

Seule, abandonnée, en proie à la plus profonde douleur, mon unique
consolation dans cette grande infortune, est de m'ouvrir à Dieu et à
vous, à mon père et à mes enfants.

Ne craignez pas que je me laisse aller à des plaintes et à des
récriminations stériles; que, pour mettre en lumière ma conduite comme
Régente du Royaume, j'en vienne à exciter vos passions. Non, j'ai tout
fait pour les calmer, et je voudrais les voir éteintes. Un langage
mesuré est le seul qui convienne à mon affection, à ma dignité et à ma
gloire.

Quand je quittai ma patrie pour en chercher une autre dans les cœurs
espagnols, la renommée avait porté jusqu'à moi l'histoire de vos
grandes actions et de vos grandes qualités. Je savais que dans tous les
temps, vous vous étiez élancés au combat avec la plus noble et la plus
généreuse ardeur, pour défendre le trône de vos Souverains; que vous
l'aviez défendu au prix de votre sang, et que, dans des jours de
glorieuse mémoire, vous aviez bien mérité de votre patrie et de
l'Europe. Je jurai alors de me consacrer au bonheur d'une nation qui
avait versé son sang pour briser la captivité de ses Rois. Le
Tout-Puissant entendit mon serment. Vos témoignages d'allégresse me
prouvèrent que vous l'aviez pressenti. J'ai la conscience de l'avoir
tenu.

Quand votre Roi, au bord du tombeau, remit de sa main défaillante les
rênes de l'État dans mes mains, mes yeux se dirigèrent alternativement
vers mon époux, vers le berceau de ma fille, et vers la nation
espagnole, confondant ainsi en un seul ces trois objets de mon amour,
afin de les recommander à la protection du Ciel dans une même prière.
Mes douloureuses épreuves, comme mère et comme épouse, tandis que
restaient en péril la vie de mon époux et le trône de ma fille, ne
parvinrent pas me distraire de mes devoirs de Reine. A ma voix,
s'ouvrirent les Universités; à ma voix disparurent des abus invétérés et
commencèrent à se formuler des réformes utiles et sagement méditées; à
ma voix, enfin, retrouvèrent des foyers, ceux qui, vainement, en avaient
cherché, proscrits et errants sur les terres étrangères. Votre joyeux
enthousiasme pour ces actes solennels de justice et de clémence ne put
être comparé qu'à l'étendue de la douleur, qu'à la grandeur des
amertumes auxquelles je restai livrée. J'avais réservé, pour moi, toutes
les tristesses, pour vous, Espagnols, toutes les joies.

Plus tard, lorsque Dieu eut appelé à lui mon auguste époux, qui me
laissait le gouvernement de toute la Monarchie, je travaillai à régir
l'État en Reine Régente (_justiciera_) et clémente. Dans la courte
période écoulée depuis mon élévation au pouvoir, jusqu'à la convocation
des premières Cortès, ma puissance fut une, mais non despotique,
absolue, mais non arbitraire, car ma volonté y posa des bornes. Lorsque
des personnes élevées en dignité, et le Conseil de gouvernement que,
selon la dernière volonté de mon auguste époux, je devais consulter dans
les occurrences graves, me représentèrent que l'opinion publique
exigeait de moi d'autres garanties, comme dépositaire du pouvoir
souverain, je les donnai; et de ma volonté libre et spontanée je
convoquai les Proceres de la nation, et les Procuradores du Royaume.

J'octroyai le Statut Royal, et je ne l'ai pas enfreint; si d'autres
l'ont foulé aux pieds, c'est à eux que la responsabilité en
appartiendra, devant Dieu qui a voulu que les lois fussent saintes.

La Constitution de 1837 ayant été acceptée et jurée par moi, j'ai fait,
pour n'y pas porter atteinte, le dernier et le plus grand de tous les
sacrifices: j'ai déposé le sceptre, et j'ai dû abandonner mes filles.

En rapportant les faits qui ont attiré sur moi de si cruelles
tribulations, je vous parlerai, comme le veut ma dignité, avec retenue
et avec mesure.

Servie par des Ministres responsables, qui avaient l'appui des Cortès,
j'acceptai leur démission, impérieusement exigée par une émeute à
Barcelone. Dès lors, commença une crise qui n'a trouvé de terme que dans
la renonciation que j'ai signée à Valence. Durant cette déplorable
période, la municipalité de Madrid s'est mise en rébellion contre mon
autorité, et les municipalités d'autres villes considérables avaient
suivi son exemple. Les révoltés exigeaient que je condamnasse la
conduite de Ministres qui m'avaient loyalement servie; que je reconnusse
la révolte comme légitime; que j'annulasse, ou au moins que je
suspendisse la _loi des municipalités_, sanctionnée par moi après avoir
été votée par les Cortès; que je misse en question l'unité de la
Régence.

Je ne pouvais accepter la première de ces conditions sans me dégrader à
mes yeux; je ne pouvais accéder à la seconde sans reconnaître le droit
de la force, droit que ne reconnaissent ni les loi divines ni les lois
humaines, dont l'existence est incompatible avec la Constitution, comme
elle est incompatible avec toutes les Constitutions; je ne pouvais
accepter la troisième sans enfreindre la Constitution, qui appelle loi
tout ce que votent les Cortès et que sanctionne le Chef suprême de
l'État, et qui place hors du domaine de l'autorité royale, une loi
sanctionnée; je ne pouvais accepter la quatrième sans accepter mon
ignominie, sans me condamner moi-même et énerver le pouvoir que le Roi
m'avait légué, que, depuis, confirmèrent les Cortès constituantes, et
qui était conservé par moi comme un dépôt sacré que j'avais juré de ne
pas livrer aux mains des factieux.

Ma constance à résister à ce que ne me permettaient d'accepter, ni mes
devoirs, ni mes serments, ni les plus chers intérêts de la Monarchie, a
accumulé sur cette femme sans défense, dont la voix s'adresse
aujourd'hui à vous, une telle suite de douloureuses et pénibles
épreuves, qu'elle ne pourrait être exprimée dans aucun langage humain.
Vous ne l'aurez pas oublié, Espagnols, j'ai porté mon infortune de cité
en cité, recueillant partout l'insulte et l'affront, car Dieu, par un de
ces décrets qui sont pour l'homme un mystère, avait permis à l'iniquité
et à l'ingratitude de prévaloir. C'est pour cela, sans doute, que le
petit nombre de ceux qui me haïssaient, s'étaient enhardis jusqu'à
m'outrager, et que le grand nombre de ceux qui m'aimaient avaient faibli
de cœur jusqu'au point de ne m'offrir, en témoignage de leur affection,
qu'une compassion silencieuse. Il en fut qui m'offrirent leur épée; mais
je n'acceptai pas leur offre, aimant mieux être seule martyre que de me
voir condamnée un jour à lire un nouveau martyrologe de la loyauté
espagnole. Je pouvais allumer la guerre civile; mais la guerre civile ne
devait pas être suscitée par moi qui venais de vous donner une paix
telle que la souhaitait mon cœur, paix cimentée dans l'oubli du passé.
Mes yeux maternels se détournèrent donc d'une pensée si horrible; je me
dis à moi-même que, lorsque les enfants sont ingrats, une mère doit
souffrir jusqu'à la mort, mais qu'elle ne doit pas provoquer la guerre
entre eux.

Les jours s'écoulèrent dans une si affreuse situation; je vis mon
sceptre réduit à n'être plus qu'un roseau inutile, et mon diadème changé
en une couronne d'épines; mes forces s'épuisèrent enfin;... je déposai
ce sceptre, je détachai cette couronne pour respirer un air libre,
victime malheureuse, mais le front calme, la conscience tranquille et
sans un remords dans l'âme.

Espagnols, telle a été ma conduite. En vous la présentant pour qu'elle
ne puisse être souillée par la calomnie, j'ai accompli le dernier de mes
devoirs. Celle qui fut votre Reine ne vous demande plus rien, si ce
n'est d'aimer ses filles et d'honorer sa mémoire.

    Marseille, le 8 novembre 1840.

    _Signé_: MARIE-CHRISTINE.



INDEX BIOGRAPHIQUE

   (Les noms suivis d'un astérisque sont ceux qui ont été déjà
   donnés, avec plus de détails, dans l'Index biographique du tome
   I.)


  A

  ABD-EL-KADER, 1807-1853. Célèbre Émir arabe qui soutint en
    Algérie, pendant quinze ans, une lutte acharnée contre les
    Français; il fut enfin fait prisonnier en 1847 par le général
    Lamoricière, embarqué pour la France et interné à Pau, puis à
    Amboise. Napoléon III le rendit à la liberté et il fut dès lors
    ami de la France. Il mourut en Syrie où il s'était retiré.

  ACERENZA (la duchesse D'), 1783-1876. Jeanne, princesse de
    Courlande, épousa en 1801 François Pignatelli de Belmonte, duc
    d'Acerenza. Elle était la troisième fille du duc Pierre de
    Courlande et sœur de la duchesse de Talleyrand.

  ACTON (lady). Elle était la fille du duc de Dalberg et avait
    épousé en premières noces lord Acton. En deuxièmes noces, elle
    épousa Mr Georges Leveson, plus tard lord Granville.

  ADÉLAÏDE (Mme)*, 1777-1847. Sœur du roi Louis-Philippe, sur
    lequel elle exerçait une grande influence.

  ADOLPHE DE NASSAU, 1250-1298. Il fut élu empereur d'Allemagne en
    1292 à la mort de Rodolphe de Habsbourg, à l'exclusion d'Albert,
    fils de ce Prince. L'Allemagne se révolta contre lui, et il fut
    vaincu et tué par son compétiteur Albert d'Autriche, à la
    bataille de Gœllheim.

  AFFRE (Denis-Auguste), 1793-1848. Archevêque de Paris depuis 1840.
    Le 25 juin 1848, Mgr Affre se rendit aux barricades du faubourg
    Saint-Antoine, et y fut atteint d'une balle au moment où il
    suppliait les insurgés de se rendre. Il mourut deux jours plus
    tard des suites de cette blessure.

  AGNÈS SOREL, 1409-1450. Dame d'honneur d'Isabelle de Lorraine,
    Agnès Sorel fut remarquée par Charles VII et devint sa favorite.
    Il lui donna un château à Loches, le comté de Penthièvre, les
    seigneuries de Roquessière, d'Issoudun, de Vernon-sur-Seine,
    enfin le château de Beauté dans le bois de Vincennes, d'où elle
    prit le nom de Dame de Beauté.

  ALAVA (don Ricardo DE)*, 1780-1843. Officier et diplomate
    espagnol.

  ALBUFÉRA (la duchesse D'), 1791-1884. Fille du baron de
    Saint-Joseph, elle épousa en 1808 le maréchal Suchet, duc
    d'Albuféra, dont elle devint veuve en 1826.

  ALDBOROUGH (lady)*, Cornélie, fille de Charles Sandy.

  ALFIERI (le comte Victor)*, 1749-1803. Poète tragique italien. Il
    épousa secrètement la comtesse d'Albany.

  ALIBAUD, 1810-1836. Régicide qui attenta à la vie du roi
    Louis-Philippe dans la soirée du 25 juin 1836, et qui fut
    exécuté le 11 juillet suivant.

  ALTENSTEIN (le baron Charles D'), 1770-1840. Homme d'État
    prussien; il fut, de 1808 à 1810, ministre des Finances, et
    devint, plus tard, sous le roi Frédéric-Guillaume III, ministre
    des Cultes et de l'Instruction publique,

  ALTON-SHÉE DE LIGNIÈRES (le comte Édouard D'), 1810-1874. Pair de
    France en 1836. D'abord très attaché à la monarchie
    constitutionnelle de Juillet, il changea tout à coup sous
    l'influence des idées de 1848 et prit part aux manifestations du
    parti avancé. Pendant le Second Empire, il vécut loin de la
    politique.

  ALVANLEY (lord)*, 1787-1849. Homme du monde et officier anglais,
    connu pour son esprit.

  ANCILLON (Jean-Pierre-Frédéric), 1766-1837. D'origine suisse, il
    fut ministre de l'Église réformée à Berlin et professeur à
    l'Académie militaire. En 1806, Frédéric-Guillaume III l'appela à
    faire l'éducation du Prince Royal, (plus tard Frédéric-Guillaume
    IV). Admis à la Cour, Ancillon y joua, jusqu'à sa mort, un
    certain rôle. M. Ancillon se maria trois fois: 1º en 1792, à
    Marie-Henriette Baudouin, qui mourut en 1823; 2º en 1824, à
    Louise Molière, qui mourut en 1826; 3º en 1836, à Flore
    Tranouille d'Harley et de Verquignieulle, d'une ancienne famille
    de Belgique.

  ANDRAL (Mme), Fille de M. Royer-Collard; elle avait épousé le
    célèbre docteur Andral.

  ANGLONA (le prince D'), 1817-1871; fils du général de l'armée
    espagnole; il épousa en 1837 la fille du duc de Frias et devint
    duc d'Uceda, titre qui appartenait à la famille de sa femme.

  ANGOULÊME (le duc D'), 1777-1844. Appelé aussi M. le Dauphin,
    depuis que son père, le roi Charles X, était monté sur le trône
    en 1824. Il avait épousé en 1799, à Mitau, sa cousine,
    Marie-Thérèse-Charlotte, fille unique du roi Louis XVI.
    Généralissime de l'armée française envoyée en Espagne en 1823,
    il prit le fort du Trocadéro et signala sa modération par
    l'Ordonnance d'Andujar. Il mourut en exil à Goritz, sans avoir
    jamais eu d'enfants de son mariage.

  ANGOULÊME (la duchesse D'), 1779-1851. Marie-Thérèse-Charlotte de
    France, fille unique du roi Louis XVI et de Marie-Antoinette.
    Elle reçut à sa naissance le titre de Madame Royale; elle
    partagea la captivité de sa famille, et en 1795, le Directoire
    consentit à l'échanger contre les commissaires que rendit
    l'Autriche. Elle épousa son cousin, le duc d'Angoulême, et
    rentra à Paris avec lui en 1815. Exilée de nouveau en 1830, elle
    ne revit plus la France et mourut à Frohsdorf.

  ANNE D'AUTRICHE*, 1602-1661. Reine de France et Régente pendant la
    minorité de Louis XIV.

  ANNE DE BRETAGNE, 1476-1514. Reine de France. Fille de François II
    de Bretagne, elle épousa successivement Charles VIII et Louis
    XII et apporta à la Couronne le duché de Bretagne dont elle
    était l'héritière.

  APPONYI (le comte Antoine), 1782-1852. Diplomate autrichien, il
    fut d'abord Envoyé extraordinaire à la cour de Toscane, puis
    ambassadeur à Rome jusqu'en 1825. Plus tard, il fut ambassadeur
    à Londres, puis à Paris où il resta jusqu'en 1848. Il avait
    épousé, en 1808, Thérèse, fille du comte Nogarola de Vérone.

  ARGOUT (le comte D'), 1782-1858. Homme politique et financier
    français, il devint conseiller d'État en 1817, puis pair de
    France. A partir de 1830, il fit partie de plusieurs ministères,
    et garda le poste de gouverneur de la Banque de France jusqu'à
    sa mort.

  ARNAULD D'ANDILLY, 1589-1674. Après avoir longtemps vécu à la
    Cour, il se retira en 1644 à Port-Royal des Champs; il écrivit,
    dans cette retraite, des traductions des _Confessions_ de saint
    Augustin, des _Mémoires_, etc. Son fils fut le marquis de
    Pomponne, ministre des Affaires étrangères, et sa fille la mère
    Angélique de Saint-Jean, abbesse de Port-Royal.

  ARNAULD (Antoine), 1612-1694. Théologien et philosophe; il avait
    d'abord suivi la carrière du barreau, puis fut attiré par le
    rigide christianisme des Jansénistes, et il devint le théologien
    militant de Port-Royal. Il composa, avec Nicole, la _Logique_ de
    Port-Royal, et avec Lancelot, la _Grammaire_. Il était le frère
    d'Arnauld d'Andilly.

  ARNAULD (la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine), 1591-1661.
    Sœur d'Arnauld d'Andilly et d'A. Arnauld, elle fut abbesse de
    Port-Royal des Champs dès l'âge de quatorze ans. Elle y rétablit
    la réforme et l'esprit de Cîteaux.

  ARNAULD (la mère Angélique de Saint-Jean), 1624-1684. Elle était
    fille d'Arnauld d'Andilly. Elle fut abbesse de Port-Royal, comme
    sa tante, la mère Angélique de Sainte-Madeleine, et elle eut une
    grande part au _Nécrologe_ de Port-Royal; elle écrivit aussi des
    _Relations_, des _Réflexions_, etc.

  ARNIM (le baron D'), 1789-1861. Diplomate prussien. Il fut envoyé
    en 1836 à Bruxelles et de 1840 à 1848 à Paris. Après avoir été
    un moment ministre des Affaires étrangères à Berlin, en 1848, il
    se retira bientôt des affaires.

  ARSOLI (don Camille, prince Massimo et D'), 1803-1873. Il fut
    grand maître des Postes pontificales. En 1827, il épousa
    Marie-Gabrielle de Villefranche-Carignan, et, devenu veuf, il se
    remaria avec la comtesse Hyacinthe de la Porta Rodiani.

  ARSOLI (la princesse D'), 1811-1837. Marie-Gabrielle de
    Villefranche, fille d'un mariage du baron de Villefranche avec
    Mlle de la Vauguyon.

  ATHALIN (le baron Louis-Marie), 1784-1856. Général du génie en
    France; il fit avec distinction les campagnes de l'Empire, et
    devint sous la Restauration, aide de camp du duc d'Orléans; sous
    la monarchie de Juillet, il remplit diverses missions
    diplomatiques, et devint pair de France en 1840. Il rentra dans
    la vie privée, après 1848.

  AUBUSSON (le comte Pierre D'), 1793-1842, Colonel d'infanterie. Il
    épousa en 1823, Mlle Rouillé du Boissy du Coudray, et mourut,
    fou, en 1842.

  AUBUSSON (Mlle Noémi D'). Née en 1826, elle était la fille du
    comte Pierre d'Aubusson. Elle épousa en 1842 le prince Gontran
    de Bauffremont.

  AUGUSTE D'ANGLETERRE (la princesse)*, 1797-1809. Duchesse de
    Cambridge, elle était fille du landgrave Frédéric de
    Hesse-Cassel.

  AUMALE (Henri d'Orléans, duc D'), 1822-1897; quatrième fils du roi
    Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie, il se distingua par
    de brillants services militaires en Algérie. Il quitta la France
    en 1848, y rentra après 1871. De nouveau exilé, il ne revint
    qu'en 1889. Son talent d'historien le fit entrer à l'Académie
    française. Il légua à l'Institut de France son beau domaine de
    Chantilly.

  AUSTIN (Sarah), 1793-1867. Femme de lettres anglaise qui traduisit
    en anglais beaucoup de livres allemands, et composa des ouvrages
    de morale et d'éducation.


  B

  BADE (le grand-duc Léopold DE), 1790-1858; succéda en 1830 à son
    frère Louis. Il épousa la princesse Sophie, fille de Gustave IV
    Adolphe, roi de Suède.

  BADE (la grande-duchesse Stéphanie DE), 1789-1860. Fille de Claude
    de Beauharnais, chambellan de l'impératrice Marie-Louise, elle
    avait épousé, en 1806, le grand-duc Charles-Louis-Frédéric de
    Bade, qui mourut en 1818.

  BADE (la princesse Marie DE), 1817-1887. Fille du grand-duc
    Charles-Louis de Bade et de Stéphanie de Beauharnais. Elle
    épousa, en 1842, le duc de Hamilton, dont elle devint veuve en
    1863.

  BAGRATION (la princesse), 1783-1857. Catherine Skavronska épousa
    en 1800 le prince Pierre Bagration, qui fut tué à Borodino, en
    1812. En 1830, la princesse épousa le colonel anglais sir John
    Hobart Caradoc, baron Howden. La princesse Bagration fut une
    amie du prince de Metternich.

  BALBI (la comtesse DE), 1753-1839. Fille du marquis de Caumont-La
    Force, elle avait épousé le comte de Balbi et devint dame
    d'honneur de Mme la comtesse de Provence. Le comte de Provence
    (plus tard Louis XVIII) l'honora de son amitié. La comtesse de
    Balbi réunissait tous les charmes de la beauté et de l'esprit.

  BALLANCHE (Pierre-Simon), 1776-1846. Penseur mystique qui, après
    avoir dirigé quelque temps, à Lyon, un vaste établissement de
    librairie et d'imprimerie, héritage de sa famille, vint
    s'établir à Paris où il se lia avec Mme de Staël, Chateaubriand,
    Joubert, etc. Il devint membre de l'Académie française en 1844.

  BALZAC (Honoré DE), 1799-1850. L'un des plus féconds et des plus
    remarquables romanciers contemporains, excellant surtout dans la
    peinture profonde des passions humaines.

  BARANTE (le baron Prosper DE), 1782-1866. Il fut successivement
    auditeur au Conseil d'État, chargé de missions diplomatiques,
    préfet de la Vendée, de la Loire-Inférieure, puis député, pair
    de France et ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Comme écrivain et
    historien, il obtint les plus grands succès et son _Histoire des
    ducs de Bourgogne_ lui ouvrit les portes de l'Académie
    française.

  BARANTE (la baronne DE), née d'Houdetot. D'origine créole, elle
    était renommée pour sa beauté.

  BENDEMANN (Édouard), 1811-1889. Peintre allemand qui acquit de
    bonne heure une brillante renommée. Professeur à l'Académie des
    Beaux-Arts de Dresde, il décora de fresques la salle du Trône du
    Château Royal de cette ville. En 1860, il succéda, dans la
    direction de l'Académie de Düsseldorf, à Schadow dont il avait
    épousé la fille.

  BARBET DE JOUY (Joseph-Henri), 1812-1896. Conservateur au Musée du
    Louvre et membre de l'Académie des Beaux-Arts.

  BARROT (Odilon)*, 1791-1873, Homme politique français.

  BARTHE (Félix)*, 1795-1863. Magistrat et homme d'État français.

  BASTIDE (Jules), 1800-1879. Libéral ardent, affilié aux carbonari,
    J. Bastide fit une guerre acharnée à Charles X. Sous
    Louis-Philippe, il fut commandant dans la Garde nationale, fut
    compromis et condamné à mort, pour sa participation à l'émeute
    des funérailles du général Lamarque; il s'échappa, se réfugia à
    Londres, revint plus tard en France et prit la direction du
    _National_ après la mort d'Armand Carrel. En 1848, il fut député
    et un moment ministre des Affaires étrangères. Sous l'Empire, il
    se tint à l'écart de la politique.

  BATHURST (lady Georgina), épouse de lord Henry Bathurst, un des
    membres les plus éminents du parti tory.

  BATTHYANY (la comtesse)*, 1798-1840. Née baronne d'Ahrenfeldt.

  BAUDRAND (le général comte)*, 1774-1848. Aide de camp du duc
    d'Orléans.

  BAUDRAND (Mme). La grande modiste à la mode à Paris en 1836.

  BAUFFREMONT (la duchesse DE), née en 1771. Fille du duc de la
    Vauguyon, elle épousa en 1787 Alexandre, duc de Bauffremont.
    Elle était très liée avec le prince de Talleyrand.

  BAUFFREMONT (la princesse DE), 1802-1860. Laurence, fille du duc
    de Montmorency, elle épousa en 1819 le prince Théodore de
    Bauffremont. Elle était la sœur aînée de la duchesse de
    Valençay.

  BAUFFREMONT (le prince Gontran DE). Né en 1822, il épousa, en
    1842, Mlle d'Aubusson de la Feuillade.

  BAUSSET (le cardinal de), 1748-1824. Evêque d'Alais. Il fut fait
    Pair à la Restauration et reçut le chapeau de Cardinal en 1817.
    L'année précédente, il était entré à l'Académie française. Il a
    laissé une _Histoire de Fénelon_ et une _Histoire de Bossuet_.

  BAUTAIN (l'abbé), 1796-1867. Élève de l'École normale où il eut
    comme maître M. Cousin, il fut nommé en 1816 professeur de
    philosophie au collège de Strasbourg. Il entra dans les ordres
    en 1828. En 1849, Mgr Sibour, archevêque de Paris, le nomma son
    vicaire général. L'abbé Bautain a cultivé presque toutes les
    branches des connaissances humaines.

  BAVIÈRE (la reine douairière DE), 1770-1841. La princesse Caroline
    de Bade, fille de Charles-Louis, prince héréditaire de Bade,
    épousa, en 1797, le roi Maximilien de Bavière dont elle devint
    veuve en 1825.

  BAVIÈRE (le roi Louis Ier DE), 1786-1868, monta sur le trône de
    Bavière en 1825, à la mort de son père Maximilien Ier. Le roi
    Louis abdiqua en 1848, après avoir fait de Munich l'Athènes de
    l'Allemagne.

  BAVIÈRE (la reine Thérèse DE), 1792-1854; fille du duc Frédéric de
    Saxe-Hildburghausen (plus tard Saxe-Altenburg),

  BAVIÈRE (le prince royal DE), 1811-1864; Maximilien II, fils du
    roi Louis Ier auquel il succéda en 1848. En 1842, il épousa la
    princesse Marie de Prusse.

  BEAUVAU (le prince Marc DE), 1816-1883; épousa en premières noces,
    en 1840, Mlle Marie d'Aubusson de La Feuillade, et en secondes
    noces, Mlle Adèle de Gontaut-Biron.

  BECKETT (saint Thomas), 1117-1170, Archevêque de Canterbury,
    assassiné au pied des autels par des courtisans de Henri II, roi
    d'Angleterre. Le pape Alexandre III le canonisa comme martyr.

  BEGAS (Charles-Joseph), 1794-1854. Peintre allemand, élève de
    Gros, chez qui il étudia à Paris. En 1822, il alla en Italie; en
    1825, il se fixa à Berlin où il devint peintre du roi de Prusse,
    professeur et membre de l'Académie des Beaux-Arts.

  BELGES (le roi des)*, Léopold Ier, 1790-1865.

  BELGES (la reine des), Louise, princesse d'Orléans, 1812-1850,
    seconde femme de Léopold Ier de Belgique, et fille de
    Louis-Philippe,

  BELGIOJOSO (la princesse), 1808-1868. Christine Trivulzio épousa
    en 1824 le prince Barbiano Belgiojoso. Ne pouvant souffrir les
    Autrichiens, elle quitta Milan et s'établit à Paris en 1831, où
    elle se fit remarquer par sa beauté, son esprit et ses allures
    étranges. La princesse Belgiojoso publia en 1846, sous un
    anonyme assez transparent, un ouvrage en quatre volumes, ayant
    pour titre: _Essai sur la formation du dogme catholique_, qui
    fut fort discuté. Quand le Piémont déclara la guerre à
    l'Autriche en 1848, la Princesse accourut à Milan et y équipa et
    paya un bataillon. Exilée après la paix, elle retourna à Paris,
    où elle vécut principalement de sa plume, ses biens ayant été
    confisqués par le gouvernement autrichien, pour ne lui être
    rendus qu'en 1859, époque où elle revint se fixer en Italie,
    s'occupant toujours ardemment de politique.

  BENKENDORFF (le comte Constantin DE), 1786-1858. Général aide de
    camp de l'empereur Nicolas Ier de Russie. Il fut quelque temps
    ministre de Russie à Stuttgart, où il mourut.

  BERGERON (Louis)*. Né en 1811. Journaliste français.

  BERNARD (Simon, baron), 1779-1839. Pair de France et Ministre de
    la guerre sous Louis-Philippe, après avoir servi sous l'empereur
    Napoléon Ier et sous la première Restauration.

  BERRYER (Antoine)*, 1790-1868. Avocat français.

  BERTIN DE VEAUX (M.)*, 1771-1842. Journaliste français.

  BERTIN DE VEAUX (Mme), née Bocquet; elle était la belle-fille de
    M. Merlin.

  BERTIN L'AÎNÉ (Louis-François), 1766-1841. Publiciste français,
    fondateur du _Journal des Débats_ avec son frère Bertin de
    Veaux.

  BERTIN (Mme). Mlle Boutard, sœur d'un critique d'art au _Journal
    des Débats_, épousa M. Bertin, dit l'aîné.

  BERTRAND (le comte), 1773-1844. Le fidèle ami de Napoléon Ier dont
    il fut l'aide de camp, et qu'il suivit à l'île d'Elbe et à
    Sainte-Hélène.

  BERWICK (la duchesse DE), 1793-1863. Dona Rosalia Ventimighi
    Moneada naquit à Palerme et était fille du comte de Prado. Elle
    fut Dame de la reine Isabelle et grande-maîtresse du Palais. Son
    fils, le duc de Berwick et d'Albe, épousa la sœur aînée de
    l'impératrice Eugénie.

  BILZ (Mlle Marguerite DE), 1792-1875. Elle fut d'abord maîtresse
    de piano de la princesse Marie de Bade (plus tard duchesse de
    Hamilton) et devint ensuite demoiselle d'honneur de la
    grande-duchesse Stéphanie de Bade.

  BINZER (Mme DE), 1801-1891. Née de Gerschau, elle avait épousé, en
    1822, M. de Binzer, littérateur allemand.

  BIRON (Henri, marquis DE), 1803-1883. Il avait épousé Mlle de Mun,
    sœur du marquis de Mun, qui ne lui donna pas d'enfants. Devenu
    veuf de bonne heure, il vécut depuis chez son frère, le comte
    Étienne de Biron.

  BIRON-COURLANDE (le prince Charles DE). Né en 1811, il avait
    épousé en 1833 une comtesse de Lippe-Biesterfeld.

  BIRON-COURLANDE (la princesse Fanny DE), 1815-1883; sœur de la
    comtesse de Hohenthal et de Mme de Lazareff, la princesse Fanny
    épousa le général de Boyen.

  BJOERNSTJERNA (la comtesse DE), 1797-1865. Élisabeth-Charlotte,
    fille du feld-maréchal comte de Stedingk, ambassadeur de Suède
    en Russie, et sœur de la comtesse Ugglas, épousa en 1815 le
    baron de Bjoernstjerna, nommé ministre de Suède à Londres en
    1828, et dont elle devint veuve en 1847.

  BLITTERSDORF (le baron Frédéric DE), 1705-1861. Homme d'État
    badois. Il fut chargé d'affaires à Saint-Pétersbourg en 1816,
    ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à la
    Confédération germanique en 1821, ministre des Affaires
    étrangères à Carlsruhe en 1835. En 1848, il se retira des
    affaires. Il avait épousé Mlle Brentano.

  BONALD (le vicomte DE), 1753-1840. Le plus célèbre représentant
    des doctrines monarchiques et religieuses de la Restauration.
    Émigré en 1791, il revint en France à la proclamation de
    l'Empire. Député de 1815 à 1822, il devint pair de France en
    1823, puis membre de l'Académie française, et il ne cessa de
    dévouer sa plume et sa parole au maintien du trône et de
    l'autel, contribuant ainsi au retour des idées religieuses en
    France.

  BONAPARTE (Mme Lætitia), 1750-1836. Lætitia Ramolino, d'une
    famille italienne, avait épousé, à l'âge de seize ans, Charles
    Bonaparte, dont elle eut treize enfants. Napoléon Ier était son
    second fils, En 1814, après la chute de l'Empire, elle se retira
    à Rome où elle vécut dans la retraite.

  BONAPARTE (Joseph), 1768-1844. Frère aîné de Napoléon Ier, Joseph
    Bonaparte épousa à Marseille, en 1794, la fille d'un négociant,
    sœur de la femme de Bernadotte, Marie-Julie Clary. Il coopéra
    au coup d'État du 18 Brumaire, et administra plusieurs fois la
    France en l'absence de Napoléon. Nommé roi de Naples en 1806, il
    fut transféré en 1808 au trône d'Espagne dont il descendit en
    1813. Après la chute de l'Empire, il se retira d'abord aux
    États-Unis, puis à Florence où il mourut.

  BONAPARTE (Lucien)*, 1773-1840. Troisième frère de Napoléon Ier.

  BONAPARTE (Jérôme)*, 1784-1860. Le plus jeune frère de Napoléon
    Ier.

  BONAPARTE (le prince Louis), 1808-1873. Fils de Louis Bonaparte,
    roi de Hollande, et de Hortense de Beauharnais, le prince Louis
    eut une jeunesse aventureuse. Il essaya, en 1836 à Strasbourg,
    et en 1840 à Boulogne, de renverser Louis-Philippe et de
    rétablir l'Empire à son profit. Condamné à la détention
    perpétuelle, il fut enfermé à Ham, d'où il s'échappa, s'enfuit
    en Belgique, et revint en France après la révolution de 1848. Il
    fut élu président de la République le 16 décembre de cette même
    année. Quatre ans plus tard, l'Empire fut proclamé, et le prince
    Louis régna jusqu'en 1870, sous le nom de Napoléon III.

  BORDEAUX (le duc DE)*, 1820-1883. Fils du duc de Berry et
    petit-fils du roi Charles X. Il prit plus tard le nom de comte
    de Chambord.

  BOSSUET (Jacques-Bénigne), 1627-1704. D'une famille de magistrats,
    il fut élevé chez les Jésuites, et reçut les ordres sacrés en
    1652. Il fut évêque de Condom, en 1669, puis évêque de Meaux.
    Nommé, en 1670, précepteur du Dauphin de France, Bossuet composa
    pour ce Prince plusieurs ouvrages d'éducation (_Discours sur
    l'histoire universelle_, _etc._) et il se montra un zélé
    défenseur des libertés gallicanes.

  BOURDOIS DE LA MOTTE (Edme-Joachim), 1754-1830. Médecin de
    l'hôpital de la Charité, à Paris, M. Bourdois fut détenu à la
    Force pendant les troubles révolutionnaires, puis il suivit
    l'armée d'Italie. Nommé médecin du roi de Rome en 1811, il fut
    également attaché à la Cour sous la Restauration, et devint
    membre de l'Académie de Médecine en 1820.

  BOURGOGNE (la duchesse DE), 1685-1712. Marie-Adélaïde, fille de
    Victor-Amédée, premier roi de Sardaigne; très aimée à la cour de
    France, cette Princesse mourut à la fleur de l'âge, six jours
    avant son mari, et comme lui de la rougeole. Elle avait eu
    plusieurs enfants dont un seul survécut, qui devint Louis XV.

  BOURLIER (le comte), 1731-1821. Il fit ses études ecclésiastiques
    à Saint-Sulpice, fut nommé, en 1802, évêque d'Évreux, et chargé
    par Napoléon Ier de plusieurs missions de confiance auprès du
    Pape. Il fut fait pair de France par Louis XVIII en 1814.

  BOURLON DE SARTY (Paul DE); fut préfet de la Marne. Il avait
    épousé Mlle Adrienne de Vandœuvre.

  BOURQUENEY (le baron, puis comte DE)*, 1800-1869. Diplomate
    français.

  BRESSON (le comte Charles)*, 1788-1847. Diplomate français.

  BRETZENHEIM DE REGÉCZ (la princesse DE). Née en 1806, Caroline,
    fille du prince Joseph de Schwarzenberg, épousa le prince
    Ferdinand de Bretzenheim, chambellan de la cour d'Autriche.

  BRÉZÉ (le marquis DE DREUX-), 1793-1846. Il fit, comme officier,
    les dernières campagnes de l'Empire. Aide de camp du maréchal
    Soult à la Restauration, il suivit le Roi à Gand; retiré du
    service en 1827, il devint pair de France par la mort de son
    père en 1829. Il fut, à la Chambre haute, l'un des chefs les
    plus ardents du parti légitimiste contre le gouvernement du roi
    Louis-Philippe.

  BRETONNEAU (le Dr Pierre)*, 1778-1862. Médecin de Tours.

  BRIGNOLE (la marquise DE). Née Anna Pieri, d'une noble famille de
    Sienne. Elle fut la mère du marquis de Brignole, longtemps
    ambassadeur de Sardaigne à Paris, et de la duchesse de Dalberg.
    Elle mourut en 1815 pendant le Congrès, à Vienne où elle avait
    accompagné l'impératrice Marie-Louise.

  BRIGODE (le baron DE), 1775-1854. Entré comme auditeur au Conseil
    d'État en 1803, il fut député au Corps législatif en 1805. En
    1837, il fut nommé pair de France. La révolution de 1848 le
    rendit à la vie privée.

  BROGLIE (le duc Victor DE)*, 1785-1870. Homme d'État français.

  BROGLIE (la duchesse DE)*, 1797-1840. Elle était née Albertine de
    Staël.

  BROGLIE (Mlle Louise DE). Née en 1818; épousa, en 1836, le comte
    d'Haussonville.

  BROSSES (Charles DE), 1709-1777; érudit et littérateur français,
    auteur d'un ouvrage sur l'Italie, qui eut un grand succès.

  BROUGHAM (lord)*, 1778-1868. Homme d'État anglais.

  BÜLOW (le baron Henri DE)*, 1790-1846. Diplomate prussien.

  BÜLOW (Mme DE), 1802-1889. Fille de Guillaume de Humboldt et
    épouse du baron Henri de Bülow, qu'elle accompagna à Londres de
    1830 à 1834.

  BULWER (sir Henry), 1804-1870. Diplomate anglais, d'abord attaché
    aux légations de Berlin, Vienne et la Haye, et qui résida
    souvent à Paris. De 1843 à 1848, il fut ministre
    plénipotentiaire en Espagne. Après avoir épousé la plus jeune
    des filles de lord Cowley, il alla représenter son pays aux
    États-Unis, puis en Toscane, et, en 1858, à Constantinople.

  BUOL-SCHAUENSTEIN (le comte), 1797-1865. Diplomate autrichien,
    successivement attaché à Florence en 1816, à Paris en 1822, à
    Londres en 1824, puis ministre à Carlsruhe, à Darmstadt en 1831,
    à Stuttgart en 1838, à Turin en 1848 et ensuite à
    Saint-Pétersbourg. Il devint conseiller intime et accompagna en
    1851 le prince de Schwarzenberg aux conférences de Dresde. En
    1852, il fut nommé ministre des Affaires étrangères. Il quitta
    le pouvoir en 1859.

  BUOL (la comtesse), 1809-1862. La princesse Caroline d'Isenbourg
    épousa en 1829 le comte Buol. Par sa mère (née baronne de
    Herding), elle était en possession d'une énorme fortune.

  BUSSIÈRE (Jules-Edmond DE), 1804-1888. Diplomate, chargé
    d'affaires à Darmstadt, puis à Dresde. Louis-Philippe l'éleva à
    la Pairie en 1841. En 1848, il rentra dans la vie privée.

  BYRON (George Gordon, lord)*, 1788-1824. Célèbre poète romantique
    anglais.


  C

  CALATRAVA (don José-Maria), 1781-1846. Homme d'État espagnol, et
    défenseur des libertés de son pays. Déporté en 1814, Calatrava
    ne put rentrer en Espagne qu'au rétablissement de la
    Constitution en 1820. Ministre de la Justice en 1823, il dut
    s'embarquer pour l'Angleterre, lors de l'occupation française.
    En 1830, il vint faire partie de la Junte directrice de Bayonne.
    Hostile à Martinez de la Rosa, il s'associa à la garde nationale
    de Madrid en 1835. Quand la Reine eut juré la Constitution, la
    direction des affaires lui fut remise, et, après de nombreuses
    preuves d'incapacité, on fit de lui un sénateur.

  CAMPAN (Mme)*, 1752-1822. Célèbre éducatrice française.

  CANOVA (Antoine)*, 1757-1822. Célèbre sculpteur italien.

  CAPOUE (le prince DE), 1811-1862. Charles-Ferdinand, frère du roi
    Ferdinand de Naples. Il avait été soupçonné de prendre part aux
    intrigues antidynastiques, et fut exilé. Il épousa
    morganatiquement en Angleterre miss Penelope Smith, dont il eut
    deux enfants qui ne furent pas reconnus par la famille royale de
    Naples. Il obtint de Victor-Emmanuel, après 1860, un apanage,
    qui fut confirmé plus tard à sa veuve et à ses enfants durant
    leur vie.

  CAPRARA (le cardinal J.-B.), 1733-1810. Évêque d'Iési. Ayant
    rempli avec succès plusieurs missions diplomatiques, il fut
    nommé par le pape Pie VII légat _a latere_ près du gouvernement
    français, et, en cette qualité, le Cardinal conclut le Concordat
    de 1801. Après avoir été fait archevêque de Milan, le cardinal
    Caprara sacra, dans cette ville, Napoléon roi d'Italie.

  CARADOC (sir John Hobart), 1799-1873. Plus tard baron Howden.
    Colonel dans l'armée anglaise, puis ministre d'Angleterre à
    Rio-de-Janeiro et à Madrid.

  CARAMAN (la marquise DE). Césarine Gallard de Béarn épousa le
    marquis Victor de Caraman, dont elle devint veuve en 1836.

  CARIGNAN (le prince Eugène DE), 1816-1888. Il était fils du baron
    de Villefranche et de Mlle de la Vauguyon. Le roi de Sardaigne,
    Charles-Albert, le reconnut comme Prince du sang. Il fut Amiral
    de la marine sarde et Régent du royaume pendant les guerres de
    1859 et de 1866. S'étant marié morganatiquement, il eut
    plusieurs enfants auxquels le roi Humbert accorda le titre de
    comtes de Villefranche-Soissons sans leur reconnaître aucune
    espèce d'alliance avec la maison de Savoie.

  CARIGNAN (Philiberte DE), 1814-1874. Fille du prince de
    Villefranche, de la maison de Carignan, et de son mariage avec
    Mlle de la Vauguyon.

  CARLOTTA (l'infante)*, 1804-1844. Sœur de la reine Christine
    d'Espagne.

  CAROLATH-BEUTHEN (le prince Henri DE), 1783-1864. Général de
    cavalerie dans l'armée prussienne et Grand-Veneur royal. Il
    épousa en premières noces une comtesse Pappenheim dont il eut
    deux filles, et en secondes noces, sa cousine la comtesse Firks
    dont il n'eut pas d'enfants.

  CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Adélaïde), 1797-1849. Fille du
    comte de Pappenheim, lieutenant-général en Bavière, elle épousa
    en 1817 le prince Henri Carolath.

  CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Lucie). Née en 1822. Fille aînée du
    prince Henri Carolath, elle épousa le comte de Haugwitz dont
    elle devint veuve en 1888.

  CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Adélaïde). Née en 1823. Fille
    cadette du prince Henri Carolath.

  CAROLATH-SAABOR (le prince Frédéric DE), 1790-1859. Major au
    service de Prusse et Conseiller du cercle de Grünberg (Silésie).
    Il avait épousé la fille du prince Henri XLIV Reuss.

  CAROLINE (Marie-), 1752-1814. Reine de Naples. Fille de
    l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, cette Princesse épousa,
    en 1768, Ferdinand IV, roi de Naples. Par son influence, elle
    fit déclarer la guerre à la République française, et s'attira,
    par là, les vengeances de Napoléon Ier. Chassée de ses États, la
    reine Caroline se retira en Autriche et mourut à Schœnbrunn.
    Elle était la mère de la reine Marie-Amélie.

  CAROLINE (l'impératrice), 1803-1884, La princesse Caroline de
    Savoie, fille de Victor-Emmanuel Ier, et sœur jumelle de la
    duchesse de Lucques, épousa en 1831 Ferdinand II, qui fut
    empereur d'Autriche.

  CARRACHE (Annibal)*, 1560-1609. Célèbre peintre italien.

  CARREL (Armand)*, 1800-1836. Publiciste français.

  CASANOVA DE SEINGALT, 1725-1803. Célèbre aventurier du
    dix-huitième siècle, fils d'acteurs, tour à tour publiciste,
    prédicateur et surtout homme à bonnes fortunes. Il se lia avec
    Rousseau, Voltaire, Souvaroff, Frédéric le Grand et Catherine
    II. A bout d'argent et d'aventures, il suivit en Bohême le comte
    Waldstein-Dux, pour être son bibliothécaire. A Dux, il composa
    ses _Mémoires_, confession sans repentirs et tableau d'une
    société plus spirituelle que morale.

  CASTELLANE (la comtesse DE)*, 1766-1847. Cordélia Greffulhe,
    mariée en 1813 au comte de Castellane, plus tard maréchal de
    France.

  CASTELLANE (le marquis Henri DE), 1814-1847. Fils aîné du maréchal
    de Castellane, auditeur au Conseil d'État et conseiller général
    du Cantal, il fut nommé député en 1844. En 1839, il avait épousé
    Mlle Pauline de Périgord, petite-nièce du prince de Talleyrand
    et fille de la duchesse de Dino, auteur de cette _Chronique_.

  CÉSAR (Jules), 101-40 av. J.-C. Célèbre général romain, qui
    s'illustra par la conquête de la Gaule.

  CHABOT (Philippe DE), 1815-1875. Ph. de Chabot, comte de Jarnac,
    suivit la carrière diplomatique et garda toute sa vie un profond
    attachement à la maison d'Orléans. Il avait été nommé
    ambassadeur de France à Londres en 1874, mais il y mourut
    bientôt après d'une pleurésie.

  CHABROL DE CROUSOL (le comte DE), 1771-1831. Membre du Conseil
    d'État sous Napoléon Ier, président de la Cour impériale
    d'Orléans, préfet du Rhône en 1814, directeur de
    l'Enregistrement et des Domaines en 1822, ministre de la Marine
    en 1823 et des Finances en 1829.

  CHALAIS (le prince DE), 1809-1883. Élie-Louis-Roger, fils aîné du
    duc de Périgord. Il avait épousé Elodie de Beauvilliers de
    Saint-Aignan, dont il devint veuf en 1835.

  CHAMPCHEVRIER (Mme DE). Dame fort respectable, habitant le château
    de Champchevrier, près de Cinq-Mars en Touraine vers 1840, dans
    un âge très avancé.

  CHARLES-THÉODORE, 1724-1799. Électeur de Bavière. Il n'aimait pas
    Munich et vint s'établir à Mannheim. On lui a érigé une statue à
    Heidelberg.

  CHARLES IV, 1316-1378. Empereur d'Allemagne. Fils de Jean de
    Luxembourg, roi de Bohême. Il succéda à son père en 1346 et fut
    élu Empereur en 1347. Charles IV publia en 1356 la fameuse
    _Bulle d'or_, constitution de l'Empire qui est restée en vigueur
    jusqu'en 1806, et il fut le premier Prince allemand qui vendit
    des titres de noblesse. Il fonda les Universités de Prague et de
    Vienne.

  CHARLES X*, 1757-1836. Roi de France de 1824 à 1830.

  CHARLOTTE (la reine), 1744-1818. La princesse Charlotte de
    Mecklembourg-Strélitz, épousa, en 1761, le roi George III
    d'Angleterre, dont elle eut un très grand nombre d'enfants.

  CHASTELLUX (Mme DE), née Zéphyrine de Damas; elle avait épousé en
    premières noces M. de Vogüé.

  CHATEAUBRIAND (le vicomte DE)*, 1768-1848. Homme de lettres
    français.

  CHOISEUL-PRASLIN (la comtesse DE). Née en 1782. Seconde femme du
    comte René de Choiseul-Praslin, fille de François de Rougé,
    comte du Plessis-Bellière.

  CHOMEL (le Dr), 1788-1859. Médecin français, le premier qui
    établit une véritable clinique à l'hôpital de la Charité. Élève
    de Corvisard, Chomel devint médecin du roi Louis-Philippe.

  CHREPTOWICZ (la comtesse), morte en 1878. Hélène, fille du comte
    de Nesselrode, épousa le comte Michel Chreptowicz, qui servit
    longtemps dans la diplomatie russe, et fut fait grand-chambellan
    de la Cour dans les dernières années du règne d'Alexandre II.

  CLAM-GALLAS (le comte Édouard DE), 1805-1891. Général de cavalerie
    autrichien, qui joua un rôle important dans les guerres où
    l'Autriche se trouva engagée depuis 1848. Il se démit de ses
    fonctions en 1868, aigri par les attaques dirigées contre sa
    campagne de 1866 en Bohême contre la Prusse, bien qu'un conseil
    de guerre l'ait entièrement disculpé.

  CLANRICARDE (lord)*, 1802-1874. Homme politique anglais.

  CLANRICARDE (lady)*, morte en 1876. Fille du célèbre Canning.

  CLARY-ALDRINGEN (le prince Charles), 1777-1831. Il avait épousé la
    comtesse Louise Chotek.

  CLAUSEL (le comte Bertrand), 1772-1842. Engagé volontaire en 1791,
    Clausel eut un avancement rapide. Général de division en 1805,
    il servit en Italie, en Dalmatie, en Illyrie, s'illustra dans la
    guerre d'Espagne. Après les Cent-Jours, et après s'être rallié à
    Napoléon, il se retira aux États-Unis, et ne revint qu'après
    l'armistice de 1820. Député en 1827, il fit partie de
    l'opposition libérale, et après 1830, il fut nommé gouverneur
    de l'Algérie, mais échoua au siège de Constantine et fut
    remplacé dans son commandement. Il vécut dès lors dans la
    retraite.

  CLÉMENT DE RIS (Mlle), épousa, plus tard, l'amiral la Roncière le
    Noury. Elle était fille d'un sénateur de l'Empire, et habitait,
    aux environs de Valençay, le château de Beauvais.

  CLÉMENTINE (la princesse), 1817-1907. La princesse Clémentine
    d'Orléans, fille du roi Louis-Philippe, épousa en 1843 le prince
    Auguste de Saxe-Cobourg-Gotha, duc de Saxe.

  CLERMONT-TONNERRE (le prince Jules DE), 1813-1849. Second fils du
    duc Aimé de Clermont-Tonnerre, ancien Ministre de la guerre et
    Pair de France. Le prince J. de Clermont-Tonnerre épousa Mlle de
    Crillon.

  COBOURG (le prince Ferdinand DE)*, 1816-1888. Mari de doña Maria
    da Gloria, reine de Portugal.

  COBOURG (le duc Ernest I de Saxe-), 1784-1844. Ce Prince succéda,
    en 1806, à son père, le duc François. Il épousa, en premières
    noces, la princesse Louise de Saxe-Cobourg-Altenbourg, qui
    mourut en 1831, et il se remaria, en 1832, avec la princesse
    Antoinette de Würtemberg.

  COEUR (l'abbé), 1805-1860. Issu d'une famille de négociants, que
    la tradition fait descendre du célèbre argentier de Charles VII,
    l'abbé Cœur fut d'abord professeur de philosophie au séminaire
    de Lyon. Venu à Paris, en 1827, il y suivit avec assiduité les
    cours de MM. Guizot, Villemain et Cousin, puis se voua à la
    prédication. En 1840, il prêcha à Saint-Roch un carême après
    lequel le roi Louis-Philippe lui donna la croix de la Légion
    d'honneur. En 1848, il fut appelé à l'évêché de Troyes. Ce fut
    lui qui prononça l'oraison funèbre de Mgr Affre.

  COGNY (le Dr). Médecin de Valençay.

  COIGNY (le duc DE), 1788-1865. Entré dans l'armée comme volontaire
    en 1805, il perdit le bras à la bataille de Smolensk, reçut le
    grade de colonel de cavalerie après le retour des Bourbons, en
    1814, fut nommé aide de camp du duc de Berry, puis attaché au
    duc de Bordeaux. En 1821, il remplaça le maréchal de Coigny, son
    grand-père, à la chambre des Pairs. Après avoir fait d'inutiles
    démarches auprès de Charles X, en 1830, pour obtenir la
    révocation des Ordonnances, M. de Coigny prêta serment à la
    monarchie de Juillet. En 1837, il fut Chevalier d'honneur de la
    duchesse d'Orléans, et en 1843, il fut promu Maréchal de camp.

  COIGNY (la duchesse DE). Elle était Anglaise et fille de sir H.-J.
    Dalrymple Hamilton. Elle épousa le duc de Coigny en 1822.

  COLLARD (Mme Hermine). Élevée par Mme de Genlis, il régnait une
    grande obscurité sur sa naissance.

  COMBALOT (l'abbé Théodore), 1798-1873. Prédicateur français. Il
    fut ordonné prêtre fort jeune et devint un zélé partisan de
    Lamennais, dont il désavoua cependant plus tard les doctrines.
    Ses prédications causèrent une vive émotion par leur caractère
    politique.

  CONDÉ (Louis II, prince DE), 1621-1686, dit _le Grand Condé_,
    premier Prince du sang, connu d'abord sous le nom de duc
    d'Enghien. Il s'illustra par ses victoires de Rocroy, de
    Fribourg, de Nordlingen, de Lens. Après avoir pris une part
    regrettable aux troubles de la Fronde, le prince de Condé fut
    remis en possession de son commandement lors du traité des
    Pyrénées, et se conduisit glorieusement pendant les guerres de
    Flandre et de Franche-Comté.

  CONYNGHAM (François-Nathaniel, marquis DE)*, 1797-1882. Homme
    politique anglais.

  CORMENIN (le vicomte DE), 1788-1868. Publiciste, conseiller
    d'État, député, célèbre comme pamphlétaire sous le pseudonyme de
    Timon.

  CORNÉLIUS (Pierre DE), 1783-1867. Célèbre peintre allemand, de
    l'école de Düsseldorf. Il étudia plusieurs années à
    Francfort-sur-le-Mein et à Rome. Ses compositions sont
    grandioses, son dessin remarquable.

  COSSÉ-BRISSAC (le duc DE), 1775-1848. Administrateur sous
    l'Empire, il se rallia à la Restauration et entra à la Chambre
    des Pairs en 1814. M. de Cossé se rallia ensuite à la monarchie
    de Juillet.

  COURLANDE (la duchesse DE), 1761-1821. Née comtesse de Medem, elle
    avait épousé le duc Pierre de Courlande, dont elle eut quatre
    filles. La plus jeune était la duchesse de Dino, auteur de la
    _Chronique_ que nous publions.

  COUSIN (Victor)*, 1792-1867. Philosophe français.

  COWPER (lady)*, 1787-1869. Plus tard lady Palmerston.

  CRÉMIEUX (Adolphe), 1796-1880. Avocat et homme politique français.
    Il fut membre de la Défense nationale en 1870.

  CRESCENTINI (Girolamo), 1769-1846. Célèbre sopraniste, surnommé
    l'_Orphée italien_. Crescentini entra au théâtre en 1788, et se
    fit entendre à Rome, Vérone, Padoue, Vienne et Lisbonne.
    Napoléon le retint à Paris de 1806 à 1812. Il devint plus tard
    professeur au Conservatoire de Naples.

  CRUVEILHIER (le Dr Jean), 1791-1874. Médecin et célèbre anatomiste
    français. Il était né à Limoges et fit ses études à Paris, où il
    eut ensuite une clientèle étendue et choisie.

  CUBIÈRES (le général DE), 1786-1853. Sorti, en 1804, de l'École
    militaire de Fontainebleau, il se distingua à Austerlitz et à
    Auerstaedt où il fut blessé; il gagna la crois d'honneur à
    Eylau, le grade de capitaine à Essling, devint chef d'escadron
    pendant la campagne de 1813, colonel en 1815 et se couvrit de
    gloire à Waterloo. Mis à la retraite par la deuxième
    Restauration, il obtint la Recette générale de la Meuse, et
    reçut, en 1832, le commandement du corps expéditionnaire
    d'Ancône. Il fut fait Général, et nommé deux fois Ministre de la
    guerre en 1839 et 1840. En 1847, son nom fut mêlé à une affaire
    déplorable: on l'accusa d'avoir corrompu le ministre Teste pour
    obtenir la concession des mines de sel de Gouhénans. Traduit
    devant la Cour des Pairs, il fut condamné à la dégradation
    civique et à 10 000 francs d'amende. En 1852, il fut réhabilité
    par la Cour d'appel de Rouen.

  CUMBERLAND (Ernest-Auguste, duc de)*, 1771-1851. Le dernier des
    fils de George III, roi d'Angleterre.

  CUMBERLAND (la duchesse DE)*. Née princesse de
    Mecklembourg-Strélitz.

  CUNÉGONDE (sainte), morte en 1040. Impératrice d'Allemagne, femme
    de Henri II de Bavière. On la fête le 3 mars.

  CUVIER (Rodolphe). Pasteur protestant de la duchesse d'Orléans. Il
    était issu d'une branche collatérale du célèbre naturaliste de
    ce nom.

  CUVILLIER-FLEURY (Alfred-Auguste), 1802-1887. Littérateur
    français, collaborateur du _Journal des Débats_, appelé, par le
    roi Louis-Philippe, auprès de son quatrième fils le duc
    d'Aumale, dont il fut le précepteur et plus tard le secrétaire
    des commandements. Il fut élu membre de l'Académie française en
    1866.

  CZARTORYSKI (le prince Adam)*, 1770-1861. Ancien ministre des
    Affaires étrangères de l'empereur Alexandre Ier de Russie.

  CZARTORYSKI (le prince Adam), 1804-1880. Fils du prince Constantin
    Czartoryski et de la princesse Angélique Radziwill, il épousa en
    premières noces, en 1832, sa cousine germaine, la princesse
    Wanda Radziwill, et en deuxièmes noces, en 1848, la comtesse
    Dzialynska.

  CZARTORYSKA (la princesse Wanda), 1813-1846. Fille du prince
    Antoine Radziwill et de la princesse Louise de Prusse, elle
    épousa en 1832 le prince Adam Czartoryski.


  D

  DALBERG (le duc DE)*, 1773-1833. Fils du Primat et Archichancelier
    du même nom.

  DANEMARK (le roi Frédéric III DE), 1768-1839. Il succéda à son
    père en 1815 et épousa la fille du landgrave de Hesse-Cassel.

  DANEMARK (le prince Chrétien DE), 1786-1848. Ce prince avait
    épousé en premières noces une princesse de
    Mecklembourg-Schwerin, dont il divorça, et en secondes noces, la
    princesse Caroline de Schleswig-Holstein-Augustenbourg. De son
    premier mariage, il eut un fils, Frédéric, qui régna après lui,
    sous le nom de Frédéric VII.

  DANEMARK (la princesse Chrétien DE), 1796-1881. Seconde femme du
    prince Chrétien, elle était née princesse de
    Schleswig-Holstein-Augustenbourg.

  DARMÈS. Auteur de l'attentat du 15 octobre 1840 sur le roi
    Louis-Philippe.

  DARMSTADT (la princesse Marie DE). Née en 1824, elle épousa, en
    1841, le grand-duc héritier de Russie.

  DECAZES (Élie, duc)*, 1780-1846. Homme politique français.

  DELAVIGNE (Casimir), 1793-1843. Poète lyrique et dramatique. Il
    entra à l'Académie en 1825. Ses idées libérales l'avaient mis en
    disgrâce sous la Restauration; le roi Louis-Philippe, alors duc
    d'Orléans, l'en tira en lui confiant sa bibliothèque du
    Palais-Royal.

  DEMERSON (l'abbé), 1795-1872. Prêtre français, entré dans les
    ordres en 1819, et curé de Saint-Séverin, puis de Saint-Germain
    l'Auxerrois de 1838 à 1850, époque où il devint titulaire de
    Notre-Dame de Paris.

  DEMIDOFF (le comte Anatole), 1812-1870. Le comte Demidoff, prince
    de San-Donato, épousa en 1841 la princesse Mathilde, fille du
    roi Jérôme de Westphalie, qui portait le nom de princesse
    Mathilde de Montfort.

  DENIS BARBIER. Un des domestiques de Pouch Lafarge. Il avait
    fabriqué des billets de complaisance pour son maître, lorsque
    celui-ci, assez mal dans ses affaires, vint à Paris, et il était
    resté son factotum.

  DESJARDINS (l'abbé), 1756-1833. Ordonné prêtre en 1775, il fut
    vicaire général de Bayeux, émigra en Angleterre, puis en
    Amérique, pendant la Révolution, et ne revint en France qu'en
    1802. Devenu curé des Missions étrangères à Paris, l'Empereur
    Napoléon le fit arrêter sur quelques soupçons, enfermer à
    Vincennes, puis exiler à Verceil. Rentré en France à la
    Restauration, l'abbé Desjardins refusa en 1823 l'évêché de
    Blois, en 1824, celui de Châlons, mais il fut nommé vicaire
    général de Paris.

  DIEFFENBACH (Jean-Frédéric), 1794-1847. Célèbre oculiste prussien
    auquel on doit la découverte de l'opération qui consiste à
    redresser les yeux qui louchent. Il mourut subitement dans la
    salle des opérations de l'hôpital de la Charité de Berlin, dont
    il était directeur depuis 1840.

  DIESKAU (Mlle Sidonie DE). Morte à un âge très avancé; elle
    demeurait à Gera, en Saxe, près d'Altenbourg, et était proche
    voisine du château de Lœbichau.

  DINO (le duc DE), 1813-1894. Connu d'abord sous le nom de comte
    Alexandre de Périgord*, il prit ce titre en 1838, lorsque son
    père devint duc de Talleyrand.

  DOHNA (la comtesse Marie), 1805-1893. Née Mlle de Steinach, elle
    épousa en 1829 le comte Dohna qui fut pendant de longues années
    landrat à Sagan, et possédait, non loin de là, la terre de
    Kunzendorf.

  DOLOMIEU (la marquise DE)*, 1779-1849. Dame d'honneur de la reine
    Marie-Amélie.

  DON CARLOS DE BOURBON*, 1788-1855. Second fils de Charles IV et
    frère de Ferdinand VII, rois d'Espagne. Après la mort de son
    frère, en 1833, il souleva la guerre civile en voulant s'emparer
    du trône.

  DON FRANCISCO*, 1794-1865. Infant d'Espagne. Époux de l'Infante
    Carlotta.

  DOSNE (M.). D'abord simple employé dans une maison de banque de
    Paris, il devint agent de change en 1816. Après la révolution
    de Juillet, il démissionna pour devenir Receveur général du
    Finistère et, quatre ans plus tard, Receveur général du Nord.
    Devenu régent de la Banque de France et un des plus forts
    actionnaires des mines d'Anzin, il accrut beaucoup sa fortune.

  DOSNE (Mme)*. Épouse de l'agent de change, et mère de Mme Thiers.

  DOSNE (Mlle Félicie). Sœur de Mme Thiers. Très dévouée, elle se
    consacra tout entière à sa sœur et à son beau-frère, et publia,
    en 1903, comme un monument à la mémoire de M. Thiers, des
    papiers qu'il lui avait laissés, sous le titre _Occupation et
    libération du territoire_ (1871-1875). Elle mourut bientôt
    après, dans un âge très avancé.

  DOUDAN (Ximénès), 1800-1872. D'abord précepteur dans la maison du
    duc de Broglie, M. Doudan dirigea ensuite le cabinet politique
    du Duc, qui l'avait en très grande estime, et le conserva
    toujours auprès de lui comme secrétaire intime.

  DUBOIS (M.). Député de la Loire-Inférieure, il était membre du
    Conseil royal de Instruction publique et directeur de l'École
    normale.

  DUCHÂTEL (Charles, comte)*, 1803-1867. Homme politique français.

  DUFAURE (Jules-Armand-Stanislas), 1798-1881. Avocat et homme
    d'État français. Nommé député en 1834, il prit place dans les
    rangs du parti libéral constitutionnel, fut conseiller d'État en
    1836 et ministre des Travaux publics en 1839. Il se rallia à la
    République en 1848, et devint ministre de l'Intérieur, mais se
    tint à l'écart des affaires sous le second Empire. En 1871, il
    devint ministre de la Justice. Il siégea plus tard au Sénat et
    fit voter les lois de garanties.

  DUPANLOUP (Félix-Philibert), 1802-1878. Prêtre des plus
    distingués, il se fit d'abord connaître par ses fameux
    catéchismes; devenu, après 1835, vicaire général du diocèse de
    Paris et supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas, il prit,
    dès lors, une part active dans la question de la liberté de
    l'enseignement. En 1849, il fut nommé évêque d'Orléans. Devenu
    membre de l'Académie en 1854, Mgr Dupanloup se fit ensuite
    remarquer par sa défense du Saint-Siège au moment de
    l'expédition d'Italie. En 1869, il siégea au concile de Rome,
    puis revint à Orléans pour se trouver au milieu de son troupeau
    pendant la guerre. Après la conclusion de la paix, il fut élu
    membre de l'Assemblée par ses diocésains reconnaissants.

  DUPIN (André-Marie)*, 1783-1865. Jurisconsulte et magistrat
    français.

  DUPREZ (Gilbert-Louis), 1806-1879. Célèbre chanteur français,
    attaché pendant dix années à l'Opéra de Paris. Il avait une voix
    de ténor incomparable.

  DÜRER (Albert), 1471-1523. Célèbre peintre et graveur allemand,
    qui joignait à un coloris profond une touche savante et
    beaucoup de vérité. Il excella dans le portrait, et la gravure
    lui doit de grands perfectionnements.

  DURHAM (John Lambton, comte)*, 1792-1848. Homme d'État anglais.

  DUVERGIER DE HAURANNE (Prosper), 1798-1881. Homme politique
    français; un des chefs de l'opposition dynastique sous la
    monarchie de Juillet, et un des organisateurs des banquets en
    1848. Il fit partie de la minorité anti-napoléonienne, fut
    emprisonné, puis exilé après le coup d'État du 2 décembre 1851,
    mais put rentrer en France en 1852. Renonçant alors à la
    politique militante, il composa une _Histoire du gouvernement
    parlementaire en France_, qui le fit entrer à l'Académie en
    1870, en remplacement du duc de Broglie.


  E

  ÉDOUARD. Le grand coiffeur des dames à Paris, sous Louis-Philippe.

  ÉLISABETH DE PRUSSE (la reine), 1801-1873. Fille du roi Maximilien
    de Bavière, elle épousa en 1823, le prince royal de Prusse, qui
    monta sur le trône en 1840, sous le nom de Frédéric-Guillaume
    IV. Devenue veuve en 1861, la reine Élisabeth vécut depuis dans
    la retraite.

  ELLICE (M. Édouard)*, 1787-1863. Homme politique anglais, gendre
    de lord Grey.

  ELSSLER (Thérèse). 1806-1878. Célèbre danseuse allemande, créée
    baronne de Barnim par le roi Frédéric-Guillaume IV, en 1850, à
    l'occasion de son mariage avec le prince Adalbert de Prusse.

  ELSSLER (Fanny). 1810-1886. Sœur de la précédente et, comme elle,
    célèbre danseuse. Elle parcourut toutes les scènes de l'Europe
    et de l'Amérique, puis se retira en 1845 dans sa belle propriété
    près de Hambourg. Elle s'était acquis une grande fortune.

  EMMANUEL-PHILIBERT, dit _Tête-de-fer_, 1528-1580. Duc de Savoie.
    Ce Prince se mit au service de son oncle, l'empereur
    Charles-Quint. Il se distingua au siège de Metz en 1552, reçut
    en 1553 le commandement de l'armée Impériale, et gagna en 1557,
    pour Philippe II, la bataille de Saint-Quentin. Il recouvra son
    duché (dont François Ier avait dépouillé son père), en 1559 au
    traité de Cateau-Cambrésis, et épousa Marguerite de France,
    sœur de Henri II. Sa statue, œuvre du sculpteur Marochetti,
    occupe le centre de la place San-Carlo à Turin.

  ENTRAIGUES (Amédée Goveau D')*. Né en 1785. Préfet de Tours. Il
    avait épousé une princesse Santa-Croce, pupille du prince de
    Talleyrand.

  ENTRAIGUES (Jules D')*. Né en 1787. Frère du Préfet et
    propriétaire du château de _la Moustière_, aux environs de
    Valençay.

  ÉON DE BEAUMONT (Charles), 1728-1810. Célèbre par l'ambiguïté de
    son sexe, car il fut tantôt le chevalier, tantôt la chevalière
    d'Éon. Il se distingua de bonne heure dans la carrière
    diplomatique, et fut pendant quatorze ans l'agent secret de
    Louis XV. La Révolution lui enleva sa pension, et réduit à des
    leçons d'escrime, il n'échappa à la misère que grâce aux secours
    de quelques amis.

  ESPARTERO (Joachim-Boldomero), 1792-1879. Engagé en 1808, il fit
    comme militaire une brillante carrière. Il fit l'expédition du
    Pérou en 1825 et en rapporta une belle fortune. A la mort de
    Ferdinand VII, il prit parti pour la régente Marie-Christine.
    Ses succès contre les Carlistes lui valurent, en 1836, la
    nomination de général en chef de l'armée du Nord et de vice-roi
    de Navarre. En 1840, la régente Marie-Christine ayant abdiqué,
    les Cortès transférèrent la Régence au général Espartero, mais
    il fut renversé en 1842 et se retira en Angleterre jusqu'en
    1847. En 1854 et en 1868, Espartero reprit le pouvoir pour peu
    de temps chaque fois. En 1870, les Cortès lui offrirent la
    Couronne qu'il refusa, vu son grand âge, et l'absence
    d'héritier.

  ESTERHAZY (le prince Paul)*, 1786-1866. Diplomate autrichien.

  EXELMANS (Isidore, comte)*, 1775-1852. Un des plus brillants
    généraux de l'Empire, fait pair de France et Maréchal sous la
    monarchie de Juillet.


  F

  FAGEL (le général Robert)*, 1772-1856. Diplomate hollandais.

  FALK (Antoine Reinhard)*, 1776-1843. Diplomate hollandais.

  FÉNELON (François de Salignac de la Mothe-), 1651-1715. Archevêque
    de Cambrai, précepteur du duc de Bourgogne; il avait adopté les
    doctrines du Quiétisme et fut vivement combattu par Bossuet. Il
    fut aussi grand écrivain que grand prédicateur.

  FERDINAND VII*, 1784-1833. Fils aîné du Roi Charles IV d'Espagne
    et son successeur, il fut détrôné par Napoléon Ier au profit de
    son frère Joseph, mais remonta sur le trône en 1814.

  FERRUS (Guillaume-Marie-André), 1784-1861. Médecin français. Il
    introduisit d'habiles réformes à l'hospice des aliénés de
    Bicêtre, dont il était médecin en chef. Nommé, en 1830, médecin
    consultant du Roi, le Dr Ferrus devint bientôt membre de
    l'Académie de médecine et commandeur de la Légion d'honneur.

  FESCH (le cardinal Joseph), 1763-1839. Frère de Mme Lætitia
    Bonaparte, il fut nommé archevêque de Lyon en 1802, par son
    neveu Napoléon Ier. Ambassadeur de France à Rome, puis
    grand-aumônier et sénateur, il retourna vivre à Rome à la
    Restauration, et y mourut.

  FIESCHI (Joseph)*, 1790-1835. Auteur de l'attentat du 28 juillet
    1835 contre le Roi Louis-Philippe.

  FIQUELMONT (le comte Charles-Louis DE), 1777-1857. Né en Lorraine,
    il entra dans l'armée autrichienne en 1793 et y fit les
    campagnes de 1805 à 1809. En 1815, il fut envoyé comme ministre
    à Stockholm, et en 1820, dans la même qualité à Florence. Nommé
    ambassadeur à Pétersbourg, il y résida plusieurs années et ne
    rentra en Autriche qu'en 1840 pour devenir ministre d'État, et
    un moment ministre des Affaires étrangères en 1848. Sa fille
    unique avait épousé le prince Edmond Clary.

  FITZ-JAMES (Jacques, duc DE), 1799-1846. Il épousa, en 1825, Mlle
    de Marmier.

  FLAHAUT (le général comte DE)*, 1785-1870. Pair de France sous
    Louis-Philippe, sénateur et ambassadeur sous Napoléon III.

  FLAHAUT (la comtesse DE)*, morte en 1867. Fille de l'amiral
    anglais lord Keith.

  FLAHAUT (Clémentine DE), 1819-1835. Fille du comte et de la
    comtesse de Flahaut.

  FONTANES (Louis DE), 1757-1821. Poète et orateur plein d'élégance,
    très en faveur auprès de Napoléon Ier. Membre du Corps
    législatif en 1804, il en devint Président en 1805. En 1808,
    l'Empereur le nomma grand-maître de l'Université; en 1810, il
    fut appelé au Sénat. Il se rallia plus tard à la Restauration.

  FOULD (Bénédict), 1791-1858. Fils d'un banquier israélite, qui
    avait fondé l'importante maison Fould-Oppenheim et Cie. Il fut
    député de 1834 à 1842, et chevalier de la Légion d'honneur
    depuis 1843.

  FOULQUES III NERRA, ou _le Noir_, 987-1040. Comte d'Anjou. Il fit
    la guerre à Conan, premier duc de Bretagne, qu'il battit et tua,
    et à Eudes II, comte de Blois, par lequel il fut défait.
    Foulques alla trois fois en Terre Sainte, pour expier ses
    violences. Sa nièce Constance épousa le Roi Robert.

  FOY (le comte Fernand), 1815-1871. Fils du général Foy; il fut
    nommé pair de France par le Roi Louis-Philippe. Tout en étant
    dévoué à la monarchie constitutionnelle, il se montra partisan
    des idées libérales. De bonne heure, il se consacra aux œuvres
    de bienfaisance.

  FRANÇOIS Ier*, 1494-1547. Roi de France et adversaire de
    Charles-Quint.

  FRÉDÉRIC II, DIT LE GRAND*, 1712-1786. Roi de Prusse et fondateur
    de la puissance militaire prussienne.

  FRÉDÉRIC VII, 1808-1863. Roi de Danemark. Il était le fils unique
    du prince Chrétien de Danemark et de sa première femme, la
    princesse Charlotte de Mecklembourg-Schwerin. Divorcé deux fois,
    il fut exilé pendant quelques années en Jutland, et ne monta sur
    le trône qu'en 1848.

  FRÉDÉRIC-GUILLAUME, dit _le Grand Électeur_ de Brandebourg,
    1620-1688. Il monta sur le trône en 1640 et organisa l'armée
    prussienne.

  FRÉDÉRIC-GUILLAUME III, 1770-1840. Roi de Prusse. Il succéda, en
    1797, à son père Frédéric-Guillaume II. Il avait épousé une
    princesse de Mecklembourg-Strélitz, connue sous le nom de _la
    Reine Louise_, dont il devint veuf en 1810. Il contracta, en
    1824, un mariage morganatique avec la comtesse Auguste de
    Harrach, à laquelle il donna le titre de princesse de Liegnitz.

  FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV, 1795-1861. Roi de Prusse. Il monta sur le
    trône en 1840 à la mort de son père, il avait épousé en 1823 la
    princesse Élisabeth de Bavière, dont il n'eut pas d'enfants.

  FRIAS (le duc DE)*, 1783-1851. Ambassadeur, homme d'État et
    littérateur espagnol.

  FRONSAC (le duc DE), mort en 1791. Fils du maréchal de Richelieu,
    auquel il ne survécut que trois ans.


  G

  GAGE (sir William Hall), 1777-1865. Amiral anglais qui prit une
    part active aux opérations contre Napoléon Ier. Il fut nommé
    lord de l'Amirauté en 1841. En 1860, il reçut la Grande-Croix de
    l'ordre du Bain.

  GARIBALDI (Mgr Antoine), 1797-1853. Archevêque de Myre en 1844,
    nonce à Paris en 1850, comme successeur du cardinal Tonari, il
    eut, lui-même, comme successeur, Mgr Sacconi.

  GARNIER-PAGÈS, 1801-1841. D'abord avocat, il participa à la
    révolution de 1830 et devint un des chefs du parti républicain.
    Député, il fut l'objet de quelques poursuites après
    l'insurrection de 1832 et acquit une grande popularité.

  GENLIS (Mme DE), 1746-1830. Félicité Ducrest de Saint-Aubin épousa
    à quinze ans le comte de Genlis. Sa tante, Mme de Montesson, la
    fit entrer dans la maison du duc d'Orléans, qui bientôt la
    choisit comme _gouverneur_ de ses enfants. Mme de Genlis émigra
    en 1792, rentra en France après le 18 Brumaire, et devint la
    correspondante de Napoléon Ier qu'elle entretenait des usages et
    de l'étiquette de l'ancienne Cour. Elle vécut à l'écart à partir
    de 1814. Mme de Genlis est l'auteur d'un grand nombre
    d'ouvrages; ses traités sur l'éducation sont des plus
    remarquables.

  GÉRARD (François-Pascal-Simon), 1770-1837. Célèbre peintre
    français. Il étudia chez David où il eut pour émules Drouais,
    Girodet et Gros. Il se livra au portrait qu'il traita avec un
    talent remarquable. Louis XVIII le fit Baron.

  GÉRARD (Étienne-Maurice, comte)*, 1773-1852. Maréchal de France.

  GERSDORFF (le baron Ernest-Chrétien-Auguste DE), 1781-1852. Au
    service de Saxe, il prit part au Congrès de Vienne. Il fut
    ministre à Londres et à la Haye et démissionna en 1848. Il avait
    épousé une comtesse de Freudenstein.

  GERSDORFF (le baron Adolphe DE), 1800-1855. Officier dans l'armée
    prussienne; il démissionna et épousa Mlle Marianne de Schindel.
    En 1827, il devint l'administrateur des terres de la princesse
    Pauline de Hohenzollern et de sa sœur, la duchesse d'Acerenza.

  GIRARDIN (le comte Émile DE), 1806-1881. Fils du général Alexandre
    de Girardin, et époux de Delphine Gay, il fut un célèbre
    publiciste, et le fondateur des journaux à un sou. Il fut député
    de 1877 à 1881. Devenu veuf en 1855, il épousa la veuve du
    prince Frédéric de Nassau dont il se sépara judiciairement en
    1872.

  GIRAUD (Augustin), 1796-1875. Propriétaire à Angers, dont il fut
    maire sous Louis-Philippe. Membre de l'Assemblée législative de
    1849, il y siégea à droite. Il était chevalier de la Légion
    d'honneur.

  GIROLET (l'abbé)*, 1765-1836. Bénédictin de la congrégation de
    Saint-Maur, ami intime de la famille de Talleyrand.

  GIVRÉ (le baron DE), 1794-1854. Entré de bonne heure dans la
    diplomatie, il fut attaché d'ambassade à Londres, à Rome,
    démissionna à l'avènement du ministère Polignac et collabora au
    _Journal des Débats_. Élu député en 1837, il vota avec la
    majorité orléaniste.

  GLOUCESTER (la duchesse DE)*, 1776-1857. Quatrième fille du Roi
    George III d'Angleterre.

  GOECKING (M. Léopold DE), 1748-1828. Poète et conseiller d'État
    prussien, qui élabora plusieurs projets de réformes douanières
    pour son pays.

  GOETHE (Wolfgang), 1749-1832. Le plus célèbre des poètes de
    l'Allemagne, auteur de _Faust_, _Werther_, etc. Il fut le
    conseiller, puis le ministre d'État du grand-duc Charles-Auguste
    de Weimar.

  GONTAUT-BIRON (la duchesse DE)*, 1773-1858. Gouvernante des
    Enfants de France, qu'elle suivit en exil en 1830.

  GONTAUT-BIRON (le vicomte Élie DE), 1817-1890. Élu député à
    l'Assemblée nationale en 1871, il fut ambassadeur de la
    République à Berlin. Il y rétablit les relations brisées par la
    guerre et resta six années à ce poste difficile.

  GOUIN (Alexandre-Henri), 1792-1872. Ancien élève de l'École
    polytechnique, député depuis 1831, il fut appelé à prendre le
    portefeuille de l'Agriculture et du Commerce en 1840, dans le
    ministère Thiers.

  GOURGAUD (le général), 1783-1852. Entré au service en 1801, il se
    signala à Austerlitz, où il fut blessé, à Iéna, à Friedland, à
    Essling et surtout à Wagram. Il prit une part glorieuse à la
    campagne de Russie et à la campagne de France. Il accompagna
    l'Empereur à Sainte-Hélène, mais des mésintelligences avec un de
    ses compagnons d'exil le forcèrent à s'éloigner. En 1818, il
    publia _la Campagne de 1815_, ce qui le fit rayer des contrôles
    de l'armée par Louis XVIII, mais il rentra en activité avec
    Louis-Philippe qui le nomma général de division et le choisit
    comme aide de camp. En 1840, il accompagna le prince de
    Joinville à Sainte-Hélène, ramena avec lui les cendres de
    Napoléon, et fut élevé ensuite à la Pairie.

  GRAMONT (Mme DE), tante du duc de Gramont de la branche d'Aster,
    religieuse du Sacré-Cœur et supérieure de la maison de Paris.

  GRANVILLE (lord)*, 1775-1846. Diplomate anglais, longtemps
    ambassadeur à Paris.

  GRANVILLE (lady), morte en 1862. Elle était fille du duc de
    Devonshire.

  GRANVILLE (lady Charlotte-Georgiana), morte en 1885. Deuxième
    fille de lord Granville, elle avait épousé en 1833
    Alexander-George Fullerton. Elle resta toute sa vie très liée
    avec la marquise de Castellane. Elle acquit, par ses romans, une
    certaine célébrité littéraire.

  GRÉGOIRE VII (Hildebrand), 1015-1085. Élu Pape en 1073, il fut un
    des plus grands Pontifes romains et est resté célèbre par ses
    luttes contre l'Empereur d'Allemagne.

  GRISI (Giulia)*, 1812-1869. Cantatrice italienne d'un grand talent
    et d'une grande beauté.

  GREY (lord)*, 1764-1845. Homme d'État anglais.

  GREY (lady)*, 1775-1861. Née Ponsonby.

  GRIVEL (l'abbé Louis-Jean-Joseph), 1800-1866. Dès 1825, il fut
    prédicateur à Paris. En 1829, il fut chargé par la Cour de
    prononcer le panégyrique de saint Louis devant l'Académie
    française. Devenu aumônier de la Chambre des Pairs en 1834, il
    fut, trois ans plus tard, nommé chanoine de Saint-Denis.

  GROS (Antoine-Jean), 1771-1835. Célèbre peintre d'histoire. Son
    père peignait la miniature et fut son premier maître, puis il
    entra dans l'atelier de David. Atteint par la réquisition, ce
    fut en suivant les opérations militaires qu'il acquit un talent
    tout particulier pour représenter les batailles. Il reçut plus
    tard, de Charles X, le titre de Baron.

  GUERNON-RANVILLE (le comte DE), 1787-1866. Magistrat et homme
    d'État français. En 1820, président du tribunal civil de Bayeux,
    il s'y signala par son zèle et ses talents. En 1829, le prince
    de Polignac l'appela à prendre dans son ministère le
    portefeuille de l'Instruction publique et des Cultes. Il se
    prononça, dans le Conseil des ministres, contre les Ordonnances
    de juillet 1830, mais ne les signa pas moins. Jugé avec ses
    collègues, par la Chambre des Pairs, il fut condamné à la mort
    civile et à la détention perpétuelle. L'amnistie de 1836 lui
    rendit heureusement la liberté.

  GUICHE (le duc DE), 1819-1880. Connu plus tard sous le nom de duc
    de Gramont. Diplomate, il fut ambassadeur de France à Turin, à
    Rome, à Vienne, et était ministre des Affaires étrangères, lors
    de la déclaration de la guerre à la Prusse en 1870. Il avait
    épousé en 1848 une Anglaise, fille d'un membre du Parlement.

  GUILLAUME Ier, 1772-1843. Roi des Pays-Bas. Fils du stathouder
    Guillaume V de Nassau; ce fut sous son règne que la Belgique se
    détacha de sa couronne après la révolution de 1830, pour devenir
    un État indépendant. Il avait épousé la princesse Frédérique de
    Prusse, après la mort de laquelle il s'unit morganatiquement
    avec une Belge, la comtesse d'Oultremont. Il abdiqua en 1840.

  GUIZOT (François-Pierre-Guillaume)*, 1787-1874. Homme d'État et
    historien français.


  H

  HAINGUERLOT (M.), mort en 1842; il avait épousé Mlle Stéphanie
    Oudinot, fille du maréchal Oudinot, duc de Reggio.

  HAMILTON (John-Church), 1792-1882. Fils du major-général Hamilton,
    l'ami de M. de Talleyrand, il fut, pendant peu de temps, aide de
    camp du Major-général Harrisson qui devint plus tard Président
    des États-Unis. Hamilton devint ensuite avocat, et consacra sa
    vie à la mémoire de son père, dont il écrivit la vie, et publia
    les œuvres.

  HAMILTON (la duchesse DE), 1817-1887. Marie-Amélie, dernière fille
    du grand-duc Charles-Louis-Frédéric de Bade et de la
    grande-duchesse, née Stéphanie de Beauharnais.

  HANOVRE (le roi de), 1771-1851. Ernest-Auguste, duc de Cumberland
    *, monta sur le trône de Hanovre en 1837, à la mort de son
    frère, le Roi Guillaume IV d'Angleterre.

  HANOVRE (le prince Georges DE), 1819-1878. Plus tard George V*,
    Roi de Hanovre.

  HARCOURT (lady Élisabeth), 1793-1838.

  HARRISSON (miss). Gouvernante des trois princesses de Courlande
    qui furent plus tard la comtesse de Lazareff, la comtesse de
    Hohenthal et Mme de Boyen. Elle vécut jusqu'à sa mort chez Mme
    de Lazareff, à Dyrnfurth.

  HAUSSONVILLE (le comte Joseph-Bernard D'), 1809-1884. Homme
    politique et écrivain français; il fut député sous la monarchie
    de Juillet, puis à l'Assemblée nationale de 1871. Il était
    membre de l'Académie française.

  HÉLIAUD (le comte D'), 1768-1858. Il vivait en Touraine assez
    solitairement et y mourut la même année que son fils, qui était
    employé au ministère des Affaires étrangères.

  HÉLIE. Valet de chambre du prince de Talleyrand durant de longues
    années.

  HENEAGE (M.). Diplomate anglais, attaché à l'ambassade de Paris en
    1840.

  HENNENBERG (M.), mort en 1836. Conseiller de justice au tribunal
    de Berlin.

  HESSE (le prince Georges DE), 1793-1881. Ce prince était au
    service de Prusse.

  HESSE-DARMSTADT (le grand-duc Louis II DE)*, 1777-1848. Il avait
    épousé une princesse de Bade.

  HESSE-DARMSTADT (la princesse Élisabeth DE), 1815-1885. Fille du
    prince Guillaume de Prusse, frère du Roi Frédéric-Guillaume III,
    et sœur aînée de la Reine Marie de Bavière.

  HESSE-DARMSTADT (la princesse Marie DE), 1824-1880. Fille de Louis
    II, grand-duc de Hesse, elle épousa, en 1841, le grand-duc
    héritier de Russie, qui succéda à son père, l'Empereur Nicolas
    Ier, en 1855.

  HOHENLOHE-OERINGEN (le prince Frédéric DE), né en 1812. Major de
    cavalerie au service de Würtemberg.

  HOHENTHAL (le comte Alfred DE), né en 1806. Chambellan du Roi de
    Saxe, il avait épousé la princesse Louise de Biron-Courlande.

  HOHENTHAL (la comtesse Louise DE)*. 1808-1845. Née princesse de
    Biron-Courlande.

  HOHENZOLLERN-HECHINGEN (le prince Frédéric DE), 1776-1838. Ce
    Prince avait épousé en 1800 la princesse Pauline de Courlande,
    sœur de la duchesse de Talleyrand.

  HOHENZOLLERN-HECHINGEN (la princesse DE), 1782-1845. Pauline,
    princesse de Courlande, fille du duc Pierre de Courlande.

  HOHENZOLLERN-HECHINGEN (le prince Constantin DE), 1800-1859. Fils
    du prince Frédéric de Hohenzollern-Hechingen, et de la princesse
    de Courlande. Par suite d'une convention signée en 1849, le
    prince Constantin abdiqua le gouvernement de la principauté de
    Hohenzollern en faveur du Roi de Prusse, et en 1850, il reçut le
    titre d'Altesse Royale. Il épousa d'abord la princesse de
    Leuchtenberg dont il n'eut pas d'enfants, puis,
    morganatiquement, la fille du baron de Schenk, dont il eut deux
    enfants qui portèrent le nom de Rothenbourg.

  HOLLAND (lord)*, 1772-1840. Homme d'État anglais, neveu du célèbre
    Fox.

  HOLLAND (lady)*, morte en 1840. Elle avait été, en premières
    noces, lady Webster.

  HOTTINGER (le baron Jean-Conrad), 1764-1841. D'origine suisse, M.
    Hottinger forma à Paris une importante maison de commerce. Créé
    baron de l'Empire en 1810, il fut, en 1815, élu à la Chambre des
    Cent-Jours. Il devint, plus tard, président de la Chambre du
    commerce, juge au tribunal de commerce et régent de la Banque de
    France.

  HOWARD DE WALDEN (Charles-Auguste Ellis, baron), né en 1799.
    Diplomate anglais; sous-secrétaire d'État aux Affaires
    étrangères en 1824, ministre à Stockholm en 1832, à Lisbonne en
    1834 et à Bruxelles en 1846.

  HÜBNER (le comte DE), 1811-1892. Entré en 1833 dans la
    chancellerie du prince de Metternich, qui appréciait ses
    qualités, il fut ensuite secrétaire de légation à Lisbonne,
    consul général à Leipzig et conseiller politique du maréchal
    Radetzky en Italie. Fait prisonnier à Milan en 1848, il ne fut
    remis en liberté qu'après la conclusion de la paix avec le roi
    Charles-Albert. En 1849, il fut d'abord ministre, puis
    ambassadeur à Paris jusqu'en 1859. En 1867, M. de Hübner fut
    nommé ambassadeur à Rome. Il quitta ensuite la diplomatie et se
    consacra à ses voyages et à ses ouvrages littéraires.

  HUGEL (Ernest-Eugène DE), 1774-1849. Général au service
    d'Autriche, où il fut quelque temps Ministre de la guerre. Il
    avait été aussi ministre d'Autriche à Paris.

  HUMANN (Mlle Louise), née vers 1757. Elle égalait, par sa piété,
    les chrétiennes de l'Église primitive, et fut, à Strasbourg où
    elle vivait, la protectrice des abbés Bautain, Gratry et
    Ratisbonne. Elle était la sœur de l'évêque de Mayence et du
    Ministre des finances du Roi Louis-Philippe.

  HUMANN (Jean-Georges)*, 1780-1842. Homme d'Etat et financier
    français, d'une vieille famille alsacienne.

  HUMBOLDT (le baron Guillaume DE), 1767-1835. Homme d'État et
    philologue prussien. Il était en 1802 Ministre résident à Rome,
    puis il fut conseiller d'État à Berlin, et chef de la section
    des Cultes et de l'Instruction publique. Nommé, en 1808,
    ministre plénipotentiaire à Vienne, il prit part en 1810 aux
    conférences de Prague, en 1815, au Congrès de Vienne. Envoyé
    extraordinaire à Londres en 1816, puis ministre d'État et membre
    de la commission chargée de préparer, en 1818, la constitution
    prussienne, il résigna ses fonctions en 1819, pour ne s'occuper
    plus que de travaux littéraires.

  HUMBOLDT (Alexandre DE), 1769-1858. Grand naturaliste et savant
    allemand, qui s'est illustré par ses voyages scientifiques dans
    le Nouveau Monde, et par le génie dont sont empreintes les
    nombreuses relations qu'il en a données. Il était frère du
    précédent.

  HUMBOLDT (Mme Guillaume DE), 1771-1829. Fille de Frédéric de
    Dachrœden, elle avait épousé Guillaume de Humboldt en 1791.

  HUMBOLDT (Caroline DE), 1792-1837. Fille aînée de Guillaume de
    Humboldt.

  HYDE DE NEUVILLE (le baron Jean-Guillaume), 1776-1857. Homme
    politique français, très attaché à la royauté. Impliqué dans un
    complot contre Napoléon Ier, il s'enfuit aux États-Unis, et ne
    revint en France qu'à la chute de l'Empire. Député en 1815, il
    devint en 1816 ministre aux États-Unis, puis en Portugal. En
    1828, dans le ministère Martignac, il prit le portefeuille de la
    Marine, qu'il résigna à l'avènement du cabinet Polignac. Après
    1830, il défendit la cause désespérée du duc de Bordeaux et
    vécut dès lors dans la retraite.


  I

  IBRAHIM-PACHA, 1772-1848. Fils du vice-Roi d'Égypte Méhémet-Ali,
    qu'il seconda dans la réorganisation égyptienne. Il envahit la
    Syrie en 1832 sur l'ordre de son père et marchait sur
    Constantinople, quand il fut arrêté à Kutayeh par l'intervention
    des puissances européennes. Quelques années après, la guerre
    ayant recommencé, Ibrahim remporta en 1839 à Nezib une bataille
    décisive sur les Turcs, mais le traité de Londres (15 juillet
    1840) et le bombardement des ports de la Syrie par la flotte
    anglaise, le forcèrent une seconde fois à abandonner sa conquête
    de la Syrie. Depuis lors, il ne s'occupa plus que de
    l'administration intérieure de l'Égypte.

  ISABELLE II*, 1830-1904. Reine d'Espagne.

  ISTURITZ (Xavier D'), né en 1790. Homme d'État espagnol, il siégea
    dès 1812 aux Cortès, et s'y fit remarquer par son patriotisme
    révolutionnaire. Président de la Chambre des _Procuradores_ en
    1835, ses idées libérales le compromirent et il dut s'enfuir à
    Londres. Il remplit plus tard plusieurs missions auprès des
    différentes Cours de l'Europe et fut même ambassadeur à Paris de
    1863 à 1864.


  J

  JACKSON (André), 1767-1845. Général américain et septième
    Président de la République des États-Unis en 1829. En 1834, il
    réclama, de façon très hautaine, à la France, une indemnité de
    vingt-cinq millions, pour les bâtiments saisis aux États-Unis
    sous l'Empire. Après deux Présidences successives, il rentra
    dans la vie privée.

  JAUBERT (le chevalier), 1779-1847. Orientaliste qui accompagna
    Bonaparte en Égypte, comme interprète. Il fut secrétaire
    interprète au ministère des Affaires étrangères, maître des
    requêtes, puis chargé d'affaires à Constantinople. En 1819, il
    était secrétaire interprète de Louis XVIII. Il entra à
    l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1830 et fut
    fait pair de France par Louis-Philippe.

  JAUBERT (le comte Hippolyte-François), 1798-1874. Homme politique
    et savant français; il fut député en 1831 et ministre des
    Travaux publics en 1840. Nommé pair de France en 1844, la chute
    de Louis-Philippe le fit rentrer dans la vie privée.

  JAUCOURT (la marquise DE)*, 1762-1848. Née Mlle Charlotte de
    Bontemps.

  JERSEY (lady Sarah)*, 1787-1867. Elle eut un des salons les plus
    remarquables de Londres.

  JOINVILLE (François d'Orléans, prince DE), 1818-1900. Troisième
    fils du Roi Louis-Philippe; il servit dans la marine et ramena
    en France les restes de Napoléon en 1840. En 1843, il épousa la
    princesse Françoise de Bragance, fille de l'Empereur du Brésil.

  JUMILHAC (Odet de Chapelle DE), 1804-1880. Duc de Richelieu.
    Neveu, par sa mère, du duc de Richelieu mort en 1822, M. de
    Jumilhac prit le titre de son oncle et devint ainsi membre de la
    Chambre des Pairs. Il était chevalier de la Légion d'honneur.


  K

  KAROLYI (la comtesse Ferdinande), 1805-1844. Fille du prince Louis
    de Kaunitz-Rietberg, elle épousa en 1823 le comte Louis Karolyi.

  KENT (la duchesse DE)*, 1786-1861. Belle-sœur du Roi Guillaume IV
    d'Angleterre et mère de la Reine Victoria.

  KRÜDENER (la baronne DE), 1760-1825. Julie de Witkingoff, fille du
    gouverneur de Riga, épousa, à l'âge de quatorze ans, M. de
    Krüdener, ministre de Russie à Berlin, dont elle eut deux
    enfants. Son mari divorça en 1791. Après une série d'aventures,
    elle s'insinua dans l'intimité de la Reine Louise de Prusse,
    puis se jeta dans une dévotion exaltée. Se trouvant à Paris en
    1814 lors de l'entrée des Alliés, elle y prit un grand ascendant
    sur L'Empereur Alexandre Ier. Expulsée d'Allemagne, puis de
    Suisse, Mme de Krüdener vint se réfugier dans ses propriétés
    près de Riga; elle s'y mit en rapport avec les frères Moraves et
    partit enfin, en 1822, pour la Crimée, dans le dessein de fonder
    une maison de refuge pour les criminels et les pécheurs.

  KRÜDENER (la baronne Amélie DE), 1808-1888. Belle-fille de la
    précédente; elle était une fille naturelle de la princesse de la
    Tour et Taxis (née Mecklembourg-Strelitz), sœur de la Reine
    Louise de Prusse, et du comte Maximilien de Lerchenfeld qui
    l'éleva chez lui, et dont la femme l'adopta. Elle épousa, en
    1825, M. de Krüdener, et en secondes noces, en 1850, le comte
    Nicolas Adlerberg, aide de camp de l'Empereur Nicolas Ier de
    Russie.

  KRÜGER (François), 1797-1857. Peintre de portraits, très en renom
    à Berlin.

  KUHNEIM (la comtesse), 1770-1854. Elle était née During, et était
    une amie de la princesse Charles de Prusse.


  L

  LA BESNARDIÈRE (J.-B. Goney DE)*, 1765-1843. Conseiller d'État,
    qui, depuis sa retraite, en 1819, vécut beaucoup en Touraine.

  LABORDE (le comte Léon DE), 1807-1869. Archéologue et voyageur, il
    fut, pour peu de temps, diplomate. Nommé député en 1840, il fut
    conservateur du Musée des antiques au Louvre, de 1845 à 1848. Il
    fut appelé au Sénat en 1868.

  LABOUCHÈRE (Henri)*, 1798-1869. Membre du Parlement anglais.

  LA BRICHE (la comtesse DE). Mme de La Briche s'était fait, à
    Paris, un salon célèbre, en réunissant chez elle des hommes
    distingués et des gens de lettres. Elle possédait le château du
    Marais, près de Paris, où elle faisait souvent jouer la comédie.
    Sa fille avait épousé M. Molé.

  LA BRUYÈRE (Jean DE)*, 1645-1695. Auteur des _Caractères_.

  LACAUE-LAPLAGNE (Jean-Pierre-Joseph), 1795-1849. Élève de l'École
    polytechnique, il prit part aux dernières campagnes de l'Empire
    et démissionna lors du retour des Bourbons. Il s'adonna dès lors
    à l'étude du droit, se fit recevoir avocat à Toulouse et entra
    dans la magistrature. Il fut député du Gers, et reçut plusieurs
    fois le portefeuille des finances. Le Roi Louis-Philippe lui
    avait confié l'administration des biens du duc d'Aumale.

  LACORDAIRE (Henri), 1802-1861. Célèbre prédicateur français,
    Dominicain de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Il entra à
    l'Académie française en 1860, en remplacement de M. de
    Tocqueville.

  LADVOCAT (M.). Procureur du Roi sous la monarchie de 1830. Porteur
    de recommandations, Fieschi s'était adressé à lui, lors de son
    arrivée à Paris, pour obtenir une place. Après l'attentat,
    Fieschi, qui avait pris un faux nom, fut reconnu par M.
    Ladvocat.

  LAFARGE (Mme). La mère de M. Lafarge. Elle ne put, dans le fameux
    procès, se mettre à l'abri de tout soupçon. Elle avait brisé les
    cachets du testament de sa bru pour en connaître les
    conclusions.

  LAFARGE (M.). Veuf à 28 ans, Pouch Lafarge, possesseur d'une forge
    au Glandier (Corrèze), était toujours mal dans ses affaires et
    réduit aux expédients, il épousa Marie Capelle, qui se rendit
    tristement célèbre en l'empoisonnant.

  LAFARGE (Mme), 1816-1852. Marie Capelle, orpheline, épousa, en
    1839, M. Lafarge. Un célèbre et triste procès la fit condamner à
    la prison perpétuelle.

  LA FAYETTE (le marquis de)*, 1767-1834. Député aux États généraux
    en 1789, il prit une certaine part aux événements
    révolutionnaires de son temps.

  LAFFITTE (Jacques), 1767-1844. Financier français; il joua un rôle
    important dans la révolution de Juillet et fut ministre du Roi
    Louis-Philippe.

  LAMARTINE (Alphonse DE), 1790-1869. Poète et homme politique
    français, il entra à l'Académie en 1830, à la Chambre des
    députés en 1834; il acquit une grande popularité qui s'évanouit
    bientôt après 1848.

  LAMB (Frédéric)*, 1782-1848. Diplomate anglais, frère de lord W.
    Melbourne et héritier de son titre.

  LAMBRUSCHINI (le cardinal), 1776-1854. Il fut évêque de Sabine,
    archevêque de Gênes, et nonce du Saint-Siège à Paris sous
    Charles X. Il reçut le chapeau de Cardinal en 1831. Le pape
    Grégoire XVI le nomma ministre des Affaires étrangères, puis
    secrétaire des brefs et préfet de la Congrégation des Études.
    Après les événements de 1848, il suivit Pie IX à Gaëte.

  LANSDOWNE (lady)*. Morte en 1851. Elle avait épousé en 1851 le
    marquis de Lansdowne.

  LARCHER (Mlle Henriette)*, 1782-1860. Institutrice de Mlle Pauline
    de Périgord.

  LA REDORTE (le comte Mathieu DE)*, 1804-1886, diplomate français.

  LA REDORTE (la comtesse DE), morte en 1885. Elle était née Louise
    Suchet, fille du maréchal d'Albuféra.

  LA ROCHEFOUCAULD (le comte Sosthène DE). Duc de Doudeauville,
    1785-1864. Aide de camp du comte d'Artois sous la Restauration,
    il fut toujours un légitimiste ardent, et s'occupa aussi
    beaucoup de littérature.

  LA ROCHEFOUCAULD (Marie DE), morte en 1840. Elle était fille du
    duc Sosthène de la Rochefoucauld-Doudeauville et petite-fille de
    la duchesse Mathieu de Montmorency.

  LA ROVÈRE (la marquise DE), 1817-1840. Élisabeth de Stackelberg,
    Russe d'origine, se fit catholique en épousant le marquis de la
    Rovère, et mourut bientôt après son mariage. Son tombeau, en
    marbre blanc, se trouve au Campo-Santo de Turin.

  LAS CASES (le comte Emmanuel DE), 1800-1854. Il avait suivi son
    père à Sainte-Hélène. La révolution de 1830 trouva plus tard en
    lui un auxiliaire ardent. Nommé député, il siégea dans les rangs
    du parti libéral et entra au Sénat après le coup d'État du 2
    décembre 1852.

  LAVAL (le prince Adrien DE)*, 1768-1837. Pair de France et
    diplomate.

  LAVAL (la vicomtesse DE), 1745-1838. Mlle Tavernier de Boullongne
    avait épousé en 1765 le vicomte de Laval et fut la mère du duc
    Mathieu de Montmorency, qui fut ministre des Affaires
    étrangères. Elle était une grande amie de M. de Talleyrand.

  LAZAREFF (Mme DE), 1813-1881. Elle était née princesse Antoinette
    de Biron-Courlande *.

  LÉAUTAUD (la comtesse DE). Alexandrine-Clémentine de Nicolaï,
    fille du marquis et de la marquise Scipion de Nicolaï, née
    Lameth. Son nom parut dans le procès Lafarge, au sujet d'un vol
    de diamants, dont on accusait Mme Lafarge, tandis que celle-ci
    prétendait qu'ils lui avaient été remis par Mme de Léautaud.

  LEBRUN (Pierre-Antoine), 1785-1873. Littérateur, il fit partie de
    l'Académie française depuis 1828. De 1830 à 1848, il fut
    directeur de l'Imprimerie royale. Nommé pair de France en 1839,
    il fut appelé au Sénat en 1853 et devint grand-officier de la
    Légion d'honneur.

  LE HON (le comte)*, 1792-1868. Homme d'État belge, pendant de
    longues années ministre à Paris.

  LÉON (le prince Charles-Louis-Jocelyn DE), 1819-1893. Il prit le
    titre de duc de Rohan, à la mort de son père en 1869. Il avait
    épousé Mlle de Boissy en 1843.

  LERCHENFELD (le comte Maximilien DE), 1779-1843. Homme d'État
    bavarois; il coopéra à l'élaboration de la Constitution
    bavaroise, et prit en 1825 le portefeuille des Finances, qu'il
    laissa pour devenir ambassadeur près de la Diète germanique. Il
    avait épousé la baronne Anna de Grosschlag.

  LESTOCQ (Mme DE), 1788-1849. Veuve du général de Lestocq,
    gouverneur de Breslau, mort en 1818. Elle était grande-maîtresse
    de Cour de la princesse Guillaume de Prusse, née princesse de
    Hesse-Hombourg, belle-sœur du Roi Frédéric-Guillaume III.

  LEUCHTENBERG (le prince Auguste-Charles DE)*, 1807-1835. Il fut
    pendant peu de temps l'époux de doña Maria, Reine de Portugal.

  LEVESON (George), 1815-1891. Il fut secrétaire de son père lord
    Granville, ambassadeur d'Angleterre à Paris, puis secrétaire au
    ministère des Affaires étrangères. En 1846, à la mort de son
    père, il hérita de son titre et entra à la Chambre des Pairs. Il
    quitta et reprit différentes fois le pouvoir et se retira
    définitivement en 1886 avec M. Gladstone.

  LEZAY-MARNÉSIA (le comte DE)*, 1772-1857. Préfet et pair de
    France sous les Bourbons, il fut sénateur sous l'Empire, en
    1852.

  LIAUTARD (l'abbé), 1774-1842. Il fit ses études au collège
    Sainte-Barbe à Paris, puis le décret du 23 août 1793 l'appela
    sous les drapeaux. Entré à l'École polytechnique, il fut un des
    plus brillants élèves, mais, renonçant au monde, il entra au
    séminaire de Saint-Sulpice et fut ordonné prêtre en 1804. L'abbé
    Liautard fonda le collège qui devait être plus tard le collège
    Stanislas, puis devint curé-archiprêtre de Fontainebleau, après
    avoir refusé l'évêché de Limoges.

  LICHTENSTEIN (la princesse DE), 1776-1848. Née landgravine
    Joséphine de Fürstenberg, elle avait épousé en 1792 le prince
    Jean-Joseph de Lichtenstein.

  LIEBERMANN (le baron Auguste DE), 1791-1841. Diplomate prussien,
    il représenta la Prusse à Madrid en 1836, et à Pétersbourg en
    1840.

  LIEVEN (le prince DE)*, 1770-1839. Diplomate russe; il fut pendant
    vingt-deux ans ambassadeur à Londres.

  LIEVEN (la princesse DE)*, 1784-1857. Née Dorothée de Benkendorff.

  LIEGNITZ (la princesse DE), 1800-1873. La comtesse de Harrach
    épousa morganatiquement en 1824 le Roi Frédéric-Guillaume III de
    Prusse, qui lui donna le titre de princesse de Liegnitz.

  LINANGE (le prince Charles DE), 1804-1856. Fils du premier mariage
    de la duchesse de Kent; il avait épousé une comtesse de
    Klebelsberg.

  LINDENAU (le baron Bernard-Auguste DE), 1780-1854. Savant
    astronome et homme politique allemand; il reçut plusieurs
    missions diplomatiques, et devint en 1830 ministre de
    l'Intérieur, en Saxe; il travailla activement à doter ce pays
    d'une constitution. Il a créé à Dresde un musée astronomique.

  LINGARD (John), 1769-1851. Historien anglais; il était prêtre
    catholique, et avait été élevé à Douai chez les jésuites.

  LISFRANC DE SAINT-MARTIN (Jacques), 1790-1847. Célèbre chirurgien
    français, qui se fit un grand renom sous la deuxième
    Restauration.

  LOBAU (le comte DE), 1770-1838. Il prit, comme volontaire, une
    part active aux campagnes de la République et de l'Empire. Après
    Leipzig, enveloppé dans la capitulation de Gouvion-Saint-Cyr, il
    fut envoyé prisonnier en Hongrie, et y resta jusqu'à la
    Restauration. Commandant de la 1re division militaire pendant
    les Cent-Jours, il dirigea le 6e corps à Waterloo où il tomba
    entre les mains des Anglais. Exilé de 1815 à 1818, il vécut
    ensuite dans la retraite jusqu'en 1823, où il entra à la Chambre
    des députés. Il fut fait Pair de France et Maréchal en 1831 et
    combattit avec succès les émeutes qui eurent lieu à Paris en
    1831 et 1834.

  LOBAU (la maréchale). Elle était la fille de Mme d'Arberg et la
    belle-sœur du général de Klein.

  LOEWENHIELM (le comte Gustave-Charles-Frédéric, DE), 1771-1856.
    Diplomate suédois; ministre extraordinaire au Congrès de Vienne
    en 1815 et ministre de Suède en Autriche en 1816, il alla
    ensuite à Paris avec le même titre et y résida durant
    trente-huit ans. Il avait une grande fortune, qu'il employait
    très noblement.

  LOEWENHIELM (la comtesse DE), 1783-1859. Mlle de
    Schœnburch-Wechselburg épousa en premières noces, en 1806, le
    comte Gustave de Düben, alors chargé d'affaires de Suède à
    Vienne. Devenue veuve en 1812, elle se remaria en 1826 avec le
    comte de Lœwenhielm, lui-même veuf d'une baronne de Gur.

  LOEWE-WEIMAR (le baron François-Adolphe DE), 1801-1854. Il
    appartenait à une famille israélite allemande, mais embrassa le
    christianisme, et, venu à Paris, s'y fit une place dans la
    littérature. M. Thiers lui fit confier une mission en Russie.
    Nommé Consul général à Bagdad, il s'y fit remarquer, en 1847,
    par son dévouement pendant l'épidémie du choléra. Il fut, plus
    tard, Consul général à Caracas.

  LOGÈRE (M. DE). Attaché libre à la légation de France à Berlin.

  LOTTUM (le comte Charles-Henri DE), 1767-1841. Général
    d'infanterie et ministre d'État en Prusse sous le règne de
    Frédéric-Guillaume III, puis ministre du Trésor. Il avait épousé
    Mlle Frédérique de Lamprecht.

  LOUIS-PHILIPPE Ier*, 1773-1849. Roi des Français de 1830 à 1848.

  LOUVEL (Louis-Pierre), 1783-1820. Ouvrier sellier, qui assassina,
    le 13 février 1820, par fanatisme politique, à la sortie de
    l'Opéra, le duc de Berry, fils de Charles X, neveu de Louis
    XVIII, pour mettre fin à la dynastie des Bourbons. Condamné par
    la Cour des pairs, il fut exécuté.

  LUCQUES (la duchesse DE), 1803-1879. Elle était fille du Roi de
    Sardaigne, et sœur jumelle de l'Impératrice Caroline
    d'Autriche, épouse de l'Empereur Ferdinand II.

  LUTTEROTH (Alexandre DE), 1806-1882. Né à Leipzig, il servit,
    pendant sa jeunesse, dans la diplomatie française. Il avait
    épousé une comtesse Batthyàny.

  LYNDHURST (lord), 1770-1864. Homme politique anglais, du parti
    tory. Dans trois cabinets, il eut le Grand Sceau, et occupa
    successivement les postes les plus élevés dans les affaires de
    son pays. Il avait, en secondes noces, épousé une israélite, Mrs
    Norton, ce qui explique qu'il soutint avec tant de vigueur le
    Bill pour l'admission des juifs au Parlement.


  M

  MACDONALD (le maréchal Alexandre), 1765-1840. D'une famille
    d'origine irlandaise; il fit toutes les campagnes de la
    République et de l'Empire. Disgracié en 1804 pour avoir défendu
    Moreau, il ne reprit du service qu'en 1809, où sa belle
    conduite, à Wagram, lui valut le titre de duc de Tarente. Après
    l'abdication de Napoléon Ier, il fut nommé pair de France et
    grand-chancelier de la Légion d'honneur, dignité qu'il conserva
    jusqu'en 1831.

  MACDONALD (le général Alexandre DE), 1824-1881. Duc de Tarente;
    fils unique du maréchal Macdonald et de Mlle de Bourgoing, il
    était le filleul du Roi Charles X et de Madame la Dauphine. A
    l'avènement de Napoléon III, il devint chambellan de l'Empereur
    et chevalier de la Légion d'honneur. Député en 1852, sénateur en
    1869, il rentra dans la vie privée en 1870.

  MAGON-LABALLUE DE BOISGARIN (Mlle), 1765-1834. Issue d'une famille
    de gentilshommes devenus armateurs, elle épousa, en 1779, le
    comte de Villefranche, des princes de Carignan, après la mort
    duquel elle vécut à Paris, très retirée.

  MAHOMET II, 1785-1839. Sultan des Turcs ottomans; il monta sur le
    trône en 1808. Ses guerres furent funestes à son Empire, mais
    dans son administration intérieure, il fit de grandes réformes,
    appelant les sciences et les institutions de l'Occident à son
    aide, disciplinant ses troupes à l'européenne, et garantissant
    la liberté des cultes par un firman de 1839.

  MAILLÉ (le duc DE), 1770-1837. Charles-François-Armand de la
    Tour-Landry, duc de Maillé, fut, avant la Révolution, premier
    gentilhomme de la chambre de Monsieur; ayant émigré avec les
    Princes, il se tint en dehors de la politique jusqu'à la chute
    de l'Empire, prit une grande part au mouvement royaliste de
    1814, et reprit ses anciennes fonctions auprès du Roi Louis
    XVIII, qui le nomma Pair de France. Il refusa de prêter serment
    à la monarchie de Juillet.

  MAINTENON (la marquise DE)*, 1625-1719. Épouse morganatique du Roi
    Louis XIV, et éducatrice célèbre.

  MAISON (le maréchal)*, 1771-1840. Pair de France et diplomate
    français; il fit partie de plusieurs Cabinets.

  MAISON (la maréchale). Marie-Madeleine-Françoise Weygold était née
    en 1776 en Prusse et avait épousé le maréchal Maison, alors chef
    de bataillon, en 1796.

  MALESHERBES (Chrétien-Guillaume Lamoignon DE), 1721-1794. Fils du
    chancelier Lamoignon, il fut ministre avec Turgot sous Louis
    XVI; il défendit le Roi devant la Convention et mourut lui-même
    sur l'échafaud. Il était membre de l'Académie française.

  MALTZAN (le comte Mortimer DE), 1783-1843. Premier gentilhomme de
    la Cour de Prusse, chambellan et major, Ministre
    plénipotentiaire auprès de la cour de Vienne. Il avait épousé
    une comtesse de Golz.

  MANNAY (l'abbé Charles), 1745-1824. Il fit ses études à
    Saint-Sulpice et s'y distingua. Ordonné prêtre, il devint grand
    vicaire, puis chanoine de la cathédrale de Reims. A la
    Révolution, il passa en Angleterre et en Écosse, puis fut nommé
    en 1802 évêque de Trèves; il démissionna en 1814 et revint en
    France, où il fut nommé en 1817 à l'évêché d'Auxerre, et en
    1820 à celui de Rennes. Il était un grand ami du prince de
    Talleyrand.

  MARBEUF (la marquise DE), 1765-1839. Elle épousa en 1784 le comte,
    depuis marquis de Marbeuf, gentilhomme de la chambre du comte de
    Provence et Maréchal de camp, puis gouverneur de la Corse. Elle
    devint veuve en 1786, et se retira au couvent du Sacré-Cœur où
    elle prit le voile.

  MARBOIS (le marquis de Barbé-)*, 1745-1837. Diplomate et homme
    politique français, longtemps président de la Cour des comptes.

  MARCHAND (Louis-Joseph-Narcisse), 1791-1876. Premier valet de
    chambre de l'Empereur Napoléon Ier, qu'il suivit à
    Sainte-Hélène. C'est à lui que l'Empereur dicta le _Précis des
    guerres de Jules César_, que Marchand publia en 1836. A son lit
    de mort, Napoléon lui donna le titre de Comte et le fit
    dépositaire de son testament. Revenu en France, Marchand épousa
    en 1823 la fille du général Brayer et se fixa à Strasbourg. En
    1840, il fut adjoint au prince de Joinville pour ramener de
    Sainte-Hélène les cendres de l'Empereur; il fut fait chevalier,
    et, plus tard, officier de la Légion d'honneur.

  MARCHESI (Luigi), 1755-1829. Célèbre chanteur italien, dont la
    méthode a fait autorité dans l'art musical. Il débuta à Rome en
    1774; toutes les capitales de l'Europe se le disputèrent, mais
    il termina au théâtre de sa ville natale, Milan, une carrière
    qui lui avait apporté gloire et richesse.

  MARESCALCHI (la comtesse DE), morte en 1846; elle était la fille
    du marquis de Pange et de Mlle de Caraman.

  MAREUIL (le comte Joseph Durand DE)*, 1769-1855. Diplomate
    français.

  MARIA II ou _Dona Maria da Gloria_*, 1819-1855. Reine de Portugal.

  MARIE-AMÉLIE (la Reine)*, 1782-1866. Épouse du Roi des Français
    Louis-Philippe.

  MARIE-CHRISTINE (la Reine), 1806-1878. Fille de François Ier, Roi
    des Deux-Siciles, elle fut la troisième femme de Ferdinand VII,
    Roi d'Espagne. Devenue veuve et Régente en 1833, elle épousa en
    1834 Ferdinand Muñoz, officier aux Gardes du corps, qui fut créé
    duc de Rinanzarès. Ayant dû fuir en cédant la Régence à
    Espartero (duc de la Victoire), la Reine Christine rentra en
    Espagne en 1843 et gouverna alors au nom de sa fille Isabelle
    II. Exilée de nouveau en 1854, elle se retira à Paris et y vécut
    jusqu'à sa mort.

  MARIE DE MÉDICIS*, 1573-1642. Épouse du Roi de France Henri IV et
    Régente sous la minorité de son fils Louis XIII.

  MARIE D'ORLÉANS (la princesse)*, 1813-1839. Fille du Roi
    Louis-Philippe et épouse du prince Alexandre de Würtemberg.

  MARIE-LOUISE (l'archiduchesse), 1791-1847. Impératrice * par son
    mariage avec Napoléon Ier, elle se fit donner, après la chute de
    son mari, les duchés de Parme, Plaisance et Guastalla. Après la
    mort de l'Empereur, elle épousa le comte de Neipperg dont elle
    eut trois enfants. Elle épousa en troisièmes noces le comte de
    Bombelles.

  MARIE-THÉRÈSE (l'impératrice)*, 1717-1780. Impératrice d'Autriche
    et Reine de Hongrie, épouse de François de Lorraine.

  MARLBOROUGH (la duchesse DE), 1660-1744. Sarah Jennings épousa,
    vers 1680, le célèbre général anglais John Churchill, plus tard
    duc de Marlborough. La duchesse de Marlborough fut la favorite
    de la reine Anne, sur qui elle exerçait une grande influence.

  MAROCHETTI (le baron Charles), 1805-1867. Né à Turin, il avait dix
    ans quand son père adopta la nationalité française, et il fit
    ses études au lycée Napoléon à Paris. Il étudia la sculpture
    dans l'atelier de Bosio, élève de Canova, puis passa huit années
    à Rome. Il laissa un fils, qui, redevenu Italien, entra dans la
    carrière diplomatique, et fut ambassadeur à Saint-Pétersbourg.

  MARS (Mlle). Célèbre actrice de la Comédie-Française.

  MARTIN DU NORD (Nicolas-Ferdinand-Marie-Louis-Joseph)*, 1790-1847.
    Magistrat et homme politique français.

  MARTINEZ DE LA ROSA (François)*, 1789-1862. Littérateur et homme
    d'État espagnol.

  MASSA (la duchesse DE)*, née en 1892. Fille du maréchal Macdonald.

  MASSIMO (la princesse Christine). Morte du choléra en 1837. Fille
    du prince Xavier de Saxe et de la comtesse Claire de Spinucci.

  MATHIEU (M.), peintre français; il donna des leçons de dessin aux
    filles de la grande-duchesse Stéphanie de Bade.

  MATUSIEWICZ (le comte André-Joseph)*, 1790-1842. Diplomate
    polonais, au service russe.

  MAUSSION (le baron Alfred DE). Il commença, comme son frère
    Adolphe, par la carrière militaire, et fut officier. Très liés
    avec les Montmorency, en vertu d'une parenté éloignée, ils
    vivaient dans leur intimité, ainsi que dans celle de la famille
    Dosne. Alfred de Maussion devint là l'ami de M. Thiers, qui le
    fit nommer consul à Rostock.

  MECKLEMBOURG-SCHWERIN (la grande-duchesse DE), 1771-1871. Auguste,
    princesse de Hesse-Hombourg, troisième femme du grand-duc
    héréditaire Frédéric de Mecklembourg-Schwerin, qu'elle épousa en
    1818 et qui mourut en 1819, avant son père. La Grande-Duchesse
    était ainsi belle-mère de la duchesse d'Orléans.

  MECKLEMBOURG-SCHWERIN (la princesse Hélène), 1814-1858. Elle
    épousa en 1837 le duc d'Orléans, dont elle eut deux enfants, le
    comte de Paris et le duc de Chartres, et devint veuve dès 1842.
    Elle était la fille du second mariage du grand-duc héréditaire
    Frédéric de Mecklembourg (mort en 1819), avec une princesse de
    Saxe-Weimar.

  MECKLEMBOURG-STRELITZ (le grand-duc DE), 1779-1860. Succéda à son
    père, le grand-duc Charles, en 1816, et épousa, en 1817, une
    princesse de Hesse-Cassel. Il était frère de la reine Louise de
    Prusse.

  MEDEM (le comte Paul)*, 1800-1854. Diplomate russe, cousin de la
    duchesse de Dino.

  MÉDICIS (Laurent DE), dit _le Magnifique_, 1448-1492. Protecteur
    des arts et des lettres, il honora de son amitié et de ses
    bienfaits Pic de la Mirandole, Ange Politien et Michel-Ange
    auquel on doit son mausolée à Florence.

  MÉHÉMET-ALI, 1769-1849. Vice-roi d'Égypte. D'abord marchand, il se
    fit ensuite soldat, et combattit en Égypte les Français en 1799.
    En 1806, il réussit à expulser le gouverneur de l'Égypte, et se
    fit proclamer vice-Roi. Les Mameluks ne voulant pas cesser leurs
    révoltes, il les fit massacrer, le 1er mars 1811, dans toute
    l'Égypte. Dans ses deux guerres contre la Porte en 1832 et 1839,
    il eut pour lieutenant son fils Ibrahim, qui, par la victoire de
    Nézib, mit le Sultan à sa merci. Une coalition européenne, à
    laquelle la France ne voulut pas prendre part, lui arracha le
    fruit de sa victoire, mais il obtint, pour lui et ses
    descendants, le gouvernement de l'Égypte, sous la suzeraineté de
    la Porte.--Méhémet a introduit de grandes réformes dans son
    pays.

  MELBOURNE (William-Lamb, lord)*, 1779-1848. Homme politique de
    l'Angleterre, frère de lady Palmerston.

  MÉRODE (le comte Werner DE), 1816-1905. Il épousa, en 1843, sa
    cousine Mlle Thérèse de Mérode.

  METTERNICH (le prince DE)*, 1773-1859. Diplomate et homme d'État
    autrichien.

  METTERNICH (la princesse Mélanie DE), 1805-1854. Troisième femme
    du prince de Metternich et fille du comte François de
    Zichy-Ferraris.

  MEUNIER. En 1836, il fut trouvé complice de Lavau qui venait
    d'attenter à la vie de Louis-Philippe. Il était sellier, et
    patron de Lavau.

  MICHEL-ANGE BUONAROTTI, 1474-1564. Célèbre peintre, sculpteur et
    architecte italien, le plus savant et le plus profond des
    dessinateurs. Architecte de la basilique de Saint-Pierre à Rome,
    après la mort de Bramante, il éleva la sublime coupole qui fait
    sa gloire.

  MIRAFLORÈS (le marquis DE)*, 1792-1867. Diplomate et littérateur
    espagnol.

  MOIRA (lord), 1808-1843. Fils aîné du premier marquis de Hastings,
    il fut, en 1830, chambellan du Roi Guillaume IV d'Angleterre.

  MOLÉ (le comte Mathieu)*, 1781-1855. Homme politique français,
    d'une vieille famille parlementaire.

  MOLÉ (la comtesse)*. Morte en 1845. Elle était née Mlle de la
    Briche.

  MOLITOR (le maréchal comte), 1770-1849. Il fit toutes les guerres
    de la Révolution et de l'Empire, fut exilé à la seconde
    Restauration, puis rappelé, en 1818, à ses fonctions
    d'inspecteur général. Il commanda le 2e corps pendant la guerre
    d'Espagne en 1823, et fut fait ensuite Maréchal et pair de
    France. Sous le gouvernement de Juillet, il fut gouverneur des
    Invalides, et grand chancelier de la Légion d'honneur.

  MOLLIEN (la comtesse)*, 1785-1878. Dame du palais de la reine
    Marie-Amélie.

  MOUNIER (le baron Claude-Philippe-Édouard), 1784-1843. Auditeur au
    Conseil d'État sous l'Empire, puis intendant de Saxe-Weimar, et
    ensuite de Basse-Silésie, il reçut en 1809 le titre de Baron et
    en 1813 la charge d'Intendant des bâtiments de la Couronne.
    Louis XVIII le confirma dans cet emploi et le fit pair en 1819.
    Il continua à siéger à la Chambre des pairs après 1830, et prit
    part, avec talent, à un grand nombre de discussions.

  MONTALEMBERT (le comte Charles DE), 1810-1870. Publiciste et homme
    politique français, un des plus brillants défenseurs du
    catholicisme libéral.

  MONTALIVET (le comte DE), 1801-1880. Élève de l'École
    polytechnique, il siégea plus tard à la Chambre des pairs parmi
    les libéraux. Louis-Philippe le nomma, en 1830, ministre de
    l'Intérieur, puis de l'Instruction publique et des Cultes. Comme
    intendant de la Liste civile, il créa le musée de Versailles,
    agrandit celui du Louvre et fit restaurer les palais de
    Fontainebleau, Saint-Cloud, Trianon et Pau. Il entra en 1840 à
    l'Académie des beaux-arts. Les événements de 1848 le rendirent à
    la vie privée.

  MONTBRETON (Mme DE). Clémence-Marie de Nicolaï, fille du marquis
    et de la marquise Scipion de Nicolaï, dont le nom parut dans le
    procès Lafarge.

  MONTEBELLO (Napoléon-Auguste Lannes DE), 1801-1874. Fils du
    célèbre Maréchal. Diplomate et ministre français, créé Pair à 14
    ans par le Roi Louis XVIII; il se rallia au gouvernement de
    Juillet, et plus tard à l'Empire.

  MONTENON (M. DE). Jeune homme de la Creuse qui fréquentait
    beaucoup le château de Valençay.

  MONTESQUIOU (la comtesse Anatole DE), née en 1794. Élodie, fille
    du comte Henri de Montesquiou-Fezensac de Bacquencourt, épousa,
    en 1809, son cousin germain, aide de camp de Napoléon Ier, plus
    tard pair de France. Elle fut première Dame de Cour de la
    duchesse d'Orléans.

  MONTESSUY (le comte DE). Diplomate français, il remplit les
    fonctions de ministre de France à Hanovre en 1849, à Parme 1855,
    à Darmstadt et à Francfort de 1855 à 1858. Il avait épousé une
    fille morganatique du prince Paul de Würtemberg.

  MONTFORT (Mlle DE), 1820-1904. La princesse Mathilde, fille de
    Jérôme, roi de Westphalie et de Catherine, princesse de
    Würtemberg. Elle épousa, en 1841, le comte Anatole Demidoff,
    prince de San-Donato.

  MONTMORENCY (la duchesse DE)*, 1774-1846. Née Mlle de Matignon,
    elle fut la mère du baron Raoul de Montmorency, de la princesse
    de Beauffremont-Courtenay et de la duchesse de Valençay.

  MONTMORENCY (Raoul, baron DE)*, 1790-1862. Il prit le titre de Duc
    à la mort de son père en 1846.

  MONTMORENCY (la duchesse Mathieu DE). Morte en 1858, Hortense de
    Chevreuse-Luynes avait épousé Mathieu de Montmorency-Laval. Sa
    fille unique fut la première femme du duc Sosthène de La
    Rochefoucauld-Doudeauville.

  MONTPENSIER (la duchesse DE)*, 1627-1693. Connue sous le nom de
    _la Grande Mademoiselle_; elle était la fille du duc Gaston
    d'Orléans.

  MONTROND (le comte Casimir DE)*. Ami de M. de Talleyrand; il fut
    parfois chargé de missions diplomatiques peu importantes.

  MORTEMART (Arthur DE). Fils unique du duc de Mortemart, qui mourut
    des suites d'une chute de cheval en octobre 1840.

  MOTTEVILLE (Mme DE), 1621-1689. Françoise Bertaut épousa en 1639
    Nicolas Langlois, seigneur de Motteville, qui mourut en 1641. A
    la mort de Louis XIII, en 1643, Anne d'Autriche appela Mme de
    Motteville auprès d'elle, et l'admit dès lors dans son intimité.
    Mme de Motteville a laissé des _Mémoires_ fort intéressants.

  MUNOZ (Fernando), 1810-1873. Issu d'une famille obscure, il
    s'engagea de bonne heure dans l'armée espagnole et devint Garde
    du corps. La reine Christine se prit pour lui d'une vive
    passion, et l'épousa morganatiquement trois mois après la mort
    de Ferdinand VII. Muñoz ne montra aucune ambition; il accepta
    seulement d'être créé duc de Rianzarès, grand d'Espagne, et
    chevalier de la Toison d'or.

  MUNSTER (le comte DE), 1794-1842. George Fitz-Clarence, fils
    naturel du roi Guillaume IV et de Mrs Jordan, entra très jeune
    dans l'armée, devint major général, membre du Conseil privé,
    aide de camp de la reine Victoria, et il reçut le titre de comte
    de Munster.

  MURAT (Mme), 1782-1839. Caroline Bonaparte, sœur de Napoléon Ier,
    épousa en 1800 le général Murat. Successivement grande-duchesse
    de Berg en 1806 et reine de Naples en 1808, elle devint veuve en
    1815 et se retira alors en Autriche, puis à Florence où elle
    mourut.


  N

  NAPIER (sir Charles), 1786-1860. Capitaine de vaisseau en 1810, il
    fit la campagne de Portugal. En 1815, il fut mis en
    non-activité; mais, en 1829, il entra au service de don Pedro de
    Portugal et fit triompher sa cause. Revenu en Angleterre, il fut
    élu à la Chambre des communes en 1834, nommé _commodore_ en
    1839, contre-amiral en 1846 et vice-amiral en 1853. En 1840, il
    seconda la flotte turque dans l'expédition de Syrie; mais, en
    1853, il fut moins heureux et échoua devant Cronstadt.

  NAPLES (le roi DE), 1810-1859. Ferdinand II *, fils du roi
    François Ier et d'Isabelle d'Espagne.

  NAPLES (la reine DE), 1812-1836. Marie-Christine, fille du roi de
    Sardaigne Victor-Emmanuel Ier, avait épousé en 1832 le roi
    Ferdinand II.

  NAPLES (le prince Charles-Ferdinand DE), 1811-1862. Frère du comte
    de Syracuse, et époux morganatique de miss Penelope Smith, dont
    il eut deux enfants. Son fils porta le titre de comte Mascali.

  NAPLES (le prince Léopold DE), 1813-1860.
    [_Voir_ à SYRACUSE (comte DE)].

  NEALE (la comtesse Pauline), 1779-1869. D'une famille originaire
    d'Irlande, établie en Prusse depuis plusieurs générations, la
    comtesse Neale fut dame d'honneur de la princesse Louise de
    Prusse, mariée en 1795 au prince Antoine Radziwill.

  NEIGRE (le baron), 1774-1847. Engagé volontaire en 1790, il fit
    une brillante carrière dans les guerres du premier Empire. En
    1813, il était général de division; plus tard, il se rallia aux
    Bourbons, prit part au siège d'Anvers, et siégea à la Chambre
    des pairs jusqu'à sa mort.

  NEIPPERG (le comte Alfred DE), 1807-1865. Chambellan autrichien,
    major général würtembergeois, se maria en secondes noces, en
    1840, avec la princesse Marie de Würtemberg.

  NEMOURS (la duchesse DE), 1625-1701. Marie d'Orléans, femme de
    Henri II, duc de Savoie-Nemours, son cousin. En 1690, elle
    recueillit la principauté de Neuchâtel. Elle a laissé des
    _Mémoires_ pleins de grâce et d'esprit.

  NEMOURS (le duc DE)*, 1814-1896. Deuxième fils du roi
    Louis-Philippe.

  NESSELRODE (le comte DE)*, 1780-1862. Diplomate russe, plus tard
    Chancelier de l'empire de Russie.

  NESSELRODE (la comtesse DE)*, morte en 1849. Elle était fille du
    comte Gourieff, qui fut ministre des Finances russes.

  NEUMANN (le baron). Diplomate autrichien qui avait épousé, en
    Angleterre, une fille du duc de Beaufort.

  NEY (la maréchale). Duchesse d'Elchingen, princesse de la Moskowa.
    Née Aglaé-Louise de Lascans, elle avait épousé en 1802 le
    maréchal Ney. La mère de la Maréchale avait rempli des fonctions
    auprès de la reine Marie-Antoinette, ce qui avait amené des
    relations d'enfance entre sa fille et Madame la Dauphine.

  NICOLAÏ (la marquise Scipion DE), née Lameth. Elle fut la mère de
    Mme de Léautaud et de Mme de Montbreton, dont il fut fort
    question à propos d'un vol de diamants, dans le procès Lafarge.

  NICOLE (Pierre), 1625-1695. Moraliste, théologien et
    controversiste, l'un des écrivains les plus remarquables de
    Port-Royal où il enseigna les belles-lettres. Il écrivit, avec
    Arnaud et Pascal, contre les Jésuites; fut enveloppé dans les
    poursuites dont les Jansénistes furent l'objet, et se vit obligé
    de quitter la France en 1679; il ne put y revenir que par
    l'intervention de Mgr de Harlay, archevêque de Paris.

  NINA LASSAVE. Fille de Laurence Petit pour qui Fieschi avait conçu
    une grande passion dans sa prison d'Embrun. Nina, âgée de 15
    ans, avait été laissée à Fieschi par Laurence.

  NOAILLES (le duc Paul DE)*, 1802-1885. Il succéda, dès l'âge de
    vingt ans, à la Pairie, par la mort de son grand-oncle, le duc
    Jean de Noailles.

  NOAILLES (la vicomtesse DE)*, 1792-1851. Fille du duc de Poix,
    elle avait épousé son cousin, le vicomte Alfred de Noailles.

  NOAILLES (le comte Maurice DE). Né en 1808, il épousa, en 1842, sa
    cousine, Mlle Pauline de Noailles, fille du duc de Noailles.

  NORTON (Mrs). Née en 1808. Caroline-Élisabeth-Sarah Norton était
    la petite-fille de Sheridan; très connue par sa liaison avec
    lord Melbourne, son mari lui intenta en 1836 un procès en
    adultère qui fit grand bruit. Le jury acquitta lord Melbourne en
    dépit de fortes présomptions contre lui. Mrs Norton se sépara de
    son mari, et acquit une certaine notoriété dans les lettres
    anglaises par ses romans et ses articles de journaux.


  O

  O'CONNELL (Daniel)*, 1775-1847. Patriote et agitateur irlandais.

  O'CONNELL (Maurice). Mort en 1853. Fils aîné de Daniel O'Connell,
    et continuateur de sa politique à la Chambre des communes.

  OFFALIA (le comte D'), 1777-1843. Homme d'État espagnol; d'abord
    secrétaire d'ambassade à Washington en 1800, il fut ensuite
    ministre de la Justice en 1823, ambassadeur à Paris en 1828,
    ministre de l'Intérieur en 1832, chef du Cabinet et ministre des
    Affaires étrangères en 1837.

  OLLIVIER (l'abbé Nicolas-Théodore). Né en 1798. Curé de
    Saint-Roch, à Paris, il fut nommé évêque d'Évreux en 1841.

  OMPTEDA (la baronne)*, 1767-1843. Née comtesse de Schlippenbach.

  ORANGE (le prince Guillaume D')*, 1792-1849. Il monta sur le trône
    de Hollande en 1840.

  ORANGE (la princesse D')*. Née Anne Paulowna, fille de l'empereur
    Paul de Russie.

  ORIE (le docteur). Médecin de Bourgueil en Touraine. Il mourut
    subitement sur la route entre Benais et Bourgueil. Sur la place
    même où il a expiré, on a dressé une colonne avec cette
    inscription commémorative: _Ici mourut le Dr Orie, le 14 juillet
    1846_.

  ORLÉANS (le duc D')*, 1741-1793. Louis-Philippe-Joseph, dit
    _Philippe-Égalité_, mort sur l'échafaud révolutionnaire.

  ORLÉANS (le duc D')*, 1810-1842. Ferdinand, fils aîné du roi
    Louis-Philippe et Prince Royal.

  ORLOFF (le comte), 1781-1861. Alexis Fédorowitch, prit part à
    toutes les guerres contre Napoléon Ier, et, à partir de 1828,
    entra dans la diplomatie russe.


  P

  PAHLEN (le comte)*. Né en 1775. Diplomate russe, ambassadeur à
    Paris.

  PALATINE (la princesse), 1616-1684. Anne de Gonzague, épousa
    Édouard, Comte palatin, fils de l'Électeur palatin Frédéric V,
    et vint se fixer à Paris, où elle fit l'ornement de la cour
    d'Anne d'Autriche, par sa beauté et son esprit. Après une vie de
    plaisirs et d'intrigues politiques, elle essuya une disgrâce,
    par l'influence de Mazarin, et passa ses dernières années à
    l'écart. Bossuet prononça son _Oraison funèbre_, une des plus
    célèbres qu'il ait composées.

  PALFFY (la princesse). Née en 1774. Fille du comte de Hohenfeld,
    épouse du prince Joseph Palffy, mort en 1827.

  PALMELLA (la duchesse DE). Descendante de Vasco da Gama, elle
    avait épousé dom Pedro de Souza-Holstein, duc de Palmella, homme
    d'État portugais.

  PALMERSTON (lord)*, 1784-1865. Homme politique anglais, longtemps
    ministre des Affaires étrangères.

  PALMYRE (Mme)*. Habile couturière parisienne.

  PARIS (le comte DE), 1838-1894. Fils aîné du duc d'Orléans et de
    la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Après la mort du
    comte de Chambord, il devint le chef de la maison de France.

  PASCAL (Blaise), 1623-1662. L'un des plus grands et des plus
    nobles génies du dix-septième siècle: mathématicien, physicien
    et philosophe. La querelle entre les Jansénistes et les Jésuites
    lui procura l'occasion de se montrer la plus forte plume de
    Port-Royal.

  PASQUIER (le duc Étienne)*, 1767-1862. Homme politique et pair de
    France, nommé Chancelier en 1837.

  PASSY (Hippolyte-Philibert)*, 1793-1880. Homme politique français,
    député et membre de l'institut.

  PAYS-BAS (la reine des), 1774-1837. Wilhelmine, fille du roi
    Guillaume II de Prusse, épouse du roi Guillaume Ier des
    Pays-Bas.

  PAYS-BAS (la princesse Frédéric des)*, 1808-1870. Née princesse
    Louise de Prusse, fille de Frédéric-Guillaume III.

  PÉAN. Un des valets de chambre du prince de Talleyrand.

  PEEL (sir Robert)*, 1788-1850. Homme d'État anglais, membre de
    plusieurs ministères.

  PEMBROKE (lady Catherine). Fille unique du comte Woronzoff,
    épousa, en 1808, lord George-Auguste Pembroke, dont elle devint
    veuve en 1827.

  PENELOPE SMITH (miss), 1815-1882. Épouse morganatique du prince
    Charles de Naples, comte de Capoue. Victor-Emmanuel lui reconnut
    ce titre.

  PÉPIN*, 1780-1836. Marchand épicier, complice de Fieschi, et,
    comme lui, exécuté sur l'échafaud.

  PÉRIGORD (le comte Paul DE), 1811-1880. Paul-Adalbert-René de
    Talleyrand-Périgord, époux de Mlle Amicide de Saint-Aignan, qui
    mourut en 1854.

  PÉRIGORD (Mlle Pauline DE)*, 1820-1890. Fille de la duchesse de
    Dino, elle épousa, en 1839, le marquis Henri de Castellane.

  PÉRIGORD (Boson DE), 1832. Fils aîné du duc de Valençay et de sa
    première femme, Mlle de Montmorency. Il porta plus tard le titre
    de duc de Talleyrand et de Sagan.

  PERPONCHER (le comte Henri DE), 1771-1856. Général d'infanterie en
    Hollande, il devint ministre des Pays-Bas, à la Cour de
    Frédéric-Guillaume III.

  PERPONCHER (la comtesse DE), morte en 1861. Adélaïde, comtesse de
    Reede, épousa en 1816, le comte Henri de Perponcher.

  PERREGEAUX (le comte DE), 1785-1841. D'abord auditeur au conseil
    d'État, il remplit ensuite quelques missions administratives
    sous l'Empire; la Restauration le tint à l'écart, mais le roi
    Louis-Philippe le créa pair de France en 1831.

  PETETOT (l'abbé Louis-Pierre), 1801-1887. Supérieur général de
    l'ordre de l'Oratoire, après avoir été curé de
    Saint-Louis-d'Antin et de Saint-Roch, il dirigea cet ordre
    pendant plus de vingt ans, puis démissionna en 1884.

  PEYRONNET (le comte DE), 1778-1854. Émigré durant la Révolution et
    l'Empire, il fut élu député sous la Restauration, et siégea à
    droite parmi les ultras; ministre de la Justice sous M. de
    Villèle, il attacha son nom à toutes les mesures rétrogrades.
    Devenu, en 1829, ministre de l'intérieur dans le ministère
    Polignac, il fut un des rédacteurs des Ordonnances qui
    provoquèrent la révolution de Juillet. Arrêté, jugé par la Cour
    des pairs, il fut condamné à la détention perpétuelle. Il passa
    six ans au fort de Ham, puis fut gracié, mais vécut dès lors
    dans une retraite absolue, dans sa propriété de Montferrand,
    près de Bordeaux.

  PIATOLI (l'abbé Scipion), 1750-1809. Né à Florence, il entra dans
    les ordres. La princesse Lubomirska, née Czartoryska, qui
    voyageait en Italie, le prit comme instituteur pour son neveu,
    le prince Henri Lubomirski; l'Abbé vint avec elle en Pologne en
    1787 et le comte Ignace Potocki, frappé de ses qualités, le fit
    nommer secrétaire du roi Stanislas-Auguste. L'abbé Piatoli
    persuada le Roi de se joindre au parti patriotique polonais, et
    il devint le rédacteur, après en avoir donné lui-même la
    direction, de la Constitution du 3 mai 1791. Après le second
    démembrement de la Pologne, il quitta le pays, et fut attaché
    comme précepteur auprès de la princesse Dorothée de Courlande.
    Il obtint, plus tard, par l'entremise du prince Adam
    Czartoryski, une place au service de la Russie. Très savant,
    plein d'imagination et de sentiments élevés, il était très imbu
    d'idées voltairiennes.

  PIE VII (le pape), 1740-1823. Barbé Chiaramonti, bénédictin, puis
    évêque de Tivoli, reçut la pourpre en 1795 avec l'évêché
    d'Imola, et fut élu Pape en 1800. Il réorganisa ses États, signa
    un Concordat avec Bonaparte, puis vint le sacrer Empereur à
    Paris en 1804. Quelques années après, ayant refusé d'expulser
    les ennemis de la France, il vit ses États envahis, et ses
    provinces furent réunies à l'Empire français. Ayant excommunié
    l'Empereur, il dut subir une dure captivité à Fontainebleau. Le
    Congrès de Vienne lui rendit ses possessions en 1814, et il y
    retourna. Il eut la générosité de donner asile, à Rome, à
    plusieurs membres de la famille de l'Empereur déchu.

  PIMODAN (le marquis DE), né en 1789. Camille de Rarécourt de la
    Vallée, marquis de Pimodan, capitaine de cavalerie, gentilhomme
    honoraire de la chambre du roi Charles X, chevalier de la Légion
    d'honneur. Il avait épousé, en 1819, Mlle de Frénilly.

  PISCATORY (Théobald-Émile), 1799-1870. Il se rendit en Grèce, sous
    la Restauration, pour y défendre la cause de l'indépendance. Il
    fut nommé député en 1832 et vota toujours avec la majorité
    conservatrice. De 1844 à 1846, il fut ministre plénipotentiaire
    en Grèce, et y contre-balança habilement l'influence anglaise.
    En 1846, il fut fait pair de France; en 1847, il fut nommé
    ambassadeur en Espagne. Il quitta la vie politique après le coup
    d'État de 1851.

  PLAISANCE (la duchesse DE), 1786-1854. Marie-Anne-Sophie, fille du
    marquis de Barbé-Marbois, épousa Lebrun, duc de Plaisance.
    Spirituelle et un peu étrange, elle quitta de bonne heure la
    France pour la Grèce où elle mourut.

  PLESSEN (M. DE). Mort en 1837. En 1832, il était ministre et
    conseiller privé du grand-duché de Mecklembourg, il négocia le
    mariage de la princesse Hélène avec le duc d'Orléans.

  POLIGNAC (le prince Jules DE)*, 1780-1847. Ministre de Charles X,
    signataire des ordonnances de Juillet, il fut condamné par la
    Cour des pairs, puis amnistié en 1837.

  POLIGNAC (la princesse DE)*, 1792-1864. Charlotte Parkyns, fille
    de Lord Rancliffe, épousa en premières noces le marquis de
    Choiseul, et en secondes noces, en 1821, le prince Jules de
    Polignac.

  POMPONNE (le marquis DE), 1618-1699. Simon-Arnauld, marquis de
    Pomponne, fils d'Arnauld d'Andilly, conseiller du Roi en 1644;
    disgracié avec Fouquet et relégué à Verdun en 1662, il rentra en
    grâce trois ans après, et fut envoyé comme ambassadeur à
    Stockholm; le Roi lui donna ensuite le ministère des Affaires
    étrangères, et ce fut sous son administration que la glorieuse
    paix de Nimègue fut conclue. De nouveau disgracié, il ne revint
    au Ministère qu'après la mort de Louvois.

  PONSONBY (lord)*, 1770-1855. Ambassadeur d'Angleterre à
    Constantinople de 1832 à 1837.

  PONTOIS (le comte Charles-Édouard DE), 1792-1871, diplomate
    français, il fut, sous Louis-Philippe, ministre plénipotentiaire
    de France au Brésil, puis aux États-Unis; il fut, ensuite,
    ambassadeur de France à Constantinople. En 1846 il fut appelé à
    la Chambre des pairs.

  POTEMKIN (Ivan-Alexiéwitch), 1778-1849. Diplomate russe,
    conseiller intime, il fut nommé ambassadeur à Rome en 1840, et
    mourut à Naples.

  POZZO DI BORGO (le comte), 1764-1842. Corse de naissance, il fut
    diplomate au service russe, et notamment ambassadeur à Paris.

  PRASLIN (le marquis Charles-Hughes-Théobald DE), 1805-1847. Il
    prit le titre de Duc à la mort de son père; Chevalier d'honneur
    de la duchesse d'Orléans en 1837, il siégea à la Chambre des
    députés de 1839 à 1842, puis fut appelé à la Pairie en 1845. Il
    avait épousé en 1824 la fille du maréchal Sébastiani, et ils
    eurent tous deux la fin la plus tragique en 1847, M. de Praslin
    ayant tué sa femme dans un accès de folie, et s'étant suicidé
    ensuite.

  PREISSAC (le comte François-Jean DE), 1778-1852. Préfet de la
    Gironde, député, puis pair de France en 1832. Il avait épousé
    Mlle de Francfort, fille d'un ancien colonel du régiment
    Royal-cavalerie.

  PRIMAT DE FRANCFORT (le prince). Charles de Dalberg, 1744-1817.
    Entré dans les ordres, il devint en 1772 conseiller intime de
    l'Électeur de Mayence, puis gouverneur d'Erfurth et coadjuteur
    de l'archevêque de Mayence, auquel il succéda en 1802. Il devint
    en 1806 Prince primat de la Confédération du Rhin, Prince
    souverain de Ratisbonne et grand-duc de Fulda. Charles de
    Dalberg bénit à Francfort, en avril 1810, le mariage de la
    princesse de Courlande, avec le comte Edmond de Périgord, plus
    tard duc de Dino, et, après la mort de son père, duc de
    Talleyrand.

  PRUSSE (le prince Frédéric DE), 1794-1863. Fils unique du prince
    Louis de Prusse et de la princesse Frédérique de
    Mecklembourg-Strelitz, sœur de la reine Louise.

  PRUSSE (la princesse Frédéric DE), 1799-1882. Fille du duc
    d'Anhalt-Bernbourg, elle avait épousé en 1817 le prince
    Frédéric.

  PRUSSE (la princesse Guillaume DE), 1785-1846. Amélie-Marianne,
    fille du landgrave Louis de Hesse-Hombourg, épousa, en 1804, le
    prince Guillaume de Prusse, frère de Frédéric-Guillaume III.

  PRUSSE (le prince Guillaume DE), 1797-1888. Second fils du roi
    Frédéric-Guillaume III. Son frère aîné n'ayant pas d'enfant, il
    prit en 1840 le titre de prince de Prusse, à l'avènement au
    trône de Frédéric-Guillaume IV, lui succéda comme Roi en 1861 et
    devint, en 1870, le premier empereur d'Allemagne de la maison de
    Hohenzollern.

  PRUSSE (la princesse Guillaume DE), 1816-1890. La princesse
    Augusta de Saxe-Weimar-Eisnach, épousa en 1829 le prince
    Guillaume, fils du Roi Frédéric-Guillaume III. Elle fut plus
    tard l'impératrice Augusta.

  PRUSSE (le prince Charles DE), 1801-1883. Troisième fils du Roi
    Frédéric-Guillaume III et de la Reine Louise.

  PRUSSE (la princesse Charles DE), 1808-1877. Marie, fille du
    grand-duc de Saxe-Weimar, épousa en 1827 le prince Charles de
    Prusse.

  PRUSSE (le prince Albert DE), 1809-1872. Quatrième fils du Roi
    Frédéric-Guillaume IV, il épousa en 1830 la princesse Marianne
    des Pays-Bas, dont il divorça en 1849; il épousa
    morganatiquement, en 1853, Mlle de Rauch, à laquelle on décerna
    le titre de comtesse de Hohenau.

  PRUSSE (la princesse Albert DE), 1810-1883. Marianne, fille du Roi
    des Pays-Bas, épousa, en 1830, le prince Albert de Prusse, le
    plus jeune fils de Frédéric-Guillaume III dont elle eut deux
    enfants. Divorcée en 1849, elle quitta la cour de Prusse.

  PRUSSE (le prince Adalbert DE), 1811-1873. Fils du prince
    Guillaume de Prusse, frère de Frédéric-Guillaume III, et d'une
    princesse de Hesse-Hombourg, il était commandant en chef de la
    marine prussienne; il épousa morganatiquement, en 1850 Thérèse
    Elssler, qui reçut le titre de baronne de Barnim.

  PRUSSE (la princesse Marie DE), 1825-1889. Sœur du précédent.
    Elle épousa en 1842 le Prince royal de Bavière, qui devint Roi
    en 1848, sous le nom de Maximilien II et mourut en 1864.

  PÜCKLER (le prince Hermann-Louis-Henri), 1795-1871. Officier des
    gardes du corps à Dresde en 1804, il passa au service russe de
    1813 à 1815, et épousa, en 1817, la fille du prince Hardenberg,
    dont il se sépara en 1826. Il devint, en 1863, membre de la
    Chambre des seigneurs en Prusse. Il voyagea beaucoup et fut un
    grand amateur de parcs et de jardins.

  PÜCKLER (la princesse), 1776-1854. La princesse Anna Hardenberg
    épousa en premières noces le comte de Pappenheim, en 1796; elle
    divorça, en 1817, pour épouser le prince Hermann Pückler, dont
    elle se sépara en 1826.

  PUTBUS (le comte Malte), 1807-1837. Attaché à la légation
    diplomatique de Prusse à Naples, il mourut de la poitrine. Sa
    sœur était la comtesse Lottum.


  Q

  QUATREMÈRE DE QUINCY (Antoine-Chrysostome), 1755-1849. Il s'adonna
    de bonne heure à l'étude de l'antiquité et des arts, et il
    laissa des ouvrages importants sur ces matières. Il fut député
    de Paris à l'Assemblée législative de 1791, membre du Conseil
    des Cinq-Cents en 1797; Intendant des théâtres en 1815,
    professeur d'archéologie en 1818; il fut membre de l'Académie
    des inscriptions et belles-lettres et de celle des beaux-arts.

  QUÉLEN (Mgr DE)*, 1778-1839. Coadjuteur du cardinal de
    Talleyrand-Périgord, il lui succéda à l'archevêché de Paris en
    1821.


  R

  RACHEL (Mlle), 1820-1858. Grande tragédienne. Elle était la fille
    d'un pauvre colporteur israélite du nom de Félix; après une
    enfance misérable, elle entra au Conservatoire, débuta au
    Gymnase, et fut admise en 1838 au Théâtre-Français, où elle
    rendit avec une admirable perfection les plus beaux rôles de
    Corneille et de Racine. En 1856, elle entreprit une tournée en
    Amérique, et y contracta une maladie de poitrine qui devait
    bientôt la conduire au tombeau.

  RACZYNSKI (le comte Athanase), 1788-1874. Diplomate au service de
    la Prusse; il fut, pendant plusieurs années, ministre à Lisbonne
    et à Madrid, montrant le plus grand désintéressement et sans
    jamais toucher ses appointements; ces fonds forment maintenant
    un capital au ministère des Affaires étrangères, qui rend les
    plus grands services aux diplomates en détresse. Très riche, le
    comte Raczynski rassembla une belle collection de tableaux qu'il
    légua à la Couronne et écrivit plusieurs ouvrages sur les arts.
    Sa correspondance politique a été aussi publiée. Il avait épousé
    en 1816 la princesse Anna Radziwill. Il était membre de la
    Chambre des seigneurs et conseiller intime.

  RADZIWILL (la princesse Louise), 1770-1836. Fille du prince
    Ferdinand de Prusse, plus jeune frère de Frédéric le Grand, elle
    épousa en 1796 le prince Antoine Radziwill.

  RADZIWILL (le prince Guillaume), 1797-1870. Général d'infanterie
    au service de Prusse, commandant successivement de plusieurs
    corps d'armée, et membre de la Chambre des seigneurs. Il épousa
    en premières noces, en 1825, sa cousine Hélène Radziwill, qui
    mourut en 1827, et en secondes noces, en 1832, la comtesse
    Mathilde Clary.--Il était fils aîné du prince Antoine Radziwill
    et de la princesse Louise de Prusse.

  RADZIWILL (la princesse Guillaume), 1806-1896. Mathilde, fille du
    prince Charles Clary-Aldringen et de la comtesse Louise Chotek,
    épousa le prince Guillaume Radziwill en 1832.

  RADZIWILL (la princesse Boguslaw), 1811-1890. Léontine, troisième
    fille du prince Charles Clary, épousa en 1832 le prince Boguslaw
    Radziwill, fils cadet du prince Antoine Radziwill.

  RANTZAU (le comte Josias DE), 1609-1650. Il prit du service en
    France en 1635 sous le Roi Louis XIII, après avoir servi
    successivement le prince d'Orange, le Roi Christian IV de
    Danemark, Gustave-Adolphe et l'Empereur Ferdinand II. Il fut
    maréchal de France.

  RANTZAU (le comte Antoine DE), 1793-1849. Chambellan et capitaine
    au service du grand-duc de Mecklembourg-Schwerin.

  RAQUENA (le comte DE), 1821-1878. Fils du duc de la Rocca, il
    porta ce titre après la mort de son père. Officier d'artillerie
    espagnol, il servit plus tard dans le corps royal des
    hallebardiers, et mourut avec le grade de général. Grand
    seigneur, grand joueur, sa vie fut des plus aventureuses.

  RATISBONNE (l'abbé Marie-Théodore), 1802-1884. Fils d'un banquier
    juif de Strasbourg, il venait de terminer son droit lorsqu'il
    se convertit au catholicisme et prit les ordres. Il se fit
    connaître comme écrivain et comme prédicateur, et fonda la
    congrégation de Notre-Dame de Sion.

  RATISBONNE (Alphonse), 1812-1884. Frère de Théodore Ratisbonne; il
    se convertit aussi au catholicisme et entra dans la congrégation
    de Notre-Dame de Sion, fondée par son frère.

  RAUCH (Chrétien-Daniel), 1777-1857. Célèbre sculpteur prussien; il
    partit en 1804 pour étudier à Rome, puis revint en 1811 à Berlin
    où il fut très protégé parla cour.

  RAULLIN (M.)*, conseiller d'État français.

  RAVIGNAN (l'abbé DE), 1795-1858. Né à Bayonne, il commençait sa
    carrière dans la magistrature quand, obéissant à sa vocation, il
    quitta le monde, entra au séminaire, puis dans l'ordre des
    Jésuites. Il s'y distingua par ses hautes vertus et son talent
    de prédicateur. Il eut à prononcer l'oraison funèbre de Mgr de
    Quélen, archevêque de Paris.

  RAYNEVAL (Maximilien DE), 1778-1836. Diplomate français, auquel
    ses services valurent le titre de Comte et la Pairie.

  RAZUMOWSKI (la comtesse). Elle était née princesse Wiasemski.

  RÉCAMIER (Mme)*, 1777-1849. Célèbre par sa beauté et par l'amitié
    profonde qui l'unit aux plus hautes personnalités littéraires de
    son temps, notamment à Chateaubriand.

  RECKE (la baronne DE), 1754-1833. Élisabeth-Charlotte, comtesse de
    Medem, sœur de la duchesse de Courlande, avait épousé en 1774
    le baron de Recke, dont elle divorça en 1776, et perdit sa fille
    unique l'année suivante. Elle voyagea beaucoup en Italie, en
    Allemagne, et fut liée avec tous les hommes de lettres de son
    temps; elle-même écrivit plusieurs ouvrages.

  REDERN (la comtesse DE), 1772-1842. Wilhelmine d'Otterstaedt,
    épousa le comte Wilhelm-Jacob de Redern et eut deux fils,
    Guillaume et Henri.

  REDERN (le comte Guillaume DE), 1802-1880. Gros propriétaire
    prussien, membre de la Chambre des seigneurs, et plus tard grand
    chambellan à la cour de l'Empereur Guillaume Ier.

  REDERN (la comtesse DE), 1811-1875. Bertha Ienisz, fille d'un
    sénateur de Hambourg, épousa en 1834 le comte Guillaume de
    Redern. Elle n'eut qu'une fille, qui mourut en bas-âge.

  REEDE (la comtesse DE), 1769-1847. Née Krusemackt, fille et sœur
    de deux généraux prussiens de ce nom. En 1823, lors du mariage
    du Prince royal de Prusse, la comtesse de Reede fut nommée
    Grande maîtresse de cour de la Princesse royale.

  REINHARD (le comte Charles-Frédéric), 1761-1837. Né en Würtemberg,
    il étudia à l'Université de Tubingue et y connut Gœthe. Il
    entra dans la diplomatie française en 1792, fut ministre
    plénipotentiaire à Florence en 1797 et, en 1799, remplaça le
    prince de Talleyrand au ministère des Affaires étrangères. Il
    fut fait pair de France en 1832, après avoir été fait Comte en
    1814. Il était membre de l'Académie des Inscriptions et
    Belles-lettres et de l'Académie des Sciences morales et
    politiques.

  REUILLY (M.), avocat, maire de Versailles, chevalier de la Légion
    d'honneur; il était, en 1840, député de Seine-et-Oise. Il fut
    membre de la Constituante de 1848.

  RÉMUSAT (le comte Charles DE)*, 1797-1875. Écrivain et homme
    politique français.

  RETZ (le cardinal DE)*, 1614-1679. Joua un grand rôle pendant la
    Fronde, et laissa des _Mémoires_ remarquables.

  REUSS-SCHLEITZ-KOESTRITZ (le prince Henri LXIV), 1787-1856.
    Général, feld-maréchal au service d'Autriche, et divisionnaire à
    Prague, il était propriétaire du 7e régiment de hussards.

  REUSS-SCHLEITZ (la princesse Sophie-Adélaïde). Née en 1800; fille
    du prince Henri LI de Reuss-Ebersdorff.

  RIBEAUPIERRE (le comte Alexandre DE), 1783-1865. Originaire d'une
    famille de la Suisse française. Son grand-père était venu en
    Russie à la suite de la princesse Sophie de Zerbst, plus tard
    Catherine II. Son père avait épousé la sœur du général
    Bibikoff; devenu général-major, il mourut au siège d'Ismaïl.
    Alexandre de Ribeaupierre se destina à la diplomatie, et devint
    ministre de Russie à Constantinople et à Berlin. Créé Comte en
    1856, il avait épousé Mlle Potemkin.

  RICHELIEU (le duc DE), 1696-1788. Maréchal de France. Il joua un
    rôle brillant à la cour de Louis XIV et de Louis XV. Il entra,
    dès 1720, à l'Académie française et fut un ami de Voltaire.
    Arrière-petit-neveu du Cardinal par les femmes, il était filleul
    de Louis XIV et de la duchesse de Bourgogne; il avait fait ses
    premières armes sous Villars. Ambassadeur à Vienne, en 1725, il
    opéra habilement un rapprochement entre la France et l'Autriche.
    Après quelques exploits militaires en Allemagne, pendant la
    guerre de Sept ans, il ne s'occupa, vers la fin de sa vie, que
    d'intrigues et de plaisirs.

  RIGNY (le comte Henri-Gauthier DE)*, 1783-1835. Amiral français,
    plusieurs fois ministre et aussi ambassadeur à Naples.

  RIGNY (le vicomte Alexandre DE), 1790-1873. Fils d'un officier de
    cavalerie et de la sœur de l'abbé Louis, il sortit de l'École
    militaire de Fontainebleau en 1807, prit part aux campagnes de
    Prusse, de Pologne, d'Autriche et d'Espagne. Maréchal de camp en
    1830, il fit partie de la première expédition de Constantine en
    1836, et, bien qu'il eût montré, lors de la retraite, une
    incontestable bravoure, il se vit en butte aux imputations les
    plus graves de la part du général Clausel. Un Conseil de guerre
    l'acquitta à l'unanimité en 1837, mais il fut relégué au
    commandement de la subdivision de l'Indre, jusqu'en 1848, et
    mis à la retraite en 1849.

  RIGNY (Mlle Auguste DE). Elle était la fille du général de Rigny
    et fut l'héritière de son oncle, le baron Louis.

  RIVERS (lady), morte en 1866. Suzan-Georgiana Leveson-Gower, fille
    de lord Granville, avait épousé, en 1833, George Pitt, lord
    Rivers.

  ROHAN (le duc DE), 1789-1869. Fernand de Rohan-Chabot suivit tout
    enfant son père dans l'émigration, puis, revenu en France, entra
    à vingt ans dans l'armée, avec le grade de sous-lieutenant de
    hussards. Le jeune Rohan, qui portait alors le titre de prince
    de Léon, assista à la bataille de Wagram, puis devint aide de
    camp de l'Empereur. Fait prisonnier en 1814, il fut échangé peu
    après. Sous la Restauration, il devint aide de camp du duc de
    Berry, puis premier écuyer du duc de Bordeaux, enfin maréchal de
    camp en 1824. Après 1830, il vécut dans la retraite.

  ROOTHE (Mme DE). Célèbre par sa beauté, elle épousa le duc de
    Richelieu, alors âgé de plus de 80 ans et dont elle était la
    troisième femme.

  ROOTHE (M. DE). Fils du premier mariage de la duchesse de
    Richelieu.

  ROSAMEL (M. DE), 1774-1848. Claude-Charles-Marie du Camp de
    Rosamel, marin français, capitaine de vaisseau en 1814,
    contre-amiral en 1823. Il fit la campagne d'Alger en 1830. En
    1836, il reçut le portefeuille de la Marine dans le ministère
    Molé, et en 1839, entra à la Chambre des pairs.

  ROSSE (le comte Lawrence DE), 1758-1841. Il épousa en 1797 Miss
    Alice Lloyd. Il se distingua dans le Parlement irlandais par sa
    popularité et son éloquence. Il succéda à la mort de son père,
    en 1807, à son siège dans la Chambre des lords. Il est le père
    du savant astronome William Rosse.

  ROSSI (la comtesse), 1803-1854. Henriette Sontag, d'origine
    suédoise, fut une cantatrice célèbre. En 1830, elle renonça au
    théâtre, par son mariage avec le comte Rossi, et elle régna, dès
    lors, dans les salons aristocratiques par les grâces de son
    esprit et la dignité de sa conduite. En 1848, des revers de
    fortune la déterminèrent à réapparaître sur les scènes de Paris
    et de Londres, puis elle passa en Amérique et mourut du choléra
    à Mexico.

  ROTHSCHILD (Mme Salomon DE)*, 1774-1855. Elle avait épousé le
    second fils de Mayer-Anselme Rothschild, qui créa les
    succursales de Vienne et de Paris.

  ROTHSCHILD (James DE), 1793-1868. Quatrième fils de Mayer-Anselme
    Rothschild, établi à Paris.

  ROUGÉ (le marquis Alexis DE), 1778-1838. Créé pair de France en
    1815. Il avait épousé, en 1804, Mlle de Crussol d'Uzès.

  ROUSSEAU (J.-J.), 1712-1778. Célèbre écrivain et philosophe. Né à
    Genève, fils d'un horloger, son éducation fut très négligée. Il
    fut, avec Voltaire, un élément révolutionnaire important du
    dix-huitième siècle.

  ROUSSIN (l'amiral)*, 1781-1854. Pair de France, ambassadeur à
    Constantinople de 1832 à 1834 et ministre de la Marine en 1840.

  ROVIGO (le duc DE), 1774-1833. Anne-Jean-Marie-René Savary. Aide
    de camp du général Bonaparte, en Égypte, puis commandant de la
    gendarmerie d'élite du Premier Consul, il fut chargé de faire
    exécuter la sentence capitale prononcée contre le duc d'Enghien,
    en 1804, et fut alors nommé général. Après la bataille de
    Friedland, il fut fait duc de Rovigo; en 1810, il succéda à
    Fouché comme ministre de la Police. Après 1815, les Anglais
    refusèrent de l'envoyer à Sainte-Hélène avec Napoléon, et la
    Restauration le fit condamner à mort, mais il s'échappa, et fut
    plus tard acquitté. En 1831, il fut commandant de l'armée
    d'Algérie; il y effraya les indigènes par ses rigueurs, mais fit
    construire de belles routes stratégiques.

  ROY (le comte Antoine) 1764-1847. Avocat, puis député, il devint,
    en 1818, ministre des Finances et apporta dans ce département
    d'utiles réformes. Il fut membre de la Chambre des Pairs sous la
    Restauration et sous la monarchie de Juillet.

  ROYER-COLLARD (Pierre-Paul)*, 1763-1845. Philosophe et homme
    d'État français. Membre de l'Académie.

  RUBINI (J.-B.)*, 1795-1854. Célèbre ténor italien.

  RUMFORD (Mme DE), 1766-1836. Mlle de Paulze, épouse en premières
    noces du savant Lavoisier qui mourut sur l'échafaud
    révolutionnaire, épousa, en 1804, Rumford, physicien et
    philosophe allemand. Devenue veuve en 1814, elle eut à Paris un
    salon célèbre.

  RUMIGNY (le comte Marie-Théodore DE), 1789-1860. Il prit part aux
    guerres du premier empire, et fut aide de camp du général
    Gérard, en 1812. En 1830, Louis-Philippe le nomma Maréchal de
    camp; après 1848, il accompagna le Roi en Angleterre et vécut
    dès lors dans la retraite.

  RUSSELL (lord William)*, 1790-1846. Diplomate anglais, ambassadeur
    à Berlin.

  RUSSELL (lord John)*. Homme d'État anglais, membre de plusieurs
    ministères, deux fois chef de cabinet.

  RUSSIE (l'Impératrice Marie de), 1759-1828. Marie-Féodorovna,
    ci-devant Sophie, fille du duc Frédéric de Würtemberg, seconde
    femme de l'Empereur Paul, mère d'Alexandre Ier et de Nicolas
    Ier. Elle devint veuve en 1801.

  RUSSIE (la grande-duchesse Constantin de), 1781-1831. Julienne,
    princesse de Saxe-Cobourg-Gotha, épousa, en 1796, le grand-duc
    Constantin de Russie et fut baptisée sous le nom
    d'Anna-Féodorovna.

  RUSSIE (l'Empereur de), 1796-1855. Nicolas Ier*.

  RUSSIE (l'Impératrice de), 1798-1860. Charlotte, fille de
    Frédéric-Guillaume III de Prusse, épousa en 1817 le grand-duc
    Nicolas de Russie, qui monta sur le trône en 1825.

  RUSSIE (la grande-duchesse Hélène de), 1807-1873. Fille du prince
    Paul de Würtemberg et de son premier mariage avec une princesse
    de Saxe-Altenbourg, elle épousa en 1824 le grand-duc Michel de
    Russie, plus jeune fils de l'Empereur Paul.

  RUSSIE (le grand-duc héritier de), 1818-1881. Alexandre, fils de
    l'Empereur Nicolas, auquel il succéda en 1855 sous le nom
    d'Alexandre II. En 1841, il épousa la princesse de
    Hesse-Darmstadt.

  RUSSIE (la grande-duchesse Olga de), 1822-1892. Fille de
    l'Empereur Nicolas Ier de Russie, elle épousa en 1846 le prince
    héréditaire de Würtemberg, qui devait succéder à son père sur le
    trône cette même année.


  S

  SAGAN (la duchesse DE), 1781-1839. Wilhelmine, fille aînée du duc
    Pierre de Courlande; elle se maria trois fois: 1º En 1800, avec
    le prince Henri de Rohan; 2º avec le prince Troubetskoï, et 3º
    avec le comte Charles de Schulenbourg, qui lui survécut. La
    duchesse de Sagan mourut subitement à Vienne sans laisser
    d'enfants.

  SAINT AUGUSTIN, 354-430. Évêque d'Hippone, fils de sainte Monique
    et un des Pères de l'Église.

  SAINT-BLANCARD (le marquis DE), 1814-1897. Ancien page du roi
    Charles X. Il avait épousé Mlle de Bauffremont.

  SAINT-CYRAN (l'abbé DE), 1581-1643. Jean Duvergier de Hauranne
    suivit les cours de l'Université de Louvain, s'y lia avec les
    Jansénistes dont il embrassa les doctrines avec ardeur, et
    obtint en 1620 l'abbaye de Saint-Cyran. Il comptait beaucoup de
    disciples et d'amis, entre autres Arnauld, Lemaistre de Sacy,
    Bignon, etc. Il attaqua les Jésuites dans quelques écrits, et
    Richelieu le fit emprisonner pendant quatre ans.

  SAINTE-ALDEGONDE (la comtesse Camille DE)*, 1793-1869. Veuve d'un
    aide de camp du Roi Louis-Philippe.

  SAINTE-AULAIRE (le comte DE)*, 1778-1854. Pair de France et
    diplomate, successivement ambassadeur à Rome, à Vienne et à
    Londres.

  SAINTE-AULAIRE (la comtesse DE). Née Louise-Charlotte-Victoire de
    Grimoard de Beauvoir du Roure-Brison, elle avait épousé, en
    1809, M. de Sainte-Aulaire, déjà veuf.

  SAINT-LEU (la duchesse DE)*, 1783-1837. Née Hortense de
    Beauharnais; elle était veuve de Louis Bonaparte, roi de
    Hollande, et mère du futur Napoléon III.

  SAINT-PRIEST (le comte Alexis DE)*. Diplomate et écrivain
    français, il fut membre de l'Académie française.

  SAINT-SIMON (Louis de Rouvroy, duc DE), 1675-1755. Grand seigneur
    de la cour de Louis XIV, il écrivit des _Mémoires_ célèbres et
    importants pour l'histoire de son temps.

  SALERNE (le prince DE), 1790-1851. Léopold de Bourbon, frère de
    François Ier, roi de Naples, fut inspecteur général de la garde
    royale et propriétaire du 22e régiment d'infanterie autrichien.
    Il épousa en 1816 l'archiduchesse Marie d'Autriche, et en eut
    une fille, qui devint la duchesse d'Aumale.

  SALERNE (la princesse DE), 1798-1880. Marie, fille de l'Empereur
    François Ier d'Autriche.

  SALVANDY (le comte DE)*, 1795-1856. Littérateur et homme politique
    français, ambassadeur et plusieurs fois ministre.

  SALVANDY (la comtesse DE). Julie Ferey, fille d'un manufacturier
    et homme politique, épousa en 1823 le comte de Salvandy.

  SANDWICH (lady), morte en 1853. Louise, fille de lord Belmore,
    épousa en 1804 George-John Montagu, lord Sandwich, qui mourut en
    1818. Une de ses filles fut la première femme du comte Walewski.

  SAULX-TAVANNES (le duc Roger-Gaspard DE), 1806-1845. Il hérita de
    la pairie en 1820, à la mort de son père, mais il ne prit aucune
    part aux travaux de la Chambre et se suicida à 39 ans, mettant
    fin ainsi à cette vieille famille ducale.

  SAUZET (Paul)*, 1800-1876. Avocat, puis député, il fut ministre de
    la Justice en 1836.

  SAXE (Auguste II le Fort, Électeur de), 1670-1733. Plus tard Roi
    de Pologne, élu après la mort de Jean Sobieski, à force
    d'intrigues et d'argent, et couronné à Varsovie en 1697.

  SAXE (la princesse Auguste DE), née en 1782.

  SAXE-WEIMAR (le duc Bernard)*, 1792-1862. Général d'infanterie au
    service des Pays-Bas.

  SAXE (la princesse Amélie DE), 1794-1870. Sœur du Roi
    Frédéric-Auguste et du prince Jean de Saxe.

  SAXE (le Roi Frédéric-Auguste II de), 1797-1854. Monta sur le
    trône en 1836, après avoir été co-Régent depuis 1830 et avoir
    promulgué une Constitution libérale à son peuple. Prince
    éclairé, libéral, instruit, il mourut des suites d'une chute de
    cheval sans laisser d'enfants.

  SAXE (la Reine de), 1805-1877. Marie, fille du Roi Maximilien de
    Bavière, et épouse du Roi Frédéric-Auguste II.

  SAXE (le prince Jean DE), 1801-1873. Ce Prince succéda à son
    frère, le Roi Frédéric-Auguste, en 1854. Il avait épousé la
    princesse Amélie de Bavière, dont il eut plusieurs enfants, et
    il se distingua toute sa vie par les plus grandes vertus comme
    par sa science.

  SAXE (la princesse Jean DE), 1801-1877. Amélie, fille du roi
    Maximilien de Bavière, épouse du prince Jean de Saxe.

  SCHOENBURG (la princesse), 1803-1884. Louise Schwarzenberg, sœur
    du Cardinal de ce nom, épousa en 1823 le prince Édouard
    Schœnburg-Waldenbourg.

  SCHOENLEIN (le Dr Jean-Luc), 1793-1864. Professeur de médecine à
    Zürich; il fut appelé à Berlin où il se fit une grande
    réputation.

  SCHRECKENSTEIN (le baron Maximilien DE), 1794-1862. Longtemps
    grand-maître de la Cour de la grande-duchesse Stéphanie de Bade,
    et administrateur de la maison et de la fortune de cette
    princesse.

  SCHULENBURG-KLOSTERRODE (le comte DE), 1772-1853. Il servit dans
    la diplomatie autrichienne et mourut à Vienne. Il avait épousé
    sa cousine la comtesse Armgard de Schulenburg.

  SCHULENBURG (le comte Charles-Rodolphe DE), 1788-1856.
    Lieutenant-colonel autrichien; il avait épousé la duchesse
    Wilhelmine de Sagan, fille aînée du dernier duc de Courlande,
    mariage qui fut bientôt rompu. En 1846, le comte de Schulenburg
    se chargea de l'administration des terres de la duchesse de
    Talleyrand. Mort à Sagan d'une attaque d'apoplexie, il y est
    enterré.

  SCHWARZENBERG (Charles-Philippe, prince DE), 1771-1820. Il fut
    d'abord militaire, puis ambassadeur d'Autriche à Paris. C'est
    lui qui négocia le mariage de Napoléon avec l'archiduchesse
    Marie-Louise. Il donna, à l'occasion de cette union en 1810, un
    grand bal qui se termina tristement par l'incendie de
    l'ambassade, où sa femme périt dans les flammes.

  SCHWEINITZ (la comtesse DE), 1799-1854. Mlle Dullack, épousa, en
    1832, le comte Hans-Herrmann de Schweinitz, et devint, en 1840,
    Grande-maîtresse de Cour de la princesse Guillaume de Prusse,
    née princesse de Saxe-Weimar.

  SÉBASTIANI DE LA PORTA (le maréchal)*, 1775-1851. Ambassadeur à
    Constantinople, à Naples, puis à Londres.

  SÉBASTIANI (la maréchale), morte en 1842. Fille du duc de Gramont,
    elle avait émigré, à seize ans, avec les Bourbons. Elle avait
    épousé en premières noces à Milan le général Davidow, et en
    secondes noces le général Sébastiani, dont elle était la seconde
    femme.

  SÉGUR (la comtesse DE), 1779-1847. Félicité d'Aguesseau, unique
    héritière du dernier Marquis de ce nom, épousa le comte Octave
    de Ségur, chef d'escadron d'état-major de la Garde royale, qui
    mourut en 1818.

  SÉMONVILLE (le marquis DE)*, 1754-1839. Grand référendaire de la
    Cour des pairs.

  SERCEY (le marquis DE), 1753-1856. Pierre-César-Charles-Guillaume
    de Sercey fut un marin très distingué. Au retour des Bourbons en
    1814, il reçut la mission de traiter de l'échange des
    prisonniers français avec l'Angleterre. Il fut ensuite nommé
    vice-amiral et entra à la Chambre des pairs.

  SÉVIGNÉ (la marquise DE)*, 1626-1696. Une des femmes les plus
    distinguées de la cour de Louis XIV, auteur de _Lettres_
    remarquables.

  SFORZA (Ludovico), 1451-1508, dit _le More_, fut l'adversaire de
    la maison d'Aragon, en Italie, et y appela Charles VIII en 1494.
    Après avoir trahi les Français, il fut attaqué par Louis XII qui
    lui enleva ses États et l'obligea à fuir en Allemagne.
    L'impopularité de Trivulce dans le Milanais permit à Sforza de
    reconquérir ce duché, mais en 1500 il fut battu et fait
    prisonnier à Novare par les Français. Enfermé à Loches, il y
    mourut dix ans après.

  SIDNEY (lady Sophie)*, morte en 1837. Baronne de l'Isle et de
    Dudley, cinquième enfant de Guillaume IV d'Angleterre et de Mrs
    Jordan.

  SIEYÈS (l'abbé)*, 1748-1836. Vicaire général de Chartres et
    politicien de la Révolution.

  SIGALON (Xavier), 1790-1837. Peintre d'histoire. Il fut chargé par
    le gouvernement, en 1833, d'aller à Rome pour copier la fresque
    du _Jugement dernier_ de Michel-Ange. Cette reproduction
    parfaite, d'un dixième moins grande que l'original, est à
    l'École des beaux-arts à Paris.

  SIMÉON (le comte Joseph-Balthazar), 1781-1846. Maître des requêtes
    au Conseil d'État, pair de France en 1835; il avait beaucoup de
    goût pour les arts.

  SOLMS-SONNENWALD (le comte Guillaume-Théodore DE), 1787-1859.
    Capitaine de cavalerie et chambellan, fils du premier mariage de
    la comtesse Ompteda.

  SOLMS-SONNENWALD (la comtesse DE). Née, en 1790, Clémentine, fille
    du comte de Bressler.

  SOPHIE (l'archiduchesse), 1805-1872. Fille du Roi Max de Bavière,
    elle épousa en 1824 l'archiduc François et fut mère de
    l'Empereur François-Joseph Ier.

  SOULT (le maréchal)*, 1769-1852. Un des plus glorieux combattants
    des guerres de l'Empire, ministre sous Louis-Philippe.

  STACKELBERG (le comte Gustave DE). Conseiller intime et chambellan
    de l'Empereur Alexandre Ier, il devint ambassadeur de Russie et
    prit part au Congrès de Vienne en 1815. Il avait épousé, en
    1805, Mlle Caroline de Ludolf, fille de l'ambassadeur de Naples
    à Pétersbourg.

  STACKELBERG (la comtesse DE), 1785-1868. Née Caroline de Ludolf,
    elle épousa en 1805 le comte Stackelberg. Devenue veuve, elle
    vint s'établir à Paris.

  STANLEY (Mme). Henriette-Marie, fille du vicomte Dillon, avait
    épousé en Italie, en 1826, sir Edward-John Stanley, membre du
    Parlement anglais.

  STOPFORD (Robert). 1768-1847. Amiral anglais qui se fit remarquer
    dans les principales campagnes navales de la Révolution et de
    l'Empire. En 1840, il bombarda Saint-Jean-d'Acre.

  STROGONOFF (la comtesse Julie). Elle avait épousé un Espagnol, le
    comte d'Éga, avec qui elle vivait à Madrid, quand elle fit la
    connaissance du comte Grégoire Strogonoff, qui l'enleva et la
    prit pour femme. Elle était fort bien reçue dans la société
    pétersbourgeoise, mais sa fausse position ne lui laissa obtenir
    que très tard le cordon de Sainte-Catherine, qui était sa grande
    ambition. Elle mourut très âgée entre 1860 et 1870 après avoir
    fort bien soigné son mari devenu aveugle.

  STURMFEDER (Mme DE), 1819-1891. Camille-Wilhelmine de Münchingen
    avait épousé le baron de Sturmfeder d'Oppenveiller, et fut la
    Grande-maîtresse de la Cour de la grande-duchesse Stéphanie de
    Bade.

  SUTHERLAND (la duchesse DE)*, morte en 1868. Née lady Carlisle,
    elle était _mistress of the robes_ de la reine Victoria.

  SYRACUSE (le comte DE), 1813-1860. Léopold de Bourbon, fils de
    François Ier roi de Naples, et de Marie-Isabelle d'Espagne; il
    fut élevé au grade de lieutenant-général sans recevoir de
    commandement.

  SYRACUSE (la comtesse DE), 1814-1874.
    [Voir à Carignan (Philiberte de).]


  T

  TALARU (le marquis DE), 1769-1850. Au retour de l'émigration en
    1815, M. de Talaru fut appelé à la Pairie, et devint ambassadeur
    de France à Madrid en 1823. En 1825, il fut ministre d'État et
    membre du Conseil privé de Charles X, mais la révolution de 1830
    le fit rentrer dans la retraite. Il avait épousé Mlle de
    Rosière-Saraus, veuve du comte de Clermont-Tonnerre, dont il
    n'eut pas d'enfants, aussi la maison de Talaru s'éteignit-elle
    avec lui.

  TALLEYRAND-PÉRIGORD (le cardinal DE)*, 1736-1821.
    Alexandre-Angélique, second fils de Daniel de
    Talleyrand-Périgord, fut archevêque de Reims en 1777, et de
    Paris en 1817.

  TALLEYRAND (Charles-Maurice, prince DE)*, 1754-1838. Prince de
    Bénévent. Il fut ministre des Affaires étrangères, grand
    chambellan de France, membre de l'Institut et ambassadeur. Il
    avait abandonné la carrière ecclésiastique où il était entré
    malgré lui, et fut un des meilleurs hommes politiques de son
    temps.

  TALLEYRAND (la princesse DE)*, 1762-1835. Née Catherine Werlée et
    d'origine anglaise, elle fut civilement mariée, en 1802, au
    prince de Talleyrand, par ordre de l'Empereur Napoléon, mariage
    d'ailleurs aussitôt rompu.

  TALLEYRAND (le duc DE), 1762-1838. Celui qu'on appelait _le bel
    Archambaud_ épousa, en 1779, Mlle Sabine de Senozan de
    Viriville, qui fut décapitée en 1793 victime de la Révolution.

  TALLEYRAND (le comte Anatole DE), mort en 1838. Fils du baron
    Augustin de Talleyrand et d'Adélaïde de Montigny.

  TASCHEREAU (M.), 1801-1874. Député français. Il avait d'abord
    étudié le droit, puis, après quelques publications
    intéressantes, il prit une place marquée parmi les érudits et
    devint administrateur général de la Bibliothèque Impériale
    réorganisée.

  TATITCHEFF (Démétrius-Pawlowitch DE), 1769-1845. Diplomate russe,
    ministre à Madrid en 1815, puis à Vienne où il resta jusqu'en
    1845. Il devint alors conseiller d'État et grand-chambellan de
    l'Empereur Nicolas.

  TAURY (l'abbé François-Louis), 1791-1859. Curé de Chauvigny,
    choisi en 1832 par l'abbé Tournet, fondateur des Sœurs de
    Saint-André, pour lui succéder comme Supérieur général de cette
    congrégation. En 1845, il fut nommé vicaire général à Niort. Il
    mourut d'une attaque d'apoplexie au moment où, descendant de la
    chaire, il se préparait à célébrer la messe.

  TAYLOR (sir Herbert)*, 1775-1839. Secrétaire particulier des rois
    George III, George IV et Guillaume IV d'Angleterre.

  THÉRÈSE (l'archiduchesse), 1816-1867. Fille de l'archiduc Charles
    et d'une princesse de Nassau-Weilbourg, l'archiduchesse Thérèse
    devint la seconde femme de Ferdinand II, roi de Naples, qui
    l'épousa en 1837.

  THIARD DE BISSY (le comte DE)*, 1772-1852. Maréchal français,
    député libéral, nommé en 1848 ministre de France en Suisse.

  THIERRY (Augustin), 1795-1856. Célèbre historien français, auteur
    des _Lettres sur l'histoire de France_ et des _Récits des temps
    mérovingiens_.

  THIERS (Adolphe)*, 1797-1877. Homme d'État et historien français.

  THIERS (Mme)*, 1815-1880. Née Élise Dosne, fille de l'agent de
    change.

  THORWALDSEN (Barthélemy)*, 1769-1844. Célèbre sculpteur danois.

  TOCQUEVILLE (le comte Alexis DE), 1805-1859. Membre de la Chambre
    des députés sous Louis-Philippe, il y siégea dans les rangs de
    l'opposition. Lors du coup d'État du 2 décembre, il fit partie
    des représentants qui signèrent l'acte d'accusation de Louis
    Bonaparte, et fut emprisonné à Vincennes. Relâché peu après, il
    rentra dans la vie privée. Il est l'auteur de _la Démocratie en
    Amérique_ et de _l'Ancien régime_.

  TORENO (le comte DE)*, 1786-1843. Homme d'État espagnol, député
    aux Cortès et plusieurs fois ministre.

  TOSCANE (le grand-duc DE), 1797-1870. Léopold II, archiduc
    d'Autriche, succéda à son père, le grand-duc Ferdinand III, en
    1824. Il épousa en premières noces une princesse de Saxe, et en
    1833 la princesse Antoinette des Deux-Siciles.

  TOUR ET TAXIS (la princesse DE LA). Née en 1773. Thérèse, fille du
    grand-duc Charles de Mecklembourg-Strelitz, sœur de la Reine
    Louise de Prusse, épousa, en 1789, le prince Charles de la Tour
    et Taxis, conseiller privé de l'Empereur d'Autriche et
    grand-maître des Postes, charge qui était dans sa maison depuis
    1695.

  TROGOFF (Mme DE). Dame russe, grande amie de la duchesse
    Wilhelmine de Sagan dont elle avait été la dame de compagnie;
    elle habitait Versailles.


  V

  VALÉE (le maréchal Sylvain-Charles), 1773-1846. Fit les guerres de
    la Révolution et de l'Empire où il se distingua, et Napoléon lui
    donna le titre de Comte. Il se rallia à la seconde Restauration
    et Charles X le nomma pair de France. En 1837, il gagna son
    bâton de Maréchal à la prise de Constantine, puis devint
    Gouverneur général de l'Algérie. En 1840, il céda le
    commandement au général Bugeaud.

  VALENÇAY (Mme DE). Épouse de Jacques d'Étampes, marquis de la
    Ferté-Imbault, maréchal de France qui vécut de 1590 à 1668.

  VALENÇAY (le duc DE)*, 1811-1898. Louis de Talleyrand-Périgord,
    duc de Talleyrand et de Valençay, duc de Sagan après la mort de
    sa mère, fils aîné du duc Edmond de Talleyrand et de la
    princesse Dorothée de Courlande.

  VALENÇAY (la duchesse DE)*, 1810-1858. Née de Montmorency.

  VALENÇAY (Yolande DE), 1833-1835. Fille du duc et de la duchesse
    de Valençay, morte en bas âge de la scarlatine.

  VANDOEUVRE (le baron Guillaume DE), 1779-1870. Auditeur au Conseil
    d'État en 1806, puis député de l'Aube, il fut fait pair de
    France en 1837. Il avait épousé Mlle Dassy.

  VATRY (le baron DE), 1793-1871. Alphée Bourdon Vapereau de Vatry,
    aide de camp du prince Jérôme Bonaparte, fut écarté de l'armée
    sous la Restauration; devenu agent de change, il gagna une
    grande fortune. Il fut député de 1835 à 1848.

  VATRY (la baronne DE), morte en 1881. Fille de M. Hainguerlot,
    épousa le baron Alphée de Vatry, dont elle devint veuve en 1871.

  VAUGUYON (Mlle Pauline DE LA), 1783-1829. Fille du duc de la
    Vauguyon; épousa, en 1810, le baron de Villefranche, des princes
    de Carignan. A la suite d'un accident, elle mourut brûlée dans
    sa villa d'Auteuil, laissant trois enfants: 1º une fille qui
    épousa le prince Massimo d'Arsoli; 2º une autre fille qui épousa
    le comte de Syracuse, de la maison de Naples; 3º un fils,
    Eugène, qui fut reconnu par le roi de Sardaigne comme Prince du
    sang.

  VÉRAC (le marquis DE), 1768-1858. Armand de Vérac servit quelque
    temps dans l'armée des Princes, puis rentra en France, d'où
    Napoléon l'exila huit ans plus tard en Belgique. La Restauration
    le fit pair de France et gouverneur du château de Versailles.

  VERNET (Horace), 1789-1863. Illustre peintre français. Il suivit
    l'armée pendant la campagne d'Algérie et en peignit plusieurs
    combats.

  VERQUIGNIEULLE (la marquise DE). Flore-Marie de Proudhomme et
    d'Harlay de Verquignieulle, épousa en 1836 M. Ancillon, dont
    elle était la troisième femme. Devenue veuve en 1837, elle
    retourna vivre en Belgique, son pays natal.

  VERTOT (l'abbé DE), 1655-1735. René-Aubert de Vertot embrassa
    d'abord la vie religieuse, et fut successivement capucin sous le
    nom de Père Zacharie, chanoine régulier de Prémontrés, membre de
    l'ordre de Cluny, puis, fatigué de la vie du cloître, il entra
    dans le clergé séculier, fut curé de Croissy-la-Garenne, etc. Il
    publia une _Histoire des révolutions de Portugal_, mais son
    œuvre favorite fut son _Histoire de la République romaine_.

  VESTIER (Phidias), 1796-1874. Architecte, inspecteur des monuments
    historiques du département d'Indre-et-Loire, il fut fait
    chevalier de la Légion d'honneur après avoir construit la gare
    du chemin de fer à Tours en 1849. Il était petit-fils d'un
    peintre, dont quelques œuvres sont au Louvre. Très protégé par
    la duchesse de Talleyrand, Vestier bâtit à Paris de nombreux
    hôtels, et plusieurs châteaux dans la vallée de la Loire.

  VICENCE (le duc DE), 1815-1896. Armand-Alexandre-Joseph-Adrien de
    Caulaincourt, fit ses débuts dans la diplomatie, puis la quitta
    en 1837. Député sous la monarchie de Juillet, sénateur du second
    Empire, il fut fait commandeur de la Légion d'honneur en 1868.

  VILLEFRANCHE (le comte Eugène DE), 1753-1785. Ce prince de la
    maison de Carignan servit dans l'armée française, et obtint de
    Louis XVI le commandement d'un régiment d'infanterie qui prit le
    nom de _Savoie-Carignan_. Tombé en disgrâce, à cause de son
    mariage avec Mlle Magon-Laballue, il quitta l'armée et mourut
    oublié, jeune encore, à Domart, en Picardie.

  VILLEFRANCHE (le baron Joseph-Marie DE), 1783-1825. Fils du
    précédent. Il servit brillamment sous l'Empire dans la
    cavalerie, continua sa carrière sous la Restauration et, en
    1823, suivit le duc d'Angoulême en Espagne. Il mourut subitement
    en voiture, d'une attaque d'apoplexie. Il avait épousé la fille
    du duc de la Vauguyon.

  VILLEGONTIER (le comte Louis DE LA), 1776-1849. Préfet de l'Allier
    en 1816, puis préfet d'Ille-et-Vilaine et pair de France en
    1819; il prêta serment au gouvernement de Louis-Philippe et en
    soutint la politique jusqu'en 1848, puis rentra dans la vie
    privée.

  VILLÈLE (le comte Guillaume-Aubin DE), 1770-1840. Élève du
    séminaire de Saint-Sulpice, il émigra pendant la Révolution et
    c'est à Düsseldorf qu'il reçut la prêtrise. De retour en France
    en 1802, l'abbé de Villèle s'adonna à la prédication; Louis
    XVIII lui donna le siège épiscopal de Soissons, d'où il passa en
    1824 à l'archevêché de Bourges, en même temps qu'il entrait à la
    Chambre des pairs. Après 1830, il tint rigueur au nouveau
    gouvernement, et, en 1839, refusa la croix de la Légion
    d'honneur. Lorsque don Carlos, forcé de quitter l'Espagne, fut
    interné à Bourges, l'Archevêque lui offrit d'habiter son palais
    et reçut de ce Prince le grand cordon de Charles III.

  VILLEMAIN (Abel-François)*, 1790-1870. Professeur, écrivain et
    homme politique français.

  VINCKE (Mme DE), 1766-1845. Mlle de Vincke épousa son parent M. de
    Vincke et devint la dame d'honneur de la Reine Louise de
    Prusse, qui l'avait en grande affection. Après la mort de cette
    Princesse, elle conserva une grande situation à la Cour et dans
    la société de Berlin.

  VIVIEN (Alexandre-François-Auguste), 1799-1854. En 1840, il fut
    ministre de la Justice dans le ministère Thiers, et attacha son
    nom à la suppression des juges suppléants devant le tribunal de
    la Seine.

  VOLTAIRE (Arouet DE)*, 1694-1778. Philosophe français, qui exerça
    une immense influence sur le dix-huitième siècle historique et
    littéraire.


  W

  WAGRAM (le prince Napoléon-Louis DE), 1810-1888. Fils du célèbre
    maréchal Berthier, fut fait pair de France en 1836 et sénateur
    en 1848.

  WALEWSKI (le comte Alexandre), 1810-1868. Homme politique
    français, ministre de Napoléon III. Il était le fils naturel de
    l'Empereur Napoléon Ier et de la comtesse Marie Walewska, que
    l'Empereur avait connue à Varsovie en 1807.

  WALLENSTEIN, 1583-1634. Célèbre homme de guerre, né en Bohême,
    l'un des plus grands généraux de la guerre de Trente ans.

  WALSH (la comtesse Agathe). Déjà veuve en 1806, la comtesse Walsh
    devint Grande-maîtresse de Cour de la grande-duchesse Stéphanie
    de Bade et ne se retira qu'en 1839. Son fils Théophile était
    beaucoup reçu à la cour de Bade.

  WALTER SCOTT*, 1771-1832. Romancier écossais.

  WASA (la princesse), 1811-1854. Louise-Stéphanie, fille du
    grand-duc Charles de Bade et de la grande-duchesse, née
    Stéphanie de Beauharnais.

  WEIZEL (Mlle DE). Amie très intime de la famille d'Entraigues et
    du baron et de la baronne Finot, voisins de Valençay.

  WELLINGTON (le duc DE)*, 1769-1852. Illustre général anglais,
    adversaire de Napoléon, souvent membre du cabinet.

  WERTHER (le baron DE)*, 1772-1859. Diplomate prussien, ambassadeur
    à Paris, puis ministre des Affaires étrangères à Berlin.

  WERTHER (la baronne DE)*, 1778-1853. Née comtesse Sophie
    Sandizell.

  WERTHER (le baron Charles DE), 1809-1894, fils des précédents; il
    remplaça, en 1869, le comte de Golz, ambassadeur à Paris, et y
    fut l'instrument de rupture des relations au moment de la guerre
    de 1870. En 1874, il fut nommé ambassadeur à Constantinople,
    puis se retira à Münich en 1877.

  WEYER (Sylvan VAN DE)*, 1803-1874. Homme d'État et littérateur
    belge.

  WITTGENSTEIN (le prince Guillaume de Sayn-), 1770-1851. Ministre
    de la maison du Roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, un des
    personnages les plus importants de la Cour de Berlin.

  WOLFF (M. DE). Conseiller au ministère de l'intérieur prussien
    pendant plusieurs années.

  WOLFF (Mme DE). Fille du conseiller de justice Hennenberg.

  WOLOWSKI (Louis), 1810-1876. Né à Varsovie, il se fit naturaliser
    Français après la révolution polonaise de 1830 et se consacra à
    l'étude du droit et des problèmes économiques, où il devint un
    maître.

  WORONZOFF-DASCHKOFF (le comte Ivan), 1791-1854. Ministre de Russie
    à Münich de 1824 à 1828, puis à Turin jusqu'en 1835, il fut
    ensuite conseiller d'Empire à Pétersbourg, et Grand-maître des
    cérémonies à la Cour. Il fut un protecteur éclairé des arts.

  WURMB (M.-Frédéric-Charles DE), 1766-1843. Officier d'état-major à
    Berlin, il démissionna pour épouser Mlle de Gœcking, et devint
    administrateur des terres de la duchesse de Dino, à
    Deutsch-Wartenberg.

  WURMB (Mme DE), 1783-1862. Wilhelmine de Gœcking, fille du
    conseiller d'État au ministère des Finances.

  WURTEMBERG (le duc Alexandre DE), 1804-1855. Il entra au service
    militaire de l'Autriche, mais ayant épousé morganatiquement, en
    1835, une comtesse Rhéday, il s'établit à Paris.

  WURTEMBERG (le Roi de)*, 1781-1862. Guillaume Ier.

  WURTEMBERG (la princesse Marie DE)*, 1816-1863. Fille du Roi
    Guillaume Ier, épouse du général de Neipperg.

  WURTEMBERG (la princesse Sophie DE)*, 1818-1877. Sœur de la
    précédente, elle épousa Guillaume III, roi des Pays-Bas.
    Princesse très distinguée, elle fut une intime amie de
    l'Empereur Napoléon III.

  WURTEMBERG (le prince Paul DE), 1785-1852. Frère du Roi Guillaume
    Ier, il épousa, en 1825, la princesse Charlotte de
    Saxe-Altenburg, dont il eut plusieurs enfants. Remarié plus tard
    morganatiquement à une Anglaise, il vécut dès lors à Paris.

  WURTEMBERG (le prince Frédéric DE). Né en 1808. Fils du précédent;
    il resta au service de Würtemberg.

  WURTEMBERG (le prince Auguste DE). Né en 1813. Frère du précédent;
    il entra au service de Prusse.


  X

  XIMÉNÈS DE CISNEROS (le cardinal DE), 1436-1517. Célèbre ministre
    d'État espagnol, archevêque de Tolède; il rendit les plus grands
    services à Charles-Quint, qui s'en montra peu reconnaissant et
    l'éloigna, après avoir profité de son influence pour se faire
    nommer Roi de Castille et d'Aragon.


  Z

  ZEA-BERMEDEZ (Don Francisco)*, 1772-1850. Diplomate espagnol. Il
    appartenait à une des plus anciennes familles de la Reconquête.

  ZEA-BERMEDEZ (Mme DE)*. Morte en 1848. Elle était née Doña
    Maria-Antonia de Auduaga, d'une famille originaire de Guipuscoa,
    qui compta plusieurs diplomates parmi ses membres. Elle était
    Dame noble de l'Ordre de Marie-Louise.

  ZOÉ, négresse au service de la vicomtesse de Laval, puis de la
    duchesse Mathieu de Montmorency, chez qui elle finit ses jours.


PARIS.--TYP. PLON-NOURRIT ET Cie, 8, RUE GARANCIÈRE.--12288.





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