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Title: Variétés Historiques et Littéraires (5 / 10) - Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers Author: Various Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Variétés Historiques et Littéraires (5 / 10) - Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers" *** generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers _Revues et annotées_ PAR M. ÉDOUARD FOURNIER TOME V A PARIS Chez P. JANNET, Libraire MDCCCLVI _Les Triolets du temps, selon les visions d'un petit-fils du grand Nostradamus. Faits pour la consolation des bons François et dediés au Parlement._ _A Paris, chez Denys Langlois, au Mont S.-Hilaire, à l'enseigne du Pelican._ M.DC.XLIX In-4.[1] [Note 1: Cette _Mazarinade_, faite sous une forme qui fut très employée alors, mais rarement avec une verve aussi soutenue, passe pour être d'un prêtre nommé Jean Duval, à qui l'on attribue aussi le _Parlement de Pontoise_ (1652), et qui mourut le 12 décembre 1680. Il se pourroit pourtant que Jean Duval n'y fût pour rien, et que le véritable auteur fût Marigny. Il est du moins certain que quelques uns de ces triolets, sinon tous, sont de ce dernier. Nous les noterons au passage. Sautereau de Marty, dans son _Nouveau siècle de Louis XIV_, t. 1, p. 153, etc., a donné cette pièce presque tout entière; M. Moreau, dans son _Choix de Mazarinades_, t. 1, p. 416, n'en a reproduit que vingt-cinq triolets. Il lui donne la date du 4 mars 1649. Il nous dit aussi, dans son excellente _Bibliographie des Mazarinades_, t. 3, p. 226, nº 3859, qu'il y en eut une 2e édition, s. l. n. d., in-4 de 8 p.] Quoy donc! Paris est investy? O cieux! qui l'eût jamais pu croire! Le roy mesmes en est sorty. Quoy donc! Paris est investy? Il me faut donc prendre party Pour sauver mes biens et ma gloire. Quoy donc! Paris est investy? O cieux! qui l'eust jamais pu croire! Parisiens, ne resvez pas tant, La defense est tousjours permise; En ce malheureux accident, Parisiens, ne resvez pas tant. Çà! çà! viste, il faut de l'argent: Donnons tous jusqu'à la chemise. Parisiens, ne resvez pas tant, La defense est tousjours permise. Il faut estre icy liberaux; Pour sauver la ville alarmée, Choisissons de bons generaux; Il faut estre icy liberaux: Pour nous garantir de tous maux, Faisons une puissante armée; Il faut estre icy liberaux Pour sauver la ville alarmée. Qu'on taxe, maison par maison, Les petites et grandes portes; N'importe qu'il en couste bon, Qu'on taxe maison par maison. Il est besoin pour la saison Que nos troupes soient les plus fortes: Qu'on taxe, maison par maison, Les petites et grandes portes[2]. En cette juste occasion, Employons nos corps et nos ames; Travaillons avec passion En cette juste occasion; Il faut tout mettre en faction, Enfans, vieillards, hommes et femmes; En cette juste occasion, Employons nos corps et nos ames. Suivons nostre illustre pasteur[3], On ne peut après luy mal faire; C'est un maître predicateur; Suivons nostre illustre pasteur, Cet autre Paul, ce grand docteur, Que toute l'Eglise revère; Suivons nostre illustre pasteur, On ne peut après luy mal faire. François, venez tous prendre employ; Montrez icy vostre vaillance, Vous aurez au moins bien de quoy; François, venez tous prendre employ: C'est pour le service du roy Et pour le salut de la France; François, venez tous prendre employ, Monstrez icy vostre vaillance. Je veux moy-mesme aller aux coups, Moy qui ne suis qu'homme d'estude; Pour donner bon exemple à tous, Je veux moy-mesme aller aux coups; S'il faut mourir je m'y résous, Encor que la mort soit bien rude; Je veux moy-mesme aller aux coups, Moy qui ne suis qu'homme d'estude. Dieu sera de nostre costé, Puis que nous avons la justice; Qu'on ne soit pas epouvanté, Dieu sera de nostre costé: Le Parlement nous est resté Pour travailler à la police; Dieu sera de nostre costé, Puis que nous avons la justice. Qu'ils prient bien, nos ennemis, S'ils ont la pieté dans l'ame, Ce sainct devoir leur est permis, Qu'ils prient bien, nos ennemis, Saint Germain, saint Cloud, saint Denys[4]; Nous avons pour nous Nostre-Dame. Qu'ils prient bien, nos ennemis, S'ils ont la pieté dans l'ame. Ces cruels nous serrent en vain Tout à l'entour de nos murailles, Nous ne sçaurions mourir de faim; Ces cruels nous serrent en vain. Tout chacun trouvera du pain Pour rassasier ses entrailles; Ces cruels nous serrent en vain Tout à l'entour de nos murailles[5]. Nos greniers sont remplis de blé, Qu'on en fasse de la farine; Le peuple a tort d'estre troublé, Nos greniers sont remplis de blé; On ne sçauroit estre accablé D'un an entier de la famine. Nos greniers sont remplis de blé, Qu'on en fasse de la farine. L'un s'est pourveu pour six bons mois, En fait-il besoin davantage? L'un pour quatre, l'autre pour trois; L'un s'est pourveu pour six bons mois. On a des fèves et des pois, Du lard, du beurre et du fromage; L'un s'est pourveu pour six bons mois, En fait-il besoin davantage? On a de tous les bons morceaux: Lièvres, lapins, perdrix, becaces; On a quantité de pourceaux[6], On a de tous les bons morceaux; On a moutons, boeufs, vaches, veaux, On en vend dans toutes les places; On a de tous les bons morceaux: Lièvres, lapins, perdrix, becaces. Les vivres ne manqueront pas, On peut tousjours faire ripaille; Qu'on n'épargne point un repas, Les vivres ne manqueront pas: On a dindons et chapons gras, Et les chevaux ont foin et paille. Les vivres ne manqueront pas, On peut toujours faire ripaille. Les cabarets sont tous ouverts; Chacun y boit, chacun y mange, On y trouve des vins divers; Les cabarets sont tous ouverts, Et c'est là que j'ay fait ces vers[7], Qui sentent la saulce à l'orange; Les cabarets sont tous ouverts, Chacun y boit, chacun y mange. Corbeil sera bien-tost repris, Et tout viendra par la rivière; Qu'on ne craigne point dans Paris, Corbeil sera bien tost repris; On aura de tout à bon prix, Et nous ferons tous chère entière; Corbeil sera bien-tost repris, Et tout viendra par la rivière[8]. Il faut remettre Charenton[9] Pour y refaire le passage, Car autrement qu'en diroit-on? Il faut remettre Charenton, Qu'on y travaille tout de bon Sans crainte d'un second carnage; Il faut remettre Charenton Pour y refaire le passage. Fourbisseurs, ne vous lassez pas; Armuriers, travaillez sans cesse: C'est pour armer tous nos soldats. Fourbisseurs, ne vous lassez pas; Il faut couper jambes et bras A ceux qui nous tiennent Gonnesse[10]. Fourbisseurs, ne vous lassez pas; Armuriers, travaillez sans cesse. Mon Dieu, l'admirable bon-heur En ces dissentions nouvelles! L'eusses-tu pu penser, mon coeur? Mon Dieu, l'admirable bonheur! La Bastille a pour gouverneur Le fameux monsieur de Brusselles[11]; Mon Dieu, l'admirable bon-heur En ces dissentions nouvelles! Parisiens, nous serons des fous Si nos coeurs ne se font connestre, Et si nous n'agissons bien tous, Parisiens, nous serons des fous; Puisque l'Arcenac est à nous, Il n'est pas besoin de Grand-Maistre[12]; Parisiens, nous serons des fous Si nos coeurs ne se font connestre. Puisque c'est à nous les canons, Avec les boulets et la poudre, Bourgeois, si mes conseils sont bons, Puisque c'est à nous les canons, Pour immortaliser vos noms, Allez partout porter la foudre, Puisque c'est à nous les canons Avec les boulets et la poudre. Il faut chasser le Mazarin, Qui vole tout l'or de la France; Fût-il plus fort, fût-il plus fin, Il faut chasser le Mazarin; Qu'il retourne de là Thurin Pour estre plus en asseurance: Il faut chasser le Mazarin Qui vole tout l'or de la France. Vrayment, nos yeux sont éblouis Par un charme bien ridicule: Il a des tresors inouis, Vrayment, nos yeux sont eblouis; Donnerons-nous tous nos Louis A Rome pour un pauvre Jule[13]? Vrayment nos yeux sont éblouis Par un charme bien ridicule. Cordonniers, tailleurs et marchans, N'allez pas fermer vos boutiques, Quoy que le tambour batte aux champs: Cordonniers, tailleurs et marchans, Vous aurez assez de chalans Pour occuper vos domestiques; Cordonniers, tailleurs et marchans, N'allez pas fermer vos boutiques. Boulangers, travaillez tousjours; Serrez les escus qu'on vous offre, Ne regardez pas s'ils sont courts; Boulangers, travaillez tousjours: Tant plus vous remplirez vos fours, Tant plus vous remplirez le coffre; Boulangers, travaillez tousjours, Serrez les escus qu'on vous offre. Je ne plains que les villageois: Leurs maisons sont abandonnées, On leur pille tout à la fois; Je ne plains que les villageois: Ils vont perdre plus en un mois Qu'ils n'ont gaigné dans dix années; Je ne plains que les villageois: Leurs maisons sont abandonnées[14]. Bonnes gens, prenez garde à vous! Les ennemis vont au pillage; Ils sont tous gueux et tous filous: Bonnes gens, prenez garde à vous! Affamez comme de gros loups, Ils cherchent à faire carnage. Bonnes gens, prenez garde à vous! Les ennemis vont au pillage. Aux armes! ils sont aux faux-bours. Laquais, mon pot et ma cuirace; Qu'on fasse battre les tambours, Aux armes! ils sont aux faux-bourgs. Allons avec un prompt secours Contre cette meschante race; Aux armes! ils sont aux faux-bourgs. Laquais, mon pot et ma cuirace. Ne vous precipitez pas tant, Cavalier de portes cochères[15]! Vostre cheval est bien pesant, Ne vous precipitez pas tant; Gardez d'un mauvais accident Qui pourroit gaster nos affaires; Ne vous precipitez pas tant, Cavalier de portes cochères. Allons, puisque j'ay pris mon pot, Allons, qu'on s'avance et qu'on tue; Allons avec ordre au grand trot, Allons, puisque j'ay pris mon pot[16], Allons frapper sans dire mot; Allons la visière abatue, Allons, puisque j'ay pris mon pot, Allons, qu'on s'avance et qu'on tue. Helas! que de mal-heureux corps Dont la rage a fait un parterre! Que de blessez et que de morts! Helas! que de mal-heureux corps! Les foibles ont souffert des forts. Voilà les beaux fruits de la guerre! Helas! que de mal-heureux corps Dont la rage a fait un parterre! François qui combattez dehors, Pourquoy causer tant de misères? Songez, en faisant vos efforts, François qui combattez dehors, Que vous avez dans ce grand corps Vos femmes, filles, soeurs et mères. François qui combattez dehors, Pourquoy causer tant de misères? Si vous avez vos mesmes coeurs En cette funeste avanture, François, cruels persecuteurs, Si vous avez vos mesmes coeurs, Gardez-y parmy vos rigueurs Un sentiment pour la nature, Si vous avez vos mesmes coeurs En cette funeste avanture. Des François contre des François! O cieux! l'abominable rage! L'Espagnol rit bien cette fois. Des François contre des François! Voilà de barbares emplois, Qui menacent d'un grand orage. Des François contre des François! O cieux! l'abominable rage! Comediens, c'est un mauvais temps: Prenez les armes sans vergogne, Gardez-vous d'estre faineans. Comediens, c'est un mauvais temps: La tragedie est par les champs[17] Bien plus qu'à l'hostel de Bourgogne. Comediens, c'est un mauvais temps, Prenez les armes sans vergogne. Violons, on ne fait plus de bal Pour cultiver les amourettes, Encor qu'on soit en carnaval[18]; Violons, on ne fait plus de bal, On aime mieux un bon cheval, Des pistolets et des trompettes; Violons, on ne fait plus de bal Pour cultiver les amourettes. Tous vos galans sont empeschez, Attendez un accord, coquètes, Pleurez cependant vos pechez; Tous vos galans sont empeschez, C'est en vain que vous les cherchez Pour entendre d'eux des fleurètes; Tous vos galans sont empeschez, Attendez un accord, coquètes. Mes chères[19], resvez nuit et jour, Sans mettre ny rubans ny mouches: On ne fait plus icy l'amour. Mes chères, resvez nuit et jour: Si l'on ne void bientost la cour, Vous allez devenir des souches. Mes chères, resvez nuit et jour Sans mettre ny rubans ny mouches. Adieu la foire Sainct-Germain[20]! Consolez-vous, filles et femmes; Point de bijous, il faut du pain: Adieu la foire Sainct-Germain! Vrayment, ce temps est inhumain: On ne donne plus rien aux dames. Adieu la foire Sainct-Germain! Consolez-vous, filles et femmes. On ne veut point d'enfarinez, Tandis qu'il faut mettre le casque. Mignons, vous serez condamnez, On ne veut point d'enfarinez; Mais n'en soyez pas estonnez, Laissez passer cette bourrasque. On ne veut point d'enfarinez, Tandis qu'il faut prendre le casque. L'Orvietan, retirez-vous, Jetez le teatre par terre, Vous n'attirerez plus de fous; L'Orvietan, retirez-vous: On ne sçauroit donner vingt sous D'un pot d'onguent en temps de guerre. L'Orvietan, retirez-vous, Jettez le teatre par terre[21]. Plaideurs, mettez vos sacs au croc Et songez à prendre les armes, Il est temps de faire ce troc; Plaideurs, mettez vos sacs au croc; Point d'arrests, cela vous est hoc, Sinon pour calmer ces vacarmes. Plaideurs, mettez les sacs au croc, Et songez à prendre les armes. Huissiers, procureurs, advocats, Laissez un peu moisir vos causes: Vous ne sçauriez gaigner grand cas; Huissiers, procureurs, advocats, La guerre ne le permet pas, Le desordre est en toutes choses. Huissiers, procureurs, advocats, Laissez un peu moisir vos causes. Medecins, soyez bien contens, Les maltotiers ont tous la fièvre; S'ils ont volé depuis vingt ans, Medecins, soyez bien contens, On leur fait tout rendre en ce temps; Chacun d'eux tremble comme un lièvre. Medecins, soyez bien contens, Les maltotiers ont tous la fièvre. Pendant ces funestes malheurs, Tenez-vous prests, apothicaires; Si l'on veut reformer les moeurs Pendant ces funestes malheurs, Il faut bien purger des humeurs Et reiterer des clistères. Pendant ces funestes malheurs, Tenez-vous prests, apothicaires. Fraters[22], faites bien des onguens, Et qu'on sorte de la boutique, Les blessez sont par tous les chams; Fraters, faites bien des onguens. Il faudra bien quitter vos gans Pour mettre les mains en pratique. Fraters, faites bien des onguens, Et qu'on sorte de la boutique. Voleurs, songez à bien voler, La saison en est fort commode. Craignez-vous de mourir en l'air? Voleurs, songez à bien voler. D'ailleurs, à franchement parler, Partout c'est aujourd'huy la mode. Voleurs, songez à bien voler, La saison en est fort commode. Pillez tousjours plus hardiment, Il est temps de faire fortune; Un chacun pille impunement, Pillez tousjours plus hardiment; De nuit on peut adroitement Prendre le soleil à la lune. Pillez tousjours plus hardiment, Il est temps de faire fortune. Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy Avecque mes grandes lunettes? C'est un hydre en l'air, que je croy. Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy? C'est un monstre, un je ne sçay quoy. Mais voyons un peu les planètes. Ah Dieu! qu'est-ce que j'apperçoy Avecque mes grandes lunettes? Sur Paris je voy Jupiter, Qui nous fait assez bon visage; Mercure est prest de nous quitter; Sur Paris je voy Jupiter, Et Mars va se precipiter Dans l'Occident: c'est bon presage. Sur Paris je voy Jupiter, Qui nous fait assez bon visage. Courage! l'accord s'en va fait[23], Je viens de l'apprendre des astres. François, tout nous vient à souhait; Courage! l'accord s'en va fait. Vous en verrez bientost l'effet Par la fin de tous nos desastres. Courage! l'accord s'en va fait, Je viens de l'apprendre des astres. Il n'aura pas ce qu'il pretend, L'Espagnol qui cherche ses villes; C'est en vain qu'il est si content, Il n'aura pas ce qu'il pretend. Qu'il ne se chatouille pas tant Pendant nos discordes civiles: Il n'aura pas ce qu'il pretend, L'Espagnol qui cherche ses villes. Il s'en va, ce grand cardinal, Qui n'a ny vertu ny science; Paris, tu n'auras plus de mal, Il s'en va ce grand cardinal; Un vaisseau luy sert de cheval. Ne crain pas qu'il revienne en France. Il s'en va ce grand cardinal, Qui n'a ny vertu ny science. Qu'il aille vers le Maraignon[24], S'il aime tant le fruit des mines: L'or y croist comme icy l'oignon. Qu'il aille vers le Maraignon: Il aura du fin et du bon Pour en faire des mazarines. Qu'il aille vers le Maraignon, S'il aime tant le fruit des mines. Les nièces sont au desespoir Du malheur de Son Eminence: La cour ne les ira plus voir. Les nièces sont au desespoir, Elles vont perdre leur pouvoir Avec leur trop haute esperance. Les nièces sont au desespoir Du malheur de Son Eminence. Monsieur le prince de Condé A bien moderé sa colère; Il se void si mal secondé, Monsieur le prince de Condé, Qu'il est prest de quitter le dé A son illustrissime frère. Monsieur le prince de Condé A bien moderé sa colère. Le Parlement a le dessus, Il faut qu'on luy donne des palmes; Ses ennemis n'en peuvent plus. Le Parlement a le dessus, Et, malgré le temps si confus, Toutes choses vont estre calmes. Le Parlement a le dessus, Il faut qu'on luy donne des palmes. Le roy sera bien-tost icy: Que chacun en saute de joye; Ne nous mettons plus en soucy, Le roy sera bien-tost icy; Il va revenir, Dieu mercy, C'est le ciel qui nous le renvoye; Le roy sera bien-tost icy, Que chacun en saute de joye[25]. Monsieur le prince de Conty[26], Avec son zèle et sa prudence, A bien soustenu son party, Monsieur le prince de Conty; L'univers doit estre adverty Qu'il a sauvé la pauvre France, Monsieur le prince de Conty, Avec son zèle et sa prudence. Il le faut louer hautement, Ce vaillant duc de Longueville; Bourgeois, Messieurs du Parlement, Il le faut louer hautement: Il a travaillé puissamment Au bien de la cause civile; Il le faut louer hautement, Ce vaillant duc de Longueville. Ce genereux duc de Beaufort Sera bien avant dans l'histoire; Dieu l'a tiré d'un cruel fort, Ce genereux duc de Beaufort, Pour servir icy de renfort Et pour relever nostre gloire; Ce genereux duc de Beaufort Sera bien avant dans l'histoire. Monsieur d'Elbeuf et ses enfans[27] Ont fait tous quatre des merveilles. Qu'ils sont pompeux et triomphans, Monsieur d'Elbeuf et ses enfans! On dira jusqu'à deux mille ans, Comme des choses nompareilles: Monsieur d'Elbeuf et ses enfans Ont fait tous quatre des merveilles[28]. Admirons monsieur de Bouillon: C'est un Mars, quoy qu'il ait la goutte; Son conseil s'est trouvé fort bon. Admirons monsieur de Bouillon: Il est plus sage qu'un Caton, On fait bien alors qu'on l'écoute. Admirons monsieur de Bouillon: C'est un Mars, quoy qu'il ait la goute[29]. Cet invincible marechal Qu'on a tenu dans Pierre Ancise, Après qu'il fut franc de ce mal, Cet invincible marechal, Il presta son bras martial Pour mettre Paris en franchise, Cet invincible marechal, Qu'on a tenu dans Pierre Ancise[30]. Je ne puis taire ce grand coeur[31], Que tout Paris vante et caresse: C'est ce marquis tousjours vainqueur. Je ne puis taire ce grand coeur: C'est le capitaine sans peur, Qui travaille et combat sans cesse; Je ne puis taire ce grand coeur, Que tout Paris vante et caresse. Qu'on prepare de beaux lauriers, Pour leur en faire des couronnes A tous nos illustres guerriers; Qu'on prepare de beaux lauriers, Puis qu'en ces mouvemens derniers Ils ont signalé leurs personnes; Qu'on prepare de beaux lauriers, Pour leur en faire des couronnes. Tost après la paix de Paris Sera la paix universelle; Chacun reprendra ses esprits Tost après la paix de Paris; On n'entendra plaintes ny cris, On ne verra plus de querelle; Tost après la paix de Paris Sera la paix universelle. Chacun vivra dans le repos, Sans craindre siége ny bataille; On ne parlera plus d'impôts, Chacun vivra dans le repos; Gare les verres et les pots, Quand on aura baissé la taille; Chacun vivra dans le repos, Sans craindre siége ny bataille. Ces partisans si gros et gras, Qui mettoient tout le monde en peine, Seront eux-mesmes mis à bas; Ces partisans si gros et gras. Ils sont asseurez du trepas, Ou de leur ruine prochaine, Ces partisans si gros et gras, Qui mettoient tout le monde en peine. Ce gros ventru qui s'est sauvé N'en est pas mieux pour estre en fuite: Car, si jamais il est trouvé, Ce gros ventru qui s'est sauvé, Il peut bien dire son _salve_ Et son _in manus_ tout en suite. Ce gros ventru qui s'est sauvé N'en est pas mieux pour estre en fuite. Vive, vive le Parlement, Qui va mettre la paix en France! Qu'on chante solemnellement: Vive, vive le Parlement! Il oste tout dereglement, Pour nous oster toute souffrance. Vive, vive le Parlement, Qui va mettre la paix en France! AU PARLEMENT. François comme je suis, serois-je pas coupable Si je n'offrois ces vers A qui regle la France, et que je tiens capable De regler l'univers? Ouy, de bon coeur je vous les donne, Avec mes voeux et ma personne. [Note 2: Chaque maison devoit fournir un soldat. Celles qui étoient à porte cochère étoient tenues d'armer un cavalier. C'est ce que Richelieu avoit déjà ordonné en 1636, _l'année de Corbie_, comme on disoit, parceque les Espagnols, ayant pris cette ville, menaçoient de près Paris. V. _Mém._ de Monglat, _collect. Petitot_, 2e série, t. 49, p. 128, et Tallemant, 1re édit., t. 5, p. 51. L'arrêté du conseil de ville qui avoit renouvelé cette mesure étoit du 12 janvier 1649; on lit dans le _Courrier burlesque de la guerre de Paris_: Le mardi, le conseil de ville Fit un règlement fort utile, Savoir que, pour lever soldats, Tant de pied comme sur dadas, L'on taxeroit toutes les portes, Petites, grandes, foibles, fortes; Que la _cochère_ fourniroit Tant que le blocus dureroit Un bon cheval avec un homme, Ou qu'elle donneroit la somme De quinze pistoles de poids, Payables la première fois; Les petites un mousquetaire Ou trois pistoles pour en faire. _Pièces à la suite des Mémoires du cardinal de Retz_, Amsterdam, 1712, in-12., t. 1, p. 270.] [Note 3: Gondi, le coadjuteur. On jouoit volontiers, à propos de lui, sur le mot _pasteur_, comme dans ce couplet, que nous avons trouvé parmi les _triolets de S.-Germain_, et, avec quelques changements, dans un recueil de chansons dont M. Laverdet possède le manuscrit, tout entier de la main de Bussy-Rabutin. Nous citons d'après cette curieuse copie: Monsieur notre coadjuteur Quitte la crosse et prend la fronde, Ayant sceu qu'un petit pasteur, Monsieur notre coadjuteur. Pour avoir été bon frondeur Devint le plus grand roi du monde, Monsieur notre coadjuteur.] [Note 4: L'armée du roi tenoit tous ces villages.] [Note 5: Ils négligeoient pourtant de faire trop bonne garde et un blocus trop sévère autour de Paris. Cyrano, dans sa lettre 21e (_Contre les frondeurs_), dit à propos de Mazarin: «Il deffendit d'abattre les moulins qui sont autour de la ville, quoiqu'il sceut que par leur moyen elle recevoit continuellement force bleds.»] [Note 6: C'est ce qui abondoit le plus, à ce qu'il paroît, grâce à un heureux coup du marquis de la Boulaye, «qui, dit la dame de la Halle dans _sa harangue_, qui, avec sa mine turquesque, nous fit bien manger des cochons en carême, pendant le blocus de Paris.» (_Lettre de remercîment envoyée au cardinal Mazarin... avec la dame Denize, au large chaperon es Halles_, députée vers _Son Everminence, etc._, Paris, 1651.)] [Note 7: Une autre _Mazarinade_, du même temps et de la même forme, avoue par son titre qu'elle fut écrite au cabaret: _Triolets nouveaux sur la paix, faits dans la Pomme de Pin, pour l'heureux retour du roy_, Paris, _Denys Langlois_, 1649.] [Note 8: Beaucoup de denrées venoient de Corbeil par la Seine. La prise de cette ville par l'armée royale étoit donc très préjudiciable aux Parisiens. «Corbeil nous sera necessaire, écrit Gui-Patin à Spon; c'est la première ville que nous irons prendre.» Les bateaux qui descendoient la Seine chargés de vivres, pain fait à Melun, poissons, fruits, etc., s'appeloient _Corbillas et Corbillards_, à cause de Corbeil. V. l'Estoille, édit. Michaud, t. 2, p. 38, et une note de Roquefort dans la _Vie privée des François_, par Le Grand d'Aussy, t. 1, p. 106. Plus tard, la voiture qui menoit les morts au cimetière prit le même nom, par allusion aux _Corbeaux_, comme l'Estoille appelle les croque-morts, qui la conduisent. V. id., p. 406.] [Note 9: Sautereau de Marsy n'a pas reproduit ce _triolet_.--Charenton avoit été pris par le prince de Condé le 8 février, et il importoit beaucoup aux Parisiens de le reprendre.] [Note 10: Le pain le plus délicat en venoit. V. la lettre de Gui-Patin citée tout à l'heure, et notre t. 2, p. 327.] [Note 11: Le conseiller Broussel.] [Note 12: Le grand maître de l'artillerie. Jusqu'à la fin des troubles, il y eut des frondeurs qui étoient d'avis qu'il falloit refuser au roi la Bastille et l'Arsenal. V. _La vérité reconnue de M. le Prince, etc._, Paris, 1652.] [Note 13: Equivoque sur le prénom de Mazarin et sur le nom d'une petite monnoie romaine qui ne valoit que 5 sols.] [Note 14: Il y a une amusante épître de Chapelle à M. Carré, où il se plaint des ravages que les troupes étrangères à la solde du roi faisoient alors dans la banlieue de Paris. Toutes ces troupes étrangères Font qu'on ne se promène guères. Hélas! comment le pourroit-on, Puisque Chaillot et Charenton Sont à présent places frontières?] [Note 15: V. une des notes précédentes.] [Note 16: Espèce de demi-casque, ou _morion_, dont se coiffoient alors les fantassins.] [Note 17: Pendant la Terreur, Ducis, qui probablement ne connoissoit pas cette _mazarinade_, écrivoit à l'un de ses amis cette phrase qui la rappelle si bien: «Que parles-tu, Vallier, de faire des tragédies? La tragédie court les rues.»] [Note 18: Sautereau de Marsy n'a pas donné ce _triolet_. Plusieurs mazarinades firent allusion à ces misères d'un siége qui tomboit en temps de carnaval. V. notre t. 2, p. 326, note.] [Note 19: Une _chère_, c'étoit une précieuse. V. Oeuvres de Saint-Evremond, t. 1, p. 143, _le Cercle_.] [Note 20: V. aussi, pour la foire Saint Germain, qui n'eut pas lieu cette année-là, notre t. 2, p. 326.] [Note 21: Sur cet empirique du Pont-Neuf, v. une note de notre édition du _Roman Bourgeois_.] [Note 22: Inutile de rappeler qu'on nommoit ainsi les barbiers et les chirurgiens.] [Note 23: Des conférences pour la paix se tenoient alors à Ruel.] [Note 24: On appeloit ainsi le Pérou, à cause de la grande rivière _Xauca_ ou _Maragnon_, qui le traverse.] [Note 25: Il rentra dans Paris le 18 août.] [Note 26: Après avoir été l'un des chefs des rebelles, il leur faussa compagnie d'une façon éclatante, en épousant la nièce du cardinal.] [Note 27: Ce _triolet_, l'un des plus populaires du temps, puisque nous le trouvons dans les _Triolets de Saint-Germain_, dans les _Triolets de la Cour_, et aussi dans le mss. de Bussy, cité plus haut, fut fait par Marigny sous l'inspiration du coadjuteur, qui le dit lui-même dans ses _Mémoires_.] [Note 28: Ce _triolet_ est l'un des plus ironiques. _M. D'Elbeuf et ses enfants_ n'avoient fait merveille qu'en mettant la ville à contribution, sous prétexte qu'ils défendoient sa cause. Dans les _Trahisons decouvertes ou Le peuple vendu_, il est accusé «d'avoir ferré la mule au peuple de Paris».] [Note 29: Selon Sautereau de Marsy, ce _triolet_ est encore de Marigny.] [Note 30: Le maréchal de La Mothe-Houdancourt, qui, pour s'être fait battre à Lérida, en 1644, avoit été accusé de trahison et enfermé à Pierre-Encise. Justifié pleinement par arrêt du parlement de Grenoble, il n'étoit sorti de prison, en septembre 1648, que pour se faire aussitôt l'un des chefs de la Fronde.] [Note 31: Le marquis de la Boulaye, Ce grand gallion de convoi, Comme il est appelé dans la _Lettre au cardinal burlesque_, à cause de l'heureux coup de main qui avoit permis à la ville de se ravitailler. V. l'une des notes précédentes.] _Discours sur la mort du Chapelier, avec son testament et tombeau. Ensemble les regrets de sa mère et les adieux par lui faicts aux regiments et les bien-faits par trois ferailliers. Avec la lettre escrite à sa mère._ _A Paris, chez la veuve du Carroy, rue des Carmes, à la Trinité._ S. D. In-8.[32] [Note 32: L'histoire de ce chapelier devenu soldat fut alors très célèbre. Elle courut d'abord en chansons, comme nous le ferons voir. C'est le siége de Montauban, en 1621, qu'on y donnoit pour théâtre aux prouesses de ce soldat malgré lui. Ici il est question du grand siége de La Rochelle, qui eut lieu en 1628, comme on sait; notre pièce ne vint donc qu'après les chansons.] Premier que sortir de la ville de Paris, lieu de ma naissance, où toute ma generation est presente et vit journellement, je dis adieu, avec autant de regrets que faire se peut. Je me transportois de çà, de là, envers parents et amis, frères, soeurs, me precipitant d'un dernier adieu à ma très chère mère, laquelle, voyant ainsi mon depart, sembloit me vouloir suivre, se desesperant, et à chaudes larmes lavoit les traits de ma face, mouillant ma blonde chevelure; mais, ayant eu commandement de mon capitaine, il me la falut quitter et me desrober de sa presence. Comme je fus au Bourg la Reine, on voulut faire halte; mais le sergeant dit: Avançons! En cest avance nous cheminons jusqu'à Lonjumeau, qui pour lors estoit un dimanche. Ce fut là la demeure de deux jours, où les soldats prenoient mille plaisirs à se jouer avec femmes et filles, devisant les uns avec les autres; bref, il falut passer outre, et, quand nous fusmes à Montlehery, me mettant à regarder de tous costez, où nous vismes un petit bois, puis deux grandes pleines et quelque petite montagne, moy, emerveillé de voir la terre ainsi faitte, je commence à dire: Dieu a bien travaillé[33], et, demandant à mon sergeant si il faloit passer les montaignes et si il y avoit encore bien loing où il faloit aller, le sergeant dit que de dix jours, voire de quinze, je ne nous arresterions point, et qu'il y avoit bien d'autre passage à faire. Moy, qui n'avois jamais passé Sainct-Clou ou Vaugirard, je luy dis: Or, donné-moy mon congé; car je me doutois de ce qui m'est advenu. Le capitaine qui pour lors estoit, entendant la parole, se retourne, et dit au sergeant: Que l'on le mette sur le derrière de la charrette; puis estant au cartier, nous sçaurons quel gens d'arme il est. A l'instant le sergeant me donne quatre ou cinq grands coups au travers du dos et des fesses avec sa halebarde, que je fus contraint de cheminer[34]. Tant cheminasmes que nous arrivons devant la Rochelle, à un bourg appelé Nestray, où nous fismes monstre; puis l'on nous donne nos logis. Advint qu'il falloit travailler à la digue, qui est un grand malheur pour moy. A cause que je n'avois plus d'argent, je me prins à faire comme les autres, tant que j'y travaille quelque quinze jours ou davantage. A la fin du temps, j'apperceus trois bons compagnons crieurs de fers vieux drappeau, lesquels me firent cognoissance, tant qu'il fallut aller boire. Tant fismes grillades, que pas un de nous quatre n'avoit pas le soul: tellement qu'il falut reprendre l'habit de misère comme auparavant, retournant trouver le maistre entrepreneur, qui nous met en besogne comme auparavant, où nous fusmes quatre jours ensemble comme vrays camarades. Mais, ô très grand malheur! la fortune perverse Me fit en un matin mettre à la renverse Par l'esclat d'un boulet, qui d'un très rude effort Me persa rudement tout le travers du corps; Et, me sentant navré, tombant dessus la terre, Je crie: A mon secours quelque frère de guerre! Mais chacun, me voyant, de moy n'ose approcher, Se disans l'un à l'autre: Ce coup-là est bien cher! Vaut mieux ne rien gaigner que de perdre la vie; D'aller estre blessé, pour moy, je n'ay d'envie. Las! je perdois mon sang à faute de secours; Mais ces trois ferailliers sont arrivez tout court, Ayant ouy le bruit que j'estois sur la terre, M'apportèrent du linge et quelque peu à boire, Puis bandèrent mes playes, me prenant souz les bras, Me menèrent au cartier, me couchant sur un drap, Tousjours me consolant, me faisant des prières, Qu'il faloit avoir soin de Jesus et sa mère. Alors plusieurs soldats commencent à s'assembler A l'entour de mon lict, ne pouvant plus parler, Regrettant dans mon coeur la douleur que ma mère Possederoit de moy sçachant ce vitupère[35]. De deuil elle mourra, puis, la mort s'approchant, Luy ravira l'esprit de son bras rougissant. Le parler me venant, je dis avec grand peine Un adieu très piteux à mon cher capitaine, Aussi à mes amis qui m'avoient assisté Parmy mes grands tourments et ma necessité; Un adieu je leur dis, pleurant à chaude larme, Ayant un grand regret d'ainsi quitter mon ame, Dont me falloit quitter le meilleur de mon zèle. Pour les grandes rigueurs de ceux de La Rochelle. [Note 33: C'est à peu près ce que dit la chanson du _Jeune chapelier de la rue Saint Denis qui s'en va au siége de Montlhéry_: Quand fut à Montlhery, Sur ces hautes montagnes, Voyant derrière luy Toutes ces grand's campagnes, Fit trois pas en arrière: Ah! que le monde est grand. Une gravure du temps, représentant un joueur de vielle suivi d'un enfant qui joue du flageolet, porte ce couplet pour légende. M. Rathery, qui le cite dans un article sur la _Bibliographie des mazarinades_ (Athenæum, 13 février 1853), remarque avec justesse que La Fontaine a bien pu s'inspirer du dernier vers pour l'exclamation de son rat voyageur dans sa fable _le Rat et l'Huitre_ (liv. VIII, fable 9): Que le monde, dit-il, est grand et spacieux! Ce couplet, du reste, se trouve presque entier dans une chanson satirique contre le _Prince de Savoie_, qui dut être faite à cette même époque, et qui est encore assez populaire aujourd'hui pour que Dumersan ait cru devoir la mettre dans son volume de _Rondes enfantines_. Une chanson (_coraula_) du canton de Fribourg, qui semble n'être qu'une traduction de nos couplets contre le duc de Savoie, reproduit aussi la même plaisanterie: Noustrhou prinschou de Schavouye Lié mardjuga on boun infan Y l'ia leva oun' armée Dé quatrouvans paijans, O vertuchou, gare, gare, gare! O rantanplan, garda devant ......................... Quand nous fum sur la montagne, Grand Dieu! qué lou monde est grand! Fajin vito oune détzerde Et pu retornin nojan! Cette chanson est citée par M. G. Brunet dans sa curieuse brochure: _Notice sur Gilion de Trasignyes._ Paris, Techener, 1839, in-8, p. 32-33.] [Note 34: Dans une autre chanson sur ce sujet, qui n'est même qu'une sorte de variante de celle-ci, et dont nous avons trouvé des fragments dans la _Comédie des chansons_, 1640, in-12, p. 35, acte 1, scène 7, le chapelier, sous le nom de Jodelet, fait une résistance pareille, et n'en est pas mieux récompensé: Ha! que le monde est grand! La volonté me change D'aller à Montauban. LA ROZE. Soldat, que pensez faire? Avez l'argent reçu. Vous irez à la guerre, Ou vous serez pendu. JODELET. N'ay point accoustumé D'y aller, à la guerre. Je crains les cannonades Qui frappent sans parler. Quant à moy, à la guerre, Je n'y veux point aller.] [Note 35: Ce blâme, cette honte.] _Testament._ Premier que de mourir en presence du monde, Faut que je boive un coup, puis que la mort feconde Veut ravir mon esprit, et que mon testament Se face devant tous à l'oeil du regiment. Je donne mon mousquet, fourchette[36] et bandollière, Mesche, bales et poudre, au sergeant la Rivière; Mon argentine espée et mon cher baudrier, Pour recompense, c'est pour ces trois ferailliers; Je donne mon manteau, mon bonnet et jartières, Pour ce que j'ay ces jours eu de la Boisselière[37]; Mon pourpoint de satin, mes chausses de velours, Cela est reservé pour les droicts du tambour; Mes souliers, mes chemises, mes bas, aussi mon sac, Sont pour le bon service que j'ay de mon goujac[38]; Pour l'argent de mes monstres, c'est pour m'ensevelir; Mon chapeau et panache, c'est pour payer mon lict. A Dieu je rends mon ame et mon corps à la terre. Priez Jesus pour moy, vous tous, frères de guerre, Et je prieray pour vous, estant en paradis, Que vous soyez vainqueur contre les ennemis, Afin qu'estant venus du destin avancé, Vous direz tous pour moy: _Requiescat in pace._ [Note 36: Les mousquets étant alors trop lourds pour qu'on pût les tirer en les tenant au bout du bras, on les appuyoit sur un bâton fiché en terre et terminé par une _fourchette_ de fer. Molière, dans le mémoire d'Harpagon, mettant en ligne de compte trois gros mousquets ornés de nacre de perle, n'oublie pas les _fourchettes_ assortissantes.] [Note 37: Cabaretière du quartier du Louvre où l'on faisoit de gros écots. V. notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, p. 28.] [Note 38: _Goujat_, valet d'armée. V. notre t. 4, p. 364.] _Epitaphe au tombeau._ Cy gist souz ce tombeau le plus vaillant soldat Qui ce soit à jamais cogneu dans le combat, Et le plus asseuré qui fut dans les armées, Ne redoutant le feu, ny soufre, ny fumée: Son travail l'a fait voir, aussi sa hardiesse; Mais le fatal destin l'a mis à la renverse. Il sera de memoire, tant sur la terre et l'onde, Pour avoir esté né le favory du monde. _L'adieu des trois ferailleurs et leur retour à Paris._ Après que le corps du chappelier fut mis en terre et que son service fut dit, les trois ferailliers trouvèrent une excuse pour avoir leur congé pour s'en venir à Paris, craignant d'avoir un tel benefice comme le defunct chappelier: ce qui fut en grand diligence; et, sortant du cartier, ce n'estoit qu'adieux, qu'accollades et un extresme regret de se voir separer les uns des autres. Tant cheminèrent les trois ferailliers qu'ils vindrent à Paris, et, sçachant le logis du defunct chappelier, ils s'en vont droit chez sa mère, auquel il luy firent une grande reverence, et elle tout de mesme, les recevant assez honnestement, les voyant habillez en soldats, esperant avoir quelque bonne nouvelle de son fils; puis, après tous ses regards, ces bons compagnons luy commencèrent à dire: Madame, ne soyez point en courroux si nous vous apportons icy de piteuses nouvelles du cartier de la Rochelle, où estoit votre fils. C'est que, premier que de partir et prendre nostre congé, nous avons sans reproche aydé à enterrer votre fils, duquel en voilà le certificat. Vous verrez comme il est mort et comme il a esté en sa maladie, et les regrets de pardeçà. --Mes amis, je suis grandement aize de vostre retour et des nouvelles; mais, helas! j'ay la mort au coeur de vous entendre ainsi parler. Je n'ay, il y a quinze jours et davantage, fait autre chose que songer et ravasser, tant nuict que jour, dix mille fantaisies. Je me doutois de quelque malheur. Messieurs, s'il vous plaist de demeurer, j'envoyeray querir une fois de vin pour la peine, et bien grand mercy!--Il n'y a pas de quoy, dirent les ferailliers. Vostre serviteur, Madame. _Les regrets et soupirs de la mère du Chappelier._ Helas! que feray-je, mes amis? Me voilà perdue! j'ay perdu tout mon support! Où iray-je? que deviendray-je? je suis toute seule. Encore si je t'eusse veu mourir, mon pauvre enfant, je n'en serois tant faschée. Je t'avois bien dit que tu ne reviendrois jamais. Helas! je me meurs! je n'ay plus de reconfort de personne; on ne tiendra plus de conte de moy. Je n'avois que toy, mon cher enfant! Mon Dieu! que feray-je? Ayez pitié de moy, mes bons amis! Tellement, les voisins sont accourus, luy disant: Qu'avez-vous, ma voisine, ma mie? Quelqu'un vous a-il frappée? --Helas! je suis bien frappée, car je n'ay plus d'enfant! Il est mort, mes amis. Tenez, voilà la lettre qu'on me vient d'aporter tout presentement. Trois honnestes hommes, qui m'ont apporté cela, m'ont dict qu'ils l'avoient aydé à le porter en terre. Pensez-vous quel crève-coeur j'ay, pensez-vous, de l'avoir nourry et eslevé si grand, pensant, après son père, en avoir sur la fin de mes jours quelque soulagement! Et je n'ay plus personne! me voilà toute seule! Qu'est-ce qu'on dira de moy? On tiendra plus de conte d'un chien que de moy, à present.--Non fera, non fera, ma voisine; il y a long temps que je vous cognoissons; ne vous tourmentez point, cela vous feroit mourir. C'est un homme mort: il en meurt bien d'autres. --C'est mon... c'est mon... Il en meurt bien d'autres qui n'en peuvent mais; ces diables de Rochelois, ils ne s'en soucyent point de tuer le pauvre monde. Que ne sont-ils tretous pendus, ou qu'il me rende la ville! Faut-il tant faire mourir de braves hommes? Si j'en tenois quelqu'un, il payeroit la mort de mon enfant. _La lettre envoyée à la mère du Chappelier par son fils premier que mourir._ Ma très chère et très grande amie ma mère, ces paroles icy ne vous seront guères agreables: car, depuis le temps de mon depart, je n'ay pas eu le soing de vous escrire seulement un seul mot, d'autant que la peine où j'estois arresté m'a si bien desobligé, le contentement de votre presence, où la memoire les oublie; vous pourrez pourtant prendre ce petit mot aussi bien en gré comme si mille fois vous eussiez eu de mes nouvelles; et si les pretentions de la mort ne me fussent point apparues devant mes yeux, je n'eus pas negligé de vous faire sçavoir mon bon portement: car en bref l'ennuy commençoit à me chatouiller de si près que j'esperois bien vous faire part de ma presence; mais la fortune, si cruelle, n'a pas eue la patience de pouvoir me transporter vers vous, car la mort m'a plustot aymé prendre et me mettre dans ses liens que de vous faire voir que je ne seray desormais qu'un ombre pour estre criant où Dieu me menera. Du camp de la Rochelle. _Règlement d'accord sur la preference des savetiers cordonniers._ _A Paris, chez Michel Brunet, au Marché neuf, à l'image Saint-Nicolas._ 1635.--In-8. Ces jours passez se rencontrèrent deux compagnons cordonniers et deux savetiers sur le mont de Parnasse, et, s'estans querellez pour la primauté de leurs mestiers, commencèrent à se frapper à coups de tire-pieds. Ils s'estoient dejà choquez si rudement l'un l'autre, qu'à la première charge le plus vaillant des deux cordonniers receut une botte franche depuis le chinon du col jusqu'au bout de l'echine du dos, ce qui luy feit donner du nez contre terre sans qu'il eut le courage de s'en relever. Son camarade n'en eust pas meilleur marché que luy. Apollon, en ayant esté adverty, accourut afin de s'informer du fait. Il estoit fort en colère de ce qu'ils s'estoient venus battre sur ses terres sans lui en demander permission; et, tout transporté qu'il estoit, leur tint le mesme langage que feit Neptune, son cousin germain, lorsque les subjects d'Eole se mutinèrent contre luy elle vinrent troubler dans son royaume au plus fort de sa tranquillité: _Quos ego_[39]! Si je vous prends, canailles que vous estes! si je vous mets la main sur le collet, sentine de la republique, reste de gibet! je vous feray pendre tous quatre par les pieds comme gens sans merite et indignes d'estre attachés par vos cols infâmes. Les deux cordonniers, qui n'osoient presque lever les yeux, par la crainte qu'ils avoient d'estre battus pour la seconde fois, ne l'eurent pas sitost aperceu qu'ils luy demandèrent; et celuy quy avoit la langue la mieux pendue, s'inclinant devant luy avec la submission et humilité requise, luy cracha ce beau compliment à sa barbe venerable: [Note 39: C'est l'explication si plaisante dans le _Virgile travesti_ de Scarron: Par la mort!... Il n'acheva pas, Car il avoit l'ame trop bonne. Cette traduction burlesque auroit ici convenu mieux que le texte même à mons Phoebus, cousin de Neptune.] Je confesse, Monseigneur, que nous sommes autant coupables que personnes du monde et tout à fait indignes de paroistre en vostre royale presence; mais la confiance que tout le monde a en vostre bonté et l'asseurance que nous avons de vostre équité et justice admirable, sur le rapport fidèle quy nous a esté fait par le courtois et très subtil Trajano Boccalini, qui a eu autrefois l'honneur d'appeler devant vostre tribunal des causes de moindre importance que la nôtre; cela, dis-je, nous a fait prendre la hardiesse de nous venir jeter à vos pieds et vous demander très humblement justice de ces deux pendarts que vous voyez là presents.--Par les eaux stygiennes, repondit Apollon, vous êtes bien les plus impudents et les plus indiscrets coquins quy ayent jamais paru devant mes yeux. Je suis si bercé d'entendre tous les jours de semblables plaintes, qu'au bout du compte je croy que je seray forcé d'abandonner ce lieu malheureux. Si un meschant laquiet de trois sols a perdu l'argent de son disné à jouer avec son camarade, il faut qu'il vienne en tirer raison sur la croupe innocente de cette saincte colline. Un soldat a-t-il reçu un dementy de son camarade, vous le voyez aussy tost venir prophaner mes autels par ses mains homicides, qu'ils trempe souvent dans le sang de celuy qui soupoit le soir avec luy, les meilleurs amis du monde. Si, parmy les tirelaines, coupeurs de bources, etc., et autres gens de tels trafics, il survient entre eux quelque different par le partage du butin, ils n'ont point d'autres rendez-vous que ce beau lieu pour en terminer la querelle. Si les escrocs, filoux et autres maquereaux très relevez, ont le moindre debat du monde pour la jouissance et possession de quelque chetive maitresse quy soit un peu de meilleure mise que celle du commun, c'est en ce lieu qu'il faut vider à la pointe de leurs espées couardes quel en doit estre le libre et paisible possesseur; et, si quelque polisson ou marcandier[40] a cassé malicieusement l'escuelle de son camarade, c'est icy qu'ils ont accoustumé d'en tirer vengeance. Puis que la plus part se vante d'estre gentilhomme de sang et de race, encore que leurs pères crient tous les jours des cotrets, pour quoy diable ne se vont-ils couper la gorge en honnestes gens, aux lieux que les plus braves courages font professions de se battre au beau milieu d'une place royalle[41], à la veue de quantité de dames qui se rient à gorge deployée du desespoir quy les guide? Que ne prennent-ils le chemin du Pré-aux-Clercs[42], rendez-vous ordinaire de tous ceux qui sont las de vivre? Ou bien, s'ils ont fait voeu de mourir sur le chemin de Pantin, que ne s'esgorgent-ils l'un l'autre aux plus proches avenues de Montfaucon, afin qu'on n'ayt point la peine de les y porter quand ils seront morts? [Note 40: D'après le dictionnaire _argot-françois_ mis par Grandval à la suite de son poème sur Cartouche, _le Vice puni_, les _polissons_ étoient, parmi les argotiers, «ceux qui alloient presque nuds», et les _marcandiers_, ceux qui disoient avoir été volés, et qui, en menaçant d'une accusation le passant à la bourse duquel ils en vouloient, le faisoient ainsi _chanter_, c'est-à-dire payer. _Marcandier_ signifioit aussi marchand.] [Note 41: Allusion aux duels fréquents dont la place Royale étoit l'arène, notamment à celui de Boutteville, qui avoit eu lieu en 1627.] [Note 42: Comme une partie de cette grande plaine commençoit alors à se couvrir de maisons, c'est seulement à l'extrémité, du côté de la Grenouillère (quai d'Orsay), qu'on pouvoit encore aller se battre. «Le comte et le baron, lisons-nous dans Francion, s'étant donc picquez, se retirèrent de la compagnie par divers endroits, et, ayant été passer le Pont-Neuf vers le soir, se trouvèrent presqu'en même temps au bout du Pré-aux-Clercs, où, estant descendus de cheval, ils mirent la main à l'espée.» (_Hist. comique de Francion_, 1663, in 8, p. 366.)] Je reviens à vous, âmes lasches (parlant aux deux sieurs cordonniers). Gens sans honneur et mal apris que vous estes, vous dites du mal des personnes qui valent peust-estre mieux que vous. Quelle manie, quelle rage, quelle fureur vous a saisict les cinq sens de nature? Qui diable vous a fait si hardis de me venir gourmander ainsy jusques en ma maison? D'où venez-vous? quy estes-vous? Etes-vous gentils-hommes, bourgeois ou roturiers?--Alors le plus asseuré de nos dicts sieurs les savetiers, qui neantmoins trembloit au manche, de peur qu'il avoit d'estre graissé, commença de tirer de la plus profonde cave de son estomach un soupir plein de regrets, auquel il donna, pour escorte de sûreté et pour interprète fidelle du ressentiment qu'il avoit, ces parolles, dignes d'estre gravées sur le bronze, ou tout au moins sur du papier doré, pour servir de torche-cul à la posterité: Illustrissime, reverendissime, nobillissime, clarissime, excellentissime seigneur, dites-moy, je vous prie, le title et la qualité qu'il vous plaise que je vous donne: car je vous promets bien que je n'ay jamais etuguié à Padoue pour sçavoir des rubriques de ceremonies. Si je vous appelle doctissime, je croy que ce sera le vray moyen de satisfaire à mon devoir: car, si je ne me trompe, je vous ay veu regenter en assez bon credit dans le meilleur collège de nostre bonne et ancienne université de Paris. Je vous dis donc, doctissime et reverendissime Monsieur, que nous ne sommes ny gentils-hommes, ny bourgeois, ny marchands, ny roturiers; nous sommes du tiers-etat et deux des plus francs courtauts quy peuplent la famuleuse et celèbre race de la Savatterie. Si vous avez resolu de faire paroistre la rigueur de vostre courroux, il est bien raisonnable que vous en faciez ressentir les effects à ceux quy l'ont merité par leurs crimes, et non pas à des innocents comme nous sommes, mon camarade et moy, quy ne vous avons nullement offencé. J'ay quelques fois ouy dire, du temps que mon bon homme de père me faisoit l'honneur de m'envoyer, au collége des Trois-Evesques[43] entendre les doctes leçons du subtil et mellifique Ramus, que _licebat vim vi repellere_; et si quelquefois la langue latine ne vous estoit pas des plus familières, je prendray la hardiesse d'y mettre la glose françoise, et diray librement qu'il est permis, aussy bien à Vaugirard qu'à Vanves, de repousser la force par la force; et, si on reçoit un cataplasme de Venise[44], un coup de poing, une gourmade simple, par raison de charité il la faut doubler et la rendre au centuple si l'ocasion y est requis ainsy. Au moins ay-je appris ceste doctrine du bon Barthole, au tiltre penultième de ses Institutions, § _Si quis_, et du brave Cujas, sans pair, en la première ligne du commantaire qu'il a faict sur le code du droit tant canon que civil. Nous avons pratiqué ceste maxime à l'endroict de ces deux individus que vous voyez là couchez avec tant de privauté, comme s'ils estoient chez eux, sur la croyance que nous avons eue que cela estoit juste, et qu'un si maigre sujet ne seroit pas capable de faire prendre la chèvre à un bel esprit comme le vostre. [Note 43: C'est le collége de Cambrai, qu'on appeloit quelquefois _collége des Trois-Evêques_, en souvenir de ses trois fondateurs: Hugues d'Arci, _évêque_ de Laon; Hugues de Pomare, _évêque_ de Langres; Gui d'Aussone, _évêque_ de Cambrai. C'est à celui-ci, qui avoit eu le plus de part à la fondation, qu'il devoit son nom plus ordinaire de collége de Cambrai. La place sur laquelle il ouvroit, et qui a disparu l'année dernière, s'appeloit de même par la même raison.] [Note 44: «C'est un soufflet, un coup appliqué sur le visage de quelqu'un du plat ou du revers de la main.» (Leroux, _Dictionn. comique_.)] De tous ceux quy ont veu la suitte de nostre procez, il n'y en a pas un qui aye osé nous donner le tort s'il ne vouloit point mentir. Ce n'est pas nous quy sommes autheurs de la meslée, Dieu le sçait! et tout le faux-bourg Sainct-Germain en peult rendre fidelle et authentique tesmoignage que ce sont eux-mesmes quy nous ont attaquez les premiers. Si vous pretendez neantmoings que nous ayons commis quelque excez sur vos terres, nous vous declarons et protestons dès à present que tout ce que nous en avons fait estoit purement et simplement à nostre corps defendant, outre que nous etions obligez d'y proceder de la sorte par les loix d'honneur, qui est le plus riche tresor que la nature tienne inserré dans le cabinet de ses raretez. L'Orient n'a point de diamans ny de perles qui puissent entrer en parangon avec son prix inestimable; la Nouvelle France n'a point de castor ny de mourues fraiches quy la puissent payer. Les saucissons de Boulongne, les jambons de Mayence, les fourmages de Milan, les andouilles de Troyes et les angelots du Pont-l'Evesque[45] ne sont rien à l'egard de l'honneur. Enfin, c'est une relique et un joyau que nous devons cherir plus que la vie mesme. _No ay vida como la honra_, dit l'Espagnol; il n'y a point de vie semblable à l'honneur. [Note 45: Petits fromages qu'on ne connoit guère qu'en Normandie, dans le pays d'_Auge_, ce qui nous feroit croire volontiers qu'_Angelot_ est une altération de _Augelot_.] Toute l'assemblée pensa crever de rire lors qu'ils prirent garde que monsieur le savetier faisoit des comparaisons de l'honneur avec les angelots du Pont-l'Evesque et les fourmages de Milan. Ventre sainct Gris! dit l'un des assistans, voilà le premier savetier que j'ay jamais cogneu! Après qu'il sera mort, il luy faudra donner une place au rang des hommes illustres. Jamais Demosthènes ne plaida si pertinemment pour les tripières que fait ce sire savetier pour son interest. Seroit-il bien possible que dans la circonference d'un tire-pied il eust fait rencontre d'une rhetorique si raffinée? Il est universel, il n'ignore de rien, et ne puis croire autrement qu'il n'ayt autresfois servy les massons de la tour de Babel: il parle toutes sortes de langues comme celle de sa mère. Et, afin que par l'ignorance, poursuivit le savetier, et peu de cognoissance de nostre cause, vous ne veniez à faire quelque pas de clerc et prononcer un jugement de travers au prejudice de vostre conscience et desavantage de nostre interest particulier, quy est ce quy nous importe le plus, je veux vous informer plus amplement comme toute l'affaire s'est passée, pourveu que vous me donniez attention huict jours durant et rien plus. J'aimerois mieux devenir cheval que d'avoir abusé de vostre patience un moment. Je vous diray donc, Messieurs, que jeudy dernier, après avoir pris nostre refection ordinaire, environ l'heure que Phaeton desteloit ses chevaux pour leur donner l'avoine à l'hostellerie du Mouton[46], dans la rue du Zodiaque, nous fismes partie d'aller nous divertir nos esprits melancoliques sous la verdure de quelque treille agreable, au passe-temps du noble jeu de boule. Ce qu'en effect nous mismes à execution en mesme forme que nous l'avions proposé, et, comme nous etions sur le seuil de la porte tout prests d'en sortir pour aller desalterer, tous nos sangs eschauffez, au beau premier cabaret que nous rencontrions, nous trouvasmes ces deux marouffles de cordonniers, lesquels nous interrogérent exactement, ny plus ny moins que si nous etions obligez de leur rendre compte de nos actions, de quel costé et par où nous dirigions nos pas? Et sitost que nous eusmes repondu que nous prenions le grand chemin qui conduisoit droit à la maison du _Riche laboureur_, ils s'offrirent de gaité de coeur et sans estre nullement priez de nous accompagner, et nous ayant neantmoins demandé avec assez de discretion si nous ne le trouvions pas mauvais. Nous les receumes fort charitablement et avec autant de courtoisie qu'ils auroient pu desirer des plus honnestes gens du monde, et, au lieu de suivre le chemin que nous avions resolu de faire, de leur consentement et advis, nous prismes la route de la rue des _Boucheries_[47], et en peu de temps nous nous rendismes heureusement vis-à-vis de l'hostel du Suisse, où nous entrasmes librement et sans marchandage de plus, après avoir fait neantmoins une production generale de toutes les ceremonies qui concernoient la preeminence en une semblable rencontre. [Note 46: C'est-à-dire du _bélier_, pour parler comme le Zodiaque; mais comme il y avoit à Paris, dans le cimetière de Saint-Jean, une célèbre hôtellerie du _Mouton_ (V. notre _Histoire des hôtelleries_, t. 2, p. 303-304), on a cru pouvoir se permettre cette variante.] [Note 47: Il y eut toujours dans cette rue du faubourg Saint-Germain beaucoup de taverniers et plus tard de traiteurs. L'une des principales loges de francs-maçons, au XVIIIe siècle, s'ouvrit et tint ses séances chez l'un de ces derniers. Mercier connut chez une autre la fameuse servante de cabaret dont il a tant vanté la prodigieuse mémoire et la capacité; enfin le _Caveau_ étoit près de là, chez Landel, au carrefour Buci.] De vous rapporter icy ce qui se passa entre nous durant la collation, ce seroit faire peu d'estime du temps quy nous est si cher; il faudroit une langue plus diserte que la mienne et que j'aie l'esprit plus farcy de conceptions plus relevées et plus confites dans l'eloquence que je n'ay pas. Je vous dirai seullement, pour trancher net, qu'au plus fort de nostre rejouissance, il m'eschappa par malheur de cracher trois ou quatre sentences de l'honneur et gloire de nostre cher mestier. Mais à peine les eus-je faict sortir de dessus le bord de mes lèvres qu'incontinent l'un de ces deux impudents me donna d'un dementy par le nez, et me chanta pour le moins dix tombereaux de pouilles et d'injures, et, croyant me picquer jusques au vif et au dernier point, me dict ouvertement et d'un courage plus temeraire que resolu que je n'etois rien qu'un meschant savetier, miroir de l'incommodité, suppost de la misère humaine, le rebut et l'egoust de toute la monarchie françoise. Jusques là j'avois fait paroistre autant de patience que Job; mais, si tost que je l'aperceu lever la main pour me couvrir la joue et que je me sentis la moustache frisée par l'approche et attouchement d'une assiette qu'il me feit effrontement voler à la figure, ce fut alors que mon insigne patience sortit hors des gonds, et la cholère se rendit avec tant de vitesse maistresse absolue de toutes les facultés et puissances de mon ame que je ne peu m'empescher de luy donner un cataplasme de Venise, et vous puis asseurer avec verité que, si ce n'eust esté le respect que j'avois de fascher nostre hoste et de causer quelque desordre dans son logis, je luy eusse graissé les epaules aux despens d'une satile, comme son indiscretion le meritoit. Mais dictes-moy, de grace, erudissime seigneur, à quoy pensez-vous parler quand vous parlez à ces deux perfides que voicy presents? Quelles gens croyez-vous que ce soient? Je vous apprends que ce sont deux meschans feseurs de bottes et de souliers, que le vulgaire appelle ineptement et sans fondement aucun de raison cordonniers. Pourquoy? Cordonniers, d'où est derivé ce mot? Est-ce peut-estre par ce que ils font des cordons de chapeaux et qu'ils fournissent des cordes[48] à maistre Jean Guillaume lorsqu'il luy convient d'en employer pour les operations chatouilleuses de son art[49], ou bien qu'ils soient obligez d'avoir tous les mois chacun une chaude pisse cordée? On auroit autant de raison de les appeler tonneliers ou officiers du Port-au-foin, pour ce que, si les pretendus cordonniers font des bottes de cuir, ceux-cy en font de bois et de foin. J'aimerois autant dire qu'ils feussent maitres d'escrime: les escrimeurs tirent des bottes, et les cordonniers les chaussent. Voilà une impertinence plus claire que le jour; voilà une improprieté tout-à-fait manifeste, sans l'affront signalé que reçoit nostre langue françoise de dire qu'elle soit si pauvre, qu'il faille qu'elle emprunte le nom d'une autre profession pour baptiser ces messieurs de faiseurs de soulis. Et semble que l'italien aie rencontré aussi mal que le françois en ceste affaire icy, quelque affectation et mignardise qu'il puisse pretendre dans la delicatesse et douceur de son langage: il nomme un souly _scarpa_[50] et celuy quy le faict _calzonaro_, ny plus ny moins que s'il estoit chaussetier et que sa profession fut de faire des bas; parce qu'en effet des bas de chausse, aussy bien en Toscane qu'en autres lieux d'Italie, s'appellent _calzette_. Mais les Espagnols, quy ont plustost la main à l'espée qu'à la bourse, comme sages et prudens dans tous leurs conseils et entreprises, ont fort bien preveu le desordre qu'auroit peu causer dans leur monarchie une telle ethimologie et denomination si impropre. Ceste seule consideration, fondée sur les maximes de la police, les a obligez de qualifier tous les officiers et confreires du tirepied d'un nom general et commun, c'est assavoir _çapateros_, quy est comme si nous disions en françois _savetiers_. Et la seule difference qu'ils ont vouleu y constituer et poser pour les mettre d'accord, c'est qu'ils ont adjousté la clause authentique et verbale _de viejo, de nuevo_, en vieux et en neuf. [Note 48: Cette burlesque étymologie rappelle celle que Balzac, peu plaisant d'ordinaire, inventa un jour, selon le _Menagiana_. Il disoit que les _cordonniers_ s'appellent ainsi parcequ'ils _donnent_ des _cors_!] [Note 49: Jean Guillaume étoit le bourreau de Paris. Il avoit succédé à Jean Rozeau (V. notre t. 4, p. 251), qui avoit été pendu sous Henri IV pour avoir, pendant la Ligue, étranglé le président Brisson, lui avoir pris son manteau de peluche et l'avoir vendu dix écus. V. L'Estoille, _édit. Michaud_, t. 2, p. 75. etc.] [Note 50: Ce mot italien, qui venoit lui-même du latin _carpus_ ou de son diminutif _carpisculus_, qui désignoit une sorte de soulier découpé, a eu pour dérivé, dans notre langue, son équivalent _escarpin_.] Ceste belle difference me fait souvenir d'une pensée admirable sur ce mot de savetier en vieux. Nostradamus, cest insigne resveur, prouve, dans le calepin de ses doctes propheties, qu'il n'y a rien au monde quy donne tant de credict à quelque chose que ce soit comme la vieillesse et l'antiquité. Ceux quy se meslent de paranympher[51] les empires, les royaumes, les republiques, les citez et les villes, commencent tousjours par l'antiquité comme principale pièce de leur recommandation. Un gentilhomme n'est jamais respecté comme il faut entre ceux quy sont nobles s'il ne donne des preuves de sa noblesse de père en fils jusques à la centiesme generation. Les vieilles et les plus antiques medailles sont les plus recherchez. Et si une bibliothèque n'est fournie de plusieurs manuscrits antiques, on n'en fait plus d'estat que si elle estoit la boutique d'un libraire moderne. Jusques à un tavernier, si vous le priez de vous faire gouster un doigt de bon vin quy vous ravisse les sens, il vous repondra qu'il a le meilleur vin vieux quy soit en France. Et, si quelque homme de bonne humeur vous a joué quelque tour, vous direz aussi tost: C'est vieux. De toutes ces propositions sus alleguées je tire une conclusion en barbara et dis: Toutes les choses quy sont vieilles et antiques sont plus dignes que celles quy sont neuves. Tout ce quy passe par les mains des savetiers est vieux et antique. Ergo les savetiers sont plus dignes que les cordonniers, quy travaillent le neuf. [Note 51: C'est-à-dire faire un compliment, un éloge, dans le genre de ceux qu'on adressoit aux jeunes mariés, ou bien aux nouveau-venus dans les colléges.] Il n'y a point de vice ny de surprise dans ce sylogisme; il est dressé comme il faut, la matière est bonne, et la forme encore meilleure. Tout le monde sçait que les savetiers ne vendent rien chez eux quy n'ait au moins quelque apparence de vieux, joinct que, par le temoignage que nous avons tiré des archives d'Espaigne, il se trouve que les savetiers sont plus proches parens du souly que ne sont les cordonniers. Et, pour ce voir et en monstrer la verité, espluchons l'ethimologie du nom de savetier. Voyons les principes et l'origine d'où il tire sa reelle denomination. _Çapato_, en catalan, veut dire soulier, n'est-il pas vray? Ouy; or sus donc nous voilà d'accord dejà sur ce point là. Changeons le _p_ en _v_, nous trouverons _çavato_; poursuivons plus avant, et, sous une echange de l'_o_ en _e_ feminin, espelez, Monsieur le cordonnier, assemblez vos lettres comme il faut; autrement mettez chausse bas, voicy le magister quy vous chassera les mouches du derrière avec un baston à vingt bouts, _sa va, sa va te, savate_. Courage, nous aurons tantost plus que nous ne demandons; poussons nostre bidet et passons outre. De _çapato_ est formé _çapatero_, changeant l'_o_ en _e_, et en suite le _ro_ ajouté. De _savate_, est derivé _savetier_, entreposant un _i_ entre le _t_ et l'_e_ et ajoustant un _r_. Il n'y a plus rien à roigner après cela, Monsieur le cordonnier, voilà quy est grammatical; jamais Priscian ny Donat n'auroient mieux rencontré. Il faut vous rendre ou crever, et confesser, en depit de vos chiennes de machoires, que vous estes savetiers aussy bien que nous; et, puis que vous voyez que la vraie et essentielle nature du souly est plus rangée de nostre costé que du vostre, il ne vous desplaira pas de boire après nous; avec vostre permission, nous prendrons la main droicte. Après cela, c'est tout dit; vivez seullement mieux à l'advenir, et taschez de vous rendre aussy braves gens que nous. Apollon, ayant fait premierement paroistre sur son front une gravité extraordinaire, feit imposer silence par son premier huissier, et, après s'estre relevé la moustache d'une grace non pareille, feit couler de sa bouche dorée ce discours mellifique et suave et tout confit dans le sucre: C'est assez dit, mes bons amis (s'adressant aux savetiers), à bon entendeur il ne faut que demy mot: je voy d'une lieue loin où vous en voulez venir. Il faudroit estre un vrai aveugle pour ne point voir la raison que vous y mettez et le tort qu'ont tous ceux quy vous veulent du mal. Il y a plus de quatre-vingt-dix lunes que j'ay entendu parler de vostre fait. Je ne sçay par où commencer pour vous exprimer suffisamment, avec l'affection que je voudrois bien, la bonne opinion que j'ay toujours eue de vos consciences sans reproches. J'approuve et extolle[52] jusques à la moindre region de l'air vos franchises naturelles, et proteste devant tous les dieux que je suis entierement satisfait de la charité et courtoisie dont vous usez ordinairement envers tous ceux quy ont l'esprit de s'aller chausser dans vos magazins. Vous avez le courage noble, et tout Paris recognoist que vous ne faites point de difficulté de donner une paire de souliers, à quelques poincts qu'on vous les puisse demander, pour douze ou seize sols tout au plus, et le plus riche de tous les cordonniers en voudroit avoir cinquante sols ou trois quarts d'escu, tout au moins; et les gentils hommes incommodez se vantent partout d'avoir la meilleure paire de bottes qu'il y ait dans vos boutiques pour le prix et somme de trois livres seulement; et messieurs les cordonniers n'en voudroient point rabattre une obolle encor sur une pistole en or, ou dix francs tout au meilleur marché, et bien souvent ne seront-elles que de meschante vache bruslée. Je veux dores-en-avant que vous me serviez; j'aime mieux donner mon argent à vous qu'à d'autres quy se mocquent de moy. Et dès à present je jure par les eaux inviolables du Styx, et vous le signeray par devant tous les notaires quy sont sous les charniers des Innocents, que je vous feray donner la pratique de tous les musniers de mon quartier, sans compter les bourgeois de Vaugirard et Vanves, quy ne vous peut fuir. Et quy plus est, je desire que les neuf muses, très chères et bien aimées seurs, portent à l'avenir de vos ouvrages, à condition que vous espargnerez toutes fois plus vos dents que vous n'avez fait par le passé, et que vous renoncerez entièrement à l'avare et maudite coustume que vous avez de tirer le cuir avec pour le rendre plus long, en quoi j'ay appris de personnes dignes de foy que vous faictes aussi bien vostre devoir que pas un cordonnier qui soit. Et afin que tous les confraires du tirepied puissent à jamais vivre en bonne paix et intelligence ensemble, comme des personnes quy jouissent esgallement des priviléges de l'alesne, nous desclarons et ordonnons par ces presentes que vous porterez dores-en-avant un seul et mesme nom, comme font tous vos associez, amis, confederez et alliez quy demeurent en Espaigne, savoir est, que les cordonniers s'appellent savetiers en vieux; ou bien, si les cordonniers pretendent recevoir quelque grief d'une ordonnance et d'un reglement si juste, et qu'obstinement et malicieusement ils ne vouleussent se deffaire d'un tiltre quy convient si peu à leur profession, nous desclarons par ces dites presentes, et que personne n'en pretende cause d'ignorance, que le susdit nom de cordonnier sera commun à tous les deux ordres de la semelle, sans neantmoins en retrancher la clause sus alleguée: cordonnier en vieux, cordonnier en neuf, afin qu'ils puissent estre recogneus les uns aux autres pour estre respectez et honorez selon leur grade et merite en tous lieux et endroits où le destin les pourroit faire rencontrer ensemble, nonobstant oppositions ou appellations quelconques produites au contraire. Et tous ceux quy auront l'ame si noire que de contre-venir à nostre dit reglement en la moindre façon du monde et sous quelque pretexte que ce soit, nous les condamnons dès à present à cinquante bouteilles de vin d'amende et autant de cervelas, applicables aux pauvres confrères desdits mestiers quy pourront prouver par leur indigence n'avoir pas le sol pour boire; et si voulons et entendons que, dès l'heure mesme qu'ils auront eu seulement la volonté de commettre la moindre rebellion, ils soient obligez par corps de prester, avec l'humilité et submission qui leur sera commandée, leurs espaules opiniastres et rebelles pour porter les cinquantes bouteilles de vin au dit mont Parnasse ou en autre lieu que trouvera bon la discretion des surintendans de la confairie, afin de boire tous ensemble en bonne amitié, sur peine d'estre privez à jamais des graces et priviléges ordinaires dont ont accoustumé de jouir tous confrères et officiers du dit mestier. [Note 52: J'élève, du latin _extollere_.] _L'Oeuf de Pasques ou pascal, à Monsieur le Lieutenant civil, par Jacques de Fonteny[53]._ _A Paris, chez la veufve Hubert Velut et Paul Mansan, demeurant rue de la Tannerie, près la Grève._ MDCXVI, in-8. [Note 53: Jacques de Fonteny n'est guère connu, et, comme on va le voir, il mériteroit de l'être à plusieurs titres. Il faisoit partie de la _Confrérie de la passion_, non pas sans doute comme acteur, puisque, d'après l'Estoille, il étoit boiteux, mais comme poète certainement. Il prend la qualité de _confrère de la passion_ dans le recueil de _Pastorelles_ publié en 1615 par J. Corrozet, in-12, sous le titre de _le Bocage d'Amour_. Il s'y trouve deux _pastorelles_ en vers, l'une _le Beau pasteur_, qui étoit bien de notre Fonteny, puisqu'il l'avoit déjà donnée dans la _Première partie de ses ébats poétiques_, Paris, Guill. Linocier, 1587, in-12; l'autre _la Chaste bergère_, qui, bien que publiée aussi sous le nom de Fonteny, appartenoit réellement à son camarade S. G. de la Roque, puisque celui-ci l'avoit déjà fait paroître séparément sous son nom, en 1599, à Rouen, chez Raph. du Petit-Val. Il est vrai que La Roque auroit pu la prendre, pour se l'attribuer, dans la première édition du _Bocage d'Amour_, donnée en 1578, et mentionnée dans la _Bibliothèque du théâtre françois_, t. 1, p. 220. Dans ce même ouvrage, il est parlé d'un autre recueil de notre auteur, _les Ressentiments de Jacques de Fonteny pour sa Celeste_, 1587, in-12, dont fait partie la pastorale en 5 actes _la Galathée divinement delivrée_. Quand les comédiens italiens vinrent en France, Fonteny se mit aussitôt à imiter leur théâtre. A peine Francesco Andreini, chef de la troupe de _li Gelosi_, avoit-il donné, en 1607, la première partie de sa grande pièce matamore _le Bravure del capitan Spavento_, que notre _confrère de la passion_ la publia en françois sous le titre de: _les Bravacheries du capitaine Spavente_, traduictes par J. D. F. P. (Jacques de Fonteny, Parisien). M. Brunet, trompé par la première de ces initiales, a dit que cette traduction étoit de _Jean_ de Fonteny; mais, selon moi, c'est bien _Jacques_ qu'il faut dire. En 1638, Anthoine Robinot publia pour la seconde fois cette traduction avec le titre nouveau de _le Capitan, par un comédien de la trouppe jalouse_. Cette seconde édition est mentionnée dans le _Catalogue Soleinne_, sous le nº 804, avec une note où, après avoir fait ressortir l'influence que cette pièce put avoir sur notre théâtre, dont le _matamore_ fut dès lors l'un des personnages indispensables, l'on ajoute: «La première édition du _Capitan_ doit être bien antérieure à celle de 1608, la plus ancienne qui soit citée par la bibliographie.» C'est une erreur, puisqu'en effet, je le répète, la première partie de l'ouvrage d'Andreini, dont celui-ci n'étoit que la traduction, avoit paru seulement en 1607. (V. le curieux travail de M. Ch. Magnin sur le _Teatro celeste_, Revue des deux mondes, 15 décembre 1847, p. 1103, note.) Fonteny sacrifioit volontiers à la mode en littérature: nous venons de le voir pour les comédies italiennes, dont il se hâta de se faire le traducteur au moment de leur premier succès; nous allons en avoir une autre preuve par son volume d'_Anagrammes et sonnets, dédiés à la reine Marguerite_, qu'il publia en 1606, in-4, c'est-à-dire au moment où ce genre de casse-tête poétique commençoit d'être en vogue. L'Estoille, dont Fonteny étoit l'ami, reçut de lui, en présent, ce volume d'anagrammes, et voici comment il en parle: «Le vendredi 5 (janvier 1607), Fonteny m'a donné des anagrammes de sa façon, qu'il a fait imprimer pour la reine Marguerite, où entr'autres il y en a ung tout à la fin qui est sublin et rencontré de mesme, tiré, ainsi qu'il dit, de l'Escriture, fort convenable à la qualité, vie et profession de la ditte dame, dans le nom de la quelle, qui est Marguerite de Valois, se trouve: _Salve, virgo mater Dei_. Il y en a encores un autre de mesme qu'il y a mis, qui suit cestui-ci, de pareille estofe et grace; les quels deux il semble avoir reservés pour la bonne bouche, afin que d'une tant belle conclusion, et si à propos, on jugea tout le reste, qui ne vault pas mieux.» Par bonheur un autre présent accompagnoit celui-là et le faisoit passer, quoi que ce fût aussi, mais dans un genre bien différent, un ouvrage de Fonteny: «Le dit Fonteny, ajoute l'Estoille, m'a donné pour mes estrennes un plat de marrons de sa façon, dans un petit plat de faïence, si bien faict qu'il n'y a celui qui ne les prenne pour vrais marrons, tant ils sont bien contrefaits près du naturel, se rencontrant plus heureux en cest ouvrage qu'en celuy des anagrammes.» Quelques semaines après, Fonteny, qui avoit encore quelque présent de vers à se faire pardonner, gratifia l'Estoille de la même manière. «Fonteni le boiteux, écrit celui-ci, m'a donné ce jour (20 fév. 1607) un plat artificiel de sa façon, de poires cuites au four, qui est bien la chose la mieux faite et la plus approchante du naturel qui se puisse voir. Il m'a donné aussi son _Oenigme de la cloche_.»--Mon ami M. de Montaiglon, frappé comme moi de ces deux passages de l'Estoille qui nous font connoître un imitateur de Palissy très intéressant et très imprévu, pense, avec raison, que la grande F placée sous une assiette de fruits émaillée faisant partie de la collection des faïences du musée du Louvre pourroit bien être l'initiale de notre Fonteny.] _A Messire Henry de Mesmes, sieur Dirval, Conseiller du Roy en ses conseils d'Estat et privé et Lieutenant civil au Chastelet de Paris._ ANAGRAMME. Henry de Mesme, lieutenant civil, Mine divine, lumière en Chastelet. SONNET. Mine divine où ses traicts on contemple, Quy font juger à celuy qui les voyt Qu'un rare esprit le ciel vous reservoit Où l'equité dresseroit un saint temple, Vous en donnez une preuve très-ample Et confirmez l'espoir que l'on avoit Que vous feriez tout ce qui se pouvoit Pour la Justice, à toutz servant d'exemple. Jeune et savant en droict, vous surpassez Beaucoup de vieux quy ont esté placez Où vous donnez vos sincères sentences. Miracle grand d'estre, en l'avril molet De vos beaux ans, lumière en Chastelet, Pour dissiper l'obscur des circonstances. JACQUES DE FONTENY. * * * * * _L'Oeuf de Pasques ou pascal._ Je vous invoque, ô Dioscures, Miraculeuses genitures, Fils d'un oeuf, et Helène aussy, Qui fut de Paris le soucy; Et le doux fruict de la promesse Que lui fit Cypris la deesse, Lorsque, juge, il la prefera A Junon, et luy defera La pomme d'or que la Discorde, Ennemie de la Concorde, Prepara pour troubler les cieux; Voyez-moy d'un oeil gracieux; Suppliez pour moy vostre père, Par les amours de vostre mère, Que je chante aussy doucement. L'oeuf qui chantoit mignardement Ses passions sur le rivage D'Eurote[54] quand sous le plumage D'un cygne blanc il se cacha Pour prendre, sans qu'on l'empescha, Avec vostre mère affinée, Les plaisirs deuz à l'hymenée. L'oeuf ne sauroit trop se vanter: Quel los il a que Juppiter Deux oeufs luy-mesme voulut pondre! N'est-ce pas assez pour confondre Ceux quy de l'oeuf ne font point cas? Luy quy peut tout, pouvoit-il pas A vous, ses chères creatures, Ordonner d'autres enclotures Que d'un oeuf, si l'oeuf n'eust esté Digne, par sa propriété, De vous tenir neuf mois en serre? Celuy dedans l'ignorance erre Quy de l'oeuf ne sçayt la valeur. Par l'oeuf on prouvoit son malheur Ou son bonheur; jadis les mages De l'oeuf tiroient divers presages; Sur un brasier ils le mettoient Et diligemment ils guettoient S'il ne jetoit point par ses pores Quelque sueur, mesme encores S'elle sortoit par ses costez Ou par ses deux extremitez: Car, si par sa coque fendue Sa liqueur etoit espandue, C'estoit un presage asseuré Que le ciel avoit conjuré Contre celuy quy faisoit faire, Pour savoir son sort, ce mystère. Orphée s'en est delecté Et en a escrit un traicté Quy l'_Oocospique_ s'appelle[55]. Ceste façon n'estoit nouvelle De vaticiner par les oeufs Si les desteins seroient heureux Ou si l'issue pretendue Auroit la fortune attendue. Nos pères des siècles passez Ont pratiqué cest art assez; De l'oeuf ils savoient la cabale. Livia devina qu'un mâle Naistroit d'elle, ayant en son sein Couvé un oeuf d'où un poussin Sortit cresté, vray pronostique Qu'un jour dessus la republique Des Romains il domineroit, Et que l'aigle decoreroit Ses estandartz. La Destinée Parfeit la chose devinée, Car Livia veit son enfant Estre un empereur triomphant. De l'oeuf on tire mille augures, Mille infaillibles conjectures, D'où l'on voist naistre bien souvent Un effet quy n'est decevant. L'oeuf est le symbole du monde; L'air et le feu, la terre et l'onde, En luy sont unis et compris; Les oeufs sont aymés de Cypris. Si quelqu'un veut l'avoir propice, Il faut, en chaqu'un sacrifice Qu'on lui prepare, offrir des oeufs; Et lors elle exauce les voeux. Bacchus, quy nous donna la vigne, Tenoit tout sacrifice indigne Et vain où l'oeuf mistic n'estoit; Des oeufs en trophée on portoit Aux festes de ses bacchanales[56]; Quand on chaumoit les cereales[57], Les aousterons[58] portoient des oeufs, Et crioit-on malheur sur eux S'ils les laissoient cheoir par mesgarde. Le proverbe encore se garde Qu'on dit aujourd'huy: «Garde bien De casser vos oeufs[59]! N'est-ce rien Doncques de l'oeuf? Il a puissance De chasser toute la nuisance Qu'apportent les mauvais esprits, Si nous croyons les vieux escripts De l'antiquité, de manière Que c'estoit chose coustumière, Par entre eux se voulant purger, De se faire suffemiger Avecque la vapeur du souffre; Le demon impur ne la souffre; Il la fuict et crainct son odeur. Celuy quy estoit luscrateur[60] Et chief de la ceremonie Avoit l'une des mains garnie D'un cierge ardent; en l'autre main Il tenoit un bassin tout plain D'oeufs, avec quoy, faisant la ronde Autour d'une maison immonde, Tant par dedans que par dehors, Il cuidoit nettoier le corps Et la maison de malefice, Si grand fust-il, rendant propice, Par ce moyen, le ciel à ceux Quy s'estoient lustrez par les oeufs. De là vient, comme je presume, Que, retenant de leur coustume, On denomme ores l'oeuf pascal Quy s'appeloit jadis lustral, Non qu'à present il serve à faire, Comme leurs oeufs, pareil mystère, Que deffend la religion; Mais il donne l'advision De se lustrer au jour de Pasque, Où il faut que le chretien vaque A servir Dieu d'un coeur lavé, Où l'ord pesché ne soit trouvé. Quy ne le faict tombe à sa perte Dans la damnation apperte. L'oeuf, en marque de netteté, De l'un à l'autre est présenté. Pour ceste cause, il est utille A tous et en vertus fertille. Des oeufs on faict les oingnements Donnant de prompts allegements A la toux, au rheume, aux bruslures, Aux chatarrhes froids, aux foulures. On tire une huille des moieux Salubre et propice aux gousteux; Des blancs durcis une huille on tire Bonne au mal des yeux, qu'on admire Pour oster l'inflammation Et reprimer la fluxion Qui tombe dessus, de manière Que la douleur s'en tire arrière. L'oeuf guarit les convulsions Et les choliques passions, Le humant avec eau-de-vie. Si quelques dames ont envie D'avoir un blanc pour se farder Et se faire plus regarder, Elles calcinent la coquille Des oeufs, et font poudre subtille Avec l'eau d'ange[61] la meslant. Ce fard rend leur teinct excellent, Blanc comme laict, sans qu'il importe A leur santé en quelque sorte. La coque d'oeuf blanchit les dents; La pellicule du dedans Guarit les lèvres crevassées; Les personnes interessées Du flux de sang ont guerison S'elles prennent avec raison Des cendres de coques d'oeufs faictes; En fin, les playes plus infectes Avec huille d'oeufs on guarit. L'oeuf plus qu'autre chose nourrit; Il est salubre à la personne, Au mat de coeur remède il donne; En medecine il est requis Comme nutritif et exquis, Bien cordial, et il sustente Le malade, qu'il alimente Sans luy causer opression; Il faict tost sa dijection, Le ventre il n'empesche et ne charge. Ceux qui dans Rome avoient la charge Des festins les plus somptueux Pour le premier servoient des oeufs[62] Avant tous mets, pourveu qu'ils fussent Fraischement ponduz ou qu'ils n'eussent Qu'un jour au plus; ils estimoient Tant ces oeufs frais, qu'ils les nommoient Le laict de poulle, et acheptèrent Toutes les poulles qu'ils trouvèrent Oeuver sans cesser, les gardant Avec soing de tout accident, Comme chose très necessaire Et à la santé salutaire. En Macedoine il se trouva Qu'une poule en un jour oeuva Deux fois neuf oeufs, qui tous portèrent Deux petits poussins, quy donnèrent Aux augures à deviner. Mais où me vay-je pourmener? Veux-je de l'oeuf faire un volume? N'arresterai-je point ma plume, Quy se perdra dans les escrits, Voulant de l'oeuf dire le prix? L'oeuf sert à tout: des Spitamées Les maisons n'estoient point fermées Qu'avecque des coquilles d'oeufs Et des plumes aux entre-deux; Ils avoient coustume de faire Avec chaux vive et de la claire Des oeufs un aiment qui tenoit Leurs pierres et les conjoingnoit. Depuis, plusieurs s'en servirent En leurs ouvrages, et refirent Les vaisseaux et vases brisés. Les paintres se sont advisés De s'en servir en leurs peintures[63] Et les doreurs en leurs dorures Qu'ils font sur les livres[64]. On faict Un vernis luisant et parfaict Avec l'auben, qui donne grace Aux tableaux, sans que tort il fasse Aux couleurs, et se peut oster Quand on veut, sans rien y gaster. On en use en maints artifices; Les amants les trouvent propices Pour mettre des lettres dedans Et, malgré les mieux regardants, Faire savoir à leurs maîtresses Leurs volontez et leurs detresses En ce quy leur est survenu. De là le proverbe est venu, De porter le poullet[65]. On use De l'oeuf encor une autre ruse: L'histoire ancienne nous dict Qu'un jour Alexandre entendict Par le moyen de quelque lettre Mise en un oeuf, qu'on voulut mettre Un mauvais dessein en effect Où son ost[66] eust esté defect Par Darius. On peut escrire Sur un oeuf ce qu'on ne peut lire Que par dedans, ayant osté La coque avec subtilité. Il sert à mille autres surprises, Mille jeux, mille galantises: Ne fait-on pas des oeufs aller Comme oiseaux amont dedans l'air Quand ils sont remplis de rosée Dont l'herbe est en may arrosée[67]? Mais, pour avoir ce passe-temps, On les met aux rays bluetans D'un soleil ardent, qui les tire Après qu'il a fondu la cire Quy clost la rosée. Avec l'oeuf Qu'on met sur un brasier de feu, Ne voist-on pas la flamme esteindre Et sa vehemence restraindre? L'oeuf peut tout, estant accomply Et de tant de vertus remply, Qu'il semble qu'il soit l'epitome Des merveilles nées pour l'home. Les Selenites font des oeufs, Et les hommes qui naissent d'eux Sont plus fortz ayant cinq années Que nous aux virilles journées, Si cela qu'Herodote dict Pour veritable entre en credit, Puisse un jour nostre grand monarque, Vainqueur du temps et de la Parque, Voir ces femmes et leur pays Et ses lys y estre obéis! Avant que finir ce poème, Je vous prieray d'un zele extrême De mesmes cest oeuf achepter Qu'humble je vous viens presenter, Comme feist ce consul de Rome Quy songea qu'il trouvoit grand somme D'or et d'argent dans un sien clos. Reveillé qu'il fut, tout dispos, Alla voir si c'etoit mensonge Ce qu'il avoit veu en son songe. Il n'y trouva qu'un oeuf; de quoy Il fut aussy content en soy Que s'il eust trouvé davantage. L'oeuf, disoit-il, j'acomparage A un très precieux thresor: Son moyeu represente l'or, Sa glaire l'argent; de manière Qu'ainsy que chose singulière J'estime l'oeuf en l'imitant. Soyez de ce present content. [Note 54: L'_Eurotas_. Les cygnes de ce fleuve étoient célèbres.] [Note 55: Ce traité se trouve avec les _Hymnes_, etc., à la suite des anciennes éditions des _Argonautica_ d'Orphée; mais, comme tout le reste, on sait à présent qu'il n'est pas de lui.] [Note 56: Plutarque dans ses _Symposiaques_, au bizarre chapitre: _Quel des deux a été le premier, de la poule ou de l'oeuf?_ parle de cet usage.] [Note 57: C'est-à-dire quand, après la moisson, l'on faisoit avec le blé fauché ces grandes _meules_ qu'on appelle _chaumiers_ dans la Beauce.] [Note 58: Moissonneurs, ceux qui font l'_aoust_.] [Note 59: S'il falloit se bien garder de casser un oeuf plein, il falloit aussi se hâter de le briser sitôt qu'on en avoit vidé la coque. C'étoit un usage sacré chez les Romains (Pline, liv. 28, ch. 2), et que nous avons conservé comme simple règle d'étiquette: «Après votre soupe, que mangeâtes-vous? dit l'abbé Delille à l'abbé Cosson dans la fameuse conversation qu'a rapportée Berchoux.--Un oeuf frais, répond l'autre.--Et que fîtes-vous de la coquille?--Comme tout le monde, je la laissai au laquais qui me servoit.--Sans la casser?--Sans la casser.--Eh bien! mon cher, on ne vide jamais un oeuf sans briser la coquille.» (Notes du poème _la Gastronomie_.) Grimod de la Reynière (_Almanach des gourmands_, 3e année, p. 349-350) se préoccupe de cet usage, et assure qu'il a beaucoup réfléchi pour en deviner le motif. Pline, qui en a parlé le premier, ne le savoit pas bien lui-même. «Au reste, dit l'illustre gourmand, il n'y a nul inconvénient à s'y soumettre.»] [Note 60: _Lustrateur_, qui tenoit et présentoit l'eau lustrale.] [Note 61: Eau de senteur fort en renom depuis le temps de Rabelais, qui la cite au chap. 55 de son livre 1er, jusqu'à Corneille, qui en parle dans sa comédie de _la Veuve_ (act. 1er, sc. 1re). Elle étoit composée d'iris de Florence, de storax, de bois de rose, de santal citrin, etc. Les Espagnols avoient aussi une eau des anges (_agua de angeles_), mais qu'ils composoient autrement. D'après la recette qu'en donne un commentateur de _Don Quichotte_ (2e partie, ch. 32), il paroît que la fleur d'oranger y dominoit. L'_eau d'ange_ se seroit ainsi rapprochée de l'_eau de naffe_, dont nous avons parlé dans notre tome 4, p. 362, et qu'on nous assure être la même chose que l'eau de fleur d'oranger, bien que, dans le passage du _Décameron_ cité par nous, Boccace les distingue formellement.] [Note 62: On commençoit par les oeufs et l'on finissoit par les fruits, comme chez nous. De là le proverbe: _Ab ovo... usque ad mala_, depuis le commencement jusqu'à la fin.] [Note 63: Au moyen âge, lors même qu'on se servoit de l'huile et de la gomme pour la plupart des couleurs, il y en avoit quelques unes pour lesquelles on recouroit au blanc d'oeuf. «Le vermillon, dit le Moine Théophile, la céruse et le carmin doivent se broyer et s'appliquer avec du clair d'oeuf.» (_Diversarum artium schedula_, liber 1, cap. 27).] [Note 64: Dans les manuscrits, pour appliquer l'or, l'on s'étoit toujours servi d'un mélange de vermillon et de cinabre, broyé dans un clair ou blanc d'oeuf. (_Idem_, cap. 31.) Quant aux relieurs, ils durent toujours faire usage du blanc d'oeuf pour leurs dorures; aujourd'hui encore ils ont soin de _glairer_ préalablement la partie sur laquelle la feuille d'or doit être appliquée.] [Note 65: C'est la première fois que nous voyons expliquer ainsi le nom de ces billets doux, qu'on appeloit aussi _chapons_. (V. notre tom. 1er, p. 12.) Nous préférons, l'étymologie que donne Le Duchat, lorsqu'il dit dans son _Dict. étymologique_ de Ménage (Paris 1750, in-fol.), qu'on appeloit ainsi les billets doux parcequ'on les plioit en forme de poulet, «à la manière, dit-il, dont les officiers de bouche plient les serviettes, auxquelles ils savent donner diverses figures d'animaux». Le Duchat auroit pu appuyer son explication du passage de l'_Ecole des Maris_ (act. 2, sc. 5) où Isabelle raconte à Sganarelle comment un jeune homme ... a droit dans sa chambre une boîte jetée Qui renferme une _lettre en poulet cachetée_.] [Note 66: Armée.] [Note 67: Dans les _Nova antiqua_ de Paschius, au chapitre où il est parlé des tentatives faites par l'homme pour s'élever dans les airs, l'on trouve d'intéressants détails sur la manière dont on préparoit les oeufs pour qu'ils pussent monter comme de petits aérostats.] _Catéchisme des Courtisans, ou les Questions de la Cour, et autres galanteries._ _Cologne._ M.DC.LXVIII. Pet. in-12[68]. [Note 68: Il en avoit paru une première édition en 1649, s. l., in-4 de 8 p., avec ce titre, _Catechisme des courtisans de la cour de Mazarin_. Les pièces qui suivent ici, et qui sont toutes, sauf une seule, d'une époque postérieure à 1649, ne s'y trouvoient naturellement pas.] _Demande._ Qu'est-ce que Dieu? _Response._ C'est l'autheur de toutes choses. D. Qu'est-ce que le monde? R. C'est le grand oeuvre de Dieu. D. Qu'est-ce qu'un homme de bien? R. L'amour des anges et la haine du diable. D. Qu'est-ce qu'un pecheur? R. L'hostellerie des demons. D. Qu'est-ce qu'un impie? R. Un demon incarné. D. Qu'est-ce qu'un predicateur? R. Un homme dont on croit la parole sans suivre son conseil. D. Qu'est-ce qu'un moine? R. L'epouvantail des enfans et le miroir de devotion. D. Qu'est-ce qu'un jesuitte? R. Un sage politique qui se sert adroitement de sa religion. D. Qu'est-ce qu'un roy? R. Un homme qui est toujours trompé, un maistre qui ne sçait jamais son metier. D. Qu'est-ce qu'un prince? R. Un crime que l'on n'ose punir. D. Qu'est-ce qu'un president? R. Un homme d'apparence grave, dont la parole fait quelquefois tort aux innocens, et souvent peur aux coupables. D. Qu'est-ce qu'un jeune conseiller? R. Un homme qui chatie en autruy ce qu'il commet luy-mesme, et qui parle plus du bonnet que de la teste. D. Qu'est-ce qu'un advocat? R. Un hardy qui, par de fausses raisons, persuade ce qui ne fut jamais. D. Qu'est-ce qu'un procureur? R. Un homme qui avec la langue fait vider la bourse de sa partie sans y toucher. D. Qu'est-ce qu'un chicaneur? R. C'est un adroit qui, par des moyens subtils, sçait mesler le bien d'autruy avec le sien. D. Qu'est-ce qu'un huissier? R. C'est un homme qui se rejouit du mal d'autruy, et qu'on peut enrichir à coups de poing[69]. [Note 69: Ou à coups de bâton, comme celui des _Plaideurs_: ... Frappez, J'ai quatre enfants à nourrir.] D. Qu'est-ce qu'un bourreau? R. Un meurtrier sans crime. D. Qu'est-ce qu'un soldat? R. Un homme qui, sans estre criminel ny filosofe, tue et s'expose librement à la mort. D. Qu'est-ce qu'un capitaine? R. Un desesperé volontaire. D. Qu'est-ce qu'un riche homme? R. Celuy que la fortune flatte pour le perdre. D. Qu'est-ce qu'un pauvre? R. Celuy qui n'a nulle obligation à la fortune. D. Qu'est-ce qu'un financier? R. C'est un voleur royal. D. Qu'est-ce qu'un partysan? R. Un sangsue du peuple et un larron privilégié. D. Qu'est-ce qu'une femme? R. Un singe raisonnable[70]. [Note 70: C'est l'idée développée par Etienne Pasquier dans la lettre que nous avons déjà citée (V. notre t. 2, p. 196), et aussi dans la jolie facétie _les Singeries des femmes_ (V. notre t. 1, p. 56-65).] D. Qu'est-ce qu'une putain? R. Un ecueil dont les sages se retirent et où les foux font naufrage. D. Qu'est-ce qu'un amoureux? R. Un miserable qui attire la moquerie du monde s'il ne reussit pas, et la medisance, s'il reussit. D. Qu'est-ce qu'un cornard? R. Un homme dont un chacun dit du bien, et à qui personne ne porte envie. D. Qu'est-ce qu'un page? R. Un serviteur qui est souvent d'aussy bonne maison que son maistre. D. Qu'est-ce qu'un valet? R. Un mal necessaire. D. Qu'est-ce qu'un pedant? R. Un supost de folie. D. Qu'est-ce qu'un comedien? R. Un homme qu'on paye pour mentir. D. Qu'est-ce qu'une devote? R. Une idole vivante et un demon en chaine. D. Qu'est-ce que de l'argent? R. C'est ce que l'on perd quand on est jeune, ce que l'on cherche quand on est vieux, et le premier mobile de toutes choses. D. Qu'est-ce que les habits? R. C'est ce qui couvre nostre honte et decouvre nostre vanité. D. Qu'est-ce que la mort? R. L'egalité de toutes choses. D. Qu'est-ce que le tombeau? R. Le lit des mortels. D. Qu'est-ce que les cloches? R. Le tambour des pretres. D. Qu'est-ce qu'un medecin? R. Un bourreau honorable. D. Qu'est-ce qu'un favory? R. Le batiment de la fortune. D. Qu'est-ce que les courtisans? R. Rien de ce que l'on en voit. D. Qu'est-ce qu'un ministre? R. L'idole de la cour. D. Qu'est-ce que les charges? R. Une honorable gueuserie. D. Qu'est-ce que la cour? R. L'attrait de la jeunesse et le desespoir de la vieillesse. D. Qu'est-ce qu'un devot? R. Un hermite mondain. D. Qu'est-ce que le mariage? R. Une loge des martirs vivans. D. Qu'est-ce qu'un abbé? R. Un reformateur interessé du temporel des moynes[71]. [Note 71: Allusion aux réformes qu'on introduisoit dans les monastères pour les ramener à un système d'abstinence et d'économie dont profitoient les revenus que touchoient les abbés.] D. Qu'est-ce que la vieillesse? R. L'ouvrage du temps. D. Qu'est-ce que la jeunesse? R. Passage à la vieillesse ou sagesse. D. Qu'est-ce que la beauté? R. La domination des hommes et complaisance des femmes. D. Qu'est-ce que des mouches? R. Les balles des mousquets des demons. D. Qu'est-ce que Paris? R. Le paradis des femmes, le purgatoire des hommes et l'enfer des chevaux[72]. [Note 72: Sur ce proverbe, que nous avons déjà trouvé en germe dans une pièce de 1619, V. notre t. 2, p. 284.] _Instruction de la loi mazarine, par Dialogues[73]._ [Note 73: Mailly, dans l'_Esprit de la Fronde_, t. 5, p. 819, a reproduit tout entière cette petite pièce.] D. Estes-vous Mazarin? R. Ouy, par la grace de Dieu, qui est mon interest. D. Qui est celuy qu'on doit appeler Mazarin? R. C'est celuy qui, ayant esté admis au gouvernement de l'estat, croit et fait profession de la doctrine mazarine. D. Quelle est la doctrine mazarine? R. C'est celle que les tyrans françois ont enseignée, et que les partisans embrassent de tout leur coeur. D. Est-il necessaire de sçavoir cette doctrine? R. Ouy, si l'on veut bien faire ses affaires et son profit en ce monde. D. Quel est le signe de Mazarin? R. C'est le signe de la croix imprimé sur l'or et sur l'argent. D. Comment se fait-il? R. En prenant de toutes mains au nom du roy. D. Pourquoy cela? R. Parce que sous le nom et sous l'autorité du roy on peut exiger tout ce que l'on veut sur le peuple. D. Quelle est la fin de la loy mazarine? R. C'est de se rendre maistre absolu du roy, des princes, du Parlement et du peuple. D. Combien de choses sont necessaires pour parvenir à cette fin? R. Cinq, à sçavoir: obseder l'esprit du roy, luy donnant de mauvaises impressions contre les princes, le Parlement et les peuples; secondement, jetter la division dans la maison royalle; troisiemement, rendre nuls tous les arrests du Parlement par ceux du conseil; quatriemement, tenir une puissante armée qui ravage tout; cinquiemement, promettre beaucoup plus qu'on ne veut donner à ceux de son party. D. Quelle est la foy mazarine? R. De croire que, tout estant au roy, on le peut prendre sans estre obligé de restituer à personne. D. Où est compris le sommaire de cette foy? R. Dans les articles suivans, divisez en douze poincts: Je croy au roy pour mon interest, lequel est tout puissant à faire agir toutes choses, et à Mazarin, son unique favory, qui a esté conceu de l'esprit mercenaire, nay du cardinal de Richelieu. Il a souffert sous Gaston et la Fronde, est mort pour son ministère, est descendu aux enfers, est assis à la dextre de Lucifer, et de là viendra pour persecuter les vivans. Je croy à son esprit et à l'eglise du malin, ou plutost à la congregation des partysans, au gouvernement des estats, manyement des finances, à la resurrection des imposts et à la maltote eternelle. D. Combien de choses en general doit sçavoir un Mazarin? R. Trois, sçavoir: ce qu'il doit croire, ce qu'il doit faire et ce qu'il doit demander. D. Où est compris ce qu'il doit croire? R. Au Credo, lequel il doit sçavoir par coeur. D. Qu'est-ce qu'il doit faire? R. Il doit caresser et flatter tous ceux de qui il espère du bien. D. Qu'est-ce qu'il doit demander? R. Plus qu'il ne luy sera dû, et par dessus encore quelque benefice ou recompense. D. Quelles sont les vertus theologales du mazarinisme? R. Trois, sçavoir: ambition, avarice et vengeance. D. Quelles sont les vertus cardinales? R. Quatre, sçavoir: trahison, ingratitude, insolence et paillardise. D. Quelle est la charité du mazarinisme? R. L'amour de soy-mesme, par lequel on aime son interest plus que toutes choses, et son prochain en souhaitant son bien. D. Quels sont les commandemens de la loy du mazarinisme? R. Le premier: Un seul interest tu adoreras et aimeras parfaitement. 2. En vain l'argent du roy ne manieras, ny de l'Estat pareillement. 3. Les occasions observeras, peschant en eau trouble fortement. 4. Les favoris honoreras, afin que tu dures longuement. 5. Leur homicide point ne seras, de fait ni volontairement. 6. Luxurieux un peu seras, de fait et de contentement. 7. Faux temoignage tu diras pour servir l'Estat promtement. 8. Le bien d'autruy convoiteras, si tu ne le peux autrement. 7. L'oeuvre de chair desireras, de jour et aussi nuittement. 10. Continuellement voleras le peuple en le tirannisant. D. Quels sont les principaux commandemens de Mazarin? R. Ce sont les cinq grosses fermes[74]. [Note 74: Les cinq grosses fermes données à bail pour un nombre d'années fixes étaient les gabelles, la vente exclusive du tabac, les entrées de Paris, les droits de traite et le domaine d'occident.] D. Quelles sont les bonnes oeuvres? R. C'est de faire jeuner, mettre tout à l'aumosne et envoyer les gens de bien à l'hospital. D. Qu'appellez-vous pesché d'origine? R. C'est d'estre frondeur. D. Ce pesché ne peut il s'effacer? R. Ouy, pour une grande somme d'argent, et allant rendre hommage à l'idole de Mazarin? D. Quelles sont les dernières choses qui arriveront à l'homme Mazarin? R. Quatre: le jugement, le supplice, la mort et l'enfer. Si cette loy semble etrange à quiconque la lira, qu'il n'en suive pas la maxime pour s'acquerir des serviteurs, s'il ne veut le diable pour son roy et la damnation eternelle pour recompense. Dieu par sa sainte grace nous en delivrera un jour, et purgera le royaume de cette peste. _Autre Catéchisme, à l'usage de la Cour ecclésiastique de France contre le Jansenisme[75]._ [Note 75: Cette pièce, sous une forme pareille, est d'un tout autre temps et d'un tout autre esprit. Elle dut paroître en 1665, c'est-à-dire trois ans avant d'être mise dans ce petit recueil, et à l'époque même où Alexandre V envoya le fameux _formulaire_, qui, reçu en France par une déclaration enregistrée, y devint l'arme de la proscription la plus violente contre le jansénisme.] D. Estes-vous chrestien? R. Ouy, par la grace de Dieu! D. Qui est celuy que vous appelez chrestien? R. Celuy qui croit et propose tout ce qui est dans le saint formulaire. D. Qu'est-ce que formulaire? R. C'est ce qui a esté nouvellement affiché dans tous les quartiers de Paris, et que nous pouvons appeler du chrestien le signe. D. Pourquoy l'appelez-vous le signe du chrestien? R. Parceque sa vertu nous a delivré d'une puissante heresie. D. Quelle est cette heresie? R. C'en est une qui comprend aujourd'huy toutes choses, et qui n'est comprise de personne. D. Me direz-vous bien qui est l'autheur? R. Jansenius. D. Le croyez-vous fermement? R. Ouy, je le croy avec autant de fermeté que m'en peut donner une foy ecclesiastique. D. Qu'est-ce que vous appellez une foy ecclesiastique? R. C'est celle qui nous fait soumettre à ce que l'on nous y prescrit purement, et pour ne pas rendre nous et nostre bien devolutoires. D. Quoy? seroit-on traité comme un heretique si on n'avoit pas cette foy? R. Sans doute, parce que l'on seroit recherché des sentimens de la compagnie de Jesus, et c'est estre veritablement excommunié que de ne faire corps avec Jesus-Christ. D. Mais ce qui n'est point contenu dans le symbole des apostres peut-il faire matière de foy? R. On n'en doute pas à present, pourveu que ces articles, que l'on nous oblige à croire, nous ayent esté formulez par les successeurs des apostres. D. Qui sont ces successeurs? R. Ce sont nos grands evesques congregez et assemblez à Paris par l'esprit de la cour. D. Quel est l'esprit de la cour? R. C'est l'esprit de la politique. D. Sçavez-vous par coeur ce nouveau symbole que ces grands evesques nous ont formulé? R. Peut-estre m'en souviendray-je; le voicy, si je ne me trompe: Je croy en l'eglise de Paris et en l'esprit de politique qui la conduit par le ministère de nos evesques de cour, poussez par l'aigreur des jesuittes, dont le talent est de sçavoir faire quelque chose de rien. D. C'est assez. Je voy bien que vous estes sçavant en vostre creance; je ne veux plus que vous demander une chose. R. Je vous repondray si je le puis. D. Que croyez-vous de cette eglise de Paris que vous avez nommée au premier article de vostre symbole? R. Je croy qu'hors d'elle il n'y a point de salut ny d'esperance d'aucun bien dans le monde. D. C'est bien dit; mais est-on en sureté de croire seulement ce qu'elle veut que nous croyions? R. Non, la foy ne suffit pas sans ses bonnes oeuvres. D. Que reste-t-il donc à faire pour monstrer que l'on est fidelle? R. Il ne reste qu'à signer le formulaire et à retirer un certificat de sa signature[76]; c'est s'acquitter pleinement de son devoir, et c'est mettre la dernière main à son salut en cour et à sa bonne fortune à Paris. [Note 76: Les refus de signer le formulaire furent très nombreux. Quatre évêques, ayant à leur tête Henri Arnaud, qui occupoit le siége d'Angers, refusèrent tout d'abord de s'y soumettre. Les dissidences, suivies de troubles graves, durèrent jusqu'à ce qu'en 1668 Clément IX eut tout apaisé par un accord qui s'appela _Paix de l'église_.] * * * * * _La Passion de M. Fouquet._ LE CARDINAL MAZARIN, _mourant_. Celuy que je baiseray, c'est celuy-mesme, prenez-le. M. LE TELLIER. Il a voulu se faire roy[77]. [Note 77: Allusion au vaste projet de révolte qu'avoit conçu Fouquet, dont le plan détaillé fut trouvé dans ses papiers, et qui, selon M. P. Clément, à qui l'on doit la publication de cette curieuse pièce, fut, malgré les dénégations du surintendant, la véritable cause de sa condamnation. V. le travail de M. Clément sur Fouquet (_le Correspondant_, 25 avril 1845, p. 257 et suiv.) V. aussi la lettre de Mme de Sévigné du 4 décembre 1664.] M. COLBERT. Il a peché en trahissant le sang du juste. M. SEGUIER[78]. [Note 78: Le chancelier, président de la chambre de justice devant laquelle avoit été renvoyé Fouquet.] Prenez-le, et jugez-le selon vostre loy. LE PREMIER PRESIDENT. Je suis innocent du sang du juste et en lave mes mains[79]. [Note 79: Il n'eut point en effet à prendre part au procès.] M. BERNARD[80]. [Note 80: L'un des vingt-deux juges du surintendant, vota pour le bannissement.] Je ne trouve pas de preuve assez convainquante. M. BOUCHERAUD[81]. [Note 81: C'est Boucherat, alors maître des requêtes et depuis chancelier. Il étoit de la commission chargée de la poursuite du procès. C'est lui qui avoit été chargé de mettre les scellés chez le surintendant. Mme de Sévigné se moque du chancelier, qui tous les jours se faisoit faire la leçon par Boucherat.] Bienheureux celuy qui ne se trouve pas en la compagnie des mechans! M. RENARD[82]. [Note 82: Conseiller de la Grand'Chambre, l'un des plus favorables d'entre les vingt-deux juges. C'est lui qui fut surtout frappé de l'aisance et du sang-froid de Fouquet. «Notre cher et malheureux ami, écrit Mme de Sévigné (2 décembre 1664), a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement que plusieurs n'ont pu s'empêcher de l'admirer. M. Renard a dit entre autres: Il faut avouer que cet homme est incomparable; il n'a jamais si bien parlé dans le Parlement. Il se possède mieux qu'il n'a jamais fait.»] Vous ne repondez point aux choses que l'on vous demande. M. BRILLAC[83]. [Note 83: Conseiller au Parlement et l'un des vingt-deux juges. Il vota pour le bannissement pur et simple, et repoussa avec vigueur l'idée du dernier supplice, auquel quelques uns vouloient condamner Fouquet. Son intimité avec les auteurs, qui presque tous étoient les protégés et, chose rare, les fidèles défenseurs du surintendant, fut peut-être pour quelque chose dans son indulgence. Il étoit surtout au mieux avec Racine, à qui, selon les _Mémoires_ du fils, il apprit les termes de palais nécessaires pour sa comédie des _Plaideurs_.] Je ne trouve point de sujet pour le condamner. M. PUSSORT[84]. [Note 84: Henri Pussort, conseiller d'Etat, oncle maternel de Colbert, et qui, bien que récusé tout d'abord par Fouquet, fut l'un de ses juges les plus acharnés. Quand vint son tour de donner son _avis_, il parla quatre heures «avec tant de véhémence, tant de chaleur, tant d'emportement, tant de rage, dit Mme de Sévigné, que plusieurs juges en furent scandalisés, et l'on croit que cette furie peut faire plus de bien que de mal à notre ami.» Pussort vota pour la mort. Dans l'espèce de complainte qui fut faite sur ce procès, avec un couplet flatteur ou satirique pour chacun des vingt-deux juges, suivant qu'il avoit été indulgent ou sévère, voici le _lardon_ qui lui échut: Monsieur Pussort Harangua fort; Mais par malheur il prit l'essor, Et sa sotte harangue Fit bien voir au barreau Qu'il a beaucoup de langue Et fort peu de cerveau.] Si vous ne le condamnez, vous n'estes pas amy de Cæsar. M. TALON[85]. [Note 85: Procureur général dans le procès. Il y mit trop d'intégrité et de conscience au gré de Colbert, et l'on trouva moyen de le faire renvoyer et remplacer par M. de Chamillart.] Il faut qu'un homme meure pour tout le peuple! M. BERRIER[86]. [Note 86: Agent de Colbert, qui dirigeoit le procès avec la plus incroyable passion. M. d'Ormesson, dans son _Journal_, le donne comme l'homme le plus décrié de Paris. En dix-huit mois seulement il avoit fait, lui qu'on chargeoit de sévir contre les concussions de Fouquet, pour plus de 1,800,000 livres d'acquisition. «C'étoit, dit M. d'Ormesson, un fripon hardi et capable de toutes choses.» Sur la fin du procès, se voyant renié et abandonné de tout le monde, il devint littéralement fou. V. lettre de Mme de Sévigné du 17 décembre 1664.] A quoy bon chercher d'autres preuves? LES PROVINCIAUX. Prenez, prenez-le, et le crucifiez! MADAME DU PLESSIS[87]. [Note 87: Mme du Plessis Bellière, dont le maréchal de Créqui avoit épousé la fille. Elle étoit fort amie de Fouquet, et avoit même été, à ce qu'il paroît, la confidente de ses prétentions sur l'amour de Mlle de La Vallière.] Je suis triste jusques à la mort. M. FOUQUET. Seigneur, je leur pardonne: ils ne sçavent ce qu'ils font. M. BERNARD. Vous me renierez trois fois avant que le coq chante. M. DE LA BAZINIÈRE[88]. [Note 88: Trésorier de l'Epargne, époux de la fameuse Mlle de Chemerault. Il étoit mort avant 1649. On dit de lui dans le _Catalogue des partisans_: «La succession de La Bazinière ne doit pas être exempte d'une légitime recherche, sa naissance et la condition de lacquais où il a esté eslevé ne pouvant pas lui avoir donné les avantages d'une si grande fortune que celle où il est mort.» L'abbé de Marolles (_Paris, ou la description succinte de cette grande ville_, in-4) cite l'hôtel que La Bazinière avoit fait construire dans le quartier Richelieu parmi les plus beaux de Paris.] Ne vous assurez pas sur la faveur des grands. M. JEANIN. Je suis mené au supplice comme un agneau innocent. M. DE GUENEGAUD. S'il est possible, que je ne boive point cette couppe. M. GIRARDIN. Si Dieu ne bastit la maison, ceux qui travaillent travaillent en vain. M. MONNEROT[89]. [Note 89: Fameux financier du quartier Richelieu, dont il est parlé sous le nom de Moncrot, défiguré exprès, dans les _Mémoires_ de Daniel de Cosnac, t. 2, p. 29. V. aussi le _Catalogue des partisans_, où ce qu'on prête ici à Monnerot sur sa crainte de voir éplucher ses fautes se trouve justifié.] Seigneur, si vous epluchiez nos fautes, qui est celuy qui sera juste devant vous? M. DE LORME. Seigneur, ne me reprenez point dans vostre colère! M. BRUANT[90]. [Note 90: Bruant des Carrières, principal commis de Fouquet.] Il a vu la mer et s'en est fuy. M. FOUQUET. Seigneur, vous les connoistrez par leurs oeuvres. * * * * * _Le Confiteor de Monsieur Fouquet._ Dans ce funeste estat où chacun m'abandonne, Et contre moy les loix exercent leur pouvoir, La mort, la triste mort, n'a plus rien qui m'etonne, Et je dis de bon coeur, pour faire mon devoir, _Confiteor._ Les respects que chacun me rendoit à toute heure, Tous ces divins honneurs que partout on m'a faits, Ces superflus lambris et mes riches demeures, Tout cela m'engageoit à ne penser jamais _Deo._ Je n'eus point d'autre but que de ruiner la France; A ces desseins pervers mon esprit s'employoit, Et par là je m'estois acquis tant de puissance Que partout on me comparoit _Omnipotenti._ Je foulois sous mes pieds et la pourpre et l'ivoire, Chez moy l'or et l'argent s'entassoient à monceaux; Je mettois en ces biens mon bonheur et ma gloire, Et j'aimois ces objets plus que tous les tableaux _Beatæ Mariæ._ Bien que je prisse à toutes mains, Jamais mon coeur ne peut rien rendre, Et j'avois de si grands desseins Que, pour y reussir, partout il falloit prendre _Semper._ Sur chacun j'ay fait ma fortune, J'ay volé le marchand, j'ay volé le bourgeois, Et je me souviens qu'autrefois J'ay ravy l'honneur à plus d'une _Virgini[91]._ Jamais toute la terre humaine N'eut sçeu peser tous mes tresors; Elle auroit employé vainement ses efforts. Puisqu'un fardeau si lourd auroit fait de la peine _Beato Michaeli Archangelo._ Dans ce comble d'honneur, rien ne m'estoit contraire; Je fondois mes grandeurs en balets, en festins; J'estimois plus la Cour qu'ensemble tous les saints, Je fis cent feux pour elle, et jamais un pour plaire _Beato Johanni Baptistæ[92]._ Je n'eus point de respect pour le saint evangile; En tous temps, en tous lieux, je meprisois la croix; En vain à me precher on employoit sa voix, Cette peine eut esté tout ensemble inutile _Sanctis apostolis Petro et Paulo, omnibus sanctis et tibi, Pater._ Mais tout ce qui me rend encor plus criminel, Et qui redouble mon martyre, Le trouble que j'ay fait est tel Que pour m'en excuser je n'ay point lieu de dire _Quia._ Pendant ce temps fatal de ma gloire passée, L'estat où je vivois eblouit ma raison; Je me plaisois de voir la France renversée, Et ne disois jamais pour mes crimes un bon _Peccavi._ Le peuple, cependant, contre moi murmuroit; Le paysan trop foulé crioit sur moy vengeance; Un chacun, en un mot, surpris de ma puissance, Disoit enfin tout haut que toujours je prenois _Nimis._ Bien que j'eusse troublé l'Estat et les affaires, Qu'il sembloit que la France eut ployé sous mes loix, Et que tout fut reduit aux dernières misères, J'en avois projetté bien d'autres, toutesfois, _Cogitatione._ Ouy, j'avois des desseins que je n'oserois dire, Et par lesquels j'allois bientost tout opprimer, Et je n'y puis penser Que mon coeur ne souspire _Verbo._ Mais, si, pour renverser la France, A cent desseins pervers j'appliquois tous mes soins, Si des grands pour cela j'employois la puissance, Moy-mesme aussi je n'y travaillois guère moins _Opere._ Mais, puisqu'enfin il faut perir, Et que sur moy les loix exercent leur justice, Sans murmurer on me verra mourir Et confesser tout haut qu'on m'a vu au supplice _Mea culpa._ [Note 91: C'est une paraphrase du vers de Boileau fait pour Fouquet: Jamais surintendant ne trouva de cruelles.] [Note 92: Jean-Baptiste Colbert.] _Fin._ _Sur les armes de Messieurs Fouquet, Le Tellier et Colbert._ Le petit escureuil est pour tousjours en cage, Le lezard, plus rusé, joue mieux son personnage; Mais le plus fin de tous est un vilain serpent Qui s'avançant s'elève et s'avance en rampant[93]. [Note 93: Un des griefs de Colbert contre Fouquet, c'est que celui-ci avoit fait peindre à Vaux, lors des grandes fêtes données au roi, un écureuil poursuivant une couleuvre, avec ces mots: _Quo non ascendet!_ L'écureuil, c'étoit Fouquet; la couleuvre, Colbert, qui s'étoit en effet donné un _coluber_ pour armes parlantes. Il le mettoit partout. On le trouve encore sur la façade récemment réparée, c'est-à-dire défigurée, d'une maison qu'il avoit fait bâtir rue du Mail, nº 9. Le coluber symbolique se voyoit dans la coiffure du macaron qui décoroit la clef de voûte de la porte cochère; il se trouve encore gracieusement enroulé dans les volutes du chapiteau corinthien qui surmonte les pilastres.] _Exil de Mardy-Gras, ou arrest donné en la Cour de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, par lequel, nonobstant la garantie des Epicurois et Atheismates, opposition des esleuz de la Frelauderie, malades, pauvres, artisans, amoureux, dames, gueux et le fermier de la boucherie de Caresme, Mardy-Gras avec tous ses supposts est banny du ressort et empire de ladite Cour pour le temps et espace de quarante et un jours._ _A Lyon, par les supposts de Caresme._ 1603. In-8. ADVERTISSEMENT AU LECTEUR AMY. Benevole lecteur de Caresme, nous t'eussions peu donner avec plus d'apparat et de figures ce petit procès contre Mardy-Gras, mesmes y eussions peu mettre les plaidez, non en forme compendieuse d'un _veu_ de procès, comme tu vois, mais en toute leur splendeur, avec leurs loys et paragrafes, et y adjouster encor la disposition dudit Mardy-Gras de ses biens, s'en allant en exil, comme il luy est permis par l'arrest, si le temps nous en eust donné le loisir; mais tu recevras ceci en intention que s'il t'agrée de le faire en meilleure forme, ni plus ni moins que les procès d'amour, et en bref après Pasques. Vis cependant content et ne te despite pour chose que tu verras icy, mais prens le tout en bonne part et ayme-moy. Adieu. * * * * * _Quatrain._ Lecteur, ne pense pas que, faute de sagesse, Ay faict parler ainsi ce livre follement; Mais pense que je veux, sous tel deguisement, Te forcer de l'Église à la divine adresse. * * * * * Arrest intervenu sur le procez intenté en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois, Entre noble maistre Megrinas _Caresme_, prince du Jeusne et de la Penitance, seigneur souverain de la Discipline, frère germain de l'Aumosne, protecteur de la Charité, etc., demandeur en pocession de temps et autrement en excez, et le sindic des Penitantiates et Jeusnamites, et le procureur général du souverain ressort de Saladois, joint à luy, d'une part; Et hault et puissant prince Grossois _Mardy-Gras_, idole des Affamés, empereur des Yvrognes, roy des Gormands, seigneur souverain de la Desbauche, archiduc des Epicuriens, comte des Athées, marquis de Frelaudois, baron de Paillardise, sire de Paresse, captau[94] de Feneantise, visconte des Bons-Compagnons, capitaine des Tirelaines, lieutenant general du grand empereur des Fausses-barbes, et ses supposts, Pensard, Crevard, Jambonois, Bodinois, Sossissois, Godivois et autres, etc., deffendeur autrement anticipé et appelant du conservateur des priviléges, droits, noms, raisons et actions, intelligences, executions, renommée, quatre-temps, vigiles et foires du grand et petit Caresme, et les desputés des cantons epicurois et atheismates, prenans la cause en garantie pour ledit hault prince Mardy-Gras, et les esleus de la Frelauderie, et les sindics des malades, fiebvreus, pulmoniques, catareux, sciatistes, gouteux, verolés, coliquistes, frigidistes, migranistes, pieristes ou gravelistes, chassieux et autres semblables ou soy-disants tels, et les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des Artisants, et les amoureux mignons, meneurs soubs bras, Narcisses des villes, Adonis de rues, courtisans de boutique, supposts de bal, muguetteurs[95] de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d'amour, fondeurs de larmes, distilateurs de souspirs et autres, et les dames popines[96], grasses, maigres, fardées, grelotées, et autres _hujusdem generis_, et les Cap-d'escouade des gueux et mendians, et les fermiers de la boucherie de Ceresme[97], intervenans au procez, d'autre; [Note 94: Pour _captal_, mot de la langue d'Oc qui se prenoit dans le sens de _chef_ et _seigneur_. On connoît, au temps des guerres de du Guesclin, le fameux _captal de Buch_. Alain Chartier l'appelle souvent _captau de Buch_.] [Note 95: Le même mot que _muguet_, tant employé depuis Etienne Pasquier (V. _Lettres_, t. 1, p. 23) jusqu'à La Fontaine et Molière. Selon le P. Labbe (_Etymologie des mots françois_, Paris, 1661, in-8, p. 351), c'étoit un dérivé des mots _musqueter_ et _musqueterie_, dus à la mode de se parfumer de _musc_ qui infecta tout le XVIe siècle, et dont parle Merot dans son épigramme à Guill. Cretin: Mais vous, de haut savoir la voye, Sçaurez par trop mieulx m'excuser D'un grand erreur, si fait l'avoye Qu'ung amoureux de musc user.] [Note 96: C'est-à-dire mignonne de visage et de taille et d'une grande propreté dans l'ajustement. On disoit plus souvent poupin et poupine. Au XVIIe siècle, c'étoit un mot qui vieillissoit.] [Note 97: Dans toutes les villes, un boucher affermoit, à ses risques et périls, le droit de vendre de la viande pendant le carême aux malades à qui leur état plus ou moins grave avoit fait accorder par l'Eglise la permission d'en manger. Si la santé publique étoit satisfaisante, c'étoit un homme ruiné; s'il arrivoit quelque bonne épidémie, il faisoit sa fortune. A une lieue d'Orléans se trouve une jolie maison qui s'appelle la maison du _rhume_, parcequ'elle fut bâtie par un de ces fermiers de la boucherie de carême avec les bénéfices qu'une bienheureuse _grippe_ lui avoit fait faire.] Veu par la court souveraine de Riflasorets, establie en la ville de Saladois, le procès dont est question; sommation faite par noble maistre Megrinas Caresme, prince de Jeune, etc., à haut et puissant prince Grossois Mardy-Gras, idole des Affamez, empereur des Yvrongnes, etc.; à ce qu'attendu que les sept semaines avant Pasques pendant lesquelles, sans trouble, empeschement ny sedition dudit Mardy-Gras ni de ses supposts Pansard, Crevard, Jambonier, Boudinois, Saussissois, Godivois et autres, il devoit regner, devoient commencer le lendemain 12 de fevrier, an 1603, ledit Mardy-Gras et ses supposts eussent à vuider par tout le jour de toute la jurisdiction de la ville de Saladois et cour de Riflasorets, en datte du 12 desdits mois et an; signé: Harant-Blanc, notaire royal. Assignation donnée audit Mardy-Gras pardevant le conservateur des priviléges, droits et raisons, vigiles, quatre-temps et foires du grand et petit Caresme, à la requeste dudit Caresme, en date desdits jour, mois et an; signé: Megrinet, sergent royal. Acte de comparition dudit Caresme pardevant ledit conservateur, et deffaut donné audit Mardy-Gras; signé: Matafan, greffier, en date du 13 desdits mois et an. Acte contenant l'appel dudit Mardy-Gras en la cour souveraine de Riflasorets, en datte desdits jour, mois et an, lettres royaux d'anticipation sur l'appel intenté par ledit Mardy-Gras; signé: Vinagret, controlleur en la chancellerie; ensemble assignation donnée sur lesdites lettres d'anticipation audit Mardy-Gras, à la requeste dudit Caresme, à ce qu'il vint proposer ses causes d'appel en la cour, le lendemain, jour d'audiance, suyvant les coustumes et reglements de ladite cour de Saladois; signé: Megrinet, sergent royal, en datte desdits mois, jour et an. Plaidez des parties sur l'appel par lequel Harent-Soret, advocat dudit Caresme, auroit remonstré et requis que ledit Mardy-Gras eust à se desister de son appel, et, en outre, fut condamné à l'amende, et les parties renvoyées pardevant ledit conservateur, leur juge compétent. Et, au contraire, Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, auroit dit sa partie avoir bien appelé dudit conservateur, parce que ledit conservateur pourtoit son objet sur le front, estant conservateur de Caresme, et non de Mardy-Gras, et lequel ses officiers ne creignoient guères, homme qui pourteroit plus de faveur à Caresme qu'à luy, et qu'un tel juge luy estant grandement suspect, requeroit qu'il fut admis en son appel, et ledict Caresme debouté de sa demande et du renvoy de ladite cause, et qu'il pleut à la Court evocquer le principal; en ce faisant, ordonner que toutes parties viendroyent le lendemain plaider en l'audience, et où ledict Caresme proposeroit sa demande. Arrest par lequel la Court a evocqué le principal et ordonné que toutes parties viendroyent plaider le lendemain, despens reservez en fin de cause, en date du 14 desdits mois et an; signé: Harent-Soret et Pansardois, advocats. Autre arrest, intervenu le mesme jour sur les requestes faites par le sindic des Penitentiates et Jeunamites, du procureur-general du souverain ressort de Saladois, des esleuz de la Frelauderie, du sindic des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres nommez en l'instance, et des chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité; des artisans et des amoureux mignons, Narcisses de villes et autres, et des dames, et des caps-d'escouades[98], des gueux et mandians, et les fermiers de la boucherie de caresme, par lequel ledit sindic des Penitentiates et Jeunamites et ledit procureur-general sont receus parties au procès contre ledit Mardy-gras, et est permis à iceluy Mardy-gras de faire appeller le deputez des quantons epicurois et atheismates, lesquels il dit avoir garands en cause, et aux esleuz de la Frelauderie, sindic des malades, chefs de la noble confrairie de pauvreté, amoureux, dames, cap-d'escouade des gueux et mandians et fermiers de la boucherie de caresme d'intervenir audit procès, en datte du quatorzième desdits mois et an; signé: Lentillin, greffier. [Note 98: C'est-à-dire _chefs d'escouade_.] Significations faites desdits arrests respectivement aux parties; signé: Goulas Fripet, Magret, huissiers en la cour, en datte desdits jour, mois et an. Plaidez de Haren Soret, advocat en la cour, pour ledit Caresme, disant que, le onziesme de ce mois, il auroit fait sommer hault et puissant prince Grossolois Mardy-Gras, soy-disant idole des affamez, empereur des yvrongnes, etc., par Haran Blanc, notaire royal, à ce que, suyvant les bonnes et louables coustumes, traditions des Pères, ordonnance de l'Eglise, par tout le jour dudict onziesme dudict mois de febvrier audit temps[99] ledit jour finissant inclusivement et precisement au signe que la cloche des cordeliers sonneroit de la minuit passée, ou en tout cas à une heure après minuict, à cause de certaines pretensions et procez intentés par les bons compaignons Fausses-Barbes, Tire-Laines, Gueux et Mandians, lequel procez est encores indecis, et auquel ledit Haran Blanc, pour ses parties, n'entend en rien prejudicier, ledit Mardy-Gras eust à vuider de tout le ressort de ladite Court souveraine de Saladois, laissant à sa partie la possession vuide et paisible dudit pays, sans fracas de marmites, belemens de veaux, d'agneaux, de chèvres, chevreaux, brebis, moutons, mugissement de boeufs, grougnement de pourceaux, caquelinement de coqs, coquassement de poules, piolemens de poulets, pipiemens de pigeons, tintamarres de poiles, chauderons, pots, marmites, cramails, poilons, cuillères; massacre de perdris, faisans, grives, beccasses, tourterelles, alouettes, coqs d'Inde, levraux, canards privez et sauvages et estourneaux; mangement de saucisses, goudiveaux, pastez, boeufs, moutons, agneaux, saucissons à l'italienne et autres entretiens et fauteurs dudit Mardy-Gras, partie adverse, par tout le terme et espace de sept sepmaines devant Pasques (ledit temps commençant depuis ledit jour onziesme de ce mois de febvrier 1603 jusques au 30 exclusivement de mars, audit temps). [Note 99: Pour: _audit an_.] A laquelle sommation tant s'en faut que ledit Mardy-Gras, partie adverse, eust obey, et, en ce faisant, amiablement promis vuider dudit pays audit terme, qu'au contraire, ayant trouvé le jour d'après, à midy, sa partie reniant et blasphemant le nom de Dieu, et ayant une grande chaine de goudiveaux et saucissons au col, armé d'une marmitte à la teste, de deux chauderons derrière et devant, une poile ceinte à son flanc, une cuillère sur le cul en guise de pougnart, une lichefrite pour cuissards[100], avoit bravé ledit Caresme, sa partie, disant qu'en despit de luy, pendant ledit temps de sept semaines, il regneroit et auroit plus de fauteurs et courtisans que sa partie, qui n'estoit qu'un cague-foireux, visage de prunes cuittes, hypocrite, mangeur de pate-nostre, encoffreur d'amandres pelées, et autres injures, par lesquelles il avoit taxé grandement l'honneur de sa partie. Et en outre avoit ledit Mardy-Gras commandé à Pansard, Crevard, Socissois, ses supposts, de battre sa partie et luy chier sur le nez, tellemant qu'en riant il leur avoit dit: Esconchiez maistre Caresme; et l'avoyent fait, comme ledit Caresme sa partie verifieroit très bien. [Note 100: Cette description du costume de Mardi-Gras rappelle tout à fait certains tableaux de mascarades allemandes et hollandoises peintes par Van Boons, et dont le _Magasin pittoresque_ a reproduit quelques unes des plus curieuses figures, t. 3, p. 65.] Parquoy demandoit et requeroit, concluant au nom de sa partie, que ledit Mardy-Gras fut condamné, suyvant les bonnes coustumes, traditions de Pères, commandemens de l'Eglise, non seulement à vuyder du ressort de ladite court souveraine de Saladois, mais encore, pour reparation des injures faites à sa partie (lesquelles, en cas que partie adverse les voulsit denier, il offroit verifier), ledit Mardy-Gras fut dès ce jourd'huy banny du pays, et inhibition et deffenses à luy faites d'y revenir qu'à minuit du 29 de mars precisement, audit temps 1603; faire amende honorable, la hart de fèves au col, le bourreau à sa queue, un cierge d'abstinence en sa main, pesant dix livres; en outre, estre condamné à dix mille livres soreloises envers les pauvres de l'hospital, quatre-vingt mille lenticuloises envers sa partie, et à tenir prison jusques à plain payement, et à tous despens, dommages et interests. Signé: Harant Soret. _Dire des Penitentiates et Jeusnamites._ Autre plaidé de Pain-Sec, advocat plaidant pour le sindic des Penitentiates et Jeusnamites, disant que c'estoit une grande vilennie et un grand deshonneur à la Court souveraine de Riflasorets voir ledit Mardy-Gras, un vrai gourmand, paillard, yvrogne et epicurien, n'estre pas content embourber au peché de gueule, d'yvrongnerie, et, par consequent, de tous les autres vices, tout le long de l'année, les nobles, le peuple et toute sorte de gens, mais encores oser braver et troubler en la possession de son rang le venerable Caresme, le règne duquel avoit esté introduit par les saints Pères et par la constitution de l'Église, pour matter nostre chair et la rendre plus souple à la discipline, plus capable de raison, et par ainsi plus propre à obeyr aux commandemens de Dieu; que ledit Mardy-Gras estoit un presumptueux, scandaleux, et que l'on n'oyoit jamais que ses bravades et menasses par lesquelles il se jactoit[101] de perdre, mettre à mort, estouffer et aneantir du tout le saint Caresme, qui estoit le seul frain du vice, la terreur de la licence de la chair, père du jeune, de la charité et de l'obeyssance que Dieu requiert de nous et de toutes autres disciplines chrestiennes; qu'on ne voyoit que tous les jours courir par les rues de toutes les villes du ressort de Saladois, et par tous les chemins du plat païs, armées de perdris, levraux, chappons, coqs d'inde, poules, venaison, chair salée, saucisses et autres gens d'armes propres pour assieger, faire force, et faire mourir ledit Caresme. [Note 101: _Se vantoit_, du latin _jactare_.] Partant, concluoit ledit Pain-Sec, au nom de ses parties, que ledit Mardy-Gras fut envoyé en exil dès ce jourd'huy, inhibé et deffendu à toute sorte, qualité, condition, sexe de personnes, de le recevoir ny à luy de comparoistre jusques au trantième de mars exclusivement 1603, que la grand messe soit dite par toutes les églises; signé: Pain-Sec. Autre plaidé de Pansardois, advocat dudit Mardy-Gras, par lequel premierement il soustient qu'il n'est point un scandaleux ny seditieux, comme le sindic des Jeunamites et Penitentiates faussement, souz correction de la Court, a fait plaider par Pain-Sec, son avocat, ains que ce sont toutes impostures et injures, desquelles il demande reparation telle que la Cour sage verra estre propre pour reparer l'honneur d'un tel prince et grand seigneur comme il est, homme d'honneur, homme de bien, homme sans scandale, et homme qui practique honnestement avec tout le monde, affable à un chacun, bien venu partout, mangeant son bien avec allegresse, sans apporter difference, distinction, escritures, poix, mesures, hauquet, lardons, figure, negociation, transportement ny quadrature aux viandes, lesquelles Dieu a donné à l'homme pour s'en servir en ses necessitez et en son appetit, ayant creé les viandes et le temps pour l'homme, et non l'homme pour le temps ou les viandes; que la gourmandise et friandise se pouvoit mieux exercer souz le règne de Caresme que souz le sien, l'empire duquel s'estendoit sur les carpes de Saône, truites, brochets, estourgeons, saumons, saules, cabots, rougets, lamproyes, alouzes, eguilles marines, escrevices et autres sortes de poissons de mer, d'estangs, de fleuves, de rivières et de mareschages, dans la saulse desquels gisoit l'esguillon de la friandise; et que c'estoit luy qui estoit le paillard, provocquant ordinairement le monde à luxure[102]; que luy seul estoit le père de Venus, fille de la mer, _id est_, expliquant la fable, fille de la saleure, dans laquelle principalement et particulierement consistoit ledit Caresme; que mesme il n'estoit autre chose que salure: ce qui mesme se verifioit par les registres des eglises du mois d'octobre, novembre et décembre, pendant lequel temps il s'y baptisoit plus d'enfans desquels la conception venoit à estre en fevrier, mars et avril, durant lesquels estoit le règne de Caresme, qu'en autre; mesmes qu'il estoit très certain qu'audit temps de fevrier, mars et avril les maquereaux avoient plus de practique, ce qu'il offroit verifier par les depositions d'eux-mesmes; qu'il estoit le soustien des affamez, le medecin des malades, le restaurateur des catarreux, pulmoniques, verolez, critiques, languissans, gouteux, sciatistes, pierreux, migranistes, coliqueux, fievreux et autres, lesquels sans luy, souz le règne de ce maistre truand Caresme, seroient pour mourir; et, en ce que ledit Caresme a fait plaider par Harent-Soret, son advocat, qu'il n'avoit point voulu obeyr à la sommation, au contraire l'avoit outragé d'injures et fait outrager par ses supposts, disoit, ne nyant le cas, qu'il avoit très bien fait: le premier pour double raison, parce qu'il le vouloit jetter de la republique, qui y estoit si necessaire, et, en outre, que le sindic des quantons epicurois et atheismates luy avoit fait requeste de n'obeyr à ladite sommation, et qu'ils luy en seroient à garand, et, à ces fins, les avoit fait appeller selon que la cour les voyoit comparoistre par Cameleon, leur advocat; le second parce que, lors de ladite sommation, iceluy Caresme l'avoit injurié, s'appellant seditieux, ce qui l'avoit esmeu à juste colère, voyant ce petit pendard de Caresme, gentilhomme de quarante jours, prince de sept semaines, roi de trois tigneux et un pelé, oser l'injurier, à luy roy des roys, prince des princes, commandant à tant d'empires, de royaumes, de duchez, de comtez, de republiques, de communautez, de provinces, de villes, d'hommes; partant, concluoit qu'il devoit estre relaxé de la demande en excez dudit Caresme, et, en outre, attendu qu'il estoit si necessaire en la republique, devoit estre maintenu en la possession de son règne; et, en tout cas, que la cour voulsist, suyvant le reglement des autres années, le dechasser; concluoit contre ledit sindic des quantons epicurois et atheismates, ses garands, des dommages et interests et de despens qu'il avoit encouru pour la provision qu'il avoit faicte, pour se maintenir en la republique selon sa qualité, mesmes des impositions qu'il avoit faictes extraordinaires pour maintenir la guerre contre ledit Caresme et les sindics des Jeusnamites et Penitentiates, ses adversaires jurez, et autrement en la meilleure forme que faire se pouvoit. Signé: Pansardois, advocat en la Cour. [Note 102: Il a été reconnu que le poisson, en raison du phosphore qu'il contient tout formé, principalement dans les _laites_, possède une grande vertu prolifique. Brillat-Savarin, dans sa méditation VIe, s'étend sur cette particularité, sur ses causes, sur ses effets, et ajoute: «Ces vérités physiques étaient sans doute ignorées de ces législateurs ecclésiastiques qui imposèrent la diète quadragésimale à diverses communautés de moines, telles que les Chartreux, les Récollets, les Trappistes et les Carmes déchaux réformés par sainte Thérèse: car on ne peut pas supposer qu'ils aient eu pour but de rendre plus difficile l'observance du voeu de chasteté, déjà si anti-social.» (_Physiologie du goût_, édit. Charpentier, p. 109.)] _Dire des Epicurois._ Autre plaidé de Cameleon, aussi advocat en la Cour, pour ledit sindic des Epicurois et Atheismates, prenans la cause et garantie pour ledit Mardy-Gras. Au nom de ses parties dit, que, sesdites parties ayant veu le grand froid qui avoit couru ceste année et le temps auquel estoit succedé le règne de Caresme, par le moyen de quoy les rivières estans glacées et les jardins sechez pour le trop de froidure, qu'il ne s'y pouvoit pescher aucune sorte de poisson frais, et que la mer n'en pouvoit debiter à cause des rivières gelées; que les charriages annuels qui souloyent donner à foison de poisson salé estoyent empeschez à cause des chemins gelez, et qu'il n'y pouvoit naistre aucune herbe, comme espinars, borraches, bugloses, cardons, pastenades, eschervices, laitues, pimpinelle, chicorée, endives, cerfeuil, roquette, blanchette, oeil de chien et autres sortes d'herbes qui peuvent faire passer la melancolie, par leur gout crud ou cuit, de l'absence et exil du très-illustre prince Mardy-Gras, ils avoyent, de peur de mourir de fain en telle necessité et extremité de famine, heu recours à la benignité et faveur dudit Mardy-Gras, lequel ils auroyent prié, ainsi que Pansardois, advocat, a très-bien remonstré, de n'obeir point à la sommation dudit Caresme, et, ayant pitié d'eux, ne les desemparer, qui seroient par son absence pour mourrir de fain, luy promettant, en cas qu'il en fut inquieté, de prendre la cause pour luy et luy en estre à garand. Laquelle chose ils font et remonstrent à la Court que, à correction, il n'y peut eschoir bannissement contre ledit Mardy-Gras comme les années passées, attendu ce qu'ils ont jà remonstré à la Cour, le temps auquel est survenu le règne de Caresme, les chemins glacez, les rivières inutiles, les pêches trop froides; concluant, veu le grand interest que la republique a de la presence dudit Caresme, pour ceste année seulement, ayant pitié d'eux, qui seront pour mourrir si ledit Mardy-Gras est banny, qu'il plaise à la Cour debouter ledit Caresme de sa demande contenant le bannissement dudit Mardy-Gras, lequel sera maintenu en son règne, avec despens. Signé Cameleon. _Dire du Procureur general._ Autre plaidé de Craquelin[103] Popelin[104], procureur general au ressort de la Cour souveraine de Saladois, disant que ledit Mardy-Gras et ses garands ne sont que des vrays imposteurs, seditieux et athées, puisque ils n'ont honte à la face de la Court de vouloir que les coustumes louables et de toute ancienneté introduites, seul ciment de la republique, fondement de l'obeyssance, liaison de l'estat et colonnes et assurances des royaumes, pour un appetit desordonné, une gourmandise temporelle, soyent abastardies et ostées du tout de la republique, et qu'il y va de l'honneur de la Cour si, ayant esgard aux demandes dudit Mardy-Gras et de ses garands, elle permet qu'iceluy règne avec Caresme, deux extrèmes si extremement contraires et tellement adversaires que l'un ne peut regner avec l'autre. Partant, conclut que, en ce qui concerne la demande en possession de temps dudit Caresme, iceluy soit maintenu en son royaume temporel de sept semaines et en la possession du temps de quarante-cinq jours, suyvant les anciennes ordonnances, edicts des saincts Pères et constitutions de l'eglise; et, ce faisant, soit enjoint audit Mardy-Gras dès maintenant vuider de la Cour souveraine de Saladois et de tout son ressort, avec tous ses supposts, et laisser la possession du royaume paisible audit Caresme, suyvant le reglement pris de tout temps, et ne comparoistre jusques au 30 de mars prochain precisement à la minuict, à peine, s'il est trouvé pendant ledit temps à luy ordonné pour son bannissement, sans autre forme de procez soit condamné à estre pendu et estranglé; et en ce que concerne la seconde demande en excès, attendu que cela provient plus tost d'une imprudence et vaine gloire que de mauvaise volonté, les parties soyent mises hors de cour et de procez sans despens; et, en ce que touche la garantie que ledit Mardy-Gras demande contre les sindics des quantons epicurois et atheismates, laquelle mesme ils ont prins pour ledit Mardy-Gras, il soit dit n'y avoir lieu d'aucune garantie, laquelle soit cassée et annulée, parce qu'il est notoire que ledit Mardy-Gras est en mauvaise foy, prenant la promesse de ladite garantie, attendu qu'il sçavoit bien icelle ne valoir rien, _ex eo ipso_ qu'elle estoit _contra bonos mores et antiquas consuetudines reipublicæ, ædicta patrum et mandata ecclesiæ_, sauf audit Mardy-Gras estre donné tel terme que la cour advisera pour vendre, donner, aliener et autrement disposer des preparatifs qu'il avoit fait pour sa demeure pretendue. Signé CRAQUELIN-POPELIN, procureur général. [Note 103: Le _craquelin_, pâtisserie sèche qui se mange encore dans quelques provinces, s'appeloit ainsi parcequ'elle _craquoit_ sous la dent.] [Note 104: Ou _poupelin_. V., sur la manière dont on faisoit cette pièce de four au XVIIe siècle, notre édition du _Roman bourgeois_, p. 51, note.] _Dire des esleus de la Frelauderie._ Autre plaidé de Genevrard, advocat en la cour, parlant pour les esleuz de la Frelauderie, et disant qu'il a un grand interest pour ses parties à ce que les conclusions du procureur general ne soient suyvies, et qu'en ce faisant que ledit Mardy-Gras soit du tout dechassé de la republique et de tout le ressort de la cour, attendu que notoirement c'est contrevenir contre leurs anciens priviléges, que la cour leur a tousjours maintenus souz la liberté de conscience, en laquelle ils ne peuvent estre forcez; joint que la cour sçait très bien qu'ils sont fondez sur la prescription de temps, prescription de dix, de vingt, de trente, de quarante, cinquante et cent ans, et mesmement _extra viventium memoriam_, pour autant que ce temps est escheu depuis qu'ils se sont soustraits et emancipez de l'obeissance dudit maistre truand de Caresme et de ses autres foires, comme Vigiles, Quatre-Temps, mesmes qu'ils ont publié une assemblée pour se soustraire des autres foires appellées le Vendredy et Samedy; laquelle assemblée finie, ils sont resolus de presenter à la cour requeste aux fins que ils soient du tout distraits et absouz desdites foires appellées Vendredy et Samedy, lesquelles toutesfois, _propter scandala_, ils promettent bien de garder pour ceste fois seulement, sans tirer là consequence; soutenant pour toutes conclusions, veues les causes jà alleguées pertinentes et peremptoires, qu'il n'y a lieu que les conclusions dudit procureur general soient gardées en ce que touche et concerne le particulier de la Frelauderie, par ainsi qu'il leur soit permis de vivre à leur poste sans recognoistre ledit Caresme, et en ce faisant qu'ils puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé GENEVRARD. _Dire des malades._ Autre plaidé de Plaintignard, advocat aussi en la cour, plaidant pour les sindics des malades, fievreux, pulmoniques, catarreux et autres, disant qu'en ce que concerne aussi le particulier de ses parties, les conclusions dudit procureur general ne peuvent avoir lieu, d'autant que la cour sçait très bien et experimente elle-mesme plusieurs fois que le Caresme n'engendre que catarres, ventositez, cruditez, frigiditez, mal d'estomac, humiditez, alterations, rumes et autres telles maladies, lesquelles, par le moyen dudit Caresme, ont esté semées dans le monde pour opprimer les mortels, et qu'eux, estans opprimez et vexez de telles maladies auxquelles le Caresme est extremement contraire, ils ne peuvent pour leur regard recognoistre le royaume d'iceluy, s'ils ne veulent tout manifestement en mesme temps bastir leurs sepulchres; joint que ladite cour sçait très bien que les dispenses ne leur sont jamais esté deniées, soit au ressort de la cour ou dans le sevère et rigoureux commandement de la rude inquisition; parquoy conclut pour ses parties qu'il luy soit permis avec dispenses (lesquelles ils prendront et recevront), _propter scandala_, comme les années passées, ne recognoistre point le règne de Caresme, et en ce faisant puissent heberger ledit Mardy-Gras. Signé PLAINTIGNARD. _Dire de la confrairie de pauvreté et des Artisans._ Autre plaidé de Mequaniquois, aussi advocat en la cour, plaidant pour les chefs de la noble confrairie de pauvreté et necessité des artisans, disant qu'il ne peut escheoir lieu pour les conclusions dudit procureur general, en ce que concerne le particulier et general de ses parties, d'autant que la cour sçait très bien la necessité de ses parties, qui vivent du jour à la journée sans pouvoir faire provision comme les riches, et puis la grande cherté qu'il y a au règne de monsieur Caresme, car, estans chargez d'une multitude d'enfans, souz le règne de monsieur Mardy-Gras avec deux sols ils peuvent mieux paistre et entretenir leur affamée famille que souz le règne de Caresme avec trente sols; non pas que pourtant ils ne desirent recognoistre ledit Caresme et les saintes constitutions de l'Eglise, et ce qu'ils monstrent bien en ce qu'ils ont tousjours rejetté les seductions des ennemis dudit Caresme, qui leur vouloient faire secouer son joug par offre de leur donner cinq, dix, quinze, vingt, trente, quarante et cinquante sols la semaine d'aumosne; que mesme ils en ont seduit plusieurs, à quoy ils resisteront si Dieu plaist, moyennant aussi qu'il plaise à la cour avoir esgard à leur necessité; partant demande au nom de sesdites parties que veu qu'ils seroient pour mourir de faim s'ils estoient contraints de vivre souz les loix dudit Caresme, qu'il leur soit permis, _partim_ pouvoir heberger ledit Mardy-Gras, et _partim_ vivre souz le règne dudit Caresme. Signé MEQUANIQUOIS. _Dire et Apposition des Amoureux._ Autre plaidé de Mignotis, aussi advocat en la cour, plaidant pour les amoureux mignons, meneurs souz bras, Narcisses de villes, Adonis de rues, courtisans de boutiques, supposts de bal, muguetteurs de filles, senteurs de vesses, odorateurs de pets, rabats blancs aux sales chemises, cureurs de dents aux ventres creux, mesnagers d'amour, distillateurs de souspirs, fondeurs de larmes et autres semblables, disant que, pour le regard aussi de ses parties, il auroit un notoire grief si les conclusions du procureur general estoient suyvies par la cour, attendu qu'elle sçait bien que, pour passer ce Caresme, à cause des glaces qui ont fermez la debite de la mer, l'opulence des rivières et l'abondance des vivres, il n'y a que de vieille moulue et de vieux harans sorets et blancs, lesquels ils seroient contraints manger, et d'iceux imbiber leurs accoustremens, leurs mains, leurs cheveux, leurs nez, leurs bouches, d'où ils seroient contraints de recevoir une odeur punaise, laquelle les priveroit du doux entretien de leurs dames, du baiser de leurs favorites, du toucher de leurs amantes, et enfin du doux propos, gratemains, meneries[105], happallages[106], metonimies[107], passement de ponts, sautement de boue, montement d'escaliers, levemens de gans, prises de manchons, serremens de doigts, baisement de mains, ostentation de lèvres, et autres petites faveurs que l'amour, la privauté, la bien-sceance, la raison, le genre, l'espèce, la difference, le cognatis[108], et autres entretiens d'amour pouvoient permettre à ses parties avec toutes sortes de dames, damoiselles, filles, pucelles, vierges, damoiselles de boutiques, de chambre, de tablier, de cuisine, de garderobes et autres, d'où ils recevroient de grands dommages et interests; partant conclut à ce que ils ne soient contrains de vivre souz le règne de Caresme, mais d'heberger ledit Mardy-Gras. Signé MIGNOTIS. [Note 105: Dérivé singulier du verbe _mener_. L'on entend ici cette douce chose du commerce amoureux qui consiste à se faire partout le compagnon, le _meneur_ de celle qu'on aime. Mme de Staal (Mlle de Launay) dans ses charmants _Mémoires_, (édit. Colnet, t. 1, p. 15,) fait une très fine remarque sur les indices qu'une femme peut tirer de ces _meneries_ pour s'assurer du degré d'amour qu'un homme a pour elle. Elle parle de M. Brunet, qui, les jours qu'elle sortoit de son couvent pour aller chez mesdemoiselles d'Epinay, s'empressoit toujours de la reconduire. «Je découvris, dit-elle, sur de légers indices, quelque diminution de ses sentiments... Il y avoit une grande place à passer, et, dans les commencements de notre connoissance, il prenoit son chemin par les côtés de cette place. Je vis alors qu'il la traversoit par le milieu: d'où je jugeai que son amour étoit au moins diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré.»] [Note 106: _Hypallage_, figure de langage qui consiste à employer des mots recherchés.] [Note 107: Grand mot que Pradon croit un terme de chimie, comme dit Boileau, _Epit._ VII, v. 54, et qui est, on le sait, la figure de rhétorique qui consiste à prendre la cause pour l'effet, le contenant pour le contenu, _et vice versa_.] [Note 108: Amitiés de cousin et de cousine.] _Dire et opposition des Dames._ Autre plaidé pour les dames, comparant par Fardois, leur procureur, et par Mignardin, leur advocat, disant que, pour lesdites dames ses parties, il a un notable interest à s'opposer aux conclusions prises par le dit procureur general, pour une seule raison assez valable, et qu'il alleguera seulement, pour n'ennuier la cour, outre ce qu'il desire faire son profit et affermir son dire de tout ce qui a esté plaidé par l'advocat dudit prince Mardy Gras et par les advocats des atheismates et epicurois, et des artisans et des amoureux. C'est que la cour sçait très bien que toute leur grandeur, leur gloire, leur honneur, leur valeur, leur recherche, le desir qu'on leur a, l'affection qu'on leur porte, la cour, reverences, bonnetades, alongemens de pieds, baisemens de mains, ris en sucrez, avancemens de reins, guignemens de teste, toussemens, souspirs, tourdemens de col[109], croisemens de bras, pas de perdrix, gemissemens de torterelles, arquebusades d'amour, assiegemens de marguerites, presens, offres de bouquets, chatouillemens d'espingles, discours, alarmes, derouillement de dragée[110], bals de festes et de jours-ouvriers, compagnies de sale, de chambre, d'anti-chambre, de magasin, de cuisine, de boutique, d'arrière-boutique, de cave, de tablier, de sale, de soleil, d'ombre d'arbres, de tournoy, de cheval, de pié, de coiffure, d'empois, de pigner, d'envoys de lettres, de poulets, d'ambassades et d'assistemens en toute sorte d'affaires, de negoce, de besoin que l'on leur peut faire (sans prejudice des recherches que la mauvaise condition du temps faict touchant l'argent qu'on demande _juxta illud sine ipso factum est nihil_, et qui n'a point d'argent n'a point d'amy, et que l'argent faict chanter les aveugles, et que _ubi divitiæ ibi nuptiæ_, et que _sine Cerere et Baccho friget Venus_, et autres tels proverbes qu'aporte la mauvaistié du siècle), gist principalement en la beauté, et que la beauté ne se peut entretenir sans la bonne condition des viandes, laquelle ne peut estre aux harans sorets et merluches, et _in alias hujusmodi_, pleines de flegmes et catarres, lesquelles, au lieu de les rendre belles, les pourroient provoquer à la toux, et par consequent rendre hydeuses, et que mesmes, en l'esmotion de catarres et de toussement, se pourroit perdre l'albastre que les dames (aydans à la nature et ce qui leur est permis, _juxta illud cumulata juvant_), appliquent, approprient, engluent, lissent, aplanissent, accommodent, adjoustent et emplastrent sur leurs joues, mains, sourcils, lèvres, teint, cheveux et autres parties du corps, lesquelles (cependant que les couvertes sont au corps de garde d'Amour) font la sentinelle dehors; partant conclut, au nom des dames ses parties, qu'il leur soit permis, attendu ce que dessus, de ne recevoir le règne de Caresme, mais qu'elles puissent heberger Mardy-Gras. [Note 109: Contorsions du col que l'on fait pour regarder en sournois, ou en amoureux, ce qui est tout un.] [Note 110: Offres de dragées propres à _dérouiller_ la gorge.] _Dire des Gueux._ Autre plaidé de Pedouillas, plaidant pour les gueux, dit qu'il plaise à la cour voir ses parties, pauvres, sans support, tueurs de poux à la centeine, crieurs de misericorde sans besoin, feigneurs de jambes rompues, representateurs de faux estropiemens, bruslures, playes, hydropisie, mal de saincts, imposteurs de danses[111], deguiseurs de folies, faineans, bannis de la republique des arts, exilez de la monarquie du travail, preneurs d'où il y en a; et puis le peu de charité qui règne aujourd'huy est telle que, si la viande ne pourrit, le pain ne moisit, et l'argent ne regorge au garde-mangeoir, en la depense et en la bourse du justicier, du gentil-homme, de l'ecclesiastique, du riche bourgeois et de l'artisan commode, ses pauvres parties sont pour mourir de faim, principalement en ce Caresme, qui est survenu en un temps qu'il ne se peut pescher aucun poisson propre à faire poutage, seule esperance de ses allanguies parties; partant conclut selon le chapitre: _Necessitas non habet legem._ Ainsi signé: PEDOUILLAS. [Note 111: C'est-à-dire qui font semblant d'être atteints de la maladie dite _danse de Saint-Guy_.] _Dire du fermier de la boucherie de Caresme[112]._ [Note 112: Voy. une des notes précédentes.] Autre dire et plaidé de Faux-Poix, advocat, remonstrant, au nom du fermier de la boucherie de Caresme, que ceste année l'on luy a haussé le chevet de la ferme plus qu'on ne souloit, et laquelle il a accepté à haut pris en intention et tenant pour certain que Caresme ne comparoistroit nullement, ou que, s'il comparoissoit, ce seroit seulement _pro forma_, sans que monsieur Mardy-Gras feut chassé, et que, s'il estoit chassé, ce seroit notoirement sa ruyne et de ses petits enfants, lesquels sont en grand nombre; partant conclut que Mardy-Gras ne soit point debouté, ou en tout cas qu'il luy soit rabatu du pris de la ferme. Signé FAUX-POIX. Arrest par lequel est ordonné que les pièces seront mises pardevers la cour et au conseil du 14 febvrier an 1603. Signé LANTILLIN, greffier. Requestes, repliques, dupliques et autres pièces servant à la decision du procez, bien et meurement digerées, _Dit a esté que_: La cour souveraine des Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, a annullé, cassé, et annulle et casse la garantie par les Epicurois et Atheismates prise pour Mardy-Gras, comme estant plaine de mauvais dol contre les edicts des SS. Pères et constitutions de la vraye Eglise; en ce faisant, a banny et bannit ledit Mardy-Gras du ressort et empire de la cour pour le temps et espace de quarante et un jours, lequel temps, pour certaines causes à ce mouvantes la cour, commencera depuis la minuict du 16 de ce mois de febvrier, appellé le dimanche des Brandons, tirant à la minuict du 17 dudit mois, jusques à la minuict precisement du 30 de mars prochain, sans avoir esgard au dire du sindic des penitentiates et jeusnamites; a inhibé et deffendu audit Mardy-Gras de comparoistre pendant ledit temps en aucun lieu du ressort de ladite cour, sur peine d'estre procedé contre luy corporellement et autrement, selon qu'il est contenu aux saintes constitutions de Caresme, sans toutesfois prejudicier aux priviléges des Frelaudois en ce que concerne leur liberté de conscience alleguée, en laquelle, veu la misère du temps, pour certaines bonnes causes et raisons de peu des scandales, et jusques à ce qu'autrement en soit ordonné, la cour a maintenu et maintient lesdits Frelaudois. Bien leur enjoint de fermer la porte purement et simplement audit Mardy-Gras et ses supposts le Vendredy et Samedy, sur peine d'estre injuriés, querellés et appeliez de leur nom; particulierement l'enjoint à ceux qui ont encore quelques rays[113] du soleil de la vraye recognoissance illuminant leur ame. [Note 113: Rayons.] Et en ce que concerne les remonstrances des malades, fiebvreux et autres, ou soy-disants tels, leur a permis et permet ladite cour heberger quelques supposts de Mardy-Gras pendant leur maladie, à la charge d'obtenir dispense par le rapport des medecins, sur peine que, si le rapport des medecins n'est vray, lesdits medecins, et non iceux soy-disans malades, porteront à Pasques la penitence de l'excès commis contre la majesté de Caresme; Defendant très expressement à toute sorte, qualité, condition et sexe d'autres personnes, d'heberger ny recognoistre ledit Mardy-Gras ny ses supposts, sur les peines contenues aux saintes constitutions de Caresme, ledit temps pendant, sans prejudice toutesfois aux amoureux qui auront le moyen, de peur de la puanteur des harans et merluches, se pouvoir musquer les gands, la barbe et les cheveux et autres parties de leur corps; et à ceux qui n'ont le moyen, de garder la maison, la boutique, et n'aller aux assemblées et bals; ensemble aux dames a permis et permet de manger la matinée le petit oeuf frais sortant du cul de la poule (si tant est qu'elles en treuvent) pour entretenir leur enbonpoint; et en cas qu'elles n'en treuvent, leur donne licence, ladite Cour, feindre des mal d'estomach et dire qu'elles sont malades; pour jouyr, ce faisant, des priviléges de la maladie, et où leur petit _adjutorium_ de beauté coulast de leur visage, pouvoir saluer et parler avec tous ceux qui les accosteront sans tirer le masque[114], ou se venir à l'obscur dans quelque chambre, et jamais ne se laisser voir en autre posture; n'entendant en ceste deffense, ladite cour, avoir compris les pauvres artisans et les gens ausquels, suyvant le chapitre _necessitas_ et de _mortua charitate_, permet de se pourvoir comme ils pourront, et manger quant ils en auront et de ce qu'ils trouveront, et ce à la charge qu'ils diront le tout à leurs confesseurs à Pasques, et que, si quelqu'un voit leur marmite bouillir, ils diront et soustiendront que c'est poutage d'huille ou de beure, ou fait de legumes; et a debouté et deboute ladite cour le fermier de la boucherie de ses oppositions, mettant toutes les parties, au reste, hors de cour et de procez respectivement sans despens; et, civilisant l'action en excès pretendue par ledit Caresme contre ledit Mardy-Gras, auquel a permis et permet pouvoir disposer pendant ledit temps qu'il doit partir de la quantité de meubles, biens, ustensils et autres sortes de provisions qu'il avoit fait, croyant de devoir regner. Dit aux parties en la cour souveraine de Riflasorets, establie en la royalle ville de Saladois, ce 15 febvrier 1603. _Signé_ LENTILLIN, _greffier_. [Note 114: Sur cet usage des masques que les femmes portoient alors partout, v. notre tom. 1, page 307.] _Ordre à tenir pour la visite des pauvres honteux._ S. L. N. D. In-8. Il faut examiner s'ils sont chargez de famille, s'ils ont femmes et combien d'enfans masles et femelles, quel âge, quelle profession, ce que l'on en peut faire; si les filles sont en hazard; D'où vient la pauvreté, si par desbauche, mauvais menage, procez, faute de conduite, ou par le malheur du temps; Quelles debtes ils peuvent avoir, si l'on en peut composer avec le creancier; S'ils se peuvent restablir, et comment, estant plus seur de leur donner les choses en nature, comme de l'estoffe, de la soye, du cuir, que de l'argent. Il importe d'avoir un magazin pour les provisions et besoins necessaires aux pauvres, et des meubles et ustancils marquez à la marque de la paroisse, afin de leur donner par prest, et qu'ils ne les puissent vendre, ny les creanciers ou les proprietaires de la maison les saisir. Il faut aussi estre precautionné pour le payement des loyers, qui n'entrent point ordinairement dans les charitez des paroisses, à moins que de cause bien privilegiée; Comme aussi des voyages, qui sont tousjours suspects, Et des mariages, le plus souvent non necessaires, si ce n'est des personnes qui sont dans le peché, ou pour empescher qu'ils n'y tombent[115]; [Note 115: La philanthropie au XIXe siècle s'est davantage inquiétée du mariage des pauvres. Sous la Restauration une _association_, patronnée par la duchesse d'Angoulême, avoit été fondée à l'effet de pourvoir au mariage des ouvriers sans fortune, leur procurer gratuitement des expéditions d'actes et les pièces notariées nécessaires, etc. Aujourd'hui la _Société de Saint-François Régis_ s'est donné la même mission.] Et pareillement des pensions par mois ou par années, parce qu'elles espuisent le fond des charitez et contribuent quelquefois à la fainéantise, sous le prétexte de l'asseurance d'une subsistence ordinaire. Il est aussi très à propos de leur reserver du charbon, des chaussures et autres petits soulagemens pour l'hyver. Surtout il faut prendre garde s'ils frequentent les sacrements, s'ils sont bien instruits des principaux mystères, et particulierement les enfans, et encore plus lorsqu'ils sont en estat de faire leur première communion; S'ils couchent separément; S'ils ont esté confirmez, et mesmes les père et mère, pour leur faire concevoir l'importance de ce sacrement et les disposer à le bien recevoir. Il importe de sçavoir comment ils vivent avec leurs voisins, s'ils vivent avec bon exemple et vivent avec reputation dans le quartier; S'ils sont infirmes ou malades, pour y estre pourveu, par les charitez des paroisses; S'ils ont des filles en hazard, pour en prevenir le mal, leur procurer quelque condition, apprentissage ou retraitte[116]. [Note 116: Les jeunes filles pauvres étoient surtout placées, sitôt qu'elles avoient douze ans, dans les ateliers de dentelle de Bicêtre. V. Sauval, _Antiq. de Paris_, liv. 5, chapitre Hôpital général.--Olier, qui étoit curé de Saint-Sulpice en 1648, prenoit soin de placer en apprentissage chez les maîtres artisans les orphelins de sa paroisse. C'est lui aussi qui avoit ouvert, dans la rue du Vieux-Colombier, la maison des Orphelines. V. Monteil, _Traité de matériaux manuscrits_, t. 2, p. 5.] Il faut prendre garde aux surprises et artifices des pauvres qui veulent passer pour vrais pauvres honteux, n'estans de la qualité, ou lorsqu'ils en abusent, ce qui merite grand examen, parce qu'ils ont les aumosnes de ceux qui sont veritables pauvres. Les principales marques, et qui les doivent exclure et faire rayer du rolle, sont les suivantes: 1º Lorsqu'ils se rendent mandians de mandicité publique ou de secrette qui eclatte: car le pauvre honteux est celuy qui vit chrestiennement, qui ne peut gagner sa vie, et qui a la honte sur le front pour ne l'oser demander[117]; [Note 117: La _Police des pauvres_ de G. Montaigne, curieuse pièce des premières années du XVIIe siècle, que nous donnerons dans un prochain volume, parle de ces mendiants qui prenoient la place des bons pauvres et qu'il falloit chasser de Paris. «Il est défendu à toutes personnes de mendier à Paris, sur la peine de fouet, pour les inconvénients de peste et autres maladies qui en pourroient advenir, joint que plusieurs belistres et cagnardiers, par imposture et déguisement de maladie, prennent l'aumône au lieu des vrais pauvres, et aussi que les pauvres estrangers y viennent de toutes parts pour y belistrer.»] Et en cecy il faut seulement prendre garde au spirituel de la famille et au peril des enfans, particulierement des filles; 2º Ceux qui gagnent leur vie ou qui la peuvent gagner, ou qui ont quelque petit bien qu'ils ne sçavent pas mesnager, parce qu'autrement c'est fayneantise, dissipation ou desbauche, qui merite reprimende plustost qu'assistance; 3º Ceux qui sont soulagez par ailleurs et reçoivent assistance suffisante, comme du grand bureau[118], fabrique des paroisses[119], corps des mestiers[120], confrairies et autres compagnies de pieté; [Note 118: Le _grand bureau des pauvres_. Les bourgeois choisis par chaque paroisse pour avoir soin des intérêts spirituels et temporels des pauvres s'y assembloient le lundi et le samedi de chaque semaine, à trois heures après midi, sous la présidence du procureur général du Parlement ou de l'un de ses substituts. De cette compagnie étoient tirés les administrateurs des hôpitaux de Paris et des environs.] [Note 119: Les fabriques de paroisses, sous la présidence des curés, faisoient sans cesse acte de charité de la façon la plus efficace. Tout à l'heure nous avons parlé du curé de Saint-Sulpice; nous devons rappeler aussi celui de Sainte-Marguerite, qui, au commencement du XVIIIe siècle, adopta pour les pauvres de son église le système des soupes économiques, proposées d'abord par Vauban, conseillées par Helvétius dans son _Traité des maladies_ (1703, chapitre _Bouillon des pauvres_), puis reprises par M. de Rumfort, qui leur a laissé son nom. (Pujaulx, _Paris à la fin du XVIIIe siècle_, p. 374-375.)] [Note 120: Sur le rôle philanthropique des corporations d'artisans et sur la caisse de secours que chacune d'elles possédoit sous le nom de _Charité du métier_, V. un intéressant article de M. Louandre, _Revue des Deux-Mondes_, 1er décembre 1850, p. 858.] 4º Ceux qui ne sont domiciliez dans le temps porté par les reglements, parce qu'autrement l'on affecteroit de s'establir en la paroisse pour participer aux aumosnes, sauf s'il y avoit peril pour la religion, l'honnesteté ou scandal public: il en sera pris connoissance de cause; 5º Les religionnaires[121], s'il n'y a disposition à leur conversion, ou quelque ouverture pour l'esperer; [Note 121: Par une ordonnance du 8 mars 1712, Louis XIV ne s'en tint pas à défendre de donner des secours aux pauvres de la religion; il interdit, sous les peines les plus sévères, aux médecins et apothicaires, de continuer leurs soins aux malades qui ne se seroient pas encore confessés le troisième jour de leur maladie. _La Gazette littéraire_ du 13 janvier 1831 a donné en entier la teneur de cette ordonnance.] 6º Les catholiques qui tirent charité des religionnaires, ou qui mettent leurs enfans apprentifs chez les religionnaires; 7º Les libertins, blasphemateurs, yvrognes et desbauchez, sauf, quand ils ont leurs femmes et enfans dans la misère ou le peril, à leur pourvoir secretement et par autre voye. 8º Ceux qui ont mal usé de l'aumosne que l'on leur a donné; 9º Qui negligent de se faire instruire, qui n'envoyent point leurs enfants à l'escolle et au cathechisme de la paroisse; 10º Qui deguisent leurs noms, qui les changent, qui en prennent plusieurs, qui supposent leurs conditions, qui n'exposent pas la verité dans les billets ou lors des premieres visites que l'on fait chez eux; 11º Qui ne veulent point sortir de leur logis quand il y a des gens de vie scandaleuse; 12º Qui souffrent quelque scandal public en leur famille, particulierement quand il y a des filles; 13º Qui ne se veulent point reconcilier avec le prochain; 14º Qui ne veulent point suivre les advis de ceux qui sont preposez pour conseiller; 15º Qui font mauvais mesnage en leur famille, ou qui mal-traitent leurs femmes après en avoir esté repris, sauf à donner quelque chose à la femme en particulier si elle en est digne; Et generalement, ceux qui ne sont pas jugez dignes par la compagnie pour autre cause survenante et motive d'exclusion; Toutes lesquelles causes d'exclusion peuvent cesser neantmoins en se remettant par les pauvres en leur devoir, et satisfaisant à ce que l'on desire d'eux, ce qui depend de connoissance de cause et d'examen de l'assemblée de la paroisse. _Ordinavit in me charitatem._ _L'Anatomie d'un Nez à la mode.[122]_ _Dedié aux bons beuveurs._ S. l. n. d. In-8. [Note 122: Cette pièce a déjà été reproduite dans le _Recueil de pièces joyeuses_ mentionné par De Bure dans la _Bibliographie instructive_, t. 2, p. 40, nº 3360.] Je n'oserois, la noble troupe Qui habitez dessus la croupe Du haut mont heliconien, Parmi les oeillets et les roses Qui en tout temps y sont escloses Dans le cristail pegasien; Je n'oserois, dis-je, à ceste heure Cheminer vers vostre demeure Pour invoquer vostre secours, Et pour gouster de l'Hipocrène Le doux nectar, qui y amène Mesmes les dieux à tous les jours: Car je craindrois qu'une carcace, Une charongne, une crevace, Dont il me faut icy parler, Infectast de sa pourriture Ceste liqueur, la nourriture De ceux qui vous vont visiter. C'est un nez, mais nez de manie, Dont je veux faire anatomie Pour en oster le souvenir, De crainte que par une peste Il ne conduise tout le reste Des mortels au dernier respir. S'il y avoit quelque esperance Qu'il peust prendre convalescence, Esculape, je te prierois Le traitter; mais plustot ton ame Hipolite pour sa Diane Feroit vivre encore une fois: Car desjà un infect ozène[123] Y a fait naistre une gangrène Qui le prive de cet espoir, Et puis son odeur ne demande Que joindre son corps à la bande Qui habite au triste manoir. Il est encor bien raisonnable Que de ce nez abominable, Desjà cogneu de tous les dieux, Qui le nient pour leur ouvrage, L'horreur, et l'effroy, et la rage, Paroissent pour l'eviter mieux. Ce membre donc contre nature, Puis qu'il fait une telle injure Au plus beau corps de l'univers, Il faut l'accommoder en sorte Que l'on dise: La peste est morte Par la mort de ce nez pervers. Encor n'aura-t-il ceste peine D'esprouver, comme ceux qu'on meine Au gibet, la rigueur des fers De ceux qui font l'anatomie. Suffira pourveu que je die Ses veritez dedans mes vers. D'entre les parties integrantes Qui en ce nez me sont presentes, D'abord je descouvre une peau Douce ainsi qu'un peigne à estoupe, Molle comme d'un boeuf la croupe, Et blanche comme un vieux fourneau. Sous ce cuir il y a des muscles Qui servent à ce nez de busques[124] Mouvant ainsi qu'un elephant Fait sa trompe, ou bien, pour mieux dire, Comme sur le mast d'un navire Une girouette le vent. Au milieu est un cartilage Que la carie a par usage Troué comme est le parchemin D'un laboureur par où il passe La poussière qui se ramasse Parmy le meilleur de son grain. Des os poreux comme une esponge, Qu'un ulcère sans cesse ronge, Font de ce nez le fondement; Il a des veines, des artères, Des nerfs gros comme des vipères, Et si n'a point de sentiment. Toutes ces parties, dans leur place, Composent ceste affreuse masse, Qui en sa situation Semble se maintenir dans l'ordre Que nature aux autres accorde Dedans leur composition. Mais sa trop molasse substance, Qui paroist ainsi qu'une pance De quelque boeuf de nouveau mort Remplie de fumier et d'ordure, Monstre que desjà la nature L'a reduict à son dernier sort. De sa grandeur parler je n'ose, Car c'est la plus horrible chose A le voir quand il veut partir De sa maison pour quelque affaire, Qu'il faut ouvrir porte cochere, Et si ne peut presque sortir. Dans Meroé il se rencontre Des hommes dont le nez fait monstre[125] Autant qu'un des plus gros canons De l'arsenac; comme besaces, Les femmes jettent leurs tetaces En arrière jusqu'aux talons. Mais nez encor grand davantage, Puis que ton maistre a eu partage Avec ces monstres d'Arcadie; Lors que, faisans guerre à Diane, Leur forme fut une montagne Par leur temeraire folie. Ce nez punais n'a d'autre usage Que pour servir à la descharge Comme cloaque du cerveau, Ou bien comme une chante-pleure[126] Par où il decoule à toute heure Plus d'une bassée de morveau Au reste, ce nez poly-forme Ne peut garder aucune forme, Comme les autres, arrestée: Tantost il prend une figure, Tantost une autre qui ne dure Pas plus que celle d'un Protée. A l'un il paroist gros et large, Remply comme un nez de mesnage; A l'autre il se monstre carré, Long, plat ou rond comme une boule; A celuy-cy en bec de poule, A celuy-là tout resserré. Et, d'autant que ceste figure Fait trop de tort à la nature Par un changement si divers, Je tascheray de la descrire (Non pas que je pense tout dire En si petit nombre de vers). Nez d'Acteon, quand par mesgarde Il vit Diane avec sa garde Dedans une fontaine nue; Nez de porc, nez de Bucephale, Nez d'un monstre cynocephale, Nez fait en crouste de tortue; Nez que les pots et les bouteilles Ont peint avec plus de merveilles[127] Que n'eussent fait les Gobelins[128]; Nez qu'encor toute la vermine A gravé avec plus de mine Que les graveurs parisiens: Car les fourmis, les marivoles[129], Les areignes, les mouches-folles, Les martinboeufs, les annetons, Les cirons, les poux, les chenilles, Les morpions, vers à coquilles, Les hurbecs, les puces, les taons, Les punaises, les escrouelles, Les papillons, les sauterelles, Les janjeudis, les escargots, Bref, toutes les meres barbotes En ont abandonné leurs grotes Pour y apporter leurs efforts; Nez fait en cornet d'ecritoire, Qui sert à quelque vieux notaire Il y a plus de deux cens ans; Nez à fourbir les lichefrites, Nez à fouiller dans les marmites Et à ne laisser rien dedans; Nez encor fait comme une rève, Nez qui ne donne point de trève Aux orphelins de ton quartier, Nez fait en patte d'escrevisse. Semblable à un cornet d'espice, Nez fait en pilon de mortier, Tu serois bon aux mascarades Pour faire rire les malades En ce bon jour du mardy-gras, Car tu as desjà la figure De quelque boëte à confiture Et d'une chausse à hypocras[130]; Nez en forme de descrotoire, Nez, comme il est à tous notoire, Doux à toucher comme le houx, Net comme le penis d'un ladre, Chaud comme une pièce de marbre, Poly comme un topinamboux; Nez de citrouille, nez de pompe, Nez de citron, nez de cocombre, Nez propre à servir de boulon Pour exprimer le jus de treille, Nez fait en bouchon de bouteille, Nez de gourde, nez de melon, Nez propre à faire ouvrir la fente D'un tronc où l'on veut faire une ente[131]; Nez en coque de limaçon, En esventail de damoiselle; Nez qui serviroit de truelle Et d'oyseau[132] à quelque masson; Nez fait en trident de Neptune, Tu servirois encor d'enclume A quelque pauvre forgeron, A un vieux suisse de brayette, A un tisserant de navette, A un patissier de fourgon, De crochet à quelques bons drolles Pour porter dessus leurs espaules Bources, cottrets, fagots, rondins; Nez qui as encor bien la mine De porter le bled et farine Comme les asnes des moulins. Tu serois encor très commode Pour servir, gros nez à la mode, De seringue aux pharmaciens: Car tu trouverois à veuglette Ces trous dont ta langue en cachette A souvent frayé les chemins; Nez à embaucher une botte, Nez propre à mettre en une porte Au lieu de quelque gros marteau, Nez fait comme un vray pied de selle Dont se sert quelque maquerelle Pour descharger son gros boyau; Nez, vray comme il faut que je meure, Tu es semblable à une meure; Mais, quand je voy tous ces picquons, Tu me sembles une chastaigne Qui est encor dedans sa laine, Armée comme des herissons. Tu as encor à des morilles Du rapport par tous ces reicilles Que font les souris et les rats Sur toy, quand la nuict favorable Les fait sortir de quelque estable Pour venir prendre leurs esbats. Mais les rats ont fait des merveilles, Car ils t'ont fait cornet d'abeilles, Et, si ton maistre avoit dessein D'en loger dedans tes fossettes, Pourveu qu'elles fussent plus nettes, Il auroit tousjours quelque essein, Essein qui le feroit gros sire, Pourveu qu'il fist autant de cire Et de miel comme du cerveau Tu fournis les tiens à toute heure, Coulant comme une chante-pleure De pituite et de morveau. Mais, ô nez! tu es trop malade, Tu n'es bon qu'à mettre en salade Qu'un vieux empirique affamé Donneroit à son torche-botte, Pour esprouver son antidote, Au lieu du plus fin sublimé. Nez de crapaut, nez de vipère, Nez de serpent, nez de Cerbère, Nez du plus horrible demon Qui soit dans la troupe infernale, Nez à qui plus rien je n'esgale Pour en ignorer le vray nom. Mais d'où vient que ce nouveau monstre Sous tant de figures se monstre, Sinon que pour punition Il ait esprouvé tous les charmes De Circé, et senty les armes De toute malediction? Il est ainsi, je te le jure, Mais sans te faire aucune injure, Car je sais trop bien, nez punais, Qu'on n'en pourroit pas assez dire Pour au vray te peindre et descrire, Et qu'on n'acheveroit jamais. Encor si tu n'avois d'enorme Que cette si changeante forme, Tu ne serois si desplaisant; Mais ceste infecte pourriture, Tous ces excremens de nature Font que tu es à tous nuisant: Car là-dedans un crin de truye, Plus gluant qu'une fraische plye, Bourgeonne, comme par despit, Plus ord que celuy de Meduse Après que Neptune, par ruse, En eust pris l'amoureux deduit; Crin qui faut en chambres secrettes Arracher avec des pincettes Quand on veut ce gros nez larder, Ou bien pour y souffler de l'ambre Pour un polipe ou pour un chancre Dont on ne le sçauroit garder: Car un punais carcinomate[133] Pour ordinaire le dilate Encor plus qu'un gros limaçon, Et s'il ne peut, quoy qu'il se peine, Respirer s'il ne prend haleine Par la bouche en nulle façon. Nez qu'il faut encor que l'on sale Pour t'empescher d'estre plus sale, Et pour retrencher le chemin A la rigueur de quelque ulcère Qui te conduira à la bière, S'il en peut estre un si malin; Ulcère qui dans le visage Te ronge jusqu'au cartilage, Et tout ce qui dans le tombeau Nous laisse à descouvert la face D'une espouventable carcasse, Le changeant en terre et en eau. Nez qu'il faut remplir, pour tout dire, De ces bonnes poudres de Cypre Et de ces unguens de senteurs, De crainte que dedans le monde Le feu et l'air, la terre et l'onde, Soient infectez de tes odeurs; Mais de crainte encor davantage Que les humains ayent partage En ceste malediction, Comme desjà dedans ta race, Par une hereditaire trace Nous voyons ceste infection. O salle engeance de vipère! Pourquoy avois-tu un tel père, Lequel à la posterité Laissast le plus horrible monstre Qui dans l'univers se rencontre, Avoir tout le monde irrité? Monstre qui, s'il estoit pour vivre Longtemps, pourroit enfin produire, Par ses sales exhalaisons, Une peste au monde commune Qui blesseroit mesme la lune Et pervertiroit nos saisons. Mais, ô bon heur pour la nature! En toy comme en ta geniture Ceste peste pourra perir, Puisqu'un chacun aura la force D'eviter la punaise amorce Qui te fera bien tost mourir. Pleust à Dieu que desjà la Parque T'eust fait approcher de la barque De ce vieux nautonnier d'enfer, Afin qu'en delivrant les hommes Il y conduise tes charongnes Pour à jamais les estouffer! Aussi bien n'y a-il au monde Une Arabie tant feconde Gui produise suffisamment D'aloës, d'encens et de mirrhe, Et tous les simples qu'on peut dire, Pour te composer des unguens. Or, sus, ceste Parque infernale Se lasse que de toy on parle. Commence donc, ô nez pervers! A n'esperer plus dans ce monde Demeurer; il n'y a que l'onde Qui te conduira aux enfers. Mais je crains bien que ceste race, Quoy qu'on y ait marqué ta place, Ne t'en accordera l'entrée, Crainte que ta puante haleine Ne soit une nouvelle peine Aux esprits de ceste contrée. Ouy, l'on t'en fermera la porte; Mais une plus affreuse grote Qui se rencontre en l'univers Est preparée pour ta demeure, Où tu souffriras en une heure Plus qu'en mil ans dans les enfers. [Note 123: Ulcère du nez putride et fétide. (_Dict. de Furetière._)] [Note 124: Le _busque_ étoit un treillis dur et piqué que les tailleurs mettoient au bas des pourpoints pour leur donner plus de fermeté.] [Note 125: C'est-à-dire a de l'_apparence_, du _volume_.] [Note 126: Sorte d'arrosoir dont l'eau s'échappoit avec un bruit agréable. De Cailly fut un jour fort tourmenté au sujet de l'étymologie de ce mot. Il s'en vengea par cette épigramme: Depuis des jours on m'entretient Pour savoir d'où vient _chantepleure_. Au chagrin que j'en ai, j'en meure! Si je savois d'où ce mot vient, Je l'y renverrois tout à l'heure.] [Note 127: Dans les _Joyeusetez_ publiées par M. Techener se trouve une pièce où le mauvais état d'un nez pareil à celui-ci est aussi reproché aux vendeurs de vins frelatés: . . . . . . . . . . . . . . . . . Par taverniers brouilleurs de vins Gros bourgeons avons entour nez; Ce sont biens que nous ont donnés Les taverniers en leurs buvettes. Voyez nos nez bien bourgeonnez. N'en reste plus que les cliquettes.] [Note 128: Ils faisoient déjà merveille, surtout pour la teinture rouge, un demi-siècle avant l'époque où cette pièce dut paroître. Dans son ode XXIe, Ronsard avoit pu vanter: ... Le riche accoustrement D'une laine qui dément Sa teinture naturelle Espaisse du Gobelin, S'yvrant du rouge venin Pour se desguiser plus belle.] [Note 129: Mouches de marais.] [Note 130: C'est ce que Taillevent appelle le _couloir_ dans lequel on mettoit le vin et tout ce qui composoit l'hypocras. «Et le pot dessoubs, dit-il, et le passez tant qu'il soit coulé, et tant plus est passé et mieux vault, mais qu'il ne soit esventé.»] [Note 131: Greffe.] [Note 132: Ce qui sert à porter le mortier. Cet outil s'appelle ainsi à cause de sa forme, et parcequ'on le porte comme des _ailes_ sur le dos. Vigneul-Marville a employé ce mot dans ses _Mélanges_, t. 3, p. 278.] [Note 133: Pour _carcinome_, cancer.] _Extraict de l'inventaire quy s'est trouvé dans les coffres de M. le chevalier de Guise, par madamoiselle d'Antraige et mis en lumière par M. de Bassompierre. Avec un brief catalogue de toutes les choses passées par plusieurs seigneurs et dames de la cour, le tout recherché et escript de la main dudict defunct et presenté aux amateurs de la vertu._ M.DC.XV., in-8[134]. [Note 134: Cette pièce doit être rangée dans un genre de facétie que ce bon Palaprat, qui sans doute n'avoit pas même lu Rabelais et son chapitre de la _librairie de Saint-Victor_, crut avoir inventé au XVIIe siècle. (V. ses _oeuvres_, Paris, 1712, in-12, t. 1, p. 278-279.) C'est un de ces catalogues de _livres imaginaires_ sur lesquels M. P. Jannet, sous le pseudonyme de Hænsel, a publié dans le _Journal de l'amateur de livres_ (1er septembre 1848) un très curieux article, que nous avons cherché à compléter dans une lettre publiée par le même journal au mois de janvier 1850. La pièce que nous reproduisons est si rare qu'elle nous échappa alors, ainsi qu'à M. G. Brunet, qui avoit le premier donné un petit supplément à l'article de M. Hænsel dans le numéro du 1er décembre 1848 du journal déjà cité.] ET PREMIÈREMENT, Un traicté de la bonne inclination des bastars, desdié à M. de Vandosme, par le comte d'Auvergne[135]. [Note 135: César, duc de Vendôme, étoit, comme on sait, fils naturel de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées (V. notre t. 2, p. 253), et le duc d'Angoulême bâtard de Charles IX et de Marie Touchet.] Dialogue de la commodité des ongres, entre la comtesse de Vignoyts et la ravigrave, desdié à M. le comte de Curson[136]. [Note 136: Gentilhomme de la maison de Foix. V. sur lui un vers des _Contreveritez de la Cour_ dans notre t. 4, p. 343.] Discours appoliticque, composé par Unisans, secretaire de M. le marechal d'Ancre, par lequel il veut prouver que la cagade faicte par son maistre a esté un violent effort de sa valeur, qui a despravé les functions de la vertu restringente, et non la foire de la prehension, comme veulent dire quelques medisans, desdié au dict sieur mareschal. La vie de Charles le Simple avec les traictez des commoditez de l'ignorence, composé par M. de Souvray[137] pour servir d'instruction au roy. [Note 137: Gilles de Souvray, marquis de Courtanvaux, maréchal de France, gouverneur de Louis XIII.] Le pouvoir, faculté et vertu de l'engin de l'homme, trouvé aux registres du feu duc de Rais[138], et par luy desdié à la royne Catherine de Medicis, mis en lumière et faict imprimer aux despends du roy par le marechal d'Ancre. [Note 138: Albert de Gondi, duc de Retz, maréchal de France. Il est souvent parlé de lui et de sa femme, Catherine de Clermont, dans la _Confession de Sanci_.] Discours du procez intenté par devant les dames de la cour, d'un certain François, demandeur en requeste, tendant aux fins que soient faictes deffenses à tous les estrangers[139] de ne labourer les jardins des dictes dames, ny semer de leurs graines, veu les parties naturelles des François, avec l'arrest des dictes dames par lequel il est dict que les parties produiront leurs pièces par devant elles, pour icelles veues, visitées et meurement considérées, faire droict ainsi que de raison. [Note 139: Les Italiens de la suite du marquis d'Ancre, _Coglioni di mila franchi_. V. notre t. 4, p. 25.] Remonstrance faicte à la royne par madame d'Ancre sur le peu d'utilité qu'il y a d'employer les petits engins aux grandes et profondes affaires, tendant à ce que Bassompierre ne soit admis à ceux[140] du cabinet. [Note 140: C'est-à-dire aux _affaires_. C'étoit alors un mot masculin. V. notre t. 1, p. 133, note.] L'usage des casaques à deux envers[141] avec leurs utilitez et manière de s'en servir, composé et imprimé aux despens de M. le duc de Vandosme, desdié à la royne. [Note 141: La casaque étoit aux couleurs, à la _livrée_ du parti qu'on suivoit, mais faite de telle sorte que, si, après la défaite du parti, il devenoit dangereux de la porter, l'on pouvoit la retourner sans qu'il parût qu'elle fût à l'envers. M. de Vendôme, l'un des esprits les plus changeants de ce temps-là, tantôt pour la reine, tantôt pour les princes, avoit une casaque de cette espèce. «Il falloit, dit Le Laboureur, vaincre ou mourir, ou bien devestir cette casaque, ce qui arrivoit assez souvent, ou pour arrester les fâcheuses suites d'un évenement sinistre, ou bien cela se faisoit pour eviter la honte et l'infamie d'une lasche action; ce qui pourroit bien avoir donné origine à l'expression proverbiale: _Il a tourné casaque_, laquelle se dit aujourd'hui de ceux qui changent de parti.» _De l'origine des armes_, Lyon, 1658, in-4, p. 8.] La façon de prendre la place par derrière, de M. de Brissac[142], dedié aux beaux esprits de ce temps. [Note 142: Ceci tendroit à nous donner sur les moeurs du maréchal de Brissac des soupçons qu'un passage de l'_Inventaire des livres de M. Guillaume_, mal compris par Le Duchat, nous avoit d'ailleurs suggérés déjà: «Une consolation à M. de Brissac sur la mort de sa femme, par le vidame de Chartres.»] Comparaison en forme de parabolle de maquerellage et de l'art militaire, desdié à M. de Lavarenne[143], et composé par Bonneuil[144]. [Note 143: Le fameux La Varenne, qui, de cuisinier, étoit devenu marquis, conseiller d'Etat et gouverneur de La Flèche, le tout grâce à ses obligeants services de proxénète, ce qui faisoit dire qu'il avoit plus gagné à porter les _poulets_ du roi qu'à les piquer.] [Note 144: René de Thou, seigneur de Bonneuil, introducteur des ambassadeurs. V. Blanchard, _Eloges des présidents à mortier_, et notre t. 4, p. 341.] Paradoxe par lequel il est prouvé que les ladres n'ont point d'autre commodité que l'incommodité en ceste vie, composé par Plainville et desdié à M. de Rostin[145]. [Note 145: Il est appelé M. Le Rostein dans la facétie du même genre que celle-ci qui a pour titre: _Bibliothèque de Mlle de Montpensier_. On y met sous son nom un livre dont le titre: _Les lamentations de saint Lazare_, est loin de démentir ce qu'on lit ici. Il paroît décidément qu'il étoit lépreux.] La comedie de ma commère, représentée de MM. les princes retirez de la cour, en faveur du president de Thou. Discours de patience, dicté par Mme de Longueville[146] et dédié à la marquise d'Ancre. [Note 146: Catherine de Gonzague de Clèves, mariée en 1582 à Henri d'Orléans, duc de Longueville, morte en 1629, âgée de 61 ans.] Traicté des plus emerveillables coups de plume et de rabots[147] que les predecesseurs de Conchine et de sa femme ont donné pour le service de la republique du duc de Florence, avec l'arbre et genealogie, le tout fidellement extraict par Dolé et dedié au seigneur Jean de Medicis. [Note 147: Le père de Concini était menuisier.] Les moyens de bastir superbement et solidement avec la cire, sans crainte d'autres chaleurs au soleil que celuy de justice ne luit point sur nostre orison, par le chancelier de Sillery[148], dedié aux ouratiers[149] de la chancellerie. [Note 148: Nicolas Brûlart, marquis de Sillery, garde des sceaux depuis 1604. V. notre t. 2, p. 133.] [Note 149: Lisez _couratiers_, _courtiers_.] L'invention, sans magie, pour faire parler les morts, par MM. les secretaires d'Etat, dedié aux thresoriers de l'espargne. Charme du scilence, apporté du sabat par la Dutillet[150], de l'an mil six cens dix, au duc d'Espernon, pour s'en servir en temps et lieu. [Note 150: Dame galante et fort intrigante. Il est parlé d'elle au liv. 2, chap. 1, de la _Confession de Sanci_, et d'Aubigné la nomme au chap. 16 du _Baron de Fæneste_. Ce _Charme du silence_, qu'elle donne en 1619 à M. d'Epernon, n'étoit pas sans utilité pour lui, puisqu'on l'accusoit de savoir la vérité sur l'assassinat de Henri IV, et puisqu'il sut trouver le moyen de ne pas la dire.] Articles secrets de l'alliance d'Espaigne, dedié à Messieurs de la religion. Comparaison des grands exploits faicts en la mer Méditerranée par le general des galeres avec ceux de M. l'amiral en la mer Oceane, dediez à M. de Villars[151]. [Note 151: Honorat de Savoie, marquis de Villars, avoit eu la charge d'amiral après l'assassinat de Coligny. Il n'y fit pas merveille, et la comparaison indiquée ici n'étoit certainement pas à son avantage.] Un traicté de la furie, et description par le comte de Brissac, avec un discours des commoditez des calottes, dedié à la Margellette. Discours sur l'appareil que le marquis de Marigny, Chateauneuf de Bretaigne, Silly[152] de Normandie, Mailly de Picardie, et plusieurs autres, font pour aller à Saint-Mathurin[153], pour estre guaris du mal de teste, desdié au mesme. [Note 152: Henri de Silly, comte de Rochepot.] [Note 153: Patron des fous.] La vie de Ludovic Sforce, composée par Peronne, desdiée au duc d'Espernon[154]. [Note 154: Ceci donnerait à penser qu'on soupçonnoit M. d'Epernon de vouloir tenter contre Louis XIII ce que Ludovic le More n'avoit essayé qu'avec trop de succès contre son neveu Galeas Sforza, mort empoisonné par lui le 21 octobre 1494.] Les exemples de la bonne foy du president Jeannin, à recueillir du traicté par lui faict avec le feu duc de Biron[155], desdiez à MM. les princes retirez de la cour. [Note 155: Le président Jeannin et le chancelier de Sillery avoient fait en 1601 le traité avec le duc de Savoie, et l'on disoit qu'en même temps qu'ils traitoient avec ce prince pour le roi, ils traitoient aussi en secret pour le maréchal de Biron, qui en effet trahissoit alors la France au profit de la maison de Savoie.] Un traicté de la difficulté qu'il y a d'arrester les faucons hagards et leur faire revenir sur un vieux lièvre, par le sieur baron de la Chasteneraye, dedié à Roquelaure[156]. [Note 156: Antoine de Roquelaure, fait maréchal de France en cette même année 1615. Il avait 71 ans, mais c'étoit pure calomnie de comparer ce vieux brave à un vieux lièvre.] La vie du feu connestable Saint-Paul[157] dediée au vieux mareschal de Bouillon[158], pretendu vice-connestable de France, composée dans la Bastille par le comte de la Roche, escript en parchemin rouge. [Note 157: Celui que Louis XI fit décapiter.] [Note 158: Henri de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, étoit soupçonné d'avoir des relations avec les princes d'Allemagne.] L'enfantement des montagnes, composé par le duc de Savoie, desdié aux princes. Discours secret de l'amitié de M. d'Espernon vers son fils de la Vallette, avec une remonstrance aux bons pères en faveur des enfants obeissans[159]. [Note 159: Le duc d'Epernon avoit, en 1611, refusé son consentement pour le mariage de son second fils, le marquis de la Valette, avec la fille du maréchal d'Ancre. Ce fils, qui étoit très jeune, et par conséquent très porté à l'obéissance pour de tels ordres, épousa, onze ans plus tard, la fille de Henri IV et de la marquise de Verneuil.] La louange de la chasteté et pureté de la vie, composée par l'evesque de Rieuls et dediée à la royne Marguerite. Complainte de la Saguoine sur l'inconstance des hommes, dedié au baron des Termes[160]. [Note 160: César Auguste de Saint-Lary, baron de Termes, avoit pour maistresse une fille de la reine, nommée la Sagonne, avec laquelle il fut trouvé couché. La reine chassa la Sagonne, et peu s'en fallut qu'elle n'obtînt du roi qu'il envoyât M. de Termes à l'échafaud.--Ce nom de la Sagonne cache Diane de la Marck, femme en troisièmes noces de Jean Bahou, comte de Sagonne.] Le Boittelette du beau Mortemart[161] dedié aux hermaphrodictes. [Note 161: Il est aussi parlé de lui à l'art. 62 de l'_Inventaire de la bibliothèque de maître Guillaume_.] La promptitude Liverit, dedié à La Ferté[162]. [Note 162: Gouverneur de Chartres, qui avoit mis en effet assez de promptitude à livrer la place.] Apologie du Cel Castel contre ceux quy denient que M. le prince de Condé soit legitime, dedié à la memoire de feu M. le comte de Soissons[163]. [Note 163: Frère puîné du prince de Condé, dont la légitimité est ici mise en doute. Il étoit mort en 1612.] Histoire du malheureux advènement causé par l'adultaire, composé par la comtesse de Limours[164], et dedié à Mme de Vilars[165]. [Note 164: Femme de ce comte de Limours qui, selon les _Contrevéritez de la cour_ (v. notre t. 4, p. 341) avoit si mauvaise mémoire. Les actions de Mme la comtesse ne semblent pas avoir été de celles dont il fût bon de se souvenir.] [Note 165: Soeur de Gabrielle d'Estrées, pour laquelle Henri IV eut un penchant passager. V. Sauval, _Galanteries des rois de France_, 1731, in-12, t. 2, p. 354.] Le merite qu'il y a de se contenir en viduité, escript par Mme de Marmoutier et dedié à Mme de Guise la Doriere[166]. [Note 166: La _douairière_.--C'est la même qui fit beaucoup parler d'elle, pendant son veuvage, à cause de son commerce avec M. de Bellegarde. Le 55e article de l'_Inventaire des livres trouvés en la bibliothèque de M{e} Guillaume lui est consacré_: «Trois livres enseignants de conserver sa virginité devant et après l'enfantement, par Mme de Guise, dédiés à Mme de Vitry.»] Le miroir de la chasteté des dames de ce temps, composé par Mme de Santiny et dedié à Mme la duchesse de Seully. La louange de la fidelité conjugalle, par le comte de Chiverny[167] et dedié au comte de Grammon[168]. [Note 167: L'auteur des excellents _Mémoires_ souvent réimprimés. Je l'aurois cru exempt de ces sortes de malheurs.] [Note 168: Philibert de Grammont, second mari de la belle Corisandre d'Andouins, l'une des plus célèbres maîtresses de Henri IV.] La piteuse et deplorable avanture d'Acteon, mangé par les chiens après avoir esté metamorphosé par Diane en forme de cerf, composé en vits françois par Madame la fouteuse de Balaigny[169] et dedié à la memoire de son mary. [Note 169: Diane d'Estrées, soeur de Gabrielle, seconde femme de Jean de Montluc, seigneur de Balagny, maréchal de France.] Poeme tragique de Landry et de la royne Fredegonde, composé par la marechalle d'Ancre, et dedié à la royne. L'art honneste de petter, pratiqué et composé par le president Duret[170], dedié à M. de Roquelaure. [Note 170: Duret de Chevry. V. sur lui notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, p. 147.] Veritable discours du poëte de Marseille et de sa vie, mis en lumière par Madamoiselle de Vitry, quy dit l'avoir assisté à tous les merveilleux traits de son mestier. Les excellents et doctes sermons du cardinal de Sourdy[171] desdié à un Marguillier de Sainct-Germain-de-l'Auxerroy, par l'advis du cardinal de Bousy[172]. [Note 171: V. sur les moeurs de ce prélat notre t. 4, p. 340. C'est avec intention qu'on fait dédier ses sermons à un marguillier de Saint-Germain-l'Auxerrois. L'hôtel de Sourdis étoit proche de cette église; il avoit donné son nom à une petite impasse qui ne vient que de disparoître.] [Note 172: Celui qui avoit négocié le mariage de Henri IV et de Marie de Médicis.] Consolation à la comtesse de Sansay, faicte par M. du Maine, sur la mort de M. Balaigny. Quatre livres des commoditez, profits et utilitez qu'on reçoit d'avoir deux femmes en un mesme temps, avec la louange d'elles-mesmes. Un livre de clemence, par M. d'Espernon, si vieux, et si effacé qu'on n'y voit rien, dedié aux Provençaux, avec un discours, à la fin du livre, où il refute l'opinion des poëtes. Les inimitables grimasses du chevalier de Silly, dedié aux jeunes gens de la cour. Trois tomes escripts par le mareschal de Biron, le premier traictant du depvoir des subjects envers leur prince; le deuxiesme, de la recompense des loyaux serviteurs; le troisième, de la prudence qu'on doit avoir pour se comporter finement, dedié au comte d'Auvergne. L'apparition de Saincte Gertrude à Madame l'abbesse de Maubuisson[173] estant au mal d'enfant. [Note 173: Angélique d'Estrées, autre soeur de Gabrielle.] Un Italien incogneu En France tout seul est venu N'ayant aucune compagnie; Mais en France s'est bien trouvé, Estant fort bien envitaillé Pour resjouir sa grande amie. Il a fort bien faict ses affaires Et a gaigné de grands thresors. Car, se donnant de grands efforts, Soubs luy tout le monde faict taire. Tous les thresors qu'il a conquis C'est par fraude et par piperie; Il a gaigné, par mon advis, Pour faire duchesse sa fille. Il n'y a François au monde quy ait l'esprit tel comme ceste nation estrangère, car les plus beaux esprits de la France, en telle part que ce soit, ne sçauroit si bien bastir sa fortune en estrange pays comme fait une quantité de race coyonnesque quy se bastissent incontinent au naturel des vrais François; ils leur veulent faire accroire qu'ils sont meilleurs que ne sont les naturels du pays, encore qu'ils feussent de Sainct-Denis ou d'Aubervillier, et veulent dire comme les bonnes femmes de Paris, Aubervillier vaut bien Paris, choux pour choux. _Les nouvelles admirables lesquelles ont envoyées les patrons des gallées qui ont esté transportez du vent en plusieurs et divers pays et ysles de la mer, et principallement ès parties des Yndes. Et ont veu tant de diverses nations de gens et de bestes que c'est merveilles. Desquelles la declaration appert en ces presentes lettres. Escriptes en la cyté d'Arjel, le VIe jour de may[174]._ [Note 174: Nous devons la communication de cette pièce très curieuse à l'obligeance de notre ami M. Charles Livet, qui l'a copiée avec le soin le plus minutieux sur l'exemplaire, sans doute unique, que possède la bibliothèque de Nantes. Elle est imprimée en gothique, in-8, sans pagination. Au verso du premier feuillet, où le titre se trouve, l'on voit une grossière gravure à sept personnages, dont un assis au milieu sur un siége surmontant une estrade à deux marches. Le même frontispice, nous dit M. Charles Livet, se trouve en tête de la pièce intitulée: _L'Entrée du roy à Romme_ (du mercredi dernier décembre 149.). Le dernier chiffre ne s'y trouve pas, mais il faut lire 1494, car il s'agit de l'entrée de Charles VIII dans la ville des papes, le 31 décembre de cette année-là. M. Livet pense que la pièce qu'il nous communique est du même temps, et je partage cet avis. C'étoit le moment de la première et de la plus vive curiosité qu'avoient dû exciter les voyages et les découvertes de Colomb; il devoit courir par toute l'Europe, au sujet de cette entreprise, aux incroyables résultats, beaucoup de petits livrets du genre de celui-ci, dans lesquels l'imagination populaire, remplie d'idées singulières touchant l'existence de tout un monde fabuleux, trouvoit moyen de renchérir encore sur ce que la réalité étaloit de merveilles. M. Brunet cite, dans le _Manuel du libraire_ (t. 3, p. 111), une pièce qui montre avec quelle avidité la curiosité du peuple se fit partout un appât des nouvelles qui venoient de ce monde récemment découvert. C'est la traduction que Giuliano Dati fit en vers italiens de la première lettre latine par laquelle Colomb annonça au monde ancien le monde nouveau, M. Libri, qui possédoit cette pièce très rare, dont voici le titre. _La lettera (in ottava rima) dellisole che ha trovato nuovamente il re dispagna_, etc., pense qu'on la chantoit dans les rues. Quadrio, _Storia e ragione d'ogni poesia_, Milano, 1739, in-4, t. 4, p. 48, en parle, mais lui donne à tort la date de 1495, au lieu de celle de 1493. Le récit, fait aussi sous forme de lettre, que nous donnons ici, fut peut-être inspiré par le même événement; seulement, ne tirant point comme l'autre ses faits d'une lettre du grand navigateur, il est complétement fabuleux, comme ceux qui couroient depuis long-temps sur les pays gouvernés par le prêtre Jean. Quelques noms de lieux qui ont la prétention d'être des noms espagnols prouvent toutefois qu'il peut s'agir ici des pays que Colomb découvrit et baptisa pour le roi d'Espagne.--La _cyté d'Arjel_, d'où la lettre est datée, doit être la cité d'Alger.] Nos très chiers et parfaictz amys seigneurs de Porion et de Saint-Germain, frequentans la mer en la region occidentalle, nous nous recommandons à vous et à tous noz amys de par delà, vous faisans savoir que depuis nostre partement à la fortune des vens, nous avons esté transportez en plusieurs pays et ysles en la mer. Et premièrement en l'ysle de Coquelicaris, où les hommes sont de merveilleuse figure et sont bonnes gens. Ilz nous ont consolez et confortez en leur langaige, qui est bien estrange. Et ont le stature de grandeur environ comme geans; leurs yeulx esclèrent la nuyt comme torche, et voyent plus de nuyt que de jour; le nez long de trois piez et la barbe longue jusques à terre, verte comme pré; la queue comme ung lyon, et mengent ung mouton à l'heure. Ils boivent, le jour, la mer sallée, et, la nuyt, chascun bien douze potz de vin; ilz sont de telle nature que ils s'endorment par l'espace de trois jours et trois nuytz, et, quant ilz sont reveilliez, ils font ung si grant et si horrible cry qu'on les orroit braire de quatre à cinq lieues; ilz tyrent à la charue comme chevaulx et font leur labour sans ayde de bestes. Leurs femmes sont petites comme nayns et ont deux queues, et sont vestues de peaulx de garapotz, qui sont grandes bestes comme beufz; la teste longue de six piez, le corps comme ung cerf et à six piedz, ceulx de devant comme griffons, ceux du parmy[175] comme ung beuf, et ceulx de derrière comme ung lyon; le poil jaune, vert, noir et blanc, et long de trois piez. [Note 175: Milieu.] _Item_, les cocqs portent laine vermeille de quoy on fait les draps fins, et sont grans comme grues, la creste blanche et longue d'une aulne, et au bout la dicte creste a une pierre si excellente qu'on ne la sçauroit estimer: car l'hostel où les dictz coqs seront, le tonnoire, l'escler, la fouldre ne la tempeste n'y pourront faire aucun mal, pour la grant vertu et dignité de la dicte pierre. Ilz ont le bec large comme une becque, et les fault tondre tous les moys, et les dictz coqs et poulies chantent tousjours ensemble si trez melodieusement qu'ilz endorment les gens: car il semble que soient luz[176] et harpes de ouyr leur chant. [Note 176: Luths.] Les poulles sont perses[177] comme azur et n'ont point de plumes, si non en la queue, qui est blanche et comme miroer de paon, et ponnent les oeufz tous cuytz, pour la grant chaleur qui est en eulx, et est bonne et excellente viande; et qui les veult mengier clerez, il les convient mettre en eau chaulde. [Note 177: C'est-à-dire d'un bleu vert.] _Item_, avons esté en une aultre ysle nommée l'ysle de Hude-Fridaga, où les femmes ont deux couillons[178], et sont moitié noires et moitié blanches, et filent la soye le plus excellentement que jamais on sçauroit veoir. Les hommes ont les cheveulx trainans jusques en terre et sont jaunes comme fil dor, et ne font rien, ne aussi ilz ne veulent rien faire, sinon danser, ryre et galler. [Note 178: Dans les _Prodiges de l'Inde_, manuscrit cité par M. Berger de Xivrey, à la p. 117 des _Traditions teratologiques_, il est parlé de femmes barbues qui ont douze pieds de haut et portent une corne au nombril.] En la dicte ysle a une manière de bestes qu'on appelle opy loripha, grosse comme ung tonnel, et est toute ronde, le poil blanc, jaune, noir et vert; le col long bien dix aulnes, et a la teste comme une gargouille. Elle gette feu par la gueule, qui sent le souffre, especiallement quant il tonne, et se resjouyst tant du tonnoirre qu'on l'orroit braire et crier de plus de sept lieues. _Item_, en l'ysle de Sosorogo, qui est grande, en la quelle nous avons esté bien l'espace de trois sepmaines, et est auprès du pays d'Albanie, merveilleuse cyté et grande près de Alexandrie, où madame sainte Catherine fut née et où les marmotz sont. En ceste dicte ysle les vaches n'ont point de cornes ne de queue, et semblent estre painctes, et le laict quelles donnent semble estre vin blanc, et est aussi bon que l'on sçauroit trouver, et sont tonsées deux fois l'an, et de la laine qu'elles portent on en fait ces draps de veloux blanc. _Item_, les chièvres ont le laict si aigre qu'il ne sert que de verjus ou de vinaigre. Les moutons ont sept cornes[179] et deux testes et la laine verte, et n'est loup qui en puisse approuchier, tant sont courageux; ilz sont grans comme asnes et ont la queue comme ung lyon. En ceste dicte ysle, les gens sont vestuz de peaulx de pyrelmogues, qui est une beste de la grandeur d'un chat et de longueur demye aulne; le poil de la couleur au col d'un mallart, la teste comme ung synge, la queue comme une marmote blanche, et est très excellente penne[180]; elle conserve et garde une personne de plusieurs maladies, mais on n'en peut avoir ne pour or ne pour argent, tant est precieuse la penne de ceste dicte beste. [Note 179: Dans le précieux volume in-4 gothique possédé par la Bibliothèque impériale: _Prestre Jehan à l'empereur de Rome et au roy de France_, il est aussi parlé d'animaux à sept cornes. M. G. Duplessis a publié cette légende, d'après les meilleurs textes, à la suite de _la Nouvelle fabrique des excellents traits de vérité_, Biblioth. elzevirienne, Paris, P. Jannet, 1853. M. Ferdinand Denis en avoit déjà donné un bon texte dans son petit volume: _Le Monde enchanté_, Paris, 1843, p. 376.] [Note 180: Sans doute pour plume.] _Item_, en l'ysle de Tapilomugan, qui est auprès de Arcusie et de Samarie, où les enfans mangent leurs pères et leurs mères quant ilz sont anciens; et est auprès du mont Ostrac, où les oliphans[181] et les griffons[182], sont, qui se combatent aux hommes du pays et leur font grande guerre, et de l'autre part le pays où les hommes vivent de l'odeur d'une pomme. [Note 181: Les _éléphants_. Voir la légende de _Prestre Jehan_ citée plus haut, et les _Traditions teratologiques_ de M. Berger de Xivrey, p. 407.] [Note 182: Dans la légende de Prestre Jehan, les griffons sont des oiseaux qui peuvent, en effet, aller de pair avec les _oliphans_: «Ils portent bien ung beuf ou un cheval en leur nid pour donner à manger à leurs petiz oyseaulx.»] En ceste dicte ysle a une rivière grande qui descent dedans le fleuve de Eufrates, lequel vient de paradis terrestre[183], où l'on pesche des anguilles de quatre cens piez de long, et saillent hors de la rivière pour ouyr le son de la loure[184], et en la dicte rivière n'ose aller aucun navire où il y ait point de fer, car les pierres qui sont au fons le saperoient et tireroyent au fons[185]. En ceste dicte ysle a des oyseaulx grans comme oes, et, quant ilz sont nourriz et quils peuvent voler, le père et la mère en chassent une partie, et par dueil qu'ils ont ils volent si hault que le soleil les cuyt et tue[186]; et puis quant ils sont cheuz on les menge, et est très bonne viande, et en y a si grant nombre quilz en sont au dit pays tous reffais. [Note 183: V. aussi, pour une rivière qui descend «de Paradis terrestre et est appelée Syon», le livre de _Prestre Jehan_.] [Note 184: Sorte de musette qui avoit donné son nom à une danse grave dont elle régloit les mouvements.] [Note 185: Tradition orientale qui se trouve dans les _Mille et une Nuits_ (histoire des Trois Calanders).] [Note 186: C'est ce qui arrivoit au phénix, d'après la légende de Prestre Jehan: «S'en monte vers le ciel sy près du soleil, tant que le feu se prent à ses helles, et puis descend en son nid et se art.»] _Item_, au mont de Tripho, en la partie orientalle, nous avons veu ung chasteau fait d'esquailles de gouffiques et une roche de fin or d'un costé, et d'autre costé tout de cristal; de la quelle montaigne on ne voit point le couppel[187], et de grosseur tout entour deux lieues, et au couppel de cette dicte roche a un oysel que est plus grand que six griffons[188], le quel mengue tous les jours de trois à quatre beufz; et n'est homme qui se osast trouver sur terre en ces contrées à l'heure de sept ou de huyt, qu'il va repaistre; et, quant vient environ neuf heures, il s'en va à son dit lieu, et tout le jour il chante si haultement et si melodieusement que on l'ot de plus de 25 lieues, car il resonne son chant si treffort que tous les autres oyseaulx de tout le dit pays laissent à chanter, et chacun oyseau se mussent pour la crainte et tremeur du dit oyseau. Ce dit oyseau est appelle pypharaum. Les oeufs qu'il pont sont gros comme ung baril, et ne les peut-on casser, et semble qu'ilz soient paingtz de toutes couleurs. Trois ou quatre fois la sepmaine il volle en l'air; il a les yeulx si très reluisans que il semble estre feu, et est aucunes fois bien quatre heures sans revenir. En l'air est pour regarder où il prendra sa proye; il n'espargne foible ne fort; il se boute plainement en la mer pour prendre le poisson, et s'il treuve une balaine il la mettra à mort. [Note 187: _Coupeau_, sommet.] [Note 188: Dans la zoologie fantastique de tous les peuples se trouve un oiseau gigantesque comme celui dont on parle ici. Les Indiens ont le _garouda_, les Arabes ont le _rokh_, dont les _Mille et une Nuits_ content tant de merveilles. «Un jour, lit-on dans la 74e nuit, il s'abattit sur un rhinocéros qui venoit d'éventrer un éléphant d'un coup de corne, et il emporta dans ses serres le vainqueur et le vaincu.»] _Item_, au pied de la dicte roche a dix grans chasteaulx, lesquelz sont tous faitz de pierres precieuses, et y a des femmes qui les gardent; et en chacun chasteau a sept grosses tours, et en chascune tour a un grand serpent de diverses couleurs, et moult merveilleux, et dit-on que ces sept serpens signifient les sept pechiez mortelz qui guerroient les dix commandemens que les dictes femmes gardent. _Item_, nous avons esté en une autre ysle nomée Vulfephaton, en la quelle a une rivière qui descend au fleuve de Gyon[189] qui vient de paradis terrestre, et en ceste dicte ysle ne hante que femmes; on ne les peut congnoistre d'avec les hommes, tant sont vaillantes en guerre. Et auprès a une autre ysle qu'on appelle Tripongalagan, et fault qu'ils passent une rivière qu'on appelle Magrouffa quant ilz veulent habiter aux femmes, et se les femmes enfantent ung filz masle, elles l'envoient demourer avec les hommes; se c'est une fille, elles la tiennent et la nourrissent, et lui ardent la mamelle dextre, affin, quant elles sont grandes, quelles puissent mieulx courir la lance, car elles guerroient mieulx que les hommes[190]. [Note 189: Celui qui est appelé Syon dans la légende de Prestre Jehan, et dont nous avons parlé dans une de nos précédentes notes.] [Note 190: C'est l'éternelle fiction des Amazones, qui a parcouru toutes les régions. Selon M. de Humboldt, «elle appartient au cercle uniforme et étroit de rêveries et d'idées dans lequel l'imagination poétique ou religieuse de toutes les races d'hommes et de toutes les époques se meut presque instinctivement.» (_Histoire de le géographie du nouveau continent_, t. 1, p. 267.)--Dans le _De monstris_, reproduit par M. Berger de Xivrey dans ses _Traditions tératologiques_, les Amazones apparaissent aussi sous le nom d'_Androginæ_, telles que les avoit représentées Pline (liv. 7, chap. 11), telles qu'on les voit ici. La légende de _Prestre Jehan_ en parle aussi: «Et sachez qu'elles se combatent fort, comme si elles fussent hommes; et sachez que nul homme masle ne demeure avecques elles fors que neuf jours, lesquels durant il se peut deporter et solacier avecques elles et engendrer, et non plus, car autrement il seroit mort.»] _Item_, pareillement, en ensuivant toutes les choses dessus dictes, nous avons veu ung grant et merveilleux poisson qui saulte sur la mer plus de cinquante brasses en hault et de travers; il nage plus viste et plustost que ung oyseau ne sçauroit voler, et si a les dentz si fortes et si aguës que quant il empoigne ung batel, il le dessire et le met en pièces, et quant on le veult appaisier, il convient sonner ung gros tambour. Il a bien douze vingtz piez de long, et de haulteur bien quarante piez; sa teste est toute ronde, ses oreilles pendantes plus de vingt brasses; il a treize cornes, longues bien de sept aulnes; il gette feu par les dictes cornes plus de cent brasses à long; les yeulx plus gros que une chauldière à tainturier, et est couvert d'esquailles, et ot-on sonner les esquailles, quant il naige, de cinq ou sept lieues loing; il a la queue fourchée en quatre, et fait esclisser la mer de sa queue plus d'une lieue de hault[191]. [Note 191: Ce poisson nous semble être tout à fait de la même famille que le fameux _Kraken_, dont il est tant parlé dans les relations des anciens voyageurs et dans quelques livres de savants, tels que l'_Histoire anatomique_ de Bartholinus, le _Mundus mirabilis_ d'Happelius et le _De piscibus monstruosis_ d'Olaüs Wormius, où il est appelé _Hafgufa_. C'est le dernier venu de ces poissons merveilleux: il n'y a pas cinquante ans qu'un navigateur prétendit encore l'avoir rencontré dans les mers du Nord, au milieu des îles Orkeney; mais celui-là venoit trop tard, en 1808, pour accréditer son mensonge. La science alors avoit dit son mot sur le _Kraken_; l'on sçavoit que, sauf les immenses proportions dont l'avoit gratifié la terreur populaire, ce n'étoit autre chose qu'une sorte de sèche gigantesque, appelée _sèche à coutelas_, qui se rencontre parfois dans les mers du Nord. Le peuple, lui-même, n'y croyoit plus guère en 1808, et je penserois volontiers que le mot _craque_ (mensonge) étoit un souvenir de ce pauvre _Kraken_ dont on lui avoit fait peur si long-temps, et auquel il ne vouloit plus croire. Le comte de Provence, qui auroit pu être l'un des premiers incrédules, fut aussi l'un des derniers qui tâcha de s'en amuser. On connoît l'article qu'il publia dans le _Journal de Paris_, puis en brochure, sur la _grande harpie de mer_, appelée Coeleno, nom sous lequel on voulut retrouver une altération de celui de M. de Calonne, le rapace ministre (V. nos articles sur les _Rois journalistes_, _Constitutionnel_ des 4 et 5 août 1852.) Au temps où parut la pièce donnée ici, l'on croyoit sérieusement à l'existence de poissons de l'espèce du _Kraken_. Le passage qui motive cette note en est la preuve. Dans le _Nova typis transacta navigatio novi Orbis Indiæ occidentalis_, etc., livre très singulier décrit par le _Manuel_, on peut lire le merveilleux récit d'un monstre de cette sorte qui, après avoir soulevé un navire, laisse les marins dire très dévotement la messe sur son dos, puis replonge dans la mer, remettant ainsi le bâtiment à flot sans avaries. Dans un autre curieux ouvrage: _Recueil de la diversité des habits qui sont de present en usaige tant ès pays d'Europe, Asie, Afrique et illes sauvages, le tout fait après le naturel_ par François Deserpz, Paris, 1562, in-8, se trouve le portrait de l'_evesque_ ou _moine de la mer_, dessiné d'après les dessins de _défunt_ le capitaine Roberval et décrit très sérieusement: car, encore une fois, l'on croyoit alors aux monstres dont on parloit, et l'on ne faisoit pas comme le comte de Provence ou comme l'excellent père Bougeant, de qui, selon Voisenon, la fabrication des monstres étoit l'industrie: «Quand il avoit besoin d'argent pour acheter ou du café, ou du chocolat, ou du tabac, il disoit naïvement: _Je vais faire un monstre qui me vaudra un louis._ C'étoit une petite feuille qui annonçoit la rencontre d'un monstre très extraordinaire qu'on avoit vu dans un pays très éloigné et qui n'avoit jamais existé.» (_Oeuvres complètes_ de Voisenon, t. 4, p. 126.)] Mon très chier cousin, j'ay entendu que aucuns de nos gens ont veu des lymaçons qui sont gros comme des tonneaulx, et pareillement des hanetons qui sont si grans et si merveilleux qu'il n'est homme qui y puisse demourer. _Item_, nous avons esté gettez si arrière le plus merveilleusement que jamais homme vit du vent et de l'orage, qui nous a transporté en bien peu de temps jusques au bas occident; et là nous n'avions point de nuyt, et y avons esté trois moys sans revenir, et y avons veu plusieurs et divers pays. Nous avons esté en une grande et merveilleuse cyté, nommée la cyté de Montane, où nous avons veu une montaigne la quelle a plus de cent lieues de hault, et est ung pays de bestes sauvages, où les tygres sont, les panthères et autres bestes moult merveilleuses; et si y a des pyes qui sont plus grandes que grues, et n'est homme qui osast aller seul sans estre accompaigné de cinq ou de six hommes, pour les pies et autres oyseaulx qui sont dangereux et à craindre, et ont les dictes pies le bec long bien une aulne. _Item_, en ces pays a grans forestz, et sur tous autres arbres nous avons veu ung grant arbre le quel a plus de trois lieues de tour de ses branches, et n'en voit-on point le couppel, et est environné tout d'eaue, et le fruyt qu'il porte est long comme une andouille et rend le jus vermeil comme sang, et n'est point de si excellent vin, et dedans chascun fruyt a une pierre precieuse qui esclère la nuyt comme le jour, et ne porte le dit arbre que de trois ans en trois ans, et auprès du dit arbre est la roche de Videquin, où toutes les bestes sauvages du dit pays vont couchier dedans la dicte roche, pour la crainte des chahuans, qui leur portent guerre la nuyt, car ilz sont plus grans que griffons et sont en grant nombre. _Item_, nous avons esté en ung lieu bien plus approuchable, venant vers les parties de paradis terrestre, où il y a un prestre françois, au quel prestre Jehan ou son vicaire a donné la cure de Cytrie, en la quelle le dit curé a de disme du plus excellent blé que l'on sçauroit demander, et pareillement des meilleurs vins, et tous les ans bien cinq cens oysons, cinquante veaulx, deux cens aigneaulx qui portent la laine verte, et n'ont non plus de queue que ung cynge, et n'ont que une corne; outre plus bien quarante barilz de miel, car les mousches sont grandes comme poulles[192]. [Note 192: Prestre Jehan, dans sa légende, conte les mêmes merveilles du pays qu'il habite: «_Item_, en nostre terre, y a habundance de pain, de vin, de chairs et de toutes choses qui sont bonnes à soustenir le corps humain.»] _Item_, nous avons esté au pays de Garganie par la mer Rouge, près de paradis terrestre, où nous avons veu des choses admirables, comme bestes sauvages et autres, et est ce dit pays tant fertille de tous biens que cest merveilles. _Item_, nous avons veu la fronde et la pierre de quoy David tua Goliath, et plusieurs autres choses qui seroient trop longues à raconter. _Item_, les poulles sont grandes à merveilles et n'ont point de creste ne de queue non plus qu'un cynge, et n'ont aussi qu'une corne, et ponnent les oeufs aussi gros que oes; et y a tant de paons qu'on n'en scet que faire, si non que le dessus dit curé seroit bien joyeux qu'il y demourast plusieurs François avec lui pour vivre des biens qu'il a en la dicte cure; mais les gens de ce pays n'y sçauroient bonnement vivre, pour l'intemperance de l'air, dont est dommage. Autre chose ne vous sçauroy que rescripre pour le present. Recommandez-nous à tous noz amys de par delà. Dieu vous doint bonne vie et longue. Escript en la cité d'Arjelle, le VI jour de may. Le vostre VILLAGE Conducteur des gallées de Provence. _Cy finent les Nouvelles admirables que les capitaines des gallées ont veues en diverses ysles de mer vers les parties orientalles._ _Le Gan de Jean Godard, Parisien._ _A N. Thibaut G. P._ _A Paris, chez Daniel Perier, demeurant rue des Amandiers, près le Colège des Crassins._ 1588.--In-8[193]. [Note 193: Jean Godard fut l'un des poètes les plus en renom de son temps. Dans les stances ou sonnets mis en tête de ses poésies, l'on ne va pas moins qu'à l'égaler à Ronsard. Il étoit né à Paris en 1564, et mourut en 1630, après avoir été jusqu'en 1615 environ lieutenant général au bailliage de Ribemont. Villefranche en Beaujolois fut le séjour ordinaire de ce poète, qui pourtant, en souvenir de sa ville natale, ne manque jamais de prendre le titre de _Parisien_. C'est à Villefranche, selon les _Mémoires_ du jésuite Jean de Huissière sur cette ville (1671, in-4, p. 86), qu'il fit tous ses ouvrages, «remarquables par leur mérite et par leur nombre.» Deux pièces dramatiques, _la Franciade_, tragédie en cinq actes, et _les Desguisés_, comédie en cinq actes, avec prologue en vers, qui vient d'être réimprimée dans le t. 7 de l'_Ancien théâtre françois_ de la Bibliothèque elzevirienne, sont ce qu'il écrivit de plus considérable. On les trouve dans ses _Oeuvres poétiques_, Lyon, 1594, 2 vol. in-8, avec un grand nombre de pièces en tous genres, odes, élégies, _trophées_ au roi Henri IV, etc. Jean Godard n'a toutefois pas réimprimé dans ce recueil, non plus que dans la seconde édition qu'il en donna à Lyon en 1618, in-8, sous le titre de la _Nouvelle muse_, ou _les Loisirs de Jean Godard, Parisien_, la pièce singulière que nous reproduisons ici. C'étoit une oeuvre de sa jeunesse, qui pouvoit lui sembler sans intérêt, mais qui n'en a pas moins beaucoup pour nous. L'abbé Goujet la connoissoit, et dans l'article qu'il consacre à notre poète, au t. 15 de sa _Bibliothèque françoise_, p. 248-249, il la mentionne comme très curieuse, sans toutefois en rien citer, ce que l'abbé Mercier de Saint-Léger lui reproche presque, et avec raison. (V. ses _notes mss._ sur la _Bibliothèque de la Croix du Maine_, art. _Jacques Godard_.) Nous la donnons d'après l'exemplaire que possède la Bibliothèque impériale, et que l'abbé de Saint-Léger ne semble pas avoir connu. Celui qu'il eut entre les mains se trouvoit à la bibliothèque Mazarine, nº 21,657. Il a disparu depuis.] EPIGRAMME. Tu chantes si bien, mon Godard, La nature du gand mignard, Que qui liroit ton escriture, Si bien elle le raviroit, Que, fut il hiver, il n'auroit A ses mains aucune froidure. J. HEUDON, Parisien[194]. [Note 194: Jean Heudon, fils d'un riche bourgeois de Paris, étoit l'ami de collége de Jean Godard. Au sortir des études, comme celui-ci manquoit de ressources, il lui étoit venu en aide, et leur amitié s'en étoit augmentée. Godard fit son chemin dans les emplois, et aussi dans la poésie et au théâtre. Heudon souhaita les mêmes succès, et ce fut alors Godard qui lui tendit la main. (V. _Hist. du théâtre françois_, t. 3, p. 539.) Heudon fut moins heureux: sa réputation n'égala jamais celle de son ami. Ses tragédies de _Saint-Clouaud_ et de _Pyrrhe_ sont détestables, comparées à toutes les pièces de son temps, et en particulier à celles de Godard. Cette inégalité de succès n'altéra point leur amitié. Dans les poésies de Godard, les principales pièces sont dédiées à Jean Heudon (V. t. 2, p. 239, 245, etc.); d'autres sont adressées à son frère Audebert Heudon, à qui Godard semble avoir voué les mêmes sentiments. Tous deux moururent avant lui, laissant chacun un fils, Jean et Thomas, qui héritèrent de l'affection que J. Godard avoit eue pour leur père. Les stances qui terminent la seconde édition de ses poésies, _la Nouvelle muse_, etc., leur sont adressées, sous ce titre touchant: _l'Amitié héréditaire._] * * * * * _Le Gan de Jean Godard, Parisien._ Bien souvent les bienfaits sont mis en oubliance; Mais ce n'est pas de moy: j'ai tousjours souvenance De l'honneur, du present, du don et du bienfait, Tant soit grand ou petit, que quelque homme me fait, Jusqu'à là mesmement qu'à rendre la pareille, Ou soit tard, ou soit tost, tousjours je m'appareille: Aussi l'homme bien né vraiment recognoistra, De parolle ou de fait, le bien qu'on luy fera. Thibaut, il me souvient qu'aux dernières estrainnes, D'une paire de gands tu me donnas les miennes. Je te veux ore faire un semblable present: Je veux le gand chanter en ton nom à present, Afin que, si mes vers sur le temps ont victoire, Ton nom et ton present soient de longue memoire, Ou bien à tout le moins pour te faire sçavoir Que je ne veux manquer à faire le devoir A l'endroit de celuy qui m'oblige et qui m'aime, Ainsi comme tu fais, autant comme lui-mesme. Mais changeons de propos, et venons à nos gans Dont il est question. Ce n'est pas de ce temps Seulement que l'amour l'oeil de larmes nous mouille, Qu'il nous tient en souci, que la teste il nous brouille De mille passions, qu'il nous glace de peur: Aussi bien au passé ce petit dieu pipeur Tourmentoit les humains d'extresme fascherie, Voire mesme les dieux ont senti sa furie. Tesmoing soit Juppiter, qui tient le premier rang, Changé tantost en or, en cigne, en taureau blanc; Et mesme, qui plus est, Venus, sa propre mère, N'ha pas peu s'affranchir de sa douleur amère. Maintenant la navrant, la faisoit suspirer Pour l'amour du dieu Mars; tantost pour un berger Qui menoit ses troupeaux sur les rives du Xante; Tantost il luy faisoit une playe recente Dans son coeur enferré d'un beau trait pris aux yeux D'Adonis, le plus beau qui fut dessous les cieux. Ce jeune fils de roy, chef-d'oeuvre de nature, Passoit en grand beauté tout autre creature: Narcisse auprès de luy n'estoit que vain abus, Ni mesme Cupidon, ni le plaisant Phoebus, Si bien qu'il eust semblé que sa beauté celeste Fust venue icy-bas affin d'estre moleste A tous hommes mortels, leur versant dans les yeux Un dangereux poison, toutesfois gracieux. Mais s'il avoit le corps beau jusques à merveille, Aussi son ame avoit une beauté pareille; Son coeur estoit royal et de vertu rempli, Estant du tout en tout parfait et accompli. De ses esbatemens la chasse fut l'eslite, En imitant Diane, Orion, Hipolyte: Car, fut que le Soleil retira ses chevaux De l'estable marine, annonçant les travaux, Ou qu'au milieu du ciel il traina sa charrette, Ou bien, ayant couru sa jornalière traite, Qu'il s'en alla coucher chez sa tante Thetis, Tousjours estoit aux champs le gentil Adonis, Ou bien chassant le cerf à la teste branchue, Ou le grondant sanglier armé de dent crochue. Venus, qui dans le sin brusloit de son amour, Ne le pouvoit laisser ny la nuit ny le jour, Courant tousjours après ses beaux yeux et sa face, Et fust-ce mesmement qu'il allast à la chasse, Qu'il allast à la chasse au profond des forests, Qui sont pleines d'horreur, pour y tendre ses rets. Un jour elle l'y suit, brassant[195] à l'estourdie Des espineux halliers: une ronce hardie Luy vint piquer la main, d'où s'escoula du sang, Lequel, depuis germé dans le fertile flanc De la mère commune, a donné la naissance A la rose au teint vif, qui luy doit son essance. Tout depuis ce temps-là, la fille de la mer, Venus au front riant, sa main voulut armer Contre chardons, et ronces, et piquantes espines. Elle fit coudre adonc de leurs esguiles fines, Aux Graces au nud corps, un cuir à la façon De ses mains, pour après les y mettre en prison. Les trois Charitez[196] soeurs à la flottante tresse, En usèrent après ainsi que leur maistresse. Voilà comment Venus nous inventa les gands, Lesquels furent depuis communs à toutes gens, Non pas du premier coup: les seulles damoiselles Long espace de temps en portèrent comme elles. Depuis, les puissans roys s'en servirent ainsi, Et puis toute leur court, puis tout le peuple aussi. Mais, bien qu'ores chacun les mette à son usage, Le petit et le grand, et le sot et le sage, Si ont-ils toutes fois encore authorité De servir de signal à la grand' dignité Des prelats reverends: un chacun d'eux en porte Qui de laines sont faits, mais en diverse sorte, Comme ils ne sont tous uns; selon qu'ils tiennent rang. Les uns les ont de rouge et les autres de blanc. Encores par dessus leurs laines sont couvertes De turquoises, rubis, et d'esmeraudes vertes[197], Que portent les prelats, en signe de l'honneur Qu'ils sont les lieutenants du souverain Seigneur, Qui, dans le ciel assis, darde dessus la terre, Ainsi que traits flambants, les esclats du tonnerre. Par ce moyen-là donc en honneur sont les gands, Qui jusques aujourd'huy sont la marque des grands, Qui les ont par honneur, et davantage j'ose Coucher dedans mes vers qu'il n'y ha nulle chose Qui sert à nostre corps, le couvrant et vestant, Qui les puisse esgaler ny qui valle bien tant: Car s'il m'est accordé, ce qui me le doit estre, Et si l'on ha respect au vallet pour le maistre, Ils emportent le prix, puis qu'ils servent la main, Qui proffite le plus de tout le corps humain. C'est elle qui fait tout, disposte et bien legère, Sans cesse travaillant comme une mesnagère. Elle coud, elle file, elle va labourer: A tous cous il luy faut le travail endurer. Elle taille la vigne, elle esbranche les arbres, Elle peint les tableaux, elle grave les marbres, Elle affile l'espée et tous les ferremens, Puis elle en donne après le camp des Allemans; Elle nous fait du feu quand le corps nous frissonne De froid en janvier; les bleds elle moissonne; Elle assemble la gerbe, elle la bat après, Elle en tire du grain, et du grain du pain frais, Sans cesse travaillant pour ce gouffre de ventre Où de tous ses travaux le fruit et salaire entre. Par elle Jupiter tient son sceptre orgueilleux; Par elle Juppiter sur les monts sourcilleux Darde son foudre aislé; par son aide Neptune Tient son sceptre à trois dents; par elle la Fortune Tient ses riches joiaux; par son aide Pluton Porte un sceptre obei du bouillant Phlegeton. Jadis par son moyen l'invaincu Charlemagne, Sainct, estoit de nos roys descendus d'Allemaigne, Des Espagnes vaincueur le triomphe emporta; Jadis, par son moyen, sur sa teste il planta D'un bras non engourdi la marque imperialle, Ayant jà sur le chef la couronne royalle. Par son aide jadis le grand Henri second, Qui de palme et laurier s'ombragea tout le front, Fit fuir l'empereur, à son grand vitupère, Dans son propre pays en ravageant son père. Par sa guerrière main nostre prince, son fils, Invaincu se fit voir à deux osts desconfits A Dreux et Montcontour; et par sa main puissante Loys, père du peuple, en l'Itale plaisante, Deffit près Aignadel le camp venitien, Faisant trembler Venise et reprenant le sien. Bref, cette main fait tout ce qu'on peut faire et dire, Et si ce qu'elle fait seule elle peut escrire; Elle habille le corps de laine de brebis; Mais sans l'ayde d'aucun elle fait ses habits, Je di ses gands fourchus, qui font qu'elle n'endure Ni le chaud de l'esté, ny la gourde froidure De l'hyver glaçonneus. Aussi font-ils fort bien De la garder de mal, puisque tout nostre bien D'elle seule despend: ainsi le gand utile Contregarde la main mesnagère et subtile. Combien est-il heureux de toucher quelques fois, Ou plus tôt si souvent, la main blanche et les doits, Tout à l'aise et loisir, de ces belles pucelles, De ces fleurs de beauté, de tant de damoiselles! Je croi, quand est de moy, que cinq cens mille amants, Pour jouir de cest heur voudroient bien estre gans, Ne deussent-ils jamais avoir nature d'home. Il est temps de parler des gans blancs de Vendosme[198], Qui sont si delicats que bien souventes fois L'ouvrier les enferme en des coques de nois; On en parle aussi tant que leur ville gantière Reçoit presque de là sa renommée entière. Si prisé-je bien plus pourtant les gans romains[199], Qui servent plus aux nerfs que ne font pas aux mains. Ny le musque indien, ny l'encens de Sabée, Ny le basme larmens qui pleure en la Judée, Ny tout l'odorant bois de quoy l'unique oyseau[200] Son sepulcre bastit dessus un arbrisseau, Ny tout ce que l'Arabe a de senteur, en somme, Ne sentit pas meilleur que font ces gans de Rome[201]. D'autres il y en a, bien richement brodés De soye ou de fil d'or, à l'eguille et au dés[202], En petit entrelas et mignarde peinture Où se lit mainte hystoire et estrange adventure. D'autres sont enperlez. Si prisé-je pourtant, A cause du plaisir, les gands de chasse autant[203]. Sans eux l'oyseau de poing n'yroit point à la guerre. Qui pourroit endurer son espinneuse serre S'il n'estoit bien ganté? Si le plaisir est grand De la fauconnerie, on le doit tout au gand. Aussi lui devons-nous presque tout nostre ouvrage, La perche, les charrois, et tout le labourage Qui se fait en hiver: car en telle saison On n'oserait sortir, ny laisser la maison, Ny travailler dehors, qui n'a la main armée De bons gros doubles gands à couleur enfumée. Sans eux le laboureur ne pourroit en hiver La mencine[204] tenir, ni les champs remuer; Sans eux le vigneron n'yroit point à la vigne, Le pescheur ne pourroit sans eux tenir sa ligne Dessus les froides eaux, alors que le poisson Lubre[205] ne peut nager à cause du glaçon Qu'il rencontre à tous coups; ou si d'un bon courage Ils s'en alloient sans gands à leur penible ouvrage, Outre qu'ils ne pourroient besongner à demy, Sans cesse estant frappés par le froid ennemy, Les doits leur gelleraient, et les deux mains lassées Ils auroient à tous coups en hyver crevassées, Où c'est que chaudement du gand nous nous servons En chose qui que soit, car nous en escrivons De la prose et des vers, ayant la main delivre[206]: Gantez nous feuilletons un grec ou latin livre, Nous taillons bien la plume avec le canivet[207], Parmy d'autres papiers nous cherchons un brevet. Une femme gantée oeuvre en tapisserie, En raizeaux deliez et toute lingerie. Elle file, elle coud, elle fait passements De toutes les façons, ayant en main ces gands Que l'on nomme coupés[208], gands autant necessaires Que le soleil au jour, que la rame aux galères. Les hommes d'à present, qui cognoissent combien Ils nous font de profit, de plaisir et de bien, Les honorent aussi de mainte broderie Faite subtilement, de riche orfevrerie, De senteurs, de parfums. Les uns sont chiquetés De toutes pars à jour, les autres mouchetés D'artifice mignard; quelques autres de franges[209] Bordent leur riche cuir, qui vient des lieux estranges[210]. Tel est souvent d'un roy le condigne present, Et vaut cent fois plus d'or qu'il n'est lourd et pesant; Tel sent mille fois mieux que le musque ou civette Qu'on voit à Saint-Denis. Il n'est tant de poissons Dans le large Ocean qu'on en voit de façons[211]. C'est pourquoy je ne veux et ne peux les escrire; Si veux-je toutefois encor un mot en dire, Et puis c'est tout. Aussi les nouveaux mariés En donnent par honneur aux parens conviés: C'est l'antique façon[212]. Ceste façon louable Monstre combien le gand fut jadis honorable. O gans saints et sacrés! la marque des prelats, Brancheus estuy des mains qui nous pendent au bras, Garde-mains, chasse-chaud, chasse-froid, chass'ordure, Port'anneaus, mesnagers, à la riche bordure, Emmusqués, odorants, inventés de Venus, Vandomois et romains, à cinq branches, cornus, Nuptiaus, estreneurs, à la gueule beante, Mais pères des manchons, race bien faitiente, Pour vous avoir chantés le premier, des Romains, Des Grecs et des François, gardés-moy bien les mains, Et celles de Thibaut, en hiver de froidure, Et du hâle au soleil, qu'en esté l'on endure. [Note 195: Écartant avec les bras.] [Note 196: Les trois Grâces, _Charites_ en grec.] [Note 197: On laissoit aux prélats ces gants ornés de pierreries. Georges Cliffort, comte de Cumberland, enrichit pourtant de cette manière le gant qu'Élisabeth lui avoit donné en signe d'estime. Il s'en fit une parure; dans les tournois, il ne portoit pas autre chose à son chapeau.] [Note 198: «Il suit de là, dit l'abbé Mercier de Saint-Léger dans sa note manuscrite déjà citée, que cette fabrique de gants fins à Vendôme existoit en cette ville dès le XVIe siècle. L'abbé Goujet, dans l'extrait qu'il donne de ce petit poème, n'a pas remarqué ce fait.» Dans les _Mélanges d'une grande bibliothèque_ HH, p. 123, l'on avoit déjà constaté l'existence au XVIe siècle d'une fabrique de gants qui avoit pu donner naissance à celle de Vendôme: c'est la fabrique de Blois. «Il est certain, y est-il dit, que l'usage des gants blancs nous est venu d'Italie; cependant, au XVIe siècle, les gants de la fabrique de Blois en France étoient déjà fort renommés.» Savary (_Dict. du commerce_) parle de ces gants de Blois et de ceux de Vendôme. C'étoit, avec Paris, dit-il, la ville où l'on en fabriquoit le plus de son temps.] [Note 199: La réputation des gants de Rome se soutint jusqu'à la fin du XVIIe siècle. M. de Chanteloup chargea souvent Poussin de lui en acheter. Le 7 octobre 1646, celui-ci lui écrit à propos d'une de ces commissions «qu'il y a employé un sien ami, connoisseur en matière de gants.» Du tout il a fait un paquet. «Il y en a, dit-il, une douzaine, la moitié pour les hommes, la moitié pour les femmes. Ils ont coûté une demi-pistole la paire, ce qui fait dix-huit écus pour le tout.» Dans sa lettre du 18 octobre 1649, il écrit encore à M. de Chanteloup qu'il lui a acheté de bons gants à la _frangipane_, c'est-à-dire de ceux qu'on parfumoit selon la mode introduite du temps de Catherine de Médicis par le comte de Frangipani. C'est, dit Poussin, la signora Magdalena, «femme fameuse pour les parfums», qui les lui a vendus.] [Note 200: Le phénix.] [Note 201: Dans le _Parfumeur royal_, par Barbe, parfumeur, Paris, 1689, au chapitre des _gants de senteur_, on trouve la manière de parfumer les gants avec de la gomme odorante ou des fleurs.] [Note 202: Au moyen âge l'on portoit déjà des gants ornés de fils d'or: Il l'en donna le gant à l'or paré. (_La Chevalerie Ogier de Danemarche_, t. 1, p. 103, v. 2489.).] [Note 203: _Le gant de fauconnier_, dit Savary, _Dict. du commerce_, «est un très gros gant d'un cuir très épais, ordinairement de cerf ou de buffle, qui couvre la main et la moitié du bras du fauconnier pour empêcher que l'oiseau ne le blesse avec son bec ou avec ses serres.»] [Note 204: La _manchine_, manche de la charrue.] [Note 205: De _lubricus_, glissant.] [Note 206: C'est-à-dire _agile_, _en liberté_. On disoit plutôt encore _à delivre_, comme dans cette phrase de la 124e _nouvelle_ de Despériers: «N'ayant la langue si _à delivre_ pour se faire entendre.»] [Note 207: Le canif. (V. notre t. 1, p. 217.)] [Note 208: C'est ce que nous appelons aujourd'hui des _mitaines_, mot qui autrefois étoit synonyme de _mouffle_, et qui, au lieu de désigner ces demi-gants de femme, s'employoit pour ces gros gants fourrés qui n'avoient qu'une séparation entre les quatre doigts réunis et le pouce. Ces sortes de gants se vendoient chez les bonnetiers, qui, pour cela, se faisoient appeler _mitonniers_. (V. le volume déjà cité des _Mélanges d'une grande bibliothèque_, p. 11 et 121.)] [Note 209: Sur ces _gants à frange_, V. notre t. 3, p. 247. C'étoit un des grands luxes de cette époque. «On lit dans un vieux bouquin imprimé à La Haye en 1604 que les habitants de Cambray, pour recevoir dignement le roi, qui devoit passer par leur ville, eurent l'attention délicate de faire la barbe à un pendu qui étoit exposé aux fourches publiques, et de mettre un _gant avec une frange d'or magnifique_ à une main de bois qui servoit de guide sur le grand chemin de la ville.» (_Essai historique sur les modes et la toilette françoise_, Paris, 1824, in-12, t. 2, p. 95.)] [Note 210: Le meilleur cuir pour les gants venoit d'Espagne. On disoit alors _souple comme un gant d'Espagne_, proverbe qui a survécu, mais mutilé. (V. _Francion_, 1663, in-8, p. 63) L'on disoit, lisons-nous dans les _Mélanges d'une grande bibliothèque_, _loc. cit._, «que, pour faire de beaux et bons gants, il falloit que trois royaumes y concourussent: l'Espagne, pour préparer et passer les peaux; la France, pour les tailler; l'Angleterre, pour les coudre, parceque les Anglois avoient déjà imaginé des aiguilles particulières pour bien coudre les gants, ce qui est assez difficile.» Du temps de Savary, le proverbe que nous venons de citer n'étoit déjà plus vrai: la France suffisoit pour faire de bons gants.] [Note 211: J. Godard auroit en effet encore pu parler des _gants de Grenoble_, des _gants de Niort_, qui sont restés célèbres, et d'une espèce de gants appelés _gants gras_, qui se mettoient pour adoucir les mains. Il en est déjà longuement question dans les _Mémoires_ de La Force, t. 2, p. 457. On les fabriquoit à Ham. «On les appeloit aussi _gants de chien_, dit Savary, parcequ'ils se faisoient de la peau de cet animal passée en l'huile.»] [Note 212: Elle se conserve encore dans quelques villes de province, où l'on donne des gants aux conviés d'une noce ou d'un enterrement. C'est un reste de l'usage des _paraguante_. V. une note de notre édition du _Roman bourgeois_, p. 103.] * * * * * SONET. A peine (mon Heudon) que tout vif je n'enrage Quand j'entend caqueter ces benets et badaus, Qui sont faits seulement de chair, de sang et d'os, Mais, ce crois je, sans coeur, sans ame et sans courage. On les oroit conter qu'un homme n'est pas sage Qui escrit en françois, tant sont ces gros lourdaus, Et que l'on ne doit point remporter aucun los, Si non par un latin ou par un grec ouvrage. Comment peuvent-ils tant priser et louanger, Vituperant le leur, un langage estranger D'une langue impudente et digne de torture? Puisque (ainsi comme on dit) que son nid semble beau, Par instinc naturel, tousjours à chaque oyseau, C'est vraiment donq qu'ils sont homes contre nature. SONET. Ce genereux guerrier, ce père des sciences Qui reluit à Paris, ce puissant roy François, Abolit le latin, et voulut qu'en françois Les juges et plaideurs parlassent aux sceances.[213] Nostre langue cessa de faire doleances Pour son triste mespris, sous ce grand de Valois; Elle fut en honneur à la cour des grands rois, Et le latin cassé perdit ses vieilles censes. Lors entour nostre langue on vit les bons esprits; Mais quelques uns pourtant les en ont à mespris, Comme si en françois ils ne pouvoient bien dire; Et, les jugeant comme eux, soit à mal, soit à bien, Car, disant qu'en françois il ne faut pas escrire, Je te promets, Heudon, qu'ils ne parlent pas bien[214]. [Note 213: Allusion à l'ordonnance de 1539, par laquelle François Ier décida qu'à l'avenir l'on emploieroit la langue françoise dans la rédaction des actes et dans les débats judiciaires. S'il falloit en croire une anecdote bien connue, cette sage mesure lui auroit été inspirée par quelques paroles d'un plaideur, nouvellement arrivé à Paris, que la cour avoit _débouté_ (debotaverat) de son action, et qui se croyoit tout bonnement _débotté_ par elle. (V. Dreux du Radier, _Tablettes historiques et anecdotes des rois de France_, t. 2, p. 152.)] [Note 214: L'abbé Goujet n'avoit pas remarqué ces deux sonnets, dans lesquels se retrouve l'une des préoccupations favorites de Jean Godard: la langue françoise et la grammaire. On a de lui un _Discours sur la lettre H_, etc.--Au lieu de parler de ces deux sonnets, l'abbé a dit par erreur (_Biblioth. franç._, t. 15, p. 248-249) que cette pièce du _Gant de J. Godard_ se termine par un sonnet et un sixain de J. Heudon.] _Discours de deux marchants Fripiers et de deux maistres tailleurs estant invités à souper chez un honneste marchant. Avec les propos qu'ils ont tenu touchant leur estat._ M.DC.XIV. In-8[215]. [Note 215: Nous donnons cette pièce telle que nous l'avons trouvée imprimée, avec toutes ses incorrections et ses vers faux.] Tout comme à Titius[216], meschant homme et pervers, Phebus, qui ses rayons estend sur l'univers, Envoya l'oiseau qui, de son coeur renaissant, Iroit de jour en jour iceluy repaissant, Ainsi nous semble-il que ce monstre d'envie, Provenu des enfers, soit mis en cette vie Pour ronger aux mortels l'esprit, non pas le coeur, Qui jamais ne consomme, ains est tousjours vainqueur: Il attacque les grands, attacque les petits, Attacque les fripiers, vendeurs de vieux habits, Comme on cognoistera par ceste mienne histoire De deux fripiers remplis de superbe et de gloire. Un honneste marchand, pour la rejouissance Qu'il eut d'avoir d'un filz la seulette naissance, Fit prier de souper deux maistres teinturiers, Et, de ce mesme pas, deux maistres couturiers. Sa femme, de sa part, prie deux frelampiers[217], Qui se disoient tous deux estre marchands fripiers. Ceux-cy donc, fort joyeux d'avoir telle lipée, Pour n'avoir dans le vin la lèvre detrempée Le long du jour, s'en vont tous deux, se depeschant, Pressez de faim et soif, au logis du marchand. Cestuy, les saluant: Vous arrivez bien tost! C'est mon[218], ce disent-ils, c'est pour soigner au rost. Entrez qu'ils sont dedans pour faire les valets, L'un prend la palette[219], et l'autre les molets[220] L'un soufle le feu, et l'autre le ratise: Voilà le cuisinier qui perd sa chalandise. Un, certes plus friand qu'une chatte d'hermitte, Pour gouster au brouet descouvre la marmitte. Disant: Mets, compagnon, ces viandes à la broche, Car voicy du souper l'heure qui est fort proche; Mets ce cochon de laict, ce canar et cest oye; Retiens pour fricasser les polmons et le foye; Embroche ce chapon et ces deux lapereaux, Et ces deux espaules de petits chevreaux. Sur l'heure du souper, viennent les tainturiers; Un peu après aussi vindrent les cousturiers, Lesquelz, tout aussi tost qu'on a la porte ouverte, Vont saluer le marchand la teste decouverte. Le soupé preparé: Prenez place à la table, Ce dict-il aux tailleux d'une voix delectable. Il fit après assoir ces maistres teinturiers, Qui vis-à-vis s'assirent des maistres couturiers. En après fit assoir ces maistres friponniers Qui, n'estant que frippiers, faisoient les cuisiniers, Les quelz, en murmurant contre les deux tailleurs, Qui leur sont preferez en de si grands honneurs, Sortiroient volontiers s'ilz n'etoient retenuz De la honte et la gueule, des quelz ils sont pourveuz. C'estoit presque soupé quand voylà la Discorde, Qui, embrasant son feu, les met tous en desordre Par le moyen d'un poux, qui, cherchant son repas, De l'un de ces fripiers couroit dessus le bras, Qu'il avoit attiré en refaisant les plis De quelques vieux habits, qui en estoient remplis. Un tailleur, le monstrant, dict tout bas au fripier: Monsieur, ne vous faschez: c'est le faict du mestier. Le fripier alors, tout ennivré de vin, Commença à jetter son dangereux venin: Car au lieu de remercier le tailleur qui l'avoit Adverti de ce poux qui sur son bras couroit, Assez mal à propos luy dit: Sot, taisez-vous, Car je vous fais certain que je n'ay point de poux. Le tailleur, bien appris, endura cest injure, Replicquant: Je ne suis perfide ny parjure; Et qu'il ne soit ainsi, Messieurs, regardez tous Au devant du pourpoint, vous y verrez le poux. Le fripier alors, qui crevoit de despit, Pour sauver son honneur luy livra un deffit Lequel des deux mestiers estoit plus honorable. Ce qui fut au tailleur grandement aggreable; Le maistre du souper arbitre fut esleu Pour porter jugement quand on auroit conclud. Le fripier commença à discourir des mieux, Si bien vous l'eussiez pris pour quelque procureur[221], Et se mit dans sa chaire en telle posture Que l'eussiez pris diseur de bonnes adventures. «Je ne suis pas si tost sorti de ma couchette Que voicy des marchands qui sonnent ma clochette, Demandant un habit de serge de seigneur[222]; Les autres de velours d'une belle couleur; Les uns un beau manteau tout bordé de clincant, Pour affin d'esblouir les yeux des regardant. Aux uns de bas estat, aux autres de plus grand, Je baille des habits pour chacun leur argent, Les grands me recherchant, et aussi les petits, Pour tirer de l'argent de quelques vieux habits. A tailler des chausses je ne passe la nuict, Pour les quelles avoir fait, bien souvent il vous cuit; Mais en n'y pensant point, et presque en me jouant, Je suis tout esbahy qu'il me vient de l'argent. Donc, ô tailleurs d'habits! vous n'estes qu'artisans, Et nous, qui les vendons, nous sommes les marchands. Or jugez maintenant lequel est plus capable, Ou de celuy qui vend, ou celuy qui travaille? Après que le fripier eut fini son propos. Le tailleur commença lui respondre aussi tost Je sçay bien que souvent vous estes frequenté, Mais ce sont des chalans de peu d'authorité: Car n'ayant pas d'escus la bource bien garnie, Pour avoir des habits vont à la friperie, Ce sont le plus souvent des coureurs de pavé Qui au soir à six heures n'ont encore disné; Ce sont tous des chercheurs de franche lipée[223], Qui n'ont ny pot au feu ny escuelle lavée; Qui, n'ayant le moyen d'avoir des habits neufs, S'en vont vers vous (fripiers) pour en avoir de vieux. Ceux qui vous font gaigner sont les tireurs de laine Desquelz ceste cité est de tout temps si pleine. Si de vos caves estoyent les soupirails bouchez, Tant de menteaux de nuict n'y seroyent tresbuchez[224]: Car, à ce que je voy, ils sont si bien hantez Que jamais (ô araignes!) vos toilles n'y tendez. Si ces bales estoyent de vos boutiques ostées, Plusieurs pièces d'estoffes ne nous seroyent robées. Tous les habits qu'avez viennent de ces panduz, Ou bien de ceux qui sont sur la roue rompuz, Ou bien de quelque noble qui, pour un coup d'espée[225], Dessus un eschaffaut a la teste tranchée[226], Ou bien d'un verolé qui, se faisant suer, Est mort entre les mains de monsieur le barbier[227]. Vous me faictes bon jeu de dire que les grands Vendent leurs vieux habits pour avoir de l'argent! Encor pour les petits je prendrois patience, Pour estre à ce contraincts par la folle indigence. Vous passez bien les jours, vous passez les nuitées A refaire les plis des chausses dechirées, D'où les poux affamez, sortant en abondance, Vous mordent bien serré les costez et la pance. Vous resemblez au gay qu'Esope le bossu Produit estant d'un pan des plumes revestu; Mais ce fut bien le pis, car, estant recogneu, Il fut crié, mocqué et d'un chacun battu. Ainsi vous, Messieurs, soubs ce nom de marchand, Vous vous glorifiez et faictes les galands: Mais, si dedans Paris messieurs les savetiers Estoyent à preferer à tous les cordonniers, Il seroit très juste et plus que raisonnable Que vous fussiez aussi plus que nous honorables. Le tailleur faisant fin, le marchand commença, Et dict ouvertement ce qui luy en sembla: Vous, messieurs les fripiers, n'ayez à contre-coeur Si les tailleurs vous passent en vertu et honneur; Confessez librement leur estre redevables, Car peut-estre sans eux vous seriez miserables. Iceux sans dire à Dieu se retirent chez soy, Ce qui les aultres mit en un très grand esmoy. Le tailleur, qui n'avoit rien dit de son costé, A de telles paroles le marchand accosté: Monsieur, je suis mary que pour rejouyssance Vous n'avez eu icy que plaintes et mesdisence. Si de ces deux fripiers vous sçavez l'arrogance, Sans doubte vous mettez sur eux toute l'offense. Ils desirent sur tous emporter le dessus, Enfin estre honorez tout ainsi qu'un Phoebus; Et, encore qu'ils soyent à chacun dommageables, Ils se disoyent pourtant estre à tous profitables. Mais sus! Je finiray en vous disant à Dieu, Tout praist à vous servir en toute place et lieu, En vous remerciant d'un si bon traictement Et pour avoir porté un si beau jugement. Tout droit à leur logis s'en vont les cousturiers. Aussi après l'adieu s'en vont les teinturiers, Qui n'osèrent parler, de peur de plus grand noise Et de peur de jetter du bois à la fournaise. La femme du marchand, qui bouilloit de cholère, Luy demande soudain qui l'a meu à ce faire, D'abaisser ses parents du costé maternel Pour exalter les siens du costé paternel; Poussée de courroux, le va charger d'injure, Que pour une, deux fois, jusque à trois, il endure, Mais dict en se mocquant: Ce vous est de l'honneur D'avoir ces deux parents si curieux de l'honneur. La dame, bien fachée et plus qu'auparavant, Luy dict: Holà! marchand, ne blasmez mes parents; Car je vous fais certain qu'ils vallent bien les vostres, Soit en bien et honneur, ou en toute autre chose. Femme, si tes parents et ceux de leur estal Estoyent hors de Paris, nous n'irions qu'à cheval, Et vous, femmes, en carroce tiré de six chevaux, Irions nous promener avec les principaux. La femme, convoyteuse d'un si très grand'honneur, Dict lors à son mary: Je cognois mon erreur; Dict, demandant pardon: Prenez-moy en pitié, Car je vous veux servir en toute humilité. Or donc, ne vous faschez, Marguerite m'amie, Si je fais qu'un chacun sçache toute leur vie. [Note 216: Le fameux géant Tityus, qu'Apollon et Diane tuèrent à coups de flèches pour le punir d'avoir voulu faire violence à leur mère Latone. Une autre version, suivie ici, nous le représente souffrant doublement le supplice de Prométhée, c'est-à-dire ayant le foie dévoré par deux vautours, en punition du même crime.] [Note 217: Pauvres diables, misérables, comme les frères qui sont chargés de préparer les lampes dans les couvents. Telle est du moins l'origine que Fleury de Bellingen donne à ce mot dans son livre de l'_Etymologie des proverbes françois_. Borel veut que _frelampier_ se soit pris pour charlatan; enfin, selon d'autres, il viendroit du mot _frelampe_, par lequel le peuple désignoit une petite monnoie de billon valant 12 ou 15 deniers.] [Note 218: Interjection affirmative très commune alors chez le peuple. Nous l'avons déjà rencontrée. On disoit aussi _ce mon_, _ça mon_. Molière l'a employée sous cette dernière forme dans _le Bourgeois gentilhomme_, act. 3, sc. 3, et dans _le Malade imaginaire_, act. 1, sc. 2. M. Paulin Paris en a fait l'objet d'une longue note dans son édition de Tallemant des Réaux, t. 4, p. 84.] [Note 219: La _pelle_.] [Note 220: Sorte de petites pincettes dont se servent encore les orfèvres.] [Note 221: La désinente _eur_ se prononçoit _eux_ dans la plupart des mots. Aujourd'hui encore les chasseurs disent _piqueux_ pour _piqueur_.] [Note 222: Serge fine et luisante dont les _seigneurs_ s'étoient long-temps vêtus. On la fabriquoit à Reims. C'est une de ces étoffes, si recherchées dès le temps de saint Louis, qu'on trouve appelées par les chroniqueurs _serica Remensia_.] [Note 223: On appeloit les parasites chercheurs de _franches lippées_. (Le P. Labbe, _Etymologie des mots françois_.) La Fontaine, dans sa fable du _chien et du loup_, a aussi employé ce mot de _franches lippées_ pour repas happés gratis, et Regnier, sat. 10, v. 282-285, parle ainsi des gens qui s'en mettent en quête: L'un en titre d'office exerçoit un berlan, L'autre estoit des _suivants de madame Lippée_ Et l'autre chevalier de la petite espée.] [Note 224: Dans une pièce de notre t. 1, p. 198, il a déjà été parlé de ces connivences des fripiers avec les voleurs qui infestoient alors Paris, surtout avec la bande des Manteaux-Rouges. De ceux-ci, y est-il dit, on en prit d'une seule raffle vingt-deux «qui estoient à gage et qui jetoient par le soupirail des caves ce qu'ils avoient butiné par la ville.»] [Note 225: L'année précédente (1613), à l'occasion du duel entre le baron de Luz et le chevalier de Guise, dans lequel le premier fut tué, il avoit paru une déclaration du roi contre les duels, «avec protestation de n'accorder jamais la grace.» On ne l'avoit pourtant pas encore mise à exécution.] [Note 226: Les fripiers garnissoient leurs boutiques avec les défroques des suppliciés, que le bourreau leur vendoit. C'est ce qu'on voit par un passage des _Visions du Pelerin du Parnasse_, Paris, J. Gesselin, 1635, in-8, p. 121-112, très curieux volume que nous aurions peut-être fait entrer tout entier dans notre recueil, si quelques unes des pièces que nous avons données déjà ne s'y trouvoient à l'état de simples chapitres. Ainsi, l'une de celles qui précèdent, _Réglement d'accord sur la préférence des savetiers cordonniers_ (V. plus haut, p. 41-58), y forme le 19e chapitre. Voici le passage relatif aux fripiers: «S'il (le chaland) estoit si faquin de s'aller habiller en ce païs là, il y auroit danger qu'il ne devint héritier des despouilles de quelque pauvre diable qui huit jours auparavant auroit passé par les mains discrètes du subtil Jean Guillaume.» Jean Rozeau, le bourreau de la Ligue, cet habile homme qui, lit-on dans le _Scaligerana_, p. 37, «défaisoit fort bien en laissant seulement tomber l'épée», avoit fait comme fit plus tard son successeur Jean Guillaume. C'est même pour s'être trop hâté de pendre le président Brisson, afin de le dépouiller de son riche manteau de peluche, qu'il fut pendu à son tour sous Henri IV. (V. plus haut, p. 52, et _Lettres_ d'Estienne Pasquier, in-fol., t. 2, p. 485).] [Note 227: Barbiers-chirurgiens, _carabins de Saint-Côme_, ainsi qu'on les appeloit. Ils s'occupoient surtout de la cure de ces maladies.] _Discours admirable d'un magicien de la ville de Moulins qui avoit un demon dans une phiole, condemné d'estre bruslé tout vif par arrest de la Cour de parlement.[228]_ _A Paris, chez Antoine Vitray, au collège Sainct Michel._ 1623. In-8. [Note 228: C'est Antoine Vitré, l'un des plus fameux imprimeurs de Paris au XVIIe siècle. Il n'y avoit que deux ans qu'il avoit commencé à imprimer quand il publia cette pièce. _Le Bruslement des moulins des Rochelois en 1621_ est, à ce qu'on croit, la première chose qui sortit de ses presses. Il exerça jusqu'à sa mort, en 1674. Il n'avoit pas moins de 85 ans alors, car en 1670, dans l'_avis_ qu'il donna au sujet de la grande affaire du _Pain mollet_, pour lequel il eut la collaboration d'un Poquelin, peut-être celle de Molière lui-même, il est dit qu'il a 81 ans. V. notre article _Molière et le procès du pain mollet_ (_Revue françoise_, 20 juillet 1855).] Le 14 juin dernier, le lieutenant criminel de Moulins, ayant receu plusieurs plaintes qu'un nommé Michel, menuisier, usoit d'arts magiques et qu'il faisoit une infinité de maux dans la dicte ville, le feit constituer prisonnier. Le lendemain, le concierge alla trouver le dit sieur lieutenant criminel pour l'advertir que le dit Michel se tourmentoit extraordinairement dans son cachot, et qu'il luy avoit dit, en presence de plusieurs personnes, qu'il estoit venu à luy quelqu'un qui l'avoit voulu estrangler et qui l'avoit merveilleusement excedé, battu et traîné par les bras, voulant qu'il reniast Dieu et son baptesme, et qu'il demandoit quelque confesseur qui fust habile homme, et qu'à cause des tourmens qu'il disoit recevoir, il avoit furieusement crié qu'on le tuoit et estrangloit, demandant secours. Le dit sieur lieutenant commanda aussitost au dit concierge d'aller querir le père recteur des PP. Jesuittes, et le prier d'aller consoller le dit Michel et l'assister en la confession sacramentalle qu'il disoit vouloir faire; pendant quoi il alla aussi en la Conciergerie pour interroger quelques autres prisonniers, où, ayant trouvé le dit P. recteur, il le pria d'avoir soin de l'ame de ce pauvre miserable. Le P. recteur luy dit qu'il estoit grandement tourmenté, qu'il feroit ce qu'il pourroit, et qu'il luy avoit donné un _Agnus Dei_ pour le conserver des apparitions du diable desquelles il se plaignoit (mais il faloit un coeur contrit, qui est bien rare en telles personnes), et puis s'en alla pendant que le dit sieur lieutenant demeura là pour ouyr d'autres prisonniers, auquel, incontinent après, le geollier retourne dire que le dit Michel crioit tant qu'il pouvoit qu'on le vouloit estrangler et qu'il demandoit du secours. Aussitost il commanda au dit geollier de luy aller ouvrir le cachot, et s'y transporta sur l'heure, où il le trouva le visage gros et enflé, et livide comme de quelques tumeurs, les yeux fermez, et se plaignoit sans pouvoir cognoistre le dit sieur lieutenant, qui luy demanda par deux ou trois fois; mais enfin, ayant repris ses esprits, il le recogneut et luy reïtera ses plaintes, luy disant qu'il avoit esté bien battu par quelqu'un qui luy avoit voulu faire nier Dieu et son baptesme, quoy que cet abominable eust desjà renié Dieu, ainsi qu'il en demeura d'accord après, comme vous verrez tantost. Il advoua aussi avoir toutesfois fait des invocations d'esprits et sacrifié une tourterelle[229], et qu'il s'estoit servy d'un livre de caractères escrit à la main en langue françoise. Là-dessus, le dit sieur lieutenant luy remonstra que le diable n'auroit point eu la puissance de luy nuire, si ce n'eust esté en vertu du pact qu'il avoit avec luy, et puis l'interrogea en quelle forme cela luy estoit apparu. A quoy il respondit que la première fois il n'avoit point de forme, à la seconde et troisième il estoit en feu, qui l'avoit non seulement batu, traîné par le bras et par les jambes, mais qu'il luy avoit mis les pieds dans un trou qui estoit au dit cachot, le menaçant de le precipiter s'il ne faisoit la renegation. Voylà pas un bon maistre et qui flatte bien ses serviteurs! Il dit encore que le livre duquel nous venons de parler luy avoit esté bruslé, par arrest de la cour, en presence de luy, qui avoit fait amende honorable et banny pour cinq ans pour s'estre meschamment et impieusement appliqué aux arts magiques et invocations des demons, dont il avoit demandé pardon à Dieu, au roy et à justice, et qu'il executa cet arrest dès le 15 octobre 1605. Chose etrange que l'aveuglement des hommes! Cela luy devoit servir à mieux vivre, cet auguste senat luy en donnant mesme un si excellent moyen. Mais bien au contraire, ce mechant homme, mesprisant les salutaires remonstrances que la cour du parlement luy avoit faites sur la sellete, s'en alla en Allemagne, en Angleterre, en Espagne et à Venise, où il dit qu'il acheta une phiole dix escus, dans laquelle il y avoit comme un peu d'eau blanche, et que, quand il vouloit sçavoir quelque chose, il disoit: _Phiole, fais-moy sçavoir cecy ou cela_, et qu'après il se mettait à sommeiller, et en reposant il luy estoit revelé ce qu'il vouloit sçavoir; et, le temps de son bannissement accomply, il retourna à Moulins, où, par le moyen de ceste phiole, il recommença de faire mille mechancetez, lesquelles, enfin decouvertes, font qu'il est remis prisonnier comme je vous ay dit; et comme le sieur lieutenant criminel, qui est un très sçavant homme, luy eust dit qu'il falloit qu'il eust fait abnegation de la foy, des bonnes oeuvres de l'Eglise et des siennes pendant qu'il avoit eu cet esprit, il dit que non; mais, ayant affaire à un homme qui sçait fort bien son metier, il le sceut si bien prendre par ses paroles qu'il advoua avoir renoncé à Dieu, à ses bonnes inspirations et aux prières des saincts, entre les mains de celuy qui luy avoit vendu ladite phiole, et qu'il repetoit cela tous les ans le 14 septembre à son esprit, qui luy apparoissoit en feu, lequel esprit s'appeloit Boël[230]; il dit aussi qu'il estoit aërien, vapeur de la region d'Orient. Il fut trouvé saisy d'un Agrippa[231] dont il se servoit pour faire des caractères[232]; et comme on luy eust demandé qu'il avoit fait de la dite phiole, il dit qu'il l'avoit cassée, et puis il dit qu'il l'avoit vendue, mais qu'il avoit juré qu'il ne le diroit point, et qu'il avoit fait un pact tacite avec son diable de lui donner tous les ans une poule[233] avec les suffumigations qu'il faisoit tousjours le dit jour 14 septembre. Il dit que quand le sorcier donne un malefice à mort, le diable leur donne six sols huict deniers, et à un animal la moitié. Il advoua avoir esté en une assemblée qui s'estoit faite en Bourgongne, et que les assemblées des magiciens ne se font que de huict en huict ans, où ils parlent tous en l'oreille d'un demon qui paroist de sept pieds de hauteur, auquel ils demandent ce qu'ils veulent, et que luy parlant avoit demandé de pouvoir guerir les maladies, et qu'après avoir mangé ils sont tous reportez chacun en leur demeure. [Note 229: C'est la première fois que nous voyons cet inoffensif oiseau tenir dans les invocations la place de la fameuse _poule noire_; mais celle-ci interviendra tout à l'heure.] [Note 230: Dans le _Diable boiteux_ imité de l'espagnol par Lesage, c'est Asmodée qui joue le même rôle. Celui-ci est un démon bien plus ancien et bien plus célèbre que ce _Boël_. Il est déjà question de lui dans la Bible. V., pour l'étymologie de ce nom, _Revue archéologique_, t. 4, 1re part., p. 326.] [Note 231: Le livre de Cornelius Agrippa de Nettesheim, _De philosophia occulta_, si fameux encore au XVIIIe siècle qu'on en publia en 1737 une traduction françoise, 2 vol. in-8.] [Note 232: Ce mot se disoit «de certains billets que donnoient les charlatans ou sorciers, et qui, à cause des figures talismaniques dont ils étoient marqués, pouvoient, disoient-ils, produire toutes sortes de prodiges. Il est utile de connoître cette acception du mot _caractère_ pour bien comprendre ce passage du rôle de Crispin dans _les Folies amoureuses_ de Regnard (act. 1, sc. 5): ... Tout le temps de ma vie J'ay fait profession d'exercer la chymie. Tel que vous me voyez, il n'est guère de maux Où je ne sache mettre un remède à propos, Pierre, gravelle, toux, vertiges, maux de mère. On m'a même accusé d'avoir un _caractère_.] [Note 233: V. l'une des notes précédentes.] Il dit encore que son esprit le dispensoit d'aller aux assemblées, à cause du gage qu'il lui donnoit tous les ans, et que la dernière des dites assemblées se feit en l'an mil six cents quatorze, et que s'il ne se fust defait de sa phiole, il y fust allé la veille de Noël, qui est le jour où elle se fait tousjours. Ce meschant homme estant interrogé combien il avoit gardé la phiole de laquelle nous venons de parler, il dit qu'il l'a gardée onze ans, et qu'il faisoit brusler de la semence de baleine dans un rechaut pour parfumer la dite phiole en disant: _Je te parfume en vertu de ce que tu m'as esté donné_, comme il s'y estoit obligé. Il se mesloit de donner des feuilles d'herbes sur lesquelles il escrivoit certains mots qu'il disoit guerir des fièvres, et s'il n'estoit bien payé, il faisoit mourir les malades. Il dit qu'il advertit un jour le curé de Saint-Bonnet qu'un procez qu'il avoit pendant en la cour venoit d'estre jugé, et qu'ils estoient, sa partie et luy, hors de cour et de procez, ce qu'il sceut le jour mesme dans la ville de Moulins par le moyen de son esprit. Le dit sieur lieutenant luy ayant demandé s'il y avoit quelque caractère dessus la phiole, il respondit qu'il y en avoit un sur du parchemin et qu'il estoit noir. Ce ne seroit jamais fait qui voudroit dire toutes les meschancetez de cet imposteur, contre lequel il y avoit une infinité de plaintes qui furent cause que le dit lieutenant, ayant instruit son procez, le condamna d'estre pendu et bruslé, et quelques autres de sa cordelle[234] pendus. Le procez estant sur le bureau, il le feit amener pour l'entendre sur la sellette, où il se met à pleurer, disant qu'il avoit bien offencé Dieu en le reniant l'espace de dix ou unze ans, comme il avoit tousjours fait, et qu'il avoit aussi offert tous les ans, le 14 septembre, une poulle en sacrifice à un esprit nommé Bouël, lequel il adoroit enfermé dans une phiole, le parfumant avec de la fumée de semence de baleine, comme celuy qui luy avoit vendu luy avoit obligé. La sentence de mort luy estant prononcée, il appella en ceste ville pardevant messieurs de la cour, et quelques autres qui estoient condemnez à mort par la mesme sentence ne voulurent point appeler; toutesfois, le juge de Moulins, qui, comme j'ay dit, est un très habile homme, a envoyé ce Michel appellant et gardé les autres pour voir ce que le parlement en fera. [Note 234: De sa compagnie. Ce mot s'employoit pour _société_, _liaison_. On lit dans l'_Apologie pour Hérodote_, par Henry Estienne, «le stratagème duquel usa une femme d'Orléans pour parvenir à son intention, qui estoit _d'attirer à sa cordelle_ un jeune escholier duquel elle estoit amoureuse.»] Estant icy, et la cour l'ayant ouy et recogneu que c'estoit un très meschant esprit qui n'estoit capable que de faire du mal, et qui sçavoit à autre chose que faire des chevilles et des martoises[235], que mesmement il avoit esté banny par arrest pour des impietez dès l'an 1605, le renvoya à la fin du mois dernier à Moulins pour y estre bruslé tout vif, et ordonna encore la dite cour que les autres seroient menez en la Conciergerie pour, leur procez veu, estre ordonné ce que raison. [Note 235: Mortaises.] J'avois oublié de vous dire que ce magicien, pour attraper de l'argent, en faisoit porter certain nombre de pièces sur les croix de cimetières ou sur le seuil des eglises par ceux qui venoient à luy pour leur santé, et disoit qu'on ne pouvoit rien faire sans cela, et qu'il falloit que ce fust la nuict; et puis il y alloit et prenoit les pièces, qu'il mettoit dans sa bourse pour la guarir de l'evacuation qu'elle avoit, tellement que par ce moyen il en guarissoit deux à la fois. L'on peut veoir par ce discours que la fin de ces gens-là est tousjours deplorable, et que le diable ne tend à autre chose qu'à leur faire renier celuy pour la confession duquel ils devroient exposer mille vies, parce qu'il sçait bien qu'un homme qui a perpetré ce crime n'a jamais son esprit en repos, et que sans cesse la justice de Dieu l'espouvante, l'astuce du malin esprit estant telle, afin que, quand il a reduit à ce point quelque pauvre insensé, il le tourne et le manie à sa guise, luy promettant tout et ne luy donnant jamais rien, n'ayant pas de quoy se bien faire à soy-mesme. Au contraire, pour recompense de dix ou douze ans de service, ils les battent tout leur saoul, comme il a fait ce pauvre miserable, et leur representent ce qu'ils ont fait de mal toute leur vie afin de les desesperer. Il vaut donc bien mieux (sans comparaison) advouer Dieu, qui donne le ciel pour un verre d'eau froide, et une eternité de contentement pour recompense d'une oeuvre de charité qu'on aura seulement fait en son nom, et renier le diable, qui se sert des hommes comme des chevaux de bagage, et, après les avoir fait suer d'ahan en ce monde, n'a rien pour les faire rafraîchir en l'autre qu'un estang de feu et de souffre qui n'estaindra jamais. _Vraye Pronostication de M{e} Gonnin[236] pour les mal-mariez, plates-bourses et morfondus, et leur repentir._ _A Paris, Chez Nicolas Alexandre, rue des Mathurins._ M.DC.XV. In-8. [Note 236: Nous avons déjà dit quelques mots des farceurs qui se firent appeler _maître Gonin_ (V. notre t. 3, p. 53, note); nous allons revenir plus longuement sur leur compte. Le nom de _Gonin_, qui appartient, plus ou moins modifié suivant les pays, à toute une famille de bouffes italiens, françois, etc., me semble venir de la _gonne_ ou _gonnelle_, sorte de longue cotte dont ils s'habilloient. Tabarin, farceur de pareille espèce, emprunta ainsi son nom au _tabar_ qui lui servoit de costume, et le Charlatan (_Scarlatano_), prototype des autres, qui opéroit vers le même temps sur le Pont-Neuf, ne dut d'être ainsi nommé qu'à l'habit d'_écarlate_ dont il étoit vêtu. Dans ce monde de farceurs, c'étoit donc toujours l'habit qui faisoit, sinon l'homme tout entier, du moins son nom. La _gonne_ ou _gonnelle_ dut avoir d'autant mieux ce privilége pour les bouffons dont nous parlons, qu'elle avoit d'abord été robe de moine et d'écolier, et par là tout à fait prédestinée à la malice et aux bons tours. La Fontaine semble avoir eu vent de cette origine quand il a dit, au commencement de son conte de _l'Ermite_ (11, 15): Gardez le froc, c'est un maître Gonnin. M. Walckenaer, prenant l'éveil sur ce vers, mit en note: «Le mot _gone_, en ancienne langue romane, signifioit toutes sortes d'habillements, et surtout une robe de moine. Je crois que le mot _gonin_ en est dérivé.» C'est ce que nous soutenons, en tâchant de le prouver plus complétement. Nous trouvons en Italie, dès le XIVe siècle, un bouffon qui prit ainsi son baptême de la malicieuse robe; seulement, comme on ne l'y désignoit que par son diminutif _gonella_, c'est aussi par ce diminutif qu'on désigna le farceur: on l'appela Pietro Gonella. Il vivoit à la cour d'un duc de Ferrare, dont il semble avoir été le fou en titre d'office. Ses bouffonneries, qui sont souvent citées dans les Nouvelles de Sacchetti, et dont on fit un recueil dès le commencement du XVIe siècle, _le Bufonerie del Gonnella_, Firenze, 1515, in-4, coururent toute l'Europe. En Espagne elles étoient si populaires que Cervantes, pour dépeindre d'un trait la maigreur de Rossinante, se contenta de dire, sûr d'être compris, qu'il avoit plus triste apparence que le cheval de Gonéla. C'étoit une allusion à l'histoire, tant de fois rajeunie depuis, de cette pauvre rosse étique et décharnée que notre farceur avoit mise en défi avec le meilleur cheval du duc. Il avoit parié qu'elle sauteroit plus haut: il la fit jeter du haut d'un balcon, et, comme le duc ne se soucia point de l'épreuve pour son cheval, Gonella gagna le pari. Cette popularité du Gonella italien, qui dut se répandre en France plus facilement encore qu'en Espagne, donna sans doute de l'émulation à nos bouffons françois, et fut cause peut-être que, comme ils avoient pris le même habit, ils reçurent à peu près le même nom. Le premier maître Gonin que nous trouvons en France dit ses farces et fait ses tours, souvent fort libertins, à la cour de François Ier. (V. Brantôme, _Dames galantes_, discours 2, art. 3.)--Il eut, suivant le même écrivain, un petit-fils, qui vivoit sous Charles IX, et qui fut moins habile que lui. Depuis, maître Gonin ne reparoît plus à la cour, ce qui ne l'empêche pas pourtant de se mêler des affaires de l'État. Il est simplement, comme ici, faiseur de pronostications politiques, diseur de bons contes, ou joueur de gobelet sur le Pont-neuf. Sorel, qui le connut sous le règne de Louis XIII, nous a parlé de la grande escarcelle dans laquelle il mettoit ses instruments pour faire ses tours de passe-passe.» (_Hist. comique de Francion_, p. 177.) Ce sont ces mêmes tours qui ont perpétué sa réputation. Dans la scène 22 de _la Maison de campagne_, petite comédie de Dancourt, il est encore question des _tours de maître Gonin_.--Nous le trouvons aussi en Allemagne. Aux noces de la princesse Sophie de Bavière, Gonin, chef des magiciens bavarois, est avalé par Zytho, magicien de Bohême. (Goerres, _Hist. du doct. Faust_, dans son ouvrage sur les _Livres populaires en Allemagne_.)] Les plus sages bien souvent sont les plus fols, et leurs folies quelquesfois preparent aussi bien à rire à plusieurs, parceque les fols sont de saison en tout temps, voire en plus grande abondance que pistoles et escus. Tels furent autrefois (sauf leur honneur et meilleur advis) le bon homme Aristophane pour le premier, qui s'est amusé à faire un long discours des nues, situées en la région des oiseaux[237]. O le beau païs! C'est ordinairement le séjour des folles pensées de tout temps, et d'aujourd'huy dea! O que les grands remueurs d'affaires y feroient bien leur cas! Qu'y fussent-ils tous! ils ne nous eussent donné tant d'empeschement et de malheur que nous en recevons. Nostre Aristophane donc estoit-il pas bien sage, à votre advis, d'avoir entrepris ce folastre discours de nues? A quel propos? n'en voit-on pas assez icy tous les jours et partout? Voyons l'autre: c'est Homère, qui se mit autrefois à escrire en vers grecs (ô la grande folie!) une imaginaire bataille survenue entre les rats et les grenouilles, qu'il appelle en grec _Batracomiomachie_, d'un nom aussi long qu'une perche de huict pieds, en huict syllabes. Là il represente une cruelle et dangereuse meslée, tant par eau que par terre, leurs saillies, leurs ruses, leurs embusches, bref tous les petits tours et finesses de guerre qu'on sçauroit excogiter[238]; et je croy que, si ces petits animaux eussent un peu estez dressez au manége, pour apprendre quelque civilité bestiale, ils eussent bien fait parler de leur vie, et en eut-on raconté merveilles, veu leur grand courage qui reluisoit sur leurs armes, presque aussi furieux et boursouflans que les Cyclopes du temps passé, qui, voulans escheler[239] les cieux, se virent en un instant foudroyez de l'inevitable bras du haut Juppiter. Je voudrois qu'il m'en eut cousté quinze, voire quarante-cinq (je ne m'en soucie pas, je joue assez bien) et qu'il fussent en vie: ils feroient, j'ose dire, merveilles; ils trouveroient de merveilleux subjects pour exercer leur style et eloquence, non pas à une fantastique description de nues, ou d'une guerre de rats et grenouilles, cela n'est point digne de la grandeur de si hauts, si sublimes, si relevez et scientifiques esprits comme le leur; je les voudrois cognoistre, s'ils estoient en vie: je les prierois d'employer quelques heures de temps à plus belle et haute recherche: ils en seroient louez, et peut estre recompensez, on ne sçait; le monde ne sera pas tousjours pauvre ny chiche; chacun aura de l'argent, car la paix qui arrive bientost[240] fera vendre toutes les harquebuses, piques, mosquets et halebardes: aussi bien cela faict trop de bruit pour rien. Mais helas! _garda filiol_, dit l'Italien, je voy desjà les taverniers qui deviennent fort bleus[241], principalement ceux d'auprès les portes: ils vont donner du cul à terre, car, puis qu'il n'y aura plus de soldats aux portes, que la paix les fera toutes ouvrir comme auparavant, la grande peur qui pensa esbranler tous nos faux-bourgs, qu'aurons-nous à faire d'en avoir tant? Et à quel propos encor le vin à cinq, six et huict sols, puis que l'Auvergne, le Languedoc, la Provence, la Gascogne et la Bourgongne en regorgent de tous costez? Chacun son tour, dit la devise: mettez donc les armes au ratelier derrière la cuisine, n'en parlons plus. Traitons d'autre matière plus serieuse. Il m'est tombé en main un certain traicté en façon d'ephemeride, ou prognostic, copié, composé, calculé et diligemment metagrabolisé[242] d'un costé et d'autre, voire à tous visages, aages, lunettes et complexions. O qu'il est beau et bien fait! Il meriteroit d'avoir du rouge parmy[243], car il promet _mirabilia_ pour ceste année et l'autre. Ha! que le bon-heur nous en veut bien que maistre Gonnin n'est pas mort! Ce seroit presque, je vous dis, une perte irreparable. Il logeoit sur un haut pigeonnier, pour mieux depuis là dresser ses horoscopes. Il faisoit là le maistre Gonnin, et, conptemplant partout, il voyoit tant de fols que c'est merveilles. Il dit qu'il apperceut non guères loing d'icy certains courriers, sans paquet ny commission, courans de nuict, qui abbayoient contre la belle et claire lune, parce qu'elle ne donnoit ses rayons que là où il luy plaisoit (Regardez la folie!), et ainsi ne cessoient d'esveiller tout le monde par où ils passoient, courans, trottans, allans, venans, gastans tout, sans regarder où ils mettoient les pieds, sautans tantost dans un jardin, tantost dans une vigne, tantost dans les bleds, et, qui pis est, les vit faire de terrible mesnage dans une eglise près d'Auxerre. Je ne parleray point des coups de mousquets contre le crucifix, et du vol du sainct calice, du mesprix faict au Saint-Sacrement, et du violement en icelle eglise[244]; non, je n'en veux dire mot, parce qu'aucuns de ces courriers sans envoy furent traictez comme il falloit; je parleray seulement de la trongne qu'ils faisoient à ceste belle lune (entendez bien), la poursuivans comme folastres cinges; mais elle s'en rioit et n'a laissé de faire son cours, portée honorablement sur cest hemisphère, sans se soucier de leur abbayement, parceque, comme ils disent en Languedoc et Provence, _bran d'aze ne monta ou seou_, c'est-à-dire brayement d'asne ne monte point au ciel. Ces courriers donc et postillons d'Æole, n'estant que vent, sont-ils pas mal mariez? Jan, c'est mon[245], si font, voire avec belle folie. O la gaillarde et prudente femme! c'est pour faire une bonne et honorable maison. Escoutons encore maistre Gonnin: il dit que, dès le commencement du printemps, et ce qui s'ensuit jusqu'à et _cætera_, je n'ay peu lire que cecy: Aucuns remplis de male humeur Verront l'effect des sept planettes, Notamment de Juppin l'ardeur, Dardant son foudre sur leurs testes. [Note 237: L'auteur réunit ici dans une même allusion deux des comédies d'Aristophane, _les Nuées_ et _les Oiseaux_.] [Note 238: _Excogitare_, penser.] [Note 239: _Escalader._ Ce mot étoit déjà suranné, mais on l'employoit encore quand il s'agissoit de rappeler la lutte des Titans contre Jupiter. «Laissez-le venir, ce géant qui menace d'escheller les cieux», lit-on dans _l'Astrée_, 4e part., liv. 2.] [Note 240: La paix entre la reine mère et les princes mécontents avoit été signée le 15 mai 1614 à Sainte-Menehould. Ce passage, qui nous montre cette pacification comme étant seulement en espérance, nous feroit penser que _la Vraye pronostication de maître Gonnin_ est des premiers mois de 1614. L'édition que nous suivons, et qui porte, comme on l'a vu, la date de 1615, n'est donc certainement pas la première.] [Note 241: On disoit devenir _bleu_, et surtout faire des _coups bleus_, pour _tenter des efforts inutiles_, _des entreprises qui ne réussissent pas_. (Leroux, _Dictionnaire comique_.)] [Note 242: L'auteur suit pour ce mot la mauvaise orthographe adoptée par Bruscambille; c'est _matagraboliser_ qu'il faut lire, comme l'a écrit Rabelais, d'après les trois mots grecs dont il a dérivé cette expression burlesque. (V. liv. 1, ch. 19.)] [Note 243: Dans les livres de droit, l'on imprimoit en lettres rouges les titres et les passages importants du texte: c'est ce qu'on appeloit _rubriques_.] [Note 244: Les ravages auxquels il est fait allusion ici, et qu'avoient commis les soldats des princes mécontents, donnèrent lieu à plusieurs écrits, où se retrouvoient les plaintes des habitants de la campagne: _La carabinade du mangeur de bonnes gens_, 1614, in-8;--_Ennuis du paysan champestre, adressé à la reine regente_, 1614, in-8;--_Discours de M{e} Guillaume et de Jacques Bonhomme sur la defaite de 35 poules et le coq faite en un souper par 3 soldats_, 1614, in-8. Après la paix, d'autres livrets avoient paru dans lesquels éclatoit la joie de ces pauvres gens, délivrés enfin de ceux qui les mettoient au pillage: _L'Hymne de la paix chantée par toute la France, par les laboureurs, vignerons et autres paysans qui l'habitent, pour l'assurance qu'ils ont maintenant de paisiblement recueillir le fruit de leurs labeurs;--Le Holà des gens de guerre fait par le messager de la paix... dédié à Monsieur, frère du roy, qui donne la sauvegarde aux paysans..._, par Beaunis de Chanteraine, sieur des Viettes, 1614, in-8.] [Note 245: V., sur cette expression, la note d'une des pièces qui précèdent.] L'exposition se voit cachée en la page viceversa de l'autre costé, ce me semble, où il parle de ce Dieu Chronien Saturne, tout refrongné, qui mangeoit ses enfans propres quand il estoit en colère, comme dient les Poètes, n'espargnera pas ceux qui comme Icares veulent monter trop haut avec aisles de cire, en danger qu'il ne les envoye avec Vulcan en l'isle de Lemnos faire des lunettes pour voir plus clairement le fonds de leurs affaires; ou bien aux Indes[246] pescher au fleuve du Gange ces grandes anguilles de trente brasses de long: cela les rassasieroit un petit. [Note 246: Après les guerres civiles on voyoit souvent les gens du parti vaincu s'exiler volontairement pour aller offrir leurs services aux princes étrangers, ou fonder des colonies, comme les chefs huguenots Laudonnière et de Gourgues l'essayèrent dans la Floride sous Charles IX. En 1614, ceux qui avoient servi sous les princes et que la paix venoit de laisser sans emploi manifestèrent des intentions pareilles, comme ce passage semblerait l'indiquer, et comme on le sait d'ailleurs par l'ordonnance royale qui fut alors rendue pour y mettre obstacle: _Lettres-patentes du roi portant defenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'ilz soient, de n'enlever aucun soldat hors de ce royaume pour aller servir aucun prince étranger, et enjoint à ceux qui y sont allés de s'en revenir sous peine du crime de lèse-majesté._ (22 septembre 1614.) Louis XIV, après la Fronde, persuadé qu'il étoit plus prudent de repousser du royaume ce vieux levain de rebelles que de l'y garder, prit une mesure toute contraire. «On envoya, dit Lemontey, périr à Candie, en Afrique, en Hongrie, les vieux soldats gâtés par la licence des discordes civiles, et le duc de Beaufort, le roi des halles, et le comte de Coligny, qui avoit suivi Condé chez les Espagnols.» (_Essai sur l'établissement monarchique de Louis XIV, etc._ Paris, 1818, in-8, p. 328.)] Juppiter estoit un mauvais garçon; pour regner sans empeschement, il envoya Neptun gouverner les mers, et Pluton les enfers, maintenant ainsi son sceptre avec son foudre trisfulque et formidable. Mars[247] se sent si fort, qu'il ne voudra point de compagnons: ainsi se fera redoubter en ses canons et estendarts; c'est bien aussi la raison. [Note 247: C'est le prince de Condé, chef des mécontents, comme tout à l'heure Jupiter c'étoit le roi.] Mercure, fin et subtil, qui entend le pair[248] et le jars[249], fera desormais des merveilles (selon qu'il est predit), car Quelques uns par trop hasardeux, Pour avoir vuidé trop d'ordure, Se verront frotter de Mercure, Mais je n'entends pas du fumeux. [Note 248: V., sur cette expression, notre t. 3, p. 276-277.] [Note 249: On disoit par abréviation _entendre le jars_ pour entendre le _jargon_ ou _argot_ des voleurs. Il est tout naturel que Mercure sût cette langue-là. Si le duc de Mercoeur n'étoit mort en 1602, je croirois que c'est de lui qu'on a voulu parler sous ce nom de Mercure, qui se prononçoit comme le sien.] Aussi ce minéral Mercure est propre particulièrement à nettoyer les malins ulcères qui gastent et corrompent le corps. Sol leur donnera bien de la peine, car, ayant trop longtemps demeuré en campagne soubs l'ardeur de ses chauds rayons, en concevront telle douleur de teste, qu'à aucuns faudra une prompte et vive saignée ès parties jugulaires; et aux autres, des restraintifs au gosier pour retenir les humeurs bilieuses et peccantes. La Lune ne leur sera non plus favorable que les susdits, car, estant de son naturel froide, elle les fera tant tousser, cracher, vesser et roussiner, qu'on sera contraint, les sentens si fort puyr, de les appeler les morfondus à la Lune; mais, comme porte son prognostic, Le laboureur après l'esté A ses maux aura recompense, Mais le fol sera mal traicté Et puny pour son insolence. Vénus leur pourroit bien bailler quelque horion; mais elle a pitié d'eux, comme douce et favorable, les voyant si maigres et hideux; mais elle les renvoyera à son ennemie Pallas, qui leur cassera les restes, pour récompense de leurs vains labeurs, ainsi comme est porté par la même prédiction, car C'est almanach fait de nouveau Promet par un certain presage, Non du froid, ny gresle, ny eau, Mais aux fols un très-grand domage. Voilà quant au mal mariez avec dame folie, qui, se repentans et sentans maintenant l'hyver arriver, ne trouvans plus rien à fricasser, recèlent et cachent leurs doubles cornes, comme les limaçons, honteux d'estre la matière fabuleuse entre le peuple; on leur pourra dire en riant et sans scandale que Il ne faut jà contrefaire Et faire semblant d'avoir froid: Car tel sera, au contraire, Mieux à couvert qu'il ne voudroit. O la grande folie que c'est de piller le poivre avant qu'avoir le lièvre, se jetter en longues et plausibles espérances! Mais de quoy enfin? de rien. Voilà un mariage bien égal, Maistre fol avec Dame folie! ils feront de beaux enfans, ils auront la barbe en naissant, aux dents. Je leur conseille de se servir le plus promptement qu'ils pourront de ce mien advis (si toutefois ils en ont le temps), d'assopir le feu de telle fougade[250], et faire comme les anciens Romains, qui avoient des prestres pour appaiser les foudres et tonnerres, et ce par loix expresses portées aux douze tables, qu'ils ayent des amis qui aydent à esteindre le feu qu'ils ont allumé: car, si Juppiter (qui regarde la France tousjours de bon oeil) les regarde une fois en courroux, je les voy perdus; il faudra _herbam dare_, comme dit le proverbe, donner le torchon d'herbe au maistre et vainqueur, à la façon des pasteurs, qui, ayant luité un long temps ensemble, à la fin celuy qui est vaincu sur le lieu même arrache une poignée d'herbe et la présente au vainqueur en signe de victoire, il en faudra faire de même; mes amis (pas trop); il faut estre sages, ou estre chastiez, l'un ou l'autre infailliblement; il en est temps, car Voicy l'hyver, avec sa robe grise, Qui vous rendra les membres tout perclus. Où irez-vous? Hé! vous n'en pouvez plus: Vous tremblottez soubs un manteau de frise. [Note 250: La _fougade_, _foucade_ ou _fougasse_, étoit une sorte de petite mine qu'on préparoit sous un ouvrage qu'on vouloit faire sauter. Ce mot s'employoit aussi figurément. On dit encore dans quelques provinces d'une personne qui va par élans et par fougue: _elle fait tout par foucade_.] Les voilà donc en danger d'estre enroolez soubs le drapeau des morfondus, car d'attendre à l'année qui vient, il n'y faut pas seulement songer. Maistre Gonnin ne veut pas embrouiller ses prédictions de cest article: ils voient arrivé ce qu'il a predit, à sçavoir (prenez bien garde), et retenez les termes icy expressément couchez: Que jamais les fols ne joueront bien leur roolet; Que les outrecuideux donneront du nez à terre; Que les ambitieux, pour regarder de trop près le soleil, Deviendront lousches ou aveugles, etc. Hé, ne le voit-on pas? que sont devenus ces courriers sans commandement? _Castiga, Castiga, la frusta, la frusta à quelli forfantelli_; qu'on les chastie ces soldats morfondus. Et bien donc? qu'est-ce? qu'en dites vous? ha violeurs, mais il faudra estre vieleurs, et sonner le _troin troin_ de porte en porte pour gaigner quelque double[251], et n' sçay encor si on leur donnera permission, car, si les sergents de l'hostel de Scipion[252] les trouvent, ils seront incontinent enostelez, fustigez et rasez, et alors on les cognoistra bravement, et chacun dira: Aga mon amy, Aga m'amie, et beau Dieu! quelles gens sont-ce là? C'estoient des gaspilleurs du pauvre monde, des violeurs de femmes et filles, et maintenant ils sont soldats de plate-bourses, ils se sont mis vieleurs chantans par les portes, _fanfara helas! fanfara soldadons, fanfara bourse-plate_. Et falloit-il faire tant de bruit pour donner du nez si tost à terre. Hélas! il est arrivé à ces pauvres infortunez tout de mesme qu'aux cigales qui chantent tout l'esté, sans apprehender l'hyver, et, l'automne venu, elles deviennent enrouées, et ne peuvent plus chanter: ainsi ces plate-bourses et morfondus ne chantent plus. Il y a bien des helas cachez dessoubs les boutons du pourpoint; il y a bien de la demangeaison derrière l'oreille, beaucoup de folie en la teste, et encor plus de repentir au coeur. On entend desjà tant de: helas! je me repens! helas! je n'y pensois pas! helas! que feray-je? j'ay vendu mon espée pour du pain; au moins si j'avois pour achepter une meschante viéle! Ha! qu'on dit bien vray, quand le fol est pris, il a beaucoup plus de temps pour se repentir que pour fuyr! O que bien a dit le poète[253] parlant de la pauvre Caliston séduite: _Eheu! quam difficile est crimen non prodere vultu!_ [Note 251: Il est parlé dans l'_Histoire comique de Francion_ (Rouen 1635, in-8, p. 689) «des anciennes trompettes revenues des guerres» qui gagnoient leur vie à fanfarer sur le Pont-Neuf aux dépens de la bourse et surtout des oreilles du passant. Selincourt se plaignoit en 1633 de ce qu'on n'employât à la chasse que de simples cors au lieu de trompes, «qui, dit-il, se font entendre de plus de deux lieues, et, ajoute-t-il, de ce qu'on a établi une licence de sonner à la manière des maîtres du Pont-Neuf.» Cité par Le Grand d'Aussy, _Vie privée des François_, édit. Roquefort, t. 1, p. 426.] [Note 252: C'est la belle maison bâtie à la fin du XVIe siècle dans la rue de la Barre par Scipion Sardini, gentilhomme italien de la cour de Henri III. Sous Louis XIII cet hôtel devint l'un des _hôpitaux des pauvres renfermez_ «pour les hommes et les garçons», lisons-nous dans le _Supplément_ aux _Antiquitez de Paris de Du Breul_, p. 46. L'on ne sait pas au juste à partir de quelle époque il reçut cette destination. La Tynna dit, d'après Piganiol (t. 5, p. 122), que ce fut en 1636, M. L. Lazare en 1622; mais la date de notre pièce prouve que dès 1614 la transformation de l'élégant hôtel en hospice avoit eu lieu. Par ordonnance du 27 avril 1636 il fut déclaré, ce qu'il est encore, l'une des propriétés de l'hôpital général. Les bâtiments en sont occupés aujourd'hui par la boulangerie des hôpitaux et hospices civils de Paris. Le nom de Scipion a été conservé et a même passé à la rue de La Barre, où se trouve l'établissement. Le vieil hôtel y survit par quelques restes précieux, six arcades surmontées de médaillons en terre cuite. «C'est, dit M. de Laborde, un curieux spécimen d'un genre de construction dont nous n'avons pas d'autre exemple à citer dans Paris, et d'une décoration qui n'a que trop d'imitateurs dans nos maisons modernes.» (_Revue nouvelle_, 1er mars 1846, p. 389.)] [Note 253: Ovide, au liv. 2 des _Métamorphoses_.] O qu'il est mal aisé de tenir caché le meffait! Les voylà donc bien à sec, bien faits de corps, sans manteau, sans poignard ny espée, encor moins de mousquet! Et pourquoy cela? Parceque On peint Bellonne et Mars tousjours tous nuds, Car ceux qui s'y sont pleus, tels en sont revenus. Ha ha! ils pensoient tout fendre nostre gros bois[254]; mais ils ont faict comme l'ours, qui, pour avoir le miel caché dans le chesne entr'ouvert, s'y enserra gentiment les pattes, parce que le renard osta les coins[255]. Ils se promettoient trop à un coup; mais poisson qui nage n'est pas prest; le _Bouillon_[256] n'en vaut rien, il est trop fade. O qu'ils sont tristes! car Faute d'argent n'emplit pas la bouteille; Faute d'argent rend l'homme tout deffaict; Faute d'argent l'homme gras et refaict Rend maigre et sec, tremblant comme la feuille[257]. [Note 254: Cette locution est restée, mais diminuée. On dit seulement aujourd'hui de quiconque promet des merveilles: _il va tout fendre_; d'où le mot _fendant_ pour _fanfaron_.] [Note 255: _Le Roman du Renart_, publié par Méon, t. 2, p. 24.] [Note 256: On joue ici sur le nom du maréchal de Bouillon, qui étoit, avec le prince de Condé, l'un des meneurs des troubles. On a souligné à dessein le nom dans le texte, pour rendre cette allusion plus transparente que toutes les autres qui se trouvent dans cette pièce.] [Note 257: Ces quatre vers font partie d'une chanson qui étoit déjà populaire au XVIe siècle, et qui se trouve dans le Recueil que Pierre de Phalèse réimprima à Louvain en 1554. Elle a pour refrain ce vers qui devint proverbe, et que Rabelais cite comme tel (liv. 11, ch. 16): Faute d'argent est douleur non pareille, Roger de Collerye a pris cette chanson pour en faire son 71e rondeau. (V. ses _Oeuvres_, édition elzevirienne, p. 223.) Nous allons rétablir d'après lui les quatre vers cités incorrectement ici: Faulte d'argent n'emplist point la bouteille, Faulte d'argent rend l'homme tout deffaict, Triste et pensif, non pas gras et reffaict, Mais mesgre et sec, tremblant comme la feuille.] Jamais le peintre Appelles ne depeignit mieux sa Venus que les voylà proprement despeints, et, comme dit la fin de la prediction, C'est trop folement despendu, Quand pour despendre on est pendu; Qui plus despend qu'il n'a vaillant Faict le cordeau dont il se pend. Qu'on fasse son profict: baste pour ce coup! _Motus_, la caille pond. C'est assez, ostez-vous de là. _La Misère des Apprentis imprimeurs appliquée par le detail à chaque fonction de ce penible etat. Vers burlesques._ S. L. ni D. In-8. Cher et fidèle amy, dont l'ame bienfaisante Fut à tous mes malheurs toujours compatissante, Exact observateur des loix de l'amitié, Si quelquefois ton coeur fut touché de pitié, Si jamais d'un amy tu plaignis l'infortune, Plains de mon triste sort la rigueur importune. Privez du doux plaisir d'un tranquille repos, Mon esprit et mon corps sont accablez de maux: L'ame pleine d'ennuis, de soins, d'inquietude, Les reins attenuez, rompus de lassitude, Du matin jusqu'au soir je cherche vainement Les momens pretieux du moindre allegement. Toy qui sçais, pour l'avoir eprouvé par toy-même, Que d'un pauvre apprentif la misère est extrême, Ne crois pas qu'écrivant ceci par passion, Je te veuille du vray faire une fiction; Ne crois pas qu'excité par un fougueux caprice, Ou poussé d'un esprit de fiel et de malice, Je vienne exagerer ici sur le papier La peine qu'on endure en ce maudit metier. Moulé sur ton exemple, instruit par tes maximes, Selon moy, l'imposture est le plus grand des crimes. Ainsi, sans m'eloigner d'un ou d'autre côté, Je veux marcher d'accord avec la verité. Lorsqu'aux vives ardeurs de ma promte jeunesse L'âge eut fait succeder une lente sagesse, Elle me suggera de penser murement A m'ouvrir le chemin d'un etablissement. Sur le choix d'un état mon esprit en balance De mes meilleurs amis consulta la prudence. Alors (par je ne sçay quelle bizarre humeur), L'un d'eux me conseilla de me faire imprimeur; Il me vanta si bien cet art noble et sublime, Et m'en fit concevoir une si haute estime, Que j'aspiray d'abord avec ambition Au moment d'embrasser cette profession. Pour le prix, pour le temps, ayant fini d'affaire, Je cours chez le recteur, qui de regent sevère Devint traitable et doux en voyant le ducat Que je luy mis en main pour son certificat[258]; Puis je fus avec zèle (au moins en apparence) Au syndic, aux adjoints, faire la reverence[259], De crainte qu'omettant cette formalité, Un delay ne punît mon incivilité. Je parus à la chambre, où par acte authentique Je fus fait aggregé du corps typographique; Je juray d'observer les loix et les statuts, De former mon esprit à toutes les vertus. Mon brevet fut ecrit en termes energiques Et dans tout l'on garda les formes juridiques. Le jour dejà baissant, je quitte le bureau, D'où, piqué des accès d'un caprice nouveau, Ou plustôt transporté de rage et de furie, Je cours avec vitesse à notre imprimerie. Là, pour premier objet, je trouve dans les cours Cinq ou six malotrus ressemblans à des ours. L'un, des sabots ès pieds, roule à perte d'haleine Une vilaine peau que partout il promeine; L'autre apprête de l'encre, et presente un minois Qui fait honte en noirceur au moins blanc des trois rois. Tirant de tout ceci mauvaise conjecture, De mon choix imprudent je gronde et je murmure, Quand le prote[260] d'un air dur et rebarbatif: Est-ce vous qui venez ici pour apprentif? --Ouy, Monsieur. A ces mots, la main il me presente Et me fait compliment sur ma force apparente. Quel compère! dit-il; vous suffirez à tout, Et des plus lourds fardeaux seul vous viendrez à bout. Portez donc ce papier, et le rangez par piles. Moy, qui sens mon coeur foible et mes membres debiles, Je ne veux pas d'abord chercher à m'excuser, De peur que de paresse on ne m'aille accuser; Je m'efforce, et, ployant sous ma charge pesante, Chaque pas que je fais m'assomme et m'accravante[261]; Je monte cent degrez chargé de grand-raisin[262]; J'en porte une partie au plus haut magazin, Et, pour le faire entrer dans une etroite place, Avec de grands efforts je le presse et l'entasse. N'ayant encore fait ma tâche qu'à demy, J'entends crier d'en bas: Holà donc! eh! l'amy! Je descends pour sçavoir si c'est moy qu'on appelle. Ouy, dit le prote, il faut allumer la chandelle. --Où l'iray-je allumer?--Attendez, me dit-il, Je m'en vais vous montrer à battre le fusil. En deux coups je fais feu. Bon, vous êtes un brave; Bon coeur! vous irez loin. Descendez à la cave. Quand vous aurez remply de charbon ce panier, Vous viendrez allumer du feu sous le cuvier. Tout fatigué dejà d'un si rude martire, Je commence à me plaindre, à jurer et maudire. Tantôt de mon malheur je n'accuse que moy, Et tantôt je m'en prends à la mauvaise foy, A l'avis seducteur d'un amy peu sincère Qui me fit endosser ce collier de misère. Je prends pourtant courage, et, me faisant raison, Je monte vite en haut allumer du charbon. Pour y mieux reussir, par terre je me couche, Je me sers du soufflet, je souffle avec la bouche. Des bluettes du feu les yeux tout eborgnez, J'avale de la cendre et j'en prens par le nez. A la fin, le charbon se convertit en braise Et petille avec bruit dans l'ardente fournaise. Alors, comme bientôt huit heures vont frapper: Vous pouvez, me dit-on, vous en aller souper. A peine ay-je entendu cette douce parole Que precipitamment je m'elance et je vole; Je gagne le logis, où, pour surcroît d'ennuy, J'apprens que pour souper faut attendre à minuit. Pour moderer l'excès de mon humeur chagrine, Je prens pour lit de camp un coin de la cuisine, Où, malgré l'insolence et le bruit des laquais, Je dors comme au milieu d'une profonde paix. Justement pour souper me reveillant à l'heure, A table avec les gens peu de temps je demeure, Et, dejà degoûté de leurs fades propos, Je cours avec vitesse au lieu de mon repos. Dans le coin d'une court à tous vents exposée Paroist un antre obscur juste à rez-de-chaussée. Là règne une maligne et froide humidité, Capable d'alterer la plus forte santé. Il est vray qu'on n'y craint ni puces ni punaises; Mais partout, sur le lit, au plafond, sur les chaises, On voit par escadrons les escargots courir, Et d'un germe gluant les murailles couvrir. C'est dans ce lieu charmant, dans ce sejour aimable, Que deux ais, vieux debris d'une mechante table, Servent à soutenir un malheureux grabat Pour le moins aussi dur que celuy d'un forçat. Malgré sa dureté, je dors comme un chanoine: On m'entendroit ronfler du faubourg Saint-Antoine. Mais, helas! je commence à peine à sommeiller, Je n'ay pas fermé l'oeil, qu'il faut me reveiller! Car j'entens tirailler une indigne sonnette, Qui, de son bruit perçant ebranlant ma couchette, Me dit d'aller ouvrir la porte aux compagnons. Je saute donc du lit, et, marchant à tâtons, Souvent transi de froid, je tempête et je jure De ne pouvoir trouver le trou de la serrure. C'est encor pis vingt fois quand, au fort de l'hyver, Je trouve le chemin de neige tout couvert: Car, voulant promptement faire entrer ces maroufles, Je traverse les cours sans souliers ni pentoufles, Je me trace moy-même avec peine un chemin, Et me guidant bien moins des yeux que de la main, La voix d'un furieux qui contre moy s'emporte Me met dans le sentier qui conduit à la porte. J'ouvre donc, et par grace un d'entr'eux m'avertit Que je puis, si je veux, m'aller remettre au lit. Helas! je n'y suis pas que deux de ces belîtres, Faisant les timbaliers sur un paneau de vitres, M'annoncent par leurs cris qu'il faut faire du feu. Comme tout valet neuf doit se contraindre un peu, Je m'habille à la hâte, et d'un esprit docile Je feins de trouver tout agreable et facile. Dès qu'on m'a dit: D***, allez chercher du bois: --Ouy-dà, Messieurs, plustôt quatre charges que trois. Aussi tost fait que dit, j'y cours avec grand zèle. Le bois fendu, j'apprête et nettoyé le poêle; J'y mets force papiers pour le mieux echauffer; Mais, le feu par malheur venant à s'etouffer, Une noire vapeur remplit l'imprimerie. Tout le monde deserte, on me maudit, l'on crie, Pendant que, n'ayant pas l'esprit de m'esquiver, Je me mets au hazard de me faire crever. Un des moins violens de la troupe animée Par son adresse fait dissiper la fumée, Et (de peur qu'il m'arrive un accident nouveau): Laissez le feu, dit-il, allez tirer de l'eau. --Le baquet put, dit l'autre, on diroit d'une peste; Nettoyez le dedans, et vuidez l'eau qui reste; Ne manquez pas surtout de le mettre tout plein, Car nous avons beaucoup à tremper pour demain. C'est là qu'il faut subir une nouvelle peine: Le puits est si profond qu'il me met hors d'haleine, Et pour mon coup d'essay, je me trouve si las, Que le seau près du bord m'emporte et tombe en bas. Pour achever pourtant un si penible ouvrage, De nouveau je m'excite à reprendre courage, Le baquet plein, j'entends d'une voix de lutin Cinq ou six alterez crier: D***! au vin! L'un dit: Je bus dimanche au bas de la montagne[263], D'un vin qui, sur ma foy, vaut du vin de Champagne. Si, sur un tel rapport, quelqu'autre en veut goûter, Fût ce encore plus loin, il faut m'y transporter; Celuy-cy veut du blanc, celuy-là du Bourgogne. Si je tarde un peu trop, ils me cherchent la rogne[264], Sans songer que souvent pour leurs demy-septiers Il faut aller quêter chez dix cabaretiers. A l'un faut du gruyère, à l'autre du hollande; Un autre veut du fruit, faut chercher la marchande; Encor ont-ils l'esprit si bizarre et mal fait Qu'avec toute ma peine aucun n'est satisfait. Je ne replique rien, mais dans le fond j'enrage De me voir accablé de fatigue et d'ouvrage, Et d'être à tous momens grondé mal à propos, Pendant que ces messieurs déjeunent en repos. Il faut aller porter en ville quelque épreuve; Soit qu'il vente, ou qu'il neige, ou qu'il grêle, ou qu'il pleuve, Dès que l'on m'a donné mes depêches en main, Pour arpenter Paris je me mets en chemin. Ma course la plus rude et la plus ordinaire Est d'aller du logis ou du mont Saint-Hilaire A cette belle place où tant de partisans[265] Ont de si beaux palais bâtis à nos depens. Le mal est que jamais cette gent de corsaires Ne daigne d'un seul liard me payer mes salaires. J'ay beau, pour les servir, employer tout mon soin, Leur coeur est toujours dur et ne s'attendrit point. Souvent crotté, mouillé, jusques aux jarretières, Je reçois sur mon dos les torrens, les goutières; Et, ne portant jamais casaque ni manteau, Pour abri je detrousse et rabats mon chapeau. Quiconque me verroit en ce triste equipage, Me prendroit pour un diable arrivant du pillage. Mais, malgré tout cela, si je reviens de jour, On m'occupe aussi-tost que je suis de retour. Si quelque compagnon, ennuyé de m'attendre, A l'un des magazins est monté pour etendre, A jeun ou non à jeun, je cours le relever; Je me depêche à force et suis prest d'achever, Quand le prote, brûlant d'une ardeur brusque et promte, M'appelle pour aller commander une fonte. Du fondeur il m'envoye au marchand de papier, Du marchand de papier chez le parcheminier. De cruches, de balays, c'est moy qui fais emplette; S'il faut un seau, de l'huile, il faut que j'en achète. Loin de pouvoir sur rien le teston accrocher, En y mettant du mien j'achète encor trop cher. Parmy tant de rigueurs, si, me fixant ma tâche, On me donnoit par jour quelque heure de relâche, Je benirois le ciel au milieu de mes maux; Mais, les jours consacrez par Dieu même au repos, Les ouvriers, munis d'une succincte messe, Viennent avidement faire rouler la presse, Et me font prendre part à la peine qu'ils ont, Pendant que pour eux seuls est le revenant bon. Les dimanches il faut qu'eveillé de bonne heure, Je quitte au point du jour mon humide demeure. Si je tarde, j'entens notre prote abboyer. Devinant aisement que c'est pour nettoyer, Je me prepare encore à ce nouveau deboire; Je m'arme du balay, je prens la ratissoire; Je commence d'abord à lever tous les ais, A les bien ratisser et les rendre bien nets. Curieux de sçavoir si dans l'imprimerie Tout est mis et rangé par ordre et symetrie, Le prote me vient voir, et regarde avec soin Si j'ay bien balayé par tout dans chaque coin. Pour abattre, dit-il, les toiles d'araignée, Faites faire au houssoir une longue trainée, Et souvenez-vous bien que tous les quinze jours Il faut avoir le soin de balayer les cours. De crainte qu'après moy sans relâche il ne crie, Je fais ce qu'il me dit. J'entre en la tremperie, J'entasse les papiers, je vuide le fourneau, Et, rinçant tous les seaux, j'y mets de nouvelle eau. J'amasse en un papier toutes les baliûres, Et dès le lendemain, epluchant mes ordures, Je jette chaque lettre au gré de son destin, La mechante à la fonte et la bonne au castin. Ce qui par dessus tout me gêne et me desole, C'est le rude embarras que me donne la colle: Car, étant obligé de la faire au logis, Les laquais les premiers murmurent du taudis; La servante à son tour, faisant le diable à quatre, S'emporte quelquefois jusqu'à me vouloir battre, Et jure effrontement que ses pauvres chaudrons Sont perdus sans ressource et brûlez jusqu'au fonds. Transporté de dépit et perdant patience, Ma main d'un bon soufflet couvre son arrogance. Aussitost grand debat, grand bruit, nouveau courroux. Je l'appaise pourtant et luy fais filer doux (En effet, on le sçait, il n'est que telle aubaine Pour rendre douce et souple une femme hautaine). Comme dans le metier je suis encor nouveau, Je detrempe ma pâte avec un peu trop d'eau, De sorte que, la colle etant beaucoup trop claire, Chacun des compagnons entre en grande colère; Les plus malins sur moy font rouler l'entretien Et me taxent tout net de n'être bon à rien. Si je veux m'excuser d'avoir mal fait la colle, Ils me ferment la bouche et m'ôtent la parole, Crians tous en chorus: _C'est la piau! c'est l'epron!_ Car notre illustre corps parle un plaisant jargon[266]. Ils donnent à l'argent le nom de _colle forte_, Et, quand tous d'une voix disent: _Fermez la porte_, C'est qu'il faut depenser (sans soin du lendemain) Tout l'argent qu'un auteur m'a glissé dans la main; Bien plus, _avoir la barbe ou prendre la casaque_, Se dit d'un sac à vin qu'un autre yvrogne attaque, Et qui perd dans le vin le sens et la raison, Jusqu'à ne pouvoir plus retrouver sa maison. Bien _battre le tambour_, c'est quand je vais en ville User d'une manière attrayante et civile Pour forcer le plus dur et le moins bien-faisant A faire à _la chapelle_[267] un honnête present. Comme je n'entends point chaque terme gothique Tiré des lieux communs de l'art typographique, Tous mettent leur plaisir à me contrarier, Et sur un mot mal pris ne cessent de crier. Quel homme pourroit donc avoir l'ame assez dure Pour n'être pas touché des grands maux que j'endure? Mais pourquoy, dira-t-on, prendre un ton si plaintif? Est-ce pour être heureux qu'on se met apprentif? N'est-ce pas un etat de fatigue et de peine? J'en conviens, mais encor faut-il reprendre haleine, Et tout n'iroit que mieux quand un peu de repos Donneroit du relâche à mes rudes travaux. Mais, helas! en tout temps la peine est mon partage! Et l'hyver et l'eté je ploye sous l'ouvrage. Pour epargner l'argent qu'exige un vitrier, En hyver on me fait huiler force papier. C'est alors qu'au hazard de me fendre la tête, D'une echelle branlante il faut gagner le faîte, Pour que du haut en bas je puisse calfeutrer Chaque fente par où le froid pourroit entrer. De crainte que l'eté la chaleur excessive Ne fasse empuantir et tourner la lessive[268], Il faut à chaque fois la descendre au caveau, Puis aller l'y puiser pour la mettre au fourneau. De plus, c'est moy qui fais la petite besogne: S'il nous vient du papier à rogner, je le rogne; Si quelque maladroit laisse faire un _pâté_[269], Pour le distribuer je seray deputé. Par ce menu detail de ma grande misère, On voit qu'il n'est esclave ou forçat de galère Qui soit dans son malheur plus travaillé que moy. Toy dont le coeur est bon, cher amy, c'est à toy Que je veux adresser mes douloureuses plaintes. Dissipes mes soupçons et rassures mes craintes. A quoy dois-je m'attendre et que dois-je esperer? Ma misère doit-elle encor long-temps durer? Mais pardonne plustost si mon esprit s'egare, Si, par un mouvement ridicule et bizarre, Je deteste deja mon malheureux destin, Et, trop tost rebuté, j'en demande la fin. J'ay le coeur trop enclin à la reconnoissance Pour oublier que c'est par pure bienveillance Que tu m'as conseillé d'embrasser un etat Qui, tout rude qu'il est, a pourtant de l'eclat: Car enfin, si jamais des hommes l'industrie Parut dans aucun art, c'est dans l'imprimerie. Tenant comme en depost les escrits des sçavants, Elle sçait les sauver du naufrage du temps; Et, rendant les auteurs celèbres dans l'histoire, Elle en fait à jamais subsister la memoire. Amy, crois donc que c'est par simple jeu d'esprit Que j'ay formé le plan de ce burlesque ecrit, Et que tout autre etat plus rude et difficile A souffrir encor plus me trouveroit docile, Pourvu que dans mon choix j'eusse trouvé le tien, Et que dans mes degoûts tu fusses mon soutien. _Permis d'imprimer, ce deuxième jour de septembre 1710._ M. R. DE VOYER D'ARGENSON. [Note 258: «Aucun ne pourra être admis à faire apprentissage pour parvenir à la maîtrise de librairie et d'imprimerie s'il n'est congru en langue latine et s'il ne sçait lire le grec, dont il sera tenu de rapporter le _certificat_ du recteur de l'Université, à qui l'aspirant sera présenté par le _syndic_ ou l'un de ses _adjoints_; et de ladite présentation mention sera faite dans ledit certificat.» (_Règlement pour la librairie et imprimerie de Paris, arrêté au conseil d'Etat du roy, Sa Majesté y étant, le 28 février 1723_, tit. 4, art. 20.)--«Sera tenu ledit apprenti de remettre ès mains du syndic, pour les affaires de la communauté, la somme de trente livres lors de la passation du brevet, qui sera transcrit sur le livre de la communauté à la diligence du maître auquel l'apprenti sera obligé, et ce dans un mois pour tout délai, à peine de nullité du brevet et des dommages et intérêts de l'apprenti contre le maître.» (_Id._, _ibid._, art. 21.)] [Note 259: V. la note précédente.] [Note 260: Je n'ai pas besoin d'expliquer le sens de ce mot; je dois dire seulement que, pour le rapprocher encore davantage de sa racine, qui est le mot grec [Grec: protos], premier, on l'écrivoit quelquefois _proto_. C'est avec cette orthographe qu'il se trouve dans le _Mascurat_ de G. Naudé, in-4, p. 7.] [Note 261: _M'accable._ V. sur ce mot, alors très suranné, notre t. 3, p. 230.] [Note 262: Format de papier au-dessus du _carré_.] [Note 263: _Le mont Saint-Hilaire_, qui sera nommé plus loin, et sur lequel se groupoient, aux environs de Saint-Benoît et du Puits-Certain, la corporation des imprimeurs, des libraires, et celle des relieurs, qui sont d'ailleurs encore nombreux dans ce quartier. C'est depuis l'arrêté du 1er avril 1620 que les imprimeurs avoient surtout afflué de ce côté. Ordre y étoit donné «à tous imprimeurs de se retirer au dessus de Saint-Yves (rue des Noyers), avec defense de tenir imprimerie et presse en tout autre lieu, sur peine de la vie.» (V. sur ces libraires et imprimeurs du Puits-Certain une note de notre édition du _Roman bourgeois_, p. 222-223.)] [Note 264: Terme d'imprimeur pour dire quereller quelqu'un. (_Note de l'auteur._)] [Note 265: La place Vendôme, qui n'étoit achevée de bâtir que depuis quelque temps. Les magnifiques hôtels qui l'entourent avoient en effet été envahis par les traitants. Le plus vaste, celui que le ministère de la justice occupe aujourd'hui, étoit habité par Bouvarlais.] [Note 266: De tout temps les ouvriers imprimeurs avoient employé entre eux un langage et des signes particuliers, notamment ce qu'ils appeloient le _tric_, «signal de quitter le travail pour aller boire», dit Saugrain, _Code de la librairie_, p. 176. Le règlement de 1618, art. 34, le leur avoit interdit: «Sera défendu à tous compagnons imprimeurs et libraires de faire aucunes assemblées, tant en général qu'en particulier, ni de porter aucunes armes offensives de jour ou de nuit, seuls ou en compagnie, et pour quelque cause que ce soit, même de faire aucun _tric_ dans les imprimeries ni ailleurs, etc.»] [Note 267: C'est le fonds d'où l'on tire de quoi faire la fripe. (_Note de l'auteur._)] [Note 268: On lave les caractères avec de l'eau de lessive.] [Note 269: On dit aujourd'hui _faire tomber en pâte_. C'est ce qui arrive lorsqu'une forme s'est rompue par accident et que les caractères en sont tombés pêle-mêle.] _Arrest de la Cour du Parlement qui fait deffenses à tous patissiers et boulengers de fabriquer ni vendre, à l'occasion de la fête des rois, aucuns gâteaux, de quelque nature qu'ils soient._ Du 31 decembre 1740[270]. [Note 270: L'année 1740 avoit été une année de grande disette. Malheureusement, pour y porter remède, on n'avoit guère trouvé que des moyens d'une efficacité aussi douteuse que celui qui donna lieu à cet arrêt singulier. Le 20 mai l'on étoit déjà à bout d'expédients effectifs. Le Parlement, ne sachant où se prendre, avoit rendu arrêt pour faire découvrir la châsse de Sainte-Geneviève, en même temps que l'archevêque donnoit un mandement pour organiser des processions et des prières publiques.] EXTRAIT DES REGISTRES DU PARLEMENT. Veu par la cour la requête à elle presentée par le procureur general du roy, contenant que, dans le moment où la crue des rivières a causé de l'interruption dans la navigation et dans le travail des moulins, il auroit cru devoir porter ses vues sur tout ce qui pouvoit causer une consommation superflue des farines au prejudice de la subsistance necessaire; que l'objet des pâtisseries avoit excité d'abord son attention. Quoiqu'il y ait des exemples que dans des temps de cherté on en ait defendu l'usage, il n'avoit pas cru que l'etat present de cette ville dût exiger de pareilles defenses, mais que la proximité du six janvier prochain l'avoit engagé de se faire rendre compte de la quantité de farines qui se consommoit ordinairement dans les jours qui le precèdent et qui le suivent; qu'il auroit eté surpris d'apprendre que cela montoit souvent, en huit ou quinze jours de temps, à cent muids pour le seul objet des gâteaux qui se fabriquent, soit pour vendre ou pour en faire des presens; qu'il avoit jugé que la cour trouveroit cet employ de farines si inutile et si superflu à tous egards, qu'il avoit cru devoir, sans toucher aux pâtisseries d'une autre nature que celle des gâteaux, devoir lui proposer de faire des defenses bien expresses de fabriquer de cette dernière sorte de pâtisserie à l'occasion de la fête des Rois ou autrement, à commencer du jour de la publication de l'arrêt qui interviendroit jusqu'au quinze janvier prochain, sous des peines très sevères. A ces causes, requeroit le procureur general du roy qu'il plût à la Cour faire inhibitions et defenses à tous pâtissiers, boulangers et autres, de fabriquer, vendre, debiter, à l'occasion de la fête des Rois ou autrement, aucuns gâteaux, de quelque nature qu'ils soient, à compter du jour de la publication de l'arrêt qui interviendrait jusqu'au quinze janvier prochain, sous peine de cinq cens livres d'amende; qu'il soit enjoint au lieutenant general de police et aux commissaires au Châtelet, de tenir la main à l'execution dudit arrêt, et de donner avis à la cour des contraventions. Ladite requête signée du procureur general du roy. Ouï le rapport de maître Elie Bochart, conseiller. Tout considéré, La cour fait inhibitions et defenses à tous patissiers, boulangers et autres, de fabriquer, vendre, debiter, à l'occasion de la fête des Rois ou autrement, aucuns gâteaux, de quelque nature qu'ils soient, à compter du jour de la publication du present arrêt, jusqu'au quinze janvier prochain, sous peine de cinq cens livres d'amende. Enjoint au lieutenant general de police et aux commissaires au Châtelet de tenir la main à l'execution du present arrêt, et de donner avis à la cour des contraventions. Fait en Parlement, le trente-unième jour de décembre mil sept cent quarante. Signé, DUFRANC. _La Maltôte des Cuisinières ou la manière de bien ferrer la mule. Dialogue entre une vieille cuisinière et une jeune servante._ S. L. n. d. In-8. LA VIEILLE. Ah! vous voilà! Bonjour. Je vous cherchois partout; J'ai couru le marché de l'un à l'autre bout. De vous trouver à point certes je suis ravie. LA JEUNE. Et moi de vous parler vraiment j'avois envie; Mais pour vous aller voir je n'ai pas un moment. Le moyen, au logis tenue etroitement! Je n'ose m'absenter, je suis toujours en crainte. LA VIEILLE. Quoi! dans votre maison êtes-vous si contrainte? LA JEUNE. Je le suis à tel point que je veux la quitter: Ce sont gens avec qui je ne saurois rester. Je n'ai vu de mes jours femme plus ridicule. LA VIEILLE. Vengez-vous. LA JEUNE. Et comment? LA VIEILLE. Comment? ferrez la mule[271]; A bien peigner le singe[272] appliquez tous vos soins. [Note 271: V., sur cette expression et sur son origine, notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, page 15, note.] [Note 272: C'est-à-dire _tondre le maître_. Celui-ci s'appelle encore _singe_ dans l'argot des ouvriers.] LA JEUNE. Eh! que me dites-vous? Depuis six mois au moins, Pour redresser mes gens, j'ai, ma pauvre Marie, Usé tout mon sçavoir, toute mon industrie; Je n'ai rien negligé; mais, malgré tout cela, A peine ai-je de bon le corcet que voilà. Sur ma fidelité toujours en defiance, Des tours les plus adroits ils ont l'experience. Ce qui peut se peser, ils le pèsent vingt fois, Pour voir si je n'ai rien rapiné sur le poids. Prompts à se faire rendre un denier, une obole, Ils disent touiours que je les pille et les vole. Croiriez-vous qu'au marché quelquefois je les voy, Quand j'y pense le moins, venir derrière moi? En un mot, quoique gens à leur aise et bien riches, Au delà du vilain ils sont ladres et chiches. LA VIEILLE. Croyez-moi, mon enfant, il n'est point de maison Où l'on ne puisse avoir quelque revenant bon. Comment m'y pris-je, moi, quand petite vachère, A l'âge de quinze ans laissant là père et mère, Et d'un orgueil secret sentant mon coeur epris, Je m'en vins seule à pied d'Abbeville à Paris? Je me trouvai d'abord, faute d'haides, reduite A n'esperer en rien qu'en ma bonne conduite; Et, voulant ne devoir ma fortune qu'à moi, J'eus soin de me dresser moi-même en mon emploi. Sous mon habit grossier je n'etois pas trop bête; J'affectois au dehors une manière honnête, Et, chacun se fiant sur ma simplicité, Je trouvois des maisons avec facilité. Les quinze premiers jours il me fut difficile D'attraper du marché la routine et le stile; Mais ma conception en peu de temps s'ouvrit, Et le desir du gain me donna de l'esprit. Je m'acostois souvent de certaines servantes Que je voyois toujours propres, lestes, pimpantes, Et qui, pour soutenir l'eclat de leurs atours, Sur l'anse du panier faisoient d'habiles tours. Avec elles j'allois causer chez la fruitière, J'etudiois de près leur talent, leur manière, Et je faisois si bien que, dans l'occasion, Par leurs soins je trouvois bientôt condition. Tout m'étoit bon: marchands, procureurs et notaires, Etoient gens avec qui je faisois mes affaires; Sans peine je gagnois mon petit entretien. Quand j'allois au marché, loin d'y mettre du mien, Même de mes profits, puisqu'il faut tout vous dire, Je sçavois en deux mois remplir ma tirelire. LA JEUNE. Mais vivoit-on alors comme on vit maintenant? De quelle utilité seroit votre talent, Et que vous serviroit toute la politique, Si vous etiez tombée en pareille boutique, Avec gens qui tondroient (comme on dit) sur un oeuf, Qui se fâchent pour tout, pour la pièce de boeuf, Disant que votre esprit à friponner s'attache, Et qu'en guise de boeuf vous prenez de la vache? LA VIEILLE. Je vous le dis encor, je juge à vos discours Que vous ne sçavez pas la moitié des bons tours. Une maîtresse a beau donner dans la lesine, On peut avec profit gouverner la cuisine; Mais il faut s'entremettre, il faut agir, chercher. Tâchez de rencontrer un honnête boucher Qui, vendant à la main[273] ou vendant à la livre, Outre le droit commun, donne le sol pour livre. Si vous avez bon poids sur ce qu'il vous fournit, De ce qu'il vous remet faites votre profit. Feignez d'avoir en main l'autorité suprême; Qu'on sache qu'au logis tout se fait par vous-même, Pour que chaque marchand, avec zèle et ferveur, A force de presens brigue votre faveur. Pâques, la Saint-Martin[274], et le jour des etreines, Sont des jours où l'on doit vous accabler d'aubeines. Sur chaque fourniture il vous revient un droit: Rotisseur, epicier, chandelier, tout vous doit. De porter le panier ne soyez point honteuse, Et faites-vous payer le droit de la porteuse. D'abord qu'un ouvrier, implorant votre appui, Vous invite à parler à madame pour lui, Ecoutez sa requête, et soyez attentive A lui faire sentir qu'il faut que chacun vive, Et qu'il doit de madame exiger plus que moins, S'il ne veut à ses frais recompenser vos soins. Au logis quelquefois faites l'indifferente Pour celui qui le mieux vous paye et vous contente, Car, si vous affectez de le trop supporter, De votre intelligence on pourra se douter. Souvent une maîtresse, en finesses feconde, Malicieusement vous eprouve et vous sonde: Ne soyez jamais dupe, et deguisez si bien Que de votre commerce on ne soupçonne rien. [Note 273: C'est-à-dire au morceau, de la main à la main, sans peser.] [Note 274: La Saint-Martin étoit une des fêtes qui amenoient le plus de réjouissances chez le peuple, et par conséquent le plus d'aubaines pour les servantes. C'étoit, pour ainsi dire, le carnaval de l'automne, car ensuite venoient les abstinences de l'Avent, sorte de carême qui se prolongeoit jusqu'à Noël.] LA JEUNE. Graces à vos conseils, je suis bien eclaircie; Je les trouve excellens, et vous en remercie. LA VIEILLE. Ce n'est pas encor tout: revenant du marché, Ayez toujours un air inquiet et faché. Accoutumez-vous bien à faire la pleureuse. Ah! mon Dieu! direz-vous, que je suis malheureuse! Depuis cinq ou six jours (vrai comme Dieu m'entend) J'ai pour le moins perdu cent fois de mon argent. Il faut qu'en calculant madame se mecompte, Ou qu'au marché on manque à me rendre mon compte. Accompagnant ces mots d'une exclamation, Chacun de votre sort aura compassion; Et le laquais chargé d'ecrire la depense, Pourvu qu'il ait de vous la moindre recompense, Et qu'en l'art de compter un maître l'ait instruit, Daignera par bonté d'un zero faire un huit[275]. Il n'est point, selon moi, de meilleure ressource Ni de plus sûr moyen pour faire enfler la bourse. Je me souviens toujours qu'en certaine maison Je fis heureusement rencontre d'un garçon Qui pour mes interêts se donnoit tant de peine Qu'il me faisoit profit d'un ecu par semaine. En revanche, j'etois son bras droit, son appui, Et les meilleurs morceaux etoient toujours pour lui. [Note 275: C'étoient souvent les écrivains publics du Charnier des Innocents qui, moyennant salaire, rendoient aux cuisinières des grandes maisons le service d'arranger leur compte, de faire d'un zéro un huit, ou d'allonger les _f_ pour faire d'un _sol_ un _franc_. «Nous verrions, dit Palaprat, à la scène 6e, acte 2, d'_Arlequin-Phaeton_, les Hérodotes du cimetière Saint-Innocent, levez dès la pointe du jour pour travailler avec application aux histoires fabuleuses du maître d'hôtel et de la servante.» (Le _Théâtre italien_ de Gherardi, t. 3, p. 424.)] LA JEUNE. Mais si Madame ecrit la depense elle-même? LA VIEILLE. En ce cas, j'en conviens, l'embarras est extrême: Car, si vous n'avez pas un visage assuré Pour soutenir le faux et deguiser le vrai, Si vous ne sçavez pas payer d'effronterie, On pourra penetrer dans votre fourberie. C'est pourquoi banissez toute timidité; Recriez-vous toujours sur la grande cherté; Les jours maigres surtout, criez, dès votre entrée, Qu'à la halle il ne fut jamais moins de marée, Que le beurre et les oeufs y sont chers à l'excès, Et qu'à peine y voit-on des choux et des panais. Dans ces occasions il est de certains gestes Qui, quoi qu'on dise peu, font deviner le reste. Levez donc vers le ciel pieusement les yeux, Ou, posant le panier d'un depit furieux: Que j'en veux, direz-vous, à ces sales poissardes! Elles m'ont fait dix sols une botte de cardes! En verité, Madame, on n'y sçauroit tenir. Je croyois du marché jamais ne revenir. Lorsque vous avez fait tous vos tours dans la place, Ce dont vous profitez, vous l'otez sur la masse, Et vous entortillez dans le coin d'un mouchoir Ce qui de compte fait doit à Madame échoir. Mais que la mule soit egalement ferrée: Ne rejettez pas tout sur la même denrée. Pourquoi faire monter une pièce trop haut Pour ne rien augmenter sur ce que l'autre vaut? Après avoir compté, si, pour vous mieux surprendre, On vous fait recompter, gardez de vous meprendre. Ainsi, ne manquez pas de faire raporter La depense à l'argent qui vous devra rester. D'un esprit scrupuleux voulez-vous faire montre Qu'aux articles toujours plus ou moins se rencontre? Mettez deux sols trois liards, quatre sols trois deniers, Et vos comptes par là seront crus reguliers. Je suis sur ce chapitre assez bien entendue. LA JEUNE. De votre habileté j'admire l'etendue. Puissent vos bons avis m'être d'un grand secours Pour me donner du pain le reste de mes jours! LA VIEILLE. Tout ce que je vous dis est simple et naturel. LA JEUNE. Comment! vous l'entendez mieux qu'un maître d'hôtel. L'esprit et le genie règnent dans vos paroles, Et, si l'on s'avisoit d'etablir des ecoles Où chaque cuisinière aprît à se former, Vous seriez, j'en suis sûre, en etat d'y primer. LA VIEILLE. Je sçai qu'à la faveur du moindre sçavoir-faire Une fille partout peut se tirer d'affaire; Mais pourtant le meilleur, pour avoir le teston[276] Est de pouvoir vous mettre aux gages d'un garçon: Car, n'ayant point du tout ou peu de compte à rendre, Vous pourriez à souhait tailler, rogner et prendre, Et même, disposant de la clef du caveau[277], Aller de tems en tems visiter le tonneau. Comme telle aventure est rare et peu commune, Quand elle vous viendra, poussez vostre fortune, Sçachez trouver du bon sur le poivre et le clou, Gagnez sur un balai, sur du lait, sur un chou[278]. Pour peu qu'on ait d'adresse, on met chaque jour maigre Tant pour oignon, persil, pour verjus et vinaigre, Et souvent ce qu'on n'a deboursé qu'une fois, On peut, quand on l'entend, le faire ecrire trois. Comme ce point pourroit vous sembler difficile, Une comparaison vous le rendra facile. Vous sçavez, comme moi, que dans plusieurs maisons On se fait un plaisir, en certaines saisons, D'avoir, surtout le soir, la salade sur table. Au goût de bien des gens c'est un mets delectable, Savez-vous bien pourquoi?--Non, pourquoi donc?--C'est pource Qu'à _tirer le teston_ son portier est ardent. Mettez les doigts dans votre bourse, Et tous rencontrerez monsieur le president. Qui met en appetit et rejouit le coeur; Mais ce n'est pas pour vous ce qui est de meilleur. Ce qui doit à l'aimer vous pousser davantage, C'est que vous en pouvez tirer grand avantage. Prenez en donc souvent votre provision, Que vous partagerez en double portion; Et d'abord qu'on aura consommé la première, Faites sur nouveaux frais ecrire la dernière. Je vous en dis autant pour l'assaisonnement: Que l'huile par vos soins profite doublement; Sur les moindres degats mettez-vous en colère. C'est faire sagement que d'être menagère, Et ce qui tous les jours se perd et se detruit, S'il etoit conservé, vous produiroit du fruit. Pour le peu qu'une fille à nos tours soit stilée, Elle peut faire aussi son compte à la Vallée[279]. Dans les jours destinés à de fameux repas, Faites de bons reliefs[280] un profitable amas. Comme ce sont des jours de desordre et de trouble, Ne vous endormez point, ferrez la mule au double. Quand les pois et les fruits sont dans leur nouveauté, Loin que, par leur haut prix et leur grande cherté, Pour profiter dessus vous soyez refroidie, A les compter bien cher soyez-en plus hardie. Est-ce assez m'expliquer? [Note 276: _Avoir le teston_, _tirer le teston_, étoit encore le terme consacré pour dire _tirer de l'argent_, dans le langage des servantes et des valets, quoique le _teston_ fût depuis long-temps une monnoie hors d'usage. On lit dans les _poésies du chevalier d'Aceilly_ sous ce titre, _la Clef des bonnes maisons_: Chez certain president à toute heure je vais Et ne le rencontre jamais.] [Note 277: Avoir la clef de la cave, c'étoit toute l'ambition des servantes. Ecoutez ce que dit Pierrot, déguisé en cuisinière, à l'acte 3, scène 1re, de _la Précaution inutile_: «Tenez, Monsieur, s'il n'y a pas un homme tout luisant d'or dans votre jardin, ôtez-moi la clef de la cave. Dame, voilà un terrible serment, stilà!» (_Théâtre italien_ de Gherardi, t. 1er, p. 487.)] [Note 278: Le chevalier d'Aceilly (de Cailly) savoit quel art ont les servantes de faire payer au maître ce qu'elles ont pris soin d'obtenir à bon compte: Quand ma servante est au marché, Pour avoir à bon compte elle prend de la peine; Mais que m'importe qu'elle en prenne? Quand elle est au logis, rien n'est à bon marché.] [Note 279: L'endroit où se vendoit la volaille s'appeloit ainsi déjà, à cause de la _Vallée de misère_, quai de la Mégisserie actuel, où se tenoit ce marché. Quand il fut transféré où il est encore, sur le quai des Grands-Augustins, il garda ce nom, bien qu'il n'y eût plus de raison de le lui conserver.] [Note 280: _Restes de viande._ Ce mot se trouve souvent dans La Fontaine avec cette acception.] LA JEUNE. Vous raisonnez si bien Qu'au plus subtil esprit vous ne cedez en rien. LA VIEILLE. Vous avez vu ma chambre: est-elle bien ornée? LA JEUNE. Oui, vraiment. LA VIEILLE. J'ai gagné dans le cours d'une année La table, le fauteuil, les chaises et le lit, Sans que l'on m'ait jamais prise en flagrant delit. Chez les gens que je sers, pendant tout le carême Je dispose de tout, j'achète tout moi-même. C'est alors qu'à gagner je travaille d'esprit; Rien n'est jamais pour moi trop vil ou trop petit: Je tire du profit des moindres bagatelles, Et j'amasse avec soin jusqu'aux bouts de chandelles; Huile, sel et charbon, je mets tout de côté. Sçachez que quelquefois, dans la necessité, Telles provisions sont d'un secours utile, Et telles tous les jours manquent d'argent, d'azile, Qui, pour n'avoir pas pris cette precaution, Languissent tristement hors de condition[281]. Vers la fin du repas, il faut se rendre alerte Pour mettre adroitement la main sur la desserte; Vous pouvez sans risquer ôter de chaque plat Le morceau le meilleur et le plus delicat. Bien plus, si vous voulez qu'une telle reserve Par un revenant bon vous profite et vous serve, Il faut vous accorder avec d'honnêtes gens Qui pour un certain prix prennent vos restaurans. Habile à menager les profits de la graisse[282], Voulez-vous que chacun à l'acheter s'empresse? Ayez soin d'y jetter du sel abondamment. Autre avis qui vous doit servir utilement: Il faut de tems en tems prendre à la boucherie Quelque pièce qui soit de graisse bien fournie, Par exemple une longe, ou de ces aloyaux Qui sont sans contredit de succulens morceaux; Prenez-en tous les jours: telle pièce, bien cuite, Et de graisse et de jus remplit la lechefrite. J'en sçai beaucoup qui font sur la graisse un grand gain. Quand pour une etuvée il vous faudra du vin, Faites que le poisson en ait sa juste dose Et que dans la bouteille il reste quelque chose. Si vous trouvez un jour quelque bonne maison, Loin d'epargner le bois, brûlez-en à foison: Plus vous en brûlerez, plus vous aurez de cendre. Quand on la fait bien cuire, on trouve à la bien vendre. Ainsi, dans le foyer laissez-la plusieurs jours. De ces instructions souvenez-vous toujours; Méditez, pesez bien ces avis salutaires: Ils sont judicieux autant qu'ils sont sincères; Et, si pour moi quelqu'un eût pris le même soin, Dans l'art de raffiner j'eusse eté bien plus loin. Persuadez-vous bien que c'est une imprudence De faire à chacun part de votre confidence: Tel aujourd'hui vous ouvre un coeur affable, humain, Qui pour son interêt vous trahira demain. J'en ai vu partager par portion egale Ce qui leur revenoit des profits de la halle, Et souvent pour un rien, venant à se brouiller, Par un depit jaloux aller se declarer. Je ne veux pourtant pas qu'outrant la politique, Vous vous fassiez haïr de chaque domestique; Mais, sans trop vous commettre, entretenez la paix Et tâchez d'obliger jusqu'au moindre laquais. On voit dans des maisons certaines gouvernantes Qui, d'une jeune dame adroites confidentes, Donnent dans le logis des ordres souverains, Et font qu'à leur profit tout passe par leurs mains. Eprise du desir d'une somme un peu haute, Voulez-vous faire à l'aise une utile maltôte? De ces femmes gagnant la tendre affection, Avec elles toujours vivez en union. On peut s'humilier et ramper sans bassesse: Se soumettre à propos est quelquefois sagesse. Pour moi, dès qu'un chemin me conduit où je veux, Jamais je ne le trouve indigne ni honteux. C'est une destinée et bien triste et bien rude Que de se voir reduite à vivre en servitude! Dans cet etat pourtant j'ai sçu gagner du pain Et j'ai sçu m'assurer un revenu certain: J'ai près de mil ecus sur les cinq grosses fermes, Dont je touche la rente et l'interêt par termes; Et (ce qui met le comble à ma felicité) Mon mari, comme moi, gagne de son côté[283]. Il mène un grand seigneur qui, sans compter ses gages, Lui fait à tous momens de nouveaux avantages. Du bon qui lui revient loin de rien depenser, Il trouve tous les jours moyen d'en amasser. Son maître ne va point de Paris à Versaille Qu'il ne gagne vingt sols sur le foin et la paille. Enfin, quand nous voudrons nous retirer tous deux, Le reste de nos jours nous pourrons vivre heureux. Formez-vous, mon enfant, sur de si beaux exemples. Je viens de vous donner des leçons assez amples, Je n'ai rien oublié pour vous bien conseiller; Mais sur vos interêts c'est à vous de veiller; Et, lorsque mon credit vous sera necessaire, Vous verrez que pour vous je suis prête à tout faire. [Note 281: On ne souffroit pas que les domestiques fussent sans place. Toute fille de chambre trouvée sur le pavé étoit fustigée, et on lui coupoit les cheveux. Les valets en pareil cas étoient attachés à la chaîne et mis en galère. V. _Traité de la police_, tit. 9, chap. 3.] [Note 282: C'étoit depuis long-temps le profit le plus naturel des filles de cuisine: Je gaigne douze ecus par an Sans mon pot à la graisse; Je mangeons tous les soirs du rost, Farira lon la, fariran lan lost. (_Le doux entretien des bonnes compagnies_, 1634, in-12, chanson 57e.)] [Note 283: «Je voudrois bien demander à ces maistres valets où ils peuvent prendre le revenu de s'entretenir de la façon, car ils n'ont pas cinquante livres de rente. S'ils avoient davantage, ils ne serviroient pas. Cependant ils font une despense de plus de mille livres, et n'ont tout au plus que trois cens livres de gage. S'ils ne déroboient que le surplus, ce ne seroit pas grand chose pour faire leur fortune.» (_Les amours, intrigues et caballes des domestiques des grandes maisons de ce temps._ Paris, 1633, in-12, p. 31.)] LA JEUNE. C'est là mettre le comble à toutes vos bontez, Vous faites tout pour moi; mais, au reste, comptez Que, si pour m'en venger je suis dans l'impuissance, Mon coeur y supléra par sa reconnoissance. _Permis de réimprimer, ce 23 juin 1724._ RAVOT D'OMBREVAL. Registré sur le livre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris, nº 131, conformément aux reglemens, et notamment à l'arrêt de la Cour du Parlement du 3 decembre 1705. A Paris, le 22 août 1724. BRUNET, _syndic_. _De l'imprimerie de G. Valleyre, rue Saint-Severin, à la ville de Riom._ _Cas merveilleux d'un bastellier de Londres, lequel, sous ombre de passer les passans outre la rivière de Thames, les estrangloit._ _A Lyon, chez François Arnoullet._ M.D.LXXXVI. In-8[284]. [Note 284: Pièce très rare. L'exemplaire d'après lequel nous la donnons, et le seul que nous ayons vu, se trouve porté sous le nº 2396 du _Catalogue de la bibliothèque_ de M. Coste, Paris, 1854, in-8.] Un certain bastellier, nommé Jean Visquée, natif de Londres, en Angleterre, et habitant d'icelle, exerçant son mestier de nautonier par l'espace de 33 ans, a esté trouvé avoir commis dix-huit meurtres, et au dix-neufiesme apprehendé et remis en justice, comme entendrez. Ce Visquée, attendant les passans en un lieu à l'escart, le jour pour couvrir son cas et la nuict pour l'accomplir, estant assidu au travail, ne pouvoit par raison estre reputé ny aucunement soupçonné tel qu'il estoit, car, estant homme fort puissant et robuste, il cherchoit le profit de sa famille avec grand peine et travail, et (comme il sembloit) par toutes voies deues et licites; demandoit aux passans avec toute humilité et courtoisie, defublant[285] son chapeau et usant des ceremonies à ce requises, s'il leur plaisoit point passer outre, à sçavoir de la place de la Stronde vers la cour de Withehalle, où se tient la reyne d'Angleterre, passant la rivière de Thames. Et par cete astuce humiliée et beaux deports en passoit autant que bastellier du lieu, sans estre aucunement soupçonné du fait ny aperceu. Advint un soir qu'un honneste homme, nommé Pierre Marscot, estant constraint et pressé d'aller à l'aguillette en ces endroits, et considerant que sans opprobre et danger de gaster ses chausses il ne pouvoit passer outre, fut contraint de delascher là. Durant ces entrefaites, Visquée estant là pour attendre ses gens comme de coustume, survint un gentilhomme de bon lieu (duquel je tairay le nom), lequel, entre jour et nuict qu'il estoit, demandoit de passer outre. Volontiers, Monsieur, respondit Visquée, luy courant au devant, le chapeau au poing. Et, Monsieur, repliqua-il, s'il vous plaît, vous marcherez devant, car l'honneur vous appartient, et à vous le doy-je faire et exhiber. Le susdit gentilhomme, pensant sans malice quelconque passer devant pour aller vers la barque, au lieu d'y aller, cuida y estre furtivement porté; car Visquée, prenant un licol qu'il tenoit dans ses chausses, agencé pour ce faire en las courant, le suivant pas à pas, luy jette à l'improviste par derrière au col, et, puissant et robuste paillard qu'il estoit, l'emporte par dessus l'epaule, dos contre dos, la corde au col, comme s'il fust pendu, tirant vers sa barque, pour le cuider là voler et despescher, comme il avoit fait les autres. Le gentilhomme, se voyant prins et ne pouvant crier à voie desploiée, faisoit tel bruit se debattant qu'à merveilles; mais il ne luy pouvoit eschapper si n'eust esté que, par la grâce de Dieu, lequel jaçoit que quelquefois les malfaiteurs semblent prosperer en leur malice ne laisse en fin nuls malfaiteurs impuniz, le susdit Marscot, qui, estant accoupy pour faire ses affaires et oyant la meslée, y accourrut, et voyant ce pendart grand de sept ou huict pieds tenir un homme pendu sur ses espaules comme s'il fut esté un gibet, à qui il constraignoit, comme s'il fust esté au supplice, de rendre l'esprit, s'il n'eust eu aide et secours, s'approchant tira une dague qu'il portoit, et, poussé d'un vray zèle vers son prochain, auquel il voyoit faire chose qu'il n'eust voulu qu'on luy fist, s'escria: Ha! grand vilain larron et meurtrier, lasche la prinse, autrement je te la ferai bien lascher. Visquée, craignant d'estre decouvert, lasche le patient, jà presque estranglé, pour luy courir sus comme un lion, pensant l'accabler du premier coup, car il croyoit que, puisqu'il n'y avoit bastellier qui ne le redoutast et qui ousast approcher tant soit peu de ce lieu, qu'il viendroit facilement à bout de l'un et de l'autre, veu que l'un estoit jà plus mort que vif. Marscot, qui estoit homme adroit et avoit l'avantage de sa dague, se deffendoit si vigoureusement que, se depassant adextrement, il evitoit le peril eminent des horrions de ce gros coquin, comme aussi luy en estoit grand besoin, car il avoit affaire à forte partie. Durant la meslée d'eux deux, le gentilhomme, ayant reprins ses esprits, par le loisir que luy avoit donné leur combat, se lève et vient au secours de celuy-là de qui il pensoit tenir la vie, et tirant son poignard attaque aussi Visquée vivement, lequel, se défendant jusques à toute extremité, fut blessé et navré en quatre ou cinq parts de ses deux parties. Toutefois, comme Hercules mesmes ne seroit pour deux, et plus tost (comme à bon droit on doit presumer) par permission divine, laquelle ne voulut plus longuement laisser regner une tant mechante personne, il fut contraint de quitter la partie, et se rendre prisonnier avec eux. Estant ès prisons et ayant finalement enduré la torture, il confessa dix-huict meurtres qu'il avoit perpetré et mis à fin portant les patiens dans sa barque à la façon susdite, et les executant illec, pour par ce moyen couvrir son larcin. Dont il fut condamné à être premièrement tenaillé par tout le corps avec des tenailles ardentes, et après très ignominieusement pendu et estranglé en la fameuse ville de Londres, en Angleterre, où il commit ces crimes. [Note 285: Mot qui se trouve dans Montaigne, liv. XI, ch. 12, et qui, de même que le verbe latin _diffibulare_, dont il étoit dérivé, signifioit _dégrafer_. On disoit aussi se _defuler_, saluer. (Danet, _Dictionnaire françois-latin_.)] _Les de Relais, ou purgatoire des Bouchers, Charcutiers, Poullayers, Paticiers, Cuisiniers, Joueurs d'instruments, Comiques et autres gens de mesme farine._ S. l. n. D. In-8. Vous, beaux esprits jovialistes, Qui desirez en ces jours tristes Avoir une heure de plaisir, Achaptez-moy. Je suis un livre Que mon autheur humble vous livre, Pour commencer vostre desir. Jamais Marot, Rablais, Bocace Et Arioste, qui ramasse Plusieurs gaillardes fictions, Ne contindrent dans leur histoire, Comme on voit dans ce Purgatoire, Tant de riches inventions. Les charcuitiers et les comiques, Les joueurs d'instrumens lyriques, Les poullayers et les chanteurs, Les cadets de paticerie, Et les coeurs polus d'heresie, Y sont peints de toutes couleurs. _Les de Relais._ Ainsi donc, après que le cirque des Rablais renversez s'est disparu aussi promptement de nos yeux que l'ombre de Samuel, ou la representation d'Alexandre le Grand que Fauste fit paroistre devant l'empereur Charles le Quint[286] nous voicy entrez bien avant, sans chaussepied, dans les sandales du Caresme, ce grand colosse descharné qui, tenant de l'humeur des Portugais, ne veut point de cure-dent pour escurer ses yvoires après son repas, ny d'estrille pour degresser sa peau, mais desire seulement ruiner et envoyer à l'hospital ces gayes oeconomes de la vie epicurienne, cousins germains en ligne baculative[287] de deffunt de fresche et illustre memoire messer Mardy-Gras, à sçavoir, pour en tenir livre de compte, ou en faire un cathalogue comme Agrippa a fait des femmes vertueuses[288], et ceux de Charenton de leurs hommes illustres[289], les bouchers, charcuitiers, poullayers, cuisiniers, paticiers, chanteurs de cocqs à l'asne, joueurs d'instrumens comiques, badins à lunettes, et autres tels phangons carnassiers, aussi mouvans que le sable sur lequel on chemine quant on va à Quevilly, car l'on jugeroit au travers d'une marmitte de fer que ces gens de loisir, frippe-sausses, enfileurs de saucisses, escureurs de plats, rinceurs de godets, mangeurs de gisiers, avaleurs de trippes sans frire, vendeurs de vent, marchands de voix, marionnettes de theatre, et autres telles avettes[290] de cuisine, sont aussi tristes de la resuscitation du Caresme, ennemy capital de tels cabalistes, que le chien d'Esoppe après qu'il eust perdu sa pièce de chair, par quoy ce n'est pas sans sujet qu'un certain poëte de nostre temps, speculant la calamité de telles gens au travers de la sphère, a fait ce sixain sur la cessation de leurs offices: Les enfants d'Histrion avec leurs vers comiques, Les chanteurs et joueurs avec leur son lyrique, Les meurtriers de pourceaux avec leur galle-faix, Paticiers, charcuitiers, avec leur mine blesme, Ont autant de repos en ce temps de caresme Qu'abeilles en hyver, et que soldats en paix. [Note 286: D'après Goerres (_Histoire des livres populaires de l'Allemagne_, 1807), l'histoire de Faust n'est que le résumé de toutes les histoires de sorciers; il dit: «De même que Faust, devant l'empereur Maximilien (non pas devant Charles-Quint), évoqua Alexandre le Grand, de même la chronique française raconte que Robert le Diable évoqua Charlemagne.»--_L'histoire prodigieuse et lamentable de Jean Faust_, traduite par Palma Cayet, avoit rendu ces traditions allemandes très populaires en France.] [Note 287: C'est-à-dire parents entre eux, comme Sganarelle étoit médecin de par les coups de baton, _baculus_.] [Note 288: Dans son fameux traité: _Declamatio de nobilitate et præcellentia foeminei sexus._ Anvers, 1529.] [Note 289: Sans doute l'_Histoire des martyrs persécutés et mis à mort pour la vérité de l'Evangile, depuis le temps des apôtres jusqu'à présent (1610), comprise en XII livres, trad. du latin_ (par J. Crispin, et continuée par S. Goulard). Genève, 1619, 2 vol. in-fol.] [Note 290: Abeilles.] De vray, pour les bouchers, s'ils n'ont rien valu tout le long de l'année, ils ont moyen d'estre gens de bien durant le caresme, d'aller aux predications et gaigner les indulgences aux hospitaux[291] de Paris, et quatre religions mandiannes, pour demander pardon à Dieu des faux sermens qu'ils ont faits l'espace de dix mois et demy, quand ils jurent, vendans leurs viandes:--Par ma foy, j'en auray autant! Par Dieu, vous n'en mangerez pas à moins! Le diable m'emposte s'y elle ne revient à davantage que vous ne m'offrez! Je meure presentement si vous ne l'eussiez point trouvée sur l'estal à six blancs plus que vous ne voulez donner! La bosse m'estouffe le coeur si le mouton n'est tendre! Dieu me dampne si la teste n'a que quatre dents de laict! et autres tels execrables parjuremens, par lesquels ils engagent leurs ames à tous les vallets de pied de Lucifer; car je croy bien que ces gens craignans Dieu, de peur d'uzer leurs genoux comme les chameaux, font assez bresve oraison, tant le souvenir du nectar de Bacchus les presse d'entrer au premier cabaret trouvé, ou prendre une boulle en main pour jouer, au premier faux-bourg, au cochon[292] ou à la taille. [Note 291: C'est-à-dire aux couvents des quatre ordres mendiants: les _Jacobins_, les _Franciscains_, les _Augustins_ et les _Carmes_.] [Note 292: C'est-à-dire au _cochonnet_, sorte de jeu de boule dont a parlé Rabelais, et qui étoit l'amusement favori des artisans de Paris au XVIIe siècle. Il y avoit sur les remparts, près des portes, des emplacements réservés pour les joueurs au _cochonnet_ et au _mail_. La rue à laquelle ce dernier jeu a donné son nom étoit encore hors des murs au commencement du XVIIe siècle. Quand l'enceinte fut reculée, les joueurs se transportèrent auprès des nouveaux remparts, sur le terrain qu'occupa plus tard la rue nommée à cause d'eux rue des _Jeux-Neufs_, puis, par altération, rue des _Jeuneurs_.] Touchant les charcuitiers, poullayers, et autres telles gens qui font monter les broches sur les landiers, voilà leur Enfer et leur Purgatoire, où ils auront le loisir de desgresser leurs habits; voilà leur labirinthe, leur fleau, leur mession, leurs vacances et grand jour de sabath: par quoy, s'ils ont quelques pèlerinages à faire, ils ont commodité de les accomplir, encor que la pluspart de leurs trouppes, qui fondent en devotion comme les pierres font au soleil, voyagent plus à Saint-Main[293] et Saint-Calery qu'ailleurs, principalement quand le blond Phoebus éclate ses rayons sur le Pont-Neuf de Paris, et sur le port de Rouen, où la pluspart tiennent des classes publiques pour apprendre à parler quatre sortes de langues, à sçavoir: normand, parisien, picard et bon jargon de Grève, sindiquer le livre de Ciceron, et tenir conseil pour faire la guerre aux sappinettes. De vray, ces laquais de Proserpine, imittans les chevaliers de la table ronde, sont si genereux, qu'il n'est pas jusques à leurs estaffiers et tourne-broches qu'ils n'ayent du sang aux ongles. Ce n'est donc pas sans occasion si ce grand goriphée[294] d'Apollon, ce prodige du Parnasse, ce seul mignon des Muses, ce miracle du ciel, ce chef-d'oeuvre de la nature, ce phoenix des beaux esprits, et ce paon des poètes françois, M. des Viettes[295], se trouvant en ses jouailles humeurs extraordinaires, a fait voir le jour à ce sixain, sur leur sujet, comme par prophetie: Huit jours après que ce grand buveur d'eau, Ce grand jeusneur, mettra dans le tombeau Le gras mardy que tout chacun regrette, Sur le Pont-Neuf sera maint frippe-plats Et charcuitiers plantez comme eschallats, Qui au soleil feront grande defaitte. [Note 293: Le _mal saint Main_, c'étoit la gale, qui s'attaque surtout aux mains. Pour une galeuse on disoit une _demoiselle de saint Main_. (Oudin, _Curiosités françoises_, p. 494.) Le nom de l'autre patron doit se lire _saint Galery_, et alors il s'explique de lui-même. Henri Estienne, dans l'_Apologie pour Hérodote_, et Cornelius Agrippa, _De vanitate scientiarum_, chap. 57, se sont moqués de ces patronages qui n'avoient d'autre raison que la ressemblance du nom du patron avec celui de la maladie patronée.] [Note 294: Coryphée.] [Note 295: Faiseur de facéties dont nous publierons quelques vers. L'éloge qu'on trouve ici de lui, et qui n'est rien moins que mérité, nous feroit croire qu'il est peut-être l'auteur de cette pièce.] Mais, pour faire mon discours succinct, je veux dire brefvement en dix huict cens mille paroles, sans me metagroboliser, que tous ces docteurs en cuisine et masche-lardons, qui entendent la cadance du fri fri des lichefrites, le glou glou des marmittes, le frelé freli des fricassées, et le carillon à vollée des verres de christal, ont maintenant les yeux plus enfoncez que guenons, les oreilles plus pendantes que chiens couchans, le ventre plus flasque que bourses vuides, le dos plus sec que haridelles, et les joues plus flestries que le ventre d'une accouchée, à cause que la mort à rats, je dis la mort à paix, est en regne. Mais c'est trop parlé de ces faiseurs de sausse verte; discourons maintenant des bouffons, je dis des comicques qui font des badins, des Jeans Farines, des Gringaletz, des Turluppins et des Gautiers Garguilles pour de l'argent. Or, selon le jugement de maistre Pierre du Quignet, docteur (_in baroco_), dont l'effigie est industrieusement taillée en l'église de Nostre-Dame de Paris[296], aussi bien que celle du grand saint Christofle, et de monsieur du Puis à la rue aux Ours de Rouen, je trouve par la constellation des astres, sans user de pyromance[297] où je voy clair comme une taupe et peux parler comme un cocodril, que messieurs les comediens qui tantost font les diables et les anges, les saincts et les damnez, les Mars et les Thersites, et tantost les furies et les bonnes femmes, les Alexandres et les Diogenes, les marchands et les volleurs, les mauvais riches et les Lazares, les Cherinthes et les saincts Jerosmes, les Lucresses et les Faustines, les vifs et les morts, la verité et les ombres, les docteurs et les ignorants, les soldats et les laboureurs, les medecins et les malades, les advocats et les clians, les patiens et les bourreaux, et milles autres personnages chimeriques, peuvent bien, en attendant le Quasimodo, voir la mer de Dieppe, les montaignes de Montmartre, le pays du Mans, les campaignes de Bausses et les landes de Bordeaux: car il n'y auroit pas d'apparence que ces messieurs-là eussent, pendant cette saincte quarantaine, des demy cars d'escus de chaque personne pour faire des transportez, des maniacles, des Erynnes[298], des Parques et des demons; Themis ne permettra pas cela, en tant que les histoires récitent qu'un comedien habillé en monsieur le diable faisant (_ut ipse redimet_) dans (l'_habitavit_) de sa femme, engendra un petit succube, il se pourroit bien faire que le diable, sous la fausse apparence d'un diable, usant du privilege des sergeans, viendroit mettre la main au colet de ses auditeurs (Dieu le permettant), comme il permit en ce mesme temps que le plus grand des diables d'enfer s'apparut à luy sur la montagne de Nebo, pour le tenter. [Note 296: V., sur cette statue mutilée et ridicule qui se trouvoit dans un des coins du choeur de Notre-Dame, une note de notre édition des _Caquets de l'accouchée_, p. 265.] [Note 297: La _pyromancie_, divination par les mouvements de la flamme. Virgile, dans les _Georgiques_, liv. 1er, v. 390, nous montre une jeune fille des champs tirant des présages des légers fumerons (_fungi_) formés autour de la mèche de sa lampe, et aujourd'hui encore les gens de nos campagnes s'attendent à quelque nouvelle lorsqu'ils voient un petit point brillant se détacher tout à coup sur la clarté de leur chandelle.] [Note 298: Errinys, la première des Furies.] Arriere donc de nostre republique, comme de celle de Platon, tous charlatans, vespiegles[299], persecuteurs de fesses, embrocheurs de chair vive, batteurs de pavé, bailleurs de cassifles, vendeurs de noir[300], blesches[301], tirelaines, et autres tels enfans de Japhet, desquels on peut dire ce quatrain: Puis qu'avez de vos dents tant fondu l'arquemie[302], Qu'ores vous n'avez plus or, argent ni metal, Allez, à petit pas, de vostre triste vie User le demeurant en un pauvre hospital. [Note 299: L'espiègle. V., sur ce type, qui avoit été importé d'Allemagne; une note de notre édition des _Caquets de l'accouchée_, p. 226.] [Note 300: Les petits marchands de noir de fumée, ou de _noir à noircir_, comme ils disoient dans leur cri, étoient très fameux alors dans les rues de Paris, pour le bruit qu'ils faisoient et à cause de leurs habitudes vagabondes. On trouve dans l'oeuvre de Laigniet six gravures représentant les aventures de Jean Robert, le plus célèbre de ces vauriens, qui a laissé son nom à la rue qu'il habitoit.] [Note 301: Ce mot se prenoit pour bohémien. C'étoit, selon Huet, cité par le _Dictionnaire de Trévoux_, une altération de _blaque vlasque_ ou _valasque_; or, on sait que les zingari venoient en grande partie de la Valachie. C'est à cause d'eux que l'argot est appelé souvent patois _blesquin_. Par extension on disoit encore au XVIIIe siècle _faire le blesche_, être de mauvaise foi, (V. Th. de Ghérardi, t. 3, p. 147), et l'on employoit dans le même sens le verbe _bleschir_, aujourd'hui hors d'usage.] [Note 302: C'est-à-dire puisque vous avez tout mangé à belles dents, faisant de votre ventre un creuset d'_arquemiste_.] Pour l'axiome des praticiens qui sont piolez, riolez, gauderonnez, fraisez, satinisez et veloutez comme une chandelle des Roys[303], je leur conseille de leur embarquer sur le Bosphore, et aller faire un service de six sepmaines au grand Turc, à qui Mahomet a permis par son alcoran de manger indifferamment en tout temps toutes sortes de viandes, comme s'il n'estoit né que pour emplir son ventre de toutes sortes de bestiolles delicates; ou si leur aidant du baston de Jacob, ils sçavent mesurer la profondité de la rivière d'Aubette et la hauteur des montagnes de Sologne, d'aller voyager jusques aux Alpes enfarinez, pour apprendre à ciseler, decoupper et entre-lasser en relief divers patrons sur la neige de ces lieux avec un fer chaud, pour enrichir leurs tartes de cerises et paticerie, jusques à tant que les petits gentilshommeaux qui sont à couvert des coups de canons aillent quittans la chasse du connin à courte oreille, pour suyvre le levraut à la piste. [Note 303: Le plus souvent on disoit seulement _piolé, riolé, comme une chandelle des rois_ (V. _Comédie des proverbes_, acte 2, scène 5), parce qu'en effet les chandelles ou bougies dont on se servoit le jour de l'Epiphanie étoient teintes de diverses couleurs.] Touchant les joueurs d'instrumens, qui ont les dents aussi longues que leurs vielles et le ventre aussi creux que leurs basses, je leur conseille, afin que leur renommée ne se metamorphose en vesses de loup, à cause que je les aime comme les chiens font les coups de baton, et qu'ils sont aussi habilles que les meusniers de Gascogne, qu'ils plantent des choux sur les ailles de leurs moulins à vent, de leur en aller sur les plaines qui sont auprès du chasteau de Robert le Diable, apprendre quelque mouscouze nouvelle: car la pavanne espagnolle, le branle de la grenée, la volte de Bretaigne[304], le passe pieds de Mets[305], et la belle ville, sont trop antiques pour les courtisans de cour; d'ailleurs le caresme est un rabat-joye qui ne veut ny ballets, ny festins, ny aubades, ny mariages, ny aucune recreation. Argument qui me fait croire ce qu'un antien poette qui se morguoit comme un paon, et avoit estudié entre le Bourg-Badouin et l'Asnerie, disoit de telles gens par ce quatrain: Les joueurs d'instruments qui monstrent les cinq pas[306] Et cessent leur ton ton en cette quarantaine, Trouvent en leur disner de si maigres repas Qu'on entend leurs bouyaux chanter dans leur bedaine. [Note 304: L'auteur veut parler sans doute de ce fameux branle de Bretagne qu'on appeloit _trikori_, et dont il est plus d'une fois question dans les _Contes d'Eutrapel_. Il se transforma plus tard et devint la danse des _tricotet_, qui s'exécutoit sur l'air de _Vive Henri IV_.] [Note 305: On sait combien étoient célèbres les danses _hautbarroises_ dont faisoit partie le _branle de Metz_, par lequel, sous Louis XIV encore, se terminoient les bals de la cour.] [Note 306: Sur cette danse, fort à la mode sous Louis XIII et devenue très surannée dans la seconde moitié du XVIIe siècle, où elle n'étoit plus vantée que par les grand'mères, V. une note de notre édition du _Roman bourgeois_, pages 128-129.] Pour les chanteurs, je ne leur chanteray rien, sinon qu'ils attendent au jour de la Passion pour couler quelque chose de pitoyable au coeur de leurs auditeurs, et de là en avant continuer après les festes leur premier mestier pour leurs oeufs de Pasques: car, pendant tout le decours de ce temps icy, nous n'avons que deux mots du Stabat (_contristantem et dolentem_). Toutesfois, cela ne les empeschera pas, au moins pour ceux qui sçavent rimer, de faire des chansons nouvelles de quelque nouveau marié en l'an mil six cens trop tost, à qui sa dariolette[307] de femme, levant son cotillon de tous les jours, aura fait porter les cornes de Vulcan. Mais alte! Les chanteurs de chansons ne sont pas seuls, comme les chevaux de relais, les marqueurs et vallets de pied des jeux de paulmes[308] qui vous frottent les personnes en sueur, sous le ventre et partout, comme s'ils avoient sauté de Claque-dent en Bavière pour entrer au royaume de Surie, et avoir deux estez contre un hyver, n'ont guères plus de pratique, au raport que m'en a fait depuis deux heures et demye, un cart et six minuttes en çà, maistre Jean des Entonnoirs[309], premier estaffier de l'arrière-chambre de Gargantua, qui donna son nom au mont de Gargan, en la Pouille. [Note 307: V. sur ce mot notre tome 3, page 145, note.] [Note 308: Ces valets des jeux de paume, qui marquoient les points et qui essuyoient les joueurs après la partie, s'appeloient _naquets_. V. Fauchet, _Orig. des chevaliers_, liv. 1, chap. 1.] [Note 309: Lisez: frère Jean des Entommures.] Je plains seulement, pendant cette saison aqueuse et flecmatique, les pauvres fiancées qui ne pourront cheviller leur marché legitimement, ny faire ficatores jusques à Quasimodo: car, s'il est deffendu aux anciennes personnes de manger de la chair, il n'est pas raisonnable que les jeunes gens, souples comme les poutres qui sont dans les prairies de Bretaigne, en goustent un petit tantinet, ne facent des endrogines ny du potage à quatre genoux, me rendant ennemy capital, et du tout diametrallement opposite, aux raisons que la fille d'un certain ministre de Normandie, qui avoit emprunté un pain sur la fournée, alleguoit (interrogée sur l'enflure de _fructus ventris_, sçavoir est) qu'elle avoit ouy prescher à monsieur le predicant, son père, que la chair qui entroit au corps ne souilloit point l'ame, comme si c'estoit les seulles viandes, bonnes de soy, qui nous souillassent; plustost que la defence d'en user, ou que la pomme qu'Adam mangea eust plustost corrompu sa posterité que le peché qu'il fit transgressant le commandement de Dieu. Ceste damnable proposition semble avoir enhardy nos sablins reformez de manger de la viande en caresme et du poisson aux jours gras, accomplissant les documens de la loy comme les escrevisses, comme les cordiers, à reculons, suyvant en cela les institutions de l'heresie et la doctrine de Jean de Noyon, je dis de Calvin, premier heresiarche de la France, qui, pour faire pulluler ses dogmes impieux, donnoit toutes sortes de licences à ceux qui beuvoient l'absinthe de son erreur dans la coupe dorée de la paillarde de l'Apocalipse, je dis de la reforme. Pythagore n'estoit pas de l'humeur de nos nouveaux cabalistes, car il n'eust pas voulu gouster du plus petit oyseau du ciel, ny du plus petit poisson de la mer, disant par ses pertinentes raisons que la nature, ceste grande prodigue, nous produisoit assez d'autres choses pour manger, sans appareiller pour nostre nourriture les animaux ayans vie. Mais tue, esgorge, esventre, estrippe chapons, poulets, pigeons, codindes, tant que voudront ces messieurs de courte devotion, nous serons aussitost à Pasques comme eux pour manger des oeufs; mais, pour leur faire un prouface, je leur veux donner ce quatrain: Gressez tant que voudrez votre gozier d'harpie, De poulles et chapons en secret comme loups, Vous ne me ferez point, je vous promets, d'envie, Car je trouveray Pasque aussi-tost comme vous. Il est vray que c'est une grande incommodité de manger tousjours du harenc aussi sallé que s'il partoit de la cacque, et de la morue aussi douce que de l'eau de la mer; toutesfois, pour expedier, il faut suppleer au deffaut des poissonnières, je veux dire que, pour la destremper dans nos bacquets humanistes, il faut boire en grand diable et demy: plus l'on boit, plus on en va mieux. Six sepmaines sont bien-tost passez; nous serons aussi estonnez que les mattes quand il tonne; je dis que nous nous trouverons au samedy de Pasque en corps et en ame comme bibets. Ce sera lors que les diablesses de poissonnières, qui boivent pinte de vin tout d'un traict, auront trouvé le caresme bien court, encor qu'il ait esté trop long de la moitié, pour les parjuremens, injures, pouilles, vieutes, qui se font entre comptans, avec leurs malleboches, double fièvres quartaines, s'entredonnans trippes et dins, sans rien retenir, à tous les diables, lesquels ont bon marché de telles denrées, qui se donnent à si bon compte. Aussi, quand telles sortes de gens n'auroient peché ny fait aucune offence en toute leur vie, seroit capable d'entretenir un prestre en confession une quarantaine d'années, s'il y pouvoit autant estre: car, tout ainsi que les destours du dedalle menoient d'un chemin en un autre, et d'un autre en un autre, accusant un peché, ce peché les conduit en un autre, et cet autre en un autre, de sorte que l'on ne peut sortir de ce tortueux labirinthe qu'avec grande difficulté. D'autre costé, les bouchers, poullayers, charcuitiers et paticiers, ayans eu la commodité d'user les semelles de leurs souliers à force de leur pourmener, de faire une illiade de brochettes de bois et de degresser leurs estals, assomment, tuent, esgorgent, plument, couppent, dehachent, et parent leurs boutiques de boeufs, de moutons et de pourceaux mis en mille pièces, de façon qu'ils chantent le _Te Deum laudamus_, au lieu de faire dire des vigiles pour luy. Neantmoins, de toutes les personnes qui se trouvent de repos et de la confrarie de Jean de Loisir, tant à cause du caresme que pour l'occasion de la marchandise qui ne va pas si bien que l'on voudroit, il n'y en a point qui rendent meilleur service au roy que ces braves atlettes qui vont en garde pour les bourgeois. Leurs corps sont infatigables au travail, leurs yeux au sommeil et leur vie à la peine, et ne se plaisent rien tant qu'à coucher sur la dure, d'avoir le mousquet sur l'espaule et l'espée à leur costé de fer, et d'estre sans cesse en faction avec grande sobriété. Mais où m'emporte mon discours? Retournons à nos moutons: c'est une marchandise propre à ces messieurs dont j'ay traicté dans ce purgatoire, lequel je leur dedie, car je croy, par metaphore, que le caresme ne semble moins long, et ne fache moins ces messieurs les bouchers, charcuitiers, cuisiniers, paticiers, trippieres, sablins, fiancés, valets de jeux de paulme, chanteurs, joueurs d'instrumens et autres gens de bon appetit, qui aiment mieux un quartier de mouton qu'un gigot de morue, et une perdry qu'un pruneau, que le purgatoire de l'autre monde est fait pour purger les ames. Adieu. _Discours de la mort de très haute et très illustre princesse Madame Marie Stuard, royne d'Ecosse, faict le dix-huitième jour de fevrier 1587._ In-8[310]. [Note 310: M. Brunet (_Manuel du libraire_, tome 2, p. 103) parle de ce Discours. Après l'avoir décrit, il ajoute: «A cette pièce s'en trouve quelquefois jointe une autre dont voici le titre: _Version françoise d'une oraison funèbre faicte sur la mort de la royne d'Ecosse, par le R. P. en Dieu M. J. S., 1587._» Il en indique aussi une réimpression faicte à Anvers en 1589, et mentionnée par M. Oettinger dans sa _Bibliographie biographique_. Mais ce que ne dit pas M. Brunet, c'est que cette pièce n'est autre chose que la copie presque complète de toute la première partie d'une dépêche que M. l'Aubespine de Châteauneuf, notre ambassadeur près d'Elisabeth, avoit envoyée à Henri III quelques jours après l'exécution, le 27 février 1587, dépêche dont l'autographe est conservé à la Bibliothèque impériale, fonds Béthune, nº 8880, fol. 7, et qui reproduit elle-même textuellement un rapport adressé à l'ambassadeur par quelque gentilhomme de sa suite. Une copie de ce rapport, qui a pour titre: _Advis sur l'execution de la royne d'Ecosse, par M. de la Chastre_, se trouve aux mss. de la Bibliothèque impériale, collect. des 500 Colbert, t. 35, pièce 45. Nous devons la connoissance de ce dernier fait à une note de M. A. Teulet, qui, dans sa belle publication faite pour le Bannatyne club d'Édimbourg: _Papiers d'Etat relatifs à l'histoire d'Ecosse au XVIe siècle_, t. 2, p. 890-899, a donné dans toute son étendue la dépêche de M. de Châteauneuf. M. Teulet ignoroit l'existence de la pièce imprimée qui en reproduit la partie la plus intéressante. M. Mignet ne semble pas non plus l'avoir connue; il ne la mentionne pas aux divers passages de son _Histoire de Marie Stuart_ (t. 2, p. 353, etc.) où il cite la dépêche de M. de Châteauneuf. Le fait de cette publication d'un papier d'Etat tolérée, sinon autorisée, par le roi, est d'une importance qu'il n'est pas besoin de signaler, surtout lorsque l'on considère qu'il est tout à fait d'accord avec les sentiments de Henri III, en cette circonstance sympathiques pour Marie Stuart, hostiles pour Elisabeth, et tendant à attirer l'intérêt sur l'une et la haine contre l'autre.--Nous reproduisons ici la première édition du _Discours_. Il est probable qu'elle suivit de près l'arrivée de la dépêche, dont elle est une copie partielle, et qu'elle fut ainsi donnée à Paris vers le commencement de mars 1587. Elle précéda donc la relation du même événement faite par Bourgoin, médecin de Marie Stuart, avec ce titre: _La mort de la royne d'Ecosse, douairière de France, où est contenu le vray discours de la procedure des Anglois à l'execution d'icelle_, etc. Ce dernier récit, publié dans les premiers mois de 1589, a été repris par Jebb au t. 2, p. 612, de son grand ouvrage: _De vita et rebus gestis serenissimæ principis Mariæ Scotorum reginæ._ Ces publications faites à Paris sont un fait curieux; elles prouvent l'ardeur de la curiosité populaire à s'enquérir de tout ce qui avoit trait à l'histoire de la femme charmante et infortunée qui avoit été reine de France; elles coïncindent à merveille avec ce que nous savions de l'exposition d'un tableau représentant le supplice de Marie Stuart, qui attiroit une telle foule au cloître Saint-Benoît, où on le faisoit voir, et excitoit de tels murmures d'indignation, que le roi, de peur de quelques troubles, fut obligé de le faire enlever par un ordre dont la copie est conservée à la Bibliothèque impériale (fonds Béthune, nº 8897). La vente des petits livres où ce même supplice étoit raconté ne fut certainement pas l'objet de mesures pareilles. Catherine de Médicis et son fils devoient, en bonne politique, l'encourager. La publication de ce récit, pour ainsi dire _officiel_, qu'ils tolerèrent, je le répète, si même ils ne l'ordonnèrent pas, en est une preuve. Ce qui contribueroit encore à nous le faire croire, c'est le soin qu'ils avoient pris auparavant pour faire disparoître tout ce qui, loin d'apitoyer en faveur de Marie Stuart, tendoit à exciter les haines contre elle. Il se trouve à ce sujet une lettre très intéressante de Catherine de Médicis au président de Thou dans le bizarre recueil publié à Paris, en 1818, sous le titre de: _Life of Thomas Egerton, chancellor of England_, gr. in-8, non terminé. Voici cette lettre, datée de Blois le 22 mars 1572, et que dut motiver le libelle de Buchanan de _Maria Scotorum regina_: «Je vous prye vous enquerir doulcement qui est l'imprimeur qui a imprimé ung livre, traduit du latin en françoys, faict à Londres contre la royne d'Escosse, et faire prendre et brûler secrettement et sans bruict tout ce qui se pourra trouver desdicts livres, de sorte que, s'il est possible, il n'en demeure un seul formulaire, faisant faire aussi soubz mains deffences à tous imprimeurs d'en imprimer, soubz telles peines que vous adviserez.»] Le samedy quatorzième jour de febvrier 1587, M. Belé, beau-frère de Vvalsin-Han, fut depesché sur le soir, avec commission signée de la main de la royne d'Angleterre, pour faire trancher la teste à la royne d'Ecosse, et commandement aux comtes de Chersbery, de Hent et de Rotoland, avec beaucoup d'autres gentils-hommes voisins de Socteringhan[311], de assister à la dicte execution. [Note 311: Lisez _Fotheringay_. Il n'est pas besoin de faire remarquer que tous les autres noms ne sont pas moins affreusement défigurés. Nous allons les rétablir. Il s'agit d'abord de _Robert Beale_, clerc du conseil, beau-frère du secrétaire _Walsingham_, et qui fut en effet l'un de ceux qu'Elisabeth envoya pour signifier à Marie Stuart son arrêt de mort; ensuite viennent les comtes de _Shrewbury_ et de _Kent_, chargés d'assister au supplice, et le comte de _Rutland_. Aucune relation n'avoit constaté la présence de celui-ci; l'on savoit seulement par le _Martyre de la Royne d'Ecosse_, etc. (V. Jebb, t. 2, p. 320), qu'après le supplice il avoit paru aux funérailles, soutenant la comtesse de Bedford, qui représentoit la reine d'Angleterre.] Le dict Belé mena avec luy l'executeur de Londres[312], qui fut abillé tout de velours noir, ainsi qu'il fut raporté[313]; et, partant la nuict du dict samedy au soir assés secretement, il arriva le lundy au soir seizième ensuivant, et le mardy furent mandés querir les dicts contes et gentils-hommes. Le dict jour au soir, M. Paulet, gardien de la dicte royne d'Ecosse, accompagné du dict Belé et du chef de la province, qui est celuy qui en chascun baillage est comme prevost des marchans[314] ou juge criminel, allèrent trouver la dicte dame, et luy signifièrent la volonté de la royne leur maistresse, qui est[315] contraincte de faire executer la sentence de son parlement. [Note 312: On lit dans la dépêche: _l'exécuteur de cette ville_, ce qui se comprend, M. de Châteauneuf ayant daté sa lettre de Londres.] [Note 313: _Var._: ainsi que j'entends.] [Note 314: _Var._: des maréchaux. Il y a dans la dépêche une abréviation qui a pu motiver l'autre lecture. Celle-ci naturellement est la bonne. Ce chef de la province est celui que Pasquier, dans son récit de la mort de la reine d'Ecosse, désigne ainsi: «Le Prevost, qu'ils appellent schériff.» (_Recherches de la France_, liv. 6, chap. 15.)] [Note 315: _Var._: estoyt.] L'on dict que la dicte dame se monstra fort constante, disant que encores qu'elle n'eust jamais creu que la royne sa seur en eust voulu jamais venir là, si est-ce que, se voyant reduite en si grande misère depuis trois mois, qu'elle avoit la mort pour très agreable, preste à la recevoir quand il pleroit à Dieu. Ils luy voulurent laisser un ministre[316], mais elle ne le voulust point. Il y a une grande salle au dict chasteau où l'on avoit faict dresser un eschaffaut couvert de drap noir[317], avec un oriller de velours noir. [Note 316: Le docteur Fletcher, doyen protestant de Peterborough.] [Note 317: «Au milieu de la salle, on avoit dressé un eschaffaut large de douze pieds, en quarré, et haut de deux, qui estoit tapissé de meschante revesche noire.» (_Le martyre de la royne d'Ecosse, etc._, dans _De vita, etc._, de Jebb, tom. 2, p. 306.)] Le mescredy, sur les neuf heures, les dicts contes, avec son gardien, allèrent querir la dicte dame royne d'Ecosse, qu'ils trouvèrent fort constante, et, s'estant habillée, fut menée en la dicte salle, suivie de son maistre d'hostel, M. Melvin[318], son chirurgien[319] et son appoticaire, et d'un autre de ses gens[320]. Elle commanda que ses femmes la suivissent, ce qui leur fut permis, estant tout le reste de ses serviteurs enfermés dès le mardy au soir[321]. [Note 318: André Melvil. Il est nommé Melvin dans presque toutes les relations.] [Note 319: Jacques Gervait.] [Note 320: Pierre Gorjon.] [Note 321: En outre de ceux qui viennent d'être nommés, elle avoit voulu avoir autour d'elle Bourgoing, son médecin, et Didier son sommelier.] L'on dict qu'elle mangea avant que de partir de sa chambre, et, montant sur l'eschaffaut[322], elle dit à M. Paulet qu'il luy aydast à monter, que ce seroit la dernière paine qu'elle luy donneroit[323]. [Note 322: _Var._: Le dit chafault.] [Note 323: Ce détail ne se trouve qu'ici. Dans les autres relations, on s'accorde à dire qu'elle n'eut besoin de l'aide de personne. «La reine, dit M. Mignet (t. 2, p. 365), suivie d'André Melvil, qui portoit la queue de sa robe, monta sur l'échafaud avec la même aisance et la même dignité que si elle étoit montée sur le trône.»] Estant[324] à genoux, elle parla long-temps à son maistre d'hostel, luy commandant d'aller trouver son fils pour luy faire service, comme s'assuroit qu'il feroit tousjours aussi fidellement que il avoit faict à elle; que ce seroit luy qui le recompanseroit, puis qu'elle ne l'avoit peu faire de son vivant, dont elle estoit très marrie, et luy chargea de luy porter sa benediction (laquelle elle fit à l'heure mesme). [Note 324: _Var._: là.] Puis elle pria Dieu en latin avec ses femmes, n'ayant voulu permettre que un evesque anglois, là presant[325], approchast d'elle, protestant qu'elle estoit catholique et qu'elle vouloit mourir en ceste religion. [Note 325: Suivant tous les autres récits, il n'y avoit là que le doyen de Peterborough, désigné plus haut.] Après cela elle demanda au sieur Paulet si la royne sa seur avoit pour agreable le testament qu'elle avoit faict quinze jours auparavant pour ses pauvres serviteurs. Il luy respondit que ouy, et qu'elle feroit accomplir ce qui y estoit contenu pour la distribution des deniers qu'elle leur a ordonné. Elle parla de Nau, Curl[326] et Pasquier, qui sont en prison, mais je n'ay pas sceu au vray ce qu'elle en dict[327]; puis, s'estant remise à prier Dieu, mesme à consoler ses femmes, qui ploroient, elle se presenta à la mort fort constamment. [Note 326: Nau et Curl étoient les deux secrétaires de Marie Stuart. Ils avoient été arrêtés lors de la découverte du complot de Babington, et leurs aveux, ceux de Nau surtout, ayant fait convaincre la reine de complicité, avoient achevé de la perdre. Nous ne savons quel est le Pasquier nommé ici avec eux. Nous ne le retrouvons nulle part.] [Note 327: Elle parla de Nau avec amertume. Déjà, dans son entrevue avec les comtes de Kent et Shrewbury, ayant appris que Nau vivoit encore: «Quoy! avoit-elle dit, je mourrai et Nau ne mourra pas! Je proteste que Nau est cause de ma mort.»] Une de ses dames[328] luy banda les yeux[329], puis elle se baissa sur un billot[330], et l'executeur luy trancha la teste avec une hache à la mode du[331] pays[332]; puis print la teste, la monstrant à tous les assistans[333], car l'on laissa entrer en la dicte sale plus de trois cents personnes du bourg et autres lieux. [Note 328: _Var._: femmes.] [Note 329: C'est Jeanne Kennedy qui lui banda les yeux avec «un mouchoir brodé d'ouvrage d'or... qu'elle avoit spécialement dédié à cet effet», dit Est. Pasquier, d'accord pour ce détail avec le récit de Bourgoin dans Jebb, t. 2, p. 610.] [Note 330: _Var._: bloc.] [Note 331: _Var._: de ce.] [Note 332: «Bandée, elle s'agenouilla, dit Pasquier, s'accoudoyant sur un billot, estimant devoir estre executée avecques une espée, à la françoise; mais le bourreau, assisté de ses satelittes, luy fit mettre la teste sur ce billot, et la luy couppa avecques une douloire.» D'après le _Vray rapport sur l'exécution_ (Teulet, t. 2, p. 880-881), il paroît que le bourreau n'abattit la tête qu'au second coup; il fallut même, suivant _le Martyre de la royne d'Ecosse_ (Jebb, t. 2, p. 308), qu'il s'y prit à trois fois: «Le bourreau luy donna un grand coup de hache, dont il lui enfonça le attifet dans la teste, laquelle il n'emporta qu'au troisième coup, pour rendre le martyre plus illustre.» D'après notre relation, le supplice n'auroit pas été aussi long, ce qui est d'accord avec un autre récit reproduit dans le recueil déjà cité, _Life of Thomas Egerton_, et où il est dit que le bourreau lui abattit la tête «assez soudainement».] [Note 333: «Il la décoiffa par manière de mespris et dérision, afin de monstrer ses cheveux desjà blancs, et le sommet de la teste nouvellement tondu, ce qu'elle estoit contrainte de faire bien souvent à cause d'un reume auquel elle estoit subjette.» (_Le Martyre de la royne d'Ecosse_, dans Jebb, t. 2, p. 309.) Etoit-ce par ordre d'Elisabeth que le bourreau agissoit ainsi, et n'y avoit-il pas de la part de la reine d'Angleterre un raffinement de vengeance à faire ainsi montre que cette femme, dont la jeunesse et la beauté l'avoient si cruellement insultée, n'avoit pas échappé plus qu'elle aux atteintes de l'âge et des infirmités? Ce passage, que personne ne cite, méritoit d'être remarqué.] Aussi tost le corps fut couvert d'un drap noir et reporté en sa chambre, où[334] il fut ouvert et embaulmé, comme l'on dict[335]. [Note 334: _Var._: j'ay entendu qu'il.] [Note 335: «Le corps fut porté en une chambre joignante celle de ses serviteurs, bien fermée de peur qu'ils n'y entrassent pour luy rendre leur debvoir.» (_Le Martyre de la royne d'Ecosse_, p. 309.)] M. le conte de Cherobery depescha à l'heure mesme son fils[336] vers la royne d'Angleterre pour luy porter nouvelles de ceste execution, laquelle ayant esté faicte le mercredy dix-huictiesme du dit[337] mois de febvrier, sur les dix heures du matin, lequel arriva vers Sa Majesté le jeudy en suivant dix-neufviesme. [Note 336: Henry Talbot.] [Note 337: _Var._: de ce mois.] Lesquelles nouvelles ne furent long-temps celées[338], car, dès les trois heures après midy, toutes les cloches de la ville de Londres commencèrent à sonner, et firent feux de joye par toutes les rues, avec festins et banquets[339], en signe de grande rejouissance[340]. Le bruit est que la dicte dame mourant a tousjours persisté à dire qu'elle estoit innocente, et qu'elle n'avoit jamais pensé à faire tuer la royne d'Angleterre, et qu'elle pria Dieu pour elle, et qu'elle chargea le dict Melun de dire au roy d'Escosse, son fils, qu'elle le prioit d'honorer la royne d'Angleterre comme sa mère, et de ne departir jamais de son amitié[341]. [Note 338: On lit dans la dépêche de M. de Châteauneuf: «Lequel courier arriva à Grenvich, sur les neuf heures du matin, vers Sa Majesté, le jeudy dix-neuviesme.» Ensuite se trouve ce passage, omis ici: «Je ne sçay si il parla à la royne, laquelle se alla pourmener ce jour à cheval, puis au retour parla longtemps au roy de Portugal. Ledict jour de jeudy, je depeschés à Vostre Majesté pour luy porter ceste nouvelle, laquelle, etc.» Le roi de Portugal nommé ici est D. Antonio, prieur de Crato, alors réfugié près d'Elisabeth, et qui avoit un intérêt indirect dans le dénoûment de ce drame, puisque, lors du dernier complot des agents de Marie Stuart avec ceux de Philippe II, il avoit été convenu expressément que, si l'affaire réussissoit, l'on commenceroit par le livrer lui-même aux mains du roi d'Espagne. La mort de Marie Stuart enlevoit un chef à ces conspirations renaissantes dont il eût été l'une des premières victimes. V. Mignet, _Histoire de Marie Stuart_, t. 2, p. 288, et notre livre _Un Prétendant portugais au XVIe siècle_, passim.] [Note 339: Pasquier, qui semble avoir réglé sa relation sur celle-ci, reproduit presque textuellement cette dernière phrase. Dans le récit conservé dans le _Recueil_ d'Egerton, il est aussi parlé de ces réjouissances.] [Note 340: Ici la dépêche de M. de Châteauneuf continue ainsi: «Voilà tout ce qui s'est passé au vray. Les serviteurs de la dicte dame sont encore prisonniers et ne sortiront d'ung moys, guardés plus estroitement que jamais au dict chasteau de Fotheringay; les trois autres sont prisonniers, toujours en cette ville. Ne se parle pas si on les fera mourir ou si on les delivrera. Depuis la dicte execution, M. Roger et moy avons tous les jours envoyé demander passeport pour advenir Vostre Majesté de la mort de la dicte dame; mais il nous a eté refusé, disant que la royne ne vouloit pas que Vostre Majesté fust advertie de cette execution par autre que par celui qu'elle vous envoyeroit. De faict, ses ports ont esté si exactement guardés que nul n'est sorty de ce royaulme depuis XV jours que un nommé le Pintre, que la royne a despeché à M. de Staford pour advertir Vostre Majesté de la dicte execution.» Dans les quelques lignes qui sont le commencement de la dépêche et qu'on a supprimées dans la pièce imprimée, M. de Châteauneuf s'étoit plaint déjà des obstacles qu'il avoit rencontrés lorsqu'il avoit voulu faire parvenir au roi le récit du supplice de Marie Stuart. «Sire, avoit-il dit, Vostre Majesté sera peut-être estonnée de sçavoir les nouvelles de la mort de la royne d'Escosse par le bruict commun qui en pourra courir à Paris avant que d'en estre advertie par moy. Mais Vostre Majesté m'excusera, s'il luy plaist, quand elle sçaura que les ports de ce royaulme ont esté si exactement guardés que il ne m'a esté possible de faire passer ung seul homme; et si est plus que, ayant obtenu un passeport soubs aultre nom que le mien, celui que je envoyois a esté arresté à Douvres avec son passeport et y est encores à present, bien que je le eusse despeché dès le XIX de ce moys après midy.»] [Note 341: «Cette assertion, dit M. Teulet en note, est tirée de l'avis de M. de la Châtre.» Nous en avons parlé plus haut. Après cette phrase, la dépêche de M. de Châteauneuf poursuit pendant plusieurs pages encore. Elle se termine par la signature de l'ambassadeur et par cette mention: _De Londres, le XXVII febvrier 1587._] _L'Onozandre ou le Grossier, satyre[342]._ Je veux quiter Parnasse et l'onde pegazine Pour aller faire un tour jusques à Terracine, Desireux de chanter les buffles au col tors, Ou siffler dans un jonc le prince des butors. Buses, buses et ducs, tenez-moy lieu de muse. Ce n'est pas la raison qu'icy je vous amuse, Compagnes d'Helicon, à braire les chansons Qu'un tas de flatereaux font bruire en divers sons[343], D'Onozandre, occupé à ne croire qu'un homme Qui sçait parler latin puisse estre gentilhomme[344], Meprisant Apollon et ses coelestes dons Qui empeschent les gens de vivre de chardons[345]. Sus, invoquez oyseaux; de vos courses isnelles[346], Hastez-vous promptement de m'aporter[347] vos aisles, Que j'en prenne un tuyau pour peindre en cet escrit Celuy qui vous ressemble et de nom et d'esprit. Silence par trois fois en la trouppe arcadique: Que l'on cesse aujourd'huy la bruyante[348] musique Dans les champs auvergnacs, et qu'on m'aille chercher Sept asnes, mais des grands, que je veux ecorcher, Pour sur leur parchemin escrire la creance[349] D'Onozandre le grand, prince de l'Ignorance, Creance sans tumulte, et qui ne doit jamais Remuer dans l'Estat que vers Mirebalais, Mais dont les sens cachez font un si grand miracle Qu'ils canoniseront un jour dans le Basacle[350] Mon heros d'Arcadie. Exemple de nos ans, Ceux que l'on devroit voir dans les moulins brayans, Le bast dessus le dos, courbez sous la farine, Sont gens de cabinet, mesme que l'on destine Aux premières honneurs. Hé! quelle anrageson De voir dans un conseil un asne sans raison! M. D. M.[351] Qui croit que le grand Cayre est un homme, et les Plines Des païs eloignez comme les Filippines; Que l'Evangile fut ecrit dedans le ciel, Voire d'un des tuyaux de l'aille sainct Michel[352]; Qui tient que Mahomet, et les Turcs, et les Gots, Confraires de Calvin, estoient grands huguenots; Que Christofle portant le grand sauveur du monde[353] En plaine mer n'estoit jusques au cul dans l'onde; Que le pape reçoit tous les jours des messages Des saincts du paradis, voire que les sept sages Estoient fort bons chrestiens; que jadis[354] Machabé, S'il ne fut point mort jeune, eût esté bon abbé; Qui croit que paradis est en forme d'eglise, Et que le Bucentaure estoit[355] duc de Venise; Qui ne tient de bons mots que ceux d'Angoulevant, Et n'a rien en mepris qu'un homme bien sçavant[356]. Je l'ay veu maintefois, ô l'ignorant caprice! Citer monsieur saint Jean au livre de l'Eclypse: Et tout d'un mesme train faire croire à son sens, Que fisique et fthisique avoient un mesme sens. Mais après celuy-cy, menez, menez-le boire Voire sans le licol, ce grand asne en l'histoire, Puisqu'il dit que Priam soutint Agamemnon Les dix ans de son siège à grands coups de canon[357], Puisqu'il croit que Pâris, par qui mourut Achille, Fut tenu sur les fonds des bourgeois de la ville Qui porte ce nom-là, et que le Chevallier Ne doit croire avoir eu cet honneur le premier. Est-il pas bien plaisant, mais n'est-il pas bien buse De tuer Palamède avec un arquebuse? S'il parle de Brutus en sa grande action, Il se plaint que Cesar meurt sans confession, Et dit, la larme à l'oeil: Tant de prestres à Rome Ont donc laissé mourir sans confesse un tel homme! De quel treffle ou quel foin, quelle herbe ou quel chardon[358], Onozandre, peut-on te faire un digne don, Si tu crois que jadis l'empereur d'Alemaigne Dès le jour qu'il naquit s'appella Charlemaigne, Et que le grand Pompée, au temps des vieux Romains, Surpassoit de deux pieds le plus hault des humains[359]? Donnez-luy des sonnets, odes ou cenotafes, Toutes sortes de vers, il les nomme epitafes. L'esclavon, l'arabic, le turc, le bizantin, Tout langage estranger, il le tient pour latin; Que s'il entend tonner ou faire de l'orage, Il croit que l'Antechrist vient, et que son bagage Fait tout ce tintamarre. On le verroit allors, Priant fort à propos, dire vespres des morts, Chanter un _Te Deum_ sur un chant pitoyable, Non pas qu'il ayme Dieu, mais il craint fort le diable. Mais peut-estre qu'il sçait de l'histoire du temps! Il vit parmy la cour, c'est là que je l'attens. Son picotin en main, dites si c'est un homme, Mais, dites, n'est-il pas un animal de somme, Puis qu'il jure tout haut que les sept electeurs Sont indignes de plus creer les empereurs, Puisqu'ils ont la verolle et que l'on leur apreste A ce printemps prochain une exacte diette, Mesmes que l'empereur en est en fort grand soin, Et que c'est aujourd'huy son plus pressant besoin? Neantmoins, on le voit, ce gros asne, ou ce buffle, En pourpoint de satin decoupé sur le buffle, Marcher en face d'homme, et crier que le front, Que la bouche, le nez et les oreilles font La creature estre homme. Abus, il se mesconte: S'il met là son honneur, le monde y met sa honte. La face n'y fait rien: la mer a des poissons[360] Qui ont nostre visage; en cent mille façons Nature industrieuse a mis dedans les plantes, Dans les eaux, dedans l'air, dans les voutes brillantes, Le caractère humain, qui pour cela n'ont rien Du feu de Promethée, ce larrecin ancien, Sans lequel on est beste. Apprens, grossier profane, Qu'on peut en courte oreille estre un bien fort grand asne, Mesme on peut estre boeuf en visage de roy[361]; Je n'en veux à temoing qu'en nostre antique loy Nabucodonosor, ce grand prince d'Asie, Moins connu pour son daiz que pour sa frainesie. Après avoir longtemps dominé sous ses loys Les peuples d'Assirie, ensuite de cent roys, Ses illustres ayeux, d'un sceptre plus antique Que la tige d'Abram au peuple judaïque, Sans egard à sa race, ou à l'illustre sang Qui luy donnoient les biens, la coronne et le rang, Par jugement divin parut en face humaine, Paissant avec les boeufs le treffle, la vervaine, Se soulant de sainfoin, bien qu'un royal manteau Couvrist le corps du prince en couvrant le thoreau. Vray portraict d'Onosandre, excellante figure Representant le corps, l'esprit et la nature Du Grossier fort illustre en biens et en maison, Mais bien pauvre d'esprit, voire un gueux en raison, En sens un mendiant qui a des pous à l'ame Plus que n'ont en leurs corps les forçats de la rame. Or, buses, c'est assez. Prince de Betisi[362], Reclamez vos oyseaulx, qu'ils s'envolent d'icy Jusqu'au val de Padouse, où ils fairont entendre Ce que je leur apprens des vertus d'Onosandre, En proclamant un Dieu, comme on vit autrefois Posafon déifié par les oyseaux des bois[363]. [Note 342: Bautru en est l'auteur. Le _Cabinet satyrique_ (Paris, jouxte la coppie imprimée à Rouen, 1633, in-8, p. 619-625), la donne sous ce titre: _L'Onosandre_, ou _la Croyance du Grossier, par le sieur Bautru_. C'est contre M. de Montbazon qu'elle est dirigée. Tallemant raconte à ce sujet cette anecdote: «... Le bonhomme avoit su que _l'Onosandre_ étoit une pièce contre lui. La reine-mère accommoda cela, et on dit que, M. de Montbazon, entr'autres choses, l'ayant menacé de coups de pied, il faisoit remarquer à la reine-mère: «Madame, voyez quel pied! que fût devenu le pauvre Bautru?» (_Historiettes_, édit. in-12, t. 3, p. 102.)] [Note 343: _Var._: D'Onozandre le grand ennemy de vos sons.] [Note 344: Ceci justifie pleinement le vers des _Contreveritez de la cour_ (V. notre t. 4, p. 337). Le duc de Montbazon ne parle que latin.] [Note 345: _Var._: Qui font que les humains ne vivent de chardons. Je vous invoque, oyseaux] [Note 346: Vives, promptes, gaillardes.] [Note 347: _Var._: de m'apprester.] [Note 348: _Var._: la brayante.] [Note 349: Pour croyance.] [Note 350: Le Basacle est un moulin à eau qui existe à Toulouse depuis plusieurs siècles. Ses ânes étoient fameux par leur force. Nous avons fait une erreur à propos de ce nom dans notre t. 3, p. 71.] [Note 351: Ce sont les initiales du nom de M. de Montbazon. M. de Monmerqué en a fait la remarque avant nous dans ses notes sur l'_historiette_ de Bautru (Tallemant, in-12, t. 3, p. 102). Elles ne se trouvent pas dans _le Cabinet satyrique_.] [Note 352: Après ce vers, il y en a deux de passés que nous retrouvons dans _le Cabinet satyrique_. Et que là tous les saincts l'on cache tout de mesme Comme nous le voyons aux temples de Caresme.] [Note 353: Ce vers et le suivant ne sont pas dans _le Cabinet satyrique_.] [Note 354: _Var._: Judas.] [Note 355: _Var._: est le.] [Note 356: _Var._: Et n'a rien a mespris comme un homme sçavant.] [Note 357: _Var._: Il montre à son discours qu'il n'a pas de raison Et qu'il a le cerveau timbré comme un oison.] [Note 358: _Var._: De quelle herbe, quel foin, quel treffle, quel chardon.] [Note 359: A la suite de ce vers, il s'en trouve dans _le Cabinet Satyrique_ quatre qui manquent ici. Ils rendent la pièce digne du recueil: Si tu demande à tous si le paillard Ulysse, Qui chevauchoit partout, n'eut point la chaudepisse, Si tu crois un miracle, ayant mille putains, Que pourtant le grand Turc n'eust jamais les oulains.] [Note 360: _Var._: Tel porte la façon d'estre un homme en effect Et le considerant c'est un asne tout faict.] [Note 361: Ce vers et les dix-neuf qui suivent manquent dans _le Cabinet satyrique_.] [Note 362: Nous avons dit déjà, t. 4, p. 337, note 5, pourquoi l'on appeloit M. de Montbazon prince de Béthizy.] [Note 363: _Var._: Saphon deifier par les oyseaux des bois.] _Le Conseil tenu en une assemblée faite par les Dames et bourgeoises de Paris. Ensemble ce qui s'est passé._ In-8. S. L. ni D.[364]. [Note 364: Cette pièce est la contre-partie de celle qui a pour titre: _La permission aux servantes de coucher avec leurs maîtres_, etc., reproduite dans notre t. 2, p. 237. Elle est conçue dans la même forme et écrite dans le même style. On voit par plusieurs passages qu'elle a positivement été faite pour servir de réponse à l'autre. Je penserois volontiers que toutes deux sont du même auteur.] Soit que ce soit l'ambition, qui souvent donnant à travers l'esprit des femmes, leur fasse croire au rabais de leurs merites, si tant est qu'elles sçachent que les chauds baisers des maistres du logis s'estrangent[365] dans les doux embrassemens de quelque gentille saffrette[366] de servante; soit que ce soit qu'au sortir d'une si aggreable escarmouche et d'un cultis si souvent reiteré, l'on ne puisse si prestement fournir à l'appoinctement, et qu'il ne leur reste plus que du son et de la lie, au contentement que elles espèrent entre les bras de leurs chers epoux; [Note 365: S'égarent.] [Note 366: V., sur ce mot, notre t. 2, p. 242.] Quoy que s'en soit, après que nos sus dites servantes eurent faict signifier l'arrest[367] qui avoit esté donné à leur proffict (contre leurs maîtresses), dame Avoye, seante en son siége au Pilory, Mesdames les maîtresses, se trouvant survenues en ce jugement, creurent qu'il falloit faire une assemblée, affin qu'agissant par un si sage conseil, on peusse plus seurement fournir de productions et de deffences pour ce dict procez. [Note 367: C'est l'_Ordonnance de dame Avoye, enjoignant à toutes servantes, chambrières, filles de chambre_, etc., _de coucher avec leurs maîtres_, qui fait partie de la pièce à laquelle celle-ci répond. V. notre t. 2, p. 240.] A raison de quoy il fut arresté que ceste tant authentique et magistrale assemblée se feroit au cimmetière des Innocents, à la sortie du marché. De tous cotez accoururent les femmes, bourgeoises, marchandes, damoiselles, presidentes et plusieurs autres qui avoient intherest en la cause. Les scribes n'eurent pas si tost faict faire silence que très honorée dame madame Calette (preferable à toute autre, tant pour sa singulière prudence que vigilance touchant nos affaires, affublée d'un crespe noir) commença par ces mots: _Harangue de dame Madame Calette._ Chères dames, de quel courage souffrirons-nous que nos esclaves, ces petites goujattes d'amour, ces brayettes de suisses, ces quintènes[368] de bordel, ces pissepots de nos maris, nous bravent, et qu'à la fin elles nous foullent aux pieds? Voyez (je vous prie) avec quelle astuce elles ont obtenu deffaut contre nous! avec combien de charmes, de visages raffinez, elles ont sceu suborner les juges à nostre desavantage? Il n'y en a aucun à voir qui ne soit pour elles! C'est faict de nous, si par une sage remonstrance nous ne les supplions et remonstrions que les juges, ayant esté aveuglez, corrompus et gaignez, nous permettent une evocation en quelque autre ressort, où la justice bandant les yeux, et d'une egale balance, pèse les justes droicts de nostre deffence. Donc, mes chères dames, advisez où il sera le plus expedient de revoquer ce procez. [Note 368: On sait que dans les lices la _quintaine_ étoit le poteau contre lequel on s'exerçoit à jeter les dards ou à rompre la lance.] _Resolution de Mesdames sur la harangue de dame Madame Calette._ La harangue finie, celles qui estoient le plus interessées en ceste cause demandèrent à la compagnie qu'il leur pleust accorder que le lieu où se debvoit resoudre ce differend fust au cimmetière des Innocents, pour là, au retour du marché des halles, se saisir plus aisement de celles qui avoient esté les chefs de ceste rebellion entre les servantes, pour les punir selon leurs demerites. _Assemblée des Dames pour dire leurs plainctes._ Après qu'une quantité de coiffes, de chapperons, de masques[369] et d'escoiffions[370] se fust rendue au dict consistoire, dame madame Calette, assise sur le cul d'un mannequin (à cause de la lassitude du chemin), fit signe de l'oeil à une espicière assez falotte de se lever, et proposer le subject de sa plaincte. [Note 369: Sur l'usage des masques, même chez les bourgeoises, V. notre t. 1, p. 307, et notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, p. 105.] [Note 370: On appeloit ainsi l'espèce de coiffe que portoient les femmes du commun. On disoit aussi _scoffion_, comme dans ces vers de Ronsard: Son chef estoit couvert folastrement D'un _scoffion_ attifé proprement. On le trouve encore sous cette forme dans les épithètes de de la Porte. Il ne falloit confondre l'_escoffion_ ni avec la _calle_ que portoit sans doute Mme Calette, qui vient de parler tout à l'heure, ni avec la _cornette_. Scarron le donne à entendre quand il fait dire par un de ses personnages: Estes-vous en cornette ou bien en _escoffions_? Molière s'est servi une fois de ce mot, dans _l'Étourdi_, act. 5, sc. 14; mais il vieillissoit de son temps.] La petite espicière, craignant de se voir desobeyssante au commandement qui lui estoit faict, après avoir coloré son teinct d'une couleur vermeillette, et comme baissant la teste, dict: Ce n'est pas que mon desir glouton ne sçache bien se contenter, et que le garçon de la boutique ne calfeutre aussi bien mon bas que maistre juré qui soit au mestier de cultis; mais je ne puis souffrir qu'une truande s'engresse à mes despens, et qu'une telle maraude souille l'honneur de mon lict. Je suis contraincte de l'appeller pardevant vous, en vous remontrant combien de fois je les ay surprins dedans le magasin, où, allant pour quelques affaires, je les avisois par le trou de la serrure (car ils avoient verrouillé la porte sur eux) qui touchoient si rudement que c'estoit pitié de les voir. Je ne sçay où ils pretendoient gister ce jour-là, mais ils doubloient fort le pas; mais entr'autres, une fois, se doubtant que ceste place n'estoit pas de grande resistance, et que les soldats estoient là à decouvert, ils montèrent plus haut au grenier, puis s'enfermèrent dans une tonne vuide, où après quelques coups fourrez, ils s'estocadèrent si rudement que, roulants sur le plancher en ceste tonne, cela fit un grand bruict. Ce qu'entendant, je monte droict en haut, où je vis ceste tonne courir çà et là sur le plancher; ne sçachant que c'estoit, je voulus conjurer le diable de sortir de là dedans, où, après quelques conjurations, j'apperceu sortir un des pieds de mon mary, passé entre les jambes de ma drôlesse. Ah! quel crève-coeur! Depuis trois ans que je suis avec luy, je n'ay eu qu'un enfant; encor est-il fluet qu'il ne se peut soustenir. Voire vrayment (dict madame Charlette, femme d'un apothicaire), voilà bien dequoy se plaindre! Est-ce un? Il pesche toujours qui en prend un; il y a huict ans que je suis avec le mien, sans que j'en puisse avoir un; c'est bien peu! Je ne sçay ce qu'il met en ses drogues, mais elles sont de bien peu d'operation. Naguères nous allâmes en pelerinage à Liesse, esperant que par l'intercession de ceste saincte Dame je pourrois avoir un heritier du fruict de nos travaux; mais à peine fumes-nous de retour que l'on me parla de sage-femme: c'etoit la nostre qui étoit accouchée. Hé bien! voilà comme nos marys peschent en eaue trouble; ces grands vault riens sçavent bien enfourner au four d'autruy et ne trouvent jamais le nostre assez chaud. Cependant ce ne fut pas tout, car ceste truande, après m'avoir faict la nique, obtint provision de cinquante escus[371]. Deussay-je en payer cent, et qu'il m'en fit autant! [Note 371: Sur les dommages-intérêts auxquels avoient droit les servantes séduites par leurs maîtres, V. notre t. 1, p. 318-320, note.] La G. print alors la parole, et dict à une de ses voisines qui estoit là: Sainement (ma commère, ma mie), je n'eusse jamais pensé, avant que d'entrer en mariage, qu'il s'y fist tant de meschancetez. Ces jours derniers, comme j'estois allé à la messe, je ne fus pas de retour qu'entrant dans la salle avec mon boullanger, pour conter avec luy, je les vis tous deux sur le lict vert, si eschauffés au jeu que l'on eust dict qu'ils en avoient à quelqu'un. Ceste fine beste, se voyant surprise, joue si dextrement son jeu que, se glissant dessous son maistre, se coula derrière le long d'une tapisserie jusqu'à la porte, et ainsi gaigna le haut. Bon Dieu! que je l'eusse pelottée si elle ne se fust esquivée, et que je luy eusse donné de gourmades! Encores passe pour un coup, mais je vous laisse à penser si c'est là la première fois! Une certaine P., portant je ne sçay de colère sur sa face, allongea le col, puis dict: C'est assez patienter. Ce vilain ruffien, non content d'en avoir jusqu'aux bretelles, toutes les nuicts se lève du lict, puis, feignant d'avoir un cours de ventre, va droict à la garde-robbe, où, le rendez-vous estant avec une de mes filles de chambre, l'enfile avec tant de zèle que l'on diroit qu'il enfileroit des perles; mais, comme il demeuroit trop long-temps en son embarquement, je l'allay trouver, où je le vis tout estendu et se tourmentant comme un malade de sainct[372]. J'eus souleur. A l'heure j'appellay Guillaume, Janne, Pierre, Jacques, cocher, laquais, et recognu enfin que c'estoit. La pauvrette, de honte qu'elle avoit, se print à plorer, et troussa sa chemise par devant pour s'en cacher la face[373]. Dieu sçait comme je l'accommoday! Je fis venir tous les valets d'estable, qui luy donnèrent cent coups d'estrivières et luy arrachèrent poil à poil la barbe du menton renversé. Ce ne fut pas tout: pour obvier à tous inconveniens, et qu'une autre fois elle ne pust servir au dict mestier, je fis venir nostre mareschal, qui l'encloua si bien qu'elle s'en souviendra, ne luy laissant qu'un petit trou d'arrousoir pour luy passer l'urine. Voilà comme je les etrille. Un chacun se print à rire là dessus, et sembla-on approuver ce chastiment par un sousris qui s'esleva en la compagnie. [Note 372: C'est-à-dire atteint d'épilepsie. On donnoit ce nom de _mal de saint_ à certaines maladies, telles que le _mal saint Mathelin_, qui étoient placées sous l'invocation de tel ou tel patron. V. _Ancien théâtre françois_, t. 2, p. 415.] [Note 373: Dans les _Fantaisies de Bruscambille_ et dans une pièce du même temps, _Complexions amoureuses des femmes_, etc., se trouve la même plaisanterie sur les filles qui, par pudeur, se couvrent les yeux avec leur chemise.] Mais la B., mal contente de son mary, ne pust rire et ne finit de gronder jusqu'à ce qu'on luy eust dit: Hé bien! Madame, qui vous tourmente? Parlez. J'ay beau remonstrer à ce gousteux de mary comme il se perd, luy et son honneur, et que c'est un très mauvais exemple pour sa famille; mesmement, après luy en avoir beaucoup battu les oreilles, et n'en pouvant plus chevir, j'allay trouver son confesseur, elle suppliay de luy en toucher quelques mots. Mais on a beau prescher à qui ne veut entendre: ce vilain a le coeur si endurcy et est si esperduement affollé de ceste gallande, que mesme il ne s'en abstient pas les vendredis; ny moins les bons jours de feste. Samedy dernier, comme je revenois du Marché-Neuf, j'entray en la salle avec nostre fermier. Son chien, qui le suivoit, commença à aboyer si furieusement vers la cheminée, qui estoit couverte depuis le haut jusqu'en bas de tapisserie, que je fus contraincte d'aller voir ce que c'estoit. Je lève la tapisserie, où je vis mon mary, qui de furie canonoit le fort de nostre servante là dessous. Il sembloit que, de sa perche et d'un certain ramon pelu, il ramonoit quelque chose de nostre bonne marchande. Il estoit debout, où de cul et de teste il poussoit si brusquement, qu'après avoir bien besogné et fermement ramoné, il revint tout sale, les yeux pleurans, comme je le pus voir, ayant son capuchon hors la teste. Mais je ne m'estonne plus s'ils se plaint tant des gouttes, puis que c'est un axiome de medecine que de le faire debout engendre les gouttes. Une certaine P., avec un sac de plainctes, demanda audience; mais, comme elle pensa parler, l'horloge sonna; ce qui fit que madame Calette, voulant mettre ordre à ceste confusion, parla ainsi: Nobles dames, après avoir ouy tant de plaintes, qui vous confirment assez le bruict qui est moindre que le mal, c'est à vous maintenant à adviser un chastiment pour nous venger de l'affront que ces impudentes nous ont fait cy-devant, et un remède pour mettre ordre en avant et rompre chemin à la permission qu'elles ont obtenue de coucher avec leurs maistres[374] donnant arrest là-dessus que pas une, dores-enavant, ne soit si effrontée que de commettre un tel forfait, sur peine de punition corporelle. Aussi-tost il fut ordonné à un scribe du cimmetiere de S. Innocent de prendre la plume et escrire ce qui ensuit: [Note 374: Nouvelle allusion à la pièce dont celle-ci est la contre-partie.] _Teneur de l'Arrest donné._ Encores que celles qui nous ont precedé au gouvernement de ceste republique, et nous, à leur imitation, ayons faict plusieurs edicts et ordonnances pour reprimer et corriger le luxe et hautes entreprises de nos servantes, et pour les contenir dans la modestie convenable à leur condition, neantmoins, comme le vice s'accroist de jour en jour, l'outrage et l'audace de telles servantes est montée à tel excès, que l'on recognoist que, non contentes de quelques petits coups fourrez à nostre desceu, leurs desseins sont si pernicieux, qu'ayant obtenu permission, pretendent d'avoir part au logis, pour enfin nous en chasser tout à faict; et ce qui importe le plus est, outre les incommoditez et troubles que l'on en reçoit, en ce que, mettant la main entre l'escorce et l'arbre, sèment la zizanie, et toute la famille en reçoit un grand prejudice, en ce que les dites servantes, qui sont courreuses et qui ne font pas de grand service en la maison, espuisent de grandes sommes de deniers de la gibecière de leurs maîtres, qu'elles obtiennent par provision, feignant d'estre grosses[375], bien que ce soit de quelque coquin à qui elles donnent tous ces deniers, sans en tirer aucun proffict. A quoy desirans pourvoir, après avoir mis ceste affaire en deliberation en nostre conseil, où estoient plusieurs dames, damoiselles, bourgeoises et autres officières de cet estat, sçavoir faisons que nous, pour ces presentes et autres bonnes considerations en ce mouvantes, avons, par ces presentes, faict et faisons très expresses inhibitions et deffences à toutes nos subjectes servantes d'observer de poinct en poinct le dict arrest, sur peine aux contrevenantes des charges cy-devant mentionnées. [Note 375: V. l'une des notes précédentes.] Ce qui fut faict et accordé le mesme jour que dessus. Et affin qu'ils n'en pretendent cause d'ignorance, nous avons fait signer le present arrest de nostre seing ordinaire. CALETTE. _Vengeance des femmes contre les hommes, satyre nouvelle contre les petits-maîtres[376] et les vieillards amoureux._ _Sur l'imprimé à Paris, et se vend à Rouen, chez Laurent Besongne, tenant sa boutique sous la galerie du Palais._ M.DCCIV. _Avec permission._ In-8. [Note 376: Cette expression, qui avoit d'abord servi a désigner les jeunes gens de la noblesse qui s'étoient jetés dans la _Fronde_ et qui vouloient faire les maîtres, en haine de Mazarin, ne se prenoit plus, à la fin du XVIIe siècle, que dans le sens qu'elle a gardé depuis. On entendoit par _petit-maître_ ce que nous appellons aujourd'hui un _fashionable_, un _dandy_, un _lion_. Nous connoissons une comédie en un acte, en prose, publiée en 1696, Orléans, Jacob, sous le titre de: _les Petits-Maîtres d'été_.] Non, ne m'en parle plus: quoi que tu puisses dire, Corinne, je rendrai satyre pour satyre[377]. A mon juste depit tu t'opposes en vain. Dejà, pour me venger, j'ai la plume à la main. Notre sexe est en butte aux outrages des hommes. C'est trop nous taire, il faut leur montrer qui nous sommes. Hé! pourquoi respecter ces superbes rivaux, Corinne? Comme nous n'ont-ils pas leurs deffauts? Nous ne les attaquons, du moins, qu'en represailles. Tu vois qu'ils s'en sont pris jusqu'à nos pretintailles[378]. En nous, s'ils en sont crus, tout est capricieux; Une mouche, un ruban, tout leur blesse les yeux. Cependant, si chacun connoissoit son caprice, Si chacun prenoit soin de se rendre justice, Peut-être on ne sçauroit de quel côté pencher, Et l'on n'auroit enfin rien à se reprocher. Je suis de bonne foi, je sçai que nos coquettes Plus haut qu'il ne faudroit font monter leurs cornettes[379]; Mais on ne les voit point relever leurs beautez Par un enorme amas de cheveux empruntez. Peut-on, sans eclater, voir l'affreuse perruque De l'insensé Creon, dont la face caduque Sous un masque trompeur se flate à contre-tems De cacher à nos yeux le ravage des ans? Une vaste coëffure en vain couvre ses rides: La mort, peinte dejà sur ses lèvres livides, Annonce que son ame est prête à s'exhaler, Et que Clotho pour lui n'a plus guère à filer. Quel est donc son dessein? Par cette vaine adresse Croit-il tromper le coeur d'une jeune maîtresse, Et par le faux eclat d'un bizarre ornement Pretend-il l'engager jusques au sacrement? Que je le plains, Corinne! Une femme trompée D'une juste vengeance est sans cesse occupée, Et je ne repons pas qu'il descende au tombeau Sans porter sur son front quelque ornement nouveau. Ne vaudroit-il pas mieux, au declin de son âge? Que par ses cheveux gris il prouvât qu'il est sage. Je sçai qu'il ne l'est pas; mais, sans se deguiser, Il auroit le plaisir de nous en imposer. Pourquoi, mal à propos, enter sur sa vieillesse Les rameaux verdoyans d'une folle jeunesse? Pour moy, j'ay beau chercher, sous sa riche toison Je ne decouvre pas une ombre de raison. S'il en faut en deux mots faire un portrait sincere, Sa perruque est pesante et sa tête est legère. Il peut, quand il voudra, descendre au sombre bord: Il a rendu l'esprit long-temps avant sa mort. Mais laissons ce vieux fol: la vieillesse obstinée N'est pas à la sagesse aisement ramenée, Et l'arbre que l'on voit plier sous son fardeau Doit estre redressé lorsqu'il n'est qu'arbrisseau. Avec plus de succès je rimeray peut-être Auprès de ce blondin aux airs de petit-maître. Juste ciel! que de poudre! il en a jusqu'aux yeux[380]. De quoy s'avise-t-il? Veut-il paroître vieux? Que n'attend-il du moins que l'âge le blanchisse? Quel siècle est donc le nôtre, où tout n'est qu'artifice, Où par un faux endroit tout se fait remarquer, Où, comme en carnaval, chacun veut se masquer? Mais quoy! c'est le bel air, me repondra Timandre; La poudre à pleines mains sur nous doit se répandre, Et, quant à moy, jamais du logis je ne sors Que l'on n'ait avec soin poudré mon juste-au-corps. Poudrer un juste-au-corps! quelle étrange parure! Quel goût extravagant et quelle bigarrure! Tels etoient autrefois Scaramouche, Arlequin, Tel est le dos d'un âne au sortir du moulin. Mais un peu trop avant ma censure s'engage: La perruque, après tout, est d'un commode usage; Une tête fêlée, à l'abry d'un chapeau, Ne peut du mauvais air garentir son cerveau; D'ailleurs, c'est une loi communement reçue, Qu'il faut devant les grands se tenir tête nue, Et la perruque alors est d'un puissant secours. Mais d'où vient que Dorante en change tous les jours? Va-t-il à la campagne, il prend la cavalière; Revient-il à la ville, il prend la financière, La quarrée aujourd'hui, l'espagnole demain[381]. Encore approuverois-je un si plaisant dessein S'il changeoit à la fois de perruque et de tête; Mais sous poil différent c'est toujours même bête. Corinne, qu'en dis-tu? Tu vois quels sont ces fous Qui se sont mis en droit de se mocquer de nous. Tu le vois, leur caprice au moins vaut bien le nôtre; Mais la moitié du monde est la fable de l'autre, Et dans ce siècle injuste on se fait une loy D'être Argus pour autruy, Tiresias pour soy. Un autheur irrité fronde la pretintaille D'une écharpe rangée en ordre de bataille; Pourquoy ne pas décrire en style aussi pompeux Cette epaisse forest de superbes cheveux Que quelquefois un nain de grotesque figure Fait tomber à grands flots jusques à sa ceinture? Une etoffe, dit-il, mise en divers lambeaux, Peut servir à cacher de terribles deffauts; Une vaste perruque aussi couvre une bosse, Et souvent le harnois fait valoir une rosse. «Sur quoy, dira quelqu'un, vient-on satyriser? «On nous prend aux cheveux: est-ce pour nous raser? «Veut-on nous releguer dans quelque monastère? --Non, je veux seulement vous apprendre à vous taire. Hé! que vous avoit fait le nom de falbala[382]? Vous en inventez bien qui valent celuy-là, Et la mode, ordonnant que les cheveux postiches Seroient communs à tous, aux pauvres comme aux riches, A produit aussitôt plus d'un barbare nom, Comme barbe de bouc et tête de mouton[383]. Mais laissons là le nom et venons à la chose. Ciel! qu'est-ce que je vois? quelle metamorphose! Les hommes, censurant l'ouvrier souverain, S'avisent de changer leurs cheveux pour du crin; Des plus vils animaux ils prennent la figure, Et l'art impunement reforme la nature. Quoy! n'est-ce pas assez que pour orner leurs corps Les vivans aient recours aux depouilles des morts? Par quel abaissement, par quelle horrible chute, L'homme veut-il encor s'allier à la brute? Je consens de bon coeur qu'il tire ses cheveux Des vivans ou des morts, des riches et des gueux[384], Qu'il en fasse chercher du Perou jusqu'à Rome: Jusque là je l'excuse, il n'a recours qu'à l'homme; Mais qu'il se pare enfin du crin de son cheval, C'est un aveuglement qui n'eut jamais d'egal. Que Cliton est plaisant, sous sa nouvelle hure, Lorsqu'un vent un peu fort souffle dans sa frisure! Mais c'est bien encor pis s'il pleut, pour son malheur: Sa tête a pour le moins six grands pieds de rondeur, Et je ne puis le voir que je ne me retrace Le monstrueux tableau que nous decrit Horace. Ce n'est pas tout, il soufre un autre contre-tems: Veut-il tourner le col, tout tourne en même temps. Ainsi que les cheveux le crin n'est pas flexible, Et, prêt à succomber sous un poids si penible, Il jure à chaque pas, et, dans son noir chagrin, Il maudit l'inventeur des perruques de crin. Je crois entendre icy Lisis, dont la coiffure, Au moins s'il nous dit vray, doit tout à la nature. Il brille, et devant luy Phoebus, le blond Phoebus, N'oseroit se montrer sans en estre confus. Sa tête cependant n'est riche qu'en mensonges; Ce n'est qu'à la faveur de certaines allonges Qu'à tant de jeunes coeurs il fait un guet-à-pan: C'est un geai revêtu du plumage du pan. J'ay honte de traitter cette indigne matière, Mais les hommes au moins m'ont ouvert la carrière; Eux-mêmes du sujet ils m'ont prescrit le choix; Pretintaille et perruque ont presque même poids, Et rimer avec art sur une bagatelle Est pour eux et pour nous une gloire nouvelle. Pour moy, je l'avoûray, leur ouvrage m'a plu; Malgré tout mon courroux, je l'ai vingt fois relu, Et, quoyque mon depit m'ait fait prendre les armes, Des bons mots qu'on y voit j'ay ry jusques aux larmes. Un quidam dont le coeur est contraire à son nom D'en être cru l'autheur s'allarme sans raison: Le public est tout prêt à lui rendre justice. On sçait bien que sa tête est feconde en malice, Mais on verra plutôt naître un geant d'un nain Qu'un ouvrage d'esprit eclorre dans sa main. Muse, changeons de style, et montrons qu'une femme Aux plus nobles projets peut elever son ame; Tachons de reveiller les hommes nonchalans; Transformons, s'il se peut, nos Medors en Rolands; Que desormais, vainqueurs sur la terre et sur l'onde, Ils soient dignes sujets du plus grand roy du monde. Quoi! dans le même temps que Bavière et Villars Du Danube et du Rhin forcent les vains ramparts, Et que l'aigle, à l'aspect de leurs fières cohortes, Regagne epouventé ses places les plus fortes, Des Françoys enyvrez des douceurs du repos Pourront se contenter d'admirer ces heros, Et, loin d'aller grossir leur triomphante armée, N'aprendront leurs exploits que par la Renommée! Nous n'en voyons que trop, de ces effeminez, Aux chars de leur Venus lachement enchaînez, Qui souffrent que l'amour remporte la victoire Sur l'eclat le plus vif que puisse avoir la gloire. O honte! cependant ils n'en font point de cas, Et je rougis de voir qu'ils ne rougissent pas. De quel front peuvent-ils nous reprocher sans cesse Tout ce qu'à leur egard nous avons de foiblesse, Eux qui, moins exposez, mais plus foibles que nous, Tous les jours en captifs tombent à nos genoux! Que deviendroient-ils donc si, pour vaincre leurs ames, Les femmes les pressoient comme ils pressent les femmes? Ces lâches, à nos yeux ne sçavent s'occuper Que du soin de mieux feindre et de nous mieux tromper. Et comment se peut-il que nos coeurs se defendent Des piéges dangereux qu'à toute heure ils nous tendent? Faut-il estre surpris de voir qu'ils soient aimez? Ils sont pour nous seduire en femmes transformez. Dans notre ecole même ils ont appris l'usage De poudrer leurs cheveux, de farder leur visage, De deguiser enfin jusqu'au ton de leur voix. Quel changement honteux! Sont-ce là ces Gaulois Dont jadis le seul nom fut la terreur de Rome? A peine ont-ils encor quelque chose de l'homme. Je ne veux pas confondre avec ces lâches coeurs Ceux qui, dignes enfans de leurs predecesseurs, Comme eux dans les hazards vont chercher la victoire, Et rendent à leur cendre une nouvelle gloire; Non, je ne parle icy que de ceux que l'amour Attache indignement à nous faire la cour. Corinne, ces objets n'ont rien qui ne me blesse. Je leur pardonnerois leur honteuse molesse Si du moins en ces lieux la paix, l'aimable paix, Faisoit regner l'amour avec tous ses attraits; Mais vivre auprès de nous dans une paix profonde Lors que Mars en fureur ravage tout le monde, Quel tems choisissent-ils? Ne rougissent-ils pas De trouver dans l'amour encore des appas? Loin de verser du sang, de repandre des larmes? Est-ce le temps d'aimer quand tout est sous les armes? Non, la voix de l'honneur leur fait une autre loy; S'ils peuvent l'ignorer, qu'ils l'apprennent de moy; Qu'une femme aujourd'hui, par des conseils sincères, Leur montre le chemin qu'ont suivi tous leurs pères. Loin d'assieger des coeurs, qu'ils forcent des remparts; Qu'ils ne se poudrent plus que dans les champs de Mars; Dans un corps vigoureux qu'ils portent un coeur mâle, Et qu'ils n'aient desormais d'autre fard que le hâle. [Note 377: Il s'agit d'une satire contre les modes des femmes, dont celle-ci est la contre-partie, mais que nous n'avons pas encore pu retrouver.] [Note 378: On appeloit ainsi, à la fin du XVIIe siècle, «les falbalas, les franges, les découpures et autres agréments qu'on mettoit aux écharpes des femmes.»] [Note 379: C'est à la fin du XVIIe siècle que les _cornettes_ à plusieurs étages devinrent surtout à la mode. Les comédiennes qui jouent Philaminte, Belise, Belène, et quelques autres rôles marqués des pièces de Molière, ont l'habitude de s'en coiffer; c'est un tort: quand Molière mourut, en 1673, il falloit attendre encore quelques années pour voir cette coiffure à la mode.] [Note 380: Voir, sur cet abus de la poudre dont on enfarinoit la perruque et le haut des manteaux, le Dictionnaire de Furetière, au mot _poudrier_. Dans la comédie citée tout à l'heure, il en est aussi parlé. On y voit «ces Narcisses modernes, qui, à l'imitation de l'ancien, avec une perruque tellement chargée de poudre que le juste-au-corps en est enfariné, ne se trouvent jamais devant aucun miroir qu'ils n'honorent de leur image.»] [Note 381: Dans l'_Eloge des perruques_, fait par de Guerle sous le pseudonyme d'Akerlio, à l'imitation du livre du curé Thiers, il est parlé de toutes espèces de _perruques_, p. 96, note 45.] [Note 382: On fit mille contes sur l'étymologie de ce mot, qui, selon Le Duchat, vient de l'allemand _Fall-Blatt_, mais dont le vieux mot espagnol _falda_ (bord ou pan de robe) est plutôt encore la racine. Un M. de Langlée dit un jour dans une maison que c'étoit un mot hébreu (Caillières, _les Mots à la mode_, p. 168). Tout le monde le crut sur parole, sauf pourtant deux personnes, qui, pour plus ample explication, crurent devoir s'adresser à l'abbé de Longuerac. «Au commencement de l'invention des falbalas, lisons-nous dans le curieux _ana_ qui fut composé d'après les dits et gestes du savant abbé, deux hommes d'épée que je ne connoissois pas vinrent me voir à Saint-Magloire, et, après bien des compliments, ils me demandèrent ce que signifioit _falbala_. J'eus beau leur protester que je n'en savois rien, ils me soutenoient que je le savois, parceque c'étoit un mot hébreu qui se trouvoit dans la Bible en hébreu, et qu'on les avoit assuré que je leur expliquerois, et que c'étoit le nom de quelqu'un des habillements du grand prêtre. Langlé, qui avoit inventé ce nom-là, disoit qu'il étoit hébreu, et ils l'avoient cru.» (_Longueruana_, p. 155.)] [Note 383: C'est ce que Furetière appelle des perruques à la _moutonne_.] [Note 384: Pour les perruques du roi d'Espagne Philippe V, on ne prenoit pas indifféremment, comme vous allez voir, les cheveux des riches ou des gueux. «Il y a une difficulté pour les perruques à quoi il faut faire attention, écrit le marquis de Louville au ministre de France: c'est qu'on prétend que les cheveux avec lesquels on les fera doivent être de cavaliers ou de demoiselles, et M. le comte de Benavente n'entend point raillerie sur cela. Il veut aussi que ce soit des gens connus, parcequ'il dit qu'on peut faire beaucoup de sortiléges avec des cheveux et qu'il est arrivé de grands accidents. Vous voyez que l'affaire est de conséquence, et qu'il n'y faut rien négliger.»] FIN. _Avec permission de M. d'Argenson._ _Le Ballet nouvellement dansé à Fontaine-Bleau par les Dames d'amour. Ensemble leurs complaintes addressées aux courtisanes de Venus à Paris._ _A Paris._ M.DC.XX.V. In-8. Le sejour de Fontainebeleau[385] a esté favorable aux uns et perilleux aux autres, notamment aux dames d'amour, lesquelles plus que jamais ont appris la cadence de M. du Vergé[386]. [Note 385: C'est le séjour assez long que fit la cour à Fontainebleau et qui donna lieu à l'une des pièces publiées dans notre t. 3, p. 217. Elle nous avoit déjà édifié sur les scandales qui le signalèrent, et que Louis XIII, en roi chaste, réprima par la fustigation préalable et par l'expulsion des filles qui avoient suivi la cour.] [Note 386: C'est-à-dire ont été _fouettées de verges_. C'étoit le châtiment des filles publiques jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. La Gourdan fut ainsi condamnée à la fustigation en plein carrefour des Petits-Carreaux, près duquel elle demeuroit. V. _Corresp. secrète de Métra_, t. 2, p. 168, 195.] La dame Catherine de la Tour, comme la première et la plus renommée de toute l'academie du dieu d'Amour, a esté, selon sa dignité, receue à la danse avec le plus d'honneur: c'est elle qui a frayé la cadence du bal. C'est pourquoy qu'autant qu'elle avoit poivré des champions de ladite academie, elle a esté recompensée de ces salaires; à quoy de bons garçons, forts et roides, ne se sont point espargnez le peu qu'il leur restoit de forces: de telle sorte que dix poignées leur ont faict perdre le plancher des vaches pour leur apprendre de dancer par haut le triory de Bretagne. La dame Guillemette, autrefois gouvernante des allées de la feue royne Marguerite[387], fut conduite au bal par la petite Jeanne des Fossez de Sainct-Germain-des-Prez, et toutes deux, après la declaration par eux faicte par devant le Gros Guillaume de tous les bienfaicts et gratifications qu'elles ont faictes aux bons compagnons, dont un ample registre en a esté dressé, dont il demeurera une immortelle memoire à ceux qui ont combattu sous leur cornette, ont esté les secondes qui ont eu sceances au bal, lesquelles, après toutes leurs dances, ont esté frottées de deux cens coups d'estrivières. [Note 387: Le parc de la reine Marguerite au faubourg Saint-Germain, longeant le quai Malaquais. V. le t. 1, p. 219, et le t. 4, p. 174, 175.] La bourgeoise de la grosse tour du fauxbourg Sainct-Jacques[388], qui, au subject que le regiment des gardes avoit quitté sa boutique, avoit esté contraincte de venir avec son academie trouver la cour à Fontainebeleau. Elle ne fut si tost arrivée que la reputation de son nom fut partout espandue entre les bons compagnons. [Note 388: Sans doute la tour de la commanderie de Saint-Jean-de-Latran, place Cambrai. L'enclos dont elle faisoit partie étoit lieu d'asile, et par conséquent encombré d'une foule de gens sans aveu, dont le trop-plein refluoit sur les environs. Lorsqu'on la démolit, il y a deux ans, le quartier sur lequel elle planoit n'étoit pas mieux peuplé. V. notre livre _Paris démoli_, 2e édit., introd., p. L.] L'on ne manqua de la faire semoner au bal, et pour ce faire la petite Claire eut la charge de la prier avec toute sa compagnie; ce qu'elle ne refusa, d'autant que, pour l'amour de ses compagnes, elle n'avoit garde d'y manquer. De sa bande estoient les dames de la fleur du Marais[389], Guignoschat, de la Taille et la gentille Belinotte, et plusieurs autres que je ne sçay par les noms, toutes lesquelles, par une assez belle promptitude au bal, estant montées chacune sur un poulain, elles dancèrent d'une telle façon, qu'après l'on a esté contrainct de les frotter depuis la teste jusqu'aux pieds, et, leur peau estant si dure que le grand nombre de frottoirs desquels l'on se servoit s'usoit en un instant, que l'on a esté contrainct de les refrotter des serviettes de M. du Vergé[390]. [Note 389: On sait que les courtisanes y abondoient. V. une lettre de Gui Patin, 1er octobre 1666. Marigny, dans son poème du _Pain béni_, nous donne le commissaire Vavasseur comme étant Des lieux publics grand ecumeur, Adorateur de ces donzelles Qui ne sont ni chastes ni belles, Et qui, sans grace et sans attraits, Vivent des péchés du Marais.] [Note 390: C'était le mot consacré pour dire des verges. De là vient sans doute qu'en argot une canne de jonc s'appelle encore une _serviette_.] Cette assemblée ne se peut faire sans apporter de la jalousie à celles qui n'en avoient esté averties, car la dame Tiennette, blanchisseuse suivant la cour, qui a succedé à la place de la grosse Martine, faisant rencontre de la petite Marie, luy demanda d'où elle venoit. Ce fut alors que l'ordre qui s'estoit tenu au bal fut bien deschiffré. La grosse Martine, bien qu'elle eust trois pieds et demy de galles sur le col, ne laissa pas d'estre grandement faschée de ce qu'elle n'en avoit pas esté advertie, à cause de sa grande prestance et du rang qu'elle tient parmy leurs compagnies à cause de son antiquité aux academies; mais, pour la contenter, la belle Louise de la Motte luy dit: Tiennette, ne vous faschez point, il y en a encore assez pour vous et pour vostre compagnie; je m'asseure que l'on vous aura reservé quelque chose. Incontinent elles se mirent en chemin pour aller au lieu désigné pour le bal, où, estant arrivées, trouvèrent cinq bons garçons, frais et bien dispos, pour leur apprendre les _Canaries_[391]; mais elles furent bien estonées quand il fallut decouvrir le fesson, et toutes quatre furent servies bien d'autre monnoye que n'avoient esté les autres; car il n'y avoit pas bien longtemps que l'un de ces bons garçons avoit gaigné le mal de Naple d'une de la bande, quy lui avoit contrainct de faire le voyage de Bavière, ce qui fut la seule cause que l'on ne reserva plus rien du bal. L'on employa le tout sur entr'elles, et pour leurs derniers mets survint un gros valet d'estable qui avoit une paire d'estrivières toutes neufves, qui les esprouva de chacune vingt et quatre coups, de telle sorte que ces pauvres drovites, se voyant accommodées de la façon, baillèrent au diable la rencontre de la dame Marie et toute la dance. [Note 391: «Sorte d'ancienne danse, dit Compan, que l'on croyoit venir des îles Canaries, ou qui, selon d'autres, venoit d'un ballet ou mascarade dont les danseurs étoient habillés en rois de Mauritanie ou sauvages.» (_Dict. de danse_, p. 41.) Cette danse, avec toutes ses _passades_ et _reculades_, est décrite dans l'_orchésographie_ de Thoinot Arbeau. «Et notez, y lisons-nous, que lesdits passages sont gaillards, et néanmoins étranges, bizarres, et ressentant fort le sauvage.»] Elles eurent un tel crève-coeur de cette exercice que d'un même pas elles ont abandonné Fontaine-Bleau, et sont venues chercher leur bonne fortune dans les fossés des Vignes, lez Paris, hormis la grosse Tiennette, qui tient son academie dans les Saussayes, derrière Sainct-Victor. Voilà la façon du bal qui s'est dancé de nouveau à Fontaine-Bleau par les dames d'amour, duquel, pour en faire recit à leurs compagnes, voicy la teneur de leur lettre: _Complainte des Courtisannes d'amour sur leur bannissement de la suitte de la Cour. Addressée aux Champions de la Cornette de Venus à Paris._ Nos très chères soeurs, puisque maintenant la fortune a tourné le dos à nos favorables entreprises, et que tous nos desseins sont rompus au sujet des deffences qui nous sont faictes de ne plus habiter dans les bois pour faire hommage de nos très humbles services aux valeureux champions qui ordinairement combattent sous l'etendart de nostre mère Venus. Que disons-nous? non pas seulement dans les bois, mais qui plus est en aucuns lieux du monde, souz peine d'encourir des chastimens justes de nos perseverances si nous voulons continuer nos premières vies. Helas! ce qui plus nous fasche, c'est qu'après le commandement de l'un des plus sages princes de ce temps, qui a commandé à Monsieur le grand prevost de nous faire faire l'exercice, non pas de militaire, mais celui que Jean Guillaume faict faire quelques fois à celles de nos academies, et qui le plus souvent sont dans le grand et le petit Chastelet, et par trop de paresse se laissent manger aux pulces, de telle sorte que l'on est contrainct de leur faire prendre l'air pour deux heures et chasser de dessus leurs epaules ces bestioles qui par trop les importunoient. Telles promenades nous sont survenues, bien que nous n'eussions en aucune façon la volonté de ce faire. Toutes fois, cela ne nous seroit encore rien, n'estoit qu'à present nous sommes frustrées de jouyr de la presence et des contentemens que nous jouissions de ceux qui nous faisoient l'honneur de nous visiter. C'est, nos très chères soeurs, de cette triste et infortunée adventure qui nous est arrivée de quoy, pour le present, nous pouvons vous faire participantes, tant pour vous suplier de nous estre secourables en cette disgrace, et aussi pour vous servir d'exemple et leçon pour vous garantir d'un tel naufrage, d'autant que vous estes en des lieux dans lesquels quantité de surveillans peuvent vous donner l'assaut journellement, et le plus souvent, faute de bailler la croix à quelques commissaires[392], de peur que le diable les emporte, ils seront en vos endroicts pires que des chiens, car après avoir vidé vos places ils pourront facilement les faire purger souz les piliers des halles. [Note 392: «O Dieu! quel desordre! est-il dit dans _les Caquets de l'Accouchée_ (V. notre édit., p. 37)... A quoy servent... tant de commissaires de Chastelet? A prendre pension des garces, des maquerelles, etc.» Le commissaire Vavasseur, nommé dans l'une des notes précédentes, étoit de ceux-là.] Tout cela est sans mettre en ligne de compte un grand nombre de serviteurs et valetz de chambre, qui peuvent, sçachant nostre infortune, aller souvent ployer vos toilettes et empaqueter vos robes et cotillons. L'esperance que nous avons que vous aurez compassion de nous faict que très humblement toutes en general vous prions de nous assister pendant nostre exil, et ce faisant obligerez celles qui seront à jamais Vos très humbles soeurs. L. C. D'AMOUR. * * * * * _Regrets des Courtisannes d'amour sur leur bannissement de la Cour._ Plorez, nos tristes yeux, si par de justes larmes Vous pensez soulager tant de tourmens secrets; Nous sçavons que les pleurs c'est le propre des femmes, Mais la force d'un prince cause tous nos regrets. Plorez, nos tristes yeux, pour toute recompence De tant d'honnetetés; debordez en vos pleurs, Voyez tous nos pensers, et que plus rien ne pense Que de nous distiller parmy tant de douleurs, Douleur que nous sentons, douleur insupportable Qui nous fera mourir cent mille fois le jour. Las! que ne mourons-nous? Il n'est pas raisonnable D'endurer tant de mal pour avoir tant d'amour. Nos coeurs, que le regret maintenant passionne[393], N'auront pas d'autre bien que d'aimer constamment; Mais cette ame legère à cette heure nous donne Pour un extrême amour un extrême tourment. Adieu doncques la cour, adieu nos chères vies, Adieu tous courtisans, adieu nos petits oeils, Adieu nos seuls espoirs, adieu nos doux accueils, Adieu les doux appas de l'amoureuse envie. [Note 393: C'est le plus ancien emploi que nous connoissions de ce mot, condamné plus tard par Vaugelas, mais qui n'en a pas moins fait fortune.] _Satyre contre l'indecence des Questeuses[394]._ [Note 394: Cette petite satire se trouve à la suite des _Poésies chrestiennes, contenant la traduction des Hymnes et des Proses non traduites dans les heures de Port-Royal....._, par le sieur D***, à Paris, chez Guillaume Valleyre, MDCCX, in-8. Elle a trait à une mode assez profane dont Furetière nous avoit déjà parlé avec détail dans son _Roman bourgeois_. V. notre édit., p. 31-32.] Que vois-je, ô Dieu! que vois-je en ce jour solemnel Où chacun vient au temple adorer l'Eternel? Quel demon envieux du salut de nos ames Souffle en de foibles coeurs de detestables flames! Une questeuse, ornée en supot de Satan, Fière de sa beauté comme un superbe pan, De vains ajustemens indecemment parée, Et d'un air tout profane en la maison sacrée, La gorge à decouvert[395], les oreilles, les bras, Etalage honteux de funestes appas, D'un sacrilège feu brûle les coeurs fidelles, Fait naistre aux plus devots des flames criminelles. Que deviendrai-je, helas! sans force et sans vertu, Si le plus fort athlète est lui-même abbatu? Spectacles seducteurs, delices condamnées, Et vains amusemens de mes folles années, Vous remplîtes mon coeur d'un feu tout criminel, Et je brule aujourd'hui, même au pied de l'autel. Ce feu, qui, grace au ciel, s'eteignoit dans mon ame, Excité de nouveau, s'y rallume et l'enflame. Hé quoi! de tels objets dans l'église, en un lieu Où tout nous doit parler de ton amour, grand Dieu! Où tout doit être pur d'une pureté d'ange! O detestable abus! renversement etrange! Quel est, dira quelqu'un, ce critique chagrin Qui veut laisser languir la veuve et l'orphelin, Qui, d'un zèle indiscret blâmant toute parure, Ne voit pas qu'elle seule attendrit l'ame dure[396], Que par là dans ses maux le pauvre est assisté, Que plus abondamment se fait la charité? Quoi! cette charité, cette vertu suprême, Qui fait qu'on aime Dieu beaucoup plus que soi-même. Qui s'occupe du soin de sauver le prochain, Va parée en idole une bourse à la main, Passe de chaise en chaise en pompeux equipage, Fait marcher à sa suite et demoiselle et page, Sans honte, sans pudeur, en habit somptueux, Ose ainsi demander pour les pauvres honteux! Seule au dessus de tous, comme sur un theâtre, Souvent d'un peuple saint fait un peuple idolâtre[397], S'adresse aux plus galands, qui donnent tour à tour Une pièce d'argent comme un gage d'amour[398]. Que plutôt sans secours mille pauvres languissent, S'il faut pour les aider que tant d'ames perissent! On compte avec plaisir l'argent qu'on a touché, Sans voir qu'un tel argent est le prix du peché. O funeste secours! ô moyen diabolique! N'est-il pour assister que cette voie inique? Non, non; la charité s'y prendroit autrement, Et n'iroit point ainsi paroître effrontement Renoncer dans l'Eglise à l'etat de chretienne, Portant l'air et l'habit d'une comedienne; Son front seroit orné d'une honnête pudeur, L'humilité feroit sa gloire et sa grandeur, Des simples vêtements son luxe et sa parure. Loin de vouloir par l'art embelir la nature, Demandant à chacun, son abord chaste, doux, Ne corromproit personne et les gagneroit tous; On seroit excité par la Charité même A soulager le pauvre en sa misère extrême. Malgré tout ce qu'inspire un air sage et pieux, Elle craint, elle tremble, exposée à tant d'yeux; Mais on la prie, on presse, et, timide et modeste, Quand le besoin l'exige elle se manifeste. Dieu beniroit la quête et cet humble dehors, Et feroit dans sa bourse entasser des tresors, Fruit de la pieté des ames charitables, Dont on pourroit sans honte aider les miserables. [Note 395: Sur cette nudité de la gorge que les femmes se permettoient, même dans les églises, V. notre t. 3, p. 258, note.] [Note 396: Le chevalier de Cailly avoit déjà dit dans une de ses épigrammes: Aux jours que va quêter la charmante Belise, Elle furète de l'église Les quatre coins et le milieu, Et tous ceux que l'on voit donner à cette belle Donnent moins pour l'amour de Dieu Qu'ils ne donnent pour l'amour d'elle.] [Note 397: Mademoiselle de Bourdeille quêtoit à Saint-Gervais le jour de la fête patronnale. Le comte de Boursac, son parent, quand elle lui tendit la bourse, y mit ce billet au lieu d'argent: Quand dans la nef et dans le choeur Bourdeille eut fait la quête, Que du troupeau, que du pasteur Elle eut fait la conquête, L'Amour, qui la suivoit de près, Tant elle était jolie, N'eût pas fait grâce à saint Gervais S'il eût été en vie.] [Note 398: Le P. Sanlecque, dans sa _Satire à une mère coquette_, a dit: Que ta fille jamais n'aille dans le saint lieu Quester des coeurs pour elle et des deniers pour Dieu.] _Les contens et mescontens sur le sujet du temps._ _A Paris._ M.DC.XLIX. In-4. Ayant dessein ces jours passez d'aller au Palais pour apprendre quelques nouvelles touchant les affaires presentes, je treuvay que la porte en estoit investie d'une multitude de peuple et gardée par un regiment de bourgeois qui se tuoient le coeur et le corps pour en empescher l'entrée; ce qui me fit resoudre à passer chemin, n'estant pas propre à violenter une chose deraisonnable, ou faire des submissions à des gens qui croiroient m'obliger beaucoup en m'accordant une faveur de si peu de conséquence. Je passay donc plus outre; mais je ne fus pas plus tost vis-à-vis de Saint-Barthelemy[399] qu'un autre obstacle arresta mes desseins et mes pas: une troupe de monde ramassé de toutes sortes de sexes et de conditions occupoit tellement le passage que, quand mesme la curiosité ne m'auroit pas donné l'envie d'apprendre le sujet de ce tumulte, j'aurois esté contraint de demeurer quelque temps malgré moy. Je m'informe donc d'abort aux uns et aux autres de ce que c'estoit, mais ces personnes interessées dans la dispute avoient à respondre à bien d'autres qu'à moy; et, sans un bon-heur qui me fit rencontrer un de mes amis parmy cette multitude, j'aurois esté long-temps avant que de penetrer dans le sujet de cette brouillerie. Je le salue et luy demande, après les complimens ordinaires, d'où pouvoit provenir cette apparence de sedition, dont je n'avois pu rien tirer qu'à bastons rompus. Ce n'est, me respondit-il, qu'une bagatelle. Cette gueuse que vous voyez avec ses deux enfans attachez sur son dos avec des bretelles, sortant de Saint-Barthelemy, a demandé l'aumosne en passant à cette fille d'armurier dont la boutique est toute proche. Je ne sçay si la rudesse du refus qu'elle luy a fait, ou la naturelle façon d'injurier et de quereller, a poussé cette gueuse à luy dire que c'estoit une belle Madame de bran de rebuter ainsi les pauvres et de n'avoir non plus pitié d'eux que des bestes; qu'elle ressembloit le mauvais riche, et qu'elle aymoit mieux crever des chiens que d'en soulager les membres de Dieu. Cette fille s'est montrée assez patiente d'abord; mais quand elle s'est veu importunée de ces injures, elle a commandé aux garçons de chasser cette yvrognesse, ce qu'ils ont fait à la verité avec un peu trop de rigueur, jusques à la renverser par terre avec ses enfans. Le peuple s'est assemblé là-dessus, qui a relevé cette pauvre femme, entreprenant son party avec beaucoup de chaleur; entr'autres, ce petit homme assez mal fait, dit-il en me le montrant, d'un mestier comme je croy qui n'a plus de cours maintenant, s'est si bien eschauffé de paroles avec les filles et les garçons de cette boutique, qu'ils en sont quasi venus jusqu'aux mains. On dit bien vray, a-t-il dit d'abord, qu'il vaudroit mieux qu'une cité abysmast qu'un pauvre devinst riche. [Note 399: Cette petite église se trouvoit rue de la Barillerie, en face du Palais. La _salle du Prado_, qui fut d'abord le _théâtre de la Cité_, occupe son emplacement. On avoit beaucoup souffert des troubles dans ce quartier, où se faisoit le commerce des objets de luxe. Le 19 juin 1652, il y eut une _requête présentée_ au Parlement par les marchands, bourgeois et artisans «demeurant tant sur le pont Saint-Michel, au Change, rue de la Barillerie et ès environs du Palais et lieux adjacens, pour qu'on les dechargeat «des loyers qu'ils pourroient «debvoir du terme de Noël à Pasques». Ils donnent pour raison que, «leur traficq ordinaire... ayant cessé, comme il est notoire, ils sont reduits à une disette extrême, joint que la plupart du temps leurs boutiques sont fermées, estant obligés d'avoir les armes sur le dos et faire garde aux portes.» Cette requête a été publiée dans toute sa teneur par _l'Investigateur, journal de l'Institut historique_, avril 1841, p. 133-134.] Voyez un peu cette reyne de carte qui se carre comme un pou sur un tignon! Et depuis quand es-tu si relevée, eh! Madame? Je croy que devant le siège de Corbie[400] tu n'estois pas si glorieuse! Il a bien plu dans ton escuelle depuis ce temps-là! Mort de ma vie! je t'ay veu bien piètre aussi bien que moy. Ce n'est pas d'aujourd'huy que je te connois. Tu dois bien remercier ceux qui sont cause de la guerre, et prier Dieu que Paris soit tousjours comme il est. Ouy, Messieurs, a-t-il dit se retournant devers le peuple, ce sont des monopoleurs qui tirent tout l'argent de Paris à vendre leurs diables d'armes; qui ne servent qu'à faire tuer le monde; et, tel que vous me voyez, je me suis veu et je devrois estre plus qu'eux; mais cette guerre m'a ruiné aussi bien que beaucoup d'autres, et il n'y a que ces canailles qui en font leur profit. Quelques voisins, prenant la parole pour l'armurière, ont appellé cet homme seditieux, et que s'il n'estoit pas à son ayse, qu'il s'en prist à ceux qui l'avoient ruiné; qu'au reste le bien des marchands ne luy devoit rien; qu'il feroit bien de se retirer; et, disant cela, l'ont un peu poussé par les espaules. Cette rudesse l'a mis tout à fait deshors, et, comme il s'est veu supporté de beaucoup d'autres qui s'estoient rangez de son costé, il s'est mis à declamer tout haut que c'estoit une pitié de voir des coquins mal-traicter des honnestes gens, que c'estoit des traitres dans Paris, qu'ils estoient cause de la continue de la guerre, et que l'on feroit bien de se jetter sur leur fripperie et de piller leur maison. A ce bruit, le monde s'est attroupé plus qu'auparavant, et toute cette multitude s'est divisée en deux partys contraires, de contens et de mescontens. Au party des contens, qui estoit celuy de l'armurier se sont joints quelques marchands du palais, clinqualliers, bahutiers, faiseurs de malles, valises[401] et foureaux de pistolets, paticiers, boulangers, meusniers, bouchers, espiciers, charcuitiers, fourbisseurs, armuriers ou faiseurs de pistolets, usuriers et presteurs sur gages, cordonniers, imprimeurs, cabaretiers[402], colporteurs et vendeurs de rogatons, maquignons, pannachers, faiseurs de baudriers, vendeurs de poudre et de balles, officiers de guerre et cavaliers, et bref tous ceux à qui la guerre peut apporter plus de profit que la paix, et qui se maintiennent mieux dans les troubles que dans l'estat tranquille des affaires. [Note 400: Cette ville, qui n'est qu'à trente-cinq lieues de Paris, ayant été prise en 1636, la terreur des Parisiens, qui voyoient déjà l'ennemi à leurs portes, avoit été grande. Tout le monde s'étoit armé, et Paris avoit eu bientôt sur pied près de vingt mille hommes, presque, tous laquais ou apprentis. Ceux-ci, que les maîtres avoient été obligés de congédier en vertu de l'arrêt du 13 août, et qui n'avoient plus d'emploi comme artisans, en avoient ainsi retrouvé comme soldats. Les clercs des procureurs et les commis avoient aussi été équipés en guerre. «L'armée de Corbie, dit Tallemant, obligea chaque porte cochère de fournir un cavalier. Mon père équipa un de ses commis pour cela.» (Historiettes, 1re édit., t. 5, p. 151.) V. aussi plus haut, p. 7, note. C'est à ce grand armement que notre armurière avoit fait la fortune qu'on lui reproche ici.] [Note 401: Le commerce des marchands de malles est celui qui a toujours prospéré le mieux en ces temps de troubles et de paniques, où tant de gens n'ont que la bravoure de la fuite. Dans _le Bourgeois de Paris_, pièce d'à-propos en cinq actes jouée au Gymnase, et l'une des meilleures que la révolution de 1848 ait inspirées, l'un des bons rôles est pour un layetier, dont la frayeur des gens pressés de faire leurs malles a de même achalandé la boutique.] [Note 402: Si les cabaretiers de la ville étoient parmi les _contents_, ceux de la banlieue étoient du parti contraire: ainsi la Durié, la fameuse tavernière de Saint-Cloud. Une mazarinade nous a conté ses doléances, _les Lamentations de la Durié de Saint-Cloux, touchant le siège de Paris_, Paris, 1649, in-4. V. sur elle une note de notre édit. du _Roman bourgeois_, p. 86.] Celuy des mescontens, beaucoup plus grand et plus puissant que l'autre, s'est fortifié tout à coup de quantité d'artisans, comme peintres, architectes, sculpteurs, graveurs, horlogeurs, menuisiers, massons, relieurs, libraires, marchands de soye, lingers, prestres, passementiers, rubaniers, lutiers, musiciens, violons, rotisseurs, harangères, chaudronniers, advocats, procureurs, solliciteurs, sergens à cheval et à verge, miroüettiers, esguilletiers, espingliers, joualliers, vendeurs de babiolles[403], tabletiers, serruriers, fondeurs, vendeurs d'evantails et d'escrans, teinturiers, blanchisseurs, macreaux, putains[404], et toutes sortes de gens que l'estat des affaires presentes a mis et met encor tous les jours au berniquet[405], et qui ne sçavent plus, la plus part, de quels bois faire flesche. Vous les distinguerez facilement, si vous voulez les escouter un moment, par les raisons qu'ils apportent, ou plustost les injures qu'ils se chantent les uns aux autres. [Note 403: _Bimbelotiers_, marchands de jouets, _bimbale_, comme disent les Italiens.] [Note 404: Il est question de cette misère des filles de joie dans un grand nombre de Mazarinades. Nous citerons seulement: _Ambassade burlesque des filles de joie au cardinal_; _Dialogue de dame Perrette et de Jeanne la Crotée sur les malheurs du temps et le rabais de leur metier_; _L'Etat déplorable des femmes d'amour de Paris, la harangue de leur ambassadeur au cardinal Mazarin, et son succès_; _La famine, ou les Putains à cul, par le sieur de la Valise, chevalier de la Treille_, _etc..._] [Note 405: «Envoyer quelqu'un au _berniquet_, c'est-à-dire le ruiner.» (Leroux, _Dict. comique_.) Le _berniquet_ est le bahut où les meuniers mettent le son. A l'homme ruiné qui n'a plus de _pain sur la planche_, il ne reste que la ressource d'aller au _berniquet_.] Cet entretien fut interrompu par un grand cry qui s'esleva dans la troupe, qui fut suivy d'une risée generale. Un meusnier qui s'estoit eschauffé dans la dispute avoit laissé son mulet derrière luy, chargé de deux sacs de farine. Quelque matois, se servant de l'occasion, ayant percé le sac, en tira secrettement une bonne partie, et se retira finement après avoir fait son coup. Le meusnier, en estant adverty par quelques uns qui voyoient encor couler la farine par le trou, s'escria qu'il estoit volé; sur quoy la femme d'un solliciteur, qui s'escrimoit fort et ferme de la langue et qui n'en eust pas donné sa part au chat, luy dit en le raillant: Ha! qu'il est bien employé! C'est, par mon ame, pain benist; il est bon larron qui larron desrobe. Vrayment, le voilà bien malade! Quand on lui en auroit pris vingt fois davantage, il sauroit bien où le reprendre. Les premières moutures en pâtiront sans doute.--A qui en a cette double masque? luy replique le meusnier; t'ay-je jamais rien derobé? Si tu avois fait les pertes que j'ay fait, tu n'aurois pas le caquet si affilé. J'ai perdu six asnes, Messieurs, et quatre mulets, quand les grandes eaux emportèrent les moulins[406], et cette chienne me viendra reprocher encore que je fais de grands profits!--Quand tu aurois esté noyé quant et quant eux, il n'y auroit pas eu grand perte, dit la solliciteuse. Un boulanger, prenant la parole pour le meusnier, qui estoit, comme je croy, son compère, dit que cela estoit estrange que l'on blasmoit les personnes les plus necessaires et desquelles on ne se pouvoit passer.--Sçay mon[407]! ma foy, dit un relieur; voilà des gens bien necessaires, mais c'est pour tirer l'argent et ruiner entierement le pauvre peuple.--Que veux-tu dire? replique le boulanger; aurois-tu du pain sans eux et sans nous?--Nous en donnes-tu, luy dit l'autre, et ne devons-nous point t'en avoir de l'obligation lorsque tu nous rançonnes et vends une chose six fois au double? [Note 406: Les moulins qui étoient amarrés sous le pont au Change et sous le pont Notre-Dame. Ils avoient beaucoup souffert des inondations de la Seine de 1636 à 1641.] [Note 407: Pour _ce mon_, _ça mon_. Nous avons déjà expliqué le sens et l'origine de cette interjection.] --En effet, continue un peintre, c'est une honte des abus que commettent les boulangers; ils achètent le bled à bon prix et rencherissent tous les jours le pain de plus en plus. La police y devroit donner ordre[408] et en chastier quelques uns pour donner exemple aux autres.--Cela ne va pas comme tes peintures barbouillées, luy respond le boulanger; mesle-toy de vendre tes Vierges Maries borgnesses, ou de faire comme Judas en vendant Nostre Seigneur pour trente deniers.--Il faudroit donc que je te le vendisse, car tu as plus la mine d'un juif que d'un moulin à vent, dit le peintre. Un frippier[409] qui avoit la teste tournée d'un autre costé creut que ce mot de juif avoit esté dit à son occasion, et, sans demander d'où venoit cette injure, s'adressa fortuitement à une harangère qu'il trouva la bouche ouverte, et, jurant par la mort et par la teste, l'appella plus de cent fois macquerelle. Est-ce à cause, luy dit-il ensuitte, que tu ne vends plus ta marée puante, depuis que nous avons permission de manger de la viande? Te veux-tu vanger sur ceux qui n'en peuvent mais? Mortbieu! je t'envoyray chercher tes juifs où tu les as laissez, et te montreray que je suis honneste homme.--En as-tu tanstost assez dit? replique l'harengère les mains sur les roignons; jour de Dieu! tu t'es bien adressé, guieble de receleur! Si je vendons de la marchandise, elle est belle et bonne; mais, pour toy, tu te donnerois au diable pour cinq sols et tromperois ton père si tu pouvois. C'est bien, mercy de ma vie! de quoy je me mets en peine si j'ay ta pratique, ou si tu vas acheter des tripes ou de la vache aux bouchers! Sur ce mot de bouchers, un qui estoit un peu derrière s'avança pour repliquer à cette injure, en la menaçant de luy donner sur la moitié de son visage. Un jeune advocat s'avança de dire là-dessus qu'il avoit remarqué que les bouchers, à leur dire, n'avoient jamais que du boeuf, et les cordonniers que de la vache. Que voulez-vous dire des cordonniers, monsieur l'advocat de cause perdue? repart un de cette vacation; ils sont honnestes gens et ne sont pas des cousteaux de tripiers comme vous, qui playderiez la plus mauvaise cause pour un teston, et qui prenez le plus souvent de l'argent des deux parties.--_Ne sutor ultra crepidam_, luy replique l'advocat; vous estes un sire dans vostre boutique.--Qui parle de cire? dit là-dessus un epicier; je voudrois que tous les mestiers fussent exempts de tromperie comme le nostre: il n'y auroit pas tant de monde de damné.--Il ne faut juger de personne, dit un prestre en retroussant sa soutane; qui se justifie est ordinairement le plus coupable.--Meslez-vous de dire vos _oremus_, luy replique l'espicier, sans venir faire icy des sermons en pleine rue. Le prestre fut prudent et se retira de la meslée doucement sans rien dire davantage. Ce que voyant un colporteur, il dit à l'espicier en riant: Vous avez donné le fait au prestolin; le voilà penaut comme un fondeur de cloches.--Est-ce pour m'offenser? dit là-dessus un fondeur; il semble que tu me montres au doigt. Helas! mon pauvre frippon, tu le serois bien autrement sans les rogatons dont tu amuses le peuple et sans les sottises que l'on te donne à debiter; tu aurois bien la gueulle morte, et ta femme seroit bien contrainte de mettre en gage les bagues et le demy-ceint[410] pour mettre du pain sous ta dent. Il en eust dit davantage sans le bruit d'une autre dispute qui fit tourner tout le monde, pour voir ce que c'estoit. [Note 408: Il y eut une _Requête des bourgeois de Paris à Nosseigneurs du Parlement touchant la police des vivres_, etc., par lequelle il est demandé que le pain soit taxé à six blancs, ou trois sous la livre de pain blanc, deux sous le moyennement bis, dix ou vingt deniers le bis. Un boulanger qui, loin de se soumettre à cette taxe, avoit refusé de vendre du pain à une pauvre femme, mourut les entrailles rongées par de gros vers. C'est du moins ce qui est raconté dans une pièce du temps, _La mort effroyable d'un boulanger impitoyable de cette ville_. Paris, 1649, in-4.] [Note 409: Tous les frippiers passoient alors pour être des Juifs V. notre t. 1, p. 181.] [Note 410: V., sur cette parure des petites bourgeoises et surtout des chambrières, notre t. 1, p. 317, et t. 3, p. 106. Pour ce dernier passage, nous avons cité ce qu'on lit dans le dictionnaire de Cotgrave au sujet de cette sorte de ceinture, dont le devant étoit d'argent ou d'or, et l'autre partie de soie. Cette description est fort bien justifiée par ces vers d'une chanson de Jacques Gohorry, qui prouvent en outre que vers le milieu du XVIe siècle le demi-ceint étoit à la mode déjà: Il vous donnera ceinture, _Demi-ceint ferré d'argent_, Rouge cotte et la doublure Plus que l'herbe verdoyant.] Un joueur de luth du party des mescontens avoit desjà dit quantité d'injures à un charcutier qui n'avoit pas la mine d'avoir souffert aucune disette pendant le siège; il avoit les joues rebondies comme les fesses d'un pauvre homme, et la troigne si luisante de gresse que l'on se fust miré dans son visage. Le joueur de luth, au contraire, estoit sec comme son instrument; couvert d'un petit manteau noir de serge de Rome[411] sur un habit de couleur extremement minée, il avoit un nez violet qui avoit la mine d'avoir esté rouge autrefois et s'estre baigné dans une infinité de verres de vin. Le charcutier l'avoit un peu poussé, ce qui l'ocasionna de luy dire que s'il avoit rompu son luth il luy auroit fait sauter sa boutique.--Ha! le gascon! dit là-dessus le charcutier; n'est-ce point un cotret au lieu d'un luth? Et, voulant lever son manteau pour s'en esclaircir, l'estoffe, estant un peu mure, il en dechira sans y penser une bonne partie, et, pour l'aigrir encore davantage, luy dit en retirant sa main: Il est de damas, il quitte le noyau[412]. Le joueur de luth, picqué de ce double affront, se mit à luy chanter injures à bon escient, considerant qu'il n'eust pas esté le plus fort à vuider ce different à coups de points. Comment! commença-t-il à dire, maistre salisson, marmiton, graillon, souillon, brouillon, as-tu bien l'impudence de mettre tes mains infames sur moy, qui sont encore toutes pleines de merde que tu nous fais manger dans tes andouilles! Va, va, marquis de Sale-Bougre, vendre ton boudin crevé et ton pourceau ladre pour empester le monde, et ne te mesle pas de venir engraisser mon luth ny mes habits. Le charcutier, sans s'emouvoir beaucoup de ces invectives, ne fit que luy dire en riant: Aga donc, monsieur le lutherien! vous vous boutez en escume. Ne vous eschauffez pas tant, vous engendrerez une pluresie; vous ferez mieux de nous jouer une sarabande. Je vous donneray quatre deniers, comme à un vielleux; peut-estre n'en avez-vous pas tant gaigné depuis quinze jours. Mais voyez comme ce petit ratisseur de corde à boyau fait l'entendu! Ma foy, tu n'as que faire de rire; tu ne gaignes pas trop. Tu veux degouster le monde de ma marchandise; mais c'est comme le renard des mures, et tu serois trop heureux de mouiller ton pain dans le bouillon de mon salé. Un musicien, amy du joueur de luth, aussi sec que luy pour le moins, se retira comme il vouloit repliquer à ces mespris, en luy remonstrant que c'estoit se profaner que d'entrer en paroles avec gens de cette sorte, et qu'il n'y avoit rien à gaigner que des coups; puis, se tournant devers moy avec une façon pitoyable, il dit en continuant: Cela n'est-il pas deplorable, Monsieur, qu'il faille que des brutaux fassent des niches à d'honnestes gens? Il s'est veu des temps que les arts liberaux estoient en vogue et en estime; mais maintenant tout est perverty, la vertu n'est couverte que de lambeaux, et nous nous voyons contraints de ployer sous des gens qui n'auroient esté, dans le bon temps, que nos moindres valets.--Mais croyez-vous, dit un orlogeur, que cela dure long-temps, et que nous soyons tousjours reduits dans cette misère? Sans quelque peu d'argent que j'avois mis à part au commencement de ces troubles, j'aurois esté reduit à l'extremité, quoy que, Dieu mercy, je m'escrime assez bien de mon art. Je connois un graveur de mes amis qui gaignoit tous les jours sa pistolle, et qui, n'ayant pas maintenant le moyen d'avoir du pain, est reduit à vendre ses meubles pièce à pièce.--C'est le moyen de vivre de mesnage[413] repliquay-je, et de faire gaigner les usuriers. Sur ce mot, le musicien, me tirant par le bras, me fit prester l'oreille pour entendre ce que deux personnes disoient assez secrettement. Je ne puis, disoit l'un des deux, quand vous me donneriez tout vostre bien; je ne demande qu'à faire plaisir quand je puis.--Mais, Monsieur, disoit l'autre en action de suppliant, vous estes nanty de la valeur de cent escus, sur quoy vous ne m'avez presté que quatre pistolles; prestez-m'en encore autant, et je vous passeray une obligation de cent francs; je vous donneray encore une monstre si vous ne vous contentez des gages que vous avez.--Faites-moy donc, dit l'usurier, l'obligation d'unze pistolles à payer à Pasques, ou n'en parlons plus. Vous voyez comme je suis franc; je vous promets que je m'en fais faute pour vous en accommoder. L'autre, comme ravy de cette favorable responce, luy fit mille remerciemens et se resolut à passer par-là, nonobstant une uzure si prodigieuse qui nous fit hausser les espaules. Mais il en fut payé tout sur-le-champ par un capitaine de cavalerie, qui reconnust cet insigne fesse-Mathieu, et, sans luy donner loisir de se reconnoistre, luy donna cinq ou six coups de canne sur les oreilles en luy disant: Es-tu bien si hardy, vieux reistre, de prendre les pistolets de mes cavaliers en gage, et d'empescher le service du roy en retenant leurs armes? Il faut, mort-bieu! les rendre tout à l'heure, ou je te passeray mon espée au travers du corps. Je ne pus entendre le reste, d'autant que, me sentant secrettement tirer par derrière, je crus que c'estoit quelque coupeur de bourse qui vouloit faire son chef-d'oeuvre sur mon gousset[414]; mais je fus bien estonné quand j'aperceus que c'estoit une fille qui avoit esté autrefois de ma connoissance. Ce qui redoubla mon admiration, ce fut sa mine et son equipage. Elle que j'avois tousjours veue avec un train de baronne, vestue à l'avantage, n'aller jamais qu'en chaise ou qu'en carrosse, estoit alors à pied, sans laquais, mediocrement vestue, mal chaussée, et le visage si pasle que je ne me peux tenir de luy demander si elle avoit esté malade. Je le pourrois bien avoir esté sans que vous en auriez rien sceu, me respondit-elle; il y a mille ans que l'on ne vous a veu, et vous ne faites plus estat de vos amis.--Laissons là ces reproches, luy dis-je; vous ne voyez pas des personnes de si petite condition que moy: c'est à faire à des barons ou à de riches partysans.--Ha! Monsieur, me dit-elle, ne vous mocquez point de moy; vous parlez d'un temps qui n'est plus. Toutes les choses sont bien changées, et j'ay honte de vous dire qu'il faut que je m'abandonne maintenant aux valets dont les maistres s'estimoient naguères heureux de me posseder.--Si est-ce, luy repliquay-je, que vous n'estes pas moins belle ny plus agée que vous estiez.--Vous avez raison, continua-t-elle; mais la misère du temps est cause de ce desordre. La cherté du pain a bien amandé nostre marchandise, et, si je vous disois qu'il n'y en a pas un morceau chez moi, vous auriez bien plus sujet de vous estonner; mais je le dis à un galand homme, me dit-elle en me prenant la main, et qui ne me refuseroit pas une pistole si j'en avois affaire. La sedition, venant à croistre tout à coup, me desbarassa de la peine de luy respondre, et me servit de pretexte de m'esloigner et de la perdre de veue. Ce fut alors que je vis les deux partys formez estre tous prets d'ajouster les coups aux paroles et aux injures. Les mescontens lassez de la guerre disoient qu'il falloit resolument faire la paix et piller tous ces rongeurs qui peschent en l'eau trouble; les contens, au contraire, les appelloient des seditieux, qui ne servoient de rien dans Paris et qui ne portoient les armes qu'à regret; enfin, l'on s'alloit frotter tout à bon, sans la compagnie de l'isle du Palais[415], qui, en allant monter la garde de la porte Saint-Jacques, rencontra à l'endroit de cette assemblée quantité de conseillers qui sortoient du Palais en carrosse; et, dans la conteste qu'ils eurent à qui passeroit le premier, un juriste allegua ce vers de Ciceron[416]: _Cedant arma togæ, concedet laurea linguæ_; mais un officier de la compagnie la fit passer outre en lui repliquant: _Silent inter arma leges._ Cela fit separer cette troupe animée, et me donna moyen de continuer mon chemin et mes affaires. [Note 411: La _serge de Rome_ étoit une étoffe légère qui se fabriquoit à Amiens. On en faisoit les habits longs et les soutanes d'été.] [Note 412: Le noyau des prunes de damas gris et de damas blanc se détache facilement.] [Note 413: Le même trait se trouve mot pour mot dans _le Médecin malgré lui_, acte 1, scène 1. Martine se désole d'avoir un mari «qui vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis.--C'est vivre de ménage», répond Sganarelle.] [Note 414: Il falloit faire deux chefs-d'oeuvre en présence des confrères pour être reçu maître _coupeur de bourses_. C'est au second, le plus difficile, qu'il est fait allusion ici. L'aspirant, selon Sauval (_Antiq. de Paris_, liv. 5), étoit conduit par ses compagnons dans un lieu public, comme la place Royale, ou dans quelque église. Dès qu'ils voyoient une dévote à genoux devant la Vierge, ou un promeneur facile à voler, les confrères lui ordonnoient de faire ce vol en leur présence et à la vue de tout le monde. A peine étoit-il parti qu'ils disoient aux passants, en le montrant du doigt: Voilà un coupeur de bourse qui va voler cette personne. Chacun alors de s'arrêter pour l'examiner. Le vol fait, les confrères se joignoient aux passants, se jetoient sur l'aspirant, l'injurioient, le frappoient, l'assommoient, sans qu'il dût oser ni déclarer ses compagnons, ni laisser voir qu'il les connût.] [Note 415: Elle veilloit à la sûreté de tout ce quartier, qui n'étoit pas le mieux gardé de Paris. Nous avons ailleurs parlé de Defunctis, prévôt de robe courte, qui commandoit cette compagnie sous Louis XIII. V. notre t. 1, p. 162-163, note.] [Note 416: Dans le _De officiis_, liv. 1, ch. 22.] _Vers pour Monseigneur le Dauphin au sujet d'une aventure arrivée entre lui et le petit Brancas[417]._ _A Paris, chez Jacques Estienne, rue Saint-Jacques, à la Vertu._ M.DCC.XIV. _Avec permission._ In-8. [Note 417: Louis de Brancas, marquis de Cereste. Il étoit né en 1711, et avoit par conséquent alors trois ans au plus. Louis XV, auquel il veut de si bonne heure faire sa cour, le fit maréchal de France en 1740. Il mourut en 1750.] Muse, prenez vos plus brillans atours, Vos patins neufs, vos habits des bons jours, Vos beaux pendants; soyez proprette et blanche, Telle qu'un jour de fête ou de dimanche. Il faut partir dès demain pour la cour: Un jeune prince aussi beau que l'Amour, Enfant des dieux, par ses grâces exige De tous les coeurs un juste hommage lige; Chacun s'empresse à lui rendre le sien: Portez-lui vite et le vôtre et le mien. C'est ce Dauphin seul gage qui nous reste D'un père, helas! que le courroux celeste, Malgré les cris des peuples gemissans, Nous enleva dans la fleur de ses ans[418]. Fasse le Ciel, appaisant sa colère, Qu'un jour le fils nous remplace le père! Nous ne pouvons souhaiter aujourd'hui Rien de plus doux, ni pour nous ni pour lui. Mais arrêtez: que vois-je ici, ma Muse? Vous qui d'abord, etonnée et confuse Et dans le coeur murmurant contre moi, Vous defendiez d'accepter cet emploi, Au tendre nom du Dauphin de la France Vous reprenez toute votre assurance, Et semblez même, à votre air vif et gai, Ne demander qu'à partir sans delai. Je vois le point, et je crois vous entendre: Pour un enfant dans l'âge le plus tendre Et qui ne compte encor que trois moissons, Me dites-vous, faut-il tant de façons? Muse, tout doux: qui vous laisseroit faire, Vous me feriez à la cour quelque affaire. Je crois vous voir, prompte à vous oublier, D'un pas leger et d'un air familier, Vers le Dauphin, pour debut d'ambassade, Les bras ouverts, courir à l'embrassade. Autant en fit, dans un semblable cas, Jeune marquis que vous ne valez pas; Autant en fit, et compta sans son hôte: Retenez-en, Muse, et n'y faites faute, Toute l'histoire. Au prince, certain jour, Ce jeune enfant alloit faire sa cour. Sa cour, que dis-je? helas! c'est un langage Dont à trois ans on ignore l'usage. Sans tant tourner, disons qu'il l'alloit voir, Plus par instinct même que par devoir. Le coeur, qui fut son guide et son genie, Ne connoît point tant de ceremonie. Depuis long-temps flaté de ce plaisir, Le pauvre enfant brûloit d'un vrai desir De voir le prince, et disoit à toute heure: Quand le verrai-je! Il se tourmente, il pleure, Il veut le voir. Soyez sage, et demain, Lui disoit-on, vous le verrez. Soudain Il s'appaisoit; une telle promesse Plus le touchoit que bonbons et caresse. Arrive enfin ce jour tant souhaité, Long-temps promis, et souvent acheté. D'attendre au moins qu'un moment on l'instruise, Point de nouvelle; il faut qu'on l'y conduise Sans differer. Enfin, pour faire court, On l'y conduit, ou plutôt il y court. Dès qu'il le voit, ne se sentant pas d'aise, Il vole à lui, saute à son cou, le baise De tout son coeur: qui n'en feroit autant Si l'on osoit? N'en faites rien pourtant. Un tel debut, quoique assez pardonnable, Muse, n'eut pas un succès favorable. Bientost le prince, étant debarrassé Des petits bras qui l'avoient embrassé, Sur l'embrasseur jette une oeillade fière, En reculant quatre pas en arrière. Son petit coeur, mais noble, et qui se sent, Est tout ému de ce trait indecent. Que fera-t-il? Il s'agite, il secoue Avec depit ce baiser de sa joue, Et de sa main il semble s'efforcer. S'il est possible, au moins de l'effacer. A tous ces traits d'un courroux respectable Que dit, que fit, que devint le coupable? Coupable? oui: qu'il soit ainsi nommé, Mais seulement pour avoir trop aimé. Le pauvre enfant, dans une alarme extrême, Se fit d'abord son procès à lui-même; Les yeux baissez, immobile, interdit, Il reconnut sa faute, il en rougit. Son repentir repara son audace, Par son respect il merita sa grâce, Et, s'approchant humblement du Dauphin, Il fit sa paix en lui baisant la main. De tout ceci vous paraissez surprise, Et votre esprit, raisonnant à sa guise, Se dit tout bas: Prince, tant soit-il grand, Si jeune encore entrevoit-il son rang? De son berceau touchant à la couronne, Distingue-t-il l'éclat qui l'environne, Et, de Louis presomptif successeur, De son destin connoit-il la grandeur? Muse, il la sent, s'il ne sait la connoître. Dans les heros que pour regner fait naître Des grands Bourbons la royale maison Le sang inspire, et previent la raison; Le noble instinct qui dans leur coeur domine Rappelle en eux leur auguste origine, Et de ce sang reçu de tant de rois La majesté reclame tous ses droits. Allez donc, Muse, et desormais, instruite, Sur ces leçons reglez votre conduite; De ce soleil sous l'enfance éclipsé N'approchez point d'un air trop empressé; Sans affecter des airs de confiance, Qu'une modeste et naïve assurance Gagne le prince et puisse de sa part Vous attirer quelque tendre regard; Haranguez peu, mais que votre visage De votre coeur exprime le langage. Je ne dis pas qu'un petit compliment Assaisonné du sel de l'enjoûment N'eût son mérite et même ne pût plaire; Mais l'embarras, Muse, est de le bien faire. Le tout dépend des momens et du tour; Vous l'apprendrez des rheteurs de la cour: Point ne connois, pour l'art de la parole, De plus adroite et plus subtile école; Le beau parler vint au monde en ce lieu, Et compliment est leur croix de par Dieu. L'air du pays, qui de lui-même inspire, Vous dictera ce que vous devez dire. Si cependant vous doutez du succès, Retranchez-vous à faire des souhaits: C'est un encens qui fut toujours de mise; Mais faites-les en Muse bien apprise. Vous trouverez de quoi dans le Dauphin, Et sur son compte on en feroit sans fin. Souhaitez-lui les vertus de son père; Ajoutez-y les graces de sa mère L'ame et le coeur du Dauphin son ayeul, De Louis, tout: il comprend tout lui seul; Lui souhaiter qu'à Louis il ressemble C'est le doüer de tous les dons ensemble. S'il demandoit, comme il faut tout prevoir, Pourquoi ne suis moi-même allé le voir, Vous lui direz à l'oreille: Mon prince, Je croi qu'il a quelque affaire en province; Mais, en tout cas, à lui ne tiendra point Que ne soyez obéi sur ce point. [Note 418: Le duc de Bourgogne, dont le Dauphin, qui l'année suivante devoit devenir le roi Louis XV, étoit le troisième fils.] _La vraye pierre philosophale, ou le moyen de devenir riche à bon conte. Le tout espuisé d'une prophetie authentique, traduicte en françois de la fiole hebraique de Salomon, où sont enfermez sept esprits qu'il evoqua des planettes jusques au jour du jugement._ LA PROPHETIE. L'Actéon demeurant aux bornes Du bis sept bénedicité Guérira du mal de ses cornes Par bois qui remet la santé. _Imprimé à Salemanque, jouxte la coppie fraischement apportée de chez l'imprimeur des Catadupes._ S. l. ni d. In-8[419]. [Note 419: Le conte qui va suivre, et qu'on n'auroit pas certainement été chercher sous le titre singulier de cette pièce, est une imitation abrégée d'une nouvelle du _Décameron_ de Boccace (la 7e de la 7e journée), qui procédoit elle-même en grande partie du fabliau de la _Borgeoise d'Orléans_ (v. Barbazan, t. 3, p. 161). Le conte de La Fontaine _Le cocu battu et content_ (liv. 1, conte 3) en vient aussi, de même que l'un des contes de d'Ouville, t. 1, p. 186. M. Edelstand Duméril, dans son curieux chapitre des _sources du Décameron et de ses imitations_ (_Hist. de la poésie scandinave_, prolégomènes, p. 354), suit ce conte sous ses diverses formes dans les littératures anglaise, italienne, provençale, et même espagnole; il le retrouve dans une vieille romance du recueil _Poesias escogidas de nuestros cancioneros y romanceros antiguos_, t. 17, p. 178, ce qui prouveroit peut-être que le nom de la ville de Salamanque, en Espagne, n'a pas été indiqué sans quelque motif comme étant le lieu d'impression de cette pièce, et donneroit à croire qu'ici la tradition espagnole a surtout été suivie.] _Explication d'Allegorie._ Benevole Lecteur, il est question maintenant d'ajuster ses lunettes aux oreilles, pour mieux entendre (ainsi que dit Panurge) le moyen de devenir riche, et à peu de frais, qui n'est autre chose que la vraye pierre philosophale que je vous apprens fort ingenieusement par ce mien petit opuscule, si, prealablement que de tirer la consequence des premisses, vous deviez percevoir humainement la petite histoire que je galope vous desduire, s'il plaît à celuy qui a fait les constellations et les planettes. Sçache donc, Lecteur, que du temps que l'on portoit le pourpoinct attaché aux chausses[420] l'ile d'Angleterre nourrissoit une princesse de laquelle les moindres actions estoyent perfections, et ses perfections des miracles. Le bruit de ceste merveille venant jusques aux oreilles de la France, il se trouva un de ses cavalliers tellement espris et passionné au simple raport de l'idole, qu'il se delibère de s'equiper de son possible pour aller coler sa veue sur le subject lequel luy faisoit horriblement bouillir la vessie, à cause des devorantes flammes qu'amour attisoit sur le buscher de son coeur, tellement que, pour attaindre plus commodement l'epilogue de la comedie, il desgueilleta[421] les esperons de gentilhomme pour chausser la mitaine d'un fauconnier[422] verreux, croyant par tel moyen estre reçeu dans la maison de son doux esmoy, c'est à dire de ceste aymable image, au recit qu'il avoit ouy que le Monsieur aymoit moult la fauconnerie. Or arriva comme il se seroit proposé: après qu'il eut servi l'espace de quatre ou cinq ans de fauconnier, l'office de maistre d'hostel venant à vaquer par mort, à cause de ses agreables services et qu'il estoit tout propre pour une meilleure affaire, les destinées ayant escrit dans leurs feuillets d'airain une bonne fortune, il eut la charge que ses merites ne luy pouvoyent refuser; mais icelle exerçant fort bragardement sans bouger les yeux de la teste, il fit tant avec la bibliotèque de ses oeillades amoureuses, que la princesse, se laissant prendre au glu de cest expert oyseleur, pour faire porter l'egrette de boeuf à son mary, rompant les bornes de la pudicité, luy donna un soir assignation de se rendre à la ruelle de son lit pour illec luy froter le busq, jouissant du loyer que meritoit la perseverance de semblables amours. Et advint qu'estant au lieu de l'assignation, sa dame luy print la main, laquelle attacha avec la sienne d'un ruban, incarnat ou fleur de lin s'il m'en souvient; puis secouant et remuant son espoux, qui à ceste heure ronfloit melodieusement, l'ayant esveillé en sursault, luy dit: Monsieur, il me semble que vous m'avez dit une plaine hote de fois que vostre maistre d'hostel vous servoit si fidellement et gentiment que pour une plaine cuve de diamans de la nouvelle roche vous ne le voudriez perdre; or, sachez à la bonne heure que c'est un perfide et meschant homme, m'ayant sollicité aujourd'huy de lui prester la courtoysie savoureuse au prejudice et honnissement de vostre honneur et du mien et toutes autres belles besongnes, etc. (Je vous laisse à penser en ceste belle paranthèse si le drolle, ne sçachant rien de tout cecy, se tenoit vilaine et lourde peur.) Pourtant je luy ay donné assignation dessoubs l'arbre de nostre jardin. Levez-vous promptement et prenez mes habits, l'alant attendre, deussiez vous demeurer jusques à une heure et trois minutes après minuict, car il m'a promis d'y venir aux despens d'abreger le peloton de sa vie. Cela fut dit, cela fut fait, et ce cocu _in fieri_, attendant de l'estre _in facto_, soudainement se botit et puis parta. Et arriva qu'après que le nouveau mary eut occupé le giste nouvellement et chaudement laissé, et qu'il eut, comme l'on dit en nostre village, entribardé à double carillon sa dame, par commandement et ruse d'icelle il print un gros baston et long à l'equipolent, et de bois de cormier, ou plustost de cornier, saluant avec ses invectives, et tel fust la mademoiselle expectante: «Comment, taupe diène!» Et zest! coups de bastons sur l'escoffion. «Est ce ainsi que vous pensez d'adouber mon maistre! Parbleu! je vous zape!» Et allons bourrassades en campenie. «Je jure qu'il n'en ira pas de la sorte, rusée masque, chaude chopine, je ne voye jamais mon cul en face, serment des bonnes festes et vie.» Redoublant plus fort, «Je vous accomoderay qu'il vous en souviendra trois jours après la Pentecoste!» Il avoit beau crier: «Holà! tout beau, mon amy! c'est moy, je ne suis pas elle.» Le palefrenier n'avoit non plus d'oreilles qu'un rocher de Casprée, mais tousjours allons sus donne Martine! L'un estoit Briarée en manière de faire pleuvoir coups de bastons, et l'autre estoit un asne de moulin pour les endurer. Tellement que le meilleur conte que le sieur desguisé pût avoir fut que d'aller trouver sa femme bride abatue, cocu, batu et content[423]. Je veux conclure par là, _in modo et figura_, que qui gueriroit tous les cocus depuis orient jusques en occident, et depuis le septentrion jusques au midi, sans y conter ceux des antipodes, en telle forme de proceder, seulement à une portugaloise par teste, il deviendroit plus riche et opulent que tous les faiseurs de pierre philosophale du Peru. Je me recommande _Astra regunt homines cornua sydus habes._ Prenez en gré le passe-temps. _Advertissement au lecteur._ D'autant que cecy est dedié aux beaux esprits, seuls d'en juger capables, l'oeil des avaricieux (comme celuy du Basilic) en doit estre privé. C'est pourquoy nous avons cacheté à double ressort la presente pierre philosophalle, affin qu'elle ne soit communiquée qu'à ceux qui se trouveront le quid phisique, qui se reduict à une pièce d'or ou d'argent qui porte visage. [Note 420: Molière, dans l'_Avare_ (acte 2, scène 6), donne aussi, comme signe d'ancienneté reculée cette mode du haut de chausse «attaché au pourpoint avec des aiguillettes».] [Note 421: C'est-à-dire ôta les _aiguillettes_, les lacets qui retenoient ses éperons.] [Note 422: Boccace dit qu'il se fit domestique du mari, mais sans indiquer la charge qu'il prit dans la maison. La Fontaine, au contraire, d'accord avec ce qu'on lit ici, soit par hasard, soit parcequ'il connoissoit en effet notre pièce, dit: Messire Bon, fort content de l'affaire, Pour _fauconnier_ le loua bien et beau.] [Note 423: Ce passage nous donneroit encore à penser que La Fontaine connut cette pièce. Il trouva là le titre de son conte: _Le cocu battu et content._] TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME. 1. Les Triolets du temps. 1649 5 2. Discours sur la mort du chapelier 31 3. Reglement d'accord sur la preference des savetiers cordonniers 41 4. L'Oeuf de Pasques ou pascal, à M. le lieutenant civil, par Jacques de Fonteny 59 5. Catechisme des Courtisans, ou les Questions de la cour et autres galanteries 75 6. Exil de Mardy-Gras 97 7. Ordre à tenir pour la visite des pauvres honteux 127 8. L'Anatomie d'un Nez a la mode, dédié aux bons beuveurs 133 9. Extrait de l'inventaire qui s'est trouvé dans les coffres de M. le chevalier de Guise, par Mlle d'Entraigue, et mis en lumière par M. de Bassompierre 147 10. Les nouvelles admirables lesquelles ont envoyées les patrons des gallées qui ont esté transportées du vent en plusieurs et divers pays et ysles de la mer, et principalement ès parties des Yndes 159 11. Le Gan de Jan Godard, Parisien 173 12. Discours de deux marchants fripiers et de deux tailleurs, avec les propos qu'ils ont tenu touchant leur estat 189 13. Discours admirable d'un magicien de la ville de Moulins qui avoit un demon dans une phiole, condamné d'estre bruslé tout vif par arrest de la Cour de Parlement 199 14. Vraye Pronostication de M{e} Gonin pour les mal-mariez, plates-bourses et morfondus, et leur repentir 209 15. La misère des apprentis imprimeurs, appliquée par le detail à chaque fonction de ce penible estat 225 16. Arrest de la Cour de Parlement qui fait deffenses à tous pastissiers et boulangers de fabriquer ni vendre, à l'occasion de la feste des Rois, aucuns gasteaux 239 17. La Maltote des Cuisinières, ou la Manière de bien ferrer la mule 243 18. Cas merveilleux d'un bastelier de Londres, lequel, sous ombre de passer les passans outre la rivière de Thames, les estrangloit 259 19. Les de Relais, ou le Purgatoire des bouchers, poulayers, paticiers, cuisiniers, joueurs d'instrumens, comiques et autres gens de mesme farine 263 20. Discours de la mort de très haute et très illustre princesse madame Marie Stuard, royne d'Escosse 279 21. L'Onozandre, ou le Grossier, Satyre 291 22. Le Conseil tenu en une assemblée des dames et bourgeoises de Paris 299 23. Vengeance des femmes contre les hommes 311 24. Ballet nouvellement dansé à Fontaine-Bleau par les dames d'amour. Ensemble leurs complaintes adressées aux courtisanes de Vénus à Paris 321 25. Satyre contre l'indecence des questeuses 331 26. Les contens et mescontens sur le sujet du temps 335 27. Vers pour Monseigneur le Dauphin au sujet d'une aventure arrivée entre lui et le petit Brancas 353 28. La Vraye Pierre philosophale, ou le moyen de devenir riche à bon conte 359 * * * * * [Notes au lecteur de ce fichier numérique: Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée. Les lettres supérieures unusuelles sont encadrées de parenthèses.] *** End of this LibraryBlog Digital Book "Variétés Historiques et Littéraires (5 / 10) - Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.