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Title: Variétés Historiques Et Littéraires (6 / 10) - Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers Author: Various Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Variétés Historiques Et Littéraires (6 / 10) - Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers" *** generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) VARIÉTÉS HISTORIQUES ET LITTÉRAIRES Recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers _Revues et annotées_ PAR M. ÉDOUARD FOURNIER TOME VI A PARIS Chez P. JANNET, Libraire M. DCCCLVI _Les estranges et desplorables accidens arrivez en divers endroits sur la rivière de Loire et lieux circonvoisins par l'effroyable desbordement des eaux et l'espouvantable tempeste des vents le 19 et 20 janvier 1633. Ensemble les miracles qui sont arrivez à des personnes de qualité et autres qui ont esté sauvez de ces perilleux dangers._ _A Paris, chez Jean Brunet, rue Neufve S. Louys, au Trois de chiffre[1]._ [Note 1: Cette enseigne de Jean Brunet, qui d'ailleurs est un libraire peu connu, mentionné par La Caille seulement pour deux ouvrages sans importance parus en 1614 et en 1631, mérite d'être remarquée. Elle nous est une nouvelle preuve que le nom de _chiffre_ étoit spécial aux nombres écrits à la manière des Arabes, et servoit à les distinguer de ceux qu'on écrivoit en caractères romains. Plus tard, ceux-ci furent eux-mêmes appelés _chiffres_. Ce fut un contre-sens qui nous conduisit à un pléonasme, puisque alors, pour faire la distinction, il fallut dire _chiffres arabes_, en ajoutant l'adjectif parasite au substantif d'origine orientale, qui suffisoit si bien auparavant.] M.DC.XXXIII. Le dix neuf et vingtiesme jour de janvier present mois, il est arrivé que, par les grandes ravines d'eaux qui seroient tombées de quelques montagnes dans les rivières de Loire et d'Alliers, auroient tellement grossi les dites rivières, qu'en moins de quatre heures elles devinrent un des plus furieux et impectueux torrents que d'aage d'homme l'on n'aye peu remarquer. Particulierement la rivière de Loire[2], de qui de tout temps les impetuositez ont tousjours fait de grands naufrages, pour autant qu'elle est platte et non profonde; cela cause son excessive rapidité, et icelle occasionne souventes fois la perte de beaucoup de biens et de personnes qui naviguent sur la dite rivière. [Note 2: En effet, si j'en juge par la nomenclature que fait Lemaire, dans son _Histoire d'Orléans_, des inondations de la Loire aux derniers siècles, ces sinistres étoient encore plus fréquents que de nos jours, et chaque fois aussi terribles que ceux dont nous avons vu les désastres. De 1527 à 1641, c'est-à-dire dans un intervalle d'un peu plus de cent ans, il n'en compte pas moins de onze, savoir: au mois de mai 1527, en novembre 1542, en mai 1548, en mai 1567, en 1572, en 1586, en 1588, en 1608, puis encore en mai 1628 (c'étoit le mois fatal), une inondation qui mit en danger de sa personne le cardinal de Richelieu revenant par eau du siége de la Rochelle (V. le _Mercure françois_ à cette date); enfin une dernière en janvier 1641; et toutes, je le répète, avoient les plus désastreuses proportions: les levées crevées, le val submergé, etc. Lemaire, qui ne s'occupe que de l'Orléanois, ne mentionne pas l'inondation dont les ravages font le sujet de la pièce que nous reproduisons. Ils avoient été circonscrits, à ce qu'il paroît, dans les pays de la Haute-Loire, où ces sinistres étoient plus multipliés encore que dans les contrées d'aval.] Ces deux eaux, mutuellement assistées et jointes, ont tellement bondy furieusement, qu'en moins de quatre heures, comme dit est, leur estendue a esté en d'aucuns endroits d'une lieue et demie et plus, où elles ont perdu et noyé nombre de villages et maisons de noblesse, ce qui n'a esté sans la perte d'un grand nombre de personnes, chose desplorable à raconter. A plusieurs les effects miraculeux de la bonté de Dieu ont esté manifestez en ces effroyables perils; j'en specifieray quelques uns des plus admirables (et tous veritables) pour donner quelque chose aux curieux. Entre autres, en un hameau (demie lieue de la rivière d'Ailiers[3]), paroisse de Sainct-George, un pauvre père de famille avoit sept enfans, lequel, bien empesché à se resoudre en tel danger, pensoit au salut de ses biens; mais, comme le torrent multiplioit sur luy, laissant ce soucy pour pourvoir au salut de sa famille, abandonna ses biens à la mercy de ce ravisseur impitoyable. Or, l'affection particulière qu'il portoit à l'un des dits enfans le rendit plus soigneux en ce danger de celuy-là, et, taschant de luy prester secours, fut repoussé par l'eau, qui l'avoit tellement avancé que tous ses efforts furent vains, ayant affaire pour soy de telle sorte qu'il fut contraint d'abandonner à ce désespoir ses biens et ses pauvres enfans et gaigner hativement le toict de sa maison, où il eschapa miraculeusement. [Note 3: Les inondations de l'Allier ont toujours été plus fréquentes encore que celles de la Loire, mais aussi moins désastreuses, par la raison que les eaux de l'Allier ne charrient pas du sable comme la Loire, mais une terre légère, qui, bien loin de stériliser le sol, s'y attache, dit Expilly, et l'engraisse. C'est ce qu'on appelle _chambonnage_ dans le pays. La Loire, dans ses débordements simples, porte aussi avec elle cette vase fécondante qu'on nomme _lage_ ou _laye_ dans l'Orléanois. «En 1588, dit Lemaire, Loire deborda, dont les vins furent nommés _layeux_ à la vendange.»] Un gentil-homme se promenoit un matin parmy ses heritages, et, jettant sa veue sur une colline, avisa un torrent d'eau qui descouloit d'icelle dans la rivière proche, qui se grossit en un instant, s'arresta tout estonné de voir chose si estrange pour estre survenu en un instant. Les maisons, collines, vallées, bois, prairies, terres et semblables objets de sa remarque journalière, ne paroissoient plus. Telle nouveauté luy faisoit dementir ses yeux; enfin, s'arrestant plutost au sens qu'à son imagination, se retira hastivement et à pas redoublez au logis, advertit sa femme du danger qui les menaçoit de près, et mit toute sa famille en devoir de charger ce qu'un chacun pourroit porter, afin de sauver quelque partie de ses biens. Mais cet ennemy debridé ne leur donna pas ce relasche; il fut plustost à la porte que leurs paquets ne furent troussez; ils furent contraints de quitter ce soucy pour pourveoir à leur sauver. Les fardeaux et les charges servirent à aucuns pour estre soustenus quelque temps sur l'eau et prolonger leur naufrage. Ce gentil-homme, sa femme et ses enfans accoururent diligemment au plus haut estage du logis, se perchans sur deux solives, tous esperdus, et, ayant abandonné leurs sens à la frayeur, commençoient à mourir à l'aspect de la mort. Ce pauvre père de famille, en telle perplexité, s'avisa d'une bougette[4] où estoient les papiers des acquisitions de ses biens, et, avec grand hazard de sa vie, l'alla querir et la lia fermement à l'une des dites solives, à celle fin (disoit-il) que, quoy qu'il arrivast de soy et de ses biens, l'eau venant à se vuider, il eust le moyen de rentrer en paisible possession de ses biens, si la fortune luy reservoit sa dite bougette. [Note 4: Petite _poche_, _pochette_. On sait que les Anglois en ont fait leur mot _budget_, qui n'eut pas d'abord un autre sens. Ils nous l'ont renvoyé avec l'acception politique qu'ils lui avoient donnée dans le Parlement, et en l'accueillant nous avons cru faire l'hospitalité à un étranger. Il est vrai qu'avec son nouveau sens et la forme nouvelle que lui avoit donnée la prononciation anglaise il étoit devenu bien méconnoissable. Bien peu de gens comprennent que l'expression _ouverture du budget_, qui revient tous les ans dans les discussions parlementaires, signifie simplement ouverture de la _bougette_, de la _poche_. C'est, en effet, le moment où celle du contribuable s'ouvre pour se vider, celle du gouvernement pour s'emplir. On lit à ce sujet un très curieux et très piquant article dans le _Mercure_, floréal an IX, p. 280.] Au milieu de ce triste confort, la rivière, roidissant plus fort, renversa de fond en comble la dite maison, tellement que qui n'avoit peu gaigner le dessus mourut doublement, accablé et noyé. Ce fut un piteux et lamentable depart du mary d'avec sa femme, et tous deux d'avec leurs enfans. Ce pauvre gentil-homme affligé, ayant par fortune attrapé un arbre qui avoit esté deraciné par la vehemence du vent et du rude courant des eaux, monta dessus, et fut porté en ceste sorte la longueur de trois cars de lieux, et fut conduit miraculeusement à la rive d'une coline, où il mit pied à terre, grimpant en hault, d'où il descouvrit la sanglante tragedie qui se passoit devant ses yeux, sur sa femme, ses enfans et sa famille, contribuant de l'eau et des larmes en abondance au torrent où ils estoient miserablement suffoquez. Quantité de personnes de divers aages, qualitez et sexe, ont estez peris en ces deluges et furieuses tempestes des vents, et plusieurs autres ont eschappez par des façons estranges et admirables. Entr'autres l'on rapporte d'un homme et d'une femme, près de la ville de Nevers, voyant l'augmentation des eaux proches d'eux, et n'ayant lieu pour leur sauver (ayant esté surpris), furent contrains de monter sur un arbre, n'ayant devant les yeux que l'horreur d'une mort affreuse, apperceurent de loing une cuve, large et spacieuse, laquelle s'adressoit à eux et vint finallement (comme conduite par la Providence divine) s'arrester au pied du dit arbre. Eux, reconnoissant les graces infinies que Dieu leur faisoit, après l'en avoir remercié, s'embarquèrent en icelle, laquelle incontinent reprit le fil de l'eau, et furent par ce moyen rendus à bon port. A quatre lieues au deçà de Rouane, sur la dite rivière de Loyre, fut pris un petit enfant aagé environ de quatre ans, tout nu en chemise, sur un rameau qui le portoit, avec un poussin dans le sein. Il est à présumer que la chaleur de ce petit animal ayda beaucoup ce pauvre enfant abandonné à la rigueur d'un tel froid. Un habitant de la ville de Sancerre, estant surpris de ceste tempeste, se retira de sur un arbre avec sa femme et un laquais qui se dit estre de la ville de Troye en Champagne. Cet habitant, ayant peu d'asseurance en cet arbre, s'hazarda à la nage d'aller querir un bateau qui flotoit sur l'eau. Lors le pauvre garçon, ayant son seul et dernier recours en Dieu, s'adressant à sa maistresse (qui estoit de la religion pretendue reformée[5]): Or, priez maintenant Dieu, luy dit-il, à vostre mode et en quelle langue que vous voudrez; je le priray à la mienne. Et commença à faire le signe de la croix et prier à la façon de l'Eglise catholique. Son maistre cependant arrive avec le bateau, par le moyen duquel ils furent sauvez miraculeusement. Reconnoissant avoir receu un si grand benefice de Dieu, ont abjuré l'heresie de Calvin, et se sont convertis avec toute leur famille à la religion catholique, apostolique et romaine. [Note 5: On sait que tous ces parages étoient peuplés de calvinistes fervents. Le terrible siége de Sancerre, en 1574, l'a suffisamment prouvé.] Plusieurs maisons ont estez entièrement sappées de leurs fondemens, et comme vaisseaux alloient demy noyez, flottant sur les vagues; les meubles et les provisions de plusieurs bourgs et villages ont estez miserablement ravis et entraisnez par l'eau, avec grand nombre de troupeaux de brebis et boeufs, qui, estant trop pesans à la nage, s'arestèrent au fond, où plusieurs hommes, femmes et enfans, sont demeurez ensevelis. Ainsi quantité de semblables tragicomedies ont restées representées dans ces inondations. Le recit en seroit de trop longue haleine; ceux-cy pourront suffire pour tirer consequence des autres et faire voir quelque ressentiment des jugemens de Dieu, et donner à entendre qu'il est couroucé contre nous. Qu'ils suffisent donc aussi pour rendre les hommes plus soigneux à destourner son ire[6]. [Note 6: On ne s'occupa même pas alors de détourner la colère du fléau. Il fallut encore quatre inondations, celle de 1641, qui rompit les levées, et où l'on vit la Loire se réunir au Loiret, comme cela étoit arrivé le 28 mai 1567; celles de 1649 et de 1651, dont souffrirent surtout les vallées de l'Anjou, pour qu'on s'ingéniât enfin de prendre des mesures. Le 24 mai 1651 fut rendu un arrêt du conseil pour le rétablissement des turcies et levées de la Basse-Loire (_Ordonnances de Louis XIV_, t. III, fol. 320). Cent ans après seulement nous trouvons ces levées en bon état, depuis Angers jusqu'à Nevers, et aussi sur tout le cours de l'Allier jusqu'à Vichy. V. _Traité de la police_, t. IV, liv. VI, tit. 13, ch. 5.] _Le Feu royal, faict par le sieur Jumeau, arquebusier ordinaire de Sa Majesté[7]. Présenté au Roy._ _A Paris, par Nicolas Callemont, demeurant à la rue Quiquetonne[8]. 1618._ [Note 7: On ne distinguoit pas alors les _arquebusiers_ des _artificiers_, et M. de Paulmy nous en donne ainsi la raison: «On appeloit, dit-il, les arquebusiers _artificiers_, non qu'ils fissent et vendissent de la poudre, mais parceque toutes les armes à feu qu'ils fabriquoient étoient appelées du mot général _artifice_.» (_Mélanges tirés d'une grande Bibliothèque_, Hh., p. 5.) La vente de la poudre, et surtout celle de pièces d'_artifices_, furent toutefois un monopole des artificiers, qui s'étoient pourvus _de provisions de la cour_, et qui par là avoient le droit, comme ici le sieur Jumeau, de prendre le titre d'_artificier du roi_. On leur accordoit ce titre, «avec faculté de faire saisir par le bailli de l'Arsenal toutes espèces d'artifices qui se trouveroient chez les merciers et autres particuliers qui s'ingéreroient d'en faire et d'en vendre». (_Guide des corps des marchands_, 1766, in-12, p. 160.) En outre de ces artificiers du roi, il y avoit celui de l'Hôtel-de-Ville, qui étoit aux gages de la ville de Paris, avec lettres «qui étoient marques de sa charge». Il devoit, dans les occasions de réjouissance, faire tous les _feux_ de la ville, tels que, par exemple, le feu de la Saint-Jean, que le roi devoit venir allumer lui-même. Louis XIII alluma celui de 1620.] [Note 8: C'est ainsi qu'on appeloit alors et qu'on auroit toujours dû nommer la rue Tiquetonne, puisqu'en effet elle eut pour parrain, au XIVe siècle, le riche boulanger Rogier Quiquetonne.] _Avec privilège du Roy._ Entre les lapidères, la pierre la plus précieuse estimée est le diamant, l'oeuvre n'en rehaussant nullement l'excellence, mais seullement celuy qui a plus de pois et d'eclat a plus de pris: de mesme est-il des hommes, qui semblent que la nature les ayent formés en mesme moulle; mais l'esprit seullement leur donne le pois et le pris, et particullièrement ceux qui ont recherché l'invention des feux d'artifices, invention estimée par toutes les nations du monde, puisque aux choses memorables et aux actions les plus celebres, c'est l'ame des passetemps et le plaisir le plus estimé, puisque c'est celuy de nostre roy[9]. Aussi en ce jour heureux de Sainct-Cosme, pour lequel cest artifice avoit esté destiné et differé en consideration du voyage de Sa Majesté, où il s'agist de la commune resjouissance des François pour l'heureuse naissance de Louys le Juste, nostre roy invincible[10], où il s'est veu des effaits admirables du feu, que jadis celuy qui brusla ce que Alcide eust de mortel ne le peut esgaller, ny celuy dont Prometée anima ses statues ne fut jamais si glorieux. [Note 9: Les feux d'artifice étoient en effet fort à la mode alors. On se les permettoit même dans les couvents lorsqu'il s'agissoit de cérémonies un peu importantes, telles que canonisations de saints ou de saintes. Les fêtes de la canonisation de sainte Thérèse furent pour les carmes l'occasion de réjouissances de cette espèce. V. notre édit. des _Caquets de l'Accouchée_, p. 48-49, note, et Dreux du Radier, _Récréations historiques_, t. 2, p. 183.] [Note 10: Louis XIII étoit né le 29 septembre, jour de Saint-Côme.--Le feu d'artifice du sieur Jumeau, préparé pour célébrer l'heureux événement de la paix survenue entre le roi et les princes après l'assassinat du maréchal d'Ancre, avoit été ajourné jusqu'à l'anniversaire de la naissance de Louis XIII par suite des voyages du roi à Rouen et dans le centre de la France.] En la première action il s'est veu cent fusées produire et nous monstrer diverses sortes de feu et de figures portées en l'air par des inventions admirables et qui n'ont jamais esté veues[11]. [Note 11: Pendant tout ce règne et le suivant, ces inventions se perfectionnèrent encore. Lors de la naissance de Louis XIV, il y eut, par exemple, des feux d'artifice qui éclipsèrent tout ce qu'on avoit vu jusque alors. «Les jésuites, outre près de mille flambeaux dont ils tapissèrent leurs murs les 5 et 6, firent, le 7 dudit mois de septembre, un ingénieux feu d'artifice dans leurs cours, qu'un dauphin alluma entre plus de deux mille autres lumières qui éclairoient un ballet et comedie, sur le mesme sujet, representés par leurs escoliers.» (_Cérémonial françois_, t. 2, p. 214.)--C'est un nommé Carême qui, à la fin du XVIIe siècle, excelloit dans ce genre de merveilles pyrotechniques. «Carême, lit-on dans le _Livre commode des adresses_, au chapitre des _Passe-temps et menus plaisirs_, se rend célèbre par les feux d'artifice figurés, coloriés.»] En la seconde action il s'est veu six geans, representant six nations en circonference, combatre les uns contre les autres au milieu de la rivière de Seine[12], qui avoient une perpétuelle action et un mouvement continuel, sans que l'on peust recoignoistre qui les faisoit mouvoir, au milieu de laquelle circonferance il y avoit un rocher eslevé d'une toise et demie de hauteur, sur lequel estoit un aigle d'une excessive grandeur, et Jupiter posé dessus, tenant son foudre à la main, qui lança sur les geans qui vouloient saper son trosne, lequel foudre il jetta sur eux et les reduit au neant. [Note 12: Les feux d'artifice étoient tirés, au XVIIe siècle, soit sur des bateaux en pleine Seine, comme celui dont l'ambassadeur d'Espagne donna le spectacle aux Parisiens en 1722, à l'occasion de l'arrivée de l'infante, et qui fut disposé avec beaucoup d'art entre le Pont-Royal et le Pont-Neuf (V. _Journal de Marais_, Rev. rétrosp., 30 nov. 1836, p. 182), soit sur la Pont-Neuf même. C'est là que fut tiré celui des fêtes de la naissance de Louis XIV, qui inspira ces vers de Saint-Amant: Au milieu du Pont-Neuf, Près du cheval de bronze, Depuis huit jusqu'à neuf, Depuis dix jusqu'à onze, On fit un si grand feu qu'on eut grand'peine De sauver la Samaritaine Et d'empêcher de brûler la Seine. Voy. aussi le _Journal de Barbier_, t. 2, p. 138, 241, 304.--Sous Louis XIII, les particuliers qui vouloient se donner ce divertissement se rendoient dans l'île Notre-Dame (île Saint-Louis), à peu près inhabitée, et y tiraient leurs feux d'artifice. Une fusée lancée de là par un jeune garçon, pendant les fêtes de la Saint-Jean de cette même année 1618, tomba sur un bateau du port au Foin, qui prit feu, et qui, s'en allant à la dérive, incendiant les autres bateaux, faillit embraser le pont. (_Mercure françois_, 1618, p. 25.)] Par la circonferance est representé le royaume de France, qui est tousjours demeuré ferme au milieu des ondes, bien qu'il aye esté battu, et quasi comme abbattu d'une infinité d'orages et de mouvemens divers que les siècles passés luy ont fait voir. Le mouvement continuel, c'est la sagesse et la raison qui balancent continuellement dans l'esprit de ceste Antipater de nostre Philippe François, que je puis nommer le premier cercle de ceste sphère et la première horloge dont le contre-poids tend tousjours au bien du public, que l'on peut dire avoir autant de faveur que son merite est eslevé entre les hommes; la vertu duquel l'on ne peut mettre en sa juste exaltation, car, si les souhets des sujets de Sa Majesté avoient lieu aux choses mortelles, je lui souhetterois de l'immortalité et luy donnerois toutes les louanges que les siècles que nous avons passé attribuent à l'integrité, au service et à la fidellité deue à son prince. Le rocher qui est au milieu de la circonferance, c'est la ville de Paris, ce miracle du monde, laquelle, encore qu'elle aye esté agitée et sa sainture aye esté veue de l'estranger, est tousjours demeurée ferme comme un rocher en l'obeissance de Sa Majesté. L'aigle qui estent ainsi les ailes, c'est cet auguste parlement, ce nid de science qui protège, sous l'authorité du roy, le public et le particulier. Par Jupiter, qui est sur l'aigle assis, est representé Louys le Juste, nostre roy, qui, tout ardant de combattre comme un Cesar, tout redouté en son combat comme Henry le Grand, ayant le fer et le foudre en la main, le lance sur les nations qui le voudroient empescher de porter son espée sur les confins de l'univers, où nous luy verrons naistre les palmes dedans les mains et le laurier seindre son front glorieux. En la troisième action il s'est veu sur un batteau sur lequel estoient des niches remplies de personnages et bordé de fleurs de lis coronnées d'une excessive grandeur avec L. L. d'or assises en des croissans soustenus par des septres, le tout semé de lances à feu qui rendent une clarté admirable, au milieu duquel estoit une piramide fort bien eslabourée et esmailée de toutes sortes de couleurs, aux angles de laquelle estoient quatre vazes dans lesquels estoient posez des bouquets de fleurs d'Italie representés au naturel, et à la pointe de laquelle estoit un soleil de huit pieds de diamètre, dont les rayons esbloissoient les yeux des assistans qui estoient accourus de toutes pars pour voir les merveilles de cet artifice. Le roy et la cour ayant veu ce soleil faire son cours en un quart d'heure, incontinent l'on entendit milles tonnerres retentir par le bruit des canons, qui sembloit que la machine du ciel devoit dissoudre. Par ce pié d'estal[13] nous est figuré une cadrature qui est la mesme fermeté et asseurance, qui nous represante la paix, precieux gaige que le roy nous a donné, que nous ne pouvons plus dire que nostre bonne fortune soit chancellante, mais maintenant qu'elle est assise sur un ferme et durable fondement, durant laquelle voyons espanouir les fleurs de lis, non en l'orient ny au midy, mais au couchant de la journée, que nous pourrons dire estre animez de l'ardeur du soleil qui les regarde par une puissance extraordinaire. [Note 13: _Piédestal_ ne s'écrivit d'abord pas autrement.] Les personnages qui sont autour du piedestal representent la Force dont la Justice doit estre aydée, car depuis qu'elle est armée de puissance elle presse les passions violantes de l'ame du celerat qui a pour objet la punition qui le retient, et le bon à la vertu, qui l'engaige à bien faire. Les L. L. qui sont assises en des croissans representent le nom de Louys le Juste, que son peuple comble de benedictions, afin que, croissant en aage, en justice, pieté, clemence et en toutes autres sortes de vertus, nous puissions vivre en esperance que la France reverra encore le siècle doré. La piramide assise au milieu de la cadrature nous represente la Justice, qui est un des fondemens principaux du bastiment d'un Estat, justice qui vient du ciel divinement s'espandre sur la personne des roys; comme nous voyons l'humeur se puiser dedans l'eau, la chaleur venir du feu, la solidité du corps naistre de la terre et l'esprit se tirer de l'air, de mesme nous pouvons dire la justice venir de Dieu sur les roys, qui la renvoyent par reflection, comme les sources font leurs ruisseaux, dessus leurs peuples pour leur en faire user une plus tranquille et plus assurée. Aussi la justice est-elle la fin de la loy, la loy l'oeuvre du prince, et le prince l'image de Dieu. Les quatre vases qui sont au pied de la piramide representent les quatre cas dont la Justice est animée, qui sont le commandement, la deffence, la permission et la punition, car la fin de la loi gist à commander, deffendre, permettre et punir. Cela estant inviolablement gardé fera que nous verrons le bouton et la fleur de la justice rendre les quatre coins du royaume tout odorans. En la pointe de la piramide est un soleil brillant qui porte le nom de ce grand roy, qui nous represente la Religion, qui est la première colonne, le principal apuy des royaumes, et le pivot qui donne le mouvement à ceste miraculeuse machine qui brille continuellement sur la justice, sur les lys et en la paix, et particulièrement au siècle où nous sommes, où nous voyons Sa Majesté estre le premier et principal protecteur, de sorte que nous pouvons dire que c'est un Cesar conquerant, un Auguste pacificateur de son Estat et un Constantin restaurateur de son Eglise. En la quatriesme action, il s'est veu cent partemens de fusées enrichir le ciel d'un million d'estoilles, diverses sortes d'autres feux que l'on a veu serpenter dedans l'air et dedans l'eau[14]. L'on a veu des commettes non decendre du ciel, mais sortir de terre pour aller dans les cieux y porter les voeux et les prières de tous les sujets de Sa Majesté pour perpetuer les jours à la durée d'un siècle de ce grand roy, borner son royaume des confins de l'univers et le rendre le plus heureux monarque qui aye jamais veu le soleil. [Note 14: Ceci nous fait souvenir du feu d'artifice du _Menteur_ (acte 1er, sc. 5), qui, selon la mode du temps, auroit aussi été tiré sur la rivière: Après qu'on eut mangé, mille et mille fusées S'élançant dans les airs, ou droites ou croisées, Firent un nouveau jour, d'où tant de serpenteaux D'un déluge de flamme attaquèrent les eaux, Qu'on crut que, pour leur faire une plus rude guerre, Tout l'élément du feu tombait du ciel en terre.] _Memoire veritable du prix excessif des vivres de la Rochelle pendant le siège._ _Envoyé à la Royne mère._ _A Paris, par Nicolas Callemont, demeurant rue Quiquetonne._ M.DC.XXVIII[15]. [Note 15: Cette pièce, très rare, a été analysée dans une relation du siége de la Rochelle reproduite, d'après l'édition du temps, par les _Archives curieuses_, 2e série, t. 3, p. 111-113.--Un autre _Mémoire_ sur le même sujet parut alors sous le titre de _Mémoire très particulier de la despence qui a esté faicte dans la ville de la Rochelle, avec le prix et qualité des viandes qui ont esté excessivement vendues en ladite ville, depuis le commencement du mois d'octobre jusqu'à sa réduction_. _A Paris, chez Charles Hulpeau, sur le pont Sainct-Michel, à l'Ancre double, et à sa boutique dans la grand salle du Palais, 1638, avec permission_; in-8. Il existe entre les deux pièces, pour quelques détails de l'étrange tarif qu'elles donnent l'une et l'autre, des différences que nous signalerons au passage.] Depuis qu'une fois les hommes se retirent du sentier de la raison, non seulement ils se rangent au nombre des brutes, mais s'abaissent encore en un degré beaucoup plus bas: car, si les animaux iraisonnables souffrent quelquefois, ce n'est que par quelque accident, pour lequel eviter la nature leur a desnié la prevoyance; et les humains, qui prevoyent leur malheur et cognoissent bien le goufre dans lequel leurs violentes passions les vont precipiter, ne laissent pas de les suivre avec le mesme visage que si elles alloient les faire participant des honneurs d'un celèbre triomphe. L'obstination des Rochelois donne assez de lumière à ceste verité, qui, soubs pretexte de mettre tous ceux de sa suitte en liberté, en a privez un bon nombre de la vie et fait abismer leurs ames aux creux des enfers, où elles sont reduictes en une horrible et perpetuelle servitude. Elle a changé en un neant leur souveraineté pretendue, et, cependant qu'ils s'amusoient à forger de la monnoye[16], ils ne consideroient pas que ceste furie marquoit leurs ames à son coing pour les rendre là-bas de meilleur alloy et en faire un payement aux diables, desquels elle avoit emprunté les artificieuses inventions avec lesquelles elle avoit tant pris de peine pour les perdre. [Note 16: Ceci prouveroit que les Rochellois fabriquèrent une monnoie ayant cours dans leur ville pendant le siége, comme cela s'est très souvent pratiqué. Les pièces en sont, à ce qu'il paroît, devenues très rares, car Tobiesen Duby et M. Cartier ne les mentionnent pas dans leurs curieux travaux sur les _Monnoies obsidionales et de nécessité_.] Ainsi ceux qui mettoient l'esperance de leur conservation au ciel, à la mer et à la terre, ont trouvé que la terre, la mer et les cieux ont esté les propres ministres de sa ruyne, et que, lors qu'ils presumoient de faire estimer leurs courages affamez de gloire, leurs corps furent tellement affamez de vivres que le plus grand nombre a esté contrainct de succomber soubs les efforts de la necessité, et l'autre reduict à les achepter au prix dont le memoire suivant faict mention: Un biscuit de demy-livre, 25 livres. La livre de boeuf, ou vache, 12 livres. La livre de cheval, 6 livres. La livre de chien, 20 sols. La teste de chien, 10 livres. Un oeuf, 8 livres. La pinte de vin, mesure de la ville[17], 7 livres. La livre de peau de boeuf apprestée, 3 livres[18]. Une poulle, 24 livres. Un mouton, 300 livres. Une vache, 2,000 livres. La livre de sucre, 24 livres. La livre de castonnade[19], 16 livres. Une mourue, 10 livres. Une seiche, 6 livres. La livre de confiture commune, 16 livres. La livre de peau de boeuf seiche, 20 sols. Une racine de poirée, 8 sols. Deux feuilles de choux, 5 sols[20]. Un oignon, 10 sols. Une trippe de boeuf, 3 livres. Une trippe de cheval, 20 sols. Une pomme, 32 sols[21]. La pinte de lait, 3 livres[22]. Le boisseau de bled, mesure de la Rochelle, 800 livres. La huictiesme partie du boisseau de bled, avec le sang de pigeon, 90 livres. Le boisseau de vaisse, 100 livres. La livre de viande d'asne, 32 sols. Un pasté d'une ruelle de boeuf, 100 livres. Un collet de mouton, 27 livres. La livre de lart, 12 livres. L'once de pain ordinaire, 32 sols. L'once de pain de paille fait avec sucre, 22 sols. Un reffort, 5 sols[23]. La livre de raisins frais, 18 livres. La livre de beurre, 18 livres. La livre d'huille, 18 livres. L'once de pain d'iris, avec sucre, 24 sols.[24] [Note 17: Dans le _Mémoire très particulier_ la pinte de vin n'est portée qu'à 3 livres, mais sans doute d'après la mesure de Paris, qui alors eût été moindre que celle de la Rochelle.] [Note 18: Dans le _Mémoire très particulier_ la livre de peau de boeuf est portée à 7 livres, encore ne dit-on pas, comme ici, qu'elle fût _apprêtée_.] [Note 19: On disoit alors indifféremment _cassonnade_ ou _castonnade_, et les deux mots passoient pour aussi françois l'un que l'autre. Ménage même préféroit le dernier, mais il manquoit en cela à ses devoirs d'étymologiste, puisqu'en effet, le mot venant des _casses_ ou _caisses_, dans lesquelles ce sucre brut venoit du Brésil, c'est bien certainement _cassonnade_ qu'il faut dire. L'auteur des _Bagolins_, comédie imprimée à Amsterdam, en avoit déjà décidé ainsi en 1703. Bagolin, l'amant ridicule, faisant une déclaration à sa maîtresse, lui adresse ces vers: Beau miel très savoureux, que doit lescher mon ame, Doux beure qui se va tout foudre par ma flamme, Luisant sucre candy, _cassonnade_ d'amour, Cresme de la beauté, tarte sortant du four, Regardez un amant qui devient confiture.] [Note 20: Article porté à 10 sols dans le _Mémoire très particulier_.] [Note 21: 30 sols seulement d'après l'autre _Mémoire_.] [Note 22: _Var._: 4 livres.] [Note 23: On ne trouve pas dans le _Mémoire très particulier_ le prix du raifort, mais, en échange, celui d'une rave, 8 sols.] [Note 24: On ne trouve pas ici le détail de tout ce qu'on mangeoit à la Rochelle pendant le siége: les chats et les rats entroient dans le menu, et les puissants parmi les assiégés, voire M. de Rohan et sa mère, devoient se contenter de ce régal. On le sait par les _Mémoires_ de Feuquières. Ceux de Pontis donnent d'autres détails plus navrants. Ils parlent, entre autres, d'un hôtelier qui «pendant huit jours s'étoit tiré du sang et l'avoit fricassé pour en nourrir son pauvre enfant».] _La grande proprieté des bottes sans cheval en tout temps, nouvellement descouverte, avec leurs appartenances, dans le grand magasin des esprits curieux._ * * * * * SUBJECT DU PRESENT DISCOURS. Je ne crains point d'avoir mon bas crotté, Car en tout temps sans cheval suis botté. Ce noble estat m'espargne argent et page, Laquais, cheval, foin, avoine et fourrage. * * * * * _A Paris, chez Nicolas Alexandre, rue des Mathurins._ M.DC.XVI. O bella cosa! disoit dernierement un ramoneur lombard voyant la merveille des bottes. Disons donc: Ho! messieurs, venez voir, venez voir, et tost donc! Voicy l'invention des inventions, voire la plus belle chose qui se puisse trouver au ratelier du grand chosier. Or escoutez donc, car vous verrez et orrez merveilles. Je souppois dernierement avec le bon père Crito (je m'enten bien); il estoit aussi un peu philosophe, et venoit tout estonné de faire la ronde autour de l'esquadre des fols, et, pour m'assurer de son dire, me jura sur son court et large coutelas qu'il n'estoit plus si fol qu'il souloit estre au temps du philosophe Menippus, qui portoit tousjours le pacquet de sa folie sur luy, soit qu'il allast aux champs ou qu'il fust de sejour en la ville. Revenant donc, dit-il, de ce beau pays des fols, il dit qu'il eut beaucoup de peine à retrouver le chemin, car l'air inferieur en estoit tout obscurcy, et ne sçavoit lequel regarder, tant il y en avoit; entre autres il vit la nouvelle façon des bottes sans chevaux et en fut tout estonné, veu que ce n'est la coustume en France d'avoir des bottes s'il n'y a cheval en l'escurie. Mais il s'advisa et dit en soy-mesme: Peut estre, helas! que je me suis fourvoyé et que je suis en l'autre monde. Et, cherchant de tous costez, s'asseura, cognoissant qu'il estoit à Paris, et sceut par un savetier au coin d'une rue[25] l'occasion de tant de bottes sans chevaux; et, beuvans ensemble, ledit savetier (salva reverentia vestra) luy dit: Monsieur, vous qui venez de loin, n'avez-vous point appris par ouyr dire pourquoy vous voyez tant de gens bottez? Il y a icy, je me doute, de la ruse et de la finesse cachée.--Je vous le diray, puisqu'il vous plaist me faire cest honneur que bevions icy particulierement au fond de ceste cave: personne ne nous orra. C'est (mais à vos graces cependant) qu'un certain quidam, gentil-homme sans nom, botté et espronné comme un cocq, mais sans cheval, est arrivé en ceste ville n'y a pas long-temps, et, feignant estre quelque grand entrepreneur, promit à plusieurs un secret pour paroistre galand homme et contre-faire le courtisan. O! que cela plaist à plusieurs aujourd'huy, qui demandent à ces pauvres col-porteurs: Et bien! mon maistre, y a-il rien de nouveau? Qu'est-ce que tu as là dans ta bale? N'est-ce que cela de nouveau? Et disant cela n'oublient une autre nouvelle façon de se curer les dents; mais, helas! les miserables n'ont encor desjeuné, quoy qu'il soit trois heures après midy, faute d'un sol pour demy-septier et deux liards de pain, et ils demandent de la nouveauté. C'est bien raison, puis que Moustafa porte des bottes, cheminans superbement les mains sur les costez comme pots à anses, dedaignans moustachiquement tout ce qu'ils rencontrent. Leurs foudroyantes espées peuplent presque tous les cimetiers de corps, lesquels, après avoir esté tuez de tels gens, ne laissent de se bien porter par après[26], et qui pis est, de leur regard louchant soubs un branlant pennache de demy-quart d'escu[27], ils font presques fremir Juppin, qui est sur le point, ce leur semble, de leur cedder son foudre et son aigle pour avoir paix avec eux, nonobstant qu'ils ne facent peur qu'aux limaçons[28], mousches et sauterelles. Je m'assure que, si le plaisant Lucian les rencontrait, il s'en riroit demesurement, et par pitié leur donneroit de ses roses, pour d'asnes (comme il fut autrefois) les faire devenir hommes[29], afin qu'estans deschargez du fardeau de folie, ils peussent passer la barque de Charon et aller hors de nostre sphoere danser aux champs Elisiens. Mais, à propos de bottes[30] (nous en dirons ce qu'il faut sur la fin), nostre Crito dit avoir ouy une grande plainte: c'est que les chapeliers sont tout estonnez non seulement de tant de bottes nouvelles, mais aussi des nouveaux chappeaux pour accompagner les dites bottes dans plus de la moitié de la Savaterie, et disent qu'en cela ils perdent l'escrime et le meilleur de leur latin, quoy qu'il n'y en ait guères: car en la fabrique des chappeaux l'un les veut pointus en pyramides, à la façon d'un pain de sucre[31], qui dansent en cheminant sur la perruque acheptée au Palais, garnie de sa moustache[32] à queue de rat derrière l'oreille; autres les veulent plats façon de chasse, ou à la cordelière, retroussez d'un costé en façon de mauvais garçon, avec un morceau de plume verte, jaulne, rouge, grise ou autrement, et voilà le galand; autres en veulent en façon de turban levantin ou moscovite, ronds et peu de bords[33], pour dire: Je ne suis plus Francé. C'est comme on parle maintenant[34]. Je veux une nouvelle façon. Et quoy! ne paroistray-je pas botté, espronné, moustaché et guirlandé? Si feray dea! C'est la verité, Monsieur; vous estes brave comme cela, et si paroissez autrement, vous vous pourriez bien hardiment dire descheu du point d'honneur et n'oseriez vous trouver au lendit de Sainct-Denys[35]. Une autre nouveauté, c'est les habits de certaines damoiselles imprimées nouvellement qui sont habillées à la suisse, faisant boufer hors des manches le taffetas, comme les brayettes d'iceux Suisses[36], où il y a du nez, quoy qu'on en die; mais elles gastent toute la bigarure avec leurs fausses perruques, saulpoudrées de poudre de Cypre[37] (c'est discrettement fait), à sçavoir pour corrompre une plus mauvaise odeur cachée dessouz, et _pro causa_[38]. Je les entends desjà, ce me semble, car elles ont bon caquet: «Nostre-Dame, ma mie, ma commère, qu'est cecy? de quoy se mesle-on? qu'a-on affaire de nos menues folies?» Patience, damoiselettes, attendez, _et non fumetis_, ayez patience. Elles portent encore (Ha! maistre Crito, vous direz tout à la fin) le teton bondissant[39] et relevé par engins au dehors, pour donner appetit et passetemps aux alterez. Ainsi marchoit Thaïs de Corinthe, Flora, Romaine, et autres femmes lascives; et, suivant cela, on dit que bon vin n'a besoin de bouchon[40]. [Note 25: Chaque coin de rue avoit alors son savetier, qui étoit le grand causeur, le grand gabeur, le gazetier de tout le voisinage. On connoît cette jolie épigramme de d'Aceilly: Le savetier de notre coin Rit, chante et boit sans aucun soin. Nulle affaire ne l'importune. Pourvu qu'il ait un cuir entier, Il se moque de la fortune Et se rit de tout le quartier.] [Note 26: C'est à peu près le vers du _Menteur_: Les gens que vous tuez se portent assez bien.] [Note 27: Le luxe des panaches étoit une des grandes dépenses des courtisans. Une plume d'un demi-quart d'écu étoit du dernier misérable. Le Mascarille des _Précieuses_ (scène 10) se vante que chaque brin des siennes lui coûte un louis d'or.--Les panaches se portaient surtout à l'armée, ce qui fait dire par du Lorens, dans une de ses _Satyres_, 1624, in-8, p. 60: Si la guerre n'étoit un moyen de voler, Sans ailes ni sans _plume_ on n'y voudrait aller.] [Note 28: Comme les Espagnols, grands mangeurs d'escargots et d'oignons, et que toutes les caricatures du temps nous représentent largement pourvus de ces denrées. V. _Musée de la Caricature_, premières livraisons.] [Note 29: On connoît ce passage de la _Luciade_ où Lucius, changé en âne, retrouve sa forme humaine après avoir mangé une couronne de roses. V. la traduction de P. L. Courier, _Oeuvres_, édit. du _Panthéon littéraire_, p. 135.] [Note 30: On n'est pas bien d'accord sur l'origine de cette locution proverbiale. Il se pourroit qu'elle vînt de l'anecdote dont nous avons déjà parlé (t. 5, p. 186), et qui nous montre François Ier se décidant tout à coup à substituer la langue françoise à la langue latine dans les tribunaux, parce-qu'un seigneur que la cour avoit _debouté_ (debotaverat) avoit cru être _débotté_ par elle. Cette importante mesure auroit, en effet, été prise ainsi _à propos de bottes_. M. Quitard pense cependant que cette expression est plus ancienne. Il dit l'avoir retrouvée dans un livre antérieur au règne de François Ier, avec une note marginale qui en attribuoit l'origine aux exactions que les Anglois, maîtres de la France, commettoient contre les paysans, jusque là qu'ils prélevoient de fortes dîmes et de grosses sommes pour leurs souliers et leurs bottes. (Quitard, _Dictionnaire des Proverbes_, p. 163-164.)] [Note 31: C'est ce que G. Naudé, dans le _Mascurat_, in-4, p. 187, appelle des chapeaux en pot à beurre.] [Note 32: Sur ces _moustaches_ ou cheveux tombant sur les côtés de la perruque, V. le t. 3, p. 243.--Celles qu'on appeloit _cadenettes_ devoient leur nom à l'un des frères de Luynes, Honoré d'Albert, seigneur de _Cadenet_. Ménage nous l'avoit appris depuis long-temps; les _Historiettes_ de Tallemant nous l'ont confirmé. V. édit. P. Paris, t. 1, p. 399.] [Note 33: Sur ces diverses formes de chapeaux, voir _le Satyrique de cour_, dans notre t. 3, p. 245.] [Note 34: C'étoit la prononciation à la mode, due à l'imitation de l'accent efféminé des Italiens. «On n'ose plus, dit Henry Estienne dans son _Dialogue du nouveau langage françois italianizé_, Paris, 1579, on n'ose plus écrire _françois_, _françoise_, sous peine d'être appelé pédant.» Courval Sonnet, qui avoit vu les progrès de cette mauvaise prononciation, et qui la trouvoit tout à fait triomphante sous Louis XIII, à l'époque même où parut la pièce que nous reproduisons, s'en explique ainsi dans une de ses _satyres_: Bref, que dirai-je plus? Il faut dire il _allèt, Je crès, françès, anglès, il disèt, il parlèt_. C'est donc inutilement que les doctes, Pasquier en tête, avoient proscrit cet accent exotique. «Le courtisan aux mots douillets, écrivoit-il dans sa quatrième lettre à Ramus, nous couchera de ces paroles: «_reyne_ (au lieu de _royne_), _allèt_, _tenèt_, _menèt_ ... Ni vous, ni moi, je m'asseure, ne prononcerons, et moins encore écrirons, ces mots de _reyne_, _allèt_, _menèt_.» V. _Lettres de Pasquier_, in-fol., t. 2, p. 46, 57-58.] [Note 35: On sait que le _landit_ étoit la foire qui se tenoit à Saint-Denis dans la dernière quinzaine de juin.] [Note 36: V. _le Satyrique de cour_, dans notre t. 3, p. 248, note.] [Note 37: Cette poudre, dont nous avons déjà parlé, t. 3, p. 253, note, resta long-temps en faveur pour la toilette des hommes comme pour celle des femmes, surtout pour les perruques: Le matin y met de l'ambre, De la pommade, de l'iris, _Des poudres du nom de Cypris_, Qui s'attachent à la pommade. _Vers à la Fronde sur la mode des hommes, présentés aux curieux du temps..._, 1650, in-4. «Diane, lit-on dans le _Francion_, édit. de 1663, p. 267, se plaignit à sa servante de ce qu'il y avoit eu quelque gueux qui avoit fait de l'ordure dedans son banc. Ce fut cela qui l'en fit sortir; mais la poudre de Cypre dont vous étiez couvert vous empescha de sentir une si mauvaise odeur.»] [Note 38: Ce qui donne raison à ce joli distique de Martial dans l'une de ses épigrammes (liv. 2, épigr. 12): Hoc mihi suspectum est, quod oles bene, Posthume, semper. Posthume, non bene olet, qui bene semper olet.] [Note 39: V. notre t. 3, p, 257-258.] [Note 40: C'est, comme on sait, le vieux proverbe latin qui se trouve dans les _Mimes_ de Publius Syrus: _Vino vendibili hedera non opus est._] Mais j'ay pensé oublier le principal: c'est que, pour porter proprement telles bottes, il faut s'accoustumer à dire: _chouse_, _je venés_, _je disés_, _j'estés_, _Anglés_, _Francés_, et autre tel barraguin estranger; et qui n'a ceste pièce en sa valise, qu'il se garde bien pour son honneur de porter des bottes de cordonnier, soit de la savaterie, car elles sont aujourd'huy cause d'un grand bruit, d'autant que les maistres cordonniers sont sur le point de se bien galer avec les savetiers, car il n'y a qu'eux qui vendent des bottes frippées à un quart d'escu ou vingt sols. Ils veulent aussi aux ferronniers de la vallée de Misère[41] pour les vieux esperons. Autre grand debat s'est esmeu entre les maquinons, vendeurs de chevaux, avec les sus dits savetiers, car ils veulent sçavoir, quoy qu'il en soit, d'où ils ont tant de bottes, et eux ne vendent point de chevaux, et asseurent en leurs articles qu'il y a de la tromperie, veu qu'il ne peut avoir tant de bottes sans chevaux[42]. Mais l'affaire n'a point esté si aigre, car les savetiers ont représenté (descouvrant le secret du sus dit gentil-homme sans nom) que les grandes boues de Paris estoient cause de telle confusion de bottes[43], et qu'un homme a plus tost trouvé vingt sols pour une paire de bottes que vingt escus pour un meschant cheval, joint qu'elles sont propres du tout pour espargner souliers, bas de chausses, se garder des crottes et espargner le foin et l'avoine pour un cheval; et, qui plus est, un homme botté et esperonné est estimé, peu s'en faut, gentil-homme, et a plus de credit à la rotisserie et au tripot, attendant les foins nouveaux[44]. Ces considerations diligemment et meurement pesées, burelées et justifiées, les commoditez des bottes recognues si grandes, qui sera si hardy d'en oser medire? Voyons-nous pas qu'elles servent en tout temps pour aller à pied sans cheval? Y a-il rien de plus gentil et mirlifique que voir un homme perruqué, escharpé, botté et esperonné? Est-ce pas un traict d'espargne provenant d'un bon esprit? Le pauvre Platon fut estimé fol autrefois parce qu'il descendit de cheval aussi tost qu'il y fut monté. Il me semble d'en avoir ouy la cause, et ay ouy dire que ce fut parcequ'il se recogneut estre sans bottes. Ainsi, par consequent, je concluds, soit en baroco[45], padesmo ou autrement, comme on le trouvera meilleur, qu'un homme est tousjours plus asseuré des chiens avec des bottes qu'avec un bas de toile, principalement quand les esperons y tiennent, et qu'il ne doit pour son honneur aller à cheval sans bottes. Ainsi se trouve verifiée ceste generale et merveilleuse prediction du grand Artus, au large bonnet flocqué[46], qui vivoit du temps de son grand frère Desiré[47], bon homme des Entomures[48], souz le pilier verd des gras fromages, aux hasles, qui a predit qu'au temps que les grues pondroient en l'air on verroit de très grandes merveilles, à sçavoir des chevaux en pourpoint et des hommes bottez sans mule. Finalement, pour eviter à toutes questions, noises, frais et debats, a esté d'un mutuel accord et consentement conclud, clos et arresté entre tous les autres estats qui y pourroient ou voudroient pretendre quelque interest, et les sus dits savetiers, tant des hasles, savaterie, rue de la Poterie et ailleurs, tous ès lieux de leur fripperie, assemblez à la Table Roland[49], et partout où le vin a esté trouvé le meilleur, que les dits savetiers n'achepteront ny vendront desormais, tant en gros qu'en detail, aucunes bottes, tant crottées qu'autrement, si le cheval, mulet ou asne à selle ne les cautionne duement et suffisamment; mais il est apparent et notoire qu'il n'y a point de cheval à l'estable faute d'avoine, de foin et d'argent, qui est le pis, ergo gluc, etc. Les bottes sans cheval sont fessées, biffées et annulées, et remises ès pieds et jambes de ceux qui auront le moyen de les entretenir avec leurs despendances, et ce soubs ceste moderation: Vade pede quando copia deficit equi. Je vay botté en attendant un cheval. Je vous conseille donc, bonnes gens bottez sans cheval, laissez ces bottes aux seigneurs et gentils-hommes qui ont moyen d'avoir des chevaux. Cela vous eschaufe trop les jambes et vous empesche. Aussi n'avez-vous accoustumé d'en porter, comme n'estant vostre estat. Je vous assure qu'on se mocquera de vous, et ce que je voy arriver de pis, c'est qu'il les faudra à la fin vendre à mespris pour payer voz gistes, car les hostesses de Paris n'ont que faire de bottes: elles veulent d'argent. Adieu; soyez sages. [Note 41: C'est aujourd'hui le quai de la Mégisserie. Aux derniers siècles, on lui donnoit aussi le nom de quai de la _Ferraille_, qu'il devoit aux ferronniers dont il est ici question. Vers la fin du règne de Louis XV, ils en furent éloignés en vertu d'une ordonnance de police que le chevalier de Piis formuloit ainsi, avec une richesse de rimes sans égale: Enjoignons aux vieux ferailleurs De vendre leur vieux fer ailleurs.] [Note 42: «N'est-ce pas, dit Hortensius, faisant, au liv. 10 du _Francion_, «l'oraison démonstrative» des bottes, n'est-ce pas grand avantage, si l'on veut aller se promener, que de paroistre chevalier, estant seulement botté, encore que l'on n'ait point de cheval, d'autant que ceux qui vous voient s'imaginent qu'un laquais tient vostre monture plus loin? Aussi un estranger s'estonnoit-il un jour où il pouvoit croistre en France assez de foin et d'avoine pour nourrir les chevaux de tant d'hommes qu'il voyoit bottez à Paris; mais l'on le guerit de son ignorance, luy remontrant que les chevaux de ceux qu'il avoit veus ne coustoient guère à entretenir.»] [Note 43: «Car, dit encore l'Hortensius du _Francion_, il n'y a rien de plus commode pour espargner les bas de soye, à qui les crottes font une guerre continuelle, principalement dedans Paris, qui, à cause de sa boue, fut appelé Lutèce. N'y a-t-il pas un adage qui dit que verolle de Rouen et crotte de Paris ne s'en vont jamais qu'avec la pièce?» C'est en effet l'abondance continuelle des boues dans Paris qui avoit amené cet usage des bottes, devenu si général. «Ceux d'entre nous, dit le commissaire La Mare, qui ont vu le commencement du règne de Sa Majesté (Louis XIV), se souviennent encore que les rues de Paris étoient si remplies de fange que la nécessité avoit introduit l'usage de ne sortir qu'en bottes.» (_Traité de la police_, t. 1, p. 560.)] [Note 44: «C'est, dit encore l'Hortensius de _Francion_ dans sa fameuse oraison _à propos de bottes_, c'est une nécessité aux braves hommes d'en porter s'ils veulent paroistre ce qu'ils sont, et à beaucoup d'autres s'ils veulent paroistre ce qu'ils ne sont pas. Si l'on est vêtu de noir, l'on vous prend pour un bourgeois; si l'on est vêtu de couleur, l'on vous prend pour un joueur de violon ou pour un bateleur, spécialement si l'on a un bas de soye de couleur différente; mais arrière ces opinions quand l'on a des bottes, qui enrichissent toutes sortes de vêtements!»] [Note 45: Dans l'école, le quatrième mode de syllogisme de la seconde figure s'appeloit syllogisme en _barôco_, et il méritoit à tous égards d'être l'origine de notre mot _baroque_.] [Note 46: C'est-à-dire avec des _flocques_ ou des _houppes_.] [Note 47: Artus Désiré, cet étrange écrivain, ce pamphlétaire du catholicisme, qui devança par ses virulents libelles les sermons des prédicateurs de la Ligue. Si les quelques détails qu'on donne ici sur lui sont vrais, ce sont à peu près les seuls que l'on ait sur sa vie. V. l'abbé d'Artigny, _Mémoires_, t. 2, p. 49.] [Note 48: C'est-à-dire bon aux coups de poings, aux rudes horions, comme le frère Jean de Rabelais.] [Note 49: Ce cabaret, dont nous avons déjà parlé, t. 1, p. 195, se trouvoit près le Châtelet. V. _les Visions admirables du pèlerin du Parnasse_, et l'analyse curieuse que Nodier a faite de ce livre, _Bullet. du Biblioph._, août 1835, p. 10.] _Les etrennes de Herpinot[50], presentées aux dames de Paris, desdiez aux amateurs de la vertu, par C. D. P.[51], comedien françois._ _A Paris, jouxte la copie imprimée à Rouen, chez Michel Talbot, imprimeur, demourant rue du Gril._ 1618. In-8. [Note 50: Ce Herpinot étoit un joueur de farces qui avoit son échafaud aux halles, vers la pointe Saint-Eustache, comme Jean de Pont-Alais avoit eu le sien avant lui. Ses farces étoient au gros sel et de _haulte gresse_, comme on en pourra juger par cette pièce, écrite sous son nom, ce qui n'empêchoit pas que, par ironie ou par antiphrase, on n'appelât Herpinot le _Caton des halles_. V. Leber, _Recherches d'un homme grave sur un farceur_, p. 13-14, et le _Catalogue de la Bibliotheque_, nº 2623.] [Note 51: Ces initiales ne cachent-elles pas le nom d'un certain de La Porte, comédien de Bourges, qui écrivoit alors des pièces du genre de celle-ci, et même des pasquils satiriques. L'Estoille (édit. Champollion, t. 2, p. 448) en cite un de lui contre les jésuites que M. du Puy lui avoit recommandé, et dont il donne ainsi le titre: _Prologue de La Porte_, comédien de Bourges. Il le trouva _mal basti_ et _gauffé_, c'est-à-dire écrit dans ce _gof_ parisien, dans ce langage des halles que Catherine de Médicis aimoit tant et parloit si bien, selon le _Scaligerana_, et que plus d'une phrase de cette pièce reproduit dans toute sa pureté. Ce de La Porte, comédien, d'après quelques détails contenus dans ce qui va suivre, auroit joué aux halles sous le nom d'Adenot, et y auroit précédé Herpinot, pour lequel il écrit ici. Ces étrennes même pourroient bien n'être qu'une adresse du prédécesseur recommandant son successeur à ses pratiques.] Mes dames, voicy un don incomparable, produit de la bienveillance de vostre très intime et fidelle Herpinot, premier joueur de cornemuse, sorty du tige d'Apolon et de Pan, grand aumonier de ce qu'il trouve et baron de nul lieu, et gouverneur de son vent soufflé du plus profond de ses grègues, entonné au bout d'une pièce de bois percé, et fait entendre en ce premier jour d'année en vostre faveur, en vous donnant le meilleur timbre de son harmonie et le meilleur plat de son mestier, pour et à celle fin de vous faire mourir de rire et vous donner autant de contentement comme il a eu à etudier ce ballet qu'il vous garde pour vos estrennes, qui est sur le chant: Gaudinette, je vous aime tant[52], air fort nouveau et amoureux, lequel vous promet vous faire entendre se par cas il se trouve disposé à vous venir trouver, et que la gelée n'empesche son entreprise, car il désire vous entretenir jusqu'au carême. Prenant tousjours de quelque chose de nouveau, et principalement en ce premier jour d'année, il se monstre vaillant de vous faire paroistre son affection en son petit ouvrage, que vous recevrez, s'il vous plait, de la main de vostre mignard Herpinot, avec plusieurs beaux stances et sonnets vouez et desdiez aux pieds de vos autels, et par ce moyen vous vous apresterez à luy presenter les siennes de votre part, lesquelles il desire de recevoir avec une affection toute particulière, et autant sinsaire qu'amiable, comme il s'apert que ce n'est un homme lequel divulgue jamais l'amitié que les dames luy portent, et aime mieux leur dire quelques gaillardises en segret qu'en compagnie, comme, par exemple, par ce discours, qu'il presente aux dames de Paris pour leurs etrennes secrettement, comme une trompette qui sonne la retraite, car le sire Herpinot ne dit chose qu'il ne veuille bien que le curieux sache, parce qu'il s'en pourra servir en parfaite occurance. Voilà comme Herpinot se gouverne en ce subtil subjet, et ne croyez pas qu'il ressemble à une infinité d'amoureux, lesquels passeront cent fois par une porte où il y aura quelque fille de chambre, laquelle aura servy en chambre vingt ans pour le moins sans n'avoir nullement fait servir son lit, mais aura bien fait servir celuy du maistre[53]. A force de jouer à la faucette, le pauvre amoureux viendra cent fois à la porte pour tacher de parler à madame la cheville, luy demander s'il luy plaist de l'avoir pour agreable et l'aimant. Douée d'une infinité de belles parolles et de discours, de dons et de presens, elle luy fera un beau refus, se disant fille de bonne maison, et non de bordeau, l'appelant insolent et indiscret en parolle, tant soit peu touché de la vérité contre son honneur. Mais le sire Herpinot n'est pas de ceste façon basty, car il propose en soy-mesme ce qu'il a envie de dire, comme, par exemple, les Etrennes des dames de Paris, où il dit: _Sonnet._ Je vous supplie de recevoir Ce present qu'Herpinot vous donne, Car son coeur seul vous abandonne, Belles, si le voulez avoir. Ce n'est rien si ne me voyez En ma force, qui est si grande, Car je dance la sarabande Sur l'entredeux de vos beautez. Je joue de ma cornemuse Et fais dancer toutes les Muses De ma flutte et mon flajolet. J'invoque la deesse Flore Vous donner, au point de l'aurore, Un bouton de rose ou d'oeillet. [Note 52: Chanson qui fut alors très célèbre. Il est fait allusion à l'héroïne, fille unique et de bonne maison, dans ce vers d'une des _satyres_ de du Lorens (1624, in-8, p. 127): Et fût-il fils unique, ainsi que _Godinette_?] [Note 53: C'est ce qui arriva justement au dernier siècle à la nièce de messire Agnan, curé d'un bourg de Sologne. Une poularde, glissée par une main traîtresse entre les draps de son lit trop peu fréquenté, et qu'on n'eût pas retrouvée dans ce lieu désert si, au bout de huit jours, la poularde prudente n'eût elle-même révélé sa présence à tous les odorats, trahit tout à coup le secret des nuits de la nièce pudibonde. Il y eut à ce propos bien des commérages dans la province. Bérenger, censeur royal, en fit un conte en vers qui souleva beaucoup de scandale, et qui fut cause qu'il perdit sa place, et que le _Journal polyptique_, dont le 114e numéro l'avoit publié, fut interdit. (V. _Mém. secrets_, 1786, t. 33, p. 267, et 34, p. 11). Ce même Bérenger, qui fut professeur de rhétorique au collége d'Orléans, et qui mourut en 1822 inspecteur de l'Académie de Lyon, a donné, entre autres compilations, le fameux recueil _la Morale en action_. Il a oublié d'y réimprimer son conte.] Quel desir pourrois-je, mes dames, souhaiter et demander en mon coeur, sinon qu'un parfait contentement et accomplissement de vous servir en tout ce qui me sera possible effectuer pour l'hommage que je doy rendre à vos commandemens, tant au lict qu'à la table, tant pour vous contenter que pour le desir de vostre cher amy Herpinot, lequel vous a tousjours porté en son coeur, comme une espousée a coustume de porter son cher epoux huict jours après ses nopces, comme, par exemple, le proverbe nous enseigne qu'il n'y a plus grand contentement au monde que d'avoir ce que l'on desire. Je croy que non, pour mon particulier; j'en ay gousté de plusieurs sortes, mais je n'en ay point treuvé de meilleur, et dirois volontiers comme ce bon Alluchon, lequel courtise secrettement de sa jeunesse les lechefrites des plus nettes cuisinières des halles aux doubles ressorts de leurs serrures, accommodiez au tourne-clés des bons compagnons, lesquels profére ces mots: _Sonnet._ Mes dames, que desirez-vous? Voulez-vous que je vous baise L'une après l'autre, à mon aise, Pour contenter nos amours? Je suis d'un coeur fort constant, Et constamment je m'appreste Au bruict du foudre et tempeste. Je ne suis facheux amant. Celle-là qui me desire Jamais n'aura le martire Et vivra joyeusement. S'elle est gaillarde et joyeuse, Sentant ma flame amoureuse, Aura son contentement. Aussy jamais, mes dames, vous n'avez gousté les delicatesses d'amour, si vous n'avez esprouvé, savouré, tasté, essayé, gousté, esprouvé, mangé et cultivé le parfait amour de vostre cher et inthime Herpinot, lequel il vous faict present à ce premier jour de l'an en bonne estrenne, et vous dit: _Sonnet._ En ce premier jour d'année, Que vous donray-je pour present? Belle, tenez-vous asseurée De vivre tousjours constamment: Car, estant avec moy couchée, Vous y prendrez vos passetemps, Et en ce premier jour d'année Nous ferons rehausser le temps. Vous vivrez joyeuse et gaillarde, Car vous m'aurez pour sauvegarde; De peur vous n'aurez ny soupçon. Vous aurez la delicatesse Qu'Amour promet à sa deesse, En neuf mois un bel enfançon. _Sixain._ Quand nous serons couchez ensemble, N'ayez pas crainte que je tremble; Mais la couche bien tremblera. Nous ferons, à force d'eschine, Branler la chambre et la cuisine; Mais le grenier ne tombera. Ainsy, le sieur Herpinot desire contenter les dames, et ne parle pas seulement à une, mais en general et particulierement à celles qui aiment les dances. Dancez et branlez par le branle naturel d'Herpinot, le plus parfait danceur de ce temps, tant en basse salle que haute. Il ne craint aucune personne, tant soit-il fort de rains que garny de force naturelle. Je m'en rapporte à celles qui en ont tasté et essayé, lesquelles ne s'en plaignent, et disent au contraire de celles qui se plaignent des instrumens et des joueurs qui jouent le jour de leurs nopces, refrognant le nez comme rhinoceros eschauffez et disant: Voilà de beaux gratte-boyaux! voilà de braves joueurs! Vrayment, Herpinot touche bien mieux les boyaux que cela et a bien une autre eloquence. C'est dommage que l'espousée n'en a tasté: jamais ne voudroit d'autre joueur. Oh! que n'est-il icy? Nous aurions bien du contentement. Je voudrois m'en avoir cousté cent mille gigos, monnoie de Flandre, payez tous en cars d'escus, et deussions-nous les emprunter au magasin du grand Turc, à rendre d'aujourd'huy en un an. Ma foy, nous aurions nostre contentement. Et par ainsy le sieur Herpinot est honoré des dames pour sa vaillantise et bonne renommée. Qu'un chacun fasse de mesme, et il aura l'honneur, comme luy, tant des femmes que des filles. _Aux Dames._ Dames de quy la bienveillance Honore le pauvre Herpinot, Je vous promets sa diligence, Ainsy que faisoit Adenot, Alors qu'amoureux il estoit De la deesse Babillette, Quy estoit gaie et godinette, Pour la grant amour qu'elle avoit. Voyant la grace et le maintien De son amoureux si fidelle, Ne demandoit point de querelle, Mais vouloit voir son entretien. La chose quy la reconforte, C'est qu'estoit contente à souhait De la chosette qu'avoit fait Adenot derrière la porte. _Aux Filles._ Filles quy desirez avoir la cognoissance Du sire Herpinot, vivez en asseurance Que, si vous le voyez avec sa gaie humeur, Vous ne rougirez pas de honte et de frayeur. Mais, entendant le son de sa voix amoureuse, Avec le dieu d'Amour vous viverez heureuses; Vous chasserez bien loin le chagrin, la tristesse, Et vivrez pour jamais d'amour et d'allegresse. _Harangue de Turlupin le Soufreteux_[54] M.DC.XV. In-8. [Note 54: Ce nom de Turlupin, qui finit par être le surnom d'un fameux farceur du XVIIe siècle immortalisé par Boileau, avoit d'abord servi à désigner des gens d'une toute autre espèce: c'étoient des hérétiques du XIVe siècle, dont la religion consistoit à mener par les campagnes et par les villes la vie des cyniques anciens, en pleine impudence et nudité: _Cynicorum sectam suscitantes_, lit-on dans la chronologie de Genebrard, _de nuditate pudendorum et de publico coitu_. On les appeloit _turlupins_ parcequ'ils n'habitoient que des lieux dignes d'être le refuge des loups: _quod ea tantum habitarent loca quæ lupis exposita erant_. Ils osèrent venir à Paris en 1372 et tâcher de s'y établir. Charles V, selon Robert Gaguin et du Tillet, les fit saisir, et on les brûla, eux, leurs livres et leurs meubles, près de la porte Saint-Honoré, sur le marché aux Pourceaux. Leur secte avoit la prétention de s'appeler _la fraternité des pauvres_, et c'est à cause d'eux qu'avoit été fait ce proverbe, bien justifié par leur nudité: _C'est un enfant de Turlupin, malheureux de nature._ Quelquefois, au lieu de Turlupin, on disoit _Tureluton_, comme dans le 82e rondeau de Roger de Collerye (V. l'excellente édition de M. Ch. d'Héricault, p. 230): Les enfants de Tureluton Je suis, malheureux de nature, Qui serche sa bonne adventure Ainsi qu'un povre valeton, etc. Celui qui prend la parole dans cette _harangue_ est bien un descendant de la race souffreteuse des Turlupins. Il s'en montre digne par ses plaintes, et quelquefois aussi par son cynisme.--L'édition de 1615, que nous reproduisons, n'est pas la première de cette pièce. Il avoit dû y en avoir une autre dans les premiers mois de 1612, alors qu'il étoit question des préliminaires du mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche. Les détails qu'on rencontrera plus loin en sont la preuve.] * * * * * _Harangue de Turlupin le Soufreteux._ AU ROY. Au temps que les hommes se mouchoient à la manche, Sire, se trouva un philosophe, lequel, ayant hasardé toute sa chevance à la mercy de la mer, comme après de longues attentes il receust les nouvelles asseurées du naufrage, sans se passionner[55] autrement ny faire le malade, comme les hommes de ce temps, il se consola de ceste sorte: _fortuna jubet me expeditius philosophari_. Si un sage peut usurper les discours d'un fol, et celuy qui par son destin est miserablement exposé en butte aux rigueurs de la fortune se servir des termes sortis de la bouche de celuy qui ne se doit plaindre que de sa sottise, je diray le mesme aujourd'huy: à mesure que la Fortune a joué de mes restes, elle m'a desantravé de tous les empeschemens qui m'ostoient le loisir de me venir arraisonner avec Vostre Majesté. Lors que par faute de prise elle a cessé de me meffaire, elle a commancé de me permettre de me plaindre, et certes je ne pouvois plus à propos vous mettre en veue mes disgraces que lors qu'elles sont arrivées à leur feste. Je voy Vostre Majesté froncer le sourcil et dire à part soy: N'entendray-je jamais autre chose que doleances? D'où nous vient ce transi avec sa maigre mine? De quoy a-il à se plaindre? Qui est-il? qui me l'a emmené icy? Helas! Sire, donnez-moy un quart d'heure d'audiance, et vous sçaurez le tout. Je suis Turlupin, fils de Jacques Bonhomme[56], non de celui qui crioit antan[57] comme les anguilles de Melun[58] et se plaignoit à tort. Le vray Jacques, qui feust mon père, mourut il y a bonne pièce de temps; mon ayeul avoit nom Bontemps[59]. Si vous voulez que je repète plus haut mon origine, je descens en droitte ligne de l'un des fils de Noé, je ne vous sçaurois dire lequel; j'avois ung frère qui fust estranglé par ung chat qu'il avala dans une pottée de laict[60], dont bien luy en prinst: il ne partist pas à jeun de ce monde. Mon education feust chés mon oncle le curé, frère de ma mère, qui m'enseigna à lire et escrire, et du latin autant qu'il en peut suffire pour mourir de faim dans une bonne ville, et se pendist à la fin de gayeté de coeur l'année des grandes foüasses[61]. L'avoir de mon père consistoit en une maison, un champ et une vigne, qu'il me conserva et laissa en mesme estat qu'il l'avoit receu de son père, mon ayeul. Le bon homme alla de vie à trespas l'an de grace mil cinq cens quatre-vingts-six, et tomba malade le propre jour qu'il ouyst publier deux ou trois douzaines de nouveaux edicts. J'estois lors assez jeune, et toutesfois de tel aage qu'à peu d'années de là je me sentis les espaules assés fortes pour la voiture d'ung mousquet, que je portay heureusement soubs la banderolle des catholiques zelez jusques à l'année quatre-vingts-dix-sept, qui feut celle mesme de l'enterrement de la saincte union et de mon bonheur tout ensemble. Dès lors la misère me vint accueillir; je commançay d'espouser avec le soing de mon mesnage ung chagrin qui ne m'a depuis quitté. La première attaque que la Fortune me livra feust la saysie de ma maison pour les tailles accumullées de quatre ou cinq années, subhastation[62] et adjudication à vil prix à ung frère du collecteur qui avoit jetté les yeux de concupiscence dessus. Despuis ce temps-là mes maux allèrent tousjours croissant à veue d'oeil. J'estois voisin d'ung gentil-homme, lequel pour mon malheur n'estoit point pensionné, et si croyoit avoir droict et cause de l'estre. Ses discours n'estoient que reniemans et menaces qu'il s'assigneroit luy-mesmes sa pension sur tel qui n'y pensoit pas. De faict il ne tarda guères que je me veis prins au collet par quatre de ses valets, et mené pieds et poings liez dans son chasteau, où Monsieur me feist entendre, par la bouche de son palefrenier, qu'ayant receu de grands et notables dommaiges durant ces derniers troubles, tant en bestail qu'en une maison qui auroit esté soubslevée par la poudre, il auroit souvant demandé au roy une pension pour son desdommagement, qui lui auroit esté refusée, à raison de quoy il se prenoit à moy, qui avois vendu la terre de laquelle feust faitte la poudre dont ses ennemys bouleversèrent sa dicte maison. J'euz beau alleguer toutes les excuses qui pouvoient servir pour ma justification et protester de tous depens, dommaiges et interests, mon arrest me feut incontinant prononcé, par lequel on me condamna, pour reparation du dommage receu par monsieur de Peu de Credit (ainsi s'appelloit le gentil-homme), ceder au dict seigneur le champ dont avoit esté tirée la terre pour la confection de la dite poudre, si mieux je n'aymois estre pendu par les pieds et estouffé de fumée de foing mouillé, sauf mon recours contre ceux qui auroient fait jouer la saucisse[63]. Mal conseillé que je feus, je feis ce que plusieurs veaux eussent faict: je prestay obeissance à l'arrest avec moins de raison que le gentil-homme qui esclaira maugré luy l'audiance de vostre parlement en plein midy, ce mois de juillet dernier, et permis l'execution en estre faitte au gré de Monsieur, par deux notaires et quelques tesmoings qui m'aidèrent à la passation d'un contract de vente du dit champ, et faction de quittance par moy du prix dont estoit convenu. Ma mauvaise fortune ne s'arresta pas là: je suis adjourné un lundy gras après diner, à la requeste du docteur Fripesausse, se plaignant de ce que le jour precedant moy, Turlupin, estant en masque, aurois traicté injurieusement sa robe doctoralle et deffait deux plis d'icelle, pour reparation duquel tort il requeroit que je feusse condamné à les remettre en tel estat qu'ils estoient auparavant, et en tous les depens, dommages et interests par luy souffert, et à souffrir l'impertinence de la requeste; assignation qui me convia d'honorer de quelques coups de poing le grouin de monsieur le sergent, qui ne manqua pas d'en charger son exploit; tant procedé que me voilà condamné par l'ordinaire en je ne sçay combien de livres d'amende pour la rebellion par moy faicte, et pour le principal à reparer l'injure et le dommage que le demandeur avoit receu en la deformation de sa robe par un reagencement des plis, et en tous les depens de l'instance. [Note 55: Sur ce mot, dont l'usage commençoit alors, voir notre t. V, p. 328.] [Note 56: C'étoit toujours le nom du peuple, consacré même par les ordonnances royales. Il en est une de François Ier du 23 septembre 1523, publiée dans le _Bulletin des sciences historiques_ du baron de Férussac d'après l'original conservé aux Archives (t. 16, p. 354-360), par laquelle expresse défense est faite aux «avanturiers, vagabonds, oiseux, etc., de baptre, mutiler, chasser et mettre le BONHOMME hors de sa maison»; car l'on étoit alors au temps où, comme dit Des Periers (69e _Nouv._), les soudards vivoient sur le _bonhomme_.] [Note 57: L'année dernière, _ante annum_. On se rappelle le vers de Villon: Mais où sont les roses d'antan.] [Note 58: L'origine du dicton: _Il crie comme l'anguille de Melun, avant qu'on ne l'écorche_, n'est pas bien certaine; seulement, l'on n'en est plus à croire qu'il s'agit d'un nommé Languille, natif de Melun, etc. Je vous fais grâce de l'histoire. Ce qu'il y a de plus probable, c'est qu'il ne faut voir là qu'une allusion au _cri_ des marchandes de poissons, vendant toutes fraîches, avant de les écorcher, les anguilles si renommées de Melun. _Anguille de Melun, avant qu'on ne l'écorche!_ crioient-elles de leur plus forte voix; et il n'en fallut pas davantage pour que le peuple imaginât son dicton. Le _cri_ dont je viens de parler se retrouve presque textuellement dans: _le Coq à l'asne et chanson sur ce qui s'est passé en France puis la mort de Henry de Valois_, _etc._, 1590, in-8: .... On oit crier Les _anguilles de Melun_, Suivant le dire commun, _Sans qu'on parle d'escorchier_.] [Note 59: C'est Roger Bontemps, vieux type de joyeuseté qui existoit bien avant l'époque où l'on a cru le retrouver personnifié dans la personne de Roger de Collerye. Il figuroit dans les farces et moralités avec un costume particulier, comme on en a la preuve par la _Moralité de l'homme pécheur_, où il est dit que _Franc-Arbitre_ paroît habillé en Roger Bontemps. (_Hist. du Théâtre françois_, par les frères Parfait, t. 3, p. 89.) Cet habit sans doute étoit _rouge_, la couleur joyeuse par excellence, et c'est de là qu'étoit venu probablement, aussi bien que de la figure rubiconde du personnage, le surnom de _Rouge_, bientôt devenu _Rouger_ ou _Roger_, qu'on avoit donné à Bontemps. C'est l'avis de Pasquier (_Recherches de la France_, liv. 8, ch. 62), et celui aussi d'Henri Estienne, qui dit dans ses _Deux dialogues du nouveau langage françois italianizé_, _etc._ (_Dialogue_ 2e, p. 599): «Nous appelons volontiers un pourceau, ou un gros pourceau, un gros homme qui est de la confrairie de saint Pansard et de l'abbaye de _Roger Bon Temps_ ou Rouge Bontemps, comme aucuns estiment qu'il faut dire.» Voy. sur ce type une curieuse note de M. de Montaiglon, _Anciennes poésies_, t. 4, p. 122.] [Note 60: C'est une vieille plaisanterie d'où pourroit bien être restée l'expression: avoir un _chat_ dans la gorge.] [Note 61: C'est-à-dire l'année des grands pains.] [Note 62: Vente faite par force, _sub hasta_, comme les exécutions militaires.] [Note 63: Petit sac de toile goudronnée rempli de bonne poudre qui servoit d'amorce pour les mines.] Appel par moy au presidial; sentence par laquelle celle de l'ordinaire est confirmée en ce qui touche la rebellion, et, pour le surplus, hors de cours et de procez. Appel par la partie adverse au parlement de Paris. Cependant je supplieray Vostre Majesté de remarquer que pour subvenir aux frais de la justice, qui sont grands, comme vous sçavez, j'ay vendu les trois tiers de ma vigne; quoy faict, je me suis acheminé grand erre[64] en ceste ville, où, tandis que mon affaire meurissoit, je n'ay eu que trop de loysir de me promener, et tomber entre les mains des marchans de chair humaine, autrement peripateticiens du pont Neuf[65]. Il y aura tantost trois mois qu'un d'entr'eux, me tirant par la manche, me porta parole d'amour de la part d'une damoiselle, femme, ainsi qu'il disoit, à un des archers de vostre corps, sur le coeur de laquelle j'avois faict rejaillir, sans penser en mal, un traict de mon amour, urinant au dessous de sa fenestre[66]. La bonne opinion en laquelle, Dieu graces, j'ai tousjours eu ma personne, m'obligea non seulement de le croire, mais de m'en imaginer au double de ce qu'il disoit, et mon bon naturel de luy aller faire promptement exhibition de ma gentillesse. Pour n'estre importun à Vostre Majesté, je tairay ce qui se passa de menus entretiens entre nous ceste première journée et les suivantes: tant y a que je demeuray aussi satisfaict de ceste cognoissance qu'un escolier balotant à credit, d'autant que la damoyselle refusa un present de deux pistolles que je luy voulus faire. Ce calme dura jusques au jour fatal que je trouvay la suppliante toute esplorée, maugreant le ciel et la terre de son mauvais destin, qui vouloit qu'à faute de cent escus elle vist trainer honteusement son frère en galères. Ces lamentations estoient secondées de celles du mary, lequel adjoustoit qu'il contribueroit volontiers tous ses moyens, et engageroit jusques à sa casaque pour rachepter une personne que l'alliance luy avoit rendu si proche. Moy, qui suis de mon naturel plus sensible aux maux d'autruy qu'aux miens propres, me laissay toucher à la pitié et promis de faire prester la somme moyennant que le mary entrast solidairement en obligation. La condition fust acceptée et les cent escus delivrez par mon procureur, qui me prestoit le nom. Je n'oubliay pas de stipuler tacitement avec la demanderesse une rente quotidienne sur ses basses marches pour l'interest de la somme; et, m'estant retiré pour ce soir sans coup ferir, il me tarda qu'il ne fust jour pour aller lever mon usure. Mais, dieux! que devins-je le lendemain, quand, heurtant à la porte de cest honorable hostel, je feus adverty par les voisins que la locatairesse à laquelle j'avois affaire avoit demenagé dès les cinq heures du matin, et que j'eus aprins, de plus, que celuy qui prenoit qualité d'archer et de mary n'estoit mie ny l'un ny l'autre, ains un chirurgien ou empyrique qui luy avoit fait suer la verolle? Ce fust lors qu'il tinst à peu que ma constance ne fist nauffrage. Toutesfois, je me roidis contre mon affliction, et me resolus d'atendre de pied ferme l'issue de mon procez. Le pis fust quand, destitué de toutes sortes de moyens, je me vis en mesme temps frustré de l'assistance de mon advocat, lequel, imitant la statue de Memnon, cessoit de chanter à mesure que les beaux escus-sol[67] commançoient de ne l'animer plus de leurs divins rayons, et que je tournay mon soing à la solicitation des affaires de mon ventre, qui s'en alloit desesperé. Ma bource, comme dict est, estoit espuisée jusques au dernier rouge double. La necessité me suggera une invention qui fust telle: si mon hotesse estoit rioteuse[68] et mal gratieuse en mon endroit, à cause de ses vieux ans, j'avois un grand support et confidence en la chambrière. Cela ne me servist pas de peu, car, dès le jour que mon argent feust à la lie, je feis marché avec un honneste marchant, recelateur des meubles et ustensiles qui estoient dans ma chambre, que je divertissois par après aux heures les plus favorables, et apportois chez le dit marchant, sous le bon plaisir de Guillemette. Le premier meuble que je desplaçay fust une bonne double couverte, qui fust vendue cinquante sols; le tapis de la table ne fust pas des derniers; le ciel de lict et les rideaux suivirent après. Mon ventre alloit se repaissant de telles viandes, prest de contester et rapporter le prix sur celuy de l'autruche[69]. Peu à peu mes boyaux s'endurcirent tellement qu'enfin je me ruay sur un chandelier de leton; de là je vins aux chenets, qui estoient de fer; à une poesle de haute graisse, à la paile, aux pincettes; je reservay pour le dernier mets le pot-de-chambre, qui fust de haut gout. A peine les gons, serrures et autres ferremens des portes se preservèrent de mon enragé appetit, tandis je vois ma chambre ne me fournir plus d'alimans, non plus qu'un os d'esclanche de mouton rongé par quatre sergens à jeun. Je laisse à deviner, Sire, à ceux qui se sont trouvez quelquesfois en un tel accessoire, quelles furent lors mes pensées, et combien estranges les diverses resolutions qui esbranlèrent ma constance. Le premier advis que ma rage me proposa fust de m'arracher les dents, depuis la plus grande jusqu'à la plus petite[70], lequel me passa bien tost de l'entendement, à cause de l'estrangeté. Il me sembla plus expediant de m'aller lancer la teste première dans la Seine, ou m'escarbouiller[71] le moulle du bonnet contre le paroy. Mais ce dessein fust bien tost rebouché par l'apprehension des cruautez que la justice exerceroit après ma mort sur mes miserables reliques[72]; et, descendant aux remèdes plus doux, je pensay s'il ne seroit point meilleur de prendre le sac et la besace et commencer une vie apostolique; mais aussi tost je me resouvins des arrests de la court de parlement et de la Charité[73], que j'avois veu prester quelques jours auparavant par deux sergens à un mandiant valide qu'ils despouillèrent en pleine rue jusqu'à la chemise inclusivement. Adonc succeda à cest advis un autre qui sembloit d'apparence plus salutaire: ce fust d'achepter un estat de coupeur de bources, voleur de nuict, ou de quelque autre sorte de larron[74], et cestuy-là me sembla d'autant plus plausible que de tous les mestiers il n'y en a aucun qui soit aujourd'huy plus pratiqué en vostre royaume, ny plus impunement. Mais de ceste resolution fust-il diverty par le quatrain latin qui dict: Nec lepus imbellis nec vulpes subdola vitat Retia quæ grandis rumpere pergit aper: Retia lex tendit miseros captura latrones Quæ diti evolvit gratia sacrilego. [Note 64: C'est-à-dire _vivement, en droite ligne_. _Erre_, d'où est venu le mot _errement_, encore employé dans ce sens: suivre les _errements_ de quelqu'un, signifioit route, chemin. «Il se sauvoit _belle erre_ sur une jument arabesque», dit Montaigne (_Essais_, Paris, 1789, t. 3, p. 164), et Marot dans sa 7e complainte: Salut ne gist au tombeau, ny en terre; Le bon chrestien au ciel ira _grant'erre_, Fut le sien corps en la rue enterré.] [Note 65: Il s'agit ici de ces industriels de toutes sortes qui exploitoient les passants sur le Pont-Neuf, et dont les plus nombreux, qu'on appeloit _capons_, avoient pour industrie d'attirer dans une partie de jeu le premier niais qui leur tomboit sous la main, de perdre un peu d'abord pour gagner tout ensuite. Nous avons déjà vu une partie de ce genre (V. t. 3, p. 273). Le nom de marchands de chair humaine qu'on donne ici à ces drôles nous feroit penser qu'ils exerçoient aussi déjà le métier de racoleurs, qui, au XVIIIe siècle, rendoit le passage du Pont-Neuf et le voisinage des _fours_ du quai de la Ferraille si dangereux pour les Nicaise de la province. V. le _Tableau de Paris_ de Mercier, ch. 50, et le _Supplément aux Essais sur Paris_, par Saint-Foix neveu, t. 1, p. 170.] [Note 66: Nous trouvons dans les _Dames galantes_ de Brantôme, _Discours 2_, édit. Garnier, p. 171, l'histoire d'une grande dame qui s'enamoura de cette manière «d'un grand cordonnier, estrangement proportionné».] [Note 67: L'auteur croit ici ce qu'on croyoit de son temps, que le nom l'_écu-sol_ venoit non pas _a solido_, mais _a sole_, et que cette monnoie étoit la même que les anciens écus au soleil de Louis XI et de Charles VIII: c'est une erreur. L'_écu-sol_ est le _sol_ d'or, et on l'appeloit ainsi à cause du peu de différence qu'il y avoit comme poids et comme valeur entre lui et les premiers écus d'or. Toutes les constitutions de rente, au XVIe siècle, se faisoient encore en _écus sols d'or_. Ils devoient peser deux deniers quinze grains. V. le _Tite-Live_ de Vigenère, t. 1, p. 1501.] [Note 68: _Pointilleuse_, _querelleuse_. Le mot _riotte_ s'employoit encore couramment au lieu de disputes, débats, en plein XVIIe siècle. «Il est vrai, écrit Mme de Sévigné à Bussy le 21 avril 1670, qu'il est surprenant de voir qu'ayant de l'agrément l'un pour l'autre et un bon fonds, il arrive de temps en temps des _riottes_ entre nous deux.» Saint-Simon, dans ses notes sur le _Journal de Dangeau_, écrit aussi (29 août 1717): «Les _riottes_, les petites intrigues, les déplorables galanteries, pour en parler modestement, de cette cour de Mme la duchesse de Berry, n'ont que trop fait de bruit dans le monde, tant que Dieu l'y a laissée.»] [Note 69: Il y a ici une allusion très peu claire à la réputation qu'ont les autruches de digérer tout ce qu'elles ont avalé, fût-ce des cailloux ou du fer.] [Note 70: Le poète Bibus, dont les misérables aventures sont racontées dans une pièce du _Recueil de pièces en prose les plus agréables de ce temps_, _etc._, Ch. de Sercy (1661, in-12), en avoit eu le courage. Il avoit vécu pendant plusieurs jours de ses dents, arrachées une à une par un opérateur du Pont-Neuf.] [Note 71: _Ecraser._ «Ez ungs, dit Rabelais (liv. 1, ch. 27), escarbouilloyt la cervelle, ez aultres rompoyt bras et jambes.»] [Note 72: Alors, en vertu de l'ancienne coutume, l'on confisquoit les biens de ceux qui s'étoient suicidés, l'on traînoit leur corps sur la claie et on l'attachoit à une fourche. (V. _Somme rurale_, liv. 2, tit. 34; et Beaumanoir, _Coutumes du Beauvoisis_, ch. 69.) On lit dans _le Compte de recettes et dépenses de la ville d'Arras_, année 1498, dont Monteil possédoit le manuscrit, un article relatif à une de ces exécutions faites sur le cadavre des suicidés: «Au dit Mathieu Leroux, varlet du guet..... LVIII solz, VIII deniers, quant Jehan Cabou, barbier, se _désespéra_ en la maison de la Rosée de fer, et qui feust traîné à la justice et mis à une fourche de bois.» Montesquieu, dans la 76e de ses _lettres persanes_, s'indigne de ces cruautés, encore en pleine vigueur au XVIIIe siècle, contre les suicidés, et qui, écrit-il, «les faisoient mourir, pour ainsi dire, une seconde fois.»] [Note 73: Il s'agit ici, non pas de l'hôpital de la Charité, mais de la maison de la _Charité chrestienne_ fondée rue de Lourcine, en 1578, par Nicolas Houel, pour servir d'asile aux soldats estropiés. Henri III ne prit pas seulement sous sa protection cet établissement, qui étoit en germe ce que fut plus tard, sous Louis XIV, la magnifique fondation des Invalides; il fit de la maison du philanthrope Houel le chef-lieu d'un ordre militaire dont tout officier ou soldat glorieusement blessé dans les armées du roi faisoit de droit partie. Cet ordre avoit pour insigne une croix brodée sur le côté gauche du manteau, avec ces mots à l'entour, en broderie d'or: «_Pour avoir fidellement servy._» Cette fondation de Henri III est de 1589; Henri IV la confirma par une ordonnance de 1597, décidant que, dans la maison de la Charité chrestienne, «seroient reçus, pansés et médicamentés (ainsy que les pauvres honteux de Paris) les pauvres gentilshommes ou soldats blessés pendant les guerres.»--Un passage de la satire 11e de Régnier, que personne n'a compris parceque tout le monde a voulu voir dans l'hospice de la _Charité_ qui y est nommé l'hôpital de la rue Jacob, fait ainsi allusion à ces Invalides du temps de Henri IV. Le poète parle de Macette et de ses compagnes. Or, dit-il, Or j'ignore en quel champ d'honneur et de vertu, Ou dessoubs quels drapeaux elles ont combattu, Si c'estoit mal de sainct ou de fiebvre quartaine; Mais je sçais bien qu'il n'est soldat ni capitaine, Soit de gens de cheval, ou soit de gens de pié, Qui dans la Charité soit plus estropié. En 1606, quand la peste visita Paris, c'est dans cette maison qu'on voulut transporter les malades; mais elle fut trouvée trop petite, et c'est alors que la fondation de l'hospice Saint-Louis fut résolue (Piganiol, t. 4, p. 74). L'hospice de Nicolas Houel avoit en effet des proportions si restreintes qu'en 1611, la population venant à y augmenter, on se décida, non pas à l'agrandir, mais à le faire évacuer. Toutes les dispositions prises par Henri IV furent annulées, et l'on se contenta de distribuer aux invalides une somme de 2,400 fr., pour les aider à retourner chez eux. Pendant la Fronde, Bicêtre leur avoit été donné pour asile. V. Moreau, _Bibliogr. des Mazarin._, t. 3, p. 91.--Ce qu'on lit ici donneroit à penser que les bâtiments de Houel furent, après leur départ, destinés à servir de refuge aux pauvres non valides, et devinrent le siége d'une juridiction qui avoit droit de faire saisir par ses agents tout mendiant qui vagueroit par les rues.--Il existe sur cette maison, et sur sa première destination, une très curieuse pièce: _Advertissement et déclaration de l'institution de la maison de la Charité chrestienne establie ès fauxbourgs Saint-Marcel par l'authorité du roy, 1578. Ensemble plusieurs sainctes exhortations, par Nic. Houel, premier inventeur de la ditte maison et gouverneur d'icelle. Paris, P. Chevillot_, 1580, in-8.] [Note 74: Sur ces réceptions dans la confrérie des filous, V. t. 5, p. 349. Sur la justice que les filous, surtout ceux du Port au Foin, exerçoient entre eux contre quiconque de la corporation avoit forfait à ses statuts, V. aussi L'Estoille, édit. Champollion, t. 2, p. 531, 533.] Et comme un clou chasse l'autre, je perdis ceste fantasie, ayant veu pendre au fauxbourg Saint-Germain, à l'entrée de la foire, le tableau d'un homme sans bras qui prenoit un sol pour se laisser voir[75]. Sa condition me sembla bien heureuse, et à l'instant me prinst envie de me faire coupper les bras et les jambes pour participer à un gain si légitime; mais, pour comble de toute affliction, je ne trouvay point de chirurgien-barbier qui en voulust prendre la peine, et me renvoyoient tous au maistre intendant des hautes oeuvres, auquel m'estant addressé, me respondit qu'il ne l'oseroit entreprendre sans une ordonnance des medecins de la Tournelle. De là ma pensée se tourna vers l'hospital des Quinze-Vingts[76], et eusse desiré n'avoir jamais veu le soleil et pouvoir dire avec ces bien-heureux aveugles de bien bon coeur après desjeuner les devotes antiennes et oraisons accommodées à chacun jour de l'an, qui leur valent autant de doubles tournois. Ceste saincte et louable emulation me porta sur le point de me crever les deux yeux; et je vous jure, Sire, foy de chartier, qu'une seule consideration m'en garda, qui fust le desir de vous accompagner au voyage que vous preparez pour la reception de vostre maistresse. Non, dis-je lors, m'arraisonnant moy-mesme; prends courage, Turlupin: le ciel reserve une meilleure fortune à ta vertu; arme-toy de patience pour quelques jours: un chien trouve bien sa vie! En tout cas, l'Hostel-Dieu ou la galère ne te sçauroit manquer, et qui sçait si quelque folle de ceste cour, te voyant si detraict et descharné, ne sera bien aise de recouvrer un tel valet que toy pour luy secouer ses hauts-de-chausses en deffaut de ceux qui ne le veulent faire à moins d'une enseigne de diamans[77]. Donne-toy bien de garde de deffaire ainsi mal à propos ce bel ouvrage de nature que les autres estiment si cher, et le pleurent avec de si veritables larmes l'ayant perdu; conserve soigneusement ces agreables lumières que tu devrois souhaiter avoir aussi clairvoyantes et dreues que les eust jamais le concierge d'lo, pour les employer à la contemplation des merveilles qui sont aprestées au jour de ce grand convoy, de ce celèbre hymenée[78]. Alors, si parmy une si generale resjouissance ton mauvais destin ne te donne trefves, il te sera loisible ou d'executer quelqu'un de tes premiers desseins, ou de passer les monts Pyrennées pour aller gaigner quelques reales du jour au lendemain à la conduite de ces affetées, pied-plates, constipées Castillanes. [Note 75: Montaigne dit avoir vu un phénomène de cette espèce. «Je viens de veoir chez moi, dit-il (_Essais_, liv. 1, ch. 12), un petit homme natif de Nantes, nay sans bras, qui a si bien façonné ses pieds au service que luy debvoient les mains, qu'ils en ont, à la vérité, à demy oublié leur service naturel.» L'Estoille l'avoit vu à Paris en février 1586. Il en parle sous cette date dans son _Journal_.] [Note 76: Sur ces aveugles, qui, bien qu'hébergés dans une maison royale, mendioient tout le jour par les rues de Paris, V. notre édit. des _Caquets de l'Accouchée_, p. 199.] [Note 77: V., sur ce qu'on appeloit _enseignes de pierreries_, une note de notre t. 2, p. 90.] [Note 78: V., plus haut, notre première note.--Les fiançailles du roi, représenté à Madrid par le duc d'Usséda, furent célébrées le 18 octobre 1612. Louis XIII n'alla pas chercher Anne d'Autriche jusqu'aux Pyrénées, comme il paroît qu'on en avoit d'abord eu le projet; il s'arrêta à Bordeaux, où la jeune reine fit son entrée solennelle le 29 novembre.] Voilà sommairement, Sire, sur quoy j'en suis. Or ay-je jugé à propos, avant tout oeuvre, de venir offrir à Vostre Majesté la continuation de mon très humble service et obeyssance et ma très fidelle compagnie en un si long voyage, et, après la descharge de ces devoirs, vous exposer l'histoire de mes maux, afin que, par la pitié que vous en aurez et le remède que vous y apporterez de vos graces, je voye adjouster mon parfaict et entier contentement à ceste publique allegresse. Je ne suis pas icy, Sire, pour vous demander le don de quelque evesché en recompense de la bonne, loyalle et passionnée affection que j'ay à vostre service; aussi bien me fait on entendre qu'elles ne sont plus que pour des gens de delà les monts[79] (combien que ces paroles ne sortent que de quelques bouches effrenées et gouvernées par une malicieuse et detestable envie, qui les fera enfin crever de despit). Quoy qu'il en soit, je ne demande point, je ne souhaite pas non plus d'estre couché sur l'estat et d'estre enrollé aux pensionnaires: ma vertu, qui n'est point mercenaire, et ma naturelle bonté, qui n'aspire qu'à des choses justes, me le deffend; et, quand j'aurois tellement franchi les bornes de la modestie et du devoir que d'en mandier le brevet, je suis très asseuré que j'en serois esconduit. Si puis-je dire avec verité que tel a aujourd'huy plus d'escus de pension que son père n'avoit de sols vaillant, qui ne l'a pas mieux merité que moy. Je ne me laisse pas emporter à des desirs si deraisonnables; encores moins vous demanderay-je une notable somme, au moyen de laquelle il me feust aysé de bondir de ce bourbier de misère où je suis bien avant plongé, ou, pour mieux dire, enfoncé. Vos finances sont assez espuisées sans qu'il soit besoin de les divertir à ces liberalitez; ceste royale vertu de beneficence[80] sera de raison en quelque autre siècle. Je ne suis pas abillé en homme qui se presente pour impetrer de Vostre Majesté la creation et octroy d'un nouvel office. Pleust à Dieu eussiez-vous mis au billon[81] et refondu tous ceux qui sont en vostre royaume! Si vous agreez que je parle un peu librement et donne la bonde à la bonne foy à ce qui me reste sur l'ame, vous sçaurez que j'ay encores un oncle, aagé de quatre-vingt-dix-sept ans un mois et quelques jours, qui fust par son père, mon ayeul, institué heritier par egalles portions avec mon deffunct père. Il luy reste autant de bien que mon dit père m'en avoit transmis. J'ay ceste obligation à sa brayette, qui n'a jamais recogneu autres loix que celles de la nature, ny voulu avoir rien à demesler qu'en public, par crainte de cocuage ou autrement, qu'elle ne l'a point fait père d'aucuns enfants legitimes. Le bon homme m'a souvent protesté que ses veues ne s'estendoient point sur un heritier estranger; qu'au contraire il partiroit très contant de ce monde de m'avoir fidellement rendu ce qu'il avoit si long-temps avec tant de soin gardé en depost; il adjoustoit, pour un supresme tesmoignage de la bonne volonté qu'il avoit pour moy: Je t'en souhaitte, mon nepveu, la possession plus tranquille et aysée que je ne l'ay eue avec tout le bon mesnage que j'y ay sceu apporter, et le siècle auquel tu me survivras moins remply de malice, de corruption et de confusion que celuy-cy. Or, Sire, c'est maintenant à moy d'assembler en consultation tout ce qu'il y a dans mon cerveau de bon sens et de raison pour deliberer si, mon oncle decedant en ceste volonté, je dois recueillir sa succession ou la donner en proye au premier occupant, ne plus ne moins que les despouilles d'un pestiferé: car, pour ne mentir point, s'il me falloit estre exposé à tant d'accidans qui m'ont traversé par le passé, j'y renonce très volontiers. Or ne voy je rien qui m'en puisse exempter, les choses demeurant en mesme etat. J'aymeray tousjours à faire chère lie, n'estraissir mon ventre ny faire trefves de machoires ou du poignet au gré des collecteurs, fermiers ou commissaires; cependant les tailles, les subsides, les gabelles, n'iront point diminuant. J'auray tousjours ung gentilhomme non appointé pour voisin, et les pensions des autres ne seront point cassées. Je ne me pourray garder de frotter ma laine avec quelque chicanoux, et cependant l'exercice de la justice ne recevra point d'amendement. L'affaire vaut bien le consulter: on a beau se dire heritier par benefice d'inventaire, toutes successions, en quelle qualité qu'on les accepte, sont fort onereuses à des gens de nostre sorte. C'est vendre son repos à trop vil prix, avoir trente années de moleste et de chagrin pour trois mois de paisible jouissance. Je declare d'ores et desjà que je ne pretens rien à telles hoiries, se on ne m'invite au contraire par un aneantissement des inconvenians susdits et establissement d'un nouvel ordre à l'advenir. J'entens quelcun gromelant autour de Vostre Majesté et marmotant entre les dents: Vrayment, c'est bien turlupiné! il nous la donne là belle! Il y va sans doute de l'interest du roy ou du public à l'adition ou repudiation de l'heredité deferée à ce delicat! Je demande à ce veau, quel qu'il soit, qu'est-ce qu'il dira quand tous les laboureurs du plat païs, les vignerons, les beurières et autres bourgeois des champs, poussez d'un pareil desespoir, abandonneront la culture de leurs terres pour se faire vendeurs de triacle[82], joueurs de gobelets, tireurs de cors, ou de quelque autre profession privilegiée et exempte de tailles? [Note 79: Les Italiens à la dévotion du marquis d'Ancre, qui occupoient alors tous les emplois.] [Note 80: Le mot _bienfaisance_ n'étoit pas encore fait. Balzac le créa, mais l'abbé de Saint-Pierre, qui fit sa fortune, passe pour l'avoir trouvé.] [Note 81: C'est-à-dire _mis au rebut_, comme on faisoit des pièces d'argent démonétisées. C'étoit une locution très en usage. Quand, sous ce même règne, on fit une première recherche de la noblesse, ce fut l'expression dont on se servit pour les gentilshommes que cet examen frappa de discrédit. Claveret fit à cette occasion une très curieuse comédie en cinq actes, en vers: _L'Escuyer, on les Faux nobles mis au billon_, 1629, in-8.] [Note 82: Charlatans, vendeurs de thériaque, la grande panacée. On les appeloit aussi _triacleurs_. Tous ces beaux suffisans dont la cour est semée Ne sont que _triacleurs_ et vendeurs de fumée. Regnier, sat. XIII, v. 230.] Quelle condition sera la meilleure, ou de ceux qui commenceront de respirer d'un tas de vexations et angoisses qui leur estoient plus ordinaires que le manger, ou de ceux qui seront contraints de mettre au croc les robes, les chaperons, les bonnets, les espées, pour gaigner leur pain, comme le premier père, à la sueur de la raye de leurs molles fesses? Helas! Sire, il y a je ne sçay combien de millions de Turlupins en France, de souffreteux, dis-je, qui reclament avec moy vostre bonté et justice, aussi depourveus de bonne resolution que moy, et les ames desquels sont preoccupées d'une telle desolation qu'il ne seroit pas besoin de rhetorique pour leur persuader qu'il ne sçauroit arriver rien de pis que leur condition presente. Ils sont tous vos fidèles subjets, et tellement nourris en vostre obeissance que, quelque croyance qu'ils ayent, ils esliront plustost leur perte que vostre disgrace; et c'est ce qui doit inviter vostre royale et naturelle debonnaireté de leur departir vostre soin paternel, et tendre vostre main à leur secours. Si les affaires du monde se gouvernoient par souhaits, j'aurois à faire le mesme souhait pour vostre pauvre royaume que faisoit un philosophe antien pour tous les hommes: il souhaittoit que la nature eust fait une fenestre au milieu de la poictrine d'un chacun, au moyen de laquelle il eust esté loisible de voir à decouvert le coeur, le foye, le poumon, les entrailles, et autres parties qui y resident, et appliquer les remèdes des plus convenables lors que la necessité y escherroit. Combien seroit-il plus à desirer que ce grand architecte du monde eust fait une fenestre par laquelle Vostre Majesté peut jetter la veue dans le coeur de vostre royaume, et s'y promener d'un bout à autre avec les yeux! O que ce seroit un present digne d'un roy s'il se trouvoit des lunettes bonnes à cet usage! Pleust à Dieu en eussé-je donné une pinte de mon sang! Vous verriés une infinité d'hommes trainer miserablement leur vie sous un eternel travail, qui ne leur produit pour tout profit que quelques bouchées de pain exposées aux extorsions et concussions de vos officiers, et, d'une part, à la rigueur des exacteurs de vos tailles; d'autre, à l'avarice des usuriers, à la vexation et rapine de vos sergens, sans une infinité d'autres accidans qui les font mescognoistre par eux-mesmes et s'estimer en leur creation au dessous des plus abjects et contemptibles animaux. Vous arresteriez vostre regard sur tant de mortuissantes images de la mort, sur tant de visages mornes, plombez, haves et ressemblant plustost à des phantasmes qu'à ce qu'ils sont, tandis vostre tendre coeur se fondroit tout en pitié et se laisseroit saisir d'un aussi veritable et passionné remors que celuy qui a fait meriter à un des rois vos predecesseurs, qui portoit vostre mesme nom, le surnom de père du peuple. Il est estrange d'ouyr dire que sous un règne si paisible, à l'ombre des palmes eslevées par l'incomparable valeur de ce grand heros Henry le Grand, d'heureuse memoire, sous un si fortuné genie que celuy qui preside à vostre royale maison, aucune calamité autre que fort legère vienne infester vos sujets; et toutesfois nous apprenons, non par un bruit incertain, mais par le tesmoignage d'une infinité de personnes dignes de foy, qu'en quelques unes de vos provinces on en a veu ceste année plusieurs gesir roides morts de male rage de faim. Jà à Dieu ne plaise que je voulusse procurer à Vostre Majesté un si piteux et funeste spectacle! mais quand Dieu auroit permis, pour le bien de vostre peuple, que quelc'un de ceux-là eust rendu l'ame à vos pieds ou à vostre veue, je ne pense pas qu'après cela il fust besoin de l'eloquence de monsieur Savaron[83], ou autre de vos desputez, pour vous faire des supplications ou remonstrances sur ce suject. Qu'on ne m'aille, maintenant, revoquer en doubte qui auroit plus ou moins à perdre en la desertion des terres sises en vostre royaume. J'ay souvent ouy plaindre vostre noblesse que leurs fiefs leur raportent aujourd'huy beaucoup moins qu'ils ne faisoient à leurs bisayeuls; qui ne comprend assez que ce deffaut ne vient nullement de nostre commune mère nourrissière, qui exhibe tousjours liberalement ses flancs pour y fouiller dedans et cueillir de ses biens à pleines mains, ains plustost du decouragement du paysan, lequel, considerant qu'il travaille moins pour sa chetive nourriture que pour le luxe d'autruy, attelle ses beufs à regret, desrobe par fois la semance à la terre, laisse en friche les possessions, et, ce qui est plus deplorable, prend le sac et la besace, et s'exile volontairement de son patrimoine pour aller à la requeste d'une meilleure fortune. Ceste desolation ne s'arreste pas à la campagne: il y a quantité de villes en France qui ont autrefois porté le nom de bonnes, belles et florissantes, lesquelles, ores que de leur enceinte elles puissent aller du pair avec les plus superbes des provinces estrangères, estans par leur malheur posées hors de tout commerce et abord de commoditez, soustiennent neantmoins de si grandes et immenses charges, et, partant, sont accablées de tant de misères, qu'à bon droit elles portent envie à l'heureuse condition des hospitaux de Paris, et changeroient volontiers leurs murs avec le benoist enclos qui defend ces bienaymés enfans de Dieu de la faim et de l'oppression. De là vient que, quel ordre que puisse mettre le Parlement et quelles diligences que fassent vos officiers, Paris, qui estoit autrefois la nourricière des bonnes lettres, un theatre de vertu, un abord de beaux esprits, est aujourd'huy la retraitte de tant de fenéans, gens sans adveu, voleurs de nuict et de jour, tireurs de laine, passe-Irlandois[84], charlatans, pipeurs, garces, maquereaux. Ce sont tous gens qui se feussent contenus près de leur foyer, si la necessité ne les en eust chassez, ausquels il est aucunement pardonnable s'ils se sont laissez flatter à l'opulance de la première ville du royaume; le danger, la honte, le vitupère, attachez à quelque peu d'acquest, leur a semblé plus sortable qu'une mort languissante. Mais pourquoy vay-je consumer inutilement le temps au recit des maux qui sont si visibles et palpables? Il resteroit maintenant de discourir des remèdes que vostre seule main, Sire, assistée et guidée de celle du Tout-Puissant, y pourroit apporter, si la modestie et la discretion ne me commandoit de m'en taire après tant d'excellans esprits qui ont contribué de leur advis, avec plus de grace que je ne sçaurois faire. Les cayers des estats generaux parlent assez clair; les moyens et memoires du sieur du Noyer[85], avec leurs supplemens, sont fort intelligibles, Dieu mercy (excepté que, comme les plus fameux charlatans, il ne nous a pas voulu descouvrir tout le secret de l'art). Toutesfois, puisque la France est comparée à ces malades qui, pour l'estat deploré de leur santé, estoient exposés en public à la veue de tout le monde, au soulagement desquels il estoit permis à ung chacun d'apporter ce que l'art, l'experience, ou son bon sens naturel luy suggeroit de salutaire, il ne sera pas du tout hors de propos si soubs vostre bon plaisir et en toute humilité je prends la hardiesse de dire qu'en vain se travaille-on de remedier aux maux de ce royaume _nisi causa morbi fugerit venis, et aquosus albo corpore langor_; si on ne retranche les pensions[86], ne reduict les tailles et abolit les subsides et gabelles, ne supprime un tiers pour le moings de ce nombre effrené d'offices, et ne casse ou suspend pour cent ans le droict annuel[87]. Quelcun me dira que je ne dis rien de nouveau, et que pour estaller ung advis si trivial il ne falloit venir par de si longues traverses. J'ay bien encores autre chose à dire; cependant il est à notter que les choses bonnes ne sçauroient estre assés inculquées, mesmement aujourd'huy que tant de gens conspirent unanimement à la malice. Certainement, si on ne met la main à la guerison de ces grandes ulcères, je deplore la condition de messieurs les deputés qui se sont venus crotter à credit, le long de l'hyver, sur ce quay des Augustins[88], pour attirer à leur retour sur eux toute l'envie de la mauvaise issue, et les maudissons de tous leurs concitoyens et compatriotes. Or, Sire, les moyens de pourvoir à ces maux, comme ils sont très necessaires, sont aussi très aisés, par la grace de Dieu. Pour le premier il suffiroit de dire à ceux qui se trouveront les mains vuydes, et ausquels ce calice semblera ung peu amer: _Deus dedit, Deus abstulit_; mais d'abondant pour leur consolation on leur representera le tort qu'ils se faisoient par le passé de vendre si sordidement leur fidelité; la candeur et la vertu de leurs ayeulx, qui ne recherchoient autre loyer que l'honneur et la gloire d'avoir fidellement et courageusement servy leur Roy, et, finallement, le contentement d'esprit qui leur reviendra d'avoir nettoyé leur conscience d'une tache si incessante et indigne de la qualité qu'ils portent; et, s'il est besoin, on leur repetera tout ce qui se lit dans le Caton françois sur ce subject, avec un advertissement de mesnager d'ores en avant leur revenu avec plus de retention et precaution, et n'engager ou estrousser[89] que bien à propos les fiefs qui leur ont esté acquis par la valeur de leurs ancestres. Il ne restera pour tout point de difficulté pour le second, quand vous aurés passé sur le ventre au premier; il ne vous sera pas plus malaisé d'accourcir vostre tribut qu'à ung tailleur d'estraissir et appetisser la juppe d'ung geant pour en faire une casaque de nain. Pour le troisiesme, qui concerne la plus dangereuse playe, et comme une pernicieuse gangrène qui gaigne le corps politique pour le perdre, il me semble que, sans s'arrester aux cayers des deputez du tiers-ordre, qui sont en ce point recusables pour la plus part, les plus violans et hardis remèdes sont les plus convenables et les plus aysés quant et quant. Vous avez veu avec combien d'allegresse on a embrassé les Memoires de Beaufort[90] touchant le restablissement de la chambre de Justice, nonobstant les oppositions du Financier[91], et quel fruict tout le monde en attend. Ceux qui sçavent combien le maniement des loix requiert plus de syncerité et integrité que celluy des finances, et combien le public a plus d'interest à la conservation de l'un que de l'autre, jugeront avec moy si l'establissemant d'une salle de justice pour la recherche des malversations des officiers de justice sera moings necessaire. Le fruict que j'en veux tirer est tel: vous supprimerez quant et quant les offices de ceux qui seront attaincts et convaincus d'avoir malversé en leurs charges, et, en ce faisant, ne sera besoin d'autre fonds pour indemniser les depossedés que de bon nombre de galères, dans lesquelles vous assignerés à chacun de mes galans ung estat de mesme ordinaire de rames. O! que c'est ung beau moyen pour reduire à centuries tant de legions innombrables de juges! Pour le quatriesme, la cure en est bien si aysée que, sans vous donner la peyne de supprimer nommement ceste peste, il suffist de la suspendre pour trois ans pour en abolir à jamais la memoire. Reste seulement à mettre hors d'interest les casuites, qui se trouvent avoir avancé une notable somme, à ce qu'on dict. J'ay leur remboursement tout prest si Votre Majesté erige la chambre dont est question, et me donne, sans consequance, _ad tempus_ et par commission, ung estat de tresorier des amandes qui se leveront sur les condamnez. C'est à ce dernier point, Sire, que visent tous ceux qui desirent le restablissement de la justice en son premier et ancien lustre, et son exercice aussi rond, entier et prompt qu'il estoit du temps de nos aveux; car de conserver la paulète[92], exterminer les espices et augmenter les gages des officiers, ce seroit, à vray dire, nous faire tomber de fiebvre en chaud mal; nous n'aurions pas meilleur compte de nos juges que des ouvriers auxquels on a payé le prix faict avant main: nostre besogne s'acheveroit à leur loysir. Je ne parle pas du vin du clerc, des espingles de madame[93] et autres fictions de memoire: tout cela est à deviner; mais pour de longueurs et langueurs insupportables, je prevois qu'elles ne nous sçauroient manquer. Faittes mieux: tirés du purgatoire l'ame du deffunct partisan, et espargnés à sa fille les jeusnes, les coups de discipline et autres austeritez avec lesquelles elle se resoult d'expier la coulpe de son père; effacez de la conscience de cest autre transy le remords qui le ronge jour et nuict et le faict dessecher comme un genet morfondu. Ce sont, en somme, les points les plus importans de ma très humble remonstrance, que je vous ai expliquez avec d'autant plus d'ardiesse que je les ay creu autorisés des voeux de tous les bons François. De vous aller icy deduire par le menu tous les maux qui ont aujourd'huy cours par vostre royaume et vous discourir incontinent des remèdes, je ne me sens pas les reins assez forts pour une declamation de si longue haleine; après, ce seroit oster le mestier à messieurs les deputez des estats-generaux, et vouloir faire, par une grande temerité et presomption, en un quart d'heure, ce qu'à peine tant de gens entendeus ensemble ont fait en cinq ou six moix. Quand il aura pleu au Ciel et à vous, Sire, de me faire jouir du fruict de ma très humble suplication, les ordonnances qui vous ont esté laissées par les rois vos predecesseurs sont si belles, si sainctes, si pleines d'equité, et celles que vous allez mouler sur les cayers des dits estats si conformes aux desirs des gens de bien, qu'après l'observance d'icelles j'estime que ce seroit impieté de souhaiter une plus certaine et parfaite reformation. Si ne puis-je que pour mon interest particulier je ne vous face encores ceste prière de donner la plus prompte expedition et congé qui se pourra à messieurs les deputez, qui ont depuis le mois d'octobre fait enrichir les chambres garnies de plus d'un tiers. Ils s'endorment sur la besongne; les bonnes gens oublient insensiblement leur pays, et pensent ou voudroient bien, par charité réformative, que les estats durassent encores quarante ou cinquante ans. J'en sçay qui ont enmené leurs femmes; les autres ont loué maison pour un an; ceux-cy ont achepté des meubles pour garnir ung hostel entier, comme s'ils ne deussent bouger de leur vie de Paris; j'en cognoy qui espèrent de gagner les douaires de trois ou quatre filles avant s'en retourner; ung autre s'attend d'achepter à son fils ung estat de conseiller (ils seront tantost à bon marché) des deniers provenans de la deputation. J'en veis ung samedy dernier qui faisoit trotter derrière luy soixante ou quatre-vingts charbonniers avec autant de charges de charbon, qu'il ne sçauroit avoir bruslé de six mois. Prenez quelque pitié de leur zèle et les randez à leurs femmes, qui les attendent à cuisses ouvertes, _sicut terra sine aqua_; à leurs enfans, qui les auront tantost mescogneus; à leur bercail, que le loup a beau infester tandis que le pasteur s'endort à l'ombre. Je vous demande ce surcroy d'obligation pour eux, et promets en tout cas en faire mon propre debte, la peine qu'ils ont prise pour moy, qui fais plus qu'il plaist à Dieu. Une partie du public merite bien ce petit tesmoignage de recognoissance, qui ne sera pas le dernier que j'espère leur rendre. Je reserve le remerciement et la louange deue à leurs sainctes intentions et à la sincère sollicitude avec laquelle ils ont cooperé au salut de la France après que je me seray dechargé envers Vostre Majesté des actions de graces qu'exige de tout vostre peuple ung si grand et si signalé benefice, et que j'auray acquitté les voeus que j'ay faits avec tous vos fidelles subjects pour l'accroissement de vostre gloire et continuation de toute prosperité en vostre royalle maison. J'ay dict. [Note 83: Président et lieutenant général en la sénéchaussée et siége présidial de Clermont en Auvergne, qui vint à Paris en qualité de député de sa province aux états-généraux de 1614, et y soutint avec une ferme éloquence les droits du tiers-état contre la noblesse et le clergé. C'est à ce sujet qu'il fit paroître sa _Chronologie des états généraux_, où il prouva que le tiers avoit toujours eu entrée aux Etats, séance et voix délibérative.] [Note 84: C'est-à-dire Irlandois en passage. Ces gueux catholiques, chassés de leur île par les persécutions, avoient infesté Paris pendant tout le temps de l'occupation espagnole. On sait par d'Aubigné comment ils se blottissoient dans les cavités du Pont-Neuf, inachevé, et comment, la nuit venue, ils tiroient par les jambes et précipitoient dans l'eau les passants qui leur refusoient leur bourse pour aumône. C'étoient de dévotes gens pourtant, ne demandant qu'à être canonisés. «Si l'on fait, dit d'Aubigné, quelque difficulté de les sanctifier, il faut avoir égard s'ils présupposoient ne faire mal qu'à des hérétiques.» (_Hist. univ._, liv. 5, ch. 15.) En 1606, on fit raffle de tous ceux qui se trouvoient encore à Paris, on les entassa sur des bateaux et on les mit hors de France. (L'Estoille, édit. Champollion, t. 2, p. 398.) C'est à François Miron qu'on dut cette exécution. La ville lui en fut très reconnoissante. (Félibien, _Preuves_, t. 2, p. 34, 35.)] [Note 85: Autre député des états qui prit vigoureusement les intérêts du tiers, et demanda à grands cris les réformes. Il est parlé de lui, ainsi que du sieur Estienne, qui le soutenoit, dans le _Financier à Messieurs des Estats_, p. 29.] [Note 86: Dans le curieux petit livret que nous venons de citer, il est aussi parlé (p. 9) de l'abus criant des pensions, dont la somme augmentoit tous les jours, et qui, après avoir absorbé le trésor du feu roi, mis en dépôt à la Bastille, consumoient toutes les ressources de l'impôt.] [Note 87: Sorte de droit de _paulette_ que payoient chaque année les détenteurs d'office pour conserver leur charge à leur succession. On s'étoit fait une belle ressource par la création de cet impôt: «Les thrésoriers des parties casuelles, lit-on dans le _Financier_ (p. 9), ont avancé quatre cent mille livres sur l'espérance du droit annuel.»] [Note 88: C'est dans la grande salle du couvent des Augustins que les états-généraux de 1614 tinrent leurs séances.] [Note 89: Vendre par adjudication en justice.] [Note 90: Beaufort et Juvigny faisoient alors courir des _Mémoires_ contre le corps des financiers, dont ils avoient fait long-temps partie. On accusoit leurs plaintes d'être intéressées. «Si vous saviez pourquoi Juvigny et Beaufort vous en parlent (de la chambre de justice), vous ne les escouteriez point..... La part qu'ils ont eue aux deux cent mil livres ordonnez aux denonciateurs qui ont trahy leurs maistres et falsifié tant d'acquits et rooles a esté trop petite pour eux; ils en veulent manger encores.» (_Le Financier_, p. 11.)] [Note 91: C'est le livret que nous venons de citer.] [Note 92: La première chose demandée aux Etats de 1614 fut la suppression de la _paulette_; mais on ne s'entendit pas sur cette proposition entre la noblesse, qui l'avoit pourtant faite, et le tiers, qui en auroit eu les profits. La cour prit occasion de ces débats pour demander la surséance. On n'y revint plus, et le droit de paulette fut conservé.] [Note 93: Petit droit qui, avec les épices, constituoit les honoraires de la magistrature et de la bazoche. Les mots _pot-de-vin_ et _épingles_ sont restés comme termes de marché.] _Sommaire traicté du revenu et despence des finances de France, ensemble les pensions de nosseigneurs et dames de la cour, escrit par Nicolas Remond, secretaire d'estat._ M.DC.XXII[94]. [Note 94: Tout ce qui, dans cette pièce, a rapport aux finances en général, et par conséquent la première partie tout entière, n'est, sauf quelques légères différences, que la reproduction d'une autre du même genre ayant ce titre: _Traité du revenu et despense de France_, de l'année 1607. Cette dernière pièce a été publiée dans la _Revue rétrospective_, 1re série, t. 4, p. 159-186, d'après une copie manuscrite conservée à la Bibliothèque impériale, collection du Puy, vol. 89, fol. 243. Le texte en est bien préférable à celui de la pièce que nous donnons. Nous en tirerons parti pour des corrections, que nous ferons toutes avec le plus grand soin, mais sans pourtant prendre la peine de les indiquer l'une après l'autre.--Quoique cette pièce porte la date de 1622, c'est le budget de 1620 qui s'y trouve détaillé, comme on le verra plus loin.] Les finances s'appellent communement le nerf de la guerre et l'ornement de la paix. Autres tiennent que cela se doit plustost dire de la valeur et de la justice. Mais il me semble qu'elles se doivent comparer au sang, sans lequel les nerfs perdent leurs forces et les esprits leur vie; si bien qu'estant une des parties plus nobles de l'estat, il est aisé de se persuader combien la cognoissance en est utile et necessaire, surtout à ceux que la vertu et le merite appellent aux charges publiques. Des autres estats nous n'en parlerons point; mais au nostre, le nom mesmes des _finances_, qui est originaire, monstre combien elles y ont esté estimées: car il vient d'un vieux mot françois qui signifie mettre quelque chose à fin[95], comme si ce moyen en estoit plus capable que nul autre. [Note 95: C'est le verbe _finer_, dont on trouve un exemple avec ce sens dans un rondeau de Victor Brodeau: Au bon vieux temps que l'amour par bouquets Se demenoit, et par joyeux caquets, La femme estoit trop sotte ou trop peu fine; Le Temps depuis, qui tout _fine_ et affine, Lui a montré à faire ses acquets. _Finer_ se prit aussi pour _fournir_, selon le P. Labbe dans ses _Etymologies des mots françois_, au mot _Fin_, et enfin dans le sens de _payer_, _financer_, exemple ces vers du 49e psaume de Théodore de Bèze: Car le rachat de leur ame est trop cher Pour en _finer_..... La Mothe Le Vayer, dans son _Traité de l'institution du prince_, est aussi d'avis que _finance_ est un dérivé du verbe finer, pris dans le sens de finir, terminer. «De là vient, dit-il, que finance est la même chose que le vieux mot _chevance_, parce qu'avec l'argent on finit et on _achève_ les choses les plus difficiles.»] L'autre nom equivalent est _deniers_, qui se prennent ordinairement l'un pour l'autre, de sorte que la division des finances se fait en mesmes termes de deniers ordinaires et extraordinaires. Anciennement les deniers ordinaires s'appellent seulement ceux du domaine, qui se subdivise en muable et immuable. L'immuable consiste en cens, rentes et autres choses payables en argent, qui ne peut changer. Le muable est celuy qui provient des bleds, vins, volailles et autres choses dont le prix peut augmenter ou diminuer. Les deniers extraordinaires s'appelloient tout ce qui se levoit outre le domaine, c'est-à-dire à temps, et ont receu de grandes diversitez, selon les despenses et les necessitez des affaires. On tient que la première imposition, qui dure encores de present, fut le huitiesme du vin, soubs le règne de Chilperic, environ l'an 580[96]; l'equivallent suit après, qui est l'equipollent du sol pour livre sur toutes denrées et marchandises, qui se leva, environ l'an mil trois cens soixante, pour tirer d'Angleterre le roy Jean, qui y estoit prisonnier[97]. Des autres natures de deniers nous en parlerons puis après. [Note 96: Ce prélèvement du huitième, toujours en vigueur, n'avoit pas empêché un second impôt de dix sols sur chaque muid de vin, que la ville avoit établi en 1601 pour la réparation des fontaines de Paris, et que Henri IV maintint pour en employer les fonds à l'achèvement du Pont-Neuf, et ensuite à la réparation des quais. V. Félibien, _Hist. de Paris_, t. 5, p. 483, et notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, p. 24, note.--En 1607, d'après la pièce donnée par la _Revue rétrospective_, cet impôt _pour le pont de Paris_, ainsi qu'il y est désigné, grevoit la généralité de Paris de 15,500 livres.] [Note 97: Jean déclara que, dans les pays de langue d'oïl, une aide de douze deniers pour livre seroit levée et perçue sur toutes les marchandises vendues, du cinquième sur le sel et du treizième sur le vin et autres breuvages, jusqu'à la _perfection et entérinement de la paix_, ce qui veut dire jusqu'à l'entier paiement de sa rançon. (Secousse, _Recueil des ordonn. des rois de France_, t. 3, p. XCI, et 433, 441.)--V. aussi, dans les _Mélanges de littérature et d'histoire de la Société des bibliophiles françois_, Paris, 1850, in-8, p. 145-191, le savant travail de M. L. Dessales, _Rançon du roi Jean_.] Mais, le domaine ayant esté alliené depuis ces guerres civilles, comme chacun sçait, et ne s'en tirant aucune chose en la pluspart des generalitez, des autres peu, nous laisserons ceste partie, encores que ce soit le fondement des autres, et dirons qu'il se fait une division des finances en mesmes termes de deniers ordinaires et extraordinaires. Les deniers ordinaires sont ceux dont le roy fait estat comme de son domaine, s'il y en a, de ce huictiesme, et autres impositions sur le vin, qui s'appellent aydes, de ces equivalens, tailles, taillon, fermes et autres deniers employez en recepte ès estats de Sa Majesté. Les deniers extraordinaires sont ceux des quels il n'est point fait estat, qui se sont plus autrefois estenduz qu'à present, et qui sont presque reduicts aux nouvelles creations d'offices. De sorte que, cette seconde espèce estant peu de chose, cazuelle, et par consequent sans règle, nous parlerons seulement de la première, qui se subdivise en deux parties à peu près esgales, l'une en ce qui se tire du peuple, l'autre en ce qui revient des fermes, qui semblent être ce que les Romains appelloient _tributa_ et _vectigalia_: le premier desquels se levoit par les officiers, et les autres par les fermiers. Nous parlerons premièrement de la partie première, secondement de la partie seconde, et finalement de la despence qui se fait de l'une et de l'autre. Mais, pour en avoir plus facile intelligence, il semble à propos de dire que, comme la France se divise par provinces pour les gouvernemens, et par parlemens pour la justice[98], aussi fait-elle pour les finances et generalitez, qui sont au nombre de vingt et une; et, bien que Blois se nomme aussi generalité, toutes fois, à cause que c'est seulement pour ce qui regarde le domaine du comte de Bloys, ainsi qu'il se manioit soubs Louys XII, nous ne le mettrons pas en ce nombre de vingt et un, qui sont: Paris, Soissons, Orleans, Amyens, Chaallons, Tours, Poictiers, Lymoges, Bourges, Moulins, Ryom, Lyon, Rouen, Caën, Bourdeaux, Nantes, Thoulouze, Montpellier, Dijon, Aix, Grenoble. [Note 98: Cette phrase manque dans la pièce donnée par la _Revue rétrospective_.] Soubs les quelles quinze premières generalitez il y a sept vingt-neuf eslections[99], et soubs les quelles eslections, vingt-trois mil sept cens quatre-vingt-dix-sept parroisses[100], sçavoir: Soubs Paris, vingt eslections et dix-neuf cens soixante et dix parroisses. Soubs Soissons, six eslections et douze cens soixante parroisses. Soubs Amiens, six eslections et quatorze cens soixante parroisses. Soubs Chaallons, neuf eslections et deux mil deux cens sept parroisses. Soubs Orleans, douze eslections et douze cens trente-huict parroisses. Soubs Tours, quatorze eslections et quinze cens soixante et trois parroisses. Soubs Poictiers, neuf eslections et seize cens parroisses. Soubs Lymoges, neuf eslections et six cens parroisses. Soubs Bourges, neuf eslections et huict cens trente-deux parroisses. Soubs Moulins, huict eslections et quatorze cens quatre-vingt parroisses. Soubs Ryon, quatre eslections et huict parroisses. Soubs Lyon, trois eslections et sept cens vingt parroisses. Soubs Rouën, vingt-neuf eslections et deux mil huict cens soixante et seize parroisses. Soubs Caën, neuf eslections et quatorze cens vingt-six parroisses. Soubs Bourdeaux, quinze eslections et trois mil cinq cens huict parroisses. [Note 99: C'est-à-dire 149. La pièce de 1607 donne le même chiffre. En additionnant toutefois les nombres qui suivent, on trouve un total de 162 élections au lieu de 149; mais c'est bien ce dernier chiffre qui est le véritable. On l'obtient en rétablissant, d'après l'_état_ de 1607, trois des nombres qui sont fautifs ici, en marquant pour la généralité de Bourges 5 élections au lieu de 9, pour celle de Moulins 7 au lieu de 8, et enfin 21 pour celle de Rouen au lieu de 29.] [Note 100: Ce total est encore fautif. L'addition, mieux faite, donne seulement 23,159 paroisses. Dans la pièce de 1607, où le calcul n'est pas meilleur, on en trouve 23,140. Le _Pouillé général_ compte 30,419 cures; ajoutez, toujours d'après son évaluation, 18,537 chapelles, 1500 abbayes, 2812 prieurés, 931 maladreries, 80 chapitres ayant église, et vous arrivez à un total de 44,279 clochers, ce qui est bien loin des _dix-sept cent mille_ dont il est parlé dans le _Calcul et dénombrement de la valeur et du royaume de France_, par Jacques Coeur (Collection universelle des mémoires particuliers relatifs à l'histoire de France, 1785, in-8, t. 9). De ce nombre «il rescindoit, y est-il dit, pour pays gastés ou autrement, _sept cent mille_, et par ainsi demeuroit ung million de clochiers, et à prendre sur chacun clochier, le fort portant le feuble, vingt livres tournois par an pour toutes aides, tailles, impositions et huitième, se monte en somme par chacun an vingt millions, qui satisferont à ce qui s'en suit, etc ...» Dans un article de l'_Esprit des journaux_ (août 1786, p. 106, note) l'on a fait voir tout ce qu'il y a d'exagération dans ces chiffres, auxquels M. de Chateaubriand (_Analyse raisonnée de l'hist. de France_, édit. Didot, in-12, p. 134), et après lui beaucoup d'autres, se sont pourtant laissé prendre. «Il est bien évident, lisons-nous donc dans l'_Esprit des journaux_, que l'argentier de Charles VII se trompe ici ... Mais l'erreur ne doit pas lui être attribuée: le copistes doivent avoir supprimé ou ajouté des zéros aux chiffres. Ainsi, en supposant qu'il n'y avoit, de son temps, que dix-sept mille clochers en France, comme il est clair qu'il l'avoit calculé, en en _rescindant sept mille gastés par les guerres_, et en mettant deux mille livres tournois au lieu de vingt, ses calculs sont justes.»] Si les generalitez, les eslections ou parroisses, estoient semblables, il seroit beaucoup plus aisé d'éviter les grandes inegalitez qui se treuvent lors qu'il est question d'en parler generalement: car il s'en treuve où la plus grande estendue et le plus grand nombre portent le moins, à cause des infertilitez du pays, de la pauvreté du peuple et d'autres occasions qui se verront en suitte. Pour la generalité de Bretagne; elle est composée de dix-sept receptes particulières, qui sont la pluspart eveschez, et s'appellent receptes de fouages, à cause que les impositions se font par feu; il y a, en outre, une ferme ordinaire qui s'appelle imposts et billots[101]. [Note 101: Ou _bîllos_. Ce sont les droits et impositions du vingtième, onzième ou quatrième sur le vin, qui étoient levés dans cette province par le roi, par les seigneurs ou par les villes.] Pour celle de Bourgogne, elle n'a autres receptes particulières que celles de Bresse. Bugey et Vivonnay, du marquisat de Saluës, ont esté donnez à la couronne par ledit marquisat de Sallus[102]. [Note 102: Cette phrase, tout à fait incompréhensible, doit être ainsi rétablie, d'après la pièce de 1607: «Pour celle de Bourgogne, elle n'a aucune recette particulière que celle de Bresse, Bugey et Vivonnay, qui ont été annexées depuis neuf ans par l'échange du marquisat de Saluces.»] Pour celles de Thoulouze et Montpellier, elles ont chacune unze receptes particulières, qui s'appellent la pluspart diocèzes. Celle de Provence n'a aucunes receptes particulières. Celle de Dauphiné a huict baillages, qui portent le revenu du domaine à la recepte generale. Ces cinq dernières s'appellent _petites generalitez_, non, comme j'ay dit, pour avoir moins d'estendüe que les autres, et la raison est, pour celles du Dauphiné et Provence, qu'elles ont esté donnez par leurs seigneurs à la couronne, et que celles de Languedoc et Bourgogne s'y sont soubmises chacunes soubs certaines conditions ausquelles la consideration qu'elles sont frontières par terre semble les oster, autant maintenues qu'autre chose, et c'est pourquoy elles se gouvernent aussi par estats et deputez; comme aussi fait la Bretagne, qui est la dernière joincte à la couronne[103]. [Note 103: A la suite de cette phrase se trouve celle-ci, dans le _Traité du revenu et despense de_ 1607: «La Normandie a aussi une forme d'estats; mais c'est, à parler proprement, une forme, ou plutôt une ombre, au prix des dix autres.»] Or, bien qu'en chacune des dites generalitez, qui sont vingt et un, il y ait dix thresoriers de France (excepté en celles d'Amiens, Rouen et Montpellier, où il y en a unze en chacune, en celle de Nantes seulement deux, en celle d'Aix sept, en celle de Grenoble cinq, qui est en tout le nombre de neuf vingt dix-sept thresoriers de France[104]), toutesfois, il n'y a des esleus[105] qu'en celles où il y a des eslections, qui sont les quinze premières generalitez cy-devant nommées, en la pluspart des quelles eslections il y a dix esleus, et, pour en conter le nombre au vray, l'on peut les estimer à neuf l'une portant l'autre, faisant à ceste raison le nombre de neuf cens trente-six esleus[106]. [Note 104: «Qui est en tout, lit-on dans la pièce de 1607, cent quatre-vingt-dix-sept trésoriers de France», ce qui fait par conséquent le même nombre.] [Note 105: «Ces officiers, dit P. Bonfons en ses _Antiquitez de Paris_ (Paris, 1608, p. 342), feurent appelez _esleuz_, parce que, de fait, ils estoient esleuz et choisis en chacun diocèse et evesché pour faire des levées et receptes des deniers des aydes, ou bien pour autant qu'ils estoyent esleuz et deputez des trois estats pour garder les ditz deniers.» Mais dès le temps de Louis XI ce nom d'_élu_ n'avait plus de sens, car ces magistrats étoient toujours les mêmes et des mêmes familles. D'électives ces charges étoient devenues héréditaires. (Michelet, _Hist. de France_, t. 6, p. 66.--V. aussi une note de notre édit. du _Roman bourgeois_, p. 262.)] [Note 106: L'évaluation du nombre des élus, porté à 1300 dans l'Etat de 1607, se rapproche davantage de la vérité. En mettant, en effet, 9 élus pour chacune des 149 élections, on arrive au chiffre de 1341.] Pour le regard des receptes et controlles qui s'exercent triennalement, sinon en celles où le triennal est vague, aux anciens et alternatifs, ou bien a esté remboursé, tout ainsi qu'en chacune des dites generalitez, ils s'appellent receveurs et controlleurs generaux des finances, ainsi qu'en chacune des dites receptes particulières, tant en celles où il y a des eslections qu'aux autres, ils s'appellent receveurs et controlleurs des tailles. Il y a aussi aux dites vingt et une generalitez des receveurs et controlleurs generaux du taillon qui ont des receveurs particuliers soubs eux, les quels receveurs generaux mettent les deniers entre les mains des thresoriers de l'ordinaire des guerres pour le payement des compagnies d'ordonnances. Voilà succinctement le nombre des generalitez, des eslections et de la pluspart des parroisses et des officiers, par le moyen des quels ce qui porte generalement le nom de tailles se lève, car les natures de deniers sont diverses, comme nous dirons en son lieu; toutes fois, pour ce qui porte l'un porte l'autre, c'est-à-dire qui porte la taille porte le tallion et autres impositions, elles s'entendent toutes soubs appellation commune de tailles, et s'en fait de trois sortes: l'une appellée réelle, comme en Provence et Languedoc, où le roy mesme paye la taille s'il y a quelques terres; l'autre personnelle, d'autant qu'elle regarde de plus près les personnes et leurs biens, en quelque lieu qu'ils soient scituez et assis[107]. [Note 107: Dans la pièce de 1607, il est parlé d'une troisième espèce de tailles: «L'autre _mixte_, comme la plupart, pour ce qu'elle s'impose selon les personnes et leurs biens, en quelque part qu'ils soient assis.»] Voyons maintenant l'ordre qui se tient en l'imposition et levée desdits deniers, et, affin que ce soit plus clairement, prenons l'une des huict années dernières, qui ont esté à bien près toutes semblables, non seulement en ceste première partie, qui regarde les tailles, et en la seconde, qui regarde les fermes, mais aussi en la despence des deniers provenant de l'un et de l'autre[108]. [Note 108: «Cette année sera 1607», lit-on dans la pièce reproduite par la _Revue rétrospective_; mais on comprend que celle-ci, qui donne le budget de 1622, ne pouvoit répéter la même phrase. Ici, du reste, les deux pièces, qui jusqu'à présent n'avoient été que la reproduction l'une de l'autre, cessent de se suivre et deviennent presque complétement différentes.] Le roy, au commencement de l'advenement à sa couronne, prevoyant la despence qui luy convenoit faire tous les ans pour la conservation de son estat et entretenement de sa maison, en fait un abregé qui s'appelle project, lequel se signe de la main du roy et d'un secretaire d'estat. La somme totale arrestée, qui est estimée chacune des dites huict années à près de dix-sept millions, Sa Majesté règle là-dessus le creu extraordinaire, qui monte à quatre millions quatre cens mil livres[109]; mais elles se lèvent sur quatorze des dites quinze premières generalitez, celle d'Amiens estant exempte. [Note 109: On trouve quelques détails de plus dans la pièce de 1607: «Mais, y est-il dit, comme Sa Majesté voit que, du premier de ces deux moyens (les tailles), les charges qui se paient premièrement aux élections, puis aux généralités, déduites, il ne lui en revient pas la moitié, ainsi seulement quelque quatre millions cinq cent tant de mille livres, et comme des unes et des autres formes, qui montent à près de quatre millions d'écus, les charges déduites, il ne revient guère plus de huit millions de livres, elle a toujours été contrainte de lever une crue extraordinaire, qui s'appelle grande crue, ou autrement crue des garnisons, laquelle fut diminuée à la naissance de Monseigneur le dauphin (1601) d'environ quinze mille livres.»] _Grande taille._ Paris, trois cents soixante et dix milles livres. Soissons, quatre cens quatre vingt mil livres. Amyens, six cens vingt mil livres. Orléans, trois cens trois mil livres. Chaallons, quatre cens mille livres. Tours, huict cens dix mil livres. Poictiers, sept cens vingt-deux mil livres. Limoges, trois cens quarante mil livres. Bourges, six cens trente mil livres. Moulins, huict cens quarante mil livres. Rion, quatre cens quinze mil livres. Lyon, six cens quarante mil livres. Rouën, un million quatre cens douze mil livres. Caen, six cens quarante-cinq mil livres. Bourdeaux, quatre cens quarante cinq mil livres. Pour celle de Bretagne, il s'expedie aussi commission pour les fouages ordinaires à raison de sept deniers pour feu, non compris les douze deniers pour livre pour la creue des prevosts des marchands[110], douze mil soixante livres pour partie des postes, revenant le tout, avec le taillon, qui est de cinquante six mil quatre cens livres, à quatre-vingt mil quatre cens soixante livres. [Note 110: Dans la généralité de Paris, d'après l'Etat de 1607, on percevoit pour la crue du prévôt des marchands 61,000 livres, pour les postes près de 5,000, pour le taillon de la gendarmerie 166,000, ce qui, avec quelques autres contributions dont j'omets le détail, élevoit pour cette généralité le taux de la taille ordinaire à 922,000 livres.] Pour Thoulouze et Montpellier, il ne s'expedie qu'une commission aux estats de Languedoc, qui s'assemblent par chacune année, portant pour tout la somme de six cens cinquante et un mil cinq cens quarante-deux livres. Dijon porte pour l'octroy des prevots des marchands la somme de huict vingt dix-sept mil six cens quarante livres. Aix, pour Provence, porte pour l'octroy et pour le taillon la somme de quatre-vingt-sept mil quatre cens soixante et douze livres. Grenoble, pour Dauphiné, pour l'octroy et pour le taillon, dix mil soixante livres; pour les officiers du pays, trente mil livres; pour le taillon, vingt-sept mil cinq cens livres. Cy soixante et dix mil livres. Somme des dites generalitez, un million trois cens soixante et quatorze mil cent quatre-vingt-neuf livres. Somme toute des sommes contenues au dit brevet qui se lèvent aus dites generalitez en vertu des commissions des tailles, unze millions quatre-vingt-neuf mil livres. Le dit brevet arrêté, il s'en envoye un à chacune des dites generalitez avec une lettre au cachet du roy, et une autre du superintendant des finances, adressante aux tresoriers generaux de France, par les quelles leur est mandé d'en faire le departement par les eslections de leur generalité, et c'est lors qu'ils doivent avoir fait leurs chevauchées par les dites eslections, pour sçavoir celles qui se sont enrichies ou appauvries, afin d'augmenter les uns et de soulager les autres, tout ainsi que les esleus font peu après par les parroisses de leurs eslections pour y garder l'esgallité, comme Sa Majesté leur a recommandé sur toute chose, et qui est aussi d'une extresme importance, comme il se peut facilement imaginer. Les thresoriers generaux de France ayant envoyé à Sa Majesté, c'est-à-dire au superintendant, le departement qu'ils ont fait par les eslections de la somme que doit porter leur generalité, et avec cela donner avis de l'incommodité que chacun a receu, Sa Majesté règle là-dessus la creue extraordinaire, autrement dit grand'creue des garnisons, dont l'estat, compris quelques autres creues, monte pour la dite année à quatre millions quatre cens mil livres[111], dont chacune des dites generalitez portent, [Note 111: En 1607, cet _état_ s'étoit élevé à 4,534,000 livres.] _A sçavoir_: Paris, quatre cens cinquante-sept mil livres. Soissons, cent seize mil livres. Amyens, neant. Chaallons, trois cens quatre-vingt-dix mil livres. Orleans, quatre cens soixante et treize mil livres. Tours, deux cens quatre-vingt-dix-sept mil livres. Poictiers, quatre cens quarante mil livres. Limoges, cent neuf mil neuf cens livres. Bourges, quatre-vingt-dix-sept mil cent trente-neuf livres. Moulins, cent neuf mil quatre cens quarante livres. Rion, sept vingt-six mil livres. Lyon, neuf vingt douze mil livres. Rouen, neuf cens vingt-cinq mil livres. Caen, quatre cens soixante et dix mil livres. Bourdeaux, quatre cens soixante et dix-huict mil livres. Somme toute, quatre millions sept cens quatre mil livres[112]. [Note 112: Ce total n'est pas encore exact; il faut lire 4,711,020 liv.] Il y a ceste difference en l'imposition de ces deux natures de deniers que, pour la première, c'est à sçavoir l'ordinaire, il s'expedie aux esleus de chacune eslection une commission particulière de Sa Majesté, signée d'un secretaire d'Estat; et pour ce qui est de la grande creue, il s'expedie seulement une commission aux thresoriers generaux de France en chacune generalité, lesquels tresoriers generaux en font le departement par les eslections et en envoyent leurs commissions, celle des tailles aux esleus, ce qui se fait au commencement du mois de novembre. Si tost que les esleus les ont receus, ils font le departement des finances y contenues par les paroisses, adjoustans ou diminuans à l'année precedente[113], suivant la commodité ou l'incommodité qu'ils ont recognues par leurs chevauchées. [Note 113: Dans la pièce de 1607, on lit seulement «ils font le département des sommes y contenues par les paroisses, ajoutant ordinairement à l'année précédente», ce qui est plus naturel, car, en matière d'impôt, rien de plus commun qu'une augmentation, rien de plus rare qu'une diminution.] Leurs departemens faits, ils envoyent leurs commissions à chacune parroisse, laquelle crée aussitost des consuls et des collecteurs qui dressent avec ceux de l'année précédente le roolle de la taxe et cotte de chacun particulier, et, iceluy fait, le porte aux esleus pour sçavoir s'ils n'ont pas outrepassé leurs commissions, et, ce fait, les dits esleus l'arrestent et le signent. En ce mesme temps les thresoriers generaux de France dressent un estat de la valeur des finances dans le quel sont comprises toutes les charges estans tant sur les receptes particulières que sur la generale, les quels ils envoyent au conseil, c'est-à-dire au superintendant des finances. Sur le dit estat l'on fait celuy du roy, qu'on appelle estat des finances; mais ils se reiglent plus tost sur l'autre de Sa Majesté de l'année precedente que sur celuy des thresoriers generaux, et s'en envoye un aus dits thresoriers de France et un au receveur general des finances estant en exercice, avec commission sur l'un et sur l'autre pour le suivre de poinct en poinct selon la forme et teneur. Dans l'un et l'autre des dits estats sont compris par le menu et par les eslections toutes les natures des deniers dont nous avons cy-devant parlé, ensemble les charges qui sont dessus et ce qui en revient de net à Sa Majesté, la quelle se paye tousjours par preferance, attendu que c'est là-dessus, ainsi que nous avons dit cy-devant, que sont fondées les despenses de son estat et de sa maison. Voyons donc ce que Sa Majesté fait estat de retirer ladite année 1620, et de chacune des susdites vingt et une generalitez, tant pour l'ordinaire que pour l'extraordinaire, qu'on appelle, _A sçavoir_: Premièrement.--Recette de l'espargne. De Paris, toutes charges desduictes, six cens quinze mil soixante et treize livres tant de den[114]. [Note 114: C'est, sauf cent francs, la somme portée aussi sur l'état de 1607. Toutes les autres diffèrent plus ou moins, si ce n'est pour ce qui se percevoit dans les généralités de Limoges, de Bourges, de Moulins, de Bordeaux, de Dijon, où la _recette de l'épargne_ ne varie pas.] De Soissons, cent six mil huict cens livres. D'Amiens, quatre-vingt-trois mil quatre cens quarante livres. De Chaallons, neuf vingt dix-neuf mil quatre cens deux livres. D'Orleans, six vingt-trois mil quatre cens treize livres. De Tours, sept cens dix mil six cens trente-huict livres. De Poictiers, huict cens soixante mil livres. De Limoges, sept cens soixante et quatre mil huict cens vingt-quatre livres. De Bourges, trois cens dix mil trois cens soixante et deux livres. De Moulins, trois vingt et un mil six cens soixante et une livre. De Ryon, cinq cens cinquante mil sept cens quatre livres. De Lyon, un million cent vingt-deux mil livres. De Rouen, un million quatre-vingt-un mil quatre cens dix-huict livres. De Caën, sept cens sept mil trois cens cinquante-deux livres. De Bourdeaux, sept cens dix-neuf mil deux cens soixante et treize livres. De Nantes, sept vingt-un mil neuf cens sept livres. De Tholouze, quatre-vingt-un mil six cens livres. De Montpellier, six vingt-un mil six cens livres. De Dijon, sept vingt-trois mil quatre cens vingt-trois livres. D'Aix, huict vingt cinq mil trois cens dix livres. De Grenoble, neant, pour ce que le tout se consume sur le lieu. Somme, sept millions deux cens quatre-vingt mil quatre cens vingt-cinq livres[115]. [Note 115: Total fautif encore. L'addition exacte des sommes qui précèdent donne 9,590,800.] Seconde recepte de l'espargne. L'estat de ces deniers s'appelle première recette de l'espargne; la seconde est celle des finances, dont nous avons secondement promis de parler; mais ce sera beaucoup plus succinctement que de l'autre, attendu qu'il n'y a autre ceremonie que de les bailler, comme elles sont au conseil, au plus offrant et dernier encherisseur, pour 2, 3, 4, 5, 6, 7 ou autre nombre d'années, et, après cela, les fermiers sont tenus la plus part d'apporter immediatement les deniers entre les mains du thresorier de l'espargne, ou d'acquitter de quartier en quartier les assignations qui se lèvent sur eux, tout ainsi que les receveurs generaux, les quels à ceste occasion contraignent les receveurs particuliers et les particuliers les collecteurs[116], chacun en divers temps qui se mesurent à chacun des dits quatre quartiers. Voyons donc ceste seconde recepte: [Note 116: «Et les collecteurs le peuple», est-il fort justement ajouté dans la pièce de 1607.] Des parties casuelles sur les quelles n'y a aucune charge, dix-huit cens mil livres. Des receptes des bois, quatre-vingt-dix mil livres. Des aydes et allienations, les charges montent par estimation à quinze cens mil livres, et en revient sept cens dix mil livres[117]. [Note 117: Le premier bail général des aides avoit été fait en 1604 pour 500,000 livres seulement. En 1607, comme on le voit par l'_Etat_ souvent cité, et en 1622, comme on en a la preuve ici, les sommes perçues à ce titre montoient déjà à 1,500,000 livres; en 1649, d'après l'_Etat général du revenu_, elles atteignoient 3,549,712 livres, et la proportion alloit toujours croissant. «Le bail a si bien haussé, lisons-nous dans le _Détail de la France_, pièce de la fin du XVIIe siècle, que les aides sont à 19 millions ou environ aujourd'hui.» (_Archives curieuses_, 2e série, t. 12, p. 193.)] Des gabelles de France, les charges montent deux millions deux cens vingt-six mil cinq cens dix-sept livres, outre trois sols neuf deniers qui se lèvent en plusieurs greniers pour le payement des gages de la commission des aydes, et en revient deux millions quatre vingt quatorze mil cinq cens livres. Des gabelles de Lyonnois, les charges montent à vingt-huict mil cent vingt-huict livres, et en revient la somme de sept cens mil livres. Des gabelles de Languedoc, les charges montent six vingt-huict mil neuf cens soixante-sept livres, et en revient deux cens quatre-vingt-treize mil deux cens quatre-vingt-quatre livres. Des gabelles de Dauphiné, affermées deux cens soixante-dix-sept mil livres, attendu qu'il s'employe par chacun an cent cinquante mil livres au rachapt du domaine dauphinal, et six vingt-six mil livres au payement de quelques debtes, celle-cy à neant. De la ferme du convoy de Bourdeaux[118], les charges payées, deux cens quatre-vingt-dix mil livres. [Note 118: Droits perçus sur les vaisseaux marchands du port de Bordeaux à qui l'on donnoit pour sauvegarde un convoi de vaisseaux de guerre. En 1649, d'après l'_Etat général du revenu_ pour cette année-là, la ferme du convoi de Bordeaux rapportoit deux millions trois cent mille livres.] De la ferme de la comptabilité de Bourdeaux, trois cens soixante mil livres. Des traictes foraines d'Anjou[119], deux cens quatre-vingt mil livres. [Note 119: La _traite foraine_, l'une des cinq grosses fermes, étoit un droit levé sur toutes les marchandises qui entroient dans le royaume ou qui en sortoient. L'établissement de la _traite d'Anjou_, dont il est parlé ici, des bureaux d'Ingrandes, Montluçon et autres lieux qui ne sont pas sur les frontières, étoit alors une chose toute nouvelle.] Des peages de Loire, quatre cens mil livres. De la subvention des villes franches, et l'escu pour thonneau de vin, six cens cinquante mil livres. De l'escu pour muid de sel passant à Rouën, cent cinquante mil livres. De l'escu pour muid de sel passant par Ingrande, soixante-dix mil livres. Des sept deniers pour minot de sel entrant en Bourgongne, trente mil livres. Du vin de Picardie, cinquante mil livres. Des trente sols pour muid de sel qui se prend en Brouage, soixante mil livres. De l'escu du thonneau de vin entrant à Rouën, cent cinquante mil livres. De la ferme des cartes et tarotz, celle-cy à neant[120]. [Note 120: «De la ferme des cartes et tarotz, lit-on dans l'_Etat_ de 1607, à savoir 15 deniers par jeu de cartes qui se consomment au royaume, n'y a aucunes charges, 3,000 livres.» C'étoit surtout à Rouen un grand commerce, qui s'augmenta beaucoup encore pendant tout le XVIIe siècle. En 1695, Rouen fournissoit de cartes à jouer toute l'Europe, et même les colonies espagnoles d'Amérique. (_Archives curieuses_, 2e série, t. 12, p. 230.)] De l'escu pour muid de vin qui se vend en Bretagne, cent trente-quatre mil livres. Des quatre cens mil livres dont le pays de Languedoc fait present au roy de quatre ans en quatre ans, quatre cens mil livres. De trente sols pour muid de sildre entrant à Rouën, soixante mil livres. L'entrée des drogues et espiceries, soixante-dix mil livres. Des droicts qui se prennent le long de la rivière de Charente, cinquante mil livres. Des droicts qui se prennent le long de la rivière de Loire, cent mil livres. Des quatre mil livres du sel à Langres, celle-cy à neant. Somme totale de la despence cy-dessus, dix-neuf millions cent trente-six mil trois cens trente-cinq livres. Laquelle somme arrestée, y compris les charges tant sur les generalitez que sur les fermes, le tout revient à trente-six millions neuf cens vingt-six mil cinq cens trente-huict livres, qui se lèvent annuellement en France[121]. [Note 121: Sous Henri III, le revenu étoit de 32 millions; sous Henri IV, de 35; Richelieu le doubla, et il alla croissant jusqu'en 1660, puis baissa. (_Le détail de la France_, Archiv. cur., 2e série.)] Cy trente-six millions neuf cens vingt-six mil six cens trente-huict livres. _Chapitre de despence._ La chambre aux deniers, c'est à sçavoir ce qu'il faut pour la bouche de Sa Majesté et des officiers de sa maison, trois cens trente mil livres. Les gages des officiers domestiques, trois cens mil livres[122]. [Note 122: Ils ne se montoient qu'à 270,000 en 1607.] L'ecurie, neuf vingt-six mil livres. L'argenterie, quatre-vingt-dix-huict mil quatre cens livres. Les menus plaisirs du roy, six vingt-neuf mil livres. Les offrandes et aumosnes, huict mil quatre cens livres. La venerie, douze mil livres[123]. [Note 123: Sous Henri IV, d'après l'état de 1607, la dépense de la vénerie montoit à 51,000 fr. Malgré le goût de Louis XIII pour les oiseaux de chasse, la somme qu'il y employoit en 1620 ne dépasse pas celle qui se trouve, pour le même objet, portée au budget de son père.] Les chevaux et oyseaux, dix-huict mil livres. Les gentils-hommes de sa maison, deux cens mil livres[124]. [Note 124: On ne trouve en 1597 que 21,000 fr. pour les cent gentilshommes. C'est qu'alors Sully veilloit à ce qu'on ne vît pas renaître les dilapidations du règne précédent, et «cette effrenée quantité d'officiers qui detruisoient tous les revenus du roi». (_Oeconom. royales_, coll. Petitot, t. 3, p. 17.)] Les Suisses, vingt-deux mil livres. Les gardes du corps, tant François que Suisses, deux cens mil livres. Le prevost de l'autel, cinquante-deux mil deux cens livres. Les bastimens, compris Fontaine-bleau, quatre cens quatre-vingt mil livres. Maison de la royne, trois cens mil livres. Maison de monsieur le duc d'Anjou[125], frère du roy, sept vingt-deux mil livres. [Note 125: C'est Gaston, qui ne fut fait que plus tard duc d'Orléans. Il avoit porté le titre qu'on lui donne ici dès sa naissance, en 1610. La rue d'Anjou-Dauphine, dont la construction est de la même date, lui doit son nom.] Les garnisons, quinze cens mil livres. Les autres gens de guerre, treize cens mil livres. Artilleries, outre les sommes employées dans l'estat des finances, deux cens quatre-vingt mil livres. Fortifications et reparations, quatre cens soixante-dix-sept mil neuf cent soixante livres. Marines de Ponant, dix-huict mil livres. Marines de Levant, deux cens soixante-dix-sept mil neuf cens soixante livres. Les voyages, deux cens deux mil livres. Les deniers, deux cens mil livres. Les menus dons, deux cens mil livres. Les grosses estrennes du roy, cent cinquante mil livres. Comptant ez mains du roy, sept vingt mil livres. Les gouverneurs des provinces, quatre-vingt-neuf mil livres. Les ambassadeurs, neuf vingt quatorze mil neuf cens quatre-vingt-unze livres. Les pensions, pour six millions quatre cens mil livres[126]. [Note 126: Elles n'étoient portées que pour 2,063,729 sur l'état de 1607. L'augmentation qu'on trouve ici, et bien mieux encore le détail qu'on trouvera plus loin, expliquent les plaintes contenues dans maint pasquil du temps, notamment dans la pièce que nous avons donnée avant celle-ci, _Turlupin le souffreteux_. On y trouve aussi la preuve de ce qu'a dit Richelieu sur les dilapidations commencées avec la régence de Marie de Médicis, et forcément continuées même après la mort du marquis d'Ancre: «Les présents que la reine fit aux grands au commencement de sa régence étourdirent bien la grosse faim de leur avarice et de leur ambition, mais elle ne fut pas pour cela éteinte. Il falloit toujours faire de même si l'on vouloit les contenter. De continuer à leur faire des gratifications semblables à celles qu'ils avoient reçues, c'étoit chose impossible. L'épargne et les coffres de la Bastille avoient été épuisés, et quand on l'eût pu faire, encore n'eût-il pas été suffisant.» (_Mémoires de Richelieu_, liv. 5.)] L'Angleterre et Pays-Bas, un million neuf cens cinquante mil livres[127]. [Note 127: Ce subside, dont je ne connois ni l'origine ni l'objet, avoit été diminué d'un million depuis 1607.] Les deniers en acquit, six cens quatre-vingt dix mil livres. Les seigneurs de ligues des Suisses, douze cens mil livres. Le grand duc, pour debtes, cent mil livres. Le duc de Lorraine, pour debtes, cent mil livres. Le duc de Guyse, pour debtes[128]. [Note 128: La somme manque ici, mais on sait par l'état de 1607 qu'elle étoit de 100,000 livres.] Le cardinal de Joyeux, de Hombert, Bassompierre et Incarville, au lieu du domaine dont ils ont été depossedez, cent mil livres. Le duc de Vendosme et madame de Mercure[129], pour debte, cent cinquante mil livres. [Note 129: De Mercoeur.] Le duc de Nemours, pour debte, quatre-vingt-dix mil livres[130]. [Note 130: Cette dette n'est pas sur l'état de 1607, où les autres figurent.] Le duc de Mantoue, pour debte, quarante-cinq mil livres. Jamect et Gondy, pour debte, quatre-vingt dix mil livres. Debtes de Languedoc, soixante-quinze mil livres. Fermes, demandes de dedommagemens, deux cens mil livres. Rentes à Rouen, soixante-douze mil livres. Interests d'advances, trois cens mil livres. Parties inopinées et non values, cy deux millions cent sept mil cinq cens livres sept sols six deniers. Somme toute de la despence cy-dessus, dix-neuf millions six cens trente-six mil trois cens trente cinq livres. Voilà donc à quoy revient ces despens, ce grand amas de finances ausquels nous pouvons observer cet ordre de la nature, que, tout ainsi que des fontaines naissent des ruisseaux, les rivières qui tirent quelques fois leur origine de lacs dont les sources sont en eux-mesmes et se desgorgent toutes dans la mer, de mesme se peut-il voir des finances, en ce qu'après estre entrées en l'espargne, elles en sortent, comme nous avons monstré cy-devant, et, se jettans par les plus grosses veines, se respendent jusques aux plus moindres partyes, qui sont les laboureurs et artizans, ausquels il faut necessairement que la plus part s'en aille; et que si, pour conserver le repos du royaume, il en sort quelque partie, aussi en entre-il d'ailleurs par le moyen de ces quatre sources inexpirables: le bled, le vin, les toilles et le pastel[131], dont la paye entretient l'abondance et fait que le peuple se peut facilement acquitter de ce qui luy est imposé sur luy, vivre paisiblement et d'esperer encore mieux à l'advenir; car Sa Majesté veillant, comme elle a fait depuis la paix, par les yeux de ceux qu'elle a commis et dignement choisis en toutes les charges de son Estat, et recouvrant comme elle a fait le douaire de sa sacrée couronne, sçavoir est le domaine dont il y a party fait dès l'année mil six cens et douze[132], pour prest de trente millions de livres, c'est le moyen le plus asseuré pour l'enrichir, comme aussi le public, et en faire autant pour son peuple comme pour Sa Majesté mesme. [Note 131: Sur ce produit, l'une des principales richesses de nos provinces méridionales, V. notre t. 3, p. 110-111.] [Note 132: «Dès l'année 1608», lit-on dans l'_Etat_ de 1607, dont, sauf cette variante, tout ce paragraphe est la reproduction.] _Pensions de nosseigneurs et dames de la cour._ A monsieur le Prince, pour sa pension de la présente année 1621, cent mil livres[133]. [Note 133: Un _état_ manuscrit des dépenses particulières de Louis XIII pour 1641, pièce fort intéressante, que M. Vallet de Viriville a publiée presque entièrement dans le _Cabinet de lecture_ (10 juillet 1837), d'après la copie possédée par la bibliothèque Sainte-Geneviève, dans le recueil coté Z, 378, in-4, contient aussi l'_état général des gages, appoinctemens et pensions que le roy veult et ordonne estre payées par le tresorier de son espargne aux princes, princesses, dames, officiers de la couronne, seigneurs du conseil, gouverneurs des provinces, gentilshommes et aultres_ ... On y trouve M. le Prince, comme ici, en première ligne, mais pour une pension plus forte: cent cinquante mille livres. De plus, son fils, le duc d'Anguien (_sic_), en a une de 100 mille.] A monsieur le comte de Soissons, soixante-dix mil livres. A monsieur de Guyse, cent mil livres. A monsieur le duc de Nevers, cent mil livres. A monsieur de Longueville, quatre-vingt mil livres[134]. [Note 134: En 1641, il n'a plus que 26,000 livres, y compris ses appointements de gouverneur de Normandie.] A monsieur de Vandosme, cinquante mil livres. A monsieur le duc d'Elbeuf, trente mil livres. A monsieur le prince de Joinville, trente mil livres[135]. [Note 135: Frère du duc de Guise. On avoit acheté sa fidélité à la cause du roi par cette pension et d'autres avantages. V. _Lettres de Richelieu_ (documents inédits), t. 1, p. 462, 475.] A monsieur le duc d'Epernon, soixante-dix mil livres. A monsieur le duc de Bouillon, quatre-vingt mil livres[136]. [Note 136: En 1641, Richelieu ayant fait en sorte qu'il fût moins à craindre qu'en 1622, on ne lui donnoit plus que 3,000 livres de pension, plus 10,000 «à cause de la protection de Sedan».] A monsieur de la Trimouille, cinquante mil livres[137]. [Note 137: En 1641, il n'a plus que 8,000 livres.] A monsieur le chevalier de Vandosme, trente mil livres. A monsieur l'admiral, quarante mil livres[138]. [Note 138: C'est le duc de Montmorency qui avoit alors la charge d'amiral. Richelieu la supprima en 1627; il la remplaça par celle de grand maître de la navigation, qu'il prit pour lui.] A monsieur le duc de Redz[139], vingt mil livres. [Note 139: Celui dont la déroute au Pont-de-Cé est si fameuse. Leclerc, (_Hist. de Richelieu_, 1694, in-8, p. 63.)] A monsieur le comte de Laval, trente mil livres[140]. [Note 140: Urbain de Laval, maréchal de France, mort en 1629.] A monsieur le comte de Chombert, trente mil livres[141]. [Note 141: Henri de Schomberg, alors superintendant des finances.] A monsieur d'Esdiguières[142], soixante mil livres. [Note 142: Le duc de Lesdiguières.] A monsieur de Montbazon, quarante mil livres[143]. [Note 143: Grand veneur de France. En 1641, il ne touche plus que 10,000 livres. V. sur lui notre t. 5, p. 291.] A monsieur le Connestable, soixante et dix mil livres[144]. [Note 144: Le duc de Luynes, alors connétable en effet.] A monsieur de Brante, trente mil livres. A monsieur de Cadenet, vingt mil livres[145]. [Note 145: Les deux frères de Luynes. V. sur eux les _Caquets de l'Accouchée_, passim.] A monsieur de Bassompierre, trente mil livres. A monsieur le duc de Rouennois[146]. [Note 146: Le duc de Roannez.] A monsieur le comte de S.-Aignan[147], trente mil livres. [Note 147: Celui qui eut une si belle part à la déroute du duc de Retz au Pont-de-Cé. V. le _Baron de Fæneste_, liv. 4, chap. 2.] A monsieur le Grand[148], cinquante mil livres. [Note 148: Le duc de Bellegarde, _grand_ écuyer de France. En 1641, il n'a plus que 10,000 livres, et encore est-ce comme conseiller d'Etat. Richelieu, on le voit, avoit réduit tous les favoris, et Bellegarde l'avoit été plus qu'aucun, à la portion congrue.] A monsieur le mareschal de Souvray, quarante mil livres. A monsieur le Premier[149], quarante mil livres. [Note 149: On appeloit M. _le Grand_ le maître de la grande écurie du roi, et M. _le Premier_ celui qui commandoit à la petite.] A monsieur le comte de la Roche-Foucault[150], vingt mil livres. [Note 150: François de La Rochefoucauld, père de l'auteur des _Maximes_, fait en 1612 maître de la garde-robe par le maréchal d'Ancre, et duc et pair en 1622 par Louis XIII.] A monsieur de Termes[151], quinze mil livres. [Note 151: Le baron de Termes, frère du duc de Bellegarde. Il mourut cette même année, 1621, le 22 juillet, d'une blessure qu'il avoit reçue au siége de Clérac.] A monsieur de la Roche Guyon, dix mil livres. A monsieur le vicomte de Pardaillan, dix mil livres. A monsieur de Rauquelaure[152], trente mil livres. [Note 152: Antoine de Roquelaure, maréchal de France, mort en 1626.] A monsieur le vicomte de Sardigny[153], soixante mil livres. [Note 153: Scipion Sardini, financier anobli. V. sur lui et sur sa maison le t. 5, p. 221.] A monsieur de Suilly, quarante mil livres[154]. [Note 154: Le duc de Sully. Ce grand ennemi des pensions ne laissoit pas, comme on voit, que d'en toucher une assez bonne, sans préjudice de celle dont étoit gratifié son fils, le marquis de Rosny, qui suit ici la sienne.] A monsieur le marquis de Rosny, vingt mil livres. A monsieur le marquis de Nesles, vingt mil livres. A monsieur le marquis de Coeuvre[155], dix mil livres. [Note 155: François Annibal d'Estrées, marquis de Coeuvres, se rendit fameux dans les ambassades. Il étoit frère de Gabrielle. V. les _Caquets de l'Accouchée_, p. 149.] A monsieur de Vantadour, vingt mil livres. A monsieur le comte de Fiesques[156], vingt mil livres. [Note 156: Charles-Louis, comte de Fiesque, qui joua un rôle dans la Fronde parmi les conseillers de Gaston. Sa femme, Gilone d'Harcourt, figure dans l'_Histoire amoureuse des Gaules_.] A monsieur le vidasme du Mans, vingt mil livres. A monsieur le vidame de Chartres, vingt mil livres. A monsieur de Mortemar, dix mil livres[157]. [Note 157: En 1641, il est l'un des trois premiers gentilshommes de la chambre du roi, et reçoit en cette qualité 6,000 livres. Son marquisat devint duché-pairie en 1650. On l'appeloit le beau Mortemart. V. t. 5, p. 154.] A monsieur de Biron, vingt mil livres[158]. [Note 158: En 1641, il n'a plus que 2,000 livres de pension, et nous le trouvons perdu parmi les 400 pensionnaires environ que la pièce du recueil de la Bibliothèque Sainte-Geneviève comprend sous le titre de _Cour_.] A monsieur d'Antragues[159], dix mil livres. [Note 159: Balzac d'Entraigues ou d'Antragues, ancien gouverneur d'Orléans, père de la marquise de Verneuil. Il vivoit retiré dans sa terre de Malesherbes, où Henri IV l'avoit exilé après la découverte de sa conspiration avec l'Espagne. Il est étrange que Louis XIII pensionne un tel homme.] A monsieur le comte de Chiverny[160], dix mil livres. [Note 160: Fils du chancelier de France sous Henri III et sous Henri IV, auteur des _Mémoires_ si célèbres.] A monsieur le comte de Sanxerre, dix mil livres. A monsieur de la Curée, six mil livres. A monsieur Daigremont, dix mil livres. A monsieur de Crequy, douze mil livres[161]. [Note 161: Maréchal de France, gendre de M. de Lesdiguières.] A monsieur de Praslin, dix mil livres. A monsieur le marquis de Ragny, huict mil livres. A monsieur le marquis de Mosny[162], huict mil livres. [Note 162: Nous ne le trouvons nommé que dans les _Contreveritez de la cour_. V. notre t. 4, p. 342. C'étoit, à ce qu'il paroît, un grand fou.] A monsieur de Villepreux, dix mil livres[163]. [Note 163: Le même qui plus tard accompagna le duc de Guise dans son expédition de Naples, et fut l'un de ceux qui le servirent le mieux. V. Collect. Petitot, 2e série, t. 56, p. 181.] A monsieur de Sainct-Gerant[164], huict mil livres. [Note 164: Il ne nous est connu que comme agent de Sully pour une mission qu'il lui donna à Moulins. V. _Oeconom. royales_, édit. Petitot, t. 7, p. 407.] A monsieur de Courtenvaux[165], dix mil livres. [Note 165: Gille de Souvray, marquis de Courtanvaulx, maréchal de France, gouverneur de Louis XIII. Il fut tué dans une affaire près d'Arras. V. Mém. de Monglat, Coll. Petitot, 2e série, t. 49, p. 276.] A monsieur le chevalier de Souvray[166], dix mil livres. [Note 166: Il étoit en 1641 premier gentilhomme de la chambre et recevoit 6,000 livres.] A monsieur Dallincourt[167], vingt mil livres. [Note 167: Fils de Villeroy, l'un de ceux qui travaillèrent le plus à faire chasser Sully du ministère.] A monsieur Daumont[168], dix mil livres. [Note 168: Antoine d'Aumont, fort jeune alors. Il devint maréchal de France sous Louis XIV.] A monsieur de Salcedde, dix mil livres. A monsieur le vicomte de Bourgueil, dix mil livres. A monsieur le comte de S.-Paul[169], trente mil livres. [Note 169: Gouverneur d'Orléans. Sa femme recevoit encore en 1641 une pension de 6,000 livres.] A monsieur de Nangy[170], vingt mil livres. [Note 170: Très brave officier, qui servoit comme mestre de camp au siége de Gravelines, en 1652, et y fut tué.] A monsieur de Montespan, dix mil livres. A monsieur d'Argouges, dix mil livres. A monsieur d'Aubigny, huict mil livres. A monsieur de Razilly[171], huict mil livres. [Note 171: M. de Razilly étoit un voyageur revenu depuis 1613 des îles d'Amérique, d'où il avoit ramené toute une famille de sauvages, dont il est longuement parlé dans les lettres de Malherbe à Peiresc. V. p. 258, etc.] A monsieur du Plessy-Mornay, trente-six mil livres. A monsieur Benjamin[172], dix mil livres. [Note 172: Le même que Saint-Amant appelle Des bons escuyers la source. Il tenoit à Paris une académie d'équitation. L'abbé Arnauld, qui travailloit à son académie en 1634, fait de lui les plus grands éloges. Cinq-Mars prit aussi de ses leçons, ainsi que le duc d'Enghien, «et, dit l'abbé, c'est, je crois, la plus forte preuve qu'on puisse donner de l'estime dans laquelle estoit cet excellent maistre». (_Mém._ de l'abbé Arnauld, Collect. Petitot, 2e série, t. 34, p. 130, 134, 135.)] A monsieur de Vignolles[173], dix mil livres. [Note 173: Il avoit été maréchal de camp sous Henri IV. C'est lui qui, lors de la panique de 1636, conseilla d'attaquer Corbie, jurant de le reprendre en quinze jours. On se trouva bien d'avoir suivi son conseil.] A monsieur le marquis de Conaquin, dix mil livres. A monsieur de Riberpré[174], douze mil livres. [Note 174: On le récompensoit là sans doute d'avoir été l'un des ennemis du maréchal d'Ancre et d'avoir failli être tué par ses _bravi_. V. Collect. Petitot, t. 21 _bis_, p. 236.] A monsieur le marquis de Nouailles, dix mil livres. A monsieur de Mout[175], douze mil livres. [Note 175: Le voyageur de Mout, qui découvrit pour nous, avec Champlain, les côtes de l'Acadie. V. sur lui t. 3, p. 165, note.] A monsieur d'Estisac[176], dix mil livres. [Note 176: Le marquis d'Estissac, dont il est parlé dans les _Mémoires_ de Mme de Motteville à propos de sa prise de possession de La Rochelle, où il demeura fidèle au roi. C'est aussi lui qui chassa de Marennes les gens du comte de Dognon. V. _Mém._ de Monglat, Collect. Petitot, 2e série, t. 50, p. 395.] A monsieur de Pouille, huict mil livres, A monsieur de Rohan, trente-six mil livres. A monsieur de Bellangreuille, cinquante mil livres. A monsieur de Cangey, huict mil livres. A monsieur de Sauveterre[177], huict mil livres. [Note 177: Il fut quelque temps l'un des premiers valets de chambre de la garde-robe; mais, étant accusé de vouloir mettre de la mésintelligence entre le roi et sa mère, il fut contraint à se retirer.] A monsieur le comte d'Auvergne, quarante mil livres. A monsieur de Pommereuze, dix mil livres. A monsieur de Moncanisy, dix-huict mil livres. A monsieur de Matignon, dix mil livres. A monsieur de Vaubecourt, douze mil livres. A monsieur de la Pardis, douze mil livres. A monsieur le marquis de Marrigny, dix mil livres. A monsieur de Fourneaux, douze mil livres. A monsieur de Baigneux, dix mil livres. A monsieur de Grandmond, huict mil livres[178]. [Note 178: En 1641, le sieur de Grammont, «fils naturel de M. le prince de Conti», n'est porté que pour 2,000 livres.] A monsieur de Martainville, six mil livres. A monsieur Ribère, medecin[179], huict mil livres. [Note 179: Sur l'état de 1641 le médecin Ribère ne se trouve plus, mais il y en a _six_ autres à sa place: Bonnard, _premier medecin du roy_, pour 12,000 livres de gages; Seguin, _premier medecin de la reyne_, pour 6,000; Guillemeau, _medecin ordinaire du roy_, pour 2,400; Citoye, _medecin du roy_ (il étoit aussi, comme on sait, celui du cardinal de Richelieu), touchoit 2,000 livrés «pour sa pention», et non pour ses gages; enfin Le Teillier, médecin du roy, touchoit 1,200 livres.--Ce qui nous étonne, c'est de ne pas voir ici le nom d'Hérouard, qui devoit être pourtant, en 1621, attaché à la personne du roi, d'après ce que dit Tallemant (édit. in-12, t. 3, p. 62): «J'oubliois que son médecin Hérouard a fait plusieurs volumes de tout ce que le roi a fait, qui commencent depuis l'heure de sa naissance jusqu'au siége de La Rochelle, où vous ne voyez rien, sinon à quelle heure il se réveilla, déjeuna, cracha, pissa, etc.» Ce singulier manuscrit a été indiqué par le P. Lelong dans sa _Bibliothèque de la France_, t. 2, nº 21,448. Il porte ce titre: _La Ludovicotrophie_, ou _Journal de toutes les actions et de la santé de Louis, dauphin de France, qui fut ensuite le roi Louis XIII, depuis le moment de sa naissance jusqu'au 29 janvier 1628_, par Jehan Hérouard, premier médecin du prince. Il paraîtroit qu'Amelot de la Houssaye avoit eu connoissance de ce journal, quand il écrivit, ne se trompant que sur le nom du médecin: «Bouvard, médecin de Louis XIII, lui fit prendre en un an 215 médecines et 212 lavements, et le fit saigner 47 fois.» (_Mémoires historiques_, t. 2, p. 193-194.) Ce _Journal_ est aujourd'hui parmi les manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal, in-4, nº 184.] A monsieur de Blammesnil, six mil livres. A monsieur du Bois-Chastellier[180], huict mil livres. [Note 180: Ne seroit-ce pas Dubois, l'un des premiers valets de chambre du roi, de qui l'on a le _Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à la mort de Louis XIII_, etc., publié d'abord à Amsterdam (_Curiosités historiques_, 1759, t. 2, p. 44), puis par MM. Michaud et Poujoulat, qui ne rappellent pas sa première publication dans leur nouvelle collection de _Mémoires_, 1re série, t. 11, p. 523.] A monsieur de Lormeroux, dix mil livres. A monsieur de Conflans, huict mil livres. A monsieur de Beaugrand, escrivain du roy, trois mil livres. A monsieur Gentil, joueur de paulme de Sa Majesté, deux mil livres. Au sieur Hierosnime, espadacin du roy, trois mil livres[181]. [Note 181: Dans l'état de 1641, l'on ne retrouve plus ces trois derniers emplois, qui indiquent qu'en 1621 Louis XIII, qui n'avoit que 20 ans, apprenoit encore l'écriture, la paulme et les armes. On y trouve en revanche: Jacques Le Vasseur, _trompette du roy_, porté pour 400 livres; Jacques Abraham, _oiseleur et siffleur de linottes_, pour 200; le _petit fourbisseur_, pour 600; Boccan, _maître à danser de la reyne_, pour 800, et le sieur Dupré, _saulteur_, pour la même somme. En 1659, d'après l'_Estat général des officiers, domesticques et commensaux de Sa Majesté_ ..., tiré des Mémoires de M. de Saintot, par le sieur de La Marinière, Paris, 1660, in-8, l'on apprend que le maître à danser du jeune roi (Louis XIV) recevoit 2,000 livres, son maître de dessin 1,500, tandis que celui qui lui montroit l'écriture n'en avoit que 300.] _Capitaines des gardes._ A monsieur de Saincte-Collombe, trois mil livres. A monsieur de Fourrilles[182], deux mil livres. [Note 182: Il fut plus tard lieutenant-colonel du régiment des gardes et grand maréchal des logis. En 1641 il avoit cette dernière charge et recevoit 2,000 livres, plus 4,000 auxquelles il avoit droit «pour la pention qu'avoient ses prédécesseurs et qu'il avoit acheptée avec sa charge.» Le premier, selon Mme de Nemours, il démêla les bonnes qualités de Louis XIV. (Collect. Petitot, 2e série, t. 34, p. 305.)] A monsieur de Campaignolles, deux mil livres. A monsieur de Formagères, deux mil livres. A monsieur Tilladet, deux mil livres. A monsieur de Meux, deux mil livres. A monsieur de Bourdet, deux mil livres. A monsieur de la Salle, deux mil livres. A monsieur de Bourg, deux mil livres. A monsieur de Nangy, deux mil livres. A monsieur de Goaas[183], deux mil livres. [Note 183: C'est lui qui, au siége de Montpellier, en 1622, eut une querelle avec M. de Marillac pour une sentinelle de sa compagnie que celui-ci avoit frappée. V., à cette date, les _Mémoires de Puységur_.] A monsieur de Grandpré, deux mil livres. A monsieur de Castellier, deux mil livres. A monsieur de Grandpré, deux mil livres. A monsieur de Livroux, deux mil livres. _Pairs de France, Clergé._ A monsieur l'evesque de Noyon, douze mil livres. A monsieur l'evesque de Chaallons, dix mil livres. A monsieur l'evesque de Laon, dix mil livres. A monsieur l'archevesque de Rheims, douze mil livres. A monsieur l'evesque de Langres, dix mil livres. A monsieur l'archevesque de Sens, quinze mil livres. A monsieur l'archevesque de Lyon, douze mil livres. A monsieur l'evesque de Paris, douze mil livres. A monsieur l'evesque de Senlis, huict mil livres. A monsieur l'archevesque d'Anbrun, huict mil livres. A monsieur l'evesque de Chartres, huict mil livres. A monsieur l'archevesque de Bourges, dix mil livres. A monsieur l'evesque de Lisieux, dix mil livres. A monsieur l'archevesque de Roüen, huict mil livres. A monsieur l'archevesque de Tours, six mil livres. A monsieur l'archevesque d'Arles, huict mil livres. A monsieur l'evesque de Rennes, huict mil livres. A monsieur l'evesque de Nantes, six mil livres. A monsieur l'archevesque de Bourdeaux, huict mil livres. A monsieur l'archevesque d'Aix, dix mil livres. A monsieur l'evesque de Montpellier, dix mil livres. A monsieur l'archevesque de Thoulouze, huict mil livres. _Conseillers d'Estat._ A monsieur le chancellier[184], soixante mil livres. [Note 184: Personne alors n'occupoit cette haute charge: Luynes se l'étoit réservée. C'est lui qui tenoit les sceaux et qui, par conséquent, touchoit aussi les appointements. Après sa mort, le président du Vair, dont le nom suit, fut fait chancelier, mais mourut lui-même après un très court exercice.] A monsieur le president du Vair, quatre-vingt mil livres. A monsieur le premier president, douze mil livres[185]. [Note 185: C'étoit Nicolas de Verdun. V. sur lui _les Caquets de l'Accouchée_, p. 143-144.] A monsieur le president Jeannin, dix mil livres. A monsieur le president de Hacqueville, dix mil livres[186]. [Note 186: Jérôme de Hacqueville. Il fut premier président en 1627, après la mort de M. de Verdun, et mourut lui-même l'année suivante.] A monsieur de Villemontée, huict mil livres. A monsieur de Roissy, dix mil livres. A monsieur de Villotreys[187], douze mil livres. [Note 187: Le sieur de Villautrais, que sa fortune de partisan avoit porté au Conseil d'Etat. V. _les Caquets de l'Accouchée_, p. 365.] A monsieur de Vicq, dix mil livres[188]. [Note 188: Meri de Vic, sieur d'Ermenonville, qui fut chancelier de France après du Vair, et mourut l'année qui suivit son entrée en charge.] A monsieur de Belesbat, douze mil livres. A monsieur le president Crespin, dix mil livres. A monsieur de Bullon[189], douze mil livres. [Note 189: Claude de Bullion, qui mourut en 1640 surintendant des finances.] A monsieur le president de l'Escaloppier[190], dix mil livres. [Note 190: Celui dont la femme fit tant parler et pour laquelle on composa la fameuse chanson des Feuillantines.] A monsieur de Revol, dix mil livres. A monsieur de Hacqueville, dix mil livres. A monsieur de Harlay[191], douze mil livres. [Note 191: Fils de l'ancien premier président. Il devint lui-même procureur général, et mourut en 1671.] A monsieur le Chevallier[192], douze mil livres. [Note 192: Le président Chevalier, dont il est parlé dans _les Caquets de l'Accouchée_, p. 27.] A monsieur le president Gabellin, quatre mil livres. A monsieur le president Hannequin, six mil livres. A monsieur de Beaumont, huict mil livres. A monsieur Durier[193], six mil livres. [Note 193: Au lieu de Durier, ne faut-il pas lire Duret, sieur de Chevry? Il avoit été secrétaire de Sully et étoit devenu président de la chambre des comptes. V. t. 4, p. 156.] A monsieur Ollier[194], dix mil livres. [Note 194: Il n'étoit que conseiller au Parlement sous Henri IV. L'on a de lui de très curieux _Mémoires_ mss. qui se trouvent à la Bibliothèque impériale, nº 9821-3.] A monsieur de Pont-Chartrain, douze mil livres. A monsieur Puget[195], quatre mil livres. [Note 195: Fameux trésorier de l'épargne. V. Tallemant, édit. in-12, t. 8, p. 116, et notre édit. des _Caquets de l'Accouchée_, p. 39, note.] A monsieur Phlippeaux[196], quatre mil livres. [Note 196: Paul Phelypeaux de Pontchartrain. Il mourut cette même année 1621.] A monsieur de Moram, quatre mil livres. A monsieur D'Herbault[197], quatre mil livres. [Note 197: Remi Phelypeaux d'Herbault, mort en 1629.] A monsieur de Vausclans, douze mil livres. A monsieur de Sancy, trente mil livres. _Gens du roy._ A monsieur le procureur general, huict mil livres[198]. [Note 198: C'étoit alors Nicolas de Bellièvre, qui mourut en 1650.] A monsieur Servin[199], advocat general, six mil livres. [Note 199: Louis Servin, mort en 1626.] A monsieur le Bret[200], advocat general, six mil livres. [Note 200: Cardin le Bret, mort en 1654.] _Secretaires d'Estat._ A monsieur de Seaux[201], vingt mil livres. [Note 201: Le comte de Sault. Il figure en 1641 parmi les premiers gentilshommes de la chambre, et reçoit en cette qualité 6,000 livres.] A monsieur de Pont-Chartrain, vingt mil livres. A monsieur de Lermenye[202], vingt mil livres. [Note 202: Lisez Antoine de Loménie, qui fut en effet secrétaire d'Etat jusqu'en 1638, année de sa mort.] A monsieur Phlipeaux, vingt mil livres. A monsieur de Flexelles, greffier du conseil, deux mil livres. Aux cinq huissiers du conseil, six mil livres. _Dames._ A madame la Princesse, trente mil livres. A madame la princesse de Conty, vingt mil livres. A madame de Guyse, la douairière[203], vingt mil livres. [Note 203: Elle faisoit beaucoup parler d'elle alors à cause de son commerce avec M. de Bellegarde. V. t. 5, p. 155.] A madame d'Elbeuf, la mère, dix mil livres[204]. [Note 204: C'est la même qui, en 1631, prit parti avec la princesse de Conti et le duc d'Orléans contre le cardinal et fut exilée.] A madame de la Trimouille, dix mil livres. A madame de Rohan, douze mil livres. A madame de Longueville la mère, douze mil livres. A madame la marquise de Verneuil[205], dix mil livres. [Note 205: Henriette d'Entragues, dont les amours avec Henri IV sont si connus. Elle mourut en 1633. Il est curieux de voir ici le fils pensionner la maîtresse de son père.] A madame la comtesse de Mouret[206], dix mil livres. [Note 206: Encore une maîtresse de Henri IV pensionnée par son fils. C'est Jacqueline de Beuil, comtesse de Moret, qui eut du roi, en 1607, ce comte de Moret tué à la bataille de Castelnaudary, en 1632.] A madame des Essars[207], douze mil livres. [Note 207: Charlotte des Essars, comtesse de Romorantin. C'est encore une des maîtresses de Henri IV, qui en eut deux filles, l'abbesse de Fontevrault et l'abbesse de Chelles. Elle mourut en 1651, femme du maréchal de l'Hospital. Nous ne la trouvons pas sur l'_Etat_ de 1641, mais nous y trouvons sa fille, l'abbesse de Fontevrault, pour 3,600.] 2. A mesdamoiselles de Rohan, huict mil livres[208]. [Note 208: En 1641 nous ne trouvons qu'une demoiselle de Rohan, portée pour 6,000 livres.] 2. A mesdamoiselles Daumalle, huict mil livres. A madame la comtesse de Saux[209], dix mil livres. [Note 209: Auparavant marquise de Créqui, et mère du maréchal de ce nom. Le comte de Sault, dont il a été parlé plus haut, étoit son fils d'un second lit. Bullion avoit été son amant et lui devoit sa faveur. V. Tallem., édit. in-12, t. 3, p. 5-6.] A madame de Balligny[210], dix mil livres. [Note 210: Diane d'Estrées, soeur de Gabrielle et seconde femme de Jean de Montluc, sieur de Balagny, maréchal de France. Elle avoit une détestable réputation et la méritoit. V. t. 5, p. 155.] A madame de Guercheville[211], dix-huict mil livres. [Note 211: Henri IV l'avoit aimée sans succès. Il l'attacha à la personne de Marie de Médicis lors de son mariage avec cette princesse. C'est l'une des rares honnêtes femmes que nous trouvons dans cette liste de dames ayant pension de Louis XIII, dit le _chaste_.] A madame de Vauselaux, dix-huict mil livres. A Françoise Joret, nourrice de Sa Majesté, six mil livres[212]. [Note 212: En 1641, c'est la nourrice du dauphin qui touche une pension, mais de beaucoup moins forte: «A la demoiselle de la Giraudière, première nourrice de M. le Dauphin ..., 1,200 livres.»] Aux servantes des Enfans de France, quatre mil livres. A Mathurine, douze cens livres[213]. [Note 213: C'est la _folle_ en titre d'office dont nous avons déjà si souvent parlé. V. notamment _Caquets de l'Accouchée_, p. 168, 261. Ogier, dans son _Apologie pour Balzac_, p. 100, parle de Mathurine comme d'une _folle à gages_. Ce livre parut en 1627, et Ogier dit qu'elle étoit morte alors.] A M{e} Guillaume[214], par les mains de M{e} Jean Lobeys, son gouverneur[215], dix-huict cens livres. [Note 214: Même note pour maître Guillaume, qui se trouvoit être le fou de Louis XIII comme il avoit été celui de Henri IV. V. pour lui _les Caquets de l'Accouchée_, p. 263, etc. Dans le _Lunatique à maître Guillaume_, l'une des nombreuses pièces qui furent faites sous le nom de ce fol ou à son sujet, il est parlé de sa pension, ainsi que de celle de Mathurine: «Tu fais bien de ne pas aimer les réformés, dit l'auteur à maître Guillaume ... car s'ils étoient crus ... on retrancheroit les fols et les bouffons ... Eh! pauvre Mathurine, pauvre Angoulevant, pauvre maître Guillaume, et tous tant que vous êtes de fous à chaperon et sans chaperon, où seroient désormais vos pensions?»] [Note 215: Les gouverneurs des fous de cour étoient eux-mêmes des bouffons, témoins ceux qu'on avoit donnés pour maîtres à Thoni, fou de Henri II et de Charles IX: l'un s'appeloit Gui, l'autre La Farce. Il est parlé de celui-ci, dont nous ne venons, bien entendu, de dire que le surnom, dans une pièce qui se trouvoit parmi les archives de M. le baron de Joursanvault, et que le _Catalogue_ (1re partie, p. 64, nº 447) analyse ainsi: «Louis de la Proue, dit La Farce, gouverneur de Thouyn (c'est le vrai nom de Toni), _fou du roy_, va avec ledit Thouyn trouver le duc de Lorraine de la part du roi.» (1560.)] _Quatrains au Roy sur la façon des harquebuses et pistolets, enseignans le moyen de recognoistre la bonté et le vice de toutes sortes d'armes à feu, et les conserver en leur lustre et bonté, par François Poumerol, arquebusier._ _A Paris, pour l'autheur, chez Pierre Rocolet, au Palais._ M.DC.XXXI[216]. [Note 216: Nous ne connoissons ce livre que par l'exemplaire qui se trouve à la bibliothèque de l'Arsenal. Il eut pourtant deux éditions; la seconde, très augmentée, se trouve aussi, mais sans titre, à la même bibliothèque. Une série de _huitains_ adressés aux arquebusiers en est la pièce la plus curieuse; elle nous a beaucoup servi pour l'annotation des _quatrains_ que nous donnons ici.] * * * * * _A l'Occasion._ Occasion, qu'à moy t'es souvent presentée, Lorsque, pour mon malheur, ne t'ayant souhaittée, Jeune, je ne daignois de te prendre aux cheveux; Ores que je suis vieil et que je te souhaitte, Si jamais tu reviens t'offrir dans ma logette, A tes offres soudain j'attacheray mes voeux. Le deplaisir que j'ay de t'avoir meprisée Au temps que ma besongne estoit des grands prisée, Et que tu me voulois mettre à Fontainebleau[217], M'est si grand que depuis, pour marque de ma faute, Au bourg où je me tien, j'ay dans ma chambre haute Dudit Fontainebleau l'admirable tableau. Enfin je pouvois estre, exempt des fascheries, Dans ce Fontainebleau ou dans les Galeries Où maints artisans sont au service des rois. Mais j'ay beau regretter Fontainebleau, le Louvre, Le temps qui est perdu jamais ne se recouvre, Ny l'homme ne peut estre au monde qu'une fois. [Note 217: L'arsenal particulier du roi étoit à Fontainebleau, dans la partie du château qu'on appeloit le _pavillon des armes_. Une des chambres de ce pavillon avoit servi de prison au maréchal de Biron.] _A la Fortune._ Fortune, qui conduis sur la terre et sur l'onde En diverses façons la brigade du monde, Fay que ce petit livre, où je suis esperdu, Pour ne l'avoir sceu faire, en ce temps où nous sommes, Digne de voir le jour, ny d'estre veu des hommes Ne soit des mesdisans ny pincé, ny mordu. De plus, fais, s'il te plaist, que ce petit volume, Au sortir de ma forge, où le charbon s'allume, Ne s'aille mettre au jour sans guide et sans support: Car, s'il est attaqué de quelque Menippée, Un coup de langue est pire qu'un coup d'espée, Ou fais à tout le moins qu'il prenne un passeport. Toy donc que je reclame, ô Fortune perverse! Qui eslève les uns et les autres renverse Dans les malheurs du monde où le destin nous met, Ne me sois point contraire, ains conduis mon envie; Mais quoy! tu ne peus rien en ceste humaine vie, Ny le destin non plus, si Dieu ne le permet. _Au Bonheur._ Bonheur, qui peux beaucoup et qui n'as rien d'injuste, Qui conduis les desseins de nostre grand Auguste, Sous le vouloir de Dieu et de Sa Majesté, Je te prie et conjure, au nom de ce monarque, De vouloir empescher que d'aucun aristarque Ce petit avorton ne soit trop molesté. _Au mesme._ La chauve Occasion[218], qui va sur une boule, Ny la Fortune aussi, qu'entre le peuple roule, Ne sont pas tant que toy en ce bas univers. Parquoy, de tout mon coeur, je te supplie encore, O souverain Bonheur, que j'aime et que j'honore! D'estre le sauf-conduit de moy et de mes vers. [Note 218: Pour comprendre cette épithète de _chauve_ qu'il donne à l'Occasion, après avoir dit tout à l'heure qu'il eût dû la prendre aux cheveux, il faut se souvenir d'une épigramme célèbre de l'Anthologie sur une statue de cette déesse la représentant avec une longue chevelure sur le devant de la tête et aucun cheveu par derrière.] _Aux Censeurs._ Censeurs que je redoute, et non sans apparence, Attendu qu'en mes vers on ne voit qu'ignorance Et que confusion; Traitez-moy doucement en ceste poesie, Et je me souviendray de vostre courtoisie En toute occasion. _Aux Lecteurs._ Lecteurs, qui ne sçavez d'où ny de quelle marque Est celuy qui dedie à nostre grand monarque Des quatrains si mal faits, C'est un pauvre artisan, Auvergnat de naissance, Lequel par ses escrits vous donne cognoissance De ses petits effects. * * * * * _Quatrains au Roy._ Grand roy, dont le renom sur la terre et sur l'onde Vole et fait oublier les hauts faits des Romains, En vous offrant les voeux du moindre ouvrier du monde, Je vous offre humblement de l'oeuvre de ses mains. Ce n'est pas de ceste oeuvre, où l'art du lapidaire Paroist riche, esclatant sur l'or jaune bruny, Ains c'est une harquebuse au mieux que j'ay sceu faire, Ensemble un pistolet leger et tout uny[219]. Et si le beau n'y est, ainsi qu'il devoit estre, A tout le moins le bon n'en est point separé. L'enrichisseure au fust[220] ne sert rien qu'à paroistre, Et le fer bien trempé ne doit estre doré. La bonté plus que l'or est aux armes requise. En celles dont le beau tient la place du bon, L'utile y cède au fard, et Mars aussi ne prise Les armes riches d'or qu'au croc de la maison. Donc, pour sçavoir connoistre et conserver durables Toutes armes à feu en leur lustre et bonté, En voicy, ô grand roy! des advis convenables A qui les portera pour Vostre Majesté. On trouve assez souvent longs, legers et sans jointe, Des canons beaux du tout, qui sont rudes et faux; Mais à les voir dedans, du gros jusqu'à la pointe, On peut, quand ils sont neufs, connoistre les defauts. Car, si dans un canon la lueur n'est esgalle, C'est que le trou serpente ou qu'il n'est point pareil, Et ce trou fait ainsi, ne portant droit la balle, Se cognoist mieux de l'oeil à l'ombre qu'au soleil, Non de près, mais de loin, un gros calibre escarte; Un moyen porte mieux le menu plomb serré; Pour tirer d'une balle au blanc dans une carte, Le plus petit calibre est le plus asseuré. Bref, un canon bien fait, gros de moyenne sorte, De peu de poudre il tire au loin, droit, fort et franc; Le trop gros n'est si doux, ny de loin droit ne porte, Qu'à force de charger, sa grosse balle au blanc. En limant un canon, si le fer n'y demeure Esgal de suite en rond, il faut croire, dès lors, Que sans le relimer, quoy qu'on fasse à toute heure, Il sera tousjours faux en dedans ou dehors. Et, bien qu'il soit dehors droit et droit de calibre, Si le trop gros derrière au devant vise bas, Ou quand le mouvement du rouet[221] n'est pas libre, L'un fait tirer trop haut, l'autre trembler le bras. Enfin, si le calibre au dessus ne s'accorde, Cela fait un canon injuste et repousser. Un bon canon doit estre aussi droit qu'une corde Et d'un fer non cassant, ny sujet à fausser. Le fer trop aigre aussi en rouets rouille et casse; Le trop doux est trop foible et ne trempe assez dur; L'entre-deux est meilleur pour la guerre et la chasse, Mais un rouet leger doit estre d'acier pur[222]. Aussi n'estimant point, pour servir d'ordinaire, Un pistolet de fer s'il n'est un peu grossier, Lorsque j'en promets un et que je le dois faire Leger, durable et bon, je le fay tout d'acier. L'acier en tout ouvrage a beaucoup plus de force Et d'esclat que le fer, quand il est bien poly; Un canon de trois pieds, leger comme une escorce En seroit du tout bon et grandement joly[223]. Il est vray qu'il seroit en beaucoup plus de peine, Beaucoup plus qu'un de fer difficile à forger, Mais qu'il seroit aussi fait en si longue haleine Beaucoup plus fort qu'un autre et beaucoup plus leger. De tels canons Bellone est encor despourveue, Et pour en faire voir j'en ferois volontiers; Mais je suis devenu si foible et court de veue Que je me juge impropre à tous rudes mestiers. Pour de petits et forts et legers tout ensemble, A moins de peine et frais j'en fay bien quelques uns En des pistolets plains, qui seront, ce me semble, Au service de Mars, meilleurs que les communs. En après, pour monter ces canons que j'approuve, A rouets ou fusils[224], suivant ma reigle icy, Un cormier rouge et dur est le bois que je trouve A monter le plus beau et le meilleur aussi[225]. Mais de polir ce bois et luy donner un lustre De vernis sans vernis, il n'appartient à ceux Dont le trop peu de peine est l'arrest qui les frustre D'un art qui ne s'aprend au train des paresseux. La polisseure au fer est aussi mal aisée: D'un bon estaim bruslé il faut tirer le fin, Et de la mesme poudre en eau douce infusée Aux armes polies blanc on donne une autre fin. Pour faire ceste poudre, en voicy ma coustume: Ayant mis dans un pot l'estaim sur le brasier, En l'escumant, l'escume en cendre se consume, Et dans l'eau trouble après j'en oste le grossier. Et puis, pour en polir d'un plomb fait en platine L'acier et fer trempé, il n'y faut rien d'huilé, Ains faut estre plus propre en ceste poudre fine Qu'en l'esmery, qu'on passe avant l'estain bruslé. De plus, il faut du temps et de la patience A polir un rouet quand il est trop ouvré, Et ce trop sans besoin (pour dire en conscience) Fait perdre un temps qu'après n'est jamais recouvré. Soit de fer ou d'acier, une oeuvre toute unie Se polit mieux qu'une autre, et ne couste pas tant: Un pistolet tout plain, dans une compagnie, Est commode et durable en son lustre esclattant. Il se peut faire aussi des pistolets de chasse Qui de cinquante pas porteront comme il faut La dragée[226] serrée au bout de ceste espace; Mais trop de poudre escarte et fait tirer trop haut. Dans un pistolet neuf sur tout je recommande D'y mettre après la balle un bouchon fort à plain, Afin qu'en le portant la balle ne descende, Et, le voulant tirer, qu'il ne crève en la main. Car, si dans un canon le plomb ne joint la poudre, Il faut de la baguette en haut le repousser, Et qui ne le fait pas ce canon est un foudre Que la charge, en tirant, fait crever ou bosser. Voilà donc pour garder qu'un pistolet ne crève, Et, pour chasser la rouille et le tenir bien net, Il faut l'huiller par fois, autant en bruit qu'en trefve, Et le frotter souvent d'un linge blanc et sec. L'haleine et le serain, les mains chaudes suantes, Sans linge pour torcher ce que l'on voit paslir, Font ternir et rouiller les armes reluisantes, Et où la rouille grave il faut tout repolir. Il est fort convenable à un brave courage D'avoir des pistolets qui soient faits en amy; Mais tel pense en porter d'assez bons pour l'usage Qu'à faute d'entretien ne le sont qu'à demy. Et, pour ne rien celer en ce discours des armes, Parlant des pistolets, je diray nettement Que je suis estonné qu'en ce temps plein d'alarmes L'usage des fuzils s'y voit aucunement. Car, tant que la guerre est, je ne puis me resoudre A faire des fuzils que pour le cabinet. Le feu s'y fait trop haut au dessus de la poudre, Et s'escarte en tombant autour du bassinet. En outre ce deffaut, un autre est au couvercle Qui ne s'ouvre en haussant qu'après le coup du chien; Ce coup faisant le feu, ce feu trouve un obstacle Qui l'empesche d'entrer où la poudre se tient. Et neantmoins, au temps d'une paix asseurée, Pour la chasse, en tous lieux unis et raboteux, Les fuzils sont aisez et de longue durée; Mais au besoin de Mars ils sont un peu douteux[227]. A ces fuzils nouveaux il y faut une pierre Mince et large, à l'esgal de la pièce devant, Et, selon qu'elle s'use (ouvrant ce qui la serre), Il en faut mettre une autre, ou la tourner souvent. Les fuzils à l'antique, estant de bonne force, Le bassinet s'ouvrant à temps et par ressort, Semblent estre meilleurs, d'autant que sur l'amorce Le coup du feu s'y fait plus à plomb et plus fort. Mais le plus asseuré, et où le plus j'acquiesce, C'est quand le bassinet est libre au coup de feu, Et que ce coup bas n'hausse, ains pousse l'avant-pièce. Le feu s'y fait plus bas, et bas s'escarte peu. De plus, quand d'un fuzil la desserre est mouvente Où le coq se repose[228], et non au plus haut point, En y portant le doigt ce mouvement contente, Et sans bander plus haut le coq ne bouge point. Or, vous en offrant un de ceste mesme mode, Qui est la moins sujette aux fascheux manquemens, Si Vostre Majesté la trouve assez commode, Je suis prest d'obeyr à ses commandemens. Je suis tousjours esté d'une humeur si craintive, Si pauvre et si grossier et si peu demandé, Que je n'ose entreprendre en ceste vie active De travailler pour vous sans estre commandé. D'ailleurs, j'ay ouy dire, ô prince magnanime! Qu'on avoit fait entendre à Vostre Majesté Que mon pauvre oeuvre est mieux pour un pusillanime Que pour un qui s'en sert quand Mars est irrité. Que cela soit ou non, je ne sçaurois qu'y faire: Le meilleur, en tous cas, c'est de patienter. Si ores la Fortune est à mes voeux contraire, Le temps la peut changer sans m'y violenter. Ainsi, avec le temps, qui tout change et rechange, Je pourray voir changer la fausse opinion Que l'envie a craché sur un peu de louange Que j'ay dans l'arsenal du frère d'Enyon[229]. Toutesfois, s'il falloit me tenir d'ordinaire A Paris, pour cela je n'y durerois pas: Un triste mal, causé d'humeur atrabilaire, Me fait hayr le bruit du monde et ses appas. Mesme sur le declin de ma penible vie, Où, me voyant fort pauvre et de vivre ennuyé, Je crains plus les mocqeurs que je ne crains l'envie: Car qui n'excelle en rien n'est de rien envié. De plus, j'ay tant d'enfans qu'il me seroit estrange De les conduire au loin ou d'en estre à l'escart, Ny n'espère, où que j'aille, aucun gain ny louange, Estant le plus grossier de tous ceux de mon art. Aussi, pour m'excuser, si l'on me veut reprendre En ce petit discours trop rude et mal troussé, Je dis qu'un artisan ne se peut faire entendre Par les mots de son art sans estre un peu forcé. Moy donc, le moindre en l'art des faiseurs d'harquebuzes, Et le moins entendu pour parler à un roy, Doublement importun, à la porte des Muses J'ay mandié ces vers, qui parleront pour moy, Ce ne sont point des vers des savantes estudes: Onc je n'y ay passé un seul jour de mes ans; Ils ont esté cueillis ès rudes solitudes Où je roule ma vie au train des païsans. Ce ne sont point aussi d'une plume subtile Les beaux traits ny l'emprunt d'un langage affetté; Ains c'est du fruict forcé de ma veine infertile Qu'indiscret je dedie à Votre Majesté. Et, si vous acceptez mon bien peu d'industrie, Selon ce que j'en ose icy mettre en avant, Sans me faire quitter tout à fait ma patrie, Vous ne lairrez d'en voir les effets bien souvent. J'envie tant l'honneur de vous rendre service, Que quand je n'en aurois que l'envie tousjours, Ceste envie me semble à devider propice Sous vostre règne heureux le reste de mes jours. Faites-m'en donc donner (ô très puissant monarque!) La charge et le moyen convenable au projet, Et je seray tant mieux, jusqu'où ma fin se marque, De Vostre Majesté le très humble sujet. [Note 219: Ces armes que Poumerol offre ici au roi n'ont pas été conservées, que je sache. Je ne connois comme ayant pu appartenir à Louis XIII qu'un mousquet à mèche à double détente, ayant sur la plaque de couche les armes de France et de Navarre; puis un autre portant la date de 1627, avec le nom de _Jean Simonin, à Lunéville_; enfin un autre encore, daté de 1616, signé sur le canon: _D. Jumeau._ Ce Jumeau est le même que nous avons trouvé dans la pièce du _Feu royal_, avec le titre d'_arquebusier ordinaire de Sa Majesté_. (V. plus haut, p. 13 et suiv.)] [Note 220: C'est-à-dire sur le bois (_fustis_), sur l'_affût_. Le mousquet de Jean Simonin, de Lunéville, dont il est parlé dans la note précédente, porte ainsi sur le bois des ornements sculptés d'un beau travail.] [Note 221: Les arquebuses à rouet avoient succédé aux arquebuses à mèche. Leur mécanisme étoit le plus parfait qu'on eût encore trouvé pour la batterie des armes à feu. Il consistoit en une roue d'acier placée à la culasse de l'arquebuse ou du mousquet, et qui, mise en mouvement par la détente d'un ressort, alloit dans sa rotation frapper à coups redoublés sur une platine à silex.] [Note 222: Dans les huitains qui se trouvent dans la seconde édition de ses poésies, Poumerol dit, entre autres choses, à ses confrères les arquebusiers: Je leur conseille aussi d'user De fer d'Espagne en leur boutique, Afin de ne point abuser De leur art ni de leur pratique. Le bon fer et le bon charbon, L'acier, le soin, l'expérience Et de l'ouvrier la patience, Est ce qui rend l'ouvrage bon.] [Note 223: Il dit encore dans ses huitains: Un bon acier entre deux fers, Comme le bois dans son escorce, Soudé par des maistres experts, Augmente d'un canon la force.] [Note 224: C'est vers 1630 seulement qu'on avoit substitué au mouvement du rouet contre la platine à silex le simple choc de la pierre à feu ou _fusil_: de là le nom nouveau de ces sortes de mousquets. Les vers de Poumerol sont de 1631: il y parle donc d'une chose toute récente. Aussi, plus loin, les appellera-t-il ces _fusils nouveaux_. (V. Marolle, _la Chasse au fusil_, 1788, p. 47.)] [Note 225: Il dit dans ses huitains: En outre, pour estre subtils A couper le bois des montures, Il faut avoir de bons outils Pour en bien faire les jointures, Et que tous les fers agencez Dans du cormier rouge et durable Soient d'un lustre presque semblable A des diamans enchassez.] [Note 226: C'étoit le petit plomb avec lequel on tiroit sur le menu gibier.] [Note 227: Dans l'armée, on étoit de l'avis de Poumerol: aussi fut-on long-temps avant d'y admettre le fusil. C'est en 1670 seulement qu'on l'adopta comme arme de guerre, après lui avoir fait subir quelques modifications réglées par l'ordonnance du 6 février de cette année-là, et qui ont rendu son mécanisme à peu près semblable, sauf la légèreté, à celui qui est encore en usage. L'année suivante fut créé le régiment des _fusiliers_, qui devoit son nom à l'arme spéciale dont chaque homme étoit muni. En 1692, l'usage s'en étendit à tous les régiments. L'ordonnance du 12 décembre détermina le nombre d'hommes qui en porteroient dans chaque compagnie. Malheureusement, c'étoit un nombre très restreint; il n'y en avoit que quatre pour les compagnies ordinaires et dix pour celles des gardes. Les autres avoient le mousquet à rouet ou la pique. En 1703, rien n'étoit changé; Villars se plaignoit encore de ce qu'il y eût dans son armée trop peu d'hommes armés de fusils; le tiers des bataillons en manquoit alors. «Au siége de Kehl, écrit-il à Chamillart, ceux qui descendoient la tranchée étoient obligés d'en laisser la plus grande partie pour ceux qui la montoient.» (_Mémoires de Villars_, Collect. Michaud et Poujoulat, p. 199.)] [Note 228: A cette époque, la batterie étoit souvent ciselée, soit en forme de _coq_ tenant la pierre dans son bec, soit en forme de _chien_ la tenant dans la gueule; les deux mots, employés tous deux par notre poète, sont donc identiques. La dernière de ces deux représentations, qui offroit plus de garantie de force, ayant été employée plus souvent, le mot de _chien_ survécut à celui du _coq_, et on sait qu'il est encore en usage, malgré l'abandon de toute figure.] [Note 229: C'est-à-dire Mars. _Enyo_ est le nom grec de Bellone.] * * * * * _A tous en general._ Mars estoit sans second en toutes ses batailles; Il ne pouvoit forcer les coeurs ny les murailles Des huguenots mutins, et n'eust pas eu du bon Sans Louys de Bourbon. Ce Louys est un roy des plus grands de la terre; Il tient de Jupiter le sceptre et le tonnerre, Et fait trembler de peur plus de quatre fois l'an Pampelone et Milan. La ville qu'autresfois s'est montrée imprenable, Aux forces de ce roy n'a pas esté tenable, Ny tant d'autres encor qui l'avoient dedaigné N'y ont guères gaigné. L'estranger qui menace et qui n'ose paroistre Au front de son envie, a bien sceu recognoistre Que la France a un roy qui, comme les Cesars, Ne craint point les hasards. Vous donc tous qui devez en chacune province Servir fidellement vostre souverain prince, Gardez-vous desormais de faire aucun faux bon A Louys de Bourbon. * * * * * _A Monsieur le duc d'Orléans, frère unique du roy, par François Poumerol, son arquebusier._ Monseigneur, je vous offre et vous supplie prendre En vostre sauf-conduit Ce discours qui mal fait va faire honteux reprendre Celuy qui l'a produit. Toutesfois, si vous seul, à qui seul je l'adresse, Le prenez sans desdain, Il aura moins de crainte et moy plus de hardiesse En ce destroit mondain. Ce n'est pas que je veuille en mon art mechanique Estre cogneu de tous, Car je le suis assez de ce qu'en ma boutique Je travaille pour vous. Aussi, recognoissant ceste faveur bien grande Et ce qui est de moy, Je n'ose pas respondre alors qu'on me demande De qui j'ay de l'employ. Neantmoins, desirant de ne me plus sousmettre Qu'à vostre volonté, Dans cet avant-propos j'ay hasardé de mettre L'entière vérité; Et pour ma sauvegarde en ce que je m'expose A la veue d'autruy, Excusez (s'il vous plaist) si trop effronté j'ose Souhaitter vostre appuy: Car ce discours, estant parmy la populace De grace despourveu, Marchant soubs vostre adveu (qui toute crainte efface) En sera bien mieux veu. Veuillez donc, Monseigneur, avoir pour agreable Ce petit offre icy, Et pour vostre service, où j'en seray capable, Veuillez-moy prendre aussi; Et, bien que je demeure en faisant mon ouvrage Où l'on ne vous peut voir, Tout ce que j'ay et tiens de ce monde en usage Est en vostre pouvoir. Quand à ma pauvre vie, et qui m'a fait aprendre L'art que je fais depuis, Voicy ce qui en est: Dès ma jeunesse tendre Jusqu'à l'aage où je suis, Lorsque je fus porté à l'église romaine, Tout pauvre que j'estois, Monsieur de Beauvergier y fut et print la peine De me nommer François. Depuis, venant à croistre et mon pauvre père estre Chargé de huict enfans, Ce bon seigneur me print et me mit soubs un maistre A l'aage de douze ans. Soudain que je fus là à frapper sur l'enclume D'un marteau rudement, Sans m'oser plaindre j'eus de ma jeune coustume Un rude changement. Cela m'ennuyoit bien, mais, selon que mon aage Et ma force augmentoit, Toute sorte d'ennuy m'augmentoit le courage D'aprendre comme on doit. Je fus ainsi durant que deux ans s'escoulèrent En esperant meilleur, Et, au bout de ce temps, plusieurs me conseillèrent D'aller servir ailleurs. Suivant donc ce conseil, d'une humeur plus hardie, Tout pauvre et sans besoing, Je roulay quelque temps sans avoir maladie, Ny tristesse, ny soing. Mais le temps, qui tout change, en changeant ma jeunesse Depuis de jour en jour, M'a bien monstré comment la peine et la tristesse Ne tient l'homme en sejour; Et, pour compter mes ans, sans en vouloir rabatre Le temps mal employé, J'ay passé cinq fois dix; mais avant dix fois quatre J'estois fort devoyé. Sans voir faire j'ay fait ce qu'avant que je fusse On faisoit rarement, Et pour complaire aux grands j'ay fait plus que je n'eusse L'hommage au changement. Et, outre ce mestier, dont je gaigne ma vie A forger et limer, Voulant m'aprendre à lire, il me print une envie De m'aprendre à rimer. J'ay si souvent quitté la lime pour la rime Et si souvent escrit, Qu'or j'en quitte la rime à cause que la lime Travaille moins l'esprit; Et si j'eusse plus tost sceu qu'il m'estoit contraire D'aimer les autres vers, Je me fusse gardé d'entreprendre et de faire Le moindre de ces vers. Mais, durant que j'avois ce rompement de teste, Où je prenois plaisir, Je n'allois pas songer que le mal qui m'en reste Me deust un jour saisir. A plusieurs medecins, sans craindre la despence, Je me suis presenté, Et n'ai sceu recouvrer par leur experience Ma premiere santé; Si bien que les ennuis dont ma vie est atteinte M'ont reduit à tel point Que je n'en parle plus, si ce n'est par contrainte, Lorsque le mal me poinct; Et, comme la tourmente au marinier sur l'onde Fait desirer le port, Tourmenté de mes maux, je ne desire au monde Autre ayde que la mort. Mais, puis que Dieu retarde en ce bas precipice De ma vie le bout, Permettez (s'il vous plaist) qu'en vous faisant service Je me die partout, Monseigneur, Vostre très humble et très obeissant harquebusier, FRANÇOIS POUMEROL. * * * * * _Discours sur une pourmenade, du mesme autheur._ Un jour, au temps le plus gay de l'année, Et tost après son aube saffranée, Pour mieux passer ce jour en liberté, Je m'esloignay de l'importunité Du bruit du bourg et de la populace, Qui s'assembloit dans la commune place Pour y danser, ainsi qu'une fois l'an L'on n'y voit rien que danse et que berlan. Estant party en alongeant ma veue Vers le costé où tendoit ma reveue De ce jour-là, qu'agreable et serain Favorisoit mon fantasque dessein, A petits pas, portant en main un livre, Je m'esloignois, non de tout soing delivre[230], Des lieux frequens, et costoyant un pré De vert naissant et de fleurs diapré, Comme je fus dans une large plaine, A trois cents pas d'une forest prochaine, J'ouïs là près une champestre voix Qui dit ainsi par trois ou quatre fois: Pauvre resveur, qui aujourd'huy t'esgare Pour ne voir point l'importune fanfare De tes voisins, vien-t'en passer le jour Dans ce bocage où je fais mon sejour, Et tu verras de ces hautaines roches, D'entre le bois et les campagnes proches, L'air et les dons qu'en ce mois gracieux Nous recevons de la terre et des cieux; Et si de plus, en ouvrant ton oreille, Tu ouyras en seconde merveille Maints petits cors qui tous sans nul discord Font en ce bois un agreable accord. A ceste voix, une humeur plus esmue Qu'auparavant me pousse et me remue Et me fait prendre un sentier buissonneux Pour aller droit aux antres caverneux Du bois non loing, où j'ouy d'abordée, Des oiselets la musique accordée Et dessoubs eux deux murmurans ruisseaux, Clairs et bordez de touffus arbrisseaux Et saules vers, dont la torte racine Cause maints tours à l'eau douce argentine Qu'en serpentant fait son cours ondoyant Dans les valons de ce bois verdoyant. Un peu plus bas, le long de ce bocage, Dans les buissons d'un petit marescage, Un rossignol, en diverses façons, Y fredonnoit plusieurs belles chansons; Un autre encor, non loin de ceste place, Luy respondoit d'une très bonne grace; Et un troisiesme, un peu plus à l'escart, Tenoit son rang et sa musique à part; Et tous sçavans, parmy ceste vallée, S'accordoient mieux qu'aux nopces de Pelée Tout ce qu'on peut d'Orphée et d'Amphion Faire sonner sur le haut Pelion: Car dans le bois jadis le mesme Orphée Ne chanta mieux, ny sur la vague enflée Celuy auquel les dauphins et les flots Furent humains, et non les matelots. D'autre costé, je n'eus si tost pris garde Haut et comment qu'une troupe gaillarde D'oiseaux branchez dessus les arbres vers Remplissoit l'air de mille tons divers, Que j'apperceu venir de branche en branche Un pinçonnet d'une volonté franche Pour se percher et chanter à l'envi Près où j'estois, comme à demy ravi. Mais il n'eut pas si tost quitté sa troupe Qu'à l'instant mesme un autre le galope, Comme sçachant par un naturel soing Qu'il auroit tost de son ayde besoing, Dont le premier, herissant son plumage, Commence un vers en son petit ramage, D'un air si gay qu'il sembloit à l'ouïr Qu'il ne chantoit que pour me resjouyr; Et le second aux poincts de la musique Luy respondoit cantique après cantique Si doucement qu'on eût dit qu'en ce lieu Se devoit faire un miracle de Dieu, Et que Dieu mesme avoit pour ceste feste Fait assembler une troupe celeste D'anges chantant, en semblance d'oiseaux, Sa saincte gloire entre ces arbrisseaux: Car il n'y a ny jeu, ny bal, ny troupe De corps humains, ny sur l'humide croupe Des flots salez Triton, ny ceste voix Qu'on attribue aux filles d'Achelois[231], Ny cor ny luth, ny tout ce que l'on touche Par art subtil des mains et de la bouche, Qui peut donner, selon mon jugement, Plus de plaisir et de contentement Que ces oiseaux, loing du bruit populaire, M'en ont donné dans ce bois solitaire, Bois où j'eus fait un bien plus long sejour Sans que je vis le beau char mène-jour, En s'abaissant vers l'onde marinière, Presque à demy de sa demy-carrière. De quoy marry, et prevoyant par là Qu'il faudroit tost me retirer de là, Je me tournay vers ceste trouppe heureuse, Et d'une voix plus triste que joyeuse, Les appellant mes hostes, mes mignons, Je dis ainsi: O mes chers compagnons! Ne pouvant guère arrester davantage Pour contempler vostre plaisant ramage, Ny ce qui est d'admirable en ce lieu, Il s'en va temps que je vous die adieu, En vous priant de croire que j'envie De revoir tost vostre agreable vie; De revoir tost dans ces antres moussez Non des bourgeois les palais tapissez, Ny des vergers arrousez d'eau forcée Jusqu'au plus haut d'une pierre percée, Ny d'un jardin les beaux compartimens, Ny des plus vains les riches vestemens, Ny cet esclat que dans les vagues perses[232] On va pescher, ny les couleurs diverses Dont autrefois à l'envy deux pinceaux L'un trompa l'homme, et l'autre les oyseaux, Mais pour y voir les beaux tapis sans leine Que le printemps, sans art, sans or, sans peine, Fait tous les ans et de tant de couleurs Qu'on n'en sçauroit estimer les valeurs: Car, sans mentir, il faut que je confesse, En admirant du grand Dieu la sagesse, Que ce creux verd, cet antre environné D'herbe et de fleurs et d'arbres couronné, Ce bois sauvage et tout ce grand parterre, Où vous vivez sans chicane et sans guerre, Est mille fois plus agreable à voir Que ce que l'or et l'art nous fait avoir. Or adieu donc, adieu, belle harmonie; Adieu, rochers, muette compagnie; Adieu, oiseaux; adieu, mes gringoteux; Adieu cent fois, mes petits vigoureux; Adieu, ruisseaux; adieu, plaisant boccage; Adieu, lieu sombre où je laisse pour gage De mon retour ma parole et ma foy, Et m'en revay voir ce qu'on faict chez moy. Je m'en vay donc, mais non sans avoir crainte D'y recevoir quelque nouvelle atteinte De desplaisir, car le peuple assemblé, Quand sur le soir il est un peu troublé, Mesme en ce temps où il est impossible Voir de Bacchus la troupe incompatible[233] Sans cris, sans coups, et sans y voir aussi Mespriser ceux qui ne font pas ainsi. Disant ces mois, une crainte legère D'esmouvoir trop l'hostesse bocagère Qui redit tout, en imitant les voix, Aux habitants des plaines et des bois, Me fit luy dire: O nymphe qui regrette Ton beau Narcisse! excuse et tiens secrette Ma libre plainte. Et, voulant m'en aller, D'un autre adieu je bornay mon parler, Non sans regret de ce qu'à la vollée Au mesme temps je vis la troupe aillée, Signe evident qu'après mon triste adieu Elle vouloit se desplaire en ce lieu. Ces oiseaux donc tout à coup s'envollèrent, Et, fendant l'air, autre part s'en allèrent Sans me laisser, après leur chant si beau, Pour entretien, que le doux bruit de l'eau, Bruit vers lequel, pour finir la journée, Avant partir, j'eus la veue tournée; Et contemplant ce crystal doux coulant, Qu'à plis sur plis s'en alloit, sautelant, Hors de ce bois, arrouser des villages Circonvoisins les prez et pasturages, Un penser creux, tout contre mon desir, Plus que devant me revenoit saisir; Mais ceste voix qu'au matin sur la plaine, S'estoit montrée, à mon besoing, humaine, Me voyant prest de rentrer en souci, Par charité, me dit encore ainsi: Mon cher amy, si tu veux compagnie, Acoste-moy; je m'appelle Uranie, Sage et sçavante, et prompte à redresser Ceux dont l'esprit ne fait que rimasser, Et que, tendant au moyen de complaire A ton humeur pensive et solitaire, Je te convie à revenir souvent Dans ce bocage où l'agreable vent Est du tout propre à celuy qui veut boire De l'eau sacrée aux filles de Memoire, Et qui commence à faire peu de cas Des eaux du monde et de ses vains tracas, Non que j'aprouve en cela qu'il te faille T'y abuser les jours que tu travaille De ton mestier, n'ayant autre moyen De pouvoir vivre au rang des gens de bien. Travaille donc, et, sage et par mesure, Vend ton ouvrage et ne preste à l'usure, Car aujourd'huy, et presqu'en tous estats, On n'use plus de reigle et de compas; Mais de ton gain en rien ne te dispose Sans faire estat d'espargner quelque chose Pour t'en ayder, s'il arrivoit un temps Rude à passer vers la fin de tes ans; Et, remettant jusqu'à la conference D'un autre jour toute autre remonstrance, Bien qu'à ce coup tu peux juger combien Je te souhaitte et d'honneur et de bien, Je te diray, d'une plus longue aleine, Tout ce qui cause au monde tant de peine; Et, pour meshuy, je diray seulement Que si chacun gardoit soigneusement La foy dans l'ame et la mesure entière Qu'il faut tenir en chacune matière, De père en fils, chacun s'entretiendroit Selon le temps en l'estat qu'il faudroit; Par zèle et droit, l'obeyssance deue A Dieu, au Roy, seroit de tous rendue; Le bon conseil, dans les royalles cours, Empescheroit des partisans le cours; L'achapt, l'estat, ne seroit en cet aage, Ny la faveur des grands tant en usage; La soye en draps seroit, comme autrefois, Pour les seigneurs, les princes et les rois; Du fier bourgeois la femme riche et belle Ne se feroit appeller damoiselle[234]; Dans l'art d'autruy nul ne s'embrouilleroit, Et sans procès chacun travailleroit; Le vieil Bacchus n'useroit tant ses coupes, Et les jureurs seroient en moindres troupes; L'Amour aussi n'auroit entre ses mains Qu'en tout honneur le pouvoir des humains; L'ambition, la vanité, l'audace, Ayant ainsi à la vertu fait place, De toutes parts et en toute saison, Le tout yroit au train de la raison. Mais, aujourd'huy, ne voyant sur la terre Qu'ambition, estats, chicane et guerre, Je voudrois bien te pouvoir obliger Par mes discours de ne t'en affliger Et de fuir toute vaine folie Pour voir souvent ceste forest jolie, Et, le faisant ce mois et l'autre encor, Tu jouiras d'un petit siècle d'or. Fay donc cela ainsi que je l'ordonne, Ou, mesprisant l'advis que je te donne, A tout le moins, sans me vouloir tromper, Fay-moy responce et puis t'en va souper. Incontinent que ceste Muse aimable Eut achevé son discours veritable, En regardant son beau visage uny, Son teint sans fard, ses cheveux d'or bruny, Son corps parfait, sa contenance telle Que le maintien d'une fille immortelle, Pour luy respondre et ne luy rien celer De ce qu'ailleurs je n'oserois parler, Je dis ainsi (en voix de pleurs suivie): Si je pouvois gaigner ma pauvre vie Dans un desert, je serois beaucoup mieux Entre des rocs qu'entre des envieux, Car en ce lieu je ne verrois le riche Envers le pauvre estre cruel et chiche, Ny les paysans à toute heure poussez Dans la taverne et dans plusieurs procès Par des tyrans et gens qui veulent estre Fort estimez sans se faire cognoistre En rien, sinon qu'en science profonds Pour s'acquerir injustement des fonds. Je ne verrois en si rude contrée Ceux que je vois soubs le manteau d'Astrée, Lesquels, en lieu de rendre à nos tabus Le droit escrit, commettent tant d'abus Que la raison, souvent comme en desroutte, Veut et permet de faire banqueroutte A ceux qui sont, par defaut sur defaut, Si molestez que tout bien leur defaut, Car, sans mentir, quand une chère année, Sterile en blé, nous est du ciel donnée, C'est en ce temps qu'un esclave enchainé Parmy les Turcs n'est pas plus mal mené Qu'ils sont, helas! sans esperance aucune De pouvoir vivre, à faute de pecune, Auprès de ceux qui, pleins d'impieté, Les ont reduits en telle extremité, Qu'il est certain que, si Dieu, qui attire A soy les bons, tout bon ne les retire De cet estat, les tailles et les cens, Les interests qu'ils payent tous les ans, Les frais sur frais et mille autres subsides[235], Qui, surpassant le travail des Belides, Feront mourir du soir au lendemain Ces pauvres gens de misère et de faim; Car j'en ay veu, tous les jours dans la peine, Se nourrissant de raves et d'avoine, Et d'eau bouillie, ou bien de petit laict; Que s'ils avoient du beurre ou un poulet, Cela seroit, à la première feste, Porté par eux au richard qui leur preste A dix pour cent une somme d'argent, Que, par mesconte et courses de sergent, Il fait grossir; puis, quand ces pauvres hommes Sont obligés pour de plus grandes sommes, Feignant d'avoir affaire de son bien Tout en un coup, il ne leur laisse rien. Et, quand il met le pied dans un village Pauvre de gens et bon de labourage, Il court, il veille, il ne repose point, Il vit esclave, et son trop d'avarice, Qui le conduit de l'un à l'autre vice, Le rend semblable à celuy qui dans l'eau, Sans pouvoir boire, est jusques au museau. Qui ne seroit, estant près de la porte De ces tyrans chez qui le peuple porte Presqu'à toute heure et en toute saison Le cochon gras, la poulaille et l'oison, Fasché de voir ces pauvres redevables Parler tremblans à ces insatiables, La teste nue et les corps descharnés, De faim, de froid, et de crainte estonnez, Prier, flatter, faire la reverence, Pour avoir deux ou trois jours de patience, Et comme après ils s'en revont soudain Sans qu'on leur donne un seul morceau de pain, Ou, quand ils ont moyen de faire boire Maistres et clercs, il est facile à croire Qu'ayant saoulé ces renards et ces loups, Ils payeront bien cherement pour tous! Voilà comment, ô Muse très acorte! Les pauvres sont mengez de telle sorte Que bien souvent le pauvre d'aujourd'huy Nourrit le riche, et meurt de faim chez luy! En faisant vendre et le fonds et les meubles Des pauvres gens, ces gros mangeurs de peuple Ne croyent pas qu'en ce bas univers Nous devons tous estre mangez des vers. Un autre mal, en ces personnes cautes, C'est qu'ils n'ont guère, en confessant leurs fautes, Le coeur contrit, ny l'ame en son bon poinct, D'autant qu'après ils ne s'amendent point. Pour mon regard, le manquer de promesse En cet endroit me fait trembler sans cesse, Et m'en fera, jusqu'au bout de mes jours, Hayr la cause et les mondains sejours. Pour ne voir donc le sergent qui emporte, Après moisson, du pauvre la recolte, Ny ces brouillons, riches comme bourgeois, Estre le fleau des pauvres villageois, Ny l'officier qui sans argent doit rendre Justice à tous, de tous ne fait que prendre, Ny l'hypocrite en ses devotions, Son corps au temple et l'ame aux passions; Ny bonneter[236], soubs la fausse apparence D'un bel esprit, le vice et l'ignorance; Ou, en un mot, pour ne voir plus du tout Le monde au monde aveuglé jusqu'au bout, Il est certain que, quand j'aurois au large Un bon domaine exempt de toute charge, Près de la presse où le riche empressé De trop de biens tient le pauvre opressé, Je n'aurois point à gré ceste fortune, Estant si près de la tourbe importune; Mais que, si Dieu m'en donnoit, à l'escart, Non pas autant ny seulement le quart, Ains soubs le chaume, estroite et bien acquise, Une logette à mon humeur requise, Et tant soit peu pour m'y entretenir, Je lairrois tout pour m'y aller tenir; Et là, pour vrai, je penserois mieux vivre Au petit pot[237], et le droit chemin suivre, Que dans un bourg où je suis envié De ceux pour qui je me suis employé. Mais, n'y ayant maison ny jardinage, Ny rien du tout pour y lever mesnage, Je suis contraint à demeurer chez moy, Où je travaille en peine et en esmoy, Et de mon art, bien qu'il ne soit facile Ny lucratif, ains pauvre et difficile, Gaigner ma vie au mieux que je pourray Et celle aussi de la charge que j'ay, Charge qui m'est à nourrir si pénible Qu'en travaillant le plus qu'il m'est possible, J'ay bien souvent reçeu et despendu L'argent plus tost que l'ouvrage rendu; Et, s'il advient que j'aye en ma boutique, De fresche mode et non pas à l'antique, Quelque harquebuse ou bien des pistolets Faits de ma main, et non par des valets, Et que je sois au temps de m'en defaire En les portant où j'ay charge d'en faire, Il faut peiner, et, pour estre payé, Patienter quand on est delayé. Donc, pour mon bien, portant ainsi l'ouvrage Loing de chez moy, ceste peine et l'usage M'ayant, ce semble, un peu par cy devant Fait en mon art plus sage que sçavant, Le cours du temps, qui tout forme et defforme, Et qui rend tout à la saison conforme, Par ce travail me faisoit esperer Ce qu'autrefois je n'osois desirer. Mais, n'ayant plus toute la patience Qu'il faut avoir pour vivre en esperance, Ny l'honneur d'estre à bien servir parfait, Ny les moyens qu'il faut pour cet effect, Ny la santé, qui doit este première Au corps (prison de l'ame prisonnière), Ny, en un mot, l'espoir de mieux avoir Ny trouver mieux, Muse, je feray voir Par mes escrits, à tous ceux dont j'espère Ayde et confort au fort de ma misère, Que plus je vay et plus je suis troublé, De soing, d'ennuy et de peine accablé, Et que, chargé au declin de mon aage Au pardessus de mes force et courage, Je suis reduit en tel estat de corps Que je n'envie au monde que la mort. Et pleust à Dieu, ô Muse bien heureuse! Que ceste mort invisible et fascheuse, Qui va par tout sans crainte et sans esgard, Fust desjà preste à me tirer son dard, Ou que Dieu mesme à la mortelle escorce De ma pauvre ame eut donné plus de force: Non ceste force où soubs trop de roideur L'ambition augmente son ardeur Après le lucre, ou à prendre les armes Pour en avoir, quand Mars, par ses alarmes, Enfle le coeur, et revestir le corps Des hommes vains d'un fer qui par dehors, Grisé, ressemble à un monstre effroyable, Qu'armé d'escaille en la mer navigable, Fait, sans rien craindre, aux troupeaux de Tethys Ce que souvent les grands font aux petits; Mais seulement que mon corps miserable Avec la force eust le desir durable De supporter, en ce temps desbauché, L'affliction, et non pas le peché, Et d'estre aussi, à la dernière atteinte Où le destin rendra ma vie esteinte, Exempt d'avoir jusques au moindre pas Marché ça bas sans reigle et sans compas. Alors je n'eus presqu'achevé de dire Ces mots ainsi, que j'aperçeu sous-rire Ceste deesse en habits precieux, Et quant et quant s'en remonter aux cieux; De quoy marry, en reprenant la trace Par où j'estois allé vers ceste place, Je m'en revins, à cause que, sans bruit, Le jour desjà faisoit place à la nuict. Estans chez moy, sans penser à la lime, Toute la nuict j'escrivy ceste rime, Pour faire voir, quoy qu'estant fort lassé, De poinct en poinct ce qui s'estoit passé Ce jour de feste en ma seule presence, Dans la forest où, pour ne voir la dance, J'estois allé, et y retourneray (S'il plaist à Dieu) vers le retour de may. Mais, attendant que ce temps-là revienne, Et que sans guerre un chacun s'entretienne D'un art penible, en peine on me verra, Jusqu'à la borne où mon temps finira, Gaigner ma vie; et, craignant le reproche D'estre prolixe, aux vers je coupe broche, En suppliant de tous les roys le roy De conserver et mes amis et moy. [Note 230: _Libre, sans gêne._ On disoit plus ordinairement _à délivre_.] [Note 231: Les Sirènes, filles d'Acheloüs.] [Note 232: On sait que les huîtres perlières dont l'écaille fournit la nacre se pêchaient alors exclusivement dans le golfe Persique.] [Note 233: Du latin _incomptus_, en désordre. Je ne connois pas d'usage plus ancien du mot _incompatible_. Il étoit encore si nouveau au milieu du XVIIe siècle dans le sens qu'il a gardé, que M. Sainte-Beuve (_Revue des Deux-Mondes_, 1er janv. 1848, p. 3) s'étonne de le trouver dans les oeuvres du chevalier de Méré, et le recommande à l'Académie pour son Dictionnaire historique, si jamais il arrive jusqu'à l'I. Malheureusement personne ne peut en répondre, et ce n'est pas surtout le cas de dire: Qui vivra verra.] [Note 234: V., sur ces prétentions des bourgeoises, une pièce de notre t. 1, _Le bruit qui court de l'épousée_.] [Note 235: On trouve dans les fragments du _Voyage de Locke en France, de 1675 à 1679_, donnés par la _Revue de Paris_, t. 14, un passage sur l'état des paysans qu'on peut rapprocher de celui-ci. «J'ai, dit Locke, p. 75, causé long-temps avec un paysan, qui m'a dit qu'il avoit trois enfants en bas âge, et que pour nourrir sa femme, lui-même et ses enfants, il gagnoit sept sous par jour. Là-dessus il falloit payer la taille, le loyer de la cabane, et vivre, non seulement pendant les jours ouvrables, mais les dimanches et jours fériés, jours où l'on ne travailloit pas. La maison de ce malheureux, ou plutôt la hutte misérable où sa famille étoit entassée, ne se composoit que d'une seule chambre à une seule porte, sans fenêtre ni cheminée, découverte par le haut et de l'aspect le plus affreux. Il louoit ce taudis douze écus par an, plus quatre livres pour la taille. Quelques jours auparavant, le collecteur avoit enlevé les ustensiles du ménage, la poêle à frire et la marmite. Pour nourriture ordinaire, ces pauvres gens n'ont que du pain de seigle et d'avoine et de l'eau, rarement de la viande.» Ailleurs, p. 15, il avoit dit, après une visite faite aux galères de Marseille: «Les galériens ont meilleure mine que les paysans.»] [Note 236: Saluer, _tirer le bonnet_. On lit dans Regnier, satire 8, vers 175: Voyant un président qu'il étoit nécessaire D'estre toujours après ces messieurs _bonneter_.] [Note 237: «Nos pères disoient, lit-on dans le recueil de pièces contre le connétable de Luynes (p. 295), _tenir au petit pot_, pour tenir dans un état modeste.» On avoit aussi le proverbe pour les gens d'un état contraire: «_La soupe du grand pot, et des friands le pot pourry._» (La Mesengère, _Dict. des prov._, 1re édit., p. 313.)] _Zest Pouf, historiette du temps._ _De l'imprimerie de la veuve Nicolas Mazuel, rue de la Bouclerie, au bout du pont Saint-Michel._ Puisque vous m'assurez que vous ne sçavez pas l'historiette de Zest et de Pouf, dont on parle tant ces jours-cy[238], je vais vous l'aprendre en peu de mots. Chacun la brode en sa manière: vous la broderez aussi comme il vous plaira; quant à moy, je la rapporteray simplement telle qu'on me l'a racontée; la voicy. Un marchand fort à son aise et très homme de bien (que j'appelleray Florame) avoit une fille très jolie, très sage et très aimable (je luy donneray le nom de Cephise). Elle fut accordée en mariage à Theador, jeune homme de merite. Ces deux parties se convenoient parfaitement, tant par leur condition et leur humeur que par un attachement reciproque. La ceremonie du mariage fut arrestée pour estre faite de grand matin. Palmis, un oncle de Theador, homme agé, fort gay, et qui ayme à se faire autant qu'il peut un plaisir de tout ce qui se presente, fut convié de la nopce, ainsi que l'usage le demande; il promit de s'y trouver. Après cette promesse, il prit son neveu Theador en particulier et luy dit: «Mon cher neveu, j'iray à votre nopce, et je pretends y avoir du plaisir et vous en faire: c'est sous ces deux conditions que je m'y trouveray. Le plaisir que je pretends vous faire, c'est de vous donner deux mille ecus, mais à condition que vous m'en accorderez un autre. Ce n'est pas à dancer que je demande, car mon age ne le permet pas; le festin me touche encore moins, car je suis ennemy des grands repas. Voicy donc ce que j'exige de vous.» Il luy dit ensuite en secret ce qu'il souhaitoit, luy fit promettre de n'en rien dire à personne, l'assurant que, s'il ne gardoit pas exactement ce secret, il ne luy donneroit pas les deux mille ecus. Theador luy promit d'estre fidele: on sçaura dans la suite de quoy il s'agissait. Le mariage se fit la nuit suivante. A deux heures du matin on coucha la mariée, et tout le monde se retira. Theador se deshabille, ensuite prend sa robe de chambre, tire une montre sonnante de sa poche, la met sur la table, et luy se place sur une chaise auprès du feu, et reste tranquillement dans cette situation, sans dire un seul mot. Cephise impatiente l'examine; et enfin, trouvant ce procedé fort etrange: «Monsieur, luy dit-elle, je croy que vous dormez!--Zest, repondit Theador.--Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que vous vous moquez de moi? repliqua Cephise.--Pouf, repartit Theador.--Mais, Monsieur, je croy que vous perdez l'esprit, ajouta l'epousée.--Zest, ajouta aussi l'epoux.» Enfin la pauvre Cephise n'eut pour toutes reponses de Theador à ses remontrances et à ses reproches, que des Zest et des Pouf. Fatiguée et alarmée par une conduite si bizarre, elle se lève, s'habille et va trouver ses parents. Le père et la mère, la voyant, et se persuadant que c'estoit quelque grimace de pudeur qui l'amenoit auprès d'eux: «Allez, allez, ma fille, luy dirent-ils; retournez auprès de vostre mary; croyez-nous, ne faites pas tant la difficile: vous êtes à luy, et ainsi.....--Helas! mon père, ma mère, repondit-elle en les interrompant, ce n'est pas ce que vous croyez. Mon mary est devenu fou: c'est ce qui m'a fait sortir de la chambre; venez, et vous verrez que je ne ments point.» Ils allèrent pour voir ce qui en estoit; ils commencèrent leur discours par des plaintes, ils le continuèrent par des prières et le finirent par des menaces; et à tout cela Theador ne repondoit que Zest et Pouf. Il n'en fallut pas davantage pour leur persuader que leur gendre estoit fou. On envoye querir sur le champ le notaire, afin qu'il en dresse un acte. Estant arrivé, il veut raisonner avec Theador, afin d'être temoin par luy-même de sa folie; Theador ne luy donne que des Zest et des Pouf pour reponse. Le notaire commence à dresser son acte; quatre heures sonnent, et dans ce moment on voit sortir d'un cabinet prochain, d'où l'on pouvoit facilement tout voir et tout entendre ce qui se passoit dans la chambre de Theador, on voit sortir, dis-je, Palmis, l'oncle, avec une bourse à la main qui contenoit deux mille ecus en or. «Ah! mon cher neveu, s'ecria-t-il, que je suis content de vous, puisque, par obéissance, vous avez eu assez de force, ainsi que je l'avois souhaité, pour ne donner pendant deux heures à votre chère epouse que des Zest et des Pouf, malgré la sincère tendresse et l'attachement passionné que vous avez pour elle! Voicy la recompense que je vous ay promise: certes vous l'avez bien gagnée.» Theador parut tout autre; il presenta cette bourse à Cephise, qui, quoyqu'elle la receut avec joye, fut encore bien plus sensiblement touchée de voir que son cher epoux avoit, au lieu de folie, autant de sagesse que d'amour. Chacun se retira fort content, et ceux qui restèrent dans la chambre ne le furent pas moins. [Note 238: C'est en effet une aventure qui fit alors beaucoup de bruit. Nous en connaissons un autre récit sous ce titre: _Relation remarquable de ce qui s'est passé au mariage de Mademoiselle_ (Tout lui faut) _avec M._ (Qui donne), _et comme il s'y est pris pour connoître le caractère de sa femme la nuit de ses noces_. C'est, sauf la forme, tout à fait la même histoire.] _Approbation._ J'ay lu, par ordre de Monsieur le lieutenant general de police, une historiette du temps, qui a pour titre: Zest Pouf, dont on peut permettre l'impression. A Paris, ce vingt-trois mars 1711.--PASSART[239]. Veu l'approbation du sieur Passart, permis d'imprimer. Fait le 26 mars 1711.--M. R. DE VOYER D'ARGENSON. Registré sur le livre de la communauté des libraires et imprimeurs de Paris, nº 193, conformément aux reglements, notamment à l'arrest de la Cour du parlement en datte du 3 decembre 1705, ce 27 mars 1711.--DE LAUNAY, syndic. [Note 239: Nous avons déjà rencontré ce nom de _Passart_; il est bon de nous expliquer à ce sujet. C'est le masque derrière lequel se cachoit l'abbé Chérier, «gros rejoui, dit Piron, qui n'avoit de bréviaire que la bouteille, et d'autre bénéfice que la censure de la police. On n'a de lui, c'est toujours Piron qui parle, que les Approbations des sottises sans nombre de son temps, sous le nom factice de _Passart_. A sa mort, ce bel emploi, bon pour ses pareils, fut donné au celèbre auteur de _Rhadamiste_.» Au sujet de cette succession, Piron fit une épigramme à laquelle les lignes que nous venons de citer servent de commentaire. Voici l'épigramme: Dieu des vers, sous ton pavillon Qu'on vogue bien à la male heure! Pour placer le grand Crebillon, Il faut que le gros Cherier meure. Quelle place! Pour moi, j'en pleure. Examiner avec degout Nos rogatons de bout en bout! Du moins l'autre (en paix soit sa cendre) Approuvoit ou reprouvoit tout Sans lire ou sans y rien entendre. _Oeuvres complètes d'Alexis Piron_, édit. Rigoley de Juvigny, in-8, t. 7, p. 240. En disant qu'on n'avoit de l'abbé Chérier que ses approbations de censeur, Piron s'est trompé. Il a écrit dans le burlesque; il a été l'un des successeurs du comte de Cramail, l'un des devanciers de M. de Bièvre. Ainsi, en 1725, il donna _l'Homme inconnu, ou les Equivoques de la langue, dédiées à Bacha Bilboquet_. A la page 53 de leur 2e volume d'avril 1775, les auteurs de la _Bibliothèque des Romans_ reproduisent cette bouffonnerie, et donnent, comme préface, des détails sur Chérier: «Nous savons de quelques gens qui l'ont connu que c'étoit un plaisant de profession et de caractère, mais souvent fort agréable. Il fit imprimer son _Homme inconnu_, à la suite d'un _Ana_ de sa façon intitulé _Polissonniana_, qui est un excellent extrait des bonnes ou mauvaises plaisanteries connues avant le temps où il écrivoit. Comme pendant 90 ans le goût avoit eu le temps de se perfectionner, l'_Homme inconnu_ vaut mieux que le _Courtisan grotesque_.»] _Catechisme des Normands[240]._ [Note 240: Cette pièce se trouve à la suite de celle qui a pour titre _Catéchisme des courtisans_ (Cologne, 1668, pet. in-12), et que nous avons reproduite dans notre tome 5, p. 75-95.] _Catechisme des Normands, composé par un docteur de Paris._ _Demande._ Etes-vous Normand? _Réponse._ Oui, par la grace de ma naissance et par la grace de mon intrigue. _D._ Qui est celui qu'on doit apeller Normand? _R._ C'est celui lequel, etant né d'un père normand, naturellement intriguant, fait profession exacte d'une intrigue dissimulée. _D._ Qu'est-ce que l'intrigue dissimulée? _R._ C'est celle que le Normand a apris de ses ancêtres, et qui la communique de père en fils. _D._ Est-il necessaire au Normand d'avoir cette intrigue dissimulée? _R._ Oui, s'il ne veut agir contre l'inclination naturelle de la nation normanique. _Du signe du Normand._ _D._ Quel est le signe du Normand? _R._ C'est d'être toujours prêt à faire de faux serments en faveur de celui qui lui donne le plus d'argent[241]. [Note 241: Celui dont parle Chicaneau (_les Plaideurs_, act. I, sc. 6): Un grand homme sec, là, qui me sert de témoin, Et qui jure pour moi lorsque j'en ai besoin, est de la même race.] _D._ Comment fait-il le signe? _R._ En tenant ses mains dessus sa tête pour affirmer plus hardiment le faux serment qu'il fait pour vil prix, et les rabaissant lorsqu'on lui fait offre de plus d'argent qu'il n'en a reçu pour les lever, afin d'affirmer effrontement le contraire de son premier serment. _D._ Pourquoi fait-il le signe de la sorte? _R._ Pour tromper et decevoir ceux qui ont confiance en ce signe, auquel il prend plaisir. _D._ Quand le Normand fait-il le signe? _R._ Depuis son berceau jusqu'au dernier soupir de sa vie. _De la fin du Normand._ _D._ Quel est la fin du Normand? _R._ C'est de trahir ses plus grands amis. _D._ En quoi consiste le dessein du Normand? _R._ Il consiste à établir sa fortune aux depens du bien d'autrui et de l'honneur du prochain, sans épargner sacré ni profane. _Des moyens de parvenir à cette fin._ _D._ Par quels moyens parvient-il à cette fin? _R._ Par quatre moyens, sçavoir: l'infidelité, tromperie, haine et mechantes actions. _D._ Qu'entendez-vous par l'infidelité? _R._ J'entends que le Normand ne garde jamais la parole qu'il a promise. _D._ Que devons nous croire du Normand? _R._ Que c'est le plus grand fourbe du monde. _D._ Expliquez-nous ce mot de fourbe? _R._ C'est-à-dire qu'i est naturellement trompeur. _D._ Comment trompeur? _R._ C'est en proferant des paroles contraires aux pensées de son coeur, louant par paroles ceux qu'il blâme en lui-même, flattant et caressant ceux qu'il aime le moins, baisant ceux qu'il dechire par ses fausses impostures comme un Judas, aplaudissant les discours d'autrui, pour exciter à les continuer, afin d'en tirer une mauvaise consequence. _D._ Vous dites que le Normand parvient à la haine? _R._ Oui; mais il faut entendre comment, parceque, quand le Normand haït quelqu'un, il ne lui decouvre pas sa haine ouvertement; au contraire, il la dissimule et retient dans son coeur, il flatte et loue celui qu'il haït le plus, et le baiser du Normand est un veritable signe de la haine qu'il a dans son coeur. _D._ Si le Normand retient la haine dans son coeur, il ne fait aucune mechante action au dehors pour parvenir à sa fin? _R._ Pardonnez-moi, car les mauvaises actions du Normand ne paroissent au dehors que lorsqu'il s'apperçoit que facilement elles pourroient servir à son dessein. _D._ Le Normand manifeste donc ses mauvaises actions? _R._ Ils les manifeste le moins qu'il peut, car il les commet toujours de bonne intention, disant qu'il ne cherche que la gloire de Dieu, que le profit et utilité spirituelle de son prochain, et que tout ce qu'il fait provient de son grand zèle seulement[242]. [Note 242: Tartufe, à ce qu'il paroît, étoit de Normandie.] _D._ Comment fait-il ces mauvaises actions par ces moyens-là? _R._ Non seulement, car, quand il a proferé des paroles indiscrètes et calomnieuses, ah! qu'il fait de mauvaises actions! Il les impute à des personnes innocentes, et, pour les faire croire veritables, il sollicite par promesse et argent. _De l'esperance du Normand._ _D._ Quelle est l'esperance du Normand? _R._ C'est de s'elever au-dessus des autres. _D._ Comment? _R._ En paroissant au dehors homme de bien, devot, sincère, obligeant, doux comme un agneau, quoiqu'il soit au dedans un loup ravissant, ingrat, fourbe, indevot, mechant, en un mot un très grand hypocrite, et un sepulchre blanchi[243]. [Note 243: _Sepulcrum dealbatum._ C'est ainsi que le Christ désignoit les Pharisiens: «beaux au dehors et pleins de pourriture au dedans».] _D._ Comment? _R._ C'est en imposant de faux crimes à ceux qui occupent les charges, etant amis, auxquelles ils aspirent, faisant de fausses attestations, certificats et autres pièces d'ecritures qu'ils font signer par de faux temoins pour faire entendre que ce qu'ils disent est veritable. _D._ Comment connoissez-vous cela? _R._ Je le connois en ce qu'il a beaucoup d'amour pour sa personne et ses propres interêts, et point du tout pour son prochain. _Les bonnes oeuvres du Normand._ _D._ Si le Normand n'a point de charité pour son prochain, il ne fait donc aucune bonne oeuvre à l'egard de son prochain? _R._ Aucunes, à la verité; mais toutes mechantes, conformement aux dix commandemens qu'il a appris de ses ancêtres. _D._ Quels sont ces dix commandemens? _R._ Les voici: Tes intérêts tu garderas et attireras parfaitement. Dieu en vain tu jureras pour affirmer un faux serment. L'argent d'autrui tu n'epargneras, ni son honneur pareillement. Le bien d'autrui tu ne rendras, et garderas à ton escient. Faux temoignage tu diras, et mentiras adroitement. L'oeuvre des mains tu n'oublieras, pour derober finement. Les biens d'autrui tu convoiteras, pour les avoir injustement. L'oeuvre de chair tu desireras, et accompliras avec le tems. _Des oeuvres de misericorde du Normand._ _D._ Combien le Normand a-t-il d'oeuvres de misericorde? _R._ Sept, sçavoir: trahison, flaterie, gourmandise, larcin, mensonge, envie et imposture. _D._ Si le Normand n'observe ces dix commandemens et ne fait ces oeuvres de misericorde, qu'en sera-t'il? _R._ Il contreviendra aux maximes et aux inclinations de la nation normanique, et aux habitudes naturelles de ses ancêtres, et merite d'être estimé honnête homme. _D._ Si tout ce que nous venons de dire est vrai, on ne peut avoir de confiance au Normand? _R._ Nullement du monde: car enfin, confiez-vous en lui, il vous trahit; louez-le, il vous meprise; meprisez-le, il vous adore; et après tout c'est un lion à ceux qui le craignent, et une vraie poule aux genereux. * * * * * Je prie Dieu qu'il inspire au lecteur des sentimens contraires aux pensées de ce catechisme. _Chanson des Normands_ Sur l'air des Pendus. Or ecoutez, petits et grands, Le catechisme des Normands, Peuple connu de notre France Par la chicane et la potence: C'est la double inclination De cette noble nation. --Mais, sitôt qu'un Normand est né, A la mort est-il condamné? (_Oui._) --Mais sa mort est un mystère: Il ne rentre point dans la terre; Il meurt plus glorieusement, En montant vers le firmament. --Q'entendez-vous par ce discours? Est-ce qu'ils ont l'âme à rebours? (_Non._) --J'entends que dans la Normandie On ne fait point cas de leur vie, Car plus de cinq cens il est clair Que les trois quarts meurent en l'air. Pour un trépas si glorieux, Quel theâtre est le plus fameux? --Domfront jadis eut cette gloire, Et plus d'un Normand, dit l'histoire, A deux heures on y pendit, Qui n'etoit venu qu'à midi[244]. --Un titre si bien appuyé, S'est-il toujours bien conservé? (_Oui._) --C'est toujours pour leur usage Que tout le païs se partage Entre ces deux metiers si beaux, Des cordiers et des bourreaux. [Note 244: M. Pluquet, dans ses _Contes populaires et proverbes_, in-8, p. 116, cite le dicton normand: Domfront, ville de malheure, Pris à midi, pendu à une heure.] _Edit du Roi portant suppression des charges de capitaines des levrettes de la chambre du roy et des levriers de Champagne; donné à Versailles au mois de mai 1786; registré en la chambre des Comptes le 15 septembre 1786; registré en la cour des Aides le 20 septembre 1786._ _A Paris, chez P. G. Simon et N. H. Nyon, imprimeurs du Parlement, rue Mignon._ 1787. Louis, par la grace de Dieu, roi de France et de Navarre: A tous presens et à venir, Salut. Les charges de capitaines des levrettes de notre chambre et des levriers de Champagne, dont etoit pourvu le sieur de Vassan, etant vacantes par la demission qu'il en a faite en nos mains, nous avons jugé à propos d'en ordonner la suppression[245]. A ces causes et autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par notre present edit, perpetuel et irrevocable, eteint et supprimé, eteignons et supprimons, à compter du premier de ce mois, les charges de capitaines des levrettes de notre chambre et des levriers de Champagne, vacantes comme dit est. Voulons en consequence que les gages et autres attributions desdites charges, pour lesquelles ledit sieur de Vassan, dernier pourvu d'icelles, etoit employé, tant sur l'etat de notre venerie, sous le titre de capitaine des levriers de Champagne[246], que sur celui de notre argenterie, menus-plaisirs et affaires de notre chambre, sous le titres de capitaine des levrettes de notre chambre, en soient rayés et ôtés à compter dudit jour premier du present mois. Si donnons en mandement à nos amés et feaux conseillers les gens tenant notre chambre des comptes et cour des aides à Paris que notre present edit ils aient à faire registrer, et le contenu en icelui garder, observer et executer pleinement, paisiblement et perpetuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements, et nonobstant toutes choses à ce contraires: car tel est notre plaisir. Et, afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel. [Note 245: On avoit douté de l'existence de cette charge au moins singulière. L'édit qui la supprime convaincra les plus sceptiques. Il en étoit d'ailleurs parlé déjà dans le _Traité des droits_ (t. 1, p. 530), où nous trouvons mentionnés auprès de deux _porte-chaises d'affaires_--le nom de cet emploi en dit assez--un _capitaine des levrettes de la chambre_, ayant 2,466 livres de gage. Chaque _porte-chaise_ n'en avoit que 800. La charge supprimée ici devoit dater de Louis XIII, qui avoit mis à la mode les petits levriers d'Angleterre pour la chasse du lapin. Sélincourt, dans son _Parfait chasseur_ (1683), parle de ceux que ce prince avoit fait dresser et qu'il lançoit dans la petite garenne placée au bout du jardin des Tuileries. Je ne sais qui fut alors _capitaine des levrettes_, mais, comme on le voit, sa charge lui survécut; elle se multiplia même: car, lorsqu'on créa les maisons du comte de Provence et du comte d'Artois, par édits des mois d'avril 1771 et octobre 1773, on les pourvut l'un et l'autre d'un _capitaine des levrettes_, aux gages de 1,000 livres, tandis que le _maître de mathématiques_ n'en avoit que 200, et le _premier peintre_ 600!] [Note 246: Les levriers de Champagne passoient pour être les plus vigoureux et les _plus vites_ du monde, comme dit Sélincourt. On les employoit pour la grande chasse, comme les levriers d'Angleterre pour la petite.] Donné à Versailles au mois de mai, l'an de grace mil sept cent quatre-vingt-six, et de notre regne le treizième.--_Signé_ LOUIS.--_Et plus bas_: Par le roi, _signé_ le baron DE BRETEUIL.--_Visa_ HUE DE MIROMENIL. Registré en la chambre des comptes, ouï et ce requerant le procureur general du roi, pour être executé selon sa forme et teneur, le quinze septembre mil sept cent quatre-vingt-six.--_Signé_ MARSOLAN. Registré, ouï et ce requerant le procureur general du roi, pour être executé selon sa forme et teneur. Fait à Paris, en la première chambre de la cour des aides, le vingt decembre mil sept cent quatre-vingt-six. Collationné.--_Signé_ Baron DES BORDES. _Histoire veritable de la mutinerie, tumulte et sedition faite par les prestres Sainct-Medard contre les fidèles, le samedy XXVII. jour de decembre 1561._ * * * * * _Pseau._ XLVI. Dès qu'adversité nous offense, Dieu nous est appuy et defense: Au besoin l'avons esprouvé, Et grand secours en luy trouvé. * * * * * Le bruit commun, dès sa naissance, et quand il vient premierement à sortir en evidence, est ordinairement accompaigné de tant de mensonges, qu'en son accroissement elles multiplient de telle sorte qu'avant qu'estre espandu jusques aux lieux où il prend fin se trouve tant perverti, deguisé et corrompu qu'il n'a plus rien de conforme à la verité; et ce advient principalement pour deux occasions: l'une pour estre mal affecte à la cause, l'autre pour se faire savant des choses que l'on a veues; dont la première induist à enrichir le compte de ce qui sert à la cause exposée, et taire ou deguiser ce qui est contraire; la seconde fait rapporter tout ce qu'on imagine de vray semblable pour très certain et veritable, par un desir de satisfaire à la curiosité de ceux qui s'en enquièrent. Or, les choses où les hommes se monstrent plus curieux et se rendent plus affectez sont celles de la religion, qui en rend la verité si peu cogneue qu'à grand peine se peut-elle savoir que bien obscurcie et masquée de quelque fiction mensongère. Ce que ayant consideré, j'ay entrepris de garantir une esmotion advenue ces derniers jours de l'injure des faux rapports et deguisemens de verité, à ce que tel evenement, qui n'est de petite importance bien entendu au vray, retourne à la confusion de ceux que l'on jugera avoir le tort, promettant de m'employer du tout à dire verité, et ne reciter que les choses dont je suis tesmoing occulaire, me sumettant aux reproches de tous ceux qui y ont assisté qui en voudront parler sans affection. L'an M.D.LXI., le samedy d'après Noël, feste de sainct Jean, vingt-septiesme jour de decembre, les fidèles faysoient, ainsi qu'il leur est permis, assemblée publique aux faux bourgs S. Marceau en un lieu dit le Patriarche[247], et faisoit l'exhortation monsieur Mallot, ministre[248], qui, après les prières faites et le psalme chanté, commença d'interpreter ce passage de sainct Mathieu: Venez à moy, vous tous qui estes chargez; et lequel avoit pris comme lieu de grande doctrine et edification, à ce que la compagnie (qui estoit plus grande beaucoup que de coustume, pour n'estre ce jour ouvrable[249]) en peust à son contentement raporter plus grand fruict. Ayant executé environ un quart d'heure, commencèrent ceux de sainct Medard, paroisse dudit faubourg, sur les trois heures (jà leurs vespres dites), de malice deliberée, à sonner toutes leurs cloches ensemble, d'un tel bransle qu'aussi pour n'y avoir qu'une ruelle de distance entre les deux lieux, retentissoit le son si grand dans le dit Patriarche qu'il estoit du tout impossible d'entendre la dite exhortation; ce que voians ceux de l'assemblée, deux d'entre eux s'en allèrent sans aucunes armes prier que l'on desistast de sonner, à ce que si bonne compagnie ne fust empeschée d'ouir la parole de Dieu. A ceste prière et humble requeste, s'esleva une voix de prestres, et quelques autres mutins, crians que en despit d'eux l'on sonneroit, et sus ces entrefaites s'essayent à donner plus grand bransle à leurs cloches, et à l'instant fort mutinez fermèrent la grande porte de leur eglise, enfermans l'un des deux dessusdits; l'autre se sauva de vitesse et se retira vers les siens, et, comme ainsi fust que il n'avoit qu'un petit couteau, le massacrèrent de sept coups, tant de longs bois que d'espée, quasi tous mortels, selon le recit des chyrurgiens; aussi soudain furent closes deux autres portes, l'une grande du presbitaire, l'autre plus petite du cymetière, issantes en la ruelle joignant le Patriarche, et commencèrent à jetter pierres et tirer traits d'arbalestres, dont avoient fait bonne munition. Le cry de ceux qui demandoient secours donna l'alarme à toute la compagnie, qui pour lors ne presumoit rien moins que telle esmeute, en grand effroy et confusion, et qui la redoubla plus chaude fut le son du toxin que les prestres sonnèrent aussi tost. Or furent ces trois portes susdites fermées, la baterie de pierres et arbalestres commencée, et le toxin sonné en moment si subit qu'il est à presumer qu'en tous ces lieux estoient gens disposez dès auparavant la semonce de cesser la sonnerie; toutes fois en chose si subite et inesperée fut mis si bon et prompt ordre par les evangelistes qu'ayans tiré hors de l'assemblée tous les hommes qui se trouvèrent en estat de deffence, qui estoient fort peu pour une si grande troupe, non moindre (à mon jugement) que de douze à treize mille personnes, asseurèrent si bien les autres qu'après un psalme chanté se continua l'exhortation; cependant se sonnoit tousjours le toxin, avec furieuse baterie de pierres et traits d'arbalestres. [Note 247: Nous avons déjà parlé de cette maison et dit à quel _patriarche_ elle devoit son nom (V. t. 3, p. 51, et Jaillot, _Recherches sur Paris_, quartier de la _Place Maubert_, p. 97). En l'année 1561, elle n'appartenoit plus depuis cent cinquante ans environ au _patriarche_ d'Alexandrie. Etienne Carrage, conseiller au Parlement, la tenoit par succession de Thibault Carrache, bourgeois de Paris, et l'avoit louée à Ange de Caule, marchand Lucquois, qui lui-même la prêtoit ou la donnoit à bail aux calvinistes. Leurs assemblées, tolérées en vertu du récent édit de pacification, s'y tenoient, ainsi qu'à Popincourt.] [Note 248: L'un des plus ardents parmi les ministres calvinistes. Partout on le trouvoit prêchant et répandant la religion nouvelle, qui «auparavant je ne diray pas harrassée, écrit Pasquier, ains terrassée, commença de lever les cornes et se lever au milieu de nous d'une furieuse insolence. Nous la vismes, continue-t-il, estre preschée non en lieux sombres et escartez, ains à huis ouvert en la maison de la comtesse de Senigant dans cette ville de Paris, et du mesme temps par le ministre Malo, dans les fossez du faubourg St-Jacques, comme s'il eût voulu escheller la ville, et depuis, par jours alternatifs, au Patriarche et à Popincourt, par le mesme Malo et La Rivière, ministres.» (_Lettres_ de Pasquier, liv. 15, lettre 19.)] [Note 249: Pendant long-temps les ministres n'avoient eu permission de prêcher que les jours ouvrables. On craignoit, dit Pasquier, «que, si les jours de feste ils preschoient pendant que le peuple chommoit, ce n'eust esté faire ouverture à nouvelle sedition»; ce qui arriva justement, comme on le voit ici: car la requête qu'ils firent pour être autorisés à prêcher les dimanches et jours de fête, en remontrant que la moitié de leurs ouailles, «affamée de la parole de Dieu», ne pouvoit être à la fois au travail et à leur sermon, ayant été «enterinée vers la feste de Noël», les troubles qu'on craignoit ne se firent pas attendre. M. de la Roche-sur-Yon «avoit resisté fortement»; mais, quand de guerre lasse il eut quitté le gouvernement de Paris, le maréchal de Montmorency, son successeur, avoit accordé la permission si long-temps refusée.] Or y avoit en l'assemblée monsieur le prevost des mareschaux, Rouge Oreille, commis de monseigneur le gouverneur; pour la garde et seureté d'icelle, estoit accompagné de cinq ou de six de ses archers[250], desquels en envoya un pour parlementer avec le curé et faire deffense de par le roy de plus sonner le toxin et jeter pierres; puis il y voulut aller luy-mesme, mais la gresle des pierres et traits d'arbalestres le contraignirent de se retirer bien viste, et sans apporter autre response. [Note 250: «Ceux de la religion, dit Pasquier (_Lettres_, liv. 4, lettre 13), estoient assistez du guet et des prevosts des mareschaux, pour garder qu'on ne leur mesfit. Ceux-ci, ajoute-t-il, se mirent de la partie.» Rouge-Aureille, le prévôt, étoit d'ailleurs de lui-même fort bien porté pour les religionnaires. Peu de jours auparavant, il avoit, sans en être trop prié, mis la main sur frère Jean de Hans, qui dans ses prédications «faisoit rage de maltraiter» les réformés, et il l'avoit mené lié et garotté à St-Germain, où le peuple l'étoit allé chercher pour le ramener en triomphe à Paris. Enfin Rouge-Aureille et le chevalier du guet, dont il sera parlé tout à l'heure, penchoient certainement pour le parti de la religion, et on les vit là, dit Pasquier, «faire espaule contre l'authorité du Parlement». (Liv. 15, lettre 19.)] Tel refus et rebellion faite à la justice, se deliberèrent les evangelistes de ne laisser branler longuement cest espouvantail de peuple et appeau de sedition, discourans fort bien en quel danger evident estoit toute leur compagnie. Adonc mieux armez de bon coeur et ardent zèle, qui les incitoit à la tuition de ceste troupe de leurs frères qui se reposoit sur leur deffense et main forte du seigneur, que d'armes deffensives à repousser l'injure de leurs ennemis, ou offensives pour les endommager, tous d'un courage firent tel effort qu'ils foncèrent les portes de l'eglise, qui ne fut executé sans estre plusieurs d'entre eux blessez, qui leur augmente la colère, estant outre plus excitez et encouragez à vengeance par la compassion dont furent saisis quand ils trouvèrent au bas du seuil de l'eglise leur pauvre frère si outrageusement assassiné et meurdry, selon que cy-dessus avons recité. En ceste première furie se presentèrent nombre de prestres et autres mutins embastonnez d'espées, rondelles, longs bois, gros pavez et arbalestres, faisans armes à toute outrance et cruelle resistence, qui dura toutesfois fort peu contre le courageux effort des autres; si que furent tantost espris de frayeur et crainte, dont une grande partie d'eux se sauvèrent dans le cloché, abandonnans laschement leur troupeau qu'ils avoient conduit et exposé à la tuerie et boucherie; et entre autres prestres y avoit monsieur le curé, chef, conducteur et entrepreneur de la mutinerie, gagne le plus haut du cloché, dont avec ses complices ne cessa d'endommager les evangelistes, tant que les munitions qu'il avoit faites de longue main luy durèrent. Je ne puis passer sous silence une furie prodigieuse de certains prestres, enflammez de telle rage que, leur defaillant leurs amas de pierres fais dans l'eglise, montèrent sur les autels, et, de leurs propres mains brisans les images, qu'auparavant souloient tout reveremment adorer, se servoient des pièces à jeter contre leurs ennemis, chose toutesfois moins esmerveillable qu'il ne semble, veu que ceste furie leur est tournée en nature, car il seroit malaisé à juger s'ils estoient plus furieux et maniaques lors qu'ainsi irreligieusement brisoient la chose par eux tant honorée, ou quand ils adoroient choses si insensibles. Or en ce conflit, qui dura une bonne demie heure, furent blessez des mutins environ trente ou quarante, dont en furent pris prisonniers quatorze ou quinze des principaux chefs et plus apparens; plusieurs se sauvèrent, et fut pardonné à la temerité du seditieux populasse, bien qu'il n'y eust vieille qui n'eust rendu tout devoir à amasser et jeter pierres, ne se sçachans ayder d'armes plus nuisibles; et fut chose digne d'une louable admiration de veoir des coeurs si esmeus et enflambez si soubdain convertis à pitoiable misericorde: car chacun s'efforçoit de conserver et garentir d'estre outragez ces pauvres idiots populaires ne donnant aucun lieu à cruauté ou vengeance. Ce neantmoins, ceux qui s'estoient renfermez dans le cloché, dont estoit chef le moyne curé, persistoient en leurs entreprinses de branler tant le toxin qu'auroient secours d'autres mutins, pour mettre en pièces toute ceste innocente troupe qui persistoit à ouir la parole de Dieu, qui s'advançoit, et n'y eut autre remède, pour la confiance qu'ils avoient en la forteresse de leur cloché, de les faire cesser que par menace de mettre le feu au pied; et ainsi print fin la dite esmotion; environ lequel temps survient Guabaston, chevalier du guet, accompagné de sept ou huict chevaux[251]. Il restoit, l'exhortation finie, de conduire ce grand peuple sans deffence, et rendre chacun en sa demeure en la plus grande seureté que faire se pourroit, chose qui sembloit fort difficile, et requeroit un grand ordre et prevoiance, veu l'apparente presomption qu'il y avoit en ce grand fauxbourg et mesme en la ville se feust esmeu quelque chose, oyant ce toxin, appeau de sedition, sonné par si longue espace de temps. Or se trouvèrent pour la conduitte environ de cinquante ou soixante chevaux et près de deux cents hommes de pied, ayans espées et dagues, dont le tout fut ainsi disposé: une moitié des chevaux se mist avec Guabaston pour l'avant-garde, l'autre demeura avec Monsieur le prevost Rougeoreille pour l'arrière-garde et conduitte des prisonniers, qui estoient liez deux à deux d'une longue corde, dont y avoit d'entre eux quelques prestres qui portoient fort triste chère[252]. Les gens de pied avoient deux capitaines et estoient divisez en deux bandes et marchoient à la file, tenans un costé de la rue, et le peuple l'autre, qui s'escouloit sous leur garde; en ceste ordonnance fut le tout conduit fort paisiblement et sans aucune confusion. Près la porte Saint-Marceau fut donnée une fauce alarme par aucuns qui se mirent en fuitte à vauderoute, pour avoir veu jeter quelques pierres en une ruelle et accourir grande troupe de populasse qui s'amassoit à les voir passer en ceste nouvelle ordonnance, comme le peuple parisien s'amasse aisement à la moindre nouveauté qui se presente; mais, le tout soudainement rappaisé, fut chacun, par la grâce de Dieu, rendu en sa maison, et les prisonniers conduits au petit Chastelet: voylà le fait de toute la sedition à la pure verité, selon qu'il m'est passé devant les yeux[253]. [Note 251: Gabaston, «vaillant soldat», dit Pasquier, avoit été mis à la tête du guet de soixante hommes, qui, lors de la promotion du maréchal de Montmorency au gouvernement de Paris, avoit été créé «tant pour la sûreté de la personne du maréchal que pour garentir la ville de sédition.» Nous avons déjà dit que, comme Rouge-Aureille, il favorisoit le parti des religionnaires. Il le paya cher: après s'être par là grandement attiré la haine du peuple, il finit par être mis en jugement et décapité. (Pasquier, _Recherches de la France_, liv. III, en. 45.)] [Note 252: «Le battu a payé l'amende, dit Pasquier, dont le coeur en saigne: les gens de Gabatton et Rouge-Aureille ont mené par troupe prisonniers les catholics, comme autheurs de cette sédition, nuls des autres. Les bourgeois de Paris en crient, disant que l'on les a taillez pour payer les gages de ce nouveau guet à leur ruine.» (Liv. IV, lettre 13.)] [Note 253: L'affaire n'en resta pas là: requeste fut adressée au Parlement par les Catholiques «afin de leur estre faict droict sur les meurdres, emprisonnement, vols de chapes, calices et ornemens de l'église.» Juges sont nommés, l'un M. Gayant, conseiller catholique, l'autre M. Fumée, conseiller de la Religion; mais les catholiques récusèrent le huguenot, et les Huguenots le catholique. On mit tout le monde d'accord en lacérant la requête et en ne donnant pas suite au procès. Les catholiques arrêtés furent relâchés; mais, comme il falloit que quelques uns payassent pour tous, deux religionnaires, Cage père et fils, chefs, ou, comme dit Pasquier, «confanoniers de l'entreprise», qui avoient été assez tardivement «pris au corps», furent gardés, puis pendus, en même temps que, comme nous l'avons dit, l'on décapitoit Gabatton. (Pasquier, _Recherches_, liv. III, ch. 45, et _Lettres_, IV, 13.)] Mais je ne me puis contenter d'avoir si nuement narré une chose tant memorable, bien que j'aye quasi desjà attaint au but que je m'estois proposé, comme ainsi soit que desjà assez evidemment apparoist de quelle part tourne le tort, et qu'on ne peut plus douter qui sont les premiers moteurs de la sedition. Je me licenciray donc plus outre de faire un brief discours de certaines circonstances bien dignes d'estre remerquées, par le moyen desquelles se decouvrira la source première, cause motive et origine de toute la sedition, et se descouvrira que c'estoit une entreprinse brassée de plus longue main que beaucoup ne pensent, et, apparoissant au vray le danger plus grand que n'en a l'apparence, aurons plus grande occasion de rendre grâces à l'Éternel, qui, par sa bonne et seure veille sur son troupeau, l'a delivré de la gueule gloute des loups ravissants qui avoient tendu leurs lacs pour le ruiner et devorer, et a fait tourner leurs machinations sur leur chef, en grande confusion. Il est donc à sçavoir que, trois ou quatre jours avant l'esmeute advenue, se faisant assemblée au mesme lieu du Patriarche, avoient comme de present sonné leurs cloches les prestres S. Medard à tout branle en mesme intention d'empescher d'ouir la parole de Dieu, et furent dès lors semons par plusieurs d'apparence de cesser un tel son extraordinaire, empeschement trop insupportable, ce que leur fut force de faire, pour la crainte qu'ils eurent, se voyans les plus foibles, d'estre contraints de ce faire par autre voye, le refusans par amitié; qui leur fut de si dure digestion, qu'ils en conceurent tel crève-coeur que dès lors conspirèrent curé et prestres, d'un monopole, la première fois que là on s'assembleroit, de sonner tant que cordes pourroient tirer et cloches branler, et, pour festoyer ceux qui les en voudroyent empescher, se fortifièrent et se munirent de pierres, arbalestres, espées, rondelles et long-bois, s'adjoignans bon nombre des plus mutins et seditieux de toute la paroisse. Estoit chef de l'entreprise monsieur le curé, moyne de S. Geneviefve, lequel avec ses prestres demanda secours de gens et d'armes à son abbé, comme luy-mesme a confessé; mais, pour estre chose de grand advis et deliberation, en consultèrent avec messieurs le Premier et Saint-André, presidens, ensemble le procureur general Bourdin, desquels eurent bon confort et ayde, avec asseurance de les garentir en tout evenement, et de ceste promesse fortifioit au jour de la sedition le curé ses complices prestres et mutins (en ces termes): «Ruez, frappez, tuez, n'espargnez personne; nous avons bons garans, et des plus grans de la ville.» Estans donc fortifiez de tels appuis, plus hardiment divulguoient leur conseil envers ceux que cognoissoient plus enclins à mutinerie, les solicitans de s'adjoindre à leur entreprinse, et par ce moyen de l'un à l'autre fut communiqué à tant de sortes de gens que furent advertis aucuns de ceux qui frequentent les assemblées de ne s'y trouver ce jour de samedy; et mesmes aucuns des conspirateurs, jà s'esgayans comme de ville gagnée, se vantoient dès le matin qu'il se feroit beau carnage de huguenots. Or les principaux nerfs de la sedition estoient au toxin, au son duquel devoit venir secours de Nostre-Dame-des-Champs, S. Victor et S. Geneviefve, et, pour l'attendre en seureté, s'estoient reserrez et remparez les mutins dedans leur eglise, munis et fortifiez de toutes armes necessaires à soustenir le siége. De fait, au premier son, s'achemina grande troupe embastonnée, venant du costé des champs, au devant desquels s'avança une troupe de chevaux; mais, aussi tost que les eurent apperceus, se retira à la fuite toute ceste canaille, et est chose seure que telle diligence faite par les gentils-hommes de cheval les intimida de telle crainte que ceux des autres quartiers, eh oyant le vent, n'osèrent s'esbranler. Aussi furent getées force pierres de quelques maisons voisines de l'Eglise, et faites saillies avec long-bois; mais le tout fut rambarré de si près, et tindrent si peu ceux de l'Eglise, que tous ensemble perdirent coeur, dont les prestres et aucuns autres prisonniers, pendant qu'on les menoit, et depuis en la prison, ont fait maintes complaintes, disans que trop laschement leur avoit esté rompue la foy par ceux qui leur avoient promis secours, et qu'ils s'asseuroient bien, s'ils n'eussent manqué de promesse, qu'ils n'eussent pas esté les plus foibles. Tels regrets plusieurs gens de foy leur ont ouy faire; outre plus est assez confirmée telle conspiration, parce que, dès le matin, avoient les prestres retiré de l'Eglise, en maisons voisines de leurs plus feables, tous leurs reliques, calices, platines, chasubles et ornemens de pris, pour estre plus seurement en tout evenement. Assez d'autres conjectures pourrois-je amener, si je n'estimois ceux-ci assez valables et de suffisante attestation et preuve, laissant desormais au jugement de tous bons cerveaux à prononcer qui a le tort, qui sont les assaillans, rebelles aux edits du roy et seditieux, et selon iceux quelles peines meritent les autheurs, moteurs et complices d'une mutinerie de telle consequence, en la ville capitale de ce royaume, que toutes les croniques françoises tesmoignent avoir de tous temps esté fort encline à toutes sortes d'esmotions et mutineries, dont tous fidèles ont bonne occasion de glorifier le Tout Puissant, protecteur de son eglise, qui par sa main forte a preservé les siens, environnant son troupeau des legions de ses anges, pour leur rempart, au milieu de ses ennemis, et a tellement amoli le coeur du peuple parisien et contenu en tel devoir, qui ne monstra aucune apparence de s'esmouvoir. Or le lendemain se fit le matin, au mesme lieu du Patriarche[254], l'exhortation accoustumée, à laquelle se trouvèrent les evangelistes en bon equipage d'armes accoustumées à porter et belle ordonnance, et y avoit tel nombre de bons hommes de deffense qu'ils avoient assez moyen de se ressentir des coups et outrages qu'avoient receu le jour precedant, et de chastier les seditieux mutins qui leurs avoient couru sus et brassé telle menée pour leur faire à tous perdre la vie. Toutes fois, monstrans que vouloient oublier toutes choses pour le desir qu'avoient de vivre en paix, se comportèrent en telle patience et modestie qu'il n'y a aucun qui se puisse plaindre d'avoir seulement esté outragé de parole, et ainsi en grande paix se retirent en leurs maisons après l'exhortation finie. Mais l'après dinée quelques prestres, qui s'estoient sauvez de la mutinerie le jour precedent, sachans bien que de tout le jour l'on ne se rassembleroit plus audit lieu du Patriarche, voulant en revenge du passé mettre à fin ce que pourroient de leur première entreprise, rassemblèrent grand nombre de populasse seditieux du fauxbourg, sus les quatre heures, à ce que la nuit, qui estoit proche, leur donnast plus seure retraite, qui d'impetuosité brutale rompirent les portes du Patriarche, et, amas de bois fait, mirent le feu dans toutes les chambres d'un grand corps d'hostel, accompagné d'un petit, brisèrent en pièces la chaire du ministre, rompirent tuiles, firent brèche aux murailles d'un grand pourpris de deux jardins, avec tel degast et debris dont se peurent aviser[255], dont le bruit espars par ville parvint aux evangelistes. Quelques gentilshommes avertis montèrent à cheval, et à la course donnèrent jusques audit lieu, où n'arrivèrent que dix ou douze chevaux du commencement, qui mirent toute ceste canaille en fuitte; survenoient tousjours chevaux à la file, qui se trouvèrent à la fin en nombre de quarante ou cinquante. Survint aussi le procureur du roy en Chastelet, avec cinq ou six sergeans; luy furent livrez six ou sept prisonniers; puis, le feu esteint en toute diligence, chacun se retira. Ainsi desgorgèrent le reste de leur venin et fureur enragée sur les maisons, que n'avoient peu executer sur les personnes. [Note 254: Les assemblées au Patriarche furent bientôt suspendues, comme on le verra plus loin. Le prêche fut fermé, ainsi que l'église sa voisine. «L'église St-Médard, écrit Pasquier quelque temps après l'émeute, chôme aujourd'hui, sans que l'on y fasse le service divin, comme ayant été profanée; pour éviter à pareil inconvénient on a enjoint aux ministres de se choisir autre lieu que le Patriarche.» (Liv. IV, lettre 13.) Quand on rouvrit l'église, il y eut une procession, composée de tout le clergé de Ste-Geneviève et des cours souveraines, qui vint en grande pompe à St-Médard. (Jaillot, _Quartier de la Place Maubert_, p. 99.)] [Note 255: Jacques Canage, qui étoit propriétaire de la maison, déclara qu'il l'abandonnoit aux pauvres. (Jaillot, _Ibid._)] _Les choses horribles contenue en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris, le vingt-huitiesme de janvier 1589, selon la coppie qui a esté trouvée en ceste ville de Paris, près l'orloge du Palais. Pour Jacques Gregoire, imprimeur._ M.D.LXXXIX Henry, vous sçavez bien que, si tost que vous fistes mettre la vray croix de Jesus-Christ hors de France[256], bien tost après par dissimulation avez exercé l'estat de la religion catholique, et fut lors vostre coeur environné d'actes et faits damnables. [Note 256: Il s'agit du vol qui eut lieu à la sainte Chapelle dans la nuit du 10 mai 1575, et dont on accusa Catherine de Médicis, «de quoi, dit l'Estoille, la ville fut toute troublée ... La commune opinion étoit qu'on l'avoit envoyée en Italie pour gage d'une grande somme de deniers, du consentement tacite de la reine mère.» (_Journal de l'Estoile_, Coll. Petitot, 1re série, t. 45, p. 115.) «Mais, dit encore L'Estoille (_Ibid._, p. 132), le 15 d'avril de l'année suivante, jour de Pâques fleuries, le Roi fit publier aux prônes de toutes les paroisses de Paris qu'il avoit fait faire une croix de nouveau, semblable à celle qu'on avoit dérobée l'année précédente, et qu'en icelle il avoit fait enchasser une partie d'une grande pièce de la vraie croix gardée au tresor de la sainte chapelle, et pour que dans la semaine sainte chacun l'allât baiser et adorer, comme de coutume; de quoi le peuple de Paris fut fort joyeux et content.» A ce propos, Sablier, qui rapporte le fait dans ses _Variétés amusantes_ (1765, in-8, t. 1, p. 25), ajoute: «Il me paroît que le peuple étoit bien simple d'en croire Henri III et Catherine.» Je suis bien de son avis.] Vous sçavez bien que, lorsque vous donnastes liberté à tous sorciers, enchanteurs et autres devinateurs, de tenir libres escholes ès chambres de vostre Louvre, et mesme dans vostre cabinet, à chacun d'iceux une heure le jour, pour mieux vous en instruire[257]. [Note 257: En cette même année parut un petit livre ayant pour titre: _Les sorcelleries de Henri de Valois et les oblations qu'il faisoit au diable dans le bois de Vincennes, avec la figure des demons d'argent doré ausquels il faisoit ses offrandes, et lesquels se voyent encore en cette ville_; Didier-Millot, près la porte St-Jacques, 1589. Ce livret a été réimprimé dans les _Preuves du Journal de l'Estoille_, t. III, p. 369 et suiv. Il y est dit de Henri III et de d'Epernon: «Lesquels quasi publiquement faisoient profession de la sorcellerie»; puis encore, qu'en outre des deux figures, on trouva «une peau d'enfant, laquelle etoit courroyée, et sur icelle y avoit aussi plusieurs mots de sorcellerie et divers caractères, dont l'intelligence n'est requise aux catholiques».] Vous sçavez bien qu'avez obligé vostre ame à tels gens. Vous sçavez bien qu'ils vous ont donné un esprit familier en jouyssance, tiré du nombre de soixante esprits nourris en l'eschole de Soliman, nommé Téragon[258]. [Note 258: Ce nom doit être une altération de celui de _Tervagan_ ou _Tarvagan_, fameux démon d'origine orientale, dont il est parlé au 99e vers du conte de La Fontaine, _la Fiancée du roi de Garbe_. V., pour de plus longs renseignements, notre petit volume, _Un prétendant portugais au XVIe siècle_, à la suite duquel se trouve une étude sur l'_Origine portugaise de la Fiancée du Roi de Garbe_, p. 118-119.] Vous sçavez bien que, pour passer plus oultre vostre malignité, avez contrainct iceux sorciers et enchanteurs de transmuer cest esprit en figure d'un homme naturel, ce qu'ils trouvèrent fort estrange; et neantmoins, avec leur art diabolique, ont accordé ceste requeste, et par faicts obliques, en corps et ame, ont faict sortir un diable d'enfer, figuré en homme; et de la region ou il fust premier apparu, ce fut en Gascogne, d'un nommé Nogeno, où il print le nom de Nogaret, ou Teragon, à cause de son premier nom Teragon, et se vint trouver au milieu de ces sorciers et enchanteurs. De bonne volonté le presentèrent à Henry estant au Louvre, accommodé comme un gentil-homme pour son conseil; le roy de Navarre, qui sçavoit la tragedie, luy envoya un homme damné nommé du Beloy, pour l'introduire plus ardemment à trahison. Henry, vous sçavez bien que, tout aussi tost que vistes Teragon, vous l'appellastes vostre frère, en l'accolant, et la nuict suyvante il coucha dans vostre chambre, seul avec vous dans vostre lict. Vous sçavez bien que toute la nuict il tint sur vostre ventre droict au nombril un anneau, et sa main liée dans la vostre, et fust le matin vostre main trouvée comme toute cuitte; et meit sur icelle un applic, et ce matin il vous monstra que dans la pierre de son anneau estoit la vostre ame figurée. Vous sçavez bien que toute la nuict, sur ce serment damné, il vous enseigna mille trahisons et violenses assasinatiques. Henry, vous sçavez bien que, pour mieux couvrir vostre charme et l'honneur de vostre frère Teragon, l'avez mis en parenté d'un nommé de la Valette, ce qu'il trouva fort estrange, mais par grands dons y accorda cest accueil. Le dict de la Valette a juré et faict grand serment que ce Nogaret ou Teragon ne fust jamais son frère[259], et en a asseuré le roy de Navarre. [Note 259: Il y a ici une allusion aux prétentions de M. d'Epernon, qui, bien que simple cadet de La Valette (v. la 17e épitre de Busbecq à l'empereur Maximilien), et même, à en croire les ligueurs, fils d'un pauvre _porte-paniers_ (_Avertiss. des cathol. anglois_, 1590, feuill. 28), se disoit de l'ancienne famille de Nogaret. «M. d'Espernon dit qu'il est sorti des Nogaret, lit-on dans le _Scaligerana_, 1667, in-12, p. 75; il se trompe: le père de son grand père, qui estoit son bisaïeul, estoit notaire; La Valette estoit son nom. Monsieur du Bartas avoit encore beaucoup d'instruments du notaire La Valette, d'où est descendu d'Epernon.»] L'on tient que ce dit Teragon eust affaire un certain jour à une fille de joye en la chambre secrette, de quoy icelle cuida mourir, suivant le recit qu'elle en a faict à ses privez amis, certifiant que Nogaret ou Teragon n'est point un homme naturel, parce que son corps est trop chaut et bruslant. Madame la comtesse de Foix, sa femme, laquelle dict qu'elle aime mieux mourir que d'estre habitée de luy, et a dict que son mariage a esté faict par sort et par charme, et du tout contre sa volonté, et que la première nuict fut Teragon d'elle esvanouy, et puis le matin se trouva couché près d'elle, et alors iceluy Teragon la vouloit depuceler, elle ne sçeut endurer sa chair si chaulde qu'elle estoit, dont le jour ensuyvant ne cessa de plorer devant sa tante. Or de croire cest effect damnable de ce diable desguisé est possible, car un conte de Flandres espousa le diable en figure de femme. A Lucques, le primat tenoit le diable en figure d'un page. A Toscane, une dame de nom tenoit une fille qui devinoit tout, et estoit un diable, comme enfin fut apparu. En la ville de Bordeaux, un diable a esté veu un mois entier par la ville, monté sur un cheval, figuré en homme; et, en fin du temps predit, emporta un homme à luy voué par achapt. En Angleterre, le roy Edouard tenoit Gaverston, qui enfin fut trouvé diable desguisé, et fut cause que ce roy fist mourir des bons seigneurs; dont, pour sa juste recompense, ce roy Edouard fut vif embroché en fer bruslant. Toutes ces choses icy, ce sont des advertissemens à tous seigneurs de laisser Henry: car la verité est telle que tout homme ayant l'ame bonne accompaignant Henry, tous y seront perdus, par guerre ou par sort, ou par charmes, ou par femmes desbordées ou trahison: car c'est chose asseurée que l'estat du diable, regnant avec Henry, oste la vie, le renom, la gloire, l'honneur et la vertu des hommes. * * * * * Dialogue de Henry le tyran et du grand sorcier d'Espernon, pour faire mourir Monseigneur de Guise. D'ESPERNON _parle_. Sire, qu'attendez-vous? Voilà le Guysien Qui, comme une brebis amiable innocente, Vers vous, trop cauteleux, pour mourir se presente: Car, veu qu'avez juré, il s'asseure trop bien. HENRY. N'a-t-il de l'entreprise encore entendu rien? D'ESPERNON. Vostre amitié luy est autant qu'à moi plaisante; Il faut le despecher. HENRY. J'y ay bien mon attente; Puis le peuple de Blois n'est pas Parisien. D'ESPERNON. Et que craignez-vous donc? HENRY. Je doute d'une chose, Qu'on vengera sa mort, parquoy si tost je n'ose Que je ne sois certain d'avoir quelque secours. D'ESPERNON. Ne craignez rien; je vay armer cent mille diables, Terribles à chacun, mays à moy amiables, Qui pourront tout destruire en moins de quatre jours. _Par tout gaillard._ * * * * * _Invocation des diables pour le secours de Henry le tyran, faicte par le grand sorcier d'Espernon._ Trouppes des bas enfers, gendarmes sataniques, Qui les lieux souterrains terribles habités, La voix du magicien d'Espernon escoutés, Vostre plus grand amy, frère des heretiques. Sortez, sortez, soldats des antres plutoniques; De venir au secours de vostre Henry hastés; Venez, venez icy, en armes apprestés: Nous voulons à ce coup chasser les catholiques. Capitaine Astarot, sors de tes bas manoirs, Ameine nous cent mil de tes gendarmes noirs, Que renge Lucifer soubs sa noire cornette. Desployez, mes amis, en l'air vos estandars, Le vaillant Belzebut face de toutes parts De peur trembler le peuple, au son de sa trompette. LE COCHON MITRÉ,[260] _Dialogue_. [Note 260: Ce fameux libelle, dirigé surtout contre Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, et, en passant, contre Mme de Maintenon et l'Académie françoise, est d'un auteur encore inconnu. Barbier (_Dict. des Anonymes_, nº 2,405) l'attribue, d'après l'auteur de _la Bastille dévoilée_ (9e livraison, p. 76, note), à François de la Bretonnière, bénédictin défroqué, réfugié en Hollande, où il faisoit la _Gazette_ sous le nom de La Fond. C'est là qu'il auroit écrit ce pamphlet. Un juif, qui étoit de ses amis et qu'on acheta, l'auroit livré, toujours d'après l'auteur de _la Bastille dévoilée_, aux agents de la police françoise, et La Bretonnière seroit venu expier son libelle par trente ans de captivité dans la cage de fer du Mont Saint-Michel. Nodier, qui en avoit possédé un des rares exemplaires, vendu 21 fr. à sa première vente, en 1827, et 118 à la seconde, en 1830, et qui, en dernier lieu, n'en possédoit plus qu'une copie manuscrite, s'en tenoit, comme Barbier, à ce qu'avoit dit l'auteur de _la Bastille_. Il attribuoit le _Cochon mitré_ à Fr. de La Bretonnière (_Description raisonnée d'une jolie collection de livres_, p. 419, nº 1027). Le Ducatiana le met au contraire sur le compte d'un nommé Chavigny, sans dire ce qui autorise son opinion. Ainsi, à ce sujet rien de certain, sinon peut-être que tout le monde s'est trompé. C'est l'avis de M. Leber: «Il y a, dit-il dans son livre sur l'_Etat réel de la Presse et des Pamphlets depuis François Ier jusqu'à Louis XIV_ (p. 111), beaucoup d'erreurs dans ce qu'on a écrit sur l'auteur de cette infamie et sur sa punition.» Dans le _Catalogue de sa Bibliothèque_ (t. 2, p. 324, nº 4478), M. Leber avoit déjà parlé de ces erreurs, et, de plus, il les avoit prouvées, en faisant voir que tout le roman qui se lit dans la note de _la Bastille dévoilée_ est un emprunt fait à la _Musique du Diable, ou le Mercure galant dévalisé_ (Paris, 1711, in-12, p. 60). Tout s'y trouve en effet raconté de la bouche même de l'auteur du _Cochon mitré_. Il n'oublie rien que de dire son nom. C'est dans la note de _la Bastille dévoilée_ que La Bretonnière est nommé pour la première fois, et, sans doute, fort gratuitement. M. Leber argue de la date de 1711, qui est celle de la _Musique du Diable_, que l'auteur du _Cochon_ ne dut pas rester trente ans en prison, puisqu'on le donne pour mort dans ce livre, et puisque le _Cochon mitré_, cause de son emprisonnement, avoit paru en 1688.--Ce pamphlet eut dans l'origine deux éditions, qui se suivirent de près, et qui sont aujourd'hui aussi rares l'une que l'autre. Celle qui semble être la première a pour titre: _Le Cochon mitré, dialogue_, Paris, _chez le Cochon_ (sans date). C'est un petit in-8 de 32 pages, y compris le titre et la gravure du cochon. L'exemplaire vendu deux fois chez Nodier étoit de cette édition. Elle dut paroître vers le mois de juillet 1688, c'est-à-dire peu de temps après la mort de Furetière, qui avoit eu lieu le 14 mai, et qui, d'après ce qu'on lit aux premières pages, devoit être encore toute récente. L'autre édition, que M. Brunet, dans le _Manuel_, croit au contraire être l'originale, n'indique pas de lieu d'impression et porte la date de 1689. C'est un in-12 de 28 pages. Il paroîtroit que l'une des deux avoit été subrepticement imprimée à Reims, à deux pas du palais qu'habitoit le prélat vilipendé. M. Brissart-Binet, à qui nous devons plusieurs des renseignements qui précèdent, tenoit de M. Hédouin de Pons-Ludon une anecdote qui le feroit croire. La voici telle que M. Hédouin la racontoit d'après une tradition de famille: «Lorsque quelques chanoines de Reims firent contre Maurice Le Tellier un libelle intitulé: _Le Cochon mitré_, imprimé chez Godard, que l'archevêque avoit tiré deux fois de la Bastille, l'imprimeur fut appelé chez Maurice Le Tellier, qui lui reprocha son ingratitude. «Monseigneur, dit l'ouvrier, ce qui m'a engagé à l'imprimer, c'est que l'ouvrage est bien fait.--Eh bien! reprit le prélat, envoyez-m'en un exemplaire.» Puis, après l'avoir lu: «Je n'ai pas, dit-il, tous les défauts qu'on m'y suppose, mais qu'on en mette deux exemplaires dans ma bibliothèque.»--En 1850, M. Chenu a donné une édition du _Cochon mitré_ à 110 exemplaires.] _L'abbé Furetière, Scarron._ _L'abbé_ FURETIÈRE. Ah! je vous trouve enfin, Monsieur Scarron, après vous avoir cherché inutilement! Je ne sçai pas le temps que j'y ai mis, car, à vous dire le vrai, je suis fort desorienté depuis que je ne vois plus de Soleil ni de Lune. SCARRON. Qui êtes-vous, ne vous deplaise? car vous voyez, ou vous ne voyez pas, que les morts n'ont ni barbe au chapeau, ni rien qui fasse reconnoître la difference du sexe. Je ne sçai si je suis homme ou femme, car, lorsque je me tâte, je ne trouve rien. _L'abbé_ FURETIÈRE. Je suis l'abbé Furetière. J'ai poursuivi en vain un evêché pour pouvoir vivre en cochon; mais, dans le temps que je l'esperois le plus[261], la Parque a coupé la trame de mes jours un peu plus avant qu'au milieu de ma course[262]. [Note 261: Furetière étoit, comme on sait, abbé de Chalivoy; je ne sache pas qu'il fût en passe d'un évêché quand il mourut.] [Note 262: Nous avons déjà dit qu'il mourut le 14 mai 1688. Il avoit 68 ans.] SCARRON. Oh! vous soyez le bien venu, Monsieur l'Abbé! Vous ne serez pas icy tout à fait comme dans Paris, mais aussi vous y entendrez moins de tabut[263] et de tracas. Au reste, je ne sçai ce que c'est ni de procez, ni de maladie, ni de maltote, depuis que j'y suis. Comment vous y trouvez-vous? [Note 263: Bruit, vacarme. On trouve dans Montaigne (liv. 3, chap. 10) l'expression: un _tabut_ de valets.] _L'abbé_ FURETIÈRE. Je n'y ai pas encore senti de froid. Pour si bien fourré que je fusse là haut, j'y etois presque toujours transi durant six mois. SCARRON. Je vous repons que le froid ne vous rendra jamais transi dans ces bas lieux; ceux qui font les _esprits-forts_ là haut ne courent pas risque de se morfondre dans ces climats: on y est un peu plus chaudement que dans ceux de la zone torride. Il n'y a pas long-temps que j'ai vu notre illustre Balzac; il ne se plaint plus de son rhume, comme il faisoit sur les bords de la Charante, et Botru ne lui reprochera plus qu'il se _morfond à parler de lui-même la tête decouverte_[264]. Que nous apportez-vous de nouveau? [Note 264: On sait que Balzac étoit de la plus solennelle vanité. Un jour, après avoir été malade d'un gros rhume, il vint faire sa cour à Richelieu, qui lui demanda s'il se portoit mieux: «Eh! monseigneur, dit Bautru, qui étoit là, comment voulez-vous qu'il se guérisse? Il ne parle que de lui-même, et à chaque fois il met le chapeau à la main: cela entretient son rhume.»] _L'abbé_ FURETIÈRE. Je m'imagine que vous êtes dans l'impatience de sçavoir ce que fait madame Scarron? SCARRON. Je ne sçai que trop de nouvelles de ma Guillemette[265]. Le marechal d'Albret m'en a dit plus que je n'en voulois sçavoir[266]. Je sçai qu'elle est Duchesse, qu'elle a un Tabouret, qu'elle est même du Cabinet, et qu'elle rend au Roi les services que Livie rendoit à Auguste; mais, la Vilaine qu'elle est, que ne faisoit-elle Duc son mari très marri? [Note 265: Sa femme. Il lui donne là le nom que portoit la petite levrette de sa _chienne_ de soeur.] [Note 266: Le maréchal d'Albret alloit souvent chez Scarron, surtout lorsqu'il fut marié, et l'on sait qu'après la mort du poète cul-de-jatte, sa femme n'eut pas d'abord d'autre asile que l'hôtel d'Albret.] _L'abbé_ FURETIÈRE. A vous ouïr, il semble que vous avez perdu ici-bas cette force d'esprit que vous aviez là haut; est-ce que vous ne sçavez pas qu'elle vous avoit ombragé la tête d'un pennache de Cerf? Pouviez-vous eviter le cocuage, ayant une Femme d'esprit, jolie et galante, avec votre mine d'Esope et votre _cul de jatte_! SCARRON. Je me fusse consolé de cette disgrace avec tant de compagnons de mon sort, si avec son sçavoir faire elle eût fait augmenter ma pension de _malade de la Reine_[267]; mais, la coquine qu'elle est, je n'en ay reçu autre profit qu'une garnison importune, contre laquelle il me falloit sans cesse recourir à _l'unguentum grisum contra_, etc. Parlez-moi, je vous prie, d'autres gens dont le souvenir ne me puisse pas chagriner comme celui de la Duchesse de Maintenon. Un mot de l'Academie Françoise. [Note 267: Scarron revient souvent dans ses vers sur ce titre de: _Malade de la Reine_, sous lequel il s'étoit fait pensionner par Anne d'Autriche. C'est surtout dans sa _requeste_ à la reine pour avoir un logement, en outre de sa pension, qu'il en a parlé avec esprit ... .....Votre malade exerce Sa charge avec intégrité Pour servir Votre Majesté. Depuis peu l'os la peau lui perce. Tous les jours s'accroît son tourment; Mais il le souffre gaiement, Il fait sa gloire de sa peine, Et l'on peut jurer sûrement Qu'aucun officier de la reine Ne la sert si fidellement.] _L'abbé_ FURETIÈRE. J'y viendrai après avoir dit ce mot de votre fameuse duchesse: c'est qu'elle est très bien avec le confesseur du roi, et qu'elle charrie[268] assés bien avec la Montespan. [Note 268: C'est-à-dire, _marche de front, va de compagnie_, comme deux chevaux qui traînent une voiture. Montaigne dit de La Boétie: «Nos âmes ont _charrié_ si uniement ensemble.» (Liv. 1, ch. 27.)] SCARRON. Oh! je ne m'etonne pas si la lubrique a pris ce parti-là. Il n'y a ni telle chair que celle des avares, ni telle galanterie que celle des Religieux. Quand ces Tartuffes se mettent en besogne, ils _y vont et de la tête et de la queue, comme une Corneille qui abat des Noix_. C'est un Jesuite, c'est tout dire: depuis que ces galants sont au monde, il n'y en a presque que pour eux, au moins dans Paris. Ils ont si bien fait qu'on a changé le Proverbe; on disoit bien toujours: _Jacobin en Chaire, Cordelier en Choeur, Carme en cuisine_; mais on ne dit guère plus _Augustin_, on dit _Jesuite en Bordel_. Que fait-on donc dans l'Academie Françoise? _L'abbé_ FURETIÈRE. On y fait d'aussi grandes sottises qu'en pas un lieu du monde; jugez de la pièce par cet echantillon: Jamais cette Compagnie n'a reçu tant d'honneur qu'elle en a presentement, le Roi l'ayant logée dans le Louvre[269]; cependant ces beaux messieurs s'y battent en drilles comme dans un Cabaret. Sur une affaire de rien, Charpentier en vint si avant l'autre jour avec l'abbé Talemant que de lui reprocher qu'il étoit fils d'un banqueroutier de la Rochelle; à quoi Talemant repliqua que Charpentier etoit fils d'un cabaretier de Paris. De ces injures de hales ils en vinrent aux coups. Charpentier jetta à la tête de Talemant un Dictionnaire de Nicot, et Talemant, de son côté, jetta à la tête de Charpentier un Dictionnaire de Monet[270]. Oh! que vous eussiez bien fait rire le monde si vous eussiez decrit cette bataille du stille de votre Typhon! [Note 269: C'est en 1672, après la mort du chancelier Séguier, qui l'avoit long-temps logée dans son hôtel, que l'Académie fut établie au Louvre par Louis XIV, «au même endroit, dit Perrault, où se tenoit le conseil lorsque Sa Majesté y logeoit». (_Mémoires_ de Ch. Perrault, Avignon, 1759, in-12, p. 134.)] [Note 270: On fait débiter ici à Furetière, presque mot pour mot, un fragment du second de ses _factum contre quelques uns de l'Académie_ (Amsterdam, 1688, in-12, p. 46).] SCARRON. Si je me fusse trouvé là, je les eusse laissé battre tout leur saoul. Ils se rendoient justice respectivement, et ceux qui les separèrent etoient dignes d'une amende, d'avoir empêché le cours de la justice pour deux marauts qui meritoient les etrivières. Et vous, quelle figure faisiez-vous là? _L'abbé_ FURETIÈRE. Je n'avois garde de me trouver là, car j'etois en procès avec eux au sujet d'un Dictionnaire que j'avois mis au jour; mais tout ce qui s'est passé et dit de part et d'autre ne vaut pas votre _factum_, surtout cette Epigramme contre la Dame que vous aviez pour partie[271]. Grand nez digne d'un camouflet, Belle au poil de couleur d'orange, Mâchoire à recevoir souflet, Portrait de quelque mauvais Ange, Face large d'un pied de Roi, Gros yeux à la prunelle grise, Tu veux donc plaider contre moi Jusques à manger ta chemise? Ah! si tu gardes ton serment, Soit que je gagne ou que je perde, Que j'aurai de contentement De te voir manger tant de merde! [Note 271: Voici le titre de cette épigramme, dans les _Oeuvres de Scarron_, Paris, 1752, in-12, t. 1, p. 82: _Contre une chicaneuse qui juroit de manger jusqu'à sa chemise en plaidant contre Scarron._] SCARRON. A une autre matière, celle-là pour vos plaideurs, Talemant, Charpentier, et autres academiciens _jettoniers_[272]. Venons à mes _cochons mitrez_. Comment se portent-ils? [Note 272: «Afin, dit Perrault, d'engager davantage les académiciens à être assidus aux assemblées, il (le roi) établit qu'il leur seroit donné quarante _jetons_ par chaque jour qu'ils s'assembleroient, afin qu'il y en eût un pour chacun, en cas qu'ils s'y trouvassent tous (ce qui jamais n'est arrivé), ou plutôt pour être partagés entre ceux qui s'y trouveroient, et que, s'il se rencontroit quelques jettons qui ne pussent pas être partagés, ils accroîtroient à la distribution de l'assemblée suivante. Ces jettons ont d'un côté la face du roi, avec ces mots: _Louis le Grand_, et de l'autre côté une couronne de lauriers, avec ces mots: _A l'immortalité_; et autour: _Protecteur de l'Académie françoise._» Les académiciens assidus, dont un jeton récompensoit chaque fois l'assiduité intéressée, reçurent le nom de _jettoniers_, qui s'emploie encore. C'est Corneille qui créa le mot, du moins à en croire Furetière, dans ce passage de son _Troisième factum_ (p. 32-33), où, comme toujours, il trouve moyen de se répandre en invectives contre La Fontaine. «Si en général, dit-il, j'ai appelé les jettonniers ceux qui sont assidus à l'Académie pour vaquer aux travaux du Dictionnaire, je n'ai pu trouver de nom plus propre et plus significatif pour les distinguer des académiciens illustres par leur qualité et par leurs mérites...., qui n'ont aucune part à cet ouvrage et qui ne se trouvent qu'aux assemblées solennelles des réceptions. Encore n'ai-je pas la gloire de l'invention de ce titre; elle est due au grand Corneille, qui en a été le parrain, et qui donna un billet d'exclusion au sieur de La Fontaine parcequ'il le jugeoit dangereux aux jettons, sur le fondement que c'est un miserable qu'on nourrit par charité et qui en a besoin pour subsister. On ne peut pécher après l'exemple d'un si grand homme, et son autorité est de tel poids que tous les confrères ont suivi son exemple et se traitent les uns les autres de _jettonniers_, selon qu'ils affectent plus ou moins d'être assidus et de se trouver avant que l'heure sonne, pour participer à cette distribution.»] _L'abbé_ FURETIÈRE. Je vous entends: jamais sobriquet n'a eté donné avec plus de justice que celui de Cochon Mitré à messeigneurs les prélats. Dans toute la Bretagne, pendant le séjour que j'y ait fait, je n'ay point ouï designer les Chanoines autrement que par celui de _porcs de Dieu_. Mais ils ne portent point la mître: laissons-les là. SCARRON. Il n'y a rien qui me plaise à l'egal de la _chronique scandaleuse_. Lorsque j'etois là haut, c'estoit pour moi un regal. _L'abbé_ FURETIÈRE. Jamais elle ne fut ni plus chargée, ni plus forte. Jamais les Dames ne furent plus effrontées; je n'en excepte pas même le siècle de Caligula et de Neron. Jamais la debauche ne fut plus outrée, et jamais le Bordel ne fut tant frequenté par les Mitrez. Aussi quand l'Assemblée du Clergé tient, on dit communement que c'est une _Assemblée de Cochons_; et les Maquereaux du Clergé ne sont connus que sous le titre de _Marchands de Cochons_. SCARRON. N'y a-t-il pas dans ce troupeau quelque Mouton, ou ce que Virgile appelle _dux gregis_? Vous m'entendez bien? _L'abbé_ FURETIÈRE. Point de Mouton, point d'Eunuque. Il n'entre point de ces animaux mutilés dans le Serail du Roi Très Chretien; on trouveroit plutôt du poil dans le creux de la main, et une Femme belle et chaste à la Cour, qu'une de ces bêtes parmi les _Cochons Mitrez_. Pour le _chef du troupeau_ dont parle votre Virgile, il y en a un à la tête des _Cochons Mitrez_, qui en a la plus essentielle qualité, sans en avoir ni les cornes ni la barbe. Ce Bouc, aujourd'hui, c'est celui à la louange duquel vous fites la Chanson si fameuse: _Ce que fait et deffend l'archevêque de Rouen_[273]. [Note 273: Nous ne l'avons trouvée ni dans l'édition la plus complète des oeuvres de Scarron, ni dans aucun recueil de vers et de chansons. Le refrain, qui fut très populaire, se lit seulement à la fin de ce couplet du _Recueil de Maurepas_ (t. 3, p. 513). Le pauvre comte de Guiche Trousse ses quilles et son sac; Il faudra bien qu'il deniche De chez la nymphe Brissac. Il a gâté son affaire Pour n'avoir jamais su faire Ce que fait et que defend L'ancien prelat de Rouen.] SCARRON. N'est-ce pas aujourd'hui François Harlay-Quint, Archevêque de Paris[274]. [Note 274: Fils d'Achille de Harlay, marquis de Champvallon, qui, en effet, avant d'occuper le siége archiépiscopal de Paris, avoit occupé celui de Rouen. C'étoit le plus beau prelat de France. On lui appliquoit ce vers de Virgile: Formosi pecoris custos, formosior ipse. C'est encore de lui qu'on disoit, à cause de ses galanteries: «Il est plus berger que pasteur.» Il mourut en 1675. On l'avoit appelé Harlay-Quint, parcequ'il étoit le cinquième archevêque de Paris. (V. _Recueil de Maurepas_, t. 4, p. 28-29.)] _L'abbé_ FURETIÈRE. C'est lui-même en corps et en âme. Un Bouc n'a pas plus de poils que ce Prélat a de Maîtresses[275]. Il a un fonds qui ne s'epuise point, et est ardent à la curée comme un Bouc. [Note 275: Notre archevesque de Paris, Quoique tout jeune, a des foiblesses. De crainte d'en être surpris, Il a retranché ses maîtresses: De quatre qu'il eut autrefois, Ce prelat n'en a plus que trois. (_Recueil Maurepas_, t. 4, p. 3.)] SCARRON. Je l'ai fort connu. Il etoit presque toujours à Paris, quoi qu'Archevêque de Rouen. C'est justement ce qu'il falloit à ce Bouc. Franchement, si Paris est l'Enfer des chevaux[276], c'est le Paradis des _Boucs_ et des _Cochons_ aussi bien que des Putains. Je juge assez de ce qu'il fait presentement par ce que je lui ai vu faire. Passons à nos cochons. [Note 276: V., sur ce proverbe, notre t. 2, p. 284, note.] _L'abbé_ FURETIÈRE. Vous me dispenserez de vous parler de tous. Ils n'en valent pas la peine pour la plupart. Je ne vous dirai qu'un mot de ceux que vous avez ouï prêcher dans Paris avec l'applaudissement de la Cour, et qui vivoient en quelque odeur de Sainteté tandis qu'ils etoient dans la compagnie des Pères de l'Oratoire: c'est le Père le Bouc[277] et le Père Mascaron, celui-là Evêque de Périgueux, et celui-ci Evêque d'Agen. [Note 277: Guillaume Le Boux, qui eut le courage de prêcher à Paris pendant la Fronde touchant l'obéissance qu'on devoit au roi, ce qui lui valut, en 1658, l'évêché d'Acqs, et non pas celui d'Agde, comme il sera dit plus loin, et plus tard, en 1667, celui de Périgueux. Il avoit été, comme Mascaron, prêtre de l'Oratoire. Il mourut le 6 août 1693.] SCARRON. Quoi! ces deux fameux Predicateurs sont aussi du nombre des _Cochons Mitrez_? Je les avois pris bonnement pour des _moutons_. _L'abbé_ FURETIÈRE. Vous vous y trompez, avec tout votre discernement: c'etoit, quand je partis, deux francs _Cochons_. Je ne sçai pas si la Mitre a la vertu de faire des metamorfoses; mais il est sûr que l'Evêque de Perigueux ne laissoit pas une belle Religieuse dans son Diocèse sans la cochonner. SCARRON. La bonne bête! C'est celui qui, ne trouvant pas assez de grain dans le Diocèse d'Agde, fit au Roi ce compliment: _Sire, je suis né gueux, j'ai vecu gueux; mais, s'il plaît à Votre Majesté, je veux_ PÉRIR GUEUX[278]. Et le bon Jule Mascaron! c'est un autre cochon; il a trouvé à Agen plus de paille et de grain qu'il n'en avoit à Thule[279]. [Note 278: D'après l'auteur de la _Vie abrégée_ de Guillaume Le Boux, qui se trouve en tête de ses _Sermons_ (Rouen, 1766, in-12, 2 vol.), ce ne seroit pas lui, mais l'un de ses amis, qui auroit fait au roi cette requête par calembour. Godeau en a fait une semblable quand, pour obtenir le siége de Grasse, il avoit dit à Richelieu: «_Monseigneur, je vous demande_ Grasse.» Ce qui lui fut accordé.] [Note 279: Dès 1671 on prévoyoit bien que Mascaron ne resteroit pas à Tulle, Bien que tout evesché soit bon, Tulle est trop peu pour Mascaron. Il n'en demeurera pas là. Alleluia. (_Recueil de Maurepas_, t. 3, p. 419.)] _L'abbé_ FURETIÈRE. Il a de la paille par dessus le ventre et du grain jusqu'aux oreilles; aussi vit-il à guoguo. Toutes les Dames d'Agen s'empressent pour lui donner du plaisir. De son côté, il tâche de ne pas leur donner de la jalousie; il y fait de son mieux. La R....use est pourtant sa favorite. Ils se trouvent frequemment tous deux à Beauregard, et dans le tête à tête ils font ce qui se doit faire pour faire un tiers[280]. Il y a sans doute bien d'autres choses plus fortes dans l'histoire de ces deux Prélats, car, quand on est devenu _Cochon_, le ventre n'a point d'oreilles, le bruit public ne fait point de peur; mais ce que vous allez ouïr, si vous voulez, des exploits de l'Evêque de Laon depuis quelques années, le cardinal d'Etrée[281], vous fera juger de quoi est capable un _Cochon Mitré_. [Note 280: Mascaron s'enflamme, Etant près d'une dame; Mascaron s'enflamme, La voulant approcher; Tout plein de zèle Dans sa ruelle Luy dit: Ma belle, Pour bien prescher, Un predicateur doit toucher. (_Recueil de Maurepas_, t. 3, p. 341.)] [Note 281: César d'Estrée, abbé de Saint-Germain-des-Prés, qui, en 1674, avoit quitté l'évêché de Laon et avoit été fait cardinal.] SCARRON. Comme j'ai fort connu la force de son genie, je ne doute pas de son savoir-faire. Il faut qu'il ait poussé la _cochonnerie_ bien avant. _L'abbé_ FURETIÈRE. Ce que j'ay à vous dire de ce _Cochon_ justifiera le presage que vous en avez fait. Vous saurez donc que, le cardinal d'Etrée etant devenu passionné de la marquise de Coeuvres, laquelle etoit soupçonnée d'avoir accordé au duc de Seaux[282] la dernière faveur, il voulut y avoir part; pour cet effet, ayant averti son neveu, le marquis de Coeuvres, du commerce scandaleux que sa Femme avoit avec le Duc, les Parents s'assemblèrent chez le Marechal d'Etrée[283], où il fut resolu de mettre cette infidèle en Religion contre l'avis du bon Homme, qui etoit le plus sage de tous. Vous faites bien les delicats, dit-il; vous ne seriez pas ici non plus que moi si nos Mères n'avoient forligné. Nous sçavons ce que nous sçavons, mais sçachez que le plus beau de notre nez ne vient que d'emprunt, et nous avons en ligne directe, aussi bien qu'en collaterale, tant de sujets de nous louer des habiles Femmes que nous avons en notre Maison, que je m'etonne que vous en vouliez bannir celles qui leur ressemblent. Quand j'ai marié mon petit-fils de Coeuvres avec mademoiselle de Lionne, croyez-vous que j'aye consideré ni qu'elle etoit fille d'un ministre d'Etat, ni son bien, ni son credit? Ce sont des veuës trop bornées pour un homme de mon âge et de mon experience. Toute ma pensée a eté qu'etant belle comme elle etoit, elle pourroit faire revivre la grandeur de notre maison, laquelle, comme vous savez, tire toute sa consideration, non pas du côté des mâles, mais du côté des femelles[284]. Si je me suis trompé, ce n'est pas ma faute: mon intention a eté bonne en cela. Ainsi, puisque la marquise de Coeuvres n'est blamée que pour avoir recherché les plaisirs que la nature nous permet, je me declare son protecteur. Que tout cela cependant se passe entre nous sans que la cour en soit abreuvée. Les plus courtes follies sont les meilleures[285], et nous n'avons que faire que tout le monde rie à nos depens. [Note 282: François Emmanuel de Bonne, comte (et non pas duc) de Sault. Il étoit fils du duc de Lesdiguières. Quand Mme de Coeuvres accoucha, il y eut, vu ses multiples galanteries, grande confusion dans les attributions de paternité. Le mari fut le seul à qui on ne pensa pas. Quant au comte de Sault, on ne l'avoit pas oublié: Ce n'est point au bourgeois Michaut (Tambonneau) L'enfant que Coeuvre a mis au monde, Encor moins au _comte de Sault_, Puisqu'on dit qu'elle n'est pas blonde. A qui donc la donnerons-nous, Ne pouvant être à son epoux? (_Chansonnier Maurepas_, t. 3, p. 439.)] [Note 283: François Annibal, comte d'Estrées, frère du cardinal, et grand-père du marquis de Coeuvres, qui s'appeloit comme lui François Annibal.] [Note 284: Le maréchal d'Estrées, à qui l'on prête ces belles paroles, étoit neveu de Gabrielle, de qui venoit toute la grandeur de sa maison.] [Note 285: C'est ce que dit Ch. Beys pour clore le 5e acte de ses _Illustres fous_: La plus courte folie est toujours la meilleure.] SCARRON. Je reconnois dans cet avis l'esprit fort et les inclinations nobles de la fameuse Gabrielle d'Etrée, Maîtresse du grand Henry. Que fut-il donc fait de la pauvre marquise? car le couvent n'accommode guères les Dames qui ont une fois goûté les plaisirs de la Cour. _L'abbé_ FURETIÈRE. Le Cardinal d'Etrée ne trouva pas bon, non plus que le Marechal, de publier la turpitude de sa Nièce; mais il se chargea du soin de la mettre sur le bon pied, à quoi le Marquis de Coeuvres, son Neveu, donna les mains, ne pensant pas qu'il livroit la Brebis au Loup. Le Prelat s'en va vite trouver la Nièce: «Je viens, lui dit-il, Madame, de vous rendre un service considerable. Toute la famille etoit dechainée contre vous, et ne parloit pas moins que de vous envoyer en Religion. Je sçai bien, Madame, qu'on ne vous rendoit pas justice; mais enfin c'en etoit fait si je n'eusse pris votre parti. Cela meriteroit quelque recompense pour un autre; mais, pour moi, je serai toujours trop satisfait si vous me permettez seulement de vous voir et de vous aimer.» SCARRON. Voilà qui est bien debuter: les suites repondront sans doute à un si beau commencement. Je vois une place assiegée dans toutes les formes. La Tranchée s'ouvrira bien-tôt. _L'abbé_ FURETIÈRE. Elle ne se rendra que la brèche ne soit faite. «Je suis bien malheureuse, dit la Marquise, de me voir accusée injustement; et, quoi que je ne veuille pas nier que je vous sois obligée, vous me permettrez neanmoins de vous dire que vous effacez bien tôt cette obligation par votre procédé. Vous devriez vous ressouvenir de votre caractère et de ce que nous sommes, si vous ne voulez pas avoir egard à ma vertu et à ce que je dois à mon mari. Mais je voi bien ce que c'est: les contes qu'on a faits de moi vous ont donné cette audace, et j'aurois encore lieu de vous estimer si vous n'aviez cru qu'ayant dejà quelque penchant au crime, j'aurois moins d'horreur pour celui que vous me proposez.» SCARRON. Peste! je plains ce Prélat. Qui eût cru que la Marquise se fût si bien deffendue? Il est vray qu'un Cochon contre une Lionne[286], la partie n'est pas bien faite. [Note 286: Il vous a été dit tout à l'heure que la marquise de Coeuvres étoit fille de M. de Lionne.] _L'abbé_ FURETIÈRE. Donnez-vous patience. Un _Cochon Mitré_ a la force, le courage d'un Lion; vous allez voir la valeur du Sang d'Etrée. Le Prelat, devenu plus amoureux par cette resistance, resolut de veiller de si près à la conduite de sa Nièce, qu'il lui fit faire par crainte ce qu'il n'avoit pu lui faire faire par amour. Il fit si bien, en effet, qu'il surprit le Duc de Seaux couché dans le lit entre Madame de Lionne et la Marquise de Coeuvres[287]. Et quand il fit ce coup il etoit accompagné de Monsieur de Lionne. Je vous laisse à penser la confusion où fut Madame de Lionne voyant son Mari, et la Marquise voyant le Prelat qu'elle avoit repoussé avec tant de vigueur. La Marquise, s'etant aprochée du Prelat, qui vouloit que l'on tuât tout: «Ne me perdez pas de reputation, lui dit-elle, et, pourvu que vous apaisiez mon père et que vous cachiez la chose à mon Mari, je vous promets de n'en être pas ingrate[288].» [Note 287: Cette aventure se répandit, et fit, on le croira de reste, un grand scandale. Mme de Lionne avoit été en tout cela la corruptrice de sa fille. «Sa sorte de malhonnêteté, écrit Mme de Sévigné (2 août 1671) étoit une infamie si scandaleuse, qu'il y a long-temps que je l'avois chassée du nombre des mères.» V. aussi _Supplément_ de Bussy, lettre à Mme de Montmorency, 30 juin 1671. Mme de Lionne, avant de se mettre de moitié dans les amours de sa fille et du comte de Sault, avoit déjà partagé avec elle M. de Béthune et le duc de Longueville. On lui fait dire, s'adressant au duc, dans une chanson du temps (_Recueil de Maurepas_, t. 3, p. 457): Pourquoy vous enfuyez-vous? Si vous cherchez ma fille, Profités du rendez-vous. Mais accordons-nous: Faisons cocu mon epoux, Et puis je la laisse à vous. Je suis mère facile; Profitez du rendez-vous. En note, on a mis: «Non seulement Mme de Lionne étoit débauchée, mais elle pratiquoit des plaisirs à sa fille.»--Une autre chanson (_Ibid._, p. 464-65) parle, sans rien omettre du scandale, de la parfaite entente de la mère et de la fille dans cette communauté d'amant: Quand à sa fille on alloit, Il falloit Que la mère prît son droit; Puis elle disoit: Ma mie, Je t'en reponds sur ma vie. Pour aiguiser l'appetit, Le deduit Se passoit au même lit, Entre Bethune et la mère, Sault et la jeune commère.] [Note 288: D'après la chanson que je viens de citer, ce ne seroit pas le cardinal d'Estrées qui auroit trahi Mme de Coeuvres, mais son propre frère, l'abbé de Lionne, qui étoit tombé amoureux d'elle, et qu'elle avoit repoussé: Enfin son frère l'abbé, Echauffé Un matin s'est presenté. Ne lui voulant rien permettre, Il se saisit de ses lettres. Son père il en regala. En parla, De cecy et de cela. Là finit la patience D'un des grands cocus de France.] SCARRON. Je croi que le pauvre cocu fut bien ebaubi, ayant trouvé un homme en chair et en os couché entre sa Femme et sa Fille[289]. [Note 289: «Quoique le mari (M. de Lionne), écrit encore Mme de Sévigné (19 août 1671), fût accoutumé à sa propre disgrâce, il ne l'étoit pas à celle de son gendre, et c'est ce qui l'a fait éclater, car vous savez bien l'humeur complaisante et même serviable de la mère.» Mme de Lionne reçut ordre du roi de se rendre à Angers. «Tous les jeunes gens de la cour ont pris part à sa disgrâce, dit Mme de Sévigné (2 août 1671); elle ne verra point sa fille; on lui a ôté tous ses gens. Voilà les amants bien écartés.»] _L'abbé_ FURETIÈRE. Il en fut si etonné, qu'il ne l'auroit pas eté davantage quand les cornes lui fussent venües effectivement à la tête. SCARRON. Et le Prelat, que fit-il après ce bel exploit? Voilà la brèche faite, j'entens battre la chamade; la place est plus qu'à demi renduë. _L'abbé_ FURETIÈRE. Vous le prenez fort bien. Le Prelat fit trouver bon au Père de la marquise d'ensevelir toute l'affaire dans un profond silence[290]; et lui, sous prétexte d'aller faire une correction à sa nièce, la mena dans sa chambre, où, l'ayant sommée de lui tenir parole, elle ne l'osa refuser, de peur qu'il ne la perdît auprès de son mari et de toute sa famille. [Note 290: La mort ne laissa pas d'ailleurs à M. de Lionne le temps de faire expier à sa fille le scandale de sa conduite. Il mourut le 1er septembre. Le chagrin qu'il conçut de tout ce qui venoit de se passer fut, dit-on, pour beaucoup dans sa mort. Sa femme l'avoit pourtant, de longue date, accoutumé à de pareilles affaires, et lui-même s'en vengeoit en détail depuis bien long-temps.] SCARRON. Voilà un _Cochon_ bien content. Brave _Cochon_! digne Prelat! digne Cardinal! _L'abbé_ FURETIÈRE. Le Prelat ayant obtenu ce qu'il desiroit, comme il ne pouvoit ignorer qu'elle ne l'avoit fait que par crainte, il eut peur qu'elle ne retournât à ses premières affections; si bien que, pour la depayser, il fit en sorte que son Mari l'envoyât dans ses terres, qui etoient voisines de son Evêché. Cela produisit un bon effet, car il fit une residence plus exacte qu'il n'avoit fait encore dans son Diocèse. Ce petit commerce d'intrigue dura un an ou deux; mais, des intrigues d'Etat ayant appelé hors du Royaume le Prelat[291], l'ambition prit la place de l'amour, et finit un inceste à quoi la Marquise ne s'etoit abandonnée qu'à son corps deffendant. [Note 291: Le cardinal d'Estrées fut en effet envoyé à Rome par le roi pour la paix de Clément IX et l'affaire de la Régale.] SCARRON. A ce que je vois, il y a des _Cochons_ en chapeau de Cardinal aussi bien que des _Cochons mitrez_. Mais je crois qu'ils sont rares. _L'abbé_ FURETIÈRE. Puisqu'il y a plus d'evêques que de cardinaux, et que presque tous se tiennent à Rome, c'est la raison pourquoi on voit fort peu de ces _Cochons Rouges_ dans les Provinces. Le Cardinal de Bonzi[292] fait assez de bruit dans Montpellier; le cardinal de Bouillon[293] en a assez fait à la cour, et le cardinal de Furstemberg[294] commençoit à en faire plus que tous les autres quand je pris le chemin de ces lieux profonds. [Note 292: Pierre de Bonzi, fait cardinal en février 1672, et qui mourut archevêque de Narbonne, à l'âge de soixante-treize ans. Il eut surtout des intrigues avec Mlle de Gevaudan, qui devint plus tard la fameuse marquise de Ganges. (_Recueil de Maurepas_, t. 6, p. 131, et t. 7, p. 339.)] [Note 293: Emmanuel-Théodose de La Tour d'Auvergne, abbé de Cluny, grand aumônier de France, connu sous le nom de cardinal de Bouillon. Il n'étoit plus à la cour alors, il étoit en exil au château de Paray-le-Monial. (V. lettre de Mme de Sévigné, 28 octobre 1688.)] [Note 294: Guillaume de Furstemberg, évêque de Strasbourg, fait cardinal le 2 septembre 1686. Deux ans après, il avoit été élu coadjuteur de Cologne, grâce à l'influence de la France. Le pape lui refusa ses bulles, et Louis XIV, mécontent, fit occuper Cologne par ses troupes. Guillaume de Furstemberg étoit aussi abbé de Saint-Germain-des-Prés. C'est là qu'il mourut, le 10 avril 1704. Une des rues bâties en 1699 sur le terrain de l'abbaye lui doit son nom.] SCARRON. Sixte cinquième fut donc gardeur de _Cochons_ quand il fut Pape, tout comme il l'étoit au Village de _Montalte_. Voilà qui est plaisant: le Pape gardeur de _Cochons_! Eh! que deviendra la dignité des Rois, lesquels se font honneur de se dire les _fils Aînés_ et les fils _Cadets_ du S. Père? Les Rois sont donc fils de gardeurs de _Cochons_? Mais poursuivez, monsieur l'Abbé, l'histoire du _Cochon mitré_. _L'abbé_ FURETIÈRE. Je l'acheverai, si vous n'êtes pas ennuyé, par l'histoire de l'Archevêque Duc de Rheims[295]. [Note 295: Charles Maurice Le Tellier, que la haute faveur de Louvois, son frère, avoit fait nommer coadjuteur de Reims lorsqu'il n'avoit encore que vingt-sept ans! (Mém. de Choisy, Collect. Petitot, 2e série, t. 63, p. 458; Saint-Simon, 1re édit., t. 2, p. 279.)] SCARRON. Comment Diable, c'est aussi un Cochon? Je croyois que c'etoit un cheval. Il me semble l'avoir ouï apeler ainsi par quelqu'un des nouveaux venus. _L'abbé_ FURETIÈRE. Il est vrai que le Maréchal de la Feuillade lui fit cet honneur que de l'apeler un jour _Cheval de Carosse_. SCARRON. De _Cochon_ à Cheval, c'est un degré d'honneur; à Cheval de Carosse, c'est un autre degré. La Feuillade est-il distributeur des titres dans la Maison du Roi? A-t-il plus de sens qu'au temps de Mazarin, qui ne le voyoit jamais qu'il ne lui dît: _Monsieur de la Feuillade, vous n'avez point de Cervelle_[296]? [Note 296: Une anecdote racontée dans l'_Almanach littéraire_ de 1793 fait allusion au reproche que Mazarin adressoit sans cesse à La Feuillade. En 1655, au siége de Landrecies, il avoit été blessé d'un coup de mousquet à la tête. Les chirurgiens, en lui appliquant le premier appareil, lui dirent que c'étoit grave, car on voyoit la cervelle: «Ah! parbleu, si c'est ainsi, prenez-en un peu et envoyez-le sur un linge au cardinal, qui me dit cent fois le jour que je n'en ai point: O messieurs, la bonne nouvelle! A ce diable de Mazarin, Qui pretend que j'en ai besoin, Envoyons-en une parcelle.»] _L'abbé_ FURETIÈRE. Il n'est pas accusé d'en avoir trop. Tant y a qu'il fit rire le Roi au sujet de l'Archevêque de Rheims. Il etoit avec le Roi à une fenêtre de Versailles qui regarde la grande rue par où l'on vient de Paris. Le Roi ayant decouvert un Carosse à plus de six Chevaux: Voilà, dit-il, un bel equipage; il semble que c'est la livrée de l'archevêque de Rheims[297].--Il est vrai, dit la Feuillade.--Mais ne voilà que sept chevaux, dit le Roi.--Sire, repliqua la Feuillade, Votre Majesté ne voit pas le huitième.--Où est-il donc? dit le Roi.--Il est dans le Carosse, repondit l'homme de peu de Cervelle. Mais je pretens degrader cet Archevêque et faire voir qu'il n'est qu'un _Cochon Mitré_, non plus que les autres Prelats. [Note 297: Il alloit toujours en grand équipage et grand train. C'est à lui qu'arriva sur la route de Saint-Germain cette aventure si bien racontée par Mme de Sévigné: Le carrosse de Monseigneur passant sur le corps d'un pauvre homme et de son cheval, puis versant du choc, tandis que l'homme et le cheval se relèvent et décampent au galop. «Il croit bien être grand seigneur, dit la marquise, mais ses gens le croient encore plus que lui.» (Lettre du 5 février 1674.)] SCARRON. Ah! je vous prie, Monsieur l'Abbé, pour l'amour du nom Le Tellier, à qui l'Etat est si redevable, ne lui ôtez pas le titre que la Feuillade lui a donné du consentement même du Roi. _L'abbé_ FURETIÈRE. De grâce, entendons-nous. Je ne veux pas dire que l'Archevêque de Rheims ne soit un Franc Cheval de Carosse; son naturel fanfaron et brutal paroît assez partout où il affecte de paroître[298], pour ne pouvoir pas lui contester le titre dont la Feuillade l'a mis en possession: car, soit qu'il parle de Théologie, soit qu'il s'entretienne avec les Dames, soit qu'il mette le nez dans les affaires de l'Etat, soit qu'il joue à la bassette, soit qu'il mange, soit qu'il boive, il est cheval _per omnes Casus_. On ne vit jamais animal mieux formé[299], on ne vit jamais un prelat mieux intentionné; il est constant qu'il veut toujours plaire, mais il est si malheureux qu'il ne peut jamais faire ce qu'il veut. C'est donc un franc cheval de carosse à cet égard; mais à un autre égard, quand il est question des Ministres d'amour, c'est un _Cochon Mitré_. [Note 298: Le portrait que fait de lui Saint-Simon (_Mémoires_, 1re édit., t. 2, p. 85) nous le représente bien plutôt comme un colonel de dragons que comme un prélat.] [Note 299: C'est ce qu'on dit dans un couplet qui fut fait lorsque Louvois se chargea de l'administration des haras: Louvois n'aura pas d'embarras A faire valoir ses haras, S'il prend pour etalon son frère: Lère là, lère lan lère. (_Recueil Maurepas_, t. 6, p. 443.)] SCARRON. Il marche donc sur les traces du _Cochon_ en Pourpre? Il ira bien s'il ne s'écarte pas! _L'abbé_ FURETIÈRE. Il est allé dejà aussi loin en qualité de _Cochon Mitré_; mais je serai fort trompé s'il va jamais aussi loin pour attraper le Bonnet Rouge[300]. J'ai laissé la Cour de France si fort brouillée avec la Cour de Rome[301], qu'il faut que les affaires changent du noir au blanc pour que l'Archevêque de Rheims puisse attraper le bonnet tant desiré par les _Cochons Mitrez_. [Note 300: Il ne parvint pas à être fait cardinal. Louvois le désiroit fort, mais le roi Jacques refusa son appui et l'affaire manqua. Louvois en garda rancune au roi d'Angleterre, et, lorsqu'il eut été détrôné, il s'opposa long-temps à ce que le roi lui vînt en aide. Seignelay étoit d'un avis contraire, disant qu'il étoit de la dignité de la France de lui faire rendre sa couronne. Ce fut la cause d'une brouille entre les deux ministres.] [Note 301: On étoit en effet au plus mal avec le pape Innocent XI, qui, en 1687, avoit profité de la mort de notre ambassadeur à Rome pour abolir les franchises dont jouissoit le représentant de la France. Louis XIV vit là un acte d'hostilité et y répondit en se saisissant d'Avignon et en s'assurant de la personne du nonce.] SCARRON. Caligula avoit honoré un de ses chevaux de la dignité de Senateur; le Pape pourroit bien, comme successeur de cet Empereur Romain, appeler dans son senat notre _Cheval de Carosse_. _L'abbé_ FURETIÈRE. J'y consens volontiers. Cependant il sera toujours, s'il vous plaît, un _Cochon Mitré_, comme l'_Evêque de Laon_ avant qu'il fût le Cardinal d'Etrée. Voici le fait: La Duchesse d'Aumont[302] ayant chassé une de ses femmes de chambre parce qu'elle avoit un commerce amoureux avec le marquis de Villequier[303], son beau-fils, cette fille, outrée de douleur de se voir eloignée de son galant, lui dit, pour se venger, que l'archevêque de Rheims couchoit avec la duchesse d'Aumont toutes les fois que le duc alloit à Versailles. Quoi! mon Oncle! s'ecria en même temps le marquis tout etonné. Ah! j'ai peine à le croire, et tu n'es qu'une medisante! [Note 302: La duchesse d'Aumont étoit l'aînée et la plus belle des trois filles du maréchal de La Mothe.] [Note 303: Il étoit fils d'un premier mariage du duc d'Aumont avec Madeleine Le Tellier, soeur de Louvois et de l'archevêque de Reims, et, par conséquent, neveu de l'un et de l'autre.] SCARRON. Il y a de l'apparence. M. l'archevêque de Rheims coucher avec la Duchesse d'Aumont, la femme de son beau-frère[304]! Ne voyez-vous pas l'esprit vindicatif de cette fille, et que, si sa maîtresse l'eût laissée en paix avec le marquis, elle n'eût eu garde de rien dire? [Note 304: Voir la note précédente.] _L'abbé_ FURETIÈRE. Ecoutez la suite, et vous verrez que l'esprit de vengeance n'a servi à autre chose qu'à decouvrir la verité et à l'épandre par toute la Cour. «Puisque vous êtes incredule, dit-elle au marquis, je vous le ferai voir dès que monsieur le duc ira à Versailles». Elle lui tint parole. Ayant demandé pour toute grace à la duchesse qu'elle pût demeurer deux jours dans la maison, elle l'obtint, et, le duc etant parti, elle posta le Marquis en lieu propre à le satisfaire. Il vit entrer l'archevêque avec une lanterne sourde à la main et le nez dans son manteau, ce qui ne lui permit plus de douter de ce que la fille lui avoit dit. SCARRON. C'etoit peut-être un fantôme et un diable galant et amoureux qui avoit pris, pour se faire honneur, la forme de l'archevêque. _L'abbé_ FURETIÈRE. Le marquis ne crut pas s'être trompé. Il partit au plus grand matin de Versailles, et conta à tous les Courtisans de son âge tout ce qui s'etoit passé et tout ce qu'il avoit vu. En même temps cette nouvelle se repandit par toute la Cour. Le marquis de Louvois ne voulut jamais croire qu'elle vînt de son Neveu; mais, n'en pouvant plus douter après le temoignage de tant de personnes differentes, il lui lava la tête autant que son imprudence le meritoit.[305] [Note 305: Cette affaire scandaleuse est aussi racontée dans _la France galante_, ou _Histoire amoureuse de la Cour_ (Cologne, P. Marteau, 1695, in-12, p. 416-417). Saint-Simon ne dit rien contre les moeurs de Mme d'Aumont, et c'est étrange de la part d'un médisant comme lui, qui là n'avoit pas à inventer, comme il fit souvent, mais qu'à écouter seulement ce qui se disoit et se chantoit partout. Voici, par exemple, un couplet du _Recueil Maurepas_ (t. 7, p. 37): Seras-tu toujours eprise De toutes sortes de gens? A ton âge, est-on de mise? D'Aumont, quitte les galants. --Je ne sçaurois. --Quitte au moins les gens d'eglise. --J'en mourrois. Les Clérambault ont mis en note: «La duchesse d'Aumont étoit dévote de profession, et, comme elle avoit toujours eu quelque directeur en affection, qu'étant fort vive, elle étoit souvent avec lui et en parloit sans cesse, on avoit toujours médit d'elle et de ses directeurs. Les deux plus fameux qu'elle eut jusqu'à cette présente année 1691 étoient le P. Gaillard, jésuite, qu'elle quitta pour un père de l'Oratoire appelé le P. de La Roche. Mais, ce qui avoit encore plus que tout cela donné lieu à la médisance, c'est que Charles-Maurice Le Tellier, archevêque duc de Reims, pair de France et prélat très décrié du côté de la continence, avoit été très long-temps amoureux d'elle. Cette passion avoit d'autant plus fait de bruit que, la duchesse d'Aumont ayant aigri contre elle, quelques années auparavant, le marquis de Villequier, son beau-fils, celui-ci parloit publiquement contre le commerce de sa belle-mère avec l'archevêque de Reims. Le public renchérit encore là-dessus et n'épargna pas les directeurs, et peut-être avoit-il raison, car il faut toujours se défier des femmes, et surtout des dévotes.»] SCARRON. Brave! brave! encore une fois brave l'archevêque de Rheims, de savoir si bien planter des cornes et faire si bien cocu son Beau-frère! _L'abbé_ FURETIÈRE. Il est plus brave que vous ne pensez, puisqu'il a fait cocu son neveu aussi bien que son Beau-frère. SCARRON. Il mange donc les poules et les poulets, ce brave _Cochon_? Le voilà de bon appetit. N'avez-vous pas l'esprit un peu satirique? _L'abbé_ FURETIÈRE. Vous allez ouïr la pure vérité. L'archevêque s'etant rendu amoureux de sa Nièce d'Aumont[306], femme du marquis de Crequi, il resolut de s'etablir auprès d'elle sur les ruines de son Mari. Il lui declara donc que son Mari etoit amoureux ailleurs, et, ayant jetté le trouble dans son esprit par cette nouvelle: «Que vous êtes folle, Madame, lui dit-il, de vous en fâcher, comme si vous n'aviez pas à lui rendre le change! S'il a fait une Maîtresse, vous n'avez qu'à faire un galant: l'un vaudra bien l'autre, et je crois que c'est là le meilleur conseil qu'on vous puisse donner. [Note 306: Elle étoit née, comme Villequier, du mariage du duc d'Aumont avec Madeleine Le Tellier. Comme Mme d'Aumont, sa belle-mère, elle avoit les apparences de la vertu, mais les apparences seules. La Crequi veut faire La dame d'honneur, Une mine austère, Un air de hauteur: Ce sont là les preuves Que l'on a de sa vertu, Lanturlu. (_Recueil Maurepas_, t. 7, p. 403.)] SCARRON. Ah! pauvre marquise, je te vas bientôt voir _cochonnée_. Achevez, je vous prie, que je voye la fin de la comedie. _L'abbé_ FURETIÈRE. La marquise ne topa point à la proposition; au contraire, elle fut fort surprise de voir son Oncle dans ces sentimens, lui qui devoit l'en détourner si elle eût eté de cet avis-là. Ainsi, n'ayant pas trouvé son compte avec elle, il prit le parti de s'expliquer mieux, ce qu'il fit en termes si intelligibles qu'elle ne douta point qu'il ne voulût être de moitié de la vengeance. Elle trouva cela horrible pour un Archevêque et pour un Oncle. SCARRON. Avec tout cela je vois à travers tout ce nuage le _cochon_ victorieux et la marquise _cochonnée_. _L'abbé_ FURETIÈRE. En effet, comme elle recevoit beaucoup de bien de l'archevêque et qu'elle en esperoit encore davantage à l'avenir, elle ne jugea pas à propos de le mortifier, comme elle aurait fait sans cette consideration. Cela le rendit encore plus amoureux, s'imaginant qu'il y avoit de l'esperance pour lui; et, pour boucher les yeux au Mari, il proposa de le defrayer, lui et toute sa maison[307]. [Note 307: «Son amitié pour sa nièce, la marquise de Créqui, alla jusqu'au scandale, dit Saint-Simon (t. 8, p. 126). Il lui avoit donné une maison toute meublée et lui légua deux millions.» V. aussi _la France galante_, p. 295-385, 394, 414-415. Un homme d'Eglise Du soir au matin Lui fait en chemise Lire l'Aretin, etc... (_Recueil Maurepas_, t. 7, p. 405.) Crequi, belle marquise, Avec votre air coquet, Vous seriez bien de mise Si votre oncle n'eût fait: Flon, flon, larira dondaine, etc. (_Recueil Maurepas_, t. 6, p, 59.)] SCARRON. L'argent est le nerf de l'amour aussi bien que de la guerre. Le pauvre marquis en fût aveuglé, je le vois bien. _L'abbé_ FURETIÈRE. Eh quoi donc! le pauvre Cocu fut si touché des offres de l'Archevêque, rapportant toutes ses bontés à la qualité d'Oncle, et non à celle d'Amant, qu'il en temoigna partout sa reconnoissance. C'est-à-dire qu'il etoit fort reconnaissant de ce que son Oncle couchoit avec sa Femme en bien payant. Le Marechal de Crequy, son père, ne prit pas l'affaire dans ce biais; il fut choqué des liberalitez excessives de l'Archevêque, sachant que les prelats les plus saints n'etoient que des Adultères, que des Incestes, que des Cochons, en un mot. Il s'en plaignit au Marquis de Louvois[308], lequel eut cette reponse de son digne Frère: «Ce que vous en faites, lui dit-il, n'est que par jalousie; tout riche que vous êtes, vous êtes encore assez interessé pour craindre que ma succession ne vous echappe. Le Marechal ayant appris du marquis le peu de succès qu'il avoit eu dans ses remonstrances, il s'adressa au Roi[309], qui commanda à l'heure même à l'Archevêque de se retirer dans son archevêché[310], ce qui fut fait. Le Prelat, prenant le temps qu'on accommodoit toutes choses pour son depart, fut dire Adieu à la marquise, laquelle il conjura de se souvenir que c'etoit pour l'amour d'Elle qu'il alloit souffrir l'exil. [Note 308: Louvois et son frère avoient souvent ensemble de ces conversations d'affaires de famille. En voici une très vivement résumée dans un couplet: Maurice disoit à Louvois: Mon frère, vous n'êtes pas sage; De quatre enfans que je vous vois Vous negligez l'avantage. Louvois repond avec soupirs: Il faut moderer ses desirs. Barbezieux réglera l'Etat, Soucré remplacera Turenne, L'abbé vise au cardinalat; Pour Courtenvaux, j'en suis en peine; Il est sot et de mauvais air: Nous n'en ferons qu'un duc et pair.] [Note 309: Il s'adressoit bien: Louis XIV n'avoit jamais aimé l'archevêque de Reims.] [Note 310: Si sa passion n'en eût pas souffert, l'archevêque n'eût pas vu là une bien terrible disgrâce. Il habitoit Reims de bon coeur: «Assez resident chaque année, dit Saint-Simon (t. 8, p. 126); gouvernant et visitant son diocèse, qui étoit le mieux reglé du royaume, et pourvu d'excellents sujets de tous genres, qu'il savoit choisir et s'attacher.»] SCARRON. Si j'etois sensible aux maux des vivans, je le serois beaucoup à la douleur de ce bon Prelat, le voyant forcé à s'eloigner d'une nièce qui fait tous ses plaisirs. N'avez-vous pas laissé quelque autre _Cochon Mitré_ là haut? Les recits que vous m'avez faits sont divertissans. _L'abbé_ FURETIÈRE. Il n'y a point d'Evêque, ni d'Archevêque, ni de Cardinal, qui ne soit aussi _cochon_ que l'Archevêque de Reims et le cardinal d'Etrée; l'Evêque de l'Escure est peut-être le seul dont la vie n'est pas _cochonne_ comme celle des autres, parcequ'il n'a pas le grain en abondance comme eux. Je vous ai entretenu de ces deux Prélats plutôt que de l'Archevêque de Paris, de l'Evêque de Meaux, de l'Evêque de Beauvais, de l'Evêque de Valence et de tous les autres, parce qu'ayant ouï raconter les vies de ces deux Prelats sur lesquels je me suis etendu quelques jours avant ma mort, j'en ay retenu les idées plus fraîches. Mais avec le temps et un effort de reminiscence je pourrai vous entrenir de la vie de tous les _Cochons_; outre qu'il arrive ici tous les jours assez de gens de Paris: il s'en trouvera quelqu'un qui pourra nous fournir la matière de plusieurs semblables entretiens. SCARRON. On aura donc enfin une histoire qu'on pourra appeller veritable, dont l'autheur ne pourra pas être soupçonné de flatterie non plus que de haine, puisque les morts, ne craignant ni n'esperant rien de la part des vivans, ne peuvent être rien moins que flatteurs et passionnez. _L'abbé_ FURETIÈRE. On aura de plus une histoire curieuse de tous les Evêques, qu'on pourra appeler l'histoire _cochonnée_, de même qu'on dit l'_histoire auguste_ en parlant de celle des Empereurs. _Stances sur le retranchement des festes en_ 1666[311]. [Note 311: Nous trouvons cette pièce dans le _Chansonnier Maurepas_ (t. 3, p. 45), où elle a pour titre: _La difformité de la réforme des saints._ Elle existe avec celui qu'elle porte ici dans le recueil intitulé: _Le tableau de la vie et du gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu et Mazarin et de Monsieur Colbert, représenté en diverses satyres et poésies ingenieuses_.... (Cologne, P. Marteau, 1694, in-12, p. 214-218). La pièce qui précède celle-là, dans le même recueil, traite aussi de ce sujet. Elle a pour titre: _Lettre en vers libres à un amy, en 1666, sur le retranchement des festes par M. Perefixe, archevêque de Paris._ Il y est dit à la fin: «L'auteur de ce poème n'est pas M. Le Petit, car il estoit dejà brûlé en ce temps-là.» Et on lit en note, à la page 203: «C'estoit M. Colbert qui pressoit cette affaire pour faire travailler les gens.» Pareille mesure ne nous étonne pas de la part du laborieux ministre. Louis XIV, pourtant, s'attribue tout l'honneur de celle-ci dans ses _Memoires_ (Paris, 1806, in-8, 1re partie, p. 277-278): «J'observai, dit-il, que le grand nombre des festes, qui s'etoient de temps en temps augmentées dans l'Eglise, faisoit un prejudice considérable aux ouvriers, non seulement en ce qu'ils ne gagnoient rien ces jours-là, mais en ce qu'ils y despensoient souvent plus qu'ils ne gagnoient dans tous les autres. Car enfin c'étoit une chose manifeste que ces jours, lesquels, suivant l'intention de ceux qui les ont établis, auroient dû être employés en prières et en actions pieuses, ne servoient plus aux gens de cette qualité que d'une occasion de debauche, dans laquelle ils consumoient incessamment tout le fruit de leur travail. C'est pourquoi je crus qu'il etoit ensemble et du bien des particuliers, et de l'avantage du public, et du service de Dieu même, d'en diminuer le nombre autant qu'il se pourroit; et, faisant entendre ma pensée à l'archevêque de Paris, je l'excitai, comme pasteur de la capitale de mon royaume, à donner en cela l'exemple à ses confrères de ce qu'il croiroit pouvoir être fait, ce qui fut par lui bientôt après executé de la manière que je l'avois jugé raisonnable.»] Adieu, mon cher amy, je pars de cette ville Qu'on me rompe les os si je revois Paris. Quoy! je demeurerois en ce maudit pays, Où la vertu n'a point d'asile, Et qui ne se trouve fertile Qu'en putins, qu'en bigots et qu'en malins esprits! Le sejour m'en seroit funeste, Je m'en vais chercher d'autres gens, De peur qu'avec ces habitans, Le peu de vertu qui me reste Ne m'abandonne en peu de temps. Mais enfin où faut-il que j'aille? Les jesuites sont en tous lieux; Il n'est plus d'endroits sous les cieux Exemts d'une telle canaille; Cette hypocrite nation, Sous ombre de devotion, A toujours de secrettes trames, Et ces maîtres archibigots, Feignant de convertir les ames, Attrapent quantité de sots. Auroient-ils esté dans la Chine, Dans le Perou, dans le Japon, S'ils n'avoient pas connu que ce pays est bon Pour faire rouler leur cuisine? Ces illustres marchands de bled N'ont pas l'esprit assez troublé Pour demeurer en mauvais giste; Et, si ces lieux ne payoient pas Leurs sermons et leur eau benite, Ils changeroient bien de climats. Valent-ils mieux dans la Sorbonne? Non: car on m'a dit qu'en ce lieu Le pape, vicaire de Dieu, N'y peut faire sa cause bonne. Pas un ne veut signer l'infaillibilité, De peur de se faire une affaire; Et l'on estime mieux souscrire au formulaire[312] Que les docteurs ont arresté Que courir risque de deplaire A messieurs de la Faculté. Dedans ce lieu ce n'est que brigue; Les docteurs sont toujours de differents avis, Et ceux qui sont les plus suivis Sont ceux qui font le plus d'intrigue. Le seul caprice y règle tout; L'un blâme ce que l'autre absout; Chacun, suivant son sens, règle le Paradis, Et fait des loix en nôtre Eglise, Comme le roi fait des edits. Dans ce maudit tems on retranche La fête de beaucoup de saints, Et c'est justement que je crains Qu'on ne reforme le dimanche. Pourquoy jadis festions-nous saint Thomas[313], Ou pourquoy maintenant ne le festons-nous pas? D'où vient ce changement etrange? En voicy la raison: aujourd'huy le clergé Pretend qu'un apôtre et qu'un ange Ne peuvent rien sans son congé. Les saints, jaloux les uns des autres, Vont avoir un procès bien grand: Un evangeliste pretend Valoir autant que les apôtres[314]; Saint Marc ne peut souffrir ces abus inouïs, Il veut estre festé comme on feste saint Louis; Le bon saint Joseph paroît triste Du tort qu'on luy fait aujourd'hui, Et soutient que saint Jean-Baptiste, Dont on feste le jour, ne vaut pas mieux que luy. Eh quoy! disent les Innocens[315], Quoy! souffrirons-nous que l'eglise, Qui nous chôma toujours, aujourd'huy nous meprise? Ne valons-nous pas bien autant que saint Laurent? S'il repandit son sang, nous versâmes le nôtre, Nous avons tous souffert autant que pas un autre; Pourquoy n'aurons-nous plus d'encens? Ne seroit-ce point que la France, Qui ne vit plus dans l'innocence, Ne peut souffrir les Innocens? Tous les patrons de confrerie Ont fait un bon serment entr'eux De n'exaucer jamais nos voeux, Puisque leur feste est abolie. Si saint Roch une fois nous oste son secours[316], Que de maux croîtront tous les jours! Et, si sainte Reine se pique, Je prevois que Martot, Gayan et d'Alencé[317] Auront cent fois plus de pratique Qu'ils n'en avoient au temps passé. Que de galeux, que de teigneux, Que de verole et que de peste! La reforme des saints nous sera trop funeste Si nous ne faisons pas notre paix avec eux. Si l'on veut retrancher les festes de l'année, Qu'on oste celles-là dont la veille est jeunée, Je consens volontiers à leur retranchement: Qu'on oste saint André, mais non pas sainte Reyne, Car nous avons trop frequemment Besoin de l'eau de sa fontaine[318]. Pour moy, qui crains trop la colère Des saints irritez contre nous, Je vais chercher une autre terre Pour m'exemter de leur courroux, Adieu, je sors de cette ville. Qu'on me rompe les os si je revois Paris! Quoy! je demeurerois en ce maudit pays, Où la vertu n'a point d'asile, Et qui ne se trouve fertile Qu'en putains, qu'en bigots et qu'en malins esprits! Le sejour m'en seroit funeste; Je m'en vais chercher d'autres gens, De peur qu'avec ces habitans Le peu de vertu qui me reste Ne m'abandonne en peu de temps[319]. [Note 312: Il datoit de l'année précédente. Voy. t. 5, p. 84.] [Note 313: Des stances sur le même sujet, qui se trouvent dans le _Recueil de Maurepas_ (t. 3, p. 17-20), parlent aussi de la suppression de la fête de saint Thomas. Ce patron, dont le nom étoit écrit en rouge sur les almanachs, comme celui de tous les saints dont on chômoit la fête, ne fut plus à l'avenir écrit qu'en noir; ce qui fait dire: Dans cette commune disgrace Tout le monde plaint saint Thomas, Et nous le verrons, quoi qu'il fasse, En changer de couleur sur tous les almanachs.] [Note 314: Les fêtes d'évangélistes avoient en effet été supprimées. On lit dans les _stances_ que je viens de citer: Saint Luc, fidèle evangeliste, Saint Marc, faisant même metier, Ne se verront plus sur la liste.] [Note 315: La fête des Innocents, qui se célébroit le 28 décembre, avoit aussi été retranchée. Nous lisons dans les stances déjà citées, où il est fait allusion à la suppression des auvents de maisons, «qui, avançant trop dans les rues, obscurcissoient le dedans des boutiques et empêchoient, la nuit, la clarté des lanternes», suppression qui fut ordonnée en même temps que le retranchement des fêtes: Les festes supprimer, retrancher les auvents Est une police nouvelle; Pour moy, je la tiens criminelle, D'attaquer sans pitié les petits Innocents.] [Note 316: Nous lisons dans les _stances_ citées tout à l'heure: Du bienheureux monsieur saint Roch, Qui nous preservoit de la peste, On a pendu la feste au croc, Et, cet esté dernier, il joua de son reste.] [Note 317: Célèbres médecins de l'époque. Le dernier eut un fils qui se ruina en expériences de physique. C'est ce fils que Boileau nomme dans sa 10e satire, v. 433: D'un nouveau microscope on doit, en sa présence, Tantôt, chez d'Alenci, faire l'expérience. Dans le _Chansonnier Maurepas_, au lieu des deux premiers qui sont nommés ici, l'on trouve Coladon et Lelarge.] [Note 318: Cette fontaine se trouve dans l'Auxois, au bourg d'Alise, qu'on appelle aussi _Sainte-Reine_, à cause de la sainte qui y fut martyrisée, et aux mérites de laquelle étoit attribuée la vertu de cette eau minérale, très efficace contre toute espèce de galle.] [Note 319: Ce retranchement des fêtes fut une mesure qui n'eut pas long-temps son exécution, ou qui ne diminua pas assez le nombre des chômages. En 1678, quand parut le 8e livre de ses fables, La Fontaine pouvoit encore faire dire par le savetier au financier: . . . . . Le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes; L'une fait tort à l'autre, et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône. Voltaire, devenu agriculteur, voulut aussi restituer au travail ces jours voués à l'oisiveté et à la débauche sous prétexte de religion. Il en écrivit nettement au pape: «Ma destinée, lit-on dans sa lettre du 21 juin 1661 à d'Argental, est de bafouer Rome et de la faire servir à mes petites volontés ... Je fais donc une belle requête au Saint-Père, je demande.... une belle bulle pour moi tout seul, portant permission de cultiver la terre les jours de fête sans être damné. Mon évêque est un sot qui n'a pas voulu donner au petit pays de Gex la permission que je demande, et cette abominable coutume de s'enivrer en l'honneur des saints au lieu de labourer subsiste encore dans bien des diocèses. Le roi devroit, je ne dis pas permettre les travaux champêtres ces jours-là, mais les ordonner. C'est un reste de notre ancienne barbarie de laisser cette grande partie de l'économie de l'Etat entre les mains des prêtres. M. de Courteilles vient de faire une belle action en fesant rendre un arrêt du conseil pour le desséchement des marais. Il devrait bien en rendre un qui ordonnât aux sujets du roi de faire croître du blé le jour de saint Simon et de saint Jude tout comme un autre jour. Nous sommes la fable et la risée des nations étrangères, sur terre et sur mer; les paysans du canton de Berne, mes voisins, se moquent de moi, qui ne puis labourer mon champ que trois fois, tandis qu'ils labourent quatre fois le leur. Je rougis de m'adresser à un évêque de Rome, et non pas à un ministre de France, pour faire le bien de l'Etat.»] _Le Pont-Breton[320] des Procureurs. Dedié aux Clercs du Palais._ M.DC.XXIV. [Note 320: Ce mot de _Pont-Breton_, dont nous n'avons pu parvenir à trouver l'étymologie, servoit à désigner une espèce de petites chansons satiriques alors fort à la mode. L'air sur lequel ces chansons couroient s'étoit d'abord seul appelé ainsi; par suite la chanson elle-même en avoit pris le nom. L'on en a la preuve par le _Chansonnier Maurepas_ (t. 1, p. 383), qui, reproduisant un couplet contre la princesse de Conti, dit qu'il se chantoit sur l'air des _Ponts-Bretons_; et par un passage de Tallemant (édit. in-12, t. 1, p. 113), où certain couplet de Voiture ayant la même coupe que celui du recueil de Maurepas est appelé un _Pont-Breton_. Voiture a lui-même attesté la popularité de ces sortes de chansons: «Nous chantâmes en chemin, écrit-il au cardinal de La Valette, une infinité de _sçavans_, de _petits doigts_, de _bons soins_, de _Pons-Bretons_.» (_Oeuvres_, Paris, 1713, in-8, t. 1, p. 24.) Des chansons satiriques le nom passa aux pasquils faits dans le même esprit, soit en vers, comme le livret rarissime qui a pour titre _Les Ponts-Bretons_ (1624, pet. in-8), soit en prose, comme la pièce reproduite ici; soit en prose et en vers, comme le petit volume, non moins rare, vendu à la dernière vente Nodier: _Le Passe-partout des Ponts-Bretons, corrigé et augmenté de toutes les plus belles pièces_ (1624). Ce n'est qu'un libelle diffamatoire, dit Nodier dans une note (_Description raisonnée d'une jolie collection de livres_, p. 233, nº 586), et nous comprenons par là, comme par ce que nous savions déjà des _Ponts-Bretons_, qu'on dût craindre fort de se voir la proie de leur scandaleuse popularité. C'est ce que redoute surtout la pauvre Erothée dans sa _Lettre à Néogame_. Cette dernière pièce est de 1624, comme celle que nous donnons ici, comme presque toutes les autres où figurent les Ponts-Bretons. Ce fut, à ce qu'il paroît, l'époque de leur grande vogue. Dix ans après, elle avoit tout à fait cessé et l'on n'en parloit plus que comme d'une chose surannée. Nous lisons dans _Le Doux entretien des bonnes compagnies_ (_Paris_, Guignard, 1634, in-12), chanson 14e, _Le Caquet des femmes_: Les _Ponts-Bretons_ charmèrent Autrefois nos esprits, Les _petits doigts_ gaignèrent Bientôt après le prix: Mais maintenant on les blasme De n'être pas curieux. Quand les femmes sont ensemble, Leur caquet vaut beaucoup mieux.] * * * * * _L'Autheur aux Clercs du Palais._ Compaignons, le sommeil me causa l'autre jour une certaine vision nocturne. Je n'ay voulu manquer vous en faire part; non pas que le subject soit digne de vos merites, mais à cause qu'il est risible. Vous y trouverez beaucoup de fautes; je vous prie que ce ne soit sans la consideration que je me suis fort peu mis en peine de parvenir au doctorat. Si quelques uns de vous y remarquent leurs maistres, vous pourrez d'autant plus juger si les histoires sont veritables ou fabuleuses. Vous pouvez croire que, si j'eusse eu quelque partie d'eloquence, ma plume ne se seroit espargnée à berner les messieurs desquels je traicte (car il est bien certain que leurs actions le meritent). J'estime que vos bontez suppléeront le defaut de cela aussi bien que mon incapacité, et que vous ne regarderez ce PONT-BRETON de mauvais oeil, puisqu'il vous est adressé de la part de celuy qui s'efforcera de vous tesmoigner en toutes occurences qu'il est Vostre plus affectionné confrère, D. T. * * * * * _Le Pont-Breton des Procureurs, dedié aux Clercs du Palais._ Desjà les tenèbres descendoient le grand galop des montagnes, et desjà ma plume s'alentissoit si fort que le cageoleur babil d'un procureur, dictant à un sien copiste, m'estoit très ennuyeux[321]. Lors, me soustrayant un peu de l'obeissance deue, je me desrobay de l'estude, non sans faire imaginer à ce procureur, qui estoit ravy en des enthousiasmes de practique, que je luy desrobois une partie du pain que sa liberalité m'avoit eslargy ce jour-là. Je ne fus pas si tost à la halle aux draps que l'un des ministres de Morphée, captivant mon esprit dans la corbeille de mensonge, le pourmena en une multitude d'actions procuratoires, et luy fit voir tant de merveilles que le temps de la descrire me defaudroit plustost que la matière. Toutesfois je vous feray participant de celles qui se sont peu arrester dans les cellules de ma cervelle (quoy que mal timbrée), afin de faire voir à la posterité clerique que je ne suis moins affectionné vers mes confrères que justement irrité contre les actions odieuses de ces attrape-minons[322]. [Note 321: On sait que Boileau-Puimorin, frère de Despréaux, lorsqu'il étoit chez le greffier leur beau-frère, savoit se soustraire à l'ennui de ces dictées nocturnes et se donner le moyen de dormir entre les lignes: «M. Dangois, étant obligé de passer la nuit à dresser le dispositif d'un arrêt, le dictoit à M. Puimorin, et M. Puimorin écrivoit si promptement que M. Dongois étoit étonné que ce jeune homme eût tant de dispositions pour la pratique. Après avoir dicté pendant deux heures, il voulut lire l'arrêt, et trouva que le jeune Puimorin n'avoit écrit que le dernier mot de chaque phrase.» (_Note de Racine le fils_ sur la lettre de son père à Boileau du 6 août 1693.)] [Note 322: C'est-à-dire assez fins et rusés pour attraper un chat, un _minon_.] Ainsi donc, ce fantasque dieutelet ayant troussé mon esprit leger sur ses espaules, je luy fis faire diverses virevoustes[323], non sans l'egayer beaucoup en des considerations capables de faire dillater, à force de rire, les poulmons d'un Desmocrite. Je ne me souviens pas de quel costé le vent estoit viré, mais je puis bien asseurer que la première pose fut en une rue abboutissant en la rue Sainct-Martin, qui est la penultiesme d'auprès Sainct-Nicolas[324], où je remarquay une admirable querelle entre le maistre et le clerc: et quoy qu'elle proceda de fort peu de chose, le superieur s'efforça à faire jouer les ressorts du poignet au maniement de M. Martin Baston[325]; mais le mal fut pour luy que l'inferieur, renforcé en une resolution provoquée diverses fois par la prise d'une medecine bachique, se rendit possesseur de ce M. Martin, laquelle possession luy ayant accreu le courage, il fit voir que son adversaire en avoit plus que de force, et de presomption que d'effect. Il est vray qu'il ne fut pas si vilainement accoustré que le satyre Marsias par Apollon: aussi la contestation n'estoit-elle survenue pour le jeu des flustes, puisque cela procedoit de la mauvaise opinion d'un cocuage. Toutesfois, je vous asseure (s'il n'y a point d'erreur en mon calcul) que jamais vilain ne fut si delicatement epousté. La rencontre me fut grande en ce logis, car cette action ne fut pas si tost close par la sortie de l'epousteur, qu'un incident relevé en bosse par le merite du subject parut, procedant de la reception faicte par la procureuse de quatre testons envoyez pour une presentation; ce qui fascha tellement monsieur, qui avoit l'imagination grandement preoccupée de l'asseurance de les toucher, que, s'en voyant descheu, il se constitua en une alteration autant approchée de sa raison ordinaire, que son anxieté estoit extravaguante: d'où vint qu'il ne peut pas retenir la bonde d'un tonneau d'injures qui scandalisèrent fort la procureuse, non pas sans reverberation. De là je retrograday, car j'avois passé pardevant la _Croix de fer_[326]. Estant en cet endroit, j'apperceu une certaine lumière; et quoy que j'apprehende fort les ardants[327], je ne laissay de m'en approcher. Ce qui m'esmeut à la charité fut la cruauté barbaresque d'un, lequel, estant bien Fourré[328], ressembloit la damoiselle qui, après s'estre bien chauffée, n'avoit plus froid. C'estoit au temps (je m'en souviens) que le soleil estoit au signe d'Aquarius: et encor que l'on die que nos esprits sont impassibles, et par consequent qu'ils ne sont susceptibles au froid, je ne laissay d'en sentir quelque chose, d'où j'inferay que les pauvres clercs (que je puis appeler souffrans) n'en estoient pas exempts. Je penetray plus avant en l'humeur de ce venerable Fouré (que l'on dit n'estre chicaneur) par le moyen d'une riotte[329] qui se passa entre luy et son maistre clerc, fondée sur l'obmission de bailler un defaut à juger à poinct nommé, ce qui n'est rien à comparaison des frequentes clabauderies du personnage, que je laissay continuer en ses fantasques discours, qui m'estourdirent beaucoup plus que ne fit l'autre jour un concert querelleux d'une grande partie des harangères des halles. Je continuay mon chemin, qui hazardeusement se rencontra en une rue où le noir manteau de l'obscurité ne peut estre si dominant que je n'apperçusse quantité de testes portant bois. Il me souvint d'Acteon, mais je m'y arrestay particulierement, car je sçavois bien que je ne cognois rien en l'arithmetique, et neantmoins il en estoit besoing, d'autant que le nombre des poinctes esgalloient quasi celles des picques d'un bataillon carré. J'en laisse la decision à ceux qui en sçavent les particularitez, ou qui prendront la peine de les considerer de jour, pour dire qu'en ceste mesme rue deux certains[330] persistent en leurs habits; et si l'un d'eux a une mulle qui est souvent couverte d'un mullet[331], cela n'empesche pas la froideur de leurs cuisines, car l'on tient pour très constant que leurs clercs n'ont les estomachs offensez par la quantité des viandes qui leur sont presentées, et si je me suis laissé dire que la qualité d'icelles est fort cheftive; et toutesfois (selon mon jugement) cela n'est rien au prix de la prodigalité de deux autres, lesquels, comme ils sont d'une mesme reception, sont aussi demeurans en une mesme rue aboutissante en la rue Saincte-Avoye (n'estoit que j'ay peu de papier, je cotterois les autres tenans); ils ne rougissent point d'enfermer la pluspart du temps le pain gaigné à la sueur des visages pendant qu'ils se farcissent abondamment le ventre de viandes delicates. Il vaudroit bien mieux pour l'un d'eux d'espier les menées qui se passent en sa maison, qui le touchent bien près du chef. O malheur! faut-il qu'il y ait des hommes si aveuglez qu'ils ne puissent voir les blesseures les plus mortelles! Y a-il partie plus susceptible du danger de la mort que la teste? et neantmoins ils n'y prennent pas garde, et font la sourde oreille comme cestuy-cy. Je ne sçay pas s'il a leu l'unziesme fable du second livre des Metamorphoses, où il est fait mention que le corbeau descouvrit à Phoebus qu'il avoit veu Coronis couchée avec un jeune homme de Thessalye, pour raison de quoy il banda son arc et atteignit la poictrine de cette pauvre Coronis d'une flesche inevitable, poitrine qu'il avoit si souvent joincte à la sienne. Mais, pauvre corbeau! quel salaire receus-tu pour la juste divulgation de ce forfait, sinon que ta couleur, auparavant blanche, fut muée en une lugubre qui ne nous represente autre chose que la tristesse? La punition de nostre procureur ne fut pas beaucoup dissemblable, car il donna congé au revelateur de la chasteté de sa femme. Ainsi il n'y eut point mutation de couleur, mais d'habitation. Je ne reprendray pas Phoebus de son action, car il n'est pas bien de reprendre les dieux; mais celle-cy ayant esté commise par un homme mortel, je diray, quand on devroit m'appeler audacieux et temeraire, qu'il ne fait pas bien et qu'il ne meritoit pas d'avoir un clerc si fidelle. La commiseration que j'ay de l'infortune non meritée de ce pauvre jeune homme (si vous appellez infortune d'avoir les dents un peu longues durant deux ou trois mois qu'il fut bourgeois) me fait bondir le cerveau. L'apprehension que j'ay que les larmes ne mouillent mon papier me fait passer à la consideration des actions enragées, voire endiablées, d'un demeurant près Saincte-Opportune; et quoy qu'il soit bien haut de taille, si est-ce qu'elles le surpassent de la hauteur d'une pyramide. Je brisay à main gauche, assez près de la rue Mauvaise parolle[332], où j'aperceus la sordidité d'un qui est reputé avoir autant de finance en bourse que le duc de Bar. Je voyois certains buffets et coffres qui n'estoient pas moins remplis de pistolles, ce qui fut cause que je vous y souhaitois, ô compagnons! mais il falloit que ce fût corporellement (car nos esprits ne peuvent pas transferer les finances), et vos corps estoient enveloppez dans les doux linceuls du sommeil. Je jure que je vous eusse fait une exhortation larronnesque, en quoy n'y eût point eu de peché si le proverbe est veritable: Tous biens sont communs; il n'y a que moyen de les avoir. Et si d'avanture vous eussiez fait les scrupuleux, encor que je ne sois incube[333], vos pouvoirs ne m'eussent empesché l'emprunt d'un de vos corps. Or, ne pouvant faire autre chose que de contenter ma fantasie, je tournay la veue d'un autre costé, et, voyant quelques autres coffres, j'estois desjà ravy d'estonnement, croyant que par le dedans ils ressemblassent les autres. Cela fit que je m'escriay: O! que de richesses! elles surpassent celles de la Bastille[334]. Mais je fus deschu de ma croyance; car, au lieu de ce precieux metal, je n'y apperceus que des haillons rapiecetez diverses fois: en sorte que ceux qui comme moy les ont veuz peuvent asseurer affirmativement qu'en cela le maistre est aussi peu superflu que prodigue en la despense de l'achapt des meubles persiens qui se remarquent en ce venerable logis. En suitte, mon chemin s'adressa vers Sainct-Eustache, chez un qui est accreu en biens sans faire tort à personne; et neantmoins il est rentré en quelque espèce de modestie; car, au lieu qu'il souloit porter la calotte de satin, il ne porte plus que celle de taffetas, ce que j'estime beaucoup: car les hommes de nostre siècle se portent fort peu au rabais de leur estat quand leurs biens augmentent; mais j'appris qu'il est tant soit peu chicaneur. Baste! puis qu'il traicte bien ses clercs. Je n'eus pas si tost la consideration vague qu'elle fut remplie. Ce fut assez près de la Monnoye, où l'on me voulut faire croire qu'il y en avoit de la cornardise. Je ne le voulois pas, mais cela me fut asseuré, voire quasi prouvé par des conjectures, indices et preuves si manifestes, mesme particularisé par des entrevues de la femelle et d'un certain moyenneur[335] de faveur et praticque, que ma croyance fut contraincte de changer au desavantage du procureur, non pas sans m'estonner de son exhuberance, parce qu'elle diffère beaucoup des humeurs farouches et discourtoises de quantité d'autres hommes qui ne considèrent pas que la simplicité est la mère d'innocence, et que Jean est un beau nom[336]. Je tiray à droicte file par dessus le Pont-Neuf et continuay vers la rue Dauphine, où j'appris qu'il y avoit eu querelle entre le maistre, la maistresse et la chambrière, pour raison du vol domestique par elle commis, en ce que l'on pretendoit qu'elle avoit tiré un demy-septier de vin au clerc, outre son ordinaire: «Comment, larronnesse (dit la procureuse), avez-vous esté si hardie de nous voller de la façon? Ce n'est pas d'aujourd'huy que vous usez de ces tours là; vous en faictes bien d'autres! Je m'en estois bien apperceue, et neantmoins, pour esprouver vostre fidelité, je vous ay commise ce soir pour tirer du vin, et vous me volez, meschante et malheureuse que vous estes! Je vous feray bailler le fouet. Sus, qu'on m'aille querir un commissaire pour faire punir cette galande, afin de luy apprendre et à ses semblables à voller leurs maistres. Vertu de ma foy, coquine! je vous baille de bons gages, voire mesme plus que vous ne gaignez; outre cela, les clercs de mon mary vous donnent plus d'un escu par mois (du moins c'est mon intention)[337], et neantmoins vous ne sçauriez vous empescher d'un larcin punissable. Allez, gueuse, quand il m'en devroit couster cinquante escus, je vous feray pourrir en une prison.» La servante, toute esperdue par le moyen de la crainte de ces espouvantables menaces, eut de l'astuce parmy sa simplicité, quoy qu'elle fût saisie d'apprehension et d'estonnement. «Madame, dit-elle, vous baillez au maistre clerc chopine à dîner et chopine à souper. Aujourd'huy vous avez vous-mesme tiré chopine pour son dîner dans le pot de trois demy-septiers, lequel ayant negligé de transferer en un autre vaisseau, j'ay tiré dessus. Vous trouvez ce pot plain; vous n'en sçauriez inferer autre chose sinon que j'ay accomply fidellement la charge que vous m'avez donnée. Pensez-vous, Madame, que je sois telle que vous dictes? J'aymerois mieux estre morte. On me cognoist bien: je suis aussi femme de bien que vous; je n'ay jamais affronté personne. Puisque vous me jugez de cette qualité, je suis preste de m'en aller, en me payant.--O la meschante femme! repliqua la procureuse, voyez comme elle pallie son larcin, pensant m'arracher de la fantaisie la croyance de la verité! Ouy, ouy, tu t'en iras; mais ce ne sera pas sans payer une sallière d'etain pesante demy-livre, deux serviettes et un torchon, que tu m'as laissé prendre ou que tu m'as toy-mesme vollé.» Sur ces discours qui se tenoient en une salle haute, voicy arriver le procureur, venant de son estude, lequel avoit le ventre creux comme un tabourin. Il demandoit à soupper, non pas sans subject, car il avoit fait un dîner de fort peu de consequence. La procureuse n'eut pas la patience de le laisser entrer pour luy dire: «Monsieur, voylà une cagnarde[338] qui nous volle; elle a mesme ce soir tiré un demy-septier de vin à vostre maistre clerc. Pour moy, je ne suis pas resolue de l'endurer.--Aussi ne l'entens-je pas», respondit le procureur. S'adressant à la tireuse de vin, qui trembloit comme la feuille: «Escoutez, dit-il, ma mie, cela n'est pas beau de voller son maistre; du petit l'on vient au grand. Ignorez-vous qu'il y a eu des serviteurs domestiques pendus pour cinq sols? J'ay leu l'Escriture saincte, ou j'ay veu qu'il s'est manqué peu qu'un homme n'ayt esté damné pour un denier, et vous me prenez un demy-septier de mon vin, qui revient à près de trois sols la pinte rendu ceans! Remerciez bien Dieu que je ne suis point homme vindicatif, et l'heure qu'il est, car sans cela je vous ferois emprisonner.» La servante vouloit repliquer, lorsque la procureuse luy ferma bouche, disant: «Tais-toy, effrontée! Mort de ma vie! je ne sçay qui me tient que je ne t'assomme.» La parole du maistre donna trefve à cette querelle. Je ne sçay si ce fut à cause que la creusité de son cerveau ne pouvoit endurer de bruit, lequel, estant remply, il fut en son estude exprès pour faire une reprimande à ce maistre clerc; et, n'eust esté qu'il est bon cheval de trompette, il l'eust mis au fond de ses chausses. «Vrayement, dit-il, il fait beau voir que vous suborniez ma servante pour vous faire tirer du vin! N'en avés-vous pas assez d'une chopine que je vous donne à chaque repas? Il y a beaucoup de procureurs qui n'en donnent pas tant à leurs clercs.» De quoy ce clerc ne fit pas grand compte, ains se contenta de faire une response convenable au merite de l'action; et quoy qu'il fût à propos de parler de la manière en laquelle on estoit traicté chez luy, neantmoins il se retint, encor qu'il soit intollerable de se veoir bailler quasi tous les jours du vent à guise de viande, du vin mixtionné d'eau, des draps estre trois mois en un lict, et le reste s'accomoder en sorte qu'il n'y a pas un de sa vacquation chez qui on soit bien accommodé[339]. Cette retenue ne l'a neantmoins empesché de s'efforcer de le decrier à l'un d'une façon, l'autre d'une autre, sans pouvoir dire pourquoy ny fonder sa malignité sur autre chose que sur un simple mescontentement non causé. Il est vray qu'autrement il s'esloigneroit de l'influence quasi particulière à ceux de son pays, en quoy toutesfois sa gloire et sa presomption le rendent tant soit peu excusable. [Note 323: Volte-face.] [Note 324: C'est, par conséquent, la rue Jean-Robert.] [Note 325: C'est dans Rabelais (liv. 3, ch. 4) que nous trouvons pour la première fois cette expression, si bien reprise par La Fontaine, liv. 4, fable 5.] [Note 326: La _Croix de fer_ étoit un cabaret situé rue Saint-Denis, près de Saint-Leu. On peut lire dans les poésies de Colletet un sonnet _sur un dîner à la Croix de fer_, et consulter aussi les _poésies_ de Jean de Schelandre. Il ne faut pas confondre cette maison avec celle qui avoit la même enseigne rue de La Harpe, et derrière laquelle se trouvoient les restes des Thermes de Julien.] [Note 327: Les chandelles. Mot du dictionnaire des Précieuses: «Inutile, ostez le superflu de l'_ardent_.» C'est ainsi, selon Somaize, qu'on disoit: «Laquais, mouchez la chandelle.» Par une rencontre singulière, le même mot se retrouve avec le même sens dans une autre langue factice, mais d'une autre espèce, dans l'argot. (Francisque Michel, _Etudes de philologie comparée sur l'argot_, p. 15.)] [Note 328: Jeu de mots sur le nom d'un procureur de ce temps-là.] [Note 329: Dispute.] [Note 330: Dans le sens de _quidam_.] [Note 331: C'est-à-dire quoique ces procureurs aient chacun une mule qu'ils montent souvent, ce qui, pour les gens de cette sorte, est une marque d'opulence, ils ne laissent pas de traiter chichement leurs clercs.] [Note 332: Cette rue, qui aboutissoit à celle des Bourdonnais, a disparu dans ces derniers temps. Elle devoit son nom sans doute aux lavandières, qui affluoient dans ce quartier, et desquelles l'une des rues voisines tient sa dénomination. Les procureurs qui logeoient rue des _Mauvaises-Paroles_ n'étoient pas pour la faire débaptiser, et je croirois presque que son premier nom de rue de _Mauvais-Conseil_ venoit d'eux.] [Note 333: «Démon qu'on s'imagine venir coucher avec les femmes et en abuser.» (_Dict. de Trévoux._)] [Note 334: Le trésor, qui avoit été long-temps au Temple, puis au Louvre, puis dans une des tours du Palais, étoit à la Bastille au temps de Henri IV et de Louis XIII. Quand le premier mourut, il avoit «quinze millions huit cent soixante et dix mille livres d'argent comptant dans les chambres voûtées, coffres et caques estant en la Bastille, outre dix millions qu'on en avoit tirez pour bailler au trésorier de l'espargne.» (_Mémoires_ de Sully, 4e part., ch. 51.) Cet argent ne dura guère: V. notre édition des _Caquets de l'Accouchée_, p. 54, note. La richesse du trésor de la Bastille n'en resta pas moins proverbiale, comme on le voit ici, et comme le prouve ce passage de la 13e satire de Regnier (vers 259): Prenez-moi ces abbez, ces fils de financiers, Dont, depuis cinquante ans, les pères usuriers, Volant à toutes mains, ont mis en leur famille _Plus d'argent que le roi n'en a dans la Bastille_.] [Note 335: Vieux mot qui se disoit pour entremetteur. «Le connestable de Saint-Pol, dit Commynes (liv. 3, ch. 8), vouloit toujours estre _moyenneur_ de ce mariage.» Chapelain l'emploie aussi dans son excellente traduction de _Guzman d'Alpharache_ (2e partie, liv. 3): «Sa bonne amie, la _moyenneuse_ de leurs plaisirs secrets.»] [Note 336: On sait dans quel sens il se prend toujours. Aussi Mme Des Houlières a-t-elle écrit: Jean, que dire de Jean? C'est un terrible nom, Que jamais n'accompagne une épithète honnête.] [Note 337: Les chambrières se plaignoient souvent du peu de libéralité des clercs, témoin celle qu'on fait parler dans les couplets suivants: Aussi bien n'ai-je aucun profit, Si ce n'est des savattes; Nostre maistre clerc est si vilain! Fariron lanla, fariron lan lein. Nostre maistre clerc est si vilain! Aga, ma pauvre fille! Il ne m'a encor rien donné, Fariron, etc. Il ne m'a encor rien donné, Et si je le décrotte Et lui empèze ses rabats. Fariron, etc. (_Le Doux entretien des bonnes compagnies_, 1634, chanson 57.)] [Note 338: Ou _caignarde_, qui signifie _chienne_ en argot. On disoit aussi _caigne_: «Passez, passez, ordes _caignes_ que vous estes.» (_Les cent Nouvelles nouvelles_, 28e nouv.)] [Note 339: Le sort des clercs de procureur, chez leur patron, ne s'étoit pas amélioré à la fin du XVIIIe siècle. Collin d'Harleville, qui en avoit pâti, en a fait la description piteuse et sommaire dans cette pièce monorime qu'il intitule: _la Bonne Journée_, et à la suite de laquelle il écrivit en note: «Cette petite folie est à peu près le seul fruit que j'aie retiré de quatre à cinq ans de cléricature: Un pauvre clerc du Parlement, Arraché du lit brusquement Comme il dormoit profondément, Gagne l'étude tristement, Y griffonne un appointement Qu'il ose interrompre un moment Pour déjeuner sommairement. En revanche, écrit longuement, Dîne à trois heures sobrement, Sort au dessert discrètement, Reprend la plume promptement Jusqu'à dix heures... seulement. Lors va souper légèrement; Puis au sixième lestement Grimpe, et se couche froidement Dans un lit fait Dieu sait comment! Dort, et n'est heureux qu'en dormant... Ah! pauvre clerc du Parlement!] Mais, a ce que je voy compagnons, ma prolixité vous est ennuyeuse; vous en avez du subjet; aussi vous promets-je, pourveu que vous vouliez me donner encor tant soit peu d'audience, une livre de dragées à distribuer entre vous au sol la livre à la prochaine foire Sainct-Germain. La rue Sainct-André n'est pas beaucoup esloignée du lieu duquel je viens de parler. J'y remarquay quatre personnages abondamment humbles pour leurs conditions; l'on les void souvent rabrouer un pauvre clerc à double carillon et l'expedier à leur fantaisie, sans considerer que son maistre ne prend leurs bricolles en payement. Leur malice est bien affectée, s'ils se souviennent d'un distique qui se remarque dans le cimetière Sainct-Innocent en ces termes: Nous avons esté comme vous, Et serez aussi comme nous[340]. [Note 340: Ces deux vers se lisoient sans doute sur une tombe, ou bien peut-être faisoient-ils partie de l'inscription qui se trouvoit au dessus de la voûte construite par Nicolas Flamel du côté de la rue de la Lingerie, et dont les dernières traces disparurent lors de la démolition des charniers, en 1786. (G. Peignot, _Recherches sur les Danses des morts_, p. 85.)] Ils en peuvent bien dire autant; mais ils n'ont garde, car cet abaissement seroit trop vil pour des personnes qui sont vallets des parties. Leur vanité n'empeschera pas ma muse de le repeter d'une autre façon au mesme sens: Comme nous vous avez estez, Et comme vous vous nous verrez. Encor avons-nous cet advantage sur eux qu'ils ne peuvent pas estre ce que nous sommes, et nous pouvons estre ce qu'ils sont, tellement que nous avons plus de faculté qu'eux. L'humeur fantastique d'un autre, demeurant près les Cordeliers, n'est pas moins semblable, car il s'est porté à frapper un clerc faisant les requestes, parce qu'il poursuivoit un huissier de faire voir la fin de ses chicaneries touchant la reddition d'un procez; mais le compère ne fut si mal advisé qu'il ne luy rendît une febve pour un poix. A ce propos, je supplie vos jugemens très solides, ô compagnons! de considerer si ce procureur avoit bonne grace. Ce clerc representoit son maistre et ne demandoit que la justice, et neantmoins, dans le lieu le plus sacré sainct de cette Astrée[341], dans la salle du plus auguste Parlement, il ne peut pas retenir sa main, tant sa passion fut dereglée et remplie d'erreur. Pour moy, je suis d'advis qu'il ne faisoit pas bien. Je ferois tort à la reputation d'un demeurant rue de La Harpe si je disois qu'il ne void pas mieux des despens qu'un autre, et neantmoins il sçait si bien charlater[342], que souvent il faict croire à de jeunes barbes qu'il a bien rencontré. C'est un bon violon[343], vrayement. Il est venu à Paris avec des sabots, et son fils porte tous les jours le manteau doublé de panne. Passant de là en la rue des Anglois, l'on me fit recit qu'un demeurant bien près de la rue du Plastre bricolle d'un costé et sa femme de l'autre. Que l'on en die ce que l'on voudra, ce ne sont qu'actions semblables; ils sont à deux de jeu, et sont quasi tousjours cartes esgalles. Je m'asseure que vous autres ne monstrerez aucune action envieuse de l'heur de ces deux personnages; et pourquoy, puisqu'ils vivent contents? Leur consideration est bien fondée, car il n'y a rien au monde qui contente plus l'homme que la nouveauté. Je fus transporté en la rue des Trois-Portes[344], où je cogneu qu'un procureur veut louer le devant de sa maison à une bordeliste, sans toutesfois en vouloir souffrir l'entrée. Cela n'est pas raisonnable, car toutes conventions doivent estre observées s'il n'y a lettres fondées sur la minorité, la force ou la lezion: encor faut-il qu'elles soient entherinées; mais rien de tout cela ne se rencontre en la personne de ce procureur, car il est autant capable de contracter que d'avoir beaucoup de practique; et neantmoins l'on dit qu'il n'a pas le moyen de nourrir un clerc. La rue Sainct-Jean-de-Beauvais est du mesme quartier, au bout d'embas de laquelle demeure un certain qui n'est cocu qu'à demy. Il y a peu qu'il fut autheur d'un dialogue d'entre luy et un certain clerc qui demandoit le sien. Il commença l'exorde de son discours par ces motifs choisis: «Mon amy, pourquoy venez-vous desbaucher mon clerc?» Il eust continué sans l'interruption de celuy auquel il s'adressoit, qui n'est pas grue. «Monsieur, dict-il, j'ay affaire à vostre clerc, et pretends fort peu de le desbaucher; mon intention est esloignée de cette action, que je sçay estre desagreable à vous autres, messieurs.» A quoy ce venerable cagot repliqua: «Vous ne sçauriez m'oster cela de la fantaisie, vous estes tous des desbauchez. Sans mentir, dict-il, adressant sa parole à une de ses parties, la jeunesse est bien corrompue. Aussi ne sçaurions-nous plus tirer de service de nos clercs. Je vois bien que celuy-cy a esté de la societé du cordon rouge[345].--Monsieur, respondit le clerc, vous m'excuserez si je vous dicts que vous me prenez pour un autre; l'affaire pour laquelle je viens est fort pressée (à la verité c'estoit pour une assignation de gueule).» Nonobstant ceste remontrance, la promptitude l'emporta à dire: «Mon amy, vous le verrez demain au Palais si bon vous semble; il a affaire pour le present, et quoy que vous ayez peu à luy dire, cela ne laisserait de le destourner de mes affaires. Bon souhait et bonne santé.--Grand mercy, Monsieur, dit le clerc; vostre courtoisie m'oblige beaucoup; elle m'obligeroit davantage si elle permettoit que mon desir reussist, ce que je ne desirerois toutesfois, puisque l'abondance de vos affaires ne le permet, sur lesquelles je n'ay que voir; mais je ne laisseray de dire, avec vostre permission, que naguères vous luy faisiez coppier des bulles de nostre sainct-père pour gaigner les pardons à Pasques, et ce à faute d'autre besongne. Ne faictes point tant l'empesché.» Ce clerc, ainsi esconduit, sortit à l'instant de ce cornard logis, non pas sans barbotter diverses imprecations contre ce tyran clerc en ces termes: «Ah! faut-il qu'un homme de si peu de merite soit procureur! Ah! faut-il qu'un mesprizeur de gens de bien se voye eslevé par dessus eux! Ah! que l'influence qui a causé cet effect estoit mauvaise! A la mienne volonté que j'eusse la super-intendance de la justice pour quelque temps! je ferois de belles ordonnances, et commencerois par la deposition de beaucoup de ces ignares qui ne sçavent guère par delà la facture d'un defaut simple. Je me trompe tant soit peu, car aucuns d'eux taschent de faire une production lorsqu'il y a un advertissement; encore est-ce fort peu, car l'urgence de leurs grandes et importantes affaires cause qu'ils imittent la cour, car ils en font renvoy, non pas aux enquestes, mais à leurs clercs.» [Note 341: Astrée est mise là pour Thémis, avec laquelle on la confondoit souvent. Elle étoit déesse de la justice au siècle d'or, Thémis ne l'a été qu'au siècle de fer.] [Note 342: De l'italien _ciarlare_, bavarder. Nous ne connoissons pas d'autre exemple de ce verbe _charlater_, dont le mot _charlatan_, qui est si bien resté, est tout simplement le participe. Il a formé lui-même le verbe _charlataner_, qui se trouve dans le _Dictionnaire des trois langues_ d'Oudin, et que Mercier tenta de rajeunir, mais qui pourtant ne vaut pas l'autre.] [Note 343: Sur ce mot, dans ce sens, V. Fr. Michel, _Etudes de philologie sur l'argot_, p. 430.] [Note 344: La rue des Trois-Portes, de même que celles du Plâtre et des Anglois, dont il vient d'être parlé, est voisine de la place Maubert; elle y aboutit même. C'est chez un des procureurs, alors assez nombreux, de ce quartier, que Voltaire fut quelque temps clerc en 1714. Il se nommoit maître Alain; il avoit son étude, non pas rue Perdue, comme l'ont dit l'abbé Duvernet et Lepan, mais _près les degrés de la place Maubert_, dans cette partie de la place qui va de la rue de la Bûcherie à la rue Galande, et qui s'appeloit alors rue Pavée-Saint-Bernard. C'est Voltaire qui nous donne lui-même cette adresse dans ses lettres à Mlle Dunoyer du 20 janvier et du 10 février 1714. Thiriot étoit clerc dans la même étude; c'est là que Voltaire se lia d'amitié avec lui.] [Note 345: Tout bon ivrogne étoit de la _société du Cordon rouge_, tout fin gourmand de la _société du Cordon bleu_. On devine par là d'où vient le nom donné encore aux habiles cuisinières.] En la mesme rue demeurent quatre autres personnages de mesme qualité, qui sont aussi remarquables pour les cornes que ceux de la rue Quinquempoix[346]. Il est vray que l'un d'eux se recompense d'un autre costé, car, par artifice et contre le gré de sa femme, il faict en sorte d'avoir de belles servantes, ce qui n'est pas tant reprehensible qu'une sienne action toute recente envers l'un de ses clercs. Je croy qu'elle luy fut inspirée par les furies infernales, car, ayant faict trelantantan avec une certaine brunette, sa malice affectée donna ordre que le pauvre clerc mist aussi fremin dans le bissac, d'où s'ensuit la perfection d'une petite creaturette, laquelle, venue avant terme à compter du jour que le niais avoit esté leurré, l'on le fait constituer prisonnier, supposant contre verité qu'il avoit fait ce dont il n'avoit peut estre fait qu'une oreille[347], tellement qu'estant janne, il a fallu cracher au bassin[348], et par ce moyen descharger monsieur le procureur en son honneur et en ses biens. Or, compagnons, dictes-moy ce que vous eussiez faict en cette rencontre. Vous avez du subject de vous faire remarquer estonnez; pour moy, si on m'en avoit fait autant, j'en aurois la raison ou je mourrois en la peine. Aussi ceste meschanceté m'est-elle si odieuse que, si je continuois sur ce subject le fil de mon discours, je m'asseure que j'entrerois en une invective qui pourroit me causer une opilation de ratte. Pour esviter cet inconvenient, continueray de cheminer en la mesme rue, où je fus spectateur des actions de deux procureurs et de leurs femmes, qui jouent au change à qui mieux mieux. Ce qui faict remarquer cela plus drolle est la jalousie de l'une. Qu'elle le dissimule tant qu'elle voudra, pour me l'oster de la fantaisie, il faudroit qu'elle s'abstînt d'espionner si souvent, sur le pas de sa porte, les allées et venues de son mary. Toutesfois ce n'est pas sans raison car c'est grand pitié de frustrer une pauvre femme de son ordinaire. Je le juge par moy-mesme, en ce que, quand je ne trouve rien à disner chez mon maistre, cela me fasche fort. [Note 346: Il paroît décidément que cette pauvre rue Quincampoix avoit les maris trompés en partage. Tallemant, ayant eu à la nommer dans son _historiette_ de Scudéry, met en note: «On l'appelle aussi _la rue des Cocus_.» (Edit. in-12, t. 9, p. 146.) On la surnommoit encore rue des _Mauvaises-Paroles_. V. notre édit. des _Caquets de l'Accouchée_, p. 11.] [Note 347: Allusion au conte du _Faiseur d'oreilles_, que la 3e des _Cent Nouvelles nouvelles_ et le 11e des Contes de des Périers avoient popularisé bien avant La Fontaine.] [Note 348: Sur les indemnités que le père supposé de l'enfant devoit payer à la servante engrossée, V. notre t. 1, p. 319-320, note.] Cela n'est pourtant pas si esloigné de la raison qu'une autre action d'un petit procureur crotté qui fait donner assez souvent un plat de lentilles fricassées avec du vinaigre et le beurre resté d'un plat de morue qu'il avoit mangé à son disner à deux clercs qui ne manquent aucunement d'appetit, s'emancipans fort peu de visiter le cabaret, et, en consequence d'un si bon repas, sans aucun relasche, non pas seulement d'excrementer à loisir, les faict travailler toute la nuict, tesmoing ces paroles addressées à un qui y avoit esté trop longtemps à sa fantaisie: «Vous ne devriez pas revenir de ce privé! J'ay grossoyé la moitié d'un inventaire sur un defaut depuis que vous y estes. Il faut mettre au net les contredits d'un tel: je veux les faire offrir demain en baillant.--Monsieur, respondit le clerc, _ad impossibile nemo obligatur_. Il entend bien le latin, et ne chante qu'en françois: il est neuf heures sonnées, les contredits contiennent huict rooles de minute bien pressez: quand j'y travaillerois toute la nuict, je n'en pourrois pas venir à bout.--Mon amy, dit le maistre, au bout de l'ausne faudra le drap. Travaillez tousjours et ne perdez point de temps. Si vous n'aviez pas yvrongné tout le long du jour (le pauvre garçon n'y avoit point songé), vous ne concluriez comme vous faictes à aller bien tost coucher. Estes-vous plus grand seigneur que moy? Avant qu'estre parvenu à ma charge, j'en ay bien faict d'autres! Ignorez-vous qu'au temps où nous sommes on n'a point de bien sans mal?» Je ne vous diray pas quelle fut la suitte de l'action, car sur ces entre-faicts mon somme se termina: c'estoit sur le poinct que l'Aurore s'ennuyoit de son decrepité jaloux. Lors le procureur que j'avois quitté le soir, esveillé aussi matin qu'il s'estoit couché tard, commença à crier: «Holà! ho! n'avez-vous pas encor assez dormy? Je vay vous faire porter un bouillon.--Vous me feriez grand plaisir, dy-je à basse voix; cela referoit un peu ma cervelle, qui a esté ceste nuict excessivement travaillée en la consideration des actions de vos confrères.» Cest importun crieur, reyterant cest Holà! diverses fois, me contraignit contre mon gré à lever ma teste de dessus le chevet, non pas sans incommoder la profondité de ma pensée, en laquelle repassoient les considerations sus dictes. Je m'habillay, faisant le sault de l'Allemand, du lict à la table, car j'avois reservé la veille quasi demy-septier de vin. Cela me rafraischit un peu. Aussitost je descends en l'estude, non pas sans m'imaginer qu'il y avoit quelque similitude de cette descente avec celle d'un qui seroit envoyé aux enfers. Je me consolay sur la consideration qu'il faut necessairement suivre ce qui nous est prescript par le destin et les diverses vicissitudes de la fortune. _La plaisante nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont, avec la Harangue du capitaine Picotin[349] faicte au duc de Savoye sur le mescontentement des soldats françois._ _A Bezié, par Claude Moret._ 1615, in-8. [Note 349: Le capitaine Picotin étoit sans doute un de ces aventuriers qui, pendant le chômage des guerres, alloient se mettre au service des petits Etats étrangers, notamment à celui des princes d'Italie, et leur prêtoient leurs secours mercenaires dans les querelles qu'ils avoient entre eux. Ainsi, c'est en France, que l'Italie du XVIIe siècle, bien différente de ce qu'elle étoit aux époques antérieures, se recrutoit de _condottieri_. Les financiers italiens, alors si nombreux à Paris, se chargeoient pour l'ordinaire de ces embauchements. Malherbe nous parle d'une affaire de cette espèce que le banquier Cenami, dont il a été question dans notre tome 3, p. 174, avoit ainsi montée pour le duc de Lucques: «Sennamy (_sic_) ayant fait offrir à MM. de Lucques de leur mener et nourrir, durant leur guerre contre le duc de Modène, trois cents hommes de pied, ils lui ont donné commission.» (_Lettre_ de Malherbe à Peiresc du 14 septembre 1613.) On finit par s'inquiéter à la cour de ces enrôlements, qui appauvrissoient la France de soldats. Louis XIII les défendit par les lettres-patentes du 22 septembre 1614, que nous avons déjà citées (t. 5, p. 217). C'est avant cette date que le capitaine Picotin avoit dû servir le duc de Savoie. Tout me donne à penser, en effet, que l'expédition pour laquelle il lui avoit mené sa compagnie est celle du Montferrat et de Mantoue, vers le milieu de 1613. Malherbe, dans sa _lettre_ du 4 juin, appelle cette guerre «la chaleur du foie de M. de Savoie», sans doute parcequ'il s'y étoit jeté en affamé qui va tout dévorer; mais, la France, l'Espagne et les Vénitiens s'étant mis de la partie, il fallut bien qu'il se calmât et fît la paix. Le renvoi des compagnies mercenaires dut suivre de près. De là la plainte du capitaine Picotin.] Çà, çà, çà, où sont-ils? A la guerre! à la guerre! Me voicy tout prest à bien faire. A quoy tient-il qu'on ne m'employe? Vite, vite, Picotin meurt de faim! une bonne table, une bonne cuisine! Qu'on se depesche! j'ay plus d'envie d'escrimer des dentz que de jouer de la picque. Mais quoy! j'ay beau dire, pour tout cela point de table mise, point de cuysine qui fume, personne ne rinse des verres, point de flascon, point de bouteille, rien; je ne vois que la campagne, et me faut paistre de boire la poussière. Ha! pauvre Picotin, quand j'estois ché le bon homme[350], je faisois chère de cavaliers, je me faisois traicter en marchand et payois en soldat; et maintenant je ne treuve pas d'eau fresche pour me gargariser la dent! [Note 350: Le paysan. V. plus haut, p. 53, note, et, sur les ravages des soldats dans les campagnes, notre t. 5, p. 215, note.] A! ventre sus ventre! tue! tue! tue! L'ennemy, voyant mes moustaches relevez, fuira devant moy. _Guara, guara gli signor Picotin!_ Tu seras maistre de Milan, tu mesureras le velours à la picque. Çà, qui en veut achepter? Envoyez-moy des marchands, j'en feray bon marché. Toutes les villes seront à toy, te voilà maistre du païs. Ha! les belles _signore_ qui seront à ton commandement! A la guerre, à la guerre, Picotin! Mais je pensois puis après d'autre sorte. Où vas-tu, Picotin? Tu t'en vas à la guerre, tu n'as point d'argent, on n'en reçoit point: comme feras-tu pour t'entretenir et tes compaignons? Faudra se curer les dents à la napolitaine: un peu de pain seulement, et bien souvent point; tes souliers finis, faut marcher sur la chrestienté[351]. Nuict et jour, couché sus la dure, à la pluye, aux vents, aux orages, l'ennemy en teste, il se faut battre; on tue, on estropie, l'on ne regarde à qui l'on donne, l'on ne prefère personne. Que diable est cela? Alte, alte, Picotin! je me donne à cinq cens mil pistoles des plus belles et pesantes qui soient dans le Curial[352] de Madrid si je vas à la guerre! [Note 351: C'est-à-dire sans semelle aux souliers, et par conséquent nu-pieds, comme les premiers chrétiens.] [Note 352: L'Escurial.] Mais quoy! capitaine Picotin, tu as esté tousjours si vaillant, jamais il ne t'a manqué de valeur, et maintenant que le grand Turc veut attaquer les Maltois[353], perdras-tu courage? Nenny, nenny. Où sont-ilz? Vitte une croix de Malte, un vaisseau prest, que je m'embarque; despechons vitte: en trois coups à Malte, à l'armée contre le Turc; prenons Tripoly, allons vite assieger Constantinople[354]. Il est nostre. Courage! Rends toy, grand Turc! Je le tiens prisonnier, prisonnier! Il est à moy. Donne-moy ton cimeterre. Ha! le vilain! comme il pu! Il a chié en ses chausses de la peur. Teste de Mahom! comme ces diables de Turcs fuyent! J'en veux aujourd'huy plus tuer que jamais ne fit Oger le Dannois. Petardons le serail, allons viste prendre ces sultannes. A la guerre, à la guerre! Vive le capitaine Picotin, par mer et par terre! [Note 353: Ces projets d'expédition du sultan Achmet 1er contre Malte n'eurent pas de suite.] [Note 354: Toute expédition contre le Turc étoit très populaire en France; V. t. 5, p. 212. A la fin du règne de Louis XIII, ce fut un empressement général pour aller au secours de Candie, assiégée par l'armée ottomane. La chanson _Allons à Candie, allons_, couroit partout. Annibal Gantez, à qui Louis XIII avoit commandé une messe, ne manqua pas de faire chanter son _Kyrie eleison_ sur l'air de la belliqueuse chanson. Il étoit sûr d'être ainsi populaire et à la mode du premier coup.] Ha! Picotin, où veux-tu aller? Ce n'est pas peu de faict de t'embarquer. La mer a des grosses ondes: si une fois tu estois enveloppé là dedans, il y a des poissons qui t'avalleroyent en un mourceau, et te faudroit puis sortir par le trou du cul. Vive ceux qui plantent des choux! ilz ont un pied en terre, et l'autre pas guère loing[355]. Puis tu serois canonné, tu ne pourrois pas retenir les balles de canon à ta main pour les renvoyer contre tes ennemis, comme faisoit Gargantua, qui pour une nuict, ayant eu tout le jour la teste pesante[356], treuva plus de dix mil grosses balles d'artillerie dans ses cheveux. J'aymerois mieux faire comme Cleopatre, qu'en se pignant tumboit des grosses perles precieuses, qu'elle faisoit puis disoudre pour festoyer ce pauvre abusé de Marc Antoine; puis tant d'incommodité, boire d'eau sale, manger le biscuit, et bienheureux quelquefois qui en peut avoir; à la mercy des vents et de l'eau, tous les jours et nuicts en crainte d'estre attaquez de l'ennemy, qui sont gens rudes et infidelles. Ha! pauvre Picotin, s'ilz te tenoient, ilz t'enchaîneroient, ilz te feroient couper les couilles; ilz auroient autant de regretz de toy comme un laquay d'un pety paté. Je n'en suis pas; non, non, je n'en suis pas. Je vous rends vostre croix; je vous remercie, je ne veux pas estre chevallier par eau: je vas planter des choux. _A Dio siaz._ Je me donne à autant de doubles sequins comme il y a de grains de moutarde dans un boisseau si j'y vas. [Note 355: «O que trois et quatre fois heureulx sont ceulx qui plantent choulx!... car ils en ont toujours en terre ung pied; l'aultre n'en est pas loing.» (_Pantagruel_, liv. 4, ch. 18.)] [Note 356: _Gargantua_, chap. 37, _Comment Gargantua, soy peignant, faisoit tomber de ses cheveulx des boulets d'artillerie_.] * * * * * _Harangue._ Voicy la troisième fois, prince très illustre, qu'ayant appellé à vostre ayde le peuple courageux de France, vous l'avez congedié à mains vuides: sy bien qu'à ce coup la pluspart de ces vaillans capitaines et soldats qui, soubs l'ombre de voz banières, avoient esperance de desnicher le superbe Espagnol de la Lombardie, se voyent frustrez de leur attente; et moy entre tous les autres ay sujet d'un extrême mescontentement, me voyant avoir employé tout mon peu de pouvoir pour m'acquerir quelque petit coing en voz graces, me vois à ceste heure reduit au petit point, l'escarcelle vuide d'argent, pleine de vent; destitué de mes soldats, accompagné d'une trouppe de chevaliers de l'hospital; bref, contraint de faire le demy-crucifix et demander la passade aux païsans[357], desquels nous avons l'hyver passé plaisamment plumé les poules. Ha! Picotin, quel tort fais-tu à la France, à ta femme esplorée, à tes pauvres enfans! Que Vostre Altesse regarde à ma pauvre famille, laquelle j'ay reduit à la besace, ayant vendu tout autant de moyens qui me restoyent en fonds pour m'equipper, soubs le pretexte de vostre service et l'asseurance que j'avois de ne m'en retourner si à la legère et si peu chargé des ducatons et soyes milanoises. Quittez, quittez, pauvres enfans de Picotin, les pretentions que vous aviez de vous voir un jour fils d'un mareschal de France, aggrandi par sa valeur martiale; allez, allez, contentez-vous d'estre nez d'un serrurier ou crocheteur; contentez-vous au son d'une lime sourde, non au bruyant fanfare de la trompette; contentez-vous au battement des marteaux sur l'enclume, non au tonnerre impetueux du canon. Mais quoy! grand prince, vostre courage, qui ne s'est jamais mesuré en aucune de voz actions, se laira-il maintenant r'accourcir et regler à l'aulne d'un bruit vulgaire qui court parmy la France? Vrayement, j'ay appris qu'il se dit coustumierement que vous estes fort charitable d'avoir en ceste dernière guerre piedmontoise fait quasi autant d'hospitaux que de capitaines françois ont suyvi voz estendards. Mais quelle charité, faire des hospitaux sans les arrenter! Ce n'est pas tout: l'opinion que nous avons conceu en general du peu d'estime qu'avez faict de noz troupes, les ayant exposées à la furie de l'ennemy, a esté l'alumette qui a mis le feu de mescontentement dans noz testes, qui en fument encores; et prenez-vous garde que de ce feu ne naisse un embrasement dans vostre estat que vous ne pourriez jamais esteindre avec toute l'eau de l'Ocean, si ce n'est avec le payement et les gages deu à noz compagnies. Qui ne croira à ceste heure que la fin de voz intentions ne visoit à rien autre sinon à espuiser nostre France de gens-d'armes pour en faire une boucherie, et vous en descharger par les mains de voz adversaires? Pensiez-vous desarmer notre jeune monarque, affin de l'exposer aux hostilitez estrangères? Non, vous ne rayerez jamais du livre de la memoire publique ceste croyance, que vous avez trop bien imprimée par les charactères sanglans de la deffaicte de huict cens de noz compatriotes, les marques d'une infidelité que nous pretendons sur Vostre Altesse, croyant que de guet-à-pand vous nous avez vendu à l'ennemy. Sera-il dit, le permettrez-vous, illustrissime seigneur, que la recompense de tant de genereux guerriers qui se sont employez, au prix de leur vie, à la defence de vostre estat, soit le seul mescontentement qu'ils remportent en leurs maisons? Ce leur est oster l'esperance de jamais aller en vostre service, les faire abhorrer ce brave desir qu'ils avoient de planter voz armes victorieuses dans la citadelle de Milan, et vous rendre reellement possesseur de voz pretentions. Somme toute, ce sera nous coupper chemin de vous aller jamais favoriser par le port des armes françoises, et à Vostre Altesse la voye de jamais passer à Milan. [Note 357: C'est-à-dire tendre une main pour demander l'aumône.] _Le Carquois satyrique, par Antoine Gaigneu, Foresien_[358]. Ridendo dicere verum quis vetat? [Note 358: Il n'est fait mention de ce poète que dans le curieux ouvrage de M. Aug. Bernard, _Les d'Urfé_, 1839, in-8, p. 113. Il y est nommé Gagnieu. M. Bernard le cite comme figurant au nombre des Forésiens qui ont fait précéder de quelques petites pièces louangeuse les volume manuscrit d'Anne d'Urfé que possède la Bibliothèque Impériale (_Suppl. franç._, nº 183). Gagnieu, selon M. Bernard, étoit sans doute l'avocat du Roi «qui figura dans le conseil _anti-nemouriste_ tenu à Montbrison en décembre 1592, chez Louis Berthaud. Son sonnet autographe se trouve aussi dans le gros volume manuscrit d'Anne.»] * * * * * _A Monsieur Jean-Baptiste Palleron, Lyonnois._ Monsieur, L'asseurance que j'ay en vostre amitié et courtoisie me faict esperer que vous agreerez ces gaillardes poesies. Je les vous offre, comme à celuy qui a toujours favorablement oeilladé tout ce qui est provenu de ma muse. Outre que vous estes tellement ennemy de la melancolie que ce Carquois ne vous peut estre desplaisant et ennuyeux, vous pourrez voir et visiter toutes les flesches et traicts qui sont dans iceluy en peu de temps. Ce peu de temps me fera beaucoup d'honneur et de faveur, principalement si, le bien-heurant[359] d'une benigne reception, vous me permettez de me publier à jamais, Monsieur, Vostre très humble et très affectionné serviteur. GAIGNEU. [Note 359: Le favorisant. C'est le participe du verbe _bien-heurer_, qui se prenoit souvent dans le sens de favoriser, témoin ce passage d'Estienne Pasquier (_Recherches_, liv. 4, lettre 5): «Cette dame Raison, dont Dieu a voulu _bien heurer_ les hommes.»] * * * * * _Le Carquois satyrique, contre les alchimistes et rechercheurs de pierre philosophale._ STANCES. Enfans de la vaine science, Qui distillez vostre substance Et faictes fumer vostre bien, Cherchez autre philosophie, Car qui en cette-cy se fie Multiplie le tout en rien. Enfans de la folle esperance Qui dissipez vostre chevance[360] Pièce à pièce, comme en destal, Cherchez autre metaphysyque, Car qui à cette-cy s'applique Prend le chemin de l'hospital. Enfans de l'incertain Mercure[361], Qui, dans un jour, avez la cure De souffler cinq cent mille fois[362], Cherchez autre mathematique, Car qui en cette-cy pratique Boit dans une escuelle de bois. Enfans adorants l'alchimie, Qui dedans vostre academie Falsifiez l'or à tous coups, Cherchez autre metempsicose, Car qui en cette se repose Un jour sera mangé des pouds. Enfans de doctrine volage Qui consommez vostre heritage, Le plus beau bien tout le premier, Cherchez un autre art ou science, Car qui en cette a confiance Mourra tout nud sur un fumier. Enfans de la pure follie, Qu'ores la raison vous deslie De ce cordage trop pippeur; Rompez allambicqz et cornues; Que vos plaintes persent les nues, Disans: Mercure est un trompeur. [Note 360: _Fortune._ C'est le même mot que _finance_, qui est seul resté. V. plus haut, p. 86, _note_.] [Note 361: La planète de _Mercure_ étoit celle de l'inconstance. D'après Albert le Grand, dans ses _Secrets admirables_, c'est de là que venoient les maladies, les pertes, les dettes, enfin toutes sortes de maux. Aussi Molière fait-il dire par Mercure, dans le prologue d'_Amphitryon_: ... Je me sens par ma planète A la malice un peu porté. Joignez à cela que le _vif-argent_ étoit la substance sur laquelle opéroient surtout les alchimistes, et vous comprendrez qu'on les mette ici sous l'invocation de Mercure. Dans le _Traicté faict par le roi Charles IX avec Jean des Gallans, sieur de Pezerolles, promettant au dict seigneur roi de transmuer tous metaux imparfaicts en fin or et argent_ (5 nov. 1567), il est dit: «Promet le dict sieur de Pezerolles que dedans six mois après la datte de ces presentes que la matière par lui declarée aura esté mise en sa decoction et dans les vases à ce requis et en tel nombre qu'il plaît à sa majesté, qu'il monstrera la première preuve de transmutation de la dicte matière en _mercure mortifié ou vivifié_, et dans quatre mois après qu'il montrera aussi une seconde preuve de la dicte matière qui fera transmutation de metal imparfaict en or et argent, etc.» (Biblioth. imp., mss. du Puy, vol. 86, fol. 172.)] [Note 362: C'étoit le plus fort de la besogne des alchimistes, que pour cela l'on appeloit _souffleurs_ encore à la fin du XVIIe siècle. Écoutez le Crispin des _Folies amoureuses_ (act. 1, sc. 5): Il ne s'en est fallu qu'un degré de chaleur Pour être de mon temps le plus heureux _souffleur_.] * * * * * _Contre les astrologues qui se mêlent de predire les choses futures._ STANCES. Comme peux-tu, fol astrologue, Trop orgueilleux, superbe et rogue, Cognoistre la force des cieux, Leurs mouvemens et influance, Puisque ta belle suffisance N'est que d'avoir du sable aux yeux? Tu ne cognois pas, grosse beste, Alors que tu lèves la teste Pour voir les astres si souvent, Que tu tombes dans une fosse[363]. Dieu! que ta science est bien fausse, Puis qu'elle te va decevant! Il convient que je t'accompare Au trop audacieux Icare, Qui tresbucha dedans la mer; Tu verras bien tost que tes aisles Fondront aux coelestes chandelles, Et que tu ne peux qu'abysmer. Tu trompes par ephemerides Les esprits de sçavoir cupides; Si le sort est bon ou mauvais, Tu crois de le pouvoir predire; Et comme au ciel pourrois-tu lire, Puisque tu ne le vis jamais? Tu ne vois ta follie extresme: Tu ne te cognois pas toy-mesme, Et tu veux sçavoir le futeur; C'est une chose imaginée, Ce qu'on appelle destinée, Car Dieu de nos maux n'est l'autheur. Insensé, ne crains-tu la chaisne, Le tourment, le mal et la peine De celuy à qui le vautour Le coeur mange, arrache et desvore? Puny plus griefvement encore On te pourra voir quelque jour. [Note 363: C'est la fable d'Ésope, _l'Astrologue_, reprise, comme on sait, par La Fontaine, liv. 2, fable 13. «Je sçais bon gré, dit Montaigne (_Essais_, liv. 2, chap. 12) à la garse milésienne qui, voyant le philosophe Thalès s'amuser continuellement à la contemplation de la voulte celeste et tenir toujours les yeux eslevez contremont, lui mit en son passage quelque chose à le faire bruncher, pour l'advertir qu'il seroit temps d'amuser son pensement aux choses qui estoient dans les nues quand il auroit pourveu à celles qui estoyent à ses pieds.» Montaigne cite ensuite ce vers que Cicéron, _De divinat._, liv. 2, chap. 13, dirige contre Démocrite: Quod est ante pedes nemo spectat, coeli scrutantur plagas. D'après une anecdocte que raconte le _Menagiana_ (Collect. des Ana, t. 1, p. 78), il paroîtroit que ce qui fait le sujet de ces fables arriva un jour réellement.] * * * * * _Contre un certain bragamasque[364] subject au mal caduc et à la pince_[365] STANCES. Prestres qui vivez sainctement, Apportez le sainct sacrement, Auquel nous avons tous refuge, Et venez chasser Lucifer, Qui se veut bastir un enfer Dedans le corps d'un pauvre juge. Ce demon ennemy des cieux Luy rend si farouche les yeux Que de frayeur mon poil s'herisse; S'il ne plaict à Dieu l'en guerir, On ne verra jamais tarir Les gros ruisseaux de l'injustice. Voyez comme il grince les dents, Par le demon qui, au dedans Le bourrellant, faict qu'il se pame! Il s'allonge et roidit si fort Que je ne donne point de tort A ceux qui le jugent sans ame. Hé! prestres, venez, accourez, Ce pauvre juge secourez; Que vostre eau salubre le lave, Et n'oblyez le pain benit[366], A celle fin que l'aconit[367] Ne vienne à naistre de sa bave. Comme peut-il en ce bas lieu Estre l'image du grand Dieu, Ayant en soy le roy des vices? Il devient demon peu à peu; On n'esteindra jamais ce feu, Car il ayme trop les espices[368]. Non, non, prestres, ne venez pas: En vain vous feriez tant de pas, Puisque ce demon le possède; Celuy-là qui s'est destiné Pour vivre et mourir obstiné N'a besoing de vostre remède. [Note 364: Sans doute faut-il lire _braquamasque_, ce qui seroit alors un dérivé de _braque_, mot qui, surtout dans le Midi, s'emploie pour _fou_, _insensé_.] [Note 365: C'est-à-dire au vol. C'étoit le mot en usage, comme on le sait par ce passage de Marot, dans son _Epitre au Roy pour avoir esté desrobé_: Car votre argent, trop debonnaire prince, Sans point de faute est subject à la _pince_.] [Note 366: On est encore persuadé dans quelques villes de province qu'en gardant les morceaux de pain bénit qui se distribuent le dimanche à l'église, on se donne un préservatif contre les maléfices. Aussi a-t-on bien soin de les laisser religieusement moisir dans le fond de quelque tiroir.] [Note 367: Cette herbe étoit née, disent les poètes, de la bave tombée de la triple gueule de Cerbère, quand Hercule lui étreignit fortement le gosier et l'arracha des enfers. (Ovide, _Metamorph._, liv. 7; Pline, liv. 27, ch. 3.)] [Note 368: Sur les épices donnés aux juges pour honoraires, voir t. 2, p. 179.] * * * * * _Contre le fils d'un apothicaire qui vouloit estre coucu mal-gré la volonté de tous ses parens et amys._ STANCES. Jour et nuict à sa dame Discourir de sa flame, Se dire son vaincu, L'appeller son idole, Bon Dieu! que de parole Pour devenir coucu! Inconstant en pareure, Couvert de biguarreure Comme un cameleon, S'habiller sans prudence, Bon Dieu! quelle despence Pour estre un Acteon! Emmieller sa maîtresse, D'une voix de liesse Chantant quelque chanson, Luy donner des ballades, Bon Dieu! que de gambades Pour estre un lymaçon! User de mille ruses, Espoinçonner les muses Contre un amant nouveau, Luy reprendre son vice, Bon Dieu! que de supplice Pour devenir toureau! Bref, s'aveugler soy-mesme D'une superbe estresme, Issu d'un souffle-cul, Ne voir point sa sottise, Bon Dieu! que de bestise Pour devenir coucu! * * * * * STANCES. _A certain goulu du tout ennemy des Muses et de Mars._ Grand guerrier de cuisine, Très expert à la mine Et au faict du canon, Non contre quelque place, Mais contre une beccasse, Je chante ton renom. Grand guerrier, ton espée Est la broche trempée Au sang d'un lappereau, Ton bouclier est la poelle Où l'on a frit la moelle De quelque goudiveau. De tes armes le casque Est un bon double flasque[369] Plein de douce liqueur. Il faut qu'on t'y attache Du pampre pour panache En signe de vainqueur. La lardoire est la lance Qui faict voir ta vaillance Aux peaux des animaux; Ton eschelle guerrière Est une cremallière, Et les bancs tes chevaux. Tes petards sont marmites, Tes targues[370] lesche-frites, Tes balles oeufs moulets, Ton enseigne est la nappe; Tu sçais donner la sappe Aux perdrix et polets. Le mortier plein d'espice Est le tambour propice A trouver le vin bon; L'antonnoir de bouteille Le fiffre qui l'esveille A l'assaut du jambon. Ainsi, brave courage, Qui, vaillant au potage, Merites le laurier Que l'on met aux viandes Pour les rendre friandes, Tu es ce grand guerrier; Ce guerrier admirable Qui fait voir, redoutable, Estant dedans Paris, Vuides les boucheries, Caves, rostisseries; Et les flascons tariz. Guerrier au nom de beste, Ta plus grande conqueste, Mais tes plus grands esbats, Ce sont cave et cuisine, Et non pas Mnemosyne, Ou le dieu des combats. Apollon et Bellonne Estiment ta personne Autant qu'un vieux cheval. Ha! que ma pauvre muse Esprouvast une buse, Te donnant son travail! [Note 369: C'est le mot allemand _flasche_, bouteille; flacon en est le dérivé. Au XIIe siècle, le peuple disoit déjà _flaische_, d'après un manuscrit cité par Noël et Carpentier dans leur _Dictionn. étymolog._, t. 1, p. 598: «Dous vesselez pleins de vin ki del pople sont appeleit _flaisches_.»] [Note 370: _Targe_, bouclier.] * * * * * SONNET LYRIQUE. _A sa cruelle et rigoureuse._ Belle et fière maîtresse, Source de ma douleur, Cause de mon malheur, Trop cruelle tygresse, Trop pleine de rudesse, Trop pleine de rigueur, Flesche de ma langueur, Poincte de mon angoisse; La seule vanité, La mesme cruauté, De tous mes maux l'escorte; La tombe de mes jours, Comète à mes amours, Que le diable t'emporte! * * * * * EPIGRAMME ÉQUIVOCANTE _Sur le nom et misère des poètes._ Les muses qui m'ont amusé, Ou plustost qui m'ont abusé, A la fin trompent les poètes; Poètes amys de renom, On ne vous a donné ce nom, Que pour ce que pleins de pouds estes. * * * * * _De quelques gentilhommeaux qui pour aller braves faisoient maigre chère, et mouroient presque de faim._ Tous ces petits gentilhommeaux Me font souvenir des tombeaux Qui ne sont beaux qu'en apparence: Car, pour avoir des beaux habits, Ils ne boivent à suffisance Et ne mangent que du pain bis[371]. [Note 371: Comme ces pauvres gentilhommes de Beauce qui, dit Rabelais, «desjeunent de baisler et s'en trouvent fort bien, et n'en crachent que mieux». (Liv. 1, ch. 17.) Oudin dit aussi: «Gentilhomme de Beauce, qui vend ses chiens pour avoir du pain.» (_Curiosités françoises_, p. 249.)] * * * * * _L'autheur prend congé des Muses, avec resolution de ne plus les courtiser, puisqu'elles ne recompensent les poètes que de pauvreté._ Non, non, je ne suis esbahy, Si je me vois ores trahy De vous, pucelles de Parnasse; Vous promettez beaucoup de bien, Mais vous ne donnez jamais rien Que sur la fin une besace. Je croyois que vos doux fredons M'enrichiroient de mille dons, Et des pouds seulement j'amasse; Par vous je pensois prosperer, Mais, las! je ne puis esperer Que sur la fin une besace. Vos chansons et vos instruments Ne sont que peines et tourments, Vostre malheur du tout m'embrasse. Vous donnez quelque passe-temps; Mais pour sallaire je n'attends Que sur la fin une besace. Je devrois me voir assouvy De biens, pour vous avoir servy, Et malheur sur malheur j'entasse. O! que maigre est vostre pouvoir! De vous on ne sçauroit avoir Que sur la fin une besace. Ovide pour vous fust banny, Et se vist rudement puny Pour avoir suivy vostre audace; Vous luy causates son mal-heur, Il n'eust de vous autre faveur Que sur la fin une besace. Homère, mignon d'Apollon, Avec son grave violon, Ne receut de vous autre grace Que de mandier en tous lieux. Que puis-je donc pretendre mieux, Que sur la fin une besace? Ainsi, belles et doctes soeurs, Pour avoir gousté vos douceurs, Je suis une horrible carcasse, Je suis la mesme pauvreté: Vous n'avez autre charité Que sur la fin une besace. Adieu doncques, Muses, adieu, Je n'iray plus en ce beau lieu Où je contemplois vostre face, Où vos lauriers je cherissois, Puisque de vous je ne reçois Que sur la fin une besace. _L'estrange et veritable accident arrivé en la ville de Tours, où la royne courroit grand danger de sa vie sans le marquis de Roüillac et Monsieur de Vignolles. Le vendredy vingt-neufviesme janvier 1616._ _A Paris, chez Guillaume Marette, rue de la Parcheminerie, à l'image Sainct-Martin._ 1616. In-8. Le vendredy 29 janvier, Sa Majesté ayant faict assembler le conseil, où estoient messieurs le comte de Soissons et duc de Guise, monsieur d'Espernon, messeigneurs le Chancellier, de Villeroy et autres seigneurs conseillers d'Estat, pour adviser à ce qui se devoit chanter pendant la conference et chercher les moyens les plus propres pour la resolution de la paix[372], le plancher de la chambre où le conseil se tenoit commença à fondre vers la cheminée, et petit à petit la ruine croissoit au lieu où estoient messieurs le comte de Soissons, d'Espernon, de Villeroi, Bassompierre, Biron, le marquis de Villaine et plus d'une vingtaine de seigneurs de qualité. Elle les emporta avec elle dans une salle basse, où à l'instant il s'esmeut un grand bruit par ceux qui estoient dans l'antichambre et dedans la basse court, pour ne sçavoir comme ce malheur estoit arrivé. L'un crioit: Où est la roine? Un autre: Où est monsieur le comte de Soissons? L'autre: Où est monsieur d'Espernon? Et, tous l'espée haute, chacun parloit selon son sens et son affection; et, pendant ceste grande rumeur, la royne se fust veue seule, abandonnée, et en grand peril de sa vie[373], si le marquis de Rouillac[374], le premier, ne fust couru à elle, et après luy monsieur de Vignolles[375], lesquels, au lieu de faire comme les autres, qui ne pensoient qu'à se sauver, preferant le salut de Sa Majesté au leur particulier, aymans mieux mille fois mourir que si il luy fust mesarrivé. Ceux qui demeurèrent blessez furent messieurs d'Espernon[376], fort legerement toutesfois, lequel en cet etat assista le premier et tant qu'il peut, monsieur le comte de Soissons, messieurs de Villeroy, marquis de Villaines, et plusieurs autres, sont demeurez davantage blessez[377]. Sa Majesté, pour ne se montrer ingratte envers Dieu, qui l'avoit retirée de ce danger en faveur de toute la France, s'en alla incontinent à l'eglise cathedralle luy rendre actions de grace. Le peuple entendit comme miraculeusement elle avoit esté sauvée, fit la mesme chose et d'extrêmes contentemens: c'est ce que tous les vrais François doivent faire, sa vie estant la conservation des nostres et de toute la France[378]. [Note 372: Une négociation étoit commencée avec les princes mécontents, et la reine mère ne s'arrêtoit à Tours que pour gagner du temps et se rallier peu à peu ceux qui l'avoient abandonnée pour le prince de Condé.] [Note 373: Son fauteuil s'étoit trouvé heureusement placé sur une poutre qui tint ferme. (_Mém._ de Bassompierre, _Collect. Petitot_, 9e série, t. 20, p. 97.)] [Note 374: Neveu du duc d'Épernon. V. son _Historiette_ dans Tallemant, édit. in-12, t. 9, et notre t. 4, p. 339.] [Note 375: V. sur lui plus haut, p. 118, note.] [Note 376: Il est dit dans l'_Abrégé chronologique de l'Histoire de France, pour faire suite à Mézeray_, 1727, in-12, t. 1, p. 180, que la reine mère s'empressa d'envoyer visiter tous les blessés, excepté M. d'Épernon. «Cette indifférence de Marie de Médicis à son égard, jointe à quelques autres sujets de mécontentement, l'obligea de quitter la cour, pour prévenir une disgrâce plus déclarée.»] [Note 377: Bassompierre fut du nombre, quoi qu'en ait dit M. Chalmel dans son _Histoire de Touraine_, t. 2, p. 448. «Je tombai, dit-il lui-même dans ses _Mémoires_, avec vingt-sept autres personnes ... Je fus blessé à l'épaule et à la cuisse, et eus deux des petites côtes enfoncées, dont je me suis senti depuis long-temps.» (Collect. Petitot, 7e série, t. 20, p. 97.)] [Note 378: Cet événement se passa dans l'hôtel bâti un siècle auparavant par Babou de la Bourdaisière, et qui étoit devenu l'hôtel des gouverneurs. (Chalmel, _Hist. de Touraine_, t. 2, p. 448.) Cette maison, qui servit depuis de prison, a été démolie. Elle étoit située dans la rue qui porte aujourd'hui le nom de Colbert.] _Arrest notable donné au profit des Femmes contre l'impuissance des Maris, avec le plaidoyé et conclusions de Messieurs les gens du Roy._ M.DC.XXVI[379]. In-8. [Note 379: Cette cause est du genre de celle que perdit si piteusement le marquis de Langey en 1659. Il ne manque, pour qu'elle soit de tout point semblable, que l'épreuve du congrès. Picot n'alla pas jusque là, mais le marquis la subit, sans toutefois parvenir à s'exécuter un peu virilement. Le scandale qui en résulta fut cause «qu'on abolit pour jamais l'épreuve du congrès, comme chose odieuse et incertaine». (_Faits des causes célèbres_, 1769, in-12, p. 43.)] Catherine Moreau, âgée de trente et quarante ans ou environ, espouze en seconde nopce François Picot, aussi âgé de trente huit ans, avec lequel l'inthimée est mariée y a deux ans huict mois ou environ, pendant lequel temps ladicte Moreau n'a eu aucune lignée du deffendeur, de telle sorte que, se voyant du tout frustrée et hors d'esperance d'avoir aucun enfant provenant du mariage passé entre les parties, et aussi que, cela advenant, qu'elle pourroit avoir de grandes contestations et desbats avec les parens de son mary (en cas que Dieu voulût disposer de son dit mary le premier); sur telles considerations, après une grande infinité de plaintes, ladite Moreau auroit esté contrainte de faire citer pardevant l'officier[380] d'Angers ledit Picot son mary, à celle fin de voir dire et ordonner que, veu son impuissance, que le mariage cy-devant contracté par l'advis et consentement des parens et amis de part et d'autre, et passé en face de nostre mère saincte Eglise, seroit déclaré nul et de nul effect, et permis aux parties de leur pourvoir ainsi qu'elles verront bon estre. [Note 380: L'official. Le mariage étant à cette époque regardé comme un sacrement bien plus que comme un contrat civil, les procès pour cause d'impuissance étoient portés devant l'official, qui étoit un magistrat ecclésiastique.] Sur lesquelles poursuites ledict Picot prolonge et esquive le plus qu'il peut de comparoistre pardevant ledict official d'Angers, sy bien que, se voyant condamné par coustumace à la demande de l'inthimée avec les conclusions du promotheur à son advantage, il auroit esté contraint de presenter requeste audict official, et par icelle auroit remonstré que, pendant les poursuites et surprises faictes par ladicte Moreau, sa femme, il auroit tousjours esté absent de ladicte ville, ce qui auroit esté la seule cause qu'il n'auroit faict aucunes responces aux pretendues demandes de ladicte Moreau, et les conclusions de sa dicte requeste portant qu'il supplie ledict official d'ordonner que le jugement par luy donné, comme il dit, par surprise et souz de très faux donné entendre, soit déclaré nul, et que les parties viendront au premier jour. Sur la requeste ainsi presentée par ledict Picot au dict official, souz les falacieuses allegations: car, pour montrer la Cour qu'elles estoient comme dit est fallatieuses et mensongères (c'est que sauf la correction et reverence d'icelle), ledict Picot n'estoit point absent, comme il alleguoit par sa dicte requeste, veu que l'une des citations a esté donnée parlant à sa personne. Cependant, souz telle dissimulée parolle, ledict official auroit ordonné, sur ladicte requeste, que les parties viendront plaider au premier jour pardevant luy, pour sur icelle ordonné ce que de raison, en refondant preuvent par ledict Picot tous et un chacun les fraiz qu'auroit faict ladicte Moreau, desquels elle seroit au prealable remboursée. Picot rembourse donc lesdicts fraiz à sa femme, et viennent plaider au fond de sa demande; soustient vives raisons qu'il est homme parfaict (sçavoir par les choses dont est question entre les parties) et qu'il est capable d'engendrer, et que, si la demanderesse n'avoit sçeu avoir enfant, que cela ne provenoit nullement de sa faute et de son impuissance, comme il estoit prest de verifier[381]. [Note 381: C'étoit bien ce que soutenoit aussi le marquis de Langey. Une fois on le prit au mot, et il en fut pour sa courte honte, «La femme, par grâce, dit Tallemant, accorda au mari toute une nuit. Les experts étoient auprès du feu. Ce pauvre homme se crevoit de noix confites. A tout bout de champ, il disoit: «Venez, venez»; mais on trouvoit toujours blanque. La femelle rioit et disoit: «Ne vous hâtez point tant, je le connois bien.» Ces experts disent qu'ils n'ont jamais tant ri ni moins dormi que cette nuit-là ...» (_Historiettes_, 2e édit., t. 10, p. 200.)] Sur ses allegations, ladicte Moreau remontre que tout ce qu'il pouvoit dire et alleguer estoit, souz correction de la Cour, très faux; que veritablement il estoit impuissant et incapable de mariage, et que c'estoit un abuseur de femme, homme en apparence, et rien plus, capable de donner subject à une femme jeune comme elle estoit de faire de faux bons et bresches à son honneur, si elle n'estoit pourveue d'esprit et mures considerations; voire que jusque là, pour montrer et verifier que l'impuissance de lignée ne provenoit point de la demanderesse, c'est que de son premier mary elle avoit eu trois enfans, l'un desquels estoit encore vivant. L'official d'Angers, sur les remonstrances faictes de part et d'autre, ordonne que ledict Picot sera veu et visité tant par les medecins que matrosnes, pour cognoistre la verité du faict, et, attendu la preuve de ladicte Moreau, ordonne qu'elle passera outre à sa demande, et à elle de faire continuer lesdictes poursuites. Picot estant visité, tant par les medecins, chirurgiens, que matrosnes, et recogneu impuissant d'avoir lignée, bien que la demonstration estoit fauce, sur ce rapport l'official declare le mariage nul et permet aux parties de se pourvoir ainsi que leur semblera bon estre, et condamne ledict Picot aux despens. De cette sentence le deffendeur se porte pour appelant et relevé son appel de telle sorte que maintenant il plaira à la Cour de considerer, par son judicieux jugement accoustumé, les justes demandes de ladicte Moreau, et sur l'exemple de l'Emperiera Pulceries, femme de l'empereur Marchian, laquelle, pour estre mariée, ne perdit point sa virginité, ne fut pas femme en verité, mais de nom seulement. Disoit davantage que, si c'est une servitude très miserable qu'un vieil mary, on devoit estimer que c'estoit le comble de tous les malheurs d'en avoir un froid et languissant, glacé jusque à la moëlle des os, qui ne peut rien faire de ce qu'il a promis à sa femme, comme n'estant chose qui soit en sa puissance; qui contrefaict l'homme, et ne l'est qu'en apparence et de gestes seulement, sous la couverture de mariage. Que c'est grande pitié d'espouser un homme, ou un estropiat, et à plus forte raison celuy qui est plus froid que la neige par tous ses membres, ... Cui minimus gelido jam corpore sanguis[382], Coitus cui longa oblivio: velsi; Coneris, jacet exiguus cum ramice nervus, Et, quamvis tota palpetur nocte, quiescit. ... Merito suspecta libido est Quæ venerem affectat sine viribus. [Note 382: Ces vers sont des débris mutilés et intervertis de la satire X de Juvenal, v. 204-217.] Voilà quels estoient les plaidoyez de la demanderesse contre le dict Picot, son mary. Lesquelles raisons aportées par la dicte Moreau, comme l'appelant estant aux foibles reparties du dict mary, qui seroient ennuyant d'inserrer en ce petit discours, portèrent monsieur de Villiers, pour lors advocat du roy, personnage admirable pour la grandeur de ses vertus, et fit qui tourna les armes de sa grave eloquence contre le mary. Pour montrer qu'il devoit estre deboutté de son appel et de toutes autres preuves pour fins de non recevoir, dict qu'il se fondoit sur diverses raisons dont la première estoit que le mary avoit laissé passer une grande longueur de temps de defini par l'Eglise pour faire preuve de sa virilité, et par ce moyen sembloit avoir renoncé à son droit et aux nopces de la demanderesse et recognoistre la froideur naturelle, et conclut que le dit mariage soit declaré nul et la sentence de l'official executée, et condamne le deffendeur aux despens de la cause d'appel et à l'amende, pour avoir esté si temerayre que d'avoir persisté en son impuissance. La Cour, sur les plaidoyez des parties et conclusions de monsieur l'advocat du roy, ordonna que, veu l'impuissance du dict Picot de pouvoir engendrer lignée, que la sentence de l'official d'Angers seroit executée de poinct en poinct selon la forme et teneur, et permet à la dicte Moreau de se marier pour la troisiesme fois à qui bon lui sembleroit; condamne le dict Picot, son second mary, en tous les despens, et à deux cens livres parisis d'amende; le tout nonobstant oppositions ny appellation quelconque, pour laquelle amende le dict Picot seroit condamné au payement d'icelle tant par saisie de ses biens que par emprisonnement de sa personne[383]. [Note 383: Picot en appela-t-il? Je ne sais. Le marquis y alla plus bravement. «Au bout d'un an et demi, dit Tallemant, Langey prit des lettres en forme de requête civile pour faire ôter de l'arrêt la défense de se marier; mais le chancelier le rebuta en disant: _A-t-il recouvré de nouvelles pièces_? Sa seconde femme eut sept enfants. Il trouva qu'il y avoit là plus de preuves qu'il n'en falloit pour faire casser le premier arrêt. Il actionna donc M. de Boesse, devenu le second mari de sa première femme. Il perdit encore.] _Satyre sur la barbe de monsieur le President Molé[384]._ [Note 384: Cette mazarinade se trouve avec le titre qu'elle porte ici dans le _Tableau de la vie et du gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu et Mazarin_, etc.; Cologne, P. Marteau, 1694, in-12, p. 286-289. On la trouve imprimée à part sous le titre de l'_Illustre barbe_ D. C. en vers burlesques (S. l. n. d.), 4 pages, et sous celui-ci: _Poème sur la barbe du prem. presid._; Bruxelles, 1649, 6 pages.--La barbe de Mathieu Molé étoit, en effet, très fameuse; le surnom par lequel on le désignoit souvent lui en étoit venu. «_Le visage de la cour_, dit Larroque, se moque de la _braverie_ (Châteauneuf) et du chien au grand collier (Seguier), disant que la _Grand'Barbe_ (Molé) ne fait le philosophe ni l'homme d'Etat, et que le vent lui souffle du derrière.» (Cité par M. Moreau, _Bibliographie des Mazarinades_, t. 1, p. 9.)] Je chante d'un chant satirique Une laide barbe cynique, La barbe et le menton barbu De Molé, juge corrompu; Barbe sale, barbe vilaine! Barbe infame, barbe inhumaine, Barbe qu'a fait un partisan Aux frais du pauvre paysan; Barbe affreuse, barbe maudite, Barbe d'un diable d'hypocrite, Barbe d'un infame Martin, Grand defendeur de Mazarin, Qui s'offriroit pour un ecu De serviette à torcher le cul; Barbe qui tout prend et devore, Barbe que tout le monde abhorre, Barbe ravalée en pendant, Barbe à qui je porte une dent, Barbe cruelle, barbe fière! Barbe que je souhaite en bière, Par tel et semblable danger Que le president Boulanger[385]; Barbe qui voudroit voir la France En Grève, au bout d'une potence; Barbe pendante au vieux menton D'un avare et lâche poltron; Barbe de boue, barbe de chèvre; Barbe qui descend d'une lèvre Qui cache un ratelier de dents Plus puantes que souffre ardant; Barbe qui entoure une bouche Qui produit une voix farouche; Barbe qui pend le long d'un col A qui je souhaite un licol; Barbe qui couvre une poitrine D'où sort le mal qui nous ruine; Barbe d'un maudit loup-garoux Qui cause mon juste courroux. Tu sentiras, barbe de laine, Les traits plus piquans de ma haine; De laine, non, je me desdis: Il m'est permis, si j'ay mal dit, De me reprendre et de mieux dire. Disons donc mieux, et faisons rire Tous ceux qui ces vers ecriront[386], Ou ecrits après les liront. N'appelons plus barbe de laine Une barbe qu'avons en haine: Ce mot est trop doux pour celuy Qui s'engraisse du bien d'autruy; Qui, abandonnant sa patrie, Noircit sa memoire fletrie, Et, comme un lache renegat, Trahit son roy et le senat. Apellons-la barbe piquante, Du sang du peuple degoutante; Barbe plus fière qu'un griffon, Barbe du grand geant Tiphon; Nommons-la barbe de Megère, L'appentil de notre misère, Le fondement de nos malheurs Et la base de tous nos pleurs; Nommons-la barbe à l'escopette, Barbe qui fait notre disette, Barbe d'un pilote infernal, Barbe de crain d'un vieux cheval, Barbe de soie à porc farouche, Les brins faits en pointe de souche, En piquans d'herisson faché, De porc-epic effarouché, De chardons, de ronces, d'epines Qui piquent jusques aux racines; Barbe d'un laid et vieux magot, Barbe d'un traître et d'un bigot. Je voudrois, ô barbe vilaine! Que de merde tu fusses pleine; Que les mules et les mulets, Les poules et tous les poulets, Tous les chevaux et les cavales Des ecuries cardinales, Les chiens, les chiennes et les chats, Toutes les souris et les rats, Puissent sur toy, barbe bouquine, Barbe qui pue comme ravine, Jetter comme sur un fumier Tout ce qui sort de leur fessier; Que les poux, les puces et lentes, Morpions et punaises puantes, Fussent dedans ton poil epars Comme etrons dessus des remparts; Que les chancres et les ulcères, Plus venimeuses que vipères, Les pustules et les poulains Que l'on gagne avec les putains, Et tous les autres grains semblables Que les François prirent à Naples, Puissent tous affliger le corps, Tant par dedans que par dehors, De celuy, ô barbe bigote! Qui te cultive et te frotte; Qu'en tombant tu sois tôt ou tard Comme celle de Duremard: Ainsi, menton et barbe infame, Tu deviendras menton de femme: Je te souhaite encore plus, Et cecy n'est pas superflus, Que, si les choses souhaitées Etoient un jour executées, Tous les poils chus ou arrachés A un masque soient attachez Pour servir de bouffonne trogne Aux foux de l'hôtel de Bourgogne. C'est là, plutost qu'au Parlement, Que tu paroîtras dignement. [Note 385: Il faut, sans doute, reconnoître ici l'auditeur des comptes Le Boulanger, qui, frappé de plusieurs coups de baïonnette comme il sortoit de l'Hôtel-de-Ville, lors de la grande émeute de 1652, mourut peu de jours après. (_Mém. de Conrart_, Collect. Petitot, 2e série, t. 48, p. 151.) Ceci nous donneroit à peu près la date de cette pièce.] [Note 386: M. Moreau conclut avec raison de ce vers que cette mazarinade, comme bien d'autres, se répandoit par copies manuscrites.] _Recit veritable de l'execution faite du capitaine Carrefour, general des voleurs de France, rompu vif à Dijon, par arrest du parlement de Bourgongne, le 12e jour de decembre 1622, avec un sommaire de son extraction, vols, assassinats, et des plus signalées actions qu'il a faits durant sa vie[387]._ In-8. [Note 387: Il est longuement parlé de ce voleur, l'un des plus fameux qu'il y eût au commencement du règne de Louis XIII, dans l'_Inventaire général de l'histoire des larrons_, liv. 2, ch. 7. «Ses compagnons, y est-il dit, ne l'appeloient que le Bohêmien, car il savoit toutes les règles du _picaro_, et il n'y avoit jour où il n'inventât de nouvelles souplesses pour les attraper.» Gouriet a aussi parlé de lui dans son livre: _Personnages célèbres dans les rues de Paris_, t. 2, p. 43-44, et nous connoissons une autre pièce ayant pour titre: _La prise du capitaine Carfour, un des insignes et signalés voleurs qui soient en France, arresté prisonnier ès environs de Fontainebleau, avec un abrégé de sa vie et quelques tours qu'il a faits ès environs et dedans la ville de Paris_, Paris, Jean Martin, 1622, in-8. Nous aurons à la citer dans les notes de celle-ci.] Rien de plus furieux, de plus superbe ny de plus insolent qu'un homme eslevé de la poussière: il gourmande le ciel, il depite les destins et croit que les astres luy sont redevables de leurs influences. Ses paroles sont foudres, ses regards des esclairs et ses deliberations des arrests irrevocables; mais ce bravache maintien ne peut longtemps durer: la violence est trop grande et les efforts trop furieux. Sçachez, ô volleur, qu'il y a encore des Hercules et des Thesées dans nostre France qui vous sçauront bien punir selon vos demerites. Nous avons des acravanteurs[388] de monstres aussi bien que l'antiquité. Puisque le capitaine est bas, la compagnie sera bientost mise en deroute. Voicy où vous devez vous mirer et apprendre que tost ou tard la justice se rend partie contre vos desportemens. [Note 388: Massacreurs. Sur le verbe _accravanter_, V. t. 3, p. 230.] Le capitaine Carrefour estoit un soldat de fortune natif d'un village nommé Montigny-sur-Armanson, près Saint-Roque en Bourgogne, le père duquel estoit boucher et le voulut employer au labourage dès sa jeunesse; mais il le quitta et fit profession de porter les armes et de frequanter la noblesse du pays, et, entre autres choses, il se rendit fort expert à manier un cheval, ce qui luy donna libre accez en plusieurs maisons de seigneurs et gentilshommes, qui luy pratiquèrent un mariage avec une damoiselle fille d'un pauvre gentilhomme nommé le sieur de Lantyl, demeurant à Bagarre, près Auxerre, où ledit Carrefour a demeuré quelque temps en assez bonne reputation, et acquist une petite maison proche le pont de Mailly, qui avoit esté bastie par un gentilhomme nommé Vaudoisy. Enfin ledit Carrefour fut gendarme de la compagnie de monseigneur le duc de Lorraine, de laquelle le feu sieur de la Rochebaron estoit lieutenant, qui recogneut les deportemens dudit Carrefour, lequel menoit une vie de boëmien, comme il en avoit la vraye semblance, et trompoit ordinairement ses camarades, qui ne se pouvoient garder d'estre attrapez[389] de luy; dont ayant receu plusieurs plainctes, ledit sieur de Rochebaron le manda en une sienne maison nommée Rochetaillé, prez Langres, et, luy ayant remonstré ses mauvais deportemens et que ses camarades en estoient offensez, après l'avoir exorté de mieux vivre à l'advenir en une autre compagnie, le congedia; ce qui fut cause que ledit Carrefour se rallia avec de mauvais garnimens comme luy, et courut en Lorraine et jusques proches de Francfort, où il fit plusieurs vols, et après se retira en sa maison audit Mailly, où l'on tient qu'il apporta force argent; et dès lors commença de mener un trin de gentilhomme. Mais la noblesse de l'Auxerrois, qui recogneut bien que l'advancement dudit Carrefour ne pouvoit provenir que de volleries, ne le voullurent admettre en leur compagnie, qui fut cause qu'il s'acosta encores plus que devant de bandolliers[390] et gens de sa sorte. Les derniers mouvemens estans arrivez[391], il fut trouver feu madame la duchesse de Nyvernois, de laquelle il tira subtilement quatre cens pistoles[392] pour louer une compagnie de carabins[393] qu'il mit sur pied, fort bien montez et esquipez; et, ayant eu son departement au Chastel-Sensoy pour y tenir garnison, il en fut chassé par le feu sieur de Collanges, qui tenoit rang de lieutenant en la province de Nyvernois, lequel commanda audict Carrefour de se rendre à Nevers, proche madicte dame, au lieu de quoy faire il se mit à piller et ravager tout le païs de l'Auxerrois; et, comme madicte dame estoit assiegée par l'armée du roy, conduitte par feu monsieur le marechal de Montigny, elle despecha le sieur marquis de Gallerande pour aller en Champagne trouver monsieur son mary[394], assisté de peu de gens; et, craignant quelque rencontre à cause qu'il falloit passer dans ledit païs de l'Auxerrois, il se fit assister dudit Carrefour, avec dix ou douze de ses soldats, pour luy faire escorte huit ou dix lieues. Mais ledit Carrefour fut bientost las: car, quand il fut à une lieue de sa maison, il dit audit sieur marquis: «Mordieu! je suis serviteur du roy, je vous fais mon prisonnier et vous veux mener à la reyne-mère.» Dont ledict seigneur fut bien estonné et luy fit plusieurs remonstrances que ledit Carrefour ne prit pour argent comptant, ains le mena en sa maison audit Mailly, où il ne fut pas vingt-quatre heures que ledit sieur de Collanges et la noblesse du païs, qui tenoient le party des princes, s'assemblèrent au nombre de trois cens chevaux, qui investirent ladite maison et se mirent en devoir de la forcer; dont ledit Carrefour ne s'esmeut nullement, et leur dict que, s'ils ne se retiraient, il poignarderoit ledit sieur marquis et leur jetteroit du haut en bas de sa maison; et, craignant qu'il n'executast ses paroles, ils furent contraints capituler avec luy et luy promettre une grosse rançon pour ledit sieur marquis, lequel il retint prisonnier jusqu'à ce qu'il l'eut receue; mais, après que lesdits mouvemens furent lessez, ledit sieur marquis en eust bien sa raison: car il luy fit faire son procez par contumace et le fit condamner à estre pendu, et fit executer la sentence par effigie à Villeneufve-le-Roy. Je ne vous dirai point tout ce que ledit Carrefour a faict du depuis, parceque je n'en suis pas bien informé; mais le bruit commun a esté partout que ledit Carrefour, qui se faisoit nommer le baron de Mailly, a fait plusieurs vols et actes meschans, tant sur les frontières que dedans le royaume mesme, en la ville de Paris, où il se faisoit ordinairement suivre de cinquante volleurs à qui il donnoit rendez-vous; et l'an 1621, au retour du roy, on ne parloit que de volleurs en ceste ville, qui tous estoient sous la conduite de Carrefour[395]. Il a esté cogneu à diverses fois, mais il se desguisoit et n'estoit possible de l'attraper. Un jour les archers du prevost des mareschaux le rencontrèrent dans la forest de Fontainebleau desguisé en hermite[396] et luy demandèrent s'il n'avoit eu aucun vent de Carrefour. Il leur dict qu'il sçavoit où il estoit, et les mena fort avant dans le bois, où enfin ils se virent investis de cinquante volleurs qui les poursuivirent jusqu'au dehors de la forest. On n'entendoit parler que de Carrefour, et dejà le tenoit-on pour un autre Guillery[397]. Ce bruit luy fit prendre la fuite, et, se voyant couru de tous les prevosts des mareschaux de France, il s'advisa de se retirer avec un nommé Chenevasson, dit La Roche, soldat dudit Mailly, en la ville de Chambery en Savoie, où il feignoit avoir des procez au Parlement; et parcequ'il avoit offensé grand nombre de personnes d'authorité, il fut recommandé par tous les pays estrangers voisins de ce royaume, où l'on envoya son tableau, qui fut cause qu'un senateur dudit Chambery qui avoit la charge de la police, ayant veu ledit Carrefour, eut opinion que c'estoit le grand et insigne volleur dont l'on parloit tant en France; et, lorsqu'il le vit promener sous la halle dudit Chambery avec un gentilhomme du païs de Charolois qui s'y estoit refugié à cause d'un mariage clandestin, ledit senateur, assisté des officiers de la police dudit Chambery, le prist et l'arresta prisonnier[398]; et, l'ayant retenu quelque temps, le parlement de Dijon en fut adverty, qui l'envoya querir et fit apporter toutes les informations qui estoient faites contre ledit Carrefour, tant à Auxerre, Vezelay que ailleurs, sur lesquelles et autres crimes desquels il estoit chargé il a esté condamné à estre rompu vif avec son vallet par arrest dudit Parlement, qui fut executé le douziesme decembre dernier 1622, en laquelle execution ledit Carrefour s'est montré resolu autant qu'il a esté pendant sa vie: car, quoy qu'il eust grand nombre de complices, quelques adjurations qu'on luy ait peu faire et remonstrances de son père confesseur, il n'a voulu accuser aucun de sesdits complices, et dit qu'il se contentoit de souffrir la mort et qu'il ne vouloit estre cause que d'autres mourussent. Voilà l'abbregé de la vie et de la mort dudit Carrefour. [Note 389: C'est ce qui est dit dans le passage de l'_Inventaire de l'histoire générale des larrons_ cité dans notre première note.] [Note 390: C'est le premier nom qu'on donna aux voleurs allant par _bandes_. Celui de _bandit_ vint après. Des Périers parle, dans ses contes, d'un certain Cambaire, fameux _bandoulier_ des environs de Toulouse, qui, comme Carrefour, avoit d'abord été bon soldat et s'étoit même acquis le «renom de vaillant et hardy capitaine», et qui, les guerres finies, s'étoit rendu «par depit et necessité _bandoulier_ des montaignes et environs». (_Nouvelles_ de Des Périers, p. 279, _Bibliothèque elzevirienne_.)] [Note 391: Les troubles de la régence de Marie de Médicis durant les années 1616 et 1617.] [Note 392: Pendant que le duc de Nevers, l'un des rebelles, tenoit en échec l'armée du roi devant Rethel, sa femme se préparoit à une vive résistance dans le Nivernois. De Nevers, où elle s'étoit surtout fortifiée, elle organisoit la défense, amassant des troupes, de l'argent, des munitions de guerre, et mettant dans son parti tous les gentilshommes de la province. On voit que tous les alliés lui étoient bons, puisqu'elle recherche ici l'aide du brigand Carrefour.] [Note 393: C'étoit une milice très décriée, où ceux qui servoient étoient moins soldats que bandits. D'Aubigné fait du mot _carabinage_ un synonyme de félonie (_Baron de Fæneste_, liv. 3, ch. 23), et l'on sait que Pechon de Ruby l'a glissé dans le titre de son petit livre sur les _matoiseries soldatesques_ et autres. Le Duchat veut reconnoître dans ces _carabins_ les soldats _calabriens_ qui, en 1465, servoient dans l'armée des princes ligués contre Louis XI, et dont, selon la chronique _scandaleuse_, on faisoit déjà si peu de cas alors. Il en fut pris vingt-quatre, qui, menés sur le marché de Paris, y furent vendus sur le pied de 6 sous 6 deniers parisis la pièce. Tavannes, dans ses _Mémoires_ (Coll. Michaud, p. 74), veut, au contraire, que le mot _carabin_ soit un souvenir des croisades et vienne de _carra_ (soldat) et _bei_ (du Seigneur). Au XVIIe siècle, on appeloit par moquerie les chirurgiens _carabins de Saint-Côme_: V. _Théophraste au cabaret_, p. 19. Il ne reste plus que la première moitié de cette locution railleuse. C'est, avec le nom de la _carabine_, arme dont ils se servoient, tout ce qui survit des anciens _carabins_.] [Note 394: M. de Nevers étoit gouverneur de Champagne, et il en avoit mis les principales villes de son parti.] [Note 395: Ceci donneroit à penser qu'il étoit le chef de la bande des _Manteaux rouges_, dont nous avons déjà parlé souvent. V. t. 1, p. 198; t. 5, p. 194. «Il ne s'arrestoit jamais en un lieu, lit-on dans le petit livret sur sa _prise_; on l'a recogneu desguisé assez souvent dans Paris, qui s'enquestoit si on ne parloit pas de luy.»] [Note 396: Ce fait se trouve aussi raconté dans la _Prise du capitaine Carrefour_, etc.] [Note 397: Il y a en effet entre eux de grands points de ressemblance. V., sur Guillery, notre t. 1, p. 289, et le _Journal de L'Estoille_, fin septembre 1608.] [Note 398: Dans la _Prise du capitaine Carfour_, etc., son arrestation est racontée tout autrement. C'est dans un cabaret des environs de Fontainebleau qu'on l'auroit saisi, après une rixe avec un gentilhomme languedocien qui se faisoit gloire d'appartenir au roi, et à qui le bandit auroit répliqué que lui, Carrefour, n'appartenoit qu'à lui-même. On en seroit venu aux mains, et Carrefour, saisi par les gens de la suite du Languedocien, puis reconnu par un des paysans accouru au bruit, auroit été livré à la justice. Le récit donné ici a plus de vraisemblance et doit être le seul vrai.] _Brief dialogue exemplaire et recreatif entre le vray soldat et le marchand françois, faisant mention du tems qui court, avec l'adieu à la guerre._ _A Lyon, par Benoist Rigaud._ _Avec permission._ In-8. M.D.LXXVI[399]. [Note 399: La paix venoit de se faire avec les calvinistes. Un édit de pacification avoit été rendu à Paris et enregistré par le Parlement. C'étoit le cinquième qu'eussent obtenu les huguenots, et l'on pouvoit craindre qu'il n'eût pas de plus longs effets que les autres.] LE SOLDAT. Je voy venir deçà un homme à cheval portant la bougette[400], lequel va beau train. Je pense que c'est un marchand. S'il eust esté rencontré il y a trois mois, on luy eust bien serré les doigts, ou bien il eust payé rançon[401]. Je parleray à luy: «Dieu vous gard, Monsieur; où tirez-vous ainsi? Mais qu'il ne vous deplaise.» [Note 400: _La bourse._ V., sur ce mot, p. 9.] [Note 401: On lit dans la _Complainte des pauvres catholiques de la France et principalement de Paris, sur les cruautés et rançons qu'on leur a fait esprouver_ (Recueil de L'Estoille): LE PAYSAN. Je parleray du camp Et des cruaultés grandes Des huguenots meschans Qui vont avec leurs bandes. Ils viennent dans nos granges, Aussi dans nos maisons, En prenant, chose estrange! Chevaux, boeufs et moutons. Encor, n'estant content D'avoir nos biens et bestes, Nous lie et nous mettant, Nous bandent yeux et testes, Nous battent et nous moleste, Jurant et blasphemant: «Faut que rançon tu paye, Cent escus tout comptant.»] LE MARCHAND. Je m'en vay à Lyon. LE SOLDAT. Que faire là? LE MARCHAND. Traffiquer, puis qu'il a pleu à Dieu nous donner la paix, au moyen de laquelle les passages sont maintenant libres. LE SOLDAT. Il faut, à mon advis, user en cest endroict de distinction, encores que je sois soldat, et non pas dialecticien. Les passages sont libres et ouverts par les villes, et non pas sus les champs: car il se commet aujourd'huy beaucoup de massacres et brigandages sus les pauvres marchands et voyageurs, et se faict beaucoup plus de volleries en ce temps de paix qu'il ne se faisoit tandis que nous avions la guerre. LE MARCHAND. Comment cela? LE SOLDAT. Je vous le diray. Sçavez-vous pas que Mars, dieu de la guerre et cruaulté, se sert aussi aucunes fois et volontiers de ministres barbares et cruels? De sorte qu'à ce propos l'on dit communement que l'homme de bien qui abhorre le sang et est pourveu d'une parfaicte humanité ne vault rien à la guerre. Ainsi donc pouvez-vous juger de là que les meschans garnemens volontiers s'y retirent, et que la guerre, où neantmoins se font les braves hommes, est ordinairement la retraicte des voleurs[402], meurtriers et assassinateurs, pour ce qu'en temps de guerre le marchand ne va plus sur les champs, et que chacun se tient clos et fermé en sa maison; ce qui fait que les meschans, ne trouvans plus aucunes pratiques, sont contrains aller à la guerre? Que pensez-vous qu'ils facent maintenant, estant cassez? [Note 402: C'est ainsi, après les guerres, qu'on vit un peu plus tard paroître Guillery et sa bande. Ils se jetoient sur les marchands, qui, la paix étant signée, croyoient pouvoir aller en toute sécurité par les chemins. Selon L'Estoille (fin sept. 1608), «ils avoient pris pour devise, qu'ils avoient affichée en plusieurs arbres des grands chemins: _Paix aux gentilshommes! la mort aux prevosts et archers, et la bourse aux marchands!_ ce qu'ils ont réellement executé maintes fois, ayant tué tous les prevôts et archers qui etoient tombés entre leurs mains et devalisé les marchands.»] LE MARCHAND. Ils se retireront en leurs maisons, comme le roy commande[403]. [Note 403: Beaucoup de gens de village qui s'étoient faits soldats ne vouloient plus, la paix faite, retourner aux champs. L'épée, à ce qu'ils pensoient, les avoit faits nobles, et, avec le travail, ils redeviendroient vilains comme devant. Il est parlé dans _le Paysan françois_, p. 10, de plus d'un «qui avoit changé son coultre en une espée, et sa vache en une arcbuze, et se faisoient appeler l'un monsieur du _Ruisseau_, l'autre de la _Planche_, du _Buisson_, et tels autres surnoms et lettres de seigneurie de guerre, indices de leur première vacation».] LE SOLDAT. Je confesse bien que les bons se retireront chascun en leur domicile; mais les maisons des autres sont les bois, où ils se mettent pour destrousser et voiler les passans quand la guerre est faillie. LE MARCHAND. Vous voulez donc inferer de là que la guerre seroit meilleure que la paix? LE SOLDAT. Encores que je soy soldat, si est ce qui n'est pas mon intention, car je ne doute pas que la paix (comme j'ay ouy dire autres fois à mon capitaine, homme vertueux et sçavant), à quelque condition qu'elle soit, ne vaille mieux que la guerre; dequoy (pour n'avoir mon propos besoin d'aucune preuve) je me rapporte à vous-mesmes et à tout homme de sain jugement. LE MARCHAND. Voire; mais vous m'avez naguères, ce semble, voulu induire à penser tout le contraire par les malheureux accidens qui surviennent volontiers après la guerre. LE SOLDAT. Mais de tels accidens, la guerre mesme en est la cause, pour ce qu'elle traîne une infinité de maulx à sa queue. LE MARCHAND. Vous la me faites ressembler au scorpion, qui porte le venin mortel à la queue, dont luy-mesme est le preservatif et remède: car vous m'avez dict qu'en temps de paix les voleurs se mussent[404] aux bois et aux lieux propres à guetter les passans, et qu'en temps de guerre ils se retirent au camp. Ainsi donc, la guerre oste en cet endroit l'occasion de mal faire, de laquelle la queue est dangereuse quand un camp est rompu et que les soldats sont debandez. [Note 404: Se cachent.] LE SOLDAT. Il n'y a rien plus certain, combien qu'il s'en trouve beaucoup de bien nez, et ayans le coeur en bon lieu assiz, qui n'abusent pas de la guerre, mais la suivent seulement pour faire service au prince, et, quand les parties sont d'accord, s'en vont (comme j'ay dict) en leurs maisons, l'un à un estat et vacation, l'autre à un autre, bien que je confesse qu'il en demeure tousjours quelqu'un en chemin. LE MARCHAND. Pourquoy? LE SOLDAT. Pource qu'il fasche beaucoup à aucuns de se remettre à travailler en leur mesnage après avoir gousté la licence de la guerre, et par ainsi, venans en oubly d'eux-mesmes et se bandans les yeux de la raison, se mectent à mal faire et ayment mieux voler et rober que retourner en leur première subjection[405]. [Note 405: Voir l'avant-dernière note.] LE MARCHAND. C'est pourquoy vous dites que la guerre ameine à sa queue tant de maux et inconveniens? LE SOLDAT. Ouy. LE MARCHAND. Vous avez bien dit que ceux qui demeurent en chemin pour mal faire et continuer leur licentieuse vie ont les yeux de la raison bandez, car je sçay bien qu'il y a des gens de guerre signalez, lesquels n'ont dedaigné de laisser l'espée et leurs autres armes pour prendre en main les outils desquels ils gaignoyent leur vie avant qu'il feust bruict de guerre. LE SOLDAT. Je le sçay bien, et à la verité je me retire en ma maison, vers ma femme et mes enfans, pour en faire ainsi, combien que je ne sois des signalez. LE MARCHAND. C'est très bien faict de vous en aller de bonne heure, avant que la necessité vous presse, et de vous mectre en train d'exercer l'estat auquel il a pleu à Dieu vous appeller. A ce propos, je veux vous amener l'exemple d'un certain capitaine hardy et vertueux, et ayant assez bien faict en ces dernières guerres, lequel (comme je disoy) ne s'est, tant s'en faut, descogneu, bien qu'il feust en credit et eust accoustumé d'estre richement habillé, que mesmes il n'a faict difficulté de laisser le coutelas et la targe pour prendre les instrumens de son mestier, et a adverty un mien amy qu'il estoit tout prest de s'en servir toutesfois et quantes qu'on le voudroit employer. LE SOLDAT. J'ay autresfois esté à l'escole, et cognoy bien par l'histoire que c'est là le propre d'un homme sage de s'accommoder au temps. Les grands seigneurs rommains appellez à quelque expedition de guerre n'en faisoyent pas moins lorsqu'ils estoyent de retour en leurs maisons, car on lit que volontiers ils retournoyent au soc et à la charrue, où ils avoyent esté trouvez devant embesognez par ceux qui les alloyent querir à une si honorable charge. LE MARCHAND. O! que vous dites bien! Pleust à Dieu que chascun feust aussi advisé que vous! Nous n'aurions que faire de craindre sur les champs et ne serions pas tant en danger de tomber entre les mains des brigans que nous sommes. LE SOLDAT. Celuy qui faict mal n'est jamais asseuré, ains tremble à la moindre haleine de vent et au mouvement des feuilles des bois; il est tousjours bourrellé en sa conscience, et cuide tousjours estre suivy d'un prevost des mareschaulx, tellement que ce soucy luy sert continuellement de gibet, lequel il ne peut quelque jour eviter; mais celuy qui ne faict mal, qui ne sent sa conscience chargée d'aucun meffaict, est ferme et asseuré comme le roc et va par tout la teste levée, sans craindre d'estre repris de justice. Ainsi, tandis que la guerre a duré, j'ay porté les armes, suivant le party auquel Dieu m'avoit appellé. Maintenant que la paix est retournée visiter cette pauvre France, je les vay pendre aux pieds de ceste deesse eu luy tenant ce propos: «O sacrée et heureuse paix[406], qui tant de fois as esté banie de ce pauvre royaume tant desolé et affligé, tu sois la très bien venue! chascun enjonche de belles fleurs le chemin par lequel tu passeras, pour te faire honneur et pour cacher le sang dont tu sçais bien que la terre est imbue et couverte. Qu'il te plaise faire en cete terre eternelle demeure, et resister, par le moyen de la Justice ta compagne, à tous ceux-là qui s'efforceront de te rompre: car, si toutes deux estes unies, je voy la Guerre civile morte à jamais; mais, si la Justice te faulce compagnie, je m'asseure que tu viendras incontinent après à defaillir. Parquoy je te supplie de t'en tenir près, à fin que tu sois honnorée et respectée de tout le monde, et que nous voyons retourner en France comme ce premier aage d'or auquel on vivoit en innocence et en abondance de tous biens; en esperance de quoy, ô gracieuse Paix! j'appens à tes pieds toutes mes armes, pour monstrer que je te veux obeir et vivre à jamais soubs ton bon plaisir et commandement.» [Note 406: La prière du _Paysan françois_ à Henri IV, au sujet de la paix, n'est pas moins vive que celle de ce soldat. «C'est donc la paix, dit-il, p. 8, que je viens non pas vous demander, car nous l'avons, mais recommander, afin qu'elle soit longue en durée, profonde en repos, large en estendue; que ces charrues que vous voiez à vos pieds, par le moien des quelles vous et vostre peuple mangez du pain; ces houes par l'employ des quelles vous beuvez du vin, soient longuement et continuellement mises en action, sans estre converties et appliquées à autres usages qu'à ceux pour les quels elles ont esté charronnées et forgées. Prou de temps a passé au quel ces coultres ont esté esmoulus en épieux, ces socs en hallebardes; un autre est venu, par le bonheur et justice de vos armes, auquel ces mesmes espieux et hallebardes doivent retourner en socs et en besches.»] LE MARCHAND. Mais aussi direz-vous pas à Dieu à la Guerre? LE SOLDAT. Je luy veux dire en ceste façon: «O cruel Mars! duquel j'ay longuement suivy les enseignes, desployées à la perte et ruine de ce pays de France, à jamais te puissay-je dire à Dieu! A Dieu ta cruaulté, à Dieu ta barbarie, que tu dois plustost aller exercer contre les infidèles payens que contre nous! Contente-toy de la mort de cent et cent mille hommes, des prises, saccagemens et bruslemens de tant de villes, de chasteaux et bourgades, des desmolitions des temples, violemens de femmes et vierges, des rapines et brigandages faicts en ce pays, et te retires à jamais loing de nous! Ta detestable cruauté est si grande que chascun est saoul de te supporter. Va-t'en avec Discorde, ta soeur et compagne, soliciter les Turcs infidèles à faire la guerre les uns aux autres, et nous laisse jouyr en repos et tranquillité de la paix tant desirée. Puisses-tu, ô Dieu de cruauté! estre à jamais bany de la France, et, s'il faut que quelque jour tu t'en approches, ce soit pour la deffence et manutention d'icelle contre l'estranger qui la voudroit assaillir, grever et molester, non pas à la ruine et destruction d'icelle, comme tu as faict. Par ce moyen, l'ecclesiastique vivra en paix, le senateur fera justice, le marchand traficquera, le laboureur sèmera son champ, et l'artizan fera son mestier hors de tout soupçon et inconvenient.» LE MARCHAND. Vrayment, vous parlez en vray soldat et homme de bien. Dieu me face la grace de trouver souvent telle rencontre! LE SOLDAT. Vous priez bien, car (comme nous avons dit) il faict dangereux sur les champs, et principalement à ceux qui vont seuls comme vous. Atant feriez-vous bien d'attendre en la prochaine ville quelque compagnie à fin d'aller seurement. LE MARCHAND. Je le feray. LE SOLDAT. Je prie à Dieu qu'il vous veuille conduire. LE MARCHAND. Et vous aussi. A Dieu. _La Musique de la taverne et les Propheties du cabaret, ensemble le Mespris des Muses._ Lorsque l'on met la nappe sur la table avec assiettes et serviettes, c'est l'ouverture du livre. _Pour les Notes._ Si la nappe n'a point servy, c'est une blanche. Si la maistresse n'est pas trop blonde, c'est une noire. Si la servante est boiteuse, c'est une croche. _Pour les Mesures._ Si la pinte est pleine, c'est plaine mesure. Si quelque alteré en entrant estrangle trois verres de vin sans manger, c'est mesure triple. _Pour les Tons._ Si le valet apporte un pot quy ne soit pas plein, on luy donne rafle de cinq: c'est une quinte. Si le vin qu'il apporte n'est pas bon, c'est un sol. S'il en apporte d'autre quy ne soit meilleur, c'est un fa. Si le maistre, montant en hault, veult discourir, on luy faict reprendre son vin, c'est ré, ut. Si, par après, quelqu'un en apporte de bon, c'est la, my. Si quelqu'un, faisant semblant d'aller coucher, au lieu de son lict prent celuy de sa servante, c'est une feinte d'Isis[407]. [Note 407: On appeloit _feinte_ le demi-ton. _Isis_ est l'un des meilleurs opéras de Quinault et de Lulli. Il fut joué en 1667, ce qui peut donner à peu près la date de cette pièce.] _Pour les Clefs._ Lorsqu'on est sur la servante, l'on y entre par B dur ou B carre, et l'on y travaille par nature, et l'on en sort par B mol. _Le reste de la Musique._ Si le valet, estant fasché, donne sur les oreilles à quelqu'un avec un pot de deux pintes, c'est une quarte. Si celuy qu'il a attrapé courant après luy tombe sept ou huict degrez, c'est une octave. Si quelqu'un est yvre, s'il se couche sur un lict et dort deux ou trois heures, c'est une pause. Si, après estre reveillé il ecorche le renard[408], c'est une diminution. [Note 408: Cette locution, dont il reste encore quelque chose dans le plus bas langage, se trouve déjà dans Rabelais, liv. 2, chap. 16, et dans le _Baron de Fæneste_, liv. 4, chap. 18.] Lorsque l'on est bien saoul et que le ventre est si bien tendu qu'on pourroit tuer un pou dessus, c'est l'unisson. Lorsque l'on vient à compter, si le maistre demande cent et qu'on ne luy en veuille donner que soixante, c'est un contre-point. Si le maistre veult argent comptant et qu'on n'en aye point, ce sont les soupirs. Si deux ou trois, craignant de laisser le manteau, prennent la fuitte, ce sont les fugues. Si l'hoste descend et crie dans la rue après ceux qui fuyent: «Au voleur! au voleur! arrestez! Ils m'emportent mon bien!» c'est la dernière note, quy est plus longue que toutes les autres. * * * * * _Le Mepris des Muses._ Nous perdons temps de retiver[409]. Amis, il nous faut festiver! Voicy Bacchus quy nous convie A bien mener une autre vie! Laissons là ce fat d'Apollon, Chions dedans son viollon. F.... du Parnasse et des Muses! Elles sont vieilles et camuses; F.... de leur sacré ruisseau, De leur archet, de leur pinceau Et de leur verve poetique, Que j'appelle ardeur frenetique! Pegase, enfin, n'est qu'un cheval Quy ne nous faict ny bien, ny mal, Et quy le suyt et luy faict feste Ne suit et n'est rien qu'une beste. Voyez comme il pleut au dehors! Faisons pleuvoir dans nostre corps Du vin. Tu l'entends sans le dire, Et c'est là le seul mot pour rire. Chantons, dansons, faisons du bruict! Beuvons icy toute la nuict, Tant que demain la belle Aurore Nous trouve tous à table encore, Sans avoir sommeil ny repos! Fayet[410], icy nos pauvres os Seront enfermez dans la tombe Par la Mort, sous quy tout succombe Et quy nous poursuit au galop. Las! nous ne dormirons que trop! Prenons de ce doux jus de vigne. Je voy Revol quy se rend digne De porter ce dieu dans son sein. Dieux! comme il avalle ce vin! Bacchus! quy vois nostre desbauche, Par ton sainct pourtraict que j'ebauche En m'enluminant le museau De ce traict que je boy sans eau, Par ta couronne de lierre, Par la splendeur de ton grand verre, Par ton eternelle santé, Par ton sceptre tant redouté, Par tes innombrables conquêtes, Par l'honneur de tes belles festes, Par ton maintien si gracieux, Par tes attribus specieux, Par tes haults et profonds Ansthères[411], Par les furieuses panthères, Par ton bouc paillard comme nous, Par ce lieu si frais et si doux, Par ton jambon couvert d'espice, Par ce long pendant de sausisse, Par ce vieux fromage pourry, Bref, par Gillot[412], ton favory, Reçois-nous dans l'heureuse troupe Des francs chevaliers de la coupe, Et, pour te monstrer tout divin, Ne la laisse jamais sans vin. [Note 409: C'est-à-dire faire les _rétifs_, regimber contre le plaisir. Estienne Pasquier s'est servi de cette expression dans le Pourparler de la loy, et l'on trouve _retiveté_ pour humeur rétive dans la XVe des _Sérées_ de G. Bouchet.] [Note 410: Peut-être faut-il lire Faret. Ce qui me le feroit croire, c'est que nous trouverons plus loin un autre des amis de Saint-Amant, Gilot.] [Note 411: Je ne sais ce que signifie ce mot. Il a rapport, sans doute, aux dyonysiaques ou _anthesterides_, fêtes de Bacchus-Antheus.] [Note 412: C'est de lui que Saint-Amant a dit dans sa pièce de _la Vigne_: Vray Gilot, roy de la desbauche. (_Oeuvres de Saint-Amant_, édit. elzevirienne, t. 1, p. 169.) Il le nomme aussi dans une _chanson à boire_, ibid., p. 181.] * * * * * _Chanson à boire._ Celle que j'ayme a tant d'appas Et tant de doux attraicts pour être caressée Que, ma foy, je ne voudrois pas Pour une autre beauté l'avoir jamais laissée. Quand je la voy, je me sousris, Je la mets sur le cul et je lève la teste, Je la mignarde et la cheris, Elle souffre toujours que je lui fasse feste. Soit qu'elle soit blanche d'humeur, Ou qu'elle aie la couleur d'une vermeille rose, Toujours d'une même rumeur Elle va m'aigayant, et jamais ne repose. Quand je la tiens entre mes bras, J'agence un chose long dans une fente rouge, Et, sans la mestre entre deux draps, J'en prens mille plaisirs, jamais elle n'en bouge. Que si l'adresse me desfault, Elle semble m'ayder et soulager ma peine; Elle lève le cul si hault Qu'elle me faict aller jusques à perdre haleine. Je la baise et rebaise après En joignant dextrement ma bouche sur sa bouche, Et je la serre de si près, Que tout son petit trou avec le mien se bouche. Cinq ou six coups je faics cela, Roide, prompt et hardy, sans que je m'en degouste; Elle ne dict jamais Holà! Tant que j'aye tiré à la dernière goute. Que s'il me reste encor du coeur, Comme je fus vaillant à ce doux exercice, Ou qu'elle manque de liqueur, Je vay au changement sans qu'elle entre en caprice. Car, lassé de ces doux esbats, Pendant qu'en ce beau jeu je la baise et me joue, Souvent elle me jette en bas Et me montre le cul, auquel je fais la moue. J'ayme mieux, pour passer mon temps, De ces grosses dondons aux humeurs bien remplies; Ces petites sans passe-temps, Estant seiches trop tot, me semblent moins jolies. Faictes tous l'amour comme moy; Beuvons, chantons, rions: la bouteille est remplie. C'est estre ladre, sur ma foy, De ne pas la vuider, la voyant si jolie. * * * * * _Autre chanson à boire._ Quy vit jamais une rigueur pareille A la rigueur que je souffre en aimant? Un feu me brusle et me va consumant, Et, si je n'avois ma bouteille, Je fusse mort il y a vingt ans. J'ay beau souffrir et plaindre ma malaise, Philis pourtant est pleine de rigueur, Elle se plaist à nourrir ma langueur; Mais ma bouteille, je la baise Et m'arrose de sa liqueur. Doy-je cherir cette douce inhumaine, Ou preferer à ses roses et ses lis Celle qui tient mes maux ensevelis? Ah! pour toy je laisse Philis. FIN DU TOME SIXIÈME. TABLE DES PIÈCES CONTENUES DANS CE VOLUME. 1. Les estranges et desplorables accidens arrivez en divers endroits sur la rivière de Loire et lieux circonvoisins par l'effroyable desbordement des eaux et l'espouvantable tempeste des vents, le 19 et 20 janvier 1633. Ensemble les miracles qui sont arrivez à des personnes de qualité et autres qui ont esté sauvées de ces perilleux dangers. 5 2. Le feu royal, faict par le sieur Jumeau, arquebusier ordinaire de Sa Majesté. 13 3. Histoire veritable du prix excessif des vivres de la Rochelle pendant le siège. 23 4. La grande propriété des bottes sans cheval en tout temps, nouvellement descouverte, avec leurs appartenances, dans le grand magazin des esprits curieux. 29 5. Les estrennes de Herpinot, presentées aux dames de Paris, desdiez aux amateurs de la vertu, par C. D. P., comedien françois. 41 6. Harangue de Turlupin le souffreteux, 1615. 51 7. Sommaire traicté du revenu et despence des finances de France, ensemble les pensions de nosseigneurs et dames de la Cour, escrit par Nicolas Remond, secretaire d'Estat. 85 8. Quatrains au roy sur la façon des harquebuses et pistolets, enseignans le moyen de recognoistre la bonté et le vice de toutes sortes d'armes à feu et les conserver en leur lustre et bonté, par François Poumerol, arquebusier. 131 9. Zest-Pouf, historiette du temps. 167 10. Catechisme des Normands. 173 11. Edit du roy portant suppression des charges de capitaines des levrettes de la chambre du roy. 181 12. Histoire veritable de la mutinerie, tumulte et sedition faite par les prestres Sainct-Medard contre les fidèles, le samedy XXVIIe jour de decembre 1561. 185 13. Les choses horribles contenues en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris le vingt-huitième de janvier 1589. 201 14. Le Cochon mitré, dialogue. 209 15. Stances sur le retranchement des festes, en 1666. 245 16. Le Pont-Breton des procureurs. 253 17. La plaisante nouvelle apportée sur tout ce qui se passe en la guerre de Piedmont, avec la harangue du capitaine Picotin faicte au duc de Savoye sur le mescontentement des soldats françois. 279 18. Le Carquois satyrique. 287 19. L'estrange et veritable accident arrivé en la ville de Tours, où la royne couroit grand danger de sa vie sans le marquis de Rouillac et de M. de Vignolles, le vendredy vingt-neufviesme janvier 1616. 303 20. Arrest notable donné au profit des femmes contre l'impuissance des maris, avec le plaidoyé et conclusion de Messieurs les gens du roy. 307 21. Satyre sur la barbe de M. le president Molé. 315 22. Recit veritable de l'execution faite du capitaine Carrefour, general des voleurs de France, rompu vif à Dijon le 12e jour de decembre 1622. 321 23. Brief dialogue, exemplaire et recreatif, entre le vray soldat et le marchand françois, faisant mention du temps qui court. 329 24. La musique de la taverne et les propheties du cabaret, ensemble le Mepris des Muses. 341 * * * * * [Notes au lecteur de ce fichier numérique: Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée. Les lettres supérieures unusuelles sont encadrées de parenthèses.] *** End of this LibraryBlog Digital Book "Variétés Historiques Et Littéraires (6 / 10) - Recueil de piéces volantes rares et curieuses en prose et en vers" *** Copyright 2023 LibraryBlog. 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