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Title: Essai sur l'origine de Toulon - Mémoire pour servir à l'origine de cette ville
Author: Vidal, Henri
Language: French
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ESSAI

SUR

l'Origine de Toulon

OU

MÉMOIRE POUR SERVIR A L HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES DE CETTE VILLE.

Par H. V.

Caritates patria una complectitur omnes.

_Cic. de offic._

A TOULON

CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES

1827.



AVANT-PROPOS


Personne n'ignore que l'histoire de Provence présente encore bien
des lacunes et laisse beaucoup à désirer, quoiqu'elle ait été écrite
par plusieurs hommes aussi laborieux qu'érudits; mais il leur était
impossible, quelque peine qu'ils se donnassent, de débrouiller par
eux-mêmes tout le chaos épouvantable qu'offrent dans cette contrée les
siècles anciens et ceux du moyen âge. Il aurait fallu à ces écrivains
qu'ils eussent été devancés par des historiens de chacun des pays dont
ils devaient réunir l'ensemble des événemens: car on ne peut avoir de
bonnes histoires générales, avant d'avoir des histoires particulières
écrites avec exactitude, et dont les documens aient été recueillis
dans les archives de chaque ville et même de chaque bourg dont on
veut faire l'histoire. Leur rapprochement donne alors à l'historien
le moyen de distinguer le vrai du faux, et au lecteur la satisfaction
de ne point voir omis les faits et les usages de son pays. Toute
la Provence, ayant été, pendant de longs siècles, le théâtre des
guerres les plus sanglantes, les monumens sont devenus fort rares, une
infinité d'erreurs s'y sont mêlées, de sorte qu'avant d'en écrire même
l'histoire particulière, pour ne point rompre le fil de la narration,
nous pensons qu'il serait à propos de relever par des mémoires
isolés ces erreurs et de rétablir ainsi les événemens dans toute
leur véracité. C'est le motif qui nous fait donner de la publicité à
cette notice. Son titre ne semble annoncer qu'une aride dissertation,
environnée des formes d'une austère dialectique; mais pour soutenir
l'attention de l'esprit et satisfaire la curiosité du lecteur, nous
avons parsemé nos preuves de faits qui pussent intéresser et faire
oublier les froids raisonnemens de la controverse.

Nous avons été sobres de citations et de raisonnemens pour ne pas
donner trop d'étendue et trop d'importance à ce petit essai. La
connaissance de ce mémoire et de ceux que nous pourrons publier
encore est indispensable pour l'intelligence de l'histoire de Toulon
que nous pourrions peut-être un jour nous déterminer à présenter
aux vœux de tant de personnes qui désirent de connaître les mœurs
et les révolutions d'une cité qui joue depuis long-temps, parmi les
plus grandes villes de la France, un des premiers rôles sur la scène
politique.

_Nota._ M. S. signifie _manuscrit_.



ESSAI

SUR

l'Origine de Toulon


[Sidenote: Journal l'Ami du bien.]

Une étude particulière et assez longue des Monumens relatifs à
Toulon m'avait fait soupçonner que cette ville pouvait bien avoir
une très-haute antiquité, lorsqu'une notice insérée dans le journal
intitulé l'Ami du Bien, ayant pour titre: _Recherches sur l'Origine
de Toulon,_ vint tout-à-coup attaquer et combattre toutes mes idées.
Il n'est assurément personne qui plus que moi, soit le sincère
appréciateur des talens et du mérite de M. P. Dans cet opuscule même
qui n'est qu'une suite de conjectures, tout y semble si naturel qu'en
lisant cet écrit on est néanmoins porté à partager l'opinion de son
auteur; aussi, soit par un certain charme attaché à son style, soit
par l'opinion favorable que lui concilie à juste titre la variété de
ses connaissances, son jugement forme une autorité parmi les gens de
lettres; mais comme le résultat de nos recherches était bien différent,
j'ai examiné de nouveau la question; j'en ai mûrement pesé les preuves,
et je me suis bien convaincu qu'elles ne sont pas sans réplique.
Alors l'étimologie de _Telo Martius_, que M. P. applique à Toulon, si
séduisante d'abord, ne m'a plus paru qu'un trait ingénieux qu'on petit
rapprocher de l'interprétation spirituelle des trois personnages gravés
sur la pierre antique trouvée à Cogolin, où le même auteur a cru voir
Ulysse, Pénélope et Eumée.

N'ayant, comme M. P., d'autre but que la connaissance de la vérité, je
vais présenter d'abord les principales réflexions qu'a fait naître en
moi la lecture de cette notice, tant sous le rapport de l'exactitude
des faits qui y sont relatés, que sous celui des conjectures qui me
paraissent trop hasardées. Je présenterai ensuite ce que j'ai trouvé de
plus probable sur l'origine de cette ville.

Avant d'émettre son opinion sur la fondation de Toulon, M. P. tâche de
prouver que l'autorité des auteurs qui en ont parlé comme d'une ville
fort ancienne est de peu d'importance. «A la fin du 16.e
siècle, nous dit-il, et au commencement du siècle suivant, quelques
hommes érudits et laborieux recherchèrent les traces de l'état ancien
de la Provence, pour y attacher son histoire moderne: d'autres, entrés
dans la même panière avec plus d'imagination que de savoir, composèrent
des espèces de romans qui furent accueillis à une époque où la critique
historique n'était pas encore née.... Toulon, comme la plupart des
autres villes, fut jalouse de chercher ses titres de noblesse dans
une antiquité reculée. J'aurai occasion de rappeler les traditions
fabuleuses que nos crédules ayeux s'empressèrent d'adopter».

Quels sont les écrivains qui vers la fin du 16.e siècle
ou au commencement du siècle suivant, pour donner de l'illustration
à la ville de Toulon, ont fabriqué des titres, inventé des romans,
résultat de leur imagination plutôt que de leur savoir? Nous n'en
connaissons aucun. M. P. voudrait-il par hasard désigner, sous des
traits si peu favorables, Papire, Masson, J. Raymond, le P. Isnard et
autres historiens contemporains qu'il a cités quelques lignes plus bas.
Il y aurait de l'injustice à considérer ces écrivains respectables
commes des hommes qui avaient plus d'_imagination_ que de _savoir_.
La rigueur de ce jugement proviendrait-elle de ce que ces auteurs ont
avancé que Toulon est le _Tauroentum_ d'Antonin? Cette opinion ne me
paraît pas digne de mépris: ils la partagèrent avec Sanson qui montra
la géographie à Louis XIV, avec Perrot d'Ablancourt qui fut choisi par
Condé pour écrire l'histoire de Louis-le-Grand, etc. Tous ces savants
vivaient dans un siècle où les monumens étaient bien plus nombreux que
de nos jours; et s'ils ont cru que _Tauroentum_ est le nom primitif
de Toulon, ne frappent-ils pas d'une prévention défavorable l'opinion
des modernes qui le placeraient ailleurs. Bouche le jeune, excellent
juge en cette matière, dit: que J. Raymond de Souliers ou Soleri était
très-savant dans l'antiquité Provençale. Le P. E. Isnard s'était
acquis un nom par ses talens, et les ressources que son emploi ou
l'estime dont il jouissait auprès de ses concitoyens, mettaient à sa
disposition, donnent un grand poids à ce qu'il avance. Ces historiens
écrivirent dans un siècle moins brillant à la vérité, mais plus érudit
que le nôtre: et ils avaient tous un jugement peu commun. Est-il donc
bien équitable de traiter de _bons_ des hommes semblables, et de
_chroniqueurs_ ceux qui partageraient leur sentiment?

Au reste, aucun des écrivains que je viens de citer n'a été le premier
à émettre l'opinion qui place _Tauroentum_ à _Toulon_: cette croyance
leur est antérieure de bien des siècles. Elle est consignée dans la
Charte de Désidératus, évêque de Toulon en 573, Charte qui, vraie ou
fausse, n'en est pas moins d'une très-haute antiquité et par conséquent
antérieure à ces historiens. La même croyance est encore consignée dans
un M. S. des archives de l'hôtel-de-ville qui a près de mille ans. Le
fait suivant prouvera mon assertion.

Les mémoires de Trévoux étaient publiés; les savans y applaudirent
et s'empressèrent d'enrichir ce journal de notices intéressantes. Un
magistrat de Toulon fut prié de recueillir ce que cette cité offrait de
plus curieux et de moins douteux. En compulsant les archives, il trouva
un M. S. en vieux langage provençal dont l'origine remontait, ainsi que
ce Magistrat l'assure, au delà de 700 ans. C'est cet écrit qui renferme
l'origine de Toulon, ses anciennes révolutions et ses principales
réédifications; et cette ville y est constamment appelée _Taurentum_,
jusques à la fin du 4.e siècle. J'ignore si la date de ce M.
S. fera sur mes lecteurs l'impression qu'elle a produite sur moi-même.
J'ai cru y découvrir l'époque de quelqu'une des restaurations de
Toulon qui furent alors si nombreuses.

En effet, pendant que Charles Martel était Maire du palais, les
incursions des Sarrasins furent très-multipliées. Toute la Provence fut
plusieurs fois saccagée; les maux que les villes de la côte éprouvèrent
furent plus grands encore; mais aucune ne fut aussi maltraitée que
Toulon, parce qu'il devint comme le point de leur descente; aussi ses
malheurs se prolongèrent-ils pendant près de deux siècles et ce ne fut
qu'à la fin du 9.e ou au commencement du 10 siècle que cette
ville vit sa population s'augmenter et reprendre son premier état. Me
ferais-je illusion! Mais cette longue période de révolutions me semble
se rapprocher de l'époque où parut le M. S. dont je viens de parler:
dans des siècles si fertiles en ruines et en désastres, quelques années
de différence ne sauraient former une difficulté réelle sur son origine.

Il me paraît donc naturel de croire que dans quelqu'une des
catastrophes du 9.e ou 10 siècle les papiers de Toulon
étant devenus, malgré le soin de nos pères, la proie des flammes ou
des barbares, on s'empressa aussitôt que le calme fut rétabli, de
recueillir les lambeaux épars des archives et de transcrire en forme
de notes les événemens mémorables dont la tradition avait conservé
le souvenir. Cette preuve me paraît d'autant plus vraisemblable
que, comme on ne l'ignore pas, nos ancêtres étaient fort jaloux de
transmettre à leurs enfans les traditions du pays, qu'ils tenaient
eux-mêmes de leurs pères, leur mémoire étant bien souvent le seul
fonds de leur connaissance. Cela posé, il suffit d'être médiocrement
versé dans l'histoire pour sentir combien il a dû être difficile à
nos pères de fixer au juste les époques chronologiques, puisque nos
historiens les plus exacts présentent souvent les mêmes difficultés. De
là ont dû nécessairement naître des anachronismes, des erreurs sur les
circonstances des événemens et mille accidens de cette nature; mais la
substance des faits n'en demeure pas moins digne de notre confiance.
L'antique M. S. de nos archives a peut-être éprouvé quelqu'un de ces
inconvéniens: la chronologie surtout n'y est point aussi fidèle qu'on
pourrait le désirer: ce ne sont là que des accidens inséparables de ces
révolutions; mais pourquoi rejetterions-nous absolument les faits qu'il
contient? Ils sont en petit nombre, et si mémorables, que la tradition
orale seule aurait suffi pour les transmettre à de longues générations.
D'ailleurs il n'est aucune autorité qui les infirme, loin de là, si
quelque historien ancien parle de certains évènemens qui ont rapport
à ce M. S., ce qu'il en dit ne sert qu'à le fortifier et à lui donner
un nouveau degré de confiance. Qui n'apperçoit encore à la première
lecture de cet écrit que le rédacteur n'a employé ni la liaison, ni
les détails, ni le ton, ni le merveilleux dont aurait fait parade un
romancier. Ce M. S. au lieu d'être digne d'un souverain mépris, mérite
donc quelque respect.

[Sidenote: Arch. G. repert.]

[Sidenote: Inst. Fond. du chapitre.]

Je vais plus loin. Toute concession faite aux adversaires, je veux
supposer un instant avec eux que l'auteur du M. S. ignorât les faits
qu'il raconte: il ne pouvait se méprendre sur le nom de la ville,
du lieu où ces événemens s'étaient passés. Supposez encore qu'il le
méconnût ce nom. S'il avait voulu surprendre la crédulité de nos ayeux,
il se serait servi d'un nom que personne ne pût ignorer. Il lui était
facile de rapporter à _Telo Martius_ ce qu'il raconte de _Taurentum_,
d'ajouter même des circonstances qui, en se rapprochant de la
vraisemblance, se seraient éloignées de la vérité; mais l'auteur de cet
écrit désigne constamment Toulon sous le nom de _Taurentum_ et jamais
sous celui de _Telo Martius_ ni de _Tolonum_. Preuve certaine que les
personnes les plus éclairées de cette ville savaient que Toulon avait
jadis porté le nom de _Taurentum_. Arrivé vers la fin du 4.e
siècle, il nous avertit qu'un nommé _Tolennus_ ou _Telennus_ s'étant
converti à la religion chrétienne fit agrandir la ville, en combla
les habitans de bienfaits, et voulut qu'on l'appelât désormais de son
nom Tolonum. Les monumens ecclésiastiques nous apprennent le même
changement, à la même époque et avec les mêmes circonstances.

Ce ne sont donc point les historiens du XVI.e siècle
qui pour _enter leur histoire_ sur celle d'une ancienne colonie de
Phocéens, ont imaginé que _Toulon_ est _Taurentum_.

«Les géographes les plus estimés s'accordent à penser que Toulon est
le nom moderne de _Telo Martius_. Cependant quelques écrivains ont
confondu cette ville avec Tauroentum.»

Je suis fâché de ne pas partager à cet égard l'opinion de M. P.,
je pense au contraire que sa 1.re proposition n'est pas
admissible: car les géographes estimables dont il veut parler sont
ou parmi les anciens ou parmi les modernes. Dans les deux cas la
proposition est insoutenable dans sa généralité.

Parmi les anciens, aucun n'aborde et ne discute cette difficulté, il
n'en est même aucun qui parle de Telo Martius après Antonin. Ce nom
long-temps perdu n'a été reproduit que par les modernes. Il n'en est
pas ainsi de Taurentum, ou Tauroentum. On le trouve cité jusques vers
la fin du 5.e siècle et même dans le moyen âge; on est sans
doute surpris de voir, dans une époque aussi rapprochée de la nôtre,
reparaître un nom qui d'après mes principes devait avoir disparu avec
le 4.e siècle. Toute surprise s'évanouira quand on saura
que, quoique la ville de Toulon ne s'appelât plus _Taurentum_, la tour
des Phocéens qui en était la principale défense prenait quelquefois
ce nom comme je le prouverai plus bas. Il nous importe maintenant de
prouver que le nom de Taurentum ne peut convenir aux ruines qu'on voit
aux Lèques, puisque cette ville a été détruite de fond en comble dès le
2.e siècle. C'est là le sentiment de Marin qui a fait une
étude particulière des lieux. Voici ses expressions:

[Sidenote: Mémoire sur Tauroentum]

«Rien n'indique la révolution qui anéantit cette colonie. Des tombeaux,
des vases cinéraires, des instrumens de sacrifice, des lampes ...
annoncent des temps fort anciens et ne déterminent aucun temps fixe;
mais le flambeau de la critique pourra nous éclairer, au défaut des
lumières qui nous manquent. J'examine les médailles de Tauroentum,
je vois des Vitellius, des Vespasiens, des Trajans, des Antonins, des
Marc-Aurèles, des Faustines et des Alexandres-Sévères: on ne m'en
présente point des règnes suivans. Ces dernières sont en plus grand
nombre et les mieux conservées, et je conclus que Tauroentum a été
détruit au commencement du 3.e siècle de l'ère chrétienne,
sous Alexandre Sévère. Cette opinion ne pourra être combattue que par
des monumens des temps postérieurs.» Dans une note à cet article Marin
continue:

«Parmi toutes les médailles que j'ai pu me procurer ou que l'on m'a
montrées, il n'y en a aucune postérieure à ce prince (Alex. sévère)
on pourrait cependant en trouver des règnes suivans, sans que cela
détruisit mon opinion. M. A. Guion, homme très-éclairé, qui possède
auprès des ruines, une maison de compagne qu'il habite une partie
de l'année, m'a attesté n'avoir vu aucune médaille postérieure à
Alexandre-Sévère.»

Or puisque la ville dont on voit les ruines aux environs des Lèques,
n'existait plus dès le 3.e siècle, il est certain que les
historiens du 4.e siècle et des siècles postérieurs qui nous
racontent les événemens passés à Tauroentum, veulent désigner toute
autre ville. Quelle est-elle? C'est Toulon. Je le prouve.

[Sidenote: Inst. Desiderii.]

Au milieu du 5.e siècle, Taurentum étant tombé au pouvoir
des barbares, l'Evêque fut massacré avec Deutère et beaucoup de
fidèles. _Cùm autem invasissent Taurentium, immolaverunt cum B.
Gratiano prædicando in ecclesiam ad populum, suum socium Deuterium cum
multis aliis._

[Sidenote: Mémoire sur Tauroentum]

Un historien du moyen âge pour lequel Marin témoigne le plus grand
respect, ne nous dit-il pas que les Sarrasins détruisirent Tauroentum?
Il est évident que ce ne peut être le lieu des Lèques, puisque Mahomet
ne parut que plusieurs siècles après sa destruction, et que les
Maures ne commencèrent leurs ravages dans la provence que dans le
8.e siècle. Aussi Marin qui ne se doutait pas qu'un autre
lieu eût jamais porté le nom de Taurentum, exprime son étonnement
sur cette assertion avancée par un auteur estimable. On voit donc
reparaître Tauroentum après la destruction de la cité des Lèques.
Et nous avons de très-fortes preuves outre celles que nous avons
alléguées, qui nous portent à ne point douter que ce nom convient
exclusivement à Toulon.

Cette dernière ville compte parmi ses Evêques, Gratien I et Gratien
II; l'un vivait dans le 1.r siècle et l'autre dans le
5.e. Le siège de ces deux évêques est tantôt appelé
Taurentum et tantôt Toulon, selon que les auteurs employaient le nom
primitif de la ville ou celui qu'elle reçut dans la suite: mais il est
impossible de ne pas les identifier. Gratien I. nous est connu par un
ancien martyrologe M. S. de Venise, conservé précieusement dans cette
ville, lequel porte:

[Sidenote: Marty. M. S. Venise.]

[Sidenote: Marty. de Primus.]

[Sidenote: Marty. Gall. page 1039.]

_Gratianus episcopus Telonensis missus à B. Cleto successore divi
Petri. Multi allucinantur: putant enim fuisse episcopum Turonensem.
Tolonum enim est civitas propè Massiliam._ Primus, évêque de Châlons,
dans son martyrologe en parlant du même Gratien, dit: _Tauroentium
narbonensis Galliæ civitas propè Massilimam; hìc Gratianus discipulus
sancti Cleti ... migrat_. Le martyrologe gallican emploie les mêmes
expressions: _sic Cleti papæ et martyris, Petri cooperatoris et
successoris, Gratianus discipulus apud Tolonium in provinciâ_. Le
rapprochement de ces citations ne nous prouve-t-il pas d'une manière
satisfaisante que Toulon est un même lieu que Tauroentum? Gratien II,
que j'ai dit plus haut avoir été massacré à Tauroentum, est compté par
Antoine du Blanc, prévôt de la cathédrale de Toulon et homme d'une
très-grande érudition, parmi les évêques de cette ville.

[Sidenote: Séries épisc. Tolon. Paris. anno 1621]

Voici ses expressions; _Huic successit Gratianus tempore Zenonis
imperatoris scripsit in genesim_. Les auteurs anciens, loin d'être
contraires à notre opinion, la favorisent dont: et la fortifient.

[Sidenote: Plin. hist. mundi.]

Si parmi les anciens nous interrogeons ceux qui se sont plus
particulièrement attachés à la géographie, tels que: Apollodore,
Strabon, Ammien d'Héraclée, Jules-César et autres, nous ne trouvons
dans leurs écrits rien qui puisse favoriser l'opinion de M.r
P. Tous ces géographes ne nous ont laissé sur la partie littorale de
Marseille à Nice qu'un aride catalogue des lieux les plus importans
ne nous donnant aucun détail sur leur véritable position, comme dit
Pline: _locorum nuda nomina_. Aussi cette contrée est sans contredit
celle dont on connaît le moins et les peuples qui l'ont habitée et
le nom et la place des cités nombreuses qui bordaient la côte. Ces
villes étaient, par leur position, plus souvent exposées aux fréquentes
incursions des barbares, que celles qui étaient dans l'intérieur
des terres. Aussi les révolutions qui s'y sont opérées, ont dû leur
apporter de plus grands changemens, de telle manière que Danville
regarde comme impossible de fixer avec exactitude la correspondance
des noms anciens avec les noms modernes. M. P. ne peut donc s'appuyer
sur les géographes anciens.

Sera-t-il plus heureux en invoquant en sa faveur les modernes? Je ne le
pense pas.

La divergence des géographes modernes nous laisse dans la plus grande
incertitude sur le nom et l'emplacement des villes de la côte. Danville
place Alconis à Aigue-bonne, Papon à Cavallaire. Quelques géographes
placent Olbia à Eoubes, d'autres à Hières, etc. Citharista a été mis
successivement à Ceireste, à Toulon, dernièrement on l'a cru à la
Ciotat, quoi qu'il ne soit fait mention de ce bourg pour la première
fois que dans le 16.e siècle. Et combien de villes encore,
dont on ne soupçonne pas même le gissement!

A l'aide de données plus certaines sur _Telo Martius_, les géographes
modernes l'auraient-ils fixé unanimement à Toulon? Point du tout.
L'opinion contraire compte des hommes du plus grand mérite: Papire
Masson, J. Raymond Soleri, le P. E. Isnard, Sanson, d'Ablancourt, César
Nostradamus, Wosseling et autres pensent que le nom de _Taurentum_
convient à Toulon et par là ils rejettent celui de _Telo Martius_.
Le P. Hardouin, Pigagnol de la Force etc. croient que Toulon est le
_portus citharista_. L'accord des géographes modernes sur le nom
primitif de Toulon n'est donc pas plus unanime que celui des anciens.

La conclusion la plus naturelle de ce doute ou de cette incertitude,
est d'avouer que, puisque les monumens des auteurs anciens ne nous
suffisent point pour déterminer où était Tauroentum, le moyen le
plus sûr pour parvenir à un certain degré de probabilité, est de
consulter les traditions anciennes du pays, qui sont dans ce cas,
infiniment précieuses: car en supposant les faits altérés, le nom du
lieu où ils se sont passés, n'a pu être dénaturé au point de devenir
méconnaissable. En conséquence l'opinion de Raymond de Souliers, du
P. Isnard et autres, qui est appuyée sur une semblable tradition,
favorisée encore par divers auteurs anciens, forme une autorité capable
de renverser celle de tous ceux qui, loin de cette ville, voudraient en
pénétrer les premiers âges. Il est donc plus conforme aux règles d'une
sage critique de placer Toulon à _Tauroentum_, qu'à _Telo Martius_.

Pour nous convaincre que le nom de Tauroentum ne peut convenir à
Toulon, M.r P. nous donne le récit des ruines vénérables
qui couvrent la plage des Lèques, «Si à ces preuves, dit-il, on ajoute
que ce lieu porte encore aujourd'hui le nom de _Tarento_, pourra-t-il
rester quelque incertitude?»

[Sidenote: M. Taur. page 40.]

La preuve ne me paraît pas péremptoire. Les ruines antiques que l'on
trouve à un mille, Est des Lèques, les quais, les aqueducs, les
colonnes et les autres monumens que le sable couvrait, annoncent à la
vérité les traces d'une ville fort-ancienne; mais a-t-on la moindre
garantie que ce fut la ville de Tauroentum? Parmi les médailles et les
inscriptions que l'on a trouvées, y en a-t-il une seule qui l'indique?
Non. Ces ruines ne prouvent donc rien en faveur de M. P. Quant au nom
de _Tarento_ que le peuple des Lèques donne à ce lieu, il ne prouve pas
davantage. Pour que ce témoignage fût de quelque force, il faudrait
prouver que, dans une tradition non interrompue, on l'a toujours appelé
de ce nom; et je doute bien que l'on fournisse jamais une pareille
preuve. Marin nous avertit que le voisinage de Tarento _très-peuplé
aujourd'hui était désert autrefois_, il est, du reste, facile à
comprendre à quelle époque les habitans des Lèques et des campagnes
voisines donnèrent le nom de Tarento à ces débris. Cette ville après
avoir été pendant plus de treize siècles ensevelie sous les sables,
fut découverte le siècle dernier. Les savans la visitèrent en foule.
Des fouilles furent faites sur divers points et le succès couronna
l'attente des curieux; mais quel nom pouvaient-ils donner à une ville
dont ils ne soupçonnaient pas même l'existence? En considérant le nom
des villes de la côte, ces savans s'apperçurent qu'aucune d'elles ne
s'appelait _Tauroentum_, et ignorant la cause qui avait fait quitter
ce nom à Toulon, ils donnèrent au lieu voisin des Lèques le nom de
_Taurentum_. Les habitans de S.t Cyr et des campagnes
environnantes excités par la curiosité et par l'appât des trésors y
accoururent aussi, et bientôt ils retinrent le nom que les hommes
instruits donnaient à ces lieux, la multitude de voyageurs qui chaque
jour étaient obligés de se faire indiquer la route ne contribua aussi
pas peu à propager parmi ce peuple le nom de Tauroentum et par une
légère altération _Tarento_.

Si ces raisons pouvaient laisser quelques doutes sur mon assertion, il
me suffirait, pour les dissiper, d'assurer que, d'après la connaissance
que j'ai acquise de la topographie du lieu, cette ville n'a jamais pu
être qu'un mouillage et non un port malgré les vestiges de quais, qu'on
y rencontre.

On voit donc que la dénomination de _Tarento_, ne tire pas à
conséquence contre notre opinion, et qu'elle nous laisse dans la même
incertitude que M. P. croit avoir dissipée entièrement.

M. Toulousan, si avantageusement connu par son zèle infatigable,
propose une autre objection qu'il est bon de ne point passer sous
silence, pour bien convaincre nos lecteurs que, n'ayant d'autre
désir que d'atteindre la vérité, nous ne laissons échapper aucune
des difficultés que l'on peut faire à notre opinion, sans donner des
raisons qui puissent les aplanir.

[Sidenote: Statist. des B. du Rhône T. 2. p. 226.]

«Vers l'embouchure d'un ruisseau, aujourd'hui obstrué par les sables,
se trouvait le bourg de _Tauroentum_. Les bastides de ce quartier sont
encore appelées _leis Taureous_.»

La difficulté ne me paraît qu'apparente. Marin, comme je l'ai dit,
assure que le voisinage de _Tarento_, très-peuplé aujourd'hui, était
désert autrefois; il a fallu d'abord que quelques familles s'y soient
établies sur différens points qui sont devenus ensuite le centre de
plusieurs habitations. Quand une unique famille s'est multipliée
considérablement, les petit-fils ont bâti à côté des toits de leurs
ayeux et ce groupe de maisons a reçu le nom patronimique de ceux qui
l'occupaient. C'est ainsi que se sont formés dans les environs de
Solliès, _leis Aiguiers, leis Senès, leis Toucas etc;_ à Pierrefeu,
_leis Vidaous_, à Mazaugues, _leis Gras_ etc. etc.

De même, aux environs de la Cadière, de la Ciotat, des Lèques etc.
le nom de _Taoureou_, Taurel en français, n'y est pas rare, il est
même fort répandu aux Lèques ainsi que les _Aiguiers_, les _Senès_,
les _Toucas_, le sont à Solliès. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'une
famille du nom de Taurel se soit fixée à l'embouchure du ruisseau
qui vient des Baumelles et que dans la suite pour distinguer cette
habitation ou ce quartier des nouvelles bastides qui se formaient aux
environs, on l'ait appelé du nom de _Taoureous_ leurs habitans.

[Sidenote: Recherche sur l'Origine de Toulon.]

[Sidenote: Dict. hist. soc. de gens de lettres.]

Suivons l'auteur de la notice: «à l'opinion que je viens de combattre
(c.a.d. que Toulon n'est pas Tauroentum) se rattache une tradition
chère à quelques personnes plus pieuses qu'éclairées.» Lorsqu'on saura
que cette tradition est celle de l'arrivée de Lazare, Maximin, Clèon et
autres, on soupçonnera ce jugement d'être un peu hasardé et même trop
bref et trop décisif. Jusqu'à ce jour ceux qui avaient mis en doute cet
évènement avaient respecté le nombre et le mérite de ses defenseurs.
Hégésipe, Democarès, Gélase, Baronius, Génébrad, Antoine du Blanc,
André de Saussay, auteur du Martyrologe Gallican, Guesnay etc. étaient
de ce sentiment. N'est-ce pas être un peu trop sévère que d'appeler
ces écrivains respectables, _des hommes plus pieux qu'éclairés?_
L'autorité des Martyrologes Romain et Gallican ne mérite-t-elle pas
quelque considération? L'adhésion que l'église générale a donnée au
brévière romain dans plusieurs époques, notamment la bulle de Pie V
qui dit, qu'on en a retranché tout ce qui était faux ou incertain,
_Remotis his quæ aliena et incerta sunt_, n'imprime-t-elle pas quelque
force à cette croyance et un certain respect qui ne permet pas de
traiter si légèrement ses défenseurs? Avec quelle autorité M. P.
vient-il la renverser? Avec celle de Dulaunoy qu'il nomme à la vérité
_savant_ et _judicieux_. L'opinion contraire ne compte-t-elle pas
aussi des hommes d'un mérite au moins égal? Les auteurs de la vie
de Dulaunoy le regardent comme un homme qui avait, il est vrai, de
vastes connaissances, mais dont les _raisonnemens ne sont pas toujours
justes_. Est-ce à cause de son opinion qu'on le regarderait comme
judicieux? Mais son caractère original et la nature des conférences
qu'il tenait chez lui doivent nous mettre en garde contre ses
décisions. Il était si bien connu de ses contemporains, qu'ils le
surnommèrent, _le dénicheur des saints_. Le curé de S.t
Roch disait à son égard: _je lui fais toujours de profondes révérences
de peur qu'il ne m'ôte mon S.t Roch_. Le parlement d'Aix
ordonna par arrêt de 1644 la suppression de son écrit qui combattait
l'arrivée de S.t Maximin. Je pense donc qu'on ne regardera
pas l'arrêt de Dulaunoy comme sans appel.

L'auteur des _Recherches sur l'origine de Toulon_ passe à d'autres
considérations: je pense, dit-il, que cette ville est du moyen âge,
parce qu'elle ne présente sur son sol et celui de ses environs aucun
monument antique. La raison est spécieuse, il faut en convertir; mais
enfin elle n'est que négative, ainsi elle ne prouvera jamais rien, elle
ne pourrait tout au plus que devenir un préjugé en faveur de l'opinion
contraire à la nôtre.

Examinons néanmoins si Toulon ne présente point de monumens antiques
et si lors même qu'on n'en trouverait aucun, l'on pourrait en conclure
qu'il est moderne.

Nous partagerons les monumens en trois classes; édifices, médailles,
inscriptions.

Toulon ne peut offrir à notre admiration des tours, des arcs de
triomphe, des cirques, des temples etc. qui, en nous garantissant son
antiquité, nous fassent connaître le goût des beaux-arts dans cette
ville. Rien n'a pu échapper à l'empire du temps et aux révolutions
nombreuses dont elle a été le théâtre. Et même on ne peut que
difficilement concevoir les maux affreux qu'elle a éprouvés jusqu'au
règne de Henri IV. Lorsque, par les soins de ce prince, Toulon eût été
mis en état de se garantir des incursions soudaines des Sarrasins, on
l'agrandit; des quartiers entiers furent rasés pour l'embellir ou le
défendre, d'autres coupés pour l'alignement, de sorte qu'il ne nous
reste presque rien de l'ancienne ville et toutes les rues ont éprouvé
de tels changemens qu'on y trouverait peu de maisons qui pussent offrir
4 ou 5 siècles d'antiquité. Que reste-t-il à Marseille, elle-même,
cette bien-aimée des Grecs et des Romains, de tous les édifices dont
ils ne manquèrent pas sans doute de l'embellir? Rien. La tradition
vient suppléer à notre perte et nous donne la garantie qu'il existait
dans Toulon plusieurs édifices qui ne pouvaient avoir été construits
qu'avant le 1.r siècle.

[Sidenote: Grand rep.]

Les archives de la ville font mention de divers temples érigés à des
divinités du paganisme. Il y en avait un consacré à _Apollon_ qui nous
est connu par trois passages des archives, les deux premiers peuvent
moins supporter les assauts d'une critique rigoureuse. C'est pourquoi
je ne présenterai que le dernier qui est recueilli dans un siècle où
nos archives commencent à prendre beaucoup d'ordre et de suite. Je le
cite tout entier parcequ'il vaut à lui seul de longues preuves. «Une
armée turque ayant fait descente au port dit _des Troyens_ au rivage
de la Coubué ou de l'Eigoutier, sortit sur les neuf heures du soir
dans le mois d'août 1225, vint donner l'alarme du côté du _palais des
Romains_, tandis que les vaisseaux à la faveur de la nuit avaient
approché de la ville et mis du monde à terre du côté de la porte
des Idoles _d'Apollon_. N'ayant point trouvé de résistance, ils se
rendirent maîtres de la place sur les minuit, et il n'y eut que ceux
qui se trouvèrent dans le _palais des Romains_, dans la tour _des
Phocéens_ et celle de S.t Vincent qui furent sauvés.» Or
puisque la tradition est un flambeau qui répand sa clarté jusques dans
les âges les plus reculés, le seul passage précité, ne nous donne-t-il
pas des conclusions très-favorables sur l'existence de Toulon avant
le 2.e siècle? Je m'abstiens donc de leur donner un plus grand
développement, chacun est capable de les apprécier. Ce qui est encore
digne de remarque, c'est que toutes mes recherches, loin de me
détromper sur l'existence des lieux que je viens de nommer, n'ont
fait qu'accroître ma conviction. Il est dit encore dans les archives
que l'ancienne église de S.t Vincent fût élevée sur les ruines d'un
temple consacré aux idoles romaines, ainsi que le palais Royal de la
ville, qui était occupé par le Gouverneur, et qui depuis a été remis
aux Pères Dominicains; mais je n'ai pas de preuves assez victorieuses
pour en garantir la tradition d'une manière aussi satisfaisante.


    L'inscription se trouve en caractères gothiques, nous la rapportons
    en caractères ordinaires parce qu'il nous importe seulement d'en
    connaître la teneur.

    QUI TUMULUM CERNIT CUR NON MORTALIA SPERNIT. S. ANNO INCARNATIONIS
    DNI. MILLO CCXXX NONO NONAS JULII OBIIT DNS GAUFRIDETUS DNS. TRITIS
    ET TOLONI IN PACE EJUS AIA. REQUIESCAT. ITEM. OBIIT DNA. GUILLELMA
    UXOR DNI. GAUFRIDETI. ANNO DNI. ANNO CC TRIGESIMO CARTO X. K.
    SEPTEMBRIS OBIIT DNS. GISBERTUS DE BAUCIS. SIT NOT. CUIS QUOD DNA.
    SIBILIA FECIT FIERI HOCC SEPULCRUM AVE MA.


L'existence du temple du _dieu Ammon_ tout extraordinaire qu'il
paraisse d'abord est mieux constatée:

[Sidenote: Arch. grand rep.]

«En 1181, le Comte Raimond fit entièrement détruire les restes de ce
temple, parce qu'il était trop rapproché des fortifications, et il fit
élever à côté une tour qu'on nomma _la Tour d'Ammon_.»

[Sidenote: Arch. com.]

[Sidenote: Valere. max.]

En 1232 plusieurs citoyens s'étant rendus coupables d'un homicide
sacrilège, par arrêt du Gouverneur, furent pendus aux arbres qui
étaient à la place _du Dieu Ammon_. Enfin en 1621 par convention
entre la Communauté de Toulon et l'hospice S.t Esprit, la
Communauté céda, en payement de 2988 fr. qu'elle devait à l'hôpital,
la faculté de construire une hâle à la place du _Portal Ammon_, avec
droit de mesurage. Bien des faits historiques généralement accrédités
reposent sur des preuves moins certaines. Le culte d'un pareil dieu
étonne sans doute, mais la surprise cesse quand on fait attention à
la diversité des peuples qui ont successivement relevé cette ville de
ses ruines, et qui naturellement ont dû y introduire avec eux leurs
principales divinités. Je présume que le culte d'Ammon nous venait
des Egyptiens, chez lesquels ce dieu était particulièrement honoré et
avec lesquels plusieurs villes des environs de Marseille avaient des
cérémonies religieuses communes. _Voyez Papon, tome 1., page 409, et
Bouche, tome 1. page 108_. Il est donc vrai de dire que, quoique aucun
des édifices antiques ne subsiste, on ne peut point en conclure que
l'origine de Toulon date des siècles voisins du nôtre.

Pourrait-on le conclure avec plus de vraisemblance de la petite
quantité de médailles que l'on rencontre sur son sol? Non. Parce
que les révolutions arrivées sur notre territoire ont mis de grands
obstacles à trouver les objets qu'il peut récéler. Il suffit d'examiner
les hautes montagnes qui entourent la ville: elles sont devenues
entièrement chauves par les longs services qu'elles ont rendus aux
habitans dans la suite des siècles qui nous ont précédés. Lorsque
les mélèses qui les courraient eurent été arrachés, la vigne et
l'olivier les remplacèrent. Bien des siècles ont dû s'écouler avant
que ces montagnes aient pu prendre cet aspect hideux qu'elles offrent
aujourd'hui; elles ne sont plus qu'un aride rocher incapable d'ouvrir
son sein à toute végétation. Rien ne s'anéantit dans la nature. Que
sont devenues les terres immenses qui les recouvraient? La plaine les
a reçues et avec elles une grande quantité de petites pierres, qui
ont formé un nouveau terrain sur l'ancien composé de brèches ou de
poudingues, de sorte que le sol primitif a été entièrement caché par
le second qui présente les plus grands obstacles. Je puis confirmer ce
que j'avance par l'observation. Les objets antiques, tels que tombeaux,
vases, etc. dont je parlerai plus bas n'ont été trouvés au pied de ces
montagnes qu'à plus d'une toise de profondeur au dessous de la terre
végétale, dans le déblais de la grande route d'Italie.

Malgré ces difficultés, peut-on assurer que le territoire de Toulon
n'offre pas de médailles? On ne peut point l'assurer: et lors même
qu'on le pourrait, une pareille assertion ne prouverait rien.

[Sidenote: Mem. Taur.]

D'abord, on ne peut assurer que le terroir de Toulon ne présente
point de médailles. Il est vrai que de nos jours on n'en exhume plus
de fréquens amas, comme il arrive dans les ruines isolées et dont on
n'a jamais remué les cendres antiques, ainsi qu'on le voit encore
aujourd'hui dans plusieurs villes de la Grèce. Le siècle dernier nous
en offre aussi un exemple bien frappant. Marin nous dit que lorsqu'on
eut découvert les ruines qui sont aux Lèques, on y trouva une quantité
si prodigieuse de médailles, qu'un seul particulier en possédait un
sac, tandis qu'il faut à présent faire beaucoup de recherches pour
en trouver une seule: mais enfin dans Toulon, elles ne sont point
aussi rares qu'on pourrait le présumer. Plusieurs agriculteurs, avec
lesquels j'ai eu des rapports, m'ont assuré en avoir trouvé dans des
vases de terre, qu'ils les avaient données à leurs enfans, parce
qu'ils n'en fesaient nul cas. Dans ma jeunesse, on en trouva plusieurs
dans ma propriété; elles étaient si fortement adhérentes, qu'on ne
put les détacher qu'à coup de marteau. C'est dans le même lieu qu'en
1817 je trouvai un Tibère, un Galba, un Vespasien bien conservés.
Prétendra-t-on que les médailles éparses ne prouvent rien en faveur
de l'antiquité de cette ville? Cela pourrait être vrai, si l'on
n'en trouvait que rarement; mais pour nous donner une juste idée de
la quantité prodigieuse de médailles que le sol de Toulon renferme
encore dans son sein, quoique le nombre diminue chaque jour, il ne
faut que consulter les marchands, chez lesquels le petit peuple, qui
fait une partie des travaux de la compagne, vient acheter les objets
les plus nécessaires à la vie. On est surpris de la quantité des
médailles qu'il introduit dans la monnoie surtout en hiver. Nos bassins
d'église, que l'on passe aux premières messes, nous en offrent aussi
beaucoup.[1] Retirées du commerce par des personnes plus délicates,
elles sont vendues aux fondeurs de cuivre, entre les mains desquels
j'en ai rencontré des tas de douze à quinze livres qui allaient être
jetées dans le creuset. Il faut encore considérer que les médailles
des deux premiers siècles y sont les plus communes. Avec de pareilles
données, si l'on se rapproche des âges, où nos pères firent les
premiers défrichemens pour planter la vigne et l'olivier, ne conçoit-on
pas qu'ils ont dû en trouver une quantité incalculable, puisque après
tant de siècles et de bouleversemens il n'est pas rare d'en rencontrer
encore? Ce qui étonne, c'est que dans l'étroite circonscription du
terroir et avec la culture annuelle de nos terres, il s'en présente
encore une seule. Pourquoi nos anciens ne nous ont-ils pas conservé
le souvenir des précieuses découvertes qu'ils firent en ce genre? Ils
furent trop peu amateurs des beaux-arts. Dans ces trouvailles ils
appréciaient bien plus la matière, que les avantages que les lettres
en pouvaient retirer. Fortuitement j'appris il y a quelques mois une
découverte de cette nature fort-intéressante: je l'ai reçueillie de
la bouche même de M. Morel, ancien directeur des chemins. En faisant
en 1784 le déblais pour construire la route d'Italie, il trouva
environ 160 tombeaux qui presque tous renfermaient des lampes, des
vases, des urnes, et une ou deux médailles qu'il garda avec soin; la
maison de M.r Morel, possesseur de ces divers monumens,
ayant été dévastée dans le vendalisme révolutionnaire de 1793, ces
monumens précieux furent brisés ou dispersés ainsi que les papiers qui
renfermaient des notes sur ces objets intéressans, devenus pour nous
comme n'ayant jamais été. Cette dernière perte ajoute à la douleur de
ne point connaître les belles découvertes que nos pères durent faire
et qui sont aussi perdues à jamais pour les générations futures.

C'est donc avec raison, que j'ai pu assurer que le nombre de médailles
que les environs de Toulon nous offrent, n'est point fort petit, et que
quand il le serait, on ne pourrait pas en conclure que cette ville est
moderne.

Si Toulon cache son origine sous les voiles d'une haute antiquité, on
devrait, dira-t-on, y voir du moins des inscriptions, si fréquentes à
Arles, Aix, Marseille etc. Ces monumens par la grosseur de leur volume
semblent promettre, mieux que les médailles, de parvenir à la postérité.

Je pense qu'il a dû s'en trouver dans les diverses réédifications de
la ville; mais je ne suis nullement surpris qu'on n'en rencontre plus.
Le génie du malheur semblait planer continuellement sur Toulon, et nos
pères étaient bien plus occupés à défendre leurs foyers qu'à cultiver
les sciences. Exiger d'eux qu'ils aient conservé des inscriptions,
c'est vouloir leur attribuer plus de connaissances qu'ils n'en
avaient. Rencontraient-ils des pierres tumulaires ou autres, elles
avaient le sort commun des pierres brutes et elles trouvaient leur
place à la première bâtisse. Une seule a échappé à la destruction
générale, encore est-elle du moyen âge. Elle a dû sa conservation à
l'ancienne tour de l'horloge (tour des Phocéens) à laquelle elle était
adossée. La voici telle qu'on la voit; encore sur la façade extérieure
de cette tour devenue la chapelle des fonts baptismaux de l'église
S.te Marie.

Plusieurs Comtes de Toulon et autres personnages remarquables s'étaient
fait élever de superbes tombeaux dans la même église. Que sont devenus
les marbres qui les décoraient et qui, en nous transmettant des faits
ou des noms précieux à l'histoire, auraient fait connaître en même
temps les progrès des beaux-arts pendant cette période de siècles?
Hélas! ils ne sont plus. Ceux qui existent encore sont destinés à
servir de marche à la chapelle de S.t Joseph de cette
paroisse. Les restes de sculpture que l'on apperçoit sur une des
faces nous indiquent seuls leur première destination. Chacun peut
s'en convaincre à la première inspection. Peut-on en conséquence
raisonnablement exiger que nos pères aient eu la pensée de nous
transmettre des pierres qui n'auraient porté que quelques caractères
barbares? N'avons-nous pas vu un vendalisme au moins semblable se
renouveler de nos jours dans Toulon, lorsqu'on a détruit le monastère
des Dominicains appelé le grand Couvent? Que d'inscriptions précieuses
qui ornaient le pavé de son église ont été brisées ou perdues! Que sont
devenues les épitaphes qui couvraient les cendres de plusieurs de nos
évêques? Que sont devenues les inscriptions de Pierre de Marville, de
Thomas Jacomel et autres prélats qui ayant appartenu à ce monastère
avaient voulu y être inhumés? Elles ont été enveloppées dans un même
sort. Or si dans le 19.e siècle qui revendique seul le droit
d'avoir des lumières, dans ce siècle qui se dit l'ami et le protecteur
des lettres, on a ainsi traité ces respectables et précieux monumens,
que pouvons-nous reprocher à nos pères, qu'on se plaît à nous dépeindre
comme plongés dans la plus grossière ignorance?

Quoique Toulon n'offre point d'inscriptions antiques, on ne peut donc
pas en conclure qu'elle n'est pas ancienne.

L'auteur _des Recherches sur l'Origine de Toulon_, sentant toute la
force de l'objection que peut faire contre son hypothèse tout homme
qui connaît la localité, s'adresse à lui-même cette demande: Comment
a-t-il pu arriver que les Celtes et les Liguriens, peuples navigateurs
et commerçans, aient méconnu les avantages et la position de Toulon,
qu'ils n'aient pas été portés à s'y fixer par la douceur du climat,
la sureté de son port et de ses rades, la beauté de ses eaux et les
ressources qu'offre son terroir? Il répond:

«Que l'espace qu'occupe aujourd'hui la ville était un marais et que
cette plage infecte, resserrée entre la mer et de hautes montagnes
étaient peu propre à inviter les étrangers ou les naturels à s'y
établir.... On en trouve la preuve dans les terrains qui avoisinent la
ville tant du côté de l'Est que celui de l'Ouest.»

Une pareille réplique est séduisante; mais examinons si elle
est vraisemblable. Des marais pouvaient-ils être un obstacle à
l'établissement d'une ville dans ces siècles reculés? Par la
connaissance que j'ai acquise de la localité, les marais de Toulon ne
pouvaient occuper que peu d'espace; mais ce léger inconvénient était
racheté par des avantages infiniment précieux, qui ne pouvaient être
méconnus par les naturels du pays voisin et ne pas s'offrir au premier
aspect de tant d'avanturiers qui cherchaient un asile dans notre
climat. Marseille, les Lèques etc. avaient de très-vastes marais, dont
la place a conservé le souvenir dans le nom de _la Palud_ qui lui a
été donné. Ils n'empêchèrent pas néanmoins qu'on s'y établit dans une
très-haute antiquité. Pourquoi auraient-ils été un si grand obstacle
pour les déterminer à se fixer à Toulon? Approfondissons mieux la
question.

Est-il bien vrai que _l'espace qu'occupe aujourd'hui la ville était
un marais_ et que _la plage_ fut _infecte_, on ne peut soutenir une
pareille assertion.

[Sidenote: Registre du Lavad.]

[Sidenote: Arch. de l'hosp. S.t Esprit.]

[Sidenote: _Idem_.]

[Sidenote: Arch. com. Reg. de l'hos.]

[Sidenote: _Idem_.]

[Sidenote: _Idem_.]

Car d'abord Toulon est-il bâti sur des marais? Prenons la
circonscription de cette ville après le règne de François
I.r et avant celui de Henri IV, ce qui nous donne son
agrandissement moyen. Les remparts longeaient la rue des Chaudronniers
où il devait y avoir une porte vers le palais de justice qui conduisît
_au Bourg de la Savonnerie_. A la rue du Pradet il y avait un autre
portail appelé _Portalet_ qui conduisait à un bourg de ce nom. A la
Halle il y avait le portail _d'Ammon_ qui conduisait au _Bourg_ de
N. D. de l'Humilité; les remparts ceignaient la ville vers le pavé
d'Amour en descendant au Cours: par des portails placés à diverses
distances on entrait dans les faubourgs _S.t Michel,
S.t Lazare, S.te Catherine_ de la _Lauze_ ou
des _Cauquières_.[2] que l'on considère avec soin tout cet espace;
on n'y trouvera pas la moindre trace de marais. Le terrain y est au
contraire de nature très-aride, et loin d'avoir jamais été occupé
par les eaux de la mer, les puits que l'on y a creusés presque dans
chaque maison sont d'une eau excellente. La ville est d'ailleurs dans
un plan très-incliné, puisque, malgré l'abaissement que le pavé de
S.te Ursule éprouva en 1622, il reste encore au niveau des
toits de l'hôtel-de-ville. Je demande donc si ce n'est pas s'éloigner
un peu trop des règles de l'hydraulique, que de supposer que ce terrain
a pu être un marais, et si l'on pouvait y creuser _des fossés que les
eaux de la mer pussent facilement remplir?_ Pour un plus grand droit,
étendons la circonférence de la ville, prolongeons-la jusques aux
remparts actuels. Considérons le terrain des glacis, celui surtout qui
vient d'être enlevé pour construire les casernes de la porte d'Italie
qui est la partie où l'on pourrait plus vraisemblablement soupçonner
qu'il y a eu des marais, et l'on se convaincra que le sol est partout
le même, c'est-à-dire aussi aride, aussi pierreux que celui des lices.
Il ne pouvait donc y avoir des marais dans le plan qu'occupe Toulon.

Il n'est pas nécessaire que je m'arrête à refuter des difficultés
que l'on pourrait élever sur les quartiers neufs, c'est-à-dire,
depuis _le Champ de Bataille_ jusqu'à la porte de France, parce que
l'étendue n'est pas assez considérable, pour croire qu'un marais qui
l'aurait occupée eût pu altérer l'air atmosphérique de la ville.
Puisque nous voyons que dès le commencement du 14.e siècle
les Dominicains y avaient établi leur communauté, et qu'une Comtesse
de Provence ne leur donna le local qu'ils occupaient avant l'époque
désastreuse pour tous les monastères, que parce qu'ils étaient trop
exposés aux incursions des barbares. D'ailleurs, quoique à peu de
profondeur on découvre les eaux de la mer qui se mêlent avec celles des
sources abondantes d'eau douce, suite nécessaire de la proximité de nos
montagnes, on voit néanmoins que la surface du sol est de même nature
que le reste du terroir.

En second lieu, la plage était-elle infecte, existait-il des marais
au tour de la ville? Il n'y en avait aucun, et quand même il y en
aurait eu, ils ne pouvaient pas l'infecter. En effet ces marais ne
pouvaient se trouver que hors de la porte de France ou hors de la
porte d'Italie, c'est-à-dire ou à Castigneau ou à la _Rode_; mais nous
savons qu'il n'y en avait pas dans ces deux endroits. Personne n'ignore
que c'étaient deux baies. La 1.re fut comblée à peu près
sous le règne de Henri IV. On y déposa la vase de l'ancien port, ce
qui fit donner à ce lieu le nom de l'appareil dont on se servit pour
son curage, voilà pourquoi l'on y voit encore un dépôt marin qui va
aboutir au _cimetière des Romains_. Le quartier de Castigneau était
aussi une baie qui, s'étendant vers la Beaumette, s'enfoncait jusqu'au
château de Missiessi (quartier d'Entrevigne) où l'on voyait encore il
y a peu d'années des anneaux pour amarrer les bâteaux. Lorsque sous
Louis XIV on creusa le port de la marine royale, la vase fut déposée à
Castigneau, ce qui a fait appeler ce quartier _leis Fangos_. Les côtés
Est et Ouest adjacens à la ville n'étaient donc point des marais dans
leur origine. Un coup d'œil rapide jeté sur la plage de Toulon nous en
convaincra mieux encore et nous expliquera la cause de ceux que l'on
y aperçoit maintenant. La mer fait chaque jour des progrès dans nos
terres. Il n'y a pas un demi-siècle que le fort S.t Louis
était de plusieurs toises reculé dans les terres, tandis qu'à présent
il est enfoncé à plus de 20 toises dans la mer, les précipices affreux
qui couronnent la chaussée du fort de la Malgue, les masses d'énormes
rochers qui sont tombés dans les flots, ne nous annoncent-ils pas que
l'eau envahit chaque jour une portion du rivage? Ces ravages ne sont
pas moins rapides dans la partie Ouest de Toulon. Le mur que l'on avait
élevé à Castigneau vers la Baumette pour retenir la vase et arrêter les
progrès de la mer, et contre lequel elle venait se briser il n'y a que
15 ou 18 ans, a maintenant disparu et les eaux s'étendent à plus de 10
mètres au delà de ce mur. Le pont jeté sur la même route est devenu un
môle dont on pourra bientôt faire le tour sur une barque.

Je pourrais par des preuves non moins palpables soutenir que cet
envahissement de la mer s'étend dans tout le golfe de la Seine.
Cela posé, on conçoit facilement que la mer ayant filtré dans cette
vase l'a détrempée et en a bientôt fait un marais; mais il nous
reste la conviction qu'avant le règne de Louis-le-Grand ces marais
ne pouvaient exister. Quand même on les supposerait, pouvaient-ils
détourner soit les naturels, soit les barbares vagabonds de fixer un
établissement dans cette plage? Est-il dit aux archives que dans les
siècles derniers, des miasmes ou des exhalaisons infectes aient ravagé
cette cité? Point du tout. Toulon est une des villes où l'air est le
plus sain. Or puisque, ainsi que je l'ai prouvé, les marais n'ont dû
s'étendre qu'en progression directe des temps, il est évident que
les siècles les plus éloignés du nôtre, en souffrirent le moins. Si
les marais ne nous incommodent pas maintenant, ils auraient encore
moins incommodé les premiers habitans, il y a vingt siècles. Je ne
parle pas du quartier du Mourillon, où il y avait des salines qui ont
subsisté jusqu'après le 15.e siècle, parce que les vents
Ouest, Nord-Ouest, Nord et Nord-Est, qui sont les plus ordinaires,
auraient rejeté dans la mer les miasmes qui n'auraient nullement nui
aux habitans. D'ailleurs la distance du Mourillon à la ville est assez
considérable.

Passons à la 2.e raison qui, d'après le même auteur, aurait
dû mettre un obstacle à l'établissement d'une colonie sur le sol de
Toulon et écarter de ses bords, soit les naturels, soit les hordes
errantes qui vinrent tant de fois chercher un asile dans la partie
méridionale de la Provence. M. P. l'a déduit de la vaste étendue de la
rade et de l'étroite circonscription du terroir.

Quels motifs ont amené du nord, dès la plus haute antiquité, ces
essaims de barbares, fléaux des climats tempérés? Est-ce l'appas
de l'argent ou le désir d'établir des rapports de commerce? Non.
Ces motifs ne peuvent exister que dans une colonie florissante qui
cherche à s'agrandir: mais ils ne sont pas le premier sentiment
qu'elle éprouve dans sa naissance. Elle ne veut d'abord que se fixer,
posséder quelques arpens de terre pour les cultiver, un bras de mer
ou de rivière pour s'occuper à la pêche, des bois pour la chasse et
pour construire des cabanes. Or qui n'apperçoit que Toulon présente
éminemment toutes ces ressources? La mer leur offrait du poisson aussi
abondant que délicat, nos montagnes du gibier, la terre une fertilité
qu'une douce température et des eaux abondantes favorisaient à l'envi.
Le terroir, dit M. P., est trop circonscrit. Oui, il n'est pas assez
vaste pour nourrir la population actuelle de cette ville, 1.° parce
qu'on ne tire pas le parti le plus favorable de chaque qualité de
terrain. 2.° Parce qu'on en laisse une partie sans culture ou qu'on
le sacrifie à l'agrément. 3.° Parce que nous avons perdu la ressource
d'entretenir de nombreux troupeaux dans les pâturages que nous
offraient les montagnes des environs de Toulon. Mais il est fort-vaste,
ce terroir, pour une peuplade qui s'établit. La plaine qui se prolonge
de S.t-Roch au Fort-Rouge, aux Routes, à Mont-Serra, à la
vallée Bertrand, au Temple, à Entrevigne, est déjà plus grande, à elle
seule, que l'étendue de plusieurs pays réunis qui comptent quelques
mille habitans. Celle qui conduit à Solliès, que les Romains appelèrent
_Vallis læta_ (vallée riante), aujourd'hui Valette ne suffirait-elle
pas pour nourrir, à elle seule, une nombreuse colonie? L'objection
reste donc toujours dans toute sa force et l'on se persuadera
difficilement que les obstacles précités aient pu éloigner une peuplade
qui dans des siècles fort reculés aurait voulu s'établir sur la plage
de Toulon.

[Sidenote: Recher. sur l'orig. de Toulon.]

«Ce fait (une plage infecte, resserrée entre la mer et de hautes
montagnes) nous porte à chercher ailleurs la place où se fixèrent les
premiers habitans de _Telo Martius_, on a cru le retrouver, tantôt
au fond de l'anse S.t-Georges, tantôt entre le Mourillon
et la Grosse Tour; mais ces conjectures me paraissent dénuées de
vraisemblance. Tout me fait croire que cet établissement eut lieu au
fond de la petite rade.... C'est en cet endroit qu'on a découvert des
restes de maçonnerie antique.»

Je pense, comme M. P., qu'on a pas encore, déterminé d'une manière
satisfaisante la place de _Telo Martius_. Si toutefois il a jamais,
existé une ville de ce nom, je crois qu'il faudrait la placer entre
Olbia et Quarqueirane, et non au fond du golfe de la Seyne, quoiqu'il y
ait des restes de maçonnerie antique.

Je découvris en effet en 1825 à quelques cents pas en sortant de la
Seyne pour venir à Toulon, des traces d'antiquité qui s'offrirent par
hazard à ma vue. Le premier objet qui frappa mon étonnement fut une
fosse destinée à recevoir de la litière, dont le fond était pavé en
mosaïque. Sur ses bords on voyait un assez grand nombre de cubes qui en
avaient été détachés par des instrumens d'agriculture. En parcourant
la prairie où est cette fosse dans une surface d'environ 5,000 toises,
j'aperçus une grande quantité de pareils cubes qui ont fait (je le
pense) appeler ce quartier _leis Peirouns_, en français _les petites
pierres_.

[Sidenote: Recher. sur l'Origine de Toulon.]

Curieux d'avoir des détails plus circonstanciés sur un objet aussi
intéressant, je m'adressai à M. Garaudy, qui depuis plus de trente
ans tient en ferme le jardin de M. Marquisan, adjacent au Sud à la
prairie dont je viens de parler, pour m'enquérir s'il n'avait jamais
rien découvert qui eût frappé son attention. Il me répondit que, les
premières années de sa ferme, ayant voulu défoncer profondément les
terres pour les rendre plus fertiles, ses plantations dépérirent
chaque jour; mais qu'il reconnut alors qu'il n'employait pas le moyen
favorable, parce qu'à 14 ou 16 pouces il rencontrait des décombres qui
détruisaient les jeunes plantes. Ce jardin qui est d'environ 6,000
toises offre presque partout la même difficulté. Je parcourus çà et là
son enceinte et je remarquai en effet plusieurs pans de murs antiques
de différentes dimensions que les ruisseaux d'arrosage mettent à
découvert. Les briques antiques y sont en si grande abondance qu'une
partie des murs de cloture en sont formés. Je découvris aussi des
briques qui par leur forme et par la matière semblaient avoir servi à
la décoration de quelque édifice élégant. La prairie dont j'ai parlé
plus haut offre des détails non moins curieux sur toute son étendue.
On y rencontre aussi à la profondeur de 15 à 18 pouces des obstacles
qui ne permettent pas d'y planter des arbres. Je ne doute pas que
des recherches faites avec soin ne devinssent fort intéressantes et
ne jetassent un grand jour sur notre géographie littorale. Jusques à
ce jour, je puis en conclure seulement que c'est la place de quelque
ville importante; mais ces ruines appartiennent-elles à quelque cité
dont le nom n'est pas parvenu jusqu'à nous, ou à quelqu'autre dont le
nom nous est connu, et sur l'emplacement de laquelle nous nous serions
trompés? Voilà tout autant de nouveaux problèmes à résoudre. Je ne
pense pas que, «les habitans en se multipliant se soient rapprochés de
l'emplacement actuel de Toulon.» Cette assertion me paraît gratuite et
n'offre point de probabilité, puisque dans toute l'étendue de la côte
qui est d'environ cinq milles on n'apperçoit pas la moindre trace de
bâtisse, ce qu'on ne manquerait pas de reconnaître, si ce rapprochement
avait été successif, comme M. P. semble le faire entendre. On ne
peut aussi guère supposer qu'il ait été simultané et «que ce ne soit
que dans le moyen âge ... que de nouveaux habitans instruits par
les malheurs de ceux qui les avaient précédés, aient choisi la place
où est aujourd'hui Toulon.» Cette ville rappelle des souvenirs trop
anciens pour soutenir avec succès une pareille thèse. Les lieux que
nous avons nommés plus haut et tant d'autres preuves que nous avons
citées, ne nous convainquent-ils pas qu'elle ne peut être du moyen
âge? Ne voit-on pas encore la chapelle où furent déposés les restes de
S.t-Cyprien aussitôt après son martyre, ainsi que ceux de
Mandrié et Flavien. Qui comme moi n'a pas été témoin de la quantité de
briques antiques qu'on a découverte en réparant les glacis de la porte
d'Italie vers le cimetière jadis appelé des _Romains_? D'ailleurs si
une pareille émigration était arrivée à une époque aussi rapprochée
de notre âge, elle nous serait très-certainement bien connue par les
archives, et le lieu primitif aurait conservé quelque nom analogue à
_Telo-Martius_ ou à _Tauroentum_. Les archives n'auraient pas manqué de
nous conserver le souvenir d'un pareil changement, puisqu'elles nous
ont transmis des événemens bien moins mémorables. Elles n'auraient
pu l'ensevelir dans l'oubli, surtout dans le moyen âge. Or nous ne
trouvons rien ni dans les archives, ni dans les environs de la Seyne,
qui puisse garantir l'opinion de M. P.: ce n'est donc qu'une simple
conjecture dépourvue de preuves.

[Sidenote: Recherc. sur l'Origine de Toulon.]

[Sidenote: S.t Grég. édit. Bened. Epi. 58.]

[Sidenote: Arch. liv. rouge.]

Venant ensuite à l'étymologie de _Telo Martius_, que M. P. développe
avec beaucoup d'érudition, «il me paraît naturel, dit-il, de croire
qu'au commencement du 2.e siècle, l'Intendant de la
teinturerie établie à Narbonne fut instruit par le rapport des
navigateurs ou de ses agens que dans un lieu de la province romaine on
pêchait le mollusque qui produit le pourpre, qu'on y recueillait le
kermès et qu'à ces avantages se joignaient des eaux abondantes et d'une
excellente qualité. Ce lieu fut en conséquence choisi pour recevoir
un nouvel établissement.» En conséquence Narbone aurait envoyé une
colonie à _Telo_ qui aurait pris le surnom de _Martius_ pour désigner
que c'était à _Narbo Martius_ qu'elle devait son origine, et elle
aurait reçu le nom de _Telo_ qui était une divinité qui présidait aux
sources, pour se rendre cette divinité favorable. Cette étymologie est
ingénieuse, je l'avoue avec plaisir; mais elle me présente plusieurs
difficultés. D'abord on ne conçoit pas comment le dieu _Telo_, voyant
que son culte était négligé, a pu faire disparaître _l'abondante_ et
_l'excellente_ qualité des eaux dans le lieu, que M. P. croit être le
berceau de Toulon; car personne n'ignore que la Seyne n'a aujourd'hui
que de la mauvaise eau, et en petite quantité. Cette étymologie
confond aussi le _Telo Martius_ d'Antonin avec _Telonum_ ou _Tolonum_,
identité qui n'est rien moins qu'admissible, malgré le préjugé presque
généralement répandu aujourd'hui. Voici mes raisons. 1.° Aucun auteur
n'emploie le mot de _Telo-Martius_, si on excepte Antonin, encore
est-ce dans un des passages, les moins intelligibles de son itinéraire
et un de ceux qui ont éprouvé les plus grandes altérations, comme
on peut s'en convaincre en lisant Papon et tous les commentaires
auxquels il a donné lieu. Je pense que si cette ville avait existé
après le troisième siècle, d'autres auteurs qui ont tant parlé de
_Tollonum Telonnum_, n'auraient pas manqué de nous parler de _Telo_;
et dans toutes mes recherches je ne l'ai pas trouvé une seule fois.
2.° Quoiqu'il paraisse y avoir une analogie entre Telo et _Tolonum_ ou
_Telonum_ je découvre une très-grande différence entre eux, différence
qui ne permet pas de les confondre. Retranchons le surnom _Martius_
dans les différents cas du mot latin _Telo_, j'obtiens, _Telonis,
Telonem, Telone_ et jamais _Telonum_; mais, par contraire, sur tous
les monumens qui ont échappé au temps, Toulon est toujours appelé
_Tolonum, Tholonum, Tollonum, Telonum_, mais jamais _Telo, ni Tolo,
ni Tholo_. De tous les M. SS. dont l'authenticité soit généralement
reconnue, le plus ancien qui fasse mention de Toulon est une épitre que
S.t-Grégoire adressa à Mennas, évêque de cette ville en 601.
Dans la note (a) de la même épitre il est dit: _at integram épigraphem
exhibent omnes ferè codices M. SS., in quibus Mennas civitatis Telonœ
vel Telonnœ legitur_.... Soit dit en passant que le nom de Toulon écrit
par deux _n_ fortifie admirablement le récit que nous avons fait de
Telennus ou Tolennus qui donna son nom à cette ville. Parmi les écrits
authentiques, le plus ancien qui se soit conservé dans les archives de
la communauté, et dont on possède toute la teneur, est un règlement
de Guillaume II, daté du 8 octobre 1029, lequel porte: _civitatis
Tholoni_, il aurait mis Tholonis ou Tolonœ si _Tolo_ ou _Telo_ était la
racine de ce nom. Qu'on parcoure mes différentes citations, l'épitaphe
de Gaufridi etc., c'est toujours Tolonum que l'on y voit. Dans les
anciennes armes de la ville on trouve en légende: _Tolonum fidum semper
erit regique deoque_. Or le nom de cette cité où se serait-il mieux
conservé que dans les papiers et sur le sceau de la commune? Il paraît
donc certain que Toulon n'a jamais été _Telo Martius_.

Quelque opinion que l'on embrasse, _Telo_ a dû être antérieur au
second siècle. Etant relais de poste, il est au moins aussi ancien que
l'établissement même de la poste: car comme elle se faisait de Nice à
Marseille, partie sur terre et partie sur mer, elle exigeait à chaque
station des ressources pour le radoub des bateaux fracassés et des
rafraîchissemens pour les passagers. En supposant donc que ce Telo ait
existé, je pense qu'il occupait quelque point de la côte entre Fréjus
et Toulon, parce qu'on voit évidemment dans l'itinéraire d'Antonin que
les stations de ce côté sont fort éloignées, puisque du côté de Fréjus,
_d'Alconis_ à _Pomponianis_ il y a XXX milles, tandis que de Toulon à
Marseille elles excèdent peu XII M. P., et que bien souvent, elles sont
inférieures à ce nombre.

Il y a donc ou omission de quelques villes dans cet itinéraire ou
quelque changement considérable dans la place qu'elles y occupaient.
Les rapports de Marseille avec l'Italie ayant cessé pendant la
domination des Visigoths, _Telo_ M. est tombé dans l'oubli. Un jour
peut-être sera-t-il exhumé, comme l'ont été Tauroentum et autres villes.

Toulon, étant une des neuf villes d'Occident où se fesaient les
teintures impériales, pourquoi en attribuer la fondation à Narbonne?
Marseille, dont le commerce était aussi étendu que varié, et qui
par sa proximité ne pouvait méconnaître les productions de Toulon,
n'en n'aurait-elle pas saisi avec empressement les avantages, avant
que Narbonne pût les connaître, pour en former une riche branche
d'industrie dans ses relations avec Rome ou avec Tyr.

[Sidenote: Pline. liv 3. c. 4.]

[Sidenote: Plin. éd. in-4.° not. 43.]

Quels furent donc les premiers habitans de Toulon? Mes recherches
m'ont fait croire que cette ville cachait son berceau dans la nuit
des temps: car dès le V.e siècle, je vois qu'elle possède
une teinturerie impériale, un siège épiscopal; or qu'elle se soit
garantie de sa destruction à une époque où tant d'autres villes ne
purent se relever des désastres que leur avaient causés les barbares,
qu'elle ait même toujours gardé un rang distingué parmi les villes de
la Provence en conservant constamment le siége de son évêque; il est
évident que Toulon devait avoir dès-lors de très-grandes ressources
pour n'être pas anéanti; car il est indubitable que les Vandales,
les Visigoths, les Ostrogoths, les Saxons, les Lombards et autres
peuples descendus du Nord, infestèrent très-long temps les provinces
méridionales de la Gaule, la côte surtout. Une ville peu importante
n'aurait pu se soutenir dans des temps aussi orageux que l'ont été
ces siècles. D'ailleurs les historiens grecs et latins, infiniment
jaloux de la gloire de leur patrie, n'auraient pas manqué de nous faire
connaître la fondation d'une ville dans un site aussi avantageux et
aussi favorable que celui de Toulon. Cependant ils ne nous en parlent
pas[3]. Bien plus, Pline semble nous indiquer que cette ville fut
antérieure aux villes grecques et latines. Cet auteur, après avoir
parlé des diverses nations qui ont habité la Gaule Bracchata[4], passe
à la description de la côte dont il désigne les points principaux.
«Sur la côte maritime, nous dit-il, sont: Marseille notre confédérée,
colonie des Grecs Phocéens, le promontoire de Zao, port Cithariste,
contrée des Camatulliens ... Antibes des Marseillais, Fréjus de la
8._e_ légion, etc.». On s'aperçoit, par le contexte, que Pline ne veut
parler que des ports les plus remarquables de la côte et qu'il ne veut
pas mentionner beaucoup de lieux moins importans, tels que _Heraclia,
Alconis, Æmines, Carcinis_, etc. Il ne fait donc que tracer à grands
traits les positions les plus apparentes de la côte. De Marseille, dont
nous connaissons la gloire et la splendeur, Pline passe au promontoire
_Zao_, contrée jadis occupée par les _Camatulliens_ ou _Camatallans_.
Cette contrée n'a donc point reçu ses habitans, ni de la Grèce, ni de
l'Italie, ainsi qu'il le dit de Marseille, de Fréjus et de plusieurs
autres villes. Pline parle de ces Camatallans comme d'un peuple fort
ancien. Pour bien déterminer où est cette contrée, il est essentiel
de fixer d'abord le lieu où se trouve le cap _Zao_, et comme ce cap
est adjacent au port Cithariste, sa connaissance nous conduira aussi
à celle de ce port, objet de tant de problèmes. Puisque tous les M.
SS. et toutes les éditions de Pline ne mettent qu'une virgule entre le
mot _Zao_ et le mot _Portus_, quoiqu'ils offrent beaucoup de variantes
de ce passage, on ne peut les séparer. Le M. S. de Chiffletus porte:
_Promontorium Zao, Citharista portus regio Camatullicorum_. Le cap Zao,
port Cithariste contrée des Camatulliens. On lit dans l'édition de
Genève 1625, etc., celle de Bâle 1539, etc., _promontorium Citharista,
portus etc._, le promontoire Cithariste et son port. D'autres M. SS.
offrent _promontorium Zao, portus_, le cap Zao et son port. Il est
donc certain que le port Zao et le port Cithariste ou Guitare étaient
adjacens, puisque ces deux noms sont donnés indifféremment au port ou
au promontoire. Où fixerons-nous donc ce promontoire _Zao_? Plusieurs
raisons me portent à croire que c'est le cap Cicia ou tout au moins le
cap Cépet, qui semble en être une dépendance, et que les anciens ont pu
désigner sous le seul nom de _Citharista_. Les voici: 1.° le P. Hardoin
et plusieurs autres savans l'ont déjà pensé d'après la forme d'une
guitare que présentent le cap et le port. 2.° Dans la belle édition de
Pline in-4.°, accompagnée de notes critiques pour l'éclaircissement du
texte, etc., on trouve émise la même opinion. 3.° Il y a une certaine
analogie entre le mot latin _Cicia_ et _Citharista_. Aucun autre cap
remarquable de toute la côte depuis Toulon jusques à Ramatuelle ne
porte un nom qui s'en rapproche mieux. 4.° Le mot _Zao_ signifie en
grec, _vivre_. Or ce nom convient encore au cap Cicia, soit que l'on
entende l'asile salutaire que ce promontoire offrait aux vaisseaux
menacés du naufrage, (aujourd'hui encore dans une forte tempête nos
navires trouvent des abris dans la baie S.t-Elme, le creux
S.t-Georges, le Lazaret et autres lieux non moins sûrs
quoique moins spacieux; en général tout le promontoire Cicia et la
presqu'île adjacente présentent un mouillage assuré tout le long de la
côte dont le fond n'est que vase.) Soit que l'on entende que ce cap
offrait une grande ressource pour alimenter les lieux circonvoisins par
la grande quantité de poissons que l'on y pêchait alors et que l'on
y trouve encore, est-il d'autre promontoire à qui le nom de Zao ou
Cithariste convienne mieux qu'au cap Cicia?

Quel est donc le port voisin ou adjacent à ce promontoire? Ce ne peut
être que la petite rade de Toulon à laquelle son port était réuni avant
la construction des moles, ce qui formait un vaste port également
sûr, et dans lequel les anciens croyaient découvrir, ainsi que dans le
promontoire, la forme de cet instrument: car lorsqu'on les considère
d'un lieu élevé, on voit encore dans leur masse l'apparence d'une
guitare.

[Sidenote: Acte de fond du chap.]

Ce qui vient à l'appui de mes preuves, c'est qu'il est dit dans la
distribution des prébendes du chapitre de Toulon, que le 3.e
bénéficier possédera depuis S.t Mandrié jusqu'au cap
Cithariste. Il est évident qu'il s'agit ici du cap Cicia et non de
Ceireste, ni de tout autre port.

[Sidenote: Arch. du Roi Reg. perg. an 1200.]

Je ne puis me rendre compte de la raison pour laquelle un grand nombre
de savans ont donné à Ceireste le nom de _Citharista_. Le nom véritable
de cette ancienne ville latine tel qu'on le trouve dans les plus
anciens écrits est _Cesarista_, qui signifierait _statio cæsaris_. De
là résulte une si grande différence entre Cesarista et Citharista qu'il
est impossible de les confondre, bien que la consonnance paraisse se
rapprocher. Je pense donc que quoique la ville de Toulon se nommât
Tauroentum, son port prenait le nom de Cithariste. Il n'y a rien en
cela qui ne soit parfaitement conforme aux usages anciens. Les ports
d'Athènes, de Marseille et autres, s'appelaient d'un nom différent de
celui que portaient ces villes. Ma conjecture ne me semble donc pas
hors de vraisemblance.

Pourquoi Pline passe-t-il sous silence le nom de la ville à laquelle
appartient ce port? C'est que cet écrivain n'a d'autre but, ainsi qu'on
en est convaincu en lisant le contexte, que de fixer les lieux les plus
apparens de la côte. Or, comme le cap Cicia domine les montagnes des
environs de Toulon et qu'il est aperçu de fort loin par les vaisseaux
qui sont dans la haute mer, l'intention de Pline était remplie en ne
désignant que ce promontoire.

[Sidenote: Pline. liv. 3. c. 4.]

[Sidenote: Pline. liv. 3. c. 4. not. 45.]

[Sidenote: Essai sur l'his. de Prov. tom. 2. pag. 518.]

S'il nous restait quelques doutes sur la place du cap Zao et du port
Cithariste, le même auteur va les dissiper. Il nous dit que c'est
dans le pays de Camatulliens, liv. 3. cha. 4 _Regio Camatullicorum_.
Il n'est pas un seul écrivain qui place les Camatulliens à l'Ouest de
Toulon. Le promontoire Zao et son port _Cithariste_ ne peuvent donc
se trouver ni à la Ciotat, ni à Ceireste, ni au Bec de l'Aigle, ni au
cap de la Croisette, ni à aucun autre lieu entre Marseille et Toulon.
Tous les écrivains, par contraire, placent les Camatulliens à l'Est de
cette dernière ville. Les commentateurs même de Pline dans la belle
édition in-4.° disent expressément dans la note 45.e du
4.e chapitre: que les Camatulliens occupaient la contrée qui
est renfermée depuis la plaine de Toulon jusqu'au golfe de Grimaud,
voisin du lieu appelé de nos jours Ramatuelle, dont le nom, selon le
P. Hardoin, a une grande conformité avec celui de Camatellans. En
effet, de _Rama_ on a fait Rame, Ramer; de même le mot _camatos_ en
grec signifie travail dur et pénible. Le pays des Camatulliens ne peut
donc être qu'à l'Est de Toulon, c'est-à-dire depuis le terroir de
cette ville jusqu'aux environs du golfe de Grimaud. Bouche confirme
le même sentiment: les Camatulliciens, dit-il, étaient, depuis Toulon
jusqu'à S.t-Tropez. Or puisque de toute la côte depuis
Toulon jusqu'à Ramatuelle il n'y a pas de port, ni de promontoire à
qui les noms de Zao et de Cithariste puissent convenir mieux qu'au cap
Cicia et à son port, et qu'on ne trouve rien qui puisse non-seulement
nous donner le moindre doute qu'un autre lieu ait jamais porté ces
noms; mais encore qui présente le moindre des caractères que nous
avons reconnus au cap Cicia, nous assurons, sans crainte d'errer, que
ces noms ne conviennent qu'au cap Cicia et au port de Toulon. Nous
voilà donc parvenus à des données qui sont plus que conjecturales sur
l'Origine de Toulon, sur son nom ancien et celui de son port.

Cette discussion, à laquelle j'ignore si quelqu'un de mes devanciers
s'est livré, jette un grand jour sur la fondation de cette ville,
et donne un nouveau poids au vieux M. S. de nos archives dont j'ai
parlé plus haut. Voyant à présent que ce qu'il renfermait de moins
croyable sur Toulon est devenu presque une certitude, je vais rapporter
fidèlement ce qu'il nous dit sur sa fondation, bien persuadé qu'on ne
m'allèguera rien qui puisse le contredire victorieusement.

[Sidenote: Arch. com. grand rép.]

«Toulon fut fondé par les _Camatallans_ ou _Camatulliens_ gens de
la haute Allemagne qui abordèrent dans ce port sous la conduite de
Talamon, avant la guerre de Troye; la beauté du port, l'abondance et la
bonté des eaux qu'ils rencontrèrent au voisinage de leur débarquement,
joints à la commodité d'une grande forêt, la douceur du climat et
l'étendue de la plaine, déterminèrent ces aventuriers à y établir leur
demeure avec d'autant plus de confiance, qu'ils ne doutaient pas que
leurs dieux Oreste et Pilade ne les y eussent conduits ... à peine les
habitans de cette nouvelle ville eurent-ils commencé à cultiver les
terres, que les Anatalans ou Anatalliens les attaquèrent et brûlèrent
leurs maisons avant que deux siècles se fussent écoulés.»

[Sidenote: Pline in-4.° liv. 3. c. 4. not. 33.]

Quelques critiques souriront peut-être de voir paraître des Anatalans
après les Camatalans; mais leur surprise cessera s'ils considèrent que
Pline nous parle encore de ce peuple dans le même chapitre et qu'il
nous apprend qu'il occupait la rive méridionale de la Durance. Il est
assez naturel que des peuples aussi rapprochés se soient fait la guerre.

[Sidenote: Arch. com. grand rép.]

Ce même M. S. rapporte qu'après la destruction de Troie, quelques
fugitifs abordèrent à Toulon, et qu'ils réparèrent la ville. Le rivage
de la Coubué est appelé dans les écrits les plus anciens de la commune,
_port des Troyens_.

Les Phocéens, qui connaissaient la côte méridionale de la Provence par
les rapports de commerce qu'ils avaient eu avec les naturels du pays,
vinrent y établir diverses colonies et ne formèrent qu'un même peuple
avec les premiers habitans qu'ils civilisèrent.

[Sidenote: Arch. M. 8.]

Fario se fixa à Toulon où il construisit la tour de Taurentum qui donna
son nom à la ville, parce qu'elle fut dès lors sa principale défense.

Dans les guerres nombreuses que Toulon eut à soutenir contre les
Latins, les Celtes, les Francs, les Liguriens et autres, il fut
plusieurs fois détruit et brûlé, et toujours on le vit peu de temps
après renaître de ses cendres.

Les malheurs de cette ville se prolongèrent jusques vers la fin du
règne de François I.r qui, par les fortifications dont
il l'entoura, sut lui procurer l'avantage de dissiper ses alarmes
continuelles et de goûter les douceurs d'une paix durable qui ne fut
depuis que rarement troublée.

Tel est le résultat de mes recherches sur l'Origine de Toulon. Si elles
sont conjecturales quelquefois, quelquefois aussi elles s'approchent de
la certitude. J'aurai atteint mon but, si elles peuvent contribuer à
fournir à un autre écrivain plus habile le moyen de jeter sur ce sujet
une plus vive clarté et de débrouiller ce qui reste d'obscur dans nos
premières annales.

Peu jaloux de mon opinion, j'applaudirai le premier à celui qui en
émettra une autre dont les preuves seront plus victorieuses.


[Footnote 1: Dans ce moment on vient de m'en présenter une trentaine
qui viennent par cette voie, elles sont plus ou moins bien conservées;
mais toutes du Haut Empire.]

[Footnote 2: Ce faubourg était au nord de la ville où il y avait en
1500 un moulin qui portait le nom de la Lauze, à côté duquel moulin en
1593 on construisit un fort que l'on détruisit en faisant les fossés de
S.te Ursule; la même année on démolit la petite église de
N.D. de l'Humilité pour y élever une autre tour. Arc. la com.]

[Footnote 3: Je sais qu'un grand nombre d'historiens attribuent aux
Phocéens la fondation de Toulon; mais pour moi, je regarde comme
démontré que toutes les villes dont les Phocéens s'attribuent la
gloire d'être les fondateurs, sont bien antérieures à leur arrivée,
et qu'ils n'ont fait que les civiliser. Nous prouverons dans d'autres
circonstances que presque toutes les villes et beaucoup de villages
obscurs de ce département sont d'origine Celtique, antérieurs par
conséquent aux Grecs et aux Romains.]

[Footnote 4: Cette partie de la Gaule prenait son nom du mot Celte
_Brayos_ ou culottes dont se revêtaient les habitans.]





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