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Title: Voyage dans la lune avant 1900 Author: d'Avray, A. de Ville Language: French As this book started as an ASCII text book there are no pictures available. *** Start of this LibraryBlog Digital Book "Voyage dans la lune avant 1900" *** from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Au lecteur Cette version électronique reproduit dans son intégralité la version originale. La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections mineures. VOYAGE DANS LA LUNE AVANT 1900 PAR A. DE VILLE D'AVRAY PARIS Librairie FURNE JOUVET & Cie EDITEURS _5 RUE PALATINE_ HÉROLD & Cie Imprimeurs, 131, Boulevard St Michel, PARIS. PRÉFACE Le présent Album n'a été fait pour aucune Société savante, pas même pour être présenté à l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres si magistralement présidée par M. Baboulifiche. Je l'ai composé feuille par feuille, pendant les longues soirées d'hiver, au milieu de mes enfants, sous leurs yeux et dans l'unique but de les amuser. La faveur qu'ils lui ont témoignée dès le début, et qu'ils ne cessent de lui témoigner encore, m'ayant porté à croire que d'autres enfants pourraient le goûter comme eux, je me décide à le livrer aux hasards de la publicité. Les gens très graves et très sérieux hausseront peut-être les épaules en le parcourant, mais que m'importe, pourvu qu'il fasse rire les bébés, sourire les mamans et se dérider les papas rendus parfois soucieux par les mille tracas de la vie. Va donc, petit livre, et bonne chance! M. Baboulifiche, président de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres, et Secrétaire perpétuel de la _Société universelle astronomique fin de siècle_ de Fresnay le Puceux, après une lecture annonçant qu'en 1900 on pourra voir la Lune à un mètre, se demande s'il ne lui serait pas possible de mieux faire et... se propose d'y aller incognito.--Le vieil aérostat qui a déjà bien des fois servi pour les fêtes de l'Académie et autres solennités locales est encore en assez bon état, et pourrait parfaitement supporter le poids de deux et peut-être même de trois personnes. Monsieur Baboulifiche fait part de ses intentions à son domestique Papavoine et lui donne l'ordre de se préparer à l'accompagner dans la Lune, vers laquelle il compte se diriger dès le lendemain, au point du jour.--Ébahissement désespéré de Papavoine. Après avoir fait en gémissant ses paquets, Papavoine s'endort, sans avoir le courage de se mettre au lit.--Plein d'une tendre sympathie pour les chagrins de son maître, le chat s'endort aussi. Au lever de l'aurore et suivant un procédé de son invention, M. Baboulifiche, aidé par son domestique, remplit de gaz le ballon l'_Intrépide_ qui doit les enlever dans la Lune. En route pour la Lune!--Le ballon l'_Intrépide_ traverse un nuage, la Terre s'éloigne, la Lune se rapproche, courage!--Papavoine a mal au cœur et son maître aussi.--L'Aérostat, un peu délesté, acquiert une plus grande force d'ascension. L'attraction lunaire étant devenue par trop grande, le ballon éclate et se précipite avec une rapidité vertigineuse vers la surface légèrement accidentée de la Lune. Brusque arrivée de M. Baboulifiche et de son domestique Papavoine dans la Lune. Par une chance des plus heureuses, les vêtements de M. Baboulifiche avaient seuls été traversés par la pointe aiguë du rocher sur lequel il était tombé, lors de son arrivée dans la Lune, et comme le digne Président était passablement lourd, l'étoffe finit par céder et M. Baboulifiche ne tarda pas à se trouver désembroché.--Aussitôt sur pieds et sans se préoccuper des avaries de sa culotte, ni d'une sensation douloureuse qu'il éprouve dans un certain endroit qu'il est inutile de nommer, notre courageux explorateur se met à la recherche de Papavoine qui a totalement disparu. Entendant de sourds gémissements sortir d'une étroite crevasse, M. Baboulifiche se met à plat ventre au bord de ce trou et aperçoit tout au fond le malheureux Papavoine couché et à moitié englouti dans une substance qui lui paraît être une eau heureusement peu profonde. Papavoine s'étant aperçu qu'un faible rayon de lumière semblait venir de derrière lui, s'était retourné et avait découvert un étroit passage dans lequel il s'engagea en rampant. Malheureusement, cette espèce de galerie se rétrécissait de plus en plus, si bien que, lorsqu'il fut enfin arrivé à l'ouverture, l'infortuné Papavoine ne put qu'avec bien du mal sortir sa tête, ses épaules, ses bras et le haut de son corps; mais le reste n'aurait jamais passé sans l'aide de M. Baboulifiche qui, à force de tirer, parvient à arracher de ce terrier son malheureux domestique. Joie délirante de M. Baboulifiche qui, contrairement à l'opinion généralement admise, croit avoir découvert de l'eau dans la Lune au fond de l'espèce de citerne dans laquelle Papavoine était tombé.--Combien grande est sa déception, lorsqu'il constate, après plus ample examen des vêtements de Papavoine, que cette prétendue eau n'est que de la cendre. M. Baboulifiche et son domestique ayant rencontré un banc de moules gigantesques, en prennent chacun une et cherchent un endroit où ils puissent les faire cuire, car la nuit arrive, la Terre se lève et leurs estomacs vides depuis longtemps commencent à crier famine. M. Baboulifiche ayant aperçu une espèce de vaste édifice en ruines éclairé par les rayons blafards de la Terre, en prend la route, avec son domestique, dans l'intention d'y aller souper et coucher.--Papavoine, beaucoup moins gros et plus alerte que son maître, le laisse bientôt en arrière, car M. Baboulifiche, essoufflé, tout en nage, est obligé de s'arrêter et de poser sa moule à terre, c'est-à-dire à Lune, pour se reposer un moment et reprendre haleine.--Mais, horreur! la moule s'entr'ouvre, une bête hideuse en sort et s'élance vers M. Baboulifiche qui, très effrayé, se fait un rempart de son parapluie et se sent de très grandes dispositions à fuir. Pendant que M. Baboulifiche court à toutes jambes pour aller se réfugier dans les ruines, son malheureux domestique Papavoine est de son côté victime d'un effroyable accident.--Étant arrivé avant son maître, il avait déposé sa moule sur le sol et s'était assis à côté, lorsque tout à coup il se sentit saisir par les jambes et entraîner par la moule qui, crac... se referma sur lui. Avec une peine inouïe, M. Baboulifiche parvient enfin à retirer Papavoine de sa cruelle situation.--Le maître et le valet essaient ensuite d'extraire de sa coquille la bête enragée, mais une patte de celle-ci casse et nos deux voyageurs tombent à la renverse. Après avoir allumé un bon feu, M. Baboulifiche et Papavoine embrochent la bête et se complaisent à la voir griller. Après souper et avant de se livrer au sommeil, M. Baboulifiche juge prudent d'aller faire une petite reconnaissance autour de sa nouvelle demeure.--Il sort donc avec Papavoine et se trouve bientôt en présence de monstres horribles qui semblent vouloir se précipiter sur eux.--Frayeur générale!--M. Baboulifiche croise pourtant la baïonnette avec son parapluie tandis que le pauvre Papavoine tout tremblant se cache derrière son maître. Prenant courageusement leurs jambes à leur cou, M. Baboulifiche et Papavoine avaient cherché leur salut dans la fuite, mais tous leurs efforts furent inutiles. De tous côtés ils rencontraient des légions de bêtes, toutes plus affreuses les unes que les autres et qui semblaient les regarder avec convoitise.--Croyant bien leur dernière heure venue, M. Baboulifiche sent ses jambes fléchir sous lui, tombe assis et se cache la tête sous son parapluie, pour se dérober au moins le spectacle de tous ces monstres épouvantables.--Il pense, d'ailleurs, avec beaucoup de bon sens, que si ces monstres doivent le dévorer, il n'a pas besoin de les regarder faire.--Partageant la manière de voir de son maître et son envie de ne pas voir, Papavoine vient se réfugier auprès de lui et lui reproche de l'avoir stupidement entraîné dans ce voyage, où ils vont tous les deux trouver la mort et servir de dîner à de sales bêtes inconnues. Au bout de quelques minutes qui lui parurent fort longues, M. Baboulifiche voyant qu'il n'était pas encore dévoré et que rien ne semblait bouger autour d'eux, se hasarda à sortir la tête de dessous son parapluie et remarqua qu'aucun de leurs ennemis n'avait changé d'attitude.--Alors, malgré les récriminations de Papavoine, à moitié mort de peur, le courageux Président s'en fut observer de plus près ces hideux animaux et son intelligence, supérieure reconnut aussitôt qu'ils étaient tous parfaitement pétrifiés.--M. Baboulifiche le fut lui-même pendant quelques moments, tant sa découverte lui parut bizarre, mais, recouvrant bientôt ses esprits, il s'élança à califourchon sur le dos d'un petit quadrupède à tête d'oiseau en s'écriant joyeusement: «Sac à papier, Papavoine, nous sommes sauvés!»--Encouragé par l'exploit de son maître, Papavoine essaie à son tour de se hisser sur la croupe d'une espèce d'énorme buffle. A la suite de cet exercice équestre, le maître et le serviteur regagnèrent leur logis où ils passèrent paisiblement, mais un peu durement, le reste de la nuit.--S'étant remis en route le lendemain matin, M. Baboulifiche et Papavoine rencontrèrent bientôt un palais où ils virent un homme et une femme lunaires couchés au pied d'une superbe colonne incrustée d'or et de pierres précieuses.--Grand fut d'abord l'émoi de nos deux voyageurs, mais ils reconnurent que ces deux personnages étaient également pétrifiés et le savant M. Baboulifiche conclut de ce fait qu'une mer pétrifiante avait dû envahir subitement ces terrains peu élevés.--Aussi, craignant d'être eux-mêmes victimes d'une semblable catastrophe, nos deux explorateurs se hâtèrent de se diriger vers les hauts plateaux, sans prendre même le temps de détacher quelques-unes des pierres précieuses. En route pour les hauts plateaux, M. Baboulifiche et Papavoine éprouvent de grandes difficultés, surtout le Président, qui a bien du mal à gravir ces pentes escarpées. Après bien des efforts persévérants, les deux voyageurs parviennent enfin au sommet du plateau. Arrivé là, M. Baboulifiche, épuisé de fatigue, s'assied, sans y faire attention, sur une espèce de tortue, pendant que Papavoine admire les fleurs lunaires. Le siège de M. Baboulifiche ayant remué, celui-ci se releva prestement et se remit en marche avec son compagnon.--Un peu plus loin, tous deux sont assaillis par un véritable essaim d'araignées volantes, qui se jettent sur eux pour les dévorer.--Grâce à son parapluie, M. Baboulifiche parvient, après un combat acharné, à débarrasser Papavoine d'une énorme araignée qui l'avait saisi par le dos, et tous les deux se hâtent de quitter ces parages mal habités. Après avoir marché pendant quelque temps, en évitant autant que possible le dangereux voisinage de volcans qui leur lançaient des pierres énormes, nos deux voyageurs aperçoivent tout à coup un astronome lunaire en train d'étudier la Terre avec un télescope. L'astronome effrayé s'étant enfui à leur approche, en oubliant d'emporter son instrument, Papavoine ne peut résister au plaisir de s'en servir lui-même, afin d'essayer de découvrir sur la Terre le village où il est né.--Mis en émoi par les discours de l'astronome fugitif, tous les confrères de celui-ci se hâtent de quitter leurs observatoires et d'accourir vers les étrangers. Ayant bientôt reconnu que M. Baboulifiche et Papavoine ne sont pas dangereux, les Lunaires les invitent à aller visiter leurs observatoires, où ils les font assister à un cours d'astronomie, pendant lequel un des élèves, ayant commis une énorme sottise, le professeur lui inflige la punition de porter pendant tout un mois sur la poitrine les insignes du Poireau mal venu. En traversant une place où les troupes lunaires vont manœuvrer, M. Baboulifiche et Papavoine sont horriblement effrayés à la vue de la cavalerie et prennent la fuite.--Chute de M. Baboulifiche. Le parapluie de M. Baboulifiche est trouvé par un cavalier lunaire qui s'en empare et se promène fièrement avec cet instrument dont il ignore l'usage. Un instant après, nos deux voyageurs voient arriver sur eux des soldats aériens lunaires faisant l'exercice. Ces voltigeurs d'élite, munis d'ailes mises en mouvement par un petit appareil électrique qu'ils portent à leur ceinture, effraient tellement le malheureux Papavoine qu'il tombe à genoux en s'écriant: «--O mon maître! dans quel chien de pays m'avez-vous conduit! Nous n'y rencontrons à chaque pas que des dangers successifs et des émotions épouvantables! Nous voici maintenant entourés d'un tas de voleurs ailés et terriblement armés. Grâce! messieurs les voleurs, ne nous faites pas de mal!»--M. Baboulifiche, totalement abruti, reste étalé sur le sol, la face cachée entre ses mains et ne répond rien.--Mais combien son silence est éloquent. Les lanciers-voltigeurs ayant passé sans leur faire aucun mal, M. Baboulifiche et Papavoine se relèvent, prennent leurs jambes à leur cou et vont se réfugier dans une grotte voisine, où ils ne tardent pas à rencontrer des habitants à quatre pattes et à longues dents qui leur font encore une peur atroce.--Ne sachant comment échapper à ce nouveau danger, ils imaginent d'enfourcher d'énormes chauves-souris qui les entraînent hors de la grotte et s'envolent en les emportant sur le dos. Course vertigineuse de M. Baboulifiche et de son domestique Papavoine à travers les espaces célestes, sur le dos des chauves-souris lunaires. Malheureusement pour nos pauvres voyageurs, les chauves-souris attirées par la vive clarté des astres, s'approchent rapidement d'une flamboyante comète qui commence à les chauffer d'une manière terrible.--Papavoine fait les vœux les plus ardents pour que sa monture le ramène enfin sur son sol natal. Les chauves-souris s'étant trop approchées de la queue de la Comète, nos voyageurs sont entraînés par celle-ci, avec une vitesse épouvantable au milieu des nuages phosphorescents qui composent l'énorme traînée lumineuse de cet astre vagabond. Par bonheur la Comète passe tout près de Saturne et M. Baboulifiche, qui commençait à fondre et à étouffer passablement, ainsi que Papavoine, se sent attiré par une force irrésistible et crac!... tout à coup nos deux explorateurs se trouvent précipités sur une terre qu'ils ne pouvaient apercevoir lorsqu'ils étaient perdus au milieu des épaisses vapeurs composant la queue de la Comète.--En tombant sur ce nouveau sol, Papavoine s'écrie:--Aïe!... je suis mort!--Moi aussi! répond lugubrement M. Baboulifiche. Après être restés très longtemps ainsi étendus, sans oser remuer ni bouger pieds ni pattes, nos deux voyageurs commencèrent à ressentir des tiraillements d'estomac. Aussi, Papavoine, fort peu endurant sur cet article-là, s'écria-t-il tout à coup:--Mais fricassée de poulet! je crève de faim, moi! Donc, je ne suis pas mort.--Ni moi non plus, soupire alors M. Baboulifiche, car je voudrais bien aussi manger quelque chose.--Nos deux affamés, se relevant alors, se mirent aussitôt à la recherche d'une nourriture quelconque sur le sol de Saturne, où ils se trouvaient sans le savoir.--Arrivés dans une vaste plaine parsemée d'édifices pyramidaux, ils aperçoivent tout à coup des papillons et d'énormes chenilles à face humaine, en train de brouter les feuilles d'un arbre, ce qui les comble tous deux d'étonnement et fait faire une piteuse grimace à Papavoine, qui ne se sent aucun goût pour ce genre d'aliment. En sa qualité de Président de l'Académie des Sciences, Arts, Belles-Lettres de Fresney-le-Puceux, M. Baboulifiche devine que les édifices de forme pyramidale qu'ils entrevoient de tous côtés doivent être les habitations des gens de ce pays.--Remarquant en outre des arbres absolument inconnus pour eux et portant de gros œufs, ainsi que d'énormes chrysalides, le savant explorateur explique à Papavoine, qui n'ose guère en croire son maître ni ses yeux, que sans aucun doute les habitants de cette singulière contrée commencent par être des œufs, puis deviennent des chenilles, des chrysalides et se transforment enfin en magnifiques papillons. S'enhardissant peu à peu, nos deux voyageurs s'avancèrent alors tout près d'un de ces beaux papillons à face humaine qui, prenant en pitié leur démarche lourde et fatiguée, leur montre comment il faut faire pour voler.--M. Baboulifiche et Papavoine essaient d'imiter ses mouvements. Malgré tous leurs efforts, M. Baboulifiche et Papavoine ne réussissent qu'à se mettre en nage et à s'allonger de tout leur long par terre, c'est-à-dire par Saturne, ce qui fait se tordre de rire le Saturnien, qui s'en tient les côtes, tandis que Papavoine se frictionne un peu plus bas. Malheureusement, cet exercice n'a fait qu'augmenter leur appétit; aussi, voyant des Saturniens en train de dévorer de belles feuilles vertes, M. Baboulifiche et Papavoine se résignent à essayer d'en manger aussi.--Ce régal offrant peu d'attrait à Papavoine, l'infortuné finit par s'assoupir sans s'apercevoir qu'une armée de grosses fourmis vient l'attaquer par derrière. Interrompu dans son repas par les gémissements poussés par le malheureux Papavoine, à moitié enseveli sous un monceau de fourmis qui le mordent, M. Baboulifiche parvient à le dégager en écrasant et en chassant ces vils insectes à grands coups de branches. Mais hélas! dans quel pitoyable état se trouve le pauvre Papavoine!--Oh! bien non, alors! s'écrie M. Baboulifiche; il n'est pas permis d'être massacré de la sorte!--Un charitable Saturnien, témoin de cet accident, vole au secours de Papavoine et lui apporte un vase plein d'eau fraîche. Après quoi l'aimable Saturnien offre l'hospitalité à nos deux voyageurs et voyant qu'il ne comprennent pas son langage, il les pousse doucement vers son domicile.--Au tournant d'une colline, une large bande lumineuse s'offre à leurs regards.--Fricassée de poulet! Qu'est-ce que c'est encore que cela? s'écrie Papavoine inquiet.--Je suppose que ce pourrait bien être l'anneau de Saturne, hasarde le savant M. Baboulifiche.--Ça, un anneau! Ah! non alors! A vue de nez, cela n'y ressemble pourtant guère, répond l'incrédule Papavoine. Aussitôt arrivé en son logis, le bon Saturnien s'empresse de panser les plaies du pauvre Papavoine, tandis que M. Baboulifiche s'applique de son côté à envoyer délicatement des douches d'eau fraîche sur les parties endommagées.--De larges ailes de papillons, ayant appartenu aux ancêtres décédés de leur généreux hôtes, sont clouées au mur au-dessus de leurs têtes, avec une inscription indiquant en langue saturnienne les noms, âges et qualités de leurs propriétaires défunts. Quoique un peu désenflé, Papavoine, en proie à une sorte de fièvre provoquée par les cuisantes morsures des fourmis, trouve qu'il fait trop chaud dans l'intérieur de la pyramide et préfère aller prendre l'air.--M. Baboulifiche, ému de compassion, ne veut pas le laisser sortir seul et l'accompagne dehors; mais mal lui en prend, car Papavoine, de fort mauvaise humeur, l'accable des plus sanglants reproches, le rend responsable de toutes leurs mésaventures et l'accuse de manquer de parole, puisqu'il s'est engagé à le nourrir et qu'au lieu de cela, bien loin de lui fournir une nourriture raisonnable, il le mène au contraire dans un pays où il est à moitié dévoré par les fourmis.--M. Baboulifiche, impassible, laisse passer l'orage sans mot dire. Voyant que son maître ne lui répond rien, Papavoine se laisse tomber au pied d'un monticule et se dispose à y rester jusqu'au lendemain, espérant que la fraîcheur de la nuit calmera un peu ses souffrances. M. Baboulifiche l'imite et tous deux s'endorment profondément, tandis qu'une multitude de gros lézards ailés se précipite sur eux pour les dévorer. Déjà, il ne reste plus du malheureux Papavoine que la casquette, le bas du visage et une jambe que les lézards se disputent dans les airs.--M. Baboulifiche, lui-même, ne possède plus que la tête, un bras, la poitrine et le bout d'un pied, lorsque, croyant enfin éprouver dans son individu une sensation quelque peu désagréable, il se réveille en sursaut et jette un regard savant autour de lui.--Grâce à sa vive intelligence, il juge la situation en un clin d'œil, en saisit toute la gravité et, empoignant par la queue un de ses féroces assaillants, s'en sert comme d'une massue pour combattre les autres. Continuant avec énergie sa lutte acharnée, M. Baboulifiche se livre à une série de gestes désespérés si violents que, d'un coup de pied, il renverse à la fois sa table, sa lampe, son verre d'eau sucrée et tous ses ouvrages scientifiques, tandis que, d'un furieux tour de reins, il imprime au fauteuil qu'il occupe une si vigoureuse secousse, que celui-ci fait la pirouette et s'écroule avec fracas.--A ce bruit formidable. Papavoine accourt un flambeau à la main et s'écrie:--Fricassée de poulet! est-ce que le feu est à la maison?--Non! répond au bout d'un instant M. Baboulifiche, qui met bien cinq minutes à reprendre ses esprits et à reconnaître qu'il est dans sa chambre, où il s'est paisiblement endormi en lisant son journal. Non! seulement, je viens d'avoir un fichu cauchemar!... Sur ce, M. Baboulifiche va se coucher et se fait servir une infusion de violettes largement additionnée d'eau de fleurs d'oranger quadruple, pour essayer de rendre le calme à son système nerveux abominablement surexcité. *** End of this LibraryBlog Digital Book "Voyage dans la lune avant 1900" *** Copyright 2023 LibraryBlog. All rights reserved.